Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

kid congo

  • CHRONIQUES DE POURPRE 657 : KR'TNT ! 657 : KID CONGO / ROXY MUSIC / JOHN SQUIRE / HONEYCOMBS / LUKE HAINES / BLACKSTAFF / TONY MARLOW / POP POPKRAFT / TWO RUNNER

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 657

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    19 / 09 / 2024 

     

    KID CONGO / ROXY MUSIC / JOHN SQUIRE

      HONEYCOMBS / LUKE HAINES

    BLACKSTAFF / TONY MARLOW 

    POP POPKRAFT / TWO RUNNER

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 657

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

     

    L’avenir du rock

     - Congo à gogo

     (Part Four)

     

    z24862kidcongo.gif

             En examinant la dune qui se dresse devant lui, l’avenir du rock a clairement l’impression de l’avoir déjà vue.

             — Ne serais-je pas déjà passé par là ?, s’enquiert-il auprès de sa mémoire flagada. Et il ajoute, avec tout l’enthousiasme de carton-pâte dont il est encore capable :

             — Une de perdue, dix de retrouvées, ce qui bien sûr n’a pas plus de sens que d’errer dans le désert depuis belle lurette.

             La belle lurette est devenue son unité de mesure préférée. Tout est belle lurette : les nuits, les jours, les étoiles, les grains de sable. En redescendant la dune, il croise un mec déguisé en explorateur colonial, qui s’apprête à la monter et qui a l’air complètement paumé. Histoire de le distraire un peu, l’avenir du rock lui lance, d’une voix chantante :

             — Que fais-tu là Petula/ Si loin de l’Angleterre ?

             Raté. L’explorateur colonial ne rit pas. Il semble un peu constipé.

             — Je m’appelle Stanley. Suis dûment mandaté par Leopold II, roi des Belges. Vous n’êtes pas Livingstone, I presume...

             Ça faisait belle lurette que l’avenir du rock n’avait pas ri de si bon cœur :

             — Ya pas plus de Livingtone que de beurre en broche, Stan !

             — Auriez-vous l’obligeance de m’indiquer la direction de la jungle ?

             — Quelle jungle ?

             — Bah la jungle jungle...

             — La junjungle ?

             — Oui la junjungle toute verte avec des arbres... Vous m’avez l’air complètement abruti, mon pauvre ami. La junjungle qu’on traverse en pirogue... Pi-ro-gue... Sur un fleuve... Fleu-ve...

             — Le fleufleuve ?

             — Fleufleuve Con-go..., vieux con !

             — Ahhhhhhh oui ! Je connais très bien Kid Congo.

     

    z24867kidmaintendues.jpg

             Sur scène, Kid Congo est certainement l’un des artistes les plus accomplis de son temps. Il rocke le boat et fait du cabaret, il t’émerveille et t’émancipe, il te donne à voir et à entendre, il mélange Tempest Storm et Jeffrey Lee Pierce, Lou Costello et Lux Interior, s’il porte la moustache de John Waters, ce n’est pas un hasard, mon petit Balthazar, s’il fait rebattre le cœur du vieux «Sexbeat» au cabaret burlesque, c’est encore moins un hasard, et s’il multiplie les hommages à Jeffrey Lee Pierce, alors on est bien obligé d’admettre que tout cela finalement tombe sous le sens, enfin, le sens qui t’intéresse - Viva Jeffrey Lee Pierce ! - Avec le Kid sur scène, on se retrouve dans la meilleure conjonction cosmique possible : tout de blanc vêtu, il perpétue la mémoire d’une vieille énergie sauvage, et il la perpétue à merveille. Il en est le dernier survivant, c’est la raison pour laquelle il est d’une certaine façon devenu un peu crucial. Lux et Jeffrey Lee ont quitté la planète, alors le Kid porte le flambeau de ce vieux no-sell-out calorique qui fit la joie des imaginaires en des temps assez reculés. Et il jette dans ce cérémonial toute son énergie, claquant des moutures qu’il faut bien qualifier d’extraordinaires.

    z24866multipliépartrois.jpg

    Tout son corps bouge, le Kid danse avec les loops, tu ne vois pas ça tous les jours, une superstar en mouvement perpétuel, un Tinguely du Sexbeat, avec le punch de Muhammad Ali. Ses Pink Monkey Birds jouent en formation serrée, comme dirait le général Mitchoum, et ça te donne des versions dévastatrices. Comme le disait si bien Lux Interior, «ta mâchoire se décroche et pend comme une lanterne sur ta poitrine.» Le Kid claque ici et là des killer solo flash qui en disent assez long sur son passé d’apprenti sorcier, lorsque Jeffrey Lee Pierce lui enseignait les évangiles selon Saint-Rock, c’est-à-dire le blues et le free. Et comme ça menace de beaucoup trop chauffer («She’s Like Heroin To Me», «Sexbeat» et l’infernal «Thunderhead» tiré de Mother Juno, pour le Gun side + «Primitive», «Goo Goo Muck» et «You Got Good Taste» pour le Crampsy side), alors le Kid tempère le set avec des rumbas extraordinaires («Ese Vicio Delicioso» tiré du Vice album, et «La Arana» tiré de l’album précédent). Et pour faire planer un voile de mystère sur la salle, il t’emmène au cabaret et interprète «The Smoke Is The Ghost», avec des grands gestes théâtraux et le regard perdu dans la voûte.

    z24868kid+gretch.jpg

    Le petit mec sur la Gretsch s’appelle Gabriel Naim Amor, un expat français qui nous dira au bar qu’il a eu «de la chance de rencontrer Kid.» Pour finir le set en beauté, le Kid sort deux lapins de sa manche, les deux hits du Vice album, «Wicked World» et «A Beast A Priest», avant de demander : «You wanna dance?». Il évoque le mashed potatoes et d’autres vieux coucous et bham ! «Sexbeat» ! Le Kid réussit non seulement l’exploit de régénérer la légende du Gun Club, mais il régénère en plus tous les imaginaires rassemblés à ses pieds. L’awsome t’assomme.

    z24869kidaumicro.jpg

             On trouve d’éminentes traces de modernité sur son dernier album, That Delicious Vice. Au moins deux. La première s’appelle «Wicked World», un World monté en neige de fuzz. Posture effarante. La fuzz congolaise n’est pas la même que les autres fuzz : la sienne te lèche la conscience.

    z24870delisiousvice.jpg

    La deuxième trace de modernité s’appelle «A Beast A Priest», un Beast monté sur l’heavy beat de bass/drum de Mark Cisneros et Ron Miller. Alors le Kid se pointe, pour lui c’est du gâtö - Until I felt the pressure drop - Et il ajoute avec cet accent tellement angelino : «I’m too old/ To Win/ I’m afraid.» Il pèse de tout son poids sur le mystère. Il y a du shaman chez le Kid. Puis les autres cuts vont refuser d’obtempérer. Le reste de l’album ne marche pas. Il s’enfonce dans le western spaghetti avec «Silver For My Sister» et la samba avec «Ese Vicio Delicioso» - At the age of three I knew/ What I wanted to be - Toute la fin de l’album part à vau-l’eau. Le Kid abandonne son Congo Powers.

             Il est beaucoup plus à l’aise avec le Wolfmahattan Project. Sur le what ?

    z24871bluegenestew.jpg

             Pour les ceusses qui ne le sauraient pas, the Wolfmanhattan Project est un super-groupe. Le trio se compose de Mick Collins, Kid Congo et Bob Bert, une sorte de conglomérat Cramps/Gories/Chrome Cranks. Leur premier album s’appelle Blue Gene Stew et Bob Bert a peint la pochette. On y entre comme on entre dans le lagon d’argent, bien conscient de la présence des dieux. C’est inespéré de down the drain dès «Now Now Now» que le Kid chante dans la pénombre, alors que Mick Collins envoie ses jets d’acide. Le Gorie prend ensuite le chant pour «Braid Of Smoke» et sale le plat au sonic brash. Non seulement il le sale, mais il le noie de disto. On croise ensuite quelques cuts étrangement inconsistants, et en B, «Smells Like You» nous rappelle à l’ordre, car plus garage, plus Pussy Galore par le côté défiant et le drumbeat indus de Bob. C’est monté sur le riff de «Gimme Some Lovin’» et chanté en désespoir de cause. Dernier spasme avec «Silver Sun» que Mick Collins chante au feeling insidieux. Il s’engage dans l’avant-garde du beat déployé, il s’étonne lui-même d’être tellement en avance sur son époque, you need the silver sun now, et fait entrer dans la danse un sax free. Alors on est vraiment content d’être venu. Avant d’envoyer l’album coucher au panier, on note que «Last Train To Babylon» pioche dans l’ancien farfouillis de Roxy, à moins que ça ne soit dans celui du Babaluma.

    z24872summer.jpg

             Summer Forever And Ever est leur deuxième album. Avec «Like Andrea True», tu te croirais chez les Cramps. T’as même le petit tiguiliguili à la Ivy League, ça gratte dans les vieux replis de la légende, c’est comme abandonné aux bons soins d’une modernité à la dérive. Et puis soudain Mick Collins attaque au three two one yeah ! Cover de Jerry Nolan : «Countdown Love». Ces trois vieux crabes sont encore capables de rocker une heavyness joyeuse et fébrile. On sent tout le poids des Gories dans cette furie. C’est le Kid qui chante «Summer Forever», il place sa voix à la surface du beat infectueux. C’est forcément génial, plein d’esprit, battu sec par Bob et soutenu aux chœurs par ce démon de Mick Collins. Il profite de l’occasion pour tailler une vrille malsaine. Ils terminent leur balda avec «Hypnotize Too», un petit instro visité par un sax free. Weird, humide et fascinant. La B est moins héroïque. Ils l’attaquent avec un «H Hour» gratté à la Gories. Ça tombe sous le sens, très saccadé, quasi JSBX, coincé dans un coin. Ils s’amusent encore avec «Silky Narcotic» et envoient des spoutnicks. Ils travaillent des idées, on les sent fébriles dans leur quête de modernité. Ils bouclent avec «Raised/Razed», un groove Congolais, le Kid tartine bien son all over the sky et son turn you on/ because I can raise you.

    z24873neardeathexperience.jpg

             Pour retrouver l’énergie d’un set de Kid Congo, l’idéal est d’écouter le Live In St Kilda de Kid Congo Powers & The Near Death Experience, un In The Red sorti l’an passé. C’est qui Kilda ? On a l’explication en ouvrant le gatefold : Kim Salmon avait invité le Kid pour la parution de son book à Melbourne. St Kilda est donc un patelin de la banlieue de Melbourne. Honoré par l’invitation de celui qu’il surnomme «my long time Scientist Surrealist Beast of a friend», le Kid monte un set avec le groupe d’Harry Howard, ex-Crime & The City Solution, Harry Howard & The Near Death Experience, «as the logical choice». Tu retrouves l’ambiance explosive du set des Pink Monkey Birds, avec comme point commun, une belle introduction : «You like to dance?» Et il ré-énumère les mashed potatoes et les autres vieux dance crazes qui datent de Mathusalem, «but you’ve not heard the one called Sexbeat!» Et re-bham, et t’es de nouveau frappé par l’infernale modernité du beat de Sexbeat. Dans ses liners écrite à la main, le Kid te dit : «Enjoy the racket». C’est bien d’un racket dont il s’agit dès «LSDC» - This is a place called/ L/ Sssss/ Diiii/ Ciiii - Et il embraye avec l’un de ces instros du diable dont il a le secret, «Black Santa», et de conclure la bouche en cœur : «It’s Christmas all of the tiiiiime.» Contrairement à ce qu’indique le track-listing d’In The Red, c’est «New Kind Of Kick» qui boucle le balda - You are searchers of some other sort of new/ Kind/ Of/ Kick - Et il tape une version demented en souvenir d’un groupe demented. C’est donc «Sophisticated Boom Boom» qui ouvre le bal de la B - Especially for Kim, by the Shangri-Las, you know the Shangri-Las ? Sophisti/ Cated/ Booooom/ Booooom». Il fait du big atmospherix avec «Diamonds Fur Coat Champagne» et termine l’album avec l’une des plus grosses dégelées royales de tous les temps : «Garbage Man» - Here comes/ The Garbage Man - Grosse attaque Crampsy - You ain’t no punk/ You punk - Qui dira la grandeur des Cramps, la portée de cette clameur binaire, l’heavy beat en crabe, qui dira l’impact surnaturel du do you understand et du stuff I use ?

    z24874swing.jpg

             Au merch, une autre pochette te fait de l’œil : Swing From The Sean DeLear, un maxi de Kid Congo & The Pink Monkey Birds. Sean DeLear était un queer punk icon de la scène de Silver Lake. Ron Miller te bat «Sean DeLear» sec et net, ça frise le Sexbeat. Puis le Kid introduit à sa façon cet instro du diable qu’est «(Are You) Ready Freddy» et il embraye aussi sec sur «(I Can’t Afford) Your Shitty Dreamhouse». Il y va au take your hair out my air, ou out of my hair, c’est comme on veut, et on retrouve le bassamatic bien ordonné de Kiki Solis. En B, il passe avec «He Walked In» au heavy groove ténébreux et bien noyé d’underground angelino, là-bas, sous le soleil de Satan - The flesh of a man/ The face of a friend - Et il t’invite au jump inside, il voyage chez les morts et bizarrement, ça se termine en mode rumba des îles, en big latin flavour avec Mark Cisneros à la flûte bucolique.

    Signé : Cazengler, Kid Con tout court

    Kid Congo. Le 106. Rouen (76). 11 septembre 2024

    Kid Congo & The Pink Monkey Birds. That Delicious Vice. In The Red Recordings 2023

    Wolfmanhattan Project. Blue Gene Stew. In The Red Recordings 2019

    Wolfmanhattan Project. Summer Forever And Ever. In The Red Recordings 2022

    Kid Congo Powers & The Near Death Experience. Live In St Kilda. In The Red Recordings 2023

    Kid Congo & The Pink Monkey Birds. Swing From The Sean DeLear. In The Red Recordings 2021

     

     

    Wizards & True Stars

     - Roxy ça vaut pas Jerry Lee

    z24865roxymusic.gif

             Se foutaient pas le doigt dans l’œil Eddick Ritchell, Sharon Glory et Jimmy Freud quand, dans «Ego-Dames», ils clamaient la main sur le cœur «Ziggy et Roxy ça vaut pas Jerry Lee !». Ils tournaient le glam en dérision. La fière équipe d’Au Bonheur Des Dames est arrivée dans le rond du projecteur un peu après Roxy, mais la parenté crevait l’œil, au moins au niveau visuel. Du côté d’Au Bonheur, on rigolait, mais pas du côté de Roxy. Au Bonheur Des Dames fut ce qui arrivait de mieux à la France de 1974, de la même façon que Ziggy et Roxy à l’Angleterre de 1972. On sentait alors une volonté clairement affichée de réinventer le rock de part et d’autre de la Manche. Le rock ne s’est jamais mieux porté qu’en ces années-là.

    z24875roxymusic.jpg

             On a tous flashé sur le premier Roxy paru en 1972 sur Island. Cet album parfait est resté un point de repère, pour une seule et unique raison : «Re-Make Re-Model», avec son intro de piano historique et le tagaga de Paul Thompson. Et aussitôt après, Manza foutait le feu, t’avais des chœurs de lads - I tried but coundn’t find a way - L’un des cuts parfaits de l’histoire du rock anglais. T’ouvrais le gatefold et t’avais ces six portraits supersoniques. Par contre, le reste de l’album te laissait sur ta faim de loup.

    z24876foryourpleasure.jpg

             Il fallut attendre For Your Pleasure, paru un an plus tard, pour calmer cette faim de modernité. T’avais encore cinq portraits fantastiques dans le gatefold. Pas de bassman. Un certain John Porter était crédité à la basse. Et Chris Thomas produisait. Trois cuts allaient te marquer la cervelle au fer rouge : «Do The Strand», «Editions Of You» et «The Bogus Man». Tu retrouvais la fantastique énergie de la décadence dans un «Do The Strand» épaulé par le sax d’Andy Mackay. Tu retrouvais des accords de piano dans l’intro d’«Editions Of You», mmmmmhh, et la frappe sèche de Paul Thompson. Alors John Porter entrait en lice et ça virait au demented are go. T’étais au cœur du phénomène Roxy. Ils bouclaient leur balda avec «In Every Dream Home A Heartache», un Big Atmosphrix d’I blew up your body/ But you blew my mind ! Et en B, t’avais bien sûr l’excellent «Bogus Man» et la belle frappe sèche de Paul Thompson, renforcée par l’adroit bassmatic de John Porter. Ils faisaient en fait du Babaluma, de l’hypno à Nono, et Manza grattait des poux funky dans le déroulé. Puis Ferry repartait dans son maniérisme à la mormoille avec «Grey Lagoons» que venait tempérer Andy avec un solo de porcelaine de sax. C’est dingue comme ces mecs savaient développer.

             Et puis, les choses vont se dégrader. Une fois Eno viré, Roxy va devenir un groupe commercial, à l’image d’un Bryan Ferry dévoré d’ambition. La modernité de Roxy va s’étioler d’album en album, d’abord avec Stranded et Country Life, puis sombrer enfin dans la daube commerciale que l’on sait. Rien à tirer des albums suivants.  

    z24878bookrevoliution.jpg

             Roxy revient dans l’actualité via l’autobio de Phil Manzanera, Revolucion To Roxy. Tu chopes l’info, tu te frottes les mains, tu baves même un peu : toute littérature concernant Roxy est ultra-bienvenue. Tu t’attends même à un big book, étant donné que tu considères Manza comme un élégant personnage cosmopolite. Avant ça, tu n’avais eu que le book de Michael Bracewell à te mettre sous la dent : Re-make/Re-model: Becoming Roxy Music, un book bien documenté,  très axé sur le concept de Roxy, mais qui manque d’épaisseur humaine. On n’y sent pas bien les personnages. Manza va-t-il combler ce déficit ?

    z24903concert.jpg

             Il comble que dalle. Tu l’as dans le baba. C’est l’une des grandes déconvenues du siècle. Manza fait d’autres choix. Roxy, c’est juste deux chapitres, et tout le reste concerne la gloriole, les tournées mondiales, les raids en Amérique latine, la fréquentation de lascars comme David Gilmour, les maisons, les bagnoles, les awards, les gosses, les arbres généalogiques, et puis bien sûr les épisodes de reformation de Roxy avec les millions de dollars, c’est l’histoire d’un groupe qui fut passionnant le temps de deux albums et qui a fini par tourner en eau de boudin, c’est-à-dire en grosse machine à fric vide de sens, mais qui remplit les stades. Là est le paradoxe. On le connaît par cœur, ce paradoxe. On ne peut pas lutter. Comme si la dimension artistique ne comptait plus. Ne reste que la gloriole et l’Hall of Fame, toute cette drouille immonde qui gâche la légende d’un art qu’on croyait sacré et qui n’est au fond qu’un business de plus. Tu lis ce book et t’es atterré par le spectacle qu’il t’offre. C’est un peu comme si tu lisais les mémoires de Jagger ou celles de Gilmour, des books que tu n’approcherais jamais, même avec une pince à linge sur le nez. Bon, là, tu dois bien reconnaître que tu t’es fait baiser.

             On attendait de Manza qu’il nous parle d’Andy Mackay en long et en large, ou d’Eno, ou de Paul Thompson. Rien de plus que ce qu’on sait déjà. Et pas un mot sur Johnny Gustavson, le mec des Big Three qui joue de la basse sur 4 albums de Roxy, ni sur Sal Maida. Rien ! Que dalle !

             Roxy avait passé une annonce dans le Melody Maker : «Wanted. The perfect guitarist for avant rock group: original, creative, adaptable, melodic, fast, slow, elegant, witty, scary, stable, tricky. Quality musiciens only.» Manza passe l’audition avec sa Gibson ES 335 et comme ils n’aiment pas  le look de la 335, ils lui disent de revenir avec une Strato. Mais c’est David O’List qui décroche le job. Manza est déçu. Le seul défaut d’O’List était d’arriver en retard aux répètes, et c’est comme ça que Manza finit par décrocher le job. Il est là, alors les autres lui demandent de jouer. Dans la première mouture, le bassman s’appelle Graham Simpson. Et comme Manza connaît bien les cuts, Bryan Ferry lui propose un CDI à 15£ la semaine. En 1972, il devient professionnel.

    z24901gate1.jpg

             Manza donne des détails importants : au début, Roxy n’a pas de blé, alors le groupe doit redoubler d’inventivité. Comme ils viennent de décrocher un contrat avec Island, on les confie à Anthony Price, un fashion designer qui doit peaufiner leur image. Manza est sapé comme l’as de pique et Price qui bien sûr est gay fait «no, no, noooo» et lui demande de porter un blouson de cuir et des lunettes d’extra-terrestre, sur lesquelles sont collés des clous en diamant. Manza a son look en 5 minutes. Le problème, c’est qu’il ne voit rien avec ces «bug eyes». Il ne voit que ses pieds. Pour gratter ses poux, c’est l’enfer. La photo des «bug eyes» est dans la page. Tu les vois aussi quand tu ouvres le gatefold du premier Roxy.

    z24902gate2.jpg

             C’est aussi là que commencent les problèmes : Bryan Ferry décide de tout. La pochette du premier Roxy, c’est lui. Manza rappelle aussi que Graham Simpson était dans le premier groupe de Bryan Ferry, The Gas Band, au temps de la fac de Newcastle. Puis Simpson va traverser une mauvaise passe et se faire virer. C’est là que commence le bal des bassistes. Manza en dénombre 15. Il indique aussi que Bryan Ferry et Andy Mackay sont revenus transformés d’un concert de Ziggy. C’est là qu’ils décident de se transformer en gravures de mode, comme l’ont fait les Spiders From Mars. Et le plus avancé, dans cet art, c’est bien sûr Eno. Il tombe toutes les filles et Manza sous-entend que Bryan Ferry le jalouse.

    Z24904CHISTHOMAS.jpg

    (Chris Thomas)

             C’est Chris Thomas qui va enregistrer Music For Your Pleasure. John Cale l’a recommandé à Roxy. Manza rappelle aussi que Thomas a bossé sur le White Album. Alors wham bam ! Mais Bryan et Brian ne s’entendent pas. Eno se considère comme un «Independant mobile unit» et un «non-musician». Il ne supporte pas l’autorité. En plus, il est le plus flamboyant du groupe - which I’m sure Bryan didn’t enjoy - Il va subir le même sort qu’un autre Brian, Brian Jones. En plus, Eno est très extraverti, alors que Bryan Ferry reste impénétrable. Ils sont à l’opposé l’un de l’autre. En plus, Bryan Ferry continue de faire ses coups en douce. Il a déjà quasiment réglé la question de la pochette du deuxième album sans en parler aux autres. Manza le redit : Bryan Ferry n’a consulté personne. Il a choisi Amada Lear pour le recto et c’est lui qu’on voit au verso déguisé en chauffeur. Les membres du groupe émettent une molle protestation et Bryan Ferry la prend en compte. Puis une petite shoote éclate entre Bryan et Brian, à propos d’une gonzesse. Brian Eno joue une dernière fois avec Roxy en 1973 et il quitte le groupe avant de se faire virer.

    Z24895COUNTRYLIFE.jpg

             Voilà, c’est à peu près tout ce qu’on a sur Roxy. Manza donne aussi des détails sur la pochette de Country Life avec les deux belles gonzesses en petite tenue. Il rappelle aussi qu’entre 1972 et 1984, il n’a pas gagné un rond, malgré les tournées mondiales et les disques d’or : le management et probablement Bryan Ferry s’en s’ont mis plein les poches. Puis les choses vont se détériorer dans le groupe. 1976 nous dit Manza est le commencement de la fin. Il voit encore Bryan Ferry faire ses coups en douce et traiter les autres membres comme son backing band. À la fin de la tournée Avalon, en 1982, Andy Mackay et Manza donnent leur démission : «It’s been a great pressure working with you. Goodbye.»

             Il leur faudra attendre 18 ans pour se reparler. Ce que Manza veut dire à travers tout ça, c’est qu’on ne peut pas être pote avec un mec comme Bryan Ferry. C’est impossible.

    z24898egodames.jpg

             C’est le gros billet qui va les motiver pour la reformation, comme c’est le cas pour tous les groupes de vieux crabes. Tout ce qu’ils veulent, c’est se payer des belles baraques dans la campagne anglaise et des Rolls. Tu vois un peu le niveau ? On leur propose 7 millions de livres. Bryan Ferry, Manza et Andy Mackay acceptent le principe. Ils se retrouvent en studio à Londres et tentent de jouer «Virginia Plain». Ça marche. Paul Thompson est là aussi, avec Guy Pratt on bass. Il est question d’un nouvel album produit par Chris Thomas. Eno fait aussi partie du projet. Ça se passe bien jusqu’au moment où ils s’assoient pour papoter tous ensemble, et Eno fait remarquer que chaque membre rejoue le rôle qu’il jouait 35 ans auparavant. Alors Manza comprend que le projet est foutu. Chacun repart de son côté. Roxy, ça vaut pas Jerry Lee. 

    z24877mojo.jpg

             Le Mojo Interview est mal barré : Manza apparaît tel qu’il est aujourd’hui, en petit pépère souriant. Fini l’allure de wild rocker glamour. Il pose pour un autre portrait en fin d’interview avec les fameux «bug eyes» qu’il a conservés. Et si sa plus belle heure de gloire était d’avoir accompagné Robert Wyatt sur Ruth Is Stranger Than Richard ? Pour mener l’interview, Mat Snow ne se casse pas la nénette : il repart de l’autobio. Père anglais, possible agent double, et mère argentine. Rusé comme un renard, Snow amène vite Manza sur le terrain de Roxy. Alors le pépère souriant y va de bon cœur : «I wanted to be more like the Velvet Underground, textural. Les autres ont amené des choses différentes : Eno had systems music, Bryan a mixture of Motown and the Velvet Underground, Andy loved King Curtis and Paul loved Led Zeppelin.» Chacun amenait sa petite contribution, conclut gaiement Manza. Pour lui c’est un collectif. Eno avait inventé le mot «scenius». Snow revient sur l’éviction d’Eno. Manza n’est pas clair là-dessus, il indique qu’Andy en sait plus que lui, aussi recommande-t-il d’attendre qu’Andy écrive son autobio - Et quand j’ai dit à Bryan l’autre jour que j’écrivais un book, je lui ai dit qu’il devrait en faire autant - j’aimerais bien enfin savoir ce qui s’est passé - Andy et Manza se sont quand même posé la question de savoir s’il fallait suivre Eno ou rester dans Roxy. Ils ont décidé «de rester pragmatiques» et sont restés dans Roxy. Manza va aussi filer un coup de main à Eno sur Here Come The Warm Jets et à John Cale sur Fear et Slow Dazzle. Manza précise que Roxy avait demandé à Calimero de produire For Your Pleasaure, mais comme il était sous contrat avec Warners, il ne pouvait pas, et il recommanda Chris Thomas. 

    z24879bookremake.jpg

             Après toutes ces déconvenues, il est grand temps de ressortir le Re-make/Re-model: Becoming Roxy Music de Michael Bracewell. Finalement, c’est lui qui a raison : avant d’être une aventure humaine, Roxy est un concept - Above all... a state of mind, lâchait Bryan Ferry en 1976 - Bracewell souligne très vite la proximité des «wily strategies of Duchampian aesthetics», cette proximité qui nous conduisit à l’époque à délirer sur Roxy et pondre un Conte, cot cot !  Bracewell ose des parallèles extraordinaires entre Roxy, Smokey Robinson, Marcel Duchamp, le Velvet, John Cage et Gene Kelly, «all in their different ways, forcefully and glamourously modern.» Bracewell ajoute qu’avec le premier Roxy, Ferry «presented his carte de visite to the world. The record was arch, thrilling, elegant, unique, clever and richly romantic.» C’est bien ce qu’on reproche à Ferry, le côté trop clever, mais Bracewell a raison de souligner l’élégance et la singularité. Bracewell établit aussi en lien entre Joe Meek et Roxy - the Meekian other-worldniness - symbolisé par «Ladytron». Parmi les influences de Roxy, Bracewell cite le «Bad Penny Blues» d’Humphrey Lyttelton, produit par Joe Meek, dont l’intro de piano sera reprise par les Beatles dans «Lady Madonna». Ferry cite aussi le Charlie Parker Quintet avec Miles Davis, et bien sûr LeadBelly - a black dandy, a precursor to Bob Dylan - Et là, effectivement, Bracewell navigue à un autre niveau que Manza. Comme quoi, il y a book et book.

    Z24896hamilton.jpg

             Bracewell lance encore des ponts entre le Velvet et Roxy via l’art moderne, puis établit le lien fondamental entre Andy Mackay et Dada, un Andy qui flashe aussi sur les Bonzos - There is definitevely the English art school influence of Dada rediscovered - et puis le lien Richard Hamilton/Marcel Duchamp qui est au cœur de Roxy, car Bryan Ferry fut l’élève d’Hamilton, le théoricien du Pop Art, héritier de Duchamp - No living artist commands a higher regard among the younger generation than Marcel Duchamp - Hamilton enseignait à Newcastle, où vivait encore le jeune Ferry. Un Hamilton qui va d’ailleurs concevoir la pochette du White Album. Le concept, rien que le concept. C’est ce qu’il faut comprendre. Roxy n’est pas un groupe ordinaire. 

    z24896peinture.jpeg

    ( Peinture de Mark Lancaster)

             Et ça qui vaut tout l’or du Rhin : Mark Lancaster évoque sa rencontre avec Marcel Duchamp - J’ai rencontré Marcel Duchamp chez Richard Hamilton à Londres, quand il est venu pour son exposition à la Tate Gallery en 1966. Il m’a demandé : ‘Êtes vous artiste ?», and when I said yes, or «Oui», he said, «Moi aussi.» Quelques jours plus tard, je l’ai rencontré avec sa femme Teeny à Carnaby Street. Je venais d’acheter un costume jaune vif. Ils l’ont admiré, mais je n’ai pas osé lui demander de le signer - C’est quand même plus intéressant que le Rock’n’roll Hall Of Fame, n’est-ce pas ?

    z24897duchamp.jpg

    ( Marcel Duchamp)

             Liens encore avec le «Moon River» d’Henri Mancini et Breakfast At Tiffany’s, avec les photos de Mark Lancaster de yellow cabs qu’il a photographiés depuis le «fire escape of Andy Warhol’s Factory», Bracewell n’en finit plus de rappeler que les racines de Roxy sont la trilogie suprême de l’art moderne : Andy Warhol, Marcel Duchamp et Richard Hamilton. D’où les portraits qui ornent le gatefold de Roxy Music. Bracewell s’en donne à cœur joie : «Serré dans une chemise noire, Mackay est incroyablement beau - a mascaraed rocker, greasy quiff piled high at the front and straggling in disdainful rat-tails down the nape of his neck. Le menton dans la main, chaque doigt portant une lourde bague, son image est celle du rebelle solitaire et introverti, a one-shot amplification of the rock and roll style of fifties Americana.» Les six portraits sont des œuvres d’art moderne. On avait tous flashé là-dessus en 1972. Et Bracewell de rappeler que Mackay était aussi un dandy fasciné non seulement par Dada, mais aussi par «Swinburne, Audrey Beardsley and the Preraphaelte Brotherhood». Personnage complet.

             Signé : Cazengler, Roxy Musette

    Roxy Music. Roxy Music. Island Records 1972

    Roxy Music. For Your Pleasure. Island Records 1973

    Mat Snow : Phil Manzanera - The Mojo Interview. Mojo # 366 - May 2024

    Phil Manzanera. Revolucion To Roxy. Expression 2023

    Michael Bracewell. Re-make Re-model. Faber & Faber 2007

     

     

    L’avenir du rock - Squire boy

             Le jusqu’au-boutisme n’a aucun secret pour l’avenir du rock. Sans vouloir manquer de respect aux ceusses qui se poseraient la question de savoir pourquoi, disons qu’une nature conceptuelle sans jusqu’au-boutisme n’est pas concevable. Un concept qui ne pas va au bout des choses n’est pas un concept. L’avenir du rock ne manque pas une seule occasion de mettre ce postulat en pratique. Pour d’obscures raisons éditoriales, il a besoin de se faire traiter de square, aussi décide-t-il de se déguiser en beauf atroce et d’aller provoquer Boule et Bill à la terrasse de la Civette. Il mouille son peigne et se coiffe les cheveux vers l’arrière, les plaque avec du saindoux, il se dessine une grosse moustache au feutre, puis il enfile un marcel, un short en nylon rouge, des chaussettes noires et chausse des charantaises. Il complète l’ensemble avec une vieille casquette Ricard du Tour de France et des lunettes de soleil miroir. Avant de sortir, il prend soin de placer quelques traces de Nutella sur le marcel et sur l’arrière du short pour que le côté douteux des choses ne laisse absolument aucune chance au doute. Pour compléter le panorama, il s’est acheté des boules puantes chez son fournisseur préféré. En arrivant à destination, il allume bien sûr un cigarillo bien puant. Boule et Bill l’ont vu arriver de loin. Ils ne cachent pas leur dégoût lorsque l’avenir du rock, sans même leur demander leur permission, s’assoit face à eux.

             — Tu nous fous la honte, avenir du rock. En plus tu schlingues comme un putois.

             L’avenir du rock leur souffle la fumée du cigarillo dans la gueule et lâche le plus sonore des pets. Prrrrrrrrrrr ! Tous les gens installés sur la terrasse se retournent.

             — Alors les deux réactionnaires, toujours sur la brèche ?

             — Avec un lascar comme toi, on ne sait jamais ce qui va nous tomber sur la gueule. Tu veux quoi, avenir du rock ?

             — Chais pas, Boule. Une petite insulte ?

             — Tu veux qu’on te traite de beauf ?

             — Ah oui mais en anglais !

             Bill qui connaît trois mots d’anglais saute sur l’occase :

             — Fooking square !

             Radieux, l’avenir du rock lâche un gros Prrrrrrrr dionysiaque et corrige le tir :

             — Non pas square, fooking Bill, Squire !

    z24861johnsquire.gif

             John Squire superstar ? Aucun doute là-dessus. Il refait l’actu en compagnie de Liam Gallag : les voilà tous les deux en devanture de Mojo. Tapis rouge : douze pages et des photos à gogo. Promo presse pour un nouvel album, comme au temps d’avant.

    Z24886MOJOLIAM.jpg

             Douze pages. T’es obligé de t’y reprendre à deux fois - It’s the best bits of Oasis with the best bits of The Stone Roses, they promise - La classe des deux ! Tu te rinces l’œil. Ces deux vétérans ont de vraies allures de rock stars anglaises, surtout Squire Boy avec sa petite coupe de douilles seventies et cette façon qu’il a de te regarder droit dans les yeux. Liam Gallag raconte qu’il a offert deux paires de mocassins à Squire Boy qui était sorti de sa réclusion pour venir jouer en rappel sur «Champagne Supernova», à Knebworth, en juin 2022 - Hand-made from Portugal, with tassels - c’est-à-dire avec les glands. Mod shoes. Liam Gallag raconte qu’il s’est toujours intéressé aux pompes de Squire Boy, d’où l’idée du cadeau des mocassins. En échange, Squire Boy lui offre deux chansons et lui demande : «Would you like to sing on them?». Of course. C’est là que naît l’idée de leur collaboration. Et Liam Gallag d’ajouter : «John’s songs are the reason I got into music in the first place.»

             Quand les frères Gallag voient Les Stones Roses pour la première fois en 1988, ils flashent  comme des bêtes - If they can do it, I can definitively do it - Noel Gallag dira même à Squire Boy qu’Oasis doit son entière existence aux Stones Roses. Il faut rappeler qu’entre 1988 et 1990, les Stone Roses régnaient sans partage sur l’Angleterre. Parmi les adorateurs/followers des Stone Roses, se trouvaient les Inspiral Carpets, dont Noel Gallag était le roadie. Ted Kessler chante les louanges des Stone Roses en termes de «musicianship, particularly the expansive playing of Squire and drummer Alan ‘Reni’ Wren», un Squire, ajoute Kessler, «who was harking back to the more flashily fluid styles of Jimi Hendrix and Jimmy Page.»

    z24882second.jpg

             Si on suit Squire Boy à la trace depuis plus de trente ans, la raison en est simple : elle porte le doux nom de Second Coming, le deuxième album des Stone Roses. On s’en souvient peut-être, les Stone Roses étaient un groupe de surdoués : section rythmique de rêve et un Squire Boy on fire. Le maillon faible était sans doute Ian Brown, le chanteur. Les Stone Roses groovaient comme des dieux, et ce dès «Breaking In Heaven». Là t’avais Squire Boy au décollage, il avait déjà tout bon, il déployait une sorte de sauvagerie, et le bassmatic de Mani entrait au bout du compte. Ian Brown n’avait pas de voix, mais ça marchait quand même. Ils restaient dans une espèce de power fondamental avec «Driving South». Dans l’instant T, ils étaient réellement les meilleurs. «Ten Storey Love Song» sonnait comme un balladif frappé de magie, et sur ce coup-là, Ian Brown s’en sortait plutôt bien. Au beurre, Reni avait une fâcheuse tendance à voler le show. On sentait aussi chez eux une volonté affichée de psychedelia («Your Star Will Shine», pas loin du «Tomorrow Never Knows» des Beatles, on sentait le power sous la toile de jean) et ça repartait de plus belle avec le groove de «Straight To The Man». Classique mais rondement mené. Ils revenaient au groove sauvage avec «Begging You». Fantastique énergie, wild as fucking fuck, c’était d’une rare violence comportementale, mille fois plus puissant que Primal Scream, tout était dense, compressé à l’extrême, même les poux de Squire Boy, et Reni battait le beurre du diable. Puis ils te swinguaient «Tightrope» fabuleusement - I’m on a tightrope baby - avec des clap-hands, avant de replonger dans le caramel du groove, c’est-à-dire «Good Times», pure niaque de ‘Chester, t’en revenais pas d’entendre l’élégance du gratté de poux de Squire Boy. Avec ces mecs-là, tu nageais en plein bonheur. Ils bouclaient avec «Love Spreads», un heavy groove drivé au yeah yeah yeah, admirablement bien balancé, my sister/ She’s alright and she’s my sister !

    z24881stoneroses.jpg

             Second Coming était nettement supérieur au premier album sans titre des Stone Roses. Tu y sauvais deux cuts, «I Wanna Be Adored» et «She Bangs The Drums». Le Wanna Be Adored sonnait comme un hymne, rien que par le thème. Même sans voix, ça passait comme une lettre à la poste. Squire Boy foutait bien la pression. Et tu retrouvais ce son unique dans «She Bangs The Drums», t’avais là-dedans toute l’ampleur de la pop anglaise, poppy puppy popette de poppah. Puis ce premier album allait décliner lentement, malgré les efforts de Squire Boy. Dans «Waterfall», il se livrait à un brillant numéro ondoyant et il revenait avec «Don’t Stop» à la Beatlemania psychédélique. On assistait là à une fantastique tentative d’osmose. Puis tout virait poppy popette («(Song For My) Sugar Spun Sister» et «Made Of Stone»), bien dans la veine de la tradition, ils entraient même dans le ventre mou de la pop anglaise («Shoot You Down»). Reni battait «I Am The Resurrection» comme un diable, mais ça n’en faisait pas un hit pour autant, même si ça se terminait en heavy groove dévastateur. Kessler est marrant car il dit exactement le contraire : il parle d’«one great album and a dissappointing follow up». Il n’a rien compris au film.

             Quand Oasis joue à Knebworth en 1996 devant 200 000 personnes, ils invitent Squire Boy à venir jouer sur «Champagne Supernova». Et 26 ans plus tard, Liam Gallag lui refait le coup en le présentant à la foule comme étant «the coolest man on the planet.»  C’est encore Noel Gallag qui rend hommage aux Stones Roses : «They kicked the door open for us, then we came in and nailed it to the wall.»

             Liam Gallag et Squire Boy ont commencé par enregistrer des démos et sont ensuite allés passer 15 jours chez un producteur de Los Angeles nommé Greg Kurstin, lequel Kustin a proposé de bassmatiquer et de rapatrier le batteur Joey Waronker.

    z24880liam+john.jpg

             L’album s’appelle Liam Gallagher John Squire. Ils ne se sont pas cassé la nénette pour trouver un titre. Et t’as le Liam qui s’impose aussitôt avec «Raise Your Hand». Non seulement t’as du son, mais t’as aussi la voix. Le Liam écrase son raise au fond du cendrier et Squire Boy claque un solo d’étranglement. Le Liam est toujours aussi Oasien. Il va toujours chercher le bon ton au sommet d’un rock ultra-saturé. «You’re Not The Only One» est le coup de génie de l’album. C’est fin, racé, ficelé, c’est même un hit pour la radio, on retrouve le goût des Anglais pour le big time, Squire Boy y passe un killer solo flashy comme pas deux. Liam Gallag + killer Squire, ça fait revivre la vieille Angleterre. C’est à la fois délicieusement classique et imbattable. Avant de cracher sur Oasis, écoute cette merveille. Si tu veux un album de rock anglais, c’est là.  Et t’as aussi un «One Day At A Time» écrasé de power et de singalong Oasien. Liam Gallag n’en finit plus de traîner la savate dans le chant. C’est d’une rare puissance. Puis ils tapent dans l’heavy blues avec «I’m A Wheel». Pas de problème ! Mais l’album finit par tomber dans la routine Oasienne. Squire Boy fait des efforts considérables pour la briser. Avec «Love You Forever», ils jouent le hard blues des seventies. Ils n’inventent pas la poudre, c’est juste un prétexte à jouer dans le bac à sable. On entend Squire Boy claquer ses mighty carillons dans «I’m So Bored». Il est l’un des guitaristes les plus infectueux d’Angleterre. Il gratte toujours tout ce qu’il peut.

             Selon Kessler, l’album de Liam Gallag et Squire Boy n’aura pas le même impact qu’ont eu sur la rock culture les deux premiers albums d’Oasis et le premier Stones Roses, «but it’s the best thing either have recorded since those early records.» Kessler parle d’un «sleek rock album», c’est-à-dire élégant, bourré d’«unshakably sticky melodies and choruses.» Kessler y retrouve toutes les influences dont Squire Boy et Liam Gallag sont tellement friands : Jimi Hendrix dans «Love You Forever», les Stones et les Beatles dans «Just Another Rainbow», les Faces dans «Make It Up As You Go Along» et Liam Gallag trouve que «Raise Your Hands» sounds like Roxy Music. Et puis bien sûr Oasis et les Stone Roses - It’s a perfect mariage of the two bands - Ailleurs dans l’article, Kessler ramène aussi le duo De Niro/Pacino dans Heat, un autre exemple de perfect mariage. Squire Boy dit bien son admiration pour Liam Gallag : «He brings a passion and intensity that I can’t muster. There’s something about his voice that meshes with the way that I play guitar.» Il parle de complémentarité. Kessler termine en beauté, puisqu’il les voit se lever pour aller faire leur photo-shoot, «just like in the old glory days - which surprisingly, may be still ahead of them.» Une chute qui tinte merveilleusement bien à l’oreille de l’avenir du rock.

    z24883doyourself.jpg

             Après la fin des Stone Roses, Squire Boy va monter The Seahorses et enregistrer Do It Yourself. C’est un album qui vaut le déplacement. Pour au moins quatre raisons, dont deux Beautiful Songs, «Love Me & Leave Me» et «Head». Dans Love Me, Squire Boy ne croit en rien, don’t believe in Jesus, don’t believe in Jah, il croit en lovers, c’est fameux et surtout très gratté, ça te donne une belle rengaine enluminée de poux scintillants. «Head» sonne aussi comme une grosse compo. Les Seahorses auraient pu devenir énormes. Squire Boy fait là du power balladif, avec un Chris Helme qui pose bien sa voix et qui l’entortille quand il faut, il a du poids et du ruckus. «1999» sonne comme un coup de génie, c’est très Oasis dans le ton, avec du sharp slinging de Squire Boy, ça sonne comme du heavy Quicksilver avec l’aura de Madchester et t’as l’incroyable clameur du Squire Boy qui du coup se met à sonner comme Stylish Stills. Ah il faut voir cette bravado ! Belle attaque encore avec «I Want You To Know», pas loin d’Oasis et un Squire Boy qui fout le feu avec ses poux. C’est un son très anglais. Chris Helme fait encore merveille sur «Blinded By The Sun», il a la voix un peu grasse, comme une huître, une voix juteuse et colorée, et derrière lui t’entends le Squire Boy voyager dans le son. «Suicide Drive» coule bien dans la manche et Squire Boy y joue un solo au long cours, avec le feu sacré. Ils se confrontent ensuite à la shakespearisation des choses avec «The Boy In The Picture», ça veut dire qu’ils entrent en dramaturgie, avant de revenir à un son plus heavy avec «Love Is The Law». Chris Helme fait son Liam Gallag. Il vise clairement l’Oasis. Il se croit dans le désert, et après un joli break de basse, Squire Boy part en vrille de poux demented. Yeah yeah ! Il gratte encore comme une brute dans «Round The Universe», cut de belle pop enjouée aux joues bien roses. Il descend une fois de plus au barbu avec une science aiguë du solo flash. Ils frisent plus loin le Sabbath avec «Standing On Your Head», on se croirait sur le premier Sabbath tellement c’est bien foutu. L’in the sky vaut bien celui d’Ozzy. 

    z24884changes.jpg

             En 2002, Squire Boy enregistre son premier album solo, Time Changes Everything. Bon, c’est déjà plus la même chose. Pour le dire autrement : c’est autre chose. On admire tellement Squire Boy qu’on ne peut pas dire du mal de ce premier album solo. Il fait du Dylanex avec «Transatlantic Near Death Experience». C’est exactement Queen Jane Approximately, avec les mêmes descentes de couplets, mais sans l’orgue Hammond. Squire Boy tartine fantastiquement. Pour le reste, il y va à l’insidieuse («Joe Louis»), il fait de la belle heavy pop avec un certain goût de revienzy («I Miss You»), mais c’est pas Liam, il chante à l’écrase-syllabe. Il est cependant meilleur que Ian Brown au chant. Il a même du cachet. Il sait challenger un cut (le morceau titre) et il pense toujours à ramener du big guitar slinging. Son «Welcome In The Valley» est excellent, bien tenu par la colle d’un chant à la ramasse. Il a d’excellents réflexes comportementaux. Il se laisse aller avec l’heavyness de «Strange Feeling». Globalement, c’est un album honnête, très sonnant, très trébuchant, mais sans idées. D’où ‘l’autre chose’.

    z24885marshall.jpg

             Son deuxième album solo s’appelle Marshall’s House et sort deux ans plus tard. Il fait encore quelques étincelles sur «Summertime», il tente bien le coup en grattant une belle clairette, il barde bien la barcasse de barda. Squire Boy est un mec assez balèze. Il tartine son morceau titre à n’en plus finir, mais on en restera là. Il force trop sa voix. Il se prend pour Liam, mais il est loin du compte. Il tente le coup du power absolu, mais la voix n’y est pas. Trop affectée. Il se gratte la glotte. Dommage. Dès qu’il chante, il ruine tous ses efforts. Il finit en mode Big Atmospherix avec «Gas». Il se réconcilie avec le gros son. Bye ! Bye Baby ! Il se jette dans la balance, il envoie sa dégelée et ça devient l’hit de l’album. Squire Boy se noie dans son son. Aucun espoir de le sauver. «Gas» est un cut entreprenant, totalement remonté des bretelles.

             En 2016, les Stones Roses tenteront de se reformer en enregistrant deux singles, «All For One» et «Beautiful Thing» - It proved to be a mirage - Une dernière tournée, puis Squire Boy dit stop. Il ne s’entend plus très bien avec son vieux copain d’école Ian Brown. Il préfère se consacrer à sa peinture et à sa famille. Enough monkey business.

    Signé : Cazengler, John Square

    Liam Gallagher John Squire. Liam Gallagher John Squire. Warner Records 2024

    Stone Roses. The Stone Roses. Silvertone Records 1988

    Stone Roses. Second Coming. Geffen Records 1994

    The Seahorses. Do It Yourself. Geffen Records 1997

    John Squire. Time Changes Everything. North Country 2002

    John Squire. Marshall’s House. North Country 2004

    Ted Kessler : What the world is waiting for. Mojo # 365 - April 2024

     

     

    Inside the goldmine

     - Just like Honeycombs

             Tu ne pouvais imaginer Baby Honey qu’au lit. Et bien sûr dans tes bras. Elle symbolisait le paradis, comme on aimait à l’imaginer au sortir de l’adolescence. Franchement, le paradis c’était pas compliqué : il te suffisait d’avoir un grand lit, des draps de satin jaune et le corps nu de Baby Honey que tu pouvais butiner encore et encore. Tu poussais même le fantasme jusqu’à imaginer qu’elle aimait à se faire butiner, puisqu’elle en réclamait encore et encore. Tu l’entendais soupirer : «encore... encore...», et tu t’arrachais aux torpeurs d’un premier sommeil pour couvrir le centre de son corps des baisers le plus attentionnés. Le jour se fondait dans la nuit et la nuit dans le jour, le paradis avait gommé tous les aspects rugueux de la réalité, le premier étant de s’arracher à ses bras pour aller bosser. Tu ne quittais le paradis de satin jaune que pour aller au frigo préparer une bricole à grignoter, une salade de tomates et une tranche de jambon, ou servir l’un de ces Américanos à l’orange dont Baby Honey était tellement friande, puis quand le frigo était vide, tu te hâtais d’aller faire trois courses pour revenir te jeter dans ses bras. Le paradis semblait infini, tu voulais y vivre pour le restant de tes jours, et lorsque tu demandais à Baby Honey si elle voulait partager cet infini avec toi, elle plissait les yeux et murmurait «encore... encore...», en te prenant la main pour la poser à l’endroit le plus sensible de son corps. Les jours et les semaines passaient, sans que rien ne vînt troubler la paix du paradis de satin jaune. Il n’existait rien de plus sacré que de réveiller Baby Honey avec un baiser, elle ouvrait doucement les yeux et ses yeux semblaient rire. Elle rayonnait de mysticisme amoureux et tu t’abreuvais en elle. Toi qui n’étais pas croyant, tu finissais par trouver Dieu sympa, puisqu’il avait inventé, rien que pour ta pomme, le paradis sur la terre. À aucun moment, tu n’aurais imaginé que ce paradis allait se transformer en enfer. Il te faudra cinquante ans de recul pour comprendre que ce basculement des genres est d’une grande banalité.

    z24863honeycombs.gif

             Baby Honey n’a rien à voir avec Honey, la batteuse des Honeycombs. Baby Honey est blonde et Honey brune. Baby Honey hait le rock et Honey Lantree le jouait en 1964 de façon spectaculaire. Il ne fallait donc pas se tromper d’Honey. Autant Baby Honey était une mauvaise pioche, autant Honey Lantree est la bonne.

             Qui se souvient des Honeycombs ? Un groupe londonien des early sixties produit par Joe Meek ? Honey Lantree y battait le beurre, et l’excellent Alan Ward était l’un des premiers à claquer de killer solos flash en Angleterre. Mais quand on voit les clips sur YouTube, on est vite fasciné par cette batteuse paradisiaque qu’est Honey Lantree.

    z24887honeycombs.jpg

             Le premier album sans titre des Honeycombs était très en avance sur son temps. Ce Pye de 1964 taillait bien la route. C’est Dennis D’Ell qui chante, et à propos du solo spatial d’Allan Ward sur «Once You Know», Meeky Meek parle de «brillant solo work».  Meeky Meek signe une partie des liners, au dos de la pochette. Bon, les compos sont parfois laborieuses, et c’est le son qui fait l’intérêt. La batteuse Honey chante sur «That’s The Way», et quand elle chante, elle donne du jus. Allan Ward prend encore un solo superbe dans «I Want To Be Free (Like A Bird In A Tree)» et ils bouclent leur balda avec leur big time hit, «Have I The Right». Full tilt de Meelky Meek ! Il a exactement la même intelligence du son que Totor. En B, on entend Honey battre sec et net «Nice While It Lasted». Il faut l’entendre relancer avec ses petits roulements pète-sec ! Grosse fête foraine dans «She’s Too Way Out». Space guitars & wild bassmatic, le pur génie productiviste de Meeky Meek est à l’œuvre et l’Honey bat ça si sec ! - Exceptional pretty and clever girl drummers are hard to find - Avec «Ain’t Necessary So», Meeky Meek fait sonner la guitare d’Allan Clark comme celle de Billy Harrison dans les Them. Pour 1964, The Honeycombs est un album extrêmement moderne. Bizarre que l’Angleterre ne s’en soit pas aperçue.

    Z24888HONEY.jpg

             Le deuxième album des Honeycombs est fantastique. All Systems Go! sonne, aussitôt l’«I Can’t Stop». Ils ont du son. Et quel son, my son ! Solo de sax et solo de gratte demented, que veux-tu de plus ? Résonance exceptionnelle des basses, elles t’embooment l’oreille. Coup de génie pur avec le morceau titre, un wild ride transpercé en plein cœur par un wild killer solo flash, et visité dans les entrailles par cet ingé-son de génie qu’est Meeky Meek. Il sait faire claquer la charley ! Meeky Meek est le roi du killer solo flash. Allan Ward joue lead, mais c’est Meeky Meek qu’on entend. Ils tapent une belle reprise de l’«Ooee Train» du grand Bobby Darin, puis il refoncent dans le tas avec un «She Ain’t Coming Back» signé Meeky Meek. Tout est savamment meeké par Joe. On entre dans le territoire du génie productiviste, l’apanage de Totor, de Gary Usher et de quelques autres. Belle poussée d’exotica avec «Our Day Will Come». Meeky Meek fournit tout le boniment, c’est-à-dire le son. Ils enchaînent avec le «Nobody But Me» de Doc Pomus. Pure craze ! Encore une dégoulinade de kitsch avec «There’s Always Me» et retour à l’exotica avec «Love In Tokyo». Chaque fois, Meeky Meek crée les conditions du succès.  

    z24889angelrecords.jpg

             Angel Air sort en 2016 l’album de la reformation des Honeycombs, 304 Holloway Road Revisited. Laisse tomber. C’est la reformation des vioques qui font du Buddy Holly sans Meeky Meek ni Honey, ce qui est un double anathème. Ça pue la reformation greedy, ces mecs-là feraient n’importe quoi pour palper un billet. Avec «Mary Jo», ils font du glam de vieux branleurs. Il n’y a rien de Meeky dans leur sauce. On se demande rapidement pourquoi on écoute cette daube de charognards. Avec «It’s Crazy But I Can’t Stop» et «That’s The Way», ils sont pathétiques et même atroces de putasserie. On en dégueule. Ils osent même retaper l’«Have I The Right». Comment osent-ils ? Pas de son, pas de Meeky, pas de rien.

    Signé : Cazengler, Honeycon

    Honeycombs. The Honeycombs. Pye Records 1964

    Honeycombs. All Systems Go! Pye Records 1965 

    Honeycombs. 304 Holloway Road Revisited. Angel Air Records 2016

     

     

    Luke la main froide

     - Part Six

    z24864lukehaines.gif

             Il se trouve que Freaks Out! Weirdos Misfits & Deviants - The Rise & Fall Of Righteous Rock’n’Roll est une mine d’or à ciel ouvert. Luke la main froide a la main lourde sur les recommandations. Alors on les suit.

    z24894songakan.jpg

             Par exemple Cathal Coughlan. On rapatrie aussi sec son Song Of Co-Aklan, histoire de voir ce que ce Cathal a dans la culotte. Song Of Co-Aklan est son ultime album. Luke la main froide y gratte des poux. Dès le morceau titre, t’as une belle pop tendue à se rompre et un big beurre de Nick Allum. Luke s’y tape le bassmatic. C’est du Big Atmospherix. Le mot-clé de cet album est la dramaturgie. Cathal monte le Dog de «Passed-Out Dog» en neige. Pour lui, le Big Atmospherix doit voyager dans le ciel comme un gros nuage d’apocalypse. Tout est très dense, très sombre, plongé dans une sorte de malheur théâtral. Cathal donne trop de caractère à ses cuts. Ça ne peut pas prendre. Un album suffit pour se faire une idée. Il repart en belle pop d’allant martial avec «Let’s Flood The Fairyground». Cathal est un fier Coughlan, et le cut décolle à la seule force du chant. Mais il revient ensuite à ses travers. Il est trop dans le théâtre du rock. On se croirait chez Ariane Mouchkine. Il sauve l’album avec «The Knockout Artist», un cut qui ne se connaît pas de limites. Cathal se jette dans l’avenir. Un vrai gardon ! Il donne un peu le vertige. Ça devient magique ! Puis avec «Falling Out North Street», il préfigure Michael Head. Il fait une belle pop ambitieuse et là, t’adhères au parti. 

    z24893getwisz.jpg

             La main froide recommande aussi deux Flies, «London’s Flies and New York’s Flies». Elle qualifie ces groupes de «blink-and-you-miss-them-cos-they-barely-existed mythical bands in rock». Alors tu vas voir ça de plus près. Tu commences par le New York’s Flies. L’album s’appelle Get Wise. Fantastique énergie du Boston Sound 1984. «Put All That Behind Me Now» est bardé du plus beau barda, c’est même ravagé par des lèpres soniques. Ce power trio a un sens inné du power. T’as presque envie de serrer la pince de la main froide pour le remercier du tuyau. Tu trouves à la suite un «Endless Summer» sauvagement riffé et battu à la diable. Ils cultivent les dynamiques infernales, tu t’enfonces toujours plus loin dans la balda et soudain tu tombes sur une incroyable cover du «2000 Light Years From Home» des Stones. Magic Stuff ! En plein dans l’œil du cyclope ! I feel so very/ Lonely ! En B, ils se donnent des faux airs de Velvet dans «The Only One». C’est indéniable et fabuleusement inspiré. C’est monté sur les accords de Gloria. Le mec connaît la harangue ! Ils bouclent avec un «Everybody’s Trying To Be My Baby» encore très Velvet dans l’esprit, lourd, très lourd, chargé de sens, très All Tomorrows Parties, avec un chant harangue dylanesque. Quel brouet spectaculaire ! 

    z24892collection.jpg

             Tu serres la pince de la main froide pour le remercier, et tu passes aussitôt aux London’s Flies. Ça tombe bien, il existe une brave petite compile sur Acme : Complete Collection 1965-1968. Rapatriement immédiat. T’es pas déçu du casse-croûte, comme on dit sur les chantiers. Tu tombes dès l’ouverture de balda sur le fameux «(I’m Not Your) Stepping Stone» qui fit les beaux jours du Volume 1 de Chocolate Soup For Diabetics : heavy psyché psychotic, fantastique mélasse, sans doute la meilleure cover de ce vieux hit des Monkees et des Raiders. Les Flies ont bien failli connaître leur heure de gloire, puisqu’ils traînaient dans le bon circuit à la bonne époque. On les sent timorés dans «Turning Back The Pages», mais aussi dotés d’une volonté tentaculaire. Ils chantent «Gently As You Feel» à l’horizon clair, c’est pur et doux comme un agneau. Une vraie Beautiful Song. Puis ils tapent dans les Kinks avec «Tired Of Waiting For You», mais en sonnant comme les Byrds, alors tu commences vraiment à les prendre au sérieux. Car quelle vélocité ! On comprend que les Flies aient pu taper dans l’œil de la main froide. En B, tu retrouves avec «A Hymn With Love» cette petite pop innocente et douce comme un agneau. Bêêêêêêê. «Where» est encore un shoot de pop qui colle bien au papier. Leur where/ Where have you been flirte avec le génie. Puis ils passent au Dylanex avec le chant de nez pincé sur «There Ain’t No Woman», le mec fait du pur It ain’t me babe. On saluera pour finir cette pop de rang princier qu’est «Winter Afternoon. La main froide ne s’est pas fourré le doigt dans l’œil. Elle devrait écrire des bouquins plus souvent.

    z24891blasters.jpg

             Parmi ses recommandations, on trouve aussi les mighty Electric Eels de Cleveland, l’archétype du groupe proto-punk. Vient de paraître un double album compilatoire, Spin Age Blasters. Tu peux y aller les yeux fermés, même s’il coûte un billet. Au dos de la pochette, tu vois les quatre Eels, et notamment Nick Knox, à la veille de son heure de gloire avec les Cramps. L’autre batteur des Eels n’est autre qu’Anton Fier, qu’on va retrouver sur un seul cut, «Spinach Blasters» et qui ira ensuite battre le beurre sur le premier album des Feelies. Les cuts rassemblés sur Spin Age Blasters datent de 1975, donc ils sont très en avance sur leur époque. C’est en tous les cas ce que révèle le «Splittery Splat» d’ouverture de balda : wild proto-demolition. Mais ils sonnent aussi très punk anglais. On se demande même parfois si les Buzzcocks n’ont pas écouté le premier single des Eels paru chez Rough Trade, mais après vérification, il apparaît qu’«Agitated/Cyclotron» est paru après Spiral Scratch, donc pas de problème. Pourtant la parenté est troublante. «Agitated» et «Cyclotron» sonnent exactement comme les cuts des early Buzzcocks. Pur ‘Chester punk ! Exactement la même énergie. D’autres influences flagrantes : celle des Dolls dans «Refregirator», et des Stooges dans «Cold Meat». Ils attaquent «Jaguar Ride» à la Johansen. On se croirait sur «Jet Boy». Et sur «Zoot Zoot», McMahon passe un solo d’accoutumance discursive totalement révolutionnaire. En C, tu vas tomber sur un cut atroce, «Silver Daggers», gratté à la cisaille et chanté sans pitié. En D, ils tapent une cover proto-punk du «Dead Man’s Curve» de Jan & Dean, mais en sonnant comme des punks anglais. Encore un shoot buzzcocky avec «Accident» et t’as à la suite cet «Anxiety» atrocement concassé dans l’idée et dans le son des grattes de Morton et de McMahon. Franchement, t’en reviens pas de tomber sur un groupe aussi en avance sur son époque. 

    z24890eyeball.jpg

             The Eyeball Of Hell fait un peu double emploi, mais cette fois tu l’écoutes au casque et t’en prends plein la vue, dès l’ohhh I’m so agitated d’«Agitated», suivi du Buzzcocky «Cyclotron».  Tu croises plus loin l’explosif «You’re So Full Of Shit», protozozo comme pas deux, avec McMahon qui chante comme un voyou. Tu retrouves aussi l’«Anxiety», McMahon chante mal, mais c’est ce qui le rend révolutionnaire. McMahon joue encore comme un atroce démon incisif sur «Silver Daggers» et le «Zoot Zoot» éclate de modernité. Cleveland était alors un vrai jackpot. Retour au simili-Buzzcocks d’«Accident» et «Refrigirator» sonne tout simplement comme l’enfer sur la terre. Avec «Bunnies», ils sont mille fois plus modernes que Pere Ubu. McMahon joue de la clarinette et injecte un shoot de free dans la scie du punk. «Spinach Blasters» vire jazz. Bifarx me sir ? «It’s Artistic» : même power underground que les Swell Maps. John Morton se dit fan de Dada-euro-trash. Les Eels étaient beaucoup trop en avance sur leur époque. Ils se sont brûlé les ailes.

    Signé : Cazengler, Lancelot du Luke

    Electric Eels. The Eyeball Of Hell. Scat Records 2001

    Electric Eels. Spin Age Blasters. Scat Records 2023

    The Flies. Complete Collection 1965-1968. Acme 2000

    The Flies. Get Wise. Homestead Records 1984

    Cathal Coughlan. Song Of Co-Aklan. Dimple Discs 2021

     

     

    *

    J’ai vu la couve, elle m’a plu, par son côté outrancièrement kitch, j’ai tout de suite eu envie que l’on me lise une histoire, personne ne s’est proposé alors c’est moi qui m’y colle, je vous avertis vous risquez d’avoir peur.

    STORYTELLER

    BLACKSTAFF

    (Numérique / Bandcamp / Sept 2024)

             Black, ok vous voyez le style, ce n’est pas la bibliothèque rose, pour le staff, à boire et à manger, le personnel est un peu maigre. Se réduit à une seule personne. Ou à toute une colonie. C’est selon. Expliquons-nous, il y a de plus en plus de gars, post-metal, post-stonner, post-death, post-tout-ce-que-vous-voulez qui concoctent tout seul, dans leur coin, leur petit opus. En règle générale je ne chronique point trop ce genre de solitaires, sont à mon goût davantage ‘’genre’’ que solitaire, en gros ce n’est pas souvent original et pas très particulier. Bref Blackstaff se résume à un unique individu : Dustin Cleary. Oui mais sur son bandcamp il vous colle en toute honnêteté une liste longue comme un jour sans pain, tous les individus qu’il a rencontrés et qui l’ont inspiré, encouragé, filé un coup de main, aidé à monter son projet. D’où le terme de colonie.

             Vient de Seattle, l’a l’air d’y avoir dans cette ville une bande de groupes un peu frappés de la cafetière, ce qui n’est pas pour me déplaire. Dustin a déjà sorti deux EP et trois titres cet été qui se retrouvent sur son album.

    z24858couveblackstaff.jpg

             La couverture est d’Adam Burke un tour sur son instagram (night jarillustration) s’impose, l’ensemble est superbe, les esprits délicats risquent d’en ressortir effrayés, entre macabre, imaginaire médiéval et fantastique… Longue table de bois, le maître de noir vêtu, de loin il ressemble à un étron, est assis à la place du roi ou de Dieu, choisissez votre option. Devant lui est posé le grimoire sacré, le public l’écoute lire une histoire. L’assistance n’est pas au mieux de sa forme, des squelettes avachis, se tiennent droit sur leur chaise mais l’on sent que dès le lecteur aura tourné le dos, ils se laisseront – dans la série tu retourneras à la poussière - tombés par terre, soyons compréhensifs, ils sont fatigués de vivre. Le plus proche de nous nous jette un regard angoissé, nous pose la question existentielle essentielle, la mort ne finira donc jamais… Au fond de l’image l’espèce de vortex calamiteux n’incite pas à la joie. Pas plus que les arbres dépenaillés qui tendent leurs bras comme un appel au secours sans espoir.

    Seidr : en gallois ce mot signifie cidre : bruits indistincts, puis une note noire qui semble vouloir s’étendre jusqu’à la fin des temps, redondante elle rebondit pour se perpétuer, ambiance lugubre, vous avez envie de refermer le livre mais coup de théâtre de sombres effluves s’en échappent, vous êtes prisonnier, comme une bolée de cidre empoisonnée que rien ne vous empêchera de boire en une longue lampée interdite, vous point l’envie de lire l’histoire interdite.

    z24859cloack.jpg

    Cloack of stars : nous illustrons ce morceau avec la couverture du deux titres Seidr+Cloack of stars qui doit être de Maxime Taccardi (voir plus loin). Cloack ne signifie pas cloaque (tellement death metal !), question guitare ça ne baisse pas d’un cran, noir, son épais violent plus la batterie qui claque de tous les côtés, oui mais il y a en summum, une voix sludge à vous arracher les ongles des pieds, Dustin était destiné à devenir clameur, il vaudrait mieux qu’il ne clame pas trop haut because les lyrics sont inquiétants, tout ce qui est beau, grand et grandiose, peut de par la primauté qu’on lui accorde et devenir comme un Dieu et vous asservir comme du bétail. Une histoire un peu triste quand on y pense, l’on comprend mieux la tonalité écrasante de cette musique qui ne vous laisse aucune espérance. Procession of ghouls : ne fantasmez pas, dans les nouvelles fantastiques, les goules sont généralement de belles et énigmatiques jolies filles ou femmes qui se donnent à vous sans chichiter, au matin vous vous apercevez que ce ne sont que d’infâmes créatures diaboliques qui ont abusé des désirs du héros, ici aussi mais c’est présenté sous son aspect métaphysique, le côté érotique de ces nuits torrides n’est pas évoqué, vous avez l’implacabilité phonique du son qui vous avertit que l’instant est grave, et puis le chant, une espèce de sludge asthmatique, qui vous enfonce les clous de la peur dans la moindre fibre de votre chair tétanisée d’horreur, c’est la mort qui avance vers vous et vous pénètre lentement pour vous faire souffrir encore davantage, pour que vous compreniez que la vie n’est pas un chemin qui conduit à la mort, au contraire c’est la mort qui est un chemin qui s’achève dans votre vie, la batterie sonne votre déroute mentale, maintenant vous savez, cela ne vous rend pas heureux, car au moment où vous savez vous êtes mort.

    z24860swarm.jpg

    Swarm : le morceau précédent vous donnait l’épure, l’abstraction schématique, avec celui-ci nous rentrons dans les détails. Enfin ce sont les détails qui entrent vous, des millions d’insectes, vous les entendez voler en groupe, l’essaim vous a repéré et fonce sur vous, c’est horrible, c’est terrible, Dustin grogne comme le goret que l’on allonge dans l’auge pour lui prendre la vie, silence l’on murmure à votre chair, l’on vous apprend que votre lymphe est le miel du fruit mûr et elles les abeilles qui se posent sur vous plantent leurs dards pour s’enivrer de la substantifique moelle de votre sang, si vous comptiez que l’on vous expliquerait tout ce qu’il vous arrive avec la subtile musique des sphères, erreur fractale, non l’on vous fait comprendre à grosses pelletées de doom, elles vous assènent sans pitié et sans faillir des vérités mortuaires comme des implants nécrologiques que l’on vous enfonce à coups redoublés dans votre tête.  Maxime Taccardi est un saigneur de l’illustration death Metal, nous lui consacrerons une chronique à part entière, celle-ci semble s’inscrire par ses arabesques rouges dans ses œuvres réalisées avec son propre sang, la légende, grande raconteuse d’histoires affirme que certains se disputent ses originaux pour les lécher,  cette mort qui s’avance vers vous auréolée de ses spirales sanglantes, le lecteur sera sidéré tant elle épouse parfaitement les lyrics… Worm : une ode démantibulante au ver vainqueur, vocal visqueux, batterie-pioche et riffage foreur, il est en vous, il vous désosse, il emporte en lui-même tout ce dont vous n’avez plus besoin, je ne suis que cadavre, le background comme une pelleteuse sur une fosse commune, fin de charnier, le ver a éteint ma lumière, j’en étais fier, elle irriguait le monde, subsiste toutefois cette absence de moi que le ver glouton emporte en rampant dans son ventre. Spider : vous croyez que l’histoire s’est terminée, non il reste des addendas philosophiques, entrée majestueuse, batterie hachoir, guitare suaires de plomb, une dernière moquerie, les hommes vivants aiment la mort, le mal court parmi eux comme une araignée malfaisante, ils ne la voient pas, ils se prennent pour des héros que la gloire rendra immortels, les guerriers galopent, ils se lancent les uns sur les autres, l’aragne mortelle emporte leurs corps morts dans ses cavernes ombreuses, elle suce leur sang, ils survivent un certain temps empreint d’une glaçante léthargie létale, bientôt vidés de leur substance molle, ils ne sont plus que des trophées soyeux entassés sur la toile de la mort. C’était une petite leçon de nihilisme de ma mère la tarentule aux tulles tubéreux. Thrill of the hunt : bonus track, même la mort qui vous court après peut être sympa, issu de la session 23 de l’enregistrement de leur deuxième EP trois titres Godless : musicalement ne dépare en rien des titres précédents si ce n’est peut-être la guitare qui klaxonne comme une voiture derrière vous qui demande que vous passiez au vert, le vocal aussi davantage articulé, sinon encore une histoire impie, impitoyable, la mort court après vous, vous êtes le gibier, vous ne échapperiez pas même si vous vous terrez au fond de votre lit en espérant lui échapper.

             Agréablement surpris, se débrouille bien tout seul notre Dustin Cleary. Porte pourtant un patronyme qui ne lui convient pas. Pas clair du tout, sombre, très sombre.

    Damie Chad.

     

     

    *

    Comment faire beaucoup avec peu ? La recette nous est proposée par Seb le Bison et Tony Marlow. La gageure semble impossible : comment réaliser une vidéo sur un voyage en avion vers les cieux cléments d’une île méditerranéenne quand, c’est-là où le problème se corse, on n’a pas prévu un avion dans le casting ?

    LE GRAND VOYAGE

    TONY  MARLOW

    (Official Video / Bullit Records / Juin 2024)

    Oui ils ont un avion, on ne voit que lui, un superbe bimoteur à hélices, le genre de coucou que l’on a commencé à mettre au rebut dans les années cinquante. Non je ne suis pas un menteur. C’est vrai qu’il est sur l’image dès la deuxième seconde du clip, en surimpression graphique. Puis il disparaît. Le bruit du moteur s’estompe avantageusement remplacé par la guitare de Tony Marlow. D’ailleurs le voici le Marlou, marche à pied, comme tout le monde, heureusement qu’il porte son étui à guitare, sinon de loin on ne le reconnaîtrait pas, il arpente, silhouette grise dans un beau paysage, attention la vidéo n’est pas en couleur, on est surpris : pour un extrait de l’album Cryptogenèse, l’on s’attend à une phénixiale explosion de mille feux multicolores genre poster à la Jimmy Hendrix, mais non c’est tourné en noir et blanc, vu la beauté de l’image l’on a envie de dire en argentique.

    z24866marlowwmarche.jpg

    Petit moment de réflexion nationaliste : c’est un beau pays la France, je ne parle pas des petites villes sinistrées par le chômage ni de ces grandes agglomérations défigurées par des constructions à bon marché mais de ses paysages. De cette campagne façonnée durant deux millénaires par la main de l’homme, de cette osmose réussie entre nature et ouvrages d’arts. Ici pas de fières structures édifiées en pierres de taille, juste  un pont étroit jeté sur  un canal bordé d’arbres, ou une modeste rivière aux eaux paresseuses quasiment immobiles, que longe Tony sur un simple chemin de terre, le voici maintenant en pleine campagne sur cette longue voie vicinale déserte.

    Depuis son avion, ce sont les paroles qui l’affirment, il aperçoit des voitures minuscules, cette fois l’image est davantage surréaliste, objet insolite planté dans l’agreste décor un tabouret de bar solitaire, surgi de nulle part, hors-sol pourrait-on dire même si ses pieds reposent sur la terre, esseulé le trône à pastis semble attendre qu’un passant veuille bien faire cas de lui. Tony ne se refuse pas à l’appel de ce siège, si les objets inanimés ont une âme lamartinienne, peut-être se sent-elle cette chaise curule désertée comme un chien abandonné et éprouve-t-il l’intense ferveur nostalgiques des apéros de comptoir… Voici Tony, étui ouvert, guitare sur le giron, acoustique bien sûr, aucun pylône électrique dans les parages où se brancher, il gratte et il tourne sur lui-même, de fait c’est l’image qui tourbillonne, presque un miracle, la statue de Marlow semble mue dans un étrange tourbillon, dans le ciel tout là-haut, un éclair de soleil jaune salue ce miracle.

    Du coup l’on retrouve Tony en ville, il déambule sur une piste cyclable, voudrait-il, lui le rocker, lui le biker, nous faire accroire que c’est ainsi que l’on vit dangereusement, en tout cas la ville déserte s’anime, Marlow marche prudemment comme sur des œufs sur un large trottoir, mon dieu toi qui n’existes pas, que se passe-t-il, aurions-nous trop insisté lors de l’apéritif, le Marlou se dirige vers nous mais les voitures filent à reculons, Marlow sourit,  un rocker en perfecto, se porte à sa hauteur, hélas lui aussi est pris de cette bizarre dérive reculatoire et il disparaît dans les limbes de la pellicule, l’est aussitôt suivi d’un deuxième individu qui, encore un, est happé en arrière par cet étrange vortex inexplicable… tiens une jolie fille, va-t-elle être aussi accaparée par cet extraordinaire phénomène, non le pouvoir sensoriel de Marlow la garde à ses côtés, mais au plan suivant elle n’est plus là, les habitants de cette cité sont tout de même touchés par cette étrange maladie de la vache folle ou de la brebis galeuse, pour échapper à cette étrange épidémie contaminatoire l’on ferme les yeux et l’on en profite pour apprécier le long solo de guitare de la bande-son, tiens tout ( enfin presque) rentre dans l’ordre. En voici deux qui sont guéris, d’ailleurs ils s’enfilent dans la salvatrice porte  d’un café ils ont sûrement besoin d’un remontant, le Marlou les imite, l’a beaucoup arpenté, l’a besoin de reprendre quelque force, surprise, couleurs, nous voici bien au chaud à l’intérieur de L’Armony, bar émérite de Montreuil cité rock, sont attablés autour d’une table,

    z24857armony.jpg

    tous les quatre, on les reconnaît, Amine Leroy gratouille sa big mama, Jacques Chard caresse sa caisse claire, Tony est plus intéressé par le poster géant de Marilyn que par sa guitare, ils ne font même pas semblant de jouer en playback, mais l’on s’en moque, on se repose de notre grand voyage en contemplant la dégaine incomparable d’Alicia Fiorucci que comme par hasard Seb le Bison, le producteur avisé, a placée au premier plan.

    Damie Chad.

     

     

    *

             Les mésoPOPtamiens disaient qu’il suffisait de traverser l’EuphKRAFTe pour être heureux, si l’on en croit Xénophon qui en des temps antiques mena l’épopée des Dix Mille en ces lieux hostiles, l’aventure peut s’avérer périlleuse, aussi vais-je vous mener dans une contrée plus douce à laquelle vous accèderez en quelques clics.

    POP POPKRAFT (FB)

    HISTOIRE DU ROCK GARAGE

    (Voir aussi Art Pop CreationFB)

    z24855salut les amis.png

             J’y suis tombé dessus par hasard, un pantin de bois qui s’agitait, j’ai failli ne pas m’arrêter, les gamins qui rêvent de Pinocchio, très peu pour moi, feraient mieux de relire le Timée de  Platon, oui mais il y avait un truc rond au fond de l’image qui tournait, toutefois dans mon cerveau élémentaire, la traduction s’est faite, un truc rond qui tourne, avec un peu de chance c’est un tourne-disque. Je ne m’étais pas trompé, j’ai aperçu l’icône du haut-parleur barrée, j’ai mis le son, mais ce n’est pas mauvais, ne serait-ce pas du rock, bingo, j’avais gagné ! Deuxième surprise en descendant légèrement le fil, le même ostrogoth dans son tricot gris glissait une rondelle vinylique sur son appareil, encore du rock, et du bon, cela méritait écoute et attention.

             Mea culpa, je ne l’ai pas fait exprès, je ne recommencerai pas si je mens que Belzebuth me butte et me catapulte en Enfers ! Je rassure tous les écologistes, non l’Opérateur, ou plutôt le rockpérateur, n’a pas bousillé un séquoia ou déraciné un baobab pour sa figurine qui doit faire cinq centimètres, elle n’est pas en bois, l’a confectionné avec de la pâte à papier et du carton. Ainsi que tout le décor, un salon avec fauteuils et canapés, les meubles et tous les petits détails qui vous rendent un lieu particulièrement agréable, les murs recouverts d’affiches de concerts, ou par exemple le cendrier, en plus dans certains épisodes il est rempli de cadavres alanguis de cigarettes, tristes et déplorables exemples d’incitation à la débauche, vous savez avec les amateurs de rock il faut s’attendre non pas à tout mais au pire, prions pour la santé mentale des mineurs qui visionneraient les épisodes.

             Car oui, nous sommes sur le FB d’un obsessionnel du rock’n’roll, à chaque jour ne suffit pas sa peine, quotidie, dixit Caesar, il rajoute un nouveau chapitre à cette saga. Le principe est simple, un groupe, un titre, quelques explications. Nous n’avons pas affaire à ces insupportables animateurs de radio qui parlent sur les titres, n’ouvre pas la bouche, s’exprime par bulles comme les poissons-rouges ou les bandes dessinées. Entre nous soit dit, cela doit lui prendre un temps fou et demander un esprit minutieux. Un aspect de La Pop Culture que j’ignorais qui aurait enchanté l’amie Patou qui aujourd’hui n’est plus là, doit se balader sur l’autre rive accompagnée de ses chats…

             Allez-y voir sans problème, attention c’est terriblement addictif, à ce jour d’aujourd’hui (9 septembre) il vient de poster sa soixante-huitième livraison, pour vous mettre l’eau à la bouche j’ai relevé l’intégralité, si je n’en ai pas oublié, des artistes passés en revue, je n’ai pas mis le titre précis, à vous d’aller le découvrir : Sonics, Saints, Ramones, Cynics,Richard Hell and the Voidvoid, Dream Syndicate, 13 Th Floor Elevator, Plan 9, Seeds, Joy Division, Thee The Sees, Hoodoo Gurus, Dogs, Mono Men, Fuzztones, Velvet Underground,  The Senders, Wilco, Doors, Love Screaming Trees, Eels, Link Wray,  The Nomads, DMZ, The Animals, Tom Petty, Bob Dylan, White Stripes, Tim Buckley, Willie Dixon, X, The Music Machine,  Roy Orbison, Ty Segall, The Chocolate Watchband, Johnny Kids and the Pirates, Ike & Tina Turner, Motör Head,  Beatles, Vince Taylor and his Play-Boys, Psistepinkko, Walkabouts, John Spencer Blues Explosion, Smashing Pumpkins, Them, Wire, Elvis Presley, Modern Lovers, Thugs, Screaming Trees, Nick Drake, Woven Hand, Echo and the Bunnymen, The real Kids, Small Faces, The Celibates Riffles, Buzzcocks, creation, The Litter, Creation, Television Eddie Cochran… ils ne sont pas dans l’ordre, il y en a un dans ma liste manuscrite que je n’ai pas réussi à relire !

             Originalement rock !

    Damie Chad.

    1. S.: pour ceux qui veulent tout savoir, vous avez de temps des tutos dans lesquels vous sont livrés les secrets de fabrication.

     

    *

             Au début de ce mois nous présentions le premier titre du nouvel EP de Two Runner, vient de paraître le second extrait qui donne son nom à l’opus.

    LATE DINNER

    TWO RUNNER

    (Official Music Video de Nick Futch / 13 - 09 – 2024)

    z24899videorunner.jpg

             Un jeu stupide : regarder une Music Video sans mettre le son. Rien de surprenant : une fille qui rentre à la nuit tombée, une qui l’attendait en lisant. Tout de suite Paige et Emilie sur le divan en train de jouer, par intermittences ensuite, car Paige prépare un repas, végétal et sans surprise, des espèces de tartines au fromage qui seront posées sur la table auprès d’assiettes remplies d’une sauce brunâtre, heureusement que l’on entrevoit un plat de ce qui doivent être des biscuits pour le dessert, je ne voudrais pas la ramener avec ma petite et prestigieuse science nationale culinaire de petit froggie mais ce repas vraisemblablement végétarien ne m’ouvre pas l’appétit, d’ailleurs si elles ont allumé des bougies elles restent chacune à leur tour prostrées devant  leur assiettes pensives sans toucher à la nourriture, l’on sent le dépit,  un petit mot d’amour est déchiré, brûlé, réduit en cendres, mais tout change elles sautent de joie et tout à leur entrain elles s’en vont danser sur le perron de la maison.

             Si vous n’êtes pas tout à fait crétinoïde vous avez compris la morale de cette histoire : un seul être vous manque et cela ne vous empêchera pas de faire la fête et de continuer à vivre.

             Nous sommes désormais prêts pour écouter la chanson :

    Paige Anderson : vocals, guitar, banjo, composition  / Emilie Rose : vocals, fiddle/ Ben Eaton : upright bass.

    z24853couve.jpg

    Ben Eaton, d’un bout à l’autre fournit le bruit de fond, il suit le rythme de si près comme le chien qui marche dans l’ombre du maître, il le fortifie lorsque la cadence s’accélère il devient alors tourbillon de feuilles mortes que le vent de l’automne emporte et laisse tomber inanimées sur le sol, Emilie ferme souvent les yeux, son violon tour à tour agonise et festonne la mélancolie des jours passés et à venir, tous identiques, qui se suivent et ne se ressemblent pas, la voix de Paige bouscule la donne, de l’écheveau de l’évidence des rêves et du vécu elle tisse un drame antique, elle métamorphose une comédie amère en fusion destinale, l’on ne sait plus s’il faut en rire ou en pleurer, il existe une telle différence entre les routes de la réalité vivante et la voie du songe absolu que notre esprit n’arrête pas de poursuivre sans fin. Ne sommes-nous pas, les deux à la fois, Ulysse luttant contre les vents contraires et la longue patience de Pénélope tirant les fils des songes infinis. Tout cela Paige l’écrit avec des mots simples qui n’en finissent de créer de subtiles résonnances en l’âme des choses qui ne sont plus et de celles qui subsistent, en un autre plan ontologique.

    Vous reprendrez bien un morceau de gâteau, farine de tristesse, sucre des jours heureux et cerise à l’eau de mort…

    Superbe composition.

    kid congo,roxy music,john squire,honeycombs,luke haines,blackstaff,tony marlow,pop popkraft,two runner

     

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 592: KR'TNT 592 : KID CONGO / NORTH MISSISSIPPI ALLSTARS / DAVID BOWIE / ROCKATS / YOUNGHEARTS / TEMPTRESS / BART WEILBURT / ALEISTER CROWLEY / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    , kid congo, north mississippi allstars, david bowie, rockats, younghearts, temptress, bart weilburg, aleister crowley, rockambolesques,

    LIVRAISON 592

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    16 / 03 / 2023

     

    KID CONGO / NORTH MISSISSIPPI ALLSTARS

    DAVID BOWIE / ROCKATS

    YOUNGHEARTS / TEMPTRESS

    BART WEILBURT / ALEISTER CROWLEY

      ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 592

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

     Congo à gogo - Part Three

     

    kid congo,north mississippi allstars,david bowie,rockats,younghearts,temptress,bart weilburg,aleister crowley,rockambolesques

             Il l’a échappé belle, Kid Congo. Au lieu de le baptiser Kid Congo Powers, Lux aurait pu choisir Tintin au Congo. Ou gros Congo. Les possibilités sont infinies dès lors qu’on donne libre cours à sa fantaisie.

    kid congo,north mississippi allstars,david bowie,rockats,younghearts,temptress,bart weilburg,aleister crowley,rockambolesques

             Paraît ces jours-ci l’autobio de ce gros veinard. L’Omnibus se présente sous jaquette grise et verte avec la belle photo vendeuse et insidieuse à la fois : le Kid ressemble à un sex toy. Impression déplaisante. Ni Bryan Gregory ni Jeffrey Lee Pierce ne ressemblaient à des sex toys. C’est la première entorse. La deuxième arrive sous la forme d’une préface signée Jon Savage qui comme d’habitude recentre tout sur la culture gay. On n’est vraiment pas là pour ça.

             On est là pour Jeffrey Lee Pierce. Ça tombe bien car le Kid en fait le héros de son book. Il n’en finit plus de le remythifier. Il utilise pour ça un style extrêmement puissant, une sorte de rockalama stylistique que connaissent bien les gens qui l’ont vu sur scène avec les Pink Monkey Birds : entre chaque morceau, le Kid harangue les harengs d’une voix de mère maquerelle déboutonnée qui aurait encore des charmes à vanter, c’est un délicieux entremetteur, doté d’un sens suraigu du contact avec les gens. Il écrit de la même façon, en tirant bien ses phrases pour les rendre plus musicales, et ça donne des pages d’antho à Toto. On sent même parfois que ça l’amuse de rouler ses formules dans la farine, comme par exemple lorsqu’il évoque Lance Loud, le chanteur des Mumps - Lance was square-jawed, tall and athletic, like a queer Clark Kent, but also nervy, sensitive and articulate. The cherry on top was that he loved the Kinks, who were my favorite of the British Invasion bands too - C’est merveilleusement tourné et bien hérissé de syllabes qui claquent. Pour dire la druggy routine, il a ce genre de formule : «From then on, our home became legendary in the annals of the LA underground rock scene as a 24/7 party house. Debauchery and hijinks, fueled up by a never-ending diet of drugs and alcohol, were our daily bread.» Rien de tel qu’une belle langue rock pour lécher la cuisse de Jupiter.

             C’est Jeffrey Lee qui vient trouver le Kid un soir d’août 1979, alors qu’il poireaute devant le Whisky A Go Go pour aller voir Pere Ubu. Jeffrey Lee porte un «white vinyl trench coat». Le Kid ne sait pas trop si c’est un coup de drague, en tous les cas il se demande «who is this completely strange creature». La strange creature se présente : «Hi I’m Jeff». Les dés sont jetés. Les roues dentées du destin s’ébranlent.

    kid congo,north mississippi allstars,david bowie,rockats,younghearts,temptress,bart weilburg,aleister crowley,rockambolesques

             Le Kid connaît Jeffrey Lee de vue. C’est un client de Bomp!, la boutique de Greg Shaw où bosse le Kid. Jeffrey Lee fouine dans les bacs de British punk et de reggae imports, dans les red de rockab et de r’n’b. Le Kid sait que la strange creature est un homme de goût, puisqu’il achète des maxis de Burning Spear - He was something else, something indefinable, a weird mix of things. But I couldn’t make heads or tails of what he was from the way he dressed. He had four different looks going on at once. That was another plus for me. I liked confused identities - Le Kid sait aussi que la strange creature écrit dans Slash, qu’il chronique du reggae et qu’il est même allé aux sources, avec un séjour en Jamaïque. Alors, ce soir d’août devant le Whisky, Jeffrey Lee lui dit : «You should be in a band with me.» Le Kid lui répond qu’il n’est pas musicien, alors Jeffrey Lee lui dit qu’il peut chanter. Hors de question ! Pas de problème. Jeffey Lee lui dit : «Ok well, I’ll be the singer and you can be the guitar player.» Le Kid proteste encore et Jeffrey Lee finit par le convaincre en lui apprenant à jouer en open E tuning : «That’s how the blues musicians play slide guitar. You can play chords with one finger.» Comme le Kid est une feignasse, ça lui plaît.

    kid congo,north mississippi allstars,david bowie,rockats,younghearts,temptress,bart weilburg,aleister crowley,rockambolesques

             Et pouf c’est parti. Jeffey Lee travaille déjà son «black-suiter Night Of The Hunter look», son look de prêcheur fou à la Mitchum. Il donne au Kid une cassette sur laquelle il a enregistré le Gunslinger de Bo Diddley et lui dit d’apprendre à gratter en l’écoutant. Ils répètent à Reseda, chez Margie, la mère de Jeffrey Lee. Ils commencent par taper des reprises, le «Gunslinger» de Bo, la cover de «People Get Ready» par Burning Spear, le «Sleeping Into Darkness» de War. Le Kid qui ne sait toujours pas accorder une guitare sait par contre comment il veut sonner : comme Bryan Gregory, ou Pat Place des Contorsion, ou encore Lydia Lunch dans Teenage Jesus & The Jerks. Mine de rien, le Kid nous installe au cœur de l’underground américain - Jeffrey Lee comprenait parfaitement la corrélation qu’on cherchait à établir entre le son qu’on cherchait et ce que les Cramps et les Contorsions faisaient déjà, avec leur passion pour le rockab, la psychedelia et le free jazz, Albert Ayler et James Brown, mais avec une volonté de tout exploser pour créer une nouvelle énergie, a new musical langage - On est là au cœur de l’un des process créatifs les plus probants du siècle passé : la genèse du Gun Club - I had to sound horrible and humble around until the sound started to fall into place. But we knew the idea was king - On aurait presque envie de serrer la pogne du Kid pour ça. Il a raison, seule l’idée compte. Il a cette chance monstrueuse de fréquenter l’artiste le plus complet de son époque. Ce sont des pages qu’on savoure et qu’on peut relire, comme on réécoute en boucle certaines chansons qui donnent des frissons - Jeffrey was much further ahead than all of us. Il avait déjà écrit des chansons - Ils font une ramshakle version du «Tombstone Blues» de Bob Dylan, et puis un jour, Jeffrey Lee sort de sa manche «this ‘60s garage-punk-type song he’s written called ‘Sex Beat’.» Le Kid nous donne absolument tous les détails de cette genèse - We took drugs and drank and drank. A group mind was formed through intoxication, and somehow music, and a vision for it, was born out of that - Ils commencent par s’appeler Creeping Ritual, «because we thought that’s what the music sounded like. Dr John’s Gris-Gris album was a big influence.» Tout est fabuleusement distillé dans leurs cervelles de camés visionnaires - Everything was miraculous to us, every step, every advance we made. Slowly, it all started to take shape and make sense - C’est là, à cet endroit précis, qu’on réalise vraiment à quel point le Kid est un gros veinard et à quel point il écrit bien. Chacune de ses phrases sonne juste, car chargée de sens, comme l’est la genèse du Gun Club. Le Kid nous fait revivre ce prodigieux process en mode work-in-progress. Un step by step, dirait un consultant en nouvelles technologies.

             Ils jouent encore un mishmash d’influences, «country music and murder and gunfighter ballads we loved, cut through with R&B and Jeffrey’s obsession with reggae.» Keith Morris leur dit que Creeping Ritual sonne trop gothique. Il leur propose d’autres noms, Ass Festival ou encore Sand Niggers. Ils optent pour Gun Club. En échange du nom, Jeffrey Lee file une chanson à Morris, «Group Sex» qui finira sur le premier album des Circle Jerks.

             Non seulement Jeffrey Lee sait exactement comment doit sonner le Gun Club, mais il sait aussi ce qu’il doit faire sur scène. Il peaufine son look de Reverend Harry Powell, the evil rock’n’roll preacher. Le Gun Club veut détruire la musique pour la recréer - Live, we wanted  to be offensive and conjure up bad vibes. We were huge Dr. John fans. Bad juju was the only kind of juju for us - Jeffrey Lee se pointe sur scène avec une bible qu’il jette à terre, qu’il piétine et qu’il frappe à coups de chaîne. Ils se font virer des clubs, mais deviennent célèbres. Après le départ de la première section rythmique, Jeffrey Lee embauche Terry Graham et Rob Ritter, la section rythmique des Bags qui viennent de splitter.

    kid congo,north mississippi allstars,david bowie,rockats,younghearts,temptress,bart weilburg,aleister crowley,rockambolesques

             Pour que les choses soient bien claires, Jeffrey Lee donne à chacun des membres du Gun Club une cassette sur laquelle il a enregistré le «My Brand Of Blues» de Marvin Rainwater, le «Big Iron» de Marty Robbins, le «Somebody In My Home» de Wolf, le «Ballad Of Hollis Brown» de Dylan et le «Prodigal Son» des Stones. Il voulait que le Gun Club soit une «combination of every element of these songs.» Le Kid est fier de son son, «the no-wave aspect of my guitar playing mixed with the country, rockabilly, Bo Diddley and blues influences.» C’est lui, le Kid, fier comme un paon, qui compose «For The Love Of Ivy». On le revoit jouer ça à la Boule Noire. En concert, Jeffrey Lee se met à hurler - this horrible howling - un Jeffey Lee qui joue en permanence sur les deux tableaux, «light and dark, perversion and charm», le Kid dit aussi que les gens qui l’aimaient voulaient aussi le tuer. En concert, le Gun Club reste volatile et complètement imprévisible.

             Tout va bien jusqu’au jour où les Cramps proposent la botte au Kid. Troublé, le Kid en parle à Jeffrey Lee - I don’t know what to do. The Cramps want me to join them and I’ll have to leave the Gun Club - À quoi Jeffrey Lee répond : «Are you insane to even ask? Of course you should join the Cramps.» Supra-intelligent, Jeffrey Lee lui donne sa bénédiction.

             Promu guitariste des Cramps, le Kid ne perd cependant pas son mentor Jeffrey Lee de vue. Il voit que Jeffrey Lee en bave. Impossible de stabiliser le line-up : 5 changements de line-up en 3 ans. Le Kid accepte de donner un coup de main en remontant sur scène avec son vieux poto. Mais ça ne plaît pas à Lux & Ivy qui réagissent comme des gros cons : «You can’t do that. You’re in the Cramps. The Cramps don’t do that.» Ils ont un petit côté stalinien. Tu dois rester dans la ligne du parti. C’est Ivy qui appelle le Kid en septembre 1983 pour le virer. Le Kid le prend bien : «I was taking enough drugs that being fired didn’t affect me emotionnally either, other than thinking, Ugh I’m out of a job.» Incidemment, le Kid montre toute la différence qui existe entre Jeffrey Lee et les Cramps. L’un réagit bien, les autres réagissent mal.

             Le Kid revient donc dans le Gun Club qui a déjà enregistré deux albums. Jeffrey Lee et lui reprennent leurs habitudes, ils écoutent de tout. Ils commencent à bosser «a noisy free-form interlude based on Pharoah Sanders’s ‘The Creator Has A Master Plan’». Jeffrey Lee va même aller jusqu’à jouer à la trompette sa version d’«A Love Supreme», a wild, free-form noise jam, que le public ne supporte pas. Il ne savait pas jouer de la trompette, mais ça amusait le Kid de le voir déconner - He was that type, the typical rock-guy, brillant and fun - Jeffrey Lee va même faire le con sur scène avec une machette, les gens flippent mais on leur dit en rigolant qu’il ne faut pas s’inquiéter, «Oh it’s just Jeffrey’s sword !», il est en effet obsédé comme Tarentino par les films japonais, par les combats de Samurais, il connaît bien l’historique des guerres, son film préféré est Apocalypse Now qu’il revoit encore et encore. Quand il commence à prendre du poids et à porter un bandana, les gens disent qu’il ressemble à Marlon Brando, dans Apocalypse Now, tout cela restait extrêmement amusant, dit le Kid, «sauf quand on se retrouvait à bord d’un tour bus avec le Colonel Kurtz on a journey into his own heart of darkness.» C’est l’époque où Patricia Morrison fait partie du groupe. Pendant une tournée anglaise, Terry Graham et Jeffrey Lee deviennent fous, out of control - Patricia and I realized we were sick of Jeffrey too - Mais il leur reste encore une tournée en Australie. Jeffrey Lee est défoncé en permanence. Pourtant le Gun Club est bien établi en Europe, nous dit le Kid - On aurait pu maintenir le groupe indéfiniment, mais on n’en voyait pas l’intérêt. On allait finir par se haïr les uns les autres. Alors je suis allé voir Jeffrey pour lui dire que le mieux était d’arrêter le groupe and all move on - Plutôt finir sur une bonne note qu’une mauvaise, pas vrai ? En fait, le Kid dit qu’ils ont viré Jeffrey Lee. Le Gun Club a continué sans lui, «me, Patricia and Desi Desperate», un trio qui allait devenir Fur Bible.

    kid congo,north mississippi allstars,david bowie,rockats,younghearts,temptress,bart weilburg,aleister crowley,rockambolesques

             Le Kid adore le nom - it sounded like a word-virus from the mind of William Burroughs. I took to it straightaway - Comme front man, ils veulent Tex Perkins, que le Kid a rencontré en Australie et qui va monter un supergroupe, The Beats Of Bourbon, avec Spencer P Jones des Johnnys et Kim Salmon. Mais le plan Tex Perkins ne marche pas. C’est donc le Kid qui va devoir chanter. Comme on s’attend à ce que Fur Bible fasse du Gun Club, ils optent pour «Captain Beefheart as our lodestar», avec une image «heavily gothic». Le mini-album de Fur Bible sort sur New Rose en 1985, et nous l’avons épluché dans un Part One qui faisait suite au Cosmic de Bourges en 2014.

    kid congo,north mississippi allstars,david bowie,rockats,younghearts,temptress,bart weilburg,aleister crowley,rockambolesques

             Puis le Kid va accompagner The Legendary Stardust Cowboy sur une tournée, un loustic qu’il appelle the Ledge - Même si tu as déjà joué avec Lux Interior et Jeffrey Lee Pierce, rien n’aurait pu te préparer à jouer avec the Ledge. En tant que musicien, je n’ai jamais rien éprouvé de tel. The Ledge n’avait aucun sens classique de la mélodie ou du rythme. Il vivait dans son propre monde, musical or otherwise - Et le Kid ajoute : «The Legendary Stardust Cowboy wasn’t an alter ego: it WAS him.» Il faut se souvenir que Bowie le prit avec Vince Taylor comme modèle pour Ziggy Stardust - He was the real deal. The outsider’s outsider - Sur scène, ça donne des cuts qui sont des free-form rockabilly jams, le Kid ajoute que «the Ledge’s childlike insanity was infectuous.» Tout le monde se fout à poil sur scène, sauf Patricia qui passe du statut de «goth ice queen» à celui de «country-and-western drag queen with a giant blond Dolly Parton wig and dark sunglasses.» Le Kid parle de cette tournée comme d’un crazy, weird phenomenon.

    kid congo,north mississippi allstars,david bowie,rockats,younghearts,temptress,bart weilburg,aleister crowley,rockambolesques

             Comme Jeffrey Lee a de nouvelles chansons, le Gun Club se reforme. Il cultive une nouvelle obsession : le fitness. D’où les survêtements. Et comme il vient de rencontrer Romi Mori, son obsession pour les films de Samurais s’aggrave. Ils enregistrent Mother Juno à cette époque. Nick Sanderson bat le beurre. Et Romi passe à la basse. Jeffrey Lee découvre les Cocteau Twins et tombe amoureux de leur son. Le Gun Club enregistre Mother Juno au fameux studio Hansa de Berlin. À l’époque, le Kid joue aussi dans les Bad Seeds, et il se retrouve pris entre deux feux - I was caught between le devil and the deep blue sea. Between Nick Cave and Jeffrey Lee Pierce. Both immeasurably brillant and tortured artists, both extremely fucked-up, high-maintenance individuals - Toujours cette fabuleuse rockalama stylistique, en une seule phrase le Kid sait dire la grandeur oscillante de ces deux artistes. Et puis il revient sur ce lien fondamental qui l’attache à Jeffrey Lee - Jeffrey had me. And I had Jeffrey. Whether I liked it or not. We had something of a codependant relationship. We needed each other. When Jeffrey was at his worst, I did my best to protect him - Le Kid n’en finit plus de rappeler que Jeffrey Lee avait besoin qu’on s’occupe de lui en permanence et en même temps, il rendait la vie impossible aux gens qui l’aidaient. Il va trouver un toubib qui lui annonce qu’il a chopé une cirrhose. Plus il se sent mal et plus il déprime. Le Kid essaye de décrocher, mais la fréquentation de Jeffrey Lee rend toute tentative impossible - He was drinking heavily - Pire, il prend énormément de poids. Le Gun Club repart en tournée en Californie et cette tournée donne la nausée au Kid, car ils jouent dans les mêmes «underground rock clubs» qu’il y a 5 ans, and the time before, and the time before, il prend bien soin de répéter pour mettre l’accent sur l’aspect tragiquement routinier des choses - Nothing had changed - Le Gun Club n’est toujours pas reconnu en Californie. Et Jeffrey Lee a entamé son ultime descente aux enfers.

    kid congo,north mississippi allstars,david bowie,rockats,younghearts,temptress,bart weilburg,aleister crowley,rockambolesques

             Le groupe enregistre Pastoral Hide & Seek à Bruxelles. Jeffrey Lee rentre d’un voyage au Vietnam et dit à qui veut bien l’entendre qu’il a été mordu par un insecte dans la jungle et qu’il a chopé une maladie exotique très rare - He was incredibly sick - Et plus sa cirrhose s’aggrave, plus il déprime - Back on heroin, and a wreck, Jeffrey had become a handful and impossible to be around - Romi ne peut plus l’encadrer. Voyant qu’elle prend ses distances, Jeffrey Lee commence à la manipuler pour la récupérer, nous dit le Kid. C’est là qu’elle démarre une relation avec Nick Sanderson. Jeffrey Lee tombe sur le pot aux roses. Fin de l’histoire. Romi va épouser Nick et lui donner un fils. Jeffrey Lee boit comme en trou et passe son temps dans un pub de West Kensington. Comme il drague la poule d’un client du pub, il se fait virer à coups de pompe dans le cul. Il rentre chez lui chercher le sabre de samouraï que lui a offert Chris Stein et revient dans le pub en faisant siffler la lame au-dessus de sa tête. Le patron parvient à le plaquer au sol pour le neutraliser. Jeffrey Lee est embarqué par les condés puis expulsé aux États-Unis. Le voilà de retour au bercail, back on heroin and drinking heavily. Il traîne au Viper Room, le club de Johnny Depp qui est un fan du Gun Club. Le Kid l’y voit régulièrement, mais il garde ses distances, car dit-il, il ne veut pas que Jeffrey Lee sache qu’il est lui aussi back on heroin.

             Pour la dernière reformation du Gun Club, Jeffrey Lee engage une certaine Elizabeth Montague pour jouer de la basse. Jeffrey Lee revient d’un voyage au Japon et le Kid est choqué de le revoir bouffi, complètement difforme, «même sa tête semblait deux fois plus grosse qu’avant.» Sur scène, Jeffrey Lee porte un imper et un béret noirs, «looking like a cross between a Nazi officer and a French philosopher. It was pure Jeffrey Lee Pierce showmanship.»

             Dans son dernier chapitre, le Kid rend un ultime hommage à son mentor - Jeffrey was my alter ego and opposite number, my counsel and my inspiration, my antagonist and irritant. We were different in so many ways but somehow the same - Le Kid se souvient d’avoir vu naître la légende de Jeffrey Lee Pierce, le strange creature venu le trouver dans la file d’attente devant le Whisky A Go Go et qui devint «a vengeful, blasphemous orator - part preacher, shaman, and orisha, part provocateur and trickster.» Le Kid se dit fier d’avoir été sur scène avec lui «at the very first Gun Club show and the very last. Those seventeen years shaped the course of my life to date.» Ce dernier chapitre est tellement bien écrit, tellement intense, tellement chargé de légende qu’il donne le vertige. On mesure vraiment l’amitié qui liait ces deux hommes, une amitié qui fut le fil rouge dans l’histoire du Gun Club, l’un des quatre groupes les plus fascinants de l’histoire du rock américain, avec les Stooges, les 13th Floor et le Velvet. 

    kid congo,north mississippi allstars,david bowie,rockats,younghearts,temptress,bart weilburg,aleister crowley,rockambolesques

             Le plus drôle de l’histoire, c’est que le Kid est en permanence attiré par les gens fascinants. Il commence de bonne heure avec les Ramones, dont il monte le fan club californien. Il s’habille comme eux, en jean, perfecto et baskets. Il a déjà vu les Dolls sur scène, mais c’est les Ramones qu’il préfère, «faster and funnier than anything I could have imagined.» Et il ajoute, extatique : «The Ramones were my first addiction, my first rush.» Il flashe un peu plus tard sur les Screamers, «the most original band in Los Angeles. Already fully formed in concept and presentation, they were a future shock in sound and image. Leur musique était un carnage discordant de distorted synths, keys, drums and the painted yowl of Tomata du Plenty qui était indiscutablement adorable et charismatique mais aussi très certainement complètement cinglé.» Le Kid s’installe à une époque dans un immeuble nommé the Wilton Hilton où vivent les Screamers. Tomata dit au Kid qu’à l’époque où il s’y est installé, il a trouvé un immense pentagramme peint sur le plancher du living room. Le Kid découvre la collection de disques des Screamers : Mae West, Nico, Neu!, et pas mal de Kraut. Tomata devient en quelque sorte le premier mentor du Kid. Il l’emmène voir les films de Dario Argento et de Douglas Sirk. Le Kid découvre aussi les racines de Tomata : le théâtre underground & the drag scene de Seattle, la pre-punk scene de New York et les Cockettes de San Francisco. Tomata a aussi monté un proto-punk band à Seattle, The Tupperwares.

             Le Kid réussit à aller voir les Pistols au fameux concert du Winterland organisé par Bill Graham. Il est fasciné par «l’in-person live-wire charisma» de Johnny Rotten. Qui ne le serait pas ? Quand il séjourne à New York, le Kid atterrit chez Lydia Lunch qui l’incite à gratter sa gratte. Gratte ma gratte, darling. La scène se déroule juste avant la rencontre avec Jeffrey Lee. Le Kid n’a jamais approché une gratte. Lydia lui dit qu’elle non plus, mais elle gratte sur scène. Elle se fout de savoir jouer, elle gratte ses poux. Elle fait du primitive noise. Alors le Kid gratte n’importe quoi pendant que Lydia fait n’importe quoi à la batterie - It was a lot of fun - Teenage Jesus & The Jerks étaient certainement le groupe new-yorkais le plus avant-gardiste de cette époque.

             Oh et puis il y a aussi les drogues, quasiment à toutes les pages. La Kid adore la dope. Ses souvenirs d’acid trip sont des chefs-d’œuvre de narration psychédélique, ses pages sont dignes de celles d’Henri Michaux. Le Kid décrit par exemple une soirée sous acide avec la bande de Bryan Gregory. Il se retrouve dans un bar assis en face de Crocus Behemot - The Rolling Stones’ «Beast Of Burden» was blaring on the jukebox. I looked at Crocus and  wondered, «What am I doing in a country-and-western bar with Jackie Gleason ? - Puis tout la bande s’en va finir la soirée chez Bryan Gregory, dans le Bowery - Things got even weirder - Gregory passe les menottes à l’une des filles de la bande et l’enferme dans une cage. Tout le monde est sous acide. Le Kid prend soin d’expliquer que Bryan vit dans l’un de ces appartements qui sont «underneath the sidewalk, with metal doors that shut with a padlock, like the storeroom of a deli.» Chaque mot épaissit encore le mystère de la scène. Dans ce book, les acid trips sont étranges, même dangereux. Le Kid raconte aussi son premier shoot d’hero, il dit que c’est comme dans la chanson du Velvet et le mec qui l’initie lui explique qu’on peut se contenter de ce qu’il appelle the cottons, c’est-à-dire le bout de coton à travers lequel on siphonne le liquide, et comme il ne peut pas s’en empêcher, le Kid cite «an urban legend about someone who had done Johnny Thunders’s cottons and OD’d.»

             Il parvient à se désintoxiquer, mais il replonge à la première occasion - Instantly. The familiarity (...) This is who I am. This is how I want to feel. Nothing. Problem solved. Heroin is so insidious in that way. I was hooked again. Stupid me - Comme déjà dit et redit, c’est extrêmement bien écrit. Le Kid est une sorte de Thomas de Quincey des temps modernes. Il a le privilège d’avoir exploré les gouffres, comme le fit Henri Michaux, et donc il est habilité à en parler. Il auréole sa légende de littérature. Ou si tu préfères, il auréole sa littérature de légende. D’une certaine façon, il est aussi wild as fuck que le fut William Burroughs. Dopé et ancré dans le vrai monde, un monde qu’il donne à voir à travers ses yeux. Ce n’est pas tous les jours qu’on peut approcher Jeffrey Lee Pierce d’aussi près. On en prend de la graine. Au propre comme au figuré.

             Le Kid grandit à La Puente, une banlieue chicano de Los Angeles. Sa première initiation lui vient des Shangri-Las - If being bad was cool, I wanted to be bad. Not bad-bad, just good-bad, but not evil, as the Shangri-Las put it - Puis il flashe sur le «Short Shorts» des Royal Teens - Some of the first words I ever spoke were from that song : «Ooh man dig that crazy chick» - Bambin, le Kid a déjà du style. Il sait se mettre en scène. Il est admirable à tous les égards. Sa copine Elaine lui fait écouter Laura Nyro, et il lui fait écouter Jimi Hendrix. Mais il n’est pas attiré par les femmes. À 14 ans, il flashe sur le glitter-rock, puis sur Zappa et ensuite Captain Beefheart. Il finit par découvrir le pot aux roses : Dr Demento. Il voit les Dolls en 1974 au Roxy. Il entre enfin par la grande porte dans la légende de Los Angeles, c’est-à-dire l’English Disco de Rodney Bigenheimer, the Mayor of Sunset Strip comme l’appelait Kim Fowley. L’English Disco est le point central de la culture californienne des années 70, «the ultra-hip teen mecca that only played the latest British imports.» Et boom, le Kid se prend le glam en pleine poire, «Tiger Feet» de Mud, et boom «Blackbuster» de Sweet, et boom «48 Crash» de Suzi Quatro. Et kaboom avec David Bowie, «a rock star of course, but androgynous to the extreme - both asexual and openly hedonistic.» Et boom, L’International Heroes de Kim Fowley. Le Kid évoque aussi Phast Phreddie Patterson et son zine Back Door Man qui est orienté mostly Detroit pre-punk, mais qui présente aussi des groupes locaux comme les Motels qui au début avaient un son plus primitif, «and the Imperial Dogs, Don Waller’s band, who had a hard-edged Stooges/MC5 sound.»

             Et puis voilà les Cramps. Le Kid les voit comme un groupe «sexual, visceral and raw.» Il les trouve même «magical et shamanic». En 1980, les Cramps s’installent à Los Angeles et viennent trouver le Kid chez lui, au Wilton Hilton. Comme Bryan Gregory s’est barré, ils n’ont plus de second guitariste. C’est cette femme qui porte bien son nom, Poison Ivy, qui lui pose la question : «What would you sacrifice to be in the Cramps ?». Le Kid ne comprend pas. Alors elle lui demande s’il est prêt à se couper un doigt pour jouer dans les Cramps. Le Kid ne comprend toujours pas, d’autant plus qu’il est censé jouer de la guitare - But what the hell, it was only one finger. I had ten - Alors il dit oui, I think I would. C’est bon. Ivy lui dit qu’il est embauché - It was that easy. Ils m’ont même laissé mon doigt - Mais il doit abandonner sa liberté et le Gun Club. Total allegiance. C’est là qu’il soumet le problème à Jeffrey Lee qui lui donne sa bénédiction.

    kid congo,north mississippi allstars,david bowie,rockats,younghearts,temptress,bart weilburg,aleister crowley,rockambolesques

             Lux le baptise Congo Powers et le Kid vient de Kid Thomas, «a crazy screaming rhythm-and-blues piano stomper from New Orleans», un peu à la Esquerita, avec la pompadour et la pencil mustache, ce qui donne au final Kid Congo Powers. Il faut maintenant revoir le look. Les cramps sont dans le black, tiki culture and voodoo. Le Kid se retrouve en turban avec un collier d’os - I looked like a voodoo guru, the Maharashi Screamin’ Jay Hawkins - Pas facile d’entrer dans les godasses d’un mec aussi iconique que Bryan Gregory, baby. Le Kid parle d’un «scary sexual cocktail of androginy and machismo, like a weird cross between Boris Karloff and a leather daddy.» Comme Lux est un shaman, almost pansexuel, le Kid est peinard. Lux n’est pas homophobic. De toute façon, les Cramps sont au-delà de nos petites catégorisations. Ils cultivent la perversion - The Cramps embraced perversion, in all its facets and in the best possible way - C’est Ivy Poison qui donne les instructions techniques au Kid. Elle supervise sa formation professionnelle. Elle veut que sa gratte sonne comme un klaxon de bagnole - Think of it like a horn - Hoink hoink ! Et le solo doit sonner comme un wild sax solo. Alors, bête et discipliné, le Kid sonne comme un klaxon. Hoink hoink ! Le coup de klaxon en intro du «Bacon Fat» d’Andre Williams sert de modèle. Le Kid découvre que les Cramps misent tout sur le rythme qui est la clé, comme chez Bo Diddley, c’est lui qui permet de déployer «that wild unbridled sexual power qui sous-tend tout le grand rock’n’roll».

    kid congo,north mississippi allstars,david bowie,rockats,younghearts,temptress,bart weilburg,aleister crowley,rockambolesques

             Pour son premier concert avec les Cramps, le Kid se retrouve à New York, le soir où John Lennon se fait buter. Puis ils vont enregistrer leur deuxième album Psychedelic Jungle au studio A&M de Los Angeles. Ils veulent un son plus swampy et sexual que sur le premier, enregistré à Memphis avec Alex Chilton. C’est une très grande page de la rock culture que nous pond le Kid avec le récit de cet enregistrement. Il indique que tout était magical and ritualistic - Nous avons décidé de rester éveillés aussi longtemps que possible, pas en prenant des drogues, mais en se privant de sommeil, juste pour sortir de nous-mêmes et laisser la musique prendre le contrôle, histoire de pouvoir jouer à l’instinct, pas de façon intellectuelle. Nos animalités allaient driver notre créativité - L’idée sonne comme du pur Lux - To achieve otherness, you have to become ‘other’. We became a spectral presence, almost like ghosts - Ils jouent sur des petits amplis turned up to the max. Sur «Beautiful Gardens», ils jouent et jouent et jouent et jouent le même riff until we couldn’t feel ourselves. It was intended to be a psychedelic-shamanistic-ecstatic conjuring.» Le Kid raconte aussi comment Lux est venu à bout du «She Said» d’Hasil Adkins qu’il n’arrivait pas à chanter correctement : en s’enfonçant un gobelet en plastique dans la bouche.

             Un jour sur scène, les cheveux du Kid prennent feu et Lux présente le Kid au public : «We present you Kid Congo, the burning bush !». Mais il n’y a pas que des bons côtés dans les Cramps. C’est d’abord un couple, avec tous les problèmes que ça peut poser aux autres. On ne discute pas dans les Cramps, on ferme sa gueule. C’est le couple qui décide, comme le dit aussi Gary Valentine de Blondie. Personne n’est associé aux décisions. Rien n’est pire que d’avoir un couple dans un groupe. C’est une sorte de malédiction.    

    kid congo,north mississippi allstars,david bowie,rockats,younghearts,temptress,bart weilburg,aleister crowley,rockambolesques

             Le Kid ne parle pas trop des Pink Monkey Birds dans son book. Apparemment, le groupe est toujours en activité, même si le dernier album date de 2016 : La Areña Es La Vida. On y retrouve le son très rythmique de premiers Pink Monkey Birds. Le Kid poursuit sa longue exploration des genres avec, il faut bien le dire, un certain bonheur. Il fait par exemple du petit garage congolais dans «Coyote Conundrum». Il en profite pour dire n’importe quoi, ses paroles n’ont pas vraiment de sens - We get a bomb bomb/ l’amour toujours - Ça fait partie du jeu. Avec «Magic Machine», le Kid s’amuse à s’énerver et il joue avec les mots - I am drug today/ I am love today/ I am here to play/ I am drunk you say - Il n’a pas grand chose à dire, en vérité, tout est dans l’interprétation. On sent bien le sulfure du vétéran de toutes les guerres. Et voilà un cut à Kiki le bassman, «Ricky Ticky Tocky», départ au riff mécanique et c’est parti mon Kiki. Ce mec est très précis, il ne varie guère son jeu. Le groove hypno servi frais et serré est le vrai son des Pink Monkey Birds. En B, on trouvera un joli groove congolais intitulé «La Arena», avec la belle intro du mec qui descend faire un tour en ville et qui se casse la gueule, what the hell, il ouvre les yeux et que voit-il ? Une araignée qui lui grimpe dessus. Le Kid sait raconter les histoires. C’est un conteur né.

             Par contre, pas un mot sur les Knoxville Girls dans le book.

    Signé : Cazengler, gros con go !

    Kid Congo Powers. Some New Kind Of Kick. Omnibus Press 2022

    Kid Congo & The Pink Monkey Birds. La Areña Es La Vida. In The Red Records 2016

     

     

    Les gars du Nord - Part Two

     

    kid congo,north mississippi allstars,david bowie,rockats,younghearts,temptress,bart weilburg,aleister crowley,rockambolesques

             Quelle chance ils ont eu Luther et Cody d’avoir un père comme Jim Dickinson ! Franchement, ça fait rêver tous ceux qui ont eu un père pas terrible. Luther a pu apprendre la guitare, le piano et le chant. Son petit frère Cody est devenu un excellent batteur. Ce sont quand même des métiers autrement plus intéressants que ceux de banquier ou de dessinateur industriel. Daddy Dickinson devait aussi leur raconter des histoires fabuleuses, le soir avant de dormir. Il évoquait probablement ses souvenirs de Betty LaVette, de Carmen McRae ou de Jerry Jeff Walker, d’Aretha, de Billy Lee Riley ou d’Alex Chilton, tous ces gens qu’il accompagnait à Memphis ou ailleurs, en Floride, par exemple, au fameux studio Criteria. Il devait leur parler aussi longuement de l’extravagant Tav Falco qui était arrivé à Memphis sur une Norton qui pissait l’huile, ou de Sid Selvidge un type prodigieusement doué que personne ne connaissait. Il devait aussi évoquer les souvenirs du grand James Carr qui était un peu dérangé, et de Ronnie Hawkins qu’il estimait infiniment. Et puis Esther Phillips et Albert Collins, ah quels artistes ! Il n’oubliait certainement pas le pauvre Eddie Hinton qui était à la rue et il devait beaucoup insister sur les grands artistes noirs de la région, à commencer par Otha Turner, le vieux joueur de flûte de cane qu’il considérait comme un pur génie. Mais aussi T-Model Ford dont il a produit l’un des derniers albums, et bien entendu RL Burnside et Junior Kimbrough qui sont des voisins. Côté gens célèbres, il y avait aussi les Rolling Stones et les Flamin’ Groovies, mais il réservait ça aux chroniqueurs à la petite semaine. Oooh oui les enfants, votre daddy est allé pianoter chez ces gens-là, et même, tenez-vous bien, chez Bob Dylan ! Vous voyez un peu le travail ?

             — Le grand Bob, daddy ?

             — Ooooh oui, et quel grand bonhomme, les enfants ! Vous n’êtes pas prêts d’en revoir passer un comme ça dans le quartier, malheureusement. Les gens vont devoir compter sur des gamins comme vous. Normalement, vous avez tout ce qu’il faut pour ne pas les décevoir...            

             Luther et Cody n’avaient pas besoin d’aller au cinéma : ils voyaient défiler toute l’histoire du rock et du blues américains en cinémascope. Daddy Dickinson leur a surtout donné le goût des bons artistes et des vrais disques. Il n’a même pas eu à leur expliquer que tout cela n’allait pas sans la pâte humaine. Daddy Dickinson a probablement suivi le même parcours que David Hood, le daddy du p’tit Patterson : ces deux southern gentlemen ne faisaient aucune différence entre les blancs et les noirs, comme d’ailleurs Sam Phillips et Steve Cropper. Ces gens du Sud qui avaient pour particularité d’être de vrais musiciens savaient qu’ils avaient tout à apprendre des noirs. Eh oui, sans les noirs, il n’y aurait jamais eu ni jazz ni blues. 

             Toute l’éducation de Luther et de Cody Dickinson est donc basée sur ces principes fondamentaux : l’humain et la musique, l’un n’allant pas sans l’autre. C’est la raison pour laquelle on peut écouter leurs disques les yeux fermés. D’autant plus que Daddy Dickinson, l’un des producteurs les plus géniaux de l’histoire du rock américain, produisait parfois leurs albums. Il ne pouvait pas leur faire de plus beau cadeau. Et on en profitait aussi. 

    kid congo,north mississippi allstars,david bowie,rockats,younghearts,temptress,bart weilburg,aleister crowley,rockambolesques

             La prestigieuse série des albums des North Mississippi Allstars commence en l’an 2000 avec « Shake Hands With Shorty ». C’est un album de reprises qui nous plonge dans le North Mississippi hill country blues cher à Jim Dickinson. Luther et Cody attaquent avec les classiques de Mississippi Fred McDowell, « Shake ‘Em On Down » (qu’ils tapent avec une terrible énergie) et « Drop Down Mama », joué aussi avec ce qu’on appelle un entrain communicatif. Sur ce cut, Sid Selvidge joue un solo explosif. On s’initie avec ces gens-là à la dynamique des fluides. Le blues hypnotique de RL Burnside leur va aussi comme un gant, comme on peut le constater avec « Po Black Maddie ». Étant donné que ce sont des puristes, ils connaissent toutes les ficelles. Ils restent chez RL avec « Skinny Woman », le blues-rock des plantations, trempé dans l’eau noire du terreau maudit. Luther et Cody le jouent heavy, dans l’esprit de ce que faisaient les groupes anglais en 1968. Même chose pour « Drinking Muddy Water » : ils sortent ce son qui faisait rêver Clapton au temps de Cream. On parle de Luther et de Cody, mais avec eux jouent Chris Chew, Garry Burnside et Cedric Burnside, fils et petit-fils de RL. Ils sont furieusement bons. C’est battu à la guinéenne, chanté à l’insistante un peu chamanique, comme au temps de Captain Beefheart et des sorciers du Mardi Gras de la Nouvelle Orleans. Luther et Cody semblent avoir trouvé le chemin de la connaissance suprême, celle du beat vénéneux qui rampe sous les racines des palétuviers depuis des milliards d’années, bien avant que l’homme ne soit homme. On se retrouve là au cœur du primitivisme de l’énergie juteuse et poisseuse, au cœur d’un génie du son fabriqué de toutes pièces par l’immense Jim Dickinson et ses amis nègres. Luther et Cody sonneraient presque comme Monsieur Jeffrey Evans. Luther balance des solos bien baveux, dans la meilleure des traditions. Lancinant ! - Goin’ down south ! Goin’ down south ! - C’est à tomber. Alors on tombe.

    kid congo,north mississippi allstars,david bowie,rockats,younghearts,temptress,bart weilburg,aleister crowley,rockambolesques

             « 51 Phantom » sort du four l’année suivante. Le morceau titre se distingue aussitôt par l’énormité de sa prestance dégoulinante. Ce blues-rock hyper produit entre directement dans les annales du Memphis Beat. Grâce à son génie du son, Daddy Dickinson propulse ses deux rejetons dans le cercle supérieur. Et en prime, ça wolfe en fin de cut. Que demande le peuple ? On trouve une autre belle pièce juteuse : « Snakes In My Bushes ». Daddy graisse le son au maximum. Tout est atrocement soigné. Le solo de Luther est gras comme un porc. Pur régal. On remercie les dieux du ciel pour ce son. On adore voir couler ce genre de purée. « Sugartown » est encore plus énervé, encore plus gorgé de son. C’est fabuleux et aussi complet que le riz macrobioté. Avec « Lord Have Mercy », on sent deux choses. Un, ils ont la connaissance des arcanes du son. Et deux, le gras du son va bien au-delà de celui qu’expérimentaient les Anglais au temps du British Blues. Luther repart en solo gras double d’obésité suintante. Daddy Dickinson a nourri son fils au pis des vaches du Memphis Beat. C’est donc normal qu’il joue comme un dieu. Encore du gras de couenne du manche avec « Circles In The Sky », un gras à faire baver les charcutiers du monde entier, joué dans l’incroyabilité du gras qui tâche. Daddy Dickinson veille au grain de gras. On peut même qualifier ce son d’inventif et d’hyperbolique. Un modèle du genre, évidemment. On se doute bien qu’avec un titre comme « Mud », on va avoir du limon à la pelle. Voilà encore une étonnante pièce d’insurrection inventive et gorgée d’un allant bizarroïde. Alors, évidemment, on ressort de ce disque un peu ébranlé et dans un élan de mysticisme pulsionnel, on fait le serment, devant Dieu, de rester fidèle aux North Mississippi Allstars, quoi qu’il arrive.

    kid congo,north mississippi allstars,david bowie,rockats,younghearts,temptress,bart weilburg,aleister crowley,rockambolesques

             Deux ans plus tard, ils reviennent enfin avec « Polaris », un album beaucoup plus pop. Mais attention, il ne s’agit pas de pop à la petite semaine. Non, ils cherchent les voies impénétrables de la grande pop lumineuse de Big Star, comme c’est le cas avec « Eyes » qui ouvre le bal. « Meet Me In The City » est une belle pop d’essence bluesy. On sent à l’écoute de « Conan » que les North Mississippi Allstars pourraient bien devenir le groupe le plus excitant d’Amérique. Ils se situent au confluent des meilleures influences et ils sont nourris du meilleur son. Alors pas de problème. La belle pop ambitieuse d’« Otay » renvoie à celle de Robert Pollard. Ils sont devenus extrêmement ambitieux. C’est claqué au refrain déflaqué, on sent une énorme énergie d’appétit de fame bon esprit. L’étonnant de cette histoire, c’est que Noel Gallagher vient chanter sur « One To Grow On », un balladif fatidique. Puis ils repartent sur un boogie blast à la Hooky, avec « Never In All My Days ». Les voilà sur leur terrain d’excellence, avec de grosses incursions de gras. Ça va loin, car le stomp s’étrangle de gras, à trop vouloir se goinfrer. Stupéfiant « Bad Bad Pain », un groove traversé d’éclairs de guitare. Luther passe un solo qui est une épouvantable dévalade. Et sur le dernier cut de cet album épatant, on entend le vieil Otha souffler dans sa flûte de canne. 

    kid congo,north mississippi allstars,david bowie,rockats,younghearts,temptress,bart weilburg,aleister crowley,rockambolesques

             « Hill County Revue » est un album live enregistré lors d’une espèce de grande kermesse sudiste. La famille Dickinson avait invité toute la famille Burnside et des gens comme Chris Robinson des Black Crowes. On a l’impression d’écouter le Woodstock du North Mississippi hill country blues. On sent comme une énormité du son dès « Shake ‘Em On Down ». Luther et ses amis en font une version trop pulsée, trop jouée, affolante de présence dans l’essence. Ils passent tous les grands classiques locaux en revue, « Po Black Maddie », « Skinny Woman » et « Jumper On The Line » de RL Burnside, Jim Dickinson vient chanter « Down In Mississippi » de JB Lenoir, Chris Robinson vient chanter « Boomer’s Story » et sur « Shiny She Wobble », on entend les tambours d’Otha Turner, le beat ultime. Ils finissent avec l’imparable « Goin’ Down South » qui chaque fois nous ramène en enfer.    

    kid congo,north mississippi allstars,david bowie,rockats,younghearts,temptress,bart weilburg,aleister crowley,rockambolesques

             « Electric Blue Watermelon » vaut largement le déplacement. On y trouve une belle pièce de balle hypnotique intitulée « Mississippi Boll Weevil ». Tout est là : l’esprit, le son et l’énergie divine. Quels veinards ces trois-là d’avoir un producteur comme Daddy Dickinson. Beau produit local avec « Moonshine ». C’est fou comme on se gargarise de ce folklore deep south, alors que chez nous existent le calva et la prune. Lucinda Williams vient chanter dans « Hurry Up Sunrise ». Elle a du répondant, mais ça sent trop le Nashville Sound. C’est insupportable. Le pathos des poules américaines dépasse parfois les bornes. Ils font ensuite du funk avec « Stompin’ My Foot ». N’oublions pas qu’à Memphis on avait les Bar-Kays. Les voilà qui rockent le funk, c’est fou ce qu’ils sont brillants, les morpions. Chris Chew le bassman black s’amuse comme un fou. Luther part en vrille comme Bloomy et il bat tous les records de vélocité carabinée. Absolument énorme. Voilà ce qu’il faut bien appeler une éruption de funk sudiste. On retrouve l’énormité du son dans « Bang Bang Lulu » qui sonne comme le bastringue du diable. « Mean Ol Wind Died Down » est une pièce d’anthologie. Luther est accompagné par Otha Turner et ses drums à l’ancienne. Le cut est traité sur différents modes, Otha et jazz-bass, mais ça reste essentiellement du groove des collines. Ils chantent la nostalgie d’un temps révolu, en gros l’histoire de Jim Dickinson. Luther fait un véritable festival à la guitare. Et derrière bat Otha l’ancien roi des pique-niques. C’est le même son que dans « Fast Life Rider » de Johnny Winter. Exactement le même.

    kid congo,north mississippi allstars,david bowie,rockats,younghearts,temptress,bart weilburg,aleister crowley,rockambolesques

             « Hernando » sort en 2008. Attention, voilà encore un album assez magistral. Ils shakent « Shake » à l’ancienne mode des collines. C’est énorme car inspiré et vraiment digne de RL Burnside. Ils se situent bien au cœur du country-blues référentiel. On retrouve aussi le son gras dont rêvaient tant les Anglais dans « Keep The Devil Down ». Luther sait allumer un brasier. Il sait aussi partir en free-jazz, comme on le voit avec « Soldier ». Il peut rivaliser d’excellence fluidique avec Jeff Beck. Ils savent même jouer le rockabilly, comme on peut le constater avec « Blow Out ». On est à Memphis, les gars, ne l’oubliez pas. Tout est solide sur cet album et en particulier « Rooster’s Blues » encore une pièce diablement inspirée et même un peu britannisée sur les contours. C’est joué gras dans le corpus christi, et dûment frictionné à l’escalade. C’est même extraordinaire de grasseyage, d’autant que Luther et son frère bénéficient du génie productiviste de leur père. Le solo défraye bien la chronique. Ah, quelle fricassée ! Et c’est relancé au dirty job ! Ils ne nous épargnent rien.

    kid congo,north mississippi allstars,david bowie,rockats,younghearts,temptress,bart weilburg,aleister crowley,rockambolesques

             Eh oui, toutes les bonnes choses ont une fin. Daddy Dickinson a cassé sa pipe en 2009, alors Luther, Cody et Chris ont enregistré un album pour lui dire adieu. Disque poignant que ce Keys To The Kingdom ! « This A Way » sonne comme un rock-blues sérieux, bien sabré et bien saqué à la manœuvre. Luther a dans les pattes un bel héritage. Memphis Beat c’est sûr, mais il y a surtout un gros fantôme derrière la console. Mavis Staples vient donner un petit coup de main dans « The Meeting ». Ils font aussi de la country sauvage avec « How I Wish My Train Would Come », dans une merveilleuse ambiance décontractée. Mais ils plantent une reprise de « Stuck Inside Of Memphis With The Memphis Blues Again ». Il faut attendre « Ain’t None O’ Mine » pour renouer avec l’intérêt. C’est un heavy blues véritablement énorme, comme on sait le jouer dans cette région du monde. Ils font leurs adieux définitifs avec « Jellyrollin’ All Over Heaven ». Leur père aurait adoré. Voilà une chanson d’une rare verdeur attentionnée.

    kid congo,north mississippi allstars,david bowie,rockats,younghearts,temptress,bart weilburg,aleister crowley,rockambolesques

             Le double album World Boogie Is Coming est un nouvel hommage aux musiciens noirs du Mississippi. On trouve à l’intérieur de la pochette une photo stupéfiante d’Otha et de Luther en train de jouer, en plein dans le feu de l’action. Ils attaquent avec une version épaisse du vieux coucou « Rollin’ N Tumblin’ ». C’est battu aux tambours locaux et gratté à la mode des collines. Le résultat est très impressionnant et le son très ancien. Il semble remonter aux origines de l’humanité. Même chose pour « Boogie » : c’est tout simplement le boogie de l’origine des temps. Pas de plus bel hommage au son et on entend les fameux tambours berbères d’Otha. Qu’on se rassure, tout n’est pas bon sur cet album. Certains morceaux laissent l’auditeur indifférent. La B démarre sur du pur Otha avec « Shimmy ». On l’entend souffler dans sa flûte par derrière les fagots. On se croirait revenu dans la Grèce antique. Les bergers du Péloponnèse, tels qu’on les entend dans les anticailleries pasoliniennes, sortent exactement le même son. « Granny Does Your Dog Bites » est battu au tambour militaire d’Otha. Quelle magistrale leçon de beat ! Une nommée Sharon Thomas chante et elle s’en sort plutôt bien. Puis ils tapent dans Bukka White pour une reprise spectaculaire du « World Boogie » qui donne son titre à l’album. Ils restent dans le blues à l’ancienne pour attaquer «  Goin’ To Brownsville ». La C est consacrée à Junior Kimbrough. Luther et ses amis jouent une fois de plus le heavy blues de rêve bien grassouillet. « I’m Leaving » est tout aussi heavy au beat. On se régale de ce joli bouquet garni de son bien gras de la couenne. Sacré Luther, en voilà un qui a tout compris. Avec « Jumper On The Line », il revient à RL Burnside. C’est donc de l’hypnotic sans surprise. On retrouve évidemment le grand Fred McDowell sur la D avec « Crazy ‘Bout You ». Luther nous ressert une louche de heavy blues de rêve absolument parfait. Beau car terriblement inspiré. Et même imbattable. Ils gospellisent le heavy blues de « Back Back Train ». On sent que les racines remontent à la surface. Puis on se tape une belle lampée de blues-rock référentiel avec « Brooks Run To The Ocean ». Luther et ses amis rivalisent de classicisme avec les géants du Texas blues.

    kid congo,north mississippi allstars,david bowie,rockats,younghearts,temptress,bart weilburg,aleister crowley,rockambolesques

             Prayer For Peace paraît en 2017. Il ne reste plus que Luther et Cody. Ils posent pour la pochette. L’album vaut largement le détour. Luther et Cody s’ancrent de plus en plus dans le heavy blues. Avec « Left To Be Free », ils sonnent comme les Left Lane Cruisers, avec le même sens du rôtissage en enfer. Ils jouent ça au heavy blues des seventies et nous gavent d’une heavyness de rêve. Même chose avec « Bird Without A Feather » qui ouvre la bal de la B. En vieillissant, Luther devient heavy en diable. Il va chercher l’axe de la mélasse. Les Allstars font aussi une version magnifique du vieux « You Got To Move » de Fred McDowell, jadis repris par les Stones. Back to the groovy blues du Mississippi avec « 61 Highway ». On réalise une fois encore que dans cette région, les gens sortent un son particulier, un son très raw, très mal embouché et Luther chante de plus en plus comme un noir. On retrouve ce son terriblement muddy dans « Long Haired Doney », c’est même joliment vasouillard. On a là le meilleur rock blues du Deep South. Leur « Miss Maybelle » vaut aussi le détour, car voilà du boogie blues à l’ancienne mode. Et leur « Stealing » sonne un peu comme le « Dead Flowers » des Stones. 

    kid congo,north mississippi allstars,david bowie,rockats,younghearts,temptress,bart weilburg,aleister crowley,rockambolesques

             Luther monte The Word et enregistre un fabuleux album d’instros intitulé The Word en 2001. Un bon conseil : si ce disque passe devant toi, saute-lui dessus. Ça sent bon le jive de Memphis dès « Joyful Sounds » qui ouvre la bal des débutants. Quelle fluidité dans le son ! Quelle aisance dans la partance ! Quelle science du temps et de l’infinitude du groove ! Il faut voir comme c’est nappé d’orgue. Avec « Call Him By His Name », on part au Sahara et une guitare entre dans le groove de la solitude infinie. La classe du lutin Luther ! On sent qu’il a eu un père. Il passe ensuite au gospel batch avec « Blood On That Rock ». C’est exceptionnel d’Americana. Chris Chew fouille avec la basse dans les racines de la vie. Quelle élégance ! Ça pue le génie des origines du son. Ils le touchent du doigt, pas de doute. De cut en cut, on voit que Luther et ses amis revisitent tous les cadres ambianciers de l’Americana. Sur « Without God », il sonne comme un cow-boy invincible et visionnaire, perché au sommet du Grand Canyon. Il s’amuse même à dépasser les bornes de la virtuosité. On assiste là à un spectacle extraordinaire. Oh ce n’est pas fini. Voici « Waiting On My Wings ». C’est un peu comme chez Paul Butterfield, il faut savoir donner du temps au temps pour voir éclore les prodiges. Les cuts de cet album sont très longs et incroyablement riches. Luther et ses amis attaquent des grooves, comme ce sont des surdoués, on imagine aisément le travail. Tout est joué rubis sur l’ongle. Encore un cut claqué à l’évidence : « At The Cross ». C’est tout simplement visité par la grâce. S’ensuit un « I’ll Fly Away » monté sur une bassline volante et emmené à la pure énergie de gospel. C’est hallucinant de vélocité et d’ailleurs, Luther en profite pour s’envoler. Ils jouent « I Shall Not Be Moved » à la mémoire de l’Americana des bivouacs. Ils cultivent vraiment la mémoire des racines. Luther semble se souvenir de l’ancien temps. Retour au blues d’harmo avec « Keep Your Lamp Trimmed And Burning ». Luther entre dans le matin du blues avec une ferveur barbare. Voilà une nouvelle preuve de l’existence d’un dieu du blues.

    kid congo,north mississippi allstars,david bowie,rockats,younghearts,temptress,bart weilburg,aleister crowley,rockambolesques

             À la mort de Jim Dickinson en 2009 paraît un album de Luther Dickinson & The Sons Of Mudboy intitulé Onward And Upward. On peut y lire un texte fabuleux de Jim Dickinson : « I refuse to celebrate death, my life has been a miracle of more than I ever expected or deserved, I have gone farther and done more than I had any right to expect. I leave behind a beautiful family and many beloved friends. Take reassurance in the glory of the moment and forever promise of tomorrow. Surely there is light beyond the darkness as there is dawn after the night. I will not be gone as long as the music lingers. I have gladly given my life to Memphis music and it has given me back a hundredfold. It has been my fortune to know truly great men and hear the music of the spheres. May we all meet again at the end of the trail. May God bless and keep you. World boogie is coming. » On retrouve sur cet album Luther Dickinson, bien sûr, mais aussi les Selvidge père et fils et Jimbo Mathus. Beaucoup de cuts vont à l’encontre de ce que prône Jim Dickinson, car ce sont des cuts lugubres et déprimants. On sent avec des choses comme « You’ve Got To Walk That Lonesome Highway » qu’ils essayent de développer un son, mais le pathos aplatit toute tentative d’envol. C’est donc un album profondément révérencieux. On reconnaît bien là le goût des Américains pour le pathos. C’est d’un ridicule qui ne fait hélas pas honneur à Jim Dickinson. Aux enterrements, les blackos font la fête, au moins ils s’amusent. Pas les blancs. Les blancs plombent tout. Il faut attendre « Glory Glory » le dernier cut de l’album, pour voir enfin le ciel se lever, car c’est un gospel country fantastique blasté à la slide sauvage - Burden down Lawd, burden down Lawd/ When I lay my burden down/ I’m goin’ to Jesus where I lay my buden down.

    kid congo,north mississippi allstars,david bowie,rockats,younghearts,temptress,bart weilburg,aleister crowley,rockambolesques

             Puis Luther monte le South Memphis String Band avec Jimbo Mathus et Alvin Youngblood Hart, deux rebelles recherchés par les Yankees. Ils enregistrent Home Sweet Home l’année de la mort de Dad qui déclare dans le petit texte de la pochette : « So pull up a chair and pour some gin in your glass. If you don’t dig this there is seriously something wrong with you. » Les trois rebelles attaquent « Jesse James » au vieux banjo des sous-bois. Ils tapent dans la pure Americana. Au dos de la pochette, on les voit tous les trois, avec des mines renfrognées - And he rode many an express train - Avec « Deep Blue Sea », ils dégagent une énergie considérable. On se régale aussi d’un « Things Is ‘Bout Coming My Way » joué au primitif élégiaque. Ils tapent ça à la fine slide des berges du Mississippi. Plus loin, ils prennent une version de « Bloody Bill Anderson » au banjo et ils basculent dans l’Africana de Southern Gothic, celle qu’on siffle dans les sous-bois. Puis ils passent directement au chain gang avec « Eighteen Hammers ». Ils sont tout de même un peu gonflés de reprendre ce chant que psalmodiaient des bagnards condamnés à casser des cailloux jusqu’à leur mort.

    kid congo,north mississippi allstars,david bowie,rockats,younghearts,temptress,bart weilburg,aleister crowley,rockambolesques

             Ils sortent un second album en 2012 : Old Times There. Au dos de la pochette, on peut voir leurs armes disposées sur une pièce de tissu frappée des lettres SMSB : deux fusils Hawkins croisés comme des tibias de flibuste, un Colt 45 et un couteau de chasse qu’on appelle dans la région le Bowie knife. Normalement, avec un tel attirail, un honnête homme doit pouvoir survivre dans les montagnes du Colorado. Ils tapent « Feather Bed », une merveilleuse pièce d’Americana, chantée à l’arrache du pauvre hère. On revient invariablement à la guerre contre les Nordistes, avec « Stonewall 1863 ». Les rednecks n’ont jamais pu avaler la défaite. Avec « Skillet Good And Greasy », on entre dans une cabane de Rebs. Ils jouent entre eux les vieux hymnes des mecs qui refusent de se rendre. Ils savent qu’ils vont crever, mais ils chantent - All the time/ All the time ! - On tombe plus loin sur « Sandy River Belle » et on a du mal à entrer dans ces complaintes, et pourtant, on sent un vieux fond d’inspiration. Ils reprennent le fabuleux « Wildwood Boys » des Dixie Flyers, encore une histoire de bruit et de fureur qui narre le terrible destin des jeunes Rebs entraînés dans le tourbillon fatal d’une guerre perdue d’avance.

    kid congo,north mississippi allstars,david bowie,rockats,younghearts,temptress,bart weilburg,aleister crowley,rockambolesques

             Luther enregistre aussi des albums solo, comme par exemple Hambone’s Meditations, paru en 2012. Il joue les sept morceaux de l’album à la guitare acoustique. On sent bien entendu chez lui l’amoureux transi des traditions anciennes, mais on bâille un peu aux corneilles, même si certains arpèges évoquent le doux parfum des fenaisons. Il se perd un peu dans la foison des notes et des cordes et voilà, on se retrouve avec un disque destiné à la revente.

    kid congo,north mississippi allstars,david bowie,rockats,younghearts,temptress,bart weilburg,aleister crowley,rockambolesques

             3 Skulls And The Truth est un bon disque. On le ramasse par conscience professionnelle. On y trouve « Have My Way With You », un beau heavy blues hardiment visité par les trois guitares entreprenantes de Luther, de David Hidalgo et de Mato Nanji. On retrouve le débraillé du son qui caractérise si bien le Memphis Beat. Avec « I’m A Fool », ils perpétuent bien l’esprit des compos atypiques dont se prévalait Dad. C’est bien, car ils chantent tous les trois à tour de rôle. Boogie blues de rêve avec « Known Round Here », toujours le gras du son. Trois guitares, ça finit par faire pas mal de potin. Assis sur son nuage, cigare au bec, Dad doit être assez fier de son fiston. Toujours du heavy de rêve avec « The Worldly And The Divine », avec un bel équilibre entre le gras du chant et le gras des guitares. Luther a tout pigé. Il a récupéré le génie du rentre dedans. On entend le scratch des solos sur les manches. Ça crachouille autant que ça mélodise. Le gras goutte aussi de « Still Looking ». Des grosses gouttes de gras du blues, a-t-on déjà vu chose pareille ? Encore une jolie machine atypique avec « The Truth Ain’t What It Seems ». C’est un remugle de boogie admirable. On peut leur faire confiance. Ces mecs ont le diable dans le corps, ça coule comme du bronze dans la gueule ouverte de Bob le bonheur. Il y a dans ce cut tout ce qu’il faut pour rendre un homme heureux. Encore une énormité explosée de son avec « Wake Up Alone », nouveau modèle d’anticipation. Même chose pour « National Comb ». Ils n’arrêtent jamais. Ce sera un disque incendiaire jusqu’au bout. Leur heavy blues est gluant de rêves humides et ça couine exagérément. La guitare jute dans son coin. C’est dégueulasse, car le solo pourri coule comme un jus de la bouche d’une charogne. Rien d’aussi baudelairien. 

    kid congo,north mississippi allstars,david bowie,rockats,younghearts,temptress,bart weilburg,aleister crowley,rockambolesques

             Son dernier album s’appelle Rock ‘N Roll Blues, une manière de boucler la boucle et de dire les choses. Dans la vie, il faut toujours dire les choses. Pour sa pochette, Luther a écrit un très beau texte. Il se dit hanté par le fantôme de Dad qu’il entrevoit dans une chambre de motel - Bob’s waiting for you, or be it Duane, Charlie or Dad - Deux filles l’accompagnent sur cet album : Amy LaVere à la stand-up et Sharde Thomas aux drums. Ils attaquent avec un très beau stomp. Luther raconte sa jeunesse punk - I grew up on punk rock - comme d’ailleurs beaucoup de jeunes Américains de sa génération. Puis il enchaîne avec une belle série de country-songs doucéreuses et diablement inspirées, de type « Blood n’ Guts », « Yard Man » ou encore « Goin’ Country », joliment insidieux. Il raconte qu’il ne peut pas chanter le blues parce qu’il est blanc, alors il se rend à Nashville pour virer country - White boys ain’t born to sing the blues/ I’m going country/ Goin’ to Nashville Tennessee - Mais Dad l’avait averti - Son you did the one thing I told you not to do/ Memphis boy never hang up his rock’n’roll shoes - Luther renoue ensuite avec le fife-and-drums sounds dans « Mojo Mojo » et là, on se dit qu’il faudrait peut-être enfin arrêter de les prendre pour des morpions. La B s’écoule paisiblement avec un morceau titre en hommage aux poor boys des plantations qui n’ont aucun droit - Down upon the old plantation/ A poor boy has no rights - et plus loin, Luther prend un solo étonnamment élégant dans « Some O’ Day ». Ah tiens, quelle belle leçon de maintien !

    kid congo,north mississippi allstars,david bowie,rockats,younghearts,temptress,bart weilburg,aleister crowley,rockambolesques

             Luther et Cody enregistrent Soul Food avec The Word, l’autre side-project. Dès « New World Order », on sent l’énormité d’un son et la cohésion d’un groupe de virtuoses inexorables. C’est un instro d’une rare densité. Luther joue comme un démon et Cody bat le beat du diable. Côté aisance matrimoniale, c’est assez spectaculaire. Avec « Come By Here », ils reviennent aux valeurs tribales avec de gros tambours. Autre retour aux racines avec « When I See The Blood ». Ils vont chercher le feeling du blues primitif et swinguent the gospel out, car Ruthie Foster vient faire sa Mavis. Ce disque est foisonnant comme pas deux. Attention à « Soul Food II ». C’est embarqué au groove de r’n’b et Luther y place un véritable killer solo. « Early In The Moanin’ Time » est conduit à la corne de brume par Luther. Derrière lui, ça swingue sous le boisseau. Ils enchaînent avec « Swamp Road », que Chris Chew mène au drive de basse et ça donne de la good time music d’obédience dickinsonienne. Les deux derniers cuts vont en fasciner plus d’un, à commencer par « Speaking In Tongues ». On sent l’équipe de surdoués et leur instro dégouline d’inspiration. Ils terminent avec « Glory Glory », un speed-gospel emmené par Amy Helm. Luther et Cody font exactement le même travail que celui que fait Mavis : ils remettent du jus dans le gospel. 

    Signé : Cazengler, North Mississippiteux

    North Mississippi Allstars. Shake Hands With Shorty. Tone-Cool Records 2000

    North Mississippi Allstars. 51 Phantom. Tone-Cool Records 2001

    The Word. The Word. Ropeadope Records 2001

    North Mississippi Allstars. Polaris. ATO Records 2003

    North Mississippi Allstars. Hill County Revue. ATO Records 2004

    North Mississippi Allstars. Electric Blue Watermelon. ATO Records 2006

    North Mississippi Allstars. Hernando. Songs Of The South Records 2008

    North Mississippi Allstars. Keys To The Kingdom. Songs Of The South Records 2011

    North Mississippi Allstars. World Boogie Is Coming. Songs Of The South Records 2013

    North Mississippi Allstars. Prayer For Peace. Songs Of The South Records 2017

    North Mississippi Allstars. Up And Rolling. New West Records 2019

    Luther Dickinson & The Sons Of Mudboy. Onward And Upward. Memphis International Records 2009

    South Memphis String Band. Home Sweet Home. Memphis International Records 2009

    South Memphis String Band. Old Times There. Memphis International Records 2012

    Luther Dickinson. Hambone’s Meditations. Sutro Park 2012

    Luther Dickinson. 3 Skulls And The Truth. Blues Bureau International 2012

    Luther Dickinson. Rock ‘n Roll Blues. New West Records 2014

    The Word. Soul Food. Vanguard 2015

     

     

    Wizards & True Stars - Bowistiti (Part Two)

     

    kid congo,north mississippi allstars,david bowie,rockats,younghearts,temptress,bart weilburg,aleister crowley,rockambolesques

             Avec Moonage Daydream, Brett Morgen ne se limite pas à raconter l’histoire extraordinaire de David Bowie. Il traite surtout du temps qui passe - et qui ne repasse pas, comme le disait si joliment Erik Satie - Moonage Daydream est la parfaite illustration d’un thème qui nous est cher, surtout quand on approche de la fin : la brièveté de la vie. De toute évidence, Bowie ne sert que de prétexte. Aux yeux de Morgen, Bowie est l’incarnation exacte de la fugacité. T’es là ? T’es plus là. T’es déjà mort. Même pas le temps de comprendre.

             Rien de tel qu’un festin d’images pour illustrer la fugacité. Céline et Joyce ont bien tenté de faire entrer leurs vies dans des gros livres - voilà amis lecteurs à quoi se résument nos vies, à ces gros livres dérisoires - des éditions de poche dont les tranches jaunissent avec le temps et qui renforcent ce sentiment de dérision totale, et c’est même tellement aigu qu’il est impossible de s’y replonger alors qu’à une autre époque, ce fut un délice que d’entrer dans Ulysse ou Voyage Au Bout De La Nuit. Avec Moonage Daydream, aucun risque de rejet, car tout est flashy, Bowie est flashy, sa musique flashe mille éclairs, mais en même temps, cette beauté est à l’image des roses, tragiquement éphémère. Moonage Daydream n’en démord pas : t’es beau, t’es pas beau, tu n’en as plus pour très longtemps. Ta vie n’aura été qu’une illusion : une misérable illusion si tu étais pauvre, une pâle illusion si tu étais riche.

    kid congo,north mississippi allstars,david bowie,rockats,younghearts,temptress,bart weilburg,aleister crowley,rockambolesques

             Morgen a même l’air de vouloir dire : plus t’es beau et plus t’es éphémère. Tu n’auras duré qu’un seul jour - You can be heroes/ Just for one day - Même dimension du flash éphémère chez Warhol qui voulait lui aussi que l’art et la beauté ne durent qu’un seul instant. Chez Morgen, elle dure deux heures, le temps du film. Un film pris en sandwich entre deux monologues de Bowie sur le même thème : la vie ? Oh et puis déjà la mort. Bowie dit comment il a su accepter l’idée de la mort - Tout à coup, l’apparence du sens est transcendée. Et on a du mal à comprendre. Un mystère profond et redoutable. I’m dying. You are dying. Second by second. Tout est fugace. Does it matter ? Est-ce que je m’en soucie ? Yes I do - Puis il ajoute un peu plus loin, alors que s’accélère le rythme des images de la beauté du monde : «Life is fantastic !». Et comme c’est David Bowie, il lance «Let’s keep walking», ce qui revient à dire qu’on peut encore marcher dans la mort, et c’est certainement ce qui se produit, car quand on ressuscite, le sentiment d’avoir avancé dans une lumière blanche est réel. Au temps de Ziggy, dans «Rock’n’Roll Suicide», Bowie jouait déjà avec l’idée de la mort - You’re wonderful/ Gimme your hands - Il savait que ça finirait mal, alors il préférait anticiper et suicider le personnage qu’il venait tout juste de créer : Ziggy Stardust. Drame national en Angleterre. Uniquement en Angleterre. Les autres n’ont rien compris.

    kid congo,north mississippi allstars,david bowie,rockats,younghearts,temptress,bart weilburg,aleister crowley,rockambolesques

             C’est là où Moonage Daydream télescope de plein fouet l’imposture créée par la presse rock, c’est-à-dire Bowie la pop star, l’icône glam. C’est dingue de réaliser à quel point les gens n’ont rien compris à l’époque. Aussitôt Hunky Dory, Bowie faisait de l’art, et non de la pop. Avec Hunky Dory, Bowie prenait la suite d’Oscar Wilde et des Préraphaélites, il prenait la suite d’Aleister Crowley et d’Aubrey Beardsley, la suite de Lord Byron et de Lewis Carroll, il débordait tellement du cadre dans lequel la presse et les médias l’enfermaient que tout le monde n’y a vu que du feu. La meilleure preuve de cette tragique méprise, ce sont les questions que posent les journalistes de télévision sur sa sexualité. Ils n’avaient pas compris à l’époque que l’art échappe à la sexualité. Bowie dit à un moment, comme pour se protéger de l’incurie des journalistes : «I’ve nothing much to offer. I’m an absolute beginner.» Il dit aussi vivre chaque seconde de ses heures sur la terre - I hate to waste days - Il veut tirer quelque-chose de chaque jour qui passe. Il ne raisonne jamais en termes de popularité ni de fortune - Je gagnais beaucoup d’argent. C’est ma vie qui est devenue vide - Alors l’art comme seule réponse, l’art comme seul sens, avec le sentiment aigu d’une fin de l’art - Il n’y a rien à quoi se raccrocher : youth, physical things, definitively not possessions - Comme d’autres en quête de sens, il s’en va vivre au Japon pour pratiquer le Bouddhisme Zen. 

    kid congo,north mississippi allstars,david bowie,rockats,younghearts,temptress,bart weilburg,aleister crowley,rockambolesques

             Moonage Daydream traite donc des deux thèmes en parallèle : la brièveté de la vie et l’art. Deux thèmes qui s’enlacent comme les deux serpents du caducée. La vie et la mort, l’art incarnant la vie. Bowie ne chante pas, il incarne l’art au cœur des seventies. Les kids se peignent des éclairs sur le visage. Il recrée le théâtre d’ombres sur scène, il utilise le Kakubi pour créer une nouvelle forme d’art moderne, encore plus gorgée de kitsch et de perfection graphique, Bowie disparaît au profit de Ziggy, c’est l’Immaculée Conception des temps modernes, les gens ne voient qu’une pop star, les gamines pleurent dans la rue, alors qu’il fallait au contraire s’extasier, Bowie dans son rôle de grand prêtre, aucune limite au flash de l’art - Press your space face close to mine love/ Freak out in a moonage daydream oh yeah - Young Dude, costard bleu d’eau, fard bleu d’eau, lèvres peintes en rose, art total pour une époque affamée de paillettes, Bowie transcende la moindre image et ajoute du son - All the young dudes/ Carry the news/ Boogaloo dudes/ Carry the news - Il saute du Young Dude au Thin White Duke, comme un auto-portrait sauterait d’un cadre à l’autre au mur d’un musée d’art moderne - Fedora blanc, cheveux jaunes - Il est à la fois Malcolm Lowry et Truman Capote, Luchino Visconti et Francis Scott Fitzgerald, il meurt à Venise et sous le volcan Popocatepetl - Soif d’images - I’m the space invader/ I’ll be a rock’n’rolling bitch for you - Bowie n’en finit plus de s’échapper de lui-même - my work isn’t me - il dit passer à côté de sa vie, en parfaite incarnation de l’éphémère. Il comprend que l’art meurt avec la vie. Quand tu meurs, l’art disparaît avec ta mémoire et ton regard. L’art reprendra vie dans la mémoire et le regard des autres. Brett Morgen réussit avec son film un tour de magie extraordinaire : il démontre que l’art est à l’image de la vie et qu’il ne reste rien après la mort - You’re wonderful/ Gimme your hands

    kid congo,north mississippi allstars,david bowie,rockats,younghearts,temptress,bart weilburg,aleister crowley,rockambolesques

             Bowie chante, mais il sculpte et il peint aussi. Il appelle ça des hobbies, pour répondre aux questions d’un âne de journaliste de télévision. Il indique aussi que son demi-frère Terry l’a initié à Kerouac et à Burroughs. De là un goût prononcé pour les misfits qu’on ne voit d’ailleurs pas, si, peut-être une seconde de Lou Reed, pour un instantané à la Warhol, la fameuse pelle avec les langues. Lou Reed, mort lui aussi. Dead flower. Souvenirs d’enfance ? Rien. Pas de tendresse. Père ? Mère ? Éphémères. Terry aussi, éphémère, asile de fous - Cause I’d rather stay here/ With all the madmen - et il t’explose l’asile de fous à coups de «Zane, Zane, Zane/ Ouvre le Chien». D’«All The Madmen» à l’«Aladin Sane», il n’y a qu’un pas - Battle cries and champagne just in time for sunrise/ Whoooooo’ll love Aladdin Sane - L’éclair sur le visage. Le piano d’Aladin comme une rivière de diamants, l’un des plus beaux chocs esthétiques de l’an de grâce 1973. Pop ? Non, art total, Scriabine, Scrialadin. Ce Lad Insane dit n’avoir qu’une seule religion : l’imagination. 

             Il part à la découverte du monde, un luxe que permet la fortune, mais il voit sa découverte comme une œuvre d’art - like an old fashioned Beatnick traveler - Il pense bien sûr à Brion Gysin, Burroughs et Paul Bowles, sans les nommer. Il part à la découverte de l’Amérique, amère déception - No myth land for me - il s’y sent mal, il se réfugie dans son monde intérieur, qu’il appelle the small universe - This is Major Tom to Grand Control - L’une de ses chansons parfaites, l’expression de la perdition, car oui, la vie est une perdition. Tu ne décides de rien, ni de ton arrivée sur terre, ni de ton départ, sauf si tu as le courage d’en finir - You walk past the café but you don’t eat/ When you’ve lived too long/ Oh no no no you’re a rock ‘n’ roll suicide - Les hasards de la vie décident pour toi, des rencontres, des accidents de la route, des plages ensoleillées, tu crois décider, mais au fond, tu sais bien que c’est absurde - Planet earth is blue/ And there’s nothing I can do - Bowie résume toute l’absurdité de la vie dans ce vers.

    kid congo,north mississippi allstars,david bowie,rockats,younghearts,temptress,bart weilburg,aleister crowley,rockambolesques

             Et l’amour dans tout ça, lui demande une femme qui, se croyant intelligente, développe des trésors de perspicacité. Bowie se montre charitable avec elle. Il répond : «Oui, mais à distance.» Il fait aimablement comprendre qu’il n’a pas le même genre de préoccupations que les autres. Comme il a besoin de se réinventer (en permanence), il va s’installer à Berlin et fait venir Eno pour l’aider à trouver une nouvelle voie. Il ambitionne de créer une nouvelle méthode d’écriture. Cette démarche est en soi une forme d’art pur, the action art, dirait un théoricien de l’art. L’art n’a plus besoin de se matérialiser, il est dans l’action. La fameuse trilogie berlinoise (Low, Heroes et Lodger) n’a absolument rien changé au rock, mais on y détecte une volonté de changement. Bowie et Eno trafiquent péniblement ce qu’ils appellent de l’emotive Soul. Belle tarte à la crème. Encore un prétexte. Tout le monde est tombé dans le panneau, à l’époque. Le panneau s’appelle «Heroes» - Though nothing will keep us together/ We could steal time/ Just for one day - Interesting music. Drop it ! Bowie jette l’art. Move on ! Il passe à l’action. Beaucoup plus intéressant. Jamais figé. Bowie dauphin. Il vient de tout comprendre : «Art is about searching. The search is the key.» Il en arrive aux mêmes conclusions que Dave Davies qui nous disait la semaine dernière que l’important n’est pas de tout vouloir apprendre, mais d’apprendre à apprendre. Action. Move on. Quand un chien va chercher la baballe, il fait de l’art. 

             La dernière obsession de cet immense artiste éphémère sera de vivre chaque seconde de chaque jour de sa vie - Every second - La vente au détail de l’éphémère. L’épicerie de l’éphémère. Que n’invente-t-on pas pour se distraire de ses obsessions ! Vers la fin du film, il évoque aussi le chaos, et le mot chaos résonne bien dans la voix - Kahosss - Chacun sait que le chaos, c’est la vie, on dit même «la source de la vie». Bowie sent comme tous les gens d’un certain âge qu’on est entrés avec le nouveau millénaire dans une nouvelle ère de chaos, alors il recommande d’adapter notre spiritualité à ce nouveau millénaire, mais sa voix ne porte pas. C’est un peu comme s’il entrait en contradiction avec tout ce qui précède. Que peut-on adapter quand on ne décide de rien ? Pour une fois qu’il veut prophétiser, il se vautre.   

    Signé : Cazengler, David Bouillie

    Brett Morgen. Moonage Daydream. DVD 2022

     

     

    L’avenir du rock - Go Rockats go !

     

             Si l’avenir du rock préfère les chats aux pingouins, c’est très certainement à cause de Charles Baudelaire. Chaque fois que l’occasion se présente, il ressort la fameuse strophe du chat, prenant bien soin d’en faire miauler les syllabes, le chat mystérieux qui se love, le chat séraphique dont le poil s’électrise, le chat étrange dont les griffes entrent dans tes cuisses quand il ronronne, oui, il a raison Baudelaire, tout en lui est, comme en un ange, aussi subtil qu’harmonieux. Notez-bien que Baudelaire aurait pu dire exactement la même chose du pingouin, et qui tout est, comme chez le chat, aussi subtil qu’harmonieux - il suffit de voir le blanc/orange/noir de sa parure trancher sur l’azur prométhéen - aussi mystérieux par le fait qu’on ne sait jamais s’il fait cui-cui ou coin-coin, aussi séraphique, par le moiré palpitant de ses orifices sensibles, aussi étrange que peut l’être le chat dans sa capacité à supporter les plus grands froids tout en restant digne. Dommage que Baudelaire ne soit pas allé admirer les petits pingouins du Cap au Jardin d’Acclimatation pour composer des vers, et les proposer ensuite au grand éditeur anglais Penguin. Anatole France a été plus malin que Baudelaire : il s’est jeté à l’eau avec L’Île Aux Pingouins. Bon, on n’est pas là pour pérorer sur les pingouins. Revenons à nos moutons, avec une hypothèse farfelue : admettons que Baudelaire soit un poète contemporain, comme l’est Michel Houellebecq. Il n’aurait jamais consacré un poème au chat, devenu beaucoup trop ringard. Non, Baudelaire porterait des tatouages et il consacrerait un poème aux chats modernes, c’est-à-dire les Rockats : «Dans ma cervelle se promènent/ Ainsi qu’en leur appartement/ De fort beaux Rockats wild et charmants/ Quand Dibbs miaule, on n’entend plus que lui/ Tant son timbre est raw and sharp/ Mais que sa voix s’apaise ou gronde/ Elle est toujours riche et profonde/ C’est là son charme discret de la boue choisie.» Et en conclusion, Baudelaire ramènerait sa vieille botte de Nevers : «Non, il n’est pas de stand-up qui morde/ Sur mes reins, parfaite chaloupe/ Et fasse plus royalement/ Chanter sa plus vibrante corde/ Que ta voix, Rockat mystérieux/ Rockat séraphique, Rockat étrange/ En qui tout est, comme en un rêve de bop/ Aussi sauvage que wild as fuck !

     

    kid congo,north mississippi allstars,david bowie,rockats,younghearts,temptress,bart weilburg,aleister crowley,rockambolesques

             C’est grâce à Simon Noot, dans Vive Le Rock, que tu apprends la bonne nouvelle : les Rockats font leur grand retour cette année avec Start Over Again. Non seulement tu apprends la bonne nouvelle, mais tu tombes sur une double de rêve : tu vois Smutty Smiff prier plein pot sur toute la double. Il porte une chemise à jabot et ses mains sont tatouées. Là, tu entres sur le territoire des dieux, chez les wild cats.

    kid congo,north mississippi allstars,david bowie,rockats,younghearts,temptress,bart weilburg,aleister crowley,rockambolesques

             Les Rockats nous dit Noot furent les pionniers du revival rockab des années 80 en Angleterre. Smutty Smiff est à gauche, sur l’illusse. Pour leur première tournée américaine, en 1978, les Rockats qui s’appellent encore Levi & the Rockats ouvrent pour les Cramps au Max’s Kansas City. En Angleterre, les Rockats s’acoquinent avec les punks et jamment avec toute la bande des Joe Strummer et des Billy Idol. Smutty a la chance de voir Charlie Feathers et Mac Curtis sur scène au Royalty. C’est aussi l’époque où Leee Black Childers vit à Londres avec les Heartbreakers. Comme chacun sait, Childers est un gros fan de London rockabs. Il monte Levi & the Rockats et demande à Smutty quel instrument il veut jouer, et pouf, stand-up. C’est Billy Rath qui lui apprend à jouer de la basse. En 1978, Smutty est déjà couvert de tatouages. Il explique qu’il a grandi à Southend On Sea, dans l’Essex, et son grand-père, vétéran de la Royal Navy, était couvert de tatouages. Et tous les Teds du coin étaient tatoués. Alors, Smutty s’y est mis dès 15 ans. Quand Leee Black Childers rentre aux États-Unis, les Rockats le suivent. Childers a tous les contacts à New York et à Los Angeles. Smutty rencontre les Stray Cats à Long Island et leur dit qu’ils feraient un carton en Angleterre, ce qu’ils ne vont pas manquer de faire.

             Smutty pense que le rockab tient bien le choc : «Rockabilly will always attract a young audience. It’s feel-good music that makes you want to move.» Puis il rend un hommage fantastique à Carl Perkins : «The Rockats most rockabilly prestigious show was probably with Carl Perkins, who we opened for at a venue called the Lone Star Café in Lower Manhattan around early 1980.» Et il ajoute, haletant : «He was to us true rackabilly royalty.» Et comme Carl est un mec bien, il dédicace une photo pour Smutty en écrivant : «Keep slappin’ that bass!».

    kid congo,north mississippi allstars,david bowie,rockats,younghearts,temptress,bart weilburg,aleister crowley,rockambolesques

             Start Over Again starte avec une belle cover de «Nervous Breakdown», sacrément bien tapée au I’m ahh-having ahh, c’est prodigieux, fantastiquement tenu en laisse, avec un joli background de boppin’ beat, et petite cerise sur le gâtö, Clem Burke bat le beurre. Dibbs Preston est toujours aussi à l’aise au chant, il a derrière lui une fière équipe. Sur «This Is The Night», ça boppe bien le blues, comme dirait Carl Perkins. Le balda est assez rock’n’roll, même si l’on entend du gros foutoir derrière, ils tapent le «You’re My Baby» de Johnny Cash au you’re my sugar. Ils ramènent une belle pulsation rockab dans «Rock Baby Rock (All Night Long)», on sent bien le slap au creux des reins, une vraie pulsion de vie, un beat unique d’all nite long. Mais attention, la viande est en B. Ils tapent leur morceau titre au heavy blues. C’est un album plein de son dont on ne se lasse pas, et boom !, voilà le heavy rockab down the pike tant attendu : «Lucky Old Rockabilly (Walking Down The Pike)». Heavily balancé, chanté dans la force de l’âge, Dibbs a toujours ce beau brin de jeunesse éternelle dans la voix. Pire encore : voilà «Rock Around With Ollie Vee» ! Les voilà partis sur les traces de Buddy Holly au wild as fuck, tu as Smutty Smiff qui t’explose ça au slap ! Encore encore un joli shoot de wild cat strut avec «Rockabilly Doll», ils y vont au cool cat cool et au c’mon be my rockabilly girl. Pur jus d’excellence. Ils terminent avec un «Tanya Jean» affreusement bien chanté. Ce mec Dibbs est un bon, il chante goulûment, avec des accents hédonistes.

             Profitons-en pour ressortir quelques vieilles reliques de l’étagère.         

    kid congo,north mississippi allstars,david bowie,rockats,younghearts,temptress,bart weilburg,aleister crowley,rockambolesques

             En 1981, année de l’élection de François Mitterrand, paraît un album de Levi & The Rockats enregistré live At The Louisiana Hayride, là où Elvis fit ses débuts sur scène. Alors autant le dire tout de suite, Levi c’est pas Elvis. Ils démarrent avec «Rock-A-Billy Idol», un big fat rockab de superbe allure. Ah on peut dire qu’ils ont de l’énergie à revendre, mais au fil des cuts, on s’aperçoit qu’ils sont trop rock’n’roll. Ils font une belle cover d’Eddie Cochran, «Tired & Sleepy» - Oh baby so tired - et passent au heavy lonesome avec «Lonesome Saturday Night». Globalement, c’est bien vu, bien amené au come back baby. Levi sait groover son bop. En B, ils tapent un classic jive de «Crazy Baby» et enchaînent avec un «Love This Kat» bien rampant - Don’t treat me like a dog - Ah il est pas si mal, le petit Levi. Ils terminent en pure rockab madness avec «Note From The South». Ils sont merveilleusement dévoués à la cause du peuple, yeah baby !  

    kid congo,north mississippi allstars,david bowie,rockats,younghearts,temptress,bart weilburg,aleister crowley,rockambolesques

             Le Live At The Ritz des Rockats n’ira pas sur l’île déserte. Inutile d’insister. L’album est beaucoup trop rock’n’roll. Ils sont beaucoup trop classiques, trop «My Way», trop groove de Ritz au lait. Pourtant, ils y croient dur comme fer. Il faut attendre «50 Miles From Nowhere (A 1000 Miles From Home» en B pour renouer avec le wild as fuck, ils jouent ça ventre à terre. On trouve enfin une belle pulsion rockab dans «(Knockin’) At My Front Door». Big boppin’ ! Ils ne s’éloignent pas trop du rivage, mais ça pulse bien entre tes reins. Le vrai wild cat strut se trouve en bout de la B des cochons : «I Wanna Bop». Ils démontent la gueule du tempo pour mieux le chalouper des hanches. Joli shoot de wanna bop.         

    kid congo,north mississippi allstars,david bowie,rockats,younghearts,temptress,bart weilburg,aleister crowley,rockambolesques

             Le Make That Move paru en 1983 n’est pas un très bon album, dommage, car la pochette est superbe. On est échaudé dès le «Burning» d’ouverture de bal. What’s that ? Certainement pas du rockab. Ils font une espèce de sale petite pop-rock. Méchante arnaque ! L’album s’enfonce tout seul dans le malaise. Ils vont même aller singer les Stray Cats avec «Go Cat Wild», mais ils n’ont absolument aucune crédibilité. Ils font des petits oh oh oh de super cons, ils deviennent awfully ridiculous avec «Never So Clever», on se croirait au bazar d’Istambul. On ne sauve qu’un seul cut sur cet album : le morceau titre, bien lancé à travers la plaine au big bad bop, c’est même claqué des mains sous le boisseau, quel dommage de tout l’album ne soit pas de ce niveau !         

    kid congo,north mississippi allstars,david bowie,rockats,younghearts,temptress,bart weilburg,aleister crowley,rockambolesques

            Après un blanc de douze ans, les Rockats refont surface avec l’excellent The Good The Bad The Rocking. C’est un pur album de wild cats, bing bong, ils te sonnent les cloches dès «Doghouse» - Hey the doghouse made of stone/ Hey the doghouse that’s my home - c’est du wild boppin’ craze, gorgé de congestion rockab et d’eeeehhh the doghouse ! Pas de problème, tout l’album va rester au même niveau, ils enquillent les wild struttings un par un, «Pink & Black Cadillac», aw comme ils sont bons, il travaillent bien leur wild as fuck, ils sont une bénédiction pour l’humanité. On a toujours le couple infernal Stephen Dibbs Preston et le wild slinger Barry Ryan qui te claque un solo de revienzy dans «Say You’re Mine». Belle énormité encore que ce «Rolling Like A Wheel», en s’en pourlèche les babines, tellement c’est inspiré, ils tapent ça au sommet du lard, ‘cause baby I’m rolling. Retour au cœur du mythe avec «Love You Anyway», ils sont en plein dans l’oss de l’ass du rockab, ils te pulvérisent vite un cut, ces cats ! Et Barry Ryan envoie une fabuleuse giclée de bouillasse en plein dans l’œil du love you anyway. Ils restent dans l’énormité avec «Off You Rocker», cut plein d’esprit et plein d’oh yeah. Aw comme ce Dibbs est bon, il rebondit sur les coups de boutoir du stand-up. Avec «Too Bad She’s Bad», ils te groovent le rockab par la bande et ils terminent au pur drive avec «She Ain’t My Gal», ils foncent droit dans le mur, c’est chanté au lard de cat et derrière ça pulse dans la purée. Alors là, oui ! Mille fois oui ! 

    kid congo,north mississippi allstars,david bowie,rockats,younghearts,temptress,bart weilburg,aleister crowley,rockambolesques

             Rollin’ Thunder est un album qui porte bien son nom : bienvenue au paradis avec une vraie rafale de wild cuts. Rockab pur dès «True Hearted Woman». Encore du wild as fuck avec «Sweet Lips», tu crois rêver, Dibbs y va au yes I know. On croise pas mal de coups de génie sur cet album, à commencer par cette version demented de «Lonesome Train» et ça fait le train au beurre. Magnifique ! Version magique aussi de «Matchbox», le vieux classique du grand Carl, c’est le sommet du lard, rien de plus sauvagement sourd que ce Matchbox, ils le jouent à la black. Ils tapent aussi une cover du «Rocky Road Blues» de Gene qu’on va dédier à Damie Chad. C’est d’une violence incroyablement maîtrisée. Les Rockats sont vraiment bénis des dieux. Ils jouent le morceau titre sous le boisseau, big shoot d’insidieux, passé au slap de génie. Les Rockats combinent toutes les bonnes combines : le boisseau, le slap, le génie prévalent et le pulsatif. Ils font aussi une cover de l’«I’m Cryin’» des Animals et rendent hommage à Johnny Burnette avec «Rockabilly Boogie». Version live, encore une belle énormité, ils sont au cœur du rock/rock/rock/rockabilly boogie ! Ils terminent avec une vaillante version de «Driving Wheel», pur rockab strut, ils y vont, fiers comme des conquérants, ces mecs jouent à la vie à la mort. Rockats forever !

    kid congo,north mississippi allstars,david bowie,rockats,younghearts,temptress,bart weilburg,aleister crowley,rockambolesques

             Encore un big album avec Wild Love qui date de 2003. Le coup de génie de l’album s’appelle «Dyn-o-mite». Boom !, comme son nom l’indique. C’est même violemment bon, bien groové sous le boisseau du bop d’argent, c’est trié sur le volet du rockab, une vraie dentelle de Calais, c’est fabuleux de my baby treats me right. L’autre coup de génie s’appelle «Whiskey Boys». Tu n’en finis plus avec ces princes de la nuit, ils te drivent ça avec tout le raunch du monde et Barry Ryan agit dans l’ombre. Ce cut est une merveille littérale, là tu bouges son cul, tu frétilles comme un canard et Barry Ryan te passe un solo d’effarance maximaliste. Ils te claquent si bien le beignet que tu tends l’autre joue. Tu es là pour ça, de toute façon. Ils font aussi une magnifique cover de «Be-Bop A Lula», avec un don’t need a maybe d’antho à Toto. On peut aller jusqu’à dire que c’est la meilleure des versions, après la version originale, bien sûr. Dibbs a tous les réflexes de Gene. On se régale aussi du «Long Gone Daddy» embarqué au see that train. Fantastique ! - See that train rollin’ down the trail - Encore de la bonne viande avec «Time Goes By», wild rockab d’ouverture de bal, suivi d’un «Cold Outside» encore plus wild, bien slappé dans les flancs, tu peux y aller, les Rockats te rockent bien le butt, ils sont purs et fins. Ils passent en mode boppin’ the blues avec «Trouble Maker», ces mecs sont des cakes, ils ne vivent que pour le bop. Avec «Blue Teardrops», ils sont encore dans l’extrêmement vrai. Ils crapahutent au cul du cut. Et ils terminent cet album haut en couleurs avec l’«I Just Found Out» de Johnny Burnette.   

    Signé : Cazengler, cat du Graal

    Levi & The Rockats. At The Louisiana Hayride. Posh Boy 1981 

    Rockats. Live At The Ritz. Island Records 1981         

    Rockats. Make That Move. RCA 1983                                

    Rockats. The Good The Bad The Rocking. Fury Records 1995    

    Rockats. Rollin’ Thunder. Downer Records 2001  

    Rockats. Wild Love. Blues Leaf 2003     

    The Rockats. Start Over Again. Cleopatra 2022

    Simon Nott : Sticking to the bass-ics. Vive Le Rock # 96 - 2022

     

     

    Inside the goldmine - Younghearts of stone

     

             «À cœur vaillant rien d’impossible», scandait jadis Jacques Cœur. Pour faire écho à cette antique devise, notre malheureux compère Rico aurait pu scander «À cœur fragile rien de possible». Cœur fragile, mais batteur de tous les diables, il ne laissait aucun beat se perdre. Comme s’il voulait substituer un wild heartbeat au sien, défaillant. Il battait tout ce qu’il pouvait, s’épuisant physiquement, histoire d’alourdir un peu plus l’épée de Damoclès installée au-dessus de sa tête depuis qu’il était né. Pas facile d’échapper à son destin. Rico avait pris le courageux parti d’aller à sa rencontre et même de l’affronter. Affronter son destin, c’est ce que font les gens déterminés à ne pas traîner en longueur. Plus il battait le beurre, plus son visage se creusait. Peut-être ne s’en rendait-il pas compte, mais il finissait par nous faire peur. Vous avez déjà joué dans un groupe avec un cadavre ? Grâce à Rico, nous avions le sentiment d’avoir deux longueurs d’avance sur les Cramps. Sa peau devenait verdâtre à mesure qu’on avançait dans le set. Ses cheveux collés par la sueur étaient ceux d’une momie de pharaon égyptien. Comme il n’avait plus dents, un filet de salive coulait au coin de ses lèvres gercées. Il nous regardait à travers deux fentes. Alors qu’il avait les yeux clairs, une sorte de regard noir brillait au fond des fentes et nous n’osions plus le dévisager. Il était déjà mort lorsqu’on enregistra le premier album. Il l’était doublement au moment des répétitions des cuts prévus pour le deuxième album, des cuts qu’il composait dans sa tête de mort et qu’on montait ensemble tous les trois en répète. Chaque fois, il partait d’une idée de riff qu’il exhalait de sa bouche entrouverte avec un nuage de vapeur et nous donnait des instructions très précises sur la structure, tatata, sur le break, tatata ratata, le couplet suivant, la reprise et le pont, tatatata tu repars là, ratata, il battait le beat les yeux clos et on voyait son pauvre corps décharné penché sur des fûts qu’il installait le plus bas possible. Son génie macabre nous fascinait et nous ne perdions pas une seule miette de ses indications. Et puis un jour, nous l’attendîmes au studio. En vain, pendant trois heures. Il n’est jamais venu. Alors nous avons débranché les guitares et sommes rentrés chez nous sans mot dire. Car enfin, que pouvait-on ajouter ?

     

    kid congo,north mississippi allstars,david bowie,rockats,younghearts,temptress,bart weilburg,aleister crowley,rockambolesques

             Ni cœurs vaillants, ni cœurs fragiles, mais cœurs jeunes, voilà les fabuleux Younghearts de Los Angeles, découverts sur l’une de ces compiles Soul qui te marquent la mémoire au fer rouge, That Driving Beat - A Collection Of Rare Soul Recordings, parue sur Soul Supply en 1986.

    kid congo,north mississippi allstars,david bowie,rockats,younghearts,temptress,bart weilburg,aleister crowley,rockambolesques

             Un premier album sorti sur Minit en 1968 vaut sacrément le détour. Il s’appelle Sweet Soul Shakin’. Ils sont quatre lead singers, et c’est Charles Ingersoll qui emmène le morceau tire au paradis, accompagné par les guitares des Caraïbes, c’est une Soul fine et grouillante de vie, de groove et de good time, c’est tellement joué aux Caraïbes que ça bascule dans le génie. Charles Ingersoll revient en B swinguer «Oh I’ll Never Be The Same» à la pointe de la glotte. Ron Preyer chante aussi «The Beginnig Of The End» à la voix d’ange et on entend Carol Kaye monter «Get Yourself Together» sur un beau drive de basse. Nouveau coup de génie en fin de balda avec «Little Togetherness» attaqué au groove d’ange de lumière. L’ange Gabriel swingue la hot house, c’est digne de Marvin, insidieux, ça se glisse sous ta peau. On s’éprend aussi de «Misty» en B, car voilà un doo-wop digne des Flamingos, just perfecrt, posé dans un fondu d’harmonies vocales triées sur le volet. «Count Down (Here I Come)» est plus raw, c’est Earl Carter qui chante et le raw renvoie directement à Jr Walker. Wow, quel album !

    kid congo,north mississippi allstars,david bowie,rockats,younghearts,temptress,bart weilburg,aleister crowley,rockambolesques

             Paru en 1973, Do You Have The Time est beaucoup moins percutant que l’album précédent. Ils attaquent leur morceau titre en mode funk californien, à l’image de la photo des trois Younghearts qui orne la pochette. Ils visent une sorte de paradis du groove, les nappes de violons sont celles de Marvin. Ils tapent aussi pas mal dans le groove de satin jaune, très chanté et très super-frotteur. «All The Love In The World» vaut pour une belle Soul des jours heureux, c’est monté en neige de Californie, c’est-à-dire noyé de lumière, avec une voix d’ange Gabriel charriée par les flots de lumière. Ils font de la Philly Soul californienne. L’autre merveille de l’album s’appelle «Don’t Crush My World», en ouverture de bal de B, une Soul allumée aux chœurs de gospel batch. Et puis on trouve un arrière-goût de Four Tops dans «Look What Your Love Has Done For Me». On les sent vraiment décidés à en découdre. L’album se termine avec «Do You Have Time», un groove de jazz de classe surnaturelle chanté à la gorge chaude.

    kid congo,north mississippi allstars,david bowie,rockats,younghearts,temptress,bart weilburg,aleister crowley,rockambolesques

             Fantastique album que l’A Taste Of… paru en 1974. La pochette n’est pas très expressive, mais sur les neuf cuts de l’album, six sont bons, ce qui est quand même assez rare. C’est Ron Preyer qui fait la pluie et le beau temps sur cet album Tasty et ce dès «For The Rest Of My Life». Il fait l’ange Gabriel au ouh ouh baby. S’ensuivent deux hits somptueux, «We’re All God’s Children» - groove de satin jaune produit à outrance - et «You’re No Here With Me», groove digne de Marvin, violonné jusqu’à l’horizon. H.P. Barnum signe les arrangements. Si tu aimes l’élégance du groove, écoute les Younghearts - There’s nothing I can do - Trois autres merveilles en B : «Dedicate (My Life To You)», un heavy froti de sable chaud, Ron Preyer chante l’amour au sommet de sa glotte translucide et devient magique à force d’aw baby. Soudain, il explose et disparaît dans l’espace. S’ensuit un morceau titre en forme d’instro de good time music avec les violons de Barnum et ils finissent en heavy funk avec «Get On Down». Leur funk est délicieusement carré, pulsé, cisaillé à la fast cocote de wah sèche, get on down down down/ Do you feel it ?

    kid congo,north mississippi allstars,david bowie,rockats,younghearts,temptress,bart weilburg,aleister crowley,rockambolesques

             Leur dernier album s’appelle All About Love et paraît en 1977. Il n’est pas aussi bon que le précédent et cette fois, la pochette flirte avec la putasserie des années 80. C’est essentiellement un album de Soul de satin jaune. Ron Preyer fait encore des miracles avec «Queen Of My Heart». Il n’a rien perdu de sa magie vocale et cette Soul de Los Angeles n’a rien à envier à la Philly Soul. Ils s’énervent un peu plus en B avec «Number One Attraction», un uptempo chanté à quatre épingles sur un plateau d’argent. Ron Preyer éclaire le monde. Cut après cut, ils restent dans l’upper Q, c’est-à-dire le top Quality system. «Didn’t I Give You Love» est encore une fast Soul gorgée d’échos de voix et qui flirte dangereusement avec les Tempts.

    Signé : Cazengler, Oldheart

    Younghearts. Sweet Soul Shakin’. Minit 1968

    Younghearts. Do You Have The Time. 20th Century Records 1973

    Younghearts. A Taste Of… 20th Century Records 1974

    Younghearts. All About Love. ABC Records 1977

     

    *

    En anglais le nom de ce groupe TEMPTRESS signifie Tentatricce, mais une fois que vous l’aurez écouté ne céderez-vous pas à la tentation de le traduire par Tempête… A vous de décider.

    TEMPTRESS

    ( K7 /  Old Magick Records / Juin 2019 )

    Un trio originaire de Dallas qui s’est fait remarquer dès la parution de leur premier EP.

    kid congo,north mississippi allstars,david bowie,rockats,younghearts,temptress,bart weilburg,aleister crowley,rockambolesques

    Andi Cuba : drums , vocals / Christian Wright : bass, vocals / Kelsey Wilson : guitar, vocals.

    Ride your life : un sentier de basse et tout de suite le grand galop, vous voici empêtré dans un sonore manteau noir, la voix d’Andi d’une dureté inflexible vous appelle, elle s’offre, elle ne dit pas que sa chair est une bombe sexuelle mais vous comprenez que sa voix ne ment pas que la fente de son désir est l’abîme de la mort. Ride your lidfe ou ride your death s’équivalent, une guitare folle qui vous emmène jusqu’au bout de la nuit propitiatoire, une batterie sèche comme le désert et une basse pubienne qui vous pousse dans vos dernières pulsions. Sur YT une vidéo, petits moyens et grosse impression, un truc qui ne fait pas peur mais aussi gluant que les phantasmes qui vous agitent. Qui vous agissent. Hot rails : de toutes les vidéos c’est la plus belle, la plus accomplie :  le son tremble, dites-vous que le morceau précédent comparé à celui-ci est une ode printanière à la joie de vivre, celui-ci c’est la chappe de plomb liquide bouillonnant de l’apocalypse de la folie qui ruisselle sur vous en pluie diluvienne, une batterie osseuse, un vocal meurtrier, une basse qui pousse les murs, une guitare qui bulldozérise la réalité. Heavy woman : Pour les amateurs, sur YT une vidéo néronienne vous attend : Une entrée classique, heavy-doom-stoner, dès qu’Andy  brandit son vocal impérieux comme un coup de fourche qui  vous traverse le corps charnel et astral, vous comprenez que l’écoute ne va pas être facile, cette batterie qui crépite et rebondit tel un assaut militaire, cette basse qui annihile le monde et cette guitare qui brûle les ruines qui subsistent, vous avez l’impression que la géante de Baudelaire s’est échappée des Fleurs du Mal, qu’elle se rue sur vous, et qu’elle est beaucoup plus cruelle et vindicative que le poëte ne la pressentait.

    Consolation des d’oreilles rachitiques : cet EP ne contient que trois titres.  L’opus suivant en offre six. Qui s’en plaindrait ? Pas nous.

     

    SEE

    (Metal Assalt Records / Mars 2023 )

    Méditez sur le titre de l’album. Nul besoin d’aguicher le passant. Il suffit de regarder ou d’écouter pour comprendre.

    kid congo,north mississippi allstars,david bowie,rockats,younghearts,temptress,bart weilburg,aleister crowley,rockambolesques

    Death comes around : des notes de basse aussi lourdes que des cercueils, un brouhaha de bruits confus, le monde s’éloigne de vous, une guitare lente qui déplacerait les pierres tombales, une batterie implacable, et une voix d’homme noyée en elle-même, l’extinction définitive se rapproche, la mort rôde aux alentours, elle n’est pas pressée, elle prend son temps, une procession funéraire se dirige vers vous, elle vient vous chercher, des trombes de guitare  ne se hâtent point, elles vous entourent, elles vous cernent, c’est la mort qui berce votre cercueil, des ombres noires se regroupent en silence autour de vous, la guitare pousse des cris d’agonie, elle expectore des gémissements encombrés de glaires visqueuses, la basse joue au métronome, bientôt il s’arrêtera. Into my soul : la suite, l’instant crucial, celui où l’image se confond avec son reflet, l’on a passé la barrière du souffle, la mort pousse les portes de l’âme, elle a encore des couloirs désespérément désertés à parcourir, le tempo est encore lent mais les cordes accélèrent, vous ne savez plus si vous êtes Andy qui chante ou si c’est Andy qui s’éteint, long tunnel électrique, la batterie s’alourdit, vous êtes ce que vous n’êtes pas et vous n’êtes pas ce que vous êtes, la musique sombre, elle s’engloutit en elle-même, cris de cadavres désespérés, vous n’êtes plus qu’une exhalaison mortelle de terreur, la guitare perçante fredonne votre requiem, la basse visse les vis de votre cercueil, un gong final et répétitif raisonne sans fin dans les atermoiements du néant. Waiting : éclats battériaux victorieux, monumentales fronces de guitare, le chant n’est plus qu’un dialogue hurlé, lyrics terriblement ambigus, éros et thanathos n’ont jamais été aussi emmêlés, les murs d’airains de la musique s’écroulent et s’exhaussent tour à tour, sont-ce deux naufragés de la vie ou de la mort qui se débattent pour parvenir à entrevoir leur véritable état, le rythme est lent mais d’une telle violence que plus rien n’importe, des coups brutaux retentissent, qu’annoncent-ils. La fin de quoi. Cry : moins funèbre que cette basse vous êtes déjà mort, la voix d’Andy glaciale vous le souhaite, rien n’est terminé, toujours la même douleur, sans cesse la même torture, rien ne change, ce qui est terminé peut recommencer il suffit de refaire les concessions que l’on a déjà vécues, la mort et l’amour sont un cercle infernal qui ne s’éteint jamais, une brûlure infinie. L’instrumentation atteint à un paroxysme rarement entendu. Serpentine : explicit vidéo sur YT : longue introduction, absence drummique, le désir sait se faire attendre, mélodie lascive, mèche à combustion lente, maintenant seule une basse angoissante, la guitare arrive tout en puissance, la tête du serpent se dresse, quel est le monstre, n’est-il pas mâle et femelle en même temps, ne faut-il pas que chacun joue son rôle, la mort est toute proche, le serpent au ventre étincelant, il dodeline sur un riff oriental bientôt atteint de transe, la voix oppressée devient suppliante, ogives gothiques de voix féminines maintes fois répétées. La mort sulfureuse tout en douceur. Homeless : vidéo médiévale en frontispice de Bandcamp : attention une guitare anonyme en début, c’est juste le premier cercle d’une spirale aspirante, un serpent de feu qui vous emporte en son tourbillon sonore, sans espoir, vous avez cru quoi, que vous assistiez à un film érotique, désir, soumission, jalousies, masochismes, propositions extrêmes, sadisme mental, prostitution, pornographie… là n’est pas le vrai message, juste des enjoliveurs rutilants pour le corbillard qui vous emmènera au cimetière, la mort est au bout de votre chemin, vous aurez beau dire, beau faire, résister, vous venger, elle vous attend. Ode au nihilisme. Magnifique.

             Noir de chez noir. Parcouru des flammes rouges de la luxure. Des lyrics qui parfois ne sont pas loin d’égaler ceux de Jim Morrison. Laissez-vous tenter par Temptress. Vous ne pouvez y perdre que votre âme. Ce ne sera pas une grande perte.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKABILLY RULES ! ( 12 )

    N’oubliez jamais que toutes les règles sont faites pour être contournées, dépassées, chamboulées, piétinées, car l’important avant tout c’est d’avoir un cœur fidèle et rebelle !

    *

    Bart Weilburg né en 1962 a passé sa vie à jouer dans les bars, à Nashville, dans le Maine et en Oklahoma. Durant sept ans il a accompagné Wayne Hancock chanteur de country surnommé ‘’ The Train’’ pour ses concerts fleuve qui dépassaient facilement les quatre heures… après l’arrêt des tournées durant le covid il a décidé de travailler pour son compte. Il a sorti en mars 2022 un premier EP (six titres) Birdy’s Blues, il explique qu’il a enregistré pour les personnes qui après les concerts de Wayne Hancock venaient l’interroger sur les instrumentaux qu’il jouait durant le set. Un disque dédié aux amateurs en quelque sorte. Un an plus tard il récidive avec un album, instrumental bien sûr, que nous allons  écouter. Musicien accompli jouant de plusieurs instruments, passionné de country, de rock ‘n’ roll, de rockabilly, de western swing… il se présente comme un ‘’ retro vitalist bringing the old sound to the present day’’. Le profil idéal pour illustrer notre rubrique.

    WILD STRINGS

    BART WEILBURG

    (Album Numérique / Bandcamp / Mars 2023 )

    Bart Weilburg : guitar / Bobby Black : pedal steel guitar / June Core : drums / Christoffer ‘’ Kit’’ Anderson : electric guitar, electric bass, upright bass, Keyboards / Jim Pugh : organ.

    kid congo,north mississippi allstars,david bowie,rockats,younghearts,temptress,bart weilburg,aleister crowley,rockambolesques

    Wild strings :   seul morceau de l’opus qui n’ait pas été composé par Bart Weilburg mais par  Big Jim DeNoon ( 1921 – 1978 ) multi-instrumentiste surnommé le géant du western swing qui connut son heure gloire dans les années cinquante, Django Reinhardt s’en est inspiré… : Qu’est-ce qui différencie la version de Weilburg, l’accompagnement rythmique un peu trop jazz à notre goût qui nous rend le son plus moderne, plus sixties, plus écoutable pour nos oreilles formatées, mais qui délaie quelque peu la virtuosité de l’original en nous obligeant à entendre autre chose que la guitare. Il donne son titre à l’album mais perso je l’aurais placé en dernière position, hommagiale pour sûr ! Strike it rich : nettement plus country, un régal cette guitare qui survole tout en laissant les autres s’exprimer, notamment la pedal steel qui vous embobine la cervelle, comparativement au premier morceau la rythmique de fond se fond agréablement avec l’ensemble (très beau travail de basse ), ici tout baigne dans l’huile, l’ensemble est d’une extraordinaire fluidité. Springtime in Oklahoma : intro nettement plus rockabilly, la guitare de Bart  faisant office de vocal, la basse envoie ses scuds, l’on glisse lentement vers quelque chose d’assez jazzy, à chacun son solo, une guitare glougloute d’une façon étonnante puis laisse la place à la batterie et l’on termine par des sonorités rockabillyiennes de bon aloi. Une conviction s’impose, ce n’est pas un guitar hero qui tire toute la couverture à lui mais un véritable groupe soudé comme un seul homme. Suzane Marie : attention la piste la plus longue et la plus lente, langoureuse presque, paresseuse sûrement, chacun y va tout doux, beaux effets de notes chamarrées, l’on verse dans un slow-jazz genre anaconda en période de digestion qui déroule ses anneaux pour être certain que tous les centimètres carrés de sa peau bénéficieront du soleil, engourdissement de la bestiole, certes l’on ne s’ennuie pas mais de temps en temps l’on aimerait marcher sur la queue d’un crotale colérique. Cette Marie vous ramollit vos ardeurs. Shuffle mode : l’on passe à la vitesse supérieure, pas tout à fait le TGV plutôt le tortillard agreste qui vous permet d’admirer le paysage, la guitare suit les glissements du terrain, heureusement que nous longeons le courant rapide d’un orgue qui pousse la guitare à imiter les ricochets que font les saumons quand ils remontent le courant. I want mine too : montée graduelle vers le plaisir, les fils électriques de la guitare de Bart prennent feu et l’on aime cela, rien de tel qu’un incendie aux flammes exacerbées et pointues comme des langues de serpent pour vous mettre en joie, d’autant plus que l’orgue s’en vient tamponner un peu violemment vos morsures, aux drums June Core se met à cogner sur sa cowbell comme s’il ne l’aimait pas et la guitare s’envole tel un aigle qui voudrait saisir le soleil dans ses serres. Pour le moment le plus beau morceau de l’opus. Paranoid twist : rien qu’au titre l’on a compris que l’on va déguster, un régal, imaginez un mix des plus beaux instrumentaux des early sixties, un truc joyeux qui vous emporte au septième ciel, avec ces vibratos qui semblent vous faire tomber de la lune sur laquelle vous étiez monté vous ne savez pas trop pourquoi, bref vous racontez n’importe quoi, c’est cela l’extase qui pulvérise le mur du son. Magnifique. Cette piste enfonce la précédente. Un must ! Vous n’en sortez pas tordu mais complètement vrillé. Shinbone Alley : danse macabre, pas la peine de prendre l’air triste, l’ensemble est tout joyeux, le morceau est construit pour laisser la guitare batifoler à sa guise du début à la fin, n’y a qu’au milieu qu’elle se permet un passage à vide pour repartir encore plus rapidement. Finit exsangue tout de même. Normal, c’était dans la série j’ai tout donné et Dieu n’a rien repris. Blue mountain holler : soyons cowboys ou ne soyons rien, les guiboles qui dansent et les pieds qui sautent pour éviter les balles que les colts des copains vous balancent entre les jambes pour savoir si vous tiendrez le rythme. Sur ce coup Bart est démoniaque, cabriole plus vite que l’ombre des tirs de ses camarades. Ceci n'est pas un bizutage. Ceci est une démonstration. Let’s have another : reprenons notre souffle, une rythmique cool et la guitare qui fait des pas de deux, hélas elle ne sait pas se tenir tranquille, se lance très vite dans une exhibition de haut niveau comme si elle sifflotait l’air de rien sans être consciente de votre ébahissement, l’hypocrite ! En plus elle en rajoute jusqu’à la dernière seconde. De quoi vous dégoûter de vous mettre à la guitare pour le restant de votre vie. Hundred dollar cigar : une bande-son parfaite pour nos rockambolesques, cela ne ressemble pas à un instrumental mais à un générique de film rempli de rebondissements, vous tremblez pour la vie de l’agent Chad mais le Chef tire imperturbablement sur son cigare, il a raison vous avez un de ces solos de guitare qui sauveront le monde alors que vous croyez que tout est définitivement perdu. Course contre la mort. Pizzicato Pete : tiens il a dû écouter ce que je disais à l’écoute du premier morceau, joue aussi bien que Big Jim et les copains se font un peu plus discrets, superbe pizza tomato pizzacati, la meilleure que vous n’ayez jamais mangé. En fait c’est elle qui vous dévore tout cru.

             Quand c’est fini vous avez envie de traduire Bart Weilburg devant un tribunal international pour cruauté mentale, alors comme personne ne vous soutient, il ne vous reste plus qu’à écouter son premier EP pour vous réconcilier avec le plaisir de vivre :  

    BIRDY’ BLUES

    (Album Numérique / Bandcamp / Mars 2022 )

    kid congo,north mississippi allstars,david bowie,rockats,younghearts,temptress,bart weilburg,aleister crowley,rockambolesques

    Hurricane : vous attendez l’ouragan, surprise, vous avez un jeu d’écume qu’une légère brise s’amuse à éparpiller aux quatre coins de l’océan puis à rassembler en un tour de main, z’avez ensuite la guitare qui imite la grosse voix, qui picore les olives des apéritifs, qui klaxonne comme une automobile coincée dans un encombrement, le message est d’une limpidité absolue : Bart Weilburg peut tout faire. Qu’on se le dise. I’m coming home : surprise un instrumental chanté, se débrouille bien le Bart, a dû emprunter le morceau au répertoire de Wayne Hancock, l’avait de la veine le Wayne d’avoir un tel guitariste, c’est comme si j’avais Marcel Proust pour écrire mes chroniques. Surfin’ tomatoes : le genre de bocal de marmelade que l’on emporterait au paradis parce que là-haut des mignardises aussi sucrées ça ne doit pas exister. Cet EP présente un petit côté m’as-tu-vu que l’on adore, toutes les quinze secondes une figure de style imposée, avec tous les tours qu’il offre il y en a qui vous les saupoudreraient sur un triple album. Under your spell again : attention encore un instru avec vocal intégré, cette fois la voix devant et la guitare qui assure discrétos, vous voulez du country en voici, en voilà, le tout expédié en moins de deux minutes et demie. Irréprochable évidemment. Daddy found a ferret : il court il court le furet du bois joli et de la guitare démoniaque fait ses gammes sans discontinuer, une démonstration de gymnastique sans défaut, le truc qui reçoit dix sur dix aux Jeux Olympiques. Birdy’s blues : entrée tout ce qu’il y a de plus jazzy, la suite aussi, pas vraiment ma tasse de tea for two mais l’on comprend la logique de ce premier EP,  Bart Weilburg a tenu à démontrer qu’il ne se limitait pas à un seul style, que son domaine s’étend à l’ensemble de la musique américaine populaire.

             Ce qu’il y a d’admirable dans ses enregistrements c’est qu’il n’y a jamais une once méprisante ( et méprisable ) de virtuosité gratuite. Tous les amateurs de guitare devraient se ruer dessus.

             Exceptionnel !

    Damie Chad.

     

    *

    Depuis trente ans PHILIPPE PISSIER parmi d’autres travaux herculéens, poursuit son projet titanesque de permettre au public français d’accéder à l’œuvre d’Aleister Crowley. Kr’tnt ! s’est toujours fait un devoir de signaler les parutions successives qui jalonnent cette œuvre de longue haleine.

     

    A LA CROISEE DES CHEMINS

    & AUTRES TEXTES

    UNE ANTHOLOGIE INTRODUCTIVE A L’ŒUVRE

    D’ALESTEIR CROWLEY

     Volume I

    ( Editions Anima / Décembre 2023 )

    Traduction : PHLIPPE PISSIER

    AUDREY MULLER / DIANA ORLOW / JEAN MATHIEU TAÏEB

    kid congo,north mississippi allstars,david bowie,rockats,younghearts,temptress,bart weilburg,aleister crowley,rockambolesques

     Dans une longue introduction, Vincent Capes présente les principes qui ont présidé à la constitution de cette anthologie. La sulfureuse réputation de Crowley a éclipsé tout un pan de son activité, l’écriture par laquelle, ironie existentielle, il a redéfini les fondements de toute pratique magicke. Adolescent Crowley s’est voulu poëte, la poésie entrevue en son plus haut niveau jouxte les abstractions métaphysiques, le tour particulier de son esprit pragmatique l’a conduit à développer une interaction opératoire avec et sur le monde. Toute la difficulté de la compréhension de la démarche crowleyienne consiste à mener de front cette double relation prépositionnelle contradictoire avec et sur. Crowley n’est pas anglais pour rien, la lecture de Berkeley nous semble indispensable pour mieux entendre en sa toute complexité le modus vivendi théorique de l’acte magique.

             Crowley procédait du romantisme anglais, de Percy Bysshe Shelley et de William Blake, le désir de bâtir une œuvre littéraire s’imposa quasi naturellement à lui, ce premier volume cerne les modalités typiquement littéraires, nouvelles, roman, théâtre, visions (entendons ce mot en le sens où l’employa Lamartine que dans sa célèbre lettre à Paul Demeny, Arthur Rimbaud classa parmi les voyants ), essais littéraires, conférences. D’après ce que nous avons compris le deuxième opus devrait porter sur les aspects théoriques et pratiques de sa pensée, osons employer les termes de philosophie magicke. Vincent Capes, sans nier les efforts de notre scripteur, affirme que malgré ses grandes qualités Crowley n’est ni un prosateur de premier plan ni un poëte à classer parmi les plus grands. Nous partageons cet avis, mais que ces restrictions ne nous empêchent de nous pencher sur cet aspect de la Grande Bête.

    Le volume offre tout d’abord un ensemble de six nouvelles. Les intelligences moyennes les jugeront datées, à croire que les textes surréalistes ne portent pas l’évidence des stigmates scriptuaires de leurs cent ans d’âge. Certes elles sont marquées de l’estampille symboliste et fin de siècle, mais les lire selon cette aune historiale ne leur apporte – et surtout ne leur retranche - rien de ce que Crowley a voulu dire en les écrivant. Nous partons du principe très simple que le moindre mot écrit sur une page signifie avant toute chose, et en dehors de sa propre signifiance, ce que leur auteur a voulu nous signifier.

    Laissons de côté Stratagème qui à notre avis ressort principalement de l’esthétique du grotesque élaborée par Edgar Poe, elle se démarque trop des cinq autres. La nouvelle peut être considérée comme un acte gratuit, ainsi l’on peut rédiger des histoires remplies d’apparitions surnaturelles sans soi-même le moindrement croire à l’existence des fantômes. Tel n’est pas le cas de Crowley. Ces nouvelles ont pour thème la connaissance de soi et du monde par l’entremise de l’autre. Ici l’autre est la confrontation à ce que Goethe désigna à la fin de Faust par l’éternel féminin. Un barrage, une barrière qu’il faut surmonter, que l’on soit individu mâle ou femelle, afin de parvenir à une meilleure adéquation avec sa propre interaction avec le monde, car toute puissance se vérifie par un accroissement de sa maîtrise des êtres et des étants. Récits d’initiation qui ne sont pas sans surprise, l’abîme intérieur n’est que la reproduction du chaos du monde. Traverser l’un pour déjouer les pièges de l’autre n’est pas sans danger. Tout drame intime est le reflet d’une complexité extime. Ces nouvelles exposent en leur trame souterraine la nécessité ou l’inutilité d’une organisation ésotérique supra-individuelle afin de développer l’efficience de la facticité de ses propres progrès.

    Toute l’ambiguïté crowleyienne tient en ce dilemme entre la loi de base thélémite du Fais ce que tu voudras profondément anarchiste, voire libertarienne en le sens stirnérien, et la construction d’une organisation hiérarchique coercitive.

    Si les nouvelles ici présentées semblent pencher pour une préférence égotique, l’extrait de Moonchild, roman, met l’accent sur l’aide que peut apporter un ordre supérieur.

    Outre ces Contes Cruels, Villiers de l’Isle-Adam écrivit du théâtre. Axel est le plus parfait exemple de l’héroïsation manipulatoire de la mise en œuvre d’un concept afin d’en faciliter son enseignement. Il n’est donc pas étonnant que Crowley dans sa volonté didactitienne se soit emparé aussi de cette formalité littéraire.

    Crowley utilise une forme non novatrice, nous restons dans le droit fil du théâtre du dix-neuvième siècle, pour utiliser un repère français, ces deux drames ne jurent en rien avec l’esthétique hugolienne. Le scorpion est une terrible charge contre les religions dogmatiques, chrétienne et islamique. Crowley règle ses comptes avec son éducation rigoriste. Tout comme dans les nouvelles, la problématique de ’’ l’amour’’ qui puisse unir un homme et une femme reste le symbole d’un phénomène transitif d’élévation ou de reconnaissance. Notons la présence de l’Ordre du Temple. Dévoyé. La nef dénommée Un mystère. Beaucoup plus subtil que le précédent. Est-ce vraiment une parodie du sacrifice christianique, ou la marque de la difficulté de Crowley à s’affranchir totalement de son initiale culture chrétienne. Mystère et boule de gomme.

    La clameur du vingtième éclair est un extrait du livre La Vision & La Voix (traduit par Philippe Pissier et paru en juin 2019 ). Ces huit pages ne se résument pas, elles sont à lire, c’est en elles que se déploie le Grand Crowley tel qu’en lui-même il s’est aventuré à être, ces visions sont des fulgurances, des projections hors de soi de milliers de symboles élémentaires que l’on a recueillis en soi dans un désassemblage aléatoire et les voici subitement mis en ordre, avec une telle rapidité que leur assemblage nous échappe et se projette sur l’extériorité chaotique, lui insufflant sens, forme et réalité. Imaginez un miroir dont le reflet crée le monde qu’il reflète. Tête de Méduse dont le regard insufflerait la vie.

    Trois essais littéraires. Son Balzac est décevant. Crowley dresse le portrait du romancier réaliste, celui qui connaît le fonctionnement des hommes et les rouages de l’économie. L’en fait un éducateur, celui qui vous permet de comprendre la vie. Bref il loue le Balzac réaliste tel qu’on l’a longtemps peinturluré dans les manuels scolaires. De l’autre Balzac, celui entre autres de Louis Lambert et des écrits théoriques de ce personnage sur la notion de volition, lui le thélémite, il ne pipe mot. Etonnant ! Son Percy Bysshe Shelley est d’une autre ampleur même s’il lui faut dans un premier temps médire de Keats pour exalter l’auteur de Prométheus Unbound. De même dans l’essai précédent il a vivement critiqué Shakespeare pour tresser une couronne de laurier à Balzac. S’il révère la portée universaliste de la poésie de Shelley – entendez par là qu’elle transcrit et épouse admirablement jusqu’à la structure énergétique de la matière – il s’avère mauvais prophète, l’œuvre de Shelley ne rayonne plus de nos jours… Hélas. Ne nous attardons pas sur Le génie de M. James Joyce, fallait être courageux à l’époque de sa parution pour dire tout le bien que l’on pensait de l’auteur d’Ulysses qui ne commencera Finnegans Wake, son œuvre majeure, qu’en 1923.

    Gilles de Ray, conférence qui devait être prononcée à l’université d’Oxford, le cinq février 1930. Non ce n’est pas une défense exaltée des pratiques assassines qui furent reprochées au compagnon de Jeanne d’Arc mais une charge humouristique contre l’Eglise Catholique et la bêtise humaine. Délicieux !

    Appendice I : quelques poèmes érotiques directement écrits en français par Crowley, Rabelais et Ronsard ne sont pas loin… Un Appel au peuple Français rédigé en 1915, lui rappelant les traîtrises passées de leur allié britannique. A la gauloise poème publié en 1942 pour soutenir le combat de la France.

    Appendice II : Le Livre de la Loi traduit par Diana Orlow, une courageuse approche d’un des textes fondateurs de l’enseignement crowleyien.

    Appendice III : Une lettre de Fernando Pessoa à Crowley, éditée pour la première fois dans le Mensuel de Littérature Polycontemporaine  Alexandre ( N° 60 – Février 2000 ).

    Appendice IV : Texte inédit de Nicolas Ballet : Emergence d’une occulture industrielle.  Vincent Capes consacre toute une partie de sa préface à signaler combien les points d’intersections entre la culture rock et Aleister Crowley sont nombreux. Vincent Ballet analyse minutieusement en une quarantaine de pages le déploiement de cette accointance dans la musique industrielle qu’il décrit en tant que phénomène non pas culturel mais d’occulture. Si dans les années soixante les hippies à la recherche d’une nouvelle spiritualité ne cachent pas leur attrait pour le New Age, la Wicca, le bouddhisme, le zen et la méditation… après la tornade punk survient une génération d’artistes qui ne se reconnaissent plus dans la douceur de l’ésotérisme hippie, ce ne sont plus des marginaux mais des individus aux parcours extrêmes qui ont besoin d’ombre, de petits groupes discrets, qui appliquent le vieux mot d’ordre pour survivre tranquilles agissons cachés, d’où cette notion d’occulture… toute relative d’ailleurs car aujourd’hui les vidéos de Coil et Genesis P-Orridge pour ne citer qu’eux sont sur You Tube… Nicolas Ballet examine soigneusement les apports de d’Aleister Crowley et d’Austin Osman Spare à ce mouvement. A lire.

    Un volume indispensable aux amateurs avides de toute ligne de la Grande Bête et aux néophytes qui veulent entrer en douceur dans l’œuvre d’Aleister Crowley.

    Damie Chad.

     

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

    kid congo,north mississippi allstars,david bowie,rockats,younghearts,temptress,bart weilburg,aleister crowley,rockambolesques

    EPISODE 20 ( Lascif  ) :

    105

    Par acquis de conscience nous avons continué à tourner dans le cimetière scrutant les noms inscrits sur les tombes.

              _ Agent Chad, aucun de ces morts ne se prénomme Ecila, cela m’a l’air d’un prénom assez rare, je pense que vous avons eu de la chance d’y tomber dessus par hasard, continuons nos pérégrinations, faisons en sorte que sur les 17 heures nous soyons à proximité de cette tombe, pour une première et rapide approche, 17 h 30 est l’heure de la fermeture des portes .

    106

    Une large dalle blanche d’une dizaine de centimètres d’épaisseur, à peu près au milieu de sa longueur s’étalaient les lettres ECILA… nous en fîmes le tour à plusieurs reprises sans rien déceler d’autre. Le Chef alluma un Coronado

             _ Etrange cette inscription solitaire, un prénom suivi d’aucun nom de famille !

             _ A moins Chef que ce ne soit justement le nom de la famille, les membres sont réunis dessous sous ce seul patronyme !

              _ Agent Chad votre hypothèse n’est pas idiote, elle ne me convainc pas entièrement, je ne sais pas pourquoi.

    Ce furent les chiens qui confirmèrent son intuition. Ils batifolaient depuis dix minutes autour de nous lorsque d’un commun accord ils se ruèrent sur une des longueurs du rectangle et se mirent à gratter frénétiquement arrachant les touffes du gazon qui la bordaient. Au début nous n’y prêtâmes que peu d’attention mais bientôt sur la tranche de la dalle apparurent deux lettres C et L que jusque alors les brins d’herbe voilaient.

              _ Je parie Ecila m’écriai-je !

    Les chiens achevèrent rapidement leur travail. C’était bien Ecila, mais le restant de l’inscription nous stupéfia : ECILA 19  -19  . Sur le coup le Chef éprouva le besoin d’allumer un nouveau Coronado.

              _ Le tombeau serait donc vide Chef !

              _ Agent Chad, rien ne vous empêche, espèce de tête de linotte, d’être prévoyant et d’acheter pour votre repos éternel, comprenez trente ans, une concession à perpétuité. Par contre ce qui est étonnant c’est que notre Ecila prévoyait de mourir avant le vingt-et-unième siècle…

              _ Tout de même étrange ne trouvez-vous pas ? Nous sommes en 2023 !

              _ Extrêmement mystérieux, agent Chad, nous en saurons davantage ce soir !

    106

    Il était une heure du matin, il pleuvait, une bise à vous glacer les os soufflait en rafales, Paris semblait désert, Carlos sifflotait en conduisant :

              _ Quelle bonne idée de m’avoir appelé je commençais à m’ennuyer dans mon nouvel home, il ne s’y passe grand-chose, au moins avec vous l’on ne sait jamais à quoi l’on va s’amuser… Bon, je m’arrête, vous descendez, je range ma Ford Cayenne dans une rue avoisinante, je lâche les chiens et je vous rejoins dans dix minutes.

    107

    Un véritable chronomètre Carlos, dix minutes plus tard un coup de sifflet nous avertit de son arrivée. Il y eut une espèce de raclement sur le mur une ombre passa au-dessus de nous et en un magnifique roulé-boulé Carlos se releva à nos côtés, il entreprit aussitôt d’arracher le scotch qui entourait un long paquet sombre. Le Chef alluma un Coronado :

              _ Je sais que c’est dangereux mais dans l’obscurité cela servira de ralliement si par hasard nous nous séparions. Je répète mes instructions : avec ce temps pourri je ne pense pas qu’il y ait grand monde. Si vous rencontrez quelqu’un pas de pitié pour les détrousseurs de cadavres un bon coup de barre à mine entre les oreilles, Idem pour des gardiens effectuant un tour de ronde. Les fonctionnaires trop zélés sont les ennemis du genre humain. En avant marche.

    Nous avions l’impression d’errer dans un dédalle. Carlos avait pris la tête de notre colonne. Il s’arrêta brutalement :

              _ Attendez-moi, je vais régler leur compte à ces petits malins qui viennent fumer un pétard, on ne les voit pas, mais je les sens !

              _ N’en faites rien Carlos, à mon avis nous ne sommes pas loin de la tombe de Jim Morrison, le devoir du Service Secret du Rock ‘n’roll est de protéger les fans !

    Nous nous remîmes en route. Carlos leva le bras. L’alerte était sérieuse, dans le silence l’on entendait des craquements de feuilles mortes trop réguliers pour ne pas être inquiétants. Il y eut comme un mouvement entre deux tombes. Une furtive pression s’exerça sur mon mollet. Molossa accompagnée de Molossito ! Tous deux prirent la tête du groupe. Vingt minutes plus tard nous avions atteint notre objectif.

    108

    Carlos avait-il été croque-mort dans une autre vie. Virer la stèle de marbre de son support fut un jeu d’enfant. Je me permets ici une comparaison, c’est un art qui tient du billard, imaginez que vous êtes autour d’un billard et que vous avez non pas une queue entre les mains, lectrices ne vous égarez pas, mais une barre à mine, c’est un peu comme si vous deviez marquer un point en trois coups, faut calculer au millimètre près, Carlos nous indiqua l’endroit exact où introduire le bout plat de notre ustensile, et hop en trois pesées la pierre tombale se retrouva soulevée comme par magie et glissa dans l’herbe, telle une feuille de papier qui vous échappe.

    Nous nous penchâmes sur l’excavation dégagée. Il faisait trop noir, nous ne vîmes rien. Le Chef alluma une lampe électrique dont il tamisa la lumière avec ses doigts.  Nous fûmes surpris. Le caveau n’était guère profond, un mètre vingt tout au plus. Une fois la plaque de marbre reposée, elle ne devait surplomber le cercueil noir, il y en avait un, que d’une trentaine de centimètres. Carlos tapota le bois :

              _ De l’ébène murmura-t-il, je suis certain qu’il contient une enveloppe de plomb !

              _ Ouvrons ! ordonna le Chef

    Nos trois barres-à-mine entèrent en action, un claquement sec, le bois céda, un grincement plus long, le plomb céda. Nous rabattîmes le couvercle. Ecila apparut.

    Nous fûmes subjugués par sa beauté, elle était intacte, son visage légèrement émacié, ses paupières creuses, ses lèvres décolorées trahissaient que sa mort remontait à plusieurs années. Mon cœur se serra en la contemplant, je songeai à mon Alice à moi, toute froide dans sa tombe, était-elle aussi bien conservée. Je me repris, je remarquais qu’elle n’était pas enveloppée dans un suaire de plastique. Cet outrage lui avait été épargné. Ses longs cheveux blonds avaient été soigneusement peignés, on l’avait parée d’une longue robe blanche, virginale, ses bras étaient croisés sur sa poitrine. L’annulaire de sa main gauche présentait un fin anneau d’or torsadé. Sa main gauche posée sur son cœur recouvrait un objet inidentifiable. Nous n’osâmes pas le lui arracher.

              _ Nous en avons assez vu, bougonna le Chef, Agent Chad, prenez quelques photos avec votre portable, je vous éclaire.

              _ Voilà Chef, c’est fait !

              _ C’est bien, refermons ce cercueil et laissons-là dormir en paix, vite que son exposition à l’air ne l’abîme pas.

    Nous nous préparions à reposer le couvercle lorsqu’une plainte déchirante déchira la nuit. Etait-ce Ecila qui ne voulait pas retourner dans sa tombe. Cette pensée nos traversa l’esprit à tous les trois, nos yeux se portèrent sur son visage. Ses lèvres n’avaient pas bougé ! En un réflexe de prudence Le Chef éteignit sa lance. L’ululement désespéré retentit mais si près que nous eûmes l’impression que l’un de nous trois l’avait poussé.

              _ Vite le couvercle et refermons la tombe, ordonna le Chef.

    Une force inconnue semblait repousser le couvercle, nous unîmes nos efforts pour clore cette séquence digne d’un film d’horreur, je glissai ma main dans l’entrebâillement, quelque chose bougeait à l’intérieur…

             _ Lumière Chef !

    Nous faillîmes éclater de rire, dans le halo de la lampe la frimousse de Molossito apparut, la pauvre bête paraissait terrifiée, je la saisis sans ménagement et la fourrai dans mon imperméable, elle se glissa sous mon tricot et ne bougea plus. Déjà le Chef et Carlos replaçait la dalle sur son support… Molossa avait disparu, la brave bête nous attendait devant la Ford Cayenne dans laquelle nous engouffrâmes. Nous étions essoufflés, repasser le mur du cimetière s’était avéré plus difficile que prévu…

    109

    De retour au local le Chef alluma un Coronado, j’ouvris une bouteille de Moonshine , Carlos se hâta de remplir les verres :

              _ Comment se porte notre chien d’attaque s’enquit-il.

    J’extirpai Molossito de sous mon tricot et le déposai sur le bureau, l’était encore tétanisé de frayeur, nous poussâmes tous les trois un cri de surprise, des deux côtés de sa gueule dépassait à la manière d’un bâton un étrange objet.

             _ Chef, je suis sûr que ce corniaud flairant la mort a poussé un premier hurlement de terreur et totalement paniqué s’est glissé à notre insu dans le cercueil lorsque vous avez éteint votre lampe. L’a eu la frousse de sa vie quand nous avons refermé le couvercle, il s’est affolé, ne savait plus ce qu’il faisait, ce qu’il tient entre ses dents doit être l’objet sur lequel était refermée la main d’Ecila !

    Délicatement je desserrai la mâchoire du chiot, l’objet roula sur le bureau, c’était une espèce de tube de métal, plus ou moins mangé par la rouille. Nous le regardâmes sans oser le toucher :

              _ je pressens une douille s’exclama Carlos

              _ J’opterai plutôt pour une bottle neck en acier pour jouer en slide m’écriai-je

              _ Non, vous vous trompez, le visage du Chef était devenu livide, je suis formel, un tube en métal pour Coronado !

    A Suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 264 : KR'TNT 384 : KID CONGO / LUCKY BULLETS / HAYRIDERS / WISE GUIZ / CAT LEE KING & HIS COCKS / MARY SHELLEY / CRASH MIGHTY / DÄTCHA MANDALA / MONSIEUR VERTIGO

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 384

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    13 / 09 / 2018

    KID CONGO / LUCKY BULLETS

    HAYRIDERS / WISE GUYZ

    CAT LEE KING & HIS COCKS

    MARY SHELLEY / CRASH MIGHTY

    DÄTCHA MANDALA / MONSIEUR VERTIGO

     

    Congo à gogo - Part Two

    Z4646dessincongo.gif

    Sans doute ce jour-là Kid Congo avait-il décidé de régner sur la terre comme au ciel, car tel fut le cas. L’apparition se produisit à Binic en l’an de grâce 2018, un 29 août, pour être tout à fait précis. Kid Congo ne prit pas l’apparence d’une vierge translucide comme on serait tenté de le croire, mais celle d’un homme en froc noir et plastron blanc, perruqué de gris et le visage abondamment badigeonné de poudre de riz saumonée. Il en avait tant mis qu’elle barbouillait le blanc du plastron et le fil d’argent du nœud pap. Il s’était en outre généreusement charbonné le tour des yeux. Il semblait sortir d’un film fantastique de l’âge d’or du cinéma muet. Typiquement Lon Chaney dans Le Fantôme de l’Opéra. Nous en étions là. À vibrer de mille frissons. Glagla à gogo. Shaking in Brazzaville with the Congo beat. L’entourait la fière équipe habituelle des Pink Monkey Birds, Kiki on beiss, the tattoo beast Ron Miller on drums, et Marc Cisneros à la pure excellence guitaristique.

    z4648congobraslevés.jpg

    Lorsque se produit le schisme psychique d’une apparition surnaturelle, il faut un temps d’adaptation qu’on estime variable selon les cervelles. Il dure en moyenne le temps d’un cut, mais avec «Coyote Conundrum», la foule entière tomba comme un seul homme dans l’escarcelle congolaise - We’ll have a good time/ And we want it to be real - Alors évidemment, la partie était gagnée d’avance, d’autant que Kid Congo lâchait son manche de guitare pour danser le jerk des catacombes, les bras en télescope, la bouche ouverte et les yeux fixés sur le néant. Tout bascula aussitôt dans l’extraordinarité des choses, dans un univers dont personne ne soupçonnait l’existence. Kid Congo grimaçait en développant les chevaux vapeur d’une infernale machine à rocker, du type Cramps ou Gun Club, mais en plus congolais, voyez-vous, en plus surnaturel. Il mettait un joli point d’honneur à enfoncer les clous du beat dans l’inconscient collectif, mais personne n’éprouvait de la douleur sous les chocs, bien au contraire. Un vent de génie subliminal caressait cette houle de crânes qui clapotait au pied de la scène - We’ll have a fine time/ And we want to make you feel - Jamais plage ne vit d’aussi beau spectacle. Kid Congo malaxait le beat dans sa bouche immense - We got a comb bomb/ L’amour toujours l’amour - Oh mais quelle débauche de real good time ce fut-là ! On plaignait sincèrement les absents. Kid Congo embrasait tout à la fois, la plage, les mouettes, les crabes et les imaginaires. Il reprenait le Théâtre de la Cruauté là où Artaud, les Cramps et Tav Falco l’avaient laissé. Kid Congo avait compris comme Lux avant lui qu’il fallait viser l’absolu surnaturel. Et ses cuts qui semblaient si mécaniques sur ses albums solo prenaient soudain des proportions alarmantes de démesure, comme ce «Magic Machine», à la fois infernal et dansant, monté sur le plus binaire des riffs, mais I am drug today sonnait si bien les cloches et I am love today secouait si bien les paillasses qu’on en tombait littéralement en pâmoison. Que pouvait-on faire d’autre que de se pâmer devant un tel beat turgescent ? Rien. Absolument rien. Kiki introduisit «Ricky Ticky Tocky» dans la vulve offerte d’un beau dimanche estival. Ça palpita intensément, Kid Congo nous jouait le rock des reins, les bras en l’air et la bouche tordue, ouverte sur les abysses de ses profondeurs organiques. Qui aurait pu se lasser d’un tel spectacle ? Personne. Il allait encore crucifier quelques hits golgothiques comme «Chandelier» et déclencher des pogotages historiques. On vit même flotter à la surface de la houle de crânes des fauteuils roulants. Les apparitions se multipliaient. On se serait cru sur le radeau au moment où Aguirre croise le vaisseau échoué au sommet d’un très grand palétuvier. Mais tout ceci prit des proportions encore plus babyloniennes avec l’hommage tant attendu aux Cramps. Cette brute sublime nous fit le coup de la doublette fatale avec «New Kind Of Kick» et «Can’t Find My Mind». Tout explosa en mille morceaux, le ciel rougit et le souffle emporta tous les suffrages. Kick roula comme un fleuve en crue, charriant les veaux, les vaches et les cochons, les désirs et les aspirations, les notions de passé et de futur, le fleuve emportait tout, l’instant comme le temps, l’instinct comme l’autant, l’ara comme l’oracle, le fleuve de Kick emportait les barrages et les deltas du Mekong, oui, Marguerite aurait dansé à la barrière et stompé son Pacifique, et ce congolais juju-gulaire qui orchestrait cette prodigieuse avanie se permettait en plus de screamer ses fins de couplets avant de revenir dans sa clé de sol. Sans doute-était-il tellement ravagé par le génie qu’il ne s’en rendait même plus compte, son corps désarticulé par le jerk des catacombes appartenait alors aux astres qui plutôt que de s’aligner pour ramener la paix sur la terre, dansaient à cause de lui la plus sauvage des carmagnoles. Tous les crampologues présents sur la plage sentirent le vent froid du Pôle Nord s’infiltrer sous leur peau lorsque Kid Congo murmura : «I’ve got a black skin suit/ Alligator shoes.» Était-ce de l’ordre de l’inespéré ou de l’ordre de l’implacabilité des choses ? En tous les cas, il ratatina les dernières poches de résistance. Comme Bernadette avant lui, Kid Congo vit les foules se jeter à ses pieds.

    z4649congotous.jpg

    Mais les foules ne se doutaient encore de rien, car après un petit interlude distractif, il ouvrit sa bouche immense pour minauder You look just like an Elvis from hell. À ce moment-là, on vit des crabes se faufiler entre nos jambes pour venir voir ce phénomène de près. On les vit même danser de guingois, dans une fantastique explosion généralisée, encore plus violente que celle déclenchée par Kick. À ce niveau d’extase intrinsèque, les mots sautaient de cheval et les pensées fuyaient par les oreilles en criant au feu, comme jadis dans les villages. D’énormes volutes de fumée noire s’échappaient de la bouche béante de Kid Congo - Gonna buy me a graveyard of my own - Il rejeta une monstrueuse bassine d’huile sur le feu du mythe et les crabes connus pour leur masochisme allèrent s’y jeter. Kid Congo fit basculer Binic et ses hics dans l’autre monde, là où virevolent les poissons jambus du Big Bosch man, là où grésillent encore les hérétiques aux sourires béats. Et puis vint le moment tant redouté, celui de l’adios aux amigos, que Bernadette Congo introduisit par la plus sibylline des sibyllades : «Before the internet, there was Sexbeat !», qui évidemment alla réjouir tous les cœurs présents, car enfin, existe-t-il meilleur moyen de conclure un set aussi atomique ?

    z4650congo+près.jpg

    Bien sûr que non. Du haut de la scène, l’œil rivé sur l’horizon, l’immense Kid Congo empoigna le monde d’un geste impérial en marmonnant son They’re stupid like I told ya, very stupid like ya saw, et il enfila le mythe d’un coup de rein fatal. Move !

    Signé : Cazengler, gros Con go !

    Kid Congo & The Pink Monkey Birds. Binic Folk Blues Festival (22). 29 juillet 2018

    La sagesse des Wise Guyz - Part Two

    Gros shoot de blue jean bop au Béthune Rétro. Comme tous les ans. Une façon comme une autre de se ressourcer. Rien de tel qu’un bon groupe de rockab pour remettre les pendules à l’heure et les œufs dans le même panier. Mais la prog du festival devient un casse-tête épouvantable. Rendez-vous compte, le samedi soir à 11 h, trois groupes montaient sur scène en même temps : les Californiens Eddie & the Scorpions, les Hot Slap de Dédé et les Wise Guyz qui voici quatre ans firent tellement swinguer le vieux beffroi qu’ils basculèrent dans le cercle supérieur des grandes révélations. Mais cette année, ils n’eurent pas les honneurs de la grande scène. Ils durent se contenter d’une petite scène serrée entre deux baraques à frites.

    z4653bullets.jpg

    Mais quelle petite scène ! C’est là que se joua le destin du Rétro 2018. En trois coups, bim, bam, boom, à commencer par les Lucky Bullets, venus des fjords de Norvège, férus de chansons de cowboys et animés des meilleures intentions. Ils attaquèrent leur set dans le milieu de l’après-midi, alors que flottaient les doux relents d’ultra fast-fooding. En voyant arriver sur scène ces quatre candidats au whoopalong, on comprit que ça aller jiver dans les bassines à friture. Le chanteur portait la casquette de Brando dans The Wild One et une belle collection de tatouages sur les bras. En vraie boule de nerfs qui se respecte, il sautilla son hillbilly rumble au maximum des possibilités du genre, épaulé par un guitarman à carrure de bûcheron. Ce géant jouait sur une très vieille Gretsch avec la redoutable efficacité des gens du Nord et sortait un son de rêve, bien mixé au devant du son, comme s’il bénéficiait de l’écho séculaire d’un fjord. Son phrasé puissant et méthodique régalait tous les amateurs de big Gretsch sound. Malgré deux ou trois cuts plus faibles en cœur de set, les Lucky Bullets réussirent à allumer la gueule du Rétro de façon déterminante, sans jamais recourir aux ficelles du rockab sauvage. Leur goût pour les chansons de cowboys et les talents expressionnistes du Brando de comedy act firent chavirer les cœurs. On applaudissait des deux mains. Par sa fraîcheur exacerbée et l’extravagante vitalité de son raw raout, le set des Lucky Bullets marqua pas mal de cervelles au fer rouge.

    z4651hayriders3.jpg

    En début de soirée, on vit débarquer des Anglais sur scène. L’animateur fit baver le public en précisant que le CV de Hayriders était long comme un jour sans rhum. En détaillant les exploits de ces vétérans de toutes les guerres, il s’adressait bien sûr aux spécialistes. Effectivement, les Hayriders n’étaient plus de toute première jeunesse, mais ils réactualisaient magistralement le vieux proverbe : eh oui, c’est dans les vieilles marmites anglaises qu’on cuit les meilleurs soupes. Et quelle soupe ! Sapés tous les quatre comme des milords à la Piaf et cravatés de frais, ils entreprirent de nous sonner sérieusement les cloches. Le chanteur Neil Wright tenait bien son bop en laisse, par contre, le Stratoman installé à sa droite fit passer le concept du flash guitar dans une nouvelle dimension, celle des spoutniks polymorphes. Vêtu d’une chemise rouge et d’un pantalon dix fois trop grand, ce petit mec nommé Darren Lince pulvérisa dès le premier cut tous les records d’incursion frénétique. Il ressuscitait le vieux théorème de la preuve par neuf : sans flashman, un groupe ne peut pas briller au firmament. Il se mit à allumer tous les cuts un par un, avec un son extraordinairement incisif et une volubilité de rêve. Sa main gauche courait sur le manche comme une belette en rut, il ployait les genoux et on voyait à l’éclat de son œil qu’il restait insondablement concentré. On n’avait pas revu un guitariste aussi spectaculaire depuis Link Wray.

    z4652hayridersguitar.jpg

    Darren Lince faisait littéralement la pluie et le beau temps. Il réussit même l’exploit de transcender Galloping Cliff Gallup dans une version de «Blue Jean Bop», eh oui, il allait encore plus loin que le vieux Cliff, comme si c’était possible. On le vit même jiver les deux solos de «Race With The Devil» de façon extrêmement indécente. Il surjouait à la nausée du génie galvanique. On le voyait touiller sa glaise sonique avec un petit sourire en coin. On avait sous les yeux une explosion à deux pattes, l’incarnation humaine d’une rivière de diamants en crue, un zébulon dégingandé complètement chorusmatique, une sorte de fils de Dieu qui aurait miraculeusement échappé aux clous des Romains, le modèle absolu en matière de sideman fulgurant. Darren Lince redora brillamment le blason du vieux rockab.

    z4647dessingutz.gif

    L’autre brillant redoreur de blason s’appelle Chris Bird, l’âme des Wise Guyz. Ce n’est plus un secret pour personne, les Wise Guyz sont devenus l’un des meilleurs gangs de rockab actuels, sinon le meilleur. S’il en est un qu’il ne faut pas rater sur scène, c’est bien celui-là. Il semble même que leur swing soit arrivé à maturité. Ils firent ce soir-là un set comme on n’ose plus les rêver, parfait, ni trop long ni trop court, secoué de jolies poussées de fièvre et fabuleusement fluidifié par la qualité constante du swing. Comme Brian Setzer avant eux, les Wise Guyz ont su évoluer du rockab vers le swing, qui se situe un cran nettement au-dessus, car réservé aux guitaristes de jazz.

    z4654wisetous.jpg

    Et Chris Bird fait partie de ces surdoués du jive, il faut le voir swinguer son bebop avec la jambe gauche à l’arrière. Il fait presque le spectacle à lui tout seul. Non seulement il crée du rythme en permanence, mais il sait placer sa voix. Il fait moins son Cochran qu’avant, il huile beaucoup plus son art, pour qu’il enfile bien l’écho du temps, et là, on peut difficilement rêver d’un meilleur son. Il pousse parfois des pointes à la Django et revient bercer nos cœurs d’un croon ukrainien absolument irrésistible. Difficile de le comparer à un autre chanteur, il chante vraiment comme Chris Bird, il s’affirme en tant qu’artiste complet et on peut considérer qu’il est entré de plein droit dans la cour des grands. Il n’a rien à envier ni à Brian Setzer, ni à Eddie Cochran, ni à Django Reinhardt. Il est même intolérable de ne pas encore le voir en couverture des magazines (mis à part Rockabilly Generation, bien représenté au Rétro, d’ailleurs).

    z4655wiseguitars.jpg

    Sur scène, les Wise Guyz jouaient un paquet de cuts de leur nouvel album, Midnight Cruise. Ça tombait bien, car ils le vendaient à la fin du set. Oh pas cher, un billet de seize ! Les gens faisaient la queue. Chris Bird signait à la chaîne, en vraie petite super star béthunière. On le vit aussi dans l’après-midi et le lendemain matin aller placer son nouvel album chez les disquaires du Rétro. Rappelons que les Wise Guyz ne roulent pas sur l’or et le moins que l’on puisse faire est de les aider en achetant leur nouvel album qui en plus est excellent.

    z4656discwise.jpg

    On y trouve trois cuts de swing, à commencer par l’inénarrable «Nobody’s Business». Ce diable de boppin’ Bird y swingalong avec une science qui scie et on le voit filer en mode shark de sharp. Le pire est à venir en B avec «Sweet Loving», ça djangotte à gogo et ça chaloupe des hanches au delà du Cap de Bonne Espérance - shake your hips - Chris craque it up et boppe droit au but, il porte le fer au maximum des possibilités du rouge, non seulement son swing swanne comme un cygne, mais il épate à quatre pattes, son big swing bosse, man, c’est un swing qui bat tout à plate coutures, oh yeah, cette belle bête de Bird va au Sweet lovin’ comme d’autres vont aux putes sur les Maréchaux. Et attention au «Swing By C» qui referme la marche de cet album palpitant ! Bird swingue en Do et sonne comme Tchavolo Schmitt, oui, il en a le pouvoir, il peut swinguer la caravane comme dans le Swing de Tony Gatlif, l’un des plans les plus rock’n’roll qui ait jamais été filmé. Une façon de rappeler qu’avec le jazz manouche, on monte encore d’un cran dans la beauté du sauvage. Et si Chris Bird tape dans le pur rockab, ça donne le «Do It Bop» d’ouverture de bal d’A. Il y renoue avec la pulsation originelle du bop, avec la fantastique véracité du genre. Charlie Feathers disait : «Rockabilly is the beginning and the end of music.» Et il avait raison. Chris Bird chope tous les chops du bop, il fonce à tire d’aile et part en solo de classe A. Il faut aussi l’entendre faire son Cochran dans «Is It Love», il tape ça au pur jus de rock attack, il shake son shook comme un délinquant de banlieue, mais avec la classe d’un ange de miséricorde. Mélange explosif et assez unique au monde. Ce mec a tout ce qu’il faut pour rendre un public heureux et devenir une super star. Sur scène, les Wise Guyz jouaient aussi le morceau titre de l’album, mais la version studio est encore plus mirifique, à cause de la profondeur du son. Chris Bird chante ça avec une voix de mineur des Appalaches, le nez pincé et il descend des gammes de desperado. On s’épate de la fantastique pulsation rythmique derrière lui. Ces quatre kids d’Ukraine nous plongent dans une fausse Americana d’excellence parégorique que viendraient encore enrichir des éclats de jouvence foraine - I’m on a loose/ For a midnight cruise - Ces mecs sont devenus imbattables, et comme on l’a déjà dit dans le Part One, voici quatre ans, leurs quatre premiers albums sont eux aussi irréprochables. Et quand on tombe sur l’«Enough» qui ouvre le bal de la B, on sait tout de suite qu’on ne trouvera jamais ça ailleurs. Cette urgence du beat n’appartient qu’aux Wise Guyz. C’est un beat dressé en l’air et sauvage, du genre qui plie mais ne rompt pas, vous voyez le genre ? Rebel et Ozzy nous le troussent à la hussarde, en vraies séquelles de Cosaques. Ils constituent certainement l’une des plus belles sections rythmiques du XXIe siècle, ne craignons pas de faire ronfler le moulin des formules. Ces mecs méritent vraiment qu’on les adule, car ils sont brillants à un point qui dépasse le sens commun. Le plus marrant de toute cette histoire, c’est que sur scène, ils parlent le russe entre eux, et on croirait vraiment entendre des agents du KGB, surtout le batteur Ozzy. Il faut aussi entendre ce diable de Rebel slapper «Beware». Il joue au délié de pur jus. Et même quand ils tapent dans des cuts plus classiques comme «Jukebox Rock» et «Johnny Boy», les Wise Guyz battent tous les records de nonchalance. Tout le bien qu’on vous souhaiter est de les voir jouer sur scène.

    Signé : Cazengler, Wise gaz d’échappement

    Wise Guyz. Béthune Rétro. 25 & 26 août 2018

    Wise Guyz. Midnight Cruise. El Toro Records 2018

    TROYES - 07 / O9 / 2018

    LE 3B

    CAT LEE KING & HIS COCKS

    z4636affiche.jpg

    La teuf-teuf file vers Troyes sans rémission. Attention, c'est la rentrée, pas celle des classes, celle du 3 B ! Nettement plus agréable mais snif ! snif ! l'on ira moins souvent au 3 B cette année, un concert par mois seulement, mais du meilleur, l'on commencera par une portion de poulet frit – marque Hot Chickens – début novembre, d'ailleurs ce soir il y a déjà du poulet au menu, une drôle de tambouille, importée directly from Germany, du coq au vin, plus du chat, ce qui change la donne, et donne un un goût particulier au ragoût, bref Cat Lee King & His Cocks sont au programme.

    CAT LEE KING AND HIS COCKS

    Cinq beaux jeunes gars. Coupes cheveux au cordeau, cravates voyantes, pantalons au pli, vestes boutonnées pour trois d'entre eux, propres sur eux, irréprochables. Autant annoncer la couleur, ce n'est pas un groupe de rockabilly, se définissent eux-mêmes comme un combo de rockin blues – terme un peu vague à multiples acceptions – ou de rhythm and blues, ce qui est déjà plus précis. Toutefois si vous espérez une section cuivrique à la Otis Redding, vous êtes dans l'erreur, reculez d'un cran, retour dans le passé. En fait le matou royal et ses gallinacés chassent dans le territoire du rock'n'roll mais du temps où le rock'n'roll n'existait pas. L'était en gestation, l'était déjà là mais on ne le savait pas. L'était partout et nulle part. De toutes les manières ce n'était que de la musique de danse, du sous-jazz dévalué, en plus la plupart du temps joué par des nègres – vous noterez la nuance péjorative contenue dans l'emploi de ce vocable - de l'amusement pour public facile qui ne demande qu'à batifoler, boire et danser jusqu'au bout de la nuit. Une sorte de genre intermédiaire tatônnant entre le swing et le rock'n'roll en devenir. Mais se souvenant de ses racines noires. Sous le clinquant de l'exubérance, le blues n'est jamais loin. Il suffit de tirer un peu par où ça gratte.

    z4637lestrois.jpg

    Cat Lee King s'assoit au piano, un synthé dans un appareillage en bois qui sent un peu la bricole, la section rythmique est en arrière, René Lieutenant à la batterie, Lucky Luciano – très beau profil de gangster dans son costume seyant – à la double bass, et Sydney Ramone à la rhythm guitar, Tommy Croole est à la guitare, une vieille Harmony sur laquelle tous les chats du quartier ont dû se faire les griffes depuis trois générations. L'est le personnage important du quintet Tommy, l'a un peu l'air du premier de la classe attentif et sérieux, le genre bon élève à qui le prof assis à son bureau fait toute confiance, mais le premier à lancer les boules puantes et les bombes à eau. N'a pas de cartable mais un vieil ampli Fender, pas très gros, mais qui crache et gratte grave. Un style inimitable, évolue entre deux marqueurs – dis-moi quels sont tes maîtres et je te dirai qui tu es – B. B. King et Chuck Berry. Le chemin le plus court, du point A de départ, planté dans le blues, au point B d'arrivée, le surgeon du rock'n'roll noir poussé dans les serres de la compagnie des frères Chess. Du Blue Boy l'a pris cette manière de détacher les notes, pas trop, trois ou cinq, vous les arrache pétale par pétale comme s'il effeuillait la marguerite, comme s'il jouait en pointillés, mais perçantes et vrillantes, des instruments de torture délicieuse qui vous pénètrent l'occiput sans rémission, et puis, c'est là où ça se corse comme disait Napoléon, il possède une technique particulière, vous les secoue comme la salade dans le panier, vous les balance à la Chuck Berry – attention privilégiez les enregistrements des années cinquante, pas les reprises plus tardives beaucoup plus sophistiquées, les originales au son plus grêle, comme poignées de cailloux lancées sur la vitre de la petite voisine afin qu'elle ouvre sa fenêtre pour que vous puissiez enfin vous livrer à vos turpitudes favorites. Que voulez-vous le rock ce n'est pas plus près de Dieu, mais plus près du sexe.

    z4638deuxguitares.jpg

    Ai-je besoin de le préciser, non votre étonnante perspicacité de lecteur passionné le subodorait, pendant ce temps le greffier ne roupille pas sur son clavier. L'a fort à faire, se colle au fourneau et sert en salle – version honnête travailleur – débouche le vin et le boit Drinkin Wine Spo-Dee -O-Dee – vision plus réaliste – assure le micro et pianote d'une manière excessive. L'a intérêt à ne pas s'endormir sur la choucroute, car avec Tommy Croole c'est le jeu de la question subite avec réponse immédiate exigée. C'est qu'ils aiment la difficulté, le pari fou, la gageure impossible, ainsi dès le deuxième morceau ils nous jouent Thirteen Women de Bill Haley - une fille c'est bien mais treize bonjour les dégâts - pour les roulements répétitivement hypnotiques, les éruptions ininterrompues du piano font magnifiquement l'affaire, mais l'aboiement frénétique du sax, où est-il ? comment s'en vont-ils s'en débrouiller ? les doigts de Croole y pourvoient d'une sidérante manière. C'est vrai qu'il est aidé, par-en-dessous, par les trois autres cadors, sont sages comme des images, pour un peu on les oublierait mais si là-haut sur la dunette les officiers font des ronds de jambe, en-bas la chiourme silencieuse souque ferme. Tiennent la rythmique comme d'autres la barre. Si l'esquif fend les flots avec élégance c'est grâce à leur boulot, leur ciboulot aussi, car aux aguets l'un de l'autre, une entente parfaite, à peine l'un a-t-il fait une point à l'endroit que l'autre le fait à l'envers et le dernier n'a plus qu'à laisser filer la maille, sont trois mais vous avez l'impression qu'il n'y en a qu'un, même s'ils émettent un bruit de fond pour quinze.

    z4639batteur.jpg

    Les cinq doigts de la main mais avec deux pouces réversibles. Un véritable orchestre, se permettent des sauts trapéozidaléens à vous couper le souffle, attention il faut suivre, car ils œuvrent davantage dans la subtilité que dans le clinquant. Le Raminagrobis n'abuse pas de son instrument royal, ne le met pas systématiquement en avant – par contre quand il le pousse au maximum vous l'entendez, ça gronde comme un tremblement de terre, ne laisse pas passer son chorus, mais rendosse sans se faire prier son rôle d'accompagnateur dès que nécessaire. De prime l'a une belle voix rauque le Cat Lee King, celle du chat amoureux qui réclame ses croquettes à trois heures du matin auquel vous ne sauriez résister, nous offre ainsi un superbe I got a Woman à tel point que Duduche file dare dare s'adjoindre au micro, et tous deux improvisent un duo des mieux venus, le Cat qui miaule à la Ray Charles, et Duduche qui ronronne à la Presley.

    Nous font les trois sets obligatoires du 3B. Une courbe idéale, after-swing pour le premier, détour blues pour la deuxième et un pied dans le rock'n'roll pour la troisième. De 1945 à 1959, pour ceux qui aiment les repères fixes. De la belle ouvrage, très belles reprises de B.B. King Awoke this morning, à la blues shouter, mais en plus mélodramatique, accompagnement plus touffu et costaud que du country-blues, et puis du Brown Eyed Handsome Man de Chuck Berry, un pas de plus vers le rock'n'roll, un Rip It Up qui traîne un peu dans les encoignures, pas encore l'impact rock énergétique qui fait toute la différence, la gestation est terminée, la bête est prête à sortir, mais n'a pas encore mis le nez dehors. La frontière n'est pas encore franchie. Mais la version se tient et vous fait monter aux rideaux. Danseurs et applaudissements approbateurs. Se concertent pour le dernier morceau : n'ont pas le temps de choisir, c'est Jean-François qui impose le Great Balls of fire de Jerry Lou, tamponne du poing au hasard sur un bout de clavier et se lance dans un vocal épileptique. Le reprennent à leur façon, longuement, le Cat termine debout, les pieds sur le clavier dans un tonnerre d'applaudissements...

    Béatrice la patronne a encore frappé... Merci à Fabien for the sound !

    Damie Chad.

    ( Photos -scène et balance - : FB: Béatrice Berlot )

    MARY SHELLEY

    HAIFAA AL MANSOUR

    ( Film / Sortie 08 / 08 / 2018 )

    z4641photofilm.jpg

    Did you ever meet with Frankenstein ? demandaient les New York Dolls sur le dernier morceau de leur second et ultime opus. Comme nous l'enseigne Heidegger en toute chose pour bien comprendre quelque chose il est inutile de se perdre en des questions oiseuses et subsidiaires, il suffit de remonter à son origine. Je doute que la réalisatrice Haifaa Al Mansour ait été obnubilée par une quelconque méthodologie heideggerienne, de nationalité saoudienne il est évident que ce sont des considérations sur la liberté de la femme qui ont motivé sa démarche.

    Mary Shelley fut la femme de Percy Bysshe Shelley qui forma avec Lord Byron et John Keats le trio de choc de la poésie romantique anglaise. Mais c'est bien Mary qui est au centre du film et non Percy. Cela peut sembler naturel si l'on se rapporte au titre de pellicule, certes mais cela signifie aussi que le récit mis en scène dans le film occulte tout l'aspect politique de la vie mouvementée du couple Mary et Percy. A peine s'il est rappelé, pratiquement incidemment, la parution du pamphlet La Nécessité de l'Athéisme qui mit le feu aux poudres de la bonne conscience puritaine anglaise et auréola désormais tous les actes de Percy d'un fort parfum de scandale.

    Quoique consacré à Mary Shelley, le film ne retrace que la première partie de sa vie, il ne va même pas jusqu'à la mort de Shelley, et passe sous silence tout ce que Mary put vivre et écrire par la suite, après la parution de Frankenstein. Le film pose une question essentielle : comment une jeune fille de dix-huit ans a-t-elle pu rédiger un roman aussi puissant que Frankeinstein ? Il est temps d'avouer mes turpitudes, j'avais quinze ans lorsque je découvris l'éblouissante poésie de Shelley, ni une, ni deux, ne connaissant aucun élément biographique de Shelley, et encore moins de Mary, devant une telle splendeur, j'en déduisis que très gentiment Shelley avait mis le nom de sa femme sur la couverture du roman – que je n'avais pas lu – pour ne pas être accusé de s'adonner, à ses heures perdues, à de la sous-littérature, indigne de son génie.... Lorsque j'en eus terminé la lecture, la beauté et la profondeur du livre renforcèrent ma première opinion. Seul un génie comme Shelley avait pu écrire un tel ouvrage.

    z4642cimetière.jpg

    Entre temps je me suis rendu compte de mon erreur... Toute une partie pédagogique du film est faite pour chasser de tels malentendus. Qui dénotent une insupportable et stupide idéologie de mâle blanc ne manqueront pas de spécifier les éventuelles lectrices qui se seront aventurées dans ces lignes. De nombreuses scènes nous montrent la jeune Mary de seize ans totalement obnubilée par la littérature gothique fort à la mode en ces temps. Châteaux hantés, fantômes, esprits, brouillards et cimetières. D'ailleurs Mary s'en vient souvent se recueillir sur la tombe de sa mère morte après l'avoir mise au monde. Situation ô combien romantique ! Plus tard en compagnie de Shelley nous la voyons assister à des expériences scientifiques sur le galvanisme. Le coup de la grenouille décérébrée qui remue la jambe lorsqu'elle est soumise à l'électricité, un truc encore utilisé au par les professeurs de SVT pour susciter l'intérêt des collégiens. Peut-on ramener les morts à la vie ? Peut-on fabriquer du vivant à partir de la mort ?

    z4642autreaffiche.jpg

    Mary n'est pas née de la dernière pluie de l'ignorance. Ses géniteurs furent des intellectuels en avance sur leur temps pour employer une expression convenue quand on ne veut pas révéler l'étendue du scandale. Son père William Godwin passe encore pour un des premiers théoriciens de l'anarchie, sa mère Mary Wollstonecraft s'élève dans ses écrits contre la supposée domination naturelle des hommes sur les femmes, mais pire que cela elle s'attira la réprobation de la bonne société par ses liaisons amoureuses.

    Avec un tel bagage héréditaire il n'est pas étonnant qu'une conjonction s'établisse rapidement entre Shelley et Mary. Godwin est une des idoles intellectuelles de Shelley et Mary étouffe quelque peu entre sa belle-mère et son père qui la met en garde contre une vie trop libre et aventureuse qui attirèrent sur sa mère bien des critiques acerbes et nombre d'humiliations sociales. Qu'importe, nos tourtereaux sont jeunes, beaux, intelligents et prêts à tout affronter.

    Rien ne vaut le passage à l'acte. Mary en compagnie de sa demi-sœur Claire rejoint Shelley. Le monde n'a qu'à bien se tenir. Se contente de les laisser patauger dans la misère. mais c'est Shelley qui se tient mal. Remarquez pas plus mal que les Rolling Stones en leurs débuts. Mais les temps ne sont pas hélas très rock'n'roll. Shelley professe une vision et une objectivisation de l'amour emphatique. L'individu se doit d'être libre, de suivre ses goûts, ses couleurs, ses inclinations, ses désirs... Rien ne saurait l'entraver. Il est partisan de la liberté sexuelle, pour lui, et pour les autres, y compris Mary. Qu'il pousse dans les bras de ses amis. La chaste ( ? ) et innocente ( ? ) Mary s'y refuse. Du moins dans le film. Dans la vie je ne sais pas, je n'y étais pas, plus tard dans le film on la verra attirée, en tout bien tout honneur ( ? ), par Polidori, le secrétaire de Byron.

    z4645bbok2+.jpg

    Car il a fallu fuir et quitter l'Angleterre, le manque d'argent, la mort de leur première fille, poussent les Shelley à accepter l'hospitalité de Lord Byron en Suisse. L'on s'ennuie quelque peu dans le château de Byron, le temps est pluvieux, tout le monde est obligé de rester confiné, à l'intérieur. Nos deux poëtes s'amusent comme des fous, discussions infinies, rires, cynisme, projets littéraires – notamment un concours de nouvelles fantastiques que seuls Mary et Polidori mèneront à bout - et fortes absorptions d'alcool... Ambiances rock'n'roll décadent... Pour les filles c'est moins cool, Claire la demi-soeur de Mary enceinte de Byron se voit signifier son congé et Mary non-remise de la disparition de son propre bébé entre dans une longue dépression...

    Toutes les souffrances, toutes les contradictions, et toutes les réflexions suscitées par le comportement de Shelley et de Byron se retrouveront dans le roman de Mary. Frankenstein est une longue exploration sans concession du cœur humain, un gouffre d'incompréhension égoïste sépare les êtres humains, l'on ne peut le franchir que par de précaires et chancelantes passerelles... Les monstres ne sont pas obligatoirement les moins avenants.

    z4644book.jpg

    Frankenstein est un chef-d'oeuvre. Mais le plus difficile reste à faire. Les éditeurs refusent de le publier, sujet trop scabreux pour être crédité à la plume d'une jeune fille de dix-huit ans. Il ne verra la vitrine des libraires que sans nom d'auteur mais augmenté d'une préface de Percy Bysshe Shelley... Mary se sent dépossédée de son bien... Dans une dernière scène Shelley, devant un public littéraire attentionné, remet les pendules à l'heure, non il n'a pas écrit Frankenstein, la paternité, disons la maternité, en revient à sa seule créatrice Mary Shelley. Godwin se hâte d'en faire retirer une deuxième édition affichant en toutes lettres le nom de l'autrice...

    Un combat féministe gagné. Applaudissements approbateurs de rigueur. Le film est bien fait mais n'est pas un chef-d'œuvre. Pour moi ce n'est pas un problème, je me précipite automatiquement sur tout produit qui présente le nom de Shelley. Honnêtement réalisé, d'une facture classique, avec reconstitutions d'époque et menées psychologiques fouillées, mais il y manque ce brin de démesure shelleyienne que l'on retrouve par exemple lorsque Mick Jacker en jupette blanche lit à Hyde Park devant cinq cent mille personnes quelques vers d'Adonaïs, le poème de Percy dédié à John Keats, pour rendre hommage à Brian Jones.

    Mais au fait, avez-vous déjà rencontré Frankenstein ?

    Damie Chad.

    CRASH MIGHTY

    YOU DON'T KNOW ME

    ( Album numérique / Sortie 08 / 08 / 2018 )

     

    TINY : voice, tambourin / FRED : Drums / JB : Guitar / GEOM : bass

    Premier enregistrement du Crash Mighty au bout de deux ans d'existence, nous les avons déjà beaucoup appréciés en public à la Comedia...

    z4634crashmighty.jpg

    You don't know me : l'on fait vite connaissance, ne se laisse pas marcher sur les pieds la demoiselle Tiny, pourtant les gars ne lui font pas de cadeau, z'ont mis le bulldozer en marche et ils le conduisent avec précision, vous entreprennent la danse du crocodile affamé autour de ses jambes, appuient fort sur les pédales et ils ébranlent la masse mértallifère dur. Tout autre que Tiny s'enfuirait. Elle non, elle les avertit, elle vitupère à la vipère en colère, elle invective à la vitesse des rotatives, elle nargue et argue les deux poings sur les hanches, ne se démonte pas d'un iota. Du coup la guitare freine à mort et le taureau d'acier vaincu chute lourdement à ses pieds. Dommage z'avaient de ses appuyés rythmiques remarquables et de ces klaxons pointus à vous, et cette guitare qui klaxonne sans fin en guise d'avertissement ! So what : c'était trop bon, ils recommencent, le magma musical encore plus lourd, plus fort, plus rapide, des accélérations fantômales, la Tiny impériale dans le fracas, aussi smart et tranquille que si elle passait un coup de téléphone pédagogique au receveur des impôts, le timbre haut et cinglant, les boys n'en croient pas leurs oreilles, se déchaînent donnent tout ce qu'ils peuvent, jouent les hercules de foire qui en font des tonnes. Peuvent soulever des magmas de ferrailles ils ont perdu la partie, tant pis pour eux. Clueless : le retour des vengeurs, qu'elle ne compte pas s'en tirer à si bon compte, arrivent dans un orage de foudre et de poussière ferrugineuses, une batterie qui emballe, une basse qui percute et se désagrège, une guitare qui criaille, sont déterminés à la prendre en chasse, mènent la traque longuement, lorsque l'un est fatigué un autre prend la relève, autant dire que le train est rapide, Tiny tire la langue mais ne la perd pas pour autant, elle a les mots qui ricochent, les étire parfois comme des élastiques à catapulte, n'en continue pas moins à proférer sa vindicte, et ne perd pas de terrain. Fin brutale. Boom : ce coup-ci elle prend les devants, c'est elle qui guide le troupeau des éléphants, elle barrit comme mille sirènes d'usine, condescend à leur adresser la parole n'ont plus qu'à l'accompagner, au pas soutenu, elle devant, et eux derrière, en strict accompagnateurs, condamnés à porter les parasols ombreux pour la protéger du soleil. Elle pourrait s'arrêter là, mais non la vengeance est un plat qui se mange brûlant, elle accélère le tempo et c'est parti pour un galop final époustouflant. Fantastique charivari. Sickness : de quoi être malade. De quoi au juste on ne le sait pas, mais c'est grave. Urgence absolue, courent à l'hôpital comme des dératés, les boys en accélération constante et la Tiny qui les affole en criant au feu. A l'air de calmer quelque peu le train, mais ce n'est que pour repartir plus vite. Ça s'arrête brutalement comme s'ils avaient traversé un mur de béton et l'on ne voit plus rien derrière. Fun : c'est la suite, la même tuerie, la même chiennerie, mais ce coup-ci ils trouvent la chose plus marrante. Nous aussi, la même dose en plus rapide, toujours cette tension, et la voix de Tiny qui fout le feu partout où elle passe. Pandémonium exacerbé. Money : reprenez vos esprits, cette fois c'est sérieux, l'argent est le moteur du monde, les boys vrombissent comme des hélices d'avions, et Tiny vaticine sur les décombres, tout va mal dans la tête des gens, sont-ce des appels au meurtre ou au suicide, ce qui importe c'est que le mal se précipite sur nous pour nous avaler. Dans la gueule du monstre. Serious : l'on vous avait prévenu, c'est sérieux, les guitares moulinent, la batterie enfonce les clous de votre cercueil mental, un bruit d'armada en déroute, même que Tiny se tait longuement pour prendre conscience du désastre. Puis elle en pousse des cris d'horreur. Et nous de bonheur. Ain't that easy : il n'est pas facile de vivre, la vie défile à la vitesse d'un rock'n'roll pris de folie, z'avez l'impression que du haut de la barricade Tiny tire la langue au monde entier. Vous pouvez tous crever, seuls les Crash Mighty survivront, pour la simple et bonne raison qu'ils sont trop bons. Le plus terrible c'est qu'ils vous en apportent la preuve définitive. City : Tiny City. Ressemble un peu trop à notre monde. Photographie exacte. Des trous dans les murs. Des éclats de violence et de bonheur pulvérisés dans les coins. Un monde et une musique sans appel. Impitoyables et encore une fois ça se finit en catastrophe, le silence souverain après la fission nucléaire.

    Z4635PHOTO CRASH MIGHTY.jpg

    Superbe. Pas une once de graisse. Pas de longueurs inutiles. Pas un seul instant de relâche, une rythmique haletante, une voix au hachoir, une guitare trucidante, le tout en une cohésion parfaite. Une fois que c'est parti vous n'avez plus qu'à laisser filer. Des cassures, des reprises, des rebonds, des lignes de fuite, des chasses à courre, aussi péremptoires que des aphorismes de Nietzsche. Et Tiny – la voix de la conscience rock qui vous fouaille les entrailles. Sans cesse. Plus que vous ne pourrez le supporter. Impact maximal. Trop violent pour vous. Trop convulsif. Trop insolent. Trop beau. Avant de vous le procurer demandez-vous si vous en êtes dignes.

    Damie Chad.

    ROKH

    DÄTCHA MANDALA

     

    Nicolas Sauvey : vocal, basse, guitAR acoustique, piano, charanga, mandoline / Jérémy Saigne : guitares, backin' vocals / Jean-Baptiste Mallet : drums & percussion, backin vocals.

    Enregistré par Clive Martin at Berduquet in Cénac. France. 2017.

    Z4599datcharoch.jpg

    Have you seen the light ? : rythmique lourde et lente, et puis la voix qui s'élève comme le serpent de la kundalini hausse sa tête vers les étoiles pour mieux prendre conscience de sa queue qui niche dans votre sexe. Un morceau construit comme un opéra démiurgique. Parfois le lézard se métamorphose en papillon et puis redevient dinosaure ébranlant la terre de ses pas pesants. Scènes et climats se succèdent comme autant d'anneaux fascinants. Cris déchirant le ciel de leurs éclairs de solitude, cascades de batterie, obscurité des basses, incendies cohésifs, si vous n'avez pas vu la lumière c'est que vous n'avez pas su ouvrir les yeux sur la beauté intérieure du monde. Ne regrettez rien, un dernier foufroiement de cordes vous renverra dans votre sommeil. Sachez accueillir le brontosaure du rêve. Da Blues : au ras du blues. La terre du désir est toujours bleue. Et stérile. Le tout est de savoir transformer les bijoux du désespoirs en joyaux immortels. Autant rajouter du sel sur les plaies, de l'eau dans le vin, et du poison dans l'eau. Une voix qui monte vers les aigus comme l'on s'accroche à la tige d'une fleur pour être sûr de rouler au fond de l'abîme alors que le nuage rose de la vie s'était arrimée sur la crête effilée de la cime. Autour de cela l'orchestration monte et descend, dispose le décorum et se plaît à changer la disposition des meubles. Le grand style. Misery : une histoire douce et dorée pour vous raconter la noirceur d'un récit. Tout n'est qu'illusion, c'est vous qui repeignez le décor à votre guise. Le monde est votre propre projection. Il est inutile de se plaindre. Musique sourdine plus la voix qui conte et dévoile, et toutes deux gonflent comme ballon de baudruche qui aurait avalé le monde. Il est des proférations étincelantes aussi pointues qu'un poignard avec lequel il convient de se percer le coeur. Drame. Emphase. A vous de comprendre le chuchotement intérieur. Qui chante à votre oreille. Anahata : la batterie cogne fort à l'égal du muscle cardiaque dans votre poitrine, c'est à vous de miser et de participer au jeu du monde. Ce n'est qu'un jeu, mais si vous vous y prenez bien, vous gagnerez à tous les coups. La joie déborde, la musique s'amplifie et votre coeur est un gong qui bat plus fort et ébranle l'univers. Uncommon Travel : ne pas rester replié sur soi, ne pas rester prisonnier de son égoïste chez soi. La rythmique pousse, le papillon doit ouvrir ses ailes, l'éléphant doit entreprendre sa migration, la route est le lieu, l'ego est l'araignée au centre de la toile qui vous dévorera, mais la rythmique vous pourchasse de pièce en pièce, le moteur gronde, il est temps de reprendre le chemin du soleil. Smiling man : rosée de choeurs féminins et parfum de dulcimer, l'abîme est profond, mais tout le monde est capable de s'envoler, il suffit de s'accrocher au chant d'un violon, à un regard qui passe et darde vers le soleil, belle ballade à consonnance hippie. Un moment de grâce. Human free : le temps du doute précède celui de la libération, enthousiasme de sitar qui pousse en avant, un beau vertige, les paroles se rattachent aux petites branches mais la festivité instrumentale déchire le voile de l'illusion. Loot : morceau terminal car question cruciale, que sommes-nous certains de laisser derrière nous, lorsque nous mourrons. Nos trésors ne sont-ils que des mensonges ? N'entassons-nous que des illusions ? Qui peut répondre ? A part les Dieux. Le texte est truffé de mantras. Le morceau ambitieux est une juxtaposition de climats.

     

    Un album qui pourra paraître déroutant à beaucoup. Les références à Led Zeppelin sont explicites, pas vraiment le côté heavy-j'écrase-tout du Dirigeable, mais l'aspect spirituel du message. L'ouverture à d'autres sons, d'autres cultures, d'autres lointains. Et pourtant cette référence zéplinesque n'est pas totalitaire, un point de départ, une rampe de lancement vers une autre voie, un autre chemin, l'oeuf du serpent. Rien à voir avec un tribute-band, Dätcha Mandala entame une route, nous ne savons où elle les mènera, mais nous la suivrons avec intérêt. Contrairement à de nombreux groupes actuels Dätcha Mandala prend son envol, tel l'oiseau Rokh mythique qui a donné son titre à l'album, d'une aire temporelle qui ignore le punk et le hardcore. Le monde appartient aux courageux.

    Damie Chad.

    MONSIEUR VERTIGO

    Je ne demandais rien, déambulai par 35 ° calorifériques dans les rues de Mirepoix, 09 bande d'ignares, plus exactement me dirigeai vers le Off du Festival des Marionnettes, sis à l'ombre sous l'allée des arbres, lorsqu'un son de guitare s'est infiltré dans mon oreille, la gauche. Passais devant une maison et en ai conclu que l'habitant au frais se passait un drôle de bon disque, n'ai pas pu identifier le guitariste, style cool, un peu à la J. J. Cale, un beau touché en tout cas. Et puis plus rien. Normal je ne m'étais pas arrêté pour coller mon esgourde contre le volet. L'anormal c'est que soixante mètres plus loin la satanée guitare s'est remise à chantonner, en douceur, dans la rue déserte. Personne à l'horizon, ni devant, ni derrière, voilà qui exigeait une enquête approfondie. N'ai pas tardé à trouver le coupable. S'était réfugié sous le porche en retrait de la piscine municipale. Facile à identifier, étui de guitare à terre avec de maigrelettes piécettes au fond et gratte électrique en bandoulière. Une gueule sympa en plus. S'est même mis à pousser la chansonnette. Pas tout à fait mon style préféré, mais l'ensemble sonnait juste, et les paroles collaient comme un gant empoisonné au personnage. J'ai pris son CD, une maquette, et avons échangé quelque peu. Le lendemain, je l'ai retrouvé, l'avais choisi un endroit stratégique sur la place centrale entre trois truckers à frites écologiques, plein de monde autour de lui – majorité de filles.

    J'ai fait marcher mon service de renseignements, s'appelle Anthony Philippe, vient de Marseille, célèbre dans la cité phocéenne, y donne régulièrement des concerts accompagné par un groupe avec flûtiste traversière, si je comprends bien l'a dû auparavant barouder aussi dans quelques groupes de rock... Monsieur Vertigo est ce que l'on appelle un projet, moitié chanson à textes, sur douceurs cuivrées de guitare rock, un mélange harmonieux et somme toute assez attrayant.

    z4640vertigo.jpg

    Mésalliance : Monsieur Vertigo ne chante pas le blues mais il en a le serpent bien recroquevillé au fond de l'estomac. Un poids lourd qui vous rend rend l'âme titubante. Rythme balancé et désillusions de la vie en fond de miroir. L'amour ne dure pas toujours, consolez-vous la solitude entrecroisée ne vous trahira jamais. Impasse à deux sorties en sens interdit. Larmes de guitares à éponger sans fin. Un solo qui porte bien son nom. Tribulations : guère plus heureux, toutes les belles histoires finissent mal surtout celles qui commencent bien. Côté pile c'est plutôt goûteux mais lorsque vous vous regardez en face, c'est bien plus craignos... Heureusement que l'espoir fait rire et mourir. Faux optimisme des paroles, juste tristesse des cordes de guitares. Vérité : parfois il vaudrait mieux ne pas trop chercher à tout savoir même si la musique vous a des effluves de Dire Straits. Inutile de croire que le parler-vrai amadouera l'oiselle et éliminera les difficultés. Soyez sûrs qu'au contraire il aiguisera vos faiblesses. Défilé : défilé de filles, le problème c'est que vous n'êtes pas avec le haut du panier, la vie vous refile les invendus, trop souvent. Se valent toutes et l'addition finale ne pèse pas bien lourd. Rêverie : bluesery plutôt, le plus terrible c'est quand les cauchemars ne font plus peur parce que vous n'y croyez plus. Il pleut sur vos rêves comme vous pissez sur vos désirs. L'oiseau bleu : pour une fois le texte n'est pas d'Anthony Philippe mais de Charles Bukowski. L'on s'attend au pire. Mais non, ironie de l'écriture, il s'agit de la chanson – récitée sous forme de poème – la moins désespérée du CD. Un peu comme quand on a atteint le fond et que l'on tire des plus amères expériences un semblant de sagesse qui vous sert de béquille d'amertume pour avancer.

    Six morceaux, une seule ambiance. Interdite aux dépressifs. En deviendraient addicts. Le monde désenchanté des losers métaphysiques de l'existence. Une réussite. Sur la pochette Monsieur Vertigo effeuille la rose de la vie aux verlainiens vents mauvais. Un charme fou. Un doux poison.

    Damie Chad.