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robert gordon

  • CHRONIQUES DE POURPRE 576 : KR'TNT 576 : ROBERT GORDON / BOBBY CHARLES / JIMI HENDRIX / MERRY CLAYTON / LEO BUD WELCH / BURNING SISTER / THOU SHALL SEE / LIQUID MAZE / ROCKAMBOLESQUES

     KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 576

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    24 / 11 / 2022

     ROBERT GORDON / BOBBY CHARLES

    JIMI HENDRIX / MERRY CLAYTON

    LEO BUD WELCH / BURNING SISTER 

    THOU SHALL SEE / LIQUID MAZE

     ROCKAMBOLESQUES

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 576

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

    Le Gordon ombilical - Part Two

     

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             Tous les fans de rockab respectaient Robert Gordon, pas seulement parce qu’il fut l’un des géants du revival rockab des années 80, mais aussi et surtout parce qu’il s’est associé avec trois des plus grands guitaristes du XXe siècle : Link Wray, Danny Gatton et Chris Spedding. Robert le crack vient de casser sa pipe en bois, aussi allons-nous lui rendre un modeste hommage, comme toujours, avec les moyens du bord. 

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             Bizarrement, Robert le crack répondait aux questions de Mark McStea dans le Record Collector daté de novembre, sans doute son ultime interview. Oh, pas grand chose, juste une page. Robert le crack a beau être un immense artiste, on ne lui a jamais accordé des dix/douze pages qu’on accorde ces temps-ci à Robert Fripp ou à Paul Weller. L’interview est en fait une petite promo pour Rockabilly For Life, un album de duos paru en 2020 sur Cleopatra, un excellent label.

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             Fantastique album, en fait c’est le chant du cygne de Robert le crack. Tu veux du rockab chanté par un crack ? Alors écoute «Steady With Betty» ! Robert le crack taille la route avec Williamson, mais c’est Robert le meilleur, même si cette vieille carne de Williamson fait son cirque. Tu veux des coups de génie ? Tu en as trois, à commencer par «Let’s Go Baby», avec Sped, c’mon baby let’s go ! Robert le crack redevient le roi du monde pour trois minutes, il roule des hanches et du bop in it, ça coule de source et ça coulisse comme une bite dans la culasse, il y rajoute des wanna go home et ça donne une fabuleuse merveille. La bombe des bombes, c’est sa version de «Please Give Me Something», il duette avec Kathy Valentine, il tape dans le saint des saints, il le chante de l’abdo, ah le puissant seigneur ! Il te l’accroche au punch-up de tomorrow night. Tav Falco adorait aussi ce classique rampant qui est l’un des hits les plus dévastateurs du XXe siècle. Robert le crack te le groove sous le boisseau d’argent. Troisième alerte rouge avec le «Knock Three Times» de fin d’album. Cette fois, il duette avec Steve Cropper, c’est un heavy blues amené au revienzy de non-retour. Robert le crack + Crop, ça donne du béton armé. Pas de pire power que la conjonction de ces deux bétons à deux pattes, knock three time and come in, Crop joue dans l’effroi du beffroi et Robert le crack te filoche ça au fil d’argent, sa voix virevolte dans les effluves de l’extrémisme légendaire, c’mon in ! Comme on est à la fête aux duos, alors on accueille à bras ouvert «She Will Come Back». Il y duette avec Linda Gail Lewis, c’est-à-dire la sister du hellfire, ça donne un résultat puissant et bienvenu, tu plonges immédiatement dans le bénitier de la bella vista, et quand Linda Gail duette, elle duette, elle ramène toute la niaque de la Bible Belt. Autre duo de choc : «One Cup Of Coffee» avec Joe Louis Walker. Hot as hell ! Derrière Robert le crack, ça prend feu ! Le vieux Joe joue comme un dieu, mais dans cet environnement, ça prend du volume. Robert le crack fait encore un numéro de cirque avec «If You Want It Enough», oui, il te swingue ça de haut. Tous les duos sont superbes, on sort ravi de cet album. Robert le crack ne pouvait que finir en beauté.

             Dans l’interview, il évoque ses début dans les Tuff Darts à New York, oh non, il n’aimait pas les chansons des Tuff Darts - I didn’t like the negativity and the lyrics didn’t work for me. I wanted to sing rock’n’roll, I mean REAL rock and roll - Pour éclairer la lanterne de McStea il explique comment s’est fait le rapprochement avec Link Wray : c’est tout bête. Il en parle à son producteur, Richard Gottehrer - Oh j’aime beaucoup Link Wray et j’aimerais bien travailler avec lui - et pouf, Gottehrer localise le Linkster et le contacte. On connaît la suite. Tout le détail de cette suite se trouve dans le Part One, quelque part en 2018. Robert le crack insiste sur un point capital : «We were never straight rockabilly anyway. We played it with a New York punk edge.» Rusé comme un renard, McStea demande à Robert le crack s’il reste des inédits datant de cette époque. Robert le crack hausse les sourcils :

             — Je ne pense pas qu’il en reste encore. J’ai réussi à choper des enregistrements live inédits datant de 77 et 78 que j’ai fait paraître en 2020. Ce sont les deux CDs The First National Tour et The Last Tour. Ils ont réveillé de très grands souvenirs et le son de Link là-dessus is just phenomenal. On y trouve aussi des cuts qu’on a jamais enregistrés en studio.

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             Le petit conseil qu’on pourrait donner à la fois aux fans de Robert le crack, à ceux de Link Wray et à tous les ceusses qui apprécient les grands disques live, serait de mettre le grappin sur ces deux albums. Car quel cirque ! Tout est explosif, là-dessus, on n’avait encore jamais entendu Link Wray sonner comme ça. Real wild cat ! Dès «Twenty Flight Rock», Linkster explose le préambule du vestibule. Boom ! Ça continue avec l’une des meilleures versions de «The Way I Walk» jamais enregistrées. Robert le crack reprend la main avec «I Sure Miss You», il y fait son Elvis, il en a les moyens et Linkster lâche sa vieille bombe : «Rumble» ! Boom ! Puis ils explosent tous les deux le vieux hit de Jimmy Reed, «Baby What You Want Me To Do». On note chez Linkster une fâcheuse tendance à voler le show. Il surjoue en permanence. Plus loin, ils lâchent une nouvelle bombe, «Baby Let’s Play House», Robert le crack y va au hiccup et ça bascule dans la folie. Même chose pour leur version de «Lawdy Miss Clawdy». On peut même considérer leur version de «Boppin’ The Blues» comme l’un des sommets d’un art qu’on appelle le rockab. C’est du hard rockab, comme l’est cette version effarante de «Flyin’ Saucer Rock’n’roll».

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             The Last Tour est enregistré en Allemagne. Attention, c’est un double CD. Tout est bien là-dessus. Absolument tout ! On retrouve bien sûr les mêmes standards («Rock Therapy», «The Way I Walk» et un «Twenty Flight Rock» joué à la folie Méricourt). Il jouent «Heartbreak Hotel» à l’ultimate et tapent un «Lonesome Train (On A Lonesome Track)» wild as fuck. Linkster joue de l’émulsion de la congestion. À l’entendre, on croit qu’il implose. Et comme dans chaque show, Robert le crack sort fumer sa clope pendant que Linkster joue ses killah tunes «Rumble» et «Rawhide» au maximum overdrive. Il faut aussi l’entendre amener «Flying Saucer Rock’n’roll» à la sirène d’extra-alarme, ou encore taper «Baby Let’s Play House» à la cocote sauvage. On retrouve «Baby What You Want Me To Do», encore plus heavy as hell qu’avant, Linkster joue dans tous les coins, il va chercher les notes de la folie. Ils rendent aussi hommage à Gene Vincent avec une version démente de «Be-Bop A Lula», Linkster gratte comme un con, il dévaste les cuts les uns après les autres («Endless Sleep», «(You’re So Square) Baby I Don’t Care») et tout explose à nouveau avec «Lonesome Train (On A Loneome Track)». La qualité du set dépasse les bornes du jeu des mille bornes. On retrouve encore tout ce saint-fruquin sur le disk 2, ça démarre sur l’I don’t need a doctor de «Rock Therapy», Robert le crack veut juste a rock therapy et derrière, tu as le Linkster dans un nuage de fumée. Il bascule littéralement dans la folie. Apocalyptic ! Comme on approche de la fin de l’aventure Robert Gordon/Link Wray, Linkster passe à la vitesse supérieure et attaque «The Way I Walk» à la réverb furibarde. On n’avait encore jamais entendu un truc pareil ! Robert le crack ne peut pas en placer une, l’indien Linkster fond comme l’aigle royal sur le rock’n’roll, tu n’as même pas le temps de réaliser, il est déjà reparti dans des virevoltes. Il fout ensuite une pression terrible sur «Mystery Train» et bien sûr, ils enchaînent avec le «Lonesome Train», puis ça bascule dans l’horreur sonique avec «I Sure Miss You», qui est censé être calme, mais non, Linkster en décide autrement. Il veut l’enfer sur la terre. On sent bien que ces sessions allemandes sont des sessions historiques. Linkster dévore tout cru le pauvre «Baby What You Want Me To Do». On ne peut pas imaginer plus bel hommage à Jimmy Reed. Robert le crack allume «(You’re So Square) Baby I Don’t Care», avec bien sûr l’autre fou de Linkster dans l’angle qui repart en vrille. Il ne fait que ça, de la vrille. Leur version de «Wild Wild Woman» est de la folie pure, c’est insoutenable de grandeur, ça dégouline d’intrinsèque, Linkster joue à la cisaille extrême, la pire qui soit. Encore du wild rockab supernova avec «Baby Let’s Play House», Robert le crack joue la meilleure carte, celle de la rockab madness et tu peux faire confiance à Linkster, il va te jeter de l’huile sur le feu. Ils s’envolent tous les deux comme des vampires dans le ciel noir de «Sea Cruise» et Linkster démolit tout dans «Red Hot». Il tape dans le mur du son et l’écroule. On le voit physiquement se barrer dans tous les sens. Les trois derniers cuts sont the last recordings de ce duo mythique : «Lonesome Train (On A Lonesome Track)», «The Way I Walk» et «I Sure Mis You». Véritable chaudron des enfers. Cette triplette de Bellville est l’une des plus sauvages de tous les temps. Le génie combiné de Robert le crack et de Linkster bat tous les records.

             C’est en 1979 que Robert le crack s’acoquine avec Chris Spedding. Linkster souhaitait faire son truc de son côté, alors adios Link, hello Sped.

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             On ressort enfin les enregistrements live de Robert Gordon & Chris Spedding. Rien qu’avec la pochette de Tear Up The House, c’est dans la poche : Robert Gordon se coiffe et Chris Spedding, tout décoiffé, fixe l’objectif avec la morgue d’un dieu vivant. On est tout de suite frappé par le génie vocal de Robert le crack dans «Mess Of Blues». On croit entendre Elvis. Robert le crack groove Elvis jusqu’à l’oss de l’ass, avec le même genre de power, c’est stupéfiant. Pareil avec «I Beg For You», «Little Sister» et «Don’t Be Cruel». C’est du pur jus d’Elvis. Ils développent un shuffle de locomotive avec «Heart Like A Rock». Sped devient le Mécano de la Générale. Robert le crack shake ça à la lourde et Sped le suit. C’est une merveille absolue de déroulé, avec des relances à coups d’oh oh oh qui dépassent l’entendement. Avec «Don’t Leave Me Now», Robert le crack se transforme en fantastique bouffeur d’écran. Il arrache chaque fois la victoire à la force du poignet. Leur version de «The Way I Walk» est aussi une merveilleuse conjonction de big singer et de big cocoteur. Ils terminent le live 2008 avec «Red Hot», le cheval de bataille du Memphis bop. Robert le crack le chante à la cavalcade, avec ce démon de Sped in tow. Le deuxième live est encore plus spectaculaire. Ils démarrent avec un «Blue Moon Of Kentucky» assez explosif, Robert le crack tear up the house, comme l’indique la pochette. Il ne perd pas de temps avec les détails. Il taille la route et Sped fait son Scotty. Encore une extraordinaire combinaison cut + guitar + voice : «I Love My Baby». Sped speede sa chique. Il joue partout. Il brûle toutes les politesses. Et puis voilà l’hommage mythique à Gene Vincent : «The Catman». Sped l’allume à coups de sonneries insensées - Rock rockabilly rebe/ I sure miss you - Ils cavalent leur «Gunfight» à la tagada-tagada et explosent ensuite «Lonesome Train». Les voilà propulsés au sommet de l’art rockab, avec tout le génie du gratté de Sped et la niaque imbattable de Robert le crack. Ils restent dans les transports ferroviaires avec «Mystery Train». Sped le prend à la cocote suprême et une certaine violence dans la prestance, c’est affolant de train arrives. On les voit aussi taper une version musclée de «Lonely Weekend». Il n’existe pas sur cette terre de meilleur hommage à Charlie Rich ! Sped le riffe dans le lard de la matière et Robert le crack le chante à la sérieuse convertie. Quelle fantastique énergie américaine !

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             Puis il faut voir et revoir le Rockin’ The Paradiso, un Last Call paru en 2006. Le répertoire n’a plus rien à voir avec celui du temps de Linkster, c’est plus orienté sur Elvis, beaucoup moins explosif. Robert le crack est un gros pépère, mais sa présence est immédiate. Sped est aussi un vieux pépère, mais un vieux pépère affûté, ils démarrent tout de même sur «The Way I Walk». Sped reste aux aguets en permanence, la lèvre inférieure en avant. Quel fabuleux oiseau de proie, il joue du sur-mesure, il est dessus, comme l’aigle sur la belette. Il joue un peu en mitoyen. Quel spectacle ! Sped l’affûté et Robert le massif, un massif qui recherche en permanence la perfection au chant, il n’en finit plus de jeter tout son poids dans la balance, il est on fire pour «Lonely Weekends». Sped fait quatre cuts en solo, dont le fameux «Guitar Jamboree» où il imite tous les géants, Jimi Hendrix, Pete Townshend, Jeff Beck, Leslie West et quand il claque un bout de «Sunshine Of Your Love», il cite jack Bruce, pas Clapton. Puis Robert le crack revient pour des covers de «Bad Boy» (Marty Wilde) et «Little Boy Sad». Ce n’est pas un hasard si un guitariste aussi brillant que Sped accompagne Robert le crack. Conjonction extraordinaire de deux très grands artistes. Ah il faut les voir taper un «Bertha Lou» bien rampant et rendre un fabuleux hommage à Johnny Burnette avec «Rockabilly Boogie» !

             Retour à l’interview. Badin, McStea émet l’hypothèse suivante :

             — Vous avez sans doute rencontré pas mal de légendes du rock’n’roll. Any standouts ?

             — Billy Lee Riley was a riot. On a chanté «Red Hot» tous le deux à Green Bay. Et Frankie Ford was a real sweetheart. On a duetté ensemble sur «Sea Cuise», et ces deux hits se trouvent sur mes deux premiers albums.

             McStea veut en savoir plus. Il demande à Robert le crack quels sont ses meilleurs souvenirs.

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             — Too many to mention, man. J’ai juste eu beaucoup de chance. J’ai toujours pu travailler et j’ai rencontré des tonnes de great people, fans and musicians along the way. Je suis très fier de tous les albums que j’ai pu enregistrer over the years, mon préféré est I’m Coming Home qui date de 2014, enregistré à Nashville, et je suis particulièrement excité par le dernier album, Rockabilly For Life. On l’a enregistré au Texas.

             Et quand McStea lui demande ce qu’il écoute aujourd’hui, Robert le crack répond George Jones, Conway Twitty et Johnny Cash. Et puis il dit adorer Frank Sinatra, «the greatest singer ever. His timing and his phrasing are unbelievable. J’aimerais tellement enregistrer un album de ses chansons avec un orchestra. I bet it would sound great.»

             Adios amigo.

    Signé : Cazengler, Robert Gourdin

    Le Gordon ombilical - Part Two

    Robert Gordon. Disparu le 18 octobre 2022

    Robert Gordon & Chris Spedding. Tear Up The House. Sunset Blvd Records 2019

    Robert Gordon & Link Wray. The Last Tour. Growling Guitar 2019 

    Robert Gordon & Link Wray. The First Nationwide Tour. Growling Guitar 2019

    Robert Gordon. Rockabilly For Life. Cleopatra Records 2020

    Robert Gordon & Chris Spedding. Rockin’ The Paradiso. Last Call Records 2006

    Mark McStea : 33 1/3 minutes with Robert Gordon. Record Collector #537 - November 2022

     

     

    Tu parles Charles

     

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             Dans le petit booklet qui accompagne Wish You Were Here Right Now, Colin Escot commence ainsi son superbe portait de Bobby Charles : «It’s Bobby Charles’ personal preference to be in the background.» Bobby préfère la discrétion. Puis pour bien situer les choses, Escot cite les principaux hits composés par Bobby Charles : «See You Later Alligator», «Walking To New Orleans», «But I Do», «The Jealous Kind» et «Before I Grow Too Old». Selon Escot, Bobby Charles est un grand timide, un Cajun de Louisiane qui a grandi en parlant le Français autour d’Abbeville, Louisiana, où il a vu le jour. Puis ado, il voit Fatsy, Lloyd Price et Guitar Slim dans des juke joints. Quand il compose «See You Later Alligator», il est signé par Chess. Mais il refuse de partir en tournée. No way. 

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             Wish You Were Here Right Now est donc l’album idéal pour entrer dans le monde magique de Bobby Charles. Il y chante tous ses hits et reçoit des invités de marque, le plus important étant Fatsy sur «Walking To New Orleans». On a là du mythe à l’état pur, avec des cuivres, et tous ces mecs repavent le chemin de Damas, avec un solo de tiguili de Tommy Moran, un solo de sax de Jon Smith, et Fatsy arrive pour la lutte finale. Un autre invité de marque : Neil Young qui se pointe avec cette guitare Martin de 1928 ayant appartenu à Hank Williams. Le vieux Young arrive dans un environnement musical très purifié pour chanter «I Want To be The One» avec Bobby. Willie Nelson duette avec Bobby sur «I Remember When», mais c’est trop country, on perd le New Orleans qu’on retrouve par contre dans «The Mardi Gras Song» et les filles sont folles ! Et tu as en prime Sonny Landreth on guitar ! Ça joue à la folie. On retrouve l’excellent Sonny Landreth dans «The Jealous Kind», il joue avec une finesse qui en bouche un coin. Bobby traîne son Americana dans les limbes du swamp et il enchaîne avec du pur jus de New Orleans, «See You Later Alligator», une belle usine à rythme. Avec «I Don’t See me», il fait du heavy cajun de la frontière, il te fait tourner la tête, Willie Nelson et Neil Young grattent les grattes du paradis. Encore une ambiance de rêve avec le morceau titre, salué aux trompettes mariachi et percé en plein cœur par un solo d’une pureté cristalline. Bobby Charles cultive la pureté, qu’on se le dise.

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             Dans son fantastique Rhythm And Blues In New Orleans, John Broven consacre trois pages à Bobby. Il commence par rappeler que Bobby fut le premier white kid à percer sur la scène de New Orleans - The sound was New Orleans R&B with a Cajun feel, known now as swamp pop

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    Dans un autre Broven book plus ancien, South To Louisana - The Music Of The Cajun Bayous, Bobby donne tous les détails de son démarrage dans le music biz : «J’avais joué dans un high school dance in Crowley et un mec nommé Charles Redlich qu’on surnommait Dago avait un record shop. Leonard Chess était passé le voir. Leonard was a hustler. Il voyageait dans le Sud et enregistrait les gens dans les champs de coton avec un petit magneto. Il est passé à Crowley pour la promo de son label et a dit à Dago de lui passer un coup de fil si jamais il repérait un bon coup. Quand Dago m’a vu, il a passé un coup de fil à Leonard. Ça a démarré comme ça.» Bobby dit aussi que les gens de Chess l’ont signé parce qu’ils pensaient qu’il était noir - Quand je suis descendu de l’avion, ils étaient un peu surpris - Mais Bobby dit qu’ensuite ça s’est bien passé. Son «Later Alligator» sort sur Chess, mais il est balayé par la version de Bill Haley and His Comets qui en font le fameux «See You Later Alligator». D’ailleurs, les premières photos de Bobby nous le montrent avec «a Haley-type kiss curl» pendouillant sur son front. Broven rappelle que Bobby fait partie de la vague swamp pop de 1958-1961 qui comprend aussi Jimmy Clanton, Rod Bernard, Phil Phillips, Johnnie Allan, Jivin’ Gene et Joe Barry. Boven n’y va pas de main morte. Rappelons au passage qu’Ace a aussi la main lourde sur le swamp, avec ses fabuleuses séries Rhythm’n’Bluesin’ By The Bayou, Bluesin’ By The Bayou, Swamp Pop By The Bayou et Boppin’ By The Bayou. Attiré par l’appât du gain, c’est-à-dire le publishing, Lew Chudd signe Bobby sur Imperial. Il bosse alors avec Dave Bartholomew qui n’est pas habitué à bosser avec des petits culs blancs comme Bobby. Pour rigoler, Bobby menace Bartho de l’emmener avec lui en tournée s’il ne se montre pas plus gentil. Bartho éclate rire ! La glace est brisée. Après ça, ils s’entendent bien. Bobby compose l’excellent «Before I Grow Too Old» que va reprendre Fatsy. Il compose aussi «But I Do» pour Clarence Frogman Henry, un autre géant local. En composant pour Imperial, Bobby se fait rouler car il ne reçoit rien sur le publishing. Ce sont les pratiques de l’époque, il se dit cependant fier d’avoir composé pour Fatsy. Broven dit aussi que Bobby préférait vivre à l’écart dans son Bayou, avec un petit alligator domestiqué appelé Gabon. 

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             La compile Walking To New Orleans - The Jewel & Paula Recordings 1964-65 ressemble comme deux gouttes d’eau à un passage obligé. Jewel et Paula sont les deux labels de Stan Lewis, un disquaire basé à Shreveport en Louisiane. Il possède aussi Ronn Records, le label sur lequel enregistre Ted Taylor. «Ain’t Misbehaving» est du pur jus de New Orleans, on se croirait chez Fatsy, même dynamique et mêmes magical tricks round the corner. Bobby chante comme un black. Sa cover de «Walking To New Orleans» est un chef-d’œuvre intemporel - New Orleans is my home - et «See You Later Alligator» reste d’une incroyable modernité, il ramène tout le power du New Orleans Sound, diction géniale et power du beat, wild solo et you know my love is just for you ! Il fait aussi du rockab de Louisiane avec «The Walk», ce démon de Bobby peut ramener toute la folie du rockab dans son vieux juke vermoulu. Il chante déjà comme une rock star. Il tape une fabuleuse cover de «Good Night Irene» - I’ll see you in my dreams - Il groove Leadbelly ! Il tape aussi un «Oh Lonesome Me» avec des chœurs pubères, la fraîcheur de son Lonesome Me est un modèle du genre. Il passe à tous les coups, comme le montre encore «The Jealous Kind» - You must forgive me/ For the way I act

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             Le premier album sans titre de Bobby Charles paru sur Bearsville en 1972 bénéficie d’une bonne réputation. Une réputation qui frise même un peu le gros culte. Sans doute à cause d’«I Must Be In A Good Place Now». Bobby s’inscrit d’office dans la catégorie des meilleurs good day fishers/ Until the sunset in the hills, c’est un perdant magnifique, un expert en dérive, un débiteur de grooves fabuleux, il crée l’endroit comme le faisait Tony Joe White. Il cultive son Americana cajun avec «I’m That Way» et son «Tennessee Blues» vaut pour un vrai blues de cabane pourrie du bayou. Il attaque son album en parfait Louisianais, avec un «Street People» au son spongieux, une régalade. C’est du rock de cabane abandonnée, une vraie merveille pour les amateurs de Deep South. Avec «Losing Face», on retrouve certaines ambiances à la Doctor John. C’est un vieux boogie privé d’espoir. C’est bien que Bobby Charles soit condamné aux ténèbres, ça le sauve. Le vieux son le sauve. Il amène «All The Money» au petit gospel de Bayou - He got all the whisky - Il crée son monde - He got all the women - Il fait du profil bas, là où les autres se croient malins à vouloir faire du profil haut. Ses chansons sont fines, mais elles ne passent pas inaperçues. Elles rôdent dans l’inconscient collectif. Bobby est un mec calme, avec lui, les choses se posent. Puis voilà «Grow Too Old» qui fait planer la country par-dessus sa légende et c’est bien vu.   

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             Sur la pochette de Clean Water, Bobby Charles est peint dans le bayou avec guitare, sa femme et son fils. Cette petite peinture figurative donne bien le ton : album serein, placé sous l’égide du groove de «But I Do», qu’il fait au round midnite avec une stand-up et un gratté léger d’acou manouche. Bobby Charles se s’enferme pas dans la musique Cajun, même s’il ouvre son balda avec «Lil’ Cajun». Puis il fait comme Mickey Newbury, il gratte du heavy balladif pour chanter la fin d’une relation («Secrets») - How much longer can I take it - Avec «Cowboys + Indians», il donne une leçon d’histoire - The Indians had to move away/ They had to change their way - Mais c’est en B que se planquent les hits, à commencer par «Eyes», une Beautiful Song qui donne du temps au temps - And the only thing/ Is to find inside/ For a love that just won’t die - Il cultive les élans romantiques superbes. Avec «Lil Sister», il développe une fantastique musicalité, il a du monde derrière lui, des cuivres énormes, du piano et un big bassmatic. «Party Town» est du pur jus de la Nouvelle Orleans - New Orleans is party town ! - Il va le chercher au good time roll, il y a tout, même les clarinettes. Il termine en français avec «Le (sic) Champs Élysee (sic)» - Les femmes sont jolies/ Sur le Champs Élysee/ Ils vous donnent des envies - Il crée de la poésie avec un accordéon à la Kosma, c’est toute la différence avec le Champs Élysées de Joe Dassin. Bobby Charles en fait une merveille - Vive le bon temps/ Sur le Champs Élysée - et il repart de plus belle - L’amour c’est une fleur/ Sur le Champs Élysee/ L’amour vient du cœur/ Sur le Champs Élysee/ L’amour c’est la vie/ Sur le Champs Élysee - On le croit sur parole.

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             Bobby a soixante balais quand il enregistre Secrets Of My Heart. On y retrouve son fameux «Le Champs Élysée (sic)», avec les femmes sont jolies et les la la la, vive le bon temps sur le Champs Élysée. On y retrouve aussi Fatsy dans «Happy Birthday Fats Domino» - You and your music/ Touched my heart and soul - Cut mythique une fois de plus, pur jus de pureté d’intention, ils ramènent tout, les clarinettes du jazz New Orleans, les chœurs de filles, c’est énorme ! Avec «Angel Eyes», il touille du Mariachi, Bobby sonne comme Doug Sahm, la même classe, il a derrière lui les cracks de la frontière, dont Sonny Landreth. Il revient ensuite à son cher piano bar de round midnite avec «But I Do» - I don’ know why I love you/ But I do - Et là tu tombes sur l’un de ces solos de jazz guitar qui font rêver. On voit Bobby se fondre plus loin dans l’émeraude d’un lagon nommé «I Don’t Want To Know» et Wayne Jackson vient souffler dans ses horns pour «Party Town». Bobby prend «Why Are People Like That» au doux du menton, servi par un bassmatic bien spongieux et des cuivres rutilants. Tout est beau sur cet album, il repart chercher la beauté dans «You», il possède un sens aigu de la belle aventure - I close my eyes/ You’re everywhere I turn - Beautiful Song ! Avec «I Can’t Quit You», il tape dans les fastes du New Orleans Sound et de quit drinkin’, quit smokin’, but not you

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             L’un des meilleurs investissements que tu peux faire aujourd’hui, c’est Last Train To Memphis, un double CD bourré à craquer de Bobby Charles. Ça part en trombe avec un morceau titre, un joli shuffle rock Cajun chanté à la chaleur de la joue ronde, exactement à la manière de Fatsy.  Si tu en pinces pour le son Cajun, alors tu vas bicher avec «The Legend Of Jolie Blonde» et «Full Moon On The Bayou», où tu peux entendre Willie Nelson et Neil Young, avec en plus Clarence Frogman Henry au piano. Un enchantement ! On retrouve aussi l’excellent Sonny Landreth sur «I Spent All My Money Loving You». Bobby fait de la Soul de pop avec «I Wonder» et on retrouve Eddie Hinton on guitar sur «Everyday». Bobby développe sa mélodie chant de façon spectaculaire. Nouvelle invitée de marque : Maria Muldaur sur «Homesick Blues», grosse ambiance, mais ça monte encore d’un cran avec «Forever And Always», Sonny Landreth y fait des miracles - And there’s nothing I can do/ To change my feelings for you - Bobby chante avec une chaleur de ton unique. Encore un invité de choix avec Dan Penn sur «Sing», Spoon est à l’orgue, et on peut dire que c’est mille fois moins putassier que les derniers albums de Dion qui lui aussi invite à tours de bras. Bobby boucle l’album avec une belle version de «See You Later Alligator», du pur jus de New Orleans, Bobby chante à l’arrache de la légende, il rejoint Fatsy au firmament de la Nouvelle Orleans. Tu ne peux pas rêver mieux, plus pur, et ce solo de sax ! Sur le CD bonus, tu vas retrouver tous les hits, «Angel Eyes», «But I Do», «Walking To New Orleans», «Party Town», il est aussi bon que Dr John sur «Not Really Yet», et puis tu as aussi ce fantastique balladif, «I Remember When», et ce shoot de son Cajun qui s’appelle «I Don’t See Me», c’est une sorte de Best Of imparable. Tout est beau là-dessus. 

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             Paru en 2008, Homemade Songs grouille de choses connues comme «But I Do», «Cowboys & Indians» (chanson politique par excellence), «The Mardi Gras Song» (pur jus de New Orleans), mais tu as d’autres merveilles comme «The Football Blues», où Bobby chante comme son héros Fatsy. Il fait aussi du heavy blues avec «Queen Bee». «Pick Of The Litter» est plus country, il chante avec une retenue qui tourne au génie de fin de soirée. Il amène son morceau titre au piano et il redevient supérieur à tout, le temps d’une chanson, sa mélodie balaye l’océan, c’est stupéfiant de classe, il a cette ampleur. Avec «The Truth Will Set You Free», il annonce la couleur : promises/promises, c’est du vieux revienzy de bonne guerre, du traditionnel bump on down the road. Le voilà qui se lance dans le heavy Bobby avec «Always Been A Gambler», ooh what a mess/ What a mess, il sent que et requeque. Il reste dans la qualité supérieure de la présence intrinsèque, il débouche enfin dans l’échelon supérieur de l’Americana. Il continue de cultiver la puissance avec le big raw d’«How I Go Again», tout est beau ici-bas et ça se termine avec une petite fête au village, «Sweep ‘Em».      

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             Timeless est un album dedicated to Fats Domino. D’ailleurs, ça démarre avec le vieux «Happy Birthday Fats Domino», il le fait dans les règles du lard fumant, c’est bien que des mecs comme Bobby rendent hommage à Fatsy, et tu as Derek Trucks on lead. Bobby chante «Where Did All The Love Go» à la manière de Fatsy, bien dans la mélasse du New Orleans Sound qui encore une fois est un son à part en Amérique. Il drive «Clash Of Cultures» au groove des îles, c’est sa mesure, le slow groove un peu gras et tiède, il te le chante à l’haleine chaude, il est infiniment proche de toi. On retrouve Dr John à l’orgue dans «Little Town Tramp». Comme Dan Penn, Bobby Charles est un roi du soft rock. Sonny Landreth est aussi de retour sur «Nobody’s Fault But My Own». Seul Bobby est capable d’aller se traîner ainsi dans la gadouille du swamp. Ce sont les chœurs de filles qui amènent l’excellent «Rollin’ Round Heaven». Notre vieux Bobby s’étale dans un lit de roses, il chante à la rose éclose de filles en chaleur, elles sont complètement hystériques. Avec Bobby, il faut rester prudent. Il revient enfin à son heavy balladif de hamac avec «You’ll Always Live Inside Of Me», il adore se balancer dans la chaleur du swamp, juste au-dessus des alligators.

    Signé : Cazengler, Bobby Chasse (d’eau)

    Bobby Charles. Bobby Charles. Bearsville 1972 

    Bobby Charles. Clean Water. Zensor 1987 

    Bobby Charles. Wish You Were Here Right Now. Rice ‘N’ Gravy Records 1995  

    Bobby Charles. Secrets Of My Heart. Third Venture Records 1998   

    Bobby Charles. Last Train To Memphis. Rice ‘N’ Gravy Records 2003 

    Bobby Charles. Homemade Songs. Rice ‘N’ Gravy Records 2008    

    Bobby Charles. Timeless. Rice ‘N’ Gravy Records 2010

    Bobby Charles. Walking To New Orleans. The Jewel & Paula Recordings 1964-65. Westside 2000

    John Boven. Rhythm And Blues In New Orleans. Pelican Publishing Company 2016

    John Boven. South To Louisana. The Music Of The Cajun Bayous. Pelican Publishing Company 1987

     

     

    Wizards & True Stars

    - HendriX file (Part One)

     

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             Ce n’est qu’une hypothèse : il se pourrait bien que Jimi Hendrix soit le personnage le plus iconique de la culture rock. Au sens propre de l’expression, car il est merveilleusement facile à dessiner. On ne dessine pas un visage, mais un symbole. Et pas seulement le symbole de la culture rock, mais celui plus pointu du fameux sex & drugs & rock’n’roll, l’essence même de ton réservoir. Let me stand next to your fire ! Jimi boom, dès 1966, au hit-parade, juste derrière la petite grille du transistor à piles, tu as ce mec, on ne sait pas d’où il sort, qui se balade avec un flingue et qui annone gonna shoot my old lady co’ I saw her messin’ round with another man d’une voix si sourde qu’elle résonne en toi, alors tu fais comme lui, tu entres en osmose avec le mimétisme et tu erres comme une âme en peine, et tu vas en découvrir d’autres, And I’m trying to get on the other side of town, ta caboche d’ado boutonneux reçoit de savoureuses rasades d’électrochocs cosmiques, Will I live tomorrow? Well I just can’t say, au fond de ta grotte, tu viens de découvrir un dieu et tu lui sacrifies ta vie à coups de silex dans les poignets, et lorsque tu es enfin vidé de ton sang, tu comprends tout. Have you ever been experienced?

             Jimi Hendrix. Pas seulement iconique. Attachant, il devient ton deuxième meilleur ami. Aussitôt 1967. Tu passes tes soirées avec lui, tu viens de choper l’album, alors il te pose chaque soir la même question :Have you ever been experienced? Il t’ouvre à la vie, mais pas n’importe quelle vie, la vie sauvage. Tu dois te tuer pour renaître, Manic depression is searching my soul, tu n’entres pas dans un album, mais dans la tombe d’un prince, une tombe en forme de palais, over yonder, et tu sais que tu ne vis pas ta vie, Feel like I’m sitting at the bottom of a grave, tu vis ton rêve, il devient réalité, May I land my kinky machine?, tu t’arranges pour voler quand même, t’as pas de sous, alors tu te shootes à l’éther, Secret Oh secret, et après avoir voyagé autour de ta piaule pendant des années-lumière, tu reviens à l’essentiel, oooooh Foxy, I want to take you home, yeah

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             C’est à Mick Wall que revient l’honneur de pratiquer un peu plus d’un siècle après Rimbaud l’art suprême du bouleversement de tous les sens : il fait revivre Jimi Hendrix. Frappé de l’emblème iconique, le book s’appelle Two Riders Were Approaching, un vers tiré non pas du nez de Dylan mais d’«All Along The Watchtower». Wall plante carrément l’iconique dans l’iconique, avant lui, personne n’avait pensé à la faire. Personne ! Wall te fixe ça dans ton mur. Tu peux tirer dessus, ça tient. Et c’est pas fini. Car il réussit ce que personne à part Joyce n’avait réussi à faire avant lui : faire parler l’esprit. Jimi, c’est Ulysse. L’icône sort du cadre et te parle. Et tu la connais bien, sa voix, car tu l’as fréquentée pendant quatre ans, de 1966 à 1970, quasiment tous les jours. Jimi te parlait dans les chansons, mais aussi et surtout dans l’écho des chansons, tu connaissais la moindre de ses intonations, tu étais sensible à la chaleur de sa voix et à ses petites interjections, il parlait toujours à voix basse et c’est tout cela que Magic Wall restitue dans son Magic Book. Le book s’ouvre sur une party à Londres. Jimi vient de rentrer en Angleterre - Jimi partying. Playing grab-ass with the bell-bottomed well-wishers. High fives. Just got back, you know, in town for a few days, catch up with some goooood friends. Cool on the outside, feverish on the inside. Jimi mouldering. Looking for a place to hide. ‘Didja see Monthy Python the other night, man? So funny! The Ministry of Silly Walks.’ Jimi jiving his own version. ‘Oh man, so funny! We’d been smoking the Red Leb. Oh man, I nearly died!’ - Alors tu l’entends ? On l’entend bien, hein ? Magic Wall est entré dans la peau de Jimi et dès la page 2 de son Magic Book, tu tombes sous le double charme de l’auteur et du fantôme. Alors après, ne t’étonne pas de tomber sur des scènes d’une poignante véracité. Chaque fois, tu te dis : «Wow, on s’y croirait !». Mais ce n’est pas ça : on y est. Magic Wall te fait entrer chez Linda Keith. Vazy, entre, n’aie pas peur, elle ne va pas te bouffer ! - Plus tard, cette nuit-là, Linda fait connaître une nouvelle expérience à Jimmy. Le LSD. Il va vraiment adorer ça, dit-elle. Une fois de plus, Linda a raison. Linda voit. Linda sait. Jimmy n’a jamais expérimenté un truc so... so... Il chope son reflet dans un miroir. C’est Marilyn Monroe qui le fixe. Jimmy est sous acide pour la première fois, il revoit son reflet dans le miroir et il voit le futur. Son futur. Jimmy trippe, il zoome au-delà de la lune, bien au-delà des étoiles, il flotte dans l’espace temps avec Linda the angel. Près de lui, Linda capte le reflet de Jimmy dans le miroir et elle voit la même chose que lui - Magic Wall vient de te faire le coup du Room Full Of Mirrors et il te sert Linda Keith, personnage clé de cette histoire, sur un plateau d’argent. C’est elle, Linda Keith, la poule de Keef à cette époque, qui découvre Jimmy James à New York. Elle fait d’abord venir Andrew Loog Oldham au Cafe Wha?, Loog passe la main, car il entend dire que Linda baise avec ce blackos qui s’appelle Jimmy James, quel nom ringard !, puis elle fait venir les Stones, qui sont alors en tournée américaine, chez Ondine’s, mais les Stones restent de marbre, sauf Keef qui est le seul à comprendre pourquoi Linda s’intéresse à ce Jimmy James mal habillé, fringues fifties, alors que les Stones portent des fringues sixties, puis Linda fait venir Seymour Stein qui n’accroche pas non plus, alors elle tente un dernier coup avec Chas Chandler qui fait sa dernière tournée américaine avec les Animals, come down to see this incredible guy I’ve found.

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    ( Chas Chandler / Jimi Hendrix )

    Et quand Jimmy James gratte the mooding opening chords to ‘Hey Joe’, Chas pige tout de suite - And Chas Chandler’s mind is blown. Instantly - Comme si tu étais. Tu assistes à la scène en direct. Bouge pas, c’est pas fini !

             Magic Wall est tellement plein du génie de Jimi qu’il en devient génial. Il fait une overdose d’osmose, on assiste à ça en direct, à cette prodigieuse overdose littéraire qui nous remplit d’aise mais qui brouille aussi les cartes : doit-on saluer le génie de Magic Wall ou celui de Jimi, on ne sait plus, alors saluons simplement le génie d’un écrivain entré dans la peau de son personnage, et, comme on va le voir, ça peut aller très loin. Après le coup du Room Full Of Mirrors, Magic Wall nous fait le coup de l’Olympic. Pas compliqué : t’es assis juste à côté de Jimi qui, entre deux sessions, essaye de jouer des cuts de John Wesley Harding. Il est frappé par the spectral spirituality que dégage ce nouvel album de Dylan paru après deux ans de silence. Jimi vient d’essayer de jouer «I Dreamed I Saw St Augustine», mais ça ne marche pas, what Dylan’s talking about is just too deep - Frustré, il prend alors le morceau suivant de l’album, «All Along The Watchtower», Jimi s’identifie avec les premiers vers, finding some way out of here, mais il y a too much confusion, I can’t get no relief. Noel qui a vu Jimi cesser de bosser sur ses chansons à lui est allé au pub. Rien de nouveau. Typique de Noel. Jimi est soulagé de se retrouver seul, il joue la partie de basse lui-même et invite son nouveau copain Dave Mason de Traffic à venir l’accompagner sur une guitare acoustique. Mitch suit le mouvement. Tard dans la nuit, Brian Jones fait une apparition et s’assoit au piano, il propose d’ajouter une couleur, Jimi lui répond par un sourire, hey man. Mais Brian est tellement défoncé qu’il ne peut pas se servir de ses doigts. Jimi demande à Eddie Kramer de s’occuper de Brian - Et puis tu verras aussi Chas exploser, d’autant qu’on lui a mis du LSD dans son verre - Chas lost in a roomful of mirrors, hating in, il ne peut plus respirer, il se lève finalement de son fauteuil après 42 prises de «Gypsy Eyes», Jimi double, triple quadruple les prises de guitare et de voix, split-second perfection. ‘Let’s do it again, again, let’s do it again, okay that was nearly it, let’s do it again, again, okay that was almost it...’ - Chas se casse pour aller se coucher. Jimi reprend - ‘Okay, let’s try that again...’ Jimi est debout depuis trois jours et trois nuits. No sleep. Jimi est debout depuis cinq jours et cinq nuits, no sleep. Jimi shooting speed, snorting coke, chain-smoking joints, swallowing handfuls of acid. Plus d’effet. Jimi vit de nouveau à New York depuis qu’il est devenu célèbre. Jimi surrounded by starfuckers supreme. Jimi on a motherfucking roll now. You better look out ! Le co-propriétaire du record Plant Chris Bone se souvient trente ans plus tard. «J’allais dans le control room et Hendrix était à la console, fixant les moniteurs, burned out of his gourd and just loving every second of it. The man had a constitution like no other.  

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             Magic Wall tente aussi parfois de décrire l’hendrixité et ça donne des petits paragraphes fulgurants. Un premier exemple avec «Foxey Lady» : «Here in one hot blast was Jimi in his absolute youthful essence. Feedback, distortion, bent notes, dirty sex (the only good sex there is), tail-swishing funk corporeal, night-ravaged rock elemental. Jimi bearing down on his target like a snake with its tongue out, sizzling.» S’il existait un florilège des grandes phrases de l’écriture rock, celle-ci en ferait partie. Celle-ci aussi, cueillie dans la même page : «Jimi just liking the way the words rolled off his tongue - MANick deeeee-pression! Like some space-age sounding brain-thief deal gone sideways - rather than having anything to say about vicious mood swings or suicidal duck downs - heavy metal teen fiction with extra groove.» Le pire, c’est que les phrases de Magic Wall finissent par sonner comme des lyrics hendrixiens. Magic Wall s’immerge dans une mer d’osmose hendrixienne. Il en devient l’écrivain idéal. Pour évoquer la fameuse tournée américaine de Jimi en première partie des Monkees, Magic Wall sort de Jimi pour se glisser dans la peau d’un raciste blanc confronté au sex & drugs & rock’n’roll hendrixien. Il est important de rappeler que le public des Monkees est un public blanc pré-adolescent et que cette tournée fut pour Jimi une telle source d’embrouilles qu’il dut la quitter - Les gamines vierges de gun-totting, white-hate Injun killers mélangés à des Colgate-smile moms and pops amenant leurs kids voir them nice young fellers off the TV show. Pour être confrontés à... well what the fuck would you call it, Travis? Some black hippy drug-fiend homosexual making hell-shit noise, comme s’il implorait qu’on le pende. What the fuck is the world coming to, sheriff, I gotta put my kids in front of some fucking jigaboo degenerate singing about drugs and queers and fucking right there in the street in God’s own good daylight? - American nightmare, aux frontières d’Easy Rider et du KKK, Magic Wall n’en finit plus de plier le langage à sa cause, il fait de la brutalité verbale l’un des apanages de l’Amérique profonde et indique, avec un joli tact, que d’une certaine façon, Jimi l’a échappé belle. Oh pas pour longtemps. Ils vont avoir sa peau de toute façon. 

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             Magic Wall se surpasse encore lorsqu’il nous fait entrer au studio pour assister à l’enregistrement de «Voodoo Chile» - Well I’m a voodoo  chile, Lord, I’m a voodoo chile. The band - Mitch, Jack, Steve - falling into ghost step behind him, shadows taller than their souls - et il reprend quelques lignes plus loin - An Ameriacan negro spirituel for the Space Race, a big-city bluesman’s self mythologising meets American Indian woo-woo, The protagonist, a twentielth-century cowboy, born of third-eye gypsy woman... alien African shaman... shit-talking drums... sexual holocaust... the nighty incubus... Jimi spirit-walking the vocal: I make love to you in your sleep/ Lord knows you feel no pain/ Cos I’m a million miles away/ And a the same time/ I’m right here in your picture frame - Il se pourrait fort bien qu’Electric Ladyland soit le plus grand album de tous les temps. Ce n’est qu’une hypothèse de plus. Et tu retrouves the black-cat bones masterpiece «All Along The Watchtower», avec the riffing riff, the windswept rhythm, the gathering night - sans doute le cut le plus hanté de l’histoire, et c’est de là que sortent les two riders qui donnent leur titre à ce cénotaphe, et qui vont aussi buter Jimi - Two riders now approaching - fast - Et chaque fois que tu réécoutes Electric Ladyland, tu retombes dans la même stupeur, la même torpeur, dans ton éther d’antan, tu commences toujours par réécouter «1983... (A Merman I Should Turn To Be)», tu te demandais ce qu’était un merman et tu as découvert qu’il s’agissait d’un homme-poisson, ce fil mélodique te fascinait, il grondait légèrement, Jimi le chantait d’une voix faible et la pureté du fil se dessinait dans le simili-ciel rouge de ton plafond, And the sea is straight ahead, puis il consolidait cet ether avec un couplet chant précipité au beurre de Mitch, anyway ! On ne le comprenait pas bien à l’époque, Jimi chantait avec la voix d’un messie, mais si, A merman. Son départ en solo dans le chaos de la fin avait quelque chose de surnaturel, ce genre de phénomène ne trompe pas et après une longue accalmie aquatique, le thème revenait comme intraveiné par un coup de wah - We take a last look/ At the killing noise/ Of the out of style/ The out of style, out of style - Sur la même face, tu as le swing voodoo par excellence, «Rainy Day Dream Away», Jimi duette avec un sax puis avec l’orgue de Steve. Ce qui frappe le plus chez Jimi, c’est l’intelligence de son attaque au chant, cette façon de poser son Rainy Day sur le tapis ondulé du swing. Et plus loin, il te joue d’extravagants retours de manivelle. Dommage que le cut s’arrête en si bon chemin. Tu as aussi cette B incroyablement dense qui s’ouvre sur «Little Miss Strange». Power, full power, ça file au full blast de pop hendrixienne et Jimi passe son solo sous le boisseau avec une rondeur incongrue. Le beurre de Mitch sonne toujours comme une fricassée de fracas de freak-out. Sous les jupes de Miss Strange grouille la vie. Autre tour de magie : Jimi finit cet anti-groove de confrontation qu’est «Long Hot Summer Night» par une courte ascension cosmique qui te laisse rêveur. Tu tombes ensuite sur le come on sugar let the good time roll de «Come On», il t’en claque douze à la dizaine, vieux relents de Chitlin’, Jimi amène un son dont n’était capable aucun guitariste anglais, à part Jeff Beck. Encore une intro de génie pour «Gipsy Eyes», encore du pur jus de Chitlin’, il n’y a que ces blackos qui savent jouer le funky r’n’b de manière aussi sauvage, c’est la même wild energy que «Killing Floor», Jimi joue ça au fouette cocher, il étend les cercles de son cosmos, avec une profondeur de champ qui rend chaque cut complètement irréel. Aucun groupe n’égalera jamais la splendeur de ce merveilleux Spanish Castle qu’est Electric Ladyland. Chaque cut brille comme la facette d’un gros diamant noir dressé dans l’imaginaire du rock. Les premières secondes de «Burning Of The Midnight Lamp» ressemblent à une tarte à la crème et soudain, le son te tombe dessus : c’est la dramaturgie hendrixienne surchargée de plomb sonique et sous-tendue par l’un de ces solos cristallins probablement joué sur la Flying V psychédélique qu’on voit sur certaines photos. Jimi gronde sous la surface d’un son de fin du monde, il cherche à remonter vers les sommets, comme dans Watchtower, il crie dans le vent de la nuit glaciale, il est aussi visionnaire que Dylan, mais avec le pouvoir du son et la peau noire en plus. Si les tueurs de Jeffery ne l’avaient pas buté, Jimi aurait sans l’ombre d’un doute développé une carrière encore plus fulgurante que celle de son idole Bob Dylan. Inlassablement, tu reviens à «All Along The Watchtower», Jimi cherche une issue, il enrobe son too much confusion aux accords de saccage et il part en finesse pour aller crever le ciel si bas au-dessus de l’horizon, tout est gondolé dans cette merveille ascendante, il négocie le dernier virage avant la mort du petit cheval, il wahte un brin et entreprend de gravir les marches de son Ararat pour atteindre ce ciel qui le fascine tant, il repend une strophe de Bob, la chante du poumon, out/ side in the cold distance, il voit les deux riders approaching et il lance son solo comme s’il lançait un éclair vers le haut, un solo qui résonne de toute éternité. Il enchaîne ça avec le ‘Slight Return’ de «Voodoo Child» et cette fois, c’est le cut qui s’écroule sur Jimi. Il n’a jamais plu autant de feu sur cette terre ! Il chante au milieu des fumerolles et des cendres, il torture son chant de wild negro moderniste, il met toute l’énergie dont il est capable dans le raw de son gut et dans ses coups de médiator, il module à l’infini et le son s’enfuit, sur-pressurisé, alors Jimi envoie des coup de cisaille dans les flammes, des poutres de power te tombent sur le coin de la gueule, il écarte les murs à coups d’accords, il lacère la peau des éléments et survit momentanément dans les décombres de l’infini. Tout aussi stupéfiants : «Still Raining Still Dreaming», puis le morceau titre, et puis «Crosstown Traffic», la même plastique hendrixienne, le tell me it’s alright, les chœurs d’anges de miséricorde, le claqué d’accords inconnus, so hard to get to you, le rock acidulé, bonbon sucré, yeah yeah, il crée son monde à coups de look out. Et tu retombes fatalement sur «Voodoo Chile», il a raison Magic Wall d’en faire l’apologie définitive, car tu as franchement l’impression d’entrer dans le palais des dieux, Jimi chante ses notes, ça sent bon la pénombre parfumée d’encens, la chaleur lourde des riffs de blues, Winwood et Jack Casady qui jouent dans l’ombre, le son devient mythique à mesure qu’il se déroule, avait-on déjà vu ça ? Non, bien sûr que non. Jimi te montre simplement comment se chante le blues, il harangue ses phrasés, le son sourd de l’ombre et quelque part au fond du studio, des fantômes acclament, hey ! Alors Jimi veut une petite apothéose et ça se met à grossir dans le vieil écho du temps, tu n’as jamais entendu un tel son dans aucun album de blues, même pas chez Wolf, il y a un tel spirit dans cette façon de dérouler le heavy blues, Jimi fait tout avec peu, il hante la nuit du blues, il colore le fond des nappes d’orgue, il déroule de l’infini à l’arrière de l’épais shuffle, ça prend des allures sidérales, tu savoures chaque seconde de cette heavyness plombée par le bassmatic pachydermique de Jack the crack.

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             La reconstitution du lien qui unit Jimi à Brian Jones est l’un des fleurons de ce Magic book. Tous les deux ont des vies de stars très courtes : Jimi quatre ans et Brian cinq. Magic Wall nous le rappelle, en cinq ans, it’s over for Brian - Suck-cess had consumed him whole - Sur scène à Londres, Jimi dédicace - This one is dedicated to Brian Jones - Cette nuit-là nous dit Wall, Stash et Brian débarquent chez Jimi. Stash porte le manteau en peau de kangourou que lui a offert Brian, oui, celui qu’on voit sur la pochette de Between The Buttons. Jimi leur passe Are You Experienced? qui vient de paraître - ‘Jimi, that’s beautiful, man’ says Brian in a stupor. ‘So true. How did you know, man?’ - Ils sont tous les trois stoned - Brian twittering about the ‘essential similarities’ between Elizabethan ballads and Robert Johnson - C’est encore Brian qui accompagne Jimi dans l’avion pour aller à Monterey. Eric Burdon voyage dans le siège voisin - Jimi and Brian. Sun and Moon. Brothers, born nine months apart: Brian the eldest and, later, the first to go. Right hand, left hand. Black and white. Equals. Almost - Magic Wall a tout compris - Jimi liked Brian. Felt some of his pain. Jimi se battait lui aussi avec ses poules. Mais le lien n’était pas là. Ce qui les liait était le fait qu’ils étaient tous les deux des outsiders, square pegs in diaphanous holes. Brian, whispering and paranoid, Jimi, beaten hound-dog smile.

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              Brian Jones a raison de s’extasier sur Are You Experienced?. Magic Wall voit l’album comme «the sort of thing considered advanced, experimental, daring and - in this case - danceable. It is also, of course, exceptionally good to get stoned to, as it would remain. À Monterey, Jack Casady file à Jimi deux tablettes «of brother Owsley’s powerful Monterey purple. Jimi, born high, les avale toutes les deux. This on top of the STP Jimi and Brian dropped together that will keep them tripping for seventy-two hours. Au moment où Jimi monte sur scène, le feu l’a englouti. C’est Brian qui le présente au public - ‘the most exciting guitarist I’ve ever heard’ - lost in the trillon-vision head rush.» Et Jimi démarre avec «Killing Floor», «the Howlin’ Wolf juju que Clapton n’a pas réussi à jouer». Sur trois pages, Magic Wall reconstitue le fracas du Montery show à coups de BLAM-BLAM, de FEEDBACK et de DRAGON WINGS. Ah il faut avoir lu ça au moins une fois dans sa vie. Il insiste beaucoup pour rappeler que ce soir-là, sur scène, Jimi trippe. Stone free at last - Pete Townshend looking on from the wings, shattered, hateful, terrified. Burned.

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             Comme tous les gens passionnés par un personnage, Magic Wall lit tout ce qu’il trouve sur Jimi. Il livre à la fin de son Magic Book la liste des books dans lesquels il a puisé. Pour les die-hard Hendrix people, il recommande surtout le book d’Harry Shapiro & Caesar Gleebeck (Jimi Hendrix Electric Gypsy) - On y trouve tout, les faits, et les big etceteras. Pour les autres lecteurs, je suggère de puiser dans la liste. There’s some very beautiful ugly stuff here. You’ll know when you see it - Extrêmement bien documenté, Magic Wall évoque tout le gratin de deux des grandes scènes de l’époque, Londres et New York. Tiens à commencer par Curtis Knight - In reality, he was a pimp from Kansas with a stable of whores operating out of west Manhattan. Hey baby, a man’s gotta do! - Ou encore Aynsley Dunbar qui est candidat pour jouer dans l’Experience - Comme Mickey Waller, il voulait être payé. Il demandait trente livres. A week. Chas blêmit. Mike Jeffery avait été clair : pas question de mettre la main à la poche tant que ce funny-looking colored bloke sur lequel Chas avait craqué n’était pas un coup sûr. Chas était obligé de vendre ses basses pour tenir le projet. Il proposa 20 livres par semaine à Aynsley. The tough Scouser just looked at him. ‘Naw’ - Ou encore Miles Davis - Now here came Miles with his whole thing. Miles the legend, the voodoo master, the seen-it, done-it cat of all time. The Cassius Clay of black-music magic, fuck you up good as look at you. Jimi on high alert - Bien sûr, Betty Davis n’est pas loin, Magic Wall ne la rate pas - Betty était l’oracle. Elle connaissait tous les corps, black and white. There, in spirit, at Montery. Channelling acid-Frisco, coco-caine LA, smack-city New York. Flew with the Byrds, out-zapped Zappa, wigged-out Warhol, but fell special for Arthur Lee’s Love, Sly and his Family Stone and... Jimi Hendrix - Miles repère Betty dans un club, il lui propose d’aller faire un tour en Lamborghini, «il lui dit «I like little girls», à quoi Betty spat back ‘I ain’t no girl’.» C’est Betty qui fait écouter à Miles les albums d’Aretha, de Dionne Warwick, de James Brown et de Jimi Hendrix. Bizarrement, Magic Wall oublie de citer Sly Stone. Betty se retrouve sur la pochette de Filles De Kilimanjaro. Magic Wall cite l’album, car il contient deux cuts hendrixiens, «Brown Hornet» et «Mademoiselle Mabry». 

             Ce Magic Book grouille de tous les détails dont on peut rêver. On croyait bien connaître l’histoire de Jimi Hendrix, mais Magic Wall va plus loin encore dans l’investigation, il développe tous les points sombres, «The smack bust (in Toronto), les mafiosis chez Jimi qui s’entraînent à tirer sur des cibles, le kidnapping à New York et le Madison Square Garden mind-fuck», quand Jeffery refile deux tablettes d’acide à Jimi qui va monter sur scène, occasion pour Jeffery de virer Buddy Miles et de recadrer Jimi qui doit rester sa vache à lait. Mais le pire est à venir.

             Autre aspect flamboyant de ce book : Magic Wall fait son Michel Butor lorsqu’il entreprend de décrire en quelques lignes le fameux «génie du lieu». Il commence avec le Swingin’ London : «Boozed-up young bluehoods and glamourous gangsters, pushy snappers in night-timer sunglasses, flat-chested fashion queens and pilled-up film-star wannabes. The sort of after-midnight champagne-ghettos Paul McCartney and Mick Jagger showed up in, surrounded by pop-life hierophants like Robert Fraser and David Bailey, Stash and Peter Max, and well-dressed goddess-class girls like Twiggy and Marianne Faithfull, Julie Christie and Jacqueline Bisset.» Puis plus loin, Greenwich Village où sera découvert Jimmy James : «They were arty hangs, painters, actors, models, writers, Ginsberg-Burroughs-Capote-McKuen-type places, queer factories, heroin brotherhoods, the music all acoustic and rustic and full of bile and beer and green tobacco. Dave Van Ronk, Tom Paxton. Phil Ochs. John Sebastian. Maria Muldaur. Good people but serious. Educated. Moneyed. Indoor sunglasses. Cravats. Pipes. Can Anybody here say Tom Rush?» Greenwich Village où Jimi rencontre un jeune guitariste nommé Randy Wolfe qu’il rebaptise Randy California. Toujours dans sa série Butor, Magic Wall évoque aussi le Jazz Club de Mike Jeffery à Newcastle : «Il fit la rencontre de Chuck et Kath Ward qui furent heavily involved in the running of the club and in Mike’s dreams of a swashbuckling lifestyle. Jazz and art and after-midnight friendships with some of the city’s own freeform characters, ex-forces, small-time crims, off-books cops and their grasses, working girls, arse bandits, pill pushers, scrubbers and clowns.» Le sommet de cette série de génies du lieu est sans doute le Chitlin’ Circuit : «Chitlin’ Circuit gigs, cash in the claw, no stoopid questions. Riding around the Deep South, learning about life under Jim Crow law: can’t eat here, can’t piss there, watch your back po’ boy, one wrong look at a white woman that’s one less nigger on the bus.»  

             La mort. Magic Wall démarre avec elle et finit avec elle. Il donne tous les détails, ils entrent à trois chez Jimi, disent à Monika d’aller acheter des clopes et s’occupent de Jimi, lui font gober une fiole de pills et lui enfournent une bouteille de pinard dans la gueule. Le forcent à avaler. Dig ? Dans les dernière pages, Dark Wall donne une explication. Jeffery est sous pression. Il a emprunté du blé à Warner, à Reprise, et donc à la mafia pour financer les travaux d’Electric Ladyland. Il vient de subir le fiasco de Rainbow Bridge. Il ne dort plus la nuit, il sait que le contrat de Jimi s’achève et qu’il va se retrouver nous dit Dark Wall in the shit. Il sait qu’il ne va pas s’en sortir. Et il commence à réfléchir au two-million-pound insurance policy qu’il vient de souscrire sur le nom de Jimi. Ça devient lumineux. Toutes ces drogues, tous ces cinglés qui tournent autour de lui. Il se souvient de Brian Jones retrouvé au fond de sa piscine. Not so hard to imagine, is it? - Ce passage est d’une rare violence. Dark Wall en rajoute une petite couche avec la mort de Monika dans sa bagnole. Suicidée au gaz d’échappement. Monika avait des choses à dire. Un suicide ? Dark Wall se marre - Les rumeurs démarrent immédiatement. Monika has been killed. Like all the others: by forces unknown. Night moves. Stray gazes. Bumps. Baby, just you shut yo’ mouth...         

    Signé : Cazengler, Jimi Index

    Mick Wall. Two Riders Were Approaching. The Life And Death Of Jimi Hendrix. Trapeze 2019

    Jimi Hendrix Experience. Electric Ladyland. Track Record 1968

     

     

    L’avenir du rock - Les mérites de Merry

             Quand il était petit et qu’on lui demandait ce qu’il voulait faire comme métier quand il serait grand, l’avenir du rock répétait toujours la même chose : enfant de chœur. Ce qui ne manquait pas d’interloquer les adultes qui l’interrogeaient. Ceux qui se croyaient les plus drôles lui disaient :

             — Mais mon petit chat, ne crains-tu pas de te faire sodomiser par un gros prêtre libidineux ?

             D’autres le félicitaient de sa précocité.

             — C’est bien mon petit, tu as déjà trouvé ta voie spirituelle. Tu vas sentir bon l’eau bénite. Si tu sais veiller sur la pureté de ton âme, les anges t’accueilleront au paradis !

             D’autres le bousculaient :

             — T’as pas honte, sale petit morveux ? Les curés, c’est comme les bourgeois, faut les accrocher à la lanterne ! Enfonce-toi bien ça dans le crâne, gamin : ni dieu ni maître !

             D’autres s’inquiétaient :

             — Le temps des séminaires est révolu, mon chéri. À notre époque, les gens d’église crèvent de misère. Tu te repentirais vite de ce mauvais choix. Il te faut une bonne situation, représentant de commerce, par exemple, tu auras un portefeuille bien garni, la peau du ventre bien tendue et là tu pourras remercier le petit Jésus.

             L’avenir du rock n’en pouvait plus d’entendre tous ces gens donner leur avis sur son avenir. Cette manie qu’avaient les adultes de mettre leur grain de sel partout finissait par l’agacer prodigieusement. Ce que les adultes ne pouvaient pas comprendre, du fait de leur incurie et de leur absence totale d’intérêt pour autrui, c’est qu’en voulant devenir enfant de chœur, l’avenir du rock n’avait qu’une seule et unique ambition : chanter dans le gospel choir de Merry Clayton.

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             Merry naquit un soir de Noël à la Nouvelle Orleans. Elle se serait appelée Merry Christmas si ses parents ne s’étaient pas appelés Clayton. Avant de devenir une extraordinaire Soul Sister, Merry chantait derrière les gros bonnets du genre Elvis, Ray Charles, Joe Cocker, Tom Jones, Etta James, Bob Dylan ou Neil Young. De la même façon que Mable John, elle fit partie des fameuses Raelets qui accompagnaient Ray Charles. Elle finit par devenir célèbre en duettant avec Jagger dans «Gimme Shelter».

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             Pour une bonne compréhension de Merry Clayton, il est essentiel de voir le docu tourné par Morgan Neville en 2013, Twenty Feet From Stardom. Morgan Neville part du principe que certaines choristes comme Merry Clayton, Mable John, Claudia Lennear ou encore Darlene Love avaient l’étoffe de stars, mais elles ne devinrent pas des stars, seulement des choristes de renom. Tant mieux pour nous pauvres pêcheurs, car comme dit l’une d’elle, on ne les verrait pas dans ce film. Le passage consacré à Merry vaut son pesant d’or du Rhin. Avec un petit air extraordinairement narquois, elle raconte que, petite, elle vit Ray Charles en concert. Il était le seul artiste autorisé par ses parents, et elle fit un vœu secret : «I’ll be a Realet one day !». Et elle l’est devenue, au même titre que Mable John et Clydie King. Encore plus extraordinaire, la séquence où elle évoque le coup de fil à 2 h du matin pour aller faire les chœurs de «Gimme Shelter», avec un foulard Hermes par dessus ses bigoudis et un furcoat par dessus son pyjama de soie rose. Elle raconte ça d’un air espiègle, elle est fabuleuse ! Elle est tout d’abord choquée qu’on lui demande de chanter des paroles de guerre où on tue les gens à bout portant, car elle vient du gospel. Mais en vraie pro, elle accepte. Ils font une prise. Jagger demande si elle veut bien en faire une seconde - A second take ? Wow, je l’ai montée d’une octave ! - Jagger qui témoigne lui aussi en est resté sidéré, quarante ans plus tard. Puis elle attaque l’épisode suivant : «God sent me Lou Adler...»  Et on voit le vieux Lou en chandail blanc qui nous explique qu’il a tout fait pour que ca marche, mais ça n’a pas marché. Il y avait déjà Aretha et ça suffisait aux gens, apparemment.   

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             Lou Adler la signe en 1970 sur son label Ode Records et sort son premier album, Gimme Shelter. Elle y fracasse littéralement le hit des Stones. Oh the storm ! À l’époque on ne vivait que pour s’abriter de la tourmente avec les Stones, on connaissait chaque recoin de ce hit fabuleux et on savait exactement à quel endroit allait intervenir Merry. Mais là, c’est encore pire, puisqu’elle fait tout le boulot toute seule, elle avale les trois couplets, et c’est tout juste si on ne regrette pas le couplet chanté d’une voix de fausset par Keith Richards - If you don’t get no shelter/ I think I’m gonna fade away - Elle attaque ça avec une puissance qui relève le la pure inexorabilité des choses. On est là dans l’absolu du Soul Sister System. Elle arrache la beauté du ciel des Stones - Why don’t you gimme some shelter ! - Attention, cet album fourmille de coups de génie, comme par exemple «I’ve Got Life», un groove à la Marvin - I’ve got life mother !/ I’ve got life sister ! - C’est effarant de perfection. Merry refabrique toute la Soul. Autre coup génie avec «Forget It I Got It», pur jus de r’n’b sixties. Elle dégage autant de jus que Sam & Dave. Et si on ne veut pas mourir idiot, alors il faut aussi écouter «Good Girls», une belle pop de night-club que Merry éclate au Sénégal avec sa copine de cheval. C’est dingue ce qu’elle peut dégager. Voilà l’un de ces heavy r’n’b qui aplatissent tous les discours. On suivrait Merry Clayron jusqu’en enfer ! L’autre gros cut de cet album s’appelle «Tell All The People». Merry chante ça là-haut sur la montagne. C’est aussi l’époque où les grands shouters savaient finir des cuts dans des bouquets d’explosions faramineuses.

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             Lou Adler produit aussi son deuxième album sans titre. Elle attaque avec «Southern Man», un vieux groove signé Neil Young qu’elle chante d’une voix de première main. Elle ne peut pas s’empêcher de l’exploser. Attention, cette fille est dangereuse. Ne lui confiez pas vos petites bluettes, car elle leur fout un pétard dans le cul. Elle va chercher son groove dans sa fouille de délinquante. Parmi les gens qui l’accompagnent, on trouve Carole King et Billy Preston. Alors, pour remercier Carole, Merry reprend son «Walk On It» et l’allume. Elle éclate une fois de plus les attentes. Elle pulse au-delà du raisonnable. Quand elle attaque un heavy slowah comme «Love Me Or Let Me Be Lonely», elle refuse de tomber dans le pathos. Elle préfère en faire du r’n’b joyeux et se livre à un nouvel exercice d’explosivité expiatoire. C’est plus fort qu’elle. Elle ne peut pas s’en empêcher. Et comme c’est un cut à rallonges, on a tout le loisir d’admirer la capacité qu’a Merry de couvrir tous les registres. Elle explose un peu plus loin le gros «Sho’ Nuff» de Billy Preston. Elle l’explose, aidée par des chœurs de gospel. Elle dévaste tout, de la même façon qu’Aretha, et c’est peu dire. La chose tourne à la monstruosité - You are my hot desire ! et les chœurs font Yes I do ! Inutile de vouloir résister. Elle traite ensuite le «Streamroller» de James Taylor à la heavyness. Sur ce chapitre, elle n’a plus rien à apprendre. Elle envoie des Yes I am infernaux. Quelle énergie ! Quelle classe ! Le hit de cet album bourré de hits s’appelle «Grandma’s Hands». Elle prend le cut à la base, comme le fait Aretha, et elle l’élève par la simple pression de la voix. Elle traîne son grandma à coups de yeah yeah et ça tourne une fois de plus au coup de génie.   

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             En 1975, elle enregistre Keep Your Eye On The Sparrow. Le morceau titre qui fait l’ouverture surprend un peu par sa tonalité diskö. Merry chante sur un bon beat du samedi soir. Heureusement qu’ensuite elle passe au funk avec «Gets Hard Sometimes», mais pas n’importe quel funk ! Celui des bas-fonds de la cité, la funk sabré à la rythmique. Idéal pour une Soul Sister de cet acabit. Puis elle revient au r’n’b de type Aretha avec «Sink Or Swim». Elle épate car elle attaque exactement comme Aretha, avec une incroyable franchise du collier. Comme Aretha, Merry peut tirer un chariot du Far-West à la force du poignet. Elle dégage la puissance d’un attelage. Comme Aretha, Merry remplit l’espace sonore avec une aisance déconcertante. Elle le sature de beauté. Plus loin, elle attaque «Gold Fever» comme «Gimme Shelter». Quelle poigne ! Quel faste ! Quelle puissance de feu ! Elle peut chauffer un plat de nouilles rien qu’en chantant. Elle dégage tellement de jus qu’elle réactualise le rock en permanence. Elle dispose d’une vraie niaque de Soul Sister, comme Etta et Aretha. Elle ne perd pas son temps à donner des coups d’épée dans l’eau. Non, il faut que ça pulse. Merry ne vit que dans l’idée de l’épaisseur, du tangible, du vrai truc. Elle fait en B une reprise de Dylan avec «Rainy Day Women 12 & 35» et s’amuse comme une folle avec le fameux Everybody must get stoned. Voilà une vraie parole de prophète ! Si tout le monde se défonçait, la terre deviendrait un paradis. Elle termine cet étrange album avec «Do What You Know», un énorme groove de funk à la Sly Stone. Attention, c’est un hit dévastateur.

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             Et puis voilà Emotion. Merry est devenue une sorte de belle mémère et elle porte une jolie robe bleue. C’est un énorme album. On est frappé par la classe de «Cryin’ For Love». Elle y fait ce qu’elle a toujours fait, elle embarque le beat au long du chemin et elle chante au mieux de ses énormes possibilités. Son «When The World Turns Blue» est un balladif haut en couleurs et on peine à mesurer l’ampleur considérable de son chat perché. Les monstruosités se nichent en B, à commencer par «Sly Suite». Elle rend là un fantastique hommage à Sly Stone en faisant un medley de «Dance To The Music», «Higher», «Everybody’s A Star» et «Thank You». Elle utilise l’attaque de «Gimme Shelter», idéale pour entrer dans le monde du géant Sly. On sent tout de suite l’énormité du jus. Elle prend «Higher» à la gorge, elle arrache le gant du défi, elle brise la chaîne du paquebot, elle outche comme une boxeuse, c’est pulsé au meilleur beat du monde, wow Merry, Soul Sister des enfers ! Elle hurlevente dans les Hauts, elle démonte la gueule du funk - Thank you fatelin’ me be myself - Et elle finit cet infernal medley avec un «Everybody’s A Star» digne de Ray Davies. Elle enchaîne avec «Around And Extremely Dangerous», une fameuse pièce de Soul dansante de casino des jours heureux. Merry groove au meilleur des espérances fanées par le temps. Elle termine cet album dans l’excellence du balladif avec «Let Me Make You Cry A Little Longer». Comme toujours, elle travaille sur une palette d’effets assez large. Elle sait modeler des horizons, découvrir des régions inexplorées et monter au ciel dans un dernier soupir. Elle reste l’une des plus grandes Soul Sisters de son époque.

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             Merry refait surface en 2021 avec Beautiful Scars, l’un de ces albums dont elle a le secret. Il faut la voir poser sa voix de superstar sur l’«A Song For You» de Tonton Leon. Elle explose la rate du cut, elle est puissante et belle, l’album est à peine lancé et la voilà déjà grimpée au sommet. Comme Aretha, Merry est une reine de la démesure - I love you/ love you/ love you - Tout l’album est sur le même ton, c’est un vrai festin, elle enchaîne avec le «Touch The Hem Of His Garment» de Sam Cooke, elle ramène bien sûr tout le power du gospel batch, les blacks aveugles meuglent dans la pénombre de la nef et claquent des mains, là tu te retrouves dans le plus beau gospel batch de tous les temps avec Meery debout sur l’autel, c’est le génie originel, la source de tout le rock et de tout le roll, Merry explose dans la clameur des chœurs de gospel batch. Elle plonge encore dans des vagues extraordinaires avec le morceau titre, elle semble prédestinée à la sacralisation. Merry la prédestinée ! Elle grimpe au-dessus de tout ce que tu peux imaginer, les toits, le rainbow, la montagne, elle n’en finit plus de grimper. Il faut la voir entrer dans la rivière de «Love Is A Mighty River». Elle l’allume avec une niaque universelle et elle amène «God’s Love» au big fat groove de Soul, elle groove des reins. Elle est l’une des expressions du génie humain, elle sort un groove digne de celui des Edwin Hawkins Singers, elle te déplace ton continent, ça move sous tes pieds, yeah, et elle embarque tout. Elle sacralise le mythe de la Gospel Queen - As Jesus/ I knew he will/ Ooooh yeah - Elle rôde dans le gospel batch pour mieux le jazzer. Elle s’en va et elle revient, Un vrai délire ! Elle continue de monter avec «Room At The Altar» et on reste dans l’excellence du gospel rock de Soul avec «He Made Me A Way», elle est la reine du Boulevard de la Reine, elle déboise le bois de Boulogne, elle shake les Arethas dans le beefteak, elle bouffe le son tout cru, sans moutarde, elle pousse sa voix si loin qu’elle ne la voit plus et elle n’en finit plus de monter en épingle son délire absolutiste. Elle démolit tout.

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             Dans une fantastique interview parue dans Record Collector, Merry rappelle qu’elle voyait Sam Cooke et Mahalia Jackson à l’église. Elle ajoute que ses parents lui faisaient écouter Etta James et Sarah Vaughan et qu’elle a grandi avec Billy Preston. C’est justement Billy qui la fit engager dans les Raelets. Puis elle rappelle ce fameux coup de fil de Jack Nitzsche en pleine nuit, lui demandant de venir immédiatement au studio. Merry était enceinte, en pyjama et avec des bigoudis. Évidemment, Rob Hugues évoque l’avortement qui a suivi la session, mais Merry refuse d’en parler.

    Signé : Cazengler, Claytin des Alpes

    Merry Clayton. Gimme Shelter. Ode Records 1970

    Merry Clayton. Merry Clayton. Ode Records 1971

    Merry Clayton. Keep Your Eyes On The Sparrow.  Ode Records 1975

    Merry Clayton. Emotion. MCA Records 1980

    Merry Clayton. Beautiful Scars. Motown Gospel 2021

    Rob Hugues : Tough yimes, still Merry. Record Collector # 445 - July 2015

    Morgan Neville. 20 Feet From Stardom. DVD 2013

     

     

    Inside the goldmine

    - Pas de bide chez Bud

             Il squattait un bel appartement dans South Kensington. «Oh, this is a friend’s place. Elle est en voyage», disait-il. L’appart se trouvait au dernier étage d’un petit immeuble art déco. Avec son dernier étage en forme en dôme, l’immeuble attirait l’attention. Il nous installa dans une chambre en forme de quart de sphère et à la tombée de la nuit nous redescendîmes boire des pintes au pub qui faisait l’angle. Nous étions au bar et il se lança dans un long monologue, narrant dans le détail son arrivée sur la côte du Venezuela, l’achat d’un petit bateau, d’une cargaison de coke et l’enrôlement d’un équipage de rastas qui bien sûr ne savaient pas piloter un bateau. Ils dérivèrent et se retrouvèrent au large de Costa-Rica. Repérés par un patrouilleur américain, ils furent arrêtés. Les cops le jetèrent dans un cachot moyenâgeux. Lorsque la marée montait, son cachot se remplissait d’eau. Il n’eut le droit qu’à un seul coup de fil et il appela un ami avocat à Londres qui réussit miraculeusement à le sortir de là. Mais il perdit son bateau et sa cargaison. Il entreprit deux mois plus tard un voyage moins périlleux, cette fois au Maroc et revint à Londres au volant d’un van dont le châssis était aménagé pour contenir une tonne de résine, certainement la meilleure du marché. Des amis à lui qui étaient américains vinrent nous rejoindre au bar. Ils étaient de passage et se rendaient dans une party. Nous nous joignîmes à eux. Nous ne fûmes de retour au dôme qu’à l’aube, bien défoncés. Il revint frapper à la porte de la chambre pour nous souhaiter le good night sleep tight du White Album et nous présenter un plateau de rêve : s’y côtoyaient les meilleures drogues du monde. Nous fûmes touchés par la qualité de son hospitalité. Au breakfast du début d’après-midi, il nous accueillit avec un grand sourire et nous demanda ce que nous comptions faire de notre journée et comme rien n’était prévu, il nous demanda de l’accompagner à Notting Hill Gate où il devait selon son expression collecter some small debts. Nous partîmes à l’aventure le cœur chantant et sous acide. Arrivés dans Notting Hill, il nous demanda de faire le guet pendant qu’il descendait voir un mec dans un entresol. Nous entendîmes des coups et des cris, puis on le vit ressortir avec le poing écorché, mais il souriait. Un peu plus loin, il nous demanda de l’attendre au corner shop. Il disparut une nouvelle fois dans un entresol. Cette fois nous entendîmes des coups de feu. Nous allâmes nous planquer un peu plus loin pour attendre. Un très vieux nègre fantomatique aux yeux rouges sortit hagard de l’entresol, un corbeau perché sur son épaule. 

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             Quel choc ce fut de voir Leo Bud Welch sur la pochette de son premier album ! Il ressemblait trait pour trait au vieux nègre aperçu trente ans plus tôt à Notting Hill Gate. S’agissait-il d’une coïncidence ?

             Leo Bud Welch est né dans les années 30 à Sabougla, dans le Mississippi et il a passé sa vie à jouer dans les picnics avec ses cousins. Si on ne l’a découvert que sur le très tard, c’est parce qu’il a passé sa vie à jouer dans des églises. Kevin Nutt précise en outre que les églises fourmillent dans le Mississippi. Environnement idéal pour un vieux crabe comme Bud, car c’est dans les églises en bois que les gens appréciaient son vieux gospel blues tout vermoulu.

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             Quand on écoute son premier paru sur Big Legal Mess en 2014, Sabougla Voices, on comprend ce que veut dire l’expression «crabe mythique». À l’âge de 82 ans, Bud envoie «Praise His Name» directement au tapis. Le vieux entre au chant dans son boogie blues déshérité et on a là tout le rebondi du monde, le tribal américain et le punk craze des fils d’esclaves. Quel fantastique dévoiement d’énergie sauvage ! Jimbo Mathus et Matt Patton sont là. Il récidive un peu plus loin avec «Take Care Of Me Lord», pur jus de gospel punk blues, c’est unique dans l’histoire de l’Amérique, c’est explosé de son, tapé par la fanfare avec des chœurs de mecs. Et ça repart de plus belle avec «Praying Time», on a tout, le retour de manivelle, les filles derrière et tout le bataclan, le vieux gueule son shoot de génie, flavour de gospel batch croisée avec le punk-blues, c’est d’une rare sauvagerie, c’est aussi un monde en soi, un chef-d’œuvre d’excelsior et ça redémarre en fin de cut aux clap-hands. Si on aime le gospel batch, on se régale avec «You Can’t Hurry God» joué au piano de barrelhouse, le vieux Bud chante à la harangue, l’église branlante couine de partout. Et ça continue avec «Me & My Lord», cette fois des chœurs de filles l’accompagnent. Il est le parfait Big Legal Mess Gospel Boss. C’est tout de même incroyable que Jimbo Mathus et Matt Patton soient mêlés à cette histoire. Un banjo se fond dans la clameur du gospel. Bud passe au heavy blues avec «A Long Journey». C’est nappé d’orgue souterraine. Jimbo et Matt Patton rendent hommage au génie du vieux Bud. C’est Bud le boss. Pas d’Auerbach dans la soupe. Cet album fantastique s’achève au bord du fleuve avec «The Lord Will Make A Way». Le vieux sait de quoi il parle avec ses grattés approximatifs. Ça nous repose des Clapton et des autres premiers de la classe ! Le vieux Bud tape son blues au coin de sa cabane branlante, il est parfait, true to the truth.

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             L’année suivante paraît un album aussi allumé que le précédent, I Don’t Prefer No Blues. Le vieux rentre dans le lard du heavy blues dès «Girl In The Holler». Il chante à l’ancienne et les guitares sont terribles. Tout est bon sur cet album, on ne fait l’impasse sur rien. Le vieux a du métier, il faut le voir jerker son «I Don’t Know Her Name». Il chante ça au raw et gratte à l’os du jive. On peut qualifier ça de belle dégelée extravagante. Le coup de génie de l’album s’appelle «Pray On», ambiance Panther Burns avec du gratté flamboyant, c’est le Memphis beat dans l’excellence de sa violence. Véritable orgie de son, ça joue en plein et ça sature le spectre, ils jouent à pleins tubes, à pleines ventrées, à plein beat avec le vieux par dessus qui est déchaîné, il chante comme un vieil esclave qui encule les patrons blancs parce qu’il est le meilleur chanteur du monde, wow, mille fois wow ! Son «Going Down Slow» est l’un des pires heavy blues de tous les temps, c’est écrasé du champignon, le vieux chante au milieu des coups de slide envenimés, ça tape tout ce que ça peut dans le fond du studio et chaque fois le vieux remonte le niveau d’énergie du chant. Quel délire ! Il chevauche son «Cadillac Baby» et repart en mode squelette blues avec «Too Much Time». On entend la belle bassline de Matt Patton dans «I Woke Up», encore un extraordinaire bouquet de son, c’est extravagant, le vieux met toute la gomme d’Alabama. Big Legal Mess, c’est le vrai truc ! Encore un Heartbreaking Blues avec «So Many Tomorrows», le vieux tape ça à l’arrache du fleuve et on reste dans le heavy blues avec «Sweet Black Angel». I Don’t Prefer No Blues est certainement l’un des plus beaux albums de blues de tous les temps.

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             Paru en 2017, Live At The Iridium est un album un peu moins dense que les précédents, même si on y retrouve des cuts comme «Cadillac Boogie» ou ce vibrant «Praise His Name» que le vieux joue au petit groove de cabane branlante. On est plein raw, Bud est vieux, pas de dents, mais il shake son shook comme Hooky. Il amène son «Cadillac Baby» au «Ha’ go like this» et c’est un boogie d’une qualité incommensurable. À part Hooky et Lazy Lester, personne ne joue le boogie aussi bien. Il avoine son «Still A Fool» à l’édentée et c’est parfait. Il descend encore dans le primitif avec «Got My Mojo Working». Ça pousse à la roue de gros-Jean-comme-devant. Il passe tous les classiques à la casserole, «Five Long Years», «Woke Up This Morning», «My Babe» qu’il joue à la peau sur les os. Il fait aussi une version torride de «Rollin’ & Tumblin’», il tape ça à l’ancienne, il balaye d’un revers de main tous les Clapton à la mormoille, il est à bout de souffle, il gratte des accords moisis, il chante au max d’approxe, c’est du rootsy de rêve, claqué à la salivette. Il enchaîne avec un «Good Morning Little Schoolgirl» chanté à la dent branlante et battu à la sauvageonne. Ce fils d’esclave rend hommage to one of the American greats from the Grand Ole Opry avec «Walkin’ The Floor Over You» (Ernest Tubb) et il finit en apothéose avec «Me & My Lord». On peut aussi voir de ses yeux voir le concert, car le CD se double d’un DVD. C’est même la première chose à faire ! Le vieux porte des alligator shoes rouges et un costard brillant. Il est accompagné par une batteuse et un black barbu en casquette fait les chœurs. Le vieux gratte ses cordes du bout des doigts, old school blues ! Il faut le voir jouer ses riffs incisifs, il développe de vieilles dynamiques ancestrales tout en swinguant des deux pieds. Il déclenche tous les petits réflexes du boogie, il joue à l’intricate de la main gauche et gratte du bout des doigts de la main droite. Sur «Sweet Little Angel», il jazze en milieu de manche et fouette le boogie down de «Cadillac Baby» bien sec et net. Il passe tous les classiques du blues à la moulinette, il joue stripped-down mais diable comme c’est pur. La batteuse s’appelle Dixie Street, elle bat comme Tara d’Airplane Man. Le vieux joue Schoolgirl en petits riffs incisifs de mi-manche, il joue le spirit du blues, et il finit en mode gospel blues, c’est très spectaculaire.   

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             Le dernier album du vieux n’est pas sorti sur Big Legal Mess. Apparemment, il a changé de crémerie pour aller chez Auerbach, le recycleur de vieux nègres qui travaille surtout pour son compte. L’album s’appelle The Angels In Heaven Done Signed My Name est c’est loin du festin de son que propose Big Legal Mess. À l’âge de 87 ans, le vieux est aux portes de la mort et il continue de faire le clown. On sauve un cut sur l’album, «Jesus On The Mainline», car voilà un heavy blues taillé pour la postérité. Auerbach va même signer les liners de l’album. Ça donne une idée de la taille de son ego. Il tape l’incruste sur tous les cuts. On a perdu Matt Patton et Jimbo Mathus. Auerbach finit par mettre le grappin sur tout ce qui bouge, ça gâche le plaisir. Le son est trop chargé, ça frise la putasserie. Le vieux attaque «I Love To Praise His Name», mais il ne se méfie pas, les autres viennent lui bouffer la laine de son gospel sur le dos, ils le transforment, ils en font du gaga, ils n’ont RIEN compris, le vieux sauve les meubles comme il peut, c’est un spectacle atroce, insupportable. Et ça empire encore à la suite. C’est la curée des carpetbaggers. Mais comment un vieux renard comme Bud a-t-il pu faire confiance à ces mecs-là ? Les blancs jouent mal le heavy blues, ça crève les yeux dans «I Want To Be At The Meeting», ils jouent comme Clapton, c’est intolérable d’entendre du blues de blancs chez un artiste aussi pur que Leo Bud Welch. Le «Let It Shine» qu’on croise plus loin est encore plus catastrophique. Alors adios amigo, dommage que ça se finisse en eau de boudin dans les pattes de cet horrible opportuniste. On perd la pulpe de ton génie. 

    Signé : Cazengler, Léon Wesh Wesh

    Leo Bud Welch. Sabougla Voices. Big Legal Mess Records 2014

    Leo Bud Welch. I Don’t Prefer No Blues. Big Legal Mess Records 2015

    Leo Bud Welch. Live At The Iridium. Cleopatra Blues 2017              

    Leo Bud Welch. The Angels In Heaven Done Signed My Name. Easy Eye Sound 2019

     

    *

    Livraison 560 du 28 / 05 / 2022 nous présentions le premier Ep ( 5 titres ) de Burning Sister et trois vidéos issues de leurs deux singles parus à cette date. Or voici qu’ils viennent de sortir ce mois de novembre 2022 leur premier album.

    MILE HIGH DOWNER ROCK

    BURNING SISTER

    ( Album numérique / Vinyl / Bandcamp )

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    Ne vous prenez pas la tête sur la traduction des deux premiers mots du titre. Mile High est le surnom de la ville de Denver, où réside Burning Sister, capitale du Colorado située exactement à un mile ( = 1, 609 344 kilomètre ) d’altitude. Reste que cette localisation géographique permet un joli jeu de mots lorsque l’on associe   High à down(er), en quoi nous voyons une allusion à la Tabula Smaragdina, la fameuse Table d’Emeraude, qui dès sa première ligne nous révèle que ce qui est en haut est comme ce qui est en bas. André Breton le gendarme du surréalisme s’en est inspiré pour l’écriture de son texte le plus célèbre. Une tradition davantage terre à terre nous traduirait high downer rock par rock de la grosse déprime. Le downer rock tire ses origines des trois premiers albums de Black Sabbath, tempo lent, ambiance crépusculaire, mais il existe d’autres radicelles qui courent de Grand Funk Railroad à Blue Cheer et nombre de groupes de heavy metal… Le rock procède par métissages divers et variés. Les bâtards sont les meilleurs chiens du monde. Ils mordent plus fort que les autres.

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    Vous faudra plus d’un coup d’œil pour la couve. What is it ? A chacun son interprétation, l’ensemble reste flou, tout dépend quelle porte de la perception vous ouvrez pour y accéder. Burning Sister vous décontenance, exprès. Serait-ce un oiseau buvant à une source ? Une tête d’homme aux cheveux ébouriffés ? Le paysage final de La machine à explorer le temps de H. G. Wells ? Une mise en image du principe d’incertitude d’Heisenberg afin d’accroître votre sentiment de l’irréalité de la réalité ? Ce qui est sûr c’est que le vinyle est aussi rouge qu’une tache de sang frais. Anamorphosis.

    Steve Miller : bass, synthé, vox / Drake Brownfield : guitars / Alison Salutz : drums.

    Leather mistress : (chroniqué dans notre livraison  560 ) : voix dans les tuyaux, le serpentin des tuyères démarre, le riff arrive majestueux et imparable, les vertèbres du reptile balaient vos indécisions, la maîtresse de cuir est un dinosaure qui écrase tout sur son passage, la basse de Steve balaie les arbres pour lui laisser place, des chants tribaux retentissent au loin, sont noyés dans le fracas généré par  Alison, la guitare de Drake effile les épines dorsales du terrible lézard, c’est un morceau que l’on peut résumer en une question, comment faire pour ne jamais laisser agoniser un riff, comment en présenter toutes les facettes, en tirer la substantifique moelle, en

     en explorer et développer toutes les virtualités,  l’aider à s’accomplir, sans qu’une seconde l’auditeur jamais ne se lasse. Une démonstration de grande évidence. Nette et sans bavure. Faut de l’imagination et du savoir-faire. Un seul défaut à ce morceau, faut se forcer au bout de la dixième écoute à écouter le reste de l’album. Acid night vision : (chroniqué dans notre livraison 560 )  :  sans les images de la vidéo, la vision est plus noire, nous ne sommes plus dans les fantasmagories d’un dessin animé, nous voici projetés dans un gigantesque shaker, attention au milieu du morceau quand Alison touille de sa baguette la bouillie sanglante, question guitare imaginez un Hendrix privé des couleurs de l’arc-en-ciel, qui ne chercherait pas à faire miroiter la chatoyance du monde mais à en exacerber la fatale noirceur, avec la basse de Steve qui vous pousse dans les bas-fonds de l’horreur d’être né. Magnifique. The messenger : ce doit être une bonne nouvelle, avec ces notes toutes douces dont auraient été retiré toutes les harmoniques, Steve caresse son synthé, attention sur la fin, il tinte comme une pièce de monnaie lancée en l’air pour savoir si pile c’est l’heure de vous suicider et qui n’en finit pas de tournoyer sur le trottoir, à moins que ce ne soit le bruit d’un appareil intersidéral qui s’enfonce dans les limites de l’univers. Dans les deux cas une aventure humaine. Une expérience ultime. Cloven Tongues : (chroniqué dans notre livraison 560 ) : l’écouter sans la vidéo qui l’accompagne change la donne. Nous avions l’impression d’être dans un poème symboliste d’Henri de Régnier, ambiance mystérieuse, aperçus d’une beauté noire, nous voici projetés en un autre monde, maintenant avec ces chœurs de moines encagoulés, nous serions plutôt dans Le puits et le pendule d’Edgar Poe, ce qui paraissait inquiétant et curieux est désormais plus que menaçant, la guitare hérisse des riffs de fer tordus aux bouts acérés sanglants qui dépassent des murs et se rapprochent de vous, insidieux travail d’Alison et Steve qui poussent de toutes leurs forces derrière les cloisons mobiles, et la guitare de Drake imite vos cris de souffrance, maintenant vous entendez les rouages de l’immonde machinerie, raclements de ferrailles et de roues dentées, vous voici réduit en charpie de chair pantelante. Un titre qui ne fait pas de cadeau. Dead sun blues : ce n’est pas le blues des origines mais celui de l’extinction de l’espèce humaine, un son sale et sans apprêt – vous ne croyez tout de même pas valoir mieux – un chant de vomissure, une batterie en hachoir de guillotine, des cordes lugubres et oppressives. Les Sister Burning n’ont pas le blues joyeux, joyau oui, avec par exemple ce solo d’épines empoisonnées qui s’enfonce dans la matière grisâtre de vos méninges, qui prend un plaisir sadique à vous torturez. Soyons franc, en moins de sept minutes ils font la démonstration que le blues est une musique dans laquelle il est encore possible d’innover. De trouver du nouveau dirait Baudelaire. Plus près des cercles infernaux que paradisiaques tout de même. Seraphim : ne désespérez pas, une minute trente de Paradis avec les séraphins qui psalmodient des hosannahs sur les claviers du synthé. Avant le blues il y avait le gospel, n’est-il pas vrai. Burning Sister revisite la musique populaire américaine à l’aide de petits flashbacks. Des piqûres de rappel. Aïe ! S.I.B. : je ne sais de quel syndrome il s’agit au juste, mais l’on est parti pour une espèce d’oratorio heavy, Alison tonne comme Jupiter depuis le haut de l’Olympe et c’est parti pour un régal bien creameux, les surprises arrivent au bout de deux minutes avec ces dentiers souterrains de synthé qui rayent le plancher, ah ! ce traitement de voix assourdies, cette tubulure engorgée, et ces chœurs néfastes, et cette batterie insistante, le riff recommence et c’est reparti comme la troisième guerre mondiale en préparation, la fin est splendide. Je n’en dirai rien de plus. Je l’écoute. Désormais le monde se partage en deux, ceux qui ont écouté et les autres. Stars align :  l’alignement des planètes c’est quoi, c’est ce moment ou après avoir fait le tour de la question de tout ce qui a existé en leur domaine – fuzz, psychedelic, doom - un groupe se permet de continuer le chemin là où les autres se sont arrêtés. Ce groupe a un nom il s’appelle Burning Sister.

    Précipitez-vous !

    Damie Chad.

     

     

    THOU SHALL SEE

    Ah ! tu verras, tu verras ! En fait on ne voit rien. Drôle de nom pour un groupe, l’ancien pronom Thou ( = Tu ) du vieil anglais utilisé dans une formule qui rappelle le début de certains versets de la Bible. Ils sont allemands. Viennent de Stuttgart. Impossible de vous communiquer leurs noms : il y a L à la guitare et aux synthés, et J qui s’occupe du drumming. Aucun des deux ne chante. C’est un groupe instrumental. Autre incongruité, les titres sont réduits à des numéros. Z’auraient pu faire comme les romains qui numérotaient leurs enfants dans l’ordre d’arrivée. Octave ( huitième ) est le dernier prénom qui a survécu de par chez nous à cette coutume peu poétique. Mais non, les titres ne sont pas rangés dans l’ordre croissant ou décroissant.

    Sont donnés dans le désordre. Les adeptes de la numérologie peuvent ainsi s’en donner à cœur joie et offrir un sens à cette étrange façon de compter. Est-ce qu’ils ne savent pas quoi trastéger pour se faire remarquer, ou nous délivrent-ils un message crypté. Les synthétiseurs ne sont pas ma tasse de thé, mais j’aime ne pas comprendre, alors je me suis dit que si l’on ne voit rien, peut-être entendrais-je quelque chose. Si le texte des Georgiques de Virgile se lit aisément, il en est une autre lecture beaucoup plus secrète qui repose sur le comptage orphique des vers.

    ANCIENT HORRORS

    ( Album Numérique / Novembre 2022 )

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    Nous ne partons pas dans le brouillard, enfin si, sur la couve nous avons une nappe de brume, au-dessus d’un lac, l’Art Work est crédité à Adam Burke aussi connu sous le nom de Nightjar ( engoulement ) créateur d’un monde inquiétant, aux confins du rêve et du cauchemar, un royaume secret dans lequel chacun peut rencontrer ses peurs et ses obsessions. Ce n’est pas la première fois que nous trouvons une œuvre de Nightjar sur une couve de Metal. Le titre de l’album est aussi une clef de dol qui nous ouvre les portes abyssales. Le logo dégoulinant de sang de Thou Shall See est de Unknown Relic, autrement dit de Stephen Wilson. Le lecteur amateur de Metal visitera avec intérêt son FB, il ne manquera pas de s’attarder sur ses étranges abécédaires runiques qu’il mettra en relation picturale avec les numérotations romaines des titres.

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    XII : Résonnances et tout de suite des sons qui prennent la relève, des pas de géant qui avancent, derrière la basse dansent quelques arabesques discrètes, peut-être pas l’horreur mais une crispation s’insinue en vous, un peu mélo, l’impression de deux lignes musicales qui ne se rejoignent pas, la basse qui colmate des trous, et des notes légères qui tintent comme des bouts de vitres teintées de sang, matins blêmes et réveils d’assassin, 12 semble se précipiter mais le rythme n’en est pas plus rapide, démarche lourde, qui sait où elle va. Nous non. V : la même rythmique lourde, mais des orgues dramatisent la situation, celui qui marche n’arrête pas, même s’il semble davantage appuyer ses pieds sur le sol nauséeux. Ruissellements, glougloutements, le temps ne compte plus, des motifs entendus dans le 12 réapparaissent en plus aigus, la pointe d’un poignard qui a envie de boire une gorgée de sang, car même les objets rêvent à leur propre utilité. Respiration, souffles sur l’eau, de petits bruits indistincts, une mise à mort discrète et l’assassin reprend sa marche, maintenant l’on sait que ce n’est pas un homme mais quelque chose d’indistinct, une hagarde remontée d’on ne sait où. VII : moins de brouillard, la musique se fait clairière, elle n’en reste pas moins oppressive, elle tinte et roucoule, ça y est la chose arrive, l’on a envie que ce soit la fin du film, mais ce n’est qu’une séquence aussi éprouvante que les précédentes et les suivantes, un chant sans voix s’élève, le sept n’est-il pas un nombre magique, l’horreur fascine, nous n’y pouvons rien, nous avons cru que la chose venait mais peut-être est-ce nous qui allons vers ellr b, ambiance délétère, joyeuse aussi car serait la vie sans le sel âcre de l’inconnu qui résonne en des couloirs temporels inconnus mais qui débouchent dans notre monde. Il suffit d’ouvrir la porte et l’Horreur survient, le pire c’est qu’elle nous regarde, qu’elle habite nos structures mentales depuis toujours. Serait-ce le nom de l’accoutumance à nous-mêmes. Notre portrait crachat. Nous nous regardons dans le miroir et nous nous trouvons horriblement beaux. VIII : le 8 succède à sept, la même histoire qui recommence avec en plus ce gargouillement souterrain d’échos, qu’est-ce qu’au juste, quelle est cette chose qui rampe dans les couloirs de notre cervelle, la batterie empile ses coups comme l’on enfile ses verres au troquet, pire que l’horreur existe l’absence de l’horreur, celle qui vous catapulte dans la solitude de votre néantification. Le son se plie sur lui-même, il devient une grandiose liturgie, attention, demandez-vous le nom de celui qui s’offre en sacrifice. X : est-ce la fin, en tout cas l’on ne saurait rêver meilleur final grandiose, une note funèbre auréolée d’un orgue électronique qui imite la voix humaine et brusquement la lumière jaillit, nous nous croyions dans un temple troglodyte et nous voici dans une salle de fête, lumières éclatantes en battants de cloches. Est-ce parce qu’elles sont anciennes que le sang des horreurs se teintent d’un rose d’aurore…

    DEMO

    (Album Numérique / Avril 2021 )

    Peut-être la cathédrale de Stuttgart sur la couve, en tout cas ambiance gothique assurée. L’on se croirait dans un poème d’Aloysius Bertrand. Nous avons apparemment le début de l’histoire, le 1, 2, 3, 4, mais c’est le 2 qui ouvre le bal.

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    II : ouverture en inquiétudes mineures, éclatements de tôles de zinc, derrière une rythmique cavalcade, amplification tous azimuts, comme des voix indistinctes que l’on entend très bien mais que l’on ne comprend pas, le tempo ralentit, caresses de synthés et gifles de batterie. Nous ne sommes pas loin de l’ambiance des deux premiers morceaux d’Ancient Horrors, mais le son est d’une texture plus claire, davantage segmentée, moins pressurisée. L’ensemble sonne davantage répétitif. Mais l’on n’a pas le temps de s’ennuyer. Loin de là. I : tourment de vent, assombrissement d’ambiance, les pas pesants du 12 reviennent, une démarche que l’on jugerait humaine, le géant s’est-il ratatiné ou est-ce l’habitude, pointillés de cymbales sur un drapé de moire noire, intensité primitive orchestrale, l’idée que la machine s’est mise en route et que rien ne l’arrêtera, l’on veut voir la suite, nos yeux sont peut-être crevés mais nos sens perçoivent des mugissements rhinoférociques, de lents pachydermes qui broutent l’herbe de nos représentations. Accélérations. Il est curieux d’entrevoir comment Thou Shall See compose, L et J semblent partir d’une structure très simple, mais qu’ils complexifient en la segmentant au maximum, puis ils s’appliquent à en garder tous les éléments obtenus en les dispatchant tout autrement, je ne crois pas qu’ils comptent sur le hasard, je pense qu’ils procèdent avec soin et méthodicité pour que l’auditeur soit plongé dans une espèce de magma sonore touffu dans lequel il n’est jamais perdu car les fragments dispersés recomposent par alternance une continuité sonique des plus agréables, le labyrinthe est en quelque sorte fléché. III : cette pluie qui tombe, cet orage qui tonne, cette note qui stridule et cette autre qui siffle, cette batterie qui arrache ses pieds du marécage pour retomber plus lourdement, le ciel est bas et le paysage livide, il s’écarte de lui-même comme s’il voulait conquérir toute la surface de la terre, un synthé aboie pour nous prévenir, des gémissements montent des marais qui maintenant s’étendent à perte de vue, le cauchemar se reduplique à l’infini, il est impossible de s’en extraire, à chacun de vos pas sa surface augmente, aucune extraction possible, la glaise musicale vous enduit de sa gluance, elle monte le long de votre corps telle une lèpre assassine, vous sentez la modification, vous ressentez la momification de votre chair, l’argile qui la recouvre s’insinue à l’intérieur de vous, la musique appuie par à-coups sur votre tête pour vous enfoncer centimètre par centimètre dans la vase astringente, quelques bulles d’air s’en viennent crever à la surface, c’en est fini, la bande sonore se termine. IIII : un cauchemar n’est jamais terminé, l’écho s’en répercute sous forme de secousses telluriques qui se déploient dans les rêves des dormeurs, la mer de l’horreur roule sans fin ses vagues limoneuses, elles s’échouent sur le sable de votre mémoire, elles forment le premier matériau de l’inconscient collectif.

    Disons-le vulgairement, Thou Shall See vous en donne pour votre argent, même si jamais vous ne seriez prêts à payer pour de telles suffocations éruptives. Ils parviennent à renouveler les anciennes horreurs, à les rendre attrayantes, vous en redemanderez.

    Damie Chad.

     

    *

    Tiens un groupe de rock à Metz, cité qui n’est pas spécialement connue pour son impact rock ! Je n’avais fait qu’entrevoir ces trois mots et déjà je commençais mon cinéma dans ma tête. J’avais tout faux, le groupe n’est pas originaire de notre bonne ville françoise, il est autrichien, et se nomme LIQUID MAZE. Labyrinthe Liquide, attirant concept ai-je pensé, serait-ce des déconstructivistes, faut aller voir cette bestiole de plus près, n’ai pas été déçu par leur propre présentation : Delicious Psychedelic Art Rock. Viennent de Vienne. Or moi quand on dit Vienne me vient en mémoire la fabuleuse frise de Klimt consacrée à Beethoven, et je pense à ce double vocable de Sécession Viennoise, qui pose la rupture comme acte fondateur et novateur. Dans mon fort intérieur, un synonyme de rock ‘n’ roll.

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    Liquid Maze a déjà deux autres œuvres à son actif : Colors of Euphoria ( 2018 ) et Snake Jazz ( 2021 ).  Aiment aussi enregistrer live dans leur propre local  de répétitions, surnommé Metz, d’autres groupes alternatifs. Toutes ces sessions sont in extenso sur leur chaîne YT, The Metz Sessions. Charité bien ordonnée commençant par soi-même, ils se sont octroyés la Douzième.

    THE METZ  SESSIONS # 12 : LIQUID MAZE

    Novembre 2022 / YTBandcamp ) 

    Dominici Scheleinzer : guitars, vocals / Lukas Sukal : guitars / Gerald Grimpl : bass / Stefan Celanovic : keys / Sebastian Hödimoser : Drums.

    Vous avez deux manières de le regarder, soit sur le site des The Metz Sessions, vous assistez alors à la séance filmée, soit sur la vidéo présentée par Mister Doom 666 qui ne diffuse que le son. Une seule image sur l’écran, le logo du groupe qui ressemble à ces tampons chinois ou coréens qui servent à apposer la signature sur un document ou une lettre. N’est pas non plus sans évoquer le travail de Fernand Léger. Je préfère ce second choix, il laisse davantage place au rêve et au mystère.

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    Intro : tintement acoustique, l’on s’attendrait à quelque chose de moins convenu mais le morceau s’étoffe, chacun tisse son fil dans son coin, le résultat obtenu est loin d’être désagréable, sans surprise, mais un très beau son d’orgue, digne des britanniques années soixante. Industrial salvation : après les cacahouètes de l’apéritif passons aux choses sérieuses. Salvation l’on veut bien, car l’on aime bien, c’est agréable, industrial c’est largement exagéré. Je me répète, mais ça sonne très english sixties, pas original, mais très bien fait. Se lâchent un peu sur la fin. Pieces : reviennent sur le motif de l’intro, certes ils le développent, rajoutent du son et des falbalas auditifs, mais en fait ces neuf minutes de Pieces auraient été très bien accouplées aux trois minutes de l’intro. Seul avantage, la possibilité d’apprécier la voix et les qualités de Dominici au chant.  Prennent leur temps l’on croit que c’est la fin, juste un pont pour l’envolée finale. Give me a reason : dès l’intro l’on sent que l’on est parti pour un long morceau, genre gradation apocalyptique durant laquelle les musiciens vont se donner à fond. Ne nous déçoivent pas, lancent la machine à donfe. Félicitations à Stefan qui vient de rejoindre le groupe et qui n’a eu droit qu’à deux courtes répétitions, l’a un beau son, il est vraiment le vecteur sonique du groupe. L’ensemble est un peu trop pop à mon goût, mais ils ont du talent. M’attendais à quelque chose de plus avant-gardiste.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    (Services secrets du rock 'n' roll)

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    Death, Sex and Rock’n’roll !

     

    Cet épisode 7 de Rockambolesques est dédié à Claudius de Blanc Cap qui s’est donné la mort, ce 11 novembre 2022, suite au saccage de son œuvre maîtresse par les autorités étatiques. Rappelons que les démêlés de Claudius de Blanc Cap avec la justice de son pays et  l’Administration Ariégeoise sont à l’origine de la première série de nos Rockambolesques, intitulées alors Chroniques Vulveuses, dont le premier épisode parut dans notre livraison  154 du 05 / 09 / 2013. il est d’ailleurs un personnage de cette série. Nous rendrons ultérieurement un hommage à cet artiste non pas incompris mais pourchassé. La France est-elle le pays de la liberté ou de la bêtise ?

     

    EPISODE 7 ( PRESERVATIF ) :

    35

    LES MYSTERES D’ALICE

    ( Article extrait du Parisien Libéré )

    Communiqué du Rédacteur en Chef : Si je n’avais une absolue confiance en Martin Sureau et Olivier Lamar que nos lecteurs connaissent bien, jamais je n’aurais accordé la moindre confiance à cet article. Rappelons que Martin Sureau et Olivier Lamar sont affectés à notre Service Politique. Pas des huluberlus, ce sont eux qui depuis plusieurs années suivent, interviewent et analysent les propos de nos plus hauts responsables politiques. Ce qu’ils nous relatent est tellement étrange que je préfère leur laisser la parole.  

    Nous venions de quitter Troyes, nous avions dépassé Provins et rejoignions l’Autoroute afin de regagner Paris. Il devait être deux heures du matin et abordions la longue ligne droite qui coupe le village de Savigny en deux. A deux cents mètres de l’entrée du cimetière nous aperçûmes cinq points lumineux sur la chaussée. Nous ralentîmes, nous avons pensé à des bêtes, sangliers ou renards. En nous rapprochant, il nous a semblé discerné une forme couchée sur la chaussée. Moi Martin Sureau j’ai cru voir deux chiens sur le bord de la route, mon collègue Olivier Lamar est certain que c’étaient deux chats. Du côté de la modeste maison, sise en face de la grille du cimetière, il y eut comme un vague mouvements d’ombres. Nous arrivions tout près de l’obstacle. A la chevelure blonde nous identifiâmes un corps féminin. Olivier Lamar avait saisi son appareil photo, il prit quelques clichés. Il n’arrêta pas durant la suite des évènements. La victime était manifestement morte, toutefois j’appelai le Samu et la Gendarmerie. Il ne s’écoula pas dix minutes que le clignotement d’un gyrophare bleu signala l’approche d’un fourgon de la gendarmerie. Les trois gendarmes se hâtèrent d’installer un périmètre de sécurité et de procéder aux premières constatations. Qui furent très vite corroborées par le médecin du Samu, celui-ci confirma la mort de la victime, vraisemblablement renversée par un véhicule. Un infirmier recouvrit le cadavre d’une toile plastifiée blanche.  

    Durant deux ou trois minutes, tout près du cadavre nous échangeâmes nos impressions. En tant que premiers arrivants sur les lieux nous racontèrent ce que nous avions vu, c’est à ce moment que l’un des deux infirmiers s’exclama : « Quelle est cette odeur dégoutante ! Ça pue la charogne ! » et vivement il retira le drap plastifié qui recouvrait le cadavre. Nous fûmes horrifiés, cinq minutes plutôt nous étions en présence d’une jeune fille, et maintenant nous étions devant un corps en putréfaction, seule sa chevelure blonde indiquait qu’il s’agissait de la même personne. Nous étions tellement interloqués que nous n’avions pas fait attention à l’arrivée d’une voiture qui stoppa à quelques mètres de nous. C’était le maire du village. A peine eût-il jeté un coup d’œil au cadavre en décomposition qu’il s’écria : « Mais pourquoi avez-vous tiré la petite Alice de son cercueil, êtes-vous fous ! ».

    C’est nous qui le crûmes dérangé. Il s’expliqua, Alice Grandjean avait été tuée ainsi que son père et sa mère voici deux ans dans un accident de voiture, il reconnaissait ses vêtements, lui-même avait aidé à visser le cercueil. Le brigadier de gendarmerie n’était pas du genre à s’en laisser compter, il possédait un esprit pratique. Il ordonna à un de ses subordonnés et à un infirmier de garder le cadavre qu’il fit recouvrir de son voile plastifié, et tout le reste de notre groupe se dirigea vers le cimetière. Le maire nous mena devant la tombe des Grandjean, la sépulture n’avait pas été violée. Deux employés d la mairie appelés d’urgence vinrent desceller la dalle d’entrée. Les trois cercueils reposaient côte à côte. Ils sortirent celui d’Alice Grandjean, sur l’ordre du brigadier ils le dévissèrent et tirèrent la fermeture éclair du suaire. Alice était bien là, identique à son cadavre qui reposait sur la route sous sa bâche plastifiée blanche.  Nous retournâmes sur la route. D’un geste vif, le brigadier retira le voile qui épousait la forme du corps, dessous il n’y avait rien !

              Alerté, nous ne savons comment, le préfet du département de Seine & Marne nous a convoqués dans les minutes qui suivirent à la mairie de Savigny où nous avons été pris en charge par une cellule d’expertise-psychologique. Tous, infirmiers, médecin, gendarmes, maire, personnel de mairie et journalistes nous avons admis que nous avons été victimes d’un phénomène, pas si rare que cela paraît-il, d’auto-hypnose hallucinatoire collective.

              Evidemment nous n’en crûmes pas un mot. Pour notre part,   dépourvus de toute allégeance d’obéissance à un quelconque service étatique nous avons rédigé cet article au nom du principe sacré de la liberté de la presse dans le seul but de rapporter ces faits étranges dont nous avons été les témoins à nos fidèles lecteurs.

    Martin Sureau et Olivier Lamart

    P.S.: La pellicule des photos prises par Olivier Lamart - mon collègue travaille en argentique – s’est révélée vierge. De même l’appareil numérique utilisé par les gendarmes a été incapable de garder en sa mémoire une seule photographie.

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    Le Chef replia le Parisien Libéré dont il venait de lire l’article à voix haute et alluma un cigare. Pardon, un Coronado.

    • Agent Chad, tout s’éclaire, enfin nous tenons un bout de piste, ladite Alice écoutait bien le premier album de Black Sabbath, quant à ce que raconte nos deux journalistes, c’est une chance que nous ayons décampé dès que nous avons aperçu au loin les phares de leur automobile. Ce qu’ils relatent ne nous étonne guère, leur témoignage n’en reste pas moins précieux. Attention ces gaillards-là me semblent des teigneux. Leur tandem est bien connu dans les milieux politiques, je me suis renseigné, sont à l’origine du scandale de l’ancien Président de la République qui tous les mercredis matin séchait le Conseil des Ministres pour aller voir sa maîtresse. Rappelez-vous de cette vidéo croustillante prise par un drone, diffusée en temps réel sur les réseaux sociaux. C’étaient eux. De fieffés retors. Agent Chad, vous ne les quittez pas de la journée, toujours un œil sur eux, je suis sûr qu’ils sont en train d’en savoir davantage sur ce ‘’ vague mouvement d’ombres’’ devant la maison. Ce sont des fouineurs, je ne veux pas qu’ils remontent notre piste.

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    La nuit avait été longue et mouvementée, mais un agent du SSR ne dort jamais. Aussi frais qu’une rose je me levai d’un bond, Molossa et Molossito sur mes talons, j’avais déjà une main sur la poignée de la porte.

    • Agent Chad venez près de moi, j’ai quelque chose à vous dire à l’oreille.

    Désolé chers lecteurs, il est des choses qu’il vaut mieux ne pas savoir. Je n’aimerais pas que parmi vous les plus audacieux tentassent de s’amuser avec le Diable. En l’occurrence je me permets de vous rappeler que le Diable que nous poursuivons n’est autre que la Mort. Pas d’imprudence laissez faire les professionnels.

    Pour la deuxième fois de la matinée je m’apprêtais à ouvrir la porte lorsque la voix du Chef résonna une nouvelle fois.

    • Agent Chad !
    • Oui Chef !
    • Vous avez bien votre Rafalos 19 sur vous ?
    • Bien sûr Chef, il ne me quitte jamais, je le garde même tout nu sous la douche !
    • C’est bien ce qui m’inquiète !
    • La douche, Chef !
    • Non votre Rafalos 19, apportez-le-moi!
    • Voilà Chef !
    • Merci, prenez le mien, je me ferai moins de souci si vous avez sur vous le dernier modèle. Il possède un correcteur de tir qui lui permet de ne pas rater sa cible. De la haute technologie, un implant sur la gâchette lui permet d’entrer en contact avec les impulsions de votre cerveau et de comprendre intuitivement ce sur quoi ou sur qui vous voulez tirer.
    • Je vous remercie Chef !
    • Agent Chad, essayez de revenir vivant demain matin, et faites bien attention à Molossa et Molossito, ils ne possèdent pas de Rafalos 21 eux pour se défendre.

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    Je sifflotais en rejoignant ma voiture. Cependant je n’étais pas fier, je l’avoue, ce que j’allais faire, jamais aucun agent de n’importe quel service secret du monde ne l’avait jamais tenté, mais il vrai que j’avais sur moi un Rafalos 21, Molossa et Molossito à mes côtés, de surcroît un agent du SSR n’a jamais peur.

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 541 : KR'TNT 541 : ROBERT GORDON / LIAM GALLAGHER / CHEAP TRICK / WILLIE COBBS / THUMOS / TWO RUNNER / ILLICITE / ROCKAMBOLESQUES

     

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 541

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    10 / 02 / 2022

    ROBERT GORDON / LIAM GALLAGHER

    CHEAP TRICK / WILLIE COBBS

    THUMOS / TWO RUNNER   / ILLICITE /

     ROCKAMBOLESQUES

    Gordon moi ta main et prends la mienne

     - Part Three - Book me Bob

     

             Memphis Rent Party date de 2018. Robert Gordon opte cette fois-ci pour un recueil d’articles, le but étant de proposer une collection de portraits hauts en couleurs, comme le fit Apollinaire en son temps avec Contemporains Pittoresques. On y retrouve les incontournables, Sam Phillips, Charlie Feathers, Jim Dickinson, Alex Chilton, Tav Falco, Jerry Lee, Bobby Blue Bland et d’autres personnalités plus underground comme Junior Kimbrough, James Carr et Otha Turner.

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    Le personnage clé de ce recueil étant bien entendu Memphis - Memphis - my Memphis - likes the unquantifiable. Nashville, New York, and Los Angeles, they promise stardom - Il ajoute que si Elvis n’avait pas démarré à Memphis mais dans l’une de ces trois autres villes, il serait devenu une pâle imitation de Perry Como. Bien vu, Bob. Dickinson rappelle que Memphis ne sera jamais Nashville - We’re a bunch of rednecks and field hands playing unpopular music - Dickinson a toujours su se montrer fier de cette marginalité péquenaudière. Et pour introduire le chapitre consacré au juke-joint de Junior Kimbrough, Robert Gordon ressort le vieux théorème de Danny Graflund : «Memphis is the town where nothing ever happens but the impossible always does.» L’auteur ajoute qu’à Memphis les loyers sont moins chers, les jours plus longs et on y tolère beaucoup moins le narcissisme qu’ailleurs. Fin philosophe et accessoirement inventeur du rock’n’roll, Sam Phillips indique que the perfect imperfection est une manière de définir the Memphis approach to art. Et dans son intro, Robert Gordon travaille sa vision au corps : «Il y a une profonde vérité dans notre blues, dans notre rock’n’roll, dans notre Soul et c’est pourquoi ces trois explosions ont transcendé leur époque. Chacune d’elles reste un modèle, vibrant et référentiel. Chacune d’elle fut inspirée par une défiance envers les normes sociales, par la misère et l’orgueil, par une soif de nouveauté et de différence. Memphis ne s’intéresse pas à l’instant présent, mais à l’horizon. La générosité de Furry Lewis et d’Odessa Redmond m’a beaucoup appris. J’ai découvert, grâce à tous ces musiciens, blancs et noirs, s’efforçant de lutter contre la haine, la paresse et l’ignorance, que le très grand art peut exister dans l’ombre.» Robert Gordon définit clairement ce qu’on ressent confusément.

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             Tiens, puisqu’on parlait de Sam. Selon Robert Gordon, Sam n’est pas tout rose - The devil is in the details and Sam welcomed the demons - C’est en fait une invitation à entrer dans l’épais Sam Phillips de Peter Guralnick. On croit tout savoir et on ne sait rien. Comme dit Keef, ça vaut la peine d’étudier. Tiens, puisqu’on parle de Keef, Robert Gordon n’hésite pas à comparer Mud Boys & the Neutrons aux Stones, en insistant tout de même sur une petite différence : si les Stones avaient appris directement auprès des bluesmen originaux plutôt que des disques, ils auraient pu sonner comme Mud Boy qui eux avaient appris auprès des bluesmen originaux. Gordon enfonce le clou en ajoutant que Mud Boy privilégiait la personnalité plutôt que le spectacle, et donnait à sa musique de l’espace pour respirer. Et comme si cela ne suffisait pas, Dickinson grommelle : «I have something Mick Jagger can’t afford.» Pas la peine de faire un dessin. D’ailleurs, c’est Dickinson qui se tape la part du lion dans ce recueil de portraits plus vivants que nature. Prophétique, comme toujours, il déclare : «The art form of the twentieth century is undeniably music. And the most important thing that has happened to music happened in Memphis. It’s like being in Paris at the start of the twentieth century. Culture has changed as much in the last twenty years as it did then, and the reason has been music.» En matière de vision, Dickinson fait autorité. Pourquoi ? Parce qu’il sait. Pour avoir étudié, d’une part, et pour savoir réfléchir, d’autre part. Robert Gordon ressort pour l’occasion une interview de Dickinson datant de 1986 et jamais publiée. Quand on lui demande de décrire Mud Boy, Dickinson répond que Mud Boy est un esprit qu’on tente d’invoquer, de la même manière que les Pygmées de la rain forest invoquent le shaman. Il revient aussi sur Alex Chilton pour rappeler qu’à l’époque des Box Tops, il était salement exploité - Alex never received the royalties for anything until Flies On Sherbert, you can imagine how much he made on that - Alors Alex se livra au sabotage systématique - On Big Star 3rd, I watched Alex sabotage every song that had real commercial potential - Dickinson revient à un moment sur sa vision du métier de producteur : «Straight people are afraid of artists, and I am an artist, and a lot of producers aren’t. And that scares record company people, the idea of, This guy thinks it’s art not business.» Et il se demande bien pourquoi tout devrait être un hit - What a sick idea - All I do is make things sound better - En en matière de southern production, il n’y a plus grand monde qui fasse aujourd’hui ce que je fais - Plus loin, Dickinson rend un sacré hommage à Paul Westerberg - Westerberg is way better than anybody gives him credit for. It may be the best stuff I’ve ever done. The Replacements even have a song called ‘Alex Chilton’ - Pour revenir aux Stones, Dickinson pense qu’Exile On Main Street est un album ruiné par la cocaïne et qu’un simple album aurait largement suffi - Keeping the slop, that’s what I’d keep - Il fait aussi la lumière sur sa shoote avec Dan Penn. Ils avaient enregistré 8 ou 9 cuts et il y eut un problème de fric, alors Dickinson s’est barré. Pour se venger, il a produit le Big Star 3rd que voulait produire Dan - I think revenge is the noblest human motive - Questionné sur Jerry McGill, Dickinson indique qu’il a enregistré d’excellentes choses avec lui. On les trouve d’ailleurs sur le disque audio qui accompagne le DVD Very Extremeley Dangerous, un docu qu’a tourné Robert Gordon sur McGill. Le titre de l’album de Mud Boy Known Felons In Drag vient de McGill qui était le road manager de Waylon Jennings. McGill était recherché par les flics, et pour leur échapper, il se déguisait en femme. Mud Boy jouait en première partie de Waylon Jennings et Sid Selvidge reconnut McGill - Yeah that’s got to be McGill or that’s the ugliest woman I ever saw - Alors McGill lui aurait dit : Known felons in drag. S’il est un autre personnage sur lequel Dickinson ne tarit pas d’éloges, c’est bien sûr Tav Falco, qu’il appelle Gus, diminutif de Gustavo. La première fois qu’il le vit chanter, ce fut avec une version de «Bourgeois Blues» en forme de happening. Tav tailla sa guitare à la tronçonneuse, tomba dans les pommes et aussitôt après, Alex vint lui proposer de monter un groupe avec lui - And that was the birth of Panther Burns - Et puis quand Tav faisait son numéro du three-legged man, il épatait toute la galerie. Jerry Phillips disait : «The three-legged man is just the best thing I’ve seen since the bullet.» The bullet ? Ça ne vous rappelle rien ? Dickinson en fait une description fascinante dans son recueil de souvenirs, I’m Just Dead, I’m Not Gone. Le chapitre que Robert Gordon consacre à Dickinson fourmille littéralement d’aphorismes. Par exemple, Dickinson sort ça sur les Klitz : «They didn’t know what the notes were, they knew when the notes were.» Et Robert Gordon conclut en revenant sur le chaos de Sherbert : «The chaos of Like Flies On Sherbert was intentionally developped. Memphis wasn’t about getting it right or wrong, it was about getting it.»

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             On plonge à la suite dans un tourbillon de négritude céleste, à commencer par Lead Belly. Les Lomax le rendirent populaire, mais en même temps, ils en firent leur valet et leur chauffeur. On appelle ça la complexité relationnelle. Plus loin, on apprend que la famille de Robert Johnson n’a jamais reçu d’argent ni pour The Complete Recordings, ni pour les reprises des chansons, ni pour l’utilisation de cette photo où on le voit jouer de la guitare avec une cigarette au bec et que tout le monde utilise jusqu’à la nausée. Joli portrait de Junior Kimbrough, big man, with an air of quiet violence, simmering sexuality and raucous good times. On servait de la fruit beer dans son juke-joint et Robert Gordon voyait des gens tomber dans les pommes - Might have been the fruit beer - On voit aussi le professeur de philosophie africaine Otha Turner donner un cours de fifre à Robert Gordon - You got to know how to know it - ça s’applique au fifre, mais aussi à tout le reste. Puis voilà Bobby Bland, qui n’avait pas de chaussures étant petit et qui adulte s’habillait chez un tailleur. Bobby appelle son grognement un ‘squall’. Peter Guralnick disait de Bobby qu’il avait des ‘sad, liquid eyes’. Autre black de base en termes de Memphis Rent Party, James Carr qui, rappelle Robert Gordon, était adulé au Japon, en Europe, partout dans le monde, sauf à Memphis - He was just another minority dude on welfare - Quinton Claunch rappelle qu’une nuit on tapa à sa porte : il y avait trois blackos, James Carr, O.V. Wright et Roosevelt Jamison. Ils avaient une cassette et un petit lecteur cassettes. Ils s’installèrent à même le sol dans le salon pour écouter la cassette et Claunch fut tellement emballé qu’il fit paraître deux singles sur Goldwax. On tombe bien évidemment sur l’excellent portait photographique que fit Tav Falco de James Carr, près du pont qui franchit le fleuve, à Memphis. On peut lire une interview accordée par James Carr, que l’auteur accepte enfin de publier. Le pauvre James Carr y semble très perturbé, convaincu qu’un autre homme est entré dans son corps. Gordon lui demande : «What was the cause of the switch ?» et James lui répond : «Lost in a dream.» Ces gens sont tellement forts qu’ils transforment tout en poésie. Ailleurs, ça relèverait de la psychiatrie.

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             Restent les géants blancs, Charlie Feathers, Tav Falco, Alex et Jerry Lee. Rien qu’avec ces quatre mousquetaires du Memphis Sound, on a largement de quoi faire. Voilà ce que dit Charlie  : «Rockabilly is the beginning and the end of music.» Et il a raison. Quand Robert Gordon le rencontre, Charlie a le souffle court. On vient de lui enlever un poumon. D’ailleurs il chique, parce qu’il n’a plus le droit de fumer. On voit même une photo de Charlie en train de cracher son jus de chique. Ben Vaughn dit de lui : «He’s so far into the music that he is, in my opinion, a genius. Like we think of jazz greats : Sun Ra or Mingus or Monk.» Et Ben ajoute : «He’s never given up on rockabilly, and he continually redefines it in his mind.» Robert Gordon rappelle le lien de maître à élève qui existait entre Charlie et Junior Kimbrough. Memphis, yeah. Un vrai conte de fées. Que des gens fascinants. Inutile de chercher, tu ne trouveras pas ça ailleurs. Il existe aussi un lien de parenté artistique entre Tav Falco et R.L. Burnside, les two-chord blues drones et l’early rockabilly, cocktail dans lequel Tav rajoute le tango et la samba. Pour Tav, ce qui compte, c’est l’aesthetic, plus que la virtuosité. Très tôt, il a les idées claires. Sans doute est-ce la raison pour laquelle il s’entend si bien avec Dickinson. Si Tav admire tant Artaud et son Théâtre de la Cruauté, c’est parce qu’il apporte un strong sense of drama on his stage, comme d’ailleurs les grands bluesmen. Tav s’est donc employé à transposer cette théorie sur un groupe. En plus, il partageait la scène avec les gens qu’il admirait : Charlie Feathers, Cordell Jackson, Jessie Mae Hemphill, Otha Turner - Tav alerted a new generation to their existence - Comme le firent le Cramps avec Hasil Adkins et The Phantom. Tav étudiait le blues : «J’ai vu Sleepy John Estes de Brownsville et Hammie Nixon l’accompagnait en soufflant dans une cruche. Bukka White chantait «Parchman Farm Blues» et jouait sur son dobro avec un cran d’arrêt. J’ai vu Nathan Beauregard à 91 ans jouer «Highway 61 Blues» et passer un solo de guitare électrique comme je n’en ai jamais revu depuis. Mississippi Fred McDowell est le plus grand bluesman gothique qui soit. Et j’ai vu the Jim Dickinson Band accompagner Ronnie Hawkins.» Tav raconte aussi comment il est devenu l’assistant de Bill Eggleston - So for me there’s been no separation between literature and theater and visual art and blues and rock and roll and jazz. And this is my formative experience - Robert Gordon et lui évoquent évidemment le fameux Stranded In Canton filmé par Bill Eggleston avec très peu de lumière et une pellicule ultra-sensible. Il évoque aussi le Big Dixie Brick Company, lorsque Randall Lyon et lui animaient les shows de Mud Boy & The Neutrons - A rock and roll Dionysian context. Randall was doing his Guru Biloxi characterization, dressed in a very flowing Blanche DuBois-in-her-terminal-stages-of-dementia type presentation - L’épisode Tav est particulièrement hot, car c’est un écrivain qui s’adresse à un écrivain, un souffle qui croise un autre souffle. Et Tav prend un malin plaisir à rappeler que dans Panther Burns, personne ne savait jouer, ni Eric Hill, ni Ross Jonhson, et encore moins Tav. Sauf Alex, bien sûr. Ils feront d’ailleurs la première partie des Clash lors d’une tournée américaine - My little four piece doing this strange blues - Évidemment, les gens n’y comprenaient rien. Et Tav évoque avec amusement ce concert de Knoxville qui faillit dégénérer en émeute. Tav raconte qu’il s’arrêta en plein milieu de «Tina The Go Go Queen», provoquant un sacré malaise, avant de redémarrer avec «Bourgeois Blues». Et sur sa lancée, Tav se refend d’un bel hommage aux Cramps : «Critics write off the Cramps as a novelty band, and that’s absurd.»

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             Tiens justement, puisqu’on parlait d’Alex, le voici. Robert Gordon raconte qu’en 1977, quelques mois avant les Sex Pistols, Alex montait sur scène et punk-rockait, accompagné de Sid Selvidge au piano, Dickinson à la basse et le garde du corps Danny Graflund au chant - Several months before the Sex Pistols came to Memphis, Alex Chilton pulled back the horizon and let us hear the imminent thunder - Robert Gordon insiste : Alex, les Cramps, Tav et Dickinson se sont tous influencés les uns les autres, ils ont tous su repousser les limites et ont des racines dans le son du passé - And those past sounds were local - You think Elvis wasn’t a punk ? - Bravo Robert ! Bien vu ! Oui, car la filiation est d’une effarante justesse. Robert fréquente Alex mais ne se sent pas l’aise avec lui. Il en parle à Dickinson qui lui répond que c’est la même chose pour tout le monde - Everyone does.

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             Parmi les albums que Robert Gordon cite en référence dans Memphis Rent Party, on trouve celui de John Gary Williams sur Stax. Il s’y niche un très beau «Honey», assez proche de l’«Everybody’s Talking» de Fred Neil. John Gary Williams a cette facilité de pouvoir sonner juste dans la beauté blanche. Il travaille sa chanson à l’élongation maximaliste et atteint l’horizon sans effort. Il leste son ampleur de belles lampées de feeling black et atteint à une sorte d’émancipation. Oui, John Gary Williams vise le mellow, il va parfois sur Marvin («I See Hope»), parfois sur Sam Cooke («I’m So Glad Fools Can Fall In Love») et vise clairement le slow groove de charme intense avec «Ask The Lonely». C’est avec «How Could I Let You Get Away» qu’il atteint à l’excellence staxy. Il flirte avec la Soul blanche, comme Freddie North, mais il finit toujours par redresser la situation en shootant ce qu’il faut de feeling black. Il met en œuvre une délicatesse qui en dit long sur sa configuration. Son feeling reste toujours d’une grande justesse. Il laisse les flûtes bercer nonchalamment «Open Your Heart And Let Love Come In» et il termine en sonnant comme Marvin dans «The Whole Damn World Is Going Crazy». John Gary Williams ne tombe pas du ciel : il chantait dans les Mad Lads qui pour une raison X n’ont pas connu le succès des autres têtes de gondole Stax. 

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             Comme il le fit précédemment avec It Came From Memphis, Robert Gordon joint à son livre Memphis Rent Party ce qu’il appelle un companion disk. L’album vaut le détour, ne serait-ce que parce qu’il en a constitué le track-list. On y retrouve l’extraordinaire «Desperado Waiting For A Train» de Jerry McGill, mais le cut qui emporte la bouche est le duo Luther Dickinson & Shade Thomas qui suit. Ils tapent une version de «Chevrolet» absolument superbe - They channel  Memphis Minnie through fife & drums greats Ed & Lonnie Young, nous dit Robert Gordon. Luther et Shade sont bien sûr les descendants des lignées royales Dickinson et Otha Turner. L’autre gros coup de Jarnac est le «Frame For The Blues» de Calvin Newborn. Complètement irréel de beauté. Calvin : «I used to think I could fly !» On trouve aussi un «All Night Long» de Junior Kimbrough enregistré par Robert Gordon chez Junior, justement - A cabin surrounded by acres of cotton fields - Il chante avec une niaque invraisemblable. Parmi les autres luminaries présents sur cette compile se trouvent aussi Furry Lewis, Alex Chilton et les Panther Burns avec «Drop Your Mask», one of the earliest art damage recordings. Robert Gordon nous dit aussi que Jerry Lee s’ennuyait à Nashville où il enregistrait pour Smash/Mercury, alors il revenait à Memphis enregistrer des trucs comme «Harbour Lights». On entend aussi Charlie Feathers roucouler à la lune dans «Defrost Your Heart». Robert Gordon l’admire tellement en tant que chanteur qu’il le compare à Sinatra et à George Jones. C’est Dickinson qui referme la marche avec «I’d Love To Be A Hippie», un big heavy blues - If you ever see a hippie, baby/ Walking down the road...

    Signé : Cazengler, Robert Gourdin

    Robert Gordon. Memphis Rent Party. Bloomsbury Publishing 2018

    Memphis Rent Party. Fat Possum Records 2018

    John Gary Williams. John Gary Williams. S*

     

    Pas de vague à Liam

     

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             Dans As It Was, le docu qu’ils consacrent à Liam Gallagher, Gavin Fitzgerald et Charlie Lightening n’y vont pas de main morte : Liam serait selon eux le dernier grand chanteur de rock en Angleterre. Et ils ont raison, mille fois raison, et vive l’arrogance des frères Gallag ! Bourdieu dirait : Insulter la terre entière, oui, mais à condition d’enregistrer de grands albums.

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    L’histoire d’Oasis n’est rien d’autre que ça, une histoire de grands albums et on n’a pas fini d’en faire le tour, car chaque fois qu’on remet le nez dedans, on s’effare dans la nuit. Les frères Gallag sont en plein dans l’équation magique de Totor : the voice + the song + the sound. Oasis est ce qui est arrivé de mieux à l’Angleterre après les Small Faces, les Pistols et les Mary Chain, c’est la quatrième vague, la vague géante qui a tout balayé et aujourd’hui Liam enfile sa parka pour aller rocker son fookin’ shit sur scène, car bien sûr, il n’est pas question pour lui de se débiner. Lightening prend le parti de nous montrer un Liam qui boit de l’eau et qui fait du sport, qui voyage avec ses fils et sa poule. Il essaye d’en faire un agneau. Liam Gallag un agneau ? Tu déconnes Charlie ! Sur le pont de San Francisco, Liam prend sa meilleure mine de lad pour annoncer au monde entier qu’il prend deux grammes avant de monter sur scène et ajoute en se marrant qu’avant il lui en fallait huit. C’est la seule trace de coke en une heure trente, mais fuck, comme elle est belle ! Lightening ne filme pas assez Liam sur scène, dommage, car comme on va le voir tout à l’heure, les cuts de ses deux albums solo sont fookin’ good. Et puis il y a ces coiffures de petites mèches, ces gueules de rockers anglais dont on ne se lasse pas, ces lunettes à verres teintés. À une époque, Liam se coiffait comme Ian McLagan. Comme les frères Gallag insistaient beaucoup sur le look, ils firent entrer dans le groupe Andy Bell et Gem Archer qui eux aussi arboraient des coupes McLagan. Mais de tous, le plus réussi, c’est Liam. Et puis il y a cette voix. Il fut le seul à pouvoir rivaliser de fookin’ sneer avec John Lydon. La morale de cette histoire est que Liam incarne encore aujourd’hui l’énergie du rock anglais. Il balaye d’un geste toutes les litanies et tous les pronostics à la mormoille : non le rock n’est pas mort.

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             C’est en 1994 qu’Oasis rallume le feu sacré du grand rock anglais avec Definitively Maybe. On le sent dès «Rock’n’Roll Star». Tu prends le son en pleine poire, c’est percuté au power direct. Tout éclate avec le son mordoré des guitares dans l’embrasement d’un soir d’apocalypse et la voix de Liam éclot comme la rose de Ronsard dans le pire bucketfull of punk-blues de tous les temps. On a là le plus gros blastoff d’Angleterre depuis «Gimme Shelter». Oui, ils s’inscrivent dans cette lignée et dans cette tradition du claqué d’Union Jack sur les océans du monde. Ces mecs surjouent leur génie sonique. Mais tout ceci n’est rien en comparaison de ce qui arrive plus loin : «Columbia». Le ciel s’y écroule sous les coups de boutoir combinés du heavy beat et des power chords. C’est l’une des intros les plus monstrueuses de l’histoire du rock. Impossible d’échapper à cette emprise. Liam chante à l’envers dans l’enfer du coulé de lave sonique. Ils vont encore plus loin que les Stones, ils manœuvrent leur rock dans une mer de feu. Voilà encore une preuve de l’existence du diable. Au fond, les frères Gallag ne font qu’appliquer la formule magique : une vraie chanson + une vraie voix + un vrai son, formule qu’ont aussi utilisé les Pistols, les Stones,  les Stooges et bien sûr Phil Spector, l’inventeur de la formule. Et puis t’es encore baisé avec les arpèges de «Supersonic». Le chant plante le décor dans le cœur du vampire. Liam fait du punk de ‘Chester dans un chaos de guitares disto. Et dire qu’il y a des gens qui contestent la suprématie d’Oasis ! Nouveau coup de semonce avec «Shakermaker» et un Liam propulsé en première ligne par une vague géante de heavy chords. Il chante à la pure heavyness. On a là une inlassable fournaise de son sub-coïtal. Ces mecs touillent à n’en plus finir et passent maîtres dans l’art des retours de manivelles. Noel veille sur tout ce bordel en composant des hits. Ils claquent le beignet de «Bring It Down» à l’extrême, Liam tartine sa mélasse sur une prod en acier de Damas. Ils font même du glam avec «Cigarettes & Alcohol», alors t’as qu’à voir. C’est joué à l’eau lourde et Liam chante comme un dieu viking. Même les petits cuts d’entre-deux sont de belles choses. Les frères Gallag ne produisent pas de filler comme le firent les Stones d’Exile qui étaient alors en panne. Et les balladifs d’Oasis sont infiniment plus sexy que ceux d’Aerosmith. Avec «Slide Away», les frères Gallag créent de la magie, à cheval sur la Beatlemania et ‘Chester. Quelle classe ! Les sauts de Liam sont ceux d’un saumon.  

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             La conquête du monde se poursuit l’année suivante avec (What’s The Story) Morning Glory ? C’est là qu’on trouve «Some Might Say» et son intro de rêve. C’est blasté dans l’os au boogie down avec un Liam pris dans l’épaisseur du son. Ses descentes de chant sont uniques dans l’histoire des descentes. Il y a quelque chose de pathologiquement seigneurial chez les frères Gallag. Personne ne pourra jamais leur enlever ça. Tout aussi explosé de son, voilà «Morning Glory». Liam parvient à se hisser par dessus cette barbarie sublime. Ce mec chante son wake up dans une foison de déglutis, dans une véritable dégoulinade d’essaims, c’est un miracle sonique. Un solo nage dans la fournaise, quelle provocation ! Puis on entend les guitares voler dans l’air, c’est la première fois qu’on assiste à un tel phénomène productiviste. Ils jouent «Roll With It» au heavy beat de ‘Chester. C’est plus pop, mais révélateur d’une vraie nature. Ils ont du son à n’en plus finir. Mais ils commencent à boucher les trous avec du filler, comme les Stones d’Exile. L’album est bon, mais pas du niveau du précédent. Ils terminent avec «The Champagne Supernova». C’est le côté marrant d’Oasis, un brin putassier, comme s’ils essayaient de convaincre au plan commercial, mais ça retombe comme un soufflé. Bon, c’est vrai qu’ils ramènent des gros moyens, Liam peut faire son wa-wa-wa, il y a du monde derrière, mais leur truc se barre en sucette à force de surcharge.  

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             Be Here Now est l’album du grand retour. On peut même parler de trilogie définitive. Graphiquement, les trois pochettes s’inscrivent dans l’inconscient collectif. Be Here Now grouille littéralement de coups de génie. «Do You Know What I Mean» donne le ton, bardé de son, mais un son plus éclaté dans le spectre. C’est une prod déflagratoire truffée de rafales de wah. Et puis voilà qu’arrive «My Big Mouth», encore plus overwhelmed. Ces mecs battent tous les records de violence consanguine du sonic trash. C’est bombardé dans la gueule du pacte germano-soviétique, ça rampe dans le son avec un Liam complètement demented. On sent le froid de l’acier des empereurs du rock anglais, le clan du power northerner, pas de pire purée de son sur cette terre ! Il faut aussi les voir partir en maraude avec «I Hope I Think I Know». Ils tombent tout de suite sur le râble du son. Personne ne peut échapper à ça. Toujours âpres au gain, les frères Gallag tapent dans le tas du rock et ça explose en bouquets d’étincelles surnaturelles. Ils travaillent à l’Anglaise, au shake de shook et c’est mélodiquement parfait. Ça continue avec le morceau titre, bien stompé des Batignolles, ils jouent leur carte favorite, celle du big heavy Oasis avec des options plein les manches - Kickin’ up a storm from the day I was born - C’est carrément Jumping Jack Flash. On reste dans les exactions avec «It’s Getting Better (Man)». C’est là qu’Oasis devient irréversible, dans ces rafales d’ultra-son demented. Quelle bombe ! Les accords coulent dans le moule de la mélodie chant, aw my Gawd, il n’existe rien de plus powerful. Ils sont dans l’absolu du rock anglais. Ils jouent ça ad vitam eternam. C’est du double concentré de tomate anglaise, avec les guitares du paradis et le chant qui va avec. On n’en finirait plus avec les frères Gallag.

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             Standing On The Shoulders Of Giants casse l’esthétique des trois premières pochettes. Autre surprise : les frères Gallag ramènent du hip-hop dans «Fucking In The Bushes», mais les guitares reprennent vite le dessus. Ils tentent l’aventure d’un nouveau son et ça redore leur vieux blason. On vit là un moment assez tétanique car les guitares fouillent entre les cuisses du cut qui se révèle vite chatouilleux, avec des échos d’ah ah ah. C’est très spécial, bien bardé de rock anglais. Il faut ensuite attendre «Put Your Money Where Your Mouth Is» pour refrémir. Ils jouent ça in the face, the Northern lads way. Ils ont beau avoir New York sur la pochette, ils sonnent très anglais, ils jouent à l’alerte rouge, à l’urgence de la cloche de bois avec des guitares qui rôdent dans le stomp. Liam l’allume jusqu’au bout. L’autre hit de l’album se planque vers la fin : «I Can See A Liar». C’est un roller coaster roulé dans la farine. Big Oasis power sludge ! Ils envoient Liam au front, alors Liam y va, il s’en bat l’œil. Il claque ses alexandrins et offre sa poitrine à la mitraille, il est invincible, il fonce sous le feu de l’ennemi. Il se relève plusieurs fois et continue de gueuler. Quel merveilleux héroïsme ! Liam est un mec très fort. Il n’en finira plus de chanter comme un dieu. Il faut s’habituer à cette idée. Avec «Gas Panic», on assiste encore à une extraordinaire tournure des événements, car ça dégouline de fièvre, the Madchester fever.

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             Paru en 2002, Heathen Chemistry est l’album du retour éternel des frères Gallag. Ils proposent tout de suite un mur du son avec «The Hindu Times». The wall of sound avec Liam en surface, c’est quelque chose. Superbe. Renversant. Excitant au possible. Nappé et dévastateur. C’est le power du brit rock de lads. Les belles langues de guitares s’en viennent lécher le barouf d’honneur. Ils éclatent «Better Man» au riff de voyou, ça joue du couteau sous les regards. Quel fantastique shoot de voyoucratie ! Flashy et sayant à la fois - I wanna be a better man - C’est le big brawl d’Oasis joué aux guitares de Lennon dans «Cold Turkey», c’est terrific, les guitares te chatouillent les guibolles. Avec «Force Of Nature», ils passent au stomp de Madchester sans coup férir. C’est encore une fois complètement saturé de big heavy guitars, une dégelée catégorique, ça avance à pas lourds, les mecs bombardent à l’ultimate du punch d’uppercut. Liam chante tout ça au croc luisant, il ramone sa cheminée avec une effarante ténacité. Ultimate power ! Ils pompent  les accords de «No Fun» pour «Hung In A Bad Place». Pas de problème, Liam pourrait presque attaquer à la façon de l’Iguane, mais il choisit la voix d’Oasis. C’est joué à l’extrême power concupiscent. Il chante ça comme une entourloupe, c’est exceptionnel de véracité dirigiste, ces mecs dévorent le riff des Stooges tout cru. Et ce démon de Noel vomit du napalm dans la chaudière. Ces mecs sont décidément le plus grand groupe d’Angleterre, il faut les voir répandre leur son comme un fléau. L’album est spectaculairement bon. «A Quick Peep» est l’un des instros les plus dévastateurs qu’on puisse entendre ici bas. Ils passent ensuite au heavy groove psyché avec «(Probably) All In The Mind». Liam s’y prélasse comme un roi fainéant. C’est l’absolu d’Oasis, chanté et joué dans les meilleures conditions d’addiction. Les heavy balladifs d’Oasis passent là où d’autres ne passent pas, grâce à une certaine qualité du Northern raunch. Avec «Born On A Different Cloud», on se croirait chez les Doors du temps du Whiskey bar de Kurt Weil. 

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             Comme par hasard, voilà encore un big album d’Oasis : Don’t Believe The Truth. Ça grouille de coups de Jarnac, à commercer par un «Turn Up The Sun» gonflé de son comme une bite au printemps. Ces mecs sont tellement puissants, ils sont dans doute les derniers seigneurs des temps modernes. C’est frappé au meilleur beat inimaginable et chanté dans le lard de la matière. Ils tapent au maximum de toutes les possibilités. Liam te laboure ton champ, pas de problème. Les clameurs perdurent dans le fond du son. Le génie des frères Gallag consiste à savoir éclater la coque d’une noix de rock anglais. Ça continue avec «Mucky Fingers», comme frappé en pleine gueule, ils jouent le rock pour de vrai, leur power dégomme toute forme de logique. Ils ramènent même du piano dans le stomp. Pur génie. Ils transforment ta cervelle en purée de purple heart et Liam plonge dans l’un des plus gros blast-off de l’histoire du rock. It’s alright ! Pulvérisant et pulvérisé à coups d’harmo. Ils gorgent leur rock de gusto. On se prosterne jusqu’à terre devant un tel power. Trop de power. Ils claquent «Lyla» à coups d’acou et Liam lui saute dessus, alors forcément, ça devient monstrueux. Ils font de la Stonesy. Ils échappent à tout contrôle, leur power les déplace ailleurs. Ils sont dans une sorte d’absolutisme. Un cut comme «Lyla» te plombe le crâne, ils te stompent tout ça à coups redoublés et Liam ramène les foudres de son power extrême. Quelques cuts de pop viennent heureusement calmer le jeu et ça repart de plus belle avec «The Meaning Of Soul». Encore une attaque superbe. Wow, la violence du shuffle ! C’est même concassé à coups d’harmo. «Avec «Part Of The Queue», on constate une fois de plus leur écœurante facilité à naviguer à la surface du son. Ils tapent dans la fourmilière d’une épaisse spiritualité dévergondée. C’est un cut de heavy pop aérienne fabuleusement tendue et ultra-jouée dans les grandes largeurs. Les clameurs du solo qui arrive sur le tard battent bien des records de démence. Comme le montre «Keep The Dream Alive», leurs descentes en balladifs valent bien les meilleures descentes en enfer. Ah il faut voir ce son ! Ils jouent dans les hautes sphères de leur règne. Gem Archer signe l’«A Bell Will Ring» qui suit. Psyché de haut vol avec un Oasis on the run. Quelle équipe ! Ils noient le cut dans une élongation de riffing d’arpèges acides, un vrai melting down d’Angleterre. Dressez l’oreille car voici «Let There Be Love» que Noel gratte aux accords atones. Et ce démon de Liam finit par chanter à la voix d’ange. C’est exceptionnel.

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             Comme on dit, toutes les bonnes choses ont une fin et la fin d’Oasis s’appelle Dig Out Your Soul. Il faut en profiter, car après, il n’y a plus rien. Alors «Bag it Up» ! Deep in the flesh, Liam chante comme un dieu, une fois de plus. Ça blaste comme au bon vieux temps. Liam explose le rock anglais quand ça lui chante. Il dispose de la force de frappe idéale, il se dresse comme un dieu du havoc au bord d’une piscine de coke, accompagné par les guitares du diable. Personne en Angleterre ne peut challenger ce démon de Liam et son groupe de brothas, il chante le rock anglais à l’intrinsèque, avec une vermine de niaque dans la pogne. Il n’existe aucun concurrent face à Liam Gallag. Avec «The Turning», on reste dans le heavy rumble de Madchester. Jusqu’au bout ils vont claquer du c’mon déterminant. Encore une fois ça regorge de power. Too much power. Liam se cogne la gueule dans le mur du son, alors que les guitares explosent autour de lui. Ils stompent «Waiting For The Rapture» à la sauce Oasis. Encore une fois, tout est solide sur cet album. La fin du Rapture est un modèle du genre. Belle énormité encore avec «The Shock Of The Lightning». Ils jouent à la folie Méricourt. Pur jus d’Oasis chargé comme une bombarde à ras la gueule, come in, come out tonite. Ils s’enferment dans leur délire d’énormité. Ils font un «(Get Off Your) High Horse Lady» digne du «Ram» de McCartney et reviennent à leur chère heavyness avec «To Be Where There’s Life». Ils transforment leur plomb en or et c’est comme d’habitude produit au mieux des possibilités. Le rock d’Oasis reste très physique, c’est la raison pour laquelle on blah-blahte à l’infini sur cette espèce d’indispensabilité des choses qu’incarnent leurs albums. Dernier grand coup de Jarnac oasien : «Ain’t Got Nothing». Ils taillent ça dans la falaise de marbre, au 3/4 du 4/4. Et quasi-fin de non-recevoir avec «The Nature Of Reality», drivé par une volonté glam à la wham-bam, dans un extraordinaire fouillis de guitares, de clap-hands et de descente aux enfers. Adios amigos !

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             Si on veut entendre leur reprise d’«I’m The Walrus», elle se trouve sur The Masterplan, une compile de B-sides parue en 1998. C’est une version live et on les voit se fondre dans le groove ultime. Le together leur va comme un gant. Noel joue son gut out, la tête renversée en arrière, un sourire crispé au coin des lèvres, c’mon, Gallag et ses potes explosent le vieux hit des Beatles. On sent essentiellement les fans. L’autre bonne surprise de cette compile n’est autre que «Stay Young», une power pop cavaleuse et bien à l’aise dans sa culotte. Ils savent aussi faire des hits de pop ! Quelle régalade. Ils proposent aussi un «Acquiesce» totalement saturé de guitares et on retrouve leur frappe de frappadingue dans «Fade Away». Ils pulsent du son tant qu’ils peuvent mais ils savent bien que ça ne va pas pouvoir durer éternellement. On peut faire du millefeuille sonique all over the rainbow, mais ça finit par tourner en rond. Gallag joue jusqu’à plus soif, il ramène toutes ses guitares. Ils restent dans la démesure pour «The Swamp Song» et bourrent leur dinde avec «(It’s Good) To Be Alive». C’est du cousu-main d’Oasis.

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             En 2011, Liam récupère l’artillerie d’Oasis, c’est-à-dire Gem Archer et Andy Bell, pour redémarrer avec Beady Eye et un excellent album, Different Gear Still Speeding. Et pouf, on prend «Four Letter Word» en pleine poire, le son est là, immédiat, comme au temps béni d’Oasis. Énorme shoot d’English shit, vraie voix + big sound, imparable ! Explosivité à tous les étages. Nothing lasts forever, nous dit Liam. Avec «The Roller», il sonne exactement comme John Lennon dans «Instant Karma». Quelle belle osmose ! En B, ils éclatent encore les coques de noix avec «Wind Up Dream» et Liam revient foutre le souk dans la médina avec «Bring The Light» - Baby hold on/ baby c’mon - Il n’y a plus que lui en Angleterre qui sache chanter aussi bien. Retour à l’énormité en C avec «Standing On The Edge Of The Noise». Tout le big swagger d’Oasis est là, ce big heavy beat qui fit la grandeur de ce groupe. Remember ! Liam le drive magnifiquement. C’est même assez stupéfiant d’ampleur. La fête se poursuit en D avec «Three Ring Circus», encore du pur jus d’Oasis. Liam sait rocker sa shit, comme on dit en Angleterre. Il est toujours dessus et derrière, ça tient magnifiquement la rampe.

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             Le deuxième et ultime album de Beady Eye s’appelle BE. Nouveau shoot de Gallag superpower, et ce dès «Flick Of The Finger». Plombé d’avance, comme au temps d’Oasis, heavy et même salué aux cuivres. Le prodman a l’intelligence de remonter le beat de Mad au devant, avec un Liam qui entre au chant comme un général dans une ville conquise. L’excitation atteint son apogée, alors oui, ça devient énorme. Toute la magie d’Oasis est intacte, avec le riff dévastateur dans le dos de Liam. C’est le retour du rock de poing d’acier. Le jus de véracité définitive coule à flots. Liam y va de bon cœur, il affronte l’adversité tout seul. C’est un héros. Si on cherche des traces de la clameur du grand rock anglais, c’est là. En plus il donne des conseils, comme dans «Soul Love» : Life is short, so don’t be shy. Avec «Face The Crowd», il passe au pulsatif de big heavy craze de Madchester qu’il chante au inside of my head. Ça sent bon l’album énorme. On est encore au début et on a déjà deux coups de génie, alors t’as qu’à voir ! En voilà un troisième : «Second Bite Of The Apple». Noyé de son ! Il fait son Donovan avec «Soon Come Tomorrow». Ici, tout est très spectaculaire. Liam allume ses cuts à retardement et il faut rester méfiant car il ramène des solos d’outre-tombe. Il reste en fait dans un univers de surenchère miraculeuse. Cet enfoiré tape «Iz Rite» au heavy riff d’Iz Rite. Il taille sa pop dans l’énormité du son. Il faut le saluer pour cet exploit. Il rallume la flamme du génie inconnu sous l’arc de triomphe, il gueule son when you call my name dans un chaos de pop magique. On se retrouve une fois de plus avec un big album sur les bras. Il tape son «Shine A Light» à la vieille gratte de junk. Ça cogne ! Avec Liam, c’est toujours in the face et saturé de son. Il nous fait le Diddley beat de Madchester. Il explose son shine a light et repart en mode sec et net. Pur genius ! Il se calme un peu avec «Start Anew», mais ça ne l’empêche pas de se glisser dans le génie du son, dans l’inventivité du me & you. Back to the drug space avec «Dreaming Of Some Space». Il le restitue fidèlement, ça doit twanguer, talalala overdrive et tu éclates de rire. Fantastique drug song, tu as envie de dégueuler et en même temps, tu te sens bien.

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             Après l’épisode Beady Eye, Liam entreprend en 2017 une carrière solo avec As You Were. Inutile de tourner autour du pot : c’est encore un album énorme. Ça grouille de hits, dont un hit glam digne du temps béni : «You Better Run», monté sur le beat des orques, puissant, rebondi tellement c’est puissant et embarqué au ah ah ah. Terrific ! C’est un hit  ah ah ah qu’il explose sous nos yeux. C’est du glam de Chester claqué aux deux accords. Liam fédère les meilleures énergies du rock anglais. Le «Wall Of Glass» qui ouvre le bal stompe bien le crâne. Violent comme ce n’est pas permis. Liam fait du Oasis avec toutes les ficelles de caleçon et les retours de riffs dans les reins. Ce chanteur génial a la chance d’avoir derrière lui un prodman de son niveau. Liam rallume encore les vieux brasiers d’Oasis avec «Bold», un cut tendancieux mais qui fonctionne, c’est le moins qu’on puisse dire. Belle flambée, en tous les cas. Puis il s’en va rimer la démonologie avec «Greedy Soul» - She’s got a 666/ I got a crucifix - Il plonge ses rimes dans le heavy sludge et allume encore une fois comme au temps d’Oasis, alors on l’écoute avec vénération. On sent la respiration de cette énormité. Ça cogne au tisonnier un coup sur deux. Back to Chester avec «For What It’s Worth». C’est bien lesté de Walrus, nouvelle crise de comatose de la chlorose, il y va de bon cœur, ça ne fait pas de doute. Il éclate sa pop au mieux de toutes les possibilités. Il revisite les soutes d’Oasis. Il chante plus loin son «I Get By» dans les rafales de vent d’Ouest, fabuleux swagger de see your face et de save my life, il chante comme un dieu aux abois. Encore un cut en forme de belle poigne avec «It’s All I Need». Il faut le voir marteler son all I need & more et il ne peut décidément pas s’empêcher de revenir au heavy beat on the brat, comme le montre «Doesn’t Have To Be That Way». C’est plus fort que lui. C’est claqué au pire Manc beat de l’histoire de cavernes. Joli pulsatif de non-retour noyé d’échos de big bang.

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             Et pouf, il revient deux ans plus tard avec Why Me? Why Not. Pas de surprise, l’album est comme les précédents, d’une solidité à toute épreuve. Les nostalgiques du glam se régaleront de «The River» - Well come on/ You weak of knees - Il fait du glam punk et chute avec I’ve been waiting so long for you/ Down by the river. Il n’en finira donc plus d’allumer la gueule du rock anglais. Il fait du boogie de Madchester avec «Shockwave». Après une intro géniale, il nous plonge dans son monde - You sold me right up the river/ yeah you had to hold me back - et il lance avec une morgue fondamentale : «Now I’m back in the city/ The lights are up on me.» Pur genius. C’est du power rock demented avec un rebondissement du son. Et le festin se poursuit avec «Now That I’ve Found You» qu’il chante à la clameur d’Elseneur. Quelle dégelée ! Il remonte le courant du son comme un cake écaillé. Avec «Halo», il passe au son d’anticipation à la Roxy. Il torche un hit précieux au swagger d’excellence. Il chante à l’intérieur du pire beat d’Angleterre. Tout vibre, même les colonnes du temple. Et un solo d’outerspace ajoute à la confusion. En fait, Liam passe son temps à rallumer le flambeau d’Oasis. C’est tout ce qu’il sait faire dans la vie. Il noie son «Invisible Sun» dans le meilleur des sons - I am a laser/ And I see with X-ray eyes - On croyait Noel le seul capable de composer des hits. Eh bien non, Liam prouve le contraire avec le power-balladif «Misundestood» et tout le reste de cet album. Il n’en finit plus de chanter son ass off. 

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             Après les disks, il reste bien sûr les films. Miam miam. On peut imaginer un sandwich de rêve dont les deux tranches seraient Supersonic (early Oasis) et Lord Don’t Slow Me Down (late Oasis). Surtout Supersonic, car ça démarre à Knebworth sur le riff de «Columbia», l’un des plus beaux riffs de rock de tous les temps - There we were/ Now here we are/ All this confusion/ Nothing is the same to me - Le power Gallag, la Ferrari du rock anglais - The way I feel is so new to me - L’early Oasis est la suite parfaite du grand rock anglais qui va des Stones aux Small Faces en passant par les Who et les Move, ils sont là tous les cinq au début, Bonehead & Gigsy & Tony, goin’ to form a band, fookin’ yeah ! Le film raconte les débuts du groupe, d’un côté Liam avec les fookin’ proto-Oasis et de l’autre Noel qui est roadie pour les Inspiral Carpets. Noel rejoint le groupe de son frangin et dit qu’un soir I went down with a song and everything changed : «Live Forever». Puis McGee les voit sur scène à Glasgow and that was it. Creation. Ils deviennent super-massive avec «Supersonic», et puis arrive Definitively Maybe, remixé par le sauveur Owen Morris, outrageous mixing - Tonite I’m a rock’n’roll star - et là boom, ça explose ! Japan Japan ! Cigarettes & Alcohol, Whisky A Go-Go, coke, Rock’n’Roll Star, crystal meth, fucking shambles, Some Might Say at Top Of The Pops, magic British TV, Tony viré et là ça commence à déconner. Ils enregistrent, Morning Glory à Rockfield, champagne supernova in the sky, et ils bouclent la boucle avec Knebworth, fookin’ biblical dit Liam, alors champagne supernova !   

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             Lord Don’t Slow Me Down nous montre la dernière mouture d’Oasis en tournée mondiale, avec Gem Archer et Andy Bell. Bon, pas trop de plans sur scène, beaucoup de backstage. Ils font la tournée des stades et les femmes montrent leurs seins dans le moshpit. «Rock’n’Roll Star» sur scène à Hollywood : power. Liam répond aux questions, fook Bloc Party, fook Pete Doherty, the English magazines are full of shit. Retour au Japon, c’est tendu dans le groupe, Liam accuse Noel de lécher le cul du NME et il rend hommage au public : the crowd is the best. One take ! The stage is the best place in the universe. Arrivé en Australie, Noel avoue qu’il ne se voit pas continuer le groupe éternellement. J’ai 38 ans, et quand Liam sera chauve, on arrêtera. Dans la box, on trouve un deuxième DVD, Live In Manchester, c’est filmé en 2005 avec la dernière mouture et Zack Starkey au beurre. Ils ont perdu le power des origines. C’est autre chose. Liam ne chante pas toutes les chansons. Et Zack n’est pas Tony. En plus Gem Archer change de guitare à chaque cut, côté pénible des groupes qui ont trop de fric. On sent que le biz a pris la main sur Oasis. C’est incroyable que Noel puisse se priver d’un chanteur aussi bon que Liam. Le pire c’est qu’il se prête au jeu pourri du balladif participatif, c’est l’autre côté pénible d’Oasis. On croirait entendre Aerosmith. La Ferrari a disparu, même si «Live Forever» sonne anthemic. Ils font danser Mancheter avec «Rock’n’Roll Star» et font leur happy ending avec une version bien sentie de «My Generation, baby». Power absolu.          

    Signé : Cazengler, Oabite

    Oasis. Definitively Maybe. Creation Records 1994

    Oasis. (What’s The Story) Morning Glory? Creation Records 1995

    Oasis. Be Here Now. Creation Records 1997

    Oasis. Standing On The Shoulders Of Giants. Big Brother 2000

    Oasis. Heathen Chemistry. Big Brother 2002

    Oasis. Don’t Believe The Truth. Big Brother 2005

    Oasis. Dig Out Your Soul. Big Brother 2008

    Oasis. The Masterplan. Epic Records 1998

    Beady Eye. Different Gear Still Speeding. Beady Eye Records 2011

    Beady Eye. BE. Columbia 2013

    Liam Gallagher. As You Were. Warner Bros. Records 2017

    Liam Gallagher. Why Me? Why Not. Warner Bros. Records 2019

    Gavin Fitzgerald et Charlie Lightening. Liam Gallagher: As It Was. 2019

    Mat Whitecross. Supersonic. DVD 2016

    Baillie Walsh. Lord Don’t Slow Me Down. DVD 2007

     

    L’avenir du rock

     - Les chic types de Cheap Trick (Part One)

     

             Ses copains aiment bien le faire bisquer.

             — Envisages-tu de prendre un jour ta retraite, avenir du rock ?

             L’avenir du rock les connaît, il se prête à leur petit jeu :

             — Demande un peu au pape s’il croit en Dieu, tu vas voir ce qu’il va te répondre.

             — Ouais, on les connaît tes réparties à cent balles, avenir du rock, «tu auras la réponse que tu mérites»...

             — Tu sais à qui tu me fais penser ?

             — Non vas-y, dis-moi...

             — Tu me fais penser à ces grosses connes qui te demandent si tu es vacciné...

             — C’est drôle, j’allais justement te poser la question, avenir du rock, et puis on se demandait avec les copains si t’étais pas un peu pédé...

             — Ce que j’aime bien chez vous, c’est votre sens inné du degré zéro. Finalement j’en viens à me demander dans quel camp vous êtes, dans celui des beaufs ou celui des trash, parce votre beaufitude confine à la trashitude et c’est impossible de ne pas vous admirer pour ça. C’est vrai que si on y réfléchit bien, le beauf parfait est complètement trash, c’est ce qui fait sa grandeur immémoriale !

             — Oh c’est bon, avenir du rock, c’est pas parce qu’on te traite de pédé que tu dois nous traiter de beaufs !

             — Simple échange d’amabilités. On joue aux jeux qu’on peut, pas vrai les gars ? Mais je vais vous faire un aveu. Quand je vous vois, vous me filez la Trick !

             — Tu vois, on s’était pas trompés !

             — Mais vous ne comprenez rien ! Cheap Trick !

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             Le nouvel album de Cheap Trick qui s’appelle In Another World n’a pas fini de nous réconcilier avec le genre humain, y compris les beaufs. On est comblé rien qu’avec «Final Days», un doom de heavy blues qu’ils explosent à la clameur glam. Le son te coule dans la manche, mais à un point que tu n’imagines même pas. C’est Marc Bolan au paradis. Oui, c’est exactement ça, ils font Marc Bolan au paradis, bienvenue au cœur du mythe. Les mecs de Cheap Trick dressent un autel à la mémoire de Marc Bolan et ça explose dans le refrain saturée de magie - What if we could live forever/ Wouldn’t it all just be insane/ What if we could live together/ Never to be in those final days - Ça t’explose la tête, Lennon/Bolan, le feu sacré du rock anglais, plongée garantie. Ces mecs renversent le cours de l’histoire. On a là la meilleure clameur glam de tous les temps. Ça monte très haut dans l’échelle des valeurs. Plus loin, les accords de «Passing Through» indiquent clairement la venue d’un temps de félicité. C’est au niveau des grands frotis de l’univers, explosé de giclées des meilleures auspices, on est au-delà du génie, ils atteignent des résonances sans frontières, ça sonne comme du jamais atteint, ces vagues de son te caressent l’intellect, c’est d’une pureté évangélique, ça splashe dans l’éternité d’un prodigieux ersatz. On tombe encore dans leurs bras avec «Another World (Reprise)». Ils y ramènent tout le power dont ils sont capables, c’est chargé de toutes les guitares de Rick Nielsen, ce fou dangereux est l’un des génies du siècle, il percute tout de plein fouet, c’est gorgé de riffing et Robin Zander monte tout ça en neige à coups de screams ! «Gimme Some Truth» pose sa tête sur le billot et shlompfff, finit en beauté. Terrific ! Rick Nielsen joue ses dégringolades de guitare à la surface de la terre comme s’il réinventait le rock, il se dit qu’avec ses accords inconnus il va devenir le roi du monde et ça ne traîne pas, Cheap Trick c’est exactement ça, un plein dans l’effet direct. Ils naviguent au niveau des Beatles du White Album, avec une pulsion intacte et humide, just gimme some truth, le power absolu et l’apothéose garantie.

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             Cet album est une mine inépuisable d’énormités. Avec «Quit Waking Me Up», ils sonnent encore comme les Beatles, ils y vont vaille que vaille avec un Nielsen qui télescope tout ce qu’il peut. La vieille magie des Beatles explose dans le giron des lovers. On est prévenu dès «The Summer Looks Good On You» qui ouvre le bal, avec cette heavy pop rock, on voit que ces quatre mecs n’ont rien perdu de leur grandeur anthémique. Ils rockent the world comme au temps du Budokan, ils élèvent la power pop au rang d’art totalitaire. Rick Nielsen titille bien ses tortillettes de killer flasher. Il invente un genre nouveau : le powerful power. On le voit encore fou de rage étriper «Boys & Girls & Rock’n’roll», cet enfoireman tape dans tout ce qui bouge, il est partout.  Du même coup, ils t’actualisent, ils te rendent visible dans un monde d’aveugles. Ils amènent «The Party» au stomp. Tu les vois arriver, alors tu te planques. Ils sont énormes, ils pourraient te marcher dessus, ils déploient des légions sur l’Asie mineure, ils envahissent tout, ils chantent des chœurs brûlants, ils foutent le feu. À notre époque, c’est inespéré d’entendre ce mélange explosif de Dolls, de Cheap et de Zoulous. Tu as la réponse à toutes tes questions : Cheap Trick.

             Et puis voilà un «Light Up The Fire» démoli en pleine gueule. Ils sont capables de claquer un petit enfer sur la terre. Toujours la même histoire : la ville en feu, personne n’en réchappe et Nielsen part en maraude d’excelsior, il pleut du feu de partout, comme au temps béni des bombes au phosphore.

    Signé : Cazengler, Cheap tripe

    Cheap Trick. In Another World. BMG 2021

     

    - Willie Cobbs tout

    Inside the goldmine

     

             Ils chevauchaient vers l’Ouest. Ils avançaient lentement car ils suivaient une piste.

             — Z’ont dû passer par là. Z’ont essayé d’effacer leurs traces en montant sur le rocher. Z’ont dû voir ça dans un film. Ah quelle bande de bâtards ! On va les choper avant la nuit.

             Effectivement, les traces réapparaissaient un peu plus loin dans le sous-bois. Les deux rottweilers muselés Sodome et Gomorrhe grondaient comme des diables. Ils sentaient la chair fraîche et tiraient sur leurs laisses.

             — Ohhh, du calme, mes mignons, l’heure du casse-croûte approche.

             Il leva la main :

             — On va faire une halte, histoire de leur faire croire qu’on a perdu leur trace. 

             Ils descendirent de cheval et attachèrent les laisses des deux Rott à un arbre. Ils firent un feu pour réchauffer un pot de café qu’ils arrosèrent largement de whisky.

             — Sodome et Gomorrhe n’ont rien becqueté depuis deux jours, y vont se régaler...

             — Autant te le dire franchement, Willie Cobbs, j’aime pas trop assister à ce spectacle. Bon d’accord, les blancs sont une sale race, mais de là à les faire becqueter par tes chiens...

             — Z’avaient qu’à rester tranquilles et pas s’échapper de la plantation, goddamnit ! Y sont là pour ramasser les bananes, donc y doivent rester à la plantation et servir le bwana ! Pas compliqué à comprendre, non ? Pas besoin de sortir de Saint-Cyr ! Et pis y connaissent le tarif si y s’font la cerise ! La corde ou les chiens ! C’est tout ce que mérite cette sous-race dégénérée, ces fucking whiteys ! En plus, on leur paye le voyage gratos en bateau pour venir bosser ici, faut pas charrier !

             Il sortit de sa poche son petit harmonica et souffla un air de blues africain. Les notes résonnaient dans l’écho du temps, donnant à cette légère distorsion de la réalité un caractère énigmatique.

     

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             Dans une vie antérieure, Willie Cobbs fut probablement pisteurs d’esclaves, mais dans un monde inversé où les maîtres noirs réduisaient les blancs en esclavage. Pas de raison que ce soient toujours les mêmes qui trinquent. L’imaginaire a ceci de pratique qu’il permet de rétablir certains équilibres. D’ailleurs Tarentino s’est aussi amusé avec cette idée dans Django Freeman. Quelques grammes de finesse dans un monde de brutes, comme dirait l’autre.

             Le pauvre Willie Cobbs a cassé sa pipe en bois en octobre dernier et dans la plus parfaite indifférence, aussi allons-nous lui rendre un modeste hommage.

     

             Il n’existe pas beaucoup de littérature sur Willie Cobbs. L’essentiel est de savoir qu’il vient d’Arkansas, qu’il est monté très vite à Chicago et qu’il est redescendu dans les années 60 à Memphis pour enregistrer son fameux, «You Don’t Love Me» sur le label de Billy Lee Riley, Mojo. Découragé par le showbiz, il est ensuite devenu club owner dans le Mississippi et en 1978, il s’installa à Greenville pour lancer Mr C’s Bar-B-Que, un resto réputé pour sa cuisine. L’autre info de taille, c’est qu’il est pote avec Willie Mitchell.

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    Sur son dernier album Jukin’, paru en l’an 2000, on retrouve toute la sainte congrégation d’Hi, les frères Hodges et Howard Grimes (dont on vient de saluer l’autobio). L’album est enregistré au Royal Recording Studio et Willie Cobbs salue le Memphis Beat à coups d’harmo. Avec «Black Night», les deux Willie (Cobbs & Mitchell) nous proposent le Heartbreaking blues d’Hi, une vraie fontaine de jouvence, on patauge dans l’excellence. L’album est un mix classique de boogie blues et de heavy blues d’une finesse fatale. Les frères Hodges savent aussi jouer le blues. On entend naviguer le bassmatic de Leroy Hodges sur «Poison Ivy», c’est cousu, mais quelle ambiance ! Ces mecs jouent à la revoyure. Ils tapent une version heavy de «Reconsider Baby» et croyez-le bien, on ne s’ennuie pas un seul instant. Willie Cobbs en profite, il chante tout ce qu’il peut, son «Five Long Years» est une merveille de présence intrinsèque. Il tape aussi l’excellent «Please Send Me Someone To Love» de Percy Mayfield. Quelle fantastique allure !

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             Il existe une compile de base parue en 1986 sur Mina Records, Mr. C’s Blues In The Groove. Les Japonais ont procédé comme Bear, de façon chronologique, ce qui permet de survoler l’œuvre du vieux Willie. Et ça démarre avec «Inflation Blues» - Inflation is killing me - Alors le vieux Willie s’adresse à Mister President pour se plaindre. On trouve deux versions de ce merveilleux boogie qu’est «Hey Little Girl», un boogie tentateur qui finit par te hanter. Le heavy blues de Willie n’échappe pas à la règle («Mistrated Blues») et dans les cuts enregistrés à Chicago («You Know I Love You», «Hey Little Girl»), on entend un fantastique guitariste de jazz. L’autre gros shoot est le «Worst Feeling I Ever Had», enregistré à Little Rock en Arkansas. En B se nichent deux merveilles enregistrées chez Malaco, à Jackson, Mississippi, le «Hey Little Girl» déjà évoqué et «CC Rider», monté sur un excellent groove de lard. Et on retombe en bout de B sur ce qui pourrait bien être le hit de Willie Cobbs, «Eatin’ Dry Onion» qu’il tape au beat de Memphis Tennessee. Magnifico ! Willie pourrait bien être one of the greats.

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             Down To Earth qui date de 1994 est un très bel album, enregistré à Clarksdale avec les anciens musiciens d’O.V. Wright, Rawls & Luckett. Willie Cobbs l’attaque avec le vieux «Eatin’ Dry Onions» et ça part dans l’éclair de la première mesure, ces mecs savent ce qu’ils font. Ils sont dans le fast boogie, c’est tight, bien serré à la corde, joué au cul du camion, ils ont pigé la combine, vite fait bien fait, c’est du boogie maison, avec du vrai son, comme chez Lazy Lester. On croise plus loin un autre boogie tout aussi expéditif, «She’s Not The Same (Feeling Good)», un vrai hit de heavy romp, Willie is hot. Il nous sort là un authentique boogie blast. C’est un bonheur que d’entendre jouer ces mecs-là, ils tapent «Goin’ To Mississippi» au crack-boom-uh-uh, Willie Cobbs domine bien la situation, Willie Cobbs tout, il passe des coups d’harmo, ça joue au pur jus d’in-house et tu grimpes dans les étages du boogie blues. Il est encore meilleur en Heartbreaking Blues, comme le montre «Butler Boy Blues», il vit ça dans sa chair. Même chose avec «Amnesia», people don’t know my name, il joue le jeu du heavy blues. Quand tu es dans les pattes de ce genre d’artiste, tu te sens en sécurité. Le guitariste qui joue avec Willie Cobbs s’appelle Johnny Rawling. Ce fabuleux blues guy qu’est Willie Cobbs chante «If You Don’t Know What Love Is» à la glotte languide, il ne chante que la pulpe du blues, d’ailleurs, au dos du boîtier, on le voit assis au bord du fleuve avec son harmo. Il va ensuite aller se fondre dans les breaks de r’n’b de cuts plus audacieux («Good Lovin’»). Willie Cobbs forever ! Il reste impliqué dans sa modernité. Il nous rappelle par bien des aspects un géant nommé Taj Mahal. Il est toujours intéressant, toujours juste, comme le montre encore «Now Slow Down Baby». Il revient en mode heavy blues pour «Carnation Milk». Willie Cobbs fait vibrer sa vieille glotte, c’est un savant du blues, une force de la nature, il vise l’orgasme en permanence, il dépasse toutes les expectitudes. Dead good ! Il termine avec «Wanna Make Love To You», un r’n’b efflanqué, et comme tous les grands artistes, il l’enfourche pour filer au galop.

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             Et puis voilà que paraît en 2019 un nouvel album de Willie Cobbs, Butler Boy Blues. Incroyable mais vrai ! Le pire c’est qu’il s’agit d’un bon album, bourré à craquer de ce boogie dont Willie Cobbs a le secret. Deux exemples : «Mississippi» et «She’s Not The One». Le premier est incroyable de véracité, le vieux Willie Cobbs est dessus, ah ah ah, il ricane comme un démon. Quant au deuxième, il est pulsé au beat originel, Willie Cobbs est un killer boogie man. Même énergie que celle de Lazy Lester. Mais c’est avec les Heartbreaking Blues qu’il rafle la mise. «Butler Boy Blues» sonne comme une bonne adresse, il y va au harp, c’est un fantastique shouter d’harp, il est fabuleux, au moins autant que Little Walter. Encore mieux, voici «If You Don’t Know What Love Is», pur genius, il chante à s’en exploser la rate, pure démence de la prestance, c’est le heavy blues de rêve. Encore du heavy blues avec «Carnation Milk», affolant de persistance, Willie Cobbs devient carnassier sur ce coup-là, quelle énormité ! Il chante aussi son «My Baby Walked Away» à s’en arracher les ovaires. Trop de son. Quel numéro ! Il est furieux, il saute sur tout ce qui bouge, my baby walked away. Il revient au r’n’b avec «Good Lovin’», ça joue sec et net derrière lui. Il conduit bien le groove, comme le montre le vieux «I Wanna Make Love To You». Il est clair, il a envie de la baiser, il revient par vagues insistantes, il charge la barque tant qu’il peut, il devient héroïque. On retrouve bien sûr l’inévitable «Eatin’ Dry Onions», le vieux «Amnesia» et le vieux «Jukin’». Willie Cobbs un vieux renard du bayou, il connaît toutes les ficelles et qui oserait lui reprocher de ressortir tous ses vieux coucous ? Certainement pas nous.

    Signé : Cazengler, Willie Cock

    Willie Cobbs. Disparu le 25 octobre 2021

    Willie Cobbs. Mr. C’s Blues In The Groove. Mina Records 1986

    Willie Cobbs. Down To Earth. Rooster Blues Records 1994

    Willie Cobbs. Jukin’. Bullseye Blues & Jazz 2000

    Willie Cobbs. Butler Boy Blues. Wilco 2019

    *

    Les Dieux sont avec moi, à peine ai-je appuyé sur You tube que se dévoile devant mes yeux le célèbre tableau L’Ecole d’Athènes de Raphaël, tiens une vidéo sur la peinture, pas du tout, le dernier disque de Thumos intitulé The Republic, what is it, un groupe de doom qui reprend La République de Platon, il est impérieux d’aller voir et d’écouter. Même si personnellement mes préférences vont à Aristote.

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    Pour une couverture, c’est une couverture. La plus intelligente que vous pourriez trouver. L’image est bien connue, souvent réduite à la présentation de ses deux personnages les plus importants, Platon et Aristote philosophant en marchant. Méthode péripapéticienne prônée par Aristote. A leurs pieds sont représentés vingt penseurs parmi les plus célèbres de la Grèce Antique. Message privé : nous recommandons à notre Cat Zengler de se méfier du redoutable Zénon d’Elée qui accoudé au piédestal de la colonne (à gauche, en bleu, en train d’écrire )  s’apprête à lui à lui planter la flèche de sa pensée dans le dos.

    THE REPUBLIC

     THUMOS

     ( Snow Wolf Records - 22 / 01 / 2022)

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    Dans le doom l’on ne doute de rien. Thumos, ce nom signifie Colère – nous reparlerons de ce groupe original une autre fois - s’attaque à un gros morceau, de choix, La République de Platon. L’est difficile de dialoguer avec Platon, l’on se sent vite écrasé par tant de subtilité. Thumos ne s’est pas défilé, l’a simplement mis la barre plus haut. Puisque l’on ne parle pas avec Platon, sous peine de débiter des niaiseries, il n’y aura ni paroles, ni lyrics. Ce que Thumos nous propose c’est une lecture de Platon. Attention pas question de faire défiler le texte de Platon (si possible en grec !) sur la vidéo, ou de le joindre en livret dans l’opus, le groupe nous convie simplement à une lecture auditive de Platon. Peut-être vous sentez-vous de facto écarté de la compréhension de ce disque, pas de panique, Platon a pensé à vous, selon sa théorie de la réminiscence, toute connaissance est en vous, hélas engloutie au fond des eaux de l’esprit comme l’Atlantide dans les abysses, il suffit de se mettre en chemin, votre âme a déjà contemplé les Idées irradiantes, l’ascension sera longue et difficile, pas du tout impossible. Vous êtes déjà passés par là.

    Nous allons donc nous livrer à ce difficile exercice de retrouver l’enseignement de Platon, au-travers des dix morceaux présentés par Thumos. Pas de hasard, si Thumos a choisi de présenter dix morceaux c’est parce que La République est composé de dix livres.

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    The unjust : musique lourde et menaçante, Socrate et ses amis discutent d’un sujet important qui relie tous les hommes entre eux tant au niveau individuel que collectif, autrement dit de politique. La question est simple, qu’est-ce qu’une chose juste, qu’est-ce qu’une chose injuste. La musique se fait plus lourde, le juste n’est-il pas ce qui vous fait du bien même au détriment de l’autre. Embrouillamini torsadé sonore la batterie en punching ball vous revient dans la gueule. C’est que nous sommes en train de décréter que la justice peut être en même temps juste pour les uns, injuste pour les autres. Plus tard Marx parlera d’intérêt de classe mais Platon pose le problème avant tout selon une problématique individuelle. N’empêche que l’injustice que vous exercez peut vous faire du bien. La musique tire-bouchonne sur elle-même. Le problème se révèle plus épineux que prévu. The ring : non il ne s’agit pas de l’anneau du temps serpentique qui se mord la queue mais de l’anneau de Gygès qui vous rend invisible et vous permet de commettre les pires méfaits, puisque selon l’adage, pas vu, pas pris. Avouez que s’il entrait en votre possession, vous ne vous gêneriez pas… d’ailleurs si vous respectez les lois et ne commettez pas de choses injustes c’est uniquement par peur de la prison et autres châtiments… la musique va de l’avant, la batterie bat le rappel des mauvaises actions, et les guitares tendent leurs cordes vers toutes les convoitises, l’on marche main dans la main avec son voisin et l’autre dans le sac qui contient sa fortune. Ce n’est pas fini, la musique danse sur le pont d’Avignon, évitons la chute, élevons le débat, si dans une cité les citoyens se laissent séduire par tout ce dont ils peuvent jouir, mal ou bien acquis, il est nécessaire d’avoir une armée et une police pour les contenir, et cette force armée pour qu’elle ne se laisse pas gagner par l’attrait des richesses, il faut l’écarter de la ville et l’envoyer faire la guerre, bref l’on entre dans une suite de malheurs sans fin, d’où la nécessité de bien éduquer la jeunesse. La musique glisse sur une pente fatale, la batterie se transforme en mitraillette et la beauté du mal vous ensevelit, une cloche de vache bat le rappel, évitez la licence, fortifiez vos âmes. Si possible. The virtues : le citoyen doit être vertueux. La musique bat le fer, l’argent, l’or et le bronze pour qu’il reste chaud. La musique devient pratiquement symphonique. Il s’agit de forger des hommes nouveaux, de les éduquer, qu’ils ne connaissent pas la peur de la mort, qu’ils puissent se battre pour leur patrie sans trembler, pas de laisser-aller, l’on pressent une éducation à la spartiate qui fortifie le cœur, l’âme, le sang et la volonté. Le son ne serait-il pas un peu grandiloquent, y croit-on vraiment ? The psyche : entrée martiale, pesante, la raison doit dominer le désir, les masses laborieuses doivent se contenter du nécessaire et réfréner leur avidité, les soldats doivent cultiver le courage, les élites qui commandent faire preuve des deux précédentes qualités mais aussi de sagesse, Thumos délivre une musique pesamment rythmée, nulle fioriture, une idée du droit chemin dont personne ne doit s’écarter sous le moindre prétexte. De même se méfier de toute nouveauté, si l’on a atteint la perfection tout changement apportera un moins. Entre nous soit dit, un peu rébarbative et profondément conservatrice la Cité idéale de Platon. The forms : le mot forms est à traduire ici par agencements, et n’a rien à voir - d’après nous qui faisons la différence entre idées et notions - avec les Idées ( qui en grec signifient formes en tant que modèles originels dans la philosophie platonicienne ) comme un gong qui se prolonge sans fin, puis scandé, et enfin déroulé, décrire les rapports entre les hommes et les femmes, celles-ci communautaires, les enfants élevés en commun ne connaissent pas plus leurs parents que leurs géniteurs ne les connaissent, la musique éveille l’intérêt, ne cédez pas aux pensées grivoises, toute la société fonctionne ainsi car à tous les niveaux les désirs de possession ne doivent altérer la raisonnabilité nécessaire à la bonne marche de la Cité, ainsi le roi ou les chefs suprêmes qui détiennent tous les pouvoirs doivent être aussi philosophes pour ne pas céder aux sirènes des tentations et faire preuve à tous moments de tempérance et de sagesse. Ici la musique atteint à une sorte de sérénité. Compacte, solide, infaillible. Mais quels sont ces coups de gong plus clairs, plus scintillants. Fêlures ou tranquillité thibétaine.

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    The ship : aucune des deux. La musique prend de l’altitude et devient grandiose, la batterie bourre le mou, et l’on est parti pour la vitesse supérieure. Nous rentrons dans la deuxième partie du livre. Le philosophe peut ne pas être reconnu à sa juste valeur, comme le Capitaine d’un navire que les matelots éloignent du gouvernail car ils ne comprennent pas sa manière de tracer la route. Le bateau finit sur les écueils… c’est le philosophe qui doit diriger l’état et la cité, il sait ce qu’il veut beaucoup mieux que tous les autres membres. Il a accès à une connaissance que les autres ne possèdent pas. Il connaît l’idée du Bien, qui permet d’entendre le bien de toutes choses.  Il n’est guidé ni par l’ignorance ni par l’opinion que la multitude des gens se font des choses. Le background comme une fanfare finale précipitée. Arrêt brutal, résonnances soniques. Ce qui resplendit ne s’éteint jamais, mais résonne toujours. The cave : guitares entremêlées irradiantes, riffs de cobalt, nous avons atteint le point culminant, la batterie nous prévient que nous avons encore quelque chose à nous enfoncer dans la caboche, c’est la célèbre allégorie de la caverne, nous ne voyons que les ombres des véritables choses qui sont les Idées, à notre niveau d’hommes modernes ne soyez pas l’imbécile qui ne comprend pas que les images d’un film ne sont pas les choses qui ont été filmées. Musique révélatrice, les philosophes doivent être capables de prendre conscience de cette réalité, Platon décrit leur formation qui mêle théories et moments d’implications dans les affaires de la cité, le rythme se ralentit, l’éducation n’est pas un long fleuve tranquille mais un torrent impétueux à remonter pour au soir de sa vie atteindre aux postes les plus importants de la cité. The regimes : l’on passe aux choses concrètes, les différents régimes politiques, Platon en décrit cinq, qui peuvent exister, étant entendu qu’ils naissent les uns des autres, selon une évolution logique, batterialerie quasi-angoissante, un moteur se met en marche celui de la dégradation sociale, sur un rythme lent et lourd tandis que surviennent les guitares comme un contre-chant lyrique au désordre inéluctable qui se met en place, que rien n’arrêtera, le jeu des désirs et des affects entraînant les citoyens à agir selon leurs prétentions du moment, stridences accumulées, le chant s’est tu, un grincement le suit dans le silence et la musique repart, les cymbales chuintent on dirait qu’elles ont envie de parler, de nous mettre en garde, de murmurer à notre oreille, mais non l’inexorable suit sa route interminable, musique de déréliction, la société humaine arrive au plus bas, chute précipitée sur la fin. The just : douces notes de guitares, presque espagnole, fragiles comme un fil tendu, Platon récapitule la fin du livre précédent, il cerne son propos, dans le dernier état de décomposition de la société tyrannique, ce n’est pas le tyran le plus problématique mais l’homme tyrannique en lui-même comme Marcuse a pu parler de l’homme unidimensionnel ou comme notre société évoque l’homme-consommateur, l’homme ne contrôle plus ses pulsions, il est davantage dominé par son appétit de jouissance que par le tyran, face à cet homme tyrannisé de l’intérieur par lui-même il oppose le philosophe, Thumos le nomme le juste, celui qui a su se dominer lui-même, qui étant son propre maître est à même de percevoir clairement la situation et à mener les citoyens selon de justes préceptes. La musique s’étale désormais sereinement, elle brille, elle illumine. Le soleil atteint son zénith. The spindle : pluie torrentielle, encore une fois l’on a l’impression que les guitares chantent, la batterie vient percuter cette harmonie.  Le titre est une allusion au faisceau tenue par la déesse Nécessité mères des Moires ( les Parques de la mythologie latine ) tel que le raconte le mythe d’Er. Moins connu que celui de la Caverne mais qui a eu une descendance tout aussi importante. Le mythe de la Caverne fonde en quelque sorte la philosophie qui se méfie de l’apparence des choses, celui d’Er institue la croyance religieuse de la bonne conduite récompensée après la mort, tout comme de la mauvaise qui entraînera punitions et châtiments. La Caverne est destinée à ceux qui réfléchissent, Er au peuple ignorant que l’on éduque (et que l’on tient en laisse) en lui montrant de grossières images… Ce n’est pas un hasard si le christianisme s’est reconnu en Platon. Mais ce genre de réflexion nous entraînerait trop loin. La musique est de toute beauté, empreinte de gravité. L’âme du mort doit choisir sa prochaine incarnation, s’il a cédé toute sa vie à ses désirs, il choisira d’être un homme ou un animal qui lui permettra de vivre au plus près de ce qu’il croit être la véritable nature du bien, peut-être à sa prochaine réincarnation choisira-t-il mieux… son âme sera ainsi comme celle du philosophe accompli qui désormais contemple le soleil éternel des Idées… la musique s’illimite et se perd en même temps.

    Je n’ai évoqué que quelques aspects de l’ouvrage de Platon. L’ouvrage entremêle plusieurs thèmes dont celui de la poésie que je n’ai pas du tout traité. Malgré cela, le lecteur risque de trouver un tel disque un peu trop rébarbatif. Il n’en n’est rien. Un disque de rock instrumental peut vite se révéler ennuyeux, surtout si l’on ne pratique pas soi-même un des instruments mis en évidence. Ici il n’en est rien. La musique est splendide. Il n'est pas du tout nécessaire d’avoir lu l’œuvre complète, voire une unique demi-page de Platon, ou même d’ignorer jusqu’à son nom, il suffit d’écouter. C’est étrange à la fin de chaque morceau l’on a envie de connaître la suite, une véritable bande-dessinée musicale. Thumos nous tient en haleine. L’on se laisse guider. Et l’on comprend que l’œuvre forme un tout organique. Il ne reste plus qu’à laisser notre esprit partir en voyage.

    Damie Chad

    *

    J’ai déjà consacré deux chroniques à Paige Anderson in Kr’tnt ! 512 du 27 / 05 / 2021   Paige Anderson & The Fearless Kin et Two Runner in Kr’tnt 514 du 10 / 06 / 2021. Mon déplorable et vieil ordinateur m’a empêché d’écouter les rares vidéos qu’elle a enregistrées, je ne maîtrise pas entièrement le nouveau, qu’à cela ne tienne, une artiste comme Paige Anderson n’attend pas. Voici donc la chronique de deux nouvelles vidéos.  Quand j’emploie le mot artiste j’en use en le sens où l’on peut dire que le poëte John Keats était un artiste, comprenez qu’il vivait simplement mais que son existence touchait à la beauté du monde, en tous ses instants, sans qu’il ait eu besoin de faire un effort pour accéder à l’essentiel de sa présence dans le monde…

    LIVE STREAM

    EMILIE ROSEPAIGE ANDERSON

    (23 / 01 / 2021) 

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    Tout comme en France les mois précédents n’ont pas été favorables aux artistes. Two Runner, comme bien d’autres, a vu ses concerts annulés, pour qui arriverait impromptu sur cette vidéo, le cadre paraîtrait étrange. Nous sommes dans une chambre ou un coin salon, toutefois un lit recouvert d’une couverture indienne et d’un empilement de coussins que l’on pressent douillets et voluptueux. Un petit intérieur comme chez nous, d’ailleurs Emilie Rose dans sa robe bleue qui n’est pas sans rappeler les personnages féminins des westerns ne se préoccupe pas de nous.  Ne nous accorde aucune attention, l’est toute accaparée par son téléphone portable, pour un peu l’on s’excuserait d’être-là, évitons de ronchonner comme de vieux conservateurs sur cette jeunesse portée aux futilités et dédaigneuses des convenances, une inscription sur une affiche manifestement manuscrite placardée sur le mur nous permet de comprendre la situation. Venmo est un mode de paiement utilisé par Instagram (pas seulement, l’entreprise a une vocation internationale) qui permet via les portables de faire ou de recevoir des dons financiers… Les messages amicaux et d’encouragement adressés à nos deux musiciennes s’inscrivent d’ailleurs sur la droite de l’écran.

    Nécessités économiques de survie obligent… Pour ceux que ce rappel insidieux dérange, qu’ils se perdent en la contemplation de la tapisserie de laine tissée au-dessus du lit, elle représente un loup stylisé qui aboie à la lune, nous voici dans un roman de Jack London ou de James Oliver Curwood. L’affleurement mythique de la Grande Amérique, celle des grands espaces, des indiens et des pionniers, the big country is here, un temps perdu devenu matière de nos rêves et de nos songes que la musique country sous toutes ses déclinaisons, traditionnelles, modernes, indépendantes, alternatives s’acharne sans cesse à ressusciter comme pour maintenir un chemin d’accès à un monde passé qui ne veut pas mourir.

    Les lecteurs s’offusquent, vous nous annoncez deux musiciennes, nous n’en voyons qu’une. Paige Anderson est là, mais hors-champ, elle répond à Emilie Rose, les filles papotent et commentent les posts, enfin Paige arrive, ravissante dans une tunique bleu pâle et ses longs cheveux blonds, l’on ne peut s’empêcher de penser aux paroles de Jim Morrison American boys, American girls, the most beautifull people in the world, elle s’empare de sa guitare, quelques instants pour saluer des proches, et pour s’accorder, Emilie Rose a pris son fidèle fiddle,  le concert, non la soirée entre amis commence, Paige à la guitare, et au chant, cette manière qui n’appartient qu’à elle de hausser la voix, à chaque fois vous avez l’impression qu’elle vous arrache le cœur, de son violon Emilie cautérise la douleur d’une douce mélancolie, qui prend de l’ampleur, se mêle et s’entremêle aux cris suaves de Paige, comment peut-elle en même temps insuffler tant de tristesse et de sauvagerie dans son chant, le refrain comme un couteau qu’elle enfonce dans votre âme, ses doigts mélancolisent  les cordes, une dernière traînée de violon comme une longue pincée de désespoir. Tout de suite le sourire aux lèvres, un œil sur le téléphone, on leur demande de mettre l’affiche Venmo en évidence au premier plan contre la santiag noire de laquelle émerge un bouquet de fleurs. Petit interlude parlé, nous sommes au Nevada, il neige.  

    Qu’elles sont belles toutes les deux, avec en fond sur le mur le loup solitaire Une nouvelle chanson. Une ballade, toujours cette voix arrachée de l’intérieur qui pleut sur vous en éclats de verre tranchants, ce mouvement de tête vers le haut, comme pour exhaler une fureur contenue, et Emilie Rose, elle ferme les yeux, son violon ruisselle de larmes, tout semble s’apaiser comme une déception, comme une acceptation, la musique continue, lorsqu’elle s’arrête l’on s’aperçoit que l’on n’est pas en train de s’éloigner sur une route jonchée de feuilles mortes.

    Rires, accordage, commentaire sur les posts ‘’ so beautifuul’’ ‘’sounds just fine’’, It’s nothing, accordage, capodastre, une chanson triste, l’autre doit partir, ce n’est rien, c’est ainsi et cette voix qui se plie à la nécessité des choses, même si dans les passages plus lents elle est chargée d’une délicieuse amertume, porteuse des choses qui ont été et qui ne sont plus, Emilie Rose grise la réalité, le violon n’est plus qu’une plainte, de celles que l’on retient mais que l’on ne saurait cacher, quelques saccades de cordes plus loin elle joint sa voix à cette de Paige, et la noirceur tranquille du monde tombe sur vos épaules et les recouvre de glace. L’on croit que c’est terminé, mais non, vie et cauchemar continuent toujours, la voix de Paige devient plus rauque et le violon d’Emilie sonne comme si elle jouait dans un quatuor, en battements d’ailes de cygne qui s’apprête à mourir.  

    Parlent un peu, mais l’on comprend beaucoup. Paige se retourne et s’empare de son banjo. Elle présente le prochain morceau un projet qui se concrétisera au mois d’avril suivant. La vidéo de Burn it to the ground, version orchestrée est sur You Tube. Très belle, mais celle-ci, toute dépouillée est encore plus forte. Crépitements du banjo et cris de crin-crin, plus la voix de Paige qui crache son ressentiment, pour l’exalter et s’en débarrasser, cette juste colère contre l’incompréhension des honnêtes gens, je ne savais pas que l’on pouvait jouer avec tant de force sur un banjo, l’archet d’Emilie se transforme en étrave de brise-glace qui pulvérise le monde. Ce morceau est un chef-d’œuvre absolu. C’est fini. Un ange passe dans une tornade. Emilie sourit doucement. Le visage de Paige se teinte de mélancolie, elle détourne pour poser son instrument et reprendre sa guitare.

    Emilie Rose engage le fer, le violon résonne comme un torrent qui dévale une pente abrupte, Paige les deux mains croisées sur sa guitare, sa voix s’élève altière, maintenant la guitare accompagne, tout se passe entre  le faucon de cette voix qui  qui monte haut dans le ciel pour se laisser tomber comme une pierre sur sa proie, le violon d’Emilie, il joue le rôle de la nature entière dans laquelle se déroule la scène, parfois tout semble immobile, apaisé, l’archet pousse les aigus et ce qui se voulait ordre et beauté se transforme à la seconde suivante en kaos mortel, leurs voix se rejoignent, étendards de victoires éployés, le ton s’adoucit, telle une houle de vent qui berce les épis de blés en une immense vague infinie. Fulgurant. Elles se regardent d’un petit rire discret. Elles peuvent être fières d’elles.

    Regards sur le téléphone. Remerciements. Une nouvelle ballade. Paige à la guitare, et cette voix, vous l’attendez, vous vous doutez que dans une seconde elle va éclater, et pourtant elle vous surprend, vous soulève et vous emporte, vous maintient au-dessus de l’abîme du monde comme par miracle, la tristesse vous poigne, le violon ne fait que l’accentuer par sa traîtrise de douceur, vous planez bien haut, sans être plus heureux pour cela, avec toutefois cette promesse de retour. Un classique de Jimmy Webb, Highwayman,  enregistré en 1977, sous la houlette de Chips Moman ( qui accompagna Gene Vincent sur scène et que l’on rencontre souvent, grâce au Cat Zengler in KR’TNT ! ) reprise par notamment par The Highwaymen ( Johnny Cash, Waylon Jennings, Willie Nelson, Kris Kristofferson ).

    Rituel habituel, rire, téléphone… Cette fois-ci, Paige ne chante pas, Emilie lui a très rapidement rappelé les accords, elle accompagne.  C’est parti pour une pure chevauchée cowboy & fiddle, coloration bluegrass, un régal, le bras blanc de Rose Emilie vole au vent de l’archer tel un albatros qui se joue de la tempête, des images de films tournent à toute vitesse dans la bobine de votre cervelle, élans vertigineux et apaisements virtuoses se succèdent à toute vitesse, Emilie joue avec son instrument mais son corps et sa tête conduisent la danse du cheval fou.  La prestation pétille de joie comme un feu de camp dans la nuit de la prairie. Toutes deux heureuses comme des gamines.

    L’on approche de la fin, on les sent détendues, Emilie raconte une histoire folle… comme quoi le monde est petit, Paige évoque des instants antérieurs, l’on se dirige lentement vers le dernier morceau Where did you go ? Notes lourdes et graves, la voix de Paige traîne et nasille, Emilie la soutient sur les refrains, sinon la guitare seule, et la voix esseulée, chargée de tristesse, ce n’est pas une chanson d’amour perdu, mais une plainte interrogative, sur l’autre côté, sur les sentes obscures de la mort. Une profonde méditation, un regard à la rencontre des ombres qui sont ailleurs. La chanson se termine comme l’on souffle sur la flamme d’une bougie. Paige nous regarde et esquisse un sourire. D’où sort-elle cette sérénité.

    Quelques phrases pour remercier – elles qui ont tant donné avec cette effarante simplicité - Paige se lève et disparaît, Emilie reste assise et fait semblant de pincer les cordes de son violon. This the end, beautifull friends. Bye-bye beautifulL girls. 

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    HAPPY OCTOBER, HAPPY FALL

    TWO RUNNER

    (EMILIE ROSE - PAIGE ANDERSON)

    ( 21 / 10 / 2021 )

    Changement de décor. Comme le temps passe vite, nous voici en octobre. Emilie et Paige sont assises dans un parc. Cette vidéo est un peu un clin d’œil aux anciens clips de Paige Anderson and the Fearless Kin enregistrées en pleine nature devant des arbustes aux branches tourmentées, voici plus de dix ans.

    Robes châtaigne et arbres qui commencent à se parer de couleurs automnales. Une vision idyllique, un peu à la Thoreau. Notes aigrelettes du banjo agreste de Paige en introduction, et toujours cette voix qui surgit et se pose, un oiseau sur les rameaux du désir et de la beauté, Emilie fredonne, à peine remue-t-elle les lèvres et pourtant elle enveloppe d’ouate le morceau qui en acquiert des allures intemporelles. Le violon crisse en une étrange tarentelle ralentie. Le banjo n’arrête pas de grignoter le temps, la voix de Paige nous éloigne d’on ne sait quoi, d’on ne sait où, une longue scie de violon et tout s’arrête scandaleusement. Presque trois minutes de rêve et plouf plus rien. Je l’ai écouté et réécouté plusieurs fois, et je n’ai pas compris. Tout ce que je sais, c’est que c’est plus que magnifique, au sens plein du terme ensorcelant.

    Damie Chad.

    ( Vidéos visibles sur FB : Emilie Rose ou Paige Anderson )

     ILLICITE ( 1 )

    AUTOPORTRAIT COMPLAISANT

     

    Les gens sont parfois curieux, ils me demandent qui je suis. Cela les intrigue. Il vaut mieux qu’ils ne sachent pas. Certains aimeraient savoir si je suis un rebelle. Je ne le suis pas, il faut prendre les armes pour cela, je ne dis pas quand j’étais jeune. Existe-t-il seulement des combats collectifs qui le méritent. Sûr, tout dépend des situations... Au fond les hommes m’indiffèrent. Je ne fais confiance qu’aux individus. Ce qui ne signifie pas que l’on a tort de se révolter. Encore faut-il ne pas être dupe de soi-même. Ni des autres. L’on me taxe souvent de radical, je le suis dans mes a priori. Comme tout le monde. A la différence de beaucoup, je ne feins pas de l’ignorer, je le revendique. J’assure du mieux que je puis ma niche de survie écologique. Je passe ma vie, à moins que ce ne soit ma vie qui se passe de moi, à traficoter dans les sentes obscures de la poésie et du rock ‘n’roll. Dans le monde des humains, je suis un illicite. Je préfère vivre avec les concepts opératoires que sont les Dieux.

    Damie Chad.

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' roll )

    Episode 19

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    MENACES

    Nous étions nus, couchés à même le sol, grelottants, le grand ibis rouge n’avait pas l’air content, sa voix tonnait dans le ciel d’aube pâle.

              _ …Vermines, préparez-vous à mourir, vous qui avez mis le feu à mes quatre buissons sacrés d’hibiscus, crime impardonnable !

              _ …Bon, je crois que je vais de ce pas allumer un Coronado, déclara le Chef en se levant puis s’adressant à nous, levez-vous bande d’arsouilles, et toi le grand emplumé, rabaisse ton caquet, ce n’est pas ainsi que l’on s’adresse au SSR !

    Le GIR (Grand Ibis Rouge ) s’étrangla de fureur, il émit une suite de borborygmes incompréhensibles qui traduisaient une grande ire sans grandeur, nous en profitâmes pour enfiler nos vêtements, les chiens ne bougèrent pas de leur étoile.

              _ Agent Chad, auriez-vous l’obligeance de nous ramener un lot de croissants croustillants afin de nous remettre de nos émotions, en attendant que Monsieur le déplumé retrouve l’usage de la parole humaine.

    Quand je revins le GIB n’en avait pas fini d’expectorer d’infâmes gargouillements

              … grtbk klzx, pdtz, ngtm, dxqr, fwvc…

              … Quel bruit horrible se plaignait Françoise, on dirait un WC bouché !

              … Pas du tout, répliqua le Chef, quel manque de culture chère Françoise, c’est simplement la transcription gutturale et glossolalique des hiéroglyphes de la malédiction de Thot inscrite sur le mur nord de la troisième antichambre de la tombe de Touthânkamon, mais que vous apprend-on en maternelle, quelle ignorance, je n’en crois pas mes oreilles, de toutes les manières, nous en avons encore pour trois quarts - d’heure, l’imprécation aux ennemis de Thot est une des plus longues, certains égyptologues l’attribuent à Seth, une erreur déplorable !

    Les filles avaient préparé le café, je déposai mon paquet de gâteries que j’avais ramené de la boulangerie sur la table basse que Joël avait installée entourée de poufs sur l’ordre du Chef au centre du cercle. Nous déjeunâmes avec appétit, engloutissant, croissants, chocolatines, babas au rhum, millefeuilles, j‘avais même eu la délicatesse de choisir une tarte aux framboises pour Framboise, les cabotos ragaillardis par les effluves alléchants se rallièrent à nous et Molossito avait déjà enfourné trois Paris-Brest lorsque le GIR stoppa son ésotérique sabir et s’adressa à nous sur un ton comminatoire en la douce langue ronsardienne :

              … Misérables créatures, dans quelques minutes vous serez la proie des helminthes, mon messager de la mort n’est plus très loin, je l’ai retiré des limbes de son cercueil, il vient assoiffé de sang, telle une goule malfaisante, tremblez humbles mortels, agenouillez-vous et implorez ma clémence, que je refuserai de vous accorder, votre humiliation aura le goût délicieux d’un fruit succulent !

              … Agent Chad, auriez-vous du feu, pour mon Coronado !

        … Voici Chef, et toi le perroquet si tu pouvais te taire, ce serait parfait, espèce de paltoquet toqué en plaqué de contreplaqué, ferme ton claque-merde !  

    Je sais ce n’est pas poli, mais cette espèce de volatile rougeâtre me tapait sur les nerfs, ensuite je me dois d’être fidèle à la vérité historique de cette scène cruciale pour l’avenir de l’humanité.

              … Votre insouciance vous perdra, impies mortels je serai impitoyable, tant pis pour vous le messager de la mort est tout près de vous, je vous laisse méditer votre inconséquence le temps qu’il arrive. Silence, vous entendrez ainsi le bruit de ses pas !

    LE MESSAGER DE LA MORT

    Dans les minutes qui suivirent nous n’entendîmes que le bruit d’une allumette sur son grattoir, le Chef se préparait à fumer un Coronado. Il n’eut pas le temps d’aspirer afin que le bout du cigare s’embrasât, l’on marchait dans le corridor, il était indéniable que les enjambées du Destin se rapprochaient. Les filles pâlirent, les cabots grognèrent. L’on ouvrait la porte extérieure de la cabane, il y eut trente secondes de silence plus longues que l’éternité de la mort… Derrière la porte qui s’ouvrait sur le jardin l’on prenait plaisir à nous faire attendre, le Chef en profita pour tirer sur son Coronado, dégageant une intense vapeur, hélas point aussi psychédélique comme le dernier disque de Tony Marlow, les gonds rouillés émirent un grincement sinistre, enfin il apparut. C’était, in person, Charlie Watts !

              … Ce bon vieux Charlie ! marmonna le Chef

    Charlie, ne parut pas l’avoir entendu. Il s’arrêta, nous regarda et tira lentement son long bec métallique qu’il ajusta sur son visage. Le GIR gira au rouge cramoisi, les filles essayèrent de retenir quelques manifestations de terreur, leurs dents claquaient comme les castagnettes qui accompagnent les danseurs de flamenco, là-bas, en Espagne… les chiens glapirent de terreur, tandis que Charlie s’approchait à pas lents, soudainement ils se mirent à hurler à la mort.

    Charlie se rapprocha, il avait choisi sa première victime, il s’approcha du Chef et pencha son bec meurtrier vers son visage, le Chef en profita pour relâcher un nuage de fumée aussi inattendue qu’une bouffée délirante.

    Ce fut à ce moment-là que résonnèrent les aboiements joyeux de Molossa et de Molossito qui gambadèrent remuant la queue de contentement tout en se dirigeant vers la porte du jardin. Ingratitude canine qui préfère abandonner leur maître que mourir avec eux, je crus que c’était la dernière pensée de mon existence, mais à l’intérieur de la cahute des ouah ! ouah ! vigoureux se firent entendre, et subitement apparut Rouky. En deux secondes la brave bête visualisa la situation, courut vers Charlie et se jeta dans ses bras. De sa gueule il dépouilla son maître de son bec mortel qu’il jeta à terre, Molossa et Molossito s’en saisirent et disparurent en emportant dans leurs gueules la terrible arme blanche.

     Rouky léchait fébrilement le visage de Charlie Watts, il sembla peu à peu réendosser une apparence plus humaine, son visage recouvrait doucement une   légère teinte rose, il passa ses mains sur ses yeux et son regard acquit une profondeur qu’il n’avait pas auparavant. Je supposais que la salive de Rouky opérait de même que le sang d’un bélier noir que les anciens grecs immolaient au bord d’une fosse dans le but que les âmes des morts soient attirées par le chaud liquide et vinssent retrouver leurs souvenirs de vivants.

    (La conversation qui suit se déroula en anglais qu’en tant qu’agents du SSR nous maîtrisons parfaitement, toutefois la voici reproduite en français pour les lecteurs qui ne s’endorment le soir ni se réveillent le matin, en débitant par cœur une longue tirade de Shakespeare puissent n’en perdre une miette.)

              … Asseyez-vous, Charlie, je vous en prie, prenez place parmi nous, invita le Chef en désignant un pouf vide que je m’empressai de glisser sous les augustes fesses du batteur des Rolling Stones.

              … Euh ! merci (Charlie cherchait ses mots) euh, où suis-je exactement, et euh qui êtes-vous euh, je croyais que j’étais mort…

               … Je vous rassure cher Charlie, vous êtes bien mort, nous sommes les agents du Service Secret du Rock ‘n’ Roll, nous sommes dans le jardin de notre abri anti-atomique clandestin.

             … SSR… SSR… oui je me souviens, c’est vous qui une fois avez récupéré Keith dans la jungle…

              … L’on ne peut rien vous cacher, c’est bien nous, la mémoire vous revient !

              … Oui… elle est comme obstruée par des scènes de meurtres auxquels je ne comprends rien, j’ai une étrange sensation, un grand oiseau rouge, beaucoup de cadavres et beaucoup de sang…je…

    Les trois chiens insouciants qui jouaient à chat arrêtèrent subitement leur course effrénée   brusquement ils pointèrent leur museau vers le ciel et se lancèrent dans un furieux concerts de jappements de mauvais augure. Le GIR, nous l’avions oublié cet oiseau, sa silhouette sembla grandir démesurément, elle était aussi haute que la tour Eiffel, tout Paris devait l’apercevoir, une voix tonnante retentit :

             … Charlie lève-toi, n’oublie pas ta mission, n’oublie pas que tu es un guerrier du Grand Ibis Rouge ! Lève-toi Charlie, c’est un ordre !

    Et Charlie se leva…

    A suivre

     

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 533 : KR'TNT ! 533 : ROBERT GORDON / YARD ACT / LEE BAINS III & THE GLORY FIRES / JEANETTE JONES / DISCORDENSE / HECKEL & JECKEL / MARIE DESJARDINS / ROCKAMBOLESQUES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 533

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    09 / 12 / 2021

     

    ROBERT GORDON / YARD ACT

    LEE BAINS III & THE GLORY FIRES

    JEANETTE JONES / DISCORDENSE

    HECKEL & JECKEL / MARIE DESJARDINS

    ROCKAMBOLESQUES

     

    Gordon moi ta main,

    et prends la mienne

    - Part Two - Bob & the boys

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    Considérable acteur de la Memphis Scene que ce Gordon-là. N’allez pas le confondre avec l’autre Robert Gordon, celui qui enregistra de très beaux albums avec Link Wray et Chris Spedding. Ce Gordon-là joue un rôle tout aussi majeur dans l’histoire du rock américain : il écrit des bibles et produit en plus des classiques du cinéma.

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    It Came From Memphis est un ouvrage si dense qu’il est conseillé de le lire plutôt deux fois qu’une. Il fourmille tellement d’infos qu’à la première lecture on passe à côté de plein de choses. Le seul moyen de contrecarrer la déperdition, c’est d’y revenir encore et encore, et là, ce remarquable travail ethno-musicologique prend toute sa mesure. Robert Gordon bosse comme Peter Guralnick, il enquête et multiplie les interviews. Comme il se passionne pour the Memphis scene, on se retrouve avec une espèce de bible dans les pattes. Une bible si vivante et si bon esprit qu’on prend en compte tout ce qu’il recommande dans le chapitre Futher Reading, Watching and Listening. Robert Gordon est un bec fin et ce sont les becs fins qui mènent le bal du rock, en tous les cas, d’un certain rock. Tiens, parmi les becs fins, on peut citer les noms de Nick Kent, Lux & Ivy, Kim Fowley, John Broven, David Ritz, Long Gone John, Ted Carroll & Roger Armstrong, Shel Talmy, Bert Berns, Ahmet Ertegun, Shadow Morton et Phil Spector. Tous ces gens ont contribué de manière effective à forger la légende du rock.

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    Inépuisable source d’informations, cette bible nous ramène à Sun, à Elvis, à Stax, à Jim Dickinson, à Furry Lewis, à Dan Penn et à Big Star, mais c’est aussi une fabuleuse galerie de portraits, et ce sont des portraits de gens qu’on ne croise pas tous les jours, tiens, par exemple le père fondateur de la Memphis Scene, Dewey Phillips - The (Howlin’) Wolf to whom all whites were suspect called him ‘brother’ - Et Dickinson rappelle que Dewey passait tout dans son émission, «Red Hot» de Billy Lee Riley, Little Richard, Sister Rosetta Tharpe, du blues, de la country. John Fry dit aussi que Dewey à la télé, c’est le truc le plus bizarre qu’il ait vu de sa vie. Portraits de Lee Baker et de Chips Moman - His house rhythm section, unlike the cultural collision at Stax, was a group of musicians raised together and familiar with each other charms idiosyncrasies (comme ils avaient grandi ensemble, ils savaient tout des leurs charmes et de leurs particularismes respectifs). They simply did what they could do and watched the nation and the world applaud - Voilà qui résume bien style de Chips. Joli coup de chapeau aussi au fatidique guitariste des Jesters, Teddy Paige - Others cite Paige as the first in the area to say that the Beatles ruined music - Jerry, fils de Sam Phillips, avait déniché ce punkish kid with lots of attitude qui écrivait des chansons et qui jouait de la guitare. Teddy Paige s’appelait en réalité Edward Lapaglio. C’est lui qui écrivit «Cadillac Man», le dernier single Sun, produit par Knox Phillips en 1965.

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    Avec les Jesters, Jerry et Knox Phillips reviennent aux sources, au primal Sun sound. Knox avoue que depuis cet épisode, il n’a jamais eu l’occasion d’enregistrer anything with that kind of energy. C’est à la fois le mythe de Link Wray Teddy Paige gratte une Les Paul branchée sur un Fender bassman crevé, avec trois speakers qui pendouillent - To get a distorded sound - et le mythe des Cramps - Tommy Minga saute partout - Knox adore that Minga’s voice et le guitar blend de Teddy Paige : «Il n’y avait rien de comparable à Memphis, chez les white people !». De la même façon qu’il n’y avait rien de comparable à Link Wray et aux Cramps. C’est l’infernal Teddy Paige qui compose «Cadillac Man», mais il n’aime pas la voix de Tommy Minga qui est viré. Alors qui ? Dickinson bien sûr ! Teddy l’appelle. Pourquoi ? Parce qu’il a une grosse réputation d’anti-conformiste et une vraie voix - He sang straight old blues things well, but he was always trying to do something unatural and kooky - C’est ce que recherche Teddy Paige, un mec capable de bien chanter les vieux coucous, mais en leur twistant la chique. Du coup les Jesters deviennent une bête mythique, a two-headed monster, Dickinson et Teddy Paige - his guitar was another vocal in itself - Pur jus de rockalama, Dickinson chante au raw comme un gros nègre de barrelhouse et Teddy entre en délinquance sonique comme on entre en religion. On croirait entendre le house-band d’un juke-joint paumé. Knox est frappé par le monster sound - With Jim there was more anarchic energy - Et la guitare de Teddy Paige is the proverbial headless chicken rockabilly yore, hot-rodded with a corrosive blues edge, c’est-à-dire le strut rockab de poulet décapité, aggravé d’un edgy blues sound corrosif.

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    Les Jesters enregistrent deux autres cuts avec Dickinson, une cover de «My Babe» et un «Black Cat Bone» qui a disparu. «My Babe» servira de B-side à «Cadillac Man». Dickinson y ravage Little Walter qui n’en demandait pas tant. Vas-y Dick ! Il explose la rondelle des annales. Derrière, Teddy Paige hoquette ses gimmicks, il grelotte d’impatience, jusqu’au moment où il se met en pétard, cet enfoiré joue à la poigne du poignant, oh Boy, tu as tout le Memphis Sound dans cette cover, toute la folie du monde. Sur la compile Big Beat, on entend aussi la version de «Cadillac Man» qui ne plaisait pas à Teddy Paige, celle que chantait Tommy Minga. Pourtant, la version est bonne, même s’il chante plus à la discrétion. On comprend ce que voulait Teddy : un chant plus black.

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    «Cadillac Man» est le dernier single Sun (Sun 400), avec, nous dit Palao, une erreur de crédit sur l’étiquette (Tommy Minga à la place de Teddy Paige). Le gros intérêt de ce single, dit Dickinson, est qu’il réveille momentanément l’intérêt d’Uncle Sam pour Sun. Judd et Sam demandent à Dickinson de signer sur Sun pour faire partie des Jesters. Uncle Sam : «Boy, you gotta cast your lot !», et Dickinson lui répond : «I’m afraid my lot’s already cast !». En effet, Dickinson est déjà sous contrat avec Bill Justis, mais Uncle Sam lui dit que Bill s’en fout. C’est vrai que Bill ne moufte pas quand le single paraît. Le plus fascinant dans cette histoire, c’est qu’Uncle Sam s’enflammait pour ce projet, même si Dickinson refusait de signer. Knox : «Sam loved it all : he loved Teddy, he loved anybody that was trying to express something in an extraordinary way.» (Sam adorait tout ça, il adorait Teddy, il adorait les gens qui cherchaient à s’exprimer de façon extra-ordinaire). Knox ajoute que son père était tout sauf un suiveur. Malgré l’enthousiasme d’Uncle Sam, l’épisode Jesters va retomber comme un soufflé. Teddy va vite déchanter, car Judd ne sait pas comment promouvoir «Cadillac Man» : le temps du rockab de Memphis est largement dépassé - It was kinda odd for the time - Et en 1966, les Jesters disparaissent.

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    Tout comme la compile des Jesters, c’est sur Big Beat qu’on trouve celle de Randy & The Radiants, Memphis Beat - The Sun Recordings 1964-1966. Mais les Radiants, contrairement aux Jesters, apprécient les Beatles et la British Invasion. Randy Hasper est un fan des Beatles de la première heure - Once we saw the lads on Ed Sullivan, it was all over - Palao considère même Randy Haspel comme the Memphis answer to Allan Clarke des Hollies. La réputation des Radiants grandit assez vite, et leur manager John Dougherty les présente à un jeune homme blond très stylé - looking like he’s just stepped out of Gentleman’s Quaterly - Il s’agit d’un certain Knox Phillips qui les félicite - You guys are great - Knox les trouve même tellement bons qu’il parvient à convaincre son père de les recevoir. En fait, Knox croit avoir trouvé le pot aux roses : the Memphis commercialy-potent interpretation of the British beat. En 1964, Randy Hasper et ses amis débarquent au Sam Phillips Recording Service de Madison. Uncle Sam les reçoit chaleureusement, vêtu d’une chemise Ban-Lon et coiffé de sa casquette de yatchman. Les Radiants passent l’audition et Uncle Sam leur propose un contrat Sun de cinq ans. Sun Records, baby ! Randy a l’impression qu’Uncle Sam tente, dix ans après le coup d’Elvis, de rééditer le même exploit avec les Radiants. Une fois le contrat contre-signé par les parents, les Radiants entrent en studio. Uncle Sam est à la console et Knox l’observe attentivement. Les Radiants enregistrent «The Mountain’s High» en une prise. Uncle Sam exulte : «That’s a hit !». Ce sera le single Sun 395, mais ce n’est pas vraiment un hit. Randy en est bien conscient - That wasn’t very good, wasn’t it ? - Il trouve Uncle Sam trop bienveillant. Mais en même temps, Randy comprend sa philosophie qui consiste à tirer d’artistes amateurs le meilleur d’eux-mêmes. Le conte de fées se poursuit : les Radiants se retrouvent bombardés en première partie du Dave Clark Five au Memphis Coliseum, devant 12 000 personnes. En 1965, les Radiants étaient devenus rien de moins que the hottest band in Memphis. Leurs seuls rivaux à l’époque sont les Gentrys. C’est Uncle Sam qui leur recommande d’enregistrer une compo de Donna Weiss, «My Way Of Thinking», qui sera le single Sun 398. Les Radiants jouent avec l’énergie des early Kinks de Really Got Me. Pas de problème, on est à Memphis, ça joue au kinky blast. Thinking est une véritable horreur de Memphis punk infestée par les jambes, ils risquent l’amputation, c’mon, mais ces mecs s’en foutent, c’est leur way of thinking, c’mon. En tout, les Radiants n’enregistrent que deux singles sur Sun, mais Big Beat rajoute vingt titres pour donner une petite idée du potentiel qu’avait ce groupe destiné à devenir énorme. Un cut comme «Nobody Walks Out On Me» va plus sur la pop de tu-tu-tu-tulup, mais avec Memphis dans l’esprit. Dommage qu’ils n’aient pas un Teddy Paige en réserve. Leur pop est souvent passe-partout, on attend du gros freakbeat, mais rien ne vient. Tout repose sur la voix de Randy Hasper. Ils foirent complètement leurs reprises de «Boppin’ The Blues», de «Money» et de «Blue Suede Shoes». Par contre, celles de «Lucille» et de «Glad All Over» sont des overblasts. Et ils deviennent passionnants quand ils passent au heavy folk-rock avec «Grow Up Little Girl». On peut parler ici de Memphis beat évolutif et même d’énormité de la modernité. Ils font aussi une version ultra-punk de «You Can’t Judge A Book By The Cover», ils la secouent du cocotier à coups de yeah yeah, sans doute avons-nous là, avec celle de Cactus, la meilleure cover de ce vieux coucou. Avant de refermer le chapitre radieux des Radiants, il faut saluer les compos de Bob Simon, notamment ce «A Love In The Past» qui groove à la perfection, comme une merveilleuse chanson de proximité bourrée de sexe, that’s all I do.

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    Coup de projecteur aussi sur Terry Manning qui arrivait d’El Paso où il avait joué dans le Bobby Fuller Four - Son père était un pasteur qui déménageait souvent et Terry harcela ses parents pour qu’ils s’installassent à Memphis, ce qu’ils finirent par faire. Une semaine après leur installation, Terry se rendit chez Stax, frappa à la porte et dit : ‘Here I am’ - Il va rester 20 ans chez Ardent. Il travaille avec la crème de la crème de Stax, les Staple Singers, Booker T. & the MGs, Isaac Hayes. Il est le bras droit de John Fry qui sous-traite alors énormément pour le compte de Stax. John Fry indique que Dickinson cultivait un beau scepticisme envers le music business - which probably provided some guidance for a lot of people - Bel hommage à Reggie Young, dont la façon de tirer les cordes de guitare aurait influencé George Harrison. Le jeune Young était déjà un vétéran à 20 ans, c’est lui qui jouait sur «Rocking Daddy» d’Eddie Bond, avant de jouer dans le Bill Black Combo et de mettre en place de son d’Hi Records. Justement, le Bill Black Combo tourna avec les Beatles et c’est là que le jeune George loucha sur la technique de Reggie.

    Ce Gordon-là rappelle aussi que Stax vient tout droit des groupes qui jouaient au fameux Plantation Inn de West Memphis, localité située de l’autres côté du fleuve, en Arkansas, un endroit mal famé dont est originaire Wayne Jackson, ce même Wayne Jackson qui démarra dans les Mar-Kays avec Steve Cropper, Don Nix, Packy Axton et Duck Dunn. Jim Dickinson : «Packy Axton learned to play from Gilbert Caples. That’s where the whole Stax sound comes from. It’s Ben Branch’s band, pure and simple. The idea of light horns is, I think, the Memphis sound phenomenon.» On tombe un peu plus loin sur ce genre de résumé : «Jim Stewart the fiddle player wasn’t considering a career in black music, Estelle Axton the bank teller sure wasn’t and Steve Cropper who was, would never have been around the place had not it been for Packy.» Eh oui, on en revient toujours à Packy Axton, le fils d’Estelle, ce mec qui aimait tellement la musique noire et prendre du bon temps. Grâce à Light In The Attic, on peut entendre les singles que Packy enregistra avec différentes formations en 1965 et 1967. L’album s’appelle Late Late Party. Ces gens-là adorer groover et Leroy Hodges, bassman du house-band d’Hi, y faisait des miracles. Il faut l’entendre dans le «Bulleye» des Martinis. Et tout à coup, on tombe sur un single infernal de Stacy Lane : «No Entry». On se demande d’où ça sort ! On retrouve plus loin Booker T dans les Packers et Leroy Hodges revient vamper le «South American Robot» des Martinis. Nouveau shoot de r’n’b avec «LH & The Memphis Sounds : «Out Of Control». Pure staxy motion, groove rampant extrêmement tendancieux. L’immense Leroy Hodges revient faire des siennes dans le «Key Chain» des Martinis et Lee Baker passe un beau solo dans le «Hip Rocket» des Pac-Keys. La B se termine avec un nouveau coup de Jarnac singé Stacy Lane («No Love Have I»), un retour en force de Leroy Hodges dans le «Greasy Pumpkin» des Pac-Keys et l’excellent «Late Late Party» des Martinis.

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    Lorsque les Staxmen vont à Los Angeles en 65, ils jamment avec Nathaniel Magnificent Montague, le célèbre DJ d’époque. C’est lui qui branche Packy sur Johnny Keyes, qui va devenir son meilleur ami. Ils vont même partager une piaule dans Memphis, à une époque où la ségrégation fait encore pas mal de ravages. Ils font les Pac-Keys ensemble. Ils recrutent le Moloch Lee Baker à la guitare. Comme Jim Stewart ne supporte pas Packy et ses excès, les Pac-Keys enregistrent soit chez Ardent, soit chez Willie Mitchell. Estelle Axton monte le label BAR pour aider Packy, mais c’est difficile. Puis Packy et Johnny montent les Martinis avec la section rythmique d’Hi Records, et notamment les frères Hodges. Teeny Hogdes est très content de devenir pote avec Packy car il avoue aimer les white girls. Memphis Sound, baby.

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    C’est peut-être l’endroit idéal pour saluer l’album solo que Steve Cropper enregistra en 1969, With A Little Help From My Friends. Crop se lance dans des ré-interprétations instrumentales de hits séculaires, comme «Land Of 1000 Dances». Bon d’accord Crop sait jouer, mais ça on le savait. Il taille une belle croupière à «99 1/2». Il sort sa plus belle disto et joue au gras double. Ce son magique rend bien hommage à Wicked Pickett. Il passe à la petite insidieuse pour tailler une bavette à «Funky Broadway», il joue au son d’infiltration, dans la masse d’un énorme groove de Staxy Stax. Crop est un démon, dans le Sud tout le monde le sait. Comme Ry Cooder, Crop crée la sensation en permanence. Avec le morceau titre, Crop fait du Joe Cocker sans la voix, il fait chanter sa Tele. Ils sont tout de même gonflés de se lancer dans cette aventure devant 500 000 personnes. Crop réussit à créer de la tension, il fait le plan des screams en mode deep south. Bien vu, Crop ! Ce qu’il parvient à sortir est exceptionnel. Il prend ensuite «Pretty Woman» au funky strut de Stax, il joue tout le thème au claqué de Tele. Crop ne se refuse aucune extravagance et du coup, l’album devient palpitant, aussi palpitant que peut l’être la pochette. Il s’en va ensuite swinguer «I’d Rather Drink Muddy Water» au jazz et là ça devient stupéfiant. Il va là où le vent le porte. Guitar God on fire ! On le voit aussi rentrer dans le lard du heavy blues avec «The Way I Feel Tonight» et il claque le beignet du Midnight Hour à la Crop, c’est-à-dire droit au but, sans voix, c’est encore la Tele qui fait tout le boulot. Bon, ce n’est pas Wicked Pickett, mais ce n’est pas si mal. Les cuivres arrivent en renfort dans «Rattlesnake». Comme d’usage, les Memphis Horns font la pluie et le beau temps. Tout s’écroule prodigieusement dans des vagues de son successives. Cet instro est une telle merveille qu’elle pourrait servir de modèle à Michel-Ange.

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    Portrait aussi de l’immense Sid Selvidge : «Selvidge brings to the group (Mud Boy & the Neutrons) a voice as pure and sweet as a Delta songbird, with as much range as the expansive sky.» Ce Gordon-si considère Sid Selvidge comme un folk punk of sorts. Il se préparait en effet à sortir sur son label Peabody l’incroyablement bon Like Flies On Sherbert d’Alex Chilton. Robert Gordon recommande tout particulièrement Waiting For A Train - you also get a taste of Selvidge’s falsetto howl, Baker’s insane slide guitar, and Dickinson’s piano beating (...) On ‘Swanee River Rock’, Jim Lancaster plays the rockingest tuba solo I’ve ever heard north of New Orleans. Selvidge enregistre cet album extraordinaire au studio Ardent avec la fine équipe, c’est-à-dire les Dixie Flyers. Alors que Dickinson pianote sur ce pur jus d’Americana qu’est «All Around The Water Tank», Selvidge yodellise et claque un solo à l’ongle sec. Lee Baker rôde aussi dans le coin. Selvidge tape un vieux blues de Fred Mc Dowell, «Trimmed And Burning». Il préserve avec le plus grand soin l’esprit de la véracité. Il tape ensuite dans Allen Toussaint avec «Wrong Number». Dickinson y pianote comme un diable de saloon. On passe directement au New Orleans Sound avec «Swanee River Rock», mélange de country blues et de New Orleans brass. Selvidge tape aussi dans Tom Paxton avec un «Last Thing On My Mind» digne du Dylan de l’âge d’or. Lee Baker fait un festival dans «Torture And Pain». À noter la photo de pochette signée Bill Eggleston.

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    Joli coup de projecteur aussi sur Insect Trust, ce groupe touche-à-tout qui tapait aussi bien dans Joe Callicott que dans le free-jazz, ce qui inspira Dickinson pour son album Dixie Fried. Insect Trust testait en effet le country-blues-inspired free jazz. Ces mecs retravaillaient des chants de marin au banjo des Appalaches et au violon. Robert Palmer jouait aussi dans le groupe et y faisait un peu office de liant, tellement les profils différaient les uns des autres. L’album Insect Trust vaut le détour, ne serait-ce que pour entendre «Special Rider Blues», inspiré du «Blues Rider» d’Elmore James. Nancy Jeffries y chante le blues fantastiquement, elle se laisse porter par d’indicibles vagues de blues et ce diable de Bill Barth joue l’acid rock dans un fracas de free jazz. Quel mélange ! Bill Barth n’en finit plus d’irriter les zones érogènes de l’instinct free du sax et cette folie contribue largement aux frictions salvatrices. Quel freakout ! On comprend que l’album soit devenu légendaire. Ils reprennent aussi le «World War I Song» de Joe Callicott. Nancy Jeffries chante le blues d’une belle voix généreuse, elle embarque son monde comme savait si bien le faire Joan Baez avec «Joe Hill». C’est un retour aux racines du blues de Memphis. Autre pièce de choix : «The Skin Game», blues solide et bien cuivré, ambitieux et fouillé par un délire foutraque de saxophones en délire. On assiste là aussi à une merveilleuse envolée d’impro, ou si vous préférez, une échappée belle délibérée. Ils finissent leur B avec trous cuts à dominante folky. Cette femme chante comme une militante, on la sent animée d’une foi de pâté de foi. Et ça se termine avec un «Going Home» joué à la flûte de pan, et comme on dit, c’est de la bonne Baez.

    Robert Gordon passe aussi en revue les house-bands de Memphis, celui de Stax que tout le monde connaît, celui de Sun, les Little Green Men de Billy Lee Riley, avec Roland Janes et JM Van Eaton, et celui moins connu de Hi Records avec les trois frères Hodges, Teenie, Charles et Leroy.

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    Lee Baker rappelle qu’il a monté Moloch bien avant tout le bordel du heavy metal - We wanted to be loud, rockin’ rock and roll and offensive - C’est Don Nix qui les produit chez Ardent. - Moloch is a beastly-sounding blues-based swirl - C’est d’ailleurs Moloch qui enregistre pour la première fois le fameux «Going Down» de Don Nix, un Don Nix omniscient qui a l’idée du son - the Don Nix Don Nix Don Nix album - Producer : Don Nix, Arranger : Don Nix, Engineer : Don Nix. C’est ce qu’on peut lire sur la pochette. Et bien sûr, Don Nix signe tous les morceaux. L’album Moloch est réédité, on peut donc l’écouter tranquillement au coin de la cheminée. Dès «Helping Hard», on sent le souffle du heavy rock seventies, oh mama. C’est digne d’Atomic Rooster et typiquement hendrixien dans le traitement du groove. Lee Baker joue comme un démon. Et voilà le «Maverick Woman Blues» (que Mike Harrison reprend sur Rainbow Rider). Typique de l’époque avec le son bien rond et ils finissant l’A avec «She Looks Like An Angel», heavy blues cousu de fil blanc. Encore un artefact nixien avec «Gone Too Long», monté sur le riff de «Dust My Blues», pur jus de Memphis Sound car joué dans la désaille. Ainsi va ce disque, de heavy blues en bloogie rock, au fil du fleuve du temps. Tout est admirablement drivé, ces mecs savent gérer un groove et Lee Baker sait percer les lignes. Ils tapent «Mona» au heavy low-down de big bad stash. La prod rappelle celle de «Crosstown Traffic». Et avec «People Keep Talking», ils se prennent carrément pour Led Zep, car c’est chanté à la petite hurlette de Plantagenet. Don Nix ramène des sons très intéressants dans le boogie. Une cymbale savamment orientée swingue le boogie. Le pauvre Genz Wilkins se prend encore pour Robert Plant dans «I Can Think The Same Of You».

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    Et lorsqu’il aborde le chapitre Mud Boy, Robert Gordon devient intarissable : «Dickinson is a musical chemist balancing order and chaos, with the approach of an historian. Baker can unleash heroic guitar riffs because he spends all summer atop a tractor cutting grass.» Et il ajoute : «One could say that Mud Boy is the inheritor of the Memphis Country Blues Festivals.» Il poursuit en expliquant que Mud Boy n’a rien appris aux vieux bluesmen et que les vieux bluesmen ne leur ont pas appris grand chose. Il s’agissait plutôt d’une osmose. Le vecteur de cette osmose étant le verre de whisky. The language was the jelly lid over Furry’s shot glass. Et comme Dickinson, Charlie Freeman préférait le confort de l’anonymat et de la vie normale au bazar de la gloriole. Oui, ça semble idiot, dit ainsi, mais tous ces gens ont le génie de la modestie, ce qui fait d’eux des héros de l’underground. Jerry Wexler laisse un bel épitaphe concernant les Dixie Flyers : «For a while, the Dixie Flyers were flying high. I didn’t know that they were doing everything in the drugstore, but I did know they were some wild motherfuckers... I should’ve known there never were enough projects to keep a house rhythm section working steadily. My conception - to import and keep a cohesive group - was naive.»

    Puis Robert Gordon attaque le chapitre Alex Chilton, devenu superstar à seize ans, a brillant pop individualist à 21 ans et trois ans plus tard, il ne parvient pas à terminer Big Star 3rd que tout le monde considère aujourd’hui comme un masterwork. L’histoire de Big Star est typique de Memphis : c’est un groupe complètement hors normes. Quand Chris Bell et Alex Chiton décident de monter le groupe, ils se prennent pour Lennon et McCartney. Le pire, c’est qu’ils en ont les moyens. Et puisqu’on est chez les surdoués, on peut aussi citer Richard Rosebrough qui travaillait chez Ardent : «J’aimerais dire que j’ai trois mentors : John Fry qui m’a appris à enregistrer, Jim Dickinson qui m’a appris à choisir le bon moment pour enregistrer, et Sam Phillips qui m’a appris à rendre une séance d’enregistrement intéressante.»

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    Il est essentiel pour tout amateur de Memphis Beat d’écouter l’album solo de Chris Bell, I Am The Cosmos. Car oui, quelle merveille ! Bell sonne les cloches. Bell fait du Big Star sans Alex, il excelle dans cette petite pop exacerbée d’arpèges de clairette et de yeah yeah yeah, il développe un super pouvoir lucratif de haute transparence. C’est éblouissant de pur jus. Il fond son son dans l’azur immaculé, il va même beaucoup trop loin et pousse ses yeah yeah yeah du haut de la montagne - I’d really see you again - Big Bell sound ! On croise plus loin un titre aussi pur, «You And Your Sister», avec Alex en background. C’est enregistré chez Ardent. Quasiment tout le reste est enregistré au château d’Hérouville. L’autre énormité s’appelle «Make A Scene», big rumble de Memphis sound. C’est gorgé d’espoir et si magnifique. Il faut suivre ce Bell à la trace, il est doué d’un don de Dieu. «I Got Kinda Lost» est aussi enregistré à Memphis. On croirait entendre les Byrds, c’est dire si Bell est bon. Il est capable de miracles. Il y va de bon cœur, il ne craint ni la mort ni le diable. Quelle espèce de puissance est-ce donc que la sienne ? Dickinson joue du piano sur «Fight At The Table», il est important de le noter. Retour au Big Star sound avec «I Don’t Know». Bell fait du pur jus et il pourrait bien être l’âme de Big Star. Saluons aussi «Get Away», encore du pur Big Star sound, battu à la folie et qui bascule dans la beatlemania. Il ne laisse décidément aucune chance au hasard.

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    Le fameux bootleg Dusted In Memphis est une sorte de passage obligé. Dans ses liner notes, Ray Fortuna explique qu’Alex cherchait à l’époque à écrire the perfect pop song pour la détruire ensuite. Mais il rappelle aussi que les gens qui l’accompagnent sont des highly gifted professionals. Ce qui conduit l’infortuné Fortuna à penser que la démarche chiltonienne telle que nous la restitue ce boot vaut bien Dada. Bien vu, Ray. Alors boot Dada ? Non, pas vraiment. Trop américain pour être Dada. Souvenons-nous : Dada New York, c’est Duchamp. Un import. Impair et passe. Tout cela n’enlève rien au talent d’Alex : en B, on tombe sur une absolue merveille, «She Might Look My Way», l’une des fameuses démos Elektra. Enregistrée à New York en 1978, cette belle pop tourbillonnaire tourne à l’enchantement. On se régale aussi d’un «Walking Dead» enregistré à Memphis en 1975. Quelle douce désaille ! Les punks ne feront jamais mieux. Ray Fortuna cite Dickinson, l’un de acteurs majeurs du so-called Memphis Dada : «Sometimes there was somebody in the control room and a lot of times there was nobody there.» Des quatre faces, la B est la plus consistante, car enregistrée dans un club new-yorkais. Une version de «Little Fisky» passe comme une lettre à la poste. Même chose pour «Window’s Motel», on retrouve ce son qu’on aime bien, le Memphis Sound, une déglingue de swing traversé par des gimmicks de fulgure. Cette B mirifique s’achève sur une imprenable version de «No More The Moon Shines On Lorena». Section rythmique minimaliste et bourrée de swing, un brin de piano et un killer solo flash : il y a là de quoi rendre un homme heureux. Mais le sommet du boot se trouve en D : l’infamous KUT Radio Show d’Austin, en 1978. Alex joue en solo et se débarrasse comme il peut des questions à la con que lui pose le speaker sur Big Star et les Box Tops. Alex se dit homosexuel puis onlysexuel, il fait sa provoc, on le sent excédé, alors il attaque son fameux «Riding Though The Reich», puis enchaîne avec une version délirante de «The Lion Sleeps Tonight» en ululant à la lune. Pour le coup, ça tourne à l’Austin Dada ! Les pontes de l’histoire de l’art vont s’arracher les cheveux. S’ensuit une version qu’il faut bien qualifier de magique de «No More The Moon Shines On Lorena», et la fille qui accompagne Alex déraille complètement - Baby’s on fire ! s’esclaffe Alex qui visiblement s’amuse bien, mais attention, ce n’est pas terminé, le voilà au cœur du sujet avec «Waltz Across Texas», fantastique coup de kitsch qu’il enchaîne avec «Lili Marleen». Il chante cette magnifique rengaine avec un talent fou et désordonné - It’s you Lili Marleen - et il termine en rendant un superbe hommage à ses amis new-yorkais les Cramps avec «The Way I Walk».

    Quand Dickinson accepte de produire le troisième album de Big Star, il est dans une mauvaise passe : son meilleur ami Charlie Freeman vient de casser sa pipe suite à une overdose et il vient de se fâcher avec Dan Penn pendant le mix du fameux deuxième album jamais paru, Emmett The Singing Ranger Live In The Woods. Il a donc une revanche à prendre sur Dan qui avait produit les Box Tops. Selon Robert Gordon, l’enregistrement de Big Star 3rd fut un épisode assez malsain. Dickinson raconte qu’Alex et lui rigolaient ouvertement pendant qu’un mec jouait de la stand-up. Steve Cropper accepta de jouer dix minutes sur «Femme Fatale», mais pas davantage - He thought this was scary evil shit - Quand Dickinson envoie la bande de Big Star 3rd chez Jerry Wexler, celui-ci l’appelle pour lui dire : «Baby, that tape you sent me makes me very uncomfortable.» À l’époque personne ne veut de Big Star. Dickinson et John Fry tapent à toutes les portes. Écœuré, John Fry jette l’éponge et met son studio en vente. Mais les acquéreurs ne parviennent pas à honorer leurs engagements et Fry récupère miraculeusement son studio peu de temps après. Tout est examiné dans la détail au chapitre Alex.

    Bien sûr, lorsqu’Alex découvre que les Cramps jouent du rockab à contre-courant des modes et notamment du punk rock, il est fasciné - Such a renegade spirit was a natural attraction for Chilton - Robert Gordon rappelle que Flies is an épitome of Memphis music - a complete rejection of the industry norm. It is sloppy, often indecipherable, and very very alive. Pour Gordon, Flies, c’est du Dewey Phillips - Among the sources for Flies are the Greenbriar Boys’ bluegrass, the Long Island vocal group the Belltones and the Carter Family’s interpretations of a slave song. If that’s not a likely Dewey Phillips set, I don’t know what it is - Et Randall Lyon qui a filmé les séances d’enregistrement indique que Flies a presque réussi à anéantir tout le gratin de l’underground de Memphis - It was an horrible experience from beginnig to end (...) The music was so heavy. Chris Bell died while Alex was working on that record and Flies to me is the end of the whole ChrisBell/Alex freakout.

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    Bosser avec les Cramps, ça laisse forcément des traces. Alex a de nouvelles idées de son. Il fait appel à son vieux mentor Dickinson pour produire Like Flies On Sherbert (qui devait au début s’appeler Like Flies On Shit). Cet album sonne comme la suite de Big Star, car on y trouve quelques énormités fatales comme «Hey Little Child», petite pièce de garage d’excellence impartie et joliment tapée - Hey ! - On croit entendre du Sonny & Cher, c’est monté sur un beau bien rebondi et Dickinson fait monter la basse dans le son - Hey ! - On sent bien qu’ils s’amusent comme des fous dans le studio. L’autre monstruosité, c’est le morceau titre qu’on trouve en B. Il s’agit là de la chanson la plus barrée du Deep South. Alex chante vraiment à la désaille, c’est stupéfiant de densité et fort en teneur de laid-back. Véritable coup de génie pour Alex et Jim. Oh mais on trouve d’autres pépites sur ce disque infernal, comme par exemple «Boogie Shoes», à l’image de la déglingue du studio et de son parquet jonché de mégots. Muddy as hell, joué au hasard des condoléances, gratté à la bonne franquette, ça bat comme ça peut, on est à Memphis, Sugar babe, et le chaos y est différent. L’air et l’énergie aussi. Il y a quelque chose de dévertébré dans le son, ça pianote dans un coin et ça chante au réveil, mah, mah mah. Pareil pour «My Rival», le boogie-rock le plus laid-back de l’histoire. Alex traînasse dans la mélasse et il place ici et là des petits guitar licks à la Keef. Tout est savamment faisandé sur ce disque. Encore du sacré bon rock de Deep South avec «Hook Or Crook», joué à la revoyure et sans attache particulière, et un chant terriblement décalé du micro. Alex claque ça dans un coin et ça joue là-bas, de l’autre côté, dans la cuisine. On a là une sorte d’Americana perdue dans le plus bel écho du temps d’avant. Franchement, c’est joué au plus profond du studio, c’est du rock d’Ardent et décade après décade, la descente reste d’une beauté qui ne se fane pas. Dickinson semble au somment de son art. Si avec ça on n’a pas encore compris que cet homme est un génie, c’est qu’il y a un problème. On retrouve cette ambiance de jam informelle dans «I’ve Had It» et nos deux cocos basculent dans le délire complet avec «Rock Hard» : le cut se limite au seul tatapoum et Alex gratte une corde de guitare à l’ongle sec, juste sous le boisseau. On retrouve le foutraque du Memphis Sound dans «Alligator Man», ça claque dans tous les coins, encore un modèle du genre.

    Dickinson est certainement le mieux placé pour donner une définition du fameux Memphis sound : «The Memphis sound is something that’s produced by a group of social misfits in a dark room in the middle of the night. It’s not committees, it’s not bankers, not disc jockeys. Every attempt to organize the Memphis music community has been a failure.» On a l’illustration de ce propos dans Stranded In Canton, le film culte de Bill Eggleston.

    Robert Gordon boucle son panorama avec des pages fascinantes sur la relève : les débuts de Tav Falco, puis quelques clins d’œil de poids aux Hellcats et aux Country Rockers qui comme par hasard ont vu leurs disques paraître sur New Rose - comme d’ailleurs tout ce qu’a pu enregistrer Dickinson. Étrange phénomène que ce désintérêt des labels américains pour une scène aussi riche. Alors encore une fois, merci Patrick Mathé.

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    Merci pour le Free Range Chicken des Country Rockers paru en 1988. On les voit tous les trois sur la pochette, avec pépé Gaius Ringo Markham au premier plan. On note aussi la présence de Misty (tambourine) dans les crédits. Et ça démarre en force avec le swing parfait d’«Arkansas Twist». Ils jouent ça dans les arcanes du temple. Quelle fantastique leçon de rockabilly, son clair et swing de slap, oh boy et pépé Ringo nous bat ça sec sous le manteau. Ils enchaînent avec une reprise du fameux «Mona Lisa» rendu célèbre par Carl Mann. On est chez Doug Easley, alors quel son, my son ! Ils passent au jazz avec «Stomping At The Savoy». Ambiance à la Django et plus loin, ils tapent dans le fameux «Rockin’ Daddy» au pur jus de Memphis Sound. En B, ils vont chercher le vieux «Pistol Packing Mama» pour en proposer une version joyeuse et bien vivante. Rien à voir avec Gene Vincent. Retour au rockab avec «Love A Rama». Ils tiennent vraiment le haut du pavé, leur rockab vaut tout l’or du monde. Et pour l’anecdote, pépé Ringo prend le lead sur «My Happiness». Il ne chante pas très juste et fait un peu mal aux oreilles. Par contre, l’amateur de trash va pouvoir se régaler. Il existe un autre album des Country Rockers intitulé Cypress Room et doté d’une belle pochette, mais ce sont quasiment les mêmes titres.

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    Robert Gordon évoque aussi Lorette Velvette, qui fait comme Alex l’objet d’un chapitre à part.

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    Puisqu’on est dans l’underground de ces dames, il est intéressant de se pencher sur le cas des Klitz. Il existe quelques bricoles accessibles, comme ce Live At The Well. On croit entendre les Babes In Toyland, tellement c’est mal chanté. Leur «TV Set» est trop bruyant, trop mal contrôlé, on dirait que c’est voulu. Joli choix de covers, en attendant, puisqu’elles tapent dans le «Funtime» d’Iggy. Par contre, elles changent de registre avec «Noel Motel», un shoot de heavy pop de power pop joué à la fabuleuse énergie et chanté à l’ingénue libertine, avec un flavour très particulier, soutenu au piano de bastringue. Avec «Couldn’t Be Bothered» on passe au vrai son, à l’EP Sounds Of Memphis 78. Tout cela vaut pour acquis. «Two Chords» sonne très typique de l’époque, two chords, three chords, one chord ! Elles passent au beat tribal pour «Head Up». Celle qui tape y va de bon cœur. C’est gueulé, bien gueulé, admirablement gueulé. Elles jouent leur va-tout avec l’«Hook Or Crook» d’Alex. Dommage que la chanteuse soit obligée de gueuler par dessus les toits.

    Dans cet infernal chapitre de fin, Futher Reading, Watching and Listening, Robert Gordon renvoie sur des tas de disques tous plus intéressants les uns que les autres.

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    L’ouvrage s’accompagne d’une compile qui porte le même nom, It Came From Memphis. C’est sans doute le meilleur moyen de donner envie aux lecteurs de creuser, car comment peut-on résister au souffle du «Money Talks» de Mud Boy & The Neutrons ? C’est impossible. Quel incredible blast ! C’est l’une des pires fournaises de l’histoire de l’humanité, tout est poundé dans l’oss de l’ass avec un Dickinson qui chante au raw et derrière lui, les accords frisent la stoogerie. La grande force de Robert Gordon est d’avoir su mettre en valeur le Memphis Blues qui est la racine du Memphis Beat. Il ramène le plus primitif des Memphis cats, Moses Williams avec «Which Way Did My Baby Go». C’est plus que primitif, c’est carrément africain. Il ne peut rien exister de plus primitif en Amérique. On ne sait pas sur quoi il gratte. Il gratte sur rien. On croise des noms connus comme Sid Selvidge et Furry Lewis, mais aussi des inconnus extraordinaires, comme par exemple Flash & The Memphis Casuals avec «Uptight Tonigh». On ne sait pas d’où ça sort, mais quelle énergie ! Dickinson gratte sa gratte là-dessus. Même chose avec The Avengers et «Batarang», on tombe ici dans la psychedelia d’Ardent, avec Terry Manning à l’orgue. Lee Baker et Dickinson grattent leurs grattes dans cet enfer. Restons dans cette mythologie de l’underground avec Cliff Jackson & Jellean Delk With The Naturals et «Frank This Is It», produit par Jerry Phillips et Teddy Paige. Bien sûr, Teddy joue le groove et il place un solo du diable sur cette merveille mythologique. Dickinson revient jouer de la gratte avec Drive In Danny sur «Rocket Ship Rocket Ship». C’est tellement weird qu’on reconnaît Dickinson qui se fait appeler ici Captain Memphis. On croise aussi Jessie Mae Hemphill avec «She Wolf». C’est le Memphis Beat à l’état le plus pur. Tout le génie compilatoire de Robert Gordon, c’est d’avoir choisi «She Wolf». Le «Wet Bar» du Panther Burns Ross Johnson est weird as fuck. Quant à Lesa Aldridge, la poule d’Alex Chilton, elle est complètement pétée. Chilton l’accompagne et Dickinson bat le beurre. Ils font n’importe quoi. Ça fait partie du mythe de Memphis. Et pouf tout explose à nouveau avec Otha Turner’s Rising Star Fife & Drum Corps et «Glory Hallelujah». C’est tellement ancien que Dickinson fait remonter ça à Dionysos. Bon les gars, laissez tomber Metallica et écoutez Otha, ça vous fera du bien. Un brin d’antiquité, ça vaut tout l’or du monde. Robert Gordon ramène aussi Moloch dans sa compile avec «Cocaine Katy», ce qui donne un avant goût du son psychédélique de Lee Baker et puis voici Lorette Velvette avec «Oh How It Rained», la petite reine du rodéo, pur jus de Memphis underground. Elle a la main sûre et Lee Baker l’accompagne. Et tout ceci s’achève avec Big Ass Truck («I’m A Ram», énergie considérable, sur les traces des MGs avec le fils de Sid Selvidge à la guitare) et puis William Eggleston joue une sélection de sa Symphonie #4 au piano.

    Robert Gordon, c’est du délire. Il cite encore des tonnes de choses en référence et bien sûr il existe un volume 2 d’It Came From Memphis, et même un volume annexe sur lesquels on reviendra, c’est certain.

    Signé : Cazengler, Robert Gourdin

    Robert Gordon. It Came From Memphis. Pocket Books 1995

    Jesters. Cadillac Men. The Sun Masters. Big Beat Records 2008

    Randy & The Radiants. Memphis Beat. The Sun Recordings 1964-1966. Big Beat Records 2007

    Packy Axton. Late Late Party. 1965-67. Light In The Attic 2011

    Steve Cropper. With A Little Help From My Friends. Volt 1969

    Sid Selvidge. Waiting For A Train. Peabody 1982

    Insect Trust. The Insect Trust. Capitol Records 1968

    Moloch. Moloch. Enterprise 1969

    Chris Bell. I Am The Cosmos. Rykodisc 1992

    Alex Chilton. Dusted In Memphis. Bankok Productions 2016

    Alex Chilton. Like Flies On Sherbert. Peabody 1979

    Country Rockers. Free Range Chicken. New Rose Records 1988

    Country Rockers. Cypress Room. New Rose Records 1990

    Klitz. Live At The Well/ Sound Of Memphis 78. Not On Label

    It Came From Memphis. Upstarts Sounds 1995

     

    Yard Act Sud

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    Au moment où nous sortîmes du métro, un phénomène surnaturel se produisit : dans l’extraordinaire clameur d’un crépuscule toulousain apparut l’image de Gildas. Ce petit carré de lumière jaune fiché au sommet d’une tour de béton semblait guetter notre venue, comme l’œil d’un cyclope. C’était d’autant plus spectaculaire que la silhouette du bâtiment commençait à se fondre dans les ténèbres. On ne pouvait interpréter ce phénomène que d’une seule façon : un clin d’œil surnaturel. L’image disparût au profit d’une autre car elle faisait partie d’un roulement de programmation, et il fallut attendre son retour quelques minutes plus tard pour s’extasier de nouveau. La silhouette de la tour cubique appartenait au Métronum, un complexe culturel qui organisait en plus d’un concert une petite exposition consacrée à Gildas et au livre dans lequel il raconte sa vie. La soirée se présentait donc sous les meilleures auspices. Rien de tel qu’une apparition surnaturelle pour embraser l’imagination.

    Oh, il n’y avait pas grand monde à l’expo, mais il y eut des rencontres bougrement intéressantes, notamment celle d’un journaliste qui comme Gildas était originaire de Gourin, là-bas au bout du monde, à la frontière du Finistère. Merveilleuse coïncidence. Et comme si cela ne suffisait pas, Gildas nous envoya un troisième clin d’œil : les gens des Musicophages qui organisaient l’expo eurent l’idée de diffuser en fond sonore le fameux Dig t! Radio Show du 16 janvier 2020, et donc, entre deux rasades de Stooges et de MC5, nous pûmes entendre cette voix si particulière à laquelle nous étions tellement habitués. On ne peut pas imaginer plus belle évidence d’une présence surnaturelle. Fort heureusement, nous avons des témoins.

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    Et le concert ? En tête d’affiche se produisait un groupe anglais originaire de Leeds, Yard Act, à propos duquel nous n’avions aucune info. Il n’existait pas non plus de disk, leur premier album étant encore à paraître. Nous apprîmes cependant en discutant avec le journaliste de Gourin qu’ils pratiquaient le spoken word et ça nous fit redouter le pire. Visiblement Yard Act entrait dans cette nouvelle génération de groupes anglais à cheval sur le post-punk et le hip hop, et dont le modèle le plus connu est sans doute Sleaford Mods qui furent têtes d’affiche du dernier festival de Binic et dont nous n’avons rien vu, puisqu’à aucun moment nous n’avions avec Gildas envisagé l’hypothèse d’aller les voir sur scène, occupés que nous étions à nous schtroumpher dans les grandes largeurs. Le journaliste de Gourin rapprochait aussi Yard Act des Idles, pour l’aspect socialement engagé de leurs textes. Il semble que la société anglaise soit bien plus mal en point que la française et que ce phénomène de dégradation sociale soit devenu irréversible. Certaines classes sociales sont depuis quarante ans définitivement condamnées et c’est dans ce purin dégératif que fleurit le nouveau rock anglais.

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    Chacun sait que les chansons à textes - en anglais - demandent un niveau d’attention soutenu, et c’est avec une certaine appréhension qu’on attendit le début du Yard show. Pourquoi ? Parce qu’il n’existe pas de pire diction que celle des gens du Nord de l’Angleterre. On gardait de très mauvais souvenirs de voyages en auto-stop dans la région du Nord et de ces moments pénibles où on ne comprenait rien, mais vraiment rien, de ce que nous racontaient les gens qui nous ramassaient. Le bassiste et le batteur arrivèrent les premiers sur scène pour jouer une espèce de groove d’intro. Comme c’est le cas pour la grande majorité des musiciens anglais, le bassman avait vraiment fière allure. Puis est arrivé un étrange personnage.

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    Silhouette ronde, cheveux longs, moustache de hussard et Telecaster. Sa mise accentuait à outrance la rondeur ubuesque de sa silhouette, il portait un T-shirt noir et une sorte de très gros pantalon noir, on aurait dit un sac immense, ah quel cul, un gros froc comme en portent les clowns pour accentuer l’aspect caricatural de leur démarche. Il s’appelait forcément Ubu, guitariste pataphysique, membre honoraire de la satrapie Dac-o-Dac, et lorsqu’il se mit en mouvement, il incarna sous nos yeux ronds de stupeur le croisement illusoire d’une libellule et d’un pachyderme, sautant en l’air, doté comme par enchantement d’une incroyable vélocité, accentuant encore la disgrâce de ses gestes pour atteindre à l’envers de la grâce, il offrait le spectacle d’un phénomène encore plus surréaliste que l’apparition de Gildas dans le ciel, il était une sorte de Roy Estrada croisé avec Nijinski, une sorte de Bob Hite enfanté par Pina Bausch, il était la créature éléphantesque de rêve du rock moderne, wow, il y avait du Orson Welles en lui, du gros lard qui sait bouger, et il jouait sur sa Tele une sorte de funk ahurissant, qu’il érigeait comme une cathédrale sonique dans un monde de son invention. Allait-il faire le show à lui tout seul ? Ça paraissait évident. Il dansait à sa façon, comme dansent les gros, jouant avec la probité des probabilités, organisant l’anéantissement du nantissement, la boule de suif rockait comme Sancho Panza et on craignait que son gros bal de naze ne s’achève brutalement avec l’arrivée du chanteur. C’est exactement ce qui se produisit.

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    Le chanteur arriva sur scène vêtu d’un imper et portant des binocles. L’anti-rock star, comme Ubu. Au moins, le message était clair. Plutôt jeune, avec une réelle présence vocale, mais rien de plus. Il se livra en effet à quelques belles échappées belles de spoken word qu’il accompagnait d’une gestuelle de hip-hopper bien martelée. Il cadrait parfaitement avec son temps. Il fallut attendre quelques cuts avant de voir Ubu reprendre son ballet grotesque et génial à la fois. Il se savait bon, alors il pouvait s’ingénier à mal danser, au fond ça n’avait pas d’importance.

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    Il est probable que ces petits mecs de Leeds feront parler d’eux. Il faut en tous les cas leur souhaiter un peu de succès. Pour l’instant, ni Mojo, ni Uncut, ni Shindig!, ni Record Collector n’ont encore parlé d’eux. Ubu s’appelle en réalité Sammy Robinson, l’excellent bassman Ryan Needham, le batteur qu’on ne voyait guère planqué derrière ses cymbales s’appelle George Townend et le binoclard de service James Smith. Ils n’ont pas joué très longtemps, car ils n’avaient pas beaucoup de morceaux.

    Signé : Cazengler, Jeanne d’Act

    Yard Act. Le Metronum. Toulouse (31). Le 19 novembre 2021

    Merci aux gens du Metronum pour la qualité de leur accueil, et bien sûr aux Musicophages pour leur soutien.

     

    L’avenir du rock

    - Ah Bains dis donc !

     

    L’avenir du rock est au pieu. Mais il n’est pas seul. À côté de lui sommeille la femme, c’est-à-dire l’avenir de l’homme. Le jour s’est levé. L’avenir du rock allume une clope. Comme dans les films de Claude Sautet, elle ouvre les yeux et lui sourit. Il tire une taffe.

    — Tu as bien dormi ?, demande-t-il d’une voix de velours.

    — Mmmmm... Comme un charme, murmure-t-elle. Qu’est-ce qu’on dort bien ici !

    Elle pose la main sur sa poitrine, en caresse les poils... Puis la main descend inexorablement.

    — Oh oh, monsieur est en forme..., insinue-t-elle d’une voix câline.

    — Monsieur est toujours en forme.

    Elle repousse le drap pour le caresser au grand jour. Il pousse un long soupir...

    — Je ne me lasse pas de tes caresses. Tu es vraiment la reine des coquines...

    — Que concoctent la coquine et le coq en pâte ?

    — Un coquet pacte de cock en pack !

    Décidément, l’avenir du rock et l’avenir de l’homme forment un joli couple. Refermons doucement la porte de la chambre pour leur restituer leur intimité et allons faire un petit tour en Alabama.

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    C’est en fouinant dans l’incroyable curriculum de Matt Patton (bassiste des Dexateens, des Drive-By Truckers, et producteur de Bette Smith, Alabama Slim, Dan Sartain, Jimbo Mathus et Tyler Keith) qu’on recroise le nom de Lee Bains III & The Glory Fires, un groupe basé à Birmingham, Alabama, jadis repéré par nos services : en effet, leur premier album sortait en 2012 sur l’Alive de Patrick Boissel, l’un des labels de référence en matière d’underground américain.

    Attention à cette scène alabamienne d’une grande fertilité et dont l’origine remonte à Muscle Shoals, Hank Williams et aux Louvin Brothers. On y trouve aussi The Immortal Lee County Killers de Chetley Cheetah Weise, Verbena, Shelby Lynne, Dan Sartain, St Paul & The Broken Bones et les Dexateens, dont fit partie Lee Bains.

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    C’est Jim Diamond qui produit There Is A Bomb In Gilead, le premier album de Lee Bains III & The Glory Fires. Ils portent bien leur nom les Glory Fires puisque l’album s’ouvre sur un véritable feu d’artifice : «Ain’t No Stranger». Nous voilà dans le Bains, ben dis donc ! Bon Bains d’accord ! Lee Bains sait lancer sa horde d’Alabamiens, il est dessus, c’est un chef né, sa façon de lancer l’assaut est une merveille et tout le monde s’écrase dans les fourrés avec des guitares killer. C’est exceptionnel de son, d’enthousiasme et d’envolée. Le problème, c’est que le suite de l’album n’est pas du tout au même niveau. On oserait même dire qu’on s’y ennuie. Ils ramènent pourtant des chœurs de Dolls dans «Centreville», ce qui les prédestine à régner sur l’underground alabamien, mais après le soufflé retombe. Plof ! Ils végètent dans une sorte de boogie rock sans conséquence sur l’avenir de l’humanité. Ils font du heavy revienzy de bonne bourre, comme les Gin Blossoms et tous ces groupes de country rock américain qui rêvent d’Americana, mais qui n’ont pas l’éclat. Avec «The Red Red Dirt Of Home», ils deviennent très middle of the road, c’est sans appel, le destin les envoie bouler dans les cordes, c’est trop country rock. Il ne se passe rien, comme dirait Dino Buzzati face au Désert des Tartares (attention, à ne pas confondre avec le fromage).

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    On reste dans les mains lourdes puisque c’est Tim Kerr qui produit Dereconstructed, paru sur Sub Pop en 2014. Dès «The Company Man», on est bluffé car les Bains développent une violence inexpugnable. Wow ! Et même deux fois wow ! Ils attaquent le rock à la racine des dents, ils te paffent dans les gencives. S’il fallait qualifier leur rock, on dirait in the face. C’est une horreur, une véritable exaction paramilitaire, toute la violence du rock est là, avec une voix qui te fixe dans le blanc des yeux, c’est d’une extravagance sonique qui dépasse les bornes. Alabama boom ! Ils font une autre flambée d’Alabama boomingale avec «Flags», c’est extrême, à se taper la tête dans le mur, tu ne peux pas échapper aux fous de Birmingham, Alabama. Oh mais ce n’est pas fini, tu as plein de choses encore sur cet album béni des dieux comme ce «The Kudzu & The Concrete» vite brûlant, viscéral, immanent, doté d’un power dont on n’a pas idée et d’un final apocalyptique, ça balaye même les Black Crowes d’un revers de main, alors t’as qu’à voir. Toutes les guitares sont de sortie sur «The Weeds Downtown», toutes les guitares dont on rêve, c’est une sorte de summum du paradis rock, foocking great dirait Mark E Smith, explosif dirait le grand Jules Bonnot. On reste dans la violence alabamienne avec «What’s Good & Gone», encore une fois bien claqué, plein de son, extrêmement chanté, au-delà du commun des mortels. Si ces mecs n’étaient pas basés en Alabama, on les prendrait pour des Vikings, à cause de leur power surnaturel, poignet d’acier, rock it hard, mais avec l’aplomb d’une hache de combat. Ils développent un genre nouveau qu’on va qualifier d’outta outing, si tu veux bien. Même leur morceau titre est ravagé par des fièvres de délinquance, une délinquance de la pire espèce, celle qui rampe sous la moquette pourrie de ton salon. On savait que Tim Kerr était un génie de l’humanité, alors on peut rajouter le nom de Lee Bains dans la liste. Il est là pour te casser la baraque, son «Burnpiles Swimming Holes» t’envoie rôtir en enfer sur fond de Diddley swagger, c’est à la fois violent et beau, Lee Bains multiplie les exploits. On s’effare encore de «Mississippi Bottom Land» et de l’excellence de sa présence, de l’indécence de sa pertinence, fuck, ces mecs ramènent tellement de son que ça gonfle le moral de l’avenir du rock à block. Grâce à Lee Bains dis donc, l’avenir du rock navigue au grand large et respire à pleins poumons.

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    D’album en album, Lee Bains monte dans la hiérarchie des héros. Les hits qui grouillent dans Youth Detention sont d’une rare intensité, notamment «Crooked Letters» qui flirte avec le génie pur. Cet album est une aventure extraordinaire et «Crooked Letters» en est le couronnement. C’est très heavy, très capiteux, joué aux arpèges délétères, les pires de tous. Là, tu prends des coups dans le ventre, avec ce cut, on atteint à l’impavidité des choses, ça vire à l’apocalypse, «Crooked Letters» prend feu au downtown, on n’avait encore jamais vu un cut prendre feu et l’all the crooked letters explose dans le ciel. Ce démon de Lee Bains revient rôder dans les vapes de son art et ça explose encore une fois, mais pour de vrai. Bains dis donc ! Ce mec sent bon la folie et le cramé de l’apocalypse. Retenez-bien son nom : Lee Bains. Le «Save My Life» qui referme la marche de l’album se présente comme un petit country rock malveillant qui ne rêve que d’une chose : casser la baraque, alors il faut le laisser faire. C’est un genre nouveau. Lee Bains est bien plus puissant que les Stones ne l’ont jamais été. Save my life font les chœurs, les mecs sont dans la démesure - Tell me it’s only rock’n’roll/ Save my life ! - Stupéfiant ! Ils démarrent l’album avec un «Breakin’ Down» fracassé d’avance. Ça prend feu au moindre retour de manivelle. Ils sont en permanence au bord de l’orgasme, ils sont bien plus forts que le Roquefort, t’as pas idée. Ça grouille de son, comme la paillasse d’un bagnard grouille de poux. Lee Bains sonne comme un délinquant. Avec «Street Disorder», il passe sans crier gare au trash-punk. Ils ont tellement de son que c’est est indécent. Et pas une seule photo du groupe dans le booklet ! Ils n’aiment pas qu’on les prenne en photo. Ce ne sont pas les Clash ! Ils sucrent leur folie - Oh sister/ Can you shout it out ? - Lee Bains est complètement fou - Oh Brother/ Can you write it out ? - Leur trash punk est d’une extrême violence, fini le country rock pépère du premier album, ils préfèrent aller exploser dans le ciel d’Alabama. Lee Bains est un wild screamer, qu’on se le dise. «Black & White Boys» est tout de suite embarqué en enfer, avec un beat solide, un tambourin et des accords en acier fondu. Fusion de rêve, c’est de la mad psyché coulée au creuset, le guitariste est un dangereux alchimiste, les Glory Fires sont plein d’aventures, d’esprit et de tambourins. Avec «Underneath The Sheets Of White Noise», ils fabriquent une machine de Jules Verne activée aux éclats psychédéliques. Ils ramènent du son à tous les coins de rue. Un cut comme «I Heard God», même très pop, s’en sortira car bien élevé par ses parents. Lee Bains a du power plein la culotte. Il tord sa serpillière au dessus du micro jusqu’à la dernière goutte de son. Back to the extrême violence avec «I Can Change». Les attaques de riffing ne pardonnent pas. C’est puissant et plein de mauvaises intentions, mais quelles épaules ! Lee Bains navigue au wouahhh de can’t change. Ils font là un trash-punk extrêmement émérite. On l’a dit, mais on le redit, l’album est très haut en couleurs, avec ses 17 titres, c’est en plus bardé de contenu, Lee Bains n’en finit plus de raconter des tas d’histoires, tout explose dans les refrains et il faut souvent se faire aider par le booklet car il a une fâcheuse tendance à avaler les syllabes et donc on rate des mots. Après t’es baisé, car il y a du débit. Le Yah d’ouverture en dit long que «Trying To Ride». Ces cul terreux d’Alabama sont les nouveaux barbares moderne. Les départs en solo sont atroces et le final demented en dit long sur leur état de santé mental. Quelle bande de cinglés fabuleux !

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    Petite déception avec leur dernier album paru en 2019, Live At The Nick. Comme d’autres grands groupes énergétique d’Alabama (on pense bien sûr aux Dexateens), les Bains s’épuisent et peinent à recharger leurs batteries. Ça démarre pourtant avec une beau «Sweet Disorder», bien énervé, avec un refrain d’envol garanti. On sent clairement l’envie d’en découdre à plates coutures. Sur toute l’A, ils restent sur un son à la Drive-By Truckers, sans surprise. En B, on retrouve le fameux «We Dare Defend Our Rights», ces mecs haranguent bien le rock, ils ne font pas dans la dentelle de Calais. Il y a ce mec derrière, Eric Wallace qui amène énormément d’eau au moulin d’Alphonse Bains, c’est un vrai puits d’hooks et de licks, il ne vit que pour l’exaction guitaristique. Il profite de toutes les occasions pour se glisser dans la brèche. Avec «I Can Change», ils trempent dans la stoogerie, le Southern power télescope des forges de Detroit et cette belle aventure s’achève avec «Good Old Boy». Lee Bains est dans le discours. Il défend les born black, les born in Mexico, les born queer, il les défend tous, les Good old boys.

    Signé : Cazengler, dans le Bains jusqu’au cou

    Lee Bains III & The Glory Fires. There Is A Bomb In Gilead. Alive Records 2012

    Lee Bains III & The Glory Fires. Dereconstructed. Sub Pop 2014

    Lee Bains III & The Glory Fires. Youth Detention. Don Giovani Records 2017

    Lee Bains III & The Glory Fires. Live At The Nick. Don Giovani Records 2019

     

    Inside the goldmine

    Jeanette est une bête

    On n’en pouvait plus de la traîner partout avec nous. Dans les pirogues, dans les hayons à travers la jungle, dans les villages indiens, elle n’était pas méchante, c’est vrai. Elle se contentait de suivre le mouvement, elle goûtait à tous les plats et se mêlait toujours de ce qui ne la regardait pas. On ne comprenait d’ailleurs pas qu’elle ait pu enseigner à une époque de sa vie, en plus dans le circuit expérimental des écoles Freinet. Elle était toujours la première levée, à préparer le bivouac et à demander bêtement si on avait bien dormi, si on avait bien fait caca et si on voulait du thé alors qu’il n’y avait rien d’autre à boire. Comme elle était la grande sœur de mon âme sœur, elle tapait systématiquement l’incruste, quelle que fut la destination choisie dans le monde. On pensait que ce trip en forêt amazonienne allait l’effrayer, pas du tout, elle fut même la première à faire ses vaccins et à s’équiper d’une machette en arrivant à Cayenne. Contrairement à toutes les gonzesses, elle n’avait ni peur des serpents ni des mygales, elle leur courait après, même si on lui expliquait que ça ne servait à rien de les tuer. On rêvait de voir un caïman la choper pour nous débarrasser d’elle. Oui, c’était à ce point. Tous ceux qui ont subi l’épreuve des sangsues savent de quoi il en retourne. On donnerait n’importe quoi pour se débarrasser d’une sangsue. Et puis un soir, la providence s’en mêla. Nous traînions dans le ghetto brésilien, vers le fleuve, et décidâmes d’entrer dans le moins mal famé des bouges, histoire de goûter à l’exotisme local. Un vieil homme édenté coiffé d’un chapeau de paille complètement démantibulé nous accueillit, avec un sourire étrange. La peau de son visage parcheminé était couverte de tatouages, comme d’ailleurs ses bras. Il portait un marcel immonde. Il posa sur le bar branlant une bouteille de rhum blanc sans étiquette et une bouteille de sucre de canne. Il nous expliqua dans un mauvais français qu’on payait ce qu’on buvait. Nous nous servîmes de grands verres. Nous trinquâmes à la santé de Rackham et le temps s’arrêta brusquement. Nous étions tous les quatre paralysés du bulbe. Impossible de bouger. Impossible de prononcer le moindre mot. Il fallut attendre. Nous retrouvâmes nos esprits petit à petit, mais pas Jeanette qui depuis lors est restée muette. De ne plus l’entendre parler pour ne rien dire fut une délivrance.

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    Il existe une autre Jeanette qui n’a Dieu merci rien à voir avec la sangsue. Elle s’appelle Jeanette Jones et en 2016, Kent Soul qui est une filiale d’Ace proposait une petite compile intitulée Dreams All Come True. Dans ces cas là, on ne perd pas son temps à peser le pour et le contre, on court chez son disquaire, comme le disait si justement Paul Alessandrini en 1969 dans R&F. Comme on est sur Kent, c’est Alec Palao qui s’y colle et qui raconte comment Jeanette est allée en 1967 chanter dans un petit studio de San Francisco. Boom ! Ça démarre avec «Cut Loose», c’est-à-dire du Aretha à la puissance mille avec du heavy sound derrière et des chœurs de femmes sournoises, aw my gawd, c’est arrangé par H.B. Barnum, quelle rythmique, ils jouent à la sourde du power supremo, alors t’as qu’à voir !

    Comme Jeanette vient du gospel, elle fait forcément autorité. Elle chante le raw r’n’b d’«I’m Glad I Got Over You» avec la maturité d’une vieille jazzeuse, hey hey hey, elle se situe nettement au dessus de la mêlée, elle bénéficie du même instinct de chef de meute qu’Aretha, Jeanette est une louve, avec encore quelque chose de plus ferme dans le ton, c’est indéfinissable, on appelle ça un grain. Même puissance qu’Aretha mais grain différent : jouissif pour Aretha, bleu comme l’acier de Damas pour Jeanette. Mais au final, on a le même résultat : des frissons. Elle tape ensuite son «Jealous Moon» à la puissance seigneuriale, elle ne craint ni Dieu ni le diable, elle chante à pleine gorge et sa puissance nous réjouit, car franchement, elle dégage bien l’horizon. Et le son, derrière, quelle merveille, tout est fabuleusement dense, la rythmique, les chœurs et les cuivres, ça foisonne dans l’excellence d’une jungle, celle du Douanier Rousseau, bien entendu. Elle part à Broadway avec le morceau titre. Mais elle en a largement les moyens. Elle sait donner de la voix, pas de problème Jeanette, vas-y, ma poule, on est avec toi. C’est toujours un grand moment que de se retrouver juste derrière une chanteuse exceptionnelle. You clap your hands and you stomp your feet.

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    Bon la B est un tout petit peu moins dense, mais on ne va pas commencer à cracher dans la soupe. Jeanette a toujours été claire, elle ne souhaitait pas faire carrière, juste quelques singles parce que Leo Kulka insistait lourdement, lui disant qu’elle chantait bien. D’ailleurs Palao dit qu’elle était an enigma, c’est-à-dire une énigme. Elle ne voulait chanter que pour the Lord, pas question de chanter du secular material. Ça foutait Leo en pétard :

    — But Jeanette, you are the beast !

    Elle tente de nouveau le diable avec «Beat Someone Else’s Heart», cut de fantastique allure, puis elle attaque fermement son «Quittin’ The Blues». Elle irradie sa Soul avec un aplomb sidérant. Et puis, il y a aussi cette compo signée Goffin/Gold, «You’d Be Good For Me», gros popotin de San Francisco, mais rien n’y fait, Jeanette ne percera pas. Quand cinquante plus tard, Kulka en parle à Palao, il s’en lamente encore - He had been unable to make her more successful - Merci à Ace d’avoir racheté le catalogue Golden State Recorders.

    Signé : Cazengler, Jaunâtre Jones

    Jeanette Jones. Dreams All Come True. Kent Soul 2016

     

    P.O.G.O A GOGO

     

    NORMANDIE AND FIVE OTHER SONGS

    DISCORDENSE

    ( P.O.G.O Records 158 / 28 – 11 – 2021 )

     

    Bien sûr que la discorde doit être dense si l'on ne veut pas qu'elle ressemble à une querelle de bambins en cours de récréation toutefois en regardant la pochette du premier opus du groupe dont les deux titres se retrouvent remixés sur cet EP, une nouvelle étymologie s'impose. En effet elle représente six vues de la danseuse Isadora Duncan, prises par Eadwear Muybridge. Discordense ou discordance, est-il obligatoire de choisir. Si le mot discordance contient le mot ( anglais ) dance, il est aussi un terme qui évoque la dysharmonie musicale, et un terme psychiatrique associé à la notion de schizophrénie... Tout cela nous amène à penser que la musique de Discordense risque de ne pas être un long fleuve tranquille. Quant à Isadora Duncan n'a-t-elle pas révolutionné le ballet académique du dix-neuvième siècle en profilant les bases de la danse contemporaine. A l'ouïe de cette rondelle sonore les tympans délicats risquent de répondre non !

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    Normandie : pont de fer en couverture, modèle de ceux que construisirent les américains pour assurer l'avancée des troupes alliées lors du débarquement sur les côtes normandes... frotti-frotta caractéristique du brouillage par les allemands des émissions de radio diffusées depuis l'Angleterre, le motif reviendra tout au long du morceau, ensuite nous nous attendons à des bombardements et des éclats d'obus, mais non ce qui se met en place c'est l'imperturbabilité de la guerre qui s'approche, un trot de batterie toute sample que rien n'arrêtera, et une voix sans emphase qui énonce la peur des enfants terrorisés, pas de panique, pas de progression extraordinaire, juste une montée en impuissance de l'inéluctable catastrophe qui s'avance dans le ciel et à laquelle personne n'échappera. Glacial. F. W. C. : serait-ce une chanson d'amour puisque ces trois initiales correspondent à Female Water-Closet, à chacun ses illusions, toujours est-il que le rythme est plus allègre que le précédent, ira tout de même en s'accélérant, tout en vous laissant dans l'expectative, même si vous comprenez qu'en ce bas-monde le pire est toujours certain, pour bien vous l'enfoncer dans le crâne, sont trois au vocal, toute menace est d'autant plus forte qu'elle est insidieusement inévitable. I bought a gun : sempiternelle drum machine qui a pris le pouvoir, une intro type western ( ce n'est pas non plus Ennio Morricone ) disons que l'impression est plus expressive, le gars s'est acheté un gun il est prêt à s'en servir, à tirer dans le tas pour en finir avec ce monde d'esclaves agenouillés, une bande-son idéale pour le massacre de Colombine, ne plus passer le pont, passer à l'acte. Froid dans le dos. Cervelle givrée. Provide you : bruit de téléphone qui ne capte que l'émission tonalitaire de sa propre présence et vous vous demandez qui est à l'autre bout du fil, un bon gratté de basse pour vous réveiller, n'accusez pas la machine, c'est vous qui ne captez pas que le système vous cause à tous moments et que vous ne comprenez pas que big brother c'est vous qui ne vous interrogez jamais sur votre vie de consommateur asservi, yes vous êtes insensible à ces images d'horreur du monde dans lequel vous habitez, que vous zieutez sur vos écrans sans vous révolter, une espèce de grandiloquence lyrique dans ce morceau qui transcende le froid horrifique de la drum machine. Ventoline : confusion, un nuage sonore de gouttelettes d'un spray vous embrume le cerveau, une femme parle sa voix englobée dans un épais brouillard, z'êtes comme sous l'eau, vous ne recevez plus aucun message, l'incommunicabilité des êtres avec les autres et soi-même semble être un des leitmotives de Discordense, la musique de plus en plus violente écrase tout, rien ne vous sauvera de votre malaise généralisé, pas même le rock 'n' roll posé sur votre âme comme une enclume sur votre volonté de vivre. Les dernières secondes du morceau n'arrangent en rien la situation, le titre se termine comme il commencé. Mal. Headache : un cran au-dessus, une batteuse qui vous hache menu, arrêt brutal, vocal en évidence péremptoire et sans appel, paranoïa justifiée à tous les étages, coupé régulièrement par des averses mécaniques de haine envers soi-même, titre de manipulation mentale ou d'auto-manipulation maladive, ce n'est pas plus de votre faute que la souris blanche de laboratoire à qui l'on injecte le sida du chat, ce monde est sans pitié. Gondolations musicales, parfois l'orchestration est comme un pansement sur une jambe de bois bouffée par les termites, le vocal s'est tu, l'a compris qu'il peut ajouter tout ce qu'il veut mais que ça ne changera rien à l'affaire.

    Fortement déconseillé à ceux qui souffrent de tendances suicidaires. L'univers de Discordense n'incite pas à la résilience, l'est froid comme le cadavre de votre futur dans le cercueil que vous transportez sur votre dos. Quand j'ai vu que l'album ne comportait que cinq titres, j'ai tiqué, après écoute je leur donne raison, il est des médicaments dont il ne faut pas dépasser la dose prescrite. Quoique à la réflexion, abondance de biens ne nuit pas. Faites comme moi, surmontez l'épreuve, ce qui ne vous tue pas vous force à vivre les yeux fixés sur le néant de notre modernité... Position peu positive.

    Damie Chad.

    *

    Les romains disaient que deux augures ne pouvaient se regarder sans rire, surtout quand ils vérifiaient si les vols de corbeaux survenaient sur votre gauche ou sur votre droite. Plus tard, en 1946, les américains ont inventé Heckle et Jeckle deux pies bavardes stars d'un dessin animé, lorsque dans les années 80, il a fallu adapter la série pour les z'enfants sages de notre douce France, les pies sont devenues des corbeaux et ont été baptisées Heckel & Jeckel, première transmutation transgenre à laquelle à l'époque personne n'a prêté attention. Existerait-il une cause à effet, toujours est-il que quelques décennies plus tard sont apparus deux étranges volatiles dans le monde du rock, deux individus d'un type nouveau, à têtes de corbeaux, est-ce le glyphosate, le covid 19, ou le changement climatique, l'on ne sait pas, mais très vite l'on s'est aperçu que ces bestioles ébouriffantes se sont révélées particulièrement bruyantes... pour la plus grande joie des rockers. Comme par hasard P.O.G.O Records a installé un nichoir sur son balcon, depuis le mois d'août 2018, ils ont pondu dix œufs tout rond. Nous vous convions à gober les trois derniers, tout frais, tout tièdes...

    THIS WAR

    HECKELL & JECKEL

    ( P.O.G.O Records 153 / 30 – 12 – 2020 )

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    Sont dans l'expectative. Non, sur la carcasse rouillée d'un char. L'un n'empêche pas l'autre. La guerre pose-t-elle davantage de questions qu'elle n'en résout. Nos deux corbeaux seraient-ils de dangereux philosophes pacifistes. Si Bakounine ( le camarade vitamine ) a déclaré que : La passion de la destruction est en même temps une passion constructive, nos bessons corbacs n'ont pas l'air convaincus, restent dubitatifs devant les dommages collatéraux de cette noble pensée. L'on comprend leur perplexité, qu'on l'accepte ou qu'on le jette à terre notre monde est-il destiné à finir par une catastrophe. Le lecteur notera l'ambiguïté du titre, ce n'est pas la guerre en général ( notez que la guerre est souvent menée par des généraux ) mais cette guerre, serions-nous donc en guerre, contre qui ? Contre quoi. Je ne ne vois qu'une seule réponse. Contre nous.

    This is war : soyez modernes, ne vous contentez pas d'écouter avec vos oreilles, prenez-en plein les yeux avec l'Official Vidéo sur YT. L'on retrouve la scène de la couve, nos deux corvidés dans leur tank en mauvais état. Une jeune femme qui vous regarde bizarrement. Paraît un peu folle, remarquez qu'avec les sifflements qui lui vrillent les esgourdes, il y a de quoi, des espèces d'électro-chocs, petite rythmique binaire pas méchante pour un quart de caramel, trop fort pour elle, elle décolle d'elle-même n'est plus qu'un ectoplasme qui danse devant des images. Musique de plus en plus violente, se prend la tête entre les mains, notre ballerine tournoie sans fin sur le centre de gravité de son corps, chance extraordinaire derrière elle notre président bien-aimé dans son bureau élyséen nous prévient que nous sommes en guerre, et sur les images suivantes l'on se retrouve dans un camp de migrants avec toute la misère du monde qui leur colle aux basques, tout va très bien madame la Marquise, les chefs d'Etats réunis pour la photo de famille nous font un petit signe de la main, c'est sympathique, la musique l'est beaucoup moins, de plus en plus forte, ils ouvrent leur grand bec et coassent en traînant sur les syllabes, c'est là que l'on se rend compte que ce n'est pas l'adagio d'Albinoni, les images deviennent plus réjouissantes, nous voici à Paris ville lumière, pas de tour Eiffel mais ses CRS qui chargent, ses valeureux black blocs qui contre-chargent, cela nous rappelle de joyeux souvenirs de manifestations, des voitures flambent et les banques suppôts du Kapital passent de mauvais quart-d'heures, drapeaux noirs et cocktails molotovs, notre danseuse s'hystérise elle hurle, l'on n'entend rien, le ramage des corbeaux s'amplifie, la voici maintenant qui s'agite au bas d'un monstrueux radar chargé de défendre l'Occident, changement de climat, retour de la petite brise binaire, l'est drapée dans une robe blanche virginale, ce n'est qu'un rêve, trente secondes de répit dans la fureur du monde. L'enfer sonore et les scènes d'émeute reprennent. Retour à la case départ en chair et en os devant la carcasse du blindé. Notre égérie se voile de sa chevelure le visage , Heckel et Jecckel se postent à ses côtés en signe d'assentiment. Noir total l'on ne voit plus que les mains blanches de notre danseuse au-dessus des volcans. Scratchs de fin... Stoner lobotomi + Waterglass : redémarrent à fond les bruissements, essayez d'amplifier les reptations d'un anaconda de douze mètres de long qui force le passage du tout à l'égout vers le conduit de votre baignoire, maintenant ils tapent comme des sourds pour vous entailler l'occiput, un, deux, trois, quatre c'est parti pour l'opération de décervelage, ils y vont, marchent à la baguette, chantent a capella tous en chœur, respectent la parité sexe fort-sexe faible, pardon monsieur-madame, corbeau-corbelle pour respecter la couleur locale, ils sont prêts on ne sait pas à quoi, mais ils le sont, jouent à reprise-reprise vocale, au ping-pong total, s 'amusent un peu à chat africain, ça s'appelle un tigre, illico la musique rugit et abat méthodiquement les herbes hautes de la savane, rajoutent une couche au millefeuille sonore, stop remplissent goutte à goutte le verre à moitié plein, à moins que ce ne soi celui à moitié vide, un zozial traverse le studio, un gros caïman s'avance en rampant, le suspense est à son comble, au bruit qu'ils font on se dit que l'enfer de la jungle ressemble à celui de la ville, question subsidiaire quel est le plus inquiétant, pas de réponse si ce n'est des grincements inopportuns remplacés par un doux frôlement de cymbales qui prélude à un paysage ensoleillé, profitez-en pour vous délasser la machine est rebranchée et le morceau se termine. : ce n'est rien, enfin presque des bruits bizarres suivis d'une belle progression harmonique, la tension monte, ce bruit lourd serait-il le pas pesant d'un éléphant, la musique s'amuse à l'harmonie imitative, re-cliquettement de cymbale, z'adorent ce gimmick, z'introduisent de belles sonorités parfaites pour vous mettre à l'aise, attention de grandes claques froufroutantes vous smackent des bisous sur les joues, le rouleau compresseur terminal aplatit le tout. Don't be afraid of it : n'ayez pas peur le genre d'interjections qui vous foutent mal à l'aise, jeu de vocal de cornichons, ensuite y plongent le fer à repasser dedans, jouent à un jeu de patience, le premier qui rira ira s'encastrer sous dix tonnes de ferraille. Terminé, les survivants descendent. Pas de pitié pour les éclopés. So many things on my mind : le pire c'est que parfois il y a trop d'esprit dans les choses, z'ont beau les corbeaux les tordre pour leur couper le cou sous des coups de tambour, on les entend se révolter et crier, alors ils les couvrent de leur mélodie, au milieu vous croyez entendre un disque des Beatles, hop ils se dépêchent d'allumer le mixeur à œufs durs avec coquille de granit pour que vous ne vous en aperceviez pas, bruit de train de marchandise emmené sur une voie de garage. Welcome in Crow-Crasti-Nation : ah ! Ah ! Un texte politique, la nation des Corbeaux est en état de procrastination avancée, ça ronronne dur, un long moment, la nation semble avoir du mal à se former, c'est parti ! Le train du futur est en route, il s'ébranlent doucement et sûrement, hélas il s'éloigne encore dans l'avenir et les voyageurs se penchent aux fenêtres pour vous donner rendez-vous à plus tard. We wish you a merry nothing : les promesses n'engagent que ceux qui y croient, ici elles vous piétinent de leurs brodequins de fer, c'est le rock 'n'roll godillot qui tressaute sur vos viscères étalées sur le sol, vous avez une grosse caisse qui n'arrête pas d'interrompre la tuerie pour qu'elle reprenne en plus sanglante. Rock'n'roll destroy. Heart cries, the person cries: vous avez eu le rock, voici le blues noise, c'est lourd comme du thon en boîte, z'accumulent les bottes d'arpèges tapageuses pour vous faire ressentir le poids du chagrin, de la coulure de larmes dans les tubulures, enfin c'est le grand jeu, le déchirement du larynx et la musique catafalque des peines perdues. Too fool you die : pas de répit pas de halte-pipi, le blues débouche dans le rock comme le Mississippi dans le Delta, sur ces trois derniers titres les Corbeaux s'envolent pour la patrie lointaine du old and good rock 'n' roll.

    L'ensemble manque un peu d'unité. Un bel album mais il manque le concept dirait Hegel.

    ETA BESTEAK

    HECKEL & JECKEL

    ( P.O.G.O Records 159 / 04 – 09 – 2021 )

    Tiens dans leur magma sonore maintenant ils criaillent en kobaïen, non d'un cheval-jupon, c'est du basque, ne sont pas originaires des Landes pour rien, ne confondez pas état et ETA et cétéra...

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    Surtout ne vous fiez pas à la couve. Vous ne comprendriez pas. C'est le petit frère qui leur a ramené tout fier un gribouillage du CP penserez-vous, tout attendri vous hausserez les épaules en souriant. Déjà vous avez dû vous procurez une méthode Assimil et maintenant Bandcamp vous signale une vidéo sur YT, n'hésitez pas Bandcamp vous ment, effrontément, une vidéo, vous voulez rire, un chef-d'œuvre. Pas de crainte les trois titres y sont dessus.

    La vidéo de This is war chroniquée ci-dessus est sympathique. Mais avec cet opus intitulé Sarbalakio c'est toute autre chose. This is war ce sont des images pertinentes avec une idée de mise en scène efficace. En gros ce n'est que la reproduction de notre réalité sociale, ici c'est du cinéma. Je n'ai pas dit un blockbuster. Pour me faire mieux entendre, j'utiliserai l'expression l'art cinématographique. Tout simple un groupe qui joue trois morceaux. Ce n'est pas le plus original. Je crois que YT vous en propose un lot de dix-huit millions. Faut qu'il y ait un rapport de congruence formelle entre la chose qui est filmée et la manière dont elle est filmée. Pour être plus précis entre la chose filmée et la manière dont elle apparaît sur le support technique qui lui permet d'être vue, pour faire simple entre la chose et son image, cette dernière n'est pas un reflet – sans quoi elle n'offre qu'un intérêt documentaire – mais une re-création à part entière de l'apparence de la chose.

    Sarbalakio est prodigieux, s'est imposé à moi la vision de Nosferatu le vampire de Murnau. Laissez tomber l'attirail et le pittoresque vampiriques du magicien Murnau, contentez-vous de l'épure esthétique qui relie le blanc et noir de la pellicule à la noirceur du sujet révélé par l'incandescence de la blancheur matricielle qui renforce l'opacité des formes sombres qui se détachent sur l'écran, c'est à cette condensation pratiquement alphabétique entre le fond musical et sa forme imagée qu'est parvenu le réalisateur ( inconnu ) de cette vidéo.

    Que voyons-nous ? D'abord une musique ce qui tombe bien puisqu'il s'agit d'un clip musical, ce qui ne signifie pas que la musique débute avant l'image, mais que c'est la musique qui vous conduit à l'image. Car au début vous avez du mal à visualiser, ça bouge dans tous les sens, d'abord le chanteur, ensuite l'image qui n'est pas immobile, ce n'est pas que celui qui tient la caméra est victime de la maladie de Parkinson, c'est que l'image est assaillie par des effets d'image, un peu comme si le support de l'image était une gélatine mouvante obligée de reproduire la fixité du réel par un dessin incapable de rester immobile.

    Lorsque votre œil – non vous n'êtes pas borgne, j'évoque le troisième, intérieur – a établi la focale nécessaire à sa vision, vous discernez la face cérusée du chanteur, clown ou cadavre ambulant, qui agglutine et détache les mots d'une langue barbare, sur sa droite un bassiste, sur la gauche un batteur. Je vous le dis, vous faudra du temps pour reconstituer, surtout les détails, qui est Jeckel, qui est Heckel, qui est le troisième personnage, cela n'a que peu d'importance, sont-ils dans un champ, dans un wagon de chemin de fer, changent-ils de lieu, débrouillez-vous dans le torrent d'images qui déboulent sur vous. Faites l'expérience, écoutez d'abord les trois morceaux sur Bandcamp, ensuite la vidéo, c'est là que vous vous apercevrez comment l'image multiplie la force des trois morceaux. Usteak ( Croyances ), Salto, Asto putza ( Puanteur d'âne ) en sont transformés et grandis.

    Sarbalakio est bien plus rock 'n' roll que bien des morceaux dument estampillés classic rock par des générations d'amateurs. Un artefact bougrement rock 'n' roll, dans trente mille ans, lorsque notre espèce aura disparu, les visiteurs d'une autre planète en concluront que cet objet sonore irradiant aura été la cause de notre extinction.

    HECKEL & JECKEL

    ABIDE

    ( P.O.G.O Records 157 / 02 – 11– 2021 )

    Pochette grise un peu tristounette, genre crayonné à toute vitesse. Pure Stoner Metal, est-il précisé, à lire comme le Abandonne tout espoir toi qui entres ici qui d'après Dante est gravé sur la porte de l'enfer...

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    Poor sad boy : l'est tristounet le garçon, on sait pourquoi, après Eta Besteak, ce coup-ci c'est sans surprise, à part cette plainte de chiot ( sans doute un teckel ) à qui l'on a marché sur la patte au tout début, l'on se retrouve en pays connu Heckel fait du Jeckel et Jeckel du Heckel, la mayonnaise ne prend pas, enfin si mais elle n'apporte rien de neuf, l'on attend vainement du nouveau, l'on adopte la posture de Baudelaire à la fin des Fleurs du mal, mais là rien du tout, pas un cactus avalé de travers qui vous irrite les amygdales, ce n'est pas mauvais en soi mais ce n'est pas bon pour l'extérieur, manque l'excitation, l'on devient difficile, nous ont trop habitués à mieux. Trop conforme. Alice : je ne sais si les filles sauveront le monde mais Alice est bien plus attrayante que le pauvre petit garçon triste, dès les premiers appels l'on a envie de savoir la suite, dans quelle merveilleuse - voire déplorable – aventure elle va nous entraîner, font durer le plaisir avec ce rythme qui claudique, on la prend en filature car l'on ne veut rien rater, et ça ne rate pas, le rythme s'accélère des cris perçants, un brouillard englobe le tout, deuxième acte, l'on recommence la voix féminine qui prénomme Alice et la masculine qui passe par bien des émotions, et en voiture Simone, pardon Alice, et l'on fonce on ne sait où, acte trois, la situation s'aggrave, que se passe-t-il, zut ça s'arrête au moment où ça devenait intéressant. Vous laissent sur votre faim. De loup. Fuck you : un peu de guitare n'a jamais tué personne, alors la batterie cogne à mort, c'est fou comme ça fait du bien de s'insulter et de se traiter, les kel-kel ne se font pas de cadeau, agoniser le premier quidam qui passe d'injures est un plaisir simple à la portée de l'humanité la plus frustre ou la plus civilisée, se défoncent à mort, ouvrent les vannes en grand, libèrent leur énergie, pas très poli, un peu hystéro, mais l'on sent qu'ils se défoulent comme des brutes, ne vous inquiétez pas, la jouissance les inonde. A dream : démarrent en fanfare, des blocs de béton se détachent du plafond, le rêve virerait-il au cauchemar, ont beau vocaliser en baissant d'un demi-ton, d'une demie-tonne, l'ensemble reste sulfureux, quelques instants de quasi-silence, c'est pour mieux vous faire ressentir l'avalanche qui suit. Des flocons de neige gros comme des armoires normandes vous concassent les oreilles. Pas de trêve, ni de grève dans les rêves, Heckel & Jeckel s'en sortent tels quels sans séquelle. Nous aussi !

    Damie Chad.

     

    MY SWEET GEORGE

    MARIE DESJARDINS

    ( Le MagProfession Spectacle / 30 – 11 – 2021 )

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    La rencontre avec un artiste appelé à devenir partie de votre substantifique moelle est chose courante dans le monde du rock. Ainsi Marie Desjardins évoque la personnalité de George Harrison. Elle est la première à reconnaître que dans un article relativement court elle ne peut esquisser qu'un rapide portrait du plus discret des Beatles. Des centaines de livres retracent le parcours des quatre garçons, elle ne saurait rapporter une information inédite et décisive sur les Scarabées. D'ailleurs parle-t-elle vraiment de George Harrison. Non, pas du tout. Elle laisse cela aux historiens et aux musicologues.

    Elle raconte une chose beaucoup plus secrète, beaucoup plus intime, qui n'appartient qu'à elle, de sa rencontre avec George Harrison, non pas de chair et d'os, qui ne serait que le récit d'une superficielle anecdote, mais du lien particulier qu'elle a tissé avec l'artiste. Le mot est galvaudé, il serait facile de la traiter avec condescendance de fan. Une foucade d'adolescence sans avenir. Un engouement passager qui ne durera pas.

    J'en ai connu qui ne juraient que par leur collection de disques que six ou sept années plus tard ils se dépêchèrent de liquider sur la première brocante de leur quartier. Ce ne sont pas des fans, ils se contentent de suivre la mode, les modes, l'air du temps...

    Il est des liens passionnels indéfectibles. Il ne s'agit point de faire collection d'autographes, mais d'entrer en symbiose avec une personnalité d'artiste imprimée au fer rouge dans vos représentations du monde. Derrière la vedette, chercher l'être humain, comprendre son périple existentiel, déceler les rouages de ses actions, deviner ses motivations, acquérir une fine connaissance de son idiosyncrasie.

    Être lui pour être soi. Ce n'est pas une aventure sans retour. L'idole vous ignore, il ne sait même pas que vous existez, mais la connaissance intuitive de sa personne que vous avez forgée, intellectuellement et pratiquement médiumniquement n'est pas sans effet, elle vous apprend à vous connaître vous-même, à vous construire selon cette attirance, à vous définir selon vos propres aspects qui vous séparent de lui. Le fan accède ainsi à une connaissance qui se peut qualifier de delphique et de poétique. Les chemins des rêves éveillés, s'ils empruntent des sentes obscures, n'en mènent pas moins vers les nœuds d'irradiation des affinités électives goethéennes.

    Marie Desjardins nous trace en quelques paragraphes le portrait intérieur de George Harrison. Il m'a personnellement laissé toujours indifférent. Mais il suffit de lire les lignes qui l'évoquent pour être convaincu que Marie Desjardins vise juste. Ses traits s'enfoncent loin et lézardent le miroir des apparences. En contrepartie – c'est la règle du jeu – elle n'hésite pas à se dévoiler, à conter ses quatorze printemps, elle parle d'elle et entre autres de Sylvie Vartan et de Deep Purple, elle tire les fils, elle les tisse aussi, elle appelle parce qu'elle est appelée...

    Certains diront, tiens un article sur Harrison, ah, oui, voici vingt ans qu'il est mort, ils parcourront à toute vitesse et passeront à une autre futilité, abandonnant une analyse arachnéenne, en dehors de tout cadre psychanalytique ou comportemental. Marie Desjardins possède une plume d'une extraordinaire finesse qui nous révèle comment par les jeux subtils entre Soi, les Autres, et quelques Uns, nous inscrivons nos mythographies personnelles dans notre rapport au monde. Un grand merci à Marie Desjardins.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    UNE TENEBREUSE AFFAIRE

    EPISODE 10

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    BRAIN STORMING

    Les filles avaient réalisé des miracles, elles avaient transformé le béton spartiate de notre abri anti-atomique en appartement cosy et cossu, des tentures multicolores séparaient le dortoir du salon. Une table basse entourée de coussins et de tabourets surchargée de victuailles nous accueillit, durant de longues minutes l'on entendit que les grognements des trois chiens qui s'amusaient à se poursuivre, Rouky nous avait chipé un poulet rôti et narguait Molossito et Molossa, nos deux truands avaient arraché les deux cuisses et ne comptaient pas s'arrêter en si bon chemin... Nous étions rassasiés, le Chef alluma un Coronado.

    _ Mes amis, les évènements se sont précipités et se sont enchaînés ces derniers jours si rapidement qu'il est temps de réfléchir afin d'y voir plus clair. Nous sommes confrontés à une étrange affaire... Pour ma part j'entrevois trois pôles distincts dans cette énigme, d'abord l'intérêt porté par les plus hauts niveaux du pouvoir politique à ce que je nommerais le fantôme de Charlie Watts, deuxièmement les apparitions successives et en plusieurs lieux du territoire national du batteur des Rolling Stones décédé depuis une quinzaine de jours, enfin les deux terribles tueries nocturnes au cours de laquelle est apparue la silhouette de cet ibis rouge derrière notre revenant. Notre travail de ce soir se révèlerait fructueux si nous étions capables de dénouer les imbrications qui relient ces trois points.

    L'introduction du Chef fut suivie d'un long silence, même les chiens arrêtèrent leur jeu et s'assirent auprès de nous la mine grave et soucieuse. Joël prit la parole :

    _ Qu'un gouvernement s'inquiète de l'apparition d'un fantôme ne me semble pas si anormal, nous sommes en période pré-électorale, imaginons que les élections soient éclipsées par les allées et venues de Charlie Watts un peu partout, si les électeurs potentiels ne pensent plus à leur bulletin de vote, la légitimité naturelle du pouvoir en prend un sacré coup... toutefois que l'on ait envoyé le Service Secret du Rock 'n' Roll à Limoges toute affaire cessante est étonnante, avaient-ils peur de quelque chose, ont-ils en leur possession des éléments qu'ils se gardent bien de révéler...

    _ Pourquoi le fantôme est-il celui de Charlie Watts, le coupa Noémie, je me demande si nous ne focalisons pas sur Charlie Watts parce qu'il est célèbre, où qu'il aille il y aura toujours quelqu'un pour le reconnaître, peut-être y a-t-il des dizaines de fantômes anonymes qui se baladent un peu partout mais que personne ne reconnaît car ils prennent soin d'éviter les endroits où ils habitaient...

    _ Une hypothèse pertinente, le Chef alluma un Coronado, permettez-moi d'apporter une lumière, la lueur tremblotante d'une chandelle autour de laquelle les ténèbres s'obscurcissent, vous souvenez-vous de notre réunion juste avant la nuit tragique - les filles frissonnèrent – nous évoquions alors la figure d'Auguste Maquet, selon une des lettres de sa correspondance, nous apprenions que les trois volumes des aventures des fameux mousquetaires de Dumas étaient cryptés, qu'ils racontaient une antique conjuration dite...

    _ de l'ibis rouge ! s'exclamèrent les quatre Limougeois

    _ Exactement, je passe la parole à l'agent Chad, fervent admirateur de la Rome Antique !

    LA CONJURATION DE L'IBIS ROUGE

    Tous les yeux s'étaient fixés sur moi – sauf ceux du Chef qui allumait un Coronado – je m'éclaircis la voix :

    _ Hum ! Hum ! Je tiens à vous prévenir, ce que je vais raconter ne vous apportera que très peu d'éclaircissements. Mais les faits sont indubitables et historiques. Ils remontent aux premières années de l'Empire Romain. Le poëte Ovide...

    _ Il a écrit les Amours !

    _ Parfaitement jeunes filles vous connaissez vos classiques, Ovide a été exilé à l'autre bout de l'Empire, au bord de la Mer Noire, par l'Empereur Auguste...

    _ Comme Auguste Maquet !

    _ Damoiselles, ne m'interrompez point toute les trois secondes, donc Ovide envoyé jusqu'à sa mort dans la ville de Tomes...

    _ Qu'avait-il fait ?

    _ L'on ne sait pas. Certains historiens affirment qu'il avait eu une relation avec Julie la fille de l'Empereur...

    _ L'était un peu vieux jeu le paternel, aujourd'hui les filles...

    _ D'autres historiens pensent à une affaire beaucoup plus grave, Ovide était un familier de Julie or Julie aurait manigancé une conjuration pour renverser son père...

    _ Mais Ovide qu'a-t-il dit pour se défendre !

    _ Il a expliqué qu'il avait vu quelque chose qu'il n'aurait pas dû voir, nous n'en savons pas plus.

    _ Bref on ne sait rien !

    _ Ne soyez pas impatientes. Pour tromper son ennui il a continué à écrire de la poésie, notamment un poème de quelques pages intitulé L'Ibis...

      • L'Ibis enfin ! Il raconte quoi !

      • Pas grand chose, qu'un de ses amis qu'il surnomme l'Ibis l'a trahi en ne tenant pas ses promesses...

      • C'était qui au juste ?

      • L'on ne sait pas, les historiens ont essayé de retrouver par divers recoupements son identité, tout au plus certains émettent l'hypothèse que cet ami surnommé l'Ibis serait Auguste que notre poëte ne pouvait se permettre d'accabler de tous les maux publiquement...

      • Mais il dit que c'est un ibis rouge !

      • Pas du tout.

      • Et alors ?

      • C'est tout.

      • Quel rapport avec Charlie Watts ?

    Les filles étaient déçues, le Chef vint à ma rescousse :

    _ Tout ce que l'Agent Chad a rapporté est historique, ce qui suit l'est beaucoup moins, enfin pas du tout, c'est une légende qui s'est transmise oralement durant des siècles, aucun livre n'en parle directement, tout au plus de vagues allusions, des fins de phrases elliptiques à quadruple voire sextuple sens, se contredisant entre elles... selon certains érudits, il y aurait depuis des siècles une société secrète qui aurait pris en l'honneur d'Ovide le nom d'Ibis, les buts de cette organisation sont inconnus, l'on a pris l'habitude de la nommer la conjuration de l'Ibis Rouge, que fait-elle, que veut-elle, personne n'en sait rien !

    _ Mais Chef, comment avez-vous établi le rapport avec les apparitions de Charlie Watts...

    La question de Joël fut brusquement interrompue par les aboiements de Rouky, lorsqu'il se tut, l'on entendit très distinctement les coups répétés sur la porte blindée de l'abri. Molossa et Molossito l'air penaud se glissèrent sans plus tarder sous le plus gros des coussins que les filles avaient emmenés.

    _ Vous vouliez une réponse, murmura le Chef, la voici !

    Son Beretta à la main, il marcha droit vers la porte, ôta la sécurité et l'entrouvrit, une vague silhouette se profilait dans un maigre rayon de lune.

    Trop grand pour être l'Avorton, pensais-je. C'est Ovide susurra Noémie. Non, Auguste souffla Framboise. L'Ibis chuchota Françoise. Non, Charlie Watts répondit Joël.

    _ Entrez-donc Monsieur, vous avez sûrement un message à nous apporter, et le Chef ouvrit la porte en grand.

    Je ne fus pas le seul à le reconnaître. Rouky se rua vers lui. C'était l'aveugle. Avant que l'on ait pu esquisser un mouvement, il jeta une enveloppe sur le sol et disparut subitement, Rouky sur ses talons.

    Le Chef ouvrit l'enveloppe, elle était vide !

    _ Nouvelle apparition de Charlie Watts ! conclut Joël

    _ Non, c'était l'Ibis ! décréta Françoise avec vigueur

    _ Mais non, l'Empereur Auguste ! rétorqua Framboise

    _ J'ai reconnu Ovide ! opina Noémie

    Quant à moi je certifiai que c'était l'Aveugle, Rouky n'était-il pas parti avec lui. Seul le Chef ne disait rien. Il avait refermé la porte et s'apprêtait à allumer un Coronado. Je l'interrogeai :

    _ Qui avez-vous reconnu Chef ?

    Le Chef exhala une longue bouffée odorante et laissa tomber :

    _ Oh, moi, j'ai cru que c'était moi !

    A suivre...