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neal francis

  • CHRONIQUES DE POURPRE 712 : KR'TNT ! 712 : JON SPENCER / NEAL FRANCIS / RAMONES / JUNIOR PARKER / NICK WHEELDON / AGNOSTIC FRONT / 1914 / CRISTINA VANE

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 712

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    27 / 11 / 2025

     

     

    JON SPENCER / NEAL FRANCIS 

    RAMONES / JUNIOR PARKER

    NICK WHEELDON / AGNOSTIC FRONT   

    1914 / CRISTINA VANE

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 712

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

    - Spencer moi un verre, Jon !

    (Part Five)

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             Tu l’as vu il y a six mois, mais t’y retournes. Jon Spencer jouerait tous les jours, et t’y retournerais, pas de problème. C’est lui ton manège-à-moi-c’est-toi, c’est lui ton directeur de conscience, c’est lui ton king of rock’n’roll, c’est lui ton sauteur en ciseau préféré, ton Zebra raunch, ton love-it-to-death, ton dark-eyed handsome boy, ta superstar préférée, ton dégoulineur de sueur numéro un, ton Euripide d’éruptions, ton injecteur d’interjections, ton catalyseur de cat-walk, ton cloueur de bec, ton riveur de raves, to screamer de scream parfait, bien serré dans un costard qu’il ne va pas surtout pas déboutonner. Jon Spencer est élégant, même s’il n’est pas anglais. C’est sans doute son seul défaut. On a déjà dit ici qu’hormis Francis Scott Fitzgerald, les dandies américains n’existaient pas, mais avec ses mocassins blancs,

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    Jon Spencer pourrait faire exception à la règle. Il est certain que Des Esseintes lui aurait trouvé du charme frelaté, et Proust lui aurait conseillé l’œillet à la boutonnière. Et le voilà de nouveau sur scène, le Spence, le Skunk boy, à quatre pattes pour gaffer au sol sa planchette minimaliste dont on a dit en juin dernier qu’elle constituait le plus beau pied à nez à tous ces pseudo-pseudahs qui installent des plaques bardées de dizaines de pédales d’effets. Jon Spencer est depuis 40 ans le roi de minimalisme trash, c’est-à-dire le skunk. On le savait déjà en 1987 lorsqu’on écoutait «Pig Sweat» sur le Right Now de Pussy Galore, tout frais pêché dans un bac garage du killer Keller Born Bad, un «Pig Sweat» qu’on retrouve sur l’hallucinant Live In The Red. Eh oui amigo, c’est pas dans ta fucking amazonie de smartphone que t’auras ça. En matière de rock, il faut toujours commencer par le

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    commencement. Si tu prends le train en marche avec un fucking smartphone et son son de casserole, t’as tout faux. Et tu ne pigeras jamais rien. D’ailleurs le Spence exècre les fucking smartphones, et pire encore, les fucking selfish. Il en a une sainte horreur. Le rock, ça commence avec Rigth Now et c’est catapulté dans l’avenir avec le Skunk qu’il skonke sur scène, car c’est bien de cela dont il s’agit : si t’as besoin de skunk pour skonker dans le sky, alors ton dealer c’est Jon Spencer. Tu scores du Skunk en direct, t’as ton score et ça te scratche le skull, c’est lui, le Spence, le sking, le sky, le scrack boom, le screw d’outer space, le wild scat, la stiring flaming star, l’estoile des neiges, il te scroutche l’oss de l’ass à sec, et t’en veux encore, alors tu prends le sTwo sKindsa Love en pleine spoire, t’as le sCome Along qui scum along,

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    qui te scrame tout, les spoils et les spams, les spasmes et les spurrs, et voilà qu’arrive l’inévitable «Bellbottoms», le spring du prêche, le spow-how de la dernière heure où le Spence chante les louanges de Little Richard et où il rassemble les brebis égarées, il pardonne même aux fucking smartphones qui n’en finissent plus de filmer pour des prunes, pour des pages de fesse, pour rien, dans le chaos du néant numérique. Rien que d’y penser, t’as le vertige. Des milliards de vidéos qui ne serviront à rien. Le summum du néant. L’art rock et le néant numérique ne communiquent pas. Pourquoi ? Parce que le néant numérique remonte à rien et l’art rock remonte à Dionysos. Près du passé luisant, demain est incolore.   

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    Signé : Cazengler, Spencer les fesses

    Jon Spencer. Le 106. Rouen (76). 12 novembre 2025

     

     

    L’avenir du rock

    - Neat Neat Neat Neal

    (Part Two)

             Depuis combien d’années erre-t-il dans le désert ? L’avenir du rock pose la question, et comme personne ne lui répond, il fait la réponse : «Dieu seul le sait.» Et il ajoute d’un ton léger dont il est le premier surpris : «Ce qui me fait une belle jambe !». Il n’a pas d’autre choix que de continuer à marcher en philosophant. «Dans la vie, il faut avancer, sinon on recule.» C’est le genre de remarque qu’il faisait au début. Il a laissé tomber ces coquetteries intellectuelles. «Nous n’en sommes plus là...», conclut-il d’une voix sourde dont l’écho se fond dans l’air brûlant. Pour se distraire, il a encore les erreurs. Tiens en voilà un ! L’homme avance, vêtu de lambeaux. Un javelot est resté planté à travers ses deux joues : le manche d’environ un mètre entre par la joue droite et un autre mètre avec sa pointe sanguinolante ressort par la joue gauche. L’avenir du rock le reconnaît :

             — Zêtes bien Richard Francis Burton ?

             — Rrrrraaaachaaaaviiiiiiiii !

             — Vous pourriez pas articuler ? J’ai rien pigé !

             — Nnnnnnnnooooiiiiisiiiii !

             — Zen faites exprès pour m’énerver ou quoi ? Vous voyez bien que ce n’est pas le moment de m’énerver !

             — Zeeeecrrrrchehheeleeechourcheduuuuuniiiiiiiii !

             — Chourche du qui ?

             — Rrrrrchehheeleeechourcheduuuuuniiiiiiiii !

             — Ah oui, ça me revient ! Vous cherchiez les sources du Nil, il y a quelques années, avec vot’ pot’ Speke, et je vous avais conseillé de plutôt chercher les sources du Neal. Vous ne m’avez pas écouté et voilà le résultat ! C’est bien fait pour votre gueule ! La prochaine fois, vous suivrez mes conseils !

     

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             Normalement, Neal Francis est l’une des nouvelles superstars américaines, avec The Lemon Twigs et Brent Rademaker. En 2023 paraissait un double live, Francis Comes Alive. C’est bardé  de cool breeze de groove. T’as là-dedans le vrai son du r’n’b américain. Neat Neat Neat Neal groove bien son monde, il a tous les cuivres qu’il veut derrière lui. Sur la pochette, il a des faux airs du Jagger de Sympathy.

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    Mais globalement, ça sonne un peu Average White Band. Un peu trop pépère. Un peu trop établi. Pas de prise de risque. Neat Neat Neat Neal n’est pas James Chance. Il n’apporte pas d’eau neuve au moulin. En B, il vire plus poppy avec l’excellent «Alameda Apartments». Ça prend de l’ampleur. Encore de la belle pop de Soul classique avec «Promotheus». Il propose une pop véritablement pure. Et son «This Time» est un groove de Soul d’une rare élégance. On se régale en C de «Don’t Want You To Know» monté sur l’heavy riff d’une basse à contretemps. Il ramène le Ouh des Tempts dans «Very Fine Pts 1 & 2». Quel cake ! Il revient à un son plus poppy avec «Sentimental Garbage» en D. Poppy c’est sûr, mais dignement cuivré. Pas loin de Steely Dan - Thank you Chicago. We love you much, our hometown - Il termine ce solide double live avec «BNYLV», un heavy groove bardé de solos de sax, ça couine dans la couenne du lard fumant, ils sont dans la black jusqu’au cou et tu les salues bien bas. 

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             Return To Zero vient de paraître, alors t’es bien content. Sergio Rios produit l’album et les Say She She font les chœurs. Ça démarre en mode funk de Soul, c’est très collet monté, très dancing beat, peut-être un peu trop à la mode. «Don’t Want» te renverrait presque aux jours heureux.  Il faut attendre «What’s Left Of Me» pour arquer un sourcil, car voilà une fast pop qui respire bien et qui sent bon le gros niveau. Il enchaîne avec au «150 More Times» aussi prometteur et ça finit en apothéose comme les grands cuts de Let It Bleed, et là mon gars, tu cries au loup. On reste dans le très haut de gamme avec cette heavy pop de Soul qu’est «Dance Through Life». Tout est axé sur la qualité, ici. Il se maintient dans une heavy pop de classe extravagante avec «Dirty Little Secret». Neat Neat Neat Neal est un personnage fascinant, il dépose sur la pop un voile de mystère. Et ça continue avec «Already Gone», une pop d’entertaining assez ambitieuse. Il monte bien sur ses grands chevaux, épaulé par les chœurs magiques de Say She She. Cette pop t’enflamme les glandes.

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             Et donc tu t’attends à monts et merveilles lorsqu’il arrive sur la petite scène de la Bellevilloise. Pas de chance, il reste coincé derrière ses claviers. Tu t’attendais à une espèce de grand show dansant, et c’est au contraire très statique. Neat Neat Neat Neal pianote et chante, avec des sacrées allures de superstar qui ne la ramène pas. Il fera juste un petit tour sur le devant de la scène, et regagnera sa planque derrière ses claviers. Les claviers sont un tue-l’amour, sur scène, surtout pour un leader. Le seul qui échappe à ce destin, c’est bien sûr Jerry Lee. Neat Neat Neat Neal ne tape pas tous les gros hits de son dernier album, dommage. On retrouve l’ambitieux «Already Gone», suivi de la fast pop de «What’s Left Of Me», mais pour le reste, il tape dans des albums plus anciens, notamment In Plain Sight. D’ailleurs il boucle son set avec le puissant groove de «BNYLV». C’est ce qu’on appelle un groove à rallonges. Neat Neat Neat Neal fait partie des artistes complets, il sait poser sa voix, composer et faire le show. Il dispose en plus d’un atout majeur : le look. Et d’un autre atout majeur : il est superbement bien accompagné. T’as Jo-la-powerhouse derrière les fûts et tu vois rarement des batteurs de ce niveau.  Jo-la-powerhouse sait tout jouer, surtout l’heavy funk. Il fait la locomotive. Sans lui, tout s’écroule et tu t’endors.

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             La salle n’est pas pleine, loin de là. Neat Neat Neat Neal n’est pas encore très connu en France. Pourtant il a déjà enregistré quatre albums que les critiques anglais ont salué bien bas. Toujours ce décalage.

    Signé : Cazengler, Nul Francis

    Neal Francis. La Bellevilloise. Paris XXe. 13 novembre 2025

    Neal Francis. Francis Comes Alive. ATO Records 2023

    Neal Francis. Return To Zero. ATO records 2025

     

     

    Wizards & True Stars

    - Les Ramones la ramènent

    (Part Three)

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             Tu croyais que les Ramones étaient quatre ? Non, ils sont cinq. Le road-manager-homme à tout faire Monte A Melnick est le cinquième Ramone. Si t’es fan des Ramones, alors tu devrais avoir lu l’oral history de Monte, On The Road With The Ramones. C’est l’un des books les plus rock’n’roll de tous les temps, si on considère que Vie Des Douze Césars de Suetone est aussi un book rock’n’roll.

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             Situé quelque part entre le format classique A5 et le grand format, ce book de 300 pages tient remarquablement bien en main. C’est presque un livre d’art rock, car Monte l’illustre abondamment, et le graphiste s’est lancé dans une admirable cabale de colonnages, passant du 2 col au 3 col au petit bonheur la chance, ce qui donne une belle dynamique à l’ensemble. T’as des pages qui accélèrent et d’autres qui ralentissent. Le fait qu’il ait opté pour un Helvetica condensed aggrave encore les choses : tu ne lis pas, t’avales. Tu deviens liseron, comme dirait Queneau.

             Monte et Frank Meyer ont habilement agencé les témoignages pour construire un récit fluide, dans le style du fameux Please Kill Me de Legs McNeil. Tous les acteurs de la saga témoignent. De tous, Monte est le plus passionnant.

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             Ce book complémente admirablement ceux de Dee Dee et de Johnny. Monte apporte un regard différent sur l’histoire agitée du groupe, mais le génie des Ramones n’en est que plus évident. 1, 2, 3, 4 ! Dès l’intro, ça résume sec - Leather jackets, torn jeans, dirty T-shirts, guitar down the knees, three chords and a wall of beautiful noise. Punk pionniers and Rock ‘n’ Roll Hall Famers. The Ramones were une undeniable force and at the peak of their powers, arguably the greatest band on the planet. They took pop sheen, doo-wop vocals, surf beats and ‘60s garage rock power and combined it to create a sound like no other - Oui, les Ramones ont inventé le punk et l’on incarné. Ça a duré 20 ans, et nous dit Monte, 2 263 shows - Like every other things they did, they rocked hard and fast, and they left.  

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             Joey rappelle que Dee Dee se faisait appeler Dee Dee Ramone bien avant que le groupe n’existe. Tommy raconte comment il s’est installé derrière la batterie pour dépanner ses copains qui ne trouvaient pas le bon batteur - The music needed a driving kind of thing - Tu parles d’un driving kind of thing ! C’est l’un des driving beats les plus révolutionnaires du XXe siècle ! Joey ajoute que le groupe voulait juste un «simple drummer, a timekeeper». Alors on a convaincu Tommy d’essayer - he sat down and played in this style that no one’d ever heard - Tommy sentait que le projet allait être intéressant. Ils ont évolué très vite - I knew we had something different, original and exciting. Once I started playing drums, it was quick - Deux mois après qu’il ait commencé à battre le beurre, les Ramones montent sur scène. Premier concert au CBGB, opening for Blondie, who where called Angel & the Snake.

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             Joey rappelle au coin d’une page que ses héros alors étaient les Who. Et dans le portrait de Johnny, Tommy déclare : «Johnny is a mistery. He has different personalities. He’s a contradiction.»  Dans les chapôs des têtes de chapitres, t’as des textes merveilleusement bien écrits (Frank Meyer ?) - Four scraggly kids from Forest Hills hellbent on fusing the aggression of the Detroit proto-punk with the polish and pop snap of bubblegum music and girl groups, and the power and bombast of glam rock - Et plus loin, le chapôteur met le paquet sur les personnalités - Tommy’s musical finesse, Johnny’s military precision, Joey’s tender heartstrings and Dee Dee’s comic book rogue charisma fused to create a sound all their own - Ed Stasium : «Tommy was the intellectual, Johnny was the taskmaster, Dee Dee was the true punk and Joey was Joey.» Le décor est planté. Les Ramones allaient stormer the Big Apple «with their brand of candy-coated locomotive rock.» L’énergie des mots restitue bien l’énergie du son. Candy-coated locomotive rock !

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             Très vite, le phénomène se développe. Monte en frétille encore : «Après une poignée de shows, it all developped - The Ramones feel, the official feel: the black leather jackets, the jeans, the T-shirts, the low-slung guitars, the haircuts - the whole attitude - C’est incroyable que ça ait aussi bien marché. John Holmstrom rappelle que l’art des Ramones est avant tout minimal - It was the music, They had everything: the image, the sound, the lyrics. They were the whole package. I’d never seen any band that had everything together like that - Johnny ne voit qu’un groupe du niveau des Ramones : les Heartbreakers. Il voit un clip de Led Zep au Madison Square Garden en 1975 et s’exclame : «Oh God, these guys are such shit!». Ils sont devenus des dinosaures et Johnny sent que les Ramones sont bien meilleurs, et il a raison. Sylvain Sylvain rappelle qu’à l’époque, les Dolls étaient en tête de la course de chevaux : «On était à deux doigts de la victoire et derrière nous, il y avait les Ramones, KISS, les Dictators et Blondie, and the list go on. Puis on est tombé, on s’est cassé une patte et les autres guys ont gagné la course.» Holmstrom ajoute que le punk rock en 1974, c’était Suicide, les Dictators, Television et les Ramones. Pour lui, les Dictators et les Ramones étaient comme les Beatles et les Stones d’une nouvelle révolution. On s’amusait encore en 1974, comme le rappelle Joey - The Ramones were always about having fun. Fun disappeared in 1974 - there were too many serious people out there at that time - Danny Fields souligne l’ironie des Ramones et des Pistols qui rêvaient d’être les Bay City Rollers - My God, here are the world’s two best bands wanting to be the Bay City Rollers. You can appreciate the irony of that - Danny Fields était fasciné par les Ramones au point de les manager. Pour lui, les Ramones proposaient ce que tout le monde attendait alors - Fill up that syringe and here’s my arm. Give it to me! Shout it! - C’est Danny Fields qui fait du porte à porte pour essayer de vendre la première démo des Ramones qu’avait supervisée Marty Thau. On sait comment ça se termine : chez Sire. Et voilà que les histoires de cul commencent à courir : Dee Dee a-t-il couché en trio avec Seymour et Linda Stein ? Dee Dee jure qu’il n’a jamais couché avec Linda. Évidemment Danny en profite : «Tout le monde aimait Dee Dee et voulait coucher avec lui. Je l’ai fait. It was nice.» N’oublions pas que Dee Dee se prostituait pour arrondir ses fins de mois. Waiting for the man. Sex & drugs & rock’n’roll. Il est important de rappeler de temps en temps que le rock ne se limite pas aux disques. Plus la réalité est crue et plus elle est intéressante.

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             L’ex-girlfriend de Monte explique le rôle qu’il jouait dans cette aventure : «To the Ramones, Monte was a tour manager, mom, dad, teacher, doctor, babysitter, bill collector, voice of reason, referre, host, guest, shoulder to cry on, head to beat on, hand to hold, driver, negociator, pat on the back, pat on the ass, life saver, the boss, the peon and the whipping boy. And when his talents weren’t neceassary, he was there in the shadows.»

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             Les premières tournées des Ramones sont assez catastrophiques. On les fait jouer en première partie de Johnny Winter et de Ted Nugent et le public les fait sortir de scène. Le pire, ce fut avec Sabbath. Monte : «Playing with Sabbath was dangerous.» Les gens ne voulaient pas des Ramones et ils étaient armés. Monte en conclut que les Ramones ne sont pas un opening band ! Alors ils deviennent des headliners ! - Everybody opened for us - Retournement de situation. Il suffisait d’y penser. Et ça tombait sous le sens. Mais c’est très compliqué de trouver des groupes capables d’ouvrir pour les Ramones. Monte : «One of the fisrt bands we got paired with that finally made some sense was the Runaways.» On suit pas à pas l’évolution du projet. Quand ils jouent en Angleterre, on les fait passer avant les Groovies. Grave erreur. Johnny : «Everyone was there to see us. People cleared out after us.» Les Groovies étaient déjà passés de mode. L’avenir appartenait aux Ramones. 1, 2, 3, 4 !

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             Holmstrom : «The Ramones were punk rock. They were guenine. Johnny was a violent punk. Dee Dee was worse. Joey was a mental institution.» Holmstrom rappelle aussi que les Ramones respectaient leurs fans «and never got fucked-up. No drugs or alcohol before the show. You couldn’t do a show like the Ramones and be fucked up.» Johnny savait que pour tenir le coup pendant les tournées, il fallait éviter de traîner dans les parties après les shows, mais Dee Dee buvait comme un trou et prenait toute la dope qu’on lui proposait. Monte : «That was him. But we tried to keep it under control.» No smoking in the van. Dur pour Tommy qui fume à la chaîne. Monte pense que c’est l’une des raisons pour lesquelles il a quitté le groupe. Johnny et Monte étaient inflexibles. No smoking in the van. Vera qui a voyagé dans le van indique qu’il y avait des règles : «Basically, the women should be quiet. That was one.» On voit une photo de Monte devant un tour bus. Pour que tout ça tienne, il fallait des règles. Ça semble complètement logique.

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             Après Road To Ruin, Tommy commence à se sentir mal. «They were driving me crazy.» Il commençait à y avoir des problèmes dans le groupe. Alors Tommy dit qu’il arrête. Quand il annonce aux trois autres qu’il fait une dépression, ils explosent de rire. Johnny ne comprend pas qu’on puisse quitter les Ramones. Ça le dépasse. Tommy est un personnage clé dans le projet : il est le porte-parole du groupe et il a produit les quatre premiers albums. Il a créé the Ramones’ Sound. Johnny reprend immédiatement les choses en main et embauche Marky qui doit s’adapter vite fait : «I had to change my drum style. This was simplicity at its most simplistic.» Tais-toi et bats.  

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             Dans Commando, Johnny Ramone dit qu’il n’aime pas trop Pleasant Dreams - This is not one of my favorites, to say the least - Eh oui, il arrive en studio et le producteur Graham Gouldman demande d’où sort ce humming. Well it was my guitar. Et là Johnny Ramone rumine. Il sait que ça ne va pas gazer avec le gars Gouldman, qui comme chacun sait est l’asticot de 10cc. C’est vrai que Pleasant Dreams est un peu bizarre. Disons que ce n’est pas le son habituel des Ramones. Mais il y a toujours les vieux restes de Joey. Ils renouent avec la Ramona dans «All’s Quiet On The Eastern Front», c’est un fast drive chanté en ping-pong avec Dee Dee. C’est sur cet album que tu croises «The KKK Stole My Baby Away», le cut de représailles que Joey a pondu après s’être fait barboter Linda par Johnny KKK. Joey le cocu n’est pas content - He took it away/ Away from me - En fait, c’est un album de power pop, comme le montrent «Don’t Go» et «She’s A Sensation», c’est puissant, avec un beurre bien plan-plan. «It’s Not My Place (In The 9 To 5)» est quasi good time. On perd le raw de la Ramona. «7-11» sonne radio friendly. Joey adore ça, il y va au bop she wap she wap. De cut en cut, les Ramones perdent leur punch. On entend même du piano dans «This Business Is Killing Me». On imagine Johnny Ramone penché sur son manche, à se demander ce qu’il fout là. Et puis quand on croit que c’est cuit aux patates, voilà qu’ils ressuscitent la Ramona avec «Sitting In My Room». Joey est bien chaud, ça redevient solide, punchy, élancé. Ils retrouvent tout leur éclat originel.

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    Marky

             Mais Marky picole - After a while, he was smashed all the time and started fucking up. The band was getting upset - Tais-toi, bats et arrête la picole. Mais il continue. Viré. Coup de fil de Joey et Dee Dee : «Mark, we can’t have you in the band anymore. You fucked up.» Richie le remplace. Monte est ravi de Richie : «Always on time. No drugs, no trouble. A far cry from Marky’s behaviour.» Richie fait trois albums avec les Ramones : Too Tough To Die, Animal Boy et Halfway To Sanity. Joey : «He saved the band as far as I’m concerned.» et il ajoute : «He put the spirit back in the band.» Mais Ed Stasium le voit comme un jazz drummer et trouve qu’il ne colle pas avec les Ramones.

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             Animal Boy est l’un des albums les plus percutants du groupe. Joey se met en rogne et le morceau titre sonne comme du trash punk pur et dur. En B, «My Brain Is Hanging Upside Down» sonne comme une belle tentative de Totor Sound. Et sur «Eat That Rat», Joey fait son Johnny Moped : même son que «No One».

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    Richie

             Johnny : «Ce fut une période compliquée pour les Ramones, Joey et Richie menaient la vie dure à Daniel Rey qui produisant l’album. Ils voulaient tout le temps changer des trucs et remixer les chansons.» Il ajoute que Dee Dee ne joue pas sur Half Way To Sanity, même s’il est crédité. C’est Daniel Rey qui fait le Dee Dee. L’album est solide, «Go Lit’ Camaro Go», «I Know It Better Now» et «Bye Bye Baby» valent pour des coups de génie : Camaro pour son buzzsaw et le papa oum mama, le Better Now est de la pure Ramona, quant au «Bye Bye Baby», c’est de la pure pop de Brill, c’est-à-dire le pré carré de Joey. Et t’as Daniel Rey qui gratte ses poux. Joey te tortille la pop de Brill à sa façon, il rend hommage à Totor. Mais il en fait peut-être un peu trop. Avec «Death Of Me», Joey est au sommet de son lard, il mise tout sur les soupirs. Et quand les Ramones décident de revenir aux basics, ils font du Punk’s Not Dead de haute volée, comme le montre «I Lost My Mind». S’ensuit un «Real Cool Time» qui n’est pas celui des Stooges, par contre, «Worm Man» est en plein dans les Stooges ! Ils recréent la tension mythique du beat primitif des Stooges de «1969». Fantastique osmose de la comatose ! 

             Mais Richie veut sa part du gâtö, c’est-à-dire le merch. Il n’est pas un membre originel, donc zéro privilège. Les trois autres empochent le cash du merch. En 1987, après un show à East Hampton, Richie se barre sans dire au revoir. Ils essayent de le faire revenir avec un gros billet, mais Richie les envoie promener. Et les prochains concerts ? Il s’en lave les mains. Il ne va même pas ramasser ses royalties chez le comptable. Les chèques s’entassent sur le bureau du comptable pendant dix ans. Pour Monte, Richie est resté un mystère.

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    Clem Burke

             Johnny ne perd pas de temps et propose la botte à Clem Burke. Pas de pot, Clem arrive dans une mauvaise ambiance : tout le monde se déteste. «No chemistry. That creates an anti-chemistry.» Tout ça pour cacher la misère, car le pauvre Clem qui bat la pop de Blondie n’est pas foutu de battre le beurre des Ramones. C’est une catastrophe. Alors Johnny fait revenir Marky, «the quintessential Ramones drummer. The guy is a powerhouse.» Marky constate à son retour que l’ambiance s’est détériorée : «Joey was drinking and doing coke. Joey and John are définitively not talking at this point and I don’t know what planet Dee Dee was on. He was on psycho drugs, pot, wearing Adidas uniforms, sneakers and gold chains and was in his rap phase.»

             Johnny essaye de maintenir le groupe en état, mais c’est compliqué. Monte : «Johnny wouldn’t put up with his shit. Dee Dee would listen to Johnny. He wasn’t afraid of Johnny, but Johnny was the boss.» Tommy dit à Arturo d’apprendre vite fait à jouer de la basse, au cas où Dee Dee ferait une petite overdose.

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             Même si Johnny ne l’aime pas beaucoup - One of my least favourite albums - Brain Drain est un Sire qui se tient relativement bien. Johnny ajoute que Dee Dee est crédité, mais il ne joue pas. Les Ramones attaquent au Wall of Sound avec «Believe In Miracles» - I believe in a better world/ For me & you - Joey le prend en mode Heartbreakers. Pur New York City Sound ! Tout l’album est blindé, avec un Joey furibard qui chante du nez. Mais il manque les enchaînements. C’est très bizarre de ne pas entendre le fameux one two three four ! «Don’t Bust My Chops» est encore très Heartbreakers. Ils tapent une cover du «Palisades Park» de Freddie Cannon, puis ils embrayent sur «Pet Semetary». Tu sens le classique dès l’intro. C’est un petit joyau ramonesque bien noyé de son. Dommage qu’on entende des violons derrière. Laswell ramollit les Ramones. Back to punk avec «Learn To Listen». Ça reprend de l’allure, c’est même quasi-beefheartien, au sens de «Dropout Boogie». Voilà l’un des emblèmes du NYC punk : «Ignorance Is Bliss». Sur ce terrain, ils sont imbattables. Ils passent à la power pop avec «Come Back Baby» et regagnent la sortie en mode Christmas avec une belle dégelée de «Merry Christmas (I Don’t Want To Fight Tonight)». 

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             Loco Live est l’un des grands albums live du XXe siècle. Impossible de faire l’impasse sur cette bombe atomique ramonesque. Ils sont venus, ils sont tous là, «Blitzkrieg Bop» (l’hymne !), «I Believe In Miracles» (attaque frontale), «The KKK Took My Baby Away» (Joey jette toute sa niaque dans le KKK), «Too Tough To Die» (vrai bulldozer, Ramona tout terrain), «Sheena Is A Punk Rocker» (l’hymne originel), «Rockaway Beach» (le cut prend feu), «Pet Semetary» (enfonce les lignes, Joey chante du museau). Petit coup de Punk’s Not Dead avec «Animal Boy» (quasi dirty proto). Ils passent le «Surfin’ Bird» des Trasmen à la casserole, et ça rebascule dans le mythe avec «Beat On The Brat» (c’est l’accord parfait des accords parfaits, l’oh yeah est pur comme de l’eau de roche), et «Chinese Rock», mythe d’or en barre, les Ramones l’explosent.

             En tournée, les Ramones font tourner Monte en bourrique. Pendant une tournée au japon, ils planquant une tête de poisson dans sa valise. Monte est furieux : ses fringues puent la poissecaille. Alors il bricole un petit axiome rigolo : «Quelle est la différence entre un tour manager et une lunette de WC ? A toilet bowl only has to deal with one asshole at a time!».

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    Dany Fields

             Monte aborde aussi l’aspect réactionnaire de Johnny, qui fait souvent des blagues sur le dos des blacks et qui a sa carte au KKK - He tolerated other races - he had to - but it was pretty clear that he did not like them - Côté sexe, Danny Fields rappelle que les Ramones étaient monogames. Tout le monde baisait tout le monde en tournée, sauf les Ramones. Jusqu’au moment où Johnny baise la copine de Joey, lequel Joey le prend très mal - He destroyed the relationship and the band right there, amongst other things - Mais Johnny rappelle aussi sec que la relation était déjà détériorée. Ça remonte au temps où Tommy a quitté le groupe. Les choses empirent au moment d’End Of The Century quand Joey dit à Totor qu’il envisage une carrière solo. Johnny : «I wasn’t totally happy with the direction of the band on the album. Internally, things started to deteriorate around ‘79.» Quand Dee Dee était dans le groupe, tout le monde s’en prenait à lui. Quand il est parti, ce fut le tour de Joey. C’est comme ça qu’ils passaient le temps. Mais sur scène, ça ne se voit pas. Monte : «They knew they had a good thing going. Vers la fin, ils ne pouvaient plus se supporter, mais ils montaient sur scène and play a show and you’d never know. That was the Ramones magic.» Puis Monte sent que Joey va lâcher, alors il le prend totalement en charge, ce qui rend les autres jaloux. Joey prenait soin de sa voix et demandait à ce qu’il y ait une piscine dans l’hôtel. Il nageait et soignait sa voix dans le sauna.

             Malgré tous leurs bons albums et leur légende, les radios américaines ne veulent toujours pas des Ramones. Danny Fields : «Fuck radio. Radio is the stupidest, most backward white-man-is-now medium out there. It is populated with the dumbest shit and is the most cowardly of all forms of show business.» Les Ramones sont trop punk pour la radio - Speed, volume and guitar attack wasn’t synonymous with pop - Joey ne cache pas sa fierté : «We’re the only band that stuck up to its original ideal. Everybody else either went the sound of Bruce Springsteen or Elvis Costello or went disco or reggae. We never went the way of the Clash. We never wanted to go into, the discos that bad. It’s bullshit.» Cela s’appelle une profession de foi. Danny Fields ajoute que les Ramones sont devenus célèbres sans radio ni MTV, «and it’s the type of fame you can’t translate into record sales.» Mais Joey et Dee Dee ne veulent plus de Danny comme manager. Il votent à deux contre un (Johnny) contre lui. Joey et Dee Dee veulent le manager des Talking Heads, Gary Kurfirst. Ils voulaient juste renverser le pouvoir, c’est-à-dire Johnny et Danny. C’est aussi con que ça. Par contre, ils restent tous fidèles à Ed Stasium, qui va enregistrer 9 albums avec les Ramones, à partir de Too Tough To Die. Monte : «If I was the fifth Ramone, then Ed soon became the sixth.»

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             Et puis il y a cet épisode clé dans l’histoire des Ramones : la rencontre avec Totor qui jurait à Ed Stasium qu’il allait faire des Ramones «the biggest thing since the Beatles. He was convinced of this.» Mais Johnny était contre ce projet depuis le début. Totor les harcelait depuis Rocket To Russia et Road To Ruin. Johnny revient aussi sur la pochette d’End Of The Century. Il y avait la photo avec et la photo sans les leather jackets. Dee Dee et Joey ont voté pour la photo sans les leather jackets. Johnny et Marky voulaient l’autre. Mais comme la voix de Marky ne comptait pas, Dee Dee et Joey ont gagné. Johnny : «That was Dee Dee and Joey trying to get the power away from me.» Les sessions d’End Of The Century furent terribles, selon Ed Stasium, «espacially for Johnny who hated Phil. Joey loved Phil». Les sessions durent des heures et Johnny en a ras le bol du take after take. Ils jouent «This Ain’t Havana» 353 fois, «over and over at absurd volumes.» Joey exulte : «It was a Frankenstein experiment. Everybody in the band hated working with Phil but I enjoyed it because he was so sick. He was so nuts that it was kind of pleasant. I was working with a master. I learned a lot.»   

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             Quand Dee Dee entre dans sa phase rap, il collectionne les montres, puis les tatouages. Sur scène, il ne joue pas les bonnes basslines. Johnny demande au roadie Little Matt de le débrancher. Puis Dee Dee quitte les Ramones. Il ne supporte plus que Johnny lui donne des ordres, tu t’habilles comme ci et tu te coiffes comme ça. Terminé. Andy Shernoff : «Dee Dee was a nut job, but I never thought he would leave.» Alors évidemment, après, ce n’est plus la même histoire.

             Johnny dit aussi que les années 80 ont été rudes - We were out there by ourselves. There was no punk rock movement. If there was any, it was really underground. It was a lonely decade. Those were the hardiest years. We are so in our own world we barely even noticed. It was rough - Alors que les autres Ramones voulaient évoluer, Johnny ne voulait pas, «he wanted to keep it the way it was. He knew it would become a cult thing and he was right. it worked.»  

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             Encore un big album avec Mondo Bizarro. T’y trouves une belle cover des Doors, «Take It As It Comes». Joey passe en force. Johnny : «We did a Doors cover, ‘Take It As It Comes’. It was my idea which nobody liked at first.» Et ça grouille de coups de génie sur ce Mondo, à commencer par «Censorshit», pur power de la Ramona, l’équilibre parfait du rock power/chant/chords, bien profilé sous le vent new-yorkais. Encore de la fantastique énergie avec «The Job That Ate My Brain», Joey injecte tout son sucre dans cet enfer. T’as encore du son à gogo dans «Poison Heart» et du full blown dans «Anxiety», Johnny te gratte ça à la vie à la mort et Daniel Rey fout le feu par derrière avec ses licks thunderiens. Magie pure encore avec «It’s Gonna Be Alright». Joey est le roi de la magie, il est le Merlin du punk new-yorkais, te voilà arrivé au max des possibilités du rock new-yorkais. Joey passe encore en force sur «Tomorrow She Goes Away», il chante au raw du raunch. Joey est un génie, au sens d’Aladin, il sort d’une lampe, hey hey ! Les Ramones n’ont jamais été aussi flamboyants. Joey n’en finit plus d’enfoncer son clou dans la paume du mythe. T’as les pires heavy chords de la Ramona dans «Cabbies On Crack» et ça se termine On The Beach avec un «Touring» digne des grandes heures des Beach Boys. Franchement, que demande le peuple ?       

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             Paru en 1993, Subterranean Jungle reste un bon album. Pourquoi ? Parce qu’«In The Park», véritable chef-d’œuvre de buzzsaw pop un brin On The Beach, avec le génie Joey aux harmonies. Parce que «Time Bomb», et tous ces réflexes power pop extraordinaires. Le génie Joey te chante ça très laid-back. Parce que la petite cover du «Little Bit O Soul» de Music Explosion. Parce qu’«Outsider», du très grand yeah yeah yeah et un couplet chanté par Dee Dee. Et surtout parce «Time Has Come Today», fantastique hommage aux Chambers Brothers, tic tac coucou, ça ramone bien à la Ramona et les autres font hey ! Et puis sur la red Rhino, t’as des bonus, et là tu te régales, car t’as l’impression d’être en répète avec eux. Rien de plus juteux que les démos de la Ramona, notamment «Bumming Along» avec un Joey scintillant all over la Ramona, puis «My-My Kind Of Girl» où le génie Joey ramène tout son sucre et chante comme un dieu.

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             Acid Eaters ! Big-o big one ! Johnny explique qu’ils n’auraient pas pu faire cet album de reprises plus tôt, car il aurait fallu les adapter au style des Ramones, comme ils l’ont fait avec «California Sun». C.J. chante sur «The Shape Of Things To Come» et «My Back Pages». On perd la Ramona. Quelle tragédie ! Mais Joey se tape la part du lion avec «When I Was Young» où il fait son Burdon. Il explose le Burdon ! Marky rafle la mise sur le «7 & 7 Is» du roi Arthur. Ramona all over ! Ils triplettent la roulette de Belleville et Marky fait tout le boulot. Boom badabooom ! Et pourquoi c’est le plus bel album de covers de tous les temps ? À cause des six covers mythiques : «Substitute» (avec Pete Townshend dans les backing vocals, c’est du full blown de London Town in New York City. Power extrême), «Out Of Time» (Joey réinvente le Swingin’ London au sucre demented, il accroche chaque syllabe à la vie à la mort, c’est chargé de tout le barda du monde), «Somebody To Love» (Joey évince la Grace de l’Airplane), «Have You Ever Seen The Rain» (fantastique explosion nucléaire, les Ramones la ramènent au I know et au pur génie pulsatif, hommage suprême à Fog), «I Can’t Control Myself» (Joey y va au bah bah bah bah mythique, il tape ça en mode I can’t control maïséééé, et Johnny gratte des poux de rêve, il noie le mythe dans son wall of sound) et puis pour finir, le «Surf City» de Jan & Dean, pur jus d’On The Beach. T’as là la vraie racine du rock californien.

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             Et voilà l’album des adieux : Adios Amigos. Johnny : «This album has perhaps the best of all the guitar sounds I ever got. Daniel Rey produced it and he knew the Ramones were a guitar group. He also played the leads on here.» Et plus loin, il ajoute que C.J. chante quatre cuts («Making Monsters & Freaks», «The Crusher», «Cretin Family» et «Slatter Gun») Dès que Joey ne chante pas, on perd la magie des Ramones. Pur Ramona power avec «I Don’t Want To Show Up» - One two three four ! - C’est droit dans l’axe : Ramona intacte avec tout le sucre de Joey et le buzzsaw de Johnny. Joey oh-yeate son oh yeah dans la pire power-pop de «Life Is A Gas». Clameur éternelle ! T’as une espèce de suprématie, comme si les Ramones régnaient comme des Empereurs en perfecto sur la Rome du rock. Ça sonne comme un fait établi, cette pop est tellement pure, aussi pure qu’au premier jour. Joey te drive «Take The Pain Away» vite fait bien fait, avec Johnny en support tutélaire. Et puis t’as cet «Have A Nice Day» tapé dur dans l’oss, Joey chante aux parois nasales, à la niaque de la 25e heure. Encore un coup de génie avec «Got A Lot To Say», Johnny gratte la destruction massive, il jette tout son dévolu dans cette dernière bataille et Daniel Rey passe un killer solo flash. Ce dernier album est bardé de tous les symboles. C’est un album magnifique. «Born To Die In Berlin» sonne comme «Chinese Rocks». Mêmes accords. On reste dans les Heartbreakers avec cette cover mythique de «Baby I Love You» qui s’appelle ici «I Love You». Joey n’en fait qu’une bouchée, I really do, et Daniel Rey fait son Johnny, l’autre, le Thunders. T’es assez fier de faire partie des fans des Ramones. C’est aussi bête que ça.

             Joey avoue qu’il en avait assez après 22 years of constant touring - I definitively loved aspects  of the band, the live performances, the fans, but I had my fill. It was time to have a life - Mais plutôt que de jouer leur dernier concert à New York, ils le jouent à Los Angeles, parce que Johnny y vit. CJ : «It was ridiculous.» Ils ont des invités sur scène, Lemmy, Tim Armstrong et Eddie Vedder.

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             Les Ramones ne pouvaient boucler leur bouclard qu’avec une bombe atomique : We’re Outta Here est l’enregistrement live de leur dernier concert d’août 1996 au Palace de Los Angeles. Festin ramonesque de 32 cuts, mélange détonnant de coups de génie («Blitzkrieg Pop», «The KKK Toook My Baby Away», «Pet Semetary») et de cuts mythiques («Chinese Rock») Et si les Ramones étaient le groupe parfait ? Et si Joey était le chanteur parfait ? Tu sens le souffle dès «Teenage Lobotomy». Leur arrivée sur scène est dévastatrice. C.J. fait son Dee Dee et lance tout au one two three four! Joey chante comme un canard sur «Do You Remember Rock’n’Roll Radio» et une chape de plomb tombe sur la salle avec «I Believe In Miracles». Ramona power ! Ils sont insurpassables ! Quand ils font de la power pop avec «Rock’n’Roll High School», ils le font avec tout le power du monde. «I Wanna Be Sedated» te plonge au cœur du cyclone de la Ramona. Ce live est une véritable aventure. Les Ramones sonnent comme une aventure. Kings of cartoon ! Joey se jette dans le KKK avec tout la rage mythique dont il est capable. Il monte ses couplets comme ceux que montait Totor, aw yeah ! Joey reste au faîte de sa Ramona avec «I Just Want To Have Something To Do» et t’as «Judy Is A Punk Rocker» qui te tombe sur le coin de la gueule, aw yeah, Joey avale bien ses syllabes, sheenes/ punroka, le voilà au sommet du mythe, et ils enchaînent avec un «Rockaway Beach» ful-gu-rant. Ils transforment tous leurs hits en rouleaux compresseurs. Ils battent encore tous les records de trash-punk avec «Do You Wanna Dance» et Johnny remonte un Wall of Sound vite fait pour «Someone Put Something In My Drink». Encore une fournaise du diable avec «Cretin Hop», «R.A.M.O.N.E.S» sonne comme l’hymne new-yorkais, «53rd & 3rd» comme l’hymne de la Ramona, et «Chinese Rock» comme l’hymne national américain. Tu sors de là complètement rincé. 

              Quand tout ça est fini, Monte flippe : «After the Palace show I had no idea what to do with the rest of my life. I had put everything I had into The Ramones and now it was all over. I tried to start a normal life, but I didn’t know how.»

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    Johnnu and Lisa

             Une fois installé à Hollywood, Johnny commença à retourner sa veste et à fréquenter la jet set - the life of the rock star - Monte dit qu’il traîne avec Vedder, Rob Zombie, Green Day, Rancid, Nicolas Cage et Lisa Maria Presley. Monte donne encore des coups de main aux survivants, comme Dee Dee pour enregistrer Greatest & Latest, un album de covers des Ramones avec Chris Spedding.

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             Et voilà qu’arrivent les conclusions : «If Joey was the band’s heart, Dee Dee was the soul and original drummer Tommy the mentor. Johnny was the drill sergeant, leading the group from battle after battle and off and it was he who oversaw the band’s destiny.» Johnny : «Nobody can sound like us. It is very difficult to do. No one can play the guitar like that, and the drumming is very difficult, too. No one can do down-strums. They have trouble getting through one song of down-strums.»

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             C’est à Rodney Bigenheimer, the Mayor of Sunset Strip, que revient le mot de la fin : «In the history of rock’n’roll, there’s Elvis Presley, The Beach Boys, The Beatles and The Ramones. They changed the whole punk history and the whole rock history. Even the Sex Pistols were influenced by The Ramones.» Bizarre que le Mayor of Sunset Strip oublie de citer Bob Dylan.

             Signé : Cazengler, Ramone sa fraise

    Ramones. Pleasant Dreams. Sire 1981

    Ramones. Animal Boy. Sire 1986

    Ramones. Halfway To Sanity. Sire 1987

    Ramones. Brain Drain. Sire 1989

    Ramones. Loco Live. Chrysalys 1991

    Ramones. Mondo Bizarro. Radioactive 1992

    Ramones. Subterranean Jungle. Sire 1993

    Ramones. Acid Eaters. Chrysalis 1993

    Ramones. Adios Amigos. Radioactive 1995

    Ramones. We’re Outta Here. Radioactive 1997

    Monte A. Melnick & Frank Meyer. On The Road With The Ramones. Independently published 2019

     

     

    Inside the goldmine

     - Junior on le connaît Parker

             Il est des gens que tu rencontres et qui te marquent à vie. Parcourt fait partie de ces gens-là. Tu commences par lui donner le bon dieu sans confession, c’est-à-dire que tu lui accordes ta confiance. Tu ne te poses même pas la question de savoir s’il saura s’en montrer digne. Tu marches à l’instinct. Tu sais aussi qu’une relation se bâtit dans le temps. Alors tu donnes du temps au temps et tu alimentes en dosant bien : un peu de musique, un peu de littérature, un peu de cinéma, quelques éléments succincts d’autobiographie, deux ou trois points de vue, non pas sur l’actu qui n’a jamais servi à rien, mais sur la vie et la mort. La relation se développe et s’équilibre. Parcourt réagit bien, il alimente lui aussi, et tu montres que tu es preneur, mais sans te forcer à accepter ce qui ne te convient pas. La base d’une relation équilibrée repose sur l’honnêteté morale et intellectuelle. C’est le seul moyen d’éviter les zones d’ombre et les prises de bec. Quand au fil du temps, tu vois poindre les premiers défauts, tu tentes de nier ta déception. Tu te dis que ce n’est pas si grave, même si tu vois Parcourt esquinter certaines règles tacites. Par exemple, il va te photographier comme le font tous les cons aujourd’hui sans te demander ton avis. Tu lui redis pourtant la règle d’or : n’inflige jamais à quiconque ce que tu ne voudrais pas qu’on t’inflige, mais il ne comprend pas. Cette incompréhension te met la puce à l’oreille. Tu réalises soudain que tu t’étais fait une idée de Parcourt qui ne correspond pas à la réalité. Et tu conclus amèrement qu’au terme d’une vie consacrée à l’étude approfondie de la condition humaine, tu peux encore te fourrer le doigt dans l’œil en prenant les vessies pour des lanternes. Mais en même temps, tu refuses de porter la responsabilité de cet échec. Tu te demandes encore pourquoi Parcourt t’a bluffé. Est-il rusé comme un renard, ou roué comme le petit paysan qu’il n’a jamais cessé d’être ? Est-il abandonné de Dieu ? Joue-t-il un rôle ? Et pourquoi le jouerait-il aussi mal ? Il finit par te faire pitié.

     

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             Alors que Parcourt ruse sans avoir les moyens de la ruse, Parker crée sa légende. Il en a largement les moyens. En plein milieu des fifties, à Memphis, Junior Parker est entré dans la caste des géants du blues et de la Soul. L’un de ses premiers admirateurs fut Elvis.

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             Si on veut plonger dans la jeunesse du grand Junior Parker, il est conseillé d’écouter une vieille compile Ace de Little Junior Parker & The Blue Flames, I Wanna Ramble. C’est un album de gros jumpy jumpah avec ses solos de sexy sax. Alors attention, c’est Pat Hare qu’on entend sur «Can’t Understand», un fantastique boogie blues de down on the highway, qui sera pompé par Creedence sur down the highway. Tous ces cuts datent de la période 1954-1956, c’est du Duke  et l’heavy blues de «Driving Me Mad» va t’envoyer au tapis. En B, t’as le «5 Long Years» d’Eddie Floyd, un heavy blues d’I’ve been mistreated. Ces mecs savaient déjà tailler une route. Et puis t’as ce «Pretty Baby» qui va te liturger les abbatiales à coups de don’t like my automobile. Heavily balanced !

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             En 1962, Little Junior Parker pose avec sa Cadillac pour la pochette de Driving Wheel. Avec «I Need Love So Bad», il atteint une sorte d’apothéose de la Soul de blues, logique car signé Percy Mayfield. Il réédite l’exploit avec «Tin Pan Alley», monté sur un bassmatic délicieusement élastique. Il reste dans l’heavy blues d’harangue avec «Someone Broke This Heart Of Mine» et passe en mode boogie cavaleur avec «Yonder’s Wall». Par contre, il ne fait pas l’apologie de la «Sweet Talking Woman». Pourquoi ? Parce qu’elle lui a barboté all of his money. Les ceusses qui ont eu la bonne idée de rapatrier la red sont quasiment tous morts d’overdose : 15 bonus explosifs ! À commencer par «Mystery Train», la racine d’Elvis. Junior fait bien l’Elvis au train arrives et au Train train/ Comin’ on round the bend. T’as aussi «That’s Just Alright» tapé aux riffs carnassiers, inégalable ferveur primitive ! Il passe en mode big band avec «Peaches», Junior swingue sa chique, I know I know I know ! Dans tous les cas de figure, Junior a la classe. Encore un heavy boogie de fantastique allure : «Pretty Baby», et son «Sometimes» vaut toutes les versions de «Dust My Blues» jouées en Angleterre.

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             Paru en 1970, The Outside Man est ressorti sous une pochette beaucoup sexy et un autre titre : Love Ain’t Nothin’ But A Business Goin’ On. Quel album ! Junior est tellement à l’aise qu’il fait plaisir à voir, whoooo yeah ! Il attaque «The Outside Man» au big time out, machines de bassmatic avant toutes et Junior saute en croupe.

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    Magnifique groover ! Il manie à la fois le smooth et le raw. Il tape trois covers de Beatles sur cet album béni des dieux, à commencer par «Taxman». Ah il faut le voir groover entre les reins du Roi George ! - ‘Caus I’m the taxman ! - En B, il tape «Lady Madona» en mode Parker, il groove bien le butt des Beatles, il y va au whooo finds the money/ When you pay the rent ! Et il enchaîne avec l’encore pire «Tomorrow Never Knows», l’ancêtre de la psychedelia. Seul Junior peut se permettre ce luxe indécent. Il fait sa psyché. L’autre grosse cover de choc est celle du «Rivers Invitation» de Percy Mayfield. Il te groove ça à coups d’all across the country et d’I’m trying to find my baby. Il ne la trouve pas, alors il parle à la rivière, I spoke to the river/ And the river spoke back to me, il te swingue ça à la folie. Junior est un fantastique chanteur de charme, tu succombes en permanence. Il est certainement l’un des Soul Brothers les plus accomplis, la beauté n’est pas que dans la mélodie, elle est aussi dans le chatoiement de ses accents chantants. Il vibre littéralement son chant. Avec «You Know I Love You», il passe le blues en mode Soul de satin jaune.

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             Like It Is n’est pas vraiment son meilleur album. On y trouve deux beaux boogies, «Wish Me Well» et «Come Back Baby». Junior les mène de main de maître. On sent un brin de modernité dans son «Country Girl» - My little girl is a country girl - Et il groove comme un crack son «(Ooh Wee Baby) That’s The Way You Make Me Feel», il laisse filer sa note au chat perché. Il se prend pour une poissecaille dans l’heavy boogie blues de «Just Like A Fish» et il supplie sa baby de revenir dans «Baby Please». Toujours la même histoire : Baby please come back/ I need your love to set me free.

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             Tu te sens toujours bien en compagnie de Junior. Ce que vient confirmer Honey-Dripping Blues. La perle de l’album est sa cover du «Reconsider Baby» de Lowell Fulsom. Il y va à l’I hate to see you go, ça joue fabuleusement, et Junior y va encore, The way that I wish you/ I guess you never know - Il plonge dans le caramel d’«Easy Lovin’» au me & you easy lovin’ baby. Il enchaîne avec le fabuleux Soul blues d’«I’m So Satisfied», cuivré à outrance. Quel album ! Encore un somptueux froti-frotah de Soul : «You Can’t Keep A Good Woman Down», violonné jusqu’à l’horizon. Junior a des orchestrations de génie. Il est encore le crack du marigot avec «Lover To Friend» et te charme dès l’intro de «Your Bag Is Bringing Me Down». Il est à l’aise partout. Junior groove dans la dentelle. C’est un régal permanent que de le voir à l’œuvre.

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             En 1969, Little Junior Parker enregistrait Blues Man sur Minit, le label de la Nouvelle Orleans. Pas l’album du siècle, mais on y trouve un Heartbreaking Blues mené à la glotte ultra sensible, «Get Away Blues». Il sait faire jouir un blues. Mais c’est le son Nouvelle Orleans qui domine l’album : «Let The Good Times Roll», «I Just Get To Know» et «I Found A Good Thing». Saluons aussi «Every Night & Every Day», un heavy blues de treat me right, et il y va, le Junior, au that’s how I love you. On peut lui faire confiance.

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             Entre 1971 et 1972, Junior Parker va enregistrer trois albums : You Don’t Have To Be Black To Love The Blues, Jimmy Mc Griff Junior Parker, et I Tell Stories Sad And True etc. Un petit black croque une pastèque sur la pochette du premier, le plus intéressant des trois. Junior Parker est un fantastique crooner de blues. Il le roule dans la farine divine, il en fait un blues velouté gorgé de feeling. La viande se planque en B. Il attaque avec un cut de Percy Mayfield, «I Need You So Bad». C’est la meilleure des conjonctions : Junior + Percy. Il chante au feeling subliminal. «Look On Yonder Wall» est un boogie écœurant de classe, et il bat encore tous les records de feeling avec «Man Or Mouse» - Sometimes I wonder/ I’m a man or mouse - C’est un bonheur que d’écouter Junior chanter.  

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             Tu sauves un Heartbreaking Blues sur Jimmy Mc Griff Junior Parker : «Don’t Let The Sun Catch You Cryin’». On croise aussi un «Baby Please Don’t Go» crédité à Muddy et on retrouve le «Five Long Years» d’Eddie Floyd.

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             Et puis voilà I Tell Stories Sad And True etc. Deux covers de choc : «Funny How Time Slips Away» de Willie Nelson (Soul de blues et belles fondues de falsetto léger, merveilleux crooner), et «The Things That I Used To Do» (Classique insurpassable de Guitar Slim). Il tape aussi dans Hooky («I Done Got Over It», heavy boogie blues drivé à la plaintive) et dans le «Stranger In My Own Town» de Percy Mayfield. On s’extasie sur la profondeur du croon.

    Signé : Cazengler, stylo Parker

    Little Junior Parker & The Blue Flames. I Wanna Ramble. Ace Records 1984. 

    Little Junior Parker. Driving Wheel. Duke 1962  

    Junior Parker. Like It Is. Mercury 1967 

    Little Junior Parker. Blues Man. Minit 1969 

    Junior Parker. Honey-Dripping Blues. Blue Rock 1969

    Junior Parker. The Outside Man. Capitol Records 1970 ( =Love Ain’t Nothin’ But A Business Goin’ On)

    Junior Parker. You Don’t Have To Be Black To Love The Blues. Groove Merchant 1971 

    Junior Parker. Jimmy Mc Griff Junior Parker. United Artist Records 1972

    Junior Parker. I Tell Stories Sad And True etc. United Artist Records 1972

     

     

    Wheeldon du ciel

     - Part Two

     

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             Avec Nick Wheeldon, c’est pas compliqué : tu pars à l’aventure. Son œuvre s’apparente à une jungle, mais pas la jungle de tous les dangers, comme celle de la forêt amazonienne, non, il s’agirait plutôt de la jungle du Douanier Rousseau, délicieusement exotique et dont on observe minutieusement tous les détails. Nick Wheeldon a joué dans une myriade de groupes, alors tu peux partir à l’aventure. Comme tout n’est pas accessible, ça te simplifie la vie, t’es pas obligé de tout écouter.

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             En 2017, il jouait dans 39th & The Nortons et enregistrait The Dreamers. Big album. Avec Nick Wheeldon, le big albuming est quasiment automatique. Il suffit d’écouter «If It’s So Easy» pour en être convaincu. On sent bien le dévolu dans ce Big Atmospherix, il va chercher le pathos profond, les échos de John Lennon sont indéniables. Il éclate encore au grand jour avec un «I Ain’t Hiding» noyé d’orgue. Tu te régaleras de la merveilleuse qualité de l’attaque et du son de «Step Into Your World». La tension d’orgue amène du souffle, tu sens le véritable élan du songwriting. Tiens, encore un cut parfait avec «Without You», une belle pop-song noyée dans son jus. Chaque cut induit sa propre puissance. Nick Wheeldon crée son monde cut après cut, un monde de compositeur. Il est dans le même trip que Robert Pollard. Seule compte la beauté du geste. Avec «On My Own», il dégomme encore la pop et son aplomb n’en finit plus d’impressionner, et puis t’as un solo de flûte mercuriale. Tu vas trouver un son de rêve dans «Deserve Each Other», un son fruité, épais, chargé d’écho et le Nick entre à la harangue en ville conquise. T’as là une compo qui regorge de développements avec des chœurs soignés, et un son en sous-main qui vaut tout le nec plus ultra de Geno, le Nick t’embarque ça au big time out. «Deserve Each Other» est une grosse compo évolutive noyée de son et d’écho. Il flirte avec le No Other. On regagne la sortie avec le très entêtant «Looking For Tears», un cut farci de sonorités psychédéliques. Nick Wheeldon cultive son art avec délectation, il en cultive toutes les directions, il va là où son vent le porte, c’est extrêmement inspiré. 

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             Il récidivait l’année suivante avec un album génial, Mourning Waltz. Pourquoi génial ? Parce que «21.01». Eh oui, il y va au tell me how, alors ça push le push à l’heavy psychout, et le groove grouille de poux, et c’est un bel enfer sur la terre du jingle jangle. Le lead est un crack, il s’appelle Loik Maille. Parce que «Caroline», ersatz Beatlemaniaque sur lequel le crack Loik fait encore des étincelles. Parce que «Baby Blue», cette grande pop élancée qui bat encore tous les records, brillante et même glorieuse, avec in Loik in tow, ce mec ne plaisante pas, il claque du slinging de choc. Parce que «Realise», Wheeldon y va au calling your name, c’est encore une pop inconnue qui sort de la jungle, velue et efflanquée, une pop aux joues roses, allègre et alerte, illuminée de l’intérieur par le slinging du crack Loik, et quelle puissance d’I realise ! Et puis t’as ce «Walking Slowly» en ouverture de balda qui sonne très Television Personalities, gentle et raffiné, et puis ce «White Light» encore plus gentle et raffiné, qui renvoie directement chez Syd Barrett.

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             Autre épisode passionnant : Os Noctambulos. Tu peux rapatrier deux albums assez facilement, un 25 cm paru en 2017, The Devils, et un album paru deux ans plus tard, Silence Kills. Le 25 cm est assez largué, au bon sens du terme. Largué et spacieux, avec un petit Valentin Buchens qui s’amuse bien. Comme toujours chez Nick Wheeldon, c’est très inspiré, il reste très incisif, très porté sur la chose, c’est-à-dire sur l’ampleur, il a des orchestrations chatoyantes qui raflent bien la mise («Tangerine Boy»). On se régale du fabuleux fouillis de guitares en B, dans «Cucaracha», un cut qui regorge de richesses. Et avec «Nowhere», on assiste à un fantastique passage en force. C’est un mini-album de très grande masse volumique.

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             On retrouve Valentin Buchens sur Silence Kills. Très vite, tu croises un «Living A Lie» doucement psyché, très Barrett dans l’esprit. T’as même parfois l’impression qu’ils jouent avec des pincettes : le meilleur exemple est ce cut nommé «You Walked Away», délicieusement psychédélique, mais ils te jouent ça en finesse, sans en rajouter. Tout est gentle et sacrément friendly. Par contre, ils s’énervent un peu sur «A Man Needs A Home», ils flirtent avec le vif argent de Moby Grape. Ils repartent toujours à l’attaque. C’est un album courageux. Nick Wheeldon a une belle équipe derrière lui. Pas d’hits, mais du son à gogo et surtout une musicalité exemplaire qui puise dans la meilleure veine pop-psyché anglaise des années phosphorescentes.

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             On ne perd pas son temps à rapatrier l’Hopeless Friends des Creep Outs, un album que Nick Wheeldon a enregistré en 2008 avec Andrew Anderson. Ils proposent une heavy pop bien raclée du sacrement. Ils cultivent la clameur. Ils te cueillent au menton dès «Beautiful Eyes». T’as aussitôt le fantastique swagger de la fast pop anglaise et tu t’effares de leur incroyable allure, ils grattent comme des démons. Prépare tes adjectifs, car ça monte ! Nouvelle dégelée avec «What I’m Missing», bien glammy dans l’esprit, mais pulsé, yeahhh ! C’est de l’early Roxy explosé aux black bombers. On reste dans la fière allure avec «Treat Her Gently», ils attaquent ça de front, t’as là un archétype d’ampleur considérable, bien doublé au beurre. Ils restent dans la densité maximale avec «You Don’t Have To Lie» et un killer solo troue le cul du cut. Si tu veux voir le fantôme de Syd Barrett, tu vas le trouver dans l’heavy mélasse psychédélique de «Stay A While». Quel fabuleux cloaque ! Ces deux mecs disposent de toutes les ressources naturelles. Un petit shoot de proto-punk te ferait plaisir ? Alors voilà un «Treat Me Wong» criant de véracité. On passe à l’heavy déhanchement de rock anglais avec «Yours To Keep». Les Creep te creepent le chignon. Léger parfum de Small Faces. «They Don’t Love You» pourrait bien figurer sur l’un des grands albums de Wild Billy Childish. Ça groove aux accords de clairette. Retour au full blown avec un «Guess It’s All Over» bien foutraque et bien jeté dans la balance. Tu sors complètement rincé de cet album.

             Tu repars à la chasse, mais pas mal d’albums de Nick Wheeldon sont sortis de l’écran radar. En attendant Godot, tu vas devoir te ronger l’os du genou.

    Signé : Cazengler, Nick Wheeldinde

    The Creep Outs. Hopeless Friends. Off The Hip 2008

    Os Noctambulos. The Devils. Stolen Body Records 2017

    Os Noctambulos. Silence Kills. Stolen Body Records 2019

    39th & The Nortons. The Dreamers. Stolen Body Records 2017

    39th & The Nortons. Mourning Waltz. Croque Macadam 2018

     

    *

    J’ai toujours aimé ce groupe. Je ne l’ai jamais écouté. Mais leur nom m’a toujours fait rêver. Parfois le rêve est préférable à la réalité. Il faut savoir remettre à demain ce qui risquerait de vous décevoir aujourd’hui. Oui mais là, ils frappent un grand coup. Que dis-je : deux. D’abord la couve, magnifique. Quand j’ai vu le titre, j’ai sursauté, ils abordent un thème dont personne ne parle. Pourquoi ce silence. Ce n’est pas la peur. Ce n’est pas parce que ce serait dangereux. Non simplement par pudeur. Désolé ce n’est pas une question d’entre cuisse.

    ECHOES IN ETERNITY

    AGNOSTIC FRONT

    (Reigning Phoenix Music / Octobre 2025)

             En règle générale je désapprouve ceux qui se cachent derrière les mots commodes. Ils ne vous diront jamais : il y a un Dieu. Ou alors : je suis athée. Non ils se drapent derrière le cache-sexe de la savante ignorance. Ils ne savent pas. Ils ne prennent pas parti. Pour sûr ils ont réfléchi au problème, longuement, ils ont lu, ils en ont discuté avec leurs amis et la moitié de la population mondiale, ils pensent avoir trouvé l’arme imparable, le parapluie de la modestie : ce n’est pas ma petite personne pas très fûtée qui va trancher la question. Ne leur vient même pas l’idée qu’il pourrait y avoir d’autres réponses possibles.

             Pourraient peut-être se poser la question autrement : par exemple comme Aristote : pourquoi n’y-at-il pas rien ? Et ensuite essayer de définir cette chose qui n’est pas rien. Agnostic Front y répond à sa manière : ce qu’il y a : c’est une société injuste. Comme c’est un groupe hardcore : ils diront plutôt : une société de merde. Aussitôt ils ajoutent : il faut la détruire.

             Evidemment c’est politique. Et comme selon Clausewitz : ‘’ La guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens ‘’ en toute logique ils ont posé le vocable ‘’ front’’ à forte consonnance guerrière à la suite du mot Agnostic. Illico, on comprend où ils veulent en venir. Ne vous étonnez pas si par hasard vous apercevez, infâme stigmate, le sticker : Parental Advisory / Explicit Content, sur leurs pochettes.

             Ernie Parada a participé à de nombreux groupes dans lesquels il tient ou la guitare ou la batterie. Il est aussi graphiste. Si vous souffrez de dépression abstenez-vous de visiter son site. Toutes ses œuvres expriment un infime solitude, des êtres humains et des choses. Un regard sans complaisance, sans outrance. Parada offre à voir cet essentiel anecdotique qu’il ne nous donne pas en spectacle, son intention est de faire remonter à la surface de ses images l’extrême profondeur de leur horrible signifiance.

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             Apparemment ce n’est pas la liberté guidant le peuple. Un gamin, oriflamme noire en main, qui marche d’un pas décidé. Jusque-là tout va bien, mais pourquoi a-t-il les yeux bandés. Le groupe voudrait-il nous dire que malgré nos certitudes les plus résolues  l’on avance  toujours en aveugle… Il existe un Official  Music Vidéo dont la première image utilise la même image colorisée en teinte jaunâtre, qui précède la vidéo que nous allons commenter. Nous écouterons d’abord le son, issu d’un vieux film américain de John Frangenheimer tourné en 1952 dont le titre français Un crime dans la tête est beaucoup plus explicite que l’original. Le scénario est complexe : un soldat américain prisonnier qui a subi un lavage de cerveau assez special, les services secrets communistes possèdent ainsi au cœur des USA un agent dormant qu’ils peuvent  manipuler à distance, par exemple pour tuer un futur candidat à la présidence de la République… les images sont beaucoup plus sommaires, vues plongeantes sur des milliers de croix de cimetières, de guerre et de civils, suivies d’entrecoupements de scènes de combats, de bombardements, d’explosions nucléaires, parfois vous apercevez les victimes innocentes, notre gamin, ou par exemple des familles en train de déjeuner, tous les yeux bandés, les fameuses victimes collatérales parfois plus nombreuses que les troupes engagées… Le message politique s’éclaircit :  l’Etat vous élève pour mieux se servir de vous. Quel que soit la couleur du drapeau qu’il vous refile entre les mains.

             Petit apparté totalement hots-sujet : le film est assez prémonitoire quant aux rôles des deux Lee Harvey Oswald, tous deux agents de la CIA, dont un se touve mêlé à l’assassinat de John Kenedy…

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             Reste maintenant à interprêter le sens du titre : Echoes in eternity. Le groupe existe depuis plus de quarante ans. Il a été la figure centrale et fondatrice du mouvement hardcore new yorkais lors de leuRs apparitions au CBGB. Leur premier album est paru en 1984, depuis ils en ont produit une bonne quinzaine, ses fondateurs Roger Miret et  Vincent « Vinnie Stigma » Cappuccio, ne sont plus tout jeunes, l’heure de gloire du mouvement hardcore est passée, les  nouvelles générations se détournent en très grosse majorité de ces musiques revendicatrices, dans quelques années que restera-t-il de cette effulgence crépitante, personne n’en sait rien. Des civilisations entières ont disparu sans même que leurs noms nous soient parvenus… Que restera-t-il dans cent ans lorsque tous les témoins de cette aventure musicale aura été effacée des mémoires ? Agnostic Front se pose la question de la transmission ou de l’inanité à long terme de leur action… Nos actions résonneront au travers des siècles aimaient à répéter les officiers des légions romaines… En quoi les maigres échos qui nous en parviennent réflètent-ils la réalité de ce qui a eu lieu… Angoissantes réflexions, cet album d’Agnostic Front doit-il être interprété comme une bouteille sonore jetée à la mer des indifférences oublieuses.  Heidegger nous enseigne qu’il y a pire que l’oubli de l’être, c’est d’avoir oublié que l’on a oublié l’être.

    Vincent Cappuccio : guitare / Roger Miret : vocal / Mike Gallo : basse / Craig Silverman : guitare / Danny Lamagna : drums.

     Way of war : évidemment il n’y a pas l’extrait sonore du film de la vidéo sur l’album : le band ne perd pas de temps, vous saute à la gorge sans préavis, le pire c’est qu’ils disparaîtront aussi vite qu’ils sont apparus, faudra vous y habituer, chaque morceau est construit à la manière d’un braquage mental, une batterie fractale des guitares vibrionnantes, un vocal mordant et dévorant, un sacré ramdam, entre parenthèses incroyablement et inexplicablement mélodique, un véritable phénomène illogique, totalement inexplicable, pas le temps de s’appesantir, juste des mots d’ordre (ou de désordre) , ne vous laissez pas emporter par le maelström de la mort. Appel à la désobéissance. Civile et militaire. You say :  au cas vous n’auriez pas compris l’on vous secoue salement les puces, interdiction de rejeter vos manquements sur les autres. Le vocal en coup de poing. Pas de pitié. Vous renvoient le boomerang de votre incapacité, de votre lâcheté, en pleine gueule. Bien fait pour vous. Ne vous étonnez pas s’ils s’énervent à la fin. Matter of life and death : une

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    bonne branlée, une petite secouée mentale, ça ne fait pas de mal, le gars a compris, l’est maintenant un tigre en liberté dans les rues de la ville, il ne se défend plus, il n’avance plus en douce, il attaque, il n’est plus le vieil homme fatigué qui régnait en lui, l’est un adolescent empli de rage. Tears for everyone : urgence absolue, une batterie folle une guitare écartelée, un vocal tripal, la tempête est passée, il ne vous reste plus qu’à serrer les dents et à rependre le combat. Divided : comment font-ils pour être encore davantage violents et balancer encore plus violemment  chaque morceau, un couteau rouillé de solo, un vocal antifasciste fortement chaloupé, les fausses solutions contraignantes et la batterie qui emporte tout comme les vagues de la mer. Sunday matinee : une vidéo éclatée nous les montre sur scène devant des

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    images du CBGB, de l’énergie et de la joie d’être ensemble, moment de recharge des batteries et de communion. Des instants à ne pas rater car la musique underground est un bienfait commun. Profitons-en pour expliquer à ceux qui ignorent tout du hardcore : comparé au hardcore le punk est un gros matou endormi sur le canapé de la maison, quant au hardcore il est un tigre mangeur d’hommes qui enfonce la porte de votre demeure. Can’t win : auto-lavage de cerveau immédiat, une batterie qui secoue sans ménagement la poussière de vos méninges calcifiées par le découragement et un brossage revigorant pour vous remettre en pleine forme, prêt à vous battre. Turn up the volume : poussez le potard de la révolte à 13, chœurs masculins qui appellent à l’union, au combat, des mots lancés comme des grenades dégoupillées, dégelée de cymbales, les guitares donnent l’assaut, galopades, appel à la Révolution. Le peuple ne sera guidé que par lui-même. Art of silence : moins de cinquante secondes pour mettre les choses au clair, les marxistes diraient que les sentiments petits-bourgeois interindividuels ne doivent pas amoindrir le temps que vous devez à la lutte. Shots  fired : un bon ennemi est un ennemi mort, la vengeance est un plat qui se mange froid. Ce n’est qu’un début. Le genre de morceau, d’une telle violence, que beaucoup désapprouveront. Ils auraient tort. Hell to pay : ce titre pour ceux qui n’auraient pas compris le précédent, vous avez eu droit à la violence extérieure, voici l’intérieure, celle qui vous brûle d’un feu indomptable, avertissement sans frais, à tous ceux qui voudraient se mettre en travers de mon chemin. Evolution of madness : grincements, la folie monte, partout autour de moi et en moi, vases communicants, crachats de haine contre un monde qui va mal. Skip the trial : ne s’en prendre qu’à soi. Mieux vaut mourir de sa propre main que de celle du juge. Il y a toujours une issue de secours qui s’offre à vous. Cette apologie du suicide heurtera les consciences chrétiennes… Obey : les deux voies de l’obéissance, celle de la société, celle de la désobéissance qui n’est que l’obéissance à la nécessité de la lutte. Ne pas confondre avec le péremptoire  Indignez-vous ! si à la mode par chez nous voici quelques années, s’agit de gueuler dans le but de d’aider et de pousser le monde à péricliter. Au plus vite. Eyes open wide : nécessité de garder les yeux grands ouverts, afin de ne pas se perdre dans ses propres noirceurs, voir la situation pour mieux s’y confronter, même si c’est dur, pour mieux la combattre sans jamais mollir.

             Un disque dont il est impossible d’arrêter pour passer à un autre. Tous les morceaux sont un tantinet construits sur le même schéma sonore, c’est cette particularité qui   donne à l’album  sa force, qui vous empoigne et vous oblige à marcher à coups de coups de pied au cul. Idéologiquement le sentier est étroit, entre la révolte et l’appel à la lutte armée, l’on pense au MC 5… évidemment les temps ont changé, ils ne sont plus à l’optimisme…

    Damie Chad.

     

    *

             Tiens un groupe qui a pris un nom latin, c’est sympa, la langue de Virgile ce n’est pas de la petite bière, ben non, c’est le titre de l’album, alors c’est qui ? non de Zeus, ils l’ont bien caché ! J’aurais pu commencer autrement, un groupe qui sort un album en novembre, doit y en avoir plusieurs centaines, ben non, ils se distinguent ils en sortent deux, c’est plus rare, ah ! j’ai repéré le nom du groupe, c’est un chiffre : 1914, avec un tel blaze ils profitent de la date commémorative du 11 novembre. Non ils ne surfent pas sur l’actualité, z’ont déjà dix ans d’âge, le groupe s’est formé en 2014, par contre des monomaniaques, des enragés, un groupe qui a trouvé sa thématique, la guerre de 14-18 ! Après tout à chacun son dada, leur premier album sorti en 2015 ne se nommait-il pas Eschatology of War autrement dit les fins dernières de la guerre. S’intéressent de près au sujet…  Dans tous les cas, avec les millions d’obus échangés durant ce conflit, n’est-ce pas une véritable aubaine pour un band métallifère, rien de plus bruyant qu’un bombardement, et rien de davantage full metal sur votre jacket !  Y avait juste un détail minuscule que je n’avais pas remarqué.

    VIRIBUS UNITIS

    1914

    (Napalm Records / 2025)

             Que voulez-vous, parfois le hasard fait mal les choses. Ou alors bien, cela dépend de la manière dont vous les appréhendez. Parfois l’Histoire vous rattrape ou alors ils ont senti venir l’entourloupe. De la prescience. Par chez nous, personne n’y croyait. L’on criait au bluff. Z’étaient mieux placés que nous. Vous comprendrez pourquoi lorsque je vous aurais dit qu’ils sont de Liuv. Vous ne connaissez pas : c’est en Ukraine. Je n’entends ni prendre parti pour les Ukrainiens ou les Russes. Je déplore simplement tous ces morts sur les champs de bataille. Les villes détruites, les civils assassinés… Tout cet argent, des milliards, pour enrichir les marchands de canon… Soyons égoïstes, la guerre l’on sait quand et où ça commence mais pas où et quand ça finit. Regardez l’Espagne en 36 et l’engrenage qui s’en est suivi…

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             En tout cas, la couve est bluffante, très Death metal, au fond  la silhouette de la Mort, infatigable moissonneuse munie de sa faux tranchante, à ses côtés nous dirons l’ange exterminateur de l’apocalypse, au premier plan difficile de donner un nom à ces formes indistinctes, des cadavres, des combattants, des nids de mitrailleuses… mes pauvres yeux ne me permettent pas de voir mieux. Elle est signée par Vladimir ‘Smerdulak’ Chebakov, d’origine russe, l’a eu le déclic à l’âge de huit ans lorsque la pochette de Killers d’Iron Maiden lui est passée entre les mains. Depuis il dessine des pochettes pour des albums de metal. Son surnom signifie ‘’odeur’’, on la subodore mauvaise, en latin. Un art puissant et mortifère.

    K.K. LIR. Lemberg Nr.19 Fähnrich, Rostislaw Potoplacht : drums /

    k.u.k. Galizisches IR Nr.15, Gefreiter, Ditmar Kumarberg : vocal /

    K.K. LIR Czernowitz Nr.22 Oberleutnant, Witaly Wyhovsky : guitars /

    K.K. LIR Stanislau Nr.20 Zugsführer, Oleksa Fisiuk : guitars /

    k.u.k. Galizisch-Bukowina’sches IR Nr.24, Feldwebel, Armen Howhannisjan : bass /

    Les abréviations K. K. LIR : signifient : Régiment de réserve d’Infanterie Royal et Impérial / Les abréviations k.u.k. IR désignaient les Régiments d’Infanterie royale et impériale. Vous remarquez que chacun a choisi son régiment et son grade : enseigne, soldat, sous-lieutenant, caporal, sergent.

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    Par souci d’identification, les membres du groupe se sont symboliquement enrôlés dans une des compagnies d’un régiment de leur choix. En hommage à tous les morts de la première guerre mondiale et vraisemblablement pour mieux ‘’ coller’’ au récit mis en scène par l’album.

             En France nous connaissons avant tout la guerre de 14-18 par l’affrontement qui se déroula sur notre sol entre les troupes françaises et les troupes allemandes. C’est oublier le rôle important de l’Empire austro-hongrois dans le conflit. Si les allemands se chargeront du front Ouest, ils laissent dans un premier temps les Austro-Hongrois libres de mettre à genoux la Serbie, de l’Italie et de la Russie. L’empire Austro-Hongrois va peu à peu s’épuiser, qui trop embrasse mal étreint, le Reich Allemand se chargera plus tard du front russe, politiquement et militairement le Reich prendra l’ascendant sue les Habsbourgs. L’empire Austro-Hongrois, sera le grand perdant de la première guerre mondiale. Reste le problème de l’Ukraine – n’oublions pas que nos musiciens sont Ukrainiens -  longtemps dominée par la Pologne, puis par l’Autriche et la Russie qui toutes deux exercent une forte influence sur les régions qu’elles contrôlent. A la fin de la guerre, profitant de la défaite de l’Autriche la Pologne essaie de récupérer l’Ukraine… Ce rapide résumé d’un imbroglio géopolitique extrêmement complexe peut permettre de comprendre la trame historiale du récit de cet album. 

    Pour ceux qui répugneraient à  se plonger dans des livres d’histoire, je conseille deux romans, le premier, sans aucune prétention historique, Taïa d’Albert T’Serstevens se déroule au tout début du conflit lors de l’assassinat de l’Archiduc d’Autriche Franz-Ferdinand en juin 1914, le deuxième Le Don Paisible de Mikhaïl Cholokhov nous emmène chevaucher avec les Cosaques Ukrainiens durant la Révolution Russe… Deux bouquins haletants, d’aventures et politiques, qui aident à réfléchir.

    Dernière remarque, non dénuée d’ironie, le titre Viribus Unitis peut se traduire : par  les Hommes Unis. Viribus Unitis  était la devise de de François Joseph 1er (1830-1916).

    War In ( The begining of the fall) : : vous attendez un déferlement métallique, mauvaise pioche, un vieux disque qui grésille, un peu vieillot, démodé, bien loin d’une fanfare fanfaronne, un chant teinté d’une certaine nostalgie, hymne national qui fut celui du Reich Allemand, et de l’Autriche…  1914 : The siege of Przemysl :

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    Les Russes attaquent à Lemberg ville alors située en Autriche tout près de la frontière avec l’Ukraine, aujourd’hui Lemberg devenue Lvuv se situe en Ukraine. La forteresse de Przemyls fut prise par les Russes après cent jours de combat… Une Lyric  Video de Napalm Records offre photos et films… 1914 ne joue pas sur le tintamarre, la voix gronde comme le souffle d’un géant dont la respiration suffirait à évoquer la violence épique des combats, c’est elle qui orchestre le galop fou de la batterie et l’élan lyrique des cordes électriques. Quand survient la joyeuse musique d’un défilé militaire, l’on n’est pas surpris, ce n’est pas vraiment une cassure, juste un épisode parmi d’autres emporté par le courant de l’Histoire. 1915 (Easter Battle for the Zwinin Ridge) : il fallut plusieurs mois de combats acharnés aux troupes allemandes et austro-hongroise pour prendre la crête de Ziwni située à mille mètres d’altitude : victoire et optimisme, la rage l’emporte sur l’horreur de la guerre, batterie en rafales de mitrailleuses, assourdissances orchestrales, l’ouragan passe et se déchaîne, cris haineux d’invectives, parfois malgré la fureur le silence plane dans les bruitances, peut-être sont-ce les âmes des morts qui s’élèvent vers le ciel ou qui s’enfoncent dans le sol gelé, idée d’un engloutissement général, une fosse commune, celle des hommes vivants côte à côte, le morceau se termine sur les échos lointains d’une messe, le pain de Pâques n’est-il pas pétris de sang et de terre libérée !

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    1916 : The Süditirol offensive : L’Italie entre en guerre en 1915. Les armées austro-hohgroises contre-attaquent, les Italiens demandent l’aide des Russes dont l’intervention i monopolise une partie des forces austro-hongroises qui n’ont plus assez de vigueur pour avancer en Italie : Napalm Death offre une bande dessinée animée, dirigée par Tania Pryimych, qui relate les combats, terrible à dire mais cette vision d’acier de neige moirée de bleue, d’éclats orangée et de taches sanglante, rend la guerre sinon belle du moins esthétique… ce n’est certainement pas un hasard si la chaîne YT dédiée à cet album porte le nom de Poetry of War, terrible ambivalence marquée par la devise adjacente : ‘’Quand la mort devient absurde, la vie en devient encore plus absurde’’ : feu nourri nous sommes plongé au cœur de la bataille, mais la musique, parfois imitative prend le relais, la bande-son est d’une intelligence démoniaque, elle est en même temps répétitive tout en étant variée, par exemple cette espèce de duo chant / basse, tout en relatant les différents mouvements de la bataille, d’un côté nous sommes dans l’action, nous n’en savons pas plus loin que le bout de notre fusil, un peu à la manière de Fabrice à Waterloo, et de l’autre nous avons une vue générale du mouvement des troupes. Un chef d’œuvre sonique. La grande gagnante reste la grande faucheuse. 1917 : The Izonzo front : les Italiens bloqués par le fleuve Izonzo (= Soca) lancent une offensive, il faudra pas moins de neuf grandes batailles pour les arrêter. Les austro-hongrois devront demander l’aide des Allemands pour stopper l »avance Italienne. Les Italiens ont perdu une grande bataille mais pas la guerre. Résultats des courses : un million de morts, un million de blessés : en intro une martiale déclaration d’un dignitaire italien, ensuite hachis menu de la mêlée, la rage, juste la rage, plus rien ne compte, l’on se bat avec son arme puis avec son corps, combat singulier, face à un ennemi, face à son destin et à soi-même, pendant ce duel la guerre ne s’arrête pas, l’on tient le compte des morts, la bataille continue imperturbable, la batterie joue au canon, rupture, une simple guitare acoustique après le déferlement électrique, l’on entend une voix italienne, que dit-elle, est-ce vraiment important de le savoir, tout cela a-t-il seulement un sens. 1918 : part 1 : WIA  Wounded inaction) : les forces anglaises et françaises viennent à la rescousse des Italiens qui doivent reculer mais qui finissent par stopper l’armée austro-hongroise sur les hauteurs de Montello. Attention, le ton change, jusqu’à maintenant nous avons surtout suivi un soldat engagé en des combats qui le dépassent quelque peu, désormais nous rentrons en son histoire personnelle : musique militaire triomphante, chœurs d’hommes virils et dominateurs, il pleut de la musique, de plus en plus assourdissante, de plus en plus pesante, elle est sur votre dos, vous ne vous relèverez pas, d’abord pensez aux efforts surhumains nécessaires à ces centaines de milliers d’hommes, il est tombé, il est blessé, les obus tombent, vaincu lui-même mais les lignes s’effondrent, chœurs d’hommes, background processionnaires, tintements tels des instants suspendus sur la conscience du monde, hurlements collectifs, vocal enragé,  la réalité s’engourdit, elle ralentit, elle se tait. 1918 Part 2 : POW 5 Prisoner of War (Feat. Christopher Scott) : Christopher Scott est le chanteur du groupe metal américain Precious Death : destinée, épisode numéro deux, le groupe ne joue pas, il abat du son, il martèle, il ne chante plus, il prend la parole, le monologue intérieur d’un prisonnier sous le joug au travail forcé, sont des milliers comme lui, il n’est plus que le maillon d’une souffrance collective, une seule décision, intime, prendre la décision dans sa tête de tenir, de sortir vivant de cet enfer, espérer  survivre à la der des ders, si horrible qu’elle ne peut être que la dernière, le discours politique reprend vantant la victoire de l’armée italienne… 1918 Part 3: ADE (A duty to escape) (feat. Aaron  Stainthorpe) : Aaron Stainthorpe est le chanteur du groupe britannique My Dying Bride :

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    une vidéo animée de  Costin Chioreanu débute par une scène saisissante, celle du cadavre d’un soldat abandonnés sur le terrain qui peu à peu se fond dans la pierraille, il est désormais devenu une partie parcellaire du paysage… Ils sont trois à s’échapper du camp, trois ombres noires qui traversent des champs de neige et se confrontent à l’escalade  de la montagne, ils ne sont pas seuls, dans leurs tête les rejoignent leurs femmes et leurs enfants, l’évasion se métamorphose en voyage intérieur, en voyage au centre de soi-même, ils arpentent des abîmes de pensées,  l’image magnifiée et fantomatique de la Victoire de la patrie Austro-hongroise se métamorphose en celle de la sombre camarde à la faux assoiffée, trois camarades face à la Mort qui envoie une patrouille à leur rencontre, ils ne sont que deux, ils ont perdu un camarade et toutes leurs illusions. Dans sa tête il se dit qu’il ne sera plus jamais dupe. Bienvenue en Autriche. Meurtrière. Une musique noire, batterie saccadée, vocal au plus profond des entrailles, des chœurs surgissent, sont-ce des chants funèbres grégoriens ou la conscience des morts qui s’amalgame au pas des survivants, qui marchent avec eux, car ceux qui sont morts ne mourront plus jamais, étrangement la musique se fait lyrique, le danger ne provient-il pas davantage des vivants que des morts qui marchent avec nous, qui nous accompagnent en nous. Peut-être même sommes-nous davantage constitués de morts que de vivants. Magnifique oratorio. 1919 (The Home Where I Died) (feat. Jerome Reuter) : (Jérome Reuter est  le fondateur-chanteur-compositeur du groupe Rome, voir notre livraison 667 du 29 / 11 / 2024.) / En 1918 l’Ukraine retrouve son indépendance que lui dénient la Pologne et  l’URSS qui finira par l’annexer en 1922… : pointillés sonores, seraient-ce des bruits indus des rafales de mitrailleuses lointaines et assourdies qui se transforment en notes de piano avant de se muer en distorsions, avant de résonner en dos majeurs pianistiques, mais le son est voilé, comme vrillé, le héros désabusé est de retour, va-t-on le reconnaître, serait-il méconnaissable, on l’attendait, tout est bien qui finit bien, mais quelle nostalgie, quelle gravité dans le timbre de Jérôme Reuter, il a rencontré d’anciens frères de combat, les russes attaquent l’Ukraine, la guerre ne finira donc jamais, pensez à vos familles, il les rejoindra, l’Ukraine l’attend, n’est-ce pas son devoir de la défendre… War out : (the end ?) : le disque finit comme il a commencé par un chant patriotique, cette fois-ci en l’honneur de l’Ukraine. La guerre se terminera-t-elle un jour ? Un point d’interrogation instille l’idée d’un doute… Un siècle après, une certitude établie : la guerre entre l’Ukraine et la Russie a recommencé…

             Un disque d’actualité qui dit beaucoup plus qu’il ne raconte. L’ensemble est splendide.

             N’empêche qu’il pose une question essentielle : puisque l’homme est un être pour la mort  serait-il aussi, j’ai envie d’écrire par conséquence, un être pour la guerre ?

             Metal-rock ou rock actuel ?

    Damie Chad.

     

    *

             Tiens si j’allais regarder les nouveautés sur Western AF, présentent toujours des artistes, bluegrass, country, roots. La dernière fois ils m’ont bien eu. Suis tombé sur une  rockeuse, très bien d’ailleurs, mais moi je cherchais un autre style. Premier coup d’œil une fille avec une guitare, c’est parti. Même pas regardé l’engin qu’elle avait  entre ses pattes, c’est au premier son que j’ai compris que je m’étais fourvoyé.

    WISHING BONE BLUES

    CRISTINA VANE

    (Western AF / 2021)

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    Elle sourit, gros plan sur son instrument, ce n’est pas une guitare, une poêle à frire, un résonateur, pas de doute, son petit doigt est armé d’un bottleneck, ô la chienne ! qu’est-ce qu’elle joue bien, du blues à la Skip James, à la Blind Willie Jefferson, cette manière d’espacer les notes alors que son appareil continue de ronronner, et puis cette voix, fluette, rien à voir avec les rocailles du vieux sud,  elle vous prend aux tripes, elle vous emporte en son monde, plus tard j’apprendrai qu’elle chante ce qu’elle a vécu, qu’elle a quitté Los Angeles, toute seule dans sa voiture, qu’elle a pris la route, à l’aventure durant sept mois, des nuits dans la tire, ou sous la tente, et d’autres sur des canapés, mais le matin elle repartait.

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    Elle vient de loin. De partout. Italie, France, Angleterre, sans compter des ascendances guatémaltèques. Elle a étudié à Princetown, a trouvé du boulot à Los Angeles dans une boutique de guitare folk… au bout de quatre ans elle a pris la route, s’est arrêtée à Nashville pour enregistrer un disque : Nowhere Sounds Lovely (2021), sera suivi de Make Myself Me Again (2022) et Hear My Call en février 2025.

    C’est vraisemblablement en cette occasion qu’elle est revenue chez Western AF.

    CRISTINA VANE

    LIVE PERFORMANCE / WESTERN AF

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    Difficile de faire plus minimaliste, peu de lumière, très opportunément le plancher est composé de lattes bleues, la scène est vaste, ils sont trois, si espacés qu’on ne les aperçoit que très rarement ensemble, Jeff Henderson le bassiste est légèrement décalé par rapport à Cristina, plus loin Roger Ross caresse sa batterie, pas une once d’esbrouffe, ils ne jouent pas fort mais juste, ce qu’il faut pour que vous prêtiez l’oreille et montiez le son, vous laissent libre, donnent l’impression de jouer ni pour eux, ni pour vous, sont là pour servir la musique. Ne se préoccupent que de l’essentiel. Ils ne racolent pas même si le rythme caracole. Little Black Cloud est une petite tornade à lui-tout seul. L’ergot au pouce de Cristina lance la danse très vite relayée par le vocal tout aussi rapide, les deux guys sont collés à la guitare, derrière mais impulsifs, jamais devant, c’est elle qui mène le jeu, le morceau est comme une orange bleue qu’ils n’entendent pas partager. Entraînant certes, mais d’une solitude absolue, paroles répétitives, nul besoin d’expliquer ceci ou cela, le vilain petit nuage est dans sa tête, disons que c’est une tentative d’approche de soi-même par soi-même. Travelin’ Blues prend la suite, plus relax mais pas tant que cela, si parfois la voix s’étire un peu elle rebondit par la suite, elle voulait lâccher une bouffée de tristesse sur le monde, elle est sur la route, pour échapper à la laideur de l’univers, ce n’est qu’en quittant le lieu par lequel elle passe qu’elle se sent mieux, oui la route est douce, elle serait mieux avec lui, elle a essayé, elle n’a pas réussi, se souviendra-t-elle seulement de lui lorsqu’elle mourra. Ce n’est pas qu’elle est cruelle, c’est qu’elle ne croit pas à la beauté des choses, la route ne conduit nulle part, l’oubli est partout, c’est son chemin à elle. Getting High in Hotel Rooms beaucoup plus proche du blues, disons qu’ici le blues de l’anatole ressemble un peu au Tombeau pour Anatole que Mallarmé avait tenté d’écrire à la mort de son petit garçon, rien de mieux qu’une

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    chambre d’hôtel pour faire le point sur soi-même parce que sur les autres c’est une cause perdue, elle veut bien essayer, elle ne peut pas, elle voudrait bien, le reste des paroles sont glaçantes, une mouche qui se débat contre la vitre de ses pensées qu’elle a élevées entre elle et le monde, dans le seul but d’être seule… elle n’insiste pas sur les accords, elle ne fait pas pleurer sa guitare, mais je crois que je n’ai jamais entendu un blues d’une telle désolation. Blues de la tour d’ivoire bleue. Make Myself Me Again : elle s’est aperçue qu’elle a son résonateur dans les mains, alors elle vous montre comment elle sait s’en servir, aucune vantardise, chez elle c’est naturel, elle sait jouer alors souvent elle fait juste le minimum, comprenez le maximum où très peu parviennent à se hisser. Elle vous promet qu’elle va se reprendre, qu’elle a envie de faire des efforts, mais de temps en temps elle lâche en deux ou trois mots la réalité de son état, elle est fatiguée, non ce n’est pas une dépression juste sa philosophie de la vie, que le monde ne présente aucun intérêt, que les autres ne valent pas le coup, aucun mépris, elle ne vaut pas mieux, ce n’est pas qu’elle est pire, simplement un peu plus lucide que la moyenne, bref vous avez compris, elle est plus près du  blues que vous ne le serez jamais. Que jamais personne ne l’a été.

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    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 542 : KR'TNT 542 : DAPTONE RECORDS / TURBONEGRO / NEAL FRANCIS / PARIS SISTERS / THUMOS / ROCKAMBOLESQUES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 542

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    17 / 02 / 2022

     

    DAPTONE RECORDS / TURBONEGRO

    NEAL FRANCIS / PARIS SISTERs

    THUMOS / ROCKAMBOLESQUES

     

    Daptone en fait des tonnes - Part One

     

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                La légende de Daptone Records reposait sur un trio de choc : Sharon Jones, Charles Bradley et Naomi Shelton. Les trois ont cassé leur pipe en bois. Frappé de plein fouet par la poisse mortifère, Daptone réussit néanmoins à créer l’événement avec la parution l’an passé d’un triple album live : Daptone Super Soul Revue, Live At The Apollo. Ce concert extraordinaire fut enregistré en décembre 2014. Le gros avantage c’est qu’on peut ré-écouter chanter ces artistes disparus et constater en même temps qu’ils sont bien meilleurs sur scène qu’en studio. Ce triple album les fait entrer dans la postérité. The Daptone Super Soul Revue est au complet sur scène, avec une intro du band leader Binky Griptite, suivi d’un court set des choristes de Sharon Jones, Saun & Starr, bien meilleures sur scène que sur leur album, lui aussi paru sur Daptone. Elles sont on the spot et à l’Apollo, elles passent comme des lettres à la poste. C’est Naomi Shelton & The Gospel Queens qui nous mettent les sens en alerte avec «Thank You Lord», massif shoot de gospel groove, le meilleur d’Amérique avec celui des Como Mamas. Stupéfiant, ça y va au heah yeah et ça continue au blast furnace de gospel batch avec «Stranger», talkin’ bout the Lawd, ça screame dans les brancards et ça explose encore avec «Higher Ground». Tu vas droit au tapis avec ces folles. Naomi y va au gospel yeah yeah, ça blaste early in the morning. On entend en fin de B les Como Mamas chanter «Out Of The Wilderness» au capella d’arrache de Como et c’est aussi très spectaculaire. Le deuxième disk est consacré à Charles Bradley, screamer extraordinaire, il enfonce son clou avec «Heartaches & Pain». Il a une attaque de la Soul unique, il feule et chante à la chaleur du peuple noir. Il fait de la heavy Soul éplorée avec «Lovin’ You Baby», il sonne comme un écorché vif, il harangue et screame sa Soul au sang. Il finit son «Slip Away» au gotta d’Otis et fout le feu à «How Long». Il rugit comme un lion dans les flammes de l’enfer, Charles Bradley est l’un des grands screamers noirs définitifs. «Let Love Stand A Chance» est sans doute son plus beau shout de heavy Soul. Il chante à la chaleur du Bradley fire. Il revient secouer l’Apollo après un intermède du Burdos Band. «Ain’t It A Sin» est une belle dégelée de raw r’n’b. Le troisième disk est réservé à Sharon Jones, the Voodoo Queen. Son arrivée est explosive, elle est aussi balèze qu’Aretha. Avec «Get Up & Get Out», elle tape un r’n’b endiablé quasi-voodoo à la Isley Brothers, bien monté en neige. Thank you Daptone pour ce festin de Soul. C’est sur la F qu’elle passe véritablement à la transe voodoo avec «I’m Not Gonna Try», ça joue aux percus de Daptone Square. Elle tape dans l’infernal «There Was A Time» de James Brown, arrhhh, mais elle annonce la couleur : «My way, not James Brown’s !». Et elle rentre dans le lard du funk survolté. Dans le book qu’on évoque à la suite, il est écrit que le show de Sharon Jones est «le pinacle d’une carrière qui rivalise d’énergie et de showmanship avec James Brown’s historic revues upon the same stage.» Et ça se termine avec toute la Daptone Family pour un clin d’œil à Sly avec «Family Affair/Outro». Ça devient mythique, Sharon, Charles et tous les autres explosent le Sly Thang. Un book au format LP propose des photos noir et blanc de la soirée, toutes plus spectaculaires les unes que les autres. Il se pourrait bien que cet objet soit un passage obligé, à condition bien sûr d’aimer la Soul à la folie.

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             Shindig! salue l’événement historique que représente la parution de cet album avec une petite double. Quand Paul Richie demande à Gabe quel est le highlight de sa vie, Gabe répond que ce fut d’être sur scène avec Sharon - That was the highest I could ever get - Il ajoute qu’il n’a jamais vu personne du même niveau que Sharon - She had a unique talent and that goes way beyond singing - Gabe rappelle aussi que l’éthique de Daptone consiste à sortir les albums qu’il aurait envie d’acheter. Il évoque aussi «a very low tolerance for bullshit.» Il profite de l’interview pour dire ce qu’il pense des mutations du music biz, le fameux cheaper and faster, cette musique en ligne qui l’horripile et qui finit par dénaturer la musique. Gabe dit aller à l’opposé. Deux albums par an, ça suffit. À conditions qu’ils soient bien foutus.

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             En même temps que sortait ce triple album, Jessica Lipsky faisait paraître l’an passé un ouvrage remarquable dans lequel on trouvera tout ce qu’il faut savoir sur Daptone, et même davantage : It Ain’t Retro: Daptone Records & The 21st Century Soul Revolution. Elle nous raconte dans le détail cette histoire qui s’étale sur vingt ans, mais elle propose en plus un panorama assez complet de la scène Soul contemporaine : il ne manque rien ni personne, ni Colemine, ni Kelly Finnigan, ni Curtis Harding, ni Durand Jones, ils sont tous là et chacun des paragraphes de ce book génial sonne juste. On voit bien qu’elle a écouté les disks dont elle parle. Ce qui rend l’ouvrage doublement référentiel. Mine de rien, Jessica Lipsky a pondu une petite bible.

             Rien qu’avec l’histoire de Gabe Roth, on est comblé. Ce kid new-yorkais fan de Soul est co-fondateur de Desco avec Phillip Lehman. Gabe compose et joue de la basse dans les Dap-Kings. Quand il est sur scène, il devient Bosco Mann. Grâce à Daptone et aux Dap-Kings, Gabe Roth est devenu une figure légendaire, au moins aussi légendaire que Willie Mitchell, Sam Phillips et Chips Moman. Ou encore Berry Gordy, mais en beaucoup plus sympathique.

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             C’est un copain de sa grande sœur qui fait découvrir le funk au jeune Gabe, notamment une compilation nommée James Brown’s Funky People sur laquelle on peut entendre «the sexy voice of female preacher Lyn Collins, the punching horns of Fred Wesley and Maceo & The Macks».

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             Au commencement était non pas le verbe, mais Desco, fondé comme on l’a dit par Gabe et son pote Lehman. Lehman est un fils de riche qui arrive de Paris. Il s’installe à New York parce qu’il collectionne les raw funk singles. Gabe et lui ont une passion commune pour ce son, d’où Desco. Ils sont dingues de James Brown et des obscure funk 45s with a heavy dose of East African heat, and the great Fela Kuti. À quoi Gabe ajoute les Meters - Fela, James Brown, The Meters, ils paraissent évidents maintenant, mais à l’époque, il n’y avait pas beaucoup de groupes funk qui sonnaient comme ça - Jessica Lipsky qu’on va appeler Jessica parce qu’elle est devenue une copine rappelle que le terme funk est resté un terme très vague. Il a servi à décrire «Papa’s Got A Brand New Bag» en 1965, puis le «Spreadin’ Honey» du Watts 103rd Street Rhythm Band et enfin l’acid-damaged weirdness of Parliament Funkadelic’s 1971 album Maggot Brain. C’est vrai qu’on a tout le funk de la terre dans ces trois bonnes pioches.

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             Gabe et Lehman ont des personnalités très différentes - Lehman with a no-holds-barred (sans tabous) punk rock attitude et une énergie créative qui ignorait les limites. Roth avait une attitude plus pratique with a highly musical sensibility - ce que confirme Steinweiss : «Phillip était un genre de visionary creative guy qui avait des tas d’idées. Et Gabe était lui aussi très créatif et visionnaire, mais il avait l’avantage de savoir mettre en pratique.»     

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             C’est en l’an 2000 que Lehman et Gabe se séparent. On ne sait pas grand- chose des raisons de ce schisme. Gabe dit que leur «partnership ended because of inevitable ‘business differences - money and shit’» - Gabe se retrouve seul et fauché. Alors que Lehman qui est plein aux as s’en va fonder Soul Fire Records, Gabe s’installe à Bushwick, Brooklyn, pour lancer Daptone, focused on expertly polished mid-to-late-60s soul and funk. Selon Jessica, Daptone vient peut-être du «Dap Walk» d’Ernie & the Top-Notes, un groupe funk de la Nouvelle Orleans. Dap-Dippin’ With The Dap-Kings est le premier album paru sur Daptone. C’est aussi le premier album de Sharon Jones. Comme Chips, Willie Mitchell, Berry Gordy, Stax et Motown, Gabe monte un house-band pour Daptone, les Dap-Kings.

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             Si Gabe prend le pseudonyme de Bosco Mann, c’est tout bêtement parce qu’il est endetté. Il craint que ses débiteurs ne louchent sur son label. Les Dap-Kings se composent de Gabe (bass), Steinweiss (beurre), Axelrod (keys, pas le David, un autre Axelrod, un Victor, qui se fait appeler Earl Maxton), Fernando Velez (percus), Leon Michels (sax), Binky Griptite (guitar). Gabe appelle ça la Daptone Family car il a grandi dans un milieu ouvert et il nourrit une passion réelle pour le concept de famille étendue. Le résultat ne se fait pas attendre : «There’s a sound to this crew, this bunch of guys.» Et il ajoute un peu plus loin : «I think that’s the biggest thing, to have a crew of musicians... That know how to make a record, know how to make a sound.» Ça ne te rappelle rien ? Chips, bien sûr, qui disait la même chose de son house-band. C’est le B-A-BA du recording biz : le house-band, la bonne ambiance. Il y a eu ça aussi chez Stax avant que ça ne dégénère. It’s a Family Affair, comme disent Gabe et Sly Superstar. Quand ils commencent à palper un peu de blé, Gabe et sa famille de Dap-Kings s’installent au 115 Troutman Street, à Williamsburg, un autre quartier de New York. Et tout le monde participe à la rénovation du local pour en faire un studio. Gabe dit que ce furent les jours les plus durs de sa vie. Charles Bradley donnait un coup de main, il réparait les radiateurs et l’escalier qui conduisait au deuxième étage. Ils font l’isolation acoustique avec des pneus ramassés dans le quartier. Ça devient the Daptone’s House Of Soul, un endroit qui va devenir légendaire, on parle même de «magic sound» et Gabe applique son motto «Shitty is Pretty», en ayant recours aux méthodes d’enregistrement traditionnelles, celles qu’on taxe d’analogiques. Gabe prend aussi des leçons de basse auprès d’un pianiste aveugle, Cliff Driver - It helped me figure out just how to play that shit - Et il ajoute qu’il a eu beaucoup de chance d’avoir pu jouer avec all these guys. It’s crazy to me. Méchant veinard !

             Sous la plume de Jessica, Gabe Roth apparaît comme un homme extrêmement attachant et donc très fréquentable. On s’en doutait un peu à l’écoute des album parus sur Daptone, mais ce livre fournit un éclairage fondamental. On apprend par exemple qu’il faillit devenir aveugle à cause d’un accident de voiture. Homer Steinweiss conduisait dans New York et bam, il roule dans un nid de poule et l’airbag explose dans la gueule de Gabe, lui déchirant les yeux. Il va retrouver la vue mais sera contraint de porter des lunettes noires toute sa vie. Plus grave : sa femme ne supporte plus de vivre avec un mec endetté jusqu’aux oreilles et qui ne gagne pas un rond avec sa fucking musique. Peu après l’accident, pouf, elle se fait la cerise. Le pauvre Gabe doit donc dormir dans le canapé du studio. Pas toujours facile, la vie. D’autant plus que la première année, il n’y a pas de chauffage dans The House Of Soul. Il s’accroche à son rêve de Soul et continue. Il s’associe avec Neal Sugarman, membre des Sugarman 3 et ils devront attendre plusieurs années avant de pouvoir sortir un salaire de Daptone. Pour vivre, ils jouent sur scène, d’un côté Sugarman avec The Sugarman 3 et de l’autre Gabe avec Sharon Jones & The Dap-Kings. Ils jouent dans des clubs et dans des mariages.

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             Avec Daptone, Gabe laisse tomber le raw funk pour aller sur la Soul de style Gladys Knight, Archie Bell et Wilson Pickett. Il compose énormément et impressionne Sharon Jones : «I think Gabe is an alien and he’s in disguise, man, he’s been around a looooog time.» Elle a raison de le prendre pour un extra-terrestre. Et elle ajoute que tout ce qu’il compose pour elle lui va comme un gant. Quand un peu plus tard elle voit que les albums commencent à se vendre, Sharon chope Gabe. Elle veut des royalties sur les chansons qu’elle n’a pas écrites. Elle considère que ces chansons résultent d’un effort créatif commun. Et contre l’avis de ses avocats, Gabe accède à la requête de Sharon en décidant que the ethical move était de reverser à Sharon un pourcentage des droits d’auteur, ce qui sur douze ans représente une somme rondelette. En fait la décision de Gabe a sauvé leur working relationship, nous dit Jessica avec - on l’imagine - un sourire bienveillant. Eh oui, elle a raison, c’est toute la différence avec ce rat de Leonard le renard qui barbotait les royalties dues à ses artistes. C’est tout de même incroyable qu’on puisse se conduire ainsi. Les économies de Daptone en prennent encore un coup avec le cambriolage de The House Of Soul. Les mecs ont barboté tout le matos, y compris les instruments pour la plupart de valeur qui n’étaient pas assurés. Mais Gabe encaisse bien le coup, même si ça ruine complètement le label. Il déclare officiellement qu’il leur reste le principal, c’est-à-dire la santé, l’ambition, les tape machines et l’humour - You can slow us down but you can’t stop us.

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             Gabe est un mec extrêmement balèze, car quand il sort le premier album de Naomi Shelton & The Gospel Queens, il en éprouve une réelle fierté, nous dit Jessica : « Le succès des Gospel Queens en particulier a conforté Gabe dans l’idée que de sortir un album de gospel was more punk rock than actually releasing a punk record.» C’est assez criant de vérité. Tous ceux qui ont eu le privilège de voir les Como Mamas le savent : tu donnerais tous tes singles punk pour un set des Como Mamas. Elles sont the real deal.

             Dans un passage plus intimiste, Gabe explique qu’il ne tire aucune fierté d’avoir pu accompagner Cliff Driver, Lee Fields ou Sharon Jones : «Je peux dire que ça ne m’est pas monté à la tête et je le pense encore aujourd’hui. Ça m’a juste appris que je ne dois pas m’approprier l’histoire d’un autre quand ce n’est pas la mienne. Si je joue bien, tout le monde est content. Depuis le début, je veille à ne pas péter plus haut que mon cul et à ne pas me comporter comme un imposteur. Je ne vole pas les licks, je ne suis ni un imposteur culturel, ni un imposteur social.» Dans la même veine, il revient aussi sur la question de l’engagement politique : «Ce n’est pas ce que chantent Sharon, Charles ou Lee qui est important, mais l’idée qu’ils soient là et qu’ils injectent du power et de l’honnêteté dans la musique. Il y a quelque chose de très politique dans cette idée. Nous ne sommes pas des leaders du combat des civil rights, mais comme dirait l’autre, il faut un soundtrack à la révolution. Pas besoin d’être Gil Scott Heron, ça peut être Earth Wind & Fire, ça peut être anybody, man. It can be Fugazi or Rage Against The Machine, or it could be Bob Dylan. L’idée, c’est que les gens écoutent the soundtrack.» 

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             Gabe bosse aussi avec Booker T Jones sur The Road From Memphis paru en 2011, puis il finit par récupérer l’excellent James Hunter sur Daptone.

             Autre point clé du personnage : il n’aime pas les Grammys et tout le bataclan des récompenses officielles, il appelle ça the other shit - pop studio sessions, Grammys, radio. Parce que tout ça n’est pas basé sur le fait de faire de la bonne musique et se connecter avec les gens. Regarde qui sont les gens qui décrochent des Grammys - That’s where you want to be? There’s an award for THAT? Et maintenant regarde les disks que tu aimes bien : do any of them have Grammys? No - Au moins les choses sont claires. Gabe défend une idée de la qualité qui passe par l’indépendance. Il explique sa conception de la qualité en faisant la différence entre ces grands artistes que sont Charles et Sharon, et qui vont durer, et «some neo soul so-and-so who’s on the radio at the moment, but those people fade in and out. Maybe it’s Adele or Macy Gray or The Alabama Shakes. Or Amy Whinehouse.» Et il conclut ainsi, s’exprimant comme un oracle : «Sharon stuck around a lot longer than all that stuff.» Il pourrait même ajouter que les six albums enregistrés de son vivant font toute la différence, sans parler du triple Live At The Apollo. Puis il s’en prend à l’idée du succès : «Les gens deviennent complètement tarés à vouloir le succès. Il faut avoir une notion très claire de ce qu’est le succès pour que ça ne te détruise pas. Si tu décides que le succès, c’est l’argent, then go get some fucking money, you know? Si tu décides que le succès, c’est de faire un bon disk, then make a really good record and shut the fuck up and don’t complain to me about who’s buying it.» Il ajoute qu’il n’existe aucune corrélation entre le succès financier et la qualité. «That’s the whole illusion of the American Dream, les gens n’obtiennent que ce qu’ils méritent. And that’s what that whole Sharon record was about.» Les propos de Gabe sont déterminants.

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             Oh et puis il y a les artistes. Les premier fut Lee Fields, auquel on a déjà consacré pas mal de place ici (juin 2016, mai 2017, février 2020, c’est dire si on l’aime bien ici, au moins autant que les Jallies). Lee Fields débarque chez Gabe au temps de Desco. Il est ce qu’on appelle alors a Soul legend, il est monté sur scène avec Kool & The Gang, O.V. Wright, Betty Wright et Darrell Banks. Jessica précise en plus qu’on le surnommait ‘Little JB’ à cause de sa ressemblance avec James Brown. Puis il est tombé dans l’oubli, chassé par la diskö et la DJ culture. C’est Phillip Lehman qui trouve son adresse et qui lui propose du cash pour enregistrer un single de funk - He came in and just crushed it - Gabe trouve que même s’il est the best singer alive, mais il n’a pas le pouvoir scénique de Sharon. C’est vrai qu’en concert, Lee Fields base tout sur le participatif et ce n’est pas bon de vouloir faire chanter les salles en chœur. Il n’enregistre qu’un seul album sur Desco, Let’s Get A Groove. Et puis au moment de la séparation, Lehman emmène Fields dans ses bagages et sort Problems sur son label Soul Fire, un album enregistré chez le père de Lehman, avec un seul  musicien (Leon Michels) et sur lequel on trouve l’excellent «Honey Dove». Gabe ne prend pas trop mal le fait que Lee ait suivi Lehman : «Lee est de la vieille école. Tu veux qu’il vienne chanter, alors tu lui donnes du cash et il chante. Il aurait fait un album avec moi si j’avais eu de l’argent pour le payer, mais je n’en avais pas. J’étais encore jeune marié et ma femme était écœurée car on n’avait pas de quoi payer le loyer.» On comprend bien que Gabe n’a pas une très haute opinion de Lee.

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             Puis Sharon Jones, sans doute l’une des Soul Sisters les plus importantes de l’histoire des Soul Sisters. En tous les cas, les ceusses qui l’ont vue sur scène savent qu’elle fut l’une des dernières vraies superstars. On a dit ici (en novembre 2014) tout le bien qu’on pensait d’elle, de son show de Voodoo Queen et de ses six fantastiques albums.

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             Sharon arrive un beau jour chez Desco pour faire des chœurs derrière Lee Fields sur «Let A Man Do What He Wanna Do». Gabe attend trois choristes mais Sharon se pointe toute seule. Elle fait l’affaire. Elle démarre comme ça, en s’imposant. Binky Griptite la présentera sur scène comme une «super Soul Sister with that magnetic je ne sais quoi». Gabe démarre donc Daptone avec Sharon qu’il paye cash, puis il embauche Griptite, Steinweiss, Axelrod et Michels pour enregistrer Dap-Dippin’ With The Dap-Kings. Ils commencent ensuite à enchaîner les tournées. Leur spécialité est de se mettre sur un one-chord James Brown-style vamp et Sharon entre dans la danse. Axelrod : «Then the band would get really loud and then bring it right back down. That was my favourite shit.» Steinweiss ajoute : «I think Gabe saw from the very beginning that Shaton had the power.» Jessica n’y va pas de main morte quand elle affirme que Sharon physicalized the music avec ses pieds, ses genoux, ses bras et sa tête. Pendant toute cette première époque, Sharon voyage dans le van avec les Dap-Kings. Et chaque soir, elle donne comme elle dit 120 percent d’elle-même. Enregistré à Troutman, Naturally, qui est le deuxième album de Sharon, est aussi le quatrième album paru sur Daptone. On sent une nette évolution. Jessica indique que Sharon s’inspire des divas du passé, Aretha, Ann Peebles et Lyn Collins. Sharon est contente de Daptone et de Gabe, elle ne se sent décidément pas faite pour le music business officiel, car elle se dit «too Black, too fat and too old to make it». Oui, car avant Daptone, elle avait essayé de faire carrière, mais elle n’intéressait pas les labels : trop petite, la peau trop noire, un peu ronde, aucune chance. Soixante balais en plus. Le seul à voir la star en elle, c’est Gabe. Pas mal, non ? Elle a fait tous les métiers, y compris celui de matonne. Elle trimballe dans sa poche un calibre 22, on ne sait jamais. Elle aime la pêche - Fish in my dish - et fumer de l’herbe ou le cigare au bord du fleuve. Elle veut toujours être the loudest person in the room, elle veut qu’on la remarque. Elle veut faire le show en permanence. Sur scène, Sharon porte une petite robe à franges et des talons hauts qu’elle vire pour danser le Voodoo. Brenneck : «Ce furent les meilleures années de ma vie, playing fucking limbo with Sharon Jones.» Il raconte des souvenirs de tournées en France, «getting drunk» avec Sharon «and we just smoked a ton of weed togther. She was a party animal, a lunatic.» Quand on lui reproche d’être rétro, Sharon s’insurge : «There’s nothin’ retro about me, baby, I AM Soul.»

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             C’est avec 100 Days 100 Nights que le succès commercial arrive. Sur scène à l’Apollo, le show dure deux heures, avec un hommage à James Brown, «This Is A Man’s World», suivi d’un medley James Brown en duo avec Lee Fields. Et puis pouf, en 2013, un toubib lui dit qu’elle a chopé un cancer. Elle vient d’enregistrer son cinquième album, Give The People What They Want et elle pense que c’est son testament. Pour les Dap-Kings c’est dur, car les tournées avec Sharon sont leur seule source de revenus. Elle va cependant passer à travers une première fois et reprendre les tournées. Mais comme on sait, l’histoire finit mal. Gabe va faire paraître deux albums posthumes. Après tout, c’est bien pour les fans de Sharon. On reviendra sur elle prochainement, car tout n’est pas dit.

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             Puis Charles Bradley, qu’on peut considérer avec Lee Fields comme le fils spirituel de James Brown - Perhaps even more than Sharon Jones, Charles Bradley WAS Soul music - the love, sorrow, exuberance and fear written in the wrinkles of his face et son histoire furent un pur triomphe du spirit que le public a adoré - Une vie incroyable que celle de Charles, qui fuit la violence de sa mère, qui dort dans la rue, et qui pendant dix ans travaille comme cuistot dans un asile de fous, avant de partir en stop à travers les États-Unis. Il atterrit en Californie et vit de petits boulots. Et puis un jour, il tape à la porte du studio de Gabe - I heard you’re looking for a singer - C’est l’époque où il porte une perruque, il se produit sous le nom de Black Velvet with Jimmy Hill & the Allstartz Band et personne ne comprend ce qu’il dit quand il parle. Lorsque Charles commence à connaître le succès, Sharon est un peu jalouse car elle a bossé dur pour ouvrir les portes, comme elle dit, et voilà que Charles se pointe, pour lui c’est du tout cuit. Alors elle se comporte avec lui comme la grande sœur, the mean big sister. Gabe dit qu’elle «would fuck with him a little bit and it would get to him because he was sensitive». Eh oui, Charles est hypersensible, on n’entend que ça sur ses disques, cette hypersensibilité. Quand les choses ne vont pas bien, il s’isole, il réfléchit et prie, comme Howard Grimes. Jessica fait remonter l’aspect extrêmement spirituel de la personnalité de Charles : les gens viennent le voir et Charles dit : «I’m looking at their faces and see their spirits. I love this world and I love everybody in this world, but I will say not everybody may love and treat me the way I love them.» Charles parle de Soul. Prends-en de la graine, petit homme blanc dégénéré qui osa prétendre à une époque que les nègres n’avaient pas d’âme. Alors fuck le monde des blancs. Et bien sûr, il faut ressortir vite fait de l’étagère les trois albums de Charles Bradley.  

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             The Budos Band fait partie des autres poulains de Gabe, un groupe que Jessica qualifie de Staten Island metalheads qui adore Cymande et Sabbath, du coup elle fout bien l’eau à la bouche, d’autant qu’elle en rajoute : «Perhaps the most direct expression of Daptone’s punk attitude and their show as a hardcore flip of SJDK’s studied showmanship.»

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    Et puis les Como Mamas, dont on a longuement parlé ici sur KRTNT en mars 2018, fières d’être sur Daptone - Daptone wasn’t gonna leave Jesus out, s’exclame Mama Della Daniels qu’on a vu chauffer à blanc une salle normande voici quelques années avec ses deux consœurs. Et puis Sugarman 3 et Sugar’s Boogaloo, premier album paru sur Desco. Et puis Naomi Davis, plus connue sous le nom de Naomi Shelton, qui fait des ménages pour vivre, mais le soir elle monte sur scène avec The Gospel Queens, accompagnée par Fred Thomas des J.B.’s et Cliff Driver, le pianiste aveugle et prof de Gabe. Naomi chante avec une voix à la Wilson Pickett. On reparlera d’elle la semaine prochaine.

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    Et puis bien sûr Amy Whinehouse, que les Dap-Kings accompagnent sur l’excellent Back In Black. Jessica parle d’elle en termes d’expressive contralto vocals and intensely personal tales of love lost, addiction and rebellion. Elle se trimbale en plus un punky Ronette look et les Dap-Kings se retrouvent bien malgré eux au centre du maelström médiatique. Mais la Whinehouse session de 2006 fut le premier véritable ‘money gig’ pour Daptone. Cette session permit aussi d’établir la réputation de Daptone as one of the most important recording house in a generation. Brenneck ajoute qu’Amy a vendu dix millions d’albums alors que Daptone vendait à peine quelques dizaines de milliers d’albums de Sharon. Des gens remarquent qu’Amy sonne bien, mais elle n’est pas très sûre d’elle, comme si elle avait le talent pour devenir une star mais pas la force. Les Dap-Kings accompagnent ensuite Amy en tournée en 2007.

             Quand après la disparition de Sharon et de Charles, Gabe se réinstalle à Riverside, en Californie, c’est pour élever ses trois gosses et explorer the new sounds on the West Coast. Il tient aussi à préciser qu’il n’existe pas de compétition avec Durand Jones, Colemine ou Big Crown, «We do it together.» Et quand Jessica lui demande s’il pense avoir élargi le public de la Soul avec Daptone, Gabe est sceptique : «Plus de gens qu’avant ? Ce n’est pas ce que je vois.» Il rappelle qu’il a pris des risques, qu’il a fait un peu de promo, mais ça n’a pas changé grand-chose - In the end it’s an underground thing.

             Terry Cole pense lui aussi qu’il faut rester en contact avec les gens, lire des livres, ne pas trop vivre avec son smartphone, il pense que de faire des disques à l’ancienne permet de garder les pieds sur terre et rester en contact avec la réalité. 

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             L’after de Daptone est un sujet à part entière. Après la disparition de Sharon Jones, les Dap-Kings ont accompagné Jon Batiste, un chanteur pianiste de la Nouvelle Orleans, a talented songwriter and arranger with mainstream appeal, un black qui aurait partagé l’affiche avec Stevie Wonder, Prince et Willie Neslon. Sur scène, Gabe insiste pour reprendre avec Batiste un vieux hit d’Ernie K-Doe, «Beating Like A Tom Tom». Parmi ceux qui portent le flambeau de la Soul pendant l’after, Jessica cite Durand Jones & the Indications qu’il faut effectivement prendre au sérieux, sur la foi de trois albums, avec cependant une petite complexité : le batteur blanc Aaron Frazer chante pas mal du cuts, alors que Durand Jones est déjà en poste. Puis Kelly Finnigan et son falsetto-heavy «I Don’t Wanna Wait», et ses terrific albums avec les Monophonics sur Colemine. Jessica revient longuement sur les Monophonics qu’a rejoint Kelly Finnigan lors de son arrivée en Californie et ensemble, ils ont replongé dans Isaac, Curtis Mayfield, l’early Funkadelic, les Tempts et Norman Whitfield et bien sûr l’hometown hero Sly Stone. Jessica parle de Finnigan’s searing Stax-style vocals over heavy organ, fuzzed-out guitar and sharp horns. Elle cite aussi Grace Love & The True Loves - Betty Wright meets Mahalia Jackson vocals and serious Hammond B3 action - Un groupe inspiré par Sharon Jones & The Dap-Kings, dit le guitariste Jimmy James. Et puis Lee Fields moins funky qu’avant et qui se met à enregistrer comme Sharon des slow-tempo love songs sur Big Crown Records.

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              Elle ramène aussi Leon Bridges dans ses filets. Elle note tout de suite que le public de Leon est essentiellement blanc, comme l’est globalement le public du Soul revival. Leon est le premier à le remarquer. Il ne compte que quelques blackettes dans la salle. Par contre, Gabe se méfie de Leon : «Leon Bridges is a little bit bullshit to me, je ne miserais pas sur lui dans le combat pour les civil rights.» Il trouve les chansons et la voix de James Hunter bien plus profondes que celles de Leon. Gabe avoue aussi avoir du mal avec les mecs trop pretty - Also he’s real pretty. I have a hard time with people who are real pretty, even if they’re talented - Terry Cole dit bien aimer Leon mais il est choqué de voir des gens entrer dans son magasin pour acheter les disks de Leon qui dit-il n’ont aucun intérêt. Alors ils leur écrit une liste d’autres albums de Soul revival et chaque fois il met Sharon Jones et Lee Fields en tête de liste.

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             En 2020, Daptone lance Penrose avec des groupes californiens : The Altons, Thee Sinseers, Thee Sacred Souls, Los Yesterdays, et Jason Joshua qui considère Gabe comme un mentor. Puis Gabe lance de nouveaux artistes, Orquesta Akokan, Cheme, Menahan Street Band, LaRose Jackson, Napoleon Demps, Vicky Tafoya et puis il sort un deuxième album posthume de Sharon, une compile de reprises, Just Dropped In.

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             Le label célèbre son vingtième anniversaire en 2021 avec la parution du triple album dont on chante les louanges un peu plus haut. Et partout dans le monde, des groupes poursuivent le combat de l’authenticité de la Soul initié par Daptone. Jessica cite les Dojo Cuts d’Australie, The Dip de Seattle, le chanteur Desi Valentine. Des groupes comme Khruangbin, Kamauu, The Ephemerals, Skinshape et les Seratones (vus sur scène à Rouen en 2016) défient dit-elle les catégories mais puisent dans la Soul et le funk pour créer de nouveaux sons. Elle a bien bossé, la petite Jessica, elle a tout ratissé. Il ne manque pas grand monde dans son état des lieux. Elle ramène encore dans les dernière pages les noms des Resonaires qui sont sur Colemine avec la Dapette Saundra Williams au chant et celui de Rickey Calloway accompagné par les Dap-Kings.   

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             Mine de rien, Colemine prend bien la suite. Terry Cole est un fan de Gabe. En 2007 il établit sur quartier Général à Cincinnati, Ohio qui selon lui a toujours été et restera l’épicentre du funk. C’est Colemine qui sort le hard funk de The Grease Traps d’Oakland, the cinematic Soul of Sure Fire Soul Ensemble de San Diego, et le boogie d’Orgone. 

             En vingt ans, Daptone est devenu une référence incontournable. David Ma : «Faire de la Soul music est une chose, mais la faire sonner brassy, drum-heavy et projeter la chaleur qu’on n’obtient qu’avec l’analog equipment, c’est là où Daptone fait la différence.»

             Daptone a fabriqué de la magie - Cette magie demandait du talent et de la détermination, mais au fond, elle est extrêmement simple. C’est la pure joie d’entendre les cuivres jouer ensemble, cette facilité à dodeliner de la tête sur une groovy bassline, la façon dont on donne du relief à une chanson avec des percus et l’extraordinaire énergie d’authentiques performers comme Sharon Jones et Charles Bradley - Et voilà le travail.

    Signé : Cazengler, Dapcon

    Daptone Super Soul Revue. Live At The Apollo. Daptone Records 2021

    Jessica Lipsky. It Ain’t Retro: Daptone Records & The 21st Century Soul Revolution. Jawbone Press 2021

    Paul Ritchie : Soul celebrations. Shindig! # 119 - September 2021

     

    Le gros turbo de Turbonegro

     

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             Plus encore que les Hellacopters, les Soundtrack Of Our Lives ou les Flaming Sideburns, Turbonegro a su donner au ‘rock scandinave’ (comme on dit) une réelle profondeur, une épaisseur unique. En dix ans, Turbonegro a su bâtir une mythologie réelle, ces mythologies qui font la vraie histoire du rock, celles qui allient le son et le look pour fabriquer de la légende. Ces mythologies ne sont pas aussi nombreuses qu’on pourrait le croire, mais on les connaît bien : Stooges, Gun Club, Cramps, Brian Jones, Jimi Hendrix, Elvis, Gene Vincent, Charlie Feathers, et puis en remontant dans le temps, Lemmy, Dave Wyndorf, Anton Newcombe, Jason Pierce, sans oublier les Soul Brothers et les Soul Sisters qui sont, eux, bien au-delà des mythologies. Par la puissance de son image et la qualité de ses albums, Turbonegro s’est hissé dans cette caste, et c’est d’autant plus remarquable qu’ils tiraient toute leur inspiration des bars gay, des bas-fonds et de la violence qui s’y rattache. L’un de leurs mots clés est l’anus. On en croise pas mal dans les refrains. Ils ont réussi là où Alice Cooper a échoué. Si tu veux jouer les ambigus, baby, fais-le pour de vrai. Et ramène le son qui va avec, celui d’une culture de l’infra-trash. Car on est avec Turbonegro dans le trash puissance mille. Chez les descendants des Vikings.

             Hank Von Helvete est parti au Valhalla rejoindre ses ancêtres. Il fut à partir du troisième album Never Is Forever la figure de proue de Turbonegro, reprenant à son compte le maquillage d’Alice Cooper mais en allant le mixer avec des looks extrêmement menaçants. Il a eu sa période Prince des Ténèbres puis il a émigré vers la barbarie pure et dure en trimballant une arbalète. Il pouvait se permettre de déconner, car il avait derrière lui l’un des meilleurs groupes de rock du monde.

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             De 1994 à 2005, les Turbo ont effectué un parcours sans faute avec cinq albums explosifs, ce qui est extrêmement rare dans l’histoire du rock. Les groupes s’épuisent assez vite. Pas Turbonegro. La fête commence avec Never Is Forever et «Suburban Prince’s Death Song» joué à l’excès excédentaire, ça turbine dans le Turbo, c’est même trop demented pour être honnête. Ils vont vite en besogne, ah les brutes. Et puis voilà qu’avec «I Will Never Die», ils inventent le power définitif. C’est d’une rare violence et pourtant c’est de la power-pop norvégienne. Aucun groupe dans le monde ne peut rivaliser avec le Turbo du Negro. C’est même encore pire avec «No Beast So Fierce». Personne ne peut rivaliser avec un truc pareil, ils montent leur speed-gaga en mayonnaise, ils pulvérisent tous les records de violence riffique, ils revoient Motörhead au vestiaire - Just ready for my time - C’est violent et génial, ils purgent le rock. Avec «Destination Hell», il se passe encore autre chose : le son te tombe sur le râble et les cocotes des bas-fonds te scient les tibias. C’est effroyable. On se croirait dans l’une des caves de l’Inquisition. De pire en pire, voici «Timebomb», ils cocotent dans les flammes de l’enfer, alors ce sont des diables. Sur cet album, tout est explosé dans l’ass du Negro, ils cultivent l’excès d’excellence comme d’autres cultivent les fleurs de la passion. Les Turbo sont la preuve vivante du Punk’s Not Dead. Tout ici est balayé par des vents de violence sonique, avec la voix de Von Helvete posée dessus comme la cerise sur le gâtö, ou pour rester en cohérence avec leur univers, comme un crucifix posé sur une mer de flammes. 

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             Le deuxième joyau de la couronne, c’est le fameux Ass Cobra. Sans doute leur album le plus flamboyant. C’est là-dessus qu’on trouve l’«I Got Erection». Ici, tu as tout : le power, les Vikings, l’érection, c’est claqué dans l’ass. Oh-oh-oh, c’est un hymne ! Oh-oh-oh ! L’autre coup de génie s’appelle «Deathtime», tu descends droit en enfer, tu subis ta punition, tu rôtis avec le rock en enfer. Tu veux aller faire un tour dans les bas-fonds ? Avec voilà «Sailor Man» - Sailor man come take my hand - Son incendiaire, le décor ne trompe pas. Encore plus explosif : «A Dazzling Display Of Talent». C’est même hors contexte et hors concours. Pur jus de pur jus. Rien de plus extrême. Retour en enfer avec «The Midnight Nambla», gaga-punk jusqu’au bout des ongles, ça prend feu de l’intérieur. Ils repartent comme des fous avec «Black Rabbit». Ils ravagent les campagnes comme leurs ancêtres, rien de sert de s’opposer à cette barbarie ! «Denim Demon» est encore plus exacerbé. C’est le Graal du blast, ces mecs dégagent tout, les artères et les bronches, Tubo forever ! Ass Cobra est l’album du power inexorable, l’un des meilleurs albums du genre. Ils renouent avec le power du MC5 dans «Raggare Is A Bunch Of Motherfuckers». Ils y jouent les accords de «Tonight». Turbo ruine les runes de Motorcity, ça burn dans les burnes, ils sont encore plus motherfucked que les Motherfuckers du MC5. Avec «Turbonegro Hate The Kids», ils sonnent exactement comme les Dead Boys. Et s’il est un cut qui illustre bien la barbarie des Vikings, c’est «Bad Mongo» : on les entend débarquer la nuit sur le rivage avec les haches et les boucliers. Aw my Gawd...

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             À l’époque, on avait clairement l’impression de monter encore d’un cran dans la violence sonique avec Apocalypse Dudes. Le batteur qui jouait avec nous à l’époque voulait absolument reprendre «The Age Of Pomparius», une belle introduction à l’ère de la dégelée fondamentale mais d’une part, c’est impossible de reprendre Turbonegro et d’autre part, les vrais coups de génie se trouvent un peu loin, à commencer par «Get It On», joué au riffing des Fjords, le riffing ultra, le ras-de-marée des brutes. Insurpassable. Right ! On ! Autre dégelée fondamentale : «Rendezvous With Anus», aussitôt embarqué, awite ! Pas de pire dégelée, c’est à se faire enfiler pour l’éternité. Encore un coup de génie avec «Are You Ready (For Some Darkness)», tout un programme. C’est l’hymne des Turbo, ils allument leur invitation au boute-feu, c’est aussitôt en flammes. Le feu, c’est leur truc. So c’mon ! Ils poussent le mauvais génie des Dead Boys encore plus loin, avec le pounding de fond de cale. Il n’existe rien de plus parfaitement rebondi du beat que «Selfdestructo Bust». Les guitares dégringolent sur la gueule du gaga-punk, c’est pulsé dans les règles du lard fumant. Avec «Rock Against Ass», l’Hank mise sur le rock et ramène un peu de mélodie dans son chant. Ces mecs sont tellement doués qu’ils font de la power-pop sans même s’en rendre compte. Encore un monster smash de gaga turbo avec «Zillion Dollar Sadist». Impossible d’y échapper, c’est claqué du beignet. Ils sont trop puisants. «Prince Of The Rodeo» sonne encore comme une attaque en règle. Ils explosent le daddy oh du rodéo, sans doute a-t-on là le meilleur Punk’s Not Dead de tous les temps. Ils attaquent leur «Back To Dugaree High» comme le «New Rose» des Damned. Même énergie ! Ils ne s’épargnent aucune grandeur de destruction massive. Ils s’en vont clouer «Monkey On Your Back» sur la porte de l’église, on your back ! On your back !, c’est riffé au power blast et battu dans le vent. Le temps d’un album, ils sont comme leurs ancêtres les rois du monde.

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             Darkness Forever est l’album live de rêve. Sans doute, l’un des plus beaux albums live de l’histoire du rock et en même temps un Best Of faramineux. Ils explosent tous leurs hits un par un. Avec «The Age of Pomparius», tu as tout, the biggest band on earth, wow wow wow, Euroboy te riffe ça à la Les Paul noire et te scie les tibias à la volée, l’autre fou bat le beurre du diable, nothing to lose, ces mecs naviguent exactement au même niveau que les Stooges et le MC5, wow wow wow, et ça continue de monter en température, ça joue à la Norje de non retour («Back To Dungaree High»), à la destruction massive de riff pompé («Get It On»), à la force du poignet («Just Flesh»), au pire Punk’s Not Dead jamais imaginé («Don’t Say Motherfucker Motherfucker»). Ils sont à leur apogée dévastatrice avec «The Midnight Nambla», ils chantent au bord du gouffre («Sailor Man»), ils cavalent dans le lard fumant - Vive la résistance ! Vive la (sic) Rendezvous Avec Anus - ils élèvent le chaos de destruction au rang d’art majeur avec «Are You Ready (For Some Darkness)», aucun groupe au monde ne peut égaler cette débauche de power, même pas Motörhead, ils n’en finissent plus d’aligner les bombes («Selfdestructo Bust», «Rock Against Ass»), le batteur vole le show sur «Prince Of The Rodeo», les Turbo perdent la tête mais les chœurs sont en place et «Denim Demon» est certainement le plus explosif de tous. Ils terminent avec «I Got Erection» et l’Hank présente les Turbo - Chris Summers, the prince of drummers, puis The magic fingers, the boy wonder, the little Prince, what’s his name ? The Euroboy !, puis les autres, Happy Tom, Rune Rebellion et Pal Pot Pomparius.

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             Quatrième joyau de la couronne Turbo : Scandinavian Leather et sa bague serpent qui se mord la queue. «I Want Everything» est l’un de leurs plus grands exploits, so c’mon ! Fabuleuse balance des powers, ils développent le même power que celui de Mountain à l’âge d’or, so c’mon ! Encore un coup de génie avec «Ride With Us», le dernier cut de l’album. L’Hank y va, il veut être sûr, une petite virée en enfer ? Okay, tapé à la basse métal, fouetté à la cocote malsaine, Ride with us ! Monstrueux ! Ils ramènent toute la barbarie dont ils sont capables dans «Wipe It ‘Till It Bleeds». Il n’existe rien de plus gratté que cette chose. C’est un modèle du genre. Ils se payent le luxe d’une grosse intro pour «Turbonegro Must Be Destoyed» - No no no/ Yeah yeah yeah - et les virées de bassmatic donnent le tournis. S’ensuit un «Sell Your Body To The Night» monté lui aussi sur une grosse intro - Every/ Body/ Sell your body/ To the night - avec la cocote afférente. Ce power Viking n’appartient qu’à eux. Tout ici est blasté au beurre/basse. On ne se lasse pas du power Turbo et de ces solos incendiaires. Ils explosent encore le hard-gaga Viking avec «Train Of Flesh». Ils foncent dans la nuit - Nevah stop/ Nevah nevah stop - Le message est clair. Ils sonnent comme Oasis avec «Fuck The World». On reste dans le domaine des clameurs extraordinaires avec «Drenched In Blood», ils s’amusent avec la power-pop comme le chat avec la souris, wo wo wo/ wo wo. On voit ensuite l’intro du «Saboteur» prendre feu, awite, oh oh !, avec des chœurs de marins au milieu des couplets et au loin des notes qui rougeoient dans le ciel de Detroit, oh oh oh, ça percute bien la balistique, diable comme la violence peut parfois être belle.

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             Dernier joyau de cette couronne infernale : Party Animals et son casque mystérieux. Le hit de l’album s’appelle «If You See Kaye», embarqué au wild gaga-punk. C’est logique, les Turbo sont incapables de calmer le jeu, même dans les méandres du delta. Ils explosent l’If you see Kaye, c’est brillant, plein de revienzy, tout est explosé en pleine gueule d’everybody, l’Hank est un démon. Ils font aussi du glam avec «Hot Stuff Hot Shit». Trinquons au power supremo du Negro. Ils font aussi du dead punk explosif avec «All My Friends Are Dead». Une vraie fontaine de jouvence, avec les guitares incisives d’Euroboy. C’est d’ailleurs lui qui arrose «Blow Me (Like The Wind)» de napalm. Il vrille en permanence pendant que Pâl Pot rythme et qu’Happy Tom bassmatique. Ils se servent de Satan pour claquer un heavy stomp («City Of Satan») et ils sonnent comme les Damned avec «Death From Above», belle resucée de «Neat Neat Neat». Pour annoncer l’arrivée d’une coulée de lave, l’Hank compte jusqu’à quatre : One, two, three, four ! («Wasted Again»). Rien d’aussi dévastateur. Puis ils clouent «High On The Crime» à la porte de l’église avec. Power du Turbo. L’Hank relance au c’mon et Euroboy vrille comme un démon. L’Hank compte en norvégien pour lancer «Babylon Forever», nouvel exercice de haute voltige enflammée. Ils finissent cet album éreintant avec un «Final Warning» de dix minutes, vite embarqué dans l’enfer du paradis Norje de Turbo, the biggest Turbo in the fjords. Pas de pire équipe sur cette terre.

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             Paru en 2007, Retox est le dernier album du Turbo sur lequel chante l’Hank. L’album n’est pas aussi intense que les cinq précédents. On sent remonter leur passion pour les Dead Boys dans «Welcome To The Garbage Dump» et dans «Hot & Filthy». le solo d’Euroboy y éclaire la scène - Yeah yeah hot and filthy/ We were so pretty - On retrouve le power Viking avec «Everybody Loves A Chubby Dude». Les power chords sont un modèle du genre. Ils font aussi un «Hell Toupee» quasi glam chanté avec la braguette ouverte et ils renouent enfin avec le gaga-Turbo dans «No I’m Alpha Male», un pulsatif Viking de voiles gonflées. 

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             Le remplaçant d’Hank s’appelle Anthony Sylvester. On peut écouter le Sexual Harrassment paru en 2012. Non seulement ça n’engage à rien, mais en plus ça ne mange pas de pain. L’album coûtait un bon billet, mais bon, on voit écrit Turbonegro sur la pochette et on ne fait pas gaffe. En plus, sur la pochette intérieure, Sylvester ressemble comme deux gouttes d’eau à l’Hank, mais il ne se maquille qu’un seul œil. Le reste du Turbo est toujours là, fidèle au poste, et on peut bien dire que l’album est génial. Euroboy continue de faire des miracles dans «Hello Darkness», heavy as hell - Hello darkness/ Where have you been - Turbo reste la grosse Bertha des fjords, la vraie turbine à chocolat, comme l’indique «Shake Your Shit Machine». Ils nous stoogent «TNA (The Nihilistic Army)» aux accords de «1969», ça tourne au délire d’excelsior, ils remontent les bretelles du chemin de Damas, c’est plein de vie, c’est exacerbé d’allure. Encore de la violence écarlate avec «Mister Sister», c’est complètement écrasé du champignon, c’est véritablement l’apogée de l’apanage, une vraie dégelée de turbine. Ces démons de Turbo n’en finissent plus de tout écraser sur leur passage. Ils font partie des plus puissants seigneurs de cette terre. Ils remettent la pression en B avec «Dude Without A Face», la cocote règne dans les ténèbres de la turbine, c’est violemment bon, explosif et amené à la fleur du mal. Avec «Tight Jeans Loose Leash», la turbine écrase son fjord dans la gorge d’Odin, ils raclent et ils ramonent, ils arrachent tout, le loose leeash, le call your friends tonite, c’est encore du big blast. Sylvester attrape «Rise Below» à la mélodie chant, à la manière d’Oasis. Même attaque sur canapé d’arpèges, c’est vite embarqué pour la Cythère des glaces. Puis ils font leurs adieux avec «You Give Me Worms», et ils gueulent ‘worms’ comme on crie ‘war’. Ça fout la trouille.

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             Le dernier album en date du Turbo s’appelle Rock’N’Roll Machine. On croyait les Turbo finis ? Oh la la pas du tout ! Euroboy attaque «Part II Well Hello» aux riffs d’Hello et là tu as tout le Turbo, avec le power intact. On assiste à l’une de ces explosions de son dont ils se font une spécialité depuis le début. Il reste aussi Happy Tom et Rune Rebellion de la formation originale, c’est déjà pas mal. Et le nouveau chanteur Anthony Silvester fait le job. Grand retour du Turbo dans «Fist City», claqué à la malveillance Viking, fist city c’mon ! Euroboy fournit le claqué de beignet, ça monte bien en température, il cultive la tension comme au temps de l’âge d’or. Puis on les voit se vautrer en beauté avec «Skinhead Rock’nRoll». Il faut attendre «Hot For Nietzsche» pour retrouver le grand Euroboy à l’œuvre, pas de problème le son est là, Euroboy mène le bal aux riffs incendiaires, il fout le feu comme au temps jadis. Ils terminent en Vikings avec «Special Education». Le nouveau n’a vraiment pas la voix de Turbo, mais derrière ça reste du Turbo, le son tombe comme les chutes du Niagara. Turbo aura été l’un des groupes les plus puissants de l’histoire du rock, il ne faut pas l’oublier. Ils avaient le génie du son.

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             Hank Von Helvete enregistre Egomania, son premier album solo, en 2018 : chapeau claque blanc, yeux maquillés et doigt d’honneur. Finis Euroboy et les arbalètes. L’Hank repart sur les chemins du Vallalah avec Cat Casino on lead et une autre équipe. Il fait une sorte de sous-Turbo, c’est évidemment bardé de son, ça bat le beurre comme chez Motörhead. Avec «Blood», ils tapent un heavy blues à la ZZ Top, l’Hank tente d’en rajouter, mais ce n’est pas bon. Il fait de l’Alice Cooper. Il tente ensuite de renouer avec les réflexes Turbo («Dirty Money»), mais la magie Turbo brille par son absence. Non, Hank, ce n’est plus du gros Turbo. Voilà «Never Again», assez heavy, comme s’il n’y avait plus rien à ajouter. L’Hank est en panne de compos. Il se prête bien au jeu du Punk’s Not Dead avec «Bombwalk Chic», mais la messe est dite ailleurs depuis belle lurette. C’est avec «Wild Boy Blues» que l’album reprend du sens. Fantastique allure - Wild boy blues/ Staring at the sun - C’est le hit sauveur d’album. S’ensuit une autre belle dégelée, «Too High», ça joue au va-tout avec une Cat Casino qui part en vrille d’exception. L’Hank peut alors renouer avec le génie Turbo. 

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             L’Hank devient Hank Von Hell en 2020 et enregistre un album prémonitoire : Dead. Dead à tous les sens du terme. Une catastrophe épouvantable. Il démarre d’ailleurs sur une ambiance funéraire - I’m already dead - C’est l’album des deux morts, la mort du corps et celle de l’esprit. Le son est là, mais incroyablement putassier. Il nous fait le coup de l’injure suprême avec un album de new wave. Il chante comme un gros dead. Un vrai désastre - See my blackened eyes - Tu parles Charles ! Adios Turbo ! Il sombre dans la diskö new wave, on se croirait chez les Talking Heads. À ce niveau de médiocrité, c’est forcément voulu. L’Hank ne voulait pas finir en beauté.  C’est dur de voir une immense star se vautrer dans le stupre. On perd l’anus, on perd la violence, il nous fait une petite pop de branleur. Bravo les gars !

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             Ce n’est pas l’Hank, mais Harry Neger qui chante sur les deux premiers albums de Turbonegro, Hot Cars And Spent Contraceptives et Helta Skelta. Ça n’empêche pas de les écouter, au contraire. Ça permet en plus de constater que le son du Turbo est déjà là. Ils attaquent avec les confessions d’une pute, «Librium Love» - Would you like to hear - Le Turbo explose en plein Sex & Drugs & Rock’n’roll, pur jus de gros Negro, sex & power. Ils alignent ensuite une collection de classiques gaga-punks pour le moins exceptionnels, «Punk Pals», «Kiss The Knife» (le pire des trois, on n’avait encore jamais vu ça, les Anglais à côté sont des enfants de chœur) et «Clenched Teeth» (embarqué à la cocote sévère, ils sont over the overwhelming). Gros pied de nez aux Sex Pistols avec «Hot Cars», annoncé comme a Sex Pistols song. Ils scient à la base l’infernal «New Wave Song» et ils passent de l’extrême violence à la dégelée extrême avec «Zonked On Hashish». Ils inventent aussi un nouveau genre : le destructive trash avec «I’m In Love With The Destructive Girls». Ce sont les seigneurs du yeah yeah. Puis on entre au paradis de la heavyness avec «Prima Moffe». On y entend les voix des dieux Vikings mêlés au vent du fjord. Donc, avant même que l’Hank n’arrive, les Turbo battent déjà tous les records de barbarie.

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             Paru l’année suivante, Helta Skelta fait double emploi avec Hot Cars, puisqu’on y retrouve «Librium Love» - let me wank it, oh what a gorgeous cock - «Punk Pals», «New Wave Song», «Hot Cars», «Clenched Teeth» et quelques autres sucreries. Seules nouveautés : «Manimal» (embarqué au pire Punk’s Not Dead d’Oslo) et «Dark Secret Girl» (absolute wanderer, punk à tête chercheuse).

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             Il existe un tribute à Turbonegro qui vaut vraiment le détour. Il date de 2001 et s’appelle Alpha Motherfuckers - A Tribute To Turbonegro. À l’époque on se demandait comment un groupe pouvait oser reprendre Turbonegro. C’est de l’intapable pur. Pareil pour les Pistols. Eh bien figure-toi que des mecs ont réussi l’impossible, au premier rang desquels on retrouve Nashville Pussy et Therapy. Nashville tape dans l’«Age Of Pomparius» et là, tu as tout, c’est-à-dire les trois extrêmes : l’Empire romain, les Vikings et le Nashville, wah wah oh, Blaine y va, c’est un démon et il leur inflige le pire outrage, car il explose la rondelle du Turbo. Therapy tape dans «Denim Demon», la meilleure cover de cette compile explosive : c’est là où le Punk’s Not Dead flirte avec le génie apoplectique. Ces mecs foncent comme Ayrton Senna au volant de sa formule 1, vroarrrrr, ils ne craignent pas la mort. L’autre belle surprise est l’«Hate The Kids» par Amulet. Pour un peu, ces fous surpasseraient le Turbo. Encore une révélation avec Samesugas et «(I Fucked) Betty Page». Merci Turbo Page pour cette belle clameur d’excelsior : fantastique énergie de rock incendiaire et le mec ajoute : «I fucked her yesterday.» Il y a 25 prétendants au trône et bien sûr, tous ne sont pas aussi bons que les pré-cités. Les Supersuckers tapent un bon «Get It On». C’est avec Bela B & Denim Girl qu’on voit à quel point les compos du Turbo sont solides, car la reprise d’«Are You Ready (For Some Darkness)» sonne comme un hit. C’est HIM qui se tape «Rendezvous With Anus» et il ramène énormément de son. Les diables cornus de Satyricon tapent l’«I Got Erection» et ils ne s’en sortent que grâce à une surenchère de rrrroarrrhhh. On note aussi la violence des trash-punkers d’Hot Water Music qui s’en prennent au «Prince Of The Rodeo», en fait tous les groupes plongent avec délectation dans la mythologie du Turbo. Zeke se tape «Midnight Nambla». Zeke, c’est Attila. Pas de pitié. C’est là où l’insanité confine au génie. Les Dwarves n’ont de leçon à recevoir de personne, comme le montre leur cover d’«Hobbit Motherfuckers», les Real McKenzies tapent un «Sailor Man» aux guitares et l’heure des crocodiles sonne enfin avec «Prince Of The Rodeo». Toby Damnit y va de bon cœur. C’est exceptionnel de mauvaises intentions. Idéal pour du gros Negro, ça s’englue dans le chocolat en fusion.

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             Réalisé lors de la tournée mondiale de 1998, The Movie donne un idée assez juste du Turbo Power, d’autant que ça démarre sur «Age Of Pomparius» et c’est un peu comme si la messe était dite. Le Power est là, in the face, avec un Euroboy en collier de chien comme Iggy et ça wow wow wow ! On les voit jouer en Allemagne, aux États-Unis et en Espagne. Line-up classique, l’Hank, Euroboy, Happy-Tom, Chris Summers et Rune Rebellion. Sur scène, Euroboy porte parfois un stetson blanc. Il est toujours en action, très physique, il joue beaucoup du buste, jambes écartées. Dans un bar en Allemagne, ils écoutent les Byrds. On les voit aussi faire le breakfast au champagne et aux fraises. Sur scène, l’Hank défraye la chronique en s’enfonçant un cake fire dans le cul. Les Turbo cultivaient l’excès et ils pouvaient inspirer une certaine frayeur. On voit aussi des clips qu’il faut bien qualifier de parfaits, comme celui de «Get It On», avec un Europboy en stetson blanc, rouge à lèvres et Les Paul blanche. Il n’existe pas grand-chose de plus parfait au plan graphique. Le Movie s’achève avec «Prince Of The Rodeo», Euroboy est monté sur les épaules d’un collègue et après le break, il relance jusqu’au vertige. Euroboy est l’un des plus grands guitaristes de rock de son temps. Comme Ron Asheton, il sait jouer jusqu’au vertige.

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             Encore plus fascinant : The ResErection, un DVD paru en 2005. C’est la suite du film précédent. À l’issue de la tournée mondiale de 1998, l’Hank est rincé - I was a full time heroin junkie - Il est obligé d’arrêter le groupe pour des problèmes de santé. Sa vie ne tient plus qu’à un fil. Alors il rentre chez lui aux îles Lofoten, au Nord de la Norvège, vers le cercle polaire, «still on morphine to ease pains», dit-il. Environnement de rêve en été, précise l’Hank, car après l’été vient la nuit polaire qui dure six mois. Il survit grâce à ses grand-parents et à God. Tout fan de Turbonegro doit impérativement voir ce film, car on y découvre un homme différent, plutôt beau. L’Hank de Lofoten n’a plus rien à voir avec la brute de Turbonegro. Il reste quatre ans à Lofoten, il bosse au musée de la pêche. Mais pour Euroboy et les autres, c’est une catastrophe. Le groupe était leur priorité. Happy Tom va voir l’Hank à Lofoten. Ils commencent à envisager de redémarrer. On assiste à une première répète du groupe. Ils attaquent avec «Age Of Pomparius», évidemment, wow wowo wow, diable comme l’Hank est beau, il ressemble à Jimbo avec sa barbe et sa façon de s’arrimer au micro. Il est vite torse nu. Sa voix revient. Ils sont content, le groupe sonne bien. Ils font une fantastique mouture d’«Erection». Ils disent faire du deathpunk. Euroboy précise aussi qu’au début, ils ont hésité entre deux noms : Turbonegro et Nazipenis. Alors ils ont choisi Turbonegro. Et pouf, ils partent jouer dans trois festivals en Europe, dont le Bizarre Festival en Allemagne. 40 000 personnes ! Wow wow wow ! L’Hank est ravi de se retrouver dans le tour bus : «To get on the tour bus with Turbo four years later is perhaps the best feeling in the world.» Les fans arrivent du monde entier, Turbojugend USA ! Et sur scène, le groupe reste imparable, avec un Euroboy qui joue tous les riffs de Johnny Thunders et de Jimmy Page, mais avec une niaque qui n’appartient qu’à lui. Wow wow wow !

    Signé : Cazengler, Turbozéro

    Hank Von Helvete. Disparu le 19 novembre 2021

    Turbonegro. Hot Cars And Spent Contraceptives. Big Ball Records 1992

    Turbonegro. Helta Skelta. Repulsion 1993

    Turbonegro. Never Is Forever. DogJob Records 1994

    Turbonegro. Ass Cobra. Boomba Rec 1996

    Turbonegro. Apocalypse Dudes. Boomba rec 1998

    Turbonegro. Darkness Forever. Bitzcore 1999

    Turbonegro. Scandinavian Leather. Burning Heart Records 2003

    Turbonegro. Party Animals. Burning Heart Records 2005

    Turbonegro. Retox. Scandinavian Leather Recordings 2007

    Turbonegro. Sexual Harrassment. Scandinavian Leather Recordings 2012

    Turbonegro. Rock’N’Roll Machine. Scandinavian Leather Recordings 2018

    Hank Von Helvete. Egomania. Sony Music 2018

    Hank Von Helvete. Dead. Sony Music 2020

    Alpha Motherfuckers. A Tribute To Turbonegro. Biztcore 2001

    Turbonegro. The Movie. DVD Biztcore 1999

    Trond Sættem. Turbonegro - The ResErection. DVD Biztcore 2005

     

    L’avenir du rock - Neat Neat Neat Neal

     

             L’avenir du rock n’a jamais réussi à retrouver la route d’Amman, en Jordanie. Il se souvient vaguement avoir laissé sa valise à l’hôtel et avoir rencontré Lawrence d’Arabie dans le désert. Ça doit bien faire des mois qu’il erre de désert en désert, se nourrissant de scorpions, de bouses de dromadaires et de roses des sables. Il passe des dunes aux étendues de caillasses et des étendues de caillasses aux mers de sel. Il n’imaginait pas qu’un désert pût revêtir des allures aussi diversifiées. Et puis voilà qu’un jour, il croise inopinément deux blancs. L’avenir du rock qui a un peu perdu la boule soulève le chapeau qu’il n’a pas et déclare solennellement :

             — Dr Livingstone I presume ?

             — Non ! Speke !, répond d’un son sec le barbu coiffé d’un casque colonial.

             L’avenir se tourne vers l’autre et lui lance :

             — Si ce n’est toi, c’est donc ton frère !

             — Non ! Burton !, répond d’un ton bourru le moustachu coiffé d’un casque Viking.

             Pourtant rompu aux arts de la dialectique, l’avenir du rock se sent passablement dépourvu d’arguments. Il tente quand même de recréer un peu de lien social :

             — Alors ça carbure, ton ?

             Ça ne fait pas rire l’intéressé qui lance :

             — Bon, c’est pas tout ça, mais faut qu’on y-aille. Faites gaffe aux Danakils !

             — Aux dana qui ?

             — Aux Danakils ! Ces guerriers sont les plus féroces de la Corne de l’Afrique !

             — Merci de votre attention. Vous n’en auriez pas une autre ?

             — Si ! Vous ne devriez pas vous balader comme ça dans le désert sans chapeau. Tenez, prenez ceci !

             Et Burton lui donne son casque Viking qui est brûlant.

             — Vous voyez, vous avez ici une petite ficelle, vous tirez dessus et ça agite les deux ailes pour ventiler l’air. Bon sur ce, adieu monsieur l’avenir et bon vent !

             — Merci. Bon vent de même. Vous allez dans quelle direction ?

             — Vers le Nord !, fait Speke d’un ton sec.

             — Qu’expektez-vous, Speke ?

             — Découvrir la source du Nil ! Et vous, pourquoi allez-vous vers le Sud ?

             — Pour découvrir la source du Neal.

     

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             Le Neal dont parle l’avenir du rock n’est pas un fleuve mais un Américain. Non seulement Neal Francis est américain, mais il est en train de devenir énorme. Shindig! lui donne un petit coup de pouce en saluant la parution de son deuxième album, In Plain Sight et en lui accordant la rubrique ‘It’s a happening thing’ dans l’un des derniers numéros : cette double fait un peu baver les grosses limaces que nous sommes, car l’invité y commente ses disques préférés. Neal Francis avoue des faibles pour Life Love And Faith d’Allen Toussaint («Toussaint’s production, songwriting and arranging during this period of his career were the largest influences on my first record, Changes»), pour le Live de Donny Hathaway («The 13-minute version of ‘Voices Inside (Everything Is Everything)’ that features Willie Weeks laying down probably the best bass solo of all time»), pour There’s A Riot Goin’ On de Sly & The Family Stone («Along with Innervisions, this may be the album I’ve listened to most in my life. It is at times sublime. Sometimes it’s frantic, psychedelic, drug-induced nightmare»), pour Let’s Take It To The Stage de Funkadelic («I used to listen to this album every morning on my way to high school»). Neal Francis salue aussi Bob James (plus jazz), Dorothy Ashby (plus Harpist) et Boards Of Canada (plus Scot).

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             Que déduit-on de tout ça ? Qu’In Plain Sight est forcément un big album, vu l’état des sources. Quand on écoute de bons albums, on fait généralement de la bonne musique et Neal Francis nous chope immédiatement avec «Alameda Apartments», un cut bien ramassé, bien storytellé, hérissé de bons réflexes, saturé d’orchestrations - Inside the Alameda Apartment/ Outside from the pouring rain - On le sent très aguerri, il gère sa pop-rock au mieux des possibilités, pas étonnant qu’il plaise tant aux Shindiggers. Comme il a du son, il est extrêmement crédible, et «Can’t Stop The Rain» enfonce bien le clou, ça joue au deep heavy. Il faut bien regarder la réalité en face : ce mec défonce les barrières. C’est du sérieux. Il recycle les élongations des anciens, ça baigne dans une sorte de gospel dévoyé à la Mad Dogs et là tu y vas, sans pinailler. On reste dans les énormités avec «Sentimental Goodbye». Il rentre dans le flanc du rocky groove d’I’m so sorry I missed you/ I couldn’t hear you with the radio on, il négocie un fabuleux m’as-tu-vu de plotach, il est superbe d’à-propos et d’Im so sorry, tout ça drivé au meilleur swagger de big burning sound noyé d’orgue. Neal Francis est un maître d’œuvre extraordinaire. Il bâtit des cathédrales. Dans «Asleep», il coiffe son génie avec des chœurs de filles géniales, il chante son brain is broken dans une ambiance surnaturelle, il plonge dans le feels like I wanna take a drink/ But instead I stop & think, il flotte dans la démesure de son son, il développe sa vision au long cours - Sleep in the arms of another/ Dreaming that we were still lovers - Ce mec est rompu à toutes les disciplines et il passe au big shuffle avec «Say Your Prayers». Il glisse dans un groove de down under, be above it all/ But I’m locked in bed. Comme l’ami Michaux, il s’engouffre dans la connaissance par les gouffres. 

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             Paru en 2019, son premier album Changes annonçait bien la couleur. On y trouve deux phénomènes d’osmose avec le cosmos, à commencer par «Put It In His Hands» qui est en fait un hommage direct à Sly Stone. Même power, comme si c’était possible ! Un power accueilli à bras ouverts par un chant d’exception, Neal Francis coince sa glotte dans le funk, c’est un converti, le power de Sly est explosé du ventricule par le solo de Sergio Rios et l’autre fou de Mike Starr se prend pour Larry Graham, il relance au heavy bassmatic et là t’es baisé, car c’est ici que ça se passe, chez ce démon de Neal Francis, le white Soul boy définitif explosé dans le ciel de sa passion. L’autre clin d’œil s’adresse à Allen Toussaint : «Can’t Live Witout You». On se croirait à la Nouvelle Orleans, c’est plus étalé dans le son, mais quelle classe ! Avec «This Time», il entre dans son album au groove vainqueur, mais avec un swagger de petit homme blanc qui s’y connaît. Il passe comme une lettre à la poste. C’est bardé de nappes de cuivres, comme si on était à Memphis. Rien qu’avec «This Time», il est admis dans la classe supérieure. C’est vrai qu’il y a du monde derrière lui. Ces killers de Chicago que sont Mike Starr et Sergio Rios voleraient presque le show. Avec sa voix de blanc, Neal Francis parvient à bricoler de la black, comme le montre encore «How Have I Lived». Il chante du haut de sa science, mais avec une volonté clairement affichée de r’n’b, les cuivres en témoignent, notamment ce vieux shout de sax demented. Encore une fabuleuse mélasse de good time music avec «These Are The Days», il est profondément inspiré, il drive son groove au plaisir pur et rejoint les accents funk au chant. Sur certains cuts, Mike Starr sonne comme James Jamerson («Changes Pts 1 &2»). «Lauren» montre encore une fois que Neal Francis a du funk plein la voix, il sonne un peu comme Johnny Guitar Watson. Dans l’osmose, il est encore plus balèze que Dan Penn ou Nino Ferrer («Je Voudrais Être Un Noir»).

    Signé : Cazengler, Neal Ranci

    Neal Francis. Changes. Colemine Records 2019

    Neal Francis. In Plain Sight. ATO Records 2021

    Neal Francis : Out of sight. Shindig! # 121 - November 2021

     

    Inside the goldmine

     - J’ai deux amours, mon pays et Paris

     

             Les boches bombardaient dur, les emmanchés ! On se planquait comme on pouvait. On craignait par dessous tout l’arrivée des marmites, ces monstrueux obus à ailettes qui ravageaient des tranchées entières et qui semaient la terreur dans la troupe. Pour fanfaronner, le gros, qu’on appelait le pouët, lisait un recueil du Mercure de France. Il faisait semblant d’afficher un calme olympien alors qu’on entendait siffler ces maudites marmites. Les boches préparaient l’assaut. On savait qu’on allait finir soit en charpie, soit crevé à la baïonnette. On avait entendu dire qu’aucun régiment ne pouvait résister à l’assaut de la 325e section, celle des Bavarois, les plus féroces. Le Colonel Dax avait demandé le renfort d’une section de tirailleurs sénégalais, les seuls troupiers qui ne craignaient pas la mort et qui se montraient au combat plus sanguinaires encore que les Bavarois. Un homme hurla : «Marmite !». Elle tomba en plein dans la tranchée et balaya tout des deux côtés, floooouffff, ziip, zaaac, bing, bang et badaboum, des terribles giclées d’éclats brûlants allèrent tailler des chairs et ouvrir des casques sur des centaines de mètres, fauchant la troupe comme les blés. Ça hurlait de partout, les pans de calcaire s’écroulaient sur les corps. Encore vivant, les Colonel Dax titubait et hurlait, «Baïonnette au canon !», «Brancardiers évacuez les saucisses !», «Vive la République, vive la Franche-Comté !», « À bas le prix du beurre !», «Les boches arriiiiivent !», «La garde meurt mais ne se rend pas !», «Ah ça ira, ça ira, les aristocrates à la lanterne !», il semait la stupeur parmi les survivants, l’un de nous devait se résoudre à l’abattre, il donnait des coups de sifflet et tirait des coups de revolver en l’air, «No future for you and me !», «Tout est à nous rien n’est à eux !», «Élections piège à cons !», puis il se mit à chanter : «J’ai deux amours/ Mon pays et Paris»...

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             S’il n’avait pas été abattu, le Colonel Dax aurait continué. Mais on ne saura jamais s’il pensait à Paris, ville lumière, ou à Priscilla Paris, la belle lead des Paris Sisters qui, comme leur nom ne l’indique pas, nous viennent de San Francisco. Leur mère qui est chanteuse d’opéra élève Albeth, Priscilla et Sherrell Paris pour devenir chanteuses, comme les Andrew Sisters. Priscilla est la plus jeune des trois - We did have a showbiz mom - Dans les early sixties, Lester Sill signe les Paris Sisters et il demande à Totor de les produire. Forcément, Jack Nitzsche est dans le coup. Avec ces trois blondes, on est au cœur du phénomène girl-groups que Totor va ensuite développer avec les Crystals et les Ronettes. Bien sûr Totor tombe amoureux de Priscilla, mais elle en aime un autre. L’album prévu des Paris Sisters ne voit pas le jour car Totor et Lester Sill se sont fâchés. Alors elles se retrouvent sur Columbia, MGM et Mercury et bossent avec trois sacrés cocos, Terry Melcher, Nick Venet et Mike Curb. 

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             L’idéal pour bien prendre leur mesure est de se plonger dans une antho des Paris Sisters et comme toujours, c’est Ace qui fait le nécessaire avec Always Heavenly. Grâce au Wall, elles sont capables de coups de génie, comme par exemple «Always Waitin’», produit par Mike Curb, chanté d’une voix de grosse pute, une vraie bénédiction. Le stomp est celui d’une armée de l’Antiquité en marche. On retrouve ces méchantes allumeuses dans «Why Do I Take From You», toujours produit par Mike Curb. Elles sucrent bien les fraises, on est pleine spectorisation des choses, au cœur de la prod d’extrême onction, une véritable explosion au sommet du lard fumé, elles grimpent là-haut sur la montagne. Totor ne produit que cinq cuts des Sisters, le plus connu étant «I Love How You Love Me», fabuleux deep chick pop, c’est d’un kitsch qui en bouche un coin. Mais Totor ne fait pas de miracles avec les autres cuts, «Be My Boy», «What Am I To Do» et «He Knows I Love Him Too Much». Par contre, «Once Upon A While Ago» groove bien, Totor renoue avec la pop magique. Jack produit quelques petites merveilles, comme par exemple «When I’m Alone With You», pure pop de Brill, mais composée par P.F. Sloan. Jack reste dans l’énergie du Brill avec «My Good Friend». Elles sont dans l’éclat de l’éclair avec tout le sucre du Brill, aw yes we’re still good friends, ah les garces comme elles chantent bien leur petit bout de gras. Jack orchestre «I’m Me» jusqu’à l’infini, c’est très tendu dans l’excellence des violons, on voit Jack là-bas au fond du ciel, avec son sourire énigmatique. Elles sont encore magnifiées dans «See That Boy», toujours en plein Brill, Jack orchestre à la racine du son. Il produit aussi une reprise de Burt, «Long After Tonight Is All Over» et puis «You», fabuleux cut car ramassé sous le boisseau, elles chantent comme des garces et collent au train du beat. C’est Jack et Jackie DeShannon qui composent «Baby That’s Me» et c’est Terry Melcher qui produit. Époque Columbia. On est content que Jack soit impliqué dans cette merveille inexorable, c’est du spectorish pur et dur. «Dream Lover» est un hit signé Bobby Darin et comme beaucoup de ceux qui précèdent, il est invincible. Les Sisters sont balèzes, elles chantent du haut de leur talent. Les amateurs de sex-pop se régaleront de «Lonely Girl», chanté dans la chaleur de la nuit des cuisses, c’est chaud et humide, on y glisserait bien la langue. Les Sisters sont atroces de Brillitude et c’est noyé de violons. Elles font de la pop d’époque, mais l’amènent avec esprit. One of the earliest 60s girl-groups, Albeth, Priscilla et Sherrell Paris auraient dû exploser. Diable, comme le destin peut être cruel. Album Columbia jamais sorti, projet Totorish avorté. Notez bien qu’en 1966, Jack produit Sing Everything Under The Sun, leur seul album paru sur Reprise en 1967.

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             Sing Everything Under The Sun n’est pas l’album du siècle, on est bien d’accord. Mais en même te temps, c’est l’un des albums fondateurs d’un courant musical qu’on va nommer the girl-groups Sound. Priscilla y fait de superbes numéros de shoo bee doo wap. Quasiment tous les cuts de l’album figurent sur Always Heavenly, sauf trois : «It’s My Party», «Born To Be With You» et «Too Good To Be True». Tout le mode connaît le fameux «C’est ma fête/ Je fais ce qu’il me plait» de Richard Anthony, l’adaptation française d’«It’s My Party», l’un des grands hits de Lesley Gore. Elles tapent ça à la langueur kitsch, c’est d’une mollesse divine, le son des fantômes dans l’écho du temps béni, cry for Ronnie. Yves Adrien ajouterait : «Tous les garçons s’appellent Ronnie». Elles chantent toutes les trois «Born To Be With You» et font de la heavy pop, elle tapent là un hit de Brill interlope, un peu capiteux, chanté à la force de persuasion, ce qui fait son charme. «Too Good To Be True» reste de la big pop de Brill, he’s so good to me, elles sucrent le sugar du so good et les chœurs lui susurrent à l’oreille so good to be true. Il faut avoir entendu ça au moins une fois dans sa vie. Quelle présence ! On applaudit bien fort Priscilla. On retrouve l’excellent «See That Boy» de Mann & Weil monté aux chœurs de cathédrale et le «Long After Tonight Is All Over» de Burt qui reste du big Burt, du sans surprise, du bien vendu, du payé sur la bête. Cette fantastique lady qu’est Priscilla tire toujours son épingle du jeu.   

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             On donnerait son père et sa mère en échange du Golden Hits Of The Paris Sisters paru en 1967. «I Love How You Love Me» ? Just perfect. Une merveille de pop sensuelle, un truc rare, chanté avec de l’intention à l’âge d’or de la pop. Absolute candy sex. S’ensuit un «I Don’t Even Care» tout aussi inspiré, comme doté de variations de vitesse, mais wow, on est dans une énergie ancestrale, alors wow, mille fois wow ! Allez-y les filles, on est avec vous, même quand elles ne font plus que de la petite pop palpitante. Elles se fondent dans l’air du temps d’avant avec «Can’t Help Falling In Love» et reviennent au candy sex en B avec «Be My Boy», une compo de Totor. Belle proximité. Joli, doux et tiède. Et ça continue avec «I Don’t Give A Darn», compo de Prisci qui te monte droit au cerveau, je vais et je viens entre tes reins/ Et je me retiens. Prisci récidive avec «Together», une fantastique purée de sunshine pop. Elles grimpent assez facilement dans l’azur marmoréen. Elles tapent aussi une irréprochable cover de «Yesterday», alors bravo les Sisters !

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             Priscilla Paris entama en 1967 une carrière solo et enregistra trois albums. Ace qui fait toujours très bien les choses en compile deux sur Love, Priscilla - Her 1960s Solo Recordings. Le premier s’appelle Priscilla Sings Herself. Priscilla y propose une belle pop proche du Wall, mais elle est très engagée dans sa politique interprétative et donc elle ramène du pathos. Elle compose quasiment tout. Son «I’m Home» est assez beau. Elle sait tartiner une Beautiful Song de rêve. Tout est parfait : la féminité, la proximité, l’américanité, no matter when I go. Mais sa tendance au pathos revient vite. Elle donne tout ce qu’elle a avec «He Owns The World», mais elle sonne comme Judy Henske, limite CGT. Elle revient à une pop superbe avec «My Window». Elle y crée son univers - I can feel the sunshine in my window - Elle bosse dans son coin et croyez-le bien, she does it right. Cette petite gonzesse teinte en blonde est affreusement douée. Elle se fond dans la pop de Brill, elle sait gérer son Brill, c’est excellent, puissant et délicat à la fois («I Can’t Complain»). Elle ne te lâche pas. C’est une battante. Bravo Prisci ! Et voilà qu’elle nous tape un coup de Jimmy Webb avec «By The Time I Get To Phoenix», elle rentre dans l’or du temps d’avant, mais elle y rentre à la voix d’or, elle sème son laid-back dans le poudroiement du crépuscule, c’est violonné par le haut et vautré dans du heavy groove. On a là la version hippie de ce hit cathartique. Avec «Some Little Lovin’ Lie», elle montre aussi qu’elle sait chanter à la voix de l’oreiller, mais elle en abuse, du coup ça sonne comme un encart sexuel. Elle plonge littéralement les mains dans la culotte du cut. Elle boucle cet album avec un «I Can’t Understand» qu’elle chante en parfaite allumeuse, au sucré de sexe. Une tendance qui se confirme avec le deuxième album, Priscilla Loves Billy, qui est l’un des albums les plus sexuels de l’histoire du rock. Dès «Just Friends», elle annonce la couleur. Elle crée de l’enchantement dans des voiles de violons et chante à la vaporeuse. Puis elle plonge avec «He’s Funny That Way» dans le groove de jazz, se montre intime dans l’intrinsèque, elle crée du sexe de proximité. Pas de pire allumeuse sur cette terre. Elle chante au sucre de sexe pur. Elle se rapproche de ta bite à chaque instant. Elle se transforme en fée pour «Stars Fall On Alabama». Son Alabeïma est d’une beauté irréelle, elle module toutes ses syllabes et son last night d’accent tranchant te rentre sous la peau. Elle s’efforce de sonner comme Billie Holiday, elle travaille la persistance de la présence, elle fonctionne au charme fou, elle te prend dans ses bras et te baise. Elle attaque «Moonglow» au groove de jazz. Moonglow est le groove de jazz par excellence, elle va et elle vient, c’est humide et chaud. Encore du groove de heavy round midnite avec «In My Solitude», cette fois joué au piano. Elle chante du ventre. Elle est supérieure en tout. Elle finit en beauté avec «Girls Were Made To Take Care Of Boys», elle est la fiancée de tes rêves, profite vite de sa présence car après c’est fini.

             Hélas, les deux albums floppent. Prisci est profondément déçue. Son compagnon et guitariste de jazz Don Peake fut le premier surpris de ce non-succès : «She should have been a star.» Évidemment. Dans le petit booklet d’Ace, Alec Palao nous apprend tout ce qu’il faut savoir de Prisci, ses deux fils, Edan et Seth, puis sa tentative de redémarrage à Londres avec Chap and Chinn qui composaient pour Suzi Quatro et Sweet, pour enfin boucler la boucle et s’installer à Paris. Fin brutale de l’histoire en 2004 : elle se casse la gueule chez elle, rue de la Bastille.

    Signé : Cazengler, Parigot tête de veau

    Paris Sisters. Golden Hits Of The Paris Sisters. Sidewalk 1967

    Paris Sisters. Sing Everything Under The Sun. Reprise Records 1967

    Paris Sisters. Always Heavenly. Ace Records 2016

    Priscilla Paris. Love, Priscilla - Her 1960s Solo Recordings. Ace Records 2012

     

    *

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    Le rock c’est comme l’armoire aux confitures : l’on y revient toujours, surtout pour tremper nos oreilles dans les pots qui émettent de délicieuses sonorités. La semaine dernière nous écoutions The Republic  de Thumos, nous avons eu envie de nous pencher sur l’EP précédent Nothing further beyond, mais nous referrant à Bandcamp, nous nous sommes aperçus que le groupe venait de ressortir l’opus sous forme de deux CD’s intitulés, Allegories and Metaphors regroupant tous leurs enregistrements précédant  The Republic. Thumos nous vient du Kentucky. Le groupe n’a pas plus de visage – à peine une photo plus que floue sur Instagram - que leur musique ne bénéficie de paroles.

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    DEMO COLLECTION

    (Juillet 2021 )

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    Il nous plaît à pense que cet homme barbu soit Virgile et point Homère. D’abord parce que Virgile avait l’habitude de faire lecture de morceaux incomplets de l’Enéide à des proches ou à des admirateurs, c’est en se laissant bercer par le rythme des vers qu’il en rajoutait d’autres à la fin des passages qui n’étaient pas terminés. Ensuite parce que l’on retrouve dans l’œuvre de Virgile de fortes allusions aux doctrines orphiques, et toute une numérologie qui n’est pas sans rappeler Pythagore dont les doctrines ont fortement inspiré Platon. Les morceaux que nous écoutons sont systématiquement précédés de l’image qui illustrait les pochettes des cassettes ou des disques originaux sur lesquels ils ont paru. Soyons juste, moindre des choses lorsque l’on parle de Platon, ne proférons point de mensonge, ne nous laissons pas dompter par nos vains désirs, la mosaïque représente bien Platon entouré de ses disciples.

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    La pochette du disque reste assez mystérieuse. A première vue un motif floral, mais l’œil ne peut détacher son regard des trois formes qui grossièrement évoquent des silhouettes humaines. Le jeu des couleurs possède sa signification, ombre noire sur la gauche, rouge sur la droite, moitié noire-moitié rouge collées l’une à l’autre, ne serait-ce pas une représentation symbolique du mythe de l’androgyne de Platon, selon lequel à l’origine existaient des êtres nommés androgynes à la fois féminins et masculins. Hélas pour les punir de leur orgueil Zeus les aurait coupés en deux, dissociant leur partie mâle de leur partie femelle. Aujourd’hui, ces parties séparées essaieraient de se retrouver, ce désir d’unicité correspondrait à cette attirance inexplicable entre deux êtres que l’on nomme, dans notre vocabulaire, l’amour.

    The spire : ( demo single / Juin 2018 ) :  (la flèche) : compressions sonores, les tambours roulent comme la flèche du temps court en avant mais le clinquanement des cymbales nous apprend que c’est une  course perdue d’avance, l’ambiance s’assombrit pour déboucher sur une sérénité victorieuse croissante, une mélodie s’installe, que se passe-t-il, la flèche du temps est repartie dans l’autre sens, elle courait dans la dissolution et la déperdition kaotiques, elle remonte maintenant vers l’éternité. Tout comme une moitié de l’androgyne qui aurait retrouvé son autre moitié et serait revenue à son origine.

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    La pochette de Mono No Aware ( sous-titré Pathos of things ) est facile à comprendre. Deux hoplites grecs au combat. Nous sommes à un moment précis de la joute, l’instant le plus cruel, la mise à mort, le vainqueur enfonce sa lance au bas du cœur de son ennemi. Mono no aware signifie en japonais le mal du pays.

    Hiraeth : ( demo Mono No aware Mai 2019 ) : la musique vient de loin, elle fond sur l’auditeur telle une menace, relayée par une martiale batterie, l’inéluctable est en route rien ne l’arrêtera, les coups du destin beethovonien se font entendre, l’oiseau de la mort glisse à toute vitesse vers nous, il descend en piqué, ses battements d’ailes mortuaires nous effraient, l’instant fatidique se rapproche, et se distend, impossible de ne pas penser à la terrible scène de l’Illiade dans lequel Achille écoute sa prochaine victime   l’implorer, il est jeune, il est riche, ses parents paieront une confortable rançon, mais Achille lui répond qu’il ne peut rien, que c’est ainsi que les Dieux et les Destins en ont décidé, qu’il ne tire aucun plaisir aucune gloire de l’acte qu’il est en train de commettre, mais que personne ne saurait s'y opposer, les coups du Destin s’accélèrent, la musique s’enfuit et gargouille tel un flot de sang qui coule. Morrina : (idem) : tout comme le précédent ce titre peut se traduire par mélancolie, tristesse. Un deuxième mouvement dans la continuité de l’autre, mais en mineur, un ton plus bas, moins rapide, des coups de basse qui tombent comme le glas évoquent tout ce que l’on perd, l’on repense à Achilles déclarant à Ulysse qui a convoqué son ombre, qu’il vaut mieux être un vulgaire gardien de porcs vivant qu’un héros mort dans les Enfers. Nous sommes ici dans une vision de la mort totalement anti-platonicienne, peut-être est-ce pour cela que la guitare claironne, que la ligne mélodique devient plus attrayante, est-ce pour signifier que la véritable mélancolie est celle de l’âme exilée en un corps qui se souvient de son séjour au royaume des Idées, mais non, cette corde de guitare finale lentement égrenée comme des roses jetées sur un cercueil, nous rappellent combien notre vie sur terre est douce

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    La douceur de la teinte charnelle de la pochette de Mono No Aware II contraste avec la noirceur stylistique de Mono No Aware I, les mêmes ombres noires, ici elles ne combattent pas, une scène heureuse, un couple, des enfants : un garçon, une fille. Peut-être peut-on l’interpréter autrement, sans en changer le sens, la femme ne serait-elle pas Aphrodite qui dans un ancien culte était une terrible divinité de la mer, et l’homme ne serait-il pas Asclépios, Dieu de la médecine, à qui dans le Phédon Socrate consacre ses dernières paroles avant de mourir. Le sous-titre de l’opus Lacrimae Rerum est une citation du Chant I de l’Enéide de Virgile, Enée confronté  à une peinture représentant Priam roi de Troie ne peut s’empêcher de s’écrier que les larmes des choses humaines touchent le cœur des mortels.

    Symbiosis : ( demo  Lacrimae rerum – Mono No aware II : mélancolie / Février 2020 ) : musique vive, presque joyeuse, nous voici plongés dans l’épopée humaine, tous ses malheurs mais aussi toutes ses splendeurs, ses merveilles quotidiennes, cette geste continuelle de sentiments qui fondent notre existence terrestre. Ici nous sommes malgré tous nos déboires heureux. Un instant de rémission avant l’horreur finale. Transtemporal : (idem) : la notion de transporalité est difficile à définir, serait-ce la mémorisation des instants passés, soit le retour dans nos vies antérieures, ici le rythme de la musique, rapide, enthousiaste, nous invite à penser plus loin, il s’agit certes de traverser le temps, pas du début à la fin, mais totalement, de sortir hors du temps, de passer dans ce qui n’est plus le temps mais l’éternité. Désormais la musique danse une farandole endiablée, rayonnement de l’âme qui atteint le monde supérieur idéel dont notre vie n’est qu’un pâle reflet.

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    Pas de problème pour la pochette d’Unwriten  doctrins, une statue de Platon. Si toute une large partie de l’espace est peuplée d’un bleu nébuleux, peut-être est-ce pour signifier que l’essentiel de la pensée du philosophe n’est pas accessible par tout le monde.

    Comme beaucoup de philosophes antiques Platon dispensait deux sortes de cours. Les exotériques dispensés aux étudiants et les ésotériques destinés à de rares élus. Si les premiers circulaient sous forme d’écrits, l’écriture des seconds était prohibée. L’enseignement, l’acquisition et la transmission était exclusivement orale. Il ne reste rien des cours ainsi professés par Platon.  Cette tradition des enseignements non-écrits de Platon remonte à Aristote qui fut son élève. Des tentatives de reconstitution ont été élaborées. Léon Robin en reste l’initiateur. Rappelons que la traduction des œuvres de Platon  par Léon Robin, est celle de La Pléiade.  Nombre de ces dialogues ont aussi paru en collection de poche. 

    Anamenesis : (demo  Unwritten doctrins / Décembre 2020 ) :   ils exagèrent un peu nos thumosiens, l’anamenesis est largement accessible dans les écrits de Platon, les doctrines non-écrites portaient avant tout sur une analyse des déclinaisons de l’Un. Abats de catapultes battériales, la musique suit une courbe ascendante, uniquement marquée par une lente accélération. Se souvenir de ce que ou de qui l’on a été en des vies antérieures n’est pas primordial, c’est-là rester dans la sphère corporelle, la grande séparation ne réside pas entre soi et un autre, mais dans le fait que l’âme immortelle peut se souvenir des idées intelligibles, que seule la partie noétique de notre esprit est capable de réaliser. Ce morceau est un tantinet décevant, trop simpliste dans son déroulement, pas assez imaginatif. Serait-ce pour décourager les individus pas assez motivés de se lancer dans l’aventure. Emission : (idem) : Le Kr’tntreader pourra se reporter à notre étude de L’anthologie des écrits de Jim Morrison. Pas si farfelu que cela le chanteur des Doors quand il déclare que la télévision nous regarde. La lumière qui permet de voir un objet émane-t-elle de l’œil ou de l’objet lui-même. Les philosophes grecs se sont longtemps disputés sur cette question. Est-ce le monde qui nous fait signe ou nous qui faisons signe au monde. Platon adopte une position intermédiaire. Les rayons émanés de l’objet et de notre œil se rejoignent. C’est notre part divine qui rencontre le reflet du divin que sont les objets. Belle intro, la batterie a l’air de couper les cheveux en quatre et même de les hacher menu, quant aux guitares elles montent et descendent des échelles sans fin, galopades effrénées aux quatre coins du cerveau, des assertions brutales et définitives sont assénées mais l’entortillement balancé des guitares, reprend de plus belle. Sur la fin, l’on tourne à la démence. Duels où tout le monde finit par s’entretuer. Morceau bien supérieur au précédent qui semble un peu sans âme. Un comble pour Platon ! Aporia : : (idem) :  sans doute trouvez-vous que les raisonnements de Platon vous laissent dans l’expectative, que sans être d’accord avec lui, ses objections ne vous semblent pas stupides. Qu’il évoque des problématiques dans lesquelles l’on s’englue facilement. L’est vrai que Platon n’apporte pas toujours des solutions toutes faites. Semble ne pas avoir des idées bien arrêtées ! Dites-vous que ces énigmes ont le mérite de vous forcer à réfléchir. L’on dit que l’univers compressé contiendrait dans un dés à coudre, c’est cette sensation que fournit le background de ce morceau un bourdonnement touffu de basse, une guitare qui se déplace lourdement qui se cogne à tous les murs du labyrinthe dans lequel elle a du mal à se diriger. Une espèce de pachyderme arrêté par une vitre incassable, il avance mais cela ne change rien à sa situation, erre de cul-de sac en cul-de-sac, se retrouve bloqué, silence, trois coups de symboles et la bestiole fonce droit devant, elle brise les   cloisons de briques dure du dédale, peine perdue, elle n’en est pas plus avancée pou cela. La musique s’arrête brusquement stoppée dans une impasse. 

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    Avec cette couve nous changeons carrément d’époque. Bye-bye l’Antiquité, bonjour le Moyen-âge, célèbre gravure d’Albretch Dürer, Le chevalier, la mort et le diable. Ces deux titres sont tirés d’une compilation intitulée Démiurge : Le satanisme et la magie produite par Ritual Abuse Hysteria ( on y retrouve outre Thumos les groupes : Maw, Glyph, Reproach, The Bleak  ). Le satanisme et la magie est aussi le titre d’un titre de Jules Bois, vivement intéressé en ses débuts par l’ésotérisme, il côtoya l’Ordre Hermétique de l' Aube Dorée et finira par se féliciter de l’expansion du catholicisme. Le lecteur se demandera ce que nos platoniciens viennent faire dans le continent   médiéval. La réponse est donnée par l’emploi du mot Démiurge emprunté à la gnose, courant de pensée qui dans l’Antiquité tardive mélangea le christianisme à la philosophie de Plotin. Plotin, l’héritier de Platon. Platon qui lui-même utilisait le mot démiurge.

    The betrayer is come : étrangement ces titres me font penser à des figures du tarot, mais ne nous égarons pas. Pour faire le lien avec Platon disons que ce menteur est l’équivalent de la réalité qui n’est que mensonge. Ambiance sombre. Le danger est partout. Encore plus menaçant qu’on le suppose, la batterie comme un serpent qui s’enroule autour de vous, les guitares vous enlacent et tout ce magma brûlant tourne à toute vitesse. Perfidies agissantes. Silence. Pas le temps de réfléchir. L’enveloppement recommence, plus lent, mais plus puissant, se précipite, vous étreint, vous empêche de respirer, s’incruste dans votre peau, comprime vos thorax, plus le temps de respirer, vous êtes pris au piège. Un dernier effort, vous êtes mort. Know the face of the Destroyer : moins sombre, l’Adversaire n’a pas besoin de se cacher, musique qui se dresse comme une tête de reptile décidé à vous barrer le chemin. Reptations de guitares, pas de batterie qui marche u pas de l'oie sur vous sans attendre, la bête est en face de vous, la basse imite son grondement, elle crache du feu par ses naseaux, le rythme s’accélère, la tension monte. Elle attaque, vous croisez le fer avec elle, des notes de tristesse vous submergent, il va falloir quitter ce monde. Des pas se précipitent, qui vient vous apporter le grand destructeur, la mort, ou la vie. Cassette puissante. En plus maintenant vous savez que le grand destructeur possède deux faces, tout aussi fascinantes l’une que l’autre

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    THE END OF WORDS

    ( Juin 2021 )

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    Encore une pochette évidente. Gros plan sur le visage de Platon.  Question philosophie Thumos pourrait tout de même se préoccuper davantage de l’esthétique. Montrer une portion du buste suffit. Le titre, la fin des mots, est à comprendre en tant que mots ultimes. Les quatre titres correspondent à quatre des concepts cardinaux de la pensée platonicienne. Par lesquels Platon a tenté de répondre à la question, qu’est-ce que l’âme. Quelle est sa nature.

    Epithusmetikon : une vrille qui fore, qui va de l’avant, que rien n’arrêtera, l’épithusmetikon, c’est ce courage qui nous fait avancer, avoir du cœur à l’ouvrage que nous entreprenons, c’est un peu la force vitale qui nous porte, l’on pourrait s’attendre à une musique plus rapide, non elle est lente, un peu comme si vous vous arcboutez  contre un rocher et que vous le poussiez dans un corps à corps inébranlable, vous bandez vos muscles et la roche recule, doucement, vous redoublez d’effort, la vie n’abdique jamais dans votre poitrine, vous progressez doucement mais sûrement. Thumoeides : l’on reconnaît dans ce mot la racine Thumos,  ce n’est pas la colère  en tant que caprice, ou passion submergeante, mais cette force intérieure qui vous pousse à agir, la composition de ce morceau est caquée sur le précédent, la même poussée, mais beaucoup plus violente, qui bouscule les obstacles, écroulement de batterie et riffs tenaces, toute cette énergie que vous déployez est une des qualités de votre âme, qui se transformera en volonté ( de puissance ajoutera Nietzsche plus tard ), on peut la considérer comme un effluve du divin qui vous permet de vous surpasser. Guitares triomphales, qui chantent et célèbrent la nature physique de l’homme en tant qu’émanation de quelque chose de plus subtil, qui participe d’un autre plan. Logistikon : l’homme n’est pas qu’une brute animalement instinctive, la partie la plus élevée de son âme lui permet de réfléchir - musique combinatoire qui n’est pas sans évoquer une partie d’échecs, sur le damier du monde, l’esprit fomente de savantes stratégies - elle joue, elle insinue, elle pousse ses pions, elle ne se fie pas au hasard, c’est son existence qui est en jeu, guitares brillantes et nerveuses, batterie opératoire et basse impulsive, la partie n’est pas jouée d’avance, encore faut-il en comprendre l’enjeu. Pas d’incertitude, une maîtrise évidente, qui contourne les difficultés. Metempsychosis : jaillissement musical, l’enjeu était de taille, comprendre que l’âme doit se séparer du corps, coups de maillets de la batterie pour l’aider à s’en détacher. La mort n’est qu’un passage. L’âme est emportée en un immense tourbillon de guitare, elle entre dans le jeu des réincarnations, autant de fois que nécessaire pour choisir la meilleure possible, afin  d'accumuler lors des séjours dans le monde des apparences la sagesse qui vous permettra de rester dans la contemplation des Idées premières. Pas à pas, mais une montée souveraine, à vous de faire tourner la noria infatigable des destins et de vous en affranchir définitivement. La musique s’apaise, elle ressemble à l’harmonie qui préside à la danse silencieuse des sphères.

    Note :  si nous avons privilégié le mot  Colère pour traduire  le nom du groupe, au détriment d'émotions, coeur, courage, volonté, c'est que Thumos est un groupe de doom qui n'est pas une musique particulièrement planante...

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    NOTHING FURTHER BEYOND

    THUMOS

    ( Septembre 2021 )

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    Enfin nous abordons l’opus qui précéda de quelques mois la sortie de La République (voir Kr’tnt 541), il est en fait une préparation à ce dernier ouvrage. 

    The ecumene : le morceau de soixante-dix secondes sonne comme une ouverture d’opéra (hélas trop courte ) ou mieux encore mieux comme un générique de film d’aventure. Une aventure intellectuelle certes, mais surtout humaine. Le terme français écoumène ne nous parle guère, nous préférons utiliser la transcription plus fidèle au vocable grec, oikouméné qui désigne autant la terre habitée que sa population. Reste à le mettre en relation avec la pochette du disque. Cet individu solitaire dans son fragile esquif serait-il Ulysse voguant vers Ithaque, ou est-il un personnage emblématique représentant l’Homme qui se dirige vers la terre pour rejoindre ses semblables, et sur quelle mer navigue-t-il, serait-ce le fleuve Okeanos encerclant le monde habité, et les dauphins qui l’accompagnent sont-ils le symbole de l’Atlantide le mystérieux continent englouti situé au-delà des colonnes d’Hercule, cette Atlantide que Platon nous décrit comme un royaume idéal. The pillars : une première réponse nous est donnée par l’illustration du compact Disc, pas besoin d’être grand savant pour reconnaître les colonnes d’Hercules, et non pas celles d’un temple quelconque, l’inscription latine nec ultra qui signifie qu’il n’y a rien de mieux, qu’il est inutile de chercher plus loin, est à mettre en relation avec le titre de l’album : Nothing Further Beyond ( rien au-delà ) à ne pas prendre pour une revendication athée – il n’y a rien au-delà de la matière – il faut entendre que l’homme ne doit pas se perdre en des explorations lointaines, ou des rêves fumeux, qu’il doit se contenter de faire son bonheur dans le lieu de l’endroit où il est né, dans sa patrie, dans sa cité. Musique resserrée, au contraire du prologue qui ouvrait sur de vastes espaces, l’orchestration réduit la surface de nos investigations. Desséries de ricochets nous préviennent que la tâche qui nous attend n’est pas facile, elle est vaste, les guitares deviennent lyriques, l’horizon s’ouvre, si l’on ne peut s’étendre à l’infini, pour croître et bâtir l’on ne peut que monter, vers le haut pour employer une expression pléonasmatique. The noble lie : Le lecteur aura compris qu’il s’agit d’édifier, un pays, une ville correctement gouvernée, en d’autres mots une Cité qui corresponde aux préconisations du dialogue La République. Gouverner les hommes n’est pas facile, les persuader qu’ils doivent obéir et rester à la place qui leur sera impartie encore plus. L’on a donc le droit de leur mentir, non pour profiter d’eux ou les asservir, mais pour leur bien. C’est ce que Platon nomme le noble mensonge. Un exemple concret : pour les mariages les couples sont tirés au sort, égalité parfaite, mais il est nécessaire de truquer le tirage de telle manière que chacun s’allie à une personne de son niveau social. Tromperie, mais le plus important c’est que l’élite garde le pouvoir… La musique n’est pas hypocrite, elle dresse des murailles d’airain, n’oublions pas les trois remparts qui encerclaient Atlantis, n’empêche qu’ensuite les rebondissements rythmiques de la pâte sonore ont l’air de se moquer du monde, le mot bouffonnerie nous vient à l’esprit, voudrait-on nous instiller l’idée que le peuple est dévolu au rôle du bouffon de service. Si certains ne sont pas contents la batterie vous rabat le caquet, en vous tapant sur la tête, sur la fin vous avez droit à une espèce de farandole hilarante, une réunion de beaufs que l’on distrair en leur faisant danser la chenille. Que le peuple s’amuse et soit heureux. The dilemme : cette manière d’agir peut causer des remords de conscience. Evidemment c’est pour le bien du peuple et le bien provient des Dieux. Tout de même si l’on se déclare pieux – c’est-à-dire que l’on agit dans le respect des Dieux (Louis XIV roi de droit divin avait simplifié la formule ) – est-on pieux parce que l’on est aimé des Dieux ou les Dieux nous aiment-ils parce que nous sommes pieux. Gros dilemme. En d’autres termes sommes-nous favorisés par les Dieux, ou les Dieux nous aiment-ils parce que nous sommes naturellement pieux. Sous-entendu : le pouvoir que nous détenons le devons-nous à nos mérites ou aux Dieux. Autrement dit quelle est la légitimité du pouvoir politique. Platon ne prend pas parti. Qui saurait parler à la place des Dieux… S’en sort en déclarant qu’être aimé des Dieux et être pieux sont deux choses de natures différentes, l’on n’additionne pas des vaches avec des chevaux vous a-t-on appris à l’école. Thumos ne s’attarde pas sur ces subtilités, à peine expose-t-il le problème en moins de deux minutes, use de grandiloquence, sans doute est-ce la seule manière de faire ressortir l’importance du sujet qui pourrait apparaître comme d’ineptes arguties aux esprits primesautiers. The chariot : pas idiot Platon, quand la face nord d’une montagne est trop glissante on l’attaque par la face sud. Non on ne l’escalade pas avec un char (fût-il de guerre). Non le chariot n’est pas autre chose que votre âme qui après votre mort s’envole vers le monde des idées. A vous, lors de votre existence, de bien maîtriser vos chevaux, le blanc qui représente votre intelligence ne se laisse pas distraire, il est déjà sur la route qui vous mènera vers le lieu convoité, hélas le noir chargé de tous vos désirs terrestres n’a qu’une envie, celle de   brouter l’herbe juteuse des verts pâturages. S’il prend le dessus, votre âme retournera en exil sur notre planète, comme au jeu des petits chevaux, vous restez bloqué dans l’écurie et vous refaites un tour pour rien. Comment rendre la course de l’âme, Thumos a choisi celle de l’étoile filante qui ne dévie pas de sa trajectoire et file droit, les cymbales jouent le rôle des soubresauts du moreau qui renâcle, mais le blanc le force à galoper dans la bonne direction, le noiraud freine, l’on ne sait plus sur quel galop danser, lequel des deux prendra le mors aux dents, espérons aucun, les cymbales claquent comme des coups de fouets sur des croupes rebondies, c’est le cocher qui doit guider et pas les chevaux, ralentissement, est-ce une reprise en main, arrêt brutal. Vous avez perdu. Tilt ! The great beast : qu’est-ce que cette grosse bête. Quel monstre cache-telle, est-ce un tigre rugissant, un rhino-féroce, un dragon cracheur de feu, voulez-vous comme Alexandre le Grand vous ruer sur votre épée pour affronter seul à seul un lion sauvage, pas la peine. La grosse bête est en vous. Elle grouille dans votre sang, dans vos entrailles, elle est la somme de tous vos désirs, de toutes vos turpitudes. Vous avez intérêt à vous en rendre maître, à dominer vos instincts bestiaux, sans quoi vous êtes perdu. Très logiquement le morceau commence comme le précédent a terminé. Peu à peu vous apercevez que le rythme piétine, la batterie a beau produire des roulements, elle tire sur le démarreur mais le moteur ahane, vous êtes dans la mouise complète, la musique vous entoure, elle vous cerne, elle vous suit comme une ombre, elle prend même comme une teinte funèbre, devient un peu pesante, juste pour que vous compreniez que vous pédalez malgré tous vos efforts dans votre propre caca, tant pis pour vous, trop tard !  Vous avez compris votre seule chance de réussite, lire les explications et la méthode à suivre dans la République de Platon. Pour ceux qui n’aiment pas lire, vous avez de la chance, le disque suivant de Thumos en est justement une transcription musicale.

    Tous ces titres sont repris sur la compilation Allegories & Metaphors dont nous vous laissons admirer la double pochette intérieure.

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    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' roll )

    Episode 20

    Charlie Watts semble hésiter, sa main droite farfouille l’espace, sa gauche semble chercher quelque chose à l’intérieur de sa veste. Ses yeux se voilent d’incertitude. La voix du Grand Ibis Rouge tonne :

    • Charlie, vous aviez promis, vous vous êtes engagés, vous êtes devenus grâce à ma protection le plus grand groupe du monde, mais n’oublie pas Charlie, la mort c’est comme la vie, donnant-donnant, obéis Charlie, sinon ma colère sera terrible !

    Mon esprit alerte saisit la balle au bond :

    • Charlie ne l’écoute pas, votre talent seul est responsable de votre succès planétaire, cet ibis de malheur raconte des mensonges, regarde, il ne peut rien contre nous, nous avons réussi le contre-rituel de protection, ce n’est qu’un épouvantail incapable de faire peur à une volée de moineaux !

    Avez-vous déjà entendu un ibis rouge ricaner ? C’est une expérience difficile à supporter, des milliers de grenouilles coassent à l’intérieur de votre oreille gauche, la droite n’est guère mieux lotie, je ne sais pas trop à quoi ça ressemble, j’opterais pour un hennissement de dinosaure englué dans une toile d’araignée géante, je peux me tromper, sachez que l’effet est en même temps horrible et lugubre. Heureusement après deux rafales de rires strénogoïque, le GIR se remet à parler :

    • Arrêtez de me faire rire avec votre contre-rituel de protection, sachez qu’il n’existe aucune parade à l’action de Charlie, lorsque je lui insuffle l’énergie ibisique il se transforme en une espèce de guerrier zombïique que rien ni personne ne peut arrêter, n’est-ce pas vrai Charlie, dis-le leur avec tes mots à toi, ils te comprendront mieux.
    • C’est vrai, balbutie Charlie – il se rassoit – je vais tout vous raconter…

    Les filles poussent des soupirs de soulagement. Le Chef en profite pour allumer un Coronado.

    • C’est une vieille histoire – Charlie parle-vite, l’on sent qu’il a envie de lâcher le morceau, un peu comme vous à la confesse quand vous révéliez au curé vos turpitudes morales – c’est en 1967, l’année où nous avons sorti Flowers – les filles se mettent à chanter en chœurs Let’s spend the night together, ce titre a l’air de les mettre en joie, Charlie n’est pas d’accord – mais non c’était un titre pour les garçons, nous avions dédié aux jeunes filles quelque chose de plus romantique comme Lady Jane!
    • Continuez Charlie, damoiselles taisez-vous, les vrais rockers préfèrent Have you seen your mother, baby, standing in the shadows ? Ah ! si vous aviez continué avec ce genre de monstruosité, regrette le Chef en exhalant douze ronds de fumées emboîtés les uns dans les autres !
    • Sûrement… Charlie ferme les yeux, le souvenir lui est manifestement pénible… Ce ne sont pas les chansons qui sont à ‘origine de l’affaire !
    • La pochette, j’en suis sûr, s’exclame Joël, je la visualise très bien avec les cinq fleurs dont vos figures forment les corolles ! Je ne vois pas en quoi…
    • Nous non plus, it was funny, quelques mois après nous avons été contactés par un homme d’affaires
    • Un de mes émissaires, le Grand Ibis Rouge s’immisce dans la conversation, un chantage, un petit chantage de rien du tout !
    • Des millions de dollars s’insurge Charlie, l’avait tout un tas de journalistes qui préparaient des articles affirmant que l’espèce de tulipe sur laquelle repose la tête de Keith était une fleur de chanvre, que l’on faisait la promotion de la drogue, le gouvernement et la Reine étaient prêts à soutenir l’entourloupe, l’on était dans de sales draps, pire que l’affaire de Jerry Lou et son mariage avec sa cousine !
    • Et vous avez payé ?
    • Vous savez, moi et l’argent - le Grand Ibis Rouge, vous a une voix mielleuse à engluer les ours polaires – que ferai-je de quelques millions de dollars, je suis le maître du monde, tout m’appartient, rien n’est à vous.
    • Non on n’a pas payé, on a passé un deal. Un bon deal d’ailleurs. L’émissaire nous a dit que son patron adorait les Stones, qu’il voulait simplement que l’on chante une chanson qu’il avait composée… Au début on a rigolé, l’on croyait avoir affaire à un hasbeen… mais quand on a vu la chanson et les accords, l’on s’est aperçu que c’était un superbe morceau, bien supérieur à tout ce que l’on avait créé auparavant… c’était sympa, d’autant plus qu’il nous laissait les royalties… alors on a signé, un bon contrat, le meilleur !
    • J’ai toujours pensé que j’étais un bienfaiteur de l’humanité, coasse le Grand Ibis Rouge, un véritable philanthrope !
    • De plus en plus passionnant - le Chef relâche de gros nuages de fumée, l’on dirait de grosses bulles qui se seraient échappées d’une bande dessinée géante pour aller visiter le monde – je suppose que cette chanson était Sympaty for the Devil!

    Sur ce pris d’une étrange frénésie nous nous mettons tous à hululer, hou-hou ! hou-hou ! hou-hou ! et Charlie revigoré par notre entrain mime le rythme sur une batterie imaginaire. L’en est tout ragaillardi, le sang afflue à ses pommettes, j’improvise des paroles, please let me allow myself, I’m the great and red ibis, i’m the king of the universe, le Coronado du Chel relâche maintenant d’énormes nuages noirs de fumée, les mêmes qu’envoyèrent à Little Big Horn les guetteurs Cheyennes avant de scalper les tuniques bleues…

    Etrangement le Grand Ibis Rouge n’a pas l’air d’apprécier notre interprétation de son chef-d’œuvre, tous les goûts sont dans la nature, toutefois avec Charlie dans l’équipe, nos cœurs féminins et les effets spéciaux du Chef, ce n’était pas mal du tout. Vous remarquerez ma modestie qui a préféré ne faire aucune allusion à ma performance vocale, car l’on ne saurait en toute équité être juge et partie. Bref l’ibis rouge pique une crise de colère noire :

            _ Charlie, prends ton bec et tue-les tous !

       _ Ô mon maître vénéré, ô grand Ibis rouge sang, je suis prêt à exécuter tes ordres, mais les chiens ont subtilisé l’arme sacrée et l’ont cachée je ne sais où !

        _ Tu tueras ces pâles bêtes en premier, je veux que ce soient l’agréable odeur de leur charogne qui vienne en premier chatouiller agréablement mes narines !

          _ Oui, mon maître adoré, les chiens en premier et tous les autres après, que la pestilence de leurs cadavres ensanglanté soit l’encens qui monte pour honorer ta royauté, mais je n’ai pas d’arme !

    Il y eut un sifflement, un long objet métallique pointu et cylindrique se ficha dans le sol à quelques mètres de nous

          _ Prends, serviteur fidèle et accomplis ta tâche !

                                                                                                                                A suivre…