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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 57

  • CHRONIQUES DE POURPRE 546 : KR'TNT 546 : MARK LANEGAN / JAZZ BUTCHER / LEON BRIDGES / EARL BRUTUS / BOURBIER / ALIEN LIZARD / HOWLIN' JAWS / MARIE DESJARDINS / CHRIS BIRD + WISE GUIZ

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 546

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    17 / 03 / 2022

    MARK LANEGAN / JAZZ BUTCHER

    LEON BRIDGES / EARL BRUTUS

    BOURBIER / ALIEN LIZARD

    HOWLIN’ JAWS / MARIE DESJARDINS

    CHRIS BIRD + WISE GUIZ

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 546

    Livraisons 01 - 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :   http://krtnt.hautetfort.com/

     

    Lanegan à tous les coups - Part Six

     

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             À force de tenter le diable et de jouer avec les near-death experiences, Lanegan a fini par  casser sa pipe en bois. Mais il le fait avec le brio qu’on lui connaît. Un dernier album aurait été accueilli à bras ouverts. Mais non, il nous laisse à la place un petit book, Devil In A Coma, qu’on rangera dans l’étagère à côté du There’s One In Every Town de Mick Farren, de l’Hellfire de Nick Tosches et du Dark Stuff de Nick Kent. Car voilà bien un chef-d’œuvre, un étrange chef-d’œuvre devrait-on dire, car au talent fou qui le caractérise, Lanegan ajoute l’art de la pirouette et l’insolence. Et plane par dessus tout ça l’âcre odeur de la terre de cimetière.

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             Lanegan y narre d’un ton atrocement guttural le cauchemar d’un séjour de plusieurs mois en soins intensifs, dans un hôpital irlandais, pays où il a trouvé refuge après avoir fui la Californie. Il ne donne guère de détails sur les circonstances de sa fuite - Hellhounds at my back in Los Angeles - Il a chopé le fameux virus dont tout le monde parle et il doit être hospitalisé. D’où la pirouette. Au lieu d’évoquer Kurt Cobain et Jeffrey Lee Pierce, cet imbécile nous parle du virus pendant 150 pages, avec tous les détails, les tuyaux, les branchements, les vieux en train de clamser dans la même chambre d’hosto, il ne nous épargne rien. Ah c’est malin ! Pendant deux ans, on a tout fait pour chasser toute cette fucking médiatisation par la porte, et pouf, elle revient pas la fenêtre avec Lanegan. C’est d’autant plus odieux qu’il essaye de prouver sur son lit de douleur l’existence d’un virus qui n’existe que dans sa tête. Il va même très loin au fond de son psychisme, c’est souvent d’une violence terrible, il nous entraîne dans son délire, il atteint un niveau de dénuement encore plus extrême que celui développé dans son livre précédent, le crucifiant Sing Backwards And Weep.

             Lanegan pourrit vivant sur son lit d’hôpital, dans son corps comme dans sa tête et il nous livre tout. Tu en as pour deux à trois heures, si tu veux avaler ça d’un trait, mais après tu ne te sentiras pas très bien. Ce démon t’aura contaminé. Merveilleusement contaminé. Il commence par tomber dans les pommes chez lui, dans sa baraque irlandaise du conté de Querry. Il refusait d’aller à l’hosto, mais sa femme a appelé une ambulance - behind my back, c’est-à-dire dans son dos - I eventually ended up in intensive care, unable to draw oxygen and was diagnosed with some exotic new strain of the coronavirus for wich there was no cure, of course. I was put into a medically induced coma, none of which I remembered - Voilà du pur Lanegan, cette longue phrase se déroule au rythme de sa voix, il écrit des vers, de la prose, en attendant le jour qui vient, dirait Aragon. Oui, c’est exactement ça. Il prend le prétexte d’une maladie exotique pour faire de la littérature. La phrase est si parfaite dans son rythme et sa construction qu’on se surprend à la relire plusieurs fois pour en apprécier la musicalité. Le diable est entré à l’hosto avec le rock’n’roll. Lanegan va détrôner Céline qu’on croyait maître absolu du dithyrambe des corps souffrants.

             Lanegan se voit administrer des calmants, il en cite trois Sequorel, Xanax, OxyContin, mais ça n’a aucun effet sur lui - I’d been self-administrating elephant-sized doses of the same shit on and off for years - Eh oui, Lanegan est le prince des tox. Il a battu tous les records. C’est lui qui l’affirme. Profitons de l’occasion pour rappeler que l’autre grande dimension laneganienne est l’exagération. Tout chez lui est plus dur, plus violent, plus âpre, plus immoral que partout ailleurs. Comme Cash dans son autobio, Lanegan fait de sa maladie un chef-d’œuvre. L’exagération fait partie de son jeu et on l’accepte à partir du moment où on comprend que ça tonifie son style. Chez une oie blanche, l’exagération ne passe pas. Chez Lanegan, c’est cohérent, parce qu’il est naturellement violent et amoral - To me it was a second nature to eat tablets like candy - Il adore aussi rappeler qu’il est très limité d’esprit et que la réalité ne l’intéresse pas du tout - La myopie qui m’a largement handicapé toute ma vie m’a enraciné dans l’à peu près, in the here and now, et je pensais rarement à autre chose que l’à peu près, surtout s’il fallait commencer à réfléchir à l’avenir, some far-off distant future never-never land. Such places did not exist in my limited scope of reality - Cet homme qui est en réalité extrêmement intelligent veille à rester dans l’ombre. Il s’interdit toute vision.        

             L’insolence ? Oh que oui et à bien des égards. Il faut entendre l’insolence au sens où l’entendait Céline, une insolence qui flirte avec l’amoralité du comportement, cette amoralité qui dans le cas de Céline, comme dans celui de Lanegan, nourrit le style. Un homme vertueux n’écrirait ni comme Céline ni comme Lanegan. Il écrirait comme Paul Claudel et ferait interner sa sœur dans un asile. Nous on préfère Lanegan à l’hosto. Au moins on se marre. Il faut être possédé par de sacrés démons pour pouvoir choquer comme sait choquer Lanegan. Il est le premier à reconnaître que sa rage de vivre dépasse les normes - I’d lived like a fire raging through a skyscrapper, a cauldron of negative energy - Il se compare à l’incendie qui ravage un gratte-ciel, à un chaudron de négativité. Comme dans son livre précédent, il se repent, mais c’est pour mieux persévérer - And I continued to careen like a demented pinball off anything and anyone in my way, piling up a small mointain of sorrow, calamity, sadness and trauma - Il continue de rebondir ici et là comme une bille de flipper demented, amassant derrière lui une petite montagne de chagrin, de tristesse, de calamités et de traumas. Comme toutes les forces de la nature, il avoue être incapable de penser à rien d’autre qu’à lui-même, et ça passe bien quand ça sort de la bouche d’une âme damnée comme Lanegan. Il sait que sa clairvoyance va loin : «Ramenés à la même échelle, my lifetime of shady actions and misdeeds surpassait de très loin tout le côté positif que pouvait amener au monde ma carrière de chanteur.» Il se veut damné. C’est très XIXe comme attitude.

             Sa façon de décrire l’hosto relève du curatif. Il commence dès qu’il sort du coma - Maintenant que j’étais de retour dans ce monde et que je connaissais le score, it felt as if my days consisted only of the occasional blood pressure check, a plate of food I never ate, and extreme boredom, pain and unhappiness. Mes voisins de chambrée soupiraient et pleurnichaient sans cesse. The happier ones adoraient papoter. I wore a pair of headphones round the clock so as not to be drawn into conversation - On ne va quand même pas demander à une rockstar de papoter avec des vieux en train de clamser ! Il finit par ne plus pouvoir les supporter - D’entendre les plaintes continuelles et les gueulantes de tous ces gens me poussait à bout, that set me on the edge and I struggled to keep from detonating - Lanegan n’explose pas, il detonate.

             Il veut se tirer de l’hosto, mais il ne tient pas debout. Il s’est pété le genou en tombant chez lui dans l’escalier et de toute façon, il n’arrive pas à respirer - I found the situation to be intolerably fucked - Ça dépasse son entendement. Il refuse d’admettre qu’il est baisé. Fucked. Pour se déplacer, il a un déambulateur et il avoue plus loin dans le récit qu’il ne porte pas de couches car il peut encore aller chier tout seul, ce qui n’est visiblement pas le cas de ses voisins de chambrée. D’ailleurs, il dit être parfois réveillé par l’odeur de la merde. Welcome in Laneganland ! Et comme il s’appelle Lanegan, qu’il est un démon et une rockstar, il parvient à embobiner le personnel de nuit pour aller fumer sa clope à la fenêtre, ce qui bien sûr est interdit vu son état. Il n’empêche qu’il termine sa longue liste de remerciements avec «The staff of Kerry hospital, Tralee, Ireland».  

             Quitter l’hosto devient une obsession. Il insiste, contre l’avis de tous les médecins - I assumed I was going to die anyway but did not want it to be in this fucking hospital - Il veut sortir de là et aller mourir dans les champs. Il n’accepte pas de ne pas pouvoir se battre contre un ennemi qu’il ne voit pas, c’est contraire à ses principes. Quand on lui annonce que ses reins ne fonctionnent plus, il s’en bat l’œil - I honestly did not give a shit because at this point I would just as soon let the chips fall where they might rather than endure any more of what felt like a steady regime on mind-bending torture and ridiculous ennui - Lanegan sait charger une phrase à l’extrême pour en gangrener l’emphase, ses phrases noircissent comme les membres d’un cadavre, il y a quelque chose d’intensément baudelairien dans le lent dévoilement de cette auto-déconfiture.

             Style encore : «As April turned to May I found myself sliding into what I felt like black-mood clinical depression and I was on the precipice of losing a fight against it.» Un Français dirait : «J’en ai marre, j’arrête de me battre.» Lanegan nous sort cette phrase parfaite dont l’éclat baudelairien n’échappera à personne. Il en rajoute une petite louche un peu plus loin : «Alors que mon corps moribond gisait sur un lit d’hôpital, mon esprit moribond continuait de s’auto-dévorer. Je ne m’étais jamais retrouvé devant quoi que ce fût que je ne pouvais combattre ou fuir, et il semblait que le virus allait avoir ma peau, m’apprenant en même temps qu’on ne peut fuir ce qu’on ne voit pas.» Et il repart à l’assaut de sa prodigieuse déconfiture, comme s’il l’acceptait enfin - Toughness, tenacity, balls, fire, audacity and a rock-solid getaway plan had always been my strengths in any battle, mais à présent, tout cela ne me servait plus à rien - Il n’en revient pas d’être confronté à l’absurdité de la situation. Il en fait des pages bouleversantes, les pages d’une rockstar que se bat contre l’inconnu avec de la littérature : «Était-il possible qu’après toutes ces années passées à écumer les cimetières, j’allais être envoyé au tapis ? Comme ça ? No fucking way. Chaque fois que la question me revenait à l’esprit, la réponse était la même, I’ll be damned if I go out like this, no fucking way. Accident d’avion, accident de voiture, coups de feu, meurtre, oui, c’est toujours ainsi que j’avais imaginé ma mort - plane crash, auto crash, gunfire, murder - et ça me foutait en rogne d’imaginer que je pouvais crever comme ça, lying in a goddamned bed, denied a battlefield, privé d’un champ de bataille.»

             Vivre tranquillement n’aura jamais été une option chez Lanegan - I didn’t know how to ride easy and I had no interest in learning how. To do that was contrary to everything I believed, to ride esasy was to set yourself up to get fucked and not in a pleasurable way either - Lanegan a cru toute sa vie qu’il fallait s’endurcir pour se protéger. Il ramène aussi pas mal d’éléments autobiographiques, comme par exemple sa mère qui le haïssait et son premier beau-père dont il fait en quatre lignes un portait saisissant. Bienvenue dans l’Amérique profonde - A hellraising biker covered in homemade tattoss, il chassait les lièvres pour les manger, mais il s’amusait aussi à tirer sur des oiseaux à bout portant, de sorte qu’il n’en restait rien - He was THAT kind of guy

             Le récit s’achève sur une pirouette ultime qu’il appartient au lecteur de découvrir. Cet homme n’aura pas cessé de nous stupéfier.

    Signé : Cazengler, Lanegland

    Mark Lanegan. Disparu le 22 février 2022

    Mark Lanegan. Devil In A Coma. Laurence King Publishing 2021

     

    All that Jazz, Butcher !

     

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             Le souvenir qu’on avait du Jazz Butcher était celui d’un groupe anglais assez proche par l’esprit et le goût du swing de l’excellent Monochrome Set. Lorsqu’en octobre dernier Pat Fish cassa sa pipe en bois, un ami qui le connaissait bien fit de lui le genre d’apologie qui fait dresser l’oreille pour de vrai. Une fois sur le qui-vive, il ne restait plus qu’à mettre le nez dans l’all that Jazz, Butcher. Pour découvrir au final qu’il s’agit d’une œuvre valant tout l’or du Rhin.

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             Le premier album du Jazz Butcher s’appelle In Bath Of Bacon et date de 1983, donc de trente ans. Eh oui, ça glou-gloute sous le Pont Mirabeau. Il faut partir du principe que chaque album du Butcher réserve son petit lot de divines surprises. Ah il faut entendre la basse sur «Bigfoot Motel» ! Ce joli son de basse viandu et raffiné à la fois anime un groove longiligne digne de Cubist Blues. Oh et puis ce «Gloop Jiving» d’ouverture de balda, fabuleux groove de jazz. Max Eider y fait des petites guitares à la Velvet. «Partytime» nous renvoie au charme discret de la bourgeoisie du Monochrome Set. Max Eider fait des miracles avec sa clairette de Digne. Et puis avec «Chinatown», ils font de la pop sur une structure de dub. Ils ne se refusent aucun luxe. Ils ont encore un «Zombie Love» en commun avec Monochrome et Pat Fish chante «La Mer» en français, pas celle de Charles Trenet, mais la sienne est belle - Tout le monde s’amuse bien à la plage - Ils font aussi un groove ensorcelé à la Bid avec «Poisoned Food» - Oysters ! Lobsters ! 

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             Paru l’année suivante, A Scandal In Bohemia tient bien ses promesses, avec notamment «Just Like Betty Page», où Max Eider joue le jazz de Django. Ah il faut l’entendre claquer son Butching Jazz ! Sinon on trouve encore du pur jus de Monochrome («Southern Mark Smith», «Real Men», «Soul Happy Hour», «Marnie» er «Girlfriend»). Ils tapent dans la belle romantica de Bid. Avec «I Need Meat», ils virent carrément rockab, mais attention, c’est le rockab des Stray Cats, avec le même sens de la descente au barbu. Ils font aussi une excellente échaffourée gaga en B avec «Caroline Wheeler’s Birthday Party», qu’ils enveloppent en plus de mystère. Ces mecs sont des surdoués, ils savent rester frais comme des gardons. 

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             L’année suivante paraît Sex And Travel, un mini-album C’est écrit dessus, comme sur le Port-Salut. Pat et ses potes continuent de proposer cette pop anglaise chaleureuse, avec du son et des guitares à gogo. Ils font un petit shoot de Monochrome avec «Red Pets» et un joli balladif avec «Only A Rumour». La principale caractéristique des albums du Jazz Butcher est qu’ils sont extrêmement agréables à l’écoute. En B, on tombe sur «President Reagan’s Birthday Present», une espèce de samba du diable. Le Butcher s’amuse bien avec son heavy bassmatic et son extraordinaire musicalité. Ce surdoué de Max Eider jazze le boogie sur «What’s The Matter Boy» et nous laisse comme deux ronds de flan.

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             Comme son nom l’indique, Hamburg est un album live enregistré à Hambourg en 1985. Max Eider fait partie de l’aventure ainsi que «Bath Of Bacon», «Soul Happy Hour» et «Death Dentist». Ce qui fait le charme de l’album, ce sont les deux hommages à Lou Reed, cover de «Sweet Jane» et, via les Modern Lovers, une cover de «Roadrunner» qu’on retrouvera systématiquement sur les albums live à venir. One two three four five six ! Pat Fish le fait bien, il y va au radio on et le batteur fourbit bien le beat. Il s’appelle Jones et il aurait tendance sur certains cuts à voler le show, comme par exemple sur «Bigfoot Motel» en B, embarqué au jive de Butcher avec un Jones fast on the beat, fin et précis, un vrai batteur de rockabilly. On note aussi au passage l’excellence de Felix le bassman. Avec «Girlfriend», Pat Fish fait encore un beau numéro de pop d’Anglais vertueux. Fabuleux artiste !  

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             Sur Distressed Gentlefolk paru l’année suivante, ils rendent un bel hommage au Velvet avec «Still In The Kitchen». Pat Fish renoue avec l’esprit du Velvet, il ramène les tambourins, la reverb et l’arty-druggy de la lenteur. Puis il retourne se jeter dans les bras du Monochrome Set avec «Hungarian Love Song», c’est plus fort que lui, il ne peut pas s’en empêcher. Ça donne un cut tonique, bien enlevé, dynamique, très London town, avec la musicalité des guitares country. Ils attaquent leur B avec «Who Love You Now», une véritable leçon de swing. Ils restent dans le London swing avec un «Domestic Animal» extrêmement bien joué, bien fouetté du cul et joué en walking bass - In the springtime cats have sex - Retour au typical Monochrome avec «Buffalo Shame», même esprit qu’«He’s Frank», même culte de la décadence. Pour décorer la pochette intérieure, Pat Fish a monté un ensemble de petites photos, on y reconnaît Charlie Parker, Syd Barrett, Oscar Wilde, Lloyd Price, George Orwell et Fassbinder. Ça en dit long. Il boucle cet album passionné avec «Angels», une merveille digne des Spacemen 3, jouée avec une profondeur de champ extraordinaire, gorgée de relents de Velvet et enrichie de cuivres et de guitares scintillantes, oui, elles scintillent littéralement au fond du son.   

             Avec Fishcotheque, le Butcher débarque sur Creation. Pat Fish raconte qu’il faisait une tournée européenne en 1987, et un soir, après un concert à Paris, il entre dans sa loge et tombe sur Alan McGee. Pat lui demande ce qu’il fout là et McGee dit qu’il vient le signer sur Creation.  Ça tombe à pic, car son contrat avec Glass vient d’expirer. Comme Max Eider a quitté le Butcher, c’est le guitar tech Kizzy O’Callaghan qui le remplace.

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             Pat Fish et Kizzy se retrouvent en photo sur la pochette de Fishcotheque, un vrai fish and chip shop. C’est McGee qui choisit la photo et le titre de l’album. Pat Fish raconte qu’aujourd’hui cette photo connue dans le monde entier figure sur les menus du shop. L’album est gorgé de grooves modernistes («Out Of Touch», «Living In A Village») et de basslines traversières («Next Move Sideways»). C’est un haut niveau qui requiert toute notre attention. Quelques belles énormités aussi, notamment avec «Looking For Lot 49», fantastique dégelée, ils jouent leur big va-tout au vatootoo des montagnes de Tahiti. Ils frisent le Punk’s not dead et deviennent les masters of the universe, comme l’ont été Hawkwind avant eux - You make me want to carry on - Avec «Susie», ils se prennent pour Lou Reed et ils ont raison, ils font un glamour de kids affamés de great songs. Sonic Boom nous dit Pat y ajoute des layers of beautiful tremolo feedback. Ils jouent «Chickentown» à la régalade vénusienne et terminent sur une authentique Beautiful Song, «Keeping The Curtains Closed». Pat Fish illumine la power-pop anglaise. Fantastique artiste.

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             C’est Pascal Legras qui peint la pochette de Big Planet Scary Planet. Legras est un chouchou de Mark E. Smith, il a fait pas mal de pochettes pour The Fall. Pat Fish le trouve gentil et sincère, mais... He can however also be a proper handful - L’album s’ouvre sur l’effarant «New Invention», un mid-tempo gorgé de jus et d’arpèges de réverb. Pat Fish se prend pour l’Eve of Destruction et développe un power inimaginable, une fabuleuse moisson d’accords psychédéliques. C’est du heavy groove de London boys nourris aux bons disques, ravagé par le napalm d’un killer solo. Leur «Line Of Death» va vite en besogne, embarqué par une extraordinaire bassline de balloche, ils cavalent comme des hussards sur le toit au tagada de la rue des Rosiers. Avec «Hysteria», ils se rapprochent de Nikki Sudden. Sur cet album, ils jouent tout à la folie. Tout est fracassé d’accords. Bon ça va, les surdoués ! Avec «Burglar Of Love», ils entrent au cimetière. Pas loin du Gun Club. Inespéré. La basse vole le show. Retour à la power pop avec «Bad Dream Lover», cut joyeux qui court dans la vallée comme un torrent de montagne. Ils sont rompus à toutes les disciplines. Ils terminent avec un fantastique hommage au Velvet, «The Good Ones». Ils sont en plein dedans, c’est un «Pale Blue Eyes» à la Pat Fish, il attaque la mélodie avec un courage incommensurable, il en a largement les moyens. Pat dit qu’il a écrit «The Good Ones» pour son pote Stuart Kay, mort à 28 ans - I’ve heard people saying ‘oh it’s Pale Blue Eyes’. Of course it is: that’s the point.

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             Comme Kizzy est à l’hôpital pour une tumeur au cerveau, il est remplacé par Richard Formby. Encore pas mal de merveilles sur ce Cult Of The Basement qui date de 1990, tiens par exemple ce pur jus de London Underground qu’est «Pineapple Tuesday». Pat Fish y chante avec des accents de Lou Reed et le son de la guitare se révèle faramineux de véracité psychédélique. Bouquets de notes immaculées, elles descendent dans le lagon du groove, c’est digne des Mary Chain. Il faut aussi écouter «The Basement» et sa fantastique ambiance bellevilloise, avec sa guitare de fête foraine et son accordéon, le morceau préféré des poissons rouges, nous dit l’excellent Pat Fish. D’ailleurs ils décident qu’avec Cult Of The Basement, ils vont faire one of these records,  et Pat Fish cite Oar, les deux Barrett solo, Sister Lovers et le troisième album du Velvet. Ils ont aussi le pouvoir extraordinaire de savoir jouer le country rock, comme le montre «My Zeppelin» : il se rend à Mexico en Zeppelin. Plus loin, ils éclatent «Mr Odd» aux guitares extraordinaires. Chez le Butcher, ce sont les guitares qui font le show et qui overblastent. Ils recréent l’ambiance de fête foraine pour un «Girl Go» qui bascule dans un final frénétique de big heavy guitars. Ils terminent avec «Sister Death», un heavy balladif qui se situe dans l’esprit de Sister Morphine - Sister death/ Get me out of here - Il demande à Sister Death de l’emmener et ça explose aux guitares de get me out of here, ça rue dans les spreads de fuckin’ hot psycho-blast. Personne ne bat le Butcher à la course. Pat indique que Cult Of The Basement est son album préféré avec Sex And Travel. Il croit avoir capturé the true sound of the band.   

              Entre deux eaux, Pat Fish recommande quelques albums : Oh Mercy de Dylan, My Beloved Revolution Sweetheart de Camper Van Beethoven et surtout l’Up de the Perfect Disaster, qui selon lui avoisine one of those records évoqués plus haut. Puis Kizzy débarque un jour dans le studio pour jouer un peu, mais il est tellement médicamenté qu’il se vautre. Il retourne donc a Londres. Pour lui c’est terminé. Pat Fish raconte que Kizzy avait une petite bougie en forme de crâne dont il se servait pour entrer en contact avec l’esprit de Django Reinhardt. Pat la conserve comme un talisman.

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             Au retour d’une tournée, Pat Fish se retrouve seul. Il lance le projet d’un nouvel album avec Alex Lee (guitar), Joe Allen (bass) et Paul Mulreany (beurre). Les sessions d’enregistrement de Condition Blue sont décrites comme celles de four desperate men in a room.     

             Au risque de radoter, on peut bien dire que Condition Blue grouille de petites merveilles, et ce dès «Girls Say Yes», un balladif d’une élégance extravagante. Dira-t-on la même chose de «Still And All» ? Oui, car voilà un groove d’after Jazz qui flotte au gré du temps. C’est pur et magnifique à la fois, monté sur un thème de revienzy et hanté par une trompette. Attention à «Monkey Face» : c’est une invitation à danser au bar de Coconut Beach, autrement dit, une invitation qu’on ne peut refuser. Avec «Harlan», Pat Fish campe dans le what the hell des big balladifs. On note la parfaite intensité de sa présence. Et comme il l’a déjà fait, il finit en plein Velvet avec «Racheland». C’est même une pure mary-chiennerie, même sens de l’instinct pop suprême, même sens du lard fumant, il vise le même horizon que Lou Reed et les frères Reid. Il va chercher le climaxing extrême et ça bascule dans la folie, c’est stupéfiant, en plein dans l’œuf du serpent.          

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             Au lieu d’appeler l’album paru en 1993 Waiting For The Love Bus, le Butcher aurait pu l’appeler Waiting For The Man, car on y trouve pas moins de trois cuts dignes du Velvet, à commencer par l’effarant «President Chang», bien contrebalancé par un bassmatic digne de celui de John Cale, un bassmatic en déplacement dans un son monolithique, trois notes qui dégringolent comme celles de Will Carruthers dans Spacemen 3, cette fois ils recréent la magie du white light/white heat, c’est terrifiant de véracité, il n’existe pas de meilleure recréation de la magie du Velvet que celle-ci - President Chang at the highschool hop - Pat fait son Lou. «Rosemary Davis World Of Sound» est aussi très Velvet dans l’esprit, gratté aux accords de la ramasse urbaine, avec toutes les dissonances qu’on peut bien imaginer. Ils amènent «Killed Out» au riff cinglant, comme un cut de Moby Grape mais ça vire vite Velvet, et ça bascule dans un final puissant en mode hypno de white heat - I want to be an American artist - Encore du Big Butcher avec «Bakersfield». Fantastique swagger ! Cette fois le guitar slinger s’appelle Peter Crouch. Pat Fish taille bien sa route avec «Kids In The Mail» et «Sweetwater». Il fait ce qu’il sait faire de mieux, de l’élan pop, il est dans la vie comme le montre encore «Ghosts». Il fait encore son Lou avec «Ben» puis rend hommage aux pingouins avec «Penguins». C’est un peu une révélation, surtout pour l’amateur de pingouins.  

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             Western Family est un album live enregistré lors d’une tournée au Canada et aux États-Unis. En 1999, le groupe se compose de Peter Crouch (Strato), Dooj (bass), Nick Burson (beurre) et Pat Fish. Il est précisé dans les liners que l’équipe est réduite au minimum et que le Butcher survit miraculeusement. On retrouve tous les vieux coucous : «Sister Death» (très Velvet et sacrément bien joué), «Still & All» (Heavy pop d’écho supérieur jouée aux accords atonaux), «Pineapple Tuesday» (fantastique musicalité) et l’incroyable dévolu de «Girl Go», d’esprit velvetien. Avec «Shirley Maclaine», ils sonnent comme le Wedding Present, ce qui vaut pour compliment. Ils jouent à la folie Méricout et on peut dire que Crouch est un crack. Puis tout explose avec «Racheland», en plein cœur du mythe Velvet - Inside the hardest time - Ils rendent ensuite un hommage superbe à Fred Neil avec une cover d’«Everybody’s Talking», une autre mythologie urbaine, celle de Ratso, avec du son. Ce démon de Pat Fish n’a décidément pas froid aux yeux. Il sait recréer la magie. Ils terminent avec «Over The Rainbow» et là Pat Fish vise le summum. Enfin il essaye.    

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             Dernier album sur Creation : Illuminate, paru en 1995. On y retrouve deux hommages au Velvet, «Cute Submarines» et «Lulu’s Nightmare». Ils réinventent une fois de plus le fameux gratté de poux du Velvet, cet incroyable dépouillé d’accords inventé en 1966 par Lou Reed. Comme Lou, le Butcher s’enferme dans une frénésie underground, ça grouille de génie sous la surface. Lulu est aussi un gros clin d’œil à Lou, avec ces retours de guitare qui font illusion. Avec «Scarlett», Pat Fish montre une fois encore qu’il est capable d’amener des balladifs incroyablement inspirés. C’est à la fois une merveille et une récompense pour les ceusses qui seront allés jusqu’au bout de l’album. S’ensuit d’ailleurs une deuxième récompense : «Cops & Hospitals», véritable coup de génie, illustration de la démesure du Fish, avec on s’en doute un solo de démence pure, suivi d’une véritable descente en enfer, et un swagger digne de Ron Asheton. Pat Fish te pulvérise la Britpop en mille morceaux, ses albums n’ont l’air de rien, comme ça, avec ces pochettes ratées, mais ils te marquent la mémoire au fer rouge. De la même façon que le loup attend l’agneau au coin du bois, Pat Fish attend l’amateur au coin du cut. Avec du génie plein les poches. T’en veux ? Tiens, sers-toi.   

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             Après la disparition de Creation, le Butcher erre dans la nature. Commence alors la valse des parutions improbables, comme ce Glorious & Idiotic, un album live enregistré à Hambourg en 1998 et paru sur le mythique label ROIR en l’an 2000. Max Eider fait partie de l’aventure. Ils démarrent leur set avec le vieux «Partytime» qui sonne comme un hit, groovy et admirable. Max Eider y shoote vieux jazz. Quel guitariste ! Ils font du Velvet avec «Baby It’s You», véritable osmose de la mimétose, Pat Fish s’y croit et il a raison, quelle classe, avec l’accordéon et les accords de «Sweet Jane». Max Eider donne une leçon de swing avec «Who Loves You Now», il jazze le Butcher pendant que Pat Fish bassmatique, il court comme le furet sur l’horizon. C’est joué dans l’absolu déterminant. Ce fantastique ambianceur qu’est Max Eider amène «DRINK» sur un plateau de Gretsch puis le Butcher chauffe «Rain» à coups d’harmo, aw Gawd comme ces mecs sont bons, vous n’avez pas idée. Ils amènent «Old Shakey» au petit groove underground, ce sont des bienfaiteurs de l’humanité. Plus loin, Max Eider plante le décor d’un «Long Night Starts» qui sonne comme «Pale Blue Eyes». Pale Blue Fish chante avec la voix de Nico, au temps du Velvet. Ils ramènent ensuite leur vieux «Bigfoot Motel» au Cubist Blues, au heavy boogie on the run, c’est excellent, du pur jive de Butcher, ils groovent leur lard avec une science inégalable, ils vont droit sous le boisseau et pour couronner le tout, ils terminent avec leur vieille cover de «Roadrunner», pas chantée pareil, juste un clin d’œil. C’est l’intention qui compte. Ils nous grattent ça au fast radio on. Pat Fish connaît toutes les ficelles.             

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             Bizarrement, le Butcher n’a pas de label pour sortir Last Of The Gentleman Adventurers. Encore un big album, un de plus. Max Eider est là et on l’entend sur «Animals». Précieux Max et sa guitare prévalente, il jazze le Jazz Butcher. Avec «Shame About You», ils passent à une fast pop digne des Boos. Même sens de l’ampleur et de la cavalcade. Puis ils passent directement au coup de génie avec le morceau titre. Max Eider crée l’ambiance et Pat Fish chante comme Kevin Ayers, alors welcome in magic land : le groove + la voix + le jazz, ça donne comme on sait de l’imparable, du pur sonic genius. Pat Fish chante «Tombé Dans Les Pommes» en français - C’est pas grave/ C’est pas grave - Max le jazze - Cette histoire d’éléphant/ Ça ne vient pas d’Yves Montand - Il jazze encore le groove du paradis pour «Count Me Out», puis il éclaire de l’intérieur la pop d’«All The Saints». C’est beaucoup plus aérien qu’Echo & The Bunnymen, la tension est tellement supérieure. Ils restent dans l’excellence de la prestance avec cette Beautiful Song qu’est «Mercy», le Butcher y illustre musicalement la douceur du temps. Et puis voilà le retour de «Shakey» et de l’immense lassitude, un brin knock knock knock on heaven’s door. 

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             Premier album posthume : Highest In The Land. Habituellement, on évite d’aller engraisser les charognards, mais comme on aime bien Pat Fish, on surmonte cette petite aversion. Première récompense : «Sea Madness», une pop d’extrême onction. Aw comme ce mec est pur. Alors que le bateau coule, il chante, le Fish. Il chante divinement. Retour au jazz de Max avec «Melanie Hargreaves’ Father’s Jaguar». Comme le temps est compté, voici «Time» monté sur un heavy groove de dub - Just a little bit of time - Pat Fish tente encore de déclencher une émeute des sens avec «Never Give Up», il a un don pour l’émerveillement. On trouve plus loin de la belle pop avec le morceau titre et encore plus loin une pop d’élan mordoré avec «Sebastian’s Medication», mais c’est avec «Goodnight Sweetheart» qu’il va te sidérer pour la dernière fois : belle fin de parcours, Pat Fish fait ses adieux avec un cut emblématique.

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             Dans le petit booklet qui accompagne la compile Dr Cholmondley Repents: A-Sides, B-Sides & Seasides, Pat Fish délire bien. Il rappelle aussi qu’il écoutait Stan Getz, Astrud Gilberto, the Clash, Pistols et Viv Stanshall. Il indique ensuite que «The Jazz Butcher Meets Count Dracula» et «Southern Mark Smith» étaient leurs premiers singles. Le boogaloo de Dracula tapait déjà bien dans le mille. Pour Alan McGee, le Butcher «is one of the most brillant incisive pop writers that Britain has produced since the glory days of Ray Davies ans Pete Townshend.» La compile propose quatre CDs et pas mal de bonnes surprises, comme par exemple cette reprise de «Roadrunner», montée sur l’un des meilleurs bassmatics de l’histoire du rock. Pat Fish y va de bon cœur. Il est d’autant plus courageux qu’il tape dans l’intapable. S’ensuit «Real Men», une pure merveille de pop excédée. On retrouve les vieux accords du Waiting For The Man dans «The Human Jungle». Ça sonne délicieusement transsexuel. Par contre avec «Angels» et son cristal de guitares, il fait son Nikki Nikki petit bikini. Encore une belle cover : «We Love You» : Pat Fish pique sa crise de Stonesy et c’est plein d’esprit. Le disk 2 n’est pas avare de petites merveilles, à commencer par «Drink» une chanson sur le drink, comme le dit si bien Pat Fish, et où Max Eider fait des miracles sur sa gratte. Ils font aussi de l’Americana de saloon avec «The Devil Is My Friend» et de l’exotica avec «South American». Pat Fish y loue les charmes de l’exotica, il est l’un des rares Londoners à pouvoir se permettre ce délire. Max Eider amène «Partytime» à la jazz guitar, il joue dans la matière du groove. Retour au Velvet avec «President Chang», on dira même que le drive de basse sort tout droit des Spacemen 3. C’est l’une des meilleurs dérives velvetiennes jamais imaginées. Encore du Velvet sur le disk 3 avec «Rebecca Wants Her Bike Back». Pat Fish cherche à réinventer le folie foutraque du Velvet. Il tape aussi une cover du très beau «May I» de Kevin Ayers, mais il n’a pas la voix. Encore un coup de Jarnac avec «Almost Brooklyn» et sa fantastique intro d’arpèges du diable. Cette fabuleuse mélasse d’accords et de mélodie monte droit au cerveau. Il est important de savoir que Pat Fish a enregistré «Rebecca Wants Her Bike Back», «May I» et «Almost Brooklyn» tout seul avec une boîte à rythme. «By Old Wind» permet de constater une fois encore que ce mec navigue dans le génie. Max Eider joue là-dessus, il ramène la fabuleuse douceur de son toucher de note, un toucher à la Peter Green. Les courants musicaux qui traversent le cut sont uniques en Angleterre. Ils amènent ensuite «City Of Night» au jazz manouche du canal Saint-Martin. C’est le son du Paris des vieux rêves, Pat Fish traîne dans le Paris de nos vieilles défonces. Le disk 4 propose un live enregistré à Santa Monica en 1989. Laurence O’Keefe est le guitariste. Ils démarrent avec le vieux «New Invention» tiré de Big Planet Scary Planet. C’est l’un des hit du Butcher, Pat le chante au flesh de Fish. Ce mec a le power et les belles guitares. Pour trois minutes, il est le roi du monde. Ils nous tapent aussi «Angels», histoire de saluer Nikki. Mais on ressent un certain malaise à l’écoute de cette radio session californienne, comme si les Anglais étaient trop élégants pour la Californie. Ils jouent une pop anglaise éclairée de l’intérieur par des arpèges, chose que ne savent pas faire les Américains. Ils renouent avec le Velvet dans «Girl Go» et avec «Caroline Wheeler’s Birthday Present», Pat Fish décide d’exterminer le rock, il est le Butcher fatal, ça dégomme, mothhhha !, il fait le punk de la criée aux poissons, aw, oh lala/ Oh lala, il embarque ça en enfer, il fait son Sex Pistol au check it up et ils terminent avec l’excellent «Looking For Lot 49» tiré de Fishcotheque, une belle envolée belle, Pat y nage comme un poisson dans l’eau, il fait du heavy punk de manouches, c’est le big heavy sound de gens qui savent jouer au meilleur niveau. God save the Fish !

             Of course, this one is for Philippe.

    Signé : Cazengler, Pat Fesse

    Pat Fish. Disparu le 5 octobre 2021

    Jazz Butcher. In Bath Of Bacon. Glass Records 1983  

    Jazz Butcher. Hamburg. Rebel Rec. 1983

    Jazz Butcher. A Scandal In Bohemia. Glass Records 1984 

    Jazz Butcher. Sex And Travel. Glass Records 1985              

    Jazz Butcher. Distressed Gentlefolk. Glass Records 1986 

    Jazz Butcher. Fishcotheque. Creation Records 1988

    Jazz Butcher. Big Planet Scary Planet. Creation Records 1989       

    Jazz Butcher. Cult Of The Basement. Creation Records 1990         

    Jazz Butcher. Condition Blue. Creation Records 1991                    

    Jazz Butcher. Waiting For The Love Bus. Creation Records 1993  

    Jazz Butcher. Western Family. Creation Records 1993    

    Jazz Butcher. Illuminate. Creation Records 1995  

    Jazz Butcher. Glorious & Idiotic. ROIR 2000            

    Jazz Butcher. Last Of The Gentleman Adventurers. Not On Label 2012

    Jazz Butcher. Highest In The Land. Tapete Records 2022

    Jazz Butcher. Dr Cholmondley Repents: A-Sides, B-Sides & Seasides. Fire Records 2021

     

    L’avenir du rock

     - Bridges over troubled waters

     

             L’avenir du rock croise parfois son voisin de palier, un homme court sur pattes, pas toujours aimable. Même un peu bougon. Par la concierge, l’avenir du rock sait que son voisin monsieur Léon travaille comme surveillant dans une maison de correction, ce qui explique en partie la fadeur de sa personne. Cet homme semble aussi compenser un violent sentiment d’infériorité par un développement hypertrophique de sa fierté, une fierté que doit bien sûr exacerber le port de l’uniforme. Grâce à la concierge, l’avenir du rock sait aussi que monsieur Léon ne supporte pas d’entendre prononcer son nom qui, selon lui, participe à sa disgrâce. L’avenir du rock qui est d’une nature inventive pense pouvoir dérider ce voisin acariâtre à l’aide de l’une de ces petites boutades inoffensives dont il a le secret. Un dimanche matin, l’occasion se présente. Il rentre du marché et croise monsieur Léon qui descend l’escalier :

             — Alors ça Blum, Léon ? 

             Le silence tombe comme une chape sur les deux hommes. Monsieur Léon ne dit rien. Muet comme une carpe. Une vraie statue de sel. L’avenir de rock fait mentalement une croix sur le sourire qu’il escomptait. Il comprend aussi que l’homme qui déridera monsieur Léon n’est pas encore né. Puis il pose son panier, s’attendant à recevoir une tarte et à devoir répondre, mais Monsieur Léon brise le silence en lâchant d’une voix sourde :

             — Pauvre con !

             Puis il reprend sa descente des marches et disparaît par la porte de l’immeuble. Alors l’avenir du rock se précipite jusqu’à la lucarne qui donne sur la cour et lance :

             — Reviens Léon, j’ai les mêmes à la maison !

     

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             Leon Bridges et monsieur Léon n’ont heureusement en commun que le Léon. Leon Bridges est un grand blackos texan dont on parle pas mal actuellement, notamment dans Uncut.    Et ce n’est pas un entrefilet, Uncut déroule à Leon le tapis rouge réservé aux grands de ce monde, c’est-à-dire six pages richement illustrées. Stephen Deusner n’y va pas de main morte, il affirme que Leon mélange le retro R&B avec le lo-fi garage grit. Leon nous dit Deusner est basé à Fort Worth et veille à porter les plus belles fringues du voisinage. Leon dit qu’il se sent bien à Fort Worth, une ville qui a sa propre identité, alors que Dallas dit-il veut trop ressembler à Los Angeles ou New York. Leon rappelle aussi que de sacrés cocos ont grandi dans son quartier : Ornette Coleman, King Curtis et Cornell Dupree. Puis vient le chapitre des racines : Otis et Sam Cooke. Leon évoque aussi Al Green, Bobby Womack, mais à Fort Worth, il avoue aussi monter sur scène pour chanter avec les Quaker City Night Hawks, un groupe de country rock, un style qui reste dominant dans cette région du Texas. Leon devient aussi pote avec Austin Jenkins, le guitariste de White Denim. Quel mélange. Pas étonnant qu’il y perde sa Soul. 

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             Malheureusement, les albums ne se montrent pas à la hauteur du buzz, du moins pas autant qu’on l’aimerait. Coming Home qui date de 2015 reste pour l’instant son meilleur album. Le morceau titre en ouverture de bal est un pur shoot de black power, un r’n’b de haut rang hanté par un thème chanté aux chœurs de ouh-ouh-ouh. Leon se balade en devanture avec l’aplomb d’un vieux renard de la Soul. C’est un enchantement, une merveille d’équilibre et d’I need you baby. L’autre point fort de l’album s’appelle «Shine», un froti-frotah en forme de clameur chargée de sax. On sent bien la présence d’un Soul Brother en Leon, il chante chaque cut avec gourmandise, mais il dérape parfois dans les virages et s’égare dans des zones plus putassières à la Tom Waits («Brown Skin Girl»). Il rend hommage aux Flamingos avec les pah pah pah de «Lisa Sawyer», mais avec «Flowers», il sonne comme un blanc. Dommage qu’il se disperse. «Twistin’ And Groovin’» peine à convaincre, on dirait un cut destiné aux gens qui ne savent rien et il perd un peu de cette crédibilité si âprement gagnée. Il termine avec un «River» où il finit de perdre tout ce qui lui restait de crédibilité. Il piétine l’art sacré du peuple noir et en même temps il reste extrêmement pur avec son chapeau et son dobro. Il faut essayer de lui faire confiance.  

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             Avec Good Thing, il descend encore d’un cran dans le déceptif, malgré la présence d’un fabuleux «Bad Bad News», emmené au beat de jazz pur, solide et beau comme a hell of fuck, dancing boot de butt, et soudain déboulent les solos de jazz, modernity à tous les étages, la Soul revit ! Le guitariste s’appelle Nate Mercereau, un monstrueux blaster d’inside out ! Mais ce sera le seul gros cut de l’album. Leon fait de la Philly Soul avec «Bet Ain’t Worth The Hand» à la voix d’ange du Texas, il se positionne dans l’or blanc du temps de la Soul. On retrouve Nate Mercereau sur «Beyond». Leon chante ça à la petite ramasse de la Texasse, on se croirait sur Exile On Main Street, avec les échos de la cuisine et les chœurs à la va-vite. Mais ça dégénère aussitôt après avec «Forgive You», une pop à la U2 : brutale déperdition de qualité, Leon perd l’edge de «Bad Bad News». Reviens Leon ! Puis il perd complètement le fil des spaghettis avec «Lions», il n’a plus la moelle, il fait de la mormoille avec des machines. Il tente de sauver la fin d’album avec «You Don’t Know», mais les synthés ruinent tous ses efforts. C’est même incroyable de le voir détruire son début de réputation. Sharon Jones n’aurait jamais osé insulter ses fans avec un son aussi pourri. Difficile de jouer au petit jeu du renouveau de la Soul. Curtis Harding est bien plus dégourdi que Leon. S’il prend les gens pour des cons, ça ne sera pas facile de le suivre. Il termine avec «Georgia To Texas», il semble avoir des remords, il tente une symbiose de la Soul moderne mais ne pond qu’une petite soupe aux vermicelles.  

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             Dans Uncut, Leon explique qu’il est allé enregistrer son troisième album Gold-Diggers Sound à Los Angeles et qu’il envisageait d’expérimenter des sons - This new album is a reflection of the nighlife hang in LA - Il dit avoir essayé de restituer la vibe des nuits chaudes de LA.

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             Disons-le franchement : Gold-Diggers Sound est un album catastrophique. Pourquoi ? Parce que vendu pour de la Soul alors que c’est de l’electro. Dès «Born Again», on sait que ça ne sera pas tenable. Il tente encore sa chance avec «Motorbike», mais ça ne passe pas. Aucun espoir.  Il part en heavy steam avec «Steam», mais on est loin de la Soul qu’annoncent les canards. Merveilleuse arnaque ! Pour le morceau titre, il détourne la fanfare de la Nouvelle Orleans pour en faire une espèce de diskö imbuvable, ce qu’on appelle le diskö fuck you. Il tente encore de conquérir un empire avec «Details», mais sa vue est basse, il est plutôt le nouveau barbare de la Soul. Sa Soul étrangle la Soul. Arrrgghhhh !

    Signé : Cazengler, Léon brise-noix

    Leon Bridges. Coming Home. Columbia 2015  

    Leon Bridges. Good Thing. Columbia 2018        

    Leon Bridges. Gold-Diggers Sound. Columbia 2021

    Stephen Deusner : Lone star state of mind. Uncut # 292 - September 2021

     

                                           Inside the goldmine

    - Quelle Earl est-il Brutus ?

     

             Brutus jeta un coup d’œil à sa montre et répondit d’une voix lasse :

             — Midnight to six, man...

             En retombant sur l’acier de l’accoudoir, son lourd bracelet d’or serti de pierres tinta bruyamment, faisant sursauter les gardes pourtant entraînés à ne pas broncher. César se leva :

             — Je dois hélas te quitter, Brutus. Escartefigue, Brun et Panisse m’attendent pour une partie de manille.

             Brutus ne répondit même pas. Ses yeux chargés d’ennui s’étaient révulsés. Deux globes d’une blancheur de lait toisaient le néant, tels ceux d’un buste d’albâtre. Une esclave blonde approcha à petit pas, s’agenouilla, écarta les pans de la toge et entreprit de suçoter un pénis qui ne réagissait pas. D’un violent coup de talon, Brutus l’envoya rouler sur les dalles de marbre. Elle se releva et disparût aussi vite qu’elle le put derrière l’immense rideau de pourpre qui barrait le fond de la salle.

             — Quel bâtard !, siffla-t-elle entre ses dents pourries.

             L’esclave était furieuse.

             — Cet abruti m’a pété les côtes. Aïe, putain, ça fait mal...

             Elle claudiqua jusqu’à l’entrée de service, sortit dans la rue et héla un tacot.

             — Au secours !

             Le taxi freina brutalement. Elle monta derrière et se mit à sangloter. Le chauffeur ne disait rien, il l’observait dans son rétroviseur. Entre deux filets de morve, elle murmura :

             — Z’ai pas d’sous... Pouvez m’emmener à l’hosto ? Aïe aïe aïe, j’ai trop mal...

             — Qui vous a fait ça ?

             — Ce bâtard de Brutus !

             — Brutus ?

             — Ouais, ce sale bâtard !

             Le chauffeur ouvrit sa veste de treillis. Il en sortit un magnum 44 et un colt 45.

             — Attendez-moi ici dans le taxi. Je reviens dans cinq minutes.

             Travis Bickle entra par la porte de service, descendit les gardes qui tentaient de tirer leur glaive du fourreau et alla coller une balle de Magnum dans la tête de Brutus. Arrachée, la tête roula en prononçant cette phrase terrible : «Vertu tu n’es qu’un mot !»

     

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             Earl Brutus fit irruption dans notre vie aussi brutalement que le fait Travis Bickle chez Sport, bam bam, deux albums, Your Majesty Here We Are, en 1996 et Tonight You Are The Special One deux ans plus tard. Personne ou presque ne s’est penché sur le génie de ce groupe improbable formé en 1993 par John Fry, Nick Sanderson, Bob Marche et Stuart Boneman. Oh ces mecs-là n’étaient pas nés de la dernière pluie puisque Fry chantait dans l’early World Of Twist, Bob Marche venait de Subway Sect, mais le plus connu des quatre était bien sûr Nick Sanderson qui avait fait ses classes dans Clock DVA et le Gun Club. Il allait ensuite rejoindre les Mary Chain. Ils ont apparemment démarré avec un cut, «Life’s Too Long», un stomping glam terrace chant qu’on retrouve sur Your Majesty Here We Are : très clean, très Suicide dans l’accroche. Et chaque fois qu’Earl Brutus montait sur scène, ça se passait très mal, car ils n’avaient à leurs débuts que deux choses à proposer : une bande enregistrée de dix minutes suivie d’un «Life’s Too Long» lui aussi de dix minutes, alors bien sûr le public cassait tout - Have you ever seen pictures of Jamaica after a hurricane ? That’s what the stage used to look like -  Le DJ Steve Lamacq les prit sous son aile et tenta de les lancer. Il organisa un showcase gig au Monarch. Mais ça tombait le jour de l’anniversaire de Nick et les Brutus «passèrent l’après-midi à siffler des pina coladas, feeling like the most important group in the world». Et forcément, le soir, Fry qui avait trop bu tomba de la scène. Furieux, Lamacq décréta qu’il s’agissait du pire concert de rock qu’il ait vu, alors que le NME les voyait comme l’avenir du rock’n’roll.

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             Your Majesty Here We Are parut donc sur Deceptive, le label de Lamacq. On y est tout de suite accueilli par un stomp princier, «Navyhead». On prend la résonance du son en pleine poire - Never want to see you again - Ces mecs ont tout simplement le génie du son. Ils vont ensuite sur une techno-pop assez solide, très intériorisée, ils adorent les spoutniks. Ils cherchent l’ailleurs, comme le feront après eux Fat White Family. Ils assurent comme des brutes avec ce «The Black Speedway» assis sur un power bien charpenté. Ils ramènent le riff de «You Really Got Me» dans «Shrunken Head». C’est bien foutu et même inspiré par les trous de nez.   

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             C’est après la sortie de l’album que Lamacq les lâche. Trop de mayhem à son goût. Le set du Monarch lui reste coincé en travers de la gorge. Island se montre alors intéressé et fait paraître leur deuxième album, Tonight You Are The Special One. Pochette étrange, deux voitures se suicident au gaz d’échappement. Il n’empêche que la presse salue l’album : Avé Brutus ! Il y a deux grands chanteurs dans Brutus, John Fry et Nick Sanderson. Plus décidé que jamais à en découdre, Sanderson et son Farahs-and-Slazenger-jumper nouveau-hooligan look décrète que le public a besoin d’eux car qu’ils sont the ultimate exciting-scary pop band. Eh oui, ils ont le son, en plus du mayhem. Le son est là dès «The SAS And The Glam That Goes With It» qui sonne comme l’anthem de tes rêves inavouables. Oui, Brutus sonne vraiment comme une bénédiction. S’ensuit une nouvelle tentative de putsch avec «Universal Plan» - Such a beautiful world - Ils sont pleins d’espoir, ils dispensent l’omniscience du beat, ils jouent à la dure, au clou bien enfoncé. Avec «Come Taste My Mind», ils tapent dans le power supérieur, ils descendent des accords d’escaliers à la early Rundgren, aw c’mon c’mon show me a mountain, c’est très battu, solidement étayé. Ils font du relentless, mais pour de vrai. Ils ne font pas semblant, ils ne sont pas du genre à la ramener pour des prunes. Le «99p» qu’on trouve en B plaira beaucoup aux amateurs de guitares bien tranchées. Tout est très balèze, ici, cut after cut. Ils font de la pop pompeuse de Pompéi avec «East», mais ce n’est pas grave Brutus, on s’en fout, ils injectent tellement de vie dans l’electro d’«Edelweiss», certainement la fleur la plus killer du bouquet, avec son thème mélodique. Ils bouclent leur vaillant bouclard avec «Male Wife», the glam rock that’s not computers, et bien sûr les Spoutniks arrivent.

             Comme Lamacq, Island finit par les lâcher. L’incroyable de cette histoire est que Sanderson continua d’y croire jusqu’au bout, même s’il dut reprendre un job de conducteur de train. Lorsqu’un cancer l’emporte en 2008, un tribute concert baptisé Train Driver in Eyeliner est organisé à Londres en octobre 2008 avec à l’affiche British Sea Power, Black Box Recorder et les Mary Chain, ce qui n’est pas rien. Les Mary Chain reprennent d’ailleurs «Come Taste My Mind».

    Signé : Cazengler, Earl Bitus

    Earl Brutus. Your Majesty Here We Are. Deceptive 1996

    Earl Brutus. Tonight You Are The Special One. Island Records 1998

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    Matt Barker : Under the radar. Record Collector # 519 - June 2021

     

    BOURBIER / BOURBIER

    ( Poutrasseau Records / Bus Stop Press / Décembre 2021 )

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    Continuons notre petit panorama des french sludgers. Quelle idée bizarre de s’appeler Bourbier lorsque l’on vient de la Côte d’Azur. Comme quoi tout est dans la tête, tout dépend de notre vision du monde. Celle que nous offre la pochette n’est guère joyeuse. Apparemment une photographie de la guerre de 14, des arbres dont il ne reste plus que les troncs, pointés vers le ciel comme des doigts accusateurs, dessous une files soldats franchit sur des claies branlantes ce qui doit être une excavation causée par un obus remplie d’eau… Serait-ce une préfiguration de notre avenir !

    Micka : vocal / Clem : guitars, vocals / Antoine : drums, vocals. / Pedro ancien chanteur du groupe est venu ajouter sa voix sur les pistes 1, 4, 6 et Aytem sur la 2. En février le groupe s’est enrichi d’un quatrième membre. En ce mois de mars il effectue une tournée aux quatre coins de l’hexagone.

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     Garden of eden : on s’y attendait, malgré le titre paradisiaque pas vraiment une idylle pastorale, débute par une charge battériale de longue haleine rehaussée d’un fort brouillamini de guitares, et là-dessus vient se planter la voix de Micka comme la couronne d’épine sur la tête du crucifié, sont décidés à ne pas faire de quartier, le combo déferle emmené par les flammes que crachent ce gosier de feu, Antoine parvient tout de même dans cet élan monstrueux à obtenir par deux fois deux secondes de silence pour qu’on l’entende lui tout seul enfoncer à chaque fois deux clous dans le cercueils qu’il est en train de refermer. Avec cette surprise qu’au quatrième top c’est le morceau qui stoppe brutalement sans préavis, nous qui croyions encore poursuivre cet infernal assaut. Deux minutes douze secondes, ils exagèrent ! Machinery :  étrange début, des notes isolées, espacées, l’on se croirait (presque) dans une symphonie, Micka surgit et sludgit pour nous gâcher notre plaisir à nous raccrocher aux petites herbes du jardin de l’éden, Antoine que l’on faisait semblant de ne pas entendre survient, l’a troqué ses fûts de peau pour un bulldozer qui s’acharne à arraser tout ce qui ose dépasser. La grosse machine ne fait pas de quartier, quand un obstacle lui résiste, on suit la manœuvre à l’oreille sans la voir, il recule et puis il avance an tassant à coups redoublés le malheureux repli se terrain qui s’écrase sous les chenilles sans pitié. De la belle ouvrage, L’affaire est entendue (très fort) en moins de quatre minutes. Deserters : Derrière Micka le rythme ronronne, pas comme un chaton, plutôt comme un tigre mangeur d’homme qui hâte le pas car son œil féroce vous a aperçu vous promenant innocemment entre deux arbres, n’empêche que Micka crache ses viscères par la bouche et comme il a un gosier en fil de fer barbelé, vous imaginez le salmigondis qui en résulte, Clem arrive à point, laisse tomber ses notes une à une, et l’on entend même une corde chuinter, ce qui humaniserait quelque peu le morceau s’il ne s’installait une ambiance délétère, Micka claque son vocal à la manière de ses ces squales qui coupent les jambes du baigneur, en plus il vous imite les hurlements du malheureux. Heureusement le morceau s’achève l’on ne sait pas trop comment, car déjà on regrette qu’il ne dure pas plus longtemps. Effigies : vitesse de croisière, la tempête se lève vite, tournoiement vocalique, autant les instruments suivent une ligne mélodique autant les voix donnent du volume à la chose informe qui poussée par le chancre du chant prend forme devant vos yeux, maintenant ils cavalent tous comme s’ils avaient le diable à leurs trousses, mais ce ne doit être que l’horreur de leurs cauchemars les plus abyssaux qui les poursuit. Quagmire : le titre le plus long, normal quagmire signifie en langue de Shakespeare bourbier. Il n’y a pas de hasard. Il suffit de se regarder dans un miroir d’eau trouble pour apercevoir sa nature profonde. Un autoportrait en quelque sorte. Donc une musique plus narcissique qui prend le temps de se regarder, de faire la belle, de crier sa haine de l’univers, un vocal accusatoire, une frappe plus lente, il est nécessaire que le monde comprenne l’importance de cette manifestation boueuse, et toujours cette syncope qui structure les morceaux, et qui est un peu la marque de fabrique de Bourbier, après le déchaînement initial cette inhalation de guitare creuse, comme perdue dans l’écho de sa propre résonnance, mais ici cette respiration dure et prend de l’ampleur, avant bien sûr que le cobra ne se redresse et vous crache ses boules de poison vocal en pleine figure trois jets de venin, l’on retourne dans la résonnance cordique qui s’amplifie et en même temps s’effiloche en tournant sur elle-même à l’instar de ces bâton de marche autour desquels s’agrège la boue des chemins que nous parcourons à l’intérieur de nous. Delusion : Micka clame les illusions perdues de la condition humaine, notes quasi funèbres, chuintement d’avions à réaction qui partent en vrille, redondance de souffrance, musique compressée, hérissement de batterie. Tout se dilue dans l’espace du néant.

    Pas tout à fait six morceaux. Le disque est à écouter comme une pièce musicale d’un seul tenant avec des motifs qui s’entrecroisent, disparaissent, reviennent et s’absentent… L’est construit tel un quatuor à cordes, chacun des membres entrant tour à tour dans la ronde tout en continuant à assurer la marche de la machine, mais prenant tout à coup une importance primordiale. Comme quoi le sludge mène à tout. A condition d’y rester. Très bel opus.

    Damie Chad.

     

    *

    Depuis Jim Morrison je ne peux lire le mot lizard sans approfondir la chose. Des lézards j’en ai vu de toutes les sortes, mais je n’ai jamais rencontré un squamate extraterrestre. Celui-là il triche un peu, ne vient pas de loin, de Pologne, toutefois je reconnais que le bruit qu’il émet est tout de même étrange…

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    Je l’avoue ce n’est pas la pochette de l’album chroniqué ci-dessous qui m’a retenu mais celle de leur opus précédent. Pas spécialement le graphisme, le titre – sur le moment j’ai cru que je parlais couramment le polonais, mais non, l’est tout bonnement rédigé en français : Veux-tu la vie. Deuxième surprise, dans la setlist un poème de Marceline Desbordes-Valmore ! Descendez dans la rue et demandez aux premiers cent passants que vous rencontrez qui est cette fameuse Marceline. Envoyez-moi un SMS pour me signaler les réponses positives. L’est vrai que l’étoile de Marceline Desbordes-Valmore ne brille plus trop au firmament poétique de notre pays. Elle publie Elégies et Romances en 1819, un an avant les Méditations Poétiques de Lamartine, elle sera une des muses (malheureuses) du romantisme, son plus grand titre de gloire restera d’avoir été nomenclaturée dans Les poëtes maudits entre Stéphane Mallarmé et Villiers de L’Isle-Adam, son talent fut mainte fois reconnu par les plus grands de Baudelaire à Yves Bonnefoy. Ces polonais ont des lettres. Leur dernier album le confirme.

    LUCID DREAM MACHINE

    ALIEN LIZARD

    (Février 2022)

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    Qui sont-ils ? Viennent de Gdansk. Sont-ils un, deux, plusieurs ? Le seul nom qui nous est offert est celui du graphiste de la pochette Stevenvsnothingness. Une appellation dérivée de sa philosophie existentielle résumée en une courte formule : From nothingness to somethingness and back again ( du rien à quelque chose et retour ), une formule un peu désespérée qui décrit l’itinéraire de l’être humain, surgi du néant pour plus tard y retourner, entre temps et ces deux extrémités le mieux à faire est de faire quelque chose plutôt que rien. Sur Instagram vous pouvez vous appesantir sur les dessins blancs et noirs du dénommé Stevensnothingness, voyez ces gros yeux ronds et boutonneux, dites-vous que l’un regarde du côté de l’absence métaphysique et l’autre du côté du dérisoire critique. Je vous laisse explorer l’étrange anamorphose de la pochette. Zieutez-la à différents moments de la journée. Vous n’y verrez pas la même chose. Bougerait-elle dès que vous avez le dos tourné ou reflèterait-elle votre état psychique du moment. Fonctionne-telle comme un thermomètre qui n’indiquerait pas votre fièvre mais traduirait les variations de votre appréhension du monde…

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    Terminal : commençons donc by the end. Instrumental. Un rythme baladeur à la charleston, à moitié assoupi imperturbable, dessus viennent se greffer des sonorités, c’est un peu bâti comme le Boléro de Ravel  en plus bordélique, des bruits divers qui se succèdent et refusent de se greffer les uns aux autres. Se terminent par de doux pépiements d’oiseaux. Nous supposons que notre lézard est un tantinet écologiste. Ensemble agréable mais qui nous laisse sur notre faim. Ou sur notre fin.  Lotus eaters : tout doux, tout lointain, une voix pratiquement inaudible, les courtes paroles ressemblent à s’y méprendre à deux haikus, sont-elles répétées à satiété, cela a-t-il seulement une importance, le rythme répétitif ne nous incite-t-il pas au repos, paisible et endormeur, peut-être est-ce pour cela que nous identifions la sonorité d’un sitar, ne serait-ce pas plutôt un rêve entre deux eaux tournant en rond dans notre cervelle tel un poisson dans son bocal. Des crissements désagréables nous tirent de notre sommeil, Ulysse viendrait-il tirer ses marins de la torpeur qui les a plongés dans un délicieux sommeil au pays des lotophages, à moins que ce ne soit le souvenir du poème d’Alfred Tennyson qui nous envoûte. Obserwacja obserwatora : observation de l’observateur, c’est un peu comme l’arroseur arrosé, toujours ce chuchotement, parmi des tapotements et des bruits familiers, une voix féminine récite des textes, au passage on reconnaît un extrait des Cygnes de Léon Dierx, c’est d’après un de ses poèmes que Rimbaud écrivit Le Bateau Ivre et de Rosalia de Castro poétesse romantique qui donna ses lettres de noblesse à la littérature de Galice. L’on imagine une scène d’intérieur ponctuée de tintements de verres, dans la chaleur pesante d’une après-midi de sieste ensoleillée.  Farniente. Qui regarde l’autre dormir ? Los naranjos : munissez-vous de la méthode Assimil espagnol, les paroles sont un poème d’Ignacio Manuel Altamiro, homme politique et écrivain mexicain du dix-neuvième siècle, le texte quoique plus disert n’est pas sans analogie avec le précédent, une intro tirebouchonnée, très vite le grouillamini sonore s’éteint et une guitare accompagne une voix féminine qui récite le texte altamirien, bel accent espagnol, la voix est en deuxième plan, après un passage musical elle passe au troisième supplantée par un rideau de tubulure, les trois mouvements correspondent aux trois moments du poème, la beauté de la nature, le faux combat entre la jeune vierge et son très bientôt amant, l’acceptation et le repos réparateur du coït, Altamiro n’emploie pas ce mot, il reste dans la bienséance du siècle 19 directement entée sur le modèle de l’idylle grecque antique, faut le dire ces orangers sont plantés en un terreau euphonique un peu maigre, le texte  quoique voilé surpasse la musique. Sympathie for the ludite : un titre trompeur, le texte clame son aversion anti-ludite, encore faut-il comprendre qu’il s’agit d’ironie, rythmique bien marquée et vocal susurrant, un chant de résistance et de non-acceptation à mettre en relation avec le terme machine du titre, notre lézard venu d’ailleurs fait semblant d’adorer les bienfaits de la technique qui ont pris en charge nos vies sans que beaucoup en aient pris conscience, à l’origine le ludisme fut ce mouvement ouvrier anglais qui brisa les métiers à tisser qui non seulement les asservissait à un travail réglementé par la machine mais les faisait travailler plus pour gagner moins. Toute ressemblance avec notre époque serait-elle due à un simple hasard. Beaucoup plus agréable à écouter que le morceau précédent mais une trame répétitive un peu simpliste, exprès peut-être pour exprimer l’inéluctabilité feutrée de l’oppression du travail et de la manipulation mentale. Rien de pire qu’un esclave qui se croit libre. Eyes eye the l’s in you : interlude musical, presque deux mots à l’oreille ‘’ ma chérie’’ une basse rythmique et des bruits de laminoirs qui coulent, chant d’oiseau, le son se volatilise, serait-ce l’oasis perdue dans le désert du désir. Fondu enchaîné entre trois yeux, deux qui regardent, un seul qui comprend l’incommunicabilité des êtres. The bird : le même morceau que le précédent mais la musique a pris son envol, exploration du regard de l’oiseau ou de l’oiselle, atmosphère beaucoup plus mystérieuse, pourtant ce qui est exprimé n’est que notre lot quotidien, l’idée que notre regard est décroché de la réalité, que l’on ne sait plus où on est, que nous sommes enveloppés dans l’ouate du monde, l’on pressent que l’on se dirige vers une espèce de cataclysme, densité de l’accompagnement, peut-être ne voyons-nous rien parce que nous ne regardons ni l’oiseau, ni l’oiselle, peut-être est-ce lui, peut-être est-ce elle, qui nous nous tient prisonnier dans le faisceau de son regard. Captivant. Romantycznosc : une romance, d’amour toujours, pas celui que l’on croit, ici le lecteur français se souviendra de La morte amoureuse de Théophile Gautier, mais la filiation avec Annabel Lee d’Edgar Allan Poe est certaine, l’indolence du fond musical est rehaussé, condensé, une voix féminine mène le bal mortuaire des retrouvailles, les effets s’amplifient, à tel point que l’on n’entend plus que la voix qui parle comme si elle sortait du néant, du vide, de l’autre côté, bientôt agrémentée de ces grattements que font les doigts des morts dans leur cercueil qui s’apprêtent à soulever le couvercle pour aller s’unir dans le monde des vivants à l’être aimé. Ultra romantique. Wombat 9 : le morceau le plus long, pratiquement symphonique si on le compare au minimalisme musical de tout ce qui précède, pourtant le même schéma chromatique, en plus beau, en plus romantique, la voix semble  enfouie au loin au plus profond d’une galerie, le wombat est une espèce de kangourou aussi mignon qu’une peluche de nounours, un animal assez solitaire, symbole parfait d’un poëte abandonné qui se réveille de son rêve érotique et s’aperçoit que ce n’était qu’un rêve, espèce de chants grégoriens pour accentuer la solitude de l’être humain terré dans sa solitude. Très beau. Le wombat possède une particularité que peut-être vous lui enviriez : il chie (ce n’est pas chic mais choc) des crottes cubiques.  Un très beau symbole animalier  pour cette création terrestre qui ne ressemble à rien d’autre mais qui est autre que du rien.

    Un disque très littéraire qui risque de désarçonner bien des patiences. A ne pas mettre entre toutes les oreilles. Une tentative de revisitation de la sensibilité romantique – née voici plus de deux siècles - il aurait gagné à bénéficier d’un accompagnement musical plus fourni, quitte à prendre le contre-pied de cette volonté à ne pas crier sur les toits, à ne pas hurler avec les loups du rock ‘n’roll, à contrario de ce désir de proférer un secret à des âmes choisies et délicates. Un truc dérangeant car échappant aux normes esthétiques communément admises. Pas dans l’air du temps, visant à une certaine intemporalité, même si ce qui est issu du néant est destiné à retourner au néant. Toutefois entre temps quelque chose aura eu lieu. Que cela vous plaise ou non, n’a aucune importance.

    Damie Chad.

     

    HOWLIN’ JAWS

    Dix ans que les Howlin’ ravagent le pays. Un des groupes les plus importants de la scène française. Leurs prestations live ont attiré l’attention d’un large public, le cœur des fans est un fromage qui se laisse dévorer avec satisfaction lorsque on lui fournit une énergie électrique revigorante. Kr’tnt ! garde toujours un œil sur eux, pendant le confinement – voir notre livraison 513 du 10 / 06 / 2021 – nous avons chroniqué une de leurs prestations live sans public – autant manger un sandwich au pain, cela calme la faim - visibles sur YT. Cette fois-ci, avant de nous pencher sur leur premier album dans une toute prochaine livraison nous jetons un œil sur trois relativement récentes vidéos.

    Dans notre livraison 436 du 31 / 10 / 2019 nous rendions compte de la prestation des Howlin’ Jaws lors de la création de la pièce Electre des Bas-fonds de Simon Abkarian par La Compagnie des Cinq Roues au Théâtre du Soleil. Les esprits curieux trouveront sur YT différents extraits de la pièce.    Voici à peine plus d’un mois le groupe a attiré l’attention par une vidéo, tournée lors de leur implication dans ce spectacle. Démarche non dénuée de sombres, mais nobles, motivations puisqu’elle rappelait la date de leur futur concert à La Maroquinerie le 25 / 02 /22. Quant au titre interprété il est en troisième position sur leur album Strange Effect sorti en septembre 2021.

    SHE LIES (Official Video)

    HOWLIN’ JAWS

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    Evidemment y a les roses qui encadrent le nom des Howlin’ qui vous mettent la puce à l’oreille, même si l’image suivante est des plus classiquement rock, nos trois héros pris de face, disposés en triangle ( isocèle, pour les adeptes de la géométrie appliquée ), mais  des roses parce qu’ils nous parlent des épines, celles à la morsure la plus sinistre, celles du mensonge, because She lies,  certes l’on peut se mentir à soi-même, toutefois en règle générale faut être deux pour tromper l’autre, est-ce pour cette déraison que de temps en temps l’image se dédouble, que deux Djivan  croisent le manche de deux basses, que deux Baptiste jouent de deux batteries en se tournant le dos en frères siamois, est-ce un hasard si  deux Lucas palindromiques et leurs deux leads se dédoublent…  pour le moment nous n’avons vu que des gars, la fille apparaît, fantôme flou, seule ses lèvres sanguinaires se détachent, morsure de serpent, elle aussi se dédouble, telle est la dualité du mensonge incarnée par la danseuse Chouchane Agoudjian, et subito expresso elles sont légion, tout le corps de ballet en arrière-plan, voici les boys sur un piédestal, elles les entourent - l’on ne peut s’empêcher au ballet du Bolero de Ravel mis en scène par Maurice Béjart - elles  les tiennent prisonniers, les enrobent dans la toile d’araignée de leurs menteries, ne s’en sortiront pas, she lies. Vous avez vu maintenant vous allez entendre. Pas du tout un rock torride, un truc rampant, espèce de boa réticulé qui glisse lentement sur le carrelage de la cuisine et vous enlace de ses anneaux froids comme la mort. Djivan vous décoche les lyrics par-dessous, comme une révélation destinée à vous faire mal, genre coup de couteau dans le dos au moment où vous vous y attendiez le moins, Baptiste tape sans énergie avec cette précision maniaque de l’empoisonneur qui distille un par un les milligrammes de cyanure nécessaire à votre passage dans l’autre monde, Lucas enfile les perles sur les cordes de sa guitare, vous prépare une belle couronne mortuaire pour que votre enterrement ne vous fasse pas honte. Esthétique – merci à Moro Fiorito réalisateur, et insidieux, les Jaws nous rappellent un des aspects les plus malfaisants du rock ‘n’ roll. Pour brouiller les pistes, Djivan porte un costume qui n’est pas sans évoquer ceux que revêtait el caballero Diego de la Vega dans le premier Zorro de Walt Disney( 1957 – 1961 ).

    Quelques jours plus tard les Howlin’ mettent en ligne un nouveau titre, au cas où vous n’auriez pas déjà pris votre billet pour leur passage à La Maroquinerie, et pour remettre les clepsydre, du rock ‘n’ roll, z’ont choisi un titre symbolique de leur évolution, pas du tout un rockabilly endiablé, un classique du british rock, enregistré par les Zombies en 1964, ce n’est plus fifties-fifties, mais sixties-sixties.   

    Cherchent un peu la difficulté. Colin Blunstone avait une voix particulière, de la dentelle ajourée, les Zombies jouaient subtil, pas des pousse-au-crime qui foncent droit devant en écrasant tout ce qui se présente. Avec le passif (très tonitrusif) de leur jeunesse, les Jaws ne se dérobent pas devant l’obstacle. Rappelons que si Noël Deschamps en a dès 1964 réalisé en français une très belle adaptation, c’est qu’il bénéficiait de sa voix qui montait très haut et couvrait trois octaves et des talents de l’arrangeur Gérard Hugé.

    SHE’S NOT THERE

    (LIVE SESSION )

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    Tous trois portent des lunettes noires, sont dehors au soleil, devant des gradins de pierre, en chemise, rose pour Lucas, rouge pour Baptiste, bleu sombre à motifs pour Djivan. Y vont tout doux. Marchent sur des œufs, n’ont pas l’huile de l’orgue pour faire monter la mayonnaise. Donnent l’impression d’effleurer leurs instruments du bout des doigts et des baguettes, Djivan mezzo voce comme s’il ne voulait pas y toucher, avancent à petits pas sur le pas de tir, l’on arrive à l’instant crucial, l’instant fatidique où la voix doit s’élever très haut, Djivan module et Lucas vient à son aide en doublant le refrain, pas du tout désagréable d’autant plus que Baptiste se porte à leur rescousse, ont passé le cap le plus difficile, maintenant c’est plus facile, sont à l’aise sur la partie instrumentale, pas d’esbroufe possible, minutie et précision obligatoires, et l’on repart en altitude vocale, à trois de front, z’ont maintenant acquis une assurance, Lucas vous transperce de notes de snipers et la farandole anapurnienne reprend de plus belle, plus vite, plus haut, plus ténue, en un merveilleux équilibre, la guitare de Lucas influe maintenant un aspect nettement plus rock ‘n’ roll que l’original – trio spartiate versus quintette spatiale – maintenant ils ne touchent plus terre, et c’est fini. Deux minutes et une poignée de secondes de montée vers les étoiles.

    HEARTBREACKER

    (OFFICIAL VIDEO)

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    Deuxième titre de l’album Strange Effect. L’on ne dira jamais assez le mal que les filles font subir aux garçons. Nos demoiselles affirmeront le contraire. Nous ne tenons pas à lancer un débat. Il nous semble superfétatoire. Inutile de se déchirer. Mieux vaut en rire. C’est du moins le parti pris par Marie Chauvin et Stephen Meance les réalisateurs de l’opus, lettres animées, images tressautantes un peu à la manière des premiers films, poupée mannequin, blonde imperturbable en vitrine d’arrière-plan, puis l’écran découpées en trois cases, n’oublions pas que les Howlin’ sont un trio, des espèces de figures panini mouvantes aux couleurs changeantes, le morceau défile à toute vitesse, une chatte n’y reconnaîtrait pas ses petits, vous en prenez plein les mirettes pour un max de rectangles, peut-être veulent-ils nous empêcher de penser, du moins de nous interdire  de prêter la moindre attention à la musique, ce qui est assez déroutant pour un clip musical censé présenter un extrait de l’album… Toutefois il existe une relation sans équivoque entre la forme et le fond. Un morceau. Mais fragmenté. Qui part un peu de tous les côtés. Vous vous croyez dans les bluezy chœurs des premiers Animals et dans la seconde qui suit vous voici en pleines harmonies Beatles, supplantées par des bribes de pure rock ‘n’roll effacées par des implications stoniennes, une pincée des Hollies, un arrière-goût des Kinks, cinquante ans après la British Invasion sévit encore. Une pièce montée, un régal, une horlogerie de haute précision que les amateurs se délecteront de démonter et remonter sans fin.

    LOVE MAKES THE WORLD GO ROUND

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    Cinquième morceau de l’album Strange Efect. Fond d’écran ébénique. Sur ce noir infernal des lèvres qui chantent. Les paroles sont inscrites sur le vermillon buccal. Au début il n’y en a qu’une paire, à la fin, elles sont mathématiquement réparties sur tout le rectangle.  Cette fois la mise en bouches de la vidéo vous invite à n’écouter que les paroles, plutôt l’harmonie des voix entremêlées, vous voici dans Sergent Pepper's, mais si vous prêtez l’oreille à la musique vous êtes dans le disque blanc, vous citerez même Back in the URSS. C’est bien fait, un peu trop beatlemaniaque à mon goût sur ce morceau, quelques zébrures à la Yardbirds vous sabrerait le tout avantageusement, quelques gouttes de sang cramoisi avivent la blancheur diaprée d’une tunique. Les Howlin’ entreprennent une démarche qui est à mettre en parallèle avec l’itinéraire des Flamin’ Groovies.  A suivre.

    Le concert de la Maroquinerie du 25 févier 2022 s’est très bien déroulé. J’étais absent, pour affaires familiales en Ariège. Sur YT vous trouverez deux vidéos. La première,  un peu pénible à regarder, plan fixe de soixante-dix minutes, les Jaws noyés dans un éclairage trop violent, et un son pas vraiment parfait. Un fan nommé Rapido 5 a réalisé à partir de ses propres images et celles de la septante un montage du titre Loves makes the world go round, et c’est déjà beaucoup mieux. Et je n’y étais pas !

    Damie Chad.

     

    UN EDITEUR EFFICACE

    MARIE DESJARDINS

    (La Métropole - 22 / 02 / 2022 )

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    Un petit article, pas plus de cinquante lignes. Qui regorge d’informations étonnantes. Surtout pour nous, petits français qui ne suivons que de (très) loin l’histoire politique du Canada. Une chronique sur Pierre-Louis Trudeau qui a fondé les Editions du Mont Royal ( éMR ). Peu de livres encore à son catalogue qui vise deux domaines de prédilection, culturel et politique. Pierre-Louis Trudeau n’est pas un inconnu en son pays, érudit, essayiste, auteur, un activiste qui depuis un demi-siècle s’est engagé jusqu’en Afrique pour défendre ses idées. Ce n’est donc pas un hasard si un de ses premiers livres publié se nomme Alfred, Premier député noir à l’assemblée nationale du Québec de Paul Morrissette. Attardons-nous sur La République assassinée de Daniel Johnson de Pierre Schneider. Un militant du Front du Québec Libre qui nous fait part de sa longue et minutieuse enquête sur l’assassinat de Daniel Johnson, qui s’apprêtait à proposer à la population de la province du Québec un référendum afin de lui octroyer le statut de République du Québec. Nous sommes dans les années soixante, en 1967 le Général de Gaulle lance son ‘’ Vive le Québec libre’’ suscitant l’enthousiasme des québécois… En France, on jugea la formule comme une foucade sans importance, aux Etats Unis on la comprit beaucoup mieux. La CIA n’avait aucune envie que cette République du Québec destinée à sortir de l’Otan, devant la montée des périls Daniel Johnson est assassiné au mois de septembre 1968. Dès sa création la Gendarmerie Royale du Canada, et les agents de la CIA suivent de près (et influencent dans la mesure du possible) les décisions de l’appareil politique du Front du Québec Libre, une pomme pourrie dans un panier… De l’histoire ancienne certes. Toutefois pensons au triangle Russie-Ukraine-Otan. Parfois la pomme pourrie se métamorphose en pomme de discorde… Un éditeur qui donne à réfléchir est utile et dangereux. Est-ce pour cela que Marie Desjardins le qualifie aussi d’éditeur discret. C’est fou comme l’actualité nous rattrape au moment où l’on s’y attend le moins. Merci à Marie Desjardins auteur d’Ambassador Hotel, un des meilleurs romans rock que nous avons chroniqué dans notre livraison 440 du 28 / 11 / 19.

    Damie Chad.

    NOUVELLES DE CHRIS BIRD

    ET DES WISE GUYZ

    GROUPE UKRAINIEN DE ROCKABILLY

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    VOIR YT Groupe de soutien :

    Help for the WISE GUYZ in Ukraine

    Chers amis

    Pendant que nous avons un peu de temps libre aujourd’hui, je peux donner quelques nouvelles

    Moi et mon cousin sommes en sécurité, continuez à faire du bénévolat. Notre maison n’est pas endommagée et nous pouvons cuisiner, recharger nos téléphones et utiliser internet, ce qui est déjà de super conditions.

    Shnur (batteur) et sa mère sont toujours à Poltava. C’est plus ou moins sûr là-bas, au moins plus sûr qu’à Kharkiv. Merci beaucoup pour vos dons, ils ont de l’argent pour avoir de la nourriture dans les prochaines semaines

    Baden (bassiste) a rassemblé ses proches de différentes parties de la ville et les a envoyés dans la direction ouest de l’Ukraine, où c’est moins dangereux. Ça aussi été possible grâce à vos dons merci Dans le moment ils sont en route.

    Maman et les tantes vous envoient un gros câlin depuis Francfort et elles sont également reconnaissantes pour vos dons. Ils sont en sécurité et pleins de gens aimants et attentionnés autour.

    Merci pour votre amour, votre aide et votre soutien chers amis !!

    Chris Bird.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 545 : KR'TNT 545 : STANLEY BOOTH / BEVIS FROND / MCLUSKY / ASHEN / CERBERE / MARIE DESJARDINS / ILLICITE / JAMES BALDWIN / ROCKAMBOLESQUES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 545

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    10 / 03 / 2022

    STANLEY BOOTH  / BEVIS FROND

    MCLUSKY / ASHEN / CERBERE

    MARIE DESJARDINS / ILLICITE

    JAMES BALDWIN / ROCKAMBOLESQUES

    This Booth are made for walking

     

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             Dans la richissime bibliographie d’It Came From Memphis, Robert Gordon nous renvoie sur Rythm Oil, un fantastique recueil d’articles du trop discret Stanley Booth. Encore une sorte de passage obligé ! Stanley Booth fait partie de cette caste d’esthètes locaux qu’on pourrait appeler les Southern Gentlemen. Sur l’illusse, on le voit en compagnie de Keef. Booth est le grand spécialiste américain des Stones qu’il accompagnait en tournée à l’âge d’or et auxquels il a consacré trois ouvrages de référence, dont une bio de Keef.

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             L’édition 1991 de Rythm Oil est déjà en soi un petit chef-d’œuvre typographique : format choisi, belle main du bouffant, marges confortables et grande élégance des équilibres typo. Le contenu se hisse à la hauteur du contenant. Comme Robert Gordon, Stanley Booth va trouver les gens chez eux et donc, il propose ici une fabuleuse galerie de portraits. À commencer par Furry Lewis qui raconte les conditions dans lesquelles il perdit sa jambe : «Started going about, place to place, catching the freights. That’s how I lost my leg. Goin’ down a grade outside Du Quoin, Illinois, I caught my foot in a coupling» (le pauvre Furry s’est pris le pied dans un attelage et on lui a coupé la jambe sous le genou). Stanley emmène Furry à l’enterrement de Mississippi John Hurt et Furry fait un discours : «This is Furry Lewis talking. We come clean from Memphis to be with you today. I knew John Hurt from the old days. Me and him used to play together on Beale Street.» Pour Furry, John Hurt était l’un des meilleurs, «but he was so ugly. I swear ‘fore God he was.» Pour rencontrer Fred McDowell, il fallait prendre la route après Hernando, traverser Love et Coldwater et arriver dans un bled nommé Como. C’est là qu’on trouvait le meilleur des jeunes guitaristes (en dessous de la soixantaine) qui jouaient le vieux Delta blues : il servait de l’essence au Stuckey’s Candy Store. Fred avait passé sa vie en tant que sharecropper (métayer) et comme il ne s’en sortait pas, il décida d’arrêter les frais : il remboursa tout ce qu’il devait à son boss (pour la terre, les semences, les engrais, le loyer de la cabane et la mule) et pour solde de tout compte, il ne lui restait plus que 30 dollars. Il prit alors le job de pompiste qui rapportait mieux.

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             Quand Stanley Booth s’attaque à Elvis, ça donne des pages superbes. C’est de la sociologie, au sens où l’entend Bourdieu. Booth explique en effet qu’Elvis vient en direct du personnage que Brando incarne dans The Wild One - Les jeunes filles du Sud appelaient ces mecs the hoods, c’est-à-dire les voyous. «Tous des marginaux, avec leurs duck-tails, leurs Levis sales, leur bottes de bikers, leurs T-shirts et leurs blousons de cuir. Ils portaient des rouflaquettes qui exprimaient leur mépris de l’American dream. Ils étaient trop pauvres pour s’en payer une tranche. Quiconque écrit sur Elvis devrait se souvenir qu’il lui fallut un courage énorme pour faire partie des hoods et chanter. Un mec comme lui pouvait être mécanicien, peintre en bâtiment, chauffeur de bus ou même flic, mais pas chanteur.» Stanley Booth revient aussi sur le Colonel Parker pour insinuer que cette crapule fit tout ce qu’il put pour empêcher Elvis d’évoluer dans quelque domaine que ce fut. Stanley Booth rencontre aussi les Bar-Keys avant leur disparition, et les MGs. Il brosse de très beaux portraits de Steve Cropper («Steve is an enigma») et de Donald Duck Dunn («Duck, short and plump, seems more of a good ole boy than anyone at Stax, but he is the only one who has been influenced by the hippies»). Booth le voit jouer de la basse des deux doigts, les deux autres tenant une cigarette. C’est la raison pour laquelle le Booth book est essentiel : Booth observe.

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             Il rencontre bien sûr Isaac Hayes : «Il porte une toque russe, un pull-over blanc à rayures vertes, un pantalon vert vif, des chaussettes transparentes et des chaussures brillantes en lézard vert. Il porte un sac rempli de tissu zèbre dont il compte de faire un costume.» Puis voilà Chips Moman qu’on considère comme «the living embodiment of the Memphis Sound». Et ça continue de décoller avec Charlie Freeman : «Quand Freeman était ado, Memphis était une ville gérée par des groupes religieux fondamentalistes et ségrégationnistes qui incarnaient très exactement ce contre quoi Freeman voulait se révolter.» Mais, ajoute Booth, de l’autre côté du fleuve, à West Memphis, il y avait the Plantation Inn et «Freeman and every other punk alive were doing what the neon sign said, Having Fun With Morris.» Booth rappelle que Charlie Freeman était un guitariste de session très réputé, qu’il accompagna des gens comme Chuck Berry, Slim Harpo, et Bobby Blue Bland. Charlie adore tirer des coups de feu dans le plafond du studio - Anyone knew he was, if not an indian, at least a real renegade riding the owlhoot trail (un voyou en cavale) - Avec les Dixie Flyers, Charlie va accompagner tous les géants d’Atlantic et d’ailleurs. On surnommait Charlie «the Mozart of self-destruction». Jerry Wexler était fasciné par son jeu : «Listen to that Charlie Freeman. High as a kite and playing like a bird». Booth ajoute : «Il sortait du studio à Miami, après des heures de boisson, de dope et de musique. On le voyait lever les yeux vers le ciel, puis regarder sa montre et dire : ‘Hell, man, il est onze heures de l’après-midi.» En guise d’épitaphe : « Quand il mourut, Charlie portait son jean favori, sa chemise en flanelle rouge, et même son caleçon rouge. Dans sa poche se trouvaient sa pointe de flèche, son médiator en or et le couteau de son grand-père. Il est mort avec ses bottes aux pieds. Remember the Alamo. FUCK YOU.» Autour de la tombe de Charlie, tout le monde chialait : il y avait des proches, des musiciens, des dealers, des gangsters, des fous, c’était nous dit Booth, un sacré spectacle.

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             Il se fend aussi de petits passages éclairs qui font de lui un écrivain du même niveau que Dickinson : «L’alligator est mon animal totem. J’en avais tué un, mais je n’en avais jamais mangé. J’ai donc acheté de la bière et de l’alligator et me suis assis sous un chêne. Comme le dit un jour Brian Jones qui se préparait à déguster du mouton, it was like a communion.» Booth tire aussi des coups de chapeau à Miles Davis, aux Staple Singers, à Roy Orbison et aux Neville Brothers. Autant de bonnes raisons de lire ce livre. Booth consacre aussi un beau chapitre à Al Green et rappelle qu’en 1976, Green rencontra tellement d’hostilité en devenant pasteur qu’il dut acheter sa propre église. Booth profite de ce chapitre haut en couleurs pour revenir bien sûr sur Willie Mitchell, le boss d’Hi. Il salue aussi William Bell qu’il voit sur scène et il se demande comment une boîte comme Stax, avec autant de talents, a pu se casser la gueule. Tiens puisqu’on parlait des hoods, voilà Billy Gibbons et la fameuse Memphis connection. Billy eut beaucoup de chance : son père Fred Gibbons lui offrit une Gibson Melody Maker et une ampli Fender Champ pour Noël en 1963. Il avait 14 ans. Fred Gibbons encourageait son fils à faire ce qui lui plaisait, contrairement à ce que faisait alors la grande majorité des parents qui préféraient les métiers sûrs. Fred Gibbons savait qu’un musicien pouvait vivre très confortablement de sa musique. Bill Ham, le manager de ZZ Top, avait étudié les méthodes du Colonel Parker : il protégeait le trio des médias, mais à l’inverse de Parker, Ham s’intéressait de très près à la musique. Ce qui fait toute la différence. «The important thing is, Ham and ZZ Top knew what they wanted to hear.» Booth rappelle les conditions dans lesquelles ZZ Top explose avec Fandango : 75 tonnes de matériel en tournée, et sur scène, on amenait un bison, un longhorn du Texas, un loup, cinq vautours et un nid de serpents que les vibrations des amplis ont fait crever. Ils gagnèrent alors tellement de fric qu’ils arrêtèrent de bosser pendant cinq ans. Ils titrèrent l’album suivant De Guello en souvenir d’Alamo : Davy Crockett et Jim Bowie entendirent les Mexicains crier ‘De Guello’, qui signifie ‘Pas de quartier’. Billy Gibbons rappelle que si son groupe a tenu si longtemps, c’est parce qu’il existe chez eux un amour profond de la musique et un robuste respect mutuel. Pas mal, n’est-ce pas ?

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             Booth termine sa galerie de portraits avec les Stones et James Brown. Ce qu’il dit des Stones est passionnant : «J’avais vu les Beatles, mais je trouvais que Chuck Berry chantait mieux ses chansons. Les Stones retinrent mon attention car ils ramenaient Howlin’ Wolf.» Booth va en Angleterre rencontrer les Sones en 1968 et il tombe sur Jo Bergman, une secrétaire américaine qui a lu Henry James, et un publiciste, Les Perrin, qui avait travaillé pour Louis Armstrong et Frank Sinatra - Bergman and Perrin, in other words, possessed frames of reference - the kind of thing you still need to understand Keith Richards and what in time he would become - Et là il tire l’overdrive : «Keith’s inensity of focus and his obvious rejection of middle-class values almost made me speechless» (l’intelligence de Keith et son mépris des valeurs de la classe moyenne m’ont laissé sans voix) -  Dans le chapitre extraordinaire qu’il consacre à James Brown, Booth narre les démêlés du Godfather avec la justice, dus à une forte consommation de PCP. Le flic Taylor raconte que James Brown conduisait avec les bras en l’air. Il était complètement incohérent et ne tenait pas debout. La prise de sang révéla une forte présence de PCP. Dans ce chapitre fameux, Booth raconte aussi l’histoire de la relation entre James Brown et Jacque Daughtry, une blanche qui tomba follement amoureuse de Mr Dynamite. Encore un chapitre à lire impérativement, quand on aime les vraies histoires.

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             L’ombre de Jim Dickinson plane bien sûr sur Rythm Oil, qui en fait est le nom d’un breuvage qu’on vendait sur Beale Street. Dickinson donne une troublante définition de la Soul music : «Le marché semble s’effondrer par moments, mais ça revient toujours, parce que la musique intègre va survivre. On dit que la Soul music parle d’oppression et de pauvreté, c’est en partie vrai - aucun Soul man n’est né riche - mais ça va beaucoup plus loin que ça. C’est une façon de dire : je suis fier de mon peuple, de mes origines. Voilà ce qu’est la Soul.» Dickinson rappelle qu’everybody learned it from the yard man - tout le monde a appris la musique avec le jardinier, «et c’est aussi vrai pour les grands, y compris Jimmie Rogers, Hank Williams et Sam Phillips.» Et grâce à Booth, on apprend que Billy Gibbons craignait Dickinson qu’il voyait comme un shaman.

             Et bien sûr, le vrai héros de ce classique littéraire, c’est le Memphis Sound : «Durant ces décennies qui vont de la fin des années 40 à la fin des années 50, la vie a changé dans le monde entier, grâce à quelques non-conformistes de Memphis. Ce changement s’est opéré en presque trois décennies, avec Stax, Goldwax, Sonic, Royal, American, Fretone, Onyx, Ardent et d’autres studios. Qui allait-on croiser par une nuit pluvieuse à Memphis ?» Et Booth en rajoute une louche plus loin : «The Memphis Soul Sound grows out of a very special environment.» Quand il rencontre Dan Penn, il lui pose la question :

             — Dan, qu’y a-t-il de spécial à propos de Memphis ?

             — Ce n’est pas Memphis, c’est le Sud

             — Oui, mais que veux-tu dire ?

             — Ici les gens ne supportent pas qu’on leur dise ce qu’ils doivent faire.

             Et l’ami Booth repart de plus belle avec un texte d’intro : «Having written about Furry Lewis, Elvis Presley, Otis Redding and B.B. King, I slowy awoke to the realization that I was describing the progress of something, a kind of sexy, subversive music.» (Il réalise qu’en consacrant des articles à B.B. King Otis, Elvis et Furry Lewis, il était en train d’expliquer le développement d’un phénomène musical à la fois subversif et sexy). Et pour illustrer son propos, il raconte la déconfiture de Janis Joplin sur scène à Memphis. En effet, le public de Memphis était habitué à autre chose : «Elle avait bien chanté et tout était en place. Mais ça n’est pas passé. Elle retourna dans sa chambre au Lorraine Motel, où B.B. King et d’autres chanteurs de blues avaient eux aussi passé des soirées malheureuses.»

    Signé : Cazengler, Stanley Bide

    Stanley Booth. Rythm Oil. Pantheon Books 1992

     

    L’avenir du rock

     - Thierry la Frond (Part One)

            

    L’avenir du rock voit de temps en temps un vieux copain à lui devenu producteur de séries télévisées. Ils vont casser la croûte ensemble Chez Paul, rue de Charonne, comme ils l’ont toujours fait, depuis le temps de leurs études. Ils ont très bien connu les anciens propriétaires, un petit vieux qui accueillait les clients et qui servait le vin, et une petite vieille qui cuisinait elle-même ses pommes de terres sautées à l’ail. Ils s’installent à leur table, une table qu’il faut désormais réserver car les gens font la queue pour manger là : les nouveaux propriétaires ont su maintenir la tradition de cuisine familiale. Ils attaquent avec leur vieux cru de Pinot Noir.

             — Alors avenir du rock, où en es-tu de tes tribulations ?

             — Je fais en sorte qu’elles restent dans le rang...

             — Ah oui, je te vois venir, tu vas me ressortir le plan des Tribulations d’un Chinois en Chine, ha ha ha, tu ne changeras donc jamais. Tu admires toujours autant ce grand futuriste que fut Jules Verne ?

             — Je trouve qu’on manque un peu de visionnaires par les temps qui courent. Et toi où en es-tu de tes projets révolutionnaires ?

             — J’envisage un remake de Thierry la Fronde. Mais les comédiens que je sollicite déclinent l’offre les uns après les autres. Ils trouvent le personnage trop typé, c’est le syndrome de Belphégor. On ne peut pas réinventer ce type de personnage. Les remakes sont généralement voués à l’échec.

             — J’ai peut-être une idée, mais te plaira-t-elle ?

             — Je t’écoute...

             L’avenir du rock remplit les verres de Pinot alors qu’on amène les entrées :

             — Imagine que Thierry la Fronde soit devenu très vieux, qu’il se soit laissé pousser de grands cheveux blancs et qu’il se soit mis à jouer de la guitare électrique, histoire de rester synchrone avec son temps...

             — Ah oui, pas mal... Vraiment pas mal... Avec le médaillon et le costume d’époque ?

             — Oui, bien sûr.

             — Et tu connais l’acteur ?

             — Oui bien sûr. Il est anglais. Il s’appelle Nick Saloman, mais les gens le connaissent sous le nom de Thierry Bevis Frond. Je suis certain qu’il sera partant. Tiens, je t’écris son numéro de téléphone sur la nappe. Dis-lui bien que c’est de la part de l’avenir du rock.

     

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             Nick Saloman a derrière lui 25 big shots de Bevis Frond, mais plus que tous ses collègues, il incarne l’avenir de la couronne d’Angleterre. La preuve ? Cet album qui vient de paraître, Little Eden, qui est en fait un double album pour le moins explosif. On y compte pas moins de trois coups de génie, à commencer par ce «Find The Mole» terré en B. C’est quasi-stoogy dans l’attaque - Someone’s talking to me/ I don’t understand a word - Avec un killer solo flash in the flesh. C’est en C qu’on trouve «Here Come The Flies», un fabuleux groove de rock qu’il embarque sous le boisseau et qu’il joue au coulant psyché capiteux. Certainement le meilleur coulé de psyché de l’histoire du coulé psyché. Le troisième coup de génie est le dernier cut de la D, «Dreams Of Flying», embarqué au riff de basse dévorante. Il avale un poème fleuve et profite de son élan pour s’envoler, c’est d’une rare puissance et c’est même imparable. Il passe en mode hypno et là quelle délectation ! Il finit sur des objurgations, hang on to you/ Happy endings/ They may/ Stop your/ Path descending et ça continue au hang on/ To your/ Higher call/ It may/ Catch you/ When you’re/ Falling - Pure genius ! Avec «Cherry Gardens», il frise le Dinosaur. Il n’a rien perdu de ses pouvoirs. Avec «Numb In The Head», il devient gaga de gaga, il connaît ses limites, mais il ne ressent rien, not feeling anything. Sacré Thierry ! Avec le «Start Burning» d’ouverture de bal de D, il revient au heavy rock et le bourre de contenu et d’une volée de wah. Il est en colère, génial et enpowering. Il a deux cuts qui sonnent comme des vieux hits du Teenage Fanclub : «My Own Hollywood» et l’«Everyone Rise» d’ouverture de balda. Il est en plein dans «Everything Flows». Belle envolée avec un thème de guitare avoisinant. Joli shoot d’insidious que l’«You Owe Me» propulsé par un beat excédentaire. Il remet en route sa vieille formule de défilement à l’infini et profite de l’occasion pour passer un wild killer solo flash. Attention au «Do Without Me» qui se planque en B juste derrière the Mole. Thierry remet la pression du rock anglais ultra-chanté et investi par du solo de Frond, l’un des sons les plus purs d’Angleterre, fluide et si électrique, au sens Peter-Greeny de la chose. Le cut le plus spectaculaire de l’album est sans doute l’«As I Lay Down To Die» : un big atmopsherix drivé à la guitare. Il passe un solo de wah entre deux couplets d’agonie - No sickness or injury/ Just an echo asking/ Why I allow this to diminish me/ But this is out of my control - Il sort du sarcophage higher/ Then I will ever be, accompagné d’un solo fluorescent.

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             Pour Shindig!, Roberto Calabro rencontre celui qu’il qualifie de national treasure. Thierry  Bevis Frond a démarré nous dit Calabro le Calabrais en mode one man band et pour Little Eden il y revient.  Il envisageait de faire l’album avec ses copains, mais comme les démos qu’il avait préparées sonnaient bien, elles sont devenues l’album. C’est lui qui a photographiés le HLM qu’on voit sur la pochette, The Ferrier Estate in Kidbrooke, South London qui depuis a été rasé. Calabro dit aussi que Thierry Bevis Frond a rassemblé toute sa paraphernalia pour cet album : nostalgic pop songs, delicate acoustic numbers, guitar-oriented psych tunes, and brillant rockers et il cite le fameux «Find The Mole». Thierry Bevis Frond fête aussi le 35e anniversaire du groupe. Quand le Calabrais lui demande quels sont les albums du groupe les plus représentatifs, Thierry cite Miasma, New river Head, Valedictory Songs and Maybe We’re Your Firends Man. Albums effectivement géniaux sur lesquels nous allons revenir incessamment sous peu.

    Signé : Cazengler, Bavasse Frond

    L’avenir du rock - Thierry la Frond (Part One)

    Bevis Frond. Little Eden. Fire Records 2021

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    Roberto Calabro. Back to the garden. Shindig! # 119 September 2021

    Inside the goldmine

    - Unlucky mclusky

     

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                Pour des raisons esthétiques, on va l’appeler R. Il n’avait pas un prénom très moderne. Disons démodé. Alors va pour R. Copain de lycée. Passionné de bagnoles de sport. Alors qu’on roulait tous en mobylettes, lui roulait en TR4. Une belle TR4 blanche avec le fameux overdrive au tableau de bord. Il adorait aller faire un tour sur le circuit des Essarts. Rrrrrroooommm bam balam. C’est vrai qu’elle tenait bien la route, sa Triumph. Il l’avait refaite entièrement, moteur et carrosserie. Un passionné. Le week-end, on allait faire les cons sur la côte. Vers Honfleur. Une boîte un peu glauque qu’on aimait bien et où on entrait à l’œil. On partait le vendredi soir et on rentrait au bercail le dimanche matin. Si on dormait, on dormait dans la bagnole, mais c’était assez rare. Le seul problème c’est qu’on n’avait pas de blé pour faire le plein. Alors système D : bidon et sifflette pour aller pomper l’essence sur les parkings. Dégueulasse. Car on avalait de l’essence à l’amorçage de la sifflette. On se rinçait la bouche au Ricard. Chacun un flash dans la poche. Ça devenait une routine. Semaine après semaine. Jusqu’au jour où...

             — Bougez plus ! Les mains en l’air !

             Il devait être le seul mec en France qui ne dormait pas et qui surveillait sa voiture depuis la fenêtre de son appart ! Il crevait de trouille. Il pointait un fusil de chasse sur nous.

             — J’ai appelé les flics, y z’arrivent ! Bougez pas j’ai dit !

             R se mit à sourire et quand on le connaît, ce petit sourire carnassier n’est pas bon signe. R baissa lentement les bras et dit au mec en rigolant :

             — Vas-y, tire-moi dessus, ma couille.

             Évidemment, le mec a tiré. Bhaaam ! R reçut la décharge en pleine poitrine. Sa chemise blanche était parsemée de petits points rouges. Il fut le premier surpris de n’être pas mort. Cartouche de gros sel ! R attrapa le bidon rempli d’essence et frappa le mec à la volée, schbounz, en pleine gueule. On eut tout juste le temps de mettre les bouts avant l’arrivée des condés. Au volant, R se marrait :

             — Lucky unlucky, poto, mais tu vois, ça le fait bien...

             Façon de parler.

     

             À leur façon, Andy Falkous et mclusky ont eux aussi joué au petit jeu du lucky unlucky. Mais ils ne sont pas aussi lucky que R. Plutôt unlucky. Comment un trio aussi brillant a-t-il pu disparaître ? Dans deux mille ans, les archéologues se pencheront probablement sur ce mystère.

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             C’est avec mclusky Do Dallas que mclusky est arrivé dans le rond du projecteur. L’album fit sensation dans la presse anglaise. Trois des titres de cet album pourraient figurer sur n’importe quel album des Pixies : «Alan Is A Cowboy Killer», «Gareth Brown Says» et «Chases». Falkous y fait son gros Black, c’est-à-dire qu’il attaque l’Alan à la sauvette et qu’il l’explose aussi sec, il plonge mclusky dans la bassine d’huile bouillante des Pixies, c’est extrêmement saisissant. Ça remonte un temps, Alan is a cowboy killer, et boom, avec à la suite un killer solo flash in the flesh. Même chose avec le Gareth Brown et Chases, ça cogne dans les tibias, ils tapent dans le heavy hardcore du gros, ils courent après leur cut qui s’enfuit, on se goinfre de l’excellence de cet album qui est une véritable orgie de démesure. Nouveau coup de génie avec un «The World Is Over Bitch» plongé dans le chaudron de scream des Pixies, avec un truc plus demented, comme si c’était possible. Ils poussent encore le bouchon de la folie. Viva mclusky ! Le «Lightsabre Cocksucking Blues» d’ouverture de bal est un modèle d’insanité, ils jouent au no way out, c’est d’une beauté désespérante, ça hurle dans le chaos de la fin du monde, ces mecs ont le talent de leur folie. Ça nous guérit des ravages de la médiocrité. Ils repartent de plus belle avec «No New Wave No Fun» dans l’extrême onction de l’insanité, Andy Falkous chante tout au bord du gouffre, c’est extravagant de power destructeur, peu de groupes sont allés aussi loin dans le process de la défenestration. Andy Falkous met le paquet. Ils continuent de chatouiller les cuisses de la muse qui entre en transe avec «Collagen Rock», ils nous emmènent dans le vrai monde, le monde interlope, celui du fard et du beat inexpected, ils cultivent toutes les véroles, toutes les sous-jacences, ils ont des dons atroces, ils flirtent avec la démesure des Pixies et ne vivent que pour la bille en tête. On entend Jonathan Chapple ramoner «Day Of The Deadringers» à la basse underground. Ils passent d’un climat à l’autre sans coup férir, c’est leur apanage, ils jouent bien le jeu dans «Fuck This Band» et on retourne aussi sec en enfer avec «To Hell With Good Intentions». Andy Falkous y perd le contrôle de sa voix.

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             Leur premier album paru en l’an 2000 s’appelle My Pain And Sadness Is More Sad And Painful Than Yours. Il est aussi intense et aussi barré que Do Dallas. Ils font déjà les Pixies avec trois cuts : «Medium Is The Message», «When They Come Tell Them No» et «You Are My Sun».  «Medium Is The Message» est amené comme souvent chez les Pixies par la menace d’un bassmatic et ce démon d’Andy Falkous plonge dès qu’il peut dans sa friture, mais il ressort à sec pour le deuxième couplet. C’est un averti qui en vaut deux, il fait comme le gros, il se réserve pour les apocalypses, même façon d’avancer dans la ville en flammes avec de chant dérangé et mirifique. Le bassmatic de «When They Come Tell Them No» est aussi celui des Pixies, c’est vite livré au délirium et avec «You Are My Sun» Falkous replonge aussi sec en enfer. Il explore tous les replis du gros et ramène de ses explorations du power et de la folie. C’est à peine croyable. «Flysmoke» pourrait aussi sortir d’un album des Pixies, avec ce riff de guitare sur le côté du chant, l’agressivité se joint à la douceur du temps. Il refait encore son gros Black avec «Rock Vs Single Parents», même attaque que celle du gros, à la déconstruction et au scream de brûlé vif, puis redescente dans le doux du son avant d’aller screamer de plus belle. «She Comes In Peace» sonne comme un coup de génie, cet ultra punk blues est littéralement saturé de violence. On dira la même chose de «Problems Posing As Solutions» : ils allument leur pétard d’entrée de jeu et boom !, c’est plein de nappes et plein de clameurs infernales. Ils sonnent comme des saucisses qu’on vient de jeter sur le grill, ils dansent la Saint-Guy des grands brûlés vifs. Ils rôdent dans les cendres de leur légende en devenir. Comme le gros, ils maîtrisent le petit jeu des alternances entre le calme et la tempête. Et si on souhaite entendre une basse dégueulasse, elle est dans «World Cup Drumming». Cette basse cacochyme tousse dans un defeaning blast. C’est l’hymne de la fin du monde, idéal pour finir un album aussi perturbant. Les chorus explosent et les hurlements battent tous les records de Hurlevent.

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             On pourrait qualifier The Difference Between Me And And You Is That I’m Not On Fire d’album des apocalypses pour au moins une raison : «Support Systems». Andy Falkous rôde dans les parages, fais gaffe, il est capable de tout, il développe pour exploser et il explose. Il vise la clameur définitive. «1956 And All That» et «Falco Vs The Young Canoeist» sont encore deux horreurs collatérales. Ils tapent le 1956 au heavy hardcore de youh-youh, ils jouent comme des crabes dans la bassine d’huile bouillante, youh-youh !, et ils explosent Falco dans l’œuf du serpent. Il est un peu comme le diable, cet Andy Falkous, il joue sur tous les tableaux. On comprend dès le «Without You I’m Nothing» d’ouverture de bal qu’on est un big album, ça chante à l’allant, mais pas n’importe quel allant : l’allant définitif. Tu rentres tout de suite dans le monde de mclusky, ils y appliquent les lois du hardcore, mais avec des réserves Pixies/rock/punk qui les rendent accessibles. Ils amènent «She Will Only Bring You Happiness» au pur jus de sunshine pop et c’est béatifiant, explosé de soleil, mais le son a des crocs. Nouvelle alerte avec «Kkkitchens What Were You Thinking?», ils ont le diable au corps, ils dépassent tout ce qu’on peut imaginer. Toutes les falaises de marbre de nos a-prioris s’écroulent au passage de ces mecs-là. Ils collectionnent les exploits soniques, chez eux l’idée prévaut. Ils ne fonctionnent qu’à l’idée, comme le montre «Your Children Are Waiting For You To Die». Encore un cut ultime avec «Slay», l’une des pires explosions de l’histoire des explosions. Anndy Falkous plonge encore son «You Should Be Ashamed Seamus» dans la folie, il semble vouloir rivaliser avec le gros, le gros hurle beaucoup, mais Andy Falkous hurle encore plus.

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             L’idéal serait de commencer par visionner l’excellent Getaway Band (Live In London And Cardiff) paru l’an passé. On a les deux concerts sur le même support avec quasiment la même set-list, mais bon, on n’est pas obligé de voir les deux, car c’est tout de même très spécial. Toute la démesure et l’insanité du groupe est comme démultipliée. Leur hardcore gallois se situe exactement dans le même genre d’insanité que celle des Pixies, au temps où le gros hurlait comme un cochon. On croit que les mclusky sautent en l’air et qu’ils se roulent par terre, pas du tout. Andy Falkous garde le contrôle, il hurle dans son micro tout en grattant savamment sa Les Paul. Il est prodigieusement bien accompagné par Damien Sayell, bassman des enfers et l’encore plus infernal Jack Eggleston au beurre. Tu veux l’enfer sur la terre ? Laisse tomber Motörhead, c’est «Dethink To Survive» qu’il te faut. Falkous hurle tout ce qu’il peut et garde le contrôle. Il papote pas mal avec le public qui envoie des vannes. Falkous joue au petit jeu de l’apocalypse nerfs d’acier, c’est très impressionnant. Sur «Collagen Rock», Sayell saute en l’air. Ça continue de monter en pression jusqu’à «Alan Is A Cowboy Killer» qui explose et ils maîtrisent la folie de «Gareth Brown Says» à la perfection. Pure giclée de hurlette à la Frank Black. Ils jouent «Falco Vs The Young Canoeist» à deux guitares suraiguës, c’est l’attaque des frelons et Sayell chante cette abomination. Ils enchaînent avec l’un des sommets de power rock, «You Should Be Asheamed Seamus». Falkous le chante à l’extrême violence, il n’existe rien d’aussi violemment parfait dans le monde libre. «The World Loves Us And Is Our Bitch» atteint à la démesure des early Pixies. Falkous est la superstar d’un monde de son invention. Attention à ne pas confondre mclusky avec les groupes hardcore américains. 

    Signé : Cazengler, maclèchecul

    Mclusky. My Pain And Sadness Is More Sad And Painful Than Yours. Fuzzbox 2000

    Mclusky. Mclusky Do Dallas. Too Pure Too Pure 2002

    Mclusky. The Difference Between Me And And You Is That I’m Not On Fire. Too Pure Too Pure 2004

    Mclusky. Getaway Band (Live In London And Cardiff). Prescriptions 2021

     

    ASHEN

    C’était dans un temps lointain où l’on pouvait se rendre à un concert sans se cacher derrière un masque, ni présenter un pass de ceci ou de cela. Bref c’était autrefois, ce 19 avril 2019 Ashen prenait d’assaut la scène du Chaudron, et nous éblouissait. Un nouveau groupe, des inconnus, pas tout à fait puisque le scream-vocal était assuré par Clem des Fallen Eight, son ancien combo qui s’était séparé. Un groupe prometteur assurai-je, oui mais plus de nouvelles depuis les débuts de l’ère covidique.

    Ils ont survécu. Sont prêts à remonter sur scène, entre temps ils ont travaillé dur. Tout le long de l’année 2021 ils ont réalisé trois vidéos qui ont marqué les esprits si l’on en juge le nombre astronomique de followers.

    Clem Richard : vocal : / Antoine Zimer : guitars / Niels Tozer : guitar, additional vocals / Thibaud PoulLy ; bass / Tristan Broggeat : drums.

    HIDDEN

    (YT : 19 / 11 / 2021)

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    Esthetic Metalcore. D’abord les images. Le choc. Un boomerang que vous n’avez pas lancé, mais qui revient vers vous. Vous êtes la cible, tenez-vous-le pour dit en regardant cette vidéo. Un récif de corail éblouit votre vision, vous en oubliez la musique, vous ne la saisissez pas en tant que morceau mais en tant qu’articulation rythmique des images, le temps de les apercevoir une seconde en évidence, silhouettes noir cendré retranchées derrière le nom du groupe qui barre l’écran de ses lettres blanches, le code couleur est d’emblée annoncé, il ne s’aventurera jamais hors de ce trismégiste canon alchimique, c’est alors que survient le Tryptik, les clapper boys de Gene Vincent revisités façon hip hop bondissant, sont là pour ainsi dire en contrechant, car, c’est-là que réside le secret du mixage, les images se font musique, et la musique support des images, les musiciens ne jouent pas, sont saisis en tant qu’icones, le ballet est régenté tel un jeu d’échec, les pièces sont immobiles en elles-mêmes, vous êtes propulsé dans la tête d’un joueur, et devant vous défilent les différentes stratégies possibles qui s’offrent à son cerveau, les trois membres du triptyque miment la violence métallique, un son resserré à l’extrême radicalement fragmenté, impossible de vous arrêter mentalement dessus, ce n’est pas que tout va trop vite, c’est que le tout est éparpillé en milliers de minuscules congloméras soniques comprimés à l’extrême, déstabilisation totale, oui c’est violent, elle n’a pas encore explosé, c’est le scream de Clem qui la déchire et en crève l’enveloppe. Image mouvante et basculante. Le centre de gravité de votre iris en est tourneboulé. Le pire c’est qu’ils sont parvenus dans ce tourbillon à insérer un scénario. Une histoire de masque. Pas celui auquel vous pensez. Celui qu’arbore votre figure chaque fois qu’une personne vous aborde et que vous adaptez les mimiques de votre visage, afin de ne pas révéler votre vraie personnalité, non par machiavélisme, mais par peur d’être rejeté pour ce que vous êtes vraiment. Beaucoup de bruit et de fureur, pas en vain, pas gratuitement, pour briser la carapace de tortue derrière laquelle vous vous cachez, vous vous calfeutrez dans la cellule de votre solitude.

    Et la musique au juste ? Je vous invite à regarder pour ceux qui aiment mettre les mains dans le cambouis de la machine la vidéos suivante : Ashen – Hidden ( Guitar playthrough ) : Niels Tozer et Antoine Zimer, en plan fixe jouer leur partie, magnifique occasion de comprendre la subtilité et la technicité de  la composition. Passionnant. Tout autant que la vidéo précédente.

    OUTLIER

    (YT : 26 / 08 / 2021)

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    Déstabilisant. Le genre de vidéo dont on ne sort pas indemne. Rien à voir avec la précédente qui du coup s’apparente à un exercice de style. Ce qui est injuste car porté à un haut niveau de virtosité artistique. Sans doute faut-il la lire comme une suite à Hidden. Pas un nouvel épisode à l’histoire ancienne. Une étape, plus loin. Quand on ne parvient pas à sortir de soi-même, à s’extérioriser, l’on s’enferme en soi-même. On recule d’une case. Ecran noir, Clem vous fixe. Cheveux courts bleuâtres, teint blafard, le groupe derrière lui, en blanc infirmier, le monde se grise, la réalité se diffracte, Clem nous regarde, il est dans l’écran que regarde Clem, il danse, tel un épouvantail qui gesticule sous les poussées d’un vent de folie, rythmique incessante, il est assis dans la grisaille qui embrume son esprit, il parle, il s’explique, il se confesse à lui-même, d’une voix chantée mais blanche et creuse, il est las, éteint fatigué de lui-même, le décor change, déjeuner en famille, ambiance bourgeoise, bien élevée, l’on fait comme si, il explose à l’intérieur de lui, sa voix grimpe dans la plus haute tour, celle dont on ne descend pas, l’orchestre derrière lui déchaîné, il crie, il hurle, des mains l’agrippent, dans la famille, les visages esquissent des sourires, plutôt en rire qu’en pleurer, on le repousse au fond de soi, alors crise, rupture des digues de la folie, les guitares s’étirent à la poursuite de la note grise, des hauts et des bas, le désarroi est-il un asile, maintenant il est vêtu comme un prince en exil, Hamlet moderne, il se redresse, marche et s’empare du micro, Ashen fracture les portes de la catharsis, adhérence à l’aberrance.  

    Epoustouflant. Les amateurs de théâtre sont priés d’aller prendre une leçon de mise en scène. Sublime prestation de Clem.

    Tryptik est composé de trois danseurs émérites : Steven Deba, Adrien Larrazet, Kenj’y Keas.

    SAPIENS

    (YT : 19 / 11 / 2021)

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    Cauchemar . Sapiens. L’homme réduit à sa plus simple expression. Lui-même. Pas nous. Pas vous. Je vous le souhaite. Vous en connaissez tous. Ces épaves, enfermées en elles-mêmes, qui n’ont même plus la force de tendre la main pour mendier. N’attirent plus que le mépris et la haine. Le seul bouclier de la peur qui nous agresse. Vision glauque. Quelque part dans un passage souterrain du périphérique, une loque humaine seule avec son néant et sa parano. Scénario minimal. Tout est dans le mixage et l’interprétation. Des trois clips c’est celui qui laisse entendre l’importance du background musical. Ashen ne mise pas sur l’ampleur sonore, celle-ci s’apparente trop à une vision lyrique du monde, musique sèche, squelettique, mais incandescente, du bois qui brûle mais qui ne fume pas. Une combustion destructrice, qui interdit toute respiration. Vous tombe dessus, vous ensevelit sous les os des fosses communes que l’on vide au tractopelle dans les cimetières pour faire de la place aux futurs nouveaux venus. Les cris de Clem sont de cette rage contenue dont se consument les colères muettes, celles qui se retournent contre vous et vous auto-détruisent encore plus sûrement que le système social qui n’a plus besoin de vous. Ashen les cendres froides d’un monde glacé devenu inhabitable. Pour les sapiens que nous sommes.

    Reste à regarder la vidéo Ashen-Sapiens ( One take drum playtrough ) : l’occasion de voir Tristan Broggia en action éruptive et de mieux entendre l’osmose entre la batterie et la voix de Clem. Un bijou fulminant de haute précision. Prière d’enchaîner sur Ashen-Sapiens ( Bass playtrough ), Thibaud Poully qui nous donne à entendre le bruit de fond du groupe, qui n'est pas sans ressemblance avec le mystérieux et inquiétant bruit de l’espace que recueillent les physiciens. L’a des froissés étonnants, et une technique dans son travail sur la corde du haut qui n’est pas sans rappeler les primitifs fils de fer tendus sur un mur des cabanes de bois à l’origine du blues rural. Pour en savoir un peu plus sur le groupe, le visionnage de la vidéo-interview Thierry présente le groupe Ashen.

    Vous l’avez compris : Ashen, un groupe avec qui il va falloir compter.

    Damie Chad.

     

    CERBERE

    CERBERE

    ( EP / mars 2021 )

    Aimer les chiens ne suffit pas pour apprécier Cerbère, faut aussi aimer déambuler dans les méandres des Enfers. La légende raconte que c’est-là que les anciens Dieux et les Héros de la Grèce Antique fourbissent leurs armes et préparent leur retour. Quoi qu’il en soit le Chien à trois têtes garde l’entrée, un tantinet patibulaire le monstre ! Pour savoir si vous êtes prêt à l’affronter l’écoute du premier Ep de Cerbère s’avère être une très bonne préparation mentale. Si vous ne supportez pas, n’insistez pas. Ce n’est pas pour vous. La pochette de Thom Dezelus est un remarquable carton d’invitation. A peine ai-je entrevu les deux parois granitiques du souterrain, je n’ai pas pu résister. A mon humble avis elles vous filent davantage la frousse que les yeux et les museaux menaçants qui évoquent davantage la vie que la mort.

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    Cerbère, le groupe, possède trois têtes à savoir : Baptiste P. guitariste, Baptiste Reig, batteur, Thom Dezelus bassiste. Ne sont pas nés dans les champs phlégréens, proviennent tout simplement des alentours de Paris, soi-disant ville lumière. Nous supposons qu’ils doivent hanter les antres obscurs. Il ne semble pas que le groupe soit encore en activité en 2022, il se peut qu’ils soient en train de ruminer de noirs desseins. Que voulez-vous attendre de plus d’un trio maléfique qui se définit lui-même en trois mots : heavy-sludge-doom. Pas besoin de longs discours pour comprendre que l’on ne met pas les oreilles n’importe où. Vous ressentez un petit frisson dans le dos, rien de plus normal, ne citent-ils pas Abbath dans leur influence, groupe et / ou musicien de Norvège pays de glace et de neige.

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    Julia : ça commence exactement comme finissent la plupart des concerts rock, par une apocalypse, ensuite ça ne faiblit pas. Vocal extrême, essayez de chanter la traviata alors qu’une main de fer s’introduit dans vote anus, remonte dans votre intestin agrippe votre estomac et entame une reculade reptatrice pour opérer son extraction par voie anale. Ne riez pas, musique lourde et empesée, qui au milieu du morceau se met à grincer très fort, si vous cherchez le noise, vous finissez par le trouver, le plus terrible c’est que vous ne pouvez pas vous détacher de l’engluement sonore, votre esprit est littéralement aspiré et ne répond plus à vos commandes mentales. Aliéné : pour bien comprendre où nous en sommes nous dirons que le morceau précédent était une douce romance sentimentale pour jeune nonne enfermée depuis dix ans dans un couvent, ici vous êtes plongé dès la première seconde dans la fournaise de l’aliénation, ponctuée des cris de goret que devait pousser le bébé Achille lorsque sa mère Thétis le tenait au-dessus de la flamme sacrée pour brûler les parties humainement mortelles de son corps, question quel est l’instrument qui frappe le plus fort : la guitare, la basse, la batterie, passent toutes les trois la ligne d’arrivée en vainqueur, c’est ensuite après l’énorme grincement proto-final que la basse vous assourdit d’un riff aussi monstrueux qu’une flatulence de dinosaure, que la guitare s’enflamme, et que le dernier coup de gong de la batterie stoppe le tohu-bohu si brutalement que vous pensez être devenu sourd. Cerbère : oubliez tout ce qui précède, des hors-d’œuvre, avariés nous le concédons, mais voici la confrontation finale, comment avec vos deux seules mains parviendrez-vous à fermer les trois gueules du chien infernal ? Difficile à expliquer, mais cette introduction qui semble galoper en toute innocence vous glace les sangs. Surgissent des cris inaudibles, de ceux dont on n’aime pas se souvenir et quand ils se taisent c’est encore pire, vous dévalez une pente sans fin, vous ne courez plus, vous êtes happé en apesanteur dans un trou d’ombre noire et bientôt un vrombissement incessant vous enferme dans une spirale meurtrière, plus de bruit, un sifflement de turbo-réacteur qui vous avale et vous fait subir le sort de ces oiseaux que les moteurs des avions recrachent sous forme de purée sanglante, vous n’êtes plus qu’une pluie charnelle de hachis parmentier qui se désagrège et se dissout dans le vide, les hurlements qui suivent ne sortent pas de votre bouche, ils flottent dans l’espace comme l’algorithmique projection mathématique de votre terreur, basse gourde, batterie sourde, guitare lourde, et ces grincement qui vous percent les tympans que vous n’avez plus, vous descendez encore plus lentement, ces cris sludgéens ne sont-ils pas les nodosités sémantiques des crissement des crocs de Cerbère en train de déchirer le filigrane de votre âme, la torture ne cessera donc jamais, l’impression lors de ces bruits de cymbale de passer par une infinité de sas de décompression, de paliers d’anéantissement préparé et incoercible, et vous sombrez hors de vous-même, toujours plus, vous ne vous obéissez plus, vous n’êtes plus que l’inconscience de votre absence au monde, la musique est désormais si noire qu’elle en devient illuminescente, vous n’êtes plus rien, un souffle ténu qui se dilue en traversant les pales d’un ventilateur.

    Prodigieux. Le genre de disque que vous n’écouterez pas une deuxième fois. A moins que vous ne l’écoutiez en tant que métaphore de la disparition de quelque chose. De l’Europe par exemple.

    Damie Chad.

     

     

    LE GRAND CAFE, C’ETAIT JEAN-CHARLES

    MARIE DESJARDINS

    ( La metropole.com )

    Un article de quelques pages qui risquent de donner le vertige aux petits français qui s’imaginent que Paris est le centre du monde. Dans cet hommage à Jean-Charles, les kr’tntreaders reconnaîtront un nom, grâce à leur blogue favori, celui de Vic Vogel à qui Marie Desjardins a consacré un livre que nous avons chroniqué dans notre livraison, 482 du 30 / 04 / 2020. Rappelons que Marie Desjardins est canadienne et romancière.

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    Nous sommes rue Saint-Denis, pas à Paris, à Montréal. C’est-là en 1981 que Jean-Charles Guinant et Louis Royet, venus de Saint-Etienne ( France ) reprennent Le Grand Café. Misent surtout sur la vie nocturne. Savent, avec l’aide de Jean Caron, un ami, se faire respecter des différentes pègres locales qui aiment bien prélever un petit impôt sécuritaire... Nous sommes dans le monde interlope de la nuit, dans cette faune particulière qu’attirent ce genre de lieux très vite apparaissent Vic Vogel jazzman (voir livraison 482 du 30 / 04 / 2020 ) et Gerry Boulet chanteur d’Offenbach groupe pop canadien qui connut ses heures de gloire de 1969 à 1985. Beaucoup de musiciens gravitent autour du Grand Café et autres établissements similaires de la rue. A tel point que Jean-Charles organise le festival Session Blues Session, onze jours de folie printanière qui se répètera durant treize années.

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    Marie Desjardins restitue toute une époque aujourd’hui disparue, une ambiance, musique, alcool, sexe, la vie, la grande, la belle, nous croisons des gens célèbres chez nos cousins, qui par ici sont de parfaits inconnus, ce n’est pas grave ce qui est embêtant c’est de savoir que l’on a raté un moment d’extraordinaire convivialité, et ce sentiment de nostalgie qui nous poigne pour n’avoir pas su, pas pu y participer. C’est cela Marie Desjardins en quelques lignes grâce à sa plume elle ouvre une fenêtre sur un monde ignoré et restitue dans l’éternel présent de notre imaginaire des fragments d’un passé lointain que le temps a emporté dans ses abîmes. Nous la remercions.

    Damie Chad.

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    P.S. 1 : Outre cet article Marie Desjardins a signé l’éditorial Le convoi de l’évidence, consacré au Convoi de la Liberté qui bloque depuis trois semaines la bonne ville de Québec. Un mauvais exemple qui a suscité bien des ferveurs un peu partout, notamment en France où la police s’est montrée particulièrement violente. Nous partageons ses analyses, à force de maltraiter le peuple le gouvernement a récolté ce qu’il a semé, un mouvement de protestation populaire, largement suivi et soutenu par la population. Nous invitons nos lecteurs à (re)regarder Le Convoi film de Sam Peckinpah, sorti en 1978, terriblement prophétique, que je tiens pour l’œuvre cinématographique la plus anarchisante que je n’ai jamais vue.

    P.S. 2 : nous avons consacré quatre autre chroniques (440, 442, 447, 449) à quatre romans de Marie Desjardins.

     

    ILLICITE 2

    AUTOPORTRAIT COMPLAISANT

    Je suis un sophiste. Les mots nous obéissent, ils disent ce que l’on désire. Tout dépend de la manière dont on les agence. Moi qui ai écrit des milliers de chroniques sur des sujets variés – de préférence rock et littérature- ne pense point qu’il y ait en elles une once de ce que les imbéciles parent du beau nom de vérité. Ce ne sont point pour cela des mensonges. Disons des points de vue. Irradiants. Les choses portent en elles non pas une objectivité mais une signifiance. Celle que nous leur accordons. Personnellement en règle générale je préfère mes appréhensions à celles des autres. Ainsi ai-je l’impression de me regarder dans mon propre miroir. Parfois je me déguise. Dans les deux cas, j’ai mes stratégies.

    Damie Chad

     

    MEURTRES A ATLANTA

    JAMES BALDWIN

    ( Editions Stock / Février 2020 )

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             Le livre qui ne vous attend pas. Certes les lecteurs qui n’auraient jamais lu un livre de James Baldwin auraient le droit, vu le titre, de s’apprêter à dévorer un roman policier.  Ce n’est pas un roman, ce qui ne l’empêche pas d’être très noir. L’émotion suscitée par la mort de George Floyd délicatement assassiné par un policier blanc de Minneapolis en 2020 a raffermi par chez nous le renouveau d’intérêt autour de l’œuvre de Baldwin déjà amorcé par l’adaptation cinématographique de son roman Si Beale Street pouvait parler par Barry Jenkins en 2018.

    Pour faire court, nous dirons que dans les années soixante, James Baldwin fut avec Martin Luther King et Malcom X une des trois grandes voix de la révolte noire. Pour ne pas connaître le sort funeste des deux derniers il s’exila en France en 1970. C’est un peu au titre de grande conscience morale du peuple noir qu’il est invité à se rendre au début des années 80 à Atlanta pour enquêter sur une abominable série de meurtres de vingt-cinq enfants noirs. Il arrive après la bataille. L’assassin – un individu noir peu sympathique - est arrêté et déjà condamné. L’on peut manifester quelques doutes sur sa culpabilité. N’a-t-il pas été jugé uniquement pour l’assassinat de deux adultes ? Contrairement à toute attente, le livre ne se transforme pas en contre-enquête dans le but d’innocenter un homme injustement accablé et de démasquer le véritable coupable. Nous ne sommes pas dans un film grand public où le bien finit toujours par triompher. Baldwin se contente des faits. Il a une très grande confiance en la justice de son pays, il sait qu’il ne la fera jamais changer, qu’elle a pour fonction de masquer la réalité, de s’aligner sur l’idéologie et les représentations dominantes.  

    Baldwin enquête. Il rencontre les témoins, discute avec les parents, parle au juge en personne, n’en dit ni du bien ni du mal. Ne découvre aucun nouvel indice – en cherche-t-il seulement - ne nous propose aucune nouvelle théorie sur le déroulement des faits. Certes les crimes se sont déroulés à Atlanta, ville noire dirigée par un maire noir, sans doute faut-il chercher ailleurs. Partout. En Amérique. Baldwin remonte aux origines du problème. Au mouvement qui a conduit la population d’origine européenne des Etats-Unis à qualifier les esclaves importés d’Afrique et leurs descendants de noirs. Une appellation facile à employer et qui occulte une réalité difficile à admettre : s’il existe dans la population noire plus de cinquante nuances de noir, du plus sombre au plus clair, c’est que les européens et les africains se sont mélangés beaucoup plus qu’on ne le dit. L’apartheid idéologique entre les deux provenances ne fut guère étanche…  Ce n’est pas le plus grave. Loin de là. C’est que le fait de stigmatiser socialement les individus à peau plus ou moins noire en tant que noirs, a engendré son propre effet boomerang, s’il existe des noirs, les autres par la force d’une logique binaire se sont retrouvés dans la catégorie des blancs. A refuser l’individuation des êtres humains l’on a créé deux sortes de problèmes : le problème noir et le problème blanc. Une dichotomie à la-je-te-tiens-par-la-barbichette, un nœud gordien qu’il est impossible de trancher par la force.

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    Pourquoi pas après tout. Tuer tous les noirs, ou tuer tous les blancs, le problème s’évapore de lui-même. Malheur aux vaincus. Gloire aux vainqueurs. Ce serait trop beau. Hélas, le problème n’est pas spécialement racial. Chiffon noir ou voile blanc ne sont-là que pour faire oublier les disparités économiques. Baldwin insiste sur un point très particulier : les petites victimes assassinées ont toutes un point commun, ce sont des enfants noirs et pauvres. Pas de manichéisme. Comme par hasard après cette constatation Baldwin   relève une autre évidence : la petite-bourgeoisie noire qui a accédé à une certaine aisance économique ne se sent pas aussi concernée que les masses laborieuses par ces assassinats. Rejoignant en cela la position de la population blanche, terriblement malheureux, mais que peut-on y faire sinon espérer que la police arrête le ou les criminels et que l’on oublie au plus vite ces affreux drames…

    Baldwin élargit la focale. Dans un pays non racial – cette assertion se discute - comme la France il existe aussi une classe pauvre dont les élites ne se soucient que fort modérément… Attention ajoute-t-il, il y a ceux qui n’ont rien à perdre et ceux qui risquent de perdre quelques intérêts s’ils refusaient de collaborer avec l’Etat et le modèle économique dominant. La pensée de Baldwin frise avec la représentation marxiste de la domination capitalistique du monde. Il ne le dit pas ouvertement, il le suggère si fort que son plaidoyer est d’autant plus insidieusement implacable. Laisse au lecteur le soin de tirer les leçons de ses analyses.

    Prodigieux écrivain qui parvient à dire beaucoup plus qu’il n’écrit, n’affronte pas les pouvoirs de face. En cela héritier de la vieille technique des lyrics des premiers bluesmen qui sous-entendaient ce qu’il fallait comprendre. Procède par à-coups. L’air de rien. Accumule les remarques anodines d’apparence aussi peu dangereuses qu’un bâton de dynamite dont on aurait supprimé la mèche. N’empêche qu’en fin de démonstration la crédulité ou la mauvaise foi des lecteurs est des plus chancelantes. Effeuille sans se presser l’artichaut du réel pour finir par en pulvériser le cœur.

    Le pire c’est que Baldwin n’est pas optimiste. Il ne croit guère à la victoire finale. La condition des noirs et des pauvres s’est améliorée, mais fondamentalement rien n’a changé. Meurtres à Atlanta est publié aux USA en 1985, Baldwin disparaît en 1987. Trente-cinq plus tard, malgré la présence d’un Président noir à la Maison Blanche, le malaise est toujours là. Si l’on mesure la pauvreté à l’aune de la croissance exponentielle des richesses, les pauvres sont toujours aussi pauvres et la fracture de la société américaine s’est peut-être élargie. En le sens où l’explosion d’une révolte radicalisée dont Baldwin prophétisait dans les années soixante et soixante-dix – de la mort de Luther King à la défaite des Black Panthers - l’imminence, est restée jugulée.

    Meurtres à Atlanta est un essai des plus incisifs et des plus lucidement désespérés qui ait jamais été écrit sur la société américaine.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    (Services secrets du rock 'n' roll)

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    Episode 23

    Il faut être franc, l’apparition du Grand Ibis Rouge a jeté un froid chez nos deux interlocuteurs, surtout qu’il affiche une mine peu réjouie, du moins me semble-t-il, je m’empresse toutefois d’ajouter que mes connaissances en ornithologie laissent à désirer. Le Président du Sénat faisant office de Président de la République est blanc comme un linge, son acolyte arbore la même teinte pallide que le buste de Pallas dans le Corbeau, sublime poème d’Edgar Allan Poe. Je suis toutefois heureux de vous annoncer que mon flair de rocker a encore une fois visé juste, je le comprends au ton courroucé avec lequel le volatile rutilant s’adresse à nos deux ennemis :

    • En quoi vous ai-je trompé, n’ai-je pas diligenté un de mes meilleurs drones mortuaires pour assurer les centaines de morts promises afin que votre électorat apeuré se prépare à voter en votre faveur, n’ai-je pas par la même occasion barré de la liste des vivants le préfet de la Vienne en lequel vous entrevoyiez un candidat potentiel dangereux !

    Le chafouin de service s’entremet de son ton qui allie à merveille servilité, obséquiosité et hypocrisie :

    • Ô Grand Ibis Rouge, vous avez tenu vos promesses, hélas, un malheureux grain de sable s’est glissé dans notre entreprise, par notre propre faute, nous voulions être tenus au courant de vos résultats au fur et à mesure que les morts s’amoncelaient, vous nous aviez parlé d’un redoutable agent, tout frais, en pleine forme, un certain Watts, que tous les rockers du monde connaissent aviez-vous précisé, ce nom ne nous disait rien, nous avons cru bien faire en vous envoyant comme renfort supplétif les agents du Service Secret du Rock ‘n’ roll, entre nous soi-dit, un ramassis d’imbéciles profondément tarés dont nous n’avions aucune utilité, nous pensions qu’avec un peu de chance vous nous en auriez du haut de votre sagesse éminemment supérieure, débarrassé !

    Le Grand Ibis Rouge nous jette un regard meurtrier si noir que Molossito ne peut se retenir, un jet d’urine inonde le bureau du Président, occasionnant une nauséabonde auréole.

    • Ne me parlez pas de cette engeance maudite de bras cassés, je les aurais occis avec joie, mais tous tant qu’ils sont : chiens, filles, hommes, sont hors d’atteinte s’étant mis sous la protection d’un contre-rituel initiatique qui les rend insensibles à mes mortelles fureurs, je me demande d’ailleurs comment ils ont appris l’existence de ce contre-feu magique.
    • - C’est pour moi un immense plaisir de vous l’apprendre, cher Grand Ibis Rouge, le Chef relâche un épais panage de fumée noire, l’idée m’est venue comme cela, innocemment, alors que j’allumais un Coronado, Grand Ibis Rouge, vous devriez vous mettre au Coronado, il n’y a rien à dire, c’est le summum existentiel auquel un être vivant, homme ou oiseau, puisse accéder, je…

    Le Grand épouvantail volant cramoisi n’a pas l’air convaincu par les conseils du Chef, il remue les ailes à la manière d’un coq belliqueux qui s’apprête à ensemencer les douze poules glousses de son poulailler.

    • Puisque je ne peux rien contre ces injurieux fifrelins, vous paierez pour eux … d’un terrible coup de bec il perce les crânes du Président intérimaire et de son conseiller occulte, une fricassée de cervelle se répand sur le bureau recouvrant le dégât des eaux précédemment occasionné par le relâchement de Molissito… quant à toi Charlie Watts, tu me dois encore un minimum de trois cents cadavres pour que tu puisses être délié du serment que les Rolling Stones ont signé en bonne et due forme, voici près d’un demi-siècle. Débrouille-toi ! Je te donne jusqu’à ce soir pour accomplir ta mission !

    Un dernier éclair digne d’un camion de pompier et le Grand Ibis Rouge disparaît en une infinitésimale fraction de seconde.

    UN DERNIER EFFORT

    Nous nous sommes discrètement éclipsés du bureau. Ne les dérangez pas tant qu’ils ne vous appellent pas, ils travaillent, glisse à l’oreille du grand huissier qui se précipite vers nous. Dans la voiture Charlie n’est pas en grande forme, il pleure :

    • Où trouver trois cents personnes à tuer d’ici ce soir, se lamente-t-il, quelle tâche ingrate j’en ai assez d’envoyer à la mort tous ces innocents qui ne m’ont rien fait !
    • Charlie… je conduis à toute vitesse en essayant d’écraser les fous  dangereux totalement inconscients qui se croient en sécurité en traversant sur les passages cloutés… n’ayez crainte Charlie, j’ai une idée, nous y sommes dans trois minutes, j’ai ce qu’il vous faut sous la main.

    Je freine à mort devant l’Assemblée Nationale. Les filles ont pris Charlie par la main, Molossa, Molossito, et Rouky découvrent leurs dents lorsque l’on veut nous empêcher d’entrée, mais le Chef exhibe sa carte SSR, les huissiers nous laissent passer sans encombre, nous voici dans la galerie supérieure réservée au public. L’amphithéâtre est plein, l’ensemble des députés écoutent dans le silence l’orateur, l’heure est grave, les visages sont tendus mais fermes, il s’agit de voter la loi d’augmentation des impôts.

    • Vas-y Charlie, tue-moi ces cinq centaines d’irresponsables, tous jusqu’au dernier !
    • Je ne peux pas, répond Charlie, je suis très riche, ma fortune est aux îles Caïman, je ne paie pas d’impôts !
    • Charlie, vous avez perdu combien de millions de dollars depuis le Covid ?
    • Heu… je ne sais pas… en trois ans on aurait dû faire trois tournées à 500 millions de dollars ce bénéfices net, chacune, ce qui fait…
    • Un milliard et demi de dollars Charlie !
    • Oui mais le Covid ces gens-là n’y sont pour rien !
    • Si Charlie, ils ont voté l’interdiction des concerts !

    Sur le coup Charlie est devenu encore plus rouge que le Grand Ibis, il arrache la balustrade et saute au milieu de l’hémicycle, on ne reconnaît plus armé d’un fragment de balustre, il se rue vers les députés, on ne le reconnaît plus, il est partout à la fois, il court, vole et nous venge, poursuit ceux qui essaient de s’enfuir par les couloirs, l’ion ne compte plus les morts, trois cents, quatre cents, cinq cents, lorsqu’il revient vers nous il est tout fier, le rock ‘n’ roll est vengé :

    • Maintenant je repars vers le monde des Morts, je suis en paix avec le Grand Ibis Rouge, mon âme et ma conscience…

    Charlie nous embrasse et nous serre dans ses bras.

    • Merci pour tout mes amis ! Je ne vous oublierai jamais ! Au revoir !

    D’un pas décidé il s’approche du mur et disparaît. Rouky s’élance à sa suite mais le mur l’arrête, il aboie, il geint, il hurle à la mort, il pleure, il gémit… le spectacle est insupportable, le Chef allume un Coronado pour que l’on ne voie pas la larme qui coule de son œil gauche.

    Subitement les mains de Charlie Watts sortent du mur et caressent la tête de Rouky qui lui lèche les doigts et frétille de la queue, les deux mains de Charlie et le tirent vers le mur qui se révèle une frontière insurpassable…

    • Agent Chad !

    Je m’avance vers Rouky, lui flatte l’échine ; il me regarde les yeux implorants,  je m’agenouille près de lui, je sors mon Glock de ma poche, lui colle le canon sur la tempe. Je tire. Rouky n’est plus qu’une ombre. Il donne un coup de langue sur les museaux de Molossa et de Molossito, pose sa patte sur mon genou pour me remercier, les mains de Charlie l’attirent doucement, nous avons l’impression de les voir, de l’autre côté, s’éloigner, tout heureux, Rouky batifolant tout autour de Charlie…

    Fin de l’épisode.  

  • CHRONIQUES DE POURPRE 544 : KR'TNT 544 : MONKEES / NOEL GALLAGHER / LEFT LANE CRUISER / NAOMI SHELTON / JOSE MARTINEZ / ROCKAMBOLESQUES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 544

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    03 / 03 / 2022

    MONKEES / NOEL GALLAGHER

    LEFT LANE CRUISER / NAOMI SHELTON

    JOSE MARTINEZ / ROCKAMBOLESQUES

     

    C’est parti Monkee Kee - Part Two

     

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                Mike Nesmith, que ses amis surnommaient Nez, vient de casser sa pipe en bois. Il est parti, le Kee Kee, aussi allons-nous lui rendre hommage et plonger une fois encore dans l’extraordinaire histoire d’un groupe qui pendant un temps rivalisa de candeur pop avec les Beatles. Les Monkees font partie de ces groupes sur lesquels il n’est pas très élégant de cracher. Leur histoire est celle de quatre mecs brillants embarqués dans le tourbillon du music biz américain des early sixties.

             En 1965, on avait nos chouchous dans les groupes. John Lennon dans les Beatles, Brian Jones dans les Stones. Dans les Monkees, le chouchou c’était Nez, avec son bonnet vert. Il était le guitariste et l’âme du groupe, mais on admirait aussi ce chanteur fantastique qu’est toujours Micky Dolenz.

             Pour plonger dans leur histoire, on dispose d’un tas de choses : des disks (qu’on a épluchés dans un Part One), des livres et des films. Il existe un gros tas de livres sur les Monkees. D’ailleurs, les Monkees sont s’y quasiment tous mis, comme les Pistols. Tous sauf Peter Tork (dans les Monkees) et Paul Cook (dans les Pistols). Les autobios de Nez, Davy Jones et Micky Dolenz jettent un éclairage extraordinaire sur l’histoire du groupe et sur l’environnement dans lequel ils ont évolué. À quoi il faut ajouter l’ouvrage de Peter Mills, The Monkees, Head And The 60s, qui comme son titre l’indique focalise plus sur Head, le film surréaliste de Bob Rafelson qu’on revoit environ tous les dix ans, sans jamais admettre qu’il s’agit d’un chef-d’œuvre, mais on le revoit, comme on revoit Hard Day’s Night

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             Nez a titré son autobio Infinite Tuesday. Au vu de l’objet, on croit que c’est un livre d’auteur : beau choix de papier, de format et d’interlignage, mais ce n’est pas le cas, loin de là. Dommage car Nez démarre en force en rendant deux hommages spectaculaires : le premier à Jimi Hendrix et le second à Bo Diddley. En 1967, Nez est à Londres. Il a rendez-vous dans un restaurant avec John Lennon et Cynthia, la poule d’avant Yoko. John nous dit Nez est en retard et il finit par arriver, essoufflé, il s’excuse et dit qu’il était dans un club où se produisait un mec qu’il a enregistré sur un petit magnéto. Il pose l’engin sur la table et fait écouter : c’est «Hey Joe» et l’inconnu s’appelle Jimi Hendrix. Et là, Nez parle de Visitation. Quand le cut s’achève, quelqu’un dit : «Comment un mec peut-il être aussi bon ?». Conscient que Londres est l’œil d’un typhon qui ravage le monde entier, Nez affirme que Jimi Hendrix est bien pire : un maelström - Both the center and the circonference, with his own gravitational force. He was music as a mass, and all that revolved around that music changed the landscape of the mind. Hendrix fit reculer les limites du son de la même manière que Duchamp fit reculer celles de la vision. Nude Descending A Staircase et «Little Wing» sortaient d’un Purple Haze - Pas mal, le parallèle avec Duchamp. Dommage que tout le book ne soit pas à ce niveau référentiel. Nez reprend : «En recyclant le rock’n’roll américain, les British bands ont levé une tempête, mais Hendrix a ouvert un monde et créé un nouveau style de musique. En créant ce monde et en explorant les sonic possibilities des instruments, il montra le chemin aux groupes qui se formaient.» Il rend à peu près le même genre d’hommage à Bo Diddley qu’il voit à la fin des années 50 dans un club de Dallas, Louann’s. Oui car Nez est texan. Il décrit l’un des génies de l’humanité : «Bo avait une présence énorme, avec la guitare bricolée sanglée très bas sur les genoux, son blazer blanc et son nœud pap, et ses musiciens qui portaient des blazers rouges, sauf Peggy qui portait un one-piece extrêmement moulant en lamé or et des talons aiguilles. Elle jouait elle aussi sur une guitare sanglée très bas, comme celle de Bo. Ils étaient branchés sur des Fender Twin Reverb.» Et un peu plus loin, il ajoute, la bave aux lèvres : «Bo and Peggy and Jerome were the first iteration of the Jimi Hendrix Experience in my life, the first time I kissed the sky.» C’est drôle comme ces phrases peuvent être jolies, plus jolies qu’en français - Quand Bo joua ce soir-là, j’entendis pour la première fois une musique qui correspondait à celle que j’avais en tête. En matière de rock, j’avais entendu beaucoup de choses, mais aucune n’était aussi complète que celle de Bo. Elle n’était pas seulement complète, elle était à la fois infinie et réelle.»

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             Bon, Nez postule pour un rôle dans les Monkees et l’obtient. Avant de devenir un groupe, c’est une série télé qui raconte l’histoire d’un groupe, ne l’oublions pas. Très vite, Nez propose d’écrire des chansons et Bob Rafelson l’encourage à continuer. Il le branche aussi sur Tommy Boyce et Bobby Hart, des compositeurs maison chez Screen Gem avec lesquels il s’entend bien, mais il ne peut pas travailler avec eux. Boyce & Hart pondent rapidement «Last Train To Clarksville». Nez ne s’étend pas trop sur le stardom des Monkees. Il raconte cependant une anecdote typique de cette époque. Un matin très tôt, vers 6 h, il se rend en bagnole au studio de télé. Il s’arrête à un feu rouge à l’angle de Berverly et Santa Monica. Il n’y a personne dans les environs, sauf une jolie jeune fille. Elle traverse la rue devant le Buik Riviera de Nez et le reconnaît au volant. Alors elle se met à hurler et se jette sur le capot. Elle frappe le pare-brise et crie : «Mike !». Nez est scié. Au bout d’une minute ou deux, elle semble retrouver ses esprits, elle descend du capot, se réajuste et s’en va, l’air un peu gêné. Elle disparaît aussi vite qu’elle est apparue, comme si rien ne s’était produit.

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             Nez évoque aussi le combat qu’il mène contre Don Kirshner, le mover shaker du Brill qui considère les Monkees comme sa poule aux œufs d’or. Nez veut obtenir l’indépendance artistique des Monkees et Kirshner s’y oppose. Alors Kirshner menace Bob & Bert, les réalisateurs de la série télé, mais les Monkees ignorent les menaces et enregistrent Headquarters. Kirshner les convoque à une réunion au Berverly Hills Hotel de Los Angeles. Il n’exige qu’une chose de la part des Monkees : la loyauté. Il leur promet monts et merveilles, il va faire d’eux les Beatles américains. Pour ça, il a toute son armada d’auteurs compositeurs au Brill. Nez refuse l’offre poliment. Il ajoute qu’il bosse pour Bob & Bert qui encouragent les Monkees à devenir indépendants, il ne bosse pas pour lui, Kirshner et son armada. Nez sent que Kirshner le pousse à trahir Bob & Bert. Le bras droit de Kirshner sort alors le contrat et fait planer la menace de procès et c’est là que Nez perd patience et défonce la cloison d’un coup de poing. Headquarters sera le seul album enregistré par les quatre Monkees.

             L’épisode le plus passionnant du Nez book est celui de sa relation avec Jack Nicholson, Peter Fonda et Dennis Hopper - Peter et moi sommes devenus potes grâce à nos motos. Je conduisais une Triumph Bonneville et Peter une Harley. On roulait dans les canyons. Peu de temps après, il fit transformer sa Harley en chopper et il commença à porter le casque de Captain America. Dennis Hopper était un pote de Peter et Jack Nicholson entra dans le cercle à son tour - Dennis Hopper propose à Nesmith de bosser sur la BO d’Easy Rider - Dennis était l’un de ces ‘movie types’, comme je les appelais, et je m’entendais bien avec lui, car on avait le même visual sense. Je comprenais ce qu’il voyait. Il était d’humeur changeante, et je ne savais jamais ce qu’il pensait, aussi n’était-il pas un dance partner, mais il avait tout mon respect et toute mon attention, car il amenait toujours quelque chose d’unique. Quand il m’a demandé de bosser sur la BO de son film, j’ai pensé à utiliser un brass big band, the Memphis Horns meet Harry James, mais c’était comme de dire oui à quelqu’un qui te demandait si tu savais piloter un avion cargo - Inspiré par l’Help de Richard Lester, Nez, Bob et Jack commencent à travailler sur le projet d’un film, Head. Bob & Bert envisageaient avec ce projet de tuer le mythe qu’ils avaient créé, c’est-à-dire les Monkees de la télé. Mais ils n’avaient aucune idée de départ. C’est Nicholson qui trouve l’idée de tout situer dans les cheveux du personnage : des pellicules dans les cheveux de Victor Mature.

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             Un peu plus tard, Nez et Nicholson voient Jerry Lee sur scène. En sortant du club, Nicholson dit à Nez que Jerry Lee est le plus grand live show qu’il ait vu dans sa vie - Bien des années après, Jack évoquait encore le power de Jerry Lee - Nez rend un autre hommage, cette fois à Chris Blackwell - One of the few authentic people I met on the business side of the music industry, without question the best record exec and music curator I ever knew - Nez dit en gros la même chose que Glyn Johns.

             On est alors en droit de penser que le book va rocker, mais il faut vite déchanter. La deuxième partie concerne en gros The First National Band, puis Nez raconte dans le détail ses mésaventures sentimentales et la façon dont il a inventé le vidéo-clip. Bon bref.

             En 1970, Nez rachète son contrat Colgems pour 160 000 $. C’est tout ce qu’il possède. Il  quitte Los Angeles et s’installe à Palm Springs.

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             L’un des meilleurs investissements qu’on puisse faire, c’est la box Edsel qui s’appelle Songs et qui rassemble douze albums de Nez, l’essentiel de sa carrière solo et surtout les extraordinaires albums du First National Band, qu’on prend très au sérieux une fois qu’on les a écoutés. Cette box est la mine d’or du roi Salomon. On savait le Nez doué, mais pas à ce point.

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             Le cœur palpitant de la box, ce sont les trois albums de The First National Band, avec des pochettes qui ne payent pas de mine, mais diable comme ces albums sont bons ! C’est chanté, ça sent bon l’Americana et ce qui frappe le plus, c’est la modernité de ton, à partir d’un genre éculé par tant d’abus, la country. Pochette bleue pour le premier National Band, Magnetic South. «Calico Girlfriend» sonne comme un fantastique assaut. Appelons ça le country power de Papa Nez, comme l’appelle Martin Ruddock dans Shinding!. Terrible et vite embarqué. Papa Nez propose une fantastique texture d’allure. Avec «Little Red Rider», il draine de la heavy country pop fabuleusement bardée de son. «The Crippled Lion» bascule dans une sorte de magie. Tiens je te donne dix Gram Parsons en échange d’un Papa Nez. Sa country sonne comme du rêve cadencé - What is the color of the sun - Il a juste un mec à la basse (John London) et un mec au beurre (John Ware), et bien sûr Red Rhodes à la pedal steel. «Joanne» sonne comme un hit. Papa Nez a des accents de génie. Essaie de claquer des trucs aussi purs, tu verras si c’est facile. Le First National Band embarque «Mama Nantucket» ventre à terre et Papa Nez fait du yodell. C’est extrêmement puissant. Il est parfait dans son rôle de country Monkee. Tous les cuts de cet album sont bons, les dégelées country se succèdent et avec «Beyond The Blue Horizon», il passe du rétro d’Americana aux clameurs de la modernité. Petite cerise sur le gâtö : Papa Nez indique à Bob Mehr qu’ils étaient complètement défoncés lors de l’enregistrement de Magnetic South - We did the entire Magnetic South album drunk and high - Il faut savoir que Red Rhodes adore jouer défoncé, qu’il cultive la meilleure herbe d’Hollywood et qu’il en vend à ses voisins. 

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             Papa Nez se retrouve enfin en couverture de Shindig!. Il porte son Nudie suit. Martin Ruddock emprunte «Beyond The Blue Horizon» pour titrer son bel article et qualifie Papa Nez de «reluctant teen idol» ayant mené la guerre d’indépendance contre Colgems et Don Kirshner et quitté les Monkees pour devenir un «risk-taking cosmic country-rocker, purely on his own terms.» C’est joliment dit et ça correspond à la réalité. Ruddock rappelle que Papa Nez enregistra une série de cuts à Nashville en 1968 avec les gens qui allaient devenir Aera Code 615, et produits par Felton Jarvis, le producteur d’Elvis. «The Crippled Lion», «Calico Girlfriend», «Little Red Rider» et «Hollywood» (qu’on retrouve sur Magnetic South) et «Some Of Shelly’s Blues» (qu’on retrouve sur Pretty Much Your Standard Ranch Stash), font partie de ces démos extraordinaires. Mais le son de Papa Nez n’intéresse ni les trois autres Monkees ni le Monkee-staff. Un seul cut sort en 1969 : «Listen To The Band» (qu’on retrouve sur Loose Salute). Ruddock parle de «rousing country-soul fusion with trippy drop-outs» et nous décrit dans le détail la formation du First National Band avec John Ware, John London et Red Rhodes, un groupe extrêmement audacieux qui combine «Bakersfireld swing, Appalachian yodelling, gutbucket R&B and even lounge music», en gros l’expression du «quicksilver fusion» que Papa Nez a en tête.

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             Rattrapés par l’actualité, les Monkees se retrouvent aussi en couve de Mojo, sur fond rouge. David Fricke leur alloue huit pages. Il confirme ce que dit Rubbock. Quand Papa Nez débarque au studio RCA de Nashville avec son idée de «quicksilver fusion», il déclare : «One of the things I wanted to do was experiment with pure Nashville players playing a type of rock’n’roll sensibility.» Ça s’appelle une vision. Papa Nez réussit là où Gene Clark a échoué.    

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             Le deuxième First National Band est rouge et s’appelle Loose Salute. Il est encore pire que le premier. Americana et modernité s’y affrontent au soleil de Papa Nez. «Silver Moon» ? Arrgh, laisse tomber ! - Anthemic stag night swagger, nous dit Ruddock - Rien de plus pur que ce Tex-Mex de la frontière, plein d’esprit et de choo choo train. Papa Nez invente un nouveau genre avec «I Fall To Pieces» : le country genius. Il explore et révèle le power souterrain de la country, celui si ingrat des saloons, et l’éclaire. Il amène une énergie énorme qui est celle du ventre de l’Amérique. C’est un bonheur que d’écouter Papa Nez. Il se situe au croisement des cultures, il sait que ce qu’il fait est bon et il n’en finit plus de nous montrer la voie. Il veille à rester au devant de son phénomène, comme s’il chevauchait en éclaireur. Joli shoot d’exotica que ce «Tengo Amore». Fuck, tu suivrais Papa Nez jusqu’en enfer. S’ensuit le vieux «Listen To The Band» - reborn as an up-tempo hoedown - qui te monte lentement au cerveau, encore du pur jus de country power. Avec «Bye Bye Bye», il fait du r’n’b de Nashville et il s’amuse ensuite avec les interférences de la country pour fignoler «Lady Of The Valley». On se demande d’où sort ce son étrange et beau. La country météorique des temps futurs ? Va-t-en savoir ! Fabuleuse modernité de l’attaque, Papa Nez a du génie, il faut le voir tailler ses harmonies.

             Après avoir enregistré leur deuxième album, the First National Band part tourner en Angleterre, en septembre 1970. Tournée bizarre nous dit Ruddock dans les petits salles d’Écosse et du Pays de Galles. Working Men’s clubs & occasional cabarets. Ringo Starr et Jimi Hendrix viennent saluer Papa Nez au Nashville Rooms, à Londres. Deux jours plus tard, l’ami Jimi casse sa pipe en bois. Le groupe reste plusieurs mois en Angleterre. Ils rentrent au bercail, un peu abîmés, pour enregistrer un nouvel album. 

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             Troisième et ultime album du First National Band : Nevada Fighter, pochette blanche. Le morceau titre est un authentique coup de génie. Papa Nez le claque à l’Americana de choc, les wild guitars sont de sortie, voilà un cut d’une incroyable puissance, les coups de slide éclatent au Sénégal, quelle violence ! Papa Nez nous fait de la heavy country de saloon. On trouve aussi deux Beautiful Songs sur cet album, «Here I Am» et «Texas Morning». «Here I Am» est d’une pureté extrême, monté sur un gros jeu basse/batterie. «Texas Morning» est du spiritual spirit. Voilà la cosmic Americana dont rêvait Gram Parsons - And the wind blows me/ Like a dixie cup down the highway - On se régale aussi du «Grand Ennui» d’ouverture de bal, country dynamique montée sur une basse dévorante - Runnin’ for the grand ennui - Papa Nez chante avec passion à l’accent persistant. Sur cet album, quelques luminaries comme Al Casey, James Burton et Joe Osborn prêtent la main. Bien que ce soit de la pure country, «Only Bound» envoûte. Encore un choc esthétique avec «Tumblin’ Tumbleeeds», un vieux classique errant de Bob Nolan dont Curt Boettcher fit ses choux gras. Quelle merveille atmosphérique ! C’est tout de même incroyable que Papa Nez parvienne à maintenir un niveau aussi supérieur, album après album. 

             Victimes d’un coup de burnt-out, John Ware et John London quittent le groupe en plein milieu des sessions. C’est la raison pour laquelle Papa Nez et Red Rhodes embauchent des pointures du Wrecking Crew, James Burton, Glen D Harding, Ronnie Tutt et Joe Osborn. Ruddock dit que «Tumblin’ Tumbleeeds» et «Rene» sont de la musique for haunted honky-tonks. Il a raison le bougre, rien de plus hanté que ce son. 

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             Après la fin du First National Band, Papa Nez monte le Second National Band avec an eccentric collection of players - dont Johnny Meeks - et enregistre Tantamount To Treason, un album un tout petit peu moins dense, mais attention à «Highway 99 With Melange» : il tape ça en mode barrellhouse et ça frise le destroy oh boy d’excellence. Il défonce les tenants des aboutissants, ouh-ouh, et bascule dans la weird psychedelia. Tantamount est un album étrange est passionnant. Nouveau choc émotionnel avec «You Are My One», un instro organique et puissant, un vrai tube digestif de good vibes - Nez let Rhodes and Cohen go nuts with fizzing psychedelic blasts of steel and moog - Papa Nez reste dans le sans-faute avec «Wax Minute», nouvelle merveille extravagante. Il chante «Lady Lady» à la déchirure de country lover. Il reste un singer parfait, allant même jusqu’à chanter son «Bonaparte’s Retreat» en français, avec tout le power du saloon.

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             Puis il attaque une petite série d’albums solo avec l’’all acoustic’ And The Hits Just Keep On Comin’, just Nez & Rhodes. Boom ! Dès «Tomorrow & Me», il part en mode demented, il sait créer du brouet, oh oh, the closeness is gone, il chante à l’éplorée seigneuriale, il tartine à l’infini son oh oh, the closeness is gone. Quelle ambiance ! Il enchaîne avec «The Upside Of Good-Bye» et Red Rhodes fait de la dentelle de Calais. Papa Nez dispose de tous les atouts de la country, mais il crée son propre monde qui est spectaculaire. Tant qu’on n’écoute pas ses albums, on ne se doute de rien. Les chansons sont parfois un peu pop («Listening»), mais c’est bien foutu, Papa Nez fouille sa chique. Il ressort le vieux «Different Drum», composé en 1964 et rejeté en 1967 Don Kirshner qui déclarait : «That’s nice but it’s not a Monkees’ song !», à quoi Papa Nez rétorqua : «Wait a minute, I AM a Monkee !». Papa Nez aura sa revanche un peu plus tard quand les Stone Poneys de Linda Ronstadt enregistreront «Different Drum». Papa Nez ressort donc cette vieille pop de harangue, mais diable, comme elle est bonne. Il balance du son, c’est excellent, bien remonté des bretelles à coups de guitares country. Ça grouille de ressources inexplorées. Bienvenue encore une fois chez Nez the cake avec «Harmony Constant». Sa musique vient du ventre de la country, qu’on appelle aussi la Soul des blancs. Sa notion de la beauté passe par la country, comme le montre encore «Keep On». Il termine avec «Roll With The Flow», une sorte de clin d’œil à Doug Sahm : son de la frontière de merveilleuse allure, avec Red Rhodes à l’avant-poste.

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             Un jour, Jac Holzman entend parler Papa Nez à la radio. Il le trouve intéressant et souhaite le rencontrer : «Il était tellement plus intelligent que le cute, ersatz, housebroken, simian image - et sachant bien à quel point c’est difficile de faire un disque.» Papa Nez passe un accord avec Jac pour lancer son label Countryside Records, sous l’égide d’Elektra. Il dit à Jac : «Si vous me construisez un studio, je monte un house-band around the Stax-Volt formula.» C’est ce house-band qu’on entend sur l’excellent Pretty Much Your Standard Ranch Stash.

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             Sur la pochette de Pretty Much Your Standard Ranch Stash, Papa Nez porte la barbe et un Stetson. C’est d’ailleurs cette pochette qui décore la box. L’album démarre avec deux coups de génie, «Continuing» et «Some Of Shelly’s Blues». Retour du fantastique power de Country Papa Nez, il amène une espèce de magie de manège, ça joue autour de lui alors qu’il tournoie, c’est Vienne et tout ce qu’on aime, Papa Nez est un immense artiste. Il joue à la petite mesure sans presser le beat, il se fond à la coule dans son moule de perfection country avec un backbeat balloche, mais c’est Papa Nez, l’authentique seigneur texan, il dispose de tous les droits et principalement celui de nous émerveiller. Il attaque «Some Of Shelly’s Blues» aux accents country, il en fait un cut élégant et parfait, bien monté. Il est à l’aise dans l’excellence et l’instrumentation nous monte tout ça en neige. Globalement, toutes ses compos tiennent la route. Il les appuie au chant, ce qui donne des résultats effarants. Il chante par dessus les cactus de sa country de cœur et c’est atrocement bon. 

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             Curieusement, l’album ne marche pas et Papa Nez quitte RCA. Il se sent un peu paumé et renaît de ses cendres en montant son propre label, Pacific Arts, qu’il inaugure avec un album spectaculaire : The Prison. Dès l’«Opening Theme (Life The Unsuspective Captive)», on sent clairement une volonté de mélodie universaliste. Papa Nez est capable de développer ce genre de power, il vise les voies célestes, il est dans la religion du son, il aménage de stupéfiantes ouvertures. C’est la révélation ! Et ça continue avec «Dance Between The Raindrops», qui part en mode heavy country, il claque ça comme de la Stonesy, il va sur un boogie rock demented et affreusement bon. Il chante dans les entrelacs de son boogie. Attention, ce n’est pas fini ! Voici «Ellusive Ragings» et ses merveilleuses dynamiques. Le fond est country mais devant c’est du pur Papa Nez. «Waking Mystery» confirme qu’il s’agit là d’un very big album, l’un de ces albums chargés d’ambiances et bien produits. Papa Nez dispose d’un incroyable pouvoir de persuasion et d’une voix qui tranche à merveille. Il diffuse sa magie, il chante à l’accent perché et la mélodie se transforme en féerie. Papa Nez joue avec toi, mais c’est pour ton bien. Il ramène des guitares country dans son rêve éveillé, il revient toujours au chant, pour exploser à la surface du couplet. Encore une fois, Papa Nez a du génie. Il se fond dans le moule d’«Hear Me Calling», un heavy boogie qui n’est pas celui des Ten Years After. Encore une belle échappée belle avec «Marie’s Theme». Papa Nez laisse filer, il prend le chant à la volée, il est superbe, c’est un héros, un fier rocker de country carnaval, il injecte de la furia del sol dans son shuffle. Il navigue exactement au même niveau que Doug Sahm. Il ramène toute la fête de la country, ça joue à bride abattue, Papa Nez lève de bien belles tempêtes, ça part à l’orgue et au piano, et quand il revient au chant, ça lui échappe, il y a trop de vie. Il claque son «Closing Theme» comme un groove de Croz, il dispose du même sens des dérives océaniques, il vise les mêmes horizons. Papa Nez n’en finit plus d’éblouir ses admirateurs.

             Ruddock s’arrête là, juste après The Prison. Il salue son héros : «Thanx for the ride, Papa Nez.» Nous, on continue.

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             Il se pourrait que From A Radio Engine To The Photon Wing soit encore un big album, ne serait-ce que pour «Love’s First Kiss», petit shoot de pop seigneuriale qui bascule vite dans le génie sonique pour devenir une pop-song surnaturelle. Il gratte «We Are Awake» au mur du son country avec des chœurs d’artichauts demented. Papa Nez est un sacré maître d’œuvre. Il drive sa chique et les filles font ah ah de temps en temps, tu vois le genre ! Il ouvre son balda avec «Rio», groove excellent et intrusif à la fois. Il fait couler un miel de guitares country dans un groove de rêve. Papa Nez serait donc un démon de l’enfer ? - So I think I will travel to Rio - Derrière lui on entend Weldon Myrick et Lonnie Mack. Comme le montre «Casablanca Moonlight», il sait attaquer un cut au pied de l’échelle. Il sait rester d’actualité comme le montre «Navajo Trail». C’est excellent, d’une incroyable véracité. Papa Nez est l’un des meilleurs explorateurs de l’Americana, il fond comme beurre en broche dans le Navajo Trail.

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             Il a l’air de vouloir se calmer avec Infinite Rider On The Big Dogma. Pour la pochette, il pose dans une pièce à plusieurs portes. L’album n’est pas très bon, mais on sauve «Capsule (Hello People A Hundred Years From Now)», car c’est un groove extraordinaire. Il rend hommage au groove - Check it out/ It’s the time of the day - Il s’amuse avec des petites conneries et ça devient vite énorme. Pour cet album, il abandonne complètement la country. Il se prend pour Leroy Hutson avec «Magic (This Night Is Magic)», il chante à la petite voix d’ange décervelé. On ne doute pas de sa sincérité. Puis il va dans le funk avec «Tonite (The Television Song)». Il donne libre cours à ses fantaisies, mais ça reste du Papa Nez, même si parfois il se vautre et fait pitié («Flying (Silks & Satins)», «Fractions (The Daughter Of Rock’n’Roll)»).

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             Pochette années 80 pour The Newer Stuff. Papa Nez porte le cheveu court et la barbe taillée. Deux grosses compos sur cet album : «Tanya» et «Dreamer». Il a troqué sa country pour un son plus synthétique, mais il tente de maintenir son cap. Il y parvient. L’ambiance pue un peu mais il chante à pleine voix, comme il l’a toujours fait. Mine de rien, ça reste du haut niveau. Tu peux suivre Papa Nez sans craindre l’ennui. Encore plus ambitieux voici «Dreamer», monté sur un thème classique d’une puissance évangélique - Why do we dream ? - Il se pose la question. L’orchestration emmène le cut plus loin que le chant, on sait que les trompettes peuvent déplacer les montagnes. Voilà Papa Nez dans les éclairs de Cecil B. De Mille, il éclate comme Moïse au bord de la Mer Rouge, il lève les bras face à la colère de Dieu, c’est très spectaculaire et ça se calme à la fin. Et pourtant, l’album était mal barré, car il commence avec de la diskö pop à la mormoille («Total Control»). Quand on entend «I’ll Remember You», on comprend que Papa Nez est l’un des survivants les plus brillants de l’âge d’or. Il est capable d’aligner des balladifs superbes. Comme tous les hommes de son âge, il fait un peu d’exotica avec «Eldorado To The Moon» et «Tahiti Condo», mais c’est une exotica qui ne porte pas à conséquence.

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             Tropical Campfires date de 1992. Comme Tav Falco, Papa Nez plonge dans la magie de «Brazil» qu’il chante d’ailleurs en brésilien. Il tape sa «Julianna» au froti de la frontière et la gratte à l’ongle sec. Encore une petite merveille avec «Moon Over The Rio Grande». Il crée de la country de carton-pâte, mais c’est brillant. Il se sert du Rio Grande pour régler ses comptes. Il tape dans Cole Porter avec «In The Still Of The Night» pour en faire un cut d’effarence, il chante à la voix blanche, mais en vrai fan et c’est extraordinaire. Encore du Cole Porter avec «Begin The Beguine». Ça frise encore le génie pur. Fabuleux Papa Nez.

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             Le dernier album de la box s’appelle The Garden, illustré par une toile de Monet. Papa Nez part donc des Nymphéas pour créer du climat enchanté et jeter de la poudre au yeux. Quand il arrive à la fin de «Garden’s Glow», on ne l’attendait plus. Puis il gratte «Ficus Carica» à sec dans une ambiance paradisiaque. Il abandonne sa chère country au profit d’un gratté de gratte fantôme, c’est assez spécial, plein de coups d’acou et de rebondissements d’acou. Il s’agit donc d’un album d’ambiances. C’est tout ce qu’on peut en dire. Les adieux sont tristes.

             On peut aussi établir un parallèle entre la créativité de Papa Nez et celle de Robert Pollard, ne serait-ce qu’avec les titres d’albums, tous plus dadaïstes les uns que les autres. Fricke parle de cerebral titles.

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             Ah il fallait lire le Mojo Interview mené par Bob Mehr en 2018. On tombait en ouverture sur un fantastique portrait de Papa Nez coiffé de son Stetson Nudie. À 75 ans, il a le visage d’un vieil homme, mais quelle élégance ! Mehr dit qu’il se fringue comme Steve Jobs, qu’il est entouré d’assistants pendus à ses lèves et qu’il «radiate a particular brand of Texas Zen». Plus rien ne peut plus nous surprendre de la part de Papa Nez. Il indique qu’il découvrit le Texas blues très tôt et qu’il décida de partir en Californie pour devenir écrivain. Arrivé à Los Angeles, il démarre au Troubadour et compose déjà quelques chansons, dont le fameux «Different Drum» et «The Girl I Knew Somewhere» qui sera un hit des Monkees. Bien sûr, Mehr revient sur les Monkees et les liens qu’entretenait Papa Nez avec les trois autres, à quoi l’intéressé répond qu’ils étaient tous les quatre très différents et que c’était voulu par le producteurs de la série télé - There was no feeling like the stars had aligned the way they did with The Beatles, or The Byrds or The Stones - Il demande à Mehr de lui pardonner cette métaphore : les Monkees étaient des légumes dans la soupe - Television was the soup and if one of us was the potato, the other was turnip, c’est-à-dire le navet - Pour Papa Nez, les Monkees n’étaient qu’un produit de télévision, rien d’autre, et il rappelle que la télévision «had taken a place in the American psyche that was dominant, it controlled the American thinking». Ce qui reste d’actualité. Si on veut aujourd’hui essayer de penser librement, il faut virer la télé. Retour sur Head et Bob & Bert que Papa Nez qualifie d’hommes courageux - These were guys on a quest for the artistic truth and they found a lot of it in the hash pipe and the joints and the parties and the women and the times - Hence Head and Easy Rider - Pour Papa Nez, le principal obstacle était Kirshner qui ne jurait que par les hits pop («Sugar Sugar» des Archies est cité en exemple), alors il fallait en sortir - I already had my Nudie Suit made. I was heading out. I was going to make psychedelic country and do The First National Band.

             Les huit pages de Fricke dans Mojo font bien le tour du propriétaire, c’est-à-dire l’histoire des Monkees. Fricke est solidement documenté. Aucun détail ne lui échappe, même pas les 186 000 $ que doit sortir Papa Nez de sa poche pour racheter sa liberté. C’est tout l’argent qui lui reste de sa vie de Monkee. S’en débarrasser est pour lui extrêmement symbolique. Fricke nous dit aussi qu’en novembre 2021, un mois avant de casser sa pipe en bois, Papa Nez a chanté pour la dernière fois «Listen To The Band» au Greek Theatre de Los Angeles. Il avait 78 ans. Papa Nez et Micky Dolenz avaient repris la route ensemble pour faire The Mike & Micky show. Maintenant que Davy Jones, Peter Tork et Papa Nez ont cassé leurs pipes en bois, Micky Dolenz se retrouve tout seul.

             Selon Fricke, c’est Barry Friedman qui en 1965 pousse Papa Nez à répondre à l’annonce de recrutement des Monkees parue dans The Hollywood Reporter. Papa Nez bosse le lundi soir au Troubadour, il organise les hootemannies et chante à l’occasion. Friedman bosse lui aussi au Troubadour. Il va changer de nom pour devenir le fameux Frazier Mohawk que Jac Holzman tenait en haute estime, autant que Danny Fields. Friedman/Mohawk est un fantastique dépisteur de talents. À l’époque, Papa Nez est fauché. Sa femme et lui vivent dans une bagnole. Comme on le sait, Papa Nez débarque au studio pour auditionner avec son sac de linge sale et le fameux bonnet à pompon vert qu’il porte en fait pour ne pas avoir les cheveux dans la figure quand il conduit sa moto.

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             Les producteurs qui initiaient le projet des Monkees tapaient à l’époque en plein dans le mille, car il n’existait alors rien d’équivalent sur le marché : ils ont généré «an explosive synergy of music, medium and mercantile zeal qui répercuta les ondes de choc de la Beatlemania via the power of Hollywood.» Oui, Hollywood servait d’énorme caisse de résonance et les Monkees furent immédiatement considérés dans les médias comme des superstars. The American Beatles. Mais quand Papa Nez apprend que Don Kirshner sort More Of The Monkees - leur deuxième album - sans avoir demandé l’avis du groupe, il annonce qu’il va quitter le groupe.

             Les journalistes ne comprenaient pas à l’époque du First National Band pourquoi Papa Nez quittait une vie de superstar pour jouer cette stone-country qui ne rapportait pas un rond. Papa Nez dut faire une mise au point : «Vous avez bien compris que je ne suis pas un chanteur/guitariste ordinaire. Je n’existe pas dans la communauté artistique. Je ne sors pas avec Steve Stills et je ne participe pas aux sessions d’Eric Clapton. Et je ne veux pas de Ringo dans les miennes. Je reste dans mon coin.» Ce que confirme Micky Dolenz. Papa Nez est un solitaire, il vit avec sa femme et ses enfants.       

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             Le Monkee-book le plus accessible est celui de Micky Dolenz, I’m A Believer. Ça se lit d’un trait, même si le style laisse à désirer. Peter Mills parle plutôt d’un style original et créatif, à l’image du personnage. Des quatre Monkees, Dolenz est sans doute le mieux placé pour rappeler un élément fondamental de l’histoire de Monkees : le côté pré-fabriqué du groupe qu’on surnommait d’ailleurs les Prefab Four, un produit purement hollywoodien, de la même façon que Dolenz est lui-même une créature hollywoodienne. Ils ont été recrutés individuellement lors d’un gros casting de cinéma pour jouer dans une série télé. Comme les producteurs voyaient que le teenage business commençait à rapporter gros, il leur fallait une série télé teenage pour les pré-ados. Pas pour les fans des Beatles qui devenaient adultes, mais ceux d’avant. C’est ce que raconte Dolenz dans son livre. Il évoque très brièvement ses collègues Tork, Nez, Davy Jones et se réserve la part du lion, car il a beaucoup plus de choses à raconter.

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             Dolenz est ce qu’on appelle un child actor, de la même façon que Davy Jones et Steve Marriott le furent en Grande-Bretagne. Et comme le Rusty de Rintintin, il démarre très tôt à Hollywood dans une série intitulé Circus Boy. Les épisodes durent une demi-heure et racontent les pérégrinations de Corky et de son éléphant Bimbo, dans le milieu du cirque au début du XXe siècle. Il devient tellement célèbre qu’il tourne à travers les États-Unis avec Bimbo et apprend à jouer de la guitare et à chanter. Ce cirque dure trois ans, au terme desquels on trouve Micky trop vieux pour le rôle. Fin de la série. Alors il passe du statut de star hollywoodienne à celui moins enviable de collégien. Il quitte un monde féerique pour se heurter de plein fouet à la banalité de la vie normale.

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             Plus tard, Bob Rafelson et Bert Schneider montent la série télé qu’ils intitulent The Monkees. Dolenz dit que ça marche parce que Bob & Bert sont eux aussi des mecs assez jeunes et assez irrévérencieux, ce qui à l’époque est plutôt atypique dans le milieu. À l’époque, John Lennon déclarait que les Monkees tels qu’on les voyait à la télé s’apparentaient plus aux Marx Brothers qu’aux groupes pop auxquels on voulait les comparer - The Monkees were Marx Brothers with long hair - Bob & Bert informent Micky Dolenz qu’il sera le batteur du groupe. Mais Dolenz dit qu’il ne sait pas jouer de batterie. Dommage car les autres places sont déjà prises par des gens accomplis : Nez et Peter, guitare et basse, et Davy lead singer et tambourin. Alors en bon pro hollywoodien, Dolenz apprend à jouer de la batterie. Et si les Monkees sont devenus si populaires, Dolenz insiste bien là-dessus, c’est parce qu’il s’agissait d’abord d’une entreprise collective. Autour de Bob & Bert, on trouve Lester Sill et Don Kirshner, le duo de songwriters/producteurs Tommy Boyce & Bobby Hart, et d’autres compositeurs de prestige comme Carole King, Neil Diamond, Harry Nilsson, Paul Williams, David Gates et Carole Bayer Sager. Redémarrer les Monkees comme ils ont tenté de le faire dans les années quatre-vingt était quasiment impossible sans tout cet entourage. Eh oui, si les albums des Monkees sont bardés de hits, c’est bien grâce à tous ces auteurs. Quand Lester Sill reçoit Dolenz pour la première fois dans les bureaux de Screen Gems, il l’emmène dans un couloir et frappe à une première porte. «Knock-knock, Micky, meet David Gates !». Une autre porte, «Knock-knock, Micky, meet Carole Bayer Sager !».

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             Autre composante fondamentale dans la genèse des Monkees : au sein du groupe, les styles sont très différents : Davy a un style très Broadway, Nez un style très Country & Western et Peter va plus sur le folk, car il vient de Greenwich Village, comme d’ailleurs Stephen Stills. Comme il a la plus belle voix, Micky Dolenz va chanter tous les grands hits, «Last Train To Clarksville», «I’m A Believer» et tous les autres. Une faille apparaît très vite dans le Monkee System : Nez exige the musical integrity and the creative control. Car évidemment, les Monkees ne jouent pas sur leurs albums et ne composent rien. Ils ne font que chanter. Il entame une partie de bras de fer avec le pouvoir, c’est-à-dire Don Kirshner. Il en fait même l’ennemi numéro un du groupe. Pour le calmer, Kirshner lui octroie le droit d’enregistrer deux compos à lui par album, mais ce ne seront pas des hits, loin de là. Dans une réunion, Nez exige le contrôle total des albums des Monkees et il annonce que s’il ne l’obtient pas, il quitte le groupe. Un avocat nommé Moelis lui répond qu’il ferait mieux de jeter un coup d’œil à son contrat : «Son, you can’t quit unless we tell you you can quit !». Cette déférence méprisante met Nez hors de lui. Il réussit par miracle à conserver son calme, se retourne et défonce la cloison d’un violent coup de poing : «That could have been your face, motherfucker !». Nez ne perd pas de temps et convoque une conférence de presse pour annoncer au monde entier que des musiciens de studio jouent sur les deux premiers albums des Monkees. Une belle façon de révéler ce qu’il considère comme une petite arnaque. Parmi les musiciens non crédités qu’on trouve sur ces deux albums figurent Glen Campbell, Hal Blaine, Earl Palmer, Buddy Miles, Billy Preston, Harry Nilsson, Stephen Stills, Neil Young et Carole King. Pardonnez du peu. Ce sont les méthodes californiennes de la Grande Efficacité.

             Concernant ses collègues, Dolenz reste très réservé. Il indique toutefois que Peter Tork et Nez ne s’entendaient pas très bien et quand Peter fut le premier à quitter le groupe, ce fut au grand soulagement de Nez qui entendait devenir ce qu’il voulait être depuis le début, le leader des Monkees. Réduits à un trio en décembre 1968, les Monkees enregistrent Instant Replay et Monkees Present. Mais encore une fois, ces albums se vendent moins bien que ceux de la première époque. Don Kirshner savait ce qu’il faisait.

             Dolenz va ensuite venir s’installer à Londres chez Harry Nilsson, à Mayfair. Endroit maléfique, puisque Mama Cass et Keith Moon vont y mourir. Dans l’appendice du book, Mark Bego rappelle que les Monkees vont enfin enregistrer un album entier de compos à eux, Justus, en 1996. Comme indiqué dans le Part One, Justus pourrait bien être le meilleur album des Monkees. Et curieusement, ce sont les compos de Micky Dolenz qui mordent la poussière. 

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             Peter Mills nous rappelle que Davy Jones a écrit deux livres. On peut se contenter de lire le premier, They Made A Monkee Out Of Me. C’est largement suffisant. Il n’est pas inutile de rappeler que Davy Jones est originaire de Manchester et qui s’est retrouvé jeune prodige dans des comédies musicales, à Londres puis à Broadway. Ce qui frappe le plus chez lui quand on le voit à l’écran, c’est la petitesse de sa taille. Bon, son book n’est pas un chef-d’œuvre littéraire, loin s’en faut, il parle beaucoup de son père, pur working-class lad de ‘Chester. Il rappelle aussi que c’est grâce à Aunt Jessie qu’il a commencé à faire du théâtre. En réponse à une annonce («Wanted school boys to audition for radio play») parue dans le Manchester Evening News, Aunt Jessie écrivit : «You must audition my nephew, David. He’s very good. He played Abdullah, the Turkish Magician.» Et voilà comment on se retrouve à Hollywood. Après un premier succès à Londres, le jeune Davy is going West. Bruce Prochnick qui le voit sur scène à Broadway est effaré par son talent : «It was obvious that this kid had everything.» Davy a 16 ans quand il joue dans Oliver. C’est juste avant l’arrivée des Beatles. Puis le succès d’Hard Day’s Night donne l’idée des Monkees aux producteurs - Four rock’n’roll musicians trying to make it, living together in a house in Malibu Beach - Même plan, il faut juste remplacer les costumes Pierre Cardin par des maillots de bain. Rafelson et Schneider se jettent à corps perdu dans le projet et commencent à auditionner. Davy, Bob & Bert écument les clubs et trouvent d’autres gens : Micky Dolenz qui s’appelle alors Micky Braddock. Davy insiste, si c’est lui qu’il faut ! Ils trouvent aussi Chip Douglas, Jerry Yester et Bill Chadwick. Davy est avec Lester Sill et Ward pour auditionner un certain Michael Blessing qui se pointe avec son sac de linge sale et son bonnet à pompon vert. Papa Nez ! Donc Davy s’octroie un petit rôle moteur dans la genèse des Monkees. L’autre détail biographique intéressant dans son book est le petit jeu auquel se livrent les quatre Monkees et un certain Frawley : leur jeu s’appelle Killer. Chacun a droit à trois coups par jour, le gun ce sont les deux doigts de la main, on mime le gun et quand on tire, il faut faire tssshhh ! Frappée d’une balle dans la poitrine, la victime doit s’écrouler, comme au cinéma - Whoever was shot had to die - Et celui qui a perdu ses trois vies est éliminé. Davy raconte qu’il s’apprête à embrasser une fille quand Peter l’interpelle, «Oh David !», et lui tire dessus, tssshhh ! Alors Davy doit s’écrouler et se convulsionner au sol comme dans un western. Ou s’écrouler à travers une porte. Ou s’écrouler sur un parking -  Arrrgh shot ! - Et puis un jour le jeu ne marche plus. Frawley ne veut plus mourir. Dolenz lui tire dessus. Rien. Nez tire à son tour. Rien. Puis Davy tire - All the feeling was gone. The beginning of the end - Ce que confirme le tournage de Head - Kill the Monkees - C’était le mot d’ordre.

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             Vers la fin de son book, Davy propose une série de portraits de gens qu’il a connus, comme par exemple Phil Ochs : «Un jour je suis allé chez lui. Comme d’usage, la porte n’était pas fermée, aussi je suis entré. Il y avait un plat sur la table qu’il n’avait pas fini de manger, de la vaisselle dans l’évier, des cendriers pleins, et le lit n’était pas fait. Pas de Phil. Je me suis dit que j’allais le rappeler plus tard. Mais je n’ai pas réussi à l’avoir. Il venait de quitter sa maison en laissant les choses en l’état. Il avait pris l’avion pour New York et s’était pendu.» Il brosse bien sûr des portraits de ses collègues, à commencer par Peter Tork : «Peter portait des pantalons moulants. Il ne s’intéressait pas à la mode. Il suivait la sienne. C’est la première fois que je voyais quelqu’un porter des chaussettes de couleurs différentes. Il portait la boucle de son ceinturon sur le côté. Il détestait les boots. Il portait toujours des sandales ou des mocassins. Il marchait avec une certaine allure, beaucoup d’aisance, en balançant ses bras. Il soignait l’hystérie et la dépression chez les autres.» Et plus loin il ajoute : «Musicalement, il est le plus doué de nous tous. Ses chansons sont de vraies chansons. «For Pete’s Sake» est de toutes les chansons ma chanson préférée. On rigolait à l’époque où Peter distribuait tout ce qu’il possédait. Mais il l’a fait pour de vrai. Il avait toujours une chambre libre pour qui avait besoin d’un hébergement.» Joli portrait aussi de Nez que Davy appelle Nes - Il aimait le style, Nes et sa limousine Cadillac, Nes et son garde du corps/chauffeur anglais, Alfie Weaver, Nes et son berger allemand Frak entraîné à tuer qui en jour planta ses croc dans ma tête sans même quitter le sol

             Dans les 300 pages de The Monkees, Head And The 60s, Peter Mills rebrasse tous ces éléments pour dire l’importance du phénomène Monkees. Il est persuadé que les Monkees sont des gens brillants et il a raison. Il en fait un postulat.

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             Il revient aux origines du phénomène avec le fameux casting de recrutement pour indiquer que des gens connus s’étaient portés candidats : Bryan McLean, le guitariste de Love, Stephen Stills, Jerry Yester, compagnon de Judy Henske et futur Lovin’ Spoonful. Stills n’est pas retenu car il a les dents pourries et commence à perdre ses cheveux. Il recommande alors son pote Peter Tork.

             Quand ils ont obtenu leur indépendance artistique et qu’ils commencent à tourner, les Monkees font sur scène des numéros radicalement différents : Davy fait le show avec de grandes chansons, Micky Dolenz fait du James Brown et se roule par terre comme on le voit dans le biopic Daydream Believers dont on va reparler plus loin, Peter Tork joue des airs de banjo, comme on le voit dans les concerts de reformation, et Nez rend hommage à Bo Diddley et Big Dix avec «You Can’t Judge A Book By Looking At The Cover».

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             Mills rappelle que Davy Jones monte sur scène à Broadway en 1963, neuf mois après ses débuts à Londres. Puis il attire l’attention de Columbia et il se retrouve en Californie pour jouer dans une comédie musicale inspirée de Dickens, Pickwick. Il est sous contrat avec Screen Gems. Tork passe lui d’un univers magique à l’autre : il arrive de Greenwich Village et devient le quintessential Laurel Canyon flower child : il fait partie de la bande à Stephen Stills, avec David Crosby, Buddy Miles et Jimi Hendrix, comme l’explique si bien Richie Furay dans l’excellent Buffalo Springfield book dont on va bien sûr reparler. Quant au Texan Nez, il en pince pour Hank Williams et, comme on l’a dit, Bo Diddley, ce qui va lui permettre de créer un style qu’il faut bien qualifier d’unique, la country Soul - country shapes and pop moves and a dash of R&B in the rhythm section - avec l’aide de Chip Douglas, ex-Modern Folk Quartet qui fait brièvement partie du Gene Clark Group, puis des Turtles, auquel Nez demande de produire les Monkees. Nez le chope un soir au Whisky A Go Go et lui dit qu’il aime bien ce qu’il a fait avec les Turtles, notamment son jeu de basse dans «Happy Together». Chip Douglas dit que les albums des Turtles étaient les mieux produits de cette époque.

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             Autre composante fondamentale du mythe des Monkees, le Brill Building sur lequel l’ami Mills s’étend longuement. Il dit avoir toujours connu l’adresse par cœur : 1619 Broadway, New York, NY 10019, United States Of America. C’est la même choses à ses yeux que London’s Tin Pan Alley on Denmark Street, in London W1. Quand Mills débarque à New York pour la première fois, il va directement voir le Brill. Don Kirshner a tous les grands auteurs sous contrat, comme le rappelle Davy Jones : «He had the Carole Kings and the Neil Diamonds and Carole Bayer Sagers, the Neil Sadakas, the Nilssons, Barry Mann, Cynthia Weil, Leiber & Stoller, Sears & Roebuck, Neiman & Marcus, he had them all under contract!». Kirshner est «The Man With The Golden Ear», il sait reconnaître un hit. Mais il est par dessus tout un businessman de talent. Il hésite pourtant à mettre Boyce & Hart sur le projet des Monkees. Il veut des mecs plus chevronnés. Il leur dit : «Sure you guys had hits as writers but for a project of this magnitude, we need producers that have a proven track record.» Il n’empêche que Boyce & Hart vont faire l’affaire. «Last Train To Clarksville» est une merveille intemporelle. Et la voix de Micky Dolenz !

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             Quand Peter Tork quitte le groupe en 1968, c’est le commencement de la fin. Head est un échec commercial retentissant. Puis Nez se barre. Davy Jones et Micky Dolenz continuent à deux, mais pas longtemps. Après la fin des Monkees, les choses se compliquent. Micky Dolenz continue de vivre la grande vie car sa mère a du blé, alors ils participe aux légendaires débauches hollywoodiennes en compagnie d’Alice Cooper, Keith Moon, Harry Nilsson et John Lennon. Peter Tork qui avait distribué tout ce qu’il possédait a du mal à s’en sortir. Il se fait en plus choper à la frontière mexicaine avec un stash de marijuana et passe deux mois au ballon. Nez fait comme on l’a dit des albums spectaculairement bons. Il vit bien car sa mère qui a inventé le Typex est milliardaire. Dolenz et Jones remontent une première fois les Monkees avec Boyce & Hart et partent en tournée. Le groupe s’appelle Dolenz, Jones, Boyce & Hart. Les fans ont pris un coup de vieux, mais ils viennent aux concerts. Dolenz, Jones, Boyce & Hart enregistrent aussi un album sur lequel il va falloir revenir. En fait les ex-Monkees font tous des albums solos, c’est la foire à la saucisse. Rhino Records réussit à rallumer le mythe des Monkees avec Justus, premier album entièrement composé, interprété et produit par les Monkees, depuis Headquarters. Puis Rhino va exhumer les inédits des Monkees, trois volumes, avant d’être absorbé par Warner en 1999. 

             Mills cite les groupes qui se réfèrent aux Monkees : Yo La Tengo et les Go-Betwwens et plus tard The Lemon Twigs et Foxygen. Pas mal ! Dans les annexes, le mec de KLF Bill Drummond explique que même si les Monkees n’ont écrit aucun de leurs grands hits, et qu’ils ne jouaient pas sur leurs disques, ils avaient «un power - a force. I knew the Monkees were great art.» Il dit aussi qu’à l’époque où il jouait dans Big In Japan, ils rêvaient lui et ses copains d’être les Monkees alors que les autres groupes rêvaient d’être Pere Ubu ou les Talking Heads ! Puis il est devenu manager d’Echo & The Bunnymen et il dit avoir mis le paquet pour en faire the best band that we could : «Le public ne se rend pas compte du travail que ça représente, ni même le groupe d’ailleurs et encore moins les journalistes de la presse rock. Sans ces efforts et la foi dans le groupe, ça ne peut pas marcher. C’est pourquoi les projets solo de band membrers ne marchent généralement pas.» C’est la façon qu’a Drummond d’expliquer que les Monkees ne sont pas tombés du ciel. Quand Drummond loue pour le groupe le dernier étage d’une massive Victorian house on the edge of Sefton Park in Liverpool, c’est pour recréer l’équivalent de la Monkees house on the ocean front of Malibu. Il dresse aussi un parallèle entre les Monkees et le Velvet : les deux avaient un mentor : pas de Velvet sans Warhol et pas de Monkees sans Kirshner, et les deux histoires se déroulent au même moment, entre 1966 et 1968. Les deux histoires ne doivent rien ni à Haight Ashbury (pour les Monkees) ni à Woodstock (pour le Velvet). Drummond se dit aussi fasciné par Head. Il ajoute que l’échec commercial de Head was the perfect ending for the ultimate manufactured band.

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             Le cœur du Mills book est bien sûr Head qu’il épluche dans le moindre détail. Il revient évidemment sur la genèse du film : Bob & Bert, Nicholson, les Monkees et le manager Brendan Cahill s’enferment pendant quatre jours dans un motel d’Ojai, en Californie et prennent de la dope à des fins créatives. Le biopic Daydream Believers recrée bien l’épisode, avec Nicholson qui leur balance : «You guys could be like danndruff in somebody’s hair...». Micky Dolenz comprend après coup que le but était non seulement de déconstruire les Monkees, mais aussi de déconstruire Hollywood. Le film fourmille de plans provocateurs, des pastiches de westerns et de Lawrence d’Arabie. Rafelson indique aussi que Nicholson a construit le script sur le modèle d’un acid trip. C’est encore Nicholson qui dessine le logo des Monkees en forme de guitare. Et puis Mills salue chaleureusement la prestation du Hollywood wildman Timothy Carey qu’on appelle un ‘heavy’ dans les studios.

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             Peter Mills consacre les deux tiers de son book au film de Bob Rafelson. Head est une tentative de loufoquerie cinématographique qui ne fonctionne pas. Pourquoi ? Parce que les Américains ne savent pas le faire. Dada et sa séquelle le surréalisme n’auraient jamais pu exister ailleurs qu’en Europe. Il faut du terreau culturel, du sang de fin de race et un don particulier pour la pure extravagance intellectuelle, trois éléments qui n’existent pas aux États-Unis. Ils ont autre chose, mais certainement pas ça. L’intérêt d’Head est qu’on voit les Monkees saboter leur image, c’est voulu, comme on le sait. On voit Micky Dolenz sauter du pont d’Amérique sur fond sonore d’un «Porpoise Song» très beatlemaniaque. Rafelson enchaîne des plans totalement dépareillés : les quatre Monkees sont dans une tranchée sous les bombardements et ils se retrouvent après l’assaut d’une caverne sur scène tout de blanc vêtus pour un fabuleux «Circle Sky» que chante Nesmith tout en grattant sa SG blanche - And it looks like we’ve made it once again - Ils sonnent comme les Byrds. Puis Rafelson commence à jongler avec les métaphores douteuses : Micky Dolenz erre dans le désert et tombe sur un distributeur de coca qui est God. On voit arriver un cavalier bédouin sosie d’Anthony Quinn dans Lawrence D’Arabie, puis un char de l’armée italienne dont le conducteur se rend, ainsi que toute l’armée italienne, Dolenz monte dans le char et tire sur God, boom ! Drôle de mélange : on voit la fameuse exécution du Vietcong à Saïgon, puis Dolenz se retrouve prince arabe avec un harem sur fond de «Can You Dig It». On se lasse assez vite de toute cette frénésie superficielle. Ils font des pastiches de westerns avec des flèches dans la poitrine puis Timothy Carey vient voler le show avec sa peau de mouton et une corde de pendu autour du cou, Davy Jones se fait boxer la gueule sur un ring par Sonny Liston et les quatre Monkees se retrouvent dans les cheveux de Victor Marure, c’est l’idée de base de Nicholson, dandruffs, c’est-à-dire des pellicules. Ils sont aspirés et Rafelson enchaîne avec le délire de la boîte noire. Mais Davy Jones s’échappe et s’en va danser à Broadway, il fait son Fred Astaire, on voit aussi Frank Zappa et une vache sortir d’un studio d’Hollywood. Il est évident que ce film ne pouvait pas marcher commercialement. Trop barré, trop n’importe quoi. Le film se termine par une poursuite géante que le pont d’Amérique et les quatre Monkees plongent dans le Pacifique pour aller nager solarisés avec des sirènes. Tout ça est bien résumé dans Daydream Believers, le biopic que Neill Fearnley consacrait aux Monkees en 2001 : il reconstitue quelques plans comme la birthday party géante très psychédélique, mais il montre aussi les salles de cinéma qui se vident lors de la projection d’Head. Pour une fois, ce biopic est assez réussi, les quatre acteurs collent bien aux personnages, Nez porte son bonnet à pompon vert et il arrive bel et bien à l’audition d’embauche avec son sac de laundry. On voit aussi Don Kirshner qui demande le contrôle artistique total du groupe pré-fabriqué. Il a les auteurs et pouf, ça démarre avec l’excellent «Last Train To Clarksville», Tork on bass et Nez on guitar et ce fantastique shouter de Dolenz ! Et ça continue avec «Hey Hey Hey We’re The Monkees». Micky Dolenz apprend à battre le beurre pour son rôle de batteur dans la série télé. Il n’y aura que deux séries d’épisodes. Comme Nez insiste pour jouer sur scène, on envoie les Monkees jouer à Hawaï. Encore un hit mondial avec «I’m A Believer» cette fois composé par Neil Diamond, ils portent tous les quatre leurs chemises rouges à huit boutons. Tout va bien jusqu’au moment où Nez tape dans le mur et demande la liberté. Le biopic restitue bien les épisodes de Monkeemania on stage avec les filles qui hurlent, Dolenz bête de scène sur Stepping Stone, puis Kirshner est viré. Les Monkees enregistrent Headquarters, un album plutôt raté. Ils savent que c’est pas bon. Not good enough. Lors d’une tournée, ils ont Jimi Hendrix en première partie, mais le public de gamines réclame les Monkees, alors Jimi sort de scène écœuré. On voit les Monkees habillés en blanc chanter «Daydream Believer» et cette façon qu’a Davy Jones de danser avec les hanches et le buste, tout en frottant les semelles ! Ah c’est un style ! La troisième série d’épisodes TV est annulée et c’est là que les Monkees, Rafelson et Nicholson auront l’idée «géniale» de tourner Head - You guys could be dandruffs in somebody’s hair.

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             Tant qu’on est dans les Monkees movies, on peut aussi jeter un œil sur les deux films qui documentent bien les reformations, surtout le Live Summer Tour qui date de 2002. Les Monkees ne sont que trois, Tork, Jones et Dolenz. L’intérêt de ces films est de voir Dolenz sur scène. Il s’est empâté mais quel fantastique chanteur ! Davy Jones a rapetissé et Peter Tork ressemble au coucou d’une horloge suisse. Ils démarrent avec l’excellent «Last Train To Clarksville». Ils chantent ensuite tous les trois à tour de rôle, Jones et Tork s’en sortent avec les honneurs, surtout Tork avec «For Pete’s Sake», c’est solide as hell, fin et ouvragé. Il faut voir Dolenz poser sa voix sur «The Girl I Knew Somewhere» : il va chercher le gorgeous avec une puissance et une mélodicité exceptionnelles. Puis il s’installe à la batterie pour «Mary Mary». Tout ce qu’il fait est bien. Il revient taper une impro jazz sur «Goin’ Down» et les trois Monkees dansent. Dolenz est un artiste complet, c’est surtout lui qu’il faut suivre. Ces trois vieux crabes font le show, pas de problème. Tork fait le clown au banjo et son «Higher & Higher» se révèle solide. Et quand ils attaquent la série finale des hits sixties, toutes les vieilles du public viennent au pied de la scène danser le jerk. «A Little Bit Me A Little Bit You» est le jerk sixties parfait. Dolenz chante «I’m A Believer» avec Tork à l’orgue. Dolenz le finit en force et ça enchaîne aussi sec avec «Steppin’ Stone» et ils finissent en apothéose avec «Pleasant Valley Sunday», l’un des hits les plus précieux de l’âge d’or du rock sixties. Pur génie pop ! 

    Signé : Cazengler et monkee, c’est du poulet ?

    Michael Nesmith. Disparu le 10 décembre 2021            

    Michael Nesmith. Songs. Box Edsel Records 2019

    Michael Nesmith. Infinite Tuesday. An Autobiographical Riff. Crown Archetype 2017

    Micky Dolenz. I’m A Believer. Cooper Square Press 2004

    Davy Jones. They Made A Monkee Out Of Me. A Book’s Mind 2014  

    Peter Mills. The Monkees, Head And The 60s. Jawbone 2016

    Bob Rafelson. Head. DVD Rhino 1994

    Monkees. Heart & Soul. The Reunion Tour Story. DVD Rhino 1988

    Monkees. Live Summer Tour. DVD 2002

    Neill Fearnley. Daydream Believers. The Monkees’ Story. DVD 2001

    Bob Mehr, The Mojo Interview : Mike Nesmith. Mojo # 292 - March 2018

    David Fricke : The cat in the hat. Mojo # 340 - March 2022

    Martin Ruddock : Beyond the blue horizon. Shindig! # 124 - February 2022

      

    Le père Noel n’est pas une ordure

     

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             Une belle actualité sur Noel Gallagher n’est pas pour nous déplaire. Il fait même la une du vieux Record Collector. Toujours la classe, au moins autant que son frère. Il est aussi l’invité du fameux Mojo Interview, avec comme toujours un portrait soigné en page de gauche de la double d’ouverture. Fuck, le père Noel vieillit extraordinairement bien, il arbore toujours la même gueule de rock star anglaise. Le genre de gueule qui ne peut exister qu’en Angleterre : Brian Jones, Keef, Liam Gallag, Rod The Mod, Jeff Beck, Jackie Lomax, pour n’en citer que six.

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             Dorian Lynskey branche le père Noel sur son enfance, alors forcément, ça démarre en trombe. Pas le genre de famille qui encourage les gosses à suivre leurs rêves - Get out to work. Earn your keep, that was it - Quant à l’obsession pour les Beatles, elle commence avec la mort de John Lennon. Intrigué, le jeune père Noel creuse dans l’histoire des Beatles pour savoir qui était ce mec. Puis ça embraye très vite sur Oasis et la soudaineté du succès. Le père Noel rappelle qu’un groupe indé ne pouvait pas espérer mieux que de remplir Brixton Academy, et pouf les voilà dans les stades, et ça secoue tellement que pour garder les pieds sur terre, le père Noel compose - The thing that kept me grounded was the songwriting - Alors bien sûr il parle de ses chansons, pas forcément celles qu’on préfère, comme «Wonderwall» ou «Don’t Look Back In Anger», mais ce sont les plus populaires. Et puis il y a les drug-songs, comme «Champagne Supernova» et là le père Noel a de la coke plein les yeux - Typical ‘90s scene - And the songs fell out of the sky. Songs used to fall out the sky every fucking day in the ‘90s - Alors Lynskey en profite pour lui demander s’il a besoin de se doper pour composer. Le père Noel lui fait une réponse à la Happy Mondays : «I don’t think I ever NEED to be on drugs, it’s just that I always WAS on drugs.» Il ajoute que ça lui permettait d’éviter de se poser des questions. Globalement, le père Noel est assez fier de ses compos. Il n’hésite pas à dire que des tas de compositeurs voudraient bien avoir eu au moins deux de ses chansons. Mais en même temps, il avoue qu’au fil des albums, la qualité des compos baissait : «We were still playing stadiums while not being very good.» C’est en effet ce qu’on voit dans les concerts filmés dans les stades. Oasis perd le punch du premier album. 

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             Que fait le père Noel pendant que son frère règne sans partage sur l’empire du rock ? Des albums avec les High Flying Birds. En 2011 paraît Noel Gallagher’s High Flying Birds. S’il y a une chose que le père Noel sait faire, c’est ramener non pas des jouets mais du son. On peut même dire que c’est son boulot. Mais sa voix n’est pas bonne. Il retombe à plat, il a beau gueuler son «Everybody’s On The Run», ce n’est pas ça. Liam l’aurait explosé. Le père Noel fait entrer des grosses orchestrations de Cecil B. de Mille pour cacher la misère, mais il manque l’essentiel : Liam. Liam d’Oasis. Par contre le père Noel est plus à l’aise avec le stomp, comme le montre «Dream On». C’est sa véritable identité. Il ramène le stomp des quartiers de Manchester et là ça prend une certaine allure. Voilà un hit de pop anglaise comme seul le père Noel sait en pondre. Il est dans les Beatles et les Small Faces, et là mon gars, t’as du solide. Ce mec génère du génie sonique, c’est mieux que de générer du profit. Il chante au sommet de son shout it out for me, on assiste à une superbe déflation de la livre anglaise, il chante par dessus les toits de Manchester, comme jadis John Lennon et Jackie Lomax chantaient par dessus les toits de Liverpool. Tous ces mecs sont incomparables. La meilleure pop vient d’Angleterre. Nous voilà de nouveau confrontés aux dures réalités. Puis il allume un heavy balladif mancunéen avec «If I Had A Gun», il chante à la revancharde et fait de l’Oasis sans Liam, alors c’est assez frustrant. Désolé, père Noel, mais pas mal de cuts n’ont aucun intérêt. Sa voix ne peut pas nous intéresser. On préfère celle de Liam. Forcément, le nom d’Oasis génère du following, mais il faut rester prudent. Il réussit à faire monter en pression «Aka What A Life» avec des claqués d’accords énormes et ce sera sa dernière tentative de putsch. Il tente un retour au glam qui ne marche pas avec «(Stranded  On) The Wrong Beach» et il finit à coups d’acou avec «Stop The Clock», le côté formaliste anglais à la con, ah on va finir avec un coup d’acou, mais il manque toujours la voix.

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             Le père Noel revient aux affaires trois ans plus tard avec Chasing Yesterday. Dès «Riverman», il gratte sa gratte. Il est toujours dans le mid-tempo, dans cette excellence du relentless mancunien, pas manucuré. Et puis voilà qu’il ramène les big guitars du rock anglais, c’est à la fois très puissant et bien torturé, claqué dans l’évanescence, en lien avec nos réalités et un sax vient traîner ses savates dans le son. Well done, père Noel ! Puis il amène «In The Heat Of The Moment» au stomp sans peur et sans reproche. Il peut gueuler, mais il n’a pas la voix de Liam. Liam is the man, ça saute aux yeux. L’autre cut bingoïde de l’album s’appelle «Lock All The Doors». Ça signifie le retour des bazookas et des guitares en feu, c’est-à-dire the supersonic Gallag sound qui a réveillé la vieille Angleterre. C’est explosé en plein vol, le père Noel se noie dans le crush des guitares, il disparaît dans un fantastique Wall of sound, il devient l’Achab des océans, le Victor Hugo des Contemplations, mais un contemplations que tu vas prononcer à l’Anglaise en te régalant du shionne, le père Noel commande aux éléments et un solo vient flotter à la surface de l’excelsior, dans l’écume des limbes sacrées. La magie sonique des Gallag n’était pas une vue de l’esprit. Il fait plus loin un «Right Stuff» qui n’est hélas pas celui de Captain Lockheed, repris et magnifié par Monster Magnet. Avec «While The Song Remains The Same», le père Noel va se lover dans le giron d’une pop de let me go. Il semble vouloir faire de l’Adorable mais sans la voix de Piotr. Le père Noel n’a pas de voix, c’est une dure réalité, il peut gratter tout ce qu’il veut, mais sans la voix. On lui passe cette incartade pour aller saluer «You Know We Can’t Go Back». Il y drive son biz au big beat, il va au plus court, il sait qu’on n’a pas le temps. Il ramène vite fait le pouvoir absolu d’Oasis et les solos d’exception. Alors on serre la pince du lad pour le remercier.

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             Dans l’interview qu’il accorde à Chris Catchpole, le père Noel révèle qu’il existe chez lui des tas d’inédits d’Oasis, notamment une version d’«It’s All Too Much» enregistrée le jour de la mort de George Harrison, avec Alan White et Johnny Marr. Alors évidemment, Catchpole qui porte bien son nom revient sur le split d’Oasis à Paris en 2009. Il rappelle qu’en 18 ans d’existence, les deux frères se sont souvent affrontés, mais la shoote de Paris en 2009 signa l’arrêt de mort du groupe. Lorsqu’il revient sur Oasis, le père Noel est catégorique : «I’ve only ever had the songs and that’s where, with the Liam thing, that’s what made Oasis great.» Il sait aussi qu’avec ses nouvelles chansons, le père Noel n’est plus obligé de chanter les vieux hit d’Oasis quand il monte sur scène. It’s all good. Puis il revient longuement sur l’Hacienda et l’acid house qui pour lui était le vrai truc, avec bien sûr les Smiths, Happy Mondays, Joy Division et les Roses. Il adore la diversité des goûts dans le rock, ceux qui aiment et ceux qui n’aiment pas, il se dit même fasciné par the «fascistness» of the tribes in music, mods and rockers and punks, ce qu’on appelle en France le sectarisme et il s’empresse d’ajouter qu’il est open-minded, even jazz. En ce moment il est dans Sun Ra - Of course everybody likes fucking Sun Ra - Il ajoute que Sun Ra is the rock guy’s version of jazz - It’s far out - And Archie Shepp who I just got into - C’est sa façon d’annoncer que la porte est ouverte à toutes les possibilités - The road’s open now for anything, really. Apart from heavy métal, of course. Heavy metal’s a bit shouty - C’est aussi sa façon de nous rassurer.

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             Et trois ans plus tard, qui que revoilà ? Le père Noel avec Who Built The Moon. Un album plus faiblard que le précédent, sauvé des eaux par deux coups de génie oasiens : «Holy Montain» et «Keep On Breaching». Ce sont deux raisons majeures de rapatrier cet album qui se présente comme un petit book emboîté, mais bon, il n’y a pas grand chose dans le petit book, de beaux photo-montages réalisés par un photoshopman, et comme on n’est pas là pour ça, on feuillette vite fait et on range pour aller se cogner un coup d’«Holy Mountain». The père Noel is on the move. Il veut un hit alors il le fabrique, il ramène des chœurs de Dolls et du heavy bad beat et boom, ça marche. Il enchaîne avec «Keep On Breaching». Comme il n’a pas la voix de Liam, il compense comme il peut et ça donne de l’Oasis à la petite semaine. L’essentiel est qu’il ramène du rock en Angleterre. C’est lui le frère de la rock star, alors il fait ce qu’il veut. Dommage que ce soit sans Liam - But can you keep a secret ? - Alors après, ça se gâte. Il pompe dans le Walrus pour «Be Careful What You Wish For». Il fait du sous-cutané lennonien, il cherche à retrouver le chemin des voies impénétrables, sa vieille fascination pour Lennon le travaille au corps, mais cette fois, il est d’une maladresse incroyable. Il fait du pompé de Pompéi et ça ne marche pas. Il vaut mieux écouter la légendaire cover d’«I’m The Walrus» qui date du temps d’Oasis. Puis on voit que les cuts peinent à jouir. Le père Noel va chercher la petite pop d’arpèges avec «Black & White Sunshine». On attend de la magie et il nous sert de la betterave. «If Love Is The Law» stagne dans la petite pop énervée. Le problème du père Noel, c’est qu’il fait des albums moins percutants que ceux de Liam. Il va puiser dans les vieux marigots, mais on sent le manque d’inspiration. Pourtant, on voit bien avec le «Fort Knox» d’ouverture de bal qu’il cherche à repousser les frontières, mais ça va bientôt faire trente ans qu’il repousse les frontières, et on comprend qu’il puisse en avoir ras le cul. Bon, il est temps de te dire adieu, père Noel, merci de ta légende et de ta générosité.

    Signé : Cazengler, gallaglaire

    Noel Gallagher’s High Flying Birds. ST. Sour Mash 2011        

    Noel Gallagher’s High Flying Birds. Chasing Yesterday. Sour Mash 2014    

    Noel Gallagher’s High Flying Birds. Who Built The Moon? Sour Mash 2017

    Dorian Lynksay : The Mojo Interview - Mojo # 332 - July 2021

    Chris Catchpole : Ballad of the mighty N. Record Collector # 519 - June 2021

     

    L’avenir du rock

     - Cruisin’ with the Cruisers (Part Two)

     

             Au courrier, l’avenir du rock trouve une invitation : le premier «Marché aux Actions Remarquables», organisé par la DRH d’une multinationale renommée, l’IUI (International Underground Incorporated). Initiative intéressante, se dit l’avenir du rock qui file aussitôt chez son voyagiste acheter un billet d’avion et réserver un hôtel. Arrive le jour dit. Les organisateurs ont installé le marché dans un grand hall d’exposition. C’est un vrai marché, avec ses stands en toile rayée bleue et blanche. Mais au lieu de vendre des saucisses et des pommes de terre, les exposants proposent leurs excentricités. Il y en a pour tous les goûts. L’avenir du rock s’engage dans l’allée centrale et tombe tout de suite sur le stand des Schizophonics. Il y a un petit attroupement, car Pat Beers, grimpé sur une table de camping, s’apprête à faire un numéro : il respire profondément et exécute un triple saut périlleux arrière en grattant des accords du MC5. Les gens applaudissent poliment. Un peu plus loin se dresse le stand de Turbonegro. Pour remplacer Hank Von Helvete qui a eu l’indélicatesse de casser sa pipe en bois, Euroboy et Happy Tom ont déguisé une poupée gonflable en Prince des Ténèbres. Ce curieux hologramme d’Hank a le cul nu, tourné vers l’allée. Dans le trou de ce cul est enfoncé un feu de Bengale qu’Euroboy remplace par un neuf dès qu’il s’éteint. Au stand Sleater-Kinney, Carrie Brownstein se roule par terre avec sa guitare : elle tente de battre le record mondial d’enchaînement de crises d’épilepsie. Au stand Endless Boogie, Paul Major est lui aussi grimpé sur une table de camping, histoire de montrer qu’il a les cheveux les plus longs du monde. Les pointes de ses cheveux atteignent en effet le sol. Plus loin, au stand des Black Lips, Cole Alexander crache jusqu’à trois mètres en l’air et des admirateurs ouvrent la bouche pour tenter de récupérer ces mollards de rock star. On peut aussi voir le Reverend Beat-Man danser la carmagnole sur son étal et Tav Falco danser le tango avec Belphegor. L’avenir du rock tombe enfin sur ses préférés : Left Lane Cruiser, qui assis dans des chaises, piquent des crises.

     

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             S’il n’en reste qu’un, ça pourrait bien être Freddy J IV, le roukmoute de la conduite à gauche, le rock-blues man issu de la nuit des temps et qui sera là jusqu’à la fin des temps du rock, car enfin, les accords restent les accords et le raw reste le raw, mais le raw qu’épure à n’en plus finir Freddy J IV atteint une sorte de niveau supérieur. Oh bien sûr, on parle souvent de niveau supérieur ici sur KRTNT, ça banalise de ramener à tout bout de champ des coups de génie et des coups de Jarnac, mais en fait, le problème n’est pas là. C’est parce qu’on atteint les limites du langage qu’on tourne en rond parmi les mots.

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    Il faudrait presque inventer un nouveau langage pour décrire l’explosivité scénique de Left Lane Cruiser, cette façon qu’ont ces deux mecs assis d’exploser sans bouger, bien que le corps de Freddy J IV semble parfois se désarticuler, comme le fait celui d’un batteur de rockabilly qui boppe le blues.

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    Entre chaque cut, Freddy J IV marmonne des conneries dans sa barbe, du style «le cut qu’on va jouer n’a pas de sens, comme tout ce qu’on fait», et pendant qu’il marmonne ses conneries de deep Indianais, il touille à n’en plus finir les mécaniques de sa gratte, une SG grise qui lui sert de planche de salut vers l’éternité, tout au moins aux yeux de ses fans, qui ne sont pas loin de le considérer comme l’un des géants de cette terre, mais il le mérite plus encore que les autres, car il semble se foutre de tout, ne comptent pour lui que ses hommages incendiaires à R.L. Burnside et à Freddie King, lorsqu’il s’attaque à «Goin’ Down».

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    Freddy J IV c’est l’anti-frimeur parfait, il s’habille d’un sac et d’un bonnet, il reverse tout son crédit de vie dans l’une des formes les plus infernales de blues-rock moderne, il en devient presque noir à force d’être primitivement bon, il fait toute la différence avec des pseudo duos qui depuis vingt ans font l’actualité de la scène gaga-blues-rock. Freddy J IV puise au fond de sa source intérieure et allume la grande scène, il est majestueux et poignant à la fois, et en même temps, il est par rapport à l’univers parfaitement insignifiant, et donc il s’efforce d’exister et racle tous ses fonds de tiroir pour offrir aux gens l’une des formes d’art les plus authentiques de notre époque. Il faut être soit très con, soit aveugle pour ne pas le voir. Le blues se situe au niveau de ces mecs-là, Freddy J IV, ou encore Cedric Burnside, des rescapés de vagues successives et héritiers d’un art purement africain. L’Amérique n’a rien à voir là-dedans. Freddy J IV invoque les esprits d’une antiquité dont il n’existe plus d’autre trace que celle-ci : la musique. Pas de temples, pas de pyramides, juste du blues et pas n’importe quel blues, le blues du diable qui va dévorer la civilisation des blancs, ses crucifix et ses vaticans, ses cathédrales et ses pontifes, car Freddy J IV véhicule la vie, il déverse de la vie pendant plus d’une heure, des torrents de vie, comme un volcan crache sa lave, c’est une vie qui va dans l’air et sous la peau, une vie qui redonne espoir aux gens qui croient encore aux valeurs primitives de l’art, Freddy J IV a ce pouvoir shamanique, assis au bord de sa chaise et grattant sa gratte à la folie, tellement à la folie qu’on se demande comment il fait pour remplir le son comme un œuf, il joue parfois prostré, puis rejette le buste en arrière alors que ses accords s’en vont télescoper de plein fouet ce profond sentiment d’éternité qui plane sous la voûte, il trépigne des pieds, il est en mouvement sans l’être, il exacerbe la violence du son et son big poto-man Brenn Beck bat l’un des meilleurs beurres qu’il soit donné d’entendre ici bas, un beurre complice, un beurre de tous les coups fourrés, un beurre d’ampleur domestiquée, un beurre claqué du beignet, un beurre blanc de barbu blanc, mais ça passe, ces deux mecs jouent leur va-tout et vont droit au but. L’ensemble croyez-le bien est sidérant.

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             On a déjà dit ici tout le bien qu’on pensait des albums de Freddy J IV (en 2014, et en 2017 pour King Mud, son side project). Il suffit juste de rappeler qu’il est fortement conseillé de les écouter de temps en temps, si bien sûr on en pince sérieusement pour le romp de raw. Une seule petite ombre au tableau : ce concert de Left Lane était le dernier des fameux concerts «assis/masqués» imposé par le petit père du peuple et ses conseillers hygiénistes à la mormoille. L’interdiction des « concerts debout » prenait fin ce soir-là à minuit, c’est-à-dire aussitôt après la fin du concert. Ce fut une façon pour le public d’entrer en osmose avec ces deux hommes, par la musique, bien sûr, mais aussi par le fait d’être assis. Première expérience d’atomic trash-blues blast le cul dans la chaise.

    Signé : Cazengler, Left Larve Cruiser

    Left Lane Cruiser. Nuits de l’Alligator au 106 (Rouen )

     

    Inside the goldmine

    - Gimme Shelton

                Baby Small n’avait pas inventé le fil à couper le beurre. Et encore moins la roue. Ne parlons pas de la poudre. Elle avait ce qu’on appelle charitablement une cervelle d’oiseau qui ne lui servait qu’à une seule chose : faire des mots fléchés. C’était sa passion, avec la clope et les bombecs. En dehors de tout ça, rien ne semblait l’intéresser. Elle vivait comme on dit dans son monde et il n’était pas question d’y interférer. Il faut savoir que les gens comme Baby Small existent. Et pour savoir à quel point ce mode de vie frise le néant, il faut le partager au quotidien. Chaque jour on se dit que ça va s’arranger, qu’en l’aidant un peu, elle va progresser, mais c’est une erreur. Plus grave encore : il faut être atrocement prétentieux pour imaginer pouvoir aider quelqu’un qui ne veut pas qu’on l’aide. On finit par comprendre qu’après tout les gens sont comme ils sont avec leurs petits bras et leurs petites jambes. Mais si on se fait un devoir de les accepter tels qu’ils sont, ça peut générer d’autres problèmes. Autant Baby Small piquait une crise de colère indépendantiste chaque fois qu’on cherchait à l’aider, autant l’ambiance consensuelle d’acceptation la rendait folle de rage, car elle perdait l’ennemi de vue : elle le traitait alors de fourbasse capable d’inventer des ruses pour mieux l’embobiner. Au lit ça pouvait se traduire par des insultes et des coups de pieds. À sa façon, elle était originale, car elle échappait à tous les modèles référencés dans la mémoire affective : ni nympho, ni romantique, ni intelligente, ni casanière, ni fantasque, ni féminine, ni cultivée, du coup ce petit être atypique et dramatiquement égocentrique devenait une sorte de cas d’école, un «objet» de curiosité. Mais bon, on a autre chose à faire dans la vie que d’observer les petits êtres atypiques qui de toute façon, ne vous apprendront rien de plus que ce que vous savez déjà.

     

             Baby Small se situe à l’opposé exact de Noami Shelton. Autant on ne peut rien attendre de Baby Small, autant on peut TOUT attendre de Noami Shelton.

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             Noami Shelton et ses Gospel Queens, ça commence par l’image et donc les pochettes des deux albums : elles semblent appartenir à une autre époque. On les verrait plus dans un bouge de la Nouvelle Orleans en 1854 que dans le studio Daptone de Troutman Street en 2009. Elles ont toutes les quatre des têtes de Hoodoo Queens. Si elles échappent à tous les critères ethno-culturels, c’est sans doute parce qu’elles incarnent mieux que toutes les autres Sisters l’incroyable mélange des races qui se fit à La Nouvelle Orleans pendant trois siècles, et qui avait commencé au XVIIe siècle, du temps où les colons français s’implantaient dans la région. Elles dégagent toutes les trois un violent relent d’histoire et d’exotisme, ce relent qui fut propre à ces régions du bout du monde, là où échouaient les aventuriers et tous ceux qui pour des raisons diverses fuyaient la civilisation et l’ordre moral.

             Les deux albums de Naomi Shelton sont parus sur Daptone Records, le label de Gabe Roth. Daptone est devenu un label mythique, aussi mythique que le furent Chess, King, Imperial et Specialty. Tous ces labels avaient des figures de proue (Chuck Berry pour Chess, James Brown pour King/Federal, Fats Domino pour Imperial et Little Richard pour Specialty). Daptone a aussi sa figure de proue : l’immense Sharon Jones. Daptone incarne surtout la renaissance de la grande Soul américaine. Gabe Roth réintroduit sur scène le sacro-saint principe de la Revue, telle qu’elle existait du temps d’Ike & Tina Turner et de James Brown & The Famous Flames. Avant que Sharon Jones n’arrive sur scène, l’orchestre chauffe la salle. Ils sont une bonne dizaine et les choristes chantent deux ou trois cuts avant d’aller rejoindre leur place sur une petite estrade à l’arrière de la scène. Tous ces grands artistes noirs savaient offrir un spectacle à leur public.

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             Naomi Shelton ne chante pas que du gospel. Elle tape aussi dans le r’n’b, mais le gros r’n’b, pas celui qu’on entend aujourd’hui à droite et à gauche, non, celui de Sam & Dave. On trouve sur son premier album What Have You Done My Brother un cut terrible intitulé « Am I Asking To Much ». Elle a exactement la même niaque que Sam & Dave. C’est monté sur une ligne de basse signée Gabe et on sait pour l’avoir entendu jouer avec Sharon Jones qu’il ne plaisante pas. C’est un Staxeur fou, peut-être pas aussi fantaisiste que Duck Dunn, mais tout de même très impressionnant. En plus, c’est lui qui compose les cuts. Naomi Shellton chante d’une étrange voix rauque qu’on pourrait dire unique au monde. On entend chanter une authentique Hoodoo Queen. Sa voix est un sortilège. Quand on l’entend chanter « What More Can I Do », on voit bien qu’elle ne fait pas partie des petites chanteuses à la mormoille. Elle chante d’une voix de femme qui a déjà vécu neuf vies. Sa voix évoque aussi celle des chats qu’on croise la nuit dans la lande de Lessay et qui vous souhaitent le bonsoir d’une voix sourde après vous avoir accompagné un bout de chemin. Avec « What More Can I Do », elle chante du r’n’b sensitif, mais la démesure lui fait défaut. Il faut attendre « Trouble In My Way » pour renouer avec le vrai shuffle de gospel, celui qui fonctionne au répondant. Elle chante dans l’église avec le diable dans le corps, ce qui ne peut pas plaire au Vatican. On retrouve le pur gospel de groove d’orgue d’église dans « He Knows My Heart ». Elle chante ça d’une voix de crocodile acariâtre. Stupéfiant ! Puis elle s’en va chauffer « Lift My Burdens » avec la voix de James Brown. Quand on a une voix comme la sienne, on peut tout se permettre. Gabe sait repérer les voix. Il a compris que la voix primait sur tout.

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             Le deuxième album de Naomi Shelton s’appelle Cold World. Il est beaucoup plus intéressant. On y sent une sorte d’accomplissement. Tous les cuts accrochent, à commencer par « Sinner » qu’elle prend d’une voix de squaw qui en a vu de toutes les couleurs. On pourrait même parler d’une voix de vieille négresse qui a miraculeusement survécu à toutes les humiliations et à tous les sévices qu’impliquait sa condition de femme noire dans une plantation. Naomi Shelton halète la Soul dans le cou de ses syllabes et parsème son chant d’ah-ahh gangrenés de feeling. Quand on écoute « Movin’ », on voit bien qu’il traîne au fond de son timbre ce léger accent de mauvaiseté qui le rend unique. C’est un peu comme si Daniel Emilfork chantait du r’n’b. Naomi revient au gospel avec « Bound For The Promised Land » - Oh Lord ! have mercy on you ! - Elle fait du gospel Soul comme seule Aretha sait en faire. Sa voix contient toute la rage de la Soul. Violente poussée de fièvre Soul pour « It’s A Cold Cold World », elle éclate chaque mot avec rage. Elle y met tout le chien de sa chienne. Il y a là de quoi faire rêver chaque jukebox d’Amérique. En B, elle revient au format classique du gospel festif avec « Get Up Child » - It’s in my body and soul and in my heart - La merveilleuse dynamique du gospel s’ébranle. Et ça grimpe par étapes, comme dans toutes les grandes exactions œcuméniques. Encore plus spectaculaire : « I Earned Mine », monté au beat gospel, pulsé à l’orgue d’église et claqué au tambourin. Ces gens-là savent faire des disques. Ils savent offrir un vrai son de gospel joyeux au sauveur, Papa Legba, couronné par un fantastique final expiatoire ! Toujours aussi fantastique, voilà « Thank You Lord », r’n’b digne des grandes heures du Duc de Stax. Naomi Shelton chante une fois de plus comme James Brown. Quelle niaque ! Et elle boucle l’affaire avec un balladif haut de gamme, « Everybody Knows (River Song) » et cette fois, elle s’en va chercher l’Al Green.

    Signé : Cazengler, Noamiteux

    Naomi Shelton & The Gospel Queens. What have You Done My Brother. Daptone Records 2009

    Naomi Shelton & The Gospel Queens. Cold World. Daptone Records 2014

    De gauche à droite sur l’illusse : Edna Johnson, Angel McKenzie et Bobbie Jean Gant. Devant : Naomi Shelton.

    *

    Le confinement a eu du bon. Pas beaucoup, je vous l’accorde. Du moins pour une partie de la population. Les artistes. Pas tous, nous pensons par exemple aux musiciens coincés dans leur appartements dans l’incapacité interdictoire de se réunir pour répéter, pire à la suppression des concerts. Gardons une positive attitude : pour ceux qui travaillent en solo tout seuls, chez eux devant leur écran ou une toile, écrivains, peintres, graphistes, le mal a été moindre. Encore cela dépend-il de leur monde imaginal ou de l’épaisseur protectrice de leur bouclier psychique.

    Je me doute que José Martinez aurait passé une bonne partie du printemps - soyons précis du 17 mars au 11 mai - 2020 à folâtrer sur son vélo – ceci est un euphémisme, à foncer comme un tambour sur les pentes les plus escarpées de la campagne ariégeoise – entre quatre murs l’a dû se contenter de la deuxième corde de son violon d’Ingres. L’a quadruplé sa production artistique habituelle. L’a même gardé ce rythme jusqu’à aujourd’hui : voici trois jours il présentait sur son FB son dernier autoportrait. Entre nous soit dit, il s’est un peu rajeuni, pas tant que cela, ce qui compte ce n’est pas ce que les autres appréhendent de nous mais ce que l’on projette de l’intérieur de soi au-dehors, que l’on est souvent seul à voir.

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    Dans notre livraison 451 du 13 février 2020, nous présentions vingt-quatre œuvres de José Martinez regroupées en un album sur ses photos FB.  Toutes en noir et blanc. Nous nous étions arrêtés à ce chiffre parce que la série ne se prolongeait pas, aussi à cause de ce pied-de nez, l’introduction d’une couleur sur un des personnages de l’ultime image. Signe annonciateur. Sans avoir totalement abandonné le noir et blanc, la couleur accapare une grande partie des dernières réalisations. Trop nombreuses pour que nous les présentions dans leur ensemble. La fois précédente nous avions pour nos commentaires emprunté l’ordre chronologique, partant du principe aristotélicien que ce qui précède est au moins partiellement la cause de ce qui suit. Aujourd’hui, nous remonterons le flot du temps à l’envers. Un peu comme la flèche ailée du cruel Zénon d’Elée qui recule quand elle avance. Chaque tableau étant ainsi envisagé comme un fragment à part entière, et néanmoins morcelé, de l’imaginaire créatif de l’artiste.

    18 FRAGMENCES MYTHOLOGIQUES

    DE JOSE MARTINEZ

    18 / 02 - 2022

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    Les 24 Fragments Mythologiques de notre livraison 451 relevaient du dessin. S’il fallait ajouter un adjectif pour les qualifier nous dirions psychédéliques.  Ici nous sommes dans un tout autre monde. Dans les deux sens du terme. Pour cette suite nous parlerons de visions. D’images qui viennent de loin, des abysses mémoriels, des résidus égrégoriens des siècles passés, qui affleurent en nous et que souvent nous renvoyons à leurs ténèbres. José Martinez ouvre les huis du rêve nervalien, son dessin est une pensée mythologique en action, présent, passé, futur, éternité s’entremêlent. La terre est suspendue dans l’espace, nous sommes sur la planète rouge, entre bourg médiéval et île de Pâques. Qui passe là ? Visiteur éphébique, résidente cramoisique, qu’importe, ces lieux filigraniques sont peuplés de nos phantasmes.

    17 / Janvier 2022

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    Elle nous attend, houri revêtue de bleue vénusté, dans un jardin ou dans un éden à l’orée d’une forêt, derrière une palissade qui s’ouvre sur le chemin d’échappée, par où l’on procède, alanguie sur son sofa, dans son voile qui dévoile tout ce qu’elle cache, la très chère était nue et n’avait même pas gardé ses bijoux, les bribes de Baudelaire s’imposent, ici tout n’est que calme, luxe et volupté, elles coulent de notre bouche comme cet incarnat de rosée s’est déposé sur ses lèvres, pointe aigüe du désir. Pourtant le plus beau c’est en arrière-fond cette luxuriance de vert équatorial qui pleut en rafales, serait-ce une bouffée d’angoisse métaphysique, la permanence des passions qui brûlent le cœur et l’âme, attisées par cette chair d’outre-ciel offerte dans la solitude de sa souveraineté.

    16 / Janvier 2022

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    Androgynil (ou androgynelle) céruléen(ne) qui court perdu(e) dans le monde de la réalité. Le paysage  semble s’être arraché par sa facture et ses bistres limoneux d’un tableau de Corot comme si déjà la nature se mettait à imiter l’art. Parfois nous sommes ainsi perdus entre deux mondes, entre deux planètes, à la recherche de nos rêves à moins que ce ne soit notre rêve qui nous cherche, ou alors peut-être s’est-il enfui, il était entré par mégarde en nos songes, les a jugés trop étriqués pour sa blondeur alexandrique, il erre dans le monde interlope des quatre éléments afin de trouver une niche où se lover, un logis digne de sa magnificence éthérale, un lieu intérieur de splendeur, une âme assez vaste pour servir de refuge, une aire de repos où il soit accueilli, fêté, honoré, puis prendre son envol.

    15 / Janvier 2022

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    La voici. Elle a rejoint l’empyrée des nuages. Photons d’or venus des étoiles lointaines sur sa chevelure blonde. Entre ses doigts elle tient la mort. Orgueilleuse vanité. Le néant est en haut, la beauté est en bas. Qui domine le monde ? L’image serait-elle moins doucereuse qu’il n’y paraîtrait. Ne serait-ce pas plutôt le repos du guerrier. Le rêve serait-il plus ambigu qu’on ne le rêve. Serait-on en train de découvrir le pot au rose qui d’ailleurs contient des tulipes jaunes. Il est des signes sur les azuleros de la voûte stellaire que l’on lit mais que l’on ne comprend pas. Ne sont-ils pas comme les arrêts des destins incompréhensibles. Dans le coin gauche, un mistigri vert aux longues moustaches de sagesse innée vous fixe du mystère de ses yeux bleus. Il connaît ce à quoi vous n’accèderez jamais.

    14 / Janvier 2022

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    Nous avions ressenti une fêlure. La voici. Elle s’exprime par un retour à un style beaucoup plus psychédélique, cet espace empli à foison – dans ce même moment José Martinez s’adonne à une suite de noirs et blancs que nous n’évoquerons pas ici – mais aussi par l’introduction de l’humour, pas noir, de toutes les couleurs, plus exactement ce que Poe nommait le grotesque, à tel point que l’on ne voit que les dessous de l’histoire, la petite culotte rose du toréador, ce n’est qu’après que l’on s’aperçoit que ce n’est pas un homme, mais un taureau qui torrée, n’empêche que si le Christ est affublé d’une tête de taureau son corps est celui d’un humain, on peut rire mais la muleta porte le dessin d’un bombardier. Morale : l’association homme-animal ne résout en rien notre fragilité.

    13 / Décembre 2021

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    L’heure d’Horus. Le Dieu faucon. Retour aux fondamentaux. Au réveil du monde la treizième heure s’apprête à revenir. Il détient les insignes de la puissance. Fleurs immortelles sur son sceptre. Auréole rectangulaire, qui se détache d’elle-même comme la marque de la surréalité du réel. Serions-nous dans un bestiaire orphique à la Apollinaire. Le monde est constitué de strates, le peintre en rajoute une sur laquelle apparaissent les anciens desseins des âges premiers comme la laitance du béton s’en vient affleurer la surface des murs. L’artiste ne recouvre pas, il dévoile. Etrange palimpseste, le texte que l’on lit est le plus originel. Qui peint, qui trace au juste ? Est-ce la main qui engendre le dessin ou le dessin qui guide le geste. La résurgence d’Horus nous interroge sur la nature de l’acte de création.

    12 / Décembre 21

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    Qui sait qui c’est. C’est Seth. Les couches les plus profondes que l’on remonte à la lumière sont les plus dangereuses. Doivent être traitées avec considération. Seth n’a pas droit à une image mais à un tableau de maître. Il est le Dieu du kaos. La force élémentaire de destruction. Le pendant d’Horus. A tous deux ils forment le Démiurge. L’artiste sait qu’il manie la foudre. Il ne la commande pas, il ne mesure pas au juste ses conséquences. Peut-être serait-il temps d’accorder notre attention à ces motifs décoratifs que l’on retrouve de station en station, ces runes hiéroglyphiques qui ressemblent à des voussures de fer forgé irradiantes sont les mots éparpillés d’un message illisible. En bas à gauche le chat aux yeux verts s’étonne de notre ignorance. A fouir le fouillis de sa folie créatrice, l’Artiste qui expose sait-il à quoi il s’expose.

    11 / Décembre 21

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    Serait-elle complètement femme. Lascive, l’on aimerait Vénus, planète bleue du désir ou Aphrodite née de la mer azuréenne, méfions-nous, le vautour au long bec et la tête de mort ricanante nous incitent à réfléchir. L’orange rougeoyant est-il celui de la passion pulsionnelle ou une tenture sanglante. Nous aurions toutefois encore préféré décrire une vanité, nous alarmer avec Villon, ô corps féminin qui tant est tendre, doux, suave et précieux, malgré nos vies si incertaines, mais nous nous devons opter pour Astarté, dont la latine et la grecque ne sont que des déclinaisons, Astarté si tentante, la grande et l’originelle, intercesseuse des Dieux et non des pauvres humains, les ossements sont notre avenir, si belles soient-elles, on ne fait pas l’amour avec des images. Miroir aux alouettes.

    10 / Décembre 2021

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    La tête d’équidé au bas du tableau est bien la signature d’Astarté. Nous avons affaire à un diptyque. L’Astarté bleue de la vie fertile et l’Astarté grise inhumaine. Comme le yin et le yang chacune des deux arcanes féminins de cette série comporte son contrepoint coloré. Ici souveraine hiératique juchée sur son piédestal elle se prête à l’adoration, sur l’autre l’ève charnelle pratiquement terrestre nous adresse un sourire complice, celle-là comme la chose même et celle-ci comme sa représentation, l’une est le mensonge de la vie vouée à la reproduction, et l’autre l’éternité de la mort destinée à la destruction. L’Artiste comprend intuitivement le statut de l’œuvre d’art, que son pinceau hausse sur la ligne de crête au sommet de deux pentes, celle qui monte vers l’éblouissance, celle qui descend vers le néant.  

    09 / Novembre 20 21

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    Nous glissons de la mythologie égyptienne à la romaine. Nous parlions de ligne de crête. La voici symboliquement manifestée par le Dieu Janus. Deux visages, l’un qui regarde vers le passé et l’autre vers le futur. Peut-être sommes-nous à la mitan de cette suite. Série qui n’est pas terminée. Mais le présent est toujours porteur de sa propre signifiance. Ou alors les Dioscures, ces jumeaux fils de Zeus et de la mortelle Léda. Castor sera mortel. Pollux d’essence divine. Lorsque Castor meurt Pollux lui donne la moitié de son immortalité. Chaque jour l’un est mort et l’autre vivant. Les deux frères adossés l’un à l’autre et ainsi à la mort. Janus porterait-il d’un côté son regard vers la vie et de l’autre scruterait-il la face à la mort. Image de l’Artiste qui regarde le monde vivant et le tue non pas en l’immortalisant mais en l’in-mortalisant.

    08 / Novembre 2021

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    Aurions-nous mal interprété. Janus regarderait-il d’un côté vers le monde des hommes mortels et de l’autre vers le monde des Immortels. Car nous voici face à Zeus l’étincelant. Zeus le dominateur. Depuis l’Olympe il impose sa volonté sur tous et toutes. Symboliquement sur le buste d’Héra. Les psychanalystes et les féministes se hâteront de dénoncer ce machisme viriliste outrageant. Nous adopterons une autre identification, celle de l’Artiste victorieux qui impose par la maîtrise de son art sa vision du monde. Plus on avance, plus on recule, davantage l’on s’aperçoit que le thème fondateur, le mythème directionnel de José Martinez réside en une longue et lente réflexion sur la notion de création. D’où la présence de la femme procréatrice et la figure de l’Androgyne qui réunit sa masculinité et sa part féminine.

    07 / Novembre 2021

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    Une des plus belles images de la série. Confrontation de Zeus roi des Dieux et de Prométhée ami des hommes. Symboles en évidence, la foudre de Zeus, l’aigle châtimentaire chargé de dévorer le foie qui repousse sans cesse de Prométhée. Ici dominent les valeurs virilistes, force contre force, bloc contre bloc, marbre divin contre granit humain. Serpent pythien entre les deux en sinueuse ligne de démarcation, celle qui sépare l’Art de l’Artiste. Le même qui se retourne contre le même et par ce geste même s’inscrit dans la naissance de l’autre. Fragmentation kaotique du dessin, à concevoir en tant que dislocation, lambeaux de flammes rouges éparpillés entremêlés aux débris bleus de la volonté humaine. La nudité de Zeus d’un gris bleu métallique sans éclat, terne, préfiguration de l’âge de fer qui viendra.

    06 / Septembre 2021

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    Nous y voici, selon un imaginaire médiéval, la bête vicieuse court sur nous, hyène vorace, chacal des cimetières, mystère du Gévaudan, épine dorsale dinosaurienne, le monstre de l’infra-monde est lâché, pas une once de vide dans ce tableau, le mal est partout, n’empêche qu’il a un petit côté sympathique, toutou fidèle qui accourt vers son maître pour son susucre, ne se déplace-t-il pas sur un tapis de fleurs luxurieux, de tous les animaux plus affreux les uns que les autres qui lui font cortège il est le roi. L’Artiste est ainsi, tout ce qui coule de son pinceau, toutes ces visions qui remontent de son esprit sont siennes, en quelque sorte ses enfants. Ses desseins nous ensorcèlent, il nous charme, peut nous présenter toutes les horreurs, nous y souscrivons sans état d’âme.

    05 / Septembre 2021

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    Nous croyions être au bout de l’horreur. Nous n’avions encore rien vu. Satan l’Adversaire, en personne déboule. Nu comme un ver sur son cheval vert. Il s’amuse, il mime le preux chevalier du moyen-âge fonçant au triple galop sur son ennemi, vision cauchemardesque, les têtes de mort se marrent de peur, pire que cela, il joue à l’Ange Gabriel terrassant l’hydre menaçante du mal, la pointe de sa lance plantée dans le gosier de l’infâme reptile, empirons le pire, composition en abîme, c’est le prince des ténèbres en personne qui s’en vient occire le serpent malfaisant, l’Artiste revendique son art, il n’est pas du côté de la morale, il chasse sur toutes les terres, il brouille les pistes pour l’image qu’il produit en soit que plus percutante. Le blasphème de l’imaginaire est une composante essentielle de l’Art.

    04 / Août 2021

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    Quel contraste avec le précédent. Serait-ce la Vouivre de Marcel Aymé, cette déesse rustique maîtresse des serpents qui hante les prés et les bois d’un petit village typique de la France campagnarde du début du siècle dernier. Son apparition attisera l’antagonisme entre ceux qui croient et ceux qui se targuent de pensée positiviste. Tous les éléments sont réunis, les vaches paisibles, l’enceinte fortifiée et protectrice qui regroupe les maisons, et cette dame énigmatique au collier vipérin. José Martinez a-t-il voulu produire une image de ses propres œuvres, lui qui vit dans notre époque post-industrielle et ses ouvrages qui mettent en scène de bien étranges créatures dont plus personne ne se soucie. Nul besoin de croire en l’existence des déesses, il suffit de les peindre pour qu’elles existent.

    03 / Juillet 21

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    Triomphe de sa majesté. Ne cherchez pas le bouc émissaire. Il est là. Il trône. Des pectoraux comme des seins. Qui est-il au juste. Ce que vous voulez. Le roi du monde. Impassible. Tel qu’il s’offre à vous devant vos yeux dès que vous posez vos yeux sur un point quelconque de la réalité. Même lorsque le regard de José Martinez reste des plus objectifs il montre qu’il ne peint pas l’apparence futile qui flotte devant tous, il est un voyant, translucide, il saisit les choses en tant qu’images mentales, il ne se laisse pas corrompre par l’extériorité, il peint ce qui affleure à l’intérieur de lui. Le monde ne se regarde pas uniquement avec nos globes oculaires, encore faut-il comprendre que lui aussi nous regarde, qu’il nous transmet sa propre vision, pas de nos chétives et pauvres petites personnes, mais de lui-même.  

    02 / Décembre 2020

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    Sous l’égide d’Athéna. Même si la colombe est consacrée à Vénus. Le monde sera-t-il sauvé par une déesse. N’exagérons-pas. L’épée est certes tranchante, et il ne manque pas de monstres répugnants à combattre. L’arme la plus étincelante reste celle de la pensée. L’esprit de décision commande. Notez sa flèche acérée. Elle n’a peur de rien, elle sourit au serpent qui se dresse. Les monstres visqueux resteront impuissants. Nous sommes en plein confinement. Cette image est une espèce d’icône protectrice. Un appel aux forces profondes du courage. Une tentative de test auto-persuasif. Un tatouage mental. Les Dieux ne sont jamais loin, il suffit de dégager les voies de remontée à la surface du présent pour qu’ils arrivent dans la nudité de leur présence. Se regarder dans son propre miroir intérieur pour qu’ils fassent signe.

    01 / Mars 2020

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    La terre et le ciel. Pleins comme un œuf. Pas celui originel de l’Eros. Ouvert au jour de sa date. Celle du confinement. D’ailleurs il est là. Oursins disséminés un peu partout. Une espèce de bal funèbre. Un carnaval d’opérette. Sont-ce des Dieux déguisés en homme ou des hommes déguisés en Dieux. L’on ne sait pas. Personne ne jettera le masque. Surtout pas celui de la mort rouge. Pied-de-nez au destin ou rire mortuaire. Ironie de la vie ou tristesse du dédain. Joyeux et désespéré. Ces instants où les plateaux du destin s’équilibrent avant que l’un des deux ne choisisse de triompher. Seul Silène est à visage découvert.  La situation ne l’inquiète guère, il est lui-même la situation, il voit le monde par le prisme de l’ivresse. Cela lui permet de le modifier à sa volonté. Tout comme le peintre qui ne connaît que l’ivresse de l’art.

    0 / Août 2020

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    Nous terminons comme nous avons commencé. Par un portrait. Plus exactement un auto-electric-portrait collectif, celui de l’incertitude interrogative pour ne pas dire de la peur suscitée dans la population par les mesures confinales. Le lecteur raisonnera sur la violence des couleurs. Nous n’avons dans ces analyses pratiquement pas tenu compte de la composition picturale des œuvres. Nous nous sommes plutôt concentré sur les vertiges de   l’inspiration de José Martinez, qui n’est qu’une expiration de remontées de choses lointaines, un peu comme ces bulles d’air qui viennent crever à la surface des marécages. Souvent dues à la putréfaction d’anciens organismes vivants en décomposition lente au fond des eaux. Il n’est pas donné à tout le monde de les traduire en images.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Episode 22

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    REVEIL MATINAL

    Nous avons dormi d’un sommeil de plomb. Tous, même Charlie Watts, je peux vous assurer que l’expression dormir comme un mort est fidèle à la réalité, il n’a pas ouvert l’œil de la nuit, Rouky couché à ses pieds. Nous fûmes réveillés au petit matin, l’on frappait violemment à la porte. En quelques instants nous fûmes debout. Le Chef alluma un Coronado, un exceptionalito, pour les grandes occasions nous expliqua-t-il, puis il ajouta :

    _ Agent Chad, veuillez ouvrir à notre visiteur, il semble pressé, je suppose qu’il ne s’agit pas du Père Noël, quoique avec le dérèglement climatique on ne sait jamais.

             Je fus étonné, pour avoir cogné si fort sur la porte blindée je m’attendais à une grosse brute épaisse, une tête de mort tatouée sur sa joue gauche, une veuve noire sur la droite, bref un hostile mastodonte qui d’entrée en matière m’aurait décoché un direct au foie. Point du tout, un gringalet engoncé dans un costume de tweed bon marché, genre représentant de commerce en papier toilette, au bout du rouleau, bafouillant et s’excusant longuement. Je n’en restais pas moins méfiant, comment un être aussi insignifiant serait-il arrivé dans notre repaire secret.

           _ Je vous prie de bien vouloir excuser mon intrusion à une heure si matinale, si ces messieurs-dames avaient l’obligeance de daigner m’accorder un entretien, je ne saurais le refuser.

    • Entrez cher ami – le Chef répondait à ma place – rien ne nous serait plus agréable que de partager en toute simplicité, une tasse de café et quelques croissants que mes commensaux et leurs chiens se feront un diligent plaisir de nous ramener de la meilleure boulangerie de Paris.

    Nous obtempérâmes tout de suite. Nous avions compris que nous n’étions pas invités. Lorsque nous nous retrouvâmes dans la rue, je pris le commandement de la petite troupe.

    • Les filles vous nous attendez au café, laissez tomber l’idée des croissants, nous avons mieux à faire. Joël, Charlie avec moi, gardez les chiens.

    Si Molossa et Molossito acceptèrent de tremper leur langue gourmande dans la bolée de whisky vint ans d’âge que leur présenta le garçon, Rouky refusa obstinément de quitter Charlie.

    Une heure plus tard nous nous retrouvâmes au café. Le Cheh fumait sereinement un Coronado.

    • Agent Chad j’espère que vous avez dégoté, ce dont nous avions besoin !
    • Sans aucun problème Chef, Charlie nous a emmenés dans un petit hôtel discret pour milliardaires que les Rolling Stones ont l’habitude de fréquenter lorsqu’ils viennent incognito à Paris, nous avons choisi une superbe Rolls Royce, spécial grand modèle, pouvant contenir jusqu’à quatorze personnes que nous avons empruntée à un émir du Qatar, il n’y a pas de hasard, sans lui demander la permission.
    • Parfait, je crois qu’il est temps de faire un petit tour.

    UN SYMPATHIQUE PETIT TOUR

    Je klaxonnais sans ménagement devant le portail de l’Elysée, les deux gardes surgirent des deux guérites disposées de chaque côté de l’entrée, mitraillette à bout de bras. La vue de la plaque Corps Diplomatique du Qatar les rassura aussitôt, le Chef abaissa sa vitre et spécifia que nous demandions d’urgence à nous entretenir avec l’intérimaire de service qui faisait office du Président de la République. Les deux battants s’ouvrirent instantanément. A peine avais-je arrêté la Rolls au bas du perron, que des huissiers nous ouvrirent les portières et que l’un d’entre eux nous déclara qu’il avait l’honneur de nous annoncer que Monsieur le Président du Sénat, assurant la fonction de Président de la République jusqu’aux élections, nous recevrait en compagnie de son conseiller spécial nous attendait.

    Firent une drôle de mine à notre entrée. S’apprêtaient vraisemblablement à négocier un important prêt bancaire (pots de vin à l’appui) avec l’émir du Quatar, et notre intrusion subite, leur déplaisait fort. Pourtant nous avions peaufiner notre cortège, les trois filles devant, quoi de plus aimable que trois sourires féminins pour briser la glace, nos deux cabotos derrière elle, la queue frétillante, surveillés de près par Joël, Le Chef et moi-même faisions rempart à Charlie et à Rouky. Malgré nos efforts méritoires, l’accueil fut glacial.

    • Qu’est-ce encore, le SSR qui se fait passer pour l’émir du Qatar et toute sa Smala, vous comptez transformer le palais de l’Elysée en refuge de la SPA pour chiens errants ?

    Molossa et Molossito grognèrent et d’un bond sautèrent sur le bureau présidentiel sur lequel ils s’assirent en grognant et en montrant les dents. Le Chef prit le temps d’allumer un Coronado avant de prendre la parole :

             _  - Lors de notre dernière entrevue vous nous avez demandé de vous ramener avant huit jours, le dénommé Charlie Watts, l’auteur pas du tout présumé des massacres de la Préfecture de Dijon, et de la Tour Eiffel, le voici.

    Ils ne lui jetèrent pas un regard.

    • C’est bien, le temps que les journalistes viennent prendre sa photo, que nos secrétaires rédigent sa confession, d’ici une demi-heure, il sera fusillé. Vous pouvez disposer.
    • Nous vous remercions pour la célérité de votre accueil – quel était donc ce Coronado que fumait le Chef, au goût si étrangement miellé, si capiteux que j’emploierai pour le qualifier avec une plus grande exactitude l’adjectif mielleux, nous avons aussi un dernier visiteur que vous ne connaissez pas mais qui vous apportera des détails intéressants !
    • Vous vous moquez de nous, si vous croyiez que nos services de renseignements ne connaissent pas l’identité de votre professeur d’université et de ses trois étudiantes, vous faites fausse route !

    Le Chef exhala de son Coronado un énorme nuage de fumée bleuâtre qui mit quelque temps à se dissiper. La surprise dépassa mes prévisions, je ne m’y attendais pas, en émergea un petit homme toussotant, en costume de tweed, avec son air minable et sa voix chevrotante :

    • Excusez-moi messieurs de paraître d’une manière si impromptue devant vous, ma timidité m’a empêché de paraître devant vous sans avoir été invité par vos sommités, j’ai saisi cette occasion, c’est mon directeur de vente qui m’a intimé l’ordre de me présenter à vous afin de régler un léger contentieux de rien du tout, trois fois rien, je n’en ai pas pour longtemps, quelques minutes tout au plus, deux, trois, quatre peut-être…

    C’était manifestement trop. Le Président nous désigna la porte d’un geste péremptoire :

    • Emmenez votre espèce de paltoquet, je suppose un représentant de commerce qui va essayer de nous vendre une machine à café, laissez-nous le dénommé Charlie et filez au plus vite avant que l’on ne vous fasse fusiller tous ensemble. Quant à ce petit dégueulasse qui vient de pisser sur mon bureau, nous appelons tout de suite le vétérinaire de la SPA pour l’euthanasier ! Dehors bandes de jean-foutres !
    • Je m’excuse de vous avoir dérangés, je peux toutefois vous certifier que je ne suis pas un représentant en cafetière, je…
    • On se moque éperdument de ce que vous êtes, déguerpissez !

    Il y eut une espèce de froissement, en une seconde l’homme en complet de tweed disparut, à sa place une clignota une espèce de lueur pâle, vaguement rose, et d’un seul coup le Grand Ibis Rouge se matérialisa devant nos yeux sidérés.

    A suivre…