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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 57

  • CHRONIQUES DE POURPRE 498 : KR'TNT ! 498 : BOB DYLAN / SUPREMES / CÖRRUPT / ANASAZI / ANIMALS / ROCKAMBOLESQUES XX

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 498

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    18 / 02 / 2021

     

    BOB DYLAN / SUPREMES

    CÖRRUPT / ANASAZI / ANIMALS 

    ROCKAMBOLESQUES 21

     

    Ce numéro 498 arrive avec deux jours d'avance.

    Le numéro 499 aura deux jours de retard.

    Si ce retard devait se prolonger pas d'inquiétude

    nous ne tarderions pas à revenir

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME !

    Dylan en dit long - Part Two

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    Avec Chronicles, Bob Dylan est entré au panthéon des grands auteurs américains. Chronicles tient plus de la littérature que de ce qu’on appelle vulgairement le book rock. Dans le regard que porte Dylan sur son pays et sur les gens qu’il croise passent des éclairs de Steinbeck, de Kerouac et d’Henry Miller. Les pages qu’il consacre à ses voyages en auto-stop ou à ses virées en Harley pourraient très bien se trouver dans On The Road, celles qu’il consacre à la faune des clubs de folk new-yorkais semblent sortir tout droit de Plexus, et certaines pages sont tellement profondément américaines par la musicalité du style qu’elles semblent sortir de The Grapes Of Wrath. Les pages qu’il consacre à la Nouvelle Orleans rivalisent d’intelligence sensorielle avec celles d’Erskine Caldwell et bien sûr, le comparatif le plus direct est celui que Dylan établit avec Richard Hell en arrivant en stop à New York en 1960, pauvre et prêt à tout, surtout à survivre. Hell et Dylan n’ont pas que ça en commun : au goût pour la pauvreté s’ajoute celui de l’indépendance, ce qu’on appelle aussi la liberté à tout crin, le refus total de toute forme de concession, et une passion immodérée pour la littérature et le sexe, un sujet sur lequel Dylan ne s’étend pas, mais qu’Hell explore, comme le fit avant lui Henry Miller. Si Hell baptise son cocktail ‘sex & drugs & rock’n’roll & Maldoror’, Dylan pourrait baptiser le sien ‘folk & blues & Rimbaud’.

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    Un autre parallèle s’impose, cette fois avec Dickinson, qui lui aussi fonctionne en chroniques dans cette merveille intemporelle qu’est I’m Just Dead I’m Not Gone. Comme Dylan, Dickinson moissonne les métaphores et creuse ses sillons dans ces mystères que sont la vie et l’art en général. D’ailleurs Dylan ne s’y trompe pas, lorsqu’il se retrouve seul à la Nouvelle Orleans en 1989 pour enregistrer Oh Mercy : «Plus tard, je pensais à Jim Dickinson. J’aurais bien voulu qu’il soit ici, avec moi. Il était à Memphis. Il a commencé à jouer en même temps que moi, en 57 ou 58, on écoutait les mêmes trucs et il jouait et chantait plutôt bien. Chacun de nous était originaire d’une des deux extrémités du fleuve Mississippi.»

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    Alors bienvenue au paradis. Même s’il se dégage parfois de Chronicles une certaine forme d’austérité, la fierté d’être allé jusqu’au bout fait une excellente consolation. On aura même en prime cette curieuse impression d’être un tout petit peu moins con. Ça va même encore plus loin : on sort de là complètement tétanisé, comme si on sortait d’une première lecture du Gai Savoir. Chronicles fouette le sang. Chronicles met du rouge aux joues. Chronicles fait bander comme un âne. Chronicles se prête à toutes les métaphores, comme une chatte en chaleur. Miaou miaou, c’est moi, Chronicles tu viens mon amour ?

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    J’allais découvrir un monde étrange, un monde strié d’éclairs. Beaucoup de gens ont tenté d’y entrer et n’ont jamais su y rester. J’y suis allé tout droit. C’était grand ouvert. Une chose est sûre, ni Dieu ni le diable n’y faisaient la loi - Voilà comment Dylan finit Chronicles, avec quatre lignes dignes de «Desolation Row». Certaines phrases sont comme chantées. On entend sa voix, comme on entend celle de Lanegan à la lecture de Sing Backwards and Weep, cet autre chef-d’œuvre confessionnal d’une insondable profondeur. Les gens comme Dylan et Lanegan bénéficient d’un gros avantage sur les écrivains : l’avantage d’avoir enregistré des albums devenus aussi classiques que des classiques littéraires. Quand Dylan évoque sa grand-mère, il la chante : «Elle n’était que noblesse et bonté. Elle m’expliqua une fois que le bonheur ne se trouvait pas au bout d’un chemin. Le bonheur, c’était le chemin. Elle me conseilla aussi d’être gentil, car tous les gens que j’allais rencontrer livraient dans leur vie des combats difficiles.» De page en page, il se produit comme un phénomène d’élévation du texte. Dylan intrigue et passionne, tout ce qu’il peut dire de lui se boit comme l’eau claire au sortir du désert. C’est là dans ce principe d’élévation qu’éclot l’idée du rôle capital que joue le rock dans le monde moderne : Dylan donne à ceux qui n’ont rien reçu en héritage de leurs parents des éléments de réflexion, des éléments de valeur. Tiens, cadeau, c’est gratuit. Oh merci Bob ! Alors Dylan, vie spirituelle mode d’emploi ? N’exagérons pas. Il donne juste quelques indications mais en même temps il laisse entendre que chacun doit se débrouiller pour avancer. On part tous quasiment de zéro. Lui a l’avantage de la grand-mère. Il a un peu d’avance. Éclairé par sa grand-mère, il peut affronter la vie plus facilement et comme Hell, se pencher sur les mystères de l’art, car c’est tout ce qui l’intéresse. La vie normale du métro/boulot/dodo ne le concerne pas, il se sent destiné à autre chose, à une vie de chansons et de liberté : «Picasso avait fracturé le monde de l’art et l’avait ouvert en grand. Il était révolutionnaire. Je voulais être comme lui.» C’est déjà en lui. Chronicles ne parle que de ça, du processus de révélation et de ses conséquences.

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    Il articule donc Chronicles autour de deux thèmes principaux : ses débuts dans la scène folk new-yorkaise (influences, rencontres, genèse d’un style), puis les épouvantables conséquences de son succès avec le harcèlement qu’il doit ensuite subir de la part des fans et des médias. À ce niveau de popularité, ça devient un fléau. Les gens veulent le voir à la tête des forces contestataires, mais ça ne l’intéresse pas - On pouvait lire à la une d’un journal : ‘Le porte-parole nie être un porte-parole.’ J’avais l’impression d’être devenu un morceau de viande qu’on jetait aux chiens - Dylan dut quitter sa maison de Woodstock pour mettre sa famille à l’abri des fans qui arrivaient de tous les coins d’Amérique. Il les entendait marcher la nuit sur le toit de sa baraque. Il ne lui restait rien d’autre à faire que de disparaître pour échapper à tous ces pauvres gens. C’est bien que ce soit lui qui le dise. Venant de quelqu’un d’autre, on peinerait à prendre ça pour argent comptant. «J’avais une femme et des enfants que j’aimais plus que tout au monde. Je m’efforçais de prendre soin d’eux et de les protéger, mais les médias voulaient absolument faire de moi le porte-parole et même la conscience d’une génération. C’était tordant. Je m’étais juste contenté de chanter des chansons bien carrées et d’exprimer avec force de nouvelles réalités.» Si Dylan est tellement excédé, c’est surtout parce que les gens n’ont rien compris : «J’en avais assez de la contre-culture. Ça me rendait malade de voir la façon dont on extrapolait les paroles de mes chansons et dont on en détournait le sens pour faire de moi le Big Buddah of Rebellion, le Grand prêtre de la Protestation, le Tsar de la Dissidence, le Duc de la Désobéissance, le Grand Chef des Parasites, le Kaiser de l’Apostasie, l’Archevêque de l’Anarchie, the Big Cheese.» Peut-être voulait-il faire comprendre aux gens que la vraie révolution commence par soi-même et que les vrais changements ne sont pas collectifs mais individuels. Généralement, on appelle ça la prise de conscience. Pas besoin de leader charismatique. Il suffit de capter les messages que diffusent des gens comme Dylan, Gandhi ou Coluche.

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    Avec une sincérité qui nous laisse comme deux ronds de flan, Dylan livre tous les secrets de sa genèse. Il commence par fixer son choix sur le folk : «J’ai choisi le folk pour explorer l’univers. Les chansons de folk contenaient des images et les images avaient plus de valeur que tout le reste. J’avais découvert l’essence du folk. Je pouvais aisément assembler les morceaux.» En même temps, il affiche une méfiance terrible pour le monde réel - Je n’éprouvais aucun intérêt pour ce monde moderne si compliqué. Il n’avait ni poids ni sens à mes yeux. Il n’offrait aucune séduction - Vers la fin du livre, il va même beaucoup plus loin : «Je n’étais pas à l’aise avec tout le psycho polemic babble. Ce n’était pas ma came. Même les actualités me rendaient nerveux. Je préférais les histoires anciennes. Toutes les actualités n’étaient que des mauvaises nouvelles. Je m’arrangeais pour les éviter. Une journée entière d’actualités télévisées était pour moi une image de l’enfer.»

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    Puis il commence à faire travailler sa mémoire, nous expliquant qu’il lit des poèmes de plus en plus longs, s’entraînant à les mémoriser et voir jusqu’où il peut les mémoriser. C’est une gymnastique. Quand il lit le Don Juan de Byron, il se concentre du début à la fin. Il se remplit le cerveau de poèmes intensément longs comme le ferait un comédien. Il dit se sentir transformé en wagon qu’il remplit de plus en plus et donc il doit tirer de plus en plus fort. Ceci explique en partie cette facilité qu’il va montrer un peu tard à interpréter des chansons aux allures de poèmes fleuves. Il dit aussi vouloir comprendre les choses pour pouvoir s’en débarrasser. Il apprend à télescoper les idées, il pousse le jeu de la gymnastique mentale toujours plus loin - Les choses étaient trop grosses pour le regard, comme le serait une bibliothèque, voir tous ces livres d’un seul coup, c’est impossible. Il fallait pourvoir en faire des chapitres ou des couplets de chansons pour en sortir quelque chose de correct - Dylan est obsédé par le contenu, car avant d’être une musique, le folk est un contenu. Il sent parfois qu’il réfléchit trop, alors qu’il n’a pas 20 ans - Dans Par Delà Le Bien et le Mal, Nietzsche dit qu’il se sentait vieux au commencement de sa vie. J’éprouvais la même chose - Serait-ce le prix à payer ? On appelle ça la maturité. Mais il revient inlassablement à l’objet de sa quête : composer des chansons - Une chose est sûre, si je voulais composer des folk songs, je devrais inventer un nouveau modèle, une espèce d’identité philosophique à l’épreuve du temps. Elle devait venir d’elle-même from the outside, de l’extérieur - S’il en parle aussi bien, c’est qu’il sait qu’il va réussir. Le plus miraculeux dans cette histoire, c’est qu’à aucun moment Dylan ne cède à la prétention. Ce qu’il décrit de sa réflexion est à l’image de ses chansons : il y règne une sorte de pureté d’intention, une modestie immanente dont la seule grandiloquence serait le génie mélodique. C’est un phénomène unique dans l’histoire culturelle du monde moderne. Dylan met en gage sa probité intellectuelle, et ce geste n’a pas de prix. Mais il doit continuer de travailler son projet : «Je faisais tout très vite, je pensais, je mangeais, je parlais et je marchais vite. Je chantais même vite. Il fallait que je ralentisse mes chansons si je voulais devenir un auteur-compositeur avec des choses à dire.» Pendant quelques mois, il va vivre à droite et à gauche chez des gens qui l’hébergent. Sa seule richesse est cette foi qu’il a en son avenir : «Elle me versa une tasse de café bouillant et j’allai à la fenêtre. La ville entière se balançait sous mon nez. Je savais précisément où se trouvaient les choses. Je ne craignais pas l’avenir. Il était terriblement proche.»

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    Il dit aussi qu’une chanson, c’est comme un rêve qu’on essaye de rendre vrai. Le soir il chante et joue au Gaslight qui est à l’époque le club le plus réputé de la scène folk new-yorkaise. Un jour, une certaine Terri propose à Dylan de prendre rendez-vous avec Jac Holzman, le boss d’Elektra, un label folk new-yorkais, mais Dylan décline la proposition : «I don’t want to sit down with anybody, no.» Il est très bien comme il est, il joue aux cartes, boit des coups, fume ses clopes et le soir, il monte sur scène au Gaslight. Quand il rencontre John Hammond Sr, l’homme qui va le signer sur CBS, c’est complètement par hasard : il accompagne un mec à la guitare et à l’harmo. John Hammond le trouve intéressant et lui propose un contrat. Dylan lui fait confiance. Où je signe ?

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    Lorsqu’il se retrouve à la Nouvelle Orleans en 1989 pour enregistrer Oh Mercy et que Daniel Lanois lui demande s’il a des chansons du calibre de ses grands hits des années 60, Dylan lui dit non. Pourquoi ? Parce que c’est impossible : «Je ne pourrais plus composer ce genre de chansons aujourd’hui, ni pour lui, ni pour personne d’autre. Pour les composer, il faut du pouvoir et le contrôle des spirits. Je l’ai fait une fois, et une fois, c’est assez. Mais il se peut très bien que quelqu’un réussisse à le faire, quelqu’un qui serait capable de voir le cœur des choses, la vérité des choses, pas de façon métaphorique, bien sûr, je parle du vrai regard, celui qui permet fixer le métal et le faire fondre, le regard qui permet de voir les choses et de les révéler pour ce qu’elles sont avec des mots crus et une vicieuse perspicacité.» Il pousse d’ailleurs le bouchon assez loin en expliquant qu’il fait une musique archaïque, sur ce nouvel album. Il n’ose pas le dire à Daniel Lanois, mais c’est ce qu’il ressent. Dylan pense que l’avenir est chez les rappers comme Ice-T et Public Enemy - Une nouvelle star allait apparaître, mais pas une star comme Presley. Il n’irait pas remuer les hanches en fixant les minettes. Il allait chanter avec des mots crus et bosser 18 heures par jour - Dylan sait qu’il doit évoluer parce que le mode évolue. C’est la métaphore du mouvement, qu’il illustre en disant qu’on compose mieux lorsqu’on est en mouvement, dans un train par exemple. Composer en mouvement dans un monde en mouvement. C’est l’un des grands secrets de Dylan, le secret de sa modernité. Il l’a d’ailleurs illustrée de façon spectaculaire avec le never ending tour, cette tournée devenue mythique qu’il voulait imprévisible, aussi bien au niveau des dates que de la composition du groupe qui l’accompagnait sur scène. À l’image de la vie. Qu’est la vie sinon un mouvement perpétuel ?

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    Quand il parle des femmes, il sait se montrer délicieusement mystérieux. Voici ce qu’il dit de Suze Rotolo, sa première poule officielle : «La chose que j’aimais en elle, c’est qu’elle ne laissait croire à aucune personne qu’elle lui devait son bonheur. Pas plus à moi qu’aux autres.» Il est encore plus délicieusement mystérieux quand il parle du paradis : «J’aimais la nuit. Les choses grandissent la nuit. C’est là où mon imagination se débride. Je perds toutes mes idées pré-conçues. Parfois vous cherchez le paradis au mauvais endroit. Il est parfois sous vos pieds. Ou dans votre lit.»

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    Et puis voilà les portraits. Le film de Scorsese, No Direction Home fait d’ailleurs écho à Chronicles, car Dylan y salue tous les géants de la scène folk new-yorkaise des early sixties, Odetta, Dave Van Ronk, Woody Guthrie et tous les autres. Il s’est aussi construit avec ces rencontres. Le nombre d’hommages qu’il rend dans ce petit livre est considérable. À la différence de Cash ou de Ronnie Wood, Dylan ne se met jamais en valeur, il met les autres en valeur, c’est sa façon de les remercier. Les gens intelligents ne disent jamais qu’ils sont intelligents, par contre ceux qui ne le sont pas abuseront facilement de cette prétention.

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    Fred Neil apparaît très vite dans le récit. Dylan le rencontre au Café Wha?. Fred Neil y chante et y officie en plus en tant que Maître de Cérémonie : il engage les artistes - Il était l’empereur de l’endroit, il avait son harem et ses dévots. On ne pouvait l’approcher. Tout s’organisait autour de lui (...) Je n’ai jamais chanté mes chansons au Café Wha?. J’accompagnais Neil et c’est ainsi que j’ai commencé à jouer régulièrement à New York - Mais ça ne s’arrête pas là, Dylan se trouve de sacrés points communs avec cet extraordinaire artiste qu’est Fred Neil : «Il semblait n’avoir aucune aspiration. On était très compatibles, on ne parlait jamais de nous. Il était comme moi, poli mais pas plus, not overly friendly, il me donnait un peu de blé en fin de journée et me disait : ‘Tiens, ça t’évitera d’avoir des problèmes’.» Dylan l’observe, ce vieux Fred - J’ai demandé un jour à Neil s’il avait enregistré des disques et il m’a répondu : ‘Ce n’est pas mon truc.’ Il cultivait sa zone d’ombre, mais aussi puissant fut-il, il lui manquait quelque chose en tant qu’interprète. Je ne savais pas quoi, exactement. C’est en voyant Dave Van Ronk que j’ai compris - L’éclairage arrive avec le grand portrait de Van Ronk, vers la fin du récit.

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    Dylan nous ramène sur un plateau d’argent un gigantesque Van Ronk avec sa moustache de cachalot et ses longs cheveux raides - Il tournait chaque folk song en surreal melodrama, en pièce de théâtre, avec du suspense jusqu’à la dernière minute. Il allait au fond des choses. On aurait dit qu’il disposait d’une réserve infinie de poison et j’en voulais encore. Van Ronk semblait venir d’une époque très ancienne. Chaque soir, j’avais l’impression d’être assis au pied d’un monument battu par les vents. Il chantait des folk songs, des standards de jazz, du Dixieland et des blues ballads, ses chansons étaient à la fois délicates, expansives, personnelles, historiques et volatiles - C’est ainsi que Dylan fait la différence entre Van Ronk et Fred Neil : d’un côté le chanteur et de l’autre le bateleur. Et il repart de plus belle sur Van Ronk : «Il était bâti comme un bûcheron, il buvait sec, parlait peu et avançait machines avant toutes.» Et Dylan achève ce portrait avec la chute des chutes, un exercice dans lequel il est passé maître : «Il dominait la rue comme une montagne et ne voulait pas entendre parler de célébrité. Il ne donnait que ce qu’il voulait bien donner. Personne n’aurait pu le manipuler. Il était immense et je devais lever les yeux pour le voir. Il venait du pays des géants.» Sans doute a-t-on là la chute la plus spectaculaire d’un ouvrage plutôt riche en chutes spectaculaires. Son autre grand héros est bien sûr Woody Guthrie, dont il va faire son modèle. Dylan parvient à le dénicher lorsqu’il arrive à New York : Woody Guthrie se trouve au Greystone Hospital de Morristown, dans le New Jersey. Alors Dylan s’y rend en bus, une heure et demie de trajet suivie d’une balade à pieds jusqu’à l’hosto perché sur une colline. Pour Dylan, Woody Guthrie is the true voice of the American spirit. Quand il découvre les chansons de Woody Guthrie, Dylan est fasciné : «Je n’en revenais pas. Guthrie avait une prise incroyable sur les choses. Il était si poétique, si dur et si rythmique. Il y avait tellement d’intensité.» C’est la diction et les textes de Guthrie qui le fascinent, certains de ses mots ont du punch, ses chansons échappent à toutes les catégories - Il y avait de l’humanité dans ses chansons, aucune d’elles n’était médiocre. Rien ne pouvait résister à Woody Guthrie. Pour moi, il était l’épiphanie, une sorte de grosse ancre marine plongée dans l’eau du port -

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    Forcément le jeune Bob apprend ses chansons, puis il met le grappin sur son autobio, Bound For Glory, et c’est un choc équivalent à celui qu’il éprouva à la découverte de Rimbaud : «Je l’ai avalé d’un trait, concentré sur chaque mot, et ce livre chantait en moi comme une radio. Guthrie écrit comme le vent et sa musique vous embarque. Ouvrez le livre à n’importe quelle page, et vous décollez.» Et il applique à Woody Guthrie le même traitement qu’à Van Ronk, celui de la chute spectaculaire : «Il est le singing cowboy, mais il est encore plus que ça. Woody est une âme poétique, le poète de la croûte de crasse et de la purée de bouillasse, il divise le monde en deux, d’un côté ceux qui travaillent et de l’autre ceux qui ne travaillent pas. Ce qui l’intéresse, c’est de libérer la race humaine de ses chaînes. Il veut créer un monde qui soit digne du genre humain. Bound For Glory is a hell of a book. Un livre énorme. Presque trop énorme.»

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    Au Café Wha?, Dylan rencontre aussi Karen Dalton qu’il admire car dit-il elle chante comme Billie Holiday et joue de la guitare comme Jimmy Reed. Il croise aussi le chemin de Moondog qui chante principalement sur la 42e rue. Plus loin il salue Roy Orbison, qu’il entend à la radio, qui chante sur quatre octaves et qui peut réveiller des morts. Il découvre que ses chansons contiennent des chansons et qu’il passe des accords majeurs aux accords mineurs sans aucune logique. L’une de ses rencontres les plus spectaculaires est sans doute celle de la bibliothèque de Ray, le mec qui l’héberge. C’est un vertige, d’autant qu’il cite les noms de mémoire et pas seulement les noms, il feuillette et se souvient de Thucydide, de Périclès, de Gogol et de Balzac, un Balzac qu’il trouve poilant - Sa philosophie est simple, il dit que le matérialisme engendre la folie. Balzac ne croit qu’en la superstition. Il analyse tout. Gérer son énergie, c’est le secret de la vie. On apprend des tas de choses avec lui. C’est une compagnie très amusante. Il porte une robe de moine et boit du café toute la journée. Trop de sommeil ralentit son esprit. Si une de ses dents tombe, il se demande ce que ça signifie. Il interroge tout. Si sa manche prend feu à cause de la chandelle, il se demande si c’est bon signe. Balzac est hilarant - Croiser Balzac dans un Dylan book, c’est un peu la même chose que de croiser Baudelaire dans un Hell book. Dylan revient à cette bibliothèque extraordinaire et se souvient aussi de Machiavel et de Dickens, de Dante et de Rousseau, des Métamorphoses d’Ovide et de Sophocle, de Faulkner et des poètes, ceux qu’il préfère, comme Byron, Shelley, Longfellow et Poe, il s’amuse à mémoriser The Bells de Poe pour le chanter en s’accompagnant à la guitare.

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    Puis Leopardi et Freud, et les Russes, Pouchkine et Dosto, puis Tolstoï qui l’impressionne car il est allé mourir dans les bois à 82 ans. Comme Debord, Dylan flashe aussi sur Clausewitz, le «premier philosophe de la guerre». Dylan trouve dans son portrait une ressemblance avec Montgomery Clift - D’une certaine façon, Clausewitz est un prophète. Sans que vous vous en rendiez compte, certaines de ses pages peuvent façonner vos idées. Si vous pensez être un rêveur, vous comprendrez que vous êtes incapable de rêver après l’avoir lu. Le rêve est dangereux. Lire Clausewitz, c’est une façon de vous prendre un tout petit moins au sérieux - Comme dirait Dickinson, méditez là-dessus.

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    Dylan croise aussi Bobby Neuwirth qu’il compare à Neal Cassidy, personnage principal d’On The Road de Jack Kerouac. Dylan trouve dommage que personne n’ai immortalisé Neuwirth - He was that kind of character. Il pouvait parler aux gens et leur siphonner toute leur intelligence - Et il ajoute que Neuwirth avait du talent, mais absolument aucune ambition - On aimait les mêmes choses, on choisissait les mêmes chansons sur le juke-box - Il admire aussi Bobby Vee - Je n’ai pas revu Bobby Vee pendant trente ans, et bien que les choses aient changé, je l’ai toujours considéré comme un frère. Chaque fois que je lis son nom quelque part, c’est comme s’il se trouvait dans la pièce -

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    Dylan aime bien Crosby aussi, parce qu’il le trouve coloré et imprévisible, avec sa cape de Mandrake le Magicien - Il ne s’entendait qu’avec très peu de gens et avait une voix magnifique, un architecte des harmonies. Il jouait alors avec la mort et pouvait semer la panique dans un quartier entier, mais je l’aimais beaucoup. Il n’avait rien à faire dans les Byrds - Il rend un hommage très particulier à Al Kooper. Ce petit chef-d’œuvre elliptique est du pur Dylan, elliptique et précis en même temps : «Kooper était un découvreur de talents, l’Ike Turner des blancs. Il avait besoin d’une chanteuse dynamique, et Janis Joplin aurait été parfaite pour lui. Je l’ai dit à Albert Grossman, l’homme qui fut mon manager et qui est ensuite devenu celui de Janis. Grossman m’a répondu que c’était le truc le plus stupide qu’il ait entendu. Mais je ne trouvais pas ça stupide. Au contraire, je voyais juste. Hélas, Janis allait disparaître et Kooper allait sombrer pour l’éternité dans le grand limbo musical. J’aurais dû être manager.» Quand il est à la Nouvelle Orleans, Dylan va au Lion’s Den Club écouter Irma Thomas, one of my favorite singers. Il a pensé à lui demander de duetter avec lui sur une chanson ou deux, comme, dit-il, Mickey and Sylvia, mais ça ne s’est pas fait - That would have been interesting - Du pur Dylan.

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    On l’a dit plus haut, les quelques pages qu’il consacre à la Nouvelle Orleans sont spectaculaires. Il vient y séjourner seul pour rencontrer Daniel Lanois et enregistrer l’album Oh Mercy. Tout le détail est dans le book. Ils fondent la qualité de leur relation sur une première discussion. Comme il faut constituer un orchestre, Lanois demande à Dylan s’il pense à des musiciens en particulier, et Dylan lui dit non. Puis Lanois indique que les hit records ne l’intéressent pas, arguant que Miles Davis n’en a jamais eu. Alors Dylan qui se régale d’entendre ça écrit que l’argument lui plaît beaucoup. Ces gens-là parlent peu mais ils parlent bien. Dylan précise que Lanois est un mec du Nord, qu’il vient de Toronto - chaussures de neige, mode de pensée abstrait - et il ajoute que les gens du Nord ne s’inquiètent pas quand ça caille car ils savent qu’il refera chaud. Et inversement, il refera froid - Le truc que j’appréciais chez Lanois c’est qu’il n’aimait pas flotter à la surface. Ni même nager. Il voulait sauter et plonger au plus profond. Il voulait épouser une sirène. Ça me plaisait - Si Dylan descend à la Nouvelle Orleans sans musiciens ni équipement c’est dit-il pour tester Lanois - J’espérais qu’il allait me surprendre. Et il m’a surpris - Le pauvre Lanois devait être ému de lire ça. On ne peut décemment espérer plus bel éloge. Du coup on prend Lanois un peu plus au sérieux, même si on voit son nom associé à des artistes qu’on n’aime pas trop. Après Oh Mercy, il fera d’ailleurs un autre album avec Dylan, Time Out Of Mind.

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    Dylan profite des sessions d’enregistrement d’Oh Mercy pour nous pondre un conte magique : «Pendant le final de ‘Where Teadrops Fall’, le joueur de sax John Hart joua un solo qui me coupa le souffle. Je me suis penché en avant pour voir son visage. Il était resté assis dans l’ombre toute la soirée et je ne l’avais pas remarqué. Cet homme ressemblait à s’y méprendre à Blind Gary Davis, le révérend que j’avais bien connu et suivi pendant toute une époque. Qu’est-ce qu’il foutait là ? C’était exactement le même type, même menton, mêmes joues, mêmes lunettes noires, même corpulence, même taille, même long manteau noir. C’était incroyable ! Le Révérend Gary Davis, l’un des sorciers de la musique moderne, il semblait superviser l’ensemble. Il me regarda d’une façon bizarre, comme s’il pouvait voir au-delà du moment présent. Soudain, je sus que j’étais exactement au bon endroit, au bon moment pour faire le bon truc et que Lanois était the right cat. J’eus l’impression d’avoir tourné au coin de la rue et d’être tombé face à face avec Dieu.» Il écrit comme il chante, bien sûr, avec des élans lyriques qui font de lui l’artiste que l’on sait, the one and only Bob Dylan. On sent battre le cœur de certaines pages. Cette prose est d’une grande pureté et Dylan déroule son fil de pensée comme un fil magique.

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    Il rend aussi hommage à Sam Phillips pour «avoir créé les disques les plus vitaux et les plus puissants de l’histoire du rock». À côté des disques Sun, les autres disques paraissent sucrés, dit-il - Sur Sun Records, les artistes semblaient mettre leur vie en jeu et venir des régions les plus mystérieuses de la planète - C’est exactement ça. Il rend hommage à Cash et en particulier à «Walk The Line», et encore plus précisément à la façon qu’a Cash de dire les choses - I keep a close watch on this heart of mine - avec sa grosse voix, Cash, dark and booming, the rippling rhythm and cadence of click-clack, oui il y a un truc qui ne lui a pas échappé - Quand j’entendis «I Walk The Line» il y a longtemps, j’eus l’impression qu’une voix me disait : ‘Que fais-tu là, boy ?’ et j’essayais moi aussi de garder les yeux grand ouverts - Hommage aussi à Leiber & Stoller - They were the masters of the Western World, ils ont écrit toutes les chansons populaires, avec des mélodies soignées et des paroles simples qui devenaient si puissantes à la radio - Dylan encense le Brill et Neil Sedaka en particulier parce qu’il composait et interprétait ses propres chansons. Dylan ajoute pour conclure ce chapitre enflammé qu’il ne connaissait pas tous ces gens-là car le Brill et la scène folk ne se mélangeaient pas.

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    Puis arrivent tous les gens qu’on voit dans le film de Scorsese, à commencer par John Jacob Niles, «a Mephistolean character out of Caroline, il s’accompagnait d’une sorte de harpe et chantait d’une voix de soprano qui donnait des frissons. Niles était surréaliste et illogique, terriblement intense et vous donnait la chair de poule. On aurait pu le prendre pour un sorcier.» Puis Joan Baez bien sûr - Tout ce qu’elle faisait fonctionnait, mais il le dit à l’envers, Nothing she did didn’t work, le simple fait de savoir qu’elle avait le même âge que moi me faisait me sentir inutile - Et plus loin il opère un curieux rapprochement : «Comme John Jacob Niles, elle était assez étrange. J’avais la trouille d’elle.» Mais il en revient toujours à l’essentiel : «Peu de gens savent convaincre avec des chansons. Vous devez croire ce que dit le chanteur ou la chanteuse. Joan savait vous convaincre.» La meilleure preuve de ce qu’avance Dylan se trouve dans le Woodstock movie : Joan Baez chante «I Dreamed I Saw Joe Hill Last Night» (Alive as you and me) a capella et c’est sans doute le moment le plus émouvant d’un film pourtant riche en grands moments. D’autres portraits extrêmement bien foutus guettent le lecteur imprudent, des portraits de gens comme Lord Buckey, Luke Askew qui nous dit Dylan chantait comme Bobby Blue Bland ou encore Len Chandler qui chantait du quasi-folk avec énergie «et qui avait un truc que les gens appellent le charisme». Et puis voilà le portait d’un dandy à l’américaine, Paul Clayon, et sous la plume de Dylan, on imagine une sorte de Christopher Walken - Clayton était unique, en partie Yankee gentleman et en partie Southern rakish dandy. Il ne portait que du noir et citait Shakespeare. Il passait son temps entre New York et la Virginie. On est devenus amis. Ses compagnons étaient des gens qui fuyaient la ville comme lui, a cast apart - ils avaient de l’attitude, mais ça restait entre eux - D’authentiques anti-conformistes, des bagarreurs, mais pas dans le genre des personnages de Kerouac, pas ceux qui courent les rues et qu’on reconnaît. J’appréciais beaucoup Clayton et ses amis. Grâce à Paul, j’ai rencontré des gens qui me proposaient de m’héberger en cas de besoin et de ne pas me faire de souci pour ça.

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    Comme toujours, on garde le meilleur pour la fin : Robert Johnson. La découverte de Robert Johnson a chez Dylan le même retentissement que celle de Woody Guthrie. C’est John Hammond Sr qui lui offre l’acétate d’un album de Robert Johnson alors complètement inconnu. L’album va paraître sur CBS. Dylan en tombe dingue - Ses coups de guitares auraient pu casser les carreaux. Quand Johnson commençait à chanter, il semblait sortir tout droit de la tête casquée de Zeus. J’ai tout de suite compris qu’il était différent de tous les autres. Ses chansons n’étaient pas que des simples blues. Il s’agissait de chansons extrêmement perfectionnées, chacune d’elles comprenait quatre ou cinq couplets et chaque couplet interférait avec le suivant, mais pas d’une façon directe. Tout chez lui n’était que fluidité - C’est donc de là que vient le rocking Bob Dylan, de cette perfection arrachée à l’oubli par John Hammond Sr. Dylan fait écouter l’acétate à Dave Van Ronk qui se montre sceptique. Van Ronk est un érudit du blues. Il dit que Robert Johnson vient de Leroy Carr, de Skip James et d’Henry Thomas - Dave pensait que Johnson était okay, qu’il était puissant mais qu’il n’avait rien inventé - Et Dylan ajoute un peu plus loin : «En 1964 et 65, j’ai probablement utilisé 5 ou 6 blues song forms de Robert Johnson, de façon inconsciente, mais plus sur l’aspect imagerie poétique des choses (the lyrical imagery side of things).» Et en guise de conclusion paranormale, Dylan raconte une belle anecdote : «Johnny Winter, le flamboyant guitariste texan né deux ans après moi, a ré-écrit la chanson de Johnson à propos du phonographe, pour en faire une chanson à propos d’un poste de télévision. Dans la chanson, la télé de Johnny est morte et il n’y a pas d’images. Robert Johnson aurait adoré ça. Johnny a aussi enregistré l’une de mes chansons, ‘Highway 61 Revisited’, qui fut aussi influencée par Johnson. C’est drôle comme les boucles se referment. Le code de langage de Robert Johnson est différent de tout ce que j’ai entendu avant ou après lui.» C’est là qu’il embraye sur Rimbaud, un Rimbaud que lui fait découvrir la sexy Suze, et là Dylan met les gaz, comme s’il pilotait sa Harley : «J’aurais bien aimé qu’on me fasse découvrir Rimbaud avant. Il allait bien avec la nuit noire de Robert Johnson et les sermons survoltés de Woody. Tout était en mouvement et j’attendais de pouvoir entrer. J’allais entrer bien chargé, bien vivant et bien excité. Mais le moment n’était pas encore tout à fait venu, tough.» Il dit souvent «tough», à la fin de ses phrases, tough.

    Signé : Cazengler, Bob Divan

    Bob Dylan. Chronicles. Volume One. Simon & Schuster UK Ltd, 2004

    La suprématie des Supremes

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    La petite black qu’on voit à gauche sur l’illusse, c’est Mary Wilson. Florence Ballard se trouve au centre et Diana la rosse à droite. Comme Mary Wilson vient de casser sa pipe en bois, nous allons tenter de saluer les Supremes.

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    Les Supremes ont pendant dix ans incarné la magie Tamla Motown. L’Amérique entière jerkait sur le beat Tamla. Diana Ross, Florence Ballard et Mary Wilson enfilaient les hits planétaires comme des perles. Berry Gordy avait mis toutes ses ressources à leur disposition : l’orchestre maison, les fameux Funk Brothers et surtout ses compositeurs maison, des équipes qu’il payait à l’année pour composer des hits, notamment le trio Holland/Dozier/Holland. Berry Gordy avait construit un Brill Building à l’intérieur du Hitsville, USA. Il produisait ses hits à la chaîne. Motown devint l’un des plus gros labels indépendants d’Amérique. Un label de musique noire monté par un noir, c’était sans précédent dans un pays où la ségrégation régissait encore les codes sociaux, même après le vote des lois en faveur des civil rights. Les autres labels de musique noire étaient dirigés par des blancs (Chess, King, Fortune, Excello, Stax, etc.). Ces gens-là empochaient les pesetas et éprouvaient d’insurmontables difficultés à les redistribuer. Et on ne parle même pas des petits labels qui payaient les bluesmen noirs avec des bouteilles de whisky.

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    Pour protéger ses artistes, Berry Gordy a dû bâtir en empire. Tous les géants de la Soul étaient sur Motown : les Tempations, Smokey Robinson, Marvin Gaye, mais aussi les géantes : Martha Reeves, Mary Wells, les Supremes et des tas d’autres. Il existe une ribambelle de singles magiques. Puis quand le marché s’est transformé et que le public se mit à préférer les albums, Gordy a augmenté la cadence pour produire des albums à la chaîne.

    L’âge d’or des Supremes va en gros de 1962 à 1969. En 1970, Motown semblait avoir perdu son âme. Le son avait évolué, mais de façon bizarre. Obsédé par sa stratégie de pénétration du marché blanc, Gordy avait fini par blanchir le Motown Sound. La diskö acheva de détruire l’une des plus belles aventures de la musique moderne.

    Diana la rosse et Berry Gordy ont comme tout le monde publié leurs mémoires. Mary Wilson et Florence Ballard aussi, et il vaut peut-être mieux commencer par elles. Les témoignages des personnages de second plan sont toujours plus riches. D’autant plus qu’on découvre, à la lecture des souvenirs de Florence et de Mary que Diana Ross portait bien son nom : une vraie rosse, capable de tout pour réussir.

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    C’est Florence Ballard qui est à l’origine du groupe. Le nom du trio, c’est elle qui le propose. Elle aurait dû devenir riche comme Diana et vivre heureuse. Mais la machine Ross/Gordy l’a broyée. Son histoire racontée dans le petit livre de Peter Benjaminson, The Lost Supreme, est une véritable tragédie. À 21 ans, Flo était une superstar. À 32 ans, elle mourait dans la pauvreté. En dix ans, elle est passée du statut de superstar à celui de RMIste, avec trois fillettes à charge et un mari absent. Elle est morte d’un accident coronarien. Devenue dépressive, elle buvait de la bière et se croyait alcoolique. Atroce. La seule qui l’aidait un peu, c’était Mary Wilson.

    Dans son admirable introduction, Benjaminson affirme que des trois Supremes, Flo avait la plus belle voix et qu’elle pouvait rivaliser de Soul power avec Aretha. Il dit plus loin qu’elle était grande, sensuelle et dotée d’un caractère indépendant, comme Martha Reeves et Mary Wells qui quittèrent Motown assez rapidement, lassées de se faire plumer vivantes. Flo savait aussi composer, mais pour une raison qui lui échappait, Berry Gordy ne voulait pas de ses chansons, alors que les autres Supremes les trouvaient bonnes - For some reason, me and Berry didn’t click.

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    Des trois amies d’enfance, Diana était la plus déterminée. Elle impressionnait Berry Gordy par sa pugnacité, son ambition et son talent. Qui se ressemble s’assemble, dit-on. Et Ross admirait Gordy pour les mêmes raisons. Non seulement elle le vénérait, mais elle flirtait avec lui et fit tout pour se le farcir. Leur relation débuta en 1965 et malheur à celles qui allaient essayer d’entraver l’ascension de Diana Ross. Les anecdotes concernant son comportement odieux vis-à-vis de Mary et de Flo pullulent. Ross arrachait des micros des mains des autres et manipulait Berry pour que les Supremes deviennent le backing band de Diana Ross, ce qui finit par se produire. Et au passage, Flo fut éjectée sans ménagement, car sa classe faisait de l’ombre à Diana Ross.

    L’autre aspect terrible de cette époque est le rapport à l’argent. Au terme d’une première tournée de trois mois à travers les USA et avec un numéro un au hit-parade, elles n’avaient pas un rond. On avait défalqué tous leurs frais des recettes de la tournées : publicité, chambres d’hôtels et sandwiches. C’était inscrit dans leur contrat. Elles devaient rembourser tous les frais occasionnés. Bien sûr, on ne leur montrait pas les comptes. Flo : « We were just working and Berry Gordy was the pimp. » Flo traite Berry de mac et elle a raison. Il était le seul à s’enrichir et les artistes ne gagnaient pas un rond. Elle signèrent un nouveau contrat : leur salaire de 50 $ par semaine passa à 225 $. Gordy leur expliquait que l’argent des royalties qui coulait à flots était investi sur un compte, dans leur intérêt, bien sûr. Flo ne vit jamais cet argent. Benjaminson estime qu’on lui devait plusieurs millions de dollars, car les Supremes vendaient des millions de disques et se trouvaient au sommet des charts du monde entier. Les filles ne savaient pas à l’époque qu’il fallait demander à voir les comptes et payer un avocat.

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    Flo fut virée des Supremes à l’été 1967 par Gordy.

    — You’re fired !

    — I’m what ?

    — You’re fired !

    — I’m not !

    Flo eut beau lutter, elle était foutue. Elle n’avait que 24 ans et Gordy l’avait brisée net. L’épisode vida Flo de toute son énergie et de toute sa joie de vivre. Cet été-là, les Supremes devinrent Diana Ross and The Supremes. Gordy voulait faire de Diana une superstar, il fallait que Flo dégage. Un nommé Michael Roshkind lui fit signer un document certifiant qu’elle n’était plus rien et qu’elle renonçait à tout. Choquée, elle refusa de signer ce torchon, puis brisée par le chagrin et par un tel affront, elle finit par le signer et éclata en sanglots. Elle se ressaisit un peu plus tard en engageant Leonard Baun qui réussit à obtenir des sommes importantes en guise de dédommagement (environ 500 000 $) mais la pauvre Flo ne palpa pas un seul billet, car évidemment l’avocat Baun empocha tout. Elle entra dans le tourbillon judiciaire pour essayer d’obtenir justice et de récupérer son bien, mais c’était trop tard. Elle n’avait plus un rond, plus de maison, plus de bagnole, plus de mari et donc plus les moyens de se battre. Les deux ou trois tentatives de redémarrage de sa carrière se soldèrent par des flops inexplicables. Elle comprit alors qu’il ne lui restait plus qu’une seule chose à faire : disparaître. Ce qu’elle fit. L’horreur, c’est que Diana Ross ramena sa fraise aux obsèques alors qu’elle n’était pas invitée et qu’elle se fit photographier avec Lisa, la plus petite des trois filles de Flo. Bien entendu, la photo fit le tour du monde. Une fois la foule partie, il ne restait plus autour de la tombe que Mary Wilson, les Four Tops et les proches de Flo. Zola aurait pu écrire cette histoire terrible.

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    Dans ses deux livres de souvenirs, Mary Wilson règle aussi ses comptes avec cette rosse de Diane - She has done many things to hurt, humiliate and upset me, but strangely I still love her - Mary Wilson est une nature étrange, elle a su écraser sa banane au moment où on virait sa copine Flo comme une chienne. Mary est la Supreme qui a tenu le plus longtemps. Elle dut même affronter Berry Gordy qui ne voulait plus entendre parler des Supremes, puisqu’il finançait la carrière de Diana Ross. Mary raconte aussi que cette rosse de Diane s’est frittée avec toutes les stars de Motown : Mary Wells, Dee Dee Sharp, Brenda Holloway et surtout Martha Reeves. Elle raconte aussi comment cette rosse monopolisait les interviews en répondant aux questions posées à Flo et à Mary. Bien sûr, ce livre n’a d’intérêt que pour l’hommage rendu à Flo. Aux yeux de Mary, Flo était la meilleure. Elle sonnait comme Aretha. Mary vit aussi Flo commencer à sombrer. Elle picolait et prenait du poids, ce que lui reprocha Gordy un soir dans un club :

    — Tu dois perdre du poids ! You are much too fat !

    — J’en ai rien à foutre de ce que tu penses ! Et elle lui balança son verre à la figure et sortit du club en trombe. Elle venait de se faire un ennemi qui allait avoir sa peau. Pour corser l’affaire, Flo ne venait plus aux concerts et les Supremes devaient chanter à deux. Alors Gordy décida de chercher une remplaçante. Il lui redonna une chance, mais dès qu’elle prenait un verre, Diana appelait Berry. Ça ne pouvait plus durer. Elle fut convoquée dans le bureau de Berry Gordy. Comme Peter Benjaminson, Mary Wilson revient sur ce sinistre épisode. Flo arriva accompagnée par sa mère. Mary et Diane assistaient aussi à la sombre. Flo réussit à garder son sang-froid, mais sa mère éclata en sanglots quand Berry lui expliqua que sa fille ne voulait plus faire partie des Supremes. Une fois Flo et sa mère parties, Berry et Diane semblèrent soulagés. Cette sale rosse de Diane lança :

    — Free at last, great God Almighty !

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    Mary se demandait comment ces deux-là pouvaient être aussi heureux après une exécution. On trouve aussi des pages fascinantes sur la première tournée des Supremes en 1962, les fameux packages Motor City en autobus avec les Miracles, les Marvelettes, les Contours, les Temptations, les Velvelettes, Stevie Wonder, Marvin Gaye et Mary Wells. Et bien sûr, elle évoque le racisme ordinaire en Alabama, illustré par des coups de feu dans la carlingue du bus et la panique à bord. Mais les pages les plus fascinante sont les passages plus féminins dans lesquels Mary décrit à longueur de page des séances de maquillage, les cours de style et les sommes vertigineuses investies dans la garde-robe des trois stars. Elle revient longuement sur Gordy dans son deuxième livre, Supreme Faith. Elle l’affronte pour essayer de sauver les Supremes mais elle ne fait pas le poids. Elle raconte que Gordy a tout appris à Diane et que la différence qui existait entre eux était que Gordy pouvait charmer un serpent, ce que Diane ne savait pas faire. Un peu amère, Mary concède que Motown, comme tous les autres labels de l’époque, n’avait absolument aucune considération pour les artistes. Le conseil qu’elle donne aux débutants est de comprendre le fonctionnement du show-business pour essayer ne pas se faire avoir. Et lorsqu’elle visite le musée Motown à Detroit, elle est complètement écœurée : sur les photos des Supremes, Flo a disparu. Comme si elle n’avait jamais existé. Berry Gordy pourrait bien être le Staline de la Soul music.

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    Le premier album des Supremes sortit en 1962. Il n’y avait pas de quoi se rouler par terre avec Meet The Supremes. C’était encore l’époque de la petite pop de salon de thé, une époque où on dégustait des macarons avec la voisine du rez-de-chaussée de l’avenue Montaigne. Cette musique dansait mollement dans les rideaux de taffetas rose. Gordy composait des slows ineptes et Diana et ses copines se livraient à des petites tentatives de mambo. Le seul cut dansant sur cet album était « You Bring Back Memory », l’un des premiers standards de r’n’b. On les sentait déterminées à danser le jerk de l’oie au bord de la piscine municipale. « Time Changes Things » semblait préfigurer les futurs grands hits classieux des Supremes. Un petit brin d’enchantement se dégageait de ce mid-tempo mambique, morceau plutôt agréable et visité par un solo de guitare féérique. Diana chasseresse se montrait déjà délicieusement persuasive.

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    Avec Where Did Our Love Go, on passait aux choses sérieuses. Le morceau titre de l’album était un hit sixties de la meilleure catégorie, secoué de clap-hands et de doublettes de basse. On voyait en rêve éveillé la tête de James Jamerson dodeliner au fil du beat. C’était magnifique d’élégance soul, on avait là le miel de la Detroit Soul, la pierre philosophale de l’Oncle Paul. À partir de là, elles n’allaient plus arrêter de pondre des œufs d’or : « Run Run Run » (chanté à la pince à linge, avec tout le chien des villes du Nord, pas de gras, comme chez Stax), « Baby Love » (l’effarant voile de beauté vert et brune s’abattit sur la planète, à l’image de cette pochette qui faisait rêver les ados romantiques) et surtout « Ask Any Girl » (beat suprême et enjôleur, la Soul de rêve, prodigieusement mélodique et fendeuse de cœurs, chargée de toute l’insolence de la gloire de Diana chasseresse, qui ne lâchait plus le manche du charme. Sa voix planait dans toutes les dimensions, elle filait comme une traînée d’étoiles dans le dessin animé de nos pauvres vies esquintées par la brutalité du monde adulte).

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    Sur A Bit Of Liverpool, on trouve quelques cuts des Beatles, mais aussi d’autres choses comme « House Of The Rising Sun » où elles essaient de grimper toutes les trois, mais il manque la viande d’Eric. C’est la B qui nous intéresse, car les covers des Beatles y sont brillantes, à commencer par « You Can’t Do That », chanté à la rosserie, véritable hit de jerk, suivi d’une version ballocharde de « Do You Love Me ». Mais les deux pures merveilles sont les covers de « Can’t Buy Me Love » (solidement swinguée, bien dans l’énergie des Beatles), et « I Want To Hold Your Hand » qu’elles cherchent à magnifier en démultipliant les harmoniques de la féminisation outrancière. Elles vont même jusqu’à détroitiser les Beatles.

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    Autre coup de Jarnac : We Remember Sam Cooke paru en 1965. Elles sertissent « Cupid » sur la couronne de leur féminité et chantent « Chain Gang » en cadence, comme des forçats en pyjama de soie. Elles tapent ensuite dans le gros hit de Sam, « Bring It On Home To Me ». On entend Mary et Flo faire yeah derrière la Ross. C’est aussi en B que ça se corse, avec « Havin’ A Party », un vrai hit de r’n’b, pour jus de Supremes. Mary et Flo font yeah yeah yeah derrière la Ross. Elles tapent ensuite une belle version de « Shake » et le swinguent à la bonne rosserie. La perle de l’album est sans aucun doute la version d’« A Change Is Gonna Come », chanté au chat perché de rêve et admirablement violonné - It’s a long long long time comin’ but I know a change is gonna come - Il semble que Marvin ait pris la suite de ce classique immensément beau. Elles terminent avec une énorme version d’« (Ain’t That) Good News ». On y admire principalement leur port altier.

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    L’album live At The Copa qui sort en 1965 fonctionne comme un bon documentaire. Oh, ce n’est pas Jerry Lee au Star Club de Hambourg. On est même aux antipodes et si on espère entendre du r’n’n endiablé, c’est raté. Diana, Mary et Flo se livraient plutôt à un numéro de music-hall et elles tapaient dans le registre des grandes chanteuses de jazz qui les avaient précédées. On ne trouvait que deux classiques de r’n’b sur ce disque : « Stop In The Name of Love », cuivré et emmené sur un beat palpitant, avec un petit vent magique, et « Back In My Arms Again », où on entend les accompagnateurs taper comme des sauvages derrière. Une vraie pétaudière.

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    La même année parut More Hits By The Supremes, un album beaucoup plus consistant. On y retrouvait l’excellent « Ask Any Girl », une vraie bénédiction, puis « Nothing But Heartaches », une monstruosité, bassmatic, tambourins, tout y est et Diana drive tout ça avec une aisance confondante. Elle incarne le pur heartbeat des sixties, l’alliance supérieure du beat masculin et du charme féminin. Le beau rouge turgescent coulisse à merveille dans le swing de voix féminine. Avec « Mother Dear », on savoure l’élégance supérieure d’une attaque de doux beat doux wah. Diana chasseresse se glisse dans le bleu de la nuit de Detroit. La véritable élégance de la Soul Motown, c’est elle qui l’incarne. Et paf ! « Stop In The Name Of Love » arrive comme un don du ciel. Certainement l’un des plus gros hits de tous les temps. Un phare dans la nuit des sixties. Les chœurs de Flo et Mary donnent le vertige. Et la production ? À tomber. Somptueuse et inégalable. Berry Grody avait réussi à créer une usine à rêves. Mais on ne pouvait pas tomber amoureux de Diana Ross parce qu’elle était trop flamboyante. Avec « Back In My Arms Again », c’est la suite - et jamais fin -  de la magie suprême. Elles enchaînaient les hits comme des perles, alors forcément, elles distançaient les concurrentes. Et avec quelle aisance ! Tambourins et big bassmatic sur « Whisper You Love Me Boy ». Elles sont littéralement portées par le son. James Jamerson rôde toujours dans les parages, sous la surface des choses.

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    En 1966, on est au cœur de l’âge d’or Motown. Les Supremes sortent deux albums : A Go-Go et I Hear A Symphony. A Go-Go contient son petit lot d’énormités, comme par exemple « Love Is Like An Itching In My Heart », Soul magique de sucre d’orge chantée d’une voix de pinsonne éberluée, archétype des années légères et lumineuses. Et le festival continue avec « This Old Heart of Mine », nouvelle conjugaison coulissante du gros beat et du softy softah moelleux. « You Can’t Hurry Love » est un autre hit déterminant des sixties, chanté avec charme mais sans puissance, juste une ampleur bien définie, un petit côté féérique. Diana monte dans son registre en sucre d’orge et chante à merveille le tranché du beau. Et ça continue comme ça jusqu’à la fin de cet album mirobolant. Il semblait à l’époque que Diana Ross incarnait une certaine forme d’aristocratie de la Soul. On la sentait un peu princesse. James Jamerson fait un numéro de haute voltige dans la reprise de « These Boots Are Made For Walking ». Sur la B se nichait un autre hit exceptionnel, « I Can’t Help Myself », gorgé de l’excellence du groove jerky. Jamerson nous pulsait ça au prorata de l’élégance suprême. Diana chasseresse modulait à l’infini le doux sucré du miel de voix et nous embobinait pour de bon. Elles finissaient l’album avec deux curiosité kitschy-bitchy, « Come And Get These Memories » (un hit composé pour Martha & the Vandellas qu’elles traitent au mid-tempo joliment swingué) et « Hang On Sloopy » (bien mambique, dans l’esprit de ce que faisait Bert Berns, grand amateur de rythmes cubains).

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    On se régale tout autant d’I Hear A Symphony. Le morceau titre relève une fois de plus de la magie. Les Supremes étaient probablement les seules à savoir proposer ce mélange de puissance rythmique et de délicatesse vocale. Diana Ross était une petite personne raffinée au grain de voix sucré et pointu. C’est ce mélange qui a fait la force des Supremes. Les trésors se trouvent sur la B. « My World Is Empty Without You » illustre la grandeur du Motown Sound. On le sucré et la beauté. On sent bien que ces hits de Soul étaient destinés à traverser les siècles, car ils étaient parfaits. Grande classe encore avec « Any Girl In Love », chœurs à la clé et toute l’innocence des petites blackettes de Detroit. Lamont Dozier et les deux Holland fourbissaient des compos de rêve. Ces trois mecs savaient swinguer la beauté formelle. Dans ce morceau, on retrouve l’éclat magique de « Jimmy Mack », lorsque les voix croisent les notes de basse dans les octaves. Ultime énormité avec « He’s All I Got », swingué à la manière forte.

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    The Supremes Sing Holland Dozier Holland et The Supremes Sing Motown proposent exactement les mêmes morceaux. Ils font partie des très grands albums des Supremes. La fiesta commence avec « You Keep Me Hangin’ On », encore un hit absolu des sixties. L’an prochain il aura cinquante ans d’âge et il n’a pas pris une seule ride. On a un groove suprême avec « Love Is Love And Now You’re Gone ». Comme Esther Phillips, les Supremes définissent les conditions des jours heureux. Elles flottent au sommet de la légende Motown. Dans « Mother You Smother You », Diana se tortille au sommet du beat gracile. Cut après cut, on patauge dans l’excellence. « It’s The Same Old Song » fut composé par le trio pour les Four Tops et elles en font une version fraîche et juteuse. Encore un merveilleux jerk de cave avec « Going Down For The Third Time » et retour à la good time music avec « Love Is In Our Hearts », excellence de la belle ambiance, groove princier et harmonies vocales sucrées. Que te faut-il de plus ? C’est à ce genre de morceau enchanté qu’on mesure le talent des compositeurs. À ce niveau d’excellence, on pense à Burt Bacharach et à Gainsbarre. Beau jerk des familles avec « There’s No Stopping Us Now ». Ça repart au tambourin et aux doublettes de basse jumpy. C’est hallucinant de grandeur productiviste. Diana et ses amies restent perchées au sommet de l’excitation. Elles ont su rendre leur époque délicate.

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    Avec The Supremes Sing Rogers & Hart, on se retrouve à Broadway. Little Willie John rêvait de devenir Frank Sinatra. Les Supremes devaient rêver de devenir Liza Minnelli. Sur cet album, elle étaient accompagnées par un big band. La seule trace du Motown sound, c’était la voix sucrée de Diana. En B, elles revenaient enfin au son de base avec « My Heart Stand Still » et retrouvaient tous les tenants et les aboutissants du beat Moyown, veiné de frais, vibrant d’allure, palpitant et arrogant. La perle de cet album s’intitulait « Falling In Love With You », une jolie pièce de good time music qui rappelait à quel point les Supremes se situaient dans l’excellence.

    C’est à là que Flo est virée. Pendant que Diana Ross et les Supremes se produisent dans les clubs prestigieux, Flo sort chaque nuit après que ses filles se soient endormies et roule dans les rues de Detroit jusqu’à l’aube en écoutant les cassettes de son ancien groupe. Et quand elle n’aura plus de bagnole, elle marchera des nuits entières, errant dans les quartiers au hasard - It was like I was in a daze. It was like I didn’t care anymore. I had given up - Flo avait renoncé définitivement.

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    Attention : Diana Ross & The Supremes Join The Temptations est une bombe atomique. En matière de Soul suprême, il n’existe rien au dessus de cet album. C’est le super-groove de Detroit, embarque par Eddie Kendricks d’un côté, et de l’autre, Diana, Mary et Cindy Birdsong, la remplaçante de Flo. « Ain’t No Mountain High Enough », c’est tout simplement la Soul du diable. Le mélange des genres donne le vertige. Eddie et Diana, c’est une expérience extrême. « I’m Gonna Make You Love Me » atteint les sommets. Diana essaie de monter comme Eddie, mais elle peine à suivre ce démon. Ils tapent dans Burt avec « This Guy’s In Love With You ». C’est mélodiquement pur, une vraie plage de bonté pour l’esprit. Mielleux à souhait, la Soul à son sommet, dotée de contrechants à l’unisson du saucisson. Mais là où ils dépassent les bornes, c’est avec la version de « Funky Broadway ». C’est d’une violence indescriptible. Diana arrive là-dedans comme un ange de la mort noire. En B gigotent d’autres puissantes merveilles, comme « I’ll Try Something New » et son mélange capiteux des deux tons de Soul. Mais les Temptations swinguent dix mille fois plus que les Supremes. James Jamerson démarre « A Place In The Sun » à la basse. « Sweet Inspiration » est un fantastique jerk de grosse caisse secoué aux clap-hands et emmené à l’énergie du gospel batch. Imbattable. Et ils osent taper dans l’inaccessible étoile de Jacques Brel. Ils essaient de monter, mais c’est impossible. Personne ne peut aller rejoindre Brel là-haut.

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    Reflections assoit encore un peu plus la suprématie des Supremes. Que de hits Motown sur cet album Motown ! Diana emmène tout le monde, y compris les auditeurs, dans son chariot de feu dès le premier cut qui est le morceau titre de l’album. Grimpage direct. Avec « I’m Gonna Make It », elle marie le suave et la Soul. Délicieuse union. Diana sucre les fraises de la Soul avec une fascinante ardeur. On passe à la pulsasivité inconditionnelle avec « Forever Came Today » que Diana drive à bride abattue. La Chasseresse file à travers les bois qui bordent le lac Michigan. Pour une fois, la déesse mythologique est noire. Ça nous change. En B, elle tape dans le vieux coucou de Burt déjà repris par Cilla, Jackie et Dusty chérie : « What The World Needs Now Is Love ». Diana ne peut pas résister à l’appel des stratosphères. Mais dans l’esprit, elle est beaucoup plus soft que ses collègues. Elle ne recherche pas la performance physique, ce n’est pas son style. Diana est une suave, une féline. Elle boucle l’affaire avec une reprise d’« Ode To Billy Joe ». Elle prend ça d’une voix blanche, mais désolé, Diana, on préfère Bobbie Gentry.

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    Nouvel album collaboratif avec les Temptations la même année : The Original Soundtrack Of TCB (Taking Care of Business). Ça explose dès « Stop In The Name Of Love ». On retrouve ce qui fait la magie des sixties - My name is Diana Ross, this is Mary Wilson and that’s Cindy Birdsong. Our business is singing - Elles font une fantastique reprise du hit des Four Tops, « You Keep Me Hanging On » et on passe au génie pur avec le « Get Ready » des Temptations - Here come the Tempts ! - C’est embarqué à train d’enfer. Plus loin, les Supremes balancent un medley « Mrs Robinson/Eleanor Rigby » et les Tempts se cognent le « Respect » d’Aretha. En B, on retrouve le hit des enfers définitif, « (I Know) I’m Losing You » et ils terminent avec un version un peu pauvre de « The Impossible Dream ». Tout le monde n’est pas Cézanne, nous nous contenterons de peu, disait Aragon. Même chose pour Brel. Le seul qui puisse l’approcher, c’est Scott Walker.

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    On crut bien que les Supremes étaient foutues en 1968, avec la sortie de Love Child. Le morceau titre sonnait comme de la diskö violonnée, et ça illustrait toute la dérive du Motown sound. Pour les fans de la première heure, ce fut un sale moment à passer. Berk ! Motown ressemblait à une vieille tante. Mais Diana n’avait pas dit son dernier mot. « How Long Has That Evening Train Been Gone » renouait avec le beat SNCF et on entendait Jamerson faire un festival. Du coup, ça redonnait espoir car ça jouait à la haute voltige. Diana et James Jamerson, c’était un peu l’âme de Motown. Jamerson remontait au front avec « Honey Bee ». Il ressortait le dynamic bassmatic des Four Tops. Fucking enormity ! On avait là une véritable horreur de raw r’n’b avec des chœurs à la traîne, et comme chez les Four Tops, ça roulait sur des grosses notes de basse. Jamerson était le roi du big bass romp. S’ensuivait une autre pièce d’allure supérieure, « Some Things You Never Get Used To ». On sentait que Diana retrouvait son éclat dès qu’elle avait un gros cut à se mettre sous la dent. Elle savait dégager le passage. Elle nous sortait ensuite un joli groove des jours heureux, « He’s My Sunny Boy », et elle poursuivait sa fantastique croisade avec « You’ve Been So Wonderful To Me », pur chef-d’œuvre de good time music. Elle étendait son empire à l’infini, elle chantait son groove avec une sensualité de lèvres humides, elle en devenait hallucinante, elle se lovait dans le creux de l’oreille et on tombait définitivement sous le charme de cette rosse infernale. Elle s’introduisait aussi dans le groove de « You Ain’t Livin’ Till You’re Lovin’ » comme une petite souris. Elle chantait au sucre d’orge magique. Et elle finissait avec deux énormités cavalantes, « I’ll Set You Free », digne de Hangin’ On, et là, elle explosait la Soul, elle grimpait si haut qu’elle donnait le vertige, et « Can’t Shake It Loose », une énormité à tomber de sa chaise.

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    Petit album live vite fait la même année avec Live At London’s Talk Of The Town. Diana et ses copines sont accompagnées par un grand orchestre et donc elles peuvent se permettre de taper dans le music-hall. Elles font ce que tous les artistes de r’n’b faisaient à l’époque, des medleys. C’est assurément du grand cru. Parmi les bonnes surprises, on trouve une version fantastique de « Love Is Here And Now You’re Gone ». Diana embarque le public londonien dans sa pop fraîche et parfaite. Une pop parfaite, comme peut l’être une femme dans le regard d’un homme. On ne voit plus les défauts et on s’émerveille. Elles font une version ultra-rapide de « You Keep Me Hanging On » et un medley beatlemaniaque avec « Michelle » et « Yesterday ». Diana chante le début de Michelle en Français - sont des motes qui vont tlès bien ensemble - Elles avaient toutes les trois une classe terrible.

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    Paru en 1969, Let The Sunshine In sentait un peu la fin des haricots. Avec « No Matter What Sign You Are », elles revenaient à une sorte de pop soul funky de bon niveau. Diana conservait ses réflexes de reine des rosses et chantait sa belle pièce de sunshine pop violonnée avec la grâce habituelle. Il fallait attendre la fin de la B pour retrouver un hit digne des Supremes de la grande époque. Avec « I’m So Glad I Got Somebody », elle reprenait le beat en main et refabulait la Soul, comme au bon vieux temps.

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    La même année, sortait un nouvel album de collaboration avec les Temptations, Together. Il faut voir comment les Temptations relèvent le niveau de la Soul. C’est flagrant dès « Stubborn Kind Of Fellow ». Diana essaie de rivaliser de génie avec eux. Ils continuent d’exploser la Soul avec « I’ll Be Doggone ». Diana entre au second couplet. Elle a un sacré toupet. Elle ose se faufiler entre les pattes des géants pour tenter de s’imposer. Hey hey hey, les gars envoient ces chœurs de background dont ils ont le secret. Et puis on tombe de sa chaise avec « Uptight (Everything’s Alright) », l’un des plus grands hits Motown, l’absolue puissance du beat Tamla. C’est eux, les Temptations, qui l’incarnent. Diana rentre bien dans le lard du cut. Elle peut être fantastique quand elle veut. D’autres monstruosités guettent l’imprudent visiteur en B, comme par exemple ce « Sing A Simple Song » qui conduit droit à l’enfer un peu funky des Temptations. Ah, ils savent dégommer un hit, ces mecs-là ! Et Diana entre dans le cirque en vraie shouteuse de la victoire. Puis ils tapent dans le grand hit de Smokey Robinson, « My Guy My Girl ». C’est ultra-joué à la basse. À la reprise du thème, David Ruffin nous enfume comme des lapins dans un terrier. Ce mec joue avec le miel du génie. Rien n’est aussi doux à l’âme que le son des Temptations. Diana revient et David lui donne la réplique, alors tout le boisseau monte tranquillement au ciel. Vous ne trouverez pas beaucoup d’albums qui frisent autant la perfection que celui-ci.

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    Cream Of The Crop parut aussi en 1969, année érotique. On s’attendait à une sorte de déclin, à cause la pochette où Diana paraît en gros plan coiffé d’une atroce perruque. Mais l’album est encore très solide. Avec « Can’t You See It’s Me », Diana et ses collègues reviennent au pur jus r’n’b des Supremes, langueur et classe. Elles restent dans ces haut de gamme auquel elles nous ont habitués. « You Gave Me Love » est aussi une vraie chanson, dans la tradition Tamla, montée sur un beat imparable. Et on entend la basse de Jamerson cavaler derrière. Elles font une reprise de « Hey Jude » puissante car entièrement jouée à la basse. Il faut entendre cette bassline voyager dans le fond du studio B. Jamerson joue les effrontés avec un son rond et terriblement présent. Pour le final, Diana a tente d’égaler McCartney, mais elle se contente de pousser des petits cris de hyène lubrique. On retrouve ce fantastique travail de bassmatic dans « Shadows Of Society ». Encore une fois, c’est Jamerson qui porte le poids du monde Motown. Il place de violents décrochages de gammes et des chevauchements de cordes intempestifs. Belle B avec « Loving You Is Better Than Ever », une vraie classe longiligne. Les Supremes naviguent à un tel niveau que rien ne saurait plus nous surprendre. Elles restent dans la grande veine des hits d’antan avec « When It’s To The Top » et on retourne faire une promenade de trois minutes dans le jardin magique de la Soul de rêve. On y retrouve Diana et les violonnades des jours heureux. Elles tapent aussi dans « Blowing In The Wind », mais franchement, elles auraient mieux fait de s’abstenir.

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    À une époque, on trouvait en DVD les vieux rogatons d’Ed Sullivan et c’était l’occasion de revoir les Supremes de l’âge d’or. On peut même parler de magie avec « Come See About Me ». On ne voit que Flo, la plus petite des trois, la plus racée et dotée d’une poitrine avantageuse. Mary est la plus grande des trois et les gros yeux globuleux de Diane la Ross choquent un peu. Tout aussi magique, « Love Is Like An Itching In My Heart », mais Flo et Mary sont cette fois très en retrait. Elles portent des robes jaunes et dansent le jerk. Il faut avoir vu ça au moins une fois dans sa vie, car c’est exceptionnel. On peut aussi voir « I’m Living In Shame » mais Flo vient d’être virée. Le groupe s’appelle désormais Diana Ross & the Supremes.

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    Puisqu’on est dans les DVD, l’idéal est aussi de pouvoir jeter un œil sur Dreamgirls, l’adaptation cinématograhique ultra-romancée de l’histoire des Supremes. La grosse Jennifer Hudson joue le rôle de Flo et chante comme Aretha. Elle est la révélation de ce film. De la même façon que les Supremes s’appelaient les Primettes, les filles s’appellent les Dreamettes. Lors d’un concours à Detroit, elles sont repérées par Jamie Foxx qui joue bien sûr le rôle de Berry Gordy. Mary et Diana sont un peu effacées. Comme dans la vraie histoire, Berry passe Dina/Diane au premier plan. Effie/Flo le prend mal et Berry lui donne l’ordre de se calmer, sinon... Sinon quoi, trésor ? Il finit par virer Effie/Flo le soir du Motor City’s Burning, baby. Le groupe devient Dina Jones & the Dreams. L’autre personnage clé du film est joué par Eddie Murphy qui campe un sulfureux mélange de Wilson Pickett et de Marvin Gaye, puisqu’on le voit chanter vers la fin un groove coiffé d’un bonnet de laine. La fin du film est beaucoup plus morale que la réalité, puisque Effie/Flo retrouve un job de chanteuse dans un club et le soir du concert d’adieu des Supremes, elle est même invitée à chanter sur scène avec les trois autres. Berry Gordy ne sort pas grandi de ce film. On y voit un dictateur qui gère la vie de ses artistes jusque dans le moindre détail. Un soir, il dit à Dina/Diana : « Tu sais pourquoi tu chantes en lead ? Parce que ta voix n’a aucune profondeur, sauf la mienne. » Ce qui explique pourquoi il s’est débarrassé de Flo.

    Signé : Cazengler, Sousprême

    Supremes. Meet The Supremes. Motown 1962

    Supremes. Where Did Our Love Go. Motown 1964

    Supremes. A Bit Of Liverpool. Motown 1964

    Supremes. We Remember Sam Cooke. Motown 1965

    Supremes. At The Copa. Motown 1965

    Supremes. More Hits By The Supremes. Motown 1965

    Supremes. A Go-Go. Motown 1966

    Supremes. I Hear A Symphony. Motown 1966

    Supremes. The Supremes Sing Hollan Dozier Holland. Motown 1966

    Supremes. The Supremes Sing Motown. Motown 1967

    Supremes. The Supremes Sing Rogers & Hart. Motown 1967

    Diana Ross & The Supremes Join The Temptations. Motown 1968

    Diana Ross & The Supremes. Reflections. Motown 1968

    Diana Ross & The Supremes With The Temptations. The original Soundtrack From TCB. Motown 1968

    Diana Ross & The Supremes. Love Child. Motown 1968

    Diana Ross & The Supremes. Live At London’s Talk Of The Town. Motown 1968

    Diana Ross & The Supremes. Let The Sunshine In. Motown 1969

    Diana Ross & The Supremes. Together. Motown 1969

    Diana Ross & The Supremes. Cream Of The Crop. Motown 1969

    Peter Benjaminson. The Lost Supreme. The Life Of Dreamgirl Florence Ballard. Lawrence Hill Books 2008

    Mary Wilson. Dreamgirl - My Life as A Supreme. Cooper Square Press 1999

    Mary Wilson. Faithfull. Harpercollins 1990

    Bill Comdon. Dreamgirls. DVD 2007

    Ed Sullivan Show. The Temptations & The Supremes. DVD Eagle Vision

     

    BACKSTAB

    CÖRRUPT

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    Je n'ai jamais aimé les maths – ceci n'est pas l'expression d'un racisme primaire, ce sont les maths qui ont été incapables de s'infiltrer dans les complexes réseaux de neurones qui forment ma vaste intelligence - par contre je n'ai jamais eu de difficulté particulière pour entrer en communion avec le mathcore. Qu'est-ce que cette abomination encore demanderont les lecteurs excédés de ces rencontres chadiennes envers des groupes radicalement bruiteux. C'est vrai que hier encore je ne connaissais par Cörrupt mais l'appellation incontrôlée aperçue sur le net ( I'm the midnight rambler ) m'a attiré. Des gens qui cherchent à vous corrompre parce qu'eux-mêmes s'estiment corrompus ne sauraient nous effrayer, ils ressemblent tellement à notre société qu'ils sont inscrits dans notre quotidienne normalité. Ou alors ils se contentent de nous tendre un miroir dans lequel nous sommes obligés de reconnaître que notre tête est particulièrement gorgonesque. Avant d'écouter nos Corrüpt, une leçon de math de rattrapage pour les cancrelats auprès du radiateur. En ses débuts, en ses prémices, le noise-rock cherchait avant tout à faire du bruit. Cela vous avait un petit côté anti-bourgeois léniniste, cependant avec le temps il fut urgent et nécessaire d'argumenter et de revendiquer intellectuellement ce parti-pris de tonitruance, je vous dérange, c'est bien fait contre vous, j'exprime ma différence, du coup le noise est devenu un rameau arty qui mêlait esthétisme, futurisme et décadentisme. Reproches et critiques n'ont pas tardé à fuser : c'est du n'importe quoi, du vulgaire boucan, des trucs simplistes que voulez faire passer pour du grand art, c'est alors que le mathcore se mit en place, le noise est devenu plus difficile qu'une équation du dix-septième degré, certains affirment que le germe fatal du mathcore se niche dans les compositions de King Crimson, pourquoi pas remonter jusqu'au Manifeste intitulé L'art des bruits paru en 1913 de l'expérimentateur Luigi Russolo...

    De toutes les manières toutes ces subdivisions métallifères possèdent des frontières poreuses, et Cörrupt peut aussi cocher les cases death, black et hardcore. Le groupe existe depuis une dizaine d'années, sont obligatoirement quatre à l'image des sergents de la Rochelle dont ils proviennent, Greg War est au chant, Renaud Galliot à la guitare, Florian Piet à la basse, Pablo Fathi occupe le poste de batteur, nous l'avons déjà rencontré puisqu'il officie aussi à cette pelleteuse dans UnCut ( voir notre livraison 494 du 21 / 01 / 2021 ).

    Backstab est leur premier EP, l'est sorti en 2017, sont en train de bosser le suivant. Backstab signifie coup de poignard dans le dos. Le dos du CD est d'ailleurs orné d'une illustration qui n'est pas sans rappeler le logo de Pogo Car Crash Control, comme quoi les mauvaises herbes se rencontrent toujours.

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    You are about to crack : grincement machiavélique suivi d'une parmentière de batterie particulièrement brutale, Greg a déclaré la guerre au vocal, il grogne tel un ours en cage qui brise les barreaux de ses dents et les écarte de ses griffes, âmes sensibles abstenez-vous, une fois sorti il se rue sur les visiteurs de la ménagerie et les écrabouille en purée sanguinolente, le pire c'est qu'ils se contrôlent, vous pensez que Cörrupt fonce à l'aveuglette pas du tout, ils sont du côté noir de l'intelligence de la force, une fureur calculée au millimètre près. Le morceau dépasse à peine les deux minutes, et c'est si bien calculé que vous ne vous en apercevez pas. Finally free : un bruit de ferraille rémoulante qui vient de loin et qui s'affirme, moteur qui prend son temps pour démarrer mais après rien ne l'arrêtera, implacable comme la lame des guillotines, des guitares qui pulsent, une batterie qui s'énerve grave, Greg qui hurle tandis que les autres emboutissent le son à coups de bulldozer. Eloignement progressif. Lorsque vous n'entendez plus rien, vous soupirez, vous croyiez qu'ils avaient tué le silence. Politicians on television : on n'a pas les paroles mais on les comprend, des guitares qui résonnent comme si Renaud et Florian s'en servaient comme des élastiques XXL pour expédier des harpons géants sur nos dirigeants mal-aimés, Greg récate les malotrus de son lance-flammes vocal, s'enfonce dans un hurlement infini suivi d'un long grésillement, le fuzzible des guitares a lâché. Your reality : une intro comme un jeu de quilles humaines dans lequel Greg lâche le boulet d'acier de son vocal qui décanille tout ce qui est debout, l'a son mot d'ordre, rien ne doit subsister, articulation guitare-batterie pour compter les cadavres, doit encore y avoir des survivants, les blindés font un demi-tour pour écraser tout ce qui ose bouger, la batterie s'active et mitraille sans rémission, notre réalité ne doit pas être jolie car la voix de Greg s'acharne sur elle, elle déverse dessus une benne à ordures géante qui vous ensevelit sous des immondices peu ragoûtants, des avions de chasse survolent longuement le champ de bataille, la voix sépulcrale de Greg plane sur les décombres, elle profère la victoire de la mort triomphatrice, et maintenant elle en appelle aux légions maudites des spectres qui envahissent la planète, les guitares se taisent lorsque l'étiage supérieur est atteint. L'on entend une mouche voler.

    L'ensemble ne dure même pas treize minutes, mais l'EP est une démonstration parfaite d'un savoir-faire supérieur, ces quatre gars sont habités par l'esprit du Metal, de véritables illuminés. L'on attend le futur artwork. Devrait paraître sous le titre de You are all fakers, doit-on en conclure qu'ils ne sont pas décidés à nous passer la brosse à reluire, ils préfèrent user du fouet à pointes d'acier. Sont pour les thérapies de choc. N'ont pas tort, car des EP de cette facture vous requinquent le moral jusqu'à la fin de l'année.

    Damie Chad.

    ASK THE DUST

    ANASAZI

    ( Avril 2018 )

     

    Lorsque dans notre livraison 496 nous nous étions intéressés à Croak nous avions appris que toute une partie de Croak était formé par des membres d'Anasazi, une excuse idéale toute trouvée pour jeter un œil perçant sur ce groupe que nous ne connaissions pas. J'ai bien dit œil et pas esgourde car la pochette de leur dernier album entrevu au hasard de mes pérégrinations nettiques avait déjà attiré mon attention... Ask the Dust est leur cinquième album paru en 2018, ils travaillent actuellement sur le prochain Cause et Conséquences - un titre très aristotélicien - ils ont aussi deux EP à leur actif... Anasazi originaire de Grenoble est né en 2004.

    Mathieu Madani : vocal, guitare rythmique, keyboards / Christophe Blanc-Tailleur : basse, mixage / Bruno Saget : lead guitar / Anthony Barruel : drums.

    Un CD qui se regarde et qui se médite. Pas le genre de truc dont vous vous hâtez d'attraper la rondelle pour la glisser dans votre lecteur. La pochette exige une attention prolongée. Parce qu'elle est belle. Mais cela ne suffit pas. Grégory Pigeon est doué, aucun doute sur son habileté technique. C'est face à de telles réussites que l'on regrette les anciens formats des 33 tours... Mais il est des images qui disent davantage qu'elles ne montrent. Certaines mêmes vont plus loin, elles interrogent.

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    A priori un manège qui flotte sur la mer. L'on imagine l'anecdote, un raz-de-marée subit, un tsunami vindicatif qui aurait emporté une attraction foraine... Toutefois rappelons-nous que le propre d'un symbole est de désigner une réalité autre que celle que dévoile son aspect ( ici ) graphique. Serait-on en présence de l'ultime arche de Noé, non pas celle fondatrice de la race humaine, mais la dernière la conduisant à son extinction. Le manège tourne-t-il à vide comme ces moulins à prières tibétains que le vent affole. Et ses chevaux de bois ( ou de résine ) pourquoi ne galopent-ils pas sur les flots déchaînés, pourquoi menés par Poseidon ne se ruent-ils pas en vagues tumultueuses, tels les étalons écumeux de Walter Crane, sur les rivages... Ô Neptune, les Dieux sont-ils morts, et le monde est-il réduit à n'être plus que le réceptacle des vides épaves de nos rêves échouées sur d'infertiles îlots... Le dos de la pochette répond à cette question.

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    Ask the dust, titre d'un roman de John Fante, nous rappelle que tous nous sommes mortels, que nous retournerons tôt ou tard à la poussière, amis rockers, je sais ce n'est pas gai, mais Anasazi n'est pas groupe de rockabilly qui relate d'enjouées éjaculations sur la banquette arrière d'une Cadillac rose. Bonbon. Ce qui entre nous n'est pas désagréable et assure la propagation de l'espèce. Anasazy est un groupe de metal-prog dont les racines plongent jusqu'à Dream Theater qui lui n'hésite pas à citer Yes. Perso, là je dis No.

    Staring at the sun : cela commence tout doux, une espèce de mélodie folk qui s'assombrit peu à peu, l'innocence trompée qui redresse la tête tandis que la musique s'alourdit comme si toutes des quinze secondes l'on rajoutait quelques pistes de guitare supplémentaires, elle sonnait étrangement jusques à lors en tintements de cloche, et l'on débouche dans un long passage qui là aussi s'alourdit de séquence en séquence, guitare de plus en plus pesante et batterie claquante, le vocal se fait chant, le désespoir exacerbe la lucidité. Longtemps le soleil glapira sur votre pierre tombale. Miles away : guitare dénudée, la voix blanche et creuse, une ballade dépourvue de toute sentimentalité, un poule vidée de ses entrailles dont le sang goutte sur l'évier, une chanson sereine, celle de l'éloignement de soi et de l'arrachement des autres qui nous furent chers, une guitare rampante comme un feu qui s'avive sur le flanc d'une montagne, traversée des souffrances, subtiles orchestrations, la voix en ses propres échos comme perdue en son puits de liberté. Et de solitude. Les grands espaces, les miles away en surfaces corrigées, juste un coup de ciseaux sur les liens affectifs qui vous rattachent aux autres. Ce morceau git comme un poison d'autant plus définitif qu'il est facile à avaler. Feeling nothing : beaucoup plus sombre, guitare froissées, batterie qui décompte l'inéluctabilité du temps qui vous reste à vivre, Madani menace et sardonise, la voix de l'assassin qui prend son temps, certain que sa proie ne peut lui échapper, fait durer le plaisir, la musique se fêle comme du cristal, et tout se précipite, l'orchestration est le poignard avec lequel le killer se fera hara-kiri, le sang bat dans ses tempes tandis que des guitares moqueuses lui tirent des langues de vipère, vient de s'apercevoir qu'il est sa propre victime, baisse le ton, se parle à lui-même, le son lui parvient comme s'il provenait d'une radio qui traduirait ses propres sentiments, tout s'emmêle. Drift away : berceuse, celle de l'échec, celle du trop tard, la chanson amère des défaites consenties, dans le premier tiers l'orchestration est presque insupportable comme des reproches qui ne servent en rien, elle prend sa revanche dans la séquence médiane, occupe toute la place, se torsade et s'emmêle sur elle-même, un serpent désespéré qui ne se supporte plus et se transforme en une tresse de détresse mutilatoire, la voix revient, s'en mêle et domine, la musique se calme et se tait. Falling : l'on ne peut pas dire que les titres inclinent vers l'optimisme ! Pourtant pour une fois la voix se fond dans le background instrumental, du trompe-l'œil parce que bientôt elle s'exhausse du brouhaha et dresse l'inventaire d'un faux sursaut velléitaire de vouloir-vivre schopenhaurien, la guitare miaule sur les toits comme pour lui signifier qu'elle est son amie, qu'ils tomberont tous ensemble devant l'implacabilité du constat. Ce qui ne manque pas d'arriver. The second before : tic-tac tambouriné, notes égrenées qui ne sèment pas à tous vents, même si les guitares tournent les pages d'un livre déjà écrits, des voix qui viennent de partout, qui redisent la même chose, toute seule ou à plusieurs, qu'une seconde avant on aurait pu accéder à la lumière, mais que c'est raté, que c'est tant pis pour nous, les guitares se font consolantes, puis cette déconnexion soudaine à soi-même. Fausse porte de sortie. Still I can't hide : basse résonnante, une voix qui vient de loin, comme d'une brume qui l'isolerait d'elle-même, une ligne mélodique qui ramène le malheur au bout de son hameçon, pouvez le chanter avec toute l' intensité désirée, des cordes de plus en plus grinçantes, le rêve poursuivi se laisse prendre, s'insinue en vous, prend les commandes de votre cerveau, un cauchemar dont vous ne sortirez jamais. Déploiement lyrique de l'orchestration. Chut ! L'ombre grandit autour de vous. And the grudge ( still here ) : plus de huit minutes, l'on ne se méfie pas, semble la suite du précédent, mais les guitares bruissent et la batterie gronde en sourdine, tandis qu'une mélodie bat de l'aile telle un oiseau blessé, c'est le retour sur moi-même le déroulé d'un vécu qui quelque part a foiré, une valse qui déraille, ce fut beau et vivifiant, les guitares crépitent à la manière des feux de joie, le son devient plus fort, des arabesques orientales luisent de tous leurs festons, le vocal se fait accusateur, maintenant tout s'envole, est-ce moi, est-ce l'autre, mais tout a été ressenti si fort que la tête vous tourne telle un manège qui ne pourrait plus s'arrêter et se brise. Into the flood : quelques notes sépulcrales coulent comme des larmes, le temps de l'acceptation est venu, rien ne sert de vouloir survivre, tout est déjà consommé, des mots tous doux qui aspirent au néant, qui sont prononcés après la lutte et les débats, une triste histoire, si belle que l'on en ferait une chanson pour les enfants, les claviers prennent ici leur revanche, ils ont été tout le temps là en tant qu'accompagnateurs, mais ici et maintenant ils noient le morceau d'une musicalité irréelle. Once dead : que voulez-vous dire de plus un fois que vous avez atteint l'autre rive, quand on est mort on se tait, ce morceau est strictement musical. Le finale d'un opéra. Mort d'Isolde. Marche funèbre, comme si le héros refaisait une fois encore, du fond de sa tombe, le parcours non pas de sa vie, mais d'une existence. Grandiloquence mesurée. Sans doute ne valons-nous pas davantage. Silence. Ce n'est pas fini. Ask the dust : une dernière mélopée sur une guitare, une voix affadie comme si elle nous parlait d'outre-tombe, qui s'affirme qui ne nous révèlera rien, sinon que nous ne sommes que poussière. La musique coule et grince comme du sable qui s'écoule dans le sablier de l'éternité. Un dernier chœur à la tonalité semi-éteinte comme un adieu définitif.

    Une œuvre ambitieuse. Elle ne se livre pas de prime abord. Fortement déconseillée aux amateurs de bruits metallifères prononcés. L'exhibitionnisme sonique en est totalement absent. La trame du drame est tissée dans les nuances vocales. Tout effet de gosier est banni. La musique est comme réduite au minimum. Elle ne mène pas le bal. L'or peut enchâsser une pierre, mais la pierre est plus précieuse. C'est elle qui étincelle. Mais Anasazi a choisi un rayonnement pâle. Ce qui n'empêche en rien sa radio-activité de vous ronger insidieusement les synapses.

    Damie Chad.

     

    THE ANIMALS / 1964 ( II )

     

    Deux 33 tours paraissent dans le dernier trimestre de l'année. L'un aux Etats-Unis, l'autre en Angleterre, tous deux s'intitulent The Animals mais ne présentent pas exactement les mêmes titres. Certains d'entre eux étaient présents sur des singles précédemment chroniqués. Nous nous contentons de signaler leur présence sur tout disque ultérieur en utilisant la couleur rose. Ces parutions spécifiquement multi-nationales continueront sur les cinq autres 33 tours des Animals, ce qui entraînera la parution de divers 45 tours pour que sur les deux continents les fans puissent se procurer sur leur marché national les titres qui leur manquent. Dans de nombreux pays comme la France paraîtront des super 45 tours proposant leurs propres assortiments...

    SEPTEMBRE 64

    THE ANIMALS ( US )

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    The house of the rising sun / Blue feeling : ( ne pas confondre avec l'instrumental de Chuck Berry qui porte le même titre ) étrange morceau avec ce refrain qui résonne à nos oreilles tellement french-slow-early-sixty-style et qui contraste avec la voix blanche qu'emprunte Burdon, l'ensemble présente un petit côté pop ( pour ne pas dire variétoche ) l'on est beaucoup plus proche de la chanson sentimentale cucul la praline que du blues. A la toute fin Burdon reprend un peu d'énergie, hélas c'est trop tard. The girl can't help it : les choses sérieuses reprennent, s'attaquent à un monument, la grosse cuivrerie de Little Richard, surmontent l'obstacle, pas de filles dans les chœurs mais les boys se débrouillent pour le contre-chant et le Burdon vous débite le vocal à deux cents à l'heure, Hilton vous place un petit solo d'antho au trapézo qui fera votre régalo, profitez-en parce que c'est déjà fini sur une dernière pirouette de la baguette de Still. N'ont pas à rougir, s'en sont sortis comme des chefs. Babt let me take home / The right time : ce coup-ci, la prod a fait tous les sacrifices, ils ont offert des filles – pas beaucoup il ne faut pas non plus délirer - pour le chœur, du coup le morceau vous a un petit côté Ray Charles très releattes à roulettes, et les boys font les jolis cœurs, Burdon leur donne la réplique comme s'il leur offrait son âme, le Price vous sort un solo d'orgue qui ressemble à un gros câlin sucré, la virile basse de Chas sonne comme une corne de brume. Notons la bienséance du titre qui ne nous dit pas que le right time is the night time. Talkin' 'bout you : version courte : même pas deux minutes alors que la longue dépasse les sept, s'écoute bien, le morceau y gagne force et concision. Around and around : la même année le standard de Chuck Berry est repris par les Rolling Stones, il faut l'avouer Burdon enfonce le Jag qui chante comme un petit blanc, en plus les Cailloux qui Roulent ne se démarquent pas del maestro Chucko, le clavier de Price oblige à une recomposition formelle, les Animals vous repeignent et vous repoussent les murs, encore une fois il faut admirer le solo d'Hilton vous piaffe quelques notes aussi belles et graciles qu'une bande de girafes galopantes, les parties pianistiques de Price sont à bénir. I'm in love again : du beau monde sur l'écriture de celui-ci, Fats Domino et Dave Bartholemew, bye-bye le petit côté primesautier et fringuant du vieux Fats, pas de saxophone non plus, c'est Hilton qui le remplacera, l'orgue de Price apporte une lourdeur bienvenue à l'interprétation sans en dénaturer l'esprit. Quant à Burdon, il chante selon une ligne médiane, sur la crête, tantôt un pied intonatif sur le versant white rock, tantôt une foulée incantatoire vers le black and blues. Une merveille d'équilibre. Gonna send you back to Walker / Memphis tennessee : de petites ridelettes d'orgue c'est tout ce que les Animals se permettent d'ajouter, quand on met ses pas dans les traces de Maître Chuck on ne fait pas les malins, le Burdon retient la puissance motrice des chevaux-vapeurs de sa voix, ne va pas pousser l'affront à chanter plus noir que Chuck, bref ils sont sages comme des images, l'on eût aimé qu'ils se comportassent en gamins mal élevés. I'm mad again : c'est un peu le Boudu sauvé des eaux de John Lee Hooker, le gars qui héberge chez lui un gus dans la mouise qui pour le remercier lui fauche sa copine, mais alors que le Hooker vous raconte l'histoire sans fioriture sur une de ces rythmiques secrètement lentes qui portent l'eau de votre âme à ébullition les Animals vous la transforment en tragédie racinienne, commencent tout doux, mais très vite le drame prend de l'ampleur, la voix de Burdon donne de l'intensité au sujet, la guitare d'Hilton déraille ferme, l'orgue de Price vous a des trémolos funèbres d'enterrement, et Burdon vous pousse des cris d'assassin. I've been arond : un joyeux petit Fats pour terminer, dans le genre faut se quitter sur un sourire obligatoire, celui-ci appuyé légèrement plus que le Fats qui joue les mijaurées avec ses petits oh ! oh ! oh ! un peu ridicules et son orchestration de jouet de noël... mais enfin il faut le dire ce titre n'apporte rien à la gloire impérissable des Animals.

    OCTOBRE 64

    THE ANIMALS ( UK )

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    Story of Bo Diddley : une glissade d'orgue et l'orage du jungle sound survient on ne sait comment, Burdon vous fait le boniment, aussi bon et même meilleur qu'un camelot de la 52 Th rue, Steel tambourine à croire qu'il est dans une cérémonie vaudou, Price vous pond des tortillons d'orgue à la queue-leu-leu mais nos Animals s'amusent, abandonnent vite la trame didldleyenne pour filer à l'anglaise, tour à tour nous aurons droit aux Beatles, aux Stones, à Newcastle, sont-ils en train de commettre un crime lèse-pionniers du rock, non ils respectent l'esprit du talkin' dozens blues, le cuisent à leur sauce, s'émancipent de la copie hommagiale, un jour les Animals deviendront Eric Burdon and the Animals... Bury my body : un vieux traditionnel qu'Alan Price ne manquera pas de porter à son crédit, il est difficile de perdre ses mauvaises habitudes... L'on s'attendrait à un blues dévastateur, ce n'est pas l'optique envisagée, la voix enjouée de Burdon, les notes joyeuses de Price, la basse de Chas qui n'a rien de funèbre, tout indique qu'ils ont délibérément choisi l'option chrétien heureux de mourir et de monter tout droit au ciel sans encombre, rien de plus fun que d'être rappelé par Dieu, y a même des moments qui frisent l'hystérie désopilante, pour un peu vous l'incluriez dans un recueil de chansons pour colonies de vacances. Ont-ils voulu renouer avec la foi intransigeante des negro-spirituals ou alors méritent-ils d'être accusé d'impiété moqueuse... Dimples : un des classiques de John Lee Hooker ( Dale Hawkins s'en est fortement inspiré pour les paroles et le reste de Suzie Q ), les Animals n'en font pas trop, vous le tournent à leur manière, la voix de Burdon fait monter la pression dans la chaudière, le tutti instrumental continue à pulser la vapeur et puis l'on renvoie en arrière, Burdon trottine avec le ballon, insensiblement il accélère et soudainement il fonce droit devant évite trois adversaires qui mordent la poussière à vouloir le plaquer, et finit sa course en beauté en marquant l'essai. Du cousu main, rugby sur l'ongle. I've been around / I'm in love again / The girl can't help it / I'm mad again / She said yeah : une vieille piste pas des plus connues de Larry Williams, au moins Burdon trouve un sérieux rival à qui se mesurer, soyons juste, Burdon n'est pas la hauteur, peut-être parce qu'il n'ose pas emprunter ses cordes vocales les plus noires, Price se débrouille mieux pour remplacer le solo de sax, l'absence de cet instrument dans la formation a-t-il obligé à blanchir quelque peu l'interprétation. Les Stones la chiperont aux Animals et il faut admettre que leur version avec cet arrière-fond de guitares caverneuses qui font trembler les murs annonce l'ossature sonique de Have you seen your mother, baby, standing in the Shadow... Nettement supérieure. The right time / Memphis Tennessee / Boom boom : le morceau qui fait boum ! Burdon chante comme un tigre qui arrache à pleine voix des morceaux de viande saignante à une proie encore vivante, ensuite c'est le grand charivari, l'ultime capharnaüm, la fin des haricots verts, les Animals se sont évadés du zoo des convenances modélisées et sont devenus libres et sauvages. Around and around .

    Deux inédits que l'on retrouve su la compilation Double CD, The Complete Animals :

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    F. E. E. L : du pur Animals, mais cela ressemble à ce qu'en équitation l'on appelle un canter, un galop d'entraînement, l'inanité des paroles arque-boutée sur le mot -feel – mot magique et miracle des sixties, l'est sûr que si à l'époque vous n'aviez pas le feeling, vous étiez un tocard de la pire espèce, tout juste bon pour l'abattoir municipal, alors Burdon ( lui, ne craignez rien, il l'a chevillé au corps ) s'amuse, il filoche le feel all rigth à cent quatre-vingt kilomètres heure, module, accélère, exulte, ralentit, et les autres derrière le suivent de près, agréable à écouter, bien fait, tout propre, mais si vous ne l'avez jamais entendu, inutile d'aller creuser votre tombe au fond du jardin, par contre si à l'écoute vous ne ressentez rien... Don't want much : méritait au moins un simple à lui tout seul, attention les rockers, Rosco Gordon est l'auteur du morceau sous le titre Just a little bit, ce gazier enregistra aussi chez Sun, c'est rare mais il faut le dire Burdon pulvérise le modèle, l'a une fougue et un aisance incomparable, Gordon nous la faisait un peu en dilettante hyperdoué, Burdon vous entortille les scoubidous sur le bout de sa langue avec une facilité déconcertant. Il ne chante pas, il éblouit. Les autres suivent et vous expulsent l'orchestration avec une dextérité consommée.

    L'existe un maximum de vidéos d'époque qui proviennent de leurs passages sur différentes chaînes de télévision, ouvrez les mirettes aux alouettes, en voici deux, ne craignez rien, vous irez du pire au meilleur :

    BLUE FEELING

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    Du fond de votre kitchenette si vous aimez le kitch vous adorerez ce clip extrait du film Get yourself your College Girl, une ânerie un peu dans le style du clip tourné à leur début par Mountain... Celui-ci a été réalisé aux USA dans l'Idaho, ce que l'on appelle une mauvaise hidée, l'on acceptera même l'adjectif hideux pour le qualifier... Mon Dieu ( oui mon fils Damie que veux-tu – oh, un double djack pour me remettre – tout de suite mon fils ! ) quelle horreur, même Burdon sur son rideau rouge est le plus beau de toutes, si l'on doit en croire ces images, les filles sont plus belles et moins nunuches aujourd'hui qu'en 1964, quel troupeau insipide de dindes farcies, les acteurs surjouent de toutes leurs bajoues, quant aux Animals ils croient si peu en leur playback que seul John Steel qui n'a pas oublié son chewing gum donne l'apparence d'une fausse réalité. Le petit Eric n'arrête pas de se bidonner ce qui le rend sympathique. C'est ce que l'on appelle un émouvant témoignage d'une époque révolue. L'on comprend pourquoi les Grecs ne nous ont légué que des fragments d'amphores, ils avaient peur que l'on se moque de leurs artefacts qui nous seraient parvenus en entier.

    BOOM BOOM

    ( Live at Wembley 1965 )

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    Images en noir et blanc, public sagement assis, la scène grouille d'une multitudes de roadies qui installent le matériel, Burdon s'approche du micro et nous souhaite un retentissant '' good morning''. Chas lui fauche le micro, Steel s'installe, on attend encore un peu, et c'est parti, Burdon lance la machine, comment de ce petit bonhomme peut-il sortir une telle voix, bouge beaucoup, une espèce de danse du scalp qui se termine à genoux, imaginez un cormoran qui amerrit les ailes éployées et qui glisse sur l'eau de tout son corps dressé, Chas et Alan sont au chœur avec la conviction des pirates du rail qui trafiquent les aiguillages pour envoyer le train au fond du précipice, Hilton – lui qui a l'air si sage d'habitude - armé de sa guitare pique une crise de delirium tremens, lorsque Buron revient au micro il lève le bras comme s'il lançait l'assaut d'un régiment de cavalerie et c'est reparti pour une cacophonie rock'n'roll comme on les aime, l'on se demande pourquoi le public n'est pas en train d'incendier les tribunes sur lesquelles ils ont posé et collé leur cul...

    Damie Chad. ( A suivre, 1964 / 1965... )

     

    XXI

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

    Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

    Lecteurs, ne posez pas de questions,

    Voici quelques précisions

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    A peine les deux battants furent-ils ouverts que la meute des journalistes se précipita en une folle cavalcade, Vince releva avant qu'elle ne se fasse piétiner par ses collègues la petite brunette qui dans leur précipitation l'avaient renversée sans s'en apercevoir. A la décharge de nos impatients envoyés médiatiques, ceci dût-il étonner nos kr'tntreaders, on n'y voyait rien. Une espèce de brouillard opaque noyait toute la pièce. A moins de cinquante centimètres il était impossible de reconnaître l'ombre qui se mouvait devant vous. Un brouhaha indescriptible s'éleva de la meute journalistique. Tout se tut, lorsque le Chef prit la parole :

      • Mesdames, messieurs, je ne doute pas de votre déception, mais notre Président bien-aimé vous autorisera à mon signal à vous servir exceptionnellement de vos plus gros projecteurs, branchez-les, et vous verrez ce pour quoi vous avez été appelés, le Président a une importante communication à vous faire, vous pourrez la retransmettre en direct sur les chaînes de télévision, et les radios. Je vous demanderai simplement d'attendre quelques minutes que Monsieur l'Adjudant emmène avec lui son groupe de fusiliers-marins, si je ne trompe pas, c'est l'heure de leur footing matinal au Bois de Vincennes, nous sommes en démocratie et il n'est pas normal que l'on aperçoive des hommes armés tout près de notre Président.

    Dans la pénombre l'on s'agita, la porte s'ouvrit pour laisser passer les soldats, les journalistes cherchèrent en tâtonnant que les prises pour leur appareil, l'on entendit un petit rire discret je pense que c'était la main de Vince qui s'était égarée sans le faire exprès sur la petite brunette...

      • C'est bon vous pouvez allumer !

    Il y eut un oh ! de stupéfaction, les journalistes, même les plus chevronnés, n'avaient jamais vu une telle scène de toute leur carrière. En demi-cercle assis en de confortables fauteuils de velours cramoisis était rassemblé le Haut-Conseil Scientifique de Surveillance de la Pandémie, tous les plus grands épidémiologistes du pays, le fauteuil central était occupé par le Président. Juste derrière lui, le Chef était debout. Je crois que c'est la seule fois fois de ma vie où en une circonstance extraordinaire le Chef ne profitait pas de l'occasion pour allumer un Coronado. Le fait était d'autant plus exceptionnel que chaque membre du Haut-Conseil Scientifique de Surveillance de la Pandémie était en train de déguster à pleine haleine un Coronado, un 45, un des plus fumiteux, le Président lui-même extirpa son bâton de chaise de sa bouche pour prendre la parole :

      • Françaises, français, je tiens à vous révéler en direct les conclusions de la dernière réunion tenue très tôt ce matin par le Haut-Conseil Scientifique de Surveillance de la Pandémie. Premièrement une bonne nouvelle qui ravira tous les patriotes et les fumeurs de cigares, les analyses des laboratoires sont formelles. La piste du Virus répandu sous la Tour Eiffel par le Service Secret du Rock'n'roll était fausse. Pour réhabiliter ce malheureux service le Haut-Conseil Scientifique de Surveillance de la Pandémie et moi-même avons tenu à fumer en direct notre Coronado, notre pays et notre peuple ne supportent pas l'injustice, lorsque la France commet une erreur, elle avoue ses torts. Mesdames, messieurs les journaliste, nous vous remercions de communiquer cette nouvelle au monde entier. Pour vous remercier nos charmantes hôtesses remettront à chacun de vous en guise de souvenir de cette journée historique un Coronado 45. Enfin pour terminer, une deuxième nouvelle, la France n'est en rien responsable de la propagation du Coronado-virus. Toutes les analyses médicales coïncident, ce sont des touristes chinois arrivés tout droit de Pékin, pour visiter Paris, la plus belle capitale du monde, qui l'ont emmené et répandu dans les meilleurs endroits touristiques de la France. Françaises, français, je vous remercie. Vive la France !

    Le Chef a aussitôt repris la parole :

      • Mesdames et Messieurs les journalistes, le Haut Conseil Scientifique de Surveillance de la Pandémie a encore beaucoup de travail. Je vous demanderai de vous retirer au plus vite, l'agent Vince vous raccompagnera à vos voitures, nos deux hôtesses distribueront les derniers Coranados en notre possession aux amateurs. Avec l'agent Chad nous sortirons en dernier pour nous assurer qu'aucun cachotier n'essaie d'écouter les décisions secrètes qui seront prises dans la suite de l'entrevue.

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    Aussitôt dans la cour d'honneur s'engouffrèrent dans leur voitures les journalistes comme volée de moineaux du parc du Luxembourg rassasiés de la becquée providentielle prodiguée par une vieille dame qui se charge de les nourrir, les fusiliers-marins n'avaient manifestement pas encore enfilé leur tenue de sport pour leur jogging matinal, ils formaient une haie d'honneur devant notre appareil volant :

      • Présentez armes ! La voix de l'Adjudant ne plaisantait pas... Repos ! Soldats je suis fier de vous, vous avez obéi à votre Adjudant alors que ses ordres étaient, semble-t-il, en contradiction avec la mission qui vous a été confiée. Vous avez fait confiance à votre Adjudant qui vous laisse quartier libre pour le reste de la journée, sauf pour soldat Pierre, et soldat Marc qui ont ignominieusement profité de leur tour de garde pour draguer d'honnêtes demoiselles alors qu'il est totalement interdit d'adresser la parole aux passants, consigne de sécurité N°1, je tiens à le leur rappeler ! - se tournant vers nous - quant à nos héros miraculeux tombés du ciel, je les invite à prendre place dans leur taxi de la Marne volant, et à disparaître au plus vite, ce sera mieux pour vous, demoiselles, messieurs, et ces braves canidés sans qui rien n'aurait été possible, nous adopteront leurs photographies comme mascottes de notre régiment. Putedesaintevierge !

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    Notre aéronef eut un peu de mal à s'élever, la faute à Vince qui tenait sur ses genoux la petite brunette énamourée qui avait refusé de retourner à son journal. Dès que nous fûmes à une quinzaine de mètres au-dessus de la cour d'honneur, les fusiliers-marins se regroupèrent et déclenchèrent un tir meurtrier à notre encontre.

      • Enfin ! - le Chef extirpait de sa poche un Coronado – ne craignez rien, ce sont des tireurs d'élite, ils font attention à surtout ne pas nous toucher. Agent Chad, vitesse maximum, aucune crainte à avoir les images de la réunion sont déjà reprises par toutes les télévisions du monde, le SSR a de nouveau pignon sur rue !

      • En tout cas, moi j'aimerais savoir ce que c'étaient ces points rouges qui nous ont permis de nous diriger tout droit vers le palais de l'Elysée, demanda Charlotte

      • Des amis répondis-je, à droite c'était les Crashbirds, nous leur avons demandé par SMS de se poster sur le toit de leur maison du côté de Bondy, et de tirer furieusement sur leur Coronado dès qu'ils nous apercevraient, Delphine Viane et Pierre Lehoulier ont parfaitement rempli leur mission, tout comme Tony Marlow et Alicia F sur le toit de leur immeuble de Montreuil, le SSR possède des alliés dans le monde entier, qui se battent depuis des années pour le rock'n'roll, grâce à ces deux points fixes, déterminez la direction de l'Elysée n'était plus qu'un minime problème de triangulisation...

      • Moi, ce que je n'ai pas compris c'est à peu près tout, affirma Victorine, ainsi se dénommait la jolie petite brunette, et surtout pourquoi le Président a tenu de son plein gré cet étrange discours et cette mise en scène du HCSSP !

      • Ah ! charmante enfant, je suppose que vous n'êtes pas la seule et que nombre de kr'tntreaders doivent être dans votre cas ! Essayons de répondre à vos interrogations !

    A suivre...

  • CHRONIQUES DE POURPRE 497 : KR'TNT ! 497 : CHARLIE WATTS / DOWN IN NEW ORLEANS / ACROSS THE DIVIDE / MARC SASTRE / ANIMALS / ROCKAMBOLESQUES XX

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 497

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    11 / 02 / 2021

     

    CHARLIE WATTS / DOWN IN NEW ORLEANS

    ACROSS THE DIVIDE / MARC SASTRE

    ANIMALS / ROCKAMBOLESQUES 20

     

    J’ai la Watts qui s’dilate - Part Two

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    Les Stones ? On en fait tout un plat, alors que ça ne représente que trente albums. Que sont trente albums comparés à l’univers ? Rien.

    Grâce à ce type de raisonnement, on peut se livrer à l’expérience d’une réécoute des trente albums, ce qu’a dû faire Mike Edison pour écrire Sympathy For The Drummer - Why Charlie Watts Matters. Mais ce ne sont pas les Stones qu’on écoute, c’est Charlie Watts. Diable, comme Edison a raison : l’énergie des Stones vient de Charlie Watts. Fantastique éclairage ! Celui qu’on prenait jusqu’alors pour un personnage de second plan devient une sorte de maître d’œuvre de la Stonesy.

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    C’est ce qui frappe le plus lorsqu’on ressort de l’étagère le premier album des Stones paru en 1964, England’s Newest Hitmakers. Charlie est partout, et même mieux que partout : il pulse, notamment dans «Carol» qu’il bat à la diable. Ce n’est pas un batteur qu’on entend, mais une machine de takatak. Leur «Route 66» est incroyablement bien emmené, on peut même parler de proto-punk. Voilà une occasion en or de saluer le génie de Brian Jones, composante punk des Stones. L’«I’m A King Bee» qui ouvre le bal de la B est sans doute le cut qui situe le mieux Brian Jones dans les Stones : heavy groove et glissé de note dans l’alternance du va et vient, et bien sûr, Jag pose bien son King bee baby. Personne ne peut battre les Stones à ce petit jeu. Ils traînent aussi leur «Little By Little» dans la boue, ils font littéralement du heavy punk avec un beau départ en solo d’épate latérale. Avec «Can I Get A Witness», les Stones semblent nous dire : «Bienvenue dans le swinging London motownisé !». Charlie fait une fois de plus tout le boulot, il bat ça tout droit avec un épouvantable gusto. Ils terminent avec un autre chef-d’œuvre proto-punk, l’infernal «Walking The Dog» de Rufus, c’est du punk in the flesh, avec des coups de sifflet, numéro complet avec l’I’ll show you how to wok the dog et le killer solo flash on the run. Fa-bu-leux, complètement saqué du shook et le beat de Charlie sonne comme des clap-hands.

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    La même année paraît 12 x 5, un album un peu raté car la moitié des cuts sont mous du genou. Dommage car la pochette est magnifique. On ne voit que Brian Jones dans le coin de droite. Ils ouvrent le bal avec la meilleure version d’«Around & Around» jamais enregistrée. Charlie la swingue à la perfe et les guitares se fondent bien dans l’overwhelming. Avec son tapatap, Charlie n’en finit plus de ramener du jus au jeu. On tombe plus loin sur l’«Empty Heart» qui fit bondir Roky Erickson. Il se peut que tout le son du 13th Floor vienne de là, de cette ferveur cathartique d’harmo et de guitare. Ils rockent aussi le Womack d’«It’s All Over Now» avec toute leur niaque de punksters et glissent dans la course un killer solo flash d’antho à Toto. Quelle section rythmique ! Charlie sauve la B avec «Grown Up Wrong» : il joue ça tout droit avec un petit takaktak de recalage ici et là, pendant que Brian Jones le claque au bottleneck. Ils bouclent avec un «Susie Q» joué punk aux clap-hands. Les Stones comme on les aime.

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    Trois albums paraissent en 1965, à commencer par The Rolling Stones Now ! Si on voulait faire simple, on pourrait dire que c’est un album de batteur. Eh oui, il faut voir Charlie shaker le vieux hit de Solomon Burke, «Everybody Needs Somebody To Love». Il nous shake ça au tambourin de charley derrière le need you you you. Sur «You Can’t Catch Me», il fait du rockabilly. Tout repose sur l’élégance de son beat. On entend même Bill voyager dans le son, c’est dire si les autres se régalent. Et quand on tombe sur le «Down The Road Apiece» qui ouvre le bal de la B, l’évidence saute une nouvelle fois au paf : tout repose sur le swing de la section rythmique et les solos arrivent comme des bonus mirifiques. Le British beat n’est pas une vue de l’esprit. Brian Jones se tape la part du lion avec ce «Little Red Rooster» monté sur une dentelle de takatak provided by Charlie Watts. Il bat ça fin à la folie et Brian Jones joue au long cours. L’album s’achève avec «Surprise Surprise» que Charlie bat rockab avec des relances d’une incroyable finesse. Il soutient le beat avec un tambourin posé sur la charley et l’auréole d’accointances de cymbales qu’il claquouille à la volée mesurée.

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    Aux yeux des fans, Out Of Our Heads reste l’un des sommets de la Stonesy, car c’est là que se nichent ces coups de génie inexorables que sont «The Last Time» et «Satisfaction». Ils enregistrent ces deux hits à Hollywood et sont au sommet de leur art. Charlie sort un beat infernal sur «The Last Time» et il ramène du jus d’entrée de jeu dans «Satisfaction», qui reste l’hymne de l’éternelle adolescence. La messe est dite depuis 1965. Charlie amène aussi «The Under Assistant West Coast Promotion Man» d’un simple roulement. Belle leçon de swing. Mais le reste de l’album n’est pas aussi convaincu : ils tapent dans Sam Cooke avec «Good Times», dans Solomon avec «Cry To Me» et dans Marvin avec «Hitch Hike». Ils sont complètement fous ! Par contre leur version du «Mercy Mercy» de Don Covay enregistrée à Chicago est bien envenimée.

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    Le troisième album enregistré en 1965 s’appelle December’s Children (And Everybody’s). Il laisse un goût amer car on s’y ennuie au peu, malgré les clins d’yeux à Muddy Waters, à Arthur Alexander et à Hank Snow. L’hommage rendu au vieux délinquant de Saint-Louis avec «Talkin’ Bout You» sauve l’A, car elle est heavily insidieuse. Et «Get Off My Cloud» sauve la B. On a là l’un des emblèmes du swinging London. Pas de plus beaux accords de guitare, pas de plus belle profusion de chant, de clap-hands, de Charlie et de Brian. Edison a bien raison d’écouter les takatak de Charlie : c’est de l’art moderne.

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    En fait, les Stones auront un mal fou à égaler la splendeur punkoïde de leur premier album. Ils auront enregistré cinq albums en deux ans et c’est semble-t-il avec le sixième, Aftermath, que Brian Jones atteint son apogée. Charlie bat «Stupid Girl» sec et net et il donne toute sa mesure avec «Under My Thumb» : il envoie son takatak secouer le doh doh doh de Bill. Si la Stonesy est une science, en voilà l’équation de base : Charlie + Bill = la Stonesy. La perfection du son s’accompagne d’une progression du groove, avec un plus un mélange insolent de marimba et de fuzz, c’est-à-dire Brian + Keef. C’est plombé du beat, down to me. Si Aftermath reste l’album le plus discret des Stones, c’est à cause de «Goin’ Home», véritable apanage du groove de Stonesy. Ils jouent véritablement à l’apogée d’un style. L’autre sommet de l’album est le «Flight Five O Five» qui ouvre le bal de la B, l’un des cuts les plus punky des Stones - Get me on the flight five o five - Jag s’y fracasse la part du lion. Il faut noter l’extraordinaire qualité de la prod hollywoodienne de Dave Hassinger. On note aussi une belle fuzz noyée dans le son d’«It’s Not Easy» et le génie marimbique de Brian Jones dans «Out Of Time».

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    Brian Jones vole encore la vedette sur la pochette de Got Live If You Want It paru aussi en 1966. Cet album live propose une belle collection d’énormités, à commencer par «Under My Thumb» que Charlie s’empresse de basher aux cymbales. Bill rôde divinement dans le son. The bass on the beat ! C’est le son de la sauvagerie. À ce petit jeu, ils sont imbattables. Bill dévore ensuite «Get Off Of My Cloud», l’hymne des sixties par excellence. Il faudrait que quelqu’un se dévoue pour écrire un book sur Bill. La section rythmique fait encore des ravages dans «Not Fade Away» : carrée et sauvage, pleine de jus, le modèle absolu. En B, ils cassent la baraque avec l’enchaînement fatal de «The Last Time» et «19th Nervous Breakdown». Toute l’énergie vient du team Charlie/Bill et le riff vient incendier la plaine. Il faut voir Charlie entrer dans le beat du Nervous Breakdown ! Here it comes ! C’est là très précisément qu’on entre en religion. Arrive plus loin l’un des plus beaux hits des Stones, «Have You Seen Your Mother Baby Standing In The Shadow». Quelle purée royale ! Charlie bat le beurre des dieux. C’est joué aux chimes de guitare et battu à la diaboulette. À cet instant précis, les Stones sont le plus grand groupe de rock du monde.

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    Malgré sa pochette qui compte parmi les plus réussies de l’époque, Between The Buttons n’est pas l’album culte qu’on voudrait qu’il soit. Seuls deux cuts retiennent l’attention, «My Obsession» et «Miss Amanda Jones». Le premier est plutôt weird, monté sur un mish-mash de disto. Pour l’époque, c’est très aventureux et un brillant pianotis soutient les ooh baby du Jag. Il faut aller en B déterrer «Miss Amanda Jones», un cut qui préfigure Exile, c’est-à-dire l’esprit boogie foutraque. Les autres cuts peinent tragiquement à convaincre. Charlie et Bill devaient s’ennuyer à jouer «She Smiled Away». «Cool Calm & Collected», c’est vraiment n’importe quoi. Malgré les coups d’harmo, «Who’s Been Sleeping Here» refuse obstinément de décoller. Par contre la basse de Bill monte bien dans le mix.

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    Quand la conversation arrivait sur Their Satanic Majesties Request, on parlait d’un album raté. Les fans les plus exacerbés parlaient même de haute trahison. On en voyait se rouler par terre dans la cour du lycée, en proie à de violentes crises de dépit. C’est vrai que le son est beaucoup trop psychédélique pour les Stones. On vit des cars entiers de fans aller se plaindre au mur des lamentations. Keef parvient tout de même à caler un riff de Stonesy dans «Citadel» et Charlie réussit l’exploit de le swinguer. Il faut entendre ses relances titanesques ! Sinon, en s’ennuie pendant tout le reste de l’A, même si Brian Jones s’amuse avec son clavecin et sa flûte. En entendant ça, on criait à l’arnaque. Et tout reprenait du sens en B avec l’arrivée de «She’s A Rainbow», le hit parfait des Stones. Drumming impeccable, puissant et swingué à la fois. C’est ce qui frappe le plus dans ce hit magique : la qualité du drumming. Par contre, «Gomper» bat tous les records de nullité crasse. Cette volonté de psychedelia est une vaste fumisterie. Les Stones sauvent les meubles avec «2000 Light Years From Home» : belle entrée en matière, riff de basse et tatapoum de Charlie, back to the real deal de la Stonesy mais dans les étoiles, smooooth & soooo cool - It’s so very lovely/ 2000 light years from home.

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    L’un des sommets de la Stonesy s’appelle «Sympathy For The Devil» et se trouve sur Beggars Banquet. C’est l’histoire du man of wealth and taste. Tout repose sur le mix percus/drumbeat, la hargne de Jag, aw yeah, la bassline voyageuse et ces ooh-ooh qui vont marquer l’histoire du rock. Il ne faut pas oublier le solo exacerbé de Keef, assez novateur pour l’époque. La photo déployée dans le gatefold ténébreux illustre parfaitement ce chef-d’œuvre qu’est Sympathy. Encore de la Stonesy à son sommet avec «Parachute Woman», land on me tonite, et ces deux guitares qui se fondent dans le melting pot. Son très Chess dans l’esprit. Puis Jag chante son «Jig Saw Puzzle» au nez pincé à la Dylan, même esprit qu’«All Along The Watchtower», oh the singer he looks so angry. Charlie se tape un coup de génie en B avec «Street Fighting Man». Son tap tap déclenche la furia del sol. Le cut est gorgé de son, de descentes de basse, de rumeurs de sitar. Les Stones remontent à leur apogée. C’est aussi là qu’on trouve la vraie version du «Stray Cat Blues», bien vitriolée aux guitares, rien à voir avec la version à la mormoille que va jouer Mick Taylor par la suite. Et Brian Jones sort son dulcimer pour «Factory Girl».

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    La deuxième moitié de l’apogée du règne des Stones s’appelle Let It Bleed. Trois coups de génie s’y nichent, à commencer par «Gimme Shelter», if I don’t get somme sheltah, et cette folle de Merry Clayton gueule tout ce qu’elle peut. Les Stones se font tout petits dans le storm de Jag et de Merry, et quand ils chantent ensemble, Charlie pointe bien le beat. C’est un cut dont on ne se lassera jamais. On peut dire la même chose de «Live With Me». Keef & Charlie, voilà le secret des Stones, avec un punk de Jag et ses water rats par dessus. Ah quelle blague ! C’est l’un des pires coups fourrés jamais imaginés. On y entend même un solo de sax, alors t’as qu’à voir ! C’est «Monkey Man» qui illumine la B. Encore un coup du punk Jag, qui aménage une petite accalmie avant la tempête et le freakout savamment orchestré. On a toujours eu un petit faible pour le cut d’adieu, «You Can’t Always Get What You Want». Tout y est : les coups d’acou, les congas de Congo Square, le gospel batch, les pianotis et l’extrême richesse de la musicalité. On y voit le Jag jeter tous ses try sometimes dans la balance, et puis on a aussi les prescriptions filled et les gimmicks de relances très Southern, et bien sûr Mister Jimi. Sans oublier la montée au ciel du gospel batch et le basculement dans l’éternité, avec un décalage du beat imaginé par Charlie Watts. On croise peu de cuts aussi spectaculairement parfaits.

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    À ce stade des opérations, il est bon de remettre le nez dans le Mojo Interview qu’accorda Charlie en 2015. Mark Paytress y cite Keef : «No Charlie, no Stones.» Un Keef qui rappelle aussi que Charlie était un batteur de jazz peu concerné par la révolution culturelle à laquelle il participait. Charlie aime à rappeler qu’il préférait Charlie Parker à tout le reste, y compris Jimi Hendrix. Il rend aussi hommage à Ginger Baker - He’s a white African - et donc à Phil Seamen, le mentor de Ginger. Charlie se souvient aussi de sa première révélation : Chico Hamilton - You must remember, jazz was very big in those days - Et Charlie cite des noms de jazzmen anglais que personne ne connaît, sauf les spécialistes : Eddie taylor, Brian Broklehurst, John Picard, Danny Moos, people nobody knows now. Puis Charlie remonte dans le temps jusqu’à Fred Below, chez Chess, et DJ Fontana chez Sun - Il ne joue pas comme jouent les batteurs aujourd’hui, he plays shuffle, swing. he’s playing country and western like a big band drummer, a 4/4 swing time swing - Il en arrive fatalement aux Stones et rappelle qu’il suivait Keef - Keef is the rythm and I would follow him. It’s very much a Chuck Berry type mentality - Il a aussi un regard très clair sur le succès des Stones aux États-Unis : à la différence des Beatles qui ramenaient leurs chanson, les Stones se basaient sur des reprises américaines et forcément ça étonne Charlie qu’ils aient pu avoir autant de succès auprès des kids américains - These white kids actually bought it. Amazing ! - Et il ajoute : «On jouait du Jimmy Reed dans des dance shows, ce qui est plutôt ridicule, quand on y pense. Mais les kids aimaient ça. On jouait à Chicago et si tu descendais un peu plus bas dans la rue jusqu’à Smitty’s Corner, tu pouvais voir the real thing. Mais ils n’allaient pas chez Smitty’s.»

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    En 1970, il a fallu se débrouiller avec un seul album des Stones, ce Get Yer Ya-Ya’s Out qu’on a beaucoup trop écouté. Mick Taylor n’y amène rien. Que dalle. À la limite, on préfère le «Jumping Jack Flash» des Groovies. Si on écoute «Midnight Rambler», c’est uniquement pour Charlie. Pareil pour le Sympathy qui ouvre le bal de la B : tout le jus vient du battage en règle de Charlie. Ça ne tient que par lui. Mick Taylor en fait trop. Très belle version de «Little Queenie», aw took a look at cha, c’est l’un des sommets du boogie boogah, bien allumé au coin du bois. On les voit ensuite ramener toute la musicalité du rock dans «Street Fighting Man». Les descentes de guitares croisent l’impeccabilité du drive de basse, ça claironne très haut dans le ciel du Madison, les Stones jouent à la clameur and Charlie is good tonite, hesn’t he ?

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    Sticky Fingers est un album à double tranchant. Impossible de s’habituer au son de Mick Taylor. Son solo dans «Sway», ce n’est plus de la Stonesy. Par contre, «Can’t You Hear Me Knocking», si, c’est la Stonesy comme on l’aime, avec une basse bien ronde dans le son et un Jag bien punk au chant - Help me baby/ Ain’t no stranger - Voilà la Stonesy mal peignée, percutée de la culasse, impavide et Bobby Keys rive le clou du cut avec son shoot de sax. Mais ce fut peut-être un peu trop groovy pour les fans des Stones à l’époque. En B, Charlie fait un carton avec «Bitch» et c’est là qu’on entend le fameux my heart’s beating louder than a big bass drum.

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    Il faut bien dire qu’Exile On Main St sent le remplissage. L’album qui est double ne tient que par la présence de deux merveilles, «Rocks Off» et «Happy». Charlie bat sec l’up-tempo de «Rocks Off» et Keef chante son «Happy» d’une belle voix de fausset. Le voilà à son plus frénétique. Fabuleux travail de riffing. Mais pour le reste, c’est compliqué. On les voit tenter le diable avec «Rip This Joint», jolie tentative de jump cuivré de frais et joué à la stand-up. C’est Charlie qui rafle la mise avec un jive de jump. «Casino Boogie» est l’archétype de la Stonesy qui ne sert à rien. Avec «Tumbling Dice», les Stones inventent les Black Crowes. C’est là que Chris Robinson et les autres vont venir s’abreuver. Il faut dire que la musicalité de Dice est un modèle éternel. La B est la face la plus faible d’Exile. Tous les cuts sont mous du genou et privé d’éclat, comme d’autres sont privés de dessert. Zéro idée aussi en C, à part «Happy». C’est le problème global d’Exile. Pas d’idées. Cet album est infesté de filler. Pas de quoi faire un plat non plus avec la D. Ils recyclent le riff de «Monkey Man» pour essayer de sauver «Soul Survivor», mais on ne l’écoute même pas.

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    Tous les fans des Stones se sont arrêtés à l’époque avec Goats Head Soup. Le vieux groove de «Dancing With Mister D» rendait l’album tolérable. On éprouvait une immense pitié pour les Stones qu’on sentait en panne d’inspiration. On écoute ce Dancing en sachant bien qu’il ne s’y passera rien de plus que ce qui s’y passe déjà. Exile nous a heureusement habitué aux faces pitoyables, et donc l’A ne choque pas plus que ça. «Doo Doo Doo Doo (Heatbreaker)» se noie dans cette A pitoyable, presque sauvé par des chœurs déshinibés et des nappes de cuivres. On retrouve deux shoots de Stonesy en B, «Silver Train» et «Star Star». Chaque fois, le Silver Train rejaillit du passé. C’est le cut oublié par excellence. Johnny Winter en fit une reprise superbe. «Star Star» est typiquement le genre de cut qu’on attend d’eux : voilà de la Stonesy pure et dure, fuck a star ! Quatre bons titres sur un album, ce n’est pourtant pas si mal. Le problème est qu’à cette époque, on attendait encore des miracles des Stones.

    Dans le Mojo Interview, Charlie rappelle à quel point il a détesté le succès - Je n’ai jamais aimé ça. Oh, j’adorais jouer dans un groupe qui marchait bien, et j’adorais la scène. Mais une fois le rideau tombé, laisse tomber. Je détestais ça - Comme il détestait le flower power.

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    On a tout de suite détesté la pochette d’It’s Only Rock’n’Roll, même si Guy Peellaert la signe. Pochette trop arty pour les Stones ? Allez savoir ! C’est là sur cet album paru en 1974 qu’on trouve le «Luxury» que reprenait Jesse Hector. Joli coup de working so hard to keep in your luxury, monté sur le riff de Keef. Sinon, l’album propose un joli tas de Stonesy bien pépère, du style «If You Can’t Rock Me» ou «Short And Curlies», et même des cuts qui ne servent à rien comme «Ain’t Too Proud To Beg» ou le morceau titre. Voilà où mène la célébrité. On voit même Mick Taylor faire son Santana sur «Time Waits For No One», un cut qui étrangement se laisse écouter. Ils finissent cet album mi-figue mi-raisin avec une belle tentative de retour aux affaires, «Fingerprint File». Ces vieux démons de Jag & Keef savent encore touiller un dirty bag.

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    Paru en 1976, Black And Blue est peut-être l’album des Stones le plus détesté et donc le moins connu, sans doute à cause de ce «Hot Stuff» qu’on entendait partout à la radio et qui était leur vision du funk blanc. C’est vrai que l’A est catastrophique. Ils se prennent pour Peter Tosh avec un «Cherry O Baby» inepte et pour Rickie Lee Jones en B avec un «Melody» encore plus inepte. Et pire encore, pour Roy Orbison avec «Feel To Cry». Alors que fait Charlie ? Il frappe «Hey Negrita» sec et net. Keef sauve l’album avec «Crazy Mama» et son phrasé distinctif. On y admire une fois encore la cohésion du son. Les Stones, ce n’est pas une vue de l’esprit, c’est une réalité, l’un des symboles du British sound. Keef est un guitariste qui joue avec une précision exceptionnelle, son petit riff est une véritable merveille d’intentionnalité. C’est aussi sur Black And Blue que Ron Wood fait son entrée dans les Stones. Il joue sur quelques cuts et figure au dos de la pochette.

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    Le Love You Live paru en 1977 est un document intéressant, quasi ethnologique. Keef y sort une fantastique version de «Happy» qui justifie à elle seule l’écoute de ce double album. C’est un peu comme si tout le dandysme des Stones s’y incarnait. Tout ce qu’on peut aimer dans le rock anglais est là, dans cette version embarquée au heavy beat de Charlie. Et curieusement, le «Hot Stuff» qu’on y trouve est bien meilleur que la version studio de l’album précédent. En B, Keef chante son vieux «Tumbling Dice» à la force du poignet et Woody se fend d’un beau solo entreprenant dans «You Can’t Always Get What You Want», mais quand même, il vaut mieux écouter la version studio pour récupérer le gospel batch. Les Stones rendent hommage aux blackos avec la C : du blues avec «Mannish Boy» et «Little Red Rooster» et du Chuck avec «Around & Around». Ils terminent avec le bouquet fatal «Brown Sugar»/Jumpin’/Sympathy. C’est vrai qu’avec ça, ils sont dans l’universalisme. Voilà trois hits puissants qui ont façonné leur époque. Le Sympathy est assez long mais ultra joué. On en a pour son argent. Les Stones ont des hits, ils s’amusent bien et ils ont raison.

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    Tiens, voilà l’album du grand retour : Some Girls. En 1978, tout le monde croyait les Stones finis. Les Stones ? Ces vieux has-been ? Ha ha ha ha ! C’est vrai qu’ils commencent l’album en se prenant les pieds dans le tapis avec «Miss You». Sacrilège ! De la diskö ! Mais aussitôt après, Jag fait claquer le fouet de «When The Whip Comes Down». Cut sans peur et sans reproche. Et puis de fil en aiguille, ce bal d’A va nous réconcilier avec les Stones. Si on en pince pour la Stonesy, c’est même l’album idéal. On retrouve le joli mingling de guitares dans «Just My Imagination». Serait-ce le retour de the Ancient Art of Weaving dont parle Mike Edison ? Le morceau titre est lui aussi très bardé de son. Les deux guitares jouent le jeu de la musicalité à gogo. Il semble que les Stones se réinventent avec ce retour aux sources, dans l’insatiabilité de l’Ancient Art of Weaving. Encore trois belles surprises en B, à commencer par un «Respectable» gorgé de guitares et des meilleures. Charlie mène la danse à la force de son énergie. C’est Keef qui chante «Before They Make Me Run», avec son accent biaisé et les guitares en biseau derrière. Fantastique allure de bastringue ! Il relance inlassablement son relentless, penché en avant, comme s’il chantait par en-dessous. Woody passe à la basse pour un «Shattered» tapé à l’insidieuse. Voilà ce qu’on appelle une vraie fin de non-recevoir.

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    Puisque Some Girls marque le retour à la confiance, alors on peut s’octroyer une écoute d’Emotional Rescue. Force est de constater que les Stones des années 80 savent encore se montrer impressionnants. Il se peut que Woody ait amené du sang neuf. C’est Charlie qui tire l’épingle du jeu en B avec son numéro de drummer dans «When The Boys Go». Il bat ça sec et en force. Il vaut largement tous les batteurs du punk anglais, il pulse à merveille. Les chœurs de filles participent aussi à la grandeur des Stones. Le hit de l’album s’appelle «Let Me Go». Merveilleux shoot de Stonesy - I tried giving you the velvet gloves/ I tried giving you the knock-out punch - Keef joint ses chœurs de fausset à ceux du Jag. On note que Bill est toujours là et on l’entend bien mener la danse de «Dance», alors que Charlie joue au fouetté de peau des fesses avec un tact qui encore une fois en bouche un coin. C’est un plaisir que d’écouter ça, rien que pour le fouetté de Charlie. Cet album ne laisse pas indifférent, on s’effare assez rapidement du son, notamment dans «Summer Romance». Le son est plein comme un œuf. Ils jouent leur vieille carlingue de Stonesy en fer blanc et Charlie bat ça comme s’il avait vingt ans. C’est aussi sur cet album que se niche l’infâme putasserie qui donne son titre à l’album et Keef vole au secours des fans avec «All About You». Il est faux dès qu’il monte son ouuhhh, mais c’est ce qui fait le charme discret de sa bourgeoisie.

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    Attention, le Tattoo You date de 1981, donc il ne date pas d’hier. Ce Tattoo-là est un faux album puisque les Stones y proposent les restes de sessions précédentes, comme par exemple ce «Slave» qui date des sessions de Black And Blue. On peut donc parler d’un cut sauvé des eaux. Il y a du son, quoi qu’on puisse dire des Stones d’après les Stones. C’est même assez balèze, avec ces coups de sax et ces chœurs de rêve - Don’t wanna be your slave - Mais si on écoute tous les tardifs des Stones, ce n’est pas seulement à cause du big book de Sharky, c’est aussi pour Keef, et là, il nous ressort un «Little T&A» qui date des sessions d’Emotional Rescue. Il faut le voir lancer ses She’s my little rock’n’roll. Il n’y a que lui qui puisse réussir ce sortilège. Il lance des yah keefy, il niaque son chant avec génie et derrière le son fonce comme une diligence. Puissant Keef ! Rescapé des sessions de Some Girls, voici «Black Limousine» que Jag chante comme un punk. Les Stones renouent avec le pâté de boogie. L’autre merveille de ce ramassis de rescapés est «Waiting On A Friend» qui date du temps de Goat Heads Soup. Voilà les Stones dans une espèce de pop-rock à parfum paradisiaque, ambiance Southern, good time music de rêve, pur moment de magie. Sonny Rollins blows the sax et Nicky Hopkins égrène ses rivières de diamant. C’est le cut parfait, avec des accents dylanesques et sa musicalité maximaliste. C’est aussi sur cet album qu’on trouve le heavy keefy «Start Me Up» que Charlie bat à la bravado. Comme si les Stones montraient qu’ils voulaient encore frapper un coup. Et quel coup ! Ce sont les vieux Stones, mais God, comme ils savent tenir un beat. C’est dirons-nous leur façon de chasser le doute parmi les fidèles de la vieille paroisse. Quant au reste, on peut le foutre à la poubelle. Ce sale petit voyou de Jag ruine pas mal d’efforts.

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    Malgré sa pochette d’une incroyable vulgarité, Undercover est un bel album de Stonesy. On note la frappe sèche et déterminée de Charlie dans «She Was Hot» et «Tie You Up» sonne comme un vieux rockalama net et sans bavures. Keef monte aux chœurs sur les ponts, et comme c’est chanté à la ramasse, ça redevient du grand art. «Wanna Hold You» est le cut de Keef. Il adore chanter ses cuts de Keef. C’est dingue comme il sait faire la différence. Charlie veille au bon grain de l’ivraie, car il cavale bien le beat. On trouve aussi des cuts de diskö-funk bizarres sur l’album («Undercover Of The Night» et «Too Much Blood») et les Stones retrouvent leur éclat avec «Too Tough», un cut qui repose une fois de plus sur le beat de Charlie. Bon d’accord, Jag chante et Keef ramène du riff de fer blanc, mais la classe du cut vient du beat. Curieusement, «All The Way Down» est encore un énorme cut de Stonesy chanté à pleine gueule. Ils continuent de produire cet excellent mix de riffs, de beat et de voix. Ils n’ont rien perdu de leur superbe.

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    Pochette années 80 pour Dirty Work avec des Stones déguisés en coiffeurs. L’époque veut ça. Il semblerait que ce soit l’album de Charlie car le beat est monté au devant du mix. Du coup, «Fight» devient un cut de batteur. Et comme le montre «Hold Back», Charlie n’a jamais battu aussi sec. Il joue dans la devanture du mix et ça donne du jus à ces cuts qui n’ont pas de cou. Et comme le dit si justement Edison, «Had It With You», c’est le son de Jag et de Keef qui se battent. C’est gratté à l’os et l’harmo ramène les Stones aux sources. Le cut de Keef s’appelle «Sleep Tonight». Au fond, Keef est un vieux requin mélancolique.

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    On trouve une belle énormité sur Steel Wheels : «Hold On To Your Hat». Les Stones sont encore capables de beaux blasts, il faut s’en féliciter. Keef introduit «Sad Sad Sad» au riff vainqueur et Charlie le bat à la dure. Voilà encore un cut de batteur avec un fort relent de Stonesy. La prod est une merveille absolue. Keef doit aimer le hard funk car voilà qu’arrive «Terrifying». Comme il a des idées de riffs en tête, il faut que ça sorte. Le «Rock And A Hard Place» qui ouvre le bal de la B est plus classique. On entend les Stones de l’époque. Charlie y bat un big break de bass drum. Edison a raison d’insister sur l’importance de Charlie Watts. Pas de Stonesy possible sans cette force de frappe. Et puis voilà le cut de Keef, «Can’t Be Seen». Quand il prend le micro, on sent nettement la différence. Il chante à perdre haleine, embarqué une fois encore ventre à terre par le beat cavaleur de son poto Charlie.

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    Énorme album que ce Voodoo Lounge paru en 1994. Inespéré ! Charlie casse la baraque avec «You Got Me Rocking». Charlie on the beat, yeah ! Si les Stones, n’ont pas le heavy drum beat de Charlie, ils n’ont rien. Charlie bat comme un galérien. C’est une leçon dont l’histoire se souviendra. Il fait encore des siennes dans «Sparks Will Fly». Une bombe. Tout le chant de Jag repose sur Charlie. C’est bardé de son, avec Darryl Jones on bass. Terrific ! Charlie réveille encore les bas instincts dans «Moon Is Up». Il bat tout ce qu’il peut battre. Alors Jag peut faire son cirque. C’est soutenu au concert d’orgue cajun. Encore une fois, tout repose sur les épaules de Charlie et les autres ramènent du gratté de poux sur leurs guitares. Résultat plutôt fascinant. On entend Keef charger la chaudière d’«I Go Wild». C’est le cut révélatoire de l’album, rien d’aussi explosif. Et les keefy cuts ? On en trouve deux, ici, «Thru & Thru» et «The Worst». Keef ne chante pas très bien son Thru, mais c’est Keef, il est encore capable de coups de Jarnac, d’autant qu’il part en sucette à la fin du cut. Beautiful Keef !

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    Avec Stripped, les Stones radotent leurs vieux tubes. Charlie bat «Street Fighting Man» comme plâtre, mais on perd toute la magie de la version originale. Puis ils flinguent «Like A Rolling Stone», «Not Fade Away» et battent tous les records d’infamie avec «Shine A Light». Jag s’y prend pour un Soul Brother, c’est comme si on voyait palpiter son anus. Rien à tirer non plus de «The Spider & The Fly» et d’«Im Free». Pareil pour «Wild Horses» : allez plutôt écouter la version originale. Ici, le Jag est insupportable. En fait on ne supporte plus le vieux Jag, on ne supporte plus de le voir ruiner ces hits magiques que sont «Let It Bleed» et «Dead Flowers». Keef sauve le set avec «Slipping Away».

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    Heureusement, Bridges To Babylon vole au secours des Stones. Quel album ! Démarrage en trombe avec «Flip & Switch», fracassé par Charlie le punk. Wow, on peut dire que Charlie bat ça wild. Alors Jag peut ramener sa fraise mordorée. On entend rarement des beats aussi ramassés. Tous ceux qui s’imaginent que Charlie sucre les fraises se mettent le doigt dans l’œil. Il n’a jamais aussi bien battu. C’est un batteur infernal. Il bat à la folie Méricourt. Il bat dans l’aura du no way out. Keef est juste derrière. Avec «Low Down», on sent que les Stones font l’impossible pour rester les Stones. Ils ressortent toutes leurs vieilles ficelles de caleçon, mais ça ne marche pas. «Gunface» non plus. Keef sauve les meubles avec «You Don’t Have To Hear It», un reggae de pirate, whisper in my ear, Keef nous emmène dans la cabane, il sait le faire, avec les chœurs et les cuivres. Admirable. Retour en force des Stones avec «Out Of Control» et son refrain explosif, comme à la grande époque. C’est le genre de cut qui ne prévient pas, comme un coup de boule. Retour aussi du power dans «Saint Of Me» - You’ll never make a saint of me - ce démon de Charlie bat ça wild encore une fois et Jag tire bien son épingle du jeu. Charlie bat «Might As Well Get Juiced» au hip-hop beat et on entend une belle mélasse de guitares dans le fond du beat et une fois encore, Jag se prend pour le diable. Belle démonstration de heavyness. Encore un cut de batteur avec «Too Tight», violente décharge de Stonesy, Charlie tend le beat. Puis Keef se tape la part du lion avec «Thief In The Night» et «How Can I Stop». Magie pure, on est bien obligé de l’avouer.

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    Faut-il écouter A Bigger Bang ? Oui, mille fois oui, ne serait-ce que pour «This Place Is Empty», cut de Keef, c’mon baby. Il est effarant de classe. Il chante sa vieille rengaine aux dents branlantes de junkie dude. Du coup, les Stones reprennent du sens, loin des putasseries de Jag. Keef et Charlie veillent au grain. Et puis on voit aussi les Stones devenir fous avec «Rough Justice». Surtout Keef et Charlie. C’est une horreur, une cavalcade infernale, une Stonesy punkoïde qui t’embarque pour Cythère, un ouragan raseur de mottes, ça déloge les bunkers, ça siphonne Tournesol, Charlie frappe comme un frappadingue. Précision capitale : Don Was produit l’album, d’où le son. «It Won’t Take Long» n’est pas de la Stonesy, mais du big heavy sound. Ça reste une aventure de rock électrique intéressante. Il faut dire aussi qu’on croise pas mal de cuts qui ne servent à rien. Il faut attendre «Oh No Not You Again» pour retrouver la terre ferme et la grosse riffalama. C’est assez violent, on assiste à un beau développé de Stonesy et c’est à Charlie que revient l’honneur de finir en beauté avec «Look What The Cat Dragged On». Charlie power ! Imbattable.

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    Le dernier album des Stones paraît en 2016 et s’appelle Blue & Lonesome. C’est un album conçu en hommage au blues et ils tentent de renouer avec le son de leurs premiers albums, mais sans Brian Jones, ce qui est une grave erreur. Sans Brian Jones, les Stones ne sont pas très doués pour le blues. Les problèmes commencent avec le «Just A Fool» de Little Walter. Jag y sonne comme une vieille tante de la Nouvelle Orleans. Derrière ça joue et ça bat sec et net. Quoi qu’on en pense, il faut avoir écouté ça. Et pas sur un smartphone. Il faut un minimum de son pour se faire une idée. Avec «Commit A Crime», Jag se prend pour Wolf, donc ça pose un problème. Ça ne marche pas, malgré tout l’harmo du monde. On les voit jouer aussi le morceau titre à l’extrême sincérité, mais justement, c’est là où le bât blesse : trop de sincérité tue la sincérité. Jag tente de faire illusion avec l’antique «All Of Your Love» de Magic Sam, mais encore une fois, on décroche. Il faut attendre «I Gotta Go» pour voir les Stones s’aligner sur la folie de Little Walter. Saluons leur courage. C’est gonflé de leur part. Charlie stompe le beat et sauve les Stones du naufrage. Et comme on le voit avec le heavy blues d’«Everybody Knows About My Good Thing», Keef ne fait jamais n’importe quoi. Même s’il choisit Johnnie Taylor, les Stones manquent de crédibilité sur ce coup-là. N’est pas Stax qui veut. Et si c’est Keef qui le prend au chant, on l’accepte, mais jamais Jag. No way. Retour à Little Walter avec «Hate To See You Go» tapé au heavy beat de garage blues. C’est bardé de son et d’énergie, c’mon baby/ baby please don’t go - Ils noient ensuite «Hoodoo Blues» d’harmo, et Jag chante comme à l’aube des Stones. Alors forcément, ça pince le cœur. D’autant que les Stones rendent un bel hommage au génie de Lightning Slim.

    Au moment de l’interview, Charlie a 73 balais. Il pense pouvoir jouer avec le Stones jusqu’à 85 ans - C’est facile, tu t’arranges pour que le public soit heureux à la fin de la soirée - L’interview a lieu au moment où les Stones prévoient de partir en tournée pour jouer Sticky Fingers. Mais sans Mick Taylor. En même temps, Charlie avoue qu’il en a un peu marre des tournées - I want to do other than sit in a hotel in Ohio. Je veux dire que j’ai fait ça toute ma vie. Si Keef était là, il dirait : ‘Que veux-tu faire d’autre ?’ - Charlie reconnaît pour finir que les Stones sont plutôt bien conservés. Paytress lui fait d’ailleurs remarquer qu’il a toujours ses cheveux. We’ve kept a lot of it together, lui répond Charlie, surtout Mick. Mais aussi Roger Daltrey, et Ringo. Il rappelle ensuite que passé les 40 ou 50 ans, il y a des choses à faire pour pouvoir encore durer 20 ans. Paytress demande quelles choses et Charlie lui répond faire de l’exercice. Mais pas trop. Il dit détester les muscles. «Si tu as des muscles, tu ne peux plus porter un costume.» Alors Paytress lui rappelle que Ginger avait fait du vélo de course. Charlie conclut là-dessus : comme Keef, Ginger était une force de la nature. Ginger n’avait pas l’air bien ces derniers temps, mais il jouait encore comme un démon après avoir mené la vie qu’il a mené. Now that’s amazing.

    Signé : Cazengler Charlie Ouaf (va chercher la baballe)

    Rolling Stones. England’s Newest Hitmakers. London Records 1964

    Rolling Stones. 12 x 5. London Records 1964

    Rolling Stones. The Rolling Stones Now ! London Records 1965

    Rolling Stones. Out Of Our Heads. London Records 1965

    Rolling Stones. December’s Children. London Records 1965

    Rolling Stones. Aftermath. London Records 1966

    Rolling Stones. Got Live If You Want It. London Records 1966

    Rolling Stones. Between The Buttons. Decca Records 1967

    Rolling Stones. Their Satanic Majesties Request. Decca Records 1967

    Rolling Stones. Beggars Banquet. Decca Records 1968

    Rolling Stones. Let It Bleed. Decca Records 1969

    Rolling Stones. Get Yer Ya-Ya’s Out. Decca Records 1970

    Rolling Stones. Sticky Fingers. Rolling Stones Records 1971

    Rolling Stones. Exile On Main St. Rolling Stones Records 1972

    Rolling Stones. Goats Head Soup. Rolling Stones Records 1973

    Rolling Stones. It’s Only Rock’n’Roll. Rolling Stones Records 1974

    Rolling Stones. Black And Blue. Rolling Stones Records 1976

    Rolling Stones. Love You Live. Rolling Stones Records 1977

    Rolling Stones. Some Girls. Rolling Stones Records 1978

    Rolling Stones. Emotional Rescue. Rolling Stones Records 1980

    Rolling Stones. Tattoo You. Rolling Stones Records 1982

    Rolling Stones. Undercover. Rolling Stones Records 1983

    Rolling Stones. Dirty Work. Rolling Stones Records 1986

    Rolling Stones. Steel Wheels. Rolling Stones Records 1989

    Rolling Stones. Voodoo Lounge. Virgin Records 1994

    Rolling Stones. Stripped. Virgin Records 1995

    Rolling Stones. Bridges To Babylon. Virgin Records 1997

    Rolling Stones. A Bigger Bang. Virgin Records 2005

    Rolling Stones. Blue & Lonesome. Polydor 2016

    Mark Paytress. The Mojo interview : Charlie Watts. Mojo # 261 - August 2015

     

    Down in New Orleans

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    Avec Stuart Baker (New Orleans Funk/Soul Jazz), l’autre grand spécialiste du New Orleans Sound s’appelle John Broven. Rhythm And Blues In New Orleans est très certainement l’ouvrage de référence en la matière. Comme le dit si bien Charles Aznavour, ils sont venus, ils sont tous là. Broven brosse dans son livre le portrait de chacun des acteurs d’une scène incroyablement riche, à commencer bien sûr par Cosimo Matassa, le Sam Phillips local, auquel Fatsy, Little Richard, Lloyd Price et tant d’autres doivent tout. Passionné de son, ce petit épicier italien développa ce que Mac Rebennack appelle the Cosimo sound - strong drums, heavy bass, light piano, heavy guitar, light horn and strong vocal lead (gros son de batterie, de basse et de guitare, piano et cuivres légers et chant puissant) - Alors bien sûr, vous allez dire que c’est facile pour lui quand on a des mecs aussi brillants que Fatsy et Little Richard dans le studio, mais non, pas du tout, il faut raisonner à l’inverse, c’est parce que ces mecs sont brillants qu’il faut se montrer à la hauteur. Mac ajoute que Cosimo demandait au guitariste de doubler la bassline et aux cuivres de la renforcer. Mais ce n’est pas tout. Cosimo : «The New Orleans Sound wasn’t only based on horns and rhythm. There’s a kind of attitude to lyrics too.» (Le son New Orleans n’est pas seulement basé sur les cuivres et la rythmique. Les textes jouent aussi un rôle capital). Il cite l’exemple des Cajun guys de la Louisiane du Sud qui avaient la même kind of attitude to lyrics, oui des mecs qui savaient soigner leurs textes. D’ailleurs Huey P. Meaux travailla énormément avec Cosimo. Notons qu’en 1956, Cosimo avait déjà enregistré «Lawdy Miss Clawdy», «Tutti Frutti» et «Ain’t That A Shame». Pas mal pour un petit épicier rital, non ?

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    Red Tyler parle du studio de Cosimo comme d’un endroit très primitif - Si tu vas y jouer en été, tu vas avoir de sacrés problèmes, car il n’y a pas d’air conditionné - et Bert Frilot qui travailla pour Cosimo de 1961 à 1964 ajoute : «Anytime we had a recording session, that morning we’d call the French Market Ice Company and we would order two tons of crushed ice.» (Chaque fois qu’on allait enregistrer, on appelait la French Market Ice Company pour se faire livrer deux tonnes de glace pilée). Le nom de Cosimo restera donc attaché à des anecdotes aussi poilantes que celle des deux tonnes de glace pilée. Par contre, l’aspect business est beaucoup moins drôle. Le pauvre Cosimo tenta l’aventure en montant Dover Records. Il croyait réussir là où Harold Battiste avait échoué avec A.F.O. Records, mais il allait y laisser toutes ses plumes. Les sous rentraient moins vite qu’ils ne sortaient - I didn’t know anything about the record business - Pourtant il avait des hits («Tell It Like It Is» d’Aaron Neville ou encore «Barefootin’» de Robert Parker), mais ça ne suffisait pas. Les distributeurs jouaient sur les délais de paiement et Cosimo fut confronté au même problème qu’Uncle Sam à Memphis : plus de tréso. Le pauvre Cosimo n’avait pas d’Elvis à vendre pour se remettre à flot et il perdit tout ce qu’il possédait, y compris l’épicerie.

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    C’est Roy Brown qu’on voit en couverture de l’ouvrage de John Broven. Pour le situer, Broven dit qu’il fut le premier chanteur de Soul et que ses héritiers sont les géants du popular urban-blues, B.B. King, Bobby Blue Bland et Little Milton, auxquels il faut ajouter the early rhythm and blues output de Little Richard, de Clyde McPhatter et de Jackie Wilson. Avec «Good Rockin’ Tonight», Roy Brown started it all in New Orleans : enregistré en 1947 chez Cosimo, soit quatre ans avant que Jackie Brenston et Ike Turner n’enregistrent «Rocket 88» chez Uncle Sam à Memphis, un Rocket qu’on considère à tort comme le first rock’n’roll record. Mais dans les deux cas, on se fourre le doigt dans l’œil jusqu’au coude : la première à hot-rocker dans ses godasses fut Sister Rosetta Tharpe en 1944 avec «Strange Things Happening Every Day». Elle y passait un petit solo hardi qui fit bander plus d’un guitariste.

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    New Orleans devient vite le nouvel El Dorado et le premier à en profiter, c’est Lew Chudd, le boss d’Imperial Records, label indépendant californien. C’est avec Chudd que commence la merveilleuse aventure de Fatsy, l’un des artistes les plus attachants et les plus brillants du XXe siècle. Cosimo rappelle que Fatsy était très créatif. Il savait s’approprier un air traditionnel. Broven : «Somehow Fats was rock’n’roll’s safety valve, and all he was putting down was good-time New Orleans music.» (D’une certaine façon, Fats servait de soupape de sécurité au rock’n’roll, il proposait de la good time music de la Nouvelle Orleans). Et il ajoute : «Relaxed good humour permeated his records and everything was simple and danceable.» Oui Broven a raison, sa musique respirait la joie et la bonne humeur et tout le monde dansait. Fatsy était aussi très populaire chez les Cajuns. Earl King se souvient d’avoir vu dans le bayou des juke-box bourrés de singles du grand Fats Domino. Parmi les gens qui doivent tout à Fatsy, on trouve bien sûr Clarence Frogman Henry, Joe Barry, Warren Storm, Chubby Checker, Bobby Darin et Little Milton à ses débuts. Broven dit mieux que personne la puissance de Fatsy sur scène : «Fats drove the band from the front, with immaculate drummer Smokey Johnson by his side setting up an irresistible street beat.» (Fats jouait devant sur scène et installé à côté de lui, Smokey Johnson battait l’irrésistible street beurre). Allen Toussaint qualifiait Fatsy de master of simplicity, mais il ajoute que la racine de sa légende reposait sur the studio magic created by Fats and Dave Bartholomew, with Cosimo Matassa at the control board. Toussaint a raison d’insister sur ce point : un artiste n’est jamais seul pour créer de la magie. C’est dans tous les cas une combinaison. Ici, ils sont trois : Fatsy, Dave Batholomew ET Cosimo. Dans le cas d’Elvis, ils seront quatre pour créer la magie de «That’s All Right» en 1954 : Elvis, Scotty Moore, Bill Black ET Uncle Sam.

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    Avec Lew Chudd, l’autre grand exploitant du New Orleans Sound s’appelle Art Rupe, boss de Specialty Records, un autre label indépendant californien. Il voyait Lloyd Price comme un équivalent de Fatsy et «Lawdy Miss Clawdy» parut en 1952. Quand Lloyd Price est appelé sous les drapeaux, il ramène Little Richard chez Specialty, et du coup, il perd sa couronne. Rien ne pouvait arrêter the wild and frantic Little Richard. Tous ses hits furent enregistrés en 13 mois, de septembre 1955 à octobre 1956, chez Cosimo, on North Rampart. Selon Mac Rebennack, Little Richard avait du talent, mais il n’eut de succès que lorsque Lee Allen and Red Tyler put that sound on him and put that hard rock feel on him. C’est le New Orleans Sound that got Little Richard across, and since he’s left that sound behind, he’s never been susscessful. Little Richard devait tout, absolument tout, au barrelhouse power de New Orleans et il commit une erreur fatale en allant ensuite enregistrer ailleurs. Pas de wild and frantic Little Richard sans New Orleans Sound, sans Earl Parmer ni Lee Allen. Il arriva la même mésaventure à Guitar Slim : tant qu’il enregistrait chez Cosimo, ça restait passionnant et tout s’écroula dès qu’Art Rupe l’envoya enregistrer ailleurs - New Orleans music does not travel (c’est un son qui ne s’exporte pas) - Guitar Slim n’enregistra que quatre cuts chez Cosimo, dont le fameux «The Things That I Used To Do», lors d’une session supervisée par Jerry Wexler, pour ATCO. Mais Art Rupe voulait Slim et il l’envoya enregistrer ailleurs, ce qui ruina sa carrière. Guitar Slim mourut alcoolique à New York. Il n’avait que 33 ans. Il était pourtant devenu légendaire : quand il jouait dans un club, il lui arrivait de sortir dans la rue avec sa guitare. Il portait des costards très voyants, rouges, blancs ou verts (the loudest green). Al Reed : «Jimi Hendrix was a latecomer with this electric sound. The man who had a hell of a lot to do with the electric sound was Guitar Slim, because his was the finest and his was about the first. No one else had done it before.» (Jimi Hendrix est arrivé longtemps après Guitar Slim qui fut le premier à jouer aussi électrique et il était le meilleur. Avant lui, personne n’avait jamais sorti un son pareil). Et Mac ajoute que lorsqu’on entend jouer Earl King, on entend Guitar Slim - But Earl was never the insane entertainer that Slim was.

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    John Broven évoque aussi le proto-punk de la Nouvelle Orleans, avec Jerry Byrne et Ronnie Barron. C’est Byrne qu’on retrouve dans l’ultra-mythique «Morgus The Magnificient» de Morgus and The 3 Ghouls, mystérieuse formation dans laquelle officient Mac et Frankie Ford. Pour Mac, Jerry Byrne et Joe Barry étaient «the two problem kids that I had.» Il faut préciser que tout ce petit monde tournait à l’héro. Broven évoque aussi le souvenir du grand Bobby Charles, un kid blanc qui s’imposa dans la black scene, avec ce mélange de New Orleans r’n’b et de Cajun feel qu’on appelle swamp pop et dont Ace remplit aujourd’hui de délicieuses compiles.

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    L’autre grand héros de Broven, c’est Johnny Vincent, d’origine italienne comme Cosimo et qui après avoir bossé pour Art Rupe chez Specialty fonda le label Ace à Jackson, Mississippi (un nom qu’allaient reprendre Ted Carroll et Roger Armstrong à Londres, en hommage à Johnny Vincent). Sur Ace, on trouvait Frankie Ford, Huey Piano Smith, Earl King, Joe Tex et... Morgus and The 3 Ghouls. Tout le catalogue Ace est réédité sur Ace en cinq volumes. On peut parler de passage obligatoire.

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    L’ouvrage de Broven épuise autant qu’une marche en forêt équatoriale. Il n’en finit plus de ramener des figures de légende. Tiens, Earl King, fils spirituel de Guitar Slim. Broven dit qu’avec lui, on est au cœur du South Louisiana swamp-pop style. Cosimo le considère comme un grand producteur, un homme à idées - He would be coming up with little figures that fit (Il sortait des petits gimmicks qui convenaient parfaitement) - Earl King enregistrait pour des tas de labels locaux.

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    Broven évoque aussi les sessions organisées par Berry Gordy en 1963 avec un pack d’artistes de la Nouvelle Orleans, Eskew Reeder (Esquerita), Earl King, Joe Jones et Reggie Hall. Reeder indique que ces sessions changèrent le son de Motown qui était alors cha-cha («Shop Around») et qui se transforma pour devenir le full sound des Vandellas («Nowhere To Run»), that funky boomin’ stuff we brought up from New Orleans. Ne les cherchez pas, ces sessions pour Motown sont restées inédites.

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    Earl King n’eut pas le temps d’écrire son autobio, Huey Piano Smith non plus, mais par chance, John Wirt lui consacre un ouvrage, Huey Piano Smith And The Rocking Pneumonia Blues. Smith avait commencé dans les années 50 à tourner dans les clubs avec Guitar Slim, puis après avec Earl King. Comme Dave Bartholomew trouvait Smith trop parfait au piano, il lui conseilla de jouer quelques fausses notes, ‘like Little Richard’. Smith tournait avec un groupe à géométrie variable nommé the Clowns dans lequel passèrent des gens comme Bobby Marchan et Gerri Hall. Huey Smith ne jurait que par la good time music, comme Fatsy. Cosimo le traitait de driving force. Huey was hot et ses albums sortaient sur Ace.

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    ( Joe Banashak )

    Puisqu’on parle des labels locaux, voilà Minit monté par Joe Banashak. Mac : «Banashak was the fortunate cat to fall upon Toussaint’s services.» (Banashak eut la chance de tomber sur un mec aussi doué qu’Allen Toussaint). Banashak embauche en effet Allen Toussaint comme producteur maison et Minit devient légendaire, avec un roster composé de gens comme Bobby Womack, Ernie K-Doe et Chris Kenner qui est selon Mac, l’un des heaviest songwriters down here - I don’t think there was anybody writing better songs, from ‘Sick And tired’ to ‘Something You Got’ in the gospel tradition, and his writing influenced Allen Toussaint - Son vieux complice Marshall Sehorn dit de Toussaint qu’il fut the most talented man I’ve ever known.

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    Dans ce livre, Mac est à la fête bien sûr, surtout quand Harold Battiste décrit le son de Dr. John the Night Tripper : «African-New Orleans-Congo Square type of spiritual thing.» Eh oui, ça devient intéressant quand le rock se fait spirituel. Battiste sait de quoi il parle puisqu’il produisit le premier album de Dr John à Los Angeles. Personnage clé lui aussi, Harold Battiste, qui fut le boss du label A.F.O., l’un des berceaux du pur New Orleans Sound, et qui comme Cosimo, bouffa la grenouille. Battiste connaîtra des heures meilleures à Los Angeles en lançant Dr John et en produisant «I Got You Babe» de Sonny & Cher. Il va aussi co-produire Doctor John’s Gumbo avec Jerry Wexler, un album clé de la mythologie de Big Easy puisque Mac y rend hommage à tous ses héros, Huey Smith, Archibald, Earl King et Fess, aidé en cela par une ribambelle de légendes locales : Lee Allen, Ronnie Barron, Shirley Goodman, Tami Lynn et Alvin Robinson.

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    Restons au rayon des producteurs de génie. Voici Dave Bartholomew, qui vient tout juste de casser sa vieille pipe en bois à l’âge de 100 ans. Bert Frilot le situe ainsi : «Dave Batholomew was another one of those guys that was smarter than he knew he was.» (Il était encore plus classe qu’il ne croyait l’être, pas mal comme compliment, non ?) Frilot ajoute que Bartho pouvait diriger un big band et qu’au premier abord il pouvait avoir quelque chose d’intimidant.

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    Broven termine son parcours du combattant avec les Meters et leur organized freedom qui fit tant baver Keith Richards. En 2015, Broven se félicitait de voir que ses deux grands héros Fatsy et Bartho étaient encore en vie. Fatsy monta sur scène pour la dernière fois en 2007 au Tipitina, un set qu’on retrouve dans le film Walking Back To New Orleans.

    Marshall Sehorn : «You can go anywhere you want to: there’s no music like New Orleans music. There’s no other singers like New Orleans singers. There’s no other people like New Orleans people. Nobody else has as good a time as we do. Nobody else shakes their ass as we do, and that’s everybody, everybody from old to young, black and white, Indians, jumpin’, dancin’, carryin’ on and having a good time. And that’s what it’s all about. That’s what this city is all about.» (Tu peux aller où tu veux : il n’existe rien de comparable au son de la Nouvelle Orleans, rien de comparable aux chanteurs d’ici, rien de comparable aux gens d’ici. Ici, on prend du bon temps, personne ne danse comme on danse ici, les jeunes comme les vieux, les bancs, les noirs et les Indiens, tout le monde danse et prend du bon temps, et ça dit tout ce qu’il faut savoir de la Nouvelle Orleans).

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    La meilleure illustration de cette déclaration prophétique est sans doute le Mardi Gras de la Nouvelle Orleans. Le roi du Mardi Gras s’appelle Theodore Eugene Bo Dollis. Il chante dans un Indian Tribe nommé the Wild Magnolias, et leur premier album, The Wild Magnolias With The New Orleans Project parut en 1974. Aaron Neville : «The Wild Magnolias record was the first of its kind.» C’est ce qu’on appelle en langage tonitruant a smokin’ beast, un véritable chef-d’œuvre de funk primitif. Art Neville : «You heard everything in that music, Sly Stone, James Brown, Parliament, Funkadelic, even the Meters.» Rien qu’avec «Handa Wanda», c’est dans la poche. Wow, quel shuffle de funk ! C’est wahté d’entrée de jeu, chanté à l’Africaine et monté sur une extraordinaire assise rythmique, avec bien sûr des filles qui déraillent. Bo Dollis mène le bal des vampires. Même jus avec «Smoke My Peace Pipe», afro-cubain en diable, jazz de Soul de butt. On est dans l’excellence du beat, dans la moiteur des jazz-roots, dans l’orgie des influences - Sly, War, Isleys, JB’s, MG’s, Hendrix & Coltrane - Bo : «No pop, but that Otis Redding and Little Willie John, they were alright !». Pour Bo qui adore Otis et Little Willie John, le rêve absolu est de voir les Indian Tribes from Brazil, Trinitad, Haïti and the Wild West hanging out and having fun, Willie Tee est survolté, pas besoin d’expliquer, just listen ! On reste dans l’énormité avec «(Somebody Got) Soul Soul Soul», énorme cut de Soul System, têtu comme une mule, joué à l’excellence des percus et ramoné par le bassmatic. Sans doute avons-nous là le meilleur funk d’Amérique. Les Wild Magnolias terminent ce festin de son avec une triplette insurpassable : «Golden Crown», «Shoo Fly» et «Iko Iko». Back to Congo Square, sous tension maximaliste, avec tout le génie du carnaval et de ses coups de sifflets. Ils tapent «Shoo Fly» au funk têtu comme une mule, avec toute l’énergie du gospel batch puis Bo éclate l’Iko du Congo. Les filles sont magnifiques. Cyril Neville : «It came from New Orleans, and it also came from a deeper place, a place of alienation, double alienation, for being black and for being Indian.» (Ça vient de la Nouvelle Orleans, bien sûr, mais aussi de quelque chose de plus profond, d’une double aliénation, celle d’être nègre et celle d’être indien). Cyril parle bien sûr de marginalisation.

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    Sur la pochette de They Call Us Wild, les Wild Magnolias posent en grande tenue de carnaval. Au dos de la pochette, on trouve les portraits des musiciens qui les accompagnent. Black is black. Tout l’univers musical des Wild Magnolias tourne autour du carnaval. Ils tapent «New Suit» au funk de Soul très pro. Soul brother à la voix très généreuse, Bo Dollis mène bien sa barque. Le hit du disk s’appelle «Fire Water». Groove de forêt profonde et humide, ultra joué aux percus, un vrai modèle de funk africain et attention, car les Injuns arrivent avec «Injuns Here We Come» ! Bo shake bien son shit secoué de percus. Le bassman Erving Charles fait décoller le groove. Bo mâche sa niaque. Ça repart de plus belle en B avec «New Kinda Groove». Bo joue la carte du heavy groove. Il fait danser les esprits. Bo ne lâche jamais prise. La classe du groove de funk qui suit : «Jumalaka Boom Boom» ! Erving Charles joue comme un dieu. Il drive sa basse en queue de poisson. Il récidive avec «We’re Gonna Party». Ce démon d’Erving Charles crée la magie chez les Magnolias. Groove profond et luxuriant comme la forêt du Douanier Rousseau - Do you wanna party/ That’ what I say/ Party all nite long - Huitième merveille du monde.

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    Grand retour de Bo Dollis & The Wild Magnolias en 1990, soit quinze après, avec I’m Back At Carnaval Time. Casting de rêve : George Porter on bass et Snooks Eaglin on guitar. Bo attaque avec cet extraordinaire shoot de good time music qui s’intitule «Carnival Time» - Everybody’s happy - organique ! On a même un solo de trompette dixieland. S’ensuit un «Bon Ton Roulet» magnifique, véritable street rumble, il bong tong roulette, Bo chante au timbre fêlé. Belle version d’«Iko Iko» cuite dans son jus d’Africanité. Bo chante ses gênes de Brazzaville et de fuckin’ Servognan et tout l’album remonte ainsi dans le temps, comme une pirogue sur un fleuve inexploré. Tiens voilà «Shallow Water Oh Mama», fantastique exercice de style, soufflé à la Satchmo, c’est-à-dire aux trompettes de la renommée, mais ça joue dans la matière d’un groove, plus sophistiqué, pas loin de Miles Davis. On tombe plus loin sur l’imparable «Tipitina», ils fessent le Fess, à la trompette de tromblon, ce sacré Bo roule Tipi dans sa vieille diction salivaire. On s’effare de tant de classe, tous ces mecs du carni font un carnage et Bo chauffe à blanc le cul du cut. Encore une merveille avec «Coconut Milk». On suivrait Bo Dollis jusqu’en enfer. Si on recherche de l’organique, c’est là. George Porter fait le con sur sa basse pouet-pouet. Tout bascule dans la démesure, dans une orgie de beat et Bo is back, inlassable, mouvant, il groove tout à l’édentée patentée.

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    Bo Dollis & The Wild Magnolias remettent leur business en route en 1996 avec 1313 Hoodoo Street. Bo tape dans le Cuban beat avec «Run Joe». Ça se danse avec une poule dans les bras et un grand verre de rhum à la main. Ce Bo-là chante divinement, au chicot branlant. Il sonne comme le roi de la fête au village. C’est tellement plein de son que ça frise chaque fois l’énormité. On tombe beaucoup plus facilement accro de Bo Dollis que d’un disque de garage classique. Pourquoi ? Parce qu’ils s’y passe des trucs extraordinaires. Bo est un diable. «Angola Bound» pourrait bien être l’hymne à la liberté des esclaves. Bo le prend à la petite voix, accompagné par les fantômes des congas de Congo Square. Fuck, tous ces pauvres blacks n’avaient pas demandé à voyager, et encore moins à devenir les esclaves des blancs ! Mais Bo décide de prendre la chose du bon côté et fait battre les tambours. Ça donne Bo Diddley à la Nouvelle Orleans. On passe au funk avec l’excellent «Might Mighty Chief», Bo part en guerre - I’ve got a dance - mais il part en guerre sous le boisseau, en pur groover épidermique. Il tape aussi une reprise de «Walk On Gilded Splinters». C’est joué au boogaloo du lac Pontchartrain, avec le spectre de Marie Laveau en toile de fond. Bo sait réveiller les zombies. Il en fait une version bien plus authentique que celle de Steve Marriott. Les morts sont là ! Il n’existe pas de pire version. Son «Voodoo» est trop funk pour le boogaloo, mais comme Bo est un mec bien, alors on le suit. Il sabre son funk à merveille - Voodoo women ! - Les chœurs effarent au plus haut degré. Bo est dans le bain. Ça baigne pour Bo. Encore une belle rasade de funk New Orleans avec un «Injuns Here They Come» très africain, bien ramené au devant de la scène, pure africana, le son a survécu aux horreurs de l’esclavage, c’est dire si la nature humaine a bon dos. Bo salue les Injuns, c’est-à-dire les Indiens, eux aussi victimes de la cruauté des blancs dégénérés. Il termine cet album faramineux avec un «Indian Red» encore plus primitif. C’est leur façon de dire «Foutez-nous la paix !».

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    Quel fantastique délire carnavalesque que ce Life Is A Carnival ! Cet album peut rendre dingue, surtout si on commence à écouter «Pock-A-Nae» en regardant le Tribe danser la nuit sous le grand chêne. C’est de l’African beat funk, cette Africana qui traversa l’océan bien malgré elle, mais elle resplendit désormais de tout son éclat magique. Rien d’aussi définitif que ce funk de la Nouvelle Orleans, beat têtu et sensuel - All nite long - Pur genius, esprit vengeur du peuple noir qui mangera les petits culs blancs. «Pock-A-Nae» vous hantera. Toute la mythologie se met en route avec «Who Knows», groove Pontchartrain, digne de Dr John et mené par Big Chief Bo Dollis qui n’en finit plus de rallumer des brasiers dans «Party» - We are the Wild Magnolias/ Keen to sing you a song - C’mon, c’est digne de Sly - We’re on a party - C’est à se damner, le Tribe nous balance l’un des meilleurs rafts de funk de l’univers. Raw to the bone ! On vendrait son père et sa mère pour un cut aussi beau qu’«All On A Mardi Gras Day», joué au duveteux de la Nouvelle Orleans, avec un coup de tuba dans le cul du cut. Atmosphère ! Atmosphère ! Est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère ? Et voilà le Zulu King, c’est le carnaval, tout le monde danse. «Shanda Handa» sonne assez Dr John, c’est même envoûté de frais, on mesure l’emprise du hoodoo sur le rock blanc. Tout Dr John vient de là, du monde des esprits. Oui, l’Afrique a vraiment débarqué sur le continent. Avec «Cowboys & Indians», on retrouve l’esprit de Splinters, fabuleux groove de cimetière à la nuit tombée joué aux percus. On parlait du loup, le voilà : Dr John joue sur «Blackhawk», nouveau cut d’ambiance subliminale, monté sur un sale groove de mousse de cimetière abandonné - When I come down to New Orleans - Ils racontent leurs routes et leurs déroutes. Tout cet album vibre de hoodoo motion, de pulsion carnavalesque, d’all nite long, on entend jouer un guitar king du coin de la rue dans «Battlefield» et Marva Wright vient débaucher le funk-monster «Hang Tough», elle s’y arrache les ovaires, Bo Dollis l’allume et elle répond du tac au tac. Encore un chef-d’œuvre violent et dangereux avec «Tootie Ma», digne de David Lynch et des exécutions sommaires auxquelles on assiste furtivement dans Wild At Heart.

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    Un autre Indian Tribe vaut largement le détour : The Wild Tchoupitoulas, avec un album du même nom paru en 1976. Même genre d’extravagance, ces mecs posent en costume d’Injuns de carnaval, mais cette fois, Allen Toussaint les produit et les Meters les accompagnent. Leon, George, Zigaboo, ils sont tous là. Le boss s’appelle Big Chief Jolly et il mène le bal du gospel carnavalesque. Personnage clé dans l’histoire des Neville Brothers puisque George Landry, aka Big Chief Jolly, n’est autre que leur oncle. Ce junkie notoire et dealer local passe ses nuits en ville et rentre au petit matin en sifflotant. Charles Neville : «Always sharp. Hats for days.» Toujours sur son trente-et-un et coiffé d’un chapeau. Aaron raconte qu’Uncle Jolly s’asseyait au piano pour jouer (to bang out) ‘Junkie Blues’. Et bien sûr, Uncle Jolly porte une arme. Un jour, la police l’accuse d’avoir accosté une blanche. Les poulets commencent par le mettre en cage pendant 72 heures. La question n’était plus de savoir si l’histoire était vraie, si Jolly connaissait cette femme, s’il l’avait même déjà vue. La blanche est catégorique, même si pour elle tous les nègres se ressemblent. Alors les poulets mettent la pression sur Jolly. Tu vas avouer, niggah ? Impossible. Pourquoi ? Parce que Jolly ne peut pas avouer un truc qu’il n’a pas commis. Les coups commencent à pleuvoir. Bim bam ! Jolly tient tête. Mais non, j’ai rien fait ! Alors les flicards lui disent : «Baisse ton froc» et le placent face à un bureau. Un poulet ouvre un tiroir, dit à Jolly d’y mettre ses couilles et claque le tiroir. Cyril Neville : «They nearly beat him to death. Ils l’ont tellement rué de coups qu’il n’entend plus d’une oreille. Mais il a réussi à garder sa dignité et ils ont été obligés de le relâcher.»

    Ce héros de la famille Neville dit un jour à ses neveux qu’il voudrait bien enregistrer un disque comme celui des Wild Magnolias. Son idée est simple : il veut une musique qui puisse exprimer l’esprit et l’âme de son Uptown tribe. Comme il revendique le sang indien qui coule dans ses veines, ses neveux lui proposent «Indians Here We Come», un groove à la Dr John. Fantastique décontraction de groove - I’m sending my gang down two by two - Ils tapent ensuite dans un hit des Meters, «Hey Pocky A-Way». George Porter entre dans le lard du funk à la syncope. Zingaboo souligne ça finement. On est dans l’archétype du New Orleans Sound, joué à l’épisodique miraculeux. Les voix éclatent dans le blossom de la légende. L’«Indiand Red» qui ouvre le bal de la B est un hymne à la révolte - We are the Indians of the nation/ The wide wild creation/ We won’t kneel down/ Not on the ground - Fantastique déclaration d’indépendance, les Tchoupi gèrent ça au gospel batch. S’ensuit un fantastique «Big Chief Got A Golden Crown» avec de paroles mythiques - Mardi Gras morning when the sun comes up/ Big Chief gets a golden crown/ Drink fire water from a silver cup - Joli groove vermoulu, idéal pour danser dans la rue avec Martha. Encore un joli slab de funkitude avec ce «Hey Mama» joué aux congas de Congo Square - Hoon don day - C’est rythmé au don day ! Pour Cyril Neville, voir son oncle chanter, c’était comme de voir un roi : «It was royalty, funky royalty. The gooves were dance grooves, parade grooves, party grooves. It was a music of motion, a music that moved us to change our lives.» Aaron Neville pense que cet album enregistré avec Uncle Jolly est un disque saint. Uncle Jolly veut enregistrer un deuxième album, mais quand il voit si peu de blé arriver, il décide d’arrêter les frais : «Screw ‘em. I ain’t recording for those guys again.» Jolly propose de partir en tournée et ils déboulent en Californie avec Fess.

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    Wardell Quezergue est l’une des légendes du New Orleans Sound des années soixante et soixante-dix. Mais il est beaucoup moins connu qu’Allen Toussaint. Pourtant, dès qu’on met le grappin sur l’une de ses production, on tombe de la chaise et ça fait mal au cul. La preuve ? Cette compile inespérée qui s’appelle Sixteen Smokin’ Soul Senders Vol. 1 et qui sonne comme un Best of Stax, mais avec un petit quelque chose de particulier : les artistes qui s’y trouvent sont notoirement inconnus, à commencer par l’immense Lydia Marcelle et son «Everybody Dance». Une pure énormité sortie des Districts - C’mon baby do the jerk - Elle chante comme une sale petite carne des bas fonds, elle ramène tout le scum des streets, ça clap du hand et ça stomp du feet. Révélation suprême et timbre unique. Un peu comme Earl-Jean McCrea. L’autre grosse poissecaille de cette compile miraculeuse s’appelle Senator Jones. Il est là avec deux smokin’ monsters, «Let Yourself Go» et «Boston Feel». Il y est soutenu par des chœurs de filles complètement délurées. Vous n’aurez ça qu’à la Nouvelle Orleans. Senator Jones chante avec une vraie voix d’arrache. Il a ce petit quelque chose que n’ont pas les autres. Si vous aimez bien le raw r’n’b, c’est là que ça se passe - Do the Boston feel ! - Tiens, voilà encore une incroyable merveille d’Ali Baba : the Jades avec «Lucky Fellow», un fabuleux hit de groove de Soul. C’est même la part du rêve, le hit absolu des jours heureux. Idéal pour les petits cœurs serrés. Et ça repart de plus belle avec the Fabuletts et «Can’t Stay Away», encore une belle lampée de r’n’b. Tout y soigné, le son, les chœurs, les cuivres, c’est du hot raw de rêve. Et les Bates Sisters s’amusent à sonner comme les Ronettes. Yeah baby, on se croirait chez Phil. Elles y croient dur comme fer. Et puis voilà Guitar Ray qui radine sa fraise avec «Patty Cake Shake», un hit roulé dans la farine d’une basse bien ronde. C’est d’une classe indécente. Vous ne trouverez pas un seul déchet sur cette compile. Tout est nickel chez Wardell. Il visait de toute évidence le public Stax, mais comme les labels locaux n’avaient personne pour les distribuer, c’est resté lettre morte. On y entend aussi l’immensément immense Earl King avec «Feeling My Way Around». Quelle brochette de surdoués !

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    Autre légende du New Orleans Sound, Eddie Bo. Un conseil, chopez Baby I’m Wise. The Complete Ric Singles 1956-1962, une compile Ace plutôt récente. Ne serait-ce que pour entendre «Hey There Baby», un cut digne des Beatles mais avec un batteur dément. Un vrai dingue du beat et le petit solo de sax n’y changera rien. Bo the beat fait le show. Il faut aussi entendre ce coup de génie intitulé «Check Mr Popeye», ce funk bien vermoulu qu’il l’emmène au paradis - Oh do the papah - Eddie Bo est aussi le grand spécialiste du slowah super-frotteur. On en trouve une série sublime dans cette compile, à commencer par «I Need Someone». Eddie chante comme un crocodile, les mâchoires en cœur. On note son incroyable prestance et la qualité plastique du chant l’élève au plus haut rang du kitsch. Même chose avec «Nobody Without You», slowah effarant de présence décadente et de fleurs fanées - Please/ Please come back - Ou encore «Everybody Everything Needs Love», vieux slowah gluant qu’il chante au-delà de ses capacités. Eddie est un démon, il faut le savoir, un extraordinaire artiste, il pousse les choses aux max du mix. On le voit aussi taper dans le r’n’b rudimentaire avec «Every Dog Got His Day». Eddie est une génie du chachapoum de balloche louisianaise, et il se paye même le luxe d’un killer solo de sax. Alors il tombe et remonte, affolant de petite énergie. Il tape aussi dans le heavy blues avec «You Got Your Mojo Working». Ah comme c’est bon ! On est dans le Ric d’époque, c’est-à-dire dans l’underground louisianais de l’excellence. Avec «It Must Be Love», Bo se plonge dans le heavy groove romantico - I wonder - Il se demande pourquoi il est si stupide. Il passe au rock de petite bite avec «Ain’t It The Truth Now» et attention à «What A Fool I’ve Been», c’est à tomber. Il tape là dans l’excellence du kitsch, c’est battu aux congas et nappé de violons. Extraordinaire ! Voilà encore une raison de ne pas perdre Eddie Bo de vue. On le voit danser «Dinky Doo» au coin du juke, il y va à coups de ya ya ya. Il adore aussi le jump comme on le constate à l’écoute de «Ain’t You Ashamed», il chante ça à la fritaille, avec du guitar gimmick de luxe. Ah le veinard ! Eddie Bo ne se refuse rien. C’mon Bo ! Il termine avec le morceau titre, qui est un hit du grand Lee Dorsey - Baby you’d better be movin’ on !

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    Autre passage obligé pour tout amateur de New Orleans Sound : Clarence Frogman Henry. Grâce à Ace, on peut se goinfrer en écoutant Baby Ain’t That Love. Texas & Tennessee Sessions 1964-1974. Comme Eddie Bo, Forgman Henry est un artiste complet et assez fascinant, il faut le voir attaquer «Ain’t Got No Home», ce typical jive de juke monté au oh wooh wooh. Il chante ça d’une voix de gonzesse et ça bascule dans le hot kitsch et puis cet enfoiré redescend chercher son meilleur baryton pour créer de l’expressionnisme. On ne trouve pas ce genre d’artiste sous le sabot d’un cheval. Cette compile pullule de petits hits de juke, à commencer par «Cajun Honey», fantastique coup de mon cher ami, aw quel punch, encore une histoire de fille qui rend fou - You’re driving me wild - Tout aussi excitant, voilà «That’s When I Guessed». Il passe au groove de boogaloo avec «Shake Your Money Maker». Frogman sait jiver sa petite affaire. Il nous propose les meilleures conditions du groove. C’est là qu’on danse avec les loops. Avec «Saving My Love For You», il se montre tout simplement extraordinaire de prestance. Un patron blanc dirait de lui : «C’est un bon esclave !». Il tape dans Meaux avec «Think It Over». C’est noyé d’orgue et Frogman sort des grosses mains balladeuses pour tripoter le cul du cut. Effarant ! «Baby Ain’t That Love» semble gravé dans le marbre de l’underground louisianais. Il sait aussi faire du Fatsy. La preuve ? «Cheatin’ Traces». Il tape aussi une cover du «Sea Cruise» de Frankie Ford, mais il la prend trop reggae et ça ne marche pas. On note au fil des cuts l’extraordinaire santé de cette compile. On passe en effet de genre en genre et Frogman suit le mouvement. Quand il tape dans le heavy blues avec «I Can’t Take Another Heartache», ça devient passionnant, car il sait titiller son blues d’un doigt expert. Il traite «Hummin’ A Heartache» à la maturité de bon aloi. C’est un vieux pro. Il sait jiver un jive et chanter du nez. Lorsqu’arrive «It Went To Your Head», le son se modernise considérablement. Attention, c’est encore du Meaux. C’est ultra-joué à la guitare. Joli coup de Tex-mex avec cette reprise de Doug Sahm, «We’ll Take Our Last Walk Tonight». C’est bardé de coups d’harmo et Frogman en fait une merveille élégiaque. Et quand on écoute «You Can Have Her», on se dit qu’on est bien dans ce coup d’Ace. Eh oui, Ace sait tisonner les vieux braseros et créer les conditions de la légende. Une chose est bien certaine, Frogman Henry en est une. Encore du Meaux avec «Mathilda». Huey P. Meaux s’y connaît en rock motion, aucun doute là-dessus. Frogman tape dans la country avec «In The Jailhouse Now», il gère la chose au mieux des possibilités. Chez Meaux, on ne fait pas n’importe quoi. Quel son ! Voilà ce qui s’appelle une production ! Le heavy groove d’«A Certain Girl» se montre digne de Slim Harpo et cette compile se termine avec «Shock-A-Dilly Alabam» - I was born/ Just across the river/ In a little town - On se trouve une fois plus noyé dans le meilleur groove d’Amérique et il loue les musiciens qui l’accompagnent - Come on Jojo !

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    Puisqu’on dans les passages obligés, en voici un autre : The Dave Barholomew Songbook. The Big Beat. Toujours Ace. On n’imagine pas à quel point Dave Bartholomew fut sollicité en tant qu’auteur. Bien sûr, ça commence par Fatsy, mais tous les grands artistes américains ont tapé dans ses chansons, à commencer par Elvis avec «Witchcraft» (Il jive ça comme un king), Jerry Lee Lewis avec «Hello Josephine» - Hello Josephine/ How doo/ Youuu/ Doooo - Brenda Lee avec «Walking To New Orleans» (Fantastique et juvénile, c’est presque aussi beau que la version de Fatsy) et bien sûr Dave Edmunds avec «I Hear You Knocking» (pur génie, ce Gallois sorti de nulle part qui nous Slim Haponise Bartho). On profite aussi de l’occasion pour réécouter «The Fat Man», vieux coup de ramdam de piano drive. On peut même parler de beat des origines. Là mon gars, tu es aux sources du rock avec ce petit gros qui pianote comme un dingue. Il ventricule son beat à l’orée du bois. Laisse tomber les autres, c’est Fatsy qu’il te faut. Shirley & Lee, c’est du même acabeat. Avec «I’m Gone», on a le duo le plus sexy de toute l’histoire du rock. C’est elle, la reine du groove juvénile, elle dégouline de génie purulent. Dans cet enfer, le pauvre Lee tente de faire surface, mais c’est elle la coche qui ouuuh-ouuuhte le babïïï. Elle est perçante, elle chante du ventre, elle est la source du rock, la pure source de tout le sexe du rock. Prodigieux ! Tiens, encore une folle de la Nouvelle Orleans : Annie Laure, avec «3x7=21». Elle tape ça au gospel batch, elle jazze son dam doo leum dah bam bam et là tu as Ella, tu as aussi Miles qui vient schtroumpher du solo de wah dans l’ombilic des limbes. Ces gens sont sublimes. Tout aussi dévastateur, voilà Smiley Lewis avec «Down The Road». Ah t’as voulu voir Vesoul ? Alors voilà Smiley. Il joue comme une brute. Il chante au gras du yes I’m gone et le solo de sax sonne comme une pétaudière. On a là un extraordinaire drive de New Orleans Sound. Smiley chante comme un démon, yes I’m gone, il défonce la rondelle des annales. Tout aussi explosif, voilà «Ain’t Gonna Do It» des Pelicans. Ils jouent ça à l’énergie concomitante, c’est un délire de good time music. Mais qui ira écouter les Pelicans ? On ne connaît même pas leur existence. Par contre on connaît celle du Johnny Burnette Trio qui tape une belle cover d’«All By Myself». Évidemment, ils claquent ça au jive de rockab de fière allure. On trouve aussi l’un des tout premiers rockers d’Amérique sur cette compile : Roy Brown, qui explose «Let The Four Winds Blow» - Have you heard the news - Quelle énergie ! C’est battu à la diable. Ce shuffle énergétique n’existe nulle part ailleurs. Encore un autre roi du shuffle : Bobby Mitchell avec «I’m Gonna Be A Wheel Someday». C’est joué à l’extrême des possibilités. Rien d’aussi jivé de la ciboulette que ce truc-là. D’autres merveilles impitoyables guettent l’imprudent voyageur : «Everynight About This Time» par les Fabulous Upsetters, ou encore l’implacable «Blue Moday» repris par Georgie Fame. Et combien d’autres encore ? Il faudrait s’étendre sur Keith Powell, Tami Lynn ou encore Bobby Charles. C’est vrai qu’on n’en finirait plus.

    Le mot de la fin revient à Dr. Ike Padnos, cité par John Broven dans sa bible : «New Orleans rhythm and blues, by mixing in the influence of the territory bands, Louis Jordan, and boogie-woogie piano, kicked off with Roy Brown’s ‘Good Rocking Tonight’ in 1948. Then a year later Fats Domino’s ‘The Fat Man’ helped usher in the birth of rock’n’roll with Earl Palmer laying down a subtle backbeat and Dave Bartholomew’s arrangements of the horns doubling up on top of the rhythm section.»

    Signé : Cazengler, new orléon de Bruxelles

    Wild Magnolias With The New Orleans Project. Polydor 1974

    Wild Magnolias. They Call Us Wild. Barclay 1975

    Bo Dollis & The Wild Magnolias. I’m Back At Carnaval Time. Zensor 1990

    Bo Dollis & The Wild Magnolias. 1313 Hoodoo Street. Aim 1996

    Wild Magnolias. Life Is A Carnival. Metro Blue 1999

    Wild Tchoupitoulas. ST. Antilles 1976

    Wardell Quezergue. Sixteen Smokin’ Soul Senders Vol. 1. Night Train International 2002

    Eddie Bo. Baby I’m Wise. The Complete Ric Singles 1956-1962. Ace Records 2015

    Clarence Frogman Henry. Baby Ain’t That Love. Texas & Tennessee Sessions 1964-1974. Ace Records 2015

    The Dave Barholomew Songbook. The Big Beat. Ace Records 2011

    John Broven. Rhythm And Blues In New Orleans. Pelican Publishing 2016

     

    DISARRAY

    ACROSS THE DIVIDE

    ( Digital Album - 02 / 12 / 2020 )

     

    Les ai vus trois fois en concert. Ce n'est pas un mythe, il fut un temps où l'on pouvait voir des concerts, je vous assure que cela a existé, j'avais chroniqué leur album Encounters, j'ai souvent jeté un œil sur leur FB, ne se passait pas grand-chose, je me doutais que dans leur coin ils devaient trimer et tramer quelque plan secret, et au deuxième jour de décembre ils ont sorti un nouvel album, précédé de quelques clips sur You Tube, un acte de courage, mais ils ont raison c'est au petit matin du deux décembre que les canons ont brisé la glace d'Austerlitz, et fissurer la chape de plomb qui est tombé sur le rock est une louable initiative.

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    La pochette mérite d'être vue. Au début vous souriez, quel besoin d'écrire le nom du groupe en si gros sur la pochette, seraient-ils en pleine crise mégalomaniaque. A croire qu'il n'existe qu'eux dans ce bas-monde. Faut scruter l'ocre-orangé pour visualiser la vestale en ses voiles blancs qui va de l'avant les yeux bandés. Son pied-nu frôle la pierre usée d'un porche, serait-ce l'entrée d'un temple abandonné. Derrière elle l'orée d'une forêt embrumée, peut-être simplement un parc déserté, en tout cas, un sentiment de solitude, ambiance romantique, l'on songe aux somptueuses et mélancoliques proses de Chateaubriand et l'on se dit que si le nom du groupe voile la photo de la couverture, ce n'est pas du tout une naïve manifestation de fierté mal-placée mais une mise en situation de l'auditeur, ne sommes-nous pas des aveugles qui marchons dans la vie sans rien savoir de très précis de là où l'on va, même si l'on associe l'idée de mort à la plus néfaste et angoissante noirceur... D'ailleurs le premier titre n'est guère encourageant...

    Black hole : étrange il y a de la musique mais la voix d'Alexandre est si prenante qu'il vous capte et que vous n'entendez qu'elle, s'il y a un trou noir c'est elle dans laquelle vous vous engloutissez, rassurez-vous nous ne sommes ni dans l'espace ni dans la guerre des étoiles, la cavité ombreuse qui vous emporte est à l'intérieur, maintenant vous pouvez entendre le ruissellement du métal, une pluie qui claque et qui lave, vous enferme dans un cocon, car si la désolation est au-dedans de vous, la lumière aussi, il suffit d'oser le voyage de ne pas se perdre dans les mers de noire solitude, juste un passage, un étroit et immense boyau, un tunnel sans fin dont vous finirez par joindre le bout. Superbe intro, une espèce de récitatif sauvage, un rugissement sans fin de lion. Burried memories : harmonieuses glissades, les guitares ont l'air de s'enfuir, comme un relent de fête, mais cela ne dure pas, l'épreuve ne fait que commencer, une espèce de jeu-vidéo, une partie que vous n'avez pas le droit de perdre, l'ennemi est le plus terrible qui soit, vous n'en rencontrerez jamais de pire, vous le connaissez bien, est-ce pour cette raison que cette piste est une épilepsie joyeuse, renforcée par le chœur des voix, hachée par Alexandre, l'alien est en vous, vous êtes l'alien de vous-même, une bête sombre qui vous hante et qui surgit la nuit pour vous attaquer. Une course-poursuite, une chute sans fin à l'intérieur de vous-même, le morceau s'arrête brusquement, avez-vous touché le fond, allez-vous être enseveli sous des morceaux de vous qui tombent sur vous...

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    Invincible : tambourinades, bruits de forges titanesques, je suis un peu comme ces martiens de la guerre des mondes d'H. G. Wells qui se réparaient eux-mêmes après avoir été touchés par les obus et les torpilles, la plus grande violence est en moi, morceau tornade, morceau limite, de mes défaites je construirai mes victoires, ma vie sera une tour érigée pour détruire l'univers, ce qui m'a tué m'a rendu plus fort que la mort, plus fort que la trahison. Un vent de haine et d'allégresse souffle dans les voiles de la vengeance. Oblivion : tout va trop vite, kaos dans la tête, sont-ce des rêves ou des claquements de metal qui s'échappent, la voix d'Alexandre déchire les certitudes, des chœurs venus d'ailleurs creusent des espaces immenses comme des cathédrales stellaires, l'on ne sait plus si l'on est dans un film de science-fiction ou dans soi-même, la vitesse exponentielle du déluge musical ne vous aide pas à garder vos idées claires. Gold : Axel ouvre le vocal mais Alexandre l'éventre, l'or scintille et corrompt, ne reste qu'à le rejeter, qu'à le maudire, et à abandonner ceux qui l'utilisent comme monnaie d'échange, un cri de colère et de dégoût, le groupe devient fracas hurlant, une hystérie musicale, ne s'agit-il pas de détruire la société. (S)Hell : la musique ronronne, ce n'est pas un chat mais une bête hideuse qui s'éveille dans la gorge d'Alexandre, c'est le démon du bien, celui qui promet de tout recommencer, générique de film à gros budget et multitudes de figurants, grandiloquence des grands sentiments, les promesses n'engagent-elles que ceux qui les croient, l'œuf dans le nid que l'oiseau couve n'est-il pas celui d'un serpent. Brisez la coquille, vous entendrez l'enfer.

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    To the bone : très rock, un cri de haine, l'envie de cracher sur sa gueule, les chœurs comme des oiseaux moqueurs et le vocal tel un procureur qui condamne et maudit, tu ne fais plus partie du clan, les mots claquent comme les lanières d'un fouet. Damnation, retranchement définitif de la communauté humaine. Lost : il existe sur YT une magnifique vidéo verticale oppressante à souhait. Pas d'attente, musique concassée un peu à la manière de Linkin Park . Sans appel. Sans rappel. Le constat froid et glacé de l'échec de la civilisation humaine. Quelques survivants qui errent sans but. Danny Louzon de Nakht est venu en renfort pour bazooker le vocal sans rémission. Des éclats de haine retournée envers soi-même. Un monde et une musique sans résilience. Même pas le no future, juste le no tout court. Un non-avenir qui fait froid dans le dos. Une explosion désatomisée. By any means : très belle vidéo verticale à regarder en vis-à-vis de la précédente, elles forment un véritable diptyque. Après la perdition, l'apaisement, la possibilité d'un recommencement, musique plus douce, un orage bienfaisant qui redonne vie. Serait-ce la fin du cauchemar. Etrange comme les éraillements d'Alexandre paraissent dans l'immense vacarme de l'album une berceuse douce et tendre. Addiction : encore un pas en soi-même, un chant de rouille pour avouer la vérité, un bien grand mot pour nommer un souvenir inoubliable, juste un chagrin de rencontre, qui vous a emmené dans les ténèbres intérieures, parfois l'on a l'impression que le metal se fait violon, l'a beau se reprendre tout casser et concasser, rien n'y fait l'addiction est un poison, en eaux troubles, l'addiction est un plaisir. Between You & Me : des cordes comme des perles de rosée. Tout dire, tout vomir, faire le point et le poing, ce que l'on garde et ce que l'on chasse, Alexandre dégueule le vocal, bile noire et bile sanglante, les guitares deviennent les clairons de la victoire, les voix s'éloignent dans le lointain. Fastueuse emphase finale de l'orchestration. Le rideau tombe.

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    Unité rythmique et sonore. Le vocal d'Alexandre est le fil noir qui traverse l'œuvre de part en part. La batterie de Maxime Weber gronde et galope telle une nuée menaçante et dévastatrice. Elle ne faiblit jamais. Il est important d'entrevoir la guitare d'Axel Biodore et la basse de Regan MacGonam en tant que chants lyriques de grande amplitude. Ecouter ce disque c'est entrer dans une immense symphonie vocale qui ne faiblit jamais. Un grand vent qui vous emporte et vous ravage.

    Damie Chad.

     

    LA FIN DU ROCK

    MARC SASTRE

    ( Les fondeurs de briques / Janvier 2021 )

    Rock is dead, titre posthume des Doors publié en 1997, mais enregistré en 1969. De l'eau a coulé sous les ponts depuis. Plus d'un demi-siècle... Et voici que Marc Sastre nous propose ces quatre mots qui tuent, la fin du rock, comme disent les bluesmen, il n'y va pas avec le dos de la spoonfull. Marc Sastre n'est pas un inconnu pour les kr'tntreaders, nous avions chroniqué son Jeffrey Lee Pierce. Aux sources du Gun Club in Kr'tnt 160 du 23 / 10 / 2013. L'on avait beaucoup aimé à tel point que l'on s'était intéressé à deux de ses recueils de poèmes, L'homme percé et Aux bâtards de la grande santé dans notre livraison Kr'tnt 190 du 22 / 05 / 2014.

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    Avis aux amateurs, ceci n'est pas une histoire du rock'n'roll qui se terminerait par de vagues considérations sur l'essoufflement du genre et conclurait sur sa prochaine et rapide extinction. Le livre serait plutôt à ranger parmi les essais éthiopathiques. La disparition du rock n'est pas une fin en soi. Si vous désirez savoir pourquoi le rock est mortel, il est d'abord nécessaire de savoir pourquoi le rock existe. Tout phénomène nécessite la cause qui l'a engendré dixit Aristote, le rock'n'roll n'est pas l'exception qui confirme la règle. Encore faut-il s'interroger sur la notion du pourquoi dont émane un parfum trop eschatologique, qui tendrait à faire accroire que le rock'n'roll est apparu pour sauver le monde. Très prudemment Marc Sastre se contente de réfléchir sur les circonstances qui ont permis au rock'n'roll de se déployer, restons terre à terre, remplaçons l'élucidation du pourquoi par l'interrogation du comment.

    Question de méthode. Tout de suite l'on se heurte à un grave problème. Même si l'on part du pire, du principe que le rock est à deux pas de sa tombe, qu'il est moribond, qu'il n'en a plus pour très longtemps, il n'en empêche pas moins que le rock n'étant pas encore tout à fait mort, il est encore vivant, étudier un phénomène dont on fait partie, dont on est encore partie prenante, et en dresser son certificat de décès est chose impossible, celui qui dit en ses derniers instants je meurs sur son lit d'hôpital au milieu de multiples perfusions est encore en vie même si l'annonce s'avèrera très vite avoir été prophétique... Marc Sastre réussit à contourner – et c'est en cela que réside la force de son livre qui n'excède pas cent pages – cet obstacle épistémologique. Pour annoncer la mort du rock, vous pouvez garder un pied à l'intérieur du rock si cela vous chante – en fait parce que vous êtes incapable de faire autrement - mais il faut avant tout s'en extraire, s'en libérer.

    Le rock n'est pas né de la Sainte Vierge, il est le fils utérin de la domination marchande du monde. Ce n'est pas un hasard si l'opuscule débute non pas dans un champ de coton mais à la Renaissance, à ce moment conceptuel précis où la technique permet à l'homme occidental de se rendre maître de sa planète, encore moins si ce premier chapitre a pour titre : à la croisée des chemins le diable conduisait une Ford T, laissez le Diable se dépatouiller avec Robert Johnson, concentrez-vous davantage sur la voiture, un instrument de libération clamera-t-on dans les années soixante, car l'on est toujours séduit par les riches couleurs du serpent dont vous êtes mordu. Heidegger vous énonce la même chose mais il ne parle pas de l'encombrant reptile, il laisse le dangereux ouroboros à Nietzsche, mais ceci est une autre histoire. Enfin si l'on veut car l'histoire de la fin de la philosophie ressemble étrangement à celle de la fin du rock'n'roll, celui qui l'annonce y est encore empêtré en plein dedans.

    Chacun a son anecdote croustillante à raconter, pour Marc Sastre il met en scène The Clash, un groupe qui pour moi ne vaut pas tripette mais chacun de nous possède ses propres histoires d'amour-haine bien plus véridiques que celles de tous les autres... Arrachons-nous les paillettes exaltantes de nos yeux exaltés, le rock'n'roll a partie liée avec quelque chose qui nous dépasse tous, la domination économique du capitalisme productiviste – comme par hasard c'est en ces années-là que le rock'n'roll est le plus imaginatif, le plus créatif - et  puis libéral, la finance coupe les vivres à la production – le rock s'étiole, s'éparpille, le serpent se mord la queue – c'est le moment idéal de sortir le couplet idéal que tout le monde attend.

    Le rock est une musique de révoltés. De laissés pour compte. De ceux qui ont refusé de pactiser avec le Capital – à moins que ce ne soit cette hydre tentaculaire qui ait négligé de leur glisser le minimum vital – le pire c'est que c'est vrai et totalement faux. Certes, le blues, le rock, le rap sont à l'origine des musiques mises au point par des couches délaissées de la population. Ces premiers de corvées – et encore souvent ils se contentent de claquer du bec la bouche ouverte car il n'y a pas de travail pour tout le monde, car le travail est la seule richesse des pauvres et il n'est pas bon qu'elle soit partagée entre tous – sont les véritables héros du rock'n'roll.

    Tu parles Charles. Tu n'as jamais entendu parler du grand retournement. Ah ! mes cocos vous aimez le rock, souriez vous êtes filmés ( soyez modernes faites des selfies ) vous voulez du rock, l'on va vous en vendre du rock, du beau, du bon, du gras, tous les styles, tout ce que vous voulez – cela s'appelle diviser pour mieux régner – nous aussi on a lu Marx, la marchandise on va vous la fétichiser à outrance, vous allez connaître non pas la malédiction mais l'addiction ( ce qui est beaucoup plus diabolique ). La porte des élus sera étroite, pour des milliardaires comme des Stones combien de crève-la-faim, non ne les plaignez pas, ils possèdent quelque chose de bien plus précieux que les grosses liasses de bank-notes, ils ont le rêve dans leur tête dont ils ne veulent pas se défaire, dont ils refuseront de se départir d'une seule miette. Etrangement cette musique de laissés-pour-compte aide à les maintenir dans leur dépendance, le rock'n'roll participe d'une démarche oppressive, réactionnaire, conservatrice, anti-révolutionnaire. Tout ce que vous inventez, tous vos crans d'arrêt, on vous les rend, on vous les vend, en plaqué-or, armes émoussées que vous brandissez fièrement et retournez contre vous.

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    O. K man Sastre, tu parles d'or et tu causes de toc, mais le rock dans tout ça ? Je vous rassure, le rock ce n'est pas qu'il ne connaît pas, il en jacte en mec qui en a fait la colonne vertébrale de son implantation dans le monde. Et le livre regorge de magnifiques évocations, ce mec sent le rock, il est son propre sang, il l'a fait sien, ou plutôt c'est le contraire c'est le rock'n'roll qui a donné un sens à son existence et permis d'accéder à une vie plus pleine, plus riche, plus enthousiaste. D'où cette inquiétude devant ce recul du rock dans la culture contemporaine. Sans doute un jour qualifierons-t-on le moment historique que nous vivons comme celui de la recul-ture, un truc encore pire que le no future des punks car il n'y a pas que le rock qui recule, de nouveaux âges d'obscurité se mettent doucement en place.

    N'est pas vraiment optimiste le Sastre. Le sastrisme est encore plus décourageant que le sartrisme. S'en tire par la consolation du pauvre. Certes le rock est mort, certes nous n'y pouvons rien, certes c'est foutu, mais au moins nous avons eu la chance d'être une génération à qui le rock a permis de partager la table des Olympiens, le beggar's banquet nous y avons accédé et cela personne ne nous l'enlèvera. Il suffisait de tendre l'oreille et de se servir. Que ceux qui n'y ont pas pensé ne s'en prennent qu'à eux-mêmes. Quant à nous, nous ressemblons un peu à ces soldats d'Alexandre qui l'aventure finie rentrèrent chez eux la tête pleine d'un rêve qu'ils avaient eux-mêmes forgé mais qui maintenant leur échappait et qui était bel et bien terminé. Ils ont pu le raconter à leurs petits-enfants mais qui aujourd'hui se souvient de leurs récits à part les livres d'histoire... dont tout le monde se fout...

    Et pourtant quelques pages avant ses derniers mots Marc Sastre nous parle du futur du rock. Ce n'est pas du tout ce qu'il dit. Il se contente d'en relater les derniers soubresauts, les derniers obsédés du rock qui montent des labels, forment des groupes, qui organisent des tournées qui ouvrent leurs bars pour les concerts, qui écrivent des livres et des blogues, bref tous ceux qui se démènent pour entretenir la flamme avant qu'elle ne s'éteigne... le dernier carré à Waterloo qui meurt et ne se rend pas.

    Z'oui il y a des malchances que ça se termine ainsi, mais il y a une autre manière d'entrevoir le feu qui couve. La situation est-elle désespérée ? Oui mais pas plus et même moins qu'elle ne l'était lorsque les premiers bluesmen tendaient des cordes sur les planches de leur baraque pour produire la bourrasque des sons qui exprimeraient leur mal-être et leur révolte. Le monstre qu'ils ont produit leur a échappé, d'autres s'en sont gavés, l'ont retenu prisonnier à l'aide de chaînes d'or, et ont fini par l'abattre, mais ses bâtards et son esprit courent encore. La mauvaise herbe repousse toujours.

    Un spectre hante le monde. Il se nomme rock'n'roll.

    Un beau bouquin qui parle de la mort du rock pour l'aider à vivre et à revivre.

    Damie Chad.

     

    ANIMALS / 1964 ( I )

    L'année 1964 sera faste pour les Animals, une rencontre déterminante, celle de Mickie Most, pour rester dans l'étroit périmètre de Kr'tnt relisez dans la kronic 495 ( du 28 / 01 / 2021 ) du Cat Zengler consacrée à Ron Wood tout le bien qu'il dit sur Truth et Beck Ola du Jeff Beck Group, apprenez-le par cœur pour plus tard le réciter à vos petits-enfants et concluez pour chaque album par la formule : produit par Mickie Most. Cela servira à leur élévation morale. Brjeff, suffit pas d'avoir des musiciens doués, si c'est un glandu qui s'agite derrière la console, il vous manquera le son, et sans son que ferait Delilah ! Pour ceux qui veulent tout savoir sur Mickie Most, le Cat Zengler vous a préparé exprès pour vous un topo au top à lire sur Kr'tnt ! 434 du 17 / 10 / 2018.

    MARS 64

    Baby let me you take home : ce n'est pas une vieille reprise de blues, je pense que Most a dû suggérer ce morceau écrit par Bert Russel Berns – lui aussi producteur qui forma Bang Record avec Jerry Wexler – et Wess Farrell qui travailla avec Russel. C'est quoi au juste : une chansonnette de rien du tout, fleur bleue et tout ce que l'on déteste, mais gravée dans le marbre. Rien à enlever et rien à ajouter. Les plans se succèdent à une vitesse diabolique, un clavier gentillet qui joue le rôle de l'orgue de barbarie dans les chansons sentimentales, Price a compris que point trop n'en faut, se faire voir et se faire désirer sont les deux mamelles du rock, ce qui signifie qu'il est urgent de se faire oublier de temps en temps, le morceau n'excédant pas les trois minutes notre organiste n'est pas tout à fait en cellule d'isolement, Burdon se charge de tous les rôles, du garçon qui presse, de la fille qui attend qu'il se taise enfin pour dire oui, et du mec romantique qui tire sa tirade ( parlée ) de ( fausse ) passion racinienne, et les trois autres que leur reste-t-il à faire, les jolis chœurs, moqueurs qui tiennent la chandelle pendant que le copain décharge. Une véritable comédie de mœurs juvéniles. Gonna send you to the Walker : un de ces vieux traditionnels arrangés et trafiqués par beaucoup de monde. Vous changez les titres et un peu les paroles et vous créditez de votre nom, ici elle est aussi signée des deux précédents. Ce qui est certain c'est qu'elle ne se retrouve pas tout à fait par hasard chez les Animals après que Dylan l'ait enregistré sur son premier disque. Influence Chuck Berry certaine dans le traitement du morceau. Même départ, mais deux fusées intergalactiques peuvent avoir été tirées du même pas de tir sans que les espaces qu'elles visiteront soient les mêmes. C'est sûr que vous avez deux petits soli de guitare de Valentine mais le premier s'amourache de l'orgue de Price et cela change la donne, Burdon vous dégobille le vocal à la torpille, si vous aimez les albums Où est Charlie ? je vous propose une nouvelle version Où est Chas ? pour ma part j'ai envie de répondre que je comprends pourquoi les Doors se sont passés de bassiste, doit quand même contribuer à la noirceur du son des Animals, je me demande si parfois sa piste n'est pas overdubée par l'orgue ce qui contribue à sa prééminence... Walker où le guy renvoie sa poupée qui ne s'habitue pas à la grande ville étant tout près de Newcastle l'on peut se demander si le morceau n'est pas une parodie des vieux south blues...

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    JUIN 64

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    The house of the rising sun : la première fois que je l'ai entendue c'était par Johnny Hallyday, paroles d'Huges Aufray, Alan Price à l'orgue, et les Animals quand et par qui l'ont-ils écouté la première fois... sur l'origine de la chanson jeu concours : cherchez la chronique dans Kr'tnt !, il est logique de penser que Burdon grand connaisseur de blues devait connaître certains des premiers enregistrements, toutefois il à remarquer que si Baby let me to take you at home est en piste 2 de la face B de l'Album Bob Dylan en tant que Baby let me follow down il est immédiatement suivi, en piste 3, sur ce même 33 T de The house of the rising sun, d'après moi c'est ce que l'on appelle un hasard significatif... C'est bien l'arrangement de Dylan et de Dave Van Ronk à qui le Bob l'avait '' emprunté'' que reprennent les Animals. Ce morceau hissa les Animals au pinacle du rock'n'roll, il fit leur gloire, il les expédia directly dans le heartbeat des fans de l'époque au même niveau que les Rolling Stones et les Beatles. Il fut aussi la première fêlure qui brisa l'unité du combo. J'étais jeune et pas trop bête, je me disais, l'est attribué à Price ce ne peut pas être Alan Price, l'est bien sympathique mais il n'a pas la carrure pour écrire cela ( le fameux flair du rocker ), j'ai cherché, me suis creusé la tête pour finir par l'attribuer à Lloyd Price, résultat j'ai cherché vainement durant des années The house of the rising sun par Lloyd Price sans jamais la trouver... mauvaise piste. Une erreur fatale que ne commit pas Alan Price, crédita le traditionnel à son nom. Il oublia bêtement de rajouter les quatre autres copains... qui ne le lui pardonnèrent jamais. Le ver était dans le fruit mais Price a dû penser que le fruit était autour du ver... on ne commente pas un tel morceau, c'est sur celui-ci que l'on entend Chas un max... la voix de Burdon est magnifique, quant à l'orgue de Price il puise dans les racines du gospel... D'ailleurs le premier morceau de la face B de Bob Dylan, s'intitule Gospel Plow ( voir la version de Chance McCoy And the Apallachian String Band )... Talkin' 'bout you : ne pas confondre avec le Talking about you de Chuck Berry, l'adaptation provient de Ray(on de soleil noir ) Charles quand on sait d'où procède Ray Charles l'on ne s'étonne pas que le morceau sonne méchamment gospel, sans surprise quand on a le début l'on sait comment cela se terminera sept minutes plus tard, l'orgue court comme l'aiguille des secondes au cadran de la montre pas du tout arrêtée, l'on pourrait s'ennuyer mais Burdon est si imaginatif qu'il vous entraîne dans un tourbillon sans fin, et les chœurs derrière miaulent comme des chats amoureux sur les toits les nuits de pleine lune.

    SEPTEMBRE 64

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    I'm crying : enfin un original, Price et Burdon ont mouillé la chemise, résultat un must, Hilton hausse le ton de sa guitare et ça défile à la vitesse d'un troupeau de mustangs qui galopent pour échapper à un feu de prairie, un superbe morceau refermé sur lui-même comme une sphère parménidienne, Burdon s'impose comme l'un des plus grands vocalistes rock, mais le plus terrible ce sont ces chœurs masculins échappés d'une représentation de l'Agamemnon d'Eschyle qui ont la même force dramatique que les trois coups du destin dans la symphonie du destin brisé de Beethoven... Eddy Mitchell en a donné une version qui n'est pas à dédaigner, même les lyrics sont moins passe-partout que ceux de Burdon. Take it easy : encore écrit par le duo Price-Burdon, je n'appelle pas cela une création, plutôt une imitation de ce qui existait avant eux, une espèce de décalcomanie de leurs inspirations, vous avez le droit de penser que je cherche des poils sur les œufs pondus par les Animals surtout que c'est méchamment mis en boîte, le Mickie Most il devait être horloger suisse dans une autre vie. Nos deux compositeurs ne se sont pas oubliés, occupent toute la place, mais Mickie Most a su faire sonner l'heure à la batterie de Steel et vous a ménagé pour Hilton le quart de minute dont chaque soliste a besoin pour être célèbre. L'ensemble souffre de sa juxtaposition avec I'm cryin'

    Nous les avons écoutés, regardons-les :

    The house of the rising sun :

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    Décor de studio, des espèces d'éléments de croix blanches de pierres tombales  appuyées sur une cloison que la lumière des projecteurs rend jaunâtre, la caméra se déplace de droite à gauche, voici Alan Price assis devant son orgue, mince comme une table à repasser, l'on se demande comment il peut tirer de cet étui à mitraillette un telle amplitude sonore, sous les manches des guitares l'on aperçoit au fond et au faux centre de l'image le haut de la batterie de John Steel légèrement positionné de guingois, impressionnante la carrure de Chas Chandler bouche le fond du décor, devant lui Hilton Valentine avec son air sage et sa Fender et devant Hilton Eric Burdon – pas vraiment beau, ne rallumons pas la Guerre de Cent Ans, disons une beauté anglaise – sont rangés tous les trois en escalier, portent tous un complet marron-gris qui ne laisse dépasser que le col jaune de leur chemise. Sont affublés d'une cravate noire. Le décorateur aurait-il compris que The house of the rising sun désignait la dernière demeure des cimetières ? C'était la vue d'ensemble. Attention une chorégraphie, les trois ostrogoths debout défilent devant nous, dévoilant pleine vue l'entier attirail de John Steet et Alan et son joujou. Voici à l'extrême droite la tête de Burdon, peau acnéique, qui d'un lugubre appel met en garde toutes les mothers du monde, il baisse la tête et ses beuglements vous filent le frisson filandreux, la caméra tourne et l'on se rend compte que les planches blanches symbolisent les barreaux d'une cage dans laquelle ils sont prisonniers, preuve que décorateur avait intuité juste, et que nos trois zigotos ne se livrent pas à une chorégraphie de centre aéré mais qu'ils tournent en rond dans leur cellule, Steel bat le beurre en mâchant un chewing gum de façon peu ragoûtante, Burdon vous ouvre la bouche avant que le dentiste ne lui arrache ses dents de sagesse, mains de Price avec la gourmette en argent au poignet droit, Hilton vous adresse son meilleur sourire hypocrite, l'est manifestement content que ça se termine ( on achève bien les Animals ), s'inclinent tous respectueusement.

    I'm cryin'

    Dans le temps traînait sur le net une espèce de réplique de la précédente. Nos Animals y interprétaient en playback I' m cryin, restaient sagement alignés comme des I jaunes ( Rimbaud affirma en un poème célèbre que le I était rouge mais les historiens ont prouvé n'avait jamais vu cette vidéo ). Etaient revêtus d'un magnifique costume bouton d'or éblouissant, pourquoi les Animals ne seraient-ils pas des canaris après tout, je ne l'ai pas retrouvée, hélas. Il existe tout un tas de versions plus ou moins live de ce morceau, question ethnologique privilégiez leur premier passage au

    Sullivan Show, le 18 octobre 1964

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    Le décor est un peu chiche, un fond de baraque de loterie de fête foraine agrémentée d'un arc d'ampoules électriques colorées – rappelons que l'image est en noir et blanc, enfin en grisâtres inexpressifs – mais l'on entend la foule invisible qui crie et surtout l'on voit : John Steel surélevé sur son podium, Alan au niveau de la médaille d'argent sur sa gauche et devant plantés comme des piquets de tomates les trois autres. Le morceau n'est pas commencé que déjà ils ouvrent leurs râteliers aussi larges que des bouches d'égout et l'ouragan vocal vous surprend en pleine campagne, vous expédient le choral comme un tapis de bombes sur un village innocent, z'ont les yeux qui pétillent de joie, Steel est un peu inquiétant ne se préoccupe que de sa cymbale, un gosse autiste qui joue pendant des heures avec l'emballage du cadeau que sa grand-mère lui a offert, Chas est à la fête, il balance tout heureux sa stature de géant, l'est sûr que les filles ne peuvent pas ignorer sa présence virile, le plus rigolo c'est Eric, il a une façon d'allonger le cou comme une girafe chaque fois qu'il s'approche du micro, et puis sur la fin il roule les épaules avec ce regard en biais de boxeur qui va vous décrocher le knocked out dans la seconde qui suit, tiens il se tient l'épigastre gauche d'une manière luxurieuse, l'Alan a l'air pour une fois plus préoccupé par sa participation à la chorale démoniaque que par sa machine à touches, n'y a que l'Hilton qui semble se souvenir qu'il est là pour jouer de la musique encore qu'il n'oublie pas d'ouvrir sa bouche aussi large que l'entonnoir d'un mégaphone. Normalement ils devraient être tristes puisque la chanson veut qu' ils pleurent, mais l'on devrait conseiller cette bobine à tous les dépressifs. Z'ont l'air tellement heureux que c'est plus que jouissif, réjouissif.

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    Damie Chad. A suivre.

     

    XX

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

    Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

    Lecteurs, ne posez pas de questions,

    Voici quelques précisions

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    91

    Sont tous à la poursuite de Molossa et de Molossito, Charline et Charlotte en leur maillot rose, l'adjudant qui les suit de près, soldat Pierre, soldat Marc qui comme tout soldat du rang qui se respecte sont prêts à suivre leur chef jusqu'à la mort, et une dizaine de fusiliers-marins qui gardaient le poste de garde de l'entrée qui ont suivi le mouvement par réflexe, commettant une première erreur, celle de laisser la grande porte d'entrée du palais ouverte, et une deuxième qui pourrait leur valoir le conseil de guerre, le portail de la cour d'honneur béant aux quatre vents, ceci est juste une expression parce que pas un souffle d'air ne trouble l'atmosphère du petit matin.

      • Droit dedans !

    Je n'ai pas attendu l'ordre du Chef pour commencer la manœuvre, avec la sureté et l'élégance d'un pilote professionnel, je pose l'appareil et coupe les gaz.

      • Nous ne pouvions trouver circonstances plus favorables, déclare le Chef en retirant de sous son siège une mallette de fer-blanc, les filles et les chiens ont été formidables, j'avais escompté entrer en force, mais la voie est ouverte !

      • Attention hurle Vince, une grosse bagnole passe le portail, suivie d'une autre!

    En six secondes c'est une dizaine de voitures qui entourent notre appareil, elles ne sont pas totalement arrêtées qu'en surgissent une quarantaine d'individus ( mâles et femelles ) passablement excités qui se ruent sur nous en criant et en nous tendant un carton à bout de bras. Les logos sur les voitures, les caméras et les micros sont explicites, BFM TV, Europe 1, France Inter, Antenne 2, Match... des journalistes !

      • Mesdames, Messieurs – la voix onctueuse du Chef s'élève et comme par miracle le silence s'installe – service de Sécurité de L'Elysée, que puis-je pour vous, s'il vous plaît si un seul d'entre vous pouvait formuler votre requête, cela nous permettrait d'avancer plus vite !

      • C'est très simple, une jolie petite brunette a pris la parole, nous avons reçu une convocation de la Présidence de la République pour participer au point presse, qui suivra la réunion secrète sur la pandémie Coronado-virus que tient actuellement le Haut Conseil de Surveillance en présence du Président de la République. Il est vrai que nous sommes un peu en avance, mais le portail était ouvert et nous avons cru...

      • Vous avez eu raison. Je vous demande de patienter une petite vingtaine de minutes en compagnie de l'agent de sécurité Vince, je me précipite aux nouvelles avec l'agent Chad, à tout à l'heure.

    Un soupir de satisfaction s'élève de la foule...

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    Molossa et Molossito galopent dans les couloirs, ils ont bien une minute d'avance sur leurs poursuivants, tous deux se cachent sous les tentures de doubles-rideaux qui encadrent une vaste fenêtre face à une large porte capitonnée. Charlotte, Charline, l'adjudant, soldat Pierre, soldat Marc et la douzaine de fusiliers-marins passent devant eux en trombe sans les voir.

      • Crois-en mon flair, Molossito, c'est là-dedans que ça se passe !

      • Oui Molossa, ce serait bien que l'agent Chad soit là, il trouverait le moyen d'entrer lui, il est si intelligent !

      • Tiens le voilà, avec le Chef en plus !

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    Ambiance studieuse. Le Président de la République parle. Tout le monde l'écoute, certains prennent des notes.

      • La situation est grave, des milliers de morts chaque jour, nous avons réussi à détourner la colère de la population en accusant à tort le Service Secret du Rock'n'roll d'avoir répandu le virus en distribuant gratuitement des Coronado sous la Tour Eiffel, le temps que nous arrêtions les deux responsables de cette organisation terroriste et nous...

      • Troudemerdededieu, ouvrez vite, nous les tenons !

    La porte vient de s'ouvrir brutalement, l'Adjudant entre suivi du soldat Pierre qui tient fermement par le bras Charlotte qui porte Molossa, puis du soldat Marc qui tient fermement par le bras Charline qui porte Molossito, suivi du Chef solidement encadré par une dizaine de fusiliers-marins et qui porte précautionneusement sa mallette de fer blanc contre sa poitrine...

      • Clitotrouédelasaintevierge, mon Président, nous avons le Chef, les chiens et deux jeunes innocentes qui se font faites avoir par les paroles doucereuses de ces aigrefins, pour l'agent Chad, d'après moi, il ne doit pas être très loin !

      • Adjudant, vous méritez de la France, et vous le dénommé Chef, l'ignoble empoisonneur du pays, quelles piteuses excuses allez-vous imaginer pour votre défense !

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    Lorsque j'apparais sur le perron je m'attends à entendre des exclamations de soulagement et d'impatience, mais non tous les journalistes sont assis sur les marches et semblent porter une très grande attention aux paroles de Vince.

      • Excusez-moi, mesdames, messieurs le Président vous recevra dans une vingtaine de minutes !

      • Chut ! Taisez-vous ! Laissez-nous donc tranquilles ! Dites au Président que ce n'est pas pressé, qu'il prenne tout son temps ! Il y a tout de même des choses plus graves que les milliers de morts du Coronado-Virus sur cette terre ! Ecoutez plutôt ce que nous raconte l'agent Vince, c'est prodigieux, insensé, incroyable !

      • Oui Messieurs-dames, je vous ai pour le moment évoqué la vie de mon ami Eddie Crescendo, j'en viens maintenant à raconter les derniers jours de sa mystérieuse disparition...

    Je m'éclipse discrètement...

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    Je suis revenu une demi-heure plus tard. L'assistance est atterrée. La petite brunette est en pleurs. Certains appellent nerveusement leur rédacteur en chef sur leur portable. Il y en a même deux qui retiennent une chambre d'hôtel à Nice...

      • Le Président de la République vous fait savoir qu'il a l'honneur de vous recevoir, je vous demanderais le plus grand calme et la plus grande dignité. Nous avons à traverser de longs couloirs, je compte sur vous pour ne pas crier et courir pour arriver les premiers.

    Vince et moi marchons en tête. Tout le monde se déplace avec gravité et componction. L'adjudant nous attend devant la porte

      • Enculédetaracededieu, le Président a dit que les caméras et les appareils photos sont autorisés, en rang par deux, un dernier coup de peigne pour les dames, messieurs rajustez vos nœuds de cravates, et que personne ne moufte sans autorisation, facederatsdedieu !

    Et d'un geste auguste il poussa les deux vantaux matelassés...

    A suivre...

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 496 : KR'TNT ! 496: P. F. SLOAN / COWBOYS FROM OUTERSPACE / CRASHBIRDS / CROAK / ANIMALS / ROCKAMBOLESQUES XIX

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 496

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    04 / 02 / 2021

     

    P. F. SLOAN / COWBOYS FROM OUTERSPACE

    CRASHBIRDS / CROAK / ANIMALS

    ROCKAMBOLESQUES 19

     

    Sloan square

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    P.F. Sloan a mené une vie tellement incroyable et traversé de si mauvaises passes qu’il n’ose pas les raconter normalement. Qui le croirait ? Alors, pour contourner l’obstacle, il transforme certains épisodes extra-ordinaires de sa vie en contes. Ainsi personne n’est obligé de le croire. Dans les temps reculés, on appelait les gens comme Sloan des magiciens. Pour raconter son histoire, Sloan fait des tours de magie et les rassemble dans un livre qui porte le nom d’une de ses chansons, What’s Exactly The Matter With Me? Memoirs Of A Life In Music, car en plus d’être un conteur magique extra-ordinaire, Sloan est aussi un grand compositeur de chansons. Enfin, n’allons pas trop vite. Il n’est pas connu du plus grand nombre, mais il lui suffisait d’être simplement l’ami de Bob Dylan et de Brian Epstein, il n’en demandait pas davantage. Issu de la Surf culture, Sloan émergea dans les early sixties avec un réel talent d’auteur-compositeur et les médias firent de lui une sorte de sous-Dylan coiffé de la casquette de Donovan. «The Eve Of Destruction», c’est lui. Remember ?

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    Si vous lisez son livre, vous écouterez ses disques d’une autre oreille. C’est valable dans beaucoup de cas, mais ça l’est encore plus dans le cas de Sloan. Il navigue exactement au même niveau d’excellence littéraire que Bob Dylan qui, souvenez-vous, reçut le Nobel de littérature pour Chronicles. Sloan mérite aussi un Nobel pour son autobio, mais vu qu’il a cassé sa pipe en bois voici 5 ans, le Nobel ne lui serait plus d’un grand secours.

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    On va simplement prendre un exemple pour bien situer les choses. Sloan a 15 ans lorsqu’il se rend avec sa guitare chez Wallach’s Music City sur Sunset and Vine, à Los Angeles. Ce magasin énorme vend des disques, des instruments et des partitions. Son père lui a offert cette guitare mais il ne sait pas en jouer. Il pense trouver de l’aide chez Wallach. Lorsqu’il arrive, la rue est bouchée : des centaines de filles s’entassent devant le magasin. Sloan se fraye un passage et le flic qui bloque l’entrée le laisse passer, sans doute à cause de la guitare. À l’intérieur du magasin, les lumières sont éteintes. Sloan trouve un mec derrière un comptoir qui lui demande ce qu’il fait là. Sloan répond que le flic l’a laissé entrer. Puis il explique qu’il ne sait pas quoi faire avec toutes ces cordes sur la guitare. «Tout ce qu’il te faut, kid, c’est une bonne méthode», lui répond le mec. Soudain, le mec du comptoir se transforme en silhouette en carton, cardboard man. Sloan ne sait quoi penser. Il entend ensuite des pas dans l’escalier qui descend de l’étage. Sloan voit apparaître Elvis. Incroyable ! Sloan sent aussitôt son incroyable énergie. Elvis le fixe dans le blanc des yeux. Puis il voit la guitare. «J’imagine que tu veux apprendre à en jouer, son», dit-il. «Yes sir I would», répond Sloan. Alors Elvis se place derrière Sloan et lui positionne les doigts de la main gauche sur le manche pour former un Ré. Puis il place un médiator dans la main droite de Sloan, lui montre le mouvement du grattage d’accord et chante dans son oreille «Love me ten-der... love me... true...». Elvis repose alors la guitare sur le comptoir et dit à Sloan : «J’avais une guitare avec du cuir comme celle d’Hank Williams et j’en étais très content mais pas le Colonel Tom. Le Colonel veut de l’or. Mais une guitare en or est trop lourde pour en jouer. Il ne comprend pas ça.» Et Sloan sent alors l’immense tristesse d’Elvis. Il est sidéré de voir que l’homme le plus célèbre du monde est triste. Elvis signe ensuite un autographe pour la sœur de Sloan, sans que Sloan lui ait dit qu’il avait une sœur, lui tapote affectueusement l’épaule et remonte l’escalier par lequel il est arrivé. Il s’arrête au milieu des marches, se tourne vers Sloan et lui lance : «Je sais que tu vas réussir», avant de disparaître. En guise de chute, Sloan raconte l’histoire à sa sœur qui lui répond qu’il est complètement siphonné. Alors pour lui prouver que c’est vrai, il lui donne l’autographe et voilà qu’elle s’énerve : «N’importe qui peut imiter la signature d’Elvis ! Si tu continues à raconter ce genre de conneries, tu finiras à l’asile de fous !».

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    L’autre personnage clé du monde magique de Sloan, c’est Bob Dylan qui apparaît à plusieurs reprises dans le cours du récit. En 1964, Dylan est à Los Angeles et il veut rencontrer Sloan. Il a pris une chambre au Continental Hotel sur Sunset. Sloan arrive au 14e étage. Bob l’accueille chaleureusement et lui dit :

    — Adler ne veut pas que je te parle, man...

    — Yeah, il craint que tu aies une mauvaise influence sur moi, car tu es considéré comme subversif. Adler pense que je fais déjà pas mal de ravages chez Dunhill, mais il ne m’a pas encore viré.

    — Alors continue de composer des hits. Ça devrait leur clouer le bec.

    Puis Bob dit qu’il voudrait lui faire écouter un truc. Ils s’assoient tous les deux sur le tapis et Bob pose sur son tourne disque portable un acétate de Highway 61 Revisited. Sloan précise qu’un acétate est un objet fragile qu’on ne peut utiliser que 5 ou 6 fois avant qu’il ne se détériore.

    — Columbia ne veut pas le sortir, parce qu’ils ne savent pas comment le vendre.

    En écoutant «Ballad Of A Thin Man», Sloan éclate de rire. Alors Bob se marre avec lui :

    — You get it ! Thnak God you get it !

    Sloan réalise qu’il entend un mélange révolutionnaire de poésie moderne de très haut niveau et d’humour.

    — C’est du Chaplin ! Non, c’est Fellini et Chaplin dans du Picasso !

    La visage de Bob s’éclaire, ils écoutent tous les morceaux et se pâment de rire sur le tapis, ils réécoutent l’album encore une fois et Bob lui demande de choisir un cut. Cadeau. Sloan choisit «Ballad Of A Thin Man». Puis on frappe à la porte. C’est David Crosby. Il porte un chapeau mauve et une cape. Il n’aime pas Sloan qu’il juge illégitime. Pourquoi ? Parce qu’il a écrit de la surf music pour Terry Melcher et Jan & Dean. Crosby considère qu’il se situe à une autre échelle avec les Byrds, alors quand il voit Sloan assis sur le tapis avec son idole, il s’étrangle de rage : «Qu’est-ce qu’il fout ici celui-là ?». Dylan lui dit de la fermer. Crosby insiste pour dire que Sloan est un tocard. Dylan lui rétorque : «Si Sloan est un tocard, moi aussi !». Alors Dylan prend Crosby par le bras, j’ai un mot à te dire, et il le fait entrer dans la salle de bain. Sloan se lève et va s’asseoir sur le canapé pour attendre. Il entend Dylan crier dans la salle de bain. Il entend aussi des bruits de gifles et la voix de Crosby qui dit : «Je ne savais pas ! Je ne savais pas !». Soudain, la porte de la chambre s’ouvre et Sloan voit apparaître deux blondes avec les seins à l’air. Elle portent des pantalons de pirates et demandent si Monsieur Zimmermann est là. Sloan leur dit qu’il sera là dans une minute et les deux blondes s’assoient sur le canapé de part et d’autre de Sloan. Les voilà assis tous les trois dans un silence surnaturel, avec des bruits de gifles provenant de la salle de bain. Soudain Sloan voit une corde et un mec déguisé en Zorro se laisse glisser sur le balcon. Il entre dans la pièce, se dirige vers Sloan et lui demande s’il est monsieur Zimmermann. Sloan lui répond qu’il sera là dans une minute. Crosby finit par sortir de la salle de bain et en partant, il dit à Sloan qu’il s’excuse et qu’il ne savait pas. Sloan réalise alors qu’il est dans une chanson de Dylan. Justement le voilà qui sort à son tour de la salle de bain. Il voit les deux filles et Zorro, et demande à Sloan : «Aurais-je raté un épisode ?». Rien d’important, lui répond Sloan. Alors Dylan entre dans son rôle de protecteur/prédicateur :

    — Je voulais te dire un truc important, Phil. Les mecs de Dunhill vont te mettre en pièces. Tu es en danger avec eux.

    Phil lui dit qu’il va faire gaffe. En guise de chute à cette merveille d’inventivité, Sloan dit que sa visite à Dylan fut découverte par les mecs de Dunhill et qu’il fut viré comme un chien. Mais quand il indiqua à Adler que Dylan lui avait filé une chanson, il fut réincorporé sur le champ.

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    En plus d’Elvis et de Dylan, Sloan jouit pendant la période heureuse de sa jeunesse californienne du privilège de croiser une belle palanquée de rock stars : John Phillips, les Turtles, Phil Ochs, Buffalo Springfield, les Byrds, Jimmy Webb et les Stones. Il fait d’ailleurs un conte de sa nuit passée avec les Stones. Oh pas au lit, mais en studio. Ils sont à Los Angeles et une nuit Jag appelle Sloan pour lui demander de venir les aider. Quel studio ? RCA sur Sunset. Jag explique qu’ils viennent de virer du studio leur producteur Andrew Loog Oldham et qu’il leur faut un coup de main pour enregistrer «Paint It Black». Quand Sloan arrive, le studio est plongé dans l’ombre. Keef est sur une chaise près du control room, Bill debout contre un mur en train de dormir, Charlie est assis près de son kit, lisant un roman avec une petite lampe torche et Brian sommeille, enveloppé dans une cape et assis sur une chaise. Jag qui est dans le control room décide d’enregistrer Paint et Sloan voit un groupe incroyablement professionnel à l’œuvre. Sloan repère un gros étui dans un coin. C’est le sitar de Keef. Sloan suggère alors à Keef d’en jouer sur Pain. Tout le monde pense que Brian joue du sitar sur Paint, mais cette nuit-là, ce n’est pas nous dit Sloan ce qu’il a vu. Le conte démarre véritablement lorsque Sloan sort du studio aux première lueurs de l’aube. Libre à vous de le découvrir.

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    Sloan est très lié avec Jan & Dean qui furent rappelons-le des méga-stars en Californie. Le problème c’est que Jan Berry interdit à Dean Torrence de chanter les parties de falsetto lors des enregistrements. C’est Sloan qui les fait - Jan was a lovable despot and tyrant - Sloan lui reconnaît en plus un don pour faire travailler les gens à l’œil. Il privilégiait l’efficacité plutôt que l’esprit. Après son accident, Jan va rester invalide un bout de temps et le premier à s’occuper de lui sera bien sûr Dean Torrence - He was the most loving friend one could ever hope for - Et puis voilà les Turtles. Pour Sloan, ils étaient extrêmement doués - This was a group with a unique sound - Ils savaient très bien qu’ils n’avaient pas de look, il ressemblaient simplement aux gens qui achetaient leurs disques. En plus nous dit Sloan Volman et Kaylan étaient un peu grassouillets, donc pas des rock stars. Sloan ajoute qu’en dépit de leurs tubes, les Turtles furent toujours considérés comme une groupe de second ordre. Mais ils n’étaient pas les seuls à ne pas être pris au sérieux - On n’avait aucun respect à Los Angeles pour les groupes locaux, Buffalo Springfield, les Turtles, les Byrds, les Doors n’étaient pas des vrais groupes comme pouvaient l’être les Beatles et les Stones - À tel point qu’un jour Howard Kaylan fit choqué d’entendre Lennon lui dire qu’il admirait les disques des Turtles. Pour Sloan, 1965 est donc l’année du feu de Dieu, avec «Eve Of Destruction» et la tournée européenne, dix chansons dans les charts américains, les Searchers, les Mamas & the Papas, les Byrds, les harmonies vocales avec Jan & Dean, l’album de Barry McGuire, les Grass Roots, la rencontre avec Bob Dylan au Continental Hotel. Oui, Sloan fricote avec la crème de la crème. Il rencontre aussi Phil Ochs qui est à ses yeux une sorte de mélange de Woody Guthrie et de Peter Seeger, comme l’est d’ailleurs Dylan. Sloan voit régulièrement Phil Ochs dans sa petite maison de Laurel Canyon, où il gratouille l’acou en compagnie de David Blue et d’Eric Anderson. Sloan détecte très vite chez Ochs une fragilité - C’était un brillant personnage, mais on sentait que son cœur se brisait. Tous ceux qui l’aimaient le sentaient. Il essayait de convaincre les gens que ça faisait partie du personnage de poète au cœur brisé - Sloan va encore plus loin en disant qu’il lui manque un truc : le cœur. Ils parlent ensemble d’Elvis pendant des heures. Ochs demande alors à Sloan ce qu’a Bob Dylan de plus que lui, alors Sloan lui répond : «L’amour d’Elvis Presley.» Ochs n’en revient pas. Quoi ? Il cherche à comprendre.

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    Alors Sloan lui explique : «Elvis est un interprète exceptionnel, il est même surnaturel. Et pas que lui. Il y a aussi son groupe. Il avait l’un des plus grands groupes qui ait jamais existé. Quand tu les entends jouer, tu entends l’éternité. Elvis chante comme un dieu, mais son groupe sonne comme le meilleur jazz band qui ait jamais existé.» Sloan parle bien sûr de Scotty Moore, Bill Black et D.J. Fontana. Ochs est tellement bouleversé par cette révélation qu’il va un peu plus tard chez Nudie s’acheter un costume en or, comme celui d’Elvis. C’est le costume qu’il porte sur la pochette de Greatest Hits.

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    Dans son introduction, le co-auter S.E. Feinberg revient sur la notion de profondeur et sur Phil Ochs : «Il n’existait pas beaucoup d’artistes profonds (deep est un mot-image difficile à traduire en français). Janis Joplin, Phil Ochs, Bryan McLean, Bobby Darin Bob Dylan étaient deep. And P.F. Sloan was deep.» D’ailleurs Sloan connaît bien Janis et il la voit morfler autant que lui, mais dit-il si je ne pouvais m’aider moi-même, comment aurais-je pu l’aider elle ? Enfin il le dit à l’envers, ce qui revient au même : «Si je n’ai pas pu l’aider, comment aurais-je m’aider ?». Et il ajoute, du fond de son insondable chagrin : «Quand on m’a dit qu’elle était morte, j’étais soulagé pour elle, aussi bizarre que cela puisse paraître. Janis faisait partie du peuple et elle chantait pour le peuple. Quand les gens du business (the corporate types) ont mis leurs sales pattes sur elle pour en faire une Barbra Streisand, elle a dit okay et puis elle est morte.» Sloan dit aussi que de tous les artistes qu’il a pu connaître, Janis struck the deepest chord, c’est-à-dire qu’elle était la plus sincère.

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    Quand Barry McGuire enregistre «Eve Of Destruction» au Western Recorders sur Sunset, Sloan joue de la guitare et de l’harmo, Hal Blaine bat le beurre et Larry Knechtel bassmatique, avec Bones Howe dans le rôle de l’ingé-son. Sloan parle d’une session d’enregistrement magique. Bones dit à Lou Adler que c’est un hit, Larry Knechtel dit qu’il y a trop d’énergie là-dedans et Steve Barri feint de s’intéresser à la conversation. Eve explose en Europe, d’où la tournée organisée par Brian Epstein. Sloan participe aussi au fameux Fantasy Fair de Marin County qui a lieu une semaine avant le Monterey Pop festival. Mais comme le Fantasy Fair n’est ni enregistré ni filmé, il disparaît des mémoires. Sloan se souvient que tout le monde était comme lui sous LSD, ce qui rendit l’épisode particulièrement magique. On lui a dit après coup qu’il avait joué un solo de vingt minutes dont il n’avait aucun souvenir. Il découvre aussi la merveilleuse résonance d’une guitare désaccordée, en écoutant Quicksilver.

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    L’autre grand moment du book, c’est l’épisode du traficotage de «Mr Tambourine Man», le hit qui allait lancer la carrière des Byrds. Terry Melcher essaye de lancer les Byrds, mais Columbia ne voulait ni des Byrds ni de Terry Melcher qui allait se faire virer. Sloan qui connaît bien Terry pour l’avoir accompagné lors des sessions de Bruce & Terry le rejoint dans le control room du studio. Terry a une déjà une version de Tambourine Man enregistrée qui a été rejetée. Terry s’interroge. Ce Tambourine ne marche pas. Pourquoi ? Sloan lui dit : «L’écho !». En effet, pour Bruce & Terry, ils avaient passé la guitare à travers une série de chambres d’écho et du coup, le son est énorme. Terry s’adresse alors à l’ingé-son présent dans le control room et lui demande de connecter toutes les chambres d’écho du studio. Le mec dit non, il faut une autorisation écrite. Terry se marre. Tu sais à qui tu parles ? Le mec dit oui et qu’il s’en fout. Tu sais qui est ma mère ? M’en fous de ta mère dit le mec. Alors Terry lui dit qu’il est le fil de Doris Day et là tout change. «Bon, je dois aller demander à mon chef», et il sort du studio. Alors Sloan et Terry barricadent la porte derrière lui et connectent toutes les chambres d’écho pour gonfler le son de Tambourine Man. Ils ne disposent que d’une heure avant de se faire virer du studio. Alors ils envoient la guitare de McGuinn à travers a reverb unit, puis à travers une autre et encore une autre - The guitar popped - Ils appliquent ensuite le même process à la basse de Joe Osborne, aux drums d’Hal Blaine et au tambourin, puis une triple couche de reverb layers sur la voix - The result is what you hear on the record - et soudain Terry s’exclame : «It’s alive !». Au même moment la sécurité tape dans la porte - Open the door ! - Terry appuie sur le play et fout le Tambourine Man à fond. Puis il va ouvrir la porte et le mec de la sécurité leur ordonne de quitter l’immeuble sur le champ. Comme on le voit, le rock n’est jamais ce que l’on croit et pas non plus une activité de tout repos. Ce book n’est fait quasiment que de ça, de petits épisodes révélatoires qui en disent long sur la coulisse de la culasse, autrement dit l’envers du décor.

    Il est essentiel de rappeler que Sloan et Terry Melcher viennent de la scène surf californienne - Jan, Dean, Bruce Johnston, Terry Melcher, Roger Christian, Don Altfeld, Gary Usher and Brian Wilson were the genius innovators of this new sound - Dans les early sixties, Sloan joue dans les Fantastic Baggys qui s’appelaient au début les Baggys, et puis le jour où les Stones débarquent à Los Angeles pour la première fois, on leur fait écouter l’album des Baggys, et Jag saute en l’air et dit : «It’s fantastic !». Du coups les Baggys sont devenus les Fantastic Baggys. C’est l’humour de Sloan, cette nonchalante manière de retourner les anecdotes comme des crêpes. Sloan ajoute que Bruce & Terry, c’est-à-dire Bruce Johnston et Terry Melcher, ont ré-enregistré les cuts que Sloan avait composés pour les Fantastic Baggys. Une mine d’or.

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    Sloan fit partie du fameux Wrecking Crew, avec Hal Blaine, Joe Osborne ou encore Leon Russell - J’avais 15 ans quand j’ai rencontré Leon Russell et ses cheveux commençaient à blanchir. Il avait un fort accent sudiste et il prononçait Flip en deux temps - Hi-ya, Fli-ip - Leon pouvait transformer n’importe quelle petite chanson ordinaire en concerto ou en swamp boogie. Il maîtrisait tous les styles. Il imaginait des grooves auxquels nous n’aurions jamais pensé - Et puis voilà Carol Kaye, la fantastique bassiste du Wrecking Crew qu’on voit toujours assise avec sa basse - Elle était la seule femme du Wrecking Crew. Elle entendait pas mal de blagues mais elle n’avait aucun problème avec ça. Elle était très demandée car elle bossait sur toutes les sessions importantes, Sinatra, Elvis Presley, Phil Spector, puis elle finit par travailler exclusivement pour Brian Wilson. La dernière fois que j’ai bossé avec elle c’était en 2010. Frank Black était à Los Angeles pour enregistrer Fast Man-Raider Man et il m’engagea pour jouer du piano. Il me demanda quel bassman il devait engager et je lui ai dit Carol qui avait alors plus de 70 ans, mais qui avait l’énergie d’une femme de 30 ans.

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    Sloan dit aussi que le fameux wall of sound fut créé par Larry Levine, qui était ingé-son adjoint au Gold Star studio : Larry installait un micro qui captait tout au milieu du studio et qui envoyait le son dans une chambre d’écho, d’où l’énormité. Bones Howe fait partie de l’équipe des ingés son du Wrecking Crew, un Bones qui produira par la suite the Association, les Turtles, the Fifth Dimension et les Monkees. Sloan ajoute que comme tous ceux qui y ont bossé, Bones va quitter Dunhill scarred and damaged, c’est-à-dire terrifié et en très mauvais état. On va voir ça dans le détail un peu plus loin.

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    Avec le premier voyage en Inde qu’il fera beaucoup plus tard, l’un des points lumineux de ce récit est l’amitié que noue Sloan avec Jimmy Webb. En fait c’est Webb qui veut rencontrer Sloan, car il a besoin d’aide. Il compose mais ses compos ne passent pas. Il envisage même de rentrer en Oklahoma. Sloan lui dit qu’il connaît bien le problème, car on rejette aussi ses compos. Ah bon ? C’est une blague ? Webb demande comment s’appelle son publisher et Sloan lui dit Trousdale, out of Dunhill. Webb se marre et lui dit que ça sonne comme trou de balle. Il s’assoit ensuite au piano et commence à jouer ses compos pour avoir l’avis de Sloan. Il commence par «Wichita Lineman», puis il enchaîne avec «MacArthur Park» et «By The Time I Get To Phoenix». Sloan est scié, comme lorsque que Dylan lui faisait écouter l’acétate d’Highway 61. Webb précise qu’il a prévu un passage instrumental dans MacArthur Park, mais pense-t-il, personne n’en voudra. Sloan lui dit au contraire de charger l’orchestration - Play it from the top with the instrumental section - En conclusion, Sloan dit que ces trois cuts sont des major hits. Même celui qui est long ?, demande Webb. Surtout celui qui est long, lui dit Sloan. Il ne s’est pas trop fourré le doigt dans l’œil, car «MacArthur Park» allait devenir l’un des plus grands hits de tous les temps. Même long. Surtout long.

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    L’autre grand point de repère dans la saga Sloan, c’est John Phillips et les Mamas & The Papas. Sloan participa à la première séance d’enregistrement du groupe et nota chez eux un profond mépris de Lou Adler et de l’autorité en général. Avec Sloan se trouvaient Hal Blaine et Joe Osborne. Sloan sentait bien que John Phillips avait la carrure d’une star. Cette première session fut idéale nous dit Sloan, car sans drogues, ce qui n’allait pas être le cas des suivantes, où ils pensaient qu’avec les meilleures drogues ils allaient faire de la meilleure musique ce qui bien sût n’était pas possible, précise gentiment Sloan. Il indique aussi que Jay Lasker haïssait les Mamas & the Papas comme il haïssait les hippies en général. Quant à Lou Adler, il les appréciait d’autant plus qu’il louchait sur la jeune et nubile Michelle Phillips. C’est finalement Lasker qui allait réussir à détruire le groupe. Adler et John Phillips, ça ne vous rappelle rien ? Oui, Monterey. Alors nous y voilà. Sloan participe à la session d’enregistrement du fameux «San Francisco» de Scott McKenzie, qu’a composé John Phillips pour promouvoir le festival à venir. Phillips était alors en plein power trip et se comportait en tyran sous l’influence des drogues - Drugs were starting to make a serious play on John’s mind, et je n’étais pas le seul à sentir ce vent de folie - Adler invite les stars que l’on sait pour son festival, mais nous dit Sloan il n’y tenait pas plus que ça. Il voulait juste les Mamas & The Papas en tête d’affiche. Adler organise chez lui une fête en amont du festival où sont invitées toutes les stars locales, de Paul Simon à Croz en passant par Cass Elliott et Stephen Stills. Parmi les invités se trouve Derek Taylor, l’attaché de presse des Beatles que pressure Adler pour avoir les Beatles à l’affiche du festival. Sloan et Jimmy Webb se rendent à cette fête et s’y sentent très mal : «C’est comme si Jimmy et moi étions deux journalistes juifs qui entraient dans une réunion du haut commandement nazi à la recherche d’un scoop.» Sloan épingle au passage les goûts d’Adler qui a transformé sa baraque en palais royal marocain. Jimmy et lui se sentent ignorés, alors ils sortent sur le balcon. C’est là que John Phillips, coiffé de sa toque cosaque vient trouver Sloan. Il veut lui parler en privé. Direction la cuisine et pouf ! Phillips pique sa crise et dit à Sloan tout le mal qu’il pense de son jeu de guitare. Il ne veut plus de lui en studio ! Sloan est scié car il a amené des trucs comme «Monday Monday» et la guitare sur «California Dreaming», c’est lui. La conversation tourne au vinaigre. Fuck you Phillips ! Quoi ? Fuck me ? Oui fuck you, je vous ai aidé à créer votre son ! Furieux Phillips rétorque que n’importe quel cloporte de studio en aurait fait autant. Et là Sloan sort de ses gonds : «Sans les cloportes de studio vous en seriez encore à faire des backing vocals pour McGuire !». Alors Phillips attrape un couteau de cuisine et informe Sloan que s’il met les pieds à Monterey, il le tuera. Compris ? Sloan répond qu’il ira où ça lui plaira - Phillips gave a kind of demonic chuckle, c’est-à-dire qu’il ricana comme le diable - Choqué par tant de haine, Sloan décide de quitter la fête, mais comme il ne trouve pas Jimmy Webb, il repart seul. De son côté Jimmy Webb le cherchait et ne le trouvant pas, il a aussi quitté la fête, mais il a écrit une chanson magique qui s’appelle «P.F. Sloan» - I’ve been seeking P.F. Sloan/ But no one knows where he has gone - Voilà encore un épisode dramatique que Sloan transforme en conte magique.

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    Bien sûr, Sloan se rend à Monterey. Il attend à l’entrée et Jimi Hendrix lui propose de le faire entrer dans sa limousine. Sous la tente de la presse, Sloan retrouve Derek Taylor avec lequel il s’entend bien car Brian Epstein lui a dit qu’il était one of the lads. Dans cette séquence, tous les personnages apparaissent comme des personnages de conte : Derek Taylor comprend que l’ambiance est pourrie, alors il ramasse ses cliques et ses claques et dit à Sloan d’en faire autant. Mama Cass prévient Sloan que Phillips le cherche et lui conseille de quitter le festival. Assis à côté d’elle, Brian Jones demande à Sloan de s’éloigner à cause du danger qu’il représente. Mais Sloan est venu voir les Who et il voit les Who. Vers la fin du livre, Sloan précise toutefois que John Phillips finira par lui présenter des excuses.

    Sloan donne aussi des aperçus de lui-même qui augmentent encore son crédit auprès du lecteur. Il y a quelque chose d’infiniment stendhalien chez Sloan, un vision du monde unique portée par un style très pur : «En tant que juif et donc outsider, je ressentais une profonde connexion avec les Noirs américains. Je vivais le même genre de préjudice. À mes yeux, le rock’n’roll vient de là. Elvis Presley fut un kid défavorisé. Il a vécu la pauvreté et ça ne lui correspondait pas. Le rock, la Soul, le blues et la country s’enracinent dans la pauvreté, dans le préjudice et la solitude. Que fait un kid confronté à tout ça ? Il crée. Il entre en contact avec le monde des outsiders, c’est-à-dire le monde des gens qui pensent qu’ils sont seuls. Et lorsqu’ils découvrent qu’ils ne sont pas seuls, ça leur change la vie. Même à notre époque qui est celle de l’immédiateté et du social media, beaucoup de gens sont encore seuls. Il y en a même peut-être encore plus qu’avant.» C’est criant de vérité. Sloan dit aussi qu’il faut mettre du contenu dans les chansons, ce qui n’était pas du tout dans les mœurs à cette époque : «Le label (Dunhill) pensait que les chansons ne servaient qu’à vendre des disques et non à explorer le monde intérieur. Leave that to F. Scott Fitzgerald or John Steinbeck or Bob Dylan.» Sloan tient bon, il met du contenu dans ses chansons. Mais la pression est terrible, il s’en plaint. Même s’il est auteur à succès, il sent qu’il est en train de couler : «J’aurais bien aimé avoir quelqu’un à qui parler. Un Brian Epstein. Mais j’appartenais à Dunhill. Je ne pouvais pas parler à mes parents. Et de quoi allais-je me plaindre ? Tout marchait bien. J’avais 20 ans, beaucoup de succès et je me demandais si j’allais encore pouvoir tenir une semaine.»

    Sloan fait aussi pas mal de ravages avec son humour. Il vient de composer «Eve Of Destruction» et veut lire les paroles à sa mère, qui lui dit non, pas ce soir, tu vas réveiller ton père. Quand il joue la chanson à son «copain» Steve Barri, celui-ci lève les bras au ciel et s’exclame : «I hate that kind of shit!». Quant à Adler, il ne voit aucun avenir dans ce qu’il appelle ‘le folk’. Chacun sait qu’Eve va être l’un des plus gros hits des sixties.

    Alors nous y voilà. Comme dans tous les contes, il y a les bons et les méchants. Les méchants, c’est Dunhill, c’est-à-dire l’employeur de Sloan. Dunhill paye Sloan et Steve Barri pour composer des tubes. En fait c’est Sloan qui fait tout le boulot et ce n’est pas sans une certaine amertume qu’il voit le copain Barri vivre des royalties de tubes qu’il n’a pas composés. Alors ça passe mieux dans l’univers d’un conte. Les deux patrons du label sont Lou Adler et Jay Lasker. Sloan ne les épargne pas, d’ailleurs, ils ne l’ont pas épargné non plus. Sloan commence par de petites insinuations du style : «Jan Berry ne payait pas très cher ses musiciens et Adler lui fit comprendre qu’on - c’est-à-dire Sloan et Barri - lui coûterait encore moins cher. Pour faire avancer les albums de Jan & Dean, Adler utilisait la méthode du bâton et de la carotte.» Quand Sloan reçoit la démo du premier 45 tours des Beatles que lui envoie Brian Epstein en 1963, il la fait écouter à Lou Adler en lui disant que ces Anglais allaient devenir encore plus énormes qu’Elvis. Mais ça ne plaît pas à Adler qui rétorque : «Ces mecs ne font qu’une mauvaise imitation des Everly Brothers.» Quand un peu plus tard Sloan reçoit la démo du premier 45 tours des Stones que lui envoie Andrew Loog Oldham sur le conseil de Brian Epstein, il dit à Adler que les Rolling Stones vont devenir aussi énormes que les Beatles. Cette fois, il est viré. Appelons ça de l’humour historical, car c’est infernalement drôle et juste. Cet épisode raconté sur un mode léger éclaire un moment crucial de l’histoire du rock américain : les décideurs furent complètement dépassés par l’arrivée des Beatles et des Stones et par leur modernité. Sloan fait aussi un portrait d’Adler qu’il n’arrive pas à détester complètement, un Adler de trente ans, qui porte des pulls élégants et qui passe son temps les pieds sur son bureau à regarder par la fenêtre. Un Adler qui manageait Jan & Dean et qui pensait que l’âge d’or de la Surf music allait durer éternellement. Il n’avait aucune considération pour le folk-rock, même si «Eve Of Destruction» lui rapportait un gros paquet de blé. C’est même à l’époque un hit mondial qu’interprète Barry McGuire. Et hop, tournée européenne, Sloan et Adler accompagnent McGuire. En arrivant à Londres, Brian Epstein vient les accueillir à l’aéroport. Il fait monter Sloan dans sa Rolls, mais pas Adler qui devient livide. Epstein dit poliment à Adler qu’il a quelque chose à dire personnellement à Sloan - L’expression du visage d’Adler était un mélange de honte, de douleur et de rage - Adler va d’ailleurs coincer Sloan un peu plus tard pour lui annoncer qu’ils allaient régler leurs comptes en rentrant à Los Angeles. Sloan nous dit les choses d’un ton badin, mais il est évident qu’il a souffert du despotisme de ces mecs-là. Par contre Brian Epstein aimait bien Sloan car il avait tout compris aux Beatles au moment délicat de leur lancement. Epstein conseilla même à Sloan de rester en Angleterre et de se placer sous sa protection, mais bêtement Sloan refusa.

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    Le méchant dans ce conte, c’est Jay Lasker. Sloan en brosse un portrait terrifiant. Ça commence avec des broutilles comme le nom des Grass Roots que Lasker pique à un groupe existant et réputé à Los Angeles, puisqu’il s’agit du groupe de Bryan MacLean et d’Arthur Lee, des copains de Sloan. Lasker n’en a rien à foutre. Pas grave, MacLean et Arthur Lee optent pour Love. Lasker hait encore plus profondément Dylan - I don’t believe in this communistic shit - Un peu plus loin, Sloan ajoute : «Il allait détruire les vies de tous les gens qui entraient en contact avec lui, Steppenwolf, Three Dog Night, The Mamas & The Papas, the Grass Roots, tout le monde excepté Steve Barri.» Bizarrement Sloan oublie de citer Emitt Rhodes dans la liste des victimes de Lasker. Mais la principale victime de Lasker va être Sloan et là on entre dans l’horreur. C’est encore pire qu’un conte de Petrus Borel. Un jour Sloan est convoqué dans le bureau de Lasker. Sloan appréhende toujours ces meetings. Lasker va doit au but : tu vas dire à Barri qu’il est viré. Bon Sloan n’a pas une très haute opinion de son collègue Barri, mais il est loyal. Non, pas question. Alors Lasker raconte qu’il vient de Chicago et qu’il a encore des relations là-bas. Pour muscler son effet, il ouvre un tiroir et sort des grandes photos de corps mutilés. Sloan comprend tout à coup qu’il est mal barré et qu’il a affaire à un tortionnaire. Puis Lasker lui dit de baisser son pantalon et de se couper une couille avec le couteau à cigare qu’il brandit. Ça tourne au cauchemar épouvantable, mais quand vous lirez ce passage, vous verrez que c’est encore pire. Alors Lasker dit ensuite à Sloan que la vie de ses parents est en danger et que la seule façon de les sauver et de signer ce document et de quitter définitivement la ville. Dans ce document, Sloan renonce à ses droits d’auteur et à la propriété de son nom d’artiste. Il signe et sort du bureau dans un état second. Il va chez lui pour prendre quelques affaires, dit au-revoir à sa mère qui ne comprend rien et part au volant de sa Jaguar en direction de New-York. Drive and cry. C’est la page 208 d’un livre qui en fait 300, et c’est symboliquement la fin de sa vie d’apprenti rock star. Il n’a que 22 ans. On est en 1967. Pour illustrer ce drame, l’éditeur met en fin de chapitre la photo de Sloan qui orne la pochette de Raised On Records, lorsqu’il a les cheveux longs, la barbe et le regard noyé de tristesse.

    Sa mère lui demandait ce qu’il avait fait pour que les gens le haïssent autant, et Sloan lui répondait : «Rien, Mom.» Toute cette histoire n’était en fait qu’une histoire de blé : les tubes de Sloan généraient des millions de dollars qu’il fallait partager en trois : Barri, Lasker et lui. Sloan parti, ils allaient se partager ce blé à deux. Barri allait devenir producteur et vice-président d’ABC-Dunhill, avec une belle maison à Encino - He was living well and enjoying my royalties - Plus tard, des gens du label MCA seront horrifiés de découvrir la barbarie des pratiques en cours à l’époque de ce drame. Tout ce qui pouvait exister de pire dans ces pratiques figurait dans le contrat de Sloan avec Dunhill. Sloan envisageait d’enregistrer une nouvelle version d’«Eve Of Destruction», mais Barri s’y opposait. Il osait se prétendre co-auteur, grâce à ce fucking contrat établi par Lasker, mais il finit par s’écraser. Quand Sid Bernstein qui croit en Sloan propose de relancer sa carrière à New York en le faisant signer sur ATCO, Dunhill entame des poursuites, prétextant que Sloan leur appartient. Le silence de Sloan va durer vingt ans. C’est quasiment l’histoire d’Edmond Dantès, plus connu sous le nom de Comte de Monte-Cristo. Tous ces rats ont détruit Sloan par simple cupidité.

    Certains livres proposent des mélanges détonants. Celui-ci en est un parfait exemple. Ce livre est un capiteux mélange de contes, de drames, le tout mêlé à l’éclairage d’une période cruciale de l’histoire du rock américain.

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    Il faut se plonger dans les albums de Sloan, car ils produisent sensiblement le même effet sur la cervelle que le book : les chansons montent droit au cerveau. Paru en 1965, Songs Of Our Times a des allures d’album folk. Sloan porte un blouson en daim et un jean. Il se tient debout près de sa guitare qui est une acou, donc le message est clair. Il sonne comme Dylan dès «The Sins Of A Family». Sloan raconte l’histoire d’une fille qui se prostitue pour payer ses études. Comme c’est produit par Bones Howe, on a la qualité californienne qu’on retrouvera sur les albums de The Association. Il règne chez Sloan quelque chose d’intrinsèque. En fait il mélange le chant nez-pincé dylanesque avec la casquette de Donovan et lie le tout au gratté de circonstance. Mais cet album est tout de même un peu trop dylanesque. On aime bien Sloan, mais autant aller écouter Dylan. On tombe un peu plus loin sur l’«Eve Of Destruction». La version de McGuire est bien plus puissante. Sloan la radoucit trop. Il nous ramène enfin une grosse compo en ouverture de bal de B : «I Get Out Of Breath». Il sait monter tout seul en température, il manie fort bien le climaxing. C’est un hit. Et puis avec la belle pop d’«All The Things I Do For You Baby», il parvient à se glisser dans un juke. Il réactive son sens aigu du beau pour «(Goes To Show) Just How Wrong You Can Be» qui frise la Beautiful Song et termine avec une pop-song digne des Mamas & The Papas, «What Am I Doin’ There With You». En même temps, ça sonne très anglais et on comprend qu’il ait développé des affinités électives avec Brian Epstein et Derek Taylor.

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    Guy Webster fait un petit montage pour la pochette de Twelve More Times paru l’année suivante, mais c’est au dos (comme d’ailleurs pour l’album précédent) que se trouve le vrai visuel de pochette : Sloan cadré serré, coiffé de sa casquette Donovan et dans le regard, une insondable mélancolie. Il en est presque beau. Un petit maître de la Renaissance aurait pu peindre ce portrait, tellement les traits sont purs. On irait même jusqu’à dire qu’il a des faux airs d’Elvis.

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    En plus, c’est un très bel album rempli de cette petite pop élégiaque, bien douce et bien tendue, à laquelle on va devoir s’habituer si on décide de le fréquenter assidûment. Il chante avec une légère affectation, oh rien de grave, il fait son Sloan, il navigue dans les même eaux qu’Eve, secrètement rongé par des ambitions dévorantes. Il revient à sa fascination pour Dylan avec «The Man Behind The Red Balloon». Il adore Bob, c’est évident. Et comme il l’explique dans son book, cette chanson est un règlement de comptes. Derrière lui, on retrouve encore une fois la crème de la crème : Hal Blaine, Larry Knechtel, Joe Osborne et même John Phillips. Comme le montre «Here’s Where You Belong», Sloan est capable de grande pop et c’est là qu’il décolle pour voler de ses propres ailes. Il aspire à la grandeur. S’ensuit un autre hit enivrant, «This Precious Time». Sloan injecte une énergie considérable dans sa pop. Il boucle son bal d’A avec un «Halloween Mary» encore plus dylanesque que le roi. On a même les coups d’harmo, t’as qu’à voir. Il revient en B à la pop élégiaque avec «Lollipop Train (You Never Had It So Good)». En fait il collectionne les cordes à son arc, car il va à la fois sur l’élégiaque, le dylanex et la protest song. Comme le riz, il est assez complet. Sacré Sloan. On l’aime bien. Avec «Upon A Painted Ocean», il fait encore du pur dylanex. Il est en plein dedans, au moins autant que peut l’être Dick Campbell. Et il boucle avec un extraordinaire shoot de ramdam dylanesque, «Patterns Seg. 4». On ne peut pas être plus clair.

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    En 1968, Sloan a quitté la Californie. C’est l’année où il enregistre Measure Of Pleasure. Comme on le voit sur la pochette, il a opté pour un look dylanex. Il vit alors à New York avec une poule nommée Miki et pour fêter la signature du contrat avec ATCO, elle propose un shoot d’héro - which she felt would give me Village chops like her friend Fred Neil - Alors Sloan se fend d’un passage fascinant sur l’héro : «L’héro est le sujet tabou numéro un parmi les jeunes musiciens. L’héro pouvait vous tuer ou vous rendre génial. L’héro me donna la sensation de ne plus être dans mon corps. Je pouvais réfléchir normalement. Je connaissais les histoires horribles de musiciens qui vendaient leurs guitares pour se payer un fix, mais en même temps, les écrivains que j’admirais comme James Baldwin,William Burroughs et Lenny Bruce en prenaient.» Sloan descend enregistrer Measure Of Pleasure à Memphis au Studio Sun avec dit-il la crème de la crème locale : Steve Cropper, Duck Dunn et Al Jackson. Sam Phillips vient même faire un saut pour dire bonjour. Il dit à Sloan : «Il y a un truc en vous qui me rappelle Elvis.» Et forcément Sloan lui raconte l’histoire de sa rencontre avec Elvis quand il avait douze ans. Pour lancer la session, Cropper demande à Sloan de lui chanter une chanson. Bon, ça ne va pas. Il va voir Tom Dowd dans le control room pour lui dire qu’ils ne sont pas le bon backing band pour un gars comme Sloan. Puis Cropper décide de sauver la session. Il passe un coup de fil et un mec apporte un sac de hash. Cropper et les autres vont faire un tour dans la salle de bains et à leur retour, la session peut démarrer. «Vas-y mon gars, chante-nous ta chanson sur Perry qui va partir à l’armée, je pense qu’on peut en faire un jazz blues thing.» And he did. Eh oui, avec sa chemise à fleurs et sa douze, on se demande ce que Sloan vient foutre à Memphis ! Détrompez-vous les gars, car dès «One Of A Kind», ça groove sec chez Sun, c’est même du heavy goove à la Croz, baby now, she is one of a kind, c’est excellent, bien dans le move Stills/Buffalo. Et paf, il nous balance une Beautiful Song, «New Design», bien à cheval sur le Dylanex et le Sloan Square. Ce démon de Sloan injecte énormément de beauté dans son Dylanex et Cropper doit se dire : «Ah si on m’avait qu’un jour je jouerais du Dylanex !». L’«How Can I Be Sure» n’est pas celui des Turtles, mais c’est une fantastique extension du domaine de la hutte. Sloan groove son balladif avec une sidérante insolence. Il fait aussi des choses plus exotiques comme «Champagne» en B, mais avec un telle présence qu’on s’en effare. Au niveau musicologique, c’est excellent. Il gratte encore sa douze dans les alizés du big songwriting pour envoyer «And The Boundaries In Between» au firmament et on assiste une fois encore à la persistance de la latence. Sloan semble pratiquer le dématérialisme. Il pique une nouvelle crise de hargne dylanesque avec «Above & Beyond The Call Of Duty». Il y excelle, il adore cette façon qu’a Bob de haranguer les harengs. Il termine avec un «Country Woman (Can You Dig It All Night)» solide jusqu’au bout des ongles. Ce mec swingue sa douze en fier caballero.

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    Belle pochette bien travaillée au grattoir que celle de Raised On Records. En 1972, Clive Davis décide de sauver Sloan en relançant sa carrière. Mais Sloan ne va pas bien - A chronic melancholy infected my spirit and had an effect on the songs I was writing - Il propose avec cet album une pop paisible, très orchestrée, très Los Angeles. On comprend que Jimmy Webb en soit fan. Sloan va droit sur des compos très ambitieuses, comme «The Night The Trains Broke Down», il répète son love begin when you love someone comme un mantra et ça prend vite fière allure, puis il ajoute en matière de conclusion : love is best when your head and heart agree. Il a raison, il vaut mieux que ce soient la tête et le cœur plutôt que la bite. Il a du beau monde derrière lui : Hal Blaine on drums & Joe Osborne on bass. On se régale du morceau titre pour la noirceur de sa mélancolie qui est en même temps une sorte de power. Il dit y remercier son père de lui avoir acheté une guitare quand il était petit, mais avoue que sa vraie nature était de n’être le fils de personne - If it weren’t for the music/ I would have said goodbye a long time ago - Il revient en B faire son Nick Drake avec «Springtime». Plus loin, il propose un heavy groove de coups d’harmo dylanesques : «Sins Of A Family», l’un de ses vieux hits. Finalement, c’est avec la bossa nova océanique de «Midnight Girl» qu’il emporte la partie. Hélas l’album ne plaît pas au label qui le trouve plat et sans énergie. Nouvel exit.

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    Sloan parle un peu plus loin de Serenade Of The Seven Sisters avec affection : «Il y a de très belles chansons sur Serenade Of The Seven Sisters, comme ‘Spiritual Eyes’ ou ‘Help Me Remember To Remember’, qui prouvaient que P.F. Sloan était encore en vie. Bon, c’est vrai, il ne proposait pas douze grandes chansons sur cet album, mais personne d’autre ne le faisait plus non plus. Et ce n’était pas non plus ce que les gens attendaient de moi. L’ambiance de cet album était plus modern jazz que blues et folk. Folk-jazz ?». «Love Go Easy» sonne comme de la petite pop californienne, took it easy on me fait Sloan et les chœurs font oh yeah. Il rafle sa mise. Pour installer «Spiritual Eyes» dans l’inconscient collectif, Sloan crée une ambiance de rengaine d’Amsterdam avec des nappes d’accordéon. C’est tellement bien foutu qu’on comprend qu’il soit devenu culte. Il revient à son vieux hit d’Eve avec «(Still On The) Eve Of Destruction». Mêmes accords magiques et même vivacité. Il pique une petite crise de power avec «Sleeping Dogs Lie». Pas de vagues, mais du juste-au-corps, voilà comment on pourrait le définir. Une certaine façon de gérer les choses. Il fait des balladifs éplorés («Woman And Gold») mais avec un certain poids. Hélas, bon nombre de cuts ne fonctionnent pas. La pop est parfois trop ouvragée, trop Sloan, trop paumée. Il termine avec une resucée de son vieux hit, «Secret Agent Man», et vire heavy rock. Il a derrière lui deux Posies, John Auer et Stringfellow. En 2001, soit sept ans plus tard, Sloan va retourner enregistrer ces chansons tout seul - I called it Seven Sisters Redux.

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    Comme Jon Tiven insiste pour que Sloan fasse un album, celui-ci finit par céder et débarque à Nashville en 2006. Voilà donc Sailover. Derrière Sloan, il y a du beau monde : Buddy Miller qui a joué avec Emmylou Harris, et Felix Caveliere des Rascals qui justement vit à Nashville. Sloan récupère aussi le bassman de Cheap Trick, Tom Peterson et puisqu’on est dans le haut de gamme, Lucinda Williams vient duetter avec Sloan sur «The Sins Of A Family». Mais ce n’est pas fini. Au même moment, Jon Tiven produit un album de Frank Black à Nashville. Le gros dit à Tiven qu’il adore «Halloween Mary» et qu’il aimerait bien chanter dessus. Il chante aussi deux couplets sur la resucée d’«Eve Of Destruction». Sloan ne tarit pas d’éloges sur le gros : «Frank is a divine artist, il a une façon de déconstruire les pop songs pour en faire quelque chose de nouveau et de malléable. Il fait ça with heart, intellect and soul. C’est la raison pour laquelle les Pixies étaient les meilleurs.» Alors oui, quel album ! Surtout que Sloan démarre en duo avec Lucinda Williams et son vieux «Sins Of A Family». Franchement, Sloan a du génie, ici ça crève les yeux et en plus ça crève le cul quand Lucinda prend le relais. Sloan & Lucinda for ever ! Stupéfiante présence du son. Alors attention, c’est un album fabuleux de bout en bout, vous voilà prévenus. Sloan fait sa big pop avec «Violence» et son Exploding Fantastic Inevitable. Sloan c’est du stream. Il cut ses cuts avec aménité, il faut le voir amener «If You Know», il sonne comme un prodigieux humilitaire - I’m not forgetting you - Il envoie ça droit dans le cosmos. Il se montre effarant de ténacité. Et voilà le grand retour d’Eve, avec Frank Black au deuxième couplet. Personne n’est mieux placé que Sloan pour exploser la rondelle d’Eve, my friend, il chante ça à la perfection, c’est l’un des trucs définitifs du rock et quand le gros entre dans la danse, alors ça devient miraculeux. Ces démons ont tout compris, on a là une sorte d’aboutissant, tell me over and over my friend. On retrouve le gros sur «Halloween May». Joli concubinage. Sloan chante comme Dylan et pareil, le gros entre au deuxième couplet avec tout le power qu’on voudra bien imaginer. Sloan revient à l’intimisme catégoriel avec «All That Time Allows». C’est in the face, mais intimistiquement parlant, oui, car il te chante ça en pleine gueule, that’s the miracle, c’est une grosse compo - What I can do now/ All that time allows - «Hollywood Moon» est plus festif et passe donc par pertes et profits. Mais que de son, my son ! Il tape aussi son vieux «Where Were You When I Needed You». Normal qu’il pose la question. Il est presque dylanex avec ce vieux coucou composé pour les Grass Roots et repris par Jan & Dean. Sloan bascule dans le meilleur dylanex, avec le même génie d’expressivité. C’est en plus exceptionnel de grandeur productiviste. C’est Jon Tiven le producteur qui joue de la guitare sur les cuts. Pour un album de come-back à la sortie du désert, c’est assez spectaculaire. On retrouve dans ses chansons l’intelligence de l’écrivain Sloan. Chaque chanson est immédiate. On croit entendre «Maggie’s Farm» dans «Pk & The Evil Dr Z». Sloan fait son Dylan et se tape un délire de pince à linge. Il finit en beauté avec «From A Distance», une chanson si belle qu’elle n’en finira plus d’exercer sa fascination.

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    Voilà encore un passage obligé : la belle compile qu’Ace consacre à Sloan et qui s’appelle You Baby: Words & Music By P.F. Sloan And Steve Barri. On y retrouve tous les héros de Sloan. Si on met le nez dans les liners, on entend un son de cloche différent de celui du Sloan book. Par exemple dans le paragraphe consacré à «Eve Of Destruction» : ce que raconte Barri n’a rien à voir avec ce que dit Sloan dans son autobio. Barri insinue qu’à son retour de Londres et de la tournée de promo d’Eve avec Barry McGuire, Sloan était radicalement transformé. Il était devenu très sérieux. Plus le même. Drogues ? Pas drogues ? Le Barri va même jusqu’à insinuer que Sloan se prenait pour Dylan. T’as raison, pomme de terre ! Ben oui, Eve sonne comme un hit de Dylan ! C’est gratté à la ferveur suprême avec du contenu à gogo, Sloan ne veut pas du crazy world, et bien sûr, le bord du chaos reste d’actualité, cinquante ans après. À l’époque où Lou Adler drague Ann-Margret, il demande à Sloan de lui composer deux ou trois trucs et de les produire. Elle chante «You Sure Knew How To Hurt Someone» au petit downhome de bas-ventre, c’est excellent, kiss my lips, elle fait de la délinquance pré-pubère. On croise aussi le «Tell ‘Em I’m Surfin’» des Fantastic Baggys, le surf-band de Sloan, puissant, pur surf craze digne des early Beach Boys. On entend aussi de très grands interprètes fracasser les Sloan songs : Mel Tormé («Secret Agent Man») et Betty Everett («Someday Soon»). Betty rentre dans le lard de la Soul avec toute sa niaque de belle poule black. Sloan/Betty, encore un mariage réussi. Bon, la compile démarre avec l’«Another Day Another Heartache» des 5th Dimension, histoire de rappeler la connexion Sloan/Jimmy Webb, et quelle connexion ! L’une des connexions miam-miam de l’histoire du rock. L’autre grosse connexion est celle de Sloan avec les Turtles, illustrée ici par «Can I Get To Know You Better». Avec les Turtles, on reste dans la crème de la crème du rock californien. Big power en tous les cas. Écoutez les Turtles les gars, vous ne perdrez pas votre temps. Et puis voilà l’excellent «Where Were You When I Needed You» tiré de l’album à la chaise des Grass Roots, du zyva Sloan de descente au barbu, avec tous les trucs d’Eve Of Destruction et le côté explosif de la Spectorish pop. Sloan rappelle que les crevards de Duhnhill ont inventé les Grass Roots uniquement pour empêcher Sloan de démarrer une carrière solo. Comme le nom existe, Sloan doit trouver des musiciens pour l’incarner et il va prospecter à San Francisco. Il trouve des Bedouins qui vont faire les Grass Roots, mais pas très longtemps. Ace n’oublie pas les Mamas & The Papas et Jan & Dean dont l’«(Here They Come) From All Over The World» fout le feu, comme foutaient le feu jadis les early Beach Boys hits. Jan & Dean sont les plus gros clients du team Sloan/Barri. Autre duo de choc : Bruce & Terry, c’est-à-dire Bruce Johnston & Terry Melcher, deux autres monstres sacrés de l’early Californian hell, avec «Summer Means Fun», big B.B. Sound en plein dans le mythe de Brian Wilson, gratté à la meilleure surf craze, avec des voix qui ne sont que dream de fun fun fun come true. Ex-plo-sif ! Sloan est invité à les accompagner, en plus d’Hal Blaine et de Glen Campbell, tu vois un peu le tableau ? Les Fantastic Baggys reprendront d’ailleurs ce hit faramineux. Après que Sloan lui ait fait découvrir les Beatles, Lou Adler qui ne pense qu’à faire du blé a l’idée de monter un faux groupe anglais : Philip & Stephan qui sont bien sûr Sloan et Barri. On entend donc la démo d’un truc qui s’appelle «Meet Me Tonight Little Girl». C’est une étrangeté qui deviendra culte, reprise par les Bantams. On passe aux choses sérieuses avec Yvonne Carroll et «Please Don’t Go». C’est même quasiment du Burt, Yvonne est sexy. On croise encore pas mal de cuts qui font rêver comme par exemple «Goes To Show (Just How Wrong You Can Be)» par Joey Paige ou encore «The Sh-Down Song (You Better Leave Him Alone)» des Ginger Snaps, une équipe de blackettes que Sloan a dénichée dans le quartier de Watts lorsqu’il cherchait des interprètes pour faire un 45 tours. Les filles explosent vite fait le hit de Sloan au down down down. Par contre, impossible de prendre les Herman’s Hermits et Terry Black au sérieux. Le compte n’y est pas et n’y sera jamais.

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    Ce mini-panoramique de Sloan serait salement tronqué si les deux premiers albums des Grass Roots n’y figuraient pas. Comme on l’a dit, ce n’est pas un groupe de Sloan à proprement parler mais plutôt un groupe que tente de lancer Dunhill avec des chansons de Sloan. Les gens de Dunhill sont tellement infects avec les Grass Roots qu’ils mettent une chaise pourrie sur la pochette de leur premier album, Where Were You When I Needed You, paru en 1966. Le premier choc esthétique est une reprise d’«I’m A Rock» de Paul Simon, bien bardée d’harmonies vocales. S’ensuit «Lollipop Train», une puissante pop de Sloan, c’est même la pop des reins, Sloan la propulse bien vers l’avenir, cette pop frise le dylanex. Tiens puisqu’on parle de Dylan, on tombe en bout de B sur «Mr Jones (Ballad Of A Thin Man)», la chanson que Dylan offrit à Sloan lors de leur première rencontre à Los Angeles. Merveilleux cadeau, en vérité, et Sloan joue les blues licks. On le voit aussi jouer un solo très primitif dans «Look Out Girl». Sloan joue toute sa pop à coups d’acou. «I’ve Got No More To Say» regorge de coups d’acou et d’harmonies vocales, c’est à la fois léger et austère, pour ne pas dire californien. Le morceau titre sent bon la grande énergie, même élan et même détermination. Ils font aussi une reprise de Jon Sebastian («You Didn’t Have To Be So Nice») qui ne marche pas et une autre des Stones («Tell Me») qui n’apporte rien au genre humain.

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    Sloan participe à l’enregistrement d’un deuxième Grass Roots, Let’s Live For Today, qui paraît l’année suivante. Pareil, Sloan essaye de faire jouer les musiciens du groupe et Lasker oblige Sloan à virer la guitare de Creed Bratton pour la remplacer par la sienne. Sloan proteste en vain. Il n’empêche que cet album est une merveille. Rob Grill et Warren Entner se partagent le chant et les superbes compos de Sloan. Dans le studio, avec Sloan, on retrouve Joe Osborne et Larry Knechtel. Les Grass Roots sonnent en gros comme les Mamas & The Papas, avec une prod de rêve. Sloan est à son sommet avec des merveilles comme «Wake Up Wake Up» ou «Is It Any Wonder». Les Grass Roots semblent donner à la pop californienne ses lettres de noblesse. «Top Of My Tongue» sonne aussi comme du haut de gamme. On sent la différence quand les compos ne sont plus signées Sloan, ça retombe comme un soufflé. Le son est si bon que cet album pourrait être produit par Brian Wilson. «Where Were You When I Needed You» (qui figure sur l’album précédent) sonne comme un hit dès l’intro. Rog Grill chante ça à la perfection. Cette pop de folk s’inscrit dans la veine d’Eve et finit par rafler la mise. On entend Sloan gratter sa gratte sur «This Precious Time», dans l’atmosphère féerique d’une prod de rêve. Cette belle aventure s’achève avec une compo qui n’est pas signée Sloan mais qui casse bien la baraque : «House Of Stone», un fabuleux shake de Californian pop gorgé d’électraque de sunshine et conçu dans un épouvantable déploiement d’ailes de prod avec juste des licks de gimmicks et du chant par dessus les toits. Wow, quel album !

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    Pour parfaire le voyage en Sloanie, il semble utile de faire un crochet par les Fantastic Baggys et la scène surf dont sort Sloan. Leur big album s’appelle Tell ‘Em I’m Surfin’ et paraît en 1964 sur le grand label Surf de cette époque, Imperial. On est en pleine surf craze comme sur les premiers albums des Beach Boys, et ce dès le morceau titre d’ouverture de bal d’A. Sloan qui s’appelle Flip chante lead. On le voit sur la pochette, le deuxième à partir de la gauche. Ce qui frappe le plus sur cet album, c’est l’énergie. «Anywhere The Girls Are» est quasi gaga, Flip gère ça au wild, même chose avec «Big Gun Board», c’est un pur hit de juke. Ils font du Bibi craze chanté à l’harmonie. Ils explosent toutes les variations du surf craze et savent rester trépidants. En B, «Surfer Boy’s Dream Come True» brille comme une perle rare. C’est le balladif de la crème de la crème. Sloan s’y illustre comme l’enfant prodige de la scène californienne. Sa pop d’«It Was I» tient déjà bien la route. Il n’a que 18 ans, alors t’as qu’à voir. Fantastique qualité de sa presta. «Wax Up Your Board» est monté au beat des reins de Surf City.

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    Dans son book, Sloan rappelle aussi qu’il a aidé Jan Berry à sauver sa carrière avec l’album Folk & Roll, paru en 1965. Menacés de disparaître, Jan & Dean devaient passer au folk et leur sauveur n’était autre que le papa d’Eve, Sloan. D’ailleurs, Sloan se marre car il voit Jan Berry faire du Eve avec «The Universal Coward». Berry reprend exactement les mêmes ficelles, le gros gratté d’acou, les coups d’harmo et les élans élégiaques. Berry rend aussi un bel hommage à Dylan en reprenant «It Ain’t Me Babe» : version bien sentie, bien envoyée, très inspirée. Même chose avec le «Turn Turn Turn» des Byrds. Ils le font bien, avec tout le gusto des légendes dorées, chanté aux deux voix d’unisson du polisson. Jan Berry revient aussi à sa chère surf craze avec «Folk City», qui singe effectivement «Surf City». Quelle énergie ! Jan & Dean ouvrent leur bal d’A avec un cut de Sloan, «I Found A Girl» et c’est tout de suite beau, très enjoué, salé et poivré, magnifiquement orchestré. Par contre, le mix d’«Hang On Sloopy» est bizarre, la voix sort d’une enceinte, on ne sait pas pourquoi. Sloan fait les backings derrière. On l’entend claquer de sacrées parties de guitare derrière les vieux surfers. On voit «I Can’t Wait To Love You» décoller, avec des petites poussées de fièvre et des coups de cloche. On tombe ensuite sur une version d’«Eve Of Destruction». Beautiful hit, toute la musicalité de Sloan est là : nappes d’orgue, gratté d’acou et chœurs somptueux. Tout sur cet album est fantastiquement orchestré. Encore du pur Sloan avec «Where Were You When I Needed You». Jan Berry a du pot d’avoir Sloan comme pote.

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    Pour Sloan, l’un des big beautiful albums de l’époque est celui que Phil Ochs enregistra en 1967, Pleasure Of The Harbor. Bon la pochette est un peu foireuse, mais Sloan a raison, il y a des moments de grâce sur cette galette. Pas de hit, mais des moments de grâce, c’est déjà pas mal. En écoutant «Flower Lady», on comprend que Sloan se soit amouraché de la voix d’Ochs : ce mec cisèle son chant à la recherche du beau, comme un sculpteur. Mais en même temps, ça alambique un peu les choses. Son drame c’est de faire des chansons qui ne sont pas des hits, à la différence de Sloan et de Fred Neil, que Sloan cite en référence. Sur «I’ve Had Her», Ochs a de faux accents de Donovan, et les flûtes aggravent encore la pente. Who needs an American Donavan ? L’album se réveille en fin de bal d’A avec «Miranda» - She’s a Rudoph Valentino fan - et ses trompettes de dixieland, alors un doux parfum de nostalgie fait dresser l’oreille. La B offre ses petits moments de grâce avec «The Party» où l’on entend le phrasé de piano de «Smoke Gets In Your Eyes» et ça part en mode Ochs. Alors ça devient captivant, avec une stand-up de balloche en contrepoint. Sloan a raison, on finit par se faire avoir. Le morceau titre ne fonctionne pas, malgré tous les violons du monde, et il termine avec «The Crucifixion», une chanson extrêmement ambitieuse, peut-être même trop ambitieuse. L’ambition est une discipline difficile. Il faut savoir s’en donner les moyens.

    Signé : Cazengler, P.F. Slow (va pas vite)

    Grass Roots. Where Were You When I Needed You. Dunhill 1966

    Grass Roots. Let’s Live For Today. Dunhill 1967

    P.F. Sloan. Songs Of Our Times. Dunhill 1965

    P.F. Sloan. Twelve More Times. Dunhill Records 1966

    P.F. Sloan. Measure Of Pleasure. ATCO Records 1968

    P.F. Sloan. Raised On Records. Mums Records 1972

    P.F. Sloan. Serenade Of The Seven Sisters. Pioneer 1994

    P.F. Sloan. Sailover. Hightone Records 2006

    Fantastic Baggys. Tell ‘Em I’m Surfin’. Imperial 1964

    Jan & Dean. Folk & Roll. Liberty 1965

    Phil Ochs. Pleasure Of The Harbor. A&M Records 1967

    You Baby: Words & Music By P.F. Sloan And Steve Barri. Ace Records 2010

    P.F. Sloan. What’s Exactly The Matter With Me? Memoirs Of A Life In Music. Jawbone 2014

     

    Un Outerspace qui porte bien son nom

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    S’il existait des jeux olympiques du rock en France, on verrait monter sur le podium les Cowboys From Outerspace, suivis des Dum Dum Boys et des Weird Omen. Power, indépendance d’esprit, no sell-out, ces groupes ont tout bon. Même tout trop bon. Pire encore : les Cowboys, c’est trop beau pour être vrai. T’en connais beaucoup des groupes qui font sept albums de pur freak-out en dix ans ? Des groupes qui ne prennent pas les gens pour des cons ? Des groupes qui chargent tellement la barque qu’elle finit par couler ? Qu’y a-t-il de plus ennuyeux qu’une barque qui ne coule pas ? De la barque à l’Arche de Noé, le pas est vite franchi. Par Cowboys, il faut entendre déluge biblique, tempête au Cap Horn, et glou et glou ils sont des nô-ô-ô-tres ! Écouter les Cowboys n’est pas de tout repos. C’est même souvent plus mouvementé que d’écouter les Cramps ou le Gun Club. Les Cowboys vont loin dans la démesure, aussi loin que porte le regard.

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    Et ça, mon gars, ça vaut pour le premier album. On pense à tous les malheureux qui sont passés à côté ! Illustré au pur chaos, cet album sans titre explose avec une question : «What’s Jerry Lee Doing ??». Boom ! S’échappe alors des enceintes un horrible remugle de no way out, un son craqué de craquelures et gorgé de saletés, une vraie giclée putréfiée, t’as pas idée, ça va te déboucher les boyaux, les Cowboys te ramonent les annales à l’œil. Ils inventent même un nouveau genre : le Boom futuristic, un Boom qu’il faut entendre au sens où l’entendaient les Sonics, le son explose en gerbes et te retombe sur la tête, avec des solos en forme de coups de tournevis dans la serrure, ils battent tous les records de délinquance sonique, ils te travaillent ça au corps alors que tu n’as rien demandé, mais bon il faut bien avancer sinon à quoi ça sert ? Basly te piétine la gueule et tu cries au génie, Basly cabalistic, roi des emboucheurs ! Au moins les choses sont claires. Tu comprends que ce mec va profiter de chaque cut pour créer l’événement. Par exemple, dans «I Know», il se prend carrément pour un nettoyeur de tranchée et envoie le plus cruel des solos au napalm. Il sait aussi créer les conditions de la tempête shakespearienne («You Got Love If You Want It»). Disons que c’est son côté génie déflagratoire. On ne sait pas comment il s’y prend, mais il réussit à jouer un solo qui explose au moment où tout explose dans le studio. On n’avait encore jamais vu un truc pareil. On suivrait ce mec jusqu’en enfer, c’est d’ailleurs ce qu’on fait, puisque voilà qu’arrive «It Makes Me Mad». Descentes aux abîmes du big sound de démesure catégorielle, Basly gratte ses poux au dessus du gouffre et rivalise de surenchère apocalytique avec le Killing Joke de l’âge d’or. Le solo au vitriol qu’il passe dans «Do The Twist» entrera lui aussi dans les annales du vitriolage. C’est d’une violence qui se rit du langage. Il tombe ensuite à bras raccourcis sur Hank Williams avec une version inqualifiable d’«I’m So Lonely I Could Cry». Ça goutte de son. Basly triture jusqu’à la nausée le va-pas-bien d’Hanky. C’est haleté au coin du bar, bien balayé par des tempêtes, Basly chante comme Lux, à la désespérée. Cet album ne pouvait que se terminer par une abomination comme «Another Day». On y voit big Basly on the run dans un océan d’échos et de salmigondis, il se débat comme un géant, I don’t pretend, et du haut de sa fierté de rockab marseillais, il arrose l’océan d’un horrible remugle de gras double.

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    Ceux qui prédisaient l’apocalypse en l’an 2000 avaient raison. Ils ne se fourraient pas le doigt dans l’œil. Rien n’aurait pu protéger l’humanité d’un truc comme Choke Full Of... et pire encore, de «Choke Me Up». Welcome in hell, mais pas le petit hell à la mormoille d’Alice Cooper, non t’es propulsé directement dans la gueule du son, avec du râclé de heavy disto et ce fou de Balsy qui «chante» au sommet d’un slum de sludge indescriptible de violence intentionnelle. Rien d’aussi beau que ces filets de killer solo transverses ! C’est le pire sonic onslaught qui se puisse imaginer, mix de squelettes et de napalm. Le son est à Marseille, chez les Cowboys, ne le cherchez plus. Ils restent au bord de chaos avec «Way Down South», c’est de la confrontation extrême mais sans tomber dans les travers du hardcore ou du métal, c’est bien plus puissant, il y a du souffle. À part les Chrome Cranks, aucun groupe n’est allé aussi loin dans l’extrémisme sonique. C’est une espèce de summum du déterminisme. Basly le ballsy gratte sa «Linda» sous la panse, c’est atrocement bon, wow Linda ! Il la flatte, le cœur qu’on entend battre est le beat rockab et comme d’habitude ça dégénère, ah quelle sainte horreur, on patauge dans l’avanie du trash punk blues, ça va même au-delà des mots et des étiquettes à la petite semaine. Basly hoquette et s’écroule dans des mares de boue fumante avant de se relever et de continuer en titubant, paré de son cuir et de sa fierté d’homme libre. Il chante ensuite «Let’s Get Wild» comme s’il sombrait dans la folie. Avec son écho et ses guitares malveillantes, «Girl» réveille le fantôme du Gun Club, Preaching in the darkness, pur jus de Jeffrey Lee ride. Deep deepy groove noyé d’ombre. Tiens justement puisqu’on parle de preacher, voilà «The Preacher» ! C’est une véritable entreprise de démolition. On ne peut que crier au génie, d’autant que le solo de Basly coule comme du venin dans l’escarcelle du destin. Ce mec ne fait que chanter à la limite de l’épuisement et de l’horreur. On pourrait qualifier «Waiting For Your Love» de garage punk définitif. C’est taillé dans la masse, à l’énergie rockab et à la cisaille de Gretsch. On pourrait appeler les Cowboys les Cranks marseillais. Et c’est avec «Dancin’ Machine» que le ciel s’écroule sur eux - I like to rock’n’roll - Quand il crie, c’est dans la clameur du massacre, il cavale ses yeah à coups d’éperons, c’est du ventre à terre de la vingt-cinquième heure, Basly est le roi des écroulades de chant dans la mare aux canards. Cut de drummer avec «Headsider», violence ultime avec un Basly en effervescence, pur jus de white heat, ça chauffe tellement qu’on ne peut pas approcher la main. Basly joue son «Japanese Girl» à la cisaille épouvantable et Mr Henry bat ça au big badass boom marseillais. Tout dans ce disk est noyé de son et désespéré.

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    On croyait que les Cowboys allaient s’épuiser au bout de deux albums. Une fois de plus on se fourrait le doigt dans l’œil jusqu’au coude : le cavalier de feu de Space-O-Phonics Aliens allait ravager bien des contrées. Cet album est sans doute le pire de la série de sept. Il ne s’agit pas d’un album mais d’une rafale de killer cuts d’une rare violence et ça démarre avec le génie excavateur d’«Every Girl Got Her Dog» chanté au wild scream de non-retour, on ne sait pas comment ils font, c’est gonflé à l’ultra-junk d’adrénaline, cette ouverture de bal maudit sonne comme une descentes aux enfers, et Basly t’enfonce un suppositoire de solo trash dans le cul, alors t’es baisé. T’as voulu voir Vesoul et t’as vu les Cowboys en feu. Ça sonne bien les cloches. In the face. «Humility» est encore plus malsain, ils sont dans la déglingue des Cranks, ça te cloue une chouette à la porte de l’église, ces mecs sont atrocement géniaux. Tous leurs cuts sont des plongées fatales dans la folie Méricourt, peu de gens atteignent ces profondeurs, ils jouent sans répit, et quand ils s’offrent le luxe d’une cavalcade («Big Woman Blues»), le Cowboy en feu prend tout son sens. Ils dépotent autant que Motörhead, leur power dépasse les normes. Ils te donnent tout ce que tu attends du rock, l’ultra-sound, les virées dans la mélasse et l’exercice virtuose de la démesure. Il faut entendre Basly chanter «Tired» à la petite évaporée, avant de reprendre le big drawl et d’aller brouter la motte du trash. Il chante sur deux registres, comme un pro du cataclysme, c’est-à-dire le diable en personne. Il rallume sa chaudière à chaque instant. Avec «Hornets», on se croirait sur un album des Cranks, car c’est embarqué au watch out de psychose extrême. Leur «Rock’n’Roll Star» n’est pas celui d’Oasis. Il s’agit plutôt d’un heavy groove de cromagnon, oooouh baby I’m sick. Le son est tellement plein que les Cowboys atteignent à une sorte de plénitude qui n’est pas celle des sages, rassurez-vous. Il y a deux ou trois clins d’œil à Elvis, sur cet album en feu, «Col. Parker Medication» et «Hallohah From Elvis». Ils ne reculent devant aucun sacrifice. L’Hallohah est l’un des plus gros brouets explosifs jamais imaginés. C’est même l’un des sommets du junk sonique. Ils embarquent «Rugged Love» à l’extrême garage dévorant, il remonte de ce truc tous les remugles qu’on peut imaginer, DMZ, Gun Club, mais c’est surtout un remugle de Cowboys. Basly rivalise de folie screamée avec Peter Aaron. Cet album est une merveilleuse abomination, chaque cut vaut pour une explosion inespérée, les killer solos sont des modèles d’infection, ça sort tout droit du Kaiser studio.

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    Bizarrement le Bones Keep Smilin’ paru en 2003 sonne comme un moment de répit. Même si une horreur tentaculaire comme «Too Much Sun In My Room» guette le voyageur imprudent. Basly drive cette frenzy Gun-clubbique avec une poigne de fer. Absolute wilderness, le génie de Basly consiste à savoir basculer dans le scream extrême. Il fait même un Part II de cette horreur tentaculaire. Basly lui tire dessus et ça s’écroule. Quel fantastique shaker d’apocalypse ! Même les guitares sonnent comme des appels à l’émeute. Il faut l’entendre hurler dans sa fournaise. C’est aussi sur cet album que se planque «Luna». Luna, objet de toutes les convoitises. Le cul de rêve. I need you Luna. C’est du ramoné de cheminée sans égal. Les riffs transpercent le mur du son comme des jets d’acide et Basly chante à l’apoplexie militante. Les riffs se concassent dans le chaos d’un beat des forges, ces mecs sont complètement fous. Quand on tombe sur «I’ve Been So Down», on s’exclame : «Ah comme c’est bon !». Ils te courent sur le haricot. Honneur aux roots avec «Well» qui est plus rockab, mais avec la Cowboy attitude. Ils gravent leur «Such A Long Time» dans le marbre de la folie et rendent hommage à leurs amis marseillais avec l’excellent «Gasolhead».

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    On les voyait tous les trois au dos de la pochette de Bones. Pour celle de Sleeping With Ghosts, ils sont devant. C’est là, sur cet album en feu que se trouve leur reprise de «Preaching The Blues». Hommage définitif. Go ! Nous sommes dans le vrai truc, avec la folie et le drumbeat. Ils ont tout compris au génie de Jeffrey Lee Pierce. C’est le meilleur shoot de chicken shit qui se puisse imaginer, Basly entre dans la peau de Jeffrey Lee, car quand ça explose, ça devient le Gun Club, yeah ! Il gère à merveille les zones infernales, il tape en plein dans le mille. Rappelons que Lucas Trouble produit les Cowboys. Il est aux Cowboys ce qu’Uncle Sam fut à Elvis et à Jerry Lee. Ils ouvrent leur bal avec «Black Haired Coktail» et libèrent les légions des démons du trash-punk d’undergut. C’est une dégelée suprême avec ses woooh de plongées en enfer, ce mec ne sait faire que ça, plonger en enfer. Une fois du plus, c’est cranky à souhait. Basly monte ses hot shots à la Lux, mais avec le power des Cranks et la folie de Jeffrey Lee Pierce. Les Cowboys font partie des dieux de l’Olympe trash. Les écouter, c’est une façon de se confronter aux vraies valeurs. Tu veux jouer aux Cowboys et aux Indiens ? Alors écoute le morceau titre, tu vas tomber de ta chaise et tu vas pouvoir ramper sous le tapis du salon. Basly remonte des courants comme Rimbaud et crée en permanence toutes les conditions de la fournaise. «I’ve Been Loving You Too Wrong» est un heavy groove qui vaut tout l’or du Gun Club. Ça coule partout, les filles sont là, dans l’écho du temps. Basly ramène à manger. Il nourrit sa famille. Le Tamer de «Buzy Vat Tamer» est celui de Dale Hawkins. Basly claque son heavy bop de punk à la Cranks, ça cool de jus, ça se démantibule et c’est pourri de solos vénéneux. Dans «Fade Away», on croit entendre chanter le comte Dracula. Basly montre encore qu’il est le roi des inflammations avec «The Push In». Il démarre avec une big attaque et ça s’envenime aussitôt. Pas la peine d’emmener le cut à l’hosto, c’est déjà trop tard. Basly l’explose. Les ponts sont des ponts de la rivière Kwaï en feu. On ne sait pas pourquoi, ça se met à cavaler à travers la plaine, avec des pouets de cuivres, Basly fait son push in de punk et ça se termine comme ça doit se terminer, en clameur de guitares extraordinaires. On sort de ce cut le souffle court. Et voilà, trop bourré pour baiser : «Too Drunk To Love You». Basly en profite pour tramer un heavy doom. Vous devriez l’écouter car ça ouvre des horizons. D’autant que Basly chante à la syllabe mouillée et passe un solo d’absolute killering. C’est l’un des sons de guitare les plus wild qu’on ait pu entendre ici bas.

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    Les voilà de nouveau tous les trois en devanture du Super Wright Dark Wright paru en 2009. Basly ressemble de plus en plus au Comte Dracula. Ils attaquent avec un «Extra Wright» à la Jon Spencer, joué à la clairette de funky-gaga guitar et Basly décide tout simplement de chanter comme un dieu, alors oui, my extra wright. Ils font ensuite exploser le saucisson avec «Im Waiting». Basly l’attaque au dark de glotte, il sait allumer une mèche ! Mais on perd un peu la démesure du Space-O-Phonics. C’est autre chose. Comme si la sauvagerie était enfin domestiquée. Alors on se régale de l’ambiance d’accords biseautés. De toute évidence, le Comte Dracula a du génie, ça joue dans le clair obscur et il va bien sûr s’exploser la glotte à coups de whoo wahh oooh, c’est un modèle du genre, un truc qui intéressait beaucoup Wolf. Il faut aussi le voir moduler son chat perché dans «All Right All Right». En plus, il gratte les poux du son jusqu’au sang. Et maintenant, un encart publicitaire : amateurs de folie, adressez-vous à Monsieur Basly. Comment fait-on ? Il suffit d’écouter «She Wanna Take Drugs». Basly est le chanteur définitif, il dérape dans les peaux de banane. Basly et Peter Aaron, même combat. Suivez-le dans ses fuites de wanna take drugs, c’est la connaissance par les gouffres du son, ça fait même drôle d’entendre Basly hurler comme s’il était tombé dans les pattes des tourmenteurs de l’Inquisition, c’est du scream externalisé d’implosion suprématiste, on ne peut pas faire l’impasse sur une telle démesure. Il gère aussi son «Who Says A Rockband Can’t Play Funky» à la voix de petite fiotte et ses potes l’aident à swinguer sa pop humide. Encore un coup de génie en forme de coup de bambou, il finit en mongolien échappé d’un bac à sable et s’en va hurler dans les bois. Le «Me And Mrs Smith» qu’on croise ensuite n’a rien à voir avec le «Me And Mrs Jones» de Billy Paul. C’est très différent car on y voit Basly se jeter dans l’eau bouillante comme un crabe ivre de liberté. L’une de ses spécialités c’est aussi d’allumer son cut une fois qu’on le croit fini, mais non, il décide d’en remettre un coup dans le cul du cut et ça devient glorieux, car ça gicle, ça tourne au trash organique, à l’orgasme sonique avec ta copine de cheval, explosivité à tous les étages en montant chez Brenda. Tiens justement, la voilà, la «Brenda». Elle est tellement chargée de son qu’elle en chevrote. Les accords raclent le fromage sans que Basly ait besoin de sortir la râpe. Il râpe, ses accords sont encore une fois un modèle du genre, tout vibre dans la baraque, ces fucking Cowboys vont nous écrouler la baraque, ô sainte mère !, mais vas-y Basly, gratte ta chique et fais grimper la température ! Retour à la folie du Gun Club avec «Rooms Of Hate». Bienvenue dans le giron du punk blues. Jeffrey Lee serait fier d’entendre ça, d’entendre cette belle démesure gun-clubbique. C’est un extrême qui ne veut pas baisser la tête, Basly chante comme toujours, à la vie à la mort. C’est le lui le king. Stupéfiant ! L’hymne du non-retour. La suite du Gun Club de non-retour. Basly hurle dans la toundra, seul, à des milliers de kilomètres de toute trace de civilisation. Il termine cet album qu’il faut bien qualifier de faramineux avec une belle dépotée intitulée «A Brand New Story». Pour ça, on peut faire confiance aux Cowboys, les dépotées ça les connaît. Ces mecs vont nous battre le rappel jusqu’à la fin des haricots. Et avec Basly, on est sûrs d’avoir du rab de ragoût. Il y va de bon cœur, comme toujours. Il fait du Basly pur, il niaque sa niaque et reste sur le story bad. Il est très certainement le plus brillant rocker de France.

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    Avec les Cowboys , il ne faut attendre rien d’autre qu’un festin de son. Exile At The Rising House ne fait pas exception à la règle. Et ce dès «Lost Men Blues» et ce son hanté jusqu’à l’oss de l’ass, digne des Cranks, dévastatoire autant que révélatoire. Ces mecs pataugent dans leur lave, ils fonctionnent par crises de rage éruptives, quand ça coule, ça coule, dans la grande tradition du trash-punk new-yorkais. Les flammes dévorent les immeubles. Ils savent très bien faire leur petite Blues Explosion («My Favorite Rock’n’Roll Band») et jouer aux frichtis de guitares claires («Voodoo Lover»), animés d’une volonté sempiternelle de sonner rétro avec un côté tordu. Retour au pur jus de Jon Spencer avec «Cheree Cheree» et une fantastique modulation du velouté de chant. Basly chante comme un vampire hermaphrodite. Ils bouclent cette A infernale avec «Penitent Hood Song». Basly sait devenir fou et même dangereux. Ce fantastique transgresseur écrase du talon les conventions de Genève comme des excréments, d’un quart de tour bien appuyé. Et ça repart de plus belle en B avec «I Wanna Be Pictured (In A Trash Magazine)», fantastique shoot de wild thing. Basly sait rendre hommage aux vieux standards du lard de la matière. C’est un shoor de choc frontal chanté à la belle désespérance des barricades et les accords battent tous les records de heavyness. «Strange Kinda Hell» vaut aussi le détour, car bien balayé par des vents brûlants. Les petits couplets restent clean, mais les ponts brûlent. Quelle science du rebondissement et de la terre brûlée ! Retour aux belles dégelées royales avec «In Your Dream». Basly fait du sur-place dans cette masse grelottante qui semble frappée d’un coup de pelle à plat, ça gicle, c’est du grand splank fantasmatique. Et toujours cette profondeur de champ dans le son. Il va droit sur le rockab pour «I’m Drivin’ In», avec un gimmick de guitare en embuscade et ça splashe in the face dès que ça s’énerve. Comme si les Cowboys ne maîtrisaient plus leur bolide.

    Avant d’installer les chandelles pour éviter que le toit de la baraque ne s’écroule, un petit éclaircissement s’impose : pourquoi sur l’illusse voit-on les Cowboys armés et réfugiés dans une cave ? Parce qu’on a projeté les Cowboys au troisième millénaire pour les besoins d’un conte moral. C’est une époque que nous ne connaîtrons pas, heureusement, car un totalitarisme issu des profondeurs de l’obscurantisme régnera sur la terre et tout anticonformiste sera considéré comme terroriste et aussitôt éliminé. Les affiliés du Gun Club seront considérés comme des ennemis du peuple et traqués. D’où la cave et les armes, en cas d’arrivée des forces spéciales d’intervention.

    Singé : Cazengler, cowboy d’opérette

    Cowboys From Outerspace. Cowboys From Outerspace. Nova Express 1997

    Cowboys From Outerspace. Choke Full Of... Nova Express 2000

    Cowboys From Outerspace. Space-O-Phonics Aliens. Nova Express 2002

    Cowboys From Outerspace. Bones Keep Smilin’. Nova Express 2003

    Cowboys From Outerspace. Sleeping With Ghosts. Nova Express 2005

    Cowboys From Outerspace. Super Wright Dark Wright. Nova Express 2009

    Cowboys From Outerspace. Exile At The Rising House. Lollipop Records 2015

     

    *

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    On était contents, durant le confinement les cui-cui avaient émigré en Bretagne. On plaignait les Bretons, un peu hypocritement, car l'on était heureux d'en être débarrassés. Plus de maudits volatiles pour vous corner dans les oreilles. Quel repos ! C'était mal les connaître. Première alerte, se rappellent à notre souvenir ( voir Kr'tnt ! 485 ) en faisant paraître un livre sur les affiches de leurs concerts. On n'a rien dit, de toutes les manières, sont comme tous les autres désormais privés d'apparitions publiques, à quelque chose malheur est bon. Ben non ! En ont profité pour enregistrer un album, du coup ils produisent un Clip ( voir Kr'tnt ! 491 ) pour prouver qu'ils savent faire du bruit. D'ici à ce que le CD soit dans le commerce, vu la situation l'on est pénardos pour un bout de temps pensions-nous. A tort. Un bombardement ininterrompu, toute la semaine dernière, tirent à la grosse Bertha, un nouveau clip sur un morceau du précédent album Europeans Slaves, puis un extrait du futur album sur Soundcloud, et deux jours après un deuxième titre... En plus ils ont survécu à la grippe aviaire... Quand je pense que certains kr'tntreaders sont peut-être membres de la Ligue pour la Protection des Oiseaux !

    NOWHERE ELSE

    CRASHBIRDS

    ( Clip : Rattila Picture / Janvier 2021 )

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    Dirty country road rock'n'roll blues. C'est le fil conducteur. Il vous est d'autant plus nécessaire qu'au début vous êtes en voiture. Avec chauffeur. Perso je ne lui ferai aucune confiance. Pas plus à son look d'agent secret en mission qu'à la gerce emmitouflée à ses côtés. Le paysage défile en grand panorama, c'est beau mais l'humidité vous transperce les os ( les géographes s'accordent pour décrire la Bretagne comme un pluviomètre géant ). Oui bien sûr, vous avez reconnu Pierre Lehoulier et Delphine Viane, les deux cui-cui infernaux. Où vont-ils ? Rattila Picture va vous le dire. Là où Rattila passe l'herbe des images repousse plus vite que le vent. L'écran se divise en deux, à gauche campagne mouillée et hivernale, à droite Pierre à la guitare et Delphine idem mais son pantalon rouge coquelicot vous arrache les yeux. Vous ne les écoutez pas toute votre attention est dévolue à la ruine derrière eux, un vieux baraquement en bois tout pourrave que les termites ont refusé de ronger. Dans les romans policiers, ce sont les détails qui sont importants pour les déductions. Je vous en donne trois, Delphine qui n'arrête pas de bouger comme si elle était atteinte de la danse de saint guy, les branches d'arbre qui s'agitent, le bonnet de Pierre avec ses oreilles fourrées d'épagneul. Parfait canidé pour la chasse aux canards. Oui, il fait un froid de canard. Et même de loup. Un esquimau refuserait de virer un ours polaire de son igloo, mais les cui-cui sont dehors.

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    Jusque-là tout va à peu près bien, c'est aux secondes suivantes que vous êtes en plein décrochage temporel, sont encore dans la bagnole, pas très futés d'ailleurs, ont perdu leurs chemins, dédoublement des images, sur la bande latérale supérieure ils s'énervent sur la carte, sur l'inférieure ils sont devant leur bungalow ( ceux que la SNCF revendait à la fin de la guerre aux miséreux qui ne trouvait pas où se loger ) en train de gratter leur zique. Vous les revoyez en alternance longeant des paysages granitique par des routes détrempées ou martyrisant leurs instruments. Belles collines verdoyantes, on se croirait au Népal, nos voyageurs croquent des chips dans la nuit noire de leu habitacle. Dans les mêmes instants ils ont laissé leurs instruments et ramassent du bois, sortent un barbecue et allument un feu d'enfer. La nuit est tombée, sont assis près du feu et boivent une canette.

    En tant que Kr'tntreaders vous êtes assez finauds pour avoir compris. La morale de l'histoire est simple : vous ne serez jamais mieux que chez vous.

                                               Quand (… )

    Reverrais-je le clos de ma pauvre maison

    Qui m'est une province et plus davantage

    chantait déjà le poëte Joachim du Bellay au seizième siècle, une terrible époque qui ne connaissait pas le rock'n'roll, ce qui n'est pas le cas de nos deux inséparables nés en des temps plus fastes. Ce qui nous oblige maintenant à regarder une nouvelle fois ce high voltage pictured clip, non pas avec nos yeux, mais avec nos oreilles.

    Un bon vermicelle à l'arsenic guitarique pour lancer le bastringue, Dehphine ne tarde pas à sonner le tocsin sur sa cloche à vache et Pierre à passer le bulldozer sur tout ce qui bouge, la surprise vient de Delphine, ne lui en veuillez pas, ce sont les aléas existentiels des rockstars, elle a commencé par un vocal normal, mais sous pression, Pierre vous fait défiler deux ou trois enterrements au pas de course et soudain Delphine se lâche, elle n'est plus un cui-cui sur sa branche, sa voix monte haut comme l'aigle de Zeus, ce n'est plus Delphine, mais une cantatrice, une walkyrie dans son cercle de feu, forte houle de Lehoulier, le creux des vagues atteint douze mètres, les bateaux coulent votre raison aussi, La voix de Delphine tournoie sur le naufrage, et dans un dernier soubresaut elle se précipite au fond du gouffre telle un goéland suicidaire qui expire en deux cris stridents. Magnifique...

     

    THE DEAD KING SON

    ( Crashbirds Suncloud )

    Extrait de l'album Unicorns à venir. Une sombre histoire. Imaginez Hamlet de Shakespeare racontée par Ophélie du fond de l'Enfer, hélas son suicide par noyade ne l'a pas faite revenir à la raison, elle est toujours aussi folle, est-ce pour cela que la guitare de Lehoulier tout en gardant sa noirceur habituelle vous prend de temps en temps une sonorité narquoise, un petit côté tra-lala-lalère insidieux pour souligner la sombre tragédie que nous conte Delphine Viane sur ce ton sentencieux et insouciant qui nous nous fait toucher du doigt la pourriture du Royaume France. Ophélie en pleine crise doit être enfermée dans une cellule capitonnée pour que l'on n'entende plus ses hennissements cristallins si bien imitée par Delphine, et Pierre Lehoulier touché à son tour se lance dans une espèce de bourrée auvergnate finale qui risque de vous étonner. Et lorsque vous l'aurez écouté une fois vous serez comme le petit enfant qui exige de son papa Pierre et de sa maman Delphine qu'ils vous la racontent tous les soirs avant de vous coucher pour atteindre le pays des cauchemars interdits.

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    THE GOOD OLD TIME

    ( Crashbirds Suncloud )

    Comment Pierre parvient-il avec sa guitare électrique à donner ce sentiment de musique médiévale, certes les temps durement marqués du pied sur ses caisses phoniques aident à matérialiser l'atmosphère musicale de ces époques de royauté et de servitude... quant à Delphine elle semble sortie tout droit de la tapisserie La Dame à la Licorne, on l'imagine coiffée d'un long hennin surmontant sa rousse chevelure récitant une de ces mystérieuses histoires hantées et secrètes des temps passées, les pas des soudards qui résonnent sur les pierres de la plus haute tour, parfois il vaut mieux se taire et écouter le vent qui souffle en haut du donjon...

    Ce ne sont que des impressions, des approximations oniriques nous attendons avec impatience la sortie de l'artwork finalisé. L'on pressent facilement que ces malotrus de cui cui ont encore pondu une galette indispensable.

     

    Après cela on croyait être tranquille pour un bout de temps, ne vont tout de même pas enregistrer un nouveau disque tant qu'ils n'auront pas écoulé Unicorns ! Non, ils n'ont pas osé. Ils ont fait pire, ils ressortent le précédent, European Slaves, vous l'avez déjà, oui en CD, mais là c'est le tirage vinyle, que voulez vous, depuis le covid la vie devient si difficile !

    Damie Chad

    P. S. : alerte noire, Pierre Lehoulier entame une nouvelle bande dessinée : sujet : la préhistoire, depuis au moins l'extinction des dinosaures... Survivrons-nous à cette avalanche crashbirdienne... Ne l'oubliez pas, seuls subsisteront à l'actuel ravage culturel ceux qui contre vents et marées ont encore la force de lutter et de créer.

     

    CROAK

    ( 2013 )

    Pit : vocal / Mathieu : guitares / Bruno : Lead guitar / Chris : basse / Alex : drums.

    Groupe canadien formé par Pit ( canadien ) et Mathieu ( froggy man ) à Grenoble. N'ont sorti que trois disques, le dernier en juin 2020, le II en 2016, et le premier dont nous nous occupons présentement en 2013. Suis tombé dessus totalement par hasard, enfin presque, vous connaissez ma dévotion pour les corbeaux, cet oiseau de mauvais augure cher ( façon de parler ) à Edgar Poe. Un dessin, étrange un corbeau à deux têtes – ne serait-ce pas un aigle – et dessous un corps d'homme mal foutu, maladroitement tracé, sur ce que l'on pourrait prendre la toile d'un tipi indien. A ses pieds un animal non identifié que l'actualité nous oblige à baptiser du nom de pangolin, mais les lettres gothiques en arrière-fond infirmeront ma vision par trop orientée. Cet artwork est dû à Grégory Migeon qui a réalisé de superbes pochette pour Anasazi. Groupe de Grenoble ( comme le monde est petit ), d'ailleurs la plupart des membres de Croak font aussi parti d'Anasazy. Un véritable projet parallèle.

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    Beneath : étrange intro très courte qui tient autant d'un heavy rock bien appuyé que du déplacement d'une soucoupe volante. Un beau vocal, lui aussi bien écourté, dans le genre on vous en donne moins pour que vous en ayez davantage envie, c'est réussi. Odorless acid : le genre de morceau qui ne révolutionne pas le rock mais qui donne envie d'écouter, le riff de base qui installe du bonheur dans votre vie, un bel organe qui tape dans le grave, Pit vous donne l'impression que vous êtes un chien qui court après le maître pour avoir le sucre qui se dérobe sans fin, les instrus se la mettent souvent en sourdine pour lui permettre de chanter et presque de rapper le gruyère canadien à son aise, mais quand ils reprennent l'estampage, ils vous tamponnent agréablement les esgourdes. Le drumin' et le fuzzin' des guitares squattent le dernier tiers de la piste, un constat s'impose : sont des musiciens. Faking god : Pit n'est pas piteux au crachoir, vous tient en haleine dès qu'il ouvre le bec, et sur ce Bruno vous laisse tomber une mini ondée d'accords de guitare qui... closent le morceau. Une minute et trois secondes. Ces gars-là sont des affameurs. Boogie time in Topanga Canyon : ce coup-ci, ils n'y vont pas de main morte, vous balancent la sauce tout de suite, cette voix de Pit mixée tout devant est prodigieuse, jamais très longtemps, simplement de brèves séquences, question guitares on dirait des gars qui s'amusent avec des modèles réduits d'avions à faire des loopings incroyables pour épater le public. Raising fist : Alex vous démontre que guitares sans batterie sont filles perdues, et l'on part dans une espèce de mild heavy-boogie qui question originalité ne casse pas trois pattes à un canard mais qui requiert votre attention, z'ont une formule simple, à tout instant comme dans ces grands magasins où l'on vous annonce une promo subite sur tel produit, puis une autre encore plus avantageuse au rayon le plus éloigné de la précédente, la clientèle ne sait plus où donner de la tête, la folie s'installe, les gens se battent autour de la camelote, et Pit avec sa voix de bonimenteur gentil déclenche une émeute.

    Devil's reject : c'est reparti pour les belles ondées cordiques et Pit prend sa voix la plus grave pour vous raconter une histoire, de quoi cause-t-elle? Là n'est pas le problème, le timbre agit sur vous comme un calmant, la léthargie s'installe en vous et la brume des rêves s'emparent de votre cerveau. Alex profite de ce que vous soyez endormi pour faire un peu de bruit sur ses tambours et les guitares acquièrent une sonorité diabolique. Ne vous réveillez pas, ce n'est pas la peine, vous êtes mort.

    Présentent Croack comme la face metal d'Anasazy, pas du tungstène aux arêtes écorchantes, ni de la quincaillerie tonitruante, un goût prononcé pour les belles sonorités, des musiciens prog qui fourmillent d'idées et qui savent vous séduire. Un corbeau au croassement particulièrement mélodieux.

    Damie Chad.

     

    *

    Ne soyons pas racistes, vous avez aimé la série consacrée à Steppenwolf ( Non ? Tant pis pour vous ! ) ce coup-ci, le zoo tout entier, l'arche de Noé in extenso, nous nous intéresserons à tous les animaux à la fois, la direction ne recule devant aucun sacrifice, vous aurez une série consacrée aux Animals, aux premiers, pour être précis à la période 1963 – 1966, le groupe originel. Encore que... parce que la harde s'est relativement vite débandée.

    ANIMALS / 1963

    Newcastle-Upon-Tyne, vous ne choisissiez pas cette ville portuaire pour passer vos vacances. Par contre une soirée au Downbeat vous permettait de rencontrer les Kansas City Five avec Alan Price aux claviers, John Steel à la batterie et Eric Burdon au vocal. Alan Price stratège en douce avec Chas Chandler le bassiste des Kontours, seront chargés d'occuper les soirées durant trois heures, l'est rejoint par Steel et Burdon, à tel point que les Kontours se transforment en Alan Price Rhythm'n'Blues Combo, survient enfin Hilton Valentine qui comprend que le bidule a le vent en poupe. Eric Burdon n'est pas du genre mannequin, l'est taillé comme une allumette mais une voix profonde comme une tombe sans fond, le gamin pas très beau, chétif et malingre – l'avait la vingtaine - chantait comme un dieu nègre. Enfin fallait aimer. Bramait comme cerf, glapissait comme un renard, grognait comme un ours, feulait comme un tigre, rugissait comme un lion. Dans le combo se sont vite rendu compte que ce con pas beau attirait le public, ses beuglements avaient un effet bœuf, pas mironton mais minotaure, sur la foule. On adorait, mais on le formulait selon cet humour britannique inimitable, où vas-tu ce soir, voir le Alan Price Rhythm'n'Blues Combo, vous conviendrez que c'est un peu long, alors s'est installé le sobriquet Animals, plus court, plus rapide, plus sauvage. C'est que le petit bonhomme qui braillait comme les chevaux ruent dans les brancards obligeaient les copains à secouer salement leurs instruments. Les a convertis de gré et de force à sa vision à lui du rhythm'n'blues, oui pratiquement du race series, avec une forte injection de blues.

    Cette histoire est bien belle, celle qui suit plus complexe que le Tractatus Logicus de Wittgenstein, car se pencher sur la discographie des Animals est un véritable casse-tête. Le fait qu'ils n'aient pas sortis de 33 tours facilement identifiables dans la tête des gens a nui à la conservation mémorielle du groupe. Les Rolling Stones ont aussi joué aux titrages différents selon les pays, mais ils ont su corriger le tir à temps, et ont eu cette chance de devenir très vite un mythe vivant...

     

    I JUST WANT TO MAKE LOVE TO YOU

    ANIMALS

    ( ALO 10865 / Octobre 1963 )

    C'est le titre de leur premier Ep, jamais vu, jamais entendu, enregistrement privé, sorti à 99 exemplaires, les quatre titres de cette première galette se retrouvent sur la réédition d'Animalisms Secret Records Limited 2018 ) en tant que bonus tracks. Qu'importe, ne soyons pas mécréant, écoutons religieusement. Pas tout à fait comme la messe de onze heures du dimanche matin, celle-là est réservée aux tièdes que le Seigneur recrache, tapez plutôt dans la cérémonie vaudou avec poulets égorgés et zombies affamés.

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    I just want to make love to you : composé par Willie Dixon homme à tout faire de haute main chez Chess, illico enregistré en 1954 par Muddy Waters, mais la version qui doit être dans l'oreille de Burdon est celle de Chuck Berry publiée en 63, l'on remarquera le changement de titre le Just make love to me de Waters le boueux s'est métamorphosé en slogan revendicatif de base de ces années de libération sexuelle que furent les sixties, l'écoute des deux versions s'avère judicieuse, l'on sent le glissement phénoménal entre le bluesy rock'n'roll de Chuck Berry et le british Boom anglais, nos jeunes gens y vont franco, parient sur l'expressivité, chaque fois que Burdon entonne le vocal il donne l'impression d'allumer un chalumeau, quant à Price pas question de tricoter le clavier pour entremêler ses notes à celle de la guitare, intervient comme s'il agitait un oriflamme pour entraîner le gros des troupes dans la mêlée. Boom boom : j'avais acheté le 45 tours français pour Don't let me be misunderstood, au bout de huit jours j'ai dû me rendre à l'évidence, je n'écoutais pratiquement que Boom Boom, un truc qui vous ravageait les synapses, certes l'originale de John Lee Hooker est davantage racée et stylée, mais le Hooker lui-même la réenregistrera après avoir écouté celle des Animals, les Bestiaux n'y vont pas par quatre chemins, ils forcent l'entrée au pied de biche, cassent du bois mais le feu qu'ils allumeront restera un peu maigre tout comme le son. Le morceau sera repris sous la houlette de Mikie Most et sera sur le fameux 45 tours qui ouvrit les portes du blues à un certain Damie Chad. Big boss man : les anglais ont raffolé de Jimmy Reed, faut l'entendre l'a une manière si flegmatique de s'adresser au big boss que vous sentez la hargne rentrée et rampante, un serpent qui se glisse pour se dresser et vous planter un couteau entre les omoplates, les Animals n'ont pas cette ironie doucereuse, une de leur reprises les plus faibles, cette étrange idée de se caler d'abord sur la rythmique de Memphis Tennessee de Chuck Berry et quant à Burdon c'est du genre, retenez moi ou je fais un malheur et comme ses potes le retiennent c'est un véritable malheur, une version sans saveur, pour faire la différence écoutez celle d'Elvis qui lui aussi a repris le morceau de Dixon en 1966 ( ce coup-ci c'est pas Willie mais Luther, comme dit le dicton y a plus d'un Dixon dans le boxon ). Pretty thing : en France Bo Diddley a été le pionnier du rock le moins écouté ce qui explique peut-être la faiblesse de notre rock national privé d'un de ses fondements essentiels, en Angleterre l'anecdote est connue, celle de Keith et Mick se retrouvant et sympathisant autour d'une pile de disques de Chuck Berry et du beau Bo pas bobo pour un dollar, les Animals nous en offrent une version dopaminée, Hilton en profite pour refiler le riff de Brown eyed handsomme man ( merci Chuck ) en catimini, c'est vrai qu'ils fourrent le hot dog avec toutes sortes de moutardes, notamment un harmo dépenaillé, mais le hot hit du Bo le supporte sans broncher, avec Bo vous pouvez charger la barque, elle ne coule jamais, même qu'ils terminent un peu trop rapidement à notre goût. Question métaphysique subsidiaire : pourquoi Burdon a-t-il adopté cette voix nasillarde des vieux disques de country ?

     

    LIVE WITH SONNY BOY WILLIAMSON

    ( Enregistré au Club A GO-GO / 30 – 12 - 1963 )

    (Morceaux avec Sonny Boy Willialson : BYG / 1972 )

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    Vu la date d'enregistrement il n'a pas dû sortir en 1963 ! Le genre d'adoubement dont tous les petits blancs rêvaient à l'époque, accompagner sur scène une légende vivante du blues. Sonny Boy Williamson ( II ) - appelé aussi Rice Miller pour le différencier de Sonny Boy Williamson ( I ) harmoniciste assassiné en 1948 - connaîtra le succès en Europe grâce à ses deux participations à l'American Folk Blues Festival en 1963 et 1964. C'est durant ces deux tournées qu'il adopta le chapeau melon, selon lui signe extérieur de respectabilité, qui fit autant pour sa célébrité que le soin maniaque qu'il prodiguait à la mallette qui contenait ses harmonicas. Chanteur et harmoniciste renommé lui aussi, il commença à enregistrer en 1941 et décéda en 1965. Tous les amateurs de blues débutants se font les dents sur son Help me. La connexion avec Sonny Boy Williamson est établie grâce à Giorgio Gomelsky, figure incontournable et fondamentale du rock anglais, le manager des Rolling Stones.

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    Let it rock : premier des six morceaux joués uniquement par les Animals en première partie du vétéran, au hasard un titre de Chuck Berry qu'il a enregistré en 1960. Une chose est sûre c'est que nos animaliers s'y entendent pour interpréter le rock'n'roll, le morceau défile à cent à l'heure, un seul problème l'orgue d'Alan Price n'a pas la légèreté fuyante et escarbouclante du piano de Johnnie Johnson, par contre le combo a compris que le seul défaut de l'interprétation de Chuck Berry résidait en sa brièveté. Doublent pratiquement la longueur des rails et font notre bonheur. Quelques années plus tard les Stones sur scène les imiteront, mais leur convoi n'atteindra pas cette vitesse déjantée. Gotta find my baby : une vieillerie du Doctor Peter Clayton que les Beatles reprendront durant leurs BBC sessions , Price ne joue pas les abonnés absents, la partie toute en subtilité de piano du bon Docteur il vous la plaque à coups de marteau, en inonde le morceau, vous pond ce qui deviendra le son de base des Animals, quant à Burdon il vous la chante au mégaphone, sur la fin gueulent tous en chœur si fort que pour un peu on ne se souviendrait plus du petit solo tout en finesse d'Hilton Valentine. Un chef-d'œuvre ignoré. Bo Diddley : entendez-le brailler du fond de la jungle, Burdon se retrouve en terrain conquis, bien sûr John Steel est au boulot, L'orgue de Price glougloute comme une bouteille que vous enfoncez dans un marigot de djack, dommage que le public soit mixé loin derrière, pensez à un set de Jake Calypso pour vous créer un équivalent mental, on aimerait y être mais on n'y est pas, cela perd un peu de son charme, mais l'organe de Burdon vous procure un réel plaisir. Plus de sept minutes. Almost grown : retour à Chuck Berry, si certains en doutaient c'est là qu'ils s'apercevront de l'aisance de Burdon au vocal, fait ce qu'il veut et n'oublie pas de s'amuser, derrière ça assure au rutabaga dans les chœurs, quant à l'orgue de Price il astique la quincaillerie de dorure rubescente, style camion de pompier en feu. Dimples : ils aiment John Lee Hooker, mais ils s'en servent comme d'un tremplin, certes il y a une urgence sous-jacente chez John lee mais alliée à une sorte de flegme venimeux, je ne dis pas qu'ils n'essaient pas d'y aller mollo, mais chassez le naturel il revient au galop, la guitare tente de ne pas grincer trop fort, l'orgue se fait minuscule mais le Burdon il hurle à lui tout seul comme une classe de CM 2 privée depuis trois jours de récréation, pas besoin de vous faire un dessin pour vous aider à imaginer. Boom boom : d'autant plus qu'ils terminent sur un de leur morceau fétiche et que dans trois minutes, il faudra se tenir sagement derrière le grand monsieur, alors le Boom Boom ils vous le massacrent à souhait pour notre plus grande joie, le Burdon s'envole dans un hommage à Sonny Boy, égosillement général.

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    C Jam blues : on ne va pas se quitter comme cela, un dernier blues en l'honneur de Sonny Boy, une véritable tuerie, attention c'est Sonny qui donne le tempo, s'est installé à la batterie, tous sont aux petits soins avec lui, Price se la joue discrétos mais omniprésent, Valentine est à la fête sur sa guitare. Burdon survolté au bord de la rupture d'anévrisme. Sonny's slow walk : ne se dégonflent pas les Animals, ne sont pas là pour faire acte de présence, superbe duo orgue et harmonica, tout de suite la griffe du maître, leur montre un peu ce que c'est l'économie de moyens, quelques miaulements de l'orgue à bouche et l'on entre dans le vif du sujet. Pontiac blues : silence absolu dans la salle, le roi parle, vous déchire les tympans de son harmonica, et puis il chante, ne hurle pas comme le Burdon, tout juste s'il ne cause pas, Hilton ne reste pas à l'hôtel, il prend le solo, Price qui jusque-là se contentait d'accompagner passe devant mais le Williamson vous étripe un peu avec son harmo et se remet au vocal pour cautériser votre plaie béante, un sorcier, à la fin du morceau vous êtes guéri. Vous pouvez profiter pleinement de la porte qui grince dans la bouche de Sonny. My babe : recoucou Willie Dixon, un classique, tout ce que les Stones n'arriveront jamais à faire, l'a l'air d'un oiseau qui pépie sur la branche le Lee, vous souffle des trilles assassines et les Animals se contentent de suivre sans la ramener, maintenant quand il dit ''she's my baby'' il semble qu'il vous murmure à l'oreille le plus grand secret de l'univers. Vous ne vous rendez même pas compte que vous le saviez déjà. I don't care no more : cette manière de parler en chantant, rien à voir avec le rap, en prime ses éclats d'harmo qui vous crèvent les yeux, le vieux brigand s'amuse tout seul, n'a besoin de personne sur son harmonium à dentier, le public l'interrompt pour applaudir, l'en profite pour se raconter un peu. Baby don't you weary : intro d'harmo guimbardien, voix presque murmurante, le gars qui monologue seul, le blues est dans votre tête cela suffit pour remplir le monde, une mouche bourdonne sur l'étron de votre vie, tape ses élytres sur la vitre du malheur, la voix se brise comme du verre. Night time is the right time : Price fait des guili-guili tandis que le Boy étire la nuit sur son harmo, l'orgue se fait tout doux pour nous bercer, le fils de William vous émoustille les heures sombres, derrière en écho Burdon hurle tout en restant dans les limites du tapage nocturne tolérable, quelques lichettes de Sonny et vous êtes au pays des rêves. I' m gonna put you down : la voix d'abord, l'orgue entre deux eaux, à volume constant la nécessité de tendre les esgourdes s'impose, Sonny prend le contre-pied des Animals, devient l'homme qui murmure à l'oreille de l'harmonica, baisse le son au maximum, à peine hausse-t-il d'un mini chouïa la voix que ça résonne à se croire dans un hangar vide. Termine doucement en cheminant avec l'orgue qui se fait frôlement d' attrape-rêves. Fattenings frogs for snakes : guère plus fort, tout dans la nuance, et le blues tombe sur vous comme un éteignoir sur un lampadaire, la batterie qui donne le tempo vous suffit, Price ferait bien de débrancher sa machine, elle est de trop. Légères touches de guitare, coups de pinceaux à l'aquarelle. Nobody but you : beaucoup plus enjoué, Williamson donne le la à Burdon et l'on retrouve les Animals qui devaient piaffer d'impatience. Du coup ils piquent un galop de steeple-chase pour garder la forme, et Sonny donne la réplique à Eric avec une facilité déconcertante. C'est parti pour les congratulations mutuelles sous les ovations du public. Bye-bye Sonny bye-bye + coda : dernière proclamation hommagiale à la royauté de Sonny Boy Williamson.

    Il est indéniable qu'à la fin de l'année 63 les Animals possèdent un son bien à eux qui les classe parmi les meilleurs groupes du pays.

    Pour ceux qui aiment, Sonny Boy Williamson a aussi enregistré avec les Yardbirds.

    Damie Chad.

     

     

    XX

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

    Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

    Lecteurs, ne posez pas de questions,

    Voici quelques précisions

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      • Ça alors !

    Les filles n'en reviennent pas. Ce n'est pas une transformation mais une incroyable métamorphose. La 2 Chenille est devenue un papillodrone ! Vince récapitule les changements qu'il a effectués : je n'ai gardé que la structure minimale, le châssis et les sièges. Les deux énormes bouteilles dessous qui ressemblent à des flotteurs de pédalo contiennent de l'hydrogène, j'ai adapté le moteur pour qu'il ne soit plus alimenté par l'essence, mais par le gaz. Cinq adultes et deux chiens plus le matériel nécessaire à notre mission cela pèse un max d'où la nécessité des pales supérieures qui nous font ressembler à un hélicoptère. Evidemment le rotor qui tourne à grande vitesse émet un bruit terrifiant, nous sommes parvenus grâce à l'idée géniale de Damie d'appeler le Cat Zengler à juguler ce problème. Voilà pourquoi juste sous les pales vous apercevez ce gros haut-parleur et à côté du volant ce lecteur de CD.

      • Chic on va pouvoir écouter de la musique pendant le voyage s'exclament les filles ravies

      • Mais non cela ne ferait qu'ajouter du bruit à l'infernal boucan du rotor ! Le Cat Zengler nous a envoyé un enregistrement de John Cage, 4' 33'' ce célébrissime morceau composé de silence, il nous suffira de monter le volume à fond pour que le silence recouvre le vacarme du moteur, et nous nous déplacerons sans bruit. Mais le temps passe, je laisse la parole au Chef.

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    Le Chef allume un Coronado :

      • Ecoutez-moi, sachez que nous n'avons pas le droit d'échouer, la survie du rock'n'roll est en jeu. Exécuter les ordres au fur et à mesure que je les énonce. Charline sur la banquette arrière, à gauche, Molossito sur les genoux, Charlotte vous vous mettrez à droite et vous serez responsable de Molossa, Vince entre les deux filles ( ce renard de Vince s'adjuge l'air de rien la meilleure place ), à tes pieds une trappe, à hauteur de tes mains le treuil, c'est par là que les chiens et par où les filles seront évacués dès que la phase d'attaque de l'objectif commencera. Les filles, félicitations vous avez suivis mes conseils à la lettre, congratulation pour les épais peignoirs dans lesquels vous êtes emmitouflés et je vois que vous n'avez pas oublié le petit sac à ustensiles.

    Le Chef jette son Coronado :

      • Il est encore temps de vous défaire de vos portables, ce sont de véritables mouchards qui révèleraient très vite notre position. Agent Chad, asseyez-vous au volant, notre engin se conduit comme une deux-chevaux classique, toutefois interdiction absolue de toucher au clignoteur tant que je ne vous en aurais pas donné l'ordre. Nous volerons le plus bas possible pour ne pas être détecté par les radars. Pour vous diriger vous avez une boussole juste sous le volant, je vous indiquerai le cap au fur et à mesure. Vous avez remarqué que j'ai jeté mon Coronado. Lorsque j'allumerai un Coronado, la phase la plus difficile de l'opération débutera. J'exigerai alors un silence absolu, un millionième de seconde d'inattention de ma part et nous sommes tous morts. Agent Chad, il est exactement onze heures, contact !

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    C'est encore plus difficile à conduire que de slalomer en marche-arrière et en contre-sens sur l'autoroute, je ne voudrais pas me vanter mais à part les dix premiers kilomètres durant lesquels j'ai zigzagué quelque peu, grâce à mes nerfs d'aciers et mes réflexes de félin j'ai vite maîtrisé l'engin. C'est étrange de frôler la cime des arbres à toute vitesse – vitesse maximale 200 km / h – sans un bruit sous la voûte étoilée...

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    Les deux bidasses s'ennuient un peu.

      • T'as vu Pierre, trois nuits que l'on passe à garder le portail, pendant que les autres sont au chaud, quelle injustice !

      • C'est l'été, ça va, on ne peut pas dire qu'il fasse froid, le plus embêtant c'est que l'on s'enquiquine à mort, même pas un passant depuis trois heures, tu parles d'un boulot !

      • T'as parlé trop vite, regarde deux chiens ils cavalent à toute vitesse !

      • Ils auraient pu s'arrêter pour une caresse, cela nous aurait passé le temps..

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    cela se passe avant

    Le Chef sort un Coronado de sa poche.

      • Agent Chad, ralentissez, presque au pas, ah voilà regardez à droite, sur le toit deux points rouges !

    Le Chef tire trois fois sur son cigare, et les points rouges sur notre droite deviennent par trois fois davantage lumineux.

      • Agent Chad tout doucement, avancez vers eux, là voilà à gauche, deux points rouges, attendez j'aspire trois fois, oui ils répondent, maintenant Agent Chad, visualisez la distance entre les points de droite et les points de gauche, tenez-vous au milieu, foncez droit devant nous y sommes presque !

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    • Attention Pierre il y a des gens qui courent sur le trottoir, prépare-toi à faire feu si nécessaire

    • T'affole pas Marc, ce sont des filles, en tenues légères en plus !

    • Ne rêve pas, je parie qu'elles vont passer sans nous voir !

    • Monsieur, Monsieur !

    • Vous n'avez pas vu passer deux chiens ?

    Elles sont mignonnes dans leur justaucorps roses, toute essoufflées, prêtes à pleurer...

    • Si, il y a une minute, oh regardez ils reviennent !

    • Oh, vous êtes nos sauveurs, regardez ils ne sont pas méchants !

    • En plus ils sont tout beaux, tout mignons, comme vous !

    • Oh, vous êtres trop gentils, et vous semblez si forts !

    L'on entend un grésillement et une voix courroucée sort du haut parleur :

      • Foutredieu, soldat Pierre et Soldat Marc, vous savez qu'il est strictement interdit de parler aux passants !

      • Mon adjudant ce n'est rien, deux filles qui avaient perdu leurs chiens !

      • Branledieu, en plus vous êtes en train de caresser les cabots, avez-vous pensé à vérifier ce qu'elles portent dans leur sac; je sens d'ici à plein nez la corvée de chiotte qui va vous tomber dessus !

      • Je viens de vérifier mon adjudant, dans chaque sac il y a un chapeau en carton recouvert de papier crépon !

    L'adjudant n'en croit pas ses oreilles, deux voies féminines l'interpellent :

      • Mon adjudant, vous qui êtes un homme de goût, regardez, on vous les montre à la caméra, c'est le mien en crépon vert qui est le plus beau !

      • Non c'est le mien, en crépon orange !

      • Culdedieu, soldats Pierre et soldats Marc, tenez bon, votre adjudant va venir trancher ce terrible différend !

      • Oh, c'est gentil, on travaille dans un cirque, on présente un numéro de chiens savants, on va le faire rien que pour vous sur le trottoir !

      • Bitededieu, j'arrive !

    Les deux larges vantaux s'ouvrent en grand, les deux filles se glissent dans la cours intérieure et sautent au cou de l'adjudant pour l'embrasser...

      • Oh, mon adjudant les chiens sont entrés par la porte d'où vous êtes sorti !

      • Trouduculdedieu ! On va les chercher avant qu'ils ne dérangent la réunion ultra-secrète !

    ( A suivre... )