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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 57

  • CHRONIQUES DE POURPRE 529 : KR'TNT ! 529 : MILF ( + KLIM ) / GARRY BUSHELL / BANG / DRUGDEALER / DELPHINE DORA / ROCKAMBOLESQUES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 529

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    11 / 11 / 2021

     

    MILF / GARRY BUSHELL / BANG / DRUGDEALER

    DELPHINE DORA / ROCKAMBOLESQUES

     

    Milf cow blues

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    Le retour aux choses sérieuses se poursuit avec un concert des Milf dans un petit bar rock de Rouen, quelque part de l’autre côté du pont. Mais quand on arrive là-bas, on se croit à Londres, avec ce bar qui fait le coin de la rue et cet attroupement de gens autour. Le bar est minuscule. Comme dirait Arletty dans les Enfants du Paradis, ce bar est tout petit pour ceux qui, comme nous, s’aiment d’un aussi grand amour. Il est même trop petit pour un groupe aussi chargé de légende que les Milf. Les Milf ? On en parle à droite à gauche.

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    Connais pas, qu’ils font. Et les Klim ? Ah bah non, jamais entendu parler. C’est extrêmement bizarre cette histoire, car les Klim furent en leur temps la meilleure chose qui soit jamais arrivée à la Normandie, en matière de rock à guitares. Puis les têtes pensantes des Klim - c’est-à-dire la chanteur José et le guitariste Gilles - sont devenus les Milf et se sont entourés d’une section rythmique aussi redoutable que celle du temps des Klim. Tous ceux qui connaissent les deux albums de Klim ne comprennent pas qu’un groupe de ce niveau soit tombé dans l’oubli - et pire - qu’il ait subi du temps de son existence une sorte d’indifférence.

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    Les concerts des Klim étaient spectaculaires, ces mecs avaient tout ce qu’il faut pour devenir énormes : des compos, du son et un performer exceptionnel, ce démon de José qui en plus d’avoir une vraie voix - et là on ne rigole plus - est du genre à se rouler par terre avec son micro au moment où derrière, les compañeros font sauter la Sainte-Barbe. On ne voit ça que chez des groupes comme Gallon Drunk ou les Cramps. José est le parfait rock’n’roll animal. On avait déjà vu jouer les Milf un peu avant le bordel de pandemic, pour un set haut en couleurs et en température au Trois-Pièces, mais bizarrement, plus l’espace est réduit et plus le set est intense et l’autre soir, dans ce bar minuscule, les Milf ont foutu le souk dans la medina à coups de reprises fantastiques, de «Suffragette City» à «Slow Death» en passant par un «Psychotic Reaction» digne des grandes heures du Duc de Lux, et un José qui se roule par terre comme s’il avait fait ça toute sa vie, une crise de transe comme on n’en voit plus beaucoup.

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    C’est là où le rock reprend son sens, t’es là à cinquante centimètres d’un mec qui se roule par terre avec son harmo, dans une ambiance surchargée d’électricité, section rythmique invincible avec ce batteur qui joue à l’économie et ce bassman présent et discret à la fois, et puis tu as tout le son que sort Gilles sur sa Les Paul. Autrefois, il jouait sur une Gretsch, mais il n’a rien perdu de sa niaque, au contraire. On sait pour avoir écouté ses albums qu’il est le meilleur guitariste du coin.

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    Deux albums et de somptueux concerts auraient dû faire des Klim des stars, pas ici bien sûr, mais en Angleterre. On n’avait encore jamais vu un groupe de ce niveau en Normandie.

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    Leur premier album Elevenhobbysongs date de 2002. Il n’est même pas sur Discogs. C’est un album qui sort complètement du registre «rock français» pour aller rivaliser avec les stand-outs anglais et américains, les compos sont tout simplement énormes. Ils battent même pas mal de groupes anglais à la course et le plus troublant c’est que l’Anglais de José est impeccable, toujours juste, ce qui n’est hélas pas le cas chez la plupart des Français qui chantent en anglais. Le «Razor Blade» d’ouverture de bal donne le ton, c’est explosé dans la montée à la manières des Pixies. On pense tout de suite aux Pixies, c’est dire leur niveau. Tout sur cet album apparemment produit avec les moyens du bord est gorgé de son et de chant. «Full Of Rose» sonne comme un hit de power pop over the top, et c’est ravagé par des vagues de guitar slinging. C’est le genre de cut qui pourrait figurer sur le White Album. The voice + the sound + la compo = la clé de tout. Ils disposent de toutes les aisances inimaginables. Ils finissent leur «Bossboss» à la folie Méricourt, la plus pure des folies, celle dont on ne se lasse pas. Puis ils se payent un coup de jazz-rockab avec «Allright».

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    José chante ça au deepy deep avec une classe indécente et sur sa Gretsch, Gilles tourne autour du pot avec une classe encore plus indécente. Ces deux-là mériteraient qu’on leur fasse un procès pour indécence. Ça sonne incroyablement juste et ce franc-tireur tombé du ciel part en solo jazz. Eh oui, c’est un luxe que les groupes normands n’ont jamais pu se payer. Sauf Klim. Solo jazz ! C’est avec «Allright» qu’ils assoient leur crédibilité. Ils reviennent à la heavy pop avec un «Miss Money Go Round» joué aux arpèges du diable et chanté à la voix de son maître. Ils rivalisent tout simplement de génie pop avec les très grands groupes anglais. Le festin se poursuit avec «Pressure Moves» chanté au sommet du lard fumé, ces mecs ont tout bon, le beat, les arpèges, le push du chant et ça tourne au demented are go. «Get Screwed» explose en plein ciel et on atteint une sorte d’apothéose avec «Sounds So Light». José chante comme un dieu inconnu des dictionnaires de mythologie, il prend les choses à bras le corps, il travaille sa mélodie et ça tourne à la magie. Présence fantastique ! C’est inespéré pour un groupe local, il fait le croon des Américains avec une classe surréaliste, soutenu par des arpèges tout aussi surréalistes, rien d’aussi pur ni rien d’aussi définitif dans le paysage du rock normand. Il est possible qu’on ait jamais vu des groupes d’un tel niveau en France. Il faudrait vérifier, mais bon, il est possible que ça ne serve à rien.

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    Un deuxième album de Klim paraît en 2006 : The Bite Of Dew-Dew. Le coup de génie s’appelle «So Blind». Dès l’attaque, José va chercher le chant des Anglais. On pense à des tas de gens, mais les Klim font du Klim. En fait, ce démon de José emmène tous ses cuts à la victoire, «Day To Day», «Hello Slave», une énormité quasi glam avec un chant qui se répand, ils ne sont capables que du meilleur et jamais du pire, ça chante sous le boisseau, avec un énorme ricochet de solo. Ils éclatent leur «Shooting High» dans un mur et avec «Smile Again», cette voix inespérée plonge dans la mélodie, filochée par un solo de guitare. Il faut aussi le voir se balader dans «Cry Overdue», belle tension, c’est amené au fier drumbeat et vite ravagé par un incendie. Avec «Destination Honey Moon», ils plantent leur drapeau non pas sur la lune mais sur la planète power pop, c’est du pur jus, laisse tomber les Plimsouls et toute la bande, José emmène ça au chant, comme un chef de meute. Leur truc, c’est le power.

    Signé : Cazengler, Klim Kong

    Milf. Rock’n’Bulles. Rouen (76). 23 octobre 2021

    Klim. Elevenhobbysongs. 2002

    Klim. The Bite Of Dew-Dew. 2006

     

    In Mod We Trust - Bushell overcome

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    Le British Mod Revival est un gros morceau. Soit on l’attaque par le Bushell book, soit on l’attaque par la Millions Box, de toute façon, il faut bien commencer par un bout. Tiens on va jouer à pile ou face. Pile, Bushell, face la box.

    Face !

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    La box s’appelle Millions Like Us. Cherry Red la fit paraître en 2014. «Millions Like Us» est un hit des Purple Hearts, l’un des groupes phares du Revival. Cette box propose pas mal de cuts déjà présents sur la Piller Box qui raconte elle aussi l’histoire du Revival, mais c’est John Reed qui se tape le book de la Millions Box. À la différence de Piller, Reed consacre à chacun des groupes un petit paragraphe bien documenté, ce qui rend l’écoute de la box moins vulnérable. On aime bien laisser la musique se débrouiller toute seule, mais l’écoute active peut aussi avoir ses avantages. On mémorise beaucoup plus facilement, par exemple quand on sait que les New Hearts qui ouvrent le bal du disk 1 vont devenir par la suite Secret Affair. En plus, avec leur «Just Another Teenage Anthem», les New Hearts y vont de si bon cœur qu’on les en félicite. Sur qui tombe-t-on plus loin à la Tombe Issoire ? Sur Secret Affair, of couse, avec l’inénarrable «Time For Action». Big Affair. Voilà que déboulent les seigneurs de la guerre. C’est radical, tu te prosternes devant cette évidence. Parmi les autres célébrités du Revival, voilà les Purple Hearts avec le «Millions Like Us» déjà cité. Ces mecs nous font les Who à bras raccourcis, ça flashe à qui mieux-mieux. On retrouve aussi les Chords, bien entendu, les tenants et des aboutissants du MODus operandi, avec «Now It’s Gone» qu’on chante dans son sommeil, tellement c’est entré dans l’inconscient. Parmi les groupes qui ont enregistré des albums sur Detour, voici les Donkeys et Speedball. Connus dans les parages de Manchester, les Donkeys allument le MODus vivendi avec «What I Want», claqué aux accords de clairette, mais c’est trop Mod pour être honnête, trop pur, trop spirited, trop monté en épingle, trop versé dans le whaking du wailing. Speedball vient du Southend, comme Dr Feelgood et Rob Beulo chante à l’arrache mélodique, c’est excellent et bien sûr ça donne envie d’aller écouter l’album paru sur Detour. Ces petits mecs savent tous se donner les moyens du MODernisme. Parmi les noms connus, on trouve aussi les groupes à deux roues : les Lambrettas et les Merton Parkas. Pourquoi Merton Parkas ? Parce qu’ils viennent de Merton Park. Le «Plastic Smile» des Merton n’est pas jojo, par contre le «Go Steady» des Lambretta file sous le vent, bien propulsé par le bassmatic. Connu aussi comme le loup blanc, Long Tall Shorty fait partie du voyage avec «1970s Boys» joué au beat des enfers. Tiens voilà Jolt avec «See Saw», petit brin de Mod pépère, guitares en clairette de do or die et chant chou-fleur en petite éclosion pantouflarde. Puis il reste les millions d’autres comme the Exits avec «The Fashion Plague», des South London Mods dont Reed recommande The Legendary Lost Exits Album sorti sur Rev-Ola. Conseil qu’on suivra à la lettre étant donné la qualité du Mod craze qu’affiche «The Fashion Plague». Quelle merveilleuse dégelée ! Autre belle révélation : Sema 4 avec «Sema 4 Messages», joué à la vieille niaque de British Mods. Ces mecs écrasent tout sur leur passage. Même chose avec les Cigarettes et «They’re Back Again Here They Come», ils ramènent du punk dans la chaudière Mod, c’est aussi explosif qu’un mégot qui tombe dans un baril de poudre malencontreusement resté ouvert. Le chanteur des Killermeters s’appelle Vic Vespa et ils ont nous dit Reed un cut titré «Twisted Wheels» qui rend hommage au legendary 60s club in Manchester. Detour les arrache eux aussi à l’oubli. Les plus brillants sont sans doute Back To Zero avec «Your Side Of Heaven», oui car voilà un violent chock de Mod rock, ils plongent dans le creuset des culbuteurs, c’est très excédé, ça sonne comme la messe des Mods, oups, pardon, the mess of Mods. Les Squire sont eux aussi à l’aise avec «Walking Down The Kings Road», pur jus de Mod walking. Par contre, les Crooks sonnent comme les Boys et Untamed Youth sonne trop clair, trop anglais, trop pur. Reed nous dit aussi que le «Strength Of The Nation» des Teenbeats illustrait le sommet du Mod Revival. Fabuleuse attaque, laisse tomber, tu ne peux pas suivre ces mecs-là. Ils jouent au power maximum, c’est un incendiary cut, l’excellence du Mod beat. Back To Zero et les Teenbeats sortent vraiment du lot. Bien sûr, ces deux groupes figurent sur la Piller Box. Mais ils n’ont enregistré que des singles. Avec ce disk 1, la partie est gagnée. Cette Box sera passionnante ou ne sera pas.

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    Sur le disk 2, les Chords sortent du lot avec l’explosif «Maybe Tomorrow». Tout est là, les Chords ont du son et de la souplesse. On retrouve aussi Secret Affair avec une grosse compo, «My World». Ils investissent des moyens considérables dans leur Mod pop. Retour aussi des Lambrettas avec «Daaaance» et de Squire avec «My Mind Goes Round In Circles». Les Lambrettas ont l’avantage du nom et un sens aigu de la trépidation. Fantastique énergie ! Quant à Squire, ils claquent des windmills à tous les coins de rue. Premier groupe Detour : Circles, avec «Opening Up», bien in the face, tapé au petit beat turgescent - I can feel the new sensation - Très beau spurge de sperme Mod, éclatant, vénéneux, pressé, pas tenable, pas beau mais on s’en fout. C’est du pur jus de résurgence, ça sort à jets continus. Ils tirent bien sûr leur nom d’un hit des Who. Autre gang sauvé des eaux par Detour : The Name avec le solide et ambitieux «Fuck Art Let’s Dance», doté d’un chant gorgeous et bien amené. Et puis arrive le bataillon des inconnus au bataillon, à commencer par The Most avec «Carefree», joué à la petite énergie de quartier et une belle basse. On se régale du «Wild About You» de The Same, sec comme un os, waiting for a bus, ils jouent sur la tension, leurs emballements sont superbes. On sent une belle détermination chez The Directions, leur «Three Bands Tonite» est superbe, plein d’esprit, le hit Mod par excellence. Encore de fabuleux shakers avec Sta-Prest et «School Days», fast and furious. Detour les a aussi arrachés à l’oubli en sortant Welcome To My World, l’album de reformation. On croise aussi deux groupes de Soul : Q-Tips avec «SYSLJFM» et Red Beans & Rice avec «That Driving Beat». Le chanteur des Q-Tips chante comme Wilson Pickett. Les Dead Beats font du punk-Mod avec «Choose You», ils bandent sec dans leurs pantalons trop serrés et du coup leur son s’exacerbe. Tout aussi doués, voici les Letters avec «Nobody Loves Me», ils caressent le Mod Sound dans le sens du poil. Pas d’infos sur The Scene et «I’ve Had Enough», dommage car ils jouent à l’énergie dévorante, avec cette niaque des bas-fonds de London town - Had enough ! - Ils ont tellement de suite dans les idées que ça devient puissant. Dans un genre différent, voici les DC10s, avec «I Can See Through The Walls» tapé aux arpèges de Ricken. Ils jouent bien leur carte de Mod freaks sharpy as hell. Et puis voilà le coup de génie : The Fixations avec «No Way Out». Ces mecs jouent leur va-tout et ça devient glorieux. Après un déluge de power-chords arrive un solo à la titille. Ils enchaînent déflagration sur déflagration, tout est porté à incandescence, ils élèvent le Mod Sound au rang d’art majeur, les guitares transpirent et ça bascule dans la magie.

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    Les rois du disk 3 sont les Purple Hearts avec «Plane Crash». Ces mecs-là ne rigolent pas, ils amènent leur crash au punk-Mod et c’est atrocement bon. Ils cumulent les fonctions du proto-punk et du Mod craze, il n’existe rien d’aussi demented en Angleterre, ils ramènent les accords des Who dans «My Generation», oui, wow, t’as les Who ! Rien de plus sauvagement whoish que ce truc-là, rien de plus riffé dans l’ace de l’ass, Fa Sol, bien matraqué, on a tout le tatapoum des silver sixties et toute l’agressivité du Purple Crash. Quelle attaque ! Reed : «Purple Hearts will forever be among the Mod Revival’s premier league.» On retrouve aussi Long Tall Shorty avec cette belle dégelée qu’est «Win Or Lose», et les mighty Prisoners avec «Hurricane» - A psychedelic garage band par excellence, dixit Reed - Un Reed euphorique qui ajoute : «For many, The Prisoners were the finest purveyors of 60s-styled garage/psychedelia.» Oh la violence du Hurricane ! Graham Day chante au raunch des Mods, c’est riffé dans l’axe de la mortaise, incendié dans l’œuf du serpent, priez Dieu que tous nous veuille absoudre ! On passe ensuite aux groupes chouchoutés par Detour, à commencer par les brillants Onlookers avec «You And I», un véritable Small Faces breakout et un brin de décadence dans le chant. Pur jus de dandysme Mod. Detour leur a consacré une belle rétrospective, Blue And Green And Tangerine. Encore deux Small chouchoutés par Detour, Small Hours et Small World. Les Small Hours déboulent avec «The Kid», un vieux shoot de Mod rock claqué au clair de la lune Tele. Ces kids dégagent de la chaleur et leur cartilages délicats s’articulent merveilleusement. Le bassman des Small Hours n’est autre que Kym Bradshaw, l’ex bassman des Saints. Small World bat des records d’explosivité avec son «Love Is Dead». C’est cavalé ventre à terre au drive de basse et arrosé d’arpèges de Ricken. Quelle merveille ! Power & style, une fois de plus - Considered by some to be the finest-ever Mod Revival band, dixit Reed - Detour a rassemblé les miettes de Small World sur Slight Detour. Weekend et The Upset prennent le chemin de traverse du blue-beat et on revient à nos moutons avec The Amber Squad et «Can We Go Dancing?». Trop excité, trop d’amphètes, mais c’est bien. Tellement bien que Detour les a aussi compilés en 2004 sur Arewehavinganotherinorwhat?. Avec cette cover des Creation, «Red With Purple Flashes», The Times sont trop purs et durs, presque anecdotiques. The Times est le groupe d’Ed Ball, le bassman de Television Personalities. Mais en tant que Mod Ball, The Times est une institution. Signalons aussi l’excellente petite niaque des Heartbeats avec «Go». Petite voix, mais ils y vont, c’est bien monté au chant avec des guitares loin derrière. Montés sur les cendres des Exists, les Direct Hits cassent bien la baraque avec un «Modesty Blaise» éclaté aux bribes d’excellence. Les claqués d’accords sont ceux des Who, avec de belles descentes d’organes au chant. Tiens encore une belle trouvaille avec le «Confusion» de The Truth. Aw comme ces mecs sont bons dans l’ampleur de leur big pop de dance craze. Seule l’énergie du diable peut conduire un truc pareil jusqu’au Wigan Casino. Dee Walker est amenée en 1984 comme la Cilla Black du Mod Revival. Elle est fantastique et elle est blanche. Elle ramène sa petite fraise humide et sucrée dans la box, et c’est une bonne chose, d’autant qu’elle est aidée par Ed Ball et le mec des Jetset, Paul Bevoir. D’ailleurs, les Jetset piquent leur petite crise avec «Wednesday Girl». Bon le disk 3 se termine avec deux groupes américains, Manual Scan et Mod Fun, et forcément il y a un problème car les deux groupes sonnent faux. En plus l’album de Mod Fun trouvé dans un bac est une vraie catastrophe.

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    Le disk 4 recèle lui aussi son petit lot de merveilles, à commencer par l’«Here Is My Number» de Makin’ Time. Reed dit qu’avec Makin’ Time, Mod is culminating. C’est Eddie Piller qui les découvre et le groupe démarre sur Well Suspect Records, puis Makin’ Time arrive sur Countdown, l’autre label d’Eddie Piller. Reed parle d’un fresh new Mod sound allant plus sur Brian Auger & The Trinity. «Here Is My Number» sonne comme une giclée dans l’œil du cyclope, quelle ampleur ! On entend Fay Hallam dans les retours de manivelle. L’autre grosse poissecaille du disk 4 est le super-groupe Mod The Rage avec «Looking For You». On retrouve dans le groupe Buddy Ascott des Chords, Derwent Jaconelli et Steve Moran de Long Tall Shorty et Jeff Shadbolt des Purple Hearts. Le résultat ne se fait pas attendre, Jaconelli chante à la pointe de la glotte et derrière, les autres n’ont aucune retenue. Une vraie bombe ! Power & style, une fois de plus. All the Rage dirait Ian McLagan. Parmi les connus comme le loup blanc, voici le James Taylor Quartet avec «Blow Up» et les mighty Aardvarks avec «Arthur C. Clarke». Tout droit sortis de leur fascination pour le freakbeat anglais et les Small Faces, les Aardvarks délogent vite les dents du beat. Reed parle de magnificence et il raison, car la compile Cherry Red des Arrdvarks est un must inexpugnable. Avec «Worming», The Clique fait partie des groupes Detourés. Selon Reed they epitomize the best of a new breed of Mod bands playing 60s-centred R&B music in the 1990s. Eddie Piller les suit de près et Reed nous renvoie sur Self Preservation Society qui selon lui est resté un classic. Un autre classique devant l’éternel : «Something That You Said» by The Scene. C’est explosif, bien au-delà du common Mod craze, pah pah pah, emmené ventre à terre, chanté à la petite délinquance, au like you baby. S’ensuit un «Bend Don’t Break» des Australiens Stupidity, un Don’t Break lancé dans la nuit comme un scoot en folie, muté à l’orgue tournoyant et cuivré à la folie. Bien sûr, Eddie Piller les a repérés et collés dans la compile Countdownunder. Encore une belle trouvaille : The Moment avec «In This Town» et un beau bassmatic. Ça ferraille au paradis. Dans leurs parages on retrouve Ed Ball et Paul Bevoir, comme par hasard et Reed indique que le groupe s’est reformé avec Brett Ascott des Chords et Ben Addison de Corduroy à la prod, et qu’un album est attendu. Il est arrivé, Reed ! Il s’appelle The Only Truth Is Music. The Untouchables sont américains, mais on accueille leur «Free Yourself» à bras ouvert. Quelle belle escapade ! C’est une mixed-race band qui avale sa langue au chat ventre à terre. Ça vaut pour un shoot de fast stomp. C’est encore Eddie Piller et Terry Rawlings qui révèlent The Combine dans leur compile Countdown avec «Dreams Come True». Joli fracas d’accords. Tous ces groupes ont leur mot à dire. Il règne dans cette box une spectaculaire unité de ton. Non seulement The Combine fourbit le fracas, mais le groupe fourbit aussi la mélodie, alors t’as qu’à voir ! C’est tellement mélodique que ça fait tourner la tête du Mod craze. Reed indique que The Combine et Small World sont comme bonnet blanc et blanc bonnet, donc tout s’explique. Encore un Mod band Detouré : The Boss, avec «One Good reason», alerté tout du long par une fantastique énergie. Ils sont dans le bid Mod running down, the descending of it all. On retrouve Tara Milton dans le «Catcher In The Rye» de 5:30!, c’est-à-dire Five Thirty. C’est amené comme un hit des Who. Même énergie de windmill solaire, ça explose littéralement. On le sait depuis trente ans : Five Thirty est un groupe considérable. Oh encore une belle flambée de violence avec Solid State et «Train To London Town». C’est en plein dans les Who, no one gets out alive, avec une fin en folie. Le pire est que Solid State n’a même pas eu le temps d’enregistrer le moindre disque. Eddie Piller a aussi repéré The Kick avec «Julie London», un joli shoot de Mod pop avec des chœurs Whoish. Ils sont doux comme des agneaux, ils frisent l’«I’m A Boy». Tout dans cette box a de l’allure, c’est encore ce que montre l’«All I Want To Be» de The Reflection AOB. Tous ces groupes savent jouer et ce n’est pas du favoritisme que de dire ça. Même le plus petit cut accroche. The Reflection AOB ont des cuivres et une vraie voix. Reed qualifie The Studio 68 de wildcards of Mod. Il indique en outre qu’ils avaient un auto-destructive live set. C’est vrai que «Get Out Of My Hair» est du heavy stuff, du wild r’n’b à l’Anglaise, c’est noyé d’orgue et gorgé d’amphètes. Reed indique que Paul Moody est devenu journaliste et qu’il faut se mettre en chasse du lost album, PortobelloHello, sauvé des eaux par Detour, bien sûr.

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    Avec Reed et Eddie Piller, Garry Bushell est le troisième homme clé du Mod Revival. Du temps où il bossait pour Sounds, il fut le chantre du Mod Revival. Ses articles sont compilés dans un petit book qui vient de paraître : 79 the Mod Revival Time for Action: Essays from the Frontline. Bon, ce n’est pas de la littérature, mais Bush fait son boulot de journaliste, il est comme on dit chez les con-sultants «sur le terrain». Il voit les groupes sur scène et assiste aux bagarres qui éclatent entre les clans. Son book regorge d’épisodes violents qui rappellent l’ambiance du film sur les Cockney Rejects, East End Babylon. L’Angleterre fut à cette époque le théâtre de véritables batailles rangées entre ces ennemis héréditaires que sont les Mods et les rockies, sans oublier les punks puis les skins. Mais nous ne sommes pas là pour ça.

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    Les trois groupes vedettes du Mod Revival de 1979 sont les Chords, les Purple Hearts et Secret Affair, trois groupes sur lesquels Bush revient inlassablement, avec de l’éloge à gogo. Il rappelle que les Purple Hearts tirent leur nom du Dexamyl et que les Chords combinent the crashing power chords drive in a Jam/Jolt vein avec un sens aigu de la mélodie - Pop with guts ma babes (sic) and well structured stuff boot - Pour Bush, les Purple Hearts et les Chords sont les emblèmes de «the Mod on the street», alors que Secret Affair, prédit-il, va atteindre le mainstream (wider markets). Ian Page déclare : «We’re Mods without parkas», et Dave Cairns ajoute : «Our kids are into fashion, ils vont chaque semaine s’acheter des fringues and they’re into the go-go not pogo and that is what we’re about.» Bush ajoute que chaque fois qu’il voit Secret Affair sur scène, il trouve qu’ils sont simply the best, et il ajoute un peu plus loin : «Probably the best dance band in the country.» Ils combinent nous dit Bush old style Motown dance rhythms with Dave Cairn’s powerful biting rock guitar. Il rend aussi hommage à Long Tall Shorty. C’est Jimmy Pursey qui baptise ainsi le groupe, d’après une compo de Don Covay enregistrée par les early Kinks. Long Tall Shorty est le prototype du groupe brillant détruit par la poisse, mais qui se reforme en l’an 2000 autour de Tony Perfect. Ils jouent à trois, nous dit Bush, et qualifient leur son de «giffer punk». Bush évoque aussi The Rage, premier post ‘79 Mod supergroup qui se forme à la suite du split de Long Tall Shorty en 1974 : Derwent Jaconelli au chant, Steve Moran on guitar, Jeff des Purple Hearts on bass and a Chord Buddy Ascott on drums.

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    Mais la clé du Bush book, c’est la culture Mod, un phénomène typiquement britannique. «Ces pionniers, kids like Wayne Kirven, Steve Sparks and John Simon combinaient les influences - le jazz américain, la Nouvelle Vague française et l’Italian cool - to cook up something we see now as quintessentially English.» Il ajoute que dans son roman Absolute Beginners, Colin MacInnes taxe de ‘Modernist’ un jeune fan de jazz in sharp Italian clothes, un terme dérivé du Modern Jazz de Miles Davis et Charlie Mingus. Bush se fend de pages superbes pour nous dire à quel point Mod est anglais et surtout à quel point cette culture appartient aux kids. Au début, un tout petit noyau de «Jam fans as well as a lot of the older East End and Essex skinheads were talking about ‘going Mod’». Des mecs commencent à s’habiller et à se considérer comme des Mods. Le mouvement prend officiellement naissance lors d’un concert des Jam à Paris où se rendent cinquante London Mods, et pouf, les Purple Hearts jouent à Londres - Then Billy Hasset qu’on avait rencontré à Paris said why don’t we come and see his group, the Chords - Billy Hasset ajoute que Mod est une façon d’être, une attitude - Fun-loving and smart. On était des kids qui voulaient s’amuser, on voulait boire, danser, draguer des filles, aller aux concerts et être fiers de nous. Voilà ce que Mod signifiait à nos yeux. On voulait aussi s’en sortir, mieux que ne l’avaient fait nos parents - Bush en conclut que Mod se définissait en opposition aux ‘mug punters’ et aux dérives pseudo-politicardes du punk. C’est là que la scène Mod Revival a explosé, avec les Purple Hearts de Romford, Essex, les Chords de Deptford, South East London et Back To Zero from North London. La force de cette scène reposait sur sa capacité à prendre le meilleur du passé pour produire un son original - New Mod began to create a youth movement with vitality, direction and above all marvelous music - Et là Bush cite les hits : «Millions Like Us» des Purple Hearts et «Time For Action» de Secret Affair. En fait le Mod Revival est arrivé au bon moment, quand le punk n’avait plus rien dans le ventre - Mod was like a breath of fresh air to a tired circuit - Bush revient aussi longuement sur les scooter clubs et la scène Northern Soul du Wigan Casino et ses all nighters que les Mods vénéraient. Bush insiste pour dire que la culture Mod est née dans la rue et non dans les bureaux de la pop industry, une culture inventée par des kids déçus par le punk «but who kept its love of energy, sulphate, DIY ethics and three minute pop songs alive.»

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    Après la fin du Revival, Bush cite les Dexys en 1980 et le virage Soul de Paul Weller. Secret Affair va splitter avant de se reformer plus tard. De toute façon, la New Wave ravage tout et Mod replonge dans l’underground avant de refaire surface dans les années 90 avec Acid Jazz et Eddie Piller. Bush signale aussi l’émergence de la Britpop - more of a Mod baby - Mais au moins, pop was up-beat and axciting again. Bush dit que tous les tenants de la Britpop, Oasis, Blur, Pulp, Ocean Colour Scene, Supergrass devaient beaucoup aux groupes des sixties, aux Mods, au glam et au punk. En 1997 apparaissent enfin the New Untouchables de Rob Bailey - club nights, national and international weekenders, scooter runs, clothes and record markets - et bien sûr la série Le Beat Bespoké dont on va reparler. Bush achève son excellent trip nostalgique en signalant que Chris Pope des Chords est resté actif et qu’il continue d’enregistrer des albums de Mod-rock sur lesquels il va aussi falloir revenir.

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    Garry Bushell nous refait huit pages de Time for action dans un Vive Le Rock de l’an passé. Belle ouverture sur le scooter club, Secret Affair and Mod fans, c’est là qu’on apprécie le confort des magazines. Plein la vue. Mods anglais. La classe définitive. Bush reprend les grandes lignes de son book, Secret Affair, Long Tall Shorty, Chords, Purple Hearts et il rappelle que tout le mouvement était pur et spontané, à tel point que la sortie dans les salles du Quadrophenia movie plana comme une menace all over the beautiful fragile purity of it all. Le succès du film signifiait en effet l’arrivée des médias. Puis il y a l’épisode des fifty self-styled Mods descendus à Paris voir jouer Jam. Le chanteur des Purple Hearts Simon Stebbing rappelle l’autre caractéristique fondamentale du Mod Revival : «We stand for rebellion, but it’s not political. We’re not into politics.» Bush revient aussi sur les racines musicales de Secret Affair, «the big wheels of Motown, the greatest pop catalogue ever written (and like ska, the original soundtrack to Sixties Mod subculture). It was music you can dance to, agression served with melody and commitment.» Ian Page rappelle aussi à quel point il haïssait la récupération du mouvement punk par ceux qu’il qualifie de tinsel-and-tat merchants, inutile de faire un dessin : «Cette mafia qui a transformé le punk en produit et qui en a tué l’esprit. Pour moi, le punk était un message, l’idée qu’il fallait rejeter l’industrie, mais en dépit de ces belles paroles, ils ne l’ont pas fait. Les Clash ont signé sur CBS, nous aussi, d’ailleurs.» Bush rappelle aussi l’existence de Back To Zero, des Killermeters et des Merton Parkas dont le keyboardist s’appelait Mick Talbot. Il allait devenir célèbre en rejoignant Weller dans the Style Council. Il faut aussi se souvenir que le Mod Revival marchait de pair avec la scène 2 Tone, et c’est elle, avec les Specials, Madness et tous les autres qui allait décrocher le jackpot. Dave Cairns pense que la scène Ska avait un son plus facilement identifiable - The Mod Revival, unlike the Ska revivalists, didn’t have a similar musical style.» Cairns rappelle aussi que la presse anglaise s’est acharnée sur le Mod Revival - We got sticks from the music press, Sounds aside, for looking back to the sixties, but you couldn’t get more 60s than Prince Buster - Cairns ajoute que les Chords ont été coulés par leur label, Polydor, qui voulait préserver les intérêts de Jam. Les Chords étaient une menace, donc il fallait les annihiler. C’est ce qui est arrivé en France à Ronnie Bird. Puis le mouvement va s’écrouler, Simon Stebbing rappelle que les Dexy’s Midnight Runners et Madness faisaient au début leurs premières parties, puis ce sont les Purple Hearts qui se sont retrouvés en bas de l’échelle - down at the lower end of the chart. Sniff.

    Signé : Cazengler, Garry Bouché

    Millions Like Us. Box Cherry Red 2014

    Garry Bushell. 79 the Mod Revival Time for Action: Essays from the Frontline. Red Planet Publishing Ltd 2019

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    Garry Bushell : Time for action. Vive Le Rock # 75 – 2020

     

    Inside the goldmine - Big Bang

     

    Naoh releva subitement la tête. Les oiseaux de nuit avaient arrêté de chanter. Un silence de plomb s’abattit sur les environs. Il sentit monter la peur en lui. Il s’empara de son pieu et se prépara au pire. Il posa une grande pierre plate au dessus des braises pour les protéger. Les autres membres de la tribu sentirent aussi le danger. Les femelles allèrent s’enterrer au fond de la caverne. Naoh entendit une brindille craquer à l’entrée de la caverne. Animal ou cannibale ? Il craignait surtout le tigre aux dents de sabre qui parlait d’une voix d’homme pour tromper la vigilance de ses victimes. Naoh tendait l’oreille. Il claquait des dents. Il redoutait plus que tout ces combats nocturnes. Lors de la dernière attaque de la caverne, un coup de massue tranchante lui avait arraché une jambe. Il dut se fabriquer une béquille sommaire. Son pauvre corps était couvert de cicatrices, la plus spectaculaire étant celle de l’avant-bras droit, un cannibale essayait de lui dévorer le bras pendant qu’il l’éventrait avec un gros silex. Les cannibales pouvaient se montrer plus féroces que les tigres. Ils mangeaient eux aussi leurs victimes vivantes. Puis il y eut des chuchotements. Naoh entendait battre son cœur. Soudain une silhouette surgit dans l’entrée éclairée par la lune. Cannibale ! Les hommes de la tribu se levèrent tous ensemble, terrorisés mais prêts à se battre. D’autres silhouettes se joignirent à la première. Les deux camps s’observaient, figés dans le silence. L’un des inconnus leva les bras au ciel et déclara :

    — Ola les gnards ! On passait dans l’secteur, on a vu d’la lumière et on s’est dit p’t-être qu’y vont nous payer un scooop ?

    Les hommes poussèrent un gros soupir de soulagement. Naoh déplaça la pierre plate, souffla sur les braises et lança un feu de bienvenue. Il leur fit signe de s’asseoir :

    — Vous nous avez foutu les chabada, bande de troncs ! On a un coup d’ratafiac à vous ch’proposer, ça vous dit d’trincouiller ?

    — Walhalla, chooper ! C’est quoi ton blazard, gros ?

    — Je suis Naoh ! You-youh, Naoh-na-kunne-patte ! Et toi c’est comment ?

    — Bang ! Lui, ché mon frangirac Bing et l’aut’ là, c’est Beng, des vrais corniflards !

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    Bang était peut-être l’ancêtre de Bang, un trio de surdoués de Philadelphie. Vu la gueule des trois Bang, c’est même fort probable. Il y a forcément des puces dans la crinière et la barbe de Frank Ferrara, le bassman/chanteur de Bang. Dans un petit book paru en 2018, Lawrence Knorr raconte leur histoire : The Bang Story - From the Basement to the Bright Lights.

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    En fait, le pauvre Knorr n’a pas grand chose à raconter. Le seul intérêt du book est de nous rappeler que dans les early seventies, le circuit du rock américain grouillait littéralement de groupes. Une fois lancés par Capitol, les trois Bang, Frank Ferrara, Frankie Gilcken et Tony Diorio ont côtoyé toute la faune de l’époque, des Three Dog Night à Cactus en passant par Brownsville Station et tout ce que le rock américain comptait de prétendants au titre. Basés à Philly, les trois Bang durent quitter la ville qui était alors en plein boom de Philly Soul. Un groupe qui prétendait sonner comme Sabbath n’avait aucune chance de s’y faire connaître. Ils mirent le cap sur Miami et commencèrent à jouer dans les stades.

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    Ces mecs ont tout de même réussi à sortir six albums, ce qui n’est pas rien. Le plus connu est sans doute le fameux album sans titre paru en 1972. Cet album fait partie des chefs-d’œuvre des seventies. On le voit dès «Lions Christians», un cut amené au ouuh yeah typique de l’époque et au petit chant plein de hargne à la Ozzy, mais early Sab. Just perfect ! Voix colorée et bonne production. Ils passent au big heavy Sound System avec «The Queen». On note une persistance du chant ozzien et on se régale de l’onctuosité du solo de guitare. Il raconte son histoire de service. So Bizarre. Rien de laborieux, chez Bang, bien au contraire. Ils disposent d’une merveilleuse aisance. Ils dégagent même une sorte de grâce avec un «Come With Me» chargé de son éculé de basse fosse et bien explosé au cymbalum de satrape. Les décollages en solo sont superbes et inspirés, très tiguiliguili et sous tension, comme indisciplinés. La fête se poursuit en B avec «Our Home». Ça reste du prog anglais américanisé. Quel magnifique bouquet de son ! Bang joue un rock savoureux et peut se montrer diablement mélodique. Ils enchaînent avec «Future Shock», joué au riff sévère qui ne plaisante pas. On se repaît de cette belle mélasse hérissée d’électricité aussi râpeuse qu’une peau d’iguanodon. Leur heavyness est attachante, on voit qu’ils visent les sommets du genre. Ils en ont les moyens. Tout aussi superbe, voilà «Questions». Frank Ferrara chante comme un dieu des cavernes. Et ils terminent avec «Postman», beau slab de seventies rock. Pour l’amateur de rock seventies, c’est l’album idéal.

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    Leur premier album, Death Of A Country, n’est jamais sorti à l’époque. Il fut enregistré au Criteria de Miami par Ron et Howie Albert. Au moment où ils signent leur contrat avec Capitol, ils apprennent que leur premier album dont ils sont si fiers ne sortira pas. Pourquoi ? Capitol jugeait le son trop hard. Il n’est sorti qu’en 2011, sur un petit label spécialisé justement sur le son hard, Rise Above Records. Bon, il faut bien reconnaître que ce n’est pas l’album du siècle. Ils se veulent aventureux et tentent d’imposer un son, c’est plein d’iode et d’électricité, ils sont intègres, ils banguent du Bang. Ils sont marrants et très impliqués, mais leur son va plus sur le prog que sur le heavy rock. Ils partent en mode heavy Bang avec «Life On Ending», mais il n’y a vraiment pas de quoi en faire un fromage. Du son, c’est sûr, mais pas de compos. Ils restent coincés dans l’arrière boutique des seventies, d’où la décision des oies du Capitol.

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    Leur premier album officiel est donc le Mother/ Bow To The King paru en 1972 sur Capitol. Ils vivent pendant l’enregistrement un petit psychodrame : on demande à Tony Diorio de ne pas jouer et on colle à sa place un autre batteur. Du coup, Tony quitte le groupe et rentre au bercail, écœuré. Ils démarrent sur «Mother» et développent les beaux chevaux vapeur de 1972. Frank Gilcken amène du jeu et son départ en solo impressionne. En fait, Frank Ferrara sonne au chant comme l’early Ozzy, avec cette petite insistance de Birmingham. Ils ont tous les réflexes et connaissent toutes les ficelles de caleçon. Dans «Humble», Gilcken passe de beaux solos abrasifs. Ferrara refait son Ozzy dans «Idealist», il ne lâche pas l’affaire et c’est de bonne guerre, yeah yeah. De l’autre côté, «Feel The Hurt» flirte avec le heavy balladif, c’est même visité par la grâce, ils chargent bien la barcasse de la bangasse, ça joue les prolongations et ça regorge de power. Dans «Tomorrow», on entend les backing singers, elles swinguent ça au sexe pur, elles jivent leur Tomorrow à la black. On les entend encore dans «Bow To The King», elles chantent juste derrière, les filles sont folles, elles explosent la braguette du bow. Avec ce Bow, Bang aurait pu devenir big.

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    L’année suivante, Capitol leur demande de sonner plus pop. Plus pop ? On leur demande de sonner comme les Raspeberries, de faire de la power-pop. Ils ne sont pas du tout faits pour ça. Le résultat s’appelle Music. On sent un gros malaise dès «Windfair» : cette petite pop faiblarde et plan-plan tourne joliment en rond. Ils tentent de sonner comme les Beatles avec «Don’t Need Nobody» et se mettent à chanter comme des petits branleurs sur «Page Of My Life». Le malaise grandit. Il faut attendre «Exactly Who I Am» pour retrouver la terre ferme. Ils y sonnent exactement comme Badfinger. Leur pop légère et très anglaise impressionne. Les voilà devenus complètement anglophiles avec «Pearl And Her Ladies», une ode aux groupies et l’album devient passionnant avec «Little Boy Blue». C’est un son très confortable, avec du solo à la coule. Dans son book, Knorr raconte que Bang sonne ici comme Big Star - Everything will be ok in the end my friend - C’est excellent. Ils repartent en mode fast Bang avec «Brightness». Ce démon de Gilcken alimente à outrance, il joue même du solo trick au dessus de son track - And all the plans we plan to do - Gilcken joue au fast picking, c’est un sérieux client. Pourquoi diable ce groupe n’a-t-il pas explosé ? Mais l’album ne marche pas et Capitol coule le groupe. À dégager.

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    Ils se reforment en 1999 pour enregistrer RTZ. Return To Zero sur leur label, Bang Music. Devenus indépendants, ils ne risquent plus rien. Et là, attention, RTZ est un album extraordinaire. On a tout de suite du gros son, les trois Bang ne sont pas là pour rigoler. On les sent parfaitement à l’aise dans leur vieille heavyness pleine d’accents légers. C’est un album très instructif : on y apprend qu’on peut claquer des power chords et rester léger. Le morceau titre est excellent, ambiancier, ils tiennent bien la bavette, Frank Gilcken montre toujours des dispositions à éclairer la nuit avec ses solos. C’est dans «Should I» qu’il excelle par dessus tout. Il est terrific de présence - Good advice/ That’s a start - et il part en vadrouille d’arpèges. L’incroyable bonne santé du big Bang ! Gilcken se balade, il coiffe «Another Time» d’un jeu superbe, il est all over the place avec son jeu dévorant. Ils proposent encore une belle dégelée d’«Here I Go», une pop-rock de bonne encolure, Gilcken est dans tous les coups fourrés, il omniscie en mode kill kill. «Lil’ Joe» sonne comme un cut des Stray Cats, c’est du gros beat rabâcheur extrêmement bien soutenu au pulsatif et Gilcken s’y fourvoie à la note généreuse. Ces mecs tiennent leur son par la barbichette. Ils atteignent une sorte de plénitude. «Be The One» est encore de très haut niveau, chanté au dessus d’une palanquée de gros accords de concorde. Spectaculaire ! Gilcken reste imparable et même flamboyant. C’est incroyable comme leur son a bien évolué. Ils sont brillants au delà de toute expectitude. Dans «Middle Of The Night» - It’s been son long/ Since you been gone - Gilcken passe un solo effaré. Leur aisance les exonère non seulement de tout impôt, mais aussi de toute critique. On sent chez eux une facilité extraordinaire, une maîtrise du son qui dépasse les normes. Il faut les écouter car ils sont bons. Encore de la belle pop atmosphérique avec «Kissing Me», et un «True Love» chanté au sommet du lard fumant. Cet album est un chef-d’œuvre.

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    Leur dernier album date de 2004 et s’appelle The Maze. Il s’y niche un véritable coup de génie, la reprise de «Bow To The King 2». Gilcken est à la manœuvre pour sept minutes et ça monte vite en puissance, et comme le groupe s’appelle Bang, il est logique que ça explose. C’est blindé aux chœurs de gospel et ça goutte de jus. Ces mecs sont les rois de l’explosivité. Le morceau titre est un heavy blues bien senti, bien foutu, avec des relents mélodiques au coin du bois. Ils tapent leur «Momo Rock» au heavy revienzy. Gilcken veille bien au grain, ne t’inquiète pas. Il profite de «RTZ2» pour envoyer quelques torpilles et ils taillent bien la route avec l’atypique «Popcorn Dreams». Ils refont du Sabbath avec «413» et Frank Ferrara embarque «Eve Of The End» à l’anglaise. Ils renouent avec l’écroulement des falaises de marbre, avec les entractes d’espagnolades, ils disposent de moyens énormes. Ils finissent leur album dans les affres du meilleur power rock américain et gagnent encore en respectabilité.

    Signé : Cazengler, Banc (public)

    Bang. Mother/ Bow To The King. Capitol Records 1972

    Bang. Bang. Capitol Records 1972

    Bang. Music. Capitol Records 1973

    Bang. RTZ. Return To Zero. Bang Music 2000

    Bang. The Maze. Bang Music 2004

    Bang. Death Of A Country. Rise Above Relics 2011

    Lawrence Knorr. The Bang Story - From the Basement to the Bright Lights. Sunburry Press 2018

     

    L’avenir du rock

    - My soul belongs to the Drugdealer

     

    À l’aéroport, l’avenir du rock présente son passeport. L’agent des douanes consulte son écran. Il semble y avoir un problème car il appelle son supérieur.

    — Mettez-vous sur le côté en attendant, monsieur, lance l’agent d’un ton sec.

    L’avenir du rock se met sur le côté. Le supérieur arrive et l’agent lui tend le passeport.

    — Suivez-moi, fait le supérieur d’un ton sec.

    L’avenir du rock suit le supérieur. Ils empruntent un couloir et le supérieur le fait entrer dans une pièce.

    — Déshabillez-vous. Nous allons procéder à une fouille corporelle.

    L’avenir du rock s’exécute. Il a l’habitude.

    — Enlevez tout ! Tournez-vous, baissez-vous et toussez !

    Au moment où le supérieur approche de l’anus pour l’examiner, l’avenir du rock lâche l’un de ces ignobles pets dont il a le secret.

    — Arggghhh ! Espèce de dégueulasse ! Je vais vous coller une prune pour insulte à agent de la force publique dans l’exercice de ses fonctions, vous allez voir !

    — Mais je ne vous ai pas insulté. J’ai simplement envie de chier. Dépêchons-nous car je vais chier dans votre bureau ! J’ai le bamboula qui tape au carreau !

    Grâce au travail de sape des médias, l’avenir du rock et les drogues sont devenus indissociables. Pourtant, il ne prendrait jamais le risque d’en transporter, mais vous savez comment sont les représentants de l’autorité. Ça ne vole jamais bien haut. Au fond, ce qui amuse le plus l’avenir du rock, c’est l’énorme différence des poins de vue : contrairement aux représentants de l’autorité, il a très haute opinion du Drugdealer.

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    Aux yeux de Martin Ruddock, Drugdealer fait des vagues avec ses impeccable cinematic Laurel Canyon grooves. Les Shindigers ont vraiment le don des formules chatoyantes ! En fait, le cerveau de Drugdealer s’appelle Michael Collins. Drugdealer est en quelque sorte son Wrecking Crew. Le parallèle s’établit assez vite avec Brian Wilson, car Michael Collins est aussi songwriter et arrangeur. Il cite d’ailleurs comme influence le Sunflower des Beach Boys - I really like ‘Tears In The Morning’ - Quand il n’est pas en Californie, il est au Texas pour bosser avec un autre démon de midi, Tim Presley, le cerveau de White Fence. Pour Drugdealer, Collins s’entoure de sacrés luminaries : Ariel Pink et Natalie Mering of Weyes Blood fame. Il assemble son Wrecking Crew en fonction des cuts.

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    Une belle énormité se planque dans The End Of Comedy. C’est le morceau titre. Natalie Mering of Weyes Blood fame chante cette complainte pianotée. Elle allume autant que tout le Brill réuni. Elle est d’autant plus balèze que ça joue au piano sec. On imagine que Michael Collins chante la mer de rien de «Sea Of Nothing». Il se prélasse dans le son avec une autorité qui en dit long sur son amour pour les Beatles du White Album. Il va chercher un son out of nowhere et parfaitement séquencé sur les ondes du legendary strut. Cet album est visité par les esprits. «The Real World» sonne comme la pop-song parfaite. Michael Collins fait jouer les mecs habilités, c’est bien foutu, such a psychedelic place, ça vient siffler dans le groove d’air chaud à la Brian Wilson, parmi les magnolias en fleurs. On retrouve Weyes Blood dans «Suddenly». Elle règne sur l’album, elle se prête au jeu de flavor et sait rester à sa place. Et voilà Ariel Pink qui sort des limbes pour chanter «Easy To Forget». Il lalalalate tout ce qu’il peut, avec un son que la prod suit à la trace. Curieux effet. Michael Collins a engagé un flûtiste qui s’en donne à cœur joie dans «Were You Saying Something», mais ça tourne au gag.

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    Trois ans plus tard paraît un Raw Honey infiniment plus pertinent. On retombe en pleine beatlemania avec «Honey». Oui, Michael Collins est en plein dedans. C’est encore Weyes Blood qui chante cette merveille. Quelle belle présence psychédélique ! S’ensuit un admirable cut de pop lumineuse intitulé «Lonely». Un certain Harley Hill-Richmond chante ce cut pour le moins extraordinaire. On se croirait encore une fois chez Brian Wilson. On monte encore d’un bon cran avec «Lost My Dream». Michael Collins l’explose. Ce mec crée de la magie, le buzz est bien fondé, on est en plein cœur du mythe d’une sunshine pop jouée dans l’ersatz de l’apanage des Alpes, avec tout le son de l’âge d’or. On entend jouer une belle fanfare de poppy groove. Il faut voir comment c’est salué aux trompettes. Collins fait du pur jus de Steely Dan avec «Fools». Il tape dans les vieilles formules gagnantes, avec ce groove qui voyage sous la peau, le vieux groove des jours heureux. Michael Collins cristallise les vieux rêves. Il ne compose que des hits demented, comme le montre encore «If You Don’t Know You Never Will». Il se situe dans l’énergie des Beatles. On ne peut pas écouter un mec comme lui à la légère. Chez lui, tout est extrêmement soupesé dans la balance. Dans «Wild Motion», Michael Long prend un joli solo à la George Harrison. Encore de la pop digne des Beatles avec «London Nightmare», oui, une pop bien enveloppée et tenue au chaud, chantée d’une voix transie d’inspiration.

    Signé : Cazengler, Crottedealer

    Drugdealer. The End Of Comedy. Weird World 2016

    Drugdealer. Raw Honey. Mexican Summer 2019

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    Martin Ruddock : A taste of honey. Shindig! # 92 - June 2019

     

    DELPHINE DORA ( I )

    Certains, les esprits étroits, pourraient s'étonner qu'après la présentation de ILS la semaine dernière, je m'intéresse cette fois-ci à Delphine Dora. Y aurait paraît-il comme de la dichotomie entre ces deux sortes de musiciens, les premiers provenant des tonnerres du hardcore, et la seconde plutôt, pour filer la métaphore, de La symphonie pastorale de Beethoven, dans ses passages les plus agréablement agrestes... pour employer un mot qui résonnera mal aux oreilles des purs rockers, nous emploierons celui du folk, mais d'un folk qui s'apparenterait pour rester dans les démarches de groupes que nous avons déjà présentés à Forêt Endormie qui n'a pas peur de zieuter du côté de Verlaine ou de Debussy, ou à Stüpor Mentis qui au travers d'un chant lyrique et d'une ambiance gothique, privilégie avant tout la transcription sonore de l'impact poétique de grands textes tel le Prometheus Unbound de Percy Bhisse Shelley.

    Delphine Dora est pianiste, elle a une trentaine de disques ou d'enregistrement divers derrière elle, le genre d'Ovni ( objet vibrophonique neuf et inouï ), qui fonce dans l'inconnu, tantôt en solitaire ou à effectif réduit, tantôt en compagnie d'équipages de mutins hétéroclites, elle est exploratrice de contrées étranges et nouvelles, qui allient musique, poésie, peinture, non pas qu'elle soit en recherche d'un art total wagnérien, mais elle ose se lancer en des démarches borderline prêtes à toutes les dérives et à toutes les ambitions.

    Nous nous intéressons pour cette première approche à deux de ses enregistrements. Tous deux effectués en 2018, paru cette même année pour le premier et deux ans plus tard pour le second.

    EUDAIMON

    ( Three : Four Records / Avril 2018 )

    Delphine Dora : piano, vocals, composition, recording, mixing / Katleen Raine : words

    Artwork : Dovile Simonyte, lithuanienne née en 1991, un tour sur son Tumblr s'impose, elle ne possède pas le monde, c'est bien mieux, elle possède son monde à elle, à Elle. La pochette composée pour l'opus est prodigieuse, non pas par l'habileté du graphisme mais par le fait qu'elle est habitée par l'Idée de ce qu'elle a à exprimer. Nous expliquerons davantage dans l'analyse même de l'opus.

    Petit cocorico : Delphine Dora est française, elle chante en français mais aussi en anglais et aussi en autre chose ( nous verrons dans la deuxième chronique que nous lui consacrerons ). Pour ce disque la langue de Keats s'impose puisque les paroles sont des poèmes de Katleen Raine poétesse anglaise née en 1908 et morte en 2003.

    Delphine Dora : piano, vocals, composition, recording, mixing / Katleen Raine : words

    HGA : en toutes lettres Holy Guardian Angel, ne connotez point cet ange gardien sacré avec une vision christique, vous risqueriez de mésinterpétrer le texte de Katleen Raine, cet ange n'écarte pas les dangers qui vous guettent, sa fonction n'est pas de vous maintenir en vie, elle est de vous permettre le passage vers la mort. Dora vous aide à comprendre, quelques touches claires de piano et sa voix joyeuse, doublée avec ce léger décalage qui lui donne cet air naïf et innocent de ritournelle virginale. Gospel allègre qui remercie Dieu, comprendre les Dieux, de lui offrir la mort éternelle. Toutefois Dora n'est pas Raine, elle rajoute quelques notes mélancoliques sur la fin. Who are we : mouvement plus ample, un des poèmes les plus célèbres de Raine, le premier morceau aurait pu laisser croire que Raine professait un nihilisme destructeur. Il n'en est rien. Rien à voir non plus avec les trois questions angoissées de Gauguin : D'où venons-nous, Qui sommes-nous, Où allons-nous ? Raine connaît les réponses, nous venons de la mort, nous sommes des vivants, nous allons vers la mort, rien de terrible, la vie vient de la mort et la mort provient de la vie, c'est un cycle, Platon parlerait de la transmigration des âmes, mais pour Raine, cette explication n'est qu'une image, Dora traduit cela, non pas par des touches noires, non pas par des touches blanches non plus, elle ne croit peut-être pas aux ivoirines qui lui semblent trop bien sonner pour être honnêtes et les touches nocturnes lui font sûrement un peu peur, alors elle se sert des touches grises. Faut être un sacré pianiste pour les trouver sur un clavier, mais c'est justement ce qu'elle est. Honesty : le chant s'élève et chantonne, superposition, l'une qui chante et la même qui parle comme si elle lisait, il y a toujours deux manières d'appréhender la réalité, il semblerait que celle du bas se hausse vers le haut, medley de douceur mais Parménide nous a prévenu, s'il y a deux chemins, l'un n'est que mensonge.

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    The Pythoness : un jeu beaucoup plus lyrique, sont-ce les vapeurs qui montent des abysses ou un Dieu qui descend, des notes qui enjambent le clavier et la voix claire et voilée qui se termine en extase... il est temps de regarder la pochette, si une route monte et si une autre descend, peut-être les deux n'en forment-elles qu'une seule, qui se referme en cercle, mais le serpent ne se mord pas la queue, il s'infiltre autour du corps de la pythonisse, et la femme à son tour devient serpent, sa chevelure ondoie dans l'infini, elle est celle qui permet au cercle de se fermer et de s'ouvrir, est-elle le symbole du poëte, et n'est-elle pas aussi Dora Delphine qui par son piano revisite le mythe de l'omphalos de Delphes sis dans le temple d'Apollon pythien... Not in time : nous ne reviendrons pas dans ce temps puisque nous y reviendrons toujours, et si nous y revenons toujours nous y restons éternellement, Dora joue à l'institutrice, elle prononce lentement les mots, elle sait qu'ils sont difficiles à comprendre, ses doigts claquent sur l'ivoire, toujours cette seconde voix qui essaie de faire passer la difficulté, sans y parvenir vraiment, comment faire admettre que la partie contient le tout. Qu'un fragment de temps englobe l'éternité. No-where : une procession qui passe, la voix portée en avant tel le foc du voilier gonflé par l'alizé, des notes qui brillent comme si les étoiles avaient refusé de s'éteindre le jour venu, et puis le tout s'en va et disparaît, comment voulez-vous que cela reste, s'il n'y a plus de temps il n'y a plus d'espace, car celui-ci n'est qu'un point sur lequel il n'y a pas assez d'espace pour que l'on puisse s'arrêter. Retour à la transmigration platonicienne. The wilderness : le piano ronronne en majeur, mais la voix ne suit pas, elle reste en arrière, elle est comme écrasée par l'ampleur sauvage de la nature, l'on dirait qu'elle se parle à elle-même. De toutes les manières elle ne connaît pas les réponses. Âme perdue dans l'immensité du monde, Raine est entrée enfant en poésie grâce à son père qui était un amateur de Wordsworth, le poëte anglais de la nature panthéïque radieuse. Lorsque l'on grandit l'on a du mal à perpétuer l'enseignement de ses parents, l'on essaie de creuser par soi-même et au fond du trou on ne trouve pratiquement rien, un point qui dure une seconde. The sphere : une voix fragile mais sereine, des notes qui s'égouttent telle la rosée qui tombe de l'herbe, l'infiniment petit est aussi l'infiniment grand, tout est question de perspective, il faut savoir regarder et comprendre que tout instant est éternel, l'homme est une particule qui zigzague sans fin entre la mort et la vie. Eudaimon : le morceau charnière, sur la crête entre deux abîmes, un des plus courts, il est difficile de garder l'équilibre, la voix de Dora est emplie de sérénité, le chant est une ballerine à petits pas sur le fil tendu. Il est deux façon d'entendre le mot Eudaimon, est-ce un immortel heureux ou un homme heureux qu'un immortel fasse attention à lui, dans les deux cas, vue d'en bas l'homme côtoie les Dieux, vue depuis d'en haut l'immortel côtoie le mortel, pour bien comprendre il faut faire un pas, quitter l'exil de l'âme platonicienne qui après d'innombrables réincarnations, grâce à la transmigration, atteint enfin le royaume rayonnant et contemplatif des idées, ou alors prendre l'ascenseur ultra rapide plotinien qui permet à l'âme individuelle par une succession d'ascèses et d'extases de pénétrer dans la sphère du divin, le mortel se métamorphosant en immortel... Kathleen Raine a beaucoup étudié les néo-platoniciens, autrement dit elle a été une auto-initiée... Proclus, le dernier d'entre eux a ainsi sauvé l'historialité du paganisme interdit par le christianisme en le hissant dans la pointe ultime et diamantine de l'île des Bienheureux. D'où les Dieux préparent leur retour. On a deserted shore : si les dieux se sont retirés, le monde n'est plus qu'une rêve déserté, Raine symbolise cette absence par un chagrin amoureux, l'amant est inatteignable, le morceau est pratiquement parlé, car le chant se tait, chandelle de désespoir soufflée par un vent mauvais, et le piano lui-même éparpille ses notes dans le silence, mais la plainte reprend en mineur, la bougie de l'être est éteinte, mais se consume encore celle du non-être. Lament : la voix comme une brise qui se complaît dans sa solitude, piano cahin-caha, regardons autrement, toute complainte lamentable comporte sa beauté, encore une fois le chant s'arrête au milieu du gué, il se reprend sans rien demander au monde. Toute chose ne se suffit-elle pas à elle-même. La plus atroce, la plus cruelle, la plus insipide n'est-elle pas une parcelle d'absolu. Death's country : chant de victoire, rythme martial, le soleil se lève à l'orient de tout chagrin, finirait-il dans la mort, n'a-t-il pas atteint le pays de la renaissance. La mort n'est pas un terminus, juste un passage vers la vie. Fire : plénitude de la destruction, deux voix qui s'exhaussent, retour au mythe stoïcien de l'éternel retour, s'il n'a pas de fin il n'y aura pas de retour, sinon notre vie n'est qu'un ensemble de préceptes moraux. Moraline a dit Nietzsche. Pour que l'aurore brûle elle doit être ardente. Déflagration cosmique. The invisible kingdom : la voix et le piano comme un baume, un des poèmes les plus célèbres de Raine, le Royaume invisible n'est pas au bout de la route, il est lui-même la route, la mort est présente dans la vie, elle n'arrive jamais par hasard malheureux, ou par accident stupide, elle est constitutive de la vie, rien de plus facile que d'atteindre l'autre rive, sur n'importe lequel des rivages où vous vous trouvez. La différence n'est pas bien grande, elle est même infime, Rilke exprimera cela d'une façon bien plus percutante en disant que l'ange ne sait s'il passe parmi les morts ou les vivants. Lily of the valley : printanier et virginal, chant d'oiseau, une ronde enfantine de jeunes filles ces brins de muguet qui embaument si fort la vie, qui embaument si fort la mort. Words : le dit d'Hamlet, des mots, des mots, des mots, en tant que vanités humaines, mais aussi mots de démarches poétiques, mots de poésie, beaucoup d'angoisse et de douceur, la voix délaisse les mots et vocalise, les mots ne sont-ils que des passerelles trouées lancées au-dessus des abîmes entre les hommes et les humains, entre les mortels et les immortels. Des cercles de cellophane d'où peut surgir à tout moment le tigre de la réalité ou de la panthère de la poésie. The unloved : sans amour, sans forme à donner au monde, chuchotis de piano qui marque davantage les espaces de son silence, lecture à deux voix pour se donner courage, toutefois le chemin de solitude traverse le monde comme tous les autres chemins. Last things : les dernières choses sont aussi les premières, appui de clavier et la voix qui prend le devant de la scène, s'infléchit bientôt dans le jardin du monde, s'apaise et le piano ronronne comme la bouilloire sur le feu, incessantes mutations de climats, l'on change sans arrêt de sentiment, d'attitude, l'impression de se regarder dans une glace et de s'essayer à être soi en modifiant les rides du sourire de notre visage, n'est-ce pas illusoire, de vouloir se figer en soi-même, les dernières choses sont aussi les premières, aussi vaines, nous déambulons dans le monde comme en nous-mêmes, le paradis est notre pays, il est inutile de pleurer.

    Une voix souvent doublée et décalée au mixage, des notes égrenées, qui tombent tels des petits pois écossés dans l'assiette, c'est tout. Pas d'éclats. La poésie de Katleen Raine en ressort mise à nue, dévêtue de sa prosodie classique, du folk si vous voulez mais dépourvu de ses facilités populaires, point de refrain, juste des sentiers qui se perdent un peu et se continuent on ne sait comment. Cet album est un miracle de grâce qui confine à la poésie la plus pure.

    EUDAIMON II

    ( Three : Four Records / Octobre 2020 )

    Delphine Dora : piano, vocals, composition, recording, mixing / Katleen Raine : words

    Ce n'est pas une suite. Un vinyle ou un CD offrent des capacités limitées. Pour le disque précédent il a fallu faire un choix parmi les trente morceaux enregistrés, Maxime Guitton s'est chargé de cette tâche, l'on peut comprendre comment il l'a élaboré. La première partie d' Eudaimon regroupe des poèmes que l'on définira comme théoriques, contemplatifs et philosophiques, la deuxième partie délaisse un tantinet ces aperçus métaphysiques et se rapproche du vécu individuel du poëte, il n'est pas toujours aisé de faire coïncider sa vie avec ses idées, surtout lorsque celles-ci ne vous traversent pas la tête, mais s'apparentent à des formes immuables, extérieures à votre situation dans le monde.

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    La couverture de cet album est moins percutante que celle d' Eudaimon. Une photographie de Delphine Dora de pied, dans une forêt, prise de loin. Des sapins derrière elle, sur sa gauche s'élève un énorme tas de rondin, preuve que l'exploration forestière bat son plan. Nous refuserons l'interprétation écologique sur l'empreinte carbone. Nous préférons y voir cette proximité entre la vie et la mort qui est au fondement de la poésie de Katleen Raine. Une photo plus subtile qu'elle en a l'air. Doit en exister quelques millions de semblables par le monde. Oui, mais il faut savoir lire entre les arbres.

    The traveller : quel est ce voyageur, si ce n'est un ange qui marche dans la forêt du monde, pour une fois Dora chante vraiment, une mélodie à pleine voix mais discrète, le piano quant à lui accompagne, il ne se permet aucun commentaire dissident, l'en est dissuadé par la ferveur du timbre, non pas une prière, mais un dialogue, peut-être mieux : une entente. The presence : plein-chant, discret certes mais présent, sans quoi comment être au plus près de cette présence, de cette autre rive, de ce pays où l'on arrive toujours, de ce royaume invisible qui ressemble tant au royaume près de la mer où repose Anabel Lee. La gravité du propos impose la sourdine au piano, le chant l'efface et l'annule. Azrael : piano funèbre, Azrael est l'ange de la mort, le morceau est arrangé comme un requiem, ici Delphine Dora se confronte à la vision de Katleen Raine, une reine trop froide selon elle, Delphine conquise et fascinée mais peu encline à souscrire à de telles vues. Elle jette un regard mélancolique sur la beauté du monde qui rebondit sur les touches de l'instrument. Night though : voix blanche et piano ralenti, Dora est entrée dans le corridor du monde, ce n'est pas le monde qui a changé mais elle qui perçoit sous son écorce chamarrée une couleur plus sombre intimement mêlée à l'apparence des choses, mais invisible, le rythme ralentit, n'est plus qu'une légère couche de neige froide sur laquelle il faudra bien s'aventurer, quoique le danger ne soit pas bien grand. Invocation : une certaine sérénité, car toute invocation repose sur un espoir, presque un chœur de demandantes, une voix se détache et la musique se brise, tout repart plus assuré, car l'on peut invoquer sans avoir une ferme volonté d'être exaucée, terrible solitude dans ce morceau malgré la surmultiplication des voix. The world : piano évanescent, au contraire de la voix qui affirme la vanité du monde, que rien ne reste, que tout bouge, tout tremble, tout change, qu'il est nécessaire d'en prendre son parti et mettre ses actes en accord avec sa vision tremblante du monde. Two invocations of death : la pièce la plus longue du disque, située à l'exact milieu, l'instant décisif, presque gaie dans sa première partie, l'on ne s'attend pas à ce chant folâtre, mais peu à peu la gravité du propos impose un certain trouble, l'hésitation est surmontée, le rythme est ralenti mais avance sûrement, une touche noire enfoncée, et les pas progressent toujours, rien n'arrêtera celle qui marche, elle entre dans la zone d'ombre éclairée par sa seule volonté, elle s'éloigne dans la nuit, est-elle celle qui marche ou est-ce un ange qui s'approche. Spell of sleep : notes cristallines et chant pointu, venus du plus profond, le tout accompagné d'une voix de récitante creuse et comme désincarnée, si l'on traverse les états du sommeil, l'on voyage aussi dans les degrés de l'être. Plus loin que le rêve. Spell against sorrow : hantise orphique qui descend sans fin sans espoir de retour, des notes de piano cassantes qui brisent les oreilles, est-ce le prix à payer pour atteindre l'autre rive, pour effacer tout ce que l'on laisse et connaître la Joy : chuchotements, elle n'est pas éclatante, elle claudique dans d'obscurs souterrains, de la voûte du piano tombent des notes qui s'écrasent avec des reflets d'eau lustrale. Isis wandered : Isis errante à la recherche si vous voulez du sexe d'Osiris mais pour Raine d'une plus grande compréhension du monde, sous toutes ses formes, de l'étrange acceptation des bêtes et de la tranquillité paisible des arbres, ceci pour une rive, et pour l'autre cet eudaimon incompréhensible qui nous pousse et nous devance sur l'autre rive, sur l'autre rêve d'un embrassement, d'un embrasement total, car si la nuit est égale au jour notre insatisfaction émerveillée est partout la même. Purify : nous sommes passés par des siècles de purification intense, l'écorce de notre chair a enfanté un autre cercle et puis s'est dégradée jusqu'à ce nous soyons ombre translucide dans le royaume invisible. Nocturne : un tel titre sied à un pianiste, mais Delphine Dora ne chopine pas, elle est partisane d'une musique qui se décharne, qui se déquasme, qui se tait. La nuit se fait. Silence.

    Eudaimon II est très différent d'Eudaimon ( I ). L'on comprend les choix de Maxime Guitton. Il a privilégié pour le premier opus, les morceaux qui retraçaient et explicitaient l'itinéraire poétique de Katleen Raine. Mais si Delphine Dora a tenu à collecter ce deuxième volume, c'est parce qu'elle a compris que ce premier opus ne révélait que la face claire, acceptable pour un large public de la poëtesse, mais qu'il en existait une autre plus sombre, qui conte par bribes essaimées dans ses recueils, ce que selon Nerval l'on appelle la traversée de l'Achéron. Dans les deux sens. Cycle orphique que chantera Rilke. Reste encore à s'interroger sur cette notion de présence chère à William Butler Yeats, dont Katleen Raine fut une fervente admiratrice. Pour ceux qui suivent certaines de nos chroniques, Yeats fut membre et même Grand Maître ( entre 1901 et 1903 ) de La Golden Dawn qui compta parmi ses membres Aleister Crowley... Pour ma part je rajouterais que si vous écrivez Eudaimon, Eudaïmon, vous n'êtes euphoniquement pas très loin de L'Endymion de Keats. Ce sont les vers que Percy Bhysse Schelley composa pour la mort de Keats que lut Mick Jagger au concert de Hyde Park en adieu à Brian Jones. Le monde est plus petit que l'on ne pense, même si certaines de ses sentes sont obscures.

    L'INATTINGIBLE

    ( Three : Four Records / Février 2020 )

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    L'Inattingible est une œuvre à part dans la discographie de Delphine Dora. Nous n'avons pu résister à l'intégrer à la présentation des deux précédentes...

    Très beau titre, ce n'est pas l'intangible que l'on ne peut pas toucher, le mot enjambe la marque infamante de notre inaptitude, de notre incomplétude, il nous porte dans cette chose qui nous est inatteignable, nous transporte dans sa nature même, dans sa constituvité même, qui est justement d'être inattingible. Pochette : puits d'ombre encadré de blanc. Trois cercles concentriques, en cœur de cible Delphine Dora au piano, deux margelles exentriques, jeu de l'oie de photographies, cases d'affects et de symboles, séparées d'un mince trait blanc. Elle est de Marie-Douce St Jacques. Artiste canadienne multidisciplinaire. Une démarche formelle qui interroge la perfection à laquelle, selon différents médiums artistiques, elle peut atteindre, le pronom ''elle'' représentant autant elle-même, que la démarche elle-même, que la perfection elle-même. Plus abstraitement je dirais qu'elle cherche à transformer le signe qui ne peut-être entrevu que par certains en une forme que tout un chacun peut percevoir. Ce qui ne signifie pas comprendre.

    Question instrumentation, ce n'est plus le piano dépouillé d'Eudaimon, l'orchestration oscille entre classique évanescent et noise discret.

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    L'horizon inconnu : entrée organique, bouquet de voix inaudibles, Dora est au piano, elle parle avec ce débit que l'on adopte pour avouer une faute, ou un état d'âme ou un désir d'absolu inavouable à la commune humanité, l'on saisit les mots plus qu'on ne les entend, arabesques de violons, un synthé joue à l'orgue de cathédrale, le morceau est si court qu'il paraît rapide, sensation augmentée par la richesse orchestrative, l'appel de l'horizon n'est pas une ligne qui se dérobe, mais une profusion englobante. Les sensations enfouies : vibrionnant, une montée en flèche aussi aigüe que la voix pointue qui monte, un son qui fuzze et bientôt le morceau se teint d'une splendeur tibétaine, chœurs de moines en prière, la recherche intérieure décroît et s'achève au crépuscule du soir. Songe : ( paroles extraites d'un poème de Pierre Jean Jouve ) bruit de porte qui se referme, suivi d'une espèce d'accompagnement qui imiterait un orgue de barbarie qui se détracte, qui se rétracte en un sifflement contigu, Dora récite un extrait de Noces de Pierre Jean Jouve, pas le poëte le plus joyeux de la poésie française, pour qui la seule ligne d'horizon de l'homme est la mort. L'avenir s'étend restreint :flûte agreste, comptine enfantine, aux paroles trop graves pour des enfants, soulignées par un bourdon incessant, qui se distend et vous a de ces soubresauts de reptile dont la colonne vertébrale est brisée. Ma voix vacille : une voix perdue dans la tourmente des éléments, si jeune, si pure, mais des accords graves de cuivres et de guivres aggravent le message, imaginez un jazz ( le titre le plus long du disque ) sous perfusion, qui essaie de retrouver la conscience par des éclats de clarinette, ce morceau ressemble à une procession pour une descente au tombeau, plainte amère étouffée par l'incommensurable. Vers l'impatience promesse : perles de pianos, magnifique drapé orchestral, en contrepoint Dora à la voix étouffée, mais tout se désagrège, la musique ne survit pas à la négativité de l'impatience, une face cachée de nos échecs.

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    L'ombre de nos silences : bruit de sitar, clinquance indienne, échos de chœurs, Dora récapitule toutes ses déceptions, ce qui n'a pas tenu ses promesses, toutes nos compromissions. Rien ne sert de rejeter la faute sur les autres. L'ombre de nos silences parle pour nous. Loin : trop loin, et lent très lent, l'orgue déroule ses arpèges à la manière d'un tapis de pourpre, voix de clarté, lente et dogmatique, doucereuse et articulée, car toute vérité est bonne à dire, il ne s'agit plus de regarder à l'extérieur de soi mais de porter les yeux vers ce qui se cache, au fond des cieux et au fond de soi, s'il est loin l'Inattingible hulule, une chouette dans la nuit, que l'on ne voit pas, qui effraie, dont les yeux fermés fascinent. L'inexploré : quelques notes qui frottent et miaulent, le temps de la confession est venu, la musique gémit et se tord, les révélations de Dora n'apportent aucune quiétude, la pensée est impuissante à saisir le monde, une percussion tapote comme elle peut, la musique est à l'image de l'oiseau à l'aile brisée qui essaie de s'envoler, sans y réussir. Lumière aveugle II : pluie et ruissellement, ce n'est pas la lumière qui est aveugle, c'est ceux qui ne savent pas la voir, un violoncelle sonne le glas de nos impuissances. Pas de parole, le chant s'est tu, comment parler de ce que que l'on ne voit pas. Ivre et serpentée : serpentin de notes joyeuses, vent charmeur de serpents, retour non pas aux sensations mais aux sens, être la chair de soi-même, si le soi est soi, il devient l'autre, bouquet de fleurs du mal, le serpent entrelacé rampe sur la rampe. L'utopie du renouveau : froissements, tintanibulements, éclats d'orfèvres, morceau maelström, vertige de se perdre, tambour indiens d'Amérique, les mots s'égarent dans les ferveurs des découvertes, un accordéon au soufflet cassé, au centre du vortex dans lequel on s'est laissé couler, il n'y a rien qui ne soit inattingible.

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    Lumière aveugle III : instrumental tamisé, un fleuve qui charrie les âmes des morts, une flûte s'essaie à un solo, mangé par les clameurs sourdes des souffrances emportées qui s'exaltent, roulent en cascade et disparaissent, faute de mieux. Dans la torpeur du lacunaire : piano, silence entre les notes comme interstices dans les pensées, du passé et de l'impuissance du présent à aller de l'avant, il ne reste plus qu'à s'en remettre au plaisir des corps d'avant, l'accompagnement se fait langoureux, pour finir par dérailler, s'étreindre et puis s'éteindre. Rien n'est parfait. Métamorphose déracinée : comprendre que ce qui précède n'était qu'une image du travail de l'esprit à vouloir penser l'inattingible, de cette difficulté à percer le mur, la mince cloison qui sépare et incite. Musique vermisseau qui se trémousse sur le plancher des illusions perdues. Lumière aveugle IV : voix comme des sanglots d'impuissance sur un tissu orchestral qui se déchire, lumière infranchissable pourriture affirmait Joe Bousquet, cris de répulsion. Mes rêves inondés : plongées de bassons mortuaire, Dora dresse le bilan de son existence, négatif, elle n'a jamais atteint ce sentiment de plénitude recherchée ou attendue, sa seule bouée de sauvetage reste la musique, une vie parallèle à la sienne. Elle se tait et la musique s'entasse sur elle-même, un ramassis de débris qui n'augurent rien de bon. Lumière aveugle I : une flûte un tantinet faunesque, l'on sait comment se termine le poème, le faune fatigué du réel se recouche pour revenir à son songe. Dans l'absence : Dora revit la situation mallarméenne, à l'envers, si le morceau précédent débutait comme Debussy et se terminait sur du Miles Davis celui-ci sonne beaucoup plus contemporain, quoi de plus concrète qu'une absence quand on y songe, un charmeur de serpent ne sait plus s'il est le charmeur ou le serpent. Devant l'inexplicable : musique tremblée, comme décollée d'elle même, comme le regret d'un sentiment perdu, nos échecs existentiels sont-ils entés sur notre blessure fondamentale de n'avoir jamais pu approcher cette perte terrifique qui nous renvoie à nous, car nous sommes le principal obstacle à la réalisation de nos désirs. La musique semble se noyer en elle-même. Tu me résistes à l'abandon : voix aérienne, complainte du tutoiement, amère, mélancolique, ironique, élégie éligible du retournement, de l'erreur acquise, l'inattingible n'est pas au loin, là-haut, inaccessible, il est à l'intérieur, tout aussi loin, tout aussi inaccessible, mais en nous, nous ne pouvons nous en prendre qu'à nous, peut-être es-tu, comme moi, peut-être es-tu l'inattingible, qui ne peut s'atteindre lui-même. Musique de fête foraine. Deux manèges qui tournent ne se rencontrent jamais.

    L'Inattingible est une œuvre cime dans la discographie de Delphine Dora. L'opus reste marqué par la poésie de Katleen Raine, il est à lire en tant que réponse doranienne à la vision poétique rainienne. Cela est davantage visible dans les morceaux du début, ce n'est qu'après que Dora développe ses propres vues. Ce n'est pas un hasard si Dora s'est chargée de l'écriture des textes... quant à la musique elle est l'aboutissement de tout un parcours créatif. Il est le fruit d'un long désir. C'est un chef-d'œuvre qui reste difficile d'accès. Dune richesse musicale extrême que nous n'avons qu'à peine évoquée dans notre chronique, nous contentant d'en définir un parcours idéographique. Qu'il soit clair que nous avons essayé d'en donner une sorte de transcription nôtre, qui ne vise à aucune objectivité critique, réservée à notre propre usage.

    La composition et l'enregistrement, fragmentés sur une dizaine de pays, s'étalent sur une seule année, ils oscillent sans cesse entre improvisation et fixation, entre écriture solitaire et mise en forme collective. Elle risque de désarçonner les fans de rock purs et durs et d'intriguer les amateurs de jazz. Elle emprunte au classique, au noise et à l'électro. Ce n'est ni du rock, ni du jazz, mais elle possède à sa manière la virulence du premier et la subtilité du second. Quoi qu'il en soit pour voler un mot à Baudelaire, nous affirmons qu'il s'agit d'une œuvre phare.

    Participants à l'aventure : Aby Wulliamy / Paulo Chagas / Valérie Leclerc / Adam Cadell / Gayle Brogan / Susan Matthews / Andrea-Jane Comell / Marie-Douce St Jacques / Caity Shaffer / Taralie Peterson / Sylvia Hallett / Laura Naukkarinem / Tom James Scott / Jackie McDowell. ( + instruments hétéroclites. )

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

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     EPISODE 06

    UNE NUIT EFFROYABLE ( Part 2 )

    Un frisson parcourut les échines. Il y eut un silence, une voix tremblotante s'éleva :

    _ Mais comment savez-vous cela ?

    _ C'est une longue et étonnante histoire, nous avons encore un peu de temps, je laisse à l'agent Chad, le soin de vous la raconter, du moins le début, pendant ce temps je me permettrais de fumer un Coronado si personne n'y voit d'objection.

    Tous les regards se tournaient vers moi, j'avoue qu'à la vue des yeux fiévreux de toutes ces jeunes filles fixés sur mes lèvres j'éprouvais une pointe jouissive de fierté, mais un agent du SSR surmonte facilement ses pulsions sexuelles, fussent-elles de celles que le commun des mortels décrivent comme irrésistibles. Je m'éclaircis la voix :

    _ Sans doute avez vous lu d'Alexandre Dumas, Les Trois Mousquetaires – il y eut un murmure d'approbation – les plus férus d'entre vous se seront jetés sur Vingt Ans Après, quelques oui s'élevèrent, les plus courageux auront continué par la fin de la trilogie Le vicomte de Bragelonne – silence absolu – je ne vous résumerai pas ces trois romans de cape et d'épée aux intrigues tourbillonnantes, là n'est pas la question, il y a quelques années de cela le Chef qui est un amateur d'Alexandre Dumas, farfouille dans un carton de documents non classés du fonds Dumas de la Bibliothèque Nationale. Mais avant que le Chef n'entame un nouveau Coronado, peut-être voudra-t-il nous conter lui-même son étrange découverte.

    _ Certainement, agent Chad, toutefois je puis fumer un Coronado en vous faisant part de ma trouvaille – le Chef prit le temps d'inhaler une bouffée de fumée, je le soupçonne d'avoir voulu faire durer le plaisir - une vulgaire feuille de papier dans une enveloppe froissée que personne n'a eu la curiosité de lire, espérons-le, depuis plus d'un siècle, elle est d'Auguste Maquet, je rappelle qu'il fut un collaborateur de Dumas, certains lui attribuent la rédaction complète des Trois Mousquetaires, mais ceci n'est pas de notre ressort. La lettre est adressée à un certain Lemoyne, au ton employé par Maquet l'on devine un ami cher capable d'accueillir un épouvantable secret sans le divulguer. Le Chef prit le temps d'exhaler une dizaine de nuages de fumée aussi moutonneux qu'un cumulus nimbus.

    Dans le silence attentif qui accompagna cette respiration peu écologique rejetant à elle seule plus de carbone qu'une centrale au charbon, éclata brusquement le terrible grondement de Molossa, immédiatement suivi de celui plus pointu de Molossito. Tout le monde sursauta, le groupe se disloqua quelque peu, il y eut des cris et des imprécations, Joël accompagnés de quatre garçons courut vers sa voiture, ils en revinrent les bras chargés d'une quarantaine de manches de pioches, tout le monde se munit sans rechigner d'un de ces joujoux contondants, sauf le Chef qui déclara que lorsque l'on avait en main un Coronado, l'on détenait l'arme absolue, son impassibilité raffermit le courage de toute la bande

    _ Il n'est que minuit moins-le-quart, nous avons un quart d'heure avant que l'horreur ne se déchaîne, notez que les chiens ont senti quelque chose mais que maintenant ils se recouchés aux pieds de leur maître, j'ai juste le temps de terminer mon histoire. A son ami qui lui adresse ses compliments en insistant sur la complexité de l'intrigue qui tient le lecteur en haleine, Maquet le met en garde, les trois romans sont codés, l'histoire qu'ils racontent n'a rien à voir avec les règnes de Louis XIII et de Louis XIV, elle n'est que la transcription d'une antique conjuration dite de l'Ibis Rouge !

    A peine avait-il prononcé ces derniers mots qu'une lueur d'un rouge purpural illumina le haut de la colline. Dans les secondes d'ahurissement et le silence médusé qui suivirent, l'on entendit le Chef murmurer :

    _ Nous y sommes, en plein dans le cul de l'ibis !

    LA NUIT DE L'IBIS ROUGE

    En quelques instants la lueur purpurale avait pris la forme d'un immense ibis rouge, d'une quarantaine de mètres de hauteur, brutalement s'en détacha l'ombre de Charlie Watts, aussi haute qu'une maison de deux étages, elle se dirigeait vers nous à vive allure, malgré nos objurgations, notre troupe s'éparpilla, seuls Joël, Françoise et Framboise et une certaine Noémie restèrent près de nous, n'ayez pas peur nous ne craignons rien dit le Chef, pour les autres je n'en dirais pas autant.

    A une dizaine de mètres l'ombre de Charlie s'arrêta, elle diminua jusqu'à reprendre la taille exacte de l'ancien batteur des Stones, toujours le même sourire désinvolte flottait sur ses lèvres, d'une de ses poches il tira une tête d'ibis rouge au long bec de métal effilé, tranchant comme un rasoir, qu'il emmancha sur sa tête, sur ses flancs poussèrent rapidement deux ailes de plumes qui lui permirent de voleter de ci de là. Par bonds successifs il se précipita sur les étudiants dispersés, sans pitié, méthodiquement il plantait son bec dans le corps des jeunes gens qu'il transperçait ou cisaillait cruellement sans regret. Lorsqu'il eut fini sa macabre besogne, il revint vers nous, les yeux illuminés d'une stridence rouge insoutenable, n'ayez pas peur, nous ne craignons rien répéta le Chef, il avait raison, Charlie se tenait à trois mètres de nous, mais il n'osait avancer, Molossa et Molossito étaient pendus à chacune des jambes de son pantalon et tiraient comme des diables sur le tissu qui commençait à se déchirer. Brusquement il se retourna et entreprit de remonter la colline. Son ombre s'effaça en quelques instants, ainsi que celle de l'ibis géant qui disparut.

    _ Charlie a toujours été soigneux, un peu dandy, il n'a pas supporté que notre courageuse brigade canine s'en prenne à son costume, proposa Joël

    _ Pas du tout répondit le Chef, il a eu peur de mourir.

    EXTRAITS DE LA REPUBLIQUE DU CENTRE

    plus de vingt mille personnes étaient massées devant la tribune que le personnel de la municipalité avait installé avec diligence. Le préfet se leva de son siège et lorsqu'il vint prendre place devant le micro, l'on sentit l'émotion sourdre de cette foule immobile et silencieuse. Ce fut une allocution digne et pathétique, les limougeois se souviendront jusqu'à la fin des temps, de ce discours qu'il faudra un jour graver en lettres de bronze sur un monument, nous recopions quelques passages, par exemple celui-ci où désignant du doigt les vingt-sept cercueils drapés du docteur national alignés en arc de cercle au bas de la tribune, il s'écria : '' Les voici nos vingt-sept enfants, filles et garçons fauchés dans l'âge d'or de leur jeunesse, des êtres à qui l'avenir souriait, ils étaient partis pour ramasser des champignons en compagnie de leur professeur et ils ont récolté la mort. Nous avons ce matin recueilli leurs corps sans vie, près du Bois du Pendu. Nous les pleurons, de tout notre cœur, nous joignons nos larmes à celle de leurs parents, de leurs proches, de leurs amis...'' à ce moment-là la police municipale dut intervenir pour empêcher une dizaine de mères de nos chères victimes de se se lamenter sur le cercueil de leurs enfants, il fallut utiliser les matraques et les gaz lacrymogènes pour dissuader ces malheureuses d'étreindre de leurs bras le bois des cercueils, mais il était temps que tous apprennent les circonstances exactes de cette tragédie '' ...que s'est-il passé au juste, les six rescapés de cette nuit de terreur nous l'ont raconté, ils étaient tous regroupés en train de discuter de littérature du dix-neuvième siècle, lorsque dans le noir de la nuit, sur un fond de nuages rouges sans doute dû au halo de la lune rousse surgit une ombre armée d'un long coutelas, un serial killer qui occit pas moins de nos vingt-sept enfants, ô nuit sanglante, ô nuit rouge de sang, ô nuit de meurtre, ô nuit de carnage, ceux qui prirent peur et s'éparpillèrent périrent, seules les trois plus sages, qui avaient su rester près de leur professeur et de ses deux accompagnateurs, ont survécu... je demande à nos trois éducateurs et à nos trois rescapées qui eurent la présence d'esprit d'écouter les sages recommandations des adultes de se lever... '' ce fut un moment grandiose, nos six héros se levèrent et au nom du Président du Sénat qui mène la barque de l'Etat en attendant les prochaines élections, notre Préfet, empli de la dignité de sa charge, leur octroya la Légion d'Honneur, l'émouvante et brève cérémonie terminée, la fanfare municipale joua la Marseillaise que la foule reprit en chœur, seule note discordante deux chiens vraisemblablement abandonnés qui s'étaient glissés on ne sait comment parmi les rangs officiels, se mirent à aboyer rageusement. Mais monsieur le Préfet n'y prit pas garde et reprit son homélie '' … ces vingt-sept crimes ne resteront pas impunis, nous connaissons le nom de l'assassin, un certain Charlie Watts, évidemment un étranger car un français n'aurait jamais pu commettre un pareil forfait, lâchement en fuite, mais un indice permettra à toutes les polices nationales bien aimées de l'arrêter rapidement, les bas de son pantalon sont déchirés... '' un frémissement parcourut l'assistance, chacun se penchait discrètement pour vérifier l'état des pantalons de son voisin ''... Limougeoises et Limougeois, mes chères et chers concitoyens, je vous en fais la promesse solennelle : aujourd'hui nous avons connu le crime, demain Charlie Watts connaîtra le châtiment ! Vive Limoges ! Vive le Département ! Vive la France !... '' La foule s'est dispersée lentement le cœur rasséréné par les paroles marquées du sceau de la vérité et l'intonation mâle et virile de notre Préfet.

    Une bien belle cérémonie, toutefois nous regrettons que Monsieur le Préfet se soit brûlé en embrassant un des deux éducateurs, celui-ci visiblement émotionné et troublé avait oublié de retirer de sa bouche son cigare, un Coronado reconnaissable à sa bague d'or. A tel point que parfois dans le milieu des grands fumeurs de havanes, certains le surnomment El Coronador.

    A suivre...

  • CHRONIQUES DE POURPRE 528 : KR'TNT ! 528 : ROD STEWART / ROCK HARDI / GRYS-GRYS / ALICE CLARK / ILS / ROLLING STONES / CRIUM DELIRIUM / ROCKAMBOLESQUES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 528

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    04 / 11 / 2021

     

    ROD STEWART / ROCK HARDI / GRYS-GRYS

    ALICE CLARK / ILS / ROLLING STONES

    CRIUM DELIRIUM / ROCKAMBOLESQUES

     

    Hot Rod - Part One

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    Tous les gens qui ont vécu les sixties et les seventies aux premières loges ont dans leur cœur une petite place pour Rod Stewart. Son passage dans le Jeff Beck Group fit pas mal d’étincelles. Il amena ensuite les Faces au tout premier rang de l’aristocratie du rock britannique et enregistra en parallèle une série d’albums solo - the Mercury albums - qui ont marqué certaines mémoires au fer rouge. Bon alors après, ça se gâte terriblement, puisqu’il s’en va faire fortune aux États-Unis, perdant au passage toute sa crédibilité de British rocker. C’est dingue comme ses fans lui en voulaient à l’époque, même John Peel lui en voulait, alors t’as qu’à voir. Mais ça n’empêchait pas les plus fidèles d’entre-nous de laisser traîner une oreille, car quand même, Rod The Mod avait ce qu’on appelle une voix, et on espérait secrètement son retour aux affaires, mais pas celles de l’immonde période diskö, non, celles de l’amateur de grosses compos. En gros, il a connu le même destin qu’Elvis : un gâchis extraordinaire de talent à des fins d’enrichissement personnel. Mais si on lit son autobio, l’animal s’avoue volontiers convaincu d’avoir eu raison de vendre son âme. D’ailleurs, chaque fois qu’il est confronté à une situation compromettante, il s’arrange pour la retourner à son avantage, et c’est chaque fois un peu limite. Mais bon, c’est Rod. Il a tous les droits, même celui de nous prendre pour des cons.

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    Prenons un exemple : tout le monde lui a craché dessus durant l’époque diskö-pants de «Da Ya Think I’m Sexy». Pour se justifier de ce désastre, il cite les ventes, des millions d’exemplaires vendus à travers le monde, les plus grosses ventes de sa ‘carrière’. Voilà le travail. Il en déduit que si ça plaît à des millions de gens, ça veut dire que c’est pas si mal after all. Il pratique cet art dialectique typiquement anglais qu’on appelle le cynisme. Ah tu m’accuses de ceci ou de cela, eh bien je vais te dire gentiment pourquoi tu te fourres le doigt dans l’œil jusqu’au coude, my friend. Il est même un grand spécialiste de cette tournure d’esprit, car évidemment, il ne supporte pas la moindre critique, surtout depuis que la reine l’a décoré. L’autre épisode puant dont il tente de se justifier est bien sûr celui de la fin des Faces. Plonk Lane l’avait flairé depuis longtemps, il voyait bien que ce pingre de Rod gardait pour lui ses meilleures compos - the Mercury albums - et comme Plonk n’avait pas digéré la trahison de Steve Marriott, il se méfiait de Rod comme de la peste. Au point de finir par quitter les Faces. Mais Rod est la réincarnation d’un renard, car il rejette la faute sur Woody, sans l’accuser directement, mais bon, vous savez, Woody jouait déjà avec les Stones, et ça n’est un secret pour personne, oui, oui, Woody était fait pour jouer dans les Stones, alors vous comprenez, sans Woody, les Faces n’avaient plus de sens, et donc voilà, direction Hollywood after all. Et puis vous savez, le climat là-bas, c’est pas pareil, vous avez le soleil. L’épisode le plus glauque est celui du old fart, c’est-à-dire le vieux pet. C’est ainsi que Johnny Rotten le surnommait dans une émission en 1977 - En 1977, Johnny Rotten called me an old fart. Not to my face, mais dans une émission de British télévision. J’avais 32 ans, donc je n’étais pas si vieux que ça. Et je n’étais pas non plus un pet, si vous voulez mon avis, et vous pouvez vérifier quand vous voulez - Il faut dire que Rod avait provoqué les punks en déclarant dans le NME : «There are no fucking safety pins falling of me.» Ce qui, ajoute-t-il, était provoquant, et c’était l’intention. Il se sort de cette histoire déplorable avec deux pirouettes : la première en rappelant qu’il était numéro 1 dans les charts anglais avec «I Don’t Want To Talk About It», juste devant «God Save The Queen». Le problème c’est que tout le monde se rappelle de God Save et pas de ton single, Rod. Deuxième pirouette : il rend hommage au mouvement punk : «Je ne dis pas que le punk m’a appris des choses, musicalement. Très peu, en fait. J’aimais l’attitude, le côté ‘vas-y et joue’. D’une certaine façon, c’était dans l’esprit des Faces. Mais pas la musique. La musique que j’aimais était la Soul, le rythm’n’blues, le folk, avec un peu de rock’n’roll pour faire bonne mesure. En même temps, le punk ramenait aux réalités. Il y avait tout à coup une poche de résistance. Il y avait un défi, un vrai public, un public très bruyant.»

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    Sacré Rod, il faut voir comme il embobine le lecteur. Comme il embobinait toutes ses gonzesses, car en gros, il a passé sa vie à draguer des grandes blondes, à les épouser et à les tromper aussitôt, et chaque fois, il trouve la bonne excuse pour se justifier, un truc du genre ‘oh la la je ne suis vraiment pas fait pour le mariage’. Tout ça pour dire que la deuxième partie de son autobio est un vrai calvaire, car Rod ne parle quasiment plus de musique, seulement de ses mariages et de ses divorces à répétition, le tout mélangé à des piscines et à des voitures de sport. Autant dire que ça pue, mais il est important de savoir que ça existe. Toujours la même histoire. Tant qu’on ne sait pas tout, on ne sait rien. Et l’histoire d’un mec comme Rod est une histoire importante qui encore une fois, jette un éclairage sur un destin comparable à celui d’Elvis. Disons pour simplifier qu’il s’agit à la fois d’un suicide artistique doublé d’une fantastique réussite commerciale. On vit dans ce monde, il est grand temps d’en prendre conscience.

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    L’autobio est entrelardée de courts paragraphes qu’il appelle Digressions. Les thèmes en sont ses passions, comme par exemple les trains électriques, l’art de se coiffer ou encore les voitures de sport. On a chaque fois tout le détail. Il est un peu l’inventeur avec Ginger Baker de cette imagerie de la rock star roulant dans Londres en Lamborghini. Dès qu’il a des sous, Rod craque. Il va s’acheter un bolide. Quand il signe son solo deal avec Mercury, il récupère 1.300 £, le prix d’une brand-new yellow twin-seater Marcos sports car. En 1964, il avait économisé sou à sou pour s’acheter une MG Midget (£430, précise-t-il), mais son père lui avait chipé ses sous pour payer une facture. Puis en 1968, il fit ce qu’il appelle le grand bond en avant avec a white Triumph Spitfire. Après la Marcos jaune du solo deal, il passe à une autre Marcos : a 2500 Ford V6 in silver grey - They were all the go in those days - Et en 1971, alors que l’argent coule à flots avec son solo deal, il se paye sa première Lamborghini : a Muria S - This Muria was a considerable investment: £6,500. Pensez qu’une maison comme celle que j’ai achetée à Muswell Hill valait à cette époque £5,000. My car valait donc plus cher que my house - Peu de temps après, il se paye une white Rolls-Royce, just for the heck of it. Quand en 1971, après le succès de «Maggie May», il s’installe à Windsor, il se paye une Lamborghini Espada. Après, ajoute-t-il, il y a eu deux ou trois autres Murias - Jeff Beck ricanait à propos de mes Lambos et de mes Ferraris. Il préférait les hot rods qu’il montait lui-même. Je les trouvais assez laids, avec ces gros pneus stupides à l’arrière et des gros pots d’échappement. Give me a Lambo, any day - Puis il part s’installer aux États-Unis et après avoir hésité pour une Corvette, il opte pour a Shelby Cobra. Il a aussi roulé en Porsche, mais au fond de son cœur, il préférait les Italian cars, for the beauty of them. En 2002, il sa paye une Enzo Ferrari pour rouler en Angleterre. Il adore rouler dans Londres en Ferrari. Il se paye ensuite une Ferrari Testarossa, une red Lamborghini Diablo et en 2009 a pale-blue Murciélago. Il précise un peu plus loin que sa passion était contagieuse, car lorsque les Faces ont signé avec Warner Bros., ils ont tous acheté des sports cars : «Ronnie bought a silver Mercedes 190SL, Kenny an MGA, Woody a red Jaguar and Mac a Triumph TR6.» Voilà, comme ça on sait tout.

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    Globalement, Rod suit la chronologie de sa mythologie. Il flashe sur Dylan en 1962 - Which is when I got to hear Bob Dylan’s first album. Now that really did move the earth - Il ajoute que cet album ne lui a pas seulement ouvert un horizon, il lui a dessiné son horizon - No other album has worked on me this way since - On comprend mieux pourquoi Rod a passé sa vie à truffer ses albums de reprises de Dylan. Puis il flashe sur Long John Baldry - un grand blond avec une voix énorme, un homme terriblement séduisant. Il avait du charisme à revendre et une énorme présence scénique. Il avait 23 ans quand je l’ai rencontré, juste cinq ans de plus que moi. Il s’exprimait à la perfection et il était toujours très bien habillé, il portait souvent a silver sharkskin three button suit with high-heeled boots - Comme des rumeurs circulent sur sa relation avec Baldry, Rod s’en sort avec une nouvelle pirouette : «C’était aussi un prodigieux buveur de vodka et un pratiquant invétéré de ce qu’il appelait the madness, ce qui était le nom de code pour des actes stupides in the name of fun. Il était aussi gay, et il m’a fallu du temps pour comprendre ce que ça voulait dire.» Il raconte ensuite qu’il s’est souvent retrouvé seul avec Baldry qui sortait de la douche avec une serviette nouée autour des reins, ou même parfois rien du tout - And this didn’t even register to me to my naiveté, as a signal - Plus loin, il se tire encore d’un mauvais pas avec Elton John : une photo les montre tous les deux à poil, mais dans des baignoires séparées, pas dans la même baignoire, il ne faut pas déconner. Baldry, c’est donc l’époque Hoochie Coochie Men, puis The Steampacket the first British Supergroup, un coup monté par Giorgio Gomelski autour de Long John Baldry, avec Brian Auger, Julie Driscoll et un Rod the Mod encore débutant. Julie Driscoll nous dit Rod travaillait alors pour Giorgio : elle ouvrait le fan mail des Yardbirds. Elle avait 18 ans et se disait passionnée de Motown. L’album de Steampacket est sorti sur le label du gros Giorgio en 1970, soit cinq ans après la bataille. Il présente un intérêt purement anecdotique et bien sûr les fans de Long John Baldry l’ont harponné au passage, pour l’entendre shouter sa fantastique version de «Cry Me A River». C’est Brian Auger qui ouvre le bal d’A avec «Back At The Chicken Shack», un big shuffle typique de l’early Trinity. Ricky Brown et Mickey Waller composent la section rythmique, mais c’est Vic Briggs à la guitare jazz qui vole le show. On l’entend encore faire des siennes dans le «The Inn-Crowd» qui suit et Rod the Mod vient duetter avec Jools dans «Baby Take Me». Il monte ensuite au créneau pour une version bien soulful de «Can I Get A Witness». Voilà, c’est à peu près tout ce qu’on peut en dire.

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    Rod profite de l’épisode Steampacket pour évoquer Sam Cooke : «Sam Cooke était devenu le real deal pour moi à cette époque, notamment deux albums, Night Beat (1963) et Sam Cooke At The Copa (1964).» Le groupe a duré un an - And we looked great, dressed to the nines, a complete fashion parade, on imagine le travail. Quand il est viré du groupe au terme d’un séjour à Saint-Trop, Rod monte Shotgun Express avec Peter Bardens et Beryl Mardsen, a gutsy singer from Liverpool. Il précise aussi que le guitariste s’appelait Peter Green et le batteur Mick Fleetwood.

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    Il touche enfin la terre ferme avec Jeff Beck. Enfin presque ferme, car les choses ne sont pas aussi simples qu’il y paraît - On a dit que je haïssais Jeff Beck, mais ce n’est pas vrai, ni pendant les deux ans et demi du Jeff Beck Group, ni depuis. Il y eut c’est vrai des périodes pendant lesquelles on devait faire des efforts pour se supporter. Le Jeff Beck que j’avais rencontré au Cromwellian était un type sérieux, très self-conscious et parfois assez brutal. Il pouvait être distant, mais à cette époque, il était déjà une rock star, ce que je comprenais. Nous allions former un groupe ensemble, son groupe, mais il y avait deux front-men, aussi existait-t-il une petite rivalité. On se respectait, c’est sûr, moi pour son jeu de guitare et lui pour ma voix et on savait qu’ensemble we could produce music that was pretty extraordinary - Pretty extraordinary ? C’est une évidence. Encore une fois, le Jeff Beck Group de Truth et de Beck-Ola est l’un des meilleurs groupes qui ait jamais vu le jour en Angleterre. Led Zep n’a jamais pu se hisser à leur niveau. Puis Rod entre dans le détail de la genèse et ce sont les pages les plus fascinantes de son autobio. Il rappelle que Jeff Beck voulait Jet Harris et Viv Prince comme section rythmique - Harris looked great, he had a big peroxyde hairdo, mais il était encore en convalescence après un accident de voiture, et il avait quelques problèmes avec l’alcool. Le jeu de batterie de Viv Prince faisait passer Keith Moon pour un conservateur. Jeff disait vouloir un hooligan à la batterie et Prince collait parfaitement, peut-être même un peu trop, d’ailleurs. On répétait dans une pièce au dessus du pub Prince of Wales on Warren Street et après une demi-heure de jam en mode twelve-bat blues, Jeff décida que ça n’allait pas et il les vira tous les deux - Rod finit par ramener son vieux copain Mickey Waller qui jouait avec lui dans Steampacket. Truth nous dit Rod fut enregistré en mai 68 à Abbey Road, en deux sessions de deux jours. Rod avoue que le Jeff Beck Group aurait pu devenir aussi énorme que Led Zep, qui, précise-t-il bénéficiait d’un gros avantage : des compos originales. Le Jeff Beck Group a tourné cinq fois aux États-Unis, où ils avaient bâti leur réputation, sur les traces des Yardbirds. Mais l’argent se fait rare. Mickie Most et Peter Grant managent Jeff Beck et donc le Jeff Beck Group. Un comptable nommé Derek Nibb verse des salaires de misère à Rod et Woody. Quand ils viennent voir Nibb le matin pour empocher leur salaire, Nibb les fait parfois poireauter jusque dans l’après-midi. Et puis en 69, Jeff Beck vire Woody, sous prétexte qu’il passe son temps à se plaindre et c’est la fin des haricots.

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    Grâce à cette expérience, Rod avait réussi à trouver son équilibre artistique, à avoir confiance dans sa voix, à s’approprier les chansons, une confiance qui avait grandi au cours de la période Long John Baldry et qui s’était cristallisée avec le Jeff Beck Group. Il savait alors qu’il avait un style à part, ce qu’il appelle distinctiveness.

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    Il entre ensuite dans la période des Mercury albums. À cette époque, Mickey Waller joue dans Steamhammer et quand Rod les voit sur scène, il flashe sur les deux guitaristes, Martin Pugh et Martin Quittenton. Ce sont eux qu’on entend sur les Mercury albums. Ils enregistrent le premier album en un peu plus d’une semaine. Il ressort «Man Of Constant Sorrow» du premier album de Bob Dylan et flashe sur l’«Handbags & Gladrags» que Mike d’Abo a promis à Chris Farlowe. Mais Rod insiste tellement qu’il finit par l’obtenir. Puis c’est Gasoline Alley et Every Picture Tells A Story, qui sera délogé de la tête des charts par l’Imagine de John Lennon. Côté ventes, Bridge Over Troubled Waters sera le seul album à surpasser Every Picture Tells A Story. Et bien sûr, Rod indique que «Maggie May» grimpe tout de suite en tête des charts, avant d’être délogé par «My Sweet Lord». Il est assez fier du niveau de ces mises en concurrence.

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    En parallèle démarre le wild ride des Faces avec Woody et les trois rescapés des Small Faces. Rod commence par raconter la fin, chacun voyage séparément et séjourne dans des hôtels différents, et chaque fois qu’ils s’adressent la parole, ça explose - But while it worked - God it was brillant! - Rod règle ses comptes avec Jag à qui il pose la question un jour de 1974 dans une party - Me: «Are you going to nick Woody from us?», Mick: «I would never do that.» - Mais les dés étaient jetés. Et quand Ronnie Lane quitte les Faces, Woody et Rod ont concluent qu’ils ont perdu le moteur du groupe. Avec Mac, Rod n’est jamais à l’aise. Il pense que des trois rescapés des Small Faces, Mac est le plus traumatisé, et il n’accorde pas sa confiance à Rod, the bloody singer. Mais bon le groupe fait comme dit Rod du good-time rock’n’roll. C’est leur slopiness qui les rend vulnérables et d’une certaine façon, entertaining. Rod avoue que les Faces utilisaient les fringues et l’alcool pour masquer leur manque d’assurance. Comme ils ne répétaient pas assez, ils préféraient monter bourrés sur scène, comme ça au moins, il n’y avait pas de problème. Rod rappelle aussi qu’au temps des Faces, le prog se répandait en Angleterre et il voyait les Faces comme l’antidote à ce poison de synthés et de mock-symphonies.

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    Pour l’illustration sonore de l’épisode Faces, on peut s’écouter un Rod Stewart & The Faces Live In London paru en 2007. Les Faces y font feu de tout bois, ils sonnent comme une grosse bécane, sans doute la plus grosse bécane de l’histoire du rock anglais. Avec «Take A Look At The Guy» on est en terrain connu. Seuls les Faces peuvent claquer des boogies aussi ravageurs. Ils chauffent leur «Sweet Little Rock’n’Roller» à blanc. On ne peut pas imaginer plus blanc que ce blanc-là. Rod the Mod adore aussi se vautrer dans le Rather Go Blind, et les Faces redoublent de facéties. On le sait, les Faces sont des facétieux. Ils sortent une monstrueuse version d’«Angel». Woody en fait trop, c’est dommage. Quand on a un chanteur comme Rod à côté, on le laisse chanter. Et le stade chante avec lui. Avec «I Can Feel The Time», on sent l’énergie d’un groupe in full flight. Puis ils font tout sauter avec «You Wear It Well». Ce fantastique shouter rentre dans le lard du Wear it well et l’apothéose s’ensuit avec «Maggie May», le hit anglais par excellence, en ce temps-là. La foule connaît les paroles de Maggie, alors c’est elle qui chante le premier couplet - It’s late september/ And I should be back at school - Version mythique - I know I keep you amused but I feel I’m being used/ Oh Maggie I couldn’t have tried any more - On avait tous ces paroles en mémoire à l’époque, avec celles de «Jumping Jack Flash» et d’«All Along The Watchtower». Dommage que cet abruti de Woody la ramène, il brise le charme. Quant aux quatre albums officiels des Faces, ils sont épluchés dans l’hommage à Woody mis en ligne en janvier dernier sur KRTNT.

    Côté dope, Rod ne rentre pas trop dans le détail. Ce n’est pas Johnny Thunders. Allez, un peu de coke au temps des Faces. Il en prend parce que bien sûr elle est gratuite. Par contre, Rod ne fume pas, il a peur d’esquinter sa voix - Cocaine was best of all - Quand avec Woody ils s’aperçoivent qu’ils ont des trous dans la paroi nasale, il se fabriquent des suppositoires de coke - Bingo, on a découvert que ça fonctionnait très bien - Il nous suffisait d’aller dans la salle de bains and insert the required medication French-style, via the Harris - Puis quand il se marie avec Dee, il devient un peu parano et interdit la dope à la maison, à cause des descentes de police qui devenaient de plus en plus fréquentes to poor old Keith Richards. Mais globalement, Rod veille toujours à garder le contrôle. Il ne veut pas se retrouver legless or face down and comatose. Vers la fin du book, il avoue qu’il n’a jamais acheté un seul gramme de coke. On le savait radin, mais pas à ce point. Même quand il veut payer un verre, c’est impossible, car il y a toujours quelqu’un qui veut lui en payer un.

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    C’est pendant qu’il vit avec Dee, de 1971 à 1975, qu’il change de mode de vie : «Maggie May» fait de lui une superstar. Il se retrouve au centre de l’attention, comme il dit. Il relate aussi un épisode bizarre qui se déroule au Tramp en 1977 : il relève un défi adressé par Keith Moon : booze and coke all nite long - Moon was always dangerous - Mais bien sûr Rod ne tient pas. Moon l’entraîne ensuite chez Woody, puis dans une party où ils ne sont pas invités et enfin chez lui à Chertsey et là Rod dit stop, ce qui fout Moony en pétard : «You fucking ponce, Stewart. Come back here and finish what you started.»

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    Rod s’arrête parfois devant son miroir pour faire le point : «God, j’adorais mon job à cette époque, et je l’adore toujours. Qui n’aimerait pas être une rock star ? Surtout dans les années 70. J’avais fait mon apprentissage dans les sixties et j’ai connu la consécration dans les seventies, une époque où tout était entièrement nouveau et surprenant. Personne n’avait vécu ça avant nous.» Rod s’installe aux États-Unis et redémarre avec Atlantic Crossing. Tom Dowd trouve que les Faces ne sont pas assez bons pour jouer sur les cuts que veut enregistrer Rod et propose les MGs à la place. C’est là qu’il entame sa période d’américanisation. Il perd tout son cachet de rocker anglais. Il perd aussi tous ses fans anglais. Il le sait puisqu’il en parle. Il évoque aussi tous les albums pourris qu’il enregistre à la suite, avec des chansons que lui impose la maison de disques - I was beginning to think of myself as entirely a voice to hire - Jusqu’au moment où il réussit à redresser la barre grâce à Clive Davis qui est le seul à trouver intéressante l’idée du Great American Songbook, à une condition : ramener le son des grandes orchestrations. Rod va en faire cinq volumes, sur lesquels on reviendra dans un Part Two. Car ces cinq volumes sont d’une certaine façon la cerise sur le gâtö.

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    Avec simplement deux boxes et si on manque de place, on peut faire le tour du propriétaire : Rod Stewart - Reasons To Believe: The Complete Mercury Studio Recordings et surtout The Rod Stewart Sessions 1971-1998 qui date de 2009. La deuxième box propose carrément quatre CDs de versions inédites des grands classiques du hot Rod. Ça commence par une early version de «Maggie May». Il se carapate vite fait dans la couenne de sa mélodie. Ce hit n’a rien perdu de sa grandeur totémique, surtout pour les adolescents qui montaient à Londres en stop et qui entendaient Maggie May dans les bagnoles. Tiré des sessions de Never A Dull Moment, voilà une early version d’«Italian Girls», co-écrit avec Woody. C’est le full blown des Faces, à l’âge d’or du rock anglais. C’est déjà très ouvragé, à tous les niveaux. On retrouve l’énergie du chant dans une alternate de «Lost Paraguayos», Quittenton gratte sa gratte et la basse entre dans la danse. Tiré de la même session, voilà «I’d Rather Go Blind» chanté au sommet du lard suprême. La beauté du chant n’en finit plus de subjuguer. S’ensuit une version fantastique d’«Angel», avec Woody in tow. Hendrix toi-même ! Dès qu’il ouvre le bec, Rod te fend le cœur. Il installe le rock anglais dans la lumière mythologique d’un espace préraphaélite. Les cuts tirés des sessions semblent toujours sonner mieux que ceux des albums, ils sont plus raw, moins lisses. Tiré des sessions de Smiler, voilà «Farewell» monté sur le modèle de Maggie May. Puis Rod the Mod rend hommage à Dylan avec «Girl From The North Country». Pas de meilleur hommage sur le marché. C’est écrasant de verdeur fanatique. Il est chaque fois au mieux de l’interprétation, comme le montre encore sa reprise du «You Make Me Feel Like A Natural Man» composé par Goffin & King pour Aretha. Il est fabuleusement juste. Immense artiste. Trop facile d’aller le critiquer. Il faut l’écouter chanter. Puis on entre dans la période Atlantic Crossing. Il enregistre une partie des cuts à Miami et l’autre à Muscle Shoals. Il chante avec un feeling écœurant. Le big cut est bien sûr «Tonight’s The Night», le hit absolu. Avec le disk II, on entre dans la période résolument américaine et Rod va y perdre des plumes. «Rosie» est enregistré à Los Angeles avec, entre autres, Steve Cropper et Carmine Appice. C’est autre chose. Rod fait le show tout seul. Il essaye de recycler son factory wall en Amérique, mais ça ne marche pas. Derrière lui, on sent la grosse équipe. Trop grosse. On perd la finesse de Mickey Waller. Rod continue de vouloir faire du boogie («Hot Legs»), mais c’est du boogie en plastique. C’est un peu comme si les musiciens américains tournaient le boogie des Faces en dérision. Rod redevient un chanteur d’exception lorsqu’il chante seul en s’accompagnant à l’acou : «You’re In My Heart». Il reprend de l’altitude avec «I Was Only Joking» - I’m not different alfter all - Hot Rod is back. Encore une merveille avec «Scarred & Scared», il dispose du même pouvoir que Dylan pour pousser une mélodie vers le firmament. Il se montre encore déchirant d’insistance avec cette reprise de Frankie Miller, «When I’m Away From You». Heureusement, tout n’est pas bon dans cette période d’américanisation. Quand il n’a plus de bonne chanson à se mettre sous la dent, il peut devenir pénible. Sa version du «Maybe Baby» de Buddy Holly est de toute évidence l’une des plus belles. Dans les pattes de Rod, ça devient énorme. Retour fracassant au vieux boogie avec «I Guess I’ll Always Love You». Il démarre son disk III avec un «Thunderbird» tiré des sessions de Tonight I’m Yours. Il se croit tout permis, même de faire du gospel. Le pire, c’est que c’est excellent, yeah yeah. Puis il s’enfonce dans le raunch de Los Angeles. Aucun des musiciens n’est connu. Terminé le temps de Jeff Beck et de Woody. Rod joue avec des pros de studio et ça s’entend, même si la voix est toujours là - Dancing alone - Mais quel chanteur ! Les pros de studio essayent de sonner comme des Anglais. Rod chante «Sweet Surrender» comme un dieu, il faut bien se rendre à l’évidence. Tout est superbe dans cette box, dès qu’il ouvre le bec, Rod est magnifique. Comment un mec peut-il être aussi doué ? Il fait le show, quoi qu’il arrive, il chante tout à l’arrache subliminale. Dans «Heaven», il ne reste plus que la voix. On n’écoute même plus ce que font les autres, derrière. Sur le disk IV, on trouve deux hommages à Bob Dylan : «The Groom’s Still Waiting At The Altar» et «This Wheels On Fire». Il enrichit sa fascination pour en faire du heavy dylanex. Cette box est de la dynamite. Le Wheels on Fire est tellement puissant qu’il donne la chair de poule. Rod le tape au heavy grrove. On tombe aussi sur le vieux hit de Python Lee Jackson, «In A Broken Dream», mais dans une version réactualisée. Seul un mec comme Rod peut allumer ça, alors il l’allume au power pur, comme il allume Dylan - Everyday I spend my time/ Feeling fine/ Drinking wine - Voilà le génie de Rod The Mod, il en rajoute, il lève ses petites tempêtes, il sort là une version dévastatrice. Il charge tous ses balladifs à l’extrême, comme le montre encore «Kiss Her For Me». Ça finit toujours par devenir extraordinaire. On tombe plus loin sur un «On And On» assez puissant, Rod prend feu. Il reprend aussi le «Rocking Chair» de Noel Gallagher et un cut de Paul Weller qui s’appelle «The Changing Man». Quel mélange ! Rod fout le feu partout.

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    L’autre box permet de faire le tour de l’époque Mercury qui est sans doute la plus intéressante après celle du Jeff Beck Group. Rod Stewart - Reasons To Believe: The Complete Mercury Studio Recordings regroupe sur trois CDs les cinq albums avec lesquels Rod The Mod a démarré sa carrière solo, en parallèle avec sa carrière dans les Faces. Vu d’avion, on est bien obligé de parler de carrière, mais en 1969, Rod The Mod se contentait encore de chanter et il fallait le voir taper dans la Stonesy avec «Street Fighting Man», il le cramait d’entrée, il le prenait à la Rod, droit dans l’œil, le sol vibrait, les Stones rêvaient sans doute de swinguer aussi bien, ça jouait derrière aux accords déconstruits, mais Rod chantait ça dans l’os du jambon, shhhh, il envoyait la Stonesy rôtir en enfer, il tournait Jag, Keef et le rock’n’roll band à la broche, il faisait de «Street Fighting Man» une sorte de version définitive. Voilà pourquoi on le prenait au sérieux. Oh cette façon qu’il avait d’attaquer ses vieux cuts, avec «Blind Prayer» il incendiait la nuit. Il était le brasero du rock anglais, ce que confirmait encore cette version somptueuse de «Handbags & Gladrags» qui rivalisait de power surnaturel avec celle de Chris Farlowe. Il pouvait aussi taper le boogie à l’anglaise («An Old Raincoat Will Never Let You Down»), puisqu’il avait Woody on bass et Mickey Waller au beurre. Ils restaient dans la foulée de Truth et de Beck Ola qui font partie des joyaux de la couronne d’Angleterre. Il fallait aussi le voir enflammer le lament de «Cindy’s Lament», un vrai killer, et ça repartait de plus belle avec Gasoline Alley, un album tout aussi impressionnant, avec cette version d’«It’s All Over Now» amenée à la déboulade de platform boots et chantée d’une voix de roi du rock, c’était tout simplement imparable d’I used to love her/ But it’s all over now. Rod The Mod était déjà devenu un artiste extraordinaire. Il rendait hommage aux Small Faces avec sa vision de «My Way Of Giving», pur jus de British Mythology. Il rendait un peu plus loin un autre hommage, cette fois à Eddie Cochran, avec «Cut Across Shorty», il lui rentrait dans le lard et le Shorty prenait feu aussitôt. Comme Jerry Lee, Rod The Mod travaillait toutes ses chansons au corps pour se les approprier. Et puis on arrivait à une sorte de sommet de l’art avec Every Picture Tells A Story, il devenait à la fois roi du rock et roi d’Angleterre, il fracassait des slowahs comme «Seems Like A Long Time» ou «Amazing Grace» et on glissait doucement jusqu’à «Maggie May», le hit de non-retour, le hit broyeur de cœur, l’overdose de nostalgie, l’Angleterre éternelle de notre adolescence, le plus puissant de tous les hits, le wake up magique du late september, fantastique swagger du rock de Rod, il le balançait au Rod island de Maggie, et ça montait encore d’un cran avec «Mandoline Wind» d’une pureté sans égale, il lançait ses mandolines et les frissons ravageaient tout, mais ça allait encore monter d’un cran avec l’«(I Know) I’m Losing You» des Tempts, il tapait cette fois dans le gros lard, il retrouvait les climats cataclysmiques de Beck Ola, il explosait son losing you et en livrait une mouture insurpassable. Avec Never A Dull Moment, il donnait l’impression de se calmer, mais «Lost Paraguayos» intriguait par son aisance instrumentale, ces guitares espagnoles donnaient le vertige, il semblait que tout, jusqu’à la moindre note, était hissé au sommet de l’art. Qui mieux que Rod the Mod pouvait cultiver l’insoutenable légèreté de l’être ? Il roulait son «Italian Girls» dans une farine de Stonesy, il chantait ça à la volée de bois vert et attaquait son hommage hendrixien («Angel») au raunch pur. Il semblait être en quête d’éternité, ce qui est la clé de la métaphysique de l’art. Avec «I’d Rather Go Blind», il fabriquait l’archétype du heavy blues de Soul, jamais aucun blanc n’avait chanté comme ça. Il attaquait Smiler avec un gros clin d’œil à Chuck, «Sweet Little Rock’n’Roller», c’est là qu’on entendait aboyer Zak, le chien de Mickey Waller et la machine infernale se mettait en route, par de meilleur shoot de down home boogie down, on avait là le boogie anglais dans toute sa magnificence, hyper-chanté, hyper-joué, Rod et ses amis battaient bien sûr les Stones à plates coutures, il bouclait toutes ses phrases au ollah, comme un matador. Il retrouvait son aura de boss absolu avec «Sailor», il explosait aussi Sam Cooke avec «Bring It On Home To Me», non seulement il l’explosait, mais il le magnifiait, il se marrait en plein couplet, bring out your sweet lovin’, il avait tous les pouvoirs, en plus du pouvoir royal, il disposait des pouvoirs du mage. Et puis comme dans toutes les boxes, il y a quelques bonus pour lesquels on se damnerait, du genre «You Put Something Better Inside Me» ou encore «Every Time We Say Goodbye».

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    Voici quelques temps paraissait dans Uncut une interview assez pointue de celui que Michael Bonner appelle the rock’s most celebrated playboy. Rod y rappelle qu’il a beaucoup aimé l’argent et la célébrité - Who wouldn’t? - Il répond ça à chaque fois, comme si au fond il avait un peu honte d’avoir tellement frimé. Mais bon, il n’est pas le dernier à rappeler qu’il a les moyens de sa frime. Et comme il aime bien rappeler qu’il n’est en fait qu’un fils de North London plumber parvenu au sommet, Bonner s’en émeut. Rod n’aurait donc que peu d’estime de lui-même ? Allons allons, calme-toi, Bonner. Un Bonner qui poursuit sur sa lancée et qui a sans doute lu l’autobio, car il révèle que Rod est construit sur deux valeurs, la famille et le foot. Il oublie le blé. On voit bien qu’il tente d’assainir la réputation de Rod. Il va lui falloir douze pages pour ça, et ce n’est pas gagné. Après la famille et le foot, arrive Dylan. Oui, on le sait, un Bonner n’arrive jamais seul. Le problème c’est que Bonner amène Dylan comme une caution intellectuelle. Rod évoque le first Dylan album qu’il écoutait night and day, mais il avoue s’être ennuyé quand il a vu Dylan sur scène. Il met d’ailleurs dans le même sac Van Morrison, qui passe deux heures sur scène sans lever la tête. Rod va même jusqu’à avouer que ses filles auxquelles il avait payé des places pour voir Van étaient sur leurs portables au bout de deux cuts. Et il nous refait le coup de la pirouette : «But he is great, so is Bob.» Comme il n’a pas fait d’études, Rod avoue avoir appris l’art d’écrire des chansons en écoutant du folk. Bonner le branche sur le Jeff Beck Group et les tournées américaines, et là ce frimeur de Rod raconte qu’il étaient meilleurs que Sly & The Family Stone - gave them a run for their money - et il ajoute : «We blew the Grateful Dead way off the stage.» Bonner tend ensuite une perche grosse comme une poutre à Rod à propos de Led Zep qui leur a volé leur thunder. Et Rod avoue que c’est vrai, Jeff Beck le vivait mal, Jimmy Page, John Paul Jones et Robert Plant venaient les voir jouer sur scène et prenaient des notes. Pour Rod l’explication est simple : «We had the same manager, Peter Grant. Prick he was.» Ce gros malin de Bonner branche Rod sur l’album que Robert Plant et Alisson Krauss ont enregistré ensemble, Raising Sand. Alors, oui Rod aimerait trouver la girl pour duetter sur du stripped down comme ça - Bonnie Raitt would be great - Il y pense. Chaque chose en son temps, mon bon Bonner. Rod rappelle dans la foulée qu’il a vendu 27 millions de Great American Songbook, alors t’as qu’à voir ! Quand Bonner prend l’exemple de Ronnie Lane qui a fini sa vie dans une caravane, Rod dit que oui, la caravane ça plaisait à Ronnie, mais lui il préfère avoir ses quatre baraques : une à Hollywood, une en Floride, une à Londres et une autre dans le Sud de la France. C’est tout Rod. Il ajoute que tout ça est destiné à ses gosses et qu’il a bâti cette fortune uniquement avec sa voix. Et il n’en finit plus dit-il de trouver ça amazing.

    Signé : Cazengler, Rote tout court

    Rod Stewart. Reasons To Believe: The Complete Mercury Studio Recordings. Mercury 2002

    The Rod Stewart Sessions 1971-1998. Warner Bros. Records 2009

    Rod Stewart & The Faces Live In London. Immortal 2007

    Rock Generation Vol. 6. The Steampacket. BYG Records 1970

    Michael Bonner : Never A Dull Moment. Uncut # 250 - September 2018

    Rod. The Autobiography. Century 2013

     

    Rock Hardi moussaillon ! - Part Two

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    Fanzine libre et autonome, Rock Hardi continue son petit bonhomme de chemin, va de ferme en château, chante pour du pain, chante pour de l’eau, Rock Hardi est heureux et libre enfin.

    Le point d’orgue du 58 est sans aucun doute l’interview d’Alain Feydri qui ne nous apprend rien de plus que ce qu’on sait déjà de sa modestie, de son refus du piédestal, de cette façon qu’il a rejeter les lauriers sur les autres, de son horreur des compromissions et de sa sainte constance contestataire, avec tout le décorum qu’il faut, surtout lorsqu’il évoque le Figaro et les rockers sombrés dans la beaufitude. On profite pleinement de ces six pages et de cette faconde périgourdine pas si éloignée du long fleuve tranquille de sa prose, une prose qui ne veut pas dire son nom et qui fait bien entendu le charme discret de son Bourgeois Blues. Lorsqu’il évoque ses anciennes admirations, il ressort les noms d’Alain Dister, de Jean-Noël Coghe, de Jocelyne Boursier, des noms avalés par l’oubli, et puis bien sûr Garnier, mais ça s’arrête là, il veille à ne pas faire trop étalage de sa culture littéraire qu’on devine planquée derrière le rideau de pourpre de sa bonhomie. Curieusement, ces six pages prennent tout leur sens, puisqu’il s’agit de l’interview d’un vétéran du fanzinat par un fanzinard, et c’est d’autant plus remarquable qu’il s’agit d’un propos qui se tient. On ne passe pas à travers, comme c’est hélas souvent le cas. Quand on avait retrouvé Gildas à Binic en 2019, dans la maison qu’il louait avec ce qu’il appelait «l’ambassade toulousaine», l’Azerty Blues d’Alain Feydri trônait sur le buffet. On tourne la page et sur qui qu’on tombe ? Gino & The Goons, un groupe que Gildas passait régulièrement dans le Dig It! Radio Show. Et quand il passait régulièrement un groupe, ça voulait dire ce que ça voulait dire. Le chapô a raison de dire que ce groupe reste confidentiel. Gino & The Goons sont basés en Floride et Tim Warren leur donne un coup de main au mastering. Gino dit aimer les Stones, Dead Moon, Link Wray et des tas d’autres gros trucs, il en a la bouche pleine. Ah ces Américains ! Ils ne savent pas s’arrêter. Par contre Dan Sartain sait s’arrêter, il fait preuve d’une étonnante modestie. Il a sans doute cassé sa pipe très peu de temps après cette interview. On y apprend qu’il travaillait à une époque dans une pizzeria et qu’il est ensuite devenu propriétaire d’un salon de coiffure (barber shop). L’homme paraît incroyablement désintéressé. Il rend un hommage furtif à John Reis, via Swami Records. C’est avec lui qu’il a enregistré deux de ses meilleurs albums (Dan Sartain Vs The Serpientes et Join Dan Sartain). On apprend plus loin que le film sur les Country Teasers - This Film Should Not Exist - n’est pas de Nicolas Drolc mais de Massimo Scocca et Gisella Albertini, qui avaient suivi la tournée Crypt en 1995. Ils avaient filmé en super 8. Mais comme ils ne savaient pas monter, c’est resté à l’état de rushes. Alors Drolc leur a proposé de «reprendre» le projet. C’est vrai que le résultat est surprenant, c’est un vrai film rock avec toutes les qualités de ses défauts. On en a parlé ici en novembre 2020. Drolc reconnaît que c’était «intelligemment filmé». Là où Drolc devient bon, c’est quand il explique qu’il n’a pas de retours presse pour la promo de ce film - mis à part les fanzines - parce que dit-il, «toute la presse musicale branchouille parisienne se fout éperdument des Country Teasers depuis 25 ans.» Bien vu. L’underground reste l’underground et c’est sans doute ce qui le sauvera. L’autre morceau de résistance du 58, c’est bien sûr l’interview de Little Bob que les Havrais appellent ‘Ti Bob. On peut même parler d’une interview fleuve. Chaque fois qu’il prend la parole dans la presse, Bob raconte des histoires rocambolesques, il entre dans les détails et on sent nettement le vécu. Il revient sur les deux Mont-de-Marsan (76 et 77) pour balancer quelques anecdotes croustillantes, on se croirait dans la cour du lycée, puis il attaque sur les tournées en Angleterre à l’époque où les punks anglais crachaient sur les musiciens : il nous sort l’histoire hilarante des 500 crachats sur Téléphone, en première partie des Ramones à l’Hammersmith. Il n’est pas très charitable pour Marc Zermati qui de son côté ne l’était pas non plus pour lui, mais ça c’est leurs histoires. Bob est tellement en verve que Rock Hardi doit lui couper la chique, il a déjà douze pages, donc il faut réduire la cadence. Alors Bob fait un crochet au Havre pour saluer les François Premiers, puis il raconte son concert à Matignon pour l’ancien maire du Havre qui était alors Premier Ministre. Tout cela nous replonge bien sûr dans des vieux souvenirs de concerts, notamment un set à la salle Sainte-Croix-des-Pelletiers, early seventies, où entre deux morceaux Bob demandait au public : «Est-ce que vous m’aimez ?», il faisait son Johnny et ce n’était pas du meilleur goût. Et puis un autre souvenir, plus tard, à la Villette, un copain appelle pour dire qu’il y a les Pretties sur scène, ah bon ? Alors on y va, mais c’est un set des Blues Bastards et effectivement Phil May apparaît pour faire les chœurs pendant les rappels. Épisode très bizarre, une sorte de monde à l’envers. Sur le CD du 58, on trouve deux cuts de Bob. Mais Gino & The Goons raflent la mise avec leur heavy Dig It! stuff. «Do The Get Around» est bien explosé, ces mecs sont des gros dingues de trash gaga-punk, c’est vite plié des gaules, Gildas ne s’était pas fourré le doigt dans l’œil, on a tout là-dedans, la dégueulante et les guitares qui saturent, pas de pire équipe sur cette pauvre terre ! L’autre grosse surprise, ce sont les deux cuts des Needs d’Aix qui ont aussi leur interview. Ils sont bons, ils jouent au bord de la perte d’équilibre, c’est noyé de son et ce mec épelle ses lettres dans le chaos, D, O, R, A. Encore mieux : leur «Dead Fish» est digne des Heartbreakers. Chapeau bas.

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    On reste dans les ténèbres de l’underground avec le 59 et El’Blaszczyk. Pour se rappeler comment ça s’écrit, il faut juste mémoriser le sz-cz, après ça revient tout seul. Là, on entre non pas sur les terres du Comte Zaroff mais sur celles de Mono-Tone, le label underground par excellence. Et comme le chapô parle de Dada, c’est dans la poche. Et en plus, El’Blaszczyk se réclame de «Vian, Yanne, Averty et Mocky». Il a tout bon. D’où sa nostalgie. Nostalgie d’une époque qu’il aurait voulu vivre. Passion pour les apéros démodés et pour les apéros atomiques du futur. Puis dans le feu de l’action, il cite des héros du temps passé : Boby Lapointe, Pierre Vassiliu et Ricet Barrier, Hector et Henri Salvador, Ginette Garcin et Arletty, et puis Fernandel pour «sa diction hyper-articulée». Ça fait des bulles dans Rock Hardi ! On trouve d’ailleurs deux cuts d’El’Blaszczyk sur le CD du 59, «Pop Scoteka» et «To Jest Drogo». C’est du rococo aquatique, pour y entrer, il faut chausser des palmes et ne pas oublier le tuba. Plus loin, Alain Feydri interviewe les Toulousains de Don Joe Rodeo Combo, qui disent vouloir marier Link Wray à Baudelaire et qui en sont à leur troisième album. Démarche intéressante et références intéressantes (MC5, Gainsbourg, Count Five). Alors on écoute «Rien Dans le Cœur» pour se faire une idée. Joli coup, c’est bien foutu, bien monté, bien introduit dans la vulve du son.

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    Puis Rock Hardi salue bien bas le nouvel album des Demolition Doll Rods, qui arrive quatorze ans après la bataille. On sait tout de la reformation et bien sûr Larry Hardy fait paraître l’album sur son label. On y reviendra, c’est sûr. Quant à Paul Roland, il n’évoque pas Fernandel ni Boby Lapointe, mais Bram Stoker et MR James. Il rappelle qu’il fut dans les années 80 sur New Rose et Bam Caruso, ce qui fait de lui un artiste culte, un de plus. Comme on ne le connaît que de nom, on profite des deux cuts que propose le CD : dark folk capiteux, ce mec cherche la petite bête dans les dark shades. C’est un autre monde, loin là-bas, comme dirait Huysmans, mais avec un étrange goût de revienzy. Oh ! Voilà les Psychotic Youth, reformés à la demande de Kurt Baker, un autre chouchou de Gildas. Comme le monde est petit. Les Psychotic Youth furent à une époque les rois de la power-pop. Attention, cette équipe de popsters suédois compte parmi les plus puissantes du monde. La compile Bamboozle parue en 1994 offre un joli panorama des Psychotic possibilities. Bien bombardée au bassmatic, leur reprise du mythique «When You Walk In The Room» de Jackie DeShannon pourrait bien te faire tomber de ta chaise, on t’aura prévenu. Par contre, «Summer Is On» sonne trop pop, trop sunshine, à force de bonne humeur et de dents blanches. Disons qu’ils passent leurs Nerves. «MTV» ne manque pas de power et «Mercy» confirme l’excellence de la globalité. Si on en pince pour les Nerves, Psychotic Youth est une bonne adresse. On sent même une certaine virtuosité poppy dans «Elevator Girl». Ils évoluent à un très haut niveau frénétique, c’est sûr. Ils finissent l’A avec l’excellent «Hang Around», pur jus de juke. Ils reviennent en B niaquer «How Long Will It Take». C’est une compo de Peter Case, ce qui ne surprendra personne. Ils passent au blasting pop-punk avec «Hot Red Girl», très joué, très rythmé, très sain. «Speak The Same Language» sonne aussi comme un hit et ils stompent «The Girl’s Alright» à l’exaction psychotique, ce qui paraît logique pour des Psychotic Youth. Le conseil qu’on pourrait donner serait de ne pas les perdre de vue. Ce que fait très bien Rock Hardi, qui en plus balance dans le CD un joli shoot de «Take You Down». Avec ça, ils sont tout de suite au power-top de la power-pop, avec du son, des chœurs et de la wah qui giclent dans tous les coins. Et juste avant eux Johnny Jetson casse bien la baraque avec un «Love Me For My Car» bourré de ferraille et de swagger, il fait un glam de dépouille et c’est excellent. Il récidive aussitôt après avec «Knocked Out», il ramone le créneau de la cheminée, c’est-à-dire qu’il joue avec le feu du power gaga-punk. Et puis Rock Hardi tend son micro à Nicolas Moog dont le big Underground fait actuellement la une de l’actualité bédéto-éditoriale. Tout le monde en parle, une expo est même prévue au 106, avec un concert du groupe de Moog, Thee Verduns. Moog parle d’un ton très direct, sans fioritures, il n’aime ni les patrons, ni les banquiers et dessine dit-il pour survivre.

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    Un peu plus loin figure la chronique d’une compile intitulée Sous Le Soleil Du Midi. Belle coïncidence, puisqu’on en a rencontré l’instigateur voici deux semaines chez Parallèles, aux Halles. L’homme est très attachant et très féru, et la moindre des choses est d’écouter cette compile qu’il n’hésite pas un seul instant à offrir. Elle raconte l’histoire «du temps où Montpellier rockait», le temps du «french punk rock» des années 80, et l’époque où Raph a monté son studio, La voix de son chien. Dans le petit texte de présentation, il rend hommage à OTH et aux TV Killers qui sont dit-il les parrains du projet, et qui ont chacun deux cuts sur la track-list. Trois choses. Un, à l’écoute de l’ensemble, on sent pointer un réel enthousiasme. Comme la scène toulousaine, celle de Montpellier devait être joyeuse et bourrée de cette énergie festive qu’on appelle aussi l’énergie de l’apéro. Here we go ! On va voir jouer des groupes pour s’amuser. Deux, on trouve pas moins de six hommages à Johnny Thunders, tous bien calibrés, à commencer «You Can’t Get Your Arms Around A Memory» repris par le Général Alcazar, oui oui, celui de l’Oreille Cassée. On trouve un peu plus loin une solide version de «Pipeline» signée Jeff Dahl, aussi solide peut-on dire que celle qui ouvre le bal de So Alone. The Electric Buttocks trashent l’«All By Myself» des Heartbreakers, on ne sait pas si c’est délibéré, mais ça passe comme une lettre à la poste, comme quoi il faut parfois savoir se montrer inonoclastic. Puis la Deconnection tape le «Treat Her Right» qui se trouve sur Copy Cats, ils sont bien dans l’énergie de l’hommage, quelle belle avoine ! Les Mystery Boys s’éreintent à vouloir jouer l’un des cuts les plus difficiles à jouer, «Personality Crisis», et ça se termine avec Chris Waldo et un «In Cold Blood» gratté dans l’aléa. On aimait bien Johnny Thunders à Montpellier, c’est la deuxième bonne nouvelle de la compile. Trois, on a droit à une petite révélation. C’est la raison pour laquelle on écoute les compiles. Cette fois, la révélation s’appelle Splurge. Comme OTH et les TV Killers, ils ont deux titres, dont un «Watch Out» qui ouvre le bal. Après une intro de basse incertaine, le Watch Out est vite rattrapé par les requins, c’est-à-dire la guitare disto et le chant qui veut bien. On dresse l’oreille car le mec chante bien. Splurge est heavy on the sludge. Ils sortent une véritable purée à l’anglaise. Ce que va confirmer «You». Le mec chante à l’héroïque, comme Johnny Rotten. Fantastique qualité du chant doublée d’une fantastique qualité du jeu de guitare. Sinon Raph jouait avec son groupe les Rabbit Stoïks un heavy punk de la nuit tombée qui tenait bien la route. On entend aussi les Circlips ferrailler leur «Bill Gates» et il faut attribuer une mention spéciale au batteur des Brain Sneakers car il bat «Bad Girl» à la diable vauverty. On entend rarement des mecs battre aussi sec et sick. On l’entend moins dans «Crazy Hospital» car ce brûlot est couvert par les guitares. On ne peut pas tout avoir.

    Signé : Cazengler, Rock Hardu

    Rock Hardi # 58. Fanzine libre et autonome.

    Rock Hardi # 59. Fanzine libre et autonome.

    Sous Le Soleil Du Midi. La Voix de Son Chien 2021

     

    L’avenir du rock

    - La nuit tous les chats sont Grys-Grys

     

    En quête d’exotisme, l’avenir du rock se paye un voyage en Jordanie. Petit, il a lu et relu Coke En Stock et il s’est juré qu’il irait visiter Pétra, la cité sculptée dans la roche, quand il serait grand, et qu’il ferait ça à cheval, comme Tintin et le capitaine Haddock. Il arrive à Amman, pose son sac à l’hôtel et se rend au marché pour acheter un cheval. Mais ce n’est plus la saison. On lui propose un dromadaire. Bon d’accord. Le lendemain à l’aube, il part en direction de Pétra avec un équipement léger et sa boussole. Bon, la boussole, c’est de la frime, il n’a jamais su s’en servir. Il faut savoir que l’avenir du rock a ses petites manies, comme tout le monde.

    À la sortie de la ville, un paysan lui indique la direction.

    — Wallah wallah, sahib !

    Il fait route pendant tout le jour, dodelinant au sommet de son dromadaire comme Lawrence d’Arabie. De temps en temps, il sort sa boussole, mais il ne comprend rien. Le soleil se couche et il se retrouve en plein désert. Comme il a la trouille des serpents et des araignées, il reste perché sur son dromadaire pour somnoler. Bien sûr, il se casse la gueule. Il ordonne au dromadaire de s’agenouiller pour pouvoir remonter.

    — Yallah !

    Il remonte en selle.

    — Yalloh !

    Le dromadaire se redresse.

    Pendant trois jours, l’avenir du rock erre dans le désert. Il ne se doute même pas qu’il est arrivé en Syrie. Et pouf, pas de pot, il tombe sur une patrouille de l’État Islamique qui l’accuse d’être un espion américain.

    — Amelican ! Amelican !

    Ils le ramènent au camp pour le décapiter. L’avenir du rock n’a pas besoin de comprendre l’arabe pour savoir ce qui lui pend au nez. On le jette dans une cabane après l’avoir roué de coups.

    Pas de remords. Se planter, ça arrive à tout le monde, même à l’avenir du rock. Pour dédramatiser, il sort sa phrase favorite : La nuit tous les chats sont Grys-Grys... Après tout, finir comme Danton et Robespierre, c’est quand même plus classe que de finir dans un Ehpad à la mormoille.

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    En 2019 paraissait le premier album sans titre des Grys-Grys, l’album du phare, comme on dit chez les Bretons, puisqu’on les voit photographiés au sommet d’un phare. Ils sont toujours dans le british Beat, mais avec un parfum psyché extrêmement capiteux. «The Day» n’est pas très loin des Sorrows. Sous la peau du beat, ça gronde d’excellence, notamment dans «Brother Tobio». Ils se livrent à de sacrées remontées d’intérêt général. Mais ça commence vraiment à chauffer en fin d’A, avec «Got Love», qui est lancé comme Boom Boom, avec un rentre-dedans de revienzy à l’anglaise. Et ça continue avec «Satisfy The Lord Of Anarchy», un exercice de style digne du raunch des early Stones. Pas de problème, les Grys-Grys savent couler un bronze. C’est même un sacré coup de génie. Le festin se poursuit en B avec l’effarant «In A Loop». Ils rentrent dans le lard de la mad psyché et les ponts sont dignes non pas de la rivière Kwaï, mais de la rivière Who, alors t’as qu’à voir. Ah mais ce n’est pas fini ! Voilà qu’arrive au galop «She Just Left» un solide boogie blast embarqué à coups d’harmo, bien râblé et joué dans la chaleur de la nuit. Quelle violence, c’mon ! Ils sont en plein essor avec «Daylight Robbery», un boogie rock à la sauce sixty-five, leur son tient du meilleur teenbeat anglais, all the rage, ils naviguent au même niveau que les Downliners, les Pretties et les early Stones. Encore une horreur d’exaction parégorique avec «It Ain’t Right». Ils labourent les côtes du lard et alimentent la polémique. Rien de ce qui est excellent ne leur est étranger.

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    Leur deuxième album paraît sur Norton cette année et s’appelle To Fall Down. Pochette fantastique, l’image rivalise de grandeur tutélaire avec celle de la pochette du deuxième MC5, photo noir et blanc de backstage fumant, wow wow wow, back in the USA ? On se frotte les mains, miam miam, on lance l’A et on tombe sur un «I’m Going Back» assez classique qui peine à gicler, même s’il sonne bien les cloches. Comprenez qu’on attend des miracles de ces mecs-là. Pas facile de vouloir créer la sensation en permanence, ce n’est pas automatique et ce n’est pas non plus un métier. Il faut être béni des dieux pour ça. Ça devient poppy avec un «Tell Me» qui ne fonctionne pas et «Watching My Idols Die» renvoie sur l’Heart Of Stone des early Stones. L’A retrouve enfin des couleurs avec un «See Me Frown» plus psyché, chauffé à coups d’harmo, un Frown qui renoue avec les sixties et l’évangélisation de la jeunesse américaine par les tenants et les aboutissants de la vieille Angleterre. Tu cherches la viande ? Elle est là, en B, avec «Milk Cow Blues», amené au Downliners stomp, en fourbasse, par en dessous. C’est là qu’ils sont bons, dans le raw de l’heavy British beat, dans l’aube claire du rock anglais, ils sont dans le Don Craine et le Phil May de l’origine de tout. L’autre hit de l’album est le morceau titre qui referme la marche. Belle cavalcade, ils restent dans la fière allure avec une basse bien sous-jacente et un killer solo flash salement envenimé. Ils adorent le son bien ferme sous la peau du beat, avec des guitares dans le coin de l’oreille, comme celles des Groovies et des descentes de chant dignes de celles de Roy Loney.

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    Ce serait bête de faire l’impasse sur les premiers singles des Grys-Grys qui étaient certainement les plus explosifs. Bon exemple avec «Left Unseen/It’s Mighty Crazy», joli slab de fuzz punk rave up, ultime purge de surge, digne des géants du genre, surtout le Mighty Crazy de Lightning Slim que les Grys-Grys font sauter à la dynamite.

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    Les Grys-Grys auraient splitté. L’avenir de rock a raison, la nuit tous les chats son Grys-Grys.

    Signé : Cazengler, gras-gras

    Grys-Grys. Les Grys-Grys. Groovie Records 2019

    Grys-Grys. To Fall Down. Norton Records 2021

    Grys-Grys. Left Unseen. Dirty Water Records 2015

     

    Inside the goldmine

    - Alice au pays des merveilles

    Allongé sur la plage, il scrutait l’immensité du ciel. Il réalisa soudainement qu’il n’était pas grand chose, comparé à cette immensité et ce sentiment lui plut énormément. Par contre, sa bite en érection le ramenait aux réalités terrestres. Il avait tellement la trique qu’il voyait le gland pointer sous l’élastique du maillot de bain. Il faisait déjà chaud sur la plage, il sortait de l’eau. Il venait de passer sa première nuit dans les bras d’une gonzesse. Son esprit et son corps d’adolescent étaient encore en chantier. Elle s’appelait Alice et elle l’avait invité dans sa tente au camping. Elle venait de Cherbourg et sa mère tapinait sur le port. Alice avait des seins extraordinaires et il ne comprenait toujours pas pourquoi elle avait opté pour lui, et pas pour l’un de ces beaux mecs un peu plus vieux, comme Mao et Philou qui avaient du poil sur la poitrine et des grosses rouflaquettes. Ces mecs se baladaient sur la plage avec leurs paquets de clopes glissés dans l’élastique du maillot de bain. Ils venaient des banlieues et portaient des tatouages dans le dos et sur les bras. Ça nous faisait tous rêver. Il se remémorait toutes les secondes de cette première nuit, il se revit se glisser dans le duvet qu’elle avait ouvert, puis il la revit défaire son soutif et tout le bataclan à la suite, la motte, la main, laisse-moi faire, et puis la voix de sa mère dans la tente voisine, fermez-vos gueules, on voudrait bien dormir. Il sentait que sa bite allait exploser. Alors pour calmer le jeu, il retourna à l’eau et nagea un peu. Puis il revint s’étendre sur le sable mouillé, et se mit à chanter un truc qu’il aimait bien et qui passait à la radio cet été-là - J’avais dessiné sur le sable/ Son doux visage qui me souriait/ Puis il a plu sur cette plage/ Dans cet orage, elle a disparuuuu - Il ne comprenait rien à ce sentiment nouveau fait d’attirance sentimentale et de désir animal, alors il se mit à hurler : «Et j’ai crié/ Crié/ Aliiiiiice/ Pour qu’elle revienne/ Et j’ai bandé/ Bandé/ Oh j’avais trop la triiiiiique !».

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    Évidemment, Alice Clark n’a rien à voir avec l’Alice de la plage abandonnée. Alice Clark est une petite black que Lewis Carroll aurait pu choisir s’il avait bien sûr possédé un tourne-disque. Pour ceux qui la connaissent, Alice Clark c’est Alice au Pays des Merveilles. Il n’existe qu’un seul album d’Alice paru en 1972, un album sans titre. Et puis Ace qui fait toujours bien les choses a sorti en 2010 The Complete Studio Recordings 1968-1972, sur lequel on s’est tous jetés.

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    Attention, Alice Clark est un peu à part. Le mec qui la présente pour Ace, Dean Rudland, parle d’acid jazz et de modern soul scene et bien sûr ce sont les Anglais qui l’ont redécouverte dans les années 90, ce qui a fait flamber le prix de l’album paru en 1972. L’album original vaut aujourd’hui 500 euros. Par chance, il a été réédité. En tout, elle n’a enregistré que quinze cuts, dont dix figurent sur son unique album. Comme les Crystals, avec lesquelles elle partageait d’ailleurs le même manager, Alice venait de Brooklyn. Elle tenta de percer pendant trois/quatre ans, puis nous dit Rudland, elle s’est retirée du biz pour s’occuper de ses enfants. Rudland a fini par retrouver sa trace via l’un de ses sept petits-enfants, Ace Clark, qui explique qu’Alice a cassé sa pipe en bois assez jeune, en 2004 et qu’elle n’a jamais su qu’elle était l’une des reines des dance-floors britanniques. Reine tout court serait-on tenté d’ajouter.

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    Oui, rien qu’à la voir, que ce soit sur la pochette de son album ou sur celle de la compile Ace : elle a le port d’une reine de Nubie et des seins extraordinaires, comme l’autre Alice, justement, celle de Cherbourg. Dès l’«I Keep It Hid» de Jimmy Webb, on assiste à un stupéfiant concassage du rythme, le son s’étale dans l’éclat d’un matin magique, elle transforme la Soul en mer étale, avec une fabuleuse dynamique d’acid jazz - Maybe someday - C’est l’un des sommets de l’art. L’autre coup de génie s’appelle «It Takes Too Long To Live Alone». Elle attaque son groove de jazz de front, elle se swingue à la vraie vie, elle est dans cette puissante certitude, dans les tréfonds du sensible, elle chante à l’intelligence pure du son, elle ne module que des pulsions et des émotions, elle en jette partout, elle rayonne d’espoir, elle devient une merveille inexorable, elle poussent des ahhh qui atteignent les zones érogènes. Avec l’«Hey Girl» d’Earl de Rouen (qui est le percussionniste de Donny Hathaway), elle entre dans le lard de la Soul par le jazz, c’est stupéfiant d’audace, elle va droit sur Sarah Vaughan. Et le solo de sax vaut bien ceux de Charlie Parker.

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    L’autre info essentielle, c’est que l’album est sorti sur le label de Bob Shad, Mainstream. Shad était un amateur de jazz qui se mit à sortir des albums de rock quand il a vu que ça se vendait, notamment le premier album de Big Brother, puis il est passé à la Soul avant de revenir à ses premières amours, le jazz. Et Alice. On trouve aussi trois cuts de Bobby Hebb sur l’album, notamment l’excellent «Hard Hard Promises» qu’Alice chante par dessus les toits, elle pousse son bouchon tant qu’elle peut. Hebb signe aussi l’excellent «Don’t You Care», embarquement pour Cythère immédiat, elle swingue sa Soul comme une reine de Java, elle grimpe au sommet des bouquets de cuivres, elle fonctionne au vif argent, elle court dans le son comme le furet, elle brille de mille feux, elle règne sans partage sur l’acid jazz, don’t you care ! Elle tape un autre hit d’Hebb, «Charms Of The Arms Of Love», plus groovy, elle s’y faufile néanmoins comme une déesse, et là on arrive une fois encore au paradis. Et puis voilà les inédits, «You Got A Deal» de Billy Vera, on se croirait sur un album d’Aretha, c’est exactement le même son, elle monte bien sur ses grands chevaux. Autre merveille arrachée à l’oubli : «You Hit Me (Right Where It Hurt Me)», qui est en fait son premier single, paru en 1968. Elle déroule bien sa Soul sur l’horizon, avec une belle basse voyageuse dans les parages. Comme Aretha, elle va chercher sa viande de Soul, c’est très au dessus de la moyenne. Sur la B-side de ce premier single se trouve «Heaven’s Will (Must Be Obeyed)», une heavy Soul visitée par la grâce. On comprend que les Anglais aient craqué. «Never Did I Stop Loving You» figure un single Acid Jazz paru en 2004 : elle entre dans le lagon du groove comme Marvin, et derrière elle ça joue au jouissif définitif, avec des échelles de cuivres et une basse qui fait le grand écart, alors elle s’abandonne aux montées de fièvre et coule Broadway dans l’éclat de la Soul, un mec derrière bat le beurre du diable à la cymbale, elle claque son loving you à l’Aretha, avec les coups de reins de Nina Simone et l’exubérance en plus. Never ! Cette femme sait se fondre dans l’or du Rhin. Avec «Say You’ll Never (Never Leave Me)», elle se lance dans une Soul aventureuse, elle occupe tout l’espace, elle module au fil du chant une Soul qui ne demande qu’à éclore, elle réussit même l’exploit de chanter comme une jeune prodige, à l’accent innocent.

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    Signé : Cazengler, tête à clarks

    Alice Clark. Alice Clark. Mainstream Records 1972

    Alice Clark. The Complete Studio Recordings 1968-1972. BGP Records 2010

     

    *

    Diable un groupe américain qui portent un nom français, Forêt Endormie ferait-il des émules ! En plus une pochette pleine nature ! Quoique si on zieute d'un peu plus près, d'accord pour les arbres et le ciel bleu, mais cette espèce de brume quasi-invisible avec cette drôle ( pas du tout rigolote ) ambiance, hum-hum serais-je sur une fausse piste, d'autant plus que ça ne colle pas avec le label P. O. G. O. Records, les accointances du rock avec le mystère Symboliste et les climats à la Debussy, ce n'est pas tout à fait le rayon de Pour des Oreilles Grandes Ouvertes, tape en règle générale plutôt dans la tonitruance, d'autant plus que Curse ne se traduit pas par course forestière et encore moins par promenade champêtre, mais par malédiction. Ce qui change la donne. De surcroît, ces derniers temps ILS a fait beaucoup de bruit dans le Noise. Esgourdes fragiles abstenez-vous de cette chronique. Inutile de me chercher noise, car vous trouverez. Tant que l'on est dans les traductions, sachez que le nom du groupe ne se traduit pas, l'est nécessaire d'effectuer une translation, chacun la sienne, moi je propose le mot FILS ( pas celui ou ceux du papa, ceux de la couturière ) euphoniquement, orthographiquement il s'en rapproche, et puis les fils se faufilent là où ils en ont envie, et s'ils ne sont pas d'accord avec un de leurs points d'arrivée, il ne leur reste plus qu'à couper un fil pour recouvrer leur liberté pleine et entière. De fil en aiguille et d'aiguille en anguille ( EELS en anglais ) on ne perd pas le fil...

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    ILS n'est pas un groupe de débutants, z'ont déjà jeté leur gourme dans plusieurs formations, apparemment il leur en restait, n'avaient pas épuisé les stocks de la prime jeunesse. Les Etats-Unis regorgent de groupes hardcore, dépliez la carte, ILS provient de l'Oregon tout en haut, à gauche, comme par hasard au-dessus de la Californie – sacré nid de frelons – séparé du Canada par l'Etat de Washington. Port d'attache : Portland, cité verte et populeuse, cherchez l'erreur, sise au confluent de la Columbia et de la Willamette, de l'eau et des arbres, tout pour calmer les esprits, apparemment pas en assez grande quantité pour apaiser notre quatuor infernal. Comme quoi les mêmes causes ne produisent pas obligatoirement les mêmes effets. Relisons Aristote.

    Revenons à cette constatation de nuées de groupes de rock, c'est idem dans de nombreuses expressions artistiques, littérature, peinture, cinéma, graphiste, etc... sans doute en fut-il de même dans les siècles précédents, au prorata de la population préciserons-nous, à part que de nos jours avec la surmultiplication des moyens techniques et de communication, les artistes creusent souvent dans une même direction, leur pré carré est cerné de près par une foultitude de concurrents, l'on n'est pas loin des concessions de quelques mètres carrés attribuées aux mineurs lors de la ruée vers l'or. Rares sont les pépites de dix mille carats... la poudre d'or de la notoriété s'avère rare et volatile... Conséquence le public se retrouve confronté à un vaste choix qui l'emmène à explorer et à s'enfermer en un style qui lui agrée particulièrement. L'état de la création rock ressemble à ces marchés de producteurs locaux dont les étals finissent par s'uniformiser. Il est si difficile de leur établir une identité propre que l'on en vient à définir les groupes, non pas selon leur apport intrinsèque différentiel, mais en citant les noms de formations desquelles ils se rapprochent, ou dont ils se sont inspirés... Les générations rock se renouvellent vite, à tel point que les différents styles se talonnent de près et s'emmêlent les guiboles, ce pointillisme stylistique trahit la richesse et l'impasse du genre Metal... Ceci n'est pas une critique, aujourd'hui peinture et graphisme, pour ne prendre qu'un seul exemple, connaissent la même extravagante dilution... Pourquoi présenter tel groupe et pas un autre... Ne nous cachons pas derrière l'arbre qui cache la forêt de nos incertitudes en répondant que justement la prochaine fois nous en évoquerons un autre... Ce qui nous intéresse dans ILS ce n'est pas leur musique, mais leurs musiques en leur unicité, se servent à volonté de tout ce qui a précédé, hard, heavy, metal, punk, hardore, et poussent le tout vers le point de non-retour du noise, celui-ci entendu non pas comme rupture bruitiste du début du siècle précédent, mais comme un ressourcement de et dans l'agonique pâmoison finale de la musique classique européenne, celle-ci se complaisant à délaisser la mélodie pour ne garder que les dissonances extraverties du rythme. Le metal suit une courbe parabolique parallèle à l'aventure jazz... A la recherche de son point oméga. Chardinique, en quelque sorte, mais dépouillé de toute connotation christologique, réduit à sa plus simple expression conceptuelle.

    PAIN DON'T HURT

    ILS

    ( P. O. G. O. Records / 02 / 01 / 2019 )

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    La couve est sans appel. Sont prêts à engloutir la pomme du monde. Une faim si dévorante que le dentier aux lèvres en ailerons de requin s'est évadé de sa gangue de chair humaine qui l'abritait. Poursuit son chemin tout seul, n'a peur de rien,

    Vocal : Tom Glose / Guitar : Nate Abner / Drums : Tim Steiner / Bass : Chritopher Frey )

    No luck : grabuge à l'horizon, pas de chance vous êtes juste sous la ligne d'horizon, à l'endroit exact où la voûte stellaire et la croûte terrestre entament un duel à mort. La musique dégouline sur vous comme une vomissure visqueuse qui glisse et se renouvelle sans cesse, un torrent de déglutition dégoûtante, que vous aimeriez retenir dans vos deux mains afin de boire à cette diarrhée kaotique, et là-dessus surnage le cadavre pustuleux d'un chat écorché encore vivant, c'est la voix de Tom Glose qui vous emporte où vous voulez plus profond que l'enfer, plus haut que le paradis, il crie comme le tigre griffe et entaille, au loin résonne l'éperon triomphant d'une guitare. It's no lard, but it's just a cyst : j'essaie de vous rassurer par ces quelques mots explicatifs, souvent ILS accole aux trois lettres de son nom trois autres, PDX, qui comme chacun sait sont le sigle qui en aéronautique désigne l'aéroport de Portland, dans le même ordre d'idée ILS désignent aussi un système d'atterrissage sans visibilité... maintenant elles ont aussi une autre signification, médicale, biologique, elles désignent le processus qui consiste à instiller dans le corps d'une souris de laboratoire une bouture d'un cancer humain, pas de panique ce n'est pas du saindoux, c'est juste un kyste ! Douze secondes d'un coureur de Formule Un qui appuie un peu sur son accélérateur ( peu écologique ) en attendant que le signal du départ soit donné, en fait tout irait bien, le moteur BDG ( Bass, Drums, Guitar, mémorisez je ne répèterai pas ) ronronne à fond, une régularité exemplaire, hélas, ils vous en veulent, z'ont prévu de ne pas vous laisser vous assoupir, alors Tom Glose se surpasse, l'a la glossolalie ultra rapide et puissante, à lui tout seul il empêche un arrondissement de Paris de dormir en toute quiétude, les mecs tirés de leur sommeil se croient enfermés dans un cauchemar, se jettent par la fenêtre pour y échapper. Une chance pour vous, les morceaux ne sont pas longs, vous éviterez le grand plongeon. Northstar : tout le monde le sait mais je le rappelle, l'étoile polaire est le signe scintillant de l'axe invisible qui a permis aux extraterrestres de descendre sur terre pour apporter la civilisation aux brutes préhistoriques que nous étions, tendez l'oreille vous entendrez le frou-frou furtif de leurs entité frôlant l'axe du monde, hélas ils ne descendent pas, ils remontent, dégoûtés de notre humanité, le Gloseur de service tente de nous l'expliquer calmement ( tout est relatif ), mais la population de la planète ne l'écoute pas, alors sa voix se charge d'acrimonie indigeste, il hurle, il prophétise tous les malheurs qui roulent en avalanche sur nous. Sûr qu'à l'entendre dégoiser si abruptement l'on perd et le nord et l'étoile, chamboule notre comprenette, ne nous reste plus qu'à nous cacher sous le lit comme les chiens qui ont peur de l'orage. Curse : un malheur n'arrive jamais seul, la malédiction est prononcée, elle est scandée et martelée très fort au début, mais la batterie roule les galets de la mer sur vos pieds et un océan de guitares déferle et emporte tout sur son passage, ne reste plus rien qu'un brouillamini de stridences qui finissent par s'éteindre. For the shame I bring : imaginez que dans un cimetière un million de mammouths congelés dans le permafrost sibérien se réveillent et entreprennent de marcher sur les riches pâturages de l'Europe occidentale, le Gloseur est sur l'échine du plus vieux pachyderme, la basse imite le grondement de cette armada, et la batterie lance la horde au triple galop. Nous en veulent en mort, l'on ne sait pas pourquoi, ils renversent les immeubles et ravinent les autoroutes, non contents de notre sort nous commençons à avoir honte de nos propres faiblesses. Ouf, ils sont déjà passés, arpentent l'Atlantique, laissons-les à leur œuvre de colossale destruction. Il ne nous reste plus qu'une seule solution après ce cataclysme sonore, il nous faut tenter de survivre ! Guère facile.

    CURSE

    ILS

    ( P. O. G. O. Records 147 / Vicious Circle / Juillet 2020 )

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    Vocal : Tom Glose / Guitar : Nate Abner / Drums : Tim Steiner / Bass : Adam Pike )

    Les petits futés l'auront remarqué de leur œil de lynx, sur dix titres cinq étaient déjà sur le premier opus. Fallait ouvrir les deux globules, le bassiste a changé, ils ont réenregistré le club des cinq, à leur manière, quand ils repeignent leur cuisine, ne se servent pas du pinceau, usent du bulldozer.

    Bad parts : d'après moi, ils font un concours à celui qui fera le plus de bruit, à la batterie Steiner ne se retient plus, à la guitare Nate Abner compresse les riffs, et la basse Adam Pike tire le cordon funèbre pour arrêter les convois funéraires qui passent au triple galop dans la rue, un jeu comme un autre, quant à Tom il vous envoie le vocal à la figure, il doit confondre avec un nid de vipères, n'empêche qu'ils font des efforts, z'ont réussi à tenir une rythmique sans que le train ne déraille. Curse : la Malédiction 2, ce coup-ci Tom vous découpe les mots au chalumeau, derrière ils se font tout petit, jouent en pointillés, pas trop fort, pas vite du tout, n'ayez crainte les mauvais côtés de leurs individualités délétères reprennent vite le dessus et l'on sombre corps et bien dans un immonde charivari, la guitare a attrapé la tremblante du mouton enragé, Steiner doit avoir quelques comptes à régler avec l'Humanité, ce doit être ce que nous conte Tom dans sa bouillie de grumeaux de gros mots irradiés. Don't hurt me : miracle un vrai riff introductif, c'est vrai qu'ils sont sages sur ce morceau, bien sûr il ne faut pas faire attention à ce type bloqué dans un embouteillage depuis trois heures et qui klaxonne comme un madurle, les bonnes vieilles habitudes se radinent au bout de trente secondes, ne peuvent pas tenir un morceau jusqu'au bout, c'est plus fort qu'eux, il faut qu'ils le salopègent, qu'ils le transforment en un truc inécoutable, le genre de vacarme dont on se sert pour réveiller les zombies dans leur cercueil. Quand vous serez six pieds sous terre, cela vous semblera délectable. No luck : pas de chance pour l'auditeur moyen, ils remettent leur titre fétiche en jeu. Inutile de gloser sans fin sur Tom, le roi des screamers, le gars s'est fait greffer des cordes vocales en tungstène, puissance et célérité, les mambas noirs lui sortent de la bouche pour venir siffler dans vos oreilles, bonjour les acouphènes, vous n'avez pas de chance. Petites natures ! Noose : le mec on lui passé un nœud coulant autour du cou pour le faire taire une bonne fois pour toute, gigote sans fin comme le balancier de la pendule de votre arrière grand-mère qui vous hypnotisait quand vous étiez petit, n'en borborygme pas moins à croire qu'il fait la causette dans le salon de Madame de Récamier, doit un peu choquer la maîtresse de maison avec son organe vocal turgescent qui gueule aussi fort que les douze têtes de l'hydre de Lerne, les trois copains essaient de faire un boucan de tous les diables pour couvrir sa voix écrabouillée de stentor asthmatique, en vain. White meat : si vous n'avez jamais été invité à une soirée d'anthropophages sur l'île de Pâque, vous en avez au moins un aperçu sonore, plus un mec qui hurle à la manière d'un cowboy qui crâne devant un millier d'indiens qui bandent. Leur arc sur lui. Tant pis pour lui il a mérité toute cette haine. Des catastrophes comme cela vous n'en entendrez pas souvent dans votre vie. Dixième fois que vous repassez le titre, au suivant s'il vous plaît, par pitié, on veut tout entendre au moins une fois avant de mourir. Northstar : ces troublions vous leur payez un voyage en première classe sur Alpha Ursae Minoris , vous croyez en être débarrassés, plus ils s'éloignent dans leur fusée interplanétaire plus vous les entendez. Le Gloseur ébranle le zodiaque et le BDG par derrière attise sa vindicte. Nom de code : conjuration de l'Etolie Polaire. Casket race : les cinglés cinglent vers l'île au trésor, des pirates au sabre dégoulinant de sang, le capitaine Abner a changé d'avis au dernier moment, il ordonne de virer de cap, l'a décidé de trancher à la guitare électrique la baleine blanche, Adam Pique martèle les coutelas, Tim Steiner crève ses peaux à coups de harpons, sur la dunette la voix du bosco domine le tumulte de la tempête. It's not lard, but it's just a cyst : guitare d'Abner en apnée, elle hoquete gravissimo, manque d'oxygène, Pike a beau pomper sur sa basse rien n'y fait, l'opéré vous pousse de ses râles de mourant à déterrer les morts, c'est la fin, l'abreuve d'injures le chirurgien, pour l'endormir définitivement Tim le bourre d'horions. La scène tragique se termine brutalement. On n'entend plus rien. Qui a succombé ? For the shame I bring : encore un effort, c'est le dernier titre, the last but not the least. Ne veulent pas qu'on les oublie, n'ont rien à craindre. On se croirait dans un film de guerre. Finissent en beauté. Poussent les cris et les instrus comme Attila lançaient ses huns sur l'empire romain. Hélas il n'y aura personne pour les arrêter. Débauche sonore totale.

    MY LOW

    ILS

    ( Août 2020 / Bandcamp )

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    My low : un morceau à part, pour Milo le fils de Chris Dunn, qui a quitté cette vallée de larmes. La pochette le représente. De quoi récolter dix mille dollars au profit de son gamin orphelin... La tonalité est grave, mais Chris était un véritable rocker, aussi Adam Pike et Tom Glose qui ont écrit le morceau, n'hésitent pas à balancer la sauce. Evoquent le temps passé ensemble, n'était-ce qu'un rêve. Parfois il est bon d'exorciser son incompréhension en hurlant... Bel hommage caritatif. Sans mièvrerie.

    P. S. : Les sommes recueillies par la chanson sont intégralement reversées à la cagnotte, le lien est sur Bandcamp.

    NO LUCK

    ILS

    ( Vidéo YT : 2020 )

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    Vous les avez entendus, vous aimeriez les voir. Deux minutes et une poignée de secondes suffisent. Une vidéo, manifestement ce n'est pas David Lynch qui s'est chargé du cadrage. Un téléphone portable y a supplée largement. L'image remue un peu, sont dans une petite pièce, ce qui limite les décrochages, première surprise, Tom Glose a une gueule d'intellectuel, ses lunettes de travers lui donnent l'air d'avoir un grind de folie. Vous vous demandiez comment Tim Steiner frappe si fort, quand vous voyez le gabarit, style convoi exceptionnel dont la largeur bloque les trois voies de l'autoroute à lui tout seul, la réponse est évidente. D'Adam Pike vous n'apercevez que sa basse, un peu plus de chance pour Nate Abner sous son bonnet. A moins que ça ne soit le contraire. N'en font pas trop, vous vous attendez à une scène d'Apocalypse Now, et ce n'est qu'un groupe qui répète dans son coin. Oui mais quel groupe ! Fulminant.

    Damie Chad.

    Voir : interview sur New Noise Magazine.

     

    ROLLING STONES

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    Etrange phénomène dû au dérèglement climatique ? Pourquoi les pierres deviennent-elles moins dures ? Pas toutes, uniquement celles qui roulent. Pas n'importe où, pour le moment cet étrange phénomène ne touche que l'Angleterre, et des deux grands édifices pierreux de la Grande-Bretagne, un seul en est victime. Stonehenge est épargné, mais le deuxième amoncellement rocheux du pays, célèbre sur toute la planète paye un lourd tribut. Certes depuis longtemps l'on a remarqué que le massif stonien était victime d'un effritement ravageur, Brian Jones, Mick Taylor, Bill Wyman et dernièrement Charlie Watts se sont au fil des années détachés de la montagne des chauds cailloux. Toutefois pour rassurer nos lecteurs les analyses scientifiques sont formelles le climat n'est aucunement responsable de cette dégradation.

    Pour le dire clairement les Stones m'ont déçu. Les esprits acariâtres en rajouteront, belle lurette que les Stones ne sont plus les Stones, depuis... vous complétez avec le titre du dernier album après lequel d'après vous ils sont entrés dans l'ère du déclin. N'ont pas tout à fait tort. Mais si l'on a aimé les Stones, certes c'est leur musique mais aussi leur cynisme, leur manière à eux d'être Stones, d'être un groupe qui n'a pas respecté l'espèce d'idéologie rock qui voudrait que l'on soit moralement irréprochable, que l'on soit en rupture avec le Système, jamais de son côté... Un rêve d'une extrême naïveté si l'on pense une demi-seconde aux intérêts colossaux financiers en jeu. Les Stones l'ont assumé, les tournées apporte-monnaie qui se chiffrent en dizaine et centaines de millions de dollars, ils n'ont pas craché dessus. Une conduite amorale, les fans de la première heure renâclent mais le troupeau en son entier finit par emboîter le pas.

    Une déclaration a mis le feu aux poudres. Z'ont rayé un morceau de leur set-list, non pas parce qu'il serait musicalement dépassé ( impossible ! ), non pas parce qu'il ne leur plairait plus ( raison acceptable ). Non, pour des raisons morales ! Pourrait choquer les âmes de certains citoyens. Pas le riff, les paroles. Que voulez-vous Brown Sugar serait un peu ambigu, cause de la drogue ( pas grave ), des marchés d'esclave de la New Orleans, et de sévices corporels infligés à jeune femme noire par ses maîtres blancs. Evocation d'un passé carrément condamnable. Ne l'exaltent pas, ne le cachent pas.

    Oui mais voilà les USA vivent une époque étrange, suite au mouvement Black Lives Matter, suite à la présidence de Donald Trump qui a révélé les soubassements arriérés de la mentalité raciste d'une partie de la population blanche, s'est installée dans les universités du pays, une espèce de bien pensance de gauche, entée sur les principes de l'anti-racisme et d'un féminisme virulent, ce que l'on a pris l'habitude de désigner sous le terme de Woke culture, une espèce de maccarthysme intellectuel, une police de pensée qui dénonce, pétitionne et interdit toute attitude, tout écrit, toute évocation qui mentionneraient des faits historiques ou des idées philosophiques qui pourraient blesser ou attenter à la dignité de certaines personnes... Ses partisans se déchaînent sur les réseaux sociaux ( ici en l'occurrence le site d'abonnement IORR It's Only Rock'n'roll ) en les inondant de virulents messages... L'on n'est pas loin des caricatures du prophète... La liberté de pensée est un luxe qui se paye cher.

    Donc exit Brown Sugar. C'est vrai qu'une plainte portée contre l'interprétation du morceau lors de la tournée américaine pourrait coûter quelques millions de dollars. Mais la déception des fans n'est pas à négliger, Jagger s'est lancé dans les excuses vaseuses du consensus mou, puisque certains peuvent être choqués, nous supprimons le sucre dans le café noir du récital, ce n'est pas nous, c'est de la faute à eux. Puis s'est embourbé dans un pieux mensonge, nous sommes fatigués de la jouer depuis cinquante ans à tous les concerts, enfin s'apercevant que Satisfaction et Jumpin' Jack Flash devraient logiquement suivre le même sort, le Jag s'est résolu à prendre une pose qui correspond davantage à l'image Rolling Stones, dont le logo tire une langue impertinente au monde entier. Il n'est pas exclu qu'on la rejoue un de ces soirs si l'occasion se présente... C'est bien beau, pour ne pas dire c'est bien beauf, mais sur ce coup-là les Stones ne sont pas à la hauteur .

    Damie Chad.

    P. S. : la woke culture commence à étendre ses méfaits dans l'université française. Mais là les Stones n'y sont pour rien.

     

    RAUNCHY BUT FRENCHY ( 5 )

    Un souvenir inoubliable. Toute une époque. Ça n'a pas duré longtemps, entre mai 68 et l'élection de Giscard D'estaing. Six ans de folie. La jeunesse en éruption. Une mosaïque de révoltes. Le pouvoir a su se reprendre, prétextant l'augmentation du prix du pétrole le Capital nous a servi ce qu'il fallait pour faire peur, la Crise, plus tard ce fut la couche d'ozone, puis le chômage, le dérèglement climatique, le terrorisme, les méfaits du carbone, le Covid, ces gens ont de l'imagination et des media aux ordres, le citoyen lambda a la trouille, il serre les fesses, encaisse et n'ose plus l'ouvrir, essaie de s'insérer tant bien que mal dans le Système qui ne veut que votre bien. Que vos biens, votre fric, vous réduire à la misère, vous transformer en esclave consentant...

    Quittons le cauchemar actuel, retournons au rêve post-soixante-huit, un seul mot le résume, galvaudé au plus haut point, la fête, et ce fut vraiment une fête, les corps se libérèrent, les esprits s'ouvrirent et se radicalisèrent, s'il y eut une époque qui réponde au mot d'ordre sex, drugs and rock'n'roll, ce fut bien celle-là.

    Crium Delirium est un des groupes français qui fut une des figures de proue de ce mouvement. L'on occupait la faculté de lettres de Toulouse, à l'époque implantée au centre ville. L'après-midi festive avait commencé sur les treize heures, cour centrale, un gratteux a entamé San Francisco de Maxime Leforestier, repris en chœur par une partie de l'assistance, pas vraiment le pied... Crium Delirium a débarqué, l'était attendu, ont déchargé le matos et commencé à l'installer, et ont lancé la zique sans préavis, si mes souvenirs sont bons – la scène se passait en 1972 – z'étaient quatre, pas de chanteur, z'ont pondu ( guitares-batterie ) un magma qui s'apparentait au jazz, un truc qui n'éclatait jamais mais qui augmentait votre pression intérieure. Deux heures plus tard, se sont arrêtés de jouer sans esbroufe, s'est alors déroulé un étrange mouvement de masse, près de six cents personnes, sans concertation, sans meneurs, ont pris d'assaut le grand amphithéâtre, la foule s'est assise et les vociférations ont débuté, pleine gorge, plein poumon, trois quarts-d'heure ininterrompus de folie stridente, quelques pupitres et bancs de bois en ont fait les frais. Défoulement général... et puis l'on est ressortis tout contents, tout heureux... It's was the good time !

    LIVE CONCERTS 1972 - 1975

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    CRIUM DELIRIUM

    ( Legend Music / 1994 )

    Lionel Magal est avec son frère Thierry à l'origine de la formation. Mais celle-ci n'est que la pointe de l'iceberg, Foxx le lion fut un activiste de ce que l'on appelait la contre-culture que l'on désignait aussi par le terme d'Underground, on en avait plein la bouche pour pas un rond... Le moins que l'on puisse dire c'est qu'il a vécu intensément, il raconte tout cela dans un livre de collages paru en 2012, le Psykedelic Toad Book, paru en 2012. L'était important à l'époque de faire la route de visiter le monde, et surtout d'arpenter l'intérieur de soi. Une démarche qui recoupe celle d'un Rimbaud et de l'antique alchimie. Le microcosme de votre cervelle se doit être en inter-action avec le macrocosme de l'univers. Depuis Hendrix, l'expérience était un mot magique. Notre foxxy-man débuta par le théâtre-action, une espèce de happening qui demande la participation du public, car il est bon de briser les barrières qui séparent les professionnels des individus... l'est sur scène au Centre Américain de Paris lorsque débarque plus fous que lui, la Hop Farm, communauté hallucinatoire hippie, dont il invitera la quarantaine de membres à venir dormir chez lui. C'est parti pour une croisière au long cours qui les mènera jusqu'en Afghanistan, puis en Inde. Ce n'était que la reprise du fameux voyage en Orient cher aux romantiques de Lamartine à Nerval, mais là on poussait un peu plus loin...

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    Retour d'Inde Lionel et Thierry remettent en route leur groupe Crium Delirium, avec lequel depuis 1968 ils visitaient les caves parisiennes. Ce coup-ci c'est le grand départ, le groupe joue partout où on l'accueille et même là où on ne l'a pas demandé, rencontres musicales tous azimuts, de Nico à Steve Hillage, de Captain Beefheart à Miles Davis... des concerts qui regroupent tous les freaks du coin - profitez de l'occasion pour vérifier votre orthographe, ne confondez pas chichiteux avec shishiteux – le groupe ne s'appelle pas Delirium par hasard... En 1970 Maître Renard participe à la création d'Actuel et en 1981 à celle de Radio Nova, par la suite on le retrouve un peu partout, sur Canal + et aux quatre coins du globe...

    Crium Delirium, vivra aussi en communauté, lorsque le groupe cessera ses activités il peut être fier de ne pas avoir collaboré avec le système marchand que leur idéologie réprouvait. N'auront enregistré aucun disque. Ce n'est qu'en 1994 que sortira chez Legend l'album Power to the carottes, Live concerts 1972 - 1975, réédité en 2012 sous le titre de Live Concerts Psykedelick. Le groupe reformé remontera sur scène au Cirque Electrique en 2011 et 2012 pour leur quarantième anniversaire...

    Guitare : Thierry Magal / Drums : Lionel Magal / Bass : Daniel Léonard / Synthétiseur : Loy Ehrlich / Percussions : Victor Angel / Saxophone, flûte : Patrice Quentin

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    Aventures chez l'om : au mieux cela correspond aux notes graves de l'entrée de la Tétralogie de Wagner ( la version de Furtwangler s'impose ) et pas du tout l'entrée tonitruante d'Ainsi parlait Zarathoustra de Richard Strauss, non c'est l'om initial pas très catholique si je puis me permettre à moins que ce ne soit le dernier des hOMmes, bref un truc malingre, torsadé et fuselé, Crium ( prononcez criom, crihomme si vous êtes du midi ) mugit comme il peut pour se mettre au diapasOM de l'illusiOM cosmique. N'oubliez pas que nous sOMmes en plein deliriOM cosmique et que les carottes sont cuites. Ouverture lutins : guitare allègre, les lutins sont là et batifolent dans l'herbe folle, une voix vocalise ( que pourrait-elle faire d'autre ) laissez vous emporter sur les ailes du rêve, de temps en temps la guitare miaule et la voix l'imite, peut-être pour coller à la réalité du monde, rien n'est moins sûr. Shilum baba : si vous croyez planer durant huit minutes... le début est abrupt, ça se calme un peu, et vous voici embarqué dans une fuite jazz au pas accéléré, les cymbales en apesanteur qui s'écrasent à terre, la guitare qui couine, preuve que le matou d'Alice s'est coincé la queue dans l'entrebâillement de la porte, tapis volant avec adjonction de moteur, font semblant de camer pardon de calmer le mouvement mais les moustaches du greffier frisent un max, z'avaient manifestement le shit peu somnolent, la guitare sonne comme une trompette dans laquelle une souris serait rentrée par erreur, elle qui pensait s'introduire dans une trompe d'éléphant pour vous ronger le cerveau. Peut-être est-ce pour cela que vous entendez des bruits bizarres.

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    Montlery guitare : un peu moins de jazz, un peu plus de rock, en roue libre, puis on ralentit pour négocier une courbe et plein pot par la suite, des pneus de guitare crissent pas de chance d'impressionner nos preux cyclomotoristes, tiens en plus ils ont posé le chat sur le porte- bagage, l'a la frousse mugit comme une baleine, à perdre haleine. Menuet / Paris ORTF : z'ont dû arriver à la cour du Roi Soleil, Louis XIV esquissant quelques pas devant le grand bassin, scène idyllique... '' Villes champignons'' : ( Bass : Thierry Robert / synthétiseur : Jean-Paul Demarque ) : ...qui ne dure pas longtemps, changement de programme, c'est maintenant qu'ils nous refilent leur intro de Also sprach Zaratoustra, à leur manière, apparemment le héros nietzschéen a grignoté des champignOMs hallucinogènes, car leur jazz boursoufflé a de l'hélium dans l'aile, délire grave, éructe des bruits étranges et marche lourdement, se reprend, volète parmi les pâquerettes, sont tous heureux du résultat, allégresse générale, l'un d'entre eux, ce doit être Lionel se met à chanter, l'appuie un peu fort sur ses baguettes, je comprends pourquoi à Toulouse ils étaient restés cois, la voix est quelconque, gâte un peu la musique. Quand vient le soir : ( voix + écriture : Joe Corbeau ) : moment japonais, la flûte décrit la courbe du lac et du croissant de lune, la voix en apesanteur passe mieux, Un vol de corbeaux disparaît dans la nuit. Roanne gig : synthé qui imite le piano, z'ont changé de style, c'est du tout doux, à l'ambiance romantico-sentimentale, la basse apporte le noir nécessaire, cris d'oiseaux dans les arbres, chacun pousse son instrument tour à tour, une espèce d'impro pour que chacun puisse démocratiquement s'exprimer, le matou s'en donne à cœur joie, s'en vient roucouler sur le croissant, Lionel énervé essaie de le faire taire à coups de mailloches mais il s'obstine, il se retire dans ses appartements en prenant son temps, il pousse de tendres gémissements mais non ses maîtres possèdent un muscle cardiaque de silex tranchant. Peanuts butter : l'on reste dans la même ambiance, des sons, des bruits, des tintements, un vocal intermittent, peu à peu se mettent d'accord pour lancer un riff à peu près potable, presque une digression musicale, doit y avoir une vache qui a quitté son pâturage et qui s'en est venu goûter aux honneurs de la scène, elle agite sa cloche parfois en dehors du rythme parfois en plein dedans, cela ressemble aux longueurs qui encombraient les plages de bien des albums de l'époque... quand ça se termine Marguerite a dû être contente de retrouver son étable. Nous aussi.

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    Les '' Road managers'' : tiens un rythme de rock, l'on croirait entendre les Beatles sur Back in the URSS, un petit côté humoristique qui se veut désopilant, question chant, c'est un peu le niveau zéro, tout le monde ne peut pas être Au bonheur des dames. Stone à rouler : on a eu peur qu'ils se prennent pour les Stones, mais non, tapent dans le free, mais plutôt ordonné, en fait cela ressemble à des chutes de studio des Fab Four, tout se calme après un gros éclat de voix superfétatoire dont on n'aime pas le suppositoire, et l'on repart dans une de ces improvisations qui se mord la queue, z'ont dû avoir l'idée en regardant le chaton, nous on s'ennuie un peu. enchaînent sur une ritournelle aigrelette de Boîte à musique : qui fomente et fermente dans le grave qu'une mouche vient troubler de son vrombissement agaçant, le synthé fait des vagues, patchwork, cut up musical, l'on verse tout ce qui passe dans l'esprit dans le chaudron et l'on sert chaud. Gros pets terminaux. Antibes : une espèce de symphonie à la Jethro Tull rehaussé de mouvements de menuets joués à la trompette. L'on s'approche de Dada mais l'on ne galope pas assez vite. Radium : qui n'irradie pas, quand on n'a plus rien à dire l'on laisse parler les autres, l'on s'amuse à pousser le curseur et l'on surfe sur les stations radio. Asks Freeco sax wah wah : un sax qui jappe, puis finit par miauler, serait-ce le matou déguisé. Night in Tabarka : La nuit tombe sur Tabarka et l'ennui finit par s'appesantir sur nous.

    La dérision est un art d'un maniement aussi dangereux que le sabre d'abordage, parfois c'est elle qui vous découpe en rondelles et vous rend dérisoire. Les sept derniers titres sont pesants. Donnent l'impression que Crium Delirium n'avait plus rien à dire. Je ressors de ce disque déçu. Le groupe s'est-il fourvoyé dans une impasse qui l'a mené à l'échec ? J'aurais dû m'en douter, si vous ramassez un papillon mort et que vous rouvrez les ailes pour retrouver la fragrance de son vol, elles se déchirent, et les lambeaux colorés sont emportés par le vent...

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    UNE TENEBREUSE AFFAIRE

    EPISODE 05

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    LE CERCLE

    C'était hallucinant. Dans le noir de la nuit, l'ombre de Charlie Watts se chargea d'une opacité encore plus ténébreuse, à tel point qu'elle se détacha si distinctement sur le fond du ciel nocturne que celui-ci par un contraste saisissant sembla plus pâle. Plus tard nous en convînmes tous, nous y voyions comme en plein jour. Lorsqu'il passa devant moi, les chiens grognèrent, leur poil se hérissa, mais ils n'aboyèrent pas. Je posai la main sur l'échine de Molossito, il tremblait de peur et Molossa n'en menait pas plus large. De la gent humaine personne n'osa bouger, plus tard le Chef m'avoua qu'il n'avait même pas songé à allumer un Coronado. Charlie marchait sans se presser, il descendit la pente jusqu'au niveau du Chef devant lequel il effectua un demi-tour et entreprit de remonter la côte. Que voulait-il ? A quel jeu se livrait-il ? J'étais sûr qu'une fois qu'il m'aurait dépassé il disparaîtrait, mais non, il effectua un demi-tour et recommença son manège. Quarante-sept fois. Nous avions l'impression que parfois il s'approchait de nous à nous frôler de ses pieds, pour nous dévisager. Ou alors il s'éloignait de quelques pas sur le côté, comme l'on prend du recul pour mieux ajuster son regard. Il amorçait son quarante-huitième passage, ce fut Joël qui rompit le charme, il se leva et cria : '' On l'entoure tous en rond, en formant une ronde'' . Charlie s'arrêta indécis, nous eûmes tôt fait de l'entourer, '' On le touche, on le touche !'' hurla le Chef, et chacun s'avança les bras tendus, nous ne touchâmes que nos propres mains, réunies en faisceau, nous ne saisîmes que du vide, Charlie Watts avait disparu.

    Les exclamations fusèrent, il y eut des cris de déception ( les garçons ) et d'effroi ( les filles ), mais aussi des rires ( là, je ne sais pas ). C'était incroyable, l'on en discutait encore à l'heure où blanchit la campagne. Le soleil se levait, nous explorâmes les buissons, le bois, la prairie, rien, aucun indice, aucune trace. Bizarrement, l'échec avait soudé l'équipe. Personne ne songeait à renoncer. L'énigme était trop intrigante. L'on convint de se retrouver le soir même à vingt heures tapantes. Pas question de rester inactifs entre temps, l'on se partagea les tâches qui écouteraient l'intégralité de la discographie des Stones, qui farfouilleraient dans les livres consacrés à leurs musiques et à leurs augustes personnes, qui se renseigneraient sur les apparitions de fantômes, qui chercheraient dans l'ensemble de la presse régionale... Quant à nous, le Chef déclara qu'il avait à se livrer à Paris une expérience du plus grand intérêt, ayant un rapport certain avec le fantôme de Charlie Watts, et qu'il était sûr de ramener du nouveau. Des regards envieux nous suivirent lorsque nous montâmes dans la Lambor.

    L'EXPERIENCE

    Je brûlais d'impatience, à quelle mystérieuse expérience le Chef se livrerait-il. Durant tout le trajet il n'en souffla mot, il se contenta d'allumer Coronado sur Coronado. Je pensais qu'il se mettait en condition. Aussi fus-je très surpris une fois la Ghini stationnée pas très loin de notre repaire quand il m'annonça que j'étais le sujet de l'expérience. Lui se contenterait de garder les chiens dans la voiture. Ma tâche n'était pas très compliquée, elle n'exigeait aucune force physique ni aucune intelligence particulière. Je n'ai pas aimé son intonation lorsqu'il souligna ces deux derniers mots d'un sourire ironique.

      • Je vous octroie dix minutes, au bout desquelles les cabotos et moi vous rejoindrons. Ouvrez la grille et vos deux yeux. Ce n'est pas très difficile. Juste un peu d'observation. Inutile de pénétrer dans la baraque en planches, ou dans l'abri atomique. Exécution immédiate, agent Chad je compte sur vous.

    Je m'exécutais. Il n'y avait rien à voir de spécial, le jardin d'une quarantaine de mètres de côté s'étendait devant moi. De l'herbe, quelques arbustes, un fourré de ronces, du lierre rampait sur terre, quelques fleurs, quinze ans qu'il n'avait pas été travaillé, rien de surprenant dans ce qui s'offrait à ma vue. Dans mon dos j'entendis le ricanement du Chef, Molossa sur ses talons, Molossito se débattait entre ses bras.

      • Alors agent Chad, l'on fait chou blanc dans le potager ! Par bonheur Molossito est plus intelligent que nous, c'est en le regardant batifoler lors de notre précédente visite qu'il a découvert ce que je m'interdis de nommer le pot aux roses, voici donc la deuxième séquence de notre expérience !

    Le Chef posa Molissito à terre qui fila droit dans un des quatre coins pour arroser le pied d'un gros buisson, puis il traversa l'espace ventre à terre pour relâcher un jet d'urine sur les restes d'un parterre plutôt mal en point, après quoi très consciencieusement il aspergea de quelque gouttes de pipi la végétation plutôt maigrelettes des deux angles restants.

      • Chef, c'est terrible !

      • Le mot est faible, agent Chad, nous sommes embarqués dans une drôle d'histoire, nous ne sommes pas au bout de nos peines !

      • Oui Chef, ça va mal !

      • Vous pouvez le dire agent Chad, ça va malvaceae !

      • Chef vous pensez que...

      • Nous n'avons plus le temps de penser Agent Chad, sifflez les cabots, l'on repart à toute blinde sur Limoges !

    UNE NUIT EFFROYABLE ( Part 1 )

    Nous devions nous retrouver à vingt heures, mais à dix huit heures tous les étudiants étaient déjà présents. Ça caquetait dur en ingurgitant force fournées de chips. Joël distribuait des sandwichs :

      • Au minimum trois chacun, prenez des forces, j'ai l'intuition que la nuit sera mouvementée !

      • Au-delà de toutes nos espérances cher Joël - la voix grave du Chef résonna d'une manière si lugubre que les conversations cessèrent aussitôt – mes amis les résultats de la terrible expérience à laquelle nous nous sommes livrés, l'Agent Chad et moi-même, cette après-midi à Paris sont sans appel, nous n'avons pas le temps de tout vous expliquer, nous devons avant tout vous devez vous préparer à l'épreuve la plus terrible de votre existence. Je ne retiens personne, ceux qui veulent rentrer chez eux, qu'ils le fassent, sans honte et sans regret, je vous laisse trois minutes pour vous décider, après ce très court laps de temps, il sera trop tard.

    Il y eut un silence de mort. Personne ne bougea. Pas une seule défection, nous avions affaire à des garçons et des filles courageux. Le Chef reprit la parole :

      • Nous nous sommes séparés ce matin, vous vous étiez organisés en groupe de travail, auriez-vous trouvé quelque chose d'intéressant ?

    Seules deux mains se levèrent, deux filles qui se présentèrent :

      • Françoise et moi Framboise, avons cherché du côté de Sympathy for the devil, et en farfouillant nous sommes tombés sur le personnage d'Aleister Crowley et cette anecdote étrange où il devient invisible, peut-être cela a-t-il quelques relations avec les apparitions et les disparitions subites de Charlie Watts ?

    Le groupe fut agité d'un étrange remous, peut-être certains pensaient-ils qu'ils auraient mieux fait de rentrer à la maison pour regarder la télévision entre Papa et Maman, mais le ton ferme du Chef leur permit de comprendre que ce rêve était désormais inaccessible :

      • Une bonne piste, mais ce n'est pas la bonne, pour Crowley il ne s'agissait pas de se transformer en homme invisible, mais d'interférer avec la conscience des passants qu'il croisait et de leur ordonner de ne pas le voir. Une simple question d'autosuggestion ! Non ce soir, vous vous en apercevrez, vous intimerez à Charlie Watts les ordres que vous voudrez, il restera insensible à vos désidérata. Je puis déjà vous révéler ce qui va se passer. Hier soir nous avons guetté Charlie Watts et tenté de l'arrêter, mais ce soir c'est Charlie Watts qui tentera de nous attraper !

    A suivre...

     

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 527 : KR'TNT ! 527 : JOHN DOE / ROCKABILLY GENERATION NEWS / DEAN CARTER / MONSTER MAGNET / BARON CRÂNE / MONA CABRIOLE / BARABBAS / ROCKAMBOLESQUES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 527

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    28/ 10 / 2021

     

    JOHN DOE / ROCKABILLY GENERATION 18 & 19

    DEAN CARTER / MONSTER MAGNET

    BARON CRÂNE / MONA CABRIOLE / BARABBAS

    ROCKAMBOLESQUES

     

    John a bon Doe

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    Depuis disons l’origine des temps, X a toujours occupé une place de choix dans les étagères. Il était d’usage de rattacher X au punk-rock angelino qui n’était pas fameux, mais justement, X s’en démarquait par une certaine originalité de ton, par un chant à deux voix et surtout le style flashy de Billy Zoom, un fier caballero qui sentait bon le rockabilly. La légende voulait que Billy Zoom ait accompagné Etta James et Big Joe Turner. L’autre point fort d’X était John Doe, un mec de Baltimore qui préféra s’installer à Los Angeles plutôt qu’à New York pour monter un groupe. Et bien sûr le point faible d’X était Exene qui, pour dire les choses franchement, chantait comme une casserole, mais bon, elle était la poule de Doe et avait donc voix au chapitre. L’ensemble était claquemuré par un gigantesque batteur, le hard-hitting et bien nommé D.J. Bonebrake.

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    Donc Doe rencontre Exene dans un arts centre nommé Beyond Baroque, coup de foudre, puis il passe une annonce et c’est parti mon kiki d’X. Billy Zoom enquille l’X, suivi de Bonebrake, puis les clubs, Madame Wong, le Masque et le Whisky où traîne parfois Ray Manzarek. Dans le répertoire d’X se trouve «Soul Kitchen» et c’est joué tellement vite que le vieux Ray du cul ne le reconnaît pas, c’est sa femme qui sursaute : «Ray, y jouent une Doors song !». Du coup Manzarek s’intéresse au groupe et propose de les produire. Voilà, c’est aussi bête que ça.

    Doe pense que Manzarek s’intéresse aussi à eux parce qu’Exene et lui écrivent de la poésie, comme le faisait Jimbo. Oh oh...

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    Sur Los Angeles, leur premier album paru en 1980, X nous touille une belle cover du «Soul Kitchen» des Doors. Ils l’amènent au big sound et même si celle folle d’Exene chante comme une casserole, ça passe - Still one place to go - Ils le font à deux voix, learn to forgive, et Billy zoome bien son solo. L’autre belle pièce palpitante de ce premier album est le morceau titre, bien sûr. En duo ils sont excellents, ils dégagent une énergie considérable. Par contre, le reste de l’album n’est pas très révolutionnaire. Ils grattent la plupart des cuts envers et contre tout. Leur force, c’est le rejointement de Doe et de cette fille qui ne chante pas vraiment bien. Mais ils font leur truc et ça leur donne du mérite. Le fait qu’elle chante si mal fait-il partie du concept punk de Los Angeles ? Va-t-en savoir. En général quand c’est elle qui attaque, c’est foutu d’avance, comme c’est le cas avec «Nausea». Manzarek qui produit aurait dû la faire taire. Doe n’en finit plus de faire son petit exacerbé pour cacher la misère dans «Sugarlight» et «Johnny Hit & Run Paulene». Ils terminent avec «The World’s A Mess It’s In My Kiss» : ça joue aux échanges collatéraux, c’est bardé de bons passages d’accords et de troc de voix, par chance la voix d’Exene se fond dans celle de Doe, alors ça devient supportable. Autant lui est bien, autant elle insupporte, mais comme chacun le sait, il s’agit du problème d’un grand nombre de couples. La pauvrette ne fait pas souvent l’affaire.

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    Pas de hits sur Wild Gift paru l’année suivante, mais un excellent «White Girl». Doe rentre bien dans le lard du cut. «Beyond And Back» est plus rockab, monté sur l’excellent drumbeat de Bonebrake. Eh oui, c’est Bonebrake qui par sa constance, fait le son. Tout ici est monté sur le même modèle : Doe lance les dés et la folle vient le rejoindre dans la couche conjugale et ce n’est pas toujours du meilleur effet. Heureusement que Billy Zoom et ce batteur génial sont là. C’est bien Banebrake qui fait l’X. Ils collectionnent aussi les cuts catastrophiques comme «We’re Desperate» ou «Some Other Time». Elle se prend pour la passionaria de la Californie et fait mal aux oreilles. Dommage pour Doe qui essaye de monter un projet culte et qui se retrouve avec un projet cucul la praline. On s’emmerde comme un rat mort à l’écoute d’«Adult Books». On souhaite surtout qu’elle ferme sa boîte à camembert. C’est un peu le même problème que celui d’Oates dans Hall & Oates : dès qu’Oates ouvre le bec, il ruine tout. Quel gâchis ! Ils ont un bon guitariste mais dès qu’elle la ramène dans «Universal Corner», elle ruine tout. Le pire c’est qu’ils croient faire de l’art. Ils ont bien failli décrocher la timbale avec «It’s Who You Know» car Billy Zoom s’y prend pour Ron Asheton, mais ça s’écoule assez rapidement. Pourtant il y a du son.

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    On trouve sur leur troisième album Under The Big Black Sun un coup de génie intitulé «The Have-Nots», c’est-à-dire les défavorisés. C’est un festival d’envolées, une suite de couplets hargneux et de refrains chantés à deux voix - Dawn comes soon enough/ For the working class/ It keeps getting sooner or later/ This is a game that moves as you play - On ne croise pas tous les jours des cuts d’une telle classe. Ça sonne comme les plus grands hits des Stones - At Jocko’s rocketship or the One Eye Jack/ My Sin & The Lucky Star/ A steady place to study and drink - Il faut voir comme c’est balancé et John Doe descend dans le giron du Juju avec ce génie vocal qui va le rendre légendaire. Dommage que tout l’album ne soit pas de ce niveau. Le reste de l’album est très punk. En fait, c’est Bonebrake qui vole le show dans «Motel Room In My Bed», «How I (Learned My Lesson)» ou «Because I Do». On note que Ray Manzarek continue de les produire. Dommage qu’Exene chante si mal. Elle fait mal aux oreilles dans «Riding With Mary». Mais prod de rêve. Ils se tapent une petite crise d’exotica avec «Dancing With Tears In My Eyes». Ça leur va comme un gant. Billy Zoom y fait la pluie et le beau temps.

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    Le More Fun In The New World qui sort l’année suivante est un bel album. Nouveau coup de génie avec le morceau titre en ouverture de bal d’A. C’est leur grand hit. Fière allure, joli riff de Billy Zoom et c’est chanté à deux voix. American power. C’est d’ailleurs leur seul big hit de big time. Après, ça se dégrade. Ça ne tient que par Bonebrake. Une fois de plus, Ray Manzarek signe une prod superbe, comme enveloppée. Mais dès qu’Exene chante, ça ne va pas. Dommage, car le son plaît beaucoup, avec un Bonebrake bien au devant du mix. Il faut attendre «Make The Music Go Bang» pour frémir un coup. C’est joué à la clameur. Ils tiennent une bonne formule : clameur de voix, big Bonebrake et petits éclairs de Les Paul en or. Bonebrake fait encore des siennes en B avec «Devil Doll». Comme ce mec bat bien ! Il est sec et net et sans bavure. Billy zoome quand il faut. C’est encore Bonebrake qui porte «Painting The Town Blue» à bouts de bras. Leur «Hot House» renvoie aux assauts de l’Airplane. Mais le reste de l’album ne vaut pas tripette. Ils s’amusent avec le funk dans «True Love Pt #2» : on se croirait chez les Talking Heads. On n’est pas là pour ça.

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    Quelques énormités sur Ain’t Love Grand, un album dépossédé de sa pochette et quasi dépossédé de son bal d’A. Les compos peinent à rafler la mise du docteur Artémise. Ils tentent de revenir aux fondamentaux, mais ce n’est pas chose facile. Peut-être espèrent-ils que «My Godness» soit une bonne chanson ? Sont-ils assez crédules pour en arriver là ? Le bal d’A se réveille avec le stomp d’«Around My Heart» mais les X s’épuisent à vouloir sauver les meubles. Ah le matérialisme ! C’est en B que se joue le destin de l’album avec «What’s Wrong With Me». Dès qu’ils attaquent à deux voix, ça redevient du pur jus d’X, avec un Billy qui zoome. Joli shoot de twin attack avec un what’s wrong with me jeté en pâture aux fauves et un Billy qui n’en finit plus de zoomer. Ils font ensuite une belle reprise de l’«All Or Nothing» des Small Faces. Il manque la voix, mais Doe pousse bien son petit bouchon. Il va chercher son meilleur chat perché. Encore du vrai rock d’X avec «Little Honey» et un Doe au devant du mix. Cut sauveur de meubles. Doe est capable d’énormités, il est bien entouré. Vroom et voilà «Surpecharged», back on X avec du L.A. beat on the rocks et les riffs malsains du grand Billy Zoom. Ça ne demande qu’à exploser.

    Malgré tous ces efforts, X ne décolle pas et Billy Zoom annonce qu’il quitte le groupe, car il a besoin de croûter. Il reprend son vieux job in electronics, fixing amps and stuff.

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    Rien à dire non plus de la non-pochette de See How We Are. On les sent plus déterminés que jamais sur l’«I’m Lost» d’ouverture de bal. Leur heavy pop bombastique n’a jamais été aussi explosive. Heureusement, Doe prend le lead et elle reste derrière. Elle a déjà fait assez de dégâts comme ça. Doe veille bien au grain. Un certain Tommy Gilkyson remplace Billy Zoom. Mais dès qu’Exene attaque un cut, le cauchemar recommence, comme c’est le cas avec «You». Cette fois, ils vont plus sur la power-pop et s’autorisent quand même un petit shoot de punk’s not dead avec «In The Time It Takes», chanté à deux voix et propulsé par nuclear Bonebrake. Merveilleuse giclée ! Avec «Surprise Surprise», ils se prennent pour Blondie alors t’as-qu’à voir ! Wow comme cette folle chante mal ! Ils cherchent leur voie comme d’autres cherchent des truffes.

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    Le premier live d’X est un double album, comme celui des Doors : Live At The Whisky A Go-Go On The Fabulous Sunset Strip sort en 1988, sur Elektra, comme celui des Doors. Mais ils ne proposent pas de reprise des Doors, comme ils le feront sur les live albums à venir. Ils profitent de ce bon live pour repasser au peigne fin tous leurs hits à commencer par «Los Angeles» qui développe une fabuleuse énergie avec son raté de beat en bam/bam/bam si judicieux. Doe does it right et elle arrive dans le chant, alors ça fonctionne. Ils font une magnifique restitution de «The New World», un de leurs hits les plus vaillants, porté par le tapis magique d’un accord de guitare et amené à deux voix, scandé au pur power. Exene réussit l’exploit surnaturel de nous casser les oreilles avec «Surprise Surprise». Elle fait sa Blondie et dès qu’elle force, elle est fausse. Il y a quand même pas mal de déchets dans le punk-rock angelino («Because I Do», «My Godness»). Doe charge la mule de «Blue Spark» et ça devient excellent. Tout est monté sur le beat turgescent du big Bonebrake. Cut after cut, il bat sec et net. «Devil Doll» va vite en besogne. X n’est pas le genre de groupe à traînasser pour admirer le paysage. Ils filent comme des bolides. «Hungry Wolf» sonne comme un bel assaut frontal et dans «Just Another Perfect Day», Exene se prend pour Jimbo, alors on voit d’ici le désastre. «Unheard Music» est l’un des phares dans la nuit car joué à la heavy cocote et touillé aux deux voix confondues. Le riff est d’une rare splendeur. Leur truc c’est d’entretenir la braise et ils sont passés maîtres dans cet art qui remonte à la nuit des temps. Ils restent sur leur élan avec «The World’s A Mess», chanté à deux voix et porté par le power beat de Bonebrake-Tinguely le perpétuel. Ce superbe batteur semble toujours naviguer au haute mer, tellement il est puissant. Une sorte de magie règne sur le «White Girl» qu’on retrouve en D. C’est le grand hit d’X avec «The Have-Nots» qui brille par son absence. «White Girl» est une merveille sculpturale, dévorée en interne par les incidences du riff.

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    Allez, on va dire qu’Hey Zeus est un bon album. Cinq bons cuts sur onze, c’est extrêmement honorable, n’est-il pas vrai ? Ils y claquent leur bouquet habituel et on craint par dessus tout de voir la folle apparaître. Pour «Big Blue House», ils renouent avec le déroulé de «The New World», même ambiance, pacifiée aux deux voix. On adhère facilement. Ils forgent leur caractère. X est alors encore un jeune groupe, ça peut se comprendre, after all. Ils adorent lancer leurs attaques à deux, comme l’Airplane avant eux. Ce «Big Blue House» est presque bon, ils tentent la percée musicologique et c’est une bonne idée. Ils font aussi un «New Life» bien powerful. Doe s’arrange toujours pour retomber sur ses pattes. Ce mec est un cador, il refuse de se résigner et donc il chante à outrance. Back to the heavy chords avec «Country At War» et back to the chant à deux voix. Doe tente de créer sa mythologie et il le fait avec une belle notion de la niaque, la folle est parfaite quand elle se fond dans le chant avec lui. Se fondre, tel est le secret du sombre Doe. Ils restent dans le heavy rock avec «Into The Light». Il faut suivre Doe, il est comme Allah, il connaît le chemin. La formule d’X ? La belle engeance de la prestance. Ils tartinent leur heavy pop de Mulholland & Vine et c’est excellent. «Lettuce & Vodka» sonne comme un retour de manivelle punk, ils le tapent à deux voix, comme d’usage, c’est bien construit, pur jus d’X avec de l’interaction. Ils sont tellement dans leur élément qu’on s’en prosterne, c’est plein de clameurs, Remember ! Remember ! C’est elle qui lance «Baby You Lied» et bizarrement, elle est bonne. Alors c’est à n’y plus comprendre, voyez-vous.

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    Paru deux ans après Zeus, Unclogged est encore un album live. Pochette foireuse, mais on y trouve enfin une version live de «The Have-Nots», jouée au groove de jazz-rock et là Doe fout le paquet - And the Hi-Di-Hi & the Hula gal/ Bee-hive Bar and the / Ziron Lounge/ Gi-Gi’s Cozy Corner/ And the Gift Of Love - Doe joue avec les noms des bars au stop and drink, au sit ans sip, au rest in pieces - Dexter’s New Approach and the/ Get Down Lounge - c’est tellement puissant que ça balaye tout le reste, même le puissant «White Girl» d’ouverture d’X shuffle et ce riffing qui rafle bien la mise & cette fille qui vient chanter en contrepoint & Bonebrake on the vibraphone. Ils tapent aussi leur «Burning House Of Love» au heavy country honk et c’est excellent. Doe est l’un des rois du country honk, il sort ici une mouture énorme. Quant au reste, c’est un peu comme d’habitude. Dès qu’Exene la ramène, c’est pas terrible. Quand on l’entend chanter «Because I Do», on se doute bien qu’elle doit être assez vulgaire dans la vie de tous les jours. On ne va pas rentrer dans les détails. Chaque fois qu’elle ramène sa fraise, elle gâte la marchandise, comme c’est le cas avec «Lying In The Road» ou «The Stage». Et c’est encore pire dans «True Love», car ils jouent à coups d’acou et les guitares ne cachent plus la misère.

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    Un autre Live In Los Angeles paraît en 2005. On y retrouve tous leurs vieux coucous sauf le plus important, «The Have-Nots». Bon ils nous font quand même la grâce de reprendre «The New World», avec les accords scintillants de Billy Zoom et le doublé de voix au chant. Quel beau hit ! Billy joue dans le gras du groove. Sur ce live, cette folle d’Exene ruine un sacré paquet de cuts, comme «Nausea» ou «Year 1». Dommage, car sur scène, X tourne à plein régime, c’est même très impressionnant. C’est encore elle qui chante «We’re Desperate» et «Beyond And Back», c’est insupportable, alors Doe vole à son secours, c’est sa raison d’être et celle d’X, Doe est le chevalier blanc du punk-rock angelino. Quand ils chantent à deux voix, ça peut devenir énorme, tiens comme cette version de «White Girl», soutenue à la grosse cocotte de Billy qui s’en va soudain slasher à travers la pampa. Billy multiplie encore les exactions avec «The Unheard Music», power pur et la fête se poursuit avec un mighty «Los Angeles» attaqué à deux voix. Tout ce qu’ils chantent à deux voix sonne merveilleusement bien. Encore un bon exemple avec «I’m Coming Over», bien meilleur en version live qu’en version studio. Doe continue de faire la pluie et le beau temps dans «Blue Spark». Leur tenue dans «Johnny Hit & Run Paulene» ne laisse rien à désirer et Bonebrake fait des ravages dans «Motel Room In My Bed». Ils jouent leur carte du LA punk à fond de train. Puis ils virent quasi-stoogy avec «It’s Who You Know», Billy fournit tout le fourniment. Ils finissent par jouer par dessus les toits, donnant à leur «Devil Doll» une allure de rockab incendiaire. Cette concoction Bonebrake/Billy Zoom peut se révéler explosive. Doe monte au créneau pour «The Hungry Wolf» et c’est excellent, car tendu à se rompre. Billy bat la campagne, son énergie bat tous les records. Dommage qu’elle chante «The World’s A Mess It’s In My Kiss», car c’est un beau cut, bien anxieux, bien punkish, mais chanté au trempé de sueur, insidieux au possible et Billy fait son festival, il virevolte dans les hauteurs du LA punk, c’est dingue ce que ce mec amène comme élégance dans l’exercice de sa fonction. Et voilà, la fête s’achève avec «Soul Kitchen». Ils passent les Doors à la moulinette d’X. Dommage que cette pauvre folle chante l’intégralité du cut. C’est une insulte à la mémoire de Jimbo.

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    Album du grand retour et album inespéré avec Alphabetland paru sur Fat Possum en 2020. On pourrait aller encore plus loin : si tu achètes un seul album d’X, c’est forcément celui-ci. C’est plein de son dès le morceau titre d’ouverture de bal. Trop de son ! Ils sortent tout leur power d’antan et le sur-mastérisent. Aw comme ces mecs sont bons ! On retrouve la formule gagnante Doe/Zoom/Bonebrake et quel bonheur de voir Billy le killer partir en maraude. Avec ce morceau titre, on est bien obligé de crier au loup. Ces mecs ont tellement de son qu’ils injectent des doses énormes, et l’amateur va droit au tapis. Voilà l’exemple type du cut qu’on réécoute plusieurs fois dans la foulée tellement c’est bon, bien construit, bien posé sur le beat, bien au-delà des critiques, «Alphabetland» emporte les barrages, le solo de Billy Zoom est à tomber de sa chaise, wow comme on est content de les retrouver en si bonne forme. Leur niaque de punk’s not dead est intacte comme le montre «Free». Avec Doe au drive, ça vire monster beat. C’est violent et plein d’allant définitif et bien sûr ce démon de Billy Zoom allume la mèche. Zoom kill kill ! La gourmandise punk d’X est unique au monde. Nouveau coup de génie avec «Water & Wine». Avec le temps, Exene s’est améliorée et là ça devient sérieux. Chant à deux voix, l’art sacré d’X, pur jus de punk angelino, on peut difficilement espérer meilleure résurrection, c’est de la dynamite. Ils enchaînent avec le big heavy rock de «Strange Life». Avec un mec comme Doe, il faut s’attendre à tout, surtout à ce rock chanté à deux voix et infesté de riffs. C’est encore du genius à l’état pur, terrific de power sous le vent. Ils ont leur truc et c’est profondément bon. On y croit dur comme fer, Zoom kill kill incendie à bras raccourcis et les cuts deviennent fascinants. Doe monte le LA punk comme un théâtre et on assiste au spectacle. Ils sont quasiment les seuls à savoir jouer l’angelino punk de façon aussi passionnante. Même quand ils déboulent à 100 à l’heure, on les suit sans discuter. Ils reprennent le chant à deux voix pour «Star Chambered» et ça redevient fabuleux, comme débordé par l’extérieur, overwhelmé dans l’œuf de l’X. Exene chante mieux alors Doe ramène du répondant de défenestration. On a là le power à l’état le plus pur. Nouveau coup de génie avec «Angel On The Road». Fondu de voix superbe, ils développent encore plus d’énergie qu’à leurs débuts, comme si c’était possible. Évitez de voir les photos presse récentes, car les X ont pris un méchant coup de vieux, il faut juste se contenter d’écouter cet album mirifique. Ils proposent le punk-rock de la modernité avec une justesse de ton et un fondu de voix inégalables. Ils terminent avec «Goodbye Year Goodbye» qui sonne comme une belle dégelée d’immense punk-rock angelino.

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    En 1995, Doe entame en parallèle une carrière solo avec The John Doe Thing et un premier album qui s’intitule Kissingsohard. Pour ça il s’entoure du fils Waronker et du jazzman Smokey Hormel. Force est d’avouer que c’est un excellent album et ce dès le «Falling Tears» d’ouverture de bal. Back on the heavy beat, comme dirait l’autre, ce heavy rock californien passe comme une lettre à la poste, bien léché aux guitares et hanté par des distos souterraines. Doe does it right. Avec «Safety», ils passent en mode encore plus heavy et c’est goûtu. Doe plonge dans l’histoire du rock, il arriverait presque à sonner comme les Small Faces. On s’accroche à sa chaise car voilà qu’arrive un solo déterminant. De toute façon, Doe est toujours déterminant. Il est déterminant quoi qu’il fasse. Il passe en mode heavy trash punk avec «Love Knows». Il est parfaitement à l’aise dans cette soupe angelinotte. Il a comme on dit des chevaux sous le sabot. Puis il s’en va chanter «My Godness» à la clameur viscérale. C’est à nous de suivre. Il faut faire vite, car il chante bien. Il développe une véritable énergie tellurique. Il touche toujours au but. Tous les cuts de l’album touchent au but, c’est assez désarmant. Il ressort la grosse artillerie un peu plus loin avec «TV Set», il chante à la glu de chant, à la Jimbo, il colle à son thème avec une classe indécente et s’offre le luxe d’un solo de père fouettard. Il s’offre même un deuxième luxe, celui d’une montée en puissance à la fin, il porte tout ça à la seule force du chant. S’ensuit l’encore plus fascinant «Beer Gas Rise Forever». Cette façon qu’il a de coller au chant ! Il reste en permanence dans l’instinct du chant c’est très spectaculaire car digne des Doors, il pousse une sorte de push ultime. Et tout est bon jusqu’à la fin, jusqu’à ce heavy «Liar’s Market» compressé dans le son.

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    Cinq ans plus tard, The John Doe Thing récidive avec Freedom Is. Sur cet album, Doe claque du vieux doom. On suit ce mec de toute façon, quoi qu’il fasse. Il demande à son friend de le catcher - Catch me - C’est du heavy Doe d’évidence. Avec cet album, il vise le big atmospherix. Il tape ses compos comme s’il était le roi du hit-parade et ça prend vite des tours. Il balaye les vagues de l’océan, il est d’une certaine façon le Victor Hugo du rock californien. Avec une belle barbe, il ferait illusion. Quel power ! On ne compte pas moins de cinq big cuts sur cet album, ce qui semble être la vieille moyenne d’X. À commencer par «Telephone By The Bed», une heavy pop qui sonne comme la marée du siècle. Doe sait lever des légions avec de superbes coups de guitare. Il gratte à la sauvage, il a toujours été bon dans le fast drive de chords. Il enchaîne cette merveille avec une autre merveille, «Ever After». C’est encore une fois du pur Doe, bien poussé dans les extrêmes, bien secoué du cocotier. Il passe à l’exercice délicat de la Beautiful Song avec «Ultimately Yes». Irréel car tellement mélodique. Quasi Buckley dans l’âme, angle mélodique parfait. Il faut écouter ce mec car il est bon comme le pain chaud. Il accroche toujours plus, cut after cut, on sent comme une progression. Il amène son «Smile & Wave» au vieux boogie claqué d’accords certains et il chante le mords aux dents. Somptueuse rockalama. Mais son terrain de prédilection reste le punk-rock, comme le montre «Too Many Goddam Bands». Il adore foncer dans le tas. Vas-y mon gars Doe, fonce ! C’est l’un des grands fonceurs de Californie et en plus, il chante à la petite ramasse de la rascasse. Il fait son cirque et il faudrait presque que ça se stabilise pour qu’on comprenne. Ce mec manie la puissance avec la poigne d’un forgeron du moyen-âge, il travaille l’acier de sa pop au marteau. Doe l’excellent guy s’enfonce dans «Totally Yours», il fait son business, after all, Doe est bon mais il reste Doe.

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    En 1990 il attaque une carrière solo avec Meet John Doe. Pour le meeter, on le meet, pas de problème. Il propose d’emblée du big sound et comme ce mec chante bien, ça crée de la confiance. Il envoie ses vieilles clameurs, il a du métier et même une vision, alors forcément ça coule de source. Une petite gonzesse l’accompagne sur les montées en puissance, comme dans l’X. Doe sait très bien ce qu’il fait. Il y a du Vulcain en lui, une science très ancienne de la forge. Le son de cet album nous submerge, cet enfoiré sait nous cueillir au menton et personne n’ira se plaindre. Il fait du big Doe de charme, c’est un rocker chaleureux et bienveillant auprès duquel on aime bien se pelotonner, si on est une gonzesse, bien sûr. Cut après cut, il va chercher des vieux réflexes de son, c’est très spécial, après on fait comme on veut : soit on apprécie, soit on ferme les écoutilles. Chacun cherche son chat. Il faut cependant attendre «The Real One» pour frémir. Doe propose là un retour de manivelle de belle pop atmosphérique. Il faut bien dire que ses envolées valent le détour. Il embraye aussi sec sur «Take #52», une Beautiful Song digne de Fred Neil. Doe adore exceller, il a les moyens de sa justesse. Et comme si cela ne suffisait pas, il enchaîne avec «Worldwide Brotherhood», un cut quasi-anglais tellement c’est plein d’esprit de son. Quelle dégelée royale, baby ! C’est un big heavy sludge, une pure énormité, il s’en va hurler sa hurlette là-haut sur la montagne et c’est salué par des guitares dévoyées. Bon après, c’est moins convaincu, il fait ses petits trucs dans son coin et il a raison. «Touch Me Baby» sonne comme du petit boogie MTV et on sent ici un léger manque de sincérité. Oh pas grand chose, mais quand même.

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    Doe fait des albums délicieux, comme le sont ces petits gâteaux spongieux aux pépites de chocolat. L’un des meilleurs exemples serait sans doute Dim Stars Bright Sky. Eh oui, à l’autre bout du monde, Doe crée de la magie. «Always» relève du génie pur, can’t keep my heart from burning, dit-il en groovant sa ramasse, il a une façon très spéciale de dériver, driving in circles, my hands like that clock they move one by one, il faut l’entendre chanter ça, il dérape dans l’excellence du groove, just gave up drinkin’/ Drivin’ away, il épouse le feeling de ses paroles, cette façon qu’il a de dire I always dream of you fait penser à Mercury Rev, et il revient inlassablement à cette formule magique, coming a long way from you/ But I always dream of you. Impossible de résister à ça. On croise rarement des chansons qui montent aussi massivement au cerveau. L’autre coup de génie de l’album s’appelle «This Far», un balladif éclatant de pop. Doe avance à couvert et s’en va exploser sa pop avec une voix qui ne frime pas. C’est sa force, le pouvoir du lousdé du Doe, il explose son «This Far» avec cette majesté qu’il montrait déjà au temps de «The Have-Nots», c’est le génie vindicatif de Doe, il ne la ramène pas, il n’est là que pour les chansons. Sur le reste de l’album, il fait du gratté d’acou au coin du feu. Il a du texte, alors pas de problème. Certains cuts n’ont rien dans la culotte, mais c’est pas grave. Doe fait régner une ambiance spéciale. Il sait donner du temps au temps. Son «Closet Of Dreams» finit par convaincre. Et même s’il démarre son «Forever For You» sur le drumbeat des Champions de Queen, il sauve les meubles en chargeant sa mule de pop. Il sait hanter un son. Il a même un cut qui s’appelle «Magic». Il sait faire décoller un cut du sol. On croit que ça ne va pas marcher et si, il y parvient systématiquement. Il va ensuite chercher de sacrés rebondissements et on finit par tomber immanquablement sous le charme. Il tourne la pop de «Backroom» en pop lumineuse et l’album est tellement réussi qu’on le réécoute dans la foulée, histoire d’être bien certain de n’avoir pas rêvé.

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    Du coup, on se retrouve en état d’alerte quand arrive un nouveau Doe solo. Forever Hasn’t Happened Yet ne déçoit pas les attentes, bien au contraire. Dommage que les notes de pochette soient illisibles. Doe s’entoure ici d’une belle équipe de copains, à commencer par Grant Lee Phillips et Dave Alvin. Ils démarrent avec un vieux delta blues de Los Angeles, «The Losing Kind». C’est assez puissant et ça tue bien les mouches. Et pouf, violent coup de génie avec «Heartless», power atroce, on se croirait à Memphis, on a du son plein les oreilles, quelle désaille ! C’est même digne du ‘68 Comeback. Dave Alvin l’allume au bulbic. Une certaine Veronica Jane vient duetter avec Doe sur «Mona Don’t». Elle se positionne en contrepoint du big Doe qui reste en mode soft-power. C’est d’un balèze qui va loin. Il explose son rock avec une aisance indécente. «Mona Don’t» est apoplectique de son et de présence. Doe booste son rock sans forcer sa glotte. Il duette plus loin avec Neko Case sur «Hwy5». Elle lui donne la réplique comme au temps de l’X, c’est infernal, plein de jus et ça tourne à l’horreur congénitale avec du killer solo flash à la clé. Pour réussir ce coup de Jarnac, il passe en mode sludge d’overdrive. Ce mec règne sur son empire, ne vous faites pas de souci pour lui. Il groove son «Worried Brow» comme n’ont jamais su groover les Doors, il est dans l’absolu du groove, dans l’expression du génie contenu. Et pour «Your Parade», il s’adjoint des poulettes éplorées qui viendront le rejoindre dans le lit du fleuve. Il adore mêler sa bave à celle des poules, mais c’est commun à tous les hommes. Il sait aussi se montrer pur côté roots, comme le montre «There’s A Black House», il passe en confiance et s’adjoint les services de Kristin Hersh. Ce sacré Doe est rompu à tous les métiers. Il explose le rock de «Ready» sans préambule. La reine Kristin revient duetter avec le roi Doe et ça devient monstrueux de classe, ils règnent tous les deux sans parage sur le monde du rock californien.

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    Ça finit par devenir une manie chez Doe, les big albums. En voilà encore un : A Year In The Wilderness. Paru en 2007, toujours sur Yep Roc, comme Chuck Prophet. Attention à «Hotel Ghost», Doe allume la gueule de son cut au one two et pouf, ça te saute à la jugulaire, tu as là le summum du power rock angelino. Il enchaîne aussi sec sur «The Golden State». Cet enfoiré a tout le son dont on peut rêver. Il étend son empire quand il veut. La poule qui chante avec lui s’appelle Kahtleen Edwards et elle est bonne, les voilà tous les deux jetés dans le feu de Dieu, ils sont au delà de toute expectative, chant à deux voix et tu tombes de ta chaise, you are the hole in my head ! Pour calmer le jeu, Doe fait un peu d’Americana avec «A Little More Time» et soudain tout explose à nouveau avec un «Unforgiven» riffé en pleine poire. C’est la spécialité de Doe, le son d’un autre monde avec la voix d’Aimee Man dans le flux. C’est profondément génial. La voix d’Aimee Man apparaît à peine et il faut le voir poursuivre son épopée d’unforgiven. S’ensuit une autre énormité, «There’s A Hole», aussi funeste que les précédentes. Personne ne peut résister à ça. Doe bombarde son cut de stomp et il faut s’accrocher au mât. Il clame there’s a hole et c’est grandiose. Il combine deux powers, le power du son et le power du Doe. Un brin de power pop pour digérer ? Voilà «Lean Out Yr Window», mais avec du big sound. Ça reste brillant et dirigé vers l’avenir. Quel power-popper, il ne se refuse aucun luxe ! Il boucle son affaire avec un «Grain Of Salt» assez explosif. Il réussit à créer la sensation dans le gratté d’acou.

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    En 2009, Doe enregistre Country Club avec les Sadies. Franchement, il ne pourrait pas rêver de meilleur backing band. Dès «Stop The World & Let Me Off», Travis Good traverse le son au piercing country honk, c’est d’une grande beauté avec tous ces clap hands, le son est comme traversé d’éclairs de wild country, pas de meilleure concoction, ils envoient leur démesure voler over the rainbow. Alors après, ça devient beaucoup plus classique, mais bien chanté. Avec sa voix chaude, Doe inspire confiance, il ne fait pas partie de cette clique de cuistres à la mode. On entend pas mal les frères Good dans cette aventure, ils en connaissant un rayon en matière de country roll. On pourrait même se plaindre du trop de son. Doe duette avec Margaret Good dans «Before I Wake». C’est embêtant tous ces duos, on a l’impression que Doe finit par se prendre pour une superstar. On reste dans le zyva Nashville Mouloud avec «I Still Miss Someone», mais la country de Doe ne marche pas à tous les coups. On s’ennuie sur certains cuts, comme si les Sadies mettaient leur magie en veilleuse. Nouveau try out avec «Take This Chains From My Heart» et cet album dont on attendait monts et merveilles se réveille enfin. Il faut cependant attendre «Are The Good Times Really Over For Good» pour retrouver l’apanage des country men. Travis Good joue comme un diable, ce qui est en général mieux qu’un dieu. Il joue même à la folie du craze et ça explose enfin. Doe reprend ensuite le «Detroit City» de Jerry Lee - I want to go home - Oui, il ose.

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    Paru en 2011, Keeper est certainement l’album le moins sexy de Doe. Le problème c’est que Doe sonne comme un vieux copain. Il développe son petit velouté de proximité, une Americana un peu feutrée en manque de crédibilité artistique, ce n’est pas gagné d’avance. D’autant que la pochette est assez m’as-tu-vu, du style oh regarde comme je suis beau avec ma chevelure de wild punk-rocker légendaire. Ses départs de cuts en mode rock sont toujours aussi bons, il a de l’expérience, il sait faire passer des idées. Au dos du digi, on le voit contempler une colline, et à l’intérieur, il pose dans le désert, avec une Mercedes derrière lui, une erreur que ne commettrait pas Jonathan Richman. Sur cet album, Doe peine à rétablir la confiance. Il semble en panne d’inspiration. C’est compliqué. Il chante le heavy blues de «Moonbeam» de l’intérieur du menton, comme Jimbo. Voilà ce qu’il a compris de Jimbo. Il tente de reconquérir son audimat avec «Handsome Devil», mais c’est mal barré. On se croirait chez Moon Martin. Il sauve ce pauvre album avec «Jump Into My Arms». Il renoue enfin avec l’avenir, grâce à ce cut bombardé au drive de basse évanescent. Doe est un artiste qu’on écoute jusqu’au bout, mais c’est parfois à ses risques et périls, car franchement la fin d’album n’est pas jojo.

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    En 2010, Doe duette avec Exene sur Singing And Playing. Faut-il redouter le pire ? On entre dans cet album comme on entre dans la mer glacée, de la pointe des pieds. Exene rentre dans le lard d’«It Just Dawned On Me» et Doe vole aussitôt à son secours. C’est une habitude de vieux couple. Cette pauvre Exene chante tout ce qu’elle peut, et le chevalier Doe veille sur elle. Ils attaquent ensuite «Never Enough» au coin du feu. Doe essaye de mettre son Enough en valeur et il y parvient à coups de relents d’Americana et le chant à deux voix prend du volume, comme au temps d’X. Doe tient bien la dragée haute, il jerke bien son chant, il gratte sa gratte comme un vétéran de toutes les guerres. Il réussit même à imposer Exene dans «Beyond You». Elle se met à sonner comme Joan Baez. Doe doit vraiment la respecter car elle s’améliore. Et pouf, voilà que Doe se prend pour Dylan avec «See How You Are». Il va vite en besogne. Rien de plus Dylanex que ce cut. Doe a bon dos dans la version live de «See How You Are» qui suit, il gratte tous ses poux et comme Dylan, il rajoute des couplets dans le feu de l’action, alors ça devient très spectaculaire.

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    L’année suivante, Doe se lance dans un nouveau numéro de duo avec Jill Sobule sur A Day At The Pass. Il y a du monde derrière : Don Was on bass. Le problème c’est que Jill Sobule n’a pas la voix de rêve. Il semble que Doe adore les filles qui n’ont pas trop de personnalité vocale. Il est assez brillant dans son rôle de Doe protecteur. Sa présence réconforte. Le problème avec Jill Sobule c’est qu’elle se prend pour la reine du rodéo et ça devient vite agaçant, elle n’a ni l’ampleur de Lorette Velvette et encore moins celle de Loretta Lynn. Elle gueule plus qu’elle ne chante. Ouf, Doe reprend les choses en mains avec «Walking Out The Door». On se croirait à Nashville tellement les clameurs country sont belles. Et pouf ça déconne avec «Baby Doe». Elle sonne comme les reine des Exenes, c’est très MTV, Jill n’est pas Lucinda, il lui manque un truc. Doe et Sobule, ce n’est pas non plus Campbell & Lanegan. Back on punk avec «Never Enough» qu’on a entendu sur l’album précédent. Doe revient à ses sources - Crazy for a junk/ And it’s never enough - C’est inespéré, il tape dans le tas et revient aux réalités. Il claque ça à la tension angelinotte, il ramène tout le touffu de son vieux boisseau. Mais comme dans X, dès que Jill Sobule refait surface, tout s’écroule. Doe reprend le micro pour allumer une belle cover de Big Star, «I’m In Love With A Girl». Les seuls cuts jouables de cet album sont ceux de Doe. Jill Sobule ne s’en sort bien qu’avec le dernier cut «I Kissed A Girl» car elle chante à la bonne énergie et tout l’orchestre la soutient. Peut-être que sa voix est trop sucrée, trop soluble pour une Sobule. Elle ne pourra jamais s’imposer.

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    Nouvel album solo en 2016 avec The Westerner. Les photos du booklet sont d’un ridicule inespéré. On y voit Doe chevaucher dans les collines, comme un guerrier en maraude. Un mec de l’acabit d’Akaba ne devrait pas se prêter à une telle mascarade, c’est comme s’il s’éclatait au Sénégal avec sa copine de cheval. Il porte pour la circonstance un complet noir brodé de flèches blanches, alors t’as qu’à voir. Mais avec «Get On Board», Doe does it right. Il entre dans son cut à la folie Méricourt. C’est un adroit dévastateur, il joue ce riff liquide qui te coule dans l’oreille, il sait doser son Doe, quel bel enfoiré ! Le riff semble glouglouter dans le son et ça monte doucement mais sûrement, comme la marée. Il sait encore créer la sensation. Here we go ! Chaque fois on attend des miracles de Doe mais il faut bien avouer qu’ils se raréfient. Avec «Get On Board», l’autre gros coup s’appelle «Drink Of Water», un cut violent, digne du temps de l’X, classique mais typical, punk-rock de bonne instance, monté au big beat des temps révolus. Sinon, il fait des balladifs de mec qui vieillit mal et qui se croit romantique. Il cherche à créer la sensation avec de vieux serpents à sonnettes, même si comme dans «My Darling Blue Skies», il ramène des guitares spectrales et du big sound. Mais cette fois ça ne marche pas. Il essaye pourtant de pousser grand-mère dans les orties, mais cette vieille folle résiste. Il commet en outre l’erreur de faire chanter Debbie Harry dans un bordel sans intérêt. Avec «Alone In Arizona», il va chercher des trucs un peu atmospherix à la mormoille. Pauvre vieux Doe, on ne peut plus faire grand chose pour l’aider, à part lui filer 20 euros pour un disk pourri. Il faut parfois se montrer généreux, ça permet d’aller au paradis quand on crève. Il joue sa dernière carte avec «The Rising Sun», mais ça ne marche pas. Il a semble-t-il perdu l’instinct des grands coups d’éclat, dommage, d’autant plus dommage que ses collègues Mould et Prophet continuent eux de créer la sensation.

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    Doe participe à d’autres projets, comme celui des Flesh Eaters. Il y joue parfois de la basse, comme sur cet album qui date de 1981, A Minute To Pray A Second To Die. On se fie à la belle pochette, mais attention, le chanteur Chris D est encore pire qu’Exene. Une véritable catastrophe. D’autant plus incroyable qu’on retrouve dans le groupe des pointures comme Dave Alvin et Bonebrake aux maracas. «Digging My Grave» est gratté au vomi punk de San Francisco. C’est le pire des mauvais plans : un super-groupe rassemblé autour d’un mauvais chanteur. Une vraie casserole. On se demande ce qui attire Doe chez les casseroles. Quand on écoute «Satan’s Stomp», on ne comprend plus rien. Comment les Flesh Eaters ont pu atteindre une telle renommée ? Chris D mériterait la médaille de pire chanteur de tous les temps. Et tous ces pauvres mecs autour de lui essayent de bâtir un univers musical intéressant, mais dès qu’il ouvre le bec, tout s’écroule. Le pire, c’est quand il va chercher les aigus. On souffre pour de vrai. Cet album sonne comme un calvaire. Il n’existe rien de pire.

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    Par contre, I Used To Be Pretty, est une bombe atomique. Cet album des Flesh Eaters date de 2019. Bon d’accord, Chris D chante toujours aussi mal, mais derrière, les Flesh Eaters ramènent tout le barda d’un régiment, le son monte à la folie du sax et ces poussées ne sont pas sans rappeler celles de Van Der Graaf, et comme Bonebrake bat le beurre, on imagine la gueule du beat. Le chant se consume dans une ambiance d’alerte rouge. Ces Flesh Eaters ne sont pas de la gnognotte, jugez-en par vous mêmes : Bonebrake au beurre, Dave Alvin des Blasters à la gratte, Doe on bass et l’infernal Steve Berlin on sax. Et c’est lui qui infecte tout, dans la pure tradition du Fun-Houser Steve MacKay. Il fout le feu en permanence. Et Dave Alvin n’en finit plus de passer des killer solo trash. Fantastique shoot de chique que ce «My Life To Live». C’est Dave Alvin qui allume cette stoogerie. Dommage que Chris D chante comme un con. Mais encore une fois, il a derrière lui une énorme pulsation. Les Flesh Eaters tapent aussi quelques somptueuses reprises à commencer par «The Green Manalashi» de Peter Green. C’est travaillé au heavy sax de perdition, très prog dans l’esprit. Steve Berlin vole le show avec ses phrasés statiques de slave jazz on the run et bien sûr l’autre allumeur d’Alvin vient craquer sa noix. Ils tapent aussi une cover bien hot du «Cinderella» des Sonics, hey hey hey hey, Chris D chante si mal que ça finit par passer, il rivalise de raw avec Gerry Roslie et bien sûr Dave Alvin fait son Paripa. Ils atteignent une sorte de summum explosif avec la cover de «She’s Like Heroin To Me». C’est monté en neige et explosé dans la descente. Chris D fait son Jeffrey Lee Pierce comme il peut. Alvin, Doe et Berlin jouent comme les pires démons de l’univers, wow quelle giclée, avec Bonebrake qui bat tout ça comme plâtre. Berlin n’en finit plus de passer des coups de free demented. «Miss Muerte» sonne comme un hit des Sonics. Dave Alvin is on fire, alors oui, on y va, d’autant que Steve Berlin arrose tout de free incendiaire. Encore un fabuleux freak-out avec «The Yougest Profession». Avec un mec comme Dave Alvin dans les parages, il faut rester sur ses gardes. Ce mec fout le feu, au sens propre. Il reste à la croisée des Stooges, du Gun Club et des Sonics. Il explose en permanence. Alvin + Berlin = white heat. Avec «Pony Dress», ils sonnent comme Pere Ubu et revendiquent le power saxé. Dave Alvin y passe un nouveau killer solo flash et Doe multiplie les remontées de basse. Tout ce capharnaüm se termine avec «Ghost Cave Lament», un cut éminemment atmosphérique arrosé au sax de non-recevoir. C’est du vieux mathos maintenu en attente, ils font monter la sauce sur 13 minutes. Dave Alvin dessine des arabesques, Doe a bon dos et Berlin couve sous la braise. De toute évidence, il se prépare à exploser.

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    Du coup, on ressort le Live des Flesh Eaters enregistré en 1988 avec la même équipe, notamment Steve Berlin. Ils font déjà ce heavy prog rock à la Van Der Graaf. Avec son sax, Steve Berlin lève un vent de folie. C’est dingue comme Doe aime les mauvais chanteurs. Chris D est toujours aussi insupportable. Avec «Divine Horseman», ils se rapprochent de Captain Beefheart. Steve Berlin est l’instigateur de cette mélasse extraordinairement vénéneuse. Pour la reprise du «Cinderella» des Sonics qui boucle le bal d’A, Chris D compense son pas de voix en braillant. En B, on le voit s’accrocher à «My Destiny» comme un alpiniste suspendu au-dessus du vide. Il crie avec la même rage angoissée, argghhhh, pas lâcher prise, pas lâcher prise... Doe sauve les meubles en chantant «Poison Arrow». Ambiance stoogienne. En fait ils chantent à deux, on entend même le riff de «Cold Turkey», alors t’as qu’à voir.

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    En 1985, Doe monte un nouveau projet avec Dave Alvin, Bonebrake, Exene et le stand-up man Johnny Ray Bartel : the Knitters. Poor Little Critter On The Road sort sur Slash en 1985. Cet excellent album nous offre une sorte de retour aux sources. On se croirait presque chez les Blasters tellement le slap est beau, notamment en B, avec «Love Shack». Bartel monte au slap comme d’autres montent au braquo. Dommage que ce soit Exene qui chante. Ils passent en mode Wild Cats avec «The Call Of The Wreckin’ Ball», ils fouettent cocher et filent ventre à terre. Tout ce qu’on peut dire, c’est : wow ! Alors wow ! Ils font aussi de la gothic Americana avec «Baby Out Of Jail», un genre dans lequel s’illustrera Blanche un peu plus tard. Et le duo d’enfer Bonebrake/Bartel embarque «Rock Island Line» pour Cythère. Aller simple. No way back. En A on les voit encore tailler de belles croupières à l’Americana, notamment avec le morceau titre d’ouverture de bal. Exene chante presque bien. Ils optent aussi pour la soft country avec «Walkin’ Cane». Ils l’attaquent en mode doux comme un agneau et le finissent en mode heavy rockab de bonne aubaine. Bonebrake nous bat «Poor Old Heartsick Me» sec et net, histoire de nous rappeler qu’il est l’un des meilleurs batteurs américains. Les Knitters bouclent leur bal d’A avec un beau hit d’X, l’imparable «The New World».

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    Il existe un autre album des Knitters paru en 2005 : The Modern Sounds Of The Knitters. Le cake sur l’album c’est Bonebrake, car il faut l’entendre driver le beat de «Long Chain On». Fabuleuse musicalité. Stand-up + Dave Alvin, ça donne un truc peu commun dans l’exercice de l’excellence. Ils font aussi une reprise de «Burning House Of Love» en mode Americana. Doe est parfait dans le rôle, il chauffe sa cambuse et Dave Alvin arrive pour tout démolir sur fond de takatak de stand-up. Ces mecs ramènent toute l’énergie du wild rockab avec des voix doublées d’X, alors ça part comme une fusée. C’est un album de rockab et de twin attack d’X. Ils font aussi une cover du «Born To Be Wild» de Steppenwolf. C’est un hymne qu’ils mythifient en le musclant au deuxième tour, mais en mode rockab. Ils en font une version démente, pleine de variantes, une stupéfiante ré-interprétation, drivée au rockab craze, avec Dave Alvin dans le feu de l’action. Ils reviennent aussi à l’Americana avec «In This House That I Call Home». Doe le gave de big beat et c’est claqué à la stand-up. Ils restent l’Americana avec «Dry River». C’est tellement plein de son que cet album devient une aubaine pour l’oreille. On entend Exene chanter sur deux trois cuts, mais ça tient par la qualité du backing. Ils tapent «The New Call Of The Wreckin’ Ball» au rockab de LA. Doe sait gérer les descentes aux enfers, même avec Exene dans les pattes. Bonebrake is all over the beat. Ces mecs se rendent-ils de la chance qu’ils ont d’avoir un batteur comme Bonebrake ? Dave Alvin allume «I’ll Go Down Swinging» en mode rockab mais cette folle d’Exene ruine le chant. Bon, la vie n’est pas facile.

    Signé : Cazengler, John Daube

    X. Los Angeles. Slash 1980

    X. Wild Gift. Slash 1981

    X. Under The Big Black Sun. Elektra 1982

    X. More Fun In The New World. Elektra 1983

    X. Ain’t Love Grand. Elektra 1985

    X. See How We Are. Elektra 1987

    X. Live At The Whisky A Go-Go On The Fabulous Sunset Strip. Elektra 1988

    X. Hey Zeus. Big Life 1993

    X. Unclogged. Infidelity Records 1995

    The John Doe Thing. Kissingsohard. Forward 1995

    The John Doe Thing. Freedom Is. Twah! 2000

    X. Live In Los Angeles. Shout Factory 2005

    X. Alphabetland. Fat Possum Records 2020

    John Doe. Meet John Doe. DGC 1990

    John Doe. Dim Stars Bright Sky. Shock Music 2002

    John Doe. Forever Hasn’t Happened Yet. Yep Roc Records 2005

    John Doe. A Year In The Wilderness. Yep Roc Records 2007

    John Doe & The Sadies. Country Club. Yep Roc Records 2009

    John Doe. Keeper. Yep Roc Records 2011

    John Doe & Jill Sobule. A Day At The Pass. Pinko Records 2011

    John Doe & Exene Cervenka. Singing And Playing. Moonlight Graham Records 2010

    John Doe. The Westerner. Cool Rock Records 2016

    Flesh Eaters. A Minute To Pray A Second To Die. Ruby Records 1981

    Flesh Eaters. Live. Homestead Records 1988

    Flesh Eaters. I Used To Be Pretty. Yep Roc Records 2019

    Knitters. Poor Little Critter On The Road. Slash 1985

    Knitters. The Modern Sounds Of The Knitters. Zoe Records 2005

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    Sylvie Simmons : Way out West. Mojo # 322 - September 2020

     

     

    Talking ‘Bout My Generation

    - Part Five

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    Les numéros de Rockabilly Generation se suivent et se ressemblent, tous aussi vivaces les uns que les autres, à l’image d’un genre musical encore très vert qu’on aurait tort de vouloir enterrer. Bientôt 70 ans d’âge, mais bon, le rockab, comme d’ailleurs le gospel, est à la racine de tout et un peu partout dans le monde, des groupes en perpétuent la tradition avec un art qu’il faut bien qualifier de consommé. Pas de meilleur avocat du diable que Rockabilly Generation qui depuis 2017 réussit à maintenir un équilibre éditorial entre les hommages aux vieux de la vieille et les portraits de nouveaux venus : non seulement on révise nos classiques, mais on fait en plus des découvertes.

    Dans le N°19 qui vient de paraître, deux articles remettent en route la machine à remonter le temps. En voiture Simone ! Quatre pages sur un Béthune Rétro sauvé des eaux, comme Boudu. Occasion manquée. Trop compliqué de toute façon. En feuilletant ces quatre pages, des tonnes de souvenirs sont remontés d’un coup à la surface, comme si un bouchon quelque part avait lâché. Toutes ces années, tous ces groupes, c’était un peu réglé comme du papier à musique mais diable comme on adorait garer la bagnole à Mazingarbe, à quelques kilomètres de Béthune. On y louait des chambres chez une dame charmante qui avait un poisson lune dans sa vitrine. Et de là on filait droit sur le beffroi, on regarait la bagnole derrière la Poste et on partait ensuite à l’aventure en bavant comme des limaces, car chaque année c’était la foire à la saucisse, avec des tas de groupes connus et d’autres parfaitement inconnus, c’était le temps de la foison, on ne savait plus où donner de la tête, on retrouvait les disquaires qu’on voyait chaque année, toujours les mêmes, on naviguait d’une scène à l’autre pour voir jouer les groupes, parfois ça tenait, parfois ça ne tenait pas, mais il y a eu pas mal de grosses révélations, comme par exemple les Anglais de Sure Can Rock, les Playboys de Rob Glazebrook, encore des Anglais, ou encore les Desperados de Californie qui étaient sur Wild, les Portugais Roy Dee & The Spitfires, et combien d’autres, des tas d’autres, et puis tiens les Wise Guyz, surtout les Wise Guyz, Jake Calypso et Don Cavalli, mais c’est vrai que l’affiche du Béthune Rétro miraculé de cette année fait rêver puisqu’on y retrouve la crème de la crème, Jake Calypso, Barny & The Rhythm All Stars et les Spunyboys. Et puis dans le chapô on nous annonce l’annive des 20 ans du Béthune Rétro l’an prochain. Il va falloir en glisser un mot à l’oreille du fantôme de Laurent, savoir si ça l’intéresse d’aller recasser une graine chez les Deux Frères.

    Alors on feuillette, Billy Fury, oui mais bon, et crac sur qui qu’on tombe ? Jerry Dixie. Ah le monde est petit ! Rencontré l’une de ses frangines, à l’époque où elle bossait à la Défense, disons dans les années 2000, et la relation a eu la peau dure, puisqu’elle existe encore bien qu’étant devenue sporadique, pour cause de délocalisation. Elle fut en quelque sorte une fiancée, mais son caractère explosif rendait toute idée de vie commune impossible, alors on ne se voyait que pour passer du bon temps. L’un des premiers cadeaux qu’elle fit fut un single d’un certain Jerry Dixie.

    — Jerry Dixie ? Tu connais pas ?

    — Ben non...

    — C’est mon frère. Il est à Sartrouville, à dix minutes d’ici.

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    Sur la pochette, Jerry gratte sa gratte. Il a le même sourire que sa frangine. Comme elle n’a pas de tourne-disque, il faut attendre le lendemain pour l’écouter. Ça s’appelle «Rockin’ At The ‘93’». Grosse surprise à la première écoute, car on s’attend à une espèce de country mou du genou de Sartrou, mais pas du tout ! C’est un sérieux blend de rockab, Jerry est dedans vite fait, bien fait, au beat d’Hey rock qui ne traîne pas en chemin. On se serait cru au Texas ! On se revit quelques jours plus tard.

    — Tu en as d’autres, des disques de ton frangin ?

    — Oui, tiens, j’ai ça...

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    Le CD s’appelle Dixie Rockabilly & Country. Pareil, sur la pochette Jerry gratte sa gratte. Il attaque avec «Hey Mr Songwriter», il est assez possédé, il a le hiccup facile. Une merveille ! Et ça continue avec «A Lit’ Bit Of Your Time», superbe tenue de route, c’est une révélation. Diable, comme ce mec est bon ! Il sait jerker le bop. Le guitariste s’appelle Patrick Verbeke, mais ça on va le découvrir un peu plus tard en menant l’enquête. On découvre aussi que ce CD Rollin’ Rock Switzerland est une compile de ses deux albums, Jerry Dixie Originals et By Fan’s Request. Tout au long de l’écoute, on s’effare de la qualité du son et du chant. Dans «Don’t Let The Bad Times Get You Down», ça banjotte comme dans le Kentucky. Jerry Dixie chante avec autorité, avec de vrais accents de Texas cat, son «Turn Away From Me» est une merveille imparable, il chante ça d’une voix profonde et si américaine. Et voilà qu’il tape «A Wall Of Coldness» au yodel. Il est d’une crédibilité à toute épreuve, on sent bien le fan qui a épongé toutes ses idoles. Pour un coin comme Sartrou, c’est carrément du super-stardom. Il est dans l’esprit, en plein dedans, il sonne comme Hank Williams ou Webb Pierce, c’est terrific de qualité. Il prend «How Long Will It Take» au louvoiement, il passe sous le boisseau du groove, il devient le real deal, the Sartrou working class hero, il est dans le feu de sa passion pour cette culture. On retrouve le fameux «Rockin’ At the ‘93’» suivi d’un «Big Sky Big Country» joué à la lumière du big sky. Il se tire une balle dans le pied avec «Back To Montana», car il pompe «Blue Suede Shoes» et redresse la barre aussitôt après avec l’excellent «On This Boxcar» - Travellin’ West - Jerry a du pot, il est toujours bien accompagné, tout est solide sur cet album, baby don’t you let me down, il a le son et il emmène son «Country Yodel Blues» au paradis, c’est bardé, absolument bardé de barda, il fait ce qu’il veut de sa voix. Et quand il reprend le «Jamabalya» d’Hanky, il est dessus, forcément.

    Elle ajoute :

    — Il a tout.

    — Tout quoi ?

    — Tous les disques de rock.

    Ah bon ? Effectivement quand on demande des copies de disques ou de films à Jerry, il a quasiment tout, surtout les films rares comme Rock Baby Rock It de Murray Douglas Sporup où on voit Roscoe Gordon, Johnny Carroll et d’autres fantastiques performers tombés dans l’oubli, les trois volumes des Collins Kids at Townhall, Carnival Rock de Roger Corman où on voit Bob Luman accompagné de James Burton, Teenage Millionaire de Lawrence Doheny où l’on voit Jackie Wilson, Chubby Checker, Dion et le Bill Black Combo, et le plus précieux cadeau de tous, un DVD sur lequel Jerry a compilé tous les scopitones de Vince Taylor. Jerry a frôlé la mort avec un cancer et c’est miraculeux de le voir en si bonne forme. Ce mec est un pur et dur, de ceux qu’on appelait autrefois les rockers de banlieue, working class jusqu’au bout des ongles. Il a tout simplement consacré sa vie à la musique qu’il aime, sans jamais se fourvoyer. Zéro frime. Fantastique constance de la prestance. Alors chapeau. Et merci à Rockabilly Generation de lui dérouler le tapis rouge. C’est à travers ce type de rencontre que ce canard forge sa réputation.

    L’autre bonne nouvelle, c’est la page 42 : trois visuels qui annoncent la reprise des festivals rockab à travers la France. Retour à la terre ferme.

    Et dans le N°18 paru avant la trêve estivale, on trouvait à la suite d’un hommage au grand Ray Campi le portrait d’un jeune amateur de Bluegrass, Benjamin Leheu. Inconnu au bataillon bien qu’il fut un temps basé en Normandie. Depuis, il s’est marié et s’est installé en Norvège. L’interview est passionnante, il évoque sa rencontre avec Hot Slap et il dit aussi avoir flashé sur l’excellent Pokey LaFarge qu’on a vu à plusieurs reprises sur scène à Rouen. C’est vrai qu’avec son look on pense à Pokey mais aussi à l’australien C. W. Stoneking, un autre géant du rootsy club. Tout ça pour dire que l’ami Benjamin a bon goût. Il cite aussi Hank Williams, bien sûr.

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    Très passionnant aussi le portrait d’Olivier Clément, on se dit tiens connais pas, on lit, on lit, et pouf on arrive à la fin sur la discographie. Quatre pochettes dont une connue au bataillon. Mais il est ici cet album ! On ressort de l’étagère le Dixie Stompers paru sur AWA en 1990 et qui, parce qu’il est bon, a échappé aux purges. On y trouve de jolies choses. Leur «Rock & Bop Blues» d’ouverture du bal de B est un pur chef-d’œuvre rockab. Vraiment digne de Charlie Feathers, monté sur une walking bass et hoquets à gogo. Aussi beau dans l’esprit, voilà «Loving Girl», vraiment joué dans les règles du lard fumé. Encore du wild rockab avec «Two Tones Shoes», embarqué au driving stomp. Ils terminent cette B exemplaire avec «Blue Jean Girl», classique mais solide. C’est un album très canadien dans l’âme. Les Stompers savent se fondre dans le rockab bien tempéré. Bravo, Olivier Clément ! On est donc bien content d’avoir lu son histoire.

    Signé : Cazengler, dégénéré

    Rockabilly Generation. N°18 - Juillet Août Septembre 2021

    Rockabilly Generation. N°19 - Octobre Novembre Décembre 2021

    Jerry Dixie. Dixie Rockabilly & Country. Rollin’ Rock Switzerland

    Dixie Stompers. #1. Awa 1990

     

    Inside the goldmine - Qui dort Dean

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    Le chasseur de loups sortit pour aller chercher de l’eau à la rivière. Soudain des coups de feu éclatèrent. Nate et son frère Nick se jetèrent au sol. Les balles pleuvaient. Ils devaient être des centaines dehors à canarder. Nate renversa la grande table pour se mettre à l’abri. Impossible de lever la tête pour jeter un coup d’œil, les balles sifflaient en permanence. Ces balles de gros calibre arrachaient chaque fois des éclats de bois. Il y eut une accalmie et Nate se rapprocha de la fenêtre. Il vit le corps du chasseur de loups criblé de balles à bison. Il était réduit en charpie. Là-bas, près de la rivière, des hommes sortirent du couvert en poussant un chariot chargé de foin. Ah ces chiens veulent nous enfumer ! Nate vida ses deux colts sur le chariot et réussit à abattre les deux hommes qui le poussaient. Le tir de barrage reprit aussitôt. Les balles sifflaient à nouveau dans la pièce. Nate se tourna vers son frère. Nick avait pris une balle dans le cou. Il était foutu. Nate tenta de jeter un coup d’œil par la fenêtre et vit qu’on poussait à nouveau le chariot en feu. Il vida ses colts mais le chariot avançait toujours. Il n’eut pas le temps de recharger ses barillets, le chariot heurta la cabane qui prit feu. Alors Nate écrivit rapidement une lettre d’adieu qu’il plia et glissa dans la poche de son gilet. L’intérieur de la cabane prit feu. Ça devint irrespirable. Nate s’empara d’un tabouret en bois et sortit en tirant, comme il avait vu faire Butch Cassidy et Sundance Kid dans un film, au cinéma municipal. Il s’écroula criblé de balles. Les mercenaires vinrent s’assurer que Nate et Nick étaient bien morts puis ils décampèrent. Jim Osterberg et Ella Fitzgerald arrivèrent un peu plus tard sur les lieux du drame. La cabane n’était plus qu’un tas de cendres. Ils virent Nate étendu au sol, les bras en croix. Malgré les centaines d’impacts de balles, il restait le plus bel homme d’Amérique. Jim vit quelque chose dépasser de sa poche. Il s’agenouilla. Oh on dirait une lettre ! Alors qu’Ella s’était mise à chanter un gospel, Jim déplia la lettre pour la lire à haute voix : «Il semble que je n’aie pas beaucoup de chances de m’en tirer. La maison est en feu. J’espère que vous penserez à écouter Dean Carter. Adieu Ella et Jim si jamais je ne vous revois pas. Nathan D. Champion.» Jim serra les dents tandis qu’Ella levait lentement les bras au ciel. Le chagrin leur broyait le cœur.

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    Bon c’est vrai, cette histoire est épouvantable, mais le message de Nate Champion est clair : il faut écouter Dean Carter. Pour ça, rien de plus facile : il existe une compile Big Beat parue en 2002, Call Of The Wild. Comme l’affirme Alec Palao dans le booklet, Carter was a wildman coughing up some of the most insane platters known to men. Dean Carter propose en effet l’un des plus affolants mélange de rockabilly sauvage et de stomping garage beat. Basé à Champaign, Illinois, Dean Carter aurait pu s’appeler Dean Frantic, ou encore Dean Relentless-Rocking-Drive. Il monte dans les early sixties les Lucky Ones avec Arlie Miller, Dave Marten (bass) et Kookie Cook au beurre. Pour conserver leur indépendance, Arlie Miller et Dean Carter montent un studio d’enregistrement - the Midnite Sound - et un label, Milky Way. C’est là qu’Arlie Miller devient une sorte de sorcier du son, un équivalent américain de Joe Meek. Il va produire durant les mid-sixties an incredible batch of pumped up, crazed recordings. Dean Carter qui tient à ne rien faire comme les autres gratte un dobro douze cordes. Sur la version complètement barrée de «Jailhouse Rock» d’ouverture de bal, Dean Carter est accompagné - en plus du basic backing - d’un accordéon, d’un ukulélé et d’une clarinette. Il enregistre «Mary Sue» avec Jerry Merritt, le guitariste de Gene Vincent. Carter pousse Mary Sue dans le push du pire extrême, dans un rockab-gaga complètement allumé digne de «Bird Doggin’», c’est violent, tendu au bassmatic, Carter chante le dos au mur, à la Little Richard, le feu au ventre et Merritt claque des notes de Mosrite ! Puis Carter démonte carrément la gueule du rock avec «I Got A Girl», on entend jouir un mec sous le riff carnivore, ouyyhhhh, jamais les Cramps n’ont approché ce niveau de sex craze, ha ha ha, la wah lance le solo pendant que l’autre continue de se branler, han han han, c’est extrême et, désolé les gras, insurpassable. «I Got A Girl» est le hit le plus ultime en matière de branlette gaga-punk, han han han car c’est du pur sex, un vrai coup de pieu dans le cul du cut. Puis Carter t’aplatit la «Rebel Woman». Il est le pire de tous, loin devant Lux et Vince Taylor, can’t you see. Il passe au tribal fracassé pour le morceau titre, pas de quartier. Dean Carter et Arlie Miller proposent une sorte de rock révolutionnaire, ils ne prennent rien au sérieux, on entend des guitares déglinguées dans «Sizzlin’ Hot», ils massacrent tout à la tronçonneuse, ils dévorent tout au no way out, ils pratiquent le so far out mieux que personne («Love’s A Workin’»), on entend partout des guitares excédées, des guitares à bout de nerfs. Et les racines rockab sont toujours là («Don’t Try To Change Me»). Oui, c’est là, in the face, I’m like a rolling stone, suivi d’un départ en solo de désaille. Carter propose aussi la version la plus punked-out de «Fever». Retour en grande pompe au wild rockab avec «I’m Leavin’». C’est inespéré, plein d’esprit du spirit. Ce mec est fou, il fait du James Brown dans «Dr Feelgood», il gueule dans son micro et derrière les folles font les folles, hey you ! Ça stompe dans le jus de juke, Dean Carter t’envoie une fois de plus au tapis. Tous ses cuts tapent dans le mille. Avec «You Tear Me Up», il plonge dans le deep groove et c’est à pleurer tellement ça écrase Elvis. Tout le génie de Dean Carter tient dans sa fantaisie, ou plutôt dans sa liberté de ton. Il monte tous ses cuts en neige sur un Milky Way dada. «Run Rabbit Run» est un mélange dément de rockab et de filles qui font yeah yeah ! Avec «Black Boots», il danse le jerk dans le club, il se prête au Grand Jeu du brouet gaga. C’est noyé d’espoir. Et quand il sort son dobro («Dobro Pickin’ Man»), c’est pour faire du Tony Joe White punk. Incroyable mais vrai ! Oh la violence du son ! Comme s’il réinventait le raw to the bone. Il fait du big Elvis groove avec «The Lucky One» et reste dans une sorte d’excellence lunaire. Et quand il rend hommage à Gene Vincent, ça donne «Boppin’ The Bug». C’est en plein dedans. Vibrant et stupéfiant de véracité. Retour au wild rockab avec «Forty Days». Pur wild cat sound ! Il termine avec un «Sock To Me Baby» à la Mitch Ryder, mais ça va loin cette histoire, parce qu’il sonne exactement comme Mitch Ryder.

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    Il existe un moyen de creuser l’histoire du Milky Way : une autre compile Big Beat : The Midnite Sound Of The Milky Way. On y retrouve notamment les mecs de Lucky Ones qui accompagnent Dean Carter, Kookie Cook et Dave Marten. Grosso modo, l’ambiance sur cette compile est aussi excitante que sur celle de Dean Carter. Cookie Kook vole le show avec «Don’t Lie» - Don’t lie to me babe - Il y va, bien insidieux, oh no no. Comme chez Dean Carter, on a un son très travaillé et une incroyable énergie. «Revenge» est le hit de l’asile de fous. Et avec «Misery», Cookie Cook fait du wild garage complètement sci-fi d’exaction, c’est gratté à la ramasse gaga du Milky Way et défenestré à coups de wouah. Cookie Cook est le plus enragé de tous. C’est un démon, avec «I Feel Alright», il tente d’égaler Dean Carter, mais Cookie n’est pas Dean. On a bien sûr un vieux départ en solo wild gaga. Il revient vers la fin avec «Ooby Dooby», un shoot de rockab pur. Une merveille, au niveau de la qualité du son. Ça boppe ! Clean as hell. Ils ramènent la crème du bop mythique, yeah yeah, font les filles. Leur version monte au firmament. Dernier coup de Jarnac de Kookie : «Space Monster», il y fait le boogaloo et pour ça, il est au bon endroit. Autre bombe : «Rebel Woman» par The 12th Knight, ça joue à la heavy fuzz, on plonge avec ça dans l’enfer de la fuzz du midwest, la pire fuzz de l’univers. Autre merveille inexorable : «Low Class Man» par The Four A While. Ils rampent juste derrière. C’est d’une modernité stupéfiante. George Jacks refait une version mouvementée de «Rebel Woman» et plus loin, il casse la baraque avec «Look». Et voilà le fameux sub-teen gaga band, the Cobras, avec «Try». Teenage délinquance et vrai son, poppy mais Midwest. Dave Marten s’en sort bien avec «You Gotta Love Me», il a envie d’elle, c’est un obsédé. Saluons aussi The Grapes Of Wrath qui avec «I’m Gonna Make You Mine» élèvent la pop du Midwest au rang d’art majeur, avec à la clé, un joli killer solo flash.

    Signé : Cazengler, Dean Carton (pâte)

    Dean Carter. Call Of The Wild. Big Beat Records 2002

    The Midnite Sound Of The Milky Way. Big Beat Records 2004

     

    L'avenir du rock -

    Dave ne Wyndorf que d'un œil - Part Three

     

    — C’est vrai ce qu’on dit, avenir du rock, que vous faites trois pas en arrière pour prendre de l’élan ?

    — Qu’y a-t-il de mal à ça ? Je ne vois pas où est le problème...

    — On vous imagine plus faire trois pas en avant que trois pas en arrière.

    — L’un n’empêche pas l’autre. Pourquoi voulez-vous que ça soit mieux dans un sens que dans l’autre ?

    — C’est la portée symbolique, voyez-vous. C’est un peu comme si vous reculiez pour mieux sauter...

    — Mais voyons, ça n’a pas de sens. L’élan n’a rien à voir là-dedans. L’élan est assez grand pour se débrouiller tout seul. L’élan se prend ou ne se prend pas ! C’est un peu ce que disait André Malraux, non ?

    — Oui, c’est vrai, mais quand même, vous devriez soigner un peu plus votre image... Pourquoi voulez-vous prendre de l’élan ?

    — Le problème n’est pas de prendre ou de ne pas prendre de l’élan, c’est l’élan qui décide, je viens de vous l’expliquer ! Je parle dans quelle langue ?

    — Vous vous débrouillez toujours pour arranger les choses à votre sauce. Ce n’est pas très fair-play de votre part.

    — Oh écoutez, vous êtes bien gentil, mais si vous étiez à ma place, vous feriez exactement la même chose.

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    L’avenir du rock ne voit pas que derrière ces questions se planque un reproche. Un groupe vieux de trente ans comme Monster Magnet a-t-il toujours droit de cité ? Alors on va répondre ce que répondrait l’avenir du rock : un groupe comme Monster Magnet a tous les droits, de la même façon que d’autres groupes n’en ont aucun.

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    Le faux double album trois faces paru cette année, A Better Dystopia, est un faux double album de reprises. Dave Wyndorf décide d’y repousser les frontières du Hell-gaga sci-fi. Il entre comme un shoot d’héro dans les artères du mythe viscéral avec un «Born To Go» d’Hawkwind complètement dévasté, complètement ravagé de l’intérieur, martelé dans les grandes largeurs, les Monsters monstérisent à outrance et voilà qu’un riff de basse inédit traverse ce flow déconcertant. D’ailleurs, Dave Wyndorf le dit à Duncan Fletcher : «I am totally in love with late ‘60s, early ‘70s paranoid songs.» Il propose la soupe aux choux de temps modernes - rrrrrrrrrru... rrrrruuuuu ! - une soupe à base d’acid-fried gaga, de heavy-psych, de proto-punk et de paranoid rock. On vient de l’espace pour goûter la soupe du Glaume Wyndorf, l’un de ceux que Fletcher qualifie à juste titre de true survivors, fervent croyant, nous dit Fletcher. Wyndorf croit au rôle de la popular music - a positive, redemptive, spiritually-guiding force - Une croisade qu’il mène depuis trente ans maintenant et qu’il mènera jusqu’au bout, donc ne te fais de souci pour la santé du rock, Wyndorf que d’un œil. Fletcher Honorama indique aussi d’où Wyndorf tire son inspiration : «From comic books, freak culture, bong culture, hot-rod culture, chou culture, pulp fiction, B-movies and writers such as William Burroughs and Hunter S. Thompson.»

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    Il va donc bourrer cet album de screams, comme le veut la tradition du mirifique paranoid psychosis. On réalise une fois de plus que Monster Magnet est le dernier grand Power gang américain. Eux seuls sont capables de relever le défi du «Solid Gold Hell» des Scientists. C’est un peu comme s’ils plongeaient dans leur élément. Wyndorf chante sur la réserve, juste derrière le voile de riff, et ça n’en est que plus toxique. Il cultive la tension, dans l’esprit du cut. Il lui donne une allure princière, au sens barbare de la chose, comme s’il chantait du haut d’un trône. «Solid Gold Hell» est probablement le cut le plus dérapé de l’histoire du rock. La voix de Wyndorf résonne dans des couloirs d’albâtre. Il déclame sous des voûtes, c’est désespérant d’ancienneté. On attend en vain le break de basse historique, mais les Monsters font autre chose. Le «Be Forwarded» qui suit nous vient d’un groupe nommé Macabre et le «Death» qu’on trouve en B est celui des Pretties. Avec «Mr Destroyer», ils renouent avec les clameurs de Sabbath, ces grands explorateurs du néant. Wyndorf chante vraiment comme le magicien d’Ozz du premier Sab et s’en vient flatter les plus bas instincts. Il précise au passage que c’est une reprise d’un groupe nommé Poobah. Bah dis donc ! Avec «When The Wolf Sits», on le retrouve perché au sommet du beat comme un loup de granit. Il chante à la clameur vespérale et redore le blason fracassé du power rock. Monster Magnet n’en finit plus d’abattre du terrain. On l’entend aussi chanter comme Edgar Broughton dans «Situation», ce sont exactement les échos de voix qu’on entend dans «Love In The Rain», alors t’as qu’à voir ! Le scream arrive au trot en C avec «It’s Trash». Wyndorf y hurle comme il n’a jamais hurlé et la guitare grelotte de notes de fulgure. La surprise vient de «Motorcycle (Straight To Hell)», une reprise de Table Scraps. Eh oui, nous y voilà. L’avenir du rock dans l’avenir du rock, comme autant de poupées russes. Hormis Birmingham band, Wyndorf ne dit rien de particulier de Table Scraps. Avec ce shoot de Motorcycle, Monster Magnet vise comme jamais il ne l’a fait le nec plus ultra de la brutalité bien ordonnée.

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    Pourquoi taper dans ce vieux son, demande Fletcher Honorama. Wyndorf répond que the ‘60s was an honest-to-God musical renaissance. Il ajoute que ce genre de phénomène ne se produit pas tous les jours. Fletcher Honorama ne comprend pas très bien, alors Wyndorf éclaire sa lanterne. Il explique que les mecs de l’honest-to-God musical renaissance ont inventé un art conceptuel qui n’existait pas avant, le rock’n’roll, un truc auquel personne n’avait pensé - We will be a band of brothers, a band of thugs, basically reinventing themselves to be characters or caricatures.

    Signé : Cazengler, Dave Wynmorve

    Monster Magnet. A Better Dystopia. Napalm Records 2021

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    Duncan Fletcher : The long trip home. Shindig! # 116 - June 2021

     

    BARON CRÂNE

    LES BEAUX JOURS

    ( Octobre 2021 / Bandcamp )

    Guitar : Léo Pinon-Chaby / Drums : Léo Goizet / Bass : Olivier Pain.

    Artwork : Nora Simon

    Baron Crâne, vu en concert à la Comedia de Montreuil, le Baron avait subjugué l'assistance, performance méritoire parce qu'à la Comedia le public il aime beaucoup le punk et le rock'n'roll destroy, et ils nous avaient servi une soupe au goût indéfinissable qui très vite se révéla être une ambroisie, un truc tantôt doux comme la tunique de soie de l'empereur de Chine et tantôt dur comme le fer de Lagardère qu'il vous aurait enfoncé dans l'œsophage. Un délice de rocker. Tout cela est raconté dans notre chronique 429 du 12 /09 / 2019. Bref ce quinze octobre 2021 ils sortent un album.

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    Ne fixez pas vos yeux sur la couve. Ce n'est pas qu'elle est moche, laide ou ratée, c'est qu'elle risque de vous saper le moral pour la semaine. Non elle est belle, elle rappelle ces intérieurs luxueux que peignaient Jacob Ochtervelt au dix-septième siècle, la scène respire la sérénité, une maman qui offre une tulipe à sa fille, attendrissant, si vous aimez les bêtes en voici deux, un chat et un chien qui s'amusent, serait-ce pas une allégorie pour signifier que la paix règne parmi les hommes. Arrêtez-vous là. Négligez de jeter un coup d'œil par les deux portes grand-ouvertes, vous seriez glacés d'effroi. L'on imagine un paysage campagnard, des vaches qui paissent paisiblement dans un halo de douce quiétude, c'est l'horreur absolue, ni une catastrophe, ni un cimetière, ni la guerre, tout bonnement le kaos ! Un paysage sens dessus dessous, les blocs monstrueux du monde entassés, fracassés, les uns sur les autres. Vous ne voulez pas le croire, et pour ne plus subir cette agression mentale, vous retournez, l'objet. Erreur fatale, ce que vous entrevoyiez, chers Caspard Friedrich en herbe, vous saute maintenant au visage, le gigantesque tohu-bohu deboule sur à vous plein-cadre, rien ne vous échappe, la terrible réalité de votre futur est là. Symbolisé par la petite fille qui s'est approchée de ce monstrueux empilement de glace, de rocs et d'écume ( suprême une entre les épaves abolit le mât dévêtu ) elle tient toujours sa rose à la main, ne priez pas pour elle, méditez. Le Baron nous signifie-t-il que la vie présente des hauts et des bas ( version optimiste ) qu'en ces temps pandémiques rien n'est assuré ( version réaliste ), que l'Humanité court à sa catastrophe ( version écologiste ), que nous sommes tous mortels ( version nihiliste ), que la sérénité de la beauté n'éclipse pas le grandiose fracas de son apparition ( version, celle que nous préférons, hölderlinienne ).

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    Danjouer : murmures des profondeurs venus des fonds de la mer, menaces des abysses qui enflent et pointent vers la surface, rupture battériale, trop classiquement rythmique pour être honnête, une vague qui caresse vos mollets pour mieux vous entraîner en avant sur les crêtes stridentes des guitares, jusqu'à la rupture incitatrice, break infini d'insistance de Simon Lemmonnier devenu moteur de cette force déferlante qui emporte tout et décroît lentement. La bête s'éloigne en sa tanière, avez-vous rêvé l'illusion des monstres qui grouillent dans la tourbe votre cerveau reptilien.( Simon Lemmonier : additionnal drums ) Larry' s journey : il existe une curieuse vidéo disponible sur YT réalisée par François-Xavier Dubois, une mise en images, une proposition de signifiance symbolique de ce morceau que je vous conseillerai d'écouter d'abord sans support visuel, les rockers purs et durs risquent d'être déçus, l'a un peu la facture jazz d'un opus de Thelonius Monk mais revisité en instrumentation rock, grossi et allongé au macrocospe, et quelque peu joué en accéléré, peut-être pour que les béotiens accoutumés aux riffs du rock basique se rendent compte qu'il existe aussi une subtilité titubante dans la musique. Qu'elle oscille toujours entre son et silence, entre séquence lente de la basse et séquence rapide de guitare, le tout martelé sur les tambours. Une plume d'ange qui vole sur le trou noir de l'Homme et ces mues successives, amoureux, sportif, jeune cadre dynamique soumis à la fureur innocente du sexe et à cette violence contenue qui n'attend que la moindre occasion pour se manifester, une vidéo quelque peu rilkéenne mais filmée à hauteur de nos instincts. Quarantine : le plus bel instrument n'est-il pas la voix humaine, ici elle colle à l'instrumentation comme si elle voulait la supplanter, ne lui laisse que quelques secondes pour poser les transitions successives, puis elle se métamorphose, combat du python et de l'anaconda, le réticulé enserré dans les anneaux géant de l'eunecte se tait, le vainqueur desserre ses anneaux, moment d'apaisement, le chant renaît en berceuse qui devient cri et rage lorsque la musique reprend sa puissance, l'on ne sait qui remportera la lutte, l'on dit qu'elle continue encore, qu'elle est sans fin. ( Cyril Bodin : vocal ); Mercury : raquellement de saxophone, une plainte sidérale, changement de climat, Quarantine était violent-prog, retour au jazz-infusion, montée en paliers, les instrus de base du rock s'entrelacent, tantôt ils marchent sur la pointe des pieds, tantôt la batterie bouscule le fragile équilibre, tout vacille, et l'on se trouve sur le long chemin de l'exploration expositive de la mélodie que Baron Crâne déroule selon un déploiement quasi-symphonique, et l'on retombe dans un solo sexyphone du bon vieux temps dans les terrains contigus du be-bop et de la new-thing, sur ce la batterie se radine avec ses gros sabots, très vite la guitare jalouse s'en vient zébrer de clinquances assourdissantes les roulades percussives, c'est l'alliance inespérée de la montée en les lointains de la puissance, si haut dans le ciel vide que ne nous parviennent que les ultimes traces sanglotantes du saxophone qui s'éteint. ( Guillaume Perret : saxophone ). Inner chams : attention, complexion complexifiante, le tutti entrelardé, séquence suivante la même chose mais en descendant d'un étage, en douceur pour les oreilles du chat qui n'y reconnaît plus ses petits, maintenant le Baron n'y va plus de main morte, vous balance des riffs épais comme des tranches de saucisson pour sandwich graisseux et plantureux, profitez de l'aubaine car ça ne dure pas longtemps, le méli-mélo jazzistique revient au premier plan, tous ensemble mais si serrés que l'on ne sait plus qui est qui, et l'on repart plein gaz avec cette guitare qui fuit et entraîne tout à sa suite, galopade de batterie et piqué de basse, le bolide se déplace à grande vitesse, jusqu'à la brisure brutale, avec ces tambours qui essaient encore une fois de se lancer dans un solo mais la guitare assourdissante leur coupe l'herbe sous les pieds, ils en sont réduits à se transformer en rythmique folle, tandis que la basse halète tel un chien lancé à la poursuite de la voiture de son maître, une fusée interplanétaire fonce dans le vide, attention au brusque atterrissage, l'on pensait débarquer sur un nouvelle étoile, l'on se retrouve à patauger dans notre pauvre cabosse. Merinos : une batterie en sourdine sur un rythme qui n'est pas sans évoquer le tempo impassible du boléro de Ravel, tout de suite survient la flûte avec ce son comme gêné aux entournures, comme si le souffle transportait trop de scories humaines, et la grosse artillerie écrase tout, quelques coups de marteau-pilon de la batterie pour clore la séquence, hoquètements cordiques et l'on se retrouve en apesanteur jazzistique du plus bel effet, l'on commence à comprendre la structure du morceau lorsque tonnent les canons stéréotypées des effets de manche du hard rock, qui se fragmente pour nous emmener dans un jazz-funk qui se fragmente afin de s'installer sur le devant de la scène, succès signalé par les gutturalités d'une basse annonçant le moment de décompression attendu, et l'on repart en guerre jusqu'à ce que la flûte pointe le bout de son museau, elle instaure un calme méditatif, vite renvoyé aux oubliettes par les gros pataugas du rock primaire qui s'amuse à détériorer la planète en écrasant arbres et cités en flammes. ( Roby Marshall : flûte ); Les beaux jours : pourquoi tant de haine dans le morceau précédent, pourquoi cette mer de glace triomphante, l'album ne s'intitule-t-il pas les beaux jours ! Les voici dans le dernier titre éponyme, après tout ce vacarme une voix humaine s'interroge sur l'inéluctabilité de la catastrophe matérialisée par l'ampleur sonore, alors la chansonnette hausse la voix, elle hurle la mélodie pour couvrir le vacarme du dehors, moment de prairie indolore, claquements sonores de mitraillettes battériale, lors la voix reprend et réussit à recouvrir le vacarme, elle se hisse à la crête du tsunami qui s'avance, elle ne veut pas abdiquer, elle refuse l'évidence, impose pratiquement le silence à l'hostilité qui la menace, tout est en suspend dans ce long solo de guitare qui tente de s'éterniser, la basse chantonne par-dessous, un instant d'éternité plane sur les eaux de l'angoisse, et le morceau s'achève doucement comme si l'optimisme avait triomphé. Un instant d'éternité, certes, oui mais pour combien de temps ? A moins que ce ne soit le truc de l'autruche qui truche et triche. ( Léo Pinon-Chaby : vocal ).

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    Un bel opus, pratiquement un concept album. Avec cette ambivalence et peut-être même cette trivalence rock-prog-jazz. Abouti et qui se cherche. Les invités ne sont pas là par hasard et mensongèrement l'on serait presque tenté de dire par amitié, sont une nécessité, les ambitions du Baron Crâne excède les strictes limites du simpliste trio de base. Difficile avec un matériel humain si primal, même lorsque l'on est doué, d'atteindre l'envergure de l'aile d'un ange. Nous ignorons vers quoi Baron Crâne se dirige, z'ont allumé notre curiosité, elle ne risque pas de s'éteindre.

    Damie Chad.

     

    *

    J'ai revu Mona. Sur le marché de Provins. C'est Denis le bouquiniste, le seul mec de la place qui vende de la bonne came, chez lui point de légumes avariés d'appellation Bio, qui me l'a tendu. Pas Mona, le bouquin. Pour toi, qu'il m'a dit et enlevant son pouce qui cachait le coin gauche il a ajouté Polar et Rock 'n' roll. Deux euros, je ne risquais pas de me ruiner. J'ai pris, j'ai li, j'ai vi. La chronique est après cette introduction. Avant cela, je vous cause un peu de Mona. Vous vous en foutez. Bande d'ignorants, derrière Mona, se cache Elvis. Pas évident à discerner, moi-même je n'en savais rien, du moins je le croyais, pourtant Platon l'a affirmé, on n'apprend rien, on se souvient. M'a fallu un méchant pense-bête pour que la mémoire me revienne.

    Bizarre ce nom d'éditeur, La Tengo Editions, qui est-ce, un petit tour sur le net et comme Hank Williams, I saw the ligth. Suis tombé en plein sur la liste de leurs publications, une première puce à l'oreille, ah c'est eux qui publient le mook, le Schnock, la revue des vieux de 27 à 87 ans, je suis jeune ( d'esprit ), aussi ne l'ai-je jamais volé ni acheté. Et puis aussi la revue Charles plutôt axée sur la politique, et enfin parmi d'autres Mona. Non ce n'est pas un magazine pour jeunes filles prépubère, mais une héroïne de roman policier. L'a un prénom passe-partout, mais le nom de famille qui suit est facile à mémoriser : Mona Cabriole.

    Dix livres parus entre 2009 et 2011. Pourquoi la série ne s'est-elle pas poursuivie jusqu'à nous ? Question d'autant plus pertinente que sur la quatrième de couverture l'est marqué encadré en un filet rouge : '' Mona Cabriole, 20 arrondissements, 20 auteurs, 20 romans, une collection de polars rock au cœur de Paris ''. Je n'ai pas de preuve, vous fournis un indice lourd de sens, le titre du dixième opus ne laisse présager rien de bon : Requiem pour Mona. Dans tout roman policier il faut chercher à qui ne profite pas le crime, les ventes n'ont pas dû avoir été pharamineuses, en haut lieu on a décidé d'arrêter les frais, pauvre Mona !

    Vous allez me trouver cynique, je suis triste pour Mona, snif ! Snif ! Mais je regrette Olivier. Olivier Brut, couturier styliste chargée d'habiller Mona, autrement dit de graphiter le packaging – ainsi parlent les anglais – bref chargé de la charte graphique des couvertures. Trois couleurs, noir pour le polar, rouge pour le sang, blanc pour la pâleur des cadavres, un exercice de style, c'est net, Brut s'en tire bien, esquisses glauques et fantomatiques, trois coups d'aplats filiformiques et il vous résume le book en trois coups de pinceaux. L'est doué le monsieur.

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    Sensibilité rock oblige, un tour sur son blogpost s'impose, vous découvrirez que vous le connaissez déjà, s'est chargé de plusieurs couvertures chez Camion Blanc, non pas les hideuses qui alignent en format timbre-poste des pochettes de disques, mais par exemple celle de 24 Histoires pour Lemmy dans lesquelles on trouve au hasard ( qui fait bien les choses ) Pierre Mikaïlloff, Alain Feydry ( voir recension de son livre Listen to me, Portrait de Buddy Holly in KR'TNT 522 du 23 / 09 / 2021 ) et cerise sur le gâteau un certain Patrick Cazengler. Un super boulot, tout est classé méthodiquement, j'ai déjà pris la décision d'écouter des disques que je ne connais pas uniquement parce qu'il s'est chargé des illustrations.

    Donc ils avaient repris la tactique de la série ( près de trois cents titres ) Le Poulpe : un auteur différent pour chaque nouveau bouquin. Ainsi le premier Tournée d'adieu est signé de Pierre Mikaïloff, ex-membre des Désaxés dont nous avons présenté ses biographies de Noir Désir et d'Alain Bashung, mais ce n'est pas lui qui nous intéresse, c'est le huitième tome de Stéphane Michaka, Elvis sur Seine, dument – parce qu'Elvis est notre vice – répertorié dans notre livraison 188 du 08 / 05 / 2014.

     

    LE CINQUIEME CLANDESTIN

    MARIN LEDUN

    ( La Tengo Editions / 2009 )

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    Marin Ledun a reçu toute une flopée de prix plus ou moins prestigieux pour une grande partie de ses livres, romans ou essais. L'écriture de celui-ci ne m'a guère convaincu, elle court mais pas assez sèchement, elle ne claque pas comme des coups de feu. Chez La Tengo Editions l'on a dû partir d'un principe-clef : les amateurs de rock écoutent disques et CD's par centaines mais ne sont pas des lecteurs de Proust ou de Joyce. Leur faut du fast-food, vite expédié. Z'auraient quand même pu refiler à Mona Cabriole une monture de ce nom, l'ont doté d'un scooter encore échappe-t-on à la mode de l'électrique, nous voici privés de pétarades Triumphales, en 2009 ce n'était pas d'actualité. Aujourd'hui elle serait dotée d'une trottinette.

    L'action ne trotte pas, elle galope, en un jour et une nuit Manon vient à bout d'un réseau de chair fraîche. Pourtant l'organisation maffieuse bénéficie de protections occultes. Les flics ferment les yeux, la mairie de Paris n'y voit aucun mal, on sous-entend fortement que dans les hautes sphères du pouvoir... Oui c'est politique. Le sujet est explosif, le sort réservé aux clandestins dans notre pays. Et spécialement dans le cinquième arrondissement. Surtout des jeunes africaines jeunes et jolies. Sans papier, sans boulot, des proies idéales... Critique un peu de gauche mais sans illusion révolutionnaire, les petites mains et les gros saligauds qui se chargent de la sale besogne finiront en prison, l'on s'en doute, la morale est sauve, l'on n'est pas dupe, les supérieurs ( soi-disant ) inconnus ne seront pas inquiétés et une fourmilière détruite, dix autres se reformeront aussitôt. La loi de l'offre et la demande. La main invisible du marché.

    Et le rock'n'roll là-dedans. Soyons franc, l'est un peu plaqué. Manon Cabriole est une passionnée de rock dur et de punk pointu. Son groupe préféré semble être Nofx, les néophytes ne sont pas entièrement perdus, des pointures comme Bowie, Metallica ou The Clash figurent au tableau. Aux moments cruciaux un refrain approprié tourne dans sa tête, des paroles qui rythment l'action, expriment l'urgence de la situation et définissent l'implication existentielle, pour ne pas dire éthique, de l'héroïne, transcrites en langue originale, mais traduites en bas de page en notre idiome national par Eloïse Bouton, je ne la connais pas mais elle m'a évité deux ou trois contresens et nombre d'inexactitudes.

    Vite lu, vite oublié. Espérons que quelques lecteurs peu sensibles aux fracas rock'n'rolliens se soient précipités vers leurs disquaires...

    Damie Chad.

     

    RAUNCHY BUT FRENCHY ( 4 )

     

    LE CHIEN DE BARABBAS

     

    N'accusez pas votre mémoire, ne relisez pas les Evangiles in extenso, jamais vous n'y trouverez mention du chien de Barabbas. En plus il est mort, Barabbas bien sûr, mais je parle du chien qui n'appartenait donc pas au Barabbas biblique mais à Barabbas, le groupe, qui a enregistré en 2014 un album intitulé Messe pour un chien.

    '' Barabbas, messe'', par la grâce de ces deux mots votre esprit a tilté : ça sent le christianisme ! Attendez je vous refile l'effectif du groupe : Basse, choeurs : Saint Jérôme / Batterie: Saint Jean Christophe / Guitare : Saint Stéphane / Prêche : Saint Rodolphe. Par et pour le Saint Riff Rédempteur, c'est leur cri de guerre !

    Après tout pourquoi pas, il existe une telle pléthore de groupes qui se réclament de Satan que se présenter sous une invocation christologique apparaît comme un gimmick commercial de plus. N'existe-t-il pas aussi aux Etats-Unis des groupes qui se définissent en tant que rock-chrétien, blue-grass-chrétien, metal-chrétien, etc... il y en a pour toutes les chapelles ! Dans les années soixante un groupe devait avoir un son à lui, dans les décennies suivantes la nécessité d'une image est devenue très importante... Posons la question à gros sabots de bois : les Barabbas ont-ils la foi ! Durant leur enfance oui, mais l'âge venant et la laideur du monde s'appesantissant sur leur conscience, ils ne croient plus qu'ils croient. Que chacun porte sa croix ! Le personnage de Barabbas est ambigu, lorsque Pilate propose de gracier ou Barabbas ( voleur et criminel ) ou le Christ ( beau parleur ), le peuple choisit Barabbas. Le malandrin l'emporte sur l'agneau innocent. Quelle leçon à en tirer : que les petits malins s'en tirent mieux que les autres ?

    Venons-en au chien. Il a appartenu à un de nos quatre saints. Je ne donne pas son nom au cas étonnant où il aurait été un mauvais maître. Il n'a pas eu une belle mort, épuisé, incapable de marcher, il s'est traîné lamentablement durant de longs et douloureux mois, avant que Dieu ne l'accueille au paradis. J'ai embelli la fin de l'histoire pour nos lectrices trop sensibles. Barabbas n'a pas échappé à la fatalité de leur nom, le CD est dédié à leur chien, une belle idée à la Trente Millions d'Amis, mais ce n'est qu'un prétexte ( je suis acerbe ) ou qu'un symbole ( je joue à l'intello ) de la destinée humaine. Il est vrai que beaucoup de nos contemporains mènent des vies de chien.

    MESSE POUR UN CHIEN

    BARABBAS

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    La malédiction de Sainte Sélène : l'on s'attendait à une introduction grandiose, l'on n'est pas déçu, il est facile de décrire le doom comme du metal funéraire, sur le livret du CD de vaniteuses têtes de morts, l'humaine et celle du bouc diabolique, agrémentent la citation d'Isaïe que Saint Rodolphe psalmodie sur la pompière grandiloquence funèbre, le doom emprunte souvent beaucoup plus à la musique classique qu'à ses origines metalliques, non les basses n'y vont pas doucement, en l'écoutant n'oubliez pas la mort est votre seul avenir. Le couteau ou l'abîme : ça ne s'arrange pas, une seule différence, la musique plus violente, oppressante, belle idée cette espèce d'écho sur la voix, un moine qui chante sous la voûte d'un monastère, pratiquement du chant grégorien, les paroles ne sont guère jouissives, vous avez le choix, entre la mort et la mort, sympathique mais un peu limité, le discours habituel du nihilisme chrétien, toutefois un gros blasphème, j'ai tout de suite rédigé une lettre de dénonciation à la Congrégation de la Sainte Inquisition, n'accusent-ils pas Dieu d'être insensible aux prières humaines, la batterie a de ces bruits sourds de trappes qui s'ouvrent pour que le pendu bascule dans le trou qui se dérobe sous ses pieds, la guitare siffle à la manière de ces lames de guillotine qui se hâtent de descendre afin de vous trancher le cou, z'avez aussi une basse qui ricane en catimini, et puis ils ne se retiennent plus, sur la fin se prennent pour les Chevaliers de l'Apocalypse et l'Armagueddon à eux tout seuls. Si vous ressortez vivant de cette écoute, passez-moi un coup de fil pour fêter le miracle. Du doom pompier certes. Mais pyromane. Moi, le mâle omega : nos très chers frères persévèrent dans l'erreur fatale, le morceau débute comme une diatribe nietzschéenne et se finit après un solo incendiaire en un space-opera très grand spectacle, quatre minutes de rythme amphétaminisé, que dis-je amphétamaximisé, à fond les ballons, la baudruche humaine rêve et se gonfle tellement fort qu'elle repousse les limites de l'univers. Du stoner du tonnerre. Judas est une femme : pas tout à fait des paroles pour les féministes, quant à la musique lourde comme une condamnation à perpétuité il vaut mieux ne pas en parler, est-ce la punition de Dieu, le mâle Omega ( ô méga man ) a rencontré la femelle Alpha, la donzelle ils vous la passent au rouleau compresseur, cent fois en marche avant, cent fois en marche arrière, z'ont la colère noire et folle, appuient de toutes leurs forces sur leurs instruments, l'orgueil blessé se transforme en bouillie de rage martelante, un petit moment de répit, la basse qui se moque et tire la langue à cette bouillie sanglante, et puis ils finissent de l'aplatir et de l'aplanir. Ils ont la haine.

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    La beauté du diable : n'ont pas peur d'aborder les sujets dérangeants. Ne sont pas des Saints, c'est pour cela que Dieu leur pardonnera. Peut-être. Vous racontent l'histoire du petit chaperon rouge, vue du côté du loup qui n'hésite pas à satisfaire ses appétits, sans honte ni regrets. Musique d'une lourdeur effrayante, un rock bulldozer qui dérange les anges, Fallait oser. Ils l'ont fait. Flamme incoercible du désir. Les paroles noyées sous un magma sonore en émoi. Chaud brûlant. Priez ! : vous pouvez prier, mais cela ne sert pas à grand-chose, inutile d'écouter les paroles, vous connaissez la chanson, la musique suffit, elle est lourde et sans espoir, la batterie roule et tourneboule dans l'exaspération, priez tant que vous voulez la guitare en rigole, elle en verse un long solo de larmes, Dieu n'est même plus nommé, son inutilité est patente. Que les saintes brebis attendent la mort qui approche. Son pas lourd résonne dans tout le morceau. Le sabbath dans la cathédrale : pire que la messe des fous, la perversion extrême, longue intro, la procession s'avance vers le chœur de la cathédrale, les corps sont aussi nus que les âmes, c'est la grande liesse, le grand coït, vont s'aimer les uns dans les autres, impies et impitoyables, pervertissent tous les rites sacrés, ne respectent rien, rythme lourd de bacchanale gorgée de stupre et de sang. Danse de l'ours sauvage, de plus en plus rapide, de plus en plus folle. Joie ô joie. Glissade terminale. Vielle tradition catholique qui emprunta beaucoup au paganisme. Messe pour un chien : tiens on revient au chien, comme au tarot. Changement d'ambiance, la musique pleut, elle s'élève, se voudrait légère, retombe, se relève, claudique, le pauvre animal n'en peut plus, la fin est plus que proche, il rêve son dernier rêve, les portes d'ivoire de la mort s'entrouvrent, ambiance mélodramatique,mais le drame n'est pas devant lui, il est derrière lui, tout ce qu'il n'a pas réalisé en sa pleine jeunesse, que voulez-vous l'on n'est pas toujours le loup qui se rue sur le petit chaperon rouge, c'est trop tard pour le regretter, il est mort, il est maintenant immortel, il court dans les jardins de l'éternité, la musique s'apaise, elle est devenue légère, elle trotte allègrement même si des ondes de tristesse la submergent, peut-être existe-t-il un point d'équilibre où tout s'égalise, ou rien n'a d'importance, où l'on atteint l'insoutenable légèreté du non-être. Roulement de tambour. Tout est terminé. Missa est. Allons en paix !

    Superbe ! Un des meilleurs albums de rock français que je n'aie jamais entendu. Percutant, décapant, dérangeant, racinien, avec unité de temps, de lieu, et de personnages, une dramaturgie terriblement efficace. Question christianisme, ils n'y vont pas avec le dos de la louche du premier moutardier du pape, passent le dogme au kärcher, n'hésitent pas sur les images choc : '' Dieu est mort, en tombant d'un nuage, c'est moi qui l'ai poussé '' !

    Une mention spéciale pour Saint Rodolphe, l'a son phrasé à lui, n'imite ni les rosbeefs ni les amerloques dans sa manière de poser les intonations, se contente d'être lui, ce qui est rare.

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    Pour la couve, elle s'imposait, l'entrée du cimetière des chiens d'Asnières, manifestement inspirée par les arcs qui bordent Le Canope, pièce d'eau des ruines de la villa d'Hadrien de Tivoli, l'artwork est de Benjamin Moreau, je ne m'attarde pas dessus car j'ai prévu une chronique sur ses activités graphiques et musicales.

    Un petit bonus : Messe pour un chien est paru en novembre 2014, mais dès mai 2014, trois préproductions de trois morceaux sont sur Bandcamp. La couve nous en dit davantage sur ce chien mort et enterré dont le destin est une des inspirations de l'album.

    FINAUD / 1954 – 1969

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    Selene : moins d'emphase, moins d'envol, moins symphonique, davantage rock, davantage terre à terre ce qui correspond à cette notion d'enterrement que la mort de Finaud suscite. Sifflements de guitare à mettre en relation dans notre imaginaire occidental avec la course échevelée les chiens d'Hécate aboyant à la lune par les froides nuits venteuses. Absence des lyrics. La beauté du diable : longue intro musicale, l'histoire du petit chaperon rouge sans les vocals, juste la partition en quelque sorte, rehaussée de chœurs lointains et inquiétants avant que Saint Rodolphe ne lance le chant, cette préprod n'a pas la force de celle proposée sur l'album, musique trop binaire, presque banale, il manque l'aura sulfureuse de l'œuvre accomplie. Judas est une femme : musicalement mieux réussie que les deux précédentes, de la lourdeur mais le chant un peu trop retenu. Moins de hargne, trop commun. En trois mois ils ont reçu la grâce de l'esprit malsain qui fait toute la différence.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    UNE TENEBREUSE AFFAIRE

    EPISODE 04

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    PETIT DIALOGUE ETYMOLOGIQUE

    Pour une fois, le Chef n'avait pas allumé un Coronado, du coin de l'œil je le voyais tripoter son téléphone portable, appareil dont il professait une sainte horreur et qu'il n'utilisait presque jamais, je calai le régulateur de la Lambor sur un pépère 180 lm / heure, il était temps d'un petit briefing sur les évènements qui s'étaient déroulés depuis le début de cette aventure que je pressentais exceptionnelle.

      • Désolé de vous interrompre Chef, que pensez-vous de ces apparitions de Charlie Watts, je sais bien qu'avec les Roling Stones l'on peut s'attendre à tout, entre nous soit dit il exagère un peu Charlie, huit jours dans le trou et hop il se promène à l'air libre comme vous et moi !

      • Agent Chad le fantôme de Charlie Watts n'est pas un problème, c'est un fantôme qui se conduit comme un fantôme, vous-même agent Chad quand vous l'avez saisi par le bras, vous vous êtes aperçu qu'il n'avait aucune consistance, donc c'est un fantôme, la cause est entendue.

      • Admettons-le Chef, mais vous ne trouvez pas étrange qu'en haut lieu, on fasse appel à nos services et que l'on nous congédie quelques heures plus tard.

      • Je reconnais que c'est un peu vexant, croyez-moi ils nous rappellerons d'ici peu !

      • Chef, ne seriez-vous pas par trop optimiste !

      • Pas du tout, ils voulaient un fantôme, nous leur apportons la preuve de son existence, ils n'ont plus besoin de nous, ils nous jettent aux orties ! Notez toutefois qu'il n'a jamais été question de couper notre ligne de crédit. Sont prudents, nous gardent sous la main.

      • Ils sont donc contents d'avoir un fantôme !

      • Exactement ! Toutefois l'affaire me semble totalement bien tordue, agent Chad, un fantôme c'est gérable, souvenez-vous du gars qui a sifflé votre Bourbon, il venait de voir Charlie Watts, et le préfet de Limoges qui a laissé échapper qu'il y avait eu dis-sept apparitions de fantômes sur le territoire national, reconnaissez qu'une vingtaine de Charlie Watts qui déambulent dans toute la France, de quoi déclencher une hystérie collective, à quelques mois des élections présidentielles, voilà vingt chiens inattendus dans le jeu de quilles des politiciens !

      • Si je comprends bien Chef, vous insinuez que le SSR est manipulé, que les autorités nous ont dirigés sur Limoges pour nous éloigner de Paris !

      • Certainement Agent Chad, mais de tout cela, nous reparlerons, une chose diantrement plus grave me tracasse, pourriez-vous lâcher votre volant et vérifier sur votre portable l'étymologie d'hibiscus.

    Je m'exécutai promptement. Par acquis de conscience je visitai une dizaine de sites naturalistes, et quelques dictionnaires latins, grecs et syriaques.

      • Chef, Hibiscus vient du grec ibiokos qui signifie guimauve.

      • N'accordez aucune créance aux renseignements que véhicule le net, d'après mes connaissances ornithologiques il signifie cul d'ibis. Ne me regardez pas avec ces yeux en rond de frite, personne n'ignore que le cul de l'ibis rouge est d'une couleur rouge plus foncée que le reste de son plumage, méditez cela, Agent Chad, peut-être cela vous sauvera-t-il la vie d'ici peu. Cela mérite que j'allume un Coronado.

    RETOUR A LIMOGES

    Quelle ne fut pas notre surprise lorsque nous descendîmes de la Ghini arrêtée sur la lisière du Bois du Pendu, de loin, sur le moment nous crûmes qu'assis tous en rond, ils jouaient à pipi au lit. A peine nous virent-ils que le cercle se désintégra et une horde de jeunes gens se jeta sur nous, les garçons nous tendaient la main avec gravité, les filles nous embrassaient avec ferveur, Molossito et Molossa eurent droit à mille caresses, ça jacassait de tous les côtés, certains poussaient des hourras, d'autres en chœur répétaient sur l'air des lampions, Les héros ! Les héros ! Les héros !. Le Chef alluma un Coronado, Joël se détacha du groupe et fit les présentations :

      • Damoiselles et Damoiseaux un peu de calme, l'heure est grave, le SSR a délégué ses deux agents les plus brillants, il est nécessaire de les mettre au courant des derniers évènements.

    Joël avait motivé ses étudiants. L'enthousiasme de cette jeunesse avait outrepassé ses désirs. Non, ils ne se relaieraient pas pour guetter l'apparition de Charlie Watts, d'un commun accord ils avaient décidé de rester dans le bois autant de temps qu'il serait nécessaire. A midi tapante, ils étaient fin prêts, pas très loin de la lisière ils avaient profité d'un large creux de terrain pour dresser une quinzaine de tentes, sur un feu de bois glougloutait une grosse cafetière, des cartons emplis de duvets s'entassaient dans un coin, piles de sandwichs, boîtes de conserves, paquet de biscuits jonchaient l'herbe, on attendait Charlie de pied ferme, il ne se présenta pas.

    Le soir tomba, l'on mangea, la déception se lisait sur les visages, l'humidité transperçaient les vêtements, Le Chef prit la parole :

      • A neuf heures, je veux tout le monde au lit - il y eut des cris de protestation qui cessèrent vite - je ne veux rien entendre, pas un bruit, pas un mot, pas un rire, au lit ne signifie que vous dormirez, surtout pas, vous veillerez prêts à intervenir à mon signal, que personne ne sorte de sa tente avant que je n'en donne l'ordre, je ne m'étonne pas pas que vous ne l'ayez pas vu de la journée, trop de vacarme, trop de bruit, restez habillés, gardez vos chaussures, ne baissez pas la fermeture éclair de vos abris, n'ayez pas peur, l'agent Chad et moi-même sommes armés, nous sommes prêts à toute éventualité. Nous veillerons sur vous.

    L'autorité naturelle du Chef produisit son effet, à vingt et une heure pile, plus un seul piaillement de fille, pas le moindre beuglement de garçons. Les consignes avaient été suivies à la lettre. Enfin presque, à vingt-trois heures le marchand de sable était passé, la colonie en son entier dormait de son plus profond sommeil. A ma grande honte je dois l'avouer, le Chef et moi, fûmes bientôt assaillis par une douce somnolence et nous ne tardâmes pas à sombrer dans une profonde torpeur...

    Ce furent Molossito et Molossa qui nous réveillèrent en nous léchant le visage, il était près de deux heures du matin, nous fîmes rapidement le tour de tentes pour arracher la troupe des bras de Morphée, en trois minutes nous étions tous regroupés autour du foyer éteint, le Chef donna ses instructions à voix basse :

      • Interdiction de se mettre debout, vous vous déplacez en rampant, une fois hors du cercle des tentes, on se couche dans l'herbe, tous en ligne, vous laissez dix mètres de distance entre vous, l'Agent Chad prend la tête de la file de gauche, moi celle de droite, Joël au centre, gardez les yeux braqués sur la lisière, silence absolu, je rappelle la nuit est froide, la lune est absente, la brume est là, le bois est sombre. Action immédiate !

    L'herbe était mouillée, mais nous ne le sentions pas, l'excitation était à son comble, chacun imaginait ce qu'il redoutait, Molossa et Molossito s'étaient couchés à mes côtés. Nous n'y voyions rien, la truffe de Molossa se posa sur ma joue, nous étions les plus près du sommet, Molossa poussa Molossito de son museau, il démarra au galop, sans bruit, il cogna dans chaque visage, tout le monde comprit que le moment fatidique se préparait, à une trentaine de mètre, la noir de la nuit devint plus sombre, de cette noirceur mouvante se dégagea une forme, qui peu à peu prit une certaine consistance, l'ombre sembla hésiter, Molossa grogna dans mon oreille, je la reconnus, Charlie Watts entreprit de descendre la colline...

    A suivre...