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brian james

  • CHRONIQUES DE POURPRE 682 : KR'TNT ! 682 : JOHN CALE / BRIAN JAMES / PETER MEADEN / SWEET INSPIRATIONS / KIM GORDON / BUDDY RED BOW / THE FENDERS / KEN POMEROY

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 682

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    20 / 03 / 2025

     

    JOHN CALE / BRIAN JAMES

    PETER MEADEN / SWEET INSPIRATIONS

    KIM GORDON / BUDDY RED BOW

    THE FENDERS / KEN POMEROY

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 682

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - Cale aurifère

     (Part Five)

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                C’était presque rassurant de voir qu’on avait installé une batterie et des amplis au fond de la grande scène. Comme le programme annonçait un «concert tout assis», on s’attendait à un récital de piano bien pépère. Fausse alerte. Restait à savoir si John Cale allait rocker le boat normand comme au bon vieux temps du Sabotage.

             Il fait bien sûr partie de ceux qu’on attend comme on attendait le messie, autrefois, sur les chemins de Palestine. Calimero se paye le luxe de monter sur scène auréolé d’une légende qui s’étale sur soixante ans. Ils ne sont plus très nombreux à pouvoir se payer un tel luxe : Keef, Colin Blunstone, Iggy et lui. Après, t’as la seconde vague : Peter Perrett, Billy Childish, Frank Black, Anton Newcombe. Ils ont encore un peu plus de marge, car ils sont arrivés dix ans après. Calimero n’a plus trop de marge : 82 ans, pour un rocker d’avant-garde, ça ressemble un peu au dernier carat.

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             Et pourtant, il est là. Toujours aussi petit. La voix est intacte. Il est remarquablement bien accompagné, notamment pas cet incroyable guitar singer nommé Dustin Boyer qui là-bas au fond fait la pluie et le beau temps avec la pire des aisances, celle qui t’écœure. Il enrichit considérablement les structures sophistiquées des cuts de Cale, et des mecs comme Boyer, t’en croises pas tous les jours.

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             T’es donc là, assis comme un con à quelques mètres de Calimero. Tu n’as d’yeux que pour lui. Sa tête dépasse du clavier derrière lequel il est assis. Il lit ses textes sur un écran et regarde rarement le public. Tu sais que t’assistes à un concert hors normes, mais tu sombres assez rapidement dans une sorte de confusion. Le plaisir cède très vite au sentiment d’une fin des haricots. Une semaine après Peter Perrett, Calimero sonne le glas d’une époque. Fin de la rigolade. Dépêche-toi de bien les regarder tous les deux, car tu ne les reverras sans doute jamais. T’as même l’impression que toute ta vie va partir avec eux. Bon, tu te rattrapes aux branches, tu vis les secondes de set une par une, tu tends bien l’oreille pour attraper les mots que Calimero prononce encore d’une voix d’Empereur romain, tu l’observes pour fixer son image dans la psyché du temps, mais tu ne perds rien des signes d’affaiblissement de son corps, lorsque par exemple il quitte son clavier pour aller au micro voisin et passer la bandoulière d’une guitare. Il a du mal, c’est compliqué, il doit se faire aider, et tu ne peux pas l’accepter. John Cale n’est pas un pépère : c’est un héros, le bassiste du Velvet. 

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             La fin d’une époque est l’idée contre laquelle on se bat chaque jour de toutes nos forces. Le rock t’a servi de fil rouge toute ta vie, et tu continues de conformer tes pensées et tes actes sur ce modèle. Ça veut dire quoi le rock ? Liberté, pour commencer. Et donc refus catégorique de toute forme d’autorité. Puis plaisir sans entrave. Tous tes héros t’ont servi le rock sur un plateau d’argent. On a connu six décennies de bonheur parfait grâce à ces gens-là. Le rock a même réussi à balayer le souvenir de tes naufrages. Liberté, refus de l’autorité, mais aussi invincibilité. Il ne peut rien t’arriver, puisque tu écoutes du rock. Il ne peut rien arriver non plus à tes amis, puisqu’ils sont rock. Et si par malheur un de tes héros casse sa pipe en bois, tu fais quoi ? Tu pleures ? Non, tu lui dresses un autel de fortune pour célébrer sa mémoire et tu t’aperçois qu’il n’a jamais été aussi vivant. Elvis et Syd Barrett sont toujours parmi nous. On ira même jusqu’à dire qu’ils font partie de nous. Le rock pourrait bien être devenu la seule religion des temps modernes.

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             À leur façon, Peter Perrett et John Cale repoussent eux aussi les frontières. Ils donnent l’exemple. Ils taillent la route. C’est aussi ça le rock, tailler la route. Ils kickent the jams, motherfucker ! Il faut voir John Cale kicker les jams de «Ship Of Fools» ! Il faut voir Peter Perrett rocker «The Beast» ad vitam aeternam ! Ces vieux crabes rockent encore comme des démons ! Avec son weird «Ship Of Fools», Calimero avoisine dangereusement le «Sister Ray», ça riffe dans les brancards, ça flirte avec le wild as fuck - The Ship of Fools is coming in - Calimero gratte ses deux accords et derrière lui, t’as Dustin Boyer qui fait son Sterling Morrison, et qui gratte des riffs en travers, alors là tu bascules dans l’extase, car c’est en plein dans l’esprit du Velvet, mais sans feedback. Cette version de «Ship Of Fool» n’a strictement rien à voir avec la version originale qui se trouve sur Fear.

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             D’ailleurs, pour revenir à des aspects plus techniques, Calimero tape pas mal dans Fear pour ce set. Il claque une version bien sentie du morceau titre, «Fear Is A Man’s Best Friend» et jute avant la fin du set, il ressort aussi le vieux «Barracuda» qu’on aimait pas trop à l’époque, à cause de son côté balloche, mais là, sur scène, ça prend une autre allure, avec un léger côté heavy in tow. Le deuxième cut qu’il gratte sur sa Strato blanche est le «Cable Hogue» tiré d’un autre album Island, Helen Of Troy. Dommage qu’il n’ait pas préféré reprendre «Pablo Picasso». Le seul cut qu’il tire de Mercy est «Moonstruck (Nico’s Song)». Il met aussi son vieux Sabotage à contribution, avec trois cuts : «Captain Hook», fantastique entrée en matière, il en fait de l’avant-rock qui te laisse littéralement sur le cul, rien à voir avec la version originale. Version longue, fabuleusement intrigante, pas de meilleure entrée en matière. Puis il fait une version bien rampante d’un cut pas très connu, «Rosegarden Funeral Of Sores», qu’on trouve en bonus sur la red de Sabotage, et là, crois-le bien, ça rampe sec. Et bien sûr, il tape en rappel la vieille cover ratée d’«Heartbreak Hotel» qui ouvrait le bal de la B sur Slow Dazzle et qui sonnait comme un pétard mouillé. L’idée était bonne, mais ça ne fonctionnait pas. Il est aussi allé piocher «Villa Alabani» dans un album des années 80, Caribbean Sunset. Pas la meilleure époque. Dommage qu’il n’ait pas opté pour ce «Model Beirut Recital» complètement sonné des cloches d’all fall down. On espérait aussi un petit coup d’«Hanky Panky Nowhow» ou d’«Andalucia». Tintin. Zéro Paris 1919

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             Contrairement à ce que font la plupart des artistes, il ne tournait pas pour la promo de son dernier album, Poptical Illusion (il n’en a joué qu’un seul cut, «Davies & Wales»). Il a préféré servir sur son vieux plateau d’argent un panaché rétrospectif d’une carrière extraordinairement riche, l’une des plus riches qui soient, car il a couvert tous les registres avec un souci permanent de qualité avant-gardiste, que ce soit dans l’expérimentation (Mercy) ou dans la pop mélodique (Paris 1919). John Cale n’a jamais vendu son cul. Il a toute sa vie navigué à la pointe de l’intellect, il a toute sa vie veillé à rassurer ses fidèles, cet homme extraordinairement pur n’a jamais trahi sa parole. What’s Welsh for genius ?     

    Signé : Cazengler, John Cave

    John Cale. Le 106. Rouen (76). 25 février 2025

     

     

    Wizards & True Stars

    - Au bonheur des Damned

    (Part Four)

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             La dernière fois que Brian James est monté sur scène avec son groupe, les Damned, c’était à l’Apollo de Manchester en 2022, pour deux concerts, les 3 et 5 novembre. On peut voir celui du 3 sur le DVD d’une petite box : AD 2022. Bien pratique pour les ceusses qui n’y étaient pas.

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             Le DVD sur un grand écran, ça passe encore à peu près, c’est moins pire que cette catastrophe de YouTube, mais ça ne vaut quand même pas le groupe en chair et en os. Disons qu’avec un DVD, on se documente, on ne vibre pas. Et avec YouTube, on débande. 

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             Bon, c’est vrai, on n’est pas là pour parler de nos pannes de secteur. On est là pour rendre hommage à Brian James qui vient tout juste de casser sa pipe en bois et qui fut jusqu’au bout de sa vie le fils spirituel de Wayne Kramer. Sans lui, pas de Damned. Sans «New Rose», pas de punk.

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             La petite box AD 2022 est parue l’an passé. Inutile de préciser qu’elle est indispensable à tout fan des Damned. Brian James a dû donner des consignes à la caméra, car elle ne s’approche jamais de lui. Il joue dans son coin, sous son vieux chapeau. On ne voit jamais son visage qui reste dans l’ombre. Il porte une barbe blanche, un gilet, un grand jean flottant et des baskets. Pas question de faire un effort vestimentaire. Il gratte sa vieille SG rouge. Tranquille. Pas de gestes particuliers. Pendant une heure trente, il reste en mode wall of sound/statue de sel. Il doit se demander ce qu’il fout là, cinquante ans après la bataille, à gratter les mêmes vieux poux. Il doit avoir besoin de blé, c’est la seule explication valable. Car refaire les Damned à l’âge de 70 balais, c’est un peu compliqué. Mais ça passe, parce que ce sont les Damned. Ils ont un truc que les autres groupes anglais n’ont pas : l’énergie de Detroit et une petite brochette de hits.

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             Pour ces deux concerts à Manchester, ils ne jouent que les cuts des deux premiers albums, ceux de Brian James, et quelques reprises. D’ailleurs, ils démarrent sur un cut de fin, «I Feel Alright». Brian James ressort toute la vieille riffalama des Stooges. Captain porte une marinière et bombarde sur une Hofner. Assis derrière, le vieux Rat bat son beurre, mais on sent comme un léger ralentissement. Il a l’air tout crouni. Quant à Dave Vanian, il s’est peint les lèvres en noir. Brian James reste planté sur son tapis d’Orient. Seules ses mains bougent. Ils tapent une version d’«Help» que Brian James surjoue comme si c’était un cut du MC5. Il reste fidèle à ses racines. Il lance «Born To Kill» au riffing des enfers, mais on voit bien que le Rat n’a plus de punch.

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             Brian James reste le boss des Damned, son guitar-slinging ressemble à un déluge de feu. Les early Damned sont vraiment un cas unique en Angleterre. Mais leur set-list comporte quand même pas mal de déchets : «Stretcher Case», «I Fall», «Alone», «Fish», «Sick Of Being Sick», «See Her Tonight» ne sont pas beaux. Brian James gratte ses milliards de tiguilis à la Kramer. «Fan Club» sort du lot, avec son riff magique, et t’as cette grosse machine qui se met en route : sans doute l’un des plus beaux cuts des Damned, avec cette fuite sous le vent. Même quand les cuts ne sont pas bons («One Of The Two», «Problem Child»), il y a une dynamique. Et soudain Captain annonce le pot aux roses : «This one is a Lemmy favourite!» Dear ole Lem...» Boum ! «Neat Neat Neat», Captain fonce au dah dah dah dah-dah-doum, train fou dans la nuit, et t’as le solo déluge de feu - I can’t afford a gun at all - Et ça continue avec la démolition de «Stab Your Back». Captain indique qu’ils jouaient déjà ça en 1977 à Manchester avec Marc (Bolan pas l’autre). Ils font un «New Rose» approximatif, pas en place, c’est dur, ils ont perdu la félicité de la fluidité, la véracité de la vélocité. C’est le vieux Rat qui n’est plus bon à rien. Le cut se termine en eau de boudin. Puis ils tapent dans le «Pills» des Dolls, avec un sax qui fait les coups d’harp de David Jo. Brian James fait son Johnny T. Pas de problème. Puis il fait son Brian Jones sur «The Last Time». Sans doute est-ce la dernière fois que Brian James fait son Brian Jones. Ils terminent leur set avec un pur Damned hit, «So Messed Up» - Face is a mess - et le vieux Rat fout le feu à ses cymbales - She hadn’t even got a grain - Alors Dave Vanian détruit la basse Hoffner à coups de pied de micro. Sacré Dave ! Le seul qui ne soit pas pathétique est bien sûr Brian James qui a quitté la scène vite fait.

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             Pour retrouver Brian James, il existe un autre passage obligé : Final Damnation, le concert de reformation des Damned au Town & Country Club en 1988. Il vient tout juste d’être réédité. Ouf ! On avait ça sur VHS, mais pas de lecteur.

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             Pourquoi il faut impérativement voir ce DVD ? Parce qu’on y trouve une interview de Brian James. Il re-raconte toute l’histoire du groupe et ramène une foule de détails. Son narratif est le bon, celui qu’il faut écouter. Puis il en vient aux raisons du split des Damned après le départ du Rat : le groupe est retombé à plat - flat - et ça ne l’intéressait plus. Il ajoute qu’il est arrivé la même chose aux Who après la mort de Moonie : flat ! Comme il n’y avait pas d’animosité entre eux, Brian James et des Damned se voyaient et se parlaient. Quand l’idée d’une reformation est arrivée, Brian James a dit oui - A reunion gig? Sure! Why not? - Et les voilà sur scène tous les quatre comme aux plus beaux jours. Le Rat dit que pour lui c’était like in the old days. Intégrés dans le film du concert, on voit aussi pas mal de bouts d’interviews, notamment Roger Armstong qui affirme que les Damned  «were better musicians than Pistols or Clash.» Pour Carol Clerk, le Rat ne peut pas être autre chose que le drummer des Damned. Et les voilà qui arrivent sur scène : Captain en short, avec un masque de femme de harem sur la gueule et une basse sans mécaniques. Brian James porte un chapeau et un T-shirt Alamo, et Dave Vanian frime un peu avec sa banane, sa mèche blanche et cette longue queue de cheval décorée d’un nœud pap.

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             Brian James gratte sur une Tele et aussitôt après «See Her Tonite», ils lancent l’assaut de «Neat Neat Neat». C’est du pur MC5. Brian James se barre en vrille de Kramer. Ils enchaînent avec «Born To Kill» et ça reste dans le Detroit Sound : incroyable moisson de gimmicks, de chords et d’échappées belles, il vise la permanence de la fournaise, il est le maître à bord et donne aux Damned ses lettres de noblesse. «Fan Club» ! Captain allume sa clope. Il n’existe sur cette terre que deux rois de la fournaise : Brian James et Wayne Kramer. Ron Asheton, c’est autre chose, disons le cran au-dessus. Brian James fournit l’extrême fournaise aux Damned. Il mouline sa purée en continu, avec une gestuelle appropriée. Ils tapent une belle cover d’«Help» et enchaînent avec «New Rose». Ils basculent dans la stoogerie avec «I Feel Alright». On voit bien que Brian James est au paradis. Il fait du Ron à la Kramer. 

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             Fin de la première partie. Brian James sort de scène, il est remplacé par deux petits mecs et les Damned MK II tapent dans Machine Gun Etiquette. On mesure à quel point les Damned MK II ne sont plus du tout le même groupe. Le seul cut qui reste dans l’esprit originel, c’est «Love Song». En fin de deuxième partie, Brian James revient pour «Looking At You». Captain prend le premier solo et Brian James le deuxième. Le Rat fout le feu à ses cymbales. Ils terminent avec la cover du diable : «The Last Time».

             34 ans séparent ces deux concerts. Brian James aura tenu son rang jusqu’au bout. Magnifique incarnation du rock.

    Signé : Cazengler, damné du pion

    Damned. Final Damnation. DVD Fabulous Films Limited 2024

    Damned. AD 2022. DVD EarMusic 2024

     

     

    In Mod We Trust

     - King Meaden touch

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    En remerciement d’un service rendu, Dionysos accorda jadis au roi Midas la pouvoir de transformer tout ce qu’il touchait en or. The Midas Touch. Il se pourrait fort bien que Peter Meaden soit la réincarnation de King Midas. Steve Turner ne s’y est pas trompé, en titrant le book qu’il consacre à Peter Meaden King Mod.

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             Très beau book : King Mod. The Story Of Peter Meaden, The Who, And The Birth Of A British Subculture tient bien en main, belle reliure à l’anglaise, choix typo imparables, richement illustré, toute la paraphernalia des Mods est là, depuis les Who jusqu’aux scoots en passant par Major Lance, Guy Stevens, Jimmy James & The Vagabonds et Phil The Greek. Mise en page exemplaire, avec à la coupe de généreuses cheminées dans lesquelles glissent les textes des légendes. Tout s’aère fantastiquement. L’éditeur est un crack. Petite cerise sur le gâtö : t’as un avant-propos d’Andrew Loog Oldham.

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             Le Loog et King Meaden se connaissaient, puisqu’ils ont bossé un peu ensemble, avant de se lancer tous les deux dans les carrières que l’on sait : le Loog va lancer les Rolling Stones et King Meaden va lancer les Who. Pour le Loog, King Meaden connut d’une certaine façon le même destin que Brian Jones. Rise and fall. Brian Jones casse sa pipe en bois à l’âge de 27 ans et King Meaden à l’âge de 37 ans. Le Loog reconnaît qu’à l’époque il y avait dans l’empire naissant des Rolling Stones un petit côté Sa Majesté des Mouches, avec un côté «no mercy», dont Brian Jones fit les frais. C’est Peter Meaden qui a initié le Loog à l’«American Clobber» de The Scene Club.

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             King Meaden n’est pas n’importe qui. Il tente de bosser pour Brian Epstein, mais, se marre Turner, «Epstein qui était gay trouva Peter trop flamboyant à son goût.» Il y aura une petite brouille entre le Loog et King Meaden. Ils s’habillaient de la même manière - trying to outsmart each other - King Meaden tente d’imiter le Loog, nous dit Philip Townshend, «but one was a genius and the other wasn’t.» Et chacun part de son côté. Norman Jopling compare le Loog - Andrew was cool, sharp, very bright, very aware - à King Meaden, son aîné de deux ans - more artistic, a bit mad, a bit brillant, always flailing around - Et quand Meaden «was on», ajoute-t-il, «no-one could touch him.»

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             King Mod est essentiellement un Mod book. Un book de référence sur la Mod culture. Turner fouille dans les racines et exhume un article du Daily Mirror daté de 1958, titrant : ‘Are you a Trad or a Mod?’. Ça cause déjà de cheveux courts et de mohair suits. Puis un article du Guardian daté de 1960 évoque l’émergence des modernists, des jeunes gens qui dansent et qui s’habillent chez des tailleurs. Bowie - que cite King Meaden - indique que le look Mod «came out of the French fashions.» Les autres points clés de la Mod culture sont The Scene Club de Ronan O’Rahily, au 41 Great Windmill Street, Soho, et les amphètes, essentiellement le Drinamyl, qui permet de tenir du vendredi soir au dimanche sans dormir.

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             Première DJ du Scene Club : Sandra Blackstone, puis ce sera Guy Stevens, qui est alors un collectionneur de 45 tours américains. C’est King Meaden qui va transformer The Scene Club en Mod club. Il va créer la Mod craze originelle. Et voilà qu’arrivent les Mod words : la majorité des Mods sont des ‘tickets’, les purs et durs sont des ‘numbers’ et les cracks sont les ‘faces’. D’où les High Numbers, le nom que choisit King Meaden pour les Detours qui vont devenir ensuite les Who. Dans l’esprit de King Meaden, Townshend, Moonie, The Ox et Daltrey sont des «numbers who liked to be high», high on drugs, high on Drinamyl, bien sûr. Mine de rien, c’est toute la dynamique d’une culture que King Meaden met en route à travers les Who. Il n’en finit plus de faire l’apologie de ce mode de vie Mod, tout au long de l’interview qui est le cœur battant du book - The most amazing sort of life you could imagine ! - Pour lui, c’est la plus belle des vies, the finest, les trois jours sans dormir, the Scene Club. King Meaden évoque les années 1964 à 1967, il évoque les 250 000 Mods d’Angleterre, puis Jimmy James & The Vagabonds, «a purist mod band», et les Who qui sont devenus «the focus of mods». Il compare les 250 000 revolutionary kids aux combattants du Vietcong, et là, ça devient très fort.

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             King Meaden explique encore qu’il a sapé les Who, «boxing boots and fashionable  things», t’as des photos des Who qui prouvent qu’ils sont le plus anglais des groupes anglais. Il rappelle aussi que Moonie était un fan des Beach Boys, Daltrey «a straightforward rocker», The Ox «a serious musical student» et Townshend «an art student» parfaitement au courant des tendances de l’époque. King Meaden les emmène chez Guy Stevens qui leur fait découvrir Link Wray, James Brown et des tas de singles Motown, Stax & Sue. Il leur fait même un compile de deux heures sur une K7. King Meaden s’intéresse au moindre détail des futurs Who : leurs coupes de cheveux, leurs pompes, les paroles de leurs chansons. Turner a raison de dire que King Meaden voit les choses exactement de la même façon que les verra dix ans plus tard McLaren : il ne voit pas seulement un groupe, mais un mouvement. Il y a un parallèle évident entre les histoires des Who et des Pistols : sortis de nulle part, gros son, grands cuts et grands looks. Modernité, originalité et immédiateté. En 1964, les High Numbers jouent au Scene Club devant leur public Mod. Ils tapent des covers de Tommy Tucker («Long Tall Shorty»), des Miracles («I Gotta Dance To Keep From Crying») et le «Pretty Thing» de Bo Diddley. Turner livre là de fabuleuses informations - The groups that you loved when you were a mod were the Who - Boom «My Generation» ! - That’s how the song «My Generation» happened, because of the mods - Eh oui, on les voit danser les Mods sur «My Generation» dans Quadrophenia. Ça ne fait pas un pli. T’as l’impression de vivre un moment historique.

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    ( Keith Moon - Kit Lambert )

             Puis King Meaden va se faire évincer. Kit Lambert et Chris Stamp vont reprendre le management des Who et dédommager symboliquement King Meaden qui les a lancés. Lambert propose aux Who un «lucrative deal», alors c’est dans la poche. King Meaden ne fait pas le poids face à ces deux forces de la nature que sont Lambert & Stamp. C’est Daltrey qui annonce la couleur à King Meaden, lui disant qu’ils vont être payés 20 £ par semaine, «plus our cars». Il n’y a rien d’autre à ajouter : King Meaden n’a pas les moyens de suivre. Lambert l’invite au resto et lui propose 500 £ pour le dédommager. King Meaden qui est un gentil mec accepte et dit merci. Il va compenser avec Jimmy James. De toute façon, The Scene Club ferme en 1966, et en 1967, King Meaden passe à Captain Beefheart et à l’acide. Vers la fin du book, King Meaden conclut ainsi le tragique chapitre des Who : «I think Pete is the greatest mod of all time. And myself.»

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             King Meaden va ensuite perdre Jimmy James & The Vagabonds. Plusieurs raisons sont évoquées. Il semble que la plus plausible soit celle du comptable qui a récupéré le management du groupe. En 1967, King Meaden flashe sur la pochette de Safe As Milk qui trône dans la vitrine d’un disquaire de South Moulton Street. Il écoute ça et découvre un «brother in madness». C’est la période où il essaye de «développer des talents», notamment le duo Dave Brock/Mick Slattery qui vont devenir Hawkwind. King Meaden leur fait écouter Captain Beefheart et fout de l’acide dans leurs tasses de thé. Brock dira à Carol Clerck qu’il fut enchanté de ce trip. Puis King Meaden emmène Brock et Slattery en studio enregistrer une cover de l’«Electricity» de Captain Beefheart. Il va aussi tenter de lancer la carrière de l’immense Donnie Elbert en Angleterre. Mais rien ne sort de tout ça.

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             King Meaden cite à la volée des hits de Northern Soul, l’«Ain’t Love Good Ain’t Love Proud» de Tony Clarke, le «Daddy Rolling Stone» de Derek Martin, Major Lance, Curtis Mayfield & The Impressions. Turner ajoute à cette liste le «Let’s Go Baby (Where The Action Is)» de Robert Parker et «The In Crowd» de Dobie Gray.

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             King Meaden fait aussi l’apologie de la volition, c’est-à-dire la volonté, ou le drive - This is what speed gives you and this is what the mods are all about - C’est presque intraduisible. Le mot français le plus appropriée est sans doute ‘énergie’. D’où l’image de la Mod craze. C’est intimement lié au speed, le fameux Drinamyl prescrit par les médecins pour soigner la dépression, ces cachets triangulaires qu’on appelle aussi Purple Hearts ou Frenchies. «A functional drug», qu’il découvre en 1962. Il n’en est pas à son coup d’essai : il teste la Benzedrine après avoir lu Kerouac. Il reste infiniment littéraire, comme l’est Robert Palmer dans sa relation à l’hero, via William Burroughs. Quand on testait le laudanum, c’était bien sûr en référence à Artaud. Et ainsi de suite. King Meaden ajoute que le Drinamyl a disparu et que son toubib lui prescrit de la Dexidrine. Il revient inlassablement sur le kick du speed, qu’il image - It’s like the kick-start on a motorcycle - et revient encore au «move forward», au «keep moving forward, and that’s what the mod thing is.» Avoir ces cachets dans la poche de son Tonik : «You have paradise on hand». C’est King Meaden qui branche Townshend sur le Drynamil et en échange, Townshend le branche sur l’acide en 1967. King Meaden entre fabuleusement bien dans les détails, et on sait que le soin du détail est le cœur de la Mod culture. 

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             T’es Mod, alors tu danses. Tu ne dragues pas. King Meaden insiste beaucoup là-dessus - Free from libido, from sexual drives - T’es là juste pour avoir du bon temps. Pas de compétition. Il débouche sur la notion de liberté. Ne dépendre de personne. Mod pour lui c’est la liberté, «real free living».

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             Il descend au Scene Club avec son ami Brian Jones. Il insiste encore sur le purisme des Mods, «very private» et paf, il te sort la formule magique : «As I say, modism, mod living, is an aphorism for clean living under difficult circumstances.» Pour lui, tout ce qui comptait était de passer du bon temps, «just having a good time with your own drug which would keep you up.» Et paf, au détour d’une page, il t’apprend qu’il a vécu un temps avec Mick & Keef «in Mapesbury Road, in South West Hampstead».

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             Vers la fin du book, David Bowie dit un truc fondamental, qui éclaire bien tout le propos de King Meaden : «Non seulement j’ai été le premier dans le monde à reprendre une chanson du Velvet, mais je l’ai fait aussi avant que l’album du Velvet ne sorte. Now that’s the essence of Mod.» Jean-Yves qui était fasciné par la Mod culture expliquait que les Mods anglais étaient précurseurs en tout. Turner dit qu’un Mod est «at the cutting edge of the youth fashion», mais connaît aussi «all the hottest records, clubs, coffee bars, boutiques, trends and parties.» C’est génialement bien résumé.

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             King Meaden revient dans le cercle des Who en 1978 lorsqu’il bosse pour leur manager Bill Curbishley. Et paf, il tombe en plein dans la préparation du tournage de Quadrophenia, et bien sûr, il s’identifie pleinement au personnage de Jimmy qu’incarne Phil Daniels. Il va filer un sacré coup de main au réalisateur Franc Roddam. S’il en est un qui peut documenter la Mod culture, c’est bien King Meaden ! 

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             Le dernier gros coup de King Meaden sera le Steve Gibbons Band. Pour l’aider à se remettre du choc d’avoir été dépossédé des Who, les Who lui filent un coup de main, via leur structure Trinifold, pour manager financièrement le Steve Gibbons Band. Comme Gibbons est encore sous contrat avec Tony Secunda, Bill Curbishley rachète le contrat de Gibbons pour l’offrir à King Meaden. Musicalement, Gibbons va plus sur Chucky Chuckah que sur la Mod craze, mais c’est pas grave, puisque King Meaden a flashé sur lui. En 1977, Gibbons aura un hit avec une cover de «Tulane». King Meaden fait intervenir son ami Kenny Laguna (futur manager de Joan Jett) sur l’album Rollin’ On.

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             Comme on le craignait, le Rollin’ On du Steve Gibbons Band n’est pas l’album du siècle, même produit pas Kenny Laguna. C’est donc un son très américain, mais d’une banalité sans nom. Aucun espoir. Gibbons tape un country rock affreusement toc. Il se prend pour les Eagles. Au bout du balda tu croises le fameux «Tulane», mais t’en feras pas tes choux gras. En B, il tape une power pop à la mode californienne avec «Please Don’t Say Goodbye», bien éclairée par un big soloing à la mode US. Comme il y a deux lead guitaristes, Dave Carrol et Bob Wilson, tu ne sais pas lequel joue. Te voilà bien avancé.

             Puis King Meaden se fout en l’air. Six mois plus tard, Moonie casse sa pipe en bois suite à une overdose. 

    Signé : Cazengler, Peter Mitaine

    Steve Turner. King Mod. The Story Of Peter Meaden, The Who, And The Birth Of A British Subculture. Red Planet Book 2024

    Steve Gibbons Band. Rollin’ On. Polydor 1977

     

    Inside the goldmine

     - Sweet au prochain numéro

             Pour trouver Baby Sweet, il fallait aller jusqu’à Stalingrad et enfourner la rue du Chaudron, se glisser furtivement sous un porche avachi et grimper deux étages de marches vaincues par le temps. Tout dans cet endroit indiquait le plus absolu des renoncements : marches, murs, odeur, lumière. Drrring ! Elle ouvrit sa porte dès le premier coup de sonnette.

             — Bonjour cher ami !, lâcha-t-elle d’un ton enjoué.

             — Dear Baby Sweet, la gaieté de votre accueil me console des peines infligées par vos deux étages !

             Elle avait le physique très guilleret des petites femmes de Paris, telles qu’on se les représentait dans les années cinquante : corpulence plutôt fluette, taille de guêpe, visage poupon et bien rond, coiffure artificiellement frisée de cheveux châtain coupés courts, lunettes classiques à fines montures métalliques, tout cela enrobé d’une gouaille de type Arletty. Elle portait un chemisier noir négligemment passé dans un pantalon de flanelle noire. Nous prîmes place dans la banquette un peu défoncée du salon. L’appartement paraissait lui aussi avoir renoncé à tout, surtout au ménage. Il se trouvait dans un état de délabrement peu banal : la moquette élimée fourmillait de miettes. Cette nonchalance ménagère cachait peut-être quelque chose d’intéressant. L’explication ne tarda pas à se manifester en la personne d’un chat. Monsieur Mistigri sortit de la pièce voisine et vint renifler les jambes du visiteur. Baby Sweet semblait passionnée par son chat. Elle en décrivit dans le détail le tempérament et les manies, les sautes d’humeur et l’antériorité, les coupures d’appétit et les tentatives de fugue. Monsieur Mistigri ne se nourrissait que de biscuits et de friandises. D’où les miettes. Profitant d’une faille dans le soliloque, il glissa une requête :

             — Que pourrait-on boire pour agrémenter cette charmante conversation ?

             Prise au dépourvu, Baby Sweet s’excusa platement d’avoir manqué à ses devoirs d’hôtesse et proposa au choix de l’eau minérale ou du thé. Alors qu’elle préparait le thé dans la cuisine, il dut se résoudre à mettre les bouts. Pas question pour lui d’explorer les voies impénétrables de Baby Sweet, c’est-à-dire ses métiers, ses ex, ses goûts culturels et, pire encore, ses goûts sexuels, et d’y mélanger les siens, qui ne lui inspiraient que de la honte. 

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             On peut espérer que les Sweet Inspirations faisaient le ménage chez elles. Et qu’elles ont rencontré des mecs plus intéressants que celui cité plus haut. Elles furent longtemps les protégées de Jerry Wexler, puis d’Elvis, à Las Vegas. Elvis avait même réussi à les imposer au Colonel qui ne voulait que des blancs sur scène. Ah ce fucking Colonel !

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             Le premier album des Sweet Inspirations est un bel Atlantic sans titre de 1967. Belle pochette, les chicks te foutent bien l’eau à la bouche. Oh les cuisses, oh les cuisses, elles me rendront marteau ! T’as Cissy impératrice, Myrna Smith, Sylvia Shemwell et Estelle Brown. Tu veux jerker, baby alors tiens, voilà leur vision de «Knock On Wood», elles te gospellisent le Knock au softy du smooth, avec un fabuleux angle d’attaque. Le Kock te fond dans la main. Elles tapent aussi le «Don’t Fight It» de Wilson Pickett, elles sont magnifiques de get up, et d’here you sit yeah !, elles en font un real deal. Cissy remonte encore les bretelles du cut à coups d’I like the way you move et les chœurs de feel it t’explosent littéralement sous le nez. Elles tapent aussi dans Burt en B avec «Reach Out For Me», ce n’est pas le meilleur Burt mais elles te le groovent à merveille. Ça fait boom car la puissance interprétative s’ajoute à la puissance compositale et elles envoient Burt valdinguer par-dessus les toits. Pur Black Power de pouliches offertes ! Elles tapent aussi le «Don’t Let Me Lose This Dream» d’Aretha, elles n’ont aucun problème pour aller gueuler au sommet de l’Ararat d’Aretha. En B, elles tapent le «Sweet Inspiration» de Dan Penn à la clameur de gospel. Il faut les voir monter le Penn en neige. C’est quelque chose, d’autant que c’est produit par Tom Dowd et Tommy Cogbill. Elles tapent aussi l’«I’m Blue» d’Ike au choobeedoo beedoobeedoo, c’est fin et farci de feel à la patte du caméléon. Elles terminent avec «Why (Am I Treated So Bad)», un slow groove de Pops Staple. C’est une plongée dans le deepy deep de la Soul, la pire de toutes, celle des champs de coton. La Soul n’a jamais aussi bien porté son nom. Elles en font leur terrain d’excellence. Bravo les filles !

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             Cissy impératrice reprend son vrai nom (Drinkard) pour Songs Of Faith & Inspiration. C’est le bon gros gospel d’Atlantic. Dès «What A Friend», Cissy t’explose vite fait le gospel, le ciel, l’église en bois, boom ! Elle est la plus puissante du monde. «I Shall Know Him» est encore du pur gospel batch. Cissy impératrice s’échappe dans le ciel. C’est Myrna Smith qui prend «Swing Low», elle n’a pas du tout la même voix, elle est beaucoup plus veloutée. Les quatre Sweet sont d’extraordinaires solistes, comme on le voit ensuite avec Sylvia Shemwell et «Guide Me». Accent plus mûr, un peu fêlé. En B, c’est au tour d’Estelle Brown de charger la barcasse sur «He’ll Fight». Cissy revient avec «Without A Doubt», elle est beaucoup plus directive, elle pèse de tout son poids, elle expurge le gospel de tous ses péchés. On la voit ensuite chauffer son «23rd Psalm» à la folie. Ah, il faut l’entendre screamer dans le round final ! Et puis t’as Estelle Brown qui revient swinguer «Down By The River Side» avec un tambourin. Wild as gospel fuck !      

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                  Elles attaquent What The World Needs Now Is Love avec deux covers de Burt, «Alfie» et le morceau titre. Mais ça ne marche pas, elles chantent trop à la force du poignet, Burt est trop fin pour une femme à poigne comme Cissy. Dommage. Elles prennent le morceau titre à la voix perchée et ça foire lamentablement. Cissy n’est pas assez sexy pour Burt. Elles s’en tirent mieux avec le «Watch The One Who Brings You The News» de Don Covay. Il faut dire de Tom Dowd veille au grain. Elles font un numéro de haute voltige avec «Am I Ever Gonna See My Baby Again», monté sur un bassmatic en escalier et des nappes de violons au fond du son. On ne sait hélas pas qui joue le bassmatic. C’est en B que tu trouves leur fantastique version de «Walk In My Shoes». Pur Black Power ! Le wild r’n’b est leur vrai fonds de commerce. Ce que vient confirmer «I Could Leave You Alone», un r’n’b fabuleusement chaloupé, quasi gospel. Soul éternelle encore avec «You really Don’t Mean It». Ah comme elles sont bonnes pour le rumble ! Voilà un album qu’il faut bien qualifier de passionnant.    

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              Deux petites merveilles sur Sweet For My Sweet : «Get A Little Order» que Cissy mène au poumon d’acier, et «Crying In The Rain», un hit signé Carole King. David Hood se retrouve au devant du mix avec son bassmatic. Bien joué, Hoody boy ! Sa basse pouette savamment. Encore de la fantastique allure avec l’«Always David» d’Eddie Hinton, my yoyo hero/ I love you ! Elles sont irréprochables, de toute façon. Elles font aussi de la petite pop de Brill avec l’«It’s Not Easy» de Barry Mann & Cynthia Weil, et en B, tu vas retrouver le morceau titre signé Doc Pomus/Mort Shuman qui a donné «Biche O Ma Biche» en français. Là il faut remonter au temps de Salut Les Copains et de Frank Alamo. Disons qu’il s’agit d’un album classique, à l’image du «Don’t Go» d’Ashford & Simpson : Soul très chantée, très composée, très orchestrée, très Atlantic. 

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             En dépit de sa belle pochette Soul, Sweet Sweet Soul n’est pas le meilleur album des Sweet. Elles ont quitté Muscle Shoals pour aller enregistrer chez Gamble & Huff. On devra se contenter de «Shut Up». Elles s’y montrent explosives. Elles y font de l’Aretha avec la même niaque fondamentale, mais en mode Philly Soul. On se régale bien sûr du «Give My Love To Somebody» qui suit, car c’est un groove fabuleux de délicatesse, bien coulé dans le moove du Somebody. Là on est au cœur de la Philly Soul, une Soul beaucoup plus racée. Encore de la Soul sophistiquée avec «Two Can Play The Game», Cissy chante ça dans le haut du panier, à l’écarlate. Comme «(Gotta Fiind) A Brand New Lover» est signé Gamble & Huff, on s’incline devant cette incroyable sophistication, tout est joué au délié prémonitoire. Et puis en B, Gamble & Huff récidivent avec «Them Boys» une belle tranche de Soul secouée aux percus, encore du très grand art de look out for them boys. Elles sont magnifiques de docilité.  

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             Plus de Cissy impératrice sur Estelle, Myrna & Sylvia, un bon vieux Stax de 1973. Mais attention, toutes les compos sont signées David Porter/Ronnie Williams, gage de qualité et de sophistication. C’est une Soul très ambitieuse, solidement orchestrée, presque jazzée. «Wishes & Dishes» est un slowah superbe et sculptural. On entend de la belle harangue de Black Power dans «Slipped & Tripped», bien axée sur l’Aretha, et du joli swing de Stax dans «Pity Yourself». Robert Thomas gratte ça à la clairette. Cette Soul vise résolument l’aventure intellectuelle. Ray Griffin signe le bassmatic bien rond d’«All It Takes Is You & Me». En B, «Emergency» s’en va groover sous le boisseau de Porter, un boisseau d’or fin. Elles vont chercher des harmonies vocales troublantes. Porter sait travailler l’esprit d’une Soul audacieuse et d’une éclatante modernité. Il fait aussi de «Call Me When When All Else Fails» une merveille contemplative, montée sur le dos rond de Ray Griffin. Et puis avec «The Whole World Is Out», t’as encore une mélodie chant qui ne tient qu’à un fil, mais quel fil ! Les Sweet sont les crackettes de la haute voltige. C’est noyé d’orgue et chanté à la pointe d’une belle petite glotte rose et humide, avec la meilleure bonne volonté du monde. Et quelle prod !       

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             Sur le dernier album des Sweet, Hot Butterfly, ne restent plus que Myrna Smith et Sylvia Shemwell. Estelle est partie. Elles proposent un diskö-funk urbain et maintiennent un bon niveau de blackitude. Le morceau titre est assez beau, tenu par le chant impeccable de Sylvia. On retrouve Sylvia en B, avec «Love Is On The Way», très beau cut de diskö des jours heureux, et plus loin, Myrna tape dans la good time d’«It’s The Simple Things You Do» et ça lui va comme un gant. C’est un bonheur que de les écouter chanter.

    Signé : Cazengler, Sweet aspirateur

    Sweet Inspirations. Sweet Inspirations. Atlantic 1967   

    Cissy Drinkard & The Sweet Inspirations. Songs Of Faith & Inspiration. Atlantic 1968         

    Sweet Inspirations. What The World Needs Now Is Love. Atlantic 1968     

    Sweet Inspirations. Sweet For My Sweet. Atlantic 1969  

    Sweet Inspirations. Sweet Sweet Soul. Atlantic 1970  

    Sweet Inspirations. Estelle, Myrna & Sylvia. Stax 1973       

    Sweet Inspirations. Hot Butterfly. RSO 1979

     

     

    L’avenir du rock

     - Pour Kim sonne le glas

    (Part Two)

             Si tu souhaites rencontrer des gens intéressants, fais comme l’avenir du rock, va errer dans le désert. Ceux qui croient que le désert est désertique se fourrent le doigt dans l’œil. «Jusqu’au coude», ajouterait l’avenir du rock s’il lui restait un peu d’humour, mais comme il puise dans ses réserves pour continuer d’errer, il se contente du minimum, c’est-à-dire penser avec ses pieds. Un jour, alors qu’il marche vers ce qu’il imagine être l’Est, il voit s’élever devant lui un gigantesque nuage de sable. «Oh une tempête de sable, comme dans Un Taxi Pour Tobrouk !», s’exclame-t-il émerveillé. Hélas, c’est pas ça du tout ! Il s’agit d’une marée humaine. Des millions de guerriers armés de lances, de sabres, de mousquets et de boucliers ! L’avenir du rock se met sur le côté pour les laisser passer et en chope un pour lui demander :

             — Zallez où comme ça ?

             — Zallons faire un cartoon à Khartoum !

             — C’est qui le zig sur la mule avec le turban ?

             — M le Mahdi ! M le Mahdi a dit : «Pas de quartier à Khartoum !»

             Bon. L’avenir du rock ne sait pas quoi répondre, alors il repart vers ce qu’il imagine être l’Est. Quelques semaines plus tard, il revoit s’élever un gigantesque nuage de sable. C’est l’armée d’M le Mahdi qui rentre au bercail. L’avenir du rock se met sur le côté et chope l’un des guerriers pour lui demander :

             — Alors, c’était comment Karthoum ?

             — Karthoum kapout ! Couic les kékés !

             — C’est à qui la tête fichée sur la pique, là-bas ?

             — C’est celle de fucking Gordon Pasha !

             — Pffff, on s’en branle de Gordon Pasha. C’est Kim Gordon qu’y vous faut, les gars.

     

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             En mai dernier, Kim Gordon se produisait au Koko de London town. Elle tournait pour la promo de son No Home Record et Uncut se prosternait jusqu’à terre - Yet such is her allure as art-rock royalty, any appointment with Gordon is well worth keeping - Alors ça, c’est de la formule ! Le mec ajoute qu’elle n’a pas de temps pour le passé - no time for the past - Allez hop, le mec enchaîne aussi sec en passant en revue tous les coups d’éclat de l’art-rock royalty, Glitterbust, Body/Head et bien sûr le book Girl In A Band. À quoi il faut ajouter ses «paintings, video, installation exhibited around the world». Alors maintenant elle challenge l’indie-rock de plus belle et sur scène, les cuts de No Home Record sonnent comme du heavy no-wave grind

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             Et tout ceci s’actualise avec la parution de The Collective, son nouvel album solo. Il ne faut pas perdre de vue que l’art-rock royalty est aujourd’hui une mémère de 70 balais. Tu rapatries l’album vite fait, tu te frottes les mains, et dès «Bye Bye», tu ravales ta bave et tu commences à déchanter. Ah la gueule de l’art-rock royalty ! C’est de l’electro-shit de machine à laver. On perd toute la belle niaque de No Home Record, on perd la gratte et on perd la Kim. Au fil des cuts, elle se traîne dans son electro-shit, ça ne marche pas. Mais alors pas du tout ! Son «I’m A Man» n’est pas celui de Muddy Waters. Elle se noie dans une foutaise d’electro-shit de la pire espèce. On entend enfin une gratte dans «It’s Dark Inside». A-t-elle perdu la raison ? On l’entend un peu chanter, d’une voix de mémère qui s’énerve. On arrive vers la fin de cette merveilleuse arnaque de brouillage électro. Pas de grattes, rien que des machines à coudre de mémère infortunée. Cet album est une injure à sa carrière et à toute sa modernité. C’est foutu. On ne peut plus rien faire pour elle. Même pas l’écouter. Elle finit à la hâte avec «Dream Dollar», le seul écho de New York City sludge.

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             C’est d’autant plus dramatique qu’April Long lui consacre six pages dans Mojo et titre en mode bim bam boom ‘Music Art Revolution’, avec un gros ART en cap blanches d’Helvetica extra-bold. Ah tu parles ! La gueule de la Music Art Revolution ! On dirait que l’April n’a pas écouté The Collective, car elle ose dire qu’avec ça, la Kim «repousse ses frontières créatives to the limit.» Ah la gueule des limits ! C’est pas tous les jours qu’on a l’occasion de s’offusquer, alors on en profite. Car avec The Collective, elle revient exactement à l’endroit où Sonic Youth a commencé à se foutre de la gueule des gens. Si tu veux faire de l’expérimental, cocote, commence par t’appeler Yannis Xenakis. Après on verra. Mais comme la mémère nous a bluffé avec No Home Record, alors on lit les six pages.

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             Mémère Kim emmène la Mojote en pélerinage dans les rues de New York. C’est un bon angle d’attaque. Ça commence par le 84 Eldridge Street, in downtown Manhattan, où le couple Moore/Gordon a vécu de 1980 à 1990. À deux pas du CBGB, comme par hasard. Alors elle commence à papoter, évoque les smartphones et le son qu’elle recherche, «making things as fucked-up as possible», elle revient au dirty distorded sound dans lequel elle a évolué avec Sonic Youth pour tenter d’en repousser encore les limites, elle dit aimer pousser le bouchon, «she loves to be pushed, challenged, questioned.» C’est là où ça devient intéressant : ça a marché avec No Home Record, pas avec The Collective. Cette pomme de terre d’April Long ose dire que les cuts on The Collective «are three dimensional soundscapes», avec des bruits qui se grattent les uns les autres, et la chute n’en est que plus lamentable : «En clair, c’est une façon de dire à ceux qui croient qu’on ne peut pas faire un album incendiaire à l’âge de 70 ans qu’ils se foutent le doigt dans l’œil.» Ça confirme ce qu’on soupçonnait : l’April n’a pas écouté l’album. Sinon, elle aurait écrit : «En clair, c’est une façon de dire qu’il vaut mieux éviter de faire un album incendiaire à l’âge de 70 ans.» Finalement, on s’amuse bien à lire cet article. Et puis tu as une autre pomme de terre qui déclare que The Collective pourrait bien être «the next Nirvana or something». Là tu commences à te marrer pour de vrai. La lecture devient palpitante. Tu lis rarement des âneries pareilles. 

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             Puis mémère Kim embraye sur Body/Head. C’est une autre histoire. Cette fois, elle fait équipe avec un certain Bill Nace, qu’elle a rencontré quand elle vivait dans le Massachussetts, après le split de Sonic Youth. Mémère Kim n’avait plus rien à perdre, «just go down in a basement with Bill and just start playing music for music’s sake.» Nace fait de la noise. Nace bat le nave. Trois albums dont le premier s’appelle Coming Apart. Digi underground avec photo bien floue à l’intérieur. La pauvre Kim s’y épuise à vouloir faire de la modernité de carton-pâte. Comme son nom l’indique, «Abstract» est très abstrait. Elle y gratte des poux indignes. C’est le genre d’album qui te met en colère. De cut en cut, tu la vois se complaire dans la cacaphonie. On la sent déterminée à ruiner tous ses efforts. Elle est trop barrée. «Everything Left» se barre tout seul. «Can’t Help You» te réveille en sursaut avec ses belles giclées de poux liquides, délétères et imberbes. Une vraie infection. Puis avec «Aint», elle se prend pour Nico. C’est assez liturgique - I got my boots/ I got arms/ I got my sex/ I got my legs - elle est encore plus barrée qu’on ne l’imagine. Ailleurs sa guitare dissone. C’est à qui va craquer le premier : toi ou elle ? Elle s’amuse avec sa gratte et ça finit par devenir pénible. «Free-form waves of shuddering feedback.» Tu parles ! Kim est ravie de cet experiment qu’elle qualifie de «the most pure thing I do.» Elle dit aussi vouloir secouer la poussière de trente ans de Sonic Youth. En soi, c’est admirable. Mais Coming Apart n’est pas bon. Trop complaisant. Rien à voir avec le supremo No Home Record.

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             Mais la curiosité reprend le dessus et bien sûr, on en écoute un autre, No Waves, un Matador de 2016, avec une titraille écrite à la main. Toujours deux grattes. Et toujours expérimental. Et toujours aussi déprimant. Le troisième s’appelle The

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    Switch, orné d’une belle photo de scène. On voit Kim grattant sa gratte dans le dos et accroupie, comme si elle faisait caca, elle fait son G.G. Allin. Au dos, t’as encore une photo de scène avec Bill Nace au premier plan. On retrouve la volonté affichée d’experiment. Franchement, qui va aller écouter ça ? Ils exagèrent. Ils se croient cultes, alors ils font n’importe quoi. Leur «Dark Room» n’est hélas pas celui des Chrome Cranks. C’est autre chose, du genre grosse arnaque. C’est atrocement inutile.

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             Tu ne vas pas le croire : c’est encore pire avec Glitterbust, un autre side project qu’elle mène avec Alex Knost. On ne sait pas d’où sort ce Knost et on ne veut pas le savoir. Le Glitterbust se présente sous la forme d’un double LP, avec en moyenne un cut par face qui se joue en 45 tours. Pour résumer la chose, disons que c’est l’ambiancier de l’inutile. Encore une arnaque. La mémère est en baisse, et ça rabat bien le caquet de l’avenir du rock. Le seul cut écoutable est l’«Erotic Resume» en B, un brave cut. On lui tape dans le dos, merci mon pote ! Mais en C, ça repart en eau de boudin avec un plaintif mordoré. On se croirait chez Sonic Youth. La pauvre mémère, elle ne sait faire rien d’autre dans la vie. Et tu vas voir la gueule de «Nude Economy» en D, sait-on jamais ? Là, t’attige, Tata. Le rock ? Tintin, Titine ! Belle arnaque d’antho à Toto. Tu l’as dans le baba, Bobo. Tu l’as dans le cherry, Bibi. C’est pas jojo sous le tutu. Tu t’es fait enfler, Floflo.

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             On a déjà épluché trois Free Kitten dans un Part One. Voilà le quatrième, Sentimental Education. Pour mémoire, Free Kitten est le duo que Kim a monté avec Julie Cafritz, l’ex-Pussy Galore. Ça vaut le coup d’écouter cet album flaubertien pour trois raisons, dont la principale s’appelle «Never Gonna Sleep». Elles y drivent bien leur biz de pur jus d’inventivité underground, avec un bassmatic au devant du mix, et un gratté de poux fantômes. Elles exploitent leur mine d’or. La deuxième raison est ce fantastique hommage à Gainsbarre en ouverture de bal : «Teenie Weenie Boppie». C’est d’une délicatesse infinie. J. Mascis y bat un beurre bizarre. S’ensuit une pure énormité new-yorkaise, «Top 40». What a rockalama ! «Bouwerie Boy» est une belle pop-punk de type Sonic Youth qui vaut le déplacement. Avec l’instro long et hypno du morceau titre, elles restent dans l’esprit Sonic Youth, et font du girlish goulish. Puis du weirdy weird avec «Eat Cake». Mais tu croises aussi des cuts complètement paumés, bien largués des amarres. Ça fait partie du jeu d’art-rock royalty. Elles donnent du temps au temps et elles font même du jazz de round midnite avec «Daddy Long Legs»

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             Si tu veux compléter le tour du propriétaire, tu peux aussi aller écouter Naked In Garden Hills d’Harry Crews, un groupe qu’elle a monté en 1990 avec Lydia Lunch (gratte) et Sadie Mae (beurre). Il n’est pas facile à choper mais t’es content de pouvoir l’écouter, surtout pour «Man Hates A Man», jolie slab de trash punk, ça dégringole dans les escaliers de l’hardcore punk, c’est une musicalité du chaos vite avalée par le bassmatic glouton de Kim. Mais diable, comme Lydia chante mal ! Nouveau choc esthétique avec «Gospel Singer» qui n’a rien à voir avec le gospel, puisqu’il s’agit d’un heavy groove allumé par derrière. C’est l’hypno du fracas des armes. On sent chez elles un goût pour le chaos total, comme le montre encore «Knock-Out Artist», un slab de wild New York City shuffle, mais quand Lydia chante, elle fait mal aux oreilles. Dans «Car», elle parle d’une Chevrolet Convertible et le rock reprend la main sur l’experiment. Quel envoi et quel punch ! Modèle absolu d’excelsior parégorique, ça y va au deep into my vein. Elles bouclent leur bouclard avec un «Orphans» stompé dans les règles. Mix d’hard nut rock et de pur chaos.

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             C’est à April Long que reviendra le mot de la fin (provisoire), car elle dit en deux phrases tout ce qu’il faut retenir de Kim Gordon. Un, qu’elle fut the most punk-rock in Sonic Youth, puisque, comme elle le dit si bien elle-même, «I was the only one who knew nothing about music.» Et deux : «She is at heart an explorer. Et sa capacité à faire de la musique d’avant-garde abstraite et expressionniste est aussi flagrante sur The Collective qu’elle le fut sur Bad Moon Rising en 1985.» C’est à Nace que revient l’autre mot de la fin (provisoire) : «She never has given a fuck what people think. She never will.» Alors, tu t’inclines respectueusement, même si The Collective te reste coincé en travers de la gorge.

    Signé : Cazengler, Kim Gourdin

    Free Kitten. Sentimental Education. Wiija Records 1997

    Body/Head. Coming Apart. Matador 2013

    Body/Head. No Waves. Matador 2016

    Body/Head. The Switch. Matador 2018

    Glitterbust. Glitterbust. Burger Records 2016

    Harry Crews. Naked In Garden Hills. Widowspeak Productions 1990

    Kim Gordon. The Collective. Matador 2024

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    Piers Martin : Kim Gordon. Koko London May 2023. Uncut # 303 - August 2023

     

    *

             La piste indienne je l’ai souvent empruntée. C’est facile, il suffit de suivre la moindre des sentes qui s’offre à vous. Whathéca Records. Pas à se tromper, cela sonne indien.  Une chaîne You Tube, pas beaucoup de vidéos présentées.  A peine 68. Uniquement des vieux disques ou des cassettes enregistrés sous forme de vidéos fixes dont les musiciens sont d’origine indienne. De toutes les tribus. Pourtant vous avez l’impression d’être tombé sur un site de country and western, sur les photos davantage de cowboys que d’indiens. Phénomène d’acculturation. Si vous écoutez, déception, ce ne sont pas des chants d’origine tribale ne relevant pas d’enregistrements ethnographiques. Ces artefacts ne se sont pas vendus à des milliers d’exemplaire. Si l’on en croit les commentaires sous les vidéos, certains se souviennent d’avoir enfants entendu tel ou tel disque et manifestent leur joie à le réécouter. Le coup de la madeleine de Proust fonctionne donc chez ces sauvages rouges indiens, l’Homme serait-il une race universelle !

             J’ai hésité les Fenders m’ont séduit, remarquez avec leur galopade d’Apache les Shadows ont dû avoir la cote dans les réserves. Peut-être leur consacrerais-je de ma plus belle plume une kronik d’ici peu. Je ne sais pas pourquoi j’ai flashé sur cette pochette, pas particulièrement originale, très country, mais je savais qu’il fallait se focaliser d’abord sur celui-ci. A première écoute je n’ai pas accroché. Mais si tu ne vas  pas chercher l’aigle, l’aigle ne viendra pas à toi.

    BRB

    BUDDY RED BOW

    (First American / 1980)

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             Surpris par la pochette. Me suis demandé trente secondes et demie ce que pouvaient signifier ces trois lettres, simplement les initiales de Buddy Red Bow ! Sans doute un signe de fierté indienne, revendiquer son nom c’est déjà imprimer son efficience sur le monde.

    Né en 1948, mort en 1993. Il est des dates qui ne trompent personne, même pas la mort. Ce n’est pas qu’un bon indien soit un indien mort. L’est mort jeune. A 44 ans. Hélas l’âge moyen de décès dans les réserves indiennes se situe autour de 52 ans. L’alcoolisme ne les aide guère… Or Buddy Red Bow est décédé d’une cirrhose du foie… Les statistiques sont parfois troublantes…

    Warfield Richard, adopté  par Maize et Stephen Red Bow, Buddy Red Bow a vécu dans la réserve lakota dans le Dakota du Sud. C’est devant la porte de la prison de Pline Ridge que sa mère avait abandonné ce bébé de douze mois… Buddy quitte le lycée à dix-sept ans pour devenir acteur. Tous ceux qui ont vu La Conquête de l’Ouest sorti en 1962 - les fans de Led Zeppelin seront heureux d’apprendre que How the West Wass Won était son titre original – ont donc pu apercevoir BRB dans son premier rôle. Il apparaît aussi dans  Young Blood II en 1990, l’est crédité sous le nom de Chef Buddy Redbow suite au film  Powhow Highway (1989)  dont un des personnages qui lutte pour empêcher la délocalisation de sa tribu et se bat pour tirer sa fille de la drogue se nomme Buddy Red Bow…  Thunderheart (1992) est tourné dans la réserve de Pline Ridge et met en scène l’occupation en 1973 par l’American Indian Movement  de Wounded Knee, lieu d’un terrible massacre en 1890. Il est normal que BRB ait trouvé un rôle à sa mesure dans ce film.

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     Les informations sur BRB, sont rares et peu précises. Il se maria avec Hamilton Barb, ils eurent une fille nommée Stardust. Hamilton quittera Buddy, trop de bruit, trop de monde dans la maison, on boit et on chante toute la nuit… Le couple resta en bon terme, aujourd’hui Stardust travaille aux Veterans Affairs le fait qu’elle s’occupe du Black Hills Health Care System n’est sans doute pas dû au hasard, son père est  revenu du Vietnam souffrant de troubles post-traumatiques mais il a toujours refusé de se faire soigner…

    Stardust raconte son père dont elle est fière. Il a connu de grands noms parmi les Outlaws, Willie Nelson et Waylon Jenning par exemple, mais ses disques n’ont pratiquement été diffusés que sur les radios locales des réserves indiennes… Il n’était jamais invité dans les conventions de disques, y entrait en tant que client et se débrouillait pour exposer ses albums sur  un coin de table… L’a dû batailler fort pour recevoir les aides afin de monter son propre label. Stardust avance une autre explication pour expliquer pourquoi sa carrière n’a jamais décollé, au dernier moment Buddy trouvait le moyen de saboter les routes qui s’ouvraient à lui. D’après elle il avait peur de réussir, de se retrouver pris dans un tourbillon qui l’aurait dépassé, qui l’aurait coupé de ses racines indiennes, il ne désirait pas devenir une star ayant crainte d’avoir à renoncer à ses convictions, à édulcorer son combat pour la défense de son peuple. L’était un artiste considéré comme un activiste indien, aujourd’hui par les temps qui courent, n’en doutons pas, il serait catalogué de terroriste.

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    Indian Reservation : (cette chanson écrite par John D Loudermick a été interprété par Marvin Rainwater en 1959, l’anglais Don Fardon et Paul Revere & The Raiders la rendront célèbre. Tout comme Elvis Presley Marvin Rainwater avait du sang cherokee dans ses veines…)   l’original, tout de même intéressant à écouter,  de Marvin Rainwater a des allures un peu indien de pacotille, pour cette reprise, symboliquement quasi-obligatoire,  BRB a gommé tout arrangement pseudo-folklorique, n’en a pas pour autant recherché une authenticité ethnographique, le timbre de sa voix est très différent, tout en s’en rapprochant, de Presley mais son orchestration mélodramatique n’est pas loin des titres grandiloquents d’Elvis style An American Trilogy, BRB  fait avant tout passer le message, le morceau commence par une sombre évocation de la longue marche des Cherokees et de ce qui s’en suivit, la perte de leur identité et de leur culture, mais DRB étend le sort cruel réservé aux Cherokees à celui de toutes les tribus Lakota, Mohawk, Navajo, à l’ensemble du peuple indien. Sur la fin, la flèche de feu du violon est de toute magnificence. Baby’s gone : les   paroles ne sont pas les mêmes mais le thème et le lent tempo sont identiques au morceau de Conway Twitty. Rappelons que Twitty débuta chez Sun, rockabilly boy à ses débuts, dès les années soixante il se tourne vers le country, sa voix rappelle un peu celle d’ElvisBRB reprochait à son premier opus d’être trop conutry and western, les paroles du gars qui se retrouve seul évoque les scénarios de Mickey Newburry.  Myrna : tout ce qu’il faut pour être heureux, premier amour de dix-sept années une pedal steell angélique, des chœurs dignes du paradis, vous ne trouverez pas mieux, évidemment si vous préférez l’enfer vous n’aurez peut-être pas tout à fait tort. … You’re not tne Only One : la voix de l’homme qui a beaucoup vécu, qui sait qu’il n’est ni meilleur ni pire qu’un autre, la sagesse ne consiste-t-elle pas à se satisfaire de ce qui s’offre trop rarement à vous, de ces instants  trop brefs miraculeusement gagnés sur la tristesse de l’existence   des vaincus de la vie, une belle voix grave pour affirmer que ce n’est pas grave de se contenter de peu.  Une mélodie à faire verser de vraies larmes à un crocodile. Indian Love Song : d’apparence une douce, tendre et paisible chanson d’amour, sur un tempo lent une voix chargée d’émotion, il promet, il assure qu’il reviendra, suffit de comprendre, un guerrier qui part à la guerre pour défendre son peuple… qui attendra verra… Standing Alone : à ne pas écouter, l’intro est un véritable générique de film, mais le héros est seul, certes il tient encore debout mais l’intérieur est effondré, coulent les larmes du violon, enfonce la batterie des pieux dans son cœur, à bout de ressource, n’a même plus une joue à offrir pour recevoir une gifle… qui éprouverait le besoin de lui en donner une d’ailleurs ! Si vous êtes cafardeux avant d’écouter achetez la corde au bout de laquelle vous vous pendrez. Pistolero : j’étais content, j’ai cru que

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     c’était la reprise de Pistolero de Dean Reed, le Red Elvis comme on le surnommait. Rouge non pas parce que dans ses veines circulait du sang indien, pas vraiment un activiste rouge, du moins pas à la manière de Buddy, natif du Colorado, Reed s’installa en Argentine où il était davantage célèbre qu’Elvis. Confronté à la misère des  peuples sud-américains il devint un marxiste convaincu et ne tarda pas à passer de la théorie à la pratique, fit une tournée en URSS, c’est comme cela vers 1965-1966 que j’appris son existence par un article paru dans L’Humanité, journal du Parti Communiste Français, il finit par se fixer en RDA (Allemagne de l’Est) et travailla pour les services secrets de la Stasi… on retrouva son corps en 1986 dans un étang, s’est-il suicidé, serait-ce une vengeance de la CIA ou de la Stasi qui jugeait que sa foi en le Socialisme avait plus que vacillé… bref un artiste de country and western que l’on ne porte aux nues aux USA… Dernier clin d’œil Reed tourna comme BRB  à plusieurs reprises dans des westerns…Me faut maintenant évoquer un autre chanteur, qui correspond davantage aux valeurs traditionnelles américaines, Johnny Cash et son Ring of Fire. Le ‘’ Pistolero’’ de Buddy est orchestré de la même manière, mariachi et trompette. Cash and Bow possèdent tous les deux une voix forte et grave, le timbre  de Cash s’avère plus sombre, normal ce n’est pas le man in red mais le man in black ! L’on sent l’ironie et la désillusion de Buddy, la fatigue de vivre et de poursuivre sa route jusqu’au bout de la piste, pour toute arme il ne possède que ses chansons, à chacun son flingue, à chacun sa solitude. Fifth dream : le cinquième rêve c’est un peu comme le cinquième élément, inatteignable, aux grandes questions la grande musique, les grandes orgues du lyrisme, voix ample et majestueuse assez puissante pour aller tutoyer les anges, l’on flirte un tantinet avec le gospel, n’y a plus qu’à se laisser porter, qu’à se laisser emporter. Grandiose. Just can’t take anymore : retour à la vie profane, la prison de la solitude, l’enfermement dans la privation charnelle, le thème mille fois ressassé du chanteur abandonné à lui-même, confronté à ses propres désirs fantomatiques, qui voudrait rentrer à la maison, bien sûr l’on connaît cette thématique jusque par-dessus les oreilles, mais quand il y a la voix qui vous saisit aux tripes, toute cette tristesse du monde vous tombe dessus et ne vous lâche plus.

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    South Dakota Lady ( Tina’s song) : des chants indiens lointains vite noyés par la sempiternelle orchestration country and western,  mais après la pompeuse amplitude du morceau précédent et le sentiment de tristesse déployée par l’ensemble de l’album l’on est surpris par  l’heureuse vélocité rythmique sur laquelle trotte le chant, l’a beau faire la-la-la Buddy donne l’impression qu’il raconte une histoire, l’on peut se laisser chatouiller agréablement les oreilles si l’on ne suit pas, mais si l’on prête un peu attention on est vite perdu, le texte court si rapidement que l’on ne comprend pas trop le sens du récit débité à toute vitesse, faut comprendre que sous une apparente facilité, n’entend-on pas l’harmonie imitative du galop du cheval au moment exact Buddy vous le dit, nous ne sommes pas  dans une simple histoire d’amour, avec le mari qui se hâte de rentrer chez lui pour retrouver son épouse, nous sommes pris dans le sortilège de l’imaginaire amérindien, qui revient, serait-ce l’Oiseau-Tonnerre, lors de l’essor de la Ghost Dance en 1889 - 1890, les Lakotas  répétaient que l’Oiseau-Tonnerre reviendrait rapportant avec lui les âmes mortes des anciens, que les blancs seraient chassés, que les envahisseurs s’enfuiraient, et que les âmes des anciens entraîneraient les tribus survivantes en un repli de la terre, où la civilisation des bisons renaîtrait pour toujours.  Est-ce pour cela que sur le chemin du retour, dans la chambre du motel où il a fait étape le mari se détourne de la Bible posée sur la table de nuit, il a compris que ce livre ne lui sera d’aucun secours, quant à cette femme qui dans le premier couplet semble attendre son mari, qui est-elle, la Mort, ou une ancienne squaw déjà morte en route pour rejoindre le peuple des vivants, est-ce vraiment une histoire d’amour ou un récit métaphorique pour inciter le peuple indien survivant d’aujourd’hui à retourner à ses racines, à sa culture originelle, ne représente-t-elle pas la terre sacrée des Black Hills qui doit être préservée, pour l’obtention de laquelle les Indiens  d’aujourd’hui doivent retrouver leur fierté, recouvrer leur dignité, enseigner les enfants, refonder le Dakota, terre des Lakotas… Est-ce un rêve, une volonté, un projet, une mauvaise période à passer au plus vite, déjà retentissent les chants indiens, présents dès le début, ils reviennent à la fin, comme pour mettre entre parenthèses un cauchemar qui a trop duré.

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             Certes dans ce premier  album de Buddy Red Bow, l’esprit cowboy et sa culture country and western occupent la plus grande partie du territoire, mais les Indiens étaient là dès le premier morceau et ils sont là encore pour clore l’histoire. Qui ne fait que commencer.

    Damie Chad.

     

    *

    Nous reviendrons sur Buddy Red Bow mais je n’ai pas pu résister à en savoir plus sur les Fenders. Nous étions chez les Lakotas, nous voici chez les Navajos. Mais avant de parler des Fenders nous attarderons quelques instants sur un autre groupe :

    LUCINDA

    THE MERLETTES

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    Une vidéo sur You Tube, batterie, contrebasse, guitare, violons, derrière une un truc, pardon un truck  jaune, enregistrée en plein-air, la caméra s’attarde de temps en temps dans le ciel… Une petite notule nous apprend que le groupe basé à Albuquerque est inspiré par le Honky Tonk de Merle Haggard.  Quatre filles : Dair Obenshain : fiddle, Laura Leach-Delvin : upright bass, Sharon Eldridge : drums. Je ne m’attarde pas sur l’interprétation : sachez seulement que cette Lucinda qui manque terriblement n’est pas une tendre amie perdue mais un camion si l’on en croit la chanteuse. C’est elle qui nous intéresse, Kristina Jacobsen. Elle mérite le détour. D’abord parce qu’elle est chanteuse et un de ces jours nous écouterons ses disques, mais aussi parce qu’elle a ajouté une corde particulière à sa guitare : elle est anthropologue musicale, bardée des diplômes les plus prestigieux. Le titre de son

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    premier livre paru en 2017 nous fascine : The Sound of Navajo Country Music. Langage and Diné Belonging. Le terme Diné est le mot qui signifie navajo en langue navajo ! Le book a remporté le prix Woody Guthrie. Je me permets de citer les lignes suivantes : ‘’Ses recherches fusionnent les domaines de l'anthropologie culturelle, de l'anthropologie linguistique et de l'ethnomusicologie, avec des spécialisations en musique et langue, anthropologie de la voix, politiques de l'authenticité, indigénéité et appartenance, musique vernaculaire des autochtones d'Amérique du Nord, de Sardaigne et des Appalaches, race et genre musical, récupération de la langue et cultures expressives de la classe ouvrière.’’  Sujet passionnant, sa lecture doit permettre de mieux comprendre l’appropriation, plus ou moins forcée et rendue nécessaire, effectuée par les peuples dominés de la langue et de la culture du peuple dominateur.  Elle a publié plusieurs articles sur les Navajos notamment sur les Chants de la Réserve.

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    Américaine mais pas de sang navajo Kristina Jacobsen d’origine scandinave a été surprise de cette scène country and western Navajo. Comment se fait-il que cette tribu réputée pour avoir au mieux préservé sa culture originelle goûte particulièrement cette musique. Encore plus stupéfaite de la renommée de Wailon Jennings, il n’est pas rare de trouver des navajos prénommés Wailon !  Elle a enquêté, d’abord elle s’est aperçue que dès les années soixante les navajos appréciaient ce genre de musique, c’est ainsi qu’elle cite les Fenders comme l’un des meilleurs groupes country des années soixante. Reste à savoir pourquoi ! Certes la musique country véhicule des valeurs traditionnelles partagée par toute la culture indienne : l’amour et son corollaire la solitude, la famille, la nature… mais les navajos se sentent aussi un peu cowboys, non pas parce qu’ils auraient adoré les westerns mais pour une raison ethnographique culturelle : le peuple navajo qui a été forcé de se rendre dans sa réserve de l’Arizona, encore une longue marche, vivait dans les plaines du sud-ouest de l’Amérique, il pratiquait la chasse et l’élevage… Dans leur nouvelle ‘’patrie’’ ils ont certes préservé du mieux possible leur identité mais en gardant une nostalgie plus ou moins consciente de leurs jours heureux… Ainsi s’explique cette étrange ferveur envers la musique country… Même si ces dernières années toute une partie de la jeunesse Navajo s’en détache. Musicalement, le rap, le hip hop et le metal exercent une forte influence, les conditions de vie changent, les Navajos ont toujours su s’adapter, notamment en étant très vigilant sur le quantum, la quantité de sang (un quart) que vous devez posséder pour être admis dans la Nation Navajo, d’où des contradictions : avoir du sang navajo ne signifie pas que vous êtes un adepte convaincu de la culture navajo… Ce quantum qui à l’origine était un droit et un devoir d’entraide finit ainsi par être considéré comme un privilège. Qui ne peut que favoriser les sentiments d’exclusion chez les couches les plus précaires, notamment les jeunes, qu’elles accèdent ou pas au quantum… Les sociétés ne restent jamais stables. Elles évoluent, vers le mieux ou vers le pire, les améliorations et les reculs sont aussi ressenties différemment par les individus mais aussi par les classes sociales… les contradictions politiques, culturelles et économiques se chevauchent et se télescopent, avec plus ou moins de violence…

    THE FENDERS

    SECOND TIME ROUND

    (QQ Records / Années Soixante)

    QQ Records fut un petit label basé à Albuquerque dans les années soixante, Si l’on en croit Discogs ne seraient sortis que douze simples et trois 33 Tours parmi lesquels se trouve ce Second Time Round. Le premier simple de QQ r est sorti en 1966, seul un autre single est crédité d’une date de parution (1966). Notre album a dû sortir cette même année. Le terme Second semble indiquer qu’il y eut un premier album. Discogs nous renseigne sur la parution d’un album douze titres The Fenders on Steel. Volume 3 crédité Not on Label  avec date indéterminée. Il y aurait eu un premier album : nommé Introducing The Fenders.

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    Proviennent de la réserve navajo de Window Rock située à plus de deux milles mètres d’altitude et nommée ainsi grâce à un phénomène naturel propre à attirer les touristes, un énorme trou rond dessinée dans une montagne. La localité de trois mille habitants est la capitale de la Nation Navajo.

    Ervin Becenti et Johnny Emerson furent membres des Fenders. Je ne suis  pas sûr de l’identification des autres membres du groupe.

             Lorsque j’ai vu la couve la première fois, trompé par la photo j’ai cru à un groupe instrumental… Erreur de ma part. J’ai repéré sur le Net deux autres titres qui ne sont pas sur  cet album, je poste plus loin la photo en gros plan de la vidéo qui permet de mieux les admirer.

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    Your cheatin heart : difficile de trouver davantage symboliquement country pour un premier titre. Par cotre le son est terriblement sixties, ceux des premiers groupes instrumentaux français par exemple, poussons un cocorico, ils étaient meilleurs, le son de nos Fenders est un tantinet maigrelet. L’est sûr que l’original de Hank Williams n’est pas non plus supersonique toutefois il dégage un tel parfum de bouse rurale que vous ne pouvez que succomber au charme. Les Fenders suivent la ligne sans jamais sortir des rails. Seul le chanteur se permet quelques variations.  It is like more the heaven : une reprise   de Hank Locklin un des piliers durant presque un demi-siècle du Grand Hole Opry. Ont-ils été paralysés par l’ombre impressionnante de Hank Williams toujours est-il que cette reprise leur va comme un ghankt avec cette guitare qui rentre dedans et fait le gros dos, le vocal qui ne lui cède pas un pouce de terrain. Kristina Jacobsen nous avertit les premiers disques de country dimé n’étaient pas mastérisés. Pas pasteurisés non plus, ce son rêche et rustre n’est pas déplaisant. She knows why : prennent de l’assurance à chaque titre, la guitare ronfle et la voix ressemble à un brise-glace qui s’amuse à bousculer les icebergs. Le premier pont musical ressemble davantage à une passerelle branlante, mais on l’oublie dès que l’on pose le pied sur l’autre rive. Wildwood flowers : est-ce qu’ils n’ont pas osé s’attaquer au chant de Maybelle  Carter, doit-on cette version instrumentale à la difficulté de la transcription des paroles, serait-ce de la pudeur indienne, à l’origine c’est une jeune fille qui se donne par dépit à un autre après avoir été séduite par son premier amant. Agréable à écouter, toutefois l’on regrette la version qu’en donnera Johnny Cash. Honky tonk hardwood floor : ne reculent devant rien, après Hank Williams voici Johnny Horton, ce n’est pas la Bérézina mais pas la traversée du Granique par Alexandre non plus, font tout ce qu’ils peuvent, toutefois leur manque le sel hortonien, cet avant-goût prononcé du rock’n’roll. C’est un vieux rocker qui parle, reconnaissons que ce n’est pas mal du tout. All for the love of a girl : encore une reprise d’Horton, une bluette insignifiante, quand le country danse avec la guimauve, nos Fenders suivent le mauvais exemple, mais comme ils n’ont pas de violon à leur disposition, ils ne donnent pas l’impression de pleurnicher dans rideaux de la salle à manger. Font le job, mais l’on devine qu’ils ne vont pas se suicider pour une fille. Un peu de tenue ! Ce sont des guerriers ! I’m walkink the dog : l’on s’en doute ne sont pas inspirés de la version originale de Rufus Thomas que vous préfèrerez si vous êtes un homme de goût ou une lady distinguée, ont écouté la version country de Webb Pierce, mais ils ont dû manger du chien enragé car leur interprétation est nettement moins geignarde que celle de Pierce. Ne s’apitoient pas sur eux-mêmes c’est bien eux qui sont les maître et le chien n’a qu’à obéir.

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    Mule train : original du cowboy en chef numéro : un Frankie Laine, l’immortel auteur de la fantastique chevauchée Rawhide que ce train de mules ne parvient pas à dépasser, sont malins les Fenders s’inspirent de Rawhide, sans l’égaler bien sûr, mais leur interprétation dépasse celle de Frankie. Lui broutent la laine sur le dos. Counterfeit love : décidément ils aiment Johnny Horton, bon il y a Grady Martins à l’accompagnement ça aide à faire passer la pilule surtout que ça prend l’allure d’un slow sixties frétillant, mais ce n’est pas l’Horton que l’on préfère… à la limite cette version des Fenders nous agrée un tantinet, deux voix alternées, une qui nasillarde, l’autre qui entonne à plein poumons, ce n’est pas le Pérou mais l’on s’ennuie moindrement. Don’t let it go : un bel instrumental aux guitares retentissantes, serait-ce le meilleur morceau du disque. Qui dure. Font monter la chantilly jusqu’au plafond. Folsom prison blues : s’enhardissent n’hésite pas à marcher sur les brisées de Johnny Cash, ils s’en tirent bien, très caschien donc ça a du chien, l’on adore. Tout est en place, le vocal et les guitares. Love’s gona live here : crashing test, tiens un morceau de Buck Owens, je me disais c’est étrange l’on n’a pas encore rencontré Waylon Jennings, le voici, pas tout seul, en compagnie de Willie Nelson, vous l’avez aussi avec Johnny Cash, certes l’original est de Buck Owens sorti en 63 ce qui aide à dater ce Second Time Round. Dwight Yoakam, nous l’avons dernièrement rencontré dans notre kronic  de Rock en vrac de Michel Embareck a aussi repris ce morceau, l’était tout comme Buck originaire de Bakersfield, le vocal des Fenders est assez proche de l’original mais les guitares davantage proximales de Johnny Cash. Je vais être franc, ce n’est pas mon morceau de country préféré.

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    One woman man : encore un morceau de Johnny Horton, fut aussi repris par  George Jones (on ne résume pas la vie de George Jones, pour un country boy, il a eu une vie de rocker), ces derniers titres du disque sont les plus réussis, une guitare vraiment country rentre-dedans et un vocal plus que satisfaisant. Take me like I am : quand on a un maître, il faut le tuer, z’ont attendu la dernière piste pour commettre le meurtre du père Horton, une guitare qui fracasse tout, un vocal de guerre par-dessus, peuvent être fiers d’eux. Que voulez-vous de temps en temps les indiens gagnent la bataille !

    Damie Chad.

     

    *

    Impossible de ne pas terminer les deux précédentes kronics sur des artistes indiens par un autre artiste indien, mais actuel celui-ci. J’étais sûr que Western AF m’offrirait une piste à suivre. Le légendaire flair du rocker ne m’a pas trahi, j’avoue cependant que je ne m’attendais pas à tant d’émotion.

    COYOTE

    KEN POMEROY

    (YT / Western AF / 22 Octobre 2024)

             Comment ai-je pu faire l’impasse sur une telle merveille ! Rien que le titre, l’animal mythique des Indiens, un latranide malicieux aux mille ruses certes, toutefois n’oubliez pas que malicieux débute mal.

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            Toute seule, ses longs cheveux, sa guitare. Derrière la futaie sombre, troncs noirs, branches hautes d’un vert sans espérance. La voix, pas du tout mélodieuse, point charmeuse, chaque fois qu’elle l’accentue vous avez l’impression qu’elle vous arrache des lambeaux de chair. Elle vous cloue sur place, vous écoutez. Sans rien comprendre vous sentez qu’elle ne vous dit pas tout, qu’elle garde le plus amer par devers elle, qu’elle ne vous livre que de l’indicible, alors vous vous accrochez aux mots, vous essayez d‘entrer en résonance, de percer le mystère de ce dire qui ne dit pas son nom, quelque chose qui vient de loin, de plus profond. Cette lèvre qui tressaille à peine trahit une plaie ouverte et refermée, résurgente chaque fois qu’elle y pense. Elle y pense toujours. Vous n’avez jamais été aussi près de la solitude d’un être humain. Elle vous enveloppe. C’est sa manière à elle de communiquer. Ne rien donner, tout offrir.

             Illico, c’est la trentième fois que vous écoutez le morceau, vous voulez en savoir plus. Vous cherchez. Sur Bandcamp vous apprenez que son prochain album, sortira au mois de mai. En avance une vidéo du même titre :

    COYOTE

    KEN POMEROY

    (Official Visualizer  /  Ocobre 2024)

             L’est toute gentillette la bébête, restez sur cette image toute mignonnette. Ne cliquez pas dessus. Vous insistez. Tant pis pour vous. Non, il ne se passe rien, oui le coyote à la bougeotte, il remue tout le temps, toujours les deux mêmes mouvements. Un peu monotone, vous dites, alors activez le son, je vous aurais prévenu.

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    Ken Pomeroy : vocals, acoustic guitar / John Moreland :  vocals / Dakota McDaniel ; bass, electric guitar, banjo /Chris Scruggs : pedal steel / Colton Jean : Drums.

             Certes c’est plus doux, plus nuancé, moins roots que la version AF. Miracle de l’orchestration, vous ne perdez rien pour attendre. Un dernier renseignement : Cruel Joke est le titre de l’album.

             Oui la pedal steel guitar allonge le beurre sur la tartine, John Moreland pose le murmure de sa voix, une ballade d’enfant, sur l’image le coyote cligne de l’œil, quand il baisse la tête, il devient irrésistible, vous avez envie de le prendre au creux de vos bras, comme une peluche, ne serait-ce pas une ballade pour endormir les enfants sages, hélas, ils grandissent, vous, moi, nous tous, le Coyote viendra, soyons-en certains, dans la culture Cherokee l’on dit que lorsque vous apercevez le coyote, ce n’est pas bon signe, peut-être pas très grave, pas inoffensif non plus, d’ailleurs la vie n’est-elle pas une suite d’embêtements, n’osons même pas articuler le mot désagrément, sur l’image le Coyote tourne la tête, de quel côté regarde-t-il, vers le passé ou vers le futur, pourquoi reste-t-il assis dans le présent, est-ce pour être auprès de nous, ne pas nous quitter de l’œil, la voix de Ken Pomeroy s’insinue toute douce, toute nue, dans votre chair, comme le couteau ébréché de la vie s’enfonce en vous pour vous retrancher du monde. Dans lequel vous aurez vécu sous la sempiternelle garde du coyote. Ne croyez pas que quelqu’un peut l’écarter de vous. Nous sommes tous le coyote de l’autre.

             Nous nous quitterons sur une dernière vidéo. Un peu bizarre. Pour ne pas gâcher l’ambiance nous ferons semblant de croire qu’elle est surréaliste. C’est juste pour que vous n’ayez pas peur. Peut-être n’est-elle que le reflet exact de ce que nous trouverions dans votre tête si nous l’ouvrions avec un ouvre-boîte.

     PAREIDOLIA

    KEN POMEROY

    (Official Vidéo / Octobre 2023)

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    Le monde selon Ken Pomeroy. Extrospection. Elle chante comme une petite fée, avec un tel allant vous la suivriez en enféer. Que voyons-nous du  monde. La réalité n’est-elle pas paréidolique, en termes moins compliqués n’est-elle pas ce que voudrions ou ce qu’elle n’est pas. Une maison de poupée remplie d’êtres étranges. Furtive apparition, le coyote pousse son museau. Le mieux serait de croire que nous sommes dans un conte de marionnettes à la Alice au pays des merveilles. Depuis Lovecraft nous savons que les merveilles ne sont jamais loin des démons. Pour vous aider à comprendre, le texte vous énumère les figurines que Ken sort de la boîte à jouets de sa cervelle. Vos enfants adoreront, heureusement qu’ils ne comprennent pas l’anglais. Une espèce de nursery rimes, une de ces comptines loufoques dont les anglais raffolent, folle elle ne l’est pas, mais elle chante tout haut ce que d’habitude l’on cache, nos envies de meurtres par exemple, mais  les couleurs sont si belles et si surprenantes que l’on oublie que la vie est une cruelle plaisanterie. Si sordide que parfois l’on aimerait s’extraire du tableau. Ô Cruella !

    C’était juste une entrée dans le monde poétique de Ken Pomeroy. Cherokee girl.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 468 : KR'TNT ! 468 : BRIAN JAMES / EL VEZ / VOLUTES / MOUNTAIN

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 468

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB KR'TNT KR'TNT

    11 / 06 / 2020

     

    BRIAN JAMES / EL VEZ / VOLUTES

    MOUNTAIN

     

    Brillant James - Part Two

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    Après avoir chanté les louanges de Bryan Gregory et de Ron Asheton, John Wombat chante maintenant celles de Brian James. Il réussit à en faire un peu plus de 300 pages, alors qu’avec Bryan Gregory, il parvenait péniblement à en faire 70. Bon, ça part d’un bon sentiment : pas facile d’aller consacrer des livres à des artistes cultes, ceux qui par définition indiffèrent les masses populaires. Un constat qui pourrait expliquer le fait que l’auteur n’ait pas trouvé d’éditeur puisque ses livres paraissent à compte d’auteur. Comme c’est Amazon qui publie et qui commercialise, on doit commander l’ouvrage en ligne. Clic ! Il arrive directement dans la boîte aux lettres, dans un délai record et bien protégé dans son emballage en carton brun. Wow, quel bel objet, murmure-t-on en soupesant le book d’une main experte. L’instinct bibliophilique trompe rarement : l’équation format/poids/artiste culte est infaillible. On frétille comme une vieille pute. Quelles belles bonnes heures de lecture en perspective ! Comme on les aime, ces livres idéaux ! Quel objet infaillible ! On finit même par se dire qu’au fond la vie vaut bien d’être vécue. Parfois ça fait du bien d’être très con.

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    Il ne reste plus qu’à se livrer au rituel bibliophilique : on s’installe confortablement dans un fauteuil, on chausse sa vieille paire de lunettes et, au moment précis où les deux pouces déflorent l’ouvrage, on laisse monter dans la cervelle un doux sentiment d’extase.

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    C’est là que se présente le vieux dilemme : soit on feuillette pour faire rapidement le tour du propriétaire, soit on attaque bille en tête la lecture à la page 1. Comme il s’agit d’un livre richement illustré, on retient la première option. Chacun sait que Brian James est une rock star extrêmement photogénique. On vit jadis à Mont-de-Marsan ce grand brun aux yeux clairs illuminer le backstage de sa seule présence. On le revit quarante ans plus tard dans un bar rouennais et l’occasion fut trop belle de lui rappeler qu’il fut voici quarante ans the king of ze night in Mont-de-Marsan, ce qui eut le don de le faire rire de bon cœur. Aux yeux de ceux que le suivent à la trace depuis le début, il ne fait aucun doute que Brian James est une vraie British rock star, au même titre que Ronnie Lane, Jesse Hector, Peter Perrett, Pete Overend-Watts ou Mick Ronson. Du coup, on se repaît du festin d’images que propose Wombat dans son book.

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    On passe en revue toutes les époques, les Damned, les Lords et bien sûr ces temps modernes que Brian James traverse dignement en soignant son statut de punk-rocker vieillissant, coiffé d’un petit galure de bookmaker à la Ben Gazzara et d’une chemise hawaïenne. Mais une fois le cœur réchauffé par toutes ces constatations, un léger malaise s’installe. Bon nombre de photos sont des doublons. Puis on s’aperçoit que la mise en page réduit le contenu à portion congrue : le bloc de pied de page remonte exagérément de cinq bons centimètres et les marges de tête, de droite et de gauche sont anormalement généreuses. C’est un procédé qu’utilisent certains ‘éditeurs’ pour forcer la pagination. 150 pages bien maquettées auraient sans doute largement suffi. Puis on découvre horrifié que l’auteur se glisse dans quatre photos alors que généralement une seule suffit. On est là pour Brian James, pas pour croiser la bobine du Wombat à tous les coins de rue.

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    Difficile d’attaquer la lecture dans un tel climat de suspicion. Et quand on a pris l’habitude de se frotter à des auteurs aussi consistants que David Ritz, Peter Guralnick ou Robert Gordon, c’est encore plus périlleux. Rien n’est pire que de perdre confiance. Surtout en un auteur. Le risque est d’aller lire en diagonale. Autant aller jeter le livre dans la gueule du loup des steppes.

    Lira ? Lira pas ?

    Lira, car c’est en lisant qu’on devient liseron. Et si on lit ça, c’est aussi parce que l’Asherton book laisse un bon souvenir. Le bric et le broc qui le constituaient en faisaient tout le charme. Alors va pour le bric et le broc. Que le grand bric nous broc, tonnerre de Brest ! Au point où on en est, on pourrait même décider de continuer d’élucubrer sans perdre du temps à vouloir lire ce simili-book amazonique. Mieux vaut parfois élucubrer que de vouloir roucouler plus haut que son cul. Mais ce serait s’éloigner encore plus du sujet. Grand bien nous prend parfois de revenir au sujet, car c’est là que se dresse le poteau rose. C’est d’autant plus vrai dans le cas de ce simili-book. Contre toute attente, il se révèle passionnant car un phénomène extraordinaire s’y déroule sous nos yeux ronds de stupeur : le sujet vole au secours de l’auteur !

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    Les amateurs éclairés de littérature - ou les amateurs de littérature éclairée, ce qui revient quasiment au même - vous diront que c’est un phénomène d’une grande banalité. Ils commenceront par vous sortir le fameux «Madame Bovary c’est moi !» de Gustave Flaubert. Puis vous entendrez sûrement parler de Leopold Bloom, du Docteur Destouches, du consul Geoffrey Firmin et de quelques autres, mais en quelques clics, vous apprendrez très vite que ces personnages de romans célèbres sont en fait des sujets autobiographiques, vous n’aurez même pas besoin de lire les ouvrages en question, vu qu’aujourd’hui on peut se passer de livres pour se cultiver durablement sur Internet. Et même devenir e-bibiliophile sur son téléphone portable. Par contre, le simili-book reste le seul accès au phénomène extraordinaire épinglé plus haut : on vit dans cette époque et il faut s’en accommoder. Vous recherchez des sensations fortes ? Jetez-vous sur les simili-books. On doit même pouvoir lire celui-là sur un écran. L’effet doit en être mille fois plus capiteux.

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    Si Brian James vole au secours de John Wombat, c’est pour une raison bien simple : l’ancien Damned est un homme profondément généreux. Ça s’entend au ton de sa voix. Brian James raconte ses souvenirs tranquillement, au fil des époques. Comme le fit Joel McIver dans son livre sur Lemmy et Motörhead (Overkill), Wombat a l’intelligence de laisser son sujet s’exprimer longuement. Et du coup, on se retrouve avec la vraie histoire des Damned et du proto-punk - une histoire du proto-punk qu’on peut d’ailleurs croiser avec celle des Hollywood Brats que raconte Andrew Matheson dans Sick On You.

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    Brian James naviguait en père peinard sur la grand-mare du proto-punk qui, souvenez-vous, trouve sa source dans le fameux Phun City Festival organisé par Mick Farren en 1970. Figuraient à l’affiche les Pink Fairies, les Pretty Things, le MC5 et Bastard, le groupe pré-Damned de Brian James. C’est là qu’il découvre les MC5, en tournée en Europe pour la première fois, et William Burroughs : «William Burroughs était là. Il avait l’air marrant (he was a funny looking guy). Il avait l’air d’appartenir aux SS ou à la Gestapo, avec son trench coat et son chapeau à larges bords. Il était flanqué de deux Hell’s Angels dont l’un portait un casque nazi. Burroughs se baladait dans le festival et s’exclamait : ‘Woa, this is fucking cool !’ Il avait vraiment une super allure, il portait des petites lunettes cerclées d’acier. On aurait dit qu’il sortait d’un film.»

    Brian James s’était installé à Bruxelles pour essayer de lancer son groupe, Bastard. Mais ça ne marchait pas très bien. «Je suis rentré à Londres à Noël pour voir mes parents et manger un peu. On ne mangeait pas beaucoup à Bruxelles. Tu vois, on s’amusait bien mais on crevait la dalle. Alors j’ai vu une annonce dans le Melody Maker. À cette époque, les musiciens passaient des annonces quand ils cherchaient à jouer dans des groupes. Dans l’annonce, on citait le nom des Stooges qui étaient à l’époque l’un de mes groupes favoris. Alors je suis allé voir ces mecs, Mick (Jones) et Tony (James) et je leur ai dit : ‘Bon les gars, j’écoute les mêmes trucs que vous.’ Je leur ai fait écouter une cassette de Bastard. Ils ont bien aimé. Je leur ai dit que mon matos était encore à Bruxelles et que Bastard allait splitter, car les autres devaient se marier, tu vois, ce genre de truc. ‘Alors si vous pouvez attendre un peu, je rentre à Londres de toute façon. Si vous trouvez quelqu’un d’autre d’ici là, pas de problème.’ Quand je suis rentré à Londres, j’ai appelé Mick qui m’a dit qu’il m’attendait. On a commencé à auditionner des chanteurs et des batteurs. Mick jouait de la guitare et Tony de la basse.»

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    Ce qui nous conduit droit aux London SS, le Loch Ness du proto-punk londonien. Brian James s’empresse de préciser que les London SS ne furent jamais un groupe au sens où on l’entend généralement mais uniquement un rehearsal band, un groupe informel, avec des gens comme John Brown, Eunan Brady et Geir Waade qui sont ensuite allés jouer avec Wreckless Eric, ainsi que Roland Hot et Lucas Fox. Puis suite à une annonce voilà qu’est arrivé Christopher Millar vite rebaptisé Rat Scabies par Mick Jones. Oui, car le pauvre Christopher avait la gale et un rat avait traversé le basement de Paddington pendant l’audition. D’où ce Rat Scabies qu’on traduirait ici par ‘rat galeux’. Brian apprécie surtout le style de Rat : «Il est arrivé et je l’ai trouvé fantastique, grâce à lui, je me suis mis à jouer différemment, à la Pete Townshend, avec le côté plus électrique, the noise. Mick et Tony aimaient bien son jeu de batterie mais ils trouvaient qu’il n’était pas très rock’n’roll. Je leur répondais : ‘What the fuck does rock’n’roll look like ? Listen to his drumming ! He’s fucking great !’» Voilà donc la genèse des Damned. Tony et Mick trouvaient que Rat n’avait pas de look mais heureusement Brian James voyait en lui le batteur idéal : «Rat et moi on pensait que Mick et Tony n’étaient pas faits pour jouer avec nous. On s’entendait bien tous les deux. Alors on a quitté les London SS pour monter les Damned. Rat connaissait Captain Sensible qui s’appelait encore Ray (Burns) à l’époque. C’était son collègue de boulot, ils nettoyaient des toilettes publiques ensemble. C’est par Malcolm McLaren qu’on a fait la connaissance de Dave Vanian (David Letts). Malcolm essayait de monter un groupe autour de Chrissie Hynde. Il avait invité Rat. Pauvre Chrissie, elle ne voulait pas chanter, tout ce qu’elle voulait, c’était jouer de guitare dans un groupe. Un jeudi soir, on s’est retrouvés dans un pub qui s’appelait le Nashville. Le premier à se présenter pour le job de chanteur fut Sid (Vicious) qui s’appelait encore John (Ritchie). Je le connaissais parce qu’on prenait tous le deux le même bus. On habitait tous les deux à Kilburn. Puis un autre jour, j’ai vu arriver ce mec qui ressemblait à Dracula. J’ai dit à Rat : «Qui c’est ce mec-là ? L’est complètement gaga ce mec là.» C’était Dave. Rat le connaissait, Malcolm le lui avait présenté. On a loué ce local dans une église pour les auditions. Dave est venu, pas Sid. Dave aimait bien ce qu’on faisait et c’est ainsi que les choses se sont mises en place.»

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    C’est admirablement bien raconté. En une demi-page, Brian James relate la naissance de l’un des groupes anglais les plus attachants. Autre précision qui vaut son pesant d’or du temps : Brian James profita lui aussi de l’occasion pour se rebaptiser. «Après la formation des Damned, le gens me demandaient mon nom. Comme il y avait déjà un Brian Robertson qui jouait dans Thin Lizzy, j’ai pensé que mon nom allait créer une confusion. J’écoutais principalement Raw Power à l’époque, il y avait donc James Williamson et James Osterberg (Iggy Pop) et je trouvais que Brian James sonnait comme Brian Jones, alors j’ai pensé que c’était le bon choix.»

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    Et hop, «New Rose», et hop the British punk scene ! Les Damned sont les premiers à crever l’écran. Ils jouent partout en Angleterre et ils se constituent une solide fan base. Brian voit deux affairistes miser sur l’avenir en se partageant le marché : «Bernie Rhoses manageait les Clash et McLaren les Pistols. Ils étaient en affaires tous les deux, Bernie devait faire la compta de Malcolm, un truc dans le genre. Malcolm a monté les Pistols pour vendre ses fringues. Bernie sentait que les choses évoluaient très vite et il avait commencé à lorgner sur les London SS, raison pour laquelle je me suis tiré vite fait de ce guêpier. Je n’aimais pas ce mec-là, c'était juste un petit revendeur de drogues à deux balles.» Puis les événements s’enchaînent très vite : le scandale du Grundy show et le Anarchy Tour dans la foulée. Au programme : les Heartbreakers, les Clash, les Damned et les Pistols. Après un premier concert à Leeds, McLaren convoque les Damned en réunion. Brian : «McLaren était là avec deux gros durs, Steve English et un autre mec. Les gardes du corps des Pistols. Je connaissais bien Steve, on avait bu des coups ensemble, pas de problème. McLaren a démarré la réunion en annonçant que les Damned allaient jouer en premier, puis les Heartbreakers, puis les Clash et enfin les Pistols. J’ai dit à Mclaren : ‘Fuck you, il était convenu qu’on joue avant les Pistols, donc on joue avant les Pistols. C’est pas parce qu’il y a eu le fucking Grundy show que les choses vont changer !’ Ça a chauffé et j’allais lui mettre mon poing dans la gueule mais Steve English s’est avancé. Il a mis la main sur mon épaule et m’a dit qu’il bossait, alright ? Alors j’ai laissé tomber.» Pendant la tournée, les Damned voyageaient à part, dans leur van. Ils ne dormaient pas à l’hôtel comme les autres mais dans des bed & breakfast. «Les camps étaient très séparés. On s’entendait bien avec les autres groupes, le problème venait du management. McLaren était un trou du cul et je ne pouvais pas le supporter. Mais c’est vrai, nous sommes tous différents les uns des autres.» Quand les Damned acceptèrent d’auditionner devant la municipalité de Derby, McLaren cria au loup. Ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase. Les Damned durent quitter la tournée : «McLaren faisait croire que la tournée était d’esprit révolutionnaire, which was bollocks.»

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    Et hop le premier album, et hop Stiff met la pression pour un deuxième album. Brian les prévient qu’ils n’ont pas de chansons et qu’ils ne sont pas prêts : «It was rushed, very very rushed. Il y a pourtant des choses que j’aime bien sur le deuxième album. Ça aurait été plus facile de jouer comme sur le premier album, en plus punk. Mais la scène punk devenait une singerie. Les groupes de la deuxième vague singeaient ceux de la première. Tout le monde était habillé de la même façon et tout le côté intéressant de la rébellion avait disparu.» Brian ne voulait pas tomber dans la routine punk comme le faisaient les Ramones, avec des albums qui sonnaient tous pareil. «Nick Lowe avait produit notre premier album, mais il ne voulait en produire un autre, ce qui était tout à son honneur. Alors on a pensé à Syd Barrett, mais Peter Barnes nous disait que Syd n’était pas en état et que c’était trop risqué que de vouloir essayer. Alors il proposa d’en parler aux autres mecs du Floyd qu’il connaissait aussi. L’idée ne nous intéressait pas trop, mais il en toucha quand même un mot à ces mecs-là.» Quand Peter Barnes revint annoncer que Nick Mason était intéressé par le projet, le boss de Stiff exulta. Jake Riviera y voyait ‘un angle intéressant’. Brian : «Jake ne raisonnait qu’en termes d’angles, de concepts. C’était Stiff Records. Comme on n’avait pas d’autre proposition, on a accepté celle-là (...) Ce fut une expérience bizarre. On avait enregistré le premier album aux Pathways Studios, un endroit si exigu qu’il aurait pu tenir dans les toilettes de Britania Row, le studio du Floyd. Britania Row était beaucoup trop luxueux, avec plein de tapis à la con. L’endroit n’avait rien de rock’n’roll et Nick Mason l’était encore moins. C’était pourtant un mec gentil, mais il préférait nous parler de sa collection de Ferraris.»

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    Quand Rat quitta le navire, Brian engagea Jon Moss pour le remplacer. «C’était un bon batteur mais ce n’était pas Rat. Rat et moi on avait démarré les Damned et je n’aimais pas la tournure que prenaient les choses. Ça ne sonnait pas juste. En plus, la scène punk avait perdu tout son charme. Ça n’avait plus rien à voir avec celle de 1977. J’ai donc fait venir Captain et Dave pour leur dire : ‘Look, I want to break the band. J’ai formé le groupe avec Rat, il n’est pas là, donc pour moi c’est mort. Je veux passer à autre chose.’ Voilà, ça s’est terminé comme ça.» Puis il ajoute un peu plus loin : «Rat a monté les White Cats, Captain un groupe qui s’appelait King et Dave s’est associé avec Dick Strange et les Doctors of Madness. Chacun faisait son petit truc. Puis j’ai entendu dire que Rat, Captain et Dave s’étaient remis ensemble, avec Captain à la guitare. Ils ne m’ont même pas demandé si je voulais venir. Ils devaient savoir que j’aurais dit non, de toute façon. J’avais un nouveau groupe, Tanz Der Youth».

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    Tanz Der Youth ? Il expédie ça en deux temps trois mouvements : «J’essayais de faire des trucs nouveaux, avec un synthé, mais le côté nouveau n’a duré que dix minutes. Je ne m’entendais pas très bien avec le batteur et le bassiste (Alan Powell, ex-Hawkwind et Andy Colquhoun) et ça a commencé à se barrer en couille. On s’était mis d’accord avec Radar pour un single («I’m Sorry I’m Sorry/Delay»), on a fait quelques concerts et une tournée avec Black Sabbath. C’était assez cool. Mais au milieu de la tournée, ils nous ont jetés parce qu’ils nous trouvaient incompatibles.»

    Il y a dans le ton de Brian James une certaine forme de désenchantement, mais jamais de persiflage. Ça ne marche pas ? Il passe à autre chose.

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    Au fil des pages, Brian évoque pas mal de gens intéressants, comme Johnny Thunders dont il fit la connaissance au moment de l’Anarchy Tour : «On a appris à se connaître, c’est sûr. Pendant des années, on se croisait à Londres. Je me souviens de l’avoir emmené voir les Pirates au Dingwalls. Il connaissait les Feelgood et je voulais le brancher sur Mick Green, le guitariste des Pirates : ‘Tu devrais apprécier ce mec, il joue comme Wilko.’ Comme on était tous les deux guitaristes, on avait des tas de choses en commun. Un soir, on parlait du MC5 et il me raconta qu’à l’époque où il était plus jeune, il allait en stop à Detroit voir jouer le MC5 et les Stooges.» Brian se souvient aussi de Marc Bolan. Quand les Damned sont partis en tournée avec lui, Brian apprit à l’apprécier : «Captain et Rat étaient des big fans de Marc Bolan, mais je n’aimais pas trop le glam ni T. Rex. Je préférais les débuts de Marc au temps de Tyrannosaurus Rex, avec Steve Took. Là oui !».

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    Plus loin dans le book, Brian raconte qu’avec sa femme Minna et son fils Charlie, ils sont allés à une époque s’installer à Arcachon : «J’ai toujours eu des affinités avec la France et les Français ont toujours été des amateurs de rock’n’roll. On s’est installés dans ce coin qui s’appelle Arcachon, pas loin de Bordeaux, et c’est là que j’ai commencé à boire du vin rouge. Mais en même temps, j’avais du mal à trouver des musiciens.» Il rentrera à Londres puis ira s’installer à Brighton, où Captain a un pied-à-terre. C’est une sorte de retour à la normalité après avoir frôlé le super-stardom au temps des Lords Of The New Church. Et pendant que ses anciens collègues Captain et Dave remplissent l’Élysée Montmartre avec la nouvelle mouture des Damned, Brian joue dans des bars de province pour vingt personnes. Ça s’appelle un destin. Balzac se serait régalé de cette histoire.

    Signé : Cazengler, brillante gerbe

    John Wombat. Bastard The Damned The Lords Of The New Church & More: The Authorized Biography Of Brian James. Amazon Italy 2019

     

    Que Vez bien pouvoir dire ?

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    Avant de devenir le cultissime El Vez, Robert Lopez jouait de la guitare dans les Zeros, gang glam-punk californien des années de braise toujours en activité. De la même façon que Tav Falco, El Vez va pendant quarante ans travailler un look kitschy kitschy petit bikini et cultiver un don pour la provocation qui lui interdira l’accès au succès commercial, ce qui au fond est une bonne chose. El Vez et Tav Falco sont devenus les cult luminaries du plus ténébreux des underworlds et quelques poignées de gens ici et là dans le monde n’en finissent plus de chanter leurs louanges et de vénérer l’absolutisme de leur pureté d’intention.

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    Pour comprendre quelque chose au mythe El Vez, il suffit d’observer la pochette de son premier album, Not Hispanic, paru en 1992 : il y porte une cuirasse de conquistadore et regarde l’objectif d’un œil méchant. Sa très fine moustache assombrit encore l’impression que dégage le personnage. Lorsque les Aztèques virent débarquer de telles trognes, ils comprirent qu’ils allaient passer un sale quart d’heure, c’est évident. Si on ouvre le gatefold, on tombe sur une autre photo d’El Vez déguisé cette fois en latin lover couvert de bijoux : on croirait voir Tav Falco. Même look, même sourire, même coiffure, même classe ravageuse. Et puisque la pochette indique The Mexican Elvis, alors El Vez se met à hispaniser les classiques d’Elvis. C’est son fonds de commerce. Il démarre avec «That’s Alright Mama» qui devient «Esta Bien Mamacita». Wow, ça joue à l’accordéon de la frontière. Le son des rancheros surprend par sa solidité. Puis il roule «In The Ghetto» dans sa poudre de riz et ça devient «En El Barrio», mais il pousse encore plus loin le bouchon, car il mixe le hit d’Elvis avec «Mr Fantasy» de Traffic. Son guitariste Jim Avgeris est tout bonnement spectaculaire. Mais ce n’est pas fini. En B, il rend un hommage stupéfiant à Santana avec «Samba Para Elvis». Quel mélange ! Il chante la Samba de Carlos divinement. Il en a les moyens et ce fabuleux groove d’excellence se met à décoller, avec la montée du you you you sur un bassmatic bien connu. Eh oui, c’est le riff de «Walk On The Wild Side» et les filles font tip tilip tip tilip. Ce démon d’El Vez enchaîne avec un autre coup de Jarnac, le «Black Magic Woman» de Santana, qu’il joue au pur drive de rockab. Merveilleuse approche, savant mixage, une fois de plus. Ce album est ce qu’on appelle un carton considérable et c’est à cet instant précis qu’on prend la décision de ne plus jamais perdre de vue le divin El Vez.

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    Sur Fun In Espanol paru deux ans plus tard, on retrouve tous les coups de Jarnac d’El Vez : «Esta Bien Mamacita», «En El Barrio» et «Samba Para Elvis» qu’il finit en «Walk On The Wild Side». Il s’adonne à la ferveur rockab avec un «Mujer De Magia Negra» fabuleusement faussé dans le viseur. El Vez sait mener le bal du slap. Dans «Nunca Fui A Espana», il évoque la conquesta de Llos Aztecas - Yo soy chicano ! - Il revient à Santana avec «Samba Ti». El Vez adore le kitsch subliminal du grand Carlos et finit une fois encore sur le groove du Transformer de «Walk On The Wild Side». Décidément, c’est une manie.

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    Il est bon de savoir qu’en 1994, El Vez sort quatre albums sur Sympathy For The Record Industry : Fun In Espanol, Graciasland, Merry MeX-mas et How Great Thou Art. Earle Mankey produit l’excellentissime Graciasland. El Vez attaque en force avec un «La Negria» explosé au mariachi beat. C’est du Tex-Mex punk. Le pauvre Doug Sahm n’aurait jamais pu imaginer une chose pareille. Quel son ! Nouveau coup de génie avec un «Cinco De Mayo» riffé au maximum overdrive et pulsé au bassmatic. Un vrai festival, avec du son par dessus les toits. Il faut le voir pour le croire. Comme Elvis, El Vez fait des miracles. Il introduit son «Gypsy Queen» avec un riff de Santana, c’est battu à la diable et infesté de requins. Il démarre ensuite son «Trouble» sur les accords de «Jean Genie» et passe en mode Shadows Of Knight, avec des chœurs de folles. Attention, ce n’est pas fini, car voici «The Cuauhtemoc Walk» tapé au beat rockab. Infernal ! Ah la vache ! Il génère de la pure folie rockab au big bad slap, c’est le génie aztèque d’El Vez, ça pulse et ça déboule, garez-vous ! Cet album n’en finit plus de vomir ses trésors, tiens voilà «Mexican Radio», encore un cut furibard, El Vez tape dans le dur du DT across the USA - I’m on Mexican re/ Dio - C’est du Wall of Voodoo, il l’explose littéralement. El Vez le bouffe tout cru à coups de riffs garage - Re/ Dio ! Re/ Dio ! - Il charge sa barque comme une mule. Il repart dans un délire rockab avec «Safe (Baby Let’s Play Safe)» et le fait admirablement. Il faut compter El Vez parmi les grands Wild Cats des temps modernes. Il place ensuite les chœurs des Stones dans «Immigration Time» qui est en fait une reprise du «Suspicious Minds» de Mark James. Cover géniale, une fois de plus. El Vez s’étale comme une loutre sur l’ectoplasme de la légende, we can grow on together !

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    Earle Mankey reste à la prod de Merry MeX-mas. Ça démarre sur un «Feliz Navidad» joué avec l’énergie des Pistols. Les solos tombent comme des déluges de feu. Il tape plus loin un fabuleux «Sleigh Ride» au Surf power. Rappelons que le guitariste s’appelle Jim Avgeris et qu’il n’est pas né de la dernière pluie. Il faut le voir swinguer along the line. El Vez nous fait plus loin le coup du round midnite intimiste à la Chet Baker avec «Christmas Tree Is Here». On se croirait dans une cave de Saint-Germain des Prés. Quel caméléon ! Mais il fait tout comme il faut. La pochette de l’album est marrante, car El Vez ramène toutes ses photos de famille, on peut voir les réveillons de Noël enchantés de son enfance. Il fait donc de «Brown Christmas» un enchantement, une sorte de petite merveille consécutive. Il refait aussi son Elvis dans «Santa Claus Is Sometimes Brown». Wow, les big guitars ! C’est à tomber tellement ça pulse. On ne se lasse pas facilement d’un shouter comme El Vez. Nouvelle merveille délectable avec «Christmas Wish», selon les Farina. On entend un accident de bagnole, bing ! Ouille ! Il ne peut pas s’empêcher de faire le con. C’est plus fort que lui. Quel enfoiré ! En plus, le cut est vraiment bien joué.

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    On retrouve tous les coucous du premier album sur How Great Thou Art. Ça frise un peu l’arnaque mais comme on aime bien El Vez, on fait le canard. Long Gone John nous ressert donc «Esta Bien Mamacita» («That’s Alright Mama» espagnolisé), «En El Barrio» («In The Ghetto» mixé avec «Mister Fantasy») et «Samba Para Elvis» (Santana mixé avec «Walk On The Wild Side»). Nouvelle reprise d’Elvis avec «Maria’s The Name» qui est sa façon de voir «His Latest Flame». Il embarque ça au beat expéditif et rend un fantastique hommage au king. Avec «Never Been To Spain», il réaffirme son rejet du monde hispanique - Well I’ve never been to Spain/ So don’t call me hispanic - Il ne fait pas de cadeau à Colombus et à tout le shit des conquistadores - The Mayan culture, man, it thrived boy/ before Colombus had a teacher - On retrouve aussi les excellentes reprises de Santana, «Black Magic Woman» et «Samba Pa Ti». On est là dans une certaine magie du son, d’autant que ça joue à la régalade. On retiendra une chose des quatre albums d’El Vez parus en 1994 : une prodigieuse inventivité.

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    Paru sur Munster, El Vez Is Alive propose un concert enregistré au Danemark en 1991. The Mexican Elvis fait des étincelles avec «Esta Bien Mamacita» et «Maria’s The Name» où il roule des r et part en drive de wild ride. Fabuleuses dynamiques ! Avec «This Was The Story Of My Life», il va droit sur Led Zep - You need schooling ! - et transforme «Heartbreak Hotel» en «Into Quetzalcoatal». Vas-y El Vez ! On est tous avec toi ! Vas-y, défonce la gueule des mythes ! Nouveau coup de Trafalgar avec «Intro To East LA» qu’il fond dans l’«Heroin» du Velvet - But sometimes I don’t care - Il descend les marches de son palais en grande pompe avec une version ultra-dynamique d’«En El Barrio». C’est amené au heavy riffing de guitare, puis il chevauche le dragon avec «Trouble». Il reste dans l’immense pastiche avec son «Dixie Intro Immigration Time» joué à la fantastique énergie et transforme ensuite le vieux «See See Rider» en «I’m A Cowrider». Derrière, les filles deviennent folles. C’est du big El Vez de célébration aztèque. Il roule ses r comme un ara des forêts tropicales. En rappel, il revient exploser «Wolly Bully» au big shake de shook. Puis on annonce qu’El Vez has left the building !

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    Nouveau retentissement avec l’incroyable G.I. Ay Ay Blues paru en 1996. En plus d’Elvis, El Vez s’intéresse à Bowie et à James Brown. Eh oui ! Il attaque avec «Say It Loud I’m James Brown & I’m Proud», c’est une apologie qu’il endosse comme une sinécure et derrière les Elvettes gueulent comme des folles, say loud, El Vez et ses amis sont violemment bons. On entend aussi des sirènes de police. Tout est explosé dans l’œuf du serpent, El Vez a du génie à revendre, il mène sa sarabande au firmament avec toutes la crazyness qu’on peut espérer. Il revient au rockab avec une fantastique version de «Mystery Train». Il y roule des r et ramène toute l’énergie chicano. C’est tellement battu au slap que le son bourdonne comme un essaim. Il tape plus loin dans Lennon avec une version slappée de «Power To The People». Stupéfiant ! Ça sonne comme un hit rockab. Il rend ensuite un hommage fuzzy au grand Chavez dans «Cesar Chavez ‘96». Il faut voir El Vez se jeter dans la bataille. Il hurle ! El Vez brille en toutes circonstances, sachez-le bien, même quand il tape dans le kitsch de «Song In Poncho». Avec «El Groover», il passe au glam - Some call me El Vez/ Some call me cheeze - Il ramène le meilleur son d’Amérique dans le glam. Cet album est aussi un monstrueux pied de nez à l’Amérique, c’est en tous les cas ce que tendrait à prouver «Mexican American Trilogy» - Glory glory Hallelujah ! - Il termine avec «(Rock N Roll Suicide) If I Can Dream», fantastique hommage à Bowie. C’est l’un de ses plus gros coups. Il l’emmène dans son monde, comme il a emmené Elvis et Lou Reed. Il en fait un truc à lui, un truc effarant. Il le travaille au corps avec une énergie diabolique. Il l’explose, mais avec les manières d’un seigneur. Les folles sont de retour - Deep in my heart - Comme P.J. Proby avec sa version de «Heroes», El Vez outrepasse Bowie - Gimme your hands !

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    D’ailleurs, il se déguise en Ziggy sur la pochette de Son Of A Lad From Spain paru en 1999. Mais c’est une redite de G.I. Ay Ay Blues, puisqu’on y retrouve «Say It Loud I’m James Brown & I’m Proud» et «(Rock N Roll Suicide) If I Can Dream», qu’il mixe avec un vieux coup de Tell Me Why. On trouve cependant des choses en plus comme cette version live de «Lady Stardust» et un remix hypnotique de «Say It Loud». On retrouve aussi l’excellent «Si I’m A Cowrider» qui roule «See See Rider» dans la farine et «Chihuahua» qui est le «Hound Dog» d’El Vez.

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    Attention, NoElVezSi paru en l’an 2000 est le même album que Merry MeX-mas, avec trois beaux bonus : une version live du pistolien «Feliz Navidad» (le live est la preuve de sa puissance), une version diskö de «Mamacita Donde Esta Santa Claus» (fantastique diskö beat) et un vidéo clip d’«En El barrio».

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    En 2001, paraissait sur Sympathy l’excellent Boxing With God. Il continue de jouer les iconoclastes de haut vol avec «Orale» qui est «Oh Happy Day» en chicano. Il faut le voir monter sa sauce ! C’est un génie de la chicanerie ! - Into the USA/ Oh oh oralé ! - Ce démon chauffe les Edwin Hawkins Singers avec ses superbes copines par derrière. Il explose God et tout le Saint-Frusquin. Ce diable d’El Vez enfile les coups de Trafalger comme des perles. Il enchaîne avec un retake des Doors intitulé «And The Preacher Said» et passe en mode r’n’b avec «Rubbernecking». Il explose littéralement la gueule du r’n’b. Nous ne sommes pas au bout de nos surprises car voilà «Quetzalcoatal» monté sur l’I could die d’«Heartbreak Hotel» - He was an Aztec baby/ He might have been Jesus/ He was an Aztec who could fly - Il a raison de réécrire l’histoire - He’s returning to play at legends/ On a raft of smokes he’ll sail - On retrouve les fantastiques Elvettes dans le groove de «Mexican Can». Les albums d’El Vez sont tous des aventures extraordinaires. Il revient au stomp de glam avec «La Vida Loca» et s’en va faire le con à la manière d’Aaron Neville dans «Ave Maria». Il adore scier la branche sur laquelle il s’assied et plonger son album dans d’insipides torpeurs. Il tape «Lily Of The Valley» aux clameurs de gospel et invente un genre nouveau : le gospel rockalama. Wouah ! Son «Lust For Christ» n’est autre qu’une resucée de «Lust For Life», et il y shoote tout le gospel batch dont il est capable. On a là la version la plus jouissive de «Lust For Life» - Jesus is just a modern guy/ With Christ you haven’t to fear no more - Il continue de créer la sensation avec «If He Ever Comes Now». Il fait du glam avec des idées subversives. Il est capable de renverser tous les pouvoirs - I want to be king - Il termine cet album effarant avec le fameux «Walk A Mile In My Shoes» de Joe South qu’il gère à la perfection.

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    Pour la pochette de Sno-way José, son dernier album paru en 2002, El Vez se déguise en Père Noël. Mais pas n’importe quel Père Noël. Il se fait glam blaster pour «Little Drummer Boy», il y va de bon cœur, pah la pah pah, il fait sa Nana Moukouri sur fond de heavy glam. Avec «En El Barrio», il transpose «Silent Night» in the Ghetto. C’est un spécialiste des alliages. Il sait forger une épée. Sa passion du mix le dévore. Il se barre dans les Kinks puis dans le heavy rock d’Oasis, fucking genius ! Il explose Oasis - One day you find in el barrio - Ce mec est ravagé par sa passion du rock. Et ça continue avec «Cool Yule», while the neon is bright, il drive sa Cadillac, a chevy, il l’explose de joie elvezienne, c’est un gazier en or, il ne le sait pas, mais ses fans l’adorent comme un dieu, et les filles enrobent son swing sous leurs robes. Bel hommage à Roy Wood avec «I Wish It Could Be Christmas Everyday». Ça se passe entre géants. Ils s’adressent des gros clins d’yeux. Nous voilà dans l’or du temps, dans le cœur battant du mythe. El Vez se prosterne aux pieds du roy Roy. De la part d’un mec comme El Vez, c’est forcément un geste mythique. Il transforme «Now I Want To Be Santa Claus» en stoogerie - Now I wanna be your Santa Claus - Ce démon est encore plus stooggé que les Stooges. C’est assez violent, faites attention, en vous approchez pas trop près. C’est tapé en pleine gueule, bam bam. Il finit avec un «Brown Christmas» à la Brian Wilson. Quelle maestria ! On tombe de sa chaise à tous les coups. El Vez est un rêve éternel.

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    L’idéal bien sûr est de voir ce phénomène qu’est El Vez sur scène. Si pour des raisons logistiques ça s’avère trop compliqué, alors recourez au DVD, ou pire encore, à YouTube. Munster fit non seulement paraître un Gospel Show In Madrid en 2008, mais il en confia en plus la présentation à Lindsay Hutton. Ce DVD entrait dans cette collection à bandeau rose devenue mythique, puisqu’on y trouvait les Demolition Doll Rods, les Zeros, les Nomads et toute la crème de la crème du gratin dauphinois de l’époque. Le concert filmé à Madrid permet de vérifier une chose capitale : El Vez dispose des moyens de son extravagance : look, prestance corporelle, voix, belle énergie. Il est plutôt bien accompagné sur scène à l’époque : Pierre Smith, lead guitar, et Lisa Florette as Elvette, auxquels il faut ajouter Bernard Yin (rhythm guitar), Slim Evans (drums) et Joel Reeder (bass). El Vez enfile ses classiques comme des perles, make a walk in my blue suede shoes, il fait aussi une fantastique version de «Lily In The Valley», très dansée, qui va servir de thème récurrent tout au long du gospel show. Il fait sa version aztèque de «Heartbreak Hotel» et se livre à des numéros éblouissants de changements de costume : il vire son costard blanc et devient roi aztèque. Il revient sur scène tout vêtu de rouge pour «Sympathy To The Devil» - Pliiize allowe me to intlodouce myselfe - Bien sûr, il en rajoute, il ne mégote pas sur le rococo. Puis il explique que le Mexique eut un problème d’immigration avec les conquistadores : il transforme «Suspicious Minds» en «Immigration Time», puis transmute «Oh Happy Day» en «Orale» - Into the USA ! - Film révélatoire, car il permet de mieux voir comment un petit Chicano réussit à bâtir un monde avec de l’énergie, du goût, de l’humour et un sens inné du spectacle. Et ça marche. Au-delà du cap de Bonne Espérance. Il fond même son Happy Day dans «Bridge Over Trouble Water». Et c’est toujours juste. Il est devenu le grand spécialiste mondial du fondu enchaîné. Il tape à la suite dans «Lust For Life» et revient plus loin en jump-suit blanc à la Elvis. Quand arrive la fin du set, l’un des musiciens annonce : «Ladies & gentlemen El Vez has left the cross !» Pour le rappel, il tape un «Ask The Angels» assez explosif. Le mot de la fin revient à Lindsay Hutton : «It’s an ill-divided world because I know who deserves to be selling out stadiums and who doesn’t. It’s all suvbjective of course but as Handsome Dick Manitoba might say, ‘I am right’.» (Le monde est mal foutu, parce que je sais qui mérite de remplir les stades et qui ne le mérite pas. Bon d’accord, c’est purement subjectif, mais comme le dit si bien Handsome Dick Manitoba : je sais que j’ai raison.)

    Signé : Cazengler, El Vase

    El Vez. Not Hispanic. Munster Records 1992

    El Vez. Fun In Espanol. Sympathy For The Record Industry 1994

    El Vez. Graciasland. Sympathy For The Record Industry 1994

    El Vez. Merry MeX-mas. Sympathy For The Record Industry 1994

    El Vez. How Great Thou Art. Sympathy For The Record Industry 1994

    El Vez. El Vez Is Alive. Munster Records 1995

    El Vez. G.I. Ay Ay Blues. Big Pop 1996

    El Vez. Son Of A Lad From Spain. Sympathy For The Record Industry 1999

    El Vez. NoElVezSi. Poptones 2000

    El Vez. Boxing With God. Sympathy For The Record Industry 2001

    El Vez. Sno-way José. Graciasland Records 2002

    El Vez. Gospel Show In Madrid. DVD Munster Records 2008

     

    J'AI LA RAGE ( I, II, III )

    VOLUTES

    ( CLIPS )

    '' Oh ! Baby, je craque / Quand tu me fais crac-crac / Dans ma Cadillac '', rassurez-vous je ne me lance pas dans la haute poésie ce matin, ce couplet impérissable juste pour attirer l'attention sur l'inanité de certaines paroles rock quand on y pense un peu. Just for fun, certes. Parfois nous vivons des temps difficiles dont il n'est pas toujours facile de rendre compte. Nous avons vu Volutes le 7 juillet 2019 à La Comedia en la cité-rock de Montreuil. Voir notre chronique in la 427° livraison de Kr'tnt du 29 / 08 / 2019. Nous avions bien aimé, leur CD, leur jeu de scène, leur humour, leur musique-électro, leurs paroles électriques. Leurs colères. Les trois membres de Volutes se sont en effet aperçus que notre monde va mal. Ils ne sont pas les seuls. Mais cela s'entend dans leurs lyrics.

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    Certains pourraient reprocher aux paroles de Volutes d'être politiques, ce qui n'est pas faux mais le fait d'employer cet argument est déjà en soi-même politique. Ne nous attardons point dans ce faux débat. Comme tout un chacun Volutes dit ce qu'il lui chante. Il est vrai qu'il est exaspérant et pathétique que les personnes inutiles à leur propre cause deviennent les idiots utiles de leurs ennemis. Pour ne prendre qu'un exemple au hasard objectif, ces milliers de gens qui chaque soir durant le confinement applaudissaient les soignants pour leur dévouement alors que depuis des années on ne les a jamais vus se joindre aux multiples manifestations menées par ces mêmes soignants pour défendre l'Hôpital Public menacé par des plans successifs de rationalisation financière...

    Cette rage Claude Banian l'a écrite dans une tribune publiée le 24 mars 2020 dans Libération. Il sait de quoi il parle, il exerce la profession de psychologue à l'hôpital de Mulhouse. Tout le monde sait que le Grand-Est fut particulièrement touché par l'épidémie de Covid. Claude Banian est un pseudonyme, on n'est jamais trop prudent dans une société dont l'Etat a préféré assurer des réserves de grenades de désencerclements et autres babioles du même type que de renouveler les stocks de masques nécessaires pour protéger sa population de la pandémie.

    Volutes a lu le texte et l'a mis en musique, sous forme de trois vidéos en accès libre sur You-tube. Julien Robert s'est chargé des images qui accompagnent le déroulement du texte. Si vous voulez en savoir plus sur l'ymagiériste, son blog, Julien et le champ du possible, vous attend. Vous n'êtes pas obligé de souscrire aux cookies proposées pour y accéder. Une démarche à laquelle les sites de beaucoup de médias d'information reconnus vous enjoignent de souscrire sans rémission. Perso, je boycotte systématiquement. Mais ceci est une autre histoire.

    J' AI LA RAGE 1

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    C'est court deux minutes vingt-deux ( les flics ! ) Vous en prenez plein les mirettes dans vos yeux de chouettes. Les images se bousculent, sont issues de vidéos prises dans les manifs des derniers mois, un monde coloré de pancartes revendicatives que vous n'avez pas le temps de lire, idem pour les banderoles ironiques, les temps sont à l'urgence, tout un monde qui défile, qui proteste, qui revendique, tous ces gens qui nous ressemblent, et qui s'opposent au management politique libéral qui détruit toutes les conquêtes sociales, grignotées depuis des années. Parfois vous apercevez les trois membres de Volutes, si rapidement que vous n'aurez pas l'opportunité de leur demander un autographe, orchestration minimale, la voix très nette lit le texte, ne le scande pas, joue juste sur ses inflexions et son débit, mais derrière légèrement décalée, susurrée la voix de Célia Nocus G confère à la première diction une épaisseur, et une sourde colère qui résonne et se retient.

    J' AI LA RAGE 2

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    Nous étions dehors, nous voici dedans. C'était le bon temps, l'on sentait que danger que l'on prévoyait ne tarderait pas à venir. Plus de gens habillés de couleurs vives dans les rues ouvertes. Nous voici dans le monde blanc. Les avertissements lancés aux pouvoirs publics se sont mués en réalité. Nous voici au cœur de l'infection. Le personnel hospitalier dans la tourmente. Les corps que l'on emmène, que l'on allonge sur les lits, les vies que l'on sauvera peut-être, et tout ce monde de soignants, habillés de blanc, qui s'empresse, qui bosse sans rechigner, images de films catastrophe, de science-fiction, mais l'on n'est pas au cinéma. Dans ce second clip, la voix est toujours là, plus discrète, car si elle la ramenait trop, les images la boufferaient. Un terrible constat. Honte aux élites dirigeantes qui ont planifié cette chronique d'un massacre annoncé.

    J' AI LA RAGE 3

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    Trois minutes et le monde défile devant nous. Les petits. Ceux qui triment, ceux qui travaillent, ceux qui produisent la richesse. Et qui ont tenu le pays à bout de bras et d'efforts. Chez nous et ailleurs. Et puis les autres. Ceux qui paradent à la télévision. Qui décident. Qui ont organisé la gabegie. Qui se sont gavés. L'image nous les montre. Pour que nous ne les oubliions pas. Pour que nous nous souvenions de leurs belles paroles qui puaient la mort. De leur cynisme qui leur reviendra dessus tel un boomerang. La musique se densifie. Le pouls de la colère. Qui se réveille. Et qui promet qu'un jour ou l'autre il faudra apurer les comptes et mettre chacun en face de ses responsabilités. Le texte se finit sur deux mots lourds de conséquences. Nous arrivons.

    Œuvre de militants. Un constat froid et sans concession. Il paraît que c'est ainsi que se mange le plat de la vengeance. Aucun appel à la violence, car la violence est de l'autre côté. Ce qui ne veut pas dire que l'on se contentera de tendre l'autre joue. Qui sème le vent, récolte la tempête.

    Merci à Volutes.

    Damie Chad.

    MOUNTAIN AGAIN

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    GO FOR YOUR LIFE

    ( 1985 )

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    Dix ans que Mountain n'avait fait paraître un disque. Maintenant que Felix Pappalardi n'est plus là, sans doute Leslie et Corky retrouvent-ils l'entière propriété du nom. Le disque sort le 9 mars 1985, le trente avril 1985, Gail Collins est libérée de prison... Le chevauchement de ses dates ouvre la porte à toutes les rêveries.

    Mountain sans Pappalardi est-il encore Mountain ? Le titre de l'album ''Sauve ta peau'' est vraisemblablement une première réponse. L'on peut s'interroger sur le possessif '' your'' très ambigu. La phrase est-elle à interpréter comme une injonction d'ordre général que l'on traduirait par l'adage Vis ta vie ! Que chacun modulera selon sa propre philosophie existentielle : Vis ta vie à fond, tu n'en as qu'une ! , Vis ta vie et fais pas chier !... Ionesco nous a appris que même mis au placard les morts savent se rappeler au souvenir des vivants...

    Leslie a bien précisé que le dernier morceau du disque est une évocation de Felix Pappalardi. Nous y reviendrons. Mais si le titre de l'album s'adresse aussi à Pappalardi, il pourrait paraître étrange de souhaiter à un mort de vivre sa vie. D'autant plus que le commentaire de Leslie quant à la pochette en laissera beaucoup perplexes.

    Qui dit pochette de Mountain évoque instantanément Gail Collins. West et Corky n'ayant pas vraiment éprouvé une grande sympathie pour l'épouse qu'ils jugeaient un peu trop strombolienne et dont ils sont persuadés qu'elle a tiré sur son mari avec l'intention de nuire, il eût été de mauvais goût ( et inconcevable ) qu'ils lui demandassent de participer à l'artwork. D'ailleurs Gail y aurait-elle tenu ?

    N'empêche qu'une simple photo des protagonistes derrière leurs instruments aurait été mal venue. Proposer un banal chromo aurait été une faute de goût. Alors ils se sont creusés la tête. Jusqu'à la tombe de leur ami. West est formel : le paysage représenté en contre-plongée est celui que doit apercevoir un mort du fond de sa tombe...

    Et que voit-il au juste ? Pour celui qui regarde le disque, au premier regard une montagne, c'est la moindre des choses pour un groupe qui se nomme Mountain. Le titre de l'album, il faut aller le chercher. L'ont caché tout en bas. Au fond du trou. En caractère de neige un tantinet fondue. Vous savez sur le granit funéraire, les inscriptions s'effacent... Donc c'est bien un défunt que l'on encourage à vivre sa vie. Ne t'en fais pas mon vieux c'est parti pour la vie éternelle ! A croire qu'une fois que l'on est passé de l'autre côté de '' ce peu profond profond ruisseau calomnié '' disait Mallarmé, il ne reste plus qu'à se repasser les meilleurs moments de son existence, la vie trépidante de New York, l'image des plus hauts sommets que l'on a gravis... L'illustration est de Barry Jackson, il a notamment illustré pas mal d'albums de ZZ Top, a-t-il été choisi pour sa pochette réalisée en 1984 pour East Coast Offering ?

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    Avant de nous pencher sur le contenu de l'album je me livrerai à une interférence mienne. Une image pratiquement subliminale qui s'est imposée à mon esprit et superposée à la pochette. Pas eu de mal à la retrouver, dans ma bibliothèque, Edgar Allan Poe étant un de ces auteurs phares que j'ai beaucoup pratiqué. Elle n'est pas de la main de l'auteur du Corbeau, mais elle orne l'édition des Histoires extraordinaires parues en 1968 au Livre de Poche ( N° : 604 / 605 ). Elle n'est pas créditée mais une enquête serrée m'a permis de remonter à Pierre Faucheux, qui réalisa plus de 400 couvertures pour cette maison d'éditions. Il n'était pas tout seul, il eut jusqu'à quatorze collaborateurs, parfois il se chargeait du travail personnellement, parfois il indiquait à un ou à plusieurs dessinateurs ce qu'il voulait. Rien ne sortait de son atelier sans son aval. Pierre Faucheux révolutionna après la deuxième guerre mondiale le graphisme français. Tout lecteur émérite qui regardera le catalogue de ses réalisations n'aura pas de difficulté à reconnaître des livres qu'il aura lus ou zieutés à la devanture des librairies... Sa spécialité c'était surtout le lettrage. Il adorait les grosses lettres qui vous bouffaient la couve de tous côté. Ce qui n'est pas du tout le cas cette fois. Je n'avais d'ailleurs aucun souvenir de la disposition du titre et du nom de l''auteur, ne conservant dans ma mémoire que l'importance du dessin étendant son emprise sur toute la surface et une tache bleu-de-ciel tout en haut. Toutefois pour la discrétion du lettrage, rappelons la pâleur du titre de l'album centré au bas de l'image à l'égal de l'inscription Histoires extraodinaires.

    Dans ce qui suit je ne veux surtout pas dire que Barry Jackson se serait inspiré de Pierre Faucheux. D'abord je n'en sais fichtrement rien, sur le net les Jackson ( dessinateurs ou pas ) sont aussi nombreux que les étoiles dans le ciel... Surtout parce qu'en art il n'y a pas de hasart, seulement des similitudes et qu'il existe des zones de la psyché humaine qui se recouvrent et se recoupent. Il suffit d'emprunter les mêmes pistes ombreuses propices aux songeries les plus secrètes.

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    Certes à vue-de-nez tout sépare ces deux artefacts, le disque évoque une montagne et le livre la mer. Gardons-nous de juger trop hâtivement. Pour qui a lu le volume, le dessin ne peut qu'illustrer la septième des treize nouvelles assemblées par Poe, intitulée Une descente dans le Maelström. Qu'elle ait été judicieusement, mathématiquement et symboliquement placée au centre ombilical du livre par le poëte ne peut faire de doute. Le Maelström n'est que le point focal et abyssal de toute destinée humaine, le vortex imagé de la mort. Celle-ci entrevue non en sa statique monumentale finalité tombale mais en tant que désastre déclinatoire existentiel absolu. Nous nous plaisons à imaginer que ces deux œuvres, celles de Faucheux et de Jackson, communiquent entre elles comme les deux extrémités d'un siphon dont le fond serait le tourbillon mortuaire de l'existence. Mais il y a mieux : le dessin est d'autant plus explicite que regardé à la lumière du texte, le Maelström géographiquement situé sur la côte norvégienne, est entouré de parois rocheuses vertigineuses. Le mouvement du regard ascendant vers la plus haute cime de Barry Jakson est à l'opposé de celui abîmal de Pierre Faucheux qui du haut des crêtes rocheuses plonge dans le tourbillon d'écume.

    Mais il est temps de revenir à l'aspect sonore de notre objet...

    GO FOR YOUR LIFE

    Leslie West : guitars, vocal / Corky Laing : drums / Mark Clarke : bass.

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    Hard times : c'est Mountain et ce n'est pas Mountain. Sûr le son a évolué et ce n'est pas non plus la continuité des deux derniers disques du great Fatsby. Corky n'a pas bougé, il assure et pousse la machine. Clarke à la basse ne vous fout pas la grande claque de votre vie, se contente de suivre et de soutenir. L'on sent que les temps ont changé, que les grandes dérives orgiaques doivent respecter les bandes blanches du musicalement acceptable. Le plus surprenant est Leslie, une voix plus creuse, et une guitare qui cherche et trouve. C'est bien lui le moteur essentiel. Le morceau démarre sur des pirouettes de patins sur glace, mais ensuite l'on rentre dans le grand cadencement, tout est en place, tout ce qu'on peut attendre d'un bon groupe de hard rock vous est jeté en pâture, mais vous êtes un peu comme la chèvre de Monsieur Seguin qui aimerait regarder le grand méchant loup dans les yeux. Spark : ce n'est pas sur cette étincelle que l'on assistera à un festin de quatre-vingt brebis égorgées, le morceau ne serait pas mauvais en soi, mais nous sommes dans les tristes eigthies alors l'on a poussé les clavier d'Eric Johnson tout devant. Imaginez que faute d'avoir pu réparer les grandes orgues de Notre-Dame on les ait remplacées par un synthétiseur à cent soixante-dix-neuf euros, il manquerait quelque chose à la messe. Même Dieu refuserait d'y aller. Remarquez que la guitare de Leslie le remplace avantageusement. She loves her rock ( and she loves it hard ) : ok, d'accord elle fait cela très bien, eux aussi d'ailleurs, ça balance terrible et Leslie tout joyeux chante comme un cachalot en pâmoison. Vous prenez votre pied et du bon temps, mais ça manque un peu de vagabondage et de bondage. Bardot damage : c'est dommage, mais vous ne vous retournerez jamais sur ce titre, y a bien un flamboiement de solo sur la fin, mais enfin tout le début est quelconque. Le titre le plus faible. Z'auraient pu faire un effort pour Brigitte.

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    Shimmy on the footligths : un peu trop de clavier anémié, dommage qu'on ne l'ait pas caché sous les guitares qui ronronnent joliment, les cadences de Ian Hunter toujours aussi agréables, mais franchement moi je me contenterais du chant de Leslie, c'est comme le cuissot de biche, pas besoin d'une garniture aux cèpes autour puisque l'on préfèrerait des bolets de Satan. I love young girls : aujourd'hui une telle proclamation vous enverrait en prison, le morceau est magnifique, Leslie minaude et vous offre de la guimauve aux pétales de roses en bouton. De sa basse Clarke susurre une moelleuse succulence des plus perverses, et Corky qui a remisé sa cloche à vaches folles vous fait le coup de sa cymbale à génisses innocentes que l'on couronne de fleurs pour un sanglant sacrifice. Makin' it in car : l'on sent que Gail n'est plus là, les gars jouent les gros machos et roulent des mécaniques. Ça remue salement, et Miller Anderson profite de la situation pour un petit solo de slide particulièrement vicieux tandis que les boys ne se retiennent plus. Babe in the woods : ils ont arrêté la bagnole pour s'amuser dans les bois. Un morceau qui roule et tourneboule tout seul. Les guitares fusent comme des giclées de sperme. Tout va bien. Little bit of insanity : soyons franc, ce n'est pas le disque du siècle. Si ce n'était pas Leslie West écouteriez-vous ce disque ? Ben oui, mille fois. Durant dix mille ans parce qu'à la fin, alors que vous ne l'attendiez plus se niche une pépite de l'or le plus pur et le plus fin. Lorsque vous lisez les trois titres qui précèdent, vous vous dites, celui-ci sera dans la continuité. Un truc de lads qui se lâchent. Mais là, un des plus beaux morceaux de Mountain. Que pratiquement personne ne connaît. Trois fois rien. Une broutille. Un chef-d'œuvre absolu. L'adieu à Felix Pappalardi. A mots couverts. Tu as juste eu la vie que tu as voulue... Va pour ta vie, la mélodie aérienne et la voix sublime résonne comme un satisfecit, un constat sans amertume, un quitus nostalgique mais sans tristesse. La simple acquiescement à un destin. Qui n'appartient qu'à toi et qu'il convient de respecter. Même si tu t'es fait avoir, même si tu as été le dernier à comprendre l'ampleur du désastre. Pris à ton propre piège. Juste un bout de folie.

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    La vie de Felix Pappalardi fut joyau chatoyant. Une existence que les âmes pieuses qualifieront à voix basse de bâton de chaise. Nous préférons employer la métaphore du phosphore qui délivré du liquide amniotique des habitudes et des convenances sociétales s'enflamme de lui-même à l'air libre, ou du phénix impérieux qui ne renaît pas de ses cendres. Car trop fier pour se répéter. Il fut aussi le fils exemplaire de son époque qui se peut décliner en quelques mots. Producteur éclairé, excellent bassiste, doué d'une belle voix. Il n'est pas de ceux dont on dit qu'il a côtoyé les plus grands du rock'n'roll, car il était des plus grands. Il expérimenta, ainsi disait-on à l'époque, les anneaux de feu du sexe et le tapis ordalique de la drogue. Avec Gail il forma un couple libre, mais la notion de couple n'indique-t-elle pas que l'on est déjà pris au piège de ses propres désirs. Les paradis artificiels impulsent souvent des conduites davantage artificielles que paradisiaques. Celui qui descend volontairement dans l'arène de sa propre volonté, n'est pas certain de vaincre. Sans quoi le jeu n'en vaudrait pas la chandelle. Pappalardi aimait les armes. Quand il habitait près de Nantucket, il prenait sa voiture et s'en allait tirer sur les lampadaires. Un gamin. Un peu fou. Un peu givré. Sex, drugs and rock'n'roll. Il n'a jamais prétendu à autre chose.

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    Cela aurait pu être un merveilleux point final pour Mountain. Le plus difficile n'a jamais été de vivre mais de survivre. Mountain sans Pappalardi... mais comment ne pas revenir sur les moments les plus intenses de sa vie. Leslie mènera sa carrière solo, mais il rajoutera encore trois opus, trois points de suspension au conte merveilleux, un peu comme ces écrivains qui à la fin de leur ouvrage répugnent à clore définitivement le dernier chapitre, car ce serait admettre que la mort a remporté la partie, qu'il n'est pas de retour possible, qu'aucune survie n'est envisageable, ils laissent entendre grâce à ces trois minuscules gouttes d'encre que l'histoire terminée ne s'achève jamais. Dans leur tête ou celle de leurs lecteurs. Il est des tombes qui ont du mal à se refermer. Surtout pour ceux qui n'y sont pas confinés. Ou des blessures que l'on rouvre exprès, parce que se faire du mal c'est encore vivre intensément.

    *

    Dix ans s'écouleront avant la parution d'un nouvel album. Avant de ranimer la brûlure de la flamme.

    Ce disque paraît alors que l'on attendait un trio de rêve. Sur le papier. Leslie à la guitare, Corky à la batterie et cadeau de Noël, Redding à la basse ! Une expérience qui ratera. West aurait-il un mauvais caractère ? Ne le répétez pas, les témoignages concordent, il semble que oui. Bref, il ne reste plus qu'à réembaucher Mark Clarke. Un témoin de la naissance du british boom à Liverpool qui se retrouvera à jouer de la basse avec Colosseum et puis avec Huriah Heep un groupe un peu oublié et que j'adore, et aussi avec Rainbow....

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    MAN'S WORLD

    ( 1996 )

    Leslie West : guitars, vocal / Corky Laing : drums / Mark Clarke : bass.

    Une belle pochette et un beau livret. Qu'exiger de plus ! Oui le sais, Gail Collins, s'il vous plaît ne demandez pas l'impossible.

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    In your face : la guitare de Leslie bourdonne comme un xylocope enivré de pollen, z'auriez presque envie de vous laisser bercer et de de vous endormir, funeste erreur d'appréciation, z'avez le vocal qui vous attaque, un véritable essaim de moustiques tigres qui ont décidé de vous darder de mille piqûres pour s'amuser de vos cris de douleurs, sur ce Corky fait du bruit pour que personne ne remarque le traitement qu'ils vous infligent et Mark vous enduit d'une couche d'ambre solaire empoisonnée. Nobody gonna steal my thunder : un homme averti en vaut deux, mais combien vous trouvez agaçante ce ton d'arrogance teintée d'ironie, surtout quand ils y vont la bouche en chœur. Ils ont la niaque et ils vous niquent en beauté. Vous vous consolez en vous disant qu'ils ne vous y reprendront pas deux fois. Mais sur ce coup ils vous ont bien eu. This is a man's world : c'est aussi beau que du James Brown, faut avoir un sacré culot pour s'attaquer à un tel monument, c'est un peu vouloir bâtir une deuxième tour Eiffel en face du joujou à Gustave, et vous réussissez à en construire une plus haute, c'est que voyez-vous j'ai toujours été déçu par la fin du morceau de Brown qui se retrouve trop brutalement écourté à la fin du sillon vinylique, vous êtes comme le chien à qui le maître retire de sa gueule son meilleur os à moelle, Mountain ils vous le terminent en pente douce, et avant vous avez de ces contreforts si massifs qu'il vous semble que l'on a réuni ensemble tous les orchestres qui se sont succédés à l'Apollo Theater depuis un demi-siècle. So fine : porte bien son titre, une espèce de country-rock de toute finesse, la guitare de Leslie qui se marche dessus, sa voix des plus expressives, qui mord pour aussitôt relâcher la pression, le genre de babiole que vous prenez pour du plastique mais qui se révèle être un bracelet en peau d'iguane incrustée de diamants taillés par Praxitèle.

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    Hotel happiness : un petit blues pour revenir aux choses sérieuses, Corky vous refile de ses splashs à croire qu'il se prend pour le premier moutardier du pape, un piano s'en vient nous jouer sa rengaine assoiffée de malheur, la voix de Leslie surfe si maladivement que vous en oubliez d'écouter sa guitare ( lamentable erreur ) et Mark Clarke vous passe en douce des coupes d'hydromel ciselées pour que vous les remplissiez de vos larmes. I'm sorry : un truc habituel chez Mountain, après vous avoir filé les morpions du blues, ils vous rejouent la même tragédie, en plus dramatique, musique emphatique, voix désespérée de ténor italien qui menace de suicider à la fin de l'acte II. I look ( power mix ) : miraculeux, le son d'une vieille piste de Mountain, sans Pappalardi certes, mais Eddie Black le remplace au vocal, Leslie concentré presse le citron de sa guitare pour produire ces plissements hercyniens dignes de Nantucket Sleighride, de bons souvenirs pour Corky qui rejoue avec trente ans de moins dans les épaules, quant à Clarke il se croit dans West, Laing & surtout Bruce. Is that okay ? : après le prodige qu'ils viennent d'accomplir, se la jouent cool et léger. Tout gentil. Genre folk-rock pour séduire les jeunes filles, Clarke essaie de marcher sur la pointe des pieds mais l'on dirait un homme-grenouille qui fait claquer ses palmes un peu trop fort sur le goudron de l'auto-route. Crest of a slump : soyons sérieux quittons les basses plaine du far-west pour grimper les hauteurs encombrées de pumas affamés des montagnes rocheuses. Guitare grondante tout le bataclan qui va avec. Saint Heavy ayez pitié de nous ! You'll never walk alone : le ticket gagnant ! Peu original, mais ô combien efficace, West vous l'expédie à l'acoustique, c'est beau à pleurer, vous en mangeriez en pâte à dentifrice. I look ( hit mix ) : vous resservent une part du gâteau, vous n'êtes pas obligé de me croire mais la première est de loin supérieure. Celle-ci trop grand public. Le seul avantage l'on entend mieux Corky, crème chantilly régalienne !

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    Une éternité avant que ne paraisse le suivant. Mountain est un petit vendeur de disques, le groupe se rattrape sur les tournées. Il est désormais beaucoup plus apprécié par le public européen qu'américain.

    MYSTIC FIRE

    ( 2002 )

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    Leslie West : guitars, vocal / Corky Laing : drums / Chuck Hearne : bass sur 1 et 9 / Ritchie Scarlet : bass /

    Immortal : [ dans la série return to the sender le titre est repris à Clutch qui l'année précédente l'avait pompé à... Mountain ( Baby I'm down ) ] : ce qui est marrant c'est que Mountain sonne davantage metal que Cluth dont les parties de guitare baignent dans l'orthodoxie heavy la plus classique. Un titre pas vraiment immortel. Mystic Fire : beaucoup mieux. La basse de Chuck Hearne mène le bal des ardents. Mais l'ensemble promet plus qu'il ne donne. Bien en place, bien fait. Dans le même genre, fausse mystique de pacotille, Huriah Heep était plus crédible. Fever : l'interprétation de Peggy Lee nous a donné des montées de fièvre adolescentes, est-ce un manque d'imagination qui a poussé Leslie à reprendre ce classique. Qui colle mieux à une sensualité pro-jazz qu'à une sexualité rock. Une curiosité. Dont on pourrait se passer. The sea : Corky martèle l'intro au trot, et l'on part en balade pour une jolie ballade, le paysage est sympathique mais Mountain nous a habitués à des escarpements plus pentus. Certes l'on prend de la hauteur petit à petit. A coteaux tirés sur la fin, mais l'on s'arrête avant le premier sang. Mutant X : mutation des plus acceptables, entre Mountain fait du Mountain et Mountain essaie de se renouveler, la différence n'est pas bien grande. Corky et Leslie s'amusent comme des grands dans la cour de récréation, n'impressionnent que les plus petits sortis de l'œuf sans le casser. Better off with the blues : rien de tel qu'un blues pour reprendre pieds sur la terre ferme. Instruments en sourdine et la gorge de Leslie en bleu sombre. Après quoi on lâche le troupeau en liberté dans les alpages. Désolé de le constater, cela ressemble trop à une imitation de Led Zeppe. En moins choc. En moins chic.

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    Mountain express ( oh boy ) : l'on tire un peu sur le chewing-gum. Manque d'imagination. Recyclage de tous les poncifs. M'étonnerait que beaucoup de monde se soit tranché la gorge de joie à l'écoute de ce morceau. Marble peach / rotten peach : le seul morceau du disque qui pour le moment nous satisfasse, Leslie gueule comme un poissard qui aurait douze pintes de trop dans sa bedaine, et les deux autres lui emboîtent la pas comme un régiment qui démarre au grand galop, Corky et Chuck mettent en marche la section rythmique, en avant toute, enfin un groupe qui joue pour le plaisir. Johnny comes marching home : petit air militaire mon général, absolutely un morceau de la Civil War pas particulièrement belliqueux puisque les paroles espéraient la fin des combats et que chacun regagnât son chez soi au plus vite. Instrumental, Corky a pris la direction des opérations. Nantucket sleighride ( redux) : reprise d'un des plus célèbres hits de Mountain, sans Pappalardi, mais Corky a imaginé une nouvelle orchestration, avec Richie Scarlet à la basse, Erik Wendelken à la contrebasse, Dacid Polan au violon, l'ensemble sonne bien sans oser donner dans l'avant-garde. Avec quarante pour cent de reprises sur l'album, l'on peut se poser la question de sa nécessité existentielle... Peu convaincant.

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    Le dernier opus du groupe ne cherche plus à donner le change. Douze morceaux, douze reprises. Ne sont pas allés chercher la rareté, piquent dans le connu, mais l'on reste surpris du choix : Bob Dylan !

    MASTER OF WARS

    ( 2007 )

    Leslie West : production, guitar, vocals / Corky Laing : drums / Kenny AaransonRichie Scarlet : bass / Brian Mitchell : piano, orgue, accordéon / Todd Wolfe : Rhyihm guitar/

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    Masters of war : si vous avez la version de Dylan dans l'oreille vous sentirez la différence. Elle est sur Freewheelin' ( la pochette avec Suze Rotolo ), oubliez la sèche maigrelette et monotone, ici du gras humidifié aux 50 000 volts électriques. En plus c'est Ozzy Osbourne de Black Sabbath qui se charge du vocal. Pas photo entre l'uniformité grise du chant et la monotonie de la guitare du Zimerman et la superproduction couleur quadriphonique mise en scène par Mountain. La guerre avec Dylan c'est fusil à fléchettes quand Corky l'artilleur doome à mort sur batterie. Perso, je trouve les deux versions aussi ennuyantes l'une que l'autre. Serve somebody : dix-huit ans plus tard sur l'album Slow train coming, le Zim est passé à l'électrique depuis longtemps, tout de suite beaucoup plus écoutable pour nos chastes oreilles de rockers, un maximum d'ironie rehaussée par les chœurs féminins dans le phrasé de Bobby. Leslie se montre plus nettement accusateur, met les poings sur les I du vocal, à la guitare Warren Haynes le soutient manu militari. Blowin' in the wind : désolé mais Leslie au chant même à l'acoustique il arrache les poteaux électriques, rien à voir avec Hugues Aufray, surtout qu'après ils vous la font et vous la fondent metal colérique. Genre je remue mon demi-sucre dans mon thé au marteau pilon. Highway revisited comme dirait l'autre. Everything is broken : il y en a qui adorent tout casser et qui en plus se débrouillent pour faire un maximum de bruit. Je ne citerai pas de nom pour ne pas leur attirer des ennuis, la police n'aime pas les casseurs. En plus ils ont une excuse, je connais une version live de Dylan, la voix un peu rachitique certes, mais un guitariste qui joue à la Link Wray. C'est vai, je le jure. Highway 61 revisited : c'est le Dylan que l'on aime il chante comme il crache alors que les punks cracheront en oubliant de chanter. Vous avez la guitare de Leslie qui barrit comme un éléphant, pour le vocal, il ne crache pas, il hache sec, et derrière Corky vous réduit le steak tartare en poussière. Original. Pas significatif pour autant.

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    This heart of mine : sur l'album Shot of love de 1981. Dylan le joli cœur se fait doubler sur sa droite ou sur sa gauche. ( Cette chanson n'est guère politique ). Faut le reconnaître sur ce titre Leslie enfonce Bobby, vous traite le balladif an mode bluesy, l'est irrésistible, vous prend par les sentiments. Réussit le tour de force d'être mille fois plus folk-country que Dylan. Subterrean homesick blues : une des plus belles et des plus mythiques de Zim, de l'album Bringing it all back home. Bobby aligne salement le vocal sans parler de cet harmonica qui ressemble à une crêpe que la poêle ne rattrapera jamais. Un beau challenge, y mettent toute leur hargne, en voiture pour le tohu-bohu, ces mecs là ils vous écraseraient un éléphant avec une mouche. Vous ne me croyez pas, vous n'avez qu'à écouter. The times are A-changing : le Dylan avec sa voix de teigne maladive qui tente de pénétrer dans votre cervelle et son harmonica qui vous arrache la peau des doigts. Plus folk, tu meurs. Alors Leslie vous la fait gospel, plus preacher que moi tu ne trouveras pas. Et il a raison. L'a rajouté un piano et une guitare ( Warren Haynes ) qui fait des glissandi d'harmonium. Frère Leslie touche notre âme et nous lui rendons grâce, nettement plus persuasif que le jeune homme en colère. Seven days : je découvre, chansonnette issue du Bootleg série 18 de 1991. Un petit country sans prétention joliment orchestré. Une belle occasion pour nos derniers mohicans d'envoyer la sauce. Trop de béchamel, toute rustique qu'elle soit la version de Dylan enregistrée en 1976, respecte mieux la saveur des aliments. Dommage qu'ils n'aient pas donné au début du morceau l'impulsion qu'ils lui octroient sur la fin. Mr tambourine man : oubliez la version des Byrds, Corky prend un malin plaisir à la concasser. Leslie vous vomit le vocal à pleins seaux. Finies les harmonies enchanteresses des petits oiseaux. La simplicité et la pureté de la version Dylan plane à cent mille coudées au-dessus de ce massacre. Like a rolling stone : sans pitié sans complexe, vous la font pratiquement en rap, Corky tout seul qui congaïse à mort à s'en mordre les doigts, le vocal à la Last Poet. En réécoutant Dylan me suis dit que l'orgue datait un peu, mais au moins il sonne d'époque, là c'est un peu le truc froidement calculé pour surprendre son monde. Arôme artificiel qui dégage davantage un goût de chimie qu'un fumet naturel à la fraise sauvage.

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    L'album n'est pas mauvais. Il y a même deux ou trois réussites splendides. Le problème c'est que ce genre d'entreprise n'apporte rien à personne. Ni à Dylan ( qui s'en fout royalement ) ni à Mountain qui pour son dernier album laisse les fans le bec dans l'eau.

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    L'on ne va pas se quitter comme cela. Un petit dernier pour la route : en public, en première partie de Deep Purple,

     

    LIVE IN PARIS 1985

    ( DVD )

    Leslie West : guitare / Corky Laing : drums . Marck Clarke : basse, synthétiseur.

    Le son et l'image, concert parisien ( 08 / 07 / 1985 ) enregistré pour la télévision allemande. Nos trois gaillards seuls sur scène. Pas le grand barnum. Un rock spartiate qui tranche avec le spectaculaire déploiement des grands groupes qui font dans la surenchère visuelle, pas de feux d'artifice multicolores, pas de locomotive qui déboule dans la salle, réglée au millimètre près pour ne pas écraser un seul spectateur. Rock spartiate.

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    Why dontcha : noir total tandis que résonne l'intro dévastatrice, la caméra se fixe principalement sur Leslie, je n'ose pas dire qu'il a grossi, mais avec sa tignasse ébouriffée et ses rouflaquettes qui lui bouffent les pommettes, l'a un peu l'air du beauf du dimanche qui s'en va faire du bois pour passer le temps, Corky le temps d'un éclair et Clarke que l'on voir encore mal mais que l'on entend très bien dès qu'il plante ses doigts dans le cordier, le gars n'est manifestement pas venu pour arroser les fleurs en pot, on les sent tous les trois rentre-dedans, des piles bourrées d'énergie qui ne demandent qu'à se vider. Ce soir c'est rock'n'roll sous purple sunlights entrecoupés de flaques verdâtres. Des lumières qui ne flattent pas l'œil. West rugit dans le micro et se déplace sur scène avec cette placide désinvolture impavide d'un ruminant qui s'en va voir si trois mètres plus loin le touffe d'herbe n'est pas meilleure. Beau plan latéral qui permet de voir Corky au travail, fait partie de ses batteurs dont je dis qu'ils frappent avec leurs coudes mais avec cette particularité de prendre les choses de haut. Economie de moyens, redoutable. Avant d'écouter Leslie, admirez sa moustache qui fait tache et pistache à la fois, le même son que celui de Go four your life, plus compressé et davantage rase-moquette que celui des premiers Mountain, la modernité est passé par là diront les vieux grincheux qui s'accrochent à leurs rêves, parce qu'avant c'était mieux et que le présent dérange l'ordre établi du monde. Imposant le Leslie dans son espèce de fausse drape jacket qui doit sortir des invendus du marché aux Puces, tient sa guitare zigzaguante dans ses mains de géant comme un jouet de pacotille et vous donne l'illusion qu'il pourrait en jouer sans problème durant quarante-huit heures d'affilée sans y penser, comme un gône qui sort de l'école en mastiquant le malabar qu'il avait déjà en sa bouche au matin sous la douche.

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    Never in my life : bonsoir Paris, et tout de suite la démonstration de tout ce que vous ne saurez jamais faire avec vos dix doigts, ce n'est même pas de l'aisance, une espèce de je-m'en-foutisme révoltant. Même pas besoin de fermer les yeux ou de tourner le tournebroche derrière sa nuque, voire de mordre le cordier, trop facile, Leslie ne connaît pas le mot frime. Il est comme vous qui caressez en mode automatique votre chat couché sur vos genoux. Pas comme Clarke qui joue de la basse, un véritable gaminos qui ne tient pas en place et mime sa mort trente fois de suite pour épater les copains. Attention l'instant spécial-fans, se tirent le mou tous les trois, et hop Corky se transforme en ballerine d'aquarium géant, lance à plusieurs reprises une baguette à l'orque West qui la rattrape au vol et la rejette au public.

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    Theme for an imaginary western : quelques mots magiques '' rock'n'roll to-night'' et nos trois lascars déroulent la péloche d'un ancien western tourné il y a presque un demi-siècle. Clarke est passé derrière le synthé et c'est lui qui se charge du vocal, grandiloquence assurée, ce doit être un western écologique, la foule ondule, pas d'indiens cruels, pas de règlements de compte sanglants, pas de meurtres odieux, Corky se démène, ressemble à Furtwangler dirigeant la neuvième de Beethoven, c'est dire qu'il ne se repose pas, West de temps en temps prend un couplet et remonte son vibrator pour effiler ses notes afin d'instiller en votre âme percée de piqûres d'abeilles une mélancolie sans retour à tel point que Corky fait semblant de jouer du violon avec ses deux baguettes. Ruissellement terminal de notes.

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    Spark : morceau tiré de Go for your life. Commence bien, bonne rasade de Leslie, et tout se déglingue lorsque Clarke n'en finit pas d'émailler le titre de la ferblanterie de son synthé pas du tout attiseur qui gâche tout. Sans ces carillonnages de camion de pompier ce serait bien, mais avec des si on mettrait un Live in Paris en bouteilles millésimées. A la limite, il vaut mieux couper le son et les regarder jouer... Belle intro de Leslie sur Nantucket sleighride : Clarke a repris sa basse ( ouf ! ), l'on aborde l'acmé du concert, pratiquement un solo d'entrée, et lorsque il chante le tout début des lyrics, Goodbye, little Robin Marie, Don't try following me immédiatement suivi d'un riff insane que l'on reconnaît entre tous, l'on sent West remué, remue d'ailleurs comme un ours qui arpente sa courte cage et qui inévitablement est arrêté par les barreaux, s'empare d'une cymbale qu'il jette sur Corky, reprend le chant comme si rien n'était And I know you are the last true love I'll ever meet, et là résonne à nouveau le riff de A little bit of insanity, n'ira pas très loin dans les paroles, Corky ricane dans son coin, intensités, frictions et passions, les fantômes de Felix et Gail ne font que passer, et le groupe s'envole dans un de ces longs passages instrumentaux qui firent la gloire de Mountain, éblouissance absolue.

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    Mississippi Queen : les gosses s'amusent. Avec de vieux cartons ils ont traficoté une grosse cloche à vaches sur laquelle Corky s'amuse à faire semblant de cogner avec le bâton de Sganarelle, en vérité c'est Clarke qui frappe sur un véritable instrument, la mascarade carnavalesque a assez duré, Leslie renverse l'artefarce cowbellesque et tous trois regagnent leur place pour un final bien envoyé mais pas vraiment apocalyptique. Presque l'on aurait envie de leur sonner les cloches. A dinosaures. Mais que voulez-vous, la montagne est parfois aride. Le public exulte. Qui oserait mégoter sur cinquante minutes de brocknheur.

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    Avez-vous remarqué au dos de la pochette Master of wars, dans le coin gauche, le personnage féminin armé... N'allez pas en faire une montagne.

     

    Damie Chad.