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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 2

  • CHRONIQUES DE POURPRE 658 : KR'TNT ! 658 : SISTER ROSETTA THARPE / JOANIE SOMMERS / DEE C LEE / GRACE CUMMINGS / BRITTANY HOWARD / ARKONA / JESSE DANIEL / EDDY MITCHELL / DEAD LEVEL / BOLESKINE HOUSE

    KR’TNT ! 

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 658

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    26 / 09 / 2024

     

    SISTER ROSETTA THARPE / JOANIE SOMMERS

    DEE C LEE / GRACE CUMMINGS

    BRITTANY HOWARD / ARKONA

    JESSE DANIEL /  EDDY MITCHELL

      DEAD LEVEL  / BOLESKINE HOUSE

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 658

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - Les tartes de Sister Tharpe

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             Avec Devil’s Fire, le pauvre Charles Burnett ne risque pas d’entrer dans les annales du cinéma. Dans ce film raté, il raconte son histoire, celle d’un petit black californien qui découvrit le blues lorsqu’il allait passer ses vacances scolaires chez l’oncle Buddy installé dans le Mississippi.

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             L’oncle collectionnait les 78 tours et écoutait un blues chaque matin au réveil. L’idée de départ est bonne, mais ça ne décolle pas, tout simplement parce que cette burne de Burnett plombe le scénario avec des clichés, le pire de tous étant celui du fameux carrefour où Robert Johnson vendit son âme au diable.

             Pour corser l’affaire, Burnett farcit son film d’images documentaires, comme on farcit une dinde. Il bourre son film par le croupion. On frise vite l’overdose, les figures de légende se succèdent à un rythme infernal : Son House qui claque son dobro, Ma Rainey, Ida Cox, Dinah Washington, Sonny Boy Williamson - le vrai - Mississippi John Hurt et sa bouille de vieux singe, Muddy Waters comme toujours écœurant de classe, T-Bone Walker le précurseur et... Sister Rosetta Tharpe qui nous fait un numéro de picking à faire blêmir Roger McGuinn.

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             Voir Sister Rosetta Tharpe, c’est prendre une grosse tarte en pleine poire. Dans son film intitulé Red White And Blues Mike Figgis nous colle lui aussi une minute trente chrono de Sister Rosetta Tharpe, pas plus, alors qu’elle mériterait un film entier à elle toute seule. Figgis et Burnett sont tous les deux des ânes. On voit Rosetta jouer un blues-rock torride dans la rue, en robe blanche, avec sa SG blanche, devant une chorale de gospel black. Il faut voir comme elle dépote. On la voit jouer de méchants riffs sur sa Gibson. Ces quelques images suffisent à nous faire comprendre qu’elle est la reine du blues, du rock’n’roll et qu’elle navigue au même niveau que Jerry Lee, Little Richard ou Wolf.

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             Jerry Lee chanta « Strange Things Happening Everyday » lorsqu’il passa sa première audition devant Sam Phillips. Il voulut ensuite enregistrer ce vieux tube de Rosetta datant de 1945. Il l’avait vue chanter et jouer sur scène et il sortait comme elle des églises pentecotistes - Assemblies of God of Ferriday - où l’on chante à en perdre la tête les louanges de Dieu et les grandes boules de feu divin. Jerry Lee confia aussi à Peter Guralnick qu’il avait vu « une négresse démente qui jouait de la guitare et qui chantait - She was shakin’ man ! » Cette histoire va très loin, puisque Sleepy LaBeef, lui aussi adorateur de Rosetta, déclarait, en parlant de Jerry Lee : « Écoute son jeu au piano. Il joue de la main droite comme Rosetta Tharpe ! »

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             Autre natif de l’Arkansas, Johnny Cash vénérait lui aussi Rosetta. Il avait grandi à Dyess, pas très loin de Cotton Plant, le patelin d’où venait Rosetta. Pur hasard, un copain à l’armée possédait un disque de Sister Rosetta Tharpe. Le Cash était tombé dingue de « Strange Things Happening Everyday ». Il l’écoutait en boucle. Beaucoup plus tard, Rosanne Cash déclara que Rosetta avait été l’artiste favorite de son défunt père. Carl Perkins tenait lui aussi le même genre de propos. « Strange Things Happening Everyday » avait été le morceau préféré de son daddy. Gosse, il allait le dimanche chez son grandaddy apprendre à jouer ce morceau sur sa petite guitare : « C’était du rockabilly, mon gars, du vrai rockabilly ! »

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             Quand Rosetta débarqua à Macon en 1945 pour donner un spectacle de gospel au City Auditorium, elle fit monter le jeune Richard Penniman sur scène pour chanter en duo avec elle. Little Richard ne s’en remit jamais. C’était, disait-il, la meilleure chose qui lui fût arrivée dans la vie, et en prime, Rosetta lui fila environ quarante dollars, ce qui était à l’époque une véritable fortune. Il n’avait encore jamais vu autant d’argent dans sa vie.

             Toujours dans le film de Figgis, George Melly nous raconte qu’officiellement, Rosetta chantait les louanges de Dieu, mais qu’en coulisse, elle aimait bien la gaudriole et se piquer la ruche (« brandy and glory »). Mais ça, on s’en fout comme de l’an quarante. Rosetta a tellement de classe qu’on se demande par quel bout la prendre.

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             La pauvre Gayle Wald a dû se poser exactement la même question, en attaquant la rédaction de l’ouvrage qu’elle voulait consacrer à Rosetta. Elle s’en sort honorablement, puisque son Shout Sister Shout se lit d’un trait. Rosetta est une héroïne du même calibre que Wolf : deux histoires parallèles par leur côté fascinant, deux talents prodigieux et deux physionomies étrangement comparables. Il suffit d’observer les photos et surtout la façon qu’ils ont l’une et l’autre de rigoler : la parfaite exubérance des géants.

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             Dès l’intro, Gayle Wald met le paquet sur la virtuosité de Rosetta, sur son charisme scénique et sur son talent fou de chanteuse de blues. Personne en Amérique ne pouvait aligner autant de qualités. Comme T-Bone Walker, elle avait inventé une nouvelle façon de jouer de la guitare électrique. Elle ne regardait JAMAIS son manche. Elle avait joué partout : au Cotton Club, à l’Apollo d’Harlem, au Carnegie Hall, au Grand Ole Opry, dans tous les stades et dans toutes les églises du pays. Personne ne jouait en picking comme elle à son époque, et par bien des aspects, elle préfigurait Elvis, Red Foley, Etta James, Bonnie Raitt, Isaac Hayes, Ruth Brown et ceux déjà cités. On considère « Strange Things Happening Everyday » comme le premier rock’n’roll (désolé pour Ike Turner, mais son « Rocket 88 » n’arrive que six ans plus tard). Bien avant Dickie Peterson et Lemmy, Rosetta foutait son ampli à fond. D’une part, elle voulait être sûre qu’on entende bien toutes les notes qu’elle jouait, mais c’était aussi l’une de ses croyances pentecotistes disant que « Dieu préférait ceux qui faisaient un barouf joyeux ».

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             Elle n’hésitait pas à se balader en pantalon et il lui arrivait de jurer comme un cocher. Rosetta était beaucoup trop en avance sur son temps. Grand amateur de légendes - et lui-même légendaire - Jim Dickinson ramène son grain de sel à la fin de la brillante préface du livre de Gayle Wald : « Une chanteuse de gospel en robe à paillettes qui jouait sur une guitare électrique, ce n’était pas très courant en 1955. Inutile d’ajouter que cinquante ans après, c’est toujours aussi peu courant. »

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    ( Rosetta, Duke Ellington, Rex tewart,cab Calloway, un frenchy non-identifié, Livie Anderson)

             Premier coup de génie de Rosetta : elle amène le gospel dans les music-halls et les nightclubs new-yorkais. Vous ne connaissez pas le Deep South, les gars ? Alors voilà comment ça se danse. Elle passe de Cotton Plant au Cotton Club et se taille une réputation de « religious shouter » et même d’« Holly Roller entertainer » qui balance des « loud blue tones ». Quand le Cotton Club ferme en 1940, elle part en tournée avec Cab Calloway. À l’époque, Cab est la plus grande star d’Amérique, ne l’oublions pas. Il y a même une photo qui montre une jam mythique de 1939 : alors que Rosetta se tord sur sa guitare, Duke Ellington et Cab Calloway pianotent et la dévorent des yeux.

             Rosetta tourne dans tout le pays et revient régulièrement dans le Deep South affronter les dangers réels de la ségrégation. Dans l’autocar, elle briefe ses musiciens - Gardez toujours le sourire et fermez vos gueules ! - Des nègres bien habillés sont toujours en danger de mort dans des états violents comme l’Alabama et le Mississippi.

             Gayle Wald raconte qu’un jour, alors que Rosetta achetait des trucs très chers dans un magasin de fringues, les Thénardiers derrière le comptoir chuchotaient entre eux - D’où elle sort tout ce blé, la négresse ? - Ils la soupçonnaient d’avoir volé cet argent. Ils appelèrent les flics en douce. Une négresse avec autant de blé, ce n’est pas Dieu possible ! Les flics arrivèrent au triple galop, ravis de pouvoir coffrer une voleuse nègre. Au ballon, Rosetta se mit à chanter. Elle fit fondre le cœur de ses tortionnaires. Tant de beauté finit par les éblouir et les grilles s’ouvrirent comme par enchantement. Cette histoire entra dans la légende de Rosetta. On n’enferme pas un ange. Même s’il est gros et noir.

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             En Angleterre, Chris Barber était dingue d’elle. Mais dingue à s’en cogner la tête dans ses portes de placards. Il réussit à la faire venir en Angleterre pour une tournée, le fameux American Folk-Blues And Gospel Caravan de 1964. Les blanc-becs de la presse vinrent voir cette négresse qui parlait fort et qui chantait ses spirituals « with a rock’n’roll beat ». En Europe, elle fracassa tout, comme l’avait fait LeadBelly juste avant elle (LeadBelly était devenu célèbre en Europe grâce à « Rock Island Line », l’un de ses classiques repris par l’ex-joueur de banjo de l’orchestre de Chris Barber, Lonnie Donegan). Dans les bonus d’un DVD intitulé « The American Folk Blues Festival. The British Tours 1963-1966 », on voit Rosetta arriver en calèche à la gare de Manchester, attraper sa SG blanche et jouer deux morceaux sur le quai, « Didn’t It Rain » et « Trouble In Mind ». On croit rêver. Elle porte un gros manteau blanc et joue au milieu des flaques d’eau. Elle prend ses solos en picking à l’onglet et dégage autant d’énergie que Wolf. Fantastique !

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             Mais le destin sera particulièrement cruel avec Rosetta, comme il le fut avec Big Mama Thornton qui aurait dû ramasser les millions qu’a ramassé Elvis avec « Hound Dog ». Willie Dixon va transformer « This Train » - un vieux hit de Rosetta - en « My Babe », juste en changeant les paroles. Ce sera un hit pour Little Walter sur Chess. 

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             Le rock’n’roll doit absolument tout à Rosetta et pourtant, elle va rester dans l’ombre. Ce sont essentiellement les petits culs blancs de Memphis et des alentours qui vont tirer les marrons du feu et faire fortune grâce au rock’n’roll. Seuls les admirateurs de Rosetta savent qu’elle a tout inventé. La rock attitude, c’est elle.

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             Ginger Baker se souvient très bien d’elle. En 1958, il jouait de la batterie dans le Diz Disley Band qui allait accompagner Rosetta pour une tournée en Scandinavie. Lors d’une répétition, Rosetta demanda à Ginger quelle teinture il utilisait pour avoir des cheveux aussi rouges. Ginger lui répondit que c’était sa couleur naturelle. Comment crois-tu que Rosetta a réagi ? Comme toi, quand tu demandes à une blonde si elle est vraiment blonde. Vazy, montre un peu, pour voir. Par contre, Ginger ne dit pas s’il a baissé son pantalon, comme le lui demandait Rosetta qui voulait vérifier.

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             Le meilleur moyen d’entrer dans l’univers magique de Rosetta, c’est encore d’écouter une compile. The Gospel Of The Blues est facile à trouver. « My Man And I » date de 1938 et tu vas entendre cette brute de Rosetta attaquer à la gratte. En 1939, elle enregistre son hit le plus connu, « This Train » dans lequel elle claque un killer solo stupéfiant. Même aujourd’hui, peu de gens jouent aussi bien qu’elle. Rosetta et Ray Campi sont les deux héros oubliés de l’histoire du rock américain. Elle joue tout en picking. Hallucinant. Avec « Trouble In Mind », elle chante comme une reine du blues et nous transperce de cœur. Elle rejoint Wolf au firmament. « Rock Me » est aussi du pur jus, même si un jazz-band l’accompagne. Elle va chercher Dieu dans les nuages. Elle braille, et derrière, ça swingue. Encore une fois, elle frise le pur génie, même si pour elle ça semble complètement ordinaire. Elle revient en reine du blues avec « Nobody’s Fault But Mine » et une intro démente. On est en 1941, soit vingt ans avant John Mayall. C’est à tomber. La voix de Rosetta contient toute la beauté du blues. Elle corse l’affaire avec un solo punk qu’elle claque sur sa gratte, et de vrais gimme-gimme-gimmicks des enfers. « I Want A Tall Skinny Papa » est big-bandé à fond. Rafales de cuivres et chœurs de mecs, tout est là. Une petite leçon de swing, ça ne fait jamais de mal. Histoire de rappeler que les noirs ont vraiment tout inventé et que le jour où un blanc sonnera comme ça, eh bien, les poules auront des dents.

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             Ce swing te réchauffe la cervelle. Malcolm X aurait adoré danser avec Rosetta sur la scène du Cotton Club. Ils auraient ri comme des enfants devant un public mondain. Elle embarque « God Don’t Like It » à la guitare et elle continue de dérouler ce gimmickage insistant qui fait d’elle la reine du rodéo. Avec « What’s The Soul Of A Man », elle tape dans le blues des cabanes de l’Arkansas, et ça l’amuse de dynamiter le carcan des douze mesures. La voix de Rosetta n’en finit plus de briller au ciel du blues et du rock. Rosetta est réellement la star de nos rêves, drôle, douée et elle shake, comme le dit si bien Jerry Lee. Un jour à Copenhague, une gamine lui tendit un bouquet de fleurs alors qu’elle allait descendre du train. Rosetta n’avait pas vu la marche. Elle disparut. Elle était tombée dans la fosse de voie. On vit réapparaître sa tête quelques secondes plus tard. Elle souriait. « Keep smiling and keep your big mouth shut ! »

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             De ce côté-ci du joint, Rosetta est la meilleure Queen de juke. Inutile d’aller perdre son temps avec les petites chanteuses de blues actuelles. C’est Sister Tharpe qu’il te faut. Et puis on tombe sur le loup blanc, « Strange Things Happening Everyday », le rock des origines. Tout est déjà là, bien avant les premiers standards du rock’n’roll : le swing, le solo, l’énergie. Le solo est même fatal, et elle embarque les chœurs à la force de la voix. Coup de génie enfin avec son duo sur « Didn’t It Rain » avec Marie Knight, mélange de gospel et de guitare punk. Elles font les chœurs et derrière Rosetta gratte comme une folle.

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             L’album Spirituals In Rhythm date de 1960. Le disquaire d’occase qui l’avait dans son bac de blues me disait que personne n’en voulait. Tant mieux. Ce n’est pas le disque du siècle, c’est vrai, mais il y a sur cet album une bonne demi-douzaine de choses qui valent grandement le détour. Elle rocke le gospel avec « He’s The Lily Of The Valley » comme d’autres rockent le craddle. Ça va même plus loin : elle explose le gospel de God. Elle gratte ses cordes et tire la langue, lilly-lilililly of the valley ! Puis elle wouaffe comme un petit roquet. Dingue. Sur « I Do Don’t You », chef-d’œuvre absolu du gospel-blues, on a des chœurs qui rappellent les grandes heures des Edwin Hawkins Singers. On est même frappé par l’éclatante grandeur de ces chœurs démentoïdes, par la fantastique énergie des filles qui vibrillonnent les harmonies vocales à l’extrême. Elles organisent d’extraordinaires relances et tout cela s’articule sur une mélodie imparable. Rosetta fait monter son talking à la mode de l’Arkansas, elle le prend par en-dessous - Oh yeahhh I do/ Talk to you ! - Effarant de beauté. Encore un gospel-blues nappé d’orgue avec « God Lead Us Along ». Rosetta y va à l’énergie. On commence à mesurer l’immense grandeur de cette femme tournée vers la lumière du gospel. Parvenue au sommet de sa hurlette, elle arrache encore. Elle dépasse toutes les limites et elle subjugue. Elle est tout simplement renversante d’élan vital. « The Family Prayer » est swingué jusqu’à la moelle des os. Rosetta peut aussi chanter comme Esther Phillips. Dans « I Saw The Light », elle swingue la chair grasse des chœurs d’enfer. Les Tharpettes sont déchaînées. On assiste à une extraordinaire débauche de chœurs dynamiques.  Tout explose, elle tape dans le tas, ça jute de partout, c’est une shooteuse fatale. Rien ne peut l’arrêter. On ne retrouvera cette énergie que chez d’autres géantes comme Aretha, Sarah Vaughan ou l’immense Ella Fitzgerald, mais sans la gratte.

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             Quelques merveilles se nichent sur l’album Gospel Train, comme « Jonah », qu’elle écoule avec un phrasé d’une sidérante limpidité et elle passe un solo en picking. « Jesus Is Here Today », c’est tout simplement le rumble de Rosetta - Pray ! Pray ! - ça swingue, c’est dingue, et elle nous refait le coup du solo en picking. Fantastique duo avec Marie Knight pour « Up Above My Head ». Elles swinguent autant, sinon plus, qu’un big band des années trente. Avec « Didn’t It Rain », on retrouve le picking et Marie : le rêve. On a là le nec plus ultra du swing. Rosetta embarque ça avec des cliquetis de virtuose. Et elle joue ! Il faut voir comme elle joue !

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             L’idéal est aussi de l’entendre sur le Live in Paris, en 1964. On retrouve tout ce qui fait sa grandeur dans cette série de morceaux. Elle est accompagnée sur l’A par Ransom Knowling à la stand-up, et Willie Smith, le drummer de Muddy. C’est le plus grand power trio de tous les temps, pas de doute. Le swing, rien que le swing. Sans swing, la musique ne va pas loin. Sur « Jesus Is Everywhere », ils font un véritable festival. Ransom slappe comme une bête de Gévaudan. Rosetta fait swinguer le gros cul du gospel avec « Go Ahead » et place une fois de plus un solo de guitare punky. Fantastique version de « This Train » qu’elle joue en continu à la guitare. Ransom éclate de rire - Ha-ha-ha - comme un gros jazzman nègre de Chicago émoustillé par le talent du collègue. Un big band accompagne Rosetta sur la B, mais on entend toujours le son de la SG blanche. Elle joue en permanence et jusqu’à la fin du disque, elle n’en finira plus de subjuguer nos oreilles. « That’s All » est un pur classique de rock’n’roll, une vraie perle de juke à l’ancienne. Elle embarque tout à la voix et elle place l’un de ces killer solos flash dont elle a le secret. Version toute aussi hallucinante d’« How It Rains ». On sort de ce disque à quatre pattes et la queue entre les jambes.

             Comme les grands prêcheurs du Deep South, Rosetta savait enflammer un public. Elle pouvait se pointer sur scène avec des fourrures, des bijoux et une perruque, mais elle n’oubliait jamais de se mettre au niveau des gens qui venaient assister à son spectacle. Chez Rosetta, il n’y avait pas les chichis du star-system. Elle veillait scrupuleusement à rester la petite négresse élevée à Cotton Plant par Katie Bell. 

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             Bill Doggett : « Au Savoy, Rosetta était accompagnée par l’orchestre de Lucky Millinder. Quand elle arrivait sur scène, les gens devenaient carrément dingues. Tout le monde adorait Sister. Elle savait comment parler aux gens. Elle avait un charisme incroyable. » Dizzy Gillespie fit partie en 1941 de l’orchestre de Lucky Millinder. Il était lui aussi fasciné par Rosetta.

             Rosetta croisait les stars de son époque et ça ne lui tournait pas la tête.

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             Pendant toute une période, elle partagea la scène avec Marie Knight. Elles avaient mis au point un numéro spectaculaire pour « Saints & Sinners » : Marie la pécheresse arrivait déguisée en petite paysanne avec un ukulélé, et Rosetta la sainte déboulait en robe et en grattant sa grosse gratte. Le public explosait de rire, tapait des pieds, ovationnait les deux farceuses. Alors Rosetta en rajoutait une couche et le public devenait incontrôlable. C’est ainsi que Gayle Wald décrit un concert ordinaire de Rosetta - A typical performance, circa 1949 - L’album Sister Rosetta Tharpe & Marie Knight donne une petite idée de ce que pouvait être ce numéro. Dans « Milky White Way », on les entend grimper dans des hauteurs immaculées. Sur « Who Rolled The Stone Away », Marie chante seule et sort un gospel swing d’enfer. Sur ce disque, tout est infernal, on entend Rosetta placer des killer solos ici et là, comme si pour elle, il n’y avait rien de plus naturel.

             Au soir de sa vie, Rosetta eut pitié des pauvres petits blancs qui ne comprenaient pas grand-chose à la musique noire et elle fit un peu de pédagogie. Elle expliqua que le blues, c’était le nom théâtral du gospel et que le vrai gospel devait rester très lent, comme « Amazing Grace ».

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             — Si vous commencez à claquer des mains, ça donne le gospel revival et si vous rendez ça encore un peu plus joyeux, ça donne le jazz... Puis ça devient éventuellement le rock’n’roll.

             Non seulement Rosetta fut une star du gospel et une guitariste spectaculaire, mais elle fut aussi et surtout une flamboyante rockeuse noire. Elle fit des étincelles, bien avant l’apparition du rock’n’roll de grand-papa.

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             On profite d’une petite actu pour sortir Sister Tharpe du bocal. Vient en effet de paraître Live In France - The 1966 Concert In Limoges. Par ici, on appelle ça de l’inespérette d’espolette. Ailleurs, on parlerait plus prosaïquement de dynamite. Dans le booklet, t’as des images de Rosetta avec sa SG blanche. Et tu l’entends parler en français aux gens de Limoges - Et maintenant je vais cheteeeeh This Train - Et boom, «This Train», elle part en picking du diable. Elle reste en picking pour «Didn’t It Rain» et dans la salle, ça claque des mains. Rosetta est complètement possédée. C’est le diable qui gratte ses poux. Elle fait encore sa guitar herotte dans «Moonshine». Dommage que les gens applaudissent à tout rompre. Les applaudissements sont même gonflés et ça finit par te gonfler. Elle jive le jazz de «Sit Down» à la Méricourt et balance un fabuleux shoot de gospel rock avec «When The Saints Go Marching On». Elle reprend encore toute la mighty Americana à son compte avec «Joshua Fought The Battle Of Jericho». Elle fait du classic stuff de Sister avertie. Elle refait sa guitar herotte dans «Travelin’ Shoes» - Travelin’ shoes Lawd ! - et chante «Beams Of Heaven» à pleine gueule. Elle dévore le gospel tout cru. Please my Lawd ! Elle tape encore dans l’œil du cyvclone avec «Go Ahead» et montre qu’elle connaît toutes les ficelle de caleçon du gospel boogie avec «Bring Back Those Happy Days». Et puis tu la vois partir en mode rockab dans «If Anybody Above Me». T’en connais beaucoup des superstars aussi merveilleuses ?

    Signé : Cazengler Tartignole

    Sister Rosetta Tharpe. Spirituals In Rhythm. Diplomat Records 1960

    Sister Rosetta Tharpe & Marie Knight. MCA Records 1975

    Sister Rosetta Tharpe. Gospel Train. MCA Records 1975

    Sister Rosetta Tharpe. Live In Paris 1964. France’s Concert 1988

    Sister Rosetta Tharpe. The Gospel Of The Blues. MCA Records 2003

    Sister Rosetta Tharpe. Live In France. The 1966 Concert In Limoges. Elemental 2024

    Charles Burnett. Devil’s Fire. The Blues, A Musical Journey Vol 4. DVD 2004

    The American Folk Blues Festival. The British Tours 1963-1966.  DVD 200

    Gayle F. Wald. Shout Siter Shout. The Untold Story of Rock-And-Roll Trailblazer Sister Rosetta Tharpe. Beacon Press 2007

     

     

    Inside the goldmine

     - Sommers in the city

             Avec Baby Joana, ce fut le coup de foudre. Mais un coup de foudre un peu bizarre. Elle débarqua cet été-là au camping de Singère avec trois copines. Elles étaient complètement autonomes, pas de parents dans les parages. À cette époque, c’était assez inhabituel. Alors il y eut des fêtes sauvages chaque nuit sur la plage. Alcool, crises de rires, seins à l’air, copulation, liberté totale, joie de vivre. Le paradis. Chaque nuit, le même cirque. Encore et encore. Et comme c’est un âge où on tombe facilement amoureux, alors il est tombé amoureux. Mais amoureux des quatre. Elles s’étaient toutes les quatre offertes à lui, et il se sentait bien incapable de faire un choix, car chacune d’elles avait une sensualité exacerbée, au point que dans la journée, il se sentait dévoré d’une passion anarchique pour une hydre à quatre visages et huit mains. Il sentait cependant poindre en lui une préférence pour Baby Joana, mais il ne pouvait la détacher de ses trois copines. Cet hiver-là, il alla passer les vacances de Noël dans la région où elles vivaient toutes les quatre, et il les revit, mais séparément, car le contexte était beaucoup plus austère. Lycéennes, elles vivaient bien sûr chez leurs parents et semblaient toutes subir une sorte de petit joug totalitaire, surtout Baby Joana qui semblait physiquement transformée. Elle portait ses cheveux châtain clair tirés vers l’arrière en queue de cheval, et comme ses parents lui interdisaient de se maquiller, elle offrait le spectacle d’un regard bleu extrêmement cru. Elle portait une espèce d’affreux caban, une jupe longue, des mocassins noirs et des chaussettes blanches. Il ne restait plus rien de ces formes divines palpées avec ivresse pendant les fêtes dionysiaques de l’été. Baby Joana faisait peine à voir. Elle en avait les yeux humides de tristesse. Elle s’était arrêtée de vivre. Elle devait mentir pour venir au rendez-vous, et son temps était compté : devait rentrer à 17 h chaque jour. Elle craignait par dessus tout les représailles de ses parents. Elle marchait dans la rue en poussant son Solex et se retournait à chaque instant pour vérifier qu’on ne la suivait pas. Quand il voulut l’embrasser, elle se mit à pleurer. Elle ne supportait pas de revenir en enfer après avoir connu le paradis.

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             Joanie Sommers est aussi belle que Baby Joana. C’est sur une compile Northern Soul qu’on découvrit Joanie Sommers, avec l’irrésistible «Don’t Pity Me». Tous les fans de Northern Soul connaissent ce smash. La belle Joanie est une Buffalotte de Buffalo, état de New-York, transplantée en Californie, dans les années cinquante, et qui fit carrière chez Warner Bros dans les early sixties. Comme les grandes chanteuses blanches de son temps, elle savait tout faire : le jazz, le groove et la variette.

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             «Don’t Pity Me» ouvre le bal de cette fantastique compile qu’est Hits And Rareties. Joanie est la plus sexy de toutes les blanches, elle y va au don’t pity me de petite chatte demented, elle te le sucre sur fond de wall of sound, elle te le danse, elle te le prend à la main de petite brune sexy, c’est du délire, te voilà baisé, tu tombes dans les bras de Sommers in the city. Cette compile est une vraie caisse de dynamite. Tu l’ouvres à tes risques et périls. Plus loin, tu tombes sur l’«I’m Gonna Know He’s Mine» de Mann & Weil, elle t’explose le Brill. Même chose avec «I’d Be So Good To You». Diable comme elle est belle sur la pochette et diable comme elle casse bien le sucre du Brill. Elle est la cerise sur le gâtö du Brill. Plus loin, encore deux super-productions : «My Block» et «Since Randy Moved Away», deux cuts tentateurs, ultra-violonnés, elle y rentre chaque fois au sucre candy. Avec «Call Me», elle bascule dans la délinquance juvénile, elle chante à la candeur de la chandeleur. Et puis tu as «A Lot Of Livin’ To Do», elle y va envers et contre tout, avec cette voix de sucrette du diable et une niaque qui pourrait faire peur. Elle évolue dans un heavy jazz sound, fabuleuse Joanie, elle tape le jazz nubile, c’est explosif, jazzé jusqu’à l’oss de l’ass. Embarquée comme un fétu de paille, elle gueule encore. Elle jazze son sucre héroïquement, elle tient son cap jusqu’au bout. Ah il faut avoir entendu ça au moins une fois dans sa vie ! Sur les 31 cuts de la compile, la moitié sont des smash. Avec «Mean To Me», elle fait du pur jus de Billie Holiday. Elle détient ce pouvoir extravagant. La blanche bascule dans le swing de black. Elle chante encore son «Goodbye Summer» à outrance. Serait-elle plus royaliste que le roi ? Son sucre te rendra fou («Goodbye Joey»). Mine de rêve, voix de rêve. Elle chante encore «I’m Nobody’s Baby» comme une blackette, à cheval sur le champ de coton et la case de l’Honk Tom. Elle te coule encore ta flotte à la bataille navale avec «I’ll Never Stop Loving You», elle oscille en permanence entre le black world et le sucre candy, elle en abuse d’ailleurs dans «Out Of This World». mais il faut dire qu’elle a toujours un angle d’attaque spectaculaire, comme si elle voulait se poster à l’avant-garde de la variété américaine. Son attaque plait bien. Elle a du sexe plein la voix («Johnny Get Angry»). D’une certaine façon, elle éclaire la pop, elle te prend bien sous les aisselles. Elle fait une belle cover de «Summertime», elle y remonte bien le courant. Elle se prête à tous les genres avec une souplesse épouvantable, notamment à l’exotica de «That Old Devil Moon». Elle revient au jazz pour «What Wrong With Me», elle est folle de swing. Elle devient stupéfiante, elle sucre le swing ! Puis elle refait sa blackette pour aller taper «Henry Penny» au coin de la rue. Bizarrement, le mec qui a pondu cette compile n’a pas jugé bon d’inclure des liners.

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             Par contre, les mecs de Real Gone Music sont un peu moins rats : un petit booklet accompagne The Complete Warner Bros. Singles. On y apprend rien de plus que ce qu’on sait déjà, si ce n’est que «Don’t Pity Me» fut son dernier single sur Warner Bros. Elle signa ensuite chez Columbia. Ce double CD fait un peu double emploi avec la compile précédente, mais bon, on s’en accommode fort bien. Sur le disk 2, on retrouve tous les smash évoqués plus haut, «Don’t Pity Me» (elle bat les Supremes à la course), «My Block», co-écrit par Bert Berns, dont on se délecte une fois encore, et puis l’«I’d Be So Good For You» qui est une raison supplémentaire d’adorer Joanie. Elle sonne exactement comme les Ronettes. Elle monte directement au firmament de la pop, et puis avec «I’m Gonna Know He’s Mine», elle groove le Brill au mieux des possibilités. On croise aussi pas mal de variette, comme ce «Little Girl Bad» qui se noie dans un océan de sucre.

             La viande est sur le disk 1, à commencer par «I’ll Never Be Free». Elle chante comme une blackette, c’est même écrasant de white-niggerisme. Comment s’y prend-elle pour parvenir à ce résultat ? On ne le saura jamais. Elle dégouline littéralement de blackitude. Elle chante son «Be My Love» au fourreau de soie, elle est fabuleusement hollywoodienne. Elle revient à son cher sucre candy avec «Ruby-Duby-Du», c’est dire l’étendue de sa polyvalence. Et de là, elle passe au groove de round midnite un peu sucré avec «Bob White (Watcha Gonna Swing Tonight)», elle claque son tonite avec une niaque particulière. Sacrée pouliche. Joanie gagne à être connue. Elle te jazze tout ça à la black. Elle sait aussi travailler la clameur de Broadway, elle s’éclate au Sénégal avec «I Don’t Want To Walk Without You», il faut l’écouter c’est sûr, mais à petites doses. Ces grosses compiles sont dangereuses, car c’est un son difficile, extrêmement sophistiqué, celui des early sixties américaines. Elle se montre encore spectaculaire avec le wild jazz de «Seems Like Long Long Ago». Une constante chez elle : sa fantastique énergie. On tombe plus loin sur un «Makin’ Woopee» tapé à la stand-up, elle rentre encore dans le chou du groove comme une black. On peut bien dire qu’elle a du génie. Ce que vient confirmer le «What’s Wrong With Me» déjà croisé sur la compile précédente, avec une orthographe différente («What Wrong With Me»). Elle le vibre à la Billie, Joanie est une énorme shooteuse, elle initie la propulsion maximale. Ça te coupe carrément la respiration. Tu découvres des architectures de son au dessus de ta tête, ce sont les arcanes du génie pur.

    Signé : Cazengler, Joanie Sommaire

    Joanie Sommers. The Complete Warner Bros. Singles. Real Gone Music 2011

    Joanie Sommers. Hits And Rareties. Marginal records 1995

     

     

    L’avenir du rock

     - Signed Dee C

             Une nuit que l’avenir du rock se promenait dans un cimetière, il croisa un singulier personnage. Sous son élégant chapeau, il avait noué un bandana. Il portait des lunettes noires, comparables à celles de Ray Charles. De haute taille, de peau noire et plutôt élancé, il déambulait avec la nonchalance d’un dandy. L’avenir du rock s’émut plus que de coutume, car croiser un black dandy la nuit dans un cimetière n’est pas chose courante. C’était une nuit de pleine lune. Le silence régnait sur les tombes aux silhouettes parfaitement dessinées. L’avenir du rock leva son chapeau pour saluer l’inconnu qui avançait à sa rencontre. 

             — Enchanté de vous rencontrer en ce lieu insolite. Permettez-moi de me présenter : je suis l’avenir du rock, mais rassurez-vous, un avenir dénué de toute prétention. Ça vous rassurera sans doute de savoir que je ne suis qu’un simple concept.

             L’homme hocha la tête et se mit à psalmodier :

             — Sometimes I feel so lonely/ My comedown I’m scared to face...

             L’avenir du rock ne sut quoi répondre. L’homme reprit :

             — I’ve pierced my skin again/ Lord/ No one cares/ For me...

             L’avenir du rock s’interloqua :

             — Vous n’avez pourtant pas l’air d’aller mal. Vous savez, il vaut mieux éviter de me prendre pour une andouille.

             L’homme reprit sur le même ton :

             — My soul belongs to the dealer/ He keeps my mind as well/ I play the part of the leecher/ No one cares/ For me/ Cares for me...

             Et là il sortit un harmo de sa poche et se mit à jouer un solo déchirant de beauté.

             — Ah je savais bien que je vous avais déjà croisé quelque part ! Vous êtes Arthur Lee ! Jouez moins fort, Arthur, car vous allez réveiller le voisinage.

             — Look out avenir du rock/ I’m fallin’/ I can’t unfold my arms/ I’ve got one foot in the graveyard/ No one cares/ For me/ Cares for me...

             — Tu nous fatigues Arthur avec tes problèmes et ton Signed D.C. Écoute plutôt Dee C. Lee, ça te remettra l’équerre au carré.

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             Contrairement à ce que laisse entendre son nom, Dee C Lee ne sort pas d’une chanson d’Arthur Lee, mais de la scène Soul anglaise, puisqu’ex-Style Council et ex-madame Weller. Dans Mojo, Ian Harrison salue son retour après 26 ans d’absence. Dee C vient tout juste d’enregistrer Just Something et ça sort sur Acid Jazz, le label d’Eddie Piller. C’est grâce à Piller qu’elle reprend du service. Elle a enregistré avec des mecs des Brand New Heavies et de James Taylor Quartet.

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             Just Something est un très bel album de groove, comme le montrent «Be There In The Morning» et «Walk Away». Elle est assez fabuleuse, experte en entertainment d’excelsior. Acid Jazz ramène toute la niaque orchestrale et tu finis par te croire arrivé au paradis. Dans «Walk Away», l’éclat des cuivres t’éblouit. Elle attaque son album avec un heavy diskö groove d’Acid Jazz, «Back In Time». Elle est tellement à l’aise. Tu assistes à l’éclosion d’un magical time monté à la clameur. Puis ça flûte dans «Don’t Forget About Love». Elle groove des reins comme une reine de Saba. Elle frise parfois le Burt, l’ensemble est d’une luminosité aveuglante. La classe intersidérale du groove finit par te fasciner. Tu renoues avec le souvenir des jours heureux. Elle sait charger sa barcasse d’ampleur. Elle sait aussi traîner en longueur. Tout est très-très sur cet album, et même très très-très. Très heavy, très heureux et très Acid Jazz. Elle sait poser sa voix de vétérane de toutes les guerres. Miss Dee C Lee est assez exceptionnelle.

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             Puisque la curiosité est un vilain défaut, on va aller fouiner un peu sous les jupes de Dee C, histoire de voir à qui ressemble le déficit des années antérieures. Son premier album Shrine date de 1986. Belle pochette, elle ressemble à la Reine de Saba et tape avec son morceau titre un heavy diskö funk d’une voix ferme et sans détour. Elle adore aussi se prélasser dans le satin jaune. C’est typiquement le genre d’album dont il n’y a rien à dire, un album de dancing Soul à la mode. Quand t’entends «He’s Gone», tu fais patacam patacam. Tout est à la mode là-dessus. Elle sauve les meubles avec la lanterne rouge «Hold On», tout au bout de la B, un joli slow groove syncopé.

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             Elle enregistre quatre ans plus tard l’excellent Slam Slam. Bel album de diskö dance. Il est à cette époque délicieusement à la mode. Dans son cas, ce n’est pas une tare. L’époque veut ça. «What Dreams Are Made Of» finit par devenir intéressant. Elle a une bonne attaque de velours black. Elle sait poser sa voix. Mais elle adore aussi aller sautiller sur le dance floor, la coquine. Elle revient faire sensation avec l’heavy groove synthétique de «Death Charge». Pour l’époque, elle était déjà très d’actualité. Elle te fait plus loin le coup du groove de charme avec «Tender Love». L’album s’écoute avec plaisir. Tu ne peux pas prendre Dee C Lee à la leegère. Elle termine avec un «Nothing Like It» de rang diskö princier. Elle est juste derrière son cut, au nothing like it.

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             Paru en 1994, Things Will Be Sweeter est un très bel album de groove type Acid Jazz. Elle campe dans son pré carré dès «I’m Somebody». Elle groove son heavy groove fluide, ça coule comme une fontaine de jouvence. Elle sait aussi groover en profondeur. Tu entends «Sympathy For The Devil» dans l’intro de «Set Your Spirit Free» et ça groove au xylo. Well done, Dee C ! Encore une extraordinaire qualité du climax dans le morceau titre. Elle se répand bien sur la terre, elle est pure et douce, it’s alright it’s okay ! Elle sonne comme un diamant brut d’Acid Jazz. Groove à fleur de peau. Elle est tellement pure qu’elle semble envoûtée. Son groove sent bon le Jazzmatazz. Elle développe encore une fantastique énergie du groove dans «Walk Away From The Floor». Elle tape ça à l’insistance congénitale et n’en finit plus de groover l’or du Rhin entre tes reins.

    Signé : Cazengler, Dee solu

    Dee C Lee. Shrine. CBS 1986    

    Dee C Lee. Slam Slam. Free Your Feelings. MCA Records 1991

    Dee C Lee. Things Will Be Sweeter. Cleartone Records 1994

    Dee C Lee. Just Something. Acid Jazz 2024

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    Ian Harrison : Back after 26 years. Mojo # 364 - March 2024

     

     

    Grace is Cummings back

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             Comme t’as écouté Ramona, tu t’attends à un gros choc émotionnel. Mais c’est mal barré parce tu te retrouves assis dans l’herbe dans un parc à la mormoille. Et pour encore aggraver les choses, t’es à deux doigts de cailler. Mais le cul dans l’herbe, c’est tout ce que tu as toujours détesté dans ta vie, t’es là comme une larve à changer de position toutes les cinq minutes parce que t’as mal au cul. Alors pour écouter chanter Grace Cummings, c’est compliqué. Toutes les trois secondes, tu te dis que tu vas te barrer, mais elle t’intrigue, la mini-Australienne au décolleté un peu trop vertigineux. C’est pas son décolleté qui t’intrigue, c’est le contraste qui existe entre la mini-corpulence (un gros 1,50 m et 30 kg) et la portée de sa voix. Quand on chante avec une voix aussi balèze, on pèse son poids, d’où le ton de l’illusse. Mais en réalité, t’as une gamine quasi-impubère sous les yeux et ça t’intrigue. Petite, brune, minimale.

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    Plutôt jolie. Et elle bouge bien. Trois mecs l’accompagnent, un hippie chapeauté à la gratte, un bassman déplumé, et derrière, un troisième lascar bat le beurre en toute impunité. Grace a deux petits défauts, sans doute liés à la configuration du set : elle force parfois sa voix et ça devient pénible, alors que sur Ramona, elle te fascine au point que tu l’imagines femme forte. Et d’autre part, elle se croit parfois à Woodstock, avec une façon un peu niaise de sourire à «l’immense» foule. Dommage, car en plus du mal au cul, ces deux petits défauts gâchent un peu le plaisir de la découvrir sur scène. En salle, elle aurait de toute évidence fait un carnage. Mais là, dans le contexte du plein air, le son se barre dans tous les coins, et elle se sent obligée de gueuler comme un veau, et c’est pas beau. Par chance, les compos de Ramona tiennent admirablement bien la route, elle ramène du climax et des structures édifiantes, elle refait du P.J. Harvey à sa façon, et finalement l’heure de set finit par passer. Tu fais ouf ! en te relevant péniblement. Te voilà frigorifié, avec un glaçon au bout du pif. Elle aurait joué au Pôle Nord, c’était pareil. Le côté positif de tout ça, c’est que t’as au moins appris une chose : ça peut cailler sec au moins de juin.

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             Pas compliqué : Ramona grouille de coups de génie, et ce dès le «Something Going Round» d’ouverture de bal, avec son côté profond, très Totor. Magnifique pop d’élan lointain, Grace est puissante - And I think about begging/ For tobacco & time - Subliminal d’I think it was autumn/ I think it was an autumn day. Quelle allure, elle dispose de toutes les ressources de la démesure absolue. Encore de l’heavy Soul system avec «Everybody’s Somebody», elle nage dans l’océan du bonheur, elle est tentaculaire, elle t’éclate ton petit Sénégal au cry cry cry you want to know them. Elle te chante encore «A Precious Thing» au plafond, et c’est ultra-orchestré - Love is just a thing/ That I’m trying to live without - hallucinant d’intensité - And time is just a time/ It passes/ It dies/ Just stay and play - Tu croises rarement les jardins suspendus de Babylone. Dans «I’m Getting Married To The War», elle a les castagnettes de Totor. Tous ses cuts sonnent comme de fortes implications chargées d’audace. Elle travaille les syllabes de «Work Today (And Tomorrow)» comme le fait Billie Holiday avec les siennes. Encore de la fantastique maturité dans «Common Man». Elle te fend bien le cœur. Elle t’en impose. Quelle force de caractère ! Et son morceau titre est tellement bardé de bada que le casque chevrote.

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             Par contre, Storm Queen - l’album au perroquet qui précède Ramona - te laissera sans doute sur ta faim. Elle sort déjà une voix de femme mûre qui peut aller gueuler là-haut sur la montagne, mais il manque la magie. Son «Always New Days Always» humide et chaud s’enroule autour de ton oreille, mais elle est beaucoup plus folk que sur Ramona. Et même un peu lourde. Les cuts sont problématiques, pas très bons. Elle se prend parfois pour Leonard Cohen, («Up In Flames»), mais ça ne marche pas. Trop pâté de foie. «Here Is The Rose» est trop perlé de lumière. Trop dentelle de Calais. Elle est encore lourde avec «Raglan», et c’est avec le dernier cut qu’elle décolle. Elle atteint enfin l’ampleur extraordinaire avec «Fly A Kite». Pure merveille de chant tordu. 

    Signé : Cazengler, cum tout court

    Grace Cummings. Festival Rush. Jardin De L’Hotel De Ville. Rouen (76). 6 juin 2024

    Grace Cummings. Storm Queen. ATO Records 2022

    Grace Cummings. Ramona. Grace Cummings 2024

     

     

    Shaking with the Shakes

     - Part Two

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             Après avoir atteint des sommets insurpassables avec les deux albums d’Alabama Shakes (Boys & Girls et Sound & Color), Brittany Howard retombe de tout son poids au fond du bottom de la dégringolade, avec un album de musique à la mode. C’est important qu’on en parle, car la grosse Brittany incarnait tous les espoirs de l’avenir du rock. Alors pour une fois, on peut s’attarder sur une dégringolade qui vaut bien celle de Lucien de Rubempré. Ce n’est pas qu’on soit sadique, au point d’aller se repaître d’un tel revers de fortune, non il s’agit plutôt d’examiner un mystère qui vaut bien celui de la Chambre Jaune.

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             Le pire, c’est qu’elle a pas mal de presse et notamment le fameux Mojo Interview. Aussi est-on allé quérir What Now sans coup férir. On est tellement sûr du coup qu’on ne pense plus à la simili déception de son premier album solo, Jaime. Dans les pages de magazine, la grosse Brittany apparaît encore plus grande et plus pulpeuse qu’auparavant. On se dit, diable, comment une femme peut-elle prospérer physiquement de la sorte ? Même la crinière semble hors de proportion. Et pour achever le tableau, elle porte des petites lunettes de pédale punk à montures blanches. Tu vois un peu le tableau ? Mais vu qu’elle est une superstar, elle a le droit de mettre tous tes petits a priori en déroute.

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             Le seul problème, c’est que What Now sonne comme une déroute. Le buzz retombe comme un soufflé. T’en reviens pas d’entendre un album aussi à la mode. Elle commence par écraser le son, comme si elle s’asseyait dessus. Et comme elle est grosse, le son capote. Elle tape dans l’ambiancier pépère, dans l’à la mode, elle cherche le confort de l’élastique et du téflon, comme le font toutes les grosses, il fait chaud, alors faut-pas-que-faut-pas-que. Et puis ça se barre dans un délire teknoïde, c’est patacam patacam. Bizarre qu’elle ait abandonné le filon d’or d’Alabama Shakes. Plus on avance dans cet album et plus il devient antipathique, avec un son trop saturé, trop electro, pas de mélodie ni de final éblouissant. Serait-elle paumée dans le labyrinthe de la gloriole, comme Lucien de Rubempré avant elle ? Elle fait pitié à voir, dans sa grande robe psychédélique. Elle ramène enfin une mélodie chant dans «To Be Still», mais il est trop tard. Le mal est fait. Elle s’est grillée. On va jusqu’au bout parce que c’est elle, mais tous ses cuts sonnent comme un grand foutoir Teknö, un abandon d’île, une débinade de baroud bidon. Elle perd définitivement le peu de crédit Soul qui lui reste avec «Samson», et avec «Patience», elle se branche sur une sorte de Soul à la Prince. C’est sans doute le seul bon cut de cet album décevant, elle joue bien des effets des Soul Sisters à la mode. Mais globalement, What Now laissera le souvenir d’un album de baltringue à la mode. Elle a perdu le power et la grâce de la graisse. Elle tente encore de passer en force sur «Every Colour In Blue» mais c’est une Sargasse de Blue sévèrement trashée à coups de trompette. Bizarre que les journalistes anglais ne parlent pas de suicide artistique.

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             Dans Uncut, Sharon O’Connell donne 9 sur 10 pour cet album foireux. Elle parle même de «border sonic invention». C’est dingue comme on se fait encore mener par le bout du nez, même à un âge avancé. Plutôt que de rester sur les sommets avec les Shakes, elle a préféré quitter le groupe et partir à l’aventure. La pauvre O’Connell se débat sur 4 pages avec son baratin. Elle trouve même dans What Now des traces de «Southern Soul, R&B, astral jazz, psychedelic funk, doo-wop, garage blues and rap.» Il faudra qu’elle nous explique où elle a trouvé tout ça, parce que ça n’existe pas dans What Now. Dans l’interview qui suit, la grosse Brittany déclare qu’elle s’est un peu laissée aller, au plan musical - Wathever comes out is OK - Elle se dit qu’elle va faire un nouveau disk, puis un autre, et puis encore un autre. All the styles. Ça promet ! Si on lit cet interview tout pourri, c’est dans l’espoir d’y trouver l’annonce d’une reformation des Shakes. Rien. Par contre, elle chante les louanges de Prince. Elle se dit aussi intéressée par Nina Simone et James Brown. I’m interested in emotional connection.

             Tapis rouge dans Mojo avec le Mojo Interview. Elle dit qu’elle a quitté les Shakes pour «suivre la musique» - What drove me was following the music - Puis Bill DeMain la ramène sagement sur le chemin chronologique, alors elle évoque tous ses vieux groupes d’Athens, Alabama, puis la rencontre avec Zac Cockrell, le futur bassman des Shakes. Des Shakes qui démarrent en 2009. Elle parle aussi d’Heath (gratte) qu’elle surnomme Abraham Lincoln, parce qu’il aime prendre son temps et réfléchir. Elle raconte l’ascension fulgurante des Shakes, à partir d’un cut mis en ligne sur un blog. Et boom ! C’est Patterson Hood des Drive-By Truckers qui met les Shakes en contact avec un management et boom, les voilà sur ATO, le label des Truckers. Puis c’est les gros sous, l’achat d’une baraque à Nashville et les concerts avec Prince et McCartney. Puis arrive l’inévitable question : «Will you ever reunite?». Elle répond qu’elle ne veut pas parler des Shakes comme si c’était fini. This is where we are for now. Elle dit qu’elle a des relations «périphériques» avec le batteur et Hearth. Seul Zac est resté avec elle.

    Signé : Cazengler, Alabama Shit

    Brittany Howard. What Now. EMI 2024

    Sharon O’Connell. Brittany Howard. Uncut # 322 - February 2024

    Bill DeMain : Brittany Howard - The Mojo Interview. Mojo # 363 - February 2024

     

    *

    Longtemps qu’un groupe polonais n’ait attiré mon attention, et plouf celui-ci est de Perzow commune rurale sise en le district de Grande Pologne, un peu au centre-ouest du pays, entre nous, je ne voudrais pas être méchant ou méprisant, ça m’a tout l’air d’un coin perdu, laissons ces géographiques considération pour nous intéresser  au groupe lui-même, vous me ferez le plaisir de ne pas le confondre avec le groupe russe  Arkona. 

    L’Arkona de cette chronique se qualifie lui-même de horde, dénomination qui fleure bon la barbarie, toutefois paganisme et anti-christianisme s’avèrent être les deux mamelles amalthéennes auxquelles le groupe  s’abreuve. Leur premier opus sorti en 1994 ne se nomme-t-il pas An Eternal Curse of the Pagan Godz et leur deuxième ne se réfère-t-il pas aux Dieux de l’Oubli, à moins que le traducteur ne se soit mélangé les pinceaux et que ce  ne soit l’analyse heideggerienne de l’Oubli des Dieux ce qui intellectuellement nous ramène vers le concept de romanité, serait-ce un hasard si leur troisième album, paru en 1996, arbore fièrement le nom d’Imperium. Si les Dieux se rapportent au Dire du Mythe, le terme d’Imperium est une référence explicite au Domaine du Politique. Qu’en est-il au juste, le mieux serait d’y aller voir.

    IMPERIUM

    ARKONA

    (Astral Wings Rec. /1996)

    Khorzon : guitar, bass / Messiah : vocals, lyrics / Sylvain : drums / Pitzer : guitar  / T. Lewinski : keyboards, composition.

    Ce mois de septembre 2024, Arkona vient de sortir l’album Stella Pandora, de l’équipe quasi initiale d’Imperium ne reste plus que Khorzon. Khorzon possède plusieurs cordes à sa lyre de fer puisqu’il officie aussi au chant et aux claviers, c’est lui qui est le maître d’œuvre de la pochette.

    Arkona était une ville située en la mer Baltique sur l’île poméranique de Rugen, tout au nord sur un cap rocheux, au centre de la cité  s’élevait un temple consacré à Svantevit Dieu slave de la guerre, de la fertilité et de l’abondance. Il peut paraître étrange pour notre mentalité d’occidentaux déclinatoires d’associer l’idée de guerre avec celle d’une profusion excédentaire mais nous sommes en des temps sombres. En 1160, l’armée danoise de Valdemar I secondé par les très chrétien évêque Roskilde Absalon s’emparèrent de la ville s’empressant de détruiret du même coup le dernier temple païen des différents peuples slaves. Les polarités  de Svantevit sont nombreuses, elles recoupent la plupart des attributs des principaux Dieux grecs : Zeus, Apollon, Janus, Arès, Poseidon, Démeter, Leucothée, liste non exhaustive…

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    A première vue une panoplie d’armes que l’on accrochait aux murs de sa demeure pour rappeler les exploits militaires du maître de maison, un peu comme ces trophées que l’on se hâtait dans l’affolement général de décrocher des pièces d’apparat des grandes maisons romaines alors que l’armée d’Hannibal marchait sur Rome, ne nous laissons pas hypnotiser par les yeux glacés de la tête de Méduse à la chevelure entremêlée de serpents, les lances, les hallebardes, les mousquets, jusqu’à la forme des cors, les drapeaux, malgré la tête du bélier de Mars nous sommes dans une imagerie guerrière qui emprunte d’après moi à une iconographie post-médiévalo-germaine, tributaire des lansquenets allemands chargés d’arrêter les charges de cavalerie… Un symbole de résistance d’autant plus poignant qu’il semble sculpté sur le tablier d’ouverture d’un tombeau…

    Que le lecteur ne soit pas surpris par l’étrangeté des titres, en ses débuts Arkona utilisait leur langue nationale : le polonais. Comme nous sommes trop bons nous les avons fait suivre de leur traduction.

    Skrajna nienawiść egoistycznej egzystencji : La haine extrême de l'existence égoïste : même traduit le titre procure une impression étrange, l’on s’attend à une scène d’épopée, un fourmillent kaotique de champ de bataille et nous voici renvoyés à l’intérieur de la citadelle intime de tout un chacun, ego, ego, égo… Claviers et tintements, des arpèges à la Bach enfin le chant s’élève porté sur le dos galopant des guitares, il nous nous montre le chemin, d’abord celui de l’arrachement, déjà derrière soi… le rythme s’accélère, la voix djente comme un serpent qui siffle, qui ne laisse aucun espoir, si l’on s’est enfui du lourd manteau des mensonges christiques,  l’on n’en est pas plus libre pour autant, l’on court dans les marécages d’une solitude glacée,  le bonheur n’est pas au bout du chemin, l’on se retrouve seul avec soi-même, aucun dieu consolateur pour nous réconforter, les claviers glissent à la manières des bateaux que la vague pousse dans l’immensité des gouffres, nous possédions la tristesse des jours enfouis sous la chappe de plomb des croyances, nous voici à l’air libre dépossédés de toute illusion, ô la grisâtre lénifiante, nous voici plongés dans la désespérance nihiliste, courir sans fin, se précipiter, ne plus croire en rien, ne plus compter que sur soi-même même si notre cerveau est aussi vide que l’abîme dans lequel nous nous jetons hardiment. Epidemia rozczarowania i nędza duchowa : Une épidémie de déception et de pauvreté spirituelle : comme de l’eau qui coule, le vocal vomit tout ce qui a été vécu, c’est l’heure du ressentiment dirait Nietzsche, le plus dangereux celui qui ne s’adresse pas aux autres mais à soi-même, une espèce d’auto-lapidation impitoyable, oh, l’on n’a pas peur de lancer la première pierre, Descartes nous rassure en affirmant que c’est l’heure du doute, n’empêche qu’Hegel nous a appris que la négativité de soi-même est un grand pas en avant vers la guérison, est-ce pour cela que la musique est entraînante, pratiquement envoûtante, que le rythme s’accélère, se replie sur lui-même pour se détendre pour se projeter encore plus vite, encore plus rapidement, vers l’avant, la grande interrogation se métamorphose en immense exclamation, en zénithale exultation de soi-même, mieux vaut la mort que le mensonge, prenez exemple, que votre joie soit celle de Zarathoustra. Métaphysique festive. Każdy los to cień : chaque destin est une ombre : heure décisive et effroyable, quand on a tué Dieu, il ne reste plus qu’à faire confiance à son propre destin. Le chant appuie très fort, il s’agit de convaincre, d’ouvrir la porte, le destin n’est pas une voie tracée d’avance, notre déclin dépend de notre choix, il suffit de penser, de s’être démuni de toutes les valeurs, chaque pas est dicté par notre pensée, nous ne savons pas où nous allons, rythme rapide mais lourd, la batterie halète, mais nous savons ce que nous sommes, que nous allons vers ce que nous sommes en train de devenir. Conseils donnés à ceux qui hésitent sur le pas de la porte. C’est pourtant en soi-même qu’il faut rentrer. Suprême ordalie. Jesienne cienie czekające na kolejną reinkarnację : Ombres d’automne attendant la réincarnation : un train qui fuse dans la nuit, l’arrivée est certaine, c’est la station mort, mais c’est toi qui meurs en toi-même, en ta mort tu renfermes tout ce qui a été toi, tu es ton propre maître , tu t’enfermes dans ta mort pour la revivre, c’est sans fin, les saisons passeront et reviendront sans cesse en ton royaume dont tu es le roi absolu, décrochement musical, un envol parallèle à lui-même, et la vie reprend de plus belle à l’intérieur de ta mort, musique joyeuse, chant de triomphe, ce que tu as vécu renaît et revient, maintenant tu ne souffres plus, tu regardes les scènes une par une, tu t’es détaché de ta propre prégnance, depuis ta tour de guet de toi-même tu portes un regard serein, tout cela a été toi et malgré leurs courtes durées toi tu as le temps de les regarder, de leur accorder un peu d’attention. Ce qui a été vécu est toujours vécu. Wściekłość która nadchodzi : la fureur qui vient : ouragan phonique, la philosophie à coups de marteau de Nietzsche mise en musique, une éructation de haine, un torrent d’invectives, il s’agit d’éveiller et de maudire ceux qui ne sauraient s’arracher à la drogue christique, la tourmente s’arrête pour mieux repartir, un déluge imprécatif, nouvelle pose pour un nouveau souffle, la cavalcade effrénée reprend avec encore davantage de virulence, pas de pitié, pas de remédiation, pas d’arrangement, pas de conciliation, simplement être soi, entre le bien et le mal pour forcer le barrage et se retrouver par l’entremise de cette violence absolue enfin libre par-delà le bien et le mal. Au-delà de la négativité de soi-même. Pluję na twą marność psie ! : J’ai craché sur ta vanité, chien ! : la suite musicale du morceau précédent, avec en prime, l’invective, l’insulte, l’injure, le gardien du cimetière se moque du chien, de celui qui a cru en son maître, celui qui a changé de croyance, de celui qui a cru en l’inanité du néant et en la vanité de son propre moi, contente-toi de savoir mourir dignement, l’esclave des dieux n’est pas digne de survivre en lui-même, la croyance n’a pas de fond, tu t’enseveliras en ton propre vide, puisque tu n’as pas atteint à la pensée de toi-même, tu ne seras même pas toi-même dans ta mort, tu resteras prisonnier de la négativité du nihilisme. Puissance dévastatrice de ta propre illusion. Puissance dévastatrice de ta propre désillusion. Pogarda dla wrogów imperium wszechmocy : Mépris des ennemis de l’empire de la toute-puissance : un instrumental de toute beauté qui dépasse à peine les deux minutes et qui vous donne un inimaginable sensation d’éternité, après les deux typhons précédents, l’on croirait que l’on a atteint l’œil de l’ouragan, solitudes glacées, l’on pense au cygne de Mallarmé prisonnier de sa propre blancheur, aux neiges éternelles, au Voyageur contemplant les solitudes glacées de son propre moi de Caspar David Friedrich, une espèce de symphonie bruitiste, une irradiation de ce à quoi pouvait penser Nietzsche après son effondrement, nous sommes au faite de la puissance, du plus grand pouvoir auquel l’on puisse atteindre, n’oublions que l’étymologie d’imperium provient du mot latin pars, partis, la part qui nous revient, celle à laquelle l’on se donne la puissance d’accéder. 

             Même si les trois derniers morceaux de l’opus sont prodigieux, ayons une pensée émue pour Messiah le lyriciste disparu en 2017, nous restons toutefois un peu sur notre faim, nous sommes comme des enfants gâtés à qui l’on donne l’absolu et qui demandent ce qu’il y aura encore à manger après. En 1996 Imperium est sorti en K7, un format qui se prête mal à de longues temporalités, en 2005, Arkona a donné une réédition CD augmentée de deux titres.

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             La couve de cette réédition nous interroge. A priori une vue médiévale, la tour d’entrée d’une enceinte fortifiée qui semble défendre l’étroit accès d’un passage entre deux surplombs rocheux, malgré les deux courtines crénelées l’ensemble paraît avoir été construit en bois, nous préférons y voir l’entrée peinte en rouge, les nombreux villages nommés Maison Rouge parsemés sur le territoire français nous le suggèrent, l’entrée des baraquements militaires de garde du limes des légions romaines qui ceinturaient l’Imperium… Un pas de deux, certainement artificiel, qui relie Mythe et Politique…

    Długa Ciężka Zima : Un hiver long et dur : : ré-enregistrement du morceau   Long hard Winter issu de la démo An Eternal Curse of the Pagan Godz  (1994) :  chuintement, hurlement du loup dans sa tanière,  la dernière garde, à l’intérieur de la tour de guet, la nuit est froide, encore plus froide est la nuit hostile qui s’étend sur le monde, angoisse l’inéluctable est en marche, le chant s’arrête, que dire de plus si ce n’est crier encore et encore lorsque la fin s’approche, la mort est là, une glaciation intellectuelle s’accapare la terre… aujourd’hui encore certains veillent et attendent le retour. W Wiecznej Zemście Pogańskich Bogów : Dans la vengeance éternelle des dieux païens : ré-enregistrement du morceau An eternal Curse of the Pagan Godz issu de la démo éponyme de 1994 : course folle, rituel de la désespérance et du retour, les Dieux ne sont pas morts, ils sont toujours là, éternellement ici et maintenant, vous n’y pouvez rien, ce qui a eu lieu reste figé dans le sable mouvant de l’éternité, toute présence est une malédiction, une revanche sur le simple fait d’avoir été, la musique passe telle une tornade, la voix s’époumone dans le Dire du Mythe et du Politique.

    Damie Chad.

             Pour ceux qui n’auraient pas compris Arkona précise qu’il ne soutient ni n’appartient à aucune organisation à visée totalitaire. L’exemple de l’expérience séculaire de l’hégémonie christique sur les esprits suffit de vous dissuader de toute velléité d’imitation…

     

    *

    C’est comme les long horns, vous ne voyez que leurs grandes cornes, ensuite vous vous apercevez qu’il y a une vache dessous, ben là c’est pareil, sur la photo vous avez trois jolies filles, really delicious, et votre cerveau ne les calcule même pas, il dirige vos mirettes droit sur elle, il a raison, vous n’y croyez pas, ce n’est pas possible, comment ose-telle s’exhiber ainsi, ce ne devrait pas être permis, vous regardez la légende, vous faites confiance, elle a été rédigée par Rose et Paige de Two Runner, vous leur faites confiance, les yeux fermés, mais là vous les gardez grand ouverts, elles précisent que c’est leur ‘’fav country band Jesse Daniel’’, bien sûr vous ne connaissez pas, alors vous essayez d’en savoir plus. Un mec qui se balade avec une moustache en fer à cheval, ce doit être facile à repérer.

    JESSE DANIEL

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             Quelques clics sur lui et j’en sais davantage que si la CIA m’avait refilé un double de son dossier. Une bio américaine comme vous ne pourrez jamais vous vanter. D’abord l’american dream dans toute sa splendeur : au creux de la Californie, une maman aimante et un papa qui joue de la guitare, Creedence Clearwater Revival par exemple, donne même des petits concerts dans les coins, une enfance baignée par la musique… Une première cassure, le couple se sépare, l’enfant grandit, adolescent avec quelques copains il forme un groupe punk.

             Le punk c’est bien, mais la route de l’enfer est pavée de bonnes intentions, le lycée, les filles, les concerts, une belle adolescence, un gars sympa, serviable, toujours le sourire aux lèvres, un esprit créatif, bosseur, en forme parfaite. Enfin presque, il donne le change, un peu de fumette, quelques pilules… je vous épargne la longue route, la lente descente, addiction, trafic, prison, déchéance, notre héros est tombé dans l’héroïne…

    Cure de désintox sur cure de désintox, mais comme dans la plupart des bons films américains, un beau jour un ange lui tend la main. En fait ce n’est pas un ange mais un gars qui lui tend sa guitare. Ouf le déclic salvateur ! Il se souvient des morceaux country que son père jouait… Rédemption ! Non ça ne se passe pas que dans les films, soyez de votre époque, maintenant ça se passe dans les séries.

    S’est fait un petit nom avec sa guitare et sa voix dans les bars et les occasions du coin, un coup de téléphone qui demande une chanson pour Netflix… la roue tourne du bon côté, ses trois premiers simples DIY se retrouvent sur son premier album Jesse Daniel, sorti chez Die True Records, son label personnel. Il vient de sortir son cinquième album Countin’ The Miles, sur Lightin’ Rod Records… L’on se permet d’y piocher dedans. Pourquoi commencer par celle-ci et pas une autre. Parce que c’est une Lyric Video et qu’elle définit totalement le style de Jesse Daniel.

    TOMORROW’ S GOOD OL’ DAYS

    A tel point que vous ne savez pas où donner de la tête, à la première seconde vous êtes percuté par plusieurs obus mortels. Essayons de procéder avec ordre et méthode. Premièrement l’oriflamme majeur, la mention featuring Ben Haggard. Ne soyez pas hagard à l’énoncé de ce nom, sortez du  hangar de votre incroyance, oui, il s’agit bien du fils de Merle Haggard. Question filiation vous ne trouverez pas mieux, Merle Haggard c’est tout un pan de la légende de la country, le mauvais garçon, le bagarreur, le voleur qui se retrouve en prison, à San Quentin, ce qui lui permet de voir Johnny Cash et lui donne envie de changer de vie, de faire de la musique, il deviendra un des grands lui qui a croisé Lefty Frizzell et qui fera partie de la bande des Outlaws, un des grands noms de la country, mais pourquoi Ben est-il là, par hasard, que nenni il a déjà entendu les premiers titres de Jesse Daniel et il a reconnu. Si vous voulez savoir quoi, cliquez sur la vidéo vous n’attendrez pas longtemps, un petit peu de pedal steel guitar et vroom : la guitare vous cueille à l’estomac, oui Jesse revendique l’héritage de Merle, ce n’est pas tout, vous avez la voix, rugueuse sans concession, cela ne vous suffit pas, il vous manque le petit sortilège en plus sans lequel le country n’est pas du country, oui un brin de nostalgie, qui vous susurre tout fort à l’oreille que vous n’êtes pas heureux dans ce monde qu’il doit y avoir un ailleurs, les paroles de Jesse vous le confirment, ce pays où l’on n’arrive jamais se situe derrière vous, dans le passé et l’on a intérêt à y revenir au plus vite si l’on ne veut courir vers la catastrophe. Pour vous le confirmer vous avez les images, la beauté des paysages américains, et les méfaits de l’industrialisation à outrance…

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             Un bon morceau. Evidemment si vous attendez une analyse marxiste sur la lutte de classe aux Etats Unis vous êtes déçus. Pourquoi des milliardaires, pourquoi des paumés, Trump vous traitera de communiste, la country possède (et professe) sa morale, si vous êtes dans la mouise, il n’y a que vous qui pourrez vous aider. Prenons un exemple au hasard, celui de Jesse Daniel, avant-hier une loque, aujourd’hui une star montante du la country moderne.

    OL’ MONTANA

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    Je vous connais, le précédent morceau était trop beau pour y croire, bricolé à merveille avec l’harmonica qui tombe à pic pour susciter le frisson fatal, alors voici Jesse tout seul dans un bar avec sa guitare à Nashville. Même pas un verre de whisky pour s’épaissir la voix. Son chapeau, sa moustache, sa veste de jeans ses tatouages bleuâtres qui ne semblent pas avoir été coloriés par un grand artiste…

    Une triste histoire, un mec trompé par sa gerce qui est partie avec ce garçon qu’il avait accueilli comme un ami. Bien sûr il l’a tué, c’est la moindre des choses. Bien sûr il est en prison, c’est l’injustice de la vie. Lui il regrette. Surtout pas de l’avoir tué, mais son amour qui l’a trahi. Ne lui en veut même pas. Le coupable c’est le gars. Faut du courage pour entonner une telle tragédie sans rire. Ou sans pleurer. Le Jesse reste imperturbable. Dévide ses couplets et ses refrains sans faillir. C’est son rôle, il vous rappelle ce que vous savez déjà, que la vie n’est pas rose, même si vous n'avez encore jamais tué personne, vous savez que cela arrive, que cela peut vous arriver, même qu’un tel morceau ne peut que vous aider à accomplir ce que vous n’avez pas encore osé faire, si le monde va mal c’est parce qu’il y a trop de lâcheté, la preuve il y en a vous… le country quand c’est réussi c’est entre le mélodrame, voire le boulevard le plus pathétique, et Homère, tous ces guerriers qui s’entretuent parce que le destin le veut… c’est Achilles qui pleure avec Priam et qui lui remet le cadavre d’Hector qu’il a occis  et mutilé… Un genre d’exercice qui n’est pas donné à tout le monde. Les turpitudes humaines ont leur grandeur, Jesse Daniel excelle en cet art d’une grande simplicité, d’une pureté inaltérable.

             Un bon morceau de country équivaut à la Comédie Humaine d’Honoré de Balzac résumée en trois couplets et trois minutes. Du grand art.

    Damie Chad.

     

    *

             Eddy Mitchell m’a écrit. Oui à moi, Monsieur Damie Chad. Enfin un envoi groupé. Quelques milliers de personnes, je suppose. Pour m’avertir de la sortie de son quarantième album, le huit novembre prochain. Pour m’appâter il m’a tendu un gros hameçon, la primeur d’un des nouveaux titres. 

             Dans mon intransigeante prime jeunesse j’ai beaucoup aimé Eddy, l’avais vu à la TV avec les Chaussettes Noires et les adultes de la famille horrifiés qui couvraient la musique de leurs cris horrifiés, l’était un point de repère quand j’étais au collège,  j’ai toujours gardé un œil sur lui, vu plusieurs fois en concerts,  j’ai décroché définitivement à la sortie de Grand Ecran, en 2009, un peu trop fadasse à mon goût, vieillir is not a good trip, l’Eddy de J’avais deux amis, de Société anonyme, de Je touche le fond, de Si tu n’étais pas mon frère, de Fortissimo, restera mon Eddy à moi, l’avait la niaque… ensuite  une carrière avec des hauts et des bas, quelques bons titres, des trucs trop chiadés, son incompréhension déroutante du retour du rock’n’roll au tout début des seventies… toutefois je ne résiste pas à écouter :

    EN DECAPOTABLE PONTIAC

    EDDY MITCHELL

            Pure country, c’est fou comme l’instrumentation adoucit la voix d’Eddy, bon Eddy roule en décapotable Pontiac la pedal steel guitar pleure tout son soul, au début cela sent la carte postale, surprise l’on quitte les bons sentiments pour les déclarations anarchisantes, les banques sont faites pour être braquées, y croit-il seulement, nous n’aurons pas le temps d’en débattre, survient la police… La société a gagné, qu’est-ce qu’on est loin de La Route de Memphis… Country mais pas Outlaw !

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             La pochette n’est pas une réussite. L’a une sale tête Eddy dessus, derrière un petit côté à la Edward Hopper, manque ce qui fait la grandeur de Hopper, l’autre face du rêve américain, la solitude américaine. Le titre de l’album me donne raison : Amigos. Surtout quand sur Tf1 l’on vous donne la liste des invités, les Souchon père et fils, William Sheller, Sanseverino, Pascal Obispo, aux compos. Inutile d’épiloguer.

    Damie Chad.

     

    *

             Ce qu’il y a de bien avec le doom c’est qu’il permet de voyager sur tous les continents, ce qu’il y a de mal avec le doom c’est que la question politique reste trop-souvent abordée de façon allusive, nous voici donc au Brésil avec un groupe qui n’a pas la langue dans sa poche.

    SETBACKS (TERRIBLE DAYS)

    DEAD LEVEL

    (Piste Numérique / 18 -09 – 2024)

    Seidi Ulra : vocals / Aramys Souza : guitars / Arthur Correa : bass / Beto Brasil : drums.

             Le groupe est de Belem au nord du pays, s’est formé en 2015, possède déjà à son actif deux Ep et un album.

    En France les média nous ont seriné que Jair Bolsonaro, président du Brésil entre 1919 et 2022 était un politicien libéral, Dead Level ne se gêne pas pour le qualifier de néo-fasciste. Vous comprenez que les jours terribles qu’évoque le titre sont ceux de son mandat présidentiel marqués par un accroissement de la misère et des inégalités sociales. Une loi simple à ne pas oublier dans notre propre pays qui glisse sur la pente douce, ne soyez pas pressé, de la tiers-mondialisation rampante : plus il y a de pauvres, plus les riches sont riches.

    La couverture est explicite : en bas un gars qui se prend la tête, en haut les quatre piliers de la Sagesse : mainmise sur l’information, ordre et morale fascistes, religion et abrutissements médicamenteux. En prime, the last but not the least, les armes pour faire taire les récalcitrants.

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    Rajoutons notre petit commentaire personnel : certes Bolsonaro a été remplacé par Lula, ce qui est mieux que rien, mais cette gauche molle qui ne se donne pas les moyens d’éradiquer le loup malfaisant du capitalisme et de la chèvre rongeuse du libéralisme ne saurait être à notre gré une solution politique performative…

    Dès les premiers coups de batterie vous comprenez que l’on n’est pas ici pour écouter des frivolités d’avant-garde, la musique est lourde, elle avance lentement, un background définitivement posé pour ne plus bouger, bien sûr on laisse la guitare se faire entendre mais pour le trampoline exagératif n’y comptez pas, nous sommes sur le mode de l’incantation, tout repose sur la voix en quelque sorte légèrement échoïfiée pour lui administrer une dimension chorale, une espèce de récitatif qui oblige à penser au rôle du Chœur dans les tragédies grecques, tout à la fin elle laisse la place à la clameur de la foule qui marque la fin du cauchemar.  Question paroles c’est très intelligemment écrit. Le texte n’est pas un réquisitoire à l’encontre des exactions politiques, économiques et sécuritaires du dictateur démocratique, il a été élu, donc l’on accuse les vrais coupables, ceux qui ont voté pour lui, qui ont opté pour le pire par peur du terrible avenir que les medias leur prédisaient s’ils ne donnaient pas leur voix au sauveur attendu par la nation. Toute cette petite-bourgeoisie timorée et ces larges fractions populaires qui ont failli, qui se sont démises de leurs responsabilités, qui n’ont pas osé, qui ont fermé les yeux, qui ont fait semblant d’espérer, bref qui ont eu peur, le trouillomètre à zéro, comme si on leur enfonçait le bulletin de vote dans le trou du cul pour qu’ils le revomissent, avec ordre et discipline, dans l’urne accueillante. Ils ne le disent peut-être pas d’une manière aussi crue que mon commentaire, il faut savoir lire entre les lignes et écouter entre les notes.

             Nul n’est parfait (puisque personne ne pense exactement comme moi) : dans leur petit texte de présentation de leur morceau, ils ont le défaut de faire silence sur les stratégies financières des groupes  pharmaceutiques lors du Covid. Big Pharma s’occupe de votre santé…

    Damie Chad.

     

    *

    Il y a des disques vers lesquels vous vous dirigez sans savoir pourquoi. L’on m’objectera que le nom du groupe, référence explicite à Aleister Crowley, a dû agir sur ma soi-disant mystérieuse attraction, vous avez parfaitement raison mais vous avez totalement tort, ce n’est pas Crowley qui m’a attiré mais le manque évident entre le titre de l’album et la couve de l’album, et puis le titre de l’album si authentiquement blues, le tout en ayant parfaitement conscience que comme dans une enquête policière parfois les indices trouvés sur la scène du crime ni ne concordent entre eux, ni ne présentent aucune cohérence, d’ailleurs y-at-il seulement un cadavre ?

    MISERABILIST BLUES

    BOLESKINE HOUSE

    (Masked Dead Records / 17 – 04 - 2024)

    Raven Borsi : vocals, lyrics /  Nicolò Misrachi : instruments, songwriting.

    La compagnie Masked Dead Records, bonjour Le Masque de la Mort Rouge d’Edgar Allan Poe, est sise en Lombardie dans la bonne ville de Brescia, si je m’en rapporte aux patronymes des deux artistes j’en déduis que le groupe est originaire d’Italie, détail supplémentaire Giulia Frump photographe qui a participé à l’artwork est née à Milan. La façon dont sa participation est dévoilée me laisse rêveur : ‘’ Visual concept by Boleskine House and Giulia Frump’’ , nous ne sommes pas dans un simple disque de metal, le mot concept nous pousse à penser que nous sommes face à un concept poétique musical.

    Petite parenthèse parallèle et hypothétique : The House of the Holy de Led Zeppelin m’a toujours paru être raté, non pas parce qu’il est mauvais en soi, mais parce qu’il ne correspond pas à la force évocatoire de son titre, la demeure zéplinienne du titre ne serait-elle pas celle d’Aleister Crowley…

    L’opus est dédicacé à Carlos Ruiz Zafon, auteur espagnol décédé en 2020, auteur de mystérieux roman, se déroulant dans d’énigmatiques manoirs, emplis de sombres malédictions destinales s’étendant sur plusieurs génération, et d’une grande bibliothèque dans laquelle je vous conseille de ne pas choisir un livre même si l’on vous le propose, car vous n’avez aucune idée des nuisances que pourrait occasionner cette lecture le long de votre existence… sombres maisons et littérature, un univers aleistérien par excellence…

    Généralement, musiciens et chanteurs ne vous donnent pas quelques conseils pour écouter leurs opus quel que soit l’appareil d’écoute dont vous vous servez. Ici vous avez deux notes d’avertissement de quelques lignes, que je recopie in extenso : Tout d’abord sur la manière d’appréhender l’espace mental du groupe : ‘’ Boleskine House est un lieu où chacun peut trouver refuge contre sa vie ruinée, un espace immatériel où il peut se plonger dans ses fantasmes de nostalgie avant de disparaître à jamais sans laisser de trace. Une demeure qui change inévitablement en fonction des expériences personnelles de l’auditeur.’’.

    En second lieu, goûtez la force de ce vocable, sur l’album lui-même : ‘’ Miserabilist Blues est la première œuvre de Boleskine House. Le disque raconte un moment poignant et insaisissable, mais apparemment sans fin, sans horizon. Le temps, les lieux aimés, les personnes connues, les personnes perdues, les promesses fragiles des jours dorés de la jeunesse, les rêves brisés et les désirs impossibles se fondent dans un brouillard éternel.’’

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             Bref, il ne reste plus qu’à entrer sans se faire prier, prenons toutefois le temps de regarder la couverture : au centre une jeune femme à l’épaule dénudée, certainement une photographie de Giulia Frump, elle aime la beauté des corps humain dénudés, visitez son Instagram, qui tient sur sa poitrine une espèce de cadre rudimentaire,  semblable à ceux qui entourent la photo, à considérer comme les exvotos symboliques des nœuds gordiens de nos angoisses ou de nos préférences que les visiteurs de la demeure seraient censés laisser sur place en signe de leurs passages

    Black House Painters : tiens, peinture, photographie, musique, poésie, littérature, sacrées confluences, serions-nous face à une tentative d’œuvre totale… : quelques notes, déjà une ambiance, une atmosphère, qui se développe, qui se zèbre d’éclairs, la charge des lanciers de la cavalerie et le chant qui growle comme une meute de loups qui galopent après vous, à votre recherche, ne craignez rien, vous ne risquez rien dans cette masse phonique gazeuse qui vous enveloppe, ces bêtes malfaisantes, des notes comme les reposoirs de la procession de Saint-Pol-Roux, leurs mufles vous enserrent ils ne vous attendaient pas cette maison, ils sont en vous, c’est dans votre tête qu’ils courent sans cesse en rond, une chaîne dont vous apprenez à vous défaire, dépêchez-vous, d’autres cauchemars vont poindre issus des marécages de votre cervelle, prenez-les dans vos bras, ces pauvres diablotins, n’ayez pas peur, bercez-les, apprenez à les apprivoiser, c’est ainsi que vous connaîtrez la paix, que vos terreurs s’amenuiseront, que la vie vous apparaîtra comme une clairière ensoleillée, une paix rayonnante vous enveloppe, vous retrouvez une jouvence, les loups hurlent, ils se disputent pour lécher vos mains, vous les avez amadoués, ils vous ressemblent, ils vous suivent, vos pas s’éloignent dans la longue galerie, vous disparaissez, hurlent-ils à votre mort… Need : quels sont nos besoins au juste, nous nous sommes débarrassés de nos peurs superficielles, nous voici maintenant face à la mer mouvementée de nos désirs profonds qui sont remontés à la surface, guitares en vagues et grondements du vent qui ne vous fait aucun cadeau, vous voici dans le vortex incommensurables de vos envies les plus sombres, sur la ligne de crête d’une corde de guitare glissante, il vous faut apprendre à les accepter, charmez les serpents que vous avez engendrés pour qu’ils vous piquent, pour qu’ils enroulent leur puissants anneaux autour de votre corps et qu’ils vous mordent à la nuque pour que vos pensées ne soient que l’agitation kaotique de votre kaléidoscope intérieur.

    sister rosetta tharpe,joanie sommers,dee c lee,grace cummings,brittany howards,arkona,jesse daniel,eddy mitchell,dead level,boleskine house

    A place to mourn forever : vous l’avez voulu, il est inutile de pleurer, le plus misérable des blues vous assaille, une tornade, vous attendiez une valse chaloupée en consolation, fausse route, vous êtes au fond du maelström, celui qui mène la barque est le masque de la mort rouge, il vous sourit, il n’a plus de dents, il a trop sucé de sang aux gorges qui se sont offertes, surtout la vôtre, attention vous êtes la reine des putains, la maîtresse de vos propres désirs inavouables, acceptez-vous, entendez-vous cette musique monumentale qui vous salue, qui joue la marche triomphale de votre victoire sur vous-même, une procession, un défilé, tout le peuple est après vous et chante en chœur vos louanges, le monde entier est suspendu à vos pieds, joie incoercible de vos phantasmes exacerbés, la guitare glisse comme un serpent d’or qui se faufile parmi les invités, quelle fête, les pleurs qui tombent de vos yeux sont comme des feux d’artifice extatiques qui montent dans le ciel, le plus misérable des blues est aussi le plus riche, voyez la force de l’orchestration car ce qui est en bas est comme ce qui est en haut, growlements de remerciements, rien ne saurait éteindre le soleil de votre présence. Sérénité totale, intensité maximale. Seules subsistent quelques notes de clavier pour ne pas effaroucher le vol de l’hirondelle de la fragilité humaine et du rêve. When you sleep (Adaptation du groupe irlandais shoegaze My Bloody Valentine) : je ne comprends pas pourquoi ils ont eu besoin de reprendre ce titre qui vole en sa version originale au ras des pâquerettes : leur interprétation est bien meilleure, mais le charme des trois morceaux précédents est perdu…

             Lorsque l’on a un concept, il est nécessaire de le garder jusqu’au bout…

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 657 : KR'TNT ! 657 : KID CONGO / ROXY MUSIC / JOHN SQUIRE / HONEYCOMBS / LUKE HAINES / BLACKSTAFF / TONY MARLOW / POP POPKRAFT / TWO RUNNER

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 657

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    19 / 09 / 2024 

     

    KID CONGO / ROXY MUSIC / JOHN SQUIRE

      HONEYCOMBS / LUKE HAINES

    BLACKSTAFF / TONY MARLOW 

    POP POPKRAFT / TWO RUNNER

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 657

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

     

    L’avenir du rock

     - Congo à gogo

     (Part Four)

     

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             En examinant la dune qui se dresse devant lui, l’avenir du rock a clairement l’impression de l’avoir déjà vue.

             — Ne serais-je pas déjà passé par là ?, s’enquiert-il auprès de sa mémoire flagada. Et il ajoute, avec tout l’enthousiasme de carton-pâte dont il est encore capable :

             — Une de perdue, dix de retrouvées, ce qui bien sûr n’a pas plus de sens que d’errer dans le désert depuis belle lurette.

             La belle lurette est devenue son unité de mesure préférée. Tout est belle lurette : les nuits, les jours, les étoiles, les grains de sable. En redescendant la dune, il croise un mec déguisé en explorateur colonial, qui s’apprête à la monter et qui a l’air complètement paumé. Histoire de le distraire un peu, l’avenir du rock lui lance, d’une voix chantante :

             — Que fais-tu là Petula/ Si loin de l’Angleterre ?

             Raté. L’explorateur colonial ne rit pas. Il semble un peu constipé.

             — Je m’appelle Stanley. Suis dûment mandaté par Leopold II, roi des Belges. Vous n’êtes pas Livingstone, I presume...

             Ça faisait belle lurette que l’avenir du rock n’avait pas ri de si bon cœur :

             — Ya pas plus de Livingtone que de beurre en broche, Stan !

             — Auriez-vous l’obligeance de m’indiquer la direction de la jungle ?

             — Quelle jungle ?

             — Bah la jungle jungle...

             — La junjungle ?

             — Oui la junjungle toute verte avec des arbres... Vous m’avez l’air complètement abruti, mon pauvre ami. La junjungle qu’on traverse en pirogue... Pi-ro-gue... Sur un fleuve... Fleu-ve...

             — Le fleufleuve ?

             — Fleufleuve Con-go..., vieux con !

             — Ahhhhhhh oui ! Je connais très bien Kid Congo.

     

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             Sur scène, Kid Congo est certainement l’un des artistes les plus accomplis de son temps. Il rocke le boat et fait du cabaret, il t’émerveille et t’émancipe, il te donne à voir et à entendre, il mélange Tempest Storm et Jeffrey Lee Pierce, Lou Costello et Lux Interior, s’il porte la moustache de John Waters, ce n’est pas un hasard, mon petit Balthazar, s’il fait rebattre le cœur du vieux «Sexbeat» au cabaret burlesque, c’est encore moins un hasard, et s’il multiplie les hommages à Jeffrey Lee Pierce, alors on est bien obligé d’admettre que tout cela finalement tombe sous le sens, enfin, le sens qui t’intéresse - Viva Jeffrey Lee Pierce ! - Avec le Kid sur scène, on se retrouve dans la meilleure conjonction cosmique possible : tout de blanc vêtu, il perpétue la mémoire d’une vieille énergie sauvage, et il la perpétue à merveille. Il en est le dernier survivant, c’est la raison pour laquelle il est d’une certaine façon devenu un peu crucial. Lux et Jeffrey Lee ont quitté la planète, alors le Kid porte le flambeau de ce vieux no-sell-out calorique qui fit la joie des imaginaires en des temps assez reculés. Et il jette dans ce cérémonial toute son énergie, claquant des moutures qu’il faut bien qualifier d’extraordinaires.

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    Tout son corps bouge, le Kid danse avec les loops, tu ne vois pas ça tous les jours, une superstar en mouvement perpétuel, un Tinguely du Sexbeat, avec le punch de Muhammad Ali. Ses Pink Monkey Birds jouent en formation serrée, comme dirait le général Mitchoum, et ça te donne des versions dévastatrices. Comme le disait si bien Lux Interior, «ta mâchoire se décroche et pend comme une lanterne sur ta poitrine.» Le Kid claque ici et là des killer solo flash qui en disent assez long sur son passé d’apprenti sorcier, lorsque Jeffrey Lee Pierce lui enseignait les évangiles selon Saint-Rock, c’est-à-dire le blues et le free. Et comme ça menace de beaucoup trop chauffer («She’s Like Heroin To Me», «Sexbeat» et l’infernal «Thunderhead» tiré de Mother Juno, pour le Gun side + «Primitive», «Goo Goo Muck» et «You Got Good Taste» pour le Crampsy side), alors le Kid tempère le set avec des rumbas extraordinaires («Ese Vicio Delicioso» tiré du Vice album, et «La Arana» tiré de l’album précédent). Et pour faire planer un voile de mystère sur la salle, il t’emmène au cabaret et interprète «The Smoke Is The Ghost», avec des grands gestes théâtraux et le regard perdu dans la voûte.

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    Le petit mec sur la Gretsch s’appelle Gabriel Naim Amor, un expat français qui nous dira au bar qu’il a eu «de la chance de rencontrer Kid.» Pour finir le set en beauté, le Kid sort deux lapins de sa manche, les deux hits du Vice album, «Wicked World» et «A Beast A Priest», avant de demander : «You wanna dance?». Il évoque le mashed potatoes et d’autres vieux coucous et bham ! «Sexbeat» ! Le Kid réussit non seulement l’exploit de régénérer la légende du Gun Club, mais il régénère en plus tous les imaginaires rassemblés à ses pieds. L’awsome t’assomme.

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             On trouve d’éminentes traces de modernité sur son dernier album, That Delicious Vice. Au moins deux. La première s’appelle «Wicked World», un World monté en neige de fuzz. Posture effarante. La fuzz congolaise n’est pas la même que les autres fuzz : la sienne te lèche la conscience.

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    La deuxième trace de modernité s’appelle «A Beast A Priest», un Beast monté sur l’heavy beat de bass/drum de Mark Cisneros et Ron Miller. Alors le Kid se pointe, pour lui c’est du gâtö - Until I felt the pressure drop - Et il ajoute avec cet accent tellement angelino : «I’m too old/ To Win/ I’m afraid.» Il pèse de tout son poids sur le mystère. Il y a du shaman chez le Kid. Puis les autres cuts vont refuser d’obtempérer. Le reste de l’album ne marche pas. Il s’enfonce dans le western spaghetti avec «Silver For My Sister» et la samba avec «Ese Vicio Delicioso» - At the age of three I knew/ What I wanted to be - Toute la fin de l’album part à vau-l’eau. Le Kid abandonne son Congo Powers.

             Il est beaucoup plus à l’aise avec le Wolfmahattan Project. Sur le what ?

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             Pour les ceusses qui ne le sauraient pas, the Wolfmanhattan Project est un super-groupe. Le trio se compose de Mick Collins, Kid Congo et Bob Bert, une sorte de conglomérat Cramps/Gories/Chrome Cranks. Leur premier album s’appelle Blue Gene Stew et Bob Bert a peint la pochette. On y entre comme on entre dans le lagon d’argent, bien conscient de la présence des dieux. C’est inespéré de down the drain dès «Now Now Now» que le Kid chante dans la pénombre, alors que Mick Collins envoie ses jets d’acide. Le Gorie prend ensuite le chant pour «Braid Of Smoke» et sale le plat au sonic brash. Non seulement il le sale, mais il le noie de disto. On croise ensuite quelques cuts étrangement inconsistants, et en B, «Smells Like You» nous rappelle à l’ordre, car plus garage, plus Pussy Galore par le côté défiant et le drumbeat indus de Bob. C’est monté sur le riff de «Gimme Some Lovin’» et chanté en désespoir de cause. Dernier spasme avec «Silver Sun» que Mick Collins chante au feeling insidieux. Il s’engage dans l’avant-garde du beat déployé, il s’étonne lui-même d’être tellement en avance sur son époque, you need the silver sun now, et fait entrer dans la danse un sax free. Alors on est vraiment content d’être venu. Avant d’envoyer l’album coucher au panier, on note que «Last Train To Babylon» pioche dans l’ancien farfouillis de Roxy, à moins que ça ne soit dans celui du Babaluma.

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             Summer Forever And Ever est leur deuxième album. Avec «Like Andrea True», tu te croirais chez les Cramps. T’as même le petit tiguiliguili à la Ivy League, ça gratte dans les vieux replis de la légende, c’est comme abandonné aux bons soins d’une modernité à la dérive. Et puis soudain Mick Collins attaque au three two one yeah ! Cover de Jerry Nolan : «Countdown Love». Ces trois vieux crabes sont encore capables de rocker une heavyness joyeuse et fébrile. On sent tout le poids des Gories dans cette furie. C’est le Kid qui chante «Summer Forever», il place sa voix à la surface du beat infectueux. C’est forcément génial, plein d’esprit, battu sec par Bob et soutenu aux chœurs par ce démon de Mick Collins. Il profite de l’occasion pour tailler une vrille malsaine. Ils terminent leur balda avec «Hypnotize Too», un petit instro visité par un sax free. Weird, humide et fascinant. La B est moins héroïque. Ils l’attaquent avec un «H Hour» gratté à la Gories. Ça tombe sous le sens, très saccadé, quasi JSBX, coincé dans un coin. Ils s’amusent encore avec «Silky Narcotic» et envoient des spoutnicks. Ils travaillent des idées, on les sent fébriles dans leur quête de modernité. Ils bouclent avec «Raised/Razed», un groove Congolais, le Kid tartine bien son all over the sky et son turn you on/ because I can raise you.

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             Pour retrouver l’énergie d’un set de Kid Congo, l’idéal est d’écouter le Live In St Kilda de Kid Congo Powers & The Near Death Experience, un In The Red sorti l’an passé. C’est qui Kilda ? On a l’explication en ouvrant le gatefold : Kim Salmon avait invité le Kid pour la parution de son book à Melbourne. St Kilda est donc un patelin de la banlieue de Melbourne. Honoré par l’invitation de celui qu’il surnomme «my long time Scientist Surrealist Beast of a friend», le Kid monte un set avec le groupe d’Harry Howard, ex-Crime & The City Solution, Harry Howard & The Near Death Experience, «as the logical choice». Tu retrouves l’ambiance explosive du set des Pink Monkey Birds, avec comme point commun, une belle introduction : «You like to dance?» Et il ré-énumère les mashed potatoes et les autres vieux dance crazes qui datent de Mathusalem, «but you’ve not heard the one called Sexbeat!» Et re-bham, et t’es de nouveau frappé par l’infernale modernité du beat de Sexbeat. Dans ses liners écrite à la main, le Kid te dit : «Enjoy the racket». C’est bien d’un racket dont il s’agit dès «LSDC» - This is a place called/ L/ Sssss/ Diiii/ Ciiii - Et il embraye avec l’un de ces instros du diable dont il a le secret, «Black Santa», et de conclure la bouche en cœur : «It’s Christmas all of the tiiiiime.» Contrairement à ce qu’indique le track-listing d’In The Red, c’est «New Kind Of Kick» qui boucle le balda - You are searchers of some other sort of new/ Kind/ Of/ Kick - Et il tape une version demented en souvenir d’un groupe demented. C’est donc «Sophisticated Boom Boom» qui ouvre le bal de la B - Especially for Kim, by the Shangri-Las, you know the Shangri-Las ? Sophisti/ Cated/ Booooom/ Booooom». Il fait du big atmospherix avec «Diamonds Fur Coat Champagne» et termine l’album avec l’une des plus grosses dégelées royales de tous les temps : «Garbage Man» - Here comes/ The Garbage Man - Grosse attaque Crampsy - You ain’t no punk/ You punk - Qui dira la grandeur des Cramps, la portée de cette clameur binaire, l’heavy beat en crabe, qui dira l’impact surnaturel du do you understand et du stuff I use ?

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             Au merch, une autre pochette te fait de l’œil : Swing From The Sean DeLear, un maxi de Kid Congo & The Pink Monkey Birds. Sean DeLear était un queer punk icon de la scène de Silver Lake. Ron Miller te bat «Sean DeLear» sec et net, ça frise le Sexbeat. Puis le Kid introduit à sa façon cet instro du diable qu’est «(Are You) Ready Freddy» et il embraye aussi sec sur «(I Can’t Afford) Your Shitty Dreamhouse». Il y va au take your hair out my air, ou out of my hair, c’est comme on veut, et on retrouve le bassamatic bien ordonné de Kiki Solis. En B, il passe avec «He Walked In» au heavy groove ténébreux et bien noyé d’underground angelino, là-bas, sous le soleil de Satan - The flesh of a man/ The face of a friend - Et il t’invite au jump inside, il voyage chez les morts et bizarrement, ça se termine en mode rumba des îles, en big latin flavour avec Mark Cisneros à la flûte bucolique.

    Signé : Cazengler, Kid Con tout court

    Kid Congo. Le 106. Rouen (76). 11 septembre 2024

    Kid Congo & The Pink Monkey Birds. That Delicious Vice. In The Red Recordings 2023

    Wolfmanhattan Project. Blue Gene Stew. In The Red Recordings 2019

    Wolfmanhattan Project. Summer Forever And Ever. In The Red Recordings 2022

    Kid Congo Powers & The Near Death Experience. Live In St Kilda. In The Red Recordings 2023

    Kid Congo & The Pink Monkey Birds. Swing From The Sean DeLear. In The Red Recordings 2021

     

     

    Wizards & True Stars

     - Roxy ça vaut pas Jerry Lee

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             Se foutaient pas le doigt dans l’œil Eddick Ritchell, Sharon Glory et Jimmy Freud quand, dans «Ego-Dames», ils clamaient la main sur le cœur «Ziggy et Roxy ça vaut pas Jerry Lee !». Ils tournaient le glam en dérision. La fière équipe d’Au Bonheur Des Dames est arrivée dans le rond du projecteur un peu après Roxy, mais la parenté crevait l’œil, au moins au niveau visuel. Du côté d’Au Bonheur, on rigolait, mais pas du côté de Roxy. Au Bonheur Des Dames fut ce qui arrivait de mieux à la France de 1974, de la même façon que Ziggy et Roxy à l’Angleterre de 1972. On sentait alors une volonté clairement affichée de réinventer le rock de part et d’autre de la Manche. Le rock ne s’est jamais mieux porté qu’en ces années-là.

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             On a tous flashé sur le premier Roxy paru en 1972 sur Island. Cet album parfait est resté un point de repère, pour une seule et unique raison : «Re-Make Re-Model», avec son intro de piano historique et le tagaga de Paul Thompson. Et aussitôt après, Manza foutait le feu, t’avais des chœurs de lads - I tried but coundn’t find a way - L’un des cuts parfaits de l’histoire du rock anglais. T’ouvrais le gatefold et t’avais ces six portraits supersoniques. Par contre, le reste de l’album te laissait sur ta faim de loup.

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             Il fallut attendre For Your Pleasure, paru un an plus tard, pour calmer cette faim de modernité. T’avais encore cinq portraits fantastiques dans le gatefold. Pas de bassman. Un certain John Porter était crédité à la basse. Et Chris Thomas produisait. Trois cuts allaient te marquer la cervelle au fer rouge : «Do The Strand», «Editions Of You» et «The Bogus Man». Tu retrouvais la fantastique énergie de la décadence dans un «Do The Strand» épaulé par le sax d’Andy Mackay. Tu retrouvais des accords de piano dans l’intro d’«Editions Of You», mmmmmhh, et la frappe sèche de Paul Thompson. Alors John Porter entrait en lice et ça virait au demented are go. T’étais au cœur du phénomène Roxy. Ils bouclaient leur balda avec «In Every Dream Home A Heartache», un Big Atmosphrix d’I blew up your body/ But you blew my mind ! Et en B, t’avais bien sûr l’excellent «Bogus Man» et la belle frappe sèche de Paul Thompson, renforcée par l’adroit bassmatic de John Porter. Ils faisaient en fait du Babaluma, de l’hypno à Nono, et Manza grattait des poux funky dans le déroulé. Puis Ferry repartait dans son maniérisme à la mormoille avec «Grey Lagoons» que venait tempérer Andy avec un solo de porcelaine de sax. C’est dingue comme ces mecs savaient développer.

             Et puis, les choses vont se dégrader. Une fois Eno viré, Roxy va devenir un groupe commercial, à l’image d’un Bryan Ferry dévoré d’ambition. La modernité de Roxy va s’étioler d’album en album, d’abord avec Stranded et Country Life, puis sombrer enfin dans la daube commerciale que l’on sait. Rien à tirer des albums suivants.  

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             Roxy revient dans l’actualité via l’autobio de Phil Manzanera, Revolucion To Roxy. Tu chopes l’info, tu te frottes les mains, tu baves même un peu : toute littérature concernant Roxy est ultra-bienvenue. Tu t’attends même à un big book, étant donné que tu considères Manza comme un élégant personnage cosmopolite. Avant ça, tu n’avais eu que le book de Michael Bracewell à te mettre sous la dent : Re-make/Re-model: Becoming Roxy Music, un book bien documenté,  très axé sur le concept de Roxy, mais qui manque d’épaisseur humaine. On n’y sent pas bien les personnages. Manza va-t-il combler ce déficit ?

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             Il comble que dalle. Tu l’as dans le baba. C’est l’une des grandes déconvenues du siècle. Manza fait d’autres choix. Roxy, c’est juste deux chapitres, et tout le reste concerne la gloriole, les tournées mondiales, les raids en Amérique latine, la fréquentation de lascars comme David Gilmour, les maisons, les bagnoles, les awards, les gosses, les arbres généalogiques, et puis bien sûr les épisodes de reformation de Roxy avec les millions de dollars, c’est l’histoire d’un groupe qui fut passionnant le temps de deux albums et qui a fini par tourner en eau de boudin, c’est-à-dire en grosse machine à fric vide de sens, mais qui remplit les stades. Là est le paradoxe. On le connaît par cœur, ce paradoxe. On ne peut pas lutter. Comme si la dimension artistique ne comptait plus. Ne reste que la gloriole et l’Hall of Fame, toute cette drouille immonde qui gâche la légende d’un art qu’on croyait sacré et qui n’est au fond qu’un business de plus. Tu lis ce book et t’es atterré par le spectacle qu’il t’offre. C’est un peu comme si tu lisais les mémoires de Jagger ou celles de Gilmour, des books que tu n’approcherais jamais, même avec une pince à linge sur le nez. Bon, là, tu dois bien reconnaître que tu t’es fait baiser.

             On attendait de Manza qu’il nous parle d’Andy Mackay en long et en large, ou d’Eno, ou de Paul Thompson. Rien de plus que ce qu’on sait déjà. Et pas un mot sur Johnny Gustavson, le mec des Big Three qui joue de la basse sur 4 albums de Roxy, ni sur Sal Maida. Rien ! Que dalle !

             Roxy avait passé une annonce dans le Melody Maker : «Wanted. The perfect guitarist for avant rock group: original, creative, adaptable, melodic, fast, slow, elegant, witty, scary, stable, tricky. Quality musiciens only.» Manza passe l’audition avec sa Gibson ES 335 et comme ils n’aiment pas  le look de la 335, ils lui disent de revenir avec une Strato. Mais c’est David O’List qui décroche le job. Manza est déçu. Le seul défaut d’O’List était d’arriver en retard aux répètes, et c’est comme ça que Manza finit par décrocher le job. Il est là, alors les autres lui demandent de jouer. Dans la première mouture, le bassman s’appelle Graham Simpson. Et comme Manza connaît bien les cuts, Bryan Ferry lui propose un CDI à 15£ la semaine. En 1972, il devient professionnel.

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             Manza donne des détails importants : au début, Roxy n’a pas de blé, alors le groupe doit redoubler d’inventivité. Comme ils viennent de décrocher un contrat avec Island, on les confie à Anthony Price, un fashion designer qui doit peaufiner leur image. Manza est sapé comme l’as de pique et Price qui bien sûr est gay fait «no, no, noooo» et lui demande de porter un blouson de cuir et des lunettes d’extra-terrestre, sur lesquelles sont collés des clous en diamant. Manza a son look en 5 minutes. Le problème, c’est qu’il ne voit rien avec ces «bug eyes». Il ne voit que ses pieds. Pour gratter ses poux, c’est l’enfer. La photo des «bug eyes» est dans la page. Tu les vois aussi quand tu ouvres le gatefold du premier Roxy.

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             C’est aussi là que commencent les problèmes : Bryan Ferry décide de tout. La pochette du premier Roxy, c’est lui. Manza rappelle aussi que Graham Simpson était dans le premier groupe de Bryan Ferry, The Gas Band, au temps de la fac de Newcastle. Puis Simpson va traverser une mauvaise passe et se faire virer. C’est là que commence le bal des bassistes. Manza en dénombre 15. Il indique aussi que Bryan Ferry et Andy Mackay sont revenus transformés d’un concert de Ziggy. C’est là qu’ils décident de se transformer en gravures de mode, comme l’ont fait les Spiders From Mars. Et le plus avancé, dans cet art, c’est bien sûr Eno. Il tombe toutes les filles et Manza sous-entend que Bryan Ferry le jalouse.

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    (Chris Thomas)

             C’est Chris Thomas qui va enregistrer Music For Your Pleasure. John Cale l’a recommandé à Roxy. Manza rappelle aussi que Thomas a bossé sur le White Album. Alors wham bam ! Mais Bryan et Brian ne s’entendent pas. Eno se considère comme un «Independant mobile unit» et un «non-musician». Il ne supporte pas l’autorité. En plus, il est le plus flamboyant du groupe - which I’m sure Bryan didn’t enjoy - Il va subir le même sort qu’un autre Brian, Brian Jones. En plus, Eno est très extraverti, alors que Bryan Ferry reste impénétrable. Ils sont à l’opposé l’un de l’autre. En plus, Bryan Ferry continue de faire ses coups en douce. Il a déjà quasiment réglé la question de la pochette du deuxième album sans en parler aux autres. Manza le redit : Bryan Ferry n’a consulté personne. Il a choisi Amada Lear pour le recto et c’est lui qu’on voit au verso déguisé en chauffeur. Les membres du groupe émettent une molle protestation et Bryan Ferry la prend en compte. Puis une petite shoote éclate entre Bryan et Brian, à propos d’une gonzesse. Brian Eno joue une dernière fois avec Roxy en 1973 et il quitte le groupe avant de se faire virer.

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             Voilà, c’est à peu près tout ce qu’on a sur Roxy. Manza donne aussi des détails sur la pochette de Country Life avec les deux belles gonzesses en petite tenue. Il rappelle aussi qu’entre 1972 et 1984, il n’a pas gagné un rond, malgré les tournées mondiales et les disques d’or : le management et probablement Bryan Ferry s’en s’ont mis plein les poches. Puis les choses vont se détériorer dans le groupe. 1976 nous dit Manza est le commencement de la fin. Il voit encore Bryan Ferry faire ses coups en douce et traiter les autres membres comme son backing band. À la fin de la tournée Avalon, en 1982, Andy Mackay et Manza donnent leur démission : «It’s been a great pressure working with you. Goodbye.»

             Il leur faudra attendre 18 ans pour se reparler. Ce que Manza veut dire à travers tout ça, c’est qu’on ne peut pas être pote avec un mec comme Bryan Ferry. C’est impossible.

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             C’est le gros billet qui va les motiver pour la reformation, comme c’est le cas pour tous les groupes de vieux crabes. Tout ce qu’ils veulent, c’est se payer des belles baraques dans la campagne anglaise et des Rolls. Tu vois un peu le niveau ? On leur propose 7 millions de livres. Bryan Ferry, Manza et Andy Mackay acceptent le principe. Ils se retrouvent en studio à Londres et tentent de jouer «Virginia Plain». Ça marche. Paul Thompson est là aussi, avec Guy Pratt on bass. Il est question d’un nouvel album produit par Chris Thomas. Eno fait aussi partie du projet. Ça se passe bien jusqu’au moment où ils s’assoient pour papoter tous ensemble, et Eno fait remarquer que chaque membre rejoue le rôle qu’il jouait 35 ans auparavant. Alors Manza comprend que le projet est foutu. Chacun repart de son côté. Roxy, ça vaut pas Jerry Lee. 

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             Le Mojo Interview est mal barré : Manza apparaît tel qu’il est aujourd’hui, en petit pépère souriant. Fini l’allure de wild rocker glamour. Il pose pour un autre portrait en fin d’interview avec les fameux «bug eyes» qu’il a conservés. Et si sa plus belle heure de gloire était d’avoir accompagné Robert Wyatt sur Ruth Is Stranger Than Richard ? Pour mener l’interview, Mat Snow ne se casse pas la nénette : il repart de l’autobio. Père anglais, possible agent double, et mère argentine. Rusé comme un renard, Snow amène vite Manza sur le terrain de Roxy. Alors le pépère souriant y va de bon cœur : «I wanted to be more like the Velvet Underground, textural. Les autres ont amené des choses différentes : Eno had systems music, Bryan a mixture of Motown and the Velvet Underground, Andy loved King Curtis and Paul loved Led Zeppelin.» Chacun amenait sa petite contribution, conclut gaiement Manza. Pour lui c’est un collectif. Eno avait inventé le mot «scenius». Snow revient sur l’éviction d’Eno. Manza n’est pas clair là-dessus, il indique qu’Andy en sait plus que lui, aussi recommande-t-il d’attendre qu’Andy écrive son autobio - Et quand j’ai dit à Bryan l’autre jour que j’écrivais un book, je lui ai dit qu’il devrait en faire autant - j’aimerais bien enfin savoir ce qui s’est passé - Andy et Manza se sont quand même posé la question de savoir s’il fallait suivre Eno ou rester dans Roxy. Ils ont décidé «de rester pragmatiques» et sont restés dans Roxy. Manza va aussi filer un coup de main à Eno sur Here Come The Warm Jets et à John Cale sur Fear et Slow Dazzle. Manza précise que Roxy avait demandé à Calimero de produire For Your Pleasaure, mais comme il était sous contrat avec Warners, il ne pouvait pas, et il recommanda Chris Thomas. 

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             Après toutes ces déconvenues, il est grand temps de ressortir le Re-make/Re-model: Becoming Roxy Music de Michael Bracewell. Finalement, c’est lui qui a raison : avant d’être une aventure humaine, Roxy est un concept - Above all... a state of mind, lâchait Bryan Ferry en 1976 - Bracewell souligne très vite la proximité des «wily strategies of Duchampian aesthetics», cette proximité qui nous conduisit à l’époque à délirer sur Roxy et pondre un Conte, cot cot !  Bracewell ose des parallèles extraordinaires entre Roxy, Smokey Robinson, Marcel Duchamp, le Velvet, John Cage et Gene Kelly, «all in their different ways, forcefully and glamourously modern.» Bracewell ajoute qu’avec le premier Roxy, Ferry «presented his carte de visite to the world. The record was arch, thrilling, elegant, unique, clever and richly romantic.» C’est bien ce qu’on reproche à Ferry, le côté trop clever, mais Bracewell a raison de souligner l’élégance et la singularité. Bracewell établit aussi en lien entre Joe Meek et Roxy - the Meekian other-worldniness - symbolisé par «Ladytron». Parmi les influences de Roxy, Bracewell cite le «Bad Penny Blues» d’Humphrey Lyttelton, produit par Joe Meek, dont l’intro de piano sera reprise par les Beatles dans «Lady Madonna». Ferry cite aussi le Charlie Parker Quintet avec Miles Davis, et bien sûr LeadBelly - a black dandy, a precursor to Bob Dylan - Et là, effectivement, Bracewell navigue à un autre niveau que Manza. Comme quoi, il y a book et book.

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             Bracewell lance encore des ponts entre le Velvet et Roxy via l’art moderne, puis établit le lien fondamental entre Andy Mackay et Dada, un Andy qui flashe aussi sur les Bonzos - There is definitevely the English art school influence of Dada rediscovered - et puis le lien Richard Hamilton/Marcel Duchamp qui est au cœur de Roxy, car Bryan Ferry fut l’élève d’Hamilton, le théoricien du Pop Art, héritier de Duchamp - No living artist commands a higher regard among the younger generation than Marcel Duchamp - Hamilton enseignait à Newcastle, où vivait encore le jeune Ferry. Un Hamilton qui va d’ailleurs concevoir la pochette du White Album. Le concept, rien que le concept. C’est ce qu’il faut comprendre. Roxy n’est pas un groupe ordinaire. 

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    ( Peinture de Mark Lancaster)

             Et ça qui vaut tout l’or du Rhin : Mark Lancaster évoque sa rencontre avec Marcel Duchamp - J’ai rencontré Marcel Duchamp chez Richard Hamilton à Londres, quand il est venu pour son exposition à la Tate Gallery en 1966. Il m’a demandé : ‘Êtes vous artiste ?», and when I said yes, or «Oui», he said, «Moi aussi.» Quelques jours plus tard, je l’ai rencontré avec sa femme Teeny à Carnaby Street. Je venais d’acheter un costume jaune vif. Ils l’ont admiré, mais je n’ai pas osé lui demander de le signer - C’est quand même plus intéressant que le Rock’n’roll Hall Of Fame, n’est-ce pas ?

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    ( Marcel Duchamp)

             Liens encore avec le «Moon River» d’Henri Mancini et Breakfast At Tiffany’s, avec les photos de Mark Lancaster de yellow cabs qu’il a photographiés depuis le «fire escape of Andy Warhol’s Factory», Bracewell n’en finit plus de rappeler que les racines de Roxy sont la trilogie suprême de l’art moderne : Andy Warhol, Marcel Duchamp et Richard Hamilton. D’où les portraits qui ornent le gatefold de Roxy Music. Bracewell s’en donne à cœur joie : «Serré dans une chemise noire, Mackay est incroyablement beau - a mascaraed rocker, greasy quiff piled high at the front and straggling in disdainful rat-tails down the nape of his neck. Le menton dans la main, chaque doigt portant une lourde bague, son image est celle du rebelle solitaire et introverti, a one-shot amplification of the rock and roll style of fifties Americana.» Les six portraits sont des œuvres d’art moderne. On avait tous flashé là-dessus en 1972. Et Bracewell de rappeler que Mackay était aussi un dandy fasciné non seulement par Dada, mais aussi par «Swinburne, Audrey Beardsley and the Preraphaelte Brotherhood». Personnage complet.

             Signé : Cazengler, Roxy Musette

    Roxy Music. Roxy Music. Island Records 1972

    Roxy Music. For Your Pleasure. Island Records 1973

    Mat Snow : Phil Manzanera - The Mojo Interview. Mojo # 366 - May 2024

    Phil Manzanera. Revolucion To Roxy. Expression 2023

    Michael Bracewell. Re-make Re-model. Faber & Faber 2007

     

     

    L’avenir du rock - Squire boy

             Le jusqu’au-boutisme n’a aucun secret pour l’avenir du rock. Sans vouloir manquer de respect aux ceusses qui se poseraient la question de savoir pourquoi, disons qu’une nature conceptuelle sans jusqu’au-boutisme n’est pas concevable. Un concept qui ne pas va au bout des choses n’est pas un concept. L’avenir du rock ne manque pas une seule occasion de mettre ce postulat en pratique. Pour d’obscures raisons éditoriales, il a besoin de se faire traiter de square, aussi décide-t-il de se déguiser en beauf atroce et d’aller provoquer Boule et Bill à la terrasse de la Civette. Il mouille son peigne et se coiffe les cheveux vers l’arrière, les plaque avec du saindoux, il se dessine une grosse moustache au feutre, puis il enfile un marcel, un short en nylon rouge, des chaussettes noires et chausse des charantaises. Il complète l’ensemble avec une vieille casquette Ricard du Tour de France et des lunettes de soleil miroir. Avant de sortir, il prend soin de placer quelques traces de Nutella sur le marcel et sur l’arrière du short pour que le côté douteux des choses ne laisse absolument aucune chance au doute. Pour compléter le panorama, il s’est acheté des boules puantes chez son fournisseur préféré. En arrivant à destination, il allume bien sûr un cigarillo bien puant. Boule et Bill l’ont vu arriver de loin. Ils ne cachent pas leur dégoût lorsque l’avenir du rock, sans même leur demander leur permission, s’assoit face à eux.

             — Tu nous fous la honte, avenir du rock. En plus tu schlingues comme un putois.

             L’avenir du rock leur souffle la fumée du cigarillo dans la gueule et lâche le plus sonore des pets. Prrrrrrrrrrr ! Tous les gens installés sur la terrasse se retournent.

             — Alors les deux réactionnaires, toujours sur la brèche ?

             — Avec un lascar comme toi, on ne sait jamais ce qui va nous tomber sur la gueule. Tu veux quoi, avenir du rock ?

             — Chais pas, Boule. Une petite insulte ?

             — Tu veux qu’on te traite de beauf ?

             — Ah oui mais en anglais !

             Bill qui connaît trois mots d’anglais saute sur l’occase :

             — Fooking square !

             Radieux, l’avenir du rock lâche un gros Prrrrrrrr dionysiaque et corrige le tir :

             — Non pas square, fooking Bill, Squire !

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             John Squire superstar ? Aucun doute là-dessus. Il refait l’actu en compagnie de Liam Gallag : les voilà tous les deux en devanture de Mojo. Tapis rouge : douze pages et des photos à gogo. Promo presse pour un nouvel album, comme au temps d’avant.

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             Douze pages. T’es obligé de t’y reprendre à deux fois - It’s the best bits of Oasis with the best bits of The Stone Roses, they promise - La classe des deux ! Tu te rinces l’œil. Ces deux vétérans ont de vraies allures de rock stars anglaises, surtout Squire Boy avec sa petite coupe de douilles seventies et cette façon qu’il a de te regarder droit dans les yeux. Liam Gallag raconte qu’il a offert deux paires de mocassins à Squire Boy qui était sorti de sa réclusion pour venir jouer en rappel sur «Champagne Supernova», à Knebworth, en juin 2022 - Hand-made from Portugal, with tassels - c’est-à-dire avec les glands. Mod shoes. Liam Gallag raconte qu’il s’est toujours intéressé aux pompes de Squire Boy, d’où l’idée du cadeau des mocassins. En échange, Squire Boy lui offre deux chansons et lui demande : «Would you like to sing on them?». Of course. C’est là que naît l’idée de leur collaboration. Et Liam Gallag d’ajouter : «John’s songs are the reason I got into music in the first place.»

             Quand les frères Gallag voient Les Stones Roses pour la première fois en 1988, ils flashent  comme des bêtes - If they can do it, I can definitively do it - Noel Gallag dira même à Squire Boy qu’Oasis doit son entière existence aux Stones Roses. Il faut rappeler qu’entre 1988 et 1990, les Stone Roses régnaient sans partage sur l’Angleterre. Parmi les adorateurs/followers des Stone Roses, se trouvaient les Inspiral Carpets, dont Noel Gallag était le roadie. Ted Kessler chante les louanges des Stone Roses en termes de «musicianship, particularly the expansive playing of Squire and drummer Alan ‘Reni’ Wren», un Squire, ajoute Kessler, «who was harking back to the more flashily fluid styles of Jimi Hendrix and Jimmy Page.»

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             Si on suit Squire Boy à la trace depuis plus de trente ans, la raison en est simple : elle porte le doux nom de Second Coming, le deuxième album des Stone Roses. On s’en souvient peut-être, les Stone Roses étaient un groupe de surdoués : section rythmique de rêve et un Squire Boy on fire. Le maillon faible était sans doute Ian Brown, le chanteur. Les Stone Roses groovaient comme des dieux, et ce dès «Breaking In Heaven». Là t’avais Squire Boy au décollage, il avait déjà tout bon, il déployait une sorte de sauvagerie, et le bassmatic de Mani entrait au bout du compte. Ian Brown n’avait pas de voix, mais ça marchait quand même. Ils restaient dans une espèce de power fondamental avec «Driving South». Dans l’instant T, ils étaient réellement les meilleurs. «Ten Storey Love Song» sonnait comme un balladif frappé de magie, et sur ce coup-là, Ian Brown s’en sortait plutôt bien. Au beurre, Reni avait une fâcheuse tendance à voler le show. On sentait aussi chez eux une volonté affichée de psychedelia («Your Star Will Shine», pas loin du «Tomorrow Never Knows» des Beatles, on sentait le power sous la toile de jean) et ça repartait de plus belle avec le groove de «Straight To The Man». Classique mais rondement mené. Ils revenaient au groove sauvage avec «Begging You». Fantastique énergie, wild as fucking fuck, c’était d’une rare violence comportementale, mille fois plus puissant que Primal Scream, tout était dense, compressé à l’extrême, même les poux de Squire Boy, et Reni battait le beurre du diable. Puis ils te swinguaient «Tightrope» fabuleusement - I’m on a tightrope baby - avec des clap-hands, avant de replonger dans le caramel du groove, c’est-à-dire «Good Times», pure niaque de ‘Chester, t’en revenais pas d’entendre l’élégance du gratté de poux de Squire Boy. Avec ces mecs-là, tu nageais en plein bonheur. Ils bouclaient avec «Love Spreads», un heavy groove drivé au yeah yeah yeah, admirablement bien balancé, my sister/ She’s alright and she’s my sister !

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             Second Coming était nettement supérieur au premier album sans titre des Stone Roses. Tu y sauvais deux cuts, «I Wanna Be Adored» et «She Bangs The Drums». Le Wanna Be Adored sonnait comme un hymne, rien que par le thème. Même sans voix, ça passait comme une lettre à la poste. Squire Boy foutait bien la pression. Et tu retrouvais ce son unique dans «She Bangs The Drums», t’avais là-dedans toute l’ampleur de la pop anglaise, poppy puppy popette de poppah. Puis ce premier album allait décliner lentement, malgré les efforts de Squire Boy. Dans «Waterfall», il se livrait à un brillant numéro ondoyant et il revenait avec «Don’t Stop» à la Beatlemania psychédélique. On assistait là à une fantastique tentative d’osmose. Puis tout virait poppy popette («(Song For My) Sugar Spun Sister» et «Made Of Stone»), bien dans la veine de la tradition, ils entraient même dans le ventre mou de la pop anglaise («Shoot You Down»). Reni battait «I Am The Resurrection» comme un diable, mais ça n’en faisait pas un hit pour autant, même si ça se terminait en heavy groove dévastateur. Kessler est marrant car il dit exactement le contraire : il parle d’«one great album and a dissappointing follow up». Il n’a rien compris au film.

             Quand Oasis joue à Knebworth en 1996 devant 200 000 personnes, ils invitent Squire Boy à venir jouer sur «Champagne Supernova». Et 26 ans plus tard, Liam Gallag lui refait le coup en le présentant à la foule comme étant «the coolest man on the planet.»  C’est encore Noel Gallag qui rend hommage aux Stones Roses : «They kicked the door open for us, then we came in and nailed it to the wall.»

             Liam Gallag et Squire Boy ont commencé par enregistrer des démos et sont ensuite allés passer 15 jours chez un producteur de Los Angeles nommé Greg Kurstin, lequel Kustin a proposé de bassmatiquer et de rapatrier le batteur Joey Waronker.

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             L’album s’appelle Liam Gallagher John Squire. Ils ne se sont pas cassé la nénette pour trouver un titre. Et t’as le Liam qui s’impose aussitôt avec «Raise Your Hand». Non seulement t’as du son, mais t’as aussi la voix. Le Liam écrase son raise au fond du cendrier et Squire Boy claque un solo d’étranglement. Le Liam est toujours aussi Oasien. Il va toujours chercher le bon ton au sommet d’un rock ultra-saturé. «You’re Not The Only One» est le coup de génie de l’album. C’est fin, racé, ficelé, c’est même un hit pour la radio, on retrouve le goût des Anglais pour le big time, Squire Boy y passe un killer solo flashy comme pas deux. Liam Gallag + killer Squire, ça fait revivre la vieille Angleterre. C’est à la fois délicieusement classique et imbattable. Avant de cracher sur Oasis, écoute cette merveille. Si tu veux un album de rock anglais, c’est là.  Et t’as aussi un «One Day At A Time» écrasé de power et de singalong Oasien. Liam Gallag n’en finit plus de traîner la savate dans le chant. C’est d’une rare puissance. Puis ils tapent dans l’heavy blues avec «I’m A Wheel». Pas de problème ! Mais l’album finit par tomber dans la routine Oasienne. Squire Boy fait des efforts considérables pour la briser. Avec «Love You Forever», ils jouent le hard blues des seventies. Ils n’inventent pas la poudre, c’est juste un prétexte à jouer dans le bac à sable. On entend Squire Boy claquer ses mighty carillons dans «I’m So Bored». Il est l’un des guitaristes les plus infectueux d’Angleterre. Il gratte toujours tout ce qu’il peut.

             Selon Kessler, l’album de Liam Gallag et Squire Boy n’aura pas le même impact qu’ont eu sur la rock culture les deux premiers albums d’Oasis et le premier Stones Roses, «but it’s the best thing either have recorded since those early records.» Kessler parle d’un «sleek rock album», c’est-à-dire élégant, bourré d’«unshakably sticky melodies and choruses.» Kessler y retrouve toutes les influences dont Squire Boy et Liam Gallag sont tellement friands : Jimi Hendrix dans «Love You Forever», les Stones et les Beatles dans «Just Another Rainbow», les Faces dans «Make It Up As You Go Along» et Liam Gallag trouve que «Raise Your Hands» sounds like Roxy Music. Et puis bien sûr Oasis et les Stone Roses - It’s a perfect mariage of the two bands - Ailleurs dans l’article, Kessler ramène aussi le duo De Niro/Pacino dans Heat, un autre exemple de perfect mariage. Squire Boy dit bien son admiration pour Liam Gallag : «He brings a passion and intensity that I can’t muster. There’s something about his voice that meshes with the way that I play guitar.» Il parle de complémentarité. Kessler termine en beauté, puisqu’il les voit se lever pour aller faire leur photo-shoot, «just like in the old glory days - which surprisingly, may be still ahead of them.» Une chute qui tinte merveilleusement bien à l’oreille de l’avenir du rock.

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             Après la fin des Stone Roses, Squire Boy va monter The Seahorses et enregistrer Do It Yourself. C’est un album qui vaut le déplacement. Pour au moins quatre raisons, dont deux Beautiful Songs, «Love Me & Leave Me» et «Head». Dans Love Me, Squire Boy ne croit en rien, don’t believe in Jesus, don’t believe in Jah, il croit en lovers, c’est fameux et surtout très gratté, ça te donne une belle rengaine enluminée de poux scintillants. «Head» sonne aussi comme une grosse compo. Les Seahorses auraient pu devenir énormes. Squire Boy fait là du power balladif, avec un Chris Helme qui pose bien sa voix et qui l’entortille quand il faut, il a du poids et du ruckus. «1999» sonne comme un coup de génie, c’est très Oasis dans le ton, avec du sharp slinging de Squire Boy, ça sonne comme du heavy Quicksilver avec l’aura de Madchester et t’as l’incroyable clameur du Squire Boy qui du coup se met à sonner comme Stylish Stills. Ah il faut voir cette bravado ! Belle attaque encore avec «I Want You To Know», pas loin d’Oasis et un Squire Boy qui fout le feu avec ses poux. C’est un son très anglais. Chris Helme fait encore merveille sur «Blinded By The Sun», il a la voix un peu grasse, comme une huître, une voix juteuse et colorée, et derrière lui t’entends le Squire Boy voyager dans le son. «Suicide Drive» coule bien dans la manche et Squire Boy y joue un solo au long cours, avec le feu sacré. Ils se confrontent ensuite à la shakespearisation des choses avec «The Boy In The Picture», ça veut dire qu’ils entrent en dramaturgie, avant de revenir à un son plus heavy avec «Love Is The Law». Chris Helme fait son Liam Gallag. Il vise clairement l’Oasis. Il se croit dans le désert, et après un joli break de basse, Squire Boy part en vrille de poux demented. Yeah yeah ! Il gratte encore comme une brute dans «Round The Universe», cut de belle pop enjouée aux joues bien roses. Il descend une fois de plus au barbu avec une science aiguë du solo flash. Ils frisent plus loin le Sabbath avec «Standing On Your Head», on se croirait sur le premier Sabbath tellement c’est bien foutu. L’in the sky vaut bien celui d’Ozzy. 

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             En 2002, Squire Boy enregistre son premier album solo, Time Changes Everything. Bon, c’est déjà plus la même chose. Pour le dire autrement : c’est autre chose. On admire tellement Squire Boy qu’on ne peut pas dire du mal de ce premier album solo. Il fait du Dylanex avec «Transatlantic Near Death Experience». C’est exactement Queen Jane Approximately, avec les mêmes descentes de couplets, mais sans l’orgue Hammond. Squire Boy tartine fantastiquement. Pour le reste, il y va à l’insidieuse («Joe Louis»), il fait de la belle heavy pop avec un certain goût de revienzy («I Miss You»), mais c’est pas Liam, il chante à l’écrase-syllabe. Il est cependant meilleur que Ian Brown au chant. Il a même du cachet. Il sait challenger un cut (le morceau titre) et il pense toujours à ramener du big guitar slinging. Son «Welcome In The Valley» est excellent, bien tenu par la colle d’un chant à la ramasse. Il a d’excellents réflexes comportementaux. Il se laisse aller avec l’heavyness de «Strange Feeling». Globalement, c’est un album honnête, très sonnant, très trébuchant, mais sans idées. D’où ‘l’autre chose’.

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             Son deuxième album solo s’appelle Marshall’s House et sort deux ans plus tard. Il fait encore quelques étincelles sur «Summertime», il tente bien le coup en grattant une belle clairette, il barde bien la barcasse de barda. Squire Boy est un mec assez balèze. Il tartine son morceau titre à n’en plus finir, mais on en restera là. Il force trop sa voix. Il se prend pour Liam, mais il est loin du compte. Il tente le coup du power absolu, mais la voix n’y est pas. Trop affectée. Il se gratte la glotte. Dommage. Dès qu’il chante, il ruine tous ses efforts. Il finit en mode Big Atmospherix avec «Gas». Il se réconcilie avec le gros son. Bye ! Bye Baby ! Il se jette dans la balance, il envoie sa dégelée et ça devient l’hit de l’album. Squire Boy se noie dans son son. Aucun espoir de le sauver. «Gas» est un cut entreprenant, totalement remonté des bretelles.

             En 2016, les Stones Roses tenteront de se reformer en enregistrant deux singles, «All For One» et «Beautiful Thing» - It proved to be a mirage - Une dernière tournée, puis Squire Boy dit stop. Il ne s’entend plus très bien avec son vieux copain d’école Ian Brown. Il préfère se consacrer à sa peinture et à sa famille. Enough monkey business.

    Signé : Cazengler, John Square

    Liam Gallagher John Squire. Liam Gallagher John Squire. Warner Records 2024

    Stone Roses. The Stone Roses. Silvertone Records 1988

    Stone Roses. Second Coming. Geffen Records 1994

    The Seahorses. Do It Yourself. Geffen Records 1997

    John Squire. Time Changes Everything. North Country 2002

    John Squire. Marshall’s House. North Country 2004

    Ted Kessler : What the world is waiting for. Mojo # 365 - April 2024

     

     

    Inside the goldmine

     - Just like Honeycombs

             Tu ne pouvais imaginer Baby Honey qu’au lit. Et bien sûr dans tes bras. Elle symbolisait le paradis, comme on aimait à l’imaginer au sortir de l’adolescence. Franchement, le paradis c’était pas compliqué : il te suffisait d’avoir un grand lit, des draps de satin jaune et le corps nu de Baby Honey que tu pouvais butiner encore et encore. Tu poussais même le fantasme jusqu’à imaginer qu’elle aimait à se faire butiner, puisqu’elle en réclamait encore et encore. Tu l’entendais soupirer : «encore... encore...», et tu t’arrachais aux torpeurs d’un premier sommeil pour couvrir le centre de son corps des baisers le plus attentionnés. Le jour se fondait dans la nuit et la nuit dans le jour, le paradis avait gommé tous les aspects rugueux de la réalité, le premier étant de s’arracher à ses bras pour aller bosser. Tu ne quittais le paradis de satin jaune que pour aller au frigo préparer une bricole à grignoter, une salade de tomates et une tranche de jambon, ou servir l’un de ces Américanos à l’orange dont Baby Honey était tellement friande, puis quand le frigo était vide, tu te hâtais d’aller faire trois courses pour revenir te jeter dans ses bras. Le paradis semblait infini, tu voulais y vivre pour le restant de tes jours, et lorsque tu demandais à Baby Honey si elle voulait partager cet infini avec toi, elle plissait les yeux et murmurait «encore... encore...», en te prenant la main pour la poser à l’endroit le plus sensible de son corps. Les jours et les semaines passaient, sans que rien ne vînt troubler la paix du paradis de satin jaune. Il n’existait rien de plus sacré que de réveiller Baby Honey avec un baiser, elle ouvrait doucement les yeux et ses yeux semblaient rire. Elle rayonnait de mysticisme amoureux et tu t’abreuvais en elle. Toi qui n’étais pas croyant, tu finissais par trouver Dieu sympa, puisqu’il avait inventé, rien que pour ta pomme, le paradis sur la terre. À aucun moment, tu n’aurais imaginé que ce paradis allait se transformer en enfer. Il te faudra cinquante ans de recul pour comprendre que ce basculement des genres est d’une grande banalité.

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             Baby Honey n’a rien à voir avec Honey, la batteuse des Honeycombs. Baby Honey est blonde et Honey brune. Baby Honey hait le rock et Honey Lantree le jouait en 1964 de façon spectaculaire. Il ne fallait donc pas se tromper d’Honey. Autant Baby Honey était une mauvaise pioche, autant Honey Lantree est la bonne.

             Qui se souvient des Honeycombs ? Un groupe londonien des early sixties produit par Joe Meek ? Honey Lantree y battait le beurre, et l’excellent Alan Ward était l’un des premiers à claquer de killer solos flash en Angleterre. Mais quand on voit les clips sur YouTube, on est vite fasciné par cette batteuse paradisiaque qu’est Honey Lantree.

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             Le premier album sans titre des Honeycombs était très en avance sur son temps. Ce Pye de 1964 taillait bien la route. C’est Dennis D’Ell qui chante, et à propos du solo spatial d’Allan Ward sur «Once You Know», Meeky Meek parle de «brillant solo work».  Meeky Meek signe une partie des liners, au dos de la pochette. Bon, les compos sont parfois laborieuses, et c’est le son qui fait l’intérêt. La batteuse Honey chante sur «That’s The Way», et quand elle chante, elle donne du jus. Allan Ward prend encore un solo superbe dans «I Want To Be Free (Like A Bird In A Tree)» et ils bouclent leur balda avec leur big time hit, «Have I The Right». Full tilt de Meelky Meek ! Il a exactement la même intelligence du son que Totor. En B, on entend Honey battre sec et net «Nice While It Lasted». Il faut l’entendre relancer avec ses petits roulements pète-sec ! Grosse fête foraine dans «She’s Too Way Out». Space guitars & wild bassmatic, le pur génie productiviste de Meeky Meek est à l’œuvre et l’Honey bat ça si sec ! - Exceptional pretty and clever girl drummers are hard to find - Avec «Ain’t Necessary So», Meeky Meek fait sonner la guitare d’Allan Clark comme celle de Billy Harrison dans les Them. Pour 1964, The Honeycombs est un album extrêmement moderne. Bizarre que l’Angleterre ne s’en soit pas aperçue.

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             Le deuxième album des Honeycombs est fantastique. All Systems Go! sonne, aussitôt l’«I Can’t Stop». Ils ont du son. Et quel son, my son ! Solo de sax et solo de gratte demented, que veux-tu de plus ? Résonance exceptionnelle des basses, elles t’embooment l’oreille. Coup de génie pur avec le morceau titre, un wild ride transpercé en plein cœur par un wild killer solo flash, et visité dans les entrailles par cet ingé-son de génie qu’est Meeky Meek. Il sait faire claquer la charley ! Meeky Meek est le roi du killer solo flash. Allan Ward joue lead, mais c’est Meeky Meek qu’on entend. Ils tapent une belle reprise de l’«Ooee Train» du grand Bobby Darin, puis il refoncent dans le tas avec un «She Ain’t Coming Back» signé Meeky Meek. Tout est savamment meeké par Joe. On entre dans le territoire du génie productiviste, l’apanage de Totor, de Gary Usher et de quelques autres. Belle poussée d’exotica avec «Our Day Will Come». Meeky Meek fournit tout le boniment, c’est-à-dire le son. Ils enchaînent avec le «Nobody But Me» de Doc Pomus. Pure craze ! Encore une dégoulinade de kitsch avec «There’s Always Me» et retour à l’exotica avec «Love In Tokyo». Chaque fois, Meeky Meek crée les conditions du succès.  

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             Angel Air sort en 2016 l’album de la reformation des Honeycombs, 304 Holloway Road Revisited. Laisse tomber. C’est la reformation des vioques qui font du Buddy Holly sans Meeky Meek ni Honey, ce qui est un double anathème. Ça pue la reformation greedy, ces mecs-là feraient n’importe quoi pour palper un billet. Avec «Mary Jo», ils font du glam de vieux branleurs. Il n’y a rien de Meeky dans leur sauce. On se demande rapidement pourquoi on écoute cette daube de charognards. Avec «It’s Crazy But I Can’t Stop» et «That’s The Way», ils sont pathétiques et même atroces de putasserie. On en dégueule. Ils osent même retaper l’«Have I The Right». Comment osent-ils ? Pas de son, pas de Meeky, pas de rien.

    Signé : Cazengler, Honeycon

    Honeycombs. The Honeycombs. Pye Records 1964

    Honeycombs. All Systems Go! Pye Records 1965 

    Honeycombs. 304 Holloway Road Revisited. Angel Air Records 2016

     

     

    Luke la main froide

     - Part Six

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             Il se trouve que Freaks Out! Weirdos Misfits & Deviants - The Rise & Fall Of Righteous Rock’n’Roll est une mine d’or à ciel ouvert. Luke la main froide a la main lourde sur les recommandations. Alors on les suit.

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             Par exemple Cathal Coughlan. On rapatrie aussi sec son Song Of Co-Aklan, histoire de voir ce que ce Cathal a dans la culotte. Song Of Co-Aklan est son ultime album. Luke la main froide y gratte des poux. Dès le morceau titre, t’as une belle pop tendue à se rompre et un big beurre de Nick Allum. Luke s’y tape le bassmatic. C’est du Big Atmospherix. Le mot-clé de cet album est la dramaturgie. Cathal monte le Dog de «Passed-Out Dog» en neige. Pour lui, le Big Atmospherix doit voyager dans le ciel comme un gros nuage d’apocalypse. Tout est très dense, très sombre, plongé dans une sorte de malheur théâtral. Cathal donne trop de caractère à ses cuts. Ça ne peut pas prendre. Un album suffit pour se faire une idée. Il repart en belle pop d’allant martial avec «Let’s Flood The Fairyground». Cathal est un fier Coughlan, et le cut décolle à la seule force du chant. Mais il revient ensuite à ses travers. Il est trop dans le théâtre du rock. On se croirait chez Ariane Mouchkine. Il sauve l’album avec «The Knockout Artist», un cut qui ne se connaît pas de limites. Cathal se jette dans l’avenir. Un vrai gardon ! Il donne un peu le vertige. Ça devient magique ! Puis avec «Falling Out North Street», il préfigure Michael Head. Il fait une belle pop ambitieuse et là, t’adhères au parti. 

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             La main froide recommande aussi deux Flies, «London’s Flies and New York’s Flies». Elle qualifie ces groupes de «blink-and-you-miss-them-cos-they-barely-existed mythical bands in rock». Alors tu vas voir ça de plus près. Tu commences par le New York’s Flies. L’album s’appelle Get Wise. Fantastique énergie du Boston Sound 1984. «Put All That Behind Me Now» est bardé du plus beau barda, c’est même ravagé par des lèpres soniques. Ce power trio a un sens inné du power. T’as presque envie de serrer la pince de la main froide pour le remercier du tuyau. Tu trouves à la suite un «Endless Summer» sauvagement riffé et battu à la diable. Ils cultivent les dynamiques infernales, tu t’enfonces toujours plus loin dans la balda et soudain tu tombes sur une incroyable cover du «2000 Light Years From Home» des Stones. Magic Stuff ! En plein dans l’œil du cyclope ! I feel so very/ Lonely ! En B, ils se donnent des faux airs de Velvet dans «The Only One». C’est indéniable et fabuleusement inspiré. C’est monté sur les accords de Gloria. Le mec connaît la harangue ! Ils bouclent avec un «Everybody’s Trying To Be My Baby» encore très Velvet dans l’esprit, lourd, très lourd, chargé de sens, très All Tomorrows Parties, avec un chant harangue dylanesque. Quel brouet spectaculaire ! 

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             Tu serres la pince de la main froide pour le remercier, et tu passes aussitôt aux London’s Flies. Ça tombe bien, il existe une brave petite compile sur Acme : Complete Collection 1965-1968. Rapatriement immédiat. T’es pas déçu du casse-croûte, comme on dit sur les chantiers. Tu tombes dès l’ouverture de balda sur le fameux «(I’m Not Your) Stepping Stone» qui fit les beaux jours du Volume 1 de Chocolate Soup For Diabetics : heavy psyché psychotic, fantastique mélasse, sans doute la meilleure cover de ce vieux hit des Monkees et des Raiders. Les Flies ont bien failli connaître leur heure de gloire, puisqu’ils traînaient dans le bon circuit à la bonne époque. On les sent timorés dans «Turning Back The Pages», mais aussi dotés d’une volonté tentaculaire. Ils chantent «Gently As You Feel» à l’horizon clair, c’est pur et doux comme un agneau. Une vraie Beautiful Song. Puis ils tapent dans les Kinks avec «Tired Of Waiting For You», mais en sonnant comme les Byrds, alors tu commences vraiment à les prendre au sérieux. Car quelle vélocité ! On comprend que les Flies aient pu taper dans l’œil de la main froide. En B, tu retrouves avec «A Hymn With Love» cette petite pop innocente et douce comme un agneau. Bêêêêêêê. «Where» est encore un shoot de pop qui colle bien au papier. Leur where/ Where have you been flirte avec le génie. Puis ils passent au Dylanex avec le chant de nez pincé sur «There Ain’t No Woman», le mec fait du pur It ain’t me babe. On saluera pour finir cette pop de rang princier qu’est «Winter Afternoon. La main froide ne s’est pas fourré le doigt dans l’œil. Elle devrait écrire des bouquins plus souvent.

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             Parmi ses recommandations, on trouve aussi les mighty Electric Eels de Cleveland, l’archétype du groupe proto-punk. Vient de paraître un double album compilatoire, Spin Age Blasters. Tu peux y aller les yeux fermés, même s’il coûte un billet. Au dos de la pochette, tu vois les quatre Eels, et notamment Nick Knox, à la veille de son heure de gloire avec les Cramps. L’autre batteur des Eels n’est autre qu’Anton Fier, qu’on va retrouver sur un seul cut, «Spinach Blasters» et qui ira ensuite battre le beurre sur le premier album des Feelies. Les cuts rassemblés sur Spin Age Blasters datent de 1975, donc ils sont très en avance sur leur époque. C’est en tous les cas ce que révèle le «Splittery Splat» d’ouverture de balda : wild proto-demolition. Mais ils sonnent aussi très punk anglais. On se demande même parfois si les Buzzcocks n’ont pas écouté le premier single des Eels paru chez Rough Trade, mais après vérification, il apparaît qu’«Agitated/Cyclotron» est paru après Spiral Scratch, donc pas de problème. Pourtant la parenté est troublante. «Agitated» et «Cyclotron» sonnent exactement comme les cuts des early Buzzcocks. Pur ‘Chester punk ! Exactement la même énergie. D’autres influences flagrantes : celle des Dolls dans «Refregirator», et des Stooges dans «Cold Meat». Ils attaquent «Jaguar Ride» à la Johansen. On se croirait sur «Jet Boy». Et sur «Zoot Zoot», McMahon passe un solo d’accoutumance discursive totalement révolutionnaire. En C, tu vas tomber sur un cut atroce, «Silver Daggers», gratté à la cisaille et chanté sans pitié. En D, ils tapent une cover proto-punk du «Dead Man’s Curve» de Jan & Dean, mais en sonnant comme des punks anglais. Encore un shoot buzzcocky avec «Accident» et t’as à la suite cet «Anxiety» atrocement concassé dans l’idée et dans le son des grattes de Morton et de McMahon. Franchement, t’en reviens pas de tomber sur un groupe aussi en avance sur son époque. 

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             The Eyeball Of Hell fait un peu double emploi, mais cette fois tu l’écoutes au casque et t’en prends plein la vue, dès l’ohhh I’m so agitated d’«Agitated», suivi du Buzzcocky «Cyclotron».  Tu croises plus loin l’explosif «You’re So Full Of Shit», protozozo comme pas deux, avec McMahon qui chante comme un voyou. Tu retrouves aussi l’«Anxiety», McMahon chante mal, mais c’est ce qui le rend révolutionnaire. McMahon joue encore comme un atroce démon incisif sur «Silver Daggers» et le «Zoot Zoot» éclate de modernité. Cleveland était alors un vrai jackpot. Retour au simili-Buzzcocks d’«Accident» et «Refrigirator» sonne tout simplement comme l’enfer sur la terre. Avec «Bunnies», ils sont mille fois plus modernes que Pere Ubu. McMahon joue de la clarinette et injecte un shoot de free dans la scie du punk. «Spinach Blasters» vire jazz. Bifarx me sir ? «It’s Artistic» : même power underground que les Swell Maps. John Morton se dit fan de Dada-euro-trash. Les Eels étaient beaucoup trop en avance sur leur époque. Ils se sont brûlé les ailes.

    Signé : Cazengler, Lancelot du Luke

    Electric Eels. The Eyeball Of Hell. Scat Records 2001

    Electric Eels. Spin Age Blasters. Scat Records 2023

    The Flies. Complete Collection 1965-1968. Acme 2000

    The Flies. Get Wise. Homestead Records 1984

    Cathal Coughlan. Song Of Co-Aklan. Dimple Discs 2021

     

     

    *

    J’ai vu la couve, elle m’a plu, par son côté outrancièrement kitch, j’ai tout de suite eu envie que l’on me lise une histoire, personne ne s’est proposé alors c’est moi qui m’y colle, je vous avertis vous risquez d’avoir peur.

    STORYTELLER

    BLACKSTAFF

    (Numérique / Bandcamp / Sept 2024)

             Black, ok vous voyez le style, ce n’est pas la bibliothèque rose, pour le staff, à boire et à manger, le personnel est un peu maigre. Se réduit à une seule personne. Ou à toute une colonie. C’est selon. Expliquons-nous, il y a de plus en plus de gars, post-metal, post-stonner, post-death, post-tout-ce-que-vous-voulez qui concoctent tout seul, dans leur coin, leur petit opus. En règle générale je ne chronique point trop ce genre de solitaires, sont à mon goût davantage ‘’genre’’ que solitaire, en gros ce n’est pas souvent original et pas très particulier. Bref Blackstaff se résume à un unique individu : Dustin Cleary. Oui mais sur son bandcamp il vous colle en toute honnêteté une liste longue comme un jour sans pain, tous les individus qu’il a rencontrés et qui l’ont inspiré, encouragé, filé un coup de main, aidé à monter son projet. D’où le terme de colonie.

             Vient de Seattle, l’a l’air d’y avoir dans cette ville une bande de groupes un peu frappés de la cafetière, ce qui n’est pas pour me déplaire. Dustin a déjà sorti deux EP et trois titres cet été qui se retrouvent sur son album.

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             La couverture est d’Adam Burke un tour sur son instagram (night jarillustration) s’impose, l’ensemble est superbe, les esprits délicats risquent d’en ressortir effrayés, entre macabre, imaginaire médiéval et fantastique… Longue table de bois, le maître de noir vêtu, de loin il ressemble à un étron, est assis à la place du roi ou de Dieu, choisissez votre option. Devant lui est posé le grimoire sacré, le public l’écoute lire une histoire. L’assistance n’est pas au mieux de sa forme, des squelettes avachis, se tiennent droit sur leur chaise mais l’on sent que dès le lecteur aura tourné le dos, ils se laisseront – dans la série tu retourneras à la poussière - tombés par terre, soyons compréhensifs, ils sont fatigués de vivre. Le plus proche de nous nous jette un regard angoissé, nous pose la question existentielle essentielle, la mort ne finira donc jamais… Au fond de l’image l’espèce de vortex calamiteux n’incite pas à la joie. Pas plus que les arbres dépenaillés qui tendent leurs bras comme un appel au secours sans espoir.

    Seidr : en gallois ce mot signifie cidre : bruits indistincts, puis une note noire qui semble vouloir s’étendre jusqu’à la fin des temps, redondante elle rebondit pour se perpétuer, ambiance lugubre, vous avez envie de refermer le livre mais coup de théâtre de sombres effluves s’en échappent, vous êtes prisonnier, comme une bolée de cidre empoisonnée que rien ne vous empêchera de boire en une longue lampée interdite, vous point l’envie de lire l’histoire interdite.

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    Cloack of stars : nous illustrons ce morceau avec la couverture du deux titres Seidr+Cloack of stars qui doit être de Maxime Taccardi (voir plus loin). Cloack ne signifie pas cloaque (tellement death metal !), question guitare ça ne baisse pas d’un cran, noir, son épais violent plus la batterie qui claque de tous les côtés, oui mais il y a en summum, une voix sludge à vous arracher les ongles des pieds, Dustin était destiné à devenir clameur, il vaudrait mieux qu’il ne clame pas trop haut because les lyrics sont inquiétants, tout ce qui est beau, grand et grandiose, peut de par la primauté qu’on lui accorde et devenir comme un Dieu et vous asservir comme du bétail. Une histoire un peu triste quand on y pense, l’on comprend mieux la tonalité écrasante de cette musique qui ne vous laisse aucune espérance. Procession of ghouls : ne fantasmez pas, dans les nouvelles fantastiques, les goules sont généralement de belles et énigmatiques jolies filles ou femmes qui se donnent à vous sans chichiter, au matin vous vous apercevez que ce ne sont que d’infâmes créatures diaboliques qui ont abusé des désirs du héros, ici aussi mais c’est présenté sous son aspect métaphysique, le côté érotique de ces nuits torrides n’est pas évoqué, vous avez l’implacabilité phonique du son qui vous avertit que l’instant est grave, et puis le chant, une espèce de sludge asthmatique, qui vous enfonce les clous de la peur dans la moindre fibre de votre chair tétanisée d’horreur, c’est la mort qui avance vers vous et vous pénètre lentement pour vous faire souffrir encore davantage, pour que vous compreniez que la vie n’est pas un chemin qui conduit à la mort, au contraire c’est la mort qui est un chemin qui s’achève dans votre vie, la batterie sonne votre déroute mentale, maintenant vous savez, cela ne vous rend pas heureux, car au moment où vous savez vous êtes mort.

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    Swarm : le morceau précédent vous donnait l’épure, l’abstraction schématique, avec celui-ci nous rentrons dans les détails. Enfin ce sont les détails qui entrent vous, des millions d’insectes, vous les entendez voler en groupe, l’essaim vous a repéré et fonce sur vous, c’est horrible, c’est terrible, Dustin grogne comme le goret que l’on allonge dans l’auge pour lui prendre la vie, silence l’on murmure à votre chair, l’on vous apprend que votre lymphe est le miel du fruit mûr et elles les abeilles qui se posent sur vous plantent leurs dards pour s’enivrer de la substantifique moelle de votre sang, si vous comptiez que l’on vous expliquerait tout ce qu’il vous arrive avec la subtile musique des sphères, erreur fractale, non l’on vous fait comprendre à grosses pelletées de doom, elles vous assènent sans pitié et sans faillir des vérités mortuaires comme des implants nécrologiques que l’on vous enfonce à coups redoublés dans votre tête.  Maxime Taccardi est un saigneur de l’illustration death Metal, nous lui consacrerons une chronique à part entière, celle-ci semble s’inscrire par ses arabesques rouges dans ses œuvres réalisées avec son propre sang, la légende, grande raconteuse d’histoires affirme que certains se disputent ses originaux pour les lécher,  cette mort qui s’avance vers vous auréolée de ses spirales sanglantes, le lecteur sera sidéré tant elle épouse parfaitement les lyrics… Worm : une ode démantibulante au ver vainqueur, vocal visqueux, batterie-pioche et riffage foreur, il est en vous, il vous désosse, il emporte en lui-même tout ce dont vous n’avez plus besoin, je ne suis que cadavre, le background comme une pelleteuse sur une fosse commune, fin de charnier, le ver a éteint ma lumière, j’en étais fier, elle irriguait le monde, subsiste toutefois cette absence de moi que le ver glouton emporte en rampant dans son ventre. Spider : vous croyez que l’histoire s’est terminée, non il reste des addendas philosophiques, entrée majestueuse, batterie hachoir, guitare suaires de plomb, une dernière moquerie, les hommes vivants aiment la mort, le mal court parmi eux comme une araignée malfaisante, ils ne la voient pas, ils se prennent pour des héros que la gloire rendra immortels, les guerriers galopent, ils se lancent les uns sur les autres, l’aragne mortelle emporte leurs corps morts dans ses cavernes ombreuses, elle suce leur sang, ils survivent un certain temps empreint d’une glaçante léthargie létale, bientôt vidés de leur substance molle, ils ne sont plus que des trophées soyeux entassés sur la toile de la mort. C’était une petite leçon de nihilisme de ma mère la tarentule aux tulles tubéreux. Thrill of the hunt : bonus track, même la mort qui vous court après peut être sympa, issu de la session 23 de l’enregistrement de leur deuxième EP trois titres Godless : musicalement ne dépare en rien des titres précédents si ce n’est peut-être la guitare qui klaxonne comme une voiture derrière vous qui demande que vous passiez au vert, le vocal aussi davantage articulé, sinon encore une histoire impie, impitoyable, la mort court après vous, vous êtes le gibier, vous ne échapperiez pas même si vous vous terrez au fond de votre lit en espérant lui échapper.

             Agréablement surpris, se débrouille bien tout seul notre Dustin Cleary. Porte pourtant un patronyme qui ne lui convient pas. Pas clair du tout, sombre, très sombre.

    Damie Chad.

     

     

    *

    Comment faire beaucoup avec peu ? La recette nous est proposée par Seb le Bison et Tony Marlow. La gageure semble impossible : comment réaliser une vidéo sur un voyage en avion vers les cieux cléments d’une île méditerranéenne quand, c’est-là où le problème se corse, on n’a pas prévu un avion dans le casting ?

    LE GRAND VOYAGE

    TONY  MARLOW

    (Official Video / Bullit Records / Juin 2024)

    Oui ils ont un avion, on ne voit que lui, un superbe bimoteur à hélices, le genre de coucou que l’on a commencé à mettre au rebut dans les années cinquante. Non je ne suis pas un menteur. C’est vrai qu’il est sur l’image dès la deuxième seconde du clip, en surimpression graphique. Puis il disparaît. Le bruit du moteur s’estompe avantageusement remplacé par la guitare de Tony Marlow. D’ailleurs le voici le Marlou, marche à pied, comme tout le monde, heureusement qu’il porte son étui à guitare, sinon de loin on ne le reconnaîtrait pas, il arpente, silhouette grise dans un beau paysage, attention la vidéo n’est pas en couleur, on est surpris : pour un extrait de l’album Cryptogenèse, l’on s’attend à une phénixiale explosion de mille feux multicolores genre poster à la Jimmy Hendrix, mais non c’est tourné en noir et blanc, vu la beauté de l’image l’on a envie de dire en argentique.

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    Petit moment de réflexion nationaliste : c’est un beau pays la France, je ne parle pas des petites villes sinistrées par le chômage ni de ces grandes agglomérations défigurées par des constructions à bon marché mais de ses paysages. De cette campagne façonnée durant deux millénaires par la main de l’homme, de cette osmose réussie entre nature et ouvrages d’arts. Ici pas de fières structures édifiées en pierres de taille, juste  un pont étroit jeté sur  un canal bordé d’arbres, ou une modeste rivière aux eaux paresseuses quasiment immobiles, que longe Tony sur un simple chemin de terre, le voici maintenant en pleine campagne sur cette longue voie vicinale déserte.

    Depuis son avion, ce sont les paroles qui l’affirment, il aperçoit des voitures minuscules, cette fois l’image est davantage surréaliste, objet insolite planté dans l’agreste décor un tabouret de bar solitaire, surgi de nulle part, hors-sol pourrait-on dire même si ses pieds reposent sur la terre, esseulé le trône à pastis semble attendre qu’un passant veuille bien faire cas de lui. Tony ne se refuse pas à l’appel de ce siège, si les objets inanimés ont une âme lamartinienne, peut-être se sent-elle cette chaise curule désertée comme un chien abandonné et éprouve-t-il l’intense ferveur nostalgiques des apéros de comptoir… Voici Tony, étui ouvert, guitare sur le giron, acoustique bien sûr, aucun pylône électrique dans les parages où se brancher, il gratte et il tourne sur lui-même, de fait c’est l’image qui tourbillonne, presque un miracle, la statue de Marlow semble mue dans un étrange tourbillon, dans le ciel tout là-haut, un éclair de soleil jaune salue ce miracle.

    Du coup l’on retrouve Tony en ville, il déambule sur une piste cyclable, voudrait-il, lui le rocker, lui le biker, nous faire accroire que c’est ainsi que l’on vit dangereusement, en tout cas la ville déserte s’anime, Marlow marche prudemment comme sur des œufs sur un large trottoir, mon dieu toi qui n’existes pas, que se passe-t-il, aurions-nous trop insisté lors de l’apéritif, le Marlou se dirige vers nous mais les voitures filent à reculons, Marlow sourit,  un rocker en perfecto, se porte à sa hauteur, hélas lui aussi est pris de cette bizarre dérive reculatoire et il disparaît dans les limbes de la pellicule, l’est aussitôt suivi d’un deuxième individu qui, encore un, est happé en arrière par cet étrange vortex inexplicable… tiens une jolie fille, va-t-elle être aussi accaparée par cet extraordinaire phénomène, non le pouvoir sensoriel de Marlow la garde à ses côtés, mais au plan suivant elle n’est plus là, les habitants de cette cité sont tout de même touchés par cette étrange maladie de la vache folle ou de la brebis galeuse, pour échapper à cette étrange épidémie contaminatoire l’on ferme les yeux et l’on en profite pour apprécier le long solo de guitare de la bande-son, tiens tout ( enfin presque) rentre dans l’ordre. En voici deux qui sont guéris, d’ailleurs ils s’enfilent dans la salvatrice porte  d’un café ils ont sûrement besoin d’un remontant, le Marlou les imite, l’a beaucoup arpenté, l’a besoin de reprendre quelque force, surprise, couleurs, nous voici bien au chaud à l’intérieur de L’Armony, bar émérite de Montreuil cité rock, sont attablés autour d’une table,

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    tous les quatre, on les reconnaît, Amine Leroy gratouille sa big mama, Jacques Chard caresse sa caisse claire, Tony est plus intéressé par le poster géant de Marilyn que par sa guitare, ils ne font même pas semblant de jouer en playback, mais l’on s’en moque, on se repose de notre grand voyage en contemplant la dégaine incomparable d’Alicia Fiorucci que comme par hasard Seb le Bison, le producteur avisé, a placée au premier plan.

    Damie Chad.

     

     

    *

             Les mésoPOPtamiens disaient qu’il suffisait de traverser l’EuphKRAFTe pour être heureux, si l’on en croit Xénophon qui en des temps antiques mena l’épopée des Dix Mille en ces lieux hostiles, l’aventure peut s’avérer périlleuse, aussi vais-je vous mener dans une contrée plus douce à laquelle vous accèderez en quelques clics.

    POP POPKRAFT (FB)

    HISTOIRE DU ROCK GARAGE

    (Voir aussi Art Pop CreationFB)

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             J’y suis tombé dessus par hasard, un pantin de bois qui s’agitait, j’ai failli ne pas m’arrêter, les gamins qui rêvent de Pinocchio, très peu pour moi, feraient mieux de relire le Timée de  Platon, oui mais il y avait un truc rond au fond de l’image qui tournait, toutefois dans mon cerveau élémentaire, la traduction s’est faite, un truc rond qui tourne, avec un peu de chance c’est un tourne-disque. Je ne m’étais pas trompé, j’ai aperçu l’icône du haut-parleur barrée, j’ai mis le son, mais ce n’est pas mauvais, ne serait-ce pas du rock, bingo, j’avais gagné ! Deuxième surprise en descendant légèrement le fil, le même ostrogoth dans son tricot gris glissait une rondelle vinylique sur son appareil, encore du rock, et du bon, cela méritait écoute et attention.

             Mea culpa, je ne l’ai pas fait exprès, je ne recommencerai pas si je mens que Belzebuth me butte et me catapulte en Enfers ! Je rassure tous les écologistes, non l’Opérateur, ou plutôt le rockpérateur, n’a pas bousillé un séquoia ou déraciné un baobab pour sa figurine qui doit faire cinq centimètres, elle n’est pas en bois, l’a confectionné avec de la pâte à papier et du carton. Ainsi que tout le décor, un salon avec fauteuils et canapés, les meubles et tous les petits détails qui vous rendent un lieu particulièrement agréable, les murs recouverts d’affiches de concerts, ou par exemple le cendrier, en plus dans certains épisodes il est rempli de cadavres alanguis de cigarettes, tristes et déplorables exemples d’incitation à la débauche, vous savez avec les amateurs de rock il faut s’attendre non pas à tout mais au pire, prions pour la santé mentale des mineurs qui visionneraient les épisodes.

             Car oui, nous sommes sur le FB d’un obsessionnel du rock’n’roll, à chaque jour ne suffit pas sa peine, quotidie, dixit Caesar, il rajoute un nouveau chapitre à cette saga. Le principe est simple, un groupe, un titre, quelques explications. Nous n’avons pas affaire à ces insupportables animateurs de radio qui parlent sur les titres, n’ouvre pas la bouche, s’exprime par bulles comme les poissons-rouges ou les bandes dessinées. Entre nous soit dit, cela doit lui prendre un temps fou et demander un esprit minutieux. Un aspect de La Pop Culture que j’ignorais qui aurait enchanté l’amie Patou qui aujourd’hui n’est plus là, doit se balader sur l’autre rive accompagnée de ses chats…

             Allez-y voir sans problème, attention c’est terriblement addictif, à ce jour d’aujourd’hui (9 septembre) il vient de poster sa soixante-huitième livraison, pour vous mettre l’eau à la bouche j’ai relevé l’intégralité, si je n’en ai pas oublié, des artistes passés en revue, je n’ai pas mis le titre précis, à vous d’aller le découvrir : Sonics, Saints, Ramones, Cynics,Richard Hell and the Voidvoid, Dream Syndicate, 13 Th Floor Elevator, Plan 9, Seeds, Joy Division, Thee The Sees, Hoodoo Gurus, Dogs, Mono Men, Fuzztones, Velvet Underground,  The Senders, Wilco, Doors, Love Screaming Trees, Eels, Link Wray,  The Nomads, DMZ, The Animals, Tom Petty, Bob Dylan, White Stripes, Tim Buckley, Willie Dixon, X, The Music Machine,  Roy Orbison, Ty Segall, The Chocolate Watchband, Johnny Kids and the Pirates, Ike & Tina Turner, Motör Head,  Beatles, Vince Taylor and his Play-Boys, Psistepinkko, Walkabouts, John Spencer Blues Explosion, Smashing Pumpkins, Them, Wire, Elvis Presley, Modern Lovers, Thugs, Screaming Trees, Nick Drake, Woven Hand, Echo and the Bunnymen, The real Kids, Small Faces, The Celibates Riffles, Buzzcocks, creation, The Litter, Creation, Television Eddie Cochran… ils ne sont pas dans l’ordre, il y en a un dans ma liste manuscrite que je n’ai pas réussi à relire !

             Originalement rock !

    Damie Chad.

    1. S.: pour ceux qui veulent tout savoir, vous avez de temps des tutos dans lesquels vous sont livrés les secrets de fabrication.

     

    *

             Au début de ce mois nous présentions le premier titre du nouvel EP de Two Runner, vient de paraître le second extrait qui donne son nom à l’opus.

    LATE DINNER

    TWO RUNNER

    (Official Music Video de Nick Futch / 13 - 09 – 2024)

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             Un jeu stupide : regarder une Music Video sans mettre le son. Rien de surprenant : une fille qui rentre à la nuit tombée, une qui l’attendait en lisant. Tout de suite Paige et Emilie sur le divan en train de jouer, par intermittences ensuite, car Paige prépare un repas, végétal et sans surprise, des espèces de tartines au fromage qui seront posées sur la table auprès d’assiettes remplies d’une sauce brunâtre, heureusement que l’on entrevoit un plat de ce qui doivent être des biscuits pour le dessert, je ne voudrais pas la ramener avec ma petite et prestigieuse science nationale culinaire de petit froggie mais ce repas vraisemblablement végétarien ne m’ouvre pas l’appétit, d’ailleurs si elles ont allumé des bougies elles restent chacune à leur tour prostrées devant  leur assiettes pensives sans toucher à la nourriture, l’on sent le dépit,  un petit mot d’amour est déchiré, brûlé, réduit en cendres, mais tout change elles sautent de joie et tout à leur entrain elles s’en vont danser sur le perron de la maison.

             Si vous n’êtes pas tout à fait crétinoïde vous avez compris la morale de cette histoire : un seul être vous manque et cela ne vous empêchera pas de faire la fête et de continuer à vivre.

             Nous sommes désormais prêts pour écouter la chanson :

    Paige Anderson : vocals, guitar, banjo, composition  / Emilie Rose : vocals, fiddle/ Ben Eaton : upright bass.

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    Ben Eaton, d’un bout à l’autre fournit le bruit de fond, il suit le rythme de si près comme le chien qui marche dans l’ombre du maître, il le fortifie lorsque la cadence s’accélère il devient alors tourbillon de feuilles mortes que le vent de l’automne emporte et laisse tomber inanimées sur le sol, Emilie ferme souvent les yeux, son violon tour à tour agonise et festonne la mélancolie des jours passés et à venir, tous identiques, qui se suivent et ne se ressemblent pas, la voix de Paige bouscule la donne, de l’écheveau de l’évidence des rêves et du vécu elle tisse un drame antique, elle métamorphose une comédie amère en fusion destinale, l’on ne sait plus s’il faut en rire ou en pleurer, il existe une telle différence entre les routes de la réalité vivante et la voie du songe absolu que notre esprit n’arrête pas de poursuivre sans fin. Ne sommes-nous pas, les deux à la fois, Ulysse luttant contre les vents contraires et la longue patience de Pénélope tirant les fils des songes infinis. Tout cela Paige l’écrit avec des mots simples qui n’en finissent de créer de subtiles résonnances en l’âme des choses qui ne sont plus et de celles qui subsistent, en un autre plan ontologique.

    Vous reprendrez bien un morceau de gâteau, farine de tristesse, sucre des jours heureux et cerise à l’eau de mort…

    Superbe composition.

    kid congo,roxy music,john squire,honeycombs,luke haines,blackstaff,tony marlow,pop popkraft,two runner

     

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 656 : KR'TNT ! 656 : JAKE CALYPSO - HONKABILLIES / CRISPIN GRAY / BOBBY HEBB / YOUNG RASCALS / ESTIVALERIES / TENEBROUS / OTHER WORLD / DRUID STONE / ERIC CALASSOU

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 656

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    12 / 09 / 2024

     

     JAKE CALYPSO - HONKABILLIES

    CRISPIN GRAY / BOBBY HEBB

    YOUNG RASCALS / ESTIVALERIES 

     TENEBROUS / OTHER WORLD 

    DRUID STONE / ERIC CALASSOU

     

     

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    Estivaleries 2024

    (Jake, Honka, Tin et les autres)

    - Part Four

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             Le Rétro sera toujours le Rétro : bon enfant, pas de parano aux entrées, la petite ville chargée d’histoire digère tranquillement sa foule, et puis t’as ce bal des looks qui finit par donner le tournis. Si par malheur le soleil brille le dimanche, le Rétro paye la rançon de sa gloire : les artères principales s’embouteillent. Te voilà pris dans la glu des corps. Hooked in the lookés.

             Pas facile de revenir au Rétro sans Lorenzo. La dernière fois, ça devait être en 2019, avant le bullshit de Pandemic. On passait plus de temps chez les disquaires qu’au pied des scènes. Lorenzo avait soigneusement épluché le programme et il savait trier le bon grain de l’ivraie. Ce qui nous permettait de flasher à bon escient. La prog du Rétro est en général très fournie et très diversifiée. On passe du rockab professoral au rockab sauvage, du western swing au honky-tonk. Pour les touristes, il y a même du big-bandisme sur la grande scène. Il vaut mieux savoir qui joue quoi à l’avance, car sinon les oreilles s’usent et tu risques l’overdose. 

             Cette année pas de Don Cavalli ni d’Hot Chickens ni de Barny, pas de Wise Guyz ni de gangs de Chicanos signés sur Wild, pas de Big Sandy ni de Playboys. C’est autre chose. Pas de tête d’affiche. Juste un mec qui fait du Cash et si t’aimes pas trop le Cash, tu vas voir ailleurs.

             Comme t’as aucune info concernant les groupes sur le programme en ligne, tu fais ce que tout le monde fait : tu vas sur ce tue-l’amour qu’est YouTube pour voir à quoi ressemblent tous ces illustres inconnus au bataillon. En matière de tue-l’amour, on ne peut pas faire mieux que YouTube. Un, c’est gratuit, dont ça tue l’amour dans l’œuf, deux, ça t’aplatit l’image comme une crêpe, et trois ça te détruit le son. Comme ça au moins, t’a une parfaite anti-idée de ce que ça peut donner dans la réalité. Donc, va pour l’anti-idée. Sur tout le tas de groupes YouTubés, t’en vois que deux qui vont théoriquement te flatter les muqueuses : Honkabillies et Tinstars. Honkabillies parce que big voice, et Tinstars parce que le mec qui a sa mèche dans l’œil chante comme Charlie Feathers, même s’il est YouTubé. Il retourne le tue-l’amour comme une crêpe. Tu sens le sauvage derrière le petit rectangle d’image et le son pourri d’ordi. Et chaque fois que tu approches ce maudit tue-l’amour, tu te demandes comment font les gens pour écouter de la «musique» sous cette forme. 

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             Bingo ! Honkabillies ! Scène préférée : celle du 73ème. Le mec au chapeau s’appelle Franckie Reidel, on sent la bonne bouteille, il gratte sa gratte et pose sa voix, alors roule ma poule car derrière bat la plus steady des moissonneuses batteuses, en tresses et chapeau de la police montée, wow, comme elle est steady, bien sur le beat, juste la caisse claire et rien de plus, beat primitif, un beat qui remonte au temps des origines du rockab, avant que Sam Phillips n’accepte l’idée d’un bat-le-beurre dans son studio. Elle s’appelle Claire et bat tout droit, avec un sang-froid fascinant.

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    Les Honka sont en plein dans le vrai, dès les premières mesures, et puis t’as l’étalon sauvage, le petit gros sur la gratte, effarant d’éclairs, affolant d’à-propos, il en découd, il n’en démord pas, il claque des strikes de rockab primitif, il drone comme une loco devenue folle, il zazie dans son métro, il traverse les cuts sans prévenir, il rafle toutes les mises une par une, claque des beignets faramineux, franchement, t’en reviens pas de voir un wild rockab aussi fringuant, aussi parfait, aussi inventif, il te claque les rush dont t’as toujours rêvé depuis le temps de Paul Burlinson et de Galloping Cliff Gallup, ce mec est l’un plus beaux gunslingers rockab de tous les temps, il te Gévaudanise le genre, il te déboppe le blues pour le rebopper de plus belle, il est le Moloch des temps modernes, chaque note te percute l’occiput, t’en peux plus de le voir rouler le beat dans sa farine.

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    Les Honka tapent des histoires de Freight Train et de Drinkin’ en mode roule-ma-pool, et tu reviens toujours à Moloch, il navigue au même niveau que Chris Bird, le surdoué des Wise Guyz. En plein cœur de set, Franckie Reidel annonce que Moloch est son fils. Ils jouent une heure sans un seul temps mort. C’est dire leur niveau. En fin de set, tu chopes Moloch :

             — Where you flom ?

             — London !

             Tu gaspes ! Et t’es pas au bout de tes surprises. T’apprends que la steady batteuse géniale est la fiancée de Moloch. Vite un coup de merch. Un seul single ! Tu le chopes et devinez quoi, les gars ? Les Honka sont sur Wild !

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             L’A-side s’appelle «Drinkin’ Hidin’ Runnin’» : vite fait bien fait, slappé sec et net, ces mecs ont le diable rockab au corps. Moloch rôde juste derrière le chant, insatiable, féroce, précis et invariablement demented. Are go ! En B-side, «Doin’ Time» est nettement plus rampant. Un vrai crawling king snake !

             Après, c’est très compliqué. Tu sais que tu ne verras plus de groupes de ce niveau. Tu tentes le coup avec Black Raven, des Teds allemands. Ils font le show, pas de problème. Pas de slap. Pas de surprise. Le chanteur a du métier. Il gratte ses poux sur une Gretsch et son trio tient bien la route. Quelques covers dont un «Fought The Law» qui rappelle des mauvais souvenirs, et un bel hommage à Chucky Chuckah avec un coup de «Carol», mais bon, ton cœur n’y est pas. Tu te demandes ce que tu fous là. Tu attends le lendemain. T’as rendez-vous avec les Tinstars à 13 h. 

             Le lendemain, tu arrives sur la petite place un peu en avance et tu tombes sur le stand de Jake Calypso. Il est là en chair et en os, alors le Rétro reprend tout son sens. Toujours cette incroyable énergie, et puis cette productivité ! La table de merch est pleine de choses que tu ne connais pas. La dernière fois, en 2019, t’avais fait la razzia, mais là c’est encore pire ! D’où ça sort tout ça ? Alors Jake t’explique. Ça, c’est le tout dernier. The Roots & The Fruits.

             — Tu te souviens ? Willie Dixon !

             Oui, tout à coup, ça te revient. Big Dix : «The Blues are the roots, the Rest are the fruits.» Big Dix te met un S à Fruits. Il a tous les droits. Jake a bien mis l’S à Fruits. Avec lui, tout est enraciné dans le vrai, d’où tout ce talent, d’où tout ce niveau. S’il faut causer avec une seule personne au Rétro, c’est avec lui. Ça paraît con à dire comme ça, mais sur la table, t’as ce qu’on appelle une œuvre, et juste à côté de toi, t’as l’auteur. Tu vis ça comme un privilège. En plus, l’auteur est modeste. Zéro frime. Il a su conserver son enthousiasme de jeune Chicken à l’état pur. Ça fait tout de même quarante ans, depuis le temps des Corals, qu’il tourne et qu’il enregistre. Une bonne trentaine d’albums. Une œuvre. Rockab, blues, country, boogie, boogaloo, downhome, bluegrass, tributes, il sait tout faire. Jake est l’un des auteurs qui peut se permettre d’être si prolifique. En France, t’en as que deux : Jake et Tony Marlow.

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             Et hop, il t’explique toute l’histoire de The Roots & The Fruits, enregistré en deux temps. Premier temps au Sun Studio de Memphis en avril dernier, avec le légendaire Willie Too Big Hall au beurre + Ben B Driver au slap et Pat Péry à l’harp. Ils tapent cinq cuts endiablés et ça danse la gigue du diable dès «The Only Thing To Do Is To Play Boogie». Franchement digne de l’Hill Country Love de Cedric Burnside. Battu sec et net par Willie le crack, l’ancien batteur d’Isaac le prophète. On n’entend que lui, et ça continue avec «My Screamin’ Baby» et l’infernal «Royal Crown Hair Dressing». Jake en profite, il a derrière lui un Staxman de poids, c’est incroyable comme il fouette bien la peau des fûts. La deuxième partie est enregistrée dans un studio d’Annequin, le 1er mai dernier. Le son est nettement plus rockab, bien claqué au slap de Ben D. Driver. Deux autres coups de génie : «Let’s Rock Tony Rock», avec un Pat Péray qui gratte un gras double sur-saturé, et «Welcome To Cozy Dog», classique mais brillant, illuminé par l’éclat d’un solo de solace. Jake et ses deux amis montrent qu’ils possèdent un sens inné du swing avec «Tiptonville Boy», et en prime, il yodelle. C’est terrific d’éclat mirifique, et Pat Péray t’éclate ça au Sénégal vite fait bien fait. Retour au wild rockab de wild cats avec «Dancin’ With The Cockroaches» et bien sûr on pense au vieux «Cockroach» de Charlie Feathers. Mais ici, ça swingue dans les tréfonds de la couenne du lard.

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             Puis Jake fait diversion en t’expliquant qu’il est en train de redécouvrir tout Stax. Eh oui, le son ! Sur l’immense table de merch, t’aperçois un CD du Jake Calypso Trio. Oh Yeah!. C’est nouveau ? Oui, ça vient de sortir. Un quatre titres. Ils rigolent tous les trois sur la pochette. L’«Oh Yeah» d’Oh Yeah va t’envoyer au tapis, ça tu ne le sais pas encore. Pur jus de wild boogie blast. T’en reviens pas de cette qualité du blast. Et t’as «Please Come Back Another Day», une fantastique ode à cette vieille bombe qu’est «High Heel Sneakers». Béthune bop, baby, Jake lui demande juste de revenir un autre jour. Oh Yeah.

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             Oh et puis ça ! Rare Jake ! Deux volumes ? Oui deux volumes ! Alors oui, ce sont des démos et des inédits. Tu te sens couler un grand filet de bave. Les deux pour quinze ? Allez hop ! En fait, l’idée de ces deux compiles est géniale car elles te permettent de survoler l’œuvre toute entière. Sur Rare Jake. 1983-2023 Volume 1, tu retrouves par exemple l’hallucinant «Black Betty» de Majaradjah Pee Wee Jones, sans doute le side project le plus fascinant de Jake - Black Betty/ Bal-ba-lam - Wild & primitive. En plein dans Beefheart. Power absolu. Encore du primitif avec «My Baby Rocks», c’est du Jake Calypso on fire, il sait tout faire. Wild-Catism toujours avec «Babe Babe Baby», wild rockab bardé d’overdub et d’écho à la Sam Phillips. Magnifique objet d’art rockab. Wild-Catism encore avec le «Long Black Boots» des Hot Chickens. Rough mix. Real deal. Tu te goinfres de toutes ces merveilles. Attends, c’est pas fini. Voilà de Wild Boogie Combo avec «Hard Love Ways», cut de répète assez primitif, chauffé à coups d’harp. Criant de véracité. Et t’as ce take 1 at Sun du Memphis Blues Cream, «Love My Baby». Jake recrée le spirit Sun original. Donc forcément, tu vas aller foncer sur l’album de Memphis Blues Cream. Et il faut l’entendre chanter «She’s My Liza Liz» avec les Hot Chickens ! Ça bascule dans la folie. Et t’as encore ce «Black Moon» de répète qui s’emballe merveilleusement. Retour du Wild Boogie Combo avec «Mr Ruine B Boogie», un instro chauffé à coups d’harp et complètement fracassé du beat.

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             Le Rare Jake. 1983-2023 Volume 2 est du même niveau. D’une extraordinaire densité, avec une qualité de diversité qui te laisse rêveur. T’as vraiment très peu des gens qui savent naviguer à un tel niveau, avec une telle diversité. Jake est capable de faire du Charlie Feathers sans le singer. Non, il l’intègre dans son swagger, comme le montre «When The Pretty Girl Bop». Le voilà au cœur du mythe rockab. Pureté absolue de l’intention. Tu retrouves aussi sur ce Volume 2 l’infernal Maharadjah Pee Wee Jones avec «Ulan Bator», une vrai bombe, Jake l’emmène sous le boisseau thibétain pour une virée instro mystique. On n’avait encore jamais vu ça. Jake voit son Maharadjah comme un laboratoire : il explore les frontières de la science rockab et te propose ses découvertes. Il tape dans l’Americana avec les Nut Jumpers et «Big Fat Mama». C’est très primitif et ça sent bon le bord du fleuve. Tu entends bien la mécanique de la folie pure du Wild-Catism. Retour du Wild Boogie Combo, sans doute son projet le plus audacieux avec Maharadjah Pee Wee Jones : «Jungle Rock» est un inédit sacrément lourd de sens. Jake l’attaque en mode Surfin’ Bird - Jung-ah/ Jung-ah/ Jung-ah/ Jungle rock - Il frise de Lux intérieur. Coup de génie encore avec «Who Knocks On My Door». Il fait vibrer sa Door à coups de glotte et bétonne au heavy slap. Rough mix. T’en reviens pas. Il reste fabuleusement présent dans le pulsatif rockab. T’as aussi deux blasters des Hot Chickens, une cover de «Lucille» (il sait faire Little Richard sans s’arracher les ovaires) et «Rockin’ Soldier», démo vive et sans pitié. Fast & raw. Et puis il faut le voir se ballader dans le gros balladif de classe internationale, avec «I Will Be Home Again». Il sait tout faire, même du Charlie Rich. Encore du rentre-dedans de génie avec «Mellow Down Easy» - Jump jump everywhere - Il duette avec Gerry Lynch. Et on se dirige vers la sortie avec un inédit des Mystery train, «I Like To Rock I Like To Bop». C’est explosif, noyé d’écho et de bop. Il pousse très loin le vieux bouchon du bop, il swingue ses syllabes avec le génie vocal de Charlie Feathers, avec en plus derrière un bop de la menace qui balaye toute concurrence.

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             Retour à la table du merch. Tu louches encore sur un 45 tours 4 titres en hommage à Elvis. Comme tu sais que Jake est le king absolu des tributes (Little Richard, Gene Vincent, Buddy Holly et Johnny Burnette), alors tu mets le grappin sur l’Elvis vite fait : un EP quatre titres qui date du temps où il jouait avec Mystery Train. C’est lui que tu écoutes en premier une fois rentré au bercail. Trois coups de génie sur quat’ cuts, qui dit mieux ? Belle dégelée de boogaloo bop dès «Rockin’ Elvis», Jake te rocke le boat vite fait. Fantastique posé de voix. Il roule le mythe dans la farine de babe babe babbbbbbbbbbnn, il tape aussi le «Baby Left Me» dans son medley. S’ensuit le train a-rollin’ de «Mystery Train». Fantastique allure ! En B, ils prend son «Strollin’ Elvis» au relax Max, au swing de songalong. Memphis Beat pour Jake le crack. La classe du cat ! Il va chercher des pointes de chant infiniment crédibles. Et il termine en mode Well I heard the news pour «Good Rocking Tonight», avec une fantastique bravado d’excelsior. Il est dessus, comme l’aigle sur la belette.

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    Encore un visuel que tu ne connais pas. Jake barbu coiffé d’une casquette, agenouillé près de la tombe de Charley Patton, à Holly Ridge : Blues Never Lies. Un 45 tours ? Non, c’est un CD 14 titres inséré dans une pochette de 45 tours. «Oh attends, il faut que je trouve les deux inserts !» Il va derrière et revient avec la fameuse box à tirage très limité dont m’avait parlé Damie. Elle est épuisée, il en reste une, et Jake en sort le Blues Never Lies pour me filer les deux inserts. Puis un autre cadeau : la fameuse clé USB avec les dix émissions de radio et une foule d’autres bricoles. Tu baves comme une huître.

             Tu vas tomber de ta chaise en écoutant Blues Never Lies l’un des albums les plus primitifs de tous les temps. Jake bat James Son Thomas et Mississippi Joe Callicott à la course. Il attaque au pur rootsy rootsah avec «A Cotton Field Day» et t’arrose ça de coups d’harp. L’inspiration lui est venue en voyant un champ de coton dans le petit village où est né Little Junior Parker - It was in Bobo’s not far from Clarksdale - Avec «The Dark Side», il tape dans le real deal du primitif - Avalon is the city where Mississippi John Hurt was born, lived and died - Jake est en pèlerinage. Chaque cut est lié à un endroit précis et chargé d’histoire (du blues). Tous les cuts sont comme visités par la grâce et fabuleusement crédibles. «Aberdeen Tupelo» fait bien sûr référence à Elvis. Avec «Neighbors», il réinvente la démesure du blues. Pur genius de downhome mal barré. C’est le blues rampant dans toute sa pureté originelle. Jake atteint le niveau qu’avait atteint John Hammond à une époque et le dépasse. Il l’outrepasse. Il navigue au même niveau que Captain Beefheart. Il tape son «Bad Morning Blues» à la Son House, en tapant du pied, a bad day after a bad night. Il enregistre «Cause I Feel So Bad» dans un silo à la sortie de West Point - West Point was the town of Howlin’ Wolf - Et là il se met à chanter en surchauffe comme Hasil Adkins, il est fou à lier, il fait planer un drone épouvantable au fond du cut et chante à la glotte fracassée. C’est sidérant de modernité ! Il attache son «Prairie Blues» demented de primitivisme à Tutwiller où est enterré Sonny Boy Williamson. Il enregistre «Tell The Truth» en grattant une guitare à deux cordes. Dans sa façon de se brancher, il y a tout le punk black. Tell The Truth sonne comme du heavy punk blues de proto. Là t’a tout : le proto, le punk et le blues. Il enregistre «Po Monkey» à Vance, Mississippi, pur proto-punk blues, encore plus proto que celui de James Son Thomas. Jake ajoute que John Lee Hooker est né à Vance. Et avec «50 Miles Blues», il est encore plus primitif que les blacks des shacks.

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             Sur la table du merch, un autre CD te fait de l’œil : The Corals - The Complete Recordings. C’est son premier groupe, monté dans les années 80, et qui sonne comme les Shadows. T’as 31 instros sur le CD, et tu te régales de cette énergie et du talent de Pierre Picque, le lead. Les Corals sont ces cracks des poux, les thèmes de Picque sont des modèles du genre. Quelle énergie ! Tu rentres bien dans leur jeu, tout est taillé au cordeau, «King Of Strings» est monté sur un violent riff de basse, ils montent au big time avec «Spring Time Rock», une vraie merveille, tu entends des clameurs surréalistes de fête foraine dans «Spanish Guitar». L’as de Picque est beaucoup trop doué pour un groupe aussi inconnu. On sent bien qu’il se passionne pour Hank Marvin. Mais les Corals ont un truc en plus, une énergie particulière. Ils ramènent un peu de disto dans «Coral Power» et se payent même un fantastique blaster avec «Crazy House Bop». Ils ont une incroyable tenue de route. C’est un bonheur que de les écouter. Tu ne t’en lasses pas. À bon entendeur...

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             Voici venue l’heure du rendez-vous avec Tinstars. Le mec à la mèche YouTubique s’appelle Rick De Bruijn et la petite brune qui gratte ses coups d’acou à côté s’appelle Lil’ Esther. Tout  ça, tu l’apprends après coup. Bon sur scène, ça reste du set classique de plein air un dimanche d’août. Tu ne verras personne se rouler par terre avec sa gratte. On n’est plus au temps de Carl & The Rhythm All Stars.

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    Depuis le temps de la mèche dans l’œil, le cat Rick semble s’être calmé. La voix est toujours là et le choix de covers reste d’un très bon niveau, il annonce par exemple un cut de Bob Luman tiré de Carnival Rock, le movie du même nom. Mais il n’y a pas grand monde, devant la scène. Les gens mangent. Tu aimerais bien que ça explose, mais ça ne va pas exploser. Avec son grand pantalon, le cat Rick conserve des vieux réflexes de wild cat, mais il décide de rester dans les clous d’un dimanche au mois d’août et le set ronronne. Big voice, mais zéro sauvagerie. Ça tombe bien car tu commences à sentir monter les affres de l’overdose. Lil’ Esther a quatre albums au compteur, mais t’y vas pas. Elle est d’obédience country. Beau sourire, mais trop country. Patacam patacam. Tu préfères rester du côté de chez Sawnn, c’est-à-dire du côté de Jake et des Honka. The real deal. 

    Signé : Cazengler, estivalie de la société

    Honkabillies. Béthune Rétro. Béthune (62). 24 & 25 août 2024

    Honkabillies. Drinkin’ Hidin’ Rinnin’/Doin’ Time. Wild Records 2021

    Tinstars. Béthune Rétro. Béthune (62). 24 & 25 août 2024

    Lonely Jake. Blues Never Lies. Around The Shack Records 2016

    Jake Calypso Trio. Oh Yeah!. Around The Shack Records 2023

    Jake Calypso. The Roots & The Fruits. Rock Paradise Records 2024

    Jake Calypso. Rare Jake. 1983-2023 Volume 1. Around The Shack Records 2023

    Jake Calypso. Rare Jake. 1983-2023 Volume 2. Around The Shack Records 2023

    Mystery Train. In Memory of Elvis. Eagles Records 1997

    The Corals. The Complete Recordings. Around The Shack Records 2020

     

    L’avenir du rock

     - Le portrait de Crispin Gray

             Chaque année, le soir du 30 novembre, l’avenir du rock réunit chez lui quelques amis pour célébrer l’anniversaire de la disparition d’Oscar Wilde. Pour rien au monde, Lord Henry Wotton et le portraitiste Basil Hallward ne manqueraient ce joyeux rendez-vous. Des Esseintes et Raphaël de Valentin, font eux aussi partie des convives, ainsi que l’aquarelliste Théophile Kniatowski. En hôte distingué, l’avenir du rock leur sert un plat de saison, une bonne soupe à l’oignon, ayant bien sûr pris soin de corser au blanc de cuisine l’horrible bouillasse fumante. Penchés sur leurs marmitons, nos six amis aspirent bruyamment de grandes lampées de soupe brûlante.

             — L’est ‘achement balèze, ta choupe, avenir du rock, lance Des Esseintes, dont le haut front se perle de fines gouttes de sueur.

             — Ah t’as pas mégoté sul l’gruyère râpé, poto, j’en ai plein des crocs, ajoute Lord Henry Wotton ! Va falloir récurer l’dentier avant d’aller pioncer !

             Schlllluurp, schllllurp, schllllurp. La noria des cuillères reprend.

             — Sont pas un peu pourris tes oignons, avenir de mes deux ?, lance le délicat Théophile Kniatowski.

             — Quesse tu veux insinuer, bâtard ?

             — Chais pas... Zont un goût merdique, tes putains d’oignons.

             — Et ma main dans ta gueule, tu crois pas qu’elle va avoir un goût merdique ?

             — Bon les gars, on pourrait pas causer de vos bouquins ?, demande Basil Hallward. Que penses-tu des Mots Camés, avenir du rock ?

             — Les octosyllabiques m’ont toujours fait Parnachier.

             Et pour appuyer son commentaire, il lâche un gros pet qui faut marrer tout le monde sauf bien sûr Théophile Kniatowski, dont le visage s’est empourpré :

             — Ras le cul d’tes annives à la mormoille, avenir du rock ! Tu peux t’les carrer dans l’ass, tes Osscar Wilde et des Portraits de Dorian Gray !

             — Pffff.... Pauvre abruti, on ne parle plus de Dorian Gray, maintenant, mais de Crispin Gray !

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             Tu croyais Crispin Gray enterré avec Queen Adreena ? Grave erreur ! Crispin Gray est un zombie. Il refait surface avec Alien Airforce et un album sidérant de punch, Give Pigeons The Right Of Way. Il a conservé le même graphiste et le chat qu’on voyait déjà au temps de Daisy Chainsaw. L’album grouille de puces, t’as au moins sept coups de génie là-dedans, et ça démarre avec un «Good Luck World» qui tombe du ciel. Violence extrême, c’est un pur chef-d’œuvre. Tout reprend du sens, comme au temps de «Pretty Like Drugs», il minaude dans les flammes de l’enfer et sous les bombardements. Cripsin, amigo, il va tout démolir. Son «Back In The Knife» est saturé d’heavyness. Et ça repart à la pluie d’acier avec «Life Is Suicidal». Crispin Gray règne sans partage sur l’empire Suicidal. Il gratte du revienzy en pagaille, il chante à l’excédée congénitale et vire glam dans le refrain. Magnifique artiste ! Big intro pour «Daily Damage», beurre et riffing d’Epiphone. Il défonce tous les barrages, il riffe en dent creuse, t’en reviens pas d’avoir dans les pattes un disk aussi dévastateur ! Il entre en vainqueur dans «Everybody Thinks You’re Strange» pour une dégelé d’heavy psychedelia de génie. Puis il redévaste tout aux accords de saturation extrême dans «Time’s Running Out». Il sait aussi chevroter à l’extrême et virer falsetto des enfers comme Brian Wilson («Fang Sinks In Too Deep»), tout est construit sur un riffing monstrueux et fabuleusement acéré. Encore du pur jus Crispinien avec «Not My World». Il parvient à glisser un killer solo flash dans cette apocalypse ! Il termine avec un «Goodbye Miss Jane», sans doute adressé à Katie Jane Garside. Virulent ! Vite incendiaire. Il n’en finit plus de foutre le feu partout. Il chante d’une voix de fille emportée par la coulée. Sur cet album, chaque cut joue sa carte. Tout est saturé de son et ce démon de Crispin Gray remet chaque fois son titre en jeu. 

    Signé : Cazengler, Crispine d’alouette

    Alien Airforce. Give Pigeons The Right Of Way. Easy Action 2023

     

     

    Inside the goldmine

    - L’Hebb est toujours plus verte ailleurs

     

             Chaque fois qu’on croisait Hébé dans la rue, on s’exclamait :

             — Hébé dis donc !

             Ou alors :

             — Ça va-t-y Jean-Bernard ?

             Au début ça le faisait rire. Mais comme ça revenait trop systématiquement, il finissait par exprimer son désaveu avec une petite grimace. Hébé était le genre de mec qu’on prend facilement à la bonne. Pas trop grand ni trop petit, la cinquantaine bien tassée, du ventre et zéro cheveu blanc, il soignait son petit look de rocker en portant des T-shirts des Cramps. Il aimait le garage, on le voyait parfois chez les disquaires et dans certains concerts. Il ne disait jamais trop de mal des gens, ce qui le sortait un peu du lot. Mais dès qu’on le laissait en placer une, il attaquait de manière un peu psychotique pour raconter des docus qu’il avait vus à la télé. Il déployait des efforts considérables pour reconstruire un discours à partir de vagues informations télévisuelles. Pour parvenir à ses fins, il semblait mobiliser toute son intelligence. Il levait les yeux au ciel le temps de bâtir à la hâte une dialectique ahurissante. Il allait même jusqu’à argumenter, greffant sur les images qu’il avait en tête des fragments de sa logique personnelle, comme s’il voulait te montrer qu’il savait réfléchir, et là, ça devenait horriblement pénible, surtout pour les ceusses qui ne regardent jamais ces conneries à la télé. Et puis on finissait par comprendre qu’il tentait avec des moyens absurdement limités, non pas à te convaincre, mais à transmettre des connaissances. Il y mettait tellement d’énergie que ça finissait par t’émouvoir. Sous des abords un peu rustiques, Hébé était un être extraordinairement généreux. Mais pour le comprendre, il fallait lui consacrer un peu de temps et surtout le laisser parler. La connaissance passe par l’écoute, et plus rude est l’écoute, plus riche est la connaissance.  

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             Ce qui vaut pour Hébé vaut aussi pour Hebb. Tu ne goûteras la pulpe de Bobby Hebb que si tu prends le temps d’écouter ses albums. Et quels albums ! Bobby Hebb pourrait bien être l’un de ces géants de la Soul dont regorge l’histoire de la musique noire. À bon entendeur salut !

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             Le premier album de Bobby Hebb s’appelle Sunny By Bobby Hebb, un fringuant Phillips de 1966. Très bel album et très belle pochette : la petite black est l’une des poules de Carl Davis.  «Sunny» reste le hit intemporel que l’on sait, une fantastique bossa nova from hell qui enchanta nos cœurs adolescents - Sunny thank you for the smile on your face - T’avais 13 ans et tu savais déjà ce qu’était la magie. Il passe ensuite à un petit chef-d’œuvre de round midnite avec «Where Are You». Il faut saluer ici la classe du croon. Il monte plus loin le «Good Good Lovin’» de Mann & Weil aussi haut qu’il peut. Wow, il faut voir Bobby groover le Mann, Bobby est le prince aux pinces d’or. En B, il fait encore des miracles avec «A Satisfied Mind», il se bat pied à pied avec son Satisfied Mind et révèle une fantastique stature artistique. Il passe au r’n’b avec «I Am Your Man» et «Crazy Baby». Il va vite en besogne, il s’adonne au fast, court sur l’haricot du r’n’b et sonnerait presque comme Otis Redding. Il passe au boogie down avec «Bread» et se montre excellent dans tous les genres. Il termine avec un «For You» quasi-Motown, bien élancé vers l’avenir.  

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             En 1970, il se retrouve sur Epic avec un immense album : Love Games. Sept hits sur onze titres ! Qui dit mieux ? Tiens on va commencer par le coup de génie de l’album : «A Better Love». Bobby a tellement de classe qu’il fait sonner son Better Love comme du Burt - What more can I say - Il est tout simplement écœurant de classe. Il se glisse sous le boisseau de velours du Better Love. Bobby propose une Soul sensible, il se situe un peu à part, il se bat pied à pied avec chacun de ses cuts. Il groove la Soul d’«I’ve Learned To Care» au smooth suprêmement violoné, et ça donne une merveille de délicatesse. Encore du smooth d’exception avec «Good Morning World». Il croone son I love you comme un dieu, et en fin de balda, il plonge dans le deep groove avec «SS Soul Part 1» et sonne comme Tony Joe White ! C’est exactement la même ambiance. Tu crois rêver. Le petit Bobby atteint son sommet. Tu retournes la galette et tu tombes sur «SS Soul Part 2» qui sonne plus Stax, mais avec les violons de Tony Joe, et ce démon de Bobby finit en mode Wilson Pickett. Plus loin, tu vas tomber sur un autre big groove orchestré, «She Broke My Heart», il le finit à la bonne arrache de Wilson Pickett. Bobby peut ahurir. Il boucle cet album somptueux avec «The Charms Of The Arms Of Love», une Soul émerveillée, colorée par des chœurs de blackettes énamourées. C’est du très grand art.   

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              Le dernier album du petit Bobby paraît en 2005 :  That’s All I Wanna Know. On retrouve cet interprète exceptionnel dès «Different Strokes», qui fut un hit pour Syl Johnson. Il te taille vite fait un costard d’alrite. C’est heavy as hell. Bobby donne le ton. Ce sera un big album. Plus loin il jazze son «Satisfied Mind» avec une incroyable qualité de singalong. Il claque ensuite un vieux hit de Johnny Adams, «Proud Woman», un heavy r’n’b cuivré de frais et paré d’organdi d’extravaganza. Et puis voilà la prunelle de ses yeux : «Sunny», qu’il duette avec Astrid North. Il faut le voir swinger son vieux hit. Bobby est à la fois une bête et un être extrêmement fin, comme le montre «When Love Goes Wrong». Bobby te fait danser la java bleue quand il veut. Il expédie vite fait le «Cold Cold Heart» d’Hank ad patrès. Dans ses liners, Joe Viglione rappelle que Bobby a bien connu Hank Williams au temps où ils se produisaient tous les deux au Grand Ole Opry, durant les fifties. Et voilà «Willow Tree» qu’il groove ensuite en quinconce avec une guitare qui entre dans la fente. C’est exotique et toxique à la fois - And if I was a weeping willow tree - et il boucle ce bel album avec un «Love Love Love» bien tempéré.

    Signé : Cazengler, Hebbêté

    Bobby Hebb. Sunny By Bobby Hebb. Phillips 1966

    Bobby Hebb. Love Games. Epic 1970       

    Bobby Hebb. That’s All I Wanna Know. Tuition 2005

     

     

    Wizards & True Stars

    - Bloody Rascals (Part Two)

     

             Ce titre ‘Bloody rascals’ semble sortir tout droit d’un épisode de Blueberry. Non, les Rascals ne sortent pas de La Piste des Navajos mais de la scène new-yorkaise des sixties. Dire qu’on les vénérait à l’époque serait un euphémisme. On avait tendance à suivre leur piste. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si on leur a consacré un vaste panorama, ici même, quelque part en 2018.  

             Pour les kids qui ont grandi dans les sixties, les Rascals ne comptaient pas pour du beurre. Un, ils étaient sur Atlantic, gros gage de qualité, et ils proposaient une pop de Soul qui les sortait du lot. Deux, ces mecs étaient des ritals, comme Dion & the Belmonts et les Four Seasons, et t’avais appris non pas à t’en méfier, mais à dresser l’oreille. Et trois, t’avais un faible particulier pour Felix Caveliere, qui trimballait des allures de maître des élégances, tant au plan physique qu’au plan artistique, c’est en tous les cas le sentiment qu’ont inspiré par la suite ses albums solo.

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             Alors ça tombe bien qu’on parle de tout ça, car le maître des élégances vient de publier son autobio : Memoir Of A Rascal - From Pelham, NY To The Rock & Roll Of Fame. Tu t’attends donc à un book écrasant d’élégance. Tu t’attends à ce que Felix le chat égrène des souvenirs exotiques et qu’il diffuse quelques paroles de sagesse, qu’il glisse de délicieux aphorismes dans son discours, qu’il évoque ses rencontres avec des personnages de rêve comme le fait le p’tit Billy Vera dans son autobio, et puis Memoir Of A Rascal, ça te fait penser au vieux Blueberry retiré dans une caverne Navajo, pour y dessiner ses aventures sur les murailles.

             Te voilà donc avec le book dans les pognes. Belle couve : portrait de Felix le chat par Linda McCartney. Et puis, tiens, comme c’est bizarre, pas d’éditeur ? Tu files voir à la fin : Amazon. Bon, tu commences à t’inquiéter. Tu feuillettes vite fait : gros interlignage, justif correcte, un corps 12 ou 13, jusque-là tout va à peu près bien. Puis t’as le cahier central de photos, et là, ça commence à tourner en eau de boudin. Car ton maître des élégances a plutôt mal tourné. Autant jeune il sort du lot, autant vieux, il ne sort pas du lot. Il est devenu un pépère à casquette. Et t’as bien sûr toutes les photos de famille. Te voilà en Amérique, Gringo, pépère Felix te sert sur un plateau d’argent sa part de rêve américain. N’oublie pas qu’en sous-titre, il évoque sa consécration : the rock & roll Hall of Fame. Et c’est bien là le problème. Dès que les Américains commencent à célébrer leur consécration, ça pue.

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             Tu décides quand même de lui faire confiance et tu te cales correctement dans ton fauteuil pour attaquer la lecture des 300 pages. Il commence par évoquer ses roots, et notamment Alan Freed, puis le «Good Lovin» des Olympics. Mais il est très béni-oui-oui dans l’évocation de ses souvenirs. Il dit par exemple qu’il ramenait chez lui des disks de musique black, et quand il les écoutait, «il en éprouvait de la joie». Il dit aussi qu’ils sont des Felix de père en fils, dans sa famille originaire de Naples. Il fait ses études à Syracuse, comme Lou Reed. Ils se connaissent.   Felix le décrit comme «a very erudite person». Toujours très béni-oui-oui. Et quand il dit à son père Felix qu’il veut quitter ses études pour devenir musicien professionnel, son père lui accorde un an. Si dans un an, t’es pas millionnaire, tu devras reprendre tes études de médecine. Felix sait qu’il va réussir. Il a ça dans la peau. Il dit aussi que New York permet ça : partir à l’aventure pour réussir.

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             Il raconte la formation des Rascals : Gene Cornish qui se pointe avec sa gratte, Dino Danelli qui bat un bon beurre - he was phenomenal, his hands so quick - et puis bien sûr Eddie Brigati. Ils tapent des covers obscures pour l’époque, «Good Lovin» et «Mustang Sally». Ils jouent dans un club flottant qui s’appelle The Barge. C’est très hot, nous dit Felix le chat. Sid Bernstein les repère et c’est parti. Sid Bernstein est tout de même le mec qui a fait venir les Beatles aux États-Unis. Totor s’intéresse aussi à eux, mais le béni-oui-oui ose avouer qu’il n’était pas intéressé par Totor, et il ose même dire qu’il sentait ça «dans son sang». Il avait une idée du son des Rascals qui ne coïncidait pas avec le Wall Of Sound. C’est tout de même incroyable d’entendre une ânerie pareille. On imagine aisément le chef-d’œuvre qu’aurait pondu Totor avec les Rascals. Il suffit d’écouter Born To Be With You de Dion. C’est à cet endroit précis que Felix le chat perd sa crédibilité. N’importe qui d’autre aurait été fier d’avoir Totor comme producteur (sauf Starsailor, bien sûr).

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             Felix le chat préfère Arif Mardin, l’un des producteurs maison d’Atlantic. Les Rascals qui s’appellent encore les Young Rascals atteignent la tête des charts en 1966 avec leur cover de «Good Lovin». Alors on entre chez Atlantic, sur la 59ème Rue : au deuxième étage, t’as les studios, le mastering et les secrétaires qui entendent tout. Si elles aiment ce qu’elles entendent, elles le disent à leurs chefs, alors les patrons arrivent et s’ils dansent, c’est dans la poche. Béni-oui-oui. Felix le chat et ses amis enregistrent sur un 8 pistes, alors que partout ailleurs, les gens enregistrent sur des 4 pistes, y compris les Stones et les Beatles, nous dit Felix le chat. Il ajoute que Sinatra enregistrait sur un «one track». Les Young Rascals sont aussi les premiers blancs à enregistrer sur Atlantic. Pour les blancs comme Bobby Darin ou Sonny & Cher, Atlantic utilise un sous-label, ATCO. Felix raconte aussi qu’ils passent leur vie en studio, et un jour, Otis Redding les entend jouer, alors il vient jeter un œil et s’exclame : «My God, they are white!».  Et comme Atlantic a des critères de qualité, les musiciens de sessions entrent en studio : c’est Chuck Rainey qui joue de la basse sur les cuts des Young Rascals.

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             Un jour, Sir Mac Rice vient remercier Felix le chat de l’avoir sauvé en enregistrant sa compo «Mustang Sally», qu’allait ensuite reprendre Wilson Pickett. Felix devient pote aussi avec Tommy James qu’il fréquente assidûment pendant les tournées. Ah les tournées ! Il évoque la fameuse ’Dick Clark Cavalcade’, avec Paul Revere & The Raiders et B.J. Thomas & The Triumphs. Au Dick Clark Cavalcadepartagent l’affiche avec les Who et Cream.

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             Et puis c’est la fin des haricots. Eddie quitte le groupe et Dino vient voir Felix le chat pour lui proposer de se débarrasser de Gene Cornish qui mène une vie de superstar, qui roule en Rolls, fréquente des modèles, achète des chevaux de course. Donc Felix va trouver Gene  pour le virer - Gene didn’t take it well. He was devastated - Le peu d’estime qu’on avait encore pour Felix le chat disparaît à l’instant même, car il essaye de se justifier. Comme les Rascals viennent de signer un deal juteux avec CBS, Felix le chat et Dino remontent le groupe. Mais Dino vient de redémarrer un groupe avec Gene Cornish. Tout ça se transforme en plat de spaghettis trop cuits. Le pauvre Felix le chat essaye encore de justifier ce tas de salamalecs. Il dit par exemple que leur musique était bonne, mais qu’ils se sont comportés comme des cons - we did everything wrong - Et pour lui, le vrai responsable de ce désastre humanitaire, c’est l’ego. 

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             Felix le chat attaque sa carrière solo. Sur Castles In The Air, Luther Vandross fait des backings. Don Was produit Dreams In Motion, album sur lequel joue aussi Steve Cropper. David Geffen demande à Felix le chat de produire Laura Nyro. Il produit d’ailleurs plusieurs albums, dont Christmas And The Beads Of Sweat. En échange, Laura fait des backings sur Destiny.

             Tout cela conduit naturellement à la reformation. Pure tradition américaine. Les quatre membres originaux. Hall Of Fame. Et là, il y va fort le béni-oui-oui, car il dit qu’il n’existe plus aujourd’hui de formations originales à part les Rascals, et il te cite tous les noms : Beatles, Rolling Stones, les Who, les Beach Boys, il se proclame «the last rock and roll group from the sixties and the seventies», avec tous ses membres originaux. Voilà le travail.

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             Alors pour te remonter le moral, Shindig! publie l’histoire des Rascals en deux parties, avec le concours, bien sûr, de Felix le chat. Il n’allait par rater une si bonne occasion ! Pour le Part One, ils sont en couve. C’est vrai qu’ils avaient beaucoup d’allure. Par contre, sur la double d’ouverture de l’article, tu les vois porter les cols pelle à tarte.

             Sean Egan commence par les présenter tous les quatre : Felix le chat, études de piano classique, élevé à Pelham (New York) par un père dentiste, Gene Cornish de Rochester (New York), encouragé à gratter ses poux par son beau-père chéri, et Eddie Brigati, haut comme trois pommes, issu de Garfield, New Jersey, «both his pesonality and singing voice were decidely larger than life.» C’est Brigati le personnage clé des Rascals. Vient les rejoindre Dino Danelli, de West New York, encore un kid du New Jersey. Sean Egan évoque un bon batteur, mais «a damaged personality». Le groupe se sent fort : trois compositeurs et trois chanteurs dans le groupe, comme chez Moby Grape. Eagan y va de bon cœur : «The band had too much talent.» Brigati reste le frontman sur scène, mais il est vite dévoré par Felix le chat et Cornish qui veulent chanter leurs compos. Du coup, Brigati ne chante que la moitié des cuts sur les albums. C’est l’origine des tensions qui conduiront à son départ - Some frustration and insecurity - Felix le chat ne parle pas de ça dans son book. Bizarre. Puis c’est l’épisode Sid Bernstein, l’homme qui selon Eagan a changé le modèle financier du showbiz en mettant les Beatles au Shea Stadium. Puis le choix d’Atlantic parmi tous les labels qui veulent le Rascals. Eagan explique qu’Atlantic offre ce que n’offrent pas les autres labels : le droit de se produire eux-mêmes, pas de frais d’enregistrement remboursables sur les royalties, et les artistes qui ont la décision finale sur le choix des cuts. Fantastique ! À cette époque, ces conditions sont rarissimes, et Eagan a raison de souligner ce détail. L’autre gros détail de poids, c’est le fait que les Rascals tapent sur scène «Mustang Sally» et «Land Of 1000 Dances» AVANT Wilson Pickett, qui lui, va en faire les hits que l’on sait. Les Rascals sont donc des pionniers de la Soul blanche. Eagan dessine ensuite un parallèle entre les Rascals et les Small Faces, ce qui n’est pas complètement idiot. C’est vrai que dans les deux cas, l’Hammond joue un rôle essentiel.

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             En 1968, les Rascals virent le Young de leur nom et entrent dans une ère nouvelle : «spirituality, concept albums, mental illness and power struggles.» Eagan se marre bien : il insinue qu’avec Once Upon A Dream, les Rascal «n’étaient plus vraiment intéressés par le hit parade». C’est leur troisième album en 13 mois. Sgt. Pepper’s vient de sortir. Fini la rigolade et les pelles à tartes. La tension va vite monter au sein du groupe, et Brigati, frustré, commence à faire machine arrière. Les droits d’auteur posent pas mal de problèmes, étant donné que Felix le chat en ramasse plus que les autres. Brigati veut son cut et Felix le chat lui dit : «you can’t get your cut if you’re not going to contribute.» De vrais gamins ! Voilà pourquoi les groupes explosent. À cause des gamineries.

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             Bien sûr Atlantic ne renouvelle pas le contrat d’un groupe dont les membres se chamaillent dans le bac à sable. Par contre, Atlantic veut bien garder Felix le chat. Dans Shindig!, Felix avoue qu’il regrette de ne pas avoir accepté cette proposition. Mais il serait passé pour un traître. Donc direction Columbia. Ça va, ya pire. Felix ajoute : «Big money deal and international.» Brigati se pointe pour signer le contrat, mais au dernier moment, il annonce qu’il quitte le groupe. What ? Les autres ne pigent rien - What do you mean you want to quit? - No explanation. Eagan se marre. Brigati agresse ensuite les trois autres avant de quitter le bureau. Clive Davis rassure les Rascals survivants en maintenant le contrat, mais Cornish et Danelli n’ont pas trop confiance, car ils savent que Columbia veut surtout Felix le chat. Quand sort le premier Rascals sur Columbia, Peaceful World, Felix le chat a viré Cornish, une idée de Danelli. Le plat de spaghettis trop cuits se transforme en panier de crabes et Sean Eagan se tord de rire à la vue de ce spectacle grotesque. Ah les ritals ! Comment des gens aussi brillants peuvent-ils se comporter ainsi ? Cornish n’a pas fait d’histoires pour quitter le navire : «Je préfère ne plus être là si je ne suis pas désiré.» Et dans la foulée, Cornish et Danelli vont monter leur groupe, Bulldog. Donc, les Rascals, c’est Felix le chat. Last man standing. Ce que tout le monde voulait. Felix fait les Rascals tout seul, avec le guitariste Buzzy Feiten.

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             Puis on verra les chicanes habituelles des vieux crabes qui se disputent un nom : Felix le chat tourne sous le nom de ‘Felix Cavaliere’s Rascals’, et Cornish et Danelli sous le nom de ‘The New Rascals’. Comme des chiens qui se disputent une charogne. C’est Steven Van Zandt qui réussit l’exploit de réunir les quatre Rascals en 2010. Puis il leur glisse l’idée d’une tournée : ‘The Rascals Story’. Mais ils ont pris un coup de vieux et ont des petits problèmes de santé. Cornish avec son cœur, Dino n’est pas brillant, et Brigati a des problèmes de voix. Alors Felix le chat change les clés. Ils y vont parce que c’est un gros billet. Cette tournée va leur rapporter que tout ce qu’ils ont gagné dans leur vie. Tournée américaine en 2012. Mais tout s’arrête brutalement, car Van Zandt ne peut pas schmoquer Felix le chat : «Felix is a sneaky, two-faced, selfish creep.» Et voilà le travail. Pire encore ; Felix le chat et Cornish ont entamé une guerre procédurière pour obtenir la paternité du nom. Pour calmer le jeu, Danelli casse sa pipe en bois en 2022. Alors Felix le chat et Cornish se réconcilient. Pour Felix, le problème véritable est qu’ils n’ont pas réussi à vivre selon les préceptes qu’ils prêchaient dans leurs chansons. People Got To Be Free. 

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             Avec toutes ses lacunes, Felix le chat reste humain, trop humain. Définitivement rital. Définitivement a true star. Pour en avoir le cœur, net, il suffit d’écouter les albums.

             On pourrait conclure là-dessus. Mais on peut aussi ajouter un petit corollaire. Tout ce déballage n’est pas très appétissant. Que faut-il retenir d’un groupe ? Les magouilles et le détail des guerres intestines, ou le détail de «l’œuvre» ? C’est la question qui se pose à chaque fois qu’on entreprend un bricolo : rabâcher les vieux cancans et pomper dans Wiki, ou procéder à l’examen critique d’une discographie parfois très fournie, au risque de plomber le bricolo ? La réponse est dans la question. L’idéal étant bien sûr de pouvoir s’appuyer à la fois sur l’examen critique d’une discographie bien fournie ET sur un book bien écrit.

    Signé : Cazengler, Old Rascal

    Felix Cavaliere. Memoir Of A Rascal. From Pelham, NY To The Rock & Roll Of Fame. MMC Entertainment Inc. 2022

    Sean Egan : All those happy people. Shindig! # 152 - June 2024

    Sean Egan : The train to freedom. Shindig! # 153 - July 2024

     

     

    Estivaleries 2024

    (Shadow, Boy, Bent, Jarvis et les autres)

    - Part Three

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             Il suffit d’un petit concours de circonstances pour que le cirque recommence. Quel cirque ? Le cirque Pinder des vieux disques rares. Il fut un temps où Suzy Shaw te disait que cet album était un cult album, alors tu l’achetais par correspondance pour t’apercevoir trois semaines plus tard, à son arrivée par la poste, que tu t’étais fait enfler en beauté. Tu te jurais qu’on ne t’y reprendrait plus, et le mois suivant, tu replongeais de plus belle dans ta petite pathologie. Les années passent, environ une cinquantaine, et dans une petite fête, un marchand radine sa fraise avec deux bacs. Il te commente les disks que tu ne connais pas. Ça ? Night Shadow ? «Une tuerie», qu’il te fait. C’est son mot. Tu observes sa mine ahurie, mais tu ne sais pas que la tienne est encore plus ahurie. Comme il voit que tu ne te décides pas, il te fait une remise de 50%. Allez trente ! Tu fais confiance. C’est le copain d’un copain et au fond, qu’est-ce qu’un billet de trente en regard de l’univers ? Rien. Il te refait le même coup avec un autre, The Little Boy Blues, et puis c’est toi qui vas y revenir, un peu plus tard. Et ça ? «Oh une tuerie !» Il n’a que ce mot-là à la bouche. Pareil,  50%. Trente !  Tyva ou tyvapas ? Tyva. Tiens et ça ? Bent Wind... En plus, tu viens de lire le nom du groupe dans un canard anglais, sûrement Shindig!. Ou Mojo. Tu sais plus. T’en lis trop. Bent Wind ? Le nom t’avait frappé.

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             Le Bent Wind s’appelle Sussex. «Holy Grail of Canadian heavy psych», indique le macaron collé sur la pochette de la red. À l’écoute, Sussex se révèle être un bel album d’heavy blues rock. Le son tient bien au corps. Le joli gras double te flatte l’oreille. Le pourvoyeur de gras double s’appelle Jerry Gibas. C’est un dévoreur. «Touch Of Red» t’embarque aussi sec pour Cythère. S’ensuit un «Riverside» bien noyé de gras double et de riverside. C’est excellent, très British Blues avant la lettre. De cut en cut, ta confiance se renforce. Elle devient dure comme de l’acier. Même le «Look At Love» qui démarre lentement prend du volume. T’es à deux doigts de t’extasier. T’en veux pour ton billet de trente. Et pendant ce temps, Gibas se taille la part du lion avec ses poux. Mais c’est en B que se planque la très grosse viande. Gibas ouvre le bal avec «Mystify», une belle dégelée de poux royale. Ce mec a tous les réflexes qui font le bonheur des vieilles pathologies. Tu deviens extrêmement pote avec Gibas parce qu’il sait tortiller sa mélasse. Soudain, tu tombes sur un coup de génie. Franchement tu n’en demandais pas tant, et pourtant le voilà : «Sacred Cows». Gibas passe en mode hyper congestion et là ça te parle de plus en plus, car il fulmine ! Il flirte avec le génie sonique et ça prend vraiment du volume ! Et cette façon qu’il a de jouer avec les niveaux de convulsion, t’en reviens pas, tu sens qu’il s’en étrangle de plaisir, il joue par jets organiques, c’est spectaculaire de déglutition, ses awite sont d’une émouvante sincérité, il se jette tout entier dans la balance ! Quel fougueux magistère ! «Sacred Cows» est un cut qui va tout seul sur l’île déserte. T’as encore «Castles Made Of Man» qui flirte pas mal avec «Season Of The Witch», mais ça ne vaut pas les Vaches Sacrées. 

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             Puisqu’on fouille les ruines, profitons-en pour sortir de l’Ugly pile un vieil Ugly Things de 2016. Simon Harvey y claque sept pages sur Bent Wind. Ça démarre en trombe avec un Marty Roth qui a 15 ans quand il entend les Beatles à la radio et qui court s’acheter une guitare.

             Marty Roth fut le guitariste rythmique de Bent Wind. Harvey a rencontré en 2016 celui qu’il qualifie de «gardien du temple». En 1968, le gardien du temple rencontre Gerry Gibas (qu’il écrit avec un G) à Toronto. Ils se mettent à gratter des poux ensemble et tapent des covers des Beatles, de Dion & The Belmonts, et de Simon & Garfunkel. Ils adorent les harmonies vocales. Puis ils montent Bent Wind avec deux autres lascars. Roth reste évasif sur l’origine du nom de groupe. C’est une idée à Gibas. Ils enregistrent leur premier single, «Sacred Cows» sur Trend. Comme le single tire à 500, il devient un collector de Canadian garage psych, comme dit Harvey. Ah il est fier de lui. Belle formule ronflante ! Mais il ne va pas s’arrêter là. Il insinue ensuite que l’heavy sound de Bent Wind anticipe «the punk and heavy metal to come». Il doit confondre avec Third World War. Voilà où nous emmènent ces disks et ces articles : dans les Sargasses du n’importe quoi. Et l’autre Roth qui ajoute : «We didn’t know we were being heavy !».  Harvey se lance ensuite dans des comparaisons oiseuses, mettant Bent Wind au même niveau que Jimi Hendrix et les Doors. Roth finit enfin par raconter une histoire intéressante. Ça se passe dans la nuit du 1er janvier 1969, tout le monde est sous LSD. Ils font les cons sur un lit, le lit s’écroule et coupe un doigt à Gibas. Comme Gibas est high, il met son doigt au frigo. Mais il faut aller à l’hosto. Il neige et c’est le jour de l’an. Ils finissent par trouver une bagnole et à l’hosto, on lui greffe un bout de la peau du cul sur le doigt. Pendant un an, Gibbas ne pourra pas jouer correctement. Il devra apprendre à gratter autrement. Dans son malheur il se rapproche de Tony Iommi qui lui a perdu deux bouts de doigts.

             Retour à Sussex. Roth indique que 5 des 8 cuts «were one take». Brève évocation aussi de la fameuse Yorkville Village scene de Toronto en 1968, avec les Paupers et les Ugly Ducklings. Mais rien de plus. Pas un mot sur Joni Mitchell, sur les Sparrows ni sur The Mynah Birds, le premier groupe de Neil Young. Et bien sûr pas un mot sur le destin de Gerry Gibas. Roth parle de ses boutiques à la mormoille. Il passerait aussi la moitié de son temps en Thaïlande. 

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             Les coïncidences font parfois bien les choses : Voilà qu’Andrew Perry tartine une page entière de Ben Wind dans Mojo, sous le titre ‘Stoned Gas’, alors forcément, tu jettes un œil. C’est encore Roth qui raconte ses souvenirs. Il indique que Gerry Gibas «was a strange cat». On s’en serait douté. Bent Wind est repéré par un mover-shaker local en 1969 et l’album sort sur son label Trend. Sussex est le nom de la rue où vivait le groupe à Toronto. Perry te fout bien l’eau à la bouche en qualifiant Bent Wind de «missing link betewwen The Yardbirds and proto-punk like The MC5 and The Stooges.» Mais Roth dit qu’à l’époque, il n’avait jamais entendu parler de ces groupes de Detroit, une ville pourtant située à 250 miles de Toronto.

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             Le Night Shadow s’appelle The Square Root Of Two.  Sur la pastille, le marchand a écrit «acid weird psych». Non seulement il est malin comme un singe, mais il n’a pas tout à fait tort. «I Can’t Believe» est un cut assez dodu, joli jet d’acid freakout, ils s’en donnent à cœur joie. Le freakout finit par mourir de sa belle mort, en s’éteignant à petit feu. Intrigué, tu retournes la pochette pour glaner quelques infos. Un mec nommé Aleck Janoulis commence par annoncer la couleur : «Album dedicated to my idol The Marquis De Sade.» Et tu découvres à la suite que ce Janoulis fait tout : design, chant, compo et bassmatic. Puis de cut en cut, tu découvres une pop psych de bonne qualité, ils te claquent «So Much» aux accords claironnants, et «In The Air» tient encore bien la route. Cet album arraché à l’oubli est une petite merveille de jingle jangle. Ça vaut bien les Byrds. Ils remettent le couvert en B avec «60 Second Swinger», un joli shoot de gaga US avec un solo d’orgue très véracitaire, pas loin des Blues Magoos. Ils renouent avec leur fière allure sur «Anything But Lies». C’est dirons-nous un exercice de superbe désinvolture gaga noyé dans le killering de Bonnie Farmer. S’ensuit le solide romp de «Turned On» qui enfonce bien son clou dans la paume de l’oubli. Tout se tient sur cet album étrangement au-dessus de la moyenne. Tu ne te dirais pas ça pour te rassurer, si tu savais que ce n’était pas la vérité.

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             Le marchand a pris son air le plus mystérieux pour présenter The Little Boy Blues. Quatre hippies photographiés dans la forêt. L’album s’appelle In The Woodland Of Weir. Rien qu’à voir la pochette, tu fais confiance au Little Boy Blues. Tu t’attends à du gros Steppenwolf underground. Le chanteur s’appelle Mark Coplan. Il a belle afro. Il sait tenir un rang. Mais les compos manquent de sel. Avec un groupe comme The Little Boy Blues, les canards n’auront jamais trois pattes. Les Boy Blues font une sorte de petite pop en mode heavy blues. C’est un album de hippie sound, avec la flûte et les bruits d’époque. Une catastrophe. T’en reviens pas d’avoir un album aussi pourri dans les pattes. Alors que tu allais le balancer par la fenêtre, tu découvres que le premier bonus en B est une cover d’«I Can Only Give Everything». Alors autant tenter le diable. Surprise de taille ! T’as la fuzz et un chant léger, c’est pas Van The Man, mais ça passe, c’est même bien senti, but baby ! Voilà ce qu’on appelle des bonus qui sauvent les meubles. Et ça continue avec l’effarant «You Don’t Love Me», bien dévoré du foie par le bassmatic ! L’extraordinaire énergie du bassmatic ! Tu le réécoutes encore une fois pour t’en régaler. Suite du festin bonusien avec «The Great Train Robbery», et sa grosse énergie dégoulinante couronnée par la fuzz du diable. Aw my Gawd, dommage que tout l’album ne soit pas de cet acabit. Ils tapent à la suite une cover de «Season Of The Witch», c’est une approche plus qu’honorable de ce classique intemporel, ils te pick up très bien au you’ve got to pick up every stitch. Ils finissent en mode raw r’n’b avec «Ain’t Too Proud To Beg». C’est le jour et la nuit avec l’album officiel. Rien que pour ces cinq bonus, t’es ravi de t’être fait rouler la gueule en beauté.

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             Et voilà le pompon, avec sa mystérieuse pochette noire et le commentaire que t’as oublié, puisque l’album de The Jarvis Street Revue, Mr. Oil Man, est passé par la fenêtre. Ces gros Canadiens proposent un rock psych de bûcherons qui peut virer prog, alors se pose le rituel dilemme : tyva ou tyvapas ? La vie est courte, et t’as sans doute autre chose de plus intéressant à faire que d’écouter cette daube immonde. Le prog est déjà assez pénible en Angleterre, alors tu peux imaginer celle des bûcherons canadiens. Tu testes vite fait la B, et tu tombes sur des cuts ineptes. Le bûcheron chante d’une voix trop virile. Comment peut-on supporter ça ?

    Signé : Cazengler, estivalie de la société

    Night Shadows. The Square Root Of Two. Spectrum Stereo 1968

    Bent Wind. Sussex. Trend 1969

    The Little Boy Blues. In The Woodland Of Weir. Fontana 1968

    The Jarvis Street Revue. Mr. Oil Man. Columbia 1971

    Simon Harvey : The Bent Wind story. Ugly Things # 43 - Winter 2016/2017

    Andrew Perry : Stoned Gas. Mojo # 368 - July 2024

     

    *

             L’est des mots qui sont plus attirants que d’autres surtout lorsque l’on n’y voit rien. Je cherchais Tenebrous un titre du groupe Other World, j’adore leurs pochettes, lorsque je suis tombé sur le groupe Tenebrous. Un groupe assez ténébreux puisque je n’ai réussi qu’à trouver une seule image de ses membres, ils sont deux, et le seul opus qu’ils ont sorti en 2020 semble avoir été le dernier.

    TENEBROUS

    TENEBROUS

    (Août 2020)

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             Serez-vous étonnés si je vous révélais que la pochette est plutôt obscure, un truc gris bizarre, grizarre serait le mot approprié, au milieu d’un carré noir, au début j’ai identifié la chose comme un échantillon d’une préparation  de matière grisâtre prélevée entre deux lamelles sur un cerveau humain pour une observation au microscope. En agrandissant l’image j’ai fini par apercevoir une maison, style manoir délabré de récit fantastique, sis au sommet d’une colline sous un ciel moutonneux et oragique. Peut-être me trouverez-vous beaucoup d’imagination.

    Joshua Robinson, Joseph Robinson, de Whashingto DC tous deux encapuchonnés à la manière des moines médiévaux, heureusement qu’ils plaquent sur leurs corps massifs deux manches de guitare…

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    7 horns : le morceau n’excède pas les deux minutes, certains prétendront qu’il en est mieux ainsi, l’est vrai que l’ensemble n’est guère réjouissant, n’est sûrement pas fait pour vous rendre heureux, z’avez l’impression d’un bulldozer géant qui se dirige vers vous, ne prend même pas la peine de vous écraser, il passe sans vous prêter la moindre attention, ce qui est quand même vexant, puis s’éloigne dans le lointain, fait un vacarme de tous les diables même si certains exégètes prétendent que la bête à sept cornes de l’apocalypse est une représentation ( curieuse) de Jésus. A croire que lorsqu’il était tout petit il massacrait tous ses jouets en faisant un boucan de tous les d… pardon de tous les anges. Loss of life : arrêtons de plaisanter, cette fois notre vie est en jeu, le son déboule sur vous à un pas joliment cadencé, ceux qui arrivent sont rudement pressés, cherchent sûrement quelqu’un, par pour fêter son anniversaire, vous avez une batterie qui leur botte le cul pour qu’ils pressent la cadence, les guitares balancent le riff comme les prêtres l’encensoir autour de votre cercueil, tout se calme, cela n’en devient que plus angoissant, ce n’est pas votre dernière heure, plutôt le dernier quart d’heure, avec les aiguilles de l’horloge qui tournent à toute vitesse, elles s’arrachent du cadran pour venir se planter entre vos deux yeux, sirènes d’alarmes, l’ennemi se rapproche. Never look back : ne regardez jamais en arrière c’est peut-être pire que le concassage battérial que vous êtes en train de subir, s’énervent salement sur votre corps, vous filent des horions à tire larigot, pause (sépulchrale), franchement vous croiriez dans Et pour quelques dollars de plus avec Ennio Moriconne qui aux moments cruciaux vous envoie la sonnerie obsédante de la breloque pour vous tergiverser le cerveau en loques, ouf ça reprend, style Bruce Lee qui s’énerve sur les pectoraux d’une malheureuse victime afin de la réduire en poudre, un peu de calme, reprenons nos esprits, la guitare vous évente, vous en aviez besoin vous étiez en train de cracher vos poumons. There were monsters : oui il y avait des monstres, sont encore là, tournent dans votre tête comme des poissons rouges dans leur bocal, requins-marteau et poissons-scie s’occupent de vos synapses, parfois l’on dirait qu’ils sont fatigués, mais c’est pour vérifier qu’ils ne laisseront pas un seul petit neurone en état, ils fignolent, sont méticuleux, n’oublient rien, vous concassent maintenant l’occiput au hachoir atomique, des perfectionnistes. Gone : mettent du temps à s’absenter, le morceau le plus long, sont énervés, que leur avez-vous donc fait, vous devez être tout de même un peu coupable dans cette histoire, ils vous haïssent tellement, sont terriblement minutieux, prennent un soin infini à dévider vos intestins, attention le moment de répit, juste pour que vous croyiez que c’est fini, vous avez les tympans qui tintinnabulent, sont sympas ils vous recollent les oreilles à l’agrafeuse, se prennent pour des pistoléros qui ont des tas de munitions à bazarder, vous n’entendez plus rien, juste un minuscule tintement, un frémissement de rien du tout, une souris qui rampe dans votre conduit auditif pour se nourrir de votre jus de cervelle liquéfiée. Cold rain : en plus il pleut, long silence, la guitare a pitié, vous joue une berceuse, attention que ça ne tourne pas à la sérénade, mais non, c’est le calme avant la tempête, profitez-en, ça ne durera pas. Sounds from hell : que disions-nous, ils ont profité de l’occasion pour reprendre des forces, les bruits de l’Enfer somme toute ressemblent à du metal, mais pour une fois dans cet opus instrumental, quelqu’un vous parle, vous aimeriez comprendre, mais non c’est carrément diabolique, le locuteur baisse la voix à dessein  pour que vous ne puissiez comprendre son message, musicalement ce qui est certain c’est que l’on entasse sur votre corps des dizaines de plaques de zinc, serait-ce pour vous protéger, en tout cas au loin vous percevez le brouhaha des damnés qui hurlent… Wrath : au point où vous en êtes vous vous moquez de savoir si c’est la colère du Dieu ou du Diable, l’avoinée tombe sur vous, un déluge de gros grêlons en forme d’œufs d’autruches particulièrement pointus pour qu’ils se plantent plus facilement dans votre corps, peut-être n’ai-je plus tout à fait toutes mes capacités analytiques mais il me semble qu’une guitare interprète durant quelques secondes un motif de Jean-Sébastien Bach, sans doute est-ce une hallucination collective à moi tout seul, est-ce ce fragment de cantate qui a entraîné ce doux moment lénifiant, pas le temps de répondre à cette interrogation sur les bienfaits de la musique censée adoucir les  mœurs, l’on repart pour une session de tonitruances, cette fois c’est un éléphant qui s’essuie les pieds sur la serpillère de mon cerveau, l’est aussitôt imité par le reste du troupeau. No escape : le titre était prémonitoire, le batteur a dû confondre un de ses toms avec ma tête, les éléphants dansent lourdement en rond à l’intérieur, ils appuient de toutes leurs forces, il me semble subir une trépanation, comme si quelque chose voulait s’échapper et s’amusait à découper à la scie égoïne ma calotte crânienne, non il n’y a personne qui parle, mais je ne sais comment les instruments parviennent à imiter les derniers barrissements des antiques mammouths sibériens qui meuglaient de désespoir, congelés en quelques secondes par une glaciation intempestive. Pure evil : franchement ce n’était déjà pas mal, mais là nous atteignons à la quintessence du pire, si vous imaginez que quelque chose d’encore plus terrible va survenir, vous êtes dans l’erreur, certes ils font un peu les fiers-à-bras en gonflant leurs muscles, ils bombent le torse, mais tendez l’oreille et dites-moi si vous avez déjà entendu une guitare rigoler aussi sinistrement, n’ont plus besoin de montrer leur force, quant à la batterie elle s’esclaffe comme une pomme trop mûre qui tombe à terre. Vous êtes vaincu. Ne partez pas d’un rire nerveux, serrez les mâchoires même s’ils vous chatouillent la plante des pieds, je vous connais, il s’en faudrait de peu que vous ne pactisiez avec eux, d’un franc sourire, car cette bruyante symphonie, en votre for intérieur, vous agrée moultement.

    Damie Chad.

    P.S. : si vous voulez écouter sur YT tapez, Tenebrous band. Le ténèbres sont épaisses et nombreux les groupes qui se nomment Tenebrous…

     

    *

             Sans doute, comme moi, en avez-vous vu défiler des individus arborant fièrement une pancarte : Un autre monde est possible. Voici donc l’autre monde : je ne crois qu’il s’agisse du même lieu.

    TENEBROUS

    OTHER WORLD

    (30 – 08 -2024 / Debemur Morti Production)

    C’est à croire que l’Amérique est couverte d’un bout à l’autre  de ténèbres si le groupe précédent venait de  l’Est, Alter World réside en Californie. Steven Parker : vocals / Christopher A : guitars, effects / Jacob Holland : basss / Cody McCoy : drums.

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             Quelle couve ! Magnifique ! Mirifique ! Mortuaire ! Les vivants et les morts. La glaise initiale, l’argile terminale, sont-ce les morts qui font l’amour entre eux, à moins qu’ils n’étreignent les vivants, car à chacun de nos pas, la mort, la nôtre, celle des autres nous étreint, nous portons la mort en nous comme la femme enceinte contient un enfant, mais les morts s’accrochent à nous, ils ne nous quittent jamais, ils nous réchauffent, peut-être est-ce leur présence qui nous maintient en vie, nous sommes des cimetières ambulants, partout où nous allons nous emmenons nos morts avec nous, ne sont-ils pas, tous, n’importe lequel, plus sympathiques que la plus affreuse des morts, la nôtre, celle qui nous appelle, celle qui suit fidèlement, celle qui ne manifeste aucune impatience certaine qu’en fin de compte nous nous étendrons avec elle, celle qui devise sans fin, placidement assise sur une pierre tombale, de l’inanité de ces deux phénomènes que sont la mort et la vie, si bien réunies, si bien partagées, si bien solitaires, si bien solidaires… nous serons alors comme tous les autres morts, nous nous accrocherons aux vivants qui passent indifférents affairés en de futiles préoccupations, tel un naufragé qui embrasse de ses deux bras une pièce de bois, la mort est la finalité de notre présence au monde. Quelle différence  faites-vous entre vérité vraie et fausse commune ?

    From innocence : au commencement y a-t-il le début ou est-ce une suite, serions-nous la présence d’un passé qui ne nous appartient pas même si nous en sommes les propriétaires, un morceau joyeux, oui faites l’impasse sur ces chants de moines qui ont l’air de porter un de leurs frères dans la tombe, focalisez-vous sur la cavalcade éhontée de cette batterie qui batifole au triple galop dans les vertes prairies du matin ensoleillé, l’est vrai que les guitares vous tissent de ces fins et prodigieux rideaux de gaze, mais peut-être sont-elles en train de tricoter votre suaire, l’innocence est déjà une expérience, dès que vous expérimentez l’innocence elle se métamorphose en expérience, c’est la loi de la vie, c’est la loi de la mort, plus vous cheminez dans votre vie, plus vous vous rapprochez de la mort même si vous vous ingéniez à effectuer mille détours, la mort vous attend au tournant des lignes droites, c’est cela l’innocence, ce sentiment hypocrite de faire semblant, de vivre, de rire et de sourire, pas la peine d’en faire un fromage pour autant, la petite souris de la mort adore nicher dans les trous du gruyère, souvenez-vous-en, c’est élémental, mental et emmental. Arid down : l’ambiance devient aride, l’on marche dans le désert de la vie, ou celui de la mort, ce sont des lieux psychiques étrangement semblables, Alter world ne vous prend pas au dépourvu, ils vous glissent, c’est un peu le passage obligé des disques de metal, on est des brutes mais nous savons jouer cool, de beaux accords solitaires de guitares, un peu tristounets si vous écoutez la mélodie, mais il y a tellement de petits détails insignifiants qui vous tourneboulent à chaque instant de votre existence que vous n’y prêtez pas plus d’attention qu’à la poussière sur le buffet de la cuisine, soyons honnête, le vocal de Christophe dérange notre quiétude, c’est un peu la voix de la grand-mère dans le conte du petit chaperon qui glapit ‘’ c’est pour mieux te manger mon enfant’’, les boys font tout pour vous faire oublier cet écart de conduite, se la jouent lyriques, vous enveloppent dans des draperies atmosphériques, que dis-je stratosphériques, chuintez la fin, une aura de mélancolie pointe le bout de son nez, que pourrait-il arriver de pire que la mort, soyons raisonnable !  Agony exhaled by mist : la basse funèbre s’en donne à cœur-joie, ça bourdonne tel un essaim d’abeilles en goguette, brree, le Christophe il exhale ses derniers mots, il râle, il agonise, pas de panique, la liturgie monacale se presse à son secours, s’il faut mourir que ce soit en beauté, ces voix sépulcrales ne sont guère optimistes, toutefois elles sont belles, on prend un plaisir fou à goûter cette esthétique funérale, l’on aimerait que ça ne s’achève jamais, hélas une brume carnassière entre dans votre cerveau, s’installe chez vous comme le chat au creux de vos draps, l’est certain qu’il va s’offrir le plus beau sommeil de toute sa vie. Vous savez il est des instants où l’on ne sait plus trop de quel côté l’on est… Ash, teeth & bones : la batterie vous rappelle la concrétude des choses, lorsqu’il ne restera plus de vous que des cendres parsemées  de molaires et de cubitus la situation sera grave, l’angoisse déferle, ils ne vous ménagent pas, des vagues d’anxiété vous submergent, si elles n’étaient point si vaporeusement si liquides elles vous enterreraient sans rémission, du travail soigné, rapide et efficace, la batterie s’alourdit, elle imite le bruit du plat des pelles qui égalisent la terre de votre tombe, le plus terrible c’est que dans votre tête ça résonne comme des bombes, pas de panique, vous êtes mort, ce sont les derniers bruits qui vous parviennent du monde des vivants, empruntez ces galeries, descendez tout au fond de l’abîme, soyez raisonnable, tenez-vous tranquille, vous n’êtes pas ici pour grignoter les pissenlits par la racine,  soyez sage, ne jouez pas à l’enfant gâté par la vie. Vous n’allez pas vous plaindre vous avez eu le plus bel oratorio de toute la ville, vos copains en sont jaloux, silence que l’on ne vous entende plus. To decay : non ce n’est pas fini, il ne suffit pas de mourir pour être tranquille, puisque vous êtes mort profitez de votre silence pour méditer, inutile de revenir sur votre vie, elle est passée, ni sur votre mort, elle a déjà eu lieu, maintenant il vous faut toucher le fond du fond, le problème n’est pas là, certes vous ne vivez plus, vous ne mourrez plus, il vous reste tout de même un maximum de boulot, réfléchissez un peu, d’ailleurs on arrête un peu la musique pour que le calme vous aide à envisager la situation, oui vous êtes mort, cessez de vous cristalliser sur cette peccadille, attention on lance les grandes orgues de la méditation, il vous reste encore à ne plus être, écoutez bien le message que l’on vous hurle aux oreilles, plus rien de vous ne doit subsister, comme dans les magasins en faillite dans lesquels tout doit disparaître, c’est écrit en grosses lettres rouges, vos os doivent se transformer en poussières impalpables, oui ça prendra du temps, mais au moins vos connaissances, amis, parents, amours tous auront le temps de tomber eux aussi au fond du trou, plus personne ne pensera à vous, seront comme vous, vous n’aurez plus, aux nuits de pleine lune, l’envie de ressortir de votre tombe pour vous accrocher encore aux vivants que vous avez connus, plus personne ne se souviendra de vous, vous n’imiterez plus la moule qui se colle au rocher de la vie, l’envie vous sera passé, c’est à ce moment-là que vous retrouverez ce sentiment d’innocence que vous aviez connu dans votre existence. Pourquoi iriez-vous vous promener, personne ne vous attend, c’est ainsi : en n’étant plus que vous aurez atteint votre plénitude existentielle.

    Damie Chad.

     

    *

             La poésie ne tue pas. Enfin presque, je ne citerai pas Gérard de Nerval, pour ce qui suit c’est un peu différent. J’ai été attiré par le titre, tout de suite j’ai pensé au film Le cercle des poètes disparus, alors j’ai écouté. Vous en avez assez des albums sur la mort, soyez contents, nous abordons un autre thème complètement différent : le suicide.

    UNDEAD POETS SOCIETY

    DRUID STONE

    (Août 2024)

             Les pierres laissées par les druides remontent à loin. Celle-ci provient d’un groupe punk Pukes Mute basé à Hermdon, petite ville de Virginie proche de Washington D. C., les Vomissements Muets se sont séparés en 2011 après l’enregistrement de leur première démo, sobrement intitulé Demo 1. On ne l’aurait jamais su si s en 2021 Demeter Capsalis n’avait eu le désir de reformer le groupe et d’enregistrer Demo 2021. Depuis cette date Capsalis n’arrête pas, sur son Bandcamp vous avez le choix entre vingt-quatre productions, parfois en solitaire, parfois en groupe, celle-ci est la dernière. Entre, plutôt Antre, Dye et Hippy doom. Faut-il ajouter woman trans fuzz...

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             La pochette dessinée par Demeter Capsalis n’est pas sans rappeler celle de Teenage Depression d’Eddie and The Hot Rods, moins de moyens, pas de couleurs, mais ne vous inquiétez pas, une véritable décharge de chevrotines vous attend à l’intérieur.

    The bride of Satan : ne vous laissez pas séduire par les lyrics, non ce n’est pas Gérard de Nerval, une sombre histoire de désirs partagés, pour la musique je vous conseille le stoïcisme, ça fuse de partout, un capharnaüm improbable, vous ne tarderez pas à vous y sentir aussi à l’aise que Robinson Crusoé sur son île, bien sûr il vous faut d’abord consentir au naufrage. Mais après vous ne voudrez plus en partir. Je sais vous vous attendez à tout sauf à ce chant pop, tout ce qu’il y a de plus fluide, de plus cool, de plus allègre, un truc entraînant qui vous oblige à remuer votre popotin comme à votre première boom où vous ne parveniez pas à surmonter le rire bête des filles, si vous détestez le mal de mer bouchez-vous les oreilles, si vous êtes courageux écoutez la musique laissez-vous absorber dans le vomissement visqueux phonique, tenez-vous au bastingage de la frappe régulière de la batterie, dérive dans les sargasses velues qui s’infiltrent par tous les orifices de votre corpS, incroyable mais vrai vous vous sentez au paradis. C’est bête lorsque l’écriteau à l’entrée vous signale que vous êtes censé être en enfer. Little wire : vous croyiez que Druid Stone allait reprendre un titre de Black Sabbath, l’ancêtre dinosauresque de tous les doomers, ben non, Hippy doom (et hippy boom) oblige ce sera une reprise de Neil Young, oui elle a gardé le rythme, quant à l’harmonica l’a remplacé par une débrousailleuse, question vocal l’est sur un petit nuage bleu mélancolique pourrait la chanter en duo avec le grand Neil, mais le rotor siffle sur vos têtes comme les serpents sur celle du malheureux Oreste, la guitare joue à la pâle d’hélicoptère empêtrée dans un nuage de choucroute, les cris de l’équipage se font entendre, vous réalisez que c’est fini. The wood of self-murderers waltz : question paroles, c’est inquiétant, mais agreste, le gars vous parle depuis l’intérieur d’un arbre, ambiance écolo avec un ronronnement d’abeilles, dommage qu’elles soient munies de pinces de crabes pour jouer de la musique, ça crabouille un max et ça écrabouille les accords, le gars n’y peut rien, il explique, il se justifie, ce n’est pas de sa faute, il est mort puisqu’il s’est suicidé, en tout cas il a oublié d’éteindre la radio, vous entendez la voix du speaker, pas mal de brouhaha autour, les arbres doivent répondre à ses questions, ensuite je ne sais pas, vous non plus, un sacré grabuge, un phénomène qui dépasse l’entendement de tout noumène kantien.

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    The 13 Th floor : normalement aux States il n’y a pas de treizième étage dans les immeubles, le 13 est réputé pour être le chiffre du malheur, nous nous situons donc dans une zone d’anormalité sonore, c’est très fort, quant au vocal l’est au fond du bocal, l’on n’écoute même pas, enfin un morceau franchement rock, même que le druide commence par miauler un peu fort sur sa pierre, attention zone de folie pure, ouvrez la fenêtre et tentez d’échapper à vous-même, piqué à fond les ballons. Crevés. Killing a vampire : si vous ne savez pas quoi faire, voici un joyeux passe-temps, musique distordue, bouche tordue à l’accent pointu, pas une petite affaire de tuer un vampire, faudra s’y reprendre à sept fois, en tout cas rien de plus jouissif que de lui enfoncer un pieu dans le cœur, vous y prêteriez main-forte avec plaisir. Attention les vampires sont davantage pire qu’on ne le dit. Undead Poets Society : je crains que quelques lecteurs ne prennent pas aux sérieux ce morceau, je les comprends il sonne, du moins au début, un peu comme le double-blanc des Beatles, pourtant il cause du seul sujet auquel le genre humain ne pense jamais, celui de l’immortalité, c’est pour cela que le côté joyeux fab four s’estompe un peu dès que l’on atteint le premier tiers, une fois que vous vous êtes suicidé, pas besoin d’un Magnum 357 pour les plus peureux, mourir tranquillement comme tout le monde suffit, oui mais après est-ce que l’on est vraiment mort, nous abordons le troisième tiers, l’instant est grave, tout n’est que trouble et angoisse, bruits bizarres, faute de mieux l’on frappe à la porte, sur quoi s’ouvre-t-elle ? (Lately I feel like) I’m begging shelob : Le Seigneur des Anneaux a été un des livres culte du mouvement hippie, pas étonnant qu’au dernier titre de l’album nous retrouvons l’abominable araignée, quand on vous dit que le mal est partout sur cette terre, terminée l’insouciante légèreté fab fourienne, enfin presque, une voix chargée de pleurs, une guitare larmoyante, une batterie qui tape mou pour signaler le désastre inéluctable, on aurait aimé une décharge poubellique davantage noisique, mais non la mélodie s’étire comme le fil de l’araignée qui descend du plafond pour vous insuffler son venin depuis le sommet de votre tête dans les membranes poreuses de votre cerveau , certes par en-dessous notre druide baragouine un interminable chapelet prédictif d’horreurs  sans fin ni finalité, quelques tintements légers de vaisselles sales, le cauchemar flip-floppe et s’éteint… Rêve mort-né et sourire lysergique.

    Damie Chad.

     

    *

             Eric Calassou et Bill Crane, rappelons que ces deux poreuses indivisités n’en forment qu’une, ne sont pas des inconnus pour les lecteurs de Kr’tnt !, 

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    Nous le suivons depuis ses concerts parisiens à la Comedia de Montreuil, hélas aujourd’hui fermée, genre de désagréments qui surviennent généralement, sous divers prétextes fallacieusement administratifs, aux lieux d’intense créativité artistique, il est bien connu que selon certains censeurs trop de liberté tuent la liberté… de Calassou nous avons tour à tour évoqué ses photographies, écouté ses opus rock mais aussi ses morceaux écrits pour la guitare classique, entendu lire quelques-uns de ses poèmes qu’il publie sous forme de recueils. Nous avions projeté d’ici quelques livraisons nous intéresser à ses nouvelles approches  photographiques. Une irrépressible urgence survient pour nous couper l’herbe patienteuse sous les pieds. Eric Calassou vient de faire paraître sur YT deux interprétations de deux poèmes de Rainer Maria Rilke. Un nom qui sonne comme un impératif. Tout ce qui concerne Rilke nous affecte.

    RAINER MARIA RILKE

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             Rainer Maria Rilke (1875-1926) avec par exemple Juan Ramon Jimenez (1881 – 1958), Paul Valéry (1871-1945), Constantin Cavafy (1863-1933), Oscar Vladislas de Lubicz Milosz (1877- 1939) font partie de cette génération de poètes majeurs qui pratiquèrent ce que l’on se permettra de dénommer la monte hongroise poétique, un pied sur la grande cavale lyrique du dix-neuvième siècle et l’autre sur le cheval de guerre du modernisme. Modernisme qu’il ne faut pas confondre avec la modernité. Ces deux concepts désignent le même phénomène historial de la montée défaitiste de ce que Nietzsche nomma le nihilisme européen, la modernité l’accompagne pour ne pas dire qu’elle le subit, le modernisme tente de se frayer un chemin dans l’obscurcissement du monde.

             L’œuvre poétique de Rainer Maria Rilke n’épousa pas d’emblée une trajectoire éblouissante, elle ne fut pas celle d’un voleur de feu, le contemporain qui a décrit au mieux l’effort rilkéen reste Cocteau, qui apprendra bien plus tard, la maturité survenue, que le solitaire dont dans sa jeunesse il entrevoyait au crépuscule du  matin la lampe de travail, posée au bord de la fenêtre, encore allumée, alors qu’il rentrait de ses  tapageuses et dissipatrices virées nocturnes parisiennes était celle de Rainer Maria Rilke… Celui qui plus tard composera Les Elégies de Duino, Les Sonnets à Orphée, et les dernières pièces réunies après sa mort souvent accréditées de l’appellation Poèmes de l’Ouvert ou Poèmes de l’Obscur.

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             La poésie de Rilke, du moins celle des dernières années, ce qui ne vous empêche pas de vous méfier de ces fruits qui tombent avec une étonnante facilité de l’arbre dans votre main, est réputée pour être difficile, ce qui ne signifie pas grand-chose, pour reprendre des expressions mallarméennes nous préférons la définir en tant que grande patience et long désir. A l’instar de la démarche du poëte, le lecteur se doit d’imiter la profonde humilité envers les mots évocatoires et les choses ainsiobjectivées du poème mais aussi la plus haute exigence envers la mystérieuse présence du monde… La poésie ne vous donnera que ce que vous parviendrez à lui arracher.

    POETE D’AUJOURD’HUI

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             Sur sa chaîne FB, Bill Crane a choisi une image identique pour les deux textes qu’il nous livre, la couverture du volume Poètes d’Aujourd’hui, le mythique volume ‘’carré’’  initié par l’éditeur Pierre Seghers dès le mois de mai 1944. Le volume consacré à Rainer Maria Rilke rédigé par Pierre Desgraupes porte le N°14, la collection en comporte plus de deux-cent cinquante… 

             Pierre Desgraupes fit une brillante carrière dans l’audiovisuel français, nous retiendrons uniquement l’émission Lectures Françaises qu’il anima de 1953 au o8 mai 1968 en compagnie de Pierre Dumayet et Max-Pol Fouchet. Les deux poèmes mis en musique par Eric Calassou sont extraits du choix des textes présentés dans cette édition.

    SOLITUDE

    (Traduction de Maurice Betz)

    (YT / 02 – 09 – 2024)

             Nous ne nous attarderons pas sur Maurice Betz, un seul conseil dès que vous apercevez chez un bouquiniste un livre de Rilke traduit par M. Betz, prenez-le.

             Le poème est extrait du recueil Le Livre d’Images paru en 1902 et 1905. Rilke est déjà reconnu par un petit nombre comme un poëte d’avenir, il a déjà beaucoup écrit et beaucoup publié, sa personnalité atypique marque tous ceux qu’il rencontre, sa liaison avec Lou Andreas-Salomé, elle fut aimée par Nietzsche, et leurs pérégrinations au travers de la Russie ont aiguisé sa sensibilité,  autre moment très important sa venue au Worpswede, une colonie libre d’artistes, l’a marqué, il s’est marié avec la sculptrice Clara Westhoff , un bébé naît de cette union, mais Rilke reprendra sa liberté, l’appel de la poésie et de l’œuvre sera le plus fort, il sait que désormais la solitude sera son apanage. Ayez cette exigence rilkéenne en votre esprit en écoutant ce poème.

             L’on ne peut écouter la mise en musique d’un poème sans penser aux propos de Mallarmé selon qui la poésie se devait de reprendre son bien à la musique. Lorsque l’auteur du Coup de Dés apprit que Debussy travaillait à mettre en musique son poème L’Après-Midi d’un Faune il se contentera de dire qu’il croyait l’avoir déjà mis en musique…

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             Guitare sèche pour pluie montant de la mer, Calassou lit le poème d’une voix grave et lasse, n’est-ce pas un poème de nuit, poser les mots sur le crépitement des gouttes sur les flaques, les notes s’éparpillent, boiteuses, elles s’écrasent ou s’étirent, la lecture est finie mais la guitare continue, les cordes s’effilochent et semblent se désaccorder, à vous de réfléchir à l’ambiguïté du texte, hormis la métaphore de la pluie comme image de la solitude, l’on ne sait quand commence ou finit la solitude, lorsque l’on dort à deux ou lorsque le matin vous sépare, Calassou nous donne à entendre que la pluie n’est pas intermittente.

    OBSCURITE DES ORIGINES

    (Traduction de Maurice Betz)

    (YT / 05 – 09 – 2024)

             Ce poème est extrait du Livre des Heures (1899-1906), ce recueil a profondément marqué ses lecteurs, des milliers d’anonymes éprouveront le besoin d’écrire à Rilke, il est composé de trois livres, Le Livre monastique, Le livre du pèlerinage, Le Livre de la Pauvreté et de la Mort, malgré les titres rien de religieux il s’agit bien de la terrible ascèse que se doit de subir l’Artiste pour parfaire son œuvre, toute une génération de langue allemande s’est reconnue en ce volume qui conte la vie d’un être humain qui va jusqu’au bout de sa propre vérité, beaucoup de ces textes ont été écrits au Worpswede lors de la séparation d’avec Clara. Il faut savoir brûler ses vaisseaux pour continuer à être. 

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             Le timbre d’Eric Calassou est aussi grave que durant sa lecture du texte précédent, de sa voix lente et forte il détache les mots, il est important de ne rien laisser dans l’obscurité, ou alors est-ce le contraire, peut-être faut-il échapper  à la lumière qui semble nous réconcilier avec le monde, se pourrait-il que le noir recèle d’immenses courants d’ombre inconnue vers laquelle il est impératif de se mettre en marche, l’on pense au Traité des Couleurs de Goethe affirmant que le combat de la lumière et de l’obscurité engendre la forme des couleurs, l’on pense aussi à la lampe de travail entrevue par Cocteau, son cercle de lumière tient le monde prisonnier mais c’est l’encre symboliquement noire du poëte qui détient la présence de toute chose, encore un poème de folle ambiguïté, Calassou a imaginé une espèce de fausse musique d’église synthétique qui klaxonne toute seule dans la démesure de sa solitaire présence

             Remercions Eric Calassou de nous ouvrir par ses deux mises en voix et en musique les plurivoques sortilèges miroitant de l’univers rilkéen. Espérons que d’autres tentatives suivront.

    RILKE – RODIN - CROWLEY

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             En 1902 – 1903, Rilke, suivant les conseils de Clara, sculptrice rappelons-le, rendra visite à Auguste Rodin dont elle a été l’élève. Durant pratiquement un an Rilke sera le secrétaire de Rodin. De celui qu’il considère comme son Maître, Rilke retiendra une unique leçon, la seule qu’il pouvait et voulait recevoir, l’œuvre exige du créateur qu’il consacre tous les instants de sa vie à un inexorable travail quotidien…

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             Nos lecteurs qui ont suivi nos chroniques sur les traductions effectuées par Philippe Pissier des écrits d’Aleister Crowley se remémoreront les poèmes hommagiaux que la Grande Bête 666 écrivit sur des sculptures de Rodin. Etrange de s’apercevoir que la figure de Rodin joue le rôle de passeur entre des univers qui a priori n’offrent aucun lien de parenté.

    Damie Chad.

    P.S. : pour ceux qui sont intrigués par la communauté artistique Worpswede, lire :

    CONCERT SANS POETE. KLAUS MODICK. (Slatkine & Cie / 2016)

    ÊTRE ICI EST UNE SPLENDEUR. VIE DE PAULA M. BECKER. MARIE DARRIEUSECQ. (Folio 6349 / Août 2017)

    JOURNAL DE WESTERWEDE ET DE PARIS. 1902. RAINER MARIA RILKE. (Rivage Poche /2002 )