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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 2

  • CHRONIQUES DE POURPRE 695 : KR'TNT ! 695 : LOU REED / GREEN MILK FROM THE PLANET ORANGE / WILD BILLY CHILDISH / DYNAMITE SHAKERS / DAVID WERNER / DAHUZ / GENE VINCENT /

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 695

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    19 / 06 / 2025

     

     

    LOU REED

    GREEN MILK FROM THE PLANET ORANGE

    WILD BILLY CHILDISH  

     DYNAMITE SHAKER / DAVID WERNER

     DAHUZ  / GENE VINCENT

      

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 695

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

    - Le grand méchant Lou

    (Part Three)

     

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             Un tribute à Lou Reed ? Allez on y va. Il s’appelle The Power Of The Heart, et c’est un Light In The Attic de Record Store Day, c’est-à-dire le Grand Jour des Arnaques Planétaires. Tu rapatries le tribute pour trois raisons principales. Un, le

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    «Waiting For My Man» de Keith Richards, ou la rencontre improbable du Velvet et de la Stonesy, 60 ans après l’arrivée de Brian Jones à la Factory, avec Nico à son bras. Keef en fait une cover qu’il faut bien qualifier de mythique. Impossible de la qualifier autrement. Il prend le Waiting à la languide de London town - Hey white boy/ What you do in our town - Keef ramène à sa façon tout le beat urbain de ce vieux hit qui est l’une des racines du monde moderne. Deux, Maxim Ludwig & Angel Olson tapent «I Can’t Stand It» en mode wild-as-fucking-fuck. T’as tout le ramshakle du Velvet qui rapplique. Et trois, Greg Dulli & Afghan Wigs ramènent en B le Wig power dans «I Love You Suzanne». Dulli est l’un des géants du monde moderne. T’as aussi Joan Jett & The Blackhearts qui tapent «I’m So Free» avec tout le glam Angelino dont elle est capable, et Bobby Rush fait une version Deep South de «Sally Can’t Dance». Rickie Lee Jones ratatine «Walk On The Wild Side», elle est trop New Orleans, elle se vautre. Par contre, Lucinda Williams fait une belle cover de «Legendary Hearts». 

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             T’as un autre Light paru cette année qui vaut le déplacement : Why Don’t You Smile Now: Lou Reed At Pickwick Records 1964-65. Comme t’en finis jamais avec le Lou, t’es bien content de rapatrier ce Light. Et de sacrées surprises guettent l’imprudent amateur, à commencer par le protozozo des Roughnecks et «You’re Driving Me Insane». C’est d’une rare violence ! Pré-Velvet. Le Lou a déjà ça dans la peau. C’est lui qui chante, nous dit Richie Unterberger dans ses liners. Encore de l’early Lou avec The Beachnuts et «Cycle Annie», il y a déjà la voix et la stature. Là t’as tout, y compris le tongue-in-cheek. Pareil avec The Primitives et «The Ostrich». C’est noyé dans le Totor de yeah yeah ! Le «Soul City» des Hi-Lifes est assez wild, bien sous-tendu du contrefort, assez coriace. Et tout bascule dans le Totor Sound avec Ronnie Dickerson et «Love Can Make You Cry», elle se prend pour les Ronettes ! I Elle a du répondant la coquine ! On retrouve le Lou primitif dans les Primitives et «Sneaky Pete». Tout le poids du Velvet est déjà là. On se régale encore de Terry Phillips et «Wild One», early New York City rock, le mec est pop, mais il peut se fâcher. Tout ça date de 1964. On sent nettement la modernité. Avec «Why Don’t You Smile», les All Night Workers ne sont pas très loin des Righteous Brothers. Robertha Williams est là avec «Tell Mama Not To Cry», il faut la voir gueuler, mais elle impressionne. En fait, Robertha est Ronnie Dickerson. Les Surfsiders se prennent pour les Beach Boys avec des covers de «Surfin’» et de «Little Deuce Coupe». L’esprit de Brian Wilson rôde encore dans le «Sad Lonely Orphan Boy» des Beachnuts, et avec «I’ve Got A Tiger In My Tank», ils tapent encore dans le Beach Boys Sound. The Beach Boys in New York city ! C’est pour le moins inattendu.

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             Passons aux choses sérieuses : le book. On devrait dire Ze Book. L’auteur : Will Hermes.  Le titre : Lou Reed: The King Of New York. Récent. Jaune. Pas de titre sur la couve. Rien que la bobine du Lou. Il te toise. 500 pages. T’en as pour un moment. Tu vas pas t’en plaindre. T’es là pour ça. Pour lire des livres. Et celui-là sort de l’ordinaire. De façon spectaculaire.

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             Eh oui, amigo, il arrive que le sujet d’un book dépasse l’auteur. Les Anglais ont une expression parfaite pour qualifier ce genre de personnage : larger than life. Le Lou est un personnage hors normes. LA rockstar par excellence. Dépassé par l’hors normes du Lou, Hermes Trismégiste noircit ses 500 pages en pure perte. Le Lou lui échappe comme il nous échappe, on croit le connaître parce qu’on l’écoute depuis 50 ans, mais on ne sait rien. On croit qu’on sait, mais on ne sait rien. La vanité reste bien la pire des tares. La malédiction du genre humain. Plus tu te crois intelligent et plus t’es taré. Et plus on avance vers la mort, plus on mesure l’étendue de la tare. Heureusement, ce cirque va bientôt se terminer.

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    Lou Reed and L.A. and The Eldorados

             Le Lou, c’est d’abord un caractère. Après t’as le Velvet et encore après, quelques personnages en orbite, Delmore Schwartz, Barbara Rubin, Andy Warhol, John Cale, Nico, et Danny Fields, sur lesquels on va revenir. Mais sans le caractère, pas de Velvet. Quand le p’tit Lou prend des cours de guitare, le prof veut lui monter le solfège et le p’tit Lou l’envoie aussitôt sur les roses : «No no no, teach me to play the chords for this record.» Pas la peine de discuter. Quand il joue dans une équipe de basket, le p’tit Lou balance le ballon dans la gueule du coach pour se faire virer. Il monte son premier groupe dans les early sixties, L.A. & The Eldorados, il tape des covers de Ray Charles et de Jimmy Reed, mais il y glisse ses textes et veille toujours à ce qu’il y ait le mot fuck. Très vite le p’tit Lou se dit écrivain : «I’m just going to use music.» Le rock n’est qu’un prétexte. On a cru pendant 50 ans que le Lou était un rocker, alors qu’il était écrivain. Don Fleming qui est le curateur des archives du Lou dit aussi qu’il est écrivain, et non «rock and roll singer». L’idole du p’tit Lou : Delmore Schwartz. Le p’tit Lou boit ses paroles. Schwartz défend une théorie : l’art combine l’expérience vécue et celle qu’on fabrique. Le Lou va incarner cette théorie. Quand il est convoqué pour le draft, c’est-à-dire l’armée, le p’tit Lou avale du Placidyl et menace de buter tout le monde. Et tout le temps, il revient sur une obsession : work. Il dit qu’on a rien sans travail. Andy Warhol et son work ethic lui sert de modèle. Pour arriver quelque part, dit-il, «you should work very very hard. Work is the whole story. Work is litterally everything.» Le métier d’écrivain est celui qui demande le plus de travail. 

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             La télé et le cinéma n’ont aucun effet sur le p’tit Lou. «Movies didn’t do it for me. TV didn’t do it. It was radio that did.» Le premier disque qu’il achète est le «Fat Man» de Fatsy. Puis il flashe sur Hank Ballard, the El Dorados, the Cadillacs - all these bands that were doing four chords music. Four chords, that’s all you had to know - Il épure très vite. Il flashe encore sur le «Maybe» des Chantels, chef d’œuvre de «girl-group pop», «and one of the greatest songs in rock history.» En 1957, nouveau flash avec une cover de Fatsy, «I’m Walking», par Ricky Nelson. Flash encore sur les ritals du Bronx, Dion & the Belmonts et «I Wonder Why». Puis il se paye une Gretch hollow-body electric. Et il se met à composer des chansons. Hermes Trismégiste le dit mieux encore : «And he began figuring out how songs came together.» Tu ne bats pas l’anglais à la course dès lors qu’il s’agit de causer rock. 1958 : il a 16 ans quand il se retrouve pour la première fois dans un studio d’enregistrement, avec un chanteur noir nommé Phil Harris, mais aussi Mickey Baker et King Curtis. On bossant avec des blackos, il comprend immédiatement l’une des règles d’or : «I can’t sing black. I knew that right then. I said don’t ever try.» Les grandes lignes sont là : quatre accords et la voix blanche.

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    Tom Wilson

             Hermes Trismégiste considère le Velvet «to be one of the world’s greatest rock bands, alongside the Beatles, the Stones, Funkadelic and the Grateful Dead.» C’est une façon comme une autre de jeter les dés qui jamais n’aboliront le hasard, dans cet univers de tisane où l’on pleure et l’on rit comme on peut. On connaît l’histoire du Velvet par cœur, mais on y retourne. Ça grouille d’infos, dans Ze Book. Le trio Lou/Cale/Sterling Morrison se donne rendez-vous à deux pas du Columbia Studio A de la Septième Avenue où Bob Dylan enregistre Bringing It All Back Home avec Tom Wilson. Un Tom Wilson que le trio va bientôt rencontrer. C’est Angus MacLise qui ramène un book titré The Velvet Underground et tout le monde trouve que ça ferait un joli nom pour le groupe. Le Velvet est formé, mais personne ne veut chanter. Le Lou compose, mais il n’est pas à l’aise au chant. Il dit très vite à John Cale qu’il ne le considère pas comme un compositeur. Finalement le Lou va chanter. 

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             Le premier grand fan du groupe n’est autre que le journaliste Al Aronowitz. Puis Barbara Rubin entre dans la danse. Dylan traîne dans le coin, ainsi que Robbie Robertson, le guitariste de Ze Band. Cet imbécile de Robertson s’assoit pour écouter le Velvet jouer un cut, «and then he gets up and walks out in disgust.» Voilà pourquoi on a toujours détesté ce frimeur de Robertson : à cause de The Last Waltz et à cause du dégoût que lui inspire le Velvet. L’un des drug buddies d’Aronowitz n’est autre que Brian Jones. Lui, on est content de le croiser dans les parages. C’est vrai qu’à leurs débuts, les Velvet n’y allaient pas de main morte. Rob Norris : «Avant même de comprendre ce qui se passait, everyone was hit by a screeching surge of sound, with a pounding beat louder than anything we had ever heard.» John Cale se souvient que le Velvet jouait tellement fort que les gens s’enfuyaient en courant.

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             Andy Warhol cherchait un groupe pour animer sa Factory. Il avait fait un essai avec les Fugs, mais ça n’a pas marché. Ça ne pouvait pas marcher. Puis il rencontre le Lou au Café Bizarre sur West Third Street. Le Velvet y joue six soirs par semaine. La scène est minuscule et le Velvet joue pour des touristes. Sterling indique que Moe jouait du tambourin : pas de place pour son tom bass. Entrent ensuite en lice Billy Name et Gérard Malanga, puis Nico avec son «teutonic contralto croon» bien contrebalancé par le Diddley Beat de Moe Tucker. Tu te régales à chaque fois que tu relis les détails de cette histoire, car avant d’être l’histoire du Velvet, c’est celle de la Modernité. Et t’as Nico qui allume une bougie avant chaque début de set. John Cale ajoute que chaque set du Velvet est spécial.

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             Le Velvet enregistre un premier acétate au Scepter Sound de Florence Greenberg. Le Lou ne veut pas de Nico, mais Nico chante quand même. Elle est tellement stressée qu’elle pleure entre chaque prise d’«I’ll Be Your Mirror». Puis on envoie l’acétate chez Columbia qui n’en veut pas. No way. L’Ahmet d’Atlantic aime bien certains cuts mais il bloque sur «Venus In Furs». Elektra n’en veut pas non plus. No way. Le seul label qui dit oui est MGM/Verve Records. Pouf, le Velvet signe un contrat. L’A&R qui les signe n’est autre que Tom Wilson qui vient de quitter Columbia après avoir produit l’un des albums les plus prestigieux de l’histoire du rock : Bringing It All Back Home. Il va donc en produire un autre avec le Velvet. Eh oui, Tom Wilson n’est pas n’importe qui. Il a déjà eu dans les pattes Sun Ra, Cecil Taylor, les Mothers (qui haïssent le Velvet) et Van Dyke Parks. Il a aussi fait des stars de Simon & Garfunkel en remixant «The Sound Of Silence». Le Lou a donc du pot d’être tombé sur Tom Wilson. Le Lou profite de l’occasion pour barboter les 3 000 $ de l’avance : pas un sou ni pour Andy ni pour Paul Morrissey qui font pourtant partie du Velvet biz. Le Lou estime qu’il ne leur doit rien. La Modernité, c’est lui. Andy en restera affecté. La relation Andy/Lou est brisée. Il faut être carré avec Andy dès qu’on parle de blé.

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    Yardbirds : Waiting for the man ( live)

             Quand le Velvet débarque en Californie, c’est le choc des civilisations. Mary Woronov l’explique très bien : d’un côté le Velvet sous amphètes et de l’autre les hippies sous acide, d’un côté le Velvet homo et de l’autre les hippies homophobic, d’un côté les Californiennes aux gros nibards qui ouvrent les cuisses pour baiser sans discuter, et de l’autre le Velvet qui ne baise pas et qui préfère le SM, d’un côté les Californiennes qui cuisent leur pain et de l’autre le Velvet qui ne mange pas. Et puis il y a le son : le Velvet is on fire avec du feedback. Les Yardbirds de Jimmy Page sont l’un des rares groupes impressionnés par le Velvet. Jimmy Page les trouve «intenses». Les Yardbirds vont d’ailleurs reprendre «Waiting For The Man» sur scène. Le Velvet n’en finit plus de durcir son son à coups d’«hot-shit rock’n’roll guitar breaks». Hermes Trismégiste parle de «The Gift» comme d’un «two-chord saunter with droning solos that threatens to break into Them’s 1964 single «Gloria» for ten minutes straight.» Et puis t’as le stand-out, «Sister Ray», «a nineteen-minute groove monster that hurled forward with the breathlessness of a meth rush while feedback squalls flashed like heat lightning and Reed hollered out scenes of what sounded like a party to end all parties.» La prose d’Hermes Trismégiste flashe comme un stroboscope, t’auras jamais ce niveau d’intensité en langue française. Il est bon de rappeler que le rock se chante en anglais et qu’il s’écrit en anglais.

             Quand Andy fait asseoir le Lou pour lui expliquer qu’il doit faire évoluer son groupe, et qu’il doit y réfléchir, le Lou le vire sur le champ. Pourquoi ? Parce que, dit-il, la première chose à faire pour évoluer était de le virer - That was one of the things to do if we were going to move away from that - Andy est furieux. Le Lou : «He was really mad. Called me a rat. That was the worst thing he could think of.» Le Lou est plus déterminé que jamais. Il fait monter quatre micros sur sa Gretsch Country Gentleman, utilise une Tone Bender, (Vox distorsion box) et sort sur un AC100 - he was determined to make a noise supreme - Il prend Steve Sesnick comme manager. Calimero ne peut pas schmoquer Sesnick, il le traite de snake et l’accuse d’avoir «fucked up» sa relation avec Lou.

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             Lors de l’enregistrement de «Sister Ray», l’ingé-son Gary Kellgren craque. Il ne supporte pas le «meth-surging intensity», «stroboscopic din» de Sterling Morrison : il sort du studio et leur dit de l’appeler quand ils ont fini. Hermes Trismégiste se régale avec «Sister Ray», il en fait une page entière et raconte que pour finir le cut, «after seventeen breathtaking minutes, they drive the riff over a cliff.» «Sister Ray» restera le cut préféré de Peter Perrett.  

             Puis le Lou convoque Moe et Sterling Morrison au Café Riviera pour leur annoncer que Calimero est viré du Velvet. Il confie au pauvre Sterling la mission d’aller annoncer la bonne nouvelle à Calimero. Tout ceci est parfaitement détaillé dans What’s Welsh For Zen. En seulement un an, le Velvet est passé du stade de «fulcrum of a multimedia art extravaganza with Warhol (...) to a dark-matter psychedelic juggernaut navigating the outer limits of free-form improvisation and lock-groove hypnotcs to their current incarnation: a fairly straightforward rock and jamming in hippie dance hall.» Après l’élimination de Calimero et d’Andy, le Velvet continue d’avancer et le Lou nous dit Hermes Trismégiste «was at a creative peak» : 1969 est l’année du troisième album, avec «Reed’s most enduring songs.» Un an plus tard, ce sera fini.        

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             Voilà la fin des haricots. Moe tombe enceinte et Doug Yule bat le beurre pour enregistrer «Ocean». Ils enregistrent d’ailleurs le quatrième album sans elle - She was heartbroken - Le Velvet sans Moe et son mix de Diddley Beat et de Yoruba Beat n’est plus le Velvet. Doug Yule et son frère Billy n’ont jamais su jouer comme elle. Le Lou voulait un son plus commercial, d’où le retour  aux kits conventionnels. Fin de la Modernité. Le Lou venait de signer sur Atlantic et voulait faire un album «full of hits» - It was one reason the album was titled Loaded - Le Lou a 30 ans et il n’est pas devenu riche. Sterling Morrison prend ses distances, arrête la clope et la dope. Moe est retournée avec sa fille vivre chez ses parents à Long Island. Un soir, elle va voir ce qui reste du Velvet jouer au Max’s Kansas City et trouve le Lou assis dans l’ombre. Elle passe le bras sur ses épaules et lui demande : «Louie. What’s the matter?». Et le Lou lui répond qu’il quitte le Velvet. Moe voit le concert du Velvet ce soir-là, «But it wasn’t the Velvets.»  Le dernier concert du Velvet est celui qu’on trouve sur le Live At Max’s Kansas City, «one of the worst-sounding albums ever released», mais nous dit l’immanquable Hermes Trismégiste, «the music and spirit» de cet album «made Reed’s solo debut seem weak by comparison.»

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    Moe Trucker

             Et puis viendra le temps de la reformation et Billy Name s’extasie : «They sounded so rich and authentic - the same setup with the same tones and everything.» Mais dans le NME, le Lou jure qu’il ne rejouera jamais avec Calimero. Un Calimero qui supplie le Lou de continuer l’aventure du Velvet. En vain.

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    Lou / Sterling

             C’est le Lou et Sterling Morrison qui avaient formé le velvet. Morrison avait commencé par étudier la trompette, puis il s’est mis à la guitare, influencé par Chucky Chuckah, Bo Diddley, T-Bone Walker «and especially Mickey Baker». Il ne pouvait que s’entendre avec le Lou. Quand ils commencent à jouer ensemble, ils démarrent sur une cover d’Ike & Tina Turner, «It’s Gonna Work Out Fine». L’autre grande rencontre déterminante de l’early Lou, c’est l’hero. Il démarre en 1964, alors qu’il est encore étudiant à Syracuse. Puis à la Factory, il va passer au speed, «cheap, easy to get and mostly legal». Andy prend de l’Obetrol et Reed préfère le Dexogyn, «straight methamphetamine, stronger and longer-lasting.» Le Lou dira qu’il était sous amphètes «my whole life».

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             Au temps où il composait pour Pickwick. Terry Phillips lui demandait de composer «10 Californian songs», alors il composait 10 Californian songs. Puis 10 Detroit songs. Puis du surf. Avec les Roughnecks, il enregistre «You’re Driving Me Insane». Puis c’est «The Ostrich» avec les Primitives, qui sont un peu la racine du Velvet. La période Pickwick joue un rôle considérable dans le développement du Lou : il apprend à composer et à enregistrer.  Quand Calimero entre dans la danse, il se découvre un sacré point commun avec le Lou : «The only thing we had in common were drugs and an obsession with risk taking. That was the raison d’être for the Velvet Underground.» Calimero est impressionné par la «fuck-you attitude» du Lou. Ils partagent tout : les idées, les seringues et les hépatites. Le Lou et Calimero envisagent tout simplement de développer «a sort of aggro-avant-garde take on Phil Spector’s pop Wall of Soud - into something both commercially viable and artiscally earth-shaking.» Pas de meilleure définition du Velvet. L’avant-garde, Calimero la connaît par cœur : il vient de passer 18 heures à jouer les Vexations d’Erik Satie, une compo de 80 secondes répétée 840 fois. C’est bien que Satie soit mêlé à cette histoire : on reste au cœur de la Modernité. Et encore une fois, sans Calimero, pas de Velvet ni de Modernité. Calimero est formel : «We created a kind of music that nobody else in the world was making and that nobody had ever heard before.» Quand à Ludlow Street, le Lou dit à Calimero que «The Ostrich» est facile à jouer, «because all the strings are tuned to the same note», Calimero est complètement scié, «because that’s what we were doing with La Monte Young in the Dream Syndicate. It was pretty amazing, we couldn’t beleve it.» Ils ont d’autres points communs : Calimero est fier d’être l’étudiant «le plus haineux» de son école de musique.

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             L’autre acteur clé dans cette histoire est la Factory, un grand loft au quatrième étage du 231 East Forty-seventh Street, qui devient rapidement un «magnet for collabrators, peers, groupies, fame junkies, speed freaks and other hangers-on.» Andy Warhol devient une star, «widly successful, influential, inescapable.» Hermes Trismégiste fait défiler les «Warhol’s superstars», Edie Sedgwick en premier. Ces pages donnent le tournis. En 1965, Andy teste les Fugs pour animer la Factory, mais ça ne colle pas. Par contre, ça va coller avec le Velvet. Et même plus que coller. Super-coller. Bob Dylan passe à la Factory, mais il ne peut pas schmoquer Andy, et Andy le trouve «corny», ce qui n’est pas très flatteur.

             Calimero rappelle qu’au temps de la Factory, on appelait le Lou Lulu - I was Black Jack. Nico was Nico - Danny Fields ajoute que tout le monde était amoureux du Lou, «me, Edie, Andy, everyone.»

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             Et qui dit Factory dit bien sûr Nico, qui est déjà auréolée de légende quand elle débarque à la Factory au bras de Brian Jones : elle a joué pour Fellini et a pris des cours chez Lee Strasberg. Dylan sera aussi frappé par la beauté de Nico, allant jusqu’à l’appeler Rita dans «Motorspycho Nightmare» - Looked like she stepped out of La Dolce Vita - À Londres, elle avait déjà enregistré un single pour Andrew Loog Oldham sur Immediate, «I’m Not Sayin’», accompagnée par Brian Jones et Jimmy Page. Quand elle débarque à New York, elle montre son single à Andy et l’acétate du cut que Dylan a composé pour elle. C’est là qu’Andy a l’idée de la faire entrer dans le Velvet. Le Lou accepte à contre-cœur : «I was just this poor little rock and roller and here was this goddess.» Bien sûr le Lou va tomber amoureux d’elle, même si Sterling Morrison affirme : «Lou Reed in love is a kind of abstract concept.» Jusqu’à la fameuse rupture, lorsque Nico arrive en répète et déclare devant tout le monde : «I cannot make love to jews anymore.» Humilié, dévasté, le Lou va s’envoyer une bouteille entière de Placidyl. On reverra Nico à Monterey au bras de Brian Jones, puis elle va entamer une love affair avec Jimbo, qui commence à peine à décoller avec les Doors.

             Et puis t’as l’after-Velvet. Le Lou solitaire. Il doit se re-positionner. Construire un personnage, «a street punk Everykid». C’est Richard Robinson qui va relancer la carrière du Lou et lui décrocher un contrat chez RCA. Le Lou développe un «glam-ghoul look», celui que va shooter Mick Rock pour Transformer. Il va trimballer ce look de «Phantom of Rock», de «zombie-drag harlequin of decadence» et porter du cuir noir pendant un certain temps. Il monte sur scène complètement défoncé. Il bat tous les records.

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    Lou Reed et Robert Quine

             L’un des personnages clés de la période solo du Lou n’est autre que Robert Quine, l’ex-Voidoid - a lover of Richie Valens, John Lee Hooker, Jeff Beck, the Stones, and jazz, Coltrane in particular - Quine va devenir un «Velvet fanatic» : «White Light White Heat completely changed my life.» Quine est pote avec Lester Bangs et avec Eno avec lequel il explore les restaurants asiatiques. Après la fin des Voidoids, il contacte le Lou et lui propose de l’accompagner, à une condition : que le Lou «start playing guitar again with gusto.» L’idée de Quine était de re-créer «a Velvet Underground-style attack, with himself as a post-punk Sterling Morrison.» Des quatre ans qu’ils vont jouer ensemble, Quine trouve que la première «was really great». Ils enregistrent ensemble The Blue Mask. Puis la relation va se détériorer avec Legendary Heart. Quand Quine entend le mix, il s’aperçoit que le Lou l’a fait disparaître. Terminé.

             Quand le Lou rencontre David Bowie pour la première fois, ils cliquent. Bettye Kronstad : «Lou did kinda fall in love with him.» La même nuit, ils rencontrent Iggy au Max’s, un Iggy que Danny Fields a ramené à New York et dont Calimero vient de produire le premier album, avec les Stooges. Ah comme le monde est petit.

             Dans sa période calme, le Lou épouse un trans, Rachel Humphreys.

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    Lou & Bettye

             Puis il entame une relation mouvementée avec Bettye Kronstad, avec des yeux au beurre noir, aussi bien elle que lui, car elle ne se laisse pas faire. Il la frappe, alors elle le frappe. Le Lou bricole aussi avec Moogy Klingman qui avait auparavant bossé avec le Wizard & True Star Todd Rundgren. Et quand le Lou est attiré par Berlin, c’est surtout de façon littéraire, via le Goodbye To Berlin de Christopher Isherwood, le Berlin Alexanderplatz d’Alfred Döblin, et bien sûr le Cabaret de Bob Fosse. Puis il revoit son look et se fait un «Jean genet prisoner haircut», augmenté d’un collier de chien, de cuir clouté, et d’un ceinturon avec une boucle en bec d’aigle - His look was uncut gay leather bar. But to most straight rock fans, it simply read as post-glam hypermachismo - Et bien sûr, sa cote n’en finit plus de monter. Bowie le considère comme «the most important, definitive writer in modern rock.» Et il dit à Burroughs : «New York City is Lou Reed.» Quand le Lou enregistre Sally Can’t Dance, il laisse tomber des metal guitars d’Hunter & Wagner et va sur un son plus dansant, «the sort of music Rachel adored.» Il continue de se goinfrer d’amphètes et ne bouffe presque plus. Il ne vit alors que d’hot-dogs et de whisky. Sur scène, il parle beaucoup aux gens, et remet bien les choses au carré : «What’s wrong with cheap dirty jokes? Fuck you. I never said I was tasteful.» Pur Louism. Quand le Lou demande à Bowie de produire son prochain album, Bowie accepte à une condition : qu’il arrête la dope et la booze. Alors le Lou lui saute dessus, le gifle à deux reprises, l’attrape par le colbac et lui crie ça en pleine gueule : «Don’t you ever say that to me.» On ne fait pas la morale au Lou.

             Quand on lui demande ce qu’il pense des petits jeunes qui débarquent au CBGB, le Lou dit adorer Tom Verlaine, par contre, il déteste Brouce Springsteen : «He’s a shit.» Il trouve les Ramones fantastiques. Quand il entend une démo des Ramones pour la première fois chez Danny Fields, il s’exclame : «That’s the greatest thing I’ve ever heard.»    

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    Clive Davis, Lou Reed

             Puis Clive Davis prend le Lou sous son aile et le signe sur Arista. Davis : «It was good for the label. He was edgy, farsighted, independant and hugely influential.» Au début des années 80, le Lou est un homme neuf. Il fait gaffe à sa santé et pratique les arts martiaux. On passe complètement à autre chose. Il fréquente les réunions du Narcotic Anonymous et un jour un mec l’agresse : «Comment osez-vous vous pointer ici - you’re the reason I took heroin.» Le Lou se met à rouler en moto, il opte d’abord pour une Suzuki, puis pour une Harley V-twin Super Glide.

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             Il va ensuite fréquenter l’un des New-Yorkais les plus légendaires de son temps, Doc Pomus, que fréquentent aussi Dylan et Dr John. Mais la relation ne va pas durer longtemps, car Doc se chope un petit cancer en 1991. Le Lou va le voir à l’hosto et propose de lui ramener une télé couleur, mais Doc lui dit de ne pas se prendre la tête avec ça - Pomus was a black-and-white guy.

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    Lou & Laurie

             Le Lou vit sa dernière love affair avec Laurie Anderson. John Zorn : «It’s the love affair of a lifetime.» Le Lou essaye aussi de bosser avec Scorsese qui compte adapter au cinéma In Dreams Begin Responsabilities de Delmore Schwartz. Mais ça ne débouche pas. Scorsese propose aussi au Lou le rôle de Ponce Pilate dans The Last Temptation Of Christ, mais c’est Bowie qui récupère le rôle.

             Le Lou reconnaît qu’il a du pot d’avoir survécu à tout ce bordel de «substance abuse and the AIDS pandemic» : «I’ve put my dick in every hole avaliable.» Lucky Lou ! Pendant les dernières années de sa vie, il pratique le tai chi. Il balance ça à un journaliste : «Tai chi keeps your dick really big. Haven’t you figured that out yet?».

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             Hermes Trismégiste se penche longuement sur les héritiers du Velvet et notamment sur Peter Laughner qui était littéralement obsédé par le Lou : «Lou was my Woody Guthrie and with enough amphetamine, I would be the new Lou reed.» Mais il n’aura pas le temps. Hermes le miséricordieux cite d’autres héritiers : les Feelies, Yo La Tengo et son «feedback-loving writer-guitarist Ira Kaplan», Steve Wynn et son clin d’œil au Dream Syndicate de La Monte Young, Susanna Hoffs of the Bangles au temps de Rainy Day. Mais dans ses grandes largeurs miséricordieuses, Hermes Trismégiste omet de citer les Subsonics.

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             Les pages sur le déclin physique et la fin du Lou sont terrifiantes. Il faut les lire. Le Lou et Laurie Anderson passent une dernière nuit à papoter et à faire des exercices de respiration. Et puis à l’aube, le Lou demande à aller sur la terrasse - Take me to the light - Ce sont ses derniers mots. On a Sunday morning. Tout a une fin. Même le Lou.

    Signé : Cazengler, Lou ridé

    The Power Of The Heart. A Tribute To Lou Reed. Light In The Attic 2024

    Why Don’t You Smile Now: Lou Reed At Pickwick Records 1964-65. Light In The Attic 2024

    Will Hermes. Lou Reed: The King Of New York. Farrar, Straus & Giroux 2023

     

    L’avenir du rock

     - Green Milk cow blues

             Chaque fois que l’avenir du rock croise un squelette dans le désert, il s’agenouille pour examiner les dents. Il ne récupère que les dents en or. Comme elles sont généralement bien vissées dans la mâchoire, il a dû se fabriquer un petit marteau primitif pour les déloger. Bing ! Bing ! Bing ! En général, elles cèdent au bout de trois coups, quand la mâchoire explose. Il en a déjà pas mal dans sa poche. Ça peut toujours servir.

             — À quoi ? Se demande-t-il...

             — On verra bien, répond-il. L’essentiel est d’avancer. L’occasion fera le larron !

             Il repart d’un pas léger. Comme personne ne lui pose les questions, il se les pose. C’est l’un des luxes de la solitude conjoncturelle :

             — Ça ne te pèse pas trop sur la conscience de détrousser un cadavre ?

             Il réfléchit un court instant et répond :

             — Au contraire ! Avec sa dent en or, ce frimeur n’a eu que ce qu’il méritait !

             — Ta franchise l’honore !

             — Oui, j’en suis très fier.

             Il atteint le sommet d’une dune. Au loin, très loin, il voit quelque chose briller. Intrigué, il repart dans la direction du mystérieux objet brillant. Un jour de marche, et puis deux. Il finit par approcher de ce qui semble être une fourgonnette. Elle ressemble à ces food-trucks qu’on voit aujourd’hui un peu partout, avec un auvent levé et trois tabourets disposés devant le comptoir. Au-dessus de l’auvent est peint en grosses lettres baveuses le nom de ‘Thénardier’. L’avenir du rock approche et demande au gros commerçant :

             — Vous vendez à boire ?

             — Toutes les boissons du monde !

             — Alors servez-moi un verre de Green Milk From The Planet Orange !

             — Vous avez de quoi payer ?

             Alors d’un geste magnanime, l’avenir du rock jette sur le comptoir une poignée de dents en or. 

             — Paye-toi, misérable !

     

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             Green Milk From The Planet Orange ? Par sécurité, tu visionnes un clip vite fait sur YouTube. C’est pas que tu te méfies, mais on ne sait jamais. Le clip est filmé chez un disquaire. Tu les vois assis tous les trois sur des chaises. Le guitariste et le

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    bassiste sont assis de chaque côté du batteur et se font face. Ils mettent leur petit biz en route et tu fais la moue, car ça vire prog. Tu ne fais pas la moue longtemps, car leur prog s’énerve tout seul et soudain, tout explose, ils cultivent la montée en neige qui mène droit à l’apocalypse. Ils valent bien mille groupes garage.

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             Cette fois, c’est pas en marchant que tu descends à la cave, c’est en courant. Et tu retombes exactement sur le plan filmé chez le disquaire : les trois mêmes petits Japonais assis en comité restreint, la neige qui monte et ta mâchoire qui se décroche et qui te pend sur la poitrine comme une lanterne. Le petit batteur s’est mis en short pour jouer. Il s’appelle A. On n’avait encore jamais vu un batteur aussi fou, c’est sans doute le plus grand pétaradeur du mondo bozarro, il démultiplie les roulements à l’infini et shoote dans le cul du prog une énergie jusque-là inconnue. Les Green

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    Milk font du Can à la puissance mille. Leur prog te demande un temps d’acclimatation, mais une fois que t’es hooké, il ne te lâche plus. Si t’es sentimental, tu diras même que c’est pour la vie. Le bassiste n’en finit plus de trépigner sur sa chaise avec sa belle basse verte. Son collègue en face pique des crises de Méricourt qui font passer Damo Suzuki pour un enfant de chœur. Il s’appelle Dead K.

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             La preuve de tout ça se trouve sur Tragedy Overground, un CD d’un seul titre, le cut de 22 minutes qu’ils ont joué en dernier. Tout le set y est, intact : ça met du temps à se mettre en route, mais ça se met bien en route. Dead K te drive ça au long cours, soutenant son chant avec un tiguili avarié joliment délibéré, une gamme qui en dit long sur ses intentions hégémoniques. Et ça monte très vite en température,

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     t’as intérêt à en profiter, car t’es pas près de revoir un truc pareil, et derrière t’as le batteur fou A, un vrai diablotin on fire, il démultiplie ses rapatatata, et, suivant le principe du prog qui est de voyager, ils enquillent des niveaux jusque-là peu empruntés, ils font tout en même temps : ils créent un monde et pulsent dans les bastingages, histoire de créer une explosion infra-nucléaire, Dead K envoie une fuzz qui fond dans le Bessemer de Sister Ray, mais c’est encore autre chose, c’est beaucoup plus dynamique, t’as une sorte de frénésie bulbique, une pathologie uniquement accessible à des Japonais libres de tous leurs mouvements, et crois-le bien, c’est une aubaine que de retrouver cette propulsion infra-nucléaire sur un disk, ils t’explosent tous tes pauvres a priori, leur capacité démonique bat tous les records, Dead K part en vrille de wah et gueule dans son micro comme le mec de Guitar Wolf, yah ! Il est possédé par le diable d’Orient, c’est brillant et ça repart comme si de rien n’était. Ils battent largement Can à la course, ils cultivent une science du parcours prog, mais avec un souci constant d’énergie, ça brasille au plus haut point, ça te laisse comme deux ronds de flan et le fantastique tatapoumage t’envoie valdinguer dans l’apothéose. Tu crois qu’ils vont se calmer, mais non, ça repulse dans l’excès inverse, ils repoussent toutes les limites du genre, ils vont bien au-delà du concept de power-trio, le diablotin charge la chaudière en permanence, c’est du sans appel, Dead K hurle tout ce qu’il peut et ça bascule dans une démesure de Planète Orange. Un seul uh et la messe est dite.

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             Tu ne perdras pas ton temps à écouter le split live qu’ils ont enregistré avec Fuzzwolf, un groupe américain. Ce live s’appelle Let’s Split. Ah ils y vont de bon cœur les trois Milk, le petit diablotin te bourre bien le mou du son et ça part pour 20 minutes de prog intensif. Ils ne te laisseront aucun répit. Les Japonais sont souvent cruels. La férocité intensive est leur fonds de commerce. Ils sont capables d’allumer au plus haut point, de calmer le jeu et de revenir ensuite à la charge de la lutte finale. C’est la loi du prog à roulettes : tu passes par toutes les étapes, tu leur accordes des délais, tu attends qu’ils t’envoient au tapis, t’es là pour ça, tu tends la joue, vazy frappe, Green Milk, frappe si t’es un homme, alors ils frappent, ils sont marrants, ils ne lésinent pas sur la marchandise, surtout le diablotin, il pétarade ses roulements à une vitesse toujours plus accélérée, on se demande d’ailleurs comment il fait, serait-il un robot ? Il est trop rapide, et son collègue Dead K se met à gueuler dans son micro, on ne comprend rien à ce qu’il raconte, mais on est habitué avec les Japs, ils savent claquer le beignet d’un yaourt, c’est l’énergie qui les intéresse. Ils s’expatrient en fanfare, ils sont complètement déjantés, incapables de se rattraper, leur cirque est une merveille, tu crois entendre un groupe de rock vénusien, ça bascule dans un Tannhäuser de cyberspace et t’as évidemment la belle explosion finale battue comme pâtre par ce fou d’A.

    Singé : Cazengler, grise mine d’abonnette Orange

    Green Milk From The Planet Orange. Le Trois Pièces. Rouen (76). 2 juin 2025

    Green Milk From The Planet Orange. Let’s Split. Silver Current Records 2024

    Green Milk From The Planet Orange. Tragedy Overground. Not On Label 2025

     

     

    L’avenir du rock

     - Big ado Dynamite

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             Entre la dynamique et la dynamite, l’avenir du rock n’hésite pas un seul instant. Il commence par aller s’acheter un vieux costume du XIXe siècle aux Emmaüs, gris anthracite, un peu lustré, qu’il complète d’une chemise à col droit et d’une simple lavallière. Il niche dans la poche de son gilet assorti un chronomètre gousset qui lui permettra de calculer précisément la longueur des mèches. Enfin, la mousseline noire du pantalon tombe sur une paire de souliers en cuir verni et assez souples pour permettre la course en cas d’irruption inopinée des féroces inspecteurs de la Sûreté. Il envisage pendant un instant de se peindre le visage en bleu, en hommage à Pierrot Le Fou, mais il n’est pas question de finir aussi bêtement que ce pauvre Pierrot qui, après avoir allumé la mèche du chapelet de bâtons de dynamite qui lui ceinture la tête, cherche en vain à l’éteindre. Boum ! L’avenir du rock trouve ce boum trop Dada. Il préfère Ravachol. Alors là oui, ça a de l’allure ! Il s’est laissé pousser une belle moustache qu’il lustre à n’en plus finir, et comme il connaît bien ses classiques, il a transformé sa cuisine en antichambre des enfers, collectionnant des marmites anciennes récupérées chez des forgerons de villages, noircies par mille ans d’usage, et qu’il remplit jusqu’à la gueule de cloutaille, de vissaille, de mitraille, de limaille, de quincaille, de ferraille, de rocaille, de grenaille, de médailles, de rimailles, de vitrailles, de boustifaille, et schploufff et schplafff, il tasse et entasse en ricanant et en transpirant comme une brute atroce, le visage marbré d’éclats de lumière rouge, les yeux injectés de sang, il rue et il brait, et schploooufff et schplaafff, il arrose toute ça d’une crème de poudre noire, et avec un rire terrible qui s’en va ricocher sous le plafond calciné par les fumées, il plante sur son immonde gâtö des bâtons comme autant de bougies d’anniversaire, mais pas n’importe quels bâtons, amigo, des bâtons de Dynamite Shakers, pour être bien sûr que tout explose et que le capitalisme soit anéanti à tout jamais. Boum !

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             Quand tu les vois arriver sur scène, tu les trouves un peu verts. Tee-teen, oh ma tee-teen. Un concept jadis exploré par d’autres tee-teens : les Undertones, Shirley & Lee, ou encore les Collins Kids. Contexte tee-teen exacerbé par le guitariste du fond et la petite bassiste. Le guitariste du fond s’appelle Calvin, d’une rare maigreur, vêtu d’un short sexy, de collants noirs et d’un petit haut noir, il pèse tout au plus 30 kg, il gratte en jetant fréquemment la patte en l’air, il court énormément sur place et, petit détail capital, il sonne un peu comme Johnny Thunders. Sa gestuelle rappelle celle de Mick Jones qui avait déjà tout pompé sur Pete Townshend. Contrairement à ce qu’indique sa maigreur, il est extrêmement athlétique. On voit rarement des guitaristes aussi ollé-ollé, aussi dégourdis de la gambette. Dans une vie antérieure, il devait danser le French Cancan au Moulin Rouge. En combinant ce côté thunderien, la gambette folle et ce flux constant d’énergie, il menace en permanence de voler le show.

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             La petite bassiste s’appelle Lila-Rose. Elle opte pour un jeu beaucoup plus statique mais pas inintéressant. Elle vise l’efficacité, le radicalisme bassmatique. Le son suit. Derrière, t’as un excellent dynamiteur au beurre, il s’appelle François, et au milieu de tout ça, t’as une petite rock star en herbe, Elouan, qui tape des poses dignes de celles d’Eddie Cochran. Looka here ! Dommage qu’il ne gratte pas une Gretsch, l’illusion serait parfaite. Il met vite le set au carré, sait poser sa voix et partir en vrille de scorch quand il le faut. Si jeune et déjà complet ! 

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             Alors évidemment, les Dynamite Shakers concentrent tous les défauts propres aux groupes français : maladresse du mimétisme, manque de maturité compositale, absence totale d’hit. Ça fait cinquante ans qu’on a fait le tour du problème. Seuls les Cowboys, les Dum Dum et Weird Omen ont su créer un monde et échapper aux pièges du mimétisme. Scéniquement, le set des Shakers tient la route, mais tu sais que t’auras pas d’hit. Tu pourras tout au plus te contenter de secouer la tête. C’est déjà pas mal. Et puis soudain, tout bascule. Tu reconnais l’intro de «Strychnine». Ils

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     en tapent une version dé-vas-ta-trice ! Et là tu dis oui, mille fois oui, car tu vois bien qu’ils jettent toute leur énergie dans le dévolu. Les Shakers deviennent énormes, ils balayent tous les a priori. Leur cover de «Strychnine» est absolument herculéenne, une vraie bénédiction, elle passe en force, pas comme celle des Cramps, ils préfèrent dynamiter la leur, bien lui allumer la gueule, ils l’envoient carrément valser dans la stratosphère, et du coup, on oublie les compos qui ne fonctionnent pas et tous les problèmes liés à la malédiction des groupes français. Ils vont rééditer cet exploit en rappel avec une autre cover du diable, le «Feel Alright» des Stooges, qu’ils tapent en mode white light white heat d’explosion thermonucléaire, en mode aller simple vers le no way out, ils tapent d’ailleurs la magistrale version des Damned qui, t’en souvient-il, visait l’incontrôlabilité des choses. Avec deux covers, les Dynamite Shakers défoncent la rondelle des annales, et c’est à partir de là que tu les vois entrer dans la cour des grands. Vous reprendrez bien une dose de Dynamite ?

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             Alors boum ! Don’t Be Boring. Cet album sonne comme une belle collection d’énormités, dont celles qu’ils ont claquées sur scène, «Blow My Mind» et «What’s Going On». Accès direct ! Le Blow est monté sur un beau riff gaga, c’est même riffé à la vie à la mort, bien propulsé. On note au passage que Jim Diamond signe la prod de l’album. Ces cuts sont balèzes et classiques - I say hey what’s going on ! - Éclatants et solides à la fois. Par contre, quand c’est elle qui chante, ça ne fonctionne plus. L’album reprend du poil de la bête avec «Look How Fast It Goes», t’as tout le saint-frusquin, le gros beurre de soutien, le killer solo flash et la belle fin d’apocalypse. On se régale aussi d’«I Can’t Wait For You». Le riff est sain. Ils terminent avec «The Bell Behind The Door» qui est aussi leur cut de fin de set. Il est bien ramoné de la rémona. Ce Bell de fin est massif, riffé à l’oss. Ce sont les guitares qui dictent la loi. Le riff te met sur la voie du seigneur. La leçon de cette histoire ? Composer des hits n’est pas donné à tout le monde. On connaît par cœur le circuit des petites cavalcades françaises qui ne mènent nulle part. Les Shakers n’ont que des énormités, c’est déjà pas mal. Ils gardent les coups de génie pour la scène.

    Signé : Cazengler, dynamiteux

    Dynamite Shakers. Le 106. Rouen (76). 5 juin 2025

    Dynamite Shakers. Don’t Be Boring. Les Disques En Chantier 2024

     

     

    Wizards & True Stars

     - Le rock à Billy

     (Part Four)

     

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             La branche armée du mouvement révolutionnaire de Wild Billy Childish s’appelle CTMF (Copyright TerMination Front), autrement dit short for Chatham Forts. Fondé en 1974, The Medway Military Research Group donne ensuite naissance aux Chatham Forts. Cette organisation ultra-subversive va lâcher pas moins de 9 bombes en 10 ans, et causer dans le monde occidental des ravages sans précédents. Les trois principaux activistes de cette branche armée sont  Wild Billy Childish et ses deux bras droits, Wolf (le roi du beurre pète-sec) et Nurse Julie (alias JuJu Claudius, alias JuJu Hamper).

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             Leur premier méfait date de 2013 et pour mieux brouiller les pistes, il porte un nom bizarre : Die Hinterstoisser Traverse. Une sombre histoire d’alpinisme. Le mec qu’on voit sur la pochette n’est pas Billy Childish, mais Hinterstoisser, le mec mort pendant la descente d’un sommet qui s’appelle l’Eiger, dans les Alpes suisses. Toutes ces précisions proviennent bien sûr de sources bien informées. Fais gaffe si tu retournes la pochette, car on y voit un cadavre d’alpiniste qui pendouille au bout d’une corde. Wild Billy Childish n’a jamais fait dans la dentelle, ce que vient confirmer «Thatcher’s Children». On se croirait chez les Clash, tu entends même la bassline de London Calling. Puis avec «Joe Strummer’s Grave», il rend hommage à Strum en chantant comme Johnny Rotten - Richard Branson don’t shine ! - Tu l’as dit bouffi ! Et la dérilection se poursuit avec une cover gaga d’«Israelites», il rentre avec ses gros sabots dans le monde délicat de Desmond Dekker. Le résultat est ravissant. Il opère un bouclage de balda avec un fantastique shoot de gaga fantôme, «Dunkum Does As Dinkum Do», bien arrosé des coups d’harp de John Riley qui est aussi l’ingé-son de Rochester où se déroule l’enregistrement. En B, Wild Billy Childish revient à l’objet de sa fascination enfantine : les power chords des early Kinks, avec «The Kids Are All Square». Il n’existe rien de plus Childish que ça en Angleterre. Il te chante ça à pleine gueule. Même les instros sont lourds de conséquences sur cet album alpin : le morceau titre est gorgé d’heavy menace. Il tire le meilleur de l’Allemagne avec «Oh Mein Gott - Baader Meinhof», c’est-à-dire Baader, et puis Joseph Beuys. La fête se termine brutalement avec «Racist Attack» - Sittin’ at the bar/ Sippin’ at the jar - Il situe l’histoire en 1978, il fait sonner son eight en hate et fait du big fat cockney avec Johnny Rotten mister rastafari - Strutting with Johnny Rotten by my side.

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             C’est sur la pochette bizarre d’All Our Forts Are With You qu’on trouve les informations relatives à la création du Medway Military Research Group. On voit d’ailleurs nos quatre activistes en herbe sur la photo. Album bim bam boom car «On Moonlit Heath» ! Heavy chords des Who circa Shel Talmy. They got the power ! Claqué brutal d’«I Can’t Explain». Ils reviennent aux Who au bout de la B avec «All Our Forts Are With You (Reprise)», c’est whoish in the face, chœurs/basse/beurre, the Chatham Forts are with you ! Pur genius ! Wild Billy Childish et Dan Melchior sont des inclassables, des mecs qui à force de te bourrer le mou avec de bons albums finissent par t’épuiser la cervelle et le porte-monnaie. Le porte-monnaie, c’est compliqué, mais la cervelle, c’est bien. Car sinon, elle ne sert pas à grand-chose, si on te l’épuise pas, ta cervelle. Oh et puis tu aussi cette cover ex-plo-sive d’«I Just Wanna Make Love To You» en B, il y ramène tout le JuJu, tout le dark, tout l’écho du monde, c’est l’un des plus beaux hommages à Big Dix. Oh et puis cet «I Should Have Been In Art School» claqué aux heavy chords des early brutes, Wolf te tape ça à la cloche de bois, et c’est gratté à la pure disto du Kent, il appelle la guitar/guitar et ça part en dérapage contrôlé, le gaga protozozo du mighty Childish boy reste flambant neuf. Dans «The Musical Rogues», il sort son meilleur accent cokney pour dénoncer the musical rogues & the padys of the pots, the musical rogues & the handys of the hawk. Tu te débrouilles comme tu peux avec le cockney. Ce sacré Billy se valide tout seul avec «I Validate Myself», il y a au cokney de Chatham avec les chœurs magique de Nurse JuJu. Et re-bim bam boom avec le morceau titre - I know/ You/ Bâillebeee - il tartine son baby sur un riff-raff de Dave Davies, c’est gaga jusqu’à l’oss de l’ass, le bassmatic de Nurse JuJu traverse le cut sans mettre son clignotant, à la déglingue sourde, et Billy passe un solo de fin suspensif complètement délinquant. Inutile d’aller chercher ça ailleurs. Ça n’existe pas.     

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             Tu peux voir Nurse Julie sur la pochette d’Acorn Man. Et tu peux l’entendre chanter «Zero Emission» dans le balda. Le wild ride n’a aucun secret pour elle. Retour en force des coups de génie gaga dès «It’s So Hard To Be Happy». Wild Billy Childish harponne plus qu’il ne gratte, schlakkkk, aw yeah. Il fait encore ses frasques de flamboyant rocker avec «He Wore A Pagan Robe». Il reste l’ultime star de l’underground britannique. Son rock est d’une élégance définitive. Nurse Julie y va au sucre gluant dans «What Is This False Life You’re Leadin». Décadente et juvénile à la fois, et derrière, c’est raw ! Coup de génie encore en B avec «Curious Filters», tapé à l’early sixties gaga-punk de Muddy Waters, bien gorgé de fuzz du Kent. Avec «Punk Rock Enough For Me», Billy dresse son bilan, yeah yeah, au working out for me, et il cite en vrac Dostoïevski, Robert Johnson et Jimmy Reed. Puis il revient à son obsession pour Dave Davies avec «Acorn man (Slight Return)» : riff-raff de Really Got Me et solo trash. Franchement, que demande le peuple ?                 

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             Ah tu crois vraiment qu’ils vont se calmer ? Ha ha ha ha, fait SQ1, c’est-à-dire Square One. Crack-boom ! Retour direct à Dave Davies avec «By The Way Of Love & Hate», encore du Really Got Me revu et corrigé. Et Wolf est toujours exact au rendez-vous. Au bout de la B des cochons, tu vas tomber sur un magnifique clin d’œil à Bo avec «Cadillac». Tu as même les coups d’harp d’époque. Il reprend aussi un vieux groove sixties dans «A Fallen Tree» et l’arrose d’une fuzz tirée d’«I Can Only Give You Everything». Mais la bombe est à l’entrée du balda : «A Song For Kylie Minogue», et là il fait son Spencer Davis Group d’I just don’t know. Il croque la vie à pleines dents et ramène là-dedans le tiff d’orgue de «Gloria». Exactement le même climax. JuJu reste sur les accords de «Gloria» pour «Turn & Run». Tout reste ancré dans la magie des sixties et derrière elle, le Billy gratte sec. Sacrée déclaration d’intention avec «CTMF», not the first of many/ Maybe the last, et il gueule I’ll stand the time ! Cet album est littéralement hanté par les accords de «Gloria», comme le montre encore «When I Think About You».

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             La bobine du young Childish orne la pochette de Brand New Cage. Même chose : t’y vas les yeux fermés, car comme dans le cochon, tout est bon là dedans. Volent retour aux Who avec «You Destabilise Me». C’est encore «Can’t Explain». Pure explosion de crashin’ in. Nurse JuJu s’enhardit et chante pas mal de cuts sur l’album, notamment «Bullet Proof». Ah elle est vénale ! Elle chante aussi «It’s All Gone Wrong» et cet affreux Jojo de Billy y passe le pire et le plus gluant killer solo trash qui soit ici-bas. Il gratte ses vieux accords de protozozo dans «In The Devils Focus, et profite de l’occasion pour chanter comme un démon cockney. Et en B, il s’en va cavaler ventre à terre avec «Something’s Missing Inside», bien propulsé par Wolf et bien sûr, cet affreux Jojo de Billy ne rate pas l’occasion de passer le plus wild des killer solos trash. Il est à la fois incurable et LE modèle du genre

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             In The Devil’s Focus est un mini-album, mais un mini-album explosif. Il monte son «Billy B. Childish» sur le riff-raff d’«Hey Bo Diddley». Suprême auto-hommage - Billy Billy poor/ Billy Billy poor/ Billy Childish can’t teach ! - Il attaque son «You Gotta Lose» au wouaahhh yeah. Ça n’a l’air de rien comme ça, mais c’est encore un modèle du genre. Il pose son heavy blues rock sur le ravissant bassmatic de JuJu. C’est classique, mais éclatant de génie impénitent. Voilà, le ton du mini-album est donné. Avec le morceau titre, il fait du classic talking jive, bien monté sur le bassmatic pouet pouet de JuJu, et derrière, Wolf fouette la peau des fesses. Quelle leçon d’humilité ! «Empty» colle bien au papier. Billy chante au bord du précipice et gratte comme toujours des poux féroces. Surprise en taille en B avec «I’ve Done Something Rotten». Il y a du psyché dans le son et Wolf y bat la chamade aigrelette. JuJu attaque «Medway Trogglamania» au heavy pouet pouet, et l’heavy Billy y va au ding dong de King Kong, pur genius d’in terms of education. Puis retour au full blow out avec «Rusty Hook». Chaque album du CTMF est une aventure terrifiante. Tu ressors de celui-là en claquant des dents et en recommandant ton âme à Dieu.

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             La cerise sur le gâtö du CTMF est Last Punk Standing And Other Hits, à la fois par le contenant et le contenu. Tu les vois tous les trois, sur la colline et tu sais que l’album va te sonner les cloches. C’est d’ailleurs ce que tu préfères dans la vie : te faire sonner les cloches. JuJu attaque de front avec «It Hurts Me Still», elle est prodigieusement juste et délicieuse, elle est gaga-dirt jusqu’au bout des ongles, elle chante comme la Femme Fatale de l’Underground Britannique. Rien qu’avec ce cut, t’es content d’avoir chopé le Last Man Standing. Mais attends, c’est pas fini. Retour à Dave Davies et aux early Kinks avec «The Darkness Was On Me», les accords craquent comme du bois sec. Mêmes dynamiques ! Et sur «I Can Recall It All», Nurse JuJu claque le bassmatic de «Jumpin’ Jack Flash» ! Pire encore : Sur «Some Unknown Reason», ils jouent l’intro de Wanna Be Your Dog. Exactement la même progression d’accords. Gloups ! Une stoogerie ! Alors si c’est pas un clin d’œil, qu’est-ce que c’est ? Ce démon de Billy chante comme les Buzzcocks de Spiral Scratch sur «You Can’t Capture Time», au cockney des bas-fonds ! Ils finissent «Like An Inexplicable Wheel» en mode mad psyché, et maintenant, place aux coups de génie, à commencer par «Gary’s Song». C’est JuJu qui emmène cette oriflamme des silver sixties en enfer, à une fabuleuse allure. Ah il faut avoir entendu ça au moins une fois dans sa vie, si on ne veut pas mourir idiot. Puis Billy te swappe sur le tard ce wild shoot de childish breakout qu’est «The Happy Place». Te voilà encore sidéré. Il ne te lâche jamais la barbichette. Mais le pire est à venir : «Last Punk Standing», gratté au vieux protozozo de Zanzibar - I’ll give you an understanding ! - Il te roule dans la farine de l’heavy riff des Them. Te voilà une fois de plus au cœur du proto-punk anglais. 

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             La pochette de Where The Wild Purple Iris Grow s’orne d’un magnifique portait de notre héros. Nœud pap, chapeau et gros cigare, le voilà qui joue les dandys. Il en a largement les moyens. Alors attention, c’est encore du condensé de crack-boom-uhue. Ne serait-ce que pour la cover du «Ballad Of Hollis Brown» de Bob Dylan. Il la prend à la wild attack dylanesque, au rumble des enfers avec des coups d’harp véracitaires, c’est stupéfiant d’énergie et de brasillement. Sinon, cet album n’est rien d’autre qu’un gros tas de coups de génie. Désolé d’avoir à le dire, mais c’est vrai. Sans doute est-ce là le meilleur album de rock paru en 2021. La preuve arrive sur le plateau d’argent du morceau titre en ouverture de balda, un shoot faramineux d’heavy psychedelia, Billy cultive l’art gaga jusqu’au délire, il en fait un bouquet d’excelsior et c’est ravagé par du booming de bassmatic demented. Tu tombes à la suite sur un «Mystery Song» qui sonne comme un obscur hit sixties frappé à l’uppercut du far out. Billy chante ça comme s’il chantait le dernier rock du monde. Son rock reste d’une vérité criante, d’une rare authenticité, et il screame son ass off. Tu tombes encore de ta chaise avec ce «She Was Wearing Tangerine» monté sur la fantastique structure percussive d’un bassmatic on tiptoe - I walked out the hopsital - Il boucle ce fumant balda avec «Come Into My Life», un horrible monter bash vitriolé par un jus de disto. Apocalyptique ! C’est vraiment tout ce qu’on peut en dire. En B, il tape une version enflammée du «Train Kept A Rollin’» et il travaille son «You Say That You Love Me» à l’ancienne mode des Downliners Sect. Sans pitié pour les canards boiteux ! Coin coin. Tu t’imagines que le vieux Billy tourne en rond ? Pas du tout. Il réinvente en permanence le garage britannique. Il finit avec «The Same Tree», une pure giclée de British Beat des origines.

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             On retrouve sa fameuse red leatherette Klira guitar sur la pochette de Failure Not Success. Il déborde un peu sur son autre side projet, The William Loveday Intention, car il rend deux hommages à Bob Dylan : «Hanging By A Tenuous Thread» et «Bob Dylan’s Got A Lot To Answer For». Il trempe dans «Like A Rolling Stone», yeah hanging by a tenuous thread, et il embarque le deuxième à la fuzz. Il rend deux autres hommages de taille. Le premier à Richard Hell avec une wild cover de «Live Comes In Spurts», et le deuxième à Jimi Hendrix avec «Fire», un «Fire» qu’il jouait sur scène au Nouveau Casino, voici 20 ans. Il tape en plein dans l’Hendrixité des choses, il prend le Fire au petit chat perché Childishy et derrière tu as les chœurs demented de Nurse JuJu, wouuuhh let me stand/ By your fire, et bien sûr, Wolf bat le beurre du diable. Te voilà encore une  fois plongé dans la mythologie des temps modernes. Il ramène encore tout le power des Chatham Forts dans «Come Into My Life» et y passe un solo atrocement traîne-savate. Cet affreux Jojo de Billy est capable de tout. Comme d’ailleurs l’affreuse Jojote de JuJu.

    Signé : Cazengler, Billy Chaudepisse

    Wild Billy Childish & CTMF. Die Hinterstoisser Traverse. Squoodge Records 2013 

    Wild Billy Childish & CTMF. All Our Forts Are With You. Damaged Goods 2013     

    Wild Billy Childish & CTMF. Acorn Man. Damaged Goods 2014                   

    Wild Billy Childish & CTMF. SQ1. Damaged Goods 2016

    Wild Billy Childish & CTMF. Brand New Cage. Damaged Goods 2017

    Wild Billy Childish & CTMF. In The Devil’s Focus. Damaged Goods 2017

    Wild Billy Childish & CTMF. Last Punk Standing And Other Hits. Damaged Goods 2019

    Wild Billy Childish & CTMF. Where The Wild Purple Iris Grow. Damaged Goods 2021

    Wild Billy Childish & CTMF. Failure Not Success. Damaged Goods 2023

     

     

    Inside the goldmine

    - Werner n’est pas verni

             Varnier s’était taillé une petite réputation dans l’underground franchouillard. Ce sont des réputations qui se mesurent à l’échelle d’une vie. C’était un gentil mec, un peu bavard, mais bon, il y a plus grave. Certains lui reprochaient aussi une certaine inertie. Il avait fanziné à la bonne époque et vendait quelques disques dans sa boutique à la ramasse. On ne se posait même pas la question de son honnêteté, ça se voyait comme le nez au milieu de la figure. Dans ce milieu, rares sont ceux qui inspirent une confiance automatique. Et comme il cultivait soigneusement son érudition, on tendait l’oreille lorsqu’au détour d’un interminable monologue, il recommandait un album. Comme on ne partageait pas systématiquement les mêmes goûts, on lui achetait parfois un album pour lui faire plaisir, ce qui est bien sûr la dernière chose à faire. Disons qu’il en pinçait pour le ventre mou du rock américain, une maladie bien française. C’est le travers des disquaires généralistes. En allant chez les disquaires spécialisés, on évitait ce genre de problème. Born Bad ne vendait que des bons disques. Rock On aussi. Alors que Varnier ne posait pas de problème majeur, sa compagne en posait un. On avait rarement vu une créature aussi haineuse, aussi malveillante. Une sorte de Némésis insidieuse. Elle rentrait dans les conversations sans se présenter, et à la première occasion, elle crachait son venin avec une rare violence. Alors on se tournait vers Varnier qui ne disait rien. Il semblait même tolérer cette brutalité verbale. Elle pouvait en outre basculer dans la vulgarité, tout ça dans le cadre d’une espèce de conversation mondaine. Elle retournait le moindre argument en accusation et vitupérait comme une atroce mégère, elle devenait hideuse, et ses longs cheveux bruns se transformaient soudain en serpents qui sifflaient. Alors on prenait la fuite, épouvanté par cette effroyable créature. Le traumatisme ne s’arrêtait pas là. Elle se manifestait la nuit dans des cauchemars. 

     

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             Pendant que Varnier perdait des clients à cause de cette abjecte pouffiasse, Werner cherchait à en gagner grâce à ses tentatives d’osmose avec Ziggy. Apparemment, Brent Rademaker, l’âme des Beachwood Sparks, est le seul qui ait flashé sur David Werner. Tentons d’y voir plus clair.

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             Nous voilà en plein glam avec Whizz Kid, un RCA Victor de 1974. David Werner se prend pour Ziggy. Il y va au seem to feel hazy dans le morceau titre. Apparemment, RCA a misé gros sur lui. La rondelle du label est un gros RCA orange, comme celui de Ziggy et du Transformer. Mais franchement, qui a besoin d’un nouveau Ziggy ? Il force encore le trait sur «The Ballad Of Trixie Silver», aw c’mon ! Il a chopé tous les réflexes et Mark Doyle fait le Ronno. En B, Werner passe au Mott avec «Love Is Tragic». Il se retrouve à la croisée de Mott et de The Hoople, ces deux albums si emblématiques. Il finit par retomber en plein Ziggy avec «The Death Of Me Yet», il a même la grosse cocote glam. C’est admirablement articulé, joué au ralenti glam. Très beau numéro de Mark Doyle - And oh so sweeter/ When I never know/ Never know your regerts - Il flirte avec le génie glam.     

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             Malgré sa belle pochette, Imagination Quota est un album raté. Dommage, car David Werner est un beau mec, comme le montre l’image, au dos de la pochette. Joli chapeau, présence indéniable. Il tente encore le coup avec de faux accents de Ziggy.

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    On sent un parti pris flamboyant. «Cold Shivers» cherche à décoller, mais ça ne décolle pas, en dépit de ces indéniables accents glammy. Il travaille bien son accent, mais il n’a pas les compos. Même problème que Billy Tibbals. Il a du monde derrière lui, des chœurs, du sax, tout le bataclan RCA, mais il lui manque l’essentiel : les compos. Son «When Starlight’s Gone» est assez digne de «Rock’n’Roll Suicide», avec le guitarring dramatique de Mark Doyle. David Werner se rapproche encore de Mott avec «Aggravation Non Stop», mais ça s’arrête là.  

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             Finalement, c’est son troisième album sans titre qui rafle la mise, en dépit de cette pochette très années 80. Cet Epic de 1979 est un très bel album de glam, avec Thom Mooney au beurre, eh oui, le batteur de Nazz ! Dès «What’s Right», t’as les accords de T Rex. Et ça continue avec «What Do You Need To Love», merveilleusement gratté par Mark Doyle. En bout de balda, Thom Mooney te bat «Eye To Eye» bien sec et net. Il drive sa loco comme Jean Gabin drive la sienne, c’est bien vu, ça tape en plein dans l’œil du cyclope ! En B, ils attaquent avec le big sound d’«Hold On Tight» et la fête glam se poursuit avec «Every New Romance». C’est très anglais dans l’approche, légèrement ralenti du bulbe. On peut même parler d’un coup de génie. On retrouve Ian Hunter sur «High Class Blues» et ça devient un heavy stomp Wernerien. C’est chanté à deux voix avec des clap-hands à la Glitter et des coups d’harp. C’est tellement bien senti, bien fourbi, bien garni ! David Werner compte parmi les beaux albums de glam, même s’il est arrivé après la bataille. En 1979, le glam était mort et enterré.

    Signé : Cazengler, Wer vide

    David Werner. Whizz Kid. RCA Victor 1974    

    David Werner. Imagination Quota. RCA Victor 1975  

    David Werner. David Werner. Epic 1979

     

    *

             Je cherchai un groupe, j’en ai trouvé un. Immédiatement. Un signe. Tout droit issu de l’antique Provincia romaine. Sans le savoir j’avais déjà choisi de les chroniquer. Juste une injonction instinctive de  la couve. N’était-ce pas le visage éblouissant d’Alexandre le Grand, l’idée s’est imposée à moi, au prime regard. Il faut toujours se méfier de soi-même. Devrait plutôt s’agir d’Apollon. Quand j’ai vu les titres des morceaux, ce n’était plus du désir, c’était un de ces ordres péremptoires que les Dieux de l’ancienne Grèce adressent à leurs sectateurs. Que voulez-vous tout le monde ne peut pas adorer Cthulhu. Quoique…

    DAHUZ

    (Bandcamp / Septembre 2019)

             Un trio. D’Aix en Provence. Peu de renseignements si ce n’est cette courte phrase de présentation : ‘’en l’honneur des déités oubliées et des boucs’’. A tout hasard rappelons que le Bouc est une incarnation symbolique du Diable. Comme quoi nos provençaux s’intéressent aussi  à la face la plus sombre du Soleil Noir.

             Je ne connais point de déité qui se serait nommée Dahuz. Peut-être ont-ils rajouté un Z à la fin de l’animal mythique bien connu des méridionaux. Ces sudistes célèbres pour leurs galéjades.  Un Z c’est un peu comme le tréma de Blue Öyster Cult. Cela ajoute une note metal. Le Dahu est cette bête  qui hante les flancs montagneux. Hélas comme il a deux pattes du même côté plus courtes que celles de l’autre, il ne peut marcher qu’en suivant les circonvolutions collineuses. Il suffit de les effrayer pour qu’ils perdent leur équilibre… Dahuz veulent-ils signifier par ce Z terminal une certaine défiance par rapport à certaines croyances. Que voulez-vous tous les dieux ne s’appellent pas Ormuz.

             L’artwork est de Jo Riou qui se définit en tant que graphic designer. Un adepte des représentations sinuosidales. Son œuvre toute entière, peut être aperçue et perçue comme un immense labyrinthe mental liquide. A condition de considérer que le métal chauffé à haute température délaisse sa forme solide pour se muer en coulées de feu neptuniennes. Comme par hasard il a commis de nombreuses pochettes et affiches destinées au milieu instrumental metal. Méta-mental-metal pourrait être sa devise.

             La couve du premier opus de Dahuz répond parfaitement à cette devise. Elle entrecroise les rhizomes de plusieurs mythes, celui du roi Arthur, celui de la montagne magique – magistralement repris sous sa forme philosophale par le roman éponyme de Thomas Mann – celui des  profondeurs infernales, celui d’Héphaïstos et de Siegfried, jusqu’à la méditative fonction royale telle qu’elle est exprimée par exemple  dans Le Seigneur des anneaux… Certains diront qu’elle est un accroche-rêves, perso je la définirais au contraire comme un propulseur irradiant de l’énergie noire des rêveries… qui  ne sont que des images dévastatrices en action. Toute méditation n’est qu’une condensation extrême de la volonté. L’arc que l’on bande avant de lâcher la flèche. La nuit n’est-elle pas la plus noire à l’instant où elle réfléchit la lumière. Qu’elle engendre.

             Le logo de Dahuz est de Charlotte Ward. Que signifie-t-il ? Qu’une simple merde, un malencontreux tortillon d’étron, peut se métamorphoser en reptile monstrueux. Et réversiblement. Serait-ce un symbole alchimique liée à la pierre de feu philosophale qui se doit d’être manipulée avec précaution. Gare au Dahu, cette bête handicapée qui claudique comme Satan. Ou Lord Byron.

    Alexandre Culoma : bass / Emmanuel Cadman : guitar, vocals  / Guillaume Spinetta : drums

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    Minos : quatre gros riffs et puis s’en vont. Sur le premier tellement lourd, vous avez l’impression d’être un ver de terre enfoui sous des kilomètres de terre en train de forer la galerie qui s’écroule et s’éboule derrière vous au fur et à mesure de son avancée. Un peu comme si l’on vous avait jeté dans une profonde fosse et que l’on ait rejeté sur votre corps des myriades de pelletées d’humus humide. A moins que vous ne vous trompiez de personne et que vous soyez Pasiphaé enfermée dans son taureau de bois, votre vulve ouverte face à l’orifice par où le taureau introduira son vit turgescent par lequel il vous ensemencera. Mais peut-être, êtes-vous seulement, l’enfant taurin conçu dans votre matrice de mère, fœtus déjà vagissant, et peut-être expulsé des entrailles  des entailles, ou alors êtes-vous enfermé à jamais sous les voûtes sombres du labyrinthe dans lequel vous a enfermé Minos. N’es-tu pas la bête idéale en attente de ton sacrifice. Puisque l’atmosphère change, ô si peu, n’est-ce pas le moment d’évoquer Minos, celui dont l’épouse était la fille du Soleil, et qui refusa de sacrifier le taureau blanc, ralentissement, le temps de clore une mélopée mortuaire et un deuxième riff survient aussi lourd que le précédent mais plus rapide avant de se désagréger en petits fragments comme la pile d’assiettes de Tante Uursule que vous avez exprès laissé tomber sur le plancher ciré, silence, comme des ricochets sur le requiem de la basse, pluie de cymbales, le rythme s’alentit, le riff tressaute, c’est le cœur du Minotaure qui tape, le fil d’Ariane que Thésée lui passe autour du cou l’empêche de respirer, n’écoutant que son courage la bête colérique se rue dans la mort avec la même force que son sperme qui avait jailli dans le vagin de sa mère vagissante de plaisir. Behemoth : instrumental : sombreurs épaisses, la batterie imite la queue du monstre qui se bat les flancs, avec une telle force que résonne la cuirasse de sa peau  plus solide et épaisse qu’un bouclier de bronze.  Vous ne rêvez pas, ces espèces de beuglements assourdissants et ses rires vicieux de la guitare sont bien ceux du monstre. Le Dieu de la Bible lui-même l’a pétri de ses mains, non pas de glaise humaine trop fragile mais de roche granitée coagulée, il ne lui a point insufflé le souffle chétif des petits hommes, mais la force vitale animale, et si le rythme est devenu aussi doux qu’un murmure de printemps, c’est que le frère de Léviathan roule dans sa tête le songe infini de sa violence qui jamais ne s’achève, l’on croirait entendre un poème de Leconte de Lisle, ses pensées pesantes viennent de loin comme ces éléphants impavides qui passent et s’éloignent dans les lointains obscurs du monde.  La tension monte, le groupe joue doucement comme s’il avait peur de tirer la bête énorme de sa léthargie, il est sûr qu’elle les écraserait, sans même peut-être s’en apercevoir, terribles glissandi, les voici sur la  pente fatale des pires cauchemars, qu’ils soient enfantés par la divinité ou nous-mêmes, tous  les rêves sont mortels, maintenant le bonhomme Behemoth charge de toutes ses forces, de tout son poids, il abat et écrase tout ce qui ce qui a malheur de gésir sur son passage, il pourrait être plus méchant, plus cruel, plus stupide, mais sans doute nous tient-il pour portions concises ces négligeables intrusions, il baisse la tête et se met à brouter l’herbe fraîche. Tel un pacifique hippopotame dont l’âme composerait un épithalame. Qu’il récitera le soir où il ira engrosser la sainte vierge. Sekhmet :

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     encore une fille du Soleil, égyptien cette fois, son père lui a donné ses rayons, elle porte crinière de lion, le riff vous prend des contours orientaux, il imite la spirale agressive des serpents, les prêtres entonnent un chant monocorde pour apaiser ces fureurs, le morceau remue, la basse voltige comme une fronde, montée rectiligne vers l’âtre, vers l’astre  de feu, son père lui a fait don de sa puissance, de son ardence destructrice, les guitares sonnent la charge, la batterie tournoie comme un moyeu de feu, elle est la forme et la force malfaisante du Soleil, vous ne trouverez que protection auprès de lui que si comme elle, vous vous allongez à ses pieds comme chien de défense et d’attaque fidèle.

    Dahuz chante la puissance protectrice du Soleil. N’oubliez pas que celui qui détient le pouvoir peut tout aussi bien vous détruire. Tout symbole est réversible. Ambivalence totale.

    CINERES MUNDI

    DAHUZ

    ( 06 - 06 - 2025) 

             Donc d’abord la couve. L’Artwork est signé par : Seek Six Silks. Drôle de signature. A priori ce Cherche Six Soies me semble souscrire à une esthétique japonaise. Je me risque Stick Six Silks, bâton à six soies cadrerait encore mieux avec le geste inspiré d’un maître calligraphe. Je subodore une âme poétique. Je me rends sur son Instagram. Vous y trouvez de tout. Des choses mignonnitoles et gentilles, des petits chats, la couleur rose et des dessins rigolos. Pratique un art auquel je me suis adonné dans ma jeunesse : la sérigraphie, il utilise différents supports. L’est comme le soleil, l’a deux faces, une claire, souriante. L’autre obscure, préoccupante. L’aime les lettrages pointus comme des herses ou des grills, se préoccupe de poésie, qu’il qualifie de bon marché, mais sa mise en page de Rimbaud exige le déplacement.

    Alexandre Culoma : bass / Emmanuel Cadman : guitar, vocals  / Guillaume Chomienne : guitar, backing vocals  / Guillaume Spinetta : drums

             Cinq ans se sont écoulés depuis le premier EP. Reprennent leur thématique ensoleillée. Au travers des mythes grecs, avertissent-ils. Comme s’il en était besoin !

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    Sol invictus : n’ont pas varié. Le morceau est bicéphale. Peut-être même tri-phallique. Faut toujours que l’homme ramène   son grain de sel qu’il veut plus gros et plus long que tous les autres. Une guitare supplémentaire certes, mais aussi une esthétique moins basique et riffique. De véritables compositions. Magnifiquement orchestrées mais sans renier le primitivisme initial. La formule Sol Invictus est lié au culte de Mithra, le Dieu des légions romaines. Sang de Taureau pour ensemencer le monde, et Soleil victorieux qui depuis le solstice de juin dépérit un peu plus chaque jour mais reprend de la force  au solstice de décembre. Un culte qui remonte au néolithique. Le son s’est étoffé, idéal pour marquer la puissance plénipotentiaire de l’astre souverain. Montée progressive, jusqu’au moment où le chant, humain trop humain, se déploie, un hymne à la magnificence, toutefois vanter l’invincible immortalité du Soleil, c’est aussi pour l’homme reconnaître sa propre mortalité, la grandeur de l’un est l’aune par laquelle nous mesurons notre petitesse, sur leur FB, ils ont annoncé la parution de l’album en présentant un extrait de ce titre accompagné d’images mettant en scène l’explosion d’une bombe atomique, la créature humaine n’a pas tardé à imiter son maître, l’on comprend aisément la gravité qu’acquiert l’orchestration, qui n’en continue pas moins sa route, la caravane humaine agrémente le récit de ses actions par les sortilèges de ses mots communicatifs. Plus un mensonge est vêtu de beaux habits, plus on y croit. Phaeton : instrumental : une épopée musicale. L’histoire de Phaéton se prête bien à un poème musical. C’est le drame de l’impétuosité de la jeunesse et de la tentation de la démesure. Comme un bourdonnement d’avion, de par le vrombissement des guitares la ressemblance ne s’arrête jamais, Phaéton désire conduire le char de son père Hélios, le dieu Soleil, qui refuse jusqu’au moment, où lassé par les objurgations de l’adolescent, il cède. Le char tangue un peu mais Phaéton retient les chevaux, la montée vers le zénith se passe tant bien que mal mais parvenu à l’apogée de sa course il tire en vain de toutes ses forces sur le rênes, la descente est vertigineuse, les coursiers prennent le mors aux dents, sentent-ils l’écurie, toujours est-il qu’ils accélèrent, ils s’en donnent à cœur joie, l’ivresse de la vitesse les grise,  Phaéton ne maîtrise plus rien, tantôt le char s’éloigne de la terre et le froid glace et stérilise la terre, tantôt il est trop près du sol, les rivières s’évaporent, les moissons brûlent - voici une succession de changements climatiques bien plus rapides que l’actuel ! -  les hommes  accablés par ces calamités en appellent aux Dieux. Du haut de l’Olympe Zeus dirige un trait de foudre sur l’apprenti ambitieux.  Phaéton bascule dans le vide et tombe dans les flots de l’Eridan. L’on n’ose même pas imaginer le final grandiose qu’aurait composé Wagner pour un tel final crépusculaire.   Dahuz se contente d’arrêter la musique sans effet tonitruant. Sans doute suivent-ils la leçon du tableau de Brueghel l’Ancien (1525 – 1569) intitulé La chute d’Icare. Dans lequel l’on aperçoit d’honnêtes travailleurs vaquer à leurs vaches et à leurs moutons. Point d’Icare. Si tout en bas, sur votre droite, la jambe qui sort de l’eau c’est Icare qui termine son plongeon… La leçon est claire : il y a ceux qui travaillent et ceux qui perdent leur temps à poursuivre des rêves insensés. Une leçon pré-marxiste. Nous préférons la dédicace de Villiers de L’isle Adam aux  lecteurs de ses Contes Cruels : Aux rêveurs ! Aux railleurs ! Hyperion : la mythologie grecque est assez complexe, pourquoi au morceau précédent le Soleil se nomme-il Hélios, au suivant Apollon et dans celui-ci Hyperion. Lenteur et tristesse. Keats conte l’histoire du groupe des titanides qui présidaient aux destinées du monde avant d’être détrônés par la génération des Olympiens  regroupés autour de Zeus, Saturne a été obligé d’abdiquer, Okeanos cède la place à Poseidon, Hyperion possède encore sa place et sa puissance, mais il doit reconnaître qu’Apollon est à même de le remplacer… Keats laissera ce poème inachevé… En Allemagne le premier roman d’Hölderlin porte un titre similaire. C’est aussi un échec, celui de la libération de la Grèce de du joug turc… Il ne s’agit pas d’un roman politique mais d’un roman poétique. Les insurgés ne perdent pas parce que militairement ils sont vaincus, ils sont vaincus parce qu’ils n’ont pas su garder le rayonnement de la pensée Hyperionique de l’antique Grèce… Parfois le Soleil est comme les hommes il subit de longues éclipses. Un background somptueux, sans brusquerie, une flamme, une bougie qui brûle et s’éteint doucement. C’est ainsi que le monde crépusculaire se métamorphose en tapis de cendres. Comme si Pompéi et Herculanum n’étaient qu’une image de l’extinction de toute une civilisation. Funestes cymbales qui résonnent dans les temples désertés.

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    Apollon : un morceau difficile comment rendre compte de la beauté solaire et lumineuse du dieu de la musique. Dahuz ne s’en pas tire mal, le morceau n’est qu’un écho de quelque chose qui a lieu et qui n’a pas encore disparu, qui subsiste… au début l’on entend la voix de La Bruja, elle psalmodie comme la prêtresse subjuguée et habitée par le Dieu qui à Delphes énonçait les sentences du Destin, toujours obscur, car la lumière mentale éblouit et aveugle, n’est-ce pas une réminiscence de l’Apollon loup, Apollon Lykeios descendu des mondes hyperboréens, porteur de la sagesse instinctive, animale, sauvage et destructrice… cliquettements, du Dieu qui s’éloigne, à pas de loup, emportant avec lui la beauté fracassante des choses divines qui ne sont pas accessibles aux hommes, un effleurement de basse tout bas, pour nous habituer à son absence capable d’illuminer notre monde et d’enflammer nos esprits. Un péan immortel qui nous enveloppe dans le souvenir de ce qui n’est plus mais qui subsiste, par-dessus tout. Le plus beau morceau de l’opus. Triomphal. En dépit des dernières notes fêlées. Preuve que l’absence du dieu corrompt encore le monde. Icarus : un deuxième Phaéton qui connaîtra un même destin. Ne cherchez pas Icare ni dans sa chute ni au plus près du soleil, Icare vous ressemble à tel point que vous êtes Icare, que nous sommes tous Icare. C’est Jean Yvon qui nous le dit en citant et récitant Baudelaire, les premiers mots du poème Les plaintes d’Icare des Fleurs du mal, il a voulu coucher avec les astres, c’est un désastre, un background qui tournoie lentement, une hélice d’avion qui pique vers la terre, en contrechant Emmanuel tente le chant alterné, Tu Tityre patulae recubans… joute entre le poëte et le musicien, entre la musique et la poésie, tous deux, toutes deux tombent, de haut, l’un n’est-il pas monté alors que l’autre descendait, peut-être l’abîme s’est-il éployé au moment exact de la jonction croisementale, nous ne saurons jamais ce que chacun a entrevu, peut-être une aile qui faisait signe de monter, peut-être une aile qui faisait signe de descendre. Qu’importe où s’arrête l’ascenseur, en haut ou en bas, vous n’aurez connu que la prostitution d’avoir aspiré à un rêve ensoleillé trop grand pour vous. Finale. Beaucoup de bruit. Pour rien. Rappelons-nous Nerval : Quiconque a regardé le soleil fixement…

             Nous n’avons fait qu’effleurer cette œuvre qui mérite une grande attention.

    Damie Chad.

     

    *

             Pour cette fois-ci, faute de temps personnel, une petite escapade dans les images Gene Vincent 1960 – 1965, dès la semaine prochaine nous revenons aux fifties.

    GENE VINCENT WITH THE BEAT BOYS

    RAI – TV ITALY : ROME / 28 Mai 1960 

             Les débuts sont surprenants, serait-on dans une émission télé pour les enfants ou un programme similaire à notre vieille Piste aux Etoiles, ce défilé de sulkies attelés à de ravissants poneys blancs et noirs (pour la simple raison que la télé-couleur n’existait pas encore en Europe), mais non les trois derniers appariteurs, trompettes et applaudissements, un véritable générique de film, clament en chœur les deux mots magiques : CENE VINCENT !

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             Gene apparaît en gros plan, vêtu de cuir noir, banane frontale embroussaillée  et regard halluciné que près de vingt ans plus tard nos british punks anglais n’ont jamais su teinter d’une même  lueur de folie. Vous coule un regard vicieusement ironique, la même consistance inquiétante qu’un cran d’arrêt qui se faufile dans votre dos, tout cela sur l’intro de Blue Jean Bop : la prestation de Gene est éblouissante, il se dandine comme une marionnette suspendue à un fil, se courbe vers le micro la bouche tordue en une souriante grimace d’ogre qui s’apprête à vous dévorer, penché, courbé en deux, jeu de jambe,  jeu de vilain, micro incliné vers la guitare de Joe Moretti. En moins de trois minutes la quintessence vincenale. Sexy Ways : une reprise d’Hank Ballard, Gene la réinterprètera sur l’album I’m Back and I’m proud ( 1970), un jeu de scène assez similaire au précédent, profitons-en pour admirer les Beat Boys, pas l’ensemble de tous les musicos de l’orchestre qui accompagnait Billy Fury, ne sont présents que Vince Cooze à la basse, souvent oblitéré par Gene en frontman, Red Reece à la batterie, l’a toujours un œil sur Vince ce qui ne l’empêche pas, l’air de ne pas y toucher, de produire un bruit sourd qui est pour beaucoup dans l’ambiance froide et épurée de l’enregistrement – sont tous les deux présents sur Pistol Packin’ Mama -  et bien sûr, l’air de s’amuser comme un gamin, Joe Moretti, ne cherchez pas les soli sur Restless et Shakin All Over  de Johnny Kid, rajoutez le Brand New Cadillac, de Vince Taylor, le It’s not usual de Tom Jones et plus surprenant le Mellow Yellow de DonovanJoe Moretti aura laissé un témoignage émouvant sur la personnalité de Gene…

    IT’S TRAD DAD

    FILM-CLIP / 1962

    SPACESHIP TO MARS

             Le clip est tiré  du film It’sTrad Dad réalisé par Richard Lester qui deux années plus tard deviendra célèbre pour avoir tourné Quatre garçons dans le vent avec les Beatles. Longtemps que je ne l’ai vu et j’en garde un souvenir de profonde insipidité. Il est vrai que je n’aime pas le cinéma, et pas trop les Beatles. Je n’ai pas vu It’s Trad Dad, je n’en dirais donc pas de mal, mais le scénario extrêmement périssable me semble révéler un fort manque d’imagination.  

             J’ai évidemment entendu parler de ce chef d’œuvre périssable pour la séquence, alors introuvable et invisible de Gene Vincent habillé en cuir blanc ! Un véritable tremblement de terre idéologique à l’époque. Difficile pour un artiste  de faire mieux pour casser son image.

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             Un playback à l’économie. L’on passe Spaceship to mars le morceau enregistré  le 30 / 11 / 1961 sous la direction de Norrie Paranor, l’on colle Gene Vincent vêtu de probité candide comme dirait Victor Hugo, tout au fond de l’image légèrement penché sur son micro mais trop pour qu’il n’ait pas l’air d’un prédateur prêt à bondir sur une proie innocente, pour les Sounds Incorporated qui l’accompagnaient en studio, pas de panique, l’on dispose en premier plan un manche de guitare (parce la guitare est l’instrument par excellence, je le dis au cas où quelques lecteurs de Kr’tnt ! ne le sauraient pas) et une courbe de saxo ( parce que peut-être était-ce dans la prude et perfide Albion de l’époque la seule manière de suggérer qu’entre les rondeurs d’un saxo et celles d’un être féminin il y aurait quelques similitudes très rock’n’roll). L’excuse est toute trouvée, le morceau est enregistré avec quatre saxophonistes. Que voulez-vous pour imiter une fusée qui décolle  vers Mars fallait un sacré turbo. L’on dit que Elon Musk a décidé de coloniser la planète rouge après avoir entendu Spaceship to Mars de Gene Vincent. Chers Kr’tntreaders soyez vigilants, I make a fake !

    DOCUMENT INA

    25 / 05 / 1963

             Des images sans son de Gene signant des autographes, est-ce en France ou en Belgique. L’on ne sait. Gene enveloppé dans épais manteau, il ne doit pas faire chaud en ce mois de mai, le climat était-il déjà en train de changer… se déplace avec des béquilles. Est-ce Dany Boy qui marche à ses côtés ? Les jeunes brandissent des 33 tours de Gene, s’amassent en une fervente cohue autour de lui, l’on aperçoit son regard magnétique… Derrière lui un adolescent avec un peu le même regard, comme si tout près de Gene il touchait enfin à sa ligne d’horizon. Qu’est-il devenu ? Le temps est anthropophage...

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    GENE VINCENT AND THE SUNLIGHTS

    BRUSSELS - 10  / 1 0 / 1963

              Un véritable petit film, avec intro et extro. Une voix off, qui s’interroge, cela ressemble à un documentaire sur les pygmées  des forêts africaines ramené par un courageux explorateur. Pas d’éléphants en fond d’écran mais des images qui nous donnent à voir une tribu de drôle de zèbres. Le ton n’est pas mélodramatique mais l’on sent que le speaker se retient, on ne sait jamais à quelles incartades peuvent se livrer ces individus aux mœurs étranges. Pensez, ils vont voir un concert de rock’n’roll ! Il est évident que la jeune génération évolue d’une manière bizarre. Non, je rassure  les lecteurs, ils ne sont pas armés de chaînes de vélos, propres sur eux, polis et, vous n’allez pas me croire, pas une once d’agressivité. Peut-être font-ils semblant, ne serait-ce pas une ruse de sioux… Une dernière précaution, le speaker tient seulement à vous présenter un document. Oui c’est une calamité, que peut-on y faire… Au moins vous aurez été prévenus de l’imminente fin de notre superbe civilisation. Ne venez pas vous plaindre, agissez tant qu’il est encore temps.

             Le spectacle est extraordinaire. Trois morceaux. Gene est accompagné par les Sunligths. Un groupe peu commun. Viennent de Roubaix, débauchent un belge, ce n’est pas une blague, et vogue la galère. A l’origine le groupe se nomme I Cogoni, origines italiennes obligent ! Ne sont pas du tout axés sur le rock’n’roll, ils interprètent des chansons populaires italiennes. Ils enregistrent un 33 tours gentillet chez Az, sont envoyés au Golf Drouot pour participer au Tremplin, et par le concours des circonstances se retrouvent embauchés pour accompagner Gene Vincent. L’on aurait pu s’attendre au pire. En fait ils se donnent à fond, mettent le paquet, ce ne sont pas les Blue Caps, mais presque. Sont jeunes, z’ont la niaque. Un zeste de folie plane sur leur prestation. Pour les fans de Gene, c’était un groupe mythique, on ne les avait pas vus mais ils avaient accompagné Gene. Lorsque en 1966 leur nouveau disque passe en radio, nous sommes une floppée à avoir un arrêt cardiaque, on y voit tout rouge et tout noir, c’est une reprise de Berthe Sylva Les roses blanches… perdus corps et âmes pour le rock’n’roll, oui mais ils sont sur scène derrière Gene Vincent : Serge Cogoni à la guitare, Aldo Cogoni à la guitare, Bruno Cogoni (étrange comme dans cette famille ils s’appellent tous Cogoni) à la guitare Jean-Paul Van Houtte à la basse.

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    Gene, petit nœud pap sur chemise blanche, combinaison de cuir noir largement échancrée se lance dans un Rocky Road Blues dévastateur, un vocal punching bull en furie, tressautent tous comme s’ils étaient au dernier stade de la maladie de Parkinson, les Sunligths vous ont un son ras-de-terre, très raw, d’une efficacité malsaine, garage pour voitures asthmatiques, oui, mais ils filent comme les vélomoteurs aux 24 heures du Mans dopés à l’éther. Gene sourit, lève les yeux au ciel et remue la tête comme s’il agitait l’encensoir sur votre cercueil le jour de votre enterrement. Les Lights sont à genoux autour de lui comme s’ils étaient en train d’adorer la Madone (normal chez les Italiens c’est génétique). Gene chante pour lui, le chant jaillit de l’intérieur, il est à mille galaxies très loin, sur sa propre planète. L’on enchaîne sur Be Bop A Lula, les spectateurs s’agitent, les deux guitares tournoient, la batterie s’effondre, Gene frappe le sol avec son micro, l’est Zeus lançant la foudre, d’ailleurs les trois cordistes entremêlés  gisent à ses pieds, z’ont du mal à se relever, un grand ramdam s’étend sur tout l’univers. Gene quitte la scène en boîtant bas, les jeunes exultent, l’on retrouve Gene dans les coulisses, le visage décomposé, l’est à bout épuisé, respirant difficilement, le revoici, il jette ses cannes s’accroche au micro et tout sourire, la tête sans cesse déhanchée il se lance dans un Long Tall Sally époustouflant, debout sur une seule jambe, l’autre repliée comme un flamant rock, la blessure doit le lancer salement  dès qu’il pose le pied à terre. Jeu de jambes, la lumière du soleil tombe à terre, l’uncle John et la petite Sally montée en graine passent un mauvais quart d’heure, le final est extraordinaire, un guitariste se prend pour un gisant de la Cathédrale de Saint-Denis à moins qu’il n’essaie d’imiter  un cadavre sur la chaussée suite à un accident de voiture, ça se discute, Gene traverse la scène à cloche-pied, s’arrête pour saluer,  et se dirige vers les coulisses récupérant au passage ses béquilles. L’on assiste à trente secondes d’interview. Juste le temps d’apprendre que le festival a été réalisé en son honneur, Yes sir, répond Gene.

             Le film se coupe à cet instant. L’en existe une autre version où l’on interroge les spectateurs à la sortie de salle. Les uns comblés, et l’intello de service qui essaie d’analyser et qui relativise, espérons pour ses subordonnés qu’il ne soit pas devenu cadre dans une entreprise. Il y a des gens vous leur montrer la lune du doigt, et ils ne voient que leur trou du cul.

    LIVE IT UP

    FILM-CLIP, LATE 1963

    TEMPTATION BABY

    (Alternate Film Version)

    Song and film produit by

    JOE MEEK

             Je n’ai pas vu le film, mais les intermèdes musicaux sont peuplés de beau monde, Heinz qui était dans les Tornados - à l’époque tout le monde, toutes générations confondues, a eu droit à Telstar, ce morceau sonne avec dix ans d’avance un peu comme Kraftwer. Heinz reste un des meilleurs artisans de la première génération du rock anglais. Présent aussi Ritchie Blackmore  avec son groupe les Outlaws qui sera appelé à un avenir d’un teinté d’une pourpre profonde, un certain Steve Marriott derrière une batterie et encore un célèbre inconnu, Mitch Mitchell destiné à jouer aux côtés d’un certain Hendrix.

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             Temptation Baby a été enregistré le 14 novembre 1963. La première fois que j’ai vu ce clip j’ai pensé que Gene, encore une fois habillé tout en blanc, s’activait autour d’une locomotive. Aujourd’hui je suis incapable de donner un nom à ce véhicule un tantinet monstrueux. Sur l’engin, vous avez une jolie fille, je me demande quel misogyne a eu l’idée saugrenue de lui faire porter ce chapeau qui lui donne l’air si cloche. Serait-ce le réalisateur Lance Comfort qui devait disparaître en 1966. La vengeance du chapeau, j’en suis sûr.

    LIVE AT THE ALHAMBRA

    Paris08 / 03 /1964

    BABY BLUE

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             Vous allez être déçus. L’image est magnifique, encore plus noire que le cuir le plus noir de Gene, les spectateurs ressemblent à des fantômes revêtus d’un suaire d’une blancheur immaculée, le chant de Gene est un sortilège comment peut-il transformer cette bluette aux paroles simplistes en drame shakespearien, les Shouts se donnent à fond, le batteur un peu trop métronomique si vous cherchez un défaut, bref si ce n’est pas plus-que-parfait c’est parfait. La déception vous tombe sur le coin de la figure à la fin du morceau. Justement à cet endroit précis. Le morceau n’est pas fini. L’est coupé brusquement aux deux-tiers. Juste l’extrait qu’ils ont gardé pour les actualités télévisées. Ils avaient réalisé plusieurs autres titres, rien n’est jamais reparu.  Une perte irréparable.

    LIVE AT THE CAVERN

    LIVERPOOL

    31 MARS 1965

    WHAT’D I SAY / WHOLE LOTTA SHAKIN’ GOIN’ ON

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             Il reste encore deux apparitions de Gene Vincent, l’une qui se situe avant celle-ci et l’autre après. Mais j’ai sauté sur celle-ci. Pour une simple et bonne raison, j’y ai assisté en direct. Non je n’étais pas en Angleterre, je n’ai jamais mis les pieds sur cette île. Par contre j’étais devant mon poste de télévision. Emission Âge tendre et tête de bois, spécial rock, un bon commencement avec Eddy Mitchell et Si tu n’étais pas mon frère. Ensuite gna-gna-gna, jusqu’à ce qu’Albert Raisner annonce un direct avec la Caverne de Liverpool, avec Gene Vincent, je ne saute pas de joie, je ne le connais pas vraiment, je ne le sais pas encore mais les dix minutes qui  suivent vont influer sur le reste de ma vie, j’ai treize ans, je regarde, je suis scotché. Indubitablement c’est le plus grand chanteur de rock’n’roll du monde. Le lendemain au matin je n’y pense plus. Au collège une grande gigue s’approche de moi, l’on ne s’est vraiment jamais parlé, bonjour-bonjour, elle s’approche de moi et tout de go :’’ Tu as vu hier soir ?’’ une fraction de seconde je me demande ce que j’ai pu voir qui apparemment concerne cette fille dont je ne connais rien, je vais lui demander de quoi elle veut parler mais illico elle ajuste le détail révélateur : ‘’ Gene Vincent !’’. C’est le déclic en un quart de seconde j’ai l’électricité à tous les étages…

             C’est une vidéo que je regarde souvent. Que dire aujourd’hui, avec le recul elle m’impressionne beaucoup plus que ce fatidique soir du 31 mars 1965.

             Damie Chad.

    A suivre.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 694 : KR'TNT ! 694 : LUCAS TROUBLE / CHEMTRAILS / JUDY CLAY / KAIROS CREATURE CLUB / ANTON NEWCOMBE / THUMOS / LOATHFINDER / 2SISTERS / GENE VINCENT /

    KR’TNT ! 

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 694

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    12 / 06 / 2025 

     

    LUCAS TROUBLE / CHEMTRAILS

    JUDY CLAY / KAIROS CREATURE CLUB

    ANTON NEWCOMBE / THUMOS   

    LOATHFINGERS / 2SISTERS

     GENE VINCENT

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 694

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

    - Trouble boy

    (Part One)

             Quand dans «Trouble Boys», Dave Edmunds chantait King of hell raising in the neighborhood, il ne parlait pas de Lucas Trouble. Il aurait pu, mais ce ne fut pas le cas.

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             Lucas Trouble ne sort pas d’une chanson, mais plus modestement d’un patelin bourguignon du nom de Chagny, près de Chalon-Sur-Saône. C’est là qu’il a bâti sa légende, avec un grand chapeau, une grande gueule et surtout un studio, le Kaiser Studio, de la même façon que Lo’ Spider a bâti la sienne avec Swampland, à Toulouse.

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             Dans un volume bien dodu, Syned Tonetta brosse un portrait spec-ta-cu-laire du troublant Trouble. Dodu ? Ça veut dire 600 pages extraordinairement bien documentées. L’auteur semble parfois submergé par la démesure de son personnage : il doit gérer Rabelais au pays du rock ! Comment veux-tu faire entrer Rabelais dans notre époque et dans le rock ? Syned s’y attelle, il retrousse ses manches et fait comme fit Rodin, il pétrit l’argile de son golem rabelaisien. Schplifff schplaffff ! Fais gaffe, amigo, si tu mets le nez dans ce big book, tu vas te marrer comme une baleine. Car Rabelais c’est surtout de la grosse poilade. 

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             T’as la bobine du golem en couve, donc pas besoin de le décrire. L’œil allumé. L’a pas l’air commode. On croise souvent Vox dans les pages de ce big book, un Vox qui voit le golem ainsi : «Toujours la même menace dans le regard, le même air de bête prête à mordre.» Grrrrrrrrrrr...Histoire de situer la bête dans la cosmogonie, Syned a rapatrié une palanquée de surnoms, «Le Magnifique, le Mirobolant, Le Majestueux», ça passe par le «Lycanthrope libidineux», par le «Spiderman des consoles», et ça va jusqu’au «Vampire bourguignon», jusqu’au «lou-garou du son» et même jusqu’à «L’ogre de Chagny» et au «Killer of Coiffeur-Sound». Cette pauvre page vibre sous tes doigts tellement elle est chargée. Tu sens le terreau bourguignon et ses caves à pinard. Qui dit Rabelais dit aussi verte langue, alors un peu plus loin, Syned enfile comme des perles quelques expressions du golem. Certaines d’entre-elles en disent plus long sur le rock qu’un claqué d’accords en mi la ré : le golem «jambonne les groupies». Devant une bobine qui ne lui revient pas, il balance : «Qu’est-ce qui va pas ? T’as mangé ta grand-mère ?» Quand il claque le beignet d’un juron, c’est «fumier de bouc !» Chez le golem, tout est prétexte à déconner. Mais quand vient le temps du son, il veille à ce que ça sonne.

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             Syned annonce dès l’intro qu’il n’a pas fréquenté son golem. Nous non plus d’ailleurs, on eût pu, mais au temps des cerises, on a préféré fréquenter Lo’Spider et Swampland. Parce que Dig It! et parce que Gildas (Hello Gildas). Et pour bien enfoncer son clou dans la paume de la cosmogonie, Syned indique que la grande idole du golem fut Jeffey Lee Pierce, ce qui nous met tout de suite l’eau à la bouche. Eh oui, on adore les golems qui fréquentent le Gun Club. Et la filiation s’établit d’autant plus majestueusement que le cœur battant du book est un chapitre consacré aux Cowboys From Outerspace. Ils incarnent tout bêtement l’apex du Kaiser Sound. Golem/Cowboys, dream team from hell ! Te voilà en confiance, car Syned cite les Cramps, le Gun Club, les Ramones et «l’héritage sulfureux des Stooges et des New York Dolls.» Quand le golem agonise dans son lit médicalisé, c’est Michel Basly, nous dit Syned, qui vient passer trois jours à son chevet - Ils ont joué au petit train (électrique) tout un après-midi comme des enfants - Même là, tu te marres, car t’as l’image. Choo choo train ! 

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             Syned consacre des pages fulgurantes aux Cowboys qui sont en partie la création sonique du golem. Eh oui, sans golem, t’auras pas ce son. Les Cowboys tapent dans le dur : Gun Club, Chrome Cranks, Scientists, Cramps. Michel Basly remonte même jusqu’à ceux qu’il appelle «les sauvages» : Jerry Lee et Charlie Feathers. T’as rien sans rien, baby. Personne n’a jamais égalé la sauvagerie du Live At The Star Club Hamburg. Personne n’a jamais égalé la classe d’«One Hand Loose». Syned va loin dans l’apologie du dream team golem/Cowboys : il parle d’une «véritable osmose gravitationnelle» entre Michel Basly et le golem. Et ça va loin cette histoire, car il voit le golem comme le «quatrième Cowboy». Non seulement ça prend du sens, mais ça correspond tellement à la réalité ! Rappelons que les Cowboys sont encore aujourd’hui l’un des trois meilleurs groupes de rock en France, avec les Dum Dum et Weird Omen. Meilleurs parce que très en amont du reste, très modernes dans leur approche et très violents soniquement parlant. So far out ! Syned racle ses fonds de tiroirs pour situer les Cowboys, il parle de «rock crasseux» et de «punk orgastique». C’est bien gentil, mais ça va beaucoup plus loin que ça. T’es dans le beat des catacombes, la White Light/White Heat de la Death Party, dans le no way out apoplectique, quand Michel Basly pique sa crise sur scène, tu recommandes ton âme à Dieu, si t’en as une. Car Basly échappe à tout, il redore le blason de la sauvagerie originelle et on comprend qu’il ait pu crucifier le golem sur l’autel de la fascination. Syned cite dans ce chapitre brûlant la très belle compile/tribute au Gun Club, Salvo Of 24 Gunshots/Tribute To The Gun Club, un double album rouge vif paru en 2005, car on y trouve la cover que font les Cowboys du «Preaching The Blues» qu’avait tapé Jeffrey Lee en son temps. Ce Salvo fut à l’époque une véritable caverne d’Ali-Baba, car on y trouvait aussi l’extraordinaire cover désossée de «Lupita Scream» par les Gories, et puis des tas d’autres choses mirobolantes, les Cool Jerks de Jack Yarber, les Magnetix, les Demoliton Doll Rods, Speedball Baby, DM Bob. Pfffff ! Quelle époque ! T’en as encore les mains qui tremblent.

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    Syned Yonetta

             Et puis tu tombes sur le pot-aux roses : les troublants parallèles. Petit, le golem collectionne les petits drapeaux de pays métalliques qu’on trouvait dans les boîtes de langues de chat. Pouf ! Deuxième parallèle : il collectionne aussi les porte-clés ! Pouf ! Puis les timbres ! T’as fait pareil. En sixième, nous cafte Syned, le petit golem est entré en rébellion contre les professeurs. Pouf ! Au lycée, il redouble deux fois sa seconde. On est frappé par cette série de troublants parallèles. T’as redoublé aussi deux fois. Syned rajoute là-dessus une belle dose d’humour ravageur : le jeune golem va trouver le dirlo du lycée pour lui annoncer qu’il «démissionne», et que lui dit le dirlo ? «Ça tombe bien, j’allais vous virer !».

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             Autre troublant parallèle : le jeune golem fait un stage dans une imprimerie locale. Pourquoi une imprimerie ? Parce que son grand-père était typographe ! Tous ces détails revêtent une importance considérable. Le golem ne serait pas devenu le golem si son grand-père avait été charcutier. Pour les ceusses qui n’ont pas l’info, il faut savoir qu’au temps jadis, le métier de typographe rimait joliment avec l’anarchie, la vraie, celle des anars du XIXe. Il faut avoir étudié la typographie pour le savoir. Et avoir chopé le fameux Dictionnaire des Typographes.

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             Tiens encore un parallèle troublant : le jeune golem se pique de littérature. Et pas n’importe quelle littérature : celle de William Burroughs (il va baptiser son label Nova Express). Et puis voilà-t-y pas qu’on lui prête un livre sur «les pirates libertaires». Alors ça refait tilt. La lecture d’un petit ouvrage intitulé TAZ (Temporary Autonony Zone) nous transforma voici 30 ans de pied en cap : on mit en pratique la TAZ d’Hakim Bey. Quotidiennement. 365 jours par an. D’où ces chroniques. Déclarer son autonomie dans le monde du travail consiste à écrire un texte chaque jour, et à l’illustrer, quelles que soient les contraintes environnementales ou la pression des pics de charge. Tu rétablis ta liberté. Si tu la décrètes inviolable, elle le devient. C’est aussi simple que ça. 

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             Le premier LP que le petit golem ramène à la maison est Screamin’ Lord Sutch & Heavy Friends : le disque est pourri, mais la pochette fabuleuse, tu y vois Lord Sutch et sa Rolls Union Jack. On est aussi tombé dans le même panneau, à cause de la pochette. Il est d’ailleurs toujours dans l’étagère, à cause de la pochette. Un peu loin, le petit golem se retrouve avec des Genesis, des Yes et des King Crimson dans les pattes, mais fumier de bouc !, il décroche aussi sec. Patacam patacam !

             On voit donc le golem s’auto-pétrir au fond de la Bourgogne. Il se malaxe tout seul et s’en va la nuit dans la campagne gelée hurler à la lune, tout au moins l’imagine-t-on ainsi. À la différence des autres artistes, il ne crée pas son monde, il se crée. Le golem sort de terre. Quand il récupère une basse pour apprendre à en jouer, il plonge la maisonnée en enfer, nous dit Syned. Il va dans les bals pour se battre, et comme le temps est alors au glam, il porte des platform boots et du maquillage. On lit ces pages et on se fend la gueule en permanence. Un mec maquillé dans les rues de la Bourgogne, ça paraît inconcevable ! Pas pour un golem, fumier de bouc !

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    Vietnam Vterans : Mark Embatta au centre

             Dans les années 80, il fait de la petite new wave à la mormoille, jusqu’au moment où il rencontre un disquaire de Chalon, Mark Enbatta. Sa boutique s’appelle Sneakers. Avec un nom pareil, tu sais où tu mets les pieds. Le golem découvre (avec 10 ans de retard) Nuggets, mais il va vite rattraper son retard, l’asticot ! Terminé les textes en français, direction 13th Floor Elevators, Seeds et tout le tintouin, et bien sûr les Vietnam Veterans, le groupe de Mark Enbatta, qu’il intègre.     

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             Tiens, on va faire un petit break avec les Vietnam Veterans. On commence par rapatrier les deux Lolita, On The Right Track Now et Crawfish For The Notary, histoire de voir ce qu’ils ont dans la culotte. T’es vite happé par l’énergie qui se dégage d’On The Right Track Now et de «Dreams Of Today» que Mark Enbatta gratte sur les accords de Gloria. Il chante d’une voix de Sky bourguignon. Pas de problème. Il tape ensuite une belle cover d’«I Can Only Give You Everything», le vieux standard protozozo des Them. C’est bien raw to the bone. Dommage qu’on entende l’orgue. Ça ne s’y prête pas. Ils tapent une cover du Zombie de Roky qui ne fonctionne pas, mais celle d’«Hey Gyp» passe comme une lettre à la poste. On salue aussi le beau gaga moderne d’«Out From The Night». Globalement, c’est pas mal.

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             On retrouve la même teneur en vitamines sur Crawfish For The Notary, et ce dès «Is This Really The Time» qui sent bon le LSD. Tout sent le LSD ici. Retour au raw to the bone avec «This Life Is Your Life», c’est gratté au raw ultime, c’est même assez violent. Mark Enbatta claque les pires accords bourguignons. Le Kaiser shoote ensuite une grosse dose de shuffle dans «Burning Temples» et on revient à l’apothéose druggy avec «My Trip» - I’ll never get out of here - Mark Enbatta rocke encore le boat avec «Liars» et on replonge dans l’LSD sound avec une cover létale du big «Be My Baby» des Ronettes. C’est audacieux, car ils proposent le Wall of Sound bourguignon à base d’orgue. Effet garanti. C’est même assez poilant. Ils ne reculent devant aucune extrémité, ce qui est tout à leur honneur. 

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             Green Peas est un double album et la viande psychédélique se trouve sur le disk 2 : en C t’as ce fabuleux brouet lysergique, «Human Love». On sent bien le LSD. Enbatta est très Sky sur ce coup-là, il sort son meilleur raw psych et tiguilite à la mode de 1966. On sent qu’il écoute les bons disques. Et de l’autre côté, tu tombes sur une version qu’il faut bien qualifier d’historique du «Trip» de Kim. Superbe attaque ! Mark Enbatta le prend bien et s’en va naviguer dans l’océan psychédélique, il y va au let’s take a trip et scande LSD ! LSD !, comme le firent les Pretties en leur temps. L’A et la B ne sont pas aussi enthousiasmantes. Sur «You’re Gonna Fall», ils visent le rock symphonique à la Procol et c’est à côté. Quand elle est précieuse, leur pop devient problématique. On sent quelques velléités d’en découdre sur «Liars», et on retrouve enfin une belle dynamique de guitarring dans «Critics». Enbatta est un bon. Il décolle enfin. Il te trashe le cut sur un beat bien dressé vers l’avenir. On le revoit partir à l’aventure sur «Wrinkle Drawer». Dommage que le background soit si précieux. Sur ce disk 1, t’as pas mal de casse et des tentatives non abouties. Il faut attendre «Out Of The Night» au bout de la B pour renouer avec le gaga bourguignon. Enbatta jette tout son dévolu dans la balance et gratte bien ses trois accords. 

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             Paru en 1986, In Ancient Times est un petit album qui ne fait pas d’histoires. Mark Enbatta chante son «Let It Rain» d’une belle voix de canard, mais il est vite submergé par les nappes du golem hégémoniste. En Bourgogne, la pop peut vite virer bucolique, comme le montre «Run Baby Run». Si on cherche un bout de viande, il est en B. Le golem perruqué et poudré joue du clavecin sur «Wrinkle Drawer» et voilà qu’arrive un «Next Year» nettement plus décidé à en découdre. C’est même quasi anthemic. Avec ses nappes astrales, le golem se prend pour un cosmonaute. Et ça atteint des proportions considérables avec «Crooked Dealers». Ça devient même passionnant. Les albums des Veterans sont très particuliers. Tu y croises rarement des coups de génie, mais tu les écoutes attentivement. Ils ne se rattachent à rien de particulier, hormis la Bourgogne.   

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             Mark Enbatta fait des étincelles sur Catfish Eyes And Tales, notamment dans «Southern Comfort». On entend bien sa guitare psyché, il lâche un beau déluge d’acid freakout. Les Veterans ont la bonne distance pour développer. Le thème crée la tension et les nappes tentaculaires du golem nourrissent bien la Mad Psychedelia, alors tu te régales, c’est un beau délire. Ils raflent bien la mise. Mark Enbatta passe au gaga bourguignon avec «Time Is The Worst». Il fait même du protozozo, c’est un fin renard. Il part en solo d’extension du domaine de la turlutte, et repart même une deuxième fois. Tu sors du cut enchanté. S’ensuit un «Crying» qui se veut paradisiaque et qui l’est. Enbatta est infiniment crédible, il taille bien sa toute. Par contre, rien à tirer de la B. «Days Of Pearly Spencer» ? Écoute plutôt l’original, s’il est encore dans ta caisse de 45 tours.   

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             Dernier spasme des Veterans avec une belle compile, The Days Of Pearly Spencer. Ils démarrent d’ailleurs avec cette cover de David McWilliams. Le Kaiser fait les violons à l’orgue. Côté son, pas de problème. Puis ils tapent une autre cover, celle du fameux «500 Miles» qu’on connaît en France sous le nom de «J’entends Siffler Le Train». Belle prod, avec un bassmatic mixé devant, de l’acou en réverb et de l’orgue au fond. On appelle ça une prod de rêve. Et même une prod de rêve aérien, perdue dans l’écho du temps. Le Kaiser fait même entrer une disto sur le tard. S’ensuit un «Is This Really The Time» assez défenestrateur. Ils ont du power sous le pied, c’est tapé au tatapoum local et ça bat bien la campagne. Ils font du Spencer Davis Group in Burgundy avec «Burning Temples» et le Kaiser envoie le shuffle. T’as encore un son plein comme un œuf. Mark Enbatta refait son Sky sur «Don’t Try To Walk On Me», t’as vraiment l’impression d’entendre les Seeds. Il refait son Sky sur «You’re Gonna Fall». Tu as déjà entendu tous ces cuts sur les albums précédents, mais tu te re-régales de les ré-écouter. Et pouf, voilà ce «Dreams Of Today» qui sent si bon le LSD, car gratté aux accords de gaga sixties. Ils terminent avec deux covers de choc : «Be My Baby» (que le Kaiser groove au shuffle d’orgue) et une version longue de l’hymne bourguignon, «The Trip» - It’s time to take a trip - et le Mark y va à coups d’LSD ! LSD!, pendant vingt minutes. 

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             À un moment, Syned essaye de nous rassurer en nous expliquant que le golem a trois facettes : «Lucas Trouble, l’artiste talentueux, prolifique, multiple et unique avec le côté charmeur et malicieux», puis «le Kaiser, le type qui enregistre, insupportable, ‘monstre tortionnaire’, visionnaire», et «Jean-Luc, le gars normal, père de famille qui reçoit ses amis, l’ouvrier en bâtiment qui rénove sa maison (du Levant), supporter du club de rugby du coin.» Mais bon, on ne veut rien savoir de plus : le golem et basta ! Derrière sa Maison du Levant se trouve une carrière en forme de ravin qui devient vite objet de plaisanteries macabres. Il menace d’y jeter les dépouilles de ses ennemis et des gens qu’il aime pas. Quand Philippe Manœuvre propose de venir l’interviewer, le golem grommelle : «Ouais, Manœuvre, je vais le balancer dans la carrière avec les huissiers.» Tout est truculent avec le golem, on se fend la poire en permanence. Bon, il ne va pas jeter Manœuvre dans la carrière, mais lui avouer que son premier 45 tours fut le «Venus» de Shocking Blue, parce qu’il louchait sur les nibards de la chanteuse. S’il aime bien Steppenwolf, c’est à cause dit-il de sa «tronche de barbare intelligent».

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             Le golem livre d’épatantes considérations sur le monde. Il constate qu’il y a «beaucoup plus de beaufs que lorsqu’il avait 17 ans», et comme Marc Zermati, qu’il rencontrera un peu plus tard, il affirme que «la France n’est pas faite pour le rock’n’roll.» C’est parce qu’il lit l’article de Manœuvre que Marc débarque à Chagny avec Tony Marlow pour enregistrer Knock Out. Ça a clashé pendant l’enregistrement entre Marc et le golem, mais ils se sont rabibochés pendant le mastering.

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             Côté admirations, le golem admet un faible pour les grands allumés de service, Birthday Party, Roky Erickson, Davis Thomas, Red Crayola, Peter Hammill et bien sûr Captain Beefheart, tout particulièrement, précise Syned, Safe As Milk. Et puis les Damned. Syned ne rate pas l’occasion de rappeler le lien qui existe entre le Gun Club et les Damned : la coiffure gothique de Patricia Morrison. À cette belle liste, il faut ajouter les noms des Chrome Cranks que lui a fait découvrir Michel Basly, et puis tiens, Jon Spencer.

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             Le golem dispose de trois armes : le Kaiser studio, sa cave et son label Nova Express. Les trois sont indissociables. Qui dit studio dit prod. Le golem est obsédé par un son, le sien. Nul n’est mieux placé que Vox pour décrire l’art productiviste du golem : «Il élaborait ses hallucinatoires festins en maître queux anthropophage, malaxant, sculptant, tronçonnant, bariolant, balafrant, recollant, incisant, panachant, faucardant, affûtant, ciselant, amalgamant, façonnant jusqu’à obtenir la mixture voulue.»

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             Son label reste bien sûr underground. Pas de stratégie commerciale. «Au gré du vent», précise Syned. Producteur, musicien et label boss comme Beat-Man avec Voodoo Rhythm. Ou mieux encore, comme Totor avec son Wall of Sound, ses cuts magiques et Philles Records.

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             Étant donné que le golem a décidé de vivre du studio et de Nova, «la trésorerie est tendue». Syned rentre bien dans le détail des tarifs, comme il rentre dans le détail du matos et dans le détail des claviers qu’utilise le golem. Les détails sont vitaux si on veut comprendre à quel point ce type d’aventure est périlleux. Et par conséquent glorieux. Fuck les subventions, le golem bosse à l’arrache. «Vive les rebelles !» Plus on avance dans les détails et plus le golem devient sympathique. Tiens voilà ce qu’il déclare : «Si on part du principe que le rock’n’roll est une musique rebelle, c’est un peu bizarre d’être un rebelle subventionné par l’état.» Eh oui, t’as des groupes qui demandent du blé pour financer leurs conneries. Fuck it ! Le golem admet qu’il en bave. En plus, il n’est pas cher : 4 000 euros pour une semaine de studio + 1 000 CD (mixage, mastering et impression pochette compris). Syned rentre aussi dans les détails du graphisme des pochettes. Le golem bosse avec son pote José Womble, et là on se marre bien, car on retrouve nos deux compères devant un écran avec les bouteilles de pinard que le golem ramène de la cave, et les voilà qui se mettent à schtroumpher des typos et des images sur Photoshop, avec «un petit verre de rouge» à chaque tripotage de filtre, à chaque fusionnement de calque, jusqu’à ce qu’ils arrivent à ce que Syned, hilare, appelle «un compromis». Bosser une image à deux sur un écran, c’est un truc qu’on ne fait JAMAIS. Seul le golem s’y autorise, en évitant toutefois de toucher le clavier, car l’ordi reste l’ennemi satanique. Il faut donc partir du principe que les pochettes Nova Express sont le résultat de compromis avinés, ce qui les rend infiniment sympathiques. Et puis Syned aborde le chapitre de la distro et là, pareil, il donne tous les détails, et c’est passionnant de voir à quel point l’exercice est périlleux. Syned : «À la fin, Nova ne prenait que 10% sur les ventes effectuées par leurs soins. ‘Ça payait à peine le téléphone’, soupirait-il.» Et le golem ajoute que son label lui coûtait plus qu’il ne lui rapportait. Ça ne tenait debout que parce que le studio rapportait un peu de blé et qu’Emmanuelle, sa femme, bossait ailleurs. Le label, c’était «du bénévolat»

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             Qui dit Nova Express dit compiles. Syned dit sa préférence pour The Most Terrible Songs And Other Terrific Stories. On retrouve aussi Lo’Spider et son Jerry Spider Gang sur The Kaiser Fucks The New French Rock, ainsi que les Holy Curse et les Magnetix. On y revient dans un Part Two. 

             Et les Anglais dans tout ça ? Pas grand-chose. Le golem aurait bien aimé, mais à part un coup de fil de Brian James, rien. Que dalle. Il aurait bien aimé recevoir Jeffrey Lee et les Dum Dum Boys. Sob sob sob, regrets éternels.

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             Qui dit Chalon dit Jano et Nat et les Screaming Monkeys. On les croise enfin page 337 : vieil ami de Caligula Gibus, Jano fêta ses 40 ans avec un concert des Médiums à la Taverne, un endroit devenu culte, pour ses «bals costumés» et ses concerts. Vox fit de cette fête d’annive un solide compte-rendu dans Dig It!. Le golem, «avenant comme une potence», jouait de la basse ce soir-là. Plus remarquable encore : les Cowboys montèrent sur scène après les Médiums, et selon Vox, ils furent «bons mais nettement en-dessous des Médiums.» Comment est-ce possible ? Vox est aussi «conseiller» du golem : le visuel qui orne la pochette de Kaiser Southern Dark Country, c’est une idée à lui. Il s’agit de l’Écorché Et Son Cavalier d’Honoré Fragonard - Ce document avait été proposé par Vox pour une éventuelle utilisation.

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             Pour sa dernière séance d’enregistrement, le golem a reçu Tony Marlow. Tony était en trio avec K’ptain Kidd. Fabuleux album que ce More Of The Same, deuxième album tribute à Johnny Kidd. «Goin’ Back Home» t’arrive dans les dents comme un boulet de canon. T’as aussitôt la démesure de la flibuste ! Ça pilonne ! Le trio allume comme vingt bouches à feu. Le golem devait se frotter les mains. Il faut saluer son génie sonique. Encore un boulet dans les dents avec «Some Other Guy». Et puis un troisième, t’es plus à ça près : «Castin’ My Spell», claqué à la clairette de Tele. Tony fait son Barbe-Noire, il ravage tout, avec la bénédiction du golem. Ultime dream team !

             Ce book compte probablement parmi ceux qui font la fierté du Camion Blanc. Avec Lucas Trouble - L’Empereur Du Son Analogique, le métier d’éditeur underground reprend tout son sens. 

    Signé : Cazengler, le cas troublant

    Syned Tonetta. Lucas Trouble - L’Empereur Du Son Analogique. Camion Blanc 2018

     

     

    L’avenir du rock

     - Happy (Chem)trails

             Pas de pot : l’avenir du rock vient de tomber dans les pattes de la Gestapo. Direction la rue Lauriston et la baignoire dans la salle de bain du premier étage. La Gestapo soupçonne à juste titre l’avenir du rock de grenouiller dans la résistance. Klaus Barbock veut des noms. L’avenir du rock fait le malin.

             — Vous n’allez pas faire le malin très longtemps, avenir du rock !

             Deux gestapistes plongent la tête de l’avenir du rock dans la baignoire, pendant qu’un troisième lui introduit une barre à mine rouillée dans l’anus et l’enfonce d’un coup de pied.

             — Glou glou glou...

             L’avenir du rock tombe dans les pommes. Un toubib lui fait une piqûre. L’avenir du rock revient à lui et se met à chanter :

             — Shame Shame Shame/ Hey shame on you !

             Klaus Barbock se tourne vers ses sbires :

             — Ce nom vous dit quelque chose ?

             Les sbires font non de la tête. L’avenir du rock éclate de rire et lance :

             — Smiley Lewis !

             Klaus Barbock fait un signe de la main et les sbires replongent la tête de l’avenir du rock dans la baignoire.

             — Glou glou glou...

             Il retombe dans les pommes. Piqûre. Il ouvre un œil et balance :

             — Ain’t That A Shame !

             Et ajoute aussitôt, au vu des bobines gestapistes qui ne pigent rien :

             — Fats Domino !

             Connaissent pas. Baignoire. Plus chalumeau sur la plante des pieds.

             — Glou glou glou...

             Il retombe dans les pommes. Piqûre. Il ouvre un œil et balance :

             — Shame On You Crazy Diamond !

             Un des sbires glapit :

             — Herr Obersturmführer ! Arch Pink Floyd!

             L’avenir du rock explose de rire. Quelle bande de cons ! Pour les achever, il voulait balancer le nom de Chemtrails, mais il préfère en rester là et mourir de rire.

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             Bon d’accord : l’avenir du rock triche un peu : Chem ne se prononce pas «chème» mais «kème». Disons que s’il triche, c’est pour la bonne cause. Et à l’écrit, ça passe.

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             T’as deux genres de concerts : ceux des groupes que tu connais et ceux des groupes que tu ne connais pas. Et dans ceux des groupes que tu ne connais pas, t’en as encore deux genres : ceux que tu prépares et ceux que tu ne prépares pas. C’est-à-dire que tu n’écoutes rien en amont. T’anticipes pas. Tu décides d’y aller avec l’oreille fraîche. Chemtrails à la cave, t’y vas donc avec l’oreille fraîche. Tu n’as qu’une seule info : UK. Après leur set, tu apprendras qu’elles viennent de Manchester. Elles, oui, car il s’agit surtout d’elles, les deux cocotes qui grattent et qui chantent : Mia Lust et sa copine la grande Laura Orlova. Grande, il faut l’entre au

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    sens propre comme au figuré : par la taille, mais aussi par la présence scénique et cette façon qu’elle a de se barrer en vrille de garage-punk lorsqu’elle s’arc-boute pour prendre un solo. Elle a le killy-killy dans la peau. Elles sont accompagnées par une solide section rythmique, un bassmatiqueur de choc et un mec torse nu au beurre qu’on ne voit pas, car plongé dans les ténèbres. Mais lui, c’est le roi du bim bam boum. Les deux cocotes font le show. Dommage qu’il y ait un clavier à la mormoille devant. Elles tapent quasiment tout à deux grattes et mêlent leurs voix pour créer des dynamiques somptueuses. Si tu les vois un jour sur scène, tu vas te régaler, car elles tapent en plein dans l’œil du cyclope, sans la moindre frime. Elles

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    t’offrent un vrai concert de rock, excitant & sexy. Tu ne connais pas les cuts, mais tu tends bien l’oreille et tu localises les montées en puissance à base de Superhuman, elles entrent quasiment en transe et rockent le boat de la cave. Elles tapent aussi un Apocalyptic apocalyptique, avec une conscience professionnelle qui en dit long sur la pureté de leurs intentions. Elles concentrent toutes les dynamiques. Leur perfection symbiotique te fait baver. Tu n’avais pas vu autant de fraîcheur énergétique depuis des lustres. Chemtrails ! Elles pourraient bien devenir énormes, au moins autant, sinon plus que MaidaVale.

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             Si tu ramasses The Joy Of Sects au merch, tu vas aller de surprise en surprise.

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    Quel bel album de Chester pop ! Dès «Detritus Andronicus», tu dis oui, car tu sens cette féminité bien collante, bien prégnante, et t’as Mia qui chante au sucre protozozo. C’est du meilleur effet. Mia est plus sucrée que sa collègue Laura, on l’entend mieux encore sur l’album. Si elles virent un peu new wave sur «Sycophant’s Paradise», c’est à cause du clavier, mais elles restent très dynamiques, bien tape-dur, avec du bon son. Elles sont aussi capables d’aller rejoindre Liz Fraser au ciel de la pop anglaise («Mushroom Cloud Nine»). La viande se planque en B, comme le révèle l’imparable «Join Our Death Cult». Chester power ! Joli beat hypno. C’est dans la poche. Elles jouent sur les deux voix. Plus loin, t’as un cut en forme de giclée d’adrénaline, «Superhuman Superhighway», c’est nettement plus Kraut, baby. Au beurre, Liam Steers sait driver un beat ! Et ça continue dans la même veine avec «Apocalypstick». Elles sont fabuleuses d’à-propos. Elles ont de la texture, de la teneur, de l’excellence, elles savent déclencher l’enfer sur la terre et revenir au petit sucre de Manchester. Elles mêlent merveilleusement leurs deux sucres. Et ça bombarde ! Elles dégagent une énergie considérable. Laura chante avec un sucre canaille. Elle adore rentrer dans le chou du lard. Tu t’attaches à ces deux voix si différentes.  

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             Attention à Call Of The Sacred Cow : si tu l’écoutes, tu risques fort de tomber de ta chaise. Voilà ce qu’on appelle communément un killer-album ! Premier coup de Jarnac avec «A Killer Or A Punchline» qui sonne comme un hit. T’en reviens pas ! Mia Lust et sa copine la grande Laura Orlova ont un truc que d’autres n’ont pas. Et quand tu lis les crédits sur la pochette intérieure, tu vois que la petite Mia compose tous les cuts. Et le festin se poursuit avec l’incroyable «A Beautiful Cog In The Monolithic Death Machine» : belle énergie cognitive. Ça veut dire qu’elles cognent. Voilà encore un cut bourré à craquer d’énergie pop. Elles bouclent ce brillant balda avec «Lizard Empire», nouvel exploit chanté à l’accent pincé de Manchester, dans une ambiance de Brill. Quelle magnifique ampleur structurelle ! Franchement, t’en perds ton latin. T’as encore trois bombes en B, à commencer par un «Watch Evil Grow» assez apoplectique. Elles naviguent à la pointe de la renaissance pop de Manchester. La qualité des cuts te sidère pour de vrai. Nouveau coup de génie avec «Dead Air» et une stupéfiante attaque. C’est Mia Lust qui chante. Elle est aussi balèze que sa copine, car elle y va au sucre acide. Elles font un petit coup de Wall of Sound pour finir, avec «Overgrown». Cet album sonne comme un délire qualitatif d’un niveau peu commun.

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             Alors, il ne faut pas en rester là : tu sautes sur The Peculiar Smell Of The Inevitable. T’es estomaqué dès «Blurred Visions» et son tempo sauvage. Elles sont les reines du wild-as-fuck. Leur fonds de commerce est la fantastique tenue de route. Aucun temps mort sur cet album, elles font le canard sur «Rats» et puis elles bouclent le balda avec un «Naked Souls Get Swallowed» qui sonne comme un hit, bien lesté de power-chords. Tu salues la présence de leur prescience. Et ça repart de plus belle en B avec «Frightful In The Sunlight», bien profilé sous le vent et soutenu par un bassmatic grondant. La grande Orlova passe un joli petit killer solo et en prime, t’as des super-développements. Tout cela te met bien l’eau à la bouche. Et voilà qu’elles sonnent comme les Pixies sur «Uncanny Valley», c’est effarant d’attaque incisive et chanté au sucre. Elles jettent encore tout leur dévolu dans la balance de «Brother Connor» et bouclent avec un «Slag Heap Deity» en deux parties, un Heap vraiment joyeux, punchy en diable et de très haut niveau. 

    Signé : Cazengler, Shame trail

    Chemtrails. Le Trois Pièces. Rouen (76). 10 mai 2025

    Concert Braincrushing

    Chemtrails. Call Of The Sacred Cow. PNKSLM 2018

    Chemtrails. The Peculiar Smell Of The Inevitable. PNKSLM 2020

    Chemtrails. The Joy Of Sects. PNKSLM 2024

     

    Inside the goldmine

    - La clé de Judy Clay

             Nous avions tous rendez-vous à Bastille, chez Bofinger, pour une réunion informelle. Oh, nous n’étions pas nombreux, cinq personnes au total, Lady Cœur-de-Lyon qui avait eu l’idée de ce meeting, un couple de jeunes entrepreneurs, Baby Class et moi. Tous quasiment du même âge et membres actifs de la grande révolution technologique qui secoua le monde des arts graphiques, à la fin du siècle dernier. Baby Class avait elle aussi monté son agence, oh pas grand-chose, deux salariés et deux ou trois clients, mais bien située, rue d’Alesia. Nous témoignâmes de nos expériences respectives et échangeâmes quelques informations, notamment sur les fournisseurs, le fameux talon d’Achille de la profession. Baby Class était une jeune femme assez haute, aux cheveux courts, peu maquillée. Pas de bijoux. Elle ne souriait pas, et semblait livrée aux affres d’une indicible mélancolie. Ses très beaux yeux gris étaient comme voilés de tristesse. Cette conversation passionnante semblait néanmoins la divertir. Au sortir du meeting, elle annonça qu’elle prenait le métro, aussi lui proposai-je de la déposer dans son quartier. Elle accepta avec un sourire mystérieux. N’attendait-elle que ça ? Nous descendîmes par le Boulevard de la Bastille et traversâmes la Seine au Pont d’Austerlitz. Elle ne disait rien. Nous roulâmes en silence à travers les rues désertes. Il régnait dans la bagnole une sorte de plénitude. Elle me tutoya pour la première fois en me demandant de la déposer sur la place d’Alesia, et disparut. Quelques années plus tard, après que la tempête eût tout emporté, maison, arbres, business, je vis qu’elle cherchait quelqu’un pour bosser avec elle. Coup de fil. J’allais me présenter, mais elle me coupa sèchement : «Inutile, j’ai reconnu ta voix.» Elle m’accueillit le lundi suivant. Elle bossait toute seule dans un vaste local très bien éclairé. Elle donnait le matin les instructions sur le dossier à traiter, puis elle s’installait pour la journée derrière sa bécane. Pas un mot de la journée. Le cirque dura trois mois. D’un commun accord, nous rompîmes le contrat de travail. Vingt ans plus tard, passant dans le quartier, je vis que l’agence existait toujours. La plaque de cuivre figurait toujours à l’entrée de l’immeuble. J’appelai à l’interphone et elle me fit monter. Elle m’accueillit en souriant dans l’entrée. Elle n’avait pas changé. Elle semblait contente de me voir. Mais je n’en étais pas complètement certain.    

     

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             Qui de Baby Class ou de Judy Clay est la plus mystérieuse ? On ne le saura jamais, et c’est aussi bien comme ça.

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             On se souvient que Judy Clay fit sensation avec Billy Vera sur un bel album Atlantic, Storybook Children. Dans le civil, Judy Clay s’appelle Judith Grace Guions et vient non pas de Memphis, mais de Caroline du Nord. Elle chante très vite du gospel à Harlem et fréquente les Drinkards Singers. La chanteuse lead du groupe Lee Warwick prend Judith, 12 ans, sous son aile et l’installe chez elle, dans le New Jersey, en compagnie de ses deux filles Dionne et Dee Dee. Les Drinkards Singers se retrouvent vite fait au Madison Square Garden avec Clara Ward, Sister Rosetta Tharpe et Mahalia Jackson. Autant dire que Judith traîne déjà dans la cour des grands. Emily Drinkard allait devenir Cissy Houston. Dionne la lionne sera la première à accepter d’entrer dans le «secular world», suivie de près par Judith devenue Judy, qui va commencer à enregistrer en 1960, bien trop tôt. Mais quand elle voit Dionne la lionne devenir une superstar, elle pique une crise de jalousie et prend contact avec Jerry Wexler qui l’aide à sortir de son contrat Scepter pour l’envoyer enregistrer chez Stax qui «appartient» alors à Atlantic. Elle descend à Memphis pour être aussitôt prise en mains par Isaac le prophète. Elle retournera un peu plus tard avec Billy Vera enregistrer un album à Muscle Shoals, mais apparemment, c’est resté dans les étagères. Judy Clay aurait dû faire partie des très grandes Soul Sisters américaines, mais le sort en a décidé autrement. Pour gagner sa vie, elle fera des backings vocals. Elle finira par prendre sa retraite à Fayetteville, en Caroline du Nord et ne chantera plus qu’à l’église.

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             On la retrouve sur deux belles compiles : Blue Soul Belles - The Scepter & Musicor Recordings Volume Four, avec Marie Knight, et The Stax Solo Recordings avec Veda Brown.

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             C’est évidemment Marie Knight qui vole le show sur Blue Soul Belles - The Scepter & Musicor Recordings Volume Four. Mais Judy Clay se défend bien, on apprécie sa fantastique présence dans «My Arms Aren’t Strong Enough», un heavy balladif dégoulinant de détresse sentimentale. C’est tout de même un bonheur que de l’écouter. Elle s’épuise un peu dans la pop de Broadway et revient flamber la Soul new-yorkaise avec «The Way You Look Tonight», une Soul hyper-orchestrée et gorgée de chœurs. Elle sait aussi driver un wild r’n’b comme le montre  «You Busted My Mind» et l’«He’s The Kind Of Guy» tapé aux cloches de la 7e avenue est d’une incroyable musicalité. Elle entre dans les années de braise du r’n’b avec «Your Kind Of Lovin’» et son «Upset My Heart (Get Me So Upset)» est d’une qualité invraisemblable. Ça frise le popotin Stax. Et puis elle jazze son «That’s All» avec une classe sidérante. On passe à Marie Knight avec «Cry Me A River». Elle te crève les tympans. Marie Knight est l’une des pires screameuses de l’univers. Elle joue avec la Soul comme le chat avec la souris. Sur «Comes The Night», elle sonne comme Esther Phillips. Pur genius, feeling de voix et power all over. C’est la reine du par-dessus-les-toits. Encore de la haute voltige de Soul pop avec «That’s No Way To Treat A Girl». Elle fait pas mal de petite pop et renoue avec le génie dans «You Lie So Well», un r’n’b à la Motown motion. Elle y va la Marie !

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             Dans les liners de The Stax Solo Recordings, Tony Rounce nous rappelle que Judy est arrivée chez Stax en 1967, c’est-à-dire en plein âge d’or. Rounce raconte qu’en fouinant dans les archives de Stax,  Roger Armstrong a exhumé «My Baby Specializes», qu’on peut donc entendre pour la première fois sur The Stax Solo Recordings.

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             Sur cette compile, Judy Clay arrive à la fin. Ça permet de découvrir l’excellente Veda Brown et son «Take It Off Her (And Put It On Me)». Niaque et Staxy raunch : tout est parfait. Dans les liners, Tony Rounce nous apprend que Veda est originaire de Kennett, Missouri, et qu’elle a commencé par chanter à l’église. Un certain Jerry Robinson la découvre et Veda se retrouve à Muscle Shoals pour enregistrer ses premiers Stax cuts. Tu tombes ensuite sur «Short Stopping», un fantastique dancing strut. Tu te lèves et tu jerkes avec Veda. Elle est vraiment bien, la petite Veda. Même sur les cuts plus lents, elle sait se montrer pleine est entière, fabuleusement impliquée. Elle tape une mouture de «Fever» au grand battage et ça prend des allures de prophète Isaac, avec les percus du diable. Pur power encore avec «Guilty Of Loving You» et son «That’s The Way Love Is» sonne comme un slowah profondément circonstancié. Avec Veda, tout est bien. Elle a une classe invraisemblable. Elle sait aussi gérer la Soul progressive comme le montre «Who Wouldn’t Love A Man Like This». Et quand Judy arrive avec «Remove These

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    Clouds», elle passe au gospel batch et t’explose le cortex. Avec «Bed Of Roses», elle fait son Aretha. Même beefsteak ! «It’s Me» est un slow super-frotteur. Elle sait se frotter au mâle. On comprend que Wex ait bandé pour elle. Elle te fracasse vite fait le gros popotin de «Since You Came Along». Avec Aretha, Judy est l’autre reine de la Soul. «It Ain’t Long Enough» sonne comme une tranche de Soul joyeuse et pantelante. Elle fait encore la reine de Stax avec «Your Love Is Good Enough». C’est tout de même incroyable que des Soul Sisters du calibre de Veda et Judy Clay soient passées à la trappe.

    Signé : Cazengler, Clay-bar

    Judy Clay/ Marie Knight. Blue Soul Belles - The Scepter & Musicor Recordings Volume Four. Westside 2001

    Judy Clay/Veda Brown. The Stax Solo Recordings. Kent/Ace records 2008

     

    Road to Kairos

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             Finalement, t’auras passé une bonne soirée avec Kairos Creature Club, un trio venu tout droit de Jacksonville, en Floride, jusque dans la cave. Pas d’hit interplanétaire dans leur set, mais la réalité de leur verdeur artistique te conforte dans l’idée que l’underground résiste bien à la nécrose de médiocratisation rampante qui menace le monde moderne.

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             Le trio te met tout de suite à l’aise car zéro prétention et zéro frime. T’as deux petites gonzesses (beurre et poux) et un mec au bassmatic. Celle qui bat le beurre s’appelle Lena Simon. On sent qu’elle a du métier. Elle vient de La Luz. Celle qui gratte ses poux s’appelle Glenn Michael Van Dyke. Contrairement à ce qu’indique son nom, c’est une gonzesse et elle gratte une belle SG bordeaux, elle se planque sous une casquette et porte un futal en tartan écossais. Fière allure, mais surtout fière fluidité, elle sait filer le train d’un killer solo à rallonges, elle n’a aucun problème pour développer l’extension du domaine de la loose, et le groove du trio s’y prête plutôt bien. Ils sont tellement originaux qu’on ne peut les comparer à rien de

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    particulier, sauf peut-être aux shoegazers. Sur certains cuts, les Kairos sonnent très anglais. Il remonte de leurs ébats de curieux remugles shoegazy, de vagues échos de My Bloody Valentine ou des Pales Saints, dirons-nous, surtout quand ça vient de la batteuse. Elle adore laisser sa voix flotter en suspension. Elles se partagent le chant, tantôt c’est Glenn (qui se fait aussi appeler Billy Creature), tantôt c’est Lena (qui se fait aussi appeler Kairos). Sous sa casquette, le petite Glenn Michael Van Dyke joue pas mal sur les ambiguïtés et t’as intérêt à vérifier les choses pour éviter de raconter des conneries. 

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              Bon, leur début de set est problématique, comme il l’est généralement avec les groupes qu’on découvre, parce qu’on ne sait rien d’eux. Si on arrive avec les oreilles fraîches et zéro info, il faut un petit temps d’acclimatation. Le temps de rentrer dans leur jeu. Le temps que ça clique. Et on est content quand ça clique, car il arrive que ça ne clique pas. Soit tu t’ennuies, soit c’est pas bon, et tu montes au bar siffler ta Jupi. Cette fois, ça clique. T’es vraiment content d’être là et de partager ce moment avec la petite faune habituelle. Il reste une poignée de gens vraiment intéressants en Normandie et c’est là que tu les croises. On a tous en commun cette curiosité passionnée pour l’underground. On a tous envie de voir ces groupes inconnus exploser. On a tous envie de mettre le grappin sur l’album le plus fabuleux de l’underground le plus ténébreux. C’est presque une obsession. Et chaque fois, tu vois un groupe sorti de nulle part taper le Grand Jeu pour une assistance minimale, c’est-à-dire la poignée de gens intéressants. Alors forcément ça t’en bouche un coin. Au fil des cuts, les Kairos montent bien leur Club-out en neige et ça finit par culminer. Quoi de plus sexy que de voir un groupe inconnu culminer ?   

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             Alors culminons. L’album KCC luit d’un éclat rouge au cœur du merch des ténèbres. Tu y retrouves le point culminant du set, «Deleuzean». Lena y pose bien les bases de son univers. Te voilà en plein Bloody Valentine, ça sonne comme un hit et ça prend vite de l’ampleur. Elles sont encore très anglaises avec «Good Company», pur éther poppy poppah, et «Exile». La Luz rôde dans cette pop qui se veut américaine et qui ne l’est pas, et là t’as la Glenn qui part en wild solo de wah. En A, leur «Doom Funk» part d’un bon sentiment et prend sa petite vitesse de croisière groovytale. La belle pop de «Strangers» vise le frais-comme-un-gardon, même en mode shoegaze. Elle passe en force, mais non sans grâce. Et puis t’as l’excellent cut du mec à la basse, «Self Portrait». Il sait placer sa voix et faire l’imposition. Ça tient debout. T’as là un joli shoot de pop-rock. C’est la Glenn qui boucle l’affaire avec un «UK Club» instro qu’elle tape au bassmatic. Elle y fait un fantastique numéro de bassmataz.

    Signé : Cazengler, Craignos Creature Club

    Kairos Creature Club. Le Trois Pièces. Rouen (76). 26 mai 2025

    Concert Braincrushing

    Kairos Creature Club. KCC. Greenaway Records 2024

     

    Wizards & True Stars

     - Massacre à la ronronneuse

     (Part Four)

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             Le génie d’Anton Newcombe se trouve dans les albums. T’as une belle palanquée d’albums, donc une belle palanquée de coups de génie. Anton passe sa vie à composer. Pour le suivre, il faut des moyens. Ses albums sont tous très beaux. Ces gros vinyles coûtent la peau des fesses. Pour ceux qui n’ont ni le temps ni les moyens d’entrer de plain-pied dans l’œuvre d’Anton Newcombe, le plus simple est d’écouter cette fabuleuse rétrospective, Tepid Peppermint Wonderland, parue en 2004 et récemment rééditée. Anton y sort des cuts de tous ses albums, ce qui permet de voyager avec lui à travers les époques et de constater une chose : il reste en permanence dans le haut de gamme. Ce double album regorge d’énormités. «Who»

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    est un fantastique hommage druggy à Brian Jones, LE dandy du XXe siècle. On se régale du beat descendant de «Servo», une prophetic-song donavanesque, groove malsain de Californie, à la fois violent et enchanteur, la mort et le soleil, le doux rêve qui cajole l’horreur sanglante, pas de contraste plus dangereux. Il faut se souvenir que des tas de satanistes sont allés se faire dorer la pilule en Californie, devenant ainsi la honte du diable. Joel nous tambourine ce beau psycho-beat qu’est «If Love Is The Drug» dans une belle ambiance cauchemardesque chargée de fuzz distante et hantée par des voix de filles défoncées et des voix d’hommes émasculés. La force du collectif est de savoir monter en puissance. Salutaire et clinquant, «Straight Up And Down» claque aux accords du diable. Ça pue les drogues à dix kilomètres à la ronde. Cette psychedelia californienne se montre extravagante de puissance traversière, montée sur une mélodie hasardeuse digne des Stones, s’ils avaient osé aller jusque là. Nul doute que Brian Jones aurait osé. Alors Anton donne la main à son héros Brian Jones, la main dont il rêvait, et cette débauche psyché qu’il a incarnée avec tellement, oh tellement de flamboyance. Que tous les ennemis de Brian Jones aillent rôtir en enfer. Anton part en solo en l’honneur de son héros. «Anemone» s’installe dans le lent et le beau. On s’est grillé la cervelle, alors on a le temps de déconner et de laisser couler des accords pour jouer le groove de la ramasse. Voilà encore une pièce fabuleuse de décadence qui tombe vers l’avant - you should have picked me up - elle parle au ralenti, on est dans le break rouge d’un trip avancé, la raison échappe au regard, on ne sait plus où poser le pied, et c’est monstrueux de toxicité.

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             Le disk 2 est encore plus déterminant. Anton prend «That Girl Suicide» au chat perché puis ça part dans les impudeurs, avec des pointes de violence. C’est admirable de fourberie psychédélique. Anton a des idées fantastiques. Il redouble d’inspiration sauvage, avec un solo dégueulasse qui traverses les couches comme le ver la pomme. Heavy psyché avec «Evergreen», somptueux, emmêlé des crayons, rampé plus que rampant, signifiant le fin de l’élégance. Encore un hit fabuleux accroché à la gloire du quotidien avec «In My Life», plombé d’énormité et de riffs gluants. Rien qu’avec ça, il mérite sa couronne de superstar. Son rock est naturellement trashy. Il n’a pas besoin d’en rajouter. Avec «Mary Please», il s’amuse à sonner comme Oasis, dans le descendant et le druggy. C’est fabuleusement écroulé contre le mur, dément, lazy et pas pressé. Doucement. Quand on est défoncé, on y va doucement. Voilà ce que raconte la musique d’Anton Newcombe : le vertige sublime de la défonce. Comme Lou Reed, il en fait de l’art. Mais pas de l’art à la petite semaine. Puissance pure avec «Talk Action Shit», tambourin, sale garage, pur génie. Tout est là. Le rampage. Sourd et terrible. Il peut aussi sonner comme les Byrds si ça lui chante, et il le fait avec «This Is Why You Love Me» et on retombe sur l’un des hits du siècle, «Not If You Were The Last Dandy On Earth», la clameur - and you look good - suivie par une guitare aux abois, rien que la partie de guitare, c’est de la folie douloureuse, un rush d’héro dans le cerveau. Sur ce disk, tout est énorme, comme ce «Feel So Good», avec sa progression démente sur des violons, encore un hit psychédélique, encore une idée qui fait le moine. Anton Newcombe est un géant. Une voix ingénue sur prod sur une violonade à la «Walk On The Wild Side», et un solo suit comme un chien fidèle. Anton reprend la barre, aussi défoncé qu’elle. L’ambiance reste mortellement bonne, on s’habitue - I want to feel so good - à s’en faire péter la cervelle plutôt que la rate. Et puis arrive ce solo-chien malade de distorse. Et ça monte encore. Valencia rappelle que l’idée de Tepid Peppermint Wonderland était de capitaliser sur l’effet Dig!

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             Spacegirl & Other Favorites est le premier album du groupe sorti en 1995. Dès «Crushed», le premier morceau, on plonge dans l’heavy psychout. La caravane s’ébranle à travers les sables verts de Zabriskie, jusqu’à l’horizon où flotte le rond du soleil levant. Mystère des sables et puissance de la résonance, avec des lignes de basse errantes, magnificence crépusculée d’avance. Cette basse caoutchouteuse rôde comme une hyène, alors on l’observe avec l’air neutre qu’il faut toujours afficher, pour ne pas effrayer les hommes de la patrouille. Le souffle du Massacre est tellement puissant que le sable se ride en surface comme la peau d’une vieille pensionnaire de harem. Basse hyène de rêve dont la silhouette court sur l’horizon. On glisse assurément vers les lointaines régions de non-retour. C’est sur cet album que ce trouve «That Girl Suicide», monté comme un standard des Byrds, avec cette même insistance du son sacré. «When I Was Yesterday» est un autre groove à la Masssacre, amené doucement et versé dans des lacs tièdes, en amont des fourches caudines, là où nul humain n’est encore jamais allé, là où la perception atteint les limites de la transversalité, là où l’embellissement devient purement latéral. Mal dégrossi, Spacegirl ne fera que préparer le terrain pour Methodrone. D’ailleurs, ces deux chefs-d’œuvre de space-rock doom que sont «That Suicide Girl» et «Crushed» profiteront des deux voyages.  

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             Methodrone sort dans la foulée. Dès «Wisdom», on assiste à une belle montée en masse des accords sur le front de l’Est. Voilà encore un groove d’une rare puissance. Greg Shaw devait être ravi d’entendre ça. Valencia avoue qu’il est tombé sous le charme du BJM grâce à «She’s Gone» - Ça groove, ça secoue, ça voyage et ça s’entend à l’infini - C’est vrai, le BJM développe un fantastique sens du groove psychédélique qui n’est pas sans rappeler celui des 13th Floor. Pièce de groove éléphantesque, «She’s Gone» commence par traverser les jardins et puis devinez ce qui se passe ensuite ? «She’s Gone» entre dans le magasin de porcelaine, mais comme ce cut est raffiné, il ne casse rien. Il se glisse comme un chat entre les neurones de porcelaine. Anton baptise l’album Methodrone en l’honneur de Peter Kember, c’est-à-dire Sonic Boom, qu’il rencontre en studio à l’époque, ‘Peter, son jar de methadone and his drone band’. Sur le même album se trouve «Hyperventilation» qu’Anton voulait titrer «Iggy Pop Sonic Boom», avec un son qui dit-il est celui de «1969» à vitesse réduite. C’est du pur Spacemen 3, un groove méchant et sournois. Anton chante ça l’œil mauvais, il geint comme un voyou pasolinien qui prépare un mauvais coup, et puis ça explose. Des éclairs zèbrent le background du morceau. Notez enfin que Graham Bonnar de Swervedriver bat le beurre sur cet album. 

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             En 1996 paraissent trois albums : Their Satanic Majesties Second Request, Thank God For The Mental Illness et Take It From The Man. Anton met les bouchées doubles avec un Satanic Majesties rempli à ras bord de grooves infectueux. «All Around You» et «Cold On The Couch» groovent lentement et sûrement. On a là le vrai groove californien, bien huilé sous le soleil ardent et qui ne se nourrit que d’hallucinations. Les drogues sont bien meilleures sous le soleil exactement, comme chacun sait. Avec «Jesus», ils renouent avec le groove du Dandy, beau et dramatique, un peu hanté et légèrement ralenti. Avec un solo en note à note, Anton fabrique l’archétype de la drug-song parabolique, le politiquement druggy parfait. Doomé jusqu’à l’os et sonné au tambourin provençal, «Anemone» se niche sur cet album. Dans cette extraordinaire pièce d’à-propos, Anton veut demander quelque chose à sa copine, mais il ne se souvient plus quoi. Il essaye d’atteindre un objet de la main, mais il ne se souvient plus quel objet ni quelle main. Alors il écoute ce qu’elle dit, mais il ne sait pas de quoi elle parle. On est dans le groove de la vape. Anton raconte qu’il a fait venir un van rempli de gens drogués pour faire les chœurs d’«All Around You».

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             Quand on ouvre le gatefold de Take It From The Man, on tombe sur un petit texte d’Anton : il jure que le fantôme de Brian Jones est venu le trouver dans le studio pour lui demander de faire cet album. Brian lui a aussi demandé d’aller casser la gueule à Keef et à Mick parce qu’ils lui ont piqué son groupe, sa musique, sa fiancée et son blé. En prime, ils l’ont fait buter. Pour enregistrer cet album, Anton étudie les photos des Stones en studio. Il tente de reproduire leur technique de sonorisation des instruments. Il est obsédé par la magie des sixties. L’album est enregistré live. Quelle merveille psyché que ce «Who» rendu sauvage par des youihhh jetés en l’air, et doublé d’un riff incroyablement classieux ! Avec «Caress», on reste au centre du cercle des dolmens sacrés de la tradition écarlate du garage psyché, dans la quadrature du cercle magique Bomp. C’est d’une précieuse véracité. Le génie coule à flots dans les veines d’Anton Newcombe. Il passe au garage sévère avec le morceau titre. Il chante avec du venin plein la bouche et derrière, on entend des chœurs incroyablement défaits, des ouh-yeah incertains, posés au hasard des pulsions libidinales et ça continue pendant le solo d’harmo. Tout aussi garage mais plus ardu, «Monkey Puzzle» prend la gorge. Ils nous saupoudrent tout ça d’un son digne des Byrds. Album idéal pour les ceusses qui sont en manque de fascination. Valencia parle d’énergie atomique. Il compare même l’album au Raw Power des Stooges et aux early Beatles - That youthful hormonr-driven energy - Pour Joel, Take It From The Man est un ‘December’s Children nuts and bolts rhythm & blues sound’.

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             Et voici le troisième BJM de 1996, Thank God For The Mental Illness. C’est bien sûr Joel qu’on voit sur la pochette. L’album renferme un joli clin d’œil à Dylan avec un «13» digne de «Highway 61», bourré de gros gimmicks bloomiques à la sauce Newcombe. Voilà encore une énormité qui vaut le détour. Encore plus dylanesque, lancé à l’harmo des enfers, «Ballad Of Jim Jones» revisite par son épaisseur le mythe du folk-rock dylanesque. Avec ce son grandiose. Anton Newcombe renoue avec l’éclat des sixties compatissantes. Retour au heavy groove avec «Too Crazy To Care» : le regard embué, l’harmo dans la mélasse, le groove titube, il avance d’un pas hésitant en s’appuyant contre le mur. Pure druggy motion. Now next one, lance-t-il d’un ton sec. «Talk Action Shit» arrive. Avec cette jolie pièce de garage californien, violente et malsaine, Anton fait sa carne, alors que claque le tambourin. Anton shoote de la violence dans sa Stonesy. Que peut-on demander de plus au garage ? Rien. Juste sonner comme «Talk Action Shit». C’est pourtant pas compliqué. Thank God For The Mental Illness est d’autant plus admirable qu’on lit ceci sur la pochette : «Enregistré live le 11 juillet 1996 à la maison pour un coût total de 17,36 $. Pas de shit. Si vous n’appréciez pas, pas de pelle non plus pour ramasser le shit.» Anton Newcombe ne fournit pas la pelle à merde. C’est sa façon de vous dire d’aller vous faire cuire un œuf si vous n’aimez pas sa musique.

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             Give It Back parait l’année suivante et s’ouvre sur «Supersonic», un groove psyché de haut vol orientalisant. En s’inspirant des Byrds pour «This Is Why You Love Me», ils pondent un beau hit sixties joliment fileté à la mélodie et arpéggié en moderato cantabilisant. Ah l’excellence de la fragrance ! S’ils riffent si salement «Satellite», c’est pour en faire un coup de Jarnac malsain. Anton Newcombe s’ingénie en permanence à hanter les esprits. Il va là où ne vont pas les autres. C’est un tuteur d’aisance malodorante à la Maldoror. Pourquoi «Satellite» est un vrai hit pop sale ? Parce qu’il traîne des pieds. Et on retombe dans la magie du Last Dandy On Earth, le hit imparable amené à la hurlette de guitare, chanté à l’essoufflement, construit comme une lente montée inexorable qui finit par exploser en pah-pah-pah doublés de chœurs de Sioux - She’s like a sixties movie/ You know what I mean/ And you look so good/ And you look so wasted/ And baby I know why - S’ensuit un autre hit, «Servo», plus pop, dans l’esprit des plus grands hits californiens. On est en plein tournage de Dig! et Ondi Timor filme un Anton sûr de lui. Il sait qu’il a les hits, et il lance : «Move on over Dandy !», mais les Dandy Warhols ne parviendront jamais à ce niveau d’excellence.

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             Quand l’album Strung Out In Heaven est sorti en 1998, on faisait la fine bouche. La presse américaine en vantait les mérites, mais on trouvait l’album un peu mou du genou. Et pourtant, trois ou quatre bombes se nichent sur ce disque. «Going To Hell» est un gros hit psyché qui, bizarrement, ne figure pas sur la rétrospective. C’est un cut flamboyant remué par des explosions d’accords acides sous le soleil - I live in a dream but you’re living in hell - et ça enchaîne avec un solo en note à note, ça coule des cuisses, ça explose à l’horizon, c’est toujours du druggy rock conquérant sans concurrence. Belle intro à la note hurlante pour «Got My Eye On You», bien battu au beat, hommage aux diables dorés de Californie. Anton y va de bon cœur, son groove provoque toujours l’admiration et on entend un mec pianoter à l’envers. Vraiment dingue, comme si les flammes du brasier avaient des yeux bleus. «Love» est une bluesy love song lysergique à la Spiritualized avec un départ de fin de journée compliquée, poussif et lourd, ah non pas envie, péniblement poussé au beat et le morceau se remplit comme la baignoire de la mort. Et puis on a cette pièce de doom californien, «Wisdom», heavy en diable, l’autre hit de l’album, un rock qui descend en longueur et qu’Anton partage avec une fille. Alors ça devient sérieux, car elle amène de la sensualité psyché à cette affaire qui prend une ampleur fantasmagorique particulière. C’est claqué d’accords ralentis qui tombent tous les uns après les autres du haut de la falaise de marbre. Alors Anton reprend la main d’une voix ferme - but he said there’s no way - c’est puissant et dramatique - don’t you kill you - Effarant. Pour lui, c’est pas si compliqué d’effarer. Il pousse le bouchon, comme d’usage et il ramasse au passage toutes les brebis égarées. Sex drugs & rock’n’roll, baby. Dans le book de Valencia, Strung Out est peut-être l’album qui suscite le plus de commentaires. Comme il vient de signer sur TVT, Anton a du blé et sa conso d’héro augmente vertigineusement. La manager Dutcher transpire à grosse gouttes, car l’enregistrement de l’album financé par TVT n’avance pas. Valencia décrit le process laborieux. Les gens de TVT voient Strung Out comme un bon album, mais pas un hit album - It lacked the revved-up energy, attitude and big rock sound - Dutcher attribue cet échec à la pression qu’on mettait sur Anton à l’époque. TVT misait gros et la pression écrasa Anton.

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             Jim Jarmush apparaît sur la pochette de Bravery Repetition & Noise, paru en 2001. Comme Jarmush a choisi «Not The Last Dandy On Earth» pour figurer dans la Bande originale de Broken Flowers, Anton a voulu le remercier en choisissant cette photo pour la pochette de l’album. On y trouve le groove le plus druggy de la troisième dimension : «Open Eye Surgery». On voit rarement des grooves qui ont autant de mal à marcher droit. Celui-là titube. Son pas hésite. Il ne sait pas dans quelle direction aller. Le riff si adroitement joué semble lui aussi en décalage total. Mais le reste de l’album refuse obstinément d’avancer.

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             Pas mal de bonnes choses sur And This Is Our Music, paru en 2002, et notamment «Geezers» qui évoque les Stones de Satanic Majesties : même ambiance, mêmes bouquets de chœurs, tout nous renvoie à cet album maudit. L’ardeur groovy d’Anton Newcombe ne connaît pas de limites. «Here It Comes» est un balladif heavy et ralenti du bulbe. Anton va chercher ses frissons dans la gélatine du paradoxe. Le reste ne l’intéresse pas. C’est un égaré qui adore s’égarer. Une sorte de torpeur règne sur cet album et c’est pour cette raison qu’on le respecte et qu’on l’admire. C’est un pourvoyeur de non-lieux, un fabuleux diseur de non-aventure. «A New Low In Getting High» est digne de Buffalo Springfield. Bon beat, sévèrement embarqué, chant à la ramasse intestine. On retrouve la chaleur du californian hell. Voilà encore une petite merveille de groove dégingandé, parfaitement capable de sauver un album peu soigneux. 

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             Enregistré en Islande, My Bloody Underground commence mal. Anton demande qu’on lui apporte la tête de Paul McCartney. «Bring Me The Head Of Paul McCartney» est encore du psyché à la ramasse, bien pentu et très fumeux. Anton erre parmi les tournesols et les azurs marmoréens. Il coule une belle cascade psyché mirobolante. Retour à la mad psychedelia avec «Infinite Wisdom Tooth», allez les gars, tapez dans le pink du gras. C’est à la fois embarqué et embarquant. Jolie pièce de groove perturbé, avec une sorte de précipitation au niveau de la circulation sanguine, un vrai rush folâtre et brumâtre. On ne sait pas trop quoi penser. Tous les morceaux sont longs sur ce bloody disk, Anton est un mec qui a le temps. Pour lui, rien ne presse, il n’est pas comme les autres, ceux qui sont en prod. Notons au passage que le Mark Gardener de Ride joue sur l’album. Anton est fan du «Drive Blind» de Ride. On trouve aussi sur cet album une belle pièce de piano chopinée et étalée dans le temps : «We Are The Niagara Of The World». Anton tient ses fans par la barbichette. Pour les filles, on ne sait pas par quoi il les tient. Psyché toujours avec «Who Cares Why», vraie apologie des drogues et de la druggy motion, pas loin de l’exotisme hypnotique, bande-son du bon vieux trip, on la reconnaît dès les premières mesures. On entend son cœur battre. Le trip reste certainement l’expérience la plus insolite qu’on puisse faire dans une vie. God comme on adorait ça. La cervelle est faite pour la surchauffe et pour la chimie. Elle s’y prête bien. Anton a tout compris. Garage violent et grosse basse effervescente dans «Golden Frost», monstrueux space-rock à décrocher la lune. Et retour insolent à la Mad Psychedelia avec «Just Like Kicking Jesus», pièce extravagante et énorme, verte et mauve, à la ramasse de la mélasse, univers d’absorption, drug-song évanescente qui te coule dans le cerveau comme la speed-dance des dieux, une mer de bénédiction esquintée au LSD, probablement la plus belle drug-song de tous les temps. Plus la peine de prendre un acide, il suffit juste d’écouter ce cut pour partir au diable Vauvert en compagnie d’Anton le diable vert. Vraiment digne de Spiritualized. Et puis quoi encore ? «Monkey Powder», co-écrit avec Mark Gardener, nouvel univers, invitation au voyage en calèche à travers les Carpathes psychédéliques sous un ciel rouge de sang. Cet album signe le retour aux sources du BJM. Music first, songs later.

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             Paru en 2010, Who Killed Sgt. Pepper? est le premier album berlinois d’Anton. Il s’ouvre sur un tempo jive de zone B bien allumé qui s’appelle «Tempo 116.7 (reaching for dangerous levels of sobriety)», dans l’ambiance d’un studio abandonné des dieux. Pire encore, «Hunger Hnifur» semble chanté depuis le fond du studio. On ne sait pas trop qui joue sur cet album et on s’en fout éperdument. Le bon Samaritain Valencia nous apprend toutefois que Will Carruthers donne un petit coup de main spacemanien sur un «Let’s Go Fucking Mental» qui stagne dans les mêmes eaux que «Hunger Hnifur» : cet heavy jamming met un temps fou à gagner la surface. Anton va chercher des grooves druggy toujours plus exceptionnels. Au moins, il ne fait pas semblant. Let’s go fucking mental, la la la. Et puis on tombe sur «This Is The First Of Your Last Warnings», une espèce de druggy groove arabisant de la médina de la soute du souk à la dérive des derviches dessoudés. On assiste à l’arrivée de grosses notes de basse soutenues par des claquages d’accords acoustiques - eh oh - De la même manière que Jim Dickinson avec les Trashed Romeos, Anton Newcombe sait faire monter une grosse note de basse au moment opportun. On peut aussi qualifier «Super Fucked» de groove hypnotique à la ramasse de la rascasse. Anton chante ça de cette voix pâteuse qu’on dit idéale pour célébrer l’immanence de la décadence. 

             Même s’il est désormais installé à Berlin, le BJM continue de tourner dans le monde entier. Tous les gigs sont sold-out. Mais en 2011, il doit se faire interner suite à un violent épisode schizophrénique. Deux mois d’internement à St Joseph. Il ressort de l’hosto soigné et le crâne rasé. C’est là qu’il décide de se calmer. Il est mentalement et physiquement rincé.

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             Le deuxième album berlinois s’appelle Aufheben et paraît deux ans plus tard. Il choisit ce mot allemand signifiant à la fois détruire et préserver pour en faire un concept philosophique : la société doit détruire pour se construire, et donc se préserver, et il cite l’Allemagne en exemple. Au plan musical, il continue le travail de sape commencé depuis bientôt vingt ans : orientalisme groovitant («Panic In Babylon»), groove de machine à la noix de coco («Gaz Hilarant»), et groove Massacre pur avec «I Want To Hold Your Hand». Anton ne se casse pas la tête. Il groove, comme il sait si bien le faire. On reste en terrain de connaissance. Pas de surprise. Il nous refait le coup du vieux groove détaché du rivage qui part doucement à la dérive, monté sur le même vieux plan d’échappée et chanté à la voix mal réveillée d’une descente de trip. Il opère aussi un beau retour à la Stonesy avec «Stairway To The Party In The Universe» : on y entend poindre le thème de «Paint It Black», mais d’une manière fabuleusement subtile. Pas de gros sabots chez Anton Newcombe. C’est là où il se distingue. Il suggère. Dans «Seven Kinds Of Wonderful», on entend chanter des femmes de l’Irak antique. Quelle étonnante foison d’exotisme psyché ! Le joli groove de «Waking Up To Hand Grenades» se met en route pour le bonheur des petits et des plus grands. Il semble qu’Anton Newcombe soit entré dans un univers de rêveries hermétiques dignes de Paracelse.

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             Revelation sort en 2014, sous une pochette ornée d’un joli photo-montage psychédélique. Encore un double album. Anton ne lésine pas. Il veut que ses fans aient des beaux objets dans les pattes, alors il fait travailler des artisans sérieux. Sur ce nouvel album, on trouve pas mal de bonnes choses, et notamment «What You Isn’t», bien poundé, bien marqué en termes de territoire. Anton nous fait le coup de la pop qui prend son l’envol. Alors attention. C’est un hit. Un de plus. Oh, il n’est plus à ça près. On entend rôder une belle ligne de basse. Elle descend et elle remonte. On appelle ça une bassline de rêve. On entend les mêmes chez Baby Woodrose ou The Bevis Frond. Un hasard ? Mais non, il n’y a pas de hasard, Balthazar. Tous ces gens-là sont passés maîtres dans l’art de faire du bon psyché et des disques parfaits. Rien à voir avec les Black Angels et autres pompeurs de 13th Floor Elevators. Anton Newcombe vit le rock psyché de l’intérieur depuis plus de vingt ans, et après autant de bons disques, il n’a vraiment plus rien à prouver. La seule chose qui l’intéresse, hormis Brian Jones, c’est l’art suprême du groove. C’est ce que montre cette grosse basse lourde qui voyage dans le fond du cut. Bien sûr, il faut en plus un thème musical lancinant, comme c’est ici le cas. Ce groove est tellement bien foutu qu’on souhaiterait qu’il se déroule à l’infini et qu’il ne s’arrête jamais. «Memory Camp» est aussi une pièce de groove à la ramasse de la rascasse. Anton travaille ses beaux thèmes au doigt. Il gratte ses notes de bas en haut, contrairement à ce que font tous les autres guitaristes, qui grattent du haut vers le bas. Il est passé maître dans l’art d’inverser. Il continue d’explorer les arcanes de l’âtre suprême, celui qui ronfle en la demeure, avec des pointes de pâleur dans l’éclat des flammes. Ce Grand Œuvre psyché-philosophal n’appartient qu’à lui. Il est le maître des châteaux d’Espagne, riche comme mille Crésus et perclus de magies indolentes. Il revient au dandysme pour «Fool For Clouds». C’est de bonne guerre. Quand on dispose d’un si beau thème, autant en profiter et l’utiliser dans d’autres variations. Et puis il conclut son affaire avec un nouveau clin d’œil magistral aux Stones : «Goodbye (Buterfly)». Anton Newcombe manie une fois de plus l’excellence avec brio. Pendant que ses copains envoient les chœurs de «Sympathy For The Devil», il envisage de mourir, mais il risque de continuer à vivre pour l’éternité, comme son cousin Dracula. Son adieu aux armes est d’une classe terrifiante.  

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             En 2016, le BJM entre en studio pour des sessions qui vont donner deux albums, Third World Pyramid et Don’t Get Lost. Une véritable merveille de groove psyché se niche sur Pyramid : «Governement Beard». Back to the big sound, baby, le jingle jangle californien atrocement bien foutu, monté sur le sempiternel drive de basse. Tout l’art d’Anton est de savoir faire sonner un cut sixties aujourd’hui, et ça marche, bien au-delà des expectitudes. Et ça continue avec l’heavy grooves de «Don’t Get Lost», puis celui d’«Assigment Song Sequence». Druggy foggy motion. Encore un album de rêve ! En B, on tombe sur «Oh Brother», un instro groovy doucettement doucéreux et plutôt envoûtant. On apprécie pleinement cette compagnie. Anton Newcombe dégage tellement d’épaisseur humaine ! Une fille fait sa Hope Sandoval sur le morceau titre, petite merveille de groove d’anticipation fictionnelle. «The Sun Ship» referme la marche en sonnant comme le White Satin des Moody Blues, sans doute à cause de la flûte. Vieux relent d’ambiance familière. Comme c’est curieux...

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             On pourrait discourir à l’infinie de l’incontinence des critiques : dans l’un de ces fameux canards de rock, un critique avisé s’autorise à démolir le nouvel album d’Anton Newcome, Don’t Get Lost, sous prétexte de non-renouvellement ou d’on ne sait quoi. On a presque envie de dire à ce malheureux : «Tiens mon gars, voilà une guitare, montre-nous ce que tu sais faire.» Ce genre de mec est dangereux, car certains lecteurs n’achèteront pas l’album et passeront à côté d’un classique. Le pire dans cette histoire, c’est que ce nouvel album du BJM est fabuleux. Quand on suit Anton Newcombe à la trace depuis l’époque Bomp!, on s’épate de le voir encore capable de créer de la magie psychout. Tiens, d’ailleurs, il démarre ce double album avec «Open Minds Now Close», un groove atmosphérique impérial, monté sur le typical BJM beat. Le BJM renoue avec l’inconsolable méprise d’assise majeure. Et ça continue avec «Melody’s Actuel Echo Chamber», monté sur un beat du même acabeat. Wow the bass vibrations ! Paracelse Newcombe a percé tous les secrets de l’alchimie du son, alors bienvenue au paradis ! On connaissait le Keith Hudson Dub. Il faut désormais compter avec l’Anton Newcombe Dub, baby. Il finit cette face chargée avec «Resist Much Obey Little». Anton Newcombe crée l’événement en permanence. Il tape encore une fois dans le registre d’une belle pop hypno. L’heavy «Groove Is In The Heart» ouvre la B des anges. Une fille rejoint l’Anton qui se fend d’un solo déboîté du cartilage. Il passe au groove suspensif pour «One Slow Breath». Il navigue dans les eaux d’un «Murder Mystery» de type Velvet, mais rongé de résonances de bassmatic. Comme ce disque est fascinant ! Tiens, il termine sa B avec «Throbbing Gristle» et opère un superbe retour à l’hypno. Anton Newcombe reste le grand maître du groove. On sent des relents de Satanic Majestic planer dans ce cut, quelque chose d’implacable et d’ancien, au sens lovecraftien du terme, des rumeurs qui remontent comme des remugles d’antiques canalisations. Quelle puissance ténébreuse ! Anton serait-il un démon échappé d’un bréviaire ? Oh attendez, ce n’est pas fini ! Voilà qu’en C, il remet son bassmatic en avant du mix dans «Fact 67». Le sorcier du son se met à l’œuvre. Son cut est rempli à ras bord de good vibes. Et en D, il passe au groove urbain avec «Geldenes Heaz Menz», mais pas n’importe quel groove urbain : il se paye le luxe d’une ambiance à la Bernard Hermann, avec un taxi jaune qui glisse dans la nuit berlinoise. Fabuleux clin d’œil ! Même avec un brin de techno, ça passe comme une lettre à la poste. La preuve ? «Acid 2 Me is No Worse Than War». Anton Newcombe est un chef de meute, une rock star fondamentale, il ramène même l’Orient des portes d’Orion dans son orbite groovytale. Il passe à l’heavy rock pour «Nothing New To Trash Like You». C’est aussi sérieux qu’un hit, car monté à l’hypno et réhaussé au psychout. Anton Newcombe reste l’un des plus grands explorateurs d’univers soniques de notre époque.

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             Something Else paraît en 2018. Pour rien au monde, on ne voudrait rater un cut aussi parfait qu’«Hold That Thought». Ce qui frappe le plus, c’est la spectaculaire épaisseur du son. Anton Newcombe chante à la traînasserie de la Reine Pédauque, son cut sonne comme une évidence, c’est un hit, monté sur l’ultra-présence du bassmatic. Autre cut de bassman : «Skin & Bones». Anton joue des figures psychédéliques en surface, mais diable comme la basse gronde bien en dessous. C’est même une imprescriptible sarabande de miséricordes graves. Génie à l’état le plus pur ! On voit de nos yeux horrifiés la basse dévorer le son vivant. Il fait aussi sonner son «Animal Wisdom» comme du jingle-jangle monté sur un heavy groove délibéré. On retrouve ici cette capiteuse essence de psychedelia californienne à laquelle les premiers albums du BJM nous accoutumèrent. Anton insuffle sa vieille énergie dans «Psychic Lips» et libère un fantastique brouet de figures libres à la surface du pudding. L’Anton excelle de bout en bout, il se fond en permanence dans une fantastique résurgence. En B, on tombe sur l’excellent «Fragmentation» qu’il chante avec un détachement scandaleux, il ne fait aucun effort pour plaire, il s’éloigne toujours plus des contingences. Il termine cet album profondément jonestownien avec un «Silent Dream» qui sonne exactement comme l’«All Tomorrows’ Parties» du Velvet. Glacial, même ambiance, même mélodie, même sorcellerie. Sans doute ne l’a-t-il pas fait exprès. Exprès ou pas exprès, ça n’a strictement aucune importance.

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             2019 voit paraître un album titré The Brian Jonestown Massacre. Album magique ! Dès «Drained», on reconnaît le son à l’ancienne du BJM, cette belle basse dans le mix, juste sous la surface. C’est tout de suite de l’heavy stuff, car ça sonne comme un groove prédestiné. Le rock d’Anton Newcombe a toujours eu une dimension tragique, très littéraire, une profondeur de champ que n’ont pas forcément les autres groovers. Il joue dans l’état profond du son. Il joue dans l’épaisseur de la coalition. On reste dans l’heavy stuff psychédélique à la Newcombe avec «My Mind Is Filled With Stuff». On a là un tempo lourd visité par le vent léger d’un solo de guitare éthéré. «Cannot Be Saved» s’enfonce encore dans l’heavyness psychologique. Anton Newcombe est sans doute l’un des derniers à pouvoir sonner ainsi. Avec «A Word», le groove vole si bas qu’il flatte les fondements de la morale. Anton Newcombe est devenu un shaman berlinois. En B, il profite de ce long balladif qu’est «We Never Had A Chance» pour passer un beau solo à l’éthérée, parfaitement libre dans le ciel mauve de sa jeunesse enfuie. «Remember Me This» nous renvoie directement aux premiers albums du BJM. Même son bien tendu et bien dense, admirable cohérence de la prestance. Anton est à la fête et le psyché aussi. On a là tout le son dont on peut rêver, à la fois moderne et ancien. Il termine avec un «What Can I Say» qui se situe dans la veine des heavy grooves de l’Anton d’antan, à la fois calibré, balancé et solide, taillé pour l’éternité, chanté à l’extrême plaintive de vétéran de toutes les guerres salutaires. Wow !

    Signé : Cazengler, Newcon tout court

    Brian Jonestown Massacre. Spacegirl & Other Favorites. Candy Floss 1995

    Brian Jonestown Massacre. Methodrone. Bomp 1995    

    Brian Jonestown Massacre. Their Satanic Majesties Second Request. Tangible 1996

    Brian Jonestown Massacre. Take It From The Man. Bomp 1996

    Brian Jonestown Massacre. Thank God For Mental Illness. Bomp 1997

    Brian Jonestown Massacre. Give It Back. Bomp 1997

    Brian Jonestown Massacre. Strung Out In Heaven. TVT Records 1998

    Brian Jonestown Massacre. Bravery Repetition & Noise. Commettee To Keep Music Evil 2001

    Brian Jonestown Massacre. And This Is Our Music. Tee Pee Records 2002

    Brian Jonestown Massacre. My Bloody Underground. A Records 2007

    Brian Jonestown Massacre. Who Killed Sgt. Pepper? A Records 2010

    Brian Jonestown Massacre. Aufheben. A Records 2012

    Brian Jonestown Massacre. Revelation. A Records 2014

    Brian Jonestown Massacre. Tepid Peppermint Wonderland : A Retrospective. Tee Pee Records 2004

    Brian Jonestown Massacre. Third World Pyramyd. A Records 2016

    Brian Jonestown Massacre. Don’t Get Lost. A Records 2017

    Brian Jonestown Massacre. Something Else. A Records 2018

    Brian Jonestown Massacre. The Brian Jonestown Massacre. A Records 2019

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    Jesse Valencia. Keep Music Evil. The Brian Jonestown Massacre Story. Jawbone Press 2019

     

    *

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             Un morceau inédit de Thumos. Qui nécessite quelques explications. Thumos défend la cause animale. Il abandonne volontiers les droits d’un morceau pour soulager la souffrance animale. Il s’agit pour cette fois d’une compilation numérique de cinquante-deux morceaux de différents artistes à tonalités metalliques, concoctée par Fiadh Production, label New-Yorkais produit en l’honneur  de la Journée dédiée aux droits des animaux. L’intégralité des fonds récoltés seront versés au Fawns Fortress Animals Sanctuary situé dans le New Jersey. Refuge qui recueille les chiens de grande taille qui ont besoin d’abri et de bien-être.

             Le morceau de Thumos intitulé Charmides se trouve donc sur la compilation From The Plough… To The Stars.

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             Le quatre juillet 2025 sortira le prochain CD de Thumos intitulé The Trial de Socrates. La date n’est pas choisie au hasard. Le quatre juillet 2022, Thumos avait fait paraîtra The Curse of Empire, réflexion musicale sur la naissance et la chute des empires tout en remarquant que le futur de Etats-Unis qui se profilait à l’horizon les inquiétait quelque peu. L’intention de cette date symbolique de la parution de The Trial de Socrates (Le procès de Socrates) nous semble s’inscrire dans une même crainte quant à la trajectoire politique adoptée par leur pays.

             The Trial de Socrates, nous le chroniquerons lors de sa parution, est composé de seize titres, qui sont autant de titres de dialogues de Platon. Charmides est une piste ‘’ unrealeased’’ issue des sessions d’enregistrement de ce Procès de Socrate. Très logiquement le lecteur aura reconnu que Charmides est aussi le titre d’un dialogue de Platon.

             Ce n’est peut-être pas un hasard si ce dialogue a été écarté de la sélection finale de l’œuvre de Thumos. Les deux CD remplis à ras-bord ne pouvaient peut-être pas accueillir une piste de plus. Si ce fut le cas la question reste entière : pourquoi est-ce spécialement ce dialogue qui a été omis et pas un autre…

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    Le Charmide est une œuvre de jeunesse de Platon, notre philosophe n’avait pas encore acquis sa merveilleuse maturité. Toutefois l’on conçoit qu’un dialogue qui tente de répondre à la question qu’est-ce que la sagesse ? ait pu être utilisé par Thumos comme élément  en faveur de Socrate pour cette espèce de contre-procès posthume par lequel le groupe tente de laver des accusations portées contre le maître de Platon.

    Toutefois le procès intenté contre Socrate n’est pas un procès philosophique ou pour employer un terme davantage moderne un procès purement idéologique. C’est avant tout un procès politique, pour être plus précis : de vengeance politique.

    Charmide et son oncle Critias sont les principaux interlocuteurs qui répondent au questionnement de Socrate. Or la mère de Platon est la sœur de Charmide et la cousine de Critias. Charmide est donc l’oncle de Platon mais aussi le neveu de Critias (2) auquel il est apparenté par son grand-père qui s’appelait aussi Critias(1)

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    Critias

    Charmide, Critias, et Platon auront à des époques diverses été élèves de Socrate. Pour leur part Charmide et Critias feront aussi partie des trente     tyrans qui durant deux ans exerceront ce que pour faire vite nous appellerons une tyrannie au cours de laquelle ils décideront de détenir les rênes du pouvoir en ne  reculant devant aucune condamnation à mort et diverses exactions… Le parti démocrate ennemi des aristocrates accuseront Socrate d’avoir corrompu la jeunesse, surtout celle de Critias et de Charmide… Tous deux finiront par être tués lors d’une rixe entre rivaux politiques…

    Que dans son dialogue Platon fasse demander  par l’entremise de Socrate à Charmide puis à Critias de définir la sagesse, est pour lui une manière de démontrer que Socrate enseignait la sagesse à ses élèves, et d’un autre côté que malgré leurs passifs politiques Critias et Charmide n’étaient pas insensibles au problème de la sagesse qui selon Socrate consiste à savoir séparer le bien et le mal…

    Le problème, c’est que dans ce dialogue Charmide et Critias ne répondent pas par des inepties à Socrate et que sur la fin Socrate gagne la partie en utilisant des thèses avancées par ses deux interlocuteurs qu’il avait en premier temps juger nulles et non advenues. Le sage Socrate se comporte comme un vulgaire sophiste !

    Peut-être touchons-nous là à la raison pour laquelle Thumos n’a pas retenu leur évocation du Charmides de Platon.

    Charmides : Difficile de commenter ce morceau sans avoir entendu le reste de l’album afin de le situer dans la ligne d’avancée circonstancielle de l’album. L’impact sonore, cette ouverture battériale suscite l’idée de quelque chose de grave. Il est sûr que de s’interroger sur la nature de la sagesse induit le désir que cette réflexion aide à définir notre comportement, en d’autres termes selon nous-mêmes certes, mais surtout vis-à-vis des autres, de l’entière collectivité humaine que constitue la Cité. En sous-main est posée une question cruciale : comment gouverner la République d’une manière sage. L’enjeu est de taille car l’Etat doit agir selon le juste. Il semble que le riff initial ne progresse pas. Il avance, mais c’est comme s’il se perdait dans la propre répétition de sa recherche. Peu d’anicroches, aucune anfractuosité dialectique, au contraire à l’orée de son troisième tiers le morceau semble s’éterniser dans l’inanité non plus d’une parturience en acte mais dans une conversation un tantinet oiseuse qui ne progresse pas. La fin est brutale, comme si Socrate clôturait au plus vite, ayant compris que le dialogue est mal parti, mal abouti, et que parfois lorsque l’on est sur une mauvaise piste il est préférable d’arrêter les frais. Inutile d’accoucher d’un enfant mort-né. Un coup pour rien.

    Damie Chad.

     

    *

    Je l’avoue, c’est plus fort que moi, j’aime les tordus. Ce n’est peut-être pas plus grave qu’on ne le pense, mais soyons francs, peut-être êtes-vous porteurs de tares beaucoup plus profondes que les miennes. Non, ce n’est pas sûr, coupons la poire en deux, ça se discute. Mais le titre de cet album avec ses ‘’ torn roots’ m’a poussé à ma pencher sur ce cas qui m’a paru tout de même assez tourmenté. Je n’ai pas été déçu.

    BROKEN BRANCHES AND TORN ROOTS

    LOATHFINDER

    ( Gods ov War Productions / 30 - 05 - 2025)

    Taisent sur Bandcamp leur pays d’origine. En farfouillant sur leur FB vous découvrez sans trop de peine qu’ils sont polonais. Je ne sais pas pourquoi – en fait je le sais mais ne donnerai aucune explication à cette attirance – je tombe souvent sur des groupes originaires de Pologne.

    Je n’ai lu le titre qu’après avoir été happé par la pochette. L’artwork de Mirella Jaworska m’a interpellé. J’ai senti une artiste. Jeune encore, vingt-quatre ans et déjà un style que j’ai situé entre les icônes russes et Balthus.  La forte troublance de ses nus relève d’une peinture que je qualifierais de métaphysique. Le nom de Balthus évoque immédiatement Rainer Maria Rilke - suivez la piste des Lettres françaises à Merline de 1919 à 2922. Dans ses portraits Mirella Jaworska vise la transcription non pas du sujet représenté mais la survenue de la personne en tant que masque d’elle-même, Une œuvre qui se livre par les interstices séparatifs invisibles qui unit la présence à une autre réalité. Je ne vous renvoie pas à son Instagram, recueillez-vous et inclinez-vous.

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    A première vue, j’ai pensé à la dernière scène de 2001 Odyssée de l’Espace, la cohabitation entre le fœtus et la mort, entre l’origine et l’accomplissement.

    Pour les noms, le groupe, se cache derrière des chiffres. Sortez votre règle à calcul et engagez-vous dans la résolution de cette étrange non-équation afin de rentrer en adéquation avec vous-même.  Selon une transcription numérologique. Cela va de soi.

    XVIII :  vocals & lyrics  / IX : guitars / XI : Bass  / XIX / Drums.

    Grey Pilmigrage : Etrange morceau. D’ailleurs est-ce vraiment un morceau Ne serait-ce pas plutôt une profération. Certes il y a de la musique, grinceuse et grinçante, mais il est nécessaire de ne pas la considérer comme de la musique mais comme un accompagnement. C’est rugueux comme des pieds-nus qui se confrontent aux cailloux tranchants du chemin. Le titre ne nous l’indique-t-il pas, n’est-ce pas un pèlerinage, en route vers la chapelle périlleuse. Mais pourquoi celui-ci serait-il gris. Les pénitents ne portent pas ce costume médiéval. Ce sont leurs âmes qui sont grises. La scène se passe à notre époque. Ils le précisent, dans le présent immédiat, la chute de tous nos idéaux, la tiède pâleur de nos imaginations, nous sommes déjà loin de la valeur que l’on donnait à toutes choses, le vocal se transforme en ultime grognement de groin de cochon qui fouille en vain la terre à la recherche de la moindre nourriture, nous sommes à la fin, inutile de presser le pas, il est temps de reconnaître que nous sommes au bout de l’impasse. Peut-être faudrait opérer cette espèce de hara-kiri dorsal comme sur la pochette. Constat glacial. Cul-de-sac de notre

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    humanité. Difference : oui c’est différent, à la marche lourde et impavide succède une tornade, normal, acculés comme nous le sommes nous devons trouver une issue. Ne s’agit de jeter des plans sur le programme d’une prochaine humanité. Le dernier recours, la seule exit qui se présente est celle de notre humanité. Une métamorphose alchimique à l’intérieur de notre corps. Trouver la tangente, aspirer à cette spirale opérative qui nous permettra de ne plus être nous, de déboucher en un autre état d’être. Ne visons pas les étoiles imaginatives, soyons charnel, de plus en plus charnel, il suffit de s’insinuer en soi, d’exercer de violentes pressions ou de subtiles exactions, trouver un chemin entre nos organes, entre nos tissus, œuvrer dans l’infiniment petit, ce n'est pas notre petite personne que nous devons quitter, nous ne devons pas muer comme les serpents, abandonner une vieille peau pour une toute neuve, mais devenir serpents, que l’espèce humaine devienne une espèce animale, tel est notre but, une fois que nous serons un animal nous nous accouplerons et nous nous reproduirons comme des bêtes. Peel it of me : changer n’empêche pas de penser, il faut d’abord gérer le mouvement, ce n’est pas facile, le chant solitaire se multiplie, vitesse maximale, il faut marcher au pas de course, tous ensemble, tous ensemble, à la réflexion changeons-nous vraiment, la chair animale n’est-elle pas voisine de celle de l’animal humain, cette proximale consanguinité, n’entraîne-t-elle pas un même comportement qui se résoudra par l’arrivée en un nouveau cul-de-sac, faut-il continuer ce processus hautement mutilatoire quand on y pense, urgence ! urgence ! le vocal s’enflamme, la musique se déchaîne, ne sommes-nous pas enfermés dans une nouvelle folie qui n’est que de la commune démence humaine. Quand nous serons tous des bêtes deviendrons-nous les prédateurs que nous avons toujours été, ou serons-nous victimes de prédateurs supérieurs… Le doute destructeur s’empare de mon esprit. Les valeurs dont tu te réclames ont-elles un jour rapporté quelque chose, ne t’ont-elles pas jeté dans l’impasse dont tu essaies de t’extirper sans savoir à quoi tu t’engages… la mort ne sera-t-elle pas au bout de chemin, pareillement à ton état antérieur. Dead dogs : musique terreuse inéluctable, hurlements, confrontation avec la mort qui n’est autre que nous-mêmes, que nous soyons humain ou animal. Et si j’étais un chien comment agirais-je, mordrais-je la main du maître comme je peux mordre mon semblable ou ma femelle. Que serait ma chair de chien. Quel serait mon désir de chien. Serait-il inhumain. Ressentirais-je seulement mon désir de chien. Ne me manquerait-il pas le souffle canin. Pire encore, que feront ceux qui ne parviendront pas à se transformer en chien, ne donneraient-ils pas la chasse à tous les chiens. Est-ce pour cela qu’il y a tant de chiens morts autour de moi, ou alors peut-être que les hommes transformés en chiens ne peuvent vivre, étouffés de l’intérieur dans ce corps de chien qu’ils habitent mais dans lequel ils ne peuvent insuffler l’âme originelle de l’animal qu’ils sont devenus mais qu’ils ne sont pas, car originellement ce sont des hommes. Above the water : quelques grincements, le tourment sonore revient-il dans ma tête, il tourne dans ma caboche de cabot comme une fronde qui ne lâche pas son caillou. Il suffit de passer la ligne. Marx ne dit-il pas que l’homme a connu le goût de la pomme en la goûtant, n’est-ce point pareil, personne, aucune bête, ne connaîtra le goût du sang humain tant qu’elle n’aura pas mordu l’homme. Mais si je mords l’homme, ne suis-je pas en train de mordre le maître que j’étais, quel charivari dans ma tête d’homme ou de chien, je ne sais plus, compressage neuronal maximal, démesure de la folie et exaltation de la morsure de ce sang chaud que je bois avec avidité, ne me suis-je pas accompli charnellement en goûtant à cette transsubstantiation canine. Avez-vous déjà entendu un vocal qui ressemble tant aux aboiements d’une meute de chiens. Flies know first : bourdonnements monstrueux, les mouches sont dépositaires de la connaissance ultime, ne sont-elles les premières à se poser, amplitude de l’essaim des guitares, sur les cadavres, elles connaissent la fin de l’histoire tellement évidente qu’il n’est nul besoin de savoir le début, puisqu’elles ont toutes la même fin. L’homme se croit le supérieur inconnu, il n’est qu’un handicapé de la chaîne animale, sa carcasse est vouée à devenir le trône des mouches. Ne sont-elles pas au plus près de sa chair. Davantage que n’importe quelle femelle, ne pondent-elles pas leurs yeux à l’intérieur de sa peau, ne sont-elles pas les pourvoyeuses des larves qui le dévoreront, qu’ils soient simples chiens ou humains supérieurs ! La roue des existences tourne mais elle revient et s’arrête au même point. Moment d’alanguissement, de découragement, il n’est pas d’autre solution, pas de troisième voie entre la mort d’un chien ou la vie d’un homme. Ou vice-versa. Vous comprenez maintenant pourquoi après le constat d’une telle ultimité le vocal devient d’une violence extrême. En toute vanité. Broken branches and torn roots : accords tordus, exprès pour vous faire comprendre que vous arrivez au bout de chemin, non vous n’êtes pas encore morts, mais cela viendra. Inutile de chercher à vous déguiser en chien ou en autre chose pour échapper à votre sort funeste. Le vocal ne hurle pas, il est grave, c’est celui de l’acceptation, au cas où vous ne comprendriez pas, il commence à vous crier dessus, est-ce pour couvrir votre angoisse ou la sienne, peu importe, la situation est pourrie, elle ressemble à un arbre aux branches brisées dont on aurait arraché les racines, contente-toi de ce que tu as, de ce corps qui s’offre à toi et qui se pâme de toi comme toi tu te t’apothéoses dans cette chair complice. Ne cherche pas ailleurs. Que trouveras-tu de plus ? Rien de plus.

             Une réflexion métaphysique originale. L’on y reconnaît tout de même tout un soubassement biblique à la différence près que Dieu n’est pas prévu au programme. Les textes sont aussi beaux que la musique est violente.

             Une réussite. Sans commune mesure.

    Damie Chad.

     

    *

             Certains achètent des disques sur listes. Parmi eux, les plus enragés flashent sur le nom des groupes. Ainsi quand ils repèrent la mention  2Sisters leur esprit fantasmatique se met en branle. Ils se voient déjà entre Emina et Zibeddé dans Le Manuscrit Trouvé à Saragosse de Jean Potocki. Ecrivain polonais né en 1762, mort en 1815. Ils arrachent le paquet des mains du facteur, déchirent l’enveloppe et poussent un terrible cri d’insatisfaction, sur la couverture du disque, il n’y a pas deux filles, mais un homme et une fille. La moitié de leur rêve se brise. Illico ils envisagent-de mettre fin à leur existence en se tirant une balle de pistolet dans la tête.

             Heureusement avant de presser la détente ils jettent un coup d’œil de mépris sur ce couple inattendu et abhorré. In extremis un sourire se dessine sur leurs lèvres. Car que fomente notre tandem d’amoureux, certes un individu de sexe féminin et l’autre de sexe, hélas, masculin, mais détail d’importance il appert qu’ils sont en train de partager une tasse de café. Du coup ils ne ressentent plus d’animosité envers la pochette de l’album. 

             Lecteurs n’en déduisez pas trop vite qu’eux aussi aiment le café. Non, ils pensent seulement qu’ils ont failli commettre un geste éminemment Potockiste. Jean Potocki a passé la dernière année de sa vie à limer soigneusement le bouchon supérieur du couvercle de sa cafetière métallique, des historiens assurent qu’il s’agissait d’une théière, qu’il a pris soin de délicatement séparer du reste de l’ustensile. Au bout d’une longue année de travail assidu, ayant jugé que la bille parfaite qu’il avait obtenue pouvait parfaitement glisser dans le canon de son pistolet. Il s’est froidement tiré un coup de pistolet dans la cervelle.

             Je vous ai raconté cette histoire pour vous prévenir qu’un semblable coup de foudre démantibulera votre propre cerveau si vous vous apprêtez à écouter :

    SHE LIKES MONSTERS

    TWO SISTERS

    (M&O Music / Cd : 01 / 2025Vinyl : 05 / 2025)

             Donc la couve. Un peu Tea for Two. Et plus si affinité. Dans le style glamour années cinquante. La photo prend tout son sens quand on écoute le disque, toute la différence entre l’image policée extérieure et la bestialité qui rugit au fond de l’être humain.

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    Marchand Sébastien : basse / Miquel Nicolas : guitar / Azzam Charbel  : drums / Chazeau André : chant.

    Go ! Go ! : go!ûtez les trois premières secondes, si vous aimez les histoires de petite princesse parce qu’après c’est parti, ils envoient la purée dans la passoire de vos oreilles, les guitares déferlent, la batterie casse la baraque, et le vocal matraque, ensuite ils vous font le coup, pas du tout doux, ils s’amusent à s’arrêter brutalement, ce qui a l’air d’énerver le Chazz au chant, du coup les autres remettent le couvert, et vous assistez à l’écroulement de la Tour de Pise du côté par où elle penchait, la fin est superbe. Ces quatre gars maîtrisent l’énergie punk. Mais ce n’est pas fini. Vous avez la suite des aventures de la petite princesse. Death : tiens un nouveau disque de Presley, moi qui croyais qu’il était death, c’est dif de le croire, d’ailleurs ça dégénère en rockabilly déjanté, un psychobilly débilitant qui vous pousse à marcher sur le plafond de la salle-à-manger, non de Zeus à quoi qu’ils jouent, ils maîtrisent aussi le bon good old rock’n’roll. Normal il n’est jamais mort. She likes monsters : je ne sais si c’est vraiment la petite princesse du début qui aime les monstres, par contre le morceau en lui-même est carrément monstrueux, c’est à cause du dégel du permafrost, le fantôme du rock’n’roll des années 70 assoiffé et dégoulinant  de sang  reprend son œuvre destructrice des valeurs nauséabondes du vieux monde. Your song : je ne voudrais pas dire mais le Charbel n’arrête pas de foutre le bordel depuis le début, carrément insupportable, manie ses baguettes sur les drums comme s’il s’amusait à esclaffer des agrumes avec des grumes  de séquoias, à toutes fins utiles je signale que la fin du morceau est totalement dévastatrice, remarquez c’est une de leurs habitudes, vous déposent toujours une bombe atomique à la place de la cerise sur le gâteau. Ce chacal de Chazeau est particulièrement dangereux, chaque fois qu’il ouvre la bouche il allume un incendie. Quant à la guitare de Micky elle part à vrille, toujours au moment où on ne l’attend pas, genre je descends les pentes de l’Annapurna en skate. Bref, cette song est pour les rockers. Ske’s on hell of a lover :

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    Dessin : Sylvain Cnudde

    on retrouve notre princesse en galante compagnie, si vous ne comprenez pas, le Chazz vous commente le film à haute voix, le Micky vous mousse une escapade guitarite gratuite, on ne lui demandait rien et il vous sert le dessert d’une fulgurance soloïque. Vous croyez que vous allez vous en tirer sans trop de mal, pas de chance, c’est Seb, celui qui depuis le début vous fait ses coups basse en douce qui vous déboule une espèce de reptation épileptique qui vous pétrifie sur place. Hélas Charbel remet une pièce dans le jukebox et Charbel éructe comme une chamelle qui baraque. Shake Shake : au début vous vous dites, ils se reposent, ils vous refilent un truc comme il y en a toujours un bien-planplan-la-balance-monotone  dans tous les bons disques de rock’n’roll. Ben non, ces gars sont des inventifs, z’ont de l’imagination à revendre, c’est pour cela qu’ils vous signent un shake, en blanc et en couleur.  Toutes les dix secondes ils vous pondent patatrac un œuf de pâque. Mais où vont-ils dénicher leurs inventions. Burn : là vous hésitez, vous compulsez les encyclopédies, chaud brûlant dans vos neurones, quels sont les pourcentages exacts des ingrédients de ce tumulte, oui c’est du rock ‘n’roll, mais c’est tout autant du rhythm’n’blues. En tout cas un mix drôlement bien foutu. Les lecteurs sont assez grands pour décider par eux-mêmes. Moi j’écoute. Ce Burn vous file les burnes. Hammer : avec un tel titre vous vous attendez à un festival batterial, certes mais aucun des quatre ne veut laisser l’autre tirer les marrons du feu, prenons de la hauteur, ils jouent bien, mais ce n’est pas ce qui fait leur originalité. Si j’étais dans un groupe, je serais jaloux, je séquencerais les morceaux puis je scruterais comment ils agencent leurs séquences, comment les plans se suivent et ne se ressemblent jamais, mais le pire c’est qu’ils s’assemblent à merveille. Frunk bop a lula : attention les gars, chez Kr’tnt ! on est des fans de Gene Vincent, ils tapent dans l’alternatif, le frunk est-il du punk de traviole, retrouvent l’esprit de Dactylo Rock des Chaussettes Noires, z’ont tout compris, ou alors c’est l’instinct qui les guide. Ils s’en tirent comme des chefs… d’œuvre. That’s the way : au début je pensais qu’ils étaient partis pour un instrumental, mais quand on a un bon chanteur autant le faire bosser, de toutes les façons ils ont l’art et la manière. Les rayonnages de la bibliothèque sont remplis de bibelots. Une véritable ménagerie de verre. Made in Tennessee. Clinquant et incassable. They feel all rigth. Nous aussi. Walker : dernier morceau. Ils se lâchent. Les précédents stagnaient au-dessus de deux minutes. Ils doublent la mise. Ne pariez pas, ils sont les maîtres de la banque. Vous allez perdre. Ecoutez plutôt les pas qui s’éloignent et se perdent dans la nuit noire du rock’n’roll. N’oubliez pas le retour.

             Exceptionnel.

     

    *

             Je n’ai pas pu résister. Je comptais continuer avec des images. Mais j’ai trop parlé dans le précédent épisode des enregistrements de Gene Vincent recherchés et retrouvés par David Dennard pour ne pas les réécouter. Attention ce qui suit est FOR FANS ONLY !

    THE LOST DALLAS SESSIONS

    GENE  VINCENT

    AND HIS BLUE CAPS

    1957 - 58

    (Legends Of Big ‘’D’’ Jamboree  Series)

    (Roller Coaster Record1998)

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    My love : (In Love again) : une véritable démo. Gene seul, sans doute est-ce lui-même qui s’accompagne à  l’acoustique. La voix est d’une pureté infinie, l’on en oublie le diddley beat qui sera nettement plus marqué sur la version enregistrée à la Capitol Tower le 16 octobre 1958 et sera publiée sur le 33 tours Sounds like Gene Vincent qui paraîtra le 6 juin 1959. Gene chantonne plus qu’il ne chante, un magnifique petit bijou, une ciselure. Le morceau est de Grady Owens. (Voir plus bas). Hey Mama : (featuring Ronnie Dawson à la guitare : démo du même jour. Sorti en single en 1958

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    et en Angleterre le 11 novembre 1958 couplé avec Be Bop boogie boy. Ecoute un peu frustrante, rien  voir avec la version enregistrée chez Capitol, le 16 octobre 1958 il manque la force percussive et peut-être le savoir-faire de Ken Nelson. Ken Cobb est à la basse et Micky Williams à la batterie. Cette maquette est pratiquement décevante car il manque les célèbres oh ! oh !  oh ! improvisé de abrupto par Gene lors  de la session. L’air de rien le S glissant et propulsif de Say Mama qui remplacera le H aspirant et retenant de Hey Mama, c’est toute la différence d’un capot de deux-chevaux et le dessin de l’avant d’une Alpine Renault, pour rester dans des marques

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    Ed McLemore

    françaises. Lonesome boy : (Company Recording Studio de Dallas Sellers – Dallas. Texas ) : enregistré en septembre 58 sous la houlette d’ Ed McLemore, le patron, avec Johnny Meeks à la lead, Clifton Simmons qui se taille la part du lion sur ce morceau, Grady Owens à la basse et Clyde Pennington à la batterie. Le morceau sera publié pour la première fois sur le 33 Tours Gene Vincent Crazy Beat, sorti en mars 1963 en Angleterre et en France. Mais pas aux USA… Cette fois nous préférons cette version. Plus roots, plus épurée et pourtant porteuse d’une indicible tristesse. En 1963, le rock américain perd du terrain, quoique enregistré aux States cet album d’une indéniable qualité arrondit on ignore par quel miracle quelque peu les angles. In my dream : (Studio Version, ou plutôt en une chambre d’hôtel le 7 mai 1957 in Dallas) :

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    le morceau est de  Bernice Bedwell. Gene est avec Johnny Meeks, Dickie Harrel , Tommy Facenda et Paul Peek. La même équipe augmentée de Bobby Lee Jones à  la basse le 20 juin 1957 le mettra en boîte à la Capitol Tower. Il paraîtra sur l’album Gene Vincent Rocks ! And the Blue Caps Roll. Les deux versions, le slow plattersien par excellence qui tue, sont similaires. Je préférons la Capitol. Lotta lovin’ : (Studio version) : un des grands succès de Gene que l’on ne présente pas. Même lieu et même équipe que le précédent, toujours de Bernice Bedwell qui le recommandera à Ken Nelson. Un truc pas facile à chanter qui demande une super mise en place, pas étonnant qu’ils s’y reprennent à deux fois. Une véritable outtake ! Sortira en single couplé avec Wear my ring en juillet 1957. Lady Bug : même topo que pour les précédents… à part que le morceau dormira longtemps dans les tiroirs. Peut-être un peu trop de cymbales, reprise chez Capitol cette Lady un peu mieux équilibrée et parachevée aurait donné un très bon morceau. The night is so lonely (Version 1) / The night is so lonely (Version 2) : le titre enregistré le 14 octobre 1958 mais ne fut proposé à la vente en single, couplé avec Right now qu’en juin 1959.  Clifton Simmons

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    (Clifton Simmons debout au piano

    qui se défend très bien sur le morceau précédent a co-signé celui-ci avec Gene Vincent. Faut aimer ce style de ballade très lente, totalement dénudée. Perso je les surnomme le blues des white trash peoples. Attention si surdose : risque de suicide ; La deuxième prise ici proposée nous semble un peu trop maniérée, et un tantinet geignarde. Blue Jean Bop : (Live 58) : ce morceau et les trois suivants sont enregistrés live  au Big ‘’ D’’ Jamboree, je pense que le set est donné en intégralité, le jeu consistant à faire passer un maximum d’artistes en un minimum de temps, le public ne doit pas avoir le temps de s’ennuyer ou de se révolter si par hasard le chanteur ne lui plaisait pas. Pour Gene pas de de problème, il est présenté comme le chanteur rockabilly N° 1, il dégosille et dégobille son rock’n’roll à toute vitesse pour

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    Gene & Jerry Lou

    enchaîner sur Whole lotta shakin’ goin’ on : (live 58) : Gene et Jerry Lee s’appréciaient, le cat des villes et le rat des champs ont passé des nuitées particulièrement arrosées, Gene a gardé dans ses lives pratiquement jusqu’à la fin ce standard de Jerry Lou, sa structure permet de relancer l’ambiance à volonté, Gene se lance à plusieurs reprises dans des accélérations triumphiques, manière de survolter la foule qui n’en a pas besoin. Sans doute est-ce  Clifton Simmons au piano, il n’essaie pas de rivaliser avec Lewis, joue à la manière de Little Richard un doigt enfoncé à plusieurs reprises sur une touche. Dance to the bop : ( live 58) : est-ce cette même prestation dont nous avons vu les images muettes dans notre chronique de la semaine précédente mais agrémentée d’une bande sonore, il y a de fortes chances toutefois dans cette version-ci la batterie nous semble bien plus lourde comme si elle voulait s’adjuger tout l’espace, ce qui ne se renouvelle pas dans Lotta lovin’ : (live 58) : le morceau est bien parti, il clôturera en d’aussi parfaites condition… malheureusement le disc-jockey blablate tout fort sur l’entre deux long comme un désert sans fin…In my dreams : (home version) : ce morceau et les trois suivants sont enregistrés au 5921 Sherry Lane dans l’appartement qu’occupait Gene. Tom Fleeger qui cherche à récupérer les droits d’édition des morceaux dirige les opérations. Cette fois Gene entonne la macadam à pleine voix, il laisse les autres loin derrière, ce n’est pas souvent que l’on entend Gene chanter comme tout le monde à plein gosier, Facenda et Peek ne claquottent pas trop fort et Dickie ne s’emballe pas, le patron sort son bel canto, doucement les mouettes ! Lotta Lovin : (home version) : c’est lotta lov-in-vain, les clappers et Dickie sont à l’œuvre, mais devront tous s’y reprendre à deux fois avant que le robinet de bain moussant remplisse la baignoire sans se tromper. Nervous : (home version) : sont tous partis ne reste que Gene et Meeks.  Ils essaient un nouveau morceau, Gene nous réserve une nouvelle surprise, la prend à la Elvis, évidemment il se plante, alors que le titre aurait été parfait pour lui. Au finish c’est Gene Summers qui en héritera. On my mind : (home version) : Gene toujours

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    avec Meeks ne sait plus quoi inventer. Il ne chante plus, il siffle. En tout bien tout honneur. Pourquoi n’insistera-t-il pas ? Peut-être parce qu’il a compris que son sifflement ne possède aucun grain, aucune tessiture qui le distinguerait de tous les autres. Who’s pushing your swing ? :  (Darrell Glenn). Gene a aussi interprété ce titre d’Artie Shaw qui l’avait composé pour son fils Darrell Glenn. La version de Darrell ici proposée n’est pas mauvaise, s’en sort très bien

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    Darrell Glenn

    malgré sa voix un peu trop country, la voix plus coupante de Vincent agrémentée du saxo ténor de Jackie Kelso  du sax  baryton de Plas Johnson donne à ce morceau un petit côté jazz non négligeable. Il paraîtra en janvier 1960 couplé avec Over the Rainbow. Né en 1935 Darrell mourra en 1990. Son nom reste lié à Crying in the Chapel composé par son père, reprise par Elvis Presley. Git it  / Somebody help me / (Bob Kelly) : ce morceau et le suivant sont parus en septembre 1959 sur l’album A gene Vincent record Date. Eddie Cochran non-crédité a participé à ces

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    enregistrements. Tous deux écrits et ici chantés par leur auteur : Bob Kelly. Disc-jokey, compositeur, interprète Bob Kelly se débrouille comme un chef. Les deux versions de Gene sont, disons très proches de Kelly, mais décisives ;  I don’t feel like

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    rockin’ tonight : Grady Owens débarque pratiquement du jour au lendemain chez les Blue Caps pour remplacer au pied levé Paul Peek. L’amalgame se fera, Grady peut occuper pratiquement tous les postes. En plus d’In love again il signera aussi Lovely Rita et I love you pour Gene. Il continuera sa carrière accompagnant par exemple Johnny Carroll. Je ne me lèverai pas la nuit pour écouter ce morceau. Vous lui préfèrerez de beaucoup son 36 From Dallas. Lotta lovin’ : il s’agirait de la démo de présentation qui aurait été présentée à Gene. En tout cas Norton Johnson ne lui a pas présenté un produit sous-vitaminé, mais Gene en a fait autre chose : sa chose à lui.

    Damie Chad.

    Avec les précieux concours de Gene Vincent Dieu du rock’n’roll de Jean-William Thoury et de Gene Vincent : The story behind his songs de Thierry Liesenfeld.

    A suivre.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 693 : KR'TNT ! 693 : BILLY CHILDISH / RAVEONETTES / WADE FLEMONS / LOWLAND BROTHERS / FRANKIE AND THE WITCH FINGERS / KID DAVIS & THE BULLETS / ASHEN / MOGRA / GENE VINCENT

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 693

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    05 / 06 / 2025

     

     

    BILLY CHILDISH / RAVEONETTES

    WADE FLEMONS / LOWLAND BROTERS

    FRANKIE AND THE WITCH FINGERS

    KID DAVIS & THE BULLETS

    ASHEN / MOGRA / GENE VINCENT

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 693

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - Le rock à Billy

    (Part Three)

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             Sur la jaquette de cette belle bio de Ted Kessler, To Ease My Troubled Mind - The Authorized Unauthorized History Of Billy Childish, Wild Billy Childish se fait une tête de Singing Loin : le regard perdu dans le souvenir de ses aventures, il tire une bouffée sur sa pipe sculptée.

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             Pourquoi cette bio fait-elle partie des ouvrages déterminants de la rock culture ? Parce que le petit Kessler s’est imaginé pouvoir faire entrer un géant dans les 300 pages du book, et bien sûr, c’est raté, mais on respecte cette tentative, car en tant que telle, elle est assez brillante. Pour rendre sa tentative plus vivante, l’opiniâtre Kessler donne la parole à des tas de témoins, et ça prend une tournure très appropriée d’oral history.

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    Ted Kessler

             Pendant qu’ici sur les Chroniques on met le paquet sur l’œuvre rock, dans son tentative-book, Kessler met le paquet sur l’homme : il passe l’harem de Big Billy au peigne fin et rappelle qu’avant d’être la prolifique rock star underground que l’on sait, il est surtout poète, écrivain et peintre. Il expose aujourd’hui dans le monde entier. Et puis il vieillit. C’est le côté déplaisant du book : Kessler n’ose pas dire que Big Billy ralentit, mais c’est tout comme. Ce sont des choses qu’on n’aime ni lire ni voir. La traduction française du mot ‘rock’ est ‘jeunesse éternelle’. Donc pas question de nous pourrir la vie avec des histoires de ralentissement. Fuck it !

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             Dans son introduction, Stewart Lee se souvient de la première fois qu’il a vu Big Billy sur scène à Glastonbury, en l’an 2000 avec les Buff Medways. Il s’est exclamé : «This is absolutely amazing». Pour lui, ça revenait à voir les Who en 1966. Ce qu’il décrit s’appelle un coup de foudre. At first sight. Tu la vois et tu la veux. Il rend ensuite hommage à la période Dylanesque de Big Billy et la douzaine d’albums de The William Loveday Intention. Il qualifie ça d’overwhelming et ne trouve qu’une seule comparaison : Robert Pollard, sauf que, ajoute-t-il, «Billy Childish makes Robert Pollards look like Taylor Swift in terms of his engagement with the media.» D’ailleurs Big Billy revient sur l’affaire William Loveday Intention. Il dit qu’un jour, il en a marre de peindre, alors il a l’idée saugrenue de faire «a carreer in a year». Il est sans le moindre doute le seul au monde à pouvoir se lancer dans une telle aventure : une carrière entière en un an. Et quand on connaît la qualité des albums, force est de se prosterner jusqu’à terre.

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             C’est sa grand-mère qui s’appelait Loveday : Ivy Loveday. Quand Big Billy voit le jour en 1959, sa grand-mère l’enregistre sous le nom de William Ivy Loveday. Mais ça ne plait pas à John Hamper, son père, qui en 1960, corrige le tir en enregistrant son fils sous le nom Stephen John Hamper. Des noms qu’on va retrouver dans les aventures de Big Billy. Il développe très vite une passion pour les pseudos. À 6 ans, il se fait appeler Virgil. En 1972, il devient Horatio Hamper. En 1977, Gus Claudius. C’est aussi en 1977 que son pote Button Nose Steve le baptise Billy Childish - That one stuck - Quand il ouvre un compte pour son asso, il se fait appeler du nom de son mentor, Kurt Schwitters. En tant qu’éditeur, il est Bill Hamper. Et en tant que directeur d’Hangman Books, il est Jack Ketch. Quand il fonde Hangman Books en 1986, il qualifie ça de «non-profit making label specialising in releasing the unreleasable.» Et comme il ne veut faire aucun compromis avec la société et devenir l’esclave d’un salaire - the slave of wages - il choisit de vivre dans la pauvreté.

             Sa seule expérience salariale remonte eu temps où il bossait chez un tailleur de pierres, et pour être sûr de ne plus pouvoir y bosser, il s’est fracassé une main à coups de marteau. Il n’était donc plus un «member of the salaried workforce». Il est devenu un artiste, a musician, a writer and poet - He signed on the dole. Aux frais de la princesse.

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    Oeuvre de Tracey Enim

             Le petit Kessler attaque l’harem en expliquant que «the romantic relationships of his life are absolutely key.» Big Billy reconnaît qu’il avait plusieurs poules en même temps, «multiple relationships at once», il ne s’en cachait pas. Tracey Emin est l’une de ses premières poules. Elle témoigne longuement dans le book-tentative et rappelle que l’art de Billy était la même chose que sa musique : «It was LeadBelly, blues, rock’n’roll, two-beat.» Elle ajoute : «It had to be clear, it had to be obvious.» Puis en 1982, Tracey découvre que Big Billy s’est marié pendant qu’il était en couple avec elle - I was beyond devastated - Elle ne supporte pas l’idée qu’il ait pu se marier en cachette. Effectivement, Billy a épousé Shelia, mais ils n’ont pas eu de relations sexuelles. Shelia voulait juste un council flat à Brixton et pour l’obtenir, elle devait être mariée, alors Billy lui a donné un coup de main. Il dit aussi que l’appart serait un bon refuge, pour échapper à cette «sex-crazed woman that I was going out with.» Il parle de Tracey, bien sûr, et il ajoute, en mode tongue in cheek : «But as well as being a problem, the sex-crazed woman bit was the attraction.» Il y a mille façons de décrire une relation avec une nympho, mais celle de Big Billy est réellement délicieuse. Il utilise son langage punk. Mais attention, il ne faut pas entendre «punk» au sens de McLaren. Le punk de Big Billy est antérieur, comme il l’explique dans «Punk Rock Enough For Me», sur l’Acorn Man de CTMF : «John Lee Hooker without Santana is punk rock enough for me/ I said John Lee on a half track is punk rock enough for me/ Hendrix in Beatle boots is punk rock enough for me/ Freddie & The Dreamers are punk rock enough for me.» Et dans le couplet suivant, il ajoute The Beatles at the Star-Club et Joe Strummer & The 101ers - I said Keys To Your heart is punk rock enough for me - Dans le troisième couplet, il cite Billie Holiday, a cup of tea, Dostoievsky & Gogol, Knut Hamsun & John Fante, puis dans le couplet suivant, Bo Diddley, Son House, Robert Johnson, les Downliners Sect, puis Jimmy Reed, the Who, Buddy Holly, Bill Haley, Wire at the Roxy, et miming in the mirror is punk rock enough for me. Il définit un état d’esprit. Et quand le punk-rock est récupéré, Big Billy s’en écarte et continue d’évoluer à sa façon, c’est-à-dire en mode punk. Libre. Sans concession. Wild-as-fuck.

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             Après Tracey (et d’autres), il y aura Kyra, qu’il rencontre à Bruxelles. Elle vient s’installer à Chatham, pour remplacer Tracey. Et quand Big Billy entame une relation avec Holly Golightly, Kyra met Huddie, le fils de Big Billy, au monde. Il va rester 15 ans avec Kyra et plus tard, 22 ans avec Nurse Juju. Kyra témoigne elle aussi dans le tentative-book. Elle raconte que Big Billy lui autorisait une petite télé portative, mais elle devait la ranger quand elle avait fini de voir son émission - Billy had his rules - Puis sa relation avec Big Billy commence à se détériorer, car il picole un peu trop. Il voit d’autres femmes et menace Kyra de lui dire la vérité. Elle lui consacre toute sa vie et avoue qu’elle n’a rien en retour. Quand leur relation s’achève, Big Billy devient un peintre célèbre - Everything took off - Elle évoque bien sûr Thee Headcoatees, avec Sarah Crouch, Debbie Green et Holly Golightly qui à l’époque est la poule de Bruce Brand. Elles prennent modèle sur les Delmonas, dont Sarah avait fait partie. Thee Headcoatees vont enregistrer 5 albums et Kyra se souvient des répétitions dans la cuisine. Les gens disaient à Kyra qu’elle ne savait pas chanter et elle répondait : «I know, it doesn’t matter. It’s punk!». Elles sont même allées jouer au Japon. Elle garde un souvenir ému des tournées des Headcoatees avec les Headcoats. Puis ça se termine en eau de boudin, car Big Billy commence à fricoter avec Holly Golightly - That was horrendous - L’atmosphère est toute pourrie pendant la dernière tournée américaine. Elle voit Billy et Holly trafiquer avec «the label people and trying to make deals with them.»

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             Big Billy revient sur l’harem : ça ne pouvait pas être uniquement local, évidemment, il avait des gonzesses au Japon, Aux États-Unis, en Europe, à Londres - My bastion against the world scattered across the nations - Et Kessler de conclure : «But it had to stop, and so it did.» Et pendant qu’il baise avec Holly, Kyra lui annonce qu’elle est enceinte. Ce qui agace Holly.  

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    billy + Tracey : photographie : Eugene Doyen

             Puis le petit Kessler entre dans le vif du sujet : la force de la nature. Big Billy se lève le matin pour faire de la musique, pour peindre, pour écrire. Il prend en charge le groupe, trouve le gig, ramasse le blé et le partage à parts égales, au pub, après le gig. Eugene Doyen : «It was the truest sense of punk DIY thing you can imagine. He kept everyone busy.» Et l’Eugene d’enfoncer son clou : «That’s what Billy did. He just did the work.» Quand l’Eugene rencontre Big Billy, ils sont tous les deux fans de Dada. Puis l’Eugene va devenir le photographe de la Medway Scene.

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    Billy + Sexton

             Autre personnage clé de la légende childishienne : Sexton Ming. Doyen : «Sexton was a unique mind, a fantastic sense of humour; he was a bit like Captain Beefheart.» Il ajoute que Big Billy le soutenait à 100% : «We’re making music with Sexton. We’re going to put exhibitions of Sexton’s work on, we’ll sell his work, sell his albums, put his poetry on.» C’est dire la modernité d’esprit de Big Billy. Il monte The Phyriod Press en 1979 avec Sexton Ming.

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             C’est en l’an 2000 que la réputation de Big Billy a commencé à grossir, grâce à ses toiles, à ses books, à ses albums et à ses concerts. Il est devenu une influence. Et puis cette facilité qu’il a de monter des groupes. Quand Graham Day lui annonce qu’il quitte Thee Mighty Caesars à cause de son job de pompier, Big Billy fait rentrer sa femme Juju à la basse et change le nom du groupe qui devient The Chatham Singers, puis The Musicians Of The British Empire, et ensuite CTMF, toujours avec Wolf au beurre.

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             Sa principale activité reste néanmoins la peinture - Painting, he often says, is his main job - Il peint chaque lundi. Il admire Van Gogh et Munch en tant que «heights of modernist work» et «cutting edge». On décrit aussi Big Billy comme quelqu’un de très demandeur - Billy is the centre of the universe - Billy ne regarde pas la télé. Il ne va pas au cinéma ni voir les matchs de foot. Il ne collectionne pas les disks et se fout des charts comme de l’an quarante. Il n’écoute la radio (Radio 3) que le lundi quand il peint. Il n’aime pas trop aller voir des concerts - He doesn’t like  to be in a crowd of «grey-haired old cunts like me» - Quand Huddie qui a 23 ans joue sur scène, ajoute-t-il, les gens qui sont dans le public sont tous des grand-pères.

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             Et puis bien sûr, il y a les groupes. À commencer par les Pop Rivets et les racines sixties, «Hippy Hippy Shake» et «Watcha Gonna Do About It». Big Billy rappelle au passage que Big Russ «was the powerhouse behind the Pop Rivets». Premier album en deux ou trois jours, titré The Pop Rivets’ Greatest Hits, puis ils vont jouer en Suisse et à Hambourg et établir des connexions qui seront utiles par la suite pour les Milkshakes. La fin des Pop Rivets est assez calamiteuse : le drummer Little Russ quitte le groupe et t’as la girlfriend qui se prend pour la manageuse et qui dit à Big Billy qu’il devrait sonner plus comme Jimmy Pursey, «which didn’t go down well with me.» Le guitariste des Pop Rivets n’est autre que Bruce Brand. Lequel Bruce va commencer à s’intéresser aux drums - I took notice of drums whatsoever - Il s’aperçoit que personne ne joue plus comme au temps des sixties - It was either heavy rock or disco at the time - Et il y prend goût.

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             Et crack, aussitôt après les fin des Pop Rivets, Big Billy monte les Milkshakes - I wanted to do more rock’n’roll songs. I really liked Gene Vincent and wanted to go in that direction - Ça tombe bien, Mickey Hampshire adore lui aussi les Beatles du Star Club. Et à la demande de Big Billy, Bruce devient le batteur des Milkshakes. Sur scène, Big Billy et Mickey dansent en grattant leurs poux. Ils jouent essentiellement dans les pubs. Russ Wilkins rappelle qu’alors que tous les groupes voulaient quitter le circuit des pubs, les Milkshakes au contraire se battaient pour y rester - Those small venues are the best places to play - Tous ses meilleurs souvenirs de concerts sont dans les small venues. Quand il va voir Led Zep dans une grande salle, il trouve ça horrible - Yet seing the Damned at the Hope and Anchor was just earth-shattering - Russ revient un temps dans les Milkshakes pour remplacer Bertie à la basse. Les Milkshakes tournent essentiellement avec les Prisoners qui cultivaient un son plus psyché «and the muscular sixties mod-preening of the Small Faces.» Entre 1982 et 1984, Big Billy dit avoir enregistré 57 albums - 1984 : The Milkshakes release four albums around the world on the same day in an attempt to commit commercial suicide.

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             C’est aussi l’époque où Big Billy monte les Delmonas avec les girlfriends des Milkshakes : Hilary (copine de Russ), Sarah Crouch (aka Miss Ludella Black, copine de Mickey Hampshire) et Louise Baker qui doit être la copine de Bruce Brand. La seule copine de Milkshaker qui ne soit pas dans les Delmonas est celle de Big Billy, Tracey Emin, Mais comme Big Russ est marié et qu’il a des gosses, il doit quitter le groupe, remplacé par un fan nommé John Gawen. Et comme ça picole sec dans le groupe, Mickey décide d’en rester là. Russ : «Much too much booze, but just booze». No drugs.

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             Fin des Milkshakes. John Gawen chiale. Alors Big Billy décide de remonter Thee Mighty Caesars. Bruce : «Thee Mighty Caesars was basically the Milkshakes without Mick.» Mais Bruce n’aime pas trop jouer sans Mick - I didn’t like it without Mick - Big Billy demande à Graham Day de battre le beurre dans les Mighty Caesars - I told him I’d never played drums - Big Billy lui répond : «I know. That’s the point.» Les Mighty Caesars vont faire du «brutally basic garage rock» et Graham Day en chante les louanges : «It’s probably one of the favourite bands I’ve been in. I loved it.»

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             L’autre acteur clé de la légende childishienne n’est autre que Ian Ballard, le boss de Damaged Goods. Jamais de problème avec Big Billy. Il dit se contenter de sortir les albums - Si les gens attendent des miracles, alors ils ne sont pas sur le bon label. S’ils attendent un bon boulot et de la constance, alors ils sont sur le bon label - Il ajoute qu’un album de CTMF se vend à 2 000 ex. Les compiles se vendent mieux. Il aime bien Julie et admet qu’elle ne s’appelle pas Nurse Julie pour rien - She won’t fuck about - Ballard dit aussi que les choses se sont compliquées quand il bossait avec Holly Golightly, car la relation Big Billy/Holly s’est terminée en eau de boudin. Alors pour ne pas interférer, Ballard ne parlait ni d’Holly avec Big Billy ni de Big Billy avec Holly. Ballard qualifie la fin des Headcoats Headcoatgate. It was a mess.

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             Miss Ludella Black témoigne elle aussi dans ce book. Elle est avec Mikey Hampshire depuis 40 ans. Sa relation avec Big Billy a connu dit-elle des hauts et des bas - Plenty of ups and downs - Elle ajoute ça qui est rigolo : «He’s not very patient with me. So if I irrititate him, that’s the end of the conversation. He irrititates me too, but it’s only his opinion that counts, so we clash a lot.» Elle n’en reste pas moins énamourée de ses chansons : «I love singing his songs. Playing with him live has always been good.» Par contre, elle indique que Mick et Big Billy ne se parlent plus beaucoup. La fin des Headcoateees fut horrible, dit-elle. À cause de la relation qu’entretenait Big Billy avec Holly. En tournée, Sarah/Ludella partageait une chambre avec Kyra qui était encore la poule officielle de Big Billy, lequel Big Billy en partageait une autre avec Holly. Et chaque soir, Bruce qui était le copain officiel d’Holly s’asseyait derrière ses fûts, «stormingly brooding». Le pauvre Bruce était encore amoureux d’Holly, aussi grinçait-il des dents. Et pour couronner le tout, Kyra était enceinte de Billy. Ah quel bordel ! Alors que nous, on ne voyait que deux «good-time, sixties-styled garage-punk groups from Kent.»

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             Après la déconfiture des Headcoats et des Headcoatees, Big Billy monte les Buff Medways, avec l’ex-Daggermen Wolf au beurre - Forms a new group, the Friends of the Buff Medways Fanciers Association (named after an extinct breed of chicken) with Wolf Howard and Johnny Barker - Wolf : «When we started the Buffs, it was all the Who.» Wolf va aussi jouer dans les autres groupes de Big Billy, The Chatham Singers, CTMF et The William Loveday Intention. 

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              Et puis il y a ce qu’on appelle «l’affaire Jack White». White demande à Big Billy de faire une première partie à Londres pour lui, tout seul, «a solo blues set». C’est risqué. Mais Big Billy relève le défi - Good, I’ll do it - Le petit Kessler rajoute son grain de sel : «He always loves a disaster.» Le public applaudit sagement. Puis Jack White demande à Big Billy de peindre sur scène pendant que les White Stripes jouent pour Top Of The Pops. Le petit Kessler est mort de rire : «No way. You have got to be kidding. Forget it.» Alors vexé par ce refus et pour protester, Jack White écrit «B Childish» en grosses lettres sur son avant-bras. Quand il rentre aux États-Unis, il appelle Big Billy pour lui demander de jouer avec lui au Late Show With David Letterman. Big Billy lui répond : «Well, that would depend on whose songs we do - yours or mine.» Jack White le prend de travers. La relation s’envenime. Comme Big Billy dit toujours ce qu’il pense, il déclare dans une interview pour GQ qu’il n’aime pas les chansons des White Stripes - I can’t listen to that stuff. They don’t have a good sound - Jack White s’étrangle de rage et va sur Internet pour accuser Big Billy de plagiarism. Quand Big Billy décroche son téléphone pour appeler Jack et s’excuser, on lui répond qu’il ne peut pas parler à Jack White et qu’il ne faut plus essayer de l’appeler. Alors Big Billy va lui aussi sur Internet et il balance ça qui est du big Big Billy : «Though I have undoubtedly angered Jack White, I think it’s a bit nasty to accuse me of plagiarism merely because his former admiration of my work was not reciprocated. It all smacks of jealousy to me. I have a bigger collection of hats, a better moustache, a more blistering guitar sound and a fully developped sense of humour. The only thing I can’t understand is why I’m not rich.» Et dans le PS, il rebalance ça dans les dents du pauvre Jack White qui aurait mieux fait d’écraser sa petite banane : «But no matter who my influence may be, I would never stoop so low as to rip off Led Zeppelin.» Et il ajoute en guise de PPS hilarant : «I hope I’ve gone and offended Led Zeppelin now.»

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    Nurse Julie

             Et la vie de Big Billy reprend du poil de la bête avec la rencontre de Nurse Julie en Californie. Elle bat le beurre dans un groupe nommé the Stuck-Ups, «a punky new-wave thing.» Elle va jouer de la basse dans CTMF. Big Billy lui demande de composer des chansons pour CTMF. Il épouse Nurse Julie en l’an 2000 à Seattle. Nurse Julie est aux anges : «I’d never had that level of stability before. He had a house, he knew what he wanted to do and was on his path. He was offering me this huge amount of love, interest, excitement, creativity.» Big Billy lui demande de monter un groupe avec Kyra, so they did : the A-Lines - Julie learnt to play guitar and Kyra sang - Et le petit Kessler balance une chute superbe : «And there, at least, we have a tangible example of how being married to Julie Hamper has eased Billy Childish’s troubled mind.»  

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             Et puis, un jour qu’ils sont sur la route, Big Billy et Julie entendent «Visions Of Johanna». Alors Big Billy se tourne vers Julie et lui dit : «Bob Dylan is the best pop star who’s ever been isn’t it? I didn’t realise this before.» Julie answered in the affirmative. D’où l’épisode magique de The William Loveday Intention.

    Signé : Cazengler, débilly

    Ted Kessler. To Ease My Troubled Mind - The Authorized Unauthorized History Of Billy Childish. White Rabbit 2024

     

     

    L’avenir du rock

    - Rave on with the Raveonettes

             L’avenir du rock presse le bouton de la sonnette.

             — Driiiiiiiiiiiiiiing !

             La porte s’ouvre. Une vieille dame apparaît, tenant un plumeau à la main. Elle devait être en train de faire le ménage. D’une voix de petite souris, elle demande :

             — C’est pour quoi ?

             L’avenir du rock esquisse un sourire affable et, d’une voix claire, déclare :

             — Je vends des Raveonettes. Avec une bonne remise...

             — Des quoi ?

             — Des Raveonettes, chère madame.

             — Excusez-moi, monsieur, mais je ne comprends pas de quoi vous parlez...

             — Mais des Raveonettes ! Des Ra-ve-o-nettes !

             — Ça a quelque chose à voir avec les raviolis ?

             — Oh pas du tout !

             — Alors avec les savonnettes ?

             — Non plutôt avec le rave...

             — Ah oui, je comprends mieux... Ô rave Ô désespoir !

             — Non non, vous n’y êtes pas du tout, madame...

             — Alors, ça a forcément à voir avec ravénique ta mère !

             Le vieille pique une petite crise de fou rire. Ça faisait une éternité qu’elle ne s’était pas marrée comme ça. Et de voir la gueule atterrée de l’avenir du rock sur le palier avec son attaché-case, ça ne fait qu’aggraver les choses. Elle parvient à se calmer et lance d’une voix hystérique : 

             — Chuis sûre que ça a à voir avec César !

             — Quoi ?

             Elle lève alors le bras et brandissant son plumeau, elle crie de toutes ses forces :

             — Ravé César ! Ceux qui vont mourir te saluent !

             

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             Pas facile de vendre les Raveonettes en porte à porte. Il s’agit pourtant d’un article de très grande qualité. Pour les situer, disons qu’il s’agit d’un duo danois qui exploite depuis vingt ans l’héritage de Totor. Le Wall Of Sound n’a aucun secret pour Sune Rose Wagner et sa copine  Sharin Foo.

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             Ils refont surface cette année avec un concert parisien, et avec Sing, un album de covers, et pas des moindres, car t’as le «Goo Goo Muck» des Cramps, ils sont en plein dedans, avec tout le when the sun comes down/ And the moon comes up, et de sacrées dynamiques de machines, bien sûr, mais le fond est bon. Ils tapent aussi le «Venus In Furs» du Velvet à l’heavy drum bass de shiny shiny boots, c’est Sharin Foo qui le prend au chant, elle est presque aussi bonne que Nico. D’autres covers de prestige encore avec «Shakin’ All Over», plongée dans l’univers shaky du plus grand des Pirates, Johnny Kidd, via Vince Taylor superstar. Ils tapent aussi le «Leader Of The Pack» des Shangri-Las à la Totor. The impossible dream. Sune Rose Wagner l’a fait. Pur Totoring ! Bel hommage à Buddy Holly le Texas King avec «Whisky». Bel éclat pop, superbe allure ! Ça frise le coup de génie. Ils attaquent le «Return Of The Grevious Angel» de Gram Parsons au heavy stash raveony, ils t’éclatent cette merveille au Sénégal. Sans doute est-ce là le plus bel hommage jamais rendu à Gram Parsons, excepté le «Brass Buttons» de Something Happens, sur le fameux Tribute à Gram Parsons, Commemorativo. Avec ce «Return Of The Grevious Angel», les Rav rendent un hommage spectaculaire, gorgé de cosmic power extravagant. Encore plus stupéfiant : leur cover de «The Kids Are Alright», whoisssh en diable, ils l’attaquent en mode pop de Brill. Quel prodige ! Sune Rose Wagner réussit ce tour de force. Brill it baby ! Encore pire avec «The End» :  il prend le pathos des Doors en mode pop élégiaque, avec du power de perlimpinpin, des diapasons diaphanes dans la lumière orange d’un acid trip, la mélodie éclate en rosaces de solace, c’est du pur génie visionnaire. Ils tapent aussi une cover du «Love How You Love Me» des Paris Sisters, pour en faire une pop sépulcrale d’ampleur considérable. Tiens encore une cover miraculée : le «Will You Love Me Tomorrow» des Shirelles. Sune Rose Wagner est un magicien.

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             Évidemment, tu comptes bien les voir jouer tout ça sur scène. Eh bien, pas du tout. Que dalle ! Pas plus de Goo Goo Muck que de beurre en broche. Mais ils ont suffisamment de coke en stock pour remplir 90 minutes de set. And what a set, my friend ! Ils jouent tous les deux avec un batteur. Sharin Foo gratte le plus souvent

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    une gratte, elle ne prend la basse que sur trois quatre cuts. Ils préfèrent le son des deux guitares. T’en as pour ton billet, le petit Wagner plonge inlassablement dans ses vagues de Tannhäuser et chevauche ses Walkyries ad nauseum. Il pique de belles crises de poux et tiguilite dans un faste d’Exploding Plastic Inevitable. Il est l’anti-rock star par excellence, il parle d’une petite voix douce d’hermaphrodite fellinien et avoue timidement aux Parisiens qu’il est content d’être là. Ça fait vingt ans qu’il bat le pavé avec Sharin et il n’a pas pris une seule ride : un petit double menton est la seule trace de vieillissement, mais pour le reste, il conserve cette allure d’éternel adolescent qu’il arborait sur la pochette de Whip it On.

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             Bon, tu patauges un peu en début de set, car tu ne reconnais pas les cuts, mais tu retrouves assez vite tes marques avec «Love In A Trashcan» et «Sleepwalking» tirés de cet album faramineux paru voici 20 ans, Pretty In Black. C’est moins produit, car sur scène, mais ça reste de la grande pop de Brill, et ils enchaînent naturellement avec ce gros clin d’œil à Ronnie Spector, «Ode To L.A.», ils font même venir la voix de Ronnie sur scène. Plus loin, ils tapent dans l’infernal Whip It On avec les très velvetiens «Attack Of The Ghost Riders», «Do You Believe Her» et «My Tornado». Tous ces vieux cuts sonnent comme des cuts idéaux, enracinés dans le Velvet et les Mary Chain. Tu sens battre le cœur du mythe. C’est vrai qu’on perd la magie de la prod sur scène, mais ils compensent avec un joli sens aigu du bordel doomique et de l’évangélisme cosmique. Ils fonctionnent par grappes de trois. On identifie aussi sec l’«Hallucinations» de Lust Lust Lust, bien sûr suivi de «Blush» et de «Dead Sound», qui à l’époque flirtaient avec l’electronica, mais cette fois, le bordel scénique les sauve de la dérive hégémonique. Le dernier cut de set avant l’encore sera l’hypnotique «Aly Walk With Me», toujours tiré de Lust Lust Lust. Tu l’aimes bien l’Aly, ça te réchauffe le cœur de la retrouver sur scène. Sune et Sharin

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    sont en train de devenir tes meilleurs copains, comme le sont d’ailleurs les frères Reid. L’Aly est aussi l’occasion rêvée pour l’éternellement jeune Sune de reculer de trois pas afin de plonger dans une gigantesque vague d’excelsior sonique. C’est le moment que tu préfères, tu le vois plonger et kicker son kilo de killer. En rappel, ils vont taper cette pure Marychiennerie qu’est «That Great Love Sound». T’es vraiment ravi d’entendre ça. Ils tapent encore en plein cœur du mythe Reid, c’est l’un des plus beaux clins d’yeux qui se puisse imaginer. Avec ce genre de set, tu vas littéralement d’explosion en explosion. Occasion unique de re-visiter une œuvre overdosée de coups de Jarnac.

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             En 2002, Sune Rose Wagner et Sharin Foo s’étaient lancés dans une périlleuse entreprise : réactiver la grande pop du Brill Building. On peut les saluer pour leur courage. Réactiver l’âge d’or du Brill, ça suppose du génie composital et une certaine forme de polyvalence. Les couples légendaires comme Cynthia Weil & Barry Mann, Carole King & Jerry Goffin, Ellie Greenwich & Jeff Barry savaient écrire des mélodies imparables et des producteurs comme Phil Spector ou Jack Nitzsche savaient leur aménager un cadre grandiose. Wagner & Foo ont donc essayé de se hisser à ce niveau de perfection pop et on peut bien admettre qu’avec leur premier album, Chain Gang Of Love, ils y sont parvenus. Et ce, de façon très spectaculaire.

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    Tous les morceaux de cet album frisent l’énormité, tant au niveau de l’inspiration que de la production. Wagner & Foo se croyaient au Brill en 1963, et leur rêve est devenu réalité. Il suffit simplement d’écouter « Remember ». Ils nous plongent immédiatement dans la grandiloquence d’antan, avec les cloches, les harmonies vocales, le wall of sound, la profondeur, la puissance mélodique. Il ne manque rien de ce qui faisait la grandeur d’un hit des Ronettes. C’est dingue ce qu’ils sont bons. « Remember » sonne comme l’un des plus grands hits sixties, avec un côté insistant et une beauté plastique qui frise l’absolue perfection. Même chose avec « That Great Love Sound », où ils utilisent des machines, histoire de moderniser un peu. Mais on les sent déterminés. Ils embarquent leur truc avec la grosse énergie d’un Dylan de 1965 revu et corrigé par les Mary Chain. C’est le second hit planétaire de cet album. Il faut se faire à l’idée suivante : ce disque est mons-tru-eux. Les Danois parviennent même à surpasser les Américains du Brill dans le brasillage intempestif. Exemplaire ! Avec « Noisy Summer », on entre en trombe dans la puissance harmonique. Le chant à l’unisson du saucisson emporte tout. Sune Rose Wagner charrie une purée sonique ultime digne de celle d’Al Jourgensen. C’est le troisième hit planétaire de l’album. Comme William et Jim Reid, Wagner & Foo détiennent l’arme suprême : l’imagination. La B est encore plus spectaculaire. « Heartbreak Stroll » revient se lover dans le giron du Brill, mais avec un souffle de modernité supplémentaire. Sharin et Sune sonnent comme un groupe psyché américain des sixties. On retrouve ces racines psyché dans « Little Animal », puissant et irréprochable. On se régale de l’extrême pureté du chant psychout et des guitares ondoyantes. Même énergie fulgurante dans « Untamed Girls », encore un hit psyché gorgé de jus, d’éclat et d’ampleur sans précédent. Ça monte encore d’un cran dans le génie psyché avec « Chain Gang Of Love ». On se met à halluciner, on voit les chapeaux, les lunettes noires, les vestes à franges et les sourires américains s’agiter dans l’éclat de la lumière californienne. Sharin et Sune rendent un hommage considérable à cette culture psyché, le même genre d’hommage que lui rendit Joe Foster avec « Zé Do Caixão ». Ils se prennent aussi pour Suicide avec « The Truth About Johnny », mais ça leur va plutôt bien. On revient à la belle pop de haute voltige avec « New York Was Great », toujours chanté avec le prodigieux recul du psychout amphétaminé de chemises à fleurs et de colliers de dents d’ours.

             Grâce à cet album exceptionnel, Sharin & Sune devinrent des héros.

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             Du coup, on rapatria Whip It Off, un mini-album paru un an plus tôt. Bingo ! C’était aussi un très gros coup. « Attack Of The Ghost Riders » s’imposait immédiatement par l’éclair de son attaque et l’éclat de sa purée. Sharin et Sune faisaient passer les Cramps pour des enfants de chœur. Ils détrônaient tous les rois de la purée trash, puis, sans prévenir, Sune se mettait à jouer un petit solo tranquille. Comment ce fou avait-il réussi à échapper aux psychiatres ? Ils continuaient de détrôner les rois avec « Veronica Fever ». On les percevait alors comme des opportunistes danois plutôt doués. Fallait-il les classer parmi les faussaires de génie ? En tous les cas, « Veronica Fever » étonnait et stupéfiait en même temps. Puis Sune passait l’accord de ferraille ultime pour lancer « Do You Believe Her » et se montrait beaucoup plus radical qu’Oasis au niveau son. Ils nous livraient ensuite leur version de l’apocalypse avec « Cops On Your Tail » - Shine on - un cut littéralement implosé. Jamais encore on avait entendu un son aussi immonde, aussi sec et aussi violent. Ils visaient tout bêtement la démesure de la surenchère. Et ils bouclaient l’effarant bouclard de ce mini-album avec « Beat City », embarqué à la folie de la Marychiennerie, en pure perte de folie explosive, l’un des sommets du sonic trash.

             Avec ces deux albums, les Raveonettes avaient réussi l’exploit de s’imposer dans un marché garage alors extrêmement congestionné. Le revival garage battait son plein et les bons groupes pullulaient. La grande force des Raveonettes était de savoir mettre une mélodie en valeur grâce au son. 

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             Pretty In Black paru en 2005 vaut aussi le détour. Sune et Sharin chantent à l’unisson sur « Love In A Trashcan », une étonnante pièce pointilliste digne de Signac. Le jeu de guitare exacerbe le thème et le cut revêt par conséquent une classe internationale. Peu de gens savent exacerber la vulve d’un cut avec autant de dextérité. Ils le font sonner comme un vieux hit garage sexy californien. Sune prend un solo à la note qui coule. Il reproduit tous les poncifs. Ce mec est vraiment très fort. Il faut vraiment le prendre au sérieux. Il peut jouer comme Johnny Echols de Love. Avec « Sleepwalking », ils passent directement à la grande pop du Brill. C’est balancé dans le mur, et splish et splash, dans une grosse ambiance de prod extrémiste. Ça donne un étrange mélange d’Easybeats et d’Electric Prunes grillé dans le percolateur d’un Brill d’écho mortel. Il faut attendre « Twilight » pour renouer avec l’excitation libidinale et le vol des bourdons. Sune gratte ses notes sous un ciel d’orage, c’est chanté dans l’épaisseur d’un sixties sound et tiré au gimmickage supérieur. Ils chantent ensuite « Somewhere In Texas » à l’unisson. Rappelons au passage que le Danemark est l’antithèse du Texas. Mais ça n’empêche pas Sharin et Sune de revenir dare dare au big Brill Sound avec « Ode To LA ». En tous les cas, ils s’y croient. Pire encore, ils s’y projettent. Sharin se prend pour les Ronettes. La belle blonde miam miam tombe dans l’escarcelle sonique de Phil, mais Phil ne mange pas de ce pain-là. « Ode To LA » est une belle pièce de pop kitschy bitchy gorgée de tambourins, de female juice et de Ronnie Spector. Ils réussissent l’exploit de s’inscrire dans la mythologie.

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             Lust Lust Lust pourrait bien être l’un de leurs meilleurs albums. Évidemment, Richard Gottehrer - producteur légendaire et bête du Brill - est dans le coup. Ils attaquent avec « Aly Walk With Me » gratté à l’accord de Ricken. Bon d’accord, ça gratouille et soudain, au deuxième couplet, ça explose sous le crâne. Le cut se transforme comme par magie en bouillie sublime agitée de pulsions prédatrices. Ils sont incroyables, ils endorment le client et aussitôt après qu’il se soit assoupi, ils s’amusent à le Krakatoer, car c’est bien la démesure d’une éruption qu’on entend. Ça dégueule de partout. Une pluie de vomi sonique s’abat sur le malheureux qui s’est risqué à écouter ce disque. Ils sont très forts, nos deux Danois. On se croirait à l’Auberge Rouge. Personne n’en sortira indemne. Ils rééditent cet exploit avec « Hallucinations », qui s’ouvre sur une mélodie chant à la Mary Chain soudain étripée par un solo échappé d’on ne sait quel asile du XXe siècle. Toute la scène se déroule dans une tombe. Le solo s’éveille comme un zombie. Leur truc tourne un peu au procédé. Dommage. « Lust » est le genre de morceau qui une fois encore endort la méfiance, mais derrière, Sune joue ses solos à la note sèche dans une réverb d’écho analogique. Par chance, ils ne sont pas bons à tous les coups. Il vous faudra attendre « Blush » pour renouer avec le frisson pariétal. Ils poursuivent leur virée au pays du Brill et quand ils s’énervent, ils redeviennent subitement des héros. C’est précisément la raison pour laquelle on les adore. « Blush » ne demande qu’à exploser et ça explose. Ils nous plongent au cœur du son. Sune va fureter dans les couches et soudain, il tire l’overdrive, alors tout bascule dans la magie. Et là, on atteint les sommets. Un album des Raveonettes est proprement interminable, car il faut écouter chaque cut attentivement. Ils sont capables de tout, de hauts comme de bas et on ne sait jamais s’il faut les détester quand ils cèdent à la facilité ou les adorer quand ils atteignent des sommets. « You Want The Candy » est encore une pièce extraordinaire de power-pop trafiquée au son ultraïque. Ellie Greenwich aurait sans doute adoré ça. « Blitzed » sonne comme un exercice para-nubile de sexe adolescent. Encore une extraordinaire aventure énergétique. Ils réinventent le kitsch de la fièvre et c’est joué à la guitare avec une violence inconnue au bataillon, comme si Sune amenait une dimension nouvelle à la folie du juke - Our love is being blitzed - On a dans ce disque tout ce qu’il faut pour être heureux. C’est un trésor de pirate garage. « Sad Transmission » est encore une pièce de pop au crabe de génie, montée sur un groove admirable. Sune joue son solo là-bas dans la cuisine. Il faut entendre ce groove claqué aux castagnettes et ce solo qui vole dans le fond comme l’ombre de Dracula. Ce cut est une véritable purge. Et le solo percute la falaise de marbre de plein fouet. De là à déduire que Sune Rose Wagner a du génie, il n’y a qu’un pas qu’on franchit allègrement. Ses coups de fin de cut sont des coups du lapin. Sharin a tellement de chance de pouvoir fricoter avec ce mec. À la fin de « With My Eyes Closed », on voit encore un solo extraordinaire tomber du ciel. Par les cornes du diable, ce disque est un enfer !

             Les Raveonettes finissent par poser un sacré problème : ils creusent l’appétit. Chaque fois que sort un nouvel album, on se met à baver.

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             Paru en 2009, In And Out Control soulagerait n’importe quelle fringale. Avec « Bang », ils se prennent carrément pour Sonny & Cher. Et pif et paf ! Voilà un cut épique, vraiment digne de la préhistoire de la Chrétienté. Le beat est tellement puissant ! Encore du blast avec « Gone Forever ». Ces deux Danois sont des démons. Rarement on entendra Sharin chanter de manière aussi sexy. Encore du violemment bon avec « Last Dance ». Sharin monte au créneau, une fois de plus. Elle tape à bras raccourcis dans la grande pop. Elle chante même beaucoup trop bien. On pourrait cataloguer « Boys Who Rape » de pop du Brill tombée dans une bassine d’amphétamines. Absolument stupéfiant ! Sharin chante comme la nouvelle reine du Brill, même si le Brill a depuis longtemps disparu. Elle fait des avances à la mythologie et le son la rattrape pour la dévorer toute crue. Et au cœur du chaos, elle en rajoute encore et encore. S’ensuit une nouvelle pièce démentoïde avec « Heart Of Stone », qui compte probablement parmi les plus gros coups des temps modernes. Ils reviennent au beat de guitares psyché et c’est franchement stu-pé-fiant de qualité. Sune recherche l’esprit psycho-psyché d’Anton Newcombe. La fête se poursuit dans cette ambiance unique de groove psyché. Les Danois sont encore plus californiens que les Californiens. On tombe des nues. Puis Sharin chante « Oh I Burried You Today » dans le fond du studio avec le charme d’une femme aimante. On va de surprise en surprise. C’est précisément ce qui fait la grandeur des albums des Raveonettes. Dans « Drugs », on entend des chœurs de filles bizarres. C’est exactement ce qu’on entend au moment où le tangage s’accompagne d’une soudaine envie de vomir - whoo eh eh oh - et ça part. En fait, ça soulage de vomir. On a même l’impression que ça nettoie la cervelle. Alors les Raveonettes jouent leur petit beat de mal de mer. Leur dernier coup de Trafalgar s’appelle « Break Up Girls » : le cut semble couler en dégageant de la fumée. 

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             Et puis on vit le phénomène Raveonettes se dégonfler comme un ballon de baudruche, à cause de Raven In The Grave, un misérable album privé d’inspiration. Notre déception n’avait d’égale que la profondeur abyssale du vide que proposait ce disque. Pas de mélodies, pas de chansons, pas de rien. On ne croisait sur ce disque que des tentatives malheureuses. Pour Sharin & Sune, c’était la fin des haricots. Des morceaux comme « Summer Moon » n’étaient que morne plaine et la plupart des autres ressemblaient à du pâté de supermarché, un peu spongieux et sans goût. Le seul morceau sauvable de cet album était le premier, « Recharge & Revolt » qui sonnait comme du Mary Chain, avec des guitares en pointe, comme sur l’album Bandwagonesque de Teenage Fanclub. On se régalait de ce festin, même si le son trempait un peu dans le synthétique. C’était bien tenu, avec une touche anglaise.

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             Richard Gottehrer produit l’album Observator paru en 2012. Dès le premier cut, « Young And Cold », on sent que c’est un bon album. Pour ce balladif élégiaque, Sharin force sa voix et pénètre dans l’orgie d’une orchestration foisonnante. Ces gens-là ne semblent vivre que pour le son. Les orchestrations sont souvent fantômales. Elles se succèdent comme des saisons climatiques, et on passe du foggy nocturne au lumineux de clairière, comme c’est le cas avec « Observations ». Ils adorent torturer la pop et lui donner des atours préraphaélites. Ils adorent s’égarer la nuit dans les bois. Par son côté à la fois délicat et têtu, « Curse The Night » est un fantastique hommage au Brill. Alors que le beat s’installe dans le background, Sharin vise l’échappée belle et chante d’une voix de porcelaine. C’est très beau et ça se perd dans les couches de son, bien repris par des ouh-ouh-ouh amenés au ralenti. Ils passent ensuite à la petite pop replète avec « The Enemy ». La voix de Sharin illumine ces instants de pop. Elle ramène avec elle la grâce de sixties. En B, Sure Rose Wagner chante quelques morceaux, comme « She Owns The Streets ». Il sonne comme un vieux loup des sixties. Sharin vient se joindre à lui pour des chœurs magistraux. Ils recréent une magie qu’on croyait disparue. Le miracle se poursuit avec « Downtown », digne de la plus belle pop sixties californienne. On pense aux Byrds et aux Mamas & The Papas. Retour au Brill avec « Till The End ». Quelle prod !  Sune Rose Wagner chante et relance son truc indéfiniment, dans la splendeur d’un soir d’été. Sharin le rejoint à la brooklynaise, directe et dans détours.

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             Pe’ahi paraît en 2014. Sur la pochette, on voit un petit cran d’arrêt posé sur un fond vert d’eau. Si on l’écoute au casque, on est tout de suite indisposé par les machines. Ils flinguent successivement quatre morceaux et il faut attendre « Z-Boys » pour retrouver une pop de Brill apocalyptique. Ouf ! On se croit sauvé. Avec « A Hell Below », on ne peut pas espérer plus pop. Ils reviennent inlassablement à la source fatale qui est la pop du Brill. Deux autres titres mériteraient de défrayer la chronique : « When Night Is Almost Done » et « Summer Ends ». Le premier est une pop saturée de son. C’est à la fois beau et dingue. On a l’impression d’entendre un absolu de la grande pop oxygénée à l’extrême. Le second est une pop bien élevée montée sur un mouvement rampant, et comme l’ensemble est bien tempéré, ça passe comme une lettre à la poste. Ils cherchent à faire du Brill moderne, celui du temps des machines.

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             Et puis voici 2016 Atomized, ainsi nommé parce qu’ils firent chaque mois de l’année 2016 une chanson pour cet album. Trois coups de génie s’y nichent, à commencer par « Run Mascara Run », hit pop romantico bruité et mélodique - The palm trees burning down/ And your kisses are wild/ You smile at orange skies - Le deuxième coup de génie s’appelle « Wont You Leave Me Alone ». Elle lui dit qu’elle n’est pas faite pour lui -  Don’t sink your teeth in me/ try to understand where I’m at - C’est du pur druggy hell de bye bye tell me babe - You never had a chance/ I’m not the one you need - Belle démonstration de force ! C’est amené avec toute la puissance des Mary Chain. Troisième coup de magie pop avec « Fast Food ». Tout est explosé au son de Sune. C’est une horreur absolue, une désincarnation de l’incarnation. On parle ici de pop définitive. On assiste à l’assise du génie mélodique absolu : Sune Rose Wagner, oui, aussitôt après Totor. Il reste encore quelques grands cuts comme cet « Excuses », cut brillant, et même instinctif, au sens pop du terme. Sune y rase sa Rose. C’est vrai qu’on attend des miracles d’un mec comme Sune. Et puis t’as « Scout » - Looking so mean/ In faded jeans/ I’m ready to die - Encore un fabuleux décavement d’accès total, véritable blast caverneux d’extase à papa. Sune Rose Wagner envoie tout ça aux gémonies, il cherche un passage vers l’ailleurs. Difficile, à ce stade de décomposition orbitale. Dernier grand hit de cet album mirifique : « This Where It Ends », battu bizarrement et repris au bassmatic - Maybe one day/ I can live with myself - Sune envoie la légion au secours de son refrain magique. C’est énorme, sa pop emprunte une voie romaine. 

    Signé : Cazengler, saveonnette

    Raveonettes. Petit Bain. Paris XIIIe. 21 mai 2025

    Raveonettes. Whip It Off. Crunchy Frog 2002

    Raveonettes. Chain Gang Of Love. Columbia 2003

    Raveonettes. Pretty In Black. Columbia 2005

    Raveonettes. Lust Lust Lust. Fierce Panda 2007

    Raveonettes. In And Out Control. Fierce Panda 2009

    Raveonettes. Raven In The Grave. Vice Records 2011

    Raveonettes. Observator. Vice Records 2012

    Raveonettes. Pe’ahi. Beat Dies Records 2014

    Raveonettes. Sing. Cleopatra Records 2024

     

     

    Inside the goldmine

     - Wade in the water

             Comment s’appelait-il déjà ? Ah oui, Fouad ! Petit et fluet, il ne prenait pas beaucoup de place. Il souriait toujours. On a dû lui demander une fois d’où il venait. De Tunisie. Mais il ne rentrait pas dans les détails. On se doutait que son père bossait à l’usine Renault. Il avait intégré notre petite bande sans rien dire de spécial. Il avait dû voir qu’il restait une place dans la bagnole, alors il avait demandé s’il pouvait venir avec nous. Pas de problème. Il était toujours bien habillé. Sa mère devait lui repasser ses pantalons car les plis étaient toujours parfaits. Elle devait aussi repasser ses chemises. Et ses petits mocassins noirs étaient toujours cirés. Il était bien coiffé. Il n’ouvrait le bec que si on lui posait une question. Il n’existait pas de mec plus gentil et plus transparent que Fouad. Quand on allait passer la soirée chez Jean-Claude, l’oncle qui tenait une boîte de nuit à la campagne, Fouad se mettait dans un coin et s’arrangeait pour ne pas se faire remarquer. Quand on arrivait à le déloger, il venait danser avec les autres et gardait le sourire. Il refusait poliment tous les verres qu’on lui proposait. On insistait, mais non. On rentrait à l’aube et on le déposait au pied du HLM où il vivait. Il nous serrait la main à tous les trois et nous souhaitait une bonne journée avant de disparaître dans la cage d’escalier. Au fil des mois, on avait fini par apprécier sa discrétion. On sentait qu’on pouvait lui faire confiance. On décida de lui proposer un baptême du feu. Il ne savait rien de nos activités «parallèles», alors on le mit au parfum. Ça n’eut pas l’air de l’effrayer. Il écoutait et restait concentré. N’importe qui à sa place aurait pris la fuite.  Mais il gardait son calme et hochait la tête en signe d’assentiment. On lui mit le «marché» dans les mains. Il s’agissait d’un braquage. Pas compliqué, tu entres, tu leur dis de se coucher au sol et tu fous ton calibre sous le nez du caissier. Il va te remplir le sac vite fait. On partage en 4. D’accord ? Fouad hocha la tête. Le lendemain, il mit sa cagoule, entra dans la banque. On attendait juste devant avec le moteur qui tournait. Fouad sortit de l’agence avec le sac plein, mais pas de pot, une balle le toucha dans le dos et le projeta en avant. On eut tout juste le temps de le récupérer et de filer. Les pruneaux sifflaient de partout. Il vivait encore. On alla le déposer dans sa cage d’escalier.            

     

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             Pendant que Fouad se fait trouer la peau, Wade trouait le cul de la meilleure Soul du monde, la Soul de Chicago, si tant est qu’elle ait un cul.

             Dans les early sixties, Wade Flemons fut une star de Vee-Jay, le grand label black de Chicago. Son premier hit fut «Here I Stand», un shoot de calypso demented. Wade Flemons fait partie des Soul Brothers arrivés dans le circuit avant la Soul. Il tapait pas mal d’hits signés Otis Blackwell et Curtis Mayfield. Il aurait pu devenir énorme, mais il est appelé sous les drapeaux en  1965 et ça va briser sa carrière. Deux ans plus tard, il tente de redémarrer avec Maurice White dans les Salty Peppers, qui vont ensuite devenir Earth Wind & Fire, mais sans Wade qui va alors sombrer dans les ténèbres, puis casser sa pipe en bois assez prématurément.

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             Pour se faire une idée du talent fou de Wade Flemons, l’idéal est de choper Here I Stand: 20 Greatest Hits. C’est le grand gourou de Chicago, Robert Pruter, qui en signe les liners. Wade Flemons est entre de bonnes mains. La compile reprend son unique album sans titre paru en 1960, plus huit autres vaillants cuts sans peur et sans reproche. Ça démarre bien sûr sur «Here I Stand», pur jus de Black Power. Il a un côté cha cha fabuleux, comme le montre «What’s Happening». C’est du wild r’n’b de juke magique. «Easy Lovin’» est l’un de ces grooves qui te font croire en Dieu, tellement c’est profond. Back street alley strut de Chicago. Flem est un prodigieux artiste. «It’s So Much Fun» sonne comme l’heavy balladif des jours heureux - It’s so much fun to be with you - Et puis voilà qu’il rend hommage à Jimmy Reed» avec «Ain’t That Lovin’ You Baby», bien axé sur l’axe, c’est du big barrelhouse avec des chœurs de jolly jollies, un solo de sax et un beurre au fond d’un son d’une étonnante résonance. Avec l’«At The Party» singé Curtis, il piétine les plates-bandes des petits culs blancs. Encore de la pop de zip zip boom avec «Keep On Loving Me», on le voit tournoyer comme Nicolas et Pimprenelle dans le Manège Enchanté. Il revient aux affaires sérieuses avec le «Please Send Me Someone To Love» de Percy Mayfield. Il le chante de l’intérieur du menton. Il fait la danse du canard sur «When It Rains It Pours», cut solide et bien déboîté, et il s’en va faire un tour à Broadway avec «That Other Place». Il tient rudement bien le choc du stay away from me baby.

             Avant de quitter cette planète, Jean-Yves m’envoya un ultime SMS pour me recommander l’écoute de Wade Flemmons et d’Harold Burrage.

    Signé : Cazengler, Wade Flemmard

    Wade Flemons. Wade Flemons. Vee-Jay records 1959 

    Wade Flemons. Here I Stand: 20 Greatest Hits. Vee-Jay Records 2000

     

     

    Lowland of thousand dances

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             Tu te demandes comment vont s’en sortir les Lowland Brothers : ils montent sur scène après Early James. Ils n’auraient peut-être pas dû prendre ce risque et accepter de jouer en première partie. Dès leur cut d’ouverture de set, on voit qu’ils

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    ne vont pas faire le poids, et pourtant leur son t’intrigue. Ces Dunkerquois ont un petit quelque chose qui s’appelle le feeling, et plus précisément le mec au chant, qui sous son bonnet, distille une Soul blanche d’une finesse extrême. Il s’appelle Nico Duportal et il n’est pas né de la dernière pluie. Il ne passe jamais en force, il fait

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    l’anguille, il opte pour la finesse et gratte des poux à discrétion sur la belle Jaguar blanche. Ils vont ramer, car ils savent qu’ils partent en mauvaise position, mais au fil des cuts, ils finissent par rétablir une sorte d’équilibre. T’as même hâte d’écouter leurs deux albums, pour retrouver l’éclat de certaines compos. Leur petit défaut

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    serait de vouloir jouer la carte du participatif, qui ne marche pas toujours en France. Par contre, ça marche très bien dans les églises en bois. Le club n’est pas une église en bois, mais bon an mal an, les gens claquent des mains à la demande. Et puis Duportal monte certains cuts au sommet du feeling, par la seule magie de sa voix. Il

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    ne t’en faut pas davantage. Pour un groupe qui part avec un handicap, c’est assez remarquable de les voir rafler la mise sur la seule foi de brillantes compos. Tu tends l’oreille et tu vois ce mec groover au micro comme un vétéran de toutes les guerres. Tu sais déjà qu’il faudra les revoir.

     

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             C’est avec un réel empressement qu’on s’installe pour écouter leur premier album sans titre paru en 2021. On retrouve cette belle Soul blanche bien balancée et l’excellent «Two Pounds Of Loaded Steel» qu’ils tapent en rappel. Duportal sait poser sa voix. Ses deux mamelles sont l’accent perçant et la science du smooth. Il sait aussi élever le ton. On le voit plus loin groover au paradis avec «Driftin’». C’est une merveille. «Share Your Load» est le cut d’ouverture de set, un cut puissant, monté sur un thème vainqueur, ils ouvrent des portes et l’infernal Max Bass vole le show avec un drive pharaonique. Ils swinguent encore la Soul avec «Love Reigns Over Me», un cut qu’ils placent en plein cœur de set. C’est une merveille absolue. Duportal pousse l’art de la Soul blanche dans les orties et vise l’imparabilité des choses. L’irrépressible Max Bass y fait encore des ravages. Tu te régales à écouter cet album, tu y retrouves tout leur enthousiasme scénique.

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             Bien sûr, tu retrouves les cuts qui t’ont tapé dans l’œil sur leur deuxième album, Over The Fence, et plus particulièrement ce «Shape Up» que Duportal groove au max des possibilités, et derrière les Brothers montent bien le groove en neige. C’est du pur Marvin d’I know Iaïeeeeee. Ce «Shape Up» est le cœur battant du set, un hit d’une ampleur considérable. Duportal re-rafle la mise avec un «Here Come The Shadow Heroes». Pas de problème, il peut chanter comme Eddie Kendricks, c’est un grand falsetteur devant l’éternel, il sait rester sur la note haute pour couler des couplets magiques. On retrouve l’excellent Max Bass dans «For A While» et tu te régales de cette belle atmo de Soul blanche. Les Brothers te soignent la Soul aux petits oignons. Oh quelle surprise : tu croises le nom de Don Cavalli, co-signataire d’un cut-hommage à Arthur Penn, «Little Big Man». Hélas, mille fois hélas, le cut ne fonctionne pas.  

    Signé : Cazengler, lowlarve

    Lowland Brothers. Le 106. Rouen (76). 16 mai 2025

    Lowland Brothers. Lowland Brothers. Wita Records 2021

    Lowland Brothers. Over The Fence. Underdog Records 2024

     

     

    Frankie teardrop

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             Avec un nom de groupe comme Frankie & The Witch Fingers, t’y vas en confiance. Tyva le cœur léger. Tyva en courant. Presqu’en sifflotant. D’ailleurs ça tombe bien, c’est le printemps. Au plus spongieux de ton for intérieur, tu te dis que tu vas passer une bonne heure au pied d’une magnifique brochette de rockers californiens. Et comme jolie petite cerise sur le gâtö, t’iras ramasser quelques beaux vinyles au merch. Il t’en coûtera un bon billet de 100, mais qu’est-ce qu’un billet de 100 comparé à l’univers ? Pffffff ! Rien ! Dans le feu de l’enthousiasme, tu monteras peut-être même jusqu’à 200, pfffff, tellement le grouillement graphique des pochettes psychédéliques agit sur tes muqueuses. D’ailleurs, avant le set, tu vas faire un tour au merch en éclaireur, histoire de t’humecter les trompes : ils sont tous là, bien étalés, comme des quartiers de viande, ou les poissons crevés du poissonnier, de 25 à 35 euros, pfffffff, tous en vinyles colorés, tous plus psychédéliques les uns que les autres, c’est à te damner pour l’éternité ! T’es déjà damné mais tu te re-damnes de bon cœur. Tu sens tes talbins palpiter au fond de ta poche. T’as même hâte que le set s’achève pour faire main basse sur toute cette collection de vinyles qui te font de l’œil comme le faisaient les putes, jadis, au bas de la rue Saint-Denis. Tu montes, chéri ? T’en bandes déjà.

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             Bon alors les voilà, les Fingers. Ils commencent par checker les instros pendant une éternité, ce qui n’est pas un bon présage. Check one ! Check one ! T’en repères deux en particulier : le blond au fond qui se prend pour John Dwyer, avec sa SG, son bermuda et ses tattoos jambaires, et la blonde à la basse qui s’est teint partiellement les cheveux en vert et qui porte une espèce de robe design-noire-moulante «à-ras-le-bonbon», comme le miaule Leo Ferré dans «C’est Extra». Elle va danser du pied droit pendant une heure et offrir aux smartphones qui la filment un sourire de madone punk. Les smartphones adorent ça. Les smartphones adorent n’importe

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    quoi. C’est leur raison d’être. La madone punk soigne son image et groove ses lignes de basse au mieux de ses possibilités. Dans son genre, elle est assez irréprochable. Ils se décident enfin à attaquer leur set. Tu entres assez facilement dans leur jeu. Ils développent une énergie qu’il faut bien qualifier de considérable. T’as un mec plutôt balèze au beurre, un autre qui tripote son synthé dans un coin, et un deuxième guitar slingler qui gratte les cordes d’une Strato, et qui prend des solos à consonance vaguement éruptive. Disons qu’il fait illusion. Ces braves Fingers font bien monter

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    leur neige, mais pour une raison X, ça n’accroche pas. Comme ils sont opiniâtres, ils vont tenter cut après cut de rafler la mise, mais la mise ne veut pas se laisser rafler. Bas les pattes ! Elle fait sa mijaurée. Alors ils insistent encore à coups de wild punk californien, le plus mauvais de tous, mais il plaît infiniment aux pogoteurs normands, ah il faut voir comme ça frétille dans la fosse ! T’as même un corps qui vole par-dessus les têtes et qui s’écrase malencontreusement sur les smartphones du premier rang. Ça devient assez burlesque. Crash dans les smartphones ! Et comme la mise continue de chipoter, les Fingers tentent le tout pour le tout, en tirant l’overdrive psychédélique, et t’as l’autre blondinet là-bas au fond qui fait son John Dwyer avec sa SG montée très haut sur la poitrine et ses tattoos jambaires, mais il n’est pas John Dwyer, il est même assez loin du compte. N’est pas Dwyer qui veut, baby. Et pour jouer un rock psychédélique californien digne de ce nom, il est préférable de s’appeler Anton Newcombe. Sinon, t’es mal barré.   

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    Signé : Cazengler, (bonne) Franquette

    Frankie & The Witch Fingers. Le 106. Rouen (76). 22 mai 2025

     

     

    *

             Waouh !!! quelle chaleur, cet air saturé d’humidité gluante, pas possible que je sois dans la bonne ville de Troyes, j’ai dû prendre une mauvaise sortie sur un giratoire, je dois être à  La Nouvelle Orléans, un peu distrait tout de même, j’ai traversé l’Atlantique sans m’en apercevoir, pourtant c’est bien le 3B au bout de la rue, remets-toi Damie, c’est le groupe que tu vas voir qui a effectué la grande bourlingue, des ricains, venus du Delaware, pour une tournée en Europe, un véritable experimental escape game en immersion totale avec la réalité américaine du rockabilly.

    TROYES - 3B – 31 / 05 / 2025

    KID DAVIS & THE BULLETS

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                    Z’ont mis le plus jeune au milieu. Avec sa casquette plate et ses cheveux longs Pat Kane arbore un look années 70. L’est solidement encadré, à sa droite Mickaël Rich Davis, cheveux court et Fender bleue, à sa gauche, Bobby Bloomindgale cheveux et collier de barbe neigeux au côté d’une immense upright agrémentée d’une monumentale volute. Nous avons exploré face à nous la base du triangle, ne reste plus qu’à rechercher, comme dirait René Char, le sommet dans lequel Paul Ramsey est  relégué  placidement assis, tout sourire, derrière sa batterie.

             D’abord on entend le son. Pas la musique. Le temps de nous accoutumer, à ce son inouï qui ne vient pas d’ailleurs mais de l’Amérique, sont sympas, ne se pressent pas, ne nous poussent pas, un instrumental, deux guitares, de temps en temps le riff survient, se déploie, disparaît, ni vu ni connu, c’est comme si on réapprenait à lire, l’on se cale sur les lettres les plus apparentes, les deux guitares, pour la couleur facile la Fender bleue pâle c’est Kid Davis in person, la bécane telecaster mordorée c’est Kane, c’est maintenant le temps de l’indécision, une chose certaine le puncher c’est Kid, quant à Pat l’on dirait qu’il ne casserait pas trois pattes à un canard, le mec fait semblant de gratouiller, puis lorsque  le capitaine Kid nous foudroie d’un coup de boule, le Pat qui n’est plus votre pot, vous fomente une torpille qui vous entortille dans les cordes du ring, du coup Kid rétorque par un percussif hâtif au-dessous de la ceinture, c’est là que Athéniens s’étreignent, impossible de savoir qui fait quoi, le résultat c’est le son prodigieux de ces deux guitares enchevêtrées. Apparemment la section rythmique marque le rythme, l’on les yeux sur les guitares, on leur fait confiance, lorsque brutalement le regard se pose par hasard sur les doigts  de Bloomindgale, des crochets, des pattes d’araignées qui courent vers une proie, on commence à comprendre pourquoi le son est si dense et en même temps si nerveux, l’air de rien il propulse la capsule sonore hors du champ de l’attraction terrestre, pas le temps de vous réjouir votre cerveau a enfin identifié le carillonnage de Paul Ramsey sur ses cymbales, vous distille un propergol solide capable d’édifier des pyramides.

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    (Photo : Michel Joubier)

             L’on a compris que l’on à faire à de super musicos. Alors pour ne pas trop nous perdre ils nous filent un super hameçon, un Summertime Blues torride, un Cochran adapté à nos temps de réchauffement climatique. Notre cœur de rocker palpite de bonheur. Surprise, après le hors d’œuvre suit le cours de rockabilly in extenso, pur jus d’americana. Pas de blabla, juste des faits. Par exemple vous voudriez savoir ce que c’est que le surfin, et paf ils vous embarquent dans un cours de glisse sur les grosses lames du Pacifique, tout ce que les guitares doivent savoir faire et comment contrebasse et batterie y mettent du cœur. Des pédagogues, prennent leur temps, la pente, la crête, la descente, les arrêts brusques les dérapages incontrôlés totalement contrôlés. Dix minutes de technique pure. Petite récréation : le slow brûlant, saisir sa cavalière, la faire tanguer longuement de tous les côtés, l’enivrer, ne plus la lâcher, enfin le coït terminal. Vont-ils nous refaire un rock pur jus ? Attention les gars n’oubliez pas le country, très roots, très cowboy, très ranchy, la course des long horns, le corral avec la bagarre qui va avec, la joie du cavalier solidaire sur son cheval, qui jumpe joliment, toute l’Amérique défile devant vous.

             Font une pause. Sidération générale L’on en profite pour reprendre nos esprits. C’est un peu comme si Aristote était venu nous faire un cours De la Nature du Rockabilly. Le deuxième set débute par Be Bop A Lula, Twenty Flight Rock, plus tard Rock This Town. Que du bon ! Dans leur style. Ne vous crachent pas le morceau, expédié-oublié, vous le cisèlent, vous en montrent les beautés cachées, ne vous le dés-art-iculent pas à la façon du Led Zeppe, un tempo légèrement ralenti pour vous en donner plus, les morceaux en sont transfigurés, Kid Davis se lâche, vocal uppercut à l’arrache et coup de tabac sur la Fender, c’est sa technique, des accélérations foudroyantes et aux copains de s’emparer du bébé pour l’emmailloter, le dorloter, lui faire risette, et chacun fait de son mieux, un festival, vous repeignent le troupeau d’éléphants en des couleurs que vous n’auriez jamais imaginées, les cordistes se partagent le vocal et Bloomingale nous étonne, certes il ne chôme pas sur son cordier, mais son vocal est extraordinaire, du country-cow comme vous n’en avez jamais entendu, des changements d’intonation mirobolants, un débit hyper fluide, et des espèces de yodels assassins à vous couper le souffle, abruptement la température  explose.

    Nouvelle pose. On ne le savait mais on n’avait encore rien vu, rien entendu. Un Honey Don’t manière de quitter le parking, un Johnny Cash à finir ses jours à Folsom, et le grand jeu. Durant les deux premiers sets,  Kid a un peu maltraité sa guitare, on ne dira rien de ses arrêts hyper brusques,  l’a commencé à la frotter contre le pied de son micro, vous savez les mauvaises habitudes, tout compte fait l’a décidé que de ne jouer que d’une seule main, laissant le micro prendre son pied à jouer en slide,  devant les acclamations, Billie debout sur deux tables lui laisse la place lorsque le Kid nous fait le coup de jouer avec sa guitare dans le dos, puis il la pose sur la table comme un dobro, humecte les cordes avec un fond de bière et s’amuse à passer les notes avec le cul d’un verre,  idem avec un portable qu’une âme compatissante lui tend, enregistrement direct live, c’est au tour d’un briquet allumé de remplacer le téléphone, un petit slow sirupeux pour calmer la poudrière, puis un Tear it Up à démâter un brick pirate, on ne veut plus les lâcher, des vieux loups de mer, trente ans qu’ils sont dans le circuit, sortent l’âme fatale le That’s Allrigt Mama d’Elvis.

    Quelle soirée ! Le rockabilly du Delaware ce n’est pas celui de la Champagne pouilleuse ! Ovations ? remerciements… Un dernier scoop : Béatrice la patronne à qui l’on doit toutes ces soirées merveilleuses a changé de coiffure ! The girl can help it !

    Damie Chad.

     

    *

             Dans notre livraison 683 du 27 mars 2025 nous regardions la dernière vidéo d’Ashen Crystal Tears, dans notre introduction nous déplorions l’absence d’un nouvel album qui regrouperait certains titres déjà parus en vidéo et d’autres nouveaux. Nos vœux ont été comblés. La sortie de l’album Chimera, 12 titres, est prévue pour le 13 juin de cette année. Coup double, en avant-première est parue ce 15 mai une nouvelle vidéo d’un des prochains titres.

    COVER ME RED

    ASHEN

    (Out Of Line Music  / Mai 2025)

    (Réalisation : Bastien Sablé)

    Clem : chant / Tristan : drums / Antoine : guitar / Niels : guitar.

             A première vue, je parle des six premières secondes c’est raté. Ashen et Sébastien Sablé le producteur de la vidéo nous ont habitué à des mises en scène davantage baroques. Tellement déçu par le décor minimaliste vous ne faites même pas attention à la statue toute rouge perdue dans les grosses lettres rouges qui accaparent  tout l’écran au milieu de ce hangar désertique. Un vaste local, genre parking sans voiture, atelier sans machine, pour les images suivantes, ils ne donnent pas dans l’originalité, dans ce grand ensemble vide, une formation rock, je trio de base, deux guitares blanches, un batteur derrière une batterie transparente, devant le chanteur haut rouge, large panta-jupe noir à pattes d’éléphanteau pataud. C’est à ce moment que vous entendez le son. Ce n’est pas tout à fait de la musique. Ce n’est pas du tout du noise non plus. Un son battérial et guitarique claqué. En avez-vous déjà entendu de semblable ? En tout cas, à voir les musiciens s’activer l’on en déduit que sa production doit exiger une énergie froide. Une espèce de fureur congelée.  Clem est au micro. Un vocal de rorqual. Un vocal de racal. Ne vous en voulez pas si vous n’avez jamais entendu ces deux animaux vagir. Le gosier de Clem émet un son

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     inqualifiable, un peu comme s’il passait une tringle de fer tout le long de son larynx, la seule chose que vous comprenez ce n'est pas qu’il n’est pas content, état de mal-grâce qui relève de l’anecdote circonstancielle, c’est qu’il n’est pas heureux ce qui trahit une état d’in-transe métaphysique. Jusque-là tout serait parfait s’il n’y avait pas cette ombre, grise, noire, rouge qui s’immisce un tiers de seconde entre les images. Clem vous regarde, ses cheveux bouclés, ses yeux pointus, ses mains crochues, désolé il ne s’intéresse pas à votre personne, il parle à quelqu’un, se tourne-t-il vers ses musiciens pour les scalper de son vocal agressif, il cause à lui-même, mais chaque fois que l’on pense en sa tête ne parle-ton pas à soi-même, plus grave, de temps en temps, le temps d’un éclair sa tunique rouge se couvre d’appendice dégoûtantes, des tuyaux d’extraterrestres ou des tubulures de homard ébouillanté, épouvanté. Etrange phénomène, l’inconnu rouge apparaît de plus en plus souvent entre les images, bientôt l’on ne sait plus s’il ressemble à Clem ou si c’est Clen qui lui ressemble, peut-être mêmes tous deux n’en forment-ils qu’un, mais chacun séparé de l’autre, les deux moitiés d’un androgyne platonicien qui se retrouveraient mais qui ne parviendraient pas à s’harmoniser en une seule identité harmonieuse,  maintenant Clem rampe sur le plancher à la manière d’une panthère rouge qui se serait mordue et recouverte de son sang, le monstre se rapproche, il grandit, sa tête doit toucher les verres du toit, prend la pose, il étend ses bras

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    maléfiques à la manière du Christ, il semble que désormais sa tête ressemble à celle de Clem, Clem crie, le monstre clemique hurle, est-il descendu de l’astral dans lequel il donnait l’impression de flotter, maintenant il mache sur le sol, d’un pas décidé, c’est le plus beau moment du clip, la musique s’arrête presque, on ne l’entend presque plus, et le délire tempétueux reprend, il vient, il se penche, il crie, la voix de Clem l’habite, à croire que c’est son frère jumeau qui ne lui ressemble pas, d’une autre nature, qui l’invective, peut-être souffre-t-il autant que Clem, peut-être est-il Clem lui-même, ou peut-être Clem est-il lui, l’on ne sait pas, l’on ne sait plus, Clem seul devant l’orchestre, il se tourne vers le trio, le morceau est fini, la crise schizophrénique est terminée. Tous marchent normalement, d’un pas serein Clem quitte la répétition. Croyez-vous qu’il ait vaincu le monstre, qu’ils ont fait la paix intérieure. Que l’un et l’autre ne sont que la continuation de son alter ego. Mais sous une autre forme.

             L’on est toujours séparé de soi-même. Et de l’autre.

             Splendide.

    Damie Chad.

     

    *

                Rien de plus attirant que ce que vous ne comprenez pas. Avec ce groupe vous êtes servi. Viennent de Buffalo, ville située tout près des chutes du Niagara. Les lieux d’où l’on provient s’immiscent-ils plus ou moins dans nos représentations du monde ? Disons que contrairement aux volatiles embruns neigeux dégagés par ce site touristique américain, leur musique roule une écume aussi noire que la nuit abysmale…

    ESSENCE OF THE VAST EXPANSE

    MOGRA

    (Ancestral Flame Production / Mars 2025)

    Mogra, je concède que c’est un mot gras, obscur dont la signification n’est pas évidente, consultez votre dictionnaire de botanique, attention ce n’est pas simple, trois plantes différentes revendiquent  leur appartenance à la famille des mogracées, dont une qui n’en fait pas partie, que voulez-vous il y a toujours des resquilleurs, pour les deux qui restent élisez la première acception, ignorez le Jasminum Sambac, si malgré ces conseils avisés vous hésitez, choisissez celle qui se nomme Tuvaraka en langue sanscrite. Considérée à tort par certains comme l’idiome originel de l’Humanité, que voulez-vous pour les plantes, davantage que pour tout autre vocable, il est normal de rechercher la racine. Si vous êtes atteint de la lèpre, mâchonnez quelques feuilles et quelques fruits de cet arbuste, le prince Rama en personne, pas n’importe qui, le héros mythologique du Râmayâna, une épopée indienne dont vous vous empresserez de lire les 84 000 vers aussitôt cette kronic terminée, s’est  ainsi débarrassé de cette terrible maladie…

    Pour l’identité du groupe je suppose que loin d’être des aficionados des Ramones, ils se contentent de se cacher derrière le mur de l’anonymat : Chris Wall : drums / Mick Wall : guitars / Mike Wall : guitars. En plus c’est nous qui devons avoir des oreilles pour les écouter.

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    Vos yeux sont-ils bons ? Vous en aurez besoin pour déchiffrer la couve. C’est tout noir avec une tache blanche. Immédiatement, vous pensez aux eaux mouvantes et tumultueuse du Niagara. Z’habitent tout près. Oui mais si vous fixez l’image une demi-minute, ne serait-ce pas un paysage nocturne de montagne sur lequel subsisteraient quelques arpents de neige. Perso je devine même le rebord pierreux d’un cratère de volcan dans lequel giseraient quelques névés résiduels. Vous n’êtes pas obligés de me croire.

    Je suis sûr que le Cat Zengler qui adore cette expression traduirait le titre : Essence of the vaste expanse par Extension du domaine de la lutte. Ce qui n’est pas mal du tout. Quant à moi, je me demande si quelque chose en train de s’épandre, un peu comme la couleur tombée du ciel de Lovecraft peut se plier aux règles philosophiques d’un cadre essentiel. Et si cette expansion n’était pas l’évocation de la lèpre qui étend son royaume blanc sur la chair d’un malade… Evidemment, il existe quelque chance pour que le terme de lèpre soit employé en un sens métaphorique de lèpre mentale. Dans ce cas-là vous avez sûrement besoin d’une cure urgente et mograïte…

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    En 2021, ils ont déjà sorti un EP de deux titres explicites. Une couverture explicite. Un oiseau de nuit (= Nött) une effraie blanche perchée entre deux branches dépouillées de feuilles d’un arbre dont la ramure nue s’inscrit sur l’abîme (= Abysm) de la nuit.

    Sur celui que nous écoutons les titres sont réduits à leur propre impersonnalité numérique :

    : imaginons un moteur de bathyscaphe en plongée, descente intérieure cela va de soi, les poissons grisâtres que vous entrevoyez lentement se mouvoir dans les eaux troubles des grandes profondeurs sont les concepts décolorés qui hantent vos pensées. Ils ne sont pas nombreux et ne se livrent à aucune gymnastique intellectuelle, ils s’approchent, vous ne savez point les retenir, ils glissent sans se presser, ils savent que jamais vous n’aurez assez d’influx et de vigueur pour les retenir dans votre pensée. Si la musique est si lente, si noire, c’est que vous êtes dans l’incapacité de penser, ce sont les concepts qui vous pensent, ils vous guident dans cette descente interminable, si le background est chargé d’angoisse, de grésillement mais aussi d’excitation, c’est uniquement parce que vous êtes l’objet passif de leurs réflexions, ils se livrent à une expérience qu’ils n’ont encore à ce jour jamais tentée, faire de l’homme pensant un homme pensé, vous voici sujet d’étude, une espèce d’éponge vivante alourdie par le poids de son ignorance passive, qui s’enfonce doucement, sans bruit, sans colère, sans curiosité en une dimension dont vous êtes incapable de fomenter ne serait-ce qu’un semblant d’idée. Pas de parole, vous subissez une espèce de scanner instrumental dont les résultats ne vous seront jamais communiqués, qu’en feriez-vous, quelles déductions pourriez-vous en tirer ? Aucune. Heureusement que votre pensée pense pour vous. Ne vous êtes-vous jamais douté, qu’à une stase superficielle de communication avec les autres, c’est le langage qui parle pour vous, qu’il vous enveloppe comme un suaire et que l’ossature conceptuelle forme le boulot de canon qui vous entraîne obstinément vers le fond. Musique amplifiée pour marquer votre stupide stupéfaction, de comprendre que vous n’êtes rien d’autre que le jouet de ce que vous n’êtes pas. II : sérénité musicale, vous êtes-vous engoncé dans le paradis, le nirvana ou tout autre état comateux de l’intelligence abolie, quelles sont ces vagues sonores qui vous assaillent, prenez-vous enfin conscience grâce à ces électrochocs, hélas déjà enfuis au loin, de qui ou de quoi vous êtes le résultat, bruissement, les concepts se hâtent-ils de fuir, ont-ils compris l’inanité de leur démarche, a-t-on une seule fois réussi à réveiller de sa léthargie une momie du désert enfouie dans les tombereaux des sables égyptiens, ce qu’il y a de sûr c’est que vous ne vous êtes jamais cru, avec raison, autrement que comme identifiable à vous-même, que comme cette infinitésimale présence endormie de vous-même, dont  déjà les spectographes braqués sur votre corps rendent compte de l’inanité.

    Damie Chad.

    P. S. : nous avons pu nous procurer le rapport scientifique qu’a suscité cette étude méticuleuse. Il est très court. De fait il n’y a rien à signaler si ce n’est la fiche technique que nous recopions in extenso : ‘’ Un mélange viscéral de post-black metal, de doom et de slowcore, agrémenté d'accords massifs imprégnés de distorsion provenant de Big Muffs vintage et d'amplis à lampes, vous plongeant dans une expérience atmosphérique et écrasante.’’ Est-il vraiment nécessaire d’ajouter que les amplis à lampes n’ont jamais ne serait-ce que par un seul petit clignotement qu’ils auraient rencontré en vous un minuscule atome de véritable présence.

     

    *

             La semaine dernière, dans notre présentation des premières images filmées de Gene Vincent, nous avons mangé notre pain blanc. Trois séquences extraites des Town Hall Party de Gene Vincent enregistrées en public. Certes des prestations télévisées un peu spéciale, rien à voir avec un véritable concert donné dans une ‘’véritable’’ salle de concert devant un public venu librement voir leur idole… Pour cette semaine nous retournons en arrière puisque nous commençons en 1956. Hélas nous n’aurons droit qu’à du playblack !

    *

    THE GIRL CAN’T HELP IT

    (01 / 12 /1956)

             Par contre niveau qualité d’image et sonore nous jouons sur du velours. Une séquence tirée d’un film à grand succès. Ce n’était pas un film pro-rock’n’roll. Une comédie : un producteur sur le déclin qui s’obstine à transformer la fiancée de son patron jouée par Jayne Mansfield  en chanteuse. Un seul problème, elle ne sait pas chanter. Pas de panique, les chanteurs de rock’n’roll, de véritables égosilleurs que l’on aperçoit sur les chaînes de télévision ne chantent pas mieux qu’elle… Un scénario pas très finaud mais qui permet de voir Little Richard, Eddie Cochran, Fats Domino, les Platters et bien sûr Gene Vincent. Un régal pour la jeunesse rock qui n’en croyait pas ses yeux, d’autant plus que La Blonde et Moi, bénéficiait d’une pellicule couleur ! Un must !

             Bien sûr les passages de nos idoles étaient, continuum du scénario oblige, de temps en temps entrecoupées de rapides images des acteurs ou d’interjections peu amènes, mais faute de grives l’on est prêt à avaler sans rechigner le moindre merle adjacent.

             La séquence est bien connue. Attention sur Beat Patrol TV lors des deux soli de guitare  apparaît une photo hommagiale à Cliff Gallup, l’auteur de ces déraillements guitariques jamais égalés… Pour la petite et la grande histoire du rock’n’roll les deux guitaristes originaux des Blue caps Cliff et Wee William sont rentrés à la maison, fatigués des tournées et… n’étant pas spécialement des mordus de rock’n’roll !

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             Certes la caméra s’attarde su Gene, qu’est-ce qu’il est jeune et beau ! L’on sent l’énergie et l’on devine qu’il  se retient, pas de pitreries s’il vous plaît, faut que les spectateurs en aient pour leurs mirettes. Certes ça tangue, mais le groupe reste à sa place, les plans de scène sont parfaits car la caméra les cadre tous, Paul Peek à notre gauche à la rythmique, Russel Willifred sur notre droite à la lead, Gene rayonnant au centre, au fond légèrement à droite Jack Neal à la contrebasse et au centre légèrement décalé par rapport à Gene, Dickie Harrell le batteur fou.

             Sur les murs de grands portraits de musiciens classiques. Il était prévu qu’à la toute fin de Be Bop A Lula les portraits des grands ancêtres s’écroulaient… Un beau symbole. Mais au montage la fin du morceau a été coupé… Aucun respect pour le rock’n’roll ! La fin iconoclaste de la séquence n’a jamais été retrouvée… A-telle vraiment été tournée…

    THE ED SULLIVAN SHOW

    (17 / 11 / 1957)

             L’émission Ed Sullivan Show diffusée le dimanche soir sur CBS de 1948 à 1971 est devenue mythique. Tous les grands artistes de ces années fastes se devaient d’y passer… L’on a beaucoup glosé à l’encontre d’Ed Sullivan, nous ne rentrerons pas dans ces stériles querelles. Nous rappellerons que ce ne lui fut pas toujours facile de s’obstiner à passer des artistes noirs sur l’antenne dans une émission de large audience regardée par un public blanc…

             Il m’étonnerait que notre présentateur ait connu le Sonnet 48 des Amours d’Hélène de Pierre Ronsard, pourtant la mise en scène choisie pour présenter  Gene Vincent et les Blue Caps dans la structure triangulaire dans laquelle sont enfermées le groupe présente d’étranges relations avec le poème du chef de la Pléiade…

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             Attention, émission diffusée en noir et blanc, ne nous plaignons pas, les costumes clairs de nos chers protagonistes permettent de mieux apprécier leurs mouvements.  Sept sur scènes regroupés en un triangle isocèle. A la base Gene flanqué de ces deuc clappers boys, Tony Facenda et Paul Peek. Au sommet tout en haut Dickie Harrel l’on ne voit pas sa batterie mais il lève si haut ses baguettes comme s’il s’apprêtait  planter ses banderilles dans le dos d’un taureau furieux, Max Lipscomb, flanqué de Jonhhy Meeks et de Bobby Jones fendent l’air de leurs Fenders.

             J’ignore si le réalisateur Jean-Christophe Averty a eu le privilège de visionner ces images, lui qui aimait au début des années soixante à bousculer le regard des spectateurs français en découpant en tranches géométriques les écrans des télévisions familiales… Car dans ce clip, les musiciens sont encadrés par deux couples de danseurs endiablés, confinés sur deux étroites  bandes verticales de l’écran désormais partagés en trois, Gene et ses sbires bleus, tantôt  au centre, tantôt sur la moitié gauche puis droite, successivement réfugiés dans la moitié supérieure et ensuite logiquement dans la moitié inférieure…

             Une mise en place qui évoque les mises  en scène des théâtres de Broadway, de temps en temps passe le fantôme de Charlot… Dans la gesticulation des Blue Caps, ils interprètent (en playback) Dance To The Bop l’on décèle aussi de la pantomime. Et peut-être même ne résisterons-nous pas à citer le black face. Les racines noires du rock’n’roll puisent beaucoup plus profond qu’on ne l’admet.

    BIG D JAMBOREE

    (  Octobre 1958)

    Il est difficile de dater avec précision ce troisième document, sur Beat Patrol 2 Gene Vincent Collection 1956 – 1965 il est daté avec in point d’interrogation du 24 octobre. Notons que le 25 octobre, Gene était à Los Angeles pour sa première participation au  Town Hall Party  Une vidéo unique apparue sur You Tube voici quelques années, l’auteur est anonyme. C’est un film. Pris au Big D Jamboree en 1958.

    Le Big D Jamboree est une émission à l’origine (1948) de radio puis très vite de télévision diffusée sur CBS, filmé au Sportatorium de Dallas. Cette émission, de la même veine que le Town Hall Party (voir livraison 692) était un passage quasi-obligatoire qui offrait aux artistes country un accès au Louisiana Hayrade et au Grand Ole Opry.

    Elle n’hésita pas à s’ouvrir à programmer la courbe ascendante country-hillbilly-rockabilly-rock’n’roll approuvée et soutenue par un public plus jeune : voici quelques participants issus du milieu rock : Carl Perkins, Johnny Carrol, Warren Smith, Ronnie Dawson, Charlie Feathers, Wanda Jackson auxquels nous ajoutons Johnny Cash, Willie Nelson, Lefty Frizzel, et bien sûr Hank Williams.

    David Dennard, il fit partie dans les années 60 du groupe Novas et une vingtaine d’années plus tard de Gary Myrick & The Figures… au nom de cette formation l’on sent le nostalgique, il se mit à rechercher dans Dallas des archives du Big D. Il découvrit ainsi Ronnie Dawson et fut bientôt attiré par Gene Vincent… Il finit par apprendre que le Country Music Hall of Fame de Nashville possédait des transcriptions sur acétate de concerts du Big D. Ces enregistrements furent effectués  par l’Armed Forces Radio Network pour soutenir le moral des boys envoyés en Corée. Hélas il ne trouva que seize enregistrements. Le reste se trouvait à la Bibliothèque du Congrès à Washington D.C.. Il trouva un trésor 120 disques, un seul attribué à Carl Perkins, tout le reste sans aucune annotation…

    Rectification : il avait cru trouver un trésor. La dizaine de disques qu’il confectionna à partir de ces acétates se vendirent à moins de 2500 exemplaires. Seul le cd The Lost Dallas Sessions de Gene Vincent, paru en 1998, réalisé à partir de 19 concerts de Gene atteignit 6000 exemplaires, tous pays confondus…

    Nous reviendrons sur ces Dallas Sessions, mais dans cette série nous nous intéressons aux images. Ultime notification qui possède son importance : la caméra de notre illustre inconnu n’enregistrait que les images. Pas le son ! Ne soyez pas déçus, un des enregistrements radio de David Dennard colle parfaitement, du moins nous faisons semblant de le croire, aux images…

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    Soyons juste, on n’y voit pas grand-chose. Ce serait un mensonge d’affirmer que l’on y voit que du noir. En fait c’est le rouge qui prédomine. Le rouge des costumes des scène des Blue Caps. Soyons précis, surtout celui des clappers boys. Dans son livre irremplaçable Gene Vincent Dieu du rock Jean-William Thoury cite Johnny Meeks et Max Lipscomb aux guitares, Clifton Simmons au piano, Bill Mack à la basse, Butch White à la batterie, et ne mentionne pas de boys aux jeux de mains et de vilains, font tout de même une prestation éblouissante, propulsent Dance to the bop à la vitesse d’un hors-bord, quant à Gene vêtu de sombre, tout comme la panthère Noire de Leconte de Lisle faut avoir des yeux aigus comme des flèches pour le distinguer dans l’obscurité, au début l’est à votre droite, ensuite il semble entouré de ses musiciens, par contre l’on discerne pour la première fois ses jeux de micros qui feront sa renommée. En tout c’est un joyeux foutoir, un superbe micmac qui donne une idée de ce que fut l’explosion rock…

    HOT ROD GANG

    (Mars 1958)

            Nous terminerons comme nous avons commencé par des images tirées d’un film. Nous ne nous attarderons pas sur le synopsis, puisque je possède la cassette que je présenterai dans un prochain épisode. Nous nous contenterons des trois morceaux que Gene interprète, en play-back. Contrairement à The Girl Can’t Help It, Hot Rod Gang ne bénéficie pas de la couleur…

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             Encore Dance in the Street mais personne ne se plaint, l’occasion de voir de plain-pied le jeu de scène de Gene Vincent and the Blue Caps, car c’est bien d’un groupe, à part entière, même si au fil des tournées les changements, les départs et les retours sont nombreux. Plus je regarde ces vidéos, plus je me dis que si Gene a été si rapidement oublié par le public américain malgré la reconnaissance et le respect qu’il avait acquis durant les trois premières années de sa carrière, et malgré un comportement un peu erratique dû à sa blessure et  l’alcool, c’est parce que chez ce rocker blanc dans son jeu de scène, de par son aisance, et la chorégraphie de ses boys, il y avait en ses prestations quelque chose d’indéfinissablement, inconsciemment, fautivement, ressenti par le public blanc, des origines noires du rock’n’roll. Ce qui est d’autant plus ironique c’est que Gene (n’oublions pas Eddie Cochran) est celui qui  a œuvré à la métamorphose du rockabilly en rock’n’roll… Gene au centre, Clifton Simmons totalement excentré à notre gauche en train d’abîmer son piano. Les Clappers, Facenda et Peek, moins délirants que sur la pellicule précédente, l’encadrent tels des serre-livres atteints d’une irrémissible maladie de Parkinson, gros plan sur le visage de Gene, visage épanoui, les yeux levés vers le ciel, à croire qu’il voit des oiseaux bleus voleter sur l’arc-en-ciel, et cette voix qui coule sans fin à la manière d’un torrent sautant de rocher en rocher, les Clappers jetés à genoux, les guitaristes inclinés, c’est à peine si l’on entrevoit Juvey Gomes aux tambours, l’on se dit que ça va s’arrêter mais ça continue comme si l’instant présent ne devait jamais se terminer. Félicitations pour les plans de la caméra.

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             Passons les scènes intermédiaires surtout que retentissent les premières notes de Baby Blue. Difficile de savoir si c’est la caméra ou la figure en lame de couteau de Gene - nous quittons les scènes intermédiaires légères, pour ne pas employer les mots gnangnan et rigolotes - nous entrons dans le drame, pourtant tout le monde sourit, Gene, ses acolytes et le public qui se dandine comme des canards qui vont à la marre… l’on ne sait pas pourquoi Gene chante Baby Blues mais l’on entend, l’on voit Antigone, cette pose tous à terre, la silhouette noire de Gene dressée tel le pistil du destin et les vestes blanches des musiciens pareilles aux pétales affalés d’une fleur fanée, sourire extatique sur les lèvres, à croire que la mort et l’éros sont une seule et même chose, et le déchirement final qui surgit comme le vent de la tentation de vivre, puis les dernières notes effacées, crépusculaires… It’s all over now, baby blue, ajoutera Bob Dylan.

    Damie Chad.

    A suivre.