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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 2

  • CHRONIQUES DE POURPRE 619 : KR'TNT 619 : CHRISSIE HYNDE / LARKIN POE / RUMER / MARIE NIGHT / SHRINE / THE MONARCHS / THE DEVIL AND THE ALMIGHTY BLUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    , chrissie hynde, larkin poe, rumer, marie knight, shrine, the monarchs, the devil and the almighty blues,

    LIVRAISON 619

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    09 / 11 / 2023

     

    CHRISSIE HYNDE / LARKIN POE

    RUMER / MARIE KNIGHT

    SHRINE / THE MONARCHS

    THE DEVIL AND THE ALMIGHTY BLUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 619

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - Chrissie & chuchotements

     

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             Quand Chrissie Hynde est apparue dans les pages des canards anglais en 1978-1979, beaucoup de petits mecs sont tombés amoureux d’elle. Leur état s’aggravait chaque fois qu’ils l’entendaient chanter à la radio. Ça a commencé avec « Stop Your Sobbing », puis il y a eu « Kid » et le coup fatal arriva avec « Brass In Pocket », trois des plus beaux singles de l’histoire du rock anglais. Chrissie incarnait la femme fatale en perfecto rouge, la brune incendiaire, celle dont on rêvait de partager la vie, et elle amenait tout ce qu’on aimait dans le rock : une certaine forme de sensualité portée par une classe magistrale. Le parfait rock’n’roll animal au féminin.

             Elle devint tout simplement une sorte d’idéal féminin. En tant qu’icône, elle prenait la suite de Brian Jones, de Ronnie Bird et de Sonny & Cher. Elle recraquait l’actualité compliquée des années 78-79 à sa façon, par petites touches de magie sixties alliées à une incroyable maturité. C’est ainsi qu’on évaluait sa stature.

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             Pourtant écrit dans un style elliptique, Reckless fait partie des grands classiques de la rock culture. On s’est tous jetés sur cette autobiographie tant désirée. Chrissie explique qu’elle a dû attendre la disparition de ses parents, car elle craignait - à juste titre - que certains passages de son livre ne les choquent. Ses parents étaient des gens trop normaux.

             Elle commence bien sûr par évoquer son enfance à Akron dans l’Ohio - dont est aussi originaire Lux Interior - That’s when Akron was the center of the universe - puis ses premiers souvenirs de concerts, et pas n’importe quoi, puisqu’il s’agit de Mitch Ryder & The Detroit Wheels - Guitarist Jim McCarty, within the space of two songs, dismantled, rebuilt and changed my entire outlook of the world (en l’espace de deux morceaux, le guitariste Jim McCarty démonta, reconstruisit et changea toute ma vision du monde) - Puis elle voit les Stones - Puffy-eyed Brian with his tartan boots and Vox Teardrop guitar. How could anyone forget that ? (Brian avec ses cernes sous les yeux, ses boots tartan et sa guitare Vox Teardrop - Comment peut-on oublier ça ?) - et Jackie Wilson - It was definitely more nuts than any rock show I’d been to (C’était encore plus dingue que n’importe quel autre concert que j’ai pu voir dans ma vie) - Le gorille de Jackie Wilson l’arrache de son siège et l’amène au beau Jackie qui lui roule une pelle. Ça faisait partie du spectacle.

             Elle parle admirablement bien de sa découverte du sexe et des drogues. Pour elle, la meilleure drogue pour baiser, c’était l’alcool. Elle ne s’attarde jamais sur les détails. Elle file d’événement en événement. Elle s’éprend tour à tour de Tim Buckley, puis de Ziggy Stardust - Witnessing Bowie en stage with Mick Ronson was life-changing, I’m sure, for everyone there - et enfin Iggy. Fun House est son disque de chevet, avec White Light White Heat du Velvet et Raw Power - Nobody was obsessed with Iggy Pop like I was (Personne ne pouvait être plus obsédé par Iggy que je l’étais). Jusque-là, son parcours musical est un sans faute : Bowie, Stones, Velvet et Stooges...

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             Elle fréquente un heavy biker et veut le quitter. Mais on ne quitte pas un heavy biker. Pour sauver sa peau, elle doit quitter le pays. Elle arrive à Londres en 1973. Elle veut absolument jouer dans un groupe. Elle commence par rencontrer Nick Kent dans une party, complètement par hasard - Mainly he was fascinated by anyone in music if they were damaged and weird, or deranged an destructive or addicted - Oui, Nick Kent ne s’intéresse qu’aux gens abîmés et étranges, ou destructeurs et camés. Nick et Chrissie écoutent Goat’s Head Soup, les Groovies et les Dolls. Nick la fait entrer au NME, puis elle travaille chez McLaren et Viv, two guenine English eccentrics. Elle débarque ensuite à Paris et répète avec des Keef look-alike dans le sous-sol de l’Open Market. Elle parle de Paris comme de l’une des périodes les plus heureuses de sa vie, avant de rentrer chez elle à Akron et de monter un groupe de reprises nommé Jack Rabbit à Cleveland qui hélas ne marche pas. Elle chantait « Fight The Power » des Isley Brothers et « Slippery When Wet » des Commodores. 

             Retour à Londres pour quelques essais avec Johnny Moped, et Mick Jones qui n’était pas encore dans les Clash. Puis avec les futurs Damned dans les Masters of the Backside. Elle avait une culture musicale que les punks anglais n’avaient pas - I was a little bit too musical for that punk scene - Elle leur parlait de Bobby Womack et ils écoutaient encore Mott The Hoople. Pour elle, l’Américaine, l’Angleterre est un vrai pays de science-fiction, l’exact opposé des États-Unis. Les soins dentaires gratuits, l’allocation qu’on appelle ‘the dole’ et le droit de vivre dans un squat, tout cela est impossible aux États-Unis. Elle n’en revient pas ! Elle rend de beaux hommages aux Lou’s, à Patti Paladin et aux Slits. Elle traîne avec les Clash - Joe Strummer looked like a statue covered in pigeon shit after every show (le pauvre Joe était couvert de glaviots après chaque concert) - et Lemmy - Lemmy was bigger than punk - et elle poursuit sa quête obsessive : monter un groupe. Elle voit des tas de musiciens, et fait tout à l’instinct - I never doubted it. That was my main, possibly my only strong point - natural instinct - C’est la grande force de Chrissie. Elle n’a jamais douté de son choix de vie. Elle ne fonctionnait qu’à l’instinct.

             Par miracle, elle rencontre Pete Farndon puis Honeyman-Scott qui admirait Dave Edmunds. Avec eux, elle peut enfin monter le groupe dont elle rêvait, les Pretenders. Chrissie raconte l’histoire classique du groupe avalé par le succès, les premières dissensions, les excès des tournées. Puis c’est la rencontre avec Ray Davies. Elle ne parle même pas dans son livre du mec des Simple Minds. Dans les dernières pages, le rythme s’accélère brutalement avec l’éviction de Farndon qui se shoote et que les deux autres ne supportent plus, puis la mort de Jimmy à 25 ans, pendant son sommeil, des suites d’un abus de coke, et enfin la mort de Pete, des suites d’une overdose. L’histoire tourne au vertige.

             Tout au long de ce récit passionnant, Chrissie tient son rang, elle refuse toute forme de compromission et fait tout ce qui est en son pouvoir pour échapper aux mirages de la gloire. Elle n’en veut pas, mais elle est obligée de vivre avec - The one thing I hated about drugs was the assholes you had to hang out with to get them - En matière de drogues, la seule chose qu’elle ne supportait pas, c’était ces mecs qu’ils fallait fréquenter pour avoir sa came. Elle se montre intransigeante de bout en bout.

             Le seul défaut des Pretenders est qu’ils frimaient un peu. Pas Chrissie, mais les autres derrière. Ils avaient le même goût du m’as-tu-vu que les Clash. Les photos de presse étaient tout simplement insupportables de pose et d’arrogance. Mais on n’écoutait pas les Pretenders, on écoutait Chrissie Hynde. Rien à foutre des autres. Elle aurait pu avoir n’importe quel backing-band, l’impact serait resté exactement le même. D’ailleurs, le groupe a été décimé. Qui se souvient des événements ? Personne. Le destin tragique de Canned Heat nous a vraiment affecté, pas celui des Pretenders.

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             Pas mal d’albums au compteur. The Singles Collection pourrait presque suffire à rendre un homme heureux, car c’est du concentré de Chrissie. Cette compile est aussi définitive que le Singles Going Steady des Buzzcocks ou l’Off The Bone des Cramps. Ça démarre avec « Stop Your Sobbing » et sa voix de rêve humide, la compo du chéri Ray. Véritable machine à remonter le temps. Hit de juke de rêve. Chrissie devint avec ça la reine des fourmis, au sens polnareffien des choses. Encore un hit racé avec « Kid », bien coupé sous le vent, emmené par une voix d’Américaine qui la ramène à Londres, cette brune maquillée qui te plante son regard dans le tien, alors que derrière défile le thème. Elle a du chien à ne plus savoir qu’en faire, elle te pompe l’âme, mais pas de sexe, juste du mythe romantique bon esprit, if you see what I mean. La classe de l’Américaine débarquée à Londres pour briser les cœurs, comme rêvait de le faire Johnny Thunders avec ses Heartbreakers. Et derrière, on entend une basse élastique, impossible que ce soit Farndon, c’est trop bien joué. Chrissie est dans la perfection absolue, « Kid » est le hit des temps honnis, le hit des culs de basse fosse. Pur jus encore avec « Brass In Pocket », elle monte avec la puissance américaine, elle fabrique son époque et réinvente la féminité. Elle est la plus grande shouteuse américaine d’Angleterre, ce n’est pas rien, niveau PP Arnold - I’m special, so special - on s’abreuve encore de ce hit trente-cinq ans plus tard, on s’en goinfrait à l’aube, après une nuit arrosée de vodka - Gonna use my fingers - et on repartait dans la vie de tous les jours - Special so special - alors elle montait avec des petites chutes de maintien qui indiquaient son impatience. Il y avait en elle du Francis Scott Fitzgerald, évidemment. On retrouve la basse subtile dans « Talk Of The Town ». Elle rôde dans la chanson comme une chatte noire aux yeux translucides. Elle chasse la souris blanche. C’est une fureteuse, elle fouine dans la mélodie, petit museau humide et ces yeux bruns qui te disent le sexe de maybe tomorrow, tu ne l’auras pas, tu ne l’auras jamais, regarde, elle n’a pas de fesses, elle n’a pas de cuisses, elle n’a pas de seins, elle n’est que la déesse du rock et les hommes tombent sous son charme, y compris les guerriers tatoués. On reste dans l’âge d’or des singles avec « Day After Day ». Chrissie en profite. Elle règne sur l’Angleterre. Elle dégouline de classe. On peut même parler de majesté. Hit fumant et beau. Doux comme un geste d’amour pur. On a tous rêvé d’aimer une reine du rock. Avec Chrissie c’est possible et bien sûr impossible. Mais l’idée du possible peut rendre fou. Attention. Démence de « Message Of Love » - And it’s good good like Brigit Bardot - le hit parfait, la voix fatale et ça descend dans les entrailles de l’exaction - Me and you we’ll be together/ Your eyes like the heavens above/ Talk to me darling with the message of love - c’est dingue, il n’existe rien au-dessus de ça. Elle chante son « Middle Of The Road » avec du chien, un chien qu’elle tire du ventre. Quelle attaque ! Pour une Américaine, c’est facile, elle sait poser les conditions avec un certain aplomb. Encore un slow rock mid-tempo de rêve avec « Show Me », mené à la baguette, suprême de légèreté. Elle sonne carré dans le vent mélodique. « Don’t Get Me Wrong » est l’un de ses derniers hits. On retrouve cette classe indécente. Si elle avait eu les ongles sales, on l’aurait surnommé Chrissie la crasse. Mais c’est Chrissie la classe, elle a toujours su rester au-dessus de la mêlée. Il émane d’elle une sorte d’essence aristocratique. On frise le rock FM avec « Don’t Get Me Wrong », c’est sûr, mais on sait que Chrissie vient des punks et de Nick Kent, alors ça la préserve de la vulgarité. Et puis elle tente de remonter la pente avec « My Baby ». Comme toutes les stars brûlées par la lumière, elle garde la nostalgie de l’odeur de brûlé.

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             Le premier album des Pretenders sort en 1979. Dans son livre, Chrissie rend hommage à Chris « Nevermind The Bollocks » Thomas  et Bill Price qui ont enregistré et produit cet album qui s’inscrit dans la veine des grands albums de pop anglaise puisqu’il ne propose pas moins de quatre hits planétaires. Le premier morceau de l’album, « Precious », annonce la couleur. Avec ce bel uptempo, Chrissie allume le brasier - Maybe wanna - et rétablit la suprématie de la pop anglaise. Petite cerise sur la gâtö : elle signe tous les hits. « Tattooed Love Boys » est une belle pièce qui ne tient la route que par la voix de timbre voilé. Elle s’amuse bien. Elle sait qu’elle va devenir la reine de Saba. Puis elle tape dans le répertoire de Ray Davies avec « Stop Your Sobbing ». Ray Davies et Jimi Hendrix seront les seuls auxquels elle empruntera des chansons. En début de B, on tombe sur « Kid » qui est un morceau véritablement hanté par l’esprit de la grandeur pop. « Kid » fait probablement partie des dix plus grands hits pop de tous les temps. Tout est dans la subtilité d’interprétation : c’est l’art magique de Chrissie Hynde. À partir de là, elle n’en finira plus de fasciner les rockers de banlieue. Elle enfonce son clou avec « Brass In Pocket » et puis « Lovers Of Today », un balladif de circonstance. « Mystery Achievement » est un bon cut de clôture, bien poundé par Martin Chambers, mais heureusement que Chrissie est là pour donner du sens - au sens de la sensualité - à cette pop anglaise qui n’attendait que ça. Elle porte tout. Pas une seule Anglaise ne sonne comme elle - Ooooh my mind - et elle envoie valser ses plaintes fugitives dans la stratosphère.

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             Pretenders II sort deux ans plus tard. Avec la pochette, les Pretenders tentent de réactiver le vieux mythe des belles pochettes d’albums de rock anglais, notamment celles des Stones. La photo est belle, mais les pauvres Pretenders friment un peu trop. La seule qui s’en sorte honorablement, c’est Chrissie, qui justement se plaint dans l’autobio de la qualité surfaite de l’image. Tout le monde n’est pas Brian Jones, n’est-ce pas ? Chris Thomas produit. Et encore une fois, Chrissie signe tous les hits. On tombe rapidement sur « Message Of Love ». Rien qu’avec ce titre, Chrissie Hynde mérite de figurer au panthéon du rock anglais. C’est le même jus que « Jumpin’ Jack Flash » et ça vaut tout l’or du monde. Nouvelle reprise de l’ami Ray avec « I Go To Sleep », une bluette qui devient sérieuse parce qu’elle l’interprète. On retrouve sa pop de haut rang avec « Talk Of The Town », et son chant un brin aristocratique. C’est de la petite pop magique vraiment digne de celle des Beatles. Il faut attendre « Day By Day » pour retrouver le chemin du frisson. Chrissie sait donner de l’élan, de l’épaisseur et une carrure interplanétaire à ses chansons. Elle a tout compris à l’esprit du rock. Sa vision ne souffre d’aucun zonage. Elle conduit sa pop avec l’autorité d’une reine antique. Chrissie est une invaincue. On retrouve l’effarance de sa classe dans « The English Roses », elle y méduse la mélodie, elle pointe le doigt sur l’horizon flamboyant. Sa chanson est d’une beauté surnaturelle. Elle tient tête et se fond en même temps dans la beauté du monde.

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             Changement de personnel pour Learning To Crawl. Deux morts. Chrissie retrouve un guitariste et un bassman. Curieusement, le son reste le même, comme on le voit avec « Middle Of The Road ». C’est encore un hit fantastique - Big diamond ring & silk suits ah c’mon baby - et elle envoie ça avec des yeh-yehh qui en disent long sur l’étendue de sa classe. Et voilà qu’elle roule des r et qu’elle miaule comme cette panthère qui rôde la nuit autour des plantations. Elle fait l’oraison funèbre des deux morts avec « Back On The Chain Gang ». C’est une fois de plus de la pop très haut de gamme, un nouveau hit mondial. Elle y met toute la délicatesse et toute la fermeté d’accent grave dont elle est capable. Belle pop toujours avec « Time The Avenger », on retrouve la même recette. Cette femme emmènerait n’importe quel groupe au paradis. D’ailleurs, on se fout des Pretenders comme de l’an quarante. C’est elle qui fait tout, les compos, la magie du chant, l’ambiance, elle sauve un peu la pop anglaise des années 80. À sa façon, elle a réussi à injecter un vrai shoot d’adrénaline dans le cul flapi de la vieille Angleterre. Nouveau hit planétaire avec « Show Me » - Show me the meaning of the world - qui sonne un peu comme « Kid », mais ça reste magique, pas de problème de ce côté-là. Elle fait ce qu’elle veut de la mélodie, elle la colore, elle l’élève, elle l’éclaire de l’intérieur, elle la vit de l’intérieur, elle touche le firmament du bout des doigts, car elle est une géante. Sur « Thumbelina », on entend beaucoup trop ce pauvre Martin Chambers qui frime depuis le début avec ses rouflaquettes effilées. Ils finissent cet album solide avec un nouveau hit de belle tenue, « 2000 Miles ». En trois albums, Chrissie a aligné dix hits qu’on peut bien qualifier d’intemporels, n’ayons pas peur d’utiliser les grands mots. Alors chapeau bas. En plus, elle a un charme fou. Elle est certainement ce qui est arrivé de mieux à l’Angleterre des années 80.

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             La valse des accompagnateurs se poursuit, comme on le voit avec la parution de l’album Get Close en 1986. On retrouve le même son, et pour nous, c’est tout ce qui compte. C’est bien la preuve que les accompagnateurs de Chrissie sont parfaitement interchangeables, et ce depuis le début. Elle chante toujours avec la même classe et ses paroles éclatent au grand jour - Can this really happen/ In this day and age/ Suddenly to just turn the page/ Like walking on stage my baby - Mais on trouve des morceaux un peu âpres sur cet album, et notamment des horreurs à tendance disco. Tout s’arrange en B avec le « Don’t Get Me Wrong » qui est le hit de l’album - I see neon lights/ Whenever you walk by - Elle emmène ça avec une élégance incomparable. C’est une illustration de ce qu’on appelle la perfection. Par contre, elle massacre « Room Full Of Mirrors ». Elle croyait bien faire en reprenant ce vieux hit psyché de Jimi Hendrix, mais la production des années 80 a transformé ce vœu pieux en massacre à la tronçonneuse.

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             Packed va certainement rester aux yeux de ses fans son album le plus faible. Dommage, car la pochette était réussie. Pour une fois, on pouvait se noyer dans l’intensité brun clair de son regard. Elle amène dans cet album pas mal de beaux balladifs, mais ce sont pour la plupart des resucées de « Talk Of The Town ». On a déjà entendu « Let’s Make A Pact », « Sense Of Purpose » ou « Criminal ». Elle rate encore une cover de Jimi Hendrix, « May This Be Love ». Ça ne fonctionne pas. C’est comme si elle cassait la patte valide d’un canard boiteux. Elle essaie de redorer la pilule du rock avec « Downtown (Akron) » - sa ville natale, mais la messe est dite depuis longtemps. Pour la première fois depuis le début de sa carrière, Chrissie semble perdre de la vitesse.   

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             Sur Last Of The Independents, on retrouve les ingrédients habituels : voix de la reine des nuits de Londres, de cette Américaine qui a coulé tous les rêves de gloire des Anglaises. Chrissie était dix mille fois plus fatale que toutes les reines de Soho réunies. « Hollywood Perfume » reste dans le registre habituel, celui d’un sex-appeal hors normes, épaulé par une belle basse jazzy. Mais c’est un peu trop produit. On est en 1994, sale époque pour le rock. Sur « Night In My Veins », on voit bien que la voix mène la barque. Pur Chrissie. Tout est solide sur ce disque. Tout ne tient que par la voix. C’est une vraie voix, comme chez Esther Phillips. Elle entre dans « Money Talk » par les intestins. Et elle peut aussi monter si haut qu’elle donne le vertige. Elle a ce qu’on appelle un faramineux chien de sa chienne. Il faut voir à quelle altitude elle emmène son Money Talk - to meee ! Avec chaque morceau, elle crée l’événement. Elle est partout, comme le frelon des Andes. Retour à la classe monumentale avec « Revolution », cette beauté formelle qui n’appartient qu’à elle, c’est du chain gang perlé de street slang cult pulp. Elle chante avec le velouté du cuir sur la peau. Son art toucherait le cœur d’un soudard. Look out ! Elle tend le bras - You hear your children sing freedon ! - Impressionnant. « Everymother’s Son » est la berceuse à la mormoille que tout le monde connaît, mais elle amène ça avec tellement de classe qu’on ne peut que s’incliner. Elle fait un hit de « Colours », par la simple force de sa voix. Elle a une façon unique de faire sonner le thing d’everything - Calling to me ah ! - Il faut voir ce qu’elle envoie. « Forever Young » est un balladif qui nous prend au piège. Quelle garce !

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             Paraît ensuite un album live, The Isle Of View, autant dire un festival. Elle joue acoustique, avec des violons. Ça met d’autant plus sa voix en valeur. Elle attaque le set avec « Sense Of Purpose ». Elle grimpe très vite, avec un bel éclat de voix. L’Américaine en impose. C’est du balladif, mais elle y met pas mal de vigueur et de petite hargne. Surprenant, bien foutu et surtout bien chanté. Chrissie tient son cut par la barbichette. Sa petite rogne passe à l’immortalité. Elle nous rend tous dingues de sa voix. Elle peut faite tout ce qu’elle veut, on la suit. Encore du balladif bien enveloppé avec « Chill Factor ». Elle tape dans le haut de gamme et montre qu’elle peut aussi éclater. Belle version acoustique de « Back On The Chain Gang ». Elle gratte ça à l’arpège. Elle règne sur un empire, celui des sens - I’m back oh oh on the chain gang - c’est une purge, un petit moment de magie. Le fait qu’elle joue au coin du feu ravive les pulsions libidinales. C’est une sensuelle, il faut voir comment elle ramène son « ahhhh back on the chain gang ». Avec « Kid », elle redevient la reine moderne de la pop anglaise. Version acoustique de « Brass In Pocket ». Elle se fond dans l’arborescence de la jouissance, sa voix dit la pureté verlainienne du plaisir en toute chose. Elle sait allumer. C’est traité sixties. Elle n’en finit plus de rallumer la chaudière. Elle geint admirablement bien. Et elle continue de rebâtir sa mythologie avec « Lovers Of Today », « I Go To Sleep » et même « Revolution », un peu tarte à la crème, mais elle chante ça divinement bien.

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             Nouveau retour en force avec l’album Viva El Amor. Elle retrouve le mordant des compos d’antan avec « Popstar » - Your baby wants to be a popstar/ Probably just to spite me/ She thinks it’s so easy to get to the top/ But a girl like that, she won’t know where to stop - Quelle niaque ! Elle passe ensuite au beau balladif avec « Human ». Elle redescend dans la soute de la mélodie. La voix, rien que la voix. Elle descend encore plus loin dans les entrailles du balladif avec « From The Heart Down ». S’ensuit une belle pièce, « Nails In The Road » qu’elle fond dans une nappe inattendue. Elle explose quand elle veut. Retour à l’étage des hits monstrueux avec « Who’s Who », encore un fantastique règlement de compte - Your future exists in her shopping lists/ Please call your office - On ne sait pas à qui c’est destiné, mais c’est d’une rare violence. Elle continue de régler ses comptes dans « Baby’ Breath » - The love you have to offer/ Is only baby’s breath - et le pauvre malheureux qui est visé s’en prend plein la gueule - You think you’re wild/ In your designer jeans - Elle en fait de la charpie. Elle le bouffe tout cru. Elle fait ensuite sa Sharon Tandy dans « One More Time » : elle grimpe de façon spectaculaire dans les octaves. Et voilà qu’elle explose le souvenir sacré de Sharon Tandy. Encore une chanson puissante avec « Legalise Me » - oh baby doll - et dans « Samurai », elle parle d’un mec qui entre dans sa chambre et qui se déshabille. Elle continue de cultiver cette forme de sensualité qui évoque celle de Marlene Dietrich. Elle termine l’album sur une autre histoire du cul intitulée « Biker » - You bring the biker out of me oh oh oh.

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             Énorme album que ce Loose Screw paru en 2002. Elle attaque avec « Lie To Me », un gros rock bien tiré des bretelles et doté d’une couenne épaisse. Comme d’habitude, la voix fait tout et derrière on a veillé à ce que le son reste dense et bien carré. Elle reprend sa belle allure mélodique pour « You Know Who Your Friends Are ». Elle donne du champ à sa profondeur de champ. On retrouve le charme de « Talk Of The Town » avec les oh oh oh qui descendent. Elle ressort son timbre de voix fêlée pour « The Losing » et réinstalle sa suprématie dans « Saving Grace ». Beat infernal et voix impériale qu’elle réinstalle dans les hauteurs habituelles. C’est le grand retour de l’émotion chrissique, cette grâce infinie, cette merveilleuse expression développée qu’elle a en commun avec Esther Phillips. On retrouve dans « Saving Grace » la Chrissie qui faisait rêver Londres, la grande prêtresse du rêve rock éveillé. Elle a vraiment cette grandeur en elle, cet éclair malin de la classe supérieure. Et pour finir, surprise de taille avec une reprise de Charles Trénet : « I Wish You Love ». C’est de la pure magie. Elle peut le prendre perché et le chanter tout le long sur le haut de son registre. Surtout, ne commettez pas l’erreur de prendre Chrissie Hynde pour une chanteuse pop à la mode. Elle évolue depuis trente ans dans la cour des grandes.

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             Retour aux affaires en 2008 avec Break Up The Concrete, un album mitigé et mitigeur, où on retrouve bien sûr le chien de la chienne qu’on aime bien et tout particulièrement dans « Boots Of Chinese Plastic » - You look fantastik/ With your boots of Chinese plastik ! - Elle peut se permettre de se moquer des mecs, elle en a largement les moyens. « The Nothing Maker » est aussi une belle pioche, elle chauffe son couplet et joue de son charme vieillissant (n’allez pas voir les dernières images d’elle sur le net, c’est dur - même chose pour Moe Tucker - toute ridée - et Ellie Greenwich - toute bouffie). Bon, mais du moment qu’on a la voix, tout va bien. Quarante ans après ses débuts, elle peut encore miauler d’une voix de chauffarde des barrières. Mais on sent les limites du système avec des morceaux comme « Don’t Cut Your Hair », où le batteur l’oblige un peu à se secouer et elle frôle un peu le ridicule. À un moment, ça ne marche plus. Elle risque de passer pour la mémère qui joue encore les rockeuses, comme le fait le pépère-héros national de la France profonde. Mais d’un autre côté, il faut toujours essayer de suivre les artistes qu’on a vraiment admirés. Ils ne peuvent que réserver de bonnes surprises. Dans « Love’s A Mystery », elle refait son vieux numéro de charme, même tempo que « Talk Of The Town ». Elle n’arrive plus à se renouveler. Elle fait un morceau pornographique avec « The Last Ride » - We take shelter in each other - et on tombe enfin sur une belle pièce, « Almost Perfect ». Elle tente de groover la situation et ça accroche car elle chante dans une ambiance laid-back fabuleuse de douceur traînarde. Voilà le hit de l’album et le retour de la très grande Chrissie. C’est un morceau exceptionnel. Elle traîne dans le vieux groove usé de circonstance. Dommage qu’elle n’ait pas traité tout l’album sur ce registre. Du coup, elle redevient invincible et rayonnante.  

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             JP, Chrissie & the Fairground Boys était annoncé comme une sorte de retour au rock, par le biais d’une entreprise relationnelle métabolique. Malheureusement, l’espèce de JP montré sur la pochette en compagnie de Chrissie ruine tout le travail. On a exactement le même problème avec les albums de Wanda Jackson produits par Jack White, où on se retrouve avec des solos de guitares complètement m’as-tu-vu qui n’ont rien à faire sur un disque de Wanda. Chaque fois qu’il ouvre la bouche pour chanter, ce JP de malheur amène la honte sur l’album. Dommage, car ça partait assez bien, avec « Perfect Lover », où Chrissie sonnait comme une vieille pute avec des descentes de baryton, et « If You Let Me », où elle retrouvait sa vraie voix d’ensorceleuse. On sent toutefois chez elle un besoin de rajeunir en fréquentant des petits frimeurs barbus. « Australia » est une belle pièce de power-pop à l’ancienne qui permet à Chrissie de se déployer, jusqu’au moment où le JP de malheur arrive en braillant et c’est foutu. Quand il ne chante pas, ça va, comme par exemple dans « Misty Valleys », où Chrissie chante divinement. Elle revient au sommet de son art et monte dans les octaves ovipares. Elle redevient la reine de Nubie des bas-fonds londoniens, elle tient la beauté du ciel par la barbichette. On retrouve notre chère vieille Américaine qui a eu cette chance incroyable d’être reconnue par les Anglais pour son seul talent. D’autres morceaux font vomir, à cause du JP de malheur. On implore Chrissie de nous sauver de la médiocrité, comme elle l’a fait toute sa vie. Mais comment a-t-elle pu accepter d’enregistrer un disque avec un tel ringard ? Ah les femmes qu’on croit fortes sont parfois très faibles. « Your Fairground » donne le frisson, même si on entend le JP de malheur derrière - Where does the sun go - la voix est là, Chrissie geint. Ne touchez pas à ce trésor. Encore un hit avec « Never Drink Again », elle y va de bon cœur, c’est envoyé ! Elle embarque ça où elle veut et elle finit l’album sur un coup magique, « Fidelity », qu’elle amène comme elle amenait jadis ses vieux hits, avec un tact et une classe inégalables.

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             Sur la pochette de Stockholm, on la voit poser en gilet cravate, comme si rien n’avait changé depuis 1979. Elle cultive le mythe wildien de l’éternelle jeunesse et elle a raison, car c’est aussi son fonds de commerce, même si elle atteint l’âge canonique de 62 ans. On trouve de belles choses sur cet album qu’elle a fait avec Björn de Peter, Björn & John. Quand on veut la situer dans l’histoire du rock, on parle souvent de rock au féminin, mais il serait plus juste de parler de romantisme, au sens où l’entendait Chateaubriand. Il suffit d’écouter « You Or No One » pour en avoir le cœur net. C’est une nouvelle apologie du romantisme. Elle chante comme une égérie fatale, avec une classe irréprochable. Dans « Dark Sunglasses », on retrouve les envolées généreuses de la grande époque. On sent chez elle l’élancé de la constance et ce goût immuable pour la très grande pop. Elle rejoue les petites rockeuses dans « Down The Wrong Way » (Neil Young joue sur ce morceau). Elle connaît toutes les ficelles, alors pour elle c’est un jeu. Elle parle de pills et de choses interdites. Et ça tient, car elle tient sa voix. Elle rentre dans le lard d’« A Plan Too Far » à l’ancienne mode. Elle sait driver un beat. Elle sort cet accent cassé de la décadence chère à notre jeunesse et envoie son refrain décorer le plafond. Avec « House Of Cards », elle rallume le brasier des vieux hits. C’est la révélation du disque. Elle secoue sa pop et redevient la reine antique du rock anglais. Ah comme nous aimions l’entendre chanter, au temps jadis...

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             Et puis la voilà de retour avec Alone. Pochette coup de poing, Chrissie semble décidée à en découdre, en vieille akroneuse qui se respecte. Précisons que Dan Auerbach produit l’album. Chrissie attaque avec « Alone », un modèle de heavy rock. Elle y module bien sa tension sexuelle - Yeah ! I like it - Elle rejoue de tous ses charmes. On a là l’un de ces rocks classiques et sans histoires qui réchauffent si bien le cœur. Encore un petit coup de stomp avec « Gotta Wait ». Nouvelle preuve de l’existence d’un dieu du rock. Le stomp plaira aux masses, car il est bien sourd. Et le reste de l’album va plus sur le balladif intimiste, qui est quand même le fonds de commerce de notre héroïne. En B, elle profite justement de « Blue Eyed Sky » pour renouer avec son cher intimisme. Elle n’a rien perdu de son charme fatal et de sa présence. « The Man You Are » confirme la tendance au calme. Elle dit à l’homme qu’elle aime qu’elle ne veut ni fleurs, ni bagues, ni promesses. Elle veut juste qu’il soit l’homme qu’il est. Pas mal, n’est-ce pas ? Franchement, ce mec a beaucoup de chance. Ce sont en général les femmes très intelligentes qui demandent ça à leur compagnon. Les autres préfèrent les bagues. Dans « I Hate Myself », elle avoue qu’elle se hait for being jealous et elle boucle avec un balladif suprêmement empirique, « Death Is Not Enough ». Chrissie n’en finit plus d’étendre l’empire de sa mélancolie. La mort n’est rien, elle le sait.  

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             Elle refait surface en 2019 avec le Valve Bone Woe Ensemble et un album du même nom. Dès « How Glad I Am », cette folle s’enfonce dans la classe. Elle fait de cette reprise de Nancy Wilson un fabuleux hit de Soul jazz qu’elle groove à la folie Méricourt. Et tout l’album va rester à ce niveau d’excellence, avec à la suite un hommage à Brian Wilson avec « Caroline No ». Elle jazze la mélodie, elle excède le maximum de ses possibilités. Elle rame dans le limon du groove. Elle passe ensuite à Sinatra avec « I’m A Fool To Want You », elle fait des merveilles révolutionnaires, et derrière, ça joue au Hynde System. On reste dans l’émerveillement avec « I Get Along Without You Very Well », encore un shoot de deep deepy jazz, elle s’y prélasse et atteint des sommets dans l’art de caresser le feeling dans le sens du poil. Elle bascule dans le mythique avec l’« Once I Loved » de Carlos Jobim. Elle se fond dans la magie du Brazil, c’est un miracle d’équilibre interprétatif, elle chante dans son for intérieur. Tout ce qu’elle propose sur cet album est effarant de classe, comme ce heavy groove de jazz, « You Don’t Know What Love Is » qu’elle prend à pleine voix. Elle devient déchirante. Elle tape aussi dans Nick Drake avec « River Man », elle se jette dans le Drake avec tout son sucré de petite chatte. Il faut savoir que Drake met un certain temps à se développer. Elle rend hommage à son ex Ray avec « No Return ». Belle énergie d’anticipation, c’est groové à la trompette de la renommée. Et elle termine avec un clin d’œil à Charles Trenet et « Que Reste-t-il De Nos amours » - Et je pense aux jours lointains - alors elle se demande ce qui reste et ça vire à la démence subliminale, une photoo/ Vieille photoo de ma jeunesse, alors oui, elle y va aux amours fanés, cheveux au vent, que reste-t-il de tout cela, dites-le moi. À travers Chrissie Hynde, tout le génie de Gainsbarre se reflète dans celui de Charles Trenet.

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             Spectaculaire retour en 2020 avec Hate For Sale. Elle nous shake son punk dès le morceau titre d’ouverture de bal, elle chante à la rémona. Le guitar slinger s’appelle James Walbourne. Par contre, Chambers pose un problème : on est plié de rire en le voyant sur la pochette. Il bat tous les records de ridicule du vieux pépère qui veut faire le coq. Elle enchaîne avec un coup de génie intitulé « The Buzz ». Elle fait son business, c’est le même qu’avant, elle est tellement sexy, makes you feel, elle chante au long du fantasme, elle reste the queen of the underground - I can’t get no relief - il n’y a qu’elle pour tourner comme ça autour d’un beat, ahhhh, comme dirait Jean-Pierre Marielle, comme elle est bonne ! Welcome in the fairy sexy world of Chrissie Hynde ! Ils font aussi un reggae qui fonctionne avec « Ligthning Man ». Le vieux Chambers se prend pour un rasta, mais c’est Wilkinson qui fait tout le boulot à la basse. Il pouette à la Jamaïque et Chrissie s’éclate la rate au coin des couplets. Elle est merveilleusement juteuse et juste. Nouveau coup de génie avec « Turf Accountant Daddy », heavy schluff demented, elle te saute dessus comme la nympho de l’immeuble, c’est la reine du rodéo, la gueuse du rock, elle est terrifiante, ça descend dans les catacombes, God comme c’est big ! Elle renoue avec les clameurs vénales de Sonny & Cher. Et ça continue avec « You Can’t Hurt A Fool », elle mène le bal, ferme et déterminée, elle met tout l’album et tous les sens en alerte. Ça navigue encore une fois au plus au niveau de l’état des lieux. Chrissie est celle qu’il te faut. Elle crève l’écran à tout instant. C’est encore elle la commodore avec « I Didn’t Know When To Stop ». Elle te dégringole tout et ça prend feu au premier coup d’harmo. Elle chante comme si elle réglait ses comptes. Tout sur cet album est puissant. Elle revient au junkie walk dans « Junkie Walk », elle n’en démord pas - When you walk the junkie walk - et ça bascule dans l’enfer du paradis - Every junkie has to die - Et puis on la voit monter le chant d’un ton dans « Didn’t Want To Be This Lonely ». C’est donc elle la reine. Il faut s’en souvenir. Elle chantera jusqu’au bout. 

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             Retour aux affaires en 2021 avec un hommage à Dylan : Chrissie Hynde Sings Bob Dylan. Standing In The Dorway. Elle ne choisit pas les cuts les plus connus. Elle sort «You’re A Big Girl Now» de Blood On The Tracks et le tape au big Bob. Elle l’allume bien, elle réactualise d’une certaine façon la magie dylanesque. L’autre cover magique est celle de «Love Minus Zero/No Limit» tiré de Bringing It All Back Home. Pur jus de grande époque. Elle tape dans le cœur battant du mythe - The bridge at midnight trembles/ The country doctor rambles - Mais elle fait des choix de cuts plus obscurs, comme le morceau titre, tiré de Time Out Of Mind. Elle y ramène tout le chien de sa chienne et le diable sait qu’elle n’en manque pas. Elle va plus dans la harangue avec «Sweetheart Like You» tiré d’Infidels. Elle y va à la bavache, beaucoup de texte, mais elle capte bien la mélodie chant. Elle sait cultiver le climax dylanex. Son «Blind Willie McTell» est tiré des Bootleg Series et devait figurer sur Infidels, nous dit la légende de la Mer Morte. C’est monté sur le fil mélodique d’«House Of The Rising Sun». Même balancement de vagues. Elle n’en finit plus de finasser. Elle a des choix très pointus. Bob doit être fier d’écouter ça. Elle est chaude, intime. Elle termine avec «Every Grain Of Sand» qu’elle tire de Shot Of Love. Mais il ne faudrait pas que ça dure trois heures.

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             Et pouf, elle repart à la conquête des charts avec un nouvel album des Pretenders, l’excellent Relentless. Boom dès «Losing My Sense Of Taste». Elle émerge d’un épais bouillon. Plus elle vieillit et plus elle rocke. Elle démarre l’album en mode rentre-dedans, avec cette façon géniale qu’elle a conduire la mélodie chant à travers le funnel of love. Il pleut du feu dans cette purée. Elle retrouve ses accents de prune offerte, mais avec une sensualité unique. Il faut attendre un peu pour voir arriver les coups de génie. Le premier s’appelle «Merry Widow». C’est un peu comme si elle écrasait son champignon - I’m a divorcee/ I’m a merry widow - elle éclate dans le rayonnement latéral d’accords de Blade Runner. Elle reste merveilleusement présente dans l’éclat de ses chansons. Elle retrouve sa voix de chef de meute pour «Let The Sun Come In», sa voix ne change pas, toujours aussi pure et juste - We don’t have to get fat/ To get old - Son grain de voix te transperce le cœur. Et puis voilà la pop magique de «Just Let It Go». Elle a du génie, il faut bien l’admettre. «Just Let it Go» est l’illustration parfaite du power suprême de Chrissie Hynde. Elle revient au wild rockalama avec «Vainglorious» et elle termine avec «I Think About You Daily», elle sait rester merveilleusement intime sans l’être. Cette femme est un épais mystère, et elle nous plonge une fois de plus dans sa magie. 

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             L’idéal pour conclure serait de visionner Alone With Chrissie Hynde, un portrait documentaire balladif signé Nicola Roberts. Pas de témoignages, Chrissie préfère gérer ça à sa manière, ce qu’elle appelle glander. Alors elle nous emmène faire un tour à Paris où visiblement elle possède un appart. Elle y achète des T-shirts Elvis et des fringues. Elle profite de la balade pour faire l’apologie de la solitude - Be yourself all the time - et de la classe. Elle cite comme exemples David Johansen, Johnny Thunders, Charlie Sexton, Bob Dylan et Amy Whinehouse. Pas facile pour un film d’entrer dans la vie d’une femme aussi classe. Puis elle nous emmène à West London où elle possède un autre appart - I’m a bit of a loner - Elle peint et indique que la solitude is a luxury. On la voit jouer dans un club avec les nouveaux Pretenders et répondre à une interview. Elle est très directe. Alpaguée sur le féminisme et les vegans, elle répond qu’elle don’t give a fuck et ajoute avec toute la morgue dont elle est capable un fuck off retentissant. Nicola Roberts fait là le portrait d’une femme indépendante et complètement libre. Elle adore les parcs à Londres et les forêts d’Akron, elle adore partir en tournée et dormir dans des bus. Elle préfère les chambres d’hôtels à sa chambre à Paris ou à Londres. Alors évidemment, on n’échappe pas au plan avec Dan Auerbach, histoire de rappeler qu’il a produit l’album du même nom, Alone. Ce mec ne rate pas une seule occasion de faire sa petite promo à la mormoille. Il fait écouter Lazy Lester et Slim Harpo à Chrissie, comme si elle ne les connaissait pas ! Quel prétentieux ! Elle revient à son thème de prédilection, la solitude, et explique qu’il faut faire de son mieux avec ce qu’on a. Elle fait un tour au Boogaloo, a North London pub, pour chanter un cut avec Mother’s Little Helper, un trio rockab. La seule allusion au passé est Sid & Nancy qu’elle va voir au cinéma. Elle dit qu’il lui aura fallu 35 ans de recul pour voir ça. Elle rend aussi hommage à Tim Buckley qu’elle écoutait quand elle avait 17 ans. La balade à Akron est le moment fort du film. Elle emmène la caméra dans le centre commercial où elle travaillait quand elle était ado, puis dans la rue où elle a grandi, puis dans la forêt locale et enfin dans un cimetière. Par contre, rien sur Robert, rien sur Ray, rien sur Sex, rien sur ses enfants. Les fans sont gâtés car le DVD propose en bonus un concert des Pretenders filmé en 1981 au Rockpalast, et bien sûr, Chrissie monte au firmament des rock chicks, comme elle dit.

    Signé : Cazengler, Chrissy Dinde

    Pretenders. Pretenders. Real Records 1979

    Pretenders. Pretenders II. Real Records 1981

    Pretenders. Learning To Crawl. Real Records 1984

    Pretenders. Get Close. WEA Records 1986

    Pretenders. Packed. WEA Records 1990

    Pretenders. Last Of The Independents. WEA Records 1994

    Pretenders. The Isle Of View. WEA Records 1995

    Pretenders. Viva El Amor. Warner Bros. Records 1999

    Pretenders. Loose Screw. Artemis Records 2002

    Pretenders. Break Up The Concrete. Rhino Records 2008

    Pretenders. The Singles Collection. WEA Records 1987

    JP, Chrissie & the Fairground Boys. Fidelity. Rocket Science 2010

    Chrissie Hynde. Stockholm. Caroline Records 2014

    Pretenders. Alone. BMG 2016

    Chrissie Hynde With The Valve Bone Woe Ensemble. Valve Bone Woe. BMG 2019

    Pretenders. Hate For Sale. BMG 2020

    Chrissie Hynde Sings Bob Dylan. Standing In The Dorway. BMG 2021

    Pretenders. Relentless. Parlophone 2023

    Nicola Roberts. Alone With Chrissie Hynde. DVD 2018

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    Mojo #247 - June 2014. The Great Pretender by Jill Furmanonsky

    Chrissie Hynde. Reckless. Ebury Press 2015

     

     

    Larkin Poe taux roses

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             C’est le genre de concert qu’on dit incertain. Une façon de dire qu’on y va à reculons. Mais comme on n’est jamais à l’abri d’une bonne surprise, on passe le reculons en marche arrière, donc on avance, mais à reculons. Dans la vie, il faut avancer, sinon on recule. Essaye le reculons en marche arrière, tu verras c’est marrant.

             Trêve de balivernes. Pourquoi tant d’aprioris ? Tout bêtement parce que Larkin Poe est catalogué American roots rock. Originaires d’Atlanta, les deux sœurs Lovell sont maintenant installées à Nashville, ce qui veut bien dire ce que ça veut dire : nous voilà au cœur du rock US plan-plan, celui qu’on qualifiait autrefois de Southern rock, un rock typiquement américain et dont les figures de proue furent Lynyrd Skynyrd, Marshall Tucker Band, Molly Hatchet et Black Oak Arkansas. Ennui garanti à 100%. On fuyait tous ces albums comme la peste, de la même façon qu’on fuyait ceux des mauvais groupes de hard-rock anglais. On ne va pas re-citer de noms, inutile de gâcher de la place.

             Revenons à nos moutonnes, les sœurs Lovell. Le risque d’ennui est certain, mais assumé. On y va en plus avec les oreilles vierges. Pas d’écoute préalable. Ce sera à prendre ou à laisser. Take it or leave it. Bien évidemment, le groupe qui assure la première partie est dans la veine American roots rock. Il s’appelle Sheepdog. Ce sont des Canadiens déguisés en Allman Brothers Band. Jolie collection de clichés. Voici quelques années, ils jouaient en première partie des Rival Sons. On a quitté la salle au bout de deux cuts. Solide sur scène mais sans surprise. Tout repose sur la férocité du soliste. Mais qui va aller écouter ça aujourd’hui ? Ils doivent très bien savoir qu’ils sont hors du temps et que leur rock seventies vieillit mal, même si le soliste est bon. Sur le moment, on éprouve un certain malaise. On se demande vraiment ce qu’on fout là. Où est passé l’avenir du rock ? Malaise d’autant plus aigu qu’on relisait ces derniers jours les chroniques de Mick Farren parues dans le NME et dans d’autres canards, et certaines d’entre-elles ne vieillissent pas très bien non plus, à cause du traitement de l’actualité politique d’une autre époque. Farren est très politique et l’actu politique d’une autre époque est ce qui vieillit le plus mal. S’immerger dans le passé peut parfois s’avérer périlleux. Même sentiment de désuétude à la revoyure, voici quelques jours, du film que Les Blank a tourné sur Leon Russell : A Poem Is A Naked Person. Trop complaisant. Tout le monde ne s’appelle pas Abel Ferrara. Sheepdog + Farren + Tonton Leon, tout cela ne s’entrelace pas très bien. Ce malaise révèle en fait un besoin toujours plus pressant d’avenir.

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             Et soudain, elles déboulent sur scène, entièrement vêtues de blanc. Virginales et plutôt sexy. Rebecca Lovell chante et gratte une Strato blanche, sa grande sœur Megan gratte une lapsteel. Elles sont tout bonnement adorables. Elles jouent en face à face et dégagent une énergie fabuleuse. Un gros beurreman black et un bassman blanc vêtu d’une combinaison blanche les accompagnent. Tous les aprioris volent en éclats : elles s’imposent avec un rock solide et une réelle fraîcheur de ton.

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    On craque pour le sourire de Rebecca, mais aussi pour son corps parfait. Elle ramène tout le chien de sa petite chienne, ouaf ouaf, elle a des mouvements du buste qui ne trompent pas sur ses intentions, elle a une vraie dégaine de real rock’n’roll animal. Elles échappent au piège du roots rock pour faire du Larkin, et ça marche. Rebecca forever ! Sa frangine passe des solo de slide assez diaboliques et elle a une façon de hocher la tête qui montre qu’elle rocke pour de vrai. Tu sens tes naseaux frémir. C’est quasiment une révélation. Elles concentrent tout le power et suscitent une réelle émotion. Elles sont parfaitement au point.

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    Rebecca établit un vrai contact avec le public, elle a du métier. On sent qu’elle adore la scène. Elle jubile. Elle indique à un moment que Megan et elle font le groupe depuis 18 ans. Le premier cut du set et le dernier sont de véritables killer cuts. Après enquête, on saura qu’il s’agit de «Strike Gold» et «Bolt Cutters & Family Name», tirés de leur dernier album Blood Harmony. On reconnaît aussi au passage une cover du «Jessica» d’Allman Brothers Band, et une version acoustique du «Crocodile Rock» d’Elton John. On voit le corbeau d’Edgar Poe sur la grosse caisse, mais après enquête, il apparaît que Larkin Poe est le nom de leur ancêtre. Rien à voir avec Edgar Poe. Dommage.

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    Elles rendent hommage à leur façon à deux géants disparus : Ray Charles avec «Georgia Off My Mind» et Screamin’ Jay Hawkins avec «Bad Spell». Dommage qu’elles n’aient pas tapé des covers de ces deux vieux cadors. Le blues qu’elles tapent en cœur de set est une cover du «Preachin’ Blues» de Son House, qu’on va d’ailleurs retrouver avec d’autres jolies choses sur Peach. On ne se lasse plus du ravissant sourire complice de Rebecca Lovell et de son feeling.  

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             Alors on va faire une razzia au merch. On en ramasse trois : Venom & Faith, Self-Made Man et Blood Harmony.

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    On retrouve effectivement les deux killer cuts pré-cités, «Strike Gold» et «Bolt Cutters & Family Name». Ils tournent comme sur des roulettes. Bim bam boom ! «Strike Gold» stompe le boogie rock. Idéal pour lancer un set. Ça ne fait pas un pli, c’est extravagant d’énergie et même un brin glammy par le stomp et les ouh ouh ouh. Elles raflent la mise avec les deux doigts dans le nez. Même topo avec «Bolt Cutters & Family Name», un cut amené sous le boisseau et conçu pour exploser. Et ça explose encore sur la base d’un stomping stomp. Leur péché mignon, c’est le stomp, avec comme cerise sur le gâtö la voix de Reb. Hard to beat ! C’est un album incroyablement abouti. On y retrouve encore le «Bad Spell» d’hommage à Screamin’ Jay, Reb l’attaque à l’heavy disto, on se croirait chez le Vanilla Fudge. Elle charge bien sa barcasse, mais d’un certain côté, ça reste sans surprise, même avec son ravissant sourire. S’ensuit le coucou à Ray du cul, «Georgia Off My Mind», très boogie rock, Reb chante ça à la revoyure. Sur l’album, le «Southern Comfort» passe mieux que sur scène. Les frangines ramènent leur grosse patate dans «Summertime Sunset». Reb sait claquer un beignet derrière les oreilles, avec des effets de chat perché demented. Elle est absolument parfaite, personne ne peut lui résister, surtout quand elle sourit. Et Meg viole toutes les conventions à coups de slide, elles sont bien meilleures que tous ces groupes de gros poilus qui ont encombré les hit-parades depuis cinquante ans. Elles sonnent comme l’artefact de l’apanage, elles jouent à la coulée d’or, l’Athanor dégueule, Reb & Meg rockent l’Amérique. Tu ne t’ennuies pas sur cet album. Reb pourrait bien être une petite superstar. 

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             Quand on remonte dans le temps, la qualité s’en ressent. Malgré sa jolie pochette, Venom & Faith n’est pas un album indispensable. Elles proposent un rock classique et sans surprise, même si Reb est déjà une battante. Elles restent bien dans la ligne du parti. On peut dire ce qu’on veut, mais ça reste incroyablement bien foutu. «Mississippi» sonne comme une image d’Épinal. On voit Reb remonter le courant du fleuve au yeah yeah dans «California King» et le cut sauveur d’album s’appelle «Blue Ridge Mountain» qu’elles reprennent d’ailleurs sur scène. Joli stomp, c’est à ça qu’on le reconnaît. Reb est bonne. «Ain’t Gonna Cry» est plus heavy, elle ne va pas pleurer, oh la la ce n’est pas le genre et voilà que la malheureuse s’aventure sur un terrain miné avec «Hard Time Killer Floor Blues», le terrain de Wolf. Elle n’aurait jamais dû s’attaquer à ça. La voix de Reb dans l’abattoir ne passe pas. Aucune crédibilité. Avec Hard Time, on parle de choses sérieuses. Ce n’est pas une amusette. Évidemment Meg se fend d’un solo de lapsteel les pieds dans une mare de sang. C’est insupportable. Elles bouclent avec «Good & Gone», un blues blanc bien stompé. Reb chante comme une crack, alors effectivement, tu peux tenter le coup sur 5 albums.

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             Avec Self-Made Man, Reb & Meb s’en sortent les deux doigts dans le nez. Très bel album solidement parfumé de blues-rock, généreux, bien produit. S’y niche un sacré coup de génie, le bien nommé «Tears Of Gold To Blue». C’est un fabuleux hommage à Elvis - Tupelo rest my Soul - Hit bien senti - Tupelo rock & roll/ Sing in the kitchen - Meg l’illumine au lapsteel de back in the days gone by. Quelle surprise ! Elles vont encore faire un tour au bord du fleuve avec «Back Down South». Meg t’infecte ça vite fait de slide dévorante. Elles sont vraiment très bien. Même si ça reste du sans surprise, on ne s’ennuie pas une seule seconde. Leur «Keep Diggin’» est assez fin, gorgé de blues rock - Oh the rumor - Elles font l’album du fleuve. Encore du blues de référence avec «God Moves On The Water», puissant, gorgé de slide et de beat tribal. Pas facile de créer l’événement dans un genre aussi roboratif. Petit crochet par la morale avec «Ex-Con», cette histoire de taulaurd rentré dans le rang. Il a fait son temps, but now the time has come for me to get back in my mama’s good grace.

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             Peach est encore un bel album de blues-rock et même d’heavy blues du fleuve, ah elles adorent le fleuve, les Nashvillaises d’adoption. Elles tapent dans les vieux coucous comme «Come On In My Kitchen», «Black Betty» et tout le saint-frusquin du bam balam, elles y vont de bon cœur, elles tapent même dans le «Preachin’ Blues» de Son House - I wanna get me some religion - Elles s’amusent bien avec le vieux Son. Reb tape «Freedom» à la saturation du beat, combine connue et pratiquée par tous les défenseurs de la cause du peuple. Reb est excellente dans son rôle de mère courage. Elles ont tout le son du fleuve électrique. C’est devenu leur pré carré. Le hit de l’album s’appelle «Cast ‘Em Out», heavy boogie rock qui renvoie à Nashville Pussy. Avec «John The Revelator», elles font un peu main basse sur le mystère qui appartient  aux noirs. Cet album finit par ressembler à un hold-up. Elles développent une puissance énorme avec «Wanted Woman-AC/DC». Ça chevrote dans les tubulures. Ça vibre de partout dans la carlingue. Elles te rockent le boat vite fait. On se croirait une fois encore chez Nashville Pussy. Même genre de dévolu jeté par-dessus la jambe. Elles terminent ce petit tour au bord du fleuve avec «Tom Devil». Elles se prennent vraiment pour des négresses, elles tapent dans le chain gang beat, ce qui peut laisser perplexe. Les frangines font main basse sur un imaginaire trempé de sueur, de sang et d’horreur. Mais comment les blancs osent-ils se comporter ainsi, en faisant du blé sur le dos de l’art nègre ?

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             Kindred Spirits est le genre d’album quitte ou double : si tu l’écoutes avant d’aller au concert, tu ne vas pas au concert. Donc écoute-le après. Le truc qui cloche sur cet album de reprises, c’est précisément le choix des reprises. Il ne faut jamais oublier que l’Américain moyen écoute pas mal de daube. Dans le choix des sœurs Lovell, on tombe sur les noms de Phil Collins, d’Elton John et de Derek & The Dominoes. Normalement, tu t’enfuis en courant. Elles reprennent d’ailleurs de «Crocodile Rock» d’Elton John sur scène. En soi, ce n’est pas un si mauvais cut, c’est la personne d’Elton John qui pose un problème. On se souvient tous de ses atroces interviews de cocaïnomane dans le NME. Kindred Spirits, c’est un peu comme si les sœurs Lovell avaient raté leur exam. Elles massacrent le «Rockin’ In The Free World» du vieux Young et le «Devil In Disguise» d’Elvis. Versions ralenties. C’est un désastre. Elles font une cover nashvillaise de «Nights In White Satin». Pas terrible. Le seul cut qu’on sauve et une belle version de «Who Do You Love» grattée à coups d’acou. Mais c’est uniquement parce qu’on les aime bien.

    Signé : Cazengler, Larkin Pot de chambre

    Larkin Poe. Le 106. Rouen (76). 14 octobre 2023

    Larkin Poe. Peach. Tricki-Woo Records 2017

    Larkin Poe. Venom & Faith. Tricki-Woo Records 2018

    Larkin Poe. Self-Made Man. Tricki-Woo Records 2020

    Larkin Poe. Kindred Spirits. Tricki-Woo Records 2020

    Larkin Poe. Blood Harmony. Tricki-Woo Records 2022

     

     

    L’avenir du rock

    - Rumer veille (au grain)

             Son panier au bras, l’avenir du rock s’en va faire ses courses. Il descend la rue Saint-Martial et arrivé sur la place Notre Dame, il enfile les arcades pour entrer chez son charcutier préféré, Pradine, grand tripouteur de saucisses sèches archi-sèches. Prince de la faconde, Pradine sait recevoir ses clients :

             — Comment allez-vous bien, avenil du lock, pal ce beau joul de plintemps ?

             — Bien et même fort bien, monsieur Pradine. Une faim de loup, voyez-vous, m’amène chez vous. Woouuuh-ooouuuuuuuuuh ! Qu’avez-vous à me proposer aujourd’hui ?

             — Un bougalou taillé dans la bavette d’un blun-café d’Aublac et fumé à la poutle dans l’œil, vous allez me maudile, avenil du lock, car vous ne poullez plus vous en passer, ha ha ha ha !

             Pradine sort de sa glacière en céramique un quartier de bœuf extrêmement odorant, et de ses petits doigts boudinés, il entreprend d’en tailler deux belles tranches, flic flac, avec ces virevoltes de gestes vifs transmis de génération en génération, depuis la nuit des temps. Il s’essuie les mains sur son vieux tablier gris-bleu, s’empare du crayon coincé sur l’oreille et écrit le prix sur le papier gras où ont atterri les deux belles tranches palpitantes.

             — Vous felez passer ce bougalou avec un Malcillac, je vous lecommande ce clu, un Moulia des familles, vous m’en dilez des nouvelles, avenil du lock, ha ha ha ha !

             — Mettez-moi aussi des fritons, monsieur Pradine, j’en ai les narines qui en frétillent d’avance...

             — Ah vous me faites plaisil, avenil du lock, vous êtes un fin goulmet. La lecette que j’utilise poul pétlile mes flitons vient de mon gland-pèle Célestin, ses flitons étaient lenommés dans toute le Louergue voyez-vous, l’alchevêque envoyait sa selvante chaque lundi quélil une boullasse lemplie de flitons bien flais, ha ha ha ha !

             — Et quel est donc ce plat de boules qui me fait de l’œil ?

             — Ah, vous n’avez pas les yeux au fond de votle poche, avenil du lock, ha ha ha ha ! C’est la pansette de Gelzat voyez-vous, glillée ou en papillottes de Padilac, elle fela votle délice, c’est un plat de plince à Cassaniouze, voyez-vous...

             — Cassaniouze ? Voulez-vous parler de la mine de Cassaniouze ?

             — Paldi, oui, la mine de Cassaniouze, ha ha ha ha !

      

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             Monsieur Pradine ne sait probablement pas que Tardi et Christin plantèrent le décor de Rumeurs sur le Rouergue à Cassaniouze, et pour rester dans l’univers de la bonne gamelle et de la fête au palais, passons de la Rumeur à la Rumer. Monsieur Pradine te dirait que Rumer, c’est «la délectation galantie». Cette jeune femme d’origine pakistanaise s’appelle en réalité Sarah Joyce. Miraculeusement, elle reprend le flambeau d’une tradition, celle de la grande pop au féminin, jadis illustrée par Jackie DeShannon, Dusty chérie, Dionne la lionne et Karen Carpenter.

             Dans un vieux Mojo, Andy Fyfe s’interrogeait sur ce qui faisait la grandeur de Rumer. «L’évidence numéro 1», nous dit-il, est la voix, une voix qu’il rapproche de celle de Karen Carpenter, and the limitless love for all things ‘70s, oui, une passion pour le son des seventies. Fyfe ajoute que Rumer has both the voice and her emotional baggage, mais elle n’est pas une victime, comme Karen Carpenter, qui devint anorexique et qui en mourut. Toujours dans Mojo, Lois Wilson rappelle qu’un jour de 2010, Rumer reçut un étrange coup de fil : Burt Bacharach, alors âgé de 82 ans, désirait la rencontrer car il avait craqué sur une chanson intitulée «Slow». Burt voulait savoir si Rumer était d’accord pour venir chanter chez lui. Alors, nous dit Lois, Rumer éclata en pleurs, car recevoir un appel de Burt, c’est un don de Dieu. Et un mois plus tard, elle débarque chez Burt à Malibu.

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             Burt ne s’était pas trompé. On trouve chez Rumer tout ce qui fit la grandeur de Carole King, d’Aretha et de Dionne la lionne - The perfect balance between effusion and restraint, ruminating on love, loss, death and rebirth - The seasons of the soul - C’est-à-dire le titre du premier album auquel Mojo attribue le rarissime 5 étoiles. Seasons Of My Soul est en effet un album miraculeux. Rumer t’embarque dès l’«Am I Forgiven» d’ouverture de bal, une pop très Jimmy Webb, très Bacharach, can we begin again, on s’amourache aussi sec. Le «Blackbird» qu’on entend vers la fin n’est pas celui de Lennon, non, elle compose tout, elle travaille sa pop au hideaway - Now there’s a blackbird singing - Comme le montre «On My Way Home», elle est capable de merveilles, elle attaque au full of sorrow - Now I hear you say/ It’s time to walk away - Elle termine avec une compo du grand David Gates, «Goodbye Girl», elle atteint au genius à coups de let me tell you goodbye. Le «Slow» qui a tapé dans l’œil de Burt est un fantastique balladif de dérive adriatique. Elle charge toutes ses ambiances et celle de «Take Me As I Am» en particulier - Don’t tell me it’s alrigh/ It’ll never be alright - Elle chante à l’intimisme déferlant et produit une beauté surnaturelle. Puis elle atteint au mythe avec «Aretha» - I got Aretha in the morning - Elle rend hommage - I got the blues/ In springtime/ Baby you got the words - Elle se fond dans Aretha. Plus loin, elle tape son «Saving Grace» au groove pépère, comme Croz, elle l’ultra-chante. Pour l’avenir du rock, c’est du gâtö, mais pas n’importe quel gâtö : de la fouasse.

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             Deux ans plus tard paraît Boys Don’t Cry. C’est un album de reprises triées sur le volet. Elle démarre sur le mythique «PF Sloan» de Jimmy Webb. Elle l’enchante littéralement. Elle enchaîne avec l’«It Could Be The First Day» de Croz. Attention, magie ! Elle est heavy on the (magic) beat. Elle passe à Todd Rundgren avec «Be Nice To Me» et reste dans la magie pure. Elle renvoie Laura Nyro dans les bras de Todd via sa passion, ça bascule dans la bénédiction extravagante, elle se fond dans le jazz groove de pop évasive. Ce choix de reprises n’en finit plus de l’honorer. Elle rentre dans chacune d’elles à la passion consommée, comme le montre encore ce «Travelin’ Boy» de Paul Williams. Tranquille et magnifique à la fois, et elle enchaîne avec le «Soulsville» d’Isaac, elle le tape au groove de feeling pur, elle chante tout à la dentelle de Calais. Elle tape un peu plus loin dans le «Sara Smile» d’Hall & Oates, mais elle le prend au heavy soft. Elle atteint avec cet album des hauteurs inexplorées, surtout quand elle tape dans des auteurs pas très évidents comme Townes Van Zandt («Flyin’ Shoes»), elle en fait son affaire. Même chose avec l’«Home Thoughts From Abroad» de Clifford T. Ward, un auteur britannique que tout le monde a oublié, elle en fait une œuvre d’art - I miss you/ I really do - et ça monte encore d’un cran avec le mythical «Just For A Moment» de Ron Wood & Ronnie Lane. En plus, elle ramène toutes les pochettes d’albums dans le booklet. Rumer + Plonk Lane = magie pure. L’équation fatale. Elle l’éclate dans le canyon, elle tombe dans les bras d’un immense compositeur, on la sent amoureuse de Plonk car elle chante de tout son être, avec des surélévations extraordinaires. Ça continue d’évoluer avec le «Brave Awakening» de Terry Reid. Elle retombe dans les bras d’un autre géant. Elle s’y fond et on découvre l’incroyable vulnérabilité de Rumer. Elle se plonge dans le destin des géants de la pop anglaise, il faut la voir allumer l’art supérieur de Terry Reid, elle chante de toutes ses forces et elle finit par décoller, par flotter dans la stratosphère, elle est stupéfiante.   

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             On retrouve la merveilleuse rumeur de Rumer dans Into Color, un album paru en 2014. Après un départ en mode diskoïdal, elle revient à la chanson avec un «Reach Out» digne de Burt, qu’elle chante d’une voix chaleureuse - Why don’t you reach out and touch me in the dark - et elle passe au balladif de latence orchestrale avec «You Just Don’t Know People». C’est elle qui compose mais on la sent influencée par Burt - Take a little walk in the sunshine - Elle n’en finit plus de rayonner - Most people are kind - Elle se paye même des arrangements de trompettes, comme souvent chez Burt. Elle attaque «Baby Come Back To Bed» comme un hit de Marvin, c’est l’apanage du romantisme, elle tente de le ramener - Baby come back to bed/ Don’t tell me there’s somewhere else/ In the world you would rather be/ But here with me - Elle rebondit sur le somewhere else in the world. C’est tellement puissant qu’on y revient. Rumer donne là une grande leçon de tendresse, elle a hérité de toute la magie de Burt. Elle n’en finit plus de grandir, cut après cut. «Play Your Guitar» est l’un de ses plus beaux grooves - Don’t give up/ We need your love - C’est encore de la magie pure - They’re trying to break us down/ We need your love - Elle est héroïque - Can’t you see this is war - Cet album est une caverne d’Ali-Baba, elle tartine son «Sam» au will you hold my hand tonight. Pour «Pizza And Pinball», elle passe en mode good time music, comme Jackie DeShannon, elle y va au go clickety-clack, elle rocke les mots dans le fleuve de sa pop enchantée - It’s a beautiful day/ Let’s go outside and play - Et avec «I Am Blessed», elle monte son chant au sommet du feel de cristal, elle est éberluée par ce qu’elle découvre - Love can be found in this world - Alors elle en fait sa renommée.     

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             Deux ans plus tard paraît (enfin) un hommage à Burt : This Girl’s In Love (A Bacharach & David Songbook). Quand on connaît les albums de Dionne la lionne et les reprises de ces géantes que sont Jackie DeShannon et Dusty chérie, on se dit que la messe est dite depuis un bon bail, mais on se trompe. Car Rumer ré-interprète tous ces hits parfaits pour en faire du mythe pur. Si on cherche le pur mythe pop, c’est là, à commencer par sa version de «The Look Of Love». C’est marrant car la blancheur de Rumer tranche avec le black groove de la lionne, mais la torpeur latente engage les mêmes légions de frissons dans le combat des Thermopyles épidermiques : belle présence, grâce infinie, accents poignants et descentes aux graves, tout est là. Deux autres reprises mythiques, «Walk On By» et «This Girl’s In Love With You», sont rassemblées vers la fin. Avec «Walk On By», Rumer tape dans l’intapable, alors elle y va doucement, au walk on by, les petits coups de trompettes sont là, elle y va au when you say goodbye et ça marche. Elle reste dans le cercle magique avec «This Girl’s In Love With You» et Burt chante l’intro. Oui, le vieux Burt ! Il chante au feeling de vieux prince - I need your love/ I want your love - Avec «One Less Bell To Answer», elle se fond si bien dans la dignité de Burt qu’elle en devient irréelle, elle passe sans ambages à la clameur supérieure quand ça lui chante. Elle travaille son Burt au corps, c’est le principe même du Burt, c’est une pop pleine de dynamiques, ça bouge constamment. Et elle rebascule dans la magie avec «(They Long To Be) Close To You». Elle y va toute seule avec un pianiste - Why do stars fall from the sky - C’est tellement puissant. Elle nous fait le coup de la reprise de génie pur, elle la travaille à la féminine attentive, elle chante à la sensibilité extrême - Cause like me/ They long to be close to you - Elle prend aussi «You’ll Never Get To Heaven (If You Break My Heart)» à la materneuse, elle vise le soft, mais le soft puissant, pas le petit soft à la mormoille. Puis on la voit se frayer un chemin vers le sommet de la mélodie dans «Land Of Make Believe». Elle joue avec le ballon de Burt au soleil du paradis, elle le travaille à la pointe de la glotte comme l’otarie joue avec son ballon, superbe Rumer lumineuse, elle est ivre de Rumer power et elle s’écroule à la renverse. Elle adore tellement Burt qu’elle en perd l’équilibre. Elle s’enivre encore des évidences bachariennes : «What The World Needs Now Is Love» et «A House Is Not A Home». On sort de cet album complètement sonné.

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             C’est dur à dire, mais Nashville Tears - The Songs Of Hugh Prestwood déçoit considérablement. Elle garde pourtant le sens des attaques à la Fred Neil. En fait, on arrive la bouche en cœur, pensant que Rumer va nous gaver de miracles comme elle l’a fait avec ses premiers albums, mais ce n’est pas le cas. On sauve «Ghost In This House» pour sa beauté formelle à la Mickey Newbury. Elle épouse la mélodie de Prestwood, mais le problème c’est que Prestwood n’est pas un grand compositeur. Ses balladifs country suscitent un léger ennui. On préfère la Rumer de Burt. Du coup la pauvre Rumer se trouve écartelée entre son génie vocal et la pauvreté de cette country passe-partout. Elle essaye pourtant de la chauffer («Starcrossed Hanger Of The Moon» et «The Song Remembers When»), où elle semble allumer l’intimité.

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             On retrouve tous ses gros hits sur Live From Lafayette paru en 2021, à commencer par l’infernal «Aretha» - I got Aretha/ In the morning aw yeah/ I got the blues/ In springtime - Quel hommage, il est encore plus vibrant en live qu’en studio - Oh Aretha/ I just don’t wanna go to school - Elle chante avec tout le power d’I got the blues in springtime. Encore une merveille avec «Play Your Guitar» - Don’t give up/ We need your love - Elle l’attaque au groove de music people in the city, elle est complètement black dans sa blancheur, cette façon qu’elle a de groover son just play your guitar. Merveille absolue ! On retrouve aussi l’excellent «Pizza & Pinball» - It’s a beautiful day/ let’s go outside  - Avec ce clickety clac clac qu’on trouve aussi chez Jackie DeShannon («Brighton Hill»). Elle swingue le jazz. Elle fait aussi une cover spectaculaire du «Sara Smile» d’Hall & Oates qu’elle reprenait déjà sur Boys Don’t Cry. Autre cover de choc : «Love Is The Answer» de Todd Rungren qu’elle chante à la voix de rêve, à l’assaut charnel de shine on babe. Les chœurs d’hommes fendent la bise. Pure Rumerveille. Son grand hit est probablement «You Just Don’t Know People» tiré lui aussi d’Into Colour, elle l’attaque bille en tête au take a little walk in the sunshine, c’est du heavy genius comme on l’a déjà dit. Toutes ses chansons sont puissantes, elle navigue au long cours mélodique, avec la voix qui va. «Take Me As I Am» est tiré de son premier album et elle irradie - Don’t tell me it’s alright - Elle ne veut pas d’embrouilles, elle exige la franchise, elle chante au sommet du feel, comme elle chante à la ramasse du génie vocal («Learning How To Love»). Son chant devient de l’art pur.

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             Oh ! Vient de paraître un B Sides & Rarities Vol. 2 ! On y va ? On y va ! La surprise vient d’un cover des Bee Gees, «How Deep Is Your Love», un cut languide qu’on a tellement détesté à l’époque. Mais Rumer en fait un lagon dans lequel on entre avec elle. Alarmante de beauté, elle ramène toute sa Soul pour en faire un coup de génie, elle retravaille la mélodie à sa façon, au care for you/ And you want to show me how deep is your love. C’est l’une des love songs ultimes. Elle tape aussi dans Van Morrison et Carly Simon. Plus loin, elle s’en va se fondre dans le groove de Burt avec «Wives & Lovers». Elle jazze sa voix et redevient la reine du round midnite. Le groove d’orgue chancelle fabuleusement et elle arrondit les angles à petits coups de glotte douce. Elle tape un autre hit de Burt, «Anyone Who Had A Heart» et lui redonne tout son sens. C’est d’une pureté mélodique extrême, comme l’est plus loin «The Windows Of The World», un autre hit de Burt, let the sunshine through. Encore un coup de génie avec «Old Fashioned Girl», où elle raconte que la fête est finie et qu’elle va prendre son mec dans ses bras, comme une old fashioned girl - I’ll take care of you baby - Tous les mecs rêvent d’entendre ça. Elle en fait un groove magique. Merci Rumer pour cette rumeur. 

    Signé : Cazengler, Rumerde

    Rumer. Seasons Of My Soul. Atlantic 2010   

    Rumer. Boys Don’t Cry. Atlantic 2012   

    Rumer. Into Color. Atlantic 2014       

    Rumer. This Girl’s In Love (A Bacharach & David Songbook). EastWest 2016 

    Rumer. Nashville Tears - The Songs Of Hugh Prestwood. Cooking Vinyl 2020

    Rumer. Live From Lafayette. Cooking Vinyl 2021

    Rumer. B Sides & Rarities Vol. 2. Cooking Vinyl 2022

     

     

    Inside the goldmine

    - Shadows of Marie Knight

             Ce petit bout de femme n’en finissait plus d’éberluer. Elle parlait d’une voix extrêmement perchée qui avait pour effet d’hypnotiser son auditoire. Personne n’osait l’interrompre, car elle déroulait d’interminables monologues tous plus passionnants les uns que les autres. Elle puisait dans un vécu richissime, tiré du privilège d’avoir vécu dans le Quartier Latin de l’entre-deux guerres. Elle avait alors épousé un artiste peintre qui faisait deux fois sa taille, et dans leur salon de la rue du Sommerard se côtoyaient des éminences aussi peu cardinales que Picasso et Fernand Léger. Lady Merry recréait les ambiances de ces dîners fabuleux, elle donnait des milliers de petits détails qui reconstituaient les tablées, elle y mettait un tel enthousiasme qu’on se sentait transporté dans le passé. Lady Merry était une sorte de joyau relationnel. On se disputait sa présence. On se l’arrachait. Chacun la voulait pour soi. La petitesse de sa taille contrastait violemment avec la force de sa présence. Elle avait une bobine bien ronde construite autour d’un nez en trompette et une masse de cheveux raides et argentés taillés à hauteur des oreilles lui casquait le crâne. Elle disposait d’un charisme épouvantable. Elle n’en faisait pourtant pas un jeu. C’était dans sa nature que de se montrer aussi pétillante de vie, aussi drôle dans ses commentaires, aussi littéraire dans la syntaxe de ses jugements, aussi sardonique dans ses moqueries, sa voix tintait à n’en plus finir comme tintent les verres de cristal dans les salons des grands hôtels de l’Avenue Foch. Chacun prétendait bien la connaître, mais elle brouillait merveilleusement les pistes. Toujours mariée ? Oh quelle idée ! Elle fut l’une des premières égéries du Quartier Latin à rejoindre ouvertement les rives de Lesbos. Elle fut aussi l’une des premières graphistes professionnelles de renom, courtisée par les plus grands éditeurs parisiens pour son talent, un talent qu’ils voyaient comme une plus-value à son extravagance. Lady Merry s’inspirait de ce qu’elle observait dans la rue et chez les gens pour nourrir son imaginaire, et proposait toujours des idées charmantes et pertinentes à la fois. Personne ne la vit jamais commettre la moindre faute de goût. Elle fit des adeptes. Elle enfanta sans même le savoir. On devenait graphiste non par vocation, mais par osmose avec le vif argent de Lady Merry.

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             D’une Merry l’autre, dirait Céline. Comme Lady Merry, Marie Knight préférait la compagnie des femmes à celle des hommes. Pour les ceusses que ne seraient pas au courant, cette inclination est souvent gage de délicatesse.

             Pourtant connue comme l’une des stars du gospel, compagne de Sister Rosetta Tharpe sur quelques albums, Marie Knight apparaît aussi sur des compiles Kent (par exemple Cry Cry Crying, un somptueuse compile parue en 1984) car elle est avant toute chose l’une des grandes Soul Sisters de son époque. 

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             Paru en 1957, Songs Of The Gospel est un pur album de wild gospel. Dès «The Storm Is Passing Over», on est prévenu : elle y va la Marie, avec derrière elle le wild guitar slinger des Millionaires. Il va d’ailleurs faire des miracles sur pas mal de cuts, «Put My Trust In Thee» est un gospel rock assez demented. La Marie ramène énormément de raunch dans tous ses cuts puis elle passe au gospel blues avec «I Can’t Keep From Crying». Elle tape dans tous les registres avec un égal bonheur. On la voit encore gueuler par-dessus les toits du Mississippi avec «Prayer Change Things» et elle revient en B avec l’excellent gospel pop de «Just Walk With Me». C’est bourré à craquer de Black Power. Elle tape enfin dans le gospel craze avec «O Lord Remember Me» et plonge l’église dans la transe avec un pur final de tous les diables. Oh the voice !, s’exclame-t-on à l’écoute de «My Home Over There». Elle semble régner sur la terre comme au ciel, le temps d’une chanson. Elle termine avec the wild energy de «You Better Run», preuve que le gospel a enfanté le jump, c’est exactement le même son et la même énergie, solo d’orgue et bassmatic endiablé.

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             Par contre, le Lift Every Voice And Sing paru en 1960 est plus classique. C’est un gospel bien propre qui ne fait pas de vagues. Trop soigné pour être honnête, taillé pour plaire aux blancs. Il n’empêche que Marie Knight dispose d’une voix énorme, elle dégage autant qu’une chanteuse d’opéra. Mais ça bascule dans le Spirituals, les blackos cherchent à plaire.    

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             Dans les liners de Today, Tony Heilbut rappelle que Marie Knight a démarré très tôt avec Madame Ernestine B. Washington, surnommée the songbird of the cast et pionnière du Gospel batch. Elle fait vite partie du fameux Church of God in Christ. Et c’est en 1946 que Sister Rosetta Tharpe lui propose de duetter. Elles vont tourner ensemble pendant neuf ans. Sur Today, elle est accompagnée par Floyd Waite (piano), Virgie Knight (organ) et trois autres mecs. Pour qui aime le real deal du Gospel batch, cet album est du gâtö, il faut la voir balancer «Pushing For Jesus» dans la gueule de Dieu, elles y vont les mémères, toute l’énergie est là, elle pulse, la Marie, I can’t stop ! Elle repart toute seule à l’assaut du ciel avec «My Eye Is On The Sparrow», elle est intense et brûlante, elle développe une fantastique intensité soutenue à l’orgue d’église - I sing because/ I’m happy/ I sing because/ I’m freeeee ! - Franchement tu te poses des questions quand tu écoutes «The Florida Storm». Car derrière cette fonceuse, ça joue le rumble des enfers. Pas surprenant puisque le guitariste n’est autre que Louisiana Red, épaulé d’un bassman et d’un beurreman, ils développent une fantastique énergie de Gospel jump. La Marie va chercher le sommet du Gospel batch, elle dispose pour ça de toutes les facilités. Elle dispose d’une voix d’une rare puissance, elle fait vibrer sa glotte ad vitam sur «Is My Home Over There» et elle développe the surnatural power. C’est une façon de dire qu’elle ramone autant qu’une Soul Sister de Stax, surtout dans «Move On Up A Little Higher». Elle attaque encore «He’s Got Enough Left Over» à la heavy Soul. Elle frise le génie en permanence, ça vaut tout l’Aretha, tout le Soul Sister System. Avec «Step By Step», elle bat Janis à la course. Elle tient le Gospel par la barbichette avec «I’m Going To Work Until The Day Is Done». Pour ça, elle prend sa voix ferme et définitive, I’m going to pray fort Jesus. Les blacks ont récupéré la religion des blancs pour en faire de l’art, c’est incroyable, car ça devient de l’art moderne. Elle s’éclate au Sénégal with Him, et pour aller chanter «Where He Leads Me», elle monte là-haut, tout là-haut.         

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             On trouve dans le commerce un autre album de Marie Knight (featuring Larry Campbell) : Let Us Get Together - A Tribute To Reverend Gary Davis. C’est un album de Gospel gratté à coups d’acou. Comme la Marie est une grande artiste, elle en profite pour faire du Gospel-folk de tous les diables. Quel son ! Ça voltige autour d’elle ! Encore plus puissant, voici «You Got To Move», le vieux standard repris jadis par les Stones, elle l’embarque au paradis, aw when he Lawd gets ready, tu ne trouveras pas mieux, même dans le rock, Larry Campbell joue l’acou manouche, c’est dire si cette équipe est balèze. Encore de la fantastique allure avec «I Am The Light Of This World», Marie swingue son âme et les filles pulsent derrière. C’est en place, avec du bon beurre. Marie va loin car elle rocke les dynamiques du Gospel batch. C’est précisément là où le rock prend sa source. La Marie est rompue à tous les arts de l’envol. Elle fait autorité sur Lawd qui écrase sa banane devant Marie pleine de grâce. Elle passe au Gospel de good time avec «When I Die», ils swinguent comme des démons, c’est visité par les licks énormes de Larry Campbell - When I die/ I’ll live again.

    Singé : Cazengler, Mari Knyctalope

    Marie Knight. Songs Of The Gospel. Mercurey 1957   

    Marie Knight. Lift Every Voice And Sing. Carlton 1960   

    Marie Knight. Today. Blue Labor 1976             

    Marie Knight featuring Larry Campbell. Let Us Get Together - A tribute To Reverend Gary Davis. DixieFrog 2007

     

     

    Shrine impériale

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             Tu peux difficilement espérer voir de tes yeux voir plus bel objet que Shrine Northern -The 60s Rarest Dance Label, une compile Kent/Ace tout juste sortie du four. Elle fait partie de ce qu’on appelle les disques parfaits : contenu, contenant et réputation irréprochables. Ce sont les Chansonnettes qu’on voit rayonner sur la pochette. Et dedans, tu as 14 titres qui devraient régaler tous les fans de Soul sixties. Un brin de littérature accompagne cette bonne compile : d’une part des liners d’Andrew Rix et d’Ady Croasdell, et d’autre part, un vibrant article d’Ady dans Record Collector.

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    ( Eddie Singleton + Raymona Liles)

             Shrine ne tombe pas du ciel. Raymona Liles, aka Miss Ray, est la première femme de Berry Gordy. Elle fait partie des pionnières de Motown dès 1960, mais quand Gordy et elle se séparent, Miss Ray quitte Detroit et s’installe à New York où elle se maque avec Eddie Singleton. Puis le couple s’installe à Washington DC et monte Shrine. Ils tirent des singles Shrine à 2 000 ex. Mais ils auront du mal à tenir la cadence, le label va vite les mettre sur la paille. Ils bossent un peu pour Florence Greenberg, chez Scepter, à New York, mais ça ne suffit pas à boucler les fins de mois. Épuisés, ils voient Shrine couler. Glou glou, terminé. Raymona et Singleton rentreront à Detroit et Singleton va même bosser pour Motown pendant quelques mois.    

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    ( Bettye Swann & Addy Croasdell )

             Dans Record Collector, cet enfoiré d’Ady s’amuse même à donner les prix, car évidemment, les singles Shrine sont recherchés par les collectionneurs de Northern Soul. Si tu veux te payer l’«I Won’t Be Coming Back» de J.D. Bryant, tu vas devoir sortir 8 000 £. Ça les vaut, mon gars, car non seulement J.D. Bryant a le look d’une superstar, mais il sonne comme une superstar, avec son «I Won’t Be Coming Back». Singleton compose «I Won’t Be Coming Back» pour Ben E. King, mais comme il vaut une démo parfaite, il demande à Bryant de la chanter. Singleton trouve la démo tellement bonne qu’il décide de la garder pour Shrine. L’Ady qualifie ce single d’«all-nigher anthem». Il a raison, le bougre. Mais bon, il vaut mieux rapatrier l’album. On fait de sacrées économies.

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             L’Ady raconte aussi qu’au moment où Shrine coule, Eddie Singleton ferme son bureau et abandonne son stock. Il ne sait pas qu’en Angleterre, les DJs raffolent de ses singles, notamment Keb Darge. Les Anglais, sont complètement dingues : ils cherchent les hidden gems et les singles Shrine en font partie. Keb Darge ramasse tous ceux qui sont parus et boom, ça explose sur son dance-floor. Quand il apprend ça, Eddie Singleton réussit à récupérer ses masters, parmi lesquels se trouvent des cuts inédits comme ceux des Prophets, de Bobby Lee ou encore de Little Bobby Parker. L’Ady recommande chaudement l’emplette de la compile car elle permet «aux collectionneurs et aux lovers of classic rare Soul to get their hands on these tracks for under £20», ce qui est un excellent argument commercial. 

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             C’est vrai qu’on se régale, même quand on a trop écouté les compiles Soul. Celle-ci se prévaut d’une certaine fraîcheur de ton. Le «No Other Way» des Cautions est puissant d’ouh-ouh. Une vraie tribu primitive ! - Tall and slender, good dancers who were really into the Temptations - C’est le seul groupe à avoir fait deux singles sur Shrine. Les Cautions sont le group à succès de Shrine, the bread-and-butter group, nous dit Rix, mais au moment où ils font rentrer les sous, Shrine coule à pic. Glou-glou. L’Ady nous dit que Keb Darge a payé £8 sa copie de «No Other Way». Elle en vaut aujourd’hui 800. Drôle de dérive. Il semble que ce soit spécifique à la Northern Soul. On a déjà vu sur des salons des mecs revendre leur collection d’albums garage pour se payer des singles de Northern. Il faut rester cependant vigilant et ne pas trop entrer dans le délire des prix, car c’est la qualité des singles qui doit primer. Le problème est que l’Ady n’a pas grand-chose à dire sur les cuts, un problème qu’on retrouve aussi chez les disquaires : il ne parlent plus de musique, mais de la valeur des disques. Autrefois, les disquaires ne parlaient que de musique.  À présent ils sont, à de rares exceptions près, obsédés par Internet. 

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             On monte d’un très gros cran avec les DC Blossoms et «Hey Boy», heavy r’n’b de légende, suprême de fraîcheur, là tu te lèves et tu danses. Jacqui et Vicki Burton ont démarré en 1962 chez OKeh. Elles s’appelaient les Blossoms et quand elles ont entendu parler de Shrine, elles ont déboulé - We rushed down there to get a piece of the action - Comme il existait déjà des Blossoms à Los Angeles (celles de Darlene Love), elles ont dû se rebaptiser DC Blossoms. Selon Rix, il est possible que leur single ne soit jamais arrivé chez les disquaires, comme d’ailleurs 11 autres smash singles enregistrés et prêts à paraître, car Shrine avait glou-glouté.

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             Les Cairos tapent «Stop Overlooking Me» au pire beat sec de Shrine. Sur cette compile, tout dégouline de classe. Les Cairos amènent un truc à eux, des pom pom pom de doo-wop. L’Ady parle de stomping beat, il a raison.

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             L’autre star de ce panier de crabes, c’est Little Bobby Parker avec «I Won’t Believe It Till I See It», tapé au big Motown Sound. On se croirait chez Little Stevie Wonder. Imbattable de force tranquille et de sucre masculin. Little Bobby Parker deviendra grand et se fera connaître en tant que Bobby Parker avec «Watch Your Step». L’Ady ne le commente pas, car ce hit fait partie des inédits et n’existe pas sous la forme de single.

             Ah il y va le Ray Pollard avec «This Time (I’m Gonna Be True)». Pour Singleton, ce hit de Pollard reste l’un de ses meilleurs souvenirs - I remember being moved to tears with the excitment - L’Ady ne rate pas l’occasion de rappeler que le single de Ray Pollard est extrêmement recherché et qu’il vaut la peau des fesses. Pendant que les collectionneurs se mettent sur la paille, nous on jerke au Palladium grâce à Kent. Merci Kent.

             L’Ady revient sur les Prophets et «If I Had (One Gold Piece)». C’est l’un des membres du groupe qui envoie le single fabriqué à partir des Masters à Andy Rix, en Angleterre. Les Prophets y vont au doo-wop exaltant avec des voix d’anges et belles harmonies vocales.

             Les Chansonnettes font du bon Motown avec «Don’t Let Him Hurt You», elles tapent en plein dans le Motown Sound et au beat it de sucre. High-school girls ! L’Ady se régale à chanter leurs louanges - There’s plenty going on as the girls swing in and out of this in-demand dancer - Il raconte aussi que Ken Darge a récupéré à l’époque une copie cassée en deux et qu’il l’a recollée avec de la superglu - And it played quite well - L’Ady ne nous épargne aucun détail.

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             Bobby Reed profile son r’n’b sur le beat sixties, son «Baby Don’t Leave» est un vrai scorcher. L’Ady n’en parle pas, car il fait aussi partie des inédits. Par contre, il vante les mérites d’un tas d’autres Shiners, Linda & The Vistas, Jimmy Armstrong, The Epsilons, Sidney Hall et The Cavaliers, ce qui permet de penser qu’un jour va tomber du ciel le volume deux de la Shrine impériale.

    Signé : Cazengler, c’est pas du Shrinois

    Shrine Northern. The 60s Rarest Dance Label. Kent Dance/Ace Records 2023

    Ady Croasdell : Sacred and round. Record Collector # 548 - September 2023

     

     

    *

    Je ne suis pas spécialement monarchiste mais parfois il est nécessaire de fourrer ses idées politiques dans la poche. Depuis Louis XIV tout le monde sait qu’un roi n’attend pas, alors je fonce à toute vitesse sur la route de Troyes. La météo a prévenu : grand vent dans le grand-Est, le long de la route pas un arbre ne bouge, les Dieux du rock aiment et protègent les rockers !

    La salle est pleine comme un œuf, une bise rapide à Béatrice la patronne en plein boum, tout au fond nos majestés ripaillent, en sujet servile je me hâte de les imiter en m’attaquant à une planche de charcutaille aux côtés de Billy, d’Ingrid et de Cyril. La vie est belle quand elle est rock.

    TROYES / 04 – 11 – 2023

    BAR LE 3B

    THE MONARCHS

             Il est des signes qui ne trompent pas, sont tous les quatre en train de prendre place, Fabien le seul qui est assis, non pas sur un trône mais derrière sa batterie, tape trois secondes sur ses fûts pour s’assurer que tout est en place. Puissance sonore assurée ! L’on pressent que les Monarchs vont diriger leur peuple d’une poigne de fer ! 

             Un petit instrumental n’a jamais tué personne. C’est ce que l’on dit. Dès les premières notes de Summertime, je n’en suis plus aussi sûr.  Oubliez la trompette nostalgique d’Armstrong, c’est Jerry Rocka qui est au saxophone, ce n’est plus l’été languide du Sud des USA si bien évoqué par Julien Green, mais une rimbaldienne saison en enfer, changement climatique assuré, un siroc(k)co saharien déferle sur la planète et la transforme en astre désertique.  Entrée fracassante. Envol de fusée. Jerry vous brandit son sax en pleine figure, son embouchure se transforme en corne d’abondance amalthéenne, un souffle torride s’en échappe, le râle de Pasiphaé manœuvrée par le taureau divin vous submerge. N’est pas seul Jerry, l’est méchamment aidé par ses trois acolytes. Z’ont le son américain des groupes instrumentaux, cette furie hélicoïdale à la Dick Dale qui vous emporte vent debout au milieu des tempêtes.

             Deux guitares et une batterie. Pas d’erreur, Stéphane joue bien de la basse. Mais comme il me dira entre deux sets il ‘’s’amuse un peu’’, comprendre qu’il fait partie de ces bassistes qui jouent de la basse comme d’une guitare solo. Ce n’est pas qu’il swingue jazz comme une big mama, c’est qu’il leade rock, un régal de regarder le jeu de ses doigts sur ses cordes, cela vous amplifie et rehausse la force d’impact monarchique. Plus tard le groupe jouera Ragnar, une de ses compositions, dans lequel il donne à chacun de ses camarades l’occasion de se livrer à un petit solo éruptif.

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              Fabien n’a pas le choix, le rôle de la section rythmique lui échoit, ce qui ne semble pas l’effrayer, sourire aux lèvres et chewing gum en bouche, il assure, il colle au groupe en le même temps qu’il le soutient, pose les fondations et s’envole de sa frappe lourde et souple. En haut et en bas. Ubiquité parfaite. Table d’émeraude.

             She’s as skinny as a stick of macaroni, j’suis comme Larry Williams, j’aime Bony Moronie (hélas, elle ne m’aime pas !), un morceau idéal pour attirer l’attention du lecteur distrait qui n’aurait pas compris que The Monarchs n’est pas un groupe spécifiquement instrumental. L’a du coffre Yannis, sa voix, un poil sur-réverbérée pour qu’il puisse s’entendre vu la configuration des lieux, ne vous lâche plus. Elle n’est plus qu’un instrument au même titre que sa guitare dont il fait ce qu’il veut, couteau incisif et percussif, elle tranche et elle cogne, écumante comme un torrent de montagne elle marrie la flexibilité du cobra à la force du tigre, subtile et frondeuse. Infatigable notre Stéphane, pas le genre à se lancer dans un discours de réception à l’Académie Française entre deux titres, précision minimale ‘’ de Roy Orbison’’ par exemple, et il enchaîne aussi sec sur une de ces nombreuses et inaltérables pépites rockabilly dont le répertoire des Monarchs est constitué.

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             Sur sa guitare, il commence souvent par trois petites notes aigrelettes, le temps que ses congénères lui emboîtent le pas en démarrant sur les chapeaux de roue, ensuite c’est le festival cordique, elle ronronne, elle darde, elle attaque, elle se tapit une seconde dans les broussailles du silence pour bondir sur vous, Yannis à la particularité de lancer ses notes comme des étoiles de ninja, toutes blessent mais la dernière ne tue pas car elle est immanquablement suivie d’une kyrielle d’autres, jaillissement de vif-argent parfaitement maîtrisé.

             Ils ont la classe, Jerry sanglé dans son costume noir à liseret blanc, beau comme un croque-mort qui vient pour vous enterrer dans un western, Stéphane au sourire énigmatique qui affleure dans son bouc grisonnant aux contours méphistophélesques, Fabien une allure désinvolte qui cache de sérieux atouts, l’on ne sait pas trop lesquels mais on lui fait confiance, Yannis n’a que deux yeux, se sert de son troisième pour tenir ses pairs au calme, l’en garde encore un quatrième pour vérifier la set-list. Deux sets incandescents. Pas de rappel. Munificence royale, ils offriront carrément un troisième set.

             Maintenant ils ne furent pas seuls. La piétaille du public leur a emboîté le pas d’un commun élan au premier accord, l’on se serait cru à la bataille de Bouvines derrière Philippe Auguste, un délire tumultueux, nos chastes (l’adjectif est-il vraiment approprié ?) demoiselles n’ont cessé de danser et nos beaux messieurs de se trémousser, Bastien et Jerry ont quitté leurs chemises afin de montrer leur impressionnante musculature, jusqu’à Béatrice la patronne qui a annoncé dans la liesse générale qu’elle baissait le prix du Mojito !  Vent de folie sur le 3 B. Nos Monarques ont conquis une nouvelle province, ils ont ajouté un fleuron troyen à leur couronne.

    Damie Chad.

            

    *

    Le diable est présent en tout lieu, à n’importe quelle heure, même à Oslo, les mauvaises langues prétendent qu’il se cache partout où l’on trouve du blues, pour une fois elles n’ont pas tort :

    THE DEVIL AND THE ALMIGHTY BLUES

    THE DEVIL AND THE ALMIGHTY BLUES

    ( Blues for the red sun / 2015 )

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    Arnt Andersen : chant / Petter Svee : guitare / Torgein Wardelmar : guitare / Kim Skaug : basse / Kenneth Simonsen : drums.

    The gosth of Charlie Barracudas : corde de pendu grince au vent rouillé, tout de suite dans l’ambiance, une voix qui s’enfonce en vous comme un couteau dans le dos, une batterie commence à compter le temps imparti qui vous reste à vivre, inutile de penser aux instants heureux que vous avez traversés, ils sont terminés, le pire poisseux vous attend, Arnt ne raconte pas des fariboles à la Andersen, la guitare gargouille, elle vous refile la chtouille, - l’Andersen faudrait l’abattre, on a dû s’en charger puisqu’on ne l’entend plus, Svee et Torgein vous vomissent dessus un de ces soli barbelés dont vous vous souviendrez toute votre mort, autant vous passer vous-même la corde autour du cou, au moins une fois de l’autre côté vous serez en sécurité. Le Keeneth fait monter la pression dans vos artères, votre cœur explose. Totalement écœurant. Distance : changerions-nous d’ambiance après le retour du fantôme aux dents longues, une chanson d’amour. Z’y mettent toute la gomme, ça balance terrible mais le vocal d’Andersen vous coupe le moral, c’est fini, c’est foutu, à croire que le bonheur ne sert à rien, sûr que c’est vrai mais entre nous elle a bien fait de le quitter car le chagrin lui fiche une pêche d’enfer et les copains derrière lui bourrent le mou à cent kilomètres à la seconde. Storm coming down : devraient être sponsorisés par le Giec, vous annoncent une sacré tempête, le coup du papillon, un fait insignifiant et c’est parti pour la destruction finale, commencent finaudement, un rythme en excroissance normale, l’Andersen appelle les forces du mal, évidemment elles rappliquent, les guitares valdinguent comme des folles, attention batteur particulièrement vicieux, vous chaloupe le rythme sans effort, un peu comme quand vous montez la Côte de l’Enfer à Provins en vélo électrique, vous êtes pénardos vous n’y croyez pas, mais des grêlons comme des rochers s’abattent sur vous et vous cassent le dos, votre colonne vertébrale se tortille à la manière d’un lombric, c’est à ce moment que Kim vous fait gronder sa basse à la manière d’un loup-garou affamé, on entend plus que lui, plus une espèce d’hennissement intermittent qui vous glace le sang que vous n’avez plus. Vous aimeriez que ça finisse, mais non ils vous font le coup de la locomotive qui fonce dans la nuit à la fin de la Bête Humaine. L’Andersen est dans son élément, indubitablement les sensations fortes lui filent du punch. Root to root : tiens un blues bringuebalant qui ressemble à un blues, ces gars commencent à se civiliser, tout le monde le sait le blues c’est très roots, vous avez les cordes qui vous distillent un peu de tristesse, dommage qu’elles soient en tripe de loup solitaire hurlant à la déglingue, l’Andersen vous gueule dessus toute sa solitude et sa tristesse, vous lui refilerez bien deux euros pour le consoler, vous retenez votre geste car c’est quand même trop beau à entendre, si vous avez la corde sensible ( et les oreilles en béton précontraint ) vous adorerez, par moment c’est presque lyrique, et un guitariste se la joue à l’espagnole, et puis arrive le solo blues que vous attendiez depuis votre premier cadeau de Noël, vous l’étirent au maximum, vous le font durer au moins trois éternités, vous restez la bouche ouverte, vous en redemandez c’est vraiment du spoonfull non pas en argent mais en diamant.  Never darken my door : faut toujours qu’ils noircissent le tableau. Vous aimez le blues ? Très bien vous aurez du rock. Non ce n’est pas un instrumental mais ça y ressemble tellement vous courez d’un musicos à l’autre pour recueillit l’ondée bienfaisante qui pulse de partout. Un peu vitriolée certes cette pluie revigorante, mais vous vous en moquez, se laissent aller, ne peuvent plus s’arrêter, foncent dans le blues pour vous éclaircir les idées. L’Andersen hurle comme un peau-rouge autour du poteau de torture. Doucement les gars, on se calme, on n’est pas des brutes semblent-ils dire at the end. N’ayez crainte ils ont tort. Tired old dog : dans la série nos amis les bêtes soufrent moins que moi, vous vous asseyez sur votre derrière et vous écoutez de toutes vos oreilles, vous pouvez aussi remuer la queue puisque vous aimez, le combo vous file la bonne dose, celle qui est over, l’Andersen quand il se plaint c’est plus fort que lui faut qu’il hurle à la lune, alors ses copains vous imitent la lune qui explose et qui vient s’écraser sur son museau. Je vous rassure, lui en faut plus pour le faire taire.

    Ils n’ont pas inventé la poudre bleue mais ils savent s’en servir. Ne sont pas nés de la dernière pluie, ces damné danois. D’habitude ils jouent dans leur propre groupe, mais une fois tous les deux ans ils se réunissent pour produire une galette électrique. Alors comme on a beaucoup apprécié la première on écoute la deuxième. Z’ont tout prévu pour que vous ne vous mélangiez pas les pinceaux, l’ont sobrement intitulé :

    II

    (  Blues for the red sun / 2017 )

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    These are old hands : ce n’est pas qu’ils ont changé de son, c’est qu’ils ont changé d’amplitude. Un peu moins blues, un peu plus stoner, imaginez une tornade infinie qui souffle dans un désert illimité, l’Andersen gueule moins, l’a la voix d’un barde qui aurait mis en musique une nouvelle de Jack London, vous comprenez maintenant sur la couve ces chiens de traineaux couchés dans la neige, en fait ce sont peut-être des yacks enlisés in the snow, l’on s’en moque, suivez votre imagination, tout ce calme vous pensez à Mountain, vous n’avez pas tort les lyrics causent d’un gars qui a rêvé d’être un marin et qui n’a jamais osé, maintenant c’est trop tard, l’a raté sa vie et ses rêves, pour sûr vous lui ressemblez, alors les guitares gémissent sans fin, elles flambent, elles brûlent, elles s époumonnent sur le bûcher des vanités inaccomplies, le vent du désert s’engouffre maintenant dans les voiles de vos rêves, vous êtes une frégate bondissant sur les vagues de l’autre côté de la vie. Prodigieux. North road : la route du nord, blues pur, le vocal en avant et l’accompagnement derrière, pas pour longtemps car les deux lignes se rejoignent vite et voguent de concerve, cette route du nord vous la connaissez, vous êtes présentement en train d’y marcher dessus, c’est celle qui conduit votre vie jusqu’à votre mort, oui c’est triste et désespéré mais ils vous la font parcourir magnifiquement, toute la grandeur humaine dans cette voix glaçante, toute la démesure de votre bestialité dans cette musique grandiose qui vous entraîne de plus en plus rapidement sut ce chemin inéluctable, à croire que l’on y prend du plaisir, l’homme serait-il un animal masochiste… quelle cavalcade inespérée, le rythme s’alentit. Vous atteignez le bout de la piste. Démentiel. When the light dies : un titre à la Doors, que voulez-vous quand vous êtes juste devant la porte de la sortie définitive, il est normal que la lumière s’éteigne, l’Andersen connaît le blues, une guitare et une voix suffisent à votre bonheur (à votre malheur aussi), les copains ne l’entendent pas ainsi, ils alimentent les grandes orgues de la tristesse pour qu’il soit conscient de sa solitude. Low : ce qui s’appelle avoir le moral au plus bas, le thème rappelle un peu Rivière… ouvre ton lit de Johnny ; alors l’Andersen clame son envie d’en finir, les autres appuient systématiquement sur chacune de ses blessures vocales, c’est lent et c’est fort, un peu comme l’eau de la vie qui traverse le marc du café pour se transformer en un désespoir encore plus noir, encore davantage brûlant, si vous n’avez jamais entendu des cymbales ruisseler de larmes c’est le moment d’écouter. Solo funèbre. How strange the silence : combien est étrange cette musique lorsque le blues cherche à traduire le silence de l’inconscience de la mort. L’Andersen gueule bien fort au début, normal les contraires s’appellent et se ressemblent, alors il baisse d’un ton pendant que les instruments haussent leur tonalité, ensuite l’on essaie de patauger dans un no man’s land entre bruit et silence, l’on claudique quelque peu, enfin ils optent pour le carnage sonore, puisque l’on ne peut se taire totalement autant hurler à la mort. Il existe bien un point où tous les antagonismes s’annulent et s’extrémisent en même temps. Neptune brothers : hé ! hé ! plus fort que la mort le rock’n’roll, les Dieux sont avec nous, que sommes-nous sinon des hommes habités par le serpent du rêve qui brûle notre sang, nous chevauchons à toute vitesse, la musique descend des montagnes en galopant vers le delta, un bras pour le blues, un bras pour la mort, le sable marécageux du rock au milieu. Le morceau claque comme le fouet sur les flancs de la cavale chimérique, une guitare se dresse comme le serpent obnubilé par le mouvement du cadencé du flutiste, désir de mort et désir de vie sont tous deux du désir…

             Ce deuxième opus est bien plus original que le premier, alors tout de suite on se jette sur le troisième, n’en n’ont commis aucun autre même s’ils donnent encore de nombreux concerts. Comment d’après vous dit-on trois en langue danoise ? Solution à la ligne suivante :

    TRE

    ( Blues for the red sun  / 2019 )

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    Salt the earth : une guitare mélodique, très rare chez eux, pas de panique les cordes s’enrouent très vite, drummin’ beaucoup plus rond, lorsque les Romains eurent détruit Carthage, ils labourèrent le sol et y semèrent du sel pour que rien ne repousse, alors méfiez-vous de cette entrée agréable, l’Andersen clame et vous remet les idées au clair, la vie est si peu agréable qu’il vaut mieux l’éradiquer, les instrus vous la font un peu à la grandiloquence d’un générique de film-catastrophe annoncée, pas la peine de se prendre la tête, en finir au plus vite semble être la bonne solution, tout doux, il est tout de même une dimension pathétique à cet état d’esprit, ne plus hurler, ne plus tonitruer, ressentir la tristesse de cette vie, faudrait-il s’apitoyer sur soi-même, pas de fausse pitié, tout balayer d’un revers de main, d’un envol de guitares, même si les remontées d’humanité de trop d’humanité tergiversent trop longtemps, la hargne et la passion de la destruction reprennent le dessus. Soyons logique. One for sorrow : surprenants ces chœurs féminins, Andersen nous remet dans le droit chemin, va-t-il nous faire le coup du mal-aimé, de l’étranger exilé sur sa terre natale, non il est le serpent qui connaît tous vos secrets et dont la morsure distille le chagrin, morceau enjoué, avec un final endiablé, est-il nécessaire qu’il en existe un seul pour niquer tous les autres. En plus notre cantador paraît content de lui. Serait-ce un relent de masochisme christique. Lay down : encor un titre qui ne trompe pas son monde, ainsi que l’affirmait Alfred de Musset ‘’ les chants les plus beaux sont les plus désespérés’’, notre moribond n’a pas perdu toutes ses forces, l’Andersen a encore la niaque pour raconter ses derniers instants, pourtant l’on ne sent pas le désespoir, mais le regret des beaux instants passés, une musique endormeuse comme la Meuse de Charles Péguy, le vocal pourrait être qualifié de nihilisme tempéré, les guitares ne regardent plus la lune noire de la mort mais la rondeur des jours dont elles déroulent les lourds anneaux, un rythme qui ne cache rien mais empli de sérénité, le plus beau reste cette voix d’autant plus présente qu’elle est un peu aspirée par un écho grandiloquent, une guitare si pleine que vous ne savez point si elle est un soleil levant ou couchant. L’on pense à l’aigle sur la pochette, s’élève-t-il vers l’azur ou s’apprête-t-il à tomber sur sa proie. Heart of the mountain : intro mélancolique, tant de grandeur, tant de beauté, un fier sommet immarcescible, l’Andersen nous conte la légende impérissable, une basse monumentale remet les choses à leur juste niveau, la montagne est morte, ce joyau inaltérable n’est plus, les guitares ont l’âme lourde, la batterie palpite comme un cœur débordé,  l’onde de choc musicale envahit tout, une guitare flamboie comme le sceptre de l’archange qui devant les portes du paradis empêchait quiconque d’entrer,  la montagne n’est pas venue à toi, l’Andersen résume la situation: de ce colosse aux pieds de granit il ne reste rien.  No man’s land : une entrée presque jazzy, les guitares ne jouent plus au percolateur atomique, la batterie agite les sonnailles alléchantes de ses cymbales, envie de danser au-dessus des abîmes, le magicien aux couleurs d’arc-en-ciel nous enchante, chœurs féminins à l’unisson, trop beau pour être vrai, entre les couleurs du rêve et le rien peut-être existe-t-il un lieu où il ferait bon vivre, dans le pays des hommes où il n’y a plus un seul homme. Retour des chœurs féminins pour nous rappeler que la beauté a existé, qu’elle n’est pas une fable.  Magnifique instrumentation. Time ruins everything : retour au blues, une guitare crie dans le lointain, bientôt se confirme ce que promettait le titre, une vérité si profonde que ce n’est pas tout à fait du blues, l’est trop plein de vigueur, un fruit qui laisse échapper son jus nourricier, un chant de défaite et de rancœur définitive, velours mélodique, le rêve d’une rencontre impossible se précise à l’horizon, un instant de bonheur qui serait éternel, l’on en connaît la triste fin, à tel point que la mort nous apparaît comme une suprême consolation, le temps ne suspend jamais son vol nous rappellent les derniers mots d’Andersen.

             Le premier album était du blues, le deuxième sonnait heavy. Celui-ci est mi-figue-mi-raisin, pas assez désespéré pour être blues, pas assez lourd pour laisser toute la place au désespoir. Ce troisième ménage la chèvre et le chou. L’arrondit les angles. Un arrière-plan mélodique qui essaie de nous persuader que si tout est perdu, il a existé comme une possibilité de quelque chose d’autre qui aurait pu avoir lieu.

             Est-ce pour cela que 2021 et 2023 ne nous ont pas offert un nouvel album. Une fois que le nihilisme du premier CD a été métamorphosé en un dit légendaire dans le deuxième, le troisième ne pouvait être qu’une redite. Trop d’espoir tue le désespoir. Le blues est aussi mortel. Toute forme musicale qui atteint à son apogée est condamnée à se répéter indéfiniment ou à se taire. Reconnaissons à The Devil and this Almighty Blues le mérite d’avoir renoncé à se recopier.

             Le lecteur qui n’aura pas unanimement cédé à la force du groupe aura peut-être consacré quelques instants à se demander pourquoi le Diable n’est jamais venu fourrer le bout de son nez au moins une fois dans les trois disques. Même pas une petite malédiction, au moins pour la couleur (bleue) locale. Nos cinq mousquetaires l’auraient-ils oublié au premier carrefour. A moins que.

             A moins que nos cinq bretteurs aient tout compris, la malédiction du blues ce n’est pas le Diable, vous savez celui qui Please allow me to introduce myself… Non, ce n’est pas personnage arrogant, la malédiction du blues c’est le blues lui-même cette musique qui ne peut pas être elle-même sans se renier elle-même. D’ailleurs historialement parlant lorsque le blues se renie ne quitte-t-il pas son statut de Diable pour devenir un serviteur de Dieu. Dans ce cas-là il vaut mieux qu’il reste un Homme…

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 618 : KR'TNT 618 : KIM SALMON / EDDIE PILLER / LAWRENCE / THE HEAVY / MARTIN WEAVER / EUCHRIDIAN / GRAVE SPEAKER / SITUS MAGUS / NICOLAS UNGEMUTH

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 618

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    02 / 11 / 2023

     

    KIM SALMON / EDDIE PILLER / LAWRENCE

    THE HEAVY / WICKED LADY

    EUCHRIDIAN / GRAVE SPEAKER

    SITUS MAGUS / NICOLAS UNGEMUTH

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 618

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

    ENTRONS DANS LA DANSE

    UN PEU EN AVANCE

    A CAUSE DES VACANCES !

     

     

    Wizards & True Stars

    - Kim est Salmon bon

    (Part Five)

     

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             Il semblait logique qu’un vaillant saumon comme Kim Salmon vienne jouer sur un fleuve, en l’occurrence la Seine, oui, celle qui coule sous le Pont Mirabeau d’Apollinaire, grand admirateur des harengs qui sont, comme chacun sait, les cousins des saumons. Et pour couronner le tout, notre cute cat Kim s’accompagne de saumons fumés. Place au dadaïsme tutélaire ! L’occasion est trop belle d’associer ces deux grands prêtres de la modernité : Kim Apollinaire et Guillaume Salmon.

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             Mais nous avons un hic en travers de la gorge : Kim Salmon’s Smoked Salmon passe en première partie de Cash Savage, ce qui est un peu le monde à l’envers. C’est comme si on vendait au rabais quarante ans de prestige et une belle ribambelle de brillants albums. Dur à avaler, mais comme il faut bien faire contre mauvaise fortune bon cœur, disons que ça permet de voir Kim avec des oreilles bien fraîches. Qui dit première partie dit set plus bref. Notre vaillant saumon est d’ailleurs pris de court vers la fin du set, lorsqu’on lui dit qu’il ne reste plus que 6 minutes. «Fucking hell !», s’exclame-t-il, et il doit faire le Choix de Sophie, choisir entre ses blasters les plus précieux pour conclure. Donc pas de «We Had Love», qu’on entendait rocker the boat au soundcheck. Ce sera «Swampland» dans une version complètement faramineuse de légendarité, avec un cute cat Kim au sommet de son lard fumant, ah il faut le voir, le vieil Aussie de Perth claquer sa chique d’In my heart/ There’s a place called swampland, c’est encore plus dévastateur qu’en 1986, quand tomba du ciel l’album Weird Love, terrific classic ! Kim n’a rien perdu de cette fantastique bravado d’ampleur cathartique, de ce sens suraigu de la razzia furibarde, de ce goût inné du hit tentaculaire, il faut bien partir du principe que chaque cut de Kim est une vraie compo, portée par une double brioche de brio, chant et guitare. Kim est un wild king de la Tele, il télémaque son temps, il assure à la susurre, King Kim Salmon règne depuis le début des années 80 sur l’underground global et sa faune de globos. 

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             En début de set, il fait surgir du sol une énorme reprise de «Frantic Romantic» qui fut le premier single des Scientists paru en 1979, une sorte de petite perle power-pop inexorable devenue avec le temps un gros blaster scénique. Kim trime ses trames et contrefait ses contreforts, il élabore des dérobades et délite son déluge, c’est une pop incroyablement sophistiquée qui passe en force, on croit la connaître, mais on la découvre. On appelle ça un morceau de bravoure. Comment veux-tu qu’un groupe monte sur scène après Kim Salmon ? Ça paraît insensé. D’autant que les hits se succèdent, tous plus magistraux les uns que les autres, tiens, il annonce «Obvious Is Obvious», un fantastique cut dylanesque tiré d’Hey Believer, son premier album solo, une nouvelle merveille tétanique. Ce qui est incroyable dans cette histoire, c’est qu’avec le cat Kim, le dylanex passe pour du salmonex, il dispose de ce génie qui lui permet de s’approprier les genres et d’en faire une affaire strictement personnelle, exactement comme le firent Jerry Lee ou Lux Interior qui s’appropriaient les cuts pour les digérer et en couler des bronzes tutélaires. Tu sens bien l’extraordinaire power dylanesque dans Obvious, et pourtant tu as ce démon de Kim sous les yeux, claquant son dévolu à la revoyure, avec un souffle qui te flatte l’intellect, il harponne ça d’une voix forte de stentor raunchy, c’est peut-être cette niaque permanente qui frappe le plus, ce power vocal qui lui permet de propulser chacun de ses cuts jusqu’au firmament. Impossible de ne pas faire de parallèles avec d’autres grands seigneurs de la scène, comme Greg Dulli ou Frank Black, ou encore des cadors du songwriting comme Chip Taylor. Le cute cat Kim navigue à ce niveau, il dégage sur scène une chaleur rayonnante qui est celle de l’excellence. Aux yeux de ses fans les plus anciens, Kim Salmon est une sorte de Graal du rock. 

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             Son choix de cuts n’en finit plus d’édifier les édifices. Retour à la prédilection avec «Fix Me Up», un glamster qui date du temps béni de Kim Salmon & The Surrealists, eh oui, on se souvient tous de ces fabuleux albums qui n’intéressaient pas grand monde et qui étaient bourrés de hits et d’élégance, on pourrait presque dire la même chose des Beasts Of Bourbon, qui sont presque passés à l’as, à l’époque, et boom, Kim te claque «Cool Fire» tiré d’un vieux smash nommé Black Milk, le genre de vieux smash qu’on était tellement content de sortir d’un bac, chez Born Bad, au temps béni des vrais disquaires. Tu sortais ça avec les mains moites et tu en bavais d’avance, tu savais que le soir même, tu allais jerker au Palladium avec Tex et Kim. Il y a des cuts moins connus comme «Self Replicator», tiré d’un single passé à l’ass et en vente au merch, mais là, on s’enfonce dans les ténèbres imbroglionales de l’underground, tout ce qu’on peut en dire, c’est que Kim en fait une version sauvage, et à ce stade des opérations, il est impossible de ne pas éprouver un chagrin sincère pour le groupe suivant, car ce démon de Kim leur a déjà volé le show. Au petit jeu du monde à l’envers, les conseilleurs ne sont pas les payeurs. 

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             Alors profitons de cette occasion en or pour mettre le nez dans une fantastique box Scientifique, A Place Called Bad, parue en 2016. Quatre CDs bourrés de dynamite, dirait James Coburn. Comme toutes les box bien faites, celle-ci permet de faire le tour du propriétaire dans les meilleures conditions, et faire le tour des Scientists, ce n’est pas une mince affaire. Le disk 1 s’appelle ‘Cheap & Nasty: The Rise Of Perth Punk’, le disk 2 ‘Set It On Fire: Storming The Eastern States’, le disk 3 ‘When Words Collide: Cachet And Casualty In London’ et le disk 4 ‘Live Cuts’, mais comme il est cassé, on ne pourra pas l’écouter. Tant pis. Au fond, ce n’est pas dramatique, car avec les trois premiers disks, on se tape une belle overdose : le disk 1 est un volcan d’énergie fortement influencé par les Dolls, le disk 2 sent bon les Stooges et les Cramps, et le disk 3 se présente comme le summum du doom de gloom. Si tu ne l’as pas fait avant, là tu es obligé de prendre les Scientists très au sérieux. Cette box remet bien les pendules à l’heure. En gros, tu établis une sorte de confrérie suprême, c’est-à-dire la quadrature du cercle : Stooges, Cramps, Gun Club et Scientists. C’est aussi simple que ça. Avec des diagonales qui seraient les Dolls et le Velvet. Te voilà chez toi. Cette box est un peu ta maison.

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             Kim t’accueille avec «Frantic Romantic», ouverture de bal, la voix est déjà là, avec des échos de jingle jangle et ce chant punk-out. Quelle énergie ! Pas étonnant que ça tienne la route depuis quarante ans. Sur ‘Cheap & Nasty: The Rise Of Perth Punk’, les Dolls sont partout. Avec «Shake Together Tonite» on se croirait sur Too Much Too Soon, exactement le même swagger et les même clameurs de chant, c’est en plein dans le mille. Et un peu plus loin, Kim adresse un fabuleux hommage aux Saints avec «Bet Ya Lyin’». On voit tout de suite que les Scientists développent d’incroyables capacités à sonner comme leurs modèles. À ce petit jeu, ils sont imbattables. Encore du Sainty Sound avec «Pissed On Another Planet». Vénérable et encore Dollsy en diable, ils tapent ça au heavy boogie de la déglingue. Tout est déjà vénérable chez Kim, c’est ce qu’il faut retenir de cette période. Il replonge dans les Dolls avec «I’m Looking For You», même tranchant, c’est très spectaculaire, peu de groupes ont su rendre hommage aux Dolls. Kim passe à la power pop avec «High Noon», fast et sans pitié, et soudain, le ciel te tombe sur la tête : «Teenage Dreamer» sonne vraiment comme «Sister Ray», avec de faux arrêts et une sorte de niaque vengeresse. Ce disk 1 s’achève avec deux coups de génie : «Making A Scene», tapé au dépoté de gros popotin de bassmatic, et «It’ll Never Happen Again», claqué du beignet, sans pitié pour les canards boiteux. Brillantissime.

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             Dans le booklet, Erin Osmon rappelle que Kim a démarré en écoutant le premier album des Modern Lovers, le premier Dolls, Raw Power et le Velvet. Au Western Institute of Technology, il rencontre l’excellent Dave Faulkner, futur Hoodoo Guru. Ils montent les Cheap Nasties en 1976. C’est le premier punk rock band de Perth. C’est en 1978 que Kim monte les Scientists avec le fan des Ramones James Baker (beurre) et Boris Sujdovic (bass). Puis ça splitte vite fait et James Baker intègre les Hoodoo Gurus. Kim tombe vite fait sous la coupe des Cramps et pond «Swampland» : «It’s [the Johnny Kidd & The Pirates] ‘Shakin’ All Over’ riff and some kind of pentatonic thing going downwards. I have these fractured urban guitars and the lyrics were just a thing to hang on them.»

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             Alors justement, parlons-en ! «Swampland» t’accueille à bras ouverts sur ‘Set It On Fire: Storming The Eastern States’, l’in my heart te cueille à l’accueil, ça bassmatique férocement, Kim te monte ça en neige et ça prend feu sous tes yeux, admirable d’in my heart, on est comme marqué au fer rouge, à l’époque, et quarante ans plus tard, Kim sabre le goulot de son set à coups d’in my heart. Ça explose, même si c’est joué sous le boisseau. Voilà le genre de cut qui supporte bien la surchauffe d’une Tele, celle de Télémaque Salmon, et boom, il enchaîne aussi sec avec «We Had Love», le hit Scientific par excellence, le pur ravage salmonique , il te chante ça par en dessous et bham ça déraille dans le we had love, c’est à n’en pas douter l’un des plus gros classiques de wild rock de tous les temps. Pur jus de Kim Salmon. Le solo passe comme un ouragan. Et pour éviter de calmer le jeu, il enchaîne une cover de «Clear Spot», clin d’œil demetend au Captain, un vrai shoot de Bifarx Me Sir, même si pas la voix, mais il ramène toute la niaque d’Aussie dont il est capable. Car Kim est un vrai punk. Plus loin, retour aux Stooges avec «The Spin», pas loin de «Down In The Street», même crasse infectueuse. Si tu aimes le wild Scientific groove, alors «Rev Head» est fait pour toi. Kim le jette dans le cratère des enfers, c’est d’une décadence atroce et putride, ça pue le sonic corpse. Il faut dire que le wild rock Scientific est lourd de conséquences, le «Set It On Fire» est aussi habité qu’un classique de Jeffrey Lee Pierce, Kim et ses cats visent l’apocalypse en permanence, c’est ciblé, pas d’issue, pur rock de no way out. Pas de meilleur hommage aux Cramps que «Blood Red River». Ils visent l’absolution magnanime, ça craque de crasse trashique, voilà un pur un chef-d’œuvre d’auto-destruction sonique. Le bassmatic te reste en travers de la gorge et les poux coulent comme de la lave, «Nitro» est gorgé du désir de vaincre et de mourir, le Kim s’eskrime à la surface du chaos. Voilà encore un hit Scientific pur : «Solid Gold Hell», riffé au gras-double et tu as le bassmatic de Boris Sujdovic qui sort du virage et qui se met en travers, sa ligne de basse entre dans la chair du cut comme la main d’Orlac, elle gronde à l’envers, c’est une sublime descente aux enfers. Les Scientists percutent l’antimatière, ils se jettent dans le mur du son, c’est sans espoir. On se noie dans leur lac. Boris Sujdovic est un fou, comme le montre encore «This Life Of Yours», il hante le boogoloo de va-pas-bien. Globalement, les cuts Scientifiques sont très sombres, mais très chantés, ça flirte en permanence avec l’extrême doomy doomah, ces mecs-là sont fascinés par le néant, ils font de cette fascination un art, tout vibre dans la baraque, c’est fait pour sentir le grondement du chaos. «Backwards Man» est encore plus terrifiant que ses collègues. Les Scientists ont tellement de son.

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             C’est à l’époque de ce disk 2 que Tony Thewlis intègre le gang qui du coup va s’installer à Sydney. Et puis c’est l’appel du grand large qui les conduit à aller s’installer en Angleterre, comme d’autres Aussies, en l’occurrence Birthday Party et les Go-Betweens. Ce qui nous conduit tout droit dans les bras du disk 3, ‘When Words Collide: Cachet And Casualty In London’, un double concentré de doom, l’un des épisodes les plus sombres, les plus torturés de l’histoire du trash-rock. Sujdovic, Thewlis et le beurreman Rixon s’installent dans un flat de Fulham, Kim, sa femme Linda Fearon et leur baby Alex trouvent un flat à Brixton. Kim entre en contact avec Lindsey Hutton qui les branche sur Kid Congo Powers et le Gun club, et là ils commencent à tourner sérieusement en Angleterre. Ils vont aussi jouer en première partie des Sisters of Mercy et le manager des Sisters va les prendre sous son aile. Et pouf, c’est parti. Mais les années londoniennes sont âpres, les Scientists vivent dans la pauvreté, Rixon fait une petite overdose, alors c’est compliqué de trouver quelqu’un pour le remplacer au beurre, et Sujdovic qui n’est pas en règle rentre au pays, alors pour Kim, c’est la fin des haricots : Rixon et Sujdovic sont des Scientists irremplaçables. Il tente encore le coup en trio avec une batteuse et Thewlis, mais il finit par jeter l’éponge et rentre à Perth avec femme et enfant.

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             Ils attaquent le disk 3 avec le très stoogy «Hell Beach», et un harague iggy-poppienne, c’est du pur Dirt, du pur we don’t care. S’ensuit un fourre-tout de la mythologie rock, «It’s The Last Thing To Do» qui sonne comme un cut des Cramps et qui finit en bad music for bad people. Leur boogaloo est bourré de mauvaises intentions. Ça vire parfois Birthday Party. L’immeuble s’écroule avec «Demolition Derby», ils font le «Death Party» du Gun Club, même plan, même riff d’écrasement, avec un Kim goulu comme une goule. Tout ici n’est que dégelée royale, qu’immeubles en ruines, que flammes de l’enfer, que pur sonic trash. Ils tentent le coup de Suicide avec «Atom Bomb Baby», c’est saturé de friture, ils n’en finissent plus de rendre des hommages superbes : Cramps, Suicide, Gun Club, en veux-tu en voilà. Tu crois pouvoir souffler et tu tombes sur un «Go Baby Go» saturé de fuzz, il y a tellement de fuzz que le cut a du mal à respirer, le côté sombre des Scientists met le rock en danger, «Go Baby Go» est un vrai triangle des Bermudes. Et voilà l’apanage du chaos sonique pur : «Psycho Cook Supreme». Ils cultivent les fleurs du mal du XXe siècle, ils scient dans la putréfaction, la fuzz creuse des cavernes dans le cadavre du rock et la basse rôde dans l’ombre comme un prédateur, aucun groupe n’est allé aussi loin dans l’expression du malaise. «Murderess In A Purple Dress», c’est «Sister Ray» : même paquet d’attaque, ils y vont au just don’t care, c’est explosif, rampant, complètement Scientific. Ils rentrent dans la gueule du Temple avec «Temple Of Love», véritable purge d’hardcore Scientific, Kim screame dans le pilon des forges, il bascule dans la folie, c’est bombardé d’électrons. Il hurle dans sa fuite éperdue. Il revient taper une power cover d’«You Only Live Twice». Il chante du haut du Twice. On croit entendre Dracula. Puissant et ténébreux. Il saigne sa mouture à outrance et des vagues de sonic trash balancent la barcasse. Retour à l’extrême brutalité avec «Human Jukebox», aucune finesse, ça dégrossit au débotté crampsy/noisy, Kim chante avec l’insistance de Lux, c’est battu en brèche, travaillé par tous les orifices, chanté à la Maggie’s Farm no more - I am a human jukebox ! - Ça sonne comme le postulat définitif. Et puis voilà «Distorsion», ravagé, dents pourries, chanté sous la mousse de cimetière, ça baigne dans les noires exhalaisons baudelairiennes, c’est aussi une montagne de fuzz avariée, le cut est en dessous, ils jouent la carte de l’extrême saturation du son, les notes se désintègrent dans leur procession mortifère, il n’existe rien de plus putride dans l’histoire du rock. Une horrible avalanche. Voilà encore un cut frappé en pleine gueule : «Place Called Bad», qui donne son nom à la box, Kim le prend pour une enclume, les coups d’accords sont d’une violence terrible, on s’effare de la barbarie de l’attaque, il chante encore une fois comme Dracula, reculé dans l’ombre. «Place Called Bad» est le son du diable. Les Scientists sont des bruitistes d’avant-garde, des inconvénients à deux pattes, «Hungry Eyes» est encore un prodige malsain d’antimatière, ça finit par devenir assommant. Trop chanté à l’écartelée, te voilà au fond de l’égout, aucun espoir, et Kim Salmon continue de pousser le bouchon. Il noie son «Braindead» de rockalama, ils sont en plein dans les Cramps, mais à leur façon. Ah cette façon qu’ils ont de sonner le tocsin avec des guitares ! Et pour finit, tu as «It Must Be Nice» to die at night.

             Voilà ce qu’il faut bien appeler une œuvre. Une box sert à ça : contenir une œuvre. Libre à toi de lui redonner sa mesure.  

    Signé : Cazengler, Kim Savon

    Kim Salmon’s Smoked Salmon. Le Petit Bain (Paris XIIIe). Le 20 octobre 2023

    Scientists. A Place Called Bad. Box Numero Group 2016

     

     

    In Mod We Trust

     - Piller tombe pile

     (Part Four)

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             Petit à petit, Eddie Piller prend la dimension d’un mythe, tout au moins en Angleterre. La récente parution de son autobio conforte cette réalité. Joli titre : Clean Living Under Difficult Circumstances, avec en sous-titre A Life In Mod From The Revival To Acid Jazz. Eddie Piller raconte sa vie de fan et montre à sa façon qu’on peut rester fan toute sa vie, en allant voir jouer des groupes, en créant des fanzines, et accessoirement des labels. Gildas a vécu exactement la même vie, et mené son petit bonhomme de chemin avec la même exigence. Dig It! et Acid Jazz même combat. Même prestige. Ce sont ces mecs-là qui font la vraie histoire du rock, certainement pas les autres. Rappelons que le rock est un art trop sacré pour être confié aux betteraviers.

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             Pour simplifier : Gildas gaga et Eddie Mod. Deux visions de deux grandes variantes de l’underground, extrêmement pointues d’une part, et à l’échelle d’une vie, d’autre part. Quand on veut bien faire les choses, la règle est de ne pas les faire à moitié. Bon, il existe un book paru aux Musicophages qui raconte le brillant parcours underground de Gildas. Passons donc au brillant parcours underground d’Eddie. 

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             Mod ça veut dire quoi ? La réponse est dans la question. Elle est aussi dans la photo de couverture du fat book d’Eddie. Mod ! Le Vespa et la parka en sont les symboles apparents. Derrière ces deux symboles se masse une immense culture qu’étale au grand jour ce vaillant book de 400 pages. Mod est un phénomène culturel exclusivement British, totalement impensable ailleurs. Pour donner une image qui permet de mesurer la portée de l’impensabilité, l’Angleterre avait les Who et la France Johnny Halliday. La France n’a voulu ni de Ronnie Bird ni de Vince Taylor qui auraient pu sauver les meubles. D’où cette incapacité vieille de 50 ans à prendre le rock français au sérieux, à quelques exceptions près. Parlons de choses sérieuses.

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             Eddie Piller est né après la bataille, en 1962. Il n’a donc pas vécu les Who. Ceux qui sont nés dix ans avant ont pu les vivre, même ceux nés en France, via les EPs magiques. «My Generation» reste l’hit rock indétrônable. Piller est entré en Mod, c’est-à-dire en religion, via l’anthemic punk snarl «I’m Stranded» des Saints, ce qui n’est pas si mal au fond, même si ça n’a rien à voir avec les Who. Lors d’un voyage en Australie, il va voir les Saints sur scène. C’est l’époque Eternally Yours avec Algy Ward on bass, Ed Keupper est encore dans le groupe - They simply took my breath away - Il indique que la tension entre Chris Bailey et Ed Keupper «made the set edgy and exceptional, hard and fast. I was in heaven.» Qui ne le serait pas ?

             Avec cet excellent fat book, Eddie Piller raconte son éducation, avec un luxe extravagant de détails qui rappelle le book de Stuart Braithwaite (Spaceships Over Glasgow, les disques, les parents, les premiers concerts, les fringues). Mais comme il attaque avec un épisode en Irlande du Nord au moment des Troubles, son fat book rappelle aussi celui de Jackie McAuley (I Sideman, le danger de mort que représente le simple fait de passer la frontière et d’entrer en Ulster), mais les références constantes aux scooters renvoient surtout à l’excellent Quadrophenia tourné par Franc Roddam et sorti en 1979. Eddie Piller le qualifie de guenine masterpiece, qui incarne «the short-lived concept of new realism». Il est fasciné par le personnage de Jimmy Cooper qu’on voit rouler en Lambretta dans Shepherd’s Bush sur fond de «The Real Me» - I was hooked - Qui ne le serait pas ? Il a 15 ans quand il voit Quadrophenia au cinéma - It became a manual as to how we should dress, dance and live - Eddie cite même des réparties de Jimmy Cooper - I don’t wanna be like everybody else, that’s why I’m a mod, see? - et il cite aussi sa réplique favorite - Do the bastard’s motor - quand Jimmy Cooper et ses deux potes vont casser la Mark 2 Jaguar de John Bindon qui leur a vendu a big bag of paraffin fakes, c’est-à-dire des fausses pilules. Selon Eddie, le personnage de Jimmy Cooper est basé sur Irish Jack, an early Who roadie, mais aussi sur «my mod hero, Peter Meaden, qui était certain que le personnage était basé sur sa propre amphetamine-driven descent into mental illness».

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             Alors, oui, l’idéal est d’accompagner la lecture du fat book avec une revoyure de Quadrophenia : le film et le book s’éclairent mutuellement. Jimmy Cooper, c’est Eddie Piller. Pas étonnant qu’Eddie se soit complètement identifié à l’excellent Jimmy Cooper. On entre dans ce film incroyablement parfait par la grande porte : les scoots roulent dans la nuit, en meute. Ça parle cockney, et boom, direct dans un club Mod, un groupe joue «High Heel Sneakers». On entend plus loin le «Be My Baby» des Ronettes et boom, grosse transe de Mod craze sur «My Generation». Comme entrée en matière, on ne peut pas faire mieux. Puis Franc Roddam tape dans la réalité sociale de Jimmy Piller : il est coursier, comme Eddie Cooper. Il roule en Lambretta, il poppe des pills, des Blues, comme Eddie Cooper, il regarde les Who à Ready Steady Go dans la télé noir et blanc, et porte son Levi’s mouillé pour lui donner sa forme. Tout est sociologiquement extra-pur. Et puis Brighton et les scoots alignés, et puis «Green Onions» dans le dancing club, et puis la petite séance de baise dans la ruelle - a quick wham bam thank you mam - et puis le boy next door qui choisit the wrong girl, et puis Jimmy Piller viré de chez lui, le film s’accélère, descente into the amphetamine-driven mental illness, Jimmy Piller en tonic suit et mascara, fascinant acteur, la bombe Mod explose, «the summer of sex, drugs violence, immaculate tayloring & sweet Soul music» - Here are the Mods and Quadrophenia is their movie - Comment pouvait-on résister à ça ? Un mec rappelle que les Who écrivaient des big anthems, à la différence des Beatles et des Stones qui écrivaient des hits. Ce n’est pas la même chose. Il faut comprendre à travers Quadro que Mod constituait «a social revolution» - Own clothes, own transportation, own music - Un monde à part, avec une identité propre - I’m a stylish person. I look like something - Avec son film, Franc Roddam a réussi a much more realistic approach que celle de Tommy. Plus street, plus rock. Les Who étaient alors hors de contrôle. Moonie cassa a pipe en bois juste avant le tournage de Quadro. Johnny Rotten fut pressenti pour le rôle de Jimmy Piller, mais les assureurs ne voulaient pas de lui, malgré des essais plus que prometteurs. Alors Franc Roddam a pris Phil Daniels pour le rôle. Pour la bataille Mods/Rockers à Brighton, Roddam a 600 figurants et 2000 spectateurs massés sur la balustrade du front de mer. Le fighting a eu lieu pour de vrai. Comme il est documentariste, son film sonne vrai - Realistic quality - Fantastique ! À voir et à revoir et à revoir et à revoir ! The ultimate rock movie. The absolute beginner !

             Parenthèse : Eddie ne met pas de majuscule à Mod. Ici, on l’écrit Mod, comme on écrit Soul ou encore Dieu.

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             Même s’il s’identifie complètement à Jimmy Cooper, le destin d’Eddie n’est pas aussi noir. Il part du bon pied, car ses parents sont des Modernistes. Son père qui s’appelle aussi Eddie «roule en Lambretta dans les années 50, il va écouter Tubby Hayes ou Joe Harriott au Flamingo Club in Soho.» Dans la même rue vivent les Langwrith, propriétaires du Ruskin Arms et leur fils Jimmy Langwrith va fonder un groupe nommé Small Faces - While West London’s The Who had been styled and dressed as mods by Townshend’s guru and former Marriott’s Moments manager Peter Meaden, Small Faces, from the East End, were the real deal: grassroots mods - Fran Piller, la mère d’Eddie, est l’une des fans les plus ferventes des Small Faces. Elle va présider leur fan club. Mais les Small Faces tombent sous la coupe de Don Arden qui les plume et qui fait d’eux des pop stars. À l’âge de quatre ans, Eddie se retrouve sur la pochette du pressage US de There Are But Four Small Faces, photographié avec trois autres bambins de l’East End par Gered Mankowitz, autour d’un panneau ‘Itchycoo Park’. Et à Noël 1967, Steve Marriott offre au petit Eddie «a fully functionning air rifle». Les racines d’Eddie sont pures. Comme Astérix, il est tombé dedans quand il était petit. Voilà pourquoi ces fat books sont essentiels : ils grouillent de détails fascinants.

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             C’est donc avec Quadro qu’Eddie va entrer en religion. Il va transformer sa vie en parcours initiatique. Music first - I wanted more of it and I wanted it now - Puis John Peel, puis un disquaire, Small Wonder, «which made me feel part of something». Il entre dans sa communauté. Le sentiment d’appartenance est vital. Il sent qu’il fait partie des élus. Il flashe sur l’«Another Girl Another Planet» des Only Ones. À l’été 1978, il s’amourache du punk-rock via les Saints et les Only Ones, mais aussi de la black music. Il dit qu’on peut aimer à la fois les TV Personalities et George Benson. En 1978, il existait un lien entre les punks et les Soulboys. Il aime le punk pour son impact - it was angry, loud and full of energy - mais il découvre que le jazz-funk d’Hi-Tension peut avoir le même impact. Il a 15 ans quand il découvre les Buzzcocks sur scène. Puis il décroche du punk qui devient un cliché, even an embarassment. Et c’est là qu’un mec le branche sur un concert des Chords. A mod band ? - I wanted to be a mod - Il évoque bien sûr les amphètes, le fameux Drinamyl qu’on appelle aussi purple hearts - Stimulation, not intoxication - puis il passe aux fanzines, il crée le sien, Extraordinary Sensations, un titre qu’il emprunte aux Purple Hearts, question de cohérence. Il tire son premier numéro à 20 exemplaires.

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             Il sait que les Who et les Small Faces constituent les racines de la Mod culture, mais vu son âge, il devra se contenter de vivre le Mod Revival de 1979. Pour les Mods, l’essentiel est de se distinguer des punks - Clothes spoke volumes, certainly louder than the music - En 1979, «one of the biggest mod records was ‘Glad All Over’ by the Dave Clark Five.» Et puis arrivent les groupes du Revival, il les cite tous, et il en met trois au-dessus de la mêlée : The Chords, The Purple Hearts et Secret Affair. Il rend aussitôt hommage à Gary Bushell qui dans Sounds est le seul à prendre le Mod Revival au sérieux. Eddie flashe aussi sur Small Hours, car le groupe est monté par l’ex-bassman des Saints, Kym Bradshaw. Comme Eddie écume les London clubs, il voit tous ces groupes inconnus. Il en raffole : Squire et ses «archaic Edwardian stipped jackets», Back To Zero (il flashe sur le chanteur Brian Betteridge), The Mods from North London. Il compare les concerts des Mod bands à ceux des punk bands où tout le monde crache - The mod revival dance was a joy - Et puis les Purple Hearts, dont il est dingue - Punky, mod garage delivered by four kids from up the road - et il ajoute époustouflé : «I was blown away - they were the ultimate mod band.» Tous ces groupes, à commencer par les Purple Hearts, les Chords et Secret Affair s’engouffrent in The Jam’s wake et vont signer des contrats en 1979. Il évoque aussi The Playn Jayn qui étaient un grand espoir de la scène Mod. Et puis bien sûr les Jam. Eddie n’en démord pas - In 1965, Peter Meaden had described mod as the ‘New Religion’. Now Paul Weller took it one stage further and made the concept a reality - Peter Meaden apparaît dans l’intro - A philosopher-poet who saw the Soho mod scene as a total, all-consuming way of life - Il est le premier manager des Who que lui arrachent Lambert & Stamp. Il manage ensuite Jimmy James & The Vagabonds. Comme Guy Stevens, Peter Meaden voit en Mod un mouvement capable de changer le monde. Meaden voit les Mods comme des toréadors, mais aussi comme des combattants Viet Cong, «fighting against the establishment from the left field, mais most importantly, he defined the concept of mod thus: ‘Modism, or mod living, is an aphorism for clean living under difficult circumstances.» Et Eddie ajoute : «Ça ne veut rien dire et en même temps, ça dit tout. It means everything.» Peter Meaden sera consultant sur le tournage de Quadro - This film’s about me, man, this is my life - Mais il se suicide deux mois plus tard et ne voit pas le film. Alors Eddie rend hommage à Peter Meaden en reprenant sa formule pour titrer son autobio. Fantastique.

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             Son autre grand héros est Tony Perfect, le mec de Long Tall Shorty. Eddie va le trouver un soir après un concert pour lui demander s’il veut bien lui accorder une interview pour son fanzine, et Tony le reçoit bien - He kick-started my creative journey - Son autre grand pote est Terry Rawlings avec lequel il va monter le label Countdown. Comme Jimmy Cooper dans Quadro, Eddie se maquille. Il expérimente l’eyeliner, mais en référence à Clockwork Orange qui est alors interdit et qu’on trouve sur des VHS de contrebande.

             Eddie Piller écrit dans un style vif et alerte, un style qu’on pourrait qualifier d’amphétaminé. Quand il évoque son costume de collégien, il écrit : «It looked the absolute bollocks.» Ses phrases sonnent comme des paroles de chansons des Who - In fact, a schoolboy mate of mine from Hainault/ was knocking out five blues for a quid - Il a aussi une façon très lapidaire de raconter la fin brutale de sa scolarité : «But fuck me, the college course was crap. I was gone within a term and a half.» Et quand il évoque son nouveau style de vie, il le fait à l’emporte-pièce : «I was 17 and the mod lifestyle was costing me money - something I still didn’t have anywhere near enough of.» C’est fabuleusement articulé, dans le sharp, c’est-à-dire le rocking clair et net. On l’entend presque parler. Il parle cockney, comme Jimmy Cooper dans Quadro. Quand il s’entend bien avec un mec, voilà comment il dit les choses : «Still, we got on like a house on fire.»

             Comme il aime bien Sham 69, Eddie va au concert, mais ça devient dangereux, à cause des skins - Jesus fucking Christ, it was one of the most terrifying nights in my life - Dans ce book, la violence surgit à tous les coins de rue, comme d’ailleurs dans Quadro. Lorsqu’il voyage en Australie, il découvre les Sharpies, l’équivalent des working-class bootboys d’Angleterre, mais les Aussies forcent le trait avec un «incredible haircut - a type of proto-mullet with enormous sideburns», et pouf, il cite l’excellent Lobby Lloyd, et Billy Thorpe & The Aztecs.

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             À une époque, Eddie bosse pour le label Bearsville, et ça tombe, bien car il se dit «massive fan of Rundgren’s first American group, The Nazz.» Il trouve en Todd Rundgren des «modish sensibilities, more so than most Americans.» D’ailleurs, Rundgren fait une cover du «Tin Soldier» des Small Faces sur The Ever Popular Tortured Artist Effect. Et bien sûr, le fin du fin pour un Mod, c’est d’admirer Georgie Fame. Il raconte comment il le rencontre. Georgie Fame lui dédicace un doc : «To Eddie. Stay fast! Georgie Fame.»

             Et puis bien sûr le scoot. Son premier scoot est un Vespa 90 d’occasion. Puis quand il en a marre des pannes et du mauvais phare, il se paye un Vespa P Range. Il évoque aussi les scooter clubs in London. Plus il avance dans sa vie, et plus il est déterminé à vivre the mod life, une attitude alimentée par «a desire to dress better, find rather and more authetic music and travel absolutely everywhere by scooter.» Il roule avec, passée sur l’épaule, une énorme chaîne lestée d’un très gros cadenas. C’est à la fois son anti-vol et une arme d’auto-défense. Les combats avec les skins sont fréquents à l’époque. Les Mods se rassemblent à Carnaby Street, là où se trouvent les boutiques de fringues et les disquaires spécialisés. Mais aussi les skins. Leur façon d’approcher est toujours la même : «Got a spare 10 pence?». Le skin n’attend pas la réponse, il frappe tout de suite - a punch in the head as the skins robbed the kids of their pocket money - C’est là qu’il voit la Mod scene pour laquelle il se passionne depuis trois ans glisser «in a sea of violence». Dès 1980, la chasse aux skins est devenu un sport national pour les Mods. Eddie raconte aussi qu’il est harcelé par des flics de quartier, l’occasion pour lui de dire qu’il ne respecte plus la flicaille.

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             Après son fanzine, Eddie monte le label Well Suspect Records et lance des groupes. Il commence par flasher sur Fast Eddie et son charismatic vocalist Gordon Tindale - one of the best live groups I’d ever seen - Il les voit comme «the biggest band on the scene after The Style Council et The Truth.» Un premier single paraît sur Well Suspect. Puis catastrophe nationale in Mod-land : le split des Jam. Weller en a assez. Six mois après, il monte The Style Council avec l’ex-Merton Parka Mick Talbot et un batteur de jazz, Steve White. Mais les fans de base ne lui pardonneront pas le split des Jam. Eddie fait aussi l’éloge de l’organ-driven The Truth. C’est le deuxième Mod Revival. Eddie indique qu’à part Long Tall Shorty et Small World, les groupes du premier Mod Revival de 1979 ont disparu.

             Il truffe aussi son récit de références vestimentaires - I actually preferred Clark’s desert boots to guenine Hush Puppies - Mais comme il doit bosser pour vivre, il doit aussi faire attention - Real Clarks were far too expansive for us - Le seul jean qu’affectionnent les Mods est le Levi’s 501, avec «a theree-quater-inch turn-up». La seule alternative au 501 était, nous dit Eddie, «a pair of sta-prest slacks» - The holy grail was a pair of original Levi’s Sta-Prest with tags - Il n’hésite pas à entrer dans les détails. Il flashe aussi sur les Levi’s jackets en daim ou dark indigo - but the much rarer white was seriously cool - Et puis les costards, si possible sur mesure, les fameux tonic suits. Sans oublier la parka, «the M51 US Army fishtail parka of Korean War vintage», décorée d’un logo de groupe peint dans le dos et de badges ou de patches cousus sur les bras. Dans le dos de sa parka, Eddie a peint le logo des Chords. Bref, c’est un manège enchanté : parkas, scooters, desert boots and... Carnaby Street. Sa boutique préférée s’appelle Well Suspect - which sold the best mod clothes in London - un nom qu’il va utiliser plus tard pour monter son premier label. Il y achète son premier costard, deux semaines de salaire : «a three-button-bum-freezer suit in a dogtooth pattern with 4-inch side vents and grey silk linings.» Et puis tu as le délire des boating blazers, les vestes à rayures, «yes with matching trousers, just like the one Brian Jones was wearing to one of his many court appearances and on the sleeve of Through The Past Darkly.» Eddie maîtrise l’art de nous plonger dans la mythologie. L’histoire du rock anglais, lorsqu’elle est bien maniée, n’est qu’une magnifique mythologie. Et pouf, il embraye sur le délire de l’attirail Mod - Harringtons, monkey jackets, US Army trench coats, donkey jackets, Crombies, M51 US Army parkas, MA1 green bomber jackets, desert boots, loafers, off-the-peg suits and jackets, button-downs, Fred Perry polo shirts - Eddie saute sur le «great secondhand mod gear at junk shops», il se grise de tout ce carnaval de «turtlenecks, de Levi’s denim or Harrington jackets, even paisley silk scarves.» Tout était disponible «if you put in the time and effort.» Il se fait tailler un premier costard sur mesure chez Steve Starr - Three buttons, 15-inch bottoms and a 5-inch centre vent - Il sait ce qu’il veut. Tony Perfect de Long Tall Shorty est aussi un client de Steve Starr. Et il conclut ce fabuleux chapitre consacré aux fringues ainsi : «Ce printemps-là, au lieu de me concentrer sur mes examens, je mis toute mon énergie into the important things in life - clothes, music, fanzines and scooter. I was on top of the world.» Et forcément, le mouvement prend de l’ampleur : «À l’été 1980, mod was probably the biggest youth cult in the country.» 

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             Oh et puis bien sûr les disques ! Quand il va en Irlande, il emporte du trié sur le volet : «What’s Wrong With Me Baby» by The Invitations, «Ain’t There Something That Money Can’t Buy» by the Young-Holt Trio, «My Baby Must Be A Magician» by the Marvelettes et «Landslide» by Tony Clarke. Il cite aussi «Smokey Joe’s La La» by Googie René Combo. Puis les deux versions de «Wade In The Water» par Ramsey Lewis et Marlena Shaw, le «Tainted Love» de Gloria Jones et le «Move On Up» de Curtis Mayfield. Il évoque plus loin la northern soul scene animée par Ady Croasdel et Tony Rounce, deux gardiens du temple qu’on retrouve dans tous les booklets d’Ace. Eddie fait encore l’apologie des Q-Tips, «fronted by a charismatic singer called Paul Young», mais aussi The Step, mod-soul hybrid comme les Q-Tips, et puis les Dexy’s Midnight Runners - Their incredible debut LP catapulted them to superstardom. Searching For The Young Soul Rebels is undoubtedly a work of great genius and in my opinion one of the best British albums ever made - Voilà, c’est dit.

             Eddie trouve un job dans une boîte de prod nommé Avatar. Il est coursier. En parallèle, il fait le DJ au Regency, manage Fast Eddie, il sort un deuxième single sur Well Suspect Records et tire son zine Extraordinary Sensations à 4 000 ex. Ah on peut dire qu’il est bien occupé ! Il monte aussi une petite boutique de disques à Kensington Market, qu’il baptise Marvel’s Records : il a racheté un lot de 1 000 singles sur des sixties black music labels, from Sue to Specialty, en passant par OKeh et Golden World, qu’il revend à la pièce. Puis il sort une première compile, The Beat Generation And The Angry Young Men, «after a Fifties beat-poetry anthology that had always caught my mod eye».  

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             Alors on écoute la Deluxe Edition de The Beat Generation And The Angry Young Men qui propose 17 cuts. Deux groupes se détachent nettement du lot, The Directions et bien sûr Long Tall Shorty. Deux cuts chacun. Avec «It May Be Too Late», The Directions tapent dans le registre de la Beautiful Song, mais ici, c’est Moddish et chargé d’espoir. Et plus loin, ils tapent dans le Mod craze avec un «Weekend Dancers» élancé vers l’avenir. L’«I Do» de Long Tall Shorty va plus sur les Pirates de Mick Green, avec un son bien lesté de scuzz. Et puis wham bam, ils percutent la Mod craze de plein fouet avec «All By Myself», c’est en plein dans le mille dès les premières mesures, Mod-punk en diable, fantastique Tony Perfect d’all by myself, et en plus du vaillant Mod craze, tu as les Stooges et Buzzcocks. Ce petit cut qui n’a l’air de rien est pourtant si complet. Eddie a mis aussi deux cuts de ses chouchous les Purple Hearts, dont le «Concrete Mixer» de fin amené au heavy beat de «Keep On Running» et qui vire heavy dub. Il fallait y penser. Quant au reste, c’est plus délicat. Les Mads claquent leur «Mods Are Back In Town» bien sec du beignet, avec une petite thématique, mais ça ne dépasse pas le stade de l’exacerbation. On dira la même choses de Les Elite (sic), avec un «Career Girl» chanté au souffle court sur des étalages de clairette exacerbée, disons pour faire simple qu’il s’agir d’un son à part entière, reconnaissable entre mille, et donc recommandable entre mille. Les Mads cassent leur petite baraque avec un «Psycho R’n’R Art» bien décharné, un Mod rock d’orbites décavées, complètement hagard. Eddie avait quand même du pif. On peut le féliciter chaudement pour cette première tentative de fédération des énergies Moddish. Car à part lui, personne n’osait se mouiller. 

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             Puis tout s’accélère : Eddie monte Countdown Records avec son ami Terry Rawlings. Ils sont épaulés par Dave Robinson, le boss de Stiff Records. Le premier groupe qu’il signe est l’excellent Makin’ Time - They were ridiculously young but impressively smart, all vintage knits and white Levi’s - avec Fay Hallam au Farfisa. Mais avant de sortir l’album de Makin’ Time, Robbo, comme l’appelle Eddie, a l’idée d’une compile «featuring new tracks from some of the biggest bands on the mode scene.» Et pouf ! Here it comes : 5-4-3-2-1 Go! The Countdown Compilation. C’est un succès, 30 000 copies vendues dans le monde ! C’est justement Makin’ Time qui ouvre la balda avec «Only Time Will Tell», pur jus de wild Mod craze, avec Fay Hallam en tête de beat de black bombers. On reste dans l’excellence Moddish avec The Alljacks et un «Guilty» cuivré de frais, assez puissant et même gigantic. Dancing Mod craze ! Franchement, c’est admirable. Eddie avait du flair. Fin du balda avec Stupidity et «Bend Don’t Break», Mod-punk envoyé au let’s go ! Heavy horns, c’est tout de suite dans la poche. En B, on retrouve l’excellent Ed Ball dans The Times et «Whatever Happened To Thames Beat», cockney à gogo, et plus loin, The Scene et «Inside Out (For Your Love)», Mod sound un peu dénudé, mais altier, chanté aussi en cokney. Et ce sont les chouchous d’Eddie qui referment la marche : Fast Eddie et «I Don’t Need No Doctor», pur jus de r’n’b et big energy. Quel blaster ! Eddie avait bien raison de s’extasier sur Gordon Tindale.

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             Comme Makin’ Time fait le buzz via la compile, Eddie sort leur premier album sur Countdown : Rhythm And Soul ! Tout un programme. Album chaudement recommandé à tous les amateurs de Mod craze. La force de Makin’ Time, ce sont les deux compositeurs : Fay Hallam et Martin Blunt, le bassman. Rien que sur l’A, ils alignent trois hits fabuleux. «Take What You Can Get» (Blunt) est un beau jerk moddish chanté par Mark McGounden, bombardé au bassmatic et orné de nappes d’orgue dignes de Question Mark. On danse le jerk au Palladium. Attention, ce n’est pas fini. Fay prend le micro pour «Feels Like It’s Love», elle y croit dur comme fer, c’est une battante, elle y va du menton et des hanches, c’est la reine des Mods, avec Billie Davis. Elle règne dans un monde où les garçons se coiffent soigneusement et se gavent d’amphètes, et où les filles sont discrètes et distantes. Mark McGounden signe le troisième hit de Makin’ Time, «Here Is My Number», un classique Mod bien produit, battu sec et plein d’ampleur. Hit de rêve avec un passage chanté à l’unisson, comme chez Motown. Fay et Mark dégoulinent de Soul-shaking. Lors une accalmie, Fay monte au créneau. Encore un hit signé Blunt, «Only Time Will Tell», battu sec dès l’intro. Fay s’y colle. Magnifique de Northern soûlerie, fabuleuse énergie ! L’ami Neil Clitheroe bat comme dix Thors. C’est lui qui emmène les cuts en enfer - hey hey will you change your life - c’est d’une netteté prodigieuse - So I’m sorry baby - Magnifique pétaudière de dance Soul. Les Makin’ Time sont un jukebox à huit pattes. On passe en B avec la bave aux lèvres pour écouter «I Gotta Move», excellence speedée et nappée d’orgue. Il faut attendre «I Know That You’re Thinking» pour renouer avec le soft rock à l’Anglaise bardé d’harmonies vocales et d’éclatantes relances. Fay allait devient avec cet album la chouchoute du Mod Revival. Merci Eddie !

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             Comme la première a bien marché, il pond une autre compile Countdown, cette fois avec des groupes australiens : Party At Hanging Rock. C’est nettement moins bon que la compile anglaise. On y trouve les Saints avec «Gypsy Woman». On se demande ce qu’ils foutent là. En plus, c’est la troisième mouture du groupe avec Harrigton et Janine Hall. On retrouve aussi Stupidity avec «Try Not To Let It Show», toujours aussi cuivré de frais. Mais les autres groupes laissent un peu à désirer. Certains ont même l’air empotés. Grooveyard sonne comme les Smiths. C’est aux Happy Hate Me Nots et «You’re An Angel» que revient l’honneur de sauver les meubles : bonne veine, très sec et net, très Moddish. En B, on retombe sur des Aussies qui sonnent comme les Smiths et franchement, c’est pas terrible. Les Painters And Dockers sonnent comme le 13th Floor avec leur «Basia», donc, on se demande ce qu’ils foutent là. The Reasons Why ne laisseront pas non plus de souvenirs impérissables, oh la la, pas du tout. Leur «Undecided» est bien intentionné, mais très pauvre. On est aux antipodes des Prisoners et de Makin’ Time, au propre comme au figuré. On comprend qu’Eddie se soit intéressé aux Huxton Creepers, car leur «Happy Days» est gratté aux accords de la rengaine. Ça sent bon le vécu. Party At Hanging Rock n’est donc qu’un document sociologique.

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             Puis il découvre The Prisoners - Of all the groups I’ve ever seen plau live, I can safely say The Prisoners were far and away the best - Et il ajoute : «They were the perfect band.» In From The Cold sort sur Countdown. Cap sur la Mods craze avec «All You Gotta Do Is Say», salement cuivré, joué à la teigne et arrondi aux angles par la bonté du chant. C’est le r’n’b according to Graham Day. Jamie Taylor te noie tout ça d’orgue. Wow, comme ces mecs avancent bien, et quel port altier ! This is the sound of British Mods. Même chose avec «Deceiving Eye» : l’ami Day y va au harsh, il bat tous les records de hargne. L’autre big Mod rock se niche en B et s’appelle «Find And Seek». Ils font tournicoter le London groove et produisent une belle excitation. On les voit aussi emprunter un riff aux Pretties pour «Be On Your Way». On se croirait dans «Midnight To Six, Man». So much confusion ! Régale-toi aussi du bassmatic d’Allan Crockford dans «The More That I Teach You», et dans «I Know How To Please You», tu vas trouver un léger parfum de Spencer Davis Group. Saluons aussi le morceau titre, bien convulsif, mais ce n’est pas un hit. Les Prisoners jouent tous les cuts au convulsif fondamental et ce pâtissier du diable qu’est Jamie Taylor nappe tout de B3. Mais les Prisoners sont furieux. Ils détestent la pochette, ils détestent leurs fringues, ils détestent tout. Pourtant, l’album fait un carton. C’est aussi le dernier album Countdown.

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             Eddie flashe aussi sur un groupe américain, The Untouchables, «with an exciting mixture of Soul and ska». Billy Zoom est le guitariste du groupe. Eddie réussit à les ramener sur Stiff. Leur deuxième album s’appelle Wild Child. Quelle surprise ! Billy Zoom n’est plus là, mais ils sont six et bien déterminés à vaincre. Ils proposent un dancing Mod-rock US sec et net. Ils attaquent leur morceau titre avec un son pète-sec et montent «I Spy For The FBI» au beat va-vite. La surprise vient du «Freak In The Streets», gorgé d’une grosse énergie de rap/funk. Ils passent ensuite au reggae beat avec «What’s Gone Wrong», ça reste bienvenu, même si ça putasse un peu avec l’UB40. Et boom, back to the fast Mod craze avec «Free Yourself». Ils privilégient le ventre à terre énergétique tapé au sec et net. En B, le festin se poursuit avec «Soul Together» monté sur un riff funky des Stones. «Mandigo» est plus ska, Skip, c’est pas un scoop. Ils terminent en beauté avec «Lovers Again», belle volubilité aux pleins pouvoirs, et «City Gent», plus rockalama, fougueux comme un poney apache, doté de la meilleure cohésion sociale. Arrêt/départ, arrêt/départ, avec un son plein comme un œuf de Pâques.

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             En 1986, Eddie s’intéresse au jazz et fouine dans la collection de disques de son père. Il flashe sur Jimmy Smith, Jimmy McGriff et Ramsey Lewis. Mais aussi Harold McNair dont Andrew Loog Oldham lui dit qu’il est «the hippest mod he’s ever met». En 1986, Eddie voit aussi la mod scene splitter, avec d’un côté les «psych and freakbeat mods, all Marriott hair, Austin Powers and paisley», qu’on appelle les swirlies, mais ce n’est pas la tasse de thé d’Eddie qui préfère rester dans le jazz. À 23 ans, il a déjà fait trois labels, managé 3 ou 4  groupes, possédé 20 scooters et il continue d’aller chez le même tailleur depuis l’âge de 16 ans. Il se demande s’il n’est pas trop vieux pour tout ça.

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             Il lance ensuite le James Taylor Quartet qui tape dans l’œil de John Peel. Alors Peely passe un coup de fil à Eddie : «Blow Up, James Taylor Quartet. I love it. I’m going to play it to death. Fabulous mix mix of punk sensibilities and jazz. I’d like to get the band in for a live session - When can you sort that out?». Eddie est scié ! C’est Peely qui lance donc le James Taylor Quartet. Dans la foulée, Eddie sort Mission Impossible sur son troisième label, Re-elect The President. Puis il monte Acid Jazz, un label qui devient une sorte d’institution du bon goût.

             «I finally undestood that mod was just a state of mind.» À la dernière page de son palpitant mémorandum, Eddie Quadrophenia se souvient de cette phrase de Jimmy Cooper : «I don’t wanna be like anyone else, that’s why I’m a mod, see?». And now I finally understood what he meant.

             Ce texte et l’hommage qu’il formule est dédié à Jean-Yves.

    Signé : Cazengler, tripe à la mode de Caen

    Eddie Piller. Clean Living Under Difficult Circumstances. A Life In Mod. Monoray 2023

    The Countdown Compilation. 54321 Go! Countdown 1985

    Countdownunder - Party At Hanging Rock. Countdown 1986

    The Beat Generation And The Angry Young Men(Deluxe Edition). Well Suspect Records 2016

    Makin’ Time. Rhythm And Soul. Countdown 1985

    Prisoners. In From The Cold. Countdown 1986

    The Untouchables. Wild Child. Stiff Records 1985

    Franc Roddam. Quadrophenia. DVD Universal Pictures 2006

     

     

    Lawrence d’Arabie

     - Part Four

     

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             Lorsque Felt disparaît, Lawrence d’Arabie monte un nouveau one-man band conceptuel : Denim.

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             Back In Denim paraît en 1992, avec un beau logo sur la pochette. Dès le morceau titre, Lawrence d’Arabie annonce la couleur : glam ! Eh oui, souvenez-vous, comme Nikki Sudden, il est venu au rock par le glam et T. Rex. Admirable pastiche, il explore les soutes du glam, il s’amuse sur un back-beat à la Gary Glitter. Même ambiance, gros beat porté par l’écho du temps. Quelque chose de tribal règne ici-bas, babe. Encore du glam avec «I’m Against The Eighties». Il croise son glam avec celui de Lou Reed et n’en finit plus de faire monter la pression harmonique des guitares. C’est l’apanage de l’artefact. Il va loin et rejoint l’esprit de fête. On se croirait à la radio. Cet album grouille de merveilles, comme ce balladif d’inspiration sous-cutanée qu’est «I Saw The Glitter On Your Face» : il joue ça au groove d’Americana. C’est l’une des grandes forces de Lawrence d’Arabie qui n’a pourtant jamais joué dans les Byrds et pourtant, il sonne comme Gene Clark. C’est à la fois dévastateur, inspiré, déchirant, avec des pointes dylanesques. Il tape ensuite dans l’ampleur du big sound pour «American Rock». Lawrence d’Arabie est le maître des réalités, il sait se montrer imparable, ce qui n’est pas donné à tout le monde. Il fait passer son cocotage comme une lettre à la poste. Il pousse le pastiche très loin, il secoue la bite du concept, il va droit au but, fait du Lou Reed à l’Anglaise et termine en apothéose. Tout aussi impressionnant, voilà «Living In The Streets». Il ramène des riffs historiques sur fond d’électro. Ça cocote sec, une fois de plus. Notre Denim boy nous fait un festival de heavy riffing. Rien d’aussi rock’n’roll que cette débauche d’excellence. Lawrence d’Arabie n’en finit plus de créer la sensation. Avec «Here Is My Song For Europe», il se rapproche de Jason Pierce, il part en mode de heavy romp d’électo. Il adore le son qui ne fait pas de cadeaux. On le voit aussi créer son monde à la force du poignet électronique dans «Fish And Chips» et revenir au pop-rock avec «Bubblehead». Derrière, des mecs font des chœurs idoines. Lawrence d’Arabie claque toutes ses syllabes de don’t be cruel et les chœurs vacillent, comme frappés par des flèches en plein cœur, alors ça devient passionnant.

             Mais Lawrence d’Arabie ne fait rien pour devenir célèbre. Il préfère rester en retrait - An illusion - Il se dit le contraire de Jarvis Cocker qu’on voyait partout.

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             Lawrence d’Arabie récidive avec Denim On Ice, quatre ans plus tard. Il faut avoir écouté «Shut Up Sidney» au moins une fois dans sa vie. Il tourne tout en dérision - Shut up Sidney/ That’s not rock’n’roll - Effarant, d’autant plus effarant qu’il le fait pour de vrai - Kim Wilde - You what - Spandau, oh got lost - Dans «The Great Pub Rock Revival», il évoque Roogalator et les Ducks Deluxe et revient à la très grande pop anglaise avec «It Fell Off The Back Of A Lorry». Il pianote et chante à la revoyure. Quelle classe ! Il revient aussi à son obsession pour Lou Reed avec «Brumburger», baby’s got a gun, c’est du rap Only Ony, mais son vice reste bien le glam, comme le montre «The Supermodels». Avec «Job Center», il tourne la lose en dérision et se fâche contre Le Corbusier dans «Council Houses» - Walter Gropius man/ I loved your style - So British. Il s’amuse aussi avec le dentier de son grand-père dans «Granddad’s False Teeth», émaillé de retours d’accords de brit-rock. Il n’en finit plus de tout tourner en dérision salutaire, mais avec du son. Puis il va pulser le bouchon de «Silly Rabbit» très loin, au yeah-yeah-yeah, de façon inexorable. Fantastique shoot de pop ! Et cet album superbe se termine avec un «Myriad Of Hoops» beaucoup plus intimiste. Lawrence d’Arabie creuse sa pop et vise la pureté, c’est soutenu au bass driver de croisière. Lawrence d’Arabie y croit dur comme fer et nous aussi.

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             Denim toujours avec Novelty Rock. L’album se veut très electro-rock, et Lawrence d’Arabie ouvre son bal avec «The New Potatoes», l’hymne des nouvelles patates. Comme on l’a vu, il adore faire joujou avec le glam et la petite pop. Il faut attendre «Ape Hangers» pour frémir un bon coup - You said stop/ I said go/ I’m always saying yes and you’re always saying no - Voilà un admirable hit de juke. Il fait sa petite pop envers et contre tout. On retrouve le pervers un brin moqueur qu’on aime bien dans «Tampax Advert» mais le vrai hit du disk se trouve en fin de course : «I Will Cry At Christmas» - I will cry/ A tear - C’est tout Lawrence d’Arabie, bien nappé d’orgue - Loneliness is a virtue - Le dandy refait enfin surface - I need some space I can breathe/ At least walk away with some pride - Fantastique désespérance.

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             Avec Go-Kart Mozart, Lawrence d’Arabie va plus sur le Day-Glo past et l’eerie synthetic future, pas loin d’un Clockwork Orange nightmarish mish mash. Il enregistre Instant Wigwam And Igloo Mixture en 1999, et là-dessus se niche un coup de génie arabique intitulé «Wendy James». Il fait son aw Wendy à la Bowie - I will have an electric guitar/ Wendy James - et il ajoute, à demi hystérique : «I won’t have no string quartet !» C’est un pastiche glam effarant, une fois de plus - You’re second to the very Joan Jett/ Aw Wendaï ! - Une bombe de glam moqueur, joué à la vie à la mort de la mortadelle. On a beaucoup de pop électro sur cet album déroutant. Il règle ses comptes avec «We’re Selfish And Lazy And Greedy» et le casque saute sous les coups de boutoir des infra-shits d’Arabie. On a là une moquerie électro d’enfant aux dents gâtées. Avec «Sailor Boy», Lawrence d’Arabie nous entraîne dans une salle de jeux électro et chante en cockney d’Amsterdam à la con. Il fait comme il lui plait et il nous sort le son du diable dans «Mrs Back To Front And The Bull Ring Thing». Mais il s’arrange toujours pour revenir avec une petite compo intéressante dans le genre de «Plead With The Man» - Yes I will plead with the man for some gear.

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             Pas mal de belles choses sur Tearing Up The Album Chart paru en 2005, à commencer par «Electric Rock & Roll», joli shoot de pop electro. Lawrence d’Arabie adore l’electro beat, comme Stereo Total - Oh oh yall gonna go downtown/ Tonite - Il shoote du bon vieux glam dans son electro-pop. S’ensuit l’un des coups de génie auquel il nous habitue, «Listening To Marmalade», matraqué au riffing absolu - All those records - Et il ajoute : «Pictures of rock stars stuck on the wall» - Aha ! Il gémit son hoquet et se moque des mecs qui vivent dans le souvenir de Marmalade. On le voit plus loin s’amuser avec tout le jargon rock dans «Fuzzy Duck» - Lucky custard/ Bacon fat/ Wooden o/ Incredible hog/ Heavy jelly/ Mogul trash - et il passe au fast glam avec «Transgressions», il nous sort un étrange brouet de drums compressés et de solos de machines. Il faut attendre «Donna & The Dopefiends» pour le voir faire son Lou Reed - Hey Donna/ I want to score - Il s’amuse comme un petit fou - The trees have no leaves in Alphabet City -  Retour au fast glam electro avec «England & Wales». C’est le fonds de commerce arabique. Quel shoot ! - Apples & pears/ You take the piss I don’t care - Embarquement pour Cythère garanti - When all else fails it’s England & Wales - Et comme on le constate à l’écoute de «City Centre», il fait ce qu’il veut de la pop. Il la chante au défilé de son imagination, mais avec quelque chose d’unique dans les jeux de langue. Même s’il tape dans l’electro beat, il reste le plus pointu des rockers britanniques. Il faut le voir sur la photo intérieure, en slibard, assis sur les gogues, avec écrit au feutre sur le ventre : «Go Kart Mozart Classic Upstarts».

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             Lawrence d’Arabie nous prévient : Go-Kart Mozart are a novelty rock band. C’est donc avec circonspection qu’on aborde On The Hot Dog Streets paru en 2012. Sa petite pop électro commence par dérouter, mais un peu plus loin, sur le deuxième disque, il vire glam et quel glam, Glen ! Ça commence avec «Synth Wizard», une petite pop électro finement glammy - I believe in new day/ New day comes when old day’s gone - Dans sa façon d’écrire transparaît une morgue fascinante et c’est là qu’on commence à le prendre très au sérieux. Dans «Talk With Robot Voice», il dit ne plus vouloir que les femmes lui fassent de mal, mais il avoue être encore sensible to vagina allure. Lawrence d’Arabie épate et déconcerte. On se sent hooké. Avec «Spunky Axe», il part en virée glam - Sally & Jake shake your spunky axe hoo hoo - et on entend des chœurs de filles nubiles sur le tard du cut. Ça miaule et ça woof-wooffe. C’est un chef d’œuvre de dérision. Il revient à ses obsession sexuelles dans «Electrosex» - Mae West/ Blonde hair/ Big chests/ Mae West/ Loves sex - tout ça sur canapé de glam de bon aloi. On le sait, glam et sex ont toujours fait bon ménage. Puis cet enfoiré de Lawrence d’Arabie nous fait les Dolls avec «Queen Of The Scene». Mais il anglicise les Dolls, c’est une fois de plus terrible et bien écrit, comme tout le reste de l’album - Pink baked bean/ New York scene/ TV screen/ Ah oooh/ But you’re so mean - Quel admirable pastiche ! Il termine sa D avec un «Men Look At Women» délicieusement décadent, au sens de Kevin Ayers et de Lou Reed, mais avec quelque chose de dandy en plus. Du coup, on se replonge dans l’A et la B avec plus de sérieux. Si on passe le cap d’une réticence aux machines, la petite pop électro de «Lawrence Talkes Over» passe plutôt bien. On sent de vagues réminiscences d’«Obladi Oblada» et de Jimmy Page - Mr A&R Man/ He don’t understand - tout ça sur le beat du Walrus des Beatles - We’re a novelty band/ We’re taking over - Lawrence d’Arabie crée son monde, un joli monde pop gorgé d’ironie et d’influences. Son «Retro Glancing» sonne comme un vieux hit pop et sa musique des mots fascine - Poxy this and poxy that/ Poxy tit and poxy tat/ You and me - et il déclare dans le texte d’accompagnement : «I want to capture the illeteracy of rock’n’roll with its emotions and insights, combine these elements with literacy and assess the impact firsthand.» En gros il veut transformer l’illettrisme du rock et restituer ses émotions et son impact à sa façon, plus cultivée. Son «Come On You Lot» d’ouverture de B accroche terriblement. Quel popster ! Il jette tout son anglicisme dans sa pop, un art si difficile. Et pour rester en cohérence avec lui-même, il s’en prend dans le texte aux filles vulgaires. Son «Blown In A Secular Breeze» est un retour à la Beatlemania. Il finit son cut en sifflant, gonflé d’espoir. Son bubblegum tient si bien la route. Il bricole ses belles satires sur l’air enjoué d’Obladi. Avec «White Stilettos In The Sand», il passe au cokney - They’re after sex that’s hard to find/ In boring old England - Il dote sa pop électro d’une classe insolente. Tout est bon chez ce magistral popster lettré.

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             Paru en 2018, Mozart’s Mini-Mart grouille littéralement de coups de génie, n’ayons pas peur de monter sur des grands chevaux. Au moins quatre. Il se moque de la pauvreté dès «Relative Poverty» - Awopbopalula a tenner a day - C’est vrai que ça peut faire marrer de vivre avec un euro par jouer - He’s living in a relative poverty/ Godness gracious/ A tenner ! - Quand ça vient d’un mec comme Lawrence d’Arabie, c’est imparable. Il fait son T. Rex dans «A Black Hood On His Head» et joue ça au vrai relentless britannique. Il retrouve le secret du monster beat. Et voilà qu’il fait chanter le coq dans «A New World», c’est dire l’humour de l’electro pop king. Il en fait même un hymne et met des chœurs en route - And I can feel the new tomorrow comin’ on - C’est exceptionnel. Il reprend la main - And she would feel the new morning comin’ on - et bien sûr, des chœurs de gospel batch entrent dans la danse. Encore un hit pop avec «Cronium-Plated We’re So Elated», c’est même du stomp electro, du glam des enfers. Difficile de résister à un tel charme. Il se moque aussi de la dépression avec «When You’re Depressed», il nous claque ça au riff anglais - I won’t have sex - On le voit revenir à la très grande pop avec «Big Ship» - Love is a big ship following me - Lawrence d’Arabie reste le surdoué que l’on sait. Même s’il traîne avec des machines, il sait ce qu’il fait. Il revient aussi à la dope avec «I’m Dope» et fait tout rimer avec dope : cop, joke, misanthrope, hope, rope - Coz I’m dope/ I don’t hold out hope - Il fait même un hit de dance-floor : «Knickers On The Line By 3 Chord Fraud». L’Arabie regorge de ressources inexplorées. On le sait depuis l’époque de Lawrence d’Arabie, le vrai.   

    Signé : Cazengler, le rance d’Arabie

    Denim. Back In Denim. Boy’s Own Recordings 1992

    Denim. Denim On Ice. Echo 1996

    Denim. Novelty Rock. EMI 100 1997

    Go-Kart Mozart. Instant Wigwam And Igloo Mixture. West Midland Records 1999

    Go-Kart Mozart. Tearing Up The Album Chart. West Midland Records 2005

    Go-Kart Mozart. On The Hot Dog Streets. West Midland Records 2012

    Go-Kart Mozart. Mozart’s Mini-Mart. West Midland Records 2018

     

     

    L’avenir du rock

     - Heavy load

             S’il est une chose que l’avenir du rock apprécie par-dessus tout, c’est le poids. Le poids des mots, le poids des idées, le poids du poids, le poids du sens. Il ne jure que par le lourd de sens. Dès qu’il voit qu’un être ou qu’une œuvre manque de poids, il fait demi-tour. Il n’a que mépris pour la surface des choses, qu’on appelle aussi la superficialité, le jeu des apparences et cette profonde bêtise dans laquelle se complaisent hélas trop de gens. Ses oreilles font le tri des conversations et ses yeux le tri des images. Il est ravi lorsqu’un tri auditif concorde avec un tri visuel, il sait qu’il aura accès au poids. Cette quête du poids présente des avantages mais aussi des inconvénients. Elle flirte avec l’addiction. D’autres appelleraient ça de l’élitisme. L’avenir du rock voit plus cette quête comme une condition de survie. Il ne supporte plus d’entendre les gens parler des reportages qu’ils ont vu à la télé, ou de se vanter d’être devenus comme des millions d’imbéciles des épidémiologistes à la petite semaine. L’avenir du rock ne veut pas finir comme ça, rongé de l’intérieur par le poison des medias. En même temps, il comprend que les gens puissent s’estimer trop faibles pour se lancer dans une quête de poids. Certains le font pourtant, mais ils grossissent. Ils confondent poids et poids. La notion de poids est pourtant simple. L’histoire du rock offre quelques beaux exemples : Jimbo, Elvis, Wolf, Jeffrey Lee Pierce. Les mêmes imbéciles pourraient aussi reprocher à ces superstars d’avoir pris du poids, mais dans ces cas-là, le poids fait partie du poids, c’est pourtant simple à comprendre, non ? Et pour faire bonne mesure, on peut ajouter à cette liste les noms de Frank Black, David Thomas, Fats Domino et Leslie West, des gros qui font partie des plus grands artistes du XXe siècle : beaucoup d’albums, aucun déchet. L’avenir du rock raffole de ce poids-ci, de ce poids chiche, de cette fabuleuse masse volumique qu’exacerbe l’idée même de la densité artistique. Il en est des choses du rock comme des choses de la vie : lesté de poids, l’être est l’être. Heavy, comme envie ou encore en vie. Envie d’Eve Future bien sûr. 

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             Pas étonnant qu’un groupe anglais se faisant appeler The Heavy reçoive l’aval de l’avenir du rock. The Heavy dispose en outre d’un privilège extraordinaire : le chanteur est un black, et quel black ! Kelvin Swaby est une petite fournaise à deux pattes.

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    L’idéal serait de commencer l’exploration de ce poids lourd par The House That Dirt Built paru en 2009. Car il s’y niche une pépite nommée «How You Like Now». Kelvin Swaby l’attaque à la James Brown, au there was a time, au stormer de shaky shaker, ce mec ramène tout le Black Power dans un Heavy lourd de conséquences. Encore un big shoot d’excelsior avec «Oh No! Not You Again». Kelvin Swaby screame comme un démon. Les cuts suivants sont hélas moins intenses. «No Time» se veut plus ambitieux, presque blanc, bien chargé de son, ça rue dans les brancards, ça vire heavy Soul de pop généreusement cuivrée. Ces mecs ont un bon concept, ils flirtent parfois avec Led Zep ou le blue beat. C’est un mélange très curieux. Ils opèrent un grand retour à la Heavyness avec «What You Want Me To Do». Ils ne s’appellent pas The Heavy pour rien. Ils vont piétiner les plates-bandes des blancs, dommage qu’ils ne restent pas au niveau d’«How You Like Now».

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             Leur premier album s’intitulait Great Vengeance And Furious Fire et bénéficiait d’une pochette typographique. C’est souvent ce qu’on fait quand on manque d’idées. En 2007,  Kelvin Swaby et ses amis se prévalaient déjà de la clameur d’un son entreprenant, d’une bonne bedaine d’aubaines, qu’ils chargeaient d’infra-basses et qu’ils couronnaient d’un chant d’incendie urbain.  On voyait tout de suite qu’ils regorgeaient de ressources inexploitées et avec «Set Me free», ils se montraient tout simplement jawdropping - Why don’t you wanna set me free - Ils doublaient leur heavy beat de gros coups d’acou et Kelvin Swaby n’en finissait plus de poser sa question. Puis ils attaquaient «You Don’t Know» au gras double de British Blues, mais ça tournait vite au heavy doom fantasmatique - Maybe you won’t satisfy me - Ils faisaient du Led Zep encore plus puissant que Led Zep, surtout Kelvin Swaby qui faisait bien son Plant. Il semblaient assis on top of the world. Tout l’album était énorme. Ils tapaient «In The Morning» au heavy rock anglais et ça prenait de sacrées proportions. Avec «Dignity», ils sonnaient comme le Spencer Davis Group - And I don’t care who knows it - On avait là du «Gimme Some Loving» on fire - You always fuck with my dignity !

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             The Glorious Dead ? C’est le ciel qui te tombe sur la tête ! T’y crois pas ? Alors écoute «Just My Luck». Kelvin Swaby attaque ça au just my luck, il nous fait une crise d’early wild Led Zep de Communication Breakdown, un truc de dingoïde indomptable, ils emmènent ça au paradis de l’early Zep et là tu entends l’avenir. C’est dire s’ils sont balèzes. Si on en pince pour la densité, alors il faut se taper le «Can’t Play Dead» d’ouverture de bal. Une fois de plus, Kelvin Swaby te tombe dessus, c’est une brute, une énorme brute black et ses amis claquent bien la paillasse du rock. Le son tombe d’en haut, comme les chutes du Niagara, la violence du choc te déplace la cervelle. Encore du punch à la Cassius Clay avec «What Makes A Good Man». Ils saturent le spectre du son, c’est mastérisé à outrance, le casque saute dans tous les coins. Pour te mettre les oreilles en chou-fleur, c’est le cut idéal. Et puis voilà «Be Mine» qui sonne comme un hit interplanétaire - Take all my tears - Ce mec fait montre d’une présence inexorable - Take all my money/ Take all my time - Il lui donne tout, son temps, ses larmes, son blé et sa bite. Kelvin Swaby et ses amis créent leur univers de toutes pièces. Le gros stomp de «Same Ol’» est cousu de fil blanc mais ça n’est pas grave, le principal c’est que ce blackos chante tout le chien de sa chienne de vie, il épouse à merveille le désir de ses copains blancs qui veulent stomper le sol d’Angleterre. Ils terminent cet album superbe avec «Blood Dirt Love Stop», un vieux décombre d’Heavy Soul, fin de soirée chez les Heavy, c’est l’heure de Kelvin Swaby, il adore se glisser dans un satin jaune imaginaire. Il en a les moyens physiques et artistiques, sa glotte est montée comme celle d’un âne alors il peut déployer tout son génie de petit Soul Brother transplanté dans la vieille Angleterre.  

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             Paru en 2016, Hurt & Mercyless est encore l’album de toutes les énormités. Boom dès «Since You Been Gone», ce big Soul crunch de bad downhome rock, c’est joué au heavy Heavy, au deep down beat, le meilleur d’Angleterre, et Kelvin Swaby n’en finit plus de courir sur l’haricot de la Soul. Laisse tomber Primal Scream, c’est The Heavy qu’il te faut. Ces mecs bouffent littéralement la motte du rock. S’ensuit un «What Happened To The Love» brûlé dans les grandes longueurs, ça court au long d’un fucking drive, Kelvin Swaby chante comme James Brown, il met le feu aux plaines. Avec «The Apology», ils font du raw r’n’b explosif, Kelvin Swaby est un démon, il taille sa route dans le son, il chante avec l’énergie de James Brown, il écrase son champignon, ces gens-là évoluent bien au-delà du Brit tock. Ça repart de plus belle plus loin avec «Last Confession» qui sonne comme le «Lust for Life» d’Iggy. Même assise rythmique. Ils y vont de bon cœur. C’est tout ce qu’on leur demande - This is my last confession - Kelvin Swaby a l’air catégorique. Ils nous font même le coup du final explosif. Ils attaquent «Mean Ol’ Man» au Stax d’Heavy. C’est bien vu, en plein dans l’angle, chœurs et beat de rêve. Kelvin Swaby est toujours prêt à incendier le killing floor, comme le montre encore «Slave To Your Love». Il est infernal. Encore pire que le MC5 et Mitch Ryder. Ces mecs carburent au slave to your love, c’est en place. C’est tout de même incroyable qu’un groupe puisse sortir ce son en Angleterre !   

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             Paru en 2019, Sons reste pour l’heure leur meilleur album. C’est une véritable poudrière, boom encore dès «Heavy For You», tapé dans une heavyness inimaginable, ils ont même l’air complètement dépassés, Heavy for ya ! C’est beaucoup trop heavy, on ne sait plus si on entend du big Heavy ou du heavy Heavy. Trop c’est trop. Kelvin Swaby casse la baraque avec «The Thief», il s’adresse aux poulets, il a du son, trop de son. Le gros avantage qu’ils ont sur Primal Scream, c’est qu’ils disposent d’un vrai shouter. Ça change tout. Ils passent au groove de funk avec «Better As One». Kelvin Swaby y va franco de port, c’est heavy on the beat, il fait son James Brown. On les voit ensuite partir en cavalcade infernale avec «Fire» et ça se termine bien sûr en final apocalyptique. Kelvin Swaby est au-devant de tout, surtout de «Fight For The Same Thing». Il fait de la wild Soul, il allume ses cuts en permanence. Tu ne peux pas battre The Heavy à la course. Avec «Put The Hurt On Me», Kelvin Swaby plie the Heavy aux lois du heavy funk. Puis il s’en va driver le funk de «Simple Things», là tu as le vrai black brother. Ces mecs ont du génie, qu’on se le dise ! Ils sont capables d’allumer autant que le MC5 («A Whole Lot Of Love»). Ils fondent leur heavy drive dans le Soul System avec un brio digne des grandes heures du MC5.

    Signé : Cazengler, the Heavynasse

    The Heavy. Great Vengeance And Furious Fire. Counter Records 2007 

    The Heavy. The House That Dirt Built. Counter Records 2009

    The Heavy. The Glorious Dead. Counter Records 2012  

    The Heavy. Hurt & Mercyless. Counter Records 2016  

    The Heavy. Sons. BMG 2019

     

     

    Inside the goldmine

     - Weaver report

             Il avait passé toute sa vie à tirer la langue, mais sa pauvreté faisait l’objet de sa fierté. Francisco se targuait d’être l’un des plus anciens RMIstes locaux. Un jour qu’on dégustait des huîtres sur une terrasse ensoleillée, il s’élança dans une périlleuse apologie de la pauvreté. Les verres de blanc aidant, il s’enflamma. Il essayait de me convaincre des bienfaits de la pauvreté et il posa au sommet du gâtö de son raisonnement la cerise que voici : la pauvreté, c’est la liberté ! Avec l’arrivée de la troisième bouteille de Sancerre, l’idée parut incontestable, portée par un lyrisme hugolien qu’on ne lui soupçonnait pas. Il compara nos deux situations : comment pouvait-on accepter de bosser pour un patron, de payer des impôts, de payer un loyer, à ses yeux tout cela était inacceptable, il me traita gentiment d’esclave et m’assura de sa compassion. Et il repartit de plus belle, arguant que la vie était trop précieuse pour qu’on pût la gaspiller, il affirma qu’il valait mieux être libre que d’être riche, son enthousiasme ne connaissait plus de limites. Un capitaine de flibuste ne serait jamais allé aussi loin dans l’apologie de la liberté. Puis la conversation bascula sans qu’on sût pourquoi sur le rock’n’roll, celui des pionniers, dont il était friand. Au temps de son adolescence, il appartenait à un gang de rockies qui circulait à bord d’une DS pour aller voir chanter Gene Vincent, Jerry Lee, Vince Taylor et tous ceux qu’on pouvait choper en France.

             — Francisco, sais-tu que Jerry Lee, Chuck Berry et Little Richard viennent jouer au Zénith le mois prochain ?

             — Non, chavais pas. Aussi bien, c’est réglé, j’ai pas un flèche.

             — Mais il n’est pas question que tu payes. T’es invité !

             — C’est ça, appelle-moi con... Invité par qui d’abord ?

             — Ben par Jerry Lee !

             — Tu déconnes !

             — Non, tiens, voilà ton billet. Tu vois, au dos, il a mis un petit mot pour toi...

             Francisco m’arracha le billet des mains et lut à voix haute la petite phrase :

             — Putain l’enfoiré qu’est-ce qu’il écrit mal... For... my... ch...

             — Chap... For my chap !

             — Ah oui, c’est ça, for my chap Frenchisco...

             Et là, bouleversé, il se mit à chialer.

     

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             Pendant que le morve de Francis coule sur le cadeau de Jerry Lee, Martin Weaver bâtit sa légende. Ils n’ont en commun que la pauvreté, enfin, c’est l’idée qu’on se fait de Martin Weaver, même si on n’en sait rien. Mais quand on est underground à ce point-là, on ne doit pas être bien riche. Alors pour les besoins de la goldmine, faisons de Martin Weaver un homme très pauvre, ce qui permet de l’apparenter à notre vieux RMIste. 

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             Par contre, on est bien certain d’une chose : Martin Weaver n’est pas un amateur. En 1968, il opte pour la formule power trio et démarre un projet nommé Wicked Lady. Le groupe splitte en 1972. Leur premier album paraît en 1993 et s’appelle The Axeman Cometh et on voit tout de suite, avec «Run The Night» qu’ils sont bien décidés à en découdre. Grosse énergie, avec un côté pète-sec. Martin Weaver est le prototype du soliste décidé à enfoncer son clou. Son côté «je-fonce-tout-droit/advienne-que-pourra» l’honore. On voit aussi avec «War Cloud» qu’il sait monter des œufs en neige. On trouve le morceau titre en B. Il est un peu long et déborde du cadre, mais c’est bien, Weaver est un chic type. Comme les cuts sont longs, le rééditeur spanish Guerssen a prévu un double album. Ils attaquent la C avec «Wicked Lady». Ces mecs se posent sur un riff et partent en mode hypno. Simple et efficace. Alors Weaver peut partir à l’aventure. On entend de belles échappées belles dans «Out Of The Dark». Weaver n’a aucun scrupule, il s’en va wahter dans le cosmos, il est passionnant et on n’en perd pas une miette. Il peut se montrer très cosmique, très interrogateur, il questionne sans fin les insondables mystères de l’espace. Même si parfois ses thèmes ne payent pas de mine, Weaver s’arrange toujours pour allumer ses lampions à coups de wild frantic drive de distro, comme le montre «Living On The Edge». Cette façon qu’il a de revenir dans le thème fait de lui un immense axeman, il joue à l’incendiaire préméditée, il inflige de sérieux revers aux tempérances, il est une sorte de délice approprié, il oblige les gongs à plier, il délatte les jambages, il taille à la volée, il enjoint le mitan à gagner les bords, il est l’envoyé des dieux fumants d’un Olympe sonique.

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             Leur deuxième album s’appelle Psychotic Overkill. Joli titre et ouverture de balda avec le mythique «I’m A Freak» - I’m a freak baby - cisaillé dans les tibias, fabuleuse présence de freak baby - On a losing streak/ And I’m coming after you - Aw yesssss, Martin Weaver sait de quoi il parle. Ce power trio est imbattable. C’est d’ailleurs cet I’m a freak baby qui donne son titre à une merveilleuse collection de coffrets heavy-rock chez Grapefruit. La surprise de ce double album est l’impeccable cover de «Voodoo Chile». On peut même parler d’une belle cover d’uncoverable, Weaver est dessus, il épouse Jimi comme le serpent épouse Eve, dans ses contractions octoïdales, Weaver est fabuleusement fidèle au spirit du Voodoo. Autre grosse surprise avec «Passion», en ouverture de B, joué à la heavyness. Ils s’installent dans le confort de leur fournaise, alors Weaver peut raconter son histoire - Everybody needs a hand - Oui, c’est ça. Il a raison, en plus. Leur «Tell The Truth» est encore bien traîné dans la boue. Ils s’amusent bien tous les trois, ils remettent leur petit train en marche, le gratté de cocotte de Weaver sonne bien caverneux, ça sent l’incisive pourrie de l’intérieur. Encore de la belle cocotte creuse en C avec «Why Don’t You Let Me Try». Quel son ! Ils sont dans leur monde, il ne faut pas les embêter avec nos commentaires à la petite mormoille. Ça monte sur la cocotte de Weaver, ça devient vite insidieux - I should do a lot of things baby/ Why don’t you let me try - Ils redeviennent plus classiques avec «Sin City» et des couplets de British Blues montés sur la cocotte salée du vaillant Weaver. Il est toujours à la manœuvre, il cocotte sec et part en virée, ses solos restent extrêmement élégants. Ils bouclent en D avec «Ship Of Ghosts». Ils savent lancer une machine. Cut classique mais inspiré. Ils multiplient les zones musculeuses et ça se développe en permanence. Ces mecs se situent au-delà de tout soupçon, avec cette belle basse d’attaque frontale de pompompom-poutoutou-poum. On leur tire un beau coup de châpö. 

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             Pas de surprise avec On The Treshold Of Reality, l’album des Mind Doctors qui, selon des sources obscures, aurait été enregistré en 1976 et publié pour la première fois en 2002. C’est un album de pur drugbuddy freak-out. Weaver donne du temps au temps, comme le veut la loi du psyché. Chaque cut est l’illustration sonore d’un voyage intérieur, ou d’un acid trip, ce qui revient au même. Tout s’en va rejoindre la voie lactée. Weaver reste un musicien expérimental. Il faut laisser le temps aux roses d’éclore, tel est son message. Le cut qu’on retiendra s’appelle «Praeludian 3 (Bach)», amené par un très beau thème de guitare. On se croirait chez Peter Green. Les notes s’accrochent dans les plis du groove. Tous les cuts de l’album sont des intros, pas de chant. À toi de jouer avec ton oreille. Tu y vas ou tu n’y vas pas. Les cuts s’enfilent en enfilade et s’en vont se perdre dans l’écho-dream. Quatre ou cinq cuts s’enchaînent, c’est sûrement voulu par Weaver. Inutile de vouloir savoir le pourquoi du comment, Weaver milite par une diaspora psychédélique où tous les cuts et tous les sons iraient se fondre dans une même voie lactée. Libre à toi de t’en contenter ou pas.

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             Grand retour de Martin Weaver dans les années 20 avec Doctors Of Space. La médecine de l’espace vaut bien celle de l’esprit. Il applique son premier traitement avec First Treatment. Pas la peine d’attacher ta ceinture, «Journey To Enceladus» est un acid trip configuré. On note une belle évolution des tendances hallucinantes, avec une guitare qui se fond dans les spoutniks. Pure énergie cosmique. Tu as là tout le mieux du pire. Les vagues sont belles et même parfois inespérées. Martin Weaver propose une suite à Syd Barrett, enfin, sa vision de la suite. Mais qui va écouter ça aujourd’hui, à part les stroumfphs habituels, les explorateurs d’espaces underground ? Cette culture s’englue dans son passé trippeur, mais c’est ce qui fait sa force. Au moins elle est à l’abri des méfaits de la pseudo-modernité. Ces gens-là taillent leur route dans l’undergound, à l’abri les regards torves et avec du son. Martin Weaver revient aux affaires. Il nous embarque pour 21 minutes avec «Into The Oort Cloud», tu entends bien les machines de l’espace. C’est toi qui décides, tu y vas ou tu n’y vas pas. Tu peux te fier à Weaver, il ne déçoit jamais. Son Oort Cloud est plein d’aventures, monté sur un gros beat de percus, alors ça devient un jeu d’enfant, bien dirigé, tu suis car c’est bon, Weaver sait créer la magie hypnotique, si tu veux de l’hypno à gogo, c’est là, il chevauche son drive d’hypno comme s’il montait un cheval blanc. On se souviendra de cette cavalcade. Encore une merveille avec «Ceres Rising». Scott Heller fait le programming des spoutniks hallucinés, c’est de l’Atmospheric & rac, du beautiful Ceres construit sur le répétitif d’une séquence organique. Fantastique dégelée royale de Mad Psychedelia ! Et on assiste médusé au retour du thème. Du coup, on y retourne. Les Doctors Of Space ont du génie. 

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             Le Dr Weaver continue de prodiguer sa médecine de l’espace avec The Covid Sessions. En fait, les Doctors Of Space ne sont que deux : Dr Weaver, guitare, et Dr Space aux synthés. On trouve de vieux remugles de Wicked Lady dans «Hold My Beer». Dr Weaver is on the move. Il joue dans le groove comme il l’a toujours fait. Il donne du temps au temps des cuts, jamais moins de six minutes. Dans «From The Depths Of The Universe», on assiste à un joli développement. Il faut être sous acide pour profiter pleinement de cette aubaine. Le Dr Weaver explore l’univers. Il s’en donne à cœur joie, ça joue vraiment dans l’espace. Bass, guitar, cover painting, tout est signé Dr Weaver. Comme son nom l’indique, «Afro Ghost Ritual» est une belle démonstration de beurre tribal. Mais tu n’apprendras rien de plus que ce que tu sais déjà de la condition humaine. Ainsi va la vie. Il amène «Frankie Coca» au groove de basse. Il se balade dans le son comme dans l’espace, léger comme une plume, il adore flotter. C’est comme s’il nous disait : regardez comme je flotte bien. Il est doué pour la flottaison, comme le montre encore «Untouchable Trademark». C’est son vieux dada. Il adore dérouler sa psychedelia, elle est bonne et longue comme une nuit de Chine, il est le roi des drones et se moque ouvertement du succès commercial. On voit les falaises de marbre s’écrouler à l’orée de «Drowned In Drone», elles s’écroulent bien sûr dans le lagon d’argent, le Dr Weaver te concocte l’un de ces Big Atmospherix dont il a le secret, c’est très présent et en même temps dispersé dans le cosmos. Il ravage l’inconscient collectif à la wah définitive, c’est bien vu, bien cuit, bien entendu, les coups de wah débouchent invaincus dans l’univers, là tu as le vrai son de l’underground, ce magnifique mix de wah et de spoutniks. Le Dr Weaver n’en finit plus d’arroser sa fin de cut de wah divine.     

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             Les ceusses qui se paieront le voyage  de The Astral Sessions Vol 2 - The Spacious Void Of Mind se régaleront de «Bursting Bonso», un cut organique qui se développe en direct sous nos yeux, à partir d’un thème de synthé et des volutes du Dr Weaver. Ils passent vite en mode hypno et ça devient terrific. Formule gagnante, combinaison explosive, et la guitare s’envole par-dessus le groove hypno du thème aztèque, ils génèrent des petites plages de calme pour repartir de plus belle et ça tourne à la folie pure, l’hypno du thème aztèque remonte à la surface comme une menace et ça te donne au final l’un des meilleurs shoots d’hypno de tous les temps. Le Dr Waever monte ça en neige du Kilimandjaro. Les vagues sont claires et nettes : elles sont là pour vaincre. Et puis après les tempêtes, ça revient toujours sur le thème aztèque, ils ne sont jamais paumés, ils peuvent tenir 13 minutes sans problème. Le beat est parfois à côté du tempo, mais c’est sûrement voulu. Ces deux vieilles barbes combinent l’incombinable : les riffs psychédéliques et les spoutniks, un peu comme au temps d’Hawkwind. Mais pour la mad psychedelia, on peut faire confiance au Dr Weaver, il en est l’un des maîtres. Dès «Vortex Jam», on entre dans des remous de glouglou et on s’en accommode fort bien. Ce sont les motifs synthétiques du Dr Space qui nous ramènent chaque fois dans l’actualité. Ses spoutniks sont obsessionnels, alors que le Dr Weaver voyage dans le son comme un gros vampire affamé de ténèbres. «The Way Clear» est un jus de jam informelle, perdu dans le délire d’une vision, mais c’est assez monumental. Ces deux vieilles barbes taillent des falaises dans le marbre. Le son se déplace comme de gros nuages dans le ciel de l’Olympe. Tu sais que tu voyages. C’est le plus important. C’est encore le Dr Space qui amène «The Quiet man» au sequencing, alors c’est tout de suite hypno, les pieds dans le tapis, tout est très bien calculé, fabuleusement imaginé, all over a certain space, le beat organique du Dr Space bat comme un cœur, un gros cœur de bœuf, on croit entendre des personnage du Satyricon de Fellini dans ce délire.

    Singé : Cazengler, Weaver de terre

    Wicked Lady. The Axeman Cometh. Guerssen 2012

    Wicked Lady. Psychotic Overkill. Guerssen 2012

    Mind Doctors. On The Treshold Of Reality. Kissing Spell 

    Doctors Of Space. First Treatment. Space Rock Productions 2020  

    Doctors Of Space. The Covid Sessions. Doctors Of Space 2021    

    Doctors Of Space. The Astral Sessions Vol 2. The Spacious Void Of Mind. Doctors Of Space 2022

     

    *

    What is it, ce couple préhistorique marchant main dans la main, tiens les rôles sexuels sont déjà partagés, l’homme tient d’une main une massue de chasseur et de l’autre sa compagne future reproductrice se contente d’être belle, je ne voudrais pas que l’on m’accuse d’indélicatesse, mais elle ne possède pas… disons une poitrine opulente, d’ailleurs ne serait-ce pas un jeune garçon. J’avoue que question homosexualité préhistoriale je n’y connais pas grand-chose. Regardons la chose de plus près. Remarquons que le titre du CD est d’origine grecque, Philia, que vous pouvez traduire par ‘’amitié’’. Toujours un peu ambigüe l’amitié chez les grecs, à part que les grecs antiques portaient la chlamyde et n’étaient pas vêtus de fourrures d’animaux sauvages. Sauf Héraclès qui promenait fièrement sur son dos la peau du lion de Némée sur son dos.

        ,euchridian, grave speaker, situs magus, nicolas unghemut,

    Vous ouvrez la pochette et les notes vous aident à comprendre : reproduction d’une gouache de James Tissot (1836 – 1902 ) intitulée : Caïn menant son frère Abel à la mort… Très intéressant, les fans de metal se revendiquent plus facilement de la descendance forgeronne de Tubal Caïn que de la race bêlante d’Abel, notre devoir de kroch-niqueurs nous enjoint de nous pencher sérieusement sur le problème.

    PHILIA

    EUCHRIDIAN

    ( Tattermalion Records / Septembre 2023 )

    Aucune information particulière sur ce groupe si ce n’est qu’ils viennent d’Ecosse.

    Matt Davies : vocals, lyrics, riffs, arrangements / Guillaume Martin : guitar, bass. / Mika Kallio : drums.

    Donc la couve, nous ne nous y attarderons que pour remarquer que James Tissot fut élève du lycée de Vannes en même temps que Villiers de l’Isle Adam et ami de Whistler et de Manet tous trois très proches de Mallarmé. Il fut un peintre connu qui sut rester dans les canons de la modernité sans tomber dans des outrances. Le lecteur pourra comparer Le déjeuner sur l’herbe (1863) de Manet avec sa Partie Carrée ( 1870 ), titre des plus borderlines, et comprendre ainsi pourquoi il refusa d’exposer avec les impressionnistes. Suite à une crise religieuse, à partir de 1888, il se consacra exclusivement à des sujets bibliques. Ce n’est pas un hasard si ce portrait d’Abel et Caïn est assez équivoque. Ses portraits de jeunes dames excessivement huppées et vêtues n’attendent que l’œil oblique du spectateur qui les déshabillera. Est-ce significatif si le premier titre de l’EP se nomme ‘’douceur’’ pour évoquer le clair côté de la force.

        ,euchridian, grave speaker, situs magus, nicolas unghemut,

    Pour le versant obscur de ladite force du désir, le dos du CD présente une gravure de Frederic Leighton (1830 - 1896), intitulée Caïn et Abel, le regard est attiré par Caïn cachant sa face contre un rocher, ployant sous le poids du remord, à moins que ce ne soit celui du regret quand l’on porte les yeux sur le corps nu d’Abel comme une amante prête à s’offrir. Leighton est classé parmi les préraphaélites, génération qui rendit l’ambiguïté d’autant plus explicite qu’elle était d’autant plus ambigüe… C’est aussi un tableau de Leighton que Telesterion a choisi pour illustrer la pochette de son dernier CD chroniqué dans notre livraison 617 de la semaine dernière.

    Sweetness : un riff que vous me permettrez de qualifier de marécageux sur lequel la batterie s’en vient faire de grands splashes, en eaux troubles, le rythme est lent et la voix gutturale, imaginez vos gargouillis alors que vous injuriez et maudissez l’ennemi en train de vous étrangler, atrocement beau, la beauté de l’horreur indicible, les lyrics sont à la hauteur, non il n’y a ni colère, ni rages exprimées, aucune brutalité, la guitare chante au loin, car c’est bien un chant point d’amour mais de désir, la mère a perdu un de ses deux fils, mais il ne s’agit pas d’Eve mais d’Ashera cette ancienne déesse, qui fut la prime déesse, celle dont on ne sut quoi faire lorsque les tribus guerrières et conquérantes voulurent un dieu mâle à leur ressemblance, Yahweh puisque vous voulez connaître son nom, alors on donna Ashera comme épouse à Yahweh… Caïn n’a pas été jaloux d’Abel, il le désira autant que Yahweh désirait Ashera, toutefois l’exemple de Yawheh indiquait l’individu femelle comme réceptacle du désir mâle, pourtant le charme charnel d’Abel si gracile… Cette version de la légende caïnique n’est ni très rabbinique ni très catholique je l’admets, elle s’est perpétuée toutefois jusqu’à aujourd’hui par divers canaux ( par exemple La Cèbe de Léonard de Vinci ), sous une autre forme, ce n’est pas l’idylle de Dieu avec Ashéra mais celle du Christ avec Marie-Madeleine, légende dans laquelle on se plaira à entrevoir  un avatar religieux de la montée du féminisme actuel. The rule of three : avis aux amateurs, nous sommes en plein du côté obscur de la force. Un guitare impitoyable tamponne le bourdon d’un riff dans vos oreilles, vous détesterez ces écrasements de batterie qui passent sur vous tel le rouleau compresseur sur le dos du crapaud, quant à la voix c’est celle de la conscience qui interroge Javert dans Les Misérables, sûr qu’elle vous pousse au suicide, avant de commettre cet acte fatidique que vous ne regretterez pas car il sera trop tard, examinons la situation sereinement, si cette implacabilité musicale vous laisse la possibilité de réfléchir. De prime abord c’est très simple : pourriez-vous appeler amitié le sentiment que vous éprouvez si subrepticement vous poussez dans le dos ce beautifull friend qui s’écrase la tête la première trente mètres plus bas sur le rocher. Pendant que vous vous interrogez les musicos essaient de transcrire le travail émotionnel de vos méninges qui s’escriment à répondre à cette question simple. Musicalement, vous adorerez, c’est d’une violence inouïe, parfois vous avez une césure, ce genre de faux-plat que les cyclistes détestent parce que la côte innocente leur coupe les mollets, la basse continue son train-train insidieux et la batterie vous abreuve de triolets rythmiques déconcertants, peut-être pour que votre esprit s’intéresse à cette fameuse règle de trois qu’il faut ou qu’il ne faut pas enfreindre. Un dernier hurlement de quelqu’un qui s’écrase sur un rocher. Ouf c’est fini. Oui mais qui vient de tomber ? Pas le copain que vous avez proprement occis en l’envoyant voir ailleurs si vous y étiez, pas vous-même puisque vous êtes vivant. Quelle est cette troisième personne ? La règle de trois peut-elle mathématiquement se déchiffrer comme une équation dont il faut extraire l’inconnue. Bien sûr j’ai la réponse : elle est écrite en toutes lettres dans les quatre premiers vers du premier morceau : In the moonlight / She wraps around me / And you become me / A trinity of insanity /. Le troisième membre de la trinité serait-il le désir qui joint (ou ne joint pas) un être à un autre être. A deux serions-nous toujours trois ? Et si le désir n’est pas là, où est-il ? Dans quel carrefour hécatien se niche-t-il ?

             Si vous aimez le doom, ce CD qui ne ressemble à aucun autre est pour vous.

    Damie Chad.

    Le nom Euchridian qui si l’on en croit les racines grecques signifierait ‘’ heureuse brisure mentale’’ est d’après nous forgé à partir d’Euckrid nom du héros d’un conte de Nick Cave’And the Ass saw the Angel’’ paru en 2012.

    *

    Ils ne veulent ressembler à personne. Ils ne donnent même pas leurs noms, tout ce que nous savons c’est qu’ils se réclament du Massachusett.

    GRAVE SPEAKER

    (Piste Numérique / BC / YT / 13 - 10 – 2023)

    Un petit indice au bas de la pochette, ce chiffre 17, encore un truc pour avertir les parents américains que leur progéniture court de graves ( c’est le cas de le dire ) dangers (sans parler des dommages collatéraux) s’ils écoutaient par hasard cet opus. Le plus marrant ce sont les quatre notifications en rouge dans le carré blanc : Satanic Worship (culte satanique), Gory imagery, Fantaisy Violences et le plus étonnant Face Melting Riffs, on est donc loin du saint riff rédempteur de nos french Barabbas !  Bénédiction de ce côté-ci de l’Atlantique malédiction sur l’autre rive. Heureusement dessous il est rappelé que cet objet maléfique est destiné à to be play louded, ainsi quand les parents l’écouteront les gamins de moins de dix-sept ans pourront aussi l’entendre malgré la porte fermée à clef.

        ,euchridian, grave speaker, situs magus, nicolas unghemut,

    Pochette sataniste, je veux bien, mais on a vu mieux pour exprimer le pire, monochrome rouge, de loin on pense plutôt à un groupe qui se revendiquerait de la Révolution russe ! Quand on ajuste ses lunettes on reconnaît dans la figurine noire la silhouette d’un chevalier du Temple ce n’est que lorsque l’on pose son nez juste au-dessus mode hélicoptère en vol stationnaire que l’on reconnaît sous le capuchon noir… la Mort. Auraient-ils lu la dernière aventure des Services Secrets du Rock’n’roll, fidèlement rapportés dans nos colonnes d’après le journal intime de l’Agent Chad ?

    Blood of old : quelques notes lourdes comme des gouttes de plomb fondu que l’on vous verserait dans la gorge, de surcroît la basse coupable de ce vil méfait se permet de swinguer comme si elle était en train de jouer dans le quartet de Charlie Parker, les cymbales vous font entendre ces désagréables cisaillements infinis, ce cliquètements de monnaie de singe, dont elles sont coutumières et la loco-doom se met en marche, sans se presser, elle traîne derrière elle un lourd convoi, attention  son shuffle au ralenti n’arrêtera pas de tout le disque, c’est la donnée de base, une guitare essaie de pousser quelques coups de sifflets stridents pour se faire remarquer, mais ils ne parviennent pas à recouvrir le roulement funèbre de ce convoi mortuaire. J’allais oublier le principal, ces lourdes tentures de voix qui s’élèvent  de temps en temps, des espèces de menaces adjugées sans préavis, ce qui n’est pas fair-play puisque nous sommes les premiers concernés en tant qu’espèce humaine destinée à être éradiquées, après quoi les guerriers qui nous auront occis et leur chef s’endormiront pour mille ans. Earth of mud : on croyait être tranquille pour mille ans, mais non le train cauchemardesques reprend son trajet, la voix lointaine s’élève sur les premières mesures, de quoi refroidir votre sang dans vos veines, elle assène ses dix-huit vérités à la queue-leu-leu sans se presser, ponctuées de coups de batterie mélodramatiques, c’est Lui qui parle, qui est-il au juste, cela importe peu, au début vous vous retrouvez dans une situation que content les Eddas vikings, celle du combat de la fin du monde, soyons fataliste, le pire n’est-il pas toujours certain, mais une maudite guitare claironne bien fort les points sur les i, vous ne vous en tirerez pas à si bon compte, quand le drame sera terminé, ça recommencera ad vitam, enfin ad mortem, aeternam, car tous les mille ans il faudra remettre le couvert. Non la terre n’est pas un tas de boue comme le titre l’énonce si poétiquement. Juste un tas de merde. The bard’s theme :  comment font-ils pour augmenter ce sentiment de frustration qui monte en nous au fur et à mesure que l’intensité du riff augmente, très simple ils augmentent la dose, la guitare s’en vient faire son numéro en haut du trapèze et le speaker nous raconte une belle histoire. Un véritable film médiéval avec des scènes chocs, la guitare imite les gémissements de la Reine du château qui copule avec Lui l’Immortel, elle a trahi le Roi, mais qu’auriez-vous fait à sa place. Tirez-en la bonne leçon, un jour vous mourrez, que vous le vouliez ou non. C’est votre destin, ne vous préoccupez pas de Lui, l’Immortel survivra. C’est son destin.  Grave speaker : Il se tait, Il ne parle plus, le silence n’est-il pas la parole la plus criminelle, il est gentil durant son absence la musique se fait douce, elle vous berce, la loco-doom glisse sur les rails du rêve, les vôtres, quand le Maître ne parle plus vous imaginez l’impossible, au loin Il se gargarise sa voix imite les Choeurs antiques, celles des drames les plus noirs, puis plus rien, la solitude est-elle la meilleure des compagnes, vous êtes un chien perdu sans collier, mais au loin les échos de la vois du Maître retentissent, vos tourments s’apaisent, vous avez retrouvé votre chemin il est pavé de vos meilleures intentions, la voix doucereuse caresse votre échine. Earthbound : pourquoi ce doom funèbre laisse-t-il échapper comme une plainte narquoise, est-ce le moment de la grande explication, non pas avec vous, mais avec celui tout en haut qui L’a précipité dans la chute, le riff se déplie tel un grand serpent qui lève la tête et monte sans arrêt vers les hauteurs du ciel, il est l’heure de mourir, non pas pour vous, pauvres humains mais pour l’autre Lui qui se sent inaccessible cadenassé dans sa forteresse imprenable. Il l’appelle, Il Le défie. Make me crawl : un bourdonnement allègre, pour une fois la vitesse augmente sensiblement, la basse ravageuse entonne le halali, la batterie devient butoir qui cogne sur les portes du Paradis, les hordes démoniaques entonnent le chant de guerre, tu veux me faire ramper, tu vas voir ce que tu vas voir, la guitare s’abat et fend les heaumes des cohortes célestes, elle entonne le clairon celui qui mène à la victoire pendant que l’on patauge dans des flots de sang angélique. Le portail vole en éclats.

             Ce n’est pas un CD à écouter mais un film à grands spectacle à regarder. Le Grave Speaker n’est pas fou, il interrompt l’action au moment décisif. Que va-t-il se passer ? Qui remportera la victoire ? Le principe du Mal ou le principe du Bien ? Ce qui est sûr c’est que Grave Speaker sortira la deuxième pellicule l’on se précipitera pour voir l’Episode 2. Comme cela au lieu de répondre ‘’c’est vachement bien’’ à ceux qui nous demanderont si ça vaut le coup d’aller le voir, tous en chœur on répondra : ‘’ C’est vachement mal !’’ et l’on ajoutera : ‘’ D’ailleurs c’est interdit au moins de soixante-dix-sept ans !’’.

    Damie Chad.

     

    *

    Un peu de rangement n’a jamais fait de mal à personne ( c’est vous qui le dites ), coincé entre deux tomes du Littré, un CD égaré-là je ne sais comment,  un sampler de la revue Metallian, des années que je ne l’achète plus, c’est vieux, confirmation immédiate au dos de la pochette, CD offert avec le N° 72 de Metallian Magazine, en 2012, aucun souvenir de l’avoir écouté, je scrute la liste des seize titres, je dois être d’humeur chauvine, ou alors c’est le flair du rocker,  je cherche les groupes français qui proposent des titres en français, n’y en a qu’un, le dernier de la liste Situs Magus, oui je sais c’est du latin, mais le titre de l’album est en français Le Grand Ouvre. Je suis certain que c’est un opus alchimique, première fois que je rencontre l’expression Grand Ouvre pour Grand Oeuvre, je trouve cette notion d’ouverture associée à l’alchimie profondément intéressante. Après vérification juste une erreur typographique, il faut lire :

    LE GRAND ŒUVRE

    SITUS MAGUS

    (Avant-Garde / Septembre 2012)

    J’ai retrouvé leurs traces. Mais ne serait-ce pas un individu solitaire. Facilement. Deux articles élogieux sur les webzines Trashocore et La Horde Noire parus à l’époque de la sortie. L’est sorti en CD mais aussi sous forme d’une metalbox tirée à 75 exemplaires. Divers sites payants ou gratuits vous proposent d’écouter l’opus. Preuve que ses géniteurs tiennent à ce que le contenu ne soit pas perdu. Ce n’est pas une question de gloriole personnelle, les noms des musiciens ne sont pas notifiés, mais le désir que la ‘’chose’’ ne se perde pas. Preuve qu’ils y accordent non pas une certaine importance mais une importance certaine. Démarche typiquement alchimique. Ceux qui chercheront trouveront. Quant au nom du groupe, je traduirai ‘’ Situs’’  non pas littéralement, mais par ‘’accompli’’. Le mage accompli car il a réalisé l’œuvre au rouge.

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    La couve a de quoi dérouter. De prime abord, un petit côté capharnaüm, en bas l’on discerne tout l’attirail nécessaire à l’alchimiste, un traité secret, l’athanor, les cornues, une tête de mort surmontée d’un corbeau, au-dessus une représentation du sphinx les yeux levés vers les cieux, semble tenir entre ses mains un homonculus. Ensemble bien mystérieux pour les néophytes en alchimie…

    J’entends avant même qu’ils n’aient prononcé le moindre mot des lecteurs s’écrier, moi je ne crois pas à l’alchimie. Moi je crois au Père Noël. Parce que je sais qu’il n’existe pas. C’est en ce sens que vous pourriez dire que vous croyez en Dieu. Il ne s’agit pas de croire ou de ne pas croire en Dieu ou en l’alchimie. Mais de penser Dieu ou l’alchimie. Penser Dieu n’est-ce pas créer au-dedans de soi un petit homonculus. Penser l’alchimie est déjà plus difficile, car l’œuvre alchimique est ardue. Les modernes, disons les (bo)bodernes aiment à penser l’alchimie comme une spiritualité. Un peu comme le zen. L’alchimie est avant tout une pratique. La chose qui s’y apparenterait le plus serait l’équitation. Parce que malgré votre adresse tout dépend du cheval. Il est des chevaux particulièrement retors. Surtout ceux qui parlent la langue des oiseaux. Et toc. Enock.

    Ouverture : sonorités étranges venus d’ailleurs, de l’intérieur de soi, bruitages tubulures, vagues phoniques intumescentes, viennent-elles vers vous ou vous emmènent-elles ailleurs, juste les premiers pas décisifs, sommes-nous sur le sentier désagrégatif de toutes les choses du monde ou sur la sente obscure de l’unité qui se confond avec le chemin du serpent qui y pourvoie. Œuvre au noir :  à peine avez-vous entrepris le premier pas que le monde se décompose, vous êtes entré dans le monde de la mort, de la mortification du terreau initial, pour ce faire la première opération consiste à défaire, de se défaire de soi-même et d’entrer dans la stérilité du monde, musique en tant que déambulation, étape après étape, coupées par des instants de repos et de contentement de l’œuvre désaccomplie, la voix gutturale de la mort chuchote à votre oreille, c’est vous qui êtes en train d’agonir, vous tenez la barre de votre désintégration, ne pas oublier que celui qui s’enfonce dans la mort est le bourreau qui décapitera le corbeau des illusions abandonnées, une lente glissade vers quelque chose qui se transforme en étron de néant, en êtron de rien, toute défaite est une victoire, les cloches sonnent, les mêmes qu’au début, vous avez composté le lieu en un tas résiduel, mais le temps subsiste, car il y a un temps pour tout. Œuvre au blanc : une continuité avec ce qui précède car si le tout peut être considéré comme une unité indivisible, le pareil devient le même, jusqu’à lors nous avions affaire à un étrange ballet de sonorités argileuses surgies de nulle part, voici  une rassurance, c’est bien un groupe de rock qui joue, fausse assurance qui ne dure pas, la monstruosité se réveille, jamais le background n’a été si compatible avec le jeu d’un groupe de black metal, la pâte monte, elle gonfle, il semble qu’elle va éclater, mais non le cataplasme  retombe comme un soufflet raté, est-cela l’aube du monde, cette course éperdue vers une innocence révolue, emballement musical, estompée par des pas bassiques, reprises du cheminement dans l’extérieur de soi, s’il y a une unité c’est celle qui coordonne le moi avec le non-moi, l’être avec le non-être, cris déchirés, l’on assiste au couronnement de la vierge, à son dévoilement, glissement, crissement de tulle, la blancheur point, elle voit le jour, elle s’identifie à lui, comme il devient elle, un tout indiscernable qui monte en éblouissance, l’on n’a jamais été aussi proche du but que l’on n’atteint jamais car la blancheur opalescente du lait n’est pas le lait. Contemplation. Le regard n’est pas la chose contemplée. Œuvre au jaune : stade intermédiaire de l’accomplissement. L’aurore du jour écarte ses doigts  de rose jaune, la monstruosité phonique est en accord avec l’horreur indicible de la voie de l’accomplissement, le chemin tourne sur lui-même, il pleut une espèce de douce coloration incarnadine qui s’étend au monde entier de l’animalcule végétatif en formation, tout se précipite jusqu’ à prendre la coloration du sang des règles. Etourdissement triomphal. Jusqu’ à cet écroulement rampant. Œuvre au rouge : victoire de la rubification, L’œuvre n’est pas seulement, elle est réalisée. Tunnel incompréhensif de décompression. Toute la puissance du monde coagulée en l’extraordinaire pouvoir d’être hors des griffes du temps et de l’éternité du lieu de toute présence. Ce n’est pas un cadeau, mais un fardeau, pour un peu le chant deviendrait compréhensible, moment d’égarement de la folie qui saisit la sagesse et copule arbitrairement avec elle car le tout se confond avec elle, la démesure de l’esprit déploie ses ailes de phénix sur le monde. Arrêt brutal, la musique revient à ses débuts, tout n’est-il pas compressé. Quelque chose a-t-il vraiment changé. Vous avez franchi un palier qui ne mène à rien puisqu’il mène à tout. N’êtes-vous pas Prométhée attaché à son rocher avec cette faculté inouïe de se détacher quand il veut, pour se retrouver face à l’immense rocher rouge de sa volonté, qu’il suffit de réduire en poudre pour enfin comprendre que lorsque la totalité du monde s’incarne en un seul individu, celui-ci n’est pas encore sorti de lui-même. Débâcle sonore déculminatrice. Barrissements. Retour à l’initialité de toute infinitude.

             L’œuvre est magistrale. En est-elle pour autant grande ? En le sens que l’accomplissement d’une chose conduit autant à son début qu’à sa fin. Il semble que Situs Magus nous offre une vision très pessimiste de l’accomplissement alchimique. Non pas parce qu’elle risque de déboucher mais parce que tout accomplissement est essentiellement un échec.

             Victor Hugo n’amène-t-il pas Pégase au vert ?

    Damie Chad.

     

    *

    Un truc que je n’avais jamais remarqué, ça m’a sauté aux yeux avant même  la totalité de la couve du bouquin, une pub à même la première de couverture pour un autre livre : en l’occurrence Le roman des lieux et des destins tragiques, présenté par Les Editions du Rocher et Vladimir Fédérowski, j’étais un peu étonné parce que je ne voyais pas le rapport entre Fédérowski et la photo des Who au bas de laquelle la banderole réclamique attirait le regard, par contre le nom de Nicolas Ungemuth, je connaissais, de l’équipe de Rock ‘n’Folk, en plus les grosses lettres ROCK déclenche chez moi un réflexe de pavlov-dog. Donc j’ai pris.

     

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    LE ROMAN DU ROCK

    NICOLAS UNGEMUTH

    ( Editions du Rocher / 2012)

             L’apparition d’Ungemuth dans Rock’n’Folk fut assez folklorique. L’avait un tic, voire un toc, commençait toujours par démolir à la Grosse Bertha un de ces disques devant lequel le lecteur moyen de la revue s’inclinait à plusieurs reprises par jour chaque fois qu’il passait devant les rayonnages de sa collection de vinyles. Ne respectait rien, ni personne. En outre pour mettre le doigt sur les immenses lacunes de votre savoir rock il mettait l’opus qu’il honnissait en parallèle avec un album inconnu qu’il portait aux nues, il en hennissait de plaisir. Une vieille technique empruntée aux surréalistes, ne lisez pas ceci, lisez cela. Les premières fois c’était marrant, ulcérant pour les soupes-au-lait, mais on s’habitue à tout, et puis il ne disait pas toujours que des insanités Ungemuth.

             Le roman du rock, pas mal comme titre ai-je pensé, en fait c’est une collection dirigée par Vladimir Fédérowski (idée vraisemblablement pompée sur la collection de chez Laffont, Le dictionnaire amoureux de…)  ainsi la plupart des titres débutent par ces mots, exemple pris au hasard : Le roman du Mexique. Paru en 2012, manque de chance, il manque les deux dernières décennies, nous lui pardonnons, à l’impossible nul n’est tenu, par contre, beaucoup plus choquant à mon goût, impasse totale sur les premières années, rien sur le country blues, rien sur le rhythm’n’blues, et crime indicible, rien sur les pionniers.

             C’est un malin Ungemuth, débute par Elvis. L’a pressenti la critique. Certes c’est un pionnier, le meilleur de tous. Ça se discute. Le pire aussi. C’est ce côté qui intéresse avant tout notre Nicolas. L’est 0K pour Sun, le tout début chez RCA, ensuite il s’enthousiasme pour les enregistrements effectués à Memphis sous la houlette de Chips Moman, il applaudit le NBC Show. Il étrille le Colonel et voue aux gémonies les films qu’il fait enregistrer à son poulain. Qui ne serait pas d’accord avec lui. L’ajoute même que de-ci de-là, si l’on ne chipote pas trop, l’on décèlera quelques perles cachées. Après c’est la démolition en règle.

             Après Elvis c’est au tour de Dylan de passer à la moulinette. De 1962 à 1964, Bob is perfect, de Freewheelin’ à Blonde on blonde, vous ne trouverez jamais rien de supérieur chez Dylan et peut-être même chez les autres. Le mec ne révolutionne pas le rock, il lui fait atteindre une dimension, lui fournit tout le background culturel qui lui manquait jusqu’à lors. Ensuite Dylan se contente d’être un chanteur comme tous les autres, quelques bons albums, quelques mauvais surtout ! Une différence entre Elvis et Bobby. L’un a subi, l’autre a choisi. Une victime pathétique et un malin qui n’en fait qu’à sa tête. L’un coincé dans son statut de superstar, l’autre en profitant.

             L’on passe aux Stones, pas très bons au début, la meilleure période c’est entre Aftermath et Exile on main Street pour les albums, sans faire d’impasse sur quelques singles dévastateurs, z’ont leur botte secrète qui pendant un temps les tire de tous les errements, la formule Stone qui hélas s’use si l’on s’en sert trop souvent sans imagination, après 72 la veine se tarit, l’inspiration géniale s’assèche, qu’importe pierres qui roulent sur leur lancée amassent de la mousse ce qui permet de remplir les coffres-forts…  

             Voici les Who, les préférés de notre auteur, de 1964 à 1969 ils sont géniaux, toujours un train d’avance sur les autres, mais ce petit jeu est dangereux. Vous pousse à la surenchère. Nicolas estime que Tommy est pompier, Who’s next infantile, Quadrephonia un œuf avarié qui tombe à plat, le pire, la faute morale ne pas avoir arrêté le groupe à la mort de Keith Moon…

             Plus de vingt pages sur les Kinks, leur reconnaît de grandes qualités, dans les deux sens si j’ose dire, un côté dur, un côté subtil. Entre 1963 et 1970 c’est le summum, après ils n’existent plus. Niveau qualité sonore, cela s’entend. Vous commencez par comprendre la méthode Ungemouth, les Romains partageaient l’année en jours fastes, et en jours néfastes. Nicolas n’emploie pas la même période temporelle, les groupes ou les chanteurs sont bons trois, quatre, cinq, six ans, après l’inspiration n’est plus au rendez-vous, c’est la déche, la misère noire. Tenez prenons deux exemples : les Beatles, des chansonnettes, des fariboles pour midinettes, à leurs débuts. Ensuite l’extase : Rubber Soul et Revolver, deux chefs-d’œuvre absolus, après quoi l’on passe du petit n’importe quoi au grand n’importe quoi.  Je sens qu’il y a des fans qui renâclent.

             Pauvres fans, ils sont la preuve par neuf de la méthode Ungemuth, ne faut pas s’en prendre uniquement aux artistes, ils ont quelques excuses, la fatigue, les maisons de disque qui pressent le citron tant qu’il est bon, l’argent, la belle vie, les modes qui changent… nous l’admettons, mais Ungemuth dit chut : c’est cinquante-cinquante, les idoles ne sont pas les seules responsables, si elles sont incapables de se reprendre c’est de la faute des fans qui n’ont plus de jugeote, qui se précipitent sur les mauvaises galettes, qui en redemandent, ne se découragent qu’après plusieurs années de mauvais traitements, sont prêts à gober des œufs d’autruche coquille comprise.

             C’est toujours bien de se moquer des autres. Tenez pour le deuxième exemple, il est double, à savoir Phil Spector et Brian Wilson. Vous frétillez, vous connaissez, des idées toute fraîches, des arguments se pressent dans votre cervelet, notre Cat Zengler ne nous a-t-il pas régalés tout dernièrement de quelques chroniques consacrées à ces deux zigotos. Oui leurs débuts sont éblouissants et leurs fins des plus pathétiques. Je ne reviens pas sur leurs parcours. Simplement j’attire votre attention sur les différences de méthode, l’Ungemuthienne et la Cat zenglerienne. La première est sans appel. Elle sépare le bon grain de l’ivraie, elle tranche avec la rapidité de la guillotine. Clair et net, sans bavure. Le Cat ne se gêne pas pour affirmer que tel 33 est à côté de la plaque, et confirmer que le suivant n'est guère meilleur, mais l’est pas comme l’entomologiste qui dissèque un insecte entre deux plaquettes de verre dans son laboratoire aux murs blancs, le Zengler l’observe les bestioles dans leurs milieux naturels, il les aime, non il ne les demande pas en mariage, mais il éprouve de la sympathie, il suit leurs pérégrinations, il analyse les obstacles qu’elles rencontrent, dès qu’il trouve un témoignage en faveur ou en défaveur il le mentionne, farfouille dans les livres, il croise les contradictions, puis il passe en revue l’ensemble des enregistrements, il en découvre des nouveaux, des inédits, avec lui un dossier n’est jamais définitivement clos… L’a un gros défaut notre Cat Zengler, l’est définitivement du côté du rock’n’roll.

             Bien sûr il a tout comme Ungemuth écrit sur Lou Reed, Iggy et Bowie, mais ne s’intéresse pas qu’aux gros calibres, va farfouiller du côté des seconds (et même des troisièmes) couteaux, des inconnus, des derniers rangs, des oubliés, bref pas uniquement des stars.

             Ce qui est étonnant c’est qu’Ungemuth déclare que si le rock’n’roll n’est plus ce qu’il a été c’est parce qu’il ne produit plus de stars, de pointures égales à toutes celles que nous venons de passer en revue. Les projecteurs médiatiques ne se tournent plus volontiers vers les rockers, le public se détourne du rock vers d’autres musiques, n’empêche que dans Kr’tnt ! chaque semaine l’on peut découvrir les grognards tombés au champ d’honneur des décennies précédentes, mais aussi des figures ou des groupes qui explorent d’autres voies, z’ont leurs cohortes pas très nombreuses de passionnés qui les suivent ou les encouragent, ce ne sont pas des stars planétaires, ils creusent toutefois leur sillon avec ténacité et conviction.

             Ne restent plus que 80 pages pour explorer Heavy Metal, Progressive, Punk, Post Punk, l’Indie américain, la Pop anglaise, pas assez de place pour tout le monde, Ungemuth ne s’attarde pas, il condamne sans réserve, ceux qui arrivent trop tôt, ceux qui suivent trop tard, de toutes les manières, aucun n’aura ni l’aura ni le génie des grands ancêtres qu’il a méthodiquement saucissonnés dans les deux premiers tiers du livre.

             Finit en beauté, huit pages pour cinquante ans de rock français. Expéditif. Parfois il vaut mieux se taire.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 617 : KR'TNT 617 : LAWRENCE / BLOOD RED SHOES / LEON RUSSELL / GREG DULLI / GARLAND GREEN / C' KOI Z' BORDEL / BURNING SISTER / RED CLOUD / TELESTERION

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 617

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    26 / 10 / 2023

      

    LAWRENCE / BLOOD RED SHOES

    LEON RUSSELL / GREG DULLI / GARLAND GREEN

    C’KOI Z’ BORDEL / BURNING SISTER

    RED CLOUD / TELESTERION

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 617

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Lawrence d’Arabie

     - Part Two

     

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             Jon Dale nous dit de Felt : «One of the most mysterious and idiosyncratic indie groups of the 1980s.» Et il ajoute que ce phénomène est dû à Lawrence, lead singer et arch-conceptualist. Son truc est de donner aux fans ce qu’ils attendent et ce qu’ils n’attendraient jamais. Dale brosse ensuite le portait d’un Lawrence obsédé par la propreté, dans son appartement de Birmingham, et sa façon de gérer le quotidien grâce à a micro-industry of books. Point de départ de tout ça ? Lawrence vit T. Rex à la télé et trouva sa vocation. Et comme beaucoup de groupes de cette génération, Felt naquit de deux choses : l’éthique DIY du punk-rock et ce que Dale appelle the tedium of living in a backwater, c’est-à-dire l’ennui provincial. Et troisième élément : Maurice Deebank.

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             Si on écoute les premiers albums de Felt, ce n’est pas pour Lawrence d’Arabie, oh no no no, c’est pour Maurice Deebank. Paru en 1982, Crumbling The Antiseptic Beauty est un album de Momo Deebank, et ça saute aux yeux dès «Evergreen Dazed». Ce guitariste joue avec une fluidité exceptionnelle - Those guitar lines just kept on keeping on - Son son frappe l’imagination. En engageant un tel prodige de l’échappée belle, Lawrence d’Arabie avait tout bon. Momo crée un monde à lui tout seul, c’est autre chose que de fédérer les tribus de bédouins. Momo joue du pur crystal clear et il se montre en plus inventif. On reste dans les climats très clairs avec «Fortune». Deux guitares voyagent dans l’azur, plus aucune attache, rien qu’un son libre, Momo n’en finit plus de se fondre dans l’essence de l’éther. Mais au bout du troisième cut, forcément, la formule s’essouffle. On les sent moins déterminés à vaincre. Ils s’engluent dans l’essence de leur éther. Momo tente de redresser la barre en B avec «Cathedral», il sort un gros paquet d’arpèges d’acid-rock et encorbelle des contreforts des citadelles, il embobine ses bonnes gammes et les drape de plaids d’organdi et de somptueuses dégringolades de gammes. Ce groupe capte bien l’attention, grâce à un son intrigant et pur comme de l’eau de roche. Avec ce premier album, Lawrence ambitionnait de pondre the best English album ever. Et il ajoute : «I wanted my band to be something really special.»

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             Paru en 1984, The Splendour Of Fear est selon Dale a massive stride forward. C’est là qu’on trouve «The World Is As Soft As Lace», l’une des most beautiful songs de Felt. Lawrence et Momo y visent la paix étale, celle du lac. C’est d’une paisibilité sans fin. Momo est là et ça s’entend dès «Red Indians». Quelle présence ! On note aussi que Gary Ainge bat bien. Ce démon de Momo inscrit les arpèges de «The Optimist And The Poet» dans la durée. Son art relève d’une certaine forme d’éternité, celle du bonheur ineffable. En B, Lawrence d’Arabie se veut plus formel avec «The Stagnant Fool». Il cherche une petite veine à l’éplorée et frise le Bowie. Mais ça reste indéniablement indie dans l’esprit. Lawrence était tellement persuadé de la modernité de son son qu’il disait à Momo et aux autres : «The fans of this band haven’t been born yet.»

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             Avec The Strange Idols Pattern And Other Short Stories paru la même année, ils font encore un sacré bond en avant, car John Leckie produit l’album. Il nous pourlèche une belle pop anglaise des années quatre-vingt et on entend Momo broder sa dentelle translucide derrière le chant déterminé de Lawrence d’Arabie. Ah quelle équipe ! Momo ressort ses arpèges de cristal pour «Sempiternel Darkness» et ils embarquent tous les quatre «Spanish House» au beat déterministe. Lawrence d’Arabie va chercher la clarté de ton, soutenu par les intrépides arpeggios de Momo. Il y fait même ruisseler une véritable rivière de diamants. On sent qu’à l’époque, ces petits mecs savaient très bien ce qu’ils voulaient. On a là un cut spacieux, et aérien, totalement irréprochable. Et les petits interludes instro de Momo sont des havres de paix préraphaélite. On s’effare aussi de la belle santé d’un «Sunlight Balked The Golden Glow». Belle pop racée, solidement étayée par le plus efficace des bassmatics. Avec «Crucifix Heaven» qui se dresse en B, Momo charge la barque d’espagnolades et d’échos des temps anciens. Ce diable de Momo lagoyate comme un beau diable. Lawrence d’Arabie attaque son «Dismantled King Is Off The Throne» avec un gut extraordinaire. On le sent féru d’histoire. «Crystal Ball» est probablement le hit du disk. Lawrence d’Arabie y sonne un peu comme Tom Verlaine, il chevrote délicieusement et ce bel album s’achève avec «Whirlpool Vision Of Shame». La formule Felt tient bien la route : chant déterminé et background scintillant, dentelle de crystal clear et charpente à l’ancienne. Momo vieille bien au grain de la délicatesse et la bassmatic amène pas mal de viande.

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             Lawrence voulait Tom Verlaine pour produire Ignite The Seven Cannons And Set Sail For The Sun. Il obtint Robin Guthrie, des Cocteau Twins. Très bel album que cet Ignite. Et ce pour trois raisons, la première étant bien sûr «Primitive Painters», qui reste le grand hit de Felt devant l’éternel. C’est littéralement bardé de son. Lawrence d’Arabie chante ça avec une mâle assurance et une petite gonzesse vient mêler sa bave à la sienne. Ils se taillent une belle route dans l’apothéose et Momo cisèle des tournures pour le moins vertigineuses. Oui, c’est franchement de l’ordre du vertige, avec des relances démentes du grand Momo. Voilà ce qu’il faut bien appeler un hit séculaire. Andrew Male décrit ça comme un mariage entre Deebank’s glistening guitar, Duffy’s tranquil keyboards on some of Lawrence most melodically upbeat, cryptically-autobographical pop-songs, get lost in a chruchy echo and murk. L’autre phare dans la nuit s’appelle «Black Ship In The Harbor». Lawrence d’Arabie chante comme un décadent du XIXe siècle. On a là un cut joliment harmonique, accrocheur au possible, avec l’excellent Momo dans le paysage. Et on passe au coup de génie avec «Elegance Of An Only Dream», instro d’une élégance suprême. Ils sont mille fois plus élégants que le Monochrome Set. On note la fabuleuse finesse de l’intelligence mélodique. Rien qu’avec cet instro délié et détaché des contingences, ils créent la sensation. Et Momo n’en finit plus d’ajouter des couches. Oh bien sûr, les autres cuts valent aussi le détour, comme par exemple «My Darkest Light Will Shine», qui sonne comme de l’indie pop pas sûre d’elle, jouée au petit écho du temps, avec un Momo qui éclaire les lanternes. On l’entend aussi faire la fête foraine à lui tout seul dans «The Day The Rain Came Down». Il faut bien redire que on si écoute Felt, c’est d’abord pour Momo. Il lâche dans «Scarlet Servents» des cascades effarantes de notes libres et claires. Il tricote sa dentelle dans «Textile Ranch», sur un beau beat rebondi. Et voilà qu’ils se mettent à sonner comme le Monochrome Set avec «Caspian See». Même attaque de voix. Lawrence d’Arabie fait son Bid, même accent, même désinvolture, même beat serré. Pur Set. Quel étonnant mélange. Ils finissent cet album extrêmement riche avec «Southern State Tapestry», un nouvel instro de bistrot emmené au trot. Felt se distinguait des autres groupes de la Brit-pop par l’originalité de sa démarche.

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             Oui, c’est bien Martin Duffy qu’on voit sur la pochette de Forever Breathes The Lonely Word, paru sur Creation en 1986. On peut considérer cet album comme un classique de la pop anglaise et ce dès «Rain Of Crystal Spheres». Lawrence et Duffy sont tout simplement des experts en matière de beauté boréale - Seven brothers on their way to Avalon - Musicalité extrême ! C’est avec son côté dylanesque que Lawence va emporter la partie : «September Lady» et «Hours Of Darkness» basculent dans une ambiance sélective d’une grande ampleur. Lawrence vise le stellaire des choses de la vie et sa pop chargée d’orgue dylanesque éclate dans l’azur prométhéen. Il ramène toute l’insistance qui faisait la force du Dylan de l’âge d’or. Même chose pour «Hours Of Darkness», cette puissante pop d’Arabie - Got into something/ Dangerous & strange - Pop toxique et capiteuse - It’s your second nature/ Oh don’t fool around/ Till that’s gone/ A man is a boy is a child/ A woman’s son - Avec des retours dignes du Dylan d’antan. Tout est bien sur cet album, tiens, par exemple ce «Grey Streets», éclaté aux arpèges florentins de Marco Thomas. Cette pop fond comme beurre en broche avec tout le panache de la fusion moderniste. Exemplaire ! - Grey streets and streets of grey - Lawrence prend toujours le taureau pop par les cornes - Aw c’mon/ You say I looked kind - Et puis on voit qu’avec «All The People I Like Are Those That Are Dead», il aime bien ceux qui sont morts. Lawrence tartine sa pop avec un tour de poignet unique au monde, un petit côté gouape à casquette - The people I like are in the ground - Ce mec fait ce qu’il veut de l’Angleterre. S’il se proclamait empereur, personne ne s’y opposerait. Il chante avec une mâle assurance - It’s better to be lost than to be found - et il nous rassure en déclarant : «It’s better to be a man than to be a mouse.» On sent revenir le dylanex dans «Gather Up Your Wings And Fly». Tout est énormément écrit, sur cet album, tout sonne - Dowtnown London/ That’s not your scene - et même lors des constats d’échecs («A Wave Crashed On Rocks»), Duffy l’épaule superbement.

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             Paru aussi en 1986, Let The Snakes Crinkle Their Heads To Death, ressort sous un autre titre : The Seventeenth Century. Lawrence D’Arabie dit s’être mordu les doigts d’avoir voulu faire le malin à l’époque avec un titre aussi hermétique que Let The Snakes Crinkle Their Heads To Death. Personne n’en comprenait le sens. Deux choses concernant cet album : Momo brille par son absence et tous les cuts sont des instros. L’album n’avait donc aucune chance. Si on l’écoute aujourd’hui, c’est plus par commisération que par fanatisme. Bon d’accord, les instros se veulent frais et pimpants, mais ça reste des instros. Martin Duffy fait son apparition dans le groupe et il joue de l’orgue. Par charité, on dira que tout est délicieusement raffiné et paisible sur cet album. Ce diable de Lawrence d’Arabie y joue de la guitare diaphane. Il s’en sort avec tous les honneurs et va chercher l’océanique à sa façon.

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             L’année suivante paraît Poem Of The River, sous une pochette abstraite. De vagues silhouettes... Lawrence d’Arabie revient à ses chères obsessions dès «Silver Plane», et une diction à l’insistance dylanesque - And you’re/ Still/ Hanging/ Around - d’autant plus prépondérante que Duffy bombarde ça d’orgue Hammond - I didn’t know that you cared - Fantastique ! On reste dans le dylanex avec «Riding On The Equator». Tout y est : l’envolée, les montées de fièvre et l’insistance mélodique et littéraire à la fois. C’est là où Lawrence d’Arabie se rapproche de Dylan - And you always spent your life/ In some kind of prism/ I said those two stones/ Are the hardest to sell - Pur genius et Duffy pulse, Marco Thomas aussi, ils sonnent tous comme de beaux démons d’apparat. Ils n’en finissent plus de couler leur bronze de rêve. Avec Felt, on file au firmament de la belle pop anglaise, la plus parfaite du monde, même si la paternité de la chose revient à Dylan. Deux autres merveilles guettent l’imprudent voyageur, à commencer par «She Lives By The Castle». Lawrence d’Arabie pose bien ses arguments et la chaleur de son ton. Mais c’est Duffy qui crée la magie du son. Il joue tout simplement comme un virtuose, un enchanteur, et nous nappe ça d’orgue. Tiens et puis cet admirable rumble de pop felty qu’est «Stained Glass Windows In The Sky», monté sur un bassdrive extraordinairement sourd et profond signé Marco Thomas. Tous ces gens sont des surdoués, il ne faut donc pas s’étonner du résultat. On peut allez chez Felt les yeux fermés.

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             The Pictorial Jackson Review sort sur Creation en 1988. Pochette dépouille, aucune fantaisie. Martin Duffy et Gary Aing s’y livrent à des parties de piano jazz chabadabada. Lawrence d’Arabie ne fournit que les titres. Il laisse ses amis s’amuser. Un cut comme «On Weegee’s Sidewalk» constitue une belle base d’étude pour the Bongolian. Si on aime le piano jazz, c’est un régal. Martin Duffy joue comme un cake. Il ne se connaît pas de limites. Les gens qui croient avoir trouvé un album de pop se retrouvent le bec dans l’eau du lac. Martin Duffy revient à sa fascination pour Erik Satie dans «Seahorses On Broadway». Il joue des notes suspendues dans l’air, ce qui constitue pour l’oreille du lapin blanc une véritable bénédiction.

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             Étrange album que ce Train Above The City paru sur Creation la même année. Parti-pris de sobriété pour la pochette et Lawrence d’Arabie a l’idée de faire ce que personne n’a encore jamais fait en Angleterre : ne pas apparaître sur l’album de son groupe. Avec «Ivory Past», on sent poindre le grand songcraft. C’est du pur jus de Creation Sound des années 80, une bavette de belle petite pop lumineuse et vaguement décatie. «Until The Fools Get Wise» nous donne une idée du jour où les poules auront des dents. Tout sur cette A reste d’un niveau irréprochable. Un certain Marco Thomas joue en lead. Et puis Lawrence va faire son Dylan 65 avec «How Spook Got Her Man». Il chante au hoquet juvénile et Duffy nous nappe ça d’orgue. On retrouve des tendances dylanesques dans «Don’t Die On My Doorstep». On y sent aussi le grand méchant Lou - Don’t you cry-yh-yh-yh - et Duffy se fend d’un beau shuffle d’orgue anglais. Alors Duffy, justement : c’est lui qui se tape la B, mais d’une manière assez spectaculaire. Il attaque «Sending Lady Lord» au pianotis de round midnight. C’est même très Satie dans l’esprit. Lawrence d’Arabie nous fait là un joli cadeau : il nous laisse en compagnie du pianiste Duffy pour douze minutes d’une dérive boréale digne de Satie, et même de Debussy dans les moments d’exaltation, il crée de l’enchantement et de l’espace. Ça ne plaira pas aux amateurs de rock, mais les amateurs de grand air y trouveront leur compte. C’est de l’oxygène à l’état pur, une revanche du beau sur le laid, une aventure monumentale, un bel hommage à ce créateur d’espace que fut Erik Satie.

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             Paru en 1989, Me And A Monkey On The Moon est un album un peu plus difficile d’accès. Il faut se taper quelques cuts de pop gentillette des années quatre-vingt avant de tomber sur la viande, et quelle viande ! «New Day Dawning» est un fantastique exercice de style gratté à la cocotte de glam sourde. Et ça s’emballe au quatrième couplet - Don’t turn your back/ Today’s a moment that won’t last - et ça se termine sur un solo pour le moins pugnace. Puis Lawrence d’Arabie se met à sonner comme Nikki Sudden dans «Down An August Path». On a là un vrai balladif underground. C’est drôle, ils racontent tous leurs petites histoires, les chansons ne servent que de prétextes. Mais c’est littéralement bardé de feeling vocal. Ce mec vit ses songs, c’est un intrinsèque de la beautiful song. Il lègue à la postérité un balladif admirable et sensible. Lawrence d’Arabie va chercher la belle pop en permanence, on le constate une fois encore à l’écoute de «Never Let You Go». Si on veut comprendre le génie de Go-Kart Mozart, il faut entrer par le jardin magique de Felt. Pop inoffensive au premier abord, mais on y revient, comme attiré. Il nous surprend encore avec «She Deals In Crosses» et cette façon d’envoyer son hey sister/ What are you doing with yourself : pure magie pop. Ce hey sister crée de l’enchantement. Il termine cet album attachant avec «Get Out Of My Mirror», joué aux steel guitars de l’Americana britannique. Eh oui, Lawrence d’Arabie est capable de ce genre de prodige ! Une Americana qu’on retrouve aussi dans «Budgie Jacket». Impressionnant !

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             Dans le très bel interview qu’il accorde à Ian Shirley pour Record Collector, Lawrence d’Arabie rappelle que son premier disque fut le «Starman» de David Bowie et son premier concert, T. Rex au Birmingham Odeon. Il avait 13 ans. Quand il revient sur Felt - 10 albums in 10 years - il concède que oui, il était un peu directif - Every single thing on these 10 records was my idea. Everything down to the plectrums we used - Il voulait des médiators blancs, qui étaient à ses yeux plus modernes que les autres. L’obsession du détail est selon Shirley ce qui caractérise le mieux Lawrence d’Arabie. Mettre un terme à Felt fut relativement facile, Lawrence d’Arabie en avait marre - I was sick of it.

    Signé : Cazengler, le rance d’Arabie

    Felt. Crumbling The Antiseptic Beauty. Cherry Red 1982

    Felt. The Strange Idols Pattern And Other Short Stories. Cherry Red 1984

    Felt. The Splendour Of Fear. Cherry Red 1984 

    Felt. Ignite The Seven Cannons And Set Sail For The Sun. Cherry Red 1985

    Felt. Forever Breathes The Lonely Word. Creation Records 1986

    Felt. Let The Snakes Crinkle Their Heads To Death. Creation Records 1986

    Felt. Poem Of The River. Creation Records 1987

    Felt. Train Above The City. Creation Records 1988

    Felt. The Pictorial Jackson Review. Creation Records 1988

    Felt. Me And A Monkey On The Moon. ÉI 1989

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    Felt Reissues. Uncut #250 - March 2018

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    Felt Reissues. Mojo #292 - March 2018

    Ian Shirley : The RC Inrerview. Record Collector # 488 - January 2019

     

     

    Don’t step on my Blood Red Shoes

     

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             Ils sont deux, Laura-Mary Carter et Stephen Ansell. On les attendait de pied ferme. Concert maintes fois reporté, grâce à Pandemic.

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    La petite Carter est habillée en fille au pair, c’est-à-dire en petite robe en velours noir, avec un ruban de dentelle blanche dans sa coiffure de nunuche attardée. Pour accroître le malaise vestimentaire, elle porte des santiags noires. Elle va gratter majoritairement une Tele noire. Ansell est déguisé en Ansell, et va battre tout le beurre qu’il peut. Ah on peut dire qu’il en bat du beurre, en un heure. Il finira dans le Guinness book. Il va en plus assurer le trafic des interactions avec le public français bien dégourdi. La réputation des Shoes repose sur six albums, ils disposent donc d’un vaste choix de cuts. Normalement, c’est une bonne aubaine, pour un groupe, à condition que tous les albums soient bons, ce qui, ici, n’est pas vraiment le cas : les deux premiers sont excellents, fougueux comme des poneys apaches, et les deux derniers flirtent avec les synthés et frisent dangereusement la bonne vieille mormoille. Toujours pareil : on fait comme on peut, avec ses petits bras et ses petites jambes.

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             Bien évidemment, ils démarrent sur un «Elijah» tiré de Get Tragic, l’un des deux derniers albums. Ils font ce que font les groupes depuis l’aube des temps : la promo de leurs derniers disques. Ils tirent «Bangsar», et plus loin «Murder Me», de Ghosts On Tape, le petit dernier qui n’est pas fameux. Tous ces cuts ne laisseront aucun souvenir : ni riff, ni mélodie. On gardera le souvenir d’une certaine présence scénique. La petite Carter doit bien sentir qu’elle n’est pas les Pixies, même si elle s’efforce de sonner comme Kim Deal. C’est en puisant dans leur premier album, Box Of Secrets, qu’ils stabilisent un set titubant de faiblesse : très tôt dans le set arrive le wild stomp d’«It’s Getting Boring By The Sea», une sorte de cut Saint-Bernard sauveur d’espoirs, puis «This Is Not For You» et ses fabuleuses descentes au barbu.

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    Un peu plus loin, ils tapent un solide «Doesn’t Matter Much», et puis juste avant la fin, ça percute dans l’uppercut avec «I Wish I Was Someone Better» drivé au driving fast fuzz. Le meilleur cut du set est l’effarant «Red River» qu’on trouve uniquement sur le Water EP. Elle le joue sur une SG et fait du Sabbath pur, avec toute la rémona dont elle est capable. Et là, oui, tu dis oui. Tu imagines même tout un set monté sur le modèle de «Red River», avec la petite Carter sur sa SG. Fantastique ! Dommage que le reste ne soit pas du même niveau. Elle t’aura fait rêver le temps d’un cut. Mais quel cut ! Bon, ils bouclent leur set avec un «Morbid Fascination» tiré de Ghost et reviennent en rappel avec Ciel pour taper un cut qu’on ne connaît pas et c’est tant mieux. Dommage que la belle Michelle soit reléguée au rang d’arpète.

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             Si tu commences par écouter Get Tragic paru en 2019, tu vas au devant de gros ennuis, car tu vas perdre la pulpe des Blood Red Shoes. Get Tragic n’est pas un bon album. Trop pop de pute.

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    On perd ce qui faisait le charme des Shoes dix ans auparavant. Le fait qu’ils soient passés à la pop de pute est significatif : il s’agit de toute évidence d’une pression commerciale. Pour vendre des places de concert, il faut faire la pop de pute à la mode. On sent pourtant de bonnes intentions dans «Mexican Dress», le beat est bien binaire, mais l’habillage sonore est putassier. Ils ont perdu leur fil. Les machines ont remplacé les grattes. Ils se répandent dans l’horreur des drones. Les deux voix copulent dans l’ignominie. Les Shoes végètent dans le vieil underground des duos à synthés. Ils sont trop dans les machines. Ansell a pourtant l’air sincère. Mais les machines auront sa peau. Il ne fait pas le poids. Les cuts atroces se succèdent. Ils perdent leur dignité. Il faut attendre «Vertigo» pour retrouver espoir. Il déclenche enfin l’enfer sur la terre. Il drive son Vertigo au ramshakle des machines. Et il enchaîne avec «Elijah», un incroyable retour de manivelle. Il mélange le havoc flush avec des nappes de synthés, et la petite Carter ramène son sucre, c’est très particulier. Aw Elijah, elle amène sa petite poussée intestinale et ça explose comme un nuage atomique. Ansell profite de la déflagration pour injecter de la congestion cérébrale dans le son, et ils couronnent ça d’un refrain marmoréen.  

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             Dommage, vraiment dommage, car Box Of Secrets, le premier album des Shoes, était prometteur. Infiniment prometteur. Ils attaquent avec un «Doesn’t Matter Much» assez wild, gratté au big gaga de duo d’enfer. Tous les ingrédients sont alignés au garde à vous. Elle y va la coquine, elle se fourvoie encore dans la braguette de la pop avec «You Bring Me Down», elle est parfaitement à l’aise, très criarde, même un peu agressive. Ils passent au «Try Harder» avec du big stomp er reviennent au bon vieux wild as fuck avec «Say Something Say Anything». Mais c’est avec «I Wish I Was Someone Better» qu’ils gagnent véritablement les hauteurs, sur un beau beat bien fast des Everglades forgé au drive de fuzz. Clameur et montée en neige sont les deux mamelles de la réussite, dans ce domaine particulier. Ils tapent «Take The Weight» à deux voix. Ansell a presque une voix de femme, sa copine amène le sucre. Il chante à la décadence et elle fait des chœurs d’écho déments. Ils se renvoient bien la baballe. C’est elle qui chante «This Is Not For You» à la girl-group flavor, avec des descentes de son terribles. Et ça continue avec le wild stomp d’«It’s Getting Boring By The Sea». Ils ont décidément plus d’un tour dans leur sac. Quand ils montent leur neige à deux voix, ils sont infiniment crédibles. Ils terminent avec un «Hope You’re Holding Up» intense au possible, ils tapent dans le big buzz, ils n’ont peur de rien, à la façon dont les Raveonettes n’avaient peur de rien. Ils tapent fièrement dans l’expressif.

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             Ce qui frappe le plus sur Fire Like This, c’est la capacité des deux Shoes à monter un Wall of Sound, comme le révèlent «When We Wake» et «Keeping It Close». C’est elle qui entre au sucre sur Wake et monte vite en température, dans une ambiance très Joy Division. Ils jettent tout leur dévolu dans le son. Pareil avec «Keeping It Close», ils le plombent d’entrée de jeu. Ansell ne pense qu’à ratiboiser la planète, alors il répand ses légions de démons. Pire encore : sur deux cuts, ils sonnent comme les Pixies. C’est elle qui attaque «Count Me Out» au counting on the words that just repeat, et elle reprend pied après la tempête au count me out I’m not here. Même chose avec «Colours Fade», tapé au heavy stomp des Shoes, mais avec la Méricourt des Pixies, ils y vont cette fois au walking forwards with the light, Ansell n’a pas la voix du gros, mais il en a l’esprit, le super climaxing n’a aucun secret pour lui. Leur «Light It Pup» n’est pas non plus très loin des Pixies : même volonté de paraître à la cour. «Heartsink» est frappé du crâne d’intro, mené à deux voix dans la clameur et «Follow The Lines» repart comme si de rien n’était, au where are you now/ Dancing with the lights on. C’est assez succulent, bien inscrit dans la veine Velvet/Pixies.

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             On peut dire sans trop de risque d’erreur d’appréciation qu’In Time To Voices est un bon album. Au moins pour trois raisons, la première étant le morceau titre d’ouverture de bal. C’est elle qui attaque, un peu sucrée, un peu Kim Deal. Bel univers, féminin et coloré, bien monté en épingle. Elle s’accroche à son cut comme la moule à son rocher. Puis, le temps de quelques cuts, ça vire drôle de pop, c’est-à-dire une pop collée au plafond, une pop aux dents longues et étincelantes, une pop qui rêve de cimes. C’est vrai qu’ils créent de beaux climax («Two Dead Minutes»), ce que les Anglais appellent des musical landscapes, et nous des paysages sonores, mais des paysages sonores intéressants. Elle revient avec son sucre pour «The Silence & The Drones». Elle gratte sec et son gratté s’envenime, ça prend des allures de montagne qui sort de terre, c’est du pur sonic power, ah on peut dire qu’ils savent couler un bronze de Big Atmospherix. Ça s’auto-sature, ça s’étrangle. Plus loin, Ansell te bat «Je Me Perds» au Punk’s Not Dead, et avec «Stop Kicking», ils offrent une vision musicale du power de Zeus. On les respecte pour l’énormité de leur son. Ils referment la marche avec une belle tentative pop : «7 Years». Belle énergie du duo, pas de miracle, mais une présence des Shoes à la recherche du temps perdu.

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             Blood Red Shoes fait partie des bons albums de Blood Red Shoes. L’album s’accompagne d’un CD live, qui donne une idée on ne peut plus exacte de ce que valent les Shoes sur scène. Ce qui les rend éminemment sympathiques, c’est leur tendance à vouloir sonner comme les Pixies. «Tight Wire» est en le parfait exemple. En fait, c’est plus Breeders que Pixies, bien gorgé de son et de sucre à la Kim Deal. Même sens du soupir pop dans l’enfer de Dante. Deux cuts live confortent cette belle théorie : «In Time To Voices» et «Colourless Fade». Il faut attendre que ça décolle, Laura-Mary Carter sonne exactement comme Kim Deal. Elle a les mêmes clameurs de la torpeur d’Elseneur. Le Fade tiré de Fire Like This est aussi very heavy, elle sort le grand jeu : élévation, déplacement des plaques, le power lève le cœur et Ansell bat ça sec. Les ah-ah-ah sont ceux des Pixies, c’est en plein dans le Pix Me Up des enfers. L’enfer toujours. Ah comme on s’ennuierait si l’enfer n’existait pas. Connais-tu quelque chose de plus barbant que le paradis ? Bien sûr que non. Le pire, c’est que tout le monde veut aller au paradis ! Quelle rigolade ! Bon enfin bref, revenons à notre mouton, l’album studio, qui s’ouvre sur une belle énormité, «Welcome Home». Ça craque de partout, la petite Carter gratte ça sec, bien soutenue par le pounding Ansellien. L’album prend vite des allures de big album grâce à l’«An Animal» noyé de gratte incendiaire; suivi de «Grey Smoke», une fantastique clameur de l’ampleur, à moins que ça ne soit le contraire, en tous les cas, ils dégagent pas mal de fumée, c’est la petite Carter qui chante, toujours avec ses accents Breeders. Puis voilà venu le temps des coups de génie avec «Far Away», en plein dans les Breeders, suivi de «The Perfect Mess» drivé aux power chords, et monté sur une sorte de pounding définitif. Le son rebondit dans la clameur. On salue la qualité extrême du stomp, c’est une orgie de son, couronnée par un gratté de poux triomphal. Elle chante encore son «Beyond A Wall» avec ostentation, elle fait sa Blondie profonde, c’est écœurant de power. Avec «Speech Coma», elle se tortille encore dans la mélasse d’un caramel sonique, elle avance en rampant et dans «Don’t Get Caught», la gratte vole dans le ciel noir comme en vampire en flammes. Comme déjà dit, le live donne une idée assez juste de ce que vaut le duo sur scène. Ils ont une fâcheuse tendance à tremper dans la new wave. Elle éclate bien le Sénégal de «Say Something Say Anything» tiré du premier album. Ils font une version plutôt incendiaire de «Light It Up». On ne se lasse pas de leurs conneries. Ils remplissent tous leurs cuts de son à ras-bord. Ils terminent leur set avec un spectaculaire «Je Me Perds», tiré d’In Time To Voices. Ils piquent tous les deux leur crise et deviennent complètement psycho. 

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             Album étrange que ce Ghosts On Tape : il démarre sur une bonne note et finit en beauté, mais entre deux, c’est un peu morne plaine, mon petit Waterloo. «Comply» est en effet monté sur un beau thème de piano et Ansell se prend pour Bono le bonobo, ça chauffe pendant un temps et ça retombe sur le thème de piano, après une belle flambée des prix. Vers la fin, tu tombes sur «Dig A Hole» et tu les vois enfiler leur tunnel, Ansell chante à la voix de fille, il développe une belle énergie urbaine, avec des machines, et ça donne un étonnant mélange de mauvaise new wave avec des éclairs de glam. Justement, le voilà le glam, avec «I Lose Wathever I Own», ce mec adore le glam, il sait y faire. Il tape de heavy glam de la dernière chance. Le reste de l’album ne vaut pas tripette, c’est une new wave à la mormoille. On sauve aussi «I Am Not You» et la gratte qui craque. Dommage qu’il vire new wave à la fin. 

    Signé : Cazengler, pompe usée

    Blood Red Shoes. Le 106. Rouen (76). 5 octobre 2023

    Blood Red Shoes. Box Of Secrets. V2 2007  

    Blood Red Shoes. Fire Like This. V2 2010 

    Blood Red Shoes. In Time To Voices. V2 2012

    Blood Red Shoes. Blood Red Shoes. Jazz Life 2014

    Blood Red Shoes. Get Tragic. Jazz Life 2019  

    Blood Red Shoes. Ghosts On Tape. Jazz Life 2022

     

     

    Wizards & True Stars

    - Russell & Poivre

    (Part Five)

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             Si on y revient pour la cinquième fois, c’est qu’il y a des raisons. La principale étant la parution récente d’une somme de Bill Janovitz, remarquable rock writer spécialisé dans les Stones (The Rolling Stones’ Exile On Main Street et Rocks Off). Janovitz consacre cette fois son énergie et son talent à Tonton Leon, avec l’imposant Leon Russell - The Master Of Space And Time’s Journey Through Rock & Roll History, un fat book qui frise les 600 pages. Quand tu attaques la somme, c’est un peu comme si tu faisais une fois de plus le tour du propriétaire. Tu as vraiment l’impression de tout reprendre à zéro. Toujours le même refrain : tu prétends tout savoir, et au fond, tu dois bien admettre que tu ne sais pas grand-chose. Ce genre d’exercice te permet de relativiser et de regagner ta place, une place de presque rien, et comme tu vas bientôt mourir, tu redeviendras ENFIN rien du tout, ce que tu n’as au fond jamais cessé d’être. Le drame, c’est qu’on passe sa vie à l’ignorer, consciemment ou inconsciemment.

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             Pourquoi 600 pages ? Parce que la vie de Tonton Leon est ce qu’on appelle communément une vie extraordinaire. Il faut entendre ‘vie extraordinaire’ au sens littéraire. Osons un parallèle avec Blaise Cendrars : il part très tôt à la découverte du monde, il commence par la Sibérie, puis il s’illustre dans la boucherie de la Grand Guerre, il ne craint pas la mort et perd un bras lors de la grande offensive de Champagne, puis il repart en voyage pour nourrir une œuvre et devenir, avec Guillaume Apollinaire, l’écrivain le plus moderne de son temps, c’est-à-dire un pur équivalent littéraire de Modigliani et de Picasso.

             Tonton Leon est lui aussi un chantre de la modernité, le monde qu’il découvre tout au long de sa vie est celui du rock‘n’roll. Il faut bien 600 pages pour raconter une vie aussi extraordinaire que celle d’un homme qu’on surnommait au temps où il était devenu superstar The Master Of Space And Time.

             Avant d’entrer dans le détail du Space and Time, il est sans doute nécessaire de rappeler que le monde du rock’n’roll grouille de superstars, mais beaucoup d’entre-elles le sont pour de mauvaises raisons : on ne va pas citer de noms. La putasserie est vieille comme le monde, ça ne changera jamais. Beaucoup d’appelés mais peu d’élus. Et ce sont les élus qui nous intéressent : leur œuvre nourrit des œuvres. La semaine dernière, Chucky Chuckah nourrissait l’œuvre d’un brillant biographe, et cette semaine Tonton Leon nourrit celle de Bill Janovitz. Entrer dans son fat book, c’est une façon d’entrer dans le Jardin d’Eden, ou mieux encore, dans le Lotissement Du Ciel du Rock.   

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             En suivant les aventures de Tonton Leon, tu vas croiser des tas de géants du rock américain : Jerry Lee, Jackie DeShannon, Totor, Jack Nitzsche, Terry Melcher, Gary Lewis, Brian Wilson, Don Nix, Van Dyke Parks, Delaney & Bonnie, Dwight Twilley, Kim Fowley et bien sûr Bob Dylan, autant dire la crème de la crème. Si Tonton Leon les fréquente tous, les uns après les autres, c’est parce qu’il est d’une certaine façon un être exceptionnel, tel que le décrit Janovitz.

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             Tonton Leon grandit à Tulsa, Oklahoma. Jeune, il n’est pas joli, il porte des lunettes à grosses montures noires, comme Buddy, et il joue du piano. Il en joue si bien qu’il commence sa carrière de superstar en accompagnant son idole Jerry Lee. Tonton Leon joue tellement bien que certains soirs, Jerry Lee lui laisse le piano. Tonton Leon flashe aussi sur Lloyd Price, Ruth Brown, Chucky Chuckah, Fatsy, Bobby Blue Bland, Jackie Wilson, et surtout Ray Charles qu’il qualifie d’«one of the great innovators». Tonton Leon se dit fasciné par Ray Charles. Il s’émerveille aussi d’Esquerita - He made Little Richard look like a choirboy - et il balance un sacré souvenir : «Il est venu me trouver un soir et m’a dit : ‘Honey, monte dans ma chambre au Small Hotel, et si je ne parviens pas à te faire crier de plaisir en 30 secondes, je te donne ma télé.’» Puis le jeune Tonton Leon qui s’appelle encore Russell Bridges emprunte 40 dollars et prend le bus pour Los Angeles. Il va devenir session man et, grâce à son talent de pianiste, entrer dans le fameux Wrecking Crew.

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             Il commence par devenir pote avec James Burton qui lui apprend à gratter des licky licks. Tonton Leon s’entraîne toute la journée sur un album de Freddie King. Ils jouent un peu ensemble dans des clubs. Burton l’emmène en session pour Ricky Nelson. Et de fil en aiguille, il entre dans le circuit des sessions, se retrouve en studio avec Glen Campbell, Del Shannon, son copain de Tulsa David Gates, la belle Jackie DeShannon, et puis les Blossoms de Fanita Jones que Totor va rebaptiser Darlene Love. Janovitz indique que Tonton Leon flirte pendant quelques mois avec la belle Jackie. Il joue aussi sur les démos de Sharon Sheeley, la fiancée d’Eddie Cochran. Big set de démos : en plus de Tonton Leon, tu as David Gates on bass, Hal Blaine au beurre, et Glen Campbell gratte ses poux. Herb Alpert, P.J. Proby, Glen Campbell et Delaney Bramlett font les chœurs. Tout cela sous l’égide de Tommy LiPuma et de Snuff Garrett. Un vrai carnet mondain ! Tonton Leon sort à peine de l’adolescence, et le voilà entré dans la cour des grands.   

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             On retrouve ces démos sur Sharon Sheeley - Songwriter, un RPM de l’an 2000. Cette pop datant du tout début des années soixante vieillit affreusement mal. Avec «Guitar Child», Glen Campbell s’en sort bien, car ça sonne comme un hit de juke tapé aux tambourins. Glen prend le chant du menton et balance un solo à l’écho sale. Stupéfiant ! Mais le «Blue Ribbons» qu’il chante à la suite est à pleurer, tellement c’est mauvais. La pauvre Sharon excellait dans la mièvrerie et un chanteur aussi fantastique que P.J. Proby s’est fait piéger à chanter des conneries comme «Trouble», une incroyable soupe aux choux orchestrée aux trompettes mariachi. Ah, il faut avoir écouté «Trouble» pour savoir que ça existe ! Dans «Blue Dreams», Glen Campbell dit : «Your lips I’d like to taste !» - Vas-y mon gars, taste donc ! - On reste dans la pire daube qui se puisse concevoir avec «Thank Heaven For Tears» que psalmodie le pauvre P.J. Glen et P.J. rivalisent d’interprétations ineptes. Encore pire : «It’s Just Terrible». On se demande ce que P.J. fout là. On entend aussi Larry Collins des Collins Kids. Il a grandi, il porte la moustache et il chante «See The Hills» d’une voix de lieutenant du Huitième de Cavalerie. Delaney Bramlett se couvre lui aussi de ridicule avec «Love Is A Stranger», apocalyptique de mièvrerie. Bref, cette compile est surtout difficile à revendre. Même un fan d’Eddie Cochran n’en voudrait pas. 

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             Tonton Leon va faire pas mal de middle of the road : Pat Boone, Connie Francis, Duane Eddy, Johnny Rivers, c’est la musique qui se vend en 1964, aux États-Unis. Il va aussi accompagne Irma Thomas et bosser pour Gary Usher. On l’entend aussi pianoter sur le «Surf City» de Jan & Dean. Gary S. Paxton le recrute pour quelques sessions. Tonton Leon est fier de bosser pour ce géant de Paxton : «He was known for hiring the down-and-out and was a big supporter of musicians in general.» Tonton Leon pianote sur le «Monster Mash» de Bobby Boris Pickett. Paxton permet même à Tonton Leon d’enregistrer en 1962 son premier single avec David Gates : «Sad September», by David & Lee, Lee étant Tonton Leon. C’est James Burton qui gratte ses poux sur la B-side, «Tryin’ To Be Someone». Janovitz dit que Gates et Tonton Leon sonnent comme «the Everly Brothers fronting Buck Owen’s Buckaroos».

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             Alors bien sûr, qui dit Wrecking Crew dit Totor. Janovitz nous emmène au Gold Star. En 1963, Tonton Leon pianote sur le «Be My Baby» des Ronettes. La session dure 36 heures. Quatre pianistes. L’un d’eux s’appelle Michael Spencer : «À ma gauche se trouvait ce mec en costard trois pièces coiffé d’un ducktail. That was Leon Russell before he took acid.» C’est Jack Nitzsche qui ramène Tonton Leon chez Totor : «Leon was an innovative piano player.» Il ramène d’autres surdoués au Gold Star - Harold Battiste, Earl Palmer, Don Randi, Hal Blaine, Glen Campbell: a lot of the players came out of my phone book - En 1963, Nitzsche enregistre son album solo The Lonely Surfer, avec Tonton Leon, David Gates, Hal Blaine et Tommy Tedesco.

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             Lors de l’enregistrement de «Zip-a-Dee-Doo-Dah», Totor s’approche de Tonton Leon, «fait un geste, comme s’il voulait conjurer un vampire et dit : ‘Dumb. Play dumb’.» Tonton Leon rappelle aussi que le studio A du Gold Star pouvait contenir 6 musiciens, mais Totor en faisait entrer 25. Janovitz revient longuement sur ses techniques d’enregistrement : construction de la partie instrumentale, avant d’ajouter les voix. Des dizaines de takes, parfois une centaine, avant qu’il ne soit satisfait. Totor épuisait les musiciens, tant et si bien qu’ils finissaient par oublier toute forme d’individualisme et sonner vraiment comme un ensemble - More of a team, a system, the Wall - Selon Ahmet Ertengun, Totor est le seul producteur capable de sortir «a hit record without a hit artist».

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             Tonton Leon pianote aussi sur A Christmas Gift For You From Phil Spector. Brian Wilson affirme que c’est son album préféré. C’est Darlene Love qui chante «Chritmas (Baby Please Come Home)», co-écrit par Ellie Greenwich, Jeff Barry et Totor. Darlene se souvient qu’au piano, Tonton Leon est devenu fou : «We called it Leon’s little concerto. He just went wild on the piano and when it was finished, he just fell right off the stool.» Janovitz ajoute que Totor fut tellement excité par le piano climax qu’il signa un chèque de bonus pour Tonton Leon. Les musiciens s’accordent à dire que Totor est un peu rude en session, mais tout le monde s’écrase, «because we realized what a great talent he was». Don Randi : «Phil Spector was always excentric, let’s put up this way.» Et puis un jour, Tonton Leon fait une grosse connerie. Pour supporter la tension de la session, il va siffler un litre de vodka pendant une pause. Trois heures et 80 takes plus tard, Tonton Leon grimpe sur le piano et fait un numéro de prêcheur. Alors, Totor, via le micro de la cabine de contrôle, demande : «Leon, don’t you know what teamwork means?», et Leon lui envoie ça dans la barbe : «Phil, do you know what ‘fuck you’ means?». Boom, viré. Ils rebosseront ensemble plus tard, en 1973, sur le brillant Rock’n’Roll de John Lennon.

             Finalement, Tonton Leon n’est pas resté longtemps dans le Wrecking Crew, moins que Carol Kaye, Hal Blaine, Don Randi et Tommy Tedesco - I wasn’t one of the main guys - Ça lui a permis d’acquérir une bonne expérience du studio - That was quite something - Et il conclut à sa façon, pince-sans-rire : «90 percent of the records that I did were bullshit. I mean I didn’t play on any Ray Charles records. Didn’t play on any Mancini records.»

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             Grâce à Jack Nitzsche, Tonton Leon rencontre Terry Melcher, qui n’a que 21 ans et qui est staff producer pour Columbia. Tonton Leon joue sur l’«Hey Little Cobra» que produit Melcher pour les Rip Chords, et en 1965, il joue sur le «Mr. Tambourine Man» des Byrds. Le seul Byrd autorisé à jouer en studio est Roger McGuinn. Melcher fait jouer Hal Blaine et Jerry Cole. Croz et Michael Clarke sont livides de rage. Croz déclare : «So those cats were good, et il y avait de prodigieux musiciens dans le tas. And Leon I guess would be the most highly developped of all of them. He’s some fucking genius.» Melcher demande à Tonton Leon d’accompagner sa mère Doris Day. Leon raconte qu’il flashe sur elle. Par contre, elle ne flashe pas sur son pianotage, mais sur sa «beige Cadillac convertible». Ah les Américaines ! Elles sont d’une vulgarité !

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             Tonton Leon a aussi le privilège de jouer pour Brian Wilson. On l’entend pianoter sur «California Girls» et «Help Me Rhonda». Il est fasciné par le gros Brian : «Au Studio Western, il y avait entre 15 et 20 musiciens. Il commençait avec le premier et lui chantait la ligne qu’il devait jouer. Puis il passait au deuxième, puis au troisième, jusqu’au dernier. Alors il revenait au premier qui avait oublié sa ligne et Brian la lui rechantait. Pareil pour le deuxième. Il leur apprenait le morceau. Et soudain, l’orchestre jouait that shit. I mean, Brian is, when you want to talk about genius, there’s not any like him that I know of. He’s unbelievable.»

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             En 1965-1966, Tonton Leon bosse aussi avec Gary Lewis & The Playboys. Quand les Playboys sont appelés sous les drapeaux, the Tulsa Mafia prend le relais : Tonton Leon, Carl Radle et Jim Keltner. Puis Don Nix fait son apparition dans le circuit. Il ramène ses potes de Memphis, Duck Dunn et Steve Cropper. Nix est fasciné par Tonton Leon : «He was a rock star before he was a rock star.» Comme Dylan, Tonton Leon entre dans une pièce et capte toute l’attention. Leon rencontre aussi Van Dyke Parks avec lequel il s’entend bien. Un Tonton reste un tonton. L’exploit le plus remarquable de cette époque est son rôle actif dans l’enregistrement de Gene Clark With The Gosdin Brothers. Geno déclare : «It was all very intense. Je me souviens d’avoir dit à des gens que je faisais un album avec Leon, Clarence White, Glen Campbell, Chris Hillman, Chip Douglas, and Vern and Rex Gosdin et ils pensaient que j’étais fou.» Les gens disaient : «What a weird combination of people.» Oui, sauf que c’est le meilleur album des Byrds. Et Tonton Leon y a pondu tous les arrangements. Il bosse aussi pour Lenny Waronker, notamment comme arrangeur pour Harpers Bizarre. Selon Waronker, les deux principales sources d’inspiration pour ces sessions étaient les Beach Boys et les Swingle Singers de Paris.

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             Avec Delaney & Bonnie, Tonton Leon entre dans son âge d’or artistique. En évoquant le couple, Janovitz parle d’un «explosive, abusive and toxic mariage.» On les surnomme the Beverly Hillbillies. Delaney & Bonnie allaient attirer pas mal de grands musiciens, dont Tonton Leon. Le couple développe un special power - They sounded like a male-female Sam & Dave - En 1967, Tonton Leon bosse sur un concept, the New Electric Horn Band, avec des musiciens qu’on va retrouver dans le Taj Mahal’s band, dans Delaney & Bonnie & Friends, Mad Dogs & English Men, et Leon Russell & the Shelter People. Il donne des détails : «It was Delaney & Bonnie Bramlett, Don Preston, Don Nix, Chuck Blackwell, Carl Radle, John Gallie, Jim Horn et un mec qui joue maintenant avec Ike & Tina Turner.» Tonton Leon organise de grandes jam-sessions le dimanche. Puis Delaney & Bonnie enregistrent Home, leur premier album chez Stax, produit par Duck Dunn et Don Nix. On y entend les Stax all-stars, Isaac Hayes, The Memphis Horns, William Bell et bien sûr le piano de Tonton Leon. Mais la compagnie de Delaney & Bonnie n’est pas appréciée. Au mieux, on les considère comme des manipulateurs, au pire comme des tyrans. Rita Coolidge les admire : «That band was one of the best bands ever. Je pense qu’ils ont élevé la barre pour tout le monde, partout dans le monde. Bonnie was the powerhouse singer, mais Delaney voulait être the boss and the king. At that time, he hadn’t really turned into such an asshole yet, ou alors ça n’apparaissait pas encore, mais ça n’allait pas tarder.»

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             Mad Dogs sort donc de cette mouvance, du New Electronic Horn Band. Les musiciens constituent une sorte de pot commun. Plus tard, Delaney & Bonnie accuseront Tonton Leon d’avoir volé leur groupe. Pour Mad Dogs, Tonton Leon recrute Bobby Keys, Jim Price, Jim Keltner, Rita Coolidge, Jim Gordon, Carl Radle. Seul Bobby Whitlock reste avec Delaney & Bonnie. Bonnie en chiale encore : «On a été les derniers à le savoir et ça nous a brisé le cœur.» Mais bon, faut avancer. Mad Dogs devient un phénomène, format libre, tribu en tournée, vingt personnes sur scène, du jamais vu, Dylan louche sur le projet. Il le reproduira plus tard sous la forme de la Rolling Thunder Revue. Jim Karstein : «Mad Dogs were a little over the top. They started smoking angel dust and doing a lot of acid and I think cocaine started filtering in.» Tonton Leon voit ça comme un projet purement communautaire : tout le monde mange ensemble et tout le monde baise ensemble. Il voit de grands saladiers de salade - huge trash cans of potato salad, macaroni salad, egg salad - Chris Stainton ajoute : «It was an anything-goes sort of scene, with girls around, and Leon was pretty permissive: let’s put it that way.» Tonton Leon voulait surtout que chacun se sente bienvenu et en sécurité (welcome and safe). Il sait ce qu’il fait, car lors des répètes, il obtient de la tribu un son «tight and so exciting, and Leon was like Duke Ellington.» Tommy Vicari : «It was like a train.» Et il ajoute, émerveillé : «Joe was the star, but Leon was in control of the whole thing.» Vicari est effaré par cette concentration d’énergies et de talents. Pendant toute la tournée Mad Dogs & Englishmen, Joe Cocker est soul. Jim Keltner affirme que tout le monde était sous MDA, l’ancêtre de l’ecstasy - You really get high on that. There were some that had smoked angel dust. We were all drunk. It was a mess - Claudia Lennear confirme que the Mad Dogs & Englishmen thing was cultural - Elle évoque le free love and sex - That’s what that period was all about in the seventies - Toutes les nuits, des gonzesses font la queue dans les couloirs d’hôtels, aux portes de Tonton Leon et de Joe Cocker. Et ce n’était pas que des groupies. Carla Brown : «At the Fillmore East, Janis Joplin said she wanted to suck Leon’s dick until his head fell off.» Ah les Américaines ! Des gens filent de tout à Joe Cocker. Il ne demande même ce que c’est, straight into his mouth. Cocker : «The only difference between one tab and ten tabs of acid is the pain in the back of me neck (sic) Le film qui documente la tournée est resté un classique du ciné rock. Il montre aussi la fin d’un temps, le côté communautaire du rock va disparaître pour laisser place à un rock centré sur le profit, the cashing-in of the sesventies. Mad Dogs va notoirement influencer The Tedeschi Trucks Band. Des promoteurs tenteront même de monter une tournée de reformation, mais Joe Cocker ne voudra pas en entendre parler. Il pense que Tonton Leon s’est servi de lui pour sa propre promo.

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             Pourtant, au début, Joe admirait Tonton Leon, surtout le jour où il lui a joué pour la première fois «Delta Lady» au piano. Tonton Leon l’avait composé en hommage à Rita Coolidge, laquelle protesta car elle affirmait n’avoir jamais été «wet and naked in the garden». «Delta Lady» figure sur le fantastique premier album de Joe Cocker, qui en plus des deux cuts signés Tonton Leon, tape dans Dylan, Leonard Cohen, Lloyd Price, John Sebastian, Lennon/McCartney et George Harrison. Tonton Leon produit l’album et fait les arrangements. Il fait chanter Merry Clayton et Bonnie Bramlett dans les chœurs. Joe vit un temps chez Tonton Leon at 7709 Skyhill Drive - People were very naked. I got the clap there - Il parle de la chtouille, bien sûr. Comme Kim Fowley, il baise les dirty hippie whores. Joe traverse une mauvaise passe, car son manager Dee Anthony lui met la pression pour qu’il tourne aux États-Unis et Joe se dit épuisé. Mais Anthony est une brute. Denny Cordell n’aime pas Dee Anthony - I hated him.

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             Denny Cordell est un producteur anglais à succès : il est connu pour avoir lancé les Moody Blues et Procol Harum. C’est lui qui conseille aux Moody Blues de reprendre le «Go Now» de Bessie Banks - Cordell’s taste was impeccable - Puis «A Whiter Shade Of Pale» fait de lui un homme très riche. Il se réinstalle en Californie en 1970 et rachète le contrat de Tonton Leon chez Mercury pour fonder Shelter Records avec lui. Dans la foulée, Cordell ramène son poulain Joe Cocker en Californie. Ils vont aussi relancer la carrière de Freddie King qui est déjà une légende. Tonton Leon décide d’enregistrer Getting Ready chez Chess à Chicago. Il le co-produit avec Don Nix qui déclare : «That’s where the big blues hits were cut.» Duck Dunn débarque à Chicago pour jouer sur l’album. Don Nix est émerveillé par la classe de Freddie, «with this biggest-ass grin on his face» - He was just one of the best artists I’ve ever had anything to do with - Don Nix ramène son «Going Down» qu’il avait composé pour Moloch à Memphis. Mais Tonton Leon n’aime pas le cut. Là, il se fout le doigt dans l’œil. Freddie adore «Going Down» - So Leon had no choice - Tonton Leon flashe aussi sur Willis Alan Ramsey - He was a very strange guy, a beautiful singer and guitar player and writer - Ramsey lui gratouille quelques cuts et Tonton Leon le signe right on the spot. On voit Ramsey dans A Poem Is A Naked Person, le film qui documente la vie de  Tonton Leon de 1972 à 1973. Tonton Leon tire le titre du film des liners de Bringing It All Back Home. L’album Willis Alan Ramsey est devenu culte. On y reviendra. Quant à Les Blank, le réalisateur du film, c’est encore toute une histoire. Janovitz en fait des pages et des pages. Passionnant ! Pour résumer, Cordell et Tonton Leon ont repéré Blank via son docu The Blues Accordin’ To Lightnin’ Hopkins. Ils lui demandent de tourner un «verité-style (sic) profile of Leon for television». Les Blank finissait juste de tourner Dry Wood et Hop Pepper, un docu sur Clifton Chenier, c’est dire si ce mec est intéressant. Tonton Leon est friand de cinéma underground, notamment les films d’Andy Warhol et de Dennis Hopper. Son film préféré est Mondo Cane. Mais il va bloquer la parution d’A Poem Is A Naked Person. Pas question de le commercialiser. Les Blank mourra avant que Tonton Leon ne donne enfin son autorisation. C’est Harrod, le fils de Les Blank, qui va l’obtenir. 

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             Alors on revoit le film. Blank le tourne à Grand Lake, pas très loin de Tulsa, Oklahoma. Tonton Leon est un beau mec. On le voit pianoter «Jimabalaya» sur scène - Son of a gun - Plan rock parfait. Puis Blank filme George Jones en studio. Il chante sa country song avec une classe terrifiante - The first time I heard your voice - On tombe immédiatement sous le charme. Blank essaye de faire un film surréaliste : il filme ensuite le peintre Jim Franklin dans la piscine que Tonton Leon vient de faire construire. Franklin ramasse les scorpions dans un bocal, puis voilà Willie Nelson encore jeune. Ce n’est pas un hasard si Tonton Leon s’intéresse à des artistes aussi magnifiques que George Jones et Willie Nelson. Lorsqu’on voit danser les Navajos, on comprend que Blank tourne un film surréaliste sur l’Americana - Le Bliss Hotel explose, un boa avale un chicken, un mec mange du verre, alors forcément ce docu sur Leon n’est pas un docu, mais un Blank movie. Apparaît un mec étrange, Eric Anderson, une sorte de hippie punk qui chante un peu comme Nicck Drake. Le percussionniste Ambrose Campbell s’exprime et puis on voit les Shelter People sur scène, Chuck Blackwell et Don Preston qui sont un peu des clones de Tonton Leon. Résultat final : Tonton Leon n’aime pas le film. 

             Aux yeux de Janovitz, Cordell est plus un music fan qu’un record executive comme Clive Davis ou Ahmet Ertegun. Tonton Leon et lui finiront pourtant par se fâcher. Un jour, Jimmy Karstein demande la raison de cette fâcherie à Tonton Leon qui lui répond : «Well, I asked him a question, and he failed.» Quelle question ?, demande Karstein. Leon : «Where’s the money?»

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             Celui que Tonton Leon admire le plus, c’est Dylan, un Dylan qui l’emmène faire un tour dans Greenwich Village et qui lui montre les endroits qui lui ont inspiré des chansons. Dylan vient participer au Bengladesh concert. Il chante deux cuts tout seul puis demande au roi George et à Tonton Leon de l’accompagner : le roi Geoge à la gratte et Tonton Leon on bass - We tried a song or two, then I suggested that Ringo join us on tambourine - C’est avec le concert du Bengladesh que Tonton Leon devient an absolute superstar. Peter Nicholls : «The crowd went absolutely fucking nuts.» Et il ajoute, en proie à l’émerveillement congénital : «The sound of his voice!». Leon fait des banshee yowls avec les chœurs sur «Jumping Jack Flash». En coulisse, il assiste aussi à la métamorphose de son idole : «Quand Bob Dylan était en coulisse, il avait l’air d’un mec ordinaire, mais en arrivant sur scène, il changeait du tout au tout... His presence became all-powerful.»

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             Tonton Leon tombe amoureux d’une black nommée Mary McCreaty et l’épouse. Mary n’est pas née de la dernière pluie : elle a fréquenté Vaetta Vet Stewart, la sœur de Sly Stone, et monté avec elle un gospel group, the Heavenly Tones. Elle est pote avec Patrick Henderson, the Gap Band et surtout la fabuleuse Maxyan Lewis, qu’on a croisée ici, inside the goldmine. Mary a aussi enregistré l’un des premiers albums parus sur Shelter, Butterflies In Heaven. Tonton Leon et Mary vont enregistrer deux fantastiques albums ensemble, Wedding Album et Make Love To The Music, faire deux gosses ensemble, Tina Rose et Teddy Jack. Puis Mary va devenir la pire ennemie de Tonton Leon. Elle va même le traîner en justice pour lui pomper du blé et lui interdire de voir ses gosses pendant dix ans, jusqu’à leur majorité. Majeurs, Tina Rose et Teddy Jack viendront s’installer chez leur père. Le Gap Band enregistre son premier album Magician’s Holiday sur Shelter. Tonton Leon prendra ensuite le Gap Band comme backing band en tournée, et pour l’enregistrement de Stop All That Jazz. Avec le Gap Band, Tonton Leon renoue avec le son qu’il aime, Billy Preston, Allen Toussaint, les Meters, Stevie Wonder et Sly & The Family Stone.

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             Shelter, c’est aussi le Dwight Twilley Band, eux aussi originaires de Tulsa, comme Tonton Leon. Dwight Twilley quitte Tulsa pour échapper à l’ombre de Tonton Leon qui est partout et pouf, il arrive à Los Angeles et sur qui qu’il tombe ? Sur Tonton Leon. Ça s’appelle un destin. Twilley ajoute même qu’il avait peur de Tonton Leon à Tulsa : «He kind of scared me.» Puis il finit par faire sa connaissance à Los Angeles et l’apprécie. Il est même invité chez lui, à Skyhill. On apprend à l’instant que Dwight Twilley vient de casser sa pipe en bois. On y revient. 

             Et voilà Kim Fowley qui refait surface 18 ans après l’épisode Gary S. Paxton. Paxton et Kim avaient filé à Tonton Leon l’un de ses premiers jobs de session man. En 1978, Tonton Leon et Kim co-écrivent les cuts d’Americana. Kim raconte dans ses souvenirs que Tonton Leon l’a fait chialer lors de l’enregistrement de l’album : «Il s’est tourné vers moi et m’a dit : ‘Do you know how good you are?»’. Je me suis mis à chialer devant lui et devant tout l’orchestre, parce qu’il était le premier à me dire que j’étais bon.»  

             Tedeschi et Trucks seront donc les seuls héritiers du phénomène Mad Dogs & Englishmen. Ils voient le film la tournée Mad Dogs en 2005 et flashent dessus - Our band was loosely based on that concert footage - L’oncle de Trucks, Butch Trucks, jouait dans les Allman Brothers, «another family/communal band», donc il y avait de sérieuses prédispositions. Trucks flashe aussi sur le look Father Time de Tonton Leon. Il tente de relancer la machine avec une sacrée affiche : Tedeschi Trucks Band presents Mad Dogs & Englishmen with Leon Russell, Rita Coolidge, Claudia Lennaer, Chris Stainton. Ils embauchent aussi Chris Robinson des Black Crowes qui avoue que l’album Mads Dogs & Englishmen constitue son ADN. Même chose pour Steve Earle. Trucks & Tedeschi rêvaient aussi accompagner Joe Cocker, mais le vieux Joe venait tout juste de casser sa pipe en bois - He died from cancer before the concert.

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             En 1965, Tonton Leon transforme sa baraque de Skyhill, au Nord de Mulloland Drive, en studio - The whole house is a studio - Il devient un vampire, vit la nuit et dort le jour. Les voisins croient que des Hells Angels vivent à Skyhill, car ils voient des tas de bagnoles et de motos, «and loud music at all hours of the day and night». Karstein : «It was a twenty-four-hours-a-day deal there», et un autre témoins ajoute : «There were plenty of girls around». Il apparaît bien vite que Tonton Leon aime partouzer. Influencé par ce qu’il a vu à Muscle Shoals et chez Stax à Memphis, il monte un house-band. C’est l’époque où il essaye de chanter comme Bonnie Bramlett - At that time, we was all trying to sing like Bonnie Bramlett - On le compare plus volontiers à Doctor John qui, à l’inverse de Tonton Leon, en bave pour survivre. Tonton Leon impressionne Bobby Keys : «Tout le monde savait que Leon was superior. He was a phenomenal pianist and stylist. Il était ce que tous les autres Okies et Texans voulaient devenir : he had a black Cadillac, he had his own house in the hills, he had a studio in his house and he had chicks up there day and night.» C’est la Dolce Vita hollywoodienne. Skyhill devient un lieu célèbre. Don Nix y vivra un certain temps.

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             C’est là que Tonton Leon enregistre les deux fabuleux albums d’Asylum Choir avec Marc Benno. Pour «Soul Food», il invente a new funky rock’n’roll blend of gospel, Soul, country and blues. «Soul Food» se trouve sur le balda de Look Inside The Asylum Choir. L’album est un vrai shoot de Beatlemania, dès «Welcome To Hollywood», on entend les trompettes de Sergent Pepper. «Icicle Star Tree» sonne très anglais. On sent bien la graine de superstars. On croit entendre les Beatles dans «Death Of The Flowers», mais la tendance se confirme en B avec «Thieves In The Choir» qu’il chante exactement comme le ferait John Lennon, puis «Black Sheep Boogaloo», qui charrie des échos de «Drive My Car». Tonton Leon pousse bien le bouchon du bye/ Bye bye. Il sait déjà rocker la masse volumique d’un gros cut.

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             L’Asylum Choir II tape moins dans la Beatlemania. C’est le pur Skyhill sound. Tonton Leon et Marc Benno tapent une belle cover de «Sweet Home Chicago». Ça sent bon le studio cosy. On tombe au bout du balda sur l’énorme «Tryin’ To Stay ‘Live», nettement plus honky tonk, pianoté à la Tontonnerie affirmée. Il affecte bien sa voix. En B, il se fâche encore avec «Straight Brother». Il y va au heavy pounding. Il sait driver un Asylum. Comme son nom l’ind-ique, «Learn How To Boogie» est un solide boogie bardé de maniérismes à la Lennon. Il propose globalement un rock extrêmement pianoté, bien produit, souvent ambitieux et toujours chanté avec caractère, comme le fait Dr John sur ses albums. Leon sonne comme un chevalier Tontonique, «When You Wish Upon A Fag» swirle bien au gratté de poux.

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             Avant d’être une superstar, Tonton Leon est un amateur de femmes. C’est en tous les cas ce qui ressort de ce fat book. Quand il voit Rita Coolidge pour la première fois, il tombe amoureux d’elle. Mais elle vit avec Don Nix. Il dit à Don Nix de le prévenir si leur histoire s’arrête - If you ever break up with Rita, let me know - Six mois plus tard, Don Nix l’appelle pour lui dire qu’il peut venir récupérer Rita, redevenue célibataire. Tonton Leon débarque le lendemain, après avoir largué sa poule Donna. Don Nix va récupérer Tonton Leon à l’aéroport et l’amène au Sam Phillips Recording studio où Rita et sa sœur Priscilla font des backing vocals. Pouf, c’est vite réglé. Tonton Leon achète une ‘60 Ford Thunderbird et ramène Rita en Californie, en novembre 1968. Tout se passe bien pendant un temps, mais Tonton Leon veut partouzer avec Rita, et elle n’aime pas trop ça. Il commence par proposer un threesome avec Carl Radle - Maybe if we had Carl Radle come over, cause I know you like Carl - Tout le monde à poil ! Ça fout la relation par terre, en tous les cas, c’est ce qu’elle raconte dans son autobio. Tonton Leon la vire. Puis il tombe amoureux de Chris O’Dell, une expat américaine qui a vécu à Londres et bossé pour les Beatles. Tonton Leon réussit à la faire revenir en Californie - There was some weird, interesting sexual experimentation - et rebelote, il propose à Chris de partouzer. Chris O’Dell trouve ça uncomfortable. Claudia Lennear n’est pas très partante non plus pour les orgies. Elle est aussi l’une des muses de Tonton Leon. Comme Jesse Ed Davis ramène de l’angel dust à Skyhill, ça n’arrange pas les choses. Tonton Leon en fait une grosse conso. Eh oui, c’est non pas le temps des cerises, mais le temps du sex & drugs & rock’n’roll, c’est-à-dire le sel de la terre. 

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             Avec le Bengladesh concert, Tonton Leon atteint son pic de célébrité. Selon Al Aaronowitz, les freaks vont trouver Leon pour lui dire qu’il est le nouveau Jésus - Ça faisait dix ans que Dylan et les Beatles se tapaient cette adulatory crap et Leon affirmait que ça n’allait certainement pas lui tourner la tête - T Bone Burnett dit même qu’il aurait pu devenir «a huge star if he had wanted to be. But I guess he didn’t want to be.» Lorsqu’il se retrouve on top of the world, il décide de se mettre au vert, à Tulsa. Il n’aime pas tout ce qui accompagne la célébrité, «having to schmooze, the interviews, record executives, radio promotion. He moved back to Tulsa to get away from the hype.» Il s’installe dans ce qu’il appelle «a small fishing cabin on Grand lake O’ the Cherokees», à 100 bornes au nord de Tulsa. Il y recrée l’ambiance de Skyhill - a creative gathering spot on the lake - En 1972, il envoie Patrick Henderson recruter des backing singers à Dallas. Il en ramène quatre. Blue, qui est la fille aînée de Tonton Leon se marre : «From late ‘72 to ‘73, my dad had many many many girfriends.» Il en pince pour la musique noire, mais aussi pour la country. Willie Nelson indique qu’ils ont tous les deux le mêmes «musical roots : Hank Williams, Bob Wills, country black blues.» À Grand Lake, Tonton Leon bosse avec the Shelter People, le groupe qui l’accompagne en tournée. Il se fait faire dix costards de cosmic cowboy et fait coudre des pierreries dessus (rhinestones). Il devient une sorte de rhinestone cowboy, comme David Allen Coe. On parle aussi de lui en termes de «dark magnetism» et même de «rock evangelism». En 1974, il fait une petite crise de parano et se sépare de Peter Nicholls, de son groupe et prend ses distances avec Shelter et Denny Cordell. Il passe du stade de Master of Space and Time à celui d’«Oklahoma patriarch». Il n’a que 35 ans et Mary, sa femme, 25. Mais comme les blancs du coin sont racistes et que Mary est black, Tonton Leon est obligé de quitter la région.

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    ( Dernière demeure de Leon Russell)

             Il reste cependant un homme complexe. Bill Maxwell le compare à Dylan, «extremely friendly, intelligent, extremely kind, until they don’t want to talk to you anymore, and a wall goes up.» Il faut faire avec, et pour les potes de Tonton Leon, c’est pas simple. Côté addictions, il s’est un peu calmé depuis le temps de l’angel dust à Skyhill. Blue dit que ses addictions étaient «straight-up food and sex». Il voit pas mal de porno à la télé, même dans le bus de tournée. Il prend aussi du poids et dit que de porter ses lourds costards de rhinestone cowboy lui en fait perdre. À 33 ans, il a déjà un look de vieux pépère. Il a les cheveux blancs et marche en boitant.  Quand mary le quitte et lui déclare la guerre, il tombe en ruine. Elle lui fait des procès, «just basically nuisance suits». Cette vache lui réclame 500 000 $ qu’elle obtient, car il veut passer à autre chose, mais elle continuera de lui pomper du blé jusqu’à la fin - She was evil, dira-t-il à Jan, sa nouvelle poule - Tonton Leon est au plus bas et Willie Nelson vole à son secours. Puis en 1981, il s’installe à Hendersonville, dans le Tennessee, avec Jan qui va lui faire trois gosses, Shugaree, Coco et Honey, ce qui avec Blue, Teddy Jack et Tina Rose lui en fait six en tout. La maison du Tennessee avait appartenu à Felice et Boudheaux Bryant, les fameux auteurs de hits pour les Everly Brothers. Dans le milieu des années 80, Tonton Leon a perdu le cap. Il est passé du superstardom au rien-du-tout-dom. Sa seule consolation est de voir arriver chez lui Teddy Jack et Tina Rose, devenus majeurs. Ils s’entendent bien avec Jan, qu’ils appellent Mommy. Ils vont vivre avec leur père durant les années 90. Puis le couple s’installe avec toute la tribu à Sideview, c’est-à-dire à Gallatin, dans le Tennessee. Blues qui a aussi fondé une famille vient s’installer à Sideview. Bien qu’affaibli par un vieillissement précoce, Tonton Leon continue de tourner. Hank Williams Jr. lui propose 14 dates en première partie, mais Tonton Leon le prévient que si ça déraille à cause de ses percussionnistes nigérians, il quittera la tournée. Tom Britt : «En plein milieu de la première chanson, un mec lance une bouteille de whisky sur les Nigérians. We all walk off. End of tour.» Tonton Leon traverse une période misérable, conduisant des bus pas très fiables à travers les états, ce qui lui vaut le surnom the Miser of Space and Time. Eh oui, les temps sont durs. Tonton Leon survit à la fois artistiquement et financièrement. Le couple finit par s’installer à Harmitage, à proximité de Nashville. Cette belle demeure avait été construite pour Dennis Linde, l’auteur de «Burnin’ Love».

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             Il revient dans le rond du projecteur avec le projet d’Elton John et l’album The Union. Mais on l’a dit dans un Part Two, Elton John squatte quasiment tout l’album et fout la pression sur Tonton Leon qui n’aime pas ça : «Elton sort of insisted that I have a producer. Well I’m not a guy that has producers.» Pour Life Journey, l’avant-dernier album qu’il enregistre, son manager Barbis veut mettre Don Was sur le coup pour faire un rock’n’roll album, mais Tonton Leon préfère Tommy LiPuma «from the Blue Thumb days». LiPuma avait produit des gens comme Al Jarreau, Dr John et Diana Krall, mais aussi le Tutu de Miles Davis. Janovitz ajoute que pendant les deux dernières années de sa vie, Tonton Leon se bat pour boucler les fins de mois. Et tout ça se termine à l’hosto avec des problèmes de santé classiques, comme dans tous les romans dignes de ce nom. Tonton Leon est un peu le Johann August Suter que décrit Cendrars dans l’Or. Cette bio a le souffle d’un destin qui n’a de tragique que sa banalité. Chacun de nous finit par mourir, au terme d’une vie bien remplie ou pas.

             Selon Janovitz, Tonton Leon restera «an elite songwriter and one of the greatst arrangers and bandleaders of his generation.»

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             Alors qu’on allait refermer provisoirement ce chapitre, un beau Tribute est tombé du ciel : A Song For Leon - A Tribute To Leon Russell. Une petite équipe d’artistes s’est amusée à taper dans tous les vieux hits du Père Noël, à commencer par l’excellent chanteur masqué Orville Peck. Il tape directement dans «This Masquerade». Belle présence vocale. Le mec est bon, la compo est bonne, alors que peut-on espérer de plus ? Rien. Autre surprise de taille avec U.S. Girls & Bootsy Collins qui tapent «Superstar». C’est fabuleusement travaillé à la black, bien nappé de sucre candydo black, ils traînent le groove dans une étonnante poussière d’étoiles. On passe aux choses très sérieuses avec les Pixies et «Crystal Closet Queen». Okay ! Le gros tape dans le tas. Sans fioritures. Dans le vrai tout de suite. C’est Pixelisé à outrance. Le gros te déglingue vite fait la carlingue. Il abuse de son génie purulent pour exploser Tonton Leon. Et puis voilà Monica Martin et «A Song For You», the Beautiful Song par excellence. Océanique, chanté au fil de la respiration, avec des accents connus de type «Imagine». Quand on réécoute la version originale sur l’album bleu sans titre de Leon Russell, on trouve la voix trop maniérée, effet bizarre. C’était très stéréotypé. La bonne surprise du Tribute vient aussi de Bret McKenzie & Preservation Hall Jazz Band avec «Back To The Island», mid-tempo tapé au big power de big bassmatic et de slide volage, pur jus d’Americana, très fidèle à l’esprit leonien. Signalons aussi le très beau développement durable de Margo Price avec «Stranger In A Strange Land», et cette belle Soul qui aurait tant plu à Tonton Leon, celle de Durand Jones & The Indications avec une cover d’«Out In The Woods». Durand ne fait pas semblant. En plus ça rime.

    Signé : Cazengler, Léon recèle

    Bill Janovitz. Leon Russell. The Master Of Space And Time’s Journey Through Rock & Roll History. Hachett Book Group 2023

    Asylum Choir. Look Inside The Asylum Choir. Smash Records 1968

    Leon Russell & Mark Benno. Asylum Choir II. Shelter Records 1969

    A Song For Leon. A Tribute To Leon Russell

    Les Blank. A Poem Is A Naked Person. 1974. Réédité en DVD

     

     

    L’avenir du rock

     - Hello Dulli, mon joli Dulli

     (Part Three)

     

             La scène se déroule au club. Confortablement calé dans un Chesterfield, l’avenir du rock passe une agréable soirée en compagnie de ses amis, tous des professionnels versés dans les nouvelles technologies.

             — Alors tu résistes toujours à l’appel des sirènes, avenir du rock ? Toujours pas de smartphone ?

             — Nulle envie d’entendre bip-bipper ces machines à tout instant, écoute la tienne, c’est infernal ! Cling... Cling... Aucun smartphone, si smart soit-il, ne me sortira Dulli.

             — Tu as tort de te priver du confort de cet outil. Il te permet de checker tes mails lorsque tu es en déplacement, de surveiller tes comptes au Luxembourg et de visio-conférer avec tes prospects. Tu peux tourner des vidéos en MP4 pour e-coacher tes modules d’e-learning et même stocker des gigas de data. Tu peux aussi visionner des clips de rock sur YouTube...

             — Pas de chance, Marco, je ne vais jamais sur YouTube. Trop de pub. Je vais plutôt sur Dulli Motion.

             — Tu es tout de même très atypique, comme profil. Désolé d’avoir à te dire ça. Tu ne fais rien comme les autres. Il y a quelque chose d’élitiste chez toi, non ?

             — Tu te plantes, Marco. Il m’arrive comme tout le monde de prendre un Dulliprane 1000 effervescent quand j’ai mal au crâne.

             — Ce qui m’épate le plus, c’est que contrairement à nous, tu passes très peu de temps sur le net. Tu pourrais te créer un fil à la patte du caméléon, ha ha ha ha !

             — Non, ces outils-là ne m’intéressent pas. J’ai pas mal de chats à fouetter. Même trop ! Never a Dulli moment !

             — Tu devrais au moins prendre l’avion de temps en temps et voyager. Appelle l’agence Nouvelles Frontières à Montparnasse et demande Erwin de ma part, il te fera des prix. Et comme ça, tu pourras passer au duty free et nous ramener une bonne bouteille de scotch irlandais !

             — Quand je voyage, figure-toi que je ne passe jamais au duty free. Je préfère le Dulli free.

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             Une fois de plus, il s’en sort bien, l’avenir du rock. Il préfère parler de Greg Dulli plutôt que des gadgets de la modernité. Greg Dulli est un artiste tellement génial qu’il échappe au radar du mainstream. C’est à ça, aujourd’hui, qu’on reconnaît les vrais artistes. Ils passent à travers les mailles du filet corporatiste et parviennent ainsi à préserver leur intégrité, comme le firent jadis résistants traqués par la Gestapo. 

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             Greg Dulli a remonté les Afghan Whigs et le nouvel album s’appelle How Do You Burn? Rien qu’à voir la pochette, on sait que c’est un magnifique album : voyons-le comme le Miami du Gun Club qui serait revu et corrigé par le plus tragiquement neurasthénique des visionnaires, Dulli de la terre.  Crack boom dès «I’ll Make You See God». Explosif ! Noyé de son, le pauvre Dulli chante la gueule dans l’eau, ahhhhhbllbllbblll, avec des accords électrocutés, schherrkkrkkrk, c’est d’une violence de la mort qui tue, ça coule dans le dos comme une eau glacée, ça pulse au froid qui extermine toute idée de chaud, ça te fatalise une falaise de marbre. Les Whigs compressent tout le power du rock américain dans un seul cut, un cut qui respire à peine, congestionné à l’extrême, c’est d’une violence qui force la courbe des tropiques, yeah yeah yeah, il n’existe plus rien après un tel ramdam, c’est un beffroi qui s’écroule sur toi, là, tu sais que tu as besoin de prendre du temps pour comprendre ce qui se passe, pour appréhender cette dégelée ultra-dullique, ça grimpe encore dans les degrés du fucking hell et ça brûle à l’intérieur, comme un alcool beaucoup trop fort. Puis Dulli nous fait du heavy Dulli de Getaway avec «The Getaway». Pire encore : l’«I’ll Make You See God» te sonne tellement les cloches que tu as du mal à prendre les cuts suivants au sérieux. Voilà qu’arrive dans tes oreilles «Catch A Colt», un cut inqualifiable, presque putassier. Mais c’est du Dulli, alors tu fermes ta gueule. Le problème est qu’on attend des miracles de cet homme et les miracles se raréfient. «Jyja» peine à jouir, Dulli plonge au plus profond du deepy deep, c’est assez heavy, mais toujours pas de hit dans la hutte. Il remonte à la surface pour «A Line Of Shots». Pas facile de faire des big albums, n’est-ce pas, Dulli ? Il finit par sonner comme U2 ce qui n’est pas un compliment. Il ramène encore tout le son qu’il peut dans «Domino & Jimmy», c’est une belle apocalypse, mais rien de plus. Il pourrait bien être profondément affecté par la disparition de son ami Lanegan. Il semble avoir perdu sa voie. Maintenant il est tout seul, il semble paumé. Ses cuts ne mènent nulle part. On assiste en direct à la Bérézina de Napoléon Dulli. Ça s’agite encore un peu avec «Take Me There». C’est tragique, car le power brille par son absence. Dulli finit par aller se crasher dans les flammes d’«In Flames», criblé par les notes d’un solo problématique, il rend l’âme dans des convulsions extravagantes et nous laisse en héritage un monstrueux shoot d’Atmopshérix vénéneux. 

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             Pour se remonter le moral, le mieux est de plonger dans la rubrique ‘Album by Album’ que propose Uncut, et qui est ce mois-ci consacrée à Greg Dulli, qualifié par la chapôteuse Sharon O’Connor de «torrid grunge Soul man». Dulli passe en revue tous ses classiques et donne de sacrés éclairages. Il dit s’inspirer du classic rock et du classic metal. Quand on lui dit qu’«I’ll Make You See God» qui ouvre le bal d’How You Burn sonne comme du Queens Of The Stone Age, il répond que l’«Highway Star» de Deep Purple était sa North Star. Il indique ensuite que «Line Of Shots» «is built on a mash of Buzzcocks and The Smiths.» Puis il révèle que Van Hunt chante «Jyia» et «Take Me There» - He’s kind of the secret weapon of the record - Il revient aussi sur Lanegan et les Gutter Twins. Il leur a fallu 5 ans pour enregistrer Saturnalia - I named the record, he named the band - Dulli dit qu’il est très fier de cet album - I know we were making something cool, and we did - Il célèbre aussi la trilogie Congregation/Gentlemen/Black Love. Il dit que «Blame Etc» «is really my attempt at writing a Norman Whitfield-style Temptations song. That’s where I was coming from with that, with the wah-wah and the strings. I remember trying to get inside the David Ruffin head, a little bit.» Il rend un fantastique hommage à David Ruffin, «he seemed like a guy who had it all and just destroyed it.» Il revient aussi sur les Twilight Singers et Blackberry Belle - It might be my favorite record - Dulli a raison : Blackberry Belle est une bombe.

    Signé : Cazengler, Salvatorve Duli

    Afghan Whigs. How Do You Burn? Royal Cream Records 2022

    Greg Dulli. Album by Album. Uncut # 305 - October 2022

     

     

    Inside the goldmine

     - Le vert Garland

     

             Au premier abord, Michel Garant semblait extrêmement sympathique. Il passait son temps à sourire et à bavacher. Rien ne pouvait le contenir. Son débit oral était celui d’un fleuve en crue. Il charriait de tout, surtout du rock et du moi-je. Il passait d’un sujet à l’autre sans crier gare et soudain, il trébuchait, tournait trois fois autour d’un mot pour repartir dans une direction opposée, ce qu’on fait tous lorsqu’on perd le fil face à un auditoire. Si par hasard tu lui coupais la parole, il sautait sur la première occasion de reprendre le leadership. Pas par souci de domination. Michel Garant était naturellement extraverti. Il ne se rendait même pas compte qu’il devenait pénible, et, à force de vouloir se faire passer pour un être charitable, bienveillant, intelligent, «de gauche», comme il disait, et soit disant ouvert sur le monde, il finissait par provoquer l’effet inverse. Il transgressait tellement son pseudo-angélisme qu’il générait chez certains de ses interlocuteurs un agacement tel qu’ils peinaient à le dissimuler. Le problème, c’est que Michel Garant était très con, mais il ne s’en rendait même pas compte. À ses yeux, «tout le monde il était beau et tout le monde il était gentil», à commencer par lui. Lui, rien que lui. Lui, encore lui. Si son nombril avait eu des dents et une langue, il aurait parlé du nombril. Il gravitait en orbite autour de lui-même, il ne captait le monde extérieur qu’à travers son prisme, ce qu’on fait tous, mais il l’assujettissait à son modèle mental pour le transformer en ce discours insupportable qu’il déroulait à l’infini et qui donnait la nausée à tous, sauf à lui. On le plaignait secrètement, mais bien sûr, il n’était pas question de lui causer la moindre peine. Son ultra-suffisance, cette adoration immodérée de lui-même cachait de toute évidence une fragilité extrême. Le prier de fermer sa gueule l’aurait sans doute anéanti. Comment peut-on vouloir du mal au roi des cons ?

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             Michel Garant et Garland Green, n’ont rien de commun, si ce n’est une vague forme de consonance. Garant vit dans son monde, et Garland dans le sien. D’un côté le blanc et de l’autre le noir. D’un côté le néant absolu, et de l’autre l’avenir du monde, c’est-à-dire la Soul. Garland Green est un Soul Brother de Chicago. On le croise sur ses albums, mais aussi dans toutes les bonnes compiles de Soul.

             Éminent spécialiste de la Chicago Soul, Robert Pruter transforme la vie de Garland Green en conte de fées. Le roi du barbecue Argia B. Collins trouva la voix du jeune Garland intéressante, alors il l’envoya au Conservatoire de Chicago étudier le piano et le chant, puis il transforma son prénom Garfield en Garland. Dans la foulée, un certain Mel Collins tomba sous le charme de Garland. La femme de Collins n’était autre que l’ex-Ikette Joshie Jo Armstead, devenue une compositrice de talent. Elle allait co-signer «Jealous Kind Of Fella».

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              Quand tu vois Garland Green sur la pochette de Jealous Kind Of Fella, tu as l’impression de voir un gentil géant. Il est accueilli dans son morceau titre par des chœurs de Sisters. Ce gentil géant est un crack. Il crack-boom-hue la Soul avec le power du vert Garland. Son «Jealous Kind Of Fella» est le froti le plus gluant de l’histoire des frotas. Ce hit date de 1969. Avec «Mr Misery», il passe aussi sec au coup de génie. Il éclate son cut dans l’écho du temps et on comprend qu’il soit devenu culte. Pur genius - Won’t you leave me alone - Stupéfiante qualité. On reste dans le très haut niveau avec «All She Did (Was Wave Goodbye To Me)». Ce mec est bon, il règne sur son empire. Ce magnifique artiste fait de la Soul des jours heureux avec «Ain’t That Good Enough», puis il épouse les courbes du groove avec «You Played On A Player», mais il le fait avec la poigne d’un black aux mâchoires d’acier. Il enchaîne avec une fabuleuse pop-Soul d’anticipation, «Angel Baby». Il profile son hit sous l’horizon. Il sait driver un suspense. Il grimpe à l’Ararat avec ses nerfs d’acier. Des mecs comme lui, tu n’en verras pas beaucoup. Encore de la fabuleuse Soul d’Uni Records avec «He Didn’t Know (He Kept On Talking)», c’est travaillé au doux du doux, ambiance magique à la Fred Neil avec des nappes de cuivres. Et cette belle aventure s’achève avec un «Let The Good Times Roll» amené au groove élastique. Baby !, tu le reçois en plein, le vert Garland y va, sa voix fait le poids et c’est vaillamment coiffé aux nappes de cuivres.

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             On retrouve notre gentil géant sur la pochette de Love Is What We Came Here For. Au dos, tu le vois faire du jogging sur la plage. Le vert Garland est un géant éminemment sympathique. Son «Let’s Celebrate» est un coup de génie diskö. Il est le roi du dancefloor. Mais cet album est essentiellement un album de groove, comme le montre «Shake Your Shaker», il te shake ça avec une classe inébranlable. Il est dans le lose control, dans l’all over, il tape ça au mieux des possibilités. Le vert Garland est un diable Vauvert, on est content d’avoir fait sa connaissance. Il groove de plus belle avec «Let Me Be Your Preacher». On aime bien l’idée que ce black soit heureux et qu’il puisse courir sur la plage pour entretenir sa santé. Allez Garland, au boulot ! Il revient avec «I’ve Quit Running The Streets», pas de problème, Garland does it right - I’m going ho-ho ! - Il fait aussi des balladifs fantastiques, comme le morceau titre. Il a de l’appétit pour l’horizon. Il groove encore le r’n’b d’une voix grave dans «I Found Myself When I Lost You», c’est excellent, coloré, juteux, fruité, groovy. Garland vise toujours le côté coloré du son. Il manie l’insistance avec dextérité. Tu as deux bonus à la suite, dont un «Shale Your Shaker» plus diskö et plus sexe. Big bassmatic to the diskö sound !  - The way you shake around - Il y a en Garland Green une pâte d’amande, une Green touch, il groove au shake it on up, ça veut dire ce que ça veut dire. Et puis avec «Don’t Let Love Walk Out On Us», il fait son Barry White. Il t’enrobe les trompes d’Eustache vite fait. Il te ramollit les fourches caudines. Le vert Garland est un prince de la Soul. 

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             En 1983, alors qu’il est installé en Californie, il enregistre un album sans titre, Garland Green. Le plus stupéfiant est qu’il n’y aucun liner dans la boîte : le 4 pages n’est même pas imprimé, à part la une. Mais on sait que c’est produit par Lamont Dozier. Alors, on se console avec «Nobody Ever Came Close», une heavy Soul de dude en forme de Beautiful Song. Il attaque sur le ton de la confession, c’est excellent, une vraie chape. C’est un slow groove de rêve éveillé. Il te l’emballe vite fait. Il attaque d’ailleurs avec un hit de Lamont, «Tryin’ To Hold On». Il est sincère - I’m just tryin’ to hold on/ To my woman/ To my life - Ça va, Garland, on te croit. Mais il insiste. Alors on l’écoute. Lamont fait les backing vocals. Il fait aussi les arrangements de «You Make Me Feel (So Good)». Il chante son «System» la main sur le cœur et son «Love’s Calling» d’une voix solide. C’est un Soul Brother effarant d’assise. Garland est du genre à ne jamais lâcher la rampe. Il faut le signaler, car ça ne court pas les rues. «Love’s Calling» reste de la big Soul de calling you/Calling me. Il boucle l’album avec «These Arms», une heavy dance Soul de Lamont Dozier. C’est forcément énorme. On est une fois de plus effaré par l’incroyable power du vert Garland. Il est superbe et invincible. Black power all over. Grâce à Lamont, ça bascule dans la magie noire. 

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             En matière de compiles, la reine de Nubie s’appelle The Very Best Of Garlan Green. Comme c’est sur Kent Soul, Ady Croasdell partage le booklet avec Robert Pruter, spécialiste de la Chicago Soul et auteur d’une somme du même nom. Est-il bien utile d’ajouter que cette compile grouille de puces ? Tu te grattes dès le «Jealous Kind Of Fella» évoqué plus haut. Heavy groove de Chicago. La Soul de tes rêves, Garland te berce dans ses bras. C’est à la fois épais et imparable. On retrouve aussi «These Arms», ce vieux shoot de Green diskö, et l’excellent «Don’t Think That I’m A Violent Guy» tapé au toc toc toc de wild beurre. Oh la présence de l’immanence ! Retrouvailles encore avec «I’ve Quit Running The Streets» qu’il chante à l’accent gras. Il ne traîne plus en ville, ça rassure sa poule. Il met encore une pression artistique terrible avec «Angel Baby», sa classe flirte en permanence avec le génie. Tu vas aussi retrouver son vieux «Let The Good Times Roll» qui ne doit rien à celui de Shirley & Lee. Il navigue toujours entre la joie de vivre et les nerfs d’acier. Retrouvailles encore avec «He Didn’t Know (He Kept On Talkin’)», il te groove la Soul dans l’âme, il est aussi océanique du Fred Neil. Il tartine sa Soul comme du miel. On retrouve encore «You Played On A Player», heavy groove teinté de gospel, «Ask Me What You Want», sans doute l’un des meilleurs shoots de Soul d’Amérique, il peut aussi ruer dans les brancards comme le montre le wild «It Rained Forty Days & Nights», et avec «Sending My Best Wishes», tu touches au cœur du mythe Garland. Il fait son Barry White dans «Don’t Let Love Walk Out On Us», et de la heavy Soul de Deep South avec «Nothing Can Take You From Me», cette Soul qui colle dans le pantalon. 

    Signé : Cazengler, Garland Gris

    Garland Green. Jealous Kind Of Fella. Uni Records 1969

    Garland Green. Love Is What We Came Here For. RCA 1977

    Garland Green. Garland Green. Ocean Front Records 1983

    Garland Green. The Very Best Of Garlan Green. Kent Soul 2008

     

    *

    _ C’est quoi encore ce bordel ?

    _ Monsieur le Préfet, votre flair nous étonnera toujours, vous avez raison, c’est un regroupement séditieux d’individus mal intentionnés que nous suivons étroitement depuis plusieurs mois. Nous les suspectons de faire tourner la tête à toute une innocente partie de notre belle et saine jeunesse hélas trop naïve…

    _ Ne perdons pas notre temps, que proposez-vous pour nous en défaire ?

    _ Nous pourrions sous n’importe quel prétexte futile les enfermer en prison…

    _ Vous plaisantez, les nourrir grassement à ne rien faire et à regarder la télé aux frais du contribuables, faites comme pour Socrate !

    _ Excusez-moi Monsieur le Préfet, je ne connais pas cet individu, quel châtiment lui avions-nous infligé ?

    _ Le seul qui vaille la peine, la peine de mort !

    _ Ce n’est que justice Monsieur le Préfet, je n’ose même pas imaginer les méfaits qu’ils avaient commis.

    _ Le même que vos trois futurs condamnés, quod corrumpet juventum !

    _ Excusez-moi Monsieur le préfet, je n’ai pas compris, mais ce doit être terrible !

    _ Plus que vous ne le croyez mon brave sous-fifre ! Exécution immédiate !

    BASTA

    C’ KOI Z’ BORDEL

    Ne vous trompez pas d’objets sonore, Basta tiens n’y a-t-il pas un disque de Léo Ferré qui porte le même titre ? Pas tout à fait, un album de 1973 qui se nomme Et… Basta ! Ah bon ! Pourtant Ni Dieu ni maître, c’est de Ferré je pourrais même le chanter, ‘’il n’y en a pas un sur cent et pourtant ils existent’’, exactement même si Ferré chantait mieux que vous, sa version la plus aboutie est celle de l’enregistrement public à la Mutualité en 1970. Question Chimpanzé Léo n’entretenait-il pas une relation amoureuse avec une guenon… Ce sont donc des reprises de Ferré ? Non, des créations originales ! Alors pourquoi toutes ces connotations ?

    Peut-être pour nous faire réfléchir que depuis les révoltes de mai 68, rien n’a vraiment été bouleversé mais que tout a changé. Expliquez-moi, je ne comprends pas. L’après 68 fut le temps de l’illusion lyrique, la Révolution semblait toute proche, l’on en parlait avec emphase, l’on prenait modèle sur les chuchotements insidieux de Verlaine et la barbare violence de Rimbaud, un demi-siècle plus tard le constat est amer : le grand soir n’a jamais eu lieu… Donc c’est un disque passéiste empli de nostalgie ! Pas du tout, C’ Koi’ Z’ Bordel ne regarde pas en arrière, vous plonge le nez dans le caca du présent qui nous dit que le pire est à venir si l’on ne se bouge pas le cul.

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    Une pochette noire comme la misère mentale qui nous accable. Trois têtes, trois bustes estompés par la noirceur du monde. Ce ne sont pas les individus qu’il faut admirer, c’est le message qui prime.

    Cyril : guitariste, chanteur / Olivier : batteur / Stéphane : bassiste.

    Ni dieu ni maître : une batterie qui ricoche comme des balles sur le bitume, tout de suite c’est l’emballement, une guitare qui part en vrille, une batterie fracassante et un vocal qui vous saute à la gorge, des lyrics qui n’ont pas peur de s’encombrer de gros étrons, religions, capitalisme, théocratie, despotisme, gerber, cracher… Méfiez-vous, les étoiles ninja que lance la guitare de Cyril sont tranchantes…  Ne courez pas aux abris, criez plutôt Kick out the Jam, comme le chantait un groupe de Destroy City. Sous-race de Chimpanzés : un peu de classification zoologique n’a jamais fait de mal à personne, c’est un peu dur pour nous les hominiens, soyons justes, nous nous ne sommes pas une espèce très écologique, comment Olivier peut-il tenir ce beat incandescent tout en produisant ces flots de roulements tourbillonnants battériaux incessants, l’on dirait qu’il répand du round up à profusion sur des champs pollués. Basta : Vous avez eu le constat édifiant dressé en moins de six minutes, c’est très bien, en fait c’est très mal, maintenant faut conclure. Que faire se demandait Lénine. Nos bordellistes lui répondent : c’est assez. Cyril vous envoie à plein gosier des rafales de bastos de ‘’basta’’ la meilleure des mécadicamentations pour combattre l’épidémie des lâchetés individuelles. Assez : au cas où vous n’auriez pas compris, vous ont traduit Basta en français, en plus rapide, en plus violent, un vocal dégueulis, une basse tarabustante, une guitare vitriolée, une batterie gourdinée, 78 secondes dont vous ne vous relèverez pas. Dix de plus que 68, faut augmenter la dose !

             C’ Koi Z’ Bordel hisse l’étamine noire. Un cri de rage et de haine, pour réveiller les morts-vivants qui passent leur temps à se plaindre. Un chef-d’œuvre nécessaire.

    Damie Chad.

     

    *

    Du nouveau pour Burning Sister, la presse underground américaine, The Obelisk, Doomed Nation, The Sleeping Shaman, commence à s’intéresser à eux, nous avons été probablement les premiers à parler d’eux, voir KR’TNT 560 du 20 / 06 / 2022 et KR’TNT du 24 / 11 / 2022… Dave Brownfield a laissé sa place à Nathan Rorabaugh d’Alamo Black autre groupe de Denver ( Colorado )… Ils viennent de sortir un nouvel EP.

    GET YOUR HEAD RIGHT

    BURNING SISTER

    (Sleeping Sentinel Records / Octobre 2023 )

    Steve Miller : bass, synth, vocals / Nathan Rorabaugh : guitar / Alison Salutz : drums

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    Une ligne de chemin de fer enfoncée dans une tranchée forestière, elle ne court pas vers un horizon infini mais s’engouffre dans un tunnel d’où pour ceux qui prennent tout au pied de la lettre le conseil de tenir sa tête droite, et pour ceux qui décryptent la portée symbolique des paroles un mot d’ordre à rester droit et debout devant les difficultés…

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    Fade out : ( paru en août 2023 sous forme d’une Official Video )  : tout ce qu’il y a de plus classique : le groupe en train de jouer, de temps en temps l’image défile comme en surimpression en couleur rouge, bleu, vert, sans doute  pour éviter la monotonie d’une vidéo peut-être pour que l’auditeur  comprenne que Burning Sister flirte avec le psychédélisme, le plus intuitif serait à mettre le flou de ces images avec l’intitulé des titres du morceau et de l’album, chacun tranchera dialectiquement la contradiction exposée à sa guise, parfois la meilleure stratégie ne serait-elle pas, au lieu d’affronter un système qui finira par vous broyer, de se fondre dans le monstre, de devenir un monstre invisible, bientôt n’apparaît-il pas en sur-sur-impression évanescente un individu, un enfant de la taille d’un adulte, qui s’amuse à courir, à bondir, à faire de la balançoire, déguisé en Captain America, jusqu’au moment où à la fin du morceau l’image d’une clarté absolue nous découvre que ce n’est autre que Steve Miller, le bassiste. Dès le début l’on entend gronder la basse de Steve, mais ce n’est rien comparé à sa voix qui vous ligote et vous retient prisonnier dans ses cordes vocales, c’est un régal de voir le groupe se saisir du riff initial plus noir que noir pour le mener au bout des cinquante nuances de gris du rock’n’roll. Une superbe démonstration que les combos débutants auraient intérêt à étudier. Barbiturate Lizard : coups de basse comme autant de coups de butoir, bientôt amplifiés par une guitare qui pousse à la roue, un fond de synthé perforant et Sister Alison qui vous martèle un tempo implacable tandis que la voix de Steve qui semble résonner sous la voûte d’un souterrain enfoui au creux de la terre vous envoûte pour l’éternité, ensuite comme à tous ses morceaux le groupe vous ensorcèle, bien sûr il riffe comme des milliers de combos de par le monde à cette différence près que quand ils ont bien le riff en main il commence à ronronner comme un chat puis à rugir comme un lion et enfin à se débattre comme un dinosaure qui endormi depuis des millions d’années se réveillerait, juste, ce n’est pas de chance, sous votre maison qui s’écroule sur vous comme un château de cartes en plomb fondu. Get your head right : trois petits coups de baguettes ( magiques) et un monstre riffique déboule sur vous, ça tonne comme l’orage, ça arrache les toitures, ça écroule les gratte-ciel, je me demande qui pourra garder la tête haute sous une telle tempête, z’avez envie de rentrer tel un escargot dans une coquille de béton armé, mais la batterie tape sur votre abri anti-atomique et déjà se forment des lézardes pas du tout sous barbituriques, il y a une guitare qui ricane sinistrement, un vocal qui vous maudit jusqu’à la soixante dix-septième génération, mes chiens qui quittent leur panier ( j’écoute au casque ) heureusement c’est fini, ouf, non ça recommence en plus lent mais en plus lourd, vous en veulent à mort, vous ignorez pourquoi, mais eux ils le savent là, maintenant vous touchez du doigt, qu’ils sont en guerre contre votre lâcheté congénitale. Tant pis pour nous ! Looking through me : au cas où vous n’auriez pas compris le morceau précédent, vous refont le coup des trois petites baguettes maléfiques, ensuite ils vous prennent un riff et vous le malaxent comme quand vous jouez avec un chewing gum sonore, c’est alors que vous vous apercevez que vous avez beau le mastiquer de toutes vos forces, ils s’amusent de vous, ils vous brisent les plombages et vous scellent le dentier si fort qu’ils vous empêchent d’ouvrir la bouche et de respirer, en plus ils vous calfeutrent les fosses nasales, dix mille orchestres déchaînés se mettent à vous jouer le Te deum du Requiem de Mozart, une masse phonique en fusion vous engloutit à jamais pour l’éternité ( plus un jour, on ne sait jamais ). Le pire c’est que vous ne vous plaignez pas, c’est grandiose.

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     When tomorrow hits : une reprise de Mudhoney, manière d’affirmer haut et fort son pédigré, le morceau est sorti en avant-première assorti d’une magnifique pochette ouverte à tous les rêves, à tous les cauchemars : L’est sûr que lorsque le destin frappe il est trop tard, une basse qui sonne comme une cloche funèbre, une batterie qui enfonce les clous du cercueil une voix d’outre-tombe ( sortie tout droit des grandes orgues de la sombre magnificence de la prose des  Mémoires de Chateaubriand ), une guitare qui n’en finit pas de pleurer à chaudes larmes, à moins qu’elle ne ricane tout haut, si vous pensez qu’ils en font trop qu’ils vont mettre la pédale douce, vous n’avez rien compris au film, c’est dommage parce qu’il est déjà fini. Perso je pense qu’ils écrasent la version de Mudhoney avec beaucoup plus de boue que de miel.

             EP étourdissant. Sister Burning brûle les étapes. Il se murmure qu’ils préparent un album. Pauvre de nous tant de temps à attendre !

    Damie Chad.      

     

    *

    Des groupes qui se prénomment Red Cloud il en existe aux quatre coins du monde toute une tribu, mais celui-ci est français, z’ont leur camp sur Paris, j’avoue que tout ce qui évoque de près ou de loin la lutte désespérée menée par les grands chefs sioux pour préserver leur liberté me fascine.

    BAD REPUTATION

    RED CLOUD

    (Single : Février 2023 / BC / YT)

    Roxane Sigre : vocals / Rémi Bottriaux : guitar / Maxime Mestre : bass / Laura Luis : organ / Mano Comet : drums.

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    Roxane toute seule sur la couve rouge, une bouche grande ouverte à avaler le monde, de rondes lunettes à la Janis Joplin, elle le mérite, un trottinement de souris sur le tambour, deux éclats de guitare, dès que vous entendez le feulement de sa voix vous oubliez tout ce qui précède, une espèce de glapissement modulé de chacal ou de chien de prairie, pas besoin de sortir de polytechnique pour décréter qu’il y a une véritable chanteuse dans le groupe. Ses congénères le savent, lui clouent aussitôt le bec pour que vous vous rendiez compte qu’ils lui préparent un tapis rouge de flammes, des pyromanes qui vous dressent une barrière de feu infranchissable, elle s’en fout, elle en joue, elle maîtrise la situation, la voix pointue comme une flèche qui se fiche dans votre cœur et c’est parti pour la longue traversée, Laura vous englobe la scène d’une cavalcade de poneys affolés, Rémi érige un vol de frelons, Maxime rampe comme un serpent et Mano porte un coup à tous les ennemis qu’il écrase, Roxane medecine-squaw vous guérira de tous vos maux de son vocal tranchant comme un couteau de scalp.

    Vous avez aimé Bad Reputation : voici une vidéo promotionnelle d’Arno Vincendo, vous les voyez jouer en playback, c’est bien fait, cela permet de les admirer, soulagement Roxane ne singe pas Janis, elle se contente d’être elle-même et c’est bien. Enfants gâtés vous aimeriez voir Bad Reputation : Live à L’International : vous ne savez pas tout ce Kr’tnt ! peut faire pour vous : les voilà dans un halo de nuage rouge, le son est davantage terre à terre, moins incisif que sur disque, mais l’ensemble tient bien la route et l’on entend le public apprécier. Comme un bonheur ne vient jamais seule vous avez encore Velvet Trap et Swallow deux titres issus du même concert et n’en jetez plus  dix autres vidéos sur la chaine de Matt Diskeyes, la plupart des titres parus sur leur album éponyme paru en mars 2023 que nous chroniquerons prochainement.

             ( Sur la même chaîne vous avez le concert de Bordeaux de Gyasi auquel le Cat Zengler a consacré ( voir livraison 608 du 31 / 08 / 2023 ) une magnifique chro sur son concert au Binic Folk Blues festival 2023 + dernier album.)

    Damie Chad.

     

    *

    Laissons la parole à plus doué que nous :

    ‘’ Car parmi les nombreuses institutions excellentes et même divines que votre Athènes a créées contribuant ainsi à la vie humaine, aucune, à mon avis, n’est meilleure que ces mystères. Car grâce à eux, nous avons été sortis de notre mode de vie barbare et sauvage, et éduqués et raffinés jusqu’à un état de civilisation ; ainsi comme ces rites sont appelés ‘’ initiations’’, ainsi en vérité nous avons appris d’eux les commencements de la vie et avons acquis le pouvoir non seulement de vivre heureux, mais aussi de mourir avec une meilleure assurance.’’

    Cicéron.  Les Lois II, XIV, 36.

             L’on ne se rend pas compte de l’apport de Cicéron quant à l’élaboration de la pensée occidentale, c’est lui qui a choisi et défini les mots latins afin de traduire l’ensemble des concepts philosophiques initiés par les Grecs. Vocables grecs et latins enracinés dans les langues européennes forment les deux branches séminales et constitutives de l’ADN de toute démarche de pensée. Ce n’est sûrement pas un hasard si Telesterion a posé ce passage en épigraphe à son nouvel opus.

    EPOPTEIA

    TELESTERION

    (Snow  Wolf Records / CD - K7 / Octobre 2023)

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    Rites performés par les prêtres de Demeter : Celeus / Dioclese / Eumolpos / Triptolemus / Plolysceinus.

    J’entends déjà certains lecteurs : écoute Damie, tu nous les brises, tes rituels d’Eleusis, la petite graine d’où sort la plante, sur laquelle se développe une fleur qui engendre un fruit porteur d’une ou plusieurs nouvelles graines, n’y a pas de quoi en faire un fromage, l’on apprend ça en CM1, alors lâche-nous la grappe.

    Z’oui, mais. C’est le moment de relire attentivement l’extrait de Cicéron. La graine qui meurt mais qui se faisant engendre une nouvelle plante, pour résumer : la mort qui donne naissance à la vie, évidemment c’est un peu simpliste encore faudrait-il se demander ce que ce cycle végétatif signifie et signifiait au regard des Grecs.

    Cicéron ne parle pas de graine mais de civilisation, non pas en tant que déploiement culturel mais en tant que nouveau stade d’une maturation de l’humanité animale de l’Homme. Il faut bien comprendre qu’un mythe ou un rite n’est pas une belle histoire qui a su séduire les imaginations de dizaines de générations, qu’il suffit de répéter pour être satisfait de soi-même. Celui qui regarde une table en décrétant tout content de lui ‘’ ceci est une table’’ occulte par cette constatation péremptoire tout ce qui a précédé : par exemple : ne serait-ce que le mode de production, de distribution, d’usage de cette table… N’envisageons même pas les opérations intellectuelles nécessaires à la construction de cette table, Platon a déjà analysé ce processus intellectuel dans son dialogue Le Sophiste.

             Tout ce préambule pour affirmer qu’avec Epopteia, Telesterion a choisi de se rapprocher de la réalité de ce furent les mystères d’Eleusis. Un drôle de challenge puisque la documentation sur ses fameux mystères ne couvre pas tous les aspects de ce phénomène cultuel. Rappelons qu’il était interdit sous peine de condamnation à mort de dévoiler La partie secrète des rites éleusiniens. Nous ne possédons que des renseignements dus à des recoupements conjecturaux de textes divers qui ne se corroborent pas nécessairement… Un puzzle aux nombreuses pièces manquantes dont les éléments qui nous restent ont bien du mal à jointer entre eux. A titre d’exemple commençons par le commencement : la couve du CD.

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             Reproduction de La Danse des Bacchantes tableau du peintre Charles Gleyre. Né en 1806, mort en 1873. Le format carré du CD ne rend pas justice à cette toile, pour la voir en son entier il est préférable de regarder la vue intégrale qu’en offre l’illustration de la K7. Natif de Suisse Charles Gleyre recevra dans son atelier parisien de nombreux jeunes peintres qui rompant avec lui formeront la première phalange des impressionnistes, notamment Sisley et Monet. Autant dire qu’on le classe facilement parmi les Pompiers. Le musée d’Orsay lui a consacré une exposition en 2016. Il est une autre façon de le considérer en le définissant comme un précurseur des Symbolistes.

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             A l’intérieur du CD ce tableau de Charles Gleyre côtoie Le Retour de Perséphone de Frédéric Leighton. Né en 1830, mort en 1896. Bien oublié aujourd’hui si on compare le succès et la reconnaissance officielle de l’Etat Britannique dont il jouit de son vivant. Peintre académique qui par certains aspects n’est pas sans lien avec le préraphaélisme.

              Une question se pose : pourquoi Le Retour de Perséphone de Frédéric Leighton dont le sujet est en lien direct avec les mystères d’Eleusis consacrés à Demeter la mère de Perséphone est-il posé à côté de La guerre des Bacchantes que l’on relie généralement à Dionysos. Apportons une réponse qui demandera à être explicitée. Selon la – il vaudrait mieux employer l’adjectif indéfini ‘’une’’ - tradition, c’est Orphée - qui mourut démembré par les bacchantes du cortège de Dionysos - qui aurait institué les mystères d’Eleusis.

    La sortie des neuf titres d’Epopteia a bénéficié d’un mode de lancement   quelque peu bizarre, un titre par jour du 30 septembre au 8 Octobre. Rien à voir avec un coup publicitaire, aucune envie de faire le buzz sur les réseaux sociaux, simplement faire coïncider la parution des neuf titres avec la date anniversaire de leur déroulement lors de l’Antiquité. Le disque est donc une sorte de reprise du rituel antique. Certains l’entendront comme une fable musicale, d’autres reconnaîtront dans les quelques mots anglais   par lesquels Telesterion se définit en anglais sur son bandcamp à savoir : ‘’I begin to sing of Demeter’’ – le début de l’Hymne à Demeter dont voici la traduction du texte original grec par Leconte de Lisle : ‘’ Je commence à chanter Demeter…’’.

    Entonner l’Hymne à Demeter peut-il être efficient ? Cette question est des plus épineuses, elle soulève la problématique fondamentale en laquelle réside l’attribution que l’on donne ou que l’on s’interdit de prêter à l’essence de la poésie. Serait-elle orphique et par cela aurait-elle une action sur la nature du monde. Si non, en quoi réside le distinguo opéré entre prose et poésie. La question peut paraître oiseuse, mais elle permet de percer le sens du concept de surhomme nietzschéen, en tant qu’homme capable d’œuvrer à l’Eternel Retour des choses. Une manière de s’approprier le rôle des Dieux. La fascinante compréhension des mystères d’Eleusis touche à cette ontologie fondamentale du rapport de l’être avec l’energeia originelle si tant est qu’elle soit originelle.

             Cet Hymne à Demeter raconte comment Demeter désespérée d’avoir perdu sa fille, parvient à Eleusis, elle est reçue dans la maison du roi Keleos, pour le remercier de son accueil et de son hospitalité elle fonde le temple d’Eleusis, dans lequel elle et sa fille  Perséphone seront célébrées.

             Nous allons écouter Epoteia en essayant d’analyser l’interprétation qu’en propose Telesterion. Il n’existe, même pas de nos jours, de doxa fixe. Le déroulé sera interprété au cours des siècles différemment par les anciens grecs eux-mêmes.  Plusieurs niveaux d’interprétations coexistent : niveau strictement historial, rituellique, religieux, mythologique, mythique, politique, poétique, philosophique, métaphysique. Souvent, selon l’élément déterminé expliqué l’on passe d’un niveau à un autre sans crier gare. De plus   plusieurs grades d’initiation sont proposés, même si celle-ci est ouverte à tous : hommes, femmes, esclaves. L’epoteia est le plus élevé, réservé à ceux qui possèdent de par leur savoir ou leurs fonctions politiques des connaissances culturelles étendues et qui sont capables d’atteindre à une abstraction intellectuelle élevée.

    Gathering : ( jour 1 ) : un peu comme l’ouverture d’un opéra, l’on pense à Lohengrin, chœurs célestes et tambourinades appuyées, des milliers de pieds foulent le sol, Demeter la terre et Zeus la divinité en tant que principe de connaissance. Cette intro est magnifique, somptueuse et grandiose malgré sa brièveté. Le premier jour des mystères est une procession publique. Elle part d’Eleusis et se rend à Athènes. Les mystagogues, ceux qui enseignent les mystes, candidats à l’initiation, portent précieusement des sacs ans lesquels sont cachés les objets sacrés qui seront utilisés lors des futurs rituels. To the sea : normalement les mystes passent le deuxième jour à l’abri invités par certains athéniens dans des demeures particulières, ils ne doivent pas sortir et prendre du repos car l’initiation exige une grande dépense d’énergie physique et psychique. Cette marche vers la mer est censée se passer le troisième jour, il semble que Telesterion tout en respectant le déroulement des initiations privilégie davantage certaines phases que le calendrier stricto sensu. Mais tout cela se discute, tout dépend des chercheurs dont on suit les résultats et les propositions. Un départ plein d’allant, une course précipitée pleine d’enthousiasme, pas une procession emplie de ferveur, les chœurs chantent et accompagnent le tempo rapide de la batterie, dès qu’il nous semble percevoir un léger essoufflement, un semblant de ralentissement, le déluge sonore reprend de l’ampleur, trois coups de batterie théâtrale, de grandes vagues sonores nous assaillent nous baignons dans une allégresse purificatrice. Les mystes vont se purifier dans la mer, pourquoi la mer et pas dans une eau non salée, à proprement parler ce n’est pas une lustration dans la mer mais dans la mer posidonienne. Dans son passé tumultueux Demeter a eu une liaison avec Poseidon. Demeter, Zeus, Poseidon, la terre, le feu, l’eau, cette union élémentale n’est point hasardeuse, nous y reviendrons. Hither the victims : musique lourde et pesante, les chœurs ne s’envolent pas vers les aigus, ils semblent épouser le lent rythme percussif, les guitares laissent échapper leur riff telle une flaque de sang qui s’étendrait lentement à même le sol. Après la purification par l’eau le sacrifice par le sang. La bête immolée par le myste est un pacte de reconnaissance de l’ordre divin et sacré. Les morts aiment à boire le sang des sacrifices, n’oublions pas que les mystères d’Eleusis touchent à la mort. L’animal propitiatoire est le cochon. On en trouve peu de représentations dans les diverses images qui nous sont parvenues de l’antiquité grecque. Songeons toutefois que de retour à Ithaque Ulysse est accueilli par Eumée le porcher, un des seuls qui lui soit resté fidèle. Demeter est une vieille déesse, ses toutes premières représentations la montrent sous forme d’un porc. Le lien entre Demeter déesse du blé et le cochon est évident : la nourriture. Festival : un moment essentiel, la batterie talonne le sol, les chœurs respirent une joyeuse espérance, c’est une procession imposante, une certaine solennité accompagne ce défilé : les mystes précédés par les mystagogues sous la direction de l’hiérophante qui dirigera l’accomplissement des rituels. Ils ne sont pas seuls, les prêtres et les prêtresses de nombreux temples athéniens, les autorités politiques de la cité, les cinq cents membres de la Boulé, et le peuple qui suit… lors du passage du pont qui relie la cité d’Athènes à Eleusis les mystes sont l’objet de moqueries et de brocarts divers. C’est le retour à Eleusis des objets sacrés qui ont été au premier jour des mystères emmenés à Athènes. Pilgrimage : bruits, confusion sonore, la batterie essaie de trouver sa place, nous sommes entrés dans le Telesterion, la grande salle aux quarante – deux colonnes dans laquelle évolue lentement la procession, seuls mystes et mystagogues sont entrés, les chants s’élèvent, est-ce l’Hymne à Demeter, la tonalité baisse d’un ton, sans doute a-t-on éteint les torches, l’hiérophante est devant, dans le noir la foule le suit, l’on passe brutalement de la nuit au jour, longs tâtonnements labyrinthiques, les statues des Dieux s’illuminent d’un coup, premier enseignement symbolique, la nuit de la mort épargne les Dieux, si vous ne voulez pas mourir rejoignez les Dieux. Reverly : musicalement ce morceau est dans la continuité du précédent mais le son s’alourdit, l’on arrive au moment crucial de la révélation, une prêtresse dévoile l’objet sacré par excellence, l’épi de blé, sans doute est-il en or, et d’une taille démesurée, mais l’on n’en reste pas là, l’épi est de nouveau voilé, sans doute les torches sont-elles masquées quelques secondes, lorsqu’elles réétincellent l’épi est  une nouvelle fois encore dévoilé, mais ce n’est pas l’épi qui apparaît mais un phallus qui se dresse. L’hiérophante et la prêtresse, sont-ils retirés dans une entrée de souterrain, miment ou exécutent le mariage hiérogamique de la déesse Demeter avec Poseidon et peut-être même avec Zeus dont elle a été l’amante… Il se peut qu’au tout début des mystères l’hiérophante ait été castré ou rendu impuissant par une dose de cigüe, comment un mortel aurait-il la prétention de pénétrer ne serait-ce qu’un substitut de déesse représentée par une prêtresse…  Nous sommes loin de l’histoire de la petite graine, l’enseignement ne se contente pas de ce qui est divulgué dans les Petits Mystères. Ici l’on aborde un sujet bien plus délicat, celui de l’union de l’être humain avec le divin. Certains lecteurs seront déçus, quoi les mystères, une simple partie de jambes en l’air au fond de la terre. L’origine des mystères d’Eleusis remontent à mille cinq cents ans avant notre heure. Sans doute l’histoire de la petite graine… fait-elle allusion au lointain moment de la préhistoire néolithique ou les tribus de chasseurs-cueilleurs se sont sédentarisées en agriculteurs-éleveurs à partir desquels ont été édifiées les premières cités. Cicéron ne dit pas autre chose…The descent : une guitare égrène des notes comme si elle frappait sur un gong, cette nudité sonore correspond à la déception ressentie par le myste durant l’initiation, tout a été dit, tout a été montré, et tout compte fait l’initié est-il vraiment différent, ne va-t-il pas mourir comme tous les hommes lorsque son tour viendra, n’a-t-il pas participé à un jeu de dupe, les chœurs consolateurs s’élèvent, oui tu mourras comme tous les autres, mais puisque tu as reçu l’initiation, tu es certain que lorsque tu mourras tu ne seras pas forcé de revenir sur terre pour essayer de trouver la lumière qui t’a été donnée par l’initiation. Le lecteur tant soit peu fûté estimera que le chrétien qui a reçu le baptême et l’absolution est censé monté directement au paradis. Ce n’est pas un hasard si les pères de l’Eglise ont abondamment commenté les mystères d’Eleusis. Il suffit d’y croire. Or les Grecs ne croyaient en rien. Ils préféraient penser. The search : la musique s’alourdit encore, mais commence à s’élever une crête lumineuse de notes plus claires tandis que les chœurs deviennent célébration, la batterie conquérante va de l’avant. Dans le commentaire du morceau précédent, le lecteur aura remarqué que l’on est passé de la simple description explicative des mystères à une allusion à la pensée de Platon quant à la survie de l’âme immortelle obligée de se réincarner dans un autre corps en espérant que cette nouvelle enveloppe charnelle lui permettra de vivre une vie de haute sagesse, non engluée en les passions humaines, trop humaines c’est-à-dire mortelles, et que cette âme pourra alors entrer en contact avec le monde divin… Le myste ne peut entrevoir cela qu’en comptant sur lui-même. L’initiation est une ouverture, un dévoilement, qu’il s’agit de concrétiser par soi-même en soi-même. The ascent : le titre précédent évoque cette ascension de l’âme tels que l’ont décrite dans la suite de Platon les derniers philosophes païens, Julien, Plotin, Proclus. Il ne s’agit pas d’atteindre le divin en se projetant hors de soi mais en réalisant la graine de volonté de divin qui est en nous. Qui a toutes les chances de se désagréger si nous ne réalisons pas cet accès au divin. Les gnostiques l’ont tenté, Nietzsche à la suite de Goethe parlera de surhumanité qui ne peut être accomplie que par l’éternel retour de la volonté de son propre désir. La fin d’Epoteia est magnifique. Elle ne culmine pas en une apothéose grandiloquente. Elle s’arrête pour que chacun puisse en écrire la suite.         

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               Notre commentaire n’est qu’une lecture possible parmi tant d’autres. Sans doute ne correspond-elle pas à celle souhaitée par Telesterion. Elle n’est qu’une approche. Nous avons par exemple omis la relation Perséphone-Demeter que nous avons déjà développée en d’autres chroniques. Nous avons aussi passé sous silence la probable influence des mythes et des religions égyptiennes sur Eleusis. Le couple Isis-Osiris n’est-il pas à mettre en relation avec le couple pour ainsi dire en filigrane Demeter-Dionysos. De même malgré la présence du tableau de Charles Gleyre nous ne nous sommes pas aventurés sur les relations Demeter-Orphée-Dionysos. Nous explorerons cette triade en une autre occasion. Le lecteur qui désirerait en savoir plus peut déjà lire les deux tomes de Les mythes grecs de Robert Graves qui conte l’occultation dorienne des lieux sacrés de la Grande Déesse…

                Avec Epoteia et les quatre opus qui l’ont précédé, Telesterion a acquis parmi les groupes de metal une place à part qui attire de plus en plus de curieux…

    Damie Chad.