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CHRONIQUES DE POURPRE 619 : KR'TNT 619 : CHRISSIE HYNDE / LARKIN POE / RUMER / MARIE NIGHT / SHRINE / THE MONARCHS / THE DEVIL AND THE ALMIGHTY BLUES

KR’TNT !

KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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LIVRAISON 619

A ROCKLIT PRODUCTION

FB : KR’TNT KR’TNT

09 / 11 / 2023

 

CHRISSIE HYNDE / LARKIN POE

RUMER / MARIE KNIGHT

SHRINE / THE MONARCHS

THE DEVIL AND THE ALMIGHTY BLUES

 

 

Sur ce site : livraisons 318 – 619

Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

http ://krtnt.hautetfort.com/

 

 

Wizards & True Stars

 - Chrissie & chuchotements

 

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         Quand Chrissie Hynde est apparue dans les pages des canards anglais en 1978-1979, beaucoup de petits mecs sont tombés amoureux d’elle. Leur état s’aggravait chaque fois qu’ils l’entendaient chanter à la radio. Ça a commencé avec « Stop Your Sobbing », puis il y a eu « Kid » et le coup fatal arriva avec « Brass In Pocket », trois des plus beaux singles de l’histoire du rock anglais. Chrissie incarnait la femme fatale en perfecto rouge, la brune incendiaire, celle dont on rêvait de partager la vie, et elle amenait tout ce qu’on aimait dans le rock : une certaine forme de sensualité portée par une classe magistrale. Le parfait rock’n’roll animal au féminin.

         Elle devint tout simplement une sorte d’idéal féminin. En tant qu’icône, elle prenait la suite de Brian Jones, de Ronnie Bird et de Sonny & Cher. Elle recraquait l’actualité compliquée des années 78-79 à sa façon, par petites touches de magie sixties alliées à une incroyable maturité. C’est ainsi qu’on évaluait sa stature.

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         Pourtant écrit dans un style elliptique, Reckless fait partie des grands classiques de la rock culture. On s’est tous jetés sur cette autobiographie tant désirée. Chrissie explique qu’elle a dû attendre la disparition de ses parents, car elle craignait - à juste titre - que certains passages de son livre ne les choquent. Ses parents étaient des gens trop normaux.

         Elle commence bien sûr par évoquer son enfance à Akron dans l’Ohio - dont est aussi originaire Lux Interior - That’s when Akron was the center of the universe - puis ses premiers souvenirs de concerts, et pas n’importe quoi, puisqu’il s’agit de Mitch Ryder & The Detroit Wheels - Guitarist Jim McCarty, within the space of two songs, dismantled, rebuilt and changed my entire outlook of the world (en l’espace de deux morceaux, le guitariste Jim McCarty démonta, reconstruisit et changea toute ma vision du monde) - Puis elle voit les Stones - Puffy-eyed Brian with his tartan boots and Vox Teardrop guitar. How could anyone forget that ? (Brian avec ses cernes sous les yeux, ses boots tartan et sa guitare Vox Teardrop - Comment peut-on oublier ça ?) - et Jackie Wilson - It was definitely more nuts than any rock show I’d been to (C’était encore plus dingue que n’importe quel autre concert que j’ai pu voir dans ma vie) - Le gorille de Jackie Wilson l’arrache de son siège et l’amène au beau Jackie qui lui roule une pelle. Ça faisait partie du spectacle.

         Elle parle admirablement bien de sa découverte du sexe et des drogues. Pour elle, la meilleure drogue pour baiser, c’était l’alcool. Elle ne s’attarde jamais sur les détails. Elle file d’événement en événement. Elle s’éprend tour à tour de Tim Buckley, puis de Ziggy Stardust - Witnessing Bowie en stage with Mick Ronson was life-changing, I’m sure, for everyone there - et enfin Iggy. Fun House est son disque de chevet, avec White Light White Heat du Velvet et Raw Power - Nobody was obsessed with Iggy Pop like I was (Personne ne pouvait être plus obsédé par Iggy que je l’étais). Jusque-là, son parcours musical est un sans faute : Bowie, Stones, Velvet et Stooges...

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         Elle fréquente un heavy biker et veut le quitter. Mais on ne quitte pas un heavy biker. Pour sauver sa peau, elle doit quitter le pays. Elle arrive à Londres en 1973. Elle veut absolument jouer dans un groupe. Elle commence par rencontrer Nick Kent dans une party, complètement par hasard - Mainly he was fascinated by anyone in music if they were damaged and weird, or deranged an destructive or addicted - Oui, Nick Kent ne s’intéresse qu’aux gens abîmés et étranges, ou destructeurs et camés. Nick et Chrissie écoutent Goat’s Head Soup, les Groovies et les Dolls. Nick la fait entrer au NME, puis elle travaille chez McLaren et Viv, two guenine English eccentrics. Elle débarque ensuite à Paris et répète avec des Keef look-alike dans le sous-sol de l’Open Market. Elle parle de Paris comme de l’une des périodes les plus heureuses de sa vie, avant de rentrer chez elle à Akron et de monter un groupe de reprises nommé Jack Rabbit à Cleveland qui hélas ne marche pas. Elle chantait « Fight The Power » des Isley Brothers et « Slippery When Wet » des Commodores. 

         Retour à Londres pour quelques essais avec Johnny Moped, et Mick Jones qui n’était pas encore dans les Clash. Puis avec les futurs Damned dans les Masters of the Backside. Elle avait une culture musicale que les punks anglais n’avaient pas - I was a little bit too musical for that punk scene - Elle leur parlait de Bobby Womack et ils écoutaient encore Mott The Hoople. Pour elle, l’Américaine, l’Angleterre est un vrai pays de science-fiction, l’exact opposé des États-Unis. Les soins dentaires gratuits, l’allocation qu’on appelle ‘the dole’ et le droit de vivre dans un squat, tout cela est impossible aux États-Unis. Elle n’en revient pas ! Elle rend de beaux hommages aux Lou’s, à Patti Paladin et aux Slits. Elle traîne avec les Clash - Joe Strummer looked like a statue covered in pigeon shit after every show (le pauvre Joe était couvert de glaviots après chaque concert) - et Lemmy - Lemmy was bigger than punk - et elle poursuit sa quête obsessive : monter un groupe. Elle voit des tas de musiciens, et fait tout à l’instinct - I never doubted it. That was my main, possibly my only strong point - natural instinct - C’est la grande force de Chrissie. Elle n’a jamais douté de son choix de vie. Elle ne fonctionnait qu’à l’instinct.

         Par miracle, elle rencontre Pete Farndon puis Honeyman-Scott qui admirait Dave Edmunds. Avec eux, elle peut enfin monter le groupe dont elle rêvait, les Pretenders. Chrissie raconte l’histoire classique du groupe avalé par le succès, les premières dissensions, les excès des tournées. Puis c’est la rencontre avec Ray Davies. Elle ne parle même pas dans son livre du mec des Simple Minds. Dans les dernières pages, le rythme s’accélère brutalement avec l’éviction de Farndon qui se shoote et que les deux autres ne supportent plus, puis la mort de Jimmy à 25 ans, pendant son sommeil, des suites d’un abus de coke, et enfin la mort de Pete, des suites d’une overdose. L’histoire tourne au vertige.

         Tout au long de ce récit passionnant, Chrissie tient son rang, elle refuse toute forme de compromission et fait tout ce qui est en son pouvoir pour échapper aux mirages de la gloire. Elle n’en veut pas, mais elle est obligée de vivre avec - The one thing I hated about drugs was the assholes you had to hang out with to get them - En matière de drogues, la seule chose qu’elle ne supportait pas, c’était ces mecs qu’ils fallait fréquenter pour avoir sa came. Elle se montre intransigeante de bout en bout.

         Le seul défaut des Pretenders est qu’ils frimaient un peu. Pas Chrissie, mais les autres derrière. Ils avaient le même goût du m’as-tu-vu que les Clash. Les photos de presse étaient tout simplement insupportables de pose et d’arrogance. Mais on n’écoutait pas les Pretenders, on écoutait Chrissie Hynde. Rien à foutre des autres. Elle aurait pu avoir n’importe quel backing-band, l’impact serait resté exactement le même. D’ailleurs, le groupe a été décimé. Qui se souvient des événements ? Personne. Le destin tragique de Canned Heat nous a vraiment affecté, pas celui des Pretenders.

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         Pas mal d’albums au compteur. The Singles Collection pourrait presque suffire à rendre un homme heureux, car c’est du concentré de Chrissie. Cette compile est aussi définitive que le Singles Going Steady des Buzzcocks ou l’Off The Bone des Cramps. Ça démarre avec « Stop Your Sobbing » et sa voix de rêve humide, la compo du chéri Ray. Véritable machine à remonter le temps. Hit de juke de rêve. Chrissie devint avec ça la reine des fourmis, au sens polnareffien des choses. Encore un hit racé avec « Kid », bien coupé sous le vent, emmené par une voix d’Américaine qui la ramène à Londres, cette brune maquillée qui te plante son regard dans le tien, alors que derrière défile le thème. Elle a du chien à ne plus savoir qu’en faire, elle te pompe l’âme, mais pas de sexe, juste du mythe romantique bon esprit, if you see what I mean. La classe de l’Américaine débarquée à Londres pour briser les cœurs, comme rêvait de le faire Johnny Thunders avec ses Heartbreakers. Et derrière, on entend une basse élastique, impossible que ce soit Farndon, c’est trop bien joué. Chrissie est dans la perfection absolue, « Kid » est le hit des temps honnis, le hit des culs de basse fosse. Pur jus encore avec « Brass In Pocket », elle monte avec la puissance américaine, elle fabrique son époque et réinvente la féminité. Elle est la plus grande shouteuse américaine d’Angleterre, ce n’est pas rien, niveau PP Arnold - I’m special, so special - on s’abreuve encore de ce hit trente-cinq ans plus tard, on s’en goinfrait à l’aube, après une nuit arrosée de vodka - Gonna use my fingers - et on repartait dans la vie de tous les jours - Special so special - alors elle montait avec des petites chutes de maintien qui indiquaient son impatience. Il y avait en elle du Francis Scott Fitzgerald, évidemment. On retrouve la basse subtile dans « Talk Of The Town ». Elle rôde dans la chanson comme une chatte noire aux yeux translucides. Elle chasse la souris blanche. C’est une fureteuse, elle fouine dans la mélodie, petit museau humide et ces yeux bruns qui te disent le sexe de maybe tomorrow, tu ne l’auras pas, tu ne l’auras jamais, regarde, elle n’a pas de fesses, elle n’a pas de cuisses, elle n’a pas de seins, elle n’est que la déesse du rock et les hommes tombent sous son charme, y compris les guerriers tatoués. On reste dans l’âge d’or des singles avec « Day After Day ». Chrissie en profite. Elle règne sur l’Angleterre. Elle dégouline de classe. On peut même parler de majesté. Hit fumant et beau. Doux comme un geste d’amour pur. On a tous rêvé d’aimer une reine du rock. Avec Chrissie c’est possible et bien sûr impossible. Mais l’idée du possible peut rendre fou. Attention. Démence de « Message Of Love » - And it’s good good like Brigit Bardot - le hit parfait, la voix fatale et ça descend dans les entrailles de l’exaction - Me and you we’ll be together/ Your eyes like the heavens above/ Talk to me darling with the message of love - c’est dingue, il n’existe rien au-dessus de ça. Elle chante son « Middle Of The Road » avec du chien, un chien qu’elle tire du ventre. Quelle attaque ! Pour une Américaine, c’est facile, elle sait poser les conditions avec un certain aplomb. Encore un slow rock mid-tempo de rêve avec « Show Me », mené à la baguette, suprême de légèreté. Elle sonne carré dans le vent mélodique. « Don’t Get Me Wrong » est l’un de ses derniers hits. On retrouve cette classe indécente. Si elle avait eu les ongles sales, on l’aurait surnommé Chrissie la crasse. Mais c’est Chrissie la classe, elle a toujours su rester au-dessus de la mêlée. Il émane d’elle une sorte d’essence aristocratique. On frise le rock FM avec « Don’t Get Me Wrong », c’est sûr, mais on sait que Chrissie vient des punks et de Nick Kent, alors ça la préserve de la vulgarité. Et puis elle tente de remonter la pente avec « My Baby ». Comme toutes les stars brûlées par la lumière, elle garde la nostalgie de l’odeur de brûlé.

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         Le premier album des Pretenders sort en 1979. Dans son livre, Chrissie rend hommage à Chris « Nevermind The Bollocks » Thomas  et Bill Price qui ont enregistré et produit cet album qui s’inscrit dans la veine des grands albums de pop anglaise puisqu’il ne propose pas moins de quatre hits planétaires. Le premier morceau de l’album, « Precious », annonce la couleur. Avec ce bel uptempo, Chrissie allume le brasier - Maybe wanna - et rétablit la suprématie de la pop anglaise. Petite cerise sur la gâtö : elle signe tous les hits. « Tattooed Love Boys » est une belle pièce qui ne tient la route que par la voix de timbre voilé. Elle s’amuse bien. Elle sait qu’elle va devenir la reine de Saba. Puis elle tape dans le répertoire de Ray Davies avec « Stop Your Sobbing ». Ray Davies et Jimi Hendrix seront les seuls auxquels elle empruntera des chansons. En début de B, on tombe sur « Kid » qui est un morceau véritablement hanté par l’esprit de la grandeur pop. « Kid » fait probablement partie des dix plus grands hits pop de tous les temps. Tout est dans la subtilité d’interprétation : c’est l’art magique de Chrissie Hynde. À partir de là, elle n’en finira plus de fasciner les rockers de banlieue. Elle enfonce son clou avec « Brass In Pocket » et puis « Lovers Of Today », un balladif de circonstance. « Mystery Achievement » est un bon cut de clôture, bien poundé par Martin Chambers, mais heureusement que Chrissie est là pour donner du sens - au sens de la sensualité - à cette pop anglaise qui n’attendait que ça. Elle porte tout. Pas une seule Anglaise ne sonne comme elle - Ooooh my mind - et elle envoie valser ses plaintes fugitives dans la stratosphère.

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         Pretenders II sort deux ans plus tard. Avec la pochette, les Pretenders tentent de réactiver le vieux mythe des belles pochettes d’albums de rock anglais, notamment celles des Stones. La photo est belle, mais les pauvres Pretenders friment un peu trop. La seule qui s’en sorte honorablement, c’est Chrissie, qui justement se plaint dans l’autobio de la qualité surfaite de l’image. Tout le monde n’est pas Brian Jones, n’est-ce pas ? Chris Thomas produit. Et encore une fois, Chrissie signe tous les hits. On tombe rapidement sur « Message Of Love ». Rien qu’avec ce titre, Chrissie Hynde mérite de figurer au panthéon du rock anglais. C’est le même jus que « Jumpin’ Jack Flash » et ça vaut tout l’or du monde. Nouvelle reprise de l’ami Ray avec « I Go To Sleep », une bluette qui devient sérieuse parce qu’elle l’interprète. On retrouve sa pop de haut rang avec « Talk Of The Town », et son chant un brin aristocratique. C’est de la petite pop magique vraiment digne de celle des Beatles. Il faut attendre « Day By Day » pour retrouver le chemin du frisson. Chrissie sait donner de l’élan, de l’épaisseur et une carrure interplanétaire à ses chansons. Elle a tout compris à l’esprit du rock. Sa vision ne souffre d’aucun zonage. Elle conduit sa pop avec l’autorité d’une reine antique. Chrissie est une invaincue. On retrouve l’effarance de sa classe dans « The English Roses », elle y méduse la mélodie, elle pointe le doigt sur l’horizon flamboyant. Sa chanson est d’une beauté surnaturelle. Elle tient tête et se fond en même temps dans la beauté du monde.

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         Changement de personnel pour Learning To Crawl. Deux morts. Chrissie retrouve un guitariste et un bassman. Curieusement, le son reste le même, comme on le voit avec « Middle Of The Road ». C’est encore un hit fantastique - Big diamond ring & silk suits ah c’mon baby - et elle envoie ça avec des yeh-yehh qui en disent long sur l’étendue de sa classe. Et voilà qu’elle roule des r et qu’elle miaule comme cette panthère qui rôde la nuit autour des plantations. Elle fait l’oraison funèbre des deux morts avec « Back On The Chain Gang ». C’est une fois de plus de la pop très haut de gamme, un nouveau hit mondial. Elle y met toute la délicatesse et toute la fermeté d’accent grave dont elle est capable. Belle pop toujours avec « Time The Avenger », on retrouve la même recette. Cette femme emmènerait n’importe quel groupe au paradis. D’ailleurs, on se fout des Pretenders comme de l’an quarante. C’est elle qui fait tout, les compos, la magie du chant, l’ambiance, elle sauve un peu la pop anglaise des années 80. À sa façon, elle a réussi à injecter un vrai shoot d’adrénaline dans le cul flapi de la vieille Angleterre. Nouveau hit planétaire avec « Show Me » - Show me the meaning of the world - qui sonne un peu comme « Kid », mais ça reste magique, pas de problème de ce côté-là. Elle fait ce qu’elle veut de la mélodie, elle la colore, elle l’élève, elle l’éclaire de l’intérieur, elle la vit de l’intérieur, elle touche le firmament du bout des doigts, car elle est une géante. Sur « Thumbelina », on entend beaucoup trop ce pauvre Martin Chambers qui frime depuis le début avec ses rouflaquettes effilées. Ils finissent cet album solide avec un nouveau hit de belle tenue, « 2000 Miles ». En trois albums, Chrissie a aligné dix hits qu’on peut bien qualifier d’intemporels, n’ayons pas peur d’utiliser les grands mots. Alors chapeau bas. En plus, elle a un charme fou. Elle est certainement ce qui est arrivé de mieux à l’Angleterre des années 80.

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         La valse des accompagnateurs se poursuit, comme on le voit avec la parution de l’album Get Close en 1986. On retrouve le même son, et pour nous, c’est tout ce qui compte. C’est bien la preuve que les accompagnateurs de Chrissie sont parfaitement interchangeables, et ce depuis le début. Elle chante toujours avec la même classe et ses paroles éclatent au grand jour - Can this really happen/ In this day and age/ Suddenly to just turn the page/ Like walking on stage my baby - Mais on trouve des morceaux un peu âpres sur cet album, et notamment des horreurs à tendance disco. Tout s’arrange en B avec le « Don’t Get Me Wrong » qui est le hit de l’album - I see neon lights/ Whenever you walk by - Elle emmène ça avec une élégance incomparable. C’est une illustration de ce qu’on appelle la perfection. Par contre, elle massacre « Room Full Of Mirrors ». Elle croyait bien faire en reprenant ce vieux hit psyché de Jimi Hendrix, mais la production des années 80 a transformé ce vœu pieux en massacre à la tronçonneuse.

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         Packed va certainement rester aux yeux de ses fans son album le plus faible. Dommage, car la pochette était réussie. Pour une fois, on pouvait se noyer dans l’intensité brun clair de son regard. Elle amène dans cet album pas mal de beaux balladifs, mais ce sont pour la plupart des resucées de « Talk Of The Town ». On a déjà entendu « Let’s Make A Pact », « Sense Of Purpose » ou « Criminal ». Elle rate encore une cover de Jimi Hendrix, « May This Be Love ». Ça ne fonctionne pas. C’est comme si elle cassait la patte valide d’un canard boiteux. Elle essaie de redorer la pilule du rock avec « Downtown (Akron) » - sa ville natale, mais la messe est dite depuis longtemps. Pour la première fois depuis le début de sa carrière, Chrissie semble perdre de la vitesse.   

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         Sur Last Of The Independents, on retrouve les ingrédients habituels : voix de la reine des nuits de Londres, de cette Américaine qui a coulé tous les rêves de gloire des Anglaises. Chrissie était dix mille fois plus fatale que toutes les reines de Soho réunies. « Hollywood Perfume » reste dans le registre habituel, celui d’un sex-appeal hors normes, épaulé par une belle basse jazzy. Mais c’est un peu trop produit. On est en 1994, sale époque pour le rock. Sur « Night In My Veins », on voit bien que la voix mène la barque. Pur Chrissie. Tout est solide sur ce disque. Tout ne tient que par la voix. C’est une vraie voix, comme chez Esther Phillips. Elle entre dans « Money Talk » par les intestins. Et elle peut aussi monter si haut qu’elle donne le vertige. Elle a ce qu’on appelle un faramineux chien de sa chienne. Il faut voir à quelle altitude elle emmène son Money Talk - to meee ! Avec chaque morceau, elle crée l’événement. Elle est partout, comme le frelon des Andes. Retour à la classe monumentale avec « Revolution », cette beauté formelle qui n’appartient qu’à elle, c’est du chain gang perlé de street slang cult pulp. Elle chante avec le velouté du cuir sur la peau. Son art toucherait le cœur d’un soudard. Look out ! Elle tend le bras - You hear your children sing freedon ! - Impressionnant. « Everymother’s Son » est la berceuse à la mormoille que tout le monde connaît, mais elle amène ça avec tellement de classe qu’on ne peut que s’incliner. Elle fait un hit de « Colours », par la simple force de sa voix. Elle a une façon unique de faire sonner le thing d’everything - Calling to me ah ! - Il faut voir ce qu’elle envoie. « Forever Young » est un balladif qui nous prend au piège. Quelle garce !

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         Paraît ensuite un album live, The Isle Of View, autant dire un festival. Elle joue acoustique, avec des violons. Ça met d’autant plus sa voix en valeur. Elle attaque le set avec « Sense Of Purpose ». Elle grimpe très vite, avec un bel éclat de voix. L’Américaine en impose. C’est du balladif, mais elle y met pas mal de vigueur et de petite hargne. Surprenant, bien foutu et surtout bien chanté. Chrissie tient son cut par la barbichette. Sa petite rogne passe à l’immortalité. Elle nous rend tous dingues de sa voix. Elle peut faite tout ce qu’elle veut, on la suit. Encore du balladif bien enveloppé avec « Chill Factor ». Elle tape dans le haut de gamme et montre qu’elle peut aussi éclater. Belle version acoustique de « Back On The Chain Gang ». Elle gratte ça à l’arpège. Elle règne sur un empire, celui des sens - I’m back oh oh on the chain gang - c’est une purge, un petit moment de magie. Le fait qu’elle joue au coin du feu ravive les pulsions libidinales. C’est une sensuelle, il faut voir comment elle ramène son « ahhhh back on the chain gang ». Avec « Kid », elle redevient la reine moderne de la pop anglaise. Version acoustique de « Brass In Pocket ». Elle se fond dans l’arborescence de la jouissance, sa voix dit la pureté verlainienne du plaisir en toute chose. Elle sait allumer. C’est traité sixties. Elle n’en finit plus de rallumer la chaudière. Elle geint admirablement bien. Et elle continue de rebâtir sa mythologie avec « Lovers Of Today », « I Go To Sleep » et même « Revolution », un peu tarte à la crème, mais elle chante ça divinement bien.

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         Nouveau retour en force avec l’album Viva El Amor. Elle retrouve le mordant des compos d’antan avec « Popstar » - Your baby wants to be a popstar/ Probably just to spite me/ She thinks it’s so easy to get to the top/ But a girl like that, she won’t know where to stop - Quelle niaque ! Elle passe ensuite au beau balladif avec « Human ». Elle redescend dans la soute de la mélodie. La voix, rien que la voix. Elle descend encore plus loin dans les entrailles du balladif avec « From The Heart Down ». S’ensuit une belle pièce, « Nails In The Road » qu’elle fond dans une nappe inattendue. Elle explose quand elle veut. Retour à l’étage des hits monstrueux avec « Who’s Who », encore un fantastique règlement de compte - Your future exists in her shopping lists/ Please call your office - On ne sait pas à qui c’est destiné, mais c’est d’une rare violence. Elle continue de régler ses comptes dans « Baby’ Breath » - The love you have to offer/ Is only baby’s breath - et le pauvre malheureux qui est visé s’en prend plein la gueule - You think you’re wild/ In your designer jeans - Elle en fait de la charpie. Elle le bouffe tout cru. Elle fait ensuite sa Sharon Tandy dans « One More Time » : elle grimpe de façon spectaculaire dans les octaves. Et voilà qu’elle explose le souvenir sacré de Sharon Tandy. Encore une chanson puissante avec « Legalise Me » - oh baby doll - et dans « Samurai », elle parle d’un mec qui entre dans sa chambre et qui se déshabille. Elle continue de cultiver cette forme de sensualité qui évoque celle de Marlene Dietrich. Elle termine l’album sur une autre histoire du cul intitulée « Biker » - You bring the biker out of me oh oh oh.

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         Énorme album que ce Loose Screw paru en 2002. Elle attaque avec « Lie To Me », un gros rock bien tiré des bretelles et doté d’une couenne épaisse. Comme d’habitude, la voix fait tout et derrière on a veillé à ce que le son reste dense et bien carré. Elle reprend sa belle allure mélodique pour « You Know Who Your Friends Are ». Elle donne du champ à sa profondeur de champ. On retrouve le charme de « Talk Of The Town » avec les oh oh oh qui descendent. Elle ressort son timbre de voix fêlée pour « The Losing » et réinstalle sa suprématie dans « Saving Grace ». Beat infernal et voix impériale qu’elle réinstalle dans les hauteurs habituelles. C’est le grand retour de l’émotion chrissique, cette grâce infinie, cette merveilleuse expression développée qu’elle a en commun avec Esther Phillips. On retrouve dans « Saving Grace » la Chrissie qui faisait rêver Londres, la grande prêtresse du rêve rock éveillé. Elle a vraiment cette grandeur en elle, cet éclair malin de la classe supérieure. Et pour finir, surprise de taille avec une reprise de Charles Trénet : « I Wish You Love ». C’est de la pure magie. Elle peut le prendre perché et le chanter tout le long sur le haut de son registre. Surtout, ne commettez pas l’erreur de prendre Chrissie Hynde pour une chanteuse pop à la mode. Elle évolue depuis trente ans dans la cour des grandes.

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         Retour aux affaires en 2008 avec Break Up The Concrete, un album mitigé et mitigeur, où on retrouve bien sûr le chien de la chienne qu’on aime bien et tout particulièrement dans « Boots Of Chinese Plastic » - You look fantastik/ With your boots of Chinese plastik ! - Elle peut se permettre de se moquer des mecs, elle en a largement les moyens. « The Nothing Maker » est aussi une belle pioche, elle chauffe son couplet et joue de son charme vieillissant (n’allez pas voir les dernières images d’elle sur le net, c’est dur - même chose pour Moe Tucker - toute ridée - et Ellie Greenwich - toute bouffie). Bon, mais du moment qu’on a la voix, tout va bien. Quarante ans après ses débuts, elle peut encore miauler d’une voix de chauffarde des barrières. Mais on sent les limites du système avec des morceaux comme « Don’t Cut Your Hair », où le batteur l’oblige un peu à se secouer et elle frôle un peu le ridicule. À un moment, ça ne marche plus. Elle risque de passer pour la mémère qui joue encore les rockeuses, comme le fait le pépère-héros national de la France profonde. Mais d’un autre côté, il faut toujours essayer de suivre les artistes qu’on a vraiment admirés. Ils ne peuvent que réserver de bonnes surprises. Dans « Love’s A Mystery », elle refait son vieux numéro de charme, même tempo que « Talk Of The Town ». Elle n’arrive plus à se renouveler. Elle fait un morceau pornographique avec « The Last Ride » - We take shelter in each other - et on tombe enfin sur une belle pièce, « Almost Perfect ». Elle tente de groover la situation et ça accroche car elle chante dans une ambiance laid-back fabuleuse de douceur traînarde. Voilà le hit de l’album et le retour de la très grande Chrissie. C’est un morceau exceptionnel. Elle traîne dans le vieux groove usé de circonstance. Dommage qu’elle n’ait pas traité tout l’album sur ce registre. Du coup, elle redevient invincible et rayonnante.  

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         JP, Chrissie & the Fairground Boys était annoncé comme une sorte de retour au rock, par le biais d’une entreprise relationnelle métabolique. Malheureusement, l’espèce de JP montré sur la pochette en compagnie de Chrissie ruine tout le travail. On a exactement le même problème avec les albums de Wanda Jackson produits par Jack White, où on se retrouve avec des solos de guitares complètement m’as-tu-vu qui n’ont rien à faire sur un disque de Wanda. Chaque fois qu’il ouvre la bouche pour chanter, ce JP de malheur amène la honte sur l’album. Dommage, car ça partait assez bien, avec « Perfect Lover », où Chrissie sonnait comme une vieille pute avec des descentes de baryton, et « If You Let Me », où elle retrouvait sa vraie voix d’ensorceleuse. On sent toutefois chez elle un besoin de rajeunir en fréquentant des petits frimeurs barbus. « Australia » est une belle pièce de power-pop à l’ancienne qui permet à Chrissie de se déployer, jusqu’au moment où le JP de malheur arrive en braillant et c’est foutu. Quand il ne chante pas, ça va, comme par exemple dans « Misty Valleys », où Chrissie chante divinement. Elle revient au sommet de son art et monte dans les octaves ovipares. Elle redevient la reine de Nubie des bas-fonds londoniens, elle tient la beauté du ciel par la barbichette. On retrouve notre chère vieille Américaine qui a eu cette chance incroyable d’être reconnue par les Anglais pour son seul talent. D’autres morceaux font vomir, à cause du JP de malheur. On implore Chrissie de nous sauver de la médiocrité, comme elle l’a fait toute sa vie. Mais comment a-t-elle pu accepter d’enregistrer un disque avec un tel ringard ? Ah les femmes qu’on croit fortes sont parfois très faibles. « Your Fairground » donne le frisson, même si on entend le JP de malheur derrière - Where does the sun go - la voix est là, Chrissie geint. Ne touchez pas à ce trésor. Encore un hit avec « Never Drink Again », elle y va de bon cœur, c’est envoyé ! Elle embarque ça où elle veut et elle finit l’album sur un coup magique, « Fidelity », qu’elle amène comme elle amenait jadis ses vieux hits, avec un tact et une classe inégalables.

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         Sur la pochette de Stockholm, on la voit poser en gilet cravate, comme si rien n’avait changé depuis 1979. Elle cultive le mythe wildien de l’éternelle jeunesse et elle a raison, car c’est aussi son fonds de commerce, même si elle atteint l’âge canonique de 62 ans. On trouve de belles choses sur cet album qu’elle a fait avec Björn de Peter, Björn & John. Quand on veut la situer dans l’histoire du rock, on parle souvent de rock au féminin, mais il serait plus juste de parler de romantisme, au sens où l’entendait Chateaubriand. Il suffit d’écouter « You Or No One » pour en avoir le cœur net. C’est une nouvelle apologie du romantisme. Elle chante comme une égérie fatale, avec une classe irréprochable. Dans « Dark Sunglasses », on retrouve les envolées généreuses de la grande époque. On sent chez elle l’élancé de la constance et ce goût immuable pour la très grande pop. Elle rejoue les petites rockeuses dans « Down The Wrong Way » (Neil Young joue sur ce morceau). Elle connaît toutes les ficelles, alors pour elle c’est un jeu. Elle parle de pills et de choses interdites. Et ça tient, car elle tient sa voix. Elle rentre dans le lard d’« A Plan Too Far » à l’ancienne mode. Elle sait driver un beat. Elle sort cet accent cassé de la décadence chère à notre jeunesse et envoie son refrain décorer le plafond. Avec « House Of Cards », elle rallume le brasier des vieux hits. C’est la révélation du disque. Elle secoue sa pop et redevient la reine antique du rock anglais. Ah comme nous aimions l’entendre chanter, au temps jadis...

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         Et puis la voilà de retour avec Alone. Pochette coup de poing, Chrissie semble décidée à en découdre, en vieille akroneuse qui se respecte. Précisons que Dan Auerbach produit l’album. Chrissie attaque avec « Alone », un modèle de heavy rock. Elle y module bien sa tension sexuelle - Yeah ! I like it - Elle rejoue de tous ses charmes. On a là l’un de ces rocks classiques et sans histoires qui réchauffent si bien le cœur. Encore un petit coup de stomp avec « Gotta Wait ». Nouvelle preuve de l’existence d’un dieu du rock. Le stomp plaira aux masses, car il est bien sourd. Et le reste de l’album va plus sur le balladif intimiste, qui est quand même le fonds de commerce de notre héroïne. En B, elle profite justement de « Blue Eyed Sky » pour renouer avec son cher intimisme. Elle n’a rien perdu de son charme fatal et de sa présence. « The Man You Are » confirme la tendance au calme. Elle dit à l’homme qu’elle aime qu’elle ne veut ni fleurs, ni bagues, ni promesses. Elle veut juste qu’il soit l’homme qu’il est. Pas mal, n’est-ce pas ? Franchement, ce mec a beaucoup de chance. Ce sont en général les femmes très intelligentes qui demandent ça à leur compagnon. Les autres préfèrent les bagues. Dans « I Hate Myself », elle avoue qu’elle se hait for being jealous et elle boucle avec un balladif suprêmement empirique, « Death Is Not Enough ». Chrissie n’en finit plus d’étendre l’empire de sa mélancolie. La mort n’est rien, elle le sait.  

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         Elle refait surface en 2019 avec le Valve Bone Woe Ensemble et un album du même nom. Dès « How Glad I Am », cette folle s’enfonce dans la classe. Elle fait de cette reprise de Nancy Wilson un fabuleux hit de Soul jazz qu’elle groove à la folie Méricourt. Et tout l’album va rester à ce niveau d’excellence, avec à la suite un hommage à Brian Wilson avec « Caroline No ». Elle jazze la mélodie, elle excède le maximum de ses possibilités. Elle rame dans le limon du groove. Elle passe ensuite à Sinatra avec « I’m A Fool To Want You », elle fait des merveilles révolutionnaires, et derrière, ça joue au Hynde System. On reste dans l’émerveillement avec « I Get Along Without You Very Well », encore un shoot de deep deepy jazz, elle s’y prélasse et atteint des sommets dans l’art de caresser le feeling dans le sens du poil. Elle bascule dans le mythique avec l’« Once I Loved » de Carlos Jobim. Elle se fond dans la magie du Brazil, c’est un miracle d’équilibre interprétatif, elle chante dans son for intérieur. Tout ce qu’elle propose sur cet album est effarant de classe, comme ce heavy groove de jazz, « You Don’t Know What Love Is » qu’elle prend à pleine voix. Elle devient déchirante. Elle tape aussi dans Nick Drake avec « River Man », elle se jette dans le Drake avec tout son sucré de petite chatte. Il faut savoir que Drake met un certain temps à se développer. Elle rend hommage à son ex Ray avec « No Return ». Belle énergie d’anticipation, c’est groové à la trompette de la renommée. Et elle termine avec un clin d’œil à Charles Trenet et « Que Reste-t-il De Nos amours » - Et je pense aux jours lointains - alors elle se demande ce qui reste et ça vire à la démence subliminale, une photoo/ Vieille photoo de ma jeunesse, alors oui, elle y va aux amours fanés, cheveux au vent, que reste-t-il de tout cela, dites-le moi. À travers Chrissie Hynde, tout le génie de Gainsbarre se reflète dans celui de Charles Trenet.

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         Spectaculaire retour en 2020 avec Hate For Sale. Elle nous shake son punk dès le morceau titre d’ouverture de bal, elle chante à la rémona. Le guitar slinger s’appelle James Walbourne. Par contre, Chambers pose un problème : on est plié de rire en le voyant sur la pochette. Il bat tous les records de ridicule du vieux pépère qui veut faire le coq. Elle enchaîne avec un coup de génie intitulé « The Buzz ». Elle fait son business, c’est le même qu’avant, elle est tellement sexy, makes you feel, elle chante au long du fantasme, elle reste the queen of the underground - I can’t get no relief - il n’y a qu’elle pour tourner comme ça autour d’un beat, ahhhh, comme dirait Jean-Pierre Marielle, comme elle est bonne ! Welcome in the fairy sexy world of Chrissie Hynde ! Ils font aussi un reggae qui fonctionne avec « Ligthning Man ». Le vieux Chambers se prend pour un rasta, mais c’est Wilkinson qui fait tout le boulot à la basse. Il pouette à la Jamaïque et Chrissie s’éclate la rate au coin des couplets. Elle est merveilleusement juteuse et juste. Nouveau coup de génie avec « Turf Accountant Daddy », heavy schluff demented, elle te saute dessus comme la nympho de l’immeuble, c’est la reine du rodéo, la gueuse du rock, elle est terrifiante, ça descend dans les catacombes, God comme c’est big ! Elle renoue avec les clameurs vénales de Sonny & Cher. Et ça continue avec « You Can’t Hurt A Fool », elle mène le bal, ferme et déterminée, elle met tout l’album et tous les sens en alerte. Ça navigue encore une fois au plus au niveau de l’état des lieux. Chrissie est celle qu’il te faut. Elle crève l’écran à tout instant. C’est encore elle la commodore avec « I Didn’t Know When To Stop ». Elle te dégringole tout et ça prend feu au premier coup d’harmo. Elle chante comme si elle réglait ses comptes. Tout sur cet album est puissant. Elle revient au junkie walk dans « Junkie Walk », elle n’en démord pas - When you walk the junkie walk - et ça bascule dans l’enfer du paradis - Every junkie has to die - Et puis on la voit monter le chant d’un ton dans « Didn’t Want To Be This Lonely ». C’est donc elle la reine. Il faut s’en souvenir. Elle chantera jusqu’au bout. 

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         Retour aux affaires en 2021 avec un hommage à Dylan : Chrissie Hynde Sings Bob Dylan. Standing In The Dorway. Elle ne choisit pas les cuts les plus connus. Elle sort «You’re A Big Girl Now» de Blood On The Tracks et le tape au big Bob. Elle l’allume bien, elle réactualise d’une certaine façon la magie dylanesque. L’autre cover magique est celle de «Love Minus Zero/No Limit» tiré de Bringing It All Back Home. Pur jus de grande époque. Elle tape dans le cœur battant du mythe - The bridge at midnight trembles/ The country doctor rambles - Mais elle fait des choix de cuts plus obscurs, comme le morceau titre, tiré de Time Out Of Mind. Elle y ramène tout le chien de sa chienne et le diable sait qu’elle n’en manque pas. Elle va plus dans la harangue avec «Sweetheart Like You» tiré d’Infidels. Elle y va à la bavache, beaucoup de texte, mais elle capte bien la mélodie chant. Elle sait cultiver le climax dylanex. Son «Blind Willie McTell» est tiré des Bootleg Series et devait figurer sur Infidels, nous dit la légende de la Mer Morte. C’est monté sur le fil mélodique d’«House Of The Rising Sun». Même balancement de vagues. Elle n’en finit plus de finasser. Elle a des choix très pointus. Bob doit être fier d’écouter ça. Elle est chaude, intime. Elle termine avec «Every Grain Of Sand» qu’elle tire de Shot Of Love. Mais il ne faudrait pas que ça dure trois heures.

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         Et pouf, elle repart à la conquête des charts avec un nouvel album des Pretenders, l’excellent Relentless. Boom dès «Losing My Sense Of Taste». Elle émerge d’un épais bouillon. Plus elle vieillit et plus elle rocke. Elle démarre l’album en mode rentre-dedans, avec cette façon géniale qu’elle a conduire la mélodie chant à travers le funnel of love. Il pleut du feu dans cette purée. Elle retrouve ses accents de prune offerte, mais avec une sensualité unique. Il faut attendre un peu pour voir arriver les coups de génie. Le premier s’appelle «Merry Widow». C’est un peu comme si elle écrasait son champignon - I’m a divorcee/ I’m a merry widow - elle éclate dans le rayonnement latéral d’accords de Blade Runner. Elle reste merveilleusement présente dans l’éclat de ses chansons. Elle retrouve sa voix de chef de meute pour «Let The Sun Come In», sa voix ne change pas, toujours aussi pure et juste - We don’t have to get fat/ To get old - Son grain de voix te transperce le cœur. Et puis voilà la pop magique de «Just Let It Go». Elle a du génie, il faut bien l’admettre. «Just Let it Go» est l’illustration parfaite du power suprême de Chrissie Hynde. Elle revient au wild rockalama avec «Vainglorious» et elle termine avec «I Think About You Daily», elle sait rester merveilleusement intime sans l’être. Cette femme est un épais mystère, et elle nous plonge une fois de plus dans sa magie. 

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         L’idéal pour conclure serait de visionner Alone With Chrissie Hynde, un portrait documentaire balladif signé Nicola Roberts. Pas de témoignages, Chrissie préfère gérer ça à sa manière, ce qu’elle appelle glander. Alors elle nous emmène faire un tour à Paris où visiblement elle possède un appart. Elle y achète des T-shirts Elvis et des fringues. Elle profite de la balade pour faire l’apologie de la solitude - Be yourself all the time - et de la classe. Elle cite comme exemples David Johansen, Johnny Thunders, Charlie Sexton, Bob Dylan et Amy Whinehouse. Pas facile pour un film d’entrer dans la vie d’une femme aussi classe. Puis elle nous emmène à West London où elle possède un autre appart - I’m a bit of a loner - Elle peint et indique que la solitude is a luxury. On la voit jouer dans un club avec les nouveaux Pretenders et répondre à une interview. Elle est très directe. Alpaguée sur le féminisme et les vegans, elle répond qu’elle don’t give a fuck et ajoute avec toute la morgue dont elle est capable un fuck off retentissant. Nicola Roberts fait là le portrait d’une femme indépendante et complètement libre. Elle adore les parcs à Londres et les forêts d’Akron, elle adore partir en tournée et dormir dans des bus. Elle préfère les chambres d’hôtels à sa chambre à Paris ou à Londres. Alors évidemment, on n’échappe pas au plan avec Dan Auerbach, histoire de rappeler qu’il a produit l’album du même nom, Alone. Ce mec ne rate pas une seule occasion de faire sa petite promo à la mormoille. Il fait écouter Lazy Lester et Slim Harpo à Chrissie, comme si elle ne les connaissait pas ! Quel prétentieux ! Elle revient à son thème de prédilection, la solitude, et explique qu’il faut faire de son mieux avec ce qu’on a. Elle fait un tour au Boogaloo, a North London pub, pour chanter un cut avec Mother’s Little Helper, un trio rockab. La seule allusion au passé est Sid & Nancy qu’elle va voir au cinéma. Elle dit qu’il lui aura fallu 35 ans de recul pour voir ça. Elle rend aussi hommage à Tim Buckley qu’elle écoutait quand elle avait 17 ans. La balade à Akron est le moment fort du film. Elle emmène la caméra dans le centre commercial où elle travaillait quand elle était ado, puis dans la rue où elle a grandi, puis dans la forêt locale et enfin dans un cimetière. Par contre, rien sur Robert, rien sur Ray, rien sur Sex, rien sur ses enfants. Les fans sont gâtés car le DVD propose en bonus un concert des Pretenders filmé en 1981 au Rockpalast, et bien sûr, Chrissie monte au firmament des rock chicks, comme elle dit.

Signé : Cazengler, Chrissy Dinde

Pretenders. Pretenders. Real Records 1979

Pretenders. Pretenders II. Real Records 1981

Pretenders. Learning To Crawl. Real Records 1984

Pretenders. Get Close. WEA Records 1986

Pretenders. Packed. WEA Records 1990

Pretenders. Last Of The Independents. WEA Records 1994

Pretenders. The Isle Of View. WEA Records 1995

Pretenders. Viva El Amor. Warner Bros. Records 1999

Pretenders. Loose Screw. Artemis Records 2002

Pretenders. Break Up The Concrete. Rhino Records 2008

Pretenders. The Singles Collection. WEA Records 1987

JP, Chrissie & the Fairground Boys. Fidelity. Rocket Science 2010

Chrissie Hynde. Stockholm. Caroline Records 2014

Pretenders. Alone. BMG 2016

Chrissie Hynde With The Valve Bone Woe Ensemble. Valve Bone Woe. BMG 2019

Pretenders. Hate For Sale. BMG 2020

Chrissie Hynde Sings Bob Dylan. Standing In The Dorway. BMG 2021

Pretenders. Relentless. Parlophone 2023

Nicola Roberts. Alone With Chrissie Hynde. DVD 2018

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Mojo #247 - June 2014. The Great Pretender by Jill Furmanonsky

Chrissie Hynde. Reckless. Ebury Press 2015

 

 

Larkin Poe taux roses

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         C’est le genre de concert qu’on dit incertain. Une façon de dire qu’on y va à reculons. Mais comme on n’est jamais à l’abri d’une bonne surprise, on passe le reculons en marche arrière, donc on avance, mais à reculons. Dans la vie, il faut avancer, sinon on recule. Essaye le reculons en marche arrière, tu verras c’est marrant.

         Trêve de balivernes. Pourquoi tant d’aprioris ? Tout bêtement parce que Larkin Poe est catalogué American roots rock. Originaires d’Atlanta, les deux sœurs Lovell sont maintenant installées à Nashville, ce qui veut bien dire ce que ça veut dire : nous voilà au cœur du rock US plan-plan, celui qu’on qualifiait autrefois de Southern rock, un rock typiquement américain et dont les figures de proue furent Lynyrd Skynyrd, Marshall Tucker Band, Molly Hatchet et Black Oak Arkansas. Ennui garanti à 100%. On fuyait tous ces albums comme la peste, de la même façon qu’on fuyait ceux des mauvais groupes de hard-rock anglais. On ne va pas re-citer de noms, inutile de gâcher de la place.

         Revenons à nos moutonnes, les sœurs Lovell. Le risque d’ennui est certain, mais assumé. On y va en plus avec les oreilles vierges. Pas d’écoute préalable. Ce sera à prendre ou à laisser. Take it or leave it. Bien évidemment, le groupe qui assure la première partie est dans la veine American roots rock. Il s’appelle Sheepdog. Ce sont des Canadiens déguisés en Allman Brothers Band. Jolie collection de clichés. Voici quelques années, ils jouaient en première partie des Rival Sons. On a quitté la salle au bout de deux cuts. Solide sur scène mais sans surprise. Tout repose sur la férocité du soliste. Mais qui va aller écouter ça aujourd’hui ? Ils doivent très bien savoir qu’ils sont hors du temps et que leur rock seventies vieillit mal, même si le soliste est bon. Sur le moment, on éprouve un certain malaise. On se demande vraiment ce qu’on fout là. Où est passé l’avenir du rock ? Malaise d’autant plus aigu qu’on relisait ces derniers jours les chroniques de Mick Farren parues dans le NME et dans d’autres canards, et certaines d’entre-elles ne vieillissent pas très bien non plus, à cause du traitement de l’actualité politique d’une autre époque. Farren est très politique et l’actu politique d’une autre époque est ce qui vieillit le plus mal. S’immerger dans le passé peut parfois s’avérer périlleux. Même sentiment de désuétude à la revoyure, voici quelques jours, du film que Les Blank a tourné sur Leon Russell : A Poem Is A Naked Person. Trop complaisant. Tout le monde ne s’appelle pas Abel Ferrara. Sheepdog + Farren + Tonton Leon, tout cela ne s’entrelace pas très bien. Ce malaise révèle en fait un besoin toujours plus pressant d’avenir.

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         Et soudain, elles déboulent sur scène, entièrement vêtues de blanc. Virginales et plutôt sexy. Rebecca Lovell chante et gratte une Strato blanche, sa grande sœur Megan gratte une lapsteel. Elles sont tout bonnement adorables. Elles jouent en face à face et dégagent une énergie fabuleuse. Un gros beurreman black et un bassman blanc vêtu d’une combinaison blanche les accompagnent. Tous les aprioris volent en éclats : elles s’imposent avec un rock solide et une réelle fraîcheur de ton.

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On craque pour le sourire de Rebecca, mais aussi pour son corps parfait. Elle ramène tout le chien de sa petite chienne, ouaf ouaf, elle a des mouvements du buste qui ne trompent pas sur ses intentions, elle a une vraie dégaine de real rock’n’roll animal. Elles échappent au piège du roots rock pour faire du Larkin, et ça marche. Rebecca forever ! Sa frangine passe des solo de slide assez diaboliques et elle a une façon de hocher la tête qui montre qu’elle rocke pour de vrai. Tu sens tes naseaux frémir. C’est quasiment une révélation. Elles concentrent tout le power et suscitent une réelle émotion. Elles sont parfaitement au point.

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Rebecca établit un vrai contact avec le public, elle a du métier. On sent qu’elle adore la scène. Elle jubile. Elle indique à un moment que Megan et elle font le groupe depuis 18 ans. Le premier cut du set et le dernier sont de véritables killer cuts. Après enquête, on saura qu’il s’agit de «Strike Gold» et «Bolt Cutters & Family Name», tirés de leur dernier album Blood Harmony. On reconnaît aussi au passage une cover du «Jessica» d’Allman Brothers Band, et une version acoustique du «Crocodile Rock» d’Elton John. On voit le corbeau d’Edgar Poe sur la grosse caisse, mais après enquête, il apparaît que Larkin Poe est le nom de leur ancêtre. Rien à voir avec Edgar Poe. Dommage.

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Elles rendent hommage à leur façon à deux géants disparus : Ray Charles avec «Georgia Off My Mind» et Screamin’ Jay Hawkins avec «Bad Spell». Dommage qu’elles n’aient pas tapé des covers de ces deux vieux cadors. Le blues qu’elles tapent en cœur de set est une cover du «Preachin’ Blues» de Son House, qu’on va d’ailleurs retrouver avec d’autres jolies choses sur Peach. On ne se lasse plus du ravissant sourire complice de Rebecca Lovell et de son feeling.  

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         Alors on va faire une razzia au merch. On en ramasse trois : Venom & Faith, Self-Made Man et Blood Harmony.

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On retrouve effectivement les deux killer cuts pré-cités, «Strike Gold» et «Bolt Cutters & Family Name». Ils tournent comme sur des roulettes. Bim bam boom ! «Strike Gold» stompe le boogie rock. Idéal pour lancer un set. Ça ne fait pas un pli, c’est extravagant d’énergie et même un brin glammy par le stomp et les ouh ouh ouh. Elles raflent la mise avec les deux doigts dans le nez. Même topo avec «Bolt Cutters & Family Name», un cut amené sous le boisseau et conçu pour exploser. Et ça explose encore sur la base d’un stomping stomp. Leur péché mignon, c’est le stomp, avec comme cerise sur le gâtö la voix de Reb. Hard to beat ! C’est un album incroyablement abouti. On y retrouve encore le «Bad Spell» d’hommage à Screamin’ Jay, Reb l’attaque à l’heavy disto, on se croirait chez le Vanilla Fudge. Elle charge bien sa barcasse, mais d’un certain côté, ça reste sans surprise, même avec son ravissant sourire. S’ensuit le coucou à Ray du cul, «Georgia Off My Mind», très boogie rock, Reb chante ça à la revoyure. Sur l’album, le «Southern Comfort» passe mieux que sur scène. Les frangines ramènent leur grosse patate dans «Summertime Sunset». Reb sait claquer un beignet derrière les oreilles, avec des effets de chat perché demented. Elle est absolument parfaite, personne ne peut lui résister, surtout quand elle sourit. Et Meg viole toutes les conventions à coups de slide, elles sont bien meilleures que tous ces groupes de gros poilus qui ont encombré les hit-parades depuis cinquante ans. Elles sonnent comme l’artefact de l’apanage, elles jouent à la coulée d’or, l’Athanor dégueule, Reb & Meg rockent l’Amérique. Tu ne t’ennuies pas sur cet album. Reb pourrait bien être une petite superstar. 

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         Quand on remonte dans le temps, la qualité s’en ressent. Malgré sa jolie pochette, Venom & Faith n’est pas un album indispensable. Elles proposent un rock classique et sans surprise, même si Reb est déjà une battante. Elles restent bien dans la ligne du parti. On peut dire ce qu’on veut, mais ça reste incroyablement bien foutu. «Mississippi» sonne comme une image d’Épinal. On voit Reb remonter le courant du fleuve au yeah yeah dans «California King» et le cut sauveur d’album s’appelle «Blue Ridge Mountain» qu’elles reprennent d’ailleurs sur scène. Joli stomp, c’est à ça qu’on le reconnaît. Reb est bonne. «Ain’t Gonna Cry» est plus heavy, elle ne va pas pleurer, oh la la ce n’est pas le genre et voilà que la malheureuse s’aventure sur un terrain miné avec «Hard Time Killer Floor Blues», le terrain de Wolf. Elle n’aurait jamais dû s’attaquer à ça. La voix de Reb dans l’abattoir ne passe pas. Aucune crédibilité. Avec Hard Time, on parle de choses sérieuses. Ce n’est pas une amusette. Évidemment Meg se fend d’un solo de lapsteel les pieds dans une mare de sang. C’est insupportable. Elles bouclent avec «Good & Gone», un blues blanc bien stompé. Reb chante comme une crack, alors effectivement, tu peux tenter le coup sur 5 albums.

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         Avec Self-Made Man, Reb & Meb s’en sortent les deux doigts dans le nez. Très bel album solidement parfumé de blues-rock, généreux, bien produit. S’y niche un sacré coup de génie, le bien nommé «Tears Of Gold To Blue». C’est un fabuleux hommage à Elvis - Tupelo rest my Soul - Hit bien senti - Tupelo rock & roll/ Sing in the kitchen - Meg l’illumine au lapsteel de back in the days gone by. Quelle surprise ! Elles vont encore faire un tour au bord du fleuve avec «Back Down South». Meg t’infecte ça vite fait de slide dévorante. Elles sont vraiment très bien. Même si ça reste du sans surprise, on ne s’ennuie pas une seule seconde. Leur «Keep Diggin’» est assez fin, gorgé de blues rock - Oh the rumor - Elles font l’album du fleuve. Encore du blues de référence avec «God Moves On The Water», puissant, gorgé de slide et de beat tribal. Pas facile de créer l’événement dans un genre aussi roboratif. Petit crochet par la morale avec «Ex-Con», cette histoire de taulaurd rentré dans le rang. Il a fait son temps, but now the time has come for me to get back in my mama’s good grace.

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         Peach est encore un bel album de blues-rock et même d’heavy blues du fleuve, ah elles adorent le fleuve, les Nashvillaises d’adoption. Elles tapent dans les vieux coucous comme «Come On In My Kitchen», «Black Betty» et tout le saint-frusquin du bam balam, elles y vont de bon cœur, elles tapent même dans le «Preachin’ Blues» de Son House - I wanna get me some religion - Elles s’amusent bien avec le vieux Son. Reb tape «Freedom» à la saturation du beat, combine connue et pratiquée par tous les défenseurs de la cause du peuple. Reb est excellente dans son rôle de mère courage. Elles ont tout le son du fleuve électrique. C’est devenu leur pré carré. Le hit de l’album s’appelle «Cast ‘Em Out», heavy boogie rock qui renvoie à Nashville Pussy. Avec «John The Revelator», elles font un peu main basse sur le mystère qui appartient  aux noirs. Cet album finit par ressembler à un hold-up. Elles développent une puissance énorme avec «Wanted Woman-AC/DC». Ça chevrote dans les tubulures. Ça vibre de partout dans la carlingue. Elles te rockent le boat vite fait. On se croirait une fois encore chez Nashville Pussy. Même genre de dévolu jeté par-dessus la jambe. Elles terminent ce petit tour au bord du fleuve avec «Tom Devil». Elles se prennent vraiment pour des négresses, elles tapent dans le chain gang beat, ce qui peut laisser perplexe. Les frangines font main basse sur un imaginaire trempé de sueur, de sang et d’horreur. Mais comment les blancs osent-ils se comporter ainsi, en faisant du blé sur le dos de l’art nègre ?

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         Kindred Spirits est le genre d’album quitte ou double : si tu l’écoutes avant d’aller au concert, tu ne vas pas au concert. Donc écoute-le après. Le truc qui cloche sur cet album de reprises, c’est précisément le choix des reprises. Il ne faut jamais oublier que l’Américain moyen écoute pas mal de daube. Dans le choix des sœurs Lovell, on tombe sur les noms de Phil Collins, d’Elton John et de Derek & The Dominoes. Normalement, tu t’enfuis en courant. Elles reprennent d’ailleurs de «Crocodile Rock» d’Elton John sur scène. En soi, ce n’est pas un si mauvais cut, c’est la personne d’Elton John qui pose un problème. On se souvient tous de ses atroces interviews de cocaïnomane dans le NME. Kindred Spirits, c’est un peu comme si les sœurs Lovell avaient raté leur exam. Elles massacrent le «Rockin’ In The Free World» du vieux Young et le «Devil In Disguise» d’Elvis. Versions ralenties. C’est un désastre. Elles font une cover nashvillaise de «Nights In White Satin». Pas terrible. Le seul cut qu’on sauve et une belle version de «Who Do You Love» grattée à coups d’acou. Mais c’est uniquement parce qu’on les aime bien.

Signé : Cazengler, Larkin Pot de chambre

Larkin Poe. Le 106. Rouen (76). 14 octobre 2023

Larkin Poe. Peach. Tricki-Woo Records 2017

Larkin Poe. Venom & Faith. Tricki-Woo Records 2018

Larkin Poe. Self-Made Man. Tricki-Woo Records 2020

Larkin Poe. Kindred Spirits. Tricki-Woo Records 2020

Larkin Poe. Blood Harmony. Tricki-Woo Records 2022

 

 

L’avenir du rock

- Rumer veille (au grain)

         Son panier au bras, l’avenir du rock s’en va faire ses courses. Il descend la rue Saint-Martial et arrivé sur la place Notre Dame, il enfile les arcades pour entrer chez son charcutier préféré, Pradine, grand tripouteur de saucisses sèches archi-sèches. Prince de la faconde, Pradine sait recevoir ses clients :

         — Comment allez-vous bien, avenil du lock, pal ce beau joul de plintemps ?

         — Bien et même fort bien, monsieur Pradine. Une faim de loup, voyez-vous, m’amène chez vous. Woouuuh-ooouuuuuuuuuh ! Qu’avez-vous à me proposer aujourd’hui ?

         — Un bougalou taillé dans la bavette d’un blun-café d’Aublac et fumé à la poutle dans l’œil, vous allez me maudile, avenil du lock, car vous ne poullez plus vous en passer, ha ha ha ha !

         Pradine sort de sa glacière en céramique un quartier de bœuf extrêmement odorant, et de ses petits doigts boudinés, il entreprend d’en tailler deux belles tranches, flic flac, avec ces virevoltes de gestes vifs transmis de génération en génération, depuis la nuit des temps. Il s’essuie les mains sur son vieux tablier gris-bleu, s’empare du crayon coincé sur l’oreille et écrit le prix sur le papier gras où ont atterri les deux belles tranches palpitantes.

         — Vous felez passer ce bougalou avec un Malcillac, je vous lecommande ce clu, un Moulia des familles, vous m’en dilez des nouvelles, avenil du lock, ha ha ha ha !

         — Mettez-moi aussi des fritons, monsieur Pradine, j’en ai les narines qui en frétillent d’avance...

         — Ah vous me faites plaisil, avenil du lock, vous êtes un fin goulmet. La lecette que j’utilise poul pétlile mes flitons vient de mon gland-pèle Célestin, ses flitons étaient lenommés dans toute le Louergue voyez-vous, l’alchevêque envoyait sa selvante chaque lundi quélil une boullasse lemplie de flitons bien flais, ha ha ha ha !

         — Et quel est donc ce plat de boules qui me fait de l’œil ?

         — Ah, vous n’avez pas les yeux au fond de votle poche, avenil du lock, ha ha ha ha ! C’est la pansette de Gelzat voyez-vous, glillée ou en papillottes de Padilac, elle fela votle délice, c’est un plat de plince à Cassaniouze, voyez-vous...

         — Cassaniouze ? Voulez-vous parler de la mine de Cassaniouze ?

         — Paldi, oui, la mine de Cassaniouze, ha ha ha ha !

  

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         Monsieur Pradine ne sait probablement pas que Tardi et Christin plantèrent le décor de Rumeurs sur le Rouergue à Cassaniouze, et pour rester dans l’univers de la bonne gamelle et de la fête au palais, passons de la Rumeur à la Rumer. Monsieur Pradine te dirait que Rumer, c’est «la délectation galantie». Cette jeune femme d’origine pakistanaise s’appelle en réalité Sarah Joyce. Miraculeusement, elle reprend le flambeau d’une tradition, celle de la grande pop au féminin, jadis illustrée par Jackie DeShannon, Dusty chérie, Dionne la lionne et Karen Carpenter.

         Dans un vieux Mojo, Andy Fyfe s’interrogeait sur ce qui faisait la grandeur de Rumer. «L’évidence numéro 1», nous dit-il, est la voix, une voix qu’il rapproche de celle de Karen Carpenter, and the limitless love for all things ‘70s, oui, une passion pour le son des seventies. Fyfe ajoute que Rumer has both the voice and her emotional baggage, mais elle n’est pas une victime, comme Karen Carpenter, qui devint anorexique et qui en mourut. Toujours dans Mojo, Lois Wilson rappelle qu’un jour de 2010, Rumer reçut un étrange coup de fil : Burt Bacharach, alors âgé de 82 ans, désirait la rencontrer car il avait craqué sur une chanson intitulée «Slow». Burt voulait savoir si Rumer était d’accord pour venir chanter chez lui. Alors, nous dit Lois, Rumer éclata en pleurs, car recevoir un appel de Burt, c’est un don de Dieu. Et un mois plus tard, elle débarque chez Burt à Malibu.

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         Burt ne s’était pas trompé. On trouve chez Rumer tout ce qui fit la grandeur de Carole King, d’Aretha et de Dionne la lionne - The perfect balance between effusion and restraint, ruminating on love, loss, death and rebirth - The seasons of the soul - C’est-à-dire le titre du premier album auquel Mojo attribue le rarissime 5 étoiles. Seasons Of My Soul est en effet un album miraculeux. Rumer t’embarque dès l’«Am I Forgiven» d’ouverture de bal, une pop très Jimmy Webb, très Bacharach, can we begin again, on s’amourache aussi sec. Le «Blackbird» qu’on entend vers la fin n’est pas celui de Lennon, non, elle compose tout, elle travaille sa pop au hideaway - Now there’s a blackbird singing - Comme le montre «On My Way Home», elle est capable de merveilles, elle attaque au full of sorrow - Now I hear you say/ It’s time to walk away - Elle termine avec une compo du grand David Gates, «Goodbye Girl», elle atteint au genius à coups de let me tell you goodbye. Le «Slow» qui a tapé dans l’œil de Burt est un fantastique balladif de dérive adriatique. Elle charge toutes ses ambiances et celle de «Take Me As I Am» en particulier - Don’t tell me it’s alrigh/ It’ll never be alright - Elle chante à l’intimisme déferlant et produit une beauté surnaturelle. Puis elle atteint au mythe avec «Aretha» - I got Aretha in the morning - Elle rend hommage - I got the blues/ In springtime/ Baby you got the words - Elle se fond dans Aretha. Plus loin, elle tape son «Saving Grace» au groove pépère, comme Croz, elle l’ultra-chante. Pour l’avenir du rock, c’est du gâtö, mais pas n’importe quel gâtö : de la fouasse.

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         Deux ans plus tard paraît Boys Don’t Cry. C’est un album de reprises triées sur le volet. Elle démarre sur le mythique «PF Sloan» de Jimmy Webb. Elle l’enchante littéralement. Elle enchaîne avec l’«It Could Be The First Day» de Croz. Attention, magie ! Elle est heavy on the (magic) beat. Elle passe à Todd Rundgren avec «Be Nice To Me» et reste dans la magie pure. Elle renvoie Laura Nyro dans les bras de Todd via sa passion, ça bascule dans la bénédiction extravagante, elle se fond dans le jazz groove de pop évasive. Ce choix de reprises n’en finit plus de l’honorer. Elle rentre dans chacune d’elles à la passion consommée, comme le montre encore ce «Travelin’ Boy» de Paul Williams. Tranquille et magnifique à la fois, et elle enchaîne avec le «Soulsville» d’Isaac, elle le tape au groove de feeling pur, elle chante tout à la dentelle de Calais. Elle tape un peu plus loin dans le «Sara Smile» d’Hall & Oates, mais elle le prend au heavy soft. Elle atteint avec cet album des hauteurs inexplorées, surtout quand elle tape dans des auteurs pas très évidents comme Townes Van Zandt («Flyin’ Shoes»), elle en fait son affaire. Même chose avec l’«Home Thoughts From Abroad» de Clifford T. Ward, un auteur britannique que tout le monde a oublié, elle en fait une œuvre d’art - I miss you/ I really do - et ça monte encore d’un cran avec le mythical «Just For A Moment» de Ron Wood & Ronnie Lane. En plus, elle ramène toutes les pochettes d’albums dans le booklet. Rumer + Plonk Lane = magie pure. L’équation fatale. Elle l’éclate dans le canyon, elle tombe dans les bras d’un immense compositeur, on la sent amoureuse de Plonk car elle chante de tout son être, avec des surélévations extraordinaires. Ça continue d’évoluer avec le «Brave Awakening» de Terry Reid. Elle retombe dans les bras d’un autre géant. Elle s’y fond et on découvre l’incroyable vulnérabilité de Rumer. Elle se plonge dans le destin des géants de la pop anglaise, il faut la voir allumer l’art supérieur de Terry Reid, elle chante de toutes ses forces et elle finit par décoller, par flotter dans la stratosphère, elle est stupéfiante.   

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         On retrouve la merveilleuse rumeur de Rumer dans Into Color, un album paru en 2014. Après un départ en mode diskoïdal, elle revient à la chanson avec un «Reach Out» digne de Burt, qu’elle chante d’une voix chaleureuse - Why don’t you reach out and touch me in the dark - et elle passe au balladif de latence orchestrale avec «You Just Don’t Know People». C’est elle qui compose mais on la sent influencée par Burt - Take a little walk in the sunshine - Elle n’en finit plus de rayonner - Most people are kind - Elle se paye même des arrangements de trompettes, comme souvent chez Burt. Elle attaque «Baby Come Back To Bed» comme un hit de Marvin, c’est l’apanage du romantisme, elle tente de le ramener - Baby come back to bed/ Don’t tell me there’s somewhere else/ In the world you would rather be/ But here with me - Elle rebondit sur le somewhere else in the world. C’est tellement puissant qu’on y revient. Rumer donne là une grande leçon de tendresse, elle a hérité de toute la magie de Burt. Elle n’en finit plus de grandir, cut après cut. «Play Your Guitar» est l’un de ses plus beaux grooves - Don’t give up/ We need your love - C’est encore de la magie pure - They’re trying to break us down/ We need your love - Elle est héroïque - Can’t you see this is war - Cet album est une caverne d’Ali-Baba, elle tartine son «Sam» au will you hold my hand tonight. Pour «Pizza And Pinball», elle passe en mode good time music, comme Jackie DeShannon, elle y va au go clickety-clack, elle rocke les mots dans le fleuve de sa pop enchantée - It’s a beautiful day/ Let’s go outside and play - Et avec «I Am Blessed», elle monte son chant au sommet du feel de cristal, elle est éberluée par ce qu’elle découvre - Love can be found in this world - Alors elle en fait sa renommée.     

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         Deux ans plus tard paraît (enfin) un hommage à Burt : This Girl’s In Love (A Bacharach & David Songbook). Quand on connaît les albums de Dionne la lionne et les reprises de ces géantes que sont Jackie DeShannon et Dusty chérie, on se dit que la messe est dite depuis un bon bail, mais on se trompe. Car Rumer ré-interprète tous ces hits parfaits pour en faire du mythe pur. Si on cherche le pur mythe pop, c’est là, à commencer par sa version de «The Look Of Love». C’est marrant car la blancheur de Rumer tranche avec le black groove de la lionne, mais la torpeur latente engage les mêmes légions de frissons dans le combat des Thermopyles épidermiques : belle présence, grâce infinie, accents poignants et descentes aux graves, tout est là. Deux autres reprises mythiques, «Walk On By» et «This Girl’s In Love With You», sont rassemblées vers la fin. Avec «Walk On By», Rumer tape dans l’intapable, alors elle y va doucement, au walk on by, les petits coups de trompettes sont là, elle y va au when you say goodbye et ça marche. Elle reste dans le cercle magique avec «This Girl’s In Love With You» et Burt chante l’intro. Oui, le vieux Burt ! Il chante au feeling de vieux prince - I need your love/ I want your love - Avec «One Less Bell To Answer», elle se fond si bien dans la dignité de Burt qu’elle en devient irréelle, elle passe sans ambages à la clameur supérieure quand ça lui chante. Elle travaille son Burt au corps, c’est le principe même du Burt, c’est une pop pleine de dynamiques, ça bouge constamment. Et elle rebascule dans la magie avec «(They Long To Be) Close To You». Elle y va toute seule avec un pianiste - Why do stars fall from the sky - C’est tellement puissant. Elle nous fait le coup de la reprise de génie pur, elle la travaille à la féminine attentive, elle chante à la sensibilité extrême - Cause like me/ They long to be close to you - Elle prend aussi «You’ll Never Get To Heaven (If You Break My Heart)» à la materneuse, elle vise le soft, mais le soft puissant, pas le petit soft à la mormoille. Puis on la voit se frayer un chemin vers le sommet de la mélodie dans «Land Of Make Believe». Elle joue avec le ballon de Burt au soleil du paradis, elle le travaille à la pointe de la glotte comme l’otarie joue avec son ballon, superbe Rumer lumineuse, elle est ivre de Rumer power et elle s’écroule à la renverse. Elle adore tellement Burt qu’elle en perd l’équilibre. Elle s’enivre encore des évidences bachariennes : «What The World Needs Now Is Love» et «A House Is Not A Home». On sort de cet album complètement sonné.

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         C’est dur à dire, mais Nashville Tears - The Songs Of Hugh Prestwood déçoit considérablement. Elle garde pourtant le sens des attaques à la Fred Neil. En fait, on arrive la bouche en cœur, pensant que Rumer va nous gaver de miracles comme elle l’a fait avec ses premiers albums, mais ce n’est pas le cas. On sauve «Ghost In This House» pour sa beauté formelle à la Mickey Newbury. Elle épouse la mélodie de Prestwood, mais le problème c’est que Prestwood n’est pas un grand compositeur. Ses balladifs country suscitent un léger ennui. On préfère la Rumer de Burt. Du coup la pauvre Rumer se trouve écartelée entre son génie vocal et la pauvreté de cette country passe-partout. Elle essaye pourtant de la chauffer («Starcrossed Hanger Of The Moon» et «The Song Remembers When»), où elle semble allumer l’intimité.

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         On retrouve tous ses gros hits sur Live From Lafayette paru en 2021, à commencer par l’infernal «Aretha» - I got Aretha/ In the morning aw yeah/ I got the blues/ In springtime - Quel hommage, il est encore plus vibrant en live qu’en studio - Oh Aretha/ I just don’t wanna go to school - Elle chante avec tout le power d’I got the blues in springtime. Encore une merveille avec «Play Your Guitar» - Don’t give up/ We need your love - Elle l’attaque au groove de music people in the city, elle est complètement black dans sa blancheur, cette façon qu’elle a de groover son just play your guitar. Merveille absolue ! On retrouve aussi l’excellent «Pizza & Pinball» - It’s a beautiful day/ let’s go outside  - Avec ce clickety clac clac qu’on trouve aussi chez Jackie DeShannon («Brighton Hill»). Elle swingue le jazz. Elle fait aussi une cover spectaculaire du «Sara Smile» d’Hall & Oates qu’elle reprenait déjà sur Boys Don’t Cry. Autre cover de choc : «Love Is The Answer» de Todd Rungren qu’elle chante à la voix de rêve, à l’assaut charnel de shine on babe. Les chœurs d’hommes fendent la bise. Pure Rumerveille. Son grand hit est probablement «You Just Don’t Know People» tiré lui aussi d’Into Colour, elle l’attaque bille en tête au take a little walk in the sunshine, c’est du heavy genius comme on l’a déjà dit. Toutes ses chansons sont puissantes, elle navigue au long cours mélodique, avec la voix qui va. «Take Me As I Am» est tiré de son premier album et elle irradie - Don’t tell me it’s alright - Elle ne veut pas d’embrouilles, elle exige la franchise, elle chante au sommet du feel, comme elle chante à la ramasse du génie vocal («Learning How To Love»). Son chant devient de l’art pur.

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         Oh ! Vient de paraître un B Sides & Rarities Vol. 2 ! On y va ? On y va ! La surprise vient d’un cover des Bee Gees, «How Deep Is Your Love», un cut languide qu’on a tellement détesté à l’époque. Mais Rumer en fait un lagon dans lequel on entre avec elle. Alarmante de beauté, elle ramène toute sa Soul pour en faire un coup de génie, elle retravaille la mélodie à sa façon, au care for you/ And you want to show me how deep is your love. C’est l’une des love songs ultimes. Elle tape aussi dans Van Morrison et Carly Simon. Plus loin, elle s’en va se fondre dans le groove de Burt avec «Wives & Lovers». Elle jazze sa voix et redevient la reine du round midnite. Le groove d’orgue chancelle fabuleusement et elle arrondit les angles à petits coups de glotte douce. Elle tape un autre hit de Burt, «Anyone Who Had A Heart» et lui redonne tout son sens. C’est d’une pureté mélodique extrême, comme l’est plus loin «The Windows Of The World», un autre hit de Burt, let the sunshine through. Encore un coup de génie avec «Old Fashioned Girl», où elle raconte que la fête est finie et qu’elle va prendre son mec dans ses bras, comme une old fashioned girl - I’ll take care of you baby - Tous les mecs rêvent d’entendre ça. Elle en fait un groove magique. Merci Rumer pour cette rumeur. 

Signé : Cazengler, Rumerde

Rumer. Seasons Of My Soul. Atlantic 2010   

Rumer. Boys Don’t Cry. Atlantic 2012   

Rumer. Into Color. Atlantic 2014       

Rumer. This Girl’s In Love (A Bacharach & David Songbook). EastWest 2016 

Rumer. Nashville Tears - The Songs Of Hugh Prestwood. Cooking Vinyl 2020

Rumer. Live From Lafayette. Cooking Vinyl 2021

Rumer. B Sides & Rarities Vol. 2. Cooking Vinyl 2022

 

 

Inside the goldmine

- Shadows of Marie Knight

         Ce petit bout de femme n’en finissait plus d’éberluer. Elle parlait d’une voix extrêmement perchée qui avait pour effet d’hypnotiser son auditoire. Personne n’osait l’interrompre, car elle déroulait d’interminables monologues tous plus passionnants les uns que les autres. Elle puisait dans un vécu richissime, tiré du privilège d’avoir vécu dans le Quartier Latin de l’entre-deux guerres. Elle avait alors épousé un artiste peintre qui faisait deux fois sa taille, et dans leur salon de la rue du Sommerard se côtoyaient des éminences aussi peu cardinales que Picasso et Fernand Léger. Lady Merry recréait les ambiances de ces dîners fabuleux, elle donnait des milliers de petits détails qui reconstituaient les tablées, elle y mettait un tel enthousiasme qu’on se sentait transporté dans le passé. Lady Merry était une sorte de joyau relationnel. On se disputait sa présence. On se l’arrachait. Chacun la voulait pour soi. La petitesse de sa taille contrastait violemment avec la force de sa présence. Elle avait une bobine bien ronde construite autour d’un nez en trompette et une masse de cheveux raides et argentés taillés à hauteur des oreilles lui casquait le crâne. Elle disposait d’un charisme épouvantable. Elle n’en faisait pourtant pas un jeu. C’était dans sa nature que de se montrer aussi pétillante de vie, aussi drôle dans ses commentaires, aussi littéraire dans la syntaxe de ses jugements, aussi sardonique dans ses moqueries, sa voix tintait à n’en plus finir comme tintent les verres de cristal dans les salons des grands hôtels de l’Avenue Foch. Chacun prétendait bien la connaître, mais elle brouillait merveilleusement les pistes. Toujours mariée ? Oh quelle idée ! Elle fut l’une des premières égéries du Quartier Latin à rejoindre ouvertement les rives de Lesbos. Elle fut aussi l’une des premières graphistes professionnelles de renom, courtisée par les plus grands éditeurs parisiens pour son talent, un talent qu’ils voyaient comme une plus-value à son extravagance. Lady Merry s’inspirait de ce qu’elle observait dans la rue et chez les gens pour nourrir son imaginaire, et proposait toujours des idées charmantes et pertinentes à la fois. Personne ne la vit jamais commettre la moindre faute de goût. Elle fit des adeptes. Elle enfanta sans même le savoir. On devenait graphiste non par vocation, mais par osmose avec le vif argent de Lady Merry.

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         D’une Merry l’autre, dirait Céline. Comme Lady Merry, Marie Knight préférait la compagnie des femmes à celle des hommes. Pour les ceusses que ne seraient pas au courant, cette inclination est souvent gage de délicatesse.

         Pourtant connue comme l’une des stars du gospel, compagne de Sister Rosetta Tharpe sur quelques albums, Marie Knight apparaît aussi sur des compiles Kent (par exemple Cry Cry Crying, un somptueuse compile parue en 1984) car elle est avant toute chose l’une des grandes Soul Sisters de son époque. 

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         Paru en 1957, Songs Of The Gospel est un pur album de wild gospel. Dès «The Storm Is Passing Over», on est prévenu : elle y va la Marie, avec derrière elle le wild guitar slinger des Millionaires. Il va d’ailleurs faire des miracles sur pas mal de cuts, «Put My Trust In Thee» est un gospel rock assez demented. La Marie ramène énormément de raunch dans tous ses cuts puis elle passe au gospel blues avec «I Can’t Keep From Crying». Elle tape dans tous les registres avec un égal bonheur. On la voit encore gueuler par-dessus les toits du Mississippi avec «Prayer Change Things» et elle revient en B avec l’excellent gospel pop de «Just Walk With Me». C’est bourré à craquer de Black Power. Elle tape enfin dans le gospel craze avec «O Lord Remember Me» et plonge l’église dans la transe avec un pur final de tous les diables. Oh the voice !, s’exclame-t-on à l’écoute de «My Home Over There». Elle semble régner sur la terre comme au ciel, le temps d’une chanson. Elle termine avec the wild energy de «You Better Run», preuve que le gospel a enfanté le jump, c’est exactement le même son et la même énergie, solo d’orgue et bassmatic endiablé.

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         Par contre, le Lift Every Voice And Sing paru en 1960 est plus classique. C’est un gospel bien propre qui ne fait pas de vagues. Trop soigné pour être honnête, taillé pour plaire aux blancs. Il n’empêche que Marie Knight dispose d’une voix énorme, elle dégage autant qu’une chanteuse d’opéra. Mais ça bascule dans le Spirituals, les blackos cherchent à plaire.    

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         Dans les liners de Today, Tony Heilbut rappelle que Marie Knight a démarré très tôt avec Madame Ernestine B. Washington, surnommée the songbird of the cast et pionnière du Gospel batch. Elle fait vite partie du fameux Church of God in Christ. Et c’est en 1946 que Sister Rosetta Tharpe lui propose de duetter. Elles vont tourner ensemble pendant neuf ans. Sur Today, elle est accompagnée par Floyd Waite (piano), Virgie Knight (organ) et trois autres mecs. Pour qui aime le real deal du Gospel batch, cet album est du gâtö, il faut la voir balancer «Pushing For Jesus» dans la gueule de Dieu, elles y vont les mémères, toute l’énergie est là, elle pulse, la Marie, I can’t stop ! Elle repart toute seule à l’assaut du ciel avec «My Eye Is On The Sparrow», elle est intense et brûlante, elle développe une fantastique intensité soutenue à l’orgue d’église - I sing because/ I’m happy/ I sing because/ I’m freeeee ! - Franchement tu te poses des questions quand tu écoutes «The Florida Storm». Car derrière cette fonceuse, ça joue le rumble des enfers. Pas surprenant puisque le guitariste n’est autre que Louisiana Red, épaulé d’un bassman et d’un beurreman, ils développent une fantastique énergie de Gospel jump. La Marie va chercher le sommet du Gospel batch, elle dispose pour ça de toutes les facilités. Elle dispose d’une voix d’une rare puissance, elle fait vibrer sa glotte ad vitam sur «Is My Home Over There» et elle développe the surnatural power. C’est une façon de dire qu’elle ramone autant qu’une Soul Sister de Stax, surtout dans «Move On Up A Little Higher». Elle attaque encore «He’s Got Enough Left Over» à la heavy Soul. Elle frise le génie en permanence, ça vaut tout l’Aretha, tout le Soul Sister System. Avec «Step By Step», elle bat Janis à la course. Elle tient le Gospel par la barbichette avec «I’m Going To Work Until The Day Is Done». Pour ça, elle prend sa voix ferme et définitive, I’m going to pray fort Jesus. Les blacks ont récupéré la religion des blancs pour en faire de l’art, c’est incroyable, car ça devient de l’art moderne. Elle s’éclate au Sénégal with Him, et pour aller chanter «Where He Leads Me», elle monte là-haut, tout là-haut.         

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         On trouve dans le commerce un autre album de Marie Knight (featuring Larry Campbell) : Let Us Get Together - A Tribute To Reverend Gary Davis. C’est un album de Gospel gratté à coups d’acou. Comme la Marie est une grande artiste, elle en profite pour faire du Gospel-folk de tous les diables. Quel son ! Ça voltige autour d’elle ! Encore plus puissant, voici «You Got To Move», le vieux standard repris jadis par les Stones, elle l’embarque au paradis, aw when he Lawd gets ready, tu ne trouveras pas mieux, même dans le rock, Larry Campbell joue l’acou manouche, c’est dire si cette équipe est balèze. Encore de la fantastique allure avec «I Am The Light Of This World», Marie swingue son âme et les filles pulsent derrière. C’est en place, avec du bon beurre. Marie va loin car elle rocke les dynamiques du Gospel batch. C’est précisément là où le rock prend sa source. La Marie est rompue à tous les arts de l’envol. Elle fait autorité sur Lawd qui écrase sa banane devant Marie pleine de grâce. Elle passe au Gospel de good time avec «When I Die», ils swinguent comme des démons, c’est visité par les licks énormes de Larry Campbell - When I die/ I’ll live again.

Singé : Cazengler, Mari Knyctalope

Marie Knight. Songs Of The Gospel. Mercurey 1957   

Marie Knight. Lift Every Voice And Sing. Carlton 1960   

Marie Knight. Today. Blue Labor 1976             

Marie Knight featuring Larry Campbell. Let Us Get Together - A tribute To Reverend Gary Davis. DixieFrog 2007

 

 

Shrine impériale

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         Tu peux difficilement espérer voir de tes yeux voir plus bel objet que Shrine Northern -The 60s Rarest Dance Label, une compile Kent/Ace tout juste sortie du four. Elle fait partie de ce qu’on appelle les disques parfaits : contenu, contenant et réputation irréprochables. Ce sont les Chansonnettes qu’on voit rayonner sur la pochette. Et dedans, tu as 14 titres qui devraient régaler tous les fans de Soul sixties. Un brin de littérature accompagne cette bonne compile : d’une part des liners d’Andrew Rix et d’Ady Croasdell, et d’autre part, un vibrant article d’Ady dans Record Collector.

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( Eddie Singleton + Raymona Liles)

         Shrine ne tombe pas du ciel. Raymona Liles, aka Miss Ray, est la première femme de Berry Gordy. Elle fait partie des pionnières de Motown dès 1960, mais quand Gordy et elle se séparent, Miss Ray quitte Detroit et s’installe à New York où elle se maque avec Eddie Singleton. Puis le couple s’installe à Washington DC et monte Shrine. Ils tirent des singles Shrine à 2 000 ex. Mais ils auront du mal à tenir la cadence, le label va vite les mettre sur la paille. Ils bossent un peu pour Florence Greenberg, chez Scepter, à New York, mais ça ne suffit pas à boucler les fins de mois. Épuisés, ils voient Shrine couler. Glou glou, terminé. Raymona et Singleton rentreront à Detroit et Singleton va même bosser pour Motown pendant quelques mois.    

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( Bettye Swann & Addy Croasdell )

         Dans Record Collector, cet enfoiré d’Ady s’amuse même à donner les prix, car évidemment, les singles Shrine sont recherchés par les collectionneurs de Northern Soul. Si tu veux te payer l’«I Won’t Be Coming Back» de J.D. Bryant, tu vas devoir sortir 8 000 £. Ça les vaut, mon gars, car non seulement J.D. Bryant a le look d’une superstar, mais il sonne comme une superstar, avec son «I Won’t Be Coming Back». Singleton compose «I Won’t Be Coming Back» pour Ben E. King, mais comme il vaut une démo parfaite, il demande à Bryant de la chanter. Singleton trouve la démo tellement bonne qu’il décide de la garder pour Shrine. L’Ady qualifie ce single d’«all-nigher anthem». Il a raison, le bougre. Mais bon, il vaut mieux rapatrier l’album. On fait de sacrées économies.

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         L’Ady raconte aussi qu’au moment où Shrine coule, Eddie Singleton ferme son bureau et abandonne son stock. Il ne sait pas qu’en Angleterre, les DJs raffolent de ses singles, notamment Keb Darge. Les Anglais, sont complètement dingues : ils cherchent les hidden gems et les singles Shrine en font partie. Keb Darge ramasse tous ceux qui sont parus et boom, ça explose sur son dance-floor. Quand il apprend ça, Eddie Singleton réussit à récupérer ses masters, parmi lesquels se trouvent des cuts inédits comme ceux des Prophets, de Bobby Lee ou encore de Little Bobby Parker. L’Ady recommande chaudement l’emplette de la compile car elle permet «aux collectionneurs et aux lovers of classic rare Soul to get their hands on these tracks for under £20», ce qui est un excellent argument commercial. 

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         C’est vrai qu’on se régale, même quand on a trop écouté les compiles Soul. Celle-ci se prévaut d’une certaine fraîcheur de ton. Le «No Other Way» des Cautions est puissant d’ouh-ouh. Une vraie tribu primitive ! - Tall and slender, good dancers who were really into the Temptations - C’est le seul groupe à avoir fait deux singles sur Shrine. Les Cautions sont le group à succès de Shrine, the bread-and-butter group, nous dit Rix, mais au moment où ils font rentrer les sous, Shrine coule à pic. Glou-glou. L’Ady nous dit que Keb Darge a payé £8 sa copie de «No Other Way». Elle en vaut aujourd’hui 800. Drôle de dérive. Il semble que ce soit spécifique à la Northern Soul. On a déjà vu sur des salons des mecs revendre leur collection d’albums garage pour se payer des singles de Northern. Il faut rester cependant vigilant et ne pas trop entrer dans le délire des prix, car c’est la qualité des singles qui doit primer. Le problème est que l’Ady n’a pas grand-chose à dire sur les cuts, un problème qu’on retrouve aussi chez les disquaires : il ne parlent plus de musique, mais de la valeur des disques. Autrefois, les disquaires ne parlaient que de musique.  À présent ils sont, à de rares exceptions près, obsédés par Internet. 

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         On monte d’un très gros cran avec les DC Blossoms et «Hey Boy», heavy r’n’b de légende, suprême de fraîcheur, là tu te lèves et tu danses. Jacqui et Vicki Burton ont démarré en 1962 chez OKeh. Elles s’appelaient les Blossoms et quand elles ont entendu parler de Shrine, elles ont déboulé - We rushed down there to get a piece of the action - Comme il existait déjà des Blossoms à Los Angeles (celles de Darlene Love), elles ont dû se rebaptiser DC Blossoms. Selon Rix, il est possible que leur single ne soit jamais arrivé chez les disquaires, comme d’ailleurs 11 autres smash singles enregistrés et prêts à paraître, car Shrine avait glou-glouté.

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         Les Cairos tapent «Stop Overlooking Me» au pire beat sec de Shrine. Sur cette compile, tout dégouline de classe. Les Cairos amènent un truc à eux, des pom pom pom de doo-wop. L’Ady parle de stomping beat, il a raison.

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         L’autre star de ce panier de crabes, c’est Little Bobby Parker avec «I Won’t Believe It Till I See It», tapé au big Motown Sound. On se croirait chez Little Stevie Wonder. Imbattable de force tranquille et de sucre masculin. Little Bobby Parker deviendra grand et se fera connaître en tant que Bobby Parker avec «Watch Your Step». L’Ady ne le commente pas, car ce hit fait partie des inédits et n’existe pas sous la forme de single.

         Ah il y va le Ray Pollard avec «This Time (I’m Gonna Be True)». Pour Singleton, ce hit de Pollard reste l’un de ses meilleurs souvenirs - I remember being moved to tears with the excitment - L’Ady ne rate pas l’occasion de rappeler que le single de Ray Pollard est extrêmement recherché et qu’il vaut la peau des fesses. Pendant que les collectionneurs se mettent sur la paille, nous on jerke au Palladium grâce à Kent. Merci Kent.

         L’Ady revient sur les Prophets et «If I Had (One Gold Piece)». C’est l’un des membres du groupe qui envoie le single fabriqué à partir des Masters à Andy Rix, en Angleterre. Les Prophets y vont au doo-wop exaltant avec des voix d’anges et belles harmonies vocales.

         Les Chansonnettes font du bon Motown avec «Don’t Let Him Hurt You», elles tapent en plein dans le Motown Sound et au beat it de sucre. High-school girls ! L’Ady se régale à chanter leurs louanges - There’s plenty going on as the girls swing in and out of this in-demand dancer - Il raconte aussi que Ken Darge a récupéré à l’époque une copie cassée en deux et qu’il l’a recollée avec de la superglu - And it played quite well - L’Ady ne nous épargne aucun détail.

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         Bobby Reed profile son r’n’b sur le beat sixties, son «Baby Don’t Leave» est un vrai scorcher. L’Ady n’en parle pas, car il fait aussi partie des inédits. Par contre, il vante les mérites d’un tas d’autres Shiners, Linda & The Vistas, Jimmy Armstrong, The Epsilons, Sidney Hall et The Cavaliers, ce qui permet de penser qu’un jour va tomber du ciel le volume deux de la Shrine impériale.

Signé : Cazengler, c’est pas du Shrinois

Shrine Northern. The 60s Rarest Dance Label. Kent Dance/Ace Records 2023

Ady Croasdell : Sacred and round. Record Collector # 548 - September 2023

 

 

*

Je ne suis pas spécialement monarchiste mais parfois il est nécessaire de fourrer ses idées politiques dans la poche. Depuis Louis XIV tout le monde sait qu’un roi n’attend pas, alors je fonce à toute vitesse sur la route de Troyes. La météo a prévenu : grand vent dans le grand-Est, le long de la route pas un arbre ne bouge, les Dieux du rock aiment et protègent les rockers !

La salle est pleine comme un œuf, une bise rapide à Béatrice la patronne en plein boum, tout au fond nos majestés ripaillent, en sujet servile je me hâte de les imiter en m’attaquant à une planche de charcutaille aux côtés de Billy, d’Ingrid et de Cyril. La vie est belle quand elle est rock.

TROYES / 04 – 11 – 2023

BAR LE 3B

THE MONARCHS

         Il est des signes qui ne trompent pas, sont tous les quatre en train de prendre place, Fabien le seul qui est assis, non pas sur un trône mais derrière sa batterie, tape trois secondes sur ses fûts pour s’assurer que tout est en place. Puissance sonore assurée ! L’on pressent que les Monarchs vont diriger leur peuple d’une poigne de fer ! 

         Un petit instrumental n’a jamais tué personne. C’est ce que l’on dit. Dès les premières notes de Summertime, je n’en suis plus aussi sûr.  Oubliez la trompette nostalgique d’Armstrong, c’est Jerry Rocka qui est au saxophone, ce n’est plus l’été languide du Sud des USA si bien évoqué par Julien Green, mais une rimbaldienne saison en enfer, changement climatique assuré, un siroc(k)co saharien déferle sur la planète et la transforme en astre désertique.  Entrée fracassante. Envol de fusée. Jerry vous brandit son sax en pleine figure, son embouchure se transforme en corne d’abondance amalthéenne, un souffle torride s’en échappe, le râle de Pasiphaé manœuvrée par le taureau divin vous submerge. N’est pas seul Jerry, l’est méchamment aidé par ses trois acolytes. Z’ont le son américain des groupes instrumentaux, cette furie hélicoïdale à la Dick Dale qui vous emporte vent debout au milieu des tempêtes.

         Deux guitares et une batterie. Pas d’erreur, Stéphane joue bien de la basse. Mais comme il me dira entre deux sets il ‘’s’amuse un peu’’, comprendre qu’il fait partie de ces bassistes qui jouent de la basse comme d’une guitare solo. Ce n’est pas qu’il swingue jazz comme une big mama, c’est qu’il leade rock, un régal de regarder le jeu de ses doigts sur ses cordes, cela vous amplifie et rehausse la force d’impact monarchique. Plus tard le groupe jouera Ragnar, une de ses compositions, dans lequel il donne à chacun de ses camarades l’occasion de se livrer à un petit solo éruptif.

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          Fabien n’a pas le choix, le rôle de la section rythmique lui échoit, ce qui ne semble pas l’effrayer, sourire aux lèvres et chewing gum en bouche, il assure, il colle au groupe en le même temps qu’il le soutient, pose les fondations et s’envole de sa frappe lourde et souple. En haut et en bas. Ubiquité parfaite. Table d’émeraude.

         She’s as skinny as a stick of macaroni, j’suis comme Larry Williams, j’aime Bony Moronie (hélas, elle ne m’aime pas !), un morceau idéal pour attirer l’attention du lecteur distrait qui n’aurait pas compris que The Monarchs n’est pas un groupe spécifiquement instrumental. L’a du coffre Yannis, sa voix, un poil sur-réverbérée pour qu’il puisse s’entendre vu la configuration des lieux, ne vous lâche plus. Elle n’est plus qu’un instrument au même titre que sa guitare dont il fait ce qu’il veut, couteau incisif et percussif, elle tranche et elle cogne, écumante comme un torrent de montagne elle marrie la flexibilité du cobra à la force du tigre, subtile et frondeuse. Infatigable notre Stéphane, pas le genre à se lancer dans un discours de réception à l’Académie Française entre deux titres, précision minimale ‘’ de Roy Orbison’’ par exemple, et il enchaîne aussi sec sur une de ces nombreuses et inaltérables pépites rockabilly dont le répertoire des Monarchs est constitué.

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         Sur sa guitare, il commence souvent par trois petites notes aigrelettes, le temps que ses congénères lui emboîtent le pas en démarrant sur les chapeaux de roue, ensuite c’est le festival cordique, elle ronronne, elle darde, elle attaque, elle se tapit une seconde dans les broussailles du silence pour bondir sur vous, Yannis à la particularité de lancer ses notes comme des étoiles de ninja, toutes blessent mais la dernière ne tue pas car elle est immanquablement suivie d’une kyrielle d’autres, jaillissement de vif-argent parfaitement maîtrisé.

         Ils ont la classe, Jerry sanglé dans son costume noir à liseret blanc, beau comme un croque-mort qui vient pour vous enterrer dans un western, Stéphane au sourire énigmatique qui affleure dans son bouc grisonnant aux contours méphistophélesques, Fabien une allure désinvolte qui cache de sérieux atouts, l’on ne sait pas trop lesquels mais on lui fait confiance, Yannis n’a que deux yeux, se sert de son troisième pour tenir ses pairs au calme, l’en garde encore un quatrième pour vérifier la set-list. Deux sets incandescents. Pas de rappel. Munificence royale, ils offriront carrément un troisième set.

         Maintenant ils ne furent pas seuls. La piétaille du public leur a emboîté le pas d’un commun élan au premier accord, l’on se serait cru à la bataille de Bouvines derrière Philippe Auguste, un délire tumultueux, nos chastes (l’adjectif est-il vraiment approprié ?) demoiselles n’ont cessé de danser et nos beaux messieurs de se trémousser, Bastien et Jerry ont quitté leurs chemises afin de montrer leur impressionnante musculature, jusqu’à Béatrice la patronne qui a annoncé dans la liesse générale qu’elle baissait le prix du Mojito !  Vent de folie sur le 3 B. Nos Monarques ont conquis une nouvelle province, ils ont ajouté un fleuron troyen à leur couronne.

Damie Chad.

        

*

Le diable est présent en tout lieu, à n’importe quelle heure, même à Oslo, les mauvaises langues prétendent qu’il se cache partout où l’on trouve du blues, pour une fois elles n’ont pas tort :

THE DEVIL AND THE ALMIGHTY BLUES

THE DEVIL AND THE ALMIGHTY BLUES

( Blues for the red sun / 2015 )

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Arnt Andersen : chant / Petter Svee : guitare / Torgein Wardelmar : guitare / Kim Skaug : basse / Kenneth Simonsen : drums.

The gosth of Charlie Barracudas : corde de pendu grince au vent rouillé, tout de suite dans l’ambiance, une voix qui s’enfonce en vous comme un couteau dans le dos, une batterie commence à compter le temps imparti qui vous reste à vivre, inutile de penser aux instants heureux que vous avez traversés, ils sont terminés, le pire poisseux vous attend, Arnt ne raconte pas des fariboles à la Andersen, la guitare gargouille, elle vous refile la chtouille, - l’Andersen faudrait l’abattre, on a dû s’en charger puisqu’on ne l’entend plus, Svee et Torgein vous vomissent dessus un de ces soli barbelés dont vous vous souviendrez toute votre mort, autant vous passer vous-même la corde autour du cou, au moins une fois de l’autre côté vous serez en sécurité. Le Keeneth fait monter la pression dans vos artères, votre cœur explose. Totalement écœurant. Distance : changerions-nous d’ambiance après le retour du fantôme aux dents longues, une chanson d’amour. Z’y mettent toute la gomme, ça balance terrible mais le vocal d’Andersen vous coupe le moral, c’est fini, c’est foutu, à croire que le bonheur ne sert à rien, sûr que c’est vrai mais entre nous elle a bien fait de le quitter car le chagrin lui fiche une pêche d’enfer et les copains derrière lui bourrent le mou à cent kilomètres à la seconde. Storm coming down : devraient être sponsorisés par le Giec, vous annoncent une sacré tempête, le coup du papillon, un fait insignifiant et c’est parti pour la destruction finale, commencent finaudement, un rythme en excroissance normale, l’Andersen appelle les forces du mal, évidemment elles rappliquent, les guitares valdinguent comme des folles, attention batteur particulièrement vicieux, vous chaloupe le rythme sans effort, un peu comme quand vous montez la Côte de l’Enfer à Provins en vélo électrique, vous êtes pénardos vous n’y croyez pas, mais des grêlons comme des rochers s’abattent sur vous et vous cassent le dos, votre colonne vertébrale se tortille à la manière d’un lombric, c’est à ce moment que Kim vous fait gronder sa basse à la manière d’un loup-garou affamé, on entend plus que lui, plus une espèce d’hennissement intermittent qui vous glace le sang que vous n’avez plus. Vous aimeriez que ça finisse, mais non ils vous font le coup de la locomotive qui fonce dans la nuit à la fin de la Bête Humaine. L’Andersen est dans son élément, indubitablement les sensations fortes lui filent du punch. Root to root : tiens un blues bringuebalant qui ressemble à un blues, ces gars commencent à se civiliser, tout le monde le sait le blues c’est très roots, vous avez les cordes qui vous distillent un peu de tristesse, dommage qu’elles soient en tripe de loup solitaire hurlant à la déglingue, l’Andersen vous gueule dessus toute sa solitude et sa tristesse, vous lui refilerez bien deux euros pour le consoler, vous retenez votre geste car c’est quand même trop beau à entendre, si vous avez la corde sensible ( et les oreilles en béton précontraint ) vous adorerez, par moment c’est presque lyrique, et un guitariste se la joue à l’espagnole, et puis arrive le solo blues que vous attendiez depuis votre premier cadeau de Noël, vous l’étirent au maximum, vous le font durer au moins trois éternités, vous restez la bouche ouverte, vous en redemandez c’est vraiment du spoonfull non pas en argent mais en diamant.  Never darken my door : faut toujours qu’ils noircissent le tableau. Vous aimez le blues ? Très bien vous aurez du rock. Non ce n’est pas un instrumental mais ça y ressemble tellement vous courez d’un musicos à l’autre pour recueillit l’ondée bienfaisante qui pulse de partout. Un peu vitriolée certes cette pluie revigorante, mais vous vous en moquez, se laissent aller, ne peuvent plus s’arrêter, foncent dans le blues pour vous éclaircir les idées. L’Andersen hurle comme un peau-rouge autour du poteau de torture. Doucement les gars, on se calme, on n’est pas des brutes semblent-ils dire at the end. N’ayez crainte ils ont tort. Tired old dog : dans la série nos amis les bêtes soufrent moins que moi, vous vous asseyez sur votre derrière et vous écoutez de toutes vos oreilles, vous pouvez aussi remuer la queue puisque vous aimez, le combo vous file la bonne dose, celle qui est over, l’Andersen quand il se plaint c’est plus fort que lui faut qu’il hurle à la lune, alors ses copains vous imitent la lune qui explose et qui vient s’écraser sur son museau. Je vous rassure, lui en faut plus pour le faire taire.

Ils n’ont pas inventé la poudre bleue mais ils savent s’en servir. Ne sont pas nés de la dernière pluie, ces damné danois. D’habitude ils jouent dans leur propre groupe, mais une fois tous les deux ans ils se réunissent pour produire une galette électrique. Alors comme on a beaucoup apprécié la première on écoute la deuxième. Z’ont tout prévu pour que vous ne vous mélangiez pas les pinceaux, l’ont sobrement intitulé :

II

(  Blues for the red sun / 2017 )

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These are old hands : ce n’est pas qu’ils ont changé de son, c’est qu’ils ont changé d’amplitude. Un peu moins blues, un peu plus stoner, imaginez une tornade infinie qui souffle dans un désert illimité, l’Andersen gueule moins, l’a la voix d’un barde qui aurait mis en musique une nouvelle de Jack London, vous comprenez maintenant sur la couve ces chiens de traineaux couchés dans la neige, en fait ce sont peut-être des yacks enlisés in the snow, l’on s’en moque, suivez votre imagination, tout ce calme vous pensez à Mountain, vous n’avez pas tort les lyrics causent d’un gars qui a rêvé d’être un marin et qui n’a jamais osé, maintenant c’est trop tard, l’a raté sa vie et ses rêves, pour sûr vous lui ressemblez, alors les guitares gémissent sans fin, elles flambent, elles brûlent, elles s époumonnent sur le bûcher des vanités inaccomplies, le vent du désert s’engouffre maintenant dans les voiles de vos rêves, vous êtes une frégate bondissant sur les vagues de l’autre côté de la vie. Prodigieux. North road : la route du nord, blues pur, le vocal en avant et l’accompagnement derrière, pas pour longtemps car les deux lignes se rejoignent vite et voguent de concerve, cette route du nord vous la connaissez, vous êtes présentement en train d’y marcher dessus, c’est celle qui conduit votre vie jusqu’à votre mort, oui c’est triste et désespéré mais ils vous la font parcourir magnifiquement, toute la grandeur humaine dans cette voix glaçante, toute la démesure de votre bestialité dans cette musique grandiose qui vous entraîne de plus en plus rapidement sut ce chemin inéluctable, à croire que l’on y prend du plaisir, l’homme serait-il un animal masochiste… quelle cavalcade inespérée, le rythme s’alentit. Vous atteignez le bout de la piste. Démentiel. When the light dies : un titre à la Doors, que voulez-vous quand vous êtes juste devant la porte de la sortie définitive, il est normal que la lumière s’éteigne, l’Andersen connaît le blues, une guitare et une voix suffisent à votre bonheur (à votre malheur aussi), les copains ne l’entendent pas ainsi, ils alimentent les grandes orgues de la tristesse pour qu’il soit conscient de sa solitude. Low : ce qui s’appelle avoir le moral au plus bas, le thème rappelle un peu Rivière… ouvre ton lit de Johnny ; alors l’Andersen clame son envie d’en finir, les autres appuient systématiquement sur chacune de ses blessures vocales, c’est lent et c’est fort, un peu comme l’eau de la vie qui traverse le marc du café pour se transformer en un désespoir encore plus noir, encore davantage brûlant, si vous n’avez jamais entendu des cymbales ruisseler de larmes c’est le moment d’écouter. Solo funèbre. How strange the silence : combien est étrange cette musique lorsque le blues cherche à traduire le silence de l’inconscience de la mort. L’Andersen gueule bien fort au début, normal les contraires s’appellent et se ressemblent, alors il baisse d’un ton pendant que les instruments haussent leur tonalité, ensuite l’on essaie de patauger dans un no man’s land entre bruit et silence, l’on claudique quelque peu, enfin ils optent pour le carnage sonore, puisque l’on ne peut se taire totalement autant hurler à la mort. Il existe bien un point où tous les antagonismes s’annulent et s’extrémisent en même temps. Neptune brothers : hé ! hé ! plus fort que la mort le rock’n’roll, les Dieux sont avec nous, que sommes-nous sinon des hommes habités par le serpent du rêve qui brûle notre sang, nous chevauchons à toute vitesse, la musique descend des montagnes en galopant vers le delta, un bras pour le blues, un bras pour la mort, le sable marécageux du rock au milieu. Le morceau claque comme le fouet sur les flancs de la cavale chimérique, une guitare se dresse comme le serpent obnubilé par le mouvement du cadencé du flutiste, désir de mort et désir de vie sont tous deux du désir…

         Ce deuxième opus est bien plus original que le premier, alors tout de suite on se jette sur le troisième, n’en n’ont commis aucun autre même s’ils donnent encore de nombreux concerts. Comment d’après vous dit-on trois en langue danoise ? Solution à la ligne suivante :

TRE

( Blues for the red sun  / 2019 )

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Salt the earth : une guitare mélodique, très rare chez eux, pas de panique les cordes s’enrouent très vite, drummin’ beaucoup plus rond, lorsque les Romains eurent détruit Carthage, ils labourèrent le sol et y semèrent du sel pour que rien ne repousse, alors méfiez-vous de cette entrée agréable, l’Andersen clame et vous remet les idées au clair, la vie est si peu agréable qu’il vaut mieux l’éradiquer, les instrus vous la font un peu à la grandiloquence d’un générique de film-catastrophe annoncée, pas la peine de se prendre la tête, en finir au plus vite semble être la bonne solution, tout doux, il est tout de même une dimension pathétique à cet état d’esprit, ne plus hurler, ne plus tonitruer, ressentir la tristesse de cette vie, faudrait-il s’apitoyer sur soi-même, pas de fausse pitié, tout balayer d’un revers de main, d’un envol de guitares, même si les remontées d’humanité de trop d’humanité tergiversent trop longtemps, la hargne et la passion de la destruction reprennent le dessus. Soyons logique. One for sorrow : surprenants ces chœurs féminins, Andersen nous remet dans le droit chemin, va-t-il nous faire le coup du mal-aimé, de l’étranger exilé sur sa terre natale, non il est le serpent qui connaît tous vos secrets et dont la morsure distille le chagrin, morceau enjoué, avec un final endiablé, est-il nécessaire qu’il en existe un seul pour niquer tous les autres. En plus notre cantador paraît content de lui. Serait-ce un relent de masochisme christique. Lay down : encor un titre qui ne trompe pas son monde, ainsi que l’affirmait Alfred de Musset ‘’ les chants les plus beaux sont les plus désespérés’’, notre moribond n’a pas perdu toutes ses forces, l’Andersen a encore la niaque pour raconter ses derniers instants, pourtant l’on ne sent pas le désespoir, mais le regret des beaux instants passés, une musique endormeuse comme la Meuse de Charles Péguy, le vocal pourrait être qualifié de nihilisme tempéré, les guitares ne regardent plus la lune noire de la mort mais la rondeur des jours dont elles déroulent les lourds anneaux, un rythme qui ne cache rien mais empli de sérénité, le plus beau reste cette voix d’autant plus présente qu’elle est un peu aspirée par un écho grandiloquent, une guitare si pleine que vous ne savez point si elle est un soleil levant ou couchant. L’on pense à l’aigle sur la pochette, s’élève-t-il vers l’azur ou s’apprête-t-il à tomber sur sa proie. Heart of the mountain : intro mélancolique, tant de grandeur, tant de beauté, un fier sommet immarcescible, l’Andersen nous conte la légende impérissable, une basse monumentale remet les choses à leur juste niveau, la montagne est morte, ce joyau inaltérable n’est plus, les guitares ont l’âme lourde, la batterie palpite comme un cœur débordé,  l’onde de choc musicale envahit tout, une guitare flamboie comme le sceptre de l’archange qui devant les portes du paradis empêchait quiconque d’entrer,  la montagne n’est pas venue à toi, l’Andersen résume la situation: de ce colosse aux pieds de granit il ne reste rien.  No man’s land : une entrée presque jazzy, les guitares ne jouent plus au percolateur atomique, la batterie agite les sonnailles alléchantes de ses cymbales, envie de danser au-dessus des abîmes, le magicien aux couleurs d’arc-en-ciel nous enchante, chœurs féminins à l’unisson, trop beau pour être vrai, entre les couleurs du rêve et le rien peut-être existe-t-il un lieu où il ferait bon vivre, dans le pays des hommes où il n’y a plus un seul homme. Retour des chœurs féminins pour nous rappeler que la beauté a existé, qu’elle n’est pas une fable.  Magnifique instrumentation. Time ruins everything : retour au blues, une guitare crie dans le lointain, bientôt se confirme ce que promettait le titre, une vérité si profonde que ce n’est pas tout à fait du blues, l’est trop plein de vigueur, un fruit qui laisse échapper son jus nourricier, un chant de défaite et de rancœur définitive, velours mélodique, le rêve d’une rencontre impossible se précise à l’horizon, un instant de bonheur qui serait éternel, l’on en connaît la triste fin, à tel point que la mort nous apparaît comme une suprême consolation, le temps ne suspend jamais son vol nous rappellent les derniers mots d’Andersen.

         Le premier album était du blues, le deuxième sonnait heavy. Celui-ci est mi-figue-mi-raisin, pas assez désespéré pour être blues, pas assez lourd pour laisser toute la place au désespoir. Ce troisième ménage la chèvre et le chou. L’arrondit les angles. Un arrière-plan mélodique qui essaie de nous persuader que si tout est perdu, il a existé comme une possibilité de quelque chose d’autre qui aurait pu avoir lieu.

         Est-ce pour cela que 2021 et 2023 ne nous ont pas offert un nouvel album. Une fois que le nihilisme du premier CD a été métamorphosé en un dit légendaire dans le deuxième, le troisième ne pouvait être qu’une redite. Trop d’espoir tue le désespoir. Le blues est aussi mortel. Toute forme musicale qui atteint à son apogée est condamnée à se répéter indéfiniment ou à se taire. Reconnaissons à The Devil and this Almighty Blues le mérite d’avoir renoncé à se recopier.

         Le lecteur qui n’aura pas unanimement cédé à la force du groupe aura peut-être consacré quelques instants à se demander pourquoi le Diable n’est jamais venu fourrer le bout de son nez au moins une fois dans les trois disques. Même pas une petite malédiction, au moins pour la couleur (bleue) locale. Nos cinq mousquetaires l’auraient-ils oublié au premier carrefour. A moins que.

         A moins que nos cinq bretteurs aient tout compris, la malédiction du blues ce n’est pas le Diable, vous savez celui qui Please allow me to introduce myself… Non, ce n’est pas personnage arrogant, la malédiction du blues c’est le blues lui-même cette musique qui ne peut pas être elle-même sans se renier elle-même. D’ailleurs historialement parlant lorsque le blues se renie ne quitte-t-il pas son statut de Diable pour devenir un serviteur de Dieu. Dans ce cas-là il vaut mieux qu’il reste un Homme…

Damie Chad.

 

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