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eric calassou

  • CHRONIQUES DE POURPRE 620 : KR'TNT 620 : DWIGHT TWILLEY / BRUCE IGLAUER / VINCE MANNIMO / CIEL / DOROTHY MOORE / SUN Q / ERIC CaLASSOU / JALLIES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 620

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    16 / 11 / 2023

     

    DWIGHT TWILLEY / BRUCE IGLAUER

    VINCE MANNIMO / CIEL / DOROTHY MOORE

    SUN Q / ERIC CALASSOU / JALLIES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 620

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - Le Dwight dans l’œil

    (Part One) 

    , dwight twilley, bruce iglauer, vince mannino, ciel, dorothy moore, sun q, eric calassou, jallies,

             Dwight Twilley vient de casser sa pipe en bois. Parmi nous, nombreux furent ceux qui flashèrent en 1976 sur son premier album, Sincerely, et qui ont depuis lors toujours considéré Dwight Twilley comme une star, même s’il n’a connu qu’un succès d’estime, comme d’ailleurs Alex Chilton ou encore Alejandro Escovedo. Nous allons donc lui rendre hommage avec un texte tiré du volume 2 des Cent Contes Rock à paraître.

             Que fait-on pour se distraire quand on est teenager en 1967 et qu’on vit dans le trou du cul du monde, c’est-à-dire à Tulsa, dans l’Oklahoma ? On va au cinéma.

             Ça tombe bien, car les Beatles sont à l’affiche avec A Hard Day’s Night. Comme des millions de kids américains, Dwight Twilley a succombé au charme des Fab Four. Il se grise de la fraîcheur de leurs pop-songs et de la pureté de leurs harmonies vocales. La beatlemania fait tellement de ravages dans la cervelle du jeune Dwight qu’il commence à bricoler des chansons sur sa guitare.

             Lorsque la séance de projection s’achève, Dwight rejoint la buvette. Il frissonne encore. Il commande un énorme gobelet de pop-corn et un Coca. À côté de lui, accoudé au comptoir, un kid chantonne un couplet des Beatles, cigarette au bec : « C’était au soir d’une ru-uuude journée, j’avais traaa-aavaillé comme un chien... »

             — Pas mal le film, hein ?, lance Dwight pour engager la conversation.

             — Pour sûr !

             — T’es fan des Beatles ?

             — Foutrement...

             — Moi aussi. J’ai tous leurs disques... J’m’appelle Dwight, et toi ?

             — Phil Seymour.

             Phil et Dwight n’ont que seize ans. Ils rayonnent déjà. En plus de leur passion pour les Beatles, ils ont un autre point commun : le charme physique. Il se dégage d’eux une grâce naturelle, empreinte d’innocence et de candeur. Ils semblent se compléter. Phil a le regard clair et le cheveu cendré, alors que les prunelles et l’abondante chevelure de Dwight tirent sur le brun foncé. Avant même d’ouvrir le bec pour commencer à chanter, ils créent déjà l’harmonie.

             Leur décision est prise. Ils montent un duo, le baptisent Oister, et composent quelques chansons. Dwight maîtrise le piano et la guitare. Phil joue les parties de basse et de batterie. Ils chantent tous les deux et s’égosillent à vouloir rejoindre John, Paul, George et Ringo au firmament. Ils parviennent à ficeler une dizaine de chansons qu’ils enregistrent sur un petit magnétophone à bandes. Ils se réjouissent de la qualité de leurs compos. Mais le plus dur reste à faire.

             — Phil, si nous voulons entendre nos chansons à la radio, nous devons absolument trouver une maison de disques...

             — Ben oui, mais elles se trouvent toutes à New York ou à Los Angeles... Tu sais bien qu’on n’a pas un rond... Je ne peux pas redemander d’argent à mon père, déjà qu’il gueulait comme un peau-rouge sur le sentier de la guerre quand il a reçu la facture du marchand de musique pour l’ampli basse...

             — J’ai entendu dire qu’il existait des maisons de disques à Memphis...

             — Quoi ? À Memphis ? Tu plaisantes ? Ils sont encore plus pouilleux que nous, là-bas, avec leurs champs de coton et leurs tracteurs !

             — C’est pas des conneries, Phil. L’autre jour, le type du magasin de musique m’a dit : vas là-bas, à Memphis, c’est bourré de studios, de labels et de Cadillacs. À tous les coins de rues... Il a même ajouté que certains studios acceptaient les nègres. On a juste assez de ronds pour faire le trajet. On traverse l’Arkansas, c’est tout.   

             Phil n’en revient pas. Pour la première fois, il regarde son copain d’un air suspicieux.

             Le lendemain, les deux compères grimpent à bord d’un vieux break Chevrolet et prennent la route. Dwight conduit, le regard rivé sur l’avenir. Phil sort des bouteilles de Coca de la glacière et les décapsule avec son briquet. Pour tromper la monotonie du trajet, ils s’entraînent à parfaire certaines de leurs harmonies vocales.

             — Je me rappelle du sentiment de libertééééééééé... Maintenant je sais que ça ne pourrait pas être moiiiiiiiii... Parce que je crache le feuuuu-euuuu.... Yeah, je crache le feuuuu-euuuu, awhh !

             Ils entrent dans Memphis et se retrouvent par hasard sur Union Avenue.

             — Phil, regarde-moi ça ! Une maison de disques ! Oh qu’elle est belle ! Tu vois, le type du magasin de musique ne racontait pas de bobards !

             Ils se garent devant le petit bâtiment. L’enseigne indique Sun Records. Ils entrent et tombent sur une secrétaire.

             — Bonjour m’dame ! Est-ce qu’on pourrait voir le big boss ?

             — C’est à quel sujet, jeunes gens ?

             — Voilà. On vient d’enregistrer des chansons et on cherche une maison de disques...

             — Quel genre de chansons ?

             — Ben, du rock !

             — Oui oui, mais quel genre de rock ?

             — Du rock harmonique, en duo.

             — Tout le monde fait du rock harmonique. Elvis, Billy Lee Riley, Johnny Cash... Essayez d’être plus précis.

             — Du rock harmonique un peu comme celui des Beatles, vous voyez ? Mais on compose nos propres chansons...

             Et Phil ajoute :

             — En plus, elles sont pas mal !

             Un sourire éclaire enfin le visage de la secrétaire. Elle se lève.

             — Attendez-moi une seconde, je vais voir si monsieur Phillips est libre.

             Elle revient trois secondes plus tard :

             — Passez dans son bureau. Il va vous recevoir.

             Phil et Dwight entrent dans le bureau. Ils peinent à dissimuler leur déception. Ils s’attendaient à tomber sur un gros magnat fumant le cigare. C’est un type assez jeune et d’allure joviale qui les accueille :

             — Bonjour, je suis Jerry Phillips, le fils de Sam. Asseyez-vous, je vous en prie.

             Il sort du petit frigo installé derrière lui une grosse bouteille de Coca et leur sert deux verres bien remplis. Il poursuit :

             — Alors, vous venez d’où, les gars ?

             — De Tulsa, Oklahoma. Notre duo s’appelle Oister. Voici une K7. Nous avons mis dessus une dizaine de chansons originales qui sonnent vraiment comme des tubes, vous zallez voir !

             — Vous connaissez la réputation de Sun Records, bien sûr...

             — Euh non, pas du tout. On s’est arrêté devant chez vous parce qu’on cherchait une maison de disques.

             Un léger malaise s’installe. Jerry Phillips réalise que les deux jeunes gens ne connaissent ni Sun ni Sam. Il passe outre et insère la K7 dans le lecteur. «I’m On Fire» jaillit des enceintes :

             — Je me rappelle du sentiment de libertééééééééé... Maintenant je sais que ça ne pourrait pas être moiiiiiiiii... Parce que je crache le feuuuu-euuuu.... Yeah, je crache le feuuuu-euuuu, awhh !

             — Vous faites de la pop, hein ? C’est pas mauvais, mais ça manque un peu de substance. Vous devriez muscler un peu votre son et surtout travailler vos voix...

             Phil et Dwight échangent un regard de stupeur.

             — Écoutez, les gars. Je vais rester franc avec vous... Disons que vous m’êtes sympathiques. Je vous donne l’adresse de Ray Harris. Allez le trouver de ma part. Il vous aidera. Vous sortez de Memphis par le Sud, vous traversez la frontière de l’état du Mississippi et vous poussez jusqu’à Tupelo. Vous trouverez Ray et son studio à cette adresse. Ray Harris est un vétéran, l’un des pionniers du rockab, un authentique artiste Sun. Il en connaît un rayon. Si vous cliquez bien avec Ray, vous deviendrez probablement des stars.

             — Mais monsieur Chillips, on ne peut pas se permettre de faire un tel crochet. Il nous reste juste assez d’essence pour rentrer à Tulsa.

             — Pas Chillips ! Phillips, reprend Jerry avec un sourire compatissant. Phillips, comme mon père, Sam. Tenez, prenez ce billet de cinq dollars. Vous me le rendrez quand vous serez riches et célèbres !

             — Promis, monsieur Phillix ! Merci, monsieur Phillix !

             — À la revoyure, monsieur Phinix !

             Phil et Dwight sortent enchantés de leur rendez-vous. Ils cherchent la sortie Sud de Memphis, s’arrêtent à la pompe pour faire cinq dollars de fuel et foncent à tombeau ouvert en direction de l’état du Mississippi.  

             Ils trouvent la maison de Ray sans trop de difficultés. Ils se garent devant. Un homme d’une bonne cinquantaine d’années tond la pelouse. Il porte un stetson et une grosse moustache grisonnante. Il ne semble pas très commode.

             — Mister Harrix ? demande Dwight d’un ton joyeux.

             — Yep. Quic’ vous voulez, les mioches ?

             — C’est monsieur Philliste qui nous envoie...

             — Connais pas c’gars-là !

             — Mais si, le monsieur Philliste de Sam Records à Memphis. On l’a rencontré hier...

             Ray arrête sa tondeuse qui faisait un boucan d’enfer et examine les deux jeunes gens des pieds à la tête.

             — Attendez, vous voulez dire Sun Records ?

             — Oui, c’est ça, Son Records, à Memphis !

             — Et y vous envoie pour quoi, au juste ?

             — On compose des chansons, on les interprète et on voudrait enregistrer un disque. Monsieur Phillic nous a donné votre adresse. Il nous a promis que vous feriez de nous des stars...

             — Bah dis donc... On n’est pas sortis d’l’auberge...

             Ray fait entrer les deux candidats au succès dans sa maison. Un immense drapeau confédéré orne le mur principal. 

             — Vous voulez-t-y boire un p’tit godet ?

             — Avec plaisir, monsieur Horris...

             Ray leur sert deux grands verres de Four Roses. Phil et Dwight n’osent rien dire.

             — Y sont où vos chansons ?

             — Tenez, sur cette K7. Monsieur Phillisse les a trouvées vraiment chouettes... Excusez-moi, monsieur Horrix, vous n’auriez pas des glaçons pour diluer un peu le whisky ?

             — Quoi ? Des glaçons dans l’bourbon ? Mais vous sortez d’où, vous deux ?

             — Tulsa, Oklahoma...

             — Ah bah ça m’étonne pas ! Vous m’avez l’air d’une sacrée paire de branquignoles !

             Ray insère la K7 dans le lecteur. «I’m On Fire» jaillit à nouveau des enceintes. Ray fronce les sourcils.

             — Y’a d’l’idée, pour sûr, mais vous chantez vraiment comme des tarlouzes ! Qu’est-ce que c’est qu’ce travail ! On croirait entendre ces pédales yankees, là, les Simon et Gorefuckell ! Bon, j’veux bien m’occuper d’vous, mais va falloir vous bouger l’cul et tout r’prendre à zéro. J’vais vous apprendre à bosser un vrai son et surtout à chanter. Vous allez marner dans mon studio, tous les jours, jusqu’à c’que ça r’ssemble à queck’chose. On commence demain matin à six heures pétantes, pigé ? Bon, l’est quelle heure ? Oh, shit, déjà quatre heures ! Puisque vous êtes là, vous allez v’nir avec moi tuer l’cochon, là, derrière. J’ai b’soin d’un coup d’main pour lui t’nir les pattes ! Allez hop !

             L’un des murs du studio est couvert de quarante-cinq tours Sun. Dans un coin trône une contrebasse. Phil teste la batterie. Dwight branche sa guitare sur un ampli Fender.

             Ils commencent par retravailler «I’m On Fire». Ray trouve la mélodie chant bien foutue, mais il demande à Phil de soutenir le beat et à Dwight d’éclairer au maximum le son de sa guitare.

             — Enroule ton gimmick sur l’beat, gamin, et sur le re-re, tu entrelaceras un second phrasé, différent du premier, t’as pigé ?

             — Pigé, Roy !

             «I’m On Fire» prend une nouvelle tournure. En quelques semaines, il prend même l’allure d’un hit pop parfait, emmené sur un mid-tempo altier. Comme tonifié par le beat vitaminé, le son des guitares scintille. Ray en connaît un rayon. Lorsqu’il travaillait pour Hi Records, à Memphis, il produisait des stars comme Charlie Rich, Ike & Tina Turner, Bobby Blue Bland ou encore Slim Harpo.

             Pendant un an, Ray fait travailler les deux gosses. Il les trouve doués, mais il se cache bien de le leur dire. Ray part du principe que les chansons sont bonnes. Il suffit de trouver un son. On en revient toujours au même point de départ : le son. Phil et Dwight progressent rapidement. Ils attaquent «Could Be Love» sur un driving-beat pulsé à l’orgue. Ça sent le hit à plein nez. Ray fait une suggestion :

             — Là-d’ssus, gamin, tu devrais ahaner...

             — A quoi ?

             — A-ha-ner, comme on l’faisait dans l’temps, Charlie Feathers et moi.

             — C’est qui Charlie Vizer ?

             — Bon laisse tomber... Tu fais ça : a-ha, a-houu, et tu reprends le chant normalement. T’as pigé ?

             Dwight reprend le couplet et ahane au moment où Ray lui fait signe.

             — Alors, pas mal, hein ?

             — Pour sûr, Roy ! Ça donne un sacré jus ! Vous en avez d’autres des combines comme celle-là ?

             — C’est pas d’la combine, gamin. Si t’es doué pour le métier d’rockab, ça t’vient naturellement.

             Le soir, Ray leur passe des 78 tours Sun et Meteor sur son vieux pick-up. Dwight et Phil découvrent un univers musical dont ils ne soupçonnaient pas l’existence. Le lendemain, Dwight démarre sur une idée. Le morceau s’appelle «TV». Ray tend l’oreille. Voilà que les gamins se mettent à sonner rockab... Dwight tortille son chant :

             — TeeVee... c’est une super-bonne... com-pagnie !

             — Plus hargneux, le chant ! Et pis, sur ta gratte, pique tes notes comme si tu pinçais l’cul d’ta poule. Et toi Phil, tend le beat, mais r’lâche tes épaules et déconnecte tes quat’ membres ! Joue plus sec, faut qu’ça claque, nom de dieu !

             Malgré la nouvelle influence du rockab, Phil et Dwight restent attirés par les morceaux lents. Ils semblent compter sur les balades sirupeuses pour se faire connaître et entrer dans les charts. Ray les aide à construire des harmonies vocales, juste pour leur éviter de sombrer dans la gabegie où s’est noyé Elvis. Après deux essais infructueux, «You Were So Warm» et «I’m Losing You», Dwight propose «Baby Let’s Cruise» qui sonne, là encore, comme un monster hit, digne de ceux signés Brian Wilson. Pourtant peu exposé aux ravages de la sensiblerie, Ray sent le miel de la mélodie lui couler dans le dos. Dwight laisse fuir ses roucoulades vers un horizon saturé de lumière jaune. D’incroyables vibrations altèrent la pureté de sa voix. La chanson s’éteint, victime d’une overdose de beauté.

             — J’en ai encore une, Roy, elle s’appelle «England»...

             Phil qui retient bien les leçons pulse un gros beat nerveux. Dwight pousse un Ouh ! de boxeur. Wow, quel punch ! Ray sent que les gamins sont au point.

             Le lendemain, Phil et Dwight font leurs adieux. Ils serrent Ray dans leurs bras.

             — Oh merci Roy ! Merci pour tout. T’es un type fantastique.

             — Donnez-moi d’vos nouvelles, les gosses. Et j’vous préviens, si vous faites un disque et qu’y l’est mauvais, j’vous botterai l’’cul, parole d’homme ! Maint’nant, tirez-vous !

             Dans la voiture qui s’éloigne, Dwight serre les dents. Il veut surmonter son émotion. Plus déterminés que jamais, les deux compères parviennent à financer un voyage à Los Angeles et finissent par rencontrer Denny Cordell, un Anglais qui vient de monter Shelter Records avec Leon Russell. En écoutant les démos retravaillées du duo, Cordell flaire le gros coup. Producteur indépendant, c’est l’homme qui a lancé les Moody Blues avec «Go Now», Procol Harum avec «A Whiter Shade Of Pale», et qui a ramené Tony Visconti à Londres pour superviser les sessions d’enregistrement des Move. Et comme si cela ne suffisait pas, il compte en plus à son actif la découverte et le lancement de la carrière de Joe Cocker.

             — Bravo, les gars, il y a au moins cinq tubes planétaires dans le tas. Croyez-moi, je m’y connais ! Au fait, comment s’appelle votre duo ?

             — Oister !

             — Non, non, non ! Ça ne va pas ! Qu’est-ce que c’est que ce nom à la con ? Il faut trouver un nom plus flashy !

             — Mussel !

             — Vous vous foutez de ma gueule ?

             — Mais non, monsieur Cardell ! On dit les trucs qui nous viennent à l’esprit !

             — Vous êtes vraiment pénibles tous les deux ! Puisqu’il faut avancer, je vais décider pour vous. Vous allez vous appeler Dwight Twilley Band... Ça sonne bien, non ?

             — Wow, fait Dwight en sautant sur sa chaise, super !

             Phil lance un regard oblique à son partenaire.

             — Voilà ma stratégie, mes petits amis. On va sortir «I’m On Fire» pour lancer la machine. Les ventes du single financeront l’enregistrement du premier album. Vous irez donc à Londres enregistrer avec Robin Cable que je connais bien. Si tout va comme prévu, d’ici quelques mois, vous passerez à la télé et vous pourrez vous acheter des costumes en satin. Je ne veux plus voir ces chemises à carreaux. Maintenant, je vais vous présenter mon associé, Leon Russell.

             Cordell décroche son combiné et demande à sa secrétaire de faire venir Tonton Leon.

             Un type aux cheveux très longs et coiffé d’un haut de forme entre dans le bureau.

             — Mes cocos, je vous présente Tonton Leon, le meilleur session-man des États-Unis d’Amérique. Il les a tous accompagnés, Jerry Lee, les Byrds, Badfinger, Glen Campbell, j’en passe et des meilleurs, hé hé hé... 

             Dwight et Phil échangent un regard où règne l’effarement.

             — Monsieur Rossell, vous êtes de Tulsa, n’est-ce pas ? demande Dwight d’une voix blanche.

             — Pour sûr, kiddie boy. J’y ai même monté un studio. Mais la plupart du temps, je bosse ici, à L.A.         

             Dwight et Phil se souviennent d’avoir aperçu cette silhouette étrange dans les rues de Tulsa. La coïncidence les frappe tellement qu’ils en restent bouche bée.

             Cordell relance la conversation :

             — Ils viennent eux aussi de Tulsa, Tonton... Tu les connais ?

             — Non, je ne crois pas...

             — Écoute ça, Tonton, c’est la démo de leur premier single.

             Une version superbement ficelée jaillit des enceintes du bureau. Tonton Leon se fend d’un sifflement d’admiration.

             — Pas croyable ! Wow, quel son ! Avec une vraie production, ça aura encore plus de ju-ju... Ah ça, mes petits Okikis, vous allez faire un drôle de carton ! Quelle wanita patata ! On dirait Buddy Holly accompagné par George Harrison ! C’est vraiment excitant... Jamais entendu un truc aussi bon. Vous me filez la trique ! Et il se met claquer des doigts et à chanter le refrain en chœur :

             — Parce que je crache le feuuuu-euuuu.... Yeah, je crache le feuuuu-euuuu, awhh !

             Denny Cordell sort une feuille dactylographiée d’un tiroir et la pose devant ses deux nouvelles recrues :

             — Tenez, mes petits amis, signez là. Je m’occupe de tout. Comme dirait mon ami Don Arden, la tranquillité, ça n’a pas de prix....

             Sincerely, Le premier album du Dwight Twilley Band, sortira en 1976, soit deux ans plus tard, suivi, un an plus tard de l’encore plus spectaculaire Twilley Don’t Mind, un album bourré de hits percutant et juteux, vivaces et lumineux, fruités et gorgés d’électricité.

             Ces deux albums rivaliseront de panache avec les deux grands albums des Beatles, Rubber Soul et Revolver, parus dix ans plus tôt, avec toutefois une petite cerise sur le gâtö : une énergie purement américaine. 

             Aucun des deux albums ne grimpera au somment des charts, comme le prévoyait l’infaillible Denny Cordell. Le mystère de cet échec reste, avec la malédiction du tombeau de Toutankamon, l’une des énigmes majeures de l’histoire de l’humanité.     

    Signé : Cazengler, Dwight Eiso-nowhere

    Dwight Twilley. Disparu le 18 octobre 2023

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    Attention pour mémoire : le volume 1 des Cent Contes Rock de Patrick Cazengler.

     

    Dans l’igloo d’Iglauer

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             Contrairement à ce que raconte le titre, Bruce Iglauer n’est pas un Esquimau. On a les titres que l’on peut. Et les manies que l’on peut taussi. Le taussi est important, au moins autant que l’igloo d’Iglauer. Et l’Esquimau encore plus, en souvenir de Rrose Sélavy, laquelle, t’en souvient-il, prônait d’esquiver les ecchymoses des esquimaux aux mots exquis.

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             Trêve de balivernes ! Bruce Iglauer n’a rien de Dada, même si le titre de son autobio joue un peu avec les mots. Comme son label s’appelle Alligator, il se dit «mordu par le blues». Question style, Bruce Iglauer n’a rien de particulièrement mordant. Il écrit bien à ras des pâquerettes. C’est un homme extrêmement ordonné, son livre est bien rangé, Iglauer s’exprime sans détour, il ne prétend à aucun moment être écrivain, il se contente de rassembler ses souvenirs et surtout de rendre hommage à tous les artistes qui lui ont accordé leur confiance. Bitten By The Blues - The Alligator Records Story est ce qu’on appelle un bon book, le genre de book sympa qui mérite l’accolade et même une bonne tape fraternelle dans le dos. C’est le genre de book qui te virilise la cervelle, tu n’hésites pas un seul instant à avouer ta fierté de l’avoir lu. Pour un peu tu te laisserais pousser la barbe.

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             Un bon book. Oui, et même un brave book. À l’image de Bruce qui est un brave mec. Il se situe aux antipodes d’Allan Klein et de Leonard le renard : il ne plume pas les nègres pour s’enrichir, il les respecte. Toute sa carrière de label boss repose sur une seule valeur : l’honnêteté. Et donc le respect. Il n’a qu’une seule passion : le blues - I’ve built a business based on the music I love. J’ai appris à survivre in the ridiculously competitive and ever-changing world of the record business - L’autre point fort d’Iglauer est son catalogue : Alligator couvre toute l’histoire du blues électrique, beaucoup plus massivement que l’a fait Chess. Iglauer a rencontré et enregistré tellement d’artistes fascinants qu’il en oublie de parler de lui. Son autobio est un fabuleux catalogue d’artistes majeurs et mineurs, noirs pour la plupart, à quelques exceptions près, et quelles exceptions, my friend : Johnny Winter, Lonnie Mack et Roy Buchanan !

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             Bizarrement, on a toujours vu Alligator comme un label de zone B. Le graphisme des pochettes ne percutait pas toujours, le carton était plus mou, c’était du Chicago blues, donc un blues un peu plan-plan, tragiquement prévisible, et puis il y avait trop d’Alligators. Iglauer saturait le marché d’albums qui pour la plupart n’avaient rien d’indispensable. On complétait sa série d’albums de Johnny Winter avec les trois Alligators, on faisait l’effort d’écouter les Albert Collins et le Fess d’Alligator, mais il fallait vraiment rester sélectif. Dommage, car Iglauer a commencé avec un coup de maître : Hound Dog Taylor. Il a ensuite passé toute sa vie à essayer de rééditer ce coup de maître, mais en dépit de la qualité de tous les artistes qu’il a signés par la suite, il n’y est jamais parvenu. Pourquoi ? Parce qu’il n’existe qu’un seul Hound Dog Taylor. Et comme on l’a dit récemment ici-même, les trois Alligators d’Hound Dog Taylor sont des albums magiques.

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             Iglauer nous ramène chez Florence’s : «Je crois que personne dans l’audience n’appréciait autant la musique que les trois mecs qui la jouaient. Ce jour-là, je suis tombé amoureux d’Hound Dog Taylor & The HouseRockers. Les soirées que j’avais passées dans les clubs de blues de Chicago m’avaient fait découvrir un univers parallèle, une autre Amérique, une Amérique noire avec sa propre culture et sa fabuleuse musique.» Iglauer n’en finit plus de décrire Hound Dog sur scène : «Hound Dog se penchait sur le micro et chantait d’une voix perçante. Chaque fois qu’il claquait une note aiguë sur sa gratte, il jetait sa tête en arrière et fermait les yeux. Avec son stomping feet, flying slide and comic facial expression, il fascinait. Chaque fois qu’on lui réclamait une chanson, il répondait avec un immense sourire : ‘I’m wit’ you, baby, I’m wit you.’» Merci Iglauer de nous faire partager ces moments extraordinaires. Bien sûr, il évoque aussi Brewer Phillips qui martèle son bassmatic «sur une Tele débraillée, as he danced to the music» et Ted Harvey who banged son beurre en mâchant un chewing-gum. Iglauer rappelle aussi qu’Hound Dog picolait et qu’il se versait un double shot de Canadian Club dans son café du matin. Chaque soir, il était complètement rôti. Iglauer adore aussi ses souvenirs de tournées avec Hound Dog, Brewer et Levi Warren. Il devait conduire la plupart du temps, car les trois autres picolaient trop.

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             Le destin d’Alligator s’articule merveilleusement : Iglauer flashe sur Hound Dog chez Florence’s, il monte un label pour lui, le paye et Hound Dog entre dans la légende. Iglauer a fait avec Hound Dog ce qu’Uncle Sam a fait avec Elvis : il lui a donné des ailes. Si Hound Dog et Elvis nous ont accompagné pendant toute notre vie, c’est grâce à Uncle Sam et Iglauer. On ne leur en sera jamais assez reconnaissants.

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             Iglauer revient sur le genèse d’Alligator : l’arrivée à Chicago et le job chez Jazz Record Mart, at 7 West grand Avenue. Il bosse pour Bob Koester, qui est aussi boss de Delmark Records, le grand label de Chicago blues originel. Charlie Musselwhite bosse aussi chez Jazz Record Mart, mais il est viré après avoir échangé des coups de poings avec Koester. Entre 1970 et 1971, Iglauer apprend avec Bob Koester à enregistrer et à produire des bluesmen. Koester enregistre des très grands classiques du Chicago blues : l’Hoodoo Man Blues de Junior Wells, le West Side Soul et le Black Magic de Magic Sam et l’Hawk Squat de J.B. Hutto. Iglauer évoque même la possibilité d’une relation très forte entre son boss et lui. Il pense que Koester a commencé à le voir comme son fils spirituel, de la même façon que lui, Iglauer, le considère comme son père spirituel. Iglauer admire Koester car il le voit prendre des risques dans sa façon de produire les artistes. Il n’impose jamais rien. Mais Koester ne flashe pas sur Hound Dog Taylor. Iglauer va devoir se débrouiller tout seul. Il commence par découvrir que le job de producteur n’est pas seulement technique : il faut surtout savoir manager les personnalités. Première grande leçon. Deuxième grande leçon : la distribution. Une fois qu’il a enregistré Houng Dog, il faut distribuer le disque ! Alors Iglauer se prend par la main et va de ville en ville faire la tournée des stations de radio, puis des distributeurs locaux. Il apprend son métier de label boss. Trouver les artistes est une chose, les vendre en est une autre. Pendant trois semaines, il va de ville en ville pour vendre Hound Dog Taylor & The HouseRockers. Pendant 14 ans, le bureau d’Alligator est sa chambre - a one-room appartment - Iglauer n’a pas une tune, mais il sort des disques. Quand ça commence à marcher, il passe au two-room appartment, puis, il a presque honte de le dire, a small house. Le small est essentiel. Iglauer est l’honnête homme par excellence : «Selon les rapports de l’industrie du disque, la grande majorité des ventes d’albums ne couvrent pas les frais d’enregistrement. Et les artistes ne reçoivent jamais de royalties sur les ventes. Nous, on a couvert les frais d’enregistrement sur la plupart des Alligators et on a pu verser des royalties sur les ventes aux artistes. Le versement des royalties est le poste budgétaire le plus important chez Alligator. I’m very proud of that.» Prenez des notes, les gars.

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             En fait, c’est Mississippi Fred McDowell qui lui cause un premier choc émotionnel, en 1966 dans un annual folk festival - His music seemed more honest, more direct and more authentic than anything I’d ever heard - Il sait qu’il s’agit du North Mississippi Hill Country Blues. Alors il commande l’album Mississippi Delta Blues paru sur Aroolhie et il l’attend pendant 6 mois, car le disquaire n’arrive pas à trouver une copie. Iglauer tombe raide dingue de l’album - I listened to it almost every day - Puis il flashe sur le Paul Butterfiled Blues Band - gritty, powerful and more grown up than any of the rock’n’roll miusic I was hearing on the radio - Eh oui, il a raison, Iglauer, Butter était largement en avance sur son temps. Il flashe ensuite sur J.B. Hutto, qui enregistre sur Delmark - C’était un merveilleux chanteur with a huge voice qui pouvait monter des notes comme s’il chantait des work songs in a cotton field. A raw guitar player - Et puis voilà Junior Wells, lui aussi sur Delmark avec l’excellent Hoodoo Man Blues, «un petit homme qui aimait les bijoux flashy, les costards de couleurs vives et les expansive shoes.» C’est Buddy Guy qui accompagne Junior Wells sur Hoodoo Man Blues, mais sous le pseudo ‘Friendly Chap’, parce qu’il est sous contrat chez Chess. Iglauer fait un portrait fascinant de ce badass, qui ne sortait jamais sans son flingue et un rasoir, mais nous dit Iglauer, «si tu étais son ami, c’était pour la vie.»

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             Il fait ce que font tous les autres : il essaye de se développer pour survivre. Mais il se vautre. Il finance deux albums qui ne marchent pas, un Big Walter Horton et un Son Seals. Il croyait pourvoir atteindre un marché plus vaste, mais c’est la douche froide. Koko Taylor et Lonnie Brooks seront les artistes qu’il va suivre le plus longtemps. Il manage Koko de 1975 jusqu’au cassage de sa pipe en bois, en 2009, et Lonnie de 1978 à son départ en retraite, en 2012 - They were our friends and parts of our daily lives - Il a raison de préciser tout ceci, car c’est là où Alligator fait la différence. Iglauer voit le label comme une famille - Les commissions qu’on prenait sur leurs concerts couvraient tout juste les salaires de Nora et Matt. For decades, management was one of Alligator’s essential jobs - Iglauer veut dire à travers ça qu’il prenait ses artistes en charge à 100 %. Cet homme est décidément irréprochable. Il est content quand il voit que les albums de Koko (The Earthshaker), de Son Seals et d’Albert Collins marchent bien. Il est surtout content pour eux. Il passe un accord en Europe avec Sonet pour la distribution, et c’est la raison pour laquelle la plupart des Alligators qu’on trouve ici en France sont sur Sonet. Du coup, Alligator devient un label international. Iglauer souffle un peu : il peut prendre des risques et se vautrer dans couler la baraque.

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             Après avoir chanté les louanges d’Hound Dog Taylor, il chante celles de Son Seals - If I had ever had the talent to be a bluesman, the one I would have been chosen to be is Son - C’est le blues de Son qui lui parle le plus. Il pense que Son a libéré beaucoup de colère à travers sa musique. Son a grandi à Osceola, en Arkansas, «the most racist town in the Delta». Selon Iglauer, Son «plays with slash-and-burn physical intensity, avec une disto que seule permet la cheap guitar.» Et il ajoute qu’à la différence du blues d’Hound Dog «which was such great fun et de celui de Big Walter which was subtle and multilayered, le blues de Son was a brash, bold slap in the face.» Son portait un cowboy hat et se prenait pour le John Wayne du blues, a man of few words. Son style repose sur une attaque agressive, il a ses licks, comme Albert King. Le blues de Son n’a rien à voir avec la technique. Pour Iglauer, c’est une question de touche - he played every note though it was the most important note he was ever going to play - Les deux grosses influences de Son sont Albert King (certains disaient que Son jouait comme Albert King on speed) et Little Milton pour le chant. Il adorait aussi Junior Parker. Son sort «an ultra-raw guitar tone» sur une Norma guitar, «a cheap brand sold by Montgomery Ward», précise Iglauer. Sa relation avec Son Seals allait durer plus de trente ans et Son allait sortir «eight memorable albums» sur Alligator. On en reparle.

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             Et puis voilà Koko Taylor, avec son «tradermark powerful, growling vocal style». Elle avait déjà un hit chez Chess avec «Wang Dang Doodle», produit par son mentor Willie Dixon, mais quand Chess disparaît avec le cassage de pipe de Leonard le renard, Koko doit rebosser pour vivre et elle fait la femme de ménage pour les familles blanches des quartiers chics. Koko tourne autour d’Iglauer. Elle aimerait refaire un disque, mais au début, Iglauer ne moufte pas. Et puis elle n’a pas de groupe. Pas de répertoire. Bof. Elle insiste. Elle forme un groupe. Elle verse un acompte pour un van de tournée. Iglauer est impressionné par sa ténacité. Alors il lui booke des dates à droite et à gauche. Koko vient d’un milieu très pauvre du Tennessee, comme tous les autres. Iglauer s’intéresse à elle, à son histoire. Il en parle dans son book. Pour lui, la connaissance du contexte sociologique est aussi importante que la musique. Elle est arrivée en bus à Chicago en 1951. Elle a bossé comme domestique et pris des cours du soir, par pure fierté, car elle ne supportait pas d’être illettrée. Elle a appris la grammaire, l’élocution et un peu de mathématiques - She did it out of pride - La façon dont en parle Iglauer est merveilleuse. Koko devient une héroïne. Elle fait tout à la force du poignet. Elle enregistre son premier Alligator en 1975 : I Got What It Takes. Iglauer lui propose des cuts, elle en choisit 6, Elmore James, Ruth Brown, Magic Sam et Bonnie Bombshell Lee. Willie Dixon lui donne un cut, «Be What You Want To Be». Elle fait aussi son «Voodoo Woman» et propose de reprendre des cuts de Jimmy Reed, d’Otis Spann et de Denise LaSalle. C’est avec The Earthshaker qu’elle devient en 1978 the Queen of the blues. Iglauer la manage et Koko va tourner dans le monde entier jusqu’à l’âge de 80 balais, «never losing the ability to pitch a wang dang doodle». Elle fait 9 Alligators et conclut en affirmant qu’elle et Alligator vont ensemble «like red beans and rice». Là, on sent monter une émotion très forte sous la plume d’Iglauer. On détecte clairement cet esprit en lui qu’on pourrait qualifier d’humanité du blues. La musique n’est rien sans la dimension humaine. Il est sans doute l’un des seuls à l’avoir pigé. Plus on avance dans son book, et plus on mesure la grandeur de cet homme.  

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             Il a l’idée de lancer des bluesmen inconnus dans le cadre d’une collection qu’il baptise ‘Living Chicago Blues’. Iglauer crée son monde. Grâce à lui, Carey Bell, Eddie Shaw et Billy Branch surgissent du néant. Mais le grand lauréat de ‘Living Chicago Blues’ est Lonnie Brooks, «one of the most popular musician on the West side» (of Chicago).  Puis il récupère Albert Collins qui est déjà une sorte de superstar des clubs de blues. C’est son premier non-Chicago artist, «known as the Master of the Telecaster, a Texas-born electric guitar hero, whose stinging, ultra-percusive, echo-laden style had been dubbed ‘The cool sound’.» Iglauer était tombé en pâmoison devant The Cool Sounds Of Albert Collins, un album d’instros paru en 1965. Quand il s’en va le rencontrer pour la première fois, il s’attend à tomber sur un géant, et pouf, il rencontre un petit homme à la voix douce. Mais, ajoute-t-il, Albert joue de tout son corps, «comme Freddie King ou Luther Allison» - Il fait des grimaces, saute partout et se jette dans sa musique - Il finit trempé de sueur. Iglauer est fasciné par le petit Albert. En 1978, Ice Pickin’ sort sur Alligator et du coup, Albert devient encore plus populaire que Son Seals et Koko Taylor qui sont les têtes de gondole d’Alligator.

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              Iglauer va voir jouer Fess pour la première fois au Tipitina, à la Nouvelle Orleans. Sortir un album de Fess sur Alligator, c’est pour Iglauer un rêve qui devient réalité. Il l’enregistre à Sea-Saint, le studio d’Allen Toussaint (Sea pour Marshall Sehorn et Saint pour Allen Toussaint) - We wanted something special. Dr John was on top of that - À la fin de la session, Fess dit que c’est sa session la plus heureuse de toutes celles qu’il a connues. Iglauer en rigole de bonheur : «Des gens voient le Crawfish Fiesta de Professor Longhair comme le meilleur album sorti sur Alligator.» Mais le jour de sa parution, le 31 janvier 1980, Fess casse sa pipe en bois. Des tas de gens se pointent à ses funérailles, et parmi eux Jerry Wexler. Allen Toussaint et Art Neville y chantent pour rendre hommage à Fess. Bien des années plus tard, Allen Toussaint dira à Iglauer : «Fess is with me every day.» «Me too, Allen», écrit à la suite Iglauer. Et comme il voit des tas de gens disparaître, Iglauer se dit soudain qu’il y a urgence à les enregistrer avant que cette culture ne disparaisse avec eux. Il se sent investi d’une mission pour le blues, de la même façon que Jacques Lanzmann se sentit investi d’une mission pour la Shoah.

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             Après Fess, Iglauer passe à un autre géant : Johnny Otis, «a Renaissance man of R&B». Iglauer en brosse un portrait sommaire, rappelant qu’il a commencé comme batteur avant de devenir «a piano and vibraphone player, songwriter, talent scout, producer, bandleader, newspaper columnist, author, preacher, DJ, television host et bien qu’il ne fut pas né African-American, porte-parole de l’African-American community de Los Angeles.» Eh oui, les gars, Johnny Otis n’est pas black mais grec. C’est un grec à la peau sombre. Mais il se sent noir. En tournée dans le Sud pendant les années 50 et 60, il a pris la ségrégation en pleine gueule, pas de restaus, pas de gogues, pas d’hôtels pour les sales nègres. Vert de rage, Johnny Otis en est devenu doublement noir - Si tu le traitais de blanc, il prenait ça comme une insulte et te frappait - À l’âge de 30 ans, Johnny Otis avait déjà probablement été en studio un millier de fois. «Il avait découvert Little Esther (Phillips), Big Mama Thornton, les Robins qui allaient devenir les Coasters et des douzaines d’autres artistes.» Bizarre qu’Iglauer oublie de citer Etta James et Sugar Pie DeSanto. Johnny Otis avait installé une chapelle chez lui et il y prêchait. En 1983, Iglauer propose à Johnny Otis d’enregistrer un Alligator. Comme Johnny Otis n’est pas sous contrat, c’est assez simple. L’Alligator s’appelle The New Johnny Otis Show With Shuggie Otis. Mais ça floppe : trop R&B pour les gueules à blues. Il n’empêche que c’est du big time de Johnny Otis. Et ce n’est pas un hasard, Balthazar, si Ace a réédité TOUT Johnny Otis. On en reparle. 

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             En 1979, Iglauer commet une petite erreur : il dit non à Stevie Ray Vaughan. Il aurait pu l’avoir pour un one-album deal, mais Stevie ne l’impressionnait pas assez. Iglauer le prend pour un imitateur d’Albert King. Tinsley Ellsi dit un jour à Iglauer : «La seule chose qui soit pire qu’un monde rempli d’imitateurs de Stevie Ray Vaughan est un monde sans imitateurs de Stevie Ray Vaughan», à quoi Iglauer ajoute : «ce qui est exactement le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui.» C’est pourquoi Iglauer a maintenu pendant tant d’années son rythme convulsif de parutions : pour enrayer la paupérisation artistique qui menace le monde moderne.   

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             En 1984, il achète un vieil immeuble de trois étages pour en faire ses bureaux. Le staff d’Alligator compte alors 12 personnes. Iglauer fait gaffe : il veut leur assurer un minimum de sécurité et de confort. Pour monter d’un cran, il signe trois cracks blancs, Johnny Winter, Lonnie Mack et Roy Buchanan. L’idée est de consolider l’assise financière d’Alligator. Iglauer rencontre Johnny Winter qui est alors une superstar et ils échangent leurs numéros de téléphone. Iglauer se dit charmé par l’albinos qui, justement, vient de produire l’Hard Again de Muddy Waters. Johnny confie aussi à Iglauer qu’il était dingue des Gulf Coast records de Guitar Junior. Ça tombe bien, rétorque Iglauer, Guitar Junior est sur Alligator et s’appelle désormais Lonnie Brooks. Johnny accepte finalement d’enregistrer sur Alligator parce qu’il veut revenir à ses racines : le blues - He saw the label as home of pure, noncommercial blues - Iglauer casse sa tirelire et offre une avance de 10 000 $ à Johnny. Pour lui, c’est une somme énorme, il n’avait pu verser que 1 000 $ à Albert Collins. Mais bon, tu veux la star, alors tu payes. Johnny est sous méthadone, il n’est vaillant et créatif qu’en fin de journée. En studio, il fume de l’herbe et picole sec. Ils enregistrent 17 cuts en quatre nuits et vont faire au total 3 Alligators ensemble. Mais la relation se détériore - By the time we finished with Serious Business, he was tired of me and I was tired of him. Iglauer ne rentre pas trop dans les détails.

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             Pas grave, il passe ensuite à Lonnie Mack, un autre géant de cette terre - the first blues-rock guitar-hero - Iglauer charge bien la barcasse : «His powerful guitar solos - including unexpected, soaring octave jumps, driving rhythm figures, and fast string bending using the tremolo bar on his signature Gibson Flying V guitar - were all his own.» Iglauer ajoute que le guitariste préféré de Lonnie Mack était Robert Ward, un black de Georgie qui jouait dans les Ohio Untouchables, futurs Ohio Players. Ses chanteurs préférés étaient Bobby Blue Bland et George Jones. Pour Lonnie, il n’existait pas de frontières entre le blues, la country, le R&B et le rock’n’roll. Il naviguait en père peinard sur la grand-mare des braquemards et allait d’un genre à l’autre sans crier gare. Iglauer ajoute que Lonnie venait d’un milieu campagnard très pauvre de l’Indiana, qu’il roulait ses clopes, qu’il buvait sec et qu’il adorait les armes. Pendant des années, il a tourné bourré d’amphètes et d’alcool au volant de sa Cadillac, avec une remorque derrière. Pour Iglauer, Lonnie était l’un des meilleurs - His recordings from the mid-1960s are astounding - Iglauer raconte qu’il est allé le voir jouer dans un club de Covington, Kentucky - Je le connaissais assez pour être invité par lui à aller faire un tour sur le parking et sniffer un rail de coke sur la lame de son énorme couteau de chasse - Au début, ça n’intéresse pas Lonnie de faire un Alligator, puis il finit par accepter. Iglauer le rejoint à Cedar Creek, un studio d’Austin, Texas - a funky, oddly wired place with rattlesnakes living in the tall grass around the building - Lonnie va faire deux Alligator - Two of the most compelling albums in the Alligator calatog - Lonnie a fini sa vie seul dans une cabane en bois paumée au fond des bois et a cassé sa pipe elle aussi en bois en avril 2016, et l’occasion fut trop belle de lui rendre hommage ici-même.

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             Iglauer ne s’arrête pas en si bon chemin : après Johnny et Lonnie, il récupère Roy Buchanan, a secret guitar genius - he called himself an Arkansas gully-jumper - Comme Roy avait reçu une éducation extrêmement religieuse, il était sûr qu’il allait rôtir en enfer, and he was serious. Ado, il s’est tiré de chez lui pour aller à Los Angeles. Il a joué pendant un temps avec Johnny Otis, puis a tourné et enregistré avec Dale Hawkins - Il fut bientôt réputé pour sa technique incomparable, son imagination musicale et sa personnalité excentrique - Iglauer dit sa fascination pour Roy : «He was a master at the difficult technique of playing harmonics.» La preuve ? «The Messiah Will Surely Come Again», un instro mélodique faramineux qu’on trouve sur son premier Polydor paru en 1972. En 1988, il est arrêté à cause d’une shoote avec sa femme. Puis on le retrouve pendu en cellule avec sa propre chemise. On a parlé d’un suicide, mais rien n’est moins sûr. Les cops l’auraient buté et maquillé ça en suicide. Iglauer n’est pas non plus convaincu par la thèse du suicide - So I believe that either explanation could be true - Pour les preuves, il faudra repasser un autre jour.

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             Comme tous ses contemporains, Iglauer voit le marché du disque s’effondrer : «À mes yeux, il était clair que la culture sociale et musicale qui avait amené Hound Dog Taylor, Koko Taylor, Son Seals et Fenton Robinson, et de nouveaux artistes comme Lil’ Ed, était en train de disparaître.» À partir du milieu des années 80, Iglauer peine à trouver de nouveaux bluesmen noirs ancrés dans la tradition du blues électrique. Mais il s’acharne, et le catalogue continue d’enfler : «Koko Taylor, Saffire - The Uppity Blues Women - Lil’ Ed & The Blues Imperials, Little Charlie & The Nightcats and Shemekia Copeland. On a signé des artistes qui enregistraient pour d’autres labels, like Texas roadhouse piano queen Marcia Ball, the gloriously gospel-tinged R&B trio The Holmes Brothers, and Albert Collins’s protégé Coco Montoya, a soulful vocalist and the most elegantly lyrical of blues-rock guitar heroes.» Malgré l’érosion du marché, l’enthousiasme d’Iglauer reste intact. Il n’y va pas de main morte. JJ Grey : 5 albums ! Coco Montoya, 6 albums ! The Holmes Brothers, 6 albums ! impossible de suivre un label comme Alligator. Le seul défaut d’Iglauer serait d’être boulimique. Mais il fait comprendre que c’est la condition de sa survie. Grossir pour ne pas crever.

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             Il est constamment à la recherche de nouveaux talents. Il découvre Lil’ Ed & The Imperials et les signe on the spot. Allez hop en studio ! 13 cuts enregistrés entre 9 h et minuit, one take ! - It was a magical night - Il titre l’album Roughhousin’, «because it was the closest thing I could think of Houserockin’.» Retour au point de départ ! Iglauer ne cache pas sa joie d’avoir découvert Lil’ Ed : «Ils représentent the heart and soul of Alligator’s Guenine Houserockin’ Music spirit.» Et dans son élan charismatique, il ajoute : «Quand on me demande qui est le plus authentique, le plus pur musicien de blues sur le label, la réponse est toujours Lil’ Ed.»

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             Iglauer réussit aussi à récupérer Charlie Musselwhite pour trois albums, Ace Of Harps, Signature et In My Time. Précision capitale : sur deux cuts d’In My Time, il est accompagné par The Blind Boys of Alabama, sur lesquels nous reviendrons aussi.

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             Iglauer est épuisant : il n’arrête jamais. Lui ce n’est pas all nite long, c’est all book long. Il n’en finit plus de lancer de nouveaux artistes, comme par exemple Katie Webster, «known as the Swamp Boogie Queen, the second blues woman signed by Alligator.» Iglauer parle d’elle en termes de soulful voice straight out of church et de real deal blues piano player. Wow, quelle apologie ! Allez hop, trois Alligators. On y reviendra. Il récupère à la suite Marcia Ball, une blanche qui va devenir l’une des «Alligator’s most popular and best-selling artists.» Iglauer est dithyrambique, il parle de world-class blues, et d’une voix qui sonne «comme celle d’Irma Thomas with a Texas twang». Il sait vendre ses disques. Iglauer trouve aussi dans le piano playing de Marcia l’influence de Fess. Mais elle ne veut pas d’Iglauer comme producteur. Elle décide de tout : du studio, du choix des cuts et du producteur. Son premier Alligator est Presumed Innocent, paru en l’an 2000. On a à peine le temps d’écouter Marcia Ball qu’Iglauer nous branche déjà sur Shemekia Copeland, la fille du grand Johnny Copeland. À ses yeux, Shemekia ne chante pas comme Koko, mais «elle utilise le vibrato des best gospel singers». Iglauer annonce qu’il lance «a young female blues singer» et son premier Alligator Turn The Heat Up fait sensation dans le monde du blues. Dr John produit le troisième Alligator de Shemekia, Talking To Strangers, et Steve Cropper le quatrième, The Soul Truth. Iglauer n’en finit plus de bourrer la dinde d’Alligator. Pour lui, Shemekia est le real deal : elle a grandi à Harlem a appris le blues avec son père l’excellent Johnny Copeland. On y reviendra, aussi bien sur la fille que sur le père.

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             Au rayon découvertes, ça continue de pulser. Iglauer fait surgir du néant un certain Michael Hill, un New-Yorkais fan de Jimi Hendrix (comme, se hâte-t-il de préciser, the future Alligator artists Selvyn Brirchwood et Toronzo Cannon). Puis il déterre JJ Grey & Mofro en Floride et sort Country Ghetto en 2007, suivi de 5 autres Alligators. Il se prosterne devant JJ Grey & Mofro,  «Alligator’s best selling albums of the 2000s». Ces albums permettent à Alligator de toucher une audience plus jeune, «a younger rock-jam band audience», précise l’inépuisable Iglauer.

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             Tu approches de la fin du book et tu crois qu’il va se calmer ? Tu te fous le doigt dans l’œil. Il repart de plus belle avec Michael Burks, qui a grandi «immergé dans la blues culture, comme Hound Dog Taylor, Son Seals et Penton Robinson avant lui.» Aux yeux d’Iglauer, Burks est un pur - I doubt that another musician will come to the label so deeply rooted in the traditional blues way of life - Bon allez, nous dit Iglauer, un petit dernier pour la route ! Ce sera Toronzo Cannon, avec The Chicago Way, un Alligator de 2016, salué par Mojo à sa parution - Comme j’en rêvais pour Michael Burks, Toronzo Cannnon devient one of the blues icons of his generation - Et là Iglauer enfonce un sacré clou dans la paume du mythe qui dit aïe ! : «J’espère que des artistes comme Toronzo feront leurs preuves et qu’ils seront capables de perpétuer la tradition du Chicago Blues sans répéter ce qui a déjà été fait.» Car c’est bien là le cœur du problème, quand on parle de Chicago blues. Comment survit-on et surtout comment innove-t-on ? Le seul moyen de le savoir est d’écouter les disques.    

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             En 2018, Iglauer se dit fier de son roster : «Marcia Ball, Tommy Castro, Elvin Bishop, Coco Montoya, Shemekia Copeland, Lil’ Ed & The Blues Imperials, Roomful Of Blues, Curtis Salgado, Corky Siegel, Ric Estrin & The Nightcats and Eric Lindell, along with rising artists like Selwyn Birchwood, Toronzo Cannon and the recently signed Cash Box Kings, Nick Moss Band Featuring Dennis Gruenling and singer/drummer Lindsay Beaver.» Iglauer avait tort de s’inquiéter : la relève est assurée. Bien sûr, il revient sur le passé et sur tous les grands disparus, mais il garde l’œil rivé sur l’avenir - Alligator has created a great legacy, but my focus is always on the future - Il est tordant, Iglauer, car il fabrique de l’avenir avec une musique ancrée dans le passé. C’est toute son ambiguïté. Il continue de chercher des gens «with depth and mudical integrity, like JJ Grey and Anders Osborne.» À la fin du book, il dit pouvoir enfin respirer un peu, avec un catalogue de 300 titres et 46 ans d’existence. Alligator a survécu à toutes les mouvances et tendances, à toutes les turpides et toutes mutations. Mais au plan quotidien, ça reste un combat. Le marché évolue, les disques ne se vendent plus, alors il doit muter vers le numérique et vendre des fucking fichiers. D’autres labels spécialisés dans le blues comme Rounder et Concord ont jeté l’éponge. «Arhoolie Records - founded by my hero Chris Strachwitz - a été revendu to the Smithsonian Institution.» Fin d’une époque. 

    Signé : Cazengler, Bruce Idioert

    Bruce Iglauer. Bitten By The Blues - The Alligator Records Story. The University Of Chicago Press 2018

     

     

    Talking ‘Bout My Generation

    - Part Eight

     

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             Vince Mannino arrive en couve de Rockabilly Generation. Tapis rouge à l’intérieur, avec 8 pages d’interview et la photo centrale. Occasion en or de découvrir un très bel artiste. Vince n’est pas né à Memphis, mais en Sicile, à la campagne. Son premier disco est un Elvis, The Rocking Elvis. Il se fait photographier avec. Bon, il ne dit pas grand-chose de ses autres discos et pas grand-chose non plus sur Dale Rocka. Il cite rapidement Carl Perkins, Roland Janes et Grady Martin, car il est surtout guitariste. Dommage qu’il ne s’étende pas davantage sur Dale Rocka, car les albums qu’ils ont enregistrés ensemble sont fantastiques.

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             C’est en 2014 que Dale Rocka & The Volcanoes éruptent, avec The Midnight Ball. Quel album ! Vince Mannino gratte ses poux derrière Dale Rockab. Big ball dès le morceau titre, wild rockab, tu as là the best Sicilian slice of rockab. Fabuleuse incursion en territoire du bop ! Et puis ça va très vite monter en température et on va se retrouver confronté non pas à des coups du sort, mais à des coups de génie, comme par exemple «Go & Go», two three four, ce démon de Dale te rocke ça vite fait, il en fait un vrai monster bash, les Volcanoes crachent tout leur dévolu dans la balance qui du coup valse dans les décors. Ils sont tout simplement foudroyants de power et leur «Bad Blood» est explosé directement dans la viande par le pire wild killer solo flash qui soit ici bas. Nouveau coup du sort génial avec «Mama Bring Back (My Blue Suede Shoes)», c’est puissant et claqué dans l’ass du boisseau, ils t’explosent même la mafia et tout le vieux saint-frusquin sicilien, Dale chante à la véracité maximale. Leur son devrait faire baver les Américains, Dale chante bille en tête, même avec leur «Quick Kiss», ils swinguent comme des démons et grand retour dans le heavy sludge de rockab avec «That’s Why I Tell You», c’est gorgé de power volcanique, allumé au riff raff sicilien, tu crois rêver tellement c’est bon. Il faut encore les voir rentrer dans le chou de «Remember Last Night», c’est wild et primitif à la fois, avec les voix des Rivingtons dans le coin de swing. Et tout bascule dans la crazyness avec «Hot Rockin’ Baby», une véritable horreur comminatoire, les voilà dans le crazy pur, le wild à tous les vents avec un solo jeté en l’air et le Krakatoa des Volcanoes t’explose à la figure. Vince aurait dû s’appeler Vince Krakatoa.

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             Vince Mannino roule avec un autre gang, Vince & The Sun Boppers. Départ en trombe en 2017 avec Gone For Lovin’. Ça te saute au paf dès «Bad Boy Rock», ah le Vince est bon, il te rocke son rockab dans le lard de la matière et un solo s’en va claquer le dentier du slap. Belle démonstration du génie rockab ! Les Sun Boppers pratiquent la Méricourt du rockab avec un art consommé. Le coup de génie de l’album s’appelle «Black Haired Woman», traîné dans la boue magique du heavy groove aventurier, celui qui fit les grandes heures de Dale Hawkins. Même fête au village avec Vince, il est stupéfiant de véracité boppy boppah. Même sur des structures classiques («Dance With Sally»), les Sun Boppers sont bons. Encore une belle dégelée avec «Devil Eyes». Ils te claquent le cut comme des cracks de la craze. Ils te boppent le beat bien bas. Si tu veux résumer l’art des Sun Boppers, un seul mot possible : easy. Encore un coup de Jarnac avec le morceau titre, assez merveilleux de lovin’ you. Vince chante d’une voix appuyée, un peu piquante, et les Sun Boppers te claquent le meilleur beignet de Sun Boppin’. Tu te régales avec ces mecs-là, ils boppent à la régulière. «It’s You’» est à la fois une belle coque de Sun et une vraie noix de Sicile, les voilà qui te boppent la bobine et qui t’allument le coquillard. Il règne dans tout l’album une fantastique tension de la véracité. Tout l’album est bon, solidement bâti, battu sec et boppé au nec. Ils bouclent avec le fabuleux «You Gotta Be Mine», un nouveau modèle du genre. Vince Mannino ne rate aucune occasion d’afficher son génie rockab.

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             La même année, Vince & The Sun Boppers enregistrent Spinnin’ Around. Heureusement, l’album est un peu moins dense. Il faut se ménager quand on a le cœur fragile. Spinnin’ Around est plus classique, mais on note l’excellence du swagger. On les sent contents de jouer, ce sont de vrais cats à la carbonara. On entend même des échos de fête populaire ici et là. Ça jive dans la nuit d’été, avec une agréable fraîcheur. «Get A Feeling For You» reste classique, mais en même temps très franc du collier. Vince ramène tous les réflexes du bop. Ça joue à la petite clairette. On sent que le rockab est couché au panier. L’album est plus pépère que le précédent. Ils attaquent «One Love» au allez hop, avec la petite cocotte rockab. Et soudain, le volcan des Sun Boppers se réveille : «Red Headed Mama» te saute enfin au paf, il était temps ! Les Sun Boppers se fâchent ! Ouf ! Ça fait du bien. Leur morceau titre est quasi Kiddy, pas loin de «Please Don’t Touch» et ils rendent un fier hommage à Bo Diddley avec «Gal Of Mine», mais dans le pur esprit rockab. Vince embraye sur le heavy swing à la Charlie Feathers avec «Real Gone Papa», aw Gawd comme ce cat est bon, et ils reviennent enfin se lover dans le giron du real deal avec «Don’t Give Up With Love». Ils perpétuent le vieil art du rockab, ils entrent dans les godasses de tous les géants du bop, à commencer par Charlie Feathers et Carl Perkins. C’est magnifique ! 

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             Il existe un troisième album de Vince & The Sun Boppers : By Request. On ne perd pas son temps à l’écouter, bien au contraire. On est tout de suite frappé par la présence de Vince. Aucun accent sicilien. Il chante comme un crack, avec derrière lui tout le swagger d’Axel Praefcke. Ils traînent «King Of Fools» dans la boue magique, avec un talent fou. Ils passent au fast jive avec «Wait A Minute Baby». Vince sait sauter sur l’occase et il te claque un jazz solo dans la foulée. On se croirait à Memphis avec «The One To Blame». Pur jus. Le hit de l’album est le «Long Time Gone» de fin. Heavy rockab de don’t you leave me alone. Clin d’œil à Charlie Feathers - I’m a long gone daddy/ I’m a long time gone - Pur genius.

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             Nouvelle éruption de Dale Rocka & The Volcanoes cette année avec Keep On Rockin’. Ouverture de balda sur l’incroyable élégance du that’s all for me de «Goodbye That’s All». Dale chante au Rocka tranchant et enchaîne avec un autre cut de fantastique allure, «My Mamma Don’t Like Her». Dale Rockab est parfaitement à l’aise dans le mid tempo. Il swingue les deux doigts dans le nez. Puis on perd un peu la magie rockab pour aller sur des choses plus rock et le slappeur Andrea Amico fait des siennes dans le bluesy «Stop Shake Your Hips». Et quand les Volcanoes tapent «No Letter From You», on se croirait à la Nouvelle Orleans. Ils attaquent la B des cochons avec «Rip It Up Hip It Down» et un sens aigu du groove rockab. Tout est bien équilibré dans le cratère du Volcano. Ils sont capables d’aller sur la country, comme le montre «Rusty Moon», mais diable comme ça swingue !

    Signé : Cazengler, Dale Roquet (ouaf ouaf)

    Dale Rocka & The Volcanoes. The Midnight Ball. Rhythm Bomb Records 2014

    Dale Rocka & The Volcanoes. Keep On Rockin’. Bulleye 2023

    Vince & The Sun Boppers. Gone For Lovin’. Rhythm Bomb Records 2017

    Vince & The Sun Boppers. Spinnin’ Around. Rhythm Bomb Records 2017

    Vince & The Sun Boppers. By request. Rhythm Bomb Records 2018

    Rockabilly Generation # 27 - Octobre Novembre Décembre 2023

     

     

    L’avenir du rock

    - Ciel mon mari !

             Contrairement à ce qu’on pourrait croire, l’avenir du rock rêve de monter au Ciel, mais il ne s’agit pas du ciel qu’on fait miroiter aux gens ordinaires. Pendant des siècles, on leur a fait croire qu’en se repentant de leurs péchés et en purifiant leur âme, ils pouvaient espérer grapiller une place au paradis. C’est précisément cette idée qui laisse l’avenir du rock extrêmement perplexe. Manipulés par les cancrelats ecclésiastiques, les gens ordinaires ont fini par voir le paradis comme un terrain de camping : il suffisait d’aller à la messe chaque dimanche pour réserver un emplacement au paradis, alors qu’en réalité pend au nez de tout un chacun une bonne vieille séance de décomposition. Putréfie-toi, mon fils, et tu seras dissout ! Pour en savourer l’avant-goût, on peut relire Une Charogne de Charles Baudelaire - La puanteur était si forte/ Que sur l’herbe vous crûtes vous évanouir - Baudelaire écrase sa puanteur dans le creuset du vers, et fait craquer son crûtes sous la dent. Baudelaire dit vrai, car c’est là que tout se passe, dans les jus, dans les bataillons de larves, il charbonne bien le trait, l’avant-goût qu’il donne devient vertigineux de puanteur poétique - Et pourtant vous serez semblable à cette ordure/ À cette horrible infection/ Étoile de mes yeux, soleil de ma nature/ Vous mon ange et ma passion - il traîne sa gluante persistance à longueur de vers - Alors ô ma beauté, dites à la vermine/ Qui vous mangera de baisers/ Que j’ai gardé la forme et l’essence divine/ De mes amours décomposés - Quand on lit ça, il faut détacher les syllabes de dé com po sés, comme la hyène détache les membres d’une charogne. La décomposition n’a de sens que baudelairienne et l’avenir du rock se réjouit de ce fulgurant trait de réalisme poétique. Affamé de totémisme, il se prélasse dans les poisons toxiques et les noires exhalaisons de la vision baudelairienne, des cuisses ouvertes de sa Charogne jaillit l’éclair d’une absolue perfection poétique, l’avenir du rock s’y abreuve, il se vautre dans cette mare des jus de putréfaction où flottent, soufflées par le vent, les images d’Épinal de l’enfer et du paradis. Alors que les religions sont depuis longtemps entrées elles aussi en décomposition, le rock survit à toutes les avanies et framboises, à toutes les mamelles du destin, de la même façon qu’Avanie et mamelle sont les framboises du festin, mais l’avenir du rock, qui n’est jamais avare d’un coup d’avance, n’hésitera jamais à clamer haut et fort qu’il espère bien monter au Ciel.  

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             Il parle bien sûr du Ciel de Michelle.

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             Rien qu’à la voir arriver sur scène, c’est dans la poche. Après le concert, au merch, on apprendra qu’elle s’appelle Michelle (ma belle) et qu’elle tombe du ciel, puisque son groupe s’appelle Ciel. Brune, cheveux mi longs, yeux clairs, lunettée, fantastique sourire, maigreur sexy, elle chante, bassmatique et ondule comme une authentique rockstar en devenir. Ah il faut l’avoir vue onduler avec sa grande basse blanche, elle fait partie de celles qui savent merveilleusement se fondre dans le groove. Elle y croit dur comme fer. Son trip, c’est d’être sur scène.

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    Elle chante d’une voix perchée et bien fine qui n’est pas sans rappeler celles de Kim Deal, et de Miki Berenyi, au temps de Lush. Elle chante à l’éther pur, avec un joli brin de power. Au début du set, on ne la prend pas vraiment au sérieux, comme c’est souvent le cas avec les premières parties, elle est sexy, c’est vrai, mais on attend de voir ce que ça va donner au plan artistique. Et puis, cut après cut, elle fait son petit bonhomme de chemin, elle avance à la force de son petit poignet et finit par conquérir la ville. Pas de problème, elle va même voler le show.

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             Ciel nous vient de Brighton. Derrière elle, un mec bat le beurre, et un Espagnol aux cheveux teints en blond et nommé Jimenez gratte sur une vieille Jaguar qui en a vu d’autres. Comme on ne connaît pas les cuts du Ciel, alors on boit les paroles. Ils ont un son très indy, mais un peu avant la fin du set, on note la présence d’un gigantesque hit pop. Coup de pot, il figure sur l’un des EPs que Michelle vend au merch : «Baby Don’t You Know». Elle est dedans, et franchement, on est au Ciel avec elle. Straight to the sun ! Elle remonte le courant pop à la seule force de son petit génie sexy et là, bravo, car c’est explosif.  

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             Elle n’a que deux EPs à vendre, the Not In The Sun Not In The Dark EP et le Make It Better EP/ Rather Be Alone EP. «Baby Don’t You Know» se trouve sur le premier. Mais il y a d’autres merveilles sur l’EP, comme par exemple «Back To The Feeling», qu’on entend aussi sur scène. Elle y ramène tout son sucre, elle est exceptionnelle de wild drive juvénile. Ah il faut la voir groover des hanches sur scène, avec sa grosse basse blanche ! Elle fait du rock de Michelle ma belle, these are words that go together well. Elle drive bien le Ciel. «Fine Everything» sonne comme un cut des Breeders, elle fait bien sa Kim Deal. Si tu aimes l’esprit des Breeders, tu vas te régaler avec Michelle ma belle. «Fine Everything» est d’ailleurs le dernier cut du set. Avec «Not In The Sun Not In The Dark», elle replonge dans cet excelsior mirifique de pop humide et si délicieusement féminine. Quelle révélation ! Elle sait monter au front mélodique. Sur scène, elle a vraiment le look d’une égérie, on la boit jusqu’à plus soif, on l’accueille dans le giron, Michelle ma belle est une star en devenir. Elle fait encore du pur Breeders avec «Far Away». Franchement, on ne perd pas son temps à écouter ce genre d’EP. Elle dispense tous ses bienfaits elle est all over son Far Away. Tout est beau sur cet EP tombé du Ciel.

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             L’autre disk est un fat vinyle translucide qui rassemble deux EPs : Make It Better EP/ Rather Be Alone EP. Pareil, on y va les yeux fermés. On retrouve son incroyable fraîcheur de ton dès «Somebody». On peut dire qu’on en raffole, à ce stade des opérations. Elle tape en plein dans le juicy des Pixies au féminin. Elle reste dans l’esprit avec «So Scarred», elle le prend à l’éthérée, avec du gros gratté de poux derrière. Encore du pur jus de Pix Me Up avec «Make It Better». Elle remonte à la surface tout le power des profondeurs de l’underground britannique. C’est bardé du meilleur indie sound d’ici bas. De l’autre côté, ça repart de plus belle avec «Circles», encore plus indy, big sound et petites échappées vocales éthérées. C’est du meilleur effet, même si on connaît ça par cœur. Elle ramène sa poudre d’éther et son big bassmatic dans «Talk». Elle crée une sorte de magie pop, un éther sublimé et lesté de plomb alchimique. Là, elle est en plein dans Lush. Avec «Shut In My Body», elle projette sa poudre de sucre dans l’aveuglante lumière du jour et pulse inlassablement son bassmatic. Ça s’appelle un son. Le son du Ciel. Tout est bien là-haut, même si persiste une impression de déjà vu. Michelle ma belle jette tout son dévolu d’à-valoir dans la balançoire. Au Merch, elle se dit fan des Breeders. Of course !

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             — Why Ciel ?

             — My name is Michelle and my friends call me Celle, and then Ciel, you see ?

             Et elle éclate de ce rire de reine.

    Signé : Cazengler, scié

     

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    Ciel. Le 106. Rouen (76). 5 octobre 2023

    Ciel. Not In The Sun Not In The Dark EP. Not On Label 2022

    Ciel. Make It Better EP/ Rather Be Alone EP. Jazz Life 2023

     

     

    Inside the goldmine

    - The Moore I see you

     

             Ce n’est pas toujours évident de partager le lit d’une gonzesse. Surtout quand il s’agit d’une super-conne. À sa façon, et sans doute sans le faire exprès, Baby Cloche battait tous les records, même ceux atteints par cette madame Bignolle dont on a parlé ailleurs. Quand, dans les conversations de salon, un attablé demandait à Baby Cloche quelle avait été la nature de ses études, elle répondait sans ciller : «Les arts ménagers.» Un autre qui n’avait pas bien compris ce que ça signifiait lui demanda de préciser. Alors elle précisa. Si on lui demandait plus de détails, elle en donnait. Pour la tirer de ce guêpier, il fallut changer très vite de conversation. Un autre jour, alors que nous étions installés sur une terrasse ensoleillée pour prendre un verre, elle posa une étrange question : «J’ai pas quelque chose dans les cheveux ?» Un rapide coup d’œil permit en effet de constater qu’un piaf s’était soulagé sur elle. Pour ne pas la mettre dans l’embarras, il fallut la rassurer : «Non, il n’y a rien.» La fiente allait sécher rapidement et disparaître. Un moindre mal dans ce genre de quiproquo. La pauvre Baby Cloche collectionnait les infortunes, à commencer par ce visage relativement ingrat que sanctionnait une bouche très moche, en forme de moue, au-dessus duquel proéminait un nez grec un peu trop massif. À cela, il fallait ajouter un cou trop gros. Par contre, elle sauvait les meubles grâce à des très jolis seins, de ceux qu’on aime à soupeser dans les moments de vérité. Nous avions fort heureusement tous les deux des aventures parallèles qui nous permettaient de continuer à nous supporter, mais bien sûr, nous n’en parlions pas. Et puis un jour, pensant l’amuser, je lui racontai comment à la fin d’une fête extrêmement arrosée je m’étais retrouvé seul sur un trottoir, lâchement abandonné par des amis qui étaient censés m’héberger. En ayant vu d’autres, décision fut prise cette nuit-là de prendre le volant pour rentrer au bercail. Oh, ce n’était pas un trajet très important, environ une heure de route et zéro circulation. Dans cet état, tout est toujours jouable. La réaction de Baby Cloche fut inespérée. Avec un air mauvais, elle lança : «Tu sais donc pas que c’est interdit de rouler bourré ?».

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             Un petit côté bourru pourrait à l’extrême limite rapprocher Baby Cloche de Dorothy Moore, mais ça s’arrête là. Baby Cloche vit sa vie dans la région parisienne et Dorothy Moore la sienne dans la légende de Malaco. Ces deux femmes font leur petit biz, chacune à sa façon, ainsi va la vie.

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             Dorothy Moore fut l’une des figures de proue de Malaco. C’est vrai qu’à l’écoute de certains albums, on lui trouve un petit côté bourru, par exemple sur Stay Close To Home, qui date de 1992. Chez une femme, le côté bourru n’est pas un avantage. On l’accepte plus facilement chez Michel Simon. Si Dorothy donne cette impression, c’est parce qu’elle chante à la poigne. Elle est aussi capable de délicatesse, comme le montre le «Blues In The Night» de George Jackson. Elle fait le job. Pas d’excelsior, juste du Dorothy. On attend la magie. Elle peut chanter très haut avec autorité, mais elle ne provoque pas d’émotion. Sa voix est trop sanglée. Le hit de l’album est le morceau titre, un shoot de big r’n’b, puis elle tape dans Sam Dees avec «I Betcha Don’t Know It». Dorothy trouve enfin l’ouverture, elle fond comme neige au soleil, elle s’immole sur le beat de Sam Dees, la magie devient enfin sexuelle, c’est important de la préciser, you’re my sunshine ! Elle reste dans la heavy Soul de Sam Dees avec «It’s Raining On My Side Of The Bed». Dès que Sam Dees entre en lice, ça décolle. Elle reste dans le heavy groove de rude mémère avec «What You Won’t Do For Love». Dès qu’on fait attention à elle, elle rayonne Il faut juste lui prêter attention. Puis elle tape dans George Soule avec «A Woman Without Love», elle implore un mec de l’aimer un peu - Don’t let me be a woman without love - Et elle finit avec «Before I Fall In Love Again», elle connaît le biz, elle se cale sur le chameau.    

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             Sur Misty Blue, elle tape une très belle cover du «Funny How Time Slips Away» de Willie Nelson. Elle monte bien par-dessus les toits de Malaco. Dorothy est une fière Soul Sister pleine de verve et de modestie. Sa cover est une vraie merveille d’interprétation coercitive. Et comme Wardell Quezergue est dans le coup, on a du son. Globalement, le balda est très mélancolique. La viande se planque en B. Première énormité avec «Enough Woman Left (To Be Your Lady)», big r’n’b, bien pulsé par un bassmatic dévorant, le tout arrosé de cuivres et de violons. Encore une belle dégelée de heavy funk avec «Ain’t That A Mother’s Luck». Dorothy fait son Aretha, elle est pleine de jus. Et ça continue avec «Too Much Love». Elle se jette dans la balance, so c’mon, elle est de tous les ébats. Dorothy forever ! Elle finit avec l’«It’s So Good» d’Eddie Floyd. Elle y va de bon cœur au yeah yeah yeah, elle fait plaisir à voir. Ça swingue, chez Malaco, on est content d’être là, on se sent en sécurité sur ce genre d’album, les cocos de Malaco t’accueillent à bras ouverts.  

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             Si d’aventure, on se plonge dans son album sans titre paru sur Malaco en 1977, on se régalera de deux Beautiful Songs, «I Believe You» et «With Pen In Hand». Elle chante son Believe You d’une voix un peu verte, mais c’est une vraie merveille. Avec le Pen, on sent qu’elle est extrêmement concernée par la beauté du geste. Comme sa Soul atteint l’horizon, elle reste fabuleusement juste dans le lointain. Sur les balladifs, elle est fantastique. Elle offre chaque fois un vrai panorama, comme avec «Love me». Elle fait aussi de la diskö Soul («Make It Soon»), mais ça reste très bon esprit. La maison Malaco est une maison sérieuse. Elle fait encore de la Soul de haut rang en B avec «Loving You Is Just An Old Habit», elle l’allume à pleins poumons, avec une verdeur qui l’honore. Elle peut se montrer aussi très pugnace, comme on le voit avec «Daddy’s Eyes», Dorothy est une Soul Sister très fiable et d’une grande intégrité. Elle reste dans la Soul ultra-fouillée, et ultra-chantée pour «For The Old Time’s Sake». Elle réussit un équilibre entre la grande modernité et la facture classique. On l’applaudit à tout rompre.  

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             Dorothy n’est pas jojo sur la pochette d’Once Moore With Feeling, mais elle s’impose dans son balda, avec deux cuts, «With A Little Prayer» et «The Going Up & The Coming Down». Elle tape la Prayer de King Floyd au yeah yeah yeah, dans une ambiance très New Orleans. Puis elle remonte à son niveau, qui est le très haut niveau, avec The Going Up, ah elle sait jiver une Soul de bonne compagnie. On y savoure le balancement du swing harmonique. Elle finit par te tétaniser. Elle ouvre son balda avec un «Special Occasion» signé Sam Dees et enchaîne avec la belle Soul dansante de «What Am I To Do», pur jus de Malaco, tout est beau, ici, la présence de Dorothy, l’orchestration et le petit diskö beat. En B, elle te tartine «Being Alone» avec un aplomb extraordinaire. Cette fantastique shouteuse colle bien au terrain de la Southern Soul.

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             Un joli portrait sensible d’elle orne la pochette de Definitively Dorothy. Il s’agit sans doute de l’un de ses meilleurs albums. Toute la viande se planque en B, à commencer par «Since I Don’t Have You Since I Fell For You». C’est dingue comme la classe de Dorothy te parle. Plus tu l’écoutes, et plus tu réalises qu’elle est souple et belle. «Sleeping Single In A Double Bed» sonne vraiment comme la diskö des jours heureux. Moore is Moore. Elle boucle sa B avec «Mississippi Song» - Mississippi/ This is your song - Grosse compo avec du violon à gogo - It’s been a long time coming/ So Mississippi this one’s for you - Elle le prend bien dans ses bras, le vieux Missip. Dans son balda, elle tape une reprise du «Rain» de Mac Rebennack, elle s’inscrit bien dans le groove, elle a du métier et fait de l’excellent travail. Encore un joli shoot de Soul d’insistance métronomique avec «I Feel The Hurt Coming On», et elle balance avec «Can’t Keep A Good Love Down» un sacré coup de diskö funk. No no no ! Mais si, Dorothy est une Soul Sister tout terrain.

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             Le portrait qui orne la pochette de Talk To Me est un peu trop angélique, mais bon, ça doit bien correspondre à l’idée que Dorothy se fait d’elle même. Voilà encore un bel album de Soul. On s’y sent bien, dès «Talk To Me (Every Beat Of My Heart)». «It’s All In The Game» sonne presque comme une Beautiful Song. Elle chante au doux de sa peau de pêche. Dorothy est une femme subtile et langoureuse. Elle adore danser, comme le montre «There’ll Never Be Another Night Like This», monté sur un soft dancing beat et puis voilà qu’elle rend allégeance au roi George avec «Something In The Way He Smiles». Elle atteint à la perfection de Malaco. C’est le cut idéal pour une gentille géante comme elle - Now I believe it now - C’est la cover de rêve, montée sur un joli beat diskö. Elle termine cet album attachant avec «Lonely», une soft Soul de Malaco arc-boutée sur une diskö beat rebondi. Le mélange est heureux. 

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             Une belle énormité se niche sur Time Out For Me : «Whatever You Can Do». C’est du hard r’n’b bien planté dans la gencive de Volt, elle rocke sa chique avec une bel aplomb, elle peut devenir féroce, elle pousse l’aaoooouuh d’une panthère noire, c’est une fière Soul Sister, I can do better ! Et tu as des funky guitars qui te groovent bien l’oss de l’ass, aaaouuuh, alors elle y va, la mémère, elle pousse son same thang, oh ! Elle attaque l’album avec un heavy balladif, «Walk Through This Pain». Elle adore faire durer le plaisir. On la voit encore se battre pied à pied  avec la très grande Soul orchestrée d’«He May Not Be Mine», bien épaulée par des chœurs féminins. Elle te claque encore un balladif intense et doré sur tranche avec «I Still Get Turned On». Tu peux lui faire confiance, elle te borde ça correctement.

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             Par contre, Winner n’est pas un très bon album. Le côté ingrat de sa voix reprend le dessus. Elle a des côtés chauds sur «Are You Ready» et on en profite pour aller se lover dans son giron. Si tu lis les notes de pochette, tu vas tomber sur le nom d’Andre Williams, mais ce n’est pas le même Andre Williams. Il a une voix trop aiguë. Avec «I Thank You», elle remercie son mec, comme le fait Brenda Holloway dans «You Made Me So Very Happy».

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             Dorothy fait sa grosse mémère langoureuse sur la pochette de Feel The Love, un album pas très dense dont on retiendra trois choses, à commencer par «Be Strong Enough To Hold On». Elle y va doucement, c’est du tout cuit. Elle s’explose les trompes sur le récif de la Soul, à coups d’ouh baby. Elle s’implique énormément. Elle tape «All Night Blue» au deep gluant, au so in love with you. Elle y va, suivie par des chœurs de gospel. La troisième chose est un beau balladif, «Ain’t Nothing Changed». Très froti, en fin de compte. Elle tape aussi deux compos de George Jackson, «Seein’ You Again», où elle se plaint de le revoir, et «Talk To Me», plus diskö. Globalement, Doro se distingue par une voix à part, parfois bourrue, comme déjà dit. Avec elle, tu es chez Malaco, alors c’est assez moite, mais pas trop. Juste un peu.  

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             Son dernier album sur Malaco s’appelle More Moore et date de 1997. Elle sourit, sur la pochette, avec un petit regard en coin qui en dit long. Elle attaque au vieux groove de Malaco chargé de regrets, «You Should Have Been Good To Me». C’est la heavy Soul suprême de Malaco. Elle chante comme une reine. Fantastique présence ! Elle est niaquée jusqu’au bout des ongles. Tous les cuts de l’album font 4 minutes. Ça laisse du temps pour réfléchir. Heavy Soul toujours avec «Knee Deep In A River». Elle jette l’ancre dans le deepy deep avec des chœurs de gospel et cette fois, ça explose. Les chœurs font le power du blast. Elle renoue avec l’intensité dans «Why Is Leaving You So Hard To Do». Elle appuie sur le champignon et fait de la clameur de why. Plus loin, elle frise l’orgasme avec «Stop What You’re Doing To Me» - You’re driving me crazy baby/ I’m out of my mind - Elle y va la garce, c’est Doro, la reine de Nubie.

    Signé : Cazengler, Dorothy Mou

    Dorothy Moore. Misty Blue. Malaco Records 1976 

    Dorothy Moore. Dorothy Moore. Malaco Records 1977 

    Dorothy Moore. Once Moore With Feeling. Malaco Records 1978

    Dorothy Moore. Definitively Dorothy. Malaco Records 1979

    Dorothy Moore. Talk To Me. Malaco Records 1980

    Dorothy Moore. Time Out For Me. Volt 1988 

    Dorothy Moore. Winner. Volt 1989 

    Dorothy Moore. Feel The Love. Malaco Records 1990

    Dorothy Moore. Stay Close To Home. Malaco Records 1992   

    Dorothy Moore. More Moore. Malaco Records 199

     

    *

             Il est des choses qui vous attirent, vous ne savez pas pourquoi. Bien sûr il y a la pochette, ce taureau blanc et ce titre Myth. En plus ce morceau Dionysus, tout ce qui évoque la Grèce antique me fascine, je file sur leur bandcamp, première étrangeté : tiens ils sont turcs ! Etrange, en règle générale les Turcs ne sont pas philhellènes, quant à la photo si elle dérange toutes les idées reçues que l’on peut se faire de la société turque, elle n’est pas spécialement rock, mettons les pieds dans le plat, elle a un petit côté carrément variétoche : sont très beaux tous les deux, elle dans sa robe rouge et lui sous sa casquette et ses cheveux frisés, le look étudié de deux étudiants, enfants sages d’une bourgeoisie aisée, tout pour déplaire, n’empêche que souvent les apparences sont trompeuses, alors on écoute, on essaie de comprendre, on fouille, on cherche. Et l’on trouve.

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             Première trouvaille due à mon incompétence visuelle, ce n’est pas un taureau blanc, c’est pis puisque c’est une vache. S’éclaire ainsi le nom du groupe : Sun Q pour Suzy Queen, comme pour la Suzy Q de Dale Hawkins.

             En farfouillant un peu ils se présentent comme un groupe russe, cette dimension internationale doit avoir été choisie afin de jouir d’une plus grande liberté culturelle de création.

    MYTH

    SUN Q

    Avant d’écouter l’album afin de se mettre dans l’ambiance il convient de regarder le TEASER de présentation que vous trouverez sur le FB du groupe.

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    Attention ce n’est pas très long, je conseillerais presque de l’écouter avant de le regarder, afin de s’apercevoir que le doux fredonnement des premières images se transforme en une sorte de mélopée arabisante qui n’est pas sans rappeler le Zeppelin, l’image n’est ni noire ni blanche, plutôt d’un grisâtre évanescent, sans doute ce parti-pris d’une fluidité incontrôlable est-elle transcription de la lapidaire formule qui tente de définir le projet musical du groupe : If magical realisme was music… un mantra à lire comme un appel au réalisme magique d’un Malcolm de Chazal par exemple. Que chacun regarde et décrypte cette série de visions archétypales selon son monde intérieur, avec si possible activation de votre œil pinéal.

    Lui : Ivan Chalimov. Elle : Elena Tiron. Ils ne sont pas seuls sur cet album, si la base de l’album a été enregistré en Russie, divers musiciens et chœurs ont étoffé les premières pistes, le mixage a été réalisé en Angleterre et masterisé aux USA, un processus complexe supervisé depuis la Turquie et la Moldavie...

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    Jane Doe :  nom donnée aux Etats-Unis aux cadavres féminins dépourvus d’identité, Jane Doe Identity est aussi le titre d’un film d’horreur d’André Ovredal ) : ne vous laissez pas séduire par la beauté du chant d’Elena, ni par le magnifique boulot des musicos, surtout le batteur, à première écoute cela ressemble à un irréprochable morceau avec section de cuivres et harmonium aux mieux de leurs formes, le tout impeccablement mis en forme, pas une seconde d’ennui, rien de bien novateur dans la structure, mais envoûtant, n’y a qu’à suivre, réfléchissez avant de fermer les yeux et de céder au balancement océanique, sachez où vous allez, s’agit d’une traversée des apparences, vous risquez de reprendre pied sur le rivage d’une autre dimension dont le sable serait constitué de la cendre des morts. Children singing : quoi de plus innocent que des enfants qui chantent, l’image qui accompagnait le single sorti en avant-première( juillet 2021 ) est davantage fantomatique, la voix si douce et si pure d’Elena s’élève, elle nous conte une histoire, pas drôle, trois fois rien, ne pas trop s’arrêter au sens des mots, d’ailleurs ils s’arrêtent pour laisser place à un pesant oratorio, une batterie aussi funèbre que le crépuscule des dieux, étaient-ce d’ailleurs des enfants, ou leurs seules voix perdues dans les interstices d’un monde équivoque. Tree : grincements, morceau beaucoup plus torturé que les précédents, elle ne dit pas I’m free mais I’m tree, sachez désapprécier la différence, keyboards en larmes, voix suppliante, traversée des cycles de l’humanité au végétal, unité pythagorienne du monde, le sang se transforme en sève, le chant en rêve cauchemardesque, l’on ne peut s’empêcher de penser à Gatzo le héros d’Henri Bosco recherchant l’âme d’Hyacinthe prisonnière d’un arbre dans la forêt en flammes. Animals : vous avez dans ce morceau l’explication de la pochette, après le règne végétal, le règne animal, orphisme et chamanisme sont plus proches que l’on ne le pense communément, ici ce n’est pas le bestiaire fantastique d’Apollinaire, simplement le cheval, la vache, le chien, trois incarnations, une véritable performance vocale d’Elena, d’une farouche retenue sur un rythme balkanique endiablé. Magnifique. Dionysus : beaucoup plus heavy, l’on change de règne, l’on quitte la sphère terrestre, Dionysus est celui qui meurt pour devenir immortel, qui subit victorieusement l’œuvre au noir, l’on ne reconnaît plus la voix d’Elena, elle vous claque les syllabes à la gueule, les guitares écrasent et forgent le riff, le morceau n’est pas très long, la présence des Dieux est nuisible aux humains corrodés par la mort. I am the sun : voix célestiale, musique rayonnante, la divinité repose en la frange infrangible de sa propre présence, percussions templières, une ampleur irradiante s’empare du morceau, la voix monte haut, elle glisse comme la barque de Ré sur le flanc laiteux de la vache divine. Mythe égyptien de la déesse vache Athor, épouse et mère de Ré, qui possède aussi une face sombre, car chaque soir Ré se meurt… Still searching for the skrulls : joyeuse ballade et balade sur le chemin de la vie, douces vagues, bonheur ineffable d’être êtres charnels dans le mitant de nos existences, au zénith du partage, le ciel est si azurescent qu’il semble infini, pourtant le début ne fut pas paradisiaque et la fin ne sera pas heureuse, l’on sait déjà ce que l’on trouvera au bout du chemin. La voix d’Elena se démultiplie pour cacher la réponse. Guitare et keyboard perdent leur élan lentement comme une bougie qui s’éteint. Elizabeth Siddal : (vous ne connaissez peut-être pas Elizabeth Siddal, mais vous l’avez déjà vue sur le tableau de John Everett Millais qui la choisit pour représenter Ophélie noyée flottant sur les eaux, elle fut l’épouse de Dante Gabriel Rossetti, peintre elle-même, poëtesse, tuberculeuse, addict au laudanum, morte à l’âge de 31 ans, un personnage éminemment décadent et romantique) : retour à la case départ, l’on entrevoit le cheminement en son entier, la mort, que l’on peut assimiler au règne minéral du tombeau, l’exhaussement végétal, la floraison animale, l’asymptotique lieu du divin, puis l’île en vue des morts d’Arnold Böcklin, et maintenant le corps qui s’en va, qui glisse au fil de l’eau clapotante, imperturbable comme ce riff appuyé vite oublié, par cette vie partie mais encore si proche que la voix d’Elena essaie de rappeler, comme s’il valait encore mieux la brûlure des tourments que le rien, elle crie l’on retrouve le motif du teaser allongé d’une funèbre note finale. Crystal doors : il suffit de lire ce dernier titre pour comprendre pourquoi sur l’Instagram de Sun Q vous trouvez une photo de Jim Morrison, dans le même ordre idée vous irez lire les poèmes d’Ossip Mandelstam, d’Euripide et de Joseph Brodsky pour comprendre comment cet album prend sa source en poésie métaphysique. Musique lente et répétitive même si la batterie maintient une rythmique implacable, on n’arrête pas le voyage dans la mort, ces portes de cristal sont proches de celles de corne et d’ivoire de Gérard de Nerval, Elena se tait la musique continue son chemin inlassablement, un satellite détachée de son orbite terrestre qui se perd dans l’espace… l’aventure n’est pas terminée, nous parviennent les échos de la voix d’Elena, semblent se métamorphoser en une sorte d’apothéose mais qui peut dire ce qu’il y a derrière les vantaux transparents de ces portes…

             Très bel album.

             Avant cet opus, Sun Q a livré un EP en 2015, un album neuf titres intitulé Charms en 2018, plus deux ou trois singles isolés. You Tube propose plusieurs vidéos. Nous évoquons dans les lignes qui suivent quatre d’entre elles visibles aussi sur le site du groupe.

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    La première, très courte, est un reportage sur un concert donné en 2021 elle permet d’entrevoir Elena et Ivan (guitare) sur scène mais aussi le batteur, un bassiste et une violoniste. Le plus intéressant reste les vues du public, des étudiants vraisemblablement, des étrangers qui nous ressemblent étrangement. La deuxième : Searching for skulls, beaucoup plus intéressante, un clip qui associe images couleurs ou de ce flou grisâtre qui doit relever d’un choix esthétique, s’entremêlent des passages sur scène, des vues en studio, des feuillets d’écriture, sans oublier les lyrics en une graphie biscornue qui s’affichent très discrètement sur l’écran. Des vidéos de ce genre vous en trouvez des centaines sur YT mais celle-ci est particulièrement agréable à regarder car elle colle à l’esprit du projet, ses plans qui se succèdent donnent l’illusion qu’ils ne sont pas disposés de manière aléatoire. La troisième : Big Fish morceau tiré de leur premier EP, sur scène, très rock, basse, guitare, batterie, bien filmée en plans d’ensemble américains rapprochés, permet de voir Elena, c’est une chose d’enregistrer en studio et une autre de chanter live. Tire son épingle du jeu avec brio. La quatrième Secret Ways Live in SPB ressemble à une longue dérive de blues psychédélique, espace confiné, obscurité mauve et mouvante, public sur le chemin de la transe, Elena en sueur accrochée à son micro, prêtresse vaudou nous emmène jusqu’au bout de la nuit. Ne la regardez pas, sinon vous serez comme moi, encore un concert où vous auriez aimé être. Le temps perdu malgré ce qu’en dit Proust ne se retrouve jamais. In another place, another time comme le chante Jerry Lee Lewis…

    J’ai gardé le meilleur pour la fin, le slogan qu’ils affichent pour la sortie de leur opus :

    SUN Q IS A MYTH

             Que pourrions-nous rajouter ?

    Damie Chad.

     

    *

    Musicien, compositeur, peintre, poëte, photographe, Eric Calassou est un artiste   que nous suivons sur KR’TNT depuis plusieurs années, depuis notre première rencontre lors d’un concert Du groupe Bill Crane groupe de rock’n’roll dont il était et reste le fondateur. Cette fois-ci nous intéressons à son œuvre de plasticien. Ne vaudrait-il pas mieux substituer à cette appellation peu signifiante celle de voyant au sens rimbaldien et révélatif de ce terme ?

             Attention, le lecteur consciencieux  qui désirerait prendre connaissance de l'ouvrage en son entier se reportera à :  Photographique Fantastique Wattpad Livre couverture

    PLASTIC RESURGENCY

    ERIC CALASSOU

    ( WATTPAD ) 

    1

    HÂTIVE CONVERSATION ENTRE SHERLOCK ET WATTSON

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             Drôle d’OTPI, Objet Transmissif Parfaitement Identifié provenant de la planète Wattpad. Le titre ne dit pas grand-chose. Résurgence plastique, serait-ce une allusion écologique aux millions de tonnes de plastique jetés à la mer qui au milieu du Pacifique forment un sixième continent ? Nous ne savons pourquoi : un sixième sens nous détourne de cette hypothèse militante. Pourtant ce cloaque bourbeux noirâtre sur lequel s’inscrit le titre n’est pas sans faire penser à des résidus pétrolifères souillant et polluant la surface de nos océans…

    Soyons logique si ce n’est pas une dénonciation de nos déchets plastifiés, c’est donc une glorification. D’ailleurs ce terme de résurgence n’induirait-il pas une identification avec la résurrection du Christ ? Ne nous perdons pas dans des considérations inconsidérées. Déroulons, la première page. Que voyons-nous ? Rien, c’est tout blanc ! Normal, c’est une page blanche. Abordons la suivante.

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    Que voyons-nous ? Rien, si un trou noir ! Pas d’erreur possible c’est même écrit dessous BLACK HOLE (N° 1). Avouons que c’est troublant. Ne nous prenons pas pieds de la pensée dans le premier trou venu, déroulons le parchemin nettique en son entier, et par la suite trouvons, non pas la réponse, mais la question qui donnera sens à cette œuvre.

    Qu’avons-nous trouvé ? Une suite de 48 photographies, représentant on ne sait trop quoi, peut-être des bouts de plastiques déchirés, des lambeaux informes, de différentes couleurs. Voilà, c’est tout. Ah, si tout en bas une courte notule de trois lignes apportant quelques renseignements sur Eric Calassou.

    2

    DEUXIEME ROUND

    Nous tenons le bon bout. Si nous étions dans une nos habituelles enquêtes criminelles nous dirions que nous avons découvert le coupable.  Nous sommes en présence d’une œuvre d’Eric Calassou. Quarante-huit photographies. Plutôt quarante-huit objets photographiques. Elles ne représentent ni des gens, ni des animaux, ni des maisons, à peine si nous apercevons sur quatre ou cinq d’entre elles des rails, une bouteille, des bananes et une espèce de cadran de réveil, Eric Calassou n’est pas un reporter de la réalité.

    Ces photos ne représentent donc rien ? Ne soyons pas si péremptoires. Déjà elles se représentent elles-mêmes. Elles sont aussi le fruit d’un long travail. D’un long désir. De l’artiste. Il est des tas de programmes informatiques qui permettent de trifouiller à sa guise la moindre photographie. Nous ignorons comment il a opéré, voudrions-nous vraiment le savoir, ce qui compte c’est le résultat obtenu.

    Et si c’était du n’importe quoi ? Si notre artiste comptait sur le hasard pour bien faire ? Le problème c’est que si vous comptez sur le hasard pour parfaire votre résultat vous rendez par ce fait le hasard nécessaire. Ce n’est plus le dé qui s’arrête sur le nombre qu’il décide, c’est vous qui le stoppez dans sa course sur le chiffre qui vous semble le plus adéquat. Cette affaire est plus sérieuse qu’il n’y paraîtrait de prime abord !

    3

    TROISIEME ROUND

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             Comme disait Maurice de Scève, peut-être devrions-nous nous pencher un peu plus sérieusement sur les objets du délit, pas les quarante-huit, n’allons pas très loin, par exemple ce BLACK HOLE (N° 2). Il est indubitable que ce trou n’est pas troué. Un trou sur une surface plane ne peut pas être un trou, nous avons donc affaire à de l’art abstrait. Pas si abstrait que cela, puisque se dessine parfaitement sur la gauche supérieure un animal. Un chat, un chien, un renard. Que chacun décide selon ses propres critères.  Ce n'est pas là l’essentiel.

    Si le trou est noir, il est d’autant plus noir qu’il recèle en son fond deux étamines blanches, et moins évident que cela, toutes les formes que nous devinons ou que nous imaginons sont guidées par d’étranges effets de transparence. Pour être plus clair : noir +transparence = noir. Or nous voyons des choses, ou du moins des formes. Bref, déjà louons cet artiste qui déjoue l’opacité du noir.

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    Comme dirait l’autre, cela me soulage, essayons avec une autre couleur. Tenez ce BAD BLOOD. Du sang rouge, on en boirait, un véritable grenache pour vampires assoiffés, l’on discerne bien des formes, rehaussées par ces transparences cette-fois-ci davantage blanche, mais il est difficile de savoir à quel objet, à quelle substance pour parler comme Descartes, appartiennent ces formes.

    QUATRIEME ROUND

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             Aurions-nous plus de chance avec ce DARK VEINS (N° 3), du vert, du saumon, du jaune, et ces transparences encore plus transparentes, et toujours ces formes qui ne ressemblent à rien. Ou à elles-mêmes si vous préférez. Je préfère à rien. Ah bon ! Oui cela ouvre davantage de perspectives. Le rien n’est que l’autre côté du tout. Ce qui ne ressemble à rien ne ressemble-t-il pas à n’importe quoi ?

             Tout est question d’échelle. Nous avons tendance à retrouver ce que nous connaissons déjà. Exemple quand vous avez perdu vos clefs vous retrouvez vos clefs. Quand je suis perdu dans mon monde je retrouve donc le monde.

             Exactement. Or là vous ne le retrouvez pas, ce que vous trouvez, c’est un autre monde. Cet Eric Calassou de malheur, cet Eric Calassou de bonheur, barrez la mention inutile, vous plonge dans l’infiniment grand ou dans l’infiniment petit. Cette photo peut aussi bien être la représentation d’une aurore boréale, que les teintes d’une feuille de pommier, à ceci près que vous êtes sûr qu’ Eric Calassou n’a jamais voulu représenter le rayon vert cher à Jules Verne ou les magnificences automnales d’une feuille.

             Donc chacun y voit ce qu’il veut ? Totalement Oui et parfaitement non.

    Expliquez-vous.

    CINQUIEME ROUND

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             Prenez THE ABYSSAL FOREST N° 1, peut-être y verrez-vous les fûts élancés d’une forêt, perso il est évident que nous assistons à la rencontre de trois corbeaux. C’est mon côté abyssal. Parce que je regarde avec des yeux qui ont été éduqués par Edgar Poe.

             L’auberge espagnole, chacun apporte avec lui ce qu’il veut. Oui mais certains voient davantage que d’autres. Non, ils n’ont pas un imaginaire plus grand que les autres, c’est qu’ils se sentent autorisés à voir ce qu’ils voient. Par qui ? Mais par Eric Calassou.

             Si j’étais vous, j’aimerais que vous m’expliquiez pourquoi au début de son opus Eric Calassou nous montre un trou pour un peu plus tard nous poser devant un abysse. En plus pour les esprits distraits il l’écrit en toutes lettres sous chacune des lames idoines.

             Parce que tel est son plaisir. Un grand trou ou un petit trou n’est-ce pas toujours un trou.

    SIXIEME ROUND

             Vous oubliez que l’insignifiance a le sens de ne pas avoir de sens. Plastic Resurgency, contrairement à ce que vous insinuez n’est pas un acte aléatoire. Certes je reconnais qu’Eric Calassou brouille un peu les cartes. Il vous les étale devant vous sans rien cacher. Mais il ne les a pas mises dans l’ordre. A vous de le retrouver. Une espèce de processus alchimique. Tout dire et ne rien dévoiler. Pensez un peu à toutes ces couleurs, ne correspondraient-elles pas à quelque chose. Mais laissons cela.

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             Je préfère attirer votre attention sur le grand arcane 18. Vous parlez de THE OPENING, je consens à y voir un trou puisque vous semblez y voir un trou, serait-ce une obsession quasi-psychanalytique ? Ne serait-ce pas vous qui verrait des trous partout. The opening ne signifie pas ‘’ trou’’ mais ‘’ ouverture’’. Pensez à Rilke et à sa notion de l’Ouvert, le lieu de passage poétique par excellence.

             Voyez-vous si notre coupable, le dénommé Eric Calassou est coupable de quelque chose, ce n’est pas d’avoir au petit bonheur la chance traficoté des photographies, mais d’avoir en toute intelligence créatrice indiqué la route qui mène à la sente la plus secrète.

    Damie Chad.

     

     

    *

    Au mois de février 2018, il m’est arrivé une drôle d’aventure, je la relate dans la livraison 362, que les âmes sensibles s’abstiennent de se précipiter pour la lire, les cauchemars les plus déplorables risquent de perturber leur sommeil durant des années, je m’en souviens bien, cela s’est passé un jour où je me rendais à un concert des Jallies. Trois années, entrecoupées du carnavalesque épisode covidique, se sont écoulées avant que je ne retrouve les Jallies le 21 / 04 / 2022 à Fontainebleau. Chance, voici que les Jallies redonnent un concert au Glasgow de Fontainebleau ce jeudi 09 novembre.

    Les lecteurs s’étonneront de cette bizarre obstination à voir les Jallies. Nous les suivions depuis leur début, nous avions dû assister à une dizaine de leurs concerts moi et Alain, parfois surnommé dans nos chroniques Mister B, donc ce soir la voiture fonce vers Fontainebleau. Un trajet sans péripétie, même pas un cycliste à écraser. Ce n’est pas ce qui me rend triste. Tourne dans ma tête le joyeux souvenir de ce vieux dimanche après-midi vers quatorze heures trente lorsque le téléphone a sonné :

    _ Allo Damie ?

    _ Salut Alain !

    _ Qu’est-ce que tu fais ?

    _ Rien de spécial, et toi !

    _ Ben, comme un dimanche après-midi, calme plat. Il n’y a pas de concert ce soir ?

    _ Si, des Jallies !

    _ Tu viens me chercher, comme d’hab, huit heures à la maison !

    _ Impossible !

    _ Tu es pris ?

    _ Non, il faut partir maintenant !

    _ Ah, c’est un concert d’après-midi !

    _ Pas du tout, mais c’est à quatre cents kilomètres au fin-fond du centre de la France, dans un endroit que j’ai du mal à localiser sur la carte.

    _ Tu y vas ?

    _ Si tu viens, oui !

    _ Dans une de mi-heure je suis chez toi, l’on trouvera facilement, j’ai récupéré un GPS !

    Je ne vous raconte pas la suite de l’histoire avec ce GPS si fantaisiste que nous avons fini par remiser sur la banquette arrière à côté de Zeus. Pas le dieu de l’Olympe, ce jour-là il n’avait pas pu venir, tout simplement mon chien. Bien sûr, comme l’on est des rockers, l’on est arrivé à temps…

    C’était le bon temps, hier soir Alain n’est pas venu. Il ne viendra plus jamais voir les Jallies. Ce n’est pas qu’il ne les aime plus. C’est qu’il repose au cimetière…

    JALLIES

    (GLASGOW09 / 11 / 2023)

    FONTAINEBLEAU

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    Les filles se sont installées les premières, mais que peuvent espérer trois pauvres filles sans les garçons pour les protéger. Les voici, sans se presser, ils se saisissent doctement de leurs instruments, la cérémonie peut commencer. Difficile de raconter un concert des Jallies, les filles n’arrêtent de bouger. Comme toutes les filles elles sont interchangeables. Chacune peut faire ce que les deux autres ne sont pas en train de faire. Elles ne se disputent pas, elles se décident sur le vif, à l’instant. Un jeu délicieux. Au bout de trois secondes, elles se sont partagées les ustensiles, caisse claire, micro, guitare, cela doit leur rappeler les cours de récréation quand elles jouaient à papier, pierre, ciseaux.

    Faut être juste. Dès qu’elles ouvrent la bouche vous ne voyez plus qu’elles. Est-ce pour cela que les deux gars derrière font un boucan inimaginable. Vous scotchent contre le mur dont ils ne vous décolleront pas. A tel point que les filles ont inventé une nouvelle stratégie, quand il y en a une qui chante ses deux copines harmonisent à fond à ses côtés, un bourdonnement d’essaim d’abeilles emplit vos oreilles, alors les garçons accélèrent et les filles surenchérissent.

    Derrière ce rideau mouvant de filles vous reconnaissez Tom à son chapeau. Pour sa guitare pas de souci, elle fuse tous azimuts. Un hors-bord lancé à toute vitesse, attention les courbes sont nerveuses, le son prend sans arrêt la tangente, jamais là où il devrait être, vous trousse de ces soli zig-zag vrombissants en moins de six secondes, une féconde imagination au bout des doigts, ramène toujours un grain de sel ou de soufre là où on ne l’attend pas, un ingénieux, aussi rusé que le renard, aussi fourbe que le serpent, aussi insaisissable que le furet, aussi subtil qu’un traité d’Aristote. Mama mia ! quel guitariste ! Le guy qui sait se faire entendre, coupez-lui l’électricité et vous aurez l’idée d’une île sans trésor, d’un océan sans eau.

    Kros use de la technique dite du rhinocéros. Il ne slappe pas, il cogne. Si fort que sa contrebasse noire et tuméfiée essaie en vain d’échapper à ses ramponeaux systématiques en effectuant une volte sur elle-même, avec un tutu elle ressemblerait à une danseuse d’opéra tournoyant sans fin sur ses pointes. Dans un western il endosserait le rôle de la grosse brute sympathique à qui l’on pardonne tout, certes il vous démolit le septième de cavalerie qui s’en est venu arracher des mains des féroces séminoles qui les retiennent prisonnières les trois pauvres orphelines, aucune d’entre elles ne saurait résister à son sourire jovial, à ses cris de guerres stentoriens et à ses adresses hilarantes au public. Kros c’est l’éléphant dans le magasin de porcelaine, mais il vous dégomme les soupières et les bibelots avec une telle adresse que vous applaudissez pour l’encourager.

    Non, je ne les ai pas oubliées, j’ai gardé les trois plus belles pour la fin. Bérénice la brune, Leslie la rousse, Vanessa la blonde. C’est comme au jeu du marchand des couleurs, nommez la teinte que vous préférez, elle s’enfuira si vite que jamais vous ne la rattraperez. Elles n’accaparent pas le micro c’est le micro qui se bat pour être à toutes les trois. Bérénice au chant nerveux, Leslie aux roucoulades insidieuses, Vaness rentre-dedans et bouscule-tout. Toutes ensemble et chacune selon sa personnalité. Un point commun, la vitesse, en accélération constante, une patinoire inclinée à quarante-cinq degrés, pas étonnant qu’elles reprennent Slippin’ and Slidin’ de Little Richard, gazelles gracieuses et galopantes, insaisissables, sourires mutins et voix accrocheuses.

    Question métaphysique : est-ce du swing ou est-ce du rock ‘n’ roll ? Disons que c’est du pur Jallies. Début du deuxième set : mise au clair : cette fois-ci ce sera davantage rock’n’roll. Cela en a tout l’air. Oui mais voilà, les choses ne vont pas se passer tout à fait comme annoncées. Ce sera plus rock qye rock. D’abord un truc sympa, trois fois rien, c’est l’anniversaire de Leslie, soigneusement applaudie. Son interprétation de Funnel of love de Wanda Jackson et ses reprises de Janis Martin, ainsi que sa version de A train Kept A Rollin de Johnny Burnette ( merci pour la dédicace ) ont éveillé une sympathie certaine envers sa personne et par ricochet sur ses copines. L’atmosphère s’est magiquement transformée, prémices de la montée d’une hystérie collective.

    Tiens, Kros emmène sa contrebasse devant, nos trois grâces s’écartent pour lui laisser la place, il ne joue pas, il prend la parole, il annonce son départ, il quitte les Jallies après plusieurs années de bons et loyaux services, il a d’autres projets, un groupe punk et un autre folkly, il remercie ses camarades et le public. Ovations et applaudissements, galvanisé il interprète Hound Dog de Presley  ( oui l’on sait c’est de Big Mama…), à l’emporte-pièce, au chalumeau, au lance-flammes, z’après il rentre dans le rang et nos demoiselles prennent la relève, l’on ne sait pas, l’on ne sait plus, mais elles se mettent à swinguer vertigineusement et à rocker comme des roquettes, Bérénice hisse le grand pavois de sa voix, les danseurs s’élancent, comment dans un espace si confiné parviennent-ils à évoluer ? Ça caracole de tous côtés sans carambole. Vanessa annonce les deux derniers titres. Puis un troisième et un quatrième. Kros se permet la plus mauvaise blague du siècle, un morceau de Queen !

    C’est bien Queen mais pas n’importe laquelle, ni Mary, ni Elizabeth, la Rock’n’roll Queen d’Ady des tout premiers temps du groupe, et c’est la débandade, les filles y jettent tout leur cœur et toute leur hargne, les guys vous font un feu roulant, maintenant l’on sait que c’est parti pour ne plus s’arrêter. Le répertoire Du groupe est repris de fond en comble mais ça ne suffit pas alors en avant toute on tape dans le meilleur, un Stray Cat et Led Zeppelin, un Whole Lotta Love à la caisse claire, un swing-rock déglingué monstrueusement beau et halluciné comme l’iceberg qui s’est rué sur le Titanic. Kros nous bombarde d’un Tutti Frutti épileptique, Tom mange les cordes de sa guitare, la Vaness en pyromane avertie jette l’huile bouillante de sa voix sur le feu, l’on était parti jusqu’au petit matin, hélas les portes du pub sont ouvertes en grand et tout le monde est prié (et poussé) de descendre au plus vite les quelques marches de pierres glissantes et abruptes qui donnent accès à la rue du Coq Gris.… Il est bien connu que dans la nuit tous les cats sont gris.

    Il est pile une heure du matin et c’est l’heure pour les honnêtes citoyens de la bonne ville de Fontainebleau de s’endormir paisiblement dans leur lit douillet…

    Je n’ai pas tout conté de ce concert mirifique, une ambiance unique, une joie indescriptible et une communion extatique du groupe avec son public.

    Damie Chad.

    Post-scriptum : je sais, je ne me suis guère attardé sur nos trois merveilleuses fillettes mais bientôt je vais y être obligé. Le groupe continue, le remplaçant de Kros est même venu lui emprunter pour un morceau sa contrebasse, s’en est sorti comme un chef. Mais Vanessa m’a confié que les filles sont en train de concocter aussi une formule davantage ramassée, uniquement les trois filles sous le nom de Jallies-pocket, je vous tiens au courant, promis, juré, craché si je mens je vais en enfer. Ne me plaignez pas, l’enfer est cette partie du paradis où se retrouvent les rockers.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 553 : KR'TNT 553 : DAVID A. LESS / DOWNLINERS SECT / FLEET FOXES / SEWERGROOVES / DEOS / ERIC CALASSOU / POGO CAR CRASH CONTROL

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 553

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    05 / 05 / 2022

     

    DAVID A. LESS / DOWNLINERS SECT

    FLEET FOXES / SEWERGROOVES

    DEOS / ERIC CALASSOU

    POGO CAR CRASH CONTROL

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 553

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

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    Less is more

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             Tiens, c’est bizarre, personne n’a parlé de Memphis Mayhem: A Story Of The Music That Shook Up The World, le petit book de David A. Less. Ni Record Coll, ni Shindig!, ni Uncut, ni Vive Le Rock, ni Mojo. Personne ! C’est en écoutant l’album live d’Alex Chilton accompagné par Hi Rythm (On The Loose) qu’on a découvert son existence. What ? A Memphis Mayhem ? Rapatriement d’urgence. Pinpon pinpon les pompiers !

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             On attend un Stanley Booth ou un Robert Gordon. C’est un petit gros qui radine sa fraise. Oh il a une bonne bouille, pas de problème. Sur l’illusse, on le voit serrer la pogne de Ben Cauley. Comme ses collègues Booth et Gordon, Less se passionne pour Memphis et va trouver les gens pour les interviewer. Le seul problème, c’est que tu n’apprendras rien de plus que ce que tu sais déjà : Ben Cauley raconte comment il est le seul survivant des Bar-Kays après que l’avion d’Otis soit tombé dans le lac Monona, Howard Grimes raconte qu’il voit arriver Al Green chez lui avec une valise pleine de billets par un soir de tempête, l’exécution du Dr King au Lorraine Motel, Stax, Chips, Uncle Sam, Dan Penn, Willie Mitchell, Dickinson, ils sont tous là, il n’en manque pas un seul. Qui peut le moins peut le plus, Less is more. Comme il sait que tout a été épluché en long en large et en travers, il a opté pour un autre angle. Il s’est posé la question de savoir ce qui pouvait bien faire la spécificité du Memphis Beat, en dehors des artistes. Son petit book est le résultat de sa cogitation.  

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             Pour lui, le Memphis Beat est le résultat d’une équation qui mixte des professeurs d’école, des églises, une radio, un disquaire, quelques clubs et deux ou trois studios d’enregistrement. La mythologie de Memphis ne s’arrête pas à Elvis, Jerry Lee, Big Star, Isaac Hayes, Ann Peebles et Al Green. Elle prend racine dans le jazz et le gospel et prend forme grâce à Sun, Stax, Hi, American, Ardent, Red Hot & Blue, Poplar Tunes, Club Handy et The Plantation Inn. Une conjonction magique qu’on retrouve aussi bien sûr dans l’histoire de Londres, de Detroit, de la Nouvelle Orleans, de New York et bien sûr de Los Angeles, dont on a longuement parlé la semaine dernière. Et comme tous ces endroits, Memphis a sa spécificité et c’est d’elle dont nous parle l’ami Less.

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             Less situe en partie les racines du Memphis beat dans les quartiers noirs et bien sûr les écoles noires. Dans l’entre-deux guerres, la ségrégation règne à Memphis, on ne mélange pas les torchons avec les serviettes. Ça convient très bien aux Blacks qui n’ont pas à fréquenter les petits blancs dégénérés. Ils jouent de la musique entre eux. Lee pense que les Bar-Kays représentent la fin de cette tradition d’orchestres noirs des quartiers noirs, souvent en concurrence sur des bases non pas de jalousie haineuse comme chez les blancs, mais d’excellence artistique. Less cite l’exemple de la rivalité qui existe entre Dub Jenkins & His Playmates et The Chickasaw Syncopators qui représentent deux écoles noires, Manassas et Booker T. Washington (attention, rien à voir avec le Booker T. des MGs). Tout vient de là, de ces deux écoles. ET des professeurs de musique, qui y jouent le rôle qu’ont joué les fameux professeurs de piano dans les quartier pauvres de la Nouvelle Orleans. Ce sont les mêmes vieux crabes qui repèrent des talents et qui forment les gosses pour qu’ils deviennent des pros. Lee rencontre le vieux Dub Jenkins, un saxophoniste vétéran de toutes les guerres. Ne perdons pas de vue que les gens de cette génération viennent du jazz. OU du gospel. Une fois formés, les jeunes blacks vont faire carrière à New York, qui est alors, dans les années 40, la capitale mondiale du jazz. Less cite l’exemple de Jimmie Lunceford. L’un des personnages clés de la scène de Memphis, Floyd Newman, a fait ses études à Booker T. Washington. Newman donnera ensuite sa chance à Isaac Hayes. Andrew Love qui va faire partie des mythiques Memphis Horns vient lui aussi de Booker T. Washington. Less nous rappelle au passage qu’Andrew Love joue sur 83 disques d’or. Ça veut dire ce que ça veut dire. Les Memphis Horns jouaient pour tout le monde à Memphis, pour Stax, bien sûr, mais aussi pour Chips chez American et Willie Mitchell chez Hi.

             Less est allé jusqu’à retrouver les noms des fameux professeurs, le plus important étant selon lui Professor McDaniel à Manassas, auquel succédera Matt Garett. Parmi les élèves les plus illustres sortis des pattes de ces professeurs, Less cite Booker T. Jones, Maurice White qu’on va retrouver dans Earth Wind & Fire et bien sûr l’immense Isaac Hayes.

             Après les écoles, Less attaque les clubs et nous raconte que des gamins blancs comme Mose Allison ou Steve Cropper traînaient dans les parages du Club Handy sur Beale Street. Ils écoutaient la musique de l’extérieur, car bien sûr, ils n’avaient pas le droit d’entrer.

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             Côté blanc, il se passe en gros la même chose que dans les quartiers noirs. Cropper, Duck Dunn et Don Nix font connaissance à Sherwood Elementary, où ils sont scolarisés. Ils commencent à jouer ensemble en 1955, l’année où Uncle Sam vend le contrat d’Elvis à RCA. Les trois blanc-becs vont former les Mar-Keys avec un autre gosse qui se débrouille bien avec sa guitare, Charlie Freeman, qu’on va retrouver plus tard dans les Dixie Flyers. Un jour, un autre gamin vient trouver Cropper pour lui dire qu’il aimerait bien jouer dans son groupe. Cropper lui répond qu’il ne cherche personne en particulier. Cropper lui demande toutefois de quel instrument il joue. L’autre dit qu’il joue du saxophone. Alors Cropper lui dit qu’il n’a pas besoin d’un joueur de sax. Il lui demande toutefois depuis combien de temps il en joue. L’autre répond trois mois. Et il ajoute aussi sec que son oncle et sa mère ont un studio d’enregistrement. Cropper tend l’oreille. Hein ? Quoi ? Le joueur de sax s’appelle Packy Axton, le fils de Miz Axton. Comme le studio intéresse Cropper, il engage aussitôt Packy. Bon prince, et même assez débonnaire, Cropper ajoute : «But man, he turned out to be one of the best saxophone players for soul and feel.»

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             Cropper revient aussi sur l’histoire de «Last Night», le premier hit des Mar-Kays qu’on attribue à Chips. Selon lui, c’est l’organiste Jerry Lee Smoochy Smith qui a amené le riff en studio. Less ajoute que le crédit comprend cinq noms : Packy, Chips, Smoochy et deux vétérans du Plantation Inn, Floyd Newman et Gilbert Caples. «Last Night» sera le premier hit de Stax et le mètre-étalon, avec «Green Onions», du Memphis Beat.

             Un Memphis Beat que Less tente d’expliquer, au plan technique. Certains musiciens jouent on top of the beat, c’est-à-dire sur le beat. D’autres jouent un peu en retard, later on the beat. Charlie Watts avait remarqué que les Stones jouaient légèrement later on the beat. La zone de confort pour les musiciens s’appelle the pocket. Selon Less, les musiciens noirs de Memphis trouvent leur pocket later on the beat. Less cite d’autres exemples, notamment «Twist & Shout», que les Beatles jouent on the beat et les Isley Brothers further back and relaxed. Avec «Walking The Dog», les Stones sont behind the beat. Selon Less, la version de Rufus Thomas est la parfaite illustration du Memphis Beat. Les MGs le jouent encore plus behind the beat que n’osaient le faire les Stones. On dit qu’Al Jackson rattrapait miraculeusement les cuts qui menaçaient de s’écrouler dans le chaos, notamment l’«In The Midnight Hour» de Wilson Pickett. Less cite encore l’exemple d’Abbey Road, l’album des Beatles que les MGs ont repris. Ils jouent «Come Together» laid back in the beat alors que les Beatles le jouent on top of the beat. C’est une notion qui a l’air cucul comme ça, mais qui est essentielle. Ça se joue au centième de seconde, seuls les musiciens sentent la différence. Tu es dessus ou tu n’es pas dessus. Si tu apprends à jouer un riff de Soul sur une basse avec un pro, il va t’écouter le jouer pendant une heure. Il fera non de la tête jusqu’au moment où tu sauras le jouer correctement. Et à ce moment-là, tu comprendras ce que veut dire savoir jouer un riff de basse just behind the beat. Il faut te le figurer et là tu sauras le jouer.

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             Less évoque les musiciens de jazz, mais aussi les vieux bluesmen noirs comme Gus Cannon. C’est Dickinson qui raconte l’histoire de Gus à Less. Gus bosse comme jardinier pour un patron blanc. Quand Gus dit qu’il a dans le passé enregistré des disques pour RCA, le patron blanc lui répond : «Yeah Gus, sure. Cut the grass.» Dickinson avoue avoir vu chez Gus, encadré au mur, un certificat BMI pour «Walk Right In» vendu à un million d’exemplaires. Less ne parle pas beaucoup de Dickinson dans son book, c’est dommage. On est surtout là pour ça. Mais on grapille quand même des petites infos, notamment le fait que Dickinson entretenait une relation cordiale avec Lenny Waronker, le président de Warner Bros. On apprend aussi que le nom de Mud Boy & The Neutrons est une fantaisie inventée par Ry Cooder dans le cours d’une conversation, et l’entendant, Dickinson lui demande s’il peut l’utiliser. La statuette qu’on voit sur le premier album de Mud Boy est une œuvre de John McIntire réalisée avec de l’argile extraite du fleuve Mississippi. Less nous dit ce qu’on sait déjà de Mud Boy, que l’album est sorti en France sur New Rose (merci New Rose) et que le groupe s’est arrêté avec la mort violente de Lee Baker.

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             Avec les écoles noires, l’autre racine du Memphis Beat c’est bien sûr l’église et le gospel. Less évoque des grands bluesmen devenus révérends, comme Robert Wilkins ou encore Gary Davis. Et bien sûr Al Green qui ouvre à Memphis son fameux Full Gospel Tabernacle Church. Less remonte jusqu’à la formation du COGIC (Church Of God In Christ) en 1907 et indique que Sister Rosetta Tharpe en fit partie. Less la cite car elle est née à Cotton Plant, à 100 bornes de Memphis et à 19 ans, elle épouse le pasteur Thomas Tharpe. C’est elle qui révolutionne le son du gospel avec sa guitare électrique et sa disto. C’est elle qui ramène le gospel dans les salles de spectacles et qui impressionne Elvis, Little Richard, Jerry Lee et Cash.

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             Quand Less interviewe Jack Clement qui comme chacun sait bossa pas mal pour Uncle Sam, il lui pose une drôle de question : «Savez-vous quand Sam est devenu fou ?». Oui, Jack sait. Il indique que c’est arrivé après sa dépression et les électrochocs. Less trouve la réponse pertinente, car, dit-il, il fallait être fou pour inventer le rock’n’roll. Ça tombe sous le sens. Inventé par un fou, le rock’n’roll allait donc rendre les gens complètement fous. Il s’amuse bien, notre pépère Less. Un vrai boute-en-train. Il serait même capable de nous sortir des bonnes blagues, du style «Sais-tu ce qui sépare l’homme du singe ?».

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             Après les écoles noires et le gospel, il attaque la radio avec un autre personnage clé, Daddy-O-Dewey Phillips et son fameux Red Hot & Blue radio show qui a lancé Elvis. Less indique que le show de Daddy-O-Dewey n’était pas seulement sur les ondes, il était aussi dans le studio, car ses admirateurs venaient le voir faire le clown derrière sa vitre. C’est lui qui a fait découvrir le blues et le rhythm & blues à toute une génération de Memphis kids. À cette époque, Ahmet Ertegun et Jerry Wexler faisaient la tournée des radio-DJs pour placer les singles Atlantic. Ahmet Ertegun : «On faisait la tournée. À l’époque, il n’y avait pas trop de disc jockeys, un ou deux dans chaque ville, à raison de deux ou trois villes par état. Alors vous faites le voyage. Vous apportez les disques à ces gens-là. » Ils débarquent donc dans le studio de Daddy-O-Dewey qui les fait asseoir et qui déclare en direct : «Je reçois à l’instant un couple de voleurs de disques originaires de New York. Ils ne savent pas que Leonard Chess est passé la semaine dernière et qu’il a tout barboté.» Ahmet demande alors si Leonard a déjà chanté au micro l’une des chansons qu’il vend sur Chess. Daddy-O-Dewey dit que non. Alors Ahmet lui dit qu’à la différence de Leonard le renard, il connaît toutes les chansons qui sortent sur Atlantic et qu’il pourrait les chanter. Et qu’il peut aussi chanter l’une des chansons de Leonard. Ah bon ? Et pouf, il chante «Hoochie Coochie Man». Daddy-O-Dewey est plié de rire. Il en tombe de sa chaise nous dit Less qui nous fait assister à cette rencontre qui est celle de deux titans de l’histoire du rock. Comme Daddy-O-Dewey devient une sommité, on lui propose d’animer un show télé, Pop Shop. Il a pour co-animateur un étudiant en art nommé Harry Fritzius qui se balade dans le studio avec un masque de gorille. L’émission dégénère si vite qu’elle est supprimée. 

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             Et puis voilà le disquaire, le fameux Poplar Tunes de Joe Cuoghi et John Novarese, tous deux issus de la petite communauté ritale de Memphis. Cuoghi commence par vouloir faire le commerce de bananes, mais quand il reçoit son premier container de bananes et qu’il l’ouvre, des milliers de tarentules s’en échappent. Alors il laisse tomber les bananes pour se lancer dans la vente de disques. Ça s’appelle Poplar Tunes parce que le magaze, comme dirait Laurent, est situé sur Poplar Avenue. Poplar Tunes va tenir 75 ans, bien après que les poètes Cuoghi et Novarese aient disparu. Dans les années 50, ces mecs-là inventent le métier de disquaire. Après la fermeture du magaze, ils organisent des soirées spéciales avec Daddy-O-Dewey, Bob Neal, Sam Phillips et des gens de passage comme Ahmet Ertegun et Jerry Wexler. Elvis vient tous les jours chez Poplar, au moment de sa pause repas du midi, pour écouter des disques. C’est là qu’il fréquente Bob Neal qui sera son premier manager. Cuoghi et Novarese embauchent Frank Berretta pour tenir le magaze, alors ils peuvent se consacrer au développement de leur petit biz. Ils commencent par s’associer avec un gros distributeur de juke-boxes, ce qui est pour eux le meilleur moyen de placer des disques. En 1957, ils démarrent un label, Hi, avec des mecs qui ont traîné chez Sun, Homer Ray Harris, Quinton Claunch et Bill Cantrell. Au même moment, Lester Bihari, l’un des quatre Bihari Brothers, s’installe à Memphis pour lancer Meteor. Et un employé de banque amateur de country lance Satellite Records. C’est Jim Stewart et Satellite va devenir Stax.

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             Cuoghi et ses trois associés montent Hi pour lancer un certain Carl McVoy. Quand les Beatles débarquent aux États-Unis en 1964 pour leur première tournée, ils demandent que le Bill Black Combo joue en première partie. Mais Bill Black n’est plus dans le groupe à cause du pet au casque qui va l’emporter l’année suivante. Reggie Young fait partie du Combo et il aura la chance de fréquenter John, Paul, George and Ringo. Young dit que sur scène, le Combo était bombardé de détritus par la foule qui ne voulait pas d’eux. Eh oui, le Bill Black Combo jouait une série d’instrumentaux. Ils servaient ensuite de backing-band aux Righteous Brothers, à Jackie DeShannon et aux Exciters. Les Beatles arrivaient après. Comme Satellite et Sun, Hi était un label destiné à promouvoir des artistes blancs et du rock’n’roll. C’est Packy Axton qui ramène des blackos chez Satellite qui devient Stax, et de son côté, Uncle Sam avait compris qu’il n’irait nulle part avec les blackos et qu’il lui fallait des blancs qui chantent comme des noirs.

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             C’est après la disparition de Cuoghi en 1970 qu’Hi va devenir un label de Soul. Ray Harris démissionne de sa fonction de président et vend ses parts d’Hi à Willie Mitchell. L’avocat Nick Pesce devient président et Willie vice-président. Willie commence à orienter le label vers la Soul. Ce trompettiste/arrangeur est depuis longtemps le leader d’une big band célèbre dans la région. En 1964, il a commencé à former Teenie Hodges qui vient d’une famille de 11 enfants, dont trois paires de jumeaux. Comme Reggie Young et Bobby Emmons qui bossaient pour Hi se sont fâchés à cause d’un problème de fric et sont partis bosser avec Chips chez American, Willie  met en place le house-band de ses rêves avec les trois frères Hodges, les batteurs Howard Grimes et Al Jackon et son gendre Archie Turner aux keyboards. 

             Et puis le Memphis Beat va s’écrouler comme un château de cartes. Stax est coulé par les fucking banquiers en 1975, Hi est vendu à Cream Records en 1977 et Chips ferme American à Memphis pour aller tenter le diable à Atlanta.

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             Less termine sa tournée des popotes avec le studio Ardent et John Fry. Le premier studio Ardent est sur National Street. Dickinson et Terry Manning bossent alors pour Fry. En 1971, John Fry ouvre un Ardent plus moderne sur Madison Avenue. Il bosse énormément pour Stax qui est alors submergé et reçoit des clients de prestige comme Led Zep, Zizi Top, Tonton Leon, Cheap Trick qui a toujours la trique et Journey. Less sort son mouchoir pour nous rappeler que John Fry a cassé sa pipe en bois en 2014, mais apparemment, sa femme Betty Fry a pris la relève.

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             En guise de cerise sur le gâtö, Less nous sert Tav et ses Unapproachable Panther Burns. Visiblement il adore cette histoire de paysans du Mississippi qui en eurent marre de voir une panthère noire bouffer leur bétail et qui réussirent à la coincer dans un champ de canne à sucre. Ils mirent le feu et on entendit les hurlements de la panthère brûlée vive. Less dit que ses cris étaient nerve-racking, c’est-à-dire éprouvants pour les nerfs, comme l’est - c’est Less qui le dit, pas nous - la musique de Tav Falco - Panther Burns shows were often nerve-racking - Pour apporter de l’eau à son petit moulin, Less explique que Tav recrutait des gens qui ne savaient pas jouer de leur instrument et qui n’avaient aucune aspiration commerciale. Le seul qui savait jouer dans les Panther Burns, c’est Alex Chilton, qui lui était encore plus fasciné par le suicide commercial, tellement les pratiques du music biz l’écœuraient. Hilare, Less ajoute que Tav grattait une gratte horribly out of tune. On sait aussi pour l’avoir vu maintes fois scène que Tav adore chanter faux, surtout «Goldfinger». Mais c’est ce qui fait son charme, n’est-il pas vrai ? En tous les cas, merci à David Less de nous avoir emmenés faire un tour à Memphis et de finir avec un invité aussi attachant que Tav Falco. Au lieu de regarder des conneries à la télé, lisez son livre. Ça ne vous prendra que quelques heures.

    Signé : Cazengler, David lèche (cul)

    David A. Less. Memphis Mayhem: A Story Of The Music That Shook Up The World. ECW Press 2020

     

    Sect shop

     

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             C’est en octobre 2004 qu’on les vit à Paris pour la dernière fois. Ils jouaient à la Maroquiqui et comme on était en avance, on les vit arriver au bar du restau, en haut.

             Don Craine et Keith Grant en chair et en os ! Cheveux blancs, mais pas chauves. Quelle prestance ! On reconnaissait immédiatement les rockers anglais, même ceux du troisième âge. Don Craine était haut comme trois pommes. Il n’avait pas l’air d’être un mec facile. Mais celui qui dégageait le plus, c’était bien sûr Keith Grant, le grand bassman à tête de Lord Anglais. On ne voyait que lui, sur les pochettes des Downliners Sect, avec son air empreint d’un ennui distingué. Il avait les cheveux blancs comme neige et coupés en épis comme ceux du Rod The Mod de la grande époque. Vraiment ce qu’on appelle une gueule. Il portait un jean noir clouté comme celui d’un bandito mexicano et des chaînes brillaient sur ses grosses boots noires. Tout en lui n’était que luxe, calme et rock’n’roll. Il était resté dans le bain, aucun doute là-dessus. Pur nock’n’roll animal.

             Sur scène, ce fut malheureusement une autre histoire. Du cousu de fil blanc. Tous les classiques du r’n’b y passaient. Keith Grant monopolisait le micro. Don Craine ne chantait que très rarement et grattait ses poux avec un conformisme sidérant. Rien n’échappait à l’ornière des douze mesures. Keith Grant jouait un bassmatic très caoutchouteux, la main posée à plat sur les quatre cordes. Ils tapèrent pourtant une fantastique version de «Little Egypt», mais la salle se vidait. Les papys n’arrivaient pas à stopper l’hémorragie. En l’espace de deux ou trois morceaux, la salle s’était vidée. Les Downliners jouèrent le tout pour le tout en envoyant la reprise d’un morceau qu’aucun groupe de rock n’avait jamais osé reprendre, le fameux «Hey Hey Hey Hey» de Little Richard, l’un des brûlots explosifs qu’il enregistra en 1958 sur Specialty. Keith Grant le prit au chant avec une merveilleuse aisance et traîna héroïquement ses vieux companeros vers le sommet de l’Olympe.

             Ce soir-là, les Downliners ont fini leur show devant une poignée d’inconditionnels, avec un tel professionnalisme enragé que les bras nous en catacombaient.    

             On ressort ces vieux souvenirs pour rendre un dernier hommage à Don Craine qui vient de casser sa vieille pipe en bois. Après la fin des Downliners et des Pretties, on peut dire qu’il ne reste plus grand-chose. Ainsi va la vie. Tu nais, tu vis et tu meurs. Les Downliners ont en plus rayonné.      

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             S’il est un groupe culte en Angleterre, c’est bien Downliners Sect. Don Craine a trouvé le nom sur un B-side de Jerry Lee. Ils naviguaient exactement au même niveau que les Pretties. Mêmes influences : Bo Diddley et Jimmy Reed ! Il suffit d’écouter leur explosif premier album, The Sect, paru en 1964. Don Craine y porte déjà le headcoat qui va faire sa légende et que portera dix ans plus tard Wild Billy Childish en guise d’hommage. Dès «Hurt By Love», on est embarqué dans le meilleur gaga sixties, le plus raw qui soit avec celui des Pretties - I say yeah yeah - Pur jus de gaga râpeux de gruyère râpé de rat d’égout. Puis Keith Grant nasille «One Ugly Child» et invente le gaga de nez gras. Plus loin, on tombe sur une bombe nommée «Our Little Rendezvous». Keith le wild cat y fait un numéro sauvage et pulse à fond son bassmatic, alors que Terry Gibson tape un solo rusé comme un renard. Ils font aussi une version parfaitement sauvage de «Too Much Monkey Business». Chez les Downliners, on sait jerker le shake, baby. Ces mecs ont le génie du son. Ils terminent cette face effarante avec un appel à la secte, «Sect Appeal», magnifique clin d’œil à Bo, l’apanage du Bo punk. Rien d’aussi sauvage dans l’histoire du rock ric et rac ! Ils vont à la B comme d’autres vont aux putes et tapent un «Baby What’s On Your Mind» emprunté à Jimmy Reed. C’est admirable de yeah-yeah-yeahterie. Puis Keith mène le bal des «Cops & Robbers» du grand Bo. Plus loin ils re-dépassent le bornes avec «Bloodhound» - I’m a bloodhound baby and I won’t give up - Fantastique dégelée de punkitude ! Retour à la sauvagerie avec «I Wanna Put A Tiger In Your Tank», pur jus de gaga noyé d’harmo et véritable apanage du chant de nez. Voilà le grand bristish beat ! Ils referment ce fumant chapitre avec un «Be A Sect Maniac» à la Bo.

             Charly a réédité cet album dans les années 70 en rajoutant «Little Egypt» sur l’A.      

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              Par contre, leur second album fut une déception. Paru l’année suivante, The Country Sect portait bien son nom, car nos amis y proposaient une curieuse série d’hillbilly songs. S’ils cherchaient à dérouter l’auditoire, c’était réussi. Bravo ! En plein dans le mille ! Don Craine y chantait deux ou trois balladifs kitschy d’une voix de stentor gominé. «I Got Mine» fut choisi comme single and it promptly sank like a stone, comme le dit si bien Mike Stax dans Ugly Things

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             The Rock Sect’s In paru en 1966 est l’un des albums classiques du grand gaga britannique. Il faut les voir taper dans l’«Hey Hey Hey Hey» de Little Richard ! Ah les brutes, ils osent ! C’est joué à l’élastique du British beat, comme à la Maroquiqui. Ils en font même autre chose. «Outside» est un joli shoot de wild gaga digne des Pretties et on passe aux choses extrêmement sérieuses avec un «Comin’ Here Baby» effarant de prescience garagiste, on a là le pur esprit de cave sixties, avec un break au centre, une idée que vont repomper les Deviants. L’autre bombe de l’album s’appelle «Why Don’t You Smile Now». Ils font du Lou Reed avant le Velvet. C’est du pur jus de gaga psyché infesté de fuzz rampante. Toute l’esprit de la Sect se concentre dans ce cut malade. S’ensuit un «Don’t Lie To Me» franchement digne des Pretties. Une dernière bombe pour finir : «I’m Looking For A Woman». C’est du Bo bardé de reverb. L’essence du son emporte les langueurs monotones et Keith Grant fait un véritable festival avec sa basse.  

             Fin de la première époque. Les Downliners vont resurgir dix ans plus tard pour un nouvel épisode.

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             Showbiz paraît en 1979. L’album sonne comme un disque de pub-rock. On y trouve du boogie rock anglais bien sonné («Let’s Ride»), du rock seventies («Break Up», le wild gaga est parti faire un tour à la campagne), du rock joué à la cloche, comme chez Atomic Rooster («Out Of School»), et du vrai pub-rock à l’ancienne («Play My Guitar»). On trouve de l’autre côté une petite merveille nostalgique, «Richmond Rhythm & Blues» - Take a trip to the Station Hotel with me baby - C’est chauffé à l’harmo et assez fulgurant.

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             Paru en 1991, The Birth Of Suave pourrait bien être l’un des grands disques classiques du British beat, au moins pour quatre raisons. Un, «Everything I’ve Got To Give» qui est du pur jus de gaga avantageux, relancé à chaque coin de rue. Deux, «Outisde» - You left me outside ! - pièce unique de wild gaga. Trois, «One Ugly Child» avec son admirable chant de nez de petite frappe, vraiment digne des Pretties et vrillé d’un solo de fuzz. Quatre, «Sect Appeal», joué au Diddley beat parfait, yeah avec ses gros glissés de basse et sa monstrueuse présence. On peut ajouter une cinquième raison, qui est la raison d’état, celle de la fuzz, avec en B «Why You Don’t Smile Now», absolument noyé de fuzz, spectaculaire de putréfaction garagiste. Arrrgghhh ! Ils finissent avec le «What’s Wrong» de Jimmy Reed et ils l’explosent. Ils jouent comme des sales petites frappes invétérées.

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             La même année paraît Savage Return. On y trouve un «Piccadily Run» digne de Bo, explosif et solide à la fois, prodigieux clin d’œil à Saint-Bo. Ah ces Anglais, comme ils ont pu idolâtrer Bo Diddley ! Le cut mythique de l’album s’appelle «Eel Pie Memories», Keith Grant évoque les bons souvenirs et les black boots - Sounds looking good - Venant de la Sect, c’est une offrande suprême - Music in the trees - Ils font aussi une version spectaculairement bonne de «Down The Road Apiece». Keith cherche à imiter Chuck, en chantant ça sous le boisseau. On retrouve du beau monde sur «Bad Penny» : Eddie Phillips (Creation) et Jim McCarty (Yardbirds). Ils font de la pure Stonesy, avec des chœurs de vainqueurs. Et quand Eddie Phillips part en solo, il redevient le plus grand guitariste d’Angleterre. Tout le reste de l’album est solide, bien foutu, du son, rien que du son. On en boufferait à s’en faire péter la panse. Ils tapent aussi dans le meilleur gaga d’Angleterre avec un «Talking About You» bien sonné des cloches. Matthew Fisher joue du piano sur la reprise de «Bye Bye Johnny» : rien de neuf sous le soleil de Papa Satan.

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             Showbiz paraît en 1998. Sur la pochette, on voit nos amis de la Sect entassés sur un side-car. Ils font un «Wild Time» presque glammy dans l’approche. On sent que nos amis s’amusent bien. Mais on sent aussi les pros. L’affaire se corse avec «Mismanagement», plus punky et même visité par un killer solo. C’est admirable de sectarisme et digne des Vibrators. On retrouve l’excellent «Richmond Rhythm & Blues» - Take a trip to the Station Hotel with me/ The Rolling Stones they’re gonna burn the house - Fantastique énergie ! On a le même genre de densité que chez Third World War, et leur inventivité passe par du boogie carnassier. Il tapent plus loin «Showbiz» à la cocote punk et c’est plombé au stomp de beat sectaire. Encore un cut solide truffé de solos. Oh ils font un break énorme et on voit la machine repartir au cocotage des enfers. Nous voilà aux confins de Motörhead. La frénésie règne et ça repart inlassablement. On a là une vraie dynamique de vainqueurs. Ils jouent plus loin «Out Of School» à la cloche de glam. Ils sont d’une incroyable véracité véracitaire, et ça suit à l’harmo, c’mon ! Quand on commence à écouter «Playing My Guitar», on ne se méfie pas, car ça sonne un peu comme «Johnny B. Goode». Mais Keith Grant joue ses gammes avec la lancinance d’un bagnard et ça tourne à l’énormité - My guitar/ My guitar ! - Keith Grant sait chanter un hit, on le sait depuis des lustres. Les Downliners nous sortent là un autre punk-rock à la Vibrators, incroyablement bien foutu !        

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             Que dire de Dangerous Ground sinon que c’est encore un disque énorme ? En plus, l’ami Art Wood a peint la pochette. Les Downliners proposent pas moins de cinq bombes sur ce disque, à commencer par «Keep On Rocking», une énormité cavalante. On sent les Anglais bien formés à Richmond. Ils sonnent comme les Pirates. Voilà ce qu’on appeler a high octane blend of r’n’b.  Ils rendent hommage à Bo avec «Escape From Hong Kong» et «In The Pit». Puis on tombe sur la bombe suivante qui est en fait le morceau titre, un gaga-cut bien plié au bombast d’ambiance rampante. S’ensuit une autre bombe intitulée «Lucy’s Bar Room». Del Dwyer fait un véritable festival, il chauffe le cut à blanc. Il arrose cette somptueuse rythmique de guitar licks éclatants. Encore deux belles bombes pour finir : «Quicksand» et «Deamon Lover». «Quicksand» pourrait sortir du Crusade de Mayall. Les Downliners vont chercher le guttural pour honorer ce boogie blues d’excellence définitive. Tu vas aussi te régaler de «Deamon Lover», fantastique shoot de rocky road pulsé au beat anglais et plein de son. Pur jus de rave-up. Ces mecs ont du génie.

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             Certains veinards auront réussi à mettre la grappin sur l’album des F.U.2. (Fuck You Too) intitulé Punk Rock. On retrouve nos amis Don Craine et Keith Grant sur la pochette, en compagnie du batteur policier Stewart Copeland, de deux autres mecs et d’une épingle à nourrice. L’album est surprenant de qualité et on pense encore aux Vibrators. Ils tapent «Playing My Guitar» qu’on va retrouver sur Showwbiz et comme on sait à qui on a affaire, un cut comme «Tax Exile» prend tout de suite du relief. Ils traînent avec eux des vieux restes de british beat et on entend même un harmo. Pure merveille que ce «Manic Depression» monté sur le riff du «Really Got Me» de Dave Davies. Ils ressortent les vieilles recettes miracles. Ils font du sixties punk, ce qu’ils ont toujours fait, d’ailleurs - Drop your dress/ Show your Breasts/ Change your adress - La B est encore plus sauvage. Ils tapent «Stars In The Streets» au gaga-maxima - Looking for trouble - Ils retournent le punk à leur avantage. Il faut entendre ce «Move Around» joué au tambourin. C’est quasiment stompé et magnifique de santé sectaire. Rien à voir avec le mauvais punk anglais. Keith Grant fait une belle intro de basse pour «Rock Club (Down The Roxy)» et ils partent aux échanges de voix, comme les Buzzcocks de Spiral - Yeah I’m going over there/ Do you wanna dance/ Do you wanna dance - Ils jouent à la cloche le fantastique «Out Of School», un cut qu’on va aussi retrouver sur Showbiz. Ils terminent avec «Fuck You Too», une magnifique fin de non recevoir.

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             Be A Sect Maniac est une très belle compile. On profite d’ailleurs de la photo qui orne la pochette de leur quatrième album paru en Suède, Downliners Sect. On y voit Ketih Grant porter l’un de ces incroyables taille-basse à carreaux qu’on portait alors. Pas mal de déchets sur cette compile, mais on se régale de «Baby What’s Wrong», avec son gros son de cave saturé de basse et amené à la violence gaga maximaliste. C’est le son des Pretties, mais chanté à la dépouillarde dégénérée. Ils swinguent ça à l’ancienne avec du poil à gratter dans le chant. Une autre merveille se niche de l’autre côté : «Glendora». C’est le gaga des primates, et des filles font les chœurs. C’est épais et salement bien produit à l’écho du temps. La perle se trouve au bout de la B : c’est le reprise de «Roll Over Beethoven». Ils en font un cut punk monté sur une basse en dominantes haletantes. Pur génie.

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             Le maxi The Sect Sing Sick Songs offre un intérêt purement anecdotique, car Don Craine et Keith Grant optent pour la parodie, avec notamment «Leader Of The Sect» - Is she really going out with the leader of the sect ?/ I don’t know already - Il faut souvenir que l’humour de la Sect est ravageur. Et dans «Midnight Hour», on entend un solo de piano magique.

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             Par contre, le maxi Burning Snow édité sur un petit label espagnol n’a rien d’anecdotique, ne serait-ce que parce que Mike Stax rédige des liner notes. Il a raison de le redire : on parle de Jagger/Richards, de May/Taylor, il faut aussi parler de Grant/Craine ! Ce maxi est un enregistrement live qui explose avec «Before You Accuse Me». Quel fantastique hommage à Bo ! Keith Grant joue sa bassline bien devant. Oh la perfe ! Il swingue comme un dieu du rock anglais - Before you accuse me/ Take a look at yourself - Ils tapent ensuite dans Jimmy Reed avec «Baby What’s Wrong». C’est leur son, c’est le son du pur British Beat dans tout son éclat. De l’autre côté, Keith Grant chante «I’m A Lover Not A Fighter» à la pure méchanceté. Il sait encore jiver un vieux classique. Ils tapent aussi dans «Dust My Broom». On a là une vraie version de rêve gorgée de jus, d’incidence, de rage gaga et e puissance motrice. S’ensuit un «One Ugly Child» glorieux et vainqueur. Les Downliners sont de fatidiques blasteurs de vieux beat anglais. Ils terminent avec Bo et un «Nursery Rhymes» noyé de slide. La bassline roule sous la peau du beat tendu vers l’avenir. C’est hélas ruiné par un solo de batterie. Mais bien sûr, on leur pardonne cette faute de goût.

    Signé : Cazengler, Saucisson Sect

    Don Craine. Disparu le 24 février 2022

    Downliners Sect. The Sect. Columbia 1964       

    Downliners Sect. The Country Sect. Columbia 1965

    Downliners Sect. The Rock Sect’s In. Columbia 1966       

    F.U.2. Punk Rock. Les Tréteaux International 1977

    Downliners Sect. Showbiz. Sky Records 1979

    Downliners Sect. The Birth of Suave. Hangman Records 1991

    Downliners Sect. Savage Return. Promised Land 1991

    Downliners Sect. Showbiz. Indigo Recordings 1998       

    Downliners Sect. Dangerous Ground. SteadyBoy Records 2011

    Downliners Sect. Be A Sect Maniac. Line Records 1982

    Downliners Sect. The Sect Sing Sick Songs. Line Records 1983

    Downliners Sect. Burning Snow. Penniman Records 2000

     

     

     L’avenir du rock - Foxes on the run

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             Tous les ans, l’avenir du rock envoie un chèque à la Société Protectrice des Animaux. Il signe de son nom et mentionne au dos, de sa belle écriture violette : de la part d’un bienfaiteur. Aussi loin qu’il s’en souvienne, l’avenir du rock a toujours adoré les animaux, il fut un temps où il chantait «Call Me Animal» chaque matin sous la douche. Il porte encore ce collier de chien qui remonte à son adolescence, son vieux côté Wanna Be Your Dog. Ouaf ouaf ! Son animal préféré ? Sans doute le singe. Il adore se gratter les puces et manger des bananes en l’honneur de «Monkey’s Gone To Heaven» ou du fringuant «Monkey Man» des Stones. Ah il adore aussi imiter les oies lorsqu’il marche dans la rue, cot cot cot, en mémoire de Mitch Ryder et de son fameux «Long Neck Goose». Mais ce qu’il adore par-dessus tout, c’est montrer sa petite queue de rat à ses fiancées en chantant le vieux «Rat Crawl» de Third World War. L’avenir du rock est un sacré boute-en-train. Il lui arrive aussi de grimper dans un arbre pour aller y croasser, non pas en hommage à La Fontaine comme on pourrait le penser, mais en l’honneur de Captain Beefheart, avec les premiers couplets d’«Ice Cream For Crow». Si tu le vois se rouler dans la boue, c’est parce qu’il vénère les cochons, comme Pussy Galore au temps de «Pig Sweat». Dans le domaine animalier, l’avenir du rock est intarissable, il pourrait bzz-bzzzer autour du pot de miel et se proclamer King Bee, esquisser le Chicken Walk en souvenir d’Hazil Adkins, hurler à la lune comme Wolf et s’approcher à pas de loups d’un poulailler pour s’ y introduire comme un renard, en souvenir du «Fox On The Run» de Sweet, ou peut-être même en l’honneur des Fleet Foxes, allez savoir.

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             Le premier album des Fleet Foxes date de 2008 et n’a pas de titre. Robin Pecknold et ses amis créent leur buzz à coups d’acou et à la petite voix blanche. Le son grouille d’échos superbes et un solo de guitare s’en va résonner dans l’ombilic des limbes. Voilà en gros comment on pourrait résumer l’art subtil de Fleet Foxes. Ajoutons à cela qu’ils savent se montrer très inventifs et développer une belle énergie. Le pire, c’est qu’on se régale. Il semble que Robin des bois veuille réinventer l’Americana, c’est en tous les cas ce que tendrait à prouver «Ragged World», cut puissant et magnanime, plein d’allant et d’allure, d’avant et d’après, comme chatouillé par des petits arpèges tendancieux. On irait même jusqu’à dire qu’on entend l’Americana du futur, celle qui débouche sur le grand large, ou le grand néant, c’est comme tu veux. En magasin, ils ont aussi la power pop de « Quiet Houses ». Ils y vont franco de port, ils sont sérieux, comme devaient l’être les femmes de chambre en 1850. Le point fort de l’album s’appelle «Your Protector». Ils ramènent pour l’occasion du Wall of Sound. La compo se fait désirer, mais c’est l’intention qui compte. On s’éprendra aussi d’«He Doesn’t Know Why». Pourquoi ? Parce que noyé de son. Robin des bois sait travailler son mythe. Il joue la carte poignante du there’s nothing I can do et du nothing I can say. Ça marche à tous les coups. Robin des bois est un mec très intéressant, très protéiforme, il fait tout avec un esprit d’à propos, il module bien ses wah wah et ses oh oh oh. Sans doute est-ce pour lui une façon de se faire respecter. Il fait son truc à la sensiblerie, comme le montre «Oliver James», un cut qui éclot à l’aube des temps. 

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             Si tu en pinces pour les ambiances, Helplessness Blues est l’album idéal. Rien que pour «Grown Ocean», qui se trouve vers la fin. Voilà un cut qui s’anime soudainement, on ne sait pas pourquoi, et ça vire pop racée et toxique. Le mec est bon, il développe une pop puissante, une pop qui respire à pleins poumons. Robin des bois est un mec très christique, tout le monde s’agenouille devant lui, il est à la fois très mélodique et très plombé. Il fait tomber des herses du paradis dans «Montezuma», c’est un son très spirituel. Il tape aussi dans l’exotica à la con («Bedouin Dress») et fait appel aux flûtes du désert, après tu te débrouilles comme tu peux avec cette espèce de son bon esprit, bien enveloppé. Disons que c’est autre chose. Dans le digi, tu as un gros poster qui se déplie, au cas où tu t’ennuierais. Mais le poster ne sert à rien, comme d’ailleurs certains cuts de cet album, zéro shuffle, pas d’émotion dans «Sum Sala Rum», mais Robin des bois veille à chauffer ses cuts et ça le rend intéressant. «The Plains/Bitter Dancer» sonne comme du CS&N, Robin des bois cherche la petite bête. En fait, il ne fait qu’explorer les voies impénétrables. Il gratte ses coups d’acou dans «Helplessness Blues» et concasse son chant. Du coup l’album devient une aventure. Il étend encore son empire avec «Lorelai», il n’a peur de rien, sa pop tient bien au corps, c’est même le psyché des temps modernes, bucolique et puissant. Peut-être faut-il commencer à s’habituer à  l’idée que le psyché mute ? Une idée que caresse aussi Kevin Parker, de Tame Impala. «Someone You’d Admire» est aussi très ouvert sur l’horizon, Robin des bois tartine ses coups d’acou, mais il peut aussi devenir trop aventureux et générer de ci de là des petites zones d’ennui. «The Shrine/An Argument» est l’archétype du cut qui ne sert à rien. Globalement, les Fleet Foxes explorent des nouveaux continents, mais si tu les suis, c’est à tes risques et périls.

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             En 2017, Stephen Deusner nous tartinait six pages de Fleet Fowes dans Uncut. C’est vrai qu’à l’époque, les Foxes faisaient encore le buzz. Deusner annonçait l’arrivée de Crack-Up, un album radicalement différent des précédents. Pas de chansons, cette fois, mais des ambiances, de longs passages instrumentaux, le meilleur moyen de perdre ce qui faisait le charme du groupe, le West-Coast folk-rock d’antan. Le problème c’est que Deunser n’a rien d’intéressant à nous raconter à propos du groupe : pas l’alcool, pas d’overdose d’hero, pas de rien. Robin des bois parle beaucoup de son nombril. Ah on peut dire qu’il l’adore. Deusner dit aussi que Robin des bois a radicalement changé de look en six ans : terminé la barbe de mountain-man et le shaggy hair, Robin des bois porte désormais le cheveu court, il semble se mettre en quête de spiritualité ou de sagesse philosophique. Comme il était végétarien depuis l’adolescence, il ne se sentait pas très bien et pouf, il s’est remis à manger de la viande puis à faire du vélo, du jogging et du surf.

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             On sauve un cut sur Crack-Up : «Third Of May/Odaigahara», qui sonne comme une pop d’avenir du rock, tellement les dynamiques sont élégiaques. C’est comme soulevé par la vague. On sent une ambition démesurée typique de Brian Wilson ou de Jimmy Webb. On se régale aussi d’«On Another Ocean (January/June)». C’est du tiercé gagnant, avec un final en chou-fleur, c’est fin, souterrain, attaché à l’attachement, ça coule comme un fleuve d’or au crépuscule, une aventure sur le Mekong, une fin en soie, un impératif respiratoire, Brian Wilson n’est pas bien loin. «I Should See Memphis» fait aussi dresser l’oreille, car souterrain, gratté par en dessous, tendu à se rompre, c’est évident, les Foxes ont un truc, un sens de la pop orchestrée, ambitieuse et profonde, dans le genre ‘réconcilions-nous avec l’univers’, il n’est pas si méchant que ça, l’univers. Et pourtant, l’album se prend les pieds dans le tapis avec le premier cut, «I Am All That I Need/Arroyo Seco/Thumbprint Scar» : aucune grâce, comme s’ils prenaient les gens pour des cons. C’est pas très gentil de leur part. On envisage même de les virer du lecteur. «Cassius» sonne aussi comme une belle arnaque. Il faudrait les dénoncer, mais ça ne se fait pas. Ce début d’album est assez catastrophique, ils profitent d’un buzz et n’ont rien à proposer : pas de mélodie, pas de son, malgré des efforts qu’on devine désespérés. Ça se réveille un peu avec «Naiads Cassadies», très Midlake, et «Kept Woman», très ambiancier, avec des zones de lumière. Voilà l’histoire : l’album va décoller, mais il faut se montrer charitable et patient. Plus loin, ils proposent un «Mearcstapa» assez balèzoïdal.

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             Le quatrième album des renards paraît en 2020 et s’appelle Shore, comme un shore, c’est-à-dire un rivage. Robin des bois  y ramène sa pop au fil de l’eau. En fait il cherche le secret de la pop qui bande au printemps, c’est en tous les cas ce que «Sunblind» laisse entendre. Il se prend un peu pour le sauveur de la pop, mais il ne sauve pas grand-chose, en vérité. Il faut quand même se montrer tolérant et lui reconnaître une certaine ampleur. Il cultive bien la dérive. Certains cuts ne mènent nulle part. Les Foxes se situent dans un son très sophistiqué qui manque parfois tragiquement de magie. Encore une fois, certains cuts frisent la petite arnaque. Il faut attendre le milieu du Shore, «A Long Way To The Past», pour trouver la viande. C’est une pop de Foxes à laquelle personne n’est encore habitué. Robin des bois se jette dans «Maestranza» comme on se jetait autrefois dans la bataille. Il vise ouvertement l’élégiaque épique. S’ensuit un «Young Man’s Game» énorme. Il pose de nouvelles règles. Désormais c’est comme ça. Il fait du heavy Foxes, il brouille les pistes, mais de manière éblouissante. Globalement, il réussit à créer des ambiances assez spectaculaires. Comme on dit quand on voit un magicien : il y a un truc ! Il amène son «Going-To-The-Sun Road» au grand air, il vise le Todd, l’excellence de la pop atmosphérique. Il est tellement bon qu’il finit par émouvoir et là t’es baisé, car c’est beau. Son truc, c’est la beauté. Son défaut est peut-être d’avoir trop de son et de cultiver les incartades.

    Signé : Cazengler, faux fleet

    Fleet Foxes. Fleet Foxes. Sub Pop 2008

    Fleet Foxes. Helplessness Blues. Sub Pop 2011

    Fleet Foxes. Crack-Up. Nonesuch 2017

    Fleet Foxes. Shore. Anti- 2020

    Stephen Deusner : Crazy Like a fox. Uncut # 241 - June 2017

     

     

    Inside the goldmine

    - Le groove sévère des Sewergrooves

     

             La superficialité qu’on observe chez certaines personnes peut parfois intriguer. On ne sait jamais si elle masque une grande timidité ou une absence tragique d’intelligence. Jiminus semblait cependant fort bien s’en accommoder. Derrière un sourire candide se planquait l’être le plus énigmatique qu’il fût possible de fréquenter. Il n’émettait jamais aucun avis, sauf des avis d’une banalité désarmante, du style «c’est super». Il ne parlait jamais des autres, se refusant le droit de juger, sauf les Rolling Stones, qu’il ne supportait pas. Musique de vieux, disait-il. Il parlait encore moins de lui, au point qu’il semblait avoir banni de son vocabulaire le ‘moi’ et le ‘je’. Raison pour laquelle on appréciait sa compagnie qui nous reposait des rois du moi-je, mais d’une certaine façon, c’était comme de passer d’un extrême à l’autre, ce qui générait au final le même genre de malaise. Et plus on l’observait, plus le mystère s’épaississait, sans qu’il ne donnât à aucun moment l’impression d’en être l’instigateur. Le seul point sur lequel il pouvait se montrer exigent, c’était la technique. Cet autodidacte jouait à l’oreille et avait pendant plusieurs décennies tellement formé sa main gauche au manche qu’elle ressemblait à une sorte de grosse tenaille de chair. Même quand il ne jouait pas, sa main semblait pincer des cordes. Et pour lui, le pincé de corde était une religion, la seule dont il semblait se réclamer. Lorsque qu’il entendait un ré mal pincé, il arrêtait le groupe pour faire reprendre, ce qui peut paraître déplacé quand on joue du trash-punk. Mais à ses yeux, le trash-punk devait rester précis et bien joué. Comme cette exigence était chez lui la seule trace visible d’humanité, on s’y pliait tous. On allait même jusqu’à jouer des fausses notes pour la voir se manifester. Nous comprîmes alors qu’en le mettant en colère, on verrait peut-être surgir sa vraie nature. Lors d’une répète particulièrement intense, nous multipliâmes les couacs, les retards aux breaks et les foirages de fins. Le stratagème fonctionna plus que nous ne l’espérions. La colère le transforma physiquement. Son visage commença par jaunir, puis son menton s’allongea, sa peau se rida comme celle d’une vieille sténo-dactylo, ses lèvres gonflèrent, son sourire se transforma en grimace atroce, les cheveux qu’il avait rares se mirent à pousser. La colère transforme parfois les physionomies mais qui aurait pu imaginer pareille mutation ? Sous nos yeux ronds de stupeur, il devint un ignoble sosie de Jagger, le personnage qu’il haïssait le plus au monde.

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            Dommage qu’il n’ait pas pensé à se transformer en Kurt Dräckes, le chanteur des Sewergrooves. Dräckes est quand même plus joli que Jagger. Mais bon, on se transforme comme on peut, c’est la loi des fables, comme dirait La Fontaine.

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             Le premier album des Sewergrooves date de 1999 et s’appelle Songs FromThe Sewer. On les sent très influencés par les Detroiters de Sonic’s RendezVous. «Yesterday Zest» est du pur jus de Tele incisif, même plombé de chant et même progression d’accords pressés. Ils mêlent à ça leur énergie viking, on sent qu’ils en pincent pour les Detroit stormers. Nouvelle dégelée avec «Do It Again». Ah quelle belle attaque : «Do me a favour !». Ils sont pleins aux as et pratiquent la science mécanique du heavy beat. Leur «Frame Up» est heavy comme un coup de hache viking. On retrouve ce rock viking joué en tension à l’ouverture du bal de B avec «I Don’t Know», ils jouent à pleins tubes et collectionnent les envolées spectaculaires. Comme le font les Sonic’s RendezVous, ils bâtissent la plupart des cuts sur une carcasse d’accords cinglants joués en contrefort d’un pounding soutenu.

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             Paru l’année suivante, Guided By Delight pourrait bien être leur meilleur album. Ils attaquent avec un «Living In Another World» monté sur un authentique pounding sewergroovy. «Do It Like You» sonne comme un hit des Sonic’s RendezVous, avec cette belle inflammation de la mandibule, oui, on croit entendre Scott Morgan ! Ces mecs sont tellement pleins de son et d’allure qu’ils plombent tous leurs cuts aux accords de plomb. Et tout explose en B, avec «Paralysed», belle dégelée emmenée ventre à terre. A-t-on déjà vu une dégelée filer ventre à terre ? Non, et pourtant ça existe. C’est une spécialité des Sewergrooves. «Like Never Before» sonne comme une horreur dévorée de l’intérieur, avec des accords en forme de coups de crocs, c’est d’une hargne peu commune, avec un solo qui coule comme de la morve sur le break. Ils jouent sur les accords de «Down In The Street». Retour aux Sonic’s RendezVous avec «Shoot Em Up», ça étincelle dans l’éclat des coups de taille, c’est un son d’estoc. Avec son intro d’une rare violence, «Break The Chain» sonne comme l’invasion des barbares. Voilà un cut fantastiquement emmené par des dynamiques barbares jusque là inconnues. Ils brisent les reins du cut et le relancent pour repartir de plus belle. A-t-on déjà vu une telle violence ? Non.

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             Paru en 2002, Revelation Time est un album d’un excellent rapport qualité/prix : 7 gros cuts sur 13, c’est rare pour un gaga-disk. Ils sont tout de suite d’actualité avec «Five Times More», ils ramonent la cheminée d’Odin à une fantastique allure, ces démons savent y faire. On peut faire confiance à Kurt, il nous remplit tout ça de wah. Kurt est un hard nut, un besogneux qui ne lâche pas l’affaire, oh no no no no. Ça repart de plus belle un peu plus loin avec «Anything For You», Kurt ressort ses vieux accords de Sonic’s RendezVous et c’est tout à son honneur. Il ramène toute l’ampleur du Detroit Sound. Puis il tape «It’s My Century» dans l’éclat du seventies Sound. Il adore construire des cathédrales. Sur «The Jug», Kurt shake sa chique comme un dieu, c’est bien amené et sans remords. Ces Suédois font du Sewer jusqu’à plus soif. Encore du blast Viking avec «16 Thousand Satellites». Tu ouvres le leaflet et tu as la photo des Sewer en Stooges. Avec «Ain’t Coming Home» ils basculent dans le chaos de génie Viking. Ils terminent avec «Hey Sister (I’m Out Of Here)», Kurt se jette dans toutes les combines, il est de tous les coups de ruckus et finit en apoplexie de power chords. Pure énormité. Une de plus.

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             Saturday Night Tonight We’re Gonna Have Some Fun laisse un peu l’amateur sur sa faim, même si le «Boogie Woamn» d’ouverture de bal laisse espérer quelques belles espérances, car c’est amené au gratté ultimate de boogie tonite - Saturday nite/ Gonna have some fun - mais ça tourne vite au cousu de fil blanc scandinave. Awite ! Tonite ! Il faut attendre «Up The Line» pour retrouver ces bombardements qu’on aime bien. Ils tapent ça à perdre haleine. Quant au reste, c’est du sans surprise, ils nous resservent le fast gaga-punk scandinave plongé dans l’huile bouillante et on voit rapidement apparaître une belle carence compositale. Malgré les cocotes, ils n’ont rien dans la culotte, disons qu’ils jouent un rock très athlétique bien rattrapé au vol. Ils tapent «I Really Love You» au fast drive, ils filent à 100 à l’heure et se montrent assez radicaux avec les radis. Ils commettent en gros les mêmes erreurs que les Hellacopters qui ont fini par nous indisposer avec leur surenchère. Ils terminent avec «No Time For Resignation» et deviennent les cracks de l’ambiance invétérée. Ils se répandent longuement dans l’excellence et collent bien au terrain qui nous intéresse.  

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             Malgré sa belle pochette, Constant Reminder déçoit. Le son est devenu plus lisse. Ça joue à deux guitares. Ils vont chercher les vieilles cocotes sourdes. Mais la prod est plus soignée, on entend les chœurs se fondre dans le son. Le son est nettement moins flamboyant que sur Guided By Delight. Ils visent un autre degré d’impact, un confort plus moelleux, avec ce fondu de chœurs dans le son. Mais aucun cut n’accroche véritablement. Ils ont cependant le goût des belles intros, comme celle d’«I’m On The Run» - You must be joking ! - Et Kurt y va, c’est excellent - I’m like a loaded gun/ And now I’m on the run - Il chante ça à la belle arrache. En B on retrouve un joli shoot de ventre à terre («Look Again»), bien fluide et monté sur un thème poppy étrangement bon. Nouveau shoot de ventre à terre avec «On Fire». Ils adorent up-temper dans la pampa, mais rien n’est plus difficile que de vouloir faire des miracles en permanence.

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             Bien bel album que ce Rock ‘N’ Roll Receiver paru en 2006. On retrouve les Vikings de la légende avec «She’s A Punk (Just For One Day)», le genre de cut qui te met le dos au mur. Radical et sans appel. Les Sewer tapent comme des dingues dans la mythologie Viking, ils chantent à l’excédée, c’est d’une rare violence, ils tirent tout leur crédit de cette violence. Pas de répit, pas de remords, pas de rien. Ce mec Kurt chante à s’en arracher les ovaires, il tombe sur le râble de son cut avec une niaque unique au monde. On le retrouve aux commandes de «Remember Everything», pulsé par des grattés olympiques, ça joue à la violence frustre de vieux Vikings, ceux qui savaient affûter des haches et courir ventre à terre après les paysans normands terrorisés. C’est une énergie particulière rattrapée au poil de menton et battue à la diable. Même traitement pour «Wrote This Song For You», Kurt explose la rondelle en chou-fleur du Song for you, il joue à coups redoublés, c’est exacerbé à outrance, il est sincère, il a vraiment écrit cette Song for you. Pas mal de cuts ne fonctionnent pas, comme par exemple le morceau titre, trop de surenchère et de ooooh de relance. Par contre, ils restent les rois de la montée en température. Disons qu’ils se spécialisent dans le burn-out, comme leurs collègues Hellacopters. Ils ne connaissent que ça, l’odeur de cramé. Ils terminent cet album solide avec «I Sold My Soul To Rock’n’Roll So Help Me Save Me Lord», un stomp qu’il faut bien qualifier de faramineux, car expéditif et convaincu d’avance, c’est le stomp des Vikings, ouvert à tous les excès de violence et on assiste à de fantastiques rebondissements.

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             Paru en 2011, Trouble Station est un sacré coco d’album. Ils renouent avec le Sonic’s RendezVous dès «Oh Trouble», Kurt chante au tremblé de chat perché comme le fit Scott Morgan en son temps. Il maîtrise admirablement ses dérapages contrôlés, même sens de l’emballage et des progressions d’accords sous pression. Encore un joli démarrage avec «Burning Desire». Ils sont excellents dans les départs arrêtés et toujours cette profusion de son et d’énergie, cette curieuse musicalité Viking. Kurt nous refait le coup du départ en solo bien sous-tendu par le pounding des copains. Ils ont une vraie dimension, comme le montre encore «He’s The Destroyer», un cut bien insistant, bien martelé, bien sewervé, belle clameur et belles guitares. Ils ne manquent décidément pas de charisme. En B, ils attaquent «One Of Those Tings» aux accords du MC5. Kurt chante en chef de meute et derrière ça blaste comme au temps du Grande Ballroom. Kurt prend une partie du solo de Wayne Kramer dans «Looking At You», mais sans la montée au note à note. Ils restent dans cette fabuleuse énergie héritée de l’âge d’or de Detroit avec «Touch Of Sympathy». Les accords resplendissent dans l’éclat des violences suburbaines, fabuleux cachet du pounding et killer solo, on a tout ce qu’on peut espérer. Le clairon qu’on entend à l’orée de «Keep Moving» est celui des Stooges.

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             Comme on l’a vu, les Sewergrooves sont les rois de la dégelée, ce que vient encore confirmer No Hidden Tracks, un modeste CD paru à la sauvette en 2012. Ils chantent leur «Trouble» à l’excédée caractérielle et c’est couronné de succès. S’ensuit un «Easy To Pretend» monté à l’harmonie sur fond de beat sévère. Ils avancent à la manière dure, Biribi, baby. Les montées au chant sont des montées inexorables. Chez eux, c’est un peu gaga-punk all the way, notamment dans «Don’t Mess With The Standards». Ils basent tout sur le trop-plein d’énergie. Ils pavent le chemin vers «Ending My Days» de mauvaises intentions, ouvrant la voie à une grosse attaque de proto-punk désordonnée et hirsute. Ils coulent un gros bronze fumant, ils mélangent tout, le chant, les accords, le beat. Ils proposent aussi trois covers : «Smith & Wesson Blues», «I’ve Never Known This Til Now» et «Where The Wolfbane Blows». Le Smith & Wesson est un cut du Tek, et comme d’habitude, c’est pas bon, les Sewergrooves jouent ça au fast-off. L’«I’ve Never Known This Til Now» passe mieux, car c’est du Roky et ils ramènent tout le son dont la Suède est capable, ils tombent dans les délicieux travers texans, ils nettoient ça aux arpèges de vinaigre, c’est un paradis dont les bonnes sœurs n’ont pas idée, l’acid freak paradise, et ça explose. Le Wolfbane est bien sûr celui des Nomads, ils jouent ça au tire-bouchon dans la mélasse de fuzz scandinave et le solo entre comme un ver dans le fruit du jardin d’Eden. Admirable. Tiens, encore une belle échappée belle avec «Tonight Tonight». Ces mecs ont bien choisi leur camp, il visent le swedish trash-gaga punk qu’ils radoucissent aux accents de power-pop.

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             Pour finir, on peut se rincer l’oreille avec ce mini-album paru sur Estrus en 1999, Three Time Losers. «Whole Again» pourrait figurer sur l’un des albums du MC5, tellement c’est bien échevelé. «Dead Letter River» est plus classique, mais ce beau solo d’intraveineuse furtif et mortifère te plaira beaucoup. C’est un son de rouille et de vinaigre, pur jus de Kurt Dräckes. Il faut préciser que ces cuts sont enregistrés chez Tomas Skogsberg, l’homme qui a mis en boîte le mythique album de Supershit 666. En B, «Could’ve Been Dead» reste bien tenu en laisse, chanté d’une voix d’agonisant, c’est encore une fois excellent, très motivé. Et ça continue comme ça jusqu’au bout, avec un son classique et typique de ces années de revival gaga. 

    Signé : Cazengler, Sewergrave

    Sewergrooves. Songs FromThe Sewer. Low Impact Records 1999

    Sewergrooves. Three Time Losers. Estrus Records 1999

    Sewergrooves. Guided By Delight. Low Impact Records 2000

    Sewergrooves. Revelation Time. Low Impact Records 2002

    Sewergrooves. Saturday Night Tonight We’re Gonna Have Some Fun. Sounds Of Subterrania 2002

    Sewergrooves. Constant Reminder. Wild Kingdom 2004

    Sewergrooves. Rock ‘N’ Roll Receiver. Wild Kingdom 2006

    Sewergrooves. Trouble Station. Sounds Of Subterrania 2011

    Sewergrooves. No Hidden Tracks. Pitshark Records 2012

     

    *

    L’on parle beaucoup d’Europe ces jours-ci, Europe par-ci, Europe par-là, à en croire les uns elle est la source de tous nos malheurs, selon d’autres la promesse de tous nos bonheurs, ces genres de discours me fatiguent, il n’y a jamais eu qu’une Europe, encore ne s’appelait-elle pas ainsi, en ces temps-là elle dépassait nos frontières étriquées, je suis de ceux pour qui il n’y a jamais eu, et pour qui il n’y a, et il n’y aura que l’Imperium Romanum, comme tous les rêves il ne meurt jamais. Ceci dit écoutons un peu de musique. Car parfois, les Dieux nous font signe.

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    Justement les voici. Pas tout à fait eux, mais Deos, un groupe de metal basé à Annecy, formé en 2014 qui vient d’achever une tournée ( France et Belgique ) qui les a emmenés le 27 avril dernier au Bacchus de Château-Thierry, c’est en voyant sur le FB de Sabine Meunier que j’ai appris leur existence et que je les avais manqués – j’ai une bonne excuse j’étais dans l’antique Narbonaise. Ce 27 Mai 2022 sortira sur Wormholedeath & Announce le troisième album de DEOS intitulé Furor Bellis, occasion rêvée de réécouter les deux premiers.

    DEOS

    Jack Graved : vocals, bass / Fabio Battistella : guitar / François Giraud : guitar / Loïc Depauwe : drums / Harsh : keyboards 

    GHOSTS OF THE EMPIRE

    ( Septembre 2015 )

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    Overture : note funèbre prolongée sur laquelle s’articulent des tintements de glaives, ce n’est pas pour rien que Deos fait souvent suivre son nom de Legio, nous sommes loin de la Rome décadente, guitares martelantes qui avancent avec la lourdeur des légionnaires chargés de leur barda qui s’en vont étendre les frontières de l’Empire. Le morceau est court mais l’on sent que rien ne les arrêtera. Lupa mater : les fils de la louve entonnent le péan de la victoire, une course échevelée, au pas de charge, rumeurs de gorges en feu, ralentir, guitares et batterie reprennent souffle, cymbales balayées de glaives, la basse gronde, nuées d’orage lâchées sur le monde, attaquent en meutes. Song for courage : battre le fer tant qu’il est chaud, que ton cœur soit une forge dans laquelle tu tremperas tes armes, la meilleure des épées est celle qui bat dans ta poitrine… en contrepoint les larmes de la mort humidifient tes haillons de pourpre, les uns contre les autres, que la haine et l’envie du combat s’exaltent hors de ta gorge, c’est ainsi que résonnent les chants de la victoire, dans cette avancée terrible vers la gloire ou le néant. Attention l’en existe une version live sur YT qui permet de voir le groupe en action, habillé à la romaine, quoique le chanteur avec ses cheveux longs a un côté barbare non déplaisant, le son paraît davantage hypnotique que sur le disque.  Warfield : c’est sur le champ de bataille que se joue le sort de Rome, excitation et puis le calme et le silence juste avant l’assaut, chacun vers son destin, les grognements gloutons de Pluton au fond des enfers, la cavalcade de Mars, à tes côtés ou contre toi, aie confiance, les Dieux s’ils ne décident pas pour toi tranchent en faveur de Rome, elle est la fleur immortelle qui se nourrit de ta fierté et que tu arroses de ton sang, debout et en avant, une trace sanglante te suit jusqu’au bout du monde, une fois le combat engagée, l’appréhension de la peur n’a jamais existé, tu cours, tu fonces, tu enfonces, tu disloques, tu perces, tu tues, sans frémir, sans haine et sans reproche, exultation finale, tu lèves haut l’aigle de Rome sur des monceaux de cadavres. Souviens-toi, malheur aux vaincus ! Pompeii : roulements torrentueux, vocal comme un nuage noir qui obscurcit le jour, pierres et cendres tombent de partout, rythme implacable, nul n’échappera à son destin, la colère ou l’indifférence des Dieux est sans appel, éruption, rythme hachoir qui s’abat sur les malheureux humains, vocal cruel, impuissance des hommes, fin brutale. Cet album ne raconte pas l’histoire de Rome, chaque morceau est à écouter comme une carte postale que les morts de l’Empire nous enverraient depuis les Enfers, une simple image dérobée à un film de plusieurs siècles, c’est à l’auditeur d’interpréter les quelques mots non effacés et de les intégrer à son propre rêve. Britania : c’est aux limites du monde septentrional, en Bretagne, notre Angleterre, que les légions rencontrèrent une résistance désespérée, une fois celle-ci difficilement vaincue, elles s’aperçurent qu’elles n’avaient encore rien vu, les pictes furent intraitables, il fallut tout au nord du pays dresser un mur fortifié qui coupa l’île en deux afin de les contenir et de les isoler. Deos nous livre de bout en bout un chant tumultueux de victoire, désormais Rome était en sécurité. Imperator : un morceau à la gloire de Jules César. Musique écrasante, l’Imperator par excellence se dresse devant nous et Deos conte sa magnificence, son efficience, ses victoires, cet esprit de décision et son intelligence politique qui fit la différence. La batterie aussi lourde que les brodequins de ses légionnaires et le rythme aussi rapide que les déplacements de ses troupes. Mimesis : à voir le titre l’on ne s’attendrait pas à un tel déferlement, quelle est cette mimesis, est-ce celle de Jules César imitant les actions des principaux hégémons grecs, ou celle des membres de Deos s’interrogeant sur la manière dont leur art métallique se doit de donner une forme signifiante de la réalité de l’Histoire de Rome, n’oublions pas que César fut aussi homme de lettres et connaissait Aristote et Platon, mais pendant que nous nous interrogions la musique se calme, l’intensité est maintenant dans le vocal, les mots et les notes sont-ils des atomes parcellaires chargés de la puissance romaine. A notre avis, le plus beau morceau de l’album. Veni vidi vici : célèbre formule auto-glorificatrice de César, le morceau s’inscrit dans ces cavalcades victorieuses qui parsèment l’album. L’on est au plus près de l’action, dans le corps à corps, dans ces glaives que l’on assène sur les corps des ennemis. Incessant cliquètements des épées. Ce que tu veux, tu dois aller le chercher. Britania : ( Acoustic version ) : c’est un plaisir subtil auquel nombre de groupes de metal aime à sacrifier, ne sont pas que des brutes assoiffées de sang, alors ils coupent l’électricité et ils envoient l’acoustique, ici c’est assez réussi car la voix de Jack n’en paraît que davantage chargée de violence.

    IN NOMINE ROMAE

    ( Septembbre 2017 / Buil2Kill Records )

    Une couve qui ne fait pas de quartier. Comparée à celle-ci, celle de Ghosts of  the Empire, malgré son crâne ricanant et le bois de la table qui n’est pas sans évoquer les planches dont on assemble les cercueils est une évocation de la joie de vivre, soyons raisonnable, elle ressemble à une méditation sur la vanité de toute entreprise humaine. Nous ne sommes plus sous la tente d’un Imperator face à la carte qu’il vient d’étudier avant de livrer bataille, l’on peut ainsi envisager la guerre sous son aspect stratégique, voire intellectuel, vue de loin, elle n’est qu’une idée, la voici ici dans toute son horreur, le glaive taché de sang, la main de la future victime, et surtout cette détermination, ce désir de tuer sans pitié, sans culpabilité, un rictus de jouissance aux lèvres… Au cas où vous n’auriez pas compris, c’est écrit en toutes lettres, au nom de Rome. Pour ceux qui font la collection des images pieuses, un trailer de trente-cinq secondes vous présente de manière très peplumique le disque.

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    Armatura dei coragiosi : (armure du brave, n’oubliez pas que l’italien descend en droite ligne du latin) : qui dit italien dit opéra, l’on a droit à un super générique avec cuivres et grands mouvements d’enthousiasme. Pas très long, mais l’on pressent que sur son deuxième opus Deos a mis de la couleur dans son noir et blanc initial.  Pro Iovis Pro Mars : pour Jupiter dieu de la puissance et pour Mars le belliqueux. Entrée monumentale, se mettre sous l’égide de ces deux ouraniens c’est déjà se proposer un destin exceptionnel. Une partition lyrique mouvementée qui vous emporte, entrecoupée de vocaux, vous ne savez si c’est un homme ou un dieu qui marmonne, vous comprenez que c’est important. Caput Mundi : le monde ne possède qu’une tête, elle s’appelle Rome, c’est elle qui commande, qui décide, qui ordonne, ce qui a été invoqué au morceau précédent arrive et déboule sur vous, à toute vitesse, mais vous sentez la lourdeur de son passage, rien ne saurait lui résister. Des voix s’élèvent, il importe peu qu’elles acquiescent ou qu’elles soient mécontentes, le sens de l’Histoire peut parfois s’écrire en lettres de sang. Sapere aude : ose savoir, entrerions-nous dans le domaine de la sagesse, si le morceau commence doucement le rythme s’accélère, le plus important n'est-il pas de savoir oser, de dépasser les limites étroites qui vous emprisonnent et qui sont faites pour être repoussées… Oderint dum metuant : célèbre formule de Caligula, qu’ils me haïssent pourvu qu’ils me craignent, la sagesse n’est-elle pas le péristyle de la folie, les frontières ne sont-elles pas aussi au-dedans de soi, l’humain serait-il le microcosme du macrocosme, cris et assouvissements, roulements égarés de tambour, ne suis-je pas à moi tout seul Rome et le monde. Tragédie intime. Memento mori : lors de son triomphe, un général vainqueur défilait dans son char sous les acclamations du peuple, l’esclave qui tenait une couronne de lauriers sur sa tête lui murmurait souviens-toi que tu n’es qu’un homme promis à la mort… il est si facile d’outrepasser son humanité, de sentir en ses veines couler la puissance des immortels, Rome ne vous monte-t-elle pas à la tête. Le rythme est si rapide que rien ne semble pouvoir l’arrêter, ni dans le monde, ni dans vos méninges. Cincinnatus : une voix raconte l’histoire de Cincinnatus, que l’on vient chercher en son champ afin de lui accorder les pleins pouvoirs de la dictature, en seize jours il défait l’ennemi, et rejoint sa charrue s’abstenant de tout honneur. Même rythme triomphal, mais ce coup-ci ce n’est pas pour célébrer la folie humaine mais la vertu romaine, Si elle peut s’imposer au monde elle peut aussi vous donner des fondations mentales inébranlables. Ainsi vous devenez l’assise de Rome la plus sûre. Laudatio funebris : éloge funèbre, intro musicale magnifique, fermez les yeux, vous voyez le film, le mourant qui agonise, l’appel aux survivants, une scène grandiose avec chœurs et orchestration quasi-symphonique. Imperial et impérieux. Honneur à ceux qui ont assez de caractère pour accepter de mourir pour Rome. Rendre à Rome ce qu’elle vous a donné. Mylae : navire glissant sur l’onde amère, Rome risque gros, inexpérimentée sur mer elle livre combat à la redoutable flotte carthaginoise, scène de film, la batterie martèle la cadence aux rameurs, ahanements et impulsions décisives, choeurs de matelots, Mylae fut la première victoire navale de Rome. Post tenebras lux : voix de basse claironnant la victoire de Rome, lumière après les ténèbres. Cunctator : ce surnom de temporisateur fut donné à Fabius Maximus qui refusa de livrer combat à Hannibal qui marchait sur Rome, non par peur mais par prudence. Après deux défaites écrasantes l’Histoire lui donna raison. Bourdonnement d’abeille qui se heurte contre une paroi de verre, les contraires se rejoignent pour mieux s’opposer, rythmique martelée, il faut parfois savoir se résoudre à renoncer à ses habitudes de victoire pour triompher. Aut vincere aut mori : les mots d’abord, l’on a tendance à réduire Rome à son histoire, ses monuments, sa légende, c’est oublier avant tout qu’elle fut une volonté synthétisée en de courtes formules dispensatrices d’une énergie folle, c’est cette volition du vouloir vivre que tente d’exprimer ce morceau. La musique sort des paroles comme le fruit est engendrée par la fleur, ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort a dit Nietzsche, ce qui vous tue aussi pensaient les romains. Un des meilleurs titres de l’album, une espèce de cantate métallique baignée de la foudre des Dieux.  Delenda Carthago : grandiose, l’obsession romaine, vaincre ou périr, détruire ou être détruit, le disque se termine en apothéose musicale, les dieux ont enfoui Pompéi sous une pluie de cendre, Rome a eu raison de Carthage. Un point partout. Egalité. Incendie au centre. Vae Victis.

    Cet album, paru en 2017, empli de violence mélodique n’est pas sans résonnance avec l’actualité. Il faut l’écouter et le méditer. Rome n’en finit pas d’apporter des réponses aux questions que l’on n’ose pas se poser.

    Damie Chad.

     

     

    SNOW COUNTRY

    ERIC CALASSOU / RAUL  GALVAN

    ( YT / 25 – 04 - 2022 )

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    Tiens, pendant mon absence quelqu’un a posté un truc de country sur mon FB, je ne voudrais pas critiquer avant d’avoir entendu mais l’image ressemble plus à un paysage japonais qu’à une vue des Appalaches, pas étonnant c’est d’Eric Calassou. Les kr’tntreaders lèvent l’oreille, le Calassou on connaît sur le site, ses photos et surtout son groupe, Bill Crane, style rockabilly dissident si vous voulez une étiquette, mais quoi qu’il fait au pays du Soleil Levant ? Rien du tout, pour la simple et bonne raison qu’il s’est installé en Thaïlande.

    J’avoue mon ignorance, j’ignorais jusqu’à l’existence de Raul Galvan, j’ai découvert en écoutant la vidéo, facile à reconnaître même si on ne le voit pas, l’est le seul à jouer. De la guitare classique. Quant à l’Eric – un gars doué, il chante, il joue, il photographe, il peint, il écrit – il n’en touche pas une, s’est contenté de composer, ne l’avait jamais dit mais je me suis aperçu en zieutant les vidéos que Raul Galvan interprète deux autres de ses compositions Valse et In the mood for love. Raul Galvan n’est pas un rocker, s’inscrit dans une autre tradition, celle de Villa-Lobos pour le situer un peu.

    Eric Calassou a composé Snow Country après la lecture de Pays de Neige de Yasunari Kawabata, voici quelques années la lecture de ce court roman de l’écrivain japonais m’a laissé un peu froid. Nous sommes à l’opposé du style manga, tout est dans la subtilité ce qui n’est pas un mal en soi, mais me suis senti étranger à l’atmosphère idéologique trop datée à mon goût de ce récit écrit en 1935, perso je préfère les manieurs de sabre à la Mishima, mais ceci est une autre histoire.

    Quel beau son de guitare, ce Galvan, sait faire résonner ses cordes à la perfection, pas besoin de trois tonnes d’amplis pour donner de l’épaisseur, z’avez envie de vous y enfermer dedans comme un escargot dans sa coquille. Vous donne l’impression d’être un flocon de neige qui se pose sur une branche de cerisier. Réalise un autre exploit, écoutez bien, vous n’entendrez pas le silence, juste la musique, l’on dirait qu’il a collé les notes entre elles, l’obtient cet effet par la résonnance des cordes qui comble les vides. Le mieux est d’écouter sans regarder les images qui se suivent sur la vidéo. Elles sont un peu superfétatoires même si la dernière nous montre la photo de Matsuein l’onsen Geisha qui a inspiré le roman.

    Plus difficile, reste à cerner le mode et le monde du compositeur. Un instant d’âme ou de rêve dévasté. Un pays de neige qui n’appartient qu’à lui, dont il a effacé les traces pour que l’on ne puisse l’y rejoindre. Un Calassou sous le sceau du secret.

    Damie Chad.

     

     

    CRISTAUX LIQUIDES / RESTE SAGE

    POGO CAR CRASH CONTROL

    ( Clip Officiel ) 

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    Encore une trentaine de jours et paraîtra Fréquence Hostile, le nouvel album de Pogo Car Crash Control. En avant-première le 12 avril, z’ont été gentils, nous ont refilé deux des titres, Cristaux liquides et Reste sage. Sur You Tube avec la photo de la couve de l’album. Mais ce n’est pas de cela dont je veux parler, mais de la parution, trois jours plus tard, du clip officiel qui met en scène les deux morceaux.

    En fait je ne veux même pas en parler, juste signaler sa présence. Y aurait beaucoup à dire sur l’évolution du son, mais là n’est pas le sujet. Ce clip est une petite merveille de mise en scène. Aucun crédit ne permet de l’attribuer à son  / ses  concepteurs, c’est dommage l’auraient mérité. Les premiers clips du groupe ont amplement fait connaître les P3C à ceux qui n’avaient pas encore eu la chance de les voir sur scène. Mais là l’on passe à une dimension supérieure. Les plans s’enchaînent d’une manière diabolique. N’hésitez pas à arrêter la vidéo pour vérifier le moindre détail, nous avons affaire à un montage de haute précision, ce qui n’empêche pas de retrouver l’esthétique chère aux Pogo, ce kitch lourdement grossier et nécessairement subtil qui pourfend les représentations sociétales de la vie convenable.

    Les Pogo nous livrent un film de six minutes. Ne leur en faut pas plus pour dynamiter les situations archétypales sur lesquelles sont fondées les réactions humaines. Touchent là à l’essence iconoclastique du rock ‘n’roll. Les images que nous adorons et que nous renvoyons au monde ne sont pas faites pour nous ressembler mais pour déchirer nos existences. Si nous sommes des êtres pour la mort, de quelle mort s’agit-il ? Celle que nous vivons tous les jours, ou celle que nous regardons sur nos écrans. Et surtout, quelle est celle qui tue le plus ?

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 445: KR'TNT ! 445 : TAV FALCO / JERRY TEEL / THE JINETS /ERIC CALASSOU / ROCK 'N' PHILO

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 445

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    02 / 01 / 2020

     

    TAV FALCO / JERRY TEEL

    THE JINETS / ERIC CALASSOU 

    ROCK 'N' PHILO

    Tav & ses octaves - Part Four

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    Noël approche et c’est l’occasion ou jamais de ressortir un Christmas album. On a le choix : The Christmas Gift For You de Phil Spector, le Beach Boys’ Christmas Album, le funky Christmas album de James Brown, Sharon Jones et son Holiday Soul Party, le Christmas Card des Temptations, le Twenty-Fifth Day Of December des Staple Singers, l’incroyable Christmas With the Miracles de Smokey Robinson, le Christmas Here With You des Four Tops, le tardif Christmas Is The Perfect Day de Fats Domino, ou encore l’excellent Sino-Way José d’El Vez, mais au fond, on aura une préférence pour le Tav Falco Christmas Album, car dans le genre, il est difficile de mieux faire. C’est un chef-d’œuvre incomparable.

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    Il tape bien sûr dans tous les classiques, mais il choisit une ambiance spéciale pour chacun d’eux. Il monte par exemple «Santa Claus Is Back In Town» sur un fabuleux shoot de heavy boogie blues, pretty baby. Jumpy & sexy, comme l’écrit Tav dans ses notes de présentation. Une fantastique clameur de chœurs couronne le tout. Il se veut plus rococo que Rocco et ses frères avec «White Christmas», il va plus sur un domaine qu’il maîtrise parfaitement, la romantica. Il bourre sa dinde de kitsch. C’est bardé de son, il sort pour l’occasion le meilleur croon d’Amérique. Avec le temps qui passe, Tav Falco devient un chanteur extrêmement impressionnant. Il brasse le son avec une classe qui défie toute concurrence. Il a l’ambiance, le sourd Christmas stomp, c’est un chef-d’œuvre inexorable. Nimbé de mystère, Tav Falco ne laisse aucune chance au hasard. Puis il nous emmène à Broadway pour «Jungle Bell Rock». C’est un bonheur que d’entendre chanter cet homme. Il excelle dans l’expression du sing-along américain. Ses jingle bells rock it out et le solo claque au quart de tour. Tout est parfait chez Tav Falco. Il mastérise son Christmas Tree à coups de walking bass. Pour présenter «Rudolph The Red Nosed Reinder», il cite Gene Autry et part en mode comedy act. Tav Falco est adorable, au sens où on le disait des dieux antiques. Il jazzifie son affaire avec «Christmas Blues». Ça jingle bell à l’Ouest du Montgomery. Admirable et enveloppé à la fois. Il claque ça avec une désinvolture qui en dit long sur son état d’esprit. Retour à la valse à trois temps pour «Holly Jolly Christmas», les filles derrière sont héroïques, elles assument bien la légendarité des choses de la vie. Il va même tâter du funk pour «Soulful Chritmas» et un nommé Mick Watt bat la chamade sur son manche. C’est tout de même dingue qu’un mec comme Tav se prête à cette Soul funk Christmas party ! Faut-il être wild pour aller imaginer un tel plan - So you came to see my show and that’s why Tav Falco loves you so ! - C’est avec «Blues Christmas» qu’il va boucler son rappel au Silencio, comme on va le voir par la suite. Il bat avec cette prodigieuse bluette tous les records de glamour - Be so blue - Les chœurs regorgent de magnificence - My heart was drenched to the bone in mood bluer than blue - Il explose le genre. C’est bouleversant. Il semble tellement appartenir à une autre époque qu’il en devient un personnage littéraire.

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    S’il se produit au Silencio, ce n’est pas par hasard. Le Silencio fait partie des endroits les plus mystérieux de Paris. Située au creux de la rue Montmartre, l’entrée semble se fondre dans l’anonymat urbain. Il faut se glisser dans la porte entrebâillée comme le firent jadis les conspirateurs. Puis vous passez devant un homme tapi dans l’ombre qui hoche la tête et qui ne dit mot. Dirigez-vous ensuite vers le gouffre d’une première volée de marches faiblement éclairées par des torches. Les volées succèdent aux volées et l’impression grandissante de s’enfoncer dans les entrailles de la terre diffuse en vous un singulier mélange d’angoisse et d’exaltation. Une descente aux enfers ? Non, il s’agit plutôt d’une plongée dans l’épais mystère. Inespéré. Aucun doute, un tel endroit sort plus de l’imagination d’Eugène Sue que du cerveau brûlant de David Lynch. En bas d’une ultime volée de marches apparaît un tunnel mal éclairé. Il faut s’y glisser pour atteindre une première salle. Une femme se tient derrière une sorte de grand comptoir et hoche la tête sans mot dire. Vous traversez donc cette salle pour en gagner une autre un peu plus vaste, où se trouve une petite scène que ferme un rideau de velours jaune un peu fané. D’autres couloirs étroits rayonnent à partir de cette salle et le diable seul sait ce qui s’y trame.

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    Loin au fond du couloir qui jouxte la grande salle apparaît une silhouette furtive. L’homme n’est pas très haut, il semble porter un jabot blanc. The Gentleman in black ? Il nous voit plus qu’on ne le voit. Cette apparition aiguise jusqu’au délire la fantasmagorie de la situation - If you’re real late/ At a bar some nite/ Under a cold blue light/ It may be your fate/ Under a cold spotlight/ larger than fate/ To see for a fact/ The gentleman in black - Oui, c’est exactement ce que dit le texte, sous la lumière froide d’un éclairage en forme de destin apparaît le Fra Diavolo du Memphis beat, le Cagliostro de Little Rock, le détrousseur des âmes. Ou bien encore ‘l’irrésistible brigand que fit chanter M. Auber’, tel que vous le glisse Jules Claretie dans le creux de l’oreille avant de disparaître derrière un rideau d’ombre. Mais qui êtes-vous au juste, Monsieur Gustavo Nelson ? Seriez-vous Raoul d’Avenac, le chef de la sûreté Lenormand, Don Luis Perenna ou Tav Falco, le célèbre baladin qui fut au temps jadis le chantre du rockabilly et du North Mississippi Hill Country Blues ? De la même manière que Michel Zévaco et Maurice Leblanc ont inventé le roman policier ésotérique, Tav Falco propose depuis plusieurs décennies un subtil ersatz de rock ésotérique, savant dosage de rockab, de blues, de tango et d’Americana.

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    Le rideau s’ouvre enfin sur la petite scène et trois musiciens s’élancent dans une interprétation parfaite d’«Apache». Dans l’angle gauche du fond de la scène aménagé en trompe-l’œil réapparaît la frêle silhouette de Tav Falco. Il nous voit encore une fois plus qu’on ne le voit. Il attend le moment de paraître sur scène, comme le font les magiciens dans les cabarets montmartrois. Le voici enfin, délicieusement grimé, coiffé, sans âge, en smoking de soie et jabot blanc, encore plus inclassable qu’il ne le fut jamais. Il arrive à petits pas les bras en l’air sous les acclamations du public.

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    Son premier tour de passe-passe consiste à passer en bandoulière sa guitare Hofner noire pour réactiver un vieux «Manifesto» datant du Panther Phobia paru en l’an 2000. Parmi toutes ses égéries, il ne choisira ni Mata Hari ni the Lady From Shangai mais the witch doctor mama of New Orleans, Marie Laveau - Is it true/ What they say ? - et en fin de set, la Sally de «Sally Go Round The Roses», reprise d’un vieux hit des Jaynettes, l’un des fleurons de son dernier album, le ténébreux Cabaret Of Daggers paru en 2018. Des roses qu’il effeuille d’une voix étrangement fatiguée. Fin se set ? Poids des siècles ? Poids de la nostalgie ? Il tire aussi «New World Order Blues» du Cabaret Of Daggers, un playdoyer aussi enragé que pouvaient l’être ceux que Jules Vallès jeta à la face de l’absolutisme. Sur fond de boogie blues sourd comme un pot et gratté à la manigance, Tav Falco pourfend les politicards modernes qui rendent l’actualité plus nauséeuse qu’elle ne le fut jamais - America and Korea just itching to light the fuse/ The fuse our degenerate-in-chief clown prince god emperor/ Has already lit and there’s not a thing you can do (Ça démange l’Amérique et la Corée d’appuyer sur le bouton/ Le bouton que notre président dégénéré, notre clown impérial, a commencé à enfoncer/ Et il n’y a rien qu’on puisse faire pour l’en empêcher) -

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    Enflammé, Tav Falco abandonne sa guitare pour monter sur ses grands chevaux, il taille sa bavette à la meilleure niaque de combat, comme s’il attisait la haine des Versaillais du haut d’une barricade au quartier latin. Il tire une autre chanson de combat de Cabaret Of Daggers : «Strange Fruit», un terrible classique de Billie Holliday. Comme chacun sait, les ‘fruits étranges’ sont les corps des nègres qu’on voyait pendre aux branches des arbres après leur lynchage. Ce fantastique prestidigitateur sort de sa manche une colombe, c’est-à-dire la plus émouvante des chansons de Billie Holliday, et si son interprétation en bouche un coin sur l’album, alors vous pouvez imaginer ce qu’elle va pouvoir boucher quand il l’interprète sur scène.

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    Il poursuit l’étourdissante valse des hommages avec l’antique «Me And My Chauffeur Blues» de Memphis Minnie, certainement le personnage le plus légendaire de l’avant-scène de Memphis - So I’m gonna steal me a pistol/ Shoot my chauffeur down - Memphis Minnie ne voulait pas partager son chauffeur avec les autres putes de Beale et du coup Tav Flaco s’encanaille de plus belle. Sous les lumières rouges, son visage prend un nouvel éclat. Il enchaîne sans coup férir avec le «Bangkok» d’Alex Chilton et l’on comprend à le voir jerker le Memphis beat qu’un destin extraordinaire liait ces deux hommes - Here’s a little thing that’s gonna please ya/ Just a little town down in Indonesia - Un ectoplasme sort alors de la bouche de Tav Falco : tout le monde reconnaît Alex Chilton. Un grand wow admiratif salue cette manifestation surnaturelle. Aussi fidèle en amitié que le furent les rois de la pègre, Tav Falco invoque un autre fantôme : Charlie Feathers, ‘with the perfect rendition of «Jungle Ferver»’. Ça tombe bien, Mario Monterosso joue sur une Gretsch rouge et donc il dispose du son. Tav Falco rocks it out. Au fil des cuts, il gagne en intensité, comme possédé par le diable. Est-ce une hallucination ? Le fantôme de Charlie Feathers vient se déhancher à côté du Master of Chaos. Le spectacle bascule dans une irréalité ectoplasmique que Victor Hugo pourtant féru de sciences occultes n’aurait jamais pu appréhender. Tiens, encore une merveille tirée du Cabaret Of Daggers : «Old Fashioned Morphine». Il explique tranquillement aux médusés échoués sur sa rive que si c’était bon pour Isabelle Eberhardt, alors that’s good enough for me. Fabuleuse calipette contextuelle, the Gentleman in Black (a man without a country/ A man without a home/ He travels fastest/ Who travels alone) revient aux amours de sa jeunesse avec «Strange (Ubertango)», un air de tango connu comme le loup blanc de Montevideo - Tu cherchais quoi ?/ À rencontrer la mort ?/ Tu te prends pour qui ?/ Toi aussi tu détestes la vie ? -

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    Il ouvre les bras et une très belle jeune femme vient s’y lover pour esquisser quelques pas de rioplatense. Il poursuivra la valse des hommages avec deux merveilles géographiques tirées de Conjuration Séance For Deranged Lovers : «Garden Of The Medicis» et «Ballad Of The Rue De La Lune». «Malgré l’obsession du Baron Hausmann pour la luminosité, la ville lumière est», nous confie l’enchanteur, «le sombre théâtre des caresses, des flirts et des conjurations.» Et il ajoute, narquois : «Ici, s’arrêtent les traditions du monde réel en faveur d’une poursuite de plaisirs concupiscents. Ici, se donne un grand opéra constitué du faible bruit des pas dans les cages d’escalier et de l’errante sérénade du violoniste. Ici, dans la rue de la Lune.» Lorsqu’il nous emmène visiter le Jardin Medicis, il cite Jorge Juis Borges et tente de nous faire croire qu’il échappe aux attentions pressantes d’une feminine beauty. C’est une chanson affreusement triste, a kind of sinister fable - Of a lover condemned to beauty that he cannot touch - Et il ré-endosse son habit de Fantômas pour conclure en beauté avec «Master Of Chaos», véritable apologie de la voyoucratie à l’ancienne, celle qui nous fit tous tant rêver - Getting out of Monaco/ Driving a Riva motoscafo/ Jocko robbed the casino/ Grand Hotel Monte Carlo - Après un rappel en forme d’exutoire existentialiste et un «Blue Christmas» bluer than blue, le Master of Chaos se volatilise.

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    Un seul regret, dirons-nous : «Red Vienna», capiteux fleuron du Cabaret Of Daggers, aura brillé par son absence. Sur le fond tourneboulant d’une authentique valse de Vienne, Tav Falco y évoque les noms de Trotsky et de Klimt. Il crée une fois encore de l’enchantement - Farewell to Red Vienna/ Farewell to your glorious fame/ Our lips will be forever/ Forever whispering your name - Tav tomb’ sur le rock à l’abracadabra raccourci et fouette cochinchine au Mata à risques. Nous autres terreux terriens avons les artistes que nous méritons. Fabuleux privilège, n’est-il pas vrai ?

    Signé : Cazengler, Tav Falot

    Tav Falco. Le Silencio. Paris IIe. 11 décembre 2019

    Tav Falco. A Tav Falco Christmas. Frenzi 2017

    Tav Falco. Cabaret Of Daggers. Frenzi 2018

     

    Teel l’espiègle

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    On parle beaucoup de Jon Spencer, mais moins de Jerry Teel. Dommage, car Teel l’espiègle vaut son pesant de décibels. Honeymoon Killers, Chrome Cranks, Knoxville Girls, Chicken Snake, qui dit mieux ? En matière de parcours, on fait difficilement mieux. On retrouve Teel l’espiègle à tous les étages du garage punk new-yorkais en montant chez Kate et ce serait bien le diable si dans son abondante discographie on trouvait un seul mauvais disque. Teel l’espiègle est l’homme du son, ou plutôt l’homme d’un son et ce n’est pas un hasard Balthazar s’il a monté un studio à New York, le bien nommé Fun House qui allait devenir au moins aussi mythique que le fameux Sweatbox de Tim Kerr.

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    Dès le premier album des Honeymoon, The Honeymoon Killers From Mars, on sent le souffle. Ce vieil album de sonic trash new-yorkais date de 1984, ce qui ne nous rajeunit pas. Jerry Teel a glissé cinq inserts photocopiés dans la pochette, ce qui était alors d’usage courant. On voit tout de suite que «Cornbread Fed» rampe sous le boisseau du pire trash new-yorkais. Pas de rémission ni de ristourne d’electrolux. Pas de rien. C’est battu par une gonzesse nommée Claire Fontaine. Jerry tire déjà les ficelles de cette infâme purée. S’ensuit un «I Love To Eat It» glacé d’horreur. Jerry hurle comme un sale con dans le fracas du désastre. Il dit aimer lui bouffer le cul. On le croit. En B, il tape «Ubangi Stomp» au train de ferraille. Voilà la pire version du Stomp qu’on ait vue ici bas. Elle ne veut pas plaire. Jerry n’a qu’un but dans la vie : se faire des ennemis. Inutile d’attendre de lui la moindre concession. Il est d’un seul bloc, comme le montre «Cat People». Pour des politesses, pareil, il faut aller voir ailleurs. C’est vrai qu’il en fait parfois un peu trop. Le boogaloo qu’il développe dans «Who Do You Love» est un peu âpre.

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    Sur Love American Style paru l’année suivante, ils ne sont plus que trois : Jerry, Sally aux drums et Lisa au bassmatic. Toujours soucieux de régaler les fans, Jerry a glissé un single et une photo du trio dans la pochette. On les voit tous les trois devant un chicken shop. Le parti-pris de l’album est celui du son de «Death Party». On croirait entendre le Gun Club dans «Night After Night». Même tempo, même ferveur. Joli groove atmosphérique aussi que ce «Boom Like I Like It». Encore un peu de viande en B avec un «Batman» thème joué à la traînasse. On tombe plus loin sur un «Good n’ Cheap» embarqué à coups d’harp. Globalement, cet album reste très porté sur le son de la cave. «Motor City» se montre digne de Motor City. Ils jouent ça au heavy Death Party beat de wham bam doom.

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    Dans la pochette de Let It Breed, Jerry a glissé un photo du groupe prise devant un stand de fête foraine. Jerry porte un chapeau et les deux gonzesses cultivent le trash avec leurs cuisses énormes. On les entend tester du son dans leur cave, comme s’ils jouaient au jeu de l’underground. Il faut attendre «Dr. Pain» pour trouver un cut un peu dédouané du bilboquet. Jerry renoue avec le format indolent du rock new-yorkais. Ils proposent une A foutraque mais peu captivante. C’est en B que se joue le destin de l’album, notamment avec «Brain Dead Bird Brain» qui préfigure un peu les Chrome Cranks. Nous y voilà. Dark et bien atmospherix. Sans doute le hit dark de l’album mais affreusement mal chanté. On retrouve aussi cette épaisse bassline à la Death Party. La bassiste Lisa chante «Face Of A Beast» à la façon de Moe Tucker, pendant que Jerry joue de groove anaconda, celui qui rampe dans les ténèbres.

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    Et puis voilà Turn On Me qui date de 1987. On sent que Jerry est obsédé par «Death Party». C’est cette pulsation d’avant-garde nucléaire qu’on retrouve dans «Dolly W/A Dick». Il farcit son cut d’intrusions maléfiques et d’intentions comateuses. Ça bat comme le cœur du golem. «You Thrill Me» se veut assez beginning to see the light, cut têtu comme une bourrique, pas décidé à renoncer, ça vaut pour du big hypno dégommé au beat de brute. En B, on tombe sur un «Das Dum Flick» assez envoûté de la clé de voûte, joué à un rare degré de digonnade et on voit cette basse mordre la viande. Mais c’est avec «Hot Wad Of Clay» qu’ils créent la sensation, car ça stooge en profondeur. Ah quelle excellence dans l’exercice du rock’n’roll infectueux ! Voilà un cut fabuleusement enjoué, secoué de vents mauvais avec des chutes de tension spectaculaires et du regain de rage encore plus spectaculaire.

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    Suite de l’aventure Honeymoon Killers avec Take It Off. Trois énormités se nichent dans les ténèbres de l’album, à commencer par ce big «Hard Life» qui sonne comme un hit subversif joué à la stridence anti-matérialiste, avec un regain d’excès permanent. Le beat est encore une fois celui du «Death Party». Ils font une version complètement iconoclaste de «Hanky Panky». Ils transforment cette pop céleste en heavy groove de doom. Plus rien à voir avec Tommy James. Jerry Teel nous tartine là le plus cadavérique des grooves. Le thème original entre sur le tard, mais très léthargique. Joli coup de heavy beat en B avec «Smotherly Love». Voilà encore du très beau son, bien obstiné, qui se moque du qu’en-dira-t-on. C’est absolument superbe de panache underground, celui qui ne sert à rien. On se régale du son de Jerry Teel et de ses amis, un son dense hanté par de belles guitare atmosphériques. Jerry Teel chante son «Sexorcist» comme un diable crampsy, à la petite menace rampante. Et quel joli bass sound, baby !

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    Avec Til Death Do Us Part paru en 1990, on voit bien que Jerry Teel veut du rampant. Il le farcit de tortillettes. Dès «Baby Blew», il sort un son très gun-clubbish des catacombes, très désespéré et gorgé de dark vibes d’underway. Tout explose avec «Jump», puissant et infesté de persistances, joué au beat tribal des forêts humides. C’est encore une fois perclus de tortillettes. Sur cet album, Jerry s’entoure de trois filles, Cristina (guitar), Lisa (bass) et Sally (drums). Ils sortent un son sur-saturé, avec de l’écho plein la sourdine. «Evil Green» sonne comme un heavy hit de l’underground le plus ténébreux. On ne peut pas les battre sur ce terrain. Ils sortent un swamp new-yorkais bien épais qui colle aux semelles. Ça clapote dans la nuit d’encre. En B, ils passent avec «I Can’t Wait For Nothing» à un exercice de transe. C’est l’hypno de blast furnace. Encore un hit infesté de requins : «Head Twister», ou le boogie according to Jerry Teel. Excellent album, sombre musicalité.

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    Fulgurant album que cet Hung Far Low enregistré en 1991. Jon Spencer et Russell Simins viennent renforcer les rangs des Honeymoon Killers et ça change tout. Dès «Mad Dog», ils se montrent malveillants en jouant sous le manteau. Mais c’est avec «Wanna White» que ça explose. On y assiste au fantastique développement du heavy groove new-yorkais. Jon Spencer l’embarque en enfer et Jerry Teel l’embobine au riff tournoyant. C’est so good que Jon Spencer fait so good ! On reste dans l’énormité avec «You Can’t Do That». Avec Jon Spencer, il y a toujours un allant. Ce «You Can’t Do That» renvoie au «Dropout Boogie» de Captain Beefheart. Aw ! Il pousse même les Aw que John Lennon dans «Cold Turkey». Pendant que Russell Simins bat bien son beurre et que Jerry Teel gratte sa gratte, la petite Lisa bosse bien sa basse. Avec «Kansas City Milkman», Jon Spencer abandonne toute dignité et se vautre dans le stupre new-yorkais. Mais c’est en B que les choses se corsent, avec notamment «Thanks A Lot» attaqué à la vérole stoogienne, aux pires riffs de Jerry Teel. Ils sont capables d’être encore plus royalistes que le roi des Stooges. Au chant, Jon Spencer bat tous les records de violence psychotique. Encore un cut drivé au riff malade avec «Fannie Mae». Jon Spencer y joue la carte du riff excédé, il trépigne de rage. Ils continuent de battre bien des records avec «Scootch Says». Violente montée de la basse dans le mix, et derrière ça cisaille à la parade. Oh comme ça monte ! Lisa chante «Madwoman Blues», elle chante ça à la paumée de la pommerolle définitive, c’est incroyablement trash, d’autant plus trash qu’elle n’a pas de voix et derrière, ils cisaillent comme dans Massacre à la Tronçonneuse. Crrrrrrrrr ! Bon il est temps que cet album se termine. «Whole Lotta Crap» se veut plus cérémoniel. Ils sont imbattables au petit jeu du pété de casseroles. Il souffle un beau vent de folie dans les quilles du bâti stoogy. Ils dévorent leur place au soleil.

    Teel l’espiègle allait connaître les vertiges de la gloire avec les Chrome Cranks. Leur aventure commença dans les années quatre-vingt dix par une petite photo publiée dans la rubrique «On» du New Musical Express. Pour les groupes débutants, cette rubrique constituait une sorte de tremplin fatidique. On y qualifiait les Chrome Cranks de stoogiens. Il n’en fallait pas davantage. Cap sur le rayon import des deux ou trois disquaires parisiens capables de proposer ça et wham bam, thank you pas mam mais On. Jackpot !

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    Dead Cool paraît sur Crypt en 1994. On y trouve cinq coups de génie. Un, «Desperate Friend» : enfoncé au pilon, monté sur un riff massif d’une autre époque, de type «Gloria» des Them, glorieux mélange de garage d’Irlande du Nord, de sauvagerie à la Wolf et de majesté crampsy. Deux, «Way Out Lover» : la bombe du siècle, un champignon atomique de basse fuzz qui s’auto-détruit, pièce imbattable, oh yaaa yaaaa, balayé par des vagues fuzzo-subliminales, et Peter Aaron hurle à la vie comme à la mort, spectaculaire et vertigineux, c’est battu à la forge, non, il n’existe aucun équivalent sur le marché. Trois, «Bloodshot Eye» : stoogerie de type «Down In The Street», riff de rue qui s’enfonce dans la pénombre. Quatre, «Nightmare In Pink» : mètre-étalon du trash-punk new-yorkais, pure giclée de jus, magnifique de délabrement mongoloïde, dynamité à chaque instant. Et en cinq, l’immense «Shine It On», rien au dessus, tendu dans la chair du punk-rock, irradié par l’ampleur du scream, porté par la clameur de l’insanité, au-delà de toutes les normes, au-delà de TOUT, explosion de toute la pulsion sexuelle du rock. Le morceau le plus hurlé de l’histoire du rock, monté en épingle et explosé au sommet du riff. Qui peut égaler ce screamer fou ? Personne. Cette déflagration sonique surpasse celle des Stooges. Eh oui, on ne croyait pas ça possible et c’est arrivé près de chez vous, une balle dans l’oreille, shine it oooon yeahhhh, l’inaccessible étoile du trash. On prend feu en écoutant ça. Comme si on rôtissait en enfer et qu’on adorait ça.

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    Les Cranks vont enchaîner trois autres albums bourrés de classiques : Chrome Cranks, puis Love In Exile et Hot Blonde Cocktail.

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    Avec le morceau titre de Hot Blonde Cocktail, Peter Aaron nous plonge dans la folie. Les refrains s’échappent de l’asile. Personne n’est allé aussi loin que lui dans l’arrachage de barrières de sécurité, à part Antonin Artaud. On ne peut pas s’empêcher d’imaginer Artaud à notre époque. Il aurait adoré les amplis Marshall et la Fender Jaguar, les flaques de bière sur la scène et les traces de sang sur le manche de guitare. Il aurait hurlé son ventre de poudre ténue et le sexe du bas de son âme qui monte en triangle enflammé. Il n’aurait pas engagé Marthe Robert ni Jacques Prevel, mais Bob Bert à la batterie, William Weber à la guitare et Jerry Teel à la basse. Peter Aaron se serait incliné devant le maître et aurait accepté de voir son orchestre le quitter. Sur Hot Blonde, on trouve aussi ce vieux classique des Cranks, «Lost Time Blues», fuzzy et riffé comme un classique des sixties, solidement arrimé et secoué de petites explosions intraveineuses - et le screamer le plus ardent du XXe siècle invente le trash éternel, celui qui va marquer les mémoires au fer rouge. Tout l’esprit du rock ultime se trouve piégé dans cette pièce crampsy et maudite. Au-delà, il n’y a plus rien, comme dirait Léo Ferré.

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    Les Cranks vont tenir dix ans. C’est un record, pour une pétaudière à huit pattes. Puis vient le split. En 1996, paraissait Diabolical Boogie, un double album proposant les singles, les démos et les raretés. Peter Aaron profitait de l’occasion pour écrire un texte d’introduction digne de celui proposé par Lux Interior dans How To Make A Monster. Ce texte magistral s’intitule «Cordes cassées, rêves brisés (et des crachats)». En voici le début : «Ce n’est pas un texte de présentation, c’est un exorcisme. Pour moi, en tous les cas. Oh je sais que ça peut sembler pathétique. Je veux dire, les Chrome Cranks n’étaient rien d’autre qu’un groupe de rock en plus. Mais c’était MON groupe. Être dans un groupe, c’est comme être marié. Quand un groupe s’arrête, comme le font la plupart des groupes, c’est dans la grande majorité des cas pour les mêmes raisons que celles qui détruisent un mariage : la jalousie, l’absence de communication, l’arrogance et parfois des abus de substances. Vous voyez de quoi je veux parler. Ça oui, on a eu tout ça dans les Chrome Cranks, et à la puissance dix. Moi-même, je peux plaider coupable pour au moins deux des raisons citées (mais pas la dernière, à moins que vous ne considériez la caféine et la nicotine comme des drogues). J’aurais bien aimé pouvoir comprendre tout ça à l’époque, mais... Toujours pareil, blah blah blah, à quoi bon ?» Il rend ensuite hommage à ses amis Jerry Teel, Bob Bert et William Weber : «En observant le line-up classique des Chrome Cranks depuis mon promontoire du XXIe siècle, je vois un ensemble de choses qui permettent de distinguer le groupe de la scène garage classique et «rétro» à laquelle on nous rattachait. On avait des atouts comme par exemple les lignes des basse néandertaliennes de Jerry, ou la distorse de dingue et l’insupportable volume sonore que je sortais de mon ampli. C’est la frappe extrêmement brutale de Bob qui emmenait le groupe, et il frappait toujours comme un malade, que ce soit sur scène ou en studio. Et comme je suis un fervent amateur de rock depuis trente ans, je peux vous dire en vous regardant dans le blanc des yeux qu’il existe peu de guitaristes du niveau de William G. Weber. Ce mec anormalement doué peut jouer dans n’importe quel style et il joue bien mieux que n’importe quel guitariste de la scène new-yorkaise des années 90 - et même encore aujourd’hui - et bizarrement, personne n’a pensé à enregistrer ce guitariste de génie. Oh, n’oublions pas ce screamer fou qu’on entend sur les vieux morceaux rassemblés sur cet album, je suppose qu’il fait lui aussi partie des atouts. Peut-être n’étions-nous pas le groupe le plus original de l’histoire du rock, mais on y croyait dur comme fer et on a vraiment essayé de rester aussi inventifs qu’on le pouvait, tout en restant dans le cadre que William et moi avions pré-défini au départ. En règle générale, les journalistes appréciaient beaucoup les Cranks.»

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    Véritable fatras hystérique, Diabolical Boogie dégueule de fuzz et de scream. Avec les Cranks, on est sûr d’aller de blast en blast. C’est écrit, comme dirait Léon Bloy, le grand punkster de l’Avant-siècle. Sur quel autre disque peut-on trouver un tel shoot de trash-blues ? Aucun. L’objet reste unique au monde. Dès le premier morceau, «Love And Sound», les Cranks nous plongent la tête dans leur chaudron, c’est trashé dans l’âme, yah-yah ! Et Peter Aaron hurle comme un beau damné, il explose de trashitude céleste, il est l’empereur du trash derrière lequel l’herbe ne repousse pas, il bat tous les records de hurlements de Sainte-Anne, il hurle comme s’il voulait conjurer tous les démons de la création («The Big Rip-Off»), atmosphères plombées et rafales de scream, telle est leur recette, on a l’impression de voir un morceau en putréfaction, ou des organismes incandescents, succession de couplets hurlés dans la nuit glacée («Sacred Soul»), Bob Bert cogne sans relâche, solos outranciers et écarts de voix impardonnables («Street Waves», reprise de Pere Ubu). «Pin-Tied» est un clin d’œil au swamp-blues. Les alligators de Screamin’ Jay Hawkins et de Roky Erickson se pavanent dans la mélasse sonique. Les Cranks sonnent parfois comme ces pauvres tarés de Birthday Party. Ils prennent le parti-pris du non-retour. C’est une abomination. Peter Aaron n’en finit plus de hurler. On retrouve l’atmosphère des Scientists, les ambiances irrespirables, les moustiques, les sangsues, les Seminoles, les flèches et les cadavres qui flottent. La musique tournoie sur des accords séculaires. Et puis ce «Red Dress», d’une rare violence, embarqué au scream et viandé à coups d’accords stoogiens, pur génie trash, sommet de la vraie jute et screamé jusqu’à l’os du crotch, comme s’ils ouvraient une voie vers une nouvelle sorte de folie libératrice. Une folie de la modernité, telle que la concevait certainement Artaud. Stoogerie encore avec «Collision Blues», mais les élèves dépassent les maîtres, Peter Aaron pose une voix à la Iggy sur un beat rebondi et ça devient rapidement effrayant de collusion collutoire, puis ça jaillit et ça explose dans le magma des enfers rouges d’un cerveau en contusion, yah yah yah !, celui de Peter Aaron. Ils semblent encore s’enfoncer dans le chaos avec cette version de «Burn Baby Burn», drumbeat dément, l’une des intros du siècle, beat plombé, menaçant, l’empire du binaire de la mort noire, et Peter Aaron fait le loup derrière. Les guitares se fondent dans la fournaise. La voix de Peter sort du fond de la crypte. Le beat enfonce les clous. Bob bat le beat des dieux viking. Peter Aaron sonne comme Lux Interior. La pression est terrible. Et soudain, ça se met en route, ça tourne garage, mais garage en feu, c’est hallucinant de barbarie sonique, qui va aller chercher des enfers pareils, à part les Cranks ? On entend les pas traînants des guerriers ivres de carnage dans les rues de la ville en feu, c’est agité de violents spasmes de riffage sixties. Dans «Come In And Come On», Peter Aaron hurle comme Dracula - Scream Dracula Scream - et William Weber arrose le chaos de bottleneck. Ça sent la friture. Nouvelle version du blues des catacombes, «Lost Time Blues», Peter Aaron fait son bouc émissaire, c’est dingue ce qu’il peut bien hurler. Dingue, vraiment dingue. Tout est là, dans le néant du scream. On tombe ensuite sur une version live de «Draghouse» : une sauvagerie sans équivalence dans toute l’histoire du rock. Un métro lancé dans la nuit, sans but ni conducteur. Ce truc sonne comme un cauchemar de la révolution industrielle. Une charge de la brigade légère glorieuse et héroïque, une épiphanie des clones du fourbi définitif, du Lovecraft fondu déversé dans l’œil d’Absalon, ça hurle comme sur les croix des hérétiques, à l’époque où l’on fouillait les chairs au fer rouge et où l’on faisait issir les moelles. Ils font même une reprise de «Little Johnny Jewel», le premier single de Television : la reprise du siècle, n’ayons pas peur des mots. Hantée. Esprit es-tu là ? Et puis pour finir, un glam du diable avec la reprise de «The Slider» de T. Rex. Chaos technique. On sort de ce disque complètement sonné, en maudissant le ciel. Trop éprouvant pour les nerfs, surtout quand on les sait fragiles. Mais si le radicalisme sied à votre tempérament, alors c’est l’orgasme intellectuel garanti, la commotion sidérale. Ça peut même aller jusqu’à la révélation.

    Les Chrome Cranks, c’est en effet le groupe parfait. Ils disposent de tous les éléments de choix : le son, le look, les compos, l’esprit, la démesure, le goût du chaos et une certaine «wasted elegance».

    Puis, pendant dix ans, aucune nouvelle de Peter et de ses amis. Rien. Pour les admirateurs du groupe, ça semblait incompréhensible. Quoi ? Qu’est-ce que ça veut dire ? Et pourquoi les Cranks vendent-ils moins de disques que Blur ou Radiohead ? Comment lutter contre une telle injustice ?

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    Et puis le miracle est venu d’un label indépendant du pays basque espagnol, Bang Records. Entre 2009 et 2013, trois nouveaux albums des Chrome Cranks sont parus sur cet audacieux petit label (qui réédite aussi le Gun Club et les Scientists - il n’y a pas de hasard, Balthazar). The Murder Of Time est une compilation, par contre, Ain’t No Lies In Blood est l’album de reformation des Cranks.

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    Aussi hanté qu’à l’origine, aussi pilonné, les Cranks appliquent les mêmes vieilles recettes apocalyptiques, multipliant les violentes montées en température. Dans une reprise de Roger McGuinn, «Lover Of The Bayou», William Weber déverse ses déluges et Bob Bert dédouble à l’infini ses redoublements. Ils sont encore plus enragés qu’avant. Sur «Rubber Rat», ils virent jazzy, avec un son musclé, vaillant et déterminé. Jerry Teel y joue une ligne de basse souple et élastique. Avec «Star To Star», ils renouent avec le grand art abyssal, dans une ambiance ténébreuse et dangereusement électrisée. «Broken Hearted King» est monté sur une structure bombastique ultra-puissante, un beat de surmenage valvulaire agité de pulsations psychotiques. C’est à la fois mauvais et hérissé. Bob bat comme un Bert. L’album regorge de purées fumantes de distorse et de chant hurlé, comme au temps béni de «Doll On A Dress» et de l’immoral «Dirty Son (Lie Down/Fade Out)».

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    Moon In The Mountain est le dernier album des Cranks paru. Cet objet original propose une A en 33 tours et une B en 45 tours. Écoutez l’A. On y retrouve des vieux coucous enregistrés pour une radio anglaise, et notamment «Wrong Number» qui cueille le menton avec son pilon de grosse caisse, ses couplets vomis et sa cisaille de guitare. Du velours pour l’estomac. Sauvagerie démente ou démence de la menthe, olé ! Merci Bang ! On retrouve ensuite un «2:35» pétri d’accords martyrs et de virulences à répétition, «Backdoor Maniac» et ses dynamiques perverses vibrillonnées de scream. Ils appuient dessus comme sur une boule de pus, ça gicle ça hurle et ça cavale, yaaah yaaah ! Bel hommage à Wolf avec «We’re Goin’ Down», même uh-uuuuh, avec des down qui pleuvent comme vache qui pisse et ça se termine avec un «Down So Low» qui bascule dans la biscaille qu’on peut imaginer. Tout y est. On appelle ça un fantastique album de rock.

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    Nouvel épisode de poids pour Teel l’espiègle : il monte the Knoxville Girls avec Kid Congo, Bob Bert et deux autres mecs. Knoxville Girls paraît en 1999. On peut parler d’album culte. On a là le nec plus ultra du revamp US, ces mecs jouent la carte de l’indécence définitive. Impossible d’échapper aux trois guitares de «Soda Pop Girl». Effarant de profondeur. Teel l’espiègle chante «Two Time Girl» au gut de l’undergut, les Knoxville Girls sonnent comme un riot de campagne. Ils vont piétiner les plate-bandes du JSBX avec «King Pow Chicken Scratch» et sa plastique d’expression funkoïdale de garage kid invétéré. Quel instro ! Typical Teel l’espiègle avec «NYC Briefcase Blues». Il sonne comme un bluesman efflanqué, c’est même très dylanesque, puis ça repart en mode boogie avec «Warm & Tender Love», ça gratte à l’apanage des Appalaches, oh honey, ils vont bien sous le boisseau avec du jus à gogo, ça devient même stupéfiant. Et comme si ça ne suffisait pas, ils passent au heavy gospel blues avec «I Had A Dream». Teel l’espiègle essaye de surpasser Jon Spencer, mais ce n’est pas facile. Retour à la violence originelle avec «One Sided Love». Ils jouent au freakout des Girls, ça gratte à la surenchère, ce diable de Teel l’espiègle sonne comme un big shouter.

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    Paru l’année suivante, In The Woodshed est un album live. On y retrouve les hits du premier album, à commencer par «Warm & Tender Love», ils grattent ça à la désaille impérative. Ils tapent «I Had A Dream» et «NYC Briefcase Blues» au heavy doom de boogie down, spécialité du vieux Jerry. Tout le son est raclé jusqu’à l’os du bone, et Kig Congo vient faire le con dans «Sophisticated Boom Boom». On retrouve Teel l’espiègle aux commandes de «Truck Driving Man», il avance à coups de you know what, c’est explosif. On voit rarement des blasters aussi beaux. Mention spéciale aussi pour «Armadillo Roadkill Blues» joué au bottleneck de mauvais aloi et explosé de rockabilly. Ces mecs sont des bandits, ils ne respectent rien. C’est noyé de son, perdu à jamais, sans espoir d’avenir. Trop sauvage. Mississippi river, aw my God ! Ils terminent avec «Low Cut Apron/Sugar Box», un vieux boogie de la désaille extrêmement bienvenu et noyé de son. On n’en demandait pas tant.

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    Leur troisième et dernier album s’appelle In A Paper Suit. Teel l’espiègle drive le morceau titre sec et net, c’est fabuleusement décadent et ça sonne comme du Dada évangélique. C’est sur cet album qu’on trouve la version studio de «Sophisticated Boom Boom». Le Kid y fait la pluie et le beau temps. Il va d’ailleurs reprendre le cut à son compte, dans l’un de ses albums solo. Joli cut aussi que cet «Oh Baby What You Gonna Do Now» cisaillé dans la mélasse de la rascasse, ils taillent une route pas facile, ces blancs jouent avec le son des noirs, ça peut vite devenir tendancieux. Leur «Baby Wedding Bell Blues» carillonne, tellement c’est plein de son. Ils passent au heavy bish bash avec «That’s Alright With Me». C’est très Knoxvillien, awite, bien allumé aux accords de réverb. Ils passent au stomp avec «Butcher Knife». Teel l’espiègle s’amuse bien, awite, on a même de l’orgue dans le pitch. Ils jouent à la petite fournaise ronflante. Le Kid revient au micro pour «Drop Dead Gorgeous», il chante comme un délinquant et on entend des chœurs de Dolls ! Magique !

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    En 2008, Teel l’espiègle monte au side-project avec Pauline, trois copains et les Sadies qui s’appelle Jerry Teel And The Big City Stompers. Un bel album sort sur Bang, le label basque. Teel l’espiègle récupère le banjo des Sadies pour doper sa musicalité. Il ne mégote pas sur la marchandise. Il propose ici une sorte de country d’upright et de fiddle. Il envoie du banjo dans les guibolles d’«Hillbilly Boogie» et tape dans Townes avec «Loretta», mais il tape ça en mode Velvet. On se croirait à New York en 1968 ! C’est en B que se joue le destin de l’album, avec notamment ce «What Am I Supposed To Do» swingué au slap, bien sourd et même génial. Il y shoote toute la puissance du bop de rockab. Il connaît les secrets du hit en sourdine. Fantastique ! Il tape aussi «Sugarbaby» au lowdown country blues et nous embobine sans problème. Avant d’aller coucher au panier, on écoutera encore «Long Legged Guitar Pickin’ Man», car c’est chanté à deux voix avec du banjo à gogo et des violons à gaga. Admirable jerk de saloon ! Curieusement, Teel l’espiègle s’arrange toujours pour répondre aux attentes.

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    En 2010, il rassemble Pauline, Josh Lee Hooker, Nicholas Ray et le batteur Danny Hole pour monter Chicken Snake. Un premier album paraît sur Beast : Lucky Hand. Attention, les faces sont inversées et ne correspondent pas aux étiquettes. On y détecte deux influences prépondérantes, celle du Velvet avec l’excellent «N. Rampart St Blues» et celle de Dylan avec «Punjabi Jack» qui sonne vraiment comme l’I ain’t not gonna work for Maggie’s farm no more. Les fans du Velvet se régaleront de «N. Rampart St Blues», car Teel l’espiègle le travaille au groove hypno et termine sur un beau final digne des calamités du Velvet de l’âge d’or, avec à la clé les dissonances du grand bazar. On voit aussi avec «Hand Me Down Snake Skin Shoes» que Teel l’espiègle connaît les secrets du relentless : groove bien rampant, même si le son reste clair. On voit bien que ces gens-là adorent le shakedown de vieux tremblement.

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    Alors c’est parti pour les Chicken Snake, ils vont suivre leur petit bonhomme de chemin sur Beast d’année en année, avec chaque fois une photo du groupe sur la pochette et le titre de l’album en pied. En 2012 paraît Trouble On My Doorstep, dominé par un cut très dylanesque en B intitulé «I’m A Lonesome Hobo». Bel hommage. Teel l’espiègle ramène son sens aigu du beat insistant et ça correspond très bien au Dylan de l’âge d’or. Gros festin de guitares carnivores, fondu d’accords magistraux, d’harmo et de vieille niaque. L’autre point chaud de l’album boucle la B : «Fortune Teller Blues», monté sur un bon beat et secoué aux percus. The snake shake le bon shook de l’ivraie. C’est littéralement hanté par les guitares et décidé à ne pas se laisser marcher sur les pieds. Ailleurs, ils retombent dans leur normalité qui est celle du boogie énervé et du beat sautillant. Avec «Doctor Doctor», ils vont chercher le deep Southern groove d’harmo joliment infesté de New Orleans Sound. Avec «If The Creek Don’t Rise», ils tentent de créer une grosse ambiance, mais ça n’est pas toujours aussi facile qu’on le croit. C’est un genre éculé par trop d’abus. Ils sauvent la mise du cut grâce à l’insistance du beat. Danny Hole bat tout ça si sec.

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    Avec Unholly Rollers paru deux ans plus tard, ils vont plus sur l’hypno, à commencer par «Cowgirl Blues». Facile, c’est une cover de Jessie Mae Hemphill que chante Pauline à la plage. Très beau drive. Jessica Melain a remplacé Danny Hole. Le groupe a donc trouvé sa parité : deux mecs, deux filles. Autre prodige hypnotique en B avec «Evermore», chanté à deux voix sur un beau beat de percus. Ils maîtrisent admirablement l’art du rattlesnake beat. Ils embarquent aussi «Nothing Ain’t Right» au vieux rumble de cabanon, c’est battu à la tressaute prégnante et le solo se coule dans le moove comme un serpent, sale et vénéneux. Ils shakent toujours le snake avec «Crazy Mama» et ramènent toute l’ostentation de la paraphernalia. Joli cut aussi que ce «Yer Poison» d’ouverture de bal, joué au lousdé de New Orleans avec des clochettes de cabanon. Ils savent parfaitement doser le poison d’un son. S’ensuit un «Bad Blood Blues» joué à la petite transe hypno du Teely System. Il joue des notes épaisses dans une sourde clameur d’outre-tombe. Très envoûtant. Ce mec est un don du ciel.

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    Encore un album réussi avec Tombstone N Bones qui date de 2016. Au dos de la pochette, ils se font photographier dans un cimetière, pour faire bonne mesure. «Baby Stop» sonne comme un classique des Stones - Baby stop dragging me down - Ils savent traire les vaches maigres de la Stonesy, aucun problème. Puis on voit Teel l’espiègle et Pauline à la plage duetter sur «Walkin’ Blues». Chacun son couplet. Teel l’espiègle sait travailler sa diction de vieux blackboard. Wow, ils sont excellents, enrootsés dans la modernité. On pourrait presque dire la même chose de «Donna Lynn», chanté aussi à deux voix. Ça joue tout droit, à la bonne vieille admirabilité des choses, assez hypno dans l’esprit, avec quelques relents de Velvet. Ils attaquent leur B avec «Hot Cold», une vieille souche de garage signée Spencer T Jones et riffée avec la pire des sévérités. Joli son de baraque. Toute la B reste dans une ambiance de bonne franquette et de heavy boogie down. Ils tapent «Lay It Down» au heavy groove de pathos d’Honeymoon. Tout ce qu’ils jouent est bon, bien battu et gorgé de son. Ils n’hésitent plus à chanter à deux voix comme X à la grande époque. Tout est calibré au mieux des possibilités du rock underground de bon aloi.

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    You Must Be The Devil date de l’an passé et semble encore plus réussi que les albums précédents. Teel l’espiègle emmène ce rootsy meltdown qu’est «Trouble» à la clameur fantômale. Il crée ainsi une superbe tension et une musicalité de pure véracité. Ils atteignent au raw to the bone charnu et fourni, celui dont rêvent tous les groupes de rock. Avec le morceau titre, ils passent au joli stomp de cabane qui sent bon la menace funeste et la pétoire fumante. Ils stompent sous le boisseau. Merveilleuse équipe. Jessica Melain bat ça si sec. Ils flirtent avec le Gun Club. Retour au Velvet avec «Sick». On se croirait dans «Sister Ray» tellement c’est bien foutu. Ils ramènent un invraisemblable swagger dans la soupe aux vermicelles. Puis Teel l’espiègle tape dans Link Wray avec «Fire And Brimstone». Il ne fait jamais rien au hasard. Il faut se souvenir de sa reprise de «Batman» à l’époque des Honeymoon Killers. En B, ils reviennent au Velvet avec «Back Water Blues» et passent au low key avec «Midnight Call». Un chef-d’œuvre de dosage, extrêmement bien tressauté du beat et chanté à deux voix. Ils tiennent là une formule épatante, ce que vient confirmer «Fortune Teller Blues» monté sur le même beat. Cet album est très inspiré. Ils chantent aussi «Worried Blues» à deux voix, dans la meilleure tradition de downhome cabane blues. Ils terminent sur un fabuleux clin d’œil à Hank Williams avec «Honky Tonk Blues». Ils s’amusent bien au fond de leur shack de snake.

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    Dans les années 90, Teel l’espiègle monte Bewitched avec Bob Bert et Chris Ward. Leur premier album s’appelle Brain Eraser. Le son renvoie au Cranks, car Bob bat ça à la ferraille. Il fait de «Sky Skag» un instro hypno imparable. On assiste dans «Hold» à une extraordinaire flambée de violence. Voilà le real deal de l’underground new-yorkais, celui de Pussy Galore et des Chrome Cranks. La guitare de Jim Fu Teel règne encore sans partage dans «U-Turn». C’est un excellent album de son, plein d’allant et de retour. Suite de la foire à la saucisse avec «I Dunno What To Do». Ça pendouille de partout, ça chauffe et ça vomit de la disto dans tous les coins. Quand ils n’ont rien de particulier à dire, ils restent ambianciers, comme c’est le cas avec «Chuck’s Got A Big One». Ils se contentent de chauffer la gamelle pour que ça mijote à la new-yorkaise. S’ensuit un «Skunk Hole Town» bien travaillé à la cisaille. C’est l’esprit punk new-yorkais dans ce qu’il peut présenter de plus captivant.

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    Le deuxième album de Bewitched s’appelle Harshing My Mellow. C’est l’occasion pour Teel l’espiègle d’adresser un gros clin d’œil aux Stooges. «No1» est encore plus stoogé que le roi des Stooges. C’est un white trash de bidon so messed up, les énergies fondamentales sont là, avec tout le tempo animal dont on peut rêver et le better watch out de circonstance. Wow, ça mâche et ça broute bien la motte. Bob Bert boom ça bien. Tout aussi stoogé du ciboulot, voilà «Broken Forest». Il chante comme Igyy, awite ! William Weber traîne aussi dans le studio. Ils rendent hommage à Owsley avec «Orange Owsley» - Awss ley !, comme dirait Sonic Boom. Ça joue aux heavy nappes de psyché avec la petite voix de Dana dans le mix. Aw ! Yeah ! Right ! Now ! Ils savent de quoi ils parlent. On voit Peter Aaron chevaucher le dragon dans «Stereo Nag» et William Weber passe des accords en désaccord dans «Beaver Town». Il fait son barrage contre le Pacifique, tout est barré dans le barrage de son. On sort ravi de cet album et surtout ravi d’avoir pu croiser le chemin d’un mec comme Teel l’espiègle.

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    En 1998, il monte Little Porkshop avec ses amis Stumblin’ Jack Martin, Lisa Jayne et Lazy Susan. Ils enregistrent l’excellent Welcome To Little Porkshop sur le label de Long Gone John, Sympathy For The Record Industry. L’ambiance est plus country que sur les albums précédents, et avec «Be Mine All Mine», Lazy Susan drive le drive, avec ce diable de Jack Martin en franc tireur dans l’angle du son. C’est excellent. «Tangled Mind» vaut pour un fabuleux shook de shake. Ils jouent tout à l’écho country. C’est bardé de son, et du meilleur : celui des connaisseurs. Ils hérissent «Liquor Store baby» à la petite niaque d’acous électrifiées et c’est du meilleur effet. Ils ouvrent leur bal de B avec un «Big Mouth Blues» tapé au choo choo d’arrière campagne et ils s’engagent résolument dans le country style avec «Bogeda Flower». Ils portent des chapeaux et des chemises brodées. Teel l’espiègle sait jouer le heavy blues de cabane et «Cryin’ Blues» ne fait que le confirmer.

    Signé : Cazengler, Jerry Tuile

    Honeymoon Killers. The Honeymoon Killers From Mars. Fur Records 1984

    Honeymoon Killers. Love American Style. Fur Records 1985

    Honeymoon Killers. Let It Breed. Fur Records 1986

    Honeymoon Killers. Turn On Me. Buy Our Records 1987

    Honeymoon Killers. Take It Off. Buy Our Records 1988

    Honeymoon Killers. Til Death Do Us Part. King Size Records 1990

    Honeymoon Killers. Hung Far Low. Fist Puppet 1991

    Chrome Cranks. Dead Cool. Crypt Records 1994

    Chrome Cranks. The Chrome Cranks. PCP Entertainment 1994

    Chrome Cranks. Love In Exile. PCP Entertainment 1996

    Chrome Cranks. Ain’t No Lies In Blood. Bang Records 2012

    Chrome Cranks. Dirty Airplay. Bang Records 2014

    Chrome Cranks. Oily Cranks. Atavistic 1997

    Chrome Cranks. Diabolical Boogie. Atavistic 2007

    Chrome Cranks. The Murder Of Time. Bang Records 2009

    Knoxville Girls. Knoxville Girls. In The Red Recordings 1999

    Knoxville Girls. In The Woodshed. In The Red Recordings 2000

    Knoxville Girls. In A Paper Suit. In The Red Recordings 2001

    Jerry Teel And The Big City Stompers. Bang Records 2008

    Chicken Snake. Lucky Hand. Beast Records 2010

    Chicken Snake. Trouble On My Doorstep. Beast Records 2012

    Chicken Snake. Unholly Rollers. Beast Records 2014

    Chicken Snake. Tombstone N Bones. Beast Records 2016

    Chicken Snake. You Must Be The Devil. Beast Records 2018

    Bewitched. Brain Eraser. No. 6 Records 1990

    Bewitched. Harshing My Mellow. No. 6 Records 1990

    Little Porkshop. Welcome To Little Porkshop. Sympathy For The Record Industry 1998

    THE JINETS

    ROCK'N'ROLL LADIES

    ( demos )

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    Une promesse. De filles. Donc il faut se méfier. Des traîtresses alors que nous les boys nous sommes irréprochables. Elles ont déjà un FB et une chaîne You Tube, avec deux malheureuses démos mises en ligne depuis le huit octobre, et depuis silence radio. Elles ont dû recevoir des monceaux de lettres recommandées alors nos princesses ont annoncé leur première apparition publique au Rockin' Breizh Club à Pencran le 29 février 2020 avec les Strike et les Flight Deville, d'un côté on n'est pas content parce que la Bretagne c'est loin, mais de l'autre on est heureux parce que l'on aura de belles photos de Sergio Kazh dans Rockabilly Generation News, autant de pris sur l'ennemi.

    C'est que les Jinets ce n'est pas n'importe qui, jugez par vous-mêmes du casting, par ordre alphabétique Ady Errd : vocal et guitare chez Ady and the Hot Pickers, Emilie Crédaro guitariste chez The Black Prints, et Vaness Jallies : caisse claire et vocal chez les Jallies, trois groupes que nous avons accueillis chez Kr't'nt ! une réunion au sommet de la féminité rock'n'roll de par chez nous. Elles surfent un peu sur la facilité, les trois plus belles, les trois plus intelligentes et les trois plus douées. Du cousu d'or fin, vingt-quatre carats. Métaphore un peu exagérée parce que je ne crois pas qu'elles soient les plus riches de la contrée.

    Donc deux démos. Elles n'abusent pas, uniquement le logo comme image, ne vous font pas le coup du charme champagne assuré. Jugez-en uniquement par vos oreilles.

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    SLIPPIN'AND SLIDIN'

    S'encombrent pas dans les décombres et les catacombes de la facilité. Little Richard, juste pour commencer. C'est comme si vous débutiez l'alpinisme par la face nord de l'Anapurna. On s'excuse on n'a pas trouvé plus difficile. J'y discerne une volonté matoise de faire la nique aux garçons, nous on n'a pas peur de rencontrer le Yéti, avec nous les abominables homme des neiges fondantes peuvent aller se rhabiller.

    Rien de plus facile que les standards du rock si vous tenez à surnager sans effort, de véritables radeaux insubmersibles, l'assurance tout risque d'arriver à bon port même si le vent de l'inventivité ne souffle pas dans vos voiles. Maintenant si vous tenez à joindre les deux bouts inconciliables du respect et de l'originalité, vous vous apercevez que le serpent ne se mord pas la queue aussi facilement que cela. Un mot pour qualifier cette relecture de la pépite richardienne par les Jinets, la légèreté, jouent aux fines mouches qui vous donnent l'impression de ne pas vouloir se poser sur la tartine beurrée. Mais au final vous relevez de véritables empreintes dinosauriennes sur votre biscotte. Et voilà qu'elles viennent essuyer leur pattes graisseuses sur vos oreilles. Et vous aimez ça. Au début Emilie et sa guitare y vont tout doux, rapide mais précise, et puis les deux copines ramènent leur fraises tagada, la voix sucrée de Vaness douce comme une timbale de vin chaud légèrement épicée, et Ady qui vous lâche en catimini des obus à blanc depuis sa contrebasse, vous n'y faites pas trop gaffe, mais elles accélèrent le mouvement, un peu comme ces petites gamines qui entourent de rubans multicolores les touristes tout joyeux sur les Champs Elysées, le gars se croit à Honolulu et il y a longtemps que son porte-feuille a disparu. Vous voici sur le Grand-huit et votre navette file à une vitesse de ratignoles poursuivies par le chat du rock'n'roll, ces filles vous ensorcellent, vous emportent dans une sarabande effrontée, vous essayez de les intercepter mais elles se refilent le bébé à tour de rôle comme des petites folles qui rigolent de votre fiole. Une merveille de précision, la big mama d'Ady castafiore, Vaness rauque'n'rolle sa voix, et Emilie suit les pointillés pour vous découper en tranches. Vous êtes emballés par cette petite merveille. Pesés et mis sous cellophane.

    SEE SEE RIDER

    Ady a toujours eu une petite préférence secrète pour le blues. C'est donc elle qui se colle au vocal pour ce classique de Ma Rainey. Elle a aussi laissé son up-right pour la basse. L'est sûr que l'interprétation de ce morceau par Eric Burdon et les Animals en a quelque peu assombri la tonalité et qu'il est difficile de l'ignorer. Malgré cela la guitare d'Emilie reste claire, mais plus pointue à la manière d'une lame de couteau qui se glisse dans votre chair. L'impulsion charnelle du vocal d'Ady s'empare du morceau à bras-le-corps, vous sentez le sang chaud et le cœur qui bat la chamade du désespoir. D'autant plus profondément que les copines en chœur rajoutent par la clarté moqueuse de leurs voix l'inéluctabilité de la perte irréparable. Vaness use de ses cymbales à la manière d'un gong funèbre définitif. Emilie vous passe le balai d'un dernier solo afin de renvoyer à la poubelle du néant les souvenirs et les débris des fiévreuses étreintes orgiaques passées. Un blues enlevé qui vous colle à la peau comme les ventouses d'une pieuvre qui vous vient sucer la colérique lymphe de vos regrets éternels.

    Deux morceaux. Versant rock et versant blues. Pas plus ni moins. Assez pour définir un périmètre d'investigation et de création assez large. Ne reste plus qu'à les voir sur scène et à attendre un premier disque.

    Damie Chad.

    *

    Une grande interrogation métaphysique parcourt le mental de nos contemporains. Mais que font les rockers quand ils ne font pas un bruit de tous les diables avec leur musique infernale – les statistiques sont formelles, plus vous logez à proximité d'un individu appartenant à cette engeance maudite davantage vous serez exposés aux dépressions nerveuses irrémédiablement terminées par un suicide ( peut-être collectif et familial ) – oui à quoi occupent-ils donc leur temps lorsqu'ils ne s'adonnent pas à d'épileptiques pratiques sexuelles déviantes, quand ils ne s'amusent pas à ingurgiter des produits illégaux qui les rendent fous furieux...

    Chez KR'TNT ! nous ne reculons devant rien pour satisfaire l'avidité de savoir insatiable des sous-humanoïdes qui se prétendent nos contemporains, comme s'ils vivaient dans la même ère culturelle que nous ! Bref, de temps en temps nous nous pencherons sur certaines figures du mouvement rock dont nous retraçons les multiples et périlleuses aventures depuis plusieurs années. Nous commencerons par un cas doublement intéressant. Nous ne traiterons pour cette première fois seulement une seule des activités parallèles ( et forcément coupables ) à laquelle se livre le dénommé Eric Calassou.

    *

    ERIC CALASSOU / PHOTOGRAPHE

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    Je ne devrais pas vous le présenter. Vous l'avez déjà maintes fois croisé dans les colonnes de Kr'tnt, Eric Calassou n'est autre que le chanteur, compositeur et guitariste de Bill Crane. Un des groupes les plus curieux et les plus excitants de la scène parisienne. Difficile à cataloguer. Un rock pervers, obvié, de guingois. Tous les mythes du passé et tous les schèmes encore indéterminés du futur. Mais là n'est pas la question en cette chronique.

    Eric Calassou est aussi un adepte de la photographie. Au regard tordu. Ne comptez pas sur lui pour les beaux paysages, les jolis minois d'enfants craquants, et les robes de mariées complaisamment exhibées dans les jardins municipaux devant les rosiers en fleurs. Pas de chats trognons, ni de chiens mignons non plus. Ignore totalement les splendides couleurs d'un coucher de soleil majestueux sur les flots océaniques. N'est pas non plus le sociologue de service qui tire les portraits des travers et des injustices de la société inhumaine dans laquelle nous essayons de survivre. Le mieux ce serait que vous alliez y voir par vos mêmes. Vous avez plus de sept cents clichés à visionner sur Flickr calassou eric.

    Après un tel préambule, vous hésitez, vous avez raison. Eric Calassou ne photographie aucun des êtres vivants ou des objets inanimés de notre quotidien. Amis rockers, vous risquez d'être déçus, pas de Chambords chamarrées, pas d'Harley customisées à mort, pas de rockers célèbres ou inconnus. Tout cela, c'est trop voyant pour Calassou. Alors quoi ?

    Il y a un parti pris chez Eric Calassou. Ne s'intéresse pas aux choses en elles-mêmes. Son truc à lui, c'est le mensonge de la chose, ce qu'elle n'est pas. Son reflet, son apparence, son insignifiance. Ceci n'est pas une pipe a dit Magritte. Ceci est une photo répond Calassou. Mais que représente-t-elle s'exclament les imbéciles qui voient la lune alors qu'on leur montre le doigt. Avec Calassou, c'est simple une photo ne représente qu'elle même. Et peut-être aussi le regard de celui qui l'a prise. Renoue un peu avec l'esthétique de ces peintres chinois qui refusaient de se saisir d'un calame ou d'un pinceau pour reproduire une chose. Partaient tranquillement en promenade, mais les sens en alerte, souvent rentraient chez eux les mains vides, mais parfois l'œil aux aguets avait repéré dans la disposition hasardeuse de teintes différentes sur la surface d'une pierre l'évocation profilée d'un paysage merveilleux qui n'existait nulle part... Une quête si proche de l'improbable.

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    Prenez une série comme Asphalt-surf. Evidemment aucun véhicule, aucune route. Juste de minuscules fragments qui font signes. L'entrecroisement de quelques couleurs d'où surgit une beauté qui n'est pas sans rappeler les tableaux de Nicolas de Staël, à tel point que l'on peut se dire que si l'ouvrier de la voirie n'a jamais eu l'occasion d'entrer dans un musée pour admirer les prodigieux aplats de Staël, Staël lui a obligatoirement vu les goudrons peinturlurés des rues qu'il traversait.

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    ( Nicolas de Staël )

    Si ce n'est pas comme l'affirmait Baudelaire la nature qui imite l'artiste, ne serait-ce pas alors l'artiste qui reproduit les éclats éparpillés de la beauté que les hommes ont jetée de-ci de-là sans être conscient de la valeur de leur geste. A l'œil limpide de l'artiste prônée par Schopenhauer il est intéressant d'opposer le regard kaléidoscopique du peintre qui ré-assemble pour l'amplifier la réalité éparpillée.

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    Bien sûr dans cette série Calassou enserre dans le diaphragme de son appareil des formes géométriques connues et n'hésite pas à photographier le dessin schématique d'une voiture, mais qu'est-ce au juste, ces segments de droite coupés de leur environnement, ce dessin qui n'a plus aucune fonction utilitaire, voici des signes fragmentés qui ne signifient plus rien, qui n'agissent plus sur le monde, qui entrent en interaction avec le regard humain qui ne peut leur donner une quelconque signifiance, à tel point que parfois il nous manque les mots qui pourraient les exprimer. Vertige : ces photos montrent le monde mais ne permettent plus de le saisir, de le comprendre, de le plier à notre simple compréhension humaine. Que nous dit Calassou, que le monde, même celui que nous avons créé de nos mains existe en dehors de nous. Vit et meurt sans nous. Nous nous consolons de Calassou en disant que ses photos montrent d'infimes portions d'univers auxquelles nos bourdonnantes existences tumultueuses d'hommes du troisième millénaire ne prennent pas garde. Et hop, le petit couplet attendu sur le stress occasionnée par la modernité. Bla-bla-bla ! Ce que nous disent ces photos de Calassou c'est que nous n'existons que par intermittences, en nous-mêmes mais pas au-dehors de nous-mêmes, que le monde est vide de toute présence humaine, même si nous pensons que nous en sommes le pivot. L'homme n'est ni la volonté ni la représentation du monde.

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    Changeons d'album. Voici Scotch-tapes. A peine neuf photos. Amplement suffisantes s'exclameront les impatients. Des photographies de bandes de scotch. Je subodore que l'irritation de certains lecteurs risque d'arriver au bout du rouleau. Surtout que si vous zieutez bien, parfois le scotch a disparu et il ne reste que la trace du ruban adhésif sur le support. Surface serait-on tenté d'ajouter en clignant de l'œil vers un des mouvements de peinture contemporaines les plus connus. Ce qui nous semble une fausse piste. Le mouvement supports / surfaces c'est encore une sacralisation de la peinture réduite à sa seule objectivité de peinture. Le monde n'est-il pas que supports et surfaces sur lesquelles vivent et reposent objets et êtres animés ! La démarche calassienne nous paraît beaucoup plus radicale. D'abord elle ne rajoute rien, elle est acte de préhension, elle prend, mais elle ne prend qu'un reflet, de fait elle ne prend rien. Pour vous en convaincre visitez la série Headlights, des reflets de phare de voiture, non pas l'objet des phares en lui-même, juste le jeu de la lumière naturelle qui s'y mire dedans. Et qui ne s'y mire pas, car cela c'est encore une vue de l'esprit du photographe. De fait la photographie ne photographie pas l'espace matériel de l'objet, ce qui est appréhendé ce n'est pas la matière de l'objet mais un instant fugace de l'objet. Le photographe se livre à une étrange dichotomie, il prélève un fragment temporel de l'objet. Sépare l'ici solide du maintenant fugace. S'attaque à la structure même du monde. La photographie devient une explosion dés-atomique de la matière. Ne libère pas l'énergie, mais emprisonne la lumière.

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    Revenons à des choses plus simples. L'album Derrière la vitre. Le principe en est d'une simplicité absolue. Photographier des personnes derrière une vitre, plus ou moins épaisse, plus ou moins colorée, plus ou moins granuleuse, plus ou moins sale... Ô joie, l'on reconnaît les formes, hommes, femmes, vêtements, nous sommes enfin en pays connu dans un univers à taille humaine. Ne respirez pas. Regardez ces photos comme les troubles agissements d'un serial-killer, il ne s'agit pas de montrer des gens mais de s'ingénier à mettre en scène leur éloignement progressif, leur élimination physique, jusqu'à ce qu'il ne reste plus que des taches de couleurs. Juste une vibration de la lumière. Chez Nicolas de Staël c'est la couleur flamboyante qui mangent les footballeurs, chez Calassou, les couleurs visent à la transparence invisible de la lumière.

    Tour de passe-passe. Maintenant le magicien Calassou s'amuse, il semble imiter Staël, la transparence du verre se colorise de plus en plus à chaque vue. Un seul problème : quelles belles teintures, comme c'est beau, oui certes mais où est passé l'être humain initial. Stéphane Mallarmé devisait quant à la disparition élocutoire du poëte, Calassou lui s'amuse à la dissolution chromatique de l'Homme.

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    Frissons sous la peau. Que reste-t-il de nous lorsque nous serons plus là. Un champ de ruines. La série Broken House a-t-elle été inspirée par la pochette du Led Zeppelin IV, nous n'en savons rien, en tout cas elle est moins optimiste que le message ésotérique du Dirigeable. Calassou joue. C'est une habitude humaine de peindre les murs. Alors il inonde d'aplats géométriques les parpaings dénudés. Juste nous dire que nous repeignons le monde à notre manière parce que comme l'a écrit Joe Bousquet, la lumière est une infranchissable pourriture.

    Photographie / Peinture. La frontière se traverse facilement. Mais que peint Calassou. Il ne peint rien, il peint et photographie des peintures qui ressemblent à ses photographies. Des peintures éclatées, des peintures sur l'eau songez à l'épitaphe sur la tombe de Keats – ici repose un homme dont le nom fut écrit sur l'eau.

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    Vous aimez les idoles. Calassou vous a compris. Calassou a eu pitié de lui. Il vous livre sept auto-portraits. Pas le portrait de l'artiste en jeune chien. Non beaucoup plus grave. Sur huit photos Calassou ne s'est pas peint en Calassou. L'a adopté une posture qui le fait étrangement ressembler à Gérard de Nerval. Le poëte qui voyait le réel d'une manière beaucoup plus profonde que la plupart. Certains diront qu'il a une grosse tête sur la photo et d'autres plus perfidement ajouteront que pour oser cela il faut surtout avoir la grosse tête. Alors regardez la série Cartons. Des photographies de simples cartons. De morceaux de cartons. L'a appliqué à ses autoportraits la même technique que pour ses questions. Photographiez au plus près, photographiez macro pour tenter d'apercevoir l'infiniment minuscule. Il arrive un moment où le plus grand s'égalise au plus petit. Ce n'est pas que le microcosme humain corresponde au macrocosme humain – c'est cela avoir la grosse tête – c'est l'instant où tout l'univers s'équalise et s'équalyse en des milliards de parcelles pas plus importantes l'une que l'autre.

    Mais allez y voir par vous-même. Calassou est certes un rocker. Mais à part entière il est aussi photographe. Qui a longuement réfléchi sur son art et sa relation avec le monde. Les photos d'Eric Calassou, ne sont pas un passe-temps futile, un violon d'Ingres pour employer une expression consacrée. L'on y ressent une démarche réflexive quasi-philosophique. Une interrogation sur la place de l'homme dans l'univers. Cette idée que l'acte photographique sert à donner du sens à notre insertion dans la réalité intangible qui nous échappe à tous moments.

    Bizarrement le rock d'Eric Calassou et de Bill Crane est beaucoup plus visible que ses photographies. Mais si le rock tend à exprimer les dédales mythographiques d'un jeune homme d'aujourd'hui, ses photographies participent d'une démarche interrogative beaucoup plus métaphysique.

    Damie Chad.

    ROCK’N’PHILO

    FRANCIS METIVIER

    ( Editions Bréal / Mai 2011 )

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    Quand j’ai été averti de l’imminence de la parution de ce bouquin, j’ai haussé les épaules, un clampin qui a trouvé un moyen racoleur pour se faire du fric juste avant les vacances, et je n’y ai plus pensé jusqu’à ce que je le trouvasse sur l’étal du bouquiniste. J’ai soulevé la couverture, cinq euros, cela ne creuserait guère mon découvert bancaire, mon banquier n’aura pas besoin de se suicider, lorsque je l’ai soupesé j’ai tiqué, du lourd, plus de quatre cents pages, pas une photo, seulement dans les marges les silhouettes d’une guitare, d’un jack, d’un fil de micro… Cela, ai-je doctement supputé, doit être rempli d’anecdotes croustillantes sur les tournées érotiquement tourmentées de nos idoles, sinon comment voudriez-vous retenir l’attention d’un adolescent d’aujourd’hui… Ayant conservé un esprit jeune je l’ai emporté à la maison.

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    L’a fallu déchanter. Le bouquin est un peu construit sur la recette du pâté d’alouette - un cheval pour une alouette, c’est le charcut qui vous plume - de la philo livrée en palettes de plusieurs tonnes, pour le rock un petit cageot de fruits pas toujours du premier choix. Francis Métivier n’a pas oublié son métier de prof de philosophie, l’a recopié in-extenso le cours qu’il refile à ses alumnos durant l’année scolaire. Soyons juste : il ne se moque pas d’eux, c’est du bien fait, du charpenté, du solide. A chaque séance il vous présente un auteur : n’hésite devant aucune citadelle, Platon, Aristote, Kierkegaard, Saint Augustin ( entre nous comment un esprit religieux peut-il être philosophe ! ), Heidegger, Wittgenstein et tous les autres. Vous explique leur démarche, le problème auquel les aîtres suprêmes de la réflexion se confrontent, la manière dont ils le résolvent, citations et commentaires à l’appui. L’a la cerise pour chacun des gâteaux qu’il présente : à l’étude de chaque notion il fait correspondre un philosophe et un titre d’un groupe ou d’un chanteur : je vous cite trois exemples : Descartes et Pixies, Leibniz et Rolling Stones, Schopenhauer et Téléphone. Un peu comme Plutarque rédigea les Vies Parallèles des Hommes Illustres en présentant par exemple un homme de guerre grec avec un général romain. Voudrais pas critiquer les stars du rock’roll, ne sont pas obligatoirement des ignares mais comparés aux délices d’un Tractacus Logicus ou d’une Critique de la Raison Pure, leurs lyrics, que nous adorons, paraissent tout de même un peu maigres.

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    L’a son truc pour épaissir le potage Métivier, ne se contente pas de décrypter les paroles, y joint l’analyse instrumentale et ma foi dans l’ensemble il se débrouille plutôt bien. Chapeau l’artiste. M’a même bluffé avec son Thomas d’Aquin et Nico Love Teen des BB Brunes. Même si le sous-entendu nicotineux du titre pourrait être envisagé par un sourcilleux recteur pour une apologie éhontée de la consommation du tabac alors que dans les derniers précis de philo pour classe terminales l'on a pris soin d'omettre de la célèbre photographie d'Albert Camus la cigarette allumée qu'il tenait entre ses doigts.

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    Si j’étais Inspecteur de l’Education Nationale je proposerais qu’on lui décerne les Palmes Académiques pour les six premières leçons qui traitent du Sujet. C’est que voyez-vous, quand on y réfléchit, au niveau philosophique le sujet-rock n’est pas vraiment différent du sujet-non-rock. Par contre dans la partie suivante, ça se gâte un peu. Reconnaissons-lui de prendre le taureau de la Culture par les cornes. N’y va pas de main morte, ne tergiverse même pas dans le chemin de traverse de la notion de contre-culture si chère aux hippies, l’est franco de port, pose la question qui fâche : l’ontologie du rock est-elle différente de l’essence de tout autre art majeur. Reste fair-play, l’avoue sa défaite. Il ne sait pas. Qu’il se rassure nous non plus.

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    Partie suivante, La Raison et le Langage, il se dévoile un peu plus, sa note administrative risque de s’infléchir, ne suit pas la ligne idéale de l’optimisme ministériel, la raison n’arrive pas à se faire entendre, nous vivons entre doute et mensonge. Voici un sujet professoral qui se la joue au sophiste. Si les profs dispensent des cours de rébellion métaphysique, tremblons pour nos têtes blondes. La perversion intellectuelle est un vilain défaut.

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    Semble se rattraper avec la dernière partie : La Morale. Lui a scrupuleusement pris soin durant tout le volume de traduire le mot fuck ( vocabulaire de base du rocker anglophone ) par ''b…'' la bénigne lettre qui ne mange pas ses trois points, semble nous dire que le bonheur est possible, presque à portée de main, souriez les enfants, si vous êtes sages la société vous récompensera, tombe subitement le masque en tressant des couronnes de laurier à Stirner le chantre de l’anarchisme individualiste et en élevant une statue d’or pur à Diogène le cynique provocateur, l’infâme prévaricateur des principes les plus sacrés. Bel exemple donné à notre saine jeunesse !

    Jeunes gens qui passez votre bac l’an prochain, n’hésitez pas à vous procurer ce manuel. Vous y apprendrez beaucoup. Certes tout n’est pas parfait. Beaucoup trop de chanteurs français qui flirtent un max avec la variétoche mais d’un abord linguistique plus évident que les amerloques, n’ayez crainte le sabir anglophone est traduit, mais surtout au moment de composer votre copie, délaissez quelque peu les diatribes pistoliennes, endossez un peu de retenue socratique, c’est juste un conseil de haute prévention, mais si vous tenez à affirmez vos préférences destructrices, sachez que la philosophie est aussi l’enseignement de la liberté.

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    De toutes les manières les rockers n’en font qu’à leur tête, peut-être Francis Métivier s’est-il donné beaucoup de mal pour rien. Nietzsche nous a prévenus, l’on n’arrêtera pas la montée du nihilisme.

    Damie Chad.