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  • CHRONIQUES DE POURPRE 618 : KR'TNT 618 : KIM SALMON / EDDIE PILLER / LAWRENCE / THE HEAVY / MARTIN WEAVER / EUCHRIDIAN / GRAVE SPEAKER / SITUS MAGUS / NICOLAS UNGEMUTH

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 618

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    02 / 11 / 2023

     

    KIM SALMON / EDDIE PILLER / LAWRENCE

    THE HEAVY / WICKED LADY

    EUCHRIDIAN / GRAVE SPEAKER

    SITUS MAGUS / NICOLAS UNGEMUTH

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 618

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

    ENTRONS DANS LA DANSE

    UN PEU EN AVANCE

    A CAUSE DES VACANCES !

     

     

    Wizards & True Stars

    - Kim est Salmon bon

    (Part Five)

     

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             Il semblait logique qu’un vaillant saumon comme Kim Salmon vienne jouer sur un fleuve, en l’occurrence la Seine, oui, celle qui coule sous le Pont Mirabeau d’Apollinaire, grand admirateur des harengs qui sont, comme chacun sait, les cousins des saumons. Et pour couronner le tout, notre cute cat Kim s’accompagne de saumons fumés. Place au dadaïsme tutélaire ! L’occasion est trop belle d’associer ces deux grands prêtres de la modernité : Kim Apollinaire et Guillaume Salmon.

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             Mais nous avons un hic en travers de la gorge : Kim Salmon’s Smoked Salmon passe en première partie de Cash Savage, ce qui est un peu le monde à l’envers. C’est comme si on vendait au rabais quarante ans de prestige et une belle ribambelle de brillants albums. Dur à avaler, mais comme il faut bien faire contre mauvaise fortune bon cœur, disons que ça permet de voir Kim avec des oreilles bien fraîches. Qui dit première partie dit set plus bref. Notre vaillant saumon est d’ailleurs pris de court vers la fin du set, lorsqu’on lui dit qu’il ne reste plus que 6 minutes. «Fucking hell !», s’exclame-t-il, et il doit faire le Choix de Sophie, choisir entre ses blasters les plus précieux pour conclure. Donc pas de «We Had Love», qu’on entendait rocker the boat au soundcheck. Ce sera «Swampland» dans une version complètement faramineuse de légendarité, avec un cute cat Kim au sommet de son lard fumant, ah il faut le voir, le vieil Aussie de Perth claquer sa chique d’In my heart/ There’s a place called swampland, c’est encore plus dévastateur qu’en 1986, quand tomba du ciel l’album Weird Love, terrific classic ! Kim n’a rien perdu de cette fantastique bravado d’ampleur cathartique, de ce sens suraigu de la razzia furibarde, de ce goût inné du hit tentaculaire, il faut bien partir du principe que chaque cut de Kim est une vraie compo, portée par une double brioche de brio, chant et guitare. Kim est un wild king de la Tele, il télémaque son temps, il assure à la susurre, King Kim Salmon règne depuis le début des années 80 sur l’underground global et sa faune de globos. 

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             En début de set, il fait surgir du sol une énorme reprise de «Frantic Romantic» qui fut le premier single des Scientists paru en 1979, une sorte de petite perle power-pop inexorable devenue avec le temps un gros blaster scénique. Kim trime ses trames et contrefait ses contreforts, il élabore des dérobades et délite son déluge, c’est une pop incroyablement sophistiquée qui passe en force, on croit la connaître, mais on la découvre. On appelle ça un morceau de bravoure. Comment veux-tu qu’un groupe monte sur scène après Kim Salmon ? Ça paraît insensé. D’autant que les hits se succèdent, tous plus magistraux les uns que les autres, tiens, il annonce «Obvious Is Obvious», un fantastique cut dylanesque tiré d’Hey Believer, son premier album solo, une nouvelle merveille tétanique. Ce qui est incroyable dans cette histoire, c’est qu’avec le cat Kim, le dylanex passe pour du salmonex, il dispose de ce génie qui lui permet de s’approprier les genres et d’en faire une affaire strictement personnelle, exactement comme le firent Jerry Lee ou Lux Interior qui s’appropriaient les cuts pour les digérer et en couler des bronzes tutélaires. Tu sens bien l’extraordinaire power dylanesque dans Obvious, et pourtant tu as ce démon de Kim sous les yeux, claquant son dévolu à la revoyure, avec un souffle qui te flatte l’intellect, il harponne ça d’une voix forte de stentor raunchy, c’est peut-être cette niaque permanente qui frappe le plus, ce power vocal qui lui permet de propulser chacun de ses cuts jusqu’au firmament. Impossible de ne pas faire de parallèles avec d’autres grands seigneurs de la scène, comme Greg Dulli ou Frank Black, ou encore des cadors du songwriting comme Chip Taylor. Le cute cat Kim navigue à ce niveau, il dégage sur scène une chaleur rayonnante qui est celle de l’excellence. Aux yeux de ses fans les plus anciens, Kim Salmon est une sorte de Graal du rock. 

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             Son choix de cuts n’en finit plus d’édifier les édifices. Retour à la prédilection avec «Fix Me Up», un glamster qui date du temps béni de Kim Salmon & The Surrealists, eh oui, on se souvient tous de ces fabuleux albums qui n’intéressaient pas grand monde et qui étaient bourrés de hits et d’élégance, on pourrait presque dire la même chose des Beasts Of Bourbon, qui sont presque passés à l’as, à l’époque, et boom, Kim te claque «Cool Fire» tiré d’un vieux smash nommé Black Milk, le genre de vieux smash qu’on était tellement content de sortir d’un bac, chez Born Bad, au temps béni des vrais disquaires. Tu sortais ça avec les mains moites et tu en bavais d’avance, tu savais que le soir même, tu allais jerker au Palladium avec Tex et Kim. Il y a des cuts moins connus comme «Self Replicator», tiré d’un single passé à l’ass et en vente au merch, mais là, on s’enfonce dans les ténèbres imbroglionales de l’underground, tout ce qu’on peut en dire, c’est que Kim en fait une version sauvage, et à ce stade des opérations, il est impossible de ne pas éprouver un chagrin sincère pour le groupe suivant, car ce démon de Kim leur a déjà volé le show. Au petit jeu du monde à l’envers, les conseilleurs ne sont pas les payeurs. 

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             Alors profitons de cette occasion en or pour mettre le nez dans une fantastique box Scientifique, A Place Called Bad, parue en 2016. Quatre CDs bourrés de dynamite, dirait James Coburn. Comme toutes les box bien faites, celle-ci permet de faire le tour du propriétaire dans les meilleures conditions, et faire le tour des Scientists, ce n’est pas une mince affaire. Le disk 1 s’appelle ‘Cheap & Nasty: The Rise Of Perth Punk’, le disk 2 ‘Set It On Fire: Storming The Eastern States’, le disk 3 ‘When Words Collide: Cachet And Casualty In London’ et le disk 4 ‘Live Cuts’, mais comme il est cassé, on ne pourra pas l’écouter. Tant pis. Au fond, ce n’est pas dramatique, car avec les trois premiers disks, on se tape une belle overdose : le disk 1 est un volcan d’énergie fortement influencé par les Dolls, le disk 2 sent bon les Stooges et les Cramps, et le disk 3 se présente comme le summum du doom de gloom. Si tu ne l’as pas fait avant, là tu es obligé de prendre les Scientists très au sérieux. Cette box remet bien les pendules à l’heure. En gros, tu établis une sorte de confrérie suprême, c’est-à-dire la quadrature du cercle : Stooges, Cramps, Gun Club et Scientists. C’est aussi simple que ça. Avec des diagonales qui seraient les Dolls et le Velvet. Te voilà chez toi. Cette box est un peu ta maison.

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             Kim t’accueille avec «Frantic Romantic», ouverture de bal, la voix est déjà là, avec des échos de jingle jangle et ce chant punk-out. Quelle énergie ! Pas étonnant que ça tienne la route depuis quarante ans. Sur ‘Cheap & Nasty: The Rise Of Perth Punk’, les Dolls sont partout. Avec «Shake Together Tonite» on se croirait sur Too Much Too Soon, exactement le même swagger et les même clameurs de chant, c’est en plein dans le mille. Et un peu plus loin, Kim adresse un fabuleux hommage aux Saints avec «Bet Ya Lyin’». On voit tout de suite que les Scientists développent d’incroyables capacités à sonner comme leurs modèles. À ce petit jeu, ils sont imbattables. Encore du Sainty Sound avec «Pissed On Another Planet». Vénérable et encore Dollsy en diable, ils tapent ça au heavy boogie de la déglingue. Tout est déjà vénérable chez Kim, c’est ce qu’il faut retenir de cette période. Il replonge dans les Dolls avec «I’m Looking For You», même tranchant, c’est très spectaculaire, peu de groupes ont su rendre hommage aux Dolls. Kim passe à la power pop avec «High Noon», fast et sans pitié, et soudain, le ciel te tombe sur la tête : «Teenage Dreamer» sonne vraiment comme «Sister Ray», avec de faux arrêts et une sorte de niaque vengeresse. Ce disk 1 s’achève avec deux coups de génie : «Making A Scene», tapé au dépoté de gros popotin de bassmatic, et «It’ll Never Happen Again», claqué du beignet, sans pitié pour les canards boiteux. Brillantissime.

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             Dans le booklet, Erin Osmon rappelle que Kim a démarré en écoutant le premier album des Modern Lovers, le premier Dolls, Raw Power et le Velvet. Au Western Institute of Technology, il rencontre l’excellent Dave Faulkner, futur Hoodoo Guru. Ils montent les Cheap Nasties en 1976. C’est le premier punk rock band de Perth. C’est en 1978 que Kim monte les Scientists avec le fan des Ramones James Baker (beurre) et Boris Sujdovic (bass). Puis ça splitte vite fait et James Baker intègre les Hoodoo Gurus. Kim tombe vite fait sous la coupe des Cramps et pond «Swampland» : «It’s [the Johnny Kidd & The Pirates] ‘Shakin’ All Over’ riff and some kind of pentatonic thing going downwards. I have these fractured urban guitars and the lyrics were just a thing to hang on them.»

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             Alors justement, parlons-en ! «Swampland» t’accueille à bras ouverts sur ‘Set It On Fire: Storming The Eastern States’, l’in my heart te cueille à l’accueil, ça bassmatique férocement, Kim te monte ça en neige et ça prend feu sous tes yeux, admirable d’in my heart, on est comme marqué au fer rouge, à l’époque, et quarante ans plus tard, Kim sabre le goulot de son set à coups d’in my heart. Ça explose, même si c’est joué sous le boisseau. Voilà le genre de cut qui supporte bien la surchauffe d’une Tele, celle de Télémaque Salmon, et boom, il enchaîne aussi sec avec «We Had Love», le hit Scientific par excellence, le pur ravage salmonique , il te chante ça par en dessous et bham ça déraille dans le we had love, c’est à n’en pas douter l’un des plus gros classiques de wild rock de tous les temps. Pur jus de Kim Salmon. Le solo passe comme un ouragan. Et pour éviter de calmer le jeu, il enchaîne une cover de «Clear Spot», clin d’œil demetend au Captain, un vrai shoot de Bifarx Me Sir, même si pas la voix, mais il ramène toute la niaque d’Aussie dont il est capable. Car Kim est un vrai punk. Plus loin, retour aux Stooges avec «The Spin», pas loin de «Down In The Street», même crasse infectueuse. Si tu aimes le wild Scientific groove, alors «Rev Head» est fait pour toi. Kim le jette dans le cratère des enfers, c’est d’une décadence atroce et putride, ça pue le sonic corpse. Il faut dire que le wild rock Scientific est lourd de conséquences, le «Set It On Fire» est aussi habité qu’un classique de Jeffrey Lee Pierce, Kim et ses cats visent l’apocalypse en permanence, c’est ciblé, pas d’issue, pur rock de no way out. Pas de meilleur hommage aux Cramps que «Blood Red River». Ils visent l’absolution magnanime, ça craque de crasse trashique, voilà un pur un chef-d’œuvre d’auto-destruction sonique. Le bassmatic te reste en travers de la gorge et les poux coulent comme de la lave, «Nitro» est gorgé du désir de vaincre et de mourir, le Kim s’eskrime à la surface du chaos. Voilà encore un hit Scientific pur : «Solid Gold Hell», riffé au gras-double et tu as le bassmatic de Boris Sujdovic qui sort du virage et qui se met en travers, sa ligne de basse entre dans la chair du cut comme la main d’Orlac, elle gronde à l’envers, c’est une sublime descente aux enfers. Les Scientists percutent l’antimatière, ils se jettent dans le mur du son, c’est sans espoir. On se noie dans leur lac. Boris Sujdovic est un fou, comme le montre encore «This Life Of Yours», il hante le boogoloo de va-pas-bien. Globalement, les cuts Scientifiques sont très sombres, mais très chantés, ça flirte en permanence avec l’extrême doomy doomah, ces mecs-là sont fascinés par le néant, ils font de cette fascination un art, tout vibre dans la baraque, c’est fait pour sentir le grondement du chaos. «Backwards Man» est encore plus terrifiant que ses collègues. Les Scientists ont tellement de son.

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             C’est à l’époque de ce disk 2 que Tony Thewlis intègre le gang qui du coup va s’installer à Sydney. Et puis c’est l’appel du grand large qui les conduit à aller s’installer en Angleterre, comme d’autres Aussies, en l’occurrence Birthday Party et les Go-Betweens. Ce qui nous conduit tout droit dans les bras du disk 3, ‘When Words Collide: Cachet And Casualty In London’, un double concentré de doom, l’un des épisodes les plus sombres, les plus torturés de l’histoire du trash-rock. Sujdovic, Thewlis et le beurreman Rixon s’installent dans un flat de Fulham, Kim, sa femme Linda Fearon et leur baby Alex trouvent un flat à Brixton. Kim entre en contact avec Lindsey Hutton qui les branche sur Kid Congo Powers et le Gun club, et là ils commencent à tourner sérieusement en Angleterre. Ils vont aussi jouer en première partie des Sisters of Mercy et le manager des Sisters va les prendre sous son aile. Et pouf, c’est parti. Mais les années londoniennes sont âpres, les Scientists vivent dans la pauvreté, Rixon fait une petite overdose, alors c’est compliqué de trouver quelqu’un pour le remplacer au beurre, et Sujdovic qui n’est pas en règle rentre au pays, alors pour Kim, c’est la fin des haricots : Rixon et Sujdovic sont des Scientists irremplaçables. Il tente encore le coup en trio avec une batteuse et Thewlis, mais il finit par jeter l’éponge et rentre à Perth avec femme et enfant.

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             Ils attaquent le disk 3 avec le très stoogy «Hell Beach», et un harague iggy-poppienne, c’est du pur Dirt, du pur we don’t care. S’ensuit un fourre-tout de la mythologie rock, «It’s The Last Thing To Do» qui sonne comme un cut des Cramps et qui finit en bad music for bad people. Leur boogaloo est bourré de mauvaises intentions. Ça vire parfois Birthday Party. L’immeuble s’écroule avec «Demolition Derby», ils font le «Death Party» du Gun Club, même plan, même riff d’écrasement, avec un Kim goulu comme une goule. Tout ici n’est que dégelée royale, qu’immeubles en ruines, que flammes de l’enfer, que pur sonic trash. Ils tentent le coup de Suicide avec «Atom Bomb Baby», c’est saturé de friture, ils n’en finissent plus de rendre des hommages superbes : Cramps, Suicide, Gun Club, en veux-tu en voilà. Tu crois pouvoir souffler et tu tombes sur un «Go Baby Go» saturé de fuzz, il y a tellement de fuzz que le cut a du mal à respirer, le côté sombre des Scientists met le rock en danger, «Go Baby Go» est un vrai triangle des Bermudes. Et voilà l’apanage du chaos sonique pur : «Psycho Cook Supreme». Ils cultivent les fleurs du mal du XXe siècle, ils scient dans la putréfaction, la fuzz creuse des cavernes dans le cadavre du rock et la basse rôde dans l’ombre comme un prédateur, aucun groupe n’est allé aussi loin dans l’expression du malaise. «Murderess In A Purple Dress», c’est «Sister Ray» : même paquet d’attaque, ils y vont au just don’t care, c’est explosif, rampant, complètement Scientific. Ils rentrent dans la gueule du Temple avec «Temple Of Love», véritable purge d’hardcore Scientific, Kim screame dans le pilon des forges, il bascule dans la folie, c’est bombardé d’électrons. Il hurle dans sa fuite éperdue. Il revient taper une power cover d’«You Only Live Twice». Il chante du haut du Twice. On croit entendre Dracula. Puissant et ténébreux. Il saigne sa mouture à outrance et des vagues de sonic trash balancent la barcasse. Retour à l’extrême brutalité avec «Human Jukebox», aucune finesse, ça dégrossit au débotté crampsy/noisy, Kim chante avec l’insistance de Lux, c’est battu en brèche, travaillé par tous les orifices, chanté à la Maggie’s Farm no more - I am a human jukebox ! - Ça sonne comme le postulat définitif. Et puis voilà «Distorsion», ravagé, dents pourries, chanté sous la mousse de cimetière, ça baigne dans les noires exhalaisons baudelairiennes, c’est aussi une montagne de fuzz avariée, le cut est en dessous, ils jouent la carte de l’extrême saturation du son, les notes se désintègrent dans leur procession mortifère, il n’existe rien de plus putride dans l’histoire du rock. Une horrible avalanche. Voilà encore un cut frappé en pleine gueule : «Place Called Bad», qui donne son nom à la box, Kim le prend pour une enclume, les coups d’accords sont d’une violence terrible, on s’effare de la barbarie de l’attaque, il chante encore une fois comme Dracula, reculé dans l’ombre. «Place Called Bad» est le son du diable. Les Scientists sont des bruitistes d’avant-garde, des inconvénients à deux pattes, «Hungry Eyes» est encore un prodige malsain d’antimatière, ça finit par devenir assommant. Trop chanté à l’écartelée, te voilà au fond de l’égout, aucun espoir, et Kim Salmon continue de pousser le bouchon. Il noie son «Braindead» de rockalama, ils sont en plein dans les Cramps, mais à leur façon. Ah cette façon qu’ils ont de sonner le tocsin avec des guitares ! Et pour finit, tu as «It Must Be Nice» to die at night.

             Voilà ce qu’il faut bien appeler une œuvre. Une box sert à ça : contenir une œuvre. Libre à toi de lui redonner sa mesure.  

    Signé : Cazengler, Kim Savon

    Kim Salmon’s Smoked Salmon. Le Petit Bain (Paris XIIIe). Le 20 octobre 2023

    Scientists. A Place Called Bad. Box Numero Group 2016

     

     

    In Mod We Trust

     - Piller tombe pile

     (Part Four)

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             Petit à petit, Eddie Piller prend la dimension d’un mythe, tout au moins en Angleterre. La récente parution de son autobio conforte cette réalité. Joli titre : Clean Living Under Difficult Circumstances, avec en sous-titre A Life In Mod From The Revival To Acid Jazz. Eddie Piller raconte sa vie de fan et montre à sa façon qu’on peut rester fan toute sa vie, en allant voir jouer des groupes, en créant des fanzines, et accessoirement des labels. Gildas a vécu exactement la même vie, et mené son petit bonhomme de chemin avec la même exigence. Dig It! et Acid Jazz même combat. Même prestige. Ce sont ces mecs-là qui font la vraie histoire du rock, certainement pas les autres. Rappelons que le rock est un art trop sacré pour être confié aux betteraviers.

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             Pour simplifier : Gildas gaga et Eddie Mod. Deux visions de deux grandes variantes de l’underground, extrêmement pointues d’une part, et à l’échelle d’une vie, d’autre part. Quand on veut bien faire les choses, la règle est de ne pas les faire à moitié. Bon, il existe un book paru aux Musicophages qui raconte le brillant parcours underground de Gildas. Passons donc au brillant parcours underground d’Eddie. 

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             Mod ça veut dire quoi ? La réponse est dans la question. Elle est aussi dans la photo de couverture du fat book d’Eddie. Mod ! Le Vespa et la parka en sont les symboles apparents. Derrière ces deux symboles se masse une immense culture qu’étale au grand jour ce vaillant book de 400 pages. Mod est un phénomène culturel exclusivement British, totalement impensable ailleurs. Pour donner une image qui permet de mesurer la portée de l’impensabilité, l’Angleterre avait les Who et la France Johnny Halliday. La France n’a voulu ni de Ronnie Bird ni de Vince Taylor qui auraient pu sauver les meubles. D’où cette incapacité vieille de 50 ans à prendre le rock français au sérieux, à quelques exceptions près. Parlons de choses sérieuses.

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             Eddie Piller est né après la bataille, en 1962. Il n’a donc pas vécu les Who. Ceux qui sont nés dix ans avant ont pu les vivre, même ceux nés en France, via les EPs magiques. «My Generation» reste l’hit rock indétrônable. Piller est entré en Mod, c’est-à-dire en religion, via l’anthemic punk snarl «I’m Stranded» des Saints, ce qui n’est pas si mal au fond, même si ça n’a rien à voir avec les Who. Lors d’un voyage en Australie, il va voir les Saints sur scène. C’est l’époque Eternally Yours avec Algy Ward on bass, Ed Keupper est encore dans le groupe - They simply took my breath away - Il indique que la tension entre Chris Bailey et Ed Keupper «made the set edgy and exceptional, hard and fast. I was in heaven.» Qui ne le serait pas ?

             Avec cet excellent fat book, Eddie Piller raconte son éducation, avec un luxe extravagant de détails qui rappelle le book de Stuart Braithwaite (Spaceships Over Glasgow, les disques, les parents, les premiers concerts, les fringues). Mais comme il attaque avec un épisode en Irlande du Nord au moment des Troubles, son fat book rappelle aussi celui de Jackie McAuley (I Sideman, le danger de mort que représente le simple fait de passer la frontière et d’entrer en Ulster), mais les références constantes aux scooters renvoient surtout à l’excellent Quadrophenia tourné par Franc Roddam et sorti en 1979. Eddie Piller le qualifie de guenine masterpiece, qui incarne «the short-lived concept of new realism». Il est fasciné par le personnage de Jimmy Cooper qu’on voit rouler en Lambretta dans Shepherd’s Bush sur fond de «The Real Me» - I was hooked - Qui ne le serait pas ? Il a 15 ans quand il voit Quadrophenia au cinéma - It became a manual as to how we should dress, dance and live - Eddie cite même des réparties de Jimmy Cooper - I don’t wanna be like everybody else, that’s why I’m a mod, see? - et il cite aussi sa réplique favorite - Do the bastard’s motor - quand Jimmy Cooper et ses deux potes vont casser la Mark 2 Jaguar de John Bindon qui leur a vendu a big bag of paraffin fakes, c’est-à-dire des fausses pilules. Selon Eddie, le personnage de Jimmy Cooper est basé sur Irish Jack, an early Who roadie, mais aussi sur «my mod hero, Peter Meaden, qui était certain que le personnage était basé sur sa propre amphetamine-driven descent into mental illness».

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             Alors, oui, l’idéal est d’accompagner la lecture du fat book avec une revoyure de Quadrophenia : le film et le book s’éclairent mutuellement. Jimmy Cooper, c’est Eddie Piller. Pas étonnant qu’Eddie se soit complètement identifié à l’excellent Jimmy Cooper. On entre dans ce film incroyablement parfait par la grande porte : les scoots roulent dans la nuit, en meute. Ça parle cockney, et boom, direct dans un club Mod, un groupe joue «High Heel Sneakers». On entend plus loin le «Be My Baby» des Ronettes et boom, grosse transe de Mod craze sur «My Generation». Comme entrée en matière, on ne peut pas faire mieux. Puis Franc Roddam tape dans la réalité sociale de Jimmy Piller : il est coursier, comme Eddie Cooper. Il roule en Lambretta, il poppe des pills, des Blues, comme Eddie Cooper, il regarde les Who à Ready Steady Go dans la télé noir et blanc, et porte son Levi’s mouillé pour lui donner sa forme. Tout est sociologiquement extra-pur. Et puis Brighton et les scoots alignés, et puis «Green Onions» dans le dancing club, et puis la petite séance de baise dans la ruelle - a quick wham bam thank you mam - et puis le boy next door qui choisit the wrong girl, et puis Jimmy Piller viré de chez lui, le film s’accélère, descente into the amphetamine-driven mental illness, Jimmy Piller en tonic suit et mascara, fascinant acteur, la bombe Mod explose, «the summer of sex, drugs violence, immaculate tayloring & sweet Soul music» - Here are the Mods and Quadrophenia is their movie - Comment pouvait-on résister à ça ? Un mec rappelle que les Who écrivaient des big anthems, à la différence des Beatles et des Stones qui écrivaient des hits. Ce n’est pas la même chose. Il faut comprendre à travers Quadro que Mod constituait «a social revolution» - Own clothes, own transportation, own music - Un monde à part, avec une identité propre - I’m a stylish person. I look like something - Avec son film, Franc Roddam a réussi a much more realistic approach que celle de Tommy. Plus street, plus rock. Les Who étaient alors hors de contrôle. Moonie cassa a pipe en bois juste avant le tournage de Quadro. Johnny Rotten fut pressenti pour le rôle de Jimmy Piller, mais les assureurs ne voulaient pas de lui, malgré des essais plus que prometteurs. Alors Franc Roddam a pris Phil Daniels pour le rôle. Pour la bataille Mods/Rockers à Brighton, Roddam a 600 figurants et 2000 spectateurs massés sur la balustrade du front de mer. Le fighting a eu lieu pour de vrai. Comme il est documentariste, son film sonne vrai - Realistic quality - Fantastique ! À voir et à revoir et à revoir et à revoir ! The ultimate rock movie. The absolute beginner !

             Parenthèse : Eddie ne met pas de majuscule à Mod. Ici, on l’écrit Mod, comme on écrit Soul ou encore Dieu.

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             Même s’il s’identifie complètement à Jimmy Cooper, le destin d’Eddie n’est pas aussi noir. Il part du bon pied, car ses parents sont des Modernistes. Son père qui s’appelle aussi Eddie «roule en Lambretta dans les années 50, il va écouter Tubby Hayes ou Joe Harriott au Flamingo Club in Soho.» Dans la même rue vivent les Langwrith, propriétaires du Ruskin Arms et leur fils Jimmy Langwrith va fonder un groupe nommé Small Faces - While West London’s The Who had been styled and dressed as mods by Townshend’s guru and former Marriott’s Moments manager Peter Meaden, Small Faces, from the East End, were the real deal: grassroots mods - Fran Piller, la mère d’Eddie, est l’une des fans les plus ferventes des Small Faces. Elle va présider leur fan club. Mais les Small Faces tombent sous la coupe de Don Arden qui les plume et qui fait d’eux des pop stars. À l’âge de quatre ans, Eddie se retrouve sur la pochette du pressage US de There Are But Four Small Faces, photographié avec trois autres bambins de l’East End par Gered Mankowitz, autour d’un panneau ‘Itchycoo Park’. Et à Noël 1967, Steve Marriott offre au petit Eddie «a fully functionning air rifle». Les racines d’Eddie sont pures. Comme Astérix, il est tombé dedans quand il était petit. Voilà pourquoi ces fat books sont essentiels : ils grouillent de détails fascinants.

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             C’est donc avec Quadro qu’Eddie va entrer en religion. Il va transformer sa vie en parcours initiatique. Music first - I wanted more of it and I wanted it now - Puis John Peel, puis un disquaire, Small Wonder, «which made me feel part of something». Il entre dans sa communauté. Le sentiment d’appartenance est vital. Il sent qu’il fait partie des élus. Il flashe sur l’«Another Girl Another Planet» des Only Ones. À l’été 1978, il s’amourache du punk-rock via les Saints et les Only Ones, mais aussi de la black music. Il dit qu’on peut aimer à la fois les TV Personalities et George Benson. En 1978, il existait un lien entre les punks et les Soulboys. Il aime le punk pour son impact - it was angry, loud and full of energy - mais il découvre que le jazz-funk d’Hi-Tension peut avoir le même impact. Il a 15 ans quand il découvre les Buzzcocks sur scène. Puis il décroche du punk qui devient un cliché, even an embarassment. Et c’est là qu’un mec le branche sur un concert des Chords. A mod band ? - I wanted to be a mod - Il évoque bien sûr les amphètes, le fameux Drinamyl qu’on appelle aussi purple hearts - Stimulation, not intoxication - puis il passe aux fanzines, il crée le sien, Extraordinary Sensations, un titre qu’il emprunte aux Purple Hearts, question de cohérence. Il tire son premier numéro à 20 exemplaires.

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             Il sait que les Who et les Small Faces constituent les racines de la Mod culture, mais vu son âge, il devra se contenter de vivre le Mod Revival de 1979. Pour les Mods, l’essentiel est de se distinguer des punks - Clothes spoke volumes, certainly louder than the music - En 1979, «one of the biggest mod records was ‘Glad All Over’ by the Dave Clark Five.» Et puis arrivent les groupes du Revival, il les cite tous, et il en met trois au-dessus de la mêlée : The Chords, The Purple Hearts et Secret Affair. Il rend aussitôt hommage à Gary Bushell qui dans Sounds est le seul à prendre le Mod Revival au sérieux. Eddie flashe aussi sur Small Hours, car le groupe est monté par l’ex-bassman des Saints, Kym Bradshaw. Comme Eddie écume les London clubs, il voit tous ces groupes inconnus. Il en raffole : Squire et ses «archaic Edwardian stipped jackets», Back To Zero (il flashe sur le chanteur Brian Betteridge), The Mods from North London. Il compare les concerts des Mod bands à ceux des punk bands où tout le monde crache - The mod revival dance was a joy - Et puis les Purple Hearts, dont il est dingue - Punky, mod garage delivered by four kids from up the road - et il ajoute époustouflé : «I was blown away - they were the ultimate mod band.» Tous ces groupes, à commencer par les Purple Hearts, les Chords et Secret Affair s’engouffrent in The Jam’s wake et vont signer des contrats en 1979. Il évoque aussi The Playn Jayn qui étaient un grand espoir de la scène Mod. Et puis bien sûr les Jam. Eddie n’en démord pas - In 1965, Peter Meaden had described mod as the ‘New Religion’. Now Paul Weller took it one stage further and made the concept a reality - Peter Meaden apparaît dans l’intro - A philosopher-poet who saw the Soho mod scene as a total, all-consuming way of life - Il est le premier manager des Who que lui arrachent Lambert & Stamp. Il manage ensuite Jimmy James & The Vagabonds. Comme Guy Stevens, Peter Meaden voit en Mod un mouvement capable de changer le monde. Meaden voit les Mods comme des toréadors, mais aussi comme des combattants Viet Cong, «fighting against the establishment from the left field, mais most importantly, he defined the concept of mod thus: ‘Modism, or mod living, is an aphorism for clean living under difficult circumstances.» Et Eddie ajoute : «Ça ne veut rien dire et en même temps, ça dit tout. It means everything.» Peter Meaden sera consultant sur le tournage de Quadro - This film’s about me, man, this is my life - Mais il se suicide deux mois plus tard et ne voit pas le film. Alors Eddie rend hommage à Peter Meaden en reprenant sa formule pour titrer son autobio. Fantastique.

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             Son autre grand héros est Tony Perfect, le mec de Long Tall Shorty. Eddie va le trouver un soir après un concert pour lui demander s’il veut bien lui accorder une interview pour son fanzine, et Tony le reçoit bien - He kick-started my creative journey - Son autre grand pote est Terry Rawlings avec lequel il va monter le label Countdown. Comme Jimmy Cooper dans Quadro, Eddie se maquille. Il expérimente l’eyeliner, mais en référence à Clockwork Orange qui est alors interdit et qu’on trouve sur des VHS de contrebande.

             Eddie Piller écrit dans un style vif et alerte, un style qu’on pourrait qualifier d’amphétaminé. Quand il évoque son costume de collégien, il écrit : «It looked the absolute bollocks.» Ses phrases sonnent comme des paroles de chansons des Who - In fact, a schoolboy mate of mine from Hainault/ was knocking out five blues for a quid - Il a aussi une façon très lapidaire de raconter la fin brutale de sa scolarité : «But fuck me, the college course was crap. I was gone within a term and a half.» Et quand il évoque son nouveau style de vie, il le fait à l’emporte-pièce : «I was 17 and the mod lifestyle was costing me money - something I still didn’t have anywhere near enough of.» C’est fabuleusement articulé, dans le sharp, c’est-à-dire le rocking clair et net. On l’entend presque parler. Il parle cockney, comme Jimmy Cooper dans Quadro. Quand il s’entend bien avec un mec, voilà comment il dit les choses : «Still, we got on like a house on fire.»

             Comme il aime bien Sham 69, Eddie va au concert, mais ça devient dangereux, à cause des skins - Jesus fucking Christ, it was one of the most terrifying nights in my life - Dans ce book, la violence surgit à tous les coins de rue, comme d’ailleurs dans Quadro. Lorsqu’il voyage en Australie, il découvre les Sharpies, l’équivalent des working-class bootboys d’Angleterre, mais les Aussies forcent le trait avec un «incredible haircut - a type of proto-mullet with enormous sideburns», et pouf, il cite l’excellent Lobby Lloyd, et Billy Thorpe & The Aztecs.

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             À une époque, Eddie bosse pour le label Bearsville, et ça tombe, bien car il se dit «massive fan of Rundgren’s first American group, The Nazz.» Il trouve en Todd Rundgren des «modish sensibilities, more so than most Americans.» D’ailleurs, Rundgren fait une cover du «Tin Soldier» des Small Faces sur The Ever Popular Tortured Artist Effect. Et bien sûr, le fin du fin pour un Mod, c’est d’admirer Georgie Fame. Il raconte comment il le rencontre. Georgie Fame lui dédicace un doc : «To Eddie. Stay fast! Georgie Fame.»

             Et puis bien sûr le scoot. Son premier scoot est un Vespa 90 d’occasion. Puis quand il en a marre des pannes et du mauvais phare, il se paye un Vespa P Range. Il évoque aussi les scooter clubs in London. Plus il avance dans sa vie, et plus il est déterminé à vivre the mod life, une attitude alimentée par «a desire to dress better, find rather and more authetic music and travel absolutely everywhere by scooter.» Il roule avec, passée sur l’épaule, une énorme chaîne lestée d’un très gros cadenas. C’est à la fois son anti-vol et une arme d’auto-défense. Les combats avec les skins sont fréquents à l’époque. Les Mods se rassemblent à Carnaby Street, là où se trouvent les boutiques de fringues et les disquaires spécialisés. Mais aussi les skins. Leur façon d’approcher est toujours la même : «Got a spare 10 pence?». Le skin n’attend pas la réponse, il frappe tout de suite - a punch in the head as the skins robbed the kids of their pocket money - C’est là qu’il voit la Mod scene pour laquelle il se passionne depuis trois ans glisser «in a sea of violence». Dès 1980, la chasse aux skins est devenu un sport national pour les Mods. Eddie raconte aussi qu’il est harcelé par des flics de quartier, l’occasion pour lui de dire qu’il ne respecte plus la flicaille.

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             Après son fanzine, Eddie monte le label Well Suspect Records et lance des groupes. Il commence par flasher sur Fast Eddie et son charismatic vocalist Gordon Tindale - one of the best live groups I’d ever seen - Il les voit comme «the biggest band on the scene after The Style Council et The Truth.» Un premier single paraît sur Well Suspect. Puis catastrophe nationale in Mod-land : le split des Jam. Weller en a assez. Six mois après, il monte The Style Council avec l’ex-Merton Parka Mick Talbot et un batteur de jazz, Steve White. Mais les fans de base ne lui pardonneront pas le split des Jam. Eddie fait aussi l’éloge de l’organ-driven The Truth. C’est le deuxième Mod Revival. Eddie indique qu’à part Long Tall Shorty et Small World, les groupes du premier Mod Revival de 1979 ont disparu.

             Il truffe aussi son récit de références vestimentaires - I actually preferred Clark’s desert boots to guenine Hush Puppies - Mais comme il doit bosser pour vivre, il doit aussi faire attention - Real Clarks were far too expansive for us - Le seul jean qu’affectionnent les Mods est le Levi’s 501, avec «a theree-quater-inch turn-up». La seule alternative au 501 était, nous dit Eddie, «a pair of sta-prest slacks» - The holy grail was a pair of original Levi’s Sta-Prest with tags - Il n’hésite pas à entrer dans les détails. Il flashe aussi sur les Levi’s jackets en daim ou dark indigo - but the much rarer white was seriously cool - Et puis les costards, si possible sur mesure, les fameux tonic suits. Sans oublier la parka, «the M51 US Army fishtail parka of Korean War vintage», décorée d’un logo de groupe peint dans le dos et de badges ou de patches cousus sur les bras. Dans le dos de sa parka, Eddie a peint le logo des Chords. Bref, c’est un manège enchanté : parkas, scooters, desert boots and... Carnaby Street. Sa boutique préférée s’appelle Well Suspect - which sold the best mod clothes in London - un nom qu’il va utiliser plus tard pour monter son premier label. Il y achète son premier costard, deux semaines de salaire : «a three-button-bum-freezer suit in a dogtooth pattern with 4-inch side vents and grey silk linings.» Et puis tu as le délire des boating blazers, les vestes à rayures, «yes with matching trousers, just like the one Brian Jones was wearing to one of his many court appearances and on the sleeve of Through The Past Darkly.» Eddie maîtrise l’art de nous plonger dans la mythologie. L’histoire du rock anglais, lorsqu’elle est bien maniée, n’est qu’une magnifique mythologie. Et pouf, il embraye sur le délire de l’attirail Mod - Harringtons, monkey jackets, US Army trench coats, donkey jackets, Crombies, M51 US Army parkas, MA1 green bomber jackets, desert boots, loafers, off-the-peg suits and jackets, button-downs, Fred Perry polo shirts - Eddie saute sur le «great secondhand mod gear at junk shops», il se grise de tout ce carnaval de «turtlenecks, de Levi’s denim or Harrington jackets, even paisley silk scarves.» Tout était disponible «if you put in the time and effort.» Il se fait tailler un premier costard sur mesure chez Steve Starr - Three buttons, 15-inch bottoms and a 5-inch centre vent - Il sait ce qu’il veut. Tony Perfect de Long Tall Shorty est aussi un client de Steve Starr. Et il conclut ce fabuleux chapitre consacré aux fringues ainsi : «Ce printemps-là, au lieu de me concentrer sur mes examens, je mis toute mon énergie into the important things in life - clothes, music, fanzines and scooter. I was on top of the world.» Et forcément, le mouvement prend de l’ampleur : «À l’été 1980, mod was probably the biggest youth cult in the country.» 

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             Oh et puis bien sûr les disques ! Quand il va en Irlande, il emporte du trié sur le volet : «What’s Wrong With Me Baby» by The Invitations, «Ain’t There Something That Money Can’t Buy» by the Young-Holt Trio, «My Baby Must Be A Magician» by the Marvelettes et «Landslide» by Tony Clarke. Il cite aussi «Smokey Joe’s La La» by Googie René Combo. Puis les deux versions de «Wade In The Water» par Ramsey Lewis et Marlena Shaw, le «Tainted Love» de Gloria Jones et le «Move On Up» de Curtis Mayfield. Il évoque plus loin la northern soul scene animée par Ady Croasdel et Tony Rounce, deux gardiens du temple qu’on retrouve dans tous les booklets d’Ace. Eddie fait encore l’apologie des Q-Tips, «fronted by a charismatic singer called Paul Young», mais aussi The Step, mod-soul hybrid comme les Q-Tips, et puis les Dexy’s Midnight Runners - Their incredible debut LP catapulted them to superstardom. Searching For The Young Soul Rebels is undoubtedly a work of great genius and in my opinion one of the best British albums ever made - Voilà, c’est dit.

             Eddie trouve un job dans une boîte de prod nommé Avatar. Il est coursier. En parallèle, il fait le DJ au Regency, manage Fast Eddie, il sort un deuxième single sur Well Suspect Records et tire son zine Extraordinary Sensations à 4 000 ex. Ah on peut dire qu’il est bien occupé ! Il monte aussi une petite boutique de disques à Kensington Market, qu’il baptise Marvel’s Records : il a racheté un lot de 1 000 singles sur des sixties black music labels, from Sue to Specialty, en passant par OKeh et Golden World, qu’il revend à la pièce. Puis il sort une première compile, The Beat Generation And The Angry Young Men, «after a Fifties beat-poetry anthology that had always caught my mod eye».  

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             Alors on écoute la Deluxe Edition de The Beat Generation And The Angry Young Men qui propose 17 cuts. Deux groupes se détachent nettement du lot, The Directions et bien sûr Long Tall Shorty. Deux cuts chacun. Avec «It May Be Too Late», The Directions tapent dans le registre de la Beautiful Song, mais ici, c’est Moddish et chargé d’espoir. Et plus loin, ils tapent dans le Mod craze avec un «Weekend Dancers» élancé vers l’avenir. L’«I Do» de Long Tall Shorty va plus sur les Pirates de Mick Green, avec un son bien lesté de scuzz. Et puis wham bam, ils percutent la Mod craze de plein fouet avec «All By Myself», c’est en plein dans le mille dès les premières mesures, Mod-punk en diable, fantastique Tony Perfect d’all by myself, et en plus du vaillant Mod craze, tu as les Stooges et Buzzcocks. Ce petit cut qui n’a l’air de rien est pourtant si complet. Eddie a mis aussi deux cuts de ses chouchous les Purple Hearts, dont le «Concrete Mixer» de fin amené au heavy beat de «Keep On Running» et qui vire heavy dub. Il fallait y penser. Quant au reste, c’est plus délicat. Les Mads claquent leur «Mods Are Back In Town» bien sec du beignet, avec une petite thématique, mais ça ne dépasse pas le stade de l’exacerbation. On dira la même choses de Les Elite (sic), avec un «Career Girl» chanté au souffle court sur des étalages de clairette exacerbée, disons pour faire simple qu’il s’agir d’un son à part entière, reconnaissable entre mille, et donc recommandable entre mille. Les Mads cassent leur petite baraque avec un «Psycho R’n’R Art» bien décharné, un Mod rock d’orbites décavées, complètement hagard. Eddie avait quand même du pif. On peut le féliciter chaudement pour cette première tentative de fédération des énergies Moddish. Car à part lui, personne n’osait se mouiller. 

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             Puis tout s’accélère : Eddie monte Countdown Records avec son ami Terry Rawlings. Ils sont épaulés par Dave Robinson, le boss de Stiff Records. Le premier groupe qu’il signe est l’excellent Makin’ Time - They were ridiculously young but impressively smart, all vintage knits and white Levi’s - avec Fay Hallam au Farfisa. Mais avant de sortir l’album de Makin’ Time, Robbo, comme l’appelle Eddie, a l’idée d’une compile «featuring new tracks from some of the biggest bands on the mode scene.» Et pouf ! Here it comes : 5-4-3-2-1 Go! The Countdown Compilation. C’est un succès, 30 000 copies vendues dans le monde ! C’est justement Makin’ Time qui ouvre la balda avec «Only Time Will Tell», pur jus de wild Mod craze, avec Fay Hallam en tête de beat de black bombers. On reste dans l’excellence Moddish avec The Alljacks et un «Guilty» cuivré de frais, assez puissant et même gigantic. Dancing Mod craze ! Franchement, c’est admirable. Eddie avait du flair. Fin du balda avec Stupidity et «Bend Don’t Break», Mod-punk envoyé au let’s go ! Heavy horns, c’est tout de suite dans la poche. En B, on retrouve l’excellent Ed Ball dans The Times et «Whatever Happened To Thames Beat», cockney à gogo, et plus loin, The Scene et «Inside Out (For Your Love)», Mod sound un peu dénudé, mais altier, chanté aussi en cokney. Et ce sont les chouchous d’Eddie qui referment la marche : Fast Eddie et «I Don’t Need No Doctor», pur jus de r’n’b et big energy. Quel blaster ! Eddie avait bien raison de s’extasier sur Gordon Tindale.

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             Comme Makin’ Time fait le buzz via la compile, Eddie sort leur premier album sur Countdown : Rhythm And Soul ! Tout un programme. Album chaudement recommandé à tous les amateurs de Mod craze. La force de Makin’ Time, ce sont les deux compositeurs : Fay Hallam et Martin Blunt, le bassman. Rien que sur l’A, ils alignent trois hits fabuleux. «Take What You Can Get» (Blunt) est un beau jerk moddish chanté par Mark McGounden, bombardé au bassmatic et orné de nappes d’orgue dignes de Question Mark. On danse le jerk au Palladium. Attention, ce n’est pas fini. Fay prend le micro pour «Feels Like It’s Love», elle y croit dur comme fer, c’est une battante, elle y va du menton et des hanches, c’est la reine des Mods, avec Billie Davis. Elle règne dans un monde où les garçons se coiffent soigneusement et se gavent d’amphètes, et où les filles sont discrètes et distantes. Mark McGounden signe le troisième hit de Makin’ Time, «Here Is My Number», un classique Mod bien produit, battu sec et plein d’ampleur. Hit de rêve avec un passage chanté à l’unisson, comme chez Motown. Fay et Mark dégoulinent de Soul-shaking. Lors une accalmie, Fay monte au créneau. Encore un hit signé Blunt, «Only Time Will Tell», battu sec dès l’intro. Fay s’y colle. Magnifique de Northern soûlerie, fabuleuse énergie ! L’ami Neil Clitheroe bat comme dix Thors. C’est lui qui emmène les cuts en enfer - hey hey will you change your life - c’est d’une netteté prodigieuse - So I’m sorry baby - Magnifique pétaudière de dance Soul. Les Makin’ Time sont un jukebox à huit pattes. On passe en B avec la bave aux lèvres pour écouter «I Gotta Move», excellence speedée et nappée d’orgue. Il faut attendre «I Know That You’re Thinking» pour renouer avec le soft rock à l’Anglaise bardé d’harmonies vocales et d’éclatantes relances. Fay allait devient avec cet album la chouchoute du Mod Revival. Merci Eddie !

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             Comme la première a bien marché, il pond une autre compile Countdown, cette fois avec des groupes australiens : Party At Hanging Rock. C’est nettement moins bon que la compile anglaise. On y trouve les Saints avec «Gypsy Woman». On se demande ce qu’ils foutent là. En plus, c’est la troisième mouture du groupe avec Harrigton et Janine Hall. On retrouve aussi Stupidity avec «Try Not To Let It Show», toujours aussi cuivré de frais. Mais les autres groupes laissent un peu à désirer. Certains ont même l’air empotés. Grooveyard sonne comme les Smiths. C’est aux Happy Hate Me Nots et «You’re An Angel» que revient l’honneur de sauver les meubles : bonne veine, très sec et net, très Moddish. En B, on retombe sur des Aussies qui sonnent comme les Smiths et franchement, c’est pas terrible. Les Painters And Dockers sonnent comme le 13th Floor avec leur «Basia», donc, on se demande ce qu’ils foutent là. The Reasons Why ne laisseront pas non plus de souvenirs impérissables, oh la la, pas du tout. Leur «Undecided» est bien intentionné, mais très pauvre. On est aux antipodes des Prisoners et de Makin’ Time, au propre comme au figuré. On comprend qu’Eddie se soit intéressé aux Huxton Creepers, car leur «Happy Days» est gratté aux accords de la rengaine. Ça sent bon le vécu. Party At Hanging Rock n’est donc qu’un document sociologique.

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             Puis il découvre The Prisoners - Of all the groups I’ve ever seen plau live, I can safely say The Prisoners were far and away the best - Et il ajoute : «They were the perfect band.» In From The Cold sort sur Countdown. Cap sur la Mods craze avec «All You Gotta Do Is Say», salement cuivré, joué à la teigne et arrondi aux angles par la bonté du chant. C’est le r’n’b according to Graham Day. Jamie Taylor te noie tout ça d’orgue. Wow, comme ces mecs avancent bien, et quel port altier ! This is the sound of British Mods. Même chose avec «Deceiving Eye» : l’ami Day y va au harsh, il bat tous les records de hargne. L’autre big Mod rock se niche en B et s’appelle «Find And Seek». Ils font tournicoter le London groove et produisent une belle excitation. On les voit aussi emprunter un riff aux Pretties pour «Be On Your Way». On se croirait dans «Midnight To Six, Man». So much confusion ! Régale-toi aussi du bassmatic d’Allan Crockford dans «The More That I Teach You», et dans «I Know How To Please You», tu vas trouver un léger parfum de Spencer Davis Group. Saluons aussi le morceau titre, bien convulsif, mais ce n’est pas un hit. Les Prisoners jouent tous les cuts au convulsif fondamental et ce pâtissier du diable qu’est Jamie Taylor nappe tout de B3. Mais les Prisoners sont furieux. Ils détestent la pochette, ils détestent leurs fringues, ils détestent tout. Pourtant, l’album fait un carton. C’est aussi le dernier album Countdown.

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             Eddie flashe aussi sur un groupe américain, The Untouchables, «with an exciting mixture of Soul and ska». Billy Zoom est le guitariste du groupe. Eddie réussit à les ramener sur Stiff. Leur deuxième album s’appelle Wild Child. Quelle surprise ! Billy Zoom n’est plus là, mais ils sont six et bien déterminés à vaincre. Ils proposent un dancing Mod-rock US sec et net. Ils attaquent leur morceau titre avec un son pète-sec et montent «I Spy For The FBI» au beat va-vite. La surprise vient du «Freak In The Streets», gorgé d’une grosse énergie de rap/funk. Ils passent ensuite au reggae beat avec «What’s Gone Wrong», ça reste bienvenu, même si ça putasse un peu avec l’UB40. Et boom, back to the fast Mod craze avec «Free Yourself». Ils privilégient le ventre à terre énergétique tapé au sec et net. En B, le festin se poursuit avec «Soul Together» monté sur un riff funky des Stones. «Mandigo» est plus ska, Skip, c’est pas un scoop. Ils terminent en beauté avec «Lovers Again», belle volubilité aux pleins pouvoirs, et «City Gent», plus rockalama, fougueux comme un poney apache, doté de la meilleure cohésion sociale. Arrêt/départ, arrêt/départ, avec un son plein comme un œuf de Pâques.

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             En 1986, Eddie s’intéresse au jazz et fouine dans la collection de disques de son père. Il flashe sur Jimmy Smith, Jimmy McGriff et Ramsey Lewis. Mais aussi Harold McNair dont Andrew Loog Oldham lui dit qu’il est «the hippest mod he’s ever met». En 1986, Eddie voit aussi la mod scene splitter, avec d’un côté les «psych and freakbeat mods, all Marriott hair, Austin Powers and paisley», qu’on appelle les swirlies, mais ce n’est pas la tasse de thé d’Eddie qui préfère rester dans le jazz. À 23 ans, il a déjà fait trois labels, managé 3 ou 4  groupes, possédé 20 scooters et il continue d’aller chez le même tailleur depuis l’âge de 16 ans. Il se demande s’il n’est pas trop vieux pour tout ça.

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             Il lance ensuite le James Taylor Quartet qui tape dans l’œil de John Peel. Alors Peely passe un coup de fil à Eddie : «Blow Up, James Taylor Quartet. I love it. I’m going to play it to death. Fabulous mix mix of punk sensibilities and jazz. I’d like to get the band in for a live session - When can you sort that out?». Eddie est scié ! C’est Peely qui lance donc le James Taylor Quartet. Dans la foulée, Eddie sort Mission Impossible sur son troisième label, Re-elect The President. Puis il monte Acid Jazz, un label qui devient une sorte d’institution du bon goût.

             «I finally undestood that mod was just a state of mind.» À la dernière page de son palpitant mémorandum, Eddie Quadrophenia se souvient de cette phrase de Jimmy Cooper : «I don’t wanna be like anyone else, that’s why I’m a mod, see?». And now I finally understood what he meant.

             Ce texte et l’hommage qu’il formule est dédié à Jean-Yves.

    Signé : Cazengler, tripe à la mode de Caen

    Eddie Piller. Clean Living Under Difficult Circumstances. A Life In Mod. Monoray 2023

    The Countdown Compilation. 54321 Go! Countdown 1985

    Countdownunder - Party At Hanging Rock. Countdown 1986

    The Beat Generation And The Angry Young Men(Deluxe Edition). Well Suspect Records 2016

    Makin’ Time. Rhythm And Soul. Countdown 1985

    Prisoners. In From The Cold. Countdown 1986

    The Untouchables. Wild Child. Stiff Records 1985

    Franc Roddam. Quadrophenia. DVD Universal Pictures 2006

     

     

    Lawrence d’Arabie

     - Part Four

     

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             Lorsque Felt disparaît, Lawrence d’Arabie monte un nouveau one-man band conceptuel : Denim.

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             Back In Denim paraît en 1992, avec un beau logo sur la pochette. Dès le morceau titre, Lawrence d’Arabie annonce la couleur : glam ! Eh oui, souvenez-vous, comme Nikki Sudden, il est venu au rock par le glam et T. Rex. Admirable pastiche, il explore les soutes du glam, il s’amuse sur un back-beat à la Gary Glitter. Même ambiance, gros beat porté par l’écho du temps. Quelque chose de tribal règne ici-bas, babe. Encore du glam avec «I’m Against The Eighties». Il croise son glam avec celui de Lou Reed et n’en finit plus de faire monter la pression harmonique des guitares. C’est l’apanage de l’artefact. Il va loin et rejoint l’esprit de fête. On se croirait à la radio. Cet album grouille de merveilles, comme ce balladif d’inspiration sous-cutanée qu’est «I Saw The Glitter On Your Face» : il joue ça au groove d’Americana. C’est l’une des grandes forces de Lawrence d’Arabie qui n’a pourtant jamais joué dans les Byrds et pourtant, il sonne comme Gene Clark. C’est à la fois dévastateur, inspiré, déchirant, avec des pointes dylanesques. Il tape ensuite dans l’ampleur du big sound pour «American Rock». Lawrence d’Arabie est le maître des réalités, il sait se montrer imparable, ce qui n’est pas donné à tout le monde. Il fait passer son cocotage comme une lettre à la poste. Il pousse le pastiche très loin, il secoue la bite du concept, il va droit au but, fait du Lou Reed à l’Anglaise et termine en apothéose. Tout aussi impressionnant, voilà «Living In The Streets». Il ramène des riffs historiques sur fond d’électro. Ça cocote sec, une fois de plus. Notre Denim boy nous fait un festival de heavy riffing. Rien d’aussi rock’n’roll que cette débauche d’excellence. Lawrence d’Arabie n’en finit plus de créer la sensation. Avec «Here Is My Song For Europe», il se rapproche de Jason Pierce, il part en mode de heavy romp d’électo. Il adore le son qui ne fait pas de cadeaux. On le voit aussi créer son monde à la force du poignet électronique dans «Fish And Chips» et revenir au pop-rock avec «Bubblehead». Derrière, des mecs font des chœurs idoines. Lawrence d’Arabie claque toutes ses syllabes de don’t be cruel et les chœurs vacillent, comme frappés par des flèches en plein cœur, alors ça devient passionnant.

             Mais Lawrence d’Arabie ne fait rien pour devenir célèbre. Il préfère rester en retrait - An illusion - Il se dit le contraire de Jarvis Cocker qu’on voyait partout.

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             Lawrence d’Arabie récidive avec Denim On Ice, quatre ans plus tard. Il faut avoir écouté «Shut Up Sidney» au moins une fois dans sa vie. Il tourne tout en dérision - Shut up Sidney/ That’s not rock’n’roll - Effarant, d’autant plus effarant qu’il le fait pour de vrai - Kim Wilde - You what - Spandau, oh got lost - Dans «The Great Pub Rock Revival», il évoque Roogalator et les Ducks Deluxe et revient à la très grande pop anglaise avec «It Fell Off The Back Of A Lorry». Il pianote et chante à la revoyure. Quelle classe ! Il revient aussi à son obsession pour Lou Reed avec «Brumburger», baby’s got a gun, c’est du rap Only Ony, mais son vice reste bien le glam, comme le montre «The Supermodels». Avec «Job Center», il tourne la lose en dérision et se fâche contre Le Corbusier dans «Council Houses» - Walter Gropius man/ I loved your style - So British. Il s’amuse aussi avec le dentier de son grand-père dans «Granddad’s False Teeth», émaillé de retours d’accords de brit-rock. Il n’en finit plus de tout tourner en dérision salutaire, mais avec du son. Puis il va pulser le bouchon de «Silly Rabbit» très loin, au yeah-yeah-yeah, de façon inexorable. Fantastique shoot de pop ! Et cet album superbe se termine avec un «Myriad Of Hoops» beaucoup plus intimiste. Lawrence d’Arabie creuse sa pop et vise la pureté, c’est soutenu au bass driver de croisière. Lawrence d’Arabie y croit dur comme fer et nous aussi.

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             Denim toujours avec Novelty Rock. L’album se veut très electro-rock, et Lawrence d’Arabie ouvre son bal avec «The New Potatoes», l’hymne des nouvelles patates. Comme on l’a vu, il adore faire joujou avec le glam et la petite pop. Il faut attendre «Ape Hangers» pour frémir un bon coup - You said stop/ I said go/ I’m always saying yes and you’re always saying no - Voilà un admirable hit de juke. Il fait sa petite pop envers et contre tout. On retrouve le pervers un brin moqueur qu’on aime bien dans «Tampax Advert» mais le vrai hit du disk se trouve en fin de course : «I Will Cry At Christmas» - I will cry/ A tear - C’est tout Lawrence d’Arabie, bien nappé d’orgue - Loneliness is a virtue - Le dandy refait enfin surface - I need some space I can breathe/ At least walk away with some pride - Fantastique désespérance.

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             Avec Go-Kart Mozart, Lawrence d’Arabie va plus sur le Day-Glo past et l’eerie synthetic future, pas loin d’un Clockwork Orange nightmarish mish mash. Il enregistre Instant Wigwam And Igloo Mixture en 1999, et là-dessus se niche un coup de génie arabique intitulé «Wendy James». Il fait son aw Wendy à la Bowie - I will have an electric guitar/ Wendy James - et il ajoute, à demi hystérique : «I won’t have no string quartet !» C’est un pastiche glam effarant, une fois de plus - You’re second to the very Joan Jett/ Aw Wendaï ! - Une bombe de glam moqueur, joué à la vie à la mort de la mortadelle. On a beaucoup de pop électro sur cet album déroutant. Il règle ses comptes avec «We’re Selfish And Lazy And Greedy» et le casque saute sous les coups de boutoir des infra-shits d’Arabie. On a là une moquerie électro d’enfant aux dents gâtées. Avec «Sailor Boy», Lawrence d’Arabie nous entraîne dans une salle de jeux électro et chante en cockney d’Amsterdam à la con. Il fait comme il lui plait et il nous sort le son du diable dans «Mrs Back To Front And The Bull Ring Thing». Mais il s’arrange toujours pour revenir avec une petite compo intéressante dans le genre de «Plead With The Man» - Yes I will plead with the man for some gear.

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             Pas mal de belles choses sur Tearing Up The Album Chart paru en 2005, à commencer par «Electric Rock & Roll», joli shoot de pop electro. Lawrence d’Arabie adore l’electro beat, comme Stereo Total - Oh oh yall gonna go downtown/ Tonite - Il shoote du bon vieux glam dans son electro-pop. S’ensuit l’un des coups de génie auquel il nous habitue, «Listening To Marmalade», matraqué au riffing absolu - All those records - Et il ajoute : «Pictures of rock stars stuck on the wall» - Aha ! Il gémit son hoquet et se moque des mecs qui vivent dans le souvenir de Marmalade. On le voit plus loin s’amuser avec tout le jargon rock dans «Fuzzy Duck» - Lucky custard/ Bacon fat/ Wooden o/ Incredible hog/ Heavy jelly/ Mogul trash - et il passe au fast glam avec «Transgressions», il nous sort un étrange brouet de drums compressés et de solos de machines. Il faut attendre «Donna & The Dopefiends» pour le voir faire son Lou Reed - Hey Donna/ I want to score - Il s’amuse comme un petit fou - The trees have no leaves in Alphabet City -  Retour au fast glam electro avec «England & Wales». C’est le fonds de commerce arabique. Quel shoot ! - Apples & pears/ You take the piss I don’t care - Embarquement pour Cythère garanti - When all else fails it’s England & Wales - Et comme on le constate à l’écoute de «City Centre», il fait ce qu’il veut de la pop. Il la chante au défilé de son imagination, mais avec quelque chose d’unique dans les jeux de langue. Même s’il tape dans l’electro beat, il reste le plus pointu des rockers britanniques. Il faut le voir sur la photo intérieure, en slibard, assis sur les gogues, avec écrit au feutre sur le ventre : «Go Kart Mozart Classic Upstarts».

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             Lawrence d’Arabie nous prévient : Go-Kart Mozart are a novelty rock band. C’est donc avec circonspection qu’on aborde On The Hot Dog Streets paru en 2012. Sa petite pop électro commence par dérouter, mais un peu plus loin, sur le deuxième disque, il vire glam et quel glam, Glen ! Ça commence avec «Synth Wizard», une petite pop électro finement glammy - I believe in new day/ New day comes when old day’s gone - Dans sa façon d’écrire transparaît une morgue fascinante et c’est là qu’on commence à le prendre très au sérieux. Dans «Talk With Robot Voice», il dit ne plus vouloir que les femmes lui fassent de mal, mais il avoue être encore sensible to vagina allure. Lawrence d’Arabie épate et déconcerte. On se sent hooké. Avec «Spunky Axe», il part en virée glam - Sally & Jake shake your spunky axe hoo hoo - et on entend des chœurs de filles nubiles sur le tard du cut. Ça miaule et ça woof-wooffe. C’est un chef d’œuvre de dérision. Il revient à ses obsession sexuelles dans «Electrosex» - Mae West/ Blonde hair/ Big chests/ Mae West/ Loves sex - tout ça sur canapé de glam de bon aloi. On le sait, glam et sex ont toujours fait bon ménage. Puis cet enfoiré de Lawrence d’Arabie nous fait les Dolls avec «Queen Of The Scene». Mais il anglicise les Dolls, c’est une fois de plus terrible et bien écrit, comme tout le reste de l’album - Pink baked bean/ New York scene/ TV screen/ Ah oooh/ But you’re so mean - Quel admirable pastiche ! Il termine sa D avec un «Men Look At Women» délicieusement décadent, au sens de Kevin Ayers et de Lou Reed, mais avec quelque chose de dandy en plus. Du coup, on se replonge dans l’A et la B avec plus de sérieux. Si on passe le cap d’une réticence aux machines, la petite pop électro de «Lawrence Talkes Over» passe plutôt bien. On sent de vagues réminiscences d’«Obladi Oblada» et de Jimmy Page - Mr A&R Man/ He don’t understand - tout ça sur le beat du Walrus des Beatles - We’re a novelty band/ We’re taking over - Lawrence d’Arabie crée son monde, un joli monde pop gorgé d’ironie et d’influences. Son «Retro Glancing» sonne comme un vieux hit pop et sa musique des mots fascine - Poxy this and poxy that/ Poxy tit and poxy tat/ You and me - et il déclare dans le texte d’accompagnement : «I want to capture the illeteracy of rock’n’roll with its emotions and insights, combine these elements with literacy and assess the impact firsthand.» En gros il veut transformer l’illettrisme du rock et restituer ses émotions et son impact à sa façon, plus cultivée. Son «Come On You Lot» d’ouverture de B accroche terriblement. Quel popster ! Il jette tout son anglicisme dans sa pop, un art si difficile. Et pour rester en cohérence avec lui-même, il s’en prend dans le texte aux filles vulgaires. Son «Blown In A Secular Breeze» est un retour à la Beatlemania. Il finit son cut en sifflant, gonflé d’espoir. Son bubblegum tient si bien la route. Il bricole ses belles satires sur l’air enjoué d’Obladi. Avec «White Stilettos In The Sand», il passe au cokney - They’re after sex that’s hard to find/ In boring old England - Il dote sa pop électro d’une classe insolente. Tout est bon chez ce magistral popster lettré.

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             Paru en 2018, Mozart’s Mini-Mart grouille littéralement de coups de génie, n’ayons pas peur de monter sur des grands chevaux. Au moins quatre. Il se moque de la pauvreté dès «Relative Poverty» - Awopbopalula a tenner a day - C’est vrai que ça peut faire marrer de vivre avec un euro par jouer - He’s living in a relative poverty/ Godness gracious/ A tenner ! - Quand ça vient d’un mec comme Lawrence d’Arabie, c’est imparable. Il fait son T. Rex dans «A Black Hood On His Head» et joue ça au vrai relentless britannique. Il retrouve le secret du monster beat. Et voilà qu’il fait chanter le coq dans «A New World», c’est dire l’humour de l’electro pop king. Il en fait même un hymne et met des chœurs en route - And I can feel the new tomorrow comin’ on - C’est exceptionnel. Il reprend la main - And she would feel the new morning comin’ on - et bien sûr, des chœurs de gospel batch entrent dans la danse. Encore un hit pop avec «Cronium-Plated We’re So Elated», c’est même du stomp electro, du glam des enfers. Difficile de résister à un tel charme. Il se moque aussi de la dépression avec «When You’re Depressed», il nous claque ça au riff anglais - I won’t have sex - On le voit revenir à la très grande pop avec «Big Ship» - Love is a big ship following me - Lawrence d’Arabie reste le surdoué que l’on sait. Même s’il traîne avec des machines, il sait ce qu’il fait. Il revient aussi à la dope avec «I’m Dope» et fait tout rimer avec dope : cop, joke, misanthrope, hope, rope - Coz I’m dope/ I don’t hold out hope - Il fait même un hit de dance-floor : «Knickers On The Line By 3 Chord Fraud». L’Arabie regorge de ressources inexplorées. On le sait depuis l’époque de Lawrence d’Arabie, le vrai.   

    Signé : Cazengler, le rance d’Arabie

    Denim. Back In Denim. Boy’s Own Recordings 1992

    Denim. Denim On Ice. Echo 1996

    Denim. Novelty Rock. EMI 100 1997

    Go-Kart Mozart. Instant Wigwam And Igloo Mixture. West Midland Records 1999

    Go-Kart Mozart. Tearing Up The Album Chart. West Midland Records 2005

    Go-Kart Mozart. On The Hot Dog Streets. West Midland Records 2012

    Go-Kart Mozart. Mozart’s Mini-Mart. West Midland Records 2018

     

     

    L’avenir du rock

     - Heavy load

             S’il est une chose que l’avenir du rock apprécie par-dessus tout, c’est le poids. Le poids des mots, le poids des idées, le poids du poids, le poids du sens. Il ne jure que par le lourd de sens. Dès qu’il voit qu’un être ou qu’une œuvre manque de poids, il fait demi-tour. Il n’a que mépris pour la surface des choses, qu’on appelle aussi la superficialité, le jeu des apparences et cette profonde bêtise dans laquelle se complaisent hélas trop de gens. Ses oreilles font le tri des conversations et ses yeux le tri des images. Il est ravi lorsqu’un tri auditif concorde avec un tri visuel, il sait qu’il aura accès au poids. Cette quête du poids présente des avantages mais aussi des inconvénients. Elle flirte avec l’addiction. D’autres appelleraient ça de l’élitisme. L’avenir du rock voit plus cette quête comme une condition de survie. Il ne supporte plus d’entendre les gens parler des reportages qu’ils ont vu à la télé, ou de se vanter d’être devenus comme des millions d’imbéciles des épidémiologistes à la petite semaine. L’avenir du rock ne veut pas finir comme ça, rongé de l’intérieur par le poison des medias. En même temps, il comprend que les gens puissent s’estimer trop faibles pour se lancer dans une quête de poids. Certains le font pourtant, mais ils grossissent. Ils confondent poids et poids. La notion de poids est pourtant simple. L’histoire du rock offre quelques beaux exemples : Jimbo, Elvis, Wolf, Jeffrey Lee Pierce. Les mêmes imbéciles pourraient aussi reprocher à ces superstars d’avoir pris du poids, mais dans ces cas-là, le poids fait partie du poids, c’est pourtant simple à comprendre, non ? Et pour faire bonne mesure, on peut ajouter à cette liste les noms de Frank Black, David Thomas, Fats Domino et Leslie West, des gros qui font partie des plus grands artistes du XXe siècle : beaucoup d’albums, aucun déchet. L’avenir du rock raffole de ce poids-ci, de ce poids chiche, de cette fabuleuse masse volumique qu’exacerbe l’idée même de la densité artistique. Il en est des choses du rock comme des choses de la vie : lesté de poids, l’être est l’être. Heavy, comme envie ou encore en vie. Envie d’Eve Future bien sûr. 

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             Pas étonnant qu’un groupe anglais se faisant appeler The Heavy reçoive l’aval de l’avenir du rock. The Heavy dispose en outre d’un privilège extraordinaire : le chanteur est un black, et quel black ! Kelvin Swaby est une petite fournaise à deux pattes.

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    L’idéal serait de commencer l’exploration de ce poids lourd par The House That Dirt Built paru en 2009. Car il s’y niche une pépite nommée «How You Like Now». Kelvin Swaby l’attaque à la James Brown, au there was a time, au stormer de shaky shaker, ce mec ramène tout le Black Power dans un Heavy lourd de conséquences. Encore un big shoot d’excelsior avec «Oh No! Not You Again». Kelvin Swaby screame comme un démon. Les cuts suivants sont hélas moins intenses. «No Time» se veut plus ambitieux, presque blanc, bien chargé de son, ça rue dans les brancards, ça vire heavy Soul de pop généreusement cuivrée. Ces mecs ont un bon concept, ils flirtent parfois avec Led Zep ou le blue beat. C’est un mélange très curieux. Ils opèrent un grand retour à la Heavyness avec «What You Want Me To Do». Ils ne s’appellent pas The Heavy pour rien. Ils vont piétiner les plates-bandes des blancs, dommage qu’ils ne restent pas au niveau d’«How You Like Now».

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             Leur premier album s’intitulait Great Vengeance And Furious Fire et bénéficiait d’une pochette typographique. C’est souvent ce qu’on fait quand on manque d’idées. En 2007,  Kelvin Swaby et ses amis se prévalaient déjà de la clameur d’un son entreprenant, d’une bonne bedaine d’aubaines, qu’ils chargeaient d’infra-basses et qu’ils couronnaient d’un chant d’incendie urbain.  On voyait tout de suite qu’ils regorgeaient de ressources inexploitées et avec «Set Me free», ils se montraient tout simplement jawdropping - Why don’t you wanna set me free - Ils doublaient leur heavy beat de gros coups d’acou et Kelvin Swaby n’en finissait plus de poser sa question. Puis ils attaquaient «You Don’t Know» au gras double de British Blues, mais ça tournait vite au heavy doom fantasmatique - Maybe you won’t satisfy me - Ils faisaient du Led Zep encore plus puissant que Led Zep, surtout Kelvin Swaby qui faisait bien son Plant. Il semblaient assis on top of the world. Tout l’album était énorme. Ils tapaient «In The Morning» au heavy rock anglais et ça prenait de sacrées proportions. Avec «Dignity», ils sonnaient comme le Spencer Davis Group - And I don’t care who knows it - On avait là du «Gimme Some Loving» on fire - You always fuck with my dignity !

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             The Glorious Dead ? C’est le ciel qui te tombe sur la tête ! T’y crois pas ? Alors écoute «Just My Luck». Kelvin Swaby attaque ça au just my luck, il nous fait une crise d’early wild Led Zep de Communication Breakdown, un truc de dingoïde indomptable, ils emmènent ça au paradis de l’early Zep et là tu entends l’avenir. C’est dire s’ils sont balèzes. Si on en pince pour la densité, alors il faut se taper le «Can’t Play Dead» d’ouverture de bal. Une fois de plus, Kelvin Swaby te tombe dessus, c’est une brute, une énorme brute black et ses amis claquent bien la paillasse du rock. Le son tombe d’en haut, comme les chutes du Niagara, la violence du choc te déplace la cervelle. Encore du punch à la Cassius Clay avec «What Makes A Good Man». Ils saturent le spectre du son, c’est mastérisé à outrance, le casque saute dans tous les coins. Pour te mettre les oreilles en chou-fleur, c’est le cut idéal. Et puis voilà «Be Mine» qui sonne comme un hit interplanétaire - Take all my tears - Ce mec fait montre d’une présence inexorable - Take all my money/ Take all my time - Il lui donne tout, son temps, ses larmes, son blé et sa bite. Kelvin Swaby et ses amis créent leur univers de toutes pièces. Le gros stomp de «Same Ol’» est cousu de fil blanc mais ça n’est pas grave, le principal c’est que ce blackos chante tout le chien de sa chienne de vie, il épouse à merveille le désir de ses copains blancs qui veulent stomper le sol d’Angleterre. Ils terminent cet album superbe avec «Blood Dirt Love Stop», un vieux décombre d’Heavy Soul, fin de soirée chez les Heavy, c’est l’heure de Kelvin Swaby, il adore se glisser dans un satin jaune imaginaire. Il en a les moyens physiques et artistiques, sa glotte est montée comme celle d’un âne alors il peut déployer tout son génie de petit Soul Brother transplanté dans la vieille Angleterre.  

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             Paru en 2016, Hurt & Mercyless est encore l’album de toutes les énormités. Boom dès «Since You Been Gone», ce big Soul crunch de bad downhome rock, c’est joué au heavy Heavy, au deep down beat, le meilleur d’Angleterre, et Kelvin Swaby n’en finit plus de courir sur l’haricot de la Soul. Laisse tomber Primal Scream, c’est The Heavy qu’il te faut. Ces mecs bouffent littéralement la motte du rock. S’ensuit un «What Happened To The Love» brûlé dans les grandes longueurs, ça court au long d’un fucking drive, Kelvin Swaby chante comme James Brown, il met le feu aux plaines. Avec «The Apology», ils font du raw r’n’b explosif, Kelvin Swaby est un démon, il taille sa route dans le son, il chante avec l’énergie de James Brown, il écrase son champignon, ces gens-là évoluent bien au-delà du Brit tock. Ça repart de plus belle plus loin avec «Last Confession» qui sonne comme le «Lust for Life» d’Iggy. Même assise rythmique. Ils y vont de bon cœur. C’est tout ce qu’on leur demande - This is my last confession - Kelvin Swaby a l’air catégorique. Ils nous font même le coup du final explosif. Ils attaquent «Mean Ol’ Man» au Stax d’Heavy. C’est bien vu, en plein dans l’angle, chœurs et beat de rêve. Kelvin Swaby est toujours prêt à incendier le killing floor, comme le montre encore «Slave To Your Love». Il est infernal. Encore pire que le MC5 et Mitch Ryder. Ces mecs carburent au slave to your love, c’est en place. C’est tout de même incroyable qu’un groupe puisse sortir ce son en Angleterre !   

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             Paru en 2019, Sons reste pour l’heure leur meilleur album. C’est une véritable poudrière, boom encore dès «Heavy For You», tapé dans une heavyness inimaginable, ils ont même l’air complètement dépassés, Heavy for ya ! C’est beaucoup trop heavy, on ne sait plus si on entend du big Heavy ou du heavy Heavy. Trop c’est trop. Kelvin Swaby casse la baraque avec «The Thief», il s’adresse aux poulets, il a du son, trop de son. Le gros avantage qu’ils ont sur Primal Scream, c’est qu’ils disposent d’un vrai shouter. Ça change tout. Ils passent au groove de funk avec «Better As One». Kelvin Swaby y va franco de port, c’est heavy on the beat, il fait son James Brown. On les voit ensuite partir en cavalcade infernale avec «Fire» et ça se termine bien sûr en final apocalyptique. Kelvin Swaby est au-devant de tout, surtout de «Fight For The Same Thing». Il fait de la wild Soul, il allume ses cuts en permanence. Tu ne peux pas battre The Heavy à la course. Avec «Put The Hurt On Me», Kelvin Swaby plie the Heavy aux lois du heavy funk. Puis il s’en va driver le funk de «Simple Things», là tu as le vrai black brother. Ces mecs ont du génie, qu’on se le dise ! Ils sont capables d’allumer autant que le MC5 («A Whole Lot Of Love»). Ils fondent leur heavy drive dans le Soul System avec un brio digne des grandes heures du MC5.

    Signé : Cazengler, the Heavynasse

    The Heavy. Great Vengeance And Furious Fire. Counter Records 2007 

    The Heavy. The House That Dirt Built. Counter Records 2009

    The Heavy. The Glorious Dead. Counter Records 2012  

    The Heavy. Hurt & Mercyless. Counter Records 2016  

    The Heavy. Sons. BMG 2019

     

     

    Inside the goldmine

     - Weaver report

             Il avait passé toute sa vie à tirer la langue, mais sa pauvreté faisait l’objet de sa fierté. Francisco se targuait d’être l’un des plus anciens RMIstes locaux. Un jour qu’on dégustait des huîtres sur une terrasse ensoleillée, il s’élança dans une périlleuse apologie de la pauvreté. Les verres de blanc aidant, il s’enflamma. Il essayait de me convaincre des bienfaits de la pauvreté et il posa au sommet du gâtö de son raisonnement la cerise que voici : la pauvreté, c’est la liberté ! Avec l’arrivée de la troisième bouteille de Sancerre, l’idée parut incontestable, portée par un lyrisme hugolien qu’on ne lui soupçonnait pas. Il compara nos deux situations : comment pouvait-on accepter de bosser pour un patron, de payer des impôts, de payer un loyer, à ses yeux tout cela était inacceptable, il me traita gentiment d’esclave et m’assura de sa compassion. Et il repartit de plus belle, arguant que la vie était trop précieuse pour qu’on pût la gaspiller, il affirma qu’il valait mieux être libre que d’être riche, son enthousiasme ne connaissait plus de limites. Un capitaine de flibuste ne serait jamais allé aussi loin dans l’apologie de la liberté. Puis la conversation bascula sans qu’on sût pourquoi sur le rock’n’roll, celui des pionniers, dont il était friand. Au temps de son adolescence, il appartenait à un gang de rockies qui circulait à bord d’une DS pour aller voir chanter Gene Vincent, Jerry Lee, Vince Taylor et tous ceux qu’on pouvait choper en France.

             — Francisco, sais-tu que Jerry Lee, Chuck Berry et Little Richard viennent jouer au Zénith le mois prochain ?

             — Non, chavais pas. Aussi bien, c’est réglé, j’ai pas un flèche.

             — Mais il n’est pas question que tu payes. T’es invité !

             — C’est ça, appelle-moi con... Invité par qui d’abord ?

             — Ben par Jerry Lee !

             — Tu déconnes !

             — Non, tiens, voilà ton billet. Tu vois, au dos, il a mis un petit mot pour toi...

             Francisco m’arracha le billet des mains et lut à voix haute la petite phrase :

             — Putain l’enfoiré qu’est-ce qu’il écrit mal... For... my... ch...

             — Chap... For my chap !

             — Ah oui, c’est ça, for my chap Frenchisco...

             Et là, bouleversé, il se mit à chialer.

     

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             Pendant que le morve de Francis coule sur le cadeau de Jerry Lee, Martin Weaver bâtit sa légende. Ils n’ont en commun que la pauvreté, enfin, c’est l’idée qu’on se fait de Martin Weaver, même si on n’en sait rien. Mais quand on est underground à ce point-là, on ne doit pas être bien riche. Alors pour les besoins de la goldmine, faisons de Martin Weaver un homme très pauvre, ce qui permet de l’apparenter à notre vieux RMIste. 

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             Par contre, on est bien certain d’une chose : Martin Weaver n’est pas un amateur. En 1968, il opte pour la formule power trio et démarre un projet nommé Wicked Lady. Le groupe splitte en 1972. Leur premier album paraît en 1993 et s’appelle The Axeman Cometh et on voit tout de suite, avec «Run The Night» qu’ils sont bien décidés à en découdre. Grosse énergie, avec un côté pète-sec. Martin Weaver est le prototype du soliste décidé à enfoncer son clou. Son côté «je-fonce-tout-droit/advienne-que-pourra» l’honore. On voit aussi avec «War Cloud» qu’il sait monter des œufs en neige. On trouve le morceau titre en B. Il est un peu long et déborde du cadre, mais c’est bien, Weaver est un chic type. Comme les cuts sont longs, le rééditeur spanish Guerssen a prévu un double album. Ils attaquent la C avec «Wicked Lady». Ces mecs se posent sur un riff et partent en mode hypno. Simple et efficace. Alors Weaver peut partir à l’aventure. On entend de belles échappées belles dans «Out Of The Dark». Weaver n’a aucun scrupule, il s’en va wahter dans le cosmos, il est passionnant et on n’en perd pas une miette. Il peut se montrer très cosmique, très interrogateur, il questionne sans fin les insondables mystères de l’espace. Même si parfois ses thèmes ne payent pas de mine, Weaver s’arrange toujours pour allumer ses lampions à coups de wild frantic drive de distro, comme le montre «Living On The Edge». Cette façon qu’il a de revenir dans le thème fait de lui un immense axeman, il joue à l’incendiaire préméditée, il inflige de sérieux revers aux tempérances, il est une sorte de délice approprié, il oblige les gongs à plier, il délatte les jambages, il taille à la volée, il enjoint le mitan à gagner les bords, il est l’envoyé des dieux fumants d’un Olympe sonique.

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             Leur deuxième album s’appelle Psychotic Overkill. Joli titre et ouverture de balda avec le mythique «I’m A Freak» - I’m a freak baby - cisaillé dans les tibias, fabuleuse présence de freak baby - On a losing streak/ And I’m coming after you - Aw yesssss, Martin Weaver sait de quoi il parle. Ce power trio est imbattable. C’est d’ailleurs cet I’m a freak baby qui donne son titre à une merveilleuse collection de coffrets heavy-rock chez Grapefruit. La surprise de ce double album est l’impeccable cover de «Voodoo Chile». On peut même parler d’une belle cover d’uncoverable, Weaver est dessus, il épouse Jimi comme le serpent épouse Eve, dans ses contractions octoïdales, Weaver est fabuleusement fidèle au spirit du Voodoo. Autre grosse surprise avec «Passion», en ouverture de B, joué à la heavyness. Ils s’installent dans le confort de leur fournaise, alors Weaver peut raconter son histoire - Everybody needs a hand - Oui, c’est ça. Il a raison, en plus. Leur «Tell The Truth» est encore bien traîné dans la boue. Ils s’amusent bien tous les trois, ils remettent leur petit train en marche, le gratté de cocotte de Weaver sonne bien caverneux, ça sent l’incisive pourrie de l’intérieur. Encore de la belle cocotte creuse en C avec «Why Don’t You Let Me Try». Quel son ! Ils sont dans leur monde, il ne faut pas les embêter avec nos commentaires à la petite mormoille. Ça monte sur la cocotte de Weaver, ça devient vite insidieux - I should do a lot of things baby/ Why don’t you let me try - Ils redeviennent plus classiques avec «Sin City» et des couplets de British Blues montés sur la cocotte salée du vaillant Weaver. Il est toujours à la manœuvre, il cocotte sec et part en virée, ses solos restent extrêmement élégants. Ils bouclent en D avec «Ship Of Ghosts». Ils savent lancer une machine. Cut classique mais inspiré. Ils multiplient les zones musculeuses et ça se développe en permanence. Ces mecs se situent au-delà de tout soupçon, avec cette belle basse d’attaque frontale de pompompom-poutoutou-poum. On leur tire un beau coup de châpö. 

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             Pas de surprise avec On The Treshold Of Reality, l’album des Mind Doctors qui, selon des sources obscures, aurait été enregistré en 1976 et publié pour la première fois en 2002. C’est un album de pur drugbuddy freak-out. Weaver donne du temps au temps, comme le veut la loi du psyché. Chaque cut est l’illustration sonore d’un voyage intérieur, ou d’un acid trip, ce qui revient au même. Tout s’en va rejoindre la voie lactée. Weaver reste un musicien expérimental. Il faut laisser le temps aux roses d’éclore, tel est son message. Le cut qu’on retiendra s’appelle «Praeludian 3 (Bach)», amené par un très beau thème de guitare. On se croirait chez Peter Green. Les notes s’accrochent dans les plis du groove. Tous les cuts de l’album sont des intros, pas de chant. À toi de jouer avec ton oreille. Tu y vas ou tu n’y vas pas. Les cuts s’enfilent en enfilade et s’en vont se perdre dans l’écho-dream. Quatre ou cinq cuts s’enchaînent, c’est sûrement voulu par Weaver. Inutile de vouloir savoir le pourquoi du comment, Weaver milite par une diaspora psychédélique où tous les cuts et tous les sons iraient se fondre dans une même voie lactée. Libre à toi de t’en contenter ou pas.

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             Grand retour de Martin Weaver dans les années 20 avec Doctors Of Space. La médecine de l’espace vaut bien celle de l’esprit. Il applique son premier traitement avec First Treatment. Pas la peine d’attacher ta ceinture, «Journey To Enceladus» est un acid trip configuré. On note une belle évolution des tendances hallucinantes, avec une guitare qui se fond dans les spoutniks. Pure énergie cosmique. Tu as là tout le mieux du pire. Les vagues sont belles et même parfois inespérées. Martin Weaver propose une suite à Syd Barrett, enfin, sa vision de la suite. Mais qui va écouter ça aujourd’hui, à part les stroumfphs habituels, les explorateurs d’espaces underground ? Cette culture s’englue dans son passé trippeur, mais c’est ce qui fait sa force. Au moins elle est à l’abri des méfaits de la pseudo-modernité. Ces gens-là taillent leur route dans l’undergound, à l’abri les regards torves et avec du son. Martin Weaver revient aux affaires. Il nous embarque pour 21 minutes avec «Into The Oort Cloud», tu entends bien les machines de l’espace. C’est toi qui décides, tu y vas ou tu n’y vas pas. Tu peux te fier à Weaver, il ne déçoit jamais. Son Oort Cloud est plein d’aventures, monté sur un gros beat de percus, alors ça devient un jeu d’enfant, bien dirigé, tu suis car c’est bon, Weaver sait créer la magie hypnotique, si tu veux de l’hypno à gogo, c’est là, il chevauche son drive d’hypno comme s’il montait un cheval blanc. On se souviendra de cette cavalcade. Encore une merveille avec «Ceres Rising». Scott Heller fait le programming des spoutniks hallucinés, c’est de l’Atmospheric & rac, du beautiful Ceres construit sur le répétitif d’une séquence organique. Fantastique dégelée royale de Mad Psychedelia ! Et on assiste médusé au retour du thème. Du coup, on y retourne. Les Doctors Of Space ont du génie. 

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             Le Dr Weaver continue de prodiguer sa médecine de l’espace avec The Covid Sessions. En fait, les Doctors Of Space ne sont que deux : Dr Weaver, guitare, et Dr Space aux synthés. On trouve de vieux remugles de Wicked Lady dans «Hold My Beer». Dr Weaver is on the move. Il joue dans le groove comme il l’a toujours fait. Il donne du temps au temps des cuts, jamais moins de six minutes. Dans «From The Depths Of The Universe», on assiste à un joli développement. Il faut être sous acide pour profiter pleinement de cette aubaine. Le Dr Weaver explore l’univers. Il s’en donne à cœur joie, ça joue vraiment dans l’espace. Bass, guitar, cover painting, tout est signé Dr Weaver. Comme son nom l’indique, «Afro Ghost Ritual» est une belle démonstration de beurre tribal. Mais tu n’apprendras rien de plus que ce que tu sais déjà de la condition humaine. Ainsi va la vie. Il amène «Frankie Coca» au groove de basse. Il se balade dans le son comme dans l’espace, léger comme une plume, il adore flotter. C’est comme s’il nous disait : regardez comme je flotte bien. Il est doué pour la flottaison, comme le montre encore «Untouchable Trademark». C’est son vieux dada. Il adore dérouler sa psychedelia, elle est bonne et longue comme une nuit de Chine, il est le roi des drones et se moque ouvertement du succès commercial. On voit les falaises de marbre s’écrouler à l’orée de «Drowned In Drone», elles s’écroulent bien sûr dans le lagon d’argent, le Dr Weaver te concocte l’un de ces Big Atmospherix dont il a le secret, c’est très présent et en même temps dispersé dans le cosmos. Il ravage l’inconscient collectif à la wah définitive, c’est bien vu, bien cuit, bien entendu, les coups de wah débouchent invaincus dans l’univers, là tu as le vrai son de l’underground, ce magnifique mix de wah et de spoutniks. Le Dr Weaver n’en finit plus d’arroser sa fin de cut de wah divine.     

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             Les ceusses qui se paieront le voyage  de The Astral Sessions Vol 2 - The Spacious Void Of Mind se régaleront de «Bursting Bonso», un cut organique qui se développe en direct sous nos yeux, à partir d’un thème de synthé et des volutes du Dr Weaver. Ils passent vite en mode hypno et ça devient terrific. Formule gagnante, combinaison explosive, et la guitare s’envole par-dessus le groove hypno du thème aztèque, ils génèrent des petites plages de calme pour repartir de plus belle et ça tourne à la folie pure, l’hypno du thème aztèque remonte à la surface comme une menace et ça te donne au final l’un des meilleurs shoots d’hypno de tous les temps. Le Dr Waever monte ça en neige du Kilimandjaro. Les vagues sont claires et nettes : elles sont là pour vaincre. Et puis après les tempêtes, ça revient toujours sur le thème aztèque, ils ne sont jamais paumés, ils peuvent tenir 13 minutes sans problème. Le beat est parfois à côté du tempo, mais c’est sûrement voulu. Ces deux vieilles barbes combinent l’incombinable : les riffs psychédéliques et les spoutniks, un peu comme au temps d’Hawkwind. Mais pour la mad psychedelia, on peut faire confiance au Dr Weaver, il en est l’un des maîtres. Dès «Vortex Jam», on entre dans des remous de glouglou et on s’en accommode fort bien. Ce sont les motifs synthétiques du Dr Space qui nous ramènent chaque fois dans l’actualité. Ses spoutniks sont obsessionnels, alors que le Dr Weaver voyage dans le son comme un gros vampire affamé de ténèbres. «The Way Clear» est un jus de jam informelle, perdu dans le délire d’une vision, mais c’est assez monumental. Ces deux vieilles barbes taillent des falaises dans le marbre. Le son se déplace comme de gros nuages dans le ciel de l’Olympe. Tu sais que tu voyages. C’est le plus important. C’est encore le Dr Space qui amène «The Quiet man» au sequencing, alors c’est tout de suite hypno, les pieds dans le tapis, tout est très bien calculé, fabuleusement imaginé, all over a certain space, le beat organique du Dr Space bat comme un cœur, un gros cœur de bœuf, on croit entendre des personnage du Satyricon de Fellini dans ce délire.

    Singé : Cazengler, Weaver de terre

    Wicked Lady. The Axeman Cometh. Guerssen 2012

    Wicked Lady. Psychotic Overkill. Guerssen 2012

    Mind Doctors. On The Treshold Of Reality. Kissing Spell 

    Doctors Of Space. First Treatment. Space Rock Productions 2020  

    Doctors Of Space. The Covid Sessions. Doctors Of Space 2021    

    Doctors Of Space. The Astral Sessions Vol 2. The Spacious Void Of Mind. Doctors Of Space 2022

     

    *

    What is it, ce couple préhistorique marchant main dans la main, tiens les rôles sexuels sont déjà partagés, l’homme tient d’une main une massue de chasseur et de l’autre sa compagne future reproductrice se contente d’être belle, je ne voudrais pas que l’on m’accuse d’indélicatesse, mais elle ne possède pas… disons une poitrine opulente, d’ailleurs ne serait-ce pas un jeune garçon. J’avoue que question homosexualité préhistoriale je n’y connais pas grand-chose. Regardons la chose de plus près. Remarquons que le titre du CD est d’origine grecque, Philia, que vous pouvez traduire par ‘’amitié’’. Toujours un peu ambigüe l’amitié chez les grecs, à part que les grecs antiques portaient la chlamyde et n’étaient pas vêtus de fourrures d’animaux sauvages. Sauf Héraclès qui promenait fièrement sur son dos la peau du lion de Némée sur son dos.

        ,euchridian, grave speaker, situs magus, nicolas unghemut,

    Vous ouvrez la pochette et les notes vous aident à comprendre : reproduction d’une gouache de James Tissot (1836 – 1902 ) intitulée : Caïn menant son frère Abel à la mort… Très intéressant, les fans de metal se revendiquent plus facilement de la descendance forgeronne de Tubal Caïn que de la race bêlante d’Abel, notre devoir de kroch-niqueurs nous enjoint de nous pencher sérieusement sur le problème.

    PHILIA

    EUCHRIDIAN

    ( Tattermalion Records / Septembre 2023 )

    Aucune information particulière sur ce groupe si ce n’est qu’ils viennent d’Ecosse.

    Matt Davies : vocals, lyrics, riffs, arrangements / Guillaume Martin : guitar, bass. / Mika Kallio : drums.

    Donc la couve, nous ne nous y attarderons que pour remarquer que James Tissot fut élève du lycée de Vannes en même temps que Villiers de l’Isle Adam et ami de Whistler et de Manet tous trois très proches de Mallarmé. Il fut un peintre connu qui sut rester dans les canons de la modernité sans tomber dans des outrances. Le lecteur pourra comparer Le déjeuner sur l’herbe (1863) de Manet avec sa Partie Carrée ( 1870 ), titre des plus borderlines, et comprendre ainsi pourquoi il refusa d’exposer avec les impressionnistes. Suite à une crise religieuse, à partir de 1888, il se consacra exclusivement à des sujets bibliques. Ce n’est pas un hasard si ce portrait d’Abel et Caïn est assez équivoque. Ses portraits de jeunes dames excessivement huppées et vêtues n’attendent que l’œil oblique du spectateur qui les déshabillera. Est-ce significatif si le premier titre de l’EP se nomme ‘’douceur’’ pour évoquer le clair côté de la force.

        ,euchridian, grave speaker, situs magus, nicolas unghemut,

    Pour le versant obscur de ladite force du désir, le dos du CD présente une gravure de Frederic Leighton (1830 - 1896), intitulée Caïn et Abel, le regard est attiré par Caïn cachant sa face contre un rocher, ployant sous le poids du remord, à moins que ce ne soit celui du regret quand l’on porte les yeux sur le corps nu d’Abel comme une amante prête à s’offrir. Leighton est classé parmi les préraphaélites, génération qui rendit l’ambiguïté d’autant plus explicite qu’elle était d’autant plus ambigüe… C’est aussi un tableau de Leighton que Telesterion a choisi pour illustrer la pochette de son dernier CD chroniqué dans notre livraison 617 de la semaine dernière.

    Sweetness : un riff que vous me permettrez de qualifier de marécageux sur lequel la batterie s’en vient faire de grands splashes, en eaux troubles, le rythme est lent et la voix gutturale, imaginez vos gargouillis alors que vous injuriez et maudissez l’ennemi en train de vous étrangler, atrocement beau, la beauté de l’horreur indicible, les lyrics sont à la hauteur, non il n’y a ni colère, ni rages exprimées, aucune brutalité, la guitare chante au loin, car c’est bien un chant point d’amour mais de désir, la mère a perdu un de ses deux fils, mais il ne s’agit pas d’Eve mais d’Ashera cette ancienne déesse, qui fut la prime déesse, celle dont on ne sut quoi faire lorsque les tribus guerrières et conquérantes voulurent un dieu mâle à leur ressemblance, Yahweh puisque vous voulez connaître son nom, alors on donna Ashera comme épouse à Yahweh… Caïn n’a pas été jaloux d’Abel, il le désira autant que Yahweh désirait Ashera, toutefois l’exemple de Yawheh indiquait l’individu femelle comme réceptacle du désir mâle, pourtant le charme charnel d’Abel si gracile… Cette version de la légende caïnique n’est ni très rabbinique ni très catholique je l’admets, elle s’est perpétuée toutefois jusqu’à aujourd’hui par divers canaux ( par exemple La Cèbe de Léonard de Vinci ), sous une autre forme, ce n’est pas l’idylle de Dieu avec Ashéra mais celle du Christ avec Marie-Madeleine, légende dans laquelle on se plaira à entrevoir  un avatar religieux de la montée du féminisme actuel. The rule of three : avis aux amateurs, nous sommes en plein du côté obscur de la force. Un guitare impitoyable tamponne le bourdon d’un riff dans vos oreilles, vous détesterez ces écrasements de batterie qui passent sur vous tel le rouleau compresseur sur le dos du crapaud, quant à la voix c’est celle de la conscience qui interroge Javert dans Les Misérables, sûr qu’elle vous pousse au suicide, avant de commettre cet acte fatidique que vous ne regretterez pas car il sera trop tard, examinons la situation sereinement, si cette implacabilité musicale vous laisse la possibilité de réfléchir. De prime abord c’est très simple : pourriez-vous appeler amitié le sentiment que vous éprouvez si subrepticement vous poussez dans le dos ce beautifull friend qui s’écrase la tête la première trente mètres plus bas sur le rocher. Pendant que vous vous interrogez les musicos essaient de transcrire le travail émotionnel de vos méninges qui s’escriment à répondre à cette question simple. Musicalement, vous adorerez, c’est d’une violence inouïe, parfois vous avez une césure, ce genre de faux-plat que les cyclistes détestent parce que la côte innocente leur coupe les mollets, la basse continue son train-train insidieux et la batterie vous abreuve de triolets rythmiques déconcertants, peut-être pour que votre esprit s’intéresse à cette fameuse règle de trois qu’il faut ou qu’il ne faut pas enfreindre. Un dernier hurlement de quelqu’un qui s’écrase sur un rocher. Ouf c’est fini. Oui mais qui vient de tomber ? Pas le copain que vous avez proprement occis en l’envoyant voir ailleurs si vous y étiez, pas vous-même puisque vous êtes vivant. Quelle est cette troisième personne ? La règle de trois peut-elle mathématiquement se déchiffrer comme une équation dont il faut extraire l’inconnue. Bien sûr j’ai la réponse : elle est écrite en toutes lettres dans les quatre premiers vers du premier morceau : In the moonlight / She wraps around me / And you become me / A trinity of insanity /. Le troisième membre de la trinité serait-il le désir qui joint (ou ne joint pas) un être à un autre être. A deux serions-nous toujours trois ? Et si le désir n’est pas là, où est-il ? Dans quel carrefour hécatien se niche-t-il ?

             Si vous aimez le doom, ce CD qui ne ressemble à aucun autre est pour vous.

    Damie Chad.

    Le nom Euchridian qui si l’on en croit les racines grecques signifierait ‘’ heureuse brisure mentale’’ est d’après nous forgé à partir d’Euckrid nom du héros d’un conte de Nick Cave’And the Ass saw the Angel’’ paru en 2012.

    *

    Ils ne veulent ressembler à personne. Ils ne donnent même pas leurs noms, tout ce que nous savons c’est qu’ils se réclament du Massachusett.

    GRAVE SPEAKER

    (Piste Numérique / BC / YT / 13 - 10 – 2023)

    Un petit indice au bas de la pochette, ce chiffre 17, encore un truc pour avertir les parents américains que leur progéniture court de graves ( c’est le cas de le dire ) dangers (sans parler des dommages collatéraux) s’ils écoutaient par hasard cet opus. Le plus marrant ce sont les quatre notifications en rouge dans le carré blanc : Satanic Worship (culte satanique), Gory imagery, Fantaisy Violences et le plus étonnant Face Melting Riffs, on est donc loin du saint riff rédempteur de nos french Barabbas !  Bénédiction de ce côté-ci de l’Atlantique malédiction sur l’autre rive. Heureusement dessous il est rappelé que cet objet maléfique est destiné à to be play louded, ainsi quand les parents l’écouteront les gamins de moins de dix-sept ans pourront aussi l’entendre malgré la porte fermée à clef.

        ,euchridian, grave speaker, situs magus, nicolas unghemut,

    Pochette sataniste, je veux bien, mais on a vu mieux pour exprimer le pire, monochrome rouge, de loin on pense plutôt à un groupe qui se revendiquerait de la Révolution russe ! Quand on ajuste ses lunettes on reconnaît dans la figurine noire la silhouette d’un chevalier du Temple ce n’est que lorsque l’on pose son nez juste au-dessus mode hélicoptère en vol stationnaire que l’on reconnaît sous le capuchon noir… la Mort. Auraient-ils lu la dernière aventure des Services Secrets du Rock’n’roll, fidèlement rapportés dans nos colonnes d’après le journal intime de l’Agent Chad ?

    Blood of old : quelques notes lourdes comme des gouttes de plomb fondu que l’on vous verserait dans la gorge, de surcroît la basse coupable de ce vil méfait se permet de swinguer comme si elle était en train de jouer dans le quartet de Charlie Parker, les cymbales vous font entendre ces désagréables cisaillements infinis, ce cliquètements de monnaie de singe, dont elles sont coutumières et la loco-doom se met en marche, sans se presser, elle traîne derrière elle un lourd convoi, attention  son shuffle au ralenti n’arrêtera pas de tout le disque, c’est la donnée de base, une guitare essaie de pousser quelques coups de sifflets stridents pour se faire remarquer, mais ils ne parviennent pas à recouvrir le roulement funèbre de ce convoi mortuaire. J’allais oublier le principal, ces lourdes tentures de voix qui s’élèvent  de temps en temps, des espèces de menaces adjugées sans préavis, ce qui n’est pas fair-play puisque nous sommes les premiers concernés en tant qu’espèce humaine destinée à être éradiquées, après quoi les guerriers qui nous auront occis et leur chef s’endormiront pour mille ans. Earth of mud : on croyait être tranquille pour mille ans, mais non le train cauchemardesques reprend son trajet, la voix lointaine s’élève sur les premières mesures, de quoi refroidir votre sang dans vos veines, elle assène ses dix-huit vérités à la queue-leu-leu sans se presser, ponctuées de coups de batterie mélodramatiques, c’est Lui qui parle, qui est-il au juste, cela importe peu, au début vous vous retrouvez dans une situation que content les Eddas vikings, celle du combat de la fin du monde, soyons fataliste, le pire n’est-il pas toujours certain, mais une maudite guitare claironne bien fort les points sur les i, vous ne vous en tirerez pas à si bon compte, quand le drame sera terminé, ça recommencera ad vitam, enfin ad mortem, aeternam, car tous les mille ans il faudra remettre le couvert. Non la terre n’est pas un tas de boue comme le titre l’énonce si poétiquement. Juste un tas de merde. The bard’s theme :  comment font-ils pour augmenter ce sentiment de frustration qui monte en nous au fur et à mesure que l’intensité du riff augmente, très simple ils augmentent la dose, la guitare s’en vient faire son numéro en haut du trapèze et le speaker nous raconte une belle histoire. Un véritable film médiéval avec des scènes chocs, la guitare imite les gémissements de la Reine du château qui copule avec Lui l’Immortel, elle a trahi le Roi, mais qu’auriez-vous fait à sa place. Tirez-en la bonne leçon, un jour vous mourrez, que vous le vouliez ou non. C’est votre destin, ne vous préoccupez pas de Lui, l’Immortel survivra. C’est son destin.  Grave speaker : Il se tait, Il ne parle plus, le silence n’est-il pas la parole la plus criminelle, il est gentil durant son absence la musique se fait douce, elle vous berce, la loco-doom glisse sur les rails du rêve, les vôtres, quand le Maître ne parle plus vous imaginez l’impossible, au loin Il se gargarise sa voix imite les Choeurs antiques, celles des drames les plus noirs, puis plus rien, la solitude est-elle la meilleure des compagnes, vous êtes un chien perdu sans collier, mais au loin les échos de la vois du Maître retentissent, vos tourments s’apaisent, vous avez retrouvé votre chemin il est pavé de vos meilleures intentions, la voix doucereuse caresse votre échine. Earthbound : pourquoi ce doom funèbre laisse-t-il échapper comme une plainte narquoise, est-ce le moment de la grande explication, non pas avec vous, mais avec celui tout en haut qui L’a précipité dans la chute, le riff se déplie tel un grand serpent qui lève la tête et monte sans arrêt vers les hauteurs du ciel, il est l’heure de mourir, non pas pour vous, pauvres humains mais pour l’autre Lui qui se sent inaccessible cadenassé dans sa forteresse imprenable. Il l’appelle, Il Le défie. Make me crawl : un bourdonnement allègre, pour une fois la vitesse augmente sensiblement, la basse ravageuse entonne le halali, la batterie devient butoir qui cogne sur les portes du Paradis, les hordes démoniaques entonnent le chant de guerre, tu veux me faire ramper, tu vas voir ce que tu vas voir, la guitare s’abat et fend les heaumes des cohortes célestes, elle entonne le clairon celui qui mène à la victoire pendant que l’on patauge dans des flots de sang angélique. Le portail vole en éclats.

             Ce n’est pas un CD à écouter mais un film à grands spectacle à regarder. Le Grave Speaker n’est pas fou, il interrompt l’action au moment décisif. Que va-t-il se passer ? Qui remportera la victoire ? Le principe du Mal ou le principe du Bien ? Ce qui est sûr c’est que Grave Speaker sortira la deuxième pellicule l’on se précipitera pour voir l’Episode 2. Comme cela au lieu de répondre ‘’c’est vachement bien’’ à ceux qui nous demanderont si ça vaut le coup d’aller le voir, tous en chœur on répondra : ‘’ C’est vachement mal !’’ et l’on ajoutera : ‘’ D’ailleurs c’est interdit au moins de soixante-dix-sept ans !’’.

    Damie Chad.

     

    *

    Un peu de rangement n’a jamais fait de mal à personne ( c’est vous qui le dites ), coincé entre deux tomes du Littré, un CD égaré-là je ne sais comment,  un sampler de la revue Metallian, des années que je ne l’achète plus, c’est vieux, confirmation immédiate au dos de la pochette, CD offert avec le N° 72 de Metallian Magazine, en 2012, aucun souvenir de l’avoir écouté, je scrute la liste des seize titres, je dois être d’humeur chauvine, ou alors c’est le flair du rocker,  je cherche les groupes français qui proposent des titres en français, n’y en a qu’un, le dernier de la liste Situs Magus, oui je sais c’est du latin, mais le titre de l’album est en français Le Grand Ouvre. Je suis certain que c’est un opus alchimique, première fois que je rencontre l’expression Grand Ouvre pour Grand Oeuvre, je trouve cette notion d’ouverture associée à l’alchimie profondément intéressante. Après vérification juste une erreur typographique, il faut lire :

    LE GRAND ŒUVRE

    SITUS MAGUS

    (Avant-Garde / Septembre 2012)

    J’ai retrouvé leurs traces. Mais ne serait-ce pas un individu solitaire. Facilement. Deux articles élogieux sur les webzines Trashocore et La Horde Noire parus à l’époque de la sortie. L’est sorti en CD mais aussi sous forme d’une metalbox tirée à 75 exemplaires. Divers sites payants ou gratuits vous proposent d’écouter l’opus. Preuve que ses géniteurs tiennent à ce que le contenu ne soit pas perdu. Ce n’est pas une question de gloriole personnelle, les noms des musiciens ne sont pas notifiés, mais le désir que la ‘’chose’’ ne se perde pas. Preuve qu’ils y accordent non pas une certaine importance mais une importance certaine. Démarche typiquement alchimique. Ceux qui chercheront trouveront. Quant au nom du groupe, je traduirai ‘’ Situs’’  non pas littéralement, mais par ‘’accompli’’. Le mage accompli car il a réalisé l’œuvre au rouge.

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    La couve a de quoi dérouter. De prime abord, un petit côté capharnaüm, en bas l’on discerne tout l’attirail nécessaire à l’alchimiste, un traité secret, l’athanor, les cornues, une tête de mort surmontée d’un corbeau, au-dessus une représentation du sphinx les yeux levés vers les cieux, semble tenir entre ses mains un homonculus. Ensemble bien mystérieux pour les néophytes en alchimie…

    J’entends avant même qu’ils n’aient prononcé le moindre mot des lecteurs s’écrier, moi je ne crois pas à l’alchimie. Moi je crois au Père Noël. Parce que je sais qu’il n’existe pas. C’est en ce sens que vous pourriez dire que vous croyez en Dieu. Il ne s’agit pas de croire ou de ne pas croire en Dieu ou en l’alchimie. Mais de penser Dieu ou l’alchimie. Penser Dieu n’est-ce pas créer au-dedans de soi un petit homonculus. Penser l’alchimie est déjà plus difficile, car l’œuvre alchimique est ardue. Les modernes, disons les (bo)bodernes aiment à penser l’alchimie comme une spiritualité. Un peu comme le zen. L’alchimie est avant tout une pratique. La chose qui s’y apparenterait le plus serait l’équitation. Parce que malgré votre adresse tout dépend du cheval. Il est des chevaux particulièrement retors. Surtout ceux qui parlent la langue des oiseaux. Et toc. Enock.

    Ouverture : sonorités étranges venus d’ailleurs, de l’intérieur de soi, bruitages tubulures, vagues phoniques intumescentes, viennent-elles vers vous ou vous emmènent-elles ailleurs, juste les premiers pas décisifs, sommes-nous sur le sentier désagrégatif de toutes les choses du monde ou sur la sente obscure de l’unité qui se confond avec le chemin du serpent qui y pourvoie. Œuvre au noir :  à peine avez-vous entrepris le premier pas que le monde se décompose, vous êtes entré dans le monde de la mort, de la mortification du terreau initial, pour ce faire la première opération consiste à défaire, de se défaire de soi-même et d’entrer dans la stérilité du monde, musique en tant que déambulation, étape après étape, coupées par des instants de repos et de contentement de l’œuvre désaccomplie, la voix gutturale de la mort chuchote à votre oreille, c’est vous qui êtes en train d’agonir, vous tenez la barre de votre désintégration, ne pas oublier que celui qui s’enfonce dans la mort est le bourreau qui décapitera le corbeau des illusions abandonnées, une lente glissade vers quelque chose qui se transforme en étron de néant, en êtron de rien, toute défaite est une victoire, les cloches sonnent, les mêmes qu’au début, vous avez composté le lieu en un tas résiduel, mais le temps subsiste, car il y a un temps pour tout. Œuvre au blanc : une continuité avec ce qui précède car si le tout peut être considéré comme une unité indivisible, le pareil devient le même, jusqu’à lors nous avions affaire à un étrange ballet de sonorités argileuses surgies de nulle part, voici  une rassurance, c’est bien un groupe de rock qui joue, fausse assurance qui ne dure pas, la monstruosité se réveille, jamais le background n’a été si compatible avec le jeu d’un groupe de black metal, la pâte monte, elle gonfle, il semble qu’elle va éclater, mais non le cataplasme  retombe comme un soufflet raté, est-cela l’aube du monde, cette course éperdue vers une innocence révolue, emballement musical, estompée par des pas bassiques, reprises du cheminement dans l’extérieur de soi, s’il y a une unité c’est celle qui coordonne le moi avec le non-moi, l’être avec le non-être, cris déchirés, l’on assiste au couronnement de la vierge, à son dévoilement, glissement, crissement de tulle, la blancheur point, elle voit le jour, elle s’identifie à lui, comme il devient elle, un tout indiscernable qui monte en éblouissance, l’on n’a jamais été aussi proche du but que l’on n’atteint jamais car la blancheur opalescente du lait n’est pas le lait. Contemplation. Le regard n’est pas la chose contemplée. Œuvre au jaune : stade intermédiaire de l’accomplissement. L’aurore du jour écarte ses doigts  de rose jaune, la monstruosité phonique est en accord avec l’horreur indicible de la voie de l’accomplissement, le chemin tourne sur lui-même, il pleut une espèce de douce coloration incarnadine qui s’étend au monde entier de l’animalcule végétatif en formation, tout se précipite jusqu’ à prendre la coloration du sang des règles. Etourdissement triomphal. Jusqu’ à cet écroulement rampant. Œuvre au rouge : victoire de la rubification, L’œuvre n’est pas seulement, elle est réalisée. Tunnel incompréhensif de décompression. Toute la puissance du monde coagulée en l’extraordinaire pouvoir d’être hors des griffes du temps et de l’éternité du lieu de toute présence. Ce n’est pas un cadeau, mais un fardeau, pour un peu le chant deviendrait compréhensible, moment d’égarement de la folie qui saisit la sagesse et copule arbitrairement avec elle car le tout se confond avec elle, la démesure de l’esprit déploie ses ailes de phénix sur le monde. Arrêt brutal, la musique revient à ses débuts, tout n’est-il pas compressé. Quelque chose a-t-il vraiment changé. Vous avez franchi un palier qui ne mène à rien puisqu’il mène à tout. N’êtes-vous pas Prométhée attaché à son rocher avec cette faculté inouïe de se détacher quand il veut, pour se retrouver face à l’immense rocher rouge de sa volonté, qu’il suffit de réduire en poudre pour enfin comprendre que lorsque la totalité du monde s’incarne en un seul individu, celui-ci n’est pas encore sorti de lui-même. Débâcle sonore déculminatrice. Barrissements. Retour à l’initialité de toute infinitude.

             L’œuvre est magistrale. En est-elle pour autant grande ? En le sens que l’accomplissement d’une chose conduit autant à son début qu’à sa fin. Il semble que Situs Magus nous offre une vision très pessimiste de l’accomplissement alchimique. Non pas parce qu’elle risque de déboucher mais parce que tout accomplissement est essentiellement un échec.

             Victor Hugo n’amène-t-il pas Pégase au vert ?

    Damie Chad.

     

    *

    Un truc que je n’avais jamais remarqué, ça m’a sauté aux yeux avant même  la totalité de la couve du bouquin, une pub à même la première de couverture pour un autre livre : en l’occurrence Le roman des lieux et des destins tragiques, présenté par Les Editions du Rocher et Vladimir Fédérowski, j’étais un peu étonné parce que je ne voyais pas le rapport entre Fédérowski et la photo des Who au bas de laquelle la banderole réclamique attirait le regard, par contre le nom de Nicolas Ungemuth, je connaissais, de l’équipe de Rock ‘n’Folk, en plus les grosses lettres ROCK déclenche chez moi un réflexe de pavlov-dog. Donc j’ai pris.

     

    euchridian,grave speaker,situs magus,nicolas ungemuth

    LE ROMAN DU ROCK

    NICOLAS UNGEMUTH

    ( Editions du Rocher / 2012)

             L’apparition d’Ungemuth dans Rock’n’Folk fut assez folklorique. L’avait un tic, voire un toc, commençait toujours par démolir à la Grosse Bertha un de ces disques devant lequel le lecteur moyen de la revue s’inclinait à plusieurs reprises par jour chaque fois qu’il passait devant les rayonnages de sa collection de vinyles. Ne respectait rien, ni personne. En outre pour mettre le doigt sur les immenses lacunes de votre savoir rock il mettait l’opus qu’il honnissait en parallèle avec un album inconnu qu’il portait aux nues, il en hennissait de plaisir. Une vieille technique empruntée aux surréalistes, ne lisez pas ceci, lisez cela. Les premières fois c’était marrant, ulcérant pour les soupes-au-lait, mais on s’habitue à tout, et puis il ne disait pas toujours que des insanités Ungemuth.

             Le roman du rock, pas mal comme titre ai-je pensé, en fait c’est une collection dirigée par Vladimir Fédérowski (idée vraisemblablement pompée sur la collection de chez Laffont, Le dictionnaire amoureux de…)  ainsi la plupart des titres débutent par ces mots, exemple pris au hasard : Le roman du Mexique. Paru en 2012, manque de chance, il manque les deux dernières décennies, nous lui pardonnons, à l’impossible nul n’est tenu, par contre, beaucoup plus choquant à mon goût, impasse totale sur les premières années, rien sur le country blues, rien sur le rhythm’n’blues, et crime indicible, rien sur les pionniers.

             C’est un malin Ungemuth, débute par Elvis. L’a pressenti la critique. Certes c’est un pionnier, le meilleur de tous. Ça se discute. Le pire aussi. C’est ce côté qui intéresse avant tout notre Nicolas. L’est 0K pour Sun, le tout début chez RCA, ensuite il s’enthousiasme pour les enregistrements effectués à Memphis sous la houlette de Chips Moman, il applaudit le NBC Show. Il étrille le Colonel et voue aux gémonies les films qu’il fait enregistrer à son poulain. Qui ne serait pas d’accord avec lui. L’ajoute même que de-ci de-là, si l’on ne chipote pas trop, l’on décèlera quelques perles cachées. Après c’est la démolition en règle.

             Après Elvis c’est au tour de Dylan de passer à la moulinette. De 1962 à 1964, Bob is perfect, de Freewheelin’ à Blonde on blonde, vous ne trouverez jamais rien de supérieur chez Dylan et peut-être même chez les autres. Le mec ne révolutionne pas le rock, il lui fait atteindre une dimension, lui fournit tout le background culturel qui lui manquait jusqu’à lors. Ensuite Dylan se contente d’être un chanteur comme tous les autres, quelques bons albums, quelques mauvais surtout ! Une différence entre Elvis et Bobby. L’un a subi, l’autre a choisi. Une victime pathétique et un malin qui n’en fait qu’à sa tête. L’un coincé dans son statut de superstar, l’autre en profitant.

             L’on passe aux Stones, pas très bons au début, la meilleure période c’est entre Aftermath et Exile on main Street pour les albums, sans faire d’impasse sur quelques singles dévastateurs, z’ont leur botte secrète qui pendant un temps les tire de tous les errements, la formule Stone qui hélas s’use si l’on s’en sert trop souvent sans imagination, après 72 la veine se tarit, l’inspiration géniale s’assèche, qu’importe pierres qui roulent sur leur lancée amassent de la mousse ce qui permet de remplir les coffres-forts…  

             Voici les Who, les préférés de notre auteur, de 1964 à 1969 ils sont géniaux, toujours un train d’avance sur les autres, mais ce petit jeu est dangereux. Vous pousse à la surenchère. Nicolas estime que Tommy est pompier, Who’s next infantile, Quadrephonia un œuf avarié qui tombe à plat, le pire, la faute morale ne pas avoir arrêté le groupe à la mort de Keith Moon…

             Plus de vingt pages sur les Kinks, leur reconnaît de grandes qualités, dans les deux sens si j’ose dire, un côté dur, un côté subtil. Entre 1963 et 1970 c’est le summum, après ils n’existent plus. Niveau qualité sonore, cela s’entend. Vous commencez par comprendre la méthode Ungemouth, les Romains partageaient l’année en jours fastes, et en jours néfastes. Nicolas n’emploie pas la même période temporelle, les groupes ou les chanteurs sont bons trois, quatre, cinq, six ans, après l’inspiration n’est plus au rendez-vous, c’est la déche, la misère noire. Tenez prenons deux exemples : les Beatles, des chansonnettes, des fariboles pour midinettes, à leurs débuts. Ensuite l’extase : Rubber Soul et Revolver, deux chefs-d’œuvre absolus, après quoi l’on passe du petit n’importe quoi au grand n’importe quoi.  Je sens qu’il y a des fans qui renâclent.

             Pauvres fans, ils sont la preuve par neuf de la méthode Ungemuth, ne faut pas s’en prendre uniquement aux artistes, ils ont quelques excuses, la fatigue, les maisons de disque qui pressent le citron tant qu’il est bon, l’argent, la belle vie, les modes qui changent… nous l’admettons, mais Ungemuth dit chut : c’est cinquante-cinquante, les idoles ne sont pas les seules responsables, si elles sont incapables de se reprendre c’est de la faute des fans qui n’ont plus de jugeote, qui se précipitent sur les mauvaises galettes, qui en redemandent, ne se découragent qu’après plusieurs années de mauvais traitements, sont prêts à gober des œufs d’autruche coquille comprise.

             C’est toujours bien de se moquer des autres. Tenez pour le deuxième exemple, il est double, à savoir Phil Spector et Brian Wilson. Vous frétillez, vous connaissez, des idées toute fraîches, des arguments se pressent dans votre cervelet, notre Cat Zengler ne nous a-t-il pas régalés tout dernièrement de quelques chroniques consacrées à ces deux zigotos. Oui leurs débuts sont éblouissants et leurs fins des plus pathétiques. Je ne reviens pas sur leurs parcours. Simplement j’attire votre attention sur les différences de méthode, l’Ungemuthienne et la Cat zenglerienne. La première est sans appel. Elle sépare le bon grain de l’ivraie, elle tranche avec la rapidité de la guillotine. Clair et net, sans bavure. Le Cat ne se gêne pas pour affirmer que tel 33 est à côté de la plaque, et confirmer que le suivant n'est guère meilleur, mais l’est pas comme l’entomologiste qui dissèque un insecte entre deux plaquettes de verre dans son laboratoire aux murs blancs, le Zengler l’observe les bestioles dans leurs milieux naturels, il les aime, non il ne les demande pas en mariage, mais il éprouve de la sympathie, il suit leurs pérégrinations, il analyse les obstacles qu’elles rencontrent, dès qu’il trouve un témoignage en faveur ou en défaveur il le mentionne, farfouille dans les livres, il croise les contradictions, puis il passe en revue l’ensemble des enregistrements, il en découvre des nouveaux, des inédits, avec lui un dossier n’est jamais définitivement clos… L’a un gros défaut notre Cat Zengler, l’est définitivement du côté du rock’n’roll.

             Bien sûr il a tout comme Ungemuth écrit sur Lou Reed, Iggy et Bowie, mais ne s’intéresse pas qu’aux gros calibres, va farfouiller du côté des seconds (et même des troisièmes) couteaux, des inconnus, des derniers rangs, des oubliés, bref pas uniquement des stars.

             Ce qui est étonnant c’est qu’Ungemuth déclare que si le rock’n’roll n’est plus ce qu’il a été c’est parce qu’il ne produit plus de stars, de pointures égales à toutes celles que nous venons de passer en revue. Les projecteurs médiatiques ne se tournent plus volontiers vers les rockers, le public se détourne du rock vers d’autres musiques, n’empêche que dans Kr’tnt ! chaque semaine l’on peut découvrir les grognards tombés au champ d’honneur des décennies précédentes, mais aussi des figures ou des groupes qui explorent d’autres voies, z’ont leurs cohortes pas très nombreuses de passionnés qui les suivent ou les encouragent, ce ne sont pas des stars planétaires, ils creusent toutefois leur sillon avec ténacité et conviction.

             Ne restent plus que 80 pages pour explorer Heavy Metal, Progressive, Punk, Post Punk, l’Indie américain, la Pop anglaise, pas assez de place pour tout le monde, Ungemuth ne s’attarde pas, il condamne sans réserve, ceux qui arrivent trop tôt, ceux qui suivent trop tard, de toutes les manières, aucun n’aura ni l’aura ni le génie des grands ancêtres qu’il a méthodiquement saucissonnés dans les deux premiers tiers du livre.

             Finit en beauté, huit pages pour cinquante ans de rock français. Expéditif. Parfois il vaut mieux se taire.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 518 : KR'TNT ! 518 : LOVELY EGGS / ANITA PALLENBERG / EDDIE PILLER / DHOLE / CRASHBIRDS / FUNERAL

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 518

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    08 / 07 / 2021

     

    LOVELY EGGS / ANITA PALLENBERG

    EDDIE PILLER / DHOLE

    CRASHBIRDS / FUNERAL

     

    AVIS A LA POPULATION

    ENCORE UNE FOIS COMME TOUS LES ETES

    NOS INFATIGABLES REDACTEURS SE LAISSENT ALLER

    A LEURS PENCHANTS SADIQUES ET CRUELS,

    ILS VOUS PRIVENT DE VOTRE UNIQUE RAISON HEBDOMADAIRE

    DE SURVIVRE DANS CE MONDE INSIPIDE.

    LA LIVRAISON 519 ARRIVERA FIN AOÛT

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME !

     

    L’avenir du rock :

    Egg toi et le ciel t’aidera

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    Comme tout le monde, l’avenir du rock a besoin de vacances. Le voici à Macao, installé de bon matin sur la terrasse du casino. Si vous n’êtes jamais allé là-bas, sachez que cette immense terrasse en pierres de taille surplombe une mer d’huile. L’avenir du rock prend son breakfast en compagnie de God Hillard, The World’s Greatest Sinner. Ces deux éminentes personnalités échangent quelques mondanités :

    — Êtes-vous marié, avenir du rock ?

    — Croyez-vous que ce soit l’heure de me cuisiner ?

    — Simple curiosité. Votre profil n’est pas si banal...

    — Je vous ferai la réponse que vous méritez : oui, mais je me remarie en permanence, chaque fois que j’éprouve un coup de foudre. Je cède à toutes les tentations, ainsi que le prescrivait Oscar Wilde.

    — Un vrai cœur d’artichaut, en somme !

    — Oui, je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant. Et puisque nous pataugeons dans les moiteurs de mon front blême, je vous ferai un dernier aveu : je porte au pinacle, vous entendez bien, au pinacle, la notion de couple...

    Ça fait vingt ans que des couples gaga-rock s’illustrent, avec plus ou moins de réussite. On pourrait citer les White Stripes et des Kills - pour les moins intéressants - et Jucifer, les Raveonettes, Taurus Trakker, les Magnetix, les Table Scraps et les Ghost Wolves d’Austin, Texas - pour les plus intéressants - Ajoutons à cette liste les Lovely Eggs, un couple qui nous vient du Nord de l’Angleterre, de Lancaster, très précisément. David Blackwell bat le beurre et Holly Ross, fervente adepte de la Big Muff, gratte ses poux. Ils écument les meilleures scènes du monde depuis dix ans et il serait grand temps qu’on leur déroule le tapis rouge.

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    Leur premier album mystérieusement titré If You Were Fruit date de 2009. On y trouve pas mal d’archétypes de ce qui fait le charme de la veine Nous Deux, notamment «I Like Birds But I Like Other Animals Too», très Nirvana dans l’esprit, avec ses belles rasades d’accords à la Kurt et son beau sucre candy plein le chant. On sent une réelle présence de crush et de sucre. Elle chante au candy pur et sait crusher son crotch. Il faut la voir plonger son «Sexual Cowboy» dans le lullaby d’Alice. D’ailleurs, le Sexual Cowboy ne serait-il pas David Blackwell qu’on voit au dos du boîtier en patins à roulettes ? L’album connaît un violent passage à vide et reprend vie avec «O Death». Holly Ross est parfaitement capable de foutre le feu au camping, elle passe sans crier gare du scream de Sainte-Anne au lagon paradisiaque. Nouvel exercice de style dans la veine Nous Deux avec «Have You Ever Heard A Digital Accordion». Elle fait son petit biz avec son homme et ça part en trombe d’excellence plantagenesque. Ils sont parfaits dans ce rôle, c’est quasi-velvetien dans le dénudé du traitement, ils sont pleins d’espoir. Et puis voilà le hit de l’album : «Big Red Car». Elle est chaude, la petite Ross, elle vise de groove de mauvaise compagnie et le tient à bouts de bras, elle fait du pur Velvet et gueulant dans la purée du son. Ce «Big Red Car» est digne des early Modern Lovers. Mythe pur. Ils terminent avec un autre hommage indirect au Velvet, «America». Ils n’ont plus rien à perdre, ils tapent ça à deux voix, ils font du pur Nous Deux inspiré de Lancaster, monté sur un drive de guitare infernal et ça devient un vrai hit indie.

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    Pour la pochette de Cob Dominos paru en 2011, David Blackwell et Holly Ross sont allés se rouler dans la vase. À les voir décorés de peintures de guerre, on comprend qu’ils aiment beaucoup s’amuser. C’est aussi ce qu’indique le «Minibus» d’ouverture de bal, ce somptueux mélange de lullaby et de Big Muff. Mine de rien, Holly Ross invente un genre nouveau : le dirty trash pré-pubère. L’ambiance globale de l’album rappelle celle des albums du circuit indie américain des années 90, notamment Babes In Toyland. Donc, ils s’amusent. Avec «Don’t Look At Me (I Don’t Like It)» elle s’adonne aux joies du trash-punk. Tout ce qu’elle fait est bien. Elle injecte encore du lullaby dans le fuck-off de «Fuck It» et elle s’amuse encore plus avec «Alphabet Ting» : Fuck you ! Alors attention à la fin de l’album, car elle passe aux choses sérieuses avec «Watermelons». Elle est tout simplement capable de la meilleure power-pop d’Angleterre, elle bat largement les Teenage Fanclub à la course. Puis ils chantent «Pets» à deux et nous font rêver. La surprise arrive ensuite avec «Real Good Man» qu’elle prend en mode Ross - I know he’s a real good man - et qu’elle finit en mode Pixies, mais si, elle a ce power ! Cet album est réellement impressionnant.

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    Le Wildlife paru en 2012 va plus sur la power pop. «Allergies» donne le la et Holly est tout de suite dans l’effarence du big sound, elle claque bien le beignet du son et son mec gère ça au big drumbeat de relance, alors ça prend des allures de remugle ramonesque. On dira en gros la même chose de «Food», qui sonne aussi comme un classique de power pop. Ils sont en plein prodige, Holly Ross traverse toutes les contrées du rock. Ils font pas mal de petits exercices de style comme «The Undertone», mais elle pique aussi des belles crises de nerfs («Please Let Me Come Mooch Round Your House»). Avec «Green Beans», elle rétablit l’équilibre de l’Angleterre avec ses racines lullaby et c’est avec «I Am» qu’elle ramène tout le big power. Il faut la voir allumer son «I Am», c’est un modèle du genre, une merveille de positionnement. Ils se tapent une belle crise de heavy groove avec «Lee Mellon’s Teeth». Holly fournit le fourniment de Big Muff et avec «Just Won’t Do It», elle s’amuse à balancer entre le lullaby et le heavy trash. Elle se livre vraiment à tous les excès.

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    Magnifique pochette que celle de This Is Our Nowhere paru en 2015 : cette photo de scène dit tout ce qu’il faut savoir des Lovely Eggs. Côté son, ils sont tout de suite parfaits. Ils ont le boom + the voice dès «Ordinary People Unite». Holly Ross est magique, elle a le power absolu. Zéro info dans le booklet, donc tu te débrouilles tout seul avec le ciel étoilé et le son. David Blackwell vole le show dans «The Investment». Il joue à la vie à la mort et Holly Ross parvient à garder le contrôle de justesse. Ils créent à deux des climats extraordinaires. Même chose avec «Magic Onion» : elle prend ses distances - He’s a magic onion - C’est lui qui drumbeate mais elle rentre dans le son comme une vieille pro. C’est tellement bardé de son qu’on ne sait plus où se mettre. Leur principale qualité est l’attaque. Ils combinent à merveille l’énervement et l’excellence. Ils combinent aussi l’énergie à l’envolée, il pleut des retombées de cendres et ça repart au blasting blow. Ils ont certainement le plus bel allant d’Angleterre, c’est en tous les cas ce que tendrait à prouver «Do It To Me». Elle reste excellente sur «Music». Ils ont de la chance d’avoir ce son. Tout est plein d’esprit. Avec «Slinking Of The Strange», elle va chercher le strange dans le lullaby. Cette Ross est incroyable, elle nous méduse impitoyablement. On la voit accompagner «Forest Of Memories» vers l’échafaud, sur fond de roulements de batterie, elle est forte, elle sait qu’elle se bat pour la révolution et que le peuple vaincra.

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    Allez tiens, on va dire que This Is England est leur meilleur album, comme ça au moins, les choses sont dites. Le pire c’est que c’est vrai, l’album grouille de son et de blasts, et ce dès le «Hello I Am Your Sun» d’ouverture de bal. Elle a du son, la vache et l’autre derrière, il bat son beurre comme plâtre, ils sont tous les deux des heavy Visiteurs du Soir, des heavy Enfants du Paradis, ils bardent tout du pire barda de l’univers, ils bourrent le mou du Sun avec des spoutnicks, c’est une véritable abomination pré-nuptiale d’emberlificotage définitif. Elle n’en finit plus d’enfiler ses eggy perles, elle ramène toute sa niaque pour «Wiggy Giggy» et ça marche tout de suite, c’est même magique, bien sonné des cloches, elle a tout, la prestance, le power, la Big Muff, elle chante au sucre candy sur le beat des forges. Aujourd’hui, c’est inespéré d’entendre des gens aussi doués. Et ça continue dans l’eggy de borderline avec «Dickhead», ils foncent dans le trash comme des taureaux devenus fous et elle renvoie son dickhead rouler dans le son. On reste dans l’extrême power eggy avec «I Shouldn’t Have Said That». Elle ramène du riff à la pelle sur le beat de David Blackwell. C’est du génie pur. Il faut voir avec quel aplomb elle allume ses cuts, elle les prend un par un et à chaque fois, boom ! «Return Of Witchcraft», «I’m With You», tout est bien destroy oh boy ! Ils ramènent du pouvoir US dans le son de Lancaster. On se croirait à Detroit. On entend des machines dans «Witchcraft», elle est parfaite en sorcière moderne, elle vole sur une guitare en forme de balai, ça monte soudain et ça explose dans l’espace. Puis elle explose «By Sea», elle cisaille le son avec ses power chords, elle ramène de la pop de rêve et tout le power des Sex Pistols dans la mouvance de sa pertinence - Why don’t you show here - Elle est complètement dingue, elle devient sans même s’en rendre compte la sixième merveille du monde, mais en attendant, elle se contente de la couronne de reine de Lancaster, c’est déjà pas mal. Elle allume sa power pop avec une distance effarante et cette classe qui n’appartient qu’aux blondes d’Angleterre. So weird ! Elle passe au psyché avec «Let Me Observe», mais c’est vite ravagé par des lèpres de son et plongé dans des bains d’huile bouillante, ça se relève avec la gueule gonflée, let me observe. Ses plongées sont d’une brutalité sans commune mesure. Et quand tu arrives à «Would You Fuck», tu es content d’avoir écouté cet album, il est à la fois monstrueux et bien intentionné. Holly Ross est la reine indiscutable de l’extrême, l’une des artistes les plus brillantes d’Angleterre. Elle est entrée dans la légende.

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    On savait qu’elle était une grande chanteuse, mais sur le dernier album paru des Lovely Eggs, l’excellent I Am Moron, elle devient tout simplement une énorme chanteuse. Elle plonge «You Can Go Now» dans une saumure de Big Muff et du coup elle étend son empire sur l’Angleterre. Elle est la nouvelle égérie du Big Muff Sound. Puis elle s’explose les ovaires avec «This Decision», elle hurle en plein air, elle devient spectaculaire, elle grimpe au sommet du lard fumé et devient complètement folle. Et le diable sait si on adore les folles. Elle ramène encore une énergie dementoïde dans «The Digital Hair». Elle est aux commande du big blast d’Egg. L’album propose d’autres cuts relativement intéressants comme ce «Long Stem Carnations» d’ouverture de bal. Elle est invincible, elle base tout sur de fières dynamiques alors forcément, on la prend très au sérieux. Il n’est pas impossible qu’elle devienne un jour une superstar de l’underground britannique. Elle sait cuisiner la flambée de son («Bear Pit») et le wah up («I Wanna»). Elle excelle dans l’exercice du relentless. Elle est même capable de taper dans le heavy trash punk («Insect Repellent»). Fabuleuse Holly Ross ! The trash queen of Lancaster.

    Signé : Cazengler, œuf à la coke

    Lovely Eggs. If You Were Fruit. Cherryade 2009

    Lovely Eggs. Cob Dominos. Egg 2011

    Lovely Eggs. Wildlife. Egg 2012

    Lovely Eggs. This Is Our Nowhere. Egg 2015

    Lovely Eggs. This Is England. Egg 2018

    Lovely Eggs. I Am Moron. Egg 2020

    Anita Banana

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    Pas facile d’exister en tant qu’icône des sixties quand on est à la fois la poule de Brian Jones ET de Keith Richards. Autant l’avouer franchement, si on lit la bio d’Anita que vient de faire paraître Simon Wells, c’est surtout pour y retrouver Brian Jones. Simon Wells se bat héroïquement pour brosser d’Anita le portait d’une femme de caractère et d’une égérie, mais c’est Brian Jones qui sort grandi de ce book : il n’a jamais été aussi dramatiquement magnifique.

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    She’s a Rainbow: The Extraordinary Life of Anita Pallenberg est un vibrant hommage à Brian Jones et à ses drogues, à Brian Jones et à ses fringues, à Brian Jones et à sa classe, avec comme point d’orgue les trips en Bentley jusqu’au Maroc, à l’époque où les Stones fuient l’acharnement de l’establishment britannique.

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    La relation qu’entretiennent Brian Jones et Anita ne dure que deux ans (1965-1967) mais elle occupe la moitié du book. Wells dit qu’ils forment le couple parfait du Swingin’ London. Brian Jones qui est le membre le plus énigmatique des Stones se retrouve dans une Anita toute aussi mystérieuse - The pair would become Swinging London first alpha couple. Alors que Brian Jones se pavanait comme un paon, the neo-European androginity d’Anita captait l’attention - Oui car Anita vient d’une famille allemande un peu aristo et à l’époque où elle met le grappin sur Brian Jones, elle a déjà fricoté avec Fellini en 1959, et avec Andy Warhol en 1963, comme d’ailleurs Nico avec laquelle elle ne s’entend pas très bien. Trop de poins communs ? Of course.

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    Oui, en 1963, Anita et son boyfriend Mario Schifano ont rencontré la crème de la crème du gratin dauphinois new-yorkais : Gregory Corso, Ferlinghetti, Terry Southern, William Burroughs, ils ont vu jouer Charlie Mingus et Monk. Et puis Warhol qui a 35 ans, et le Living Theater, une rencontre qui va la diriger sur Artaud. Un Artaud qui reste central, quelque soit le milieu ou l’époque. À Paris, Anita fréquente Donald Cammell et sa poule Deborah Dixon. C’est la découverte du libertinage - dodgy situations, especially on the sex side - Anita rend hommage à Cammell, lui accordant des trésors de fantaisie et d’imagination. Donald a un frère, David, qu’on va retrouver plus tard, au moment de Performance. L’un des amis d’Anita à Paris n’est autre que Stash de Rola, le fils de Balthus. Elle le voit pour le première fois en 1964, dans l’appartement du philosophe Alain Jouffroy. Stash : «Vince Taylor et moi étions au lit avec ce très beau modèle américain, Johanna Lawrenson, qui était une amie d’Anita. C’était le matin et en se réveillant on a vu cette fille, Anita, qui nous regardait, debout dans un rayon de soleil, en souriant, with this amazing, irresistible barracuda smile.»

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    ( Stash... )

    L’un des poins forts du Wells book, c’est le récit détaillé qu’il fait des virées nocturnes de Brian Jones. Pâques 1965, les Stones jouent à l’Olympia. Après le concert, les Stones se dispersent, mais Brian Jones recherche ce que Wells appelle a more exclusive company. Un petit groupe se forme avec Françoise Hardy et Jean-Marie Périer, Stash de Rola qui est le fils de Balthus, Anita et Zouzou qui, comme Anita, est modèle à Paris chez Catherine Harley, la fameuse agence du Passage Choiseul, dont font aussi partie Anna Karina, Amanda Lear, Nico et Marianne Faithfull. Et donc, ce soir de Pâques 1965, Wells nous fait monter dans la bagnole avec Brian Jones - Courtesy of his aspirant middle-class background, Brian enjoyed a more elevated company - both intellectual and aristocratic. The elegant troupe that left l’Olympia that April night was evidently his sort of people - Ils vont d’abord chez Castel, puis vont finir la nuit dans un nuage de marijuana chez Donald Cammel et Deborah Dixon. À l’aube, la petite troupe raccompagne Brian Jones jusqu’à son hôtel et Zouzou reste avec lui. Anita devra attendre son tour.

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    Elle parvient à s’infiltrer dans le backstage des Stones quelques mois plus tard et voit Brian Jones étalé sur un sofa. Il porte un col roulé et un jean blancs : «Même sans ses chaussettes, Jones was easily the most stylish member of the band.» Anita flashe sur lui - Brian was very well spoken, soft-spoken, il parlait bien l’Allemand, ses manières me captivaient, il voulait capter l’attention des gens en parlant. C’était quelqu’un de sensible, de très évolué, totally ahead of his time, but also part of another time. The dandy with his clothes and all of that - Elle a bien raison de flasher, la petite Anita, car elle a sous les yeux la rock star par excellence. Elle ajoute que Brian était very unusual, il sortait de l’ordinaire, il était très attirant, il ressemblait d’une certaine façon à une fille. Alors que les autres Stones semblaient avoir peur, Brian était prêt à aller dans des endroits bizarres - Except for Brian, all the Stones at that time were suburban squares - Ils vont former un couple mythique, Anita devenant en quelque sorte le reflet de Brian Jones. Pendant la première nuit qu’ils passent ensemble, Brian sanglote. Il est déjà sous pression. Il se plaint de Mick and Keef qui font bande à part - they had teamed up on him - Anita comprend confusément que Brian Jones ne fait plus le poids dans les Stones, même s’il en est le membre fondateur, et elle doit l’aider à mettre en avant les autres aspects de sa personnalité. Marianne Faithfull indique qu’Anita joue un rôle considérable dans les Stones à cette époque, les faisant évoluer du statut de bad boys vers un statut plus enviable de renaissance men. Selon Marianne, les Stones sont devenus les Stones grâce à Anita. Elle serait à l’origine de la révolution culturelle qui a lieu à Londres et qui rapproche les Stones de la jeunesse dorée.

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    Brian Jones a partagé quelques temps une maison de Belgravia avec des membres des Pretty Things, puis en mars 1965, il s’est installé à Chelsea au 7 Elm Park Lane. Il y reçoit les mères de ses enfants (Pat Andrews et son fils Mark, Linda Lawrence et son fils Julian), puis Zouzou et surtout Nico qui l’initie aux mystères de sexe. Puis Anita s’installe à Elm Park Lane et découvre Brian au quotidien, nasty and sexy - Il lisait des livres du vieil Anglais qui disait être le diable (Aleister Crowley). J’ai dit à Brian que j’avais connu le diable et qu’il était allemand - Comme Nico, Anita est née en Allemagne pendant la Seconde Guerre Mondiale.

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    Ils forment un couple fascinant, Brian porte les fringues d’Anita et Anita celles de Brian. Ils paradent dans Londres, affichant un look d’aristrocrats from another age. Brian vient de racheter la Rolls Siver Cloud de George Harrison. Anita lui choisit des fringues : «Costume noir à rayures rouges et blanches, chemise rose, pochette et cravate écarlates. Le tout acheté à New York. Chaussures deux tons achetés sur Carnaby Street.» Puis ils commencent à se chamailler. Ils se chamaillent à propos de tout : les voitures, les prix, les menus. Alors que Brian commettait l’erreur de vouloir avoir le dernier mot, c’est Anita nous disent les témoins qui l’avait systématiquement. Christopher Gibbs dit même qu’elle était un peu une sorcière, car elle savait très bien ce qu’elle faisait. Ils en viennent aux mains et on tombe sur le fameux épisode du poignet cassé, lors du premier trip marocain, en 1966 : en voulant foutre une trempe à Anita, il la rate et frappe le châssis alu de la fenêtre. Il passe une semaine dans une clinique de Tanger. Anita lui pardonne, elle sait qu’il est fragile : «Chaque fois qu’il essaye de me faire du mal, c’est lui qui se fait du mal.»

    C’est Bryon Gysin qui initie Brian aux flûtes de Joujouka. Bryon les fait jouer dans son restaurant, the 1001 Nights et Brian’s eyes are flashing like airplane lights.

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    Fin 1966, le couple s’installe au 1 Courtfield Road, cet endroit mythique du Swinging London dont parle longuement Marianne Faithfull dans son autobio. Robert Fraser : «Courtfield Road was the first incredible place in that London scene.» Ils carburent tous au LSD. Les philosophies occultes et les rites magiques deviennent la nouvelle tendance dans les cercles branchés. On va acheter des livres chez Indica au 6 Masons Yard, une librairie montée par Barry Miles, John Dunbar qui est le premier mari de Marianne Faithfull et Peter Asher. Brian et Anita collectionnent les classiques de l’occultisme, The Golden Dawn, The Golden Bough, les œuvres complètes de Madame Blavatsky et bien d’autres curiosités. L’autre grande présence à Courtfield Road est le LSD. Brian et Anita entretiennent une relation suivie avec le LSD. Keef se joint à eux - Richards was strongly in tune with acid’s vibrations and an aloof triumvirate was created - Keef va même s’installer à Courtfield Road. Ils forment aussi un triumvirat avec Tara Brown. Dans le chapitre des équipées sauvages dans la haute société, Wells cite aussi l’après-concert de Bob Dylan au Royal Albert Hall en 1966 : Dana Gillespie invite Brian et Anita chez elle. Comme Marianne Faithfull et Anita, Dana vient d’un similarly aristocratic pan-European background.

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    Anita a cessé de faire le mannequin pour Catherine Harlé, mais elle entame une carrière d’actrice. Quand elle va tourner en Allemagne Vivre À Tout Prix pour Volker Schlöndorff, Brian Jones la rejoint en Rolls. Le chauffeur s’appelle Tom Keylock. C’est là que Brian fait scandale car pour les besoins d’une séance photo avec Anita, il porte un uniforme d’officier SS. La presse s’énerve et souligne le mauvais goût de cette excentricité. Alors Brian déclare qu’Anita et lui étaient sous LSD. Anita dira plus tard que l’idée était d’elle : «C’était une idée douteuse, but what the hell... He looked good in an SS uniform.»

    L’un des proches des Stones s’appelle Tara Browne, riche héritier des brasseries Guinness. Il se tue en décembre 1966 au volant de sa Lotus Elan à Londres. Son amie Suki Potier sort indemne de l’accident. Alors pour surmonter leur chagrin, Anita, Brian, Keef et sa poule d’alors, Linda Keith, se retirent à l’Hôtel George V, à Paris, et font une consommation massive d’amphétamines et de cocaïne, seulement interrompus par les dindes farcies du room service.

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    Début 1967, les stups persécutent les Stones. C’est le fameux Redland drug bust, chez Keef. Les Stones ne sont même pas incarcérés. Keef : «The best idea was to get the fuck out of England.» Donc, sauve qui peut les rats, il décident de repartir au Maroc. Le voyage s’impose d’autant plus que Brian se met en danger avec une consommation massive de drogues. À cette époque, le Maroc a la réputation d’une terre d’asile pour tous les gens bizarres et les réprouvés - the weird, the perverse and the hunted - Des écrivains célèbres se sont installés à Tanger : William Buroughs, Jack Kerouac, Truman Capote, et Joe Orton. Il faut ajouter à cette liste le compositeur Paul Bowles. Certains membres du cercle des Stones partent en avion, et d’autres en voiture, pour ne pas attirer l’attention des flics. Tom Keylock, Brian, Anita et Keef descendent en bagnole, à bord de Blue Lena, la dark-blue Bentley de Keef - a limited edition S3 Continental Flying Spur, l’un des 68 modèles montés pour la conduite à droite - L’arrière de la Bentley est aménagé comme un salon berbère. Brian et Anita tapent dans les réserves d’herbe, de poudre et de pills dont est chargée la Bentley. Keylock conduit et Keef est assis devant, à côté de lui. Sur la route, Brian crache du sang et ils le déposent dans un hôpital à Toulouse. Et c’est là que les ennuis commencent, car Brian a vu qu’il se passait un truc entre Keef et Anita. Il a raison de s’inquiéter, car Anita ne cache plus son attirance pour Keef. Pendant que Brian se fait soigner à Toulouse, Keylock reprend le volant, direction l’Espagne. Cette fois Keef est à l’arrière avec Anita qui ne peut vraiment pas s’empêcher de lui tailler une petite pipe. C’est plus fort qu’elle. Keylock écrit dans son journal : «It’s all getting very friendly in the back seat.» Chargé de surveiller Anita, Keylock cafte tout quand Brian les rejoint à Gibraltar. Il est mis au courant des moindres détails. Les choses ne vont pas s’arranger. Les vacances au Maroc se présentent très mal. Dans la Bentley, ça pue l’embrouille. Mais Anita est encore officiellement la fiancée de Brian Jones. C’est d’autant plus compliqué qu’elle et Keef ont eu ce qu’on appelle communément un coup de foudre.

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    Pour tous ces Américains qui voient les Stones débarquer à Tanger, c’est un régal. Bryon Gysin flashe sur «Brian’s broad talents and revolving moods». Il décrit leur arrivée chez lui, dans la maison qui surplombe la baie de Tanger : «Il y avait Mick et un Keith saturnien qui louchait sur la minijupe d’Anita Pallenberg, et Brian Jones avec une frange de cheveux roses couvrant les petits yeux rouges de lapin.» Cecil Beaton les décrit aussi autour de la piscine : «Les trois Stones, Brian Jones et sa girlfriend Anita Pallenberg - visage blanc et sale, yeux sales au beurre noir, coiffure jaune canari sale non peignée, bijoux barbares, Keith Richards en costume du XVIIIe siècle, long manteau en velours noir et pantalon moulant, et bien sûr Mick Jagger.» Keef continue d’avoir Brian à l’œil, car il voit bien qu’il commence à dérailler - He was becoming increasingly vicious - Un soir Brian propose à Anita une partie carrée avec deux prostituées berbères couvertes de tatouages et de piercings primitifs. Elle est choquée. Et quand Keef voit un soir Anita arriver avec les yeux au beurre noir, il lui propose de la ramener à Londres.

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    Keef s’en sort comme il peut avec cet épisode pas terrible : «C’était pour la sauver, pas pour la piquer à Brian. Ce qu’il lui faisait subir me dégoûtait. Je savais qu’il n’existait plus aucun lien d’amitié entre nous trois, Brian, Mick et moi. Anita en avait marre de lui. Et en plus, Anita et moi étions really into each other.» Keef ajoute que pendant cette dernière shoote entre Brian et Anita, Anita n’a pas été la seule à recevoir des coups : «Anita lui a rendu coup pour coup, elle lui a pété deux côtes et un doigt.» Et hop, ils repartent en Bentley, abandonnant Brian tout seul à Marrakech. Alors pour l’aider à surmonter l’insurmontable, Bryon emmène Brian au marché Jemaa el-Fnae, espérant que les flûtes de Joujouka vont le distraire de l’enfer dans lequel il a commencé de rôtir. Mais à l’hôtel, il s’effondre. On le transporte dans l’une des chambres libérées par les Stones. La rupture avec Anita diront certains va endommager Brian sérieusement, et même peut-être de façon irréversible. Anita était en fait la seule femme qu’il ait aimé, dit le père de Brian. Après la rupture, il a changé du tout au tout. «Ce jeune homme enthousiaste est devenu un être morose et nous fumes choqués de son apparence physique en le revoyant. Il n’est jamais redevenu le même.» Paul Trynka qui signe une bio de Brian Jones ajoute que la manière dont ils se sont débarrassés de Brian au Maroc «était exceptionnellement brutale et inhumaine, but they were just young.»

    L’infamie ne s’arrête pas là : quand Anita revient à Courtfield Road récupérer ses affaires, elle en profite pour emplâtrer la moitié du stock de hasch de Brian. Quant à Keef, il se sert et embarque une bonne partie des albums de Brian - A good proportion of Jones’ cherished library of albums - Là on touche au fond. Brian ne leur pardonnera jamais cette trahison : il dit à qui veut l’entendre : «First they took my music. Then they took my band and now they’ve taken my love.» Une citation que reprendra Anton Newcombe pour rendre hommage à Brian Jones dans l’un des albums du Brian Jonestown Massacre. C’est une véritable tragédie shakespearienne. On a raconté ici et là que Brian Jones avait été victime de son auto-destruction. Comment peut-on dire une telle connerie ? De son vivant, la plus brillante incarnation du Swinging London rôtissait en enfer. Ses petits copains Mick and Keith ne lui ont épargné aucune humiliation. Beaucoup plus que Keith Richards, Brian Jones pouvait se réclamer du fameux When I die I’ll go to heaven cause I spent all my life in hell.

    Puis Anita s’installe avec son deuxième Rolling Stone. Wells marche sur des œufs pour aborder ce chapitre. Magnanime, il attribue à Keef a modest libido, estimant qu’il préfère une relation suivie avec une seule femme plutôt que l’anarchique profusion de pots de miel générée par la célébrité. Une fois qu’il a rompu avec Linda Keith, Keef se rend disponible pour une nouvelle aventure, et comme il vit un temps à Courtfield Road avec Brian et Anita, la nouvelle aventure ne va pas se faire désirer trop longtemps. Pourtant au début il dit faire gaffe. Il se dit attiré par Anita, mais il veut absolument préserver sa relation avec Brian. Vas-y mon gars, préserve. Mais bon une bite reste une bite, et quand tu as une poule comme Anita dans les parages, ta bite te monte vite au cerveau. Keef rappelle incidemment qu’à l’époque tous les mecs louchaient sur Anita. C’est vrai : quand on la voit à poil dans Perfomance, on se lèche les babines : super cul et super seins, une vraie bombe sexuelle ! Mais attention, Deborah Dixon indique qu’Anita était beaucoup plus sophistiquée que Brian qui lui était beaucoup plus sophistiqué que Keef. Donc c’est pas gagné.

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    Et voilà que Keef se met à porter des bracelets, des écharpes, des bagues, des colliers et même du khôl autour des yeux. Wells insinue qu’Anita le re-définit. Elle poursuit aussi sa carrière d’actrice et voilà que Donald Cammell lui propose l’un des rôles principaux dans Performance. Keef n’aime pas Cammell, il sent que c’est un manipulateur - sa seule passion was fucking other people up - he was the most destructive little turd I’ve ever met - Keef le hait et il propose du blé à Anita pour qu’elle ne fasse pas le film. Mais Anita veut poursuivre sa carrière. Ce sera au tour de Keef de rôtir en enfer, car il sait que dans certaines scènes, Anita doit aller au pieu avec Jag et la petite Michèle Breton, tout le monde à poil et la consigne de Cammell est de ne pas faire semblant. Il tourne en caméra vérité. Keef dit que certains soirs, il fait amener la Blue Lena devant la maison où est tourné le film, mais il n’ose pas entrer de peur de voir ce qu’il ne veut pas voir, Anita au pieu avec son collègue Jag - Tony Sanchez : «His world would crumble as surely as Brian’s had» - Keef ne veut pas se faire baiser comme Brian. Il préfère faire l’autruche. Il pense bien sûr à l’autre, là le Jag qui comme tout le monde ne rêve que d’une chose : baiser Anita Pallenberg, ce qu’il va bien sûr pouvoir faire, puisque Cammell l’envoie séjourner à poil au pieu avec elle. Comment peut-on résister à ça ? Perfide, Anita se dit fidèle à son homme et nie toute baisouillerie, mais des chutes de montage attestent du contraire.

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    Bon alors Performance, parlons-en. On se demande bien pourquoi ce film est devenu culte. Donald Cammell n’est ni Scorsese ni Polanski et encore moins Abel Ferrara. La réputation de violence du film est un peu surfaite. Abel Ferrara en aurait fait quelque chose de plus consistant. James Fox fait partie d’un gang de racketteurs londoniens. Ces gangsters londoniens que filment Cammell et Nicholas Raeg n’ont aucune crédibilité. Quand des mecs passent James Fox à tabac et le violent, la scène est d’une pénibilité sans nom. James Fox trouve refuge dans l’entresol de la maison où vit Turner/Jagger avec deux femmes, Anita et Michèle Breton. Elles sont pour la plupart du temps à poil et le parfum de décadence voulu par Cammell brille par son absence. C’est un film d’une grande indigence, aussi bien au niveau de l’image, du rythme que de l’écriture. Fox déclare dans la presse que sur le tournage, Jag et Anita démarraient une relation. Jag aurait demandé à Anita de virer Keef et elle aurait refusé. Cammell avait en outre demandé à Jag d’incarner deux personnages : Brian, androgynous, druggie, freaked-out, et Keith, hors-la-loi, auto-destructif, tough. Et du coup, Jag va si bien jouer le jeu qu’Anita va tomber sous son double charme. Le film a une réputation si détestable qu’il va rester coincé pendant des années. Lors d’une projection privée, l’épousé d’un producteur exécutif vomit de dégoût sur les pompes de son mari. Un autre spectateur remarque que dans le film tout est dégueulasse, y compris l’eau du bain où s’ébattent Jag, Anita et Michèle Breton. C’est en effet ce qu’on voit. Quand il sort en salle, le film est descendu par la critique. Keef parvient à choper la fameuse K7 des chutes de montage et comme le dit si bien Wells, he was incandescent at what he saw. Mais ça ne l’empêchera pas de faire des gosses à cette roulure. Il l’a dans la peau.

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    De Performance à l’hero, il n’y a qu’un pas que Keef et Anita franchissent allègrement. Ils commencent par des speeballs, une pratique que Wells rattache à l’arrivée de Dylan à Londres en 1966. Quand Keef commence à se shooter, il ne fait pas d’intraveineuses, il se pique dans les muscles du dos. C’est sa technique. Puis ils prennent le rythme et Anita monte jusqu’au tiers de gramme par jour. C’est dans cette période que Kenneth Anger fait irruption à Londres et s’infiltre dans le cercle des Stones. Il se rapproche aussi de Donald Cammell dont le père Charles fut ami et biographe d’Aleister Crowley. Mais Wells ne s’étend pas trop sur le chapitre de l’occulte, du moins pas autant que Mick Wall le fait dans sa bio de Led Zep, puisque Jimmy Page est lui aussi un fervent admirateur d’Aleister Crowley. Un autre Américain arrive à Londres : Marshall Chess que les Stones nomment à la tête de leur label. Chess va vivre un an chez Keef et Anita à Cheyne Walk, Chelsea. Keith et Anita ont déjà Marlon. Puis en 1976, Anita met au monde son deuxième fils, Tara Jo Jo Gunne Richards qui va mourir pendant son sommeil. Elle mettra ensuite au monde Dandelion Angela pour laquelle Keef va composer Angie.

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    Et puis voilà l’autre grand épisode de la saga Keef/Anita : Nellcôte. Menacés de faillite par les impôts britanniques, les Stones doivent une fois de plus fuir leur pays. C’est le Prince Rupert Loewenstein qui s’occupe de leurs finances et il leur recommande d’aller s’installer en France : à partir du moment où on paye ce qu’on doit, les flics ne sont pas très regardants. Tout le monde décampe, direction la côte d’azur, the French Riviera - A sunny place for the shady people (Sommerset Maugham) - Et là, Wells nous fait le stupéfiant portrait d’Anita en femme d’intérieur, ou plus exactement en house guest. C’est elle qui doit gérer Nellcôte, embaucher le personnel, choisir la bouffe pour tout le monde tous les jours, il y a des tas d’invités de passage et pas de passage, c’est table ouverte, vingt à trente personnes. Un peu euphorique, Wells se marre avec des petites formules du style La Belle Epoque meets Grand Guignol. La villa se trouve à Villefranche-sur-Mer, tout près de Nice. Wells rappelle que la villa Nellcôte fut pendant la guerre une officine de la Gestapo, donc on trouve des trucs à la cave. Un jeune photographe nommé Dominique Tarlé vient faire un jour faire quelques photos, il accepte de rester le soir et finira par séjourner six mois à Nellcôte. En plus de la bouffe et de l’entretien, Anita doit s’occuper des enfants. Elle fait restaurer la cuisine et embauche un chef. Comme elle parle plusieurs langues, elle gère tout, y compris les fournisseurs. On ne sert qu’un seul repas par jour, vers 18 h, a big meal, tout le monde fume des joints à table et la nuit, on enregistre. Le séjour dure neuf mois et la liste des gens de passage est impressionnante, ça va d’Alain Delon et Catherine Deneuve à John Lennon et Yoko Ono, Terry Southern et Williams Burroughs. Puis les choses se dégradent quand des petits dealers locaux s’installent dans un pavillon au fond du jardin. Encore une mauvaise idée d’Anita. Là ça devient ingérable, les mecs entrent dans la villa et chourent tout ce qu’ils peuvent, des guitares, des bijoux, du cash, c’est un paradis pour les voleurs. Keef le vit mal car une douzaine de ses guitares disparaissent, dont sa Telecaster préférée. Puis des rumeurs de trafic de drogue commencent à circuler et les poulets s’en mêlent. Les Stones vont devoir une nouvelle fois filer à la cloche de bois, en laissant tout sur place.

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    Et puis la relation entre Keef et Anita se détériore. Ils font de la détox tous les deux et comme chacun sait, la détox réactive la libido. Keef recommence à avoir les mains baladeuses, mais pas avec Anita qui a pris du poids et qui n’est plus trop baisable. Keef préfère les formes rebondies d’un mannequin nommé Ushi Obermaier, encore une Allemande, décidément. Anita s’installe à New York et doit se contenter de demi-portions comme Richard Llyod, ce qui quand même laisse songeur, quand on sait qu’elle s’est tapée Brian Jones ET Keith Richards. Mais officiellement, Keith et Anita sont toujours ensemble. Ils ont une maison de famille à South Salem, jusqu’au moment où un jeune mec nommé Cantrell qui est amoureux d’Anita se tire une balle dans la tête avec l’un des calibres de Keef. C’est la fin de la relation entre Keef et Anita. Keef vend la baraque. Chacun pour soi et Dieu pour tous. De toute façon, les enfants sont grands. Donc bye bye Anita. Il y a eu assez de catastrophes comme ça. Brian Jones, Tara, Cantrell, ça suffit.

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    Anita et Keef ont maintenant des petits enfants. Ils se revoient de temps à autre dans des réunions de famille. Keef avoue qu’il reste quelque chose du sentiment qui les unissait avant. Il dit qu’il aime Anita mais qu’il ne peut pas vivre avec elle - And we’re proud grandparents, which we never thought we’d ever see - Eh oui, quand Anita et Keef ont eu Tara et Angela, ils étaient junkies et personne n’aurait misé un seul kopeck sur leur avenir, vu la gueule de morts vivants qu’ils tiraient. Keef va même réussir à survivre à Anita. Elle casse sa pipe en 2017. C’est à Keef que revient l’honneur du dernier mot, chance que n’eût pas le pauvre Brian : «Long may she not rest in peace, because she hates peace !»

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    Signé : Cazengler, Pellenberk

    Simon Wells. She’s a Rainbow: The Extraordinary Life of Anita Pallenberg. Omnibus Press 2020

     

    In Mod we trust - Part One -

    Piller (re)tombe pile

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    Eddie Piller tombe toujours pile. Pas de filler chez Piller. Eddie Piller est certainement le plus habilité de tous à inaugurer cette exploration intensive du Mod World que va proposer dans les prochains mois l’In Mod we trust. Par l’arrogance de sa suffisance, cette chronique des temps MODernes ne manquera pas de trahir une coupable mais massive consommation de paires d’uppers, absolument nécessaires pour d’une part écouter les Jam sans s’endormir et d’autre part doter la plume d’un tonus capable de l’envoyer valdinguer comme un vulgaire scooter dans le premier virage. Tous ceux qui sont montés là-dessus savent que le scoot est l’un des meilleurs moyens de se casser la gueule.

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    Annoncé dans la presse anglaise à grands renforts de tambours et de trompettes, Eddie Piller Presents The Mod Revival est une box indispensable à toute cervelle encore un peu rose. Pour plusieurs raisons. Un, Piller tombe toujours pile. Deux il écrit lui-même son texte de présentation, et ce qu’il écrit tombe toujours pile. Trois, il nous propose avec les cent titres répartis sur quatre CDs une sélection qui est la sienne et qui ne fait pas trop double emploi avec l’autre Mod Box déterminante, Millions Like Us, qu’un Part Two va se charger d’éplucher.

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    Eddie Piller fait remonter le Mod Revival aux early mid-seventies et cite trois groupes en référence : Dr. Feelgood, The Hammersmith Gorillas et Eddie & The Hot Rods. Et pouf, il présente le teenage Mod Jesse Hector qui dans cette période avait transformé his sixties obsession into a hard and angry mod-influenced rock band. Il cite aussi The Radio Stars fronted by the John’s Children mod face Andy Ellison. Puis bien sûr, il embraye sur les Jam qui fut le premier Mod revival band à émerger en 1977, suivi de près par les Écossais de The Jolt. Puis il évoque la formation en 1978 de The New Hearts avec Dave Cairns et Ian Page, qu’Eddie connaît bien puisqu’il grandit dans le même coin qu’eux, à Woodford. Des New Hearts qui par la suite allaient devenir Secret Affair. Il situe une autre source à l’origine du Mod revival dans le booklet de Quadrophenia, paru en 1973 - while completely no-mod in its creative musical style - Selon Eddie Piller, le booklet donna à des milliers de kids their first glimpse of the exotic and forgotten world of the mod. Scooter, target T shirts, feathercut hairstyles and the ubiquitus US Army parka - Le booklet allait aussi donner aux kids américains their first taste of this very British phenomemnon. Puis c’est l’apparition en 1978 des Mekons et de Gang Of Four, et à quelques rares exceptions près (Gary Bushell dans Sounds et Adrian Thrills dans le NME), les journalistes ignorent complètement la naissance du Mod revival. C’est en février 1979 que le mod revival devient le Mod Revival, quand les Jam viennent jouer à Paris, suivis par 50 ou 60 early London mods. Puis ça explose en Angleterre - Suddenly mod was everywhere - Chords, Secret Affair, les Jam, Long Tall Shorty, tout ça au Marquee, in the wake of the maximum r’n’b. En 1979 paraît le fameux Mods Mayday, avec 6 groupes, dont les Merton Parkas et les Chords, enregistrés live. Côté labels, c’est la curée. Tout le monde veut rééditer l’exploit de Stiff avec «New Rose». Jimmy Pursey tombe amoureux du Mod Revival, qu’il voit plus working class que le punk. Il signe sur son label les Chords, les Low Numbers et Long Tall Shorty. Mais comme le dit Eddie, les choses ne sont jamais simples avec Jimmy Pursey qui va voir son business s’écrouler. Secret Affair a plus de chance, puisque leur manager s’appelle Bryan Morrison, un vétéran du Swinging London que Piller qualifie de powerful. C’est aussi en 1979 qu’apparaît la fameuse ska-scene. Tout va bien jusqu’en 1982 : Paul Weller arrête les Jam alors qu’ils sont at their peak. Terminus, tout le monde descend - Mod just went back underground - Et c’est là qu’Eddie situe la deuxième vague du Mod Revival avec Makin’ Time, The Prisoners, The Times, Small World, Fast Eddie et The Moment. Une deuxième vague qui dure six ans, until the 1988 acid house explosion that destroyed British youth culture as we knew it. Deux ans plus tard, Mod was still there but it had changed. Les Prisoners étaient devenus deux groupes : le James Taylor Quartet et les Prime Movers, et Makin’ Time avait engendré les Charlatans - Bizarre qu’Eddie Piller oublie de citer Fay Hallam - Puis c’est la Britpop, plus rien à voir. Eddie Piller termine sur une grosse bouffée de nostalgie : «And the broad church of Mod, in its many forms is still with us today - but nothing, and I mean nothing could replace the sheer excitement of that first summer of 1979. The twisted wheel keeps on turning.» Magnifico.

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    Maintenant la box. Le disk 1 démarre avec The Jam et «I Got By In Time». Désolé Eddie, mais ce n’est pas révolutionnaire. C’est trop énervé et chanté comme ça peut. Pas bien stable dans les virages. Par contre, The Jolt passe comme une lettre à la poste. «I Can’t Wait» est plus décidé à vaincre, bon d’accord, le gratté d’accords ne vaut pas celui des Who, mais ils développent une belle énergie, hey hey hey ! Le relentless de leur Mod rock sent bon le reviens-y. Cette box est passionnante car Piller offre un panorama assez complet en allant piocher à droite et à gauche, comme par exemple chez les Inmates, simplement parce qu’il aime bien leur son, notamment cette reprise de «Dirty Water». En fait, ce qui frappe le plus sur cette box, c’est que non seulement elle grouille de pépites, mais elle regorge aussi d’énergie, elle tient bien la distance des 100 cuts, on ne s’ennuie pas un seul instant et petite cerise sur le gâteau, on fait de sacrées découvertes. Car Eddie Piller nous fait écouter sa collection de singles, et c’est une véritable caverne d’Ali-Baba. Si tu en pinces pour le son, pour l’énergie, pour la découverte, cette box te tend les bras. La bombe du disk 1, c’est «Your Side Of Heaven» par Back To Zero : bien riffé dans la gueule du rock, down in London town, ce hit s’élève dans le fog comme un totem Mod. On retrouve bien sûr les Purple Hearts avec «Frustration», on sent battre le heartbeat Mod, c’est bien amené, just perfect. Belle surprise avec l’«Only A Fool» des New Hearts qui sonnent comme des Américains de London town, et ils ramènent un son incroyable, c’est puissant et chanté à outrance, on comprend qu’Eddie Piller puisse adorer ça. Pur Mod Sound avec l’«Opening Up» de The Circles, ils font du hymnique pur bien orienté vers l’avenir. Il existe forcément un groupe qui s’appelle The Mods. Les voilà avec «One Of The Boys», alors bienvenue au paradis des Mods, ils vont vite en besogne. Eddie Piller choisit bien ses groupes. Tout est basé sur le niveau d’énervement, c’est tapé dans la cuisine, ces mecs sont les rois du raw. Encore une révélation avec Tony Tonik et «Just A Little Mod», il chante d’une voix de Master & Commander, un vrai Moddish king of the saturday nite, Eddie Piller a raison de le ramener dans l’arène, Tony Tonik tient bien le choc. Bizarrement, les Chords ne marchent pas dans cet environnement, ils sonnent comme des libellules, alors qu’ils sont très puissants. Chris Pope visait la perfe avec «The British Way Of Life», cut balèze mais trop délicat dans le contexte de cette pétaudière. Pareil, les Teenbeats ne marchent pas non plus : trop énervés pour monter sur des scooters, trop punk, mais il s’agit d’un punk à l’anglaise, assez working class, no way out, oui, mais avec un certain esprit gluant. Les punksters anglais ont un éclat que n’auront jamais les punksters américains. Speedball est là aussi avec «No Survivors», ils foncent dans le tas, on y reviendra. Tiens voilà The Cigarettes avec «They’re Back Again Here They Come». Le mec chante à la Rotten, il fait un punk Mod de cockney downhome. On retrouve aussi les excellents Long Tall Shorty, assez cultes en Angleterre. Ils jouent leur «Falling For You» au rock’n’roll high energy. Quant au «Don’t Throw Your Life Away» de Beggar, c’est assez bordélique. Ah les jeunes ! Il faut bien qu’ils s’expriment, mais c’est un son de MJC avec du solo crade. Encore du son dans le «No Way Out» des Fixations. Eddie Piller a raison de ramener ces groupes dans sa box, tout est bien ici, Eddie Piller est comme Gandhi, il est le bienfaiteur de l’humanité Mod. Avec «Paint A Day», The Leepers vont plus sur la pop, mais ils ont la bénédiction d’Eddie Pïller, alors laissons-les tenter de sauver le monde. Plus loin, les Two Tone Pinks s’exacerbent avec «Look But Don’t Touch», c’est très anglais, très skabeat, mais c’est mal chanté et on retourne à la MJC avec les Elite (sic) et «Get A Job». Eddie leur donne une chance d’exister, c’est du sans espoir qui a le mérite d’exister.

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    Eddie Piller lance son disk 2 avec Secret Affair et «Let Your Heart Dance». Boom ! Ces démons de Secret Affair ont tout compris, ils ramènent des cuivres, et là tu danses, avec tes petits bras et tes petites jambes. C’est tellement parfait que ça frise le génie. Toute l’Angleterre danse et voilà qu’arrive un solo de sax ! Ils montent des gammes dans le feu de l’action. L’autre énormité cabalistique du disk 2 est «Fuck Art Let’s Dance» par The Name. C’est de l’in the face d’Ace the face drivé au big power. Ces mecs savent de quoi ils parlent. Tout est dans le drive. On retrouve bien sûr les Lambrettas et les Mertons Parkas, les premiers avec «Go Steady», bardé d’énergie juvénile et de scoot italien, fabuleux beat élastique, et les Parkas avec «Flat 19», encore plus Moddish, bien tendu, bravo Merton, Mod all over the place, chanté à l’énergie pure. «Flat 19» est l’un des grands classiques MODernes. On retrouve des cuivres dans l’excellent «Let Him Have It» de The Bureau, c’est un son tellement anglais ! Le «Does Stephanie Knows» de Squire est assez déterminé à plaire. Ce psyché Mod basé sur le Stephanie de Love est visité par les esprits et bien jointé au chant. Une autre petite merveille : «Life On An L.I?» de The Sets, battu sec et allumé au riffing perpétuel, avec un clone de Daltrey au chant et un guitariste qui se faufile entre les jambes, comme un petit serpent proto-Mod. C’est d’une qualité qui subjugue, leur tension est assez rare, alors on y revient. Big sound encore avec le «What I Want» des Donkeys. Quelle envolée ! C’est gorgé de riffing, tout ici est joué à l’énergie maximaliste, sommet du Mod blast. Superbe. Oh il ne faudrait pas oublier de saluer les Crooks avec «Modern Boys», pur jus de Whoish, les chœurs sont un hommage aux Who. Ils font une descente dans la mythologie. Même les claqués d’accords sont whoish. Eddie Piller sait pourquoi il sélectionne des trucs comme «Let Me Be The One» par The Steps : pour le shuffle de cuivres. C’est du haut niveau. Même chose pour Small Hours avec «Can’t Do Without You», c’est cuivré de frais, mais la voix est un peu forcée, dommage. Il n’empêche qu’Eddie Piller les induit dans son Hall of Fame, alors ça passe. Ça finit même par devenir assez beau. Curieux, non ? Il ramène aussi les Dexy’s Midnight Runners et «Dance Stance». On s’en serait douté. Les Dexys sont trop puissants pour ce genre de box, mais il semble logique qu’Eddie Piller puisse les admirer. Il enchaîne à la suite Nine Below Zero et Madness, qui arrivent comme des évidences. Il passe ensuite par une petite zone ska avec The Akrylyx et The Media, puis avec The Little Roosters, on échappe au Mod Sound. Les Roosters doivent être les premiers surpris de se retrouver sur la compile d’Eddie Piller. En fait, il accueille tous les chiens écrasés de la scène anglaise, et c’est bien. Les Hidden Charms sont un peu plus putassiers et plus loin, The Reaction nous envoie avec «I Can’t Resist» une belle giclée de Mod spirit dans l’œil. Ils chantent à la pointe de l’exaction, c’est excellent. Tous ces singles sont excellents. Quelle profusion ! Et ça continue avec The Killometers («Why Should It Happen To Me») et le ska des Colours («The Dance»).

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    Des quatre disks de la box, le 3 est sans doute le plus énervé. Il suffit d’aller écouter le «101 Dam-Nations» de Scarlet Party : ces mecs s’explosent la rate dans la nuit Mod, ils jouent au power d’outer space, ça sonne comme l’injonction du génie mélodique. Avec Eddie Piller, tu n’es pas au bout de tes surprises. L’autre bombe du disk 3 est le «Train To London Town» de Solid State. Ils allument bien la gueule du mythe. Merci Eddie Piller de nous ramener tous ces singles extraordinaires. L’énergie Moddish nous fend le cœur. On l’a dit, ce disk 3 grouille d’énormités, comme Mood Six avec un «Hanging Around» fabuleusement agressif, plein de son et plein d’allant. On croise rarement des groupes aussi brillants. The Onlookers amènent «You And I» au son des London Mods, avec un sens de l’ouverture extraordinaire, voilà le génie des Mods, un subtil mélange de punk et de cockney, une excellence explosive et une basse qui pouette dans le son, all along the way. Vas-y Onlooker ! T’auras jamais mieux. Avec «The More That I Teach You», Les Prisoners sonnent comme une évidence. Graham Day ne rigole pas avec le Teach You, il va même bien au-delà de Piller et de sa box, il pulse son Mod Sound à coups de nappes d’orgue et bien sûr, c’est une énormité. Encore une belle agressivité avec The Scene et «Something That You Said». Ces mecs mélangent le mad psyché au pah pah pah et ça donne une émulsion explosive. Encore du Moddish as hell avec le «Go» des Heartbeats. Ils nous font le coup du get go du coin de la rue, c’est encore une fois brillant et plein d’énergie. Eddie Piller nous déterre encore une merveille : The Risk avec «Good Together», ces arbitres des élégances font une Soul de rêve, une Soul inespérée de grandeur tutélaire, puis les Little Murders chantent un ton en dessous avec «She Lets Me Know», presque pop, mais quelle belle teneur de la ferveur, ils sautent sur le râble de leur cut. Encore du pur jus de Mod Sound avec The Kick et «Stuck On The Edge Of A Blade», c’est taillé dans la masse du beat, allumé dans la gueule, chanté à la cavalcade, infernal, trop d’énergie, tu n’entendras ça qu’une seule fois dans ta vie, alors profites-en. T’es pas prêt de revoir des groupes de ce calibre. Petits calibres et gros calibres, tout ici est invincible. Même le heavy boogie des Long Ryders qui ouvrent le bal du disk 3 avec «Looking For Lewis And Clark». Eddie Piller aime le boogie, donc ça s’explique. S’il sélectionne les Long Ryders, c’est pour leur power, rien que leur power. Avec «I Helped Patrick McGoohan Escape», les Times d’Ed Ball font du Spencer Davis group. C’est leur façon de saluer les ancêtres. On croise plus loin des VIPs qui n’ont rien à voir avec le gang de Mike Harrison. Nouvelle flambée de Mod craze avec Sema 4 et «Up Down And Around», ils nous font le coup de l’équation magique : accords + frénésie + bass drive = wild Mod sound. Les Variations d’Eddie Piller ne sont pas les Français et le «Can You See Me» de 007 déploie une belle énergie de scoot. Ces mecs ont du gusto à revendre, ils pulsent bien leur background social, avec des oh oho oh et une basse voyageuse. Avec «The Faker», The Gents impressionnent aussi, ils font leur truc, une petite Mod pop sans espoir de débouché, mais quelle fraîcheur ! Le «Can We Go Dancing» des Amber Squad sent bon le working class, avec son chant âpre et sa guitare ferrailleuse. Encore une fois, tout est bien ici, le «No Vacancies» de The Clues est assez glorieux, ces mecs chantent vraiment au coin de la rue, ils sont dans leur Mod culture avec tous les défauts et les qualités du genre, la voix est trop mâle, mais diable comme le guitariste est bon !

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    Et forcément le disk 4 grouille encore de merveilles comme «The Other Me» de Studio 68, stupéfiante dégelée envoyée par des surdoués du Mod Sound, ils mettent les bouchées doubles, Piller et sa box explosent avec Studio 68, c’est noyé d’orgue et d’élégance, on se demande vraiment d’où sortent de telles merveilles. Avec «Nor The Engine Driver», les Daggermen n’ont rien à envier aux Who, ils allument leur cut aux chœurs, c’est turgescent, you again, ces mecs jouent dans l’urgence du Whoish System, un vrai crève-cœur. Parmi les groupes les plus connus, on retrouve The Inspiral Carpets avec «Saturn 5», powerfull mélange de claviers, de basse et de fuzz, ça déborde vite, avec ce monstrueux loop de claviers. Makin’ Time est là aussi avec «Here Is My Number», et la bass attack de «Lust For Life» mais ils amènent leur truc assez vite, on comprend qu’ils soient entrés dans la légende. On se demande ce que Five Thrity fait ici et pourtant leur «Abstain» a du potentiel. Eddie Piller a de l’oreille, il a repéré Tara Milton et son dégouliné d’accords jetés dans le brasier. Sa Mod pop anglaise est un modèle. Autre groupe connu comme le loup blanc : Ocean Colour Scene avec «The Day We Caught The Train», ils naviguent dans une autre veine, plus pub rock mais bon, Eddie Piller les aime bien. Pareil pour le James Taylor Quartet, présent avec «One Way Street», big energy, ils sont bien plus puissants en instro qu’avec du chant. Et puis il y a le bataillon des moins connus, comme The Truth qui ouvre le bal du disk 4 avec «Confusion (Hits Us Every Time)», ces mecs sont bons, ils bouffent la bande passante, tout est balèze, les chœurs, les envois de renforts et les retours sur investissements, chœurs de Who et revival craze, c’est l’un des mad Mod blasts les plus réussis, maturité du chant et big sound, the Truth forever ! Eddie Piller adore les cuivres, alors voilà The Blades avec «Revelations Of Heartbreak». On le sait, les Corduroy sont les rois de l’instro avec le James Taylor Quartet et «E Type» ne fait pas exception à la règle. Ça rampe sous la carpette des Mods, ces mecs jouent la carte du heavy groove à la roulette russe, Eddie Piller a 100 fois raison de ramener ces mecs dans la box, ils sont féroces, ils jouent le shuffle à la vie à la mort. Aw my Gawd, quelle énergie ! C’est la basse qui drive ce jazz beat. Puis Mother Earth embarque «Stoned Woman» au shuffle d’orgue, ils jouent la même carte d’instro demented et la voix apparaît sur la tard. Tous les groupes de la box ont du son, et The Strangeways crèvent le plafond avec «All The Sounds Of Fear». Le Mod craze n’est pas une vue de l’esprit, c’est une culture, une esthétique, un fabuleux pactole de vie. Stupidity casse encore la baraque avec «Bend Don’t Break», une vraie petite merveille coulissante, avec des coups de trompette et des cuivres fabuleux. D’intérêt encore supérieur, voici les E-Types avec «She Changes» et les Elements finissent par échapper aux Mods avec «Caught In A Storm». Merci Eddie Piller pour cette belle box et ce «Caught In The Storm» qui finit en beauté. Tous les groupes présents sur cette box doivent être fiers.

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    Dans un Shindig! de l’an passé, Eddie Piller présente une douzaine de ses disques favoris, et chacun de ses commentaires tombe pile. Il démarre avec les Saints et «Know Your Product», nous racontant que le copain de sa mère travaille en 1978 chez EMI. Comme Eddie est malade avec la variole, il ne va pas à l’école et il écoute les 45 tours que lui ramène le dit copain. Pouf, il tombe sur «I’m Stranded» - This record changed my life - Mais il trouve «Perfect Day» encore mieux - J’aimais tellement le groupe que j’ai économisé two grand pour les suivre sur une tournée australienne quand j’avais 17 ans - Et il termine avec ça : «One of the most underrated bands of all time.» L’autre surprise, c’est Todd Rundgren avec «I Saw The Light». Il découvre ce hit quand il bosse pour la filiale anglaise de Bearsville, le label de Rundgren, qui prépare une compile. Eddie Piller se dit convaincu du génie de Rundgren. Il connaît aussi «Open My Eyes» des Nazz - He was one of the few American mods who really got the concept - Et il conclut avec l’une de ses chutes prophétiques : «One of life’s good guys.» Attention, ça monte encore d’un cran avec le «Tin Soldier» des Small Faces - Quite simply the best rock record ever recorded - Eddie nous rappelle que sa mère s’occupait du early fan club des Small Faces avant d’être virée par Don Arden - Le groupe était incroyable et si Marriott hadn’t fucked it up and opened the door to Rod, ils auraient été le biggest British band of the ‘60s (apart from the Beatles ans Stones of course) - Bon, ça chauffe encore avec The Action et «Wasn’t It You» - Reg King formed the best Brisitish mod band of all time - Il se reprend : «No, fuck that, they were the best British band of all time.» Eddie Piller est le fan number one en Angleterre, il ne mégote pas sur l’enthousiasme et c’est pour ça qu’on le vénère et qu’on l’écoute attentivement. Il rappelle en outre que George Martin pensait le plus grand bien de The Action. Eddie surenchérit : «The Action are the most criminally underrated band of all time.» Voici «Orgasm Addict» des Buzzcocks, the first band I ever saw - The post-Howard Devoto line-up was, for me at least, the perfect mod band - Angular guitars with guenine modernist sleeves. Steve Diggle is still one of my heroes - Grâce à ce single, Eddie fut renvoyé de l’école. Bon, il ramène aussi les Jam avec «I Got By In Time» - Weller and his three piece introduced me to the main motivating factor of my life, Mod - Puis il suit le groupe religieusement. Il indique au passage que Weller a toujours voulu nier le Mod Revival - He thought he was alone on his mod crusade - Il n’était pas seul, s’exclame Eddie, we were with him and there were millions like us. Il cite à la suite le «Walk On By» des Stranglers, le single qui l’a initié à l’Hammond organ. Il flashe aussi sur «Ventura Highway» d’America (Sonic genius) et sur «Lady Day And John Coltrane» de Gil Scott-Heron (This record is just one of the best dance records of all time). Il revient sur The Style Council («Shout To The Pop») qu’il qualifie de perfect pop band - Suburban jazz-funk with a super cool aesthetic and razor-sharp political lyrics - Il qualifie «Expansions» de Lonnie Liston Smith de perfection et termine avec l’«Ordinary Joe» de Terry Callier. Eddie Piller rappelle qu’il a passé six semaines en 1989 à rechercher Terry Callier, car il avait arrêté la musique pour travailler dans le bâtiment. Eddie n’avait qu’une obsession : faire redémarrer sa carrière. Il a finalement réussi à l’avoir au téléphone mais Terry ne voulait rien entendre. Mais Eddie est tenace et il a fini par le convaincre de venir jouer à Londres - The nicest man in music bar none.

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    Dans un numéro Special Mods de Vive Le Rock paru aussi l’an dernier, Paula Frost invite Eddie Piller à présenter sa box. L’occasion est trop belle de revenir sur l’historique évoqué plus haut, qu’il complète avec des petites infos pilleriques. Il indique par exemple qu’il aimait bien la scène punk, «but I became a Mod after a Stiff Little Fingers gig.» En rentrant chez lui en train de banlieue après le concert des Stiff, Eddie voit un mec bomber le mot ‘Mods’ sur un mur. Comme il ne savait pas ce que ‘Mods’ voulait dire, il va trouver le bombeur et lui pose la question. En guise de réponse, le bombeur l’invite à venir voir The Chords le lendemain soir à Deptford. Le lendemain, quand il voit les kids en parkas, Eddie se dit : «This is the life for me». En 1979, il devient un Mod obsessed et co-fonde le fanzine Extraordinary Sensastions. Et pouf, The Chords, Secret Affair et les Jam. En 1979, le Mod Revival était encore un mouvement underground à Londres. Eddie indique qu’il n’y avait alors que 200 Mods, puis le mouvement à gagné le Nord de l’Angleterre - that ran up north into northern soul and scooter clubs - Mais dans la presse, personne ne prend le Mod Revival au sérieux. Les journalistes les rattachent au pub-rock ou les dénigrent - It’s a joke - mais bon, le mouvement tient bon car les groupes sont bons, ils sont même nettement plus intéressants que la deuxième vague punk et l’ennuyeuse new wave. Les groupes nous dit Eddie sont différents - We were basically punks with parkas on - Il ajoute que les Purple Hearts et les Chords étaient assez proches des Undertones, et c’est Quadrophenia qui déclenche tout.

    Signé : Cazengler, tripe à la mod de Caen

    Eddie Piller Presents The Mod Revival. Box Demon Records 2020

    Ace Face. Shindig! # 107 - September 2020

    Time For Action. Vive Le Rock # 75 - 2020

    ANIMAL MAN

    DHOLE

    ( Mai 2021 )

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    Faut avoir vu la pochette de leur premier album ( paru en 2015 ) avant de regarder celle de leur deuxième. Cette précaution élémentaire empêchera certains ( et certaines ) de déclencher la farandole des colères inutiles. L'opus n° 1 sobrement porte sobrement l'unique mention Dhole. Pour les bouffons incapables de réciter par cœur L'histoire naturelle de Buffon nous rappelons que le dhole est un canidé d'une belle couleur rousse originaire d'Asie qui par son apparence physique et son mode de vie s'apparente au loup, vit en meutes qui n'hésitent pas à s'attaquer à des animaux dangereux telles les panthères. Il est donc tout à fait logique que cette pochette du premier enregistrement de Dhole, Wild Society, nous offre la photo d'un gros plan d'une carnassière gueule de dhole prête à mordre. Excellent symbole pour un groupe de punks rebelles qui n'a pas envie de se laisser marcher sur les pattes, et prêt à s'attaquer à tout ce qui ne lui revient pas.

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    Pour la petite histoire du rock'n'roll, le kr'tntreader ne manquera pas de faire le rapprochement avec les pochettes du Live de Steppenwolf et de Tears, Toil, Sweat & Blood de Walter's Carabine, enregistré au Swampland Studio ( se reporter à l'article du Cat Zengler de la précédente livraison 517 ) groupe dans lequel officient Joe Ilharreguy et Marius Duflot que l'on retrouve comme par hasard dans Dhole.

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    Enfin nous arrivons au deuxième album de Dhole Animal Man, aucun cousin du lycaon sur la couve, aucun autre animal non plus, enfin si, celui que l'on n'attend pas, un homme, il est vrai que si les naturalistes inscrivent sans problème et sans remords notre espèce dans le règne animal, la plupart de nos congénères se considèrent d'un cran plus élevé que nos amis les bêtes, nous répugnons à confondre les torchons avec les serviettes, nous restons persuadés que nous sommes d'une essence supérieure. Dhole le groupe se refuse donc à ce subtil distinguo, nous ne valons pas plus que les autres bestioles, l'homme est juste un animal, pas plus ni moins et pour prouver leur assertion z'ont déniché la photo d'un très beau spécimen, un mâle blanc hyper-machiste s'insurgeront les guildes féministes, le cigare conquérant tendu comme un sexe en érection, un sceptre royal, un prédateur, les yeux froncés, fixés sur l'horizon, sans doute pour ne pas laisser échapper une proie, à le regarder l'on se dit que l'homme est un dhole pour l'homme ( et la femme ). L'homme est aussi un carnassier, ne mange pas sa victime consentante mais la croque volontiers.

    Marius Duflot : guitar, vox, synthé / Baptiste Dosdat : basse / Joce Ilharreguy : drums, percus.

    Evil girlfriend : bruizarre, bruizarre, j'ai bien dit bruizarre, serait-ce l'imitation approximative du bruit qu'émet le guttural gosier du dhole en période de reproduction, l'on s'attendait à une avalanche de gros son, une agression punk dument sur-calibrée et nous avons affaire à un phénomène qui échappe à tout ce à quoi une oreille puisse s'attendre, la suite est encore plus aventureuse, cette guitare et cette basse incapables de produire une franche sonorité, une batterie qui joue à la fragmentation éparpillative de la frappe, et cette voix qui semble n'avoir pour but que de ne pas être entendue tout en voulant qu'on la remarque. Cette fille est vraiment diabolique elle déstabilise le cortex de l'auditeur moyen. She's mine : double surprise cette fois-ci, serait-on parti pour une croisière au bon son, bon ce n'est pas Le beau Danube bleu non plus, mais enfin cela s'écouterait sans trop de problème s'il n'y avait pas ce vocal d'asthmatique répétitif, c'est fou comme la parole humaine peut provoquer des catastrophes auditives, aucun kr'tntreader ne me croira après ce que j'ai dit sur le morceau précédent, ce truc ressemble à une chute studio pas très longue des Beatles ( deuxième période expérimentale ), une espèce de déconstruction derridienne de la chanson rock. S'ils continuent comme cela, vont nous rendre chèvres. Celle de Monsieur Seguin attaquée au petit matin par un grand méchant dhole. Sticky eyes : sûr que l'on ne se méfie pas, pas question de les suivre les yeux fermés, mais les trompes d'Eustache en alerte maximum, c'est un peu la suite du précédent, même style, en plus rapide, agrémentée d'une urgence ambulatoire, tentent de pousser l'expérience au bout de ses limites, c'est du haché maison tout cru mais robotisé, une dégringolade d'escalier avec au bout la trappe du palier qui s'entrouvre et vous happe sans ménagement. Descendez au sous-sol, il n'y a plus rien à entendre. Le temps de reprendre vos esprits vous vous apercevez qu'il y a eu dans le monde deux grands évènements : le massacre des bébés phoques dans les sixties et celui opéré plus tard par des groupes de rock inconscients qui ont décidé de massacrer les sixties elles-mêmes, fils de mauvaises familles qui dilapident l'héritage consciencieusement amassés par les générations précédentes dans l'envie rimbaldienne de trouver du nouveau. Wrong : vous comprenez que cela ne peut pas durer, vont tous se retrouver à l'asile, ces fils dévoyés faut bien qu'ils servent à quelque chose, qu'ils accèdent au moins au statut d'objets vivants d'étude, cela permettra d'économiser le prix des souris de laboratoire, le résultat est atterrant, l'ensemble ressemble à des coupes de cerveaux longitudinalement étirés, rien à en tirer, c'est mou comme du chewing gum, ça colle aux gencives, mais reconnaissons-le le goût n'est pas mauvais, nous en reprendrions bien une deuxième dose. Stay at home ( when you want to go out ) : le morceau précédent n'avait qu'un seul défaut sa lenteur escargotique alors sur celui-ci ils rattrapent temps perdu, à toute vitesse, se sont entassés dans une 2Chevaux cahotique après avoir saboté les freins, font les essais sur une pente savonneuse, un peu foutraque, mais ils s'amusent bien, nous aussi. En plus à la fin c'est eux qui crashent, pour nous que du plaisir. Bully : apparemment s'en sont sortis vivants car ils envoient la daube à grosses louches, faut tout de même qu'ils gâchent tout, jouent aux élastiques vocaux et bientôt c'est du n'importe quoi contrôlé, z'ont de la suite dans les idées, ils sont le cheval fou et l'auditeur se doit à un moment ou à un autre être désarçonné. C'est leur manière à eux d'emballer.  Primitive ( cover ) : on ne peut rien vous cacher depuis quelques temps l'on sentait quelques crampes nous monter le long de l'œsophage et des rotules, là ils allument la luxmière à tous les étages, sont trop près du modèle sur la première moitié du morceau, il ne faut jamais hésiter à tuer le maître dès la première seconde, se lâchent un peu par la suite, se permettent quelques fantaisies, mais pas assez iconoclastes à notre goût. Z'auraient peut-être dû reprendre une tranche de Captain Beefheart. Water will dry : se rattrapent sur le dernier morceau avec ce bruit de lessiveuse caverneuse et cette voix qui nous annonce une apocalypse somme toute joyeuse si l'on en juge aux intonations simili-africaines du vocal qui prédit l'estocade finale, des buveurs, l'on sent que la race dholienne ne connaîtra pas l'extinction des dinosaures, sont trop malins et trop doués pour se faire rattraper par le cataclysme sonoriquement avarié qu'ils ont suscité.

    Un opus majeur. A écouter. Musicalement aventureux. Un must zical.

    Damie Chad.

    *

    EUROPEAN SLAVES

    CRASHBIRDS

    ( YT / Juin 2021 )

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    Depuis ce doux pays pluvieux de Bretagne où le beurre est aussi salé que les larmes, les Cui-Cui nous adressent leur nouvelle vidéo. Une mauvaise habitude que le confinement a renforcée. L'avant-dernière Silence ( assez bruiteuse tout de même ), la précédente You can't always get what you want, reprise des Stones, ( qui nous en a donné pour notre plaisir ) et la toute dernière, cet European Slaves. Mettons les choses un peu au point, pour ceux qui risqueraient être choqués par la voix cinglante de Delphine, qui claquera en leur esprit comme le fouet sur le dos de l'esclave, et qui se trouveraient vexés d'être ainsi injustement rabaissés...

    RAPPEL GEOGRAPHICO-HISTORIAL

    Depuis la fin des cueilleurs-chasseurs, l'Humanité a connu trois époques : celle de l'esclavage, celle du servage, celle du salariat. Par chance, s'écrient les âmes primesautières, nous vivons en le troisième tronçon de l'amélioration sociétale. Nous ne sommes plus des esclaves accablés sans aucune contre-partie jusqu'à notre mort de travaux pénibles, de même nous ne sommes plus des serfs attachés à la terre que nous labourons gratuitement pour nos maîtres, nous vivons en une époque magnifique, nous sommes libres de vendre notre force de travail à qui veut l'acheter. Et nous dépensons notre paye comme nous le voulons. Certes souvent notre rétribution est un peu maigre voire insuffisante, mais tant que nous avons un travail plus ou moins bien payé, tout ne va pas si mal que cela. Il y a eu pire même si ce n'est pas encore le top supérieur. Optimisme ravageur. Qui oublie que les trois étapes susnommées ne représentent que des variantes adaptalisées selon les nécessités productales des besoins plus ou moins différents d'une même exploitation...

    Ces idées générales pour traiter du mot ''slaves'' qui constitue la deuxième partie du titre. Le premier mot ''European'' est davantage inquiétant. Comme nous sommes européens puisque nous vivons en Europe, nous nous sentons géographiquement concernés par ce premier vocable. N' y a pas que la Géographie qui soit européenne, l'Histoire l'est aussi. Et puisqu'il faut aborder les sujets qui fâchent, ces dernières décennies l'Histoire Européenne nous laisse pour le moins dubitatifs...

    DE BRIC ET DE BROC

    Le sujet est complexe. Mais les Crashbirds n'ont peur de rien. L'on pourrait accroire qu'ils se sont retirés en Bretagne pour durant une bonne quinzaine d'années rédiger une thèse de plusieurs milliers de pages ( que personne n'aura le courage de lire ) afin de nous exposer leurs idées sur la question. Ben non, se contentés de prendre leurs guitares, de se munir de bouts de cartons, d'une pochette de feutres, d'une poignée de rivets, et d'une paire de ciseaux pour découper les dépliants publicitaires de leur boîte à lettres, z'étaient si sûrs de leur coup qu'ils n'ont même pas eu besoin de demander à leur chat de participer à leur projet. Que voulez-vous, les situations critiques relèvent de la plus grande urgence.

    LE CONSTAT DE DEPART

    Sont partis d'un constat simple : comment se fait-il que leur album European Slaves hormis l'accueil chaleureux du public et de la presse rock n'ait pas suscité un tumulte effroyable parmi les larges masses amorphes de la population. Nous sommes au siècle de l'image, malgré la superbe pochette de l'album dessinée par Pierre Lehoulier, il a manqué ils ne savaient pas quoi au juste pour que le pays prenne feu. Ils avaient le son et l'image, que rajouter encore pour produire le cataclysme social espéré. La réponse aristotélicienne s'imposait d'elle-même : le mouvement. Se sont immédiatement mis à l'œuvre. Le résultat ne s'est pas fait attendre.

    RESULTAT

    Sur la vidéo Pierre Lehoulier et Delphine Viane interprètent, guitare à la main, la chanson phare de l'album : European Slaves. J'entends déjà les ronchons maugréer, super original, une vidéo sur laquelle les artistes chantent leur chanson ! Je désespèrerais toujours de l'engeance humaine. On lui désigne la charge du troupeau de rhinocéros qui foncent sur elle et les malheureux ne voient que les rhinocéros, n'ont pas la présence d'esprit d'entrevoir la lourdeur de la charge qui est déjà en train de les piétiner. Les zoziaux ont inversé les rôles, normalement dans un film le décor est au service des acteurs, là c'est le contraire nos sinistres corbacs – ne nous ont jamais habitués à une telle modestie - servent de faire valoir au décor.

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    Evidemment au tout début on ne voit qu'eux déguisés en simili-militaire qui se détachent sur un fond de carton uni. Deuxième révolution filmique : z'ont décidé que les images subliminales des propagandes idéologiques invisibles à l'œil humain seraient visibles par tout le monde. Pas question qu'ils vous refilent leurs idées en douce, Pierre n'a pas oublié qu'il était aussi dessinateur de BD, l'a mis des dessins partout, se bousculent tout le long du morceau, et attention des dessins qui bougent. Des engrenages complexes qui tournent. Hélas pas tout seul. Faut des humains pour faire turbiner les machines, faut des conducteurs dans les bagnoles pour aller au boulot, faut des ménagères pour pousser les caddies, des ouvriers pour les marteaux piqueurs, des employés pour taper sur les ordinateurs, et j'en passe, etc... etc... tiens des docteurs pour vacciner les gens à la chaîne...

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    Peut-être est-ce le moment pour s'interroger bêtement : mais pourquoi tous ces gens se ruent-ils à toute vitesse sur le boulot, c'est vrai que s'il y a un bobo, les pompiers et le Samu se hâtent pour vous soulager au plus vite, mais pourquoi acceptent-ils avec tant d'empressement leur aliénation, pourquoi se comportent-ils comme des esclaves ( européens ) ?

    Les Crashbirds nous glissent en douce une petite explication, parce qu'ils vont pouvoir consommer à outrance, vous font défiler des bandeaux de pub à toute vitesse, ne gagnent pas beaucoup mais quel hasard extraordinaire, vous avez des promotions ou des rabais gigantesques sur toutes sortes de produits, surtout sur ceux dont vous n'avez nul besoin, mais un si grand désir suscité se doit d'être comblé au plus vite...

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    Sont pris dans la machine et les machines n'ont qu'une fonction les transformer en engrenages de la machine, le kr'tntreader pensera au film si prophétique de Chaplin sur Les temps modernes... Les petits dessins de Pierre ont la même force persuasive et démonstratrice. Certes le morceau est à écouter, ces guitares implacables et cette voix lumineusement laminante de Delphine, mais pour une fois, nous avons affaire à un clip qui parle à notre intelligence et non plus seulement au déclenchement pavlovien de déhanchements rythmiques qui vous apaisent plus qu'ils ne vous poussent à la révolte. L'est parfois nécessaire que l'on vous mette le nez dans le caca de votre vie d'autruche pour que vous vous rendiez compte que vous filez un mauvais coton comme l'on disait dans les plantations du grand sud... ce pays où est né le blues...

    Un cartoon qui cartonne !

    Damie Chad.

    *

    La semaine dernière l'on a commencé la tournée des cimetières, pas de raison pour que l'on ne continue pas, juste avant les vacances un petit rappel du Memento Mori, que prononçait l'esclave qui tenait la couronne au-dessus de la tête du général qui fêtait son triomphe dans l'antique Rome, ne saurait faire de mal, en plus les Kr'tntreaders qui viennent d'apprendre qu'ils seront privés jusqu'à la fin août de leur cazenglérienne ration hebdomadaire de rock 'n' roll tirent déjà une gueule d'enterrement. Donc nous nous mettons au diapason de leur état d'esprit, nous savons bien que cette interruption beaucoup d'entre eux la vivent comme la pire des :

    TRAGEDIES

    FUNERAL

    ( Artic Serenade / 1995 )

    Premier album du groupe précédé de deux démos, la première nommée Tristesse ( bonjour ) et la deuxième Beyond All sunsets, l'on ne peut pas reprocher à ses trois membres originaux de ne pas avoir de la suite dans les idées. Viennent de Norvège. L'on dit que la proximité du cercle polaire et les longues nuits des hivers nordiques n'incitent pas à la joies et inclineraient au suicide. Einar Andre Fredriksen bassiste du groupe mettra fin à ses jours en 2003. Il est l'auteur des lyrics des troisième et quatrième morceau de l'opus. C'est lui aussi qui assure les parties djentées du disque. Christian Loos, guitare, décèdera en 2006, il travaillait à un hommage à son ami Einar... Thomas Angel malgré son nom séraphinesque survivra mais finira par quitter le groupe dans lequel il officiait à la guitare, Anders Eek, batteur et membre fondateur restera toujours présent jusqu'à aujourd'hui malgré de nombreux changements. Toril Snyen arrive pour l'enregistrement de la deuxième démo, excellente pioche, elle sortira de scène après Tragedies , je ne sais ce qu'elle a fait par la suite. Ce premier album est considéré comme décisif pour la création de ce courant que l'on désigne sous l'appellation funeral doom.

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    Taarene : chanterelle de guitares tire vers le médiéval en introduction, n 'hésitez pas à lui trouver une allure guillerette, car vingt secondes plus tard lorsque surgit le bourdon, pardon le burdoom funèbre du groupe, surgissement de basses funèbres, vous comprenez que le soleil de la joie s'est noyé, englouti au fond de la la mer, au fin-fond de l'amertume, mais ce n'est rien, la voix froide de Toril s'élève et vous envoûte sous les voûtes sombres du désespoir, une voix pure comme la mort qu'elle chante, elle est-là toute seule au bord de la tombe de son bien-aimé, dans un premier temps elle se parle à elle-même, mais c'est la voix enrouée de gravier qui lui répond de dessous les profondeurs éternelles, musique froide à la ressemblance de ces scolopendres géants qui hantent les cercueils délabrés, sur les linceuls funèbres des rideaux mortuaires étincelle un gémissement de guitare recouvert de la chape baveuse des pleurs asséchés, elle chante maintenant dans le silence des notes dispersées d'un luth, elle promet l'éternité de son amour pour parvenir à l'amour de l'éternité, musique processionnaire, roulements lents de batterie, la musique et le chant vous mènent pas à pas, vous ne savez pas où mais peut-être dans une immobilité éternelle. L'orchestration s'appesantit et recouvre de terre le devenir de l'oubli qui se fige en lui-même. Under ebony shades : consolation du pauvre, ils ont abandonné le norvégien pour l'anglais, mais ce n'est pas plus gai. Un chantonnement plus aérien, lorsque le désespoir n'est plus qu'une consolation, que l'on a tout brûlé au fond de soi, la pureté atteinte est pour ainsi dire désincarnée, la bouche d'ombre éructe depuis le lointain dessous, si proche mais si inatteignable, l'âme esseulée ne croit plus en rien, ses anciennes croyances se sont évanouies, pour son âme et pour le monde Dieu est mort. Ils, elle et lui, chantent tous les deux en même temps celui qui mange la terre par les racines et celle qui refuse le ciel, musique plus lourde, poussée en avant par la batterie d'Eek qui roule à la manière d'un fourgon mortuaire traînée par deux chevaux de traits, double soulignage noir tiré sur les appétences de l'existence, l'on aimerait que cela ne finisse jamais mais il y a déjà longtemps que tout s'est arrêté, et la voix glaciale continue à tomber tels de rares flocons de neige qui ne se rejoignent jamais dans leur étrange ballet funéraire. Et la litanie s'égrène encore plus esseulée, juste quelques cordes de guitares psalmodiées en acoustique, grognements souterrains, reprises incandescentes de flammes qui ne brûlent pas mais pétrifient, et l'une d'entre elles, électrique qui monte encore plus haut, élastique en vain, la prière au néant de dieu reprend de plus belle. Que reste-t-il de l'esprit sous la glaise inféconde, le mort ne peut survivre que dans ses propres souvenirs qui tournent en rond dans le vide de sa cervelle. Accompagnement ad libitum. L'on prend son temps chacun des deux premiers morceaux dépasse les douze minutes. Demise : ne pensez pas qu'ils n'ont pas d'imagination si encore une fois le morceau débute par quelques notes de guitares si dénudées que l'on a envie de dire qu'elles sont jouées a capella, la voix semble apaisée, dans le calme du cimetière, tout intérêt s'amenuise, le chagrin n'est-il qu'une illusion, qu'une courte-vue, les fleurs poussent entre les tombes ne sont-elles pas le signe de la résurrection, du retour, de l'éternel retour de ce qui ne veut pas mourir, dialogue empli d'espoir, mais il est une autre manière d'entrevoir la plénitude du verre de la mort rempli à moitié, l'homme renaît de sa propre poussière oh oui, mais n'est-ce pas pour retourner au creux du verre de la mort à moitié vide, poussière tu es, poussière tu retourneras, le timbre de Snyen parcouru d'élans et de brisures, la musique en points de suspension qui dispersent leurs atomes, plus pure la proclamation de la vanité finale de la survie cyclique, la voix triomphe pour mieux mourir. Basse implacable. When nightfall clasps : au plus mauvais moment de la nuit lorsque l'encre tombe, que le noir du désespoir s'épaissit et s'alourdit tel un moteur d'avion qui ne veut pas disparaître et qui vous obsède de sa puissance, la voix prend la relève de la guitare, elle comble les vides, et la bouche d'ombre se confine en ses propres dires, elle vous demande de vous taire et de ne faire confiance qu'en vos actes passés, il existerait donc une possibilité sinon de réveil, au moins de récompense, a-t-on tué Dieu trop vite, nous appellera-t-il à lui, illumination d'espoir ou de folie, vers où se dirige-t-on dans cette immobilité d'éternité, le vocal comme une prière et l'orchestration qui s'allonge telles les ombres devant nous sur le chemin quand le soleil décline, elle atteint à une grandiloquence instrumentale que l'on ne lui connaissait pas, est-ce que que ce que les mots bégayants ne peuvent pas prononcer, la musique est-elle là pour l'exprimer, le borborygme s'enlace au chant de la colombe, le vieil espoir séculaire ne veut pas mourir, la voix de Toril sonne comme des cloches d'angélus, une prière s'exhale des lèvres des agonisants. Le silence nous laisse dans l'expectative. Moment in black : ce coup-ci ce sont de franches sons de cloches qui résonnent, l'on va connaître le dénouement, n'y a-t-il rien, ou y a-t-il autre chose ? Marche funèbre ces roulements de tambours, ou le ciel qui s'entrouvre, la voix plane comme un ange, elle prend son envol vers l'empyrée, dans les films lorsque le dénouement approche l'on monte la musique et l'on fait durer le silence, ne se privent pas de cet artifice, l'on y arrive, mais doucement sans se presser, le bourdon butine encore de plus en plus fort, les tambours roulent pour l'ouverture des portes, la guitare devient tendresse, elle tourne au violon, c'est le grand moment, derrière les huis jusqu'à lors fermés, s'ouvre l'éternité, la mort n'est qu'un pénible et court instant à traverser.

    Pas de quoi en faire un fromage dirait d'un rire sardonique le renard de la fable qui malgré ses paroles n'oublie pas de ramener le calendos dans son terrier, l'on pensait que Funeral nous conterait les affres du nihilisme, non, l'on retombe dans les tiroirs usés de la christologie la plus coutumière. Tant de fascination pour la mort pour rentrer sagement au paradis, Funeral nous déçoit un peu. Pourquoi cet attrait pour le tombeau pour s'en échapper à la fin, finitude qui se révèle être une naissance définitive... C'est sûr que c'est magnifique. Superbe. Une messe chantée. Pratiquement en apesanteur. S'inscrit davantage dans une tradition christianolâtre que dans le rock satanique. Peut-être est-ce pour cela que le disque a eu tant de succès. Il ne vous referme pas la porte sur le nez au dernier instant. Vous laisse l'espoir. Il ne faut pas décourager l'auditeur qui n'est qu'une partie du bon peuple qui a porté au pouvoir ceux qui le dirigent. Il est juste qu'il reçoive un lot de consolation. Ça ne peut pas faire de mal et ce n'est surtout pas trop cher. Manquerait plus que cela ! Par contre j'hésite au niveau idéologique, si l'orchestration me fait pencher pour le catholicisme, les paroles m'incitent à désigner une influence rigoriste toute protestante. Ce qui expliquerait l'économie de moyens, peu d'instruments, une voix toute classique, une retenue récitative. L'on hésite sans arrêt entre symphonie ou psaume chanté.

    Petite note personnelle : en rédigeant cette chronique, me suis aperçu – c'est mon ordi qui m'a montré les traces de mon passage – que j'avais déjà pensé au mois de septembre 2020 à chroniquer cette bête. Je n'en n'avais aucune souvenance, l'on échappe difficilement à ses propres errances, sans doute avais-je déjà été attiré par la pochette ultra romantique, cette automnale feuille d'un orange incendiaire et cette implorante figure féminine éplorée, les yeux levés vers le ciel...

    TRISTESSE

    FUNERAL

    ( NOL / 1993 )

    Funeral s'est formé en 92, Tragedies n'est pas né ex nihilo, le disque est trop parfait pour ne pas avoir été longuement mûri. Tristesse est la première démo sortie en cassette six titres. Une grosse ruse de sioux pas très finauds, la côté A présentait trois morceaux et le côté B exactement les trois mêmes morceaux. Parfait pour jouer à pile ou face. Vous étiez sûr de tomber sur vos trois titres préférés. Le format du carton de la K7 ne se prête pas au sujet évoqué, ce cadavre roide comme une planche à repasser dont l'âme est censée monter au ciel attendue par des anges – l'un pourrait voir Dieu en personne - armés de glaives vindicatifs se révèle peu explicite.

    Anders Eek : drums et clear vocal ( clair ) / Einar Andre Fredriksen : guitars, dark vocals / Thomas Angel : guitars / Pat Kjennerud : basse. + Steffen Lundemo : guitare classique.

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    Thoughts of tranquility : intro à l'acoustique merci Mister Lundemo, lorsque la guitare se tait la tranquillité prend un sacré coup dans l'aile, le mourant a encore de l'énergie, râle très fort parfois il semble vomir, faut dire que derrière l'orchestre ne lui laisse pas de répit, joue un peu le rôle de ces prêtres qui se mettent en colère et tempêtent lorsque l'agonisant refusent l'absolution, sont dans la grandiloquence lente, de fait dans ce titre Funeral a condensé tout ce qui sera développé dans l'ensemble de Tragedies, tout est là, certes le mort est encore là, pas pour très longtemps l'est en train de passer de l'autre côté, n'y a que ces arrêts subits, ces pauses de silence qu'ils abandonneront, le gars y va vitesse grand V, clamse en dix minutes et hop grande joie, passe du désespoir le plus profond à la plénitude la plus accomplie, Dieu est là, tout gentil, le moribondé peut même l'embrasser, il se sent revivre, il sent le parfum des fleurs, à croire que les étagères du paradis sont remplies de pot de chrysanthèmes. A poem for the Dead : petit intermède classique comme tous les débuts mais le groupe pousse ses guitares comme l'on jette le taureau dans l'arène, un morceau pratiquement deux fois plus long que le précédent, c'est un peu normal, c'est le mauvais côté de la chose. La chose c'est la mort. Et le mauvais côté c'est la vie. Pour sûr le mort est heureux de respirer les senteurs des coquelicots dans les champs du Seigneur, mais pour ceux qui restent du mauvais côté c'est plus dur, l'amour est parti et une vie de tristesse et de désolation attend celle qui l'aimait. Le bonheur est une pomme qui se mange à deux mais il semble qu'une des deux parts est plus amère que l'autre, musique tragique, la batterie marque le pas, à chaque coup elle décapite une colonne de la solitude humaine, les survivants arpentent des champs de ruines, une cymbale sonne le glas des illusions déçues et des séparations fatales, la batterie dissèque les heures fatidiques, celles qui vous écartèlent, le chant n'est plus qu'une énorme profération qui essaie de joindre les deux bouts des tendresses humaines, elle s'exalte en un hosanna de pleurs, point de gémissements, des grognements de bêtes prises aux pièges du bonheur et du malheur et... retour de l'intermède classique, le morceau coupé en deux, un cœur qu'un glaive cruel a partagé, irréductiblement. Rien ne recoudra cette plaie ouverte dans l'âme humaine. Si le morceau est si long c'est qu'il n'y a pas de réparation possible. Cul-de-sac à deux voies. Yearning for heaven : sombres éclats de basse, sans doute faut-il regarder des deux côtés à la fois, et trouver ce point d'équilibre où toutes les contradictions s'équalisent, s'amenuisent, disparaissent... à moins qu'elles ne s'exaspèrent, celui qui reste, celui qui part, celui qui tutoie les anges et celui qui tutoie le cadavre et le cadavre qui se tue soi-même, l'âme est peut-être là-haut mais il vaut mieux n'y pas penser, ci-bas sous terre c'est la vie vécue que l'on revit, et si on veut la revivre encore il vaut mieux oublier son âme qui batifole dans le jardin des délices. Musique solennelle et dramatique, vomitoire de vocal, qui grince et rappelle que la faille est partout, mortelle dans la vie, existentielle dans la mort. Imaginons une limace géante et saliveuse, toute glaireuse qui s'avance lentement et tourne en rond indéfiniment sans pouvoir rompre le cercle enchanté et maléfique du destin humain. Intermède classique pour faire passer la pilule...

    De même intensité musicale que Tragedies cette première démo vaut le déplacement. Tristesse est beaucoup plus sombre que Tragedies. Une catharsis ne survient pas fort à propos pour nous fournir une fin heureuse. Tristesse erre sans fin dans son propre labyrinthe. Giratoire sans issue.

    BEYOND ALL SUNSETS

    FUNERAL

    ( NOL / 1994 )

    Einar Andre Fredriksen : guitars, dark vocals / Anders Eek : drums / Thomas Angel : guitars / Christian Loos : guitars / Toril Snyen : vocals

    Encore une cassette les deux faces présentant des titres différents et une image beaucoup plus soignée que le blanc et noir de la précédente. Le même visage féminin que l'on retrouvera sur Tragedies, mais ici présenté comme une photographie posée sur un mur craquelé de formes difficilement identifiables, motif géométriques, floraux, mystérieux comme des signes en voie d'effacement...

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    Heartache : toujours ces cordelettes de guitare classique en intro, cela correspond sans aucun doute à la formule rituelle des contes pour les enfants, il était une fois, mais la musique est trop angoissante pour s'attendre à une merveilleuse histoire, la voix de Toril, douce comme une plainte, enchanteresse comme une mystérieuse litanie, et la réponse engorgée arrive, un duo s'établit, l'esseulée et l'homme au cœur brisé, tous deux sont seuls, l'une bougie qui s'éteint, et l'autre de l'autre côté, dans la mort, encore faut-il s'en rendre compte, en prendre conscience, une différence subtile quand on y songe, quelque degrés d'insimilitude, un froid un tantinet plus glacial, une guitare qui glisse un solo de glace dure et coupante, tout vocal est souffrance qu'il soit de clarté funèbre ou d'incompréhension encore entachée d'existence, le morceau se déploie telle la prise de conscience de son inconscience. Tout s'apaise, peut-être vaut-il mieux ne pas savoir. Fêlure insondable. Moment in black : ce morceau concluait Tragedies, ici il perd sa force conclusive, Funeral a compris que les concepts ou les images ne sont pas fixes, sont comme des pièces de mécano qui peuvent être agencées de façons fort différentes, ce ne sont pas les fragments en eux-mêmes qui déterminent le sens d'un raisonnement mais la place où ils se situent. Beyond all the sunsets ne se terminera pas comme Tragedies, les données sont ici traitées beaucoup plus généralement ce qui explique pourquoi dans ce morceau le mort est remplacée par une morte... When nightfall clasps : ce morceau est à l'origine l'avant-dernier de Tragedies, mis à cet endroit, nous sommes au plus noir du désespoir. Forlon : une introduction encore plus lourde, sans harmonique, dénudée, plus loin que le désespoir ne reste que la révolte, le rejet des dieux. Funeral semble suivre la postulation baudelairienne du reniement, les deux voix, celle de l'homme et celle de la femme, sont enlacées, psalmodient de concert, elles n'y croient plus, colère d'autant plus décidée qu'elle n'explose pas, qu'elle reste rentrée, comme figée, glacée comme un cadavre, mortuaire, ou la vie éternelle, ou le refus de dieu, sont déterminés à vouloir tout. Ou rien. La basse comme une mouche qui bourdonne au carreau mais qui ne traverse pas la vitre. Amplitude du désespoir. Long tunnel instrumental. Tout semble bouché. Dying ( Together as One ) : dix-huit minutes, le morceau de la résolution finale, l'on peut dire que Funeral est une musique wagnérienne, une espèce d'oratorio dans lequel les voix remplacent les cuivres, avec en prime cette étonnante particularité qu'il ne présente qu'un seul et unique leitmotive, décliné sempiternellement mais tellement beau et prenant que jamais l'on ne s'ennuie, une musique qui ressemble à une sculpture mobile de Calder, elle bouge pour vous tout en restant dans l'immobilité de sa propre représentation, n'y a qu'à se laisser porter, c'est vous qui êtes dans le cercueil et c'est vous que l'on porte en terre, jamais on a eu autant d'égard envers votre personne du temps où vous étiez vivant, ce qui n'empêche pas de se demander comment nos héros – mal en point - vont s'en sortir... ils ont une solution, si les Dieux ne donnent pas l'immortalité, ne reste qu'à mourir ensemble, se suivre dans la mort, s'accompagner dans la mort, de Baudelaire l'on passe à Villiers de l'Isle Adam, Axël et sa fiancée Sara qui boivent à la coupe sciemment, non pas comme Roméo et Juliette ces amoureux victimes des circonstances, mais ici en un acte délibéré décidé dans la splendeur de la vie. Mais Funeral n'imagine pas que la mort soit un soleil, elle est juste la manière de surseoir à la laideur des existences agoniques. La vie est une défaite et la mort un coucher de soleil définitif. Avec rien au-delà. Prélude et mort d'Iseult et de Tristan. Pas pour rien qu'ils aient été traités après cette deuxième démo de groupe le plus dépressif du monde. Z'ont un peu corrigé le tir avec Tragedies. Mais le mal était fait. Quelques années plus tard ils ont adopté le style gothic. L'est sûr que comparé au funeral doom, le carton-pâte du gothic c'est de la grosse rigolade. Du moins de la comédie romantique...

    Très puissant, âmes fragiles et dépressives s'abstenir...

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 471 : KR'TNT ! 471 : EDDIE PILLER / MOSE ALLISON / ALVIN GIBBS / THE PESTICIDES / THE JUKERS / GENERATION ROCKABILLY / MIKE NEFF & THE NEW AMERICAN RAMBLERS / POGO CAR CRASH CONTROL + SUICIDE COLLECTIF

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 471

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    02 / 07 / 20

     

    EDDIE PILLER / MOSE ALLISON / ALVIN GIBBS

    THE PESTICIDES / THE JUKERS

    ROCKABILLY GENERATION 14

    MIKE NEFF & THE NEW AMERICAN RAMBLERS

    POGO CAR CRASH CONTROL / SUICIDE COLLECTIF

     

    Piller tombe pile

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    Trèèèèèèèèèèès belle compile que ce Soul On The Corner concoctée par deux vieux Mods anglais, Martin Freeman et Eddie Piller. Rappelons qu’Eddie le pillier dirige un label mythique nommé Acid Jazz. Puisque c’est un double album, ils ont chacun leur galette.

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    On voit très vite qu’Eddie Piller préfère le smooth au pas smooth, alors que Martin Freeman va plus sur le pas smooth, mais il ne va quand même pas jusqu’au raw, n’exagérons pas. Ils veillent tous les deux à rester dans les clous d’une Soul on the Corner, celle dont parle si bien Piller dans ses commentaires, la Soul des clubs tard dans la nuit. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard s’il ouvre son petit bal de round midnite avec Bobby Womack et «How Could You Break My Heart», tiré de l’album Roads Of Life. Bobby y dégouline de classe, nous dit Eddie. Bobby tartine une fantastique ambiance de groove souverain, comme il l’a fait toute sa vie et passe même sur le pouce un solo final de Womack guitah. Eddie y va fort, puisqu’il enchaîne avec un autre monstre sacré, Willie Hutch et «Lucky To Be Loved By You», tiré de son premier album, Soul Portrait, paru en 1969. Eddie ne comprend toujours pas pourquoi Willie n’est pas devenu une superstar. Ça le dépasse complètement. Les bras lui en tombent. Il n’est pas le seul à qui ça arrive. Quand on écoute Soul Portrait, on tombe automatiquement de sa chaise. Alors oui, pourquoi Willie Hutch n’est-il pas devenu une superstar ? L’attaque de Loved By You vaut toutes celles des Supremes et même celles du grand Smokey. Willie nous fait le coup de la Soul des jours heureux. C’est un véritable chef-d’œuvre de good time music. Le message d’Eddie est clair : écoutez Willie ! Et ça continue avec l’extrême délicatesse de la sweet Soul de Tommy McGee, avec «Now That I Have You». C’est d’un raffiné ! On se délecte à l’écoute de cette perle noire posée dans l’écrin des falaises de marbre du lagon d’argent. Autant parler de magie de la Soul, ça ira plus vite. Puis Eddie va essayer de nous refourguer ses découvertes de label boss, du style Laville avec «Thirty One», un mec qu’il a découvert par hasard dans la rue et qu’il a signé sur Acid Jazz. Eddie privilégie le soft groove, celui qui coule comme de la crème anglaise bien tiède sur le banana split. Ce que vient d’ailleurs confirmer le «Love Music» de Sergio Mendes & Brazil 77. Comme tous les DJs, Eddie est une véritable caverne d’Ali Baba à deux pattes. Si on commence à l’écouter, on y passe la nuit. Il nous sort des trucs inconnus au bataillon comme Pajoma, puis un certain Goodie dont il ne nous viendrait jamais l’idée d’acheter l’album, au seul vu de la pochette. Ce fin limier d’Eddie nous sort même une Française, Patsy Gallant, qui chante une espèce de petite Soul moderniste. Les compiles servent à ça, mais en même temps, il faut avoir du temps et surtout une mémoire d’éléphant, pour emmagasiner toutes ces infos. Nouvelle découverte avec Arnold Blair et «Finally Made It Home». Eddie ne sait pas si Arnold est un homme ou une femme. C’est vrai qu’on se pose aussi la question. Arnold chante au smooth de classe humide, et pendant qu’on salive à l’écoute de cette merveille, Eddie le renard nous annonce qu’il y a more to come. Apparemment, il va sortir des trucs d’Arnold sur Acid Jazz. Sans doute rééditera-t-il l’exploit de Leroy Huston, dont l’intégrale est reparue sur Acid Jazz. En attendant, nous voilà avec un nouveau chanteur de rêve sur les bras, Arnold Blair chante à l’angle du biseau d’ange de miséricorde, un peu à la façon de Leroy Huston, justement. Cette manie du smooth conduira Eddie en enfer ! Et puis voilà une autre surprise de taille : The Reverend T.L. Barnett & The Youth For Christ Choir et «Like A Ship (Without A Sail)». Aux yeux d’Eddie, il n’existe que trois formes de spiritual music genius : Rastafarianism & Spirtual jazz, but especially gospel. True wall of Soulful Soul. Si on aime le real deal du gospel, on est servi. Il termine sa galette avec un autre roi du smotth, Jerry Butler qui fit partie des early Impressions, l’un des groupes qui a vraiment su marquer son époque au fer rouge.

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    Martin Freeman démarre sa galette avec l’inexorable Barbara Aklin et «A Raggedy Ride». Vintage 68 Soul avec un twist of something, nous dit Freeman la bouche en cœur. Sacré shoot de Barbara ! Elle shake ses envolées belles avec la niaque d’une vraie jerkeuse. Nouveau message : écoutez Barbara Aklin. C’est l’une des Soul Sisters de base. Freeman rend ensuite hommage à Georgie Fame avec un «Daylight» signé Bobby Womack. En bon DJ, Freeman sait que Georgie remplit any dancefloor, garanteed. C’est vrai qu’il ne faut pas prendre Georgie pour une brêle. La version de «Parchman Farm» qu’on trouve sur Mods Classics 1964-1966 est un passage obligé. Puis Freeman tire «Fan The Fire» du premier album d’Earth Wind & Fire et il s’exclame la main sur le cœur : «Good Lord, they were so good !». Il a raison, les premiers albums d’Earth Wind & Fire valent tout l’or du monde, si l’on peut dire. Et comme son copain Eddie, Freeman propose des choses moins intéressantes avant de revenir en force en B avec Donny Hathaway et «Voices Inside (Everything is Everything)». Là c’est facile, car Donny est imbattable. Et Freeman en rajoute une couche en déclarant qu’il est one of the best. Il recommande bien sûr le premier album sur ATCO, Everything Is Everything - Let’s get down now - Donny est avec Marvin l’un des rois du groove urbain, un groove gorgé de blackitude sensuelle. Freeman enchaîne avec Syreeta et «I’m Going Left». Elle sonne comme les Supremes, c’est presque un compliment. On le sait, Syreeta chante avec tout le petit chien de sa chienne et elle tient la dragée haute à G.C. Cameron sur un très bel album, Rich Love Poor Love. Il faut aussi aller l’écouter sur Mowest. Elle est sans doute l’une des dernières à brandir le flambeau du Motown Sound. Puis Curtis Mayfield sort son plus beau smooth pour «Love To Keep You In Mind». Freeman dit que d’écouter Curtis, ça le fait chialer. Il n’est pas le seul. C’est vrai que Curtis semble avoir inventé la délicatesse, ce qui n’est pas le cas de tout le monde. Freeman tente ensuite de nous refourguer Tower Of Power, mais bizarrement, ça ne marche pas. Ça ne marche jamais. Chaque fois que Tower Of Power apparaît sur une compile, c’est le bide assuré. Trop middle of the road ? Allez savoir ! Ceci dit, le principal c’est que ça plaise à Freeman. Nous on est là pour écouter, pas pour la ramener. Freeman tape ensuite dans la crème de la crème avec le Brook de Cotillon. Eh oui, ce hit se trouve sur l’excellent Story Teller de Brook Benton enregistré au Criteria de Miami avec les Dixie Flyers et produit par Jim Dickinson et Arif Mardin. Autant parler d’un méga-big classic. Brook parle de ses chaussures qui, nous dit Freeman, le ramènent inexorablement chez son ex. Nouvelle rasade de Soul avec Tommie Young et «Hit & Run Lover». On a là la good time music des jours heureux, Tommie est une reine de la rue, une soul Sister du Texas. Et comme tout a une fin, voilà Betty Wright qui vient tout juste de casser sa pipe en bois. Freeman nous propose l’un de ses vieux hits, «The Babysitter» tiré de l’énorme Hard To Stop paru en 1973. Freeman nous dit qu’elle n’avait même pas 20 ans, mais son Babysitter tape en plein dans le mille. D’ailleurs, il suffit de voir la pochette de l’album : Betty y réincarne la reine de Saba.

    Signé : Cazengler, Eddie Pinard

    Martin Freeman And Eddie Piller Present Soul On The Corner. Acid Jazz 2019

     

    Fingers in the Mose

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    Dans le docu que lui consacre Paul Bernays, Mose Allison est salué par des fameux compères : Pete Townshend, Van Morrison, Joel Dorn, Frank Black et la belle Bonnie (Raitt) qui va jusqu’à déclarer : «He’s the one who can sing the blues.» Townshend s’émerveille du fait que Mose soit né dans le delta et qu’il ne soit pas noir - He was born in the delta but... he wasn’t black ! - Oui, Mose Allison naquit à Tippo, Mississippi, et il raconte qu’il y avait du country blues partout autour de lui. Son père tenait la grosse épicerie - Tippo General Store, that my father built - Et puis voilà le fin du fin de ce qu’on appelle le Mod Jazz, «Parchman Farm» que Mose enregistra en 1957. Bernays nous laisse en compagnie Gerogie Fame qui en fit certainement la version la plus légendaire - In my nose came the Mose sound - Nous voilà au Flamingo, à Soho, avec une chain-gang song de forçats transformée en hymne de la scène Mod anglaise.

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    Mose Allison vient à la fois du blues et du jazz. Il réalise assez vite que pour vivre de sa musique, il doit aller s’installer à New York. Il y débarque en plein dans la bohème des early sixties - Jazz was very much part of it - Il accompagne Stan Getz et Jerry Mulligan. Un témoin black du docu dit de Mose qu’il est white but soulful, ce qui vaut pour un compliment. Peter Townshend est l’un de ses early fans. Le «Young Man Blues» qu’il joue avec les Who est l’un des grands classiques de Mose, et Townshend avoue que «My Generation» vient de ce tempo jazzy bien rythmé, d’ailleurs il le chante sur un tempo jazz. L’autre grand admirateur de Mose devant l’éternel n’est autre que Frank Black. Souvenez-vous d’«Allison» sur Bossanova. Eh, oui, c’est un hommage à Mose. Frank Black considère même Mose comme un dieu - I know he’s just a man, but you know, I’m not sure about that - Le gros laisse planer le mystère de sa conception - And when the planet hit the sun/ I saw the face of Allison.

    Bon, on va se calmer un peu, car les disques du vieux Mose ne sont pas des plus accessibles. D’ailleurs Atlantic lui fit remarquer à une époque qu’il allait devoir faire un petit effort pour que ses disques se vendent. Le son de Mose est un son très piano-jazz-shuffle, très entre-deux eaux, ni trop ni pas assez, complètement inclassable, moderne et ancien à la fois, dynamique et classique en même temps. Ses albums sont encore plus austères que ceux du James Taylor Quartet qui bénéficie aussi d’une certaine aura chez les connaisseurs, comme d’ailleurs tous les disques Mod Jazz un peu pointus. Mais ça reste un truc de spécialistes. Très compliqué de les recommander. Il ne vaut mieux pas s’y risquer.

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    Par contre, le tribute à Mose Allsion qui vient de paraître est chaudement recommandé, car des ténors du barreau se bousculent au portillon. On doit cette initiative à Fat Possum, le petit label indépendant spécialisé dans le Southern raw blues. L’album s’appelle If You’re Going To The City. A Tribute To Mose Allison, et dans le digi se trouve en complément le docu de Paul Bernays, Mose Allsion: Ever Since I Stole The Blues. L’ensemble constitue ce qu’on appelle généralement une merveille et pour approcher un artiste aussi complet que Mose, rien n’est plus indiqué. C’est Richard Thompson qui se tape «Parchman Farm» - It’s a song about a difficult work - Le vieux Richard joue le shuffle légendaire du pénitencier sur sa guitare, mais il ne décoince pas. Il aurait dû laisser la place à Georgie Fame. C’est Chrissie Hynde qui va décoincer le truc avec «Stop This World». Elle prend les choses au groove de jazz, elle a tout compris. Elle plonge dans le rêve de Mose et caresse le mythe d’une main experte. L’autre invité de marque est Iggy qui prend «If You’re Going To The City» au heavy dumbbeat. Rien à voir avec Mose, mais Iggy l’aime bien, alors il rigole, hé hé hé, il groove un hip-hop à la con. N’empêche qu’il faut faire confiance à Iggy, il chante pour toi, hé hé hé, il devient l’Iggy que l’on sait, Iggy the terrific. Toute aussi terrific, voilà Bonnie Raitt, avec «Everybody’s Crying Mercy». Elle en fait une énormité, elle bouffe Mose tout cru au petit déjeuner, Bonnie est une bonne, ça tout le monde le sait. Elle éclate sa Soul de jazz au Sénégal avec sa copine de cheval, elle est atrocement bonne, c’est une joie de la trouver à la suite de Chrissie Hynde et d’Iggy.

    Taj Mahal ouvre le bal avec «Your Mind Is On Vacation». Il fracasse le vieux boogie comme il fracassait jadis celui de Sleepy John Estes. Ça joue à la stand-up, donc on a le vrai truc, Taj does it right et redonne vie au vieux boogie de Mose. C’est le disque de rêve des temps modernes : Taj Mahal + Mose Allison + la stand-up. Que peut-on espérer de mieux ? Encore un invité de marque avec Frank Black et «Numbers On Paper». Le vieux Magic Band boy Eric Drew Feldman l’accompagne. Le gros placarde son Mose à la poterne du palais. C’est comme ça et pas autrement. On entend aussi la fille de Mose, Amy Allison, accompagnée de Costello, chanter «Monsters Of The ID» d’une voix de canard médusé. Mais dès que Costello chante, ça devient comme avec Stong le contraire du rock. C’est très compliqué à écouter. On en voit d’autres se vautrer, comme par exemple les frères Alvin avec «Wildman On The Loose». Ils ramènent beaucoup trop de guitares, comme s’ils n’avaient rien compris au jazz de Mose. On a aussi Peter Case qui se prend pour un Jazz cat avec «I Don’t Worry About A Thing». Pas facile d’entrer dans l’univers très pur de Mose. Les Américains s’y cassent les dents un par un. Ils sont trop dans l’approximation. Difficile d’évaluer les dégâts. Il aurait fallu confier le dossier à un institut spécialisé dans les statistiques. Ou confier l’ensemble du tribute à Chrissie Hynde, Iggy, Taj et le gros. On voit aussi Loudon Wainwright et Fiona Apple se vautrer en beauté. Par contre, Robbie Fulks joue «My Brain» au dada strut et en fait de l’Americana de haut rang, avec un banjo qui prévaut comme un prévôt dans le mix. Quelle belle déveine de la dégaine ! Jackson Browne s’en sort lui aussi avec les honneurs, il tape «If You Live» au very big sound avec une voix à la Dylan. Il américanise lui aussi le vieux Mose, mais c’est idiot, vu que le vieux Mose est déjà américain. Si Jackson ne s’appelait pas Jackson, on pourrait croire qu’il s’appelle Bob. On tombe plus loin sur une curieuse association : Ben Harper & Charlie Musselwhite. Ils prennent «Nightclub» à la bonne franquette. Comme on l’a vu, l’oncle Ben bouffe à tous les râteliers, mais Charlie, c’est une autre dimension. Il est mille fois plus crédible que l’oncle Ben. Charlie est le punk de Chicago, il explose Mose à coups d’harmo. Il renoue avec l’énergie originelle du grand Mose Allison, et franchement, ça vaut le déplacement.

    Signé : Cazengler, Morve Allison

    If You’re Going To The City. A Tribute To Mose Allison. Fat Possum Records 2019

    Paul Bernays. Mose Allison: Ever Since I Stole The Blues. DVD 2019

     

     

    Le job de Gibbs

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    Après avoir quitté les UK Subs, Alvin Gibbs s’installe à Los Angeles pour redémarrer une nouvelle carrière. Un jour, il reçoit un drôle de coup de fil : Andy McCoy l’appelle pour lui proposer le job de bassman dans le groupe d’Iggy Pop. Wot ? C’est un big deal. On est en 1988, Iggy vient d’enregistrer Instinct et envisage une tournée mondiale de promo qui va durer huit mois. Donc il recrute des mercenaires, à commencer par Andy McCoy qui fit des siennes avec Hanoi Rocks. Et comme McCoy connaît Alvin Gibbs et qu’il le sait basé à Los Angeles, il le met sur le coup. Les autres mercenaires sont le guitariste Seamus Beaghen et le batteur Paul Garisto. Le job est bien payé et les tourneurs offrent des garanties d’hébergement dans les meilleurs hôtels. Le job de guitariste devait revenir initialement à Steve Jones qu’on entend sur Instinct, mais les tourneurs veulent des gens clean pour la tournée : pas de dope, pas d’alcool, pas de rien, et des papiers en règle. Comme Steve Jones n’est pas net, le job revient à Andy McCoy qui réussit miraculeusement à montrer patte blanche.

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    Alors, se régale-t-on de détails croustillants, de scènes de débauche dans les grands hôtels, de hard drive of sex drugs & rock’n’roll ? Curieusement, non. Alvin Gibbs porte sur le cirque de cette tournée mondiale un regard extrêmement puritain, ce qui, d’une certaine façon, l’honore. Pas de voyeurisme à la mormoille. Mais en contrepartie, il nous fait le coup des cartes postales, notamment à Tel Aviv et au Japon, et là, il perd un peu de son panache. Le seul intérêt du book est bien sûr Iggy qui est alors en plein redémarrage avec cet album inespéré que fut Instinct, du big hard drive d’Iggy bien moulé dans son pantalon de cuir. C’est aussi l’époque où Iggy a décidé de calmer le jeu et pour éviter toute forme de dérive, il emmène sa femme Sushi avec lui en tournée. No sex and no drugs, ou plutôt comme l’indique perfidement Alvin Gibbs, just a little bit of sex dès que Sushi s’absente 24 h et a little bit of drugs quand apparaît comme par miracle un joli tas de coke dans la chaleur du backstage.

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    On le sait, le journal de bord d’une tournée de rock est un genre difficile. Avant Gibbs, d’autres se sont frottés au genre, notamment Ian Hunter (Diary Of A Rock’n’Roll Star) et Robert Greenfield (STP Stones Touring Party). Le plus intéressant de tous étant certainement le livre que Noel Monk consacre à la tournée américaine des Sex Pistols (12 Days on The Road/The Sex Pistols And America). En comparaison de ce cauchemar génial que fut la seule tournée américaine des Pistols, le récit de Gibbs paraît un peu fadasse. Et les relents touristiques de certains épisodes ne font rien pour arranger les choses. À la limite, on est content qu’Iggy prenne soin de lui (sauf sur scène où il continue de prendre des risques en se jetant dans la foule), mais en même temps, il manque tout le Search & Destroy de son âge d’or. Mais au fond, la plupart des tournées de rock stars doivent ressembler à ça : séjours dans les capitales du monde entier, gros shows, parties d’after-show avec les célébrités locales et la crème de la crème des courtisanes agréées, grands hôtels et gamelles dans les meilleurs restos, trajets en première classe dans des avions avec des hôtesses coquines, petits écarts de conduite pour les hommes mariés, tout cela finit par être d’une effarante banalité, à tel point que ça ne fait même pas envie. Iggy a semble-t-il passé le cap des excès pour se professionnaliser, car il sait au fond de lui que c’est la seule façon de continuer à exister en tant qu’Iggy. De ce point de vue, il est excellent. Le fait d’engager des mercenaires fait aussi partie du jeu. Un album, une tournée et hop, on passe à autre chose : pas d’attachement, pas d’état d’âme. Iggy navigue en solitaire et tient son cap. Alvin Gibbs nous restitue un Iggy plus vrai que nature. Bon, on sait qu’il chante bien et qu’il est légendaire, mais ce portrait en demi-teinte d’Iggy est un petit chef-d’œuvre d’observation. Gibbs nous parle ici d’un homme extrêmement intelligent qui a choisi d’exercer l’un des métiers les plus difficiles qui soient au monde, celui de rock star, en évitant de se détruire. Et c’est parce qu’il s’est fait plumer par le showbiz qu’il a décidé de réagir en prenant son destin en main. Voilà ce que nous montre Alvin Gibbs, un Iggy en pleine possession de tous ses moyens et résolu à ne plus se faire enculer à sec par ces fucking suits qu’il hait profondément.

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    Alors évidemment, les épisodes un peu gratinés comme cette nuit de débauche avec les Guns N’ Roses dans un hôtel texan et les lignes d’héro d’Andy McCoy retombent comme des soufflés. Le personnage d’Iggy est mille fois plus rock’n’roll que tous ces rois du m’as-tu-vu. D’ailleurs, Alvin Gibbs boucle son book avec un bel hommage à Iggy, le qualifiant de borderline superman projective artist of rare talent, et il demande, dans le feu de l’action : «Qui d’autre que lui aurait pu écrire une phrase aussi sublime que ‘I wish life could be Swedish magazines ?’»

    Il se fend aussi d’une belle intro : «Posez votre smartphone, fermez la tablette et la télé et tous ces outils infernaux qui vous bouffent la vie et prenez le temps de découvrir à quoi ça ressemblait d’être un musicien qui accompagne à travers toutes les grandes villes des cinq continents l’un des plus explosifs interprètes de rock et son double plus posé et plus lettré, James Newell Osterberg Jr.»

    Quand il rencontre Iggy pour la première fois sur le balcon de l’appart d’Andy McCoy, Alvin Gibbs est frappé par sa musculature. Iggy ne porte pas de chemise sous sa veste en cuir. Gibbs découvre ensuite qu’Iggy se lève chaque matin à 6 h pour faire une heure d’exercices, avant de prendre son breakfast avec sa femme.

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    Pendant le segment américain de la tournée, le groupe voyage en bus. Alvin Gibbs s’assoit parfois à côté du chauffeur Jim Boatman et écoute ses histoires drôles :

    — Qui a des cheveux décolorés, deux cents jambes poilues, deux cents bras tatoués et pas de dents ?

    Alvin Gibbs donne sa langue au chat :

    — J’en sais rien, Jim...

    — C’est le premier rang d’un concert de Willie Nelson.

    Jim Boatman en propose ensuite une autre qui concerne Julio Iglesias, mais elle est tellement trash qu’il est impossible de la révéler ici, pour ne pas salir le joli blog de Damie Chad.

    Autre anecdote intéressante : Alvin Gibbs se retrouve dans une party à New York. Il repère Andy McCoy : il est installé dans un coin avec une gonzesse et fume de l’opium. Andy insiste pour qu’Alvin tire une bouffée sur sa pipe :

    — Have some of this !

    Connement, Alvin tire une grosse bouffée et ça lui monte aussitôt au cerveau. Le rush s’accompagne d’un violent mal de mer. Il fonce vers les gogues et en entrant, il tombe sur une blondasse en train de se faire tirer par Johnny Thunders, debout contre l’évier de la salle de bains. Entre deux coups de reins, Thunders lance :

    — What chew want man ? (Quesse-tu veux, mec ?)

    Alvin demande s’il peut gerber dans le lavabo. Thunders lui répond :

    — Hey man take a look, I’m busy here, use the bath. (Hey mec, tu vois bien que je suis occupé, gerbe dans la baignoire).

    Alvin gerbe dans la baignoire.

    Mais c’est bien sûr à Iggy que revient la palme d’or. Dans un taxi qui les raccompagne à leur hôtel, il explique ceci à Alvin : «Je vivais dans une cave sans chauffage et pour bouffer, j’ai joué pendant huit mois de la batterie pour des bluesmen dans les south side clubs de Chicago. Au bout d’un moment, j’ai compris que seul un black pouvait vraiment jouer le blues, tu vois, ils ont ça dans le sang. C’est instinctif. Aucun petit cul blanc ne peut jouer aussi bien qu’eux. Lorsque j’ai compris ça, je suis rentré dans le Michigan pour former les Stooges.»

    Quand ils se retrouvent à Sao Paulo, Iggy et ses mercenaires découvrent que la ville est coupée en deux : d’un côté les gens très riches et de l’autre, la grande majorité des millions d’habitants sont des gens très pauvres. Très très pauvres. Forcement, ce sont les riches qui assistent au concert d’Iggy qui leur lance : «Oui vous avez du blé, des grosses bagnoles, des baraques et des serviteurs, mais vous n’avez pas de cœur, pas de couilles, vous n’avez rien !» et Iggy se tourne vers son groupe et lance : «Play for these zombie motherfuckers ‘You Pretty Rich Face Is Going To Hell !»

    Dans un lobby d’hôtel, Alvin Gibbs assiste à un échange gratiné entre Andy McCoy et Iggy :

    — Hey McCoy, t’as jamais baisé une gonzesse avec une patte en moins ?

    — O man, tu déconnes, je ne pourrais pas, c’est dégueulasse !

    Iggy éclate de rire :

    — T’es qu’une poule mouillée, McCoy, tu devrais essayer, tu vas adorer ça !

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    En parallèle à ses exploits éditoriaux, Alvin Gibbs à bouclé les 26 lettres de l’alphabet avec ses copains des UK Subs et enregistré en plus un album solo : Your Disobedient Servant. Son groupe s’appelle Alvin Gibbs & The Disobedient Servants. On s’en doute, c’est un album assez punk, comme le montre l’«Arterial Pressure» d’ouverture de bal. Il a du monde derrière, notamment Brian James. Joli son. Il faudra attendre «Back To Mayhem» pour vibrer sérieusement. Alvin Gibbs investit sa mission, la cavalcade punk. Il peut aussi faire du glam, comme le montre «I’m Not Crying Now». Il passe au glam avec la mâle assurance du Cid. C’est un régal. Il joue avec «Ghost Train» la carte de l’aristocratie et c’est bien vu. Il est dans le bon turn up de haut rang. Tout aussi bien vu, voici «Camdem Town Gigolo», un cut crépusculaire noyé de chœurs de Dolls. On voit aussi Brian James allumer «Clumsy Fingers». Ces mecs ont appris à ne pas s’arrêter en si bon chemin. Autre belle pièce de Gibbs juju : «Ma!», un cut powerful bardé de grosses guitares, heavy rock de cocote absolutiste - I said Ma! Ma! Ma! - Il sait atteindre des sommets d’exacerbation, il va là où vont peu de gens. Comme disent les Anglais, he delivers the goods. Tout au long de l’album, on le voit veiller sur la véracité de ses amis avec un œil de lynx. Et du son. Il termine avec le big rockalama de «Deep As Our Skin», il y fait son Slade à la petite semaine, au sein d’un beau brouet d’accords. Bien vu, bien flamming, digne des géants du genre. Il jette l’ancre dans l’excellence du British rock.

    Signé : Cazengler, Alvin Gerbe

    Alvin Gibbs & The Disobedient Servants. Your Disobedient Servant. Cleopatra Records 2020

    Alvin Gibbs. Some Weird Sin. Extradition Books 2017

    THE PESTICIDES FIX

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    L'EP est actuellement disponible sur toutes les plate-formes de chargement, l'artefact est en préparation. Mais que ce soit sous forme digitale ou objective cet EP nous serre la gorge, c'est en même temps une bonne surprise et un très mauvais tour du destin. La joie de retrouver nos deux pestes, et cette tristesse de savoir que nous assistons au dernier tour de piste de Djipi Kraken que la camarde peu camarade a radié du monde des vivants. Ecouter ce disque est une manière de le retenir encore parmi nous, en présence de ses deux grandes sœurtilèges, tous trois ils formèrent The Pesticides, nous les avons vus en concert, il leur a suffi d'une seule apparition pour séduire l'assemblée, nous les avions alors chroniqués, et une deuxième fois quelques morceaux trouvés sur le net, et aujourd'hui cet EP, comme un dernier signe de la main, depuis l'autre rivage que hante désormais le Kraken...

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    Death circle : il est des titres prémonitoires auxquels on n'échappe pas, mais l'on a pas le temps d'y songer, une envolée de guitare arracheuse qui emporte tout et dessus la voix des jumelles douce comme du venin de tarentule, et lorsque la fureur s'arrête c'est pour mieux reprendre sa course folle, Djipi et sa guitare jupitérienne vous emportent en un safari sauvage avec nos deux vestales qui rallument les feux de la destruction du monde chaque fois que les flammes semblent s'arrêter dans l'immobilité de l'éternité. Un morceau qui s'écoute et qui s'écoule en boucles fuyantes... Une merveille. Just hold on : avez-vous déjà entendu une guitare couiner le blues comme cela et des jérémiades de jumelles aussi bassement susurrantes et menaçantes, et bientôt voix et musique ne forment plus qu'un nœud de serpents qui s'entremêlent et qui enflent, enflent jusqu'à ce qu'il ne reste plus de place pour ce que nous appelons le monde. Sex share and song : plus joyeux, les fillettes font les fofolles et tirent la langue, Djipi les accompagne, essaie de les devancer, mais c'est déjà fini elles ont gagné la course. Des tricheuses, elle sont parties avant le top départ. Petite distance, une minute treize secondes ! Jessy : un must, voix processionnaires et guitare gouttière qui résonne sans fin, Une espèce de blues primal qui rampe par terre, un serpent sans queue ni tête d'autant plus dangereux que l'on ignore le sens de l'attaque qui viendra. J'ai si peur. Parfois le monde est étrange et l'on a besoin d'une berceuse pour se réveiller. Take me : le réveil des sens. Le poulpe du désir balance ses huit bras en rythme mais vous voudriez davantage, alors les voix se taisent et la guitare s'insinue, et la jouissance vous emporte. What's wrong with me : le Djipi n'en mène pas large, l'essaie de se défiler à l'anglaise, sur la pointe acérée des cordes de sa guitare, mais nos deux mégères vindicatives ne le lâchent pas, l'acculent de leurs voix comminatoires, alors il feule comme un chat en colère et sort ses griffes. Le tout tourne au pugilat, combat de trois tigres rugissants.

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    Dans les sixties avec une idée on faisait un morceau, dans les seventies avec une idée on faisait un album. Ici vous avez au moins trois idées pour chaque morceau. Le trio des Pesticides était un véritable groupe. Un son original, une présence sur scène qui attirait l'œil et médusait. Cet EP est plus que prometteur. Les deux premiers titres sont de véritables bijoux. Et les quatre autres ne déparent en rien.

    Un rock vénéneux, un magnifique tombeau baudelairien pour Djipi Kraken. Qui restera. Mais la vie appartient aux vivants, nous sommes sûrs que les demoiselles Elise Bourdeau continueront le chemin. Leur chemin. Qui n'appartient qu'à elles.

    Damie Chad.

    CHÂTEAU- THIERRY / 27 - 06 – 2020

    PUB LE BACCHUS

    THE JUKERS

     

    2 : PLEIN SUD

    Par les temps qui courent les concerts sont encore rares, donc direction Château-Thierry. Sabine du Bacchus ne passe pas son temps à se plaindre. Elle agit, trois concerts concerts rock en dix jours à son actif. Trop pris vendredi soir pour Boneshaker et leur Motörhead Tribute, donc pas question de rater les Jukers le samedi. Faites le joint étymologique avec juke et vous comprendrez que ce ce sont des amateurs de blues électrique. Ils ne l'ont pas fait exprès, ce n'est pas de leur faute, mais ce soir vous avez cette atmosphère lourde et poisseuse typique du Sud des Etats-Unis, z'avez l'impression d'être immergé dans un roman de William Faulkner, les vêtements collent au corps et dehors ce n'est guère mieux que dedans. Peu de monde au début mais la clientèle ne tardera pas à s'installer et même à s'affaler autour des tables et à consommer moultes boissons rafraîchissantes.

    3 : JUKERS

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    Donnez-moi un point d'appui et je soulèverai la terre s'est exclamé Archimède. Pour le rock et le blues généralement il en faut davantage. Beaucoup d'amateurs pensent que le nombre trois est idéal pour mettre en branle ces boules jumelles de feu et de foudre que sont ces deux musiques du diable. Bref les Jukers sont trois. Ne sont pas tout jeunes, mais ne sont pas tout vieux non plus, aux âmes burinées l'expérience est une valeur sûre. Ne perdent pas de temps pour vous en convaincre. Sans tergiversation ils allument le fire avec Help me de Sonny Boy Williamson. On se demande bien pourquoi car ils n'ont nullement besoin d'aide.

    Rico Masse s'est casé entre le mur et le piano. Question discrétion c'est raté, c'est le batteur et ça s'entend. Ce n'est pas qu'il se complaît à faire du bruit pour se faire remarquer, pas du tout, simplement dès la première frappe il pose son volume sonore. Parfait pour les acolytes. Il est là, toujours là, le magnolia géant en fleurs sur la pelouse d'une plantation, relisez Les étoiles du Sud de Julien Green, l'arbre de vie, une rythmique massive, et fidèle, que rien ne peut arrêter, ni même contrarier. Proposez-lui n'importe quel morceau, il démarre au quart de tour, et illico presto il vous file la cadence du blues, les douze mesures emblématiques du blues c'est un peu comme l'alexandrin dans la poésie française, une fois qu'il s'est infiltré dans votre oreille, vous le reconnaissez sans faute quelles que soient les fioritures rythmiques auxquelles s'amusent les poëtes.

    Hello, voici Mars à la basse. Un mec sérieux. Rien à redire. Il bassmatique sans fin. En apparence dans la lignée mythique des bassistes refermés sur eux-mêmes comme les huîtres sur leur perle. Attention, sur ses cordes les doigts sont lourds et point gourds, mais de temps en temps il laisse tomber un mot, apparemment anodin, mais d'une ironie dévastatrice. Ou alors il se permet un court commentaire fort mal à propos qui comme mise en boîte révèle un grand sens du comique. Le blues ne pleurniche pas toujours, l'est rempli de sous-entendus drôlatiques, un bluesman digne de ce nom n'est jamais dupe de lui-même. Le blues casse et concasse mais sait aussi être cocasse.

    Kris Guérin hérite de la double peine, vocal et guitare. L'est un peu le leader. Décide du choix des morceaux, mais Rico et Hello ne sont pas contrariants, alignent tout de suite la rythmique adéquate, genre muraille de Chine, pas style Jericho qui s'écroule après quelques coups de trompettes, parce que le Kris l'a les doigts qui crisent et qui crissent, vous passent des accords avec lesquels vous êtes obligés d'être d'accord, ne voudrais pas être à la place de sa Freatman bleu pâle, elle en voit de toutes les couleurs, vous la fait tinter comme ces écus d'or pur que dans les temps royaux les grands seigneurs faisaient cliqueter sur les comptoirs des auberges pour s'adjuger la plus belle chambre et la plus accorte des servantes, l'on sent qu'il y prend du plaisir, cherche les difficultés, de The wind cries Mary à Brown Sugar, certes sur Hendrix pas de problème pour une six-cordes mais sur le Rolling, le Keith remue les meubles mais c'est surtout Bobby Keys qui aboule le sbul avec son saxo, et là nos trois gaillards question cuivre ils font sale mine, alors Mister Guérin se démène joliment au four et au moulin, et comme il se charge du chant, il vous fait en prime l'article de la marchandise, pas de la camelote, de bonne came, le Rico n'est pas à la masse sur ses tambours, et Mars emprunte le sentier de la guerre, tellement heureux qu'il lance à la suite les premières mesures de Honky Tonk Woman.

    Un groupe de reprises, du moins ce soir, avec tous les vieux hit-riffs, inusables que votre oreille reconnaît avant même qu'ils ne les aient commencés, mais en plus cette joie de jouer, de prendre un pied d'acier suédois nickelé, it's just bluesy electric rock'n'roll but we like it, et le public aime ça ! Trois sets, le premier bluesy, le deuxième davantage rock, plus le supplément crème chantilly à la poudre noire, les gars se laissent aller, nous montrent un peu de quoi ils sont capables, ce devait être un ou deux morceaux mais ils éternisent le groove. Lorsque vous avez glissé votre jambe dans la gueule d'un croco, il est difficile de la retirer. Personne ne se plaint, après deux mois de confinement l'on salive pour le live ! Bacchussimus ! Un jus de Jukers pour tout le monde !

    1 : ARRIVEE

    Retour au Bacchus. Du monde et du bruit dans l'artère centrale de Château-Thierry, serais-je impatiemment attendu par une population en liesse ! Hélas non, je dois déchanter, une grande fête foraine draine toute une partie de la population familiale de la ville vers ses clinquant manèges tire-fric... est-ce ainsi que les hommes vivent demandait Aragon...

    4 : RETOUR

    Pluies éparses sur le pare-brise. Dans la nuit profonde la teuf-teuf longe des étendues de champs entrecoupés de forêts, un renard traverse la route fort inopinément, plus loin ce sera une biche qui attendra d'être en plein dans le halo des phares pour rejoindre l'autre côté de la départementale, je songe à ce peuple invisible et discret de bêtes qui de terriers en terriers, de hallier en hallier, depuis des siècles et des siècles, vivent en parallèle à nos côtés, pas trop loin de nous, et surtout pas trop près, sans doute ont-elles des préoccupations moins frivoles que le bétail futile des humains, qui a perdu le goût de la vie sauvage.

    5 : REFLEXIONS

    Un regret tout de même, lorsque Rico a branché un petit ventilateur à quinze centimètres de son visage, ils auraient pu embrayer sur Ventilator blues, cela s'imposait ! On leur pardonne parce que leur version hyper deströy de Sunshine of your love valait le détour.

    Damie Chad.

     

    ROCKABILLY GENERATION 14

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    Pan, la semaine dernière le Cat Zengler s'occupait du 13, alors que le 14 tournait sous les rotatives et le voici ce matin dans la boîte à lettres ! Rockabilly rules, rockabilly brûle ! Un numéro maison, par la force du confinement. Pas de concerts, pas de déplacements, courrier au compte-goutte, situation idéale pour une revue-rock !

    Hier soir une question insidieuse me trottait dans la tête, une fois que Saint Jerry Lou aura quitté cette planète l'on pourra clore définitivement la liste des grands pionniers, les figures tutélaires, j'en faisais le compte ; Bo Diddley, Chuck Berry, Little Richard, Bill Haley Elvis Presley, Gene Vincent, Eddie Cochran, Buddy Holly, ceux-là sont indiscutables, l'Histoire les a désignés, neuf ce n'est pas mal mais le chiffre dix avec son assise récapitulative pytagoricienne s'impose. Avec le onze nous sombrons dans la dispersion. Depuis un certain temps dans les conversations, sur les réseaux sociaux, un nom revient avec insistance, Fats Domino, un grand artiste je ne le nie pas, mais trop cool, une certaine désinvolture qui à mon humble avis ne sied pas au style rock, je sens que l'on trépigne dans les milieux rockabillyens nationaux, ne suis-je pas en train de commettre le crime heideggerien de l'oubli de l'oubli, le premier de tous : Johnny Burnette ! O K ! boys ! mais alors que faites-vous alors de Carl Perkins !

    En tout cas, il y en a un qui ne fera pas l'impasse sur Carl Perkins. C'est Greg Cattez, qui tient à chaque numéro la chronique des Grands Anciens, nous livre un splendide article sur Perkins et pour une fois Carl aura de la chance, vu l'interdiction des concerts, l'auteur de Blue Suede Shoes a droit à huit pleines pages, et parmi tous les articles que j'ai lus, celui-ci, qui couvre la carrière entière, tient sacrément la route.

    Un autre veinard du même genre : 12 pages – magnifiques portraits de Sergio Khaz – dévolues à Cherry Casino, enfin pas tout à fait, à Axel Praefcke l'homme qui se tient sous la clinquance du pseudonyme qu'il arbore sur scène, guitariste qui officie notamment avec les Gamblers, Ike & the Capers, et The Round up boy, parle de sa naissance en Allemagne de l'Est, de sa vision du rockabilly qui le porte à rechercher les instruments, le matériel de studio d'époque... pourtant l'on ne sent pas dans ses paroles le puriste revanchard et puritain, un passionné qui raconte son vécu, un bel être humain qui se dévoile.

    Le précédent interview est à mettre en relation avec celle d'une légende du rockabilly européen Sandy Ford, mené par Brayan Kazh, Sandy de la génération de Crazy Cavan, qui évoque bien sûr sa carrière, qui a tout vu et tout entendu, qui n'en garde pas moins les yeux fixés sur futur du rockabilly, l'a les mirettes tournées vers demain, une sourde inquiétude entre les lignes, le public rockabilly qui au bout de quarante ans est composé d'amis... Sympathique mais aussi la preuve d'une certaine raréfaction...

    Une première réponse : celle de Brandon âgé de vingt cinq ans batteur des Rough Boys Rockabilly composé de Jacky Lee ( guitare et chant ) et Jacko Vinour à la basse qui n'est autre que le père de Jacky Lee, un parfait exemple de transmission. Old style never dies !

    Un beau numéro, moins d'articles ce qui a permis à chacun de nous faire part de ce qui lui tient le plus à cœur, ainsi ces réflexions de Cherry Casino sur l'évolution du rock'n'roll qui sont à relire et à méditer.

    Une dernière annonce : la réédition augmentée du N° 4 sorti en janvier 2018, ajout de nombreux documents sur Crazy Cavan qui était déjà sur la couverture.

    Pour terminer trois cerises sur le gâteau : lors de l'édito Sergio nous parle de la connexion qui est en train de s'établir entre Rockabilly Generation News et l'équipe de Big Beat Records, rappelons que BBR a beaucoup fait pour l'éclosion du mouvement rockabilly en France et en Europe. Une véritable épopée qu'il faudra raconter un jour. En attendant sont joints à la revue deux tracts-pub indépendants pour les amateurs et les collectionneurs : l'un consacré à Johnny Hallyday, et le deuxième à Elvis Presley, dans les deux cas de beaux joujoux, pack vinyle CD + picture disc. Rien que les tracts sont en eux-mêmes des collectors.

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois), 4,60 Euros + 3,88 de frais de port soit 8,48 E pour 1 numéro. Abonnement 4 numéros : 33, 92 Euros ( Port Compris ), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( cochez : Envoyer de l'argent à des proches ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de toutes les revues... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents. Une bonne nouvelle tout de même : devant la demande générale, le numéros 4 avec la dernière interview de Cavan Grogan a été retiré. Si vous ne l'avez pas, c'est une erreur.

     

    THE ROYAL

    MIKE NEFF & THE NEW AMERICAN RAMBLERS

    ( CD : Ramblers Records / 2012 )

    Will Duncan : drums, keyboards, vocals / Andy Wild : bass, saxophone, clarinet, vocals / RLS Cole Sackett : trumpet, vocals / Vaughn Macpherson : keyboards, accordion / Esme Paterson : vocals / Megan Fong : vocals / Charles Von Buremberg : mandolin, vocals / Aaron Collins : Vocals / Mike Neff : guitars, vocals

    Ne faites pas les malins, ne dites pas que vous les connaissez. Moi-même jusqu'au moment où le copain – il a joué du banjo sur scène avec eux aux USA – me l'a mis entre les mains j'ignorais jusqu'à leur nom. Viennent de Denver. Colorado. L'état juste au-dessous du Wyoming. Ils ont sorti plusieurs disques. Celui-ci est intitulé The Royal parce qu'il a été enregistré à la New Orleans.

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    Place for us : du tout doux, surprenant sont une dizaine mais Mike Neff est tout seul pour évoquer sa tendre amie, à croire qu'il est dangereux de clamer haut et fort son bonheur. Country soft. Country folk. Des modulations vocales à la Dylan, innocence américaine. Blood-red bottle : country-road vers la New-Orleans, l'orchestration s'étoffe lentement tandis que la rythmique trottine sans faille. La voix raconte autant une chanson de route qu'à boire l'espace intérieur. Ponies : un peu de batterie mais l'harmonica prend son envol tandis que la voix égrène la sérénité de vivre selon ses propres envies. Cross-continent waltz : une voix qui gratte et une guitare qui ronronne, et tout s'apaise, suffit de se laisser bercer, impression de mélancolie, toute douceur comporte quelques relents amers. Typewriter : changement de climat, des cuivres sardoniques sur le rythme des touches de la machine à écrire que l'on enfonce pour donner la parole à ce que l'on a dans la tête, tout cette vie aigre-douce qui s'entête à embrumer et ennuager les souvenirs, petit solo jazzy manière de faire un clin d'œil au bon vieux temps qui est sans doute plus vieux que bon... Faire le point pour ne pas mettre un point final. Providence harbor : un départ dylanien, rien que le titre évoque le Zimmerman, la longueur du morceau, l'harmo la voix qui traîne, des intonations râpées sur les éboulis de la conscience. Toutes les âmes sont tuméfiées et traînent la blessure de ne pouvoir surmonter cette suppuration que rien ne pourra étouffer, même pas une fanfare dans la rue, et les échos perdureront par intermittence jusqu'au bout. Where I'm going : ballade à l'acoustique, tout est dans la voix à la Springteen du gars qui a beaucoup vécu. Après le pont, les zicos se regroupent en sourdine autour de lui, l'est accompagné en douceur, l'important est de faire un bout du chemin avec lui, mais il continuera très bien tout seul. Got a gal : vous croyez partir pour une ballade mais l'eau du blues monte lentement et s'étale comme un océan de tristesse. L'on n'est jamais sûr de rien. Davantage dans le delta que dans le bayou. Company store : parti pour une ballade dylanienne, la vie est comme un grand bazar qui vous offre tout ce dont vous avez besoin et tout ce que vous désirez, mais pourquoi ce rythme des enchaînés de Perchman, sont-ce vraiment vos propres désirs bien à vous, un solo vaseux et visqueux, pour vous faire comprendre que votre existence est engluée jusqu'au cou dans une drôle de manufacture où l'on vous reconfigure selon un modèle qui ne vous plaît pas. Old man winter : le seul morceau qui ne soit pas écrit par Mike Neff, mais par Will Duncan. Des notes aussi légères que des flocons mais la voix de Mike Neff en bleuit quelque peu la blancheur, à l'orée du blues, mais les pas sont étouffés, morceau que l'on serait tenté de nommer pièce musicale, au loin s'élève une une fanfare mortuaire, celle du dernier voyage. Un peu de gaité puisque l'on quitte une vallée de larmes... Let's get married : une chanson joyeuse ne saurait faire de mal après l'élégie funèbre précédente... Faut-il vraiment y croire ? Your love will come : longue introduction musicale, une voix désabusée qui veut  encore espérer en l'impossible. L'espoir rend les fous joyeux et les poëtes tristes.

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    Croyez-vous que la Remington un peu déglinguée sur la couve soit mise là au hasard ? Pourquoi privilégier cet appareil mythique de la littérature américaine et pas une guitare ? Enregistré à la New Orleans, mais cela est un peu anecdotique. L'aurait pu être mis en boîte aussi bien en Californie ou à New York, Mike Neff porte son monde dans sa tête, l'est l'escargot qui ne quitte pas sa coquille, se trimballe avec son monde intérieur dans la valise de ses méninges. Un côté irrémédiablement folk, qui louche un peu vers le blues et le country, comme tout american folk qui se respecte. Une belle voix tendrement éraillée, qui berce et réveille. Vous enferme chez lui, pas à double-tour, mais vous pouvez rester autant de temps que vous voulez. Suis sûr que certains vont en abuser.

    Si vous voulez écouter c'est sur Bandcamp.

    Damie Chad.

     

    POGO CAR CRASH CONTROL

     

    Je sens qu'une partie du lectorat tremble de peur. Il a raison. Avec les Pogo il faut toujours s'attendre au pire. Vous êtes prévenus. Toutefois nous allons procéder par étapes. Je ne voudrais pas gâcher vos vacances, certaines images pourraient hanter votre mémoire, vous troubler durant vos siestes estivales, vous réveiller en pleine nuit, vous empêcher de dormir, à la rentrée avec votre mine de papier mâché puis vomi, et remâché, votre patron vous mettra à la porte, un long avenir de SDF vous attend, c'est bien fait pour vous, vous n'aviez qu'à pas regarder les vidéos des Pogo Crash Car Control !

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    CREVE ! ( Clip )

    ( Novembre 2016 )

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    C'est un ancien clip, date de 2016, un de leurs premiers morceaux, certes les paroles n'ont pas été écrites par Madame de Sévigné, elles vont droit au but, '' Ta gueule ! Crève !'' , normal c'est du rock. La rage adolescente. Si vous voyez ce que je veux dire. Pour les images, au début c'est de tout repos, presque la photographie de campagne pour l'élection de François Mitterrand, l'église et son clocher, petit village de Seine & Marne. Toutefois une drôle d'atmosphère. Il ne se passe rien, comme dans les films avant l'attaque des zombies. Ne respirez pas c'est pire. Bruit de moteur compétition rodéo-car à l'américaine, quand on s'appelle Pogo Car Crash Control, normal on ne s'attend pas à des vues d'un dessin animé de Babar le gentil petit éléphant rose. Carambolages dans la boue. En supplément, protégé par de simple barrières métalliques vous avez le groupe qui joue. La musique colle à l'image. Merveilleusement. Sont énervés comme un troupeau de rhinoféroces dérangés dans leur sieste. Question zique les Pogo ce n'est pas la Petite Musique de Nuit de Wolfang Amadeus Mozart. Derrière eux les bagnoles se catapultent les une contre les autres à qui mieux-mieux. A qui pire-pire.

    Le malheur c'est que dans un clip ce n'est pas ce qui est représenté qui est important mais la manière dont c'est filmé. Et là c'est le parti-pris gore ultime, des gros plans d'images saccadés et tressautant qui vous cisaillent les yeux. Ce qui est bien, car le mec accidenté, l'est totalement énucléé, les voitures lui ont roulé dessus, son visage sanglant vous est jeté à la figure à plusieurs reprises. Mais ce n'est pas le plus grave. Parmi la débauche sanglante d'images choc ce qui est subliminalement insupportable c'est la volupté qui se dégage de toute cette violence. La haine et le désir de mort de l'ennemi sont des jouissances supérieures, Les Pogo ne trichent pas dans l'expression des sentiments. Âmes sensibles s'abstenir. Décapant Rock 'n' roll !

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    Non, je ne vous le repasse pas une deuxième fois. Je ne suis pas cruel. Mais l'on trouve toujours pire. En l'occurrence ici Stazma The Junglechrist. Faudra qu'un de ces jours nous lui consacrions quelques chroniques. En attendant je vous laisse vous recueillir devant la photo du profil FB de Julien Stazmaz qui en compagnie de Romain Perno se s'est amusé  – est-ce ce verbe qui convient – à proposer un remix de :

    CREVE ! ( Clip )

    ( Juin 2019 )

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    Un pas de plus vers l'ignominie. Souhaiter la mort de son ennemi est somme toute très naturel. L'abattre d'un coup de fusil, lui planter un couteau dans le dos, l'écraser avec votre voiture, franchement c'est petit joueur, mesquin et médiocre. Lui en vouliez-vous vraiment pour vous débarrasser de lui si platement ? Non ! Il y a mieux, il y a pire ! En plus c'est vous qui allez vous retrouver très embarrassé avec un cadavre sur les bras ! Non une seule solution : la désintégration !

    Pas si difficile que cela. Cela ne demande pas de gros moyens. Juste un peu d'imagination et de savoir faire. Julen Stazma the Junglechrist nous montre comment l'on peut empêcher la résurrection. Comme dans la Bible, '' Je détiens les clefs de la mort'' mais lui il ferme la porte à double-tour.

    Reprend les mêmes images. En un autre désordre. Pas tout à fait la même musique. Beaucoup de batterie, un gros surplus d'agressivité sonore. Répétitif. Scandé. Un parti pris de débitage. N'est pas pour la réalité augmentée, mais fragmentée. L'image avance et recule. Moins de voitures. Davantage la gueule twistante d'Oliver. La haine est un boomerang qui se retourne contre vous. Ne pas tuer pour avoir un mort, tuer jusqu'à l'idée de la mort. L'a des dents à la place des yeux, sa voix se déforme, devient barrissement, se mue en vagissement, logorrhée de dégueulis verbal, mais le pire c'est l'image qui se parcellise, qui s' émiette, qui déchire en confetti, un seau d'eau sale que l'on jette et qui emporte la réalité du monde avec elle.

    Clip cannibale qui bouffe ses propres images et qui finit par se bouffer lui-même, faute de mieux, faute de pire.

     

    Vous êtes un peu remués. Je comprends. Passons à un autre groupe. N'en soyez pas rassurés pour autant. N'y a que Lola qui n'est pas là. Toute confiante elle a quitté les garçons pour l'après-midi. Elle n'aurait pas dû. Se sont sentis tout bêtes, tout seuls, ils ont fondé un groupe parallèle, nous avons chroniqué leur Ep dans notre livraison 444 du 26 / 12 / 2019. Z'avaient des idées noires, l'ont appelé Suicide Collectif. Sur ce l'infâme Baptiste Groazil, un des dessinateurs les plus doués de sa génération responsable des couves ( trashy dirty mauvais goût ) de Pogo, s'est amusé à confectionner sur le quatrième morceau de l'EP, un petit dessin animé pour égayer les ennuyeuses vacances de nos charmantes têtes blondes.

     

    MOTHER FACES 30 YEARS EN PRISON

    SUICIDE COLLECTIF

    ( Clip de Baptiste Groazil / Juin 2020 )

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    Pour la musique toute la violence des Pogo, de toutes les manières les images de Baptiste Groazil sont si accaparantes que vous n'y faites plus très vitre attention. Un bruit de fond. Mais l'histoire est au rythme du morceau. Déboule à toute vitesse. Un prologue, et quatre scènes dument séparées, le tout en une minute et quarante-cinq secondes. Pour les couleurs principalement des verts glabres, des mauves nauséeux, des roses mortadelles périmées. Pour le sujet... En un siècle futur, enfin maintenant, le héros est mal parti, on lui ouvre le ventre pour voir ce qu'il y a dedans. Un brave garçon, un peu attardé, croit encore à l'amour, notre joli cœur ! L'est tout de suite livré à un groupuscule de ménades qui lui font subir une sacrée séance de massages sauvages. Ce n'est que le début, l'est réduit en esclavage, traité pire qu'un chien. Ravalé au rang d'une bête martyrisée. Consolation du pauvre. A la séquence suivante le voici réduit à l'état d'os du chien que les chiennes en chaleur lèchent avec ferveur. Séance viol collectif. L'est à bout de forces. Tremble de peur. Se retrouve encouronné sur le trône. Sur son front est marqué Suicide Collectif.

    Sexe et société ? Les mâles heures du féminisme ? Par Groazizil ? Je vous laisse déchiffrer cet apologue. Sex and society. Danger zone. Roi des cons, roi des connes... Débrouillez-vous pour ne pas finir dans les prisons de la bien-pensance.

    Damie Chad.