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king floyd

  • CHRONIQUES DE POURPRE 653 : KR'TNT ! 653 : BILLY VERA / MONONEON / JIM JONES / BCUC / KING FLOYD / THUMOS + SPACESEER / WITH MALICE / PERFECITIZEN / MONOVOTH

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 653

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    11 / 07 / 2024

     

    BILLY VERA / MONONEON

    JIM JONES / BCUC / KING FLOYD

    THUMOS + SPACESEER / WITH MALICE

      PERFECITIZEN / MONOVOTH

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 653

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    TERRIBLE NOUVELLE

    POUR LES LECTEURS DE KR’TNT

    LE CAT ZENGLER ET L’AGENT CHAD

    PROFITENT DE L’ETE

    POUR VOIR

    SI AILLEURS LES FILLES SONT PLUS BELLES

    ET LE ROCK’N’ROLL DAVANTAGE DESTROY

    *

    SUPERBE MEDECINE

    POUR L’HUMANITE EPLOREE :

    ILS SERONT DE RETOUR

    POUR LA LIVRAISON 654

    LE MERCREDI 28 AOÛT 2024

    KEEP ROCKIN’ TIL  NEXT TIME !

    *

    CA FAIT QUINZE ANS QUE CELA DURE

    LE ROCK’N’ROLL A LA VIE DURE !

     

     

    Wizards & True Stars

     - Monte là dessus et tu Vera Billy

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             C’est par Chip Taylor que tu entres chez Billy Vera. Mais tu peux aussi y entrer par une belle autobio, Harlem To Hollywood. Un book à l’image du p’tit Billy sur la couve : rayonnant. Un p’tit Billy qui te raconte l’histoire d’un rock américain que t’aimes bien, c’est-à-dire le rock américain de qualité.

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             Ça veut dire quoi le rock américain de qualité ?

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             Le Billy book te donne la réponse. Il a 11 ans quand il écoute Alan Freed à la radio en 1955. Il se souvient vaguement d’avoir flashé sur l’«I Feel Good» de Shirley & Lee et sur Frankie Lymon & the Teenagers - I was hooked - Hooked par la musique noire. Dans une salle de spectacle du Bronx, il voit The Motown Revue, c’est-à-dire les Supremes, les Temptations, Smokey Robinson & the Miracles, Little Stevie Wonder qui a 12 ans, ET Kim Weston, qui, dit-il, n’a jamais été vraiment reconnue à sa juste valeur. Le p’tit Billy est ultra-hooked. Avec son argent de poche et les sous qu’il gagne en tondant des pelouses, il se paye ses trois premiers singles : «Blueberry Hill» de Fatsy, l’«Honky Tonk» de Bill Dogett et «Priscilla» d’Eddie Cooley & The Dimples. Le p’tit Billy s’empresse d’ajouter qu’Eddie Cooley compose en 1956 un hit qui va le rendre riche : «Fever». Puis il se paye l’«Oh What A Nite» des Dells, de Chicago. Il reprendra d’ailleurs ce titre pour l’un de ses albums avec les Beaters. Tu vois un peu le niveau du p’tit Billy ? Il a 11 ans et il craque pour les Dells, ces géants du Chi Sound que personne ne connaît ! Et tu n’en es qu’aux premières pages. Autant te dire que tu ne lâches plus le p’tit Billy book. Tu le lis même en claquant des doigts, wow, p’tit Billy, snap, p’tit Billy, snap-o-snap ! Et pour que tu comprennes bien dans quoi tu mets les pieds, il t’avoue ceci, avec un petit sourire en coin : «Étant né en 1944, j’appartiens à une génération pour laquelle le debonnair black style and black ‘cool’ était extrêmement influent. Il fallait s’habiller, danser, parler et même marcher comme the hip older black guys.» Pour illustrer le propos du p’tit Billy, t’as deux exemples : la façon dont marche Forest Whitaker dans Bird et dans Ghost Dog. La classe de la démarche ! Une classe qu’illustre aussi fort bien Spike Lee dans Malcolm X, lorsqu’il arpente les rues en compagnie de Denzell Washington : the way you walk. C’est l’image. La classe de l’image. Ahmet Ertegun fut lui aussi fasciné par l’allure des black cats. Comme Mezz Mezzrow, il passait ses nuits dans les clubs de Harlem.

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             Puis le p’tit Billy voit Chucky Chuckah à la télé. Nouveau coup d’hook - Once I saw Chuck, I wanted to be him - Alors il retond des pelouses pour se payer une gratte électrique, «a black and white Silvertone solid body.» Pas de sous pour l’ampli ? Pas grave, il se branche dans la radio de Mum et il apprend à gratter les Chuck’s licks, comme Keef en Angleterre à la même époque - B-b-b-b-b-b slacks make a cool daddy-o !

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             Puis il monte un groupe, The Knight Riders, qui accompagne toutes les stars locales, notamment les Isley Brothers, qui prennent le p’tit Billy à la bonne et qui lui refilent l’adresse de leur tailleur, on the Bowery in lower Manhattan - That cat Sol fait 300 costards par an pour Fats Domino - Le p’tit Billy évoque aussi Goldie & The Gingerbreads, la mafia et quelques mystérieuses démos, mais il garde ses distances. The Knight Riders accompagnent aussi Patti LaBelle & The Bluebells, sur scène, puis Little Anthony & The Imperials - Two acts with pretty difficult music - Le p’tit Billy sympathise avec les Bluebells et notamment avec Nona Hendryx, dont il admire la voix. Il lui propose d’enregistrer en duo. Ils réussiront à faire un album beaucoup plus tard, en 1992 : You Have To Cry Sometime.

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             C’est peut-être là qu’il est le plus à l’aise, en duo avec une black. Départ sur des chapeaux de roues avec le très beau hit des Isleys, «It’s Your Thing», cette Soul Sister de choc le prend à l’accent fêlé en mode diskö. En fait, ils alternent sur pas mal de cuts. Nona tape «All The Way To Heaven» toute seule, elle y va au power Soul, avec une belle rythmique bien grasse. Ils duettent enfin sur le «Storybook Children» des débuts - Why can’t we be like sorybook children in the wonderland - C’est une merveille définitive. Puis Billy prend le «Got To Get You Off My Mind» de Solomon Burke à la bonne, il n’a pas froid aux yeux. Nona claque ensuite l’admirable «Ain’t That Peculiar» composé par Smokey pour Marvin, et repris par Fanny. Elle le gère au mieux de ses possibilités et le rocke à la Soul Sistermania. Elle claque ensuite à la clameur le «Don’t You Know You’d Have To Cry Sometime» d’Ashford & Simpson, une heavy Soul de choc. On se retrouve une fois de plus avec un big album dans les pattes. Billy tape ensuite le «Three Minute Thing» qu’il a co-écrit avec Chip, il y fait son Elvis, c’est carré, très Sun d’alright mama. Il reduette enfin avec Nona sur «I Can’t Stand It», Billy est devant, alors comme elle doit s’imposer, elle rocke sa chique. C’est excellent.

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             Il a 20 ans quand il entre comme apprenti-songwriter chez April-Blackwood Music. Il en profite pour rappeler que le Brill est au 1619 Broadway, qu’April-Blackwood Music est au 1650, et qu’il existe un troisième Brill au 1697, au-dessus de l’Ed Sullivan Theater. Dans les trois Brill, on retrouve le même business : «music publishers, independant record companies, and various publicists, booking agents, voice coaches and other fringe characters.» Le p’tit Billy préfère le 1650, «the cooler one». C’est là qu’il rencontre Chip Taylor. Chip a son bureau en tant que «staff writer and executive». Il a quatre ans de plus que le p’tit Billy et déjà une grosse expérience, mais il est jaloux du p’tit Billy qui a déjà composé un hit pour Ricky Nelson. Aux yeux du p’tit Billy, «Chip is one of the great songwriters». Ils bossent ensemble et Chip forme le p’tit Billy au métier de songwriter. Chip lui apprend par exemple qu’une chanson est avant toute chose une histoire courte, avec un début, un middle et une fin. L’autre truc fondamental que lui apprend Chip : ne cherche pas à composer une chanson à la mode, mais plutôt une chanson que chanteront les gens dans 20 ans. Le premier hit qu’ils composent ensemble est «Make Me Belong To You» pour Barbara Lewis. Van McCoy qui bosse aussi au 1650 avait déjà composé «Baby I’m Yours» pour elle. Puis Chip et le p’tit Billy composent «Storybook Children». Ils prennent rendez-vous chez Jerry Wexler. Le Wex écoute la démo et donne un épouvantable coup de poing sur la table : «This is a fucking smash !». Il décide de sortir ça sur Atlantic. Il vient de signer Judy Clay, une cousine de Dionne la lionne et propose au p’tit Billy de duetter avec elle. Quand elle arrive dans le bureau de Chip, elle fait mauvaise impression : elle vient du gospel et elle doit s’imposer dans la secular music.

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             Et boom, ça donne l’un des grands albums classiques Atlantic. Le Storybook Children de Billy Vera & Judy Clay est ce qu’on appelle un album parfait, contenu comme contenant. Duo parfait, la black et le p’tit cul blanc, chansons parfaites, aussitôt le morceau titre d’ouverture de balda, Billy rejoint Judy là-haut, dans les harmonies vocales. Ils flirtent avec la magie. Chip & Billy co-écrivent une autre merveille, l’«Ever Since» qu’on trouve au bout de la B, et Judy y mène le bal. Billy et Vera tapent aussi quelques covers de choc comme le «Soul Man» d’Isaac le prophète, ils s’en sortent avec les honneurs, et en B, le «Bring It On Home To Me» de Sam Cooke. Solid cooking ! Avec Judy, ça jerke. Encore un shoot de r’n’b avec «Really Together», on se croirait chez Stax, mais Stax à Detroit, c’est du raw avec un sax à la Jr. Walker. Big Billy ! Il te tartine aussi «Good Morning Blues» au croon de cake. C’est là qu’on mesure la grandeur de Billy Vera. Il tape aussi le «We’re In Love» de Bobby Womack, qui n’est pas loin du «What Is Soul» de Ben E. King. 

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             Le p’tit Billy donne dans son book tous les détails de l’enregistrement de ce fantastique album. King Curtis et Paul Griffin jouent dessus. Puis le p’tit Billy et Judy montent sur scène à l’Apollo d’Harlem. Pour lui, le public black est le meilleur - There is no audience like a black audience - Le p’tit Billy est dans le public quand James Brown enregistre son fameux Live At The Apollo - It was the most exciting show I ever saw - Il ajoute que James Brown est celui qui a fait le plus de hits dans l’histoire de la black music, et qu’il a vendu des millions de disques que la grande majorité des blancs ne connaissaient pas, alors que Jimi Hendrix a vendu des millions de disques aux blancs, mais on se moquait de lui à Harlem. Tu veux savoir pourquoi ? «You couldn’t dance to a Hendrix song», nous dit le p’tit Billy.

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             Et très vite, tout Harlem parle du «white boy who was singing with the black woman at the Apollo.» Attention, il y a d’autres stars à la même affiche : Tommy Hunt, the Radiants, la pauvre Linda Jones disparue trop tôt, et Mable John, la sœur de Little Willie John - Mable était dans notre loge quand on lui a dit que son frère était mort en prison - Tu vois un peu le travail ? Puis quand le contrat entre Stax et Atlantic expire, Wexler annonce au p’tit Billy qu’il ne peut plus chanter avec Judy Clay, qui est chez Stax. Judy a un sale caractère, même Steve Cropper ne la supporte plus, alors Stax la lâche et elle revient chez Atlantic, dit Wexler, «la queue entre les jambes.» Toujours élégant, le Wex. Le p’tit Billy va essayer de relancer le duo, mais Judy a un sale caractère et elle refuse de revenir à l’Apollo si on n’augmente pas son cachet. Alors Atlantic la vire. Elle reste en contact avec le p’tit Billy : «Hey Billy we ought to do something». Mais le grand retour n’aura pas lieu. Fin d’histoire affreusement triste. Sur la pochette de Storybook Children, on voit dans le regard de Judy Clay toute la mélancolie du monde.

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             Et voilà l’un des plus gros scoops du book : le p’tit Billy compose «Don’t Look Back» pour Chuck Jackson, mais Chuck ne l’enregistre pas. Ce sont bien sûr les Remains qui vont l’enregistrer. Mais ce ne fut pas un hit à l’époque, contrairement à ce que tout le monde croit, même si les Remains ont tourné en première partie des Beatles. Le p’tit Billy ajoute qu’en 2012, on a tourné un docu sur les Remains et Barry Tashian l’a invité à Los Angeles pour assister à la projection du docu.

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    ( Neil Macaethur alias Colin Blunstone)

             Sur scène, le p’tit Billy accompagne aussi Clyde McPhatter. Il évoque Wilson Pickett qui redoute de jouer après les Knight Riders qu’il trouve trop bons. Le p’tit Billy les connaît bien tous ces mecs-là, il les croise dans les backstages. Ce book fourmille d’infos extraordinaires. Tiens par exemple la fin de carrière de Clyde McPhatter : il est sur scène et reçoit une bouteille en pleine tête. Il perd sa perruque et sort de scène, la gueule en sang. Fin de carrière. Tiens, et Wilson Pickett qui frappe son batteur en pleine gueule sur scène ! Et ça dégénère quand il passe à la coke, «which made him really nuts and really mean.» Le p’tit Billy fait aussi des démos pour Elvis, et raconte que le Colonel paye les musiciens avec des chèques à l’effigie d’Elvis qu’ils ne vont évidemment pas encaisser pour les garder en souvenir, sauf le p’tit Billy qui a grand besoin de ces 35 $. Il accompagne aussi P.J. Proby, et puis Colin Blunstone qui enregistre l’une de ses compos, «Don’t Try To Explain». Il accompagne encore les Coasters qui font les clowns sur scène. Il salue aussi au passage Evie Sands qui n’a pas eu de chance, car ses hits composés par Chip et Al Gorgoni n’ont rien donné pour elle, mais ont été des smash pour le Vanilla Fudge («Take Me For A Little While») et les Hollies («I Can’t Let Go»). Côté cul, le p’tit Billy ne s’embête pas : il vit pendant un an et demi avec l’une des Chiffons, Barbara Lee, et bien sûr accompagne les Chiffons sur scène, comme il accompagnera plus tard les Shirelles - The Shirelles being the top of the girl-group heap - Il les accompagne même en tournée. Le seul autre mâle sur la tournée est un gay back nommé Ronnie Evans qui suit les filles depuis 15 ans. Le passage grouille de détails faramineux.

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             Alors qu’il bosse pour les Shirelles, Ronnie Spector l’approche et lui demande de bosser pour elle - She’d heard I was the best conductor in New York - Ils vont dîner ensemble et traînent en ville jusqu’à l’aube. Et comme le p’tit Billy dit à Ronnie qu’il en pince pour sa frangine Estelle, alors, par esprit de compétition, elle décide qu’elle le veut. Et elle aura les deux pour le prix d’un : le boyfriend et le conductor - Vous devez savoir que pour ma génération de New York boys, the Ronettes were the number one sex symbols of their time, avec Marilyn Monroe, Sophia Loren et les autres - Et le p’tit Billy de s’exclamer : «Aussi, être le boyfriend de Ronnie après qu’elle ait quitté son mari, c’était un BFD, a Big Fucking Deal !» Mais c’est compliqué avec Ronnie : elle picole et se gave de tranquillisants. Alors elle dysfonctionne. Sur scène, elle s’endort. Le propriétaire d’un club de Boston qui appartient à la mafia dit au p’tit Billy : «T’as du pot que je te connaisse et que je t’aie à la bonne. Autrement, on aurait déjà pété les deux genoux de ta pute. Rentre à l’hôtel et trouve-moi un artiste potable pour finir la semaine. Et arrange-toi pour que cette pute quitte Boston demain matin.» En Floride, Ronnie s’écroule sur scène. Alors le p’tit Billy laisse tomber et file à Memphis enregistrer chez Steve Cropper qui vient de monter son label. Mais l’album ne sortira pas. Il évoque aussi le grand Bobby Robinson et ses labels mythiques, Fire, Fury et Red Robin.

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             Et puis, au cœur de ce tourbillon, le p’tit Billy lâche un nouveau scoop : sa frangine Kathy a enregistré en 1970 un album devenu culte, Kathy McCord, et réédité en 2010 par Ace/Big Beat : New Jersey To Woodstock. C’est un double CD qui a deux belles particularités : un, le p’tit Billy signe les liners, et deux, le disk 2 propose 16 inédits, parmi lesquels se trouvent des cuts figurant sur le deuxième album de Kathy hélas devenu tellement culte qu’il est inabordable. Autre info de poids : Harvey Brooks fait partie du casting. Alors le p’tit Billy y va, rappelant qu’il a grandi dans une famille de chanteurs (sa mère bossait pour le Perry Como Show) et sa baby sister s’intéressa très vite à la crème de la crème (c’est lui qui cite) : Van Morrison, Tim Hardin, Bonnie Bramlett, Taj Mahal, Dr. John, Mavis Staples and the Band, oh la la, pardonnez du peu. Quand le p’tit Billy bosse comme staff songwriter pour April-Blackwood, the music publishing arm of CBS, il présente sa baby sister qui est encore au lycée à Chip Taylor, son collègue d’April. Chip lui fait chanter «Angel Of The Morning», mais, nous dit le p’tit Billy, le collègue Al Gorgoni veut que ce soit Evie Sands qui l’enregistre. On nage ici au cœur de la super crème du Brill. Tous ces noms font un peu tourner la tête : Chip, Evie, Al... Du coup, Chip file deux cuts à Kat : ««I’ll Give My Heart To You» et «I’ll Never Be Alone Again». C’est un single sorti sur le label de Chip, Rainy Day Records, et qui a coulé à pic. Ces deux cuts sont par miracle en bonus sur le disk 1 : magnifique pop tranquille et romantique, surtout «I’ll Never Be Alone Again» qui est monté comme le Whiter Shade Of Pale et Kat la crack s’appuie bien dessus. C’est tout bonnement renversant de qualité. Quand t’es dans les pattes de Chip, t’es dans les pattes d’un dieu. Puis le producteur de jazz Creed Taylor prend le p’tit Billy et sa frangine Kat sous son aile et rassemble la crème de la crème pour l’enregistrement du premier album de Kat, en 1969. Le mec qui gratte ses poux là-dessus s’appelle John Hall. Il fait la pluie et le beau temps sur «Rainbow Ride» avec un fastueux solo d’acid psych qui vaut largement tous ceux de Jorma Kaukonen. Puis elle tape une cover des Beatles «I’m Leaving Home (She’s Leaving Home)», c’est du bon doux & tendu, elle épouse cette magie anglaise à la perfe inexorable. Maintenant tu sais pourquoi cet album est devenu culte. Kat est pure comme de l’eau de roche. Nouveau coup de Jarnac avec «Candle Waxing», un balladif gratté aux poux d’acou de lapin blanc, te voilà chez Lewis Carroll, et ça se termine en délire de poux d’acou et de flûte hippie. Baby Kat coule de source, comme Joni Mitchell. Tu ne perds pas ton temps à écouter son album. Elle se laisse porter par «New York Good Sugar/Love Lyric #7» et tu entends ce fou de John Hall derrière. «Jennipher» aurait dû être un hit, et elle reste dans la magie avec «Take Away This Pain», elle monte la passion en neige à coups d’I know you babe/ C’mon make me smile again. Puis Kat s’installe à Woodstock et fréquente la crème du coin, les mecs de The Band, Butter, Maria Muldaur et Bobby Charles, nous dit le p’tit Billy. C’est là qu’elle enregistre les 16 cuts du disk 2, dont certains qu’elle réengistrera pour le fameux deuxième album qui coûte la peau des fesses. Ces cuts sont d’une qualité impressionnante, à commencer par «New Horizon» (touchez ma bossa, monseigneur, elle groove à Copacabana), donc il n’est pas étonnant de la retrouver ensuite à «Acapulco», et elle y va au petit chien de sa chienne exotique. Elle propose une pop qui accroche sans parcimonie, une pop noyée de soleil, fascinante de qualité, comme ce «That’s A Love That’s Real» bien balancé, elle y va au come together, suivi d’un «No Need To Wait» plein de vie, elle y va au whoo-oh-oh. Les voies de la grande pop US restent décidément impénétrables. Et puis voilà qu’arrivent les coups de génie, comme ce «I’ll Be Loving You Forever», puissant r’n’b, une vraie merveille exécutive, et ce «Madman» bien descendu au barbu, elle est partout dans le son, elle te finit ça à la hurlette bien tempérée, c’est du Bach de Hurlevent. Encore un pur shoot de r’n’b avec «Keep Peace In The Family», elle s’y montre digne de Clarence Carter, tu vois un peu le travail ? Elle se positionne encore avec «You’d Convince The Devil», elle est en pleine possession de ses moyens, comme Jim Ford à la même époque, elle se situe au dessus du lot, t’en reviens pas de tant de qualité. Tu comprends soudain pourquoi un bec aussi fin que Tony Rounce ait flashé sur elle. Elle se montre encore fantastiquement intrinsèque avec «Who’s Been Fooling You», elle chante à l’accent vrai, elle est véracitaire jusqu’au bout des ongles. Elle adore s’engager dans le r’n’b, comme le montre encore «Don’t Go Talkin’ To Strangers», encore une compo à elle, comme les autres 15 cuts. Fantastique ! Elle est tellement fiable qu’on y va les yeux fermés. Nouveau coup de tonnerre avec le big heavy US rock d’«I Wanna Know Why» et elle boucle cette poursuite infernale avec «Shine On», encore un cut en pleine santé, plein aux as, cuivré de frais, elle chante dans la cuisse de Jupiter, elle effare dans la nuit, elle colle bien au papier, elle t’y sort une niaque de chienne, elle a du répondant, la baby sister du p’tit Billy, ah il peut être fier de sa frangine.

             Le p’tit Billy va quitter New York pour s’installer à Los Angeles. Et malheureusement pour lui, il croise le chemin de Lou Adler, un Adler qui lui promet monts et merveilles et qui ne tient pas parole. Alors Billy qui est devenu grand déprime. Il voit sa vie et sa carrière ruinées.

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             On ne perd pas son temps à écouter la poignée d’albums qu’il a enregistrés après Storybook Chidren. With Pen In Hand est son deuxième et dernier album sur Atlantic. Il n’est hélas pas aussi bon que Storybook Chidren. La viande est au bout de la B, avec une redite, «Good Morning Blues», dont on a déjà dit le plus grand bien. S’ensuit «Are You Coming To The Party», le hit de l’album, co-écrit par Chip & Billy, magnifique de party baby, très chippy, avec le Billy en cerise sur le gâtö. On s’émeut bien sûr à l’écoute du morceau titre qui est en ouverture de balda, compo de Bobby Goldsboro, superbe balladif, rayonnant de classe. Le «(You Keep Me) Hanging On» n’est pas celui des Supremes, mais ça reste de qualité, d’autant que Billy croone comme un cake. Il fait aussi une belle cover d’«I’ve Been Loving You Too Long». Il bouffe l’Otis tout cru. Pareil avec les Bee Gees et «To Love Somebody». Crounch crounch.

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             C’est sur Out Of The Darkness, paru en 1977, qu’on croise pour le première fois «Private Clown», un hit des jours heureux qu’on va retrouver par la suite sur d’autres albums. Il reprend aussi son vieux «Storybook Children», ce balladif d’envergure certaine qu’il composa jadis avec Chip Taylor. Billy embrasse l’horizon, c’est une merveille océanique. Au dos de la pochette, on peut lire : «Special thanks to Bob Crewe.» Il n’est donc pas étonnant de voir arriver une belle pop de joie de vivre signée Crewe/Vera, «Something Like Nothing Before». Billy sait créer l’événement avec cette pop élégante et attachante. Tout est beau sur cet album, et même stupéfiant de qualité. «Nouveau Riche» est encore une très grosse compo grouillante de vie et d’épisodes époustouflants. En B, il tape un gros clin d’œil à Fatsy, son amour de jeunesse, avec une cover de «My Girl Josephine». Il est bon, le Billy, pour la Nouvelle Orleans. Encore de l’ampleur à gogo avec l’océanique «I’ve Had Enough», et il termine avec un «Big Chief» digne de Dr. John, Big chief holler/ Second line follow/ See my queen now.  

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             C’est Jerry Wexler qui produit l’album sans titre paru en 1982, avec un Billy Vera en caoutchouc sur la pochette. C’est enregistré à Muscle Shoals. On y retrouve bien sûr «Private Clown», classieux comme pas deux. Billy chante vraiment comme Tonton Leon, c’est très beau, très soigné, avec un solo de sax et des oh oh oh. On croit entendre Tonton Leon sur «Oooh». Billy groove ça au nasal, mais avec talent. Un talent fou, dirons-nous. Il reste en plein Tonton Leon avec «Down» et une grosse flavour New Orleans. En B, on  doit se contenter de deux cuts : «I Don’t Want Her» signé Billy & Chip, mid-tempo très écrit et très classique, et puis «Peanut Butter», un heavy groove de New Orleans dans lequel Billy se jette à corps perdu.        

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             Malgré sa très belle pochette, The Mystic Sound Of Billy Vera n’est pas l’album du siècle. Billy sort des compos compliquées et ambitieuses à la Elton John («Behind The Wall») et on s’ennuie. Ça ne marche pas. En B, il adresse un gros clin d’œil à Huey avec «Rockin’ Pneumonia» et il faut attendre «Dance Til Your Draws Fall Down» pour trouver un peu de viande, car oui, ça rocke à la Mad Dogs & Englishmen, avec un piano honky tonk de type Tonton Leon et un chant vraiment Tonton. Il boucle cet album un peu décevant avec un brin d’exotica, «Sock It To Yourself». Il est bon dans l’exotica.

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             On ne se relève pas non plus la nuit pour écouter The Hollywood Sessions. Il fait son big easy, les deux doigts dans le nez avec «Fast Freight», pas de problème. Il est comme Chip : il assure sans faire la révolution. Il propose une pop classique, mais les miracles brillent par leur absence. «She’s Not So Young Anymore» est un balladif aussi poignant qu’une poignée, et c’est pas peu  dire. Il enchaîne avec «Billy Meet Your Son», un boogie rock classique. Pas de quoi s’en faire la gorge chaude, et encore moins des choux gras. Il revient à son cher Huey avec une nouvelle mouture de «Rockin’ Pneumonia». Il connaît bien son Huey. Mais globalement, tout est ordinaire sur ces Sessions. 

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             Curieusement, The Billy Vera Album paru en 1987 pourrait bien être son meilleur album. Il l’attaque d’ailleurs avec le vieux «Private Clown». Toujours ce sens aigu des jours heureux. Avec Billy Vera, on a toujours l’impression d’explorer un continent. Parfois c’est bien, parfois moins bien. Il est très Tonton Leon sur «Run & Tell The People». En B, il ressort des vieux coucous comme la cover de «My Girl Josephine», jouée au menton carré et au pas ferme, et le vieux «Something Like Nothing Before» jadis composé avec Bob Crewe. Il reste dans le haut de gamme des vieux coucous avec «Nouveau Riche», et finit avec le vieux «Big Chief» d’envergure apostolique, il fait l’Iko Iko comme Dr John, c’est en plein dans le mille, avec les congas de Congo Square.

             Voilà pour la partie solo. En 1980, il monte un nouveau projet, Billy & The Beaters - We were a hit, the hottest band in town - Ça repart de plus belle, après les années fastes de l’Apollo et d’Atlantic. Des gens comme l’ex-Doobie et l’ex-Steely Dan Jeff Skunk Baxter veulent jouer dans les Beaters.

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             Billy fait appel à Jerry Wexler pour enregistrer un album et Wex l’envoie à Muscle Shoals retrouver toute la bande Tommy Cogbill/Barry Beckett/Jimmy Johnson/Gene Chrisman. At This Moment sort en 1981. Pour Billy, le hit c’est «Hopeless Romantic», un cut d’essence très Fred Neil dans la délicatesse - I’m a believer/ Much more than anything/ I believe in you - Pour Wex, cet album est l’un des 5 meilleurs qu’il ait enregistrés. At This Moment fait un peu double emploi avec l’album sans titre de Billy & The Beaters paru la même année. Le morceau titre est une pure Beautiful Song d’une beauté déchirante. Le vrai power de Billy, c’est cette pop d’ampleur considérable. Avec «I Can Take Care Of Myself», il sonne assez Steely Dan, doux et ferme, ce qui vaut pour un compliment. Et puis au bout de la B des anges, t’as cette merveille intitulée «Here Comes The Dawn Again». Il est en plein dans Eric Carmen.  Mais à la réécoute, Billy trouve l’album trop poli.

             C’est là que Steve Binder entre un contact avec Billy. Binder ? Mais oui, le fameux producteur du T.A.M.I Show et du ‘68 Comeback Special. Binder voit Billy comme un «rock’n’roll Willie Nelson». Mais il n’a pas le temps de s’occuper de Billy, et le confie à une certaine Katie Wasserman. Billy rencontre un peu plus tard Johnny Otis qui comme Billy a vécu avec des blackettes, et qui comme Billy, sent qu’il fait partie de la communauté black.

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             Un album sans titre de Billy & The Beaters sort en 1981. Billy se contente de groover sa pop. C’est du sans surprise. Presque bon chic bon genre. Sur «Millie, Make Some Chilli», il sonne presque comme Elvis, et derrière lui, un mec fait le James Burton country : il s’appelle George Marinelli Jr. Un nom à retenir. En B, Billy tape une belle cover du «Strange Things Happen» de Percy Mayfield. Solide comme un heavy blues de big band. S’ensuit «Here Comes The Dawn Again», un puissant balladif à base de chagrin d’amour. Billy y rivalise de grandeur marmoréenne avec Eric Carmen.    

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             Quelques années plus tard, Billy & The Beaters enregistrent Retro Nuovo. On y trouve l’une de ces Beautiful Songs dont il a le secret, «If I Were A Magician». Il sait créer la sensation. Et il faut le voir groover son «Ronnie’s Song» - You play the fingers/ And I play the guitar - Superbe ! Il a encore du swing plein le chant dans l’«I Got My Eye On You» d’ouverture de bal de B. Billy est un artiste accompli, il ne cherche pas à faire le white nigger. Il fait du Billy. La surprise vient de «Poor Boys» qui est monté sur le beat de «The Beat Goes On». Son poor boys got a way with each other vaut bien le Drums keep pounding/ A rhythm to the brain/ La dee da dee dee, la dee da dee da de Sonny Bono. Try to get over !    

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             En 1987, Billy participe à un James Brown tribute à Detroit. Pourquoi Detroit ? Parce qu’Aretha refuse de monter dans un avion. Les autres invités nous dit Billy sont Wilson Pickett, Robert Palmer et Joe Cocker. Puis il joue en première partie de Chucky Chuckah au Caesar’s Palace de Las Vegas. Il voit Chucky sortir de l’aéroport en chemise rouge et fute pattes d’eph jaune, avec son étui de guitare à la main. Billy lui demande où il a trouvé ses fringues et Chucky lui dit : «At the Goodwill, man! Three dollars for the shirt and six for the pants!». Billy est scié d’entendre ça. Chucky Chuckah gagne des millions de dollars et il s’habille à l’armée du salut. Billy rappelle ensuite que Chucky ne répète jamais. Son contrat stipule qu’il doit avoir deux Fender Dual Showman sur scène avec TOUS les potards tournés à fond, que le backing band connaisse ses chansons et bien sûr, qu’il soit payé en cash et à l’avance. Billy se souvient de l’avoir accompagné plusieurs fois sur scène, et c’est l’enfer pour un backing-band, car Chucky Chuckah n’annonce jamais le cut qui vient, ni sur quel accord il le joue. Il démarre et les autres suivent comme ils peuvent. Pour corser l’affaire, si un cut est en La un soir, le lendemain, il le joue en Sol. Mais quand il voit que Billy suit bien, Chucky lui adresse un franc sourire et arrête de faire le con. Chucky teste les gens. Comme partout, t’as les cons et ceux qui ont oublié de l’être. Une autre fois, à Broadway, Billy demande à l’organisateur si Chucky veut bien répéter. Le mec lui dit que Chucky vient d’écrire 5 nouvelles chansons dans l’avion et qu’il veut les jouer. Billy lui dit que c’est un truc de dingue. «Pourtant il est stipulé dans son contrat qu’il doit jouer ses 3 plus gros hits», ajoute Billy. Alors le mec met fin au débat : «Yes but you know Chuck; he’s out of his mind.»

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             Billy décroche aussi un petit rôle dans le film d’Oliver Stone sur les Doors. Il joue le rôle du promoteur du concert de Miami. La fabuleuse scène du Miami show fut filmée à l’Olympic Auditorium d’Hollywood, avec 2 000 figurants, principalement des zonards locaux. Après la tournage, le sol était jonché de capotes et de seringues. This is the end, beautiful friend.

             Billy commence à s’en sortir financièrement avec les Beaters. Il fait aussi un Radio Show et reçoit des gens comme Frankie Valli, Merle Haggard et Dion DiMucci. Il réussit même à inviter Lou Rawls.

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             En 1992, Billy produit un album de blues de Lou Rawls sur Blue Note, Portrait Of The Blues. C’est vrai que Lou Rawls mérite toute l’attention de Billy, mais il a un gros défaut : il chante d’une voix trop blanche. Junior Wells passe des coups d’harp sur «I Just Want To Make Love To You» et «Baby What You Want Me To Do», et Buddy Guy gratte ses poux sur «My Babe», un autre classique de Big Dix. Pas de vague, mais bien vu. Joli coup de swing avec «Saturday Night Fish Fry» et Lionel Hampton. Et classic drive de dandy saxé dans l’angle pour «Person To Person». On retrouve le dandy sur «Suffering The Blues» - Sometime someway/ I did someone wrong/ And now I’m suffering with  the blues - Il passe à Percy Mayfield avec «Hide Nor Hair» mais il chante comme une tête à claque sur «Sweet Slumber».

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             Trois ans auparavant, Billy avait produit un autre album de Lou Rawls, It’s Supposed To Be Fun. Ce Lou-là a une particularité embêtante : il chante vraiment comme un blanc. Des fois ça passe, des fois ça coince. Exemple avec le morceau titre d’ouverture de bal : ça passe, car belle Soul de crooner. Ce Lou-là groove aux frontières du jazz. Il navigue entre Marvin et une Soul plus ferme, avec une classe élastique de black dandy. Nouvel exemple avec deux compos de Billy, «Good Morning Blues» et «One More Time» : ça passe encore, car ça se présente comme du Burt, tellement c’est beau. On note au passage la puissance compositale de Billy. Son «One More Time» est vraiment du grand art. «Moonglows» est aussi une compo de Billy, un brin exotique. Face à tant de beauté, tu clignes des yeux. C’est l’apanage des Beautiful Songs. Et puis tu as ce coup de génie, vers la fin, «Goodbye My Love». Ce Lou-là fait le dandy crooner et se montre exemplaire. C’est du croon de cake. Il tape aussi le vieux «Don’t Let Me Be Misunderstood», mais il n’a pas la niaque d’Eric Burdon, donc ça coince. Il en fait un cut dramatique. Par contre, sur «All Around The World», il se montre écœurant de jazz class et d’I know you babe - All around the world/ I got blisters on my feet - Il est marrant, avec ses ampoules aux pieds. Il tape plus loin l’«Any Day Now» de Burt. Alors comme c’est du Burt, on l’écoute jusqu’au bout. Mais ailleurs, il croone trop comme un blanc. Ça coince. Il termine avec «The Last Night Of The World» qu’il prend d’une voix trop blanche, ça le trahit et ça l’éloigne de Sam Cooke.

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              Billy bosse aussi pour Rhino, il rédige des liners pour The R&B Box et Genius And Soul: The Ray Charles 50th Anniversary Set. Ça paraît logique qu’il s’entende bien avec un cake comme Harold Bronson. Il fait aussi des compiles pour Specialty, ce label mythique auquel il a consacré un book dont on a parlé ici-même (Rip It Up: The Specialty Records Story). Il fait une box 5 CD sur Specialty de 1945 à 1958, date à laquelle Art Rupe s’est retiré. Pour lui, Specialty est avec Chess, Sun et Atlantic l’un des plus importants labels dans l’histoire du rock. Il a fait une cinquantaine de compiles pour le compte de Specialty, il a pris en charge le catalogue Vee-Jay, puis a fait The Capitol Blues Collection pour Capitol. Il va aussi bosser pour Ace et Bear Family. «J’ai aussi eu le privilège de bosser sur des artistes comme Sam Cooke, Duke Ellington, Count Basie, Louis Jordan, Louis Prima, Etta James, T-Bone Walker, Allen Toussaint, and so many more.» Quand il rencontre Dylan, celui-ci lui dit qu’il a adoré les trois CDs qu’il a produits de Percy Mayfield. Billy n’en finit plus de nager dans l’excellence. Il rencontre aussi Totor qui le serre dans ses bras et qui lui dit son admiration. Billy se demande alors s’il sait qu’il a baisé sa femme, Ronnie. Billy rencontre aussi Joel Dorn, the hippest cat in the room. Cet amateur de jazz a pris la suite de Nesuhi Ertegun chez Atlantic et a envoyé le label into the future en produisant Roberta Flack et Les McCann. Billy avait avec Dorn ce qu’il appelle the deep musical conversation.  

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             Billy participe à un tribute à Jerry Wexler au LA House of the Blues, en compagnie d’Etta James, Solomon Burke et Doug Sahm. Pour Billy c’est un honneur que de faire partie de cette caste et de rendre hommage à son mentor Wex. Billy en profite pour ajouter que Wex fut aussi un mentor littéraire et le premier book qu’il lui refile est le fameux Gospel Singer d’Harry Crews. Un book dont l’adaptation au cinéma eût été idéale pour Elvis, mais comme le dit si bien Billy, le Colonel préférait lui faire tourner des gros navets et encaisser les sous des «lousy songs they could publish.»

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             Billy demande d’ailleurs à Wex de rédiger des notes pour Creole Kings Of New Orleans, une compile de tous les diables sortie sur Ace. Les notes de Wex sont véritablement celles d’un fan qui connaît bien la chanson de la Nouvelle Orleans. Ça grouille évidemment de coups de génie là-dedans, à commencer par Percy Mayfield et «Lousiana», ah il faut le voir groover son loui-sah-nah/ Gonna settle down, et plus loin Guitar Slim avec «The Things That I Used To Do», il y va au heavy used to doo, c’est tout simplement incomparable, t’as le raw de la voix et le gumbo de cuivres. Plus loin, nouveau shoot d’hot as hell avec Li’L Millet & His Creoles et «Rich Woman»,  encore pire que le «Ya Ya» de Lee Dorsey, ce mec est le parfait délinquant créole. Quatre singles, et puis plus rien. Nouveau coup de génie avec Art Neville et «Cha Dooky-Doo», solo de purée gumbo, puis Larry Williams avec «Bad Boy/Junior Behave Yourself», complètement imparable ! Rien qu’avec tout ça, t’es déjà calé. Mais ça continue avec Jerry Liggins & The Honeydrippers et «Going Back To New Orleans» (heavy jump et sax des enfers), Lloyd Price et «Frog Legs» - I’m your frog legs man ! - Puis Alberta Hall et «Oh Now I Need Your Love», joli sucre juvénile, elle dégouline de sucre, un seul single et puis plus rien. Et ça continue avec Big Boy Myles & The Sha-Weez et «Who’s Been Fooling You», pur jus de jump NO. Et bien d’autres choses encore, dont deux cuts de Professor Longhair. Encore une compile digne de toutes les bonnes étagères.  

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             Oh What A Nite: Billy Vera & The Beaters Live est enregistré au Crazy Horse Saloon, Santa Ana, Californie, en 1995. Cet excellent album donne bien la mesure du grand Billy Vera. Il présente «Room With A View» : «This is one I wrote with a master of the blues, Lowell Fulsom.» Et il y va au I got a roooooom/ I got a room with a view. Oh l’excellence du round midnite ! Billy a du power. Il sonne comme un géant. Il ressort son «Poor Boys»/Beat Goes On, drivé par le bassmatic de Chuck Fiore. Il est en plein dans le chasing girls. Il tartine encore de l’heavy Soul de haut vol avec «Wrong When I’m Right» et rend hommage à la nite avec le morceau titre, il chante sa lovely nite à pleine gueule. Et puis tu as tout le power du big band derrière, qui écrase bien le champignon d’«I Got My Eye On You». Plus tu avances dans l’écoute et plus tu te passionnes pour Billy, son «Ronnie’s Song» est fabuleux d’à-propos, il y frise le Dr. John, you play fingers/ I play guitar. Son «La La For What’s Her Name» sonne très Doc Pomus, la la la la la, pas loin du gros hit d’Elvis, c’est mélodiquement pur et taillé pour la route doucéreuse. Billy est un puissant seigneur, il fait encore autorité sur Spanish Harlem dans «Let You Get Away».   

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             En 2013, paraît un big album live de Lowell Fulson With Billy Vera  & The Beaters : Live 1983. T’y vas les yeux fermés. C’est un mélange explosif de big boogie blast et d’Heartbreaking Blues de la meilleure espèce. Tout est classique sur cet album, mais quelle énergie ! «You Talk Too Much» et «Stop Down Baby» t’emportent bien la bouche, c’est drivé de main de maître. Lowell Fulsom ressort son plus gros hit, «Reconsider Baby», l’un des heavy blues de référence et il y gratte les poux de Dieu. Ils sonne à la fois sec et gras. Encore plus heartbreaking : «Black Nights». Lowell Fulsom est un démon, ça on le savait, mais ici, il bat tous les records de démonologie. On note au passage le fantastique entrain des Beaters et du grand Billy Vera. Ça jive dans le groove. Lowell Fulsom tombe encore du ciel avec «Do The Things You Do». Il est le roi du heavy blues, mais le vrai heavy blues, avec le gras de la glotte. Son «Guitar Shuffle» est wild as fuck. Ça part à l’hyper-hard drive d’one two three. On hésite entre deux adjectifs : explosif et dévastateur. Encore un super boogie blast avec «Your Daddy Wanna Rock», complètement sidérant de sax power. Lowell Fulsom drive encore l’heavy blues de «Sinner’s Prayer» dans la vulve du son et te travaille ça à la folie incendiaire, puis pour achever le travail de tétanisation, il ressort son vieux «Tramp», un hit aussi mythique que «Red Bird». L’impact sur l’inconscient est celui d’un boulet ramé dans un mât espagnol. Il te défonce la mémoire collective avec du killer solo flash, il déverse ici de la grandeur immémoriale. 

             Merci p’tit Billy. On aura passé un sacré bon moment en ta compagnie.

             Signé : Cazengler, Billy Véreux

    Billy Vera & Judy Clay. Storybook Children. Atlantic 1968 

    Billy Vera. With Pen In Hand. Atlantic 1968 

    Billy Vera. Out Of The Darkness. Midsong International 1977 

    Billy Vera. Billy Vera. Alfa 1982              

    Billy Vera. The Mystic Sound Of Billy Vera. Mystic Records 1983   

    Billy Vera. The Hollywood Sessions. Thunder Records 1987   

    Billy Vera. The Billy Vera Album. Macola Record Co 1987 

    Nona Hendryx & Billy Vera. You Have To Cry Sometime. Shanachie 1992

    Billy Vera & The Beaters. At This Moment. RCA Victor 1981

    Billy & The Beaters. Billy & The Beaters. Alfa 1981   

    Billy & The Beaters. Retro Nuovo. Capitol Records 1988    

    Billy & The Beaters. Oh What A Nite: Billy Vera & The Beaters Live. Pool Party Records 1996    

    Lowell Fulson With Billy Vera  & The Beaters. Live 1983. Rockbeat Records 2013

    Lou Rawls. It’s Supposed To Be Fun. Blue Note 1990

    Lou Rawls. Portrait Of The Blues. Manhattan Records 1993

    Kathy McCord. New Jersey To Woodstock. Big Beat Records 2010

    Creole Kings Of New Orleans. Ace Records 1992

    Billy Vera. From Harlem To Hollywood. Backbeat Books 2017

     

     

    L’avenir du rock

     - La stéréo de MonoNeon

             En bon monomaniaque, l’avenir du rock s’intéresse de près au Mono. Il a racheté à prix d’or le monocle que portait Tristan Tzara le jour de 1919 où il arriva chez Germaine Everling et Francis Picabia, rue Émile-Augier. L’avenir du rock donnerait tout ce qu’il possède pour jouer au Monopoly avec Polly Harvey. Soucieux du moindre détail, il n’hésite pas un seul instant à monologuer pour entretenir sa monomanie. Toutes ses chemises portent son monogramme AdR, et il veille scrupuleusement à garder le monopole de sa monovalence. Il possède bien sûr un monospace, mais refuse de se plier à l’infecte monotonie de la monogamie. Fuck it ! Il porte comme on s’en doutait un badge rouge ‘Back To Mono’ en l’honneur de Totor, l’une de ses principales idoles, et il ne tarit pas non plus d’éloges sur Monoman, l’extravagant chantre des Lyres et de DMZ. S’il est bien luné, il ajoutera volontiers un petit couplet sur les Mono Men de l’excellent Dave Crider. Soit dit en passant, c’est une âpre besogne que d’arracher des gens comme Momoman et les Mono Men à l’oubli, mais l’avenir du rock ne désespère pas. Il sait qu’il existe encore des gens intéressants qui s’intéressent aux gens intéressants. Il se souvient aussi d’un passage bizarre dans l’autobio d’Eric Goulden, plus connu sous le nom de Wreckless Eric, passage qui vantait les mérites de la version mono de Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band. L’avenir du rock se demande encore s’il s’agissait d’un canular. Et puis il se dit qu’il serait temps de collectionner les parutions du plus beau label underground français, Mono-Tone Records. L’avenir du rock n’hésite pas non plus à se prosterner devant l’effarant Back To Mono des Courettes, l’un des plus beaux hommages jamais rendus à Totor, et devant les Monophonics, l’un des groupes du grand Kelly Finnigan. Il déroule encore le tapis rouge au Monochrome Set dont le dandy Bid rivalise de classe avec Tristan Tzara. Et puis, s’il t’a à la bonne, l’avenir du rock te servira le joyau de sa monomanie sur un plateau d’argent : MonoNeon. 

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             C’est un extra-terrestre Dada qui arrive sur scène. Pas de visage. Des lunettes de ski démodées et une tête moulée par une cagoule blanche tricotée à la main. Le corps enveloppé dans un ensemble matelassé multicolore (alors qu’il fait une chaleur à crever) et les pieds chaussés de grosses godasses de ski, et sur lesquelles sont collées des grandes pancartes ‘MonoNeon’. Car il s’appelle MonoNeon.

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    Corpulence à la Spike Lee. La cagoule renvoie à la pochette du Dirty des Sonic Youth. Pendant le set, on ira même penser : corpulence ET génie à la Spike Lee. Il a des doigts extrêmement fins. Sur la main gauche, il porte bien sûr un tatouage ‘MonoNeon’. Ah, n’oublions pas le principal : la basse, une cinq cordes de gaucher avec les cordes graves en bas (tout à l’envers). Le haut du manche est enveloppé dans une grande chaussette de Bécassine.

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    Le tablier de la basse est bardé d’étiquettes ‘MonoNeon’. On n’avait encore jamais vu un Mono-délire pareil. Comme quoi, des fois, ça vaut la peine de continuer à vivre. Rien que pour voir NonoNeon arriver sur scène, par exemple. Et surtout pour voir MonoNeon arrêter le temps en jouant. Si on peut appeler ça jouer. En réalité, MonoNeon va bien au-delà du jeu. Il télescope de plein fouet toutes tes pauvres petites notions étriquées. Il barbouille le cosmos, il troue le cul des annales, il te mouline le Moulinsart, il débusque des cailles, il permute les pôles, il persiste et signe, il claque des pétarades extravagantes, il bourre et bourre son ratatam, il multiplie les sorties, il emballe des bulles, il perfore l’espace-temps mécaniquement, il arrête dans le beefsteak, il déjoue toutes les attentes sans exception, il flirte en permanence avec l’indescriptible, il est sans l’ombre d’un doute le plus grand bassman de son époque.

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    Il gratte des six doigts (4 +2) et sa main gauche marque les temps morts, c’est très spectaculaire, il hoche aussi le beat de la tête, tu as sous les yeux un corps fondamental, un corps qui s’auto-transporte tout en balançant de vastes giclées de dégelée royale, de vraies rafales de télescopage, il organise sa propre quadrature du cercle, il injecte toute l’énergie du jazz dans son funk. MonoNeon prend la suite de Funkadelic et de Bootsy Collins, sa façon de stopper net dans une descente au barbu en plaquant un accord de barbouille rappelle aussi Jeff Beck, MonoNeon joue avec les conventions comme le chat avec la souris, il se veut libre, donc il casse les règles, et si tu en pinces pour la modernité, te voilà servi. Et même gavé. Te voilà oie. Oie d’un soir. Fier comme un paon d’être une oie. Vazy MonoNeon, bourre-moi la dinde ! Ces mecs-là ont le droit de tout faire, de te ravager l’imaginaire, de t’empapaouter le percolateur, de te ripoliner la ribambelle, de te scarifier les scrofules, de t’alambiquer les calanques, de t’abolir le hasard, de te remettre l’équerre au carré, de te rendre ta liberté. Il souffle sur cette scène un vent extraordinaire de liberté.

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             Ils sont trois autour de cet extra-terrestre Dada-funk, à commencer par un black au beurre qui passe son temps à rire tellement il est heureux de battre son beurre, il drive tous les tempos, toutes les accélérations, tous les virages à la corde, il finit torse nu, libre, lui aussi, fabuleusement libre. Et puis de l’autre côté, t’as encore un jeune black aux keys qui groove comme un démon et qui s’amuse à passer des intermèdes dentelliers qui en disent long sur l’inhérence métabolique de son classicisme. Et puis, last but not least, t’as un petit cul blanc à la gratte, derrière, sur une Tele, un moujik massif et enveloppé d’une tunique russe qui lui donne cet air russe, et tu prends ta carte au parti quand ce petit cul prend la main : il passe ici et là un solo sidérant et même sidéral de jazz fusion digne de ce que grattait John McLaughlin à la grande époque, c’est-à-dire celle de Mile Davis, eh oui, t’as ça, tout ça, mais à un point tel qu’il te faudrait au moins deux yeux en plus pour tout bien voir, une cervelle en plus pour tout comprendre, et un corps en plus pour bien vibrer, car en plus de la liberté, MonoNeon et ses trois amis t’offrent les vibes, c’est-à-dire ce qu’il existe de plus précieux et de plus rare sur cette terre, les vibes, plus précieuses encore que l’or du Rhin des Nibelungen. Te voilà donc complètement Nibelungué. T’as une veine de pendu.

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             D’où sort cet extra-terrestre Dada-funk ? De Memphis. Discographie à roulettes. Il en pond un tous les ans depuis 20 ans. Albums intouchables. Hors de prix. Si tu veux briller en société, tu peux ajouter qu’il fut le dernier bassman de Prince. Le reste est sur Wiki, mon kiki.

             Alors tu cries au loup quand t’as vu cet extra-terrestre Dada-funk sur scène ? Retrouve-t-on cette urgence Dada-funk sur les disks ? Le seul moyen de le savoir est d’en rapatrier un, allez tiens, le Basquiat...

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             Le Basquiat & Skittles Album date de 2022 et répond à toutes les attentes. Tu y retrouves le morceau titre qu’il tapait sur scène : hommage d’un géant à un autre géant, en mode slow groove. Il fait du Funkadelic avec «I Got A Gold Chain With A Bad Name», mais il l’africanise. C’est insensé de qualité, et si tu fermes les yeux, tu revois MonoNeon hocher la tête sur le beat.  Attention au «Life Is A Glittery Fuckery» : groovy funk-out de Git it ! C’est le funk moderne, dans la suite de Funka. Et tu entends son divin bassmatic sur «Love Me As You Need», un son bien rond et bien dodu. Et comme le montre «It Was Never A Struggle It Was A Delicacy», MonoNeon pourrait bien être le nouveau roi du groove moderne. C’est une Beautiful Song de charme. 

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             Oh et puis tiens, le Jelly Belly Dirty Somebody, histoire d’en avoir le cœur net. Tu commences à écouter «I Drink My Bear & I Talk To God» et tu ne sais pas si c’est du 33 ou du 45, tellement le groove fond au soleil. Finalement, ça passe mieux en 45. Et tu régales de «Surfing In My Brain», car c’est un groove liquide d’une extravagante modernité. MonoNeon navigue à contre-courant dans le groove liquide. Il est complètement dans Prince. Il faut l’entendre malaxer son bassmatic dans le morceau titre en B. Il tape dans l’organique. Il reste dans le spongieux semi-liquide pendant toute la B et avec «The Answer Is In The Pyramid (Turn It Upside Down)», le groove se noie dans les brimes. Fascinant ! 

    Signé : Cazengler, MonoNéant

    MonoNeon. Le 106. Rouen (76). 27 juin 2024

    MonoNeon. Basquiat & Skittles Album. Not On Label 2022

    MonoNeon. Jelly Belly Dirty Somebody. Not On Label 2023

     

    Le péril Jones

    - Part Five

     

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             Thee Hypnotics ? Jim Jones & The Righteous Mind ? Jim Jones Revue ? Jim Jones All Stars ? Tu l’as déjà vu sur scène des tonnes de fois, mais bizarrement, et comme tu te crois futé, tu restes à l’affût. Pour l’indicible raison suivante : tu sais - deep inside your heart - que t’auras pas mieux sur scène, tu sais que Jim Jones est plus fort que le roquefort.

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    T’en mettrais ta main à couper, comme on dit quand on ne sait pas de quoi on parle. Tu sais qu’il roule le roll du rock dans sa farine, comme d’autres roulent leur caisse, tu sais d’avance qu’il va te claquer le beignet, qu’il va pousser le push et plumer le pull, tu sais tout d’avance, t’as même pas besoin d’aller le voir s’exciter sur scène, tu connais la moindre de ses exactions, le moindre outch et cette façon qu’il a de tressauter des deux pieds avec sa guitare pour faire le guerrier du rock à l’assaut de la postérité. Et tu sais aussi que malgré tout ce bataclan de fer blanc, il n’est jamais ridicule, jamais pris en défaut de fake, Jim c’est Jack the lad, Jook le crack, le boom hu-hue du jerk, the English jiver, le jolly jumper des jukes.

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    Il outche le rock et tape le raw du roll, mais pas n’importe quel raw, le raw to the bone, il déploie des trésors d’authenticité, tu ne peux pas en douter une seule seconde, c’est impossible. Il est plein comme un œuf, plus vrai que nature. Il est aussi pur qu’Iggy, Mick Collins et Wild Billy Childish. Tu veux voir un vrai de vrai à l’œuvre du Grand Œuvre ? L’apanage du Grand Jeu ? Le Gilbert-Lecomte du rock moderne ? Le Paracelse de la foire à la saucisse ? Vois et revois Jim Jones sur scène. Au temps de la Piste Aux Étoiles, Jean Nohain aurait adoré cet artiste. 

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             En plus de te rincer l’œil avec un beau mec bien conservé, tu vas faire une découverte de taille : de set en set, il est better and better, hotter and hotter, around and around, de plus en plus Jonesy, de plus en plus sharp, de plus en plus radical, et, c’est là où les bras t’en tombent, de plus en plus stoogy. Eh oui, amigo, il te ramène les Stooges sur un plateau d’argent, à travers son vieux «Shakedown», il te colle le museau dans l’imparabilité des choses, il est sans doute le dernier sur cette terre à honorer le spirit des Stooges sur scène, il boucle la boucle à sa façon, qui est royale, et tu roules avec lui dans les abîmes Hypnotiques.

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    Sa version de «Parchman Farm» monte aussi droit au cerveau, elle n’est pas aussi exacerbée que celle de Georgie Fame, mais il faut voir le jus qu’il y injecte, il la groove, et pour lui, c’est du gâtö que de groover ce vieux Parchman, car il a derrière lui l’un des meilleurs backing-bands du monde, et notamment Carlton Mouncher, le fantastique croque-mort sur la voodoo guitar. Les All Stars explosent littéralement avec le «Shoot First» tiré de Burning Your House Down. Ce cut voodoo plane comme un vampire sur la Normandie. Tu peux aller te cacher sous ton lit, il va te trouver. «Shoot First» sonne comme l’apogée des All Stars.

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    Côté covers, Jim Jones n’en finit plus de barboter dans l’excellence, il te balance un «Run Run Run» vite fait, pris comme une saucisse entre deux tranches de pain, ils en font hélas une version trop anglaise, tu perds la disto de Sterling Morrison, mais c’est pas si grave au fond, Jim Jones prend soin de ses racines, comme le montre encore sa cover d’«Everybody’s Got Something To Hide Except Me And My Monkey» des Beatles, il y va au here we go, et un coup de Beatlemania n’a jamais fait de mal à personne, surtout quand ça sort du White Album. Plus loin, l’imparabilité des choses revient en force avec la fameuse cover de «Troglodyte» du Jimmy Castor Bunch qui fait danser la Saint-Guy aux amigos agglutinés au pied de la scène. Et puis bien sûr, cette cover de «Big Star» en rappel, qui te cloue comme une chouette à la porte de l’église. Cui couic ! 

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             Et tu as encore en plus de tous ces oldies but goodies les cuts d’Ain’t No Peril. Comme par exemple ce «Gimme The Grease» qu’ils tapent dans le début de set, un cut monté sur une belle tension de Carlton Mouncher et un solo de sax, avec en plus de l’Outch et du gros beurre syncopé. Jim Jones fait aussi son white nigger sur «I Want U (Anyway I Can)», il arrive à sonner comme Wilson Pickett, alors t’as qu’à voir. Avec un mec comme lui, il ne faut plus s’étonner de rien. Et en ouverture de la B des cochons, tu retombes sur «Troglodyte», sans doute l’une des covers du siècle. Fantastique ! Son Troglo est même encore meilleur sur l’album, car il le prend à la Cro-magnon, back in the times, et ça bombarde dans la caverne - She said/ Ride on ! - Il tape aussi sur scène «It’s Your Voodoo Working» et fait carrément de la Nouvelle Orleans. Sur l’album, c’est Nikki Hill qui duette avec lui. Nikki est une bonne, on l’a déjà vue sur scène. Par contre, il ne reprend pas le morceau titre, sur scène. Sans doute trop dangereux pour la glotte, car sur l’album, il chante ce heavy groove à dominante voodoo à la grosse arrache sanguinolante. Il y sort son plus beau voodoo turgescent. Jim Jones est en rut.    

    Signé : Cazengler, Jim Jaune

    Jim Jones’ All Stars. Le 106. Rouen (76). 25 mai 2024

    Jim Jones’ All Stars. Ain’t No Peril. Ako-lite 2023

     

     

    Baby come BCUC

    - Part Two

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             Pour parler franchement, t’es content de revoir BCUC. Même sous la pluie. La fucking pluie. In the rain, mais pas celle de l’Edgar Brouhgton Band ou même de Fred Astaire, non, la fucking rain de Rouen, la Rouen-rain, la rain de Saba-pas du tout, the rain de rien, the rain de l’or du Rhingard, tu t’amuses comme tu peux, en attendant, tu t’abrites comme tu peux sous un fucking tree pour essayer de voir un peu de ce fucking concert, et comme de bien entendu, tu vois que dalle, alors tu entends, oh tu vois un peu, tu pourrais disserter pendant des plombes sur le «peu que tu vois», qui en fait correspond au peu que tu sais, et du coup la petite fucking rain devient sympathique car tu te mets à relativiser, comme lorsque tu voudrais bien mourir, quand tu te dis, oh finalement, la vie ce n’est pas si important. Pourquoi lui attacher plus d’importance qu’elle n’en a ? Si on se pose correctement la question, après ça va très vite, à condition bien sûr d’avoir un flingue dans le tiroir de la table de nuit. Pas toujours évident (d’avoir un flingue dans le tiroir de la table de nuit). Vaut peut-être mieux relativiser sur le blé, par exemple, ça fait du bien, pffffff, l’argent c’est pas si important, pareil, tu mets en pratique, tu payes des coups, tu te sens plus léger, à défaut de te sentir moins con, mais bon, c’est toujours ça de gagné, on fait comme on peut, avec ses petits bras et ses petites jambes, remettez-nous une tournée, s’il vous plait, elle te remet une tournée de pintes, pschhhhhh, et c’est drôle comme, dans les élans de générosité relativiste, les gens sont sympas avec toi, tu en as même qui veulent trinquer, alors tu trinques de bon cœur, ça fait du bien de trinquer, cling cling, ça pourrait même donner du sens à la vie, alors qu’en fait tu ne demandes rien de spécial, disons que c’est une façon de voir les choses, mais bien évidemment, tu te reprends, vite, très vite, tu sais bien que la vie n’a aucun sens, et paf, te voilà remonté dans ton train fantôme, chhhh-chhhh, ça doit bien faire soixante ans que tu fais des tours de train fantôme et tu sais très bien qu’il va arriver ce moment où tu en auras vraiment marre du train fantôme. En attendant, il te reste encore deux ou trois trucs à relativiser et comme toujours, à mettre en pratique. Par contre, l’arbre ne relativise pas. Les feuilles semblent céder une par une sous le poids de la fucking Rouen-rain. Le problème n’est pas le fait qu’elle te ruine ta mise en pli, non, le problème c’est qu’elle ruine le concert de ce fan-tas-tique groupe Sud-Africain. Et voilà que le destin fait contre mauvaise fortune bon cœur : le public se met à danser sous la fucking Rouen-rain ! C’est complètement inespéré, et même, pourrait-on dire, historique. Encore jamais vu un truc pareil dans cette ville abandonnée des dieux.

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    Sur scène, tu as toujours les deux rangs, avec à l’arrière, les deux grosses caisses montées à la verticale, la percu du diable et le bassmatic voodoo originel, et devant, ces trois superstars faramineuses, les deux blacks incompressibles et l’extraordinaire petite reine de Nubie qui DANSE tout le temps et qui apporte les contrepoints au chant, et là, tu as toute la musique, toute la transe, toute la magie dont tu as besoin pour vivre, pour peu que tu aimes vivre. Il rejouent grosso-modo les cuts qu’ils jouaient au 106 en 2022 et on retrouve les hits politiques, il y va fort le BCUCman, il salue l’Ukraine, la Palestine, Nelson Mandela, bien sûr, tout cela, c’est le même combat, honte aux oppresseurs, c’est un black qui scande ça le poing levé et soudain, tout reprend du sens, tu as ce concert ruiné par la fucking Rouen-rain et ce mec qui lutte contre l’oppression à sa façon, avec rien, juste un public génial qui danse sous la pluie et qui l’acclame.

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    Ça n’aurait pas été mieux avec 10 000 personnes. Même les rares copains qui ont fait l’effort de venir sont stupéfaits par la classe de ce groupe Sud-Africain. L’un d’eux a même eu la faiblesse de venir me glisser ceci dans l’oreille : «Mais ils debandent jamais ?». Il aurait fallu avoir la présence d’esprit de lui répondre un truc du genre «ce sont les blancs qui débandent, jamais les blacks», mais il était déjà reparti danser. Et puis ce poing levé. Tu ne voyais plus que ça. Fuck l’oppression & la fucking Rouen-rain. 

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             Leur nouvel album s’appelle Millions Of Us. Il est bourré à craquer d’Africana et de bassmatic anaconda. «Thonga Lami» te saute à la gorge ! Voilà un cut ambitieux comme ce n’est pas permis, le bassmatic y dicte sa loi et tu retrouves la petite reine de Nubie, là-bas, au fond du son.  Quelle équipe ! Tu as toute l’Africana dans le son, tout le hard beat africain, tout l’inimitable, le pulsatif des origines, le son des tambours et les voix qui scandent. C’est que qu’on appelle la classe primitive, c’est-à-dire l’art moderne. C’est exactement ce qu’avaient compris Dubuffet et surtout Apollinaire, lorsqu’il observait la statue forgée du dieu Gou au Musée de l’Homme, au Trocadéro. En fin d’album, tu retrouves une version de «Thonga Lami», amenée au bassmatic et reprise à la cassure de rythme.  Ça sonne tout de suite comme un coup de génie primitif et la petite reine arrive pour monter le cut à l’étage divin, les percus te groovent l’oss de l’ass, c’est la troisième dimension de l’art africain, tellement puissant. Le monde devra désormais compter avec BCUC. Et tu retrouves les tambours dans «Millions Of Us 1 2 3», c’est le jungle beat, mais le vrai, celui des forêts inexplorées. Tout ici est pulsé au beat des origines de l’humanité. Si tu veux entendre comme sonnait l’arrière-arrière grand-père de l’arrière-arrière grand-père de ton arrière-arrière grand-père, écoute ça. Tout vient de là, surtout le rock. Les gens de BCUC enfoncent le clou du beat dans la paume de l’inconscient collectif. 

    Signé : Cazengler, vieux BOUC

    BCUC. Festival Rush. Campus Université Mont-Saint-Aignan (76). 13 juin 2024

    BCUC. Millions Of Us. On The Corner Records 2023

     

     

    Inside the goldmine

     - King’s road

             La plupart des habitués méprisaient Rol Boy. Pourquoi ? Mais parce qu’il ramassait les disques dont personne ne voulait. Dans le jargon des marchands, on appelle ce genre de mec un éboueur. Celui qui vient racler les fonds des bacs. Pour aggraver son cas, il demandait en plus des remises sur des prix cassés. Et comme Rol Boy était aussi ce qu’on appelle un bon vivant, il ne ratait jamais l’apéro. Le rituel démarrait en général une demi-heure avant la fermeture du bouclard et ceux qui tenaient encore débout au bout d’une heure allaient poursuivre les festivités dans l’un des restaurants du quartier. Comme Rol Boy ne tenait pas l’alcool, il était le premier à rouler sous la table. S’il fallait monter à l’étage pour aller manger, il fallait que quelqu’un se dévoue pour l’aider à monter, et surtout à redescendre. Assez haut et bien bâti, Rol Boy pesait son poids. Il avait aussi conservé un physique de jeune loup, avec de longs cheveux blonds, mais sa myopie trahissait son âge. Comme il était ivre-mort, il passait tout le temps du repas la gueule dans son assiette et comme on lui remplissait régulièrement son verre de pinard, il revenait épisodiquement à la vie pour le vider. Il n’en finissait plus de surprendre tous ces gens qui croyaient pourtant bien le connaître. Ce soir-là, nous réussîmes à redescendre de l’étage sans dommage, mais avec d’infinies précautions, et Rol Boy alla s’affaler dans l’une des chaises en fer de la terrasse. Le spectacle qu’il offrait avec ses lunettes de traviole et ses bras ballants provoqua l’hilarité générale. Il n’existait pas dans nos souvenirs de meilleure caricature d’ivrogne. Il marmonna à un moment qu’il voulait rentrer chez lui. L’un de nous devait donc se dévouer. La ramener à pied était impossible. On réussit à l’enfourner dans une bagnole. Comme il n’y avait pas de place devant sa porte, il fallut aller se garer un peu plus loin. Évidemment, Rol Boy s’écroula sur le trottoir en sortant de la bagnole. Le relever pour le mettre sur ses pattes fut une autre histoire. Ça paraissait impossible. Il retombait. La solution consistait à le traîner près du mur pour qu’il s’y tienne. Il nous fallut près d’une heure pour parcourir les deux cents mètres. Il tombait, il voulait dormir sur place, allons Rol Boy, fais un effort, t’es presque arrivé, il repartait sur deux mètres avant de s’écrouler à nouveau. Nous atteignîmes enfin la porte. Coup de sonnette. Pour éviter les insultes de l’épouse, le mieux était de disparaître. Rol Boy était debout contre la porte. Quand elle s’ouvrit, il disparut en poussant un hurlement. Nous apprîmes consternés quelques jours plus tard que Rol Boy s’était tué bêtement cette nuit-là. Derrière sa porte d’entrée, se trouvait une volée de marches. Sa maison se situait à deux mètres en dessous du niveau de la rue et donc pour entrer, il fallait descendre quelques marches. Un vrai piège à cons.

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             Ces petites paraboles n’ont d’autre objet que de matérialiser l’écart qui peut exister entre des êtres aussi différents de Rol Boy et King Floyd. Chacun d’eux se situe à l’exact opposé de l’autre, sur l’échantillonnage des caractères humains : d’un côté le pauvre bougre abruti d’alcool, et de l’autre, un petit black d’une infinie délicatesse. Ils n’ont de commun que leur humanité, car malgré ses travers, Rol Boy était un chic type. De son côté, King Floyd aurait dû devenir une superstar. Ils furent l’un comme l’autre tragiquement privés d’avenir.

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             King Floyd est un artiste qu’il faut approcher avec d’infinies précautions. Il chante à l’étrange petit sucre, c’est en tous les cas ce que nous montre son premier album, A Man In Love, paru en 1969. Son timbre est unique, presque pré-pubère. King est un petit Soul kid. Il sait jerker le r’n’b comme le montre «Heartaches», ou encore le «Groove-A-Lin» qui se trouve au bout de la B : fantastique shoot de r’n’b monté sur le meilleur bassmatic du coin, King prêche le Groove-A-Lin, Louisiana up to Alabama, le bassmatic fend le groove comme l’aileron d’un requin fend la mer, Groove-A-Lin me ! Yeah yeah ! Soul-A-Lin me ! Il y va le King ! Il faut bien avouer qu’on s’attache à son étrange petit sucre, il faut le voir le swinguer au coin du couplet («You’ve Been Good To Me Thank You»). Tout est remarquable sur cet album. On note bien sûr la présence d’Harold Battiste. «Love Ain’t What It Used To Be» est quasi Motown dans l’esprit, monté sur un sacré bassmatic sous-jacent. C’est excellent, si black.  

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             C’est sur le Cotillon sans titre paru en 1971 qu’on trouve le «Groove Me» qui a lancé le King dans la stratosphère de la Soul. Comme son nom l’indique, «Groove Me» te groove, c’est du très très gros popotin, avec Vernie Robbins on bass et Wardell Quezergue on keys. King Floyd reste un singulier mélange d’énorme présence et de douceur. Mais attention, le King sait aussi faire son James Brown sous le boisseau, comme le montre «Baby Let Me Kiss You», il y va au ouh! et au euh !, c’est-à-dire à l’uppercut de funk. Il attaque sa B avec un «It’s Wonderful» plus poppy-poppy petit bikini, mais il n’y a pas de mal à ça. Il sait aussi taper le slowah intense, comme le montre «Don’t Leave Me Lonely», mais il va te le carboniser au final en sortant le scream des screams. Il termine avec «What Out Love Needs», un excellent groove de bonne mesure. King règne sur son empire du groove avec des airs magnanimes et une réelle bonté, comme le montre son portrait sur la pochette. Dans sa voix passent des accents de reggae, de Ben E. King, et de lointaines flavours de calypso.

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             Lorsqu’on croise la pochette de Think About It pour la première fois, on s’exclame : «Quelle gueule de star !». Il démarre d’ailleurs cet album de star avec «My Girl», le hit d’une autre star, Smokey. Fantastique version ! Wardell Quezergue signe les arrangements, yeah yeah yeah. Puis le King passe en mode r’n’b avec «Here It Is», il frise le rampant d’Hi, il chante à l’insidieuse. Et la température continue de grimper avec «Do Your Feeling». Il renoue avec sa fascination pour James Brown. C’est immensément bon, say it baby say it, il insiste, do it baby do it, il creuse le dig de do you feel it, il tape ça en crabe. C’est rare qu’un crabe soit aussi beau dans le funk. Il enchaîne avec un solide shoot de Malaco r’n’b, «It’s Not What You Say». King est bel est bien le roi de Jackson, Mississippi. Et puis en B, il tape dans l’Otis avec une cover magistrale d’«Hard To Handle», il y fait son Wilson Pickett, avec une fabuleuse niaque royale de King. C’est du pur Southern Soul de power maximal, le King sait claquer son mama I’m sure to handle it !

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             Well Done sort en 1971 sur Chimneyville Records, le label créé par Tommy Couch & Wolf Stephenson, les futurs boss de Malaco, qui en avaient marre de voir Wexler rejeter leurs enregistrements. Mais Atlantic va quand même distribuer Chimneyville. Tiens pourquoi un nom comme Chimneyville ? Dans le gros Malaco Story book, Wolf Stephenson explique que la ville de Jackson dans le Mississippi fut détruite en représailles par les Nordistes pendant la Guerre de Sécession, et comme il ne restait plus que des cheminées dressées dans cet océan de ruines, l’infortunée bourgade fut rebaptisée Chimneyville. Le King attaque son Well Done avec un groove digne d’Hi, «Movin’ On Strong». Fabuleux ! Il fait encore un peu de Soul d’Hi plus loin avec «Can’t Give It Up» et boucle son balda avec «I Feel Like Dynamite», mais il ne passe pas en force, il passe au smooth, il fait du James Brown en douceur et ses petits cris sont adorablement wild.  On passe hélas à travers la B, et il faut attendre «Very Well» pour frémir un peu. Le King renoue avec le groove de charme et il devient vite envahissant, il chante comme une superstar, il est all over the very well, doux et tendre comme un agneau, superbe d’ahhhhahahh et derrière, les filles se pâment dans l’ouate du satin royal. 

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             On retrouve Wardell Quezergue dans le studio Malaco pour Body English, un Chimneyville paru en 1977. Donc ça groove énormément, ce que montre d’ailleurs «I Really Do Love You». On finit par être habitué à ce groove royal. L’album est gorgé de son, les gens du Malaco rhythm section ne sont pas des manchots, mais les hits se font rares. Le King revient à son cher hard funk en B avec «Stop Look & Listen». Il y excelle. Puis il repasse en mode groovy pour «Doing That No More» et «So True». Encore une fois, c’est un son à part, ni Hi, ni Stax, ni New Orleans, c’est le son Malaco, coco, ponctué par un beau so true, pôt pôt pôt, comme joué au sousaphone. Un énorme bassmatic porte «We Gotta Hang On In There» - Hang on in there/ Don’t leave me baby - King Floyd aurait pu devenir King. On salue bien bas l’excellente qualité de sa Soul, et dans les backing vocals de «Can She Dot It Like She Dances», on retrouve Dorothy Moore et Jewell Bass.  

    Signé : Cazengler, King Kon

    King Floyd. A Man In Love. Pulsar Records 1969 

    King Floyd. King Floyd. Cotillon 1971

    King Floyd. Think About It. ATCO Records 1973 

    King Floyd. Well Done. Chimneyville Records 1971 

    King Floyd. Body English. Chimneyville Records 1977 

     

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    J’étais content, j’étais heureux. Vendredi 05 juillet, je tapais les deux derniers mots, les deux plus beaux de la langue française ‘’Damie’’ et ‘’Chad’’, de la dernière chronique de la dernière livraison de la saison, j’étais en vacances. J’avais oublié que le 04 juillet est le jour de la Déclaration d’Indépendance des Etats Unis, et que Thumos, j’aurais dû me méfier, a quelque peu l’habitude de faire paraître un de ses opus à cette date. Manière de rappeler qu’un pays se doit d’essayer d’atteindre à l’idéal platonicien d’une République qui œuvrerait à rendre ses citoyens heureux plutôt que de les asservir. Toute allusion aux dérives actuelles (et passées) de la grande Amérique ne saurait être le fait du hasard.

    CYNICS

    THUMOS / SPACESEER

    (Piste numérique / Bandcamp / 04 - 07- 2024)

    La couve est la reproduction d’un tableau de Jules Bastien-Lepage (1848 – 1884)  sobrement intitulé Diogène. Œuvre qui tranche dans sa production habituelle avant tout constituée de scènes rurales que l’on pourrait qualifier de naturalistes. Ne fut-il pas l’ami d’Emile Zola. Peut-être vaudrait-il mieux le qualifier d’impressionniste de la pauvreté, ce n’est pas la diffraction de la lumière pour la lumière qui l’intéresse, il l’utilise pour auréoler ses personnages, souvent des humbles, d’une douce luminosité qui les projette sur le devant de la scène. Les amateurs de Victor Hugo gardent en mémoire son portrait de Juliette Drouet réalisé en 1883, année de sa disparition.

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    Le titre de l’EP, un split de quatre titres, barre en grosses lettres noires toute la couverture : Cynics, difficile de cacher le sujet choisi par Thumos.

    Spaceseer : The Stone Cut Out of the Mountain : dans notre livraison 568 du 29 / 02 / 2022 nous présentions Feral Moon de Spaceseer, musicien très proche de Thumos, il est aussi crédité  comme collaborateur à part entière The Course of Empire, une des œuvres majeures de Thumos qui parut, extraordinaire coïncidence le 04 juillet !  The Course of Empire, inspiré par une fameuse suite de cinq tableaux dus au peinte américain Thomas Cole, conte d’une manière symbolique la création et la mort d’un Empire. Faire paraître cet opus le jour de la fête nationale américaine se doit d’être interprété d’une manière symbolique et politique. Un avertissement critique adressée aux élites et au peuple des USA sur la mauvaise pente sur laquelle s’est engagé le pays…  Ronflements de moteur l’on pense à une machine, mais en relation avec le titre nous préférons entendre le roulement d’une pierre qui dévale une montagne, le noise n’est jamais gratuit, certains penseront à autre chose, un monument, un immeuble, en train d’être édifié, un chantier en pleine activité... Dans notre France voltairienne la relation au deuxième livre dans l’Ancien Testament   de Daniel ne sera pas automatique, et encore moins avec le Livre de Mormon… Tout au plus évoquera-t-on Sisyphe d’Albert Camus poussant son rocher vers le haut d’une montagne pour, arrivé au sommet, le voir retomber tout en bas dans la vallée… C’est pourtant plutôt de cette manière que ce morceau se doit d’être compris. Que peut faire le simple citoyen pour remettre son pays dans le droit chemin, pas grand-chose mais qu’il fasse son possible, il est peu probable que Dieu décroche un gros rocher à la montagne (ainsi qu’il est chanté dans de nombreux gospels) pour faire barrage à la catastrophe annoncée, mais chacun peut apporter sa petite pierre… Thumos : Antisthenes : notre philosophe est réputé pour avoir fondé, sinon inspiré, au travers de son disciple Diogène, l’Ecole Cynique, hormis quelques bribes il ne nous reste pratiquement rien de son œuvre, pour ma part je le considère comme ces îlots formés par l’entassement des graviers et des alluvions emmenés par la réunion de plusieurs rivières. Ayant vécu entre 440 et 362 il se trouve aux confluences de la sophistique et de la philosophie, sa pensée est aussi bien l’héritière de Gorgias que de Socrate. Il est difficile de trouver deux auteurs dont l’attitude devant l’existence soit aussi antithétique que Gorgias et Socrate. Gorgias le glorieux qui aime d’autant plus la beauté, la faconde, le style qu’il  nie l’essence de l’êtralité du monde et Socrate le gratteur qui cherche à dépouiller toute représentation superfétatoire pour ne garder que le squelette de la pensée en mouvement. Si Platon a annexé dans ses dialogues le personnage de Socrate, il n’en a pas moins rédigé son oeuvre  en tenant compte de l’exigence survivaliste et littéraire de l’écriture de Gorgias. Vu le titre de ce mini-album, il est clair que c’est la vision d’Antisthène fondateur de l’éthique Cynique que Thumos a privilégiée. Phoniquement la relation avec les deux participations de Spaceseer est évidente, vous vous en rendrez compte une fois l’écoute entière de l’opus terminée. Le son se fait plus fort, imaginez l’action du sel sur une blessure, l’on soigne le mal par le mal, quel besoin d’Antisthène lorsque l’on a la République idéelle de Platon, et quel besoin du disciple quand l’on a Socrate, parce qu’aux grands mots les grands remèdes, lorsque le fer est tordu il est nécessaire de le remettre droit, après la mort de son maître Antisthène n’a-t-il pas traîné en justice les accusateurs de Socrate, l’heure est grave tout comme la musique. Très beau morceau d’une infinitude majestueuse. Thumos : Diogènes : Diogène (413 – 423, il vécut assez longtemps pour être offusqué par le soleil d’Alexandre le Grand) est l’incarnation jusqu’à la carricature du Cynique. Le cynisme est une sorte de nihilisme intégral  qui vise avant tout toute fatuité humaine sans porter la moindre considération aux institutions les plus sacrées de ce parangon sociétal qu’était pour les Grecs la Cité. Le cynique ne pète pas plus haut que le cul d’un chien. Il bafoue tous les usages, toutes les coutumes, toutes les attitudes de la bienséance… Diogène méprise les hommes et ne professe pas une plus grande estime pour lui-même. Avec sa lanterne allumée en plein midi il recherchait un homme digne de ce nom… Nous remarquons qu’il ne prit même pas la peine de chercher un Dieu. Diogène fut le fabuleux histrion d’un théâtre d’ombres sociétal dans lequel les individus se disputent pour jouer les meilleurs rôles… Diogène enseignait, n’est-ce pas là un suprême orgueil, à ses concitoyens de ne pas être dupes, ni d’eux-mêmes, ni des autres. Pourquoi Diogène, avec Antisthène l’on a commencé à régler les comptes avec les instigateurs, qu’il fit comparaître en justice, de la mort de Socrate. Toutefois le mal était beaucoup plus profond, ce ne sont plus les commanditaires que le cynisme veut éliminer, il ne suffit pas de s’attaquer nommément  à des individus mais à la lèpre morale généralisée qui corrompt les citoyens, les gonfle de leur fausse importance et les métamorphose en ballons de baudruche, l’on a besoin du chien le plus cruel pour qu’il plante ses crocs dans ces poupées boursoufflées, la musique devient de plus en plus violente, elle décape l’esprit des hommes, Thumos utilise la bougie de la lanterne de Diogène pour calciner les saletés de leurs âmes, elle agit comme le feu sacré qu’alluma Téthys pour brûler les chairs mortellement  humaines d’Achille. Musique des sphères en colère. Spaceseer : Waxing Crescent : allusion aux cycles de la lune, précisément à ce que nous appelons chez nous le croissant de cire, l’idée est celle du recommencement d’un cycle, retour à l’Arcadie initiale de la Course de l’Empire, tapotements divers, bruits de fond, c’est encore du bruit mais l’on pressent une ordonnance musicale, ce n’est plus le chaos, ce n’est plus le désordre, quelque chose est en train de se mettre en place, l’impression de voir surgir une structure, elle ne ressemble encore à rien de défini et encore moins de définitif, une intuition nous prévient qu’une volonté coordonnée est à la base de ce projet, de lointains sifflements de flûte, non ce n’est pas Amphion, c’est le travail coordonné de milliers d’êtres, chacun sait ce qu’il a à faire et surtout à quelle œuvre il s’adonne, un bourdonnement, c’est celui que l’on doit entendre à l’intérieur d’une ruche, c’est ainsi que nous l’imaginons ne serait-ce que symboliquement, chaque abeille aux ailes fragiles participant à la préservation de la Cité miellique. Une note d’optimisme généralisé.

             Les chiens de Thumos et de Spaceseer aboient, réveillée de sa léthargie la caravane humaine reprend son chemin.

    Damie Chad.

     

    *

             J’ai toujours eu une grosse tendresse, depuis le jour lointain où j’ai eu connaissance de son nom, pour le Kraken. Une charmante bébête, certains textes la décrivent comme une île qui atteindrait seize kilomètres de long. Je ne pense pas qu’elle contiendrait dans votre aquarium. C’est un mot qui détruit les bases de la linguistique moderne selon laquelle il n’y a aucun rapport entre les sonorités d’un vocable et la chose qu’il désigne. Prononcez Kraken et vous entendez le monde qui craque entre ses féroces mandibules, avec en plus la dernière syllabe ‘’-ken’’ qui semble glisser interminablement au loin comme des tentacules géants qui s’enfuient jusqu’au bout des océans pour s’enrouler autour d’un porte-avions et l’entraîner inexorablement jusqu’aux fonds des abysses insondables…

             Non le groupe ne se nomme pas Kraken mais son unique album est un salut adressé au terrible monstre marin. Je l’ai repéré sur la chaîne You Tube de Daniel Banariba qui se complaît à collectionner les monstres soniques les plus répugnants qu’il traque sans discontinuer.

    WITH MALICE

             C’est le nom du groupe. Ne lui appliquez point le sens que notre langue française moderne a octroyé à ce mot. Rien à voir avec un enfant malicieux. Rendons-lui sa force médiévale de malveillance diabolique, de stratégie délibérée de vouloir faire le mal pour le mal.

             With Malice n’existe plus depuis 2016. Venaient d’Edmonton capitale de l’Alberta au Canada. Avant de livrer son unique album, il a d’abord proposé un EP sans titre. Que nous écouterons en dernier.

    HAIL KRAKEN

    WITH MALICE

    (CD – 2015)

    Jessy Leduc : Vocals / Alex McIntosh : Drums / Ryan Kippen : Guitar / Jonathan Schieman : Bass

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    Hail kraken : le début est magnifique, bruits de vagues, chants de cachalots, hordes vengeresse de Moby Dicks enragées, par la suite z’y vont sans malice et franco de port, ne sont pas là pour enfiler des perles, plutôt des carcasses d’épaves pour offrir un collier à Poseidon, vocal, batterie, guitares saccadées comme des chœurs de marins wagnériens, plus des grondements et des heurts apocalyptiques, non ce n’est pas un calamar géant inoffensif si j’ose dire, un véritable monstre surgi des abysses sans fond du temps  d’un roman de Lovecraft, Le sort du malheureux navire est vite fixé, en moins de quatre minutes l’est englouti et l’équipage bouffé jusqu’aux os. Hall of extinction : jusqu’à ce titre l’on était à peu près tranquilles, sûr l’on pense qu’ils s’énervent un peu, qu’ils vous brandissent des riffs de guitares comme s’ils agitaient le drapeau de la destruction à la tête des hordes mongoles, un bateau de plus ou de moins sur cette terre, pardon sur cette planète bleue, on ne va pas en faire un fromage, on s’en gondole, oui mais les lyrics nous détrompent, les japonais ont inventé Godzilla pour nous avertir des dangers de la bombe atomique, là vous pouvez rire jaune, ça n’a pas marché, nous sommes après le big bang, pas le premier, l’ultime, la race humaine a été réduite à l’état de fossiles, en tout cas ils nous fournissent une bande-son du génocide final particulièrement vraisemblable, prennent leur pied, on se demande, vu le plaisir sonore qu’ils y exposent si ce ne sont pas eux qui ont appuyé sur le bouton. Filth : pourquoi tant de haine, pourquoi accélèrent-ils encore le rythme, et pourquoi cette batterie branchée sur trois milliards de volts, et ce chanteur qui vomit tant de hargne, pas la peine de tant se fatiguer puisque nous sommes tous morts, l’humanité reléguée dans le tableau des espèces disparues. C’est qu’il y a pire que l’extinction généralisée. C’est qu’il existe une raison au suicide collectif de la race humaine, prenons un cas au hasard, tiens, toi le lecteur, sois franc, sans doute es-tu même passé à l’acte, n’as-tu jamais haï quelqu’un, un de tes proches par exemple, au point d’avoir envie de le tuer, de l’égorger comme un cochon, et de te réjouir de son agonie. Maintenant vous comprenez pourquoi  With Malice est si violent. Puisque tu es capable de tuer ton voisin, inutile de jouer les Cassandre, de nous avertir que nous l’Humanité courons à notre perte, les armes bla-bla, l’écologie bla-bla, le réchauffement bla-bla, oui tout cela nous menace car c’est fiché au fond de toi. Espèce d’immonde saleté. Tout arrive à cause de toi.  Vengeful maniacs : hi ! hi ! vous croyez être sain et sauf, With Malice a radié l’espèce humaine et votre foi en la grandeur de l’Homme qui n’est qu’un assassin, vous pensez que plus rien ne peut vous arriver, n’oubliez jamais que l’on peut trouver pire, pire que les horreurs terrestres, agent Chad vous exagérez ! Pas du tout il reste encore la zone sombre des cauchemars. Parfois ils sont insupportables et vous vous réveillez, il semble que With Malice s’est dépêché de terminer ce morceau, même pas trois minutes, à fond de train, le batteur a dû courir pour le rattraper et lorsqu’il est arrivé sur le quai la locomotive du vocal et le tender des guitares lui sont passés sur le corps, je vous résume la situation, le gars est tout heureux, se délecte du bon tour qu’il vient de jouer à une centaine de personnes, il les a enterrées vivantes, mais voilà qu’elles s’agitent sous la terre, se débarrassent de leur gangue glaiseuse et l’acculent dans un coin du cimetière. Ces gars-là font attention à notre santé mentale, ils ne nous disent pas comment l’histoire finit.

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    Necrotic soul : profitez-en c’est le quart d’heure philosophique, de Natura Humanis, de la nature humaine, bon les gars ne vous font pas un cours ennuyeux comme la mort sur la morale de Kant, ils appliquent la technique orientale, plus qu’un long discours rien ne vaut un bon exemple. C’est ce qui marque les esprits. La chair aussi. Parce que voyez-vous, notre âme nécrotique est d’instinct attiré par les âmes pures à qui elles font subir les derniers outrages, viol, torture, assassinat, si par hasard la victime en réchappe, elle n’a plus qu’une hâte, c’est sans doute pour cela que le morceau est si rapide, se venger au plus vite, aussi bien sur son bourreau que sur un innocent. La vérité est que notre âme est meurtrière, que nous nous délectons de la mort des autres. Ce doit être ce que l’on appelle une vision pessimiste. Writing assembly : pas de panique, si la philosophie ne nous apporte aucune aide salutaire, il nous reste le secours de la religion. A la violence avec laquelle le prédicateur fait son sermon, avec cette batterie qui frappe sans répit, sa basse knoutique, et sa guitare qui assène ses riffs comme des coups de trique vous comprenez que nos frères d’Avec Malice ne font aucunement confiance à la colombe du Saint-Esprit pour vous apaiser, le message ne passe pas, personne ne l’entend, personne ne l’écoute, pas plus le prédicateur que les ouailles. Et Dieu dans tout ça. Figurez-vous que personne n’y pense. Gnosis : enfin on va tout savoir ! Sont fair-play, nous expliquent pourquoi le message  de Dieu ne passe pas. Même qu’ils laissent un long espace instrumental pour nous permettre d’apprécier la subtilité de leurs propos. Ils n’accusent pas directement le Grand Manitou mais ils laissent entendre que le message n’est pas clair. D’un côté c’est l’amour, c’est bon, c’est bien, on a envie d’y croire mais de l’autre côté c’est la longue liste infernale des punitions qui vous attendent. Dieu vous refile le Bien et le Mal dans la même pochette-surprise. Comment voulez-vous que l’Individu se dépatouille avec ce cadeau empoisonné. L’Individu est un être faible, comment trancher le nœud de cette contradiction si ce n’est par la violence ! Carving : comment font-ils, ils ont encore de l’énergie. C’est vrai que pour le dernier morceau ils ont décidé de régler le problème définitivement, de le prendre à bras-le-corps, puisque Dieu ne répond pas, ils vont le chercher dans le seul endroit où il se trouve. Nous assistons donc à une dissection in vivo, le sujet pensant se saisit de son scalpel et décide de savoir ce qu’il a dans le ventre, je vous épargne les détails, par exemple les viscères qui rampent sur le plancher. Incroyable mais véridique, à part de l’hémoglobine qui coule de partout, il n’y a rien d’autre. Ah, si autre chose, j’allais oublier, ça fait mal, très mal – essayez si vous ne les croyez pas – la douleur si forte, si violente, si insupportable qu’elle est divine. S’arrêtent là ne prononcent pas un mot supplémentaire. Comme vous n’êtes pas idiot vous en tirez la conclusion qui s’impose. Si Dieu est douleur, faire du mal à autrui est de l’ordre du divin.

             Vous pouvez écouter With Malice en faisant la vaisselle (vous pouvez du coup quitter votre petite amie, mais cela vous regarde), bref vous n’êtes pas trop attentifs et vous dites : un bon groupe de hard, un peu bourrin, toujours à faire un max de bruit, des gars qui ne se posent pas de problèmes métaphysiques, vous êtes totalement à côté de la plaque, sont beaucoup plus finauds que vous ne le croyez, écoutez les lyrics, ils allient brutalité et subtilité, cerise le gäto Cat Zenglerien, ils vous exposent une problématique, la déroulent jusqu’au bout et vous laissent le droit d’en tirer les conclusions. Celles qui selon vous s’imposent !

             Mais il temps d’écouter le premier EP :

    WITH MALICE

    (Bandcamp : Octobre 2012)

    Davis Hay :  vocals / Alex McIntosh : drums / Brent Bell : guitar / Ryan Kippen : Guitar / Jonathan Schieman : bass.

             La couve n’est guère pharamineuse à mon humble avis…

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    Singular : le son n’est pas le même, longue introduction, guitare ramassée et fusante, la voix mixée devant, leur reste trois minutes, trois strophes et deux refrains pour raconter l’histoire de l’humanité, des anciens cultes à la société de consommation le film est toujours le même, tout est fait pour enfermer les esprits  libres et originaux en des croyances ou des comportements appropriés, soit par la force ou la séduction, l’ensemble sonore donne l’impression d’un serpent fuyant qui parvient toujours à ses fins, est-ce pour s’échapper ou prendre à revers ses futures proies. La guitare de Brent se redresse tel un cobra prêt à frapper. Pas d’échappatoire sinon en soi-même.

    Gnosis : (lyrics différents de ceux de l’album) : tout de suite la voix, noire, gorgée de grognements et l’instrumentation qui balaie derrière, le même batteur mais pas du tout la même manière de battre le beurre, moins de roulements, davantage de tapotements, ce qui était raconté depuis l’extérieur dans le premier morceau est maintenant exposé de l’intérieur. L’esprit, le jugement dirait-on en employant un vocabulaire philosophique, est en butte avec la réalité, vide et folie au-dedans, mais il est encore plus dangereux de regarder au-dehors, le spectacle n’est jamais neutre, la chose vue vous attaque, elle est-là pour vous détruire. Avec ses deux premiers titres l’on s’aperçoit que With Malice avait un projet des idées et un son. La fin du morceau tordue par un essorage guitarique et une explosion vocale est jouissive. Vengifull maniacs : (la dernière strophe est plus explicite, des précisions sont apportées sur la manière dont les enterrés vivants se vengent : ils aspergent d’essence leur tortionnaire et le brûlent vivant) : à monde cruel musique forte et chant teinté d’une ironie noire, qui nous oblige à interpréter le sens de ce morceau d’une manière différente, la guitare ânonne et se grippe, le final confirme notre intuition, l’esprit n’a pas résisté au spectacle du monde, il débloque totalement, crazy world ! Wasteland : terre en friche, notre terre gaste de Perceval, mais ici le Graal n’y est pour rien, le coupable est le feu nucléaire, l’on comprend maintenant pourquoi la vision de ce monde de désolation a rendu fou notre héros, comme des hélices d’avions qui tournent sur elles-mêmes sans faire avancer l’appareil, Davis parle plus qu’il ne chante, le spectacle est trop hallucinant, le background semble tourner sur lui-même, serpent qui essaie de se mordre la queue pour coïncider avec lui-même sans y réussir. Dans un dernier effort Davis nous apprend que la mort a triomphé.

             Ce premier EP était prometteur. Le chanteur et le guitariste partis, le reste du groupe a continué. Avec les deux nouveaux venus, ils ont repris le matériau de ce premier opus et en ont fait autre chose. Différent mais sans rien trahir, ni renier. Dommage qu’ils n’aient pas continué…

    Damie Chad.

     

    *

    C’est leur premier disque. Un truc zen. Faites-moi confiance, un grain de grind vous détendra, signez-moi un tchèque en blanc. Oui ils viennent de Prague. Comme Kafka, comme Rilke. Dès que j’ai vu la couve, avant même de les écouter j’ai voulu en savoir plus. Je suis arrivé après la bataille. Sur leur Face Book, le dernier post daté de 06 / 10 / 2022 indique qu’ils avaient décidé de se séparer.   Dommage, tant pis, on les écoute quand même, ces gars me ressemblent, ils sont parfaits.

    THROUGH

    PERFECITIZEN

    ( CD : L’Inphantile Collective / L’C 013 / 2013)

    J’en vois certains qui tiquent, ce collectif leur semble bizarre, c’est juste une maison de disques, sise à Prague, un experimental/grindcore/metal label comme elle se définit, je vous l’accorde à la réflexion il est des chances pour que ce soit davantage zinzin que zen. Par contre ils arborent un joli logo, une espèce de wagon-trolleybus qui répond au nom éminemment valéryen de Neonarcis.

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    Belle pochette qui vous explique le titre de l’album, une main qui tâtonne sur une paroi de verre. Serions-nous tous prisonniers d’une immense cage de Faraday sociétale, à moins que ce soit notre cerveau qui soit incapable de communiquer avec l’extérieur.

    Tomáš Mleziva : guitars, bass / Olda Kamenetski : vocals / Jarda Haž : drums / Hjalli : samples.

    Avant de commencer l’écoute deux courtes notules : eux-mêmes se définissent musicalement comme un groupe ‘’extreme blast core, death grind band’’. La deuxième est une question à laquelle nous ne répondrons pas : pourquoi en règle générale les groupes de Metal nous emmènent-ils souvent en des univers post-apocalyptiques dans lesquels la survie s’avère au mieux aléatoire, sur d’autres planètes où l’on doit se confronter à de redoutables monstres, voire en d’étranges fantaisies peuplées de créatures informes et infâmes. Parfois c’est le Diable en personne qui s’occupe de notre propre engeance, ou alors nous plongeons dans les époques les plus noires de notre civilisation…

    Genesis : épouvantables sonorités, hurlements et crépitements battériaux frénétiques, Olda donne de la voix, dans les années soixante on lui aurait offert une boîte de pastilles Valda pour soigner son cancer de la gorge, si vous cherchez une semblance mélodique vous ne trouverez pas, lignes brisées, montagnes russes, crêtes tranchantes, pentes verglacées, bruits divers entre siphons d’évier et ustensiles ménagers divers et égoïnesques, mais pourquoi tant de déglingueries sonores, vous ne me croirez pas, parce qu’il est heureux, oui il est content et satisfait : normal il est libre. Libéré ! De quoi, de qui, demanderont les esprits curieux. Mais de ce dont vous êtes restés prisonniers. De vous-mêmes. Oui, il est sorti de lui-même, par extraction, il est nu comme un ver, désormais il vous sera impossible de lui prendre la moindre chose. Non, aucune allusion à des costumes de soie ou à un épais portefeuille bourré de grosses coupures, soyez moins matérialistes, n’a plus rien, l’est fauché, son cerveau est totalement vide, même son âme s’est envolée l’on ne sait où. A poil, totalement dehors et dedans. Reset the chaos : rien que le titre fait peur, l’est sûr que pour vos oreilles ce sera difficile de supporter ce chant épileptique, ce tabassage battérial perpétuel et ces bruits de fond qui s’installent tout devant, qui vous empêchent de penser, à tel point que quand ça stoppe brutalement vous n’espérez plus qu’une chose, que ça reprenne illico, je vous rassure ça repart immédiatement, en pire, attention aux membranes de votre cervelet qui risquent de subir de fortes trépanations. Faut écouter ce kaos comme une préparation mentale, pour comprendre quelque chose, ses effets sur votre personnalité par exemple, il faut l’expérimenter. Exemple, en règle générale vous vous méfiez des serpents, mais voir un cobra de huit mètres de long dans votre salon c’est différent, ça change les perspectives, ici ce n’est pas un reptile qui sort de sous le fauteuil sur lequel vous étiez assis, non vous êtes convoqué à une séquence de décervelage. Oui mais c’est moins rigolo que dans Ubu, car dans cet extracteur géant il y de l’abus, tous vos désirs, tous vos espoirs ont été extirpés de votre tête, vous êtes devenu un citoyen perfectionné rivé à sa chaîne de travail, attention pas de charloteries, vous n’êtes pas dans un film, rentrez dans le rang de l’uniformité, soyez comme les trois singes, ne dites rien, ne voyez rien, n’écoutez rien (avec ce vacarme vous n’aurez pas de mal à suivre la troisième injonction !). Accordance : pressurisation phonique, on augmente le volume et le rythme, c’est pour votre bien, cela vous empêche d’être pris à partie par de mauvaises pensées, voire de leur entrouvrir la porte, le mieux est d’accepter, fais ton boulot, rejoins sans tergiverser le rang des esclaves, sois un rouage, que dis-je une pièce indistincte, encore mieux une vis uniforme de la machine qui te broie et que tu es devenu, le vocal, moulinette folle, te hache à la machette, transforme la moindre de tes envies en charpie sanglante. Le concassage faiblit quelques instants pour qu’on l’entende couler au fond de la fosse d’aisance. Souviens-toi, tu n’es plus toi. Tu n’es plus. Enfonce-toi cette vérité dans la tête qui ne t’appartient plus.  Electrification : merveilleuse fée électricité, on l’entend siffler dans les tuyaux qui alimentent la machine que l’on a branchée sur ton cerveau. Remue-ménage dans tes synapses, coupures, recrudescence d’influx, c’est ce que l’on appelle le courant-alternatif, tabassage vocal sur ton occiput, le résultat est superbe, l’on entend par deux fois trois secondes les inflexions d’une véritable guitare, tes pensées déviantes ont été remises dans le droit chemin, tu avais besoin d’une petite révision (à coups de marteau). Tout est bien qui finit mal. Assimilation : quelle douceur, quel calme, quelle paisible atmosphère, l’on est tellement bien qu’il faut tendre l’oreille pour entendre, enfin un peu de bruit, rien de chaotique, même si peu à peu ça redevient un tantinet agité  surviennent des plages de plénitude, tout compte fait l’on n’est pas si mal ici, suffit de s’y faire, d’entrevoir la réalité du bon côté, maintenant l’on me certifie que je suis un citoyen parfait, dans un monde lui aussi insurpassable, la coopération doit marcher des deux côtés, dommage pour ceux qui sont morts et qui n’ont pas eu la possibilité d’atteindre à cette communion de l’Unique avec la Globalité, la parfaite égalité, qui aurait pensé qu’elle pouvait être atteinte si rapidement, le bonheur communautaire à portée de main… Tu vois on a eu raison d’insister. Emballé, c’est pesé. Les bons prix à payer font les bons amis. Our place : ça ronronne, l’on est dedans, l’on est au chaud, l’on suit le rythme, c’est aussi l’occasion de faire le point, de visualiser la situation, l’on réside dans le système qui nous empêche d’être nous, attention des discordances clinquantes nous avertissent qu’il est des sentes dangereuses, les pieds de notre pensée nous y engagent, est-ce vraiment malgré nous, le bruit s’atténue, ce n’est pas que son ait baissé, c’est qu’on ne l’écoute plus, qu’on ne l’entend plus, c’est que notre pensée monopolise notre attention, elle résonne dans le vide, certes nous sommes prisonniers du système mais nous sommes aussi le système, nous sommes la cage et en même temps la clef de la cage.  Productivity : alerte rouge, alerte noire, tout le système est en état d’alerte, les ordres sont hurlés, heureusement tout est prévu, il se régule de lui-même à heures fixes, c’est le moment de la kommandatur, pas d’affolement suffit de serrer les boulons et de purger les circuits, même pas question de gravir un Everest sonique, pas d’affolement, on continue sur la lancée, merveilleux système qui s’auto-régule à la perfection. Une machine qui se répare toute seule. Aucun grain de sable ne saurait s’entremettre. Ça y est, tout est au point. Ça roule. Tout fonctionne. Dubitation : grondements intérieurs, le ver est dans le fruit, les mots se bousculent, il rampe à toute vitesse, de temps en temps les pensées exultent, de temps en temps l’élan retombe, alors la solution se présente, prendre les armes, détruire le système, bousculades dans la tête, le son résonne sur lui-même, barbotage musical, le cerveau et les pensées défilent à toute vitesse, que faire, comment faire, suis-je prêt à tout, suis-je sûr de moi-même, tout va trop vite, tout tourbillonne, le cerveau n’est-il pas lui aussi une machine que je ne peux arrêter, alors je pète un câble et je hurle. Through : une mélodie qui devient folle, un serpent que la batterie hache en milliers de tronçons, tout s’emmêle, tout s’entremêle, nous sommes hors de la machine puisque nous sommes dans la réalité de notre société, la machine est-elle en nous ou hors de nous, ou plutôt ne suis-je pas la machine à moi tout seul et toi aussi n’es-tu pas la machine à toi-tout seul, c’est à devenir fou, la solution est là, seul je n’arrêterai jamais la machine, mais à deux, mais à plusieurs, mais à tous, mais à nous, ne parviendrons-nous pas à la casser. Un dernier hurlement. Fin de la bande, la machine s’arrête. Oui mais l’autre ? Nous ne sommes pas encore de l’autre côté.

             Un peu éprouvant pour les tympans fragiles. Toutefois l’impact s’amoindrit tout de même lorsque l’espoir d’un arrêt de la machine apparaît. Deus ex humana machina ! Des tchèques certes, mais j’entrevois en eux des adeptes de la philosophie déconstructiviste française. Derrida et consorts. Beaucoup d’analyses, de démonstrations, de démontages, mais peu d’efficience dans la réalité. Une dés-analyse du système ne le détruit pas. La déconstruction n’est-elle qu’une reprise du machinisme cartésien, voire de Malebranche qui tenta de faire de Dieu le moteur de la machine animale. Ne sommes-nous pas dans une resucée incapacitante du nihilisme ?

             Perfeccitizen a encore commis deux disques : Corten (2015), Humanipulation (2002), je ne les ai écoutés qu’imparfaitement, trop rapidement. Il m’a semblé, j’aimerais faire erreur, qu’ils n’ont pas réussi à sortir du cercle de leur machine mentale et systémique, nous ne saurions leur en faire reproche, au moment de la naissance du capitalisme (un mot qu’ils remplacent par système) moderne, au début du dix-neuvième siècle en Angleterre, les ludistes, eux non plus n’ont pas réussi à arrêter son extension en cassant les métiers à tisser.

             La critique est facile, la révolution beaucoup plus difficile.

    Damie Chad.

     

    *

             Cette livraison kr’tntique se termine. Que choisir parmi les nouveautés. La plus terminale de toutes. Ce sera donc :

    PLEROMA MORTEM EST

    MONOVOTH

    (K7 – CD : Trepanation  Recording)

    N’est-on pas toujours seul lorsque l’on se confronte à la mort. L’on ne sera donc pas étonné de trouver un seul mnovothoring comme principal artifex : Lucas Wyssbrod : composition, guitars, bass. Martin Visconti :  mise en place des drums.

    La couve est d’Andrea Navarro, son instagram : Andreanavarroartista dévoile une artiste surprenante aux confluences de diverses sensibilités… Par quel miracle peut-on aborder autant de noirceur que de clarté… Elle est le Yin et le Yang.

    J’avoue avoir été attiré par le titre en latin. Facile à traduire : Mortel est le plérôme. Ce qui nous laisse perplexe et suscite un plein d’interrogations quant à l’interprétation de l’opus. De quelle plénitude s’agit-il : de celle de l’homme mortel ou de celle des éons immortels chers aux gnostiques. L’analyse de l’artwork ne nous aide guère : l’on ne peut s’empêcher aux figurines des jeux de cartes les plus simples (Roi, Reines, Valets) qui ne possèdent ni haut ni bas puisque tous deux sont interchangeables. Pourtant ici tout est différent, entre le gisant et le vertical, entre l’horizontal et l’accroché, dans tous les cas supposés :  l’impossibilité d’accéder au même cercle.

    Peu d’indices à notre disposition : l’opus est composé de six titre, six instrumentaux, qui dévoilent le noir et cèlent la clarté des mots. Il est présenté avec un texte qui nous indique les rayons d’impédance et d’action qui sous-tendent chacun des six morceaux. A vrai dire les références philosophiques explicatives nous semblent en contradiction avec le titre de l’album, n’ayons pas peur des mots : elles nous déçoivent franchement. Les argentins -  Monovox est argentin – seraient-ils en retard d’un demi-siècle dans leurs références philosophiques…

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    Grata Mors : guest  guitars : Sebastian Barrionuevo : voici donc une mort agréable, statistiquement parlant nous sommes prêts à parier que nos concitoyens ne la jugent pas de la même manière… ce qui est sûr c’est que nos lecteurs sans en avoir entendu une seule note ne pensent pas que cette œuvre soit un tantinet joyeuse, ils ont raison, dès la première assourdance funèbre, ces graves et grasses sons de basse, c’est le glas annonciateur de mort qui résonne, suivi d’une magnifique et lyrique amplification majestueuse qui nous projette déjà dans l’autre monde, drone music certes mais ce n’est jamais tout à fait le même motif qui revient, l’est magnifiquement assorti de résonnances nouvelles, lancinantes et changeante, un peu comme la peau d’un serpent sinueux qui à chacun de ses méandres varie de teinte par le seul fait qu’il ne forme pas le même angle avec le rayon du soleil (noir) qui se pose sur lui. Monovoth place ces instants fatidiques sous le signe de l’étreinte, est-ce la mort qui étreint le vivant ou le mourant qui est encore étreint par la vie. Au lieu du verbe étreindre irions-nous jusques à employer l’expression faire l’amour, si proche en notre langue de faire le mort. Comme dit le proverbe : chacun fait comme il peut. Ainsi peut-on traduire grata mors par la mort reconnaissante. The Air Between Gardens : feulements de tambours, de l’air qui passe entre les jardins, mais de quels jardins s’agit-il et que vient faire cet air, ce qui est certain c’est que le son dramatise la scène, jusqu’à ce que la crise éclate, les derniers moments, les dernières fibres sectionnées qui préfigurent l’arrachement, la séparation du monde des vivants, les proches penchés sur le cadavre encore chaud et le mort déjà dans l’au-delà, l’affliction d’un côté et le sourire du masque du sphinx immuable qui s’est posé sur le visage du décédé tel un masque, à moins que ce qui soit essentiel soit ce troisième élément, cet air subtil qui passe, parcourt et arrose l’entre-deux du jardin des morts et du jardin des vivants, un trait d’union séparatif, le garden n’est-il pas ce qui garde, le gardien de l’enclos, celui dont est chassé, celui vers lequel on se dirige. Un jardin à chaque bout du chemin. Clamor Resonat : synthés Federico Ramos : douceur sonore et résonnante, ce qui subsiste de nous après notre passage, ces ondes subtiles, ces battements d’ailes d’oiseau du cygne évanoui qui n’ont pas fui, qui sont restés, qui bruissent et qui parlent, cet inaudible qui dicte, qui affirme notre présence alors que nous ne sommes plus, peut-être le plus beau morceau de cet opus qui en compte six, avec dans sa seconde moitié, l’autre moitié de l’envol dont on ignore tout mais que l’on pressent symétrique comme les deux ailes du papillon mort, l’une bat encore de ces anciens mouvements et l’autre immobile qui remue dans une sphère inatteignable aux vivants, bientôt il est si loin que l’on ne l’entend plus alors que l’on ne l’a jamais entendu.

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    Somnia : sombreur ce qui reste sont nos rêves, des projections de nos désirs avec lesquelles nous peignons et repeignons sans cesse notre destin, nous le voulons aussi doux que cette mélodie aussi tendre que cette brise qui nous emporte de l’autre côté, la seule chose que nous emmenons est cette figurine de nous que nous appelons destin, la plénitude de notre destin ne décline-t-elle pas notre mort, est-ce ainsi que l’on doit entendre le titre, les rêves nous ont précipités en nous-même, en notre vie, et hors de nous-même en notre mort. Collisions of souls : la batterie frappe de plat et d’estoc dans un film de cape et d’épée passé au ralenti, quel grabuge, tout destin se forge dans le fracas des volontés vives qui s’entrechoquent, peut-être de l’autre côté en est-il de même, nous heurtons-nous à d’autres âmes n’est-ce pas notre destin le seul viatique que nous emportons avec nous, le drone insiste de plus en plus fort, le motif de notre vie n’est-il pas leitmotiv de notre mort.  Denique Mors : vocals  Linseay O’Connor : donc la mort, il faut bien en passer par-là, il faut bien en finir avec ça. Reprise du même thème, serait-il envisageable qu’un autre survienne, ne sommes-nous pas ensablés dans ce même motif depuis le début, un éclat de batterie tonitruant, des guitares qui fondent comme un aigle sur sa proie, serait-ce un éclat de révolte métaphysique, inutile et perverse dixit Mallarmé, l’on sort les grandes draperies noires, les épais rideaux funèbres, l’attirail majestueux, des sons qui claudiquent, des cordes qui grincent, quelque chose se déglingue, le moteur dronique ne tourne plus rond, il bat de l’aigle, il bat de l’aile, tel un avion obligé de se poser, non plus sur la terre de la mort mais  en lui-même sur les morts de la terre, il atterrit, il roule, il quitte la piste, il cahote sur un terrain irrégulier, il perd une aile sur un gros rocher, il va trop vite, l’on pressent la tragédie, on subodore, on prévoit, on voit, on connaît la fin, crash final, crash landing. Sur quelle terre, sur quel jardin au juste ?

             Si l’on s’en rapporte à la notice explicative qui est fournie, faut s’en tenir aux visions sartriennes et camusiennes. Vous voyagez sur cette terre avec pour seule valise votre mort, n’espérez rien de plus. Tout se passe dans l’aval de la mort. En amont, en amort, il n’y a rien. Ce qui est bizarre, ce n’est pas qu’il n’y ait rien, c’est tout le mal que Monovoth s’est donné durant tout son opus à nous parler de la mort puisqu’elle n’est rien.

    Damie Chad.