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  • CHRONIQUES DE POURPRE 701 : KR'TNT ! 701 : BLACK SABBATH / TÖ YÖ / WILD BILLY CHILDISH / ZEMENT / WHEELS / SNAKES IN THE BOOTS / MISS CALYPSO / THE CORALS / GENE VINCENT+ WANDA JACKSON

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 701

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    05 / 09 / 2025

     

     

    BLACK SABBATH / TÖ YÖ

    WILD BILLY CHILDISH / ZEMENT

    WHEELS / SNAKES IN THE BOOTS

    MISS CALYPSO / THE CORALS 

        GENE VINCENT + WANDA JACKSON

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 701

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

    - Sabbath tous les records

    (Part One) 

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             On se doutait bien que l’histoire d’Ozz allait mal finir, mais la nouvelle de son cassage de pipe en bois nous a tout de même surpris. C’est arrivé quelques jours après l’ultime concert de reformation de Sab à Birmingham. Encore une page d’histoire qui se tourne. On va bientôt se retrouver seuls. Ils seront tous partis. Rien n’est pire que de voir partir ses amis et de se retrouver seul.

             On a tous été fans de Sabbath, sans doute parce qu’ils étaient fans des Beatles. Il ne faut jamais perdre ceci de vue : dans les années 60 et 70, les Beatles furent au cœur de la vie de tous les kids anglais : ils ont eu cette chance extraordinaire d’avoir eu comme modèle un groupe parfait. En France, on proposait aux kids un autre genre de modèle : Johnny Hallyday. C’est pas la même chose.  

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             Dans Mojo, Keith Cameron assiste pour nous aux préparatifs de l’ultime concert de Sabbath, prévu le 5 juillet 2025 au stade Villa Park de Birmingham, à côté duquel les quatre Sab ont grandi - We all lived around that Villa ground - Le concert porte le doux nom de ‘Back to the beginning’. L’Ozz a 76 ans. Il ne tient plus debout. Parkinson. Son dernier concert date de 2018. Un Ozzfest à Los Angeles.

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             Puis l’idée d’un concert d’adieu a commencé à germer dans les vieilles cervelles vermoulues des quatre Sab. L’Ozz a donné son accord et il a repris l’entraînement avec son équipe d’assistants : respiration, altères, on imagine le travail. L’obsession de l’Ozz est de dire adieu à tout le monde avec un seul big show. Sharon Osbourne : «Well why don’t we just do one big show and you can thank everybody? So we’ve been working on it for nearly two years. You know, Birmingham has given Ozzy so much, he’s so proud of where he was born. He’s working his little old arse off to get there.»

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             Ça n’a pas été simple de rassembler les quatre Sab originaux, surtout Bill Ward, qui avait quitté le groupe depuis belle lurette. Geez indique qu’Ozz l’a appelé pour lui proposer de «finir là où tout avait commencé», et Geez lui a répondu qu’il était d’accord si Tony et Bill donnaient eux aussi leur accord. Alors l’Ozz appelle Bill et lui propose le deal - I’m gonna do one last time. Do you want to come and play? - Bill accepte, mais Tony Io n’est pas très chaud. Il commence par dire non - To be honest, when it was first mentioned to me, I said no - Tony Io se demande surtout si les quatre Sab sont encore en état de monter sur scène, myself included - We need to be good. We’ve got a good legacy, and I didn’t want to destroy it by everything not being right - Et voilà, c’est the end of the End, comme il dit. Tony Io n’est pas beaucoup plus frais qu’Ozz : il s’est tapé un petit cancer, et fait pas mal d’allers et retours à l’hosto. C’est l’âge. 77 ans, la zone de tous les dangers. On vient de lui retirer un gros truc dans la gorge et crack, il s’est coincé un nerf dans le cou - When you get to our age, things just go wrong - Il craint surtout qu’un des quatre Sab ne se casse la gueule sur scène après deux cuts. C’est le risque qui pend au nez des vieux crabes quand ils montent sur scène à l’âge de 77 ans. Faut savoir ce qu’on veut dans la vie.

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             Geez n’est pas beaucoup plus frais. En 2022, il était trop malade pour grimper sur scène avec l’Ozz et Tony Io. Et comme dit Cameron, «he’s currently working hard on his flexibility». Il a des crampes dans les mains. Il craint que ça ne lui arrive sur scène. Devant les fans, il aurait l’air d’un con avec ses cramps. Quant à Bill, il fait du fitness avec son drum crew. Ils ont tous des crews. Ils ne parlent que de crews. C’est l’apanage des vieilles superstars. Un crew sinon rien ! Bill bosse son leg power pour driver «Sabbath’s massive double bass drum attack.» Vazy Bill, drive ! À son âge, Bill a encore des choses à prouver. Il a lui aussi 77 ans - that’s a whole other world, 77 and playing 26-inch bass drums. One could call it lunacy - Tu l’as dit, Billy !   

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             Justement, Bill donne une grosse interview dans Uncut. Dans son introduction, John Robinson parle d’une «incredible unity of purpose». C’est bien vu. Bill rappelle qu’il a fait une petite crise cardiaque en 2017, et donc, il a dû mettre la pédale douce. Et surtout retrouver la forme, grâce à son crew. Puis il raconte la formation de Sabbath à Birmingham et leurs premiers cuts, «Wicked World» et «Black Sabbath». Ils répètent chez Tony - We wrote it and we played it - Puis ce sont les tournées en Europe, le Star Club d’Hambourg, les putes, le premier album, et patati et patata. Puis Robinson le branche sur les farces de Sab : c’est vrai Bill qu’ils mettaient le feu à ta barbe ? - They were pranks - C’est Tony qui avait le briquet. Bill n’a pas grand-chose à raconter, mais il fait un petit retour sur la pochette de Sabotage. C’est lui qui porte les collants rouges de sa femme sur la pochette. Comme il ne porte rien en dessous, on voit ses balls, alors il demande à l’Ozz de lui prêter son calbut, «which he more than happily did». C’est pourquoi l’Ozz porte une robe.  

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             Luke la main froide n’en finit plus de loucher sur la pochette de Sabotage, «the most psychologically damaged record (just look at the sleeve)». Et il ajoute, emporté par son élan : «Le Midland death trip d’Ozzy culmine en 1975 avec l’album Sabotage qui depuis la pochette jusqu’au contenu est l’un des albums de rock les plus étranges jamais enregistrés. Les paroles sont pour la plupart signées by Brummie shaman Terry ‘Geezer’ Butler.» C’est l’album chouchou des fans de Sab, à cause de cette énormité qu’est «Hole In The Sky», un nouveau modèle de riff anglais sorti du cerveau de Tony Io. Il fabrique du Sab en permanence, et quand l’Ozz ramène son chat perché, ça fait l’identité de Sab, avec en plus derrière les deux cavemen qui allument sec. C’est dans «Symptom Of The Universe» qu’on entend cracher les haut-fourneaux de Birmingham. Dommage que les petits épisodes prog viennent perturber le bel équilibre. Il semble que Tony Io ne gratte que des séquences mythiques, comme ces espagnolades de fin de parcours. Et puis avec «Megalomania», ils se rapprochent du premier album, ils sont si heavy et si présents ! Ils disposent d’une science inégalée en matière de redémarrage en côte et se payent en plus le luxe d’un final épouvantable aux lueurs du génie sabbatique. L’autre hit de Sabotage est le dernier cut de la B, «The Writ», un heavy blues chanté au chat perché d’Ozz, sans doute le perché le plus perçant de tous. Ils ont du panache, le monde entier le sait, on ne fait pas l’impasse sur le Sab, on les connaît par cœur, ces beaux cuts de Sabotage, sans doute les a-t-on trop écoutés. Avec «Am I Going Insane», ils sonnent comme Syd Barrett. Tout est beau et puissant sur cet album. Tony Io fait exploser des bouquets fatals sur «The Thrill Of It All», il soigne ses fins de loup. «Supertzar» est le cut qui a dû impressionner le plus la main froide, car on y entend des voix surgies du passé. On se croirait dans un film d’Eisenstein, c’est exactement la même ampleur catégorielle.

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             Dans sa colonne infernale, Luke la main froide avait raison de se prosterner devant les six premiers Sabbath de la période Vertigo - Without doubt some of the greatest rock’n’roll ever made. These records fucking swing, man - Ils font partie des albums fondateurs de l’empire du rock anglais. Tony Io est l’un des grands guitaristes classiques du rock anglais, il fait partie de ceux qui ont tout inventé. Ah comme on a pu adorer ce Black Sabbath paru en 1970 ! Chaque fois qu’on le réécoute, il fonctionne comme une machine à remonter le temps. Tous les cuts de l’album sonnent comme des classiques, cette belle et étrange musicalité s’installe avec «Behind The Wall Of Sleep». Rien à voir avec l’hard-rock, c’est de l’heavy pop dotée d’une mélodie chant d’une indicible qualité. Le génie riffeur de Tony Io prend forme avec «NIB» et l’Ozz entre dans l’histoire avec son fameux Oh yeah ! Fabuleuse énergie ! Très beaux longings de Tony Io, il est fabuleux d’à-propos. Ils ouvrent leur bal de B avec «Evil Woman Don’t Play Your Games With Me», monté sur un riff classique bien contrebalancé par le bassmatic du Geez. Ces quatre Brummies fabriquent du rock classique, et cette fois c’est le Geez qui vole le show. Ils finissent en beauté avec «Warning» et l’Ozz revient au chant après une longue absence, une si longue absence.  

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             Paranoid paraît la même année. On imagine l’ado Luke dans sa cave, secouant ses petits cheveux blonds au son de «War Pigs». Heavy, baby ! Voilà d’où vient toute cette culture heavy. Ils jouent à la respiration interrompue, c’est un peu emprunté, mais c’est Sab, alors respect. Ils réussissent l’exploit de créer un monde à partir d’un riff, puis ça part en virée seventies. Voici venu le temps des classiques avec «Paranoid» et «Iron Man». Le riff de Parano est tellement classique qu’on dirait du Led Zep. Bravo Tony Io ! Stop to fuck my brain, gueule l’Ozz et pendant ce temps, Geez fait un carnage. «Iron Man» est aussi monté sur un riff classique, et Tony Io le ralentit pour l’alourdir. Tout l’heavy métal vient de là, de l’Iron. Et cette manie qu’ils ont de partir en virée ! En B, on trouve deux autres pièces palpitantes : «Electric Funeral», d’abord, plus tarabiscoté, même si c’est monté sur un riff funéraire du grand Tony Io, un riff d’une portée universelle, c’est dire la grandeur de sa hauteur. Puis voilà «Fairies Wear Boots», un titre qui a dû beaucoup plaire à la main froide, mais ça se présente comme une jam, with no direction home, perdue dans la pampa, avec une succession de thèmes impies, et l’Ozz entre dans l’ass de la danse à l’impromptu, il s’installe dans l’ambiance du power Sab, c’est très fairy witchy, il raconte son histoire d’une voix étrangement perçante.

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             Paru l’année suivante, Master Of Reality a dû mettre la jeune main froide sur la paille. On retrouve notre cher heavy Sab dès «Sweet Leaf». Tony Io joue du gras double, ils sont dans leur élément, c’est saturé d’heavyness ralentie, mais après un moment, ça se barre en vrille prog, et ils reviennent on ne sait comment en mode rouleau compresseur. Le Geez fait vrombir sa basse. Sur toute l’A, le Sab se montre déterminé à vaincre, il fait même du boogie rock anglais avec «Children Of The Grave». Pas d’hit sur cet album, mais une constance sabbatique, comme le montre encore «Lord Of The World», ils restent dans leur formule, pas de surprise, Tony Io se place en embuscade et malgré les apparences, le son reste très linéaire. Ils reviennent au big sound avec «Into The Void». Chez Sab, ce n’est pas le gros popotin, mais le gros patapouf qui a le vent en poupe. Il est tellement gros, le patapouf, qu’il a du mal à respirer... Si on cherche des aventures, il faut aller voir ailleurs. Les kids adorent le gros patapouf de Tony Io.

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             La jeune main froide a dû beaucoup admirer la pochette du Black Sabbath Vol. 4. Quel rocking artwork ! Et hop ça démarre avec du classic Sab monté sur une nouvelle trouvaille Ionique. Pas question de s’énerver, il joue son riff en retenue et miraculeusement, on échappe cette fois au petit développement prog de mi-parcours. Tous les cuts de Sab sont montés sur un riff de Tony Io. Alors pour l’Ozz, c’est du gâtö. Il peut enfourcher son canasson et chanter «Tomorrow’s Dream» au chat perché. Tony Io remplit le son à ras-bord. Il lui donne de l’ampleur. «Changes» pourrait être un balladif de Croz, car c’est assez océanique. Peut-être s’agit-il du meilleur sob de Sab. Pour boucler l’A, Tony Io charge la barque de «Supernaut». Il est l’un des plus gros démolisseurs d’Angleterre et l’Ozz s’élance comme un loup à l’assaut de la caravane, ça joue pour de vrai. Tony Io a plus de son qu’avant, on voit qu’ils enregistrent à Los Angeles. La B se tient bien elle aussi, «Snowblind» reste du classic Sab. L’Ozz ne change rien à sa méthode, il va droit sur son petit chat perché. Tony Io boucle ce valeureux Snowblind à l’embrasée de Birmingham. «Laguna Sunrise» montre qu’ils sont capables de climat lumineux et d’espagnolades, et ce gros mélange de riffing et d’orientalisme qu’est «St Vitus Dance» montre qu’ils adorent danser avec Saint-Guy. Cet album surprenant s’achève avec «Under The Sun», classic package de Sab monté comme un millefeuille, bien bourré de crème au beurre et concassé à tous les instants comme le corps d’un malheureux soumis au supplice de la roue.

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             Paru en 1973, Sabbath Bloody Sabbath n’est pas le meilleur Sab. C’est du classic Sab, bourré de climats, de cocotes et de chat perché. L’Ozz se veut criard, mais il n’est pas toujours juste. Ils amènent l’«A National Acrobat» au heavy Sab, mais ça vire troubled troubadour un peu proggy.  Tony Io a du mal à renouveler le cheptel. Ses compos peinent à jouir. C’est encore dans la délicatesse diaphane qu’il excelle le mieux («Fluff»). Il revient à son pré-carré et à ses vieilles racines de mandragore avec «Sabbra Cadabra», on se croirait sur le premier Sab, tellement c’est bien foutu. C’est même l’hit de ce bloody album. Le «Killing Yourself To Live» qui ouvre le bal de la B semble lui aussi sortir du premier Sab. Merci Tony Io de ce retour aux sources. L’Ozz s’en donne à cœur joie. Ils font de la petite pop bien intentionnée avec «Looking For Today» et pour «Spiral Architect», Tony Io pompe les accords des Who dans Tommy. Cette fois, ils tombent dans le n’importe quoi, et ça finit par devenir trop poli pour être honnête. 

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             Pourquoi diable a-t-on ramassé Paranoid: Black Days With Sabbath & Other Horror Stories chez Smith il y a plus de vingt ans ? Certainement pas à cause de la couve et de ce mélange visuel complètement sabbatique de croix et de seringue (attention, le book est reparu avec une couve encore pire : une cuillère pleine de poudre et une seringue). Certainement pas à cause du nom de l’auteur : on savait que Mick Wall drivait Kerrang!, cet hebdo ou bi-hebdo metal qu’on n’approchait qu’avec des pincettes (c’était le seul canard anglais qui consacrait des pages aux Wildhearts). Et pourtant on a fini par lire ce book de Mick Wall. Et on l’a adoré. Pour deux raisons : Mick Wall écrit comme un cake. Et son book est un fantastique hommage à l’Ozz. Et pour saluer le départ de l’Ozz, on l’a relu, car le souvenir du bon moment était un peu fané et les notes de lecture ne semblaient pas trop fiables. Dans ces cas-là, on relit.

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             Alors attention, ce n’est pas exactement un book sur Sabbath. Mick Wall raconte ses années de junkie et ça démarre comme ça : «J’ai pris la seringue et l’ai plantée right in my arm. Habituellement, on ne pique pas une veine du premier coup, mais cette fois ça a marché. La chance était avec moi et je vis, fasciné, le petite nuage de sang remplir la seringue.» Mick Wall écrit dans un style direct, et comme Nick Kent, il s’est forgé un langage : «We called our works ‘guns’. I slowly squeezed the trigger on mine and waited for the bullet to hit. ‘Go on you slag!’.»  Il donne absolument tous les détails, dans un style à l’emporte-pièce, il traîne son addiction pendant un bon bail puis finit par décrocher pour pouvoir faire ce qui l’intéresse : écrire. C’est donc l’autobio d’un pur écrivain rock. Dans Apathy For The Devil, Nick Kent raconte qu’il est passé par les mêmes travers. Ça faisait semble-t-il partie du jeu.

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             Wall vit en coloc avec un certain Mandy - Like Mandy, I loved heroin. As drugs go, it was the best. Booze, coke, dope, even acid, they were social drugs, party tricks, something you shared with a crowded room. La différence entre le trip à l’acide et le trip on smack était comme celle qui existe entre le dernier blockbuster d’Hollywood et un small art-house movie from Europe. (...) Smack was for the conoisseurs of the anti-social, the solo artists and mavericks who stood for nothing - Et il ajoute ça qui permet de comprendre la suite : «Smack was not a recreational drug, it was a vocation.» Puis il décrit le glissement de l’addiction, car le smack cesse d’être un «personal statement and becomes purely a matter of day-to-day survival.» Ça se passe entre 1979 et 1980, endless junk summer. Il associe le smack au jazz - Willfully perverse, unashamedly self-absorbed, insistently élisist (il met un é), jazz was the perfect junk soundtrack. Like punk and speed, reggae and dope, Hendrix and acid.

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             Mandy prétend que ce n’est pas l’hero qui tue les gens, c’est la télé - Every fix we took was like a big, beautiful fuck-off to the world - Wall et Mandy voient le rite de l’hero comme le summum de l’anticonformisme. Plus loin, il rend hommage à Lou Reed et à «Heroin», «because when the smack begins to flow, it’s true, you really don’t care any more. There was no science to it. It was pure and simple. Smack was just the baddest and the best. Total white-out.» Comme il est écrivain, il peut sortir ça : «Smack was whaterver you wanted it to be.» Les mots n’ont plus d’importance. Il donne aussi pas mal de détails sur la marchandise : «Strickly Iranian brown was our mainman. Après la chute du Shah, by the end of 1980, London was awash with cheap, strong Iranian smack.» Mandy et lui bossent dans le music biz à Londres, et chaque jour, Wall raconte qu’il disparaît un moment dans les gogues pour se faire un fix - One fix at a time - Il va bien sûr se faire repérer et se faire virer. Il donne pas mal d’autres détails, comme par exemple la constipation - Not shitting for weeks on end becomes the norm - Il explique qu’il faut s’accroupir et s’aider soi-même avec les doigts. Mais le pire, c’est l’aspect financier. On vend tout ce qu’on a, même ses disques rares. En une semaine, il a refourgué ses 200 albums collectionnés pendant trois ans. Puis il vend sa machine à écrire, sa montre, ses bagues, son tourne-disques, sa télé, sa radio, et tous ses books.

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    Mick Wall

             Ce qui rend Mick Wall infiniment crédible, c’est bien sûr la qualité de son style. Quand on lui propose une grosse ligne de coke, Wall s’extasie ainsi : «Just go with the flow, baby! Chop ‘em out, Charlie! I was the Jean Genie, letting myself go...», et bien sûr t’entends sonner les accords de Ronno. C’est ça, l’écriture rock, ça sonne. Et quand il n’aime pas quelqu’un, il devient une sorte de Léon Bloy rock. Il évoque le Live Aid et pouf, qui arrive dans son viseur ?, «Geldorf himself. Who would remember Bob now, oher than as the big-headed, mouthy twat from the crappy Boomtown Rats.» Et puisqu’il est en plein dans la daube de Live Aid, il cible U2, «particulary in America, where Bono’s down-on-one-knee histrionics went down a storm.» Quand il devient célèbre grâce à Kerrang!, il ne se rate pas : «I was a cover story writer now, the fattest fat frog in the murky green pond.»

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             Lorsqu’il vit à Los Angeles et qu’il devient riche et célèbre, Mick Wall s’aperçoit qu’il ne bande plus beaucoup, alors il s’en explique très bien : «Il y avait des nuits when I could no longer get it up, que ce soit mentalement ou physiquement. Somewhere along the line, I’d lost a few steps. Pas à cause du smack - pas besoin d’être un junkie pour être fatigué de la chasse. Too much sun and not enough time, that was my excuse.» Et plus loin, il précise : «D’une certaine façon, j’avais de nouveau atteint ce point. Pas à travers l’hero cette fois, mais à travers une drogue plus puissante que le junk. I was high on life, man. And it was slowly killing me. J’ai essayé d’arrêter ça plusieurs fois, mais je n’avais plus d’énergie. À partir d’un certain point, même l’argent n’a plus d’intérêt. Je savais que je ne deviendrais jamais un millionnaire, mais une fois le loyer payé, à quoi peut-on bien penser ?»

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             Ailleurs, il vole dans les plumes des années 80, «the most stupid decade since the ‘50s. Les gens, me semblait-il, étaient prêts à payer pour n’importe quoi, aussi longtemps que c’était bien habillé. And the more stupid, the better. Look at Duran Duran. Look at Bowie and ‘Let’s Dance’. Look at JR and Joan Collins and Margaret Thatcher and Ronald Reagan... What a vulgar, unconvincing bunch of arse-sucking stupidity.» Pourtant, ailleurs, il rend hommage à Bowie qu’il rencontre pour une interview - What a great interview he gave, too - sharp, witty, full of fun, full of stories (...) He was just on it like a motherfucker. He was an interview-killing machine - Wall rappelle qu’«après Ozzy, Ziggy was my mainman. Il venait du futur et j’ai grandi en pensant que Diamond Dogs and David Live were the greatest, most underrated albums of the ‘70s.»

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             En attendant, il rencontre pas mal de gens, dont bien sûr toute la faune de Kerrang!, les Motley Crüe, les Guns N’ Roses et tous ces machins là. Il rencontre aussi David Crosby qui s’apprête à partir au ballon pour 5 piges et qui a le look of the condemned man. Puis Jimmy Page, avec lequel il a un échange intéressant. Wall lui demande pourquoi il est gentil avec lui, alors que tout le monde raconte qu’ils se conduit comme un «complete bastard», et Jimmy lui répond que cette gentillesse «is the other side of the coin. C’est comme la guitare électrique et la guitare acoustique, les gens veulent entendre le bruit le plus fort, alors que d’autres veulent entendre the more gentle acoustic side out. You’ve only ever seen the acoustic side of me.» Wall est tellement impressionné par la classe de Jimmy Page qu’ils vont rester amis. Et bien sûr, Wall va consacrer à Led Zep ce chef-d’œuvre mémorable qu’est When Giants Walked the Earth: A Biography of Led Zeppelin.

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             L’autre géant que Wall salue dans Paranoia est bien sûr Phil Lynott : «Tall as a vampire and dressed from head to foot in black leather, his fingers, wrists anf throat wrapped in a cluter of expansive bejewelled baubles, his dark afro framing his long, sly face like a publicity shot, Philip Lynott played the most convincing rock star I ever met.» Et bien sûr, il le compare à Jimi Hendrix - Maybe Hendrix was the original and the best, but Jimi wasn’t around any more - Quand Wall lui demande pourquoi il porte sa basse si haut, si c’est pour mieux jouer, Phil grommelle : «Naw. It’s so’s da girlies can gedda good look at me bollocks.» Wall rappelle que les punks respectaient Lizzy et que les Pistols se trouvaient backstage aux Lizzy gigs. Un soir, Phil Lynott propose à Mick Wall du Fleetwood Mac. Wall ne pige pas. Alors Phil précise : smack. Ils se font un petit snort ensemble. Et là t’as deux pages absolument magnifiques de rock writing.

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             Autre chapitre déterminant : Dave Brock. Un Dave Brock qui prend l’histoire d’Hawkwind très au sérieux. Voici comment Mick Wall l’épingle : «Alors que certaines pop stars - Phil Collins, say - vous font penser à des chauffeurs de bus, something about the greasy unwashed hair, the stringy beard, the decade-old jeans and rancid-looking fingerless leather gloves always made me think of Dave Brock as a dustman. Chaque fois que je voyais Dave, c’est comme si je le voyais jeter des sacs poubelles à l’arrière d’un big truck.» Mick Wall accompagne Hawkwind en tournée et un matin, au lobby de l’hôtel, histoire de briser la glace, Mick lance à Dave : «The bins are around the back, mate.» - Je m’attendais à le voir rire, ou au moins sourire, mais il me regarda, «his expression as inscrutable as the cosmos his music purported to explore» - La chute ne fit pas attendre. «You’re fired», he said and walked off.

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             On croise aussi des pages extraordinairement captivantes sur les rock critics - À quelques exceptions près, la plupart des journalistes rock que j’ai rencontrés étaient des gens ordinaires et décevants, generally of less-than-average intelligence - Et il ajoute ça qui tue les mouches : «None of them seemed to have much idea of what rock’n’roll might actually be about.» Eh oui, c’est bien ça le problème, même dans la presse anglaise. Il n’en sauve qu’un, Nick Kent - The dark prince. What hadn’t he written, done, been, said, thought, lost, won that wasn’t great? Nothing I could think of. Tall, rakishly handsome in a thin, permanently stoned way, his black raven’s hair cut like Keef’s and streaked with cat-piss yellow, paint-chipped fingernails, badly applied make-up, chandelier earring, the whole bit, Nick Kent was the man who invented the term ‘elegantly wasted’, not just on the page but in real life - Après Bowie, Phil Lynott et Jimmy Page, c’est le quatrième grand hommage du book, juste avant l’Ozz. 

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             L’Ozz, c’est pour ça qu’on est là. Mais encore une fois, ce book n’est pas Ozzé à 100%. Mick Wall brasse assez large, et c’est ce brassage qui à l’époque nous intéressait. Et c’est la raison pour laquelle on a décidé de suivre l’auteur à la trace, même si ensuite, il proposait des monographies, au sens plus strict du terme, mais quelles monographies ! Led Zep, Hendrix, Lou Reed, Lemmy, John Peel, les Doors, des books qui sont devenus, mine de rien, des ouvrages de référence, et dont on a bien sûr causé, soit ici-même (Doors, Lou Reed, Peely, Hendrix), soit dans les Cent Contes Rock (Led Zep). On reviendra plus tard sur son Lemmy et son Sabbath.

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             En 1980, Wall est embauché comme agent de presse de Sabbath et accompagne le groupe en tournée américaine. L’Ozz n’est plus dans le groupe, il s’est fait virer 18 mois plus tôt par Tony Io qui en avait marre de ses ‘antics’. Ils ont embauché Ronnie James Dio pour le remplacer. Wall s’amuse bien avec les Sab qui ne volent pas haut. Voilà ce qu’il dit de Bill Ward : «Dark panda-eyes, hair like a Christmas tree, full alky beard, big beer belly hanging over his spangly rock star belt.» Wall ne sait rien des drogues que prennent les Sab, à cette époque. Ils n’en parlaient jamais ouvertement - I suspected Tony was a coke man - Ils prenaient de tout dans les années 60 et 70, «but by 1980, in the aftermath of Ozzy’s dismissal for being too out of it, anything like that which still went on was kept strickly under wrap.» Ils ne touchaient plus à rien. Mais pour Wall, le Sab a perdu tout son charme - They were the most miserable and difficult bunch of bastards I’d ever had to deal with. Tetchy uncommunicative, grim; Truly Sabbath were an enigma for me - Il les voit comme des middle-aged men qui ont une upside-down cross to bear.

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    Sharon + Ozzy

             Avec l’Ozz, c’est une autre histoire. Mick Wall aura même une relation privilégiée avec lui - J’avais découvert qu’au-delà du masque de sad clown, Ozzy était l’une des très rares rock stars qui disait toujours exactement ce qu’il pensait - L’Ozz se confie à Mick et lui raconte qu’après sa détox d’alcool, il a encore un bar à la maison, «except it’s got no booze in it.» Diet coke. Et ça l’afflige. C’est comme d’avoir une table de billard sans les boules. Puis il reconnaît qu’il n’est ni un grand songwriter ni un grand chanteur - With me, it’s all the orher stuff, the mad fucking stuff - mais l’Ozz n’est pas dupe. Il sait ce que les gens pensent de lui et il fait avec. Il dit aussi qu’il a eu du mal à s’extraire «of that fuckin’ mess with Sabbath». Quand Mick Wall le rencontre, l’Ozz vit dans un seedy, second-string hotel de West Hollywood, «working his way through the ninety thousand dollars the band had given him when they told him to fuck off.» C’est bien que ce soit Mick Wall qui le dise. Dans la foulée, Wall rencontre Sharon qui explique pourquoi elle s’est attachée à l’Ozz : «Ozzy had always bugged me. Because he was lazy, he was insecure and... dumb!»

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             Wall revient sur ses premières amours : «I still loved my old Sabbath albums lile Paranoid and Master Of Reality the way I would always love The Man Who Sold The World and the first New York Dolls album.» Il rappelle aussi que Diary Od A Madman: The Uncensored Memoirs Of Rock’s Greatest Rogue fut son «first little success», comme il dit - Some of the worst writing I ever did was in this book - Il y collectionne en effet les anecdotes : l’Ozz qui pisse sur Alamo, l’Ozz qui trippe à l’acide et qui raconte qu’«il entre dans un pré and started talking to this horse. That was all right. Then the horse started talking back to me and I knew I was in trouble.» Ah la rigolade ! Et Wall de conclure : «The only rock star I could really relate to was Ozzy. Not just because he was funny, but because he was real. He was the only one I’d ever known who really felt his luck.»

             C’est avec cette image qu’on referme une page d’histoire nommé Ozzy Osbourne. Merci Ozz d’avoir enchanté nos adolescences.

    Signé : Cazengler, Black Savate

    Ozzy Osbourne. Disparu le 22 juillet 2025

    Black Sabbath. Black Sabbath. Vertigo 1970

    Black Sabbath. Paranoid. Vertigo 1970

    Black Sabbath. Master Of Reality. Vertigo 1971

    Black Sabbath. Vol 4. Vertigo 1972

    Black Sabbath. Sabbath Bloody Sabbath. Vertigo 1973

    Black Sabbath. Sabotage. Vertigo 1975

    Mick Wall. Paranoid: Black Days With Sabbath & Other Horror Stories. Mainstream 1999

    John Robinson : After forever (Bill Ward gets heavy). Uncut # 340 - July 325

    Keith Cameron : Into The Void? Mojo # 381 - August 2025

     

     

    L’avenir du rock

    - Pas trop Tö, Yö

    (Part Two)

     

             Boule et Bill observent l’avenir du rock du coin de l’œil.

             — On te voit venir, avenir du froc, avec tes Tö Yö...

             — On t’a vu faire tes petites photottes de branleur...

             — Tu vas même nous refourguer l’illusse que t’as déjà utilisée y’a un an !

             — Tu vas encore nous torcher une kro à la mormoille, comme d’hab’ !

             — T’es d’un prévisible qui fout la trouille...

             — Tout le monde s’en branle de tes Tö Yö...

             — À voir ta gueule, on sait qu’t’es en train d’chercher ton titre...

             — Ouais, t’as la gueule d’une poule qu’a trouvé un couteau !

             — Comme on est gentils, on va t’donner un coup de main, avenir du broc !

             — Tö Yö Tä pas cent balles ? Quesse-t’en penses ? Pas mal hein ?

             — Tö Yö ! Tö Yö ! Ferme ta gueule répondit l’écho !

             — Et ça : Thirty Seconds Over Tö Yö !

             — Et pis ça : Tö Yö Yö Stuff !

             — Et ça : Tö Yä Yä Twist !

             — Et pis ça : c’est ton destin, Yö Yö !

             — Et ça : Tö Yö La Tengö !

             — Et pis ça : Tö Tö Yö Lariflette !

             — Et ça : Tö Yö Kö Onö !

             — Et pis ça : Tö Yä Kä faire ci Tö Yä Kä faire ça !

     

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             L’avenir du rock les laisse parler. À l’heure où tu lis ces quelques lignes, ils y sont encore.  Passons aux choses sérieuses.

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             Tö Yö ? Tyva ! Ou plutôt t’y retournes. T’y come back (baby come back). Sont déjà venus dans la cave. En juin, l’an passé. Comme déjà dit, ce fut un set psyché aux frontières de l’exotisme et des japoniaiseries chères à Mallarmé. Sont les quatre mêmes, mais le son n’est plus le même. Tö Yö chevauche désormais un dragon. Et là, amigo, si tu veux voyager dans le cosmos, c’est l’occasion en or. Pas besoin de te schtroumpher, le son te monte droit au cerveau, par vagues, les vagues d’Hokusai, celles qui s’élèvent dans l’éternité graphique d’un artiste visionnaire. Ça prend même parfois la dimension extravagante d’une tempête au Cap Horn, telle qu’on se l’imagine, t’as l’impression que la cave tangue, tellement ces quatre Japonais sont puissants. En fait, c’est ta pauvre cervelle qui tangue, mais t’aime bien l’idée du Cap Horn. Ils reprennent les choses exactement là où Dave Brock les a laissées voici 50 ans avec Space Ritual, et ils vont plus loin, beaucoup plus loin. Ils font ce que des tas de groupes ne savent pas faire : mettre la virtuosité au service du dragon. Car leur

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    son, c’est le dragon. Quand les deux guitaristes grattent leurs gammes avec une infinie délicatesse, le dragon crache des flammes, le dragon crame les colonnes du temple, le dragon embrase ton imaginaire, soudain, la vraie dimension est à portée de main, tu peux toucher le dragon, t’en reviens pas de voir ruisseler cette pluie de feu sonique, t’en reviens pas de voir ces deux guitaristes lever des tempêtes comme d’autres ramassent des betteraves, t’en reviens pas de voir ce batteur fouetter la peau des fesses psychédéliques avec une vélocité criante de swing véracitaire, t’en

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    reviens pas de voir ce bassiste remonter les flots à contre-courant sur sa cinq cordes, barrant des accords en forme de barrage contre le Pacifique, t’en reviens pas de tous ce blasting flash et de toutes ces interactions entre les deux virtuoses, t’as l’impression de voir le rock renaître de ses cendres à chaque instant, t’es sidéré de toute cette affabulation lysergique précipitée dans l’écume d’Hokusai, ces mecs redonnent vie à un genre qu’on croyait éculé par tant d’abus, et du coup, le psyché remonte à la pointe du progrès, plein de vie, gorgé de sens, hallucinant, en avance

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    sur tous les peine-à-jouir, loin devant, t’as pas idée. Rarement un groupe aura autant fasciné la cave, ils n’ont même pas besoin de chanter, le dragon suffit, on attend juste qu’il se manifeste, et on va le voir cracher du feu jusqu’au bout du set. Il fait une chaleur à crever et t’es complètement flabbergasted. Pas d’autre mot possible.

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             Tu ramasses leur nouvel album au merch, Yosuieiho - Tö Yö Live At Shindaita Fever. T’auras pas exactement le dragon sur ce live, mais un simili-dragon, c’est déjà pas mal. Deux longs cuts sur chaque face. Leur «Jam» monte lentement, comme toutes les bonnes jams. Ils se la jouent délicate, en attendant le passage du Cap Horn. C’est très dedicated to the followers of the hollow.   Les Japonais jamment dans la soie, puis ça vire Krakatoa au Cap Horn, et là tu dis quoi ? Tu dis oui, mille fois oui, car ça valse dans les bastingages, le psyché krakatoate à gogo, ça Tö-Yöte dans les tuyaux, t’en as pour ton billet de trente. S’ensuit la très belle tension psyché d’«Untitled #1». Dans leur genre, ce sont des cracks, ils bouffent le psyché tout cru, ça croque de l’électron. Ah comme elles sont belles, ces interactions de poux, nos deux gratteurs s’en donnent à cœur joie, ils génèrent de longues giclées éjaculatoires. Tu veilles, tu penses à tout rien, tu écris des vers de la prose, tu dois trafiquer quelque chose en attendant le jour qui vient, sachant bien que près du passé luisant, demain est incolore. Ils attaquent leur B avec la belle exotica de l’«Untitled #2», un Untitled un brin Kill Bill, doux et floconneux comme la Seine sous le Pont Mirabelle. Puis avec «Li Ma Li», ils s’en vont brasser l’écume des jours à gestes larges, ça bassmatique aux galères, sur un beat lourd et lent, il n’existe rien de plus psyché sur cette terre que cet Untitled, c’est même du psyché limande dont la platitude s’étend à l’infini. Puis, sans prévenir, ça vire thermonucléaire avec une plongée en abysse, t’as le meilleur psyché du coin, ça bouillonne d’énergie avec un beat rebondi qui n’en finit plus de t’uppercuter sous le menton, les spasmes chevauchent les vagues qui percutent les storms de plein fouet. Cette affaire-là va très loin. 

    Signé : Cazengler, Tö Tö l’haricöt.

    Tö Yö. Le Trois Pièces. Rouen (76). 16 juillet 2025

    Tö Yö. Yosuieiho - Tö Yö Live At Shindaita Fever. Not On Label 2025

    Concert Braincrushing

     

     

    Wizards & True Stars

    - Le rock à Billy

    (Part Seven)

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             Après l’épisode Headcoats, Wild Billy Chidish repart de plus belle avec les Buff Medways, c’est-à-dire Johnny Barker et Wolf Howard. Ils virent les casquettes Sherlock et revêtent des uniformes anglais de la guerre de 14. On verra même Wolf porter un casque à pointe, histoire de bien rigoler avec la paraphernalia militaire. Buff Medways, c’est 5 albums, entre 2001 et 2005. Big Billy entre avec Buff Medways dans sa période Who/Hendrix.

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             This Is This est sans le moindre doute le plus hendrixien des albums de Big Billy. «Cross Lines» est une fabuleuse resucée de «Crosstown Traffic». Il recrée littéralement le mythe. Il monte aussi «Don’t Hold Me Back» sur les accords de «Fire». Même fin en soi à coups de let me stand by your fire, et t’as même la plongée en enfer. Ils sont encore en pleine hendrixité des choses avec «Till The End Of Time» et ils font monter plus loin «Don’t Give Up On Love» à l’hendrixienne, les chorus sont du pur jus d’Are You Experienced. Dans «Till It’s Over», tu crois aussi entendre dans les ponts des échos de let me stand by your fire. C’est un son très chargé, Big Billy y case tous les riffs hendrixiens qu’il a pu choper. Et puis rien n’est plus in the face que ce «No Mercy» d’ouverture de bal. C’est du mayhem ultime. Itou pour «This Won’t Change», attaqué au riff de basse sixties, un véritable chef d’œuvre d’attaque frontale. Et dans le morceau titre qui boucle le bouclard, Big Billy réussit l’exploit de sonner comme Richard Hell dans Dim Stars.

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             On sent une nette poussée vers les Who dans Steady The Buffs. Ils reprennent d’ailleurs «Ivor», qui n’est autre qu’Ivor The Engine Driver, qu’on entend via The Ox dans «A Quick One While He’s Away». Alors Big Billy tape en plein dans l’œil de la cocarde, avec des chœurs de folles, de l’énergie foutraque, et le moonisme de Wolf, tout y est ! Summum du genre ! Encore plus Whoish que les Who - You are/ Forgiving - Explosif ! Encore du killer Whoish avec «Strood Lights». Big Billy a fait ça toute sa vie, alors pas de problème. Il tape ensuite le «Misty Water» des Kinks en mode Buzzcocks. Rien ne peut arrêter Big Billy sur le chemin de la grandeur marmoréenne. Son «Well Well» n’est autre que le vieux «Baby Please Don’t Go» et il s’adonne à la suite à l’une de ses spécialités, le super-blast, avec «You Piss Me Off». Et le «Toubled Mind» qui ouvre la balda n’est autre que le vieux «Trouble Times». Il le recycle. C’est de bonne guerre. Il ne rate pas l’occasion de pousser l’un des plus beaux wouahhhhh de l’histoire du rock, histoire d’introduire un killer solo flash d’antho à Toto. Johnny Barker bombarde tout ça de bassmatic impénitent. «Archive From 1959» est purement autobiographique - Started school/ In nineteen/ Sixty five - Punk rock baby ! Et puis «Sally Sensation» va t’en boucher un coin. Les Buff Medways sont alors le plus puissant power-trio britannique.

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             Encore un wild wild wild album des Buff Medways : 1914. Triple hommage aux Who avec «Unable To See The Good» (pas de pire explosivité ! Coup de génie faramineux), «Just 15» (monté sur un bassmatic exubérant) et «Saucy Jack» qui n’est autre qu’«Happy Jack». Avec ça, t’es calé, mais il y a encore de la viande à avaler, comme par exemple ce vieux «All My Feelings Denied» qui date des Headcoats, monté sur une carcasse des Sonics. Big Billy indique qu’«Evidence Against Myself» est recorded live in the front room - The song is about my nature: I find a speck of dirt in my heart and hold it up for all the world to see - Et puis t’as «Nurse Julie» - Nurse Julie/ please talk to me - Complètement dévastateur, avec un killer solo tranché dans le vif, puis dans le riff. Tu tombes plus loin sur «Barbara Wire», un shoot d’heavy British Punk, très Buzzcocks. Avec «You Are All Phoneys», il dénonce tout le bordel - Rock stars/ Are phoneys - Il se paye un killer solo d’étranglement convulsif sur «Caroline». C’est sa grande spécialité. Sur l’encart, Big Billy indique qu’il enregistre avec deux micros - We don’t hide behind volume or celebrity - Et il déclare ceci qui vaut son poids d’or du Rhin : «We are not a rock group, we are not an garage rock group, we just play rock n roll in the tradition of Link Wray, British r’n’b and early punk.» À quoi il ajoute : «We are just happy to be good at what we do, we don’t need celebrity or all that junk. The Buff’s don’t go to parties et ne fréquentent pas les gens qui pourraient nous aider, on ne veut pas que nos chansons soient utilisées pour la publicité de bagnoles inutiles ou de marques de fringues qui font travailler les gosses with no piss break. We’re anti cool and plan to remain nobodies. Go and tell your friends that you’ve heard a real rock n roll group. May all beings be happy.» L’anti-star Big Billy signe ça en 2003.

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             Medway Wheelers est encore plus Whoish que 1914. Le solo d’«A Distant Figure Of Jon» est du pur Pete Townshend, et le bassmatic dévorant du pur John Entwistle. Big Billy attaque «Medway Wheelers» à la pure Whoisherie, c’est complètement enroulé dans «Substitute» et Graham Day te bassmatique ça en profondeur. Ils attaquent «Private View» aux chœurs des Who, c’est réellement explosé de chœurs et de Wolfmania : Wolf bat exactement le même beurre que Moonie. Rrrraplaplapla Rrrataplac ! En fait, Big Billy mélange les Who avec des stances à la Johnny Rotten. Il recycle aussi son vieux «The Man I Am» et l’attaque cette fois au riff proto. Big Billy n’en démord plus. C’est le roi de l’attaque frontale. Avec «Karen With A C», on voit bien que Wolf bat comme Moonie. Rrrraplaplapla Rrrataplac ! Big Billy chante son «22 Weeks» comme un vieux punk qui aurait trop écouté les Who. C’est bien enfoncé du clou ! On entend les accords de «My Generation» dans «Dustbin Mod». Graham Day fait encore des étincelles en B avec «You’re Out The Band Sunshine». On croit entendre la basse des Equals. Il te cloue bien la chouette à la porte du beat. Et puis tu vas te pourlécher les babines de ce «Poundland Poets» monté sur le beat du fondamental «Last White Christmas» des Basement Five. Que peux-tu attendre de plus d’un album de rock ? Rien.  

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             Pas question de faire l’impasse sur The Xfm Sessions. Tu sais pourquoi ? Parce que tu y trouves la seuls version enregistrée du «Fire» de Jimi Hendrix, que Big Billy joua au temps d’avant au Nouveau Casino. C’est l’une des covers définitives de l’histoire des covers, comme si l’élève dépassait le maître, et quel maître ! Cet album live est complètement Whoish, tu y retrouves «Strood Lites» que lance Johnny Barker au big bass drive, t’as aussi une cover d’«ATV», Action!/ Time!/ And vison !, il s’amuse bien le vieux Billy ! Wolf te bat sec le vieux «Troubled Mind», et Graham Day prend la basse pour bombarder «What You Got» et ramener des chœurs Whoish. C’est encore lui qui bassmatique «David Wise» et «Fire». Ce concert au Nouveau Casino fait partie des meilleurs souvenirs de concerts, avec ceux des Who à la fête de l’Huma et des Heartbreakers au Bataclan.

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             Nouvel épisode de la saga childishienne avec les Spartan Dreggs. Big Billy garde Wolf dans l’équipe et s’adjoint les services de Nurse Juju et de l’excellent Neil Palmer, qui du coup prend le lead, chant et guitare. Big Billy passe à la basse. Alors autant le dire tout de suite : les quatre albums des Spartan Dreggs sont un fantastique hommage aux Who. 

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             Sur Forensic R’n’b, t’as 7 cuts qui pourraient figurer sur un album des early Who. Ça commence avec le morceau titre en ouverture de balda. Ça a le mérite d’être clair : en plein dans le full blown Whoish, les Dreggs poussent l’art des Who dans les orties, même les chœurs sont purs. Et derrière, tas le bassmatic de Big Billy qui pétarade comme ce n’est pas permis. Palmer qui baigne les golfes clairs passe un petit solo inverti dans «The Ocean River Runs Around The Edge» et ça repart en mode infiniment Whoish avec «Tower Block» - My baby lives in a crumbling tower block - Neil Palmer est un puissant leader. «The Fishing Tameraire» est le Temeraire des Singing Loins. Ça joue de partout. Neil Palmer is all over. Et ça ré-explose de plus belle avec «Our Strange Power Of Speech», éclatant d’attaque frontale, avec des rosaces de solace, Maximum Forensic R’n’B ! Fais gaffe, la B va t’envoyer au tapis. Boom dès «Intertidal Marshland». Un mec siffle à l’intro comme chez les Dolls et ça part en mode power-blast. Retour aux Who avec «The Charcoal Burners Lament», ils raccordent les cocotes de Ricken avec des solaces étiolées. C’est glorieux. On reste dans l’éclat des Who avec «Scout-A-Boo» et de fantastiques montées aux chœurs. Ils font du rock Quadrophoniaque. «Are You A Wally?» sonne comme un hit de 1965 : Maximum R’n’B au Marquee ! Wolf a l’intelligence du beurre de Moonie, il recrée toutes les dynamiques explosives et Big Billy, via son tugboat bass, recrée le ramdam de The Ox. Alors le tour est joué. 

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             Hélas, Deggradation n’est pas aussi bon que le Forensic R’n’B. Ils sont dans un trip plus héroïque. Don Craine des Downliners Sect signe un petit texte au dos de la pochette, histoire de rappeler l’importance des Tales of the heroic age - From the Iliad to the Irish Mythological Cycle 1 - Le son s’en ressent. Big Billy fait du prog héroïque et ça coince, même si on retrouve le power pur dans «Grimen Mire». Big Billy rentre dans le chou de l’heavy heroic prog. On sauve encore «The Goose Girl» en B, mais pour le reste, ceinture. Palmer chante tout à la surface des golfes pas très clairs, comme dirait Bashung.

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             Histoire de bien brouiller les pistes, Big Billy fout un avion sur la pochette de Coastal Command. Encore quatre hommages aux Who : «A Shropshire Lad» (bardé d’éclats étoilés), «Punk Before Chips» (Punk before chips/ On Radio Six/ We’re the Spartan Dreggs!), «Transcending Utter Deggradation» (en plein dans le mille de la cocarde) et «We’ve Written Our Song (And Done Our Duty)», avec tout le power et les chœurs de lads des Who. Les Spartan Dreggs sont sans doute le groupe le plus entreprenant de Big Billy. Il défonce les annales d’«Eli The Baker» à la basse fuzz. Power incommensurable ! Et en B, t’as le morceau titre qui fracasse le freakbeat, ça claque dans tous les coins, Big Billy n’a jamais été aussi flamboyant !  

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             Dernier spasme des Spartan Dreggs : Archaeopteryx Vs Coelacanth. Album complètement Whoish, et ce dès «The Fen Raft Spider», où Wolf ramène tout le ramdam de Moonie et t’as en prime tout l’éclat des chœurs de lads des Who. Pareil avec «The Drawing Down Of The Blinds», très Who Sell Out, puis «A Romance British Song» et «The Insulted Choir», pure pop de frustration sexuelle et de gros pif boutonneux à la Townshend. C’est délicieusement imparable. Sur «Oak» Nurse Juju fait de belles harmonies vocales par derrière. Cut confus, bien brouillé de la piste. «Cure Of Love» qui est plus Downliners opère un beau retour aux sources. 

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             Il existe un autre album des Spartan Dreggs, Tablets Of Linear B, mais il fallait découper les coupons de deux autres pochettes des Dreggs pour l’avoir, alors laisse tomber.

    Signé : Cazengler, Bluff mais ouais

    Buff Medways.

    This Is This. Vinyl JapanJapan2001                                                                          

    Buff Medways. Steady The Buffs. Transcopic 2002

    Buff Medways. 1914. Transcopic 2002

    Wild Billy Childish & The Buff Medways. Medway Wheelers. Damaged Goods 2005

    Wild Billy Childish & The Buff Medways. The Xfm Sessions. Damaged Goods 2007

    Wild Billy Childish & The Spartan Dreggs. Forensic R’n’b. Damaged Goods 2011

    Wild Billy Childish & The Spartan Dreggs. Deggregation. Damaged Goods 2012 

    Wild Billy Childish & The Spartan Dreggs. Coastal Command. Damaged Goods 2012

    Wild Billy Childish & The Spartan Dreggs. Archaeopteryx Vs Coelacanth. Squoodge Records 2015

     

     

    L’avenir du rock

     - Zement c’est dément

             L’avenir du rock s’est encore fait ramasser par la Gestapo. Ces ordures ont tout essayé sur lui, mais rien n’a marché, ni les coups de barre à mine sur la bite, ni l’arrachage des ongles à la pince becro, ni le rat lâché dans sa culotte, ni les pieds plongés dans la friteuse, ni l’accrochage au plafond par les oreilles, ni l’obligation de manger le caca de l’Oberführer avec du ketchup, rien ! On ne parle même pas de la baignoire, du chalumeau ou des prélèvements de peau au scalpel, soi-disant pour lui fabriquer un abat-jour en souvenir. Chaque fois qu’on lui demande s’il connaît le chef de la Résistance, l’avenir du rock dit non, alors l’Oberführer lui dit qu’il ment, et comme l’avenir du rock déteste se faire traiter de menteur, il glapit :

             — Zement pas !

             Alors les brutes redoublent d’ingéniosité. Ils lui tatouent des croix gammées sur le front, ils le marquent au fer rouge sur les joues, ils lui greffent des boulons rouillés sous la peau.

             — Zement pas !

             Ça finit par les écœurer. Si vous souhaitez écœurer des bourreaux, suivez la recette de l’avenir du rock :

             — Zement pas !

             Ils finiront par en avoir marre avant vous.

             Ils essayent une dernière fois. Ils font venir un taureau pour sodomiser l’avenir du rock, puis ils l’enferment à poil dans un congélateur pendant une nuit entière et le réveillent en lui balançant l’huile bouillante de la friteuse dans la gueule, puis ils lui cousent une fermeture éclair sur la bouche pour qu’il la ferme quand il dit «Zement pas», puis ils tentent de lui greffer des nibards pour faire honte à sa masculinité, mais rien n’y fait.

             — Zement pas ! 

     

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             Tout le monde l’a bien compris : l’avenir du rock est prêt à faire n’importe quoi pour assurer la postérité d’un groupe dément comme Zement.

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             C’est une soirée à la cave qui va te remonter le moral, après le désastre binicole : Zement, en première partie des petites coquines argentines de Fin Del Mundo. Nous les saluerons un peu plus tard. En attendant, parlons un peu de Zement : des Kraut allemands, deux Johnny casquettes et un gros bassiste qui joue très peu. Celui qui gratte ses poux derrière un immense synthé germanique s’appelle Philipp, et comme on dit, l’habit ne fait pas le moine. Quand il arrive sur scène derrière son gros synthé et sous sa casquette, tu ne lui accordes pas la moindre chance. Tu te dis chouette, on va aller siffler une jupi vite fait au bar. Te voilà pris une fois encore en flagrant délit d’apriorisme, car Philipp est un crack : (long) cut après (long) cut, il réinvente un

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    genre qu’on prend difficilement au sérieux, le kraut de bic, sauf quand c’est Can the Can. Quand il est bien joué, le kraut de bic peut te monter au cerveau, et dans le cas de Zement, c’est exactement ce qui se passe. C’est le genre musical le plus insidieux de tous. Tu ne te méfies pas et soudain te voilà baisé. C’est exactement la même chose lorsque tu traînes avec une nympho : tu ne fais pas gaffe et soudain, tu t’aperçois qu’elle a mis la main dans ta culotte. Et il est trop tard. Zement t’engloutit, Zement te laboure, Zement t’assimile, Zement t’éclate au Sénégal, Zement te colonise, Zement t’asservit, Zement t’embarque pour un aller simple, Zement crée son monde, ce mec Philipp devient a hero just for one day, il gratte des poux qui prennent feu, il tellurique ta mère, il fait des grimaces d’un hérétique qu’on charcute au tison, et à sa droite, son pote Christian Budel bat une sorte de beurre de jazz somptueusement désarticulé, qui prend une tournure hallucinante lorsque Philipp embouche un sax pour Coltraner son kraut de bic, et franchement, tu te demandes vraiment ce que font ces deux superstars, ici, au fond d’une cave, en plein mois d’août. Ce qui t’affole le plus, c’est de voir que très peu de gens profitent de tout ce talent. On doit être une

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    petite vingtaine d’happy few, alors que t’avais des milliers de personnes qui assistaient à l’étalage de la daube binicole. Par ici, on appelle ça le monde à l’envers. C’est la même chose que de faire passer Kim Salmon AVANT Cash Savage, au Petit Bain. On vit aujourd’hui dans ce monde. Le plus difficile est de s’habituer à cette idée du monde à l’envers. Pour certains, ça ne sera pas possible.

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             En attendant, écoutons le Passenger que Philipp était tellement fier de vendre l’autre soir. Une fois passé le cap des deux premiers cuts, t’arrives au paradis de Philipp : «Making A Living» sonne comme de l’exotica germanique, ça monte doucement en pression hypnotique. L’hypno, ça marche toujours. Philipp est un fieffé musicologue, il ramène du sax sans sa soupe. Il exhorte au take off dans «Journeys To A Beautiful Nowhere». C’est vraiment très insistant, il gratte ses poux derrière ses machines, il installe un Wall of Sound derrière les spoutnicks. Puis il se fâche avec «Back To My Looping Cave». Il gratte les poux du diable et là ça devint sérieux, il se révèle tel qu’on l’a vu sur scène, un vrai killer, il en fait des kilos et bascule dans l’hyper violence, avec toute la dynamique du back to/ My looping cave, et ses poux prennent feu. Là ça devient extrêmement sérieux, Philipp fout le feu au Kraut, ça prend une tournure apocalyptique, l’effarant Christian Budel pulse tout ça au beat hypnotique. C’est avec «The Night We Saw The Holy Ghost» qu’il sort le sax d’Ornette et derrière, Christian bat le beat désarticulé avec la classe d’un squelette des catacombes. C’est du free à la dérive astrale. Diable, comme ce mec est brillant, il lance sa machine et fait haleter le sax, il a tout compris. Ça respire intensément, en free form, il se laisse complètement aller et t’as le vrai truc, au-delà du kraut de bic et des étiquettes à la mormoille. Il monte son free form en neige et comme Ornette, il te drive ça dans la nuit.

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             Intrigué au plus haut point, tu fous le grappin sur l’album précédent, Rohstoff, paru en 2021. C’est un pur album d’hypno. Mise en bouche avec «Goa», Christian Budel te bat ça dru, alors Philipp développe sa petite ambiance ambivalente. Le Goa s’accroche à toi comme un gros cancrelat hypnotique. T’as un beau drive de basse sur le «Soil» qui suit. Wow, ça zoue chez Zement, Philipp agrémente son hypno d’ambiances synthétiques extrêmement persuasives. Tout se tient sur Rohstoff, «Seine» aussi. Tout s’aboutit en toute logique, l’hypno t’obsède, tout s’absout, tout s’étire, tout s’admet, tout s’y met, tout s’omet et tout s’amène. Ils font du bon Can dira-t-on avec «Entzucken». Même power hypno, c’est subtil et bien pensé. Il ne se passe rien en surface, tout se trame dans l’attitude de la latitude, pas facile à expliquer. C’est du big bersek. Philipp sait monter son hypno en neige. Il regagne la sortie avec «Atem», une belle petite cavalcade. Tout est bien sérié, bien calibré, bien en avant toutes, tout est soigneusement délibéré, bien à dada sur le bidet, bien sanglé de frais, libre de toute contrainte, enclin à l’enclume. La claquemure est totale.

    Signé : Cazengler, Zement comme un arracheur de dents

    Zement. Le Trois Pièces. Rouen (76). 5 août 2025

    Zement. Rohstoff. Crazysane Records 2021

    Zement. Passengen. Crazysane Records 2025   

    Concert Braincrushing

     

    Inside the goldmine

     - Wheels on fire

             Will était ce qu’on appelle un surexcité. Et quand on a dit ça, on n’a rien dit. Il semblait écumer en parlant. De grosses veines saillaient dans son cou. Il répétait plusieurs fois la même phrase, et souvent, il claquait la table du plat de la main pour appuyer le dernier mot, avant de repartir dans une autre diatribe. Il avait les manies d’un speed-freak, mais ces sautes d’humeur répétitives semblaient naturelles, chez lui. Il avait ce qu’on appelait autrefois un tempérament sanguin, mais avec quelque chose de profondément malsain en plus. Tu te demandais parfois s’il n’allait pas te frapper. Ses mains volaient en permanence et il te fixait d’un regard noir. Comme tu fréquentais sa belle-sœur, il indiquait d’un ton menaçant à peine voilé qu’il valait mieux «que ça se passe bien avec elle», t’avais presque envie de rigoler, mais en même temps, tu sentais qu’il valait mieux éviter, car il était tellement imprévisible qu’il pouvait mal le prendre. Pour bien compliquer les choses, il avait pris la fâcheuse habitude de se pointer en pleine nuit. Quand on entendait tambouriner à la porte, on savait que c’était lui. Il savait qu’on était là car il avait vu la bagnole en bas. Il entrait, allait directement dans la cuisine chercher des bières et s’installait dans le canapé. Tu savais que tu n’allais pas pouvoir retourner te coucher. Il valait mieux essayer de prendre les choses du bon côté et faire semblant de s’intéresser à ses vitupérations intempestives. Et pour corser l’affaire, il guettait le moindre signe de malaise chez les autres, histoire de balancer un truc du genre : «Vazy, dis-le si ma gueule te revient pas !», ce qu’il fallait bien sûr éviter, car l’agressivité montait d’un cran et on le voyait serrer les poings, ce qui n’était pas bon signe. Il ne cherchait qu’une chose, en réalité : un prétexte pour frapper les gens qu’il n’aimait pas. Et à part lui-même, il n’aimait personne.

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             Avoir Will dans ton salon peut poser un problème. C’est tout le contraire avec Wheels. Will et Wheels n’ont qu’un seul point commun : l’art de créer de la tension, mais pour le reste, c’est le jour et la nuit : on accueille Wheels à bras ouvert, alors qu’on pousse un soupir de soulagement lorsque Will quitte les lieux.

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             Si tu veux écouter les Wheels, le mieux est de rapatrier la compile Big Beat sortie en 2012, Road Block. L’album fait partie des passages obligés, c’est-à-dire des albums indispensables, si tu en pinces pour le raw. Au dos du Big Beat, Grant Forbes amène quelques infos datées de 1966 (?) sur les Wheels. Il rappelle que le groupe vient du même endroit que les Them, Belfast. Puis ils sont allés s’installer à Bristol pour tourner dans le Nord de l’Angleterre. Les Wheels doivent leur réputation sulfureuse à Rod Demick et à sa «fantastic blues voice». Le mec au crâne rasé sur la pochette est l’organiste Brian Rossi, qui voulait se distinguer des «hordes of would-be

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    long-hairs». Les Wheels signent sur Columbia et sortent un premier single qui est une cover de «Gloria». C’est dirons-nous la cover des Athéniens qui s’atteignirent. Ils sont en plein dedans ! Leur deuxième single sera «Road Block» qui donne son titre au Big Beat. Tu y retrouves la tension des Them et le big bass sound, c’est du hot as hell. De l’autre côté de ce deuxième single, t’as «Bad Little Woman», un chef-

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    d’œuvre protozozo inspiré par la transe de Gloria. C’est de la pure folie d’its alriiiiite. Forbes indique que le single circula aux États-Unis et qu’il tomba dans les pattes des Shadows Of Knight qui s’empressèrent de le reprendre sur Back Door

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    Men. Et pour leur troisième et dernier single, les Wheels tapent une cover du «Kicks» signé Mann & Weil et popularisé par Paul Revere & The Raiders. Bizarrement, les Wheels en font un version poppy popette. Sur le Big Beat, tu croises une autre horreur, l’«Im Leaving» d’Hooky, et ça retombe en plein dans les Them, le Rod y va au that’s my home !, avec un final en mode Them apocalyptique, c’est du pur proto-punk digne de «Crawdaddy Simone». Déterré aussi, voilà «Send Me Your Pillow» un shoot de British beat chauffé à coups d’harp. Ce Big Beat est un vrai must ! On y croise aussi une mouture poppy du «Call My Name» de James Royal. Quatre bombes, c’est déjà pas mal pour un Big Beat.  

    Signé : Cazengler, Vil

    Wheels. Road Block. Big Beat Records 2012

     

    *

    Je ne pouvais pas rater ce concert. Jusqu’à ce que n’apparaisse son affiche j’ignorais jusqu’à l’existence de ce groupe, mais son seul nom raviva en moi un souvenir frémissant de lecture, une scène sise en Le Spectre aux balles d’Or, la suite de La Mine de l’Allemand Perdu, le douzième épisode des aventures du Lieutenant Blueberry, un scénario qui aurait été inspiré à Jean-Michel Charlier et Jean Giraud par le film L’or de MacKenna, un beau western (1969), je vous recommande la version française (Part 1 & Part 2) du générique, chantée par Johnny Hallyday, l’un de ses meilleurs titres.  Autre source d’inspiration  Les Chasseurs de Loups et Les Chasseurs  d’or de James Oliver Curwood. Tant que l’on cause de Curwood, allez faire aussi un tour sur son chef d’œuvre : Le Piège d’Or.

    Je vous résume succinctement la scène : un crotale criminellement introduit au fond d’une botte… Vous ne vous étonnerez donc pas si le groupe se nomme :

    SNAKES IN THE BOOTS

    3B

    (Troyes - 08 / 08 / 2025)

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    Sont trois, placidement alignés au fond du bar, z’ont de l’espace, vu la chaleur quasi-caniculaire l’on se dit qu’ils ont de la chance, un de plus z’auraient été serrés comme dans une cocote minute. En fait c’est nous qui avons eu de la veine, un vrai filon d’or, mais comme ils n’avaient pas encore joué une note, on ne le savait pas. Guitare, rythmique, contrebasse. Chanteur ? Vous voulez rire. D’abord ils n’en ont pas besoin. Ensuite tout le monde sait que le rockabilly ne se chante pas. Ne commettez pas un raisonnement stupide, non ce n’est pas un groupe instrumental. Le rockabilly a juste besoin d’un interprète. Ils en ont un. S’appelle Thibaud Lefaix. En trois titres l’a mis les pendules du rockab à l’heure. L’on en a oublié que ses doigts couraient sur la rythmique. Idem pour ses deux acolytes qui le flanquaient, un sur sa droite, un sur sa gauche. Ne vous inquiétez pas, ils s’occuperont de nous tout à l’heure.

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    Le rockabilly man ne cherche pas à chanter, tout réside en la parfaite adéquation entre la voix et la volonté de cette voix qui ne s’enkyste  pas  dans la recherche stérilement abusive de  la note juste – ce qui ne veut pas dire que l’on se doit de rechercher la fausse.  Il s’agit de mimer non pas le sens des paroles mais de maintenir l’intention explosive de l’exposition du récit de ce qui est en train de fondre sur l’auditeur. Lefay ne chante pas, il monte, il descend, il dégringole, il tranche, il rassure, il entre en transe, il clapote, il serpente, il minaude, il gronde, il galope, il stoppe, il winchesterise, ii rebelote, il séminole, il vérolise, il bêle, il blatère, il baraque, bien plus encore, et tout cela chrono en main en deux minutes. Vous avez reçu entre les deux oreilles, un film d’action trépidant, un dessin animé déjanté, mais maintenant c’est fini. N’en demandez pas plus. D’ailleurs le groupe ne vous fait pas le coup de faire briller l’enjoliveur de la malle arrière. C’est fini, alors ils arrêtent de jouer. Vous surprennent à tous les coups. En moins d’une seconde l’instrumentation se met en grève. Plus rien. C’est ça le rockabilly, le petit Chaperon rouge n’a pas le temps de se promener, le méchant loup sort du bois et la croque illico sur un tapis de coquelicots. Pas le temps de vous remettre de vos émotions ou de pleurnicher, c’est Barbe Bleue qui prend la suite et trucide sa septième épouse d’un coup de poignard intrusif et définitif.

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    A la fin du deuxième morceau, l’on demande à Stéphane Ferlay de monter le son de sa double bass. On n’aurait pas dû, fairplay il s’exécute. C’était introduire le renard dans le poulailler, l’a maintenant a quadruplex bass entre les pognes. Quel boxeur ! Quel swingueur ! Quel tapageur ! Stéphane il ne picore pas, il chicore. Ouragan sur le Caine non-stop !  Les hordes d’Attila sont lâchées, là où elles passent les poils de vos oreilles ne repoussent pas, mais quel régal ! A lui tout seul il est les Percussions de Strasbourg. Il doit confondre les cordes de son instrument de douce torture avec celles qui délimitent les rings de boxe. Il tonne, attention il n’en fait pas des tonnes, il ne joue jamais au matou-vu perché sur le toit de l’église en feu, l’est tout comme Zeus tout en haut de l’Olympe, il domine le monde. Silence, le morceau est terminé. Oui mais lui il n’a pas fini. Non il ne touche plus à sa contrebasse. Celle qui tabasse. Alors il vous achève, de deux mots qui tuent. De rire. La réflexion qui flexionne vos zigomatiques. Un pince-sans-rire qui ne le vous fait pas dire. Géant débonnaire désopilant.

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    ( Photos : Régis Laine)

    Suite aux propos précédents, il semblerait que Mathieu  Clairvoy en soit réduit à la portion congrue. Pourtant l’on n’entend que lui. Et sa guitare d’or. Une midasienne, tout ce qu’elle touche elle le transforme en or sonore le plus pur. Pas le gars qui tire la couverture à lui. Toutefois il ne se passe pas deux secondes sans qu’il n’intervienne. Avec un tel à propos que ça ressemble à une intervention d’urgence. D’orgence devrais-je dire si vous acceptez ce  très mauvais jeu de mot. Je passerai sous silence ces soli au maximum de quinze secondes. Comment peut-il bouter le feu à la forêt hercynienne de nos sensations en si peu de temps ! C’est la stricte loi du rockab. Ou vous vous y pliez ou vous adoptez un autre style de musique. L’a un truc en plus. Les fioritures irremplaçables, la chantilly  à l’arsenic sur la glace aux marrons, ou la bouteille de champagne emplie de nitroglycérine pour baptiser le destroyer, l’a les doigts qui patinent dans le platine et les tubulures du cerveau qui carburent aux hydrocarbures de l’inventivité la plus pure, le mec vous fait pousser à la queue-leu-leu  des bao(rock)abs soniques dans votre ouïe, des clinquances fabuleuses, des ronronnements de dinosaure, des feulements de tigre mangeur d’hommes, méfiez-vous vous appartenez à cette triste espèce de bipèdes en voie de disparition, un styliste, pas de brouillon, aucune rature, en plus il vous sert la pâture sans esbrouffe, sans esclandre, à croire qu’il ne s’est pas aperçu de l’uppercut qu’il vient d’envoyer au public.

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    Trois sets. Le premier vous n’avez jamais entendu cela de votre vivant. Ou alors c’est que vous avez une belle collection sur vos étagères, du Johnny Burnette, du Don Woody, du Carl Perkins, du Sony Fischer, du Buddy Holly, pas du revival à la Stray Cats, pas à la revisitation Cramps, proximité authentique, mais rien de mortifère, d’académique, de naphtalinaire, ils ont saisi l’esprit et la racine, n’érigent pas de mausolée, insufflent de la vie, de l’entrain, de la joie, l’on sent qu’ils aiment ça, ne jouent pas au papier calque, ni du papier calcre. Pas de triche. Fontaine de jouvence.

    Deuxième set un peu similaire au premier, cependant une imperceptible différence, mais c’est en écoutant le troisième que l’on comprendra ce qu’il préfigurait. Poétiquement parlant, sont passés de l’octosyllabe à l’alexandrin.  N’ont pas chevillé des rallonges à la tablature, mais les résultantes harmoniques sont différentes. En mentant un max l’on dirait : ce fut un set instrumental. Bien sûr il n’en fut rien, du rockabilly sans voix c’est comme un baiser sans noire moustache et même plus grave sans Cadillac rouge. Simplement z’ont laissé les aller les abrupts chemins de traverse du rockab dans quelques sinuosités instrumentales, rien à voir avec les longueurs d’une symphonie, simplement laisser couler le flot torrentiel sur son aire pour jouir de la vitesse pure de son impétuosité natale.

    Bref une soirée d’autant plus inoubliable que les connaisseurs étaient nombreux dans le public. Béatrice la patronne sait choisir les serpents les plus sauvages. Faut avoir déjà été mordu pour apprécier les morsures à leur  démesure.

    Viennent de Bretagne. Géographiquement le renseignement est bon. Mais z’ont dû être transfusés avec de l’ADN des Appalaches.

    SNAKES IN THE BOOTS

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    Brown Eyed Handsome Man : c’est par ce morceau de Chuck Berry qu’ils ont débuté leur show au 3B, n’avaient pas le piano de Johnnie Johnson, alors ils ont plutôt regardé du côté de Buddy Holly et son magistral saupoudrage de guitare, oui les pionniers c’est bien bon, mais faut parfois les booster pour les adopter à notre époque trépidante qui fonce vers sa propre autodestruction. Alors ils vous envoient un missile qui se dirige vers vous et vous fait exploser le palpitant. Devaient avoir un rendez-vous après la séance studio car ils sont pressés. Rien de mieux qu’une bonne baffée de gifles pour vous réveiller et vous avertir que vous n’avez pas vu passer le premier titre de cet EP dévastateur. You’re Barking Up The Wrong Tree : l’existe une compilation de Don Woody chez Bear Family, le titre est sorti en sorti en 1957, oui mais depuis les chiens aboient plus fort : si vous mettez en doute mes assertions éthologiques sur le comportement animal écoutez ce morceau, une espèce de piétinements de mille loups affamés qui foncent sur vous, et le meneur de la horde qui aboie à la lune qu’ils viennent de croquer. How come it : sur ce titre George Jones tangue salement comme un navire que l’océan submerge, nos serpents quittent leurs bottes et jouent au Léviathan, détruisent tout sur leur passage, ‘’hystérie collective incompréhensible toutefois fortement répréhensible dans un studio’’ a dû noter le commissaire alerté par les voisins sur son rapport. Red Ants in my Pants : Un original, apparemment des reptiles dans leurs pantoufles ne leur suffisaient pas, nous racontent un beau bobard qu’ils auraient des fourmis rouges (turgescentes ?) dans leur pantalon, perso aux bruits juteux (néanmoins délicieux) qu’ils émettent j’opterais pour un troupeau de brontosaures dans leurs salles de bain. Wild Wild Lover : un bel hommage à Benny Joy rockabillyman hyper doué, qui aurait pu, qui aurait dû… Dernière malchance, la camarde peu camarade ne lui a pas permis de profiter de la reconnaissance qui a pointé son nez à l’aube des années 80 : les Snakes en font une version torride, mais l’aspect gloomy de l’original aura votre préférence.

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             Un EP sauvage. Abattez sans sommation toute personne qui s’approchera de votre exemplaire à moins de douze mètres. Il est des plaisirs égoïstes qui ne se partagent pas.

    Damie Chad.

    P.S. : les deux derniers titres sont aussi disponibles sur le 45 t Snakes In The Boots sur Spare Time Records (FRS 011)sorti en mai 2023.

     

    *

             La vie de Maya Angelou (1928 – 2014) est un long fleuve torrentueux. Elle en décrit le parcours dans son autobiographie de sept volumes. Elle fut une activiste, une militante pour les droits civiques, sa vie mouvementée croisa celle de Malcolm X, de Luther King, de James Baldwin… des noms que nous avons déjà rencontrés à plusieurs reprises dans nos livraisons.

             Née pauvre et noire elle connut misère et petits boulots, prête à saisir toutes les occasions pour survivre. Notamment entraîneuse, danseuse et, détail qui nous intéresse particulièrement, chanteuse. Dans cette chronique nous nous pencherons sur le tome de son autobiographie qui conte cette période de son existence mais aussi sur les circonstances qui conduisirent plus tard au seul album musical qu’elle ait enregistré.

    CHANTER, SWINGUER, FAIRE LA BRINGUE

    COMME A NOËL

    MAYA ANGELOU

    (Noir sur Blanc Editions / 2024)

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             Le titre est attirant, avis aux amateurs de livres grivois il ne correspond ni aux saturnales, ni aux bacchanales qu’il semble nous promettre. Les amateurs de rock’n’roll se jetteront sur le QR code final ajouté par l’éditeur qui vous renvoie à une centaine de titres cités dans le bouquin, je ne cite que deux noms Wynonie Harris, John Lee Hooker, beaucoup de jazz aussi…

             Au début du livre Maya se voit proposé du travail par la patronne d’un magasin de disques. Bien sûr, défile toute une série d’albums que vous aimeriez posséder, mais là n’est pas la problématique. Elle est noire et son employeuse blanche. Qui fait preuve d’une attitude très déstabilisante. Tout dans ses actes démontre qu’elle est indifférente à la couleur de peau des clients et de sa vendeuse. Elle ne s’intéresse qu’aux individus. Voilà de quoi déconcerter une très jeune fille noire déjà mère d’un enfant.

             Toute la problématique des noirs américains, nous sommes à l’orée des années cinquante, vous saute à la figure.  Aujourd’hui nous dirions que les noirs se sentent racisés, ce qui ne veut rien dire car si les noirs sont racisés les blancs par simple contre-coup le sont aussi. Angelou se contente de décrire les stratégies des noirs vis-à-vis des blancs. Le passif de l’esclavage, OK ! Le poids de la ségrégation OK ! Mais malgré la lourdeur de l'handicap, les noirs subissent la dominance sociale des blancs mais en compensation ils exercent à l’encontre de leur monde clôturé une  indifférence totale. L’apartheid du pauvre en quelque sorte.

             Maya Angelou possède sa base-arrière de résistance mentale. Sa famille sa grand-mère, et sa mère qui lui ont transmis les rudiments d’une bonne conduite : l’on ne rencontre pas de problème dans son existence, si quelque chose vous pose problème, le problème c’est vous. Qui ne savez pas vous en dépatouiller.  En d’autres termes plus cruellement réalistes : affrontez les difficultés sans vous plaindre ou pleurnicher. Corollaire de ce conseil : Nécessité fait loi.

             Maya Angelou rêve d’un amant, mais aussi d’un mari. Elle en trouve un. Parmi la clientèle. Un blanc. Non, un grec. Sachez faire la différence. Un homme sérieux, qui travaille, qui s’occupe de son gosse qui bientôt l’appelle papa. Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. Pas tout à fait. Elle finit par s’ennuyer dans son rôle de mère au foyer. Elle cherche un réconfort. Elle finit par le trouver. Non, pas un amant, Dieu en personne. Elle commence par fréquenter en cachette les diverses paroisses de son quartier. Une guerre idéologique couve dans le couple. Notre grec est athée. Pour elle retourner à l’Eglise, c’est retrouver une collectivité, du bruit, de la musique, du chant… mais surtout réintégrer l’ossature de la rédemption spirituelle du peuple noir. Les esclaves se sont assimilés au peuple hébreu de la Bible, prisonniers du pharaon ils n’ont pu traverser les aléas historiques que grâce à une fidélité exemplaire, à leur Dieu… Ce retour à la religion est d’autant plus curieux et symptomatique que Maya nous fait part de ses doutes quant à cette étrange mansuétude divine qui permet l’oppression de son peuple aimé…

             Une fois séparée de son mari la cellule familiale récupère le gamin pour qu’elle puisse travailler. Ce sera dans un cabaret, le Purple Onion, qui propose à sa clientèle des numéros chantés de striptease suggestif non intégral. Elle évitera ce genre d’attraction en proposant un numéro de danse. La direction insiste, en dehors de son passage sur scène elle devra se plier au rôle d’entraineuse. Question rémunération elle ne se plaint pas, toutefois pour un contrat en bonne et due forme elle devra adjoindre le chant à son attraction. Elle chante comme tout le monde mais ne sait pas placer sa voix, évidemment elle ne sait pas lire la musique… Le seul genre de musique sur laquelle  elle se sent capable, grâce à sa rythmique, de danser et de chanter lui paraît être le calypso. Elle sera présentée sous le nom de Miss Calypso.

             Le Purple Onion peut accueillir deux cents personnes. Elle parviendra à faire salle comble durant des mois… Nous devrions arrêter notre rapide résumé ici, car ensuite sa carrière se diversifie. On lui propose un rôle à New York dans une pièce de Truman Capote. Elle est acceptée mais elle refusera car elle est retenue pour la tournée européenne de Porgy and Bess l’opéra de George Gershwin (créé en 1935), la deuxième moitié du livre est consacrée à cette aventure intercontinentale, lecture passionnante pour tous ceux qui s’intéressent à la Musique américaine.

             La tournée s’achève, elle rompt son contrat avant les dernières représentations alertée par une lettre familiale : son fils âgé de neuf ans est gravement malade. Elle accourt à son chevet, maladie psychologique due à l’absence de sa mère. Elle lui promet de l’emmener partout avec lui. Le livre s’achève sur un contrat (très bien payé) qui spécifie un hébergement pour elle et son fils  à Hawaï. A croire que Maya Angelou est une vedette.

             Maya Angelou, est un véritable écrivain. Son récit est captivant. Peut-être en rajoute-t-elle un peu et en retranche-t-elle beaucoup… Mais en littérature tous les coups sont permis. Il suffit qu’ils soient exécutés avec style.

             Plus tard dans son existence elle partira en Afrique à la recherche des racines noires des noirs américains. Elle en reviendra dépitée mais convaincue que  la problématique du peuple noir des Etats-Unis ne pourra être surmontée que par le peuple noir d’Amérique, qui n’a plus trop rien à voir avec la situation des peuples noirs africains…

    MISS CALYPSO

    MAYA ANGELOU

    (Liberty  / 1956)

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             Soyons précis : Maya Angelou n’a-t-elle enregistré qu’un seul disque ? Oui et non. Parce qu’il existe une dizaine d’albums dans lesquels Maya Angelou lit ses poèmes. Elle est reconnue comme une des plus grandes poétesses d’Amérique.

              C’est vraisemblablement dans le tome suivant Chanter, swinguer, faire la bringue comme à Noël  qu’elle parle de l’enregistrement de son disque. Toujours est-il que la plupart des titres qu’elle cite lors de ces prestations au Purple Onion correspondent aux morceaux enregistrés sur cet album. Miss Calypso s’inscrit dans la lignée d’Harry Belafonte (né en 1927) surnommé King of Calypso qui sortit son album Calypso en 1956…

             La ressemblance des couvertures du livre et du disque est flagrante, celle du bouquin très classe, l’originale offre un décolleté davantage échancré…

    Maya Angelou : chant  / Al Bello : congas, bongos, drums / Johnny Tedesco : guitar.

    Run Joe : orchestration minimale, en comparant avec l’originale de Louis Jordan vous conviendrez que ce dépouillement permet surtout de mettre en valeur la voix de Maya Angelou mais avant tout de gommer l’aspect burlesque du morceau, certes ce n’est pas un drame shakespearien non plus, mais le vocal nous donne une sensation d’urgence inexistante chez son créateur. Oo-Dla-Ba-Doo : original de Maya, l’on n’est jamais mieux servi que par soi-même, juste l’envie de dire n’importe quoi, avec des percus derrière qui vous drossent le feu au cul. Scandal in the family : depuis

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    ( Toutes les photos tirées du film Calypso Heat Wawe (1957)

     dans lequel nous retrouvons Maya Angelou)

    l’adaptation française de Sacha Distel l’on ne saurait écouter avec sérieux ce scandale familial. L’original est d’Harry Belafonte. Mambo in the Africa : encore une fois gymnastique vocale, guitare téléguidée en sourdine, et la percu qui percute en douceur, le refrain est expédié sans frein. Since My Man Done Gone and Went : surprenant ça ressemble à un véritable morceau avec un début, un milieu une fin, y a même une intro mémorable (mais pas immémoriale) et un petit pont de guitare-jazzy, Maya  semble nous dire que la chanson n’est pas un simple assemblage syllabique, qu’elle aurait même peut-être un sens. Polymon Bongo : bongo partout, la musique polymorphe est faite pour remuer son arrière-train sur le polygone de tir, un bongo à vous rendre mongolo. Peut-être même bongolo. Neighbour, Neighbour :

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    un soupçon d’espagnolade caribéenne, très belafontien dans l’esprit, un voisin un peu trop entreprenant, rien de plus pour tenir la chandelle du vocal, les papillons de nuit s’y brûleront les ailes. Donkey City : non, ah non, Maya n’anone pas les syllabes, elle chantonne, elle ne tronçonne pas, elle ne hache pas, elle suit une ligne mélodique, à tel point que le morceau atteint presque les trois minutes, les percus filent doux, de la guitare s’échappent en douce quelques trilles de notes. Stone Cold Dead in the Market : attention à la concurrence sur l’original vous avez le combo de Louis Jordan mais celle qui partage le vocal n’est pas n’importe qui, Ella la diva Fitzgerald en personne, l’est vrai que cette dernière, pardon cette première, se met au niveau de Jordan, et non Louis à la hauteur d’Ella, la voix tranchante de Maya surplombe

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    l’original, l’est sûr qu’elle vient de tuer son mari ce qui lui donne du peps. Calypso Blues : de tous les titres précédents c’est le meilleur, emprunté à Nat King Cole, oui mais là où le roi Cole vous colle une chansonnette gentillette (écoutez en contre- exemple Havana Moon de Chuck Berry) Maya abandonne le calypso pour vous faire entendre le blues. Tamo : de quoi qu’elle cause on s’en fout, il y a ce mot Tamo qu’elle prononce de haut gosier, toute la force sur la première syllabe, toute l’énergie sur la seconde, vous n’entendez que lui, vous n’attendez que lui, elle aurait dû bannir tous les autres. Peas and Recel : Maya n’a peur de rien, encore une fois elle se confronte à Ella, qui nous concocte recette de cuisine à la sud-américaine avec trompettes bien embouchées. Celle de Maya est comme épurée, elle lâche ses mots à la manière de petits pois qui rebondissent dans la casserole, je ne prends pas de risque, pas match nul, mais match plein entre nos deux cuisinières au fourneau.

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    Down to Mexico (‘’Flo and Joe’’) : encore un truc volé à Nat King Cole, y’a pas photo, la guitare de Tesdesco enfonce le piano du brave Cole et la voix de Maya moins suave, davantage astringente mérite la palme. Push Ka Pee Shee Pe : Jordan possède sa fanfare, Angelou se contente de sa guitare jazz, Angelou n’a pas de de chœurs, sa voix lui suffit, elle est la trapéziste tournoyante dans les airs suspendue à quinze mètres du sol, Louis fait le clown au bas de la piste pour faire rire les enfants avec ses grosses chaussures rouges rutilantes comme des camions de pompiers…

              Tout compte fait je préfère les morceaux courts du début, genre d’exercice de gymnastique aux barres asymétriques qui essaient de se donner l’air de grandes chansons, même qu’’ils s’avèrent très souvent supérieurs aux originaux. Cet album s’écoute avec plaisir, mais il n’apporte rien de bien novateur.

    Damie Chad.

     

     

    THE COMPLETE RECORDINGS (2)

    THE CORALS

    (Around The ShackRecords 2020)

    THE LAST BUT NOT THE LEAST

             En novembre 1985 les Corals se réunissent pour enregistrer leur deuxième trente-trois tours. Le disque ne verra pas le jour. Il ne porte aucun titre, celui que nous lui attribuons sort tout droit de notre maladive imagination. Les morceaux devaient être réenregistrés, bien que le terme ne soit employé qu’une fois dans le livret ce sont en quelque sorte des démos. De véritables témoignages d’une époque qui s’achève… L’appel du rockabilly sera le plus fort pour Hervé Loison.

    Pierre Picque : lead guitar / Hervé Loison : bass guitar / Michel Francomme : rhythm guitar / Hubert Letombe : drums.

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    Hobo Rock : un soupçon de shuffle, normal, les hoboes sont les vagabonds du rail passagers clandestins des trains qui leur permettaient de traverser à les USA à la recherche de boulots (introuvables) de saisonniers… Ce sont les temps de misère noire, de la Grande Dépression, des luttes menées par les IWW… tout un pan de l’histoire souterraine des Etats-Unis. Le morceau roule tout seul, calibré à la perfection, mais au vu du titre l’on s’attendrait à quelques déraillements. Tribute To The Diggers : historialement un bond de quarante ans, nous voici avec les Diggers d’Emmett Grogan (lire son livre Ringolevio qui rend compte de cette épopée sociale) organisation anarchisante qui multiplia  spectacles, distributions de nourriture, lieux d’échanges dans le but de venir en aide aux populations de jeunes hippies attirées à San Francisco par l’idée d’une vie différente… le morceau jouit de quelques ruptures salvatrices, mais il paraît  bien en deçà de l’esprit de révolte activiste des Diggers. Spanish Guitar : qui dit guitare pense à l’Espagne, une manière pour les Corals de quitter les précédentes évocations sociales pour les vertiges égotiques de l’art pour l’art. Entre nous soit dit la veine espagnole n’est pas vraiment marquée, mais le morceau est de toute beauté. Une réussite qui démontre à l’excès que le groupe maîtrise désormais parfaitement son sujet. Coral’s Theme : vous convaincront de la justesse de notre approbation avec ce morceau de présentation : vous offrent la quintessence de ce que doit être un instrumental : d’abord la résonnance des cordes qui se doit de ne jamais être démentie ne serait-ce que d’un quart de seconde, enfin la présence de la batterie, jamais de prépondérance de m’as-tu-vu, toujours cette délicatesse d’effraction de gentleman-cabrioleur sur son pur-sang. Surfin Days : ici le son équivaut à la beauté du geste du surfer qui chevauche une grosse lame le sourire aux lèvres, la guitare et l’écume, la batterie et le ressac. Quand vous écoutez vous ne pensez plus aux filles aux seins nus sur la plage. Frankeinstein Hop ! : après les jours d’innocence les hurlements des nuits de terreurs, de l’ambiance, de l’adrénaline, des frissons, après le rêve, le cauchemar, ils se sont beaucoup amusés, vous envoient des giclées d’épouvante, un véritable film, vous ne vous plaignez pas de l’absence d’images, la bande-son est amplement suffisante. The Bullfighter : notre taureau de combat trotte allègrement dans les plaines herbacées de la country, la bestiole n’éventre personne, mais prisonnière dans le coral elle donne une impression de force tranquille que vous n’avez nullement envie de déranger. De toutes les manières elle vaque à ses propres affaires, aux coups de reins qu’elle donne doit être en train de saillir un troupeau de longues horns. Twangy Guitar : hé ! dis ! passage obligatoire à la duane quand tu te veux instrumentiste, pas question de rester en deçà de la frontière de la ligne séparation qui sépare les gratteux d’occasion de ceux qui caracolent sur les hauts de gamme, se plient à l’exercice avec imagination, ça twangue un max, mais chacun glisse sa propre lettre à la poste, ne vous laissent pas avec le résonnateur à fond la caisse, l’éloignent de temps en temps de vos tympans pour qu’il revienne en lonely cowboy encore  plus fort. California Road : une route pleine d’inconnu, vous démarrez avec le cœur qui twangue à mort, mais par la suite y a des coups de freins à vomir votre quatre-heures et virages desserrés surprenants. Je ne sais pas ce qu’ils ont fumé mais font preuve d’une imagination peu commune pour un combo purement  instrumental. Space Dreams : encore un incontournable à dépasser, le Telstar des Tornados qui en 1962 imposèrent non pas un son venu de l’’espace mais de l’imagination créatrice de Joe Meek… vous pouvez rêver mais il semble que les Corals aient confondu l’espace interstellaire avec les grands espaces, américains certes, toutefois le morceau le moins novateur de l’album. Coral Power : une belle cavalcade menée par le tambour d’Hubert, bien enlevée mais brève comme un coup de tampon ou un fer brûlant apposé sur la cuisse d’un animal pour lui montrer qui est le maître. Un paraphe de signature pour ceux qui possèderaient une âme sensible. Normalement ce titre devait clôturer cet album. Mac Bouvrie  tenait à écarter deux morceaux qu’il jugeait trop rockabilly. Dans leur infinie mansuétude, les Corals les ont rajoutés pour notre plus grand bonheur. Crazy House Bop : c’est vrai que ce Bop sent un peu trop Gene Vincent et vous avez des effulgences de guitare qui semblent sortir tout droit de Buddy Holly, des cris en sourdine inspirés de Dickie Harrell, et un rythme échevelé qui laisse à penser que nos instrumentistes regardent un peu ailleurs… Superbop ! Hot Foot Boogie : traversent leur boogie à trop grand pas pour être honnêtes. Le morceau dépasse à peine les deux minutes, le dernier tiers est un peu redondant. Peut-être n’ont-ils pas osé passer le Rubicon du rockabilly. Ne vous inquiétez pas, cela viendra bien vite. L’Histoire des Corals s’arrête-là.  

             C’est en octobre 2020 que les Corals se reforment à l’occasion de la mise en piste de ce Complete Recordings. Deux titres seront enregistrés.

    Fantastic Mac : morceau dédié à Mac Bouvrie disparu en 2014, d’autant plus hommagial que la plupart des enregistrements de son label sont malheureusement perdus. Trente-cinq ans plus tard the Corals n’ont pas perdu le son original mais l’est vrai que l’on peut ressentir des bribes de sonorité des premiers Beatles qu’affectionnait Mac Bouvrie. The Corals Bow Out : le dernier feu d’artifice, un peu Shadows, les Apaches sont en embuscade, les Corals tirent leur révérence.

             Nous n’avons fait qu’écouter les disques, si vous pensez avec raison que c’est une manière trop désincarnée, procurez-vous le CD, le livret vous racontera toute l’histoire des Corals. Photos et documents d’époque mais surtout le récit de leurs apparitions publiques avec les rencontres marquantes comme celle de Cavan Grogan

             Notons qu’Hervé Loison n’est pas le seul membre du groupe à avoir continué dans la musique. Hubert Letombe qui possède son propre studio d’enregistrement a particulièrement veillé à la qualité sonore  de ce Complete Recordings.

             Cette démarche est particulièrement importante quand on sait que les enregistrements des premiers groupes français du début des années soixante ne sont guère accessibles en leur intégralité…

    Damie Chad.

     

    *

    Quand j’entends le nom de Wanda Jackson, je ne peux m’empêcher à Phil des Ghost Highway qui l’accompagnèrent sur scène lors de sa dernière tournée en France, et de sa voix émue lorsqu’il me raconta comment elle se confiait et se raccrochait à lui dans cet étrange pays qui est le nôtre…

    The Gene Vincent Files #7: Wanda Jackson talking about the early days of her career and Gene Vincent

    L’on n’attend plus que Wanda, son orchestre fin-prêt sur la scène, on l’annonce, on ne verra pas, mais la voici assise, elle répond aux questions qui sont omises sur la bande-son, pour une américaine elle possède une voix très compréhensible, elle parle sans ostentation, on sent qu’elle a envie d’exprimer clairement ce qu’elle veut nous transmettre.

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    Le rock’n’roll a tout bouleversé. Nous les artistes, avions toujours enregistré des chansons avec l’intention de les vendre aux adultes. Mais à partir de 1955 ou 1954 le cirque a commencé.  Nous avons dû alors  évoluer et commencer à faire des chansons pour les adolescents et les jeunes. Car quand Elvis est arrivé sur scène, ce sont les jeunes filles qui achetaient les disques. Nous avons donc dû suivre le mouvement. C’était une période frénétique et confuse. Les artistes ne savaient pas quoi enregistrer. Nous cherchions à nous adapter. J’étais jeune à l’époque aussi. Tout ce que je sais c’est que c’était si frais et si nouveau. Ces chansons parlaient ou traitaient dans leur contenu de choses auxquelles un teenager devait se confronter. Les choses qui nous préoccupaient, les rendez-vous, les balades en décapotables, tout ce genre de choses, aller au bal de promo, et ainsi nous pouvions nous identifier à ce genre de chanteurs country appelés hillbilly, aucun d’entre nous n’aimait ce terme, mais c’est

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     comme cela qu’on les nommait. Mais quand Elvis jouait de la guitare et faisait ce nouveau style de truc, rien d’autre que du rock’n’roll, on a commencé à comprendre. Donc si vous jouiez de la guitare et chantiez ces chansons, vous étiez rockabilly. Il n’y avait probablement pas une très grande différence entre les morceaux, peut-être juste l’artiste qui les interprétait au début. Puis, bien sûr cela a évolué vers les années 60, les sons de la Motown, dans les groupes  ça a commencé à changer avec des concerts comme le Big D Jamboree à Dallas, puis il y a eu le Louisiana Hayride en Louisiane, le Town Hall Party en Californie, ces spectacles sont encore parmi les plus populaires aujourd’hui. Si vous pouvez mettre la main sur les vidéos, vous adorerez. Ce n’était pas difficile de jouer là-bas parce que j’étais un artiste country et la plupart d’entre nous l’étaient. C’étaient toujours du pur country. J’ajouterais simplement que je chantais Hard Headed Woman ou Let’s have a party. Rockabilly et Country sont comme des cousins germains, on peut difficilement avoir l’un sans l’autre, donc ils se mélangent très bien et je ne crois pas qu’aucun de nous ait eu des problèmes. Elvis Presley et moi avons eu des problèmes avec la grande vieille tradition qui était presque morte dans la région du coton et qui était très différente de ce que nous faisions et donc ce n’était pas une bonne expérience pour aucun de nous au début. J’ai signé avec Decca Records au bout de deux ans. J’étais encore au lycée mais je travaillais beaucoup avec Hank Thompson, je le considérais comme mon idole, il est devenu mon mentor, il était sur Capitol Records, donc pour moi Capitol Records était le plus grand label du monde et donc après que mon contrat

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    avec Decca a expiré j’ai signé, Hank m’a beaucoup aidé à obtenir un contrat, avec Capitol Records, c’était comme la réalisation d’une une utopie. En ce qui concerne les enregistrements de Capitol Records, j’ai enregistré sur la côte Ouest dans la fameuse Tower, puis à Nashville aussi. Du mieux que je m’en souvienne j’étais alors en tournée dans l’Ouest, j’avais besoin d’enregistrer, nous les artistes enregistrions beaucoup à l’époque, parce que nous devions produire  quatre singles et deux albums par an. En fait j’enregistrais à l’endroit où je me trouvais, on n’hésitait pas parce que les studios étaient  aussi bons l’un que l’autre.   Dans les années soixante on a commencé à utiliser davantage Nashville, je l’ai fait parce que le son de Nashville  était davantage apprécié par le public. Toutefois j’enregistrais quand même sur la côte, pour moi c’était un peu égal, mais Ken Nelson doit être le gars le plus gentil du monde, je veux dire qu’à travailler avec lui il pouvait vous apporter tellement ! Je peux dire que tout ce que j’ai appris sur l’enregistrement je l’ai appris de Ken, un grand producteur, je pense que ce que j’aime tant chez Ken, c’est que si je voulais faire une certaine chanson ou un certain type de matériel et qu’il ne comprenait pas pourquoi, il me permettait de le faire, il me disait ‘’si c’est ce que tu veux on va essayer’’, je ne pense pas que beaucoup de producteurs  soient capables d’agir ainsi, non je ne le pense pas. Je me souviens de la première fois où j’ai rencontré Gene Vincent, on était à une convention de disk jockeys, un très gros évènement à Nashville une fois par an, c’était le début de CMA, on l’a appelé ainsi plus tard, c’était une convention de DJ de tout le pays qui venaient rencontrer les artistes pour obtenir leurs disques et tout le reste, on a joué. Donc Capitol Records ainsi que toutes les autres maisons de disques avaient leur stand, toutes les portes étaient ouvertes, on pouvait juste aller et venir, ils offraient des boissons ou peut-être de l’eau, et on pouvait faire des photos. Donc Gene Vincent et moi nous nous sommes retrouvés au stand Capitol, on s’est rencontrés là pour la première fois, il était déjà

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    une grande star et je pense qu’on a fait une photo  je crois celle-ci (qu’elle montre du doigt derrière elle) mais je n’ai jamais eu l’occasion de travailler avec Gene, je suis désolée de ne pas l’avoir fait, mais c’est ainsi, je pense qu’il était comme tout le monde, nous étions de vrais gamins, nous nous amusions comme des fous, on faisait ce qu’on aimait et on devenait  célèbres et populaires, c’était tellement excitant, il était très sympathique, c’était agréable de lui parler, je me souviens, oui je me souviens, tu sais parfois, je ne sais pas comment les histoires commencent, c’est au

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     sujet de Let’s have a party, un mot là-dessus, je suppose que le son rappelait aux gens le groupe de Gene Vincent, les Blue Caps, je ne sais pas pourquoi exactement, tout d’un coup, j’entendais et je lisais des articles selon lesquels j’avais enregistré avec les Blue Caps, mais non c’était avec mon groupe et quelques musiciens de studio, au Capitol Tower que j’ai enregistré, ce n’était pas les Blue Caps. Oui, quand je pense à Gene Vincent je ne peux m’empêcher de penser à la première fois que j’ai fait une tournée en France. Nous avons vu les publications du journal et ils annonçaient que l’ouragan Wanda frapperait la côte ouest de la France pour ma tournée. Par la suite ils me surnommaient ‘’la Gene Vincent féminine’’ dans tous les articles qui me concernaient.  Je me demandais pourquoi. Je n’aurais jamais accepté d’être appelée l’Elvis Presley au féminin, ou quelque chose comme ça. Et voilà c’était imprimé. Mais ensuite j’ai compris grâce aux fans et aux gens avec qui j’ai travaillé. Ils répétaient que c’était le plus grand compliment que l’on puisse recevoir. J’ai dit comment se fait-il que les Français ne se soucient même pas d’Elvis. ni de Little Richard, ni de Chuck Berry ? Pour eux c’est Gene Vincent, donc être comparé à lui était le plus grand compliment qu’ils pouvaient vous faire . Que pensez-vous du fait, que les Européens, je pense que c’est bien connu, ne varient pas très facilement dans leurs habitudes, en tout cas  certainement pas aussi vite que les Américains. Nous, nous sommes tous toujours à la recherche de la prochaine grande nouveauté comme on dit, mais en Europe, ils chérissent ces, comment dire plus les gens sont vieux, plus les bâtiments sont vieux, plus les voitures sont de vieux modèles, ils continuent à aimer encore et encore, ils entretiennent ces vieux bâtiments de 700 ans et tout le reste, nous avons séjourné, dans des hôtels de cent ans toujours entretenus, au moins la structure, donc ils ne sont pas tellement si prompts à laisser partir quelque chose s’ils l’aiment, donc c’est une aubaine pour les artistes de cette époque comme moi parce qu’il n’en reste pas beaucoup, mais ils estiment vraiment ceux qui sont encore là et qui travaillent toujours, Jerry et moi et Sleepy Labeef, et beaucoup d’entre eux

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    parcourent les festivals. Oui quand nous avons appris que Gene Vincent était mort, je me souviens avoir pensé que c’était impossible, c’était que seulement à 35 - 36 ans il ne pouvait pas, ça devait être une erreur, et c’était assez dévastateur, parce que nous avions tous à peu près le même âge, et nous pensions qui si cela pouvait arriver, ça pouvait arriver à n’importe lequel d’entre nous, ce qui d’ailleurs est arrivé à certains, mais ce fut une grande perte pour l’industrie de la musique c’est sûr, cependant il a laissé beaucoup de bons souvenirs à beaucoup de gens et nous a laissé toute cette bonne musique qu’il a faite. 

    Damie Chad.

    Hank Thompson (1925 –2007) chanteur de country, bien qu’il fût admirateur du Western Swing de Bob Wills, il en proposa tout le long de sa carrière (quelques jours avant sa mort il était encore sur scène) une version un peu moins abrupte. Le rock’n’roll doit beaucoup au Western Swing.

    CMA = Country Music Assocciation, aujourd’hui nommé : CMA FEST, festival de musique country.

    Sleepy Labeef (1935 – 2019), chanteur de country et de rock’n’roll, tombé pratiquement dans l’oubli, le rachat des disques Sun par Shelby Singleton lui permit de revenir et de participer plus tard au renouveau du rockabilly.

    Cette vidéo, ainsi que beaucoup d’autres, est en accès libre sur la chaîne YT de VanShots – Rocknroll Videos

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 651 : KR'TNT ! 651 : PETER GURALNICK / THE BIG IDEA / TÖ YÖ / TY KARIM / JOHN CALE / ROTTING CHRIST / ALEISTER CROWLEY / ROCKAMBOLESQUES

     

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 651

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    27/ 06 / 2024

     

    PETER GURALNICK / THE BIG IDEA

    TÖ YÖ / TY KARIM / JOHN CALE

    ROTTING CHRIST / ALEISTER CROWLEY

      ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 651

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - Guralnick plus ultra

     (Part Two)

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             Part Two ? Mon œil ! Ça fait un moment que Peter Guralnick hante les soutes de ce bloggy blogah. On l’a vu intervenir au service de Sleepy LaBeef, d’Elvis et de la Soul (Sweet Soul Music). Le voilà de retour dans l’actu déguisé en Père Noël avec un gros patapouf imprimé en Chine : The Birth Of Rock’n’Roll - The Illustrated Story of Sun Records. En Père Noël, car paru pour les fêtes, et comme le Dylan book (The Philosophy Of Modern Song), le Sun book se retrouve transformé en cadeau de Noël. C’est vraiment ce qui peut arriver de pire à un book. Des grosses rombières réactionnaires offrent ce genre de book à leurs couilles molles de maris qui disent «oh merci chérie» uniquement par politesse. Pour des auteurs comme Peter Guralnick et Bob Dylan, c’est insultant de se voir mêlé à ça. Mais qu’y peut-on ? Rien.

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             On laisse passer quelques mois pour chasser les odeurs, puis on met le nez dedans. Impossible de faire l’impasse sur le nouveau Guralnick, d’autant qu’il co-signe cette espèce de bible grand format avec l’autre grand spécialiste de Sun, Colin Escott. L’ouvrage fait partie de ceux qu’on peut qualifier de déterminants. Même si on prétend connaître l’histoire de Sun par cœur, on a vraiment l’impression de tout reprendre à zéro, car l’enthousiasme de Guralnick reste intact, après tant de books et tant d’années. En plus, l’objet est magnifique. Tu ne regrettes pas ton billet de 50. Choix d’images parfait, qualité d’impression parfaite, ambiance parfaite, le patapouf pèse de tout son poids entre tes mains, tu rentres là-dedans comme si tu entrais dans un lagon à Hawaï, c’est un moment privilégié. Guralnick et Escott se partagent ce festin de pages : Escott traite la partie historique de Sun, et Guralnick se réserve la part du lion : les singles Sun. Il fait un festival. Ça explose à toutes les pages. Le fan n’a pas vieilli. Il ne parle que de très grands artistes. Chaque page te coupe le souffle. Aw my Gawd, Uncle Sam a TOUT inventé. Sun et Sam, c’est une histoire unique, une histoire parfaite qui te rend fier d’appartenir à cette école de pensée. Jerry Lee signe la préface. Il te balance ça directement : «It was real rock’n’roll and that’s what we did at Sun. We cut real rock’n’roll records. That was the beginning of it all. Rock’n’roll started at Sun Records, and without Sun there would be no rock’n’roll.» C’est bien que ce soit Jerry Lee qui le dise. Plus loin, il ajoute ceci qui est bouleversant : «Des tas de gens m’ont demandé au fil des années ce que je pensais de Sam Phillips. C’est sûr qu’on a eu des moments tendus, mais vous savez, il était comme un frère pour moi. Il m’a aidé à démarrer, et je lui en serai toujours reconnaissant. Il n’y aura jamais plus un cat comme lui et il n’y aura jamais plus un Sun Records. (...) Sam Phillips et Sun Records ont changé le monde.» C’est l’une de plus belles préfaces que tu pourras lire dans ta vie, car c’est l’hommage d’un géant à un autre géant.

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             Quand Jerry Lee débarque chez Sun en 1956 pour une audition, Uncle Sam n’est pas là. Il se repose en Floride. C’est Jack Clement qui enregistre l’audition. Quand Uncle Sam entend l’enregistrement à son retour de vacances, il dresse l’oreille : «Where in hell did this man come from?». Il y entend quelque chose de spirituel. Il dit aussitôt à Jack : «Just get him in here as fast as you can.» Jerry Lee enregistre «Crazy Arms» en décembre 1956 chez Uncle Sam. Puis tous les génies locaux viennent taper à la porte d’Uncle Sam. Escott cite l’exemple d’Harold Jenkins qui ne s’appelle pas encore Conway Twitty et qui a composé «Rock House», un cut qu’Uncle Sam adore et qu’il achète pour Roy Orbison qu’il essaye de lancer. Plus tard, Uncle Sam dira à Conway qu’il n’avait pas la bonne voix pour enregistrer son cut. Alors Conway a bossé pour trouver un style.

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             Puis on plonge dans le cœur battant du Sun book, les pages de Guralnick intitulées ‘The 70 Recordings’. 70 singles Sun. Il fait feu de tous bois. Il n’a jamais été aussi en forme. Quelle exubérance ! Démarrage en trombe avec Jackie Brenston, Ike Turner et Rosco Gordon. Uncle Sam, nous dit Guralnick, est persuadé que «Rocket 88» va exploser les frontières - move out of the race field into general popularity - Ça s’appelle une vision - That was Sam Phillps articulated vision of the future: that music would break down barriers, musical, social, above all racial. And that was something in which he would firmly believe all his life - Guralnick re-balance ici une évidence, pas de problème, ce sont des évidences dont on ne se lasse pas. Uncle Sam a fait le job, Elvis aussi, en popularisant la musique noire. Et puis tu as toutes ces images extraordinaires : B.B. King jeune avec une belle Tele, et à la page suivante, Wolf jeune, en veste blanche, photographié dans une épicerie avec une petite guitare dans ses grosses pattes. Quand Uncle Sam entend Wolf sur une radio locale, il saute en l’air et s’exclame : «THIS IS WHAT I’M LOOKING FOR.» Guralnick met l’exclamation en Cap alors on la remet en Cap, puis Uncle Sam réussit à faire venir Wolf dans son studio. C’est là qu’il s’exclame : «This is where the soul of a man never dies.» Uncle Sam avait tout compris. Un peu plus tard, Andrew Lauder éprouvera exactement la même chose. Et on verra Brian Jones assis aux pieds de Wolf dans une émission de télé américaine. Tu tournes la page et tu tombes encore de ta chaise, car voilà une photo en pied de Joe Hill Louis avec dans les pattes une magnifique gratte blanche. Pour chanter les louanges de «Gotta Let You Go», Guralnick parle d’un son «raw and gut-bucket (not to mention chaotic), a feel as any record that Sam would ever release.» En plus d’être un visionnaire, Uncle Sam a le génie du son. Son modèle, c’est le «Boogie Chillen» d’Hooky qui fut aussi le modèle absolu de l’ado Buddy Guy - With its driving beat, it may well have been the downhome blues first and only million seller - Rien qu’avec les blackos, Guralnick a déjà gagné la partie. Les early Sun singles sont des passages obligés. Puis arrivent Willie Nix, Jimmy & Walter, Rufus Thomas, Ma Rainey qu’on voit danser dans une photo extraordinaire avec Frankie Lymon, et dans la page consacrée à Jimmy DeBerry, Uncle Sam explique qu’il ne supporte pas la perfection - Perfect? That’s the devil - Il lui faut des imperfections. Même si le téléphone sonne en plein enregistrement, il garde l’enregistrement. Pour lui «Time Has Made A Change» «is a mess, but a beautiful mess.» Plus loin, on tombe sur le pot aux roses de Junior Parker et le fameux «Love My Baby/Mystery Train». Pour Guralnick c’est le prototype de tout ce qui va suivre. Uncle Sam est dingue du rythme de Mystery Train, un rhythmic pattern qu’on va retrouver dans «Blues Suede Shoes». Guralnick parle aussi de la «house-wrecking guitar» de Floyd Murphy qu’Uncle Sam imposera comme modèle à tous les guitaristes blancs qui entreront dans son studio. Et puis il y a la partie vocale de Junior Parker que Guralnick compare à celle d’Al Green - Qui a dédicacé son ineffable «Take Me To The River» to a cousin of mine, Little Junior Parker - On reste en famille. Aux yeux de Guralnick, ce single est le single Sun le plus parfait - Sam Phillips most «perfect» two sided single - À moins que ce ne soit, ajoute-t-il, goguenard, le premier single de Wolf. Guralnick rend aussi un hommage appuyé à Billy The Kid Emerson qu’on voit apparaître à plusieurs reprises dans le book - Eccentric talent, fabuleux compositeur - On reste dans les excentriques avec Hot Shot Love et «Wolf Call Boogie». Uncle Sam est friand d’excentriques et Guralnick ajoute qu’Uncle Sam aurait pu se targuer d’être le plus grand excentrique de tous. Hot Shot Love dialogue avec lui-même comme Hooky dans «Boogie Chillen» et Bo Diddley avec Jerome Green. Mais derrière, on entend ce démon de Pat Hare.  

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             Et le book explose à la page 105 avec Scotty Moore. Scotty n’est pas encore avec Elvis, il joue avec les Starlite Wranglers et accompagne Doug Poindexter sur «My Kind Of Carrying On». Il entre chez Uncle Sam pour la première fois en 1954. Les Wranglers sont son groupe et il vient de recruter comme chanteur un boulanger nommé Doug Poindexter qui est passionné d’Hank Williams. Puis Scotty prend l’habitude de passer voir Uncle Sam chaque jour après le boulot (il bosse au pressing de son frangin). Uncle Sam lui parle de ses visions du futur - Sam savait que les choses allaient changer. Il le pressentait. C’est pourquoi il enregistrait tous ces artistes noirs - Ce qui intéresse Uncle Sam chez les Wranglers, c’est nous dit Guralnick l’interaction qui existe entre Scotty et Bill Black. Et Uncle Sam teste ses idées de son - A kind of artificial echo - Il fait passer la bande enregistrée en simultané dans un deuxième magnéto, ce qui crée un delay. Il baptise son invention «slapback», un effet qui allait devenir «the hallmark of the Sun sound.» Puis le 3 juillet 1954, Uncle Sam envoie un jeune mec auditionner chez Scotty. C’est Elvis qui se pointe chez Scotty en chemise noire, pantalon rose et pompes blanches. En ouvrant la porte, Bobbie, qui est la femme de Scotty, est complètement sciée. C’est le lendemain qu’ils enregistrent le fameux cut historique. Tu tournes la page sur qui tu tombes ? Devine... C’est facile. Charlie Feathers. Photo connue. Charlie gratte sa gratte en souriant. Guralnick le qualifie d’aussi «extravagantly gifted as anyone on the Sun roster - and as determinedly eccentric.» Mais Charlie est pour lui-même son pire ennemi et Uncle Sam ne le sent pas assez motivé «pour réaliser son potentiel». Charlie ne fait confiance à personne. Il est assez ingérable. Bill Cantrell dit de lui «qu’avec un petit peu d’éducation et un petit peu de bon sens, il aurait pu faire carrière comme Carl Perkins.» Charlie va enregistrer ses hits sur King à Cincinnati, et comme le dit si bien Guralnick, «il n’a jamais eu de succès, mais il a su créer une légende.»  

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             À ce stade des opérations, force est de constater que le book s’emballe. Guralnick perd un peu les pédales. L’image est celle d’un gosse affamé devant la vitrine du pâtissier. Il veut tout bouffer, tous les gâtös, tous les éclairs, toutes les religieuses, toutes les tartelettes à la frangipane, tous les mokas et tous les millefeuilles, c’est-à-dire tout Elvis, tout Carl Perkins, tout Billy Riley, tout Jerry Lee, c’est incroyable, tous ces gâtös chez Uncle Sam le pâtissier du diable. Et du Sun, t’en bouffe avec Guralnick à t’en faire exploser la panse, tu tombes sur un immense portait de James Cotton qui file des coups d’harp pour «Cotton Crop Blues», puis tu tombes en arrêt devant Harmonica Frank, en pantalon rayé, sa gratte dans les pattes et un truc à la bouche. Oh c’est pas un cigare, c’est son harmo. Une vraie gueule de taulaurd, l’un des plus gros flashes d’Uncle Sam. Guralnick s’excuse d’avoir abusé du mot excentrique - eccentric par ci, eccentric par là - D’ailleurs Uncle Sam donne sa propre définition de l’eccentric : «Individualism to the extreme.» Mais Guralnick dit qu’on est obligé de parler d’eccentric à propos d’Harmonica Frank, «a grizzled White medecine show veteran in his forties», un mec qui joue de l’harmo sans jamais y mettre les mains, l’harmo est dans sa bouche et il chante en même temps. Uncle Sam : «A beautiful hobo. He was short, fat, very abstract - vous le regardiez et ne saviez pas ce qu’il pouvait penser, ni ce qu’il allait chanter ensuite. He had the greatest mind of his own - I think hobos by nature have to have that - et ça m’a fasciné depuis le début. Et il avait certains de ces vieux rythmes et vieilles histoires qu’il avait enrichis, and some of them were so old, God, I guess they were old when my father was a kid.» Le propos d’Uncle Sam sonne comme une parole d’évangile.

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             Quand tu tournes, c’est un peu comme si tu prenais la porte dans la gueule : Elvis. «That’s All Right». C’est la révolution qu’annonçait Uncle Sam à Scotty Moore. Guralnick précise sa pensée : «C’est peut-être ou ça n’est peut-être pas le moment où est né le rock’n’roll (en fait ça ne l’est pas), mais de toute évidence, c’est la naissance de something new.» Guralnick confirme que «That’s All Right» est arrivé «par accident», pendant le coffee break. Ça tombait à pic. Guralnick ajoute que la version était si pure dans son essence, qu’Uncle Sam n’a rajouté aucun effet. No slapback. One take or two - And it’s just as timeless today as it was then, and just as uncategorizable - Quelques pages plus loin, tu les vois tous les trois sur scène, Elvis, Scotty et Bill Black, le premier power-trio de l’histoire du rock. Magnifico. Comme si tout ce qui est venu après était superflu. Guralnick considère «Baby Let’s Play House/I’m Left You’re Right She’s Gone» comme «the apogee of Elvis’ Sun career». Selon l’auteur, «the brand-new hiccoughing slutter just knocked Sam out.» Plus loin, il revient sur «Tryin’ To Get To You», an obscure R&B song qu’Elvis commençait à bosser chez Sun au moment où Uncle Sam négociait la vente de son contrat. Le single ne sortira pas sur Sun, mais sur le premier album RCA d’Elvis, et quand les gens demandent à Guralnick quel est son cut préféré d’Elvis, il répond «Tryin’ To Get To You». Dans «Letter To Memphis», Frank Black rend aussi hommage à Elvis en miaulant Tryin’ to get to you/ Just tryin’ to get to you dans le refrain.

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             Nouveau flash cette fois sur Willie Johnson, le premier guitariste de Wolf. Guralnick consacre cette double au «I Feel So Worried» de Sammy Lewis & Willie Johnson Combo. Il qualifie Willie Johnson de «smolderingly overamplified player». Uncle Sam fut fasciné par l’attaque et la subtilité du jeu de Willie qui combinait «lead and rhtyhm in a combination of thick, clotted chords and defty distorted single-string runs.» Guralnick s’emballe : «Mais il n’y avait pas que ça. Il allait beaucoup plus loin que les bebop inflections, on entendait des échos du phrasé délicat de T-Bone Walker, et beaucoup important, il sortait the dirtiest sound you could ever imagine being drawn from an electric guitar. C’est là que Sammy Lewis entrait dans la danse avec son harmo et tous les deux ils créaient un son tellement explosif que, lorsque Willie criait «Blow the backs of it, Sammy», vous aviez vraiment l’impression qu’il allait le faire.» Guralnick a vraiment bien écouté ses singles Sun. Chaque fois, il sait dire pourquoi c’est un chef-d’œuvre. Le book ne contient que ça, des pages superbes. C’est assommant. Il faut lire à petites doses. Conseil d’ami. 

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             Encore une double faramineuse sur Carl Perkins, pour le single Sun «Let The Jukebox Keep On Playing/Gone Gone Gone». C’est Carl qui débarque pour la première fois chez un Uncle Sam qui n’a pas le temps, mais qui dit quand même «Okay, get set up. But I can’t listen long». On voit à quoi tient le destin d’un artiste : à peu de chose. Carl poursuit : «Plus tard,  il m’a dit : ‘Je ne pouvais pas dire non. J’avais encore jamais vu un pitifuller-looking fellow as you looked quand je vous ai dit que je n’avais pas le temps. You overpowered me. Alors je lui ai répondu que ce n’était pas mon intention, mais que j’étais content de l’avoir fait. That was the beginning right there.» Carl Perkins, sans doute le plus grand d’entre tous. Remember le Mystery Train de Jim Jarmush et les deux kids japonais qui hantent les rues de Memphis : elle est fan d’Elvis et lui de Carl Perkins. Merci Peter Guralnick de remettre les pendules à l’heure avec tous ces héros. Tu tournes la page et tu retombes sur Carl avec une pompe à la main. Logique, c’est la double «Blue Suede Shoes». Wham bam. Enregistré un mois après le départ d’Elvis pour RCA.   

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             Et voilà Uncle Sam en compagnie de Rosco Gordon et «The Chicken (Dance With You)». Rosco est l’un des premiers cracks qu’Uncle Sam ait enregistré - One of his favorite «originals» - bien avant «Rocket 88», précise l’indestructible Guralnick. Uncle Sam ne voit pas Rosco comme un bon pianiste, mais «as a different kind of piano player, with a unique, rolling style.» Sam lui dit qu’il est le seul au monde à jouer comme ça, et Rosco lui répond : «I don’t know what it is, it’s not blues. It’s not pop. It’s not rock. So we gonna call it ‘Rosco’s Rhythm’.» Puis Guralnick rappelle que le chicken de Rosco s’appelait Butch et que Butch mourut alcoolique, car Rosco lui faisait boire une capsule remplie de whisky tous les soirs avant de monter sur scène.

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             Et puis les inévitables : Cash et Roy Orbison avec leurs têtes à claques. Puis back to the real deal, Carl Perkins dans une double intitulée «Boppin’ The Blues», un hit qui devrait être l’hymne national américain. Photo démente de Carl en chemise rayée, en train de gratter sa Les Paul. Plus rockin’ wild, ça n’existe pas. Puis la gueule d’ange de Billy Riley, suivi de Sonny Burgess et «Red Headed Woman/We Wanna Boogie». Guralnick commence par dire qu’il craint de se répéter. Puis il donne la clé de Sonny : l’enthousiasme - Like Billy Riley, Sonny Burgess was the one of the preeminent wildmen of Southen rock - Uncle Sam ne tarit pas d’éloges sur Sonny : «C’était un groupe qui savait ce qu’il faisait, and they had a sound like I’ve never heard. Maybe Sonny’s sound was too raw, I don’t know - but I’ll tell you this. They were pure rock and roll.»

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              Sun qui a déjà connu maintes apothéoses en connaît une nouvelle avec Jerry Lee. Guralnick a du mal à monter les enchères : «Okay, remember I said, ‘This is it’, I’m sure more than once. Well this was definitely it once again, a pivotal moment in the history of rock’n’roll.» On s’aperçoit au fil des pages que Guralnick accomplit un exploit. Il veille à saluer chacun des géants découverts par Uncle Sam de la façon la plus honnête qui soit. Pas facile de faire un Sun book. Essaye et tu verras. Une fois de plus, Jerry Lee arrive par accident. Chez lui à Ferryday, il lit un canard qui raconte l’histoire d’Elvis et qui cite le nom de Sam Phillips comme «the guiding influence behing all these rising stars, Elvis, Johnny Cash, Carl Perkins, even B.B. King», alors il décide, lui le kid Jerry Lee, qu’il a autant de talent que toutes ces rising stars. Il dit à son père Elmo : «This is the man we need to go see.» Guralnick consacre autant de doubles à Jerry Lee qu’à Elvis. Ça tombe sous le sens. Dans la double «Whole Lot Of Shakin’ Going On», Guralnick s’étrangle de jouissance : «His appearance on July 28, 1957, was nothing short of cataclysmic. Vous ne me croyez pas ? Watch the video. And now watch it again. And again. De toute évidence, c’est l’un des moments clés du rock’n’roll, as Jerry Lee kicks out his piano stool, and Steve Allen sends it flying back.» Nouvelle éruption volcano-guralnicienne avec «Great Balls Of Fire», puis «In The Mood», au moment où Jerry Lee est au plus bas. Uncle Sam tente de restaurer son image - He was the most talented man I ever worked with, Black or White. One of the most talented human beings to walk on God’s earth. There’s not one millionth of an inch difference  (between) the way Jerry Lee Lewis thinks about music and the way Bach or Beethoven felt about theirs - Guralnick rappelle en outre qu’en 1961, pour la sortie du single Sun «What’d I Say», Jerry Lee et Jackie Wilson partirent ensemble en tournée dans une série de Black clubs, «in what was billed without exageration as ‘The Battle of the Century’.»

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             Puis vient le temps de Charlie Rich, et Guralnick démarre sa double ainsi : «Of all his artists, Sam saw Charlie Rich alone as standing on the same level of emotional profundity as Howlin’ Wolf.» Ça s’appelle planter un décor. Dans ses interviews, Uncle Sam ne manquait jamais nous dit Guralnick de revenir sur ce point. Il le classait parmi les profonds inclassables, comme Wolf. C’est vrai que Charlie Rich est profondément inclassable. Sur la photo en vis-à-vis, il est presque aussi beau qu’Elvis. C’est la double «Who Will The Next Fool Be», sorti sur Phillips International. On tombe à la suite sur Frank Frost, le dernier black qu’Uncle Sam ait enregistré. Il vaut le détour, comme d’ailleurs tous les autres. Sun est une mine d’or. L’idéal pour tout fan éclairé est de rapatrier les six volumes des Complete Sun Singles parus chez Bear : overdose garantie, contenu comme contenant. Pareil, il faut écouter ça avec modération. On y reviendra un de ces quatre.

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             Le dernier single Sun (Sun 400) est le légendaire «Cadillac Man» des Jesters. Pourquoi légendaire ? Parce Dickinson et parce que Jerry Phillips, fils cadet d’Uncle Sam, et parce que Teddy Paige, future légende vivante. On les voit photographiés avec Uncle Sam qui porte un costard noir. Écœurant d’élégance. En fait, c’est Knox, l’autre fils d’Uncle Sam, qui a enregistré la session. Jerry gratte la rythmique. Dickinson chante et pianote. Quand Sam entend «Cadillac Man», il le sort sur Sun, en 1966. Mais son cœur n’y est plus. Il va d’ailleurs vendre Sun. 25 ans plus tard, il rendra hommage à Dickinson, lors de son 50e anniversaire : «Vous savez, je ne crois pas que Jim Dickinson ait jamais eu honte de l’horrible musique qu’il jouait - Sam joked (I think!) - and that’s not easy to do.»  

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             Colin Escott referme la marche avec le rachat de Sun et Shelby Singleton. Si Uncle Sam lui revend Sun, c’est uniquement parce qu’il sait que Sun est entre de bonnes mains. Colin Escott documente formidablement cet épisode historique. Singleton fouille dans les archives d’Uncle Sam et déterre des tas d’inédits, Cash, Jerry Lee, puis arrive Orion. Comme il n’a pas accès à Elvis, Singleton se rabat sur un clone d’Elvis, Jimmy Ellis, qu’il baptise Orion. C’est vrai que les pochettes sont belles. On y reviendra un de ces quatre.  

    Signé : Cazengler, Sun of a bitch

     Peter Guralnick & Colin Escott. The Birth Of Rock’n’Roll. The Illustrated Story of Sun Records. Omnibus Press 2022

     

     

    L’avenir du rock

     - The Big Idea est une bonne idée

             Qui aurait cru qu’en errant dans le désert, on rencontrait des tas de gens intéressants ? C’est en tous les cas le constat que fait l’avenir du rock. Il y a croisé Ronnie Bird, M le Muddy, les Courettes, Sylvain Tintin porté par Abebe Bikila et ses trois frères, Lawrence d’Arabie, et des tas d’autres voyageurs inopinés. Alors ça lui plaît tellement qu’il a décidé de continuer d’errer. Errer peut devenir un but en soi, mais il faut bien réfléchir avant de prendre ce genre de décision. On ne décide pas d’errer comme ça, pour s’amuser. Non, c’est un choix de vie, ce qu’on appelait autrefois une vocation. Plongé dans ses réflexions, l’avenir du rock avance en pilote automatique. Un personnage étrange arrive à sa rencontre et le sort de sa torpeur méditative. L’homme porte sur les épaules une énorme poutre en bois. L’avenir du rock s’émoustille :

             — Oh mais je vous reconnais ! Zêtes Willem Dafoe !

             Dafoe sourit. Son visage s’illumine de toute la compassion dont il est capable.

             — Qu’est-ce que vous fabriquez par ici, Willem ?

             — Oh ben j’erre... Dans quel état j’erre... Où cours-je... Martin Scorsese m’a envoyé errer par ici. On va tourner La Dernière Tentation Du Christ, alors il veut que je m’entraîne.

             — Ça fait longtemps que vous zerrez ?

             — Chais plus. Pas pris mon portable. Ça doit faire quelques mois.

             — Et la couronne d’épines, ça fait pas trop mal ?

             — Oh ça gratte un peu, mais bon, c’est comme tout, on s’habitue.

             — En tous les cas, zêtes bien bronzé, Willem. Vous serez magnifique sur la croix.

             — Au début, j’avais des sacrés coups de soleil, mais maintenant, ça va mieux.

             — Dites voir, Willem, dans votre entraînement, il y a aussi les miracles ?

             — Oui, bien sûr. Vous voulez quoi, du pain, du vin, du boursin ?

             — Non, zauriez pas quelque chose de plus original ?

             — Vous me prenez au dépourvu. Attendez, j’ai une idée. Voilà...

             — Voilà quoi ?

             — Zêtes bouché ou quoi ? Je viens de vous le dire : the Big Idea !

     

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             Ils arrivent comme l’annonce le Christ scorsesien, par miracle. Tu ne les connais ni d’Eve ni d’Adam. Ils montent en short sur scène, enfin trois d’entre eux.

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    Ils s’appellent The Big Idea, ce qui est en vérité une bonne idée. Apparaissent très vite des tas de particularités encore plus intéressantes : ils sont tous quasiment multi-instrumentistes, ils savent tous chanter, la loufoquerie n’a aucun secret pour eux, ils jouent à trois grattes plus un bassmatic, avec un bon beurre et des chics coups de keys, et petite cerise sur le gâtö, ils savent déclencher l’enfer sur la terre quand ça leur chante. Et là tu dis oui, tu prends la Big Idea pour épouse. Pour le pire et pour le meilleur. Disons que le pire est une tendance new wave sur un ou deux cuts en début de set, et le meilleur est un goût prononcé pour l’apocalypse grunge, mais la vraie, pas l’autre.

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    Ils cultivent l’apanage d’un large éventail et passé l’inconfort moral d’un ou deux cuts new wavy, tu entres dans le jeu, car chaque cut réserve des surprises de taille. Ils sont tous fantastiquement brillants, ça joue des coups de trompettes free au coin du bois, et les belles rasades de congas de Congo Square te renvoient tout droit chez Santana. En plus, ils sont drôles, extrêmement pince-sans-rire. À la fin d’un cut, le petit brun en short qui joue à gauche balance par exemple des petites trucs du genre : «Elle était pas mal celle-là.» On le verra danser la macumba du diable sur scène et aller fendre la foule comme Moïse la Mer Rouge pour chanter à tue-tête une extraordinaire «chanson d’amour», comme il dit.

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    On sent chez eux une réelle détermination, un vrai goût des chansons bien faites, leur ahurissante aisance leur donne les coudées franches, ils sont encore jeunes, mais ils semblent arborer une stature de vétérans de toutes les guerres, ce que va confirmer l’un d’eux un peu plus tard au merch.

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    «On est un vieux groupe», dit-il. Il ajoute qu’ils ont déjà enregistré cinq albums. What ? Cinq albums ! Un vrai labyrinthe ! Mais le pot-aux-roses arrive. À la question rituelle du vous-zécoutez quoâ ?, il balance le nom fatal : The Brian Jonestown Massacre. What ? Et d’expliquer qu’ils ont formé ce groupe après avoir vu Anton Newcombe sur scène. Alors bam-balam, ça ne rigole plus. Et pourtant, leur set n’est pas calqué directement sur les grooves psychotropiques d’Anton Newcombe, c’est beaucoup plus diversifié, mille fois plus ambitieux, comme si les élèves dépassaient le maître. Mais - car il y a un mais - ils ont retenu l’essentiel de «l’enseignement» du maître : la modernité. The Big Idea est un groupe éminemment moderne. Mieux encore, pour paraphraser André Malraux : The Big Idea sera moderne ou ne sera pas.

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             Alors t’en ramasses deux au merch pour tester. Margarina Hotel date de 2019. Seul point commun avec le Brian Jonestown Massacre : la modernité. Mais pas vraiment le son - La vie est belle/ Au bord de l’eau - groovent-ils dans cette samba de Santana, «The Rivers King». On assiste cut après cut à une incroyable éclosion de diversité. Tout est chargé d’événementiel, la pop d’«Is In Train» est bienveillante, ils prennent le chant chacun leur tour, comme sur scène. Et voilà «In Shot» qui groove entre les reins de l’or du Rhin, groove de rêve et voix plus grave - And for the next turn/ I swear they won’t find us - Une merveille tentaculaire ! «Two» est plus new-wavy, mais léger, ça reste une pop de pieds ailés, visitée par un solo de grande intensité. Tu te passionnes pour ce groupe. «Us Save» délire sur le compte d’you are the fruit of desire. Ils font du Pulp quand ils veulent. Encore un soft groove de rêve avec «At Lose» - Everyboy wants to be at home/ In the sofa - Ils se diversifient terriblement. Toujours pareil avec les surdoués. Nouveau coup de Jarnac avec «Re-Find Milk» et son bassmatic à la Archie Bell. Tout ici n’est que luxe intérieur, calme et volupté. Merveilleux univers ! Et ça continue avec le come on & get a ride Sally de «Quick & Party» - We’re going to Crematie - C’est dans cette chanson qu’on entre au Margarina Hotel. Ils bouclent avec «The Peace» qui grouille de héros des Beatles, Lovely Rita et Bungalow Bill.

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             Leur petit dernier s’appelle Tales Of Crematie. Il vient de paraître et s’accompagne d’un petit book que t’offre le fils spirituel d’Anton. Le book porte le même nom que l’album et nous raconte en une trentaine de pages «une épopée fantastique et dantesque du roi Andrew Ground et de ses amis, qui les emmènera aux confins des terres maudites du Royaume de Renëcoastie et d’eux-mêmes.» Tu découvres une carte des deux îles, la Crématie et en face, une île composée de trois royaumes, la Diplomatie, la Sylvanie et la Renëcroastie. Le conte nous raconte le temps de la paix puis le temps de la guerre. L’un des quatre rois s’appelle bien sûr Anton Mac Arthur. Les rois font appel à Zeus pour les aider à mettre fin à la guerre. Zeus accepte et leur confie à chacun d’eux une pierre qui garantit la paix et qui ne doit pas se briser. Chacune des pages du book illustre un cut de l’album. Pas mal de jolies choses sur Tales Of Crematie. On y retrouve ces aspects ‘new wave militaire’ («Guess Who’s Back») du set, à la limite du comedy act. Retour au «Margarina Hotel» de l’album précédent avec les percus, the king & his butterflies. C’est jouissif et pianoté à la folie - Only a king makes it possible - Ils font de la prog («The Council Of The King»), mais leur prog peut exploser. Gare à toi ! Les cuts sont tous longs et entreprenants. Bizarrement tu ne t’ennuies jamais, comme tu t’ennuierais dans un album de Genesis ou du Floyd post-Barrett. «The River’s Queen» nous plonge dans la folie rafraîchissante des collégiens, et ça explose dans la phase finale. C’est à la fois leur grande spécialité et ce qui rend leur set spectaculaire. «In The Claws Of Cremazilla» s’ouvre dans une ambiance mélancolique et puis ça monte violemment en neige. Tout est parfait dans cet album, les flambées, les idées, surtout les flambées, elles sont toutes extravagantes. On voit encore «The Cursed Ballerina» s’ouvrir sur le monde, et ça vire wild jive de jazz by night, avec un sax in tow. Effarant ! Et puis tu as «With A Little Help From ESS 95» qui démarre en mode Procol et au bout de trois minutes, ça s’énerve, on ne sait pas vraiment pourquoi. Encore une lutte finale en forme d’explosion nucléaire ! Ils explosent encore la rondelle des annales avec «The Fight». Décidément, c’est une manie. Et la cerise sur le gâtö est sans doute «We Are Victorians», tapé aux clameurs victorieuses du gospel rochelais. Ces petits mecs on brillamment rocké le boat du 106, alors il faut les saluer et surtout les écouter. Ce genre d’album est un don du ciel, dirons-nous.

    Signé : Cazengler, The Big Idiot

    The Big Idea. Le 106. Rouen (76). 11 avril 2024

    The Big Idea. Margarina Hotel. Only Lovers Records 2019

    The Big Idea. Tales Of Crematie. Room Records 2024

     

     

    Pas trop Tö, Yö !

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             Ils sont quatre, les Tö Yö, t’as presque envie d’ajouter Ta pour faire plus japonais. Tö Yö  Ta ! Vroom vroom ! C’est ton destin, Yö ! Taïaut, taïaut, vlà Tö Yö ! Bon Tö Yö ? Oui, c’est pas un Tö Yö crevé. Quatre Japs timides comme pas deux, et psychédéliques jusqu’au bout des ongles. T’en reviens pas de voir des mecs aussi bons.

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    C’est le genre de concert dont tu te goinfres, comme si tu te goinfrais d’un gros gâtö Yö à la crème, quand ça te coule dans le cou et dans les manches, tu t’en goinfres jusqu’à la nausée, les Japs jappent leur psyché à deux mètres de tes mains moites et tremblantes, ils jouent un heavy psyché à deux guitares, ils entrelacent leurs plans, ils lient leurs licks, ils yinguent leur yang, ils versent dans la parabole des complémentarités du jardin d’Eden, et tu as ce grand Jap zen et chevelu qui garde toujours un œil sur son collègue survolté, tu assistes à la coction d’une sorte de Grand Œuvre psychédélique, comme seuls les Japonais sont capables de l’imaginer.

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     Ils tapent des cuts longs et chargés d’atmosphère, selon les rites du genre, ils savent cultiver les ambiances et t’emmener en voyage avec eux. Ils savent tripper aussi bien que Bardo Pond, leurs intrications sont aussi viscérales, leurs ambitions aussi cosmiques. Avec Tö Yö, le psyché redevient simple, à portée de main, loin des baratins pompeux de pseudo-spécialistes, Tö Yö te fait un psyché à visage humain, comme le fut jadis le socialisme d’Alexandre Dubcek, Tö Yö te donne les clés de son royaume, viens, Yūjin, t’es le bienvenu, entre donc, regarde comme ce monde est beau, vois ces navires de guerre en feu, surgissant de l’épaule d’Orion. Vois ces C-beams dans l’obscurité, près de la Porte de Tannhäuser. Vois ces ponts de cristal et ces flèches de cathédrales qui se perdent dans la voûte étoilée.

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    Pendant une heure, les proTö Yö élèvent des architectures soniques audacieuses et majestueuses à la fois, ils évitent habilement tous les clichés et semblent couler de source. Leur psychedelia semble tellement pure, tellement naturelle que tu finis par t’en ébahir, car comment est-ce possible, soixante ans après Syd Barrett et le «Tomorrow Never Knows» de Revolver. Ne te pose pas de questions, Tö Yö t’offre l’occasion de vivre l’instant présent, alors ne le gâche pas avec tes questions à la mormoille.     

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             Par contre, des questions à la mormoille, tu vas t’en poser en écoutant l’album ramassé au merch. Le son n’a rien à voir avec celui du concert ! L’album s’appelle Stray Birds From The Far East. Son et ambiances très différents. Tu les vois s’élancer fièrement dans l’aventure et Masami Makino chante d’une voix claire et distincte, alors qu’en concert, il se contentait de pousser des soupirs psychédéliques. Avec «Hyu Dororo», ils proposent une pop orientalisante et même funky, une pop presque arabisante sertie d’un solo de cristal pur. Masami Makino chante beaucoup sur «Twin Montains». Il n’a pas de voix, mais c’est pas grave. Ambiance pop et rococo et soudain, ils mettent la pression et ça devient clair, mais d’une clarté fulgurante, ça grouille de poux psychés, ils grattent dans la cour des grands et ça devient même fascinant. Ils renouent enfin avec les pointes du set. Ils savent monter un Fuji en neige ! Les deux grattes croisent encore le fer sur «Tears Of The Sun». Elles s’entrelacent sur un beau beat intermédiaire, ça a beaucoup d’allure, les poux sont ravissants et brillent dans les vapeurs d’un bel éclat mordoré. La gratte de Masami Makino perce les blindages et celle de Sebun bat le funk asiatique sur «Titania Skyline». Et «Li Ma Li» s’en va se perdre dans le lointain. Ils dessinent un horizon, ils visent un but qui nous échappe. C’est la règle.

    Signé : Cazengler, Tö Tö l’haricöt.

    Tö Yö. Le Trois Pièces. Roun (76). 11 juin 2024

    Tö Yö. Stray Birds From The Far East. King Volume 2023

     

     

    Inside the goldmine

     - Ty taille sa route

             Cette pauvre femme en a bavé. Pendant quarante ans, Lady Taïaut a dû servir à table un démon cornu ventripotent. Elle eut en son jeune temps la malencontreuse idée de répondre à une petite annonce matrimoniale. Elle rencontra un homme bien mis dans une brasserie proche de la gare. La sentant facile d’accès, il l’invita aussitôt à dîner chez lui. Il la fit entrer dans un pavillon cossu. La salle à manger ne se trouvait pas à l’étage, mais au sous-sol. Elle s’inquiéta de la chaleur qui y régnait. Il la fit asseoir au bout d’une longue table et prit place en vis-à-vis. La table était jonchée de restes des repas précédents, principalement des os. L’homme commença à transpirer abondamment et défit sa cravate. Il passa dans la pièce voisine et revint avec une assiette qu’il déposa devant elle. L’assiette contenait un saucisson. Elle fut consternée. Il la rassura en lui expliquant qu’il se contentait de peu et qu’il cherchait une épouse pour tenir la maison. Il acheva sa conquête en lui promettant qu’elle ne manquerait jamais de rien. Il exhiba alors une énorme liasse de billets. Lady Taïaut mordit à l’hameçon, comme le ferait n’importe quelle femme pauvre, et deux semaines plus tard, ils se mariaient discrètement à la marie. Elle passa une première nuit à subir tous les outrages. Le lendemain matin, elle s’enferma dans la salle de bains pour s’examiner et découvrit avec horreur des profondes égratignures infectées aux abords de ses deux orifices. Mais comme elle était de religion catholique et élevée chez des paysans, elle garda le silence. En son temps, les femmes mariées se taisaient. Jour après jour, pendant quarante années, elle servit son époux à la grande table. Il trônait, bâfrait, grondait, il jurait, bavait, gueulait, il bouffait tellement qu’il ventripotait, ses petits yeux injectés de sang brillaient dans la pénombre. Il régnait dans cette salle à manger une chaleur infernale. À chaque repas, il lui demandait d’amener un animal vivant, agneau ou pintade, chien ou cochon de lait, chat ou canard. Elle le posait devant lui sur la grande table et il se jetait dessus en poussant de terribles hurlements. Une fois repu, il se renversait dans sa chaise et éclatait de ce rire gras qui la traumatisait. Quand elle demandait s’il avait encore faim, il répondait invariablement : «Taïaut Taïaut ! Ferme ta gueule, répondit l’écho !». Elle ne manqua jamais de rien.

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             De toute évidence, Ty Karim a connu une existence plus enviable que celle de Lady Taïaut : l’existence d’une princesse de la Soul dans la cité des anges, Los Angeles, a largement de quoi faire baver cette pauvre Lady Taïaut.

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             Fantastique compile que celle qu’Ace consacre à Ty Karim, The Complete Ty Karim: Los Angeles Soul Goddess, avec un booklet signé Ady Croasdell. Ty nous dit Ady a du sang indien. Comme pas mal de blackos, elle fuit le Mississippi avec un premier mari et une baby girl pour s’installer en Californie. Elle divorce puis rencontre Kent Harris qui va l’épouser et la mentorer. Mais le mariage ne va pas durer longtemps. La pauvre Ty nous dit Ady va casser sa pipe en bois des suites d’un cancer du sein en 1983. En fait, l’Ady n’a pas grand-chose à nous raconter, il se livre à sa passion de collectionneur pour éplucher chaque single, en décrire minutieusement le contexte, souligner la couleur du label, rappeler que Jerry Long signe les arrangements, et que toutes ces merveilles s’inscrivent dans la tranche fatidique 1966-1970. On est bien content d’apprendre tout ça. On paye l’Ady pour son savoir encyclopédique, alors c’est bien normal qu’il en fasse 16 pages bien tassées, dans un corps 6 qui t’explose bien les yeux. Bon, il nous lâche quand même deux informations de taille : c’est Alec Palao qui a récupéré les masters de Ty auprès de Kent Harris, et d’autre part, la fille de Ty & Kent, Karime Kendra (Harris) a pris la relève de sa mère et vient désormais swinguer le Cleethorpes Northern Soul Weekender.

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             Ty devrait être connue dans le monde entier pour «Lightnin’ Up» - Aw my darling/ Darling - Elle est dans un groove d’une extrême pureté, c’est le groove des jours heureux.  Ou encore pour «You Really Made It Good To Me», ce wild r’n’b de rang princier, elle est enragée, hot night in South Central. Et puis il y a ce «Keep On Doin’ Watcha Doin’» en deux parties, qu’elle tape à l’accent profond de «Walk On By», elle duette sur le Part 1 avec George Griffin, oh c’est de la Soul de si haut vol, arrosée de solos de sax et de nappes de violons. Ty et George sont magiques, on croit entendre une Soul intersidérale, et ça continue avec le Part 2, à réécouter mille et mille fois, Ty taille sa route dans un groove de magie pure. Elle étend son empire sur Los Angeles à coups de keep on doin’/ Yeah, ils sont imbattables à force de keep it et ça leur échappe au moment où le sax entre dans le groove urbain. D’autres énormités encore avec le «Lighten Up Baby» d’ouverture de bal, un r’n’b extravagant de sauvagerie, et ça continue avec «Help Me Get That Feeling Back Again», elle rôde littéralement dans le groove, Ty est une artiste superbe, elle te groove jusqu’à la racine des dents et elle devient de plus en plus wild avec «Ain’t That Love Enough», elle est hard as funk, c’est une Ty de combat. Fantastique petite blackette ! Plus loin, elle refait sa hard as funk avec «Wear Your Natural Baby». Elle est extrêmement bonne à ce petit jeu. Elle sait aussi manier le gros popotin comme le montre «Take It Easy Baby». Elle te drive ça de main de maître. Elle te broute encore le groove avec «Don’t Make Me Do Wrong», elle s’implique à fond dans la densité des choses, c’est remarquable. Globalement, Ty montre une détermination à toute épreuve. Elle chante tous ses hits avec un éclat merveilleux. Elle monte littéralement à l’assaut de la Soul et devient admirable, car elle reste gracieuse. Il faut la voir attaquer «Natural Do» comme une lionne du désert, c’est vrai qu’elle a un petit côté Dionne la lionne, elle y va au oooh-weee ! Tout aussi stupéfiant, voilà «I’m Leavin’ You», pas révolutionnaire, mais c’est du Ty pur, elle le quitte, today oh yeah bye bye, elle a raison ! Elle revient au pied du totem chanter «All In Vain». Elle est enragée, elle se pose en victime avec une voix de vampirette, elle explose dans le sexe in vain. Elle est fabuleusement barrée. Puis on tombe sur les versions alternatives et ce ne sont que des cerises sur le gâtö. Merveille absolue que l’«If I Can’t Stop You (I Can Slow You Down)», ce slow groove est gorgé d’ardeur incommensurable. Elle finit en mode hard funk avec «It Takes Money». Elle te met tout au carré, pas la peine de chipoter. It takes monay ahhh yeah. C’est du sérieux.

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             Tant qu’on y est, on peut en profiter pour écouter une autre compile qu’Ace consacre à Kent Harris, Ken Harris’ R&B Family. C’est Ady Croasdell qui se tape le booklet et ça grouille d’infos. L’essentiel est de savoir que Kent Harris est né en 1930 et que sa famille s’est installée à San Diego en 1936. Il ne date donc pas de la dernière pluie. Il faut partie des pionniers, comme Johnny Otis. Son monde est celui de la Soul d’avant la Soul, qu’on appelait le jump. Kent Harris sera compositeur, label boss, disquaire et chanteur. Il monte Romark Records en 1960 et lance une chaîne de Target record stores à Los Angeles. Il va lancer deux des reines de la Soul moderne, Ty Karim, qu’il épousera, et Brenda Holloway. Mais la botte secrète de Kent Harris, c’est sa frangine Dimples Harris & Her Combo. On tombe très vite sur l’incroyable «Long Lean Lanky Juke Box» qu’elle éclate au sucre primitif. C’est assez wild, si on y réfléchit cinq minutes. Sous le nom de Boogaloo & His Gallant Crew, Kent Harris enregistre «Big Fat Lie», un jump des enfers. Puis il enregistre ses sœurs sous le nom des Harris Sisters, avec «Kissin’ Big». C’est encore un jump au féminin, plutôt bien allumé - C’mon baby/ Just one more kiss - Comme Kent Harris se passionne pour les girl-groups, il lance les Francettes - named after Frances Dray - avec «He’s So Sweet» et «You Stayed Away Too Long». Pure délinquance juvénile - You know what - c’est réellement du grand art, le r’n’b des singles obscurs. Et puis voilà Jimmy Shaw avec «Big Chief Hug-Um An’ Kiss-Um», wild & fast, ça plonge dans un spirit wild gaga qui transforme cette compile en compile des enfers. Kent Harris était-il un visionnaire ? Les Valaquons rendent hommage à Bo avec «Diddy Bop». Nouvelle révélation avec Donoman et «Monday Is Too Late». C’est un scorcher. Il s’appelle aussi Cry Baby Curtis. Nous voilà en pleine mythologie. Cry Baby Curtis a tout : le scream, la dance. On retrouve bien sûr Ty Karim avec «Take It Easy Baby». elle fait tout de suite la différence. Et puis Kent Harris s’intéresse aux blues guys : Cry Baby Curtis avec «Don’t Just Stand There», Roy Agee avec «I Can’t Work And Watch You», fast heavy blues. Oh voilà Eddie Bridges avec «Pay And Be On My Way», heavy groove d’église, heavy as hell, bien sûr. Rien sur ce mec, sauf que c’est énorme. Encore du heavy blues avec le texan Adolph Jacobs et «Recession Blues», claqué à la claquemure de Kent, tu te régales si tu aimes bien le gratté de poux détaché, Adoph joue au semi-detached suburban, il est fabuleux de présence et d’incognito. Par miracle, Ace arrache tous ces cuts magiques à l’oubli. Ce festin révélatoire se termine avec Faye Ross et «You Ain’t Right», elle est chaude et experte en heavy blues. Comme tous ceux qui précèdent, deux singles et puis plus rien. Il faut saluer le merveilleux travail de Kent Harris. Il rassemblait autour de lui d’extraordinaire artistes noirs. C’est une bénédiction que de pouvoir écouter cette compile.

    Signé : Cazengler, Ty Carie

    Ty Karim. The Complete Ty Karim: Los Angeles Soul Goddess. Kent Soul 2008

    Kent Harris’ R&B Family. Ace Records 2012

     

     

    Cale aurifère

    - Part Three

     

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             Dans Mojo, Andrew Male propose une petite rétrospective de l’œuvre de Calimero. Il tape dans le dur dès le chapô, le qualifiant de «creator of radical atmospheres turned unique» et d’«unpredictable songsmith». Lorsqu’il reprend la parole, Calimero commence par rendre hommage à Lou Reed - Lou and I were that once-in-a-lifetime perfect fit - et il ajoute, rêveur : «Heroin and Venus In Furs didn’t work as tidy folk songs - they needed positioning - rapturous sonic adornments that could not be ignored.» Male ajoute à la suite que Nico reste «an ongoing influence on Cale». Calimero voit Nico comme une artiste très moderne. Elle mettait en pratique l’enseignement de son gourou Lee Strasberg : «Create your own time». Il dit qu’elle pratique cet art dans ses chansons, «it’s a strange world, a world of mystery. But it’s real.» Calimero ajoute que Nico «was indifferent to style».

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             Sur son premier album solo, Vintage Violence, Calimero dit adopter «an attitude very similar to Nico’s, whereby the language that’s used is very rough and ready.» Une attitude qu’il va maintenir sur Church Of Anthrax, qui paraît en 1971. On est aussitôt happé par l’hypno du morceau titre. C’est emmené au shuffle d’orgue assez demented et bien remonté des bretelles. On se croirait chez Can. Calimero et Terry Riley font un carnage, Riley à l’orgue et Calimero au bassmatic. Ils sont complètement allumés. On retrouve cette grosse ferraille des rois de l’hypno dans «Ides Of March», encore du pur Can sound. Il règne aussi dans «The Hall Of Mirrors In The palace Of Versailles» une ambiance étrange. On est aux frontières du réel : le free, l’hypno, le Cale, le pianotage obstiné, ça vire free avec Riley au sax et Cale aux keys. Quel album ! Puissant de bout en bout.

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             Paru l’année suivante, The Academy In Peril est aussi un album hors normes, car drivé droit dans l’avant-garde. Grosse ambiance à dominante hypno dès «The Philosopher». Calimero s’éloigne du rock avec «Brahms». Il revient à ses études. Il est trop cultivé pour le rock. C’est très plombé, très Boulez. Tu avais l’album dans les pattes et tu avais envie d’étrangler le disquaire qui te l’avait vendu. Pourtant, il t’avait prévenu. Calimero pianote dans le néant expérimental. C’est très in peril. Il pianote dans un monde qui n’est pas le tien. C’est drôle que Warners l’ait laissé bricoler cette daube avant-gardiste. Il tape encore «Hong Kong» à l’exotica shakespearienne du Pays de Galles. Il fait son bar de la plage à la mode galloise, c’est-à-dire métallique et âpre. «Hong Kong» est le cut le plus accessible de cet album hautement improbable. 

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                 Après Fear, Calimero enregistre Slow Dazzle. Il commence par prendre les gens pour des cons avec de la petite pop, puis il passe aux choses sérieuses avec «Mr. Wilson», un hommage superbe à Brian Wilson.  Mais pour le reste, on passe complètement à travers. Dommage, car il a Manza et Chris Spedding en studio. En B, il tape une cover peu orthodoxe d’«Heartbreak Hotel» et revient à Paris 1919 avec «I’m Not The Loving Kind», un balladif magnifique et plein d’ampleur galloise. Puis vient le fameux «Guts» anecdotique - The bugger in short sleeves fucked my wife - Le bugger en question c’est Kevin Ayers - Did it quick and split - Assez Velvet comme ambiance.

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            Le troisième Island s’appelle Helen Of Troy et paraît la même année, en 1975. C’est là qu’on trouve la cover du «Pablo Picasso» des Modern Lovers - Cale at his mad best - Retour dans le giron du Velvet et Sped troue le cul de Picasso avec des riffs en tire-bouchon. S’ensuit un «Leaving It Up To You» bien raw. Encore du Cale at his mad best, suivi d’un hommage à Jimmy Reed avec «Baby What You Want Me To Do». On sent encore la forte présence du Sped. Il allume tous les cuts au riff raff magique. On note aussi une tentative de retour à Paris 1919 avec «Engine». Il tente de rallumer la flamme, mais ça ne marche pas. Sur «Save Us», Sped fait de son mieux pour sauver les meubles et suivre les facéties galloises. On note aussi la belle envergure d’«I Keep A Close Watch». Il y a un côté guerneseyrien chez Calimero. Il sait toiser un océan.

             En tant que producteur, Calimero se présente moins comme collaborateur que catalyseur, et occasionnellement, «a figure of conflict». Technique aussi utilisée par Guy Stevens.  

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             En 1979, paraît le fameux Sabotage/Live. Fameux car intéressant et parfois déroutant. Calimero peut parfois agacer. Dès que le Lou n’est plus là pour le cadrer, il aurait tendance à vouloir faire n’importe quoi. On sent bien qu’il n’est pas fait pour le rock, et pourtant, il est l’âme du Velvet. D’ailleurs, c’est cette âme qui remonte à la surface dans «Rosegarden Funeral Of Sores», amené comme le «Gift» du Velvet, monté sur un groove au long cours et chanté à la Lou, et on comprend que Calimero puisse être à l’origine des longs cuts du Velvet. Il fait aussi du proto-punk avec «Chicken Shit». Il crée la psychose, et cette fois, ça marche. Il cultive un protozozo malveillant, il dégueule plus qu’il ne chante, il vise clairement les racines du proto-punk, c’est monté sur un beat épais, avec une voix de femme ici et là. Son autre heure de gloire est sa cover de «Memphis». Elle a bien marqué l’époque, très maniérée, passée à la moulinette du New York City Sound. Sur scène, il est accompagné par un Aaron qui vrille du lead à gogo, et un certain George Scott au bassmatic bien sec. Sur «Mercenaries (Ready For War)», l’Aaron lâche des déluges de wild trash. Sur «Evidence», Calimero s’en-Stooge, comme d’autres s’encanaillent. C’est du big morning after. Il tape l’heavy boogie de «Dr. Mudd» avec des chœurs de traves. Pour une raison X, ça n’accroche pas, même si Calimero s’épuise à tirer son train. Il tente la cover d’avant-garde avec «Walkin’ The Dog». Il y va au baby’s back/ Dressed in black, mais c’est laborieux, mal engoncé. Le compte n’y est pas. Ça pue l’artifice et le m’as-tu-vu. Il est plus à l’aise sur «Captain Hook», une belle pop qui explore les frontières du Nord. Ils sont gonflés de jouer ça sur scène. Puis Calimero va se saboter avec «Sabotage», trop avant-gardiste, trop concassé. Mal coiffé. Inepte. Il revient à la modernité par la bande avec «Chorale». Il fait sa Nico. 

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             Retour en force en 1981 avec Honi Soit. Trois coups de génie là-dedans, à commencer par le morceau titre, un heavy rumble tapé aux percus des îles, il crée son monde, il a le contrôle complet de tout ce qu’on dit et tout ce qu’on fait. Il est le seul à pouvoir réussir un coup pareil, un shoot de rock à la mode enraciné dans le Velvet ! Tu t’inclines devant ce chef-d’œuvre de drive hypno visité par une corne de brume. Autre coup de génie : «Strange Times In Casablanca», ça prend vite de l’allure - Strange times in casablanca when people pull down their shades/ And it’s easy enough for us to look at each other and wonder why/ We were to blame - c’est même carnassier, ça rampe comme un crocodile affamé, le Cale te tortille ça à la Cale, il te tord ça à l’essorage, il chante comme Nosferatu - But I don’t think anybody wants to smash anymore - Pire encore, ce «RussianRoulette» tapé en mode heavy rock, gravé dans la falaise de marbre. Mais on retrouve aussi son côté hautain dans «Dead And Live», un côté qui a forcément dû agacer le Lou. Calimero tient trop la dragée haute. Il sonne comme un premier de la classe dans son «Dead Or Alive», c’est trop collet monté, trop prétentieux, avec un solo de trompette qui court sous les voûtes du palais royal. Encore de la pop frigide avec «Fighter Pilot». Trop spécial pour être pris en considération. Il subit l’influence de Nico - Fighter pilot/ Say goodbye/ You’re going down - Il reprend le thème du cut de Captain Lookheed. Pour finir, il charge son «Magic & Lies» de plomb. Il pose sa voix. Cherche un passage. Il opère toujours de la même manière : ça passe ou ça casse.

             On sent bien qu’il cherche à s’éloigner du rock : «I was running away from style, from rock’n’roll style. I wanted do show that I was a songwriter with some angles.»   

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             C’est un immense chanteur qu’on retrouve dans Caribbean Sunset. Avec «Experiment Number 1», il monte son chant au sommet de l’Experiment. Il élève la portée de son discours. L’autre morceau de bravoure s’appelle «The Hunt», en B. Caribbean Sunset est l’album de la course sans fin, il devient fou, il hurle en courant. C’est de l’effréné de course à l’échalote. Attention au big beat d’«Hungry For You». C’est une grosse machine et Brian Eno est aux commandes ! Calimero fait monter son rising et son ragtag au chat d’Ararat. Il passe à une saga sévère avec un «Model Beirut Recital» aux accents germaniques. C’est violent et complètement sonné des cloches d’all fall down. Encore de l’hyper-fast en B avec «Magazines». Le beat court sur l’haricot caribéen, même pas le temps de reprendre sa respiration, cut efflanqué, nerveux, pas sain, tendu à se rompre. Il boucle cette sombre affaire caribéenne avec le gros ramshakle de «Villa Albani», ça pianote dans les virages et ça bringueballe à la Lanegan. Impossible de s’en lasser. Tu peux toujours essayer, tu n’y arriveras jamais.

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             C’est sur Artificial Intelligence qu’on trouve «Dying In The Vine», «one of the truly great songs on excess and exhaustion.» À quoi Male ajoute : «a song with all the hopeless, ruined grandeur of a Sam Peckinpah movie.» Enchanté, Calimero répond : «Oh thanks very much for that! Peckinpah was my God by then. This man who hated violence and filled his movies with violence. Se where do you go from there? It’s a dead end. So come, tell me about the dead end.» C’est vrai que «Dying In The Vine» t’envoie au tapis, avec sa structure complexe et ce timbre puissant. Calimero crée de la mythologie - I’ve been chasing ghosts/ And I don’t like it - c’est somptueux, il faut que tes oreilles s’en montrent dignes - I was living like a Hollywood/ But I was dying on the vine - Pur génie. Il y a de l’Européen dans son son, un lourd héritage de chairs brûlées. Comme le Lou, Calimero hante nos bois. Ses structures mélodiques sont du très grand art. Nouveau coup de génie avec l’heavy groove de «Vigilante Lover». Il ramène se disto, sa purée originelle et se fâche au chant. Il attaque «Fade Away Tomorrow» sur un petit beat primaire, bien soutenu au shuffle d’orgue. Calimero drive bien son dancing biz, il swingue encore plus que les B52s. Il flirte encore une fois avec le génie. «Black Rose» sonne comme un mélopif impitoyable. Il crée un envoûtement qui semble prendre sa source dans des temps très anciens. Si tu cherches l’or du temps et le Big Atmospherix, c’est là. Les retombées de couplets sont superbes, comme rattrapées au vol par un beat en rut. Calimero crée toujours l’événement au coin du bois, à la nuit tombée. Il revient au heavy dancing beat avec «Satellite Walk» - I took my tomahawk for a satellite walk - Il finit en get up/ Get up/ let’s dance. Fabuleux ! 

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             Words For The Dying est un album trompeur. On croit retrouver le Calimero de Paris 1919 dans «There Was A Saviour», et ce grain de voix unique et si particulier, mais ça reste hautain et pas rock. Plus épique/épique et colégram que rock. Cette fois, il fait du symphonique. Le voilà sur son terrain de prédilection qui est la conduite d’un orchestre symphonique. Il s’en rengorge. Il s’en dégorge. C’est un album qu’on peut écouter jusqu’au bout, sachant qu’il ne va rien s’y passer. Il nous fait Le Temps des Gitans avec «Lie Still Sleep Becalmed». On s’ennuie comme un rat mort, c’est important de le préciser. On perd le Cale et le ‘Vévette’, comme on disait au temps du lycée. Encore de l’orchestral bienveillant et cette voix de meilleur ami avec «Do Not Go Gentle». On comprend que le Lou l’ait viré. Avec «Songs Without Words I», il s’adresse aux paumés du Jeu de Paume. Il t’embobine bien le bobinard. On retrouve notre fier clavioteur sur «Songs Without Words II». Il se joue des dissonances et des écarts de température. Et «The Soul Of Carmen Miranda» est forcément intense. Cette fois il ramène des machines en guise de viande. Tu retrouves des infra-basses dans le matelas financier. Il chante les charmes de Carmen Miranda alors que sourdent des infra-basses en fond de Cale. C’est le cut le plus intéressant de l’album. Il ramène sa science à la surface de la terre, tel un Merlin décomplexé. Il y a de la magie chez Calimero. De puissantes résurgences montent des profondeurs de son être, il est essentiel de le souligner. Sa vie entière, il sera un chercheur, un doux mage.   

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             En 1994, il enregistre avec Bob Neuwirth le bien nommé Last Day On Earth. Bien nommé, car t’as du Dada dans «Who’s In Charge», un exercice de gym avant-gardiste. Calimero s’amuse bien, il duette avec le copain Bob - Who’s in charge/ It’s not the pope/ It’s not the president - C’est personne - It’s not the teacher/ Not the computer - C’est personne. Donc du Dada pur. Calimero monte au chant sur «Modern World», il reste très Calé, très tranchant dans l’accès au chant, et avec la flûte, ça devient très weird. Il finit tous ses cuts en quinconce. Il ramène son heavy bassmatic dans «Streets Come Alive». Quelle modernité ! C’est monté sur le plus rond des grooves urbains, avec ces éclats de poux invincibles. On croise plus loin la pop serrée et sérieuse de «Maps Of The World», avec une structure invariablement complexe, aussi imprenable qu’un fortin dessiné par Vauban. Il tartine son miel effervescent dans «Broken Hearts» et déconstruit son «Café Shabu» à la Boulez. Trop avant-gardiste, tu ne peux pas lutter. «Angel Of Death» n’est pas loin du Velvet. Beau et même extrêmement beau. Il est encore très à l’aise dans «Paradise Nevada» avec son banjo et ses coups d’harp. Il biaise systématiquement toutes ses fins de cuts. On sent une tendance au Paris 1919 dans «Old China» et Cale te cale vite fait «Ocean Life» pour Jenni Muldaur. Impossible de se désolidariser de cet album, surtout d’«Instrumental», un brillant instro violonné sec et net.

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             Walking On Locusts renferme en son sein un sacré coup de génie : «Entre Nous», une heavy samba de Calimero, lourde de sens, parée d’éclats mélodiques, et qui se présente comme un ensemble complexe et enthousiaste. La divine samba du grand Calimero ! Retour à la modernité avec «Secret Corrida», il y bâtit une sorte de romantica surannée. On y entend un solo de trompette à la Miles Davis. Là, t’as autre chose que du rock. «Circus» est bien à l’image du cirque : un artiste se produit et les gens applaudissent. On sent bien que Calimero cherche la suite de Paris 1919. Il chante devant le bon peuple, sous le chapiteau, c’est très spécial, très arty, on entend des violoncelles et une section de cordes, ça s’encorbelle sous la voûte. «Gatorville & Point East» montre encore qu’il adore la douce pression des escouades de cordes, il reste effervescent, gallois, lyrique, unique, il déploie des trésors de science harmonique. Toujours ce son à angles droits dans «Indistinct Notion Of Cool». Tant qu’on ne comprend pas qu’il fait de la littérature orchestrée, on perd son temps. Calimero pose ses conditions, comme n’importe quel compositeur de symphonies. Attention au «Dancing Undercover» d’ouverture de bal : c’est un cut brouilleur de piste, une grosse pop montée sur l’un de ses bassmatics bien ronds. Il tente encore de renouer avec Paris 1919 dans «Set Me Free», mais il peine à retrouver ce sens de la pureté virginale. Il retente le coup encore une fois avec «So Much For Love», un mélopif de château d’Écosse bien appliqué, pas au sens scolaire, of course, mais au sens des couches. Il appuie bien sa mélodie et redevient le Calimero magique qui nous est si cher. 

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             Il reste dans la veine des grands albums avec Hobo Sapiens. Il y fait une apologie de Magritte - My favorite painter - dans «Magritte», il y évoque le bowler hat upstairs, il laisse sa voix se perdre dans la nuit étoilée. De la même façon que Ceci n’Est Pas Une Pipe, Ceci n’Est Pas Un Rock, mais de l’art moderne. Encore de l’art moderne avec «Reading My Mind», plus rocky road et vite embarqué, il te fracasse ça au chant de subjugation, c’est d’une rare modernité de ton, il véhicule un brouet insolite, il prend prétexte d’un beat appuyé de fort impact pour tester des idées de chœurs. Il propose un groove de rêve avec «Bicycle», il y glisse des rires d’enfants, tulululu, il te groove ça dans le gras du bide, ça a beaucoup d’allure et ça se développe dans le temps. Puis il ferraille dans la cisaille de «Twilight Zone», il charge sa barcasse de son, et revient à l’exotica avec «Letter From Abroad» : il nous emmène dans les campements du désert. Puis direction l’océan avec «Over Her Head». Il recrée les conditions du climax, il tape à un très haut niveau conductiviste, il navigue à l’œil et génère de la puissance, avec un beat d’heavy rock respiratoire, un vrai poumon d’acier, la Méricourt fait son apparition et une gratte en folie qui nous ramène droit sur «Sister Ray». Si ça n’est pas du génie, alors qu’est-ce c’est ?

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             Il monte encore d’un cran avec Black Acetate. Il y fait sa folle en collier de perles dès «Outta The Bag» et passe soudain à l’heavy rockalama avec «For A Ride». C’est fabuleusement bardé de power et de démesure. C’est lui, Calimero, qui gratte les poux du diable. T’as vraiment intérêt à écouter l’album pour te faire une idée. Il passe au laid-back d’heavy urban dub avec «Brotherman», il groove sa modernité pour tes beaux yeux, alors profite zen. Il met bien la pression sur son songwriting comme le montre «Satisfied». Il ramène essentiellement du son et c’est magnifique. Il éclaire la terre. Tout est ultra-composé sur cet album. Tu n’en reviens pas. Avec «In A Flood», il tape un heavy balladif marmoréen. Il n’a rien perdu de cette aura spéciale, cette présence intense de Gallois fatal. Son «Hush» n’est pas l’«Hush» qu’on connaît, c’est l’«Hush» de Calimero, une petite hypno infectueuse. Il reste le grand spécialiste de l’hypno à Nono. Il cherche à se réconcilier avec les radios en tapant l’heavy rock de «Perfect». Il rame encore comme un damné dans «Sold Motel». Il a su garder l’élément rock de son son, mais à sa façon. Il ressort ses infra-basses et ses oh-oh pour «Woman». Il sait monter au braquo de l’apocalypse, c’est sa spécialité. Il brûle en permanence et voilà l’heavy doom de rock calimerien : «Turn The Lights On», c’est fantastiquement profond, plongé dans l’huile bouillante du son, il transforme l’heavyness en génie purpurin, ça groove dans la matière, il articule les clavicules grasses d’un rock d’émeraude et monte tout en neige cathartique. Il termine cet album faramineux avec un «Mailman (The Lying Song)» très ancien, très labouré, très paille dans les sabots d’oh yeah yeah yeah, le cut se ramifie en un nombre infini de pistes et Calimero en suit une. Tu ressors de l’album complètement ahuri. 

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             Rien de tel qu’un petit Live pour réviser ses leçons. Circus Live est un beau double album qui grouille littéralement de puces. Calimero nous devait bien ça, d’autant qu’il tape deux covers du Velvet, «Venus In Furs» et «Femme Fatale». Il se prend pour Lou et y va au shiny shiny boots of leather. Il jette toute sa nostalgie dans la balance pour «Femme Fatale». Dommage qu’il en fasse une version allongée et édulcorée, un peu à la mode. Le Lou a dû bien le haïr pour ce coup-là. Par contre, il s’en sort mieux avec son «Helen Of  Troy». Il a derrière un Guitar God nommé Dustin Bover. Calimero a quelque chose de chevaleresque en lui, c’est épique et puissant, dévoré de basse et sur-bardé de barda et d’armures. Son «Buffalo Bullet» est très Paris 1919, puis il tape l’«Hush» du Black Acetate qui devient sur scène du funk indus à la petite semaine. Il tente un retour à Paris 1919 avec «Set Me Free», mais il reste planté là à attendre Godot. «The Ballad Of Cable Hogue» est encore bourré de nostalgie parisienne - Cable Hogue where you been - il chante au gras gallois, mais ça n’en fait pas un hit. Il noue re-présente son favourite painter «Magritte», et boucle le disk 1 avec «Dirty Ass Rock’n’roll» : c’est le grand retour du père tape dur. Quand un Gallois tape dur, il tape vraiment très dur. Il attaque son disk 2 avec cette cover malencontreuse de «Walking The Dog». Trop musclée. Le côté tape dur est peut-être le talon d’Achille de Calimero. En plus, c’est délayé. L’horreur. Pareil pour «Gut» : c’est bien meilleur en studio. Live, ça plante. Retour (enfin) à Paris 1919 avec «Hanky Panky Nohow», mais ce n’est pas la même magie. La mélodie est parfaite, mais live, ça ne marche pas. Il ramène la fraise de «Pablo Picasso/Mary Lou», et comme il y va au tape dur, cette fois ça passe. Il passe en force. Il te sonne bien les cloches. Il se jette dans la bataille avec tout le poids du Pays de Galles. Plus loin, il sort le «Style It Takes» de Songs For Drella et concocte un moment de magie - You get the style it takes - On le voit ensuite traiter «Heartbreak Hotel» à l’océanique hugolien, il fait une version gothique, à la Nico. Et comme on s’y attendait, il se vautre avec un «Mercenaries (Ready For War)» qu’il noie d’electro gothique. Il surnage difficilement dans les vagues de dark. 

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             Brillant album que ce Shifty Adventures In Nookie Wood paru en 2012. Il commence par te gratter vite fait «I Wanna Talk» à coups d’acou. Il fait une pop de père tape dur. Parfois on se demande s’il n’est pas plus portugais que gallois. Grand retour à la modernité avec «Scotland Yard», un heavy blast hanté par des sons d’avant-garde. C’est tout simplement faramineux de programming. On y entend les sirènes de Satan. Calimero t’y challenge les méninges. Il ne va pas te laisser sortir indemne de cet album. Luke la main froide avait raison de s’extasier dans sa column de Record Collector. Puis Calimeo passe à son dada, la littérature, avec «Hemingway» - Drowning in pina coladas/ As the bulls prowl round the ring - heavy as hell, il y va à coups de Guernica fall et de thousand yard stare. Et là, cet album se met en branle, te voilà en alerte rouge. Calimero opère encore une fabuleuse ouverture littéraire dans «Nookie Wood» - If you’re looking to find/ A place to hide/ Where the climate is good/ And the river is wide - alors c’est Nookie Wood. Il arrive comme un cheveu dans la soupe et avec ses épis blancs dans «December Rains», une diskö d’öuter space. On l’écoute avec respect, car c’est profond et bien épais. Pour «Vampire Café», il sort son arsenal d’avant-garde et ça devient irrévérencieux. Mais comme il est chez lui, il fait ce qu’il veut, c’est à toi de t’adapter à «Mothra». Il vise l’avant-garde, mais on n’a pas toujours les moyens de le suivre. Il fait de l’esbroufe avec des effroyables effets de machines. Mothra Mothra ! C’est très païen, en fait. Il renoue (enfin) avec Paris 1919 dans «Living With You». Il y ramène toute sa vieille magie et ses vieilles espagnolades, et là, oui, tu y es. Il te monte ça en neige, il en fait un Calimerostorum évanescent, un joyau serti dans une montagne de son, il tape dans l’écho avec une force démesurée, il inscrit son power dans un deepy deep jusque-là inconnu. 

    Signé : Cazengler, John Cave

    John Cale. Church Of Anthrax. Columbia 1971

    John Cale. The Academy In Peril. Reprise Records 1972  

    John Cale. Slow Dazzle. Island Records 1975            

    John Cale. Helen Of Troy. Island Records 1974      

    John Cale. Sabotage/Live. Spy Records 1979

    John Cale. Honi Soit. A&M Records 1981  

    John Cale. Caribbean Sunset. ZE Records 1984

    John Cale. Artificial Intelligence. Beggars Banquet 1985

    John Cale. Words For The Dying. Opal Records 1989

    John Cale/Bob Neuwirth. Last Day On Earth. MCA Records 1994

    John Cale. Walking On Locusts. Hannibal Records 1996 

    John Cale. Hobo Sapiens. EMI 2003

    John Cale. Black Acetate. EMI 2005

    John Cale. Circus Live. EMI 2006

    John Cale. Shifty Adventures In Nookie Wood. Double Six 2012

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    Andrew Male : Songwriting is an attempt at hypnosis. Mojo # 352 - March 2023

     

     

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    Une petite leçon de latin n’a jamais fait de mal à personne, en tout cas de tous ceux qui en sont morts nul n’est revenu de l’outre-monde pour s’en plaindre. Rassurez-vous le cours sera court, juste deux petites notifications sur la traduction de la préposition latine : pro. En notre noble langue françoise nous avons deux manières de la traduire. Exemple : pro signifie : pour, en faveur de : ainsi un pro-chrétien n’est pas un adepte du christianisme, mais quelqu’un qui se sent proche de cette religion, voire un compagnon de route pour employer une terminologie plus moderne emprunté au vocabulaire politique. Toutefois ce serait un  grave contresens de le traduire uniquement de cette manière. Prenons un exemple au hasard mais circonscrit par la terrible nécessité de cette chronique, le titre du dernier album  Pro Xhristou de Rotting Christ ne signifie pas en faveur du Christ mais avant le Christ. Ainsi le groupe des présocratiques désignent les penseurs grecs qui ont précédé Socrate.  Evidemment se réclamer des présocratiques ou du temps d’avant le Christ signifie souvent, d’une part que l’on revendique une préférence marquée pour des penseurs comme Gorgias ou Protagoras, que d’autre part l’on se réclame d’un antichristianisme virulent.

    Les lecteurs qui se souviennent de notre recension de l’album Heretics Du groupe grec  Rotting Christ dans notre livraison  635 du 07 / 03 / 2024 ne seront pas surpris  d’une telle  acception.

    PRO XRISTOU

    ROTTING CHRIST

    (Season of the Mist / Mai 2024)

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    Les lecteurs auront reconnu le cinquième tableau  Destruction de The Course of Empire du peintre américain Thomas Cole puisque nous le retrouvons sur l’album de Thumos : The Course on Empire (Voir notre livraison 563 du 25 / 08 /2022). Si Thumos a employé cette image iconique pour nous rappeler que toute civilisation est mortelle, sous-entendu rappelez-vous celle de l’Antiquité, Rotting Christ nous signifie que la venue du christianisme s’avère être le surgissement d’un âge sombre et de grande décadence.

    Sokis Tolis ; guitars, vocals / Kostas Foukarakis : guitars / Kostas Cheliokis : bass / Themis Tolis : drums.

    Chœurs : Christina Alexiou / Maria Tsironi / Alexandros Loyziolis / Vassili Karatzas

    Récitants : Andrew Liles / Kim Dias Holm

    Pro Christou : le titre est annoncé, aussitôt débute la litanie proférationnelle des noms des Dieux qui furent là avant le Christ. Rythme battérial  lent et lourd, voix sépulchrale à soulever les pierres tombales sous lesquelles reposent les antiques déités qu’il est nécessaire de nommer pour qu’elles reviennent, pour qu’elles ne gisent point pour toujours dans l’immémoire humaine.

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    The Apostate : thrène en l’honneur de Julien, l’Eglise l’affubla du surnom de L’Apostat, manière de l’attacher et de le rejeter en même temps du christianisme, il fut simplement le dernier empereur païen celui qui mena l’ultime combat, le voici à l’agonie, il implore la déesse de la victoire, il sait qu’il a perdu, que l’Empire court à sa fin, il s’est durement battu à la tête de ses troupes, il a longuement écrit, il a prophétisé l’Inéluctable, ce ne sont pas les Dieux qui ont abandonné l’Empire, ce sont les hommes qui se sont écartés des Dieux, il aurait pu, il aurait dû, tout se délite, il a tenté l’impossible, superbe morceau, funèbre et martial, une dernière supplique, le récitant lit quelques une de ses lignes, les chœurs accompagnent son âme qui s’élève vers le Sol Invictus… Il nous reste son œuvre à continuer. (Voir vidéo YT by manster.design. Like Father, Like Son : goûtons l’ironie du titre, au dieu qui abandonna son fils, voici le chant des fils qui continueront l’héritage des pères, contrechant à la mort de Julien, rien n’est définitivement perdu, chant épais, vindicatif et victorial, une guitare qui vibre comme un javelot qui se plante en la poitrine de l’ennemi, des chœurs sombres, des paroles qui évoquent les cultures guerrières et farouches des peuplades du Nord pour qui combattre vaillamment champ de bataille est le plus grand des honneurs, se battre jusqu’au bout de la terre là où commence le domaine du rêve. (Official Video Clip : belles images un peu trop naturalistes à mon goût) The sixth Day : Dieu se vante d’avoir créé l’Homme, cette bête immonde qui se gorge de sang, qui tue en son nom, qui massacre en l’honneur de sa sainteté, flamme noire des guitares, coups d’enclumes de la batterie fracassant casques et poitrines, maintenant il est clair qu’à chaque nouveau titre la prégnance instrumentale et vocale s’intensifie, et ce qui est sûr c’est que l’Homme retourne inexorablement à la poussière. La lettra del Diavolo : torrent verbal, déluge metal, Rotten Christ ne se trompe pas d’ennemi, le Diable n’est que l’autre face de Dieu la lettre du Diable est tracée par la main de Dieu, nombre de groupes de la mouvance dark se recommandent du Diable n’est-il pas écrit qu’il est l’Adversaire de Dieu, Rotting Christ ne tombe pas dans le panneau, une seule et même entité, un scotch, un scratch à double-face qui colle à l’Homme comme la moquette sur le mur, Dieu te sauve et puis Dieu te perd, il te connaît, tu es cruel comme le tigre et obéissant comme un mouton, à croire que je suis le filigrane de ton âme, la lymphe constitutive de ton sang, tu crois qu’en t’agenouillant tu te sauves, mais le système ne fonctionne pas comme tu penses. Les magnifiques chœurs qui se répondent n’ont pas de cœur. (Ce morceau est basé sur une fait ‘’légendaire historique’’ : dans son couvent bénédictin de Palma de Montechiaro Sœur Maria se réveille un matin de 1676 avec une lettre couverte de signes étranges que l’on pressent écrit par le Diable. La lettre ne fut déchiffrée que trois siècles plus tard, on y apprendre que Dieu juge que son œuvre est ratée… (La vidéo de HK Visual Creations vaut le déplacement !) The Farewell : l’adieu, méditation sur la mort et l’immortalité, rythme lent, chœurs hommagiaux, la mort est au bout du chemin, la voix de Sokis troue les étoiles et rejoint le soleil, la guitare sonne comme une trompette, le chemin de la mort, et le chemin de résurrection pour nous qui restons et te perpétuons, tu es mort et tu règnes, tu nous abandonnes mais tu nous conduis jusqu’au bout de nos craintes jusqu’au bout de la contrée du rêve, les splendides  images animées (Official Animation Video YT) de  Costin Chloreanu arborent une dernière inscription épitaphique, la mort ne tue pas ce qui ne meurt jamais.  Pyx Lax Dax : les formules religieuses sont un peu comme des grigris sans portée dont on use faute de mieux comme protection, de véritables punching balls que l’on envoie à la face de Dieu pour le faire tomber de son trône et qui vous reviennent d’autant plus fort en pleines gueules que c’est vous-mêmes que vous tapez en tapant Dieu.

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    Une superbe vidéo sur UT de Harris Contournis voir FB : HK Visual Creations), à voir séance tenante, beauté des images et effets spéciaux, je vous laisse regarder, une seule indication, l’inscription finale sur le portail du fond,  Komx Om Pax qui signifie incarnation de lumière. Cette formule vient de loin, d’Egypte, des Mystères d’Eleusis, elle a transité par Crowley (voir, qui tombe à pic, la chronique suivante), qui lui a donné le sens d’Incarnation de Lumière, cette interprétation éclaire les lyrics qui pourraient paraître mystérieux, tout comme la vidéo, grenade perséphonique, rien n’est à chercher en dehors de nous, nous portons notre propre lumière, ce mélange homogène contradictoire de vie et de mort, nous sommes la vie et la mort. Toute vie est mortelle, toute mort est vivante, le morceau est comme une longue marche envoûtante vers la lumière noire des mystères qui n’est que notre ombre. Qui erre sur la terre.

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    Pretty World, Pretty Dies : bruit d’épées sorties du fourreau, un rythme de musique irlandaise, presque entraînant, sûrement ironique, pour rabattre nos casques et  notre caquet, ce n’est pas seulement nous qui mourons, c’est le monde entier, les immeubles, les rues, les forêts etc… mais aussi toutes les sagesses, tous les savoirs, tous les enseignements qui nous ont précédés, la vidéo YT (voir le site manster.design.com) nous en donne une vision héraclitéenne un peu attendue mai qui se laisse voir, nous rappelle que nous l’Homme-Dieu, la torche humaine qui éclairons le monde ne sommes qu’une parcelle et le tout d’un Tout, bien plus grand que nous mais dont nous partageons la même nature. Bruit d’épées sorties du fourreau. La fin du cycle éternel, l’éternel retour de notre immortalité. Yggdrassill : des vidéos il en existe de toutes sortes, des indigentes, des nulles, des soporifiques, des belles, des exceptionnelles, beaucoup plus rarement des intelligentes. Comment évoquer en moins de six minutes le cycle du monde des anciennes Eddas magnifié par l’arbre-monde Yggdrassil, Costin Chloreanu s’est chargé du montage vidéo mais c’est Kim Diaz Holm – celui qui cherchera trouvera- qui s’est chargé de peinture, du bleu, du rouge, du noir, pour commencer l’histoire du cycle infini terminal et inaugural, la musique est lourde et majestueuse, pesante, inéluctable comme les dents du Destin, n’oubliez pas que notre vie et notre mort résident dans notre force. Saoirse : chant de gloire hommagial à Tara, en fait Diarmait Mac Cerbail le dernier roi d’Irlande à résister au christianisme, dédié à tous les néo-païens qui essaient de préserver l’ancienne sagesse primordiale. Avec ces chœurs  le morceau est grandiose, l’on ne peut s’empêcher de penser au Crépuscule des Dieux. La grandeur des Hommes est égale à celle des Dieux.

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    Primal resurrection : (bonus track) : vidéo Wolf’s Path Media Creation, elle reprend l’imagerie des précédentes sans surprise :  lyrics un peu didactiques : la première résurrection est dite primale car elle est toujours à l’œuvre dans le renouvellement incessant de la nature.  Une manière de dire qu’il est vain d’attendre la résurrection chrétienne, elle à l’œuvre et en acte depuis toujours à tout instant du déroulement du cycle éternel. Récitatif imposant empreint d’une sérénité destinale imposante. All for one : (bonus track) : ce morceau est un peu un remake de Like father like son, il n’apporte rien de plus à l’album nonobstant sa qualité musicale intrinsèque, tous ensemble dans le combat de la vie, tous ensemble dans les combats de la mort.

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             Cet album n’est pas une simple défense et illustration du paganisme. Le fait de se rebeller contre le Dieu très chrétien et son Eglise ne résout pas le problème du destin humain. L’Homme ainsi que le définit Heidegger est un être pour la mort. Vous pouvez faire avec, vous pouvez le nier, à la fin des fins vous serez obligés d’y passer. Pas d’alternative. Le christianisme vous en offre une, non pas l’immortalité tout de suite, pour y avoir droit vous devez vous soumettre et admettre votre culpabilité. Le paganisme de Rotingn Christ n’est pas la proposition d’adopter de nouveaux ou d’anciens cultes, il ne s’agit pas d’adopter des Dieux de substitution, votre salvation ici et maintenant - pas plus tard une fois mort, ni ailleurs - réside avant tout en une attitude, faites face à la mort comme vous faites face à la vie, le prix à payer si vous voulez rester libre.

    Damie Chad.

     

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    L’influence d’Aleister Crowley sur les artistes rock et d’avant-garde est énorme. Nous avons pris l’habitude de chroniquer toutes les traductions françaises de ses ouvrages cornaquées par Philippe Pissier. Par exemple, dans notre livraison 621 du 23 / 11 / 2023 nous chroniquions Nuées sans eaux, un des recueils de poésie de La Grande Bête 666 et le Volume I d’une anthologie introductrice à son œuvre dans notre livraison 592 du 23 / 03 / 2023. Or voici que vient de paraître le volume II :

    LE SILENCE ELECTRIQUE

    ET AUTRES TEXTES

    Une anthologie introductrice à l’œuvre d’

    ALEISTER CROWLEY

    TRADUCTION

    PHILIPPE PISSIER & AUDREY MULLER

    VOLUME II

    ( Editions Anima / Mars 2024)

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    Pour ceux qui débarqueraient sans rien connaître d’Aleister Crowley (1855-1947) : il est un des maîtres du renouveau de l’occultisme, théoricien et praticien. Sa biographie est foisonnante nous ne garderons pour ces quelques lignes introductives que la fondation en 1907 l’Ordre Astrum Argentum  AA∴ .

     

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     I / LA DEMARCHE INITIATIQUE

    Le Soldat et le Bossu : ! et ? : quoi que vous pensiez le véhicule de votre pensée est la pensée. D’où la nécessité de vous interroger d’abord sur la nature de la pensée. Pour rester parmi des auteurs contemporains d’Aleister Crowley, pensons d’abord à Paul Valéry qui au-delà de tout contenu de pensée s’est longuement interrogé sur la manière dont la mécanique intellectuelle à partir d’une pensée initiale (quelle qu’elle soit) produit une pensée conséquentielle (quelle qu’elle soit) à celle-ci, il s’est intéressé au deuxième terme (ergo-donc) de la célèbre formule de Descartes cogito ergo sum. Pensons maintenant à Wittgenstein qui a préféré considérer le produit fini (quel qu’il soit) de la pensée logique doutant de la véracité de cette pensée hors de l’expression même de cette pensée, autrement dit posant que toute pensée n’a d’efficience que sur elle-même. Le britannique Crowley n’est pas allé chercher ses outils théoriques en France ou en Autriche. S’est contenté de ses légendaires concitoyens : Locke, Hume et Berkeley. Il ne le dit pas, il choisit les deux premiers pour à partir de leur empirisme pro-matérialiste afin de conforter son anti-christianisme, par contre il ne s’attarde guère sur Berkeley car celui-ci est un point de bascule opératoire des plus utiles, en niant toute réalité sensible Berkeley lui permet très vite d’échapper à la recherche philosophique rationnelle et de privilégier sa vision d’une pensée magicke. Il passe ainsi du corpus de la pensée occidentale au véhicule bouddhiste de la pensée orientale. La dernière page de ce texte est saisissante : Crowley n’utilise plus des concepts mais des symboles. La froideur des premiers est nettement moins opératoire que la charge mentale des seconds. Les Cartes Postales aux Novices : conseils aux novices qui veulent s’initier aux sciences magiques :  Crowley trace une feuille de route, comme toute pensée la pensée magique possède sa méthode. Il est difficile de déshériter le père. La terre : magnifique poème en prose dont le lyrisme fait oublier les doctes notules indicatrices du texte précédent. Nous le lisons comme une réécriture des mystères  d’Eleusis. L’emploi du terme christianophile ‘’amour’’ nous paraît participer d’un syncrétisme peu satisfaisant. Les dangers du mysticisme : est-ce pour cela qu’avec son humour ravageur Crowley rappelle que la voie mystique, voie d’union amoureuse mystique avec Dieu, si elle existe n’est hélas pour les adeptes qu’un prétexte pour s’exonérer de simples tâches imparties aux êtres humains. Trop souvent le mystique déclaré ressemble à s’y méprendre à un hypocrite tire-au-flanc métaphysique !  Le silence électrique : texte symbolique qui conte le périple d’un adepte ayant réussi son voyage initiatique : nous sommes aux confluences, du Bateau ivre de Rimbaud, des rituels égyptiens du voyage de l’âme du Livre des morts et du Serpent Vert de Goethe, c’est dire la beauté d’écriture de cet écrit qui doit aussi pouvoir être lu comme une méditation tarotique.

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    II / LES LIBRI DE  L’ AA

    Liber Nu sub figura XI / Liber XIII vel Graduum Montis Abiegni / Llber Turris vel Domus Dei sub figura XVI : trois livres d’instructions destinés aux impétrants soucieux de progresser dans l’ordre argentique , la lecture des textes ne pose aucune difficulté, leur compréhension risque par contre de vous laisser sans voix si vous n’êtes pas engagé dans une démarche volontaire d’apprentissage pratique et spirituel, pour une première approche le mieux serait d’en faire une lecture poétique. La poésie portée son plus haut niveau d’intellection suscite ce que les anciens grecs nommaient un enthousiasme qui permet d’entrer en relation avec des forces enfouies dans la réalité du monde. En ce sens-là, vous n’êtes pas très loin des objurgations hermétiques de ces textes. Liber XXIII : un exposé de l’  AA : cet écrit est d’une nature différente des trois précédents, au  bas mot une fiche descriptive de l’Ordre dans lequel vous vous apprêtez à entrer. Méchamment hiérarchisé à mon humble avis. Evidemment faire partie d’une organisation qui se présente comme l’ossature secrète et opératoire du monde est flatteur pour votre petite personne. Disons que la mienne est davantage à l’écoute de Seul est l’Indompté d’Eddy Mitchell ou du Coup de Dés de Mallarmé. Pour la troisième par exemple Je préfèrerais davantage habiter dans la Maison Dorée de Néron que dans la Domus Dei. Liber CLXXXV : Liber Collegh Sancti : codifie les tâches qui se doivent d’être accomplies par les membres des différents grades de l’Ordre. Liber CDLXXIV : Liber Os Abysmi Daäth : daäth désigne la connaissance absolue de l’univers que l’on puisse atteindre. Nous notons que l’adepte doit avoir de larges connaissances de philosophie allemande, de Kant à Hegel et anglaise, d’Hume à Berkeley sans oublier Crowley. LIBER BATPAXO PENOBOOKOSMOMAXIA : la philosophie européenne c’est bien mais la grecque c’est beaucoup mieux, s’agit ici de remonter selon une configuration imagée à l’origine, de passer de la lumière du Soleil à la pénombre de la Nuit. Le texte ne remonte pas plus loin et élude l’origine kaotique de Nyx. LIBER HAD SUB FIGURA DLV : ce livre me semble porter la marque d’une régression mystique, après la connaissance totale, la rose se referme sur elle, et se perd en son infinité. L’infinité n’est pas une démesure, mais une mesure qui fait le tour d’elle-même. LIBER VIARUM VIAE SUB FIGURA DCCCLXVIII : une simple, façon de parler, nomenclature des étapes à parcourir.

    III / TAO :

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    LIBERXXI : LE CLASSIQUE DE LA PURETE ( d’abord rédigé par moi : Lao-Tseu durant la Période de la Dynastie des Wu, et maintenant versifié par moi Aleister Crowley : cette auto-traduction du Tao par Crowley marque pour nous non pas l’enseignement du chemin, mais le retour, le repli, en tant que pli, selon pli, à la poésie. Comme si toute traduction n’était que Poésie. Car le chemin n’enseigne ni ceci, ni cela, ni la parole, ni le silence, il est seulement Poésie.

    IV / LE VOYAGE

    LA DECOUVERTE DE GNEUGH-OUGHRCK : Fragment : en apparence un récit loufoque et d’imagination pure, notre voyageur débarque dans un pays foutraque, évidemment il n’en n’est rien, il suffit de lire même pas entre  les lignes pour comprendre que c’est le fonctionnement des sociétés européennes qui est visé… l’humour permet de remettre en cause bien des aberrations ‘’raisonnables’’ de notre organisation sociale. Décapant, Crowley n’était pas un admirateur de Rabelais pour rien.

    LE CŒUR DE LA SAINTE RUSSIE : un très beau texte, très littéraire, comme l’on n’en écrit plus, de nos jours de simples reportages journalistiques auréolés de photographies couleurs remplacent avantageusement ce genre d’écrits puisqu’il suffit de regarder les clichés pour voir… N’évoquons même pas les documentaires filmiques à tout instant disponibles sur le net…  Un seul défaut à mon avis : Crowley traite un peu cavalièrement Théophile Gautier un de nos meilleurs prosateurs et un critique d’art éblouissant. L’on regrette que ce ne soit pas notre gilet rouge qui ait été chargé de juger des toiles de La Galerie Tretiakov. Un texte qui donne à lire  l’écrivain et non le maître de l’AA∴ .

    V / LA TRADUCTION

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    Trois poèmes français traduit par Crowley. Evidemment nous préférons l’original à la copie ! Par contre nous pouvons nous demander les raisons du choix du traducteur.

    L’Héautontimorouménos : l’un des textes les plus surprenants des Fleurs du Mal de Baudelaire : déjà le titre, à l’origine titre d’une pièce de Térence, qui signifie L’homme qui se châtie lui-même, surprend le lecteur moderne : la violence sado-masochiste du poème a dû séduire Crowley, homme des extrêmes Crowley ne pouvait être sensible qu’à cette vision selon laquelle il existe une corrélation entre le monde, notre action sur le monde et nous-même. Une espèce d’effet boomerang magique opératoire entre soi et le monde, que l’on pourrait de qualifier de tripartite, le terme important étant l’ergo conséquentiel de la trilogie philosophale, conçu en tant qu’égo mu(g)nificent.

    The magician : poème d’Eliphas Levis  dont Crowley affirmait qu’il était la réincarnation, l’importance et le rôle d’Eliphas Lévi est aujourd’hui sous-estimée dans l’histoire littéraire et hermétique de son époque, l’on ressent pourtant son influence dans Axel de Villers de l’Isle Adam, de même ce poème est comme un parfait condensé prophétique de la démarche magicke de Crowley qui métaphoriquement consiste à dompter les forces nocturnes pour atteindre l’éclat solaire. Une démarche que nous qualifierons de bellérophonique puisqu’elle consiste à juguler les forces obscures et enthousiamantes de l’opérativité poétique pour la mettre au pas d’une scansion rythmique ordonnatrice de l’univers.

    Colloque Sentimental : ce court poème de Verlaine agit comme une aimantation poétique. L’on y revient toujours. Nous en ferons une lecture alchimique, les états, les étapes métamorphosiques de la matière, avec cette idée étrange et révolutionnaire, que l’œuvre au noir n’était pas aussi terrible que cela, nous sommes symboliquement au milieu du processus l’ergo est conçue comme un pont, toute conséquence peut être considérée comme la cause qui l’a produite, un pont que l’on peut emprunter dans les deux sens, notamment vers le kaos primitif.

    VI / LA POESIE

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    Crowley se serait-il décidé à devenir Magicien parce qu’il se  serait aperçu qu’il ne pourrait jamais être le Keats, le Shelley, ni même le Byron, qu’il aurait voulu être, toujours est-il que la poésie occupât une grande place dans sa vie :

    Tête de femme : ce poème est à lire comme une réponse toute crowleynienne au Colloque Sentimental de Verlaine. Ode à Hécate : la tentation du kaos.  Le Pentagramme : ode à l’Homme, le champion du monde, qui est devenu souverain de lui-même puisqu’il a gagné la bataille sur les forces kaotiques. Le Pèlerin : qu’importe la lumière si l’on s’est détourné des ténèbres, une seule solution : décréter qu’ombre et lumière ne sont que l’avers et le revers d’une même pièce. Alaylah Huit-et-Vingt : triomphe de l’Eros, cette unique pièce de monnaie d’entre-deux, ithyphallique. Thrène : chant de célébration de la mort des poëtes : ils meurent car leur nature immortelle ne saurait vivre dans un monde  mortel. Vers pour une jeune violoniste au sujet de son jeu dans une vêture de sinople conçue par l’auteur : d’Elle vers Lui, et la mort de tout ce qui est, et la vie de tout ce qui n’est plus.  En Mer : l’Homme est l’édificateur de ses propres rêves et de ses propres souffrances. Sekhmet (1) : que l’on ne s’y trompe pas l’épée de Damoclès qui tombe et tranche l’homme en deux est la femme. Sekhmet (2) : non pas la Même, mais le Même. Version mythologique de soi-même. Le Point Faible : la femme.

    VII  / LA LIBERTE EN AMOUR

    L’érotisme est essentiel dans l’œuvre de Crowley, point de pénétration et de soumission, à l’autre, aux Dieux, à soi-Même. Mieux vaut en rire qu’en pleurer ! Dormir à Carthage : nox de sang. La Pornographie : défense et illustration de la pornographie, c’est le sentiment de culpabilité chrétien qui vilipende de ce terme la douce et joyeuse activité érotique. Un extrait de ‘’The Scented Garden of Abdullah the Sairist of Shiraz ( qbagh-I-Muattar)’’ : seize recettes d’irrumation à portée de tous et toutes. Sorite : syllogisme hypocrite. Un Psaume : blasphème biblique.

    APPENDICE I

    L’Editorial de The Equinox(1) I

    Court éditorial inaugural de The Equinox revue de l’Astrum Argentum AA∴ dans lequel il est spécifié que  l’Ordre se refuse à tout charlatanisme ésotérique de bas-étage. CQFD.

    APPENDICE II

    REFLLETS D’UN HERITAGE

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    Exploration de l’influence de l’œuvre de Crowley sur la création contemporaine. Cette partie s’ouvre sur une interview par Lady S. Cobar  de LILITH VON SIRIUS intitulée : TOUT CE QUI DERANGE L’ARRANGE :  Diana Orlow (1971-1997) vécut une vie de flamme et de feu, poétesse, danseuse, opératrice de costumes et d’objets SM, courtisane, adonnée à une vision et une pratique de l’art amoureux exempt de toute moraline, elle reste une égérie noire de ce que la société fustige sous l’appellation de déviances, l’incarnation féminine et  métaphysique d’un être libre.  /Suit un dossier, hélas trop mince du RESEAU 666, dont Philippe Pissier en France et Thierry Tillier en Belgique furent les initiateurs. Il semble que le monde littéraire de l’époque n’était pas à apte pour accueillir une telle apparition. Ce ne fut qu’un bref moment mais bien plus intense que l’explosion surréaliste des années 20. Encore une quinzaine d’années et le Réseau 666 renaîtra de ses cendres, nous vivrons alors les temps hagiographiques, ceux d’après la guerre. / Encore une interview, lettre cette fois-ci, qui risque d’intéresser la majorité de nos lecteurs puisqu’il s’agit de JOHN BALANCE fondateur avec Peter Christopherson du groupe de musique industrielle COIL. Ceux qui sont persuadés que ce genre de musique consiste en l’enregistrement de bruits divers souvent désagréables auront à réviser leurs préjugés si d’aventure ils parcourent cet écrit, seront sans doutes étonnés par le nombre de connaissances ésotériques ( Crowkey, Spare, Kabbale…) qui forment pour ainsi dire l’ossature théorique de ce genre maubruitant. Cerise à l’arsenic sur le gâteau empoisonné, John Balance est vraisemblablement le fan le moins optimiste quant à l’effet de sa musique, pas spécialement pour des raisons auxquelles vous vous attendriez. / Ce coup-ci c’est un entretien de la revue SPIDER avec Kenneth Anger, il date de 1966 et il date tout court. Nous devrions être contents, plein de questions sur le rock’n’roll qu’utilse le cinéaste pour son film Scorpio Rising de 1962, il nous parle des adolescents, du puritanisme américain, à l’époque ses dires étaient subversifs maintenant tout cela nous paraît comme de vieux moulins avant qui n’ont plus besoin de Don Quichotte, une attaque en règle de la société américaine, qui a perdu de son mordant. Sympa mais du déjà vu-lu-entendu. / Cet entretien est suivi d’un deuxième du même pour la revue T. OP. Y CHAOS : beaucoup plus intéressant que le premier même si le début sur Mickey Mouse nous semble relever de la trahison d’un phantasme d’enfant devenu adulte, par contre son attaque contre toutes les groupes ésotériques qui se réclament de Crowley est croustillante, il les trouve semblables aux groupes d’extrême-droite chrétiens… je vous laisse lire la suite, Moonchild, Manson Family, Love ( le groupe, Brian Jones, Keith Richard, Mick Jagger… / Enfin un portrait hommagial de Kenneth Anger  tracé par William Breeze dirigeant de l’Ordo Templi Orientis vous réconciliera définitivement avec le novateur expérimental que ce brise-glace sociétal fut…

    APPENDICE III

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    Un article de Serge Hutin (1929-1997) tiré du N° 37 de la revue Horizon, à laquelle collabora Daniel Giraud, paru en 1975, le titre est significatif : POUR LA REHABILITATION D’UN MAGE NOIR, après sa mort la personnalité et l’œuvre de Crowley subirent une longue éclipse et de nombreux anathèmes. Ce texte est un des premiers en notre douce France à œuvrer pour sa redécouverte.

    Ne vous dispensez pas de lire les longues notes L’APPENDICE IV consacrées aux instructives notices bibliographiques.

    Ce volume 2 de cette Anthologie introductive est passionnant. Remercions Philippe Pissier de ce colossal travail. Certes lire Crowley est un sport de combat, vous ne savez jamais trop s’il feinte ou s’il attaque. Son rire est communicatif, sa joie ressemble au rire de Zarathoustra, la base de son enseignement est simple : ayez la volonté d’être vous-même sans vous enquérir du regard des autres, d’ailleurs prenez soin de porter votre regard plus haut que la commune humanité. Ce n’est pas du mépris, juste une ascèse luxuriante qui vous rendra plus fort.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

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    Le Chef alluma un Coronado. Nous eûmes l’impression qu’il faisait durer exprès le plaisir (le sien) :

             _ Agent Chad vous souvenez-vous de l’endroit où nous nous rendons ?

             _ Parfaitement Chef, mais la circulation est particulièrement difficile ce soir, ces centaines de milliers de personnes qui débordent de plus en plus sur la chaussée…

             _ Agent Chad, point de tergiversations, foncez dans le tas, écrasez-les sans ménagement, ne vous préoccupez pas du sillage de sang que laissera notre véhicule, c’est pour le bienfait général de l’humanité, ce soir plus que jamais la survie du rock’n’roll est en jeu, que les lecteurs horrifiés par cet ordre cruel quittent cette page, demain ils nous tresseront des couronnes de laurier rose, en écoutant Pink Thunderbird de Gene Vincent.

    95

    J’abordai enfin le rond-point de l’Arc de Triomphe lorsqu’un bruit sourd se fit entendre. Au fur et à mesure que nous descendions l’Avenue des Champs-Elysées, le grondement qui s’accentuait ne provoqua aucun effet sur la foule compacte qui avançait toujours sans y prendre garde. Nous comprîmes assez vite l’origine de ce qu’il faut bien appeler un boucan infernal. Deux files de blindés, une à gauche de la chaussée, l’autre sur la droite se dirigeait vers nous. La foule ne s’écarta pas les chars les écrasèrent imperturbablement, les malheureux ne tentèrent même pas de s’enfuir.

             _ C’est affreux s’écria Doriane !

             _ Oui c’est atroce surajouta Lauriane

             _ Mesd’noiselles un peu de cran, l’heure est grave c’est ici que les athéniens s’atteignirent !

    La file de chars s’arrêta à notre hauteur, elle repartit pratiquement aussitôt, remonta une centaine de mètres et fit demi-tour. Trois minutes plus tard les premiers Leclercs étaient derrière nous. Les filles ne restèrent pas insensibles :

             _ Ils vont nous écraser !

             _ Nous réduire en bouillie !

    Il n’en fut rien, ils nous suivirent sans manifester de mauvaises intentions, seulement de temps en temps lorsque la foule s’amoncelait devant notre voiture l’un d’entre eux s’approchait délicatement de l’arrière de notre auto et la poussait pour que nous ne restions pas bloqués.

             _ Ces militaires sont vraiment prévenants observa le Chef en allumant un Coronado, je me demande ce que l’on nous veut, moi qui pensais que  nous aurions dû nous frayer un passage de force, comme quoi même un stratège supérieur comme moi peut être soumis aux caprices de ses ennemis, Agent Chad vous tournerez à gauche pour prendre la rue de Marigny.

    Nous n’étions pas au bout de nos surprises.

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    La colonne de chars, s’arrêta l’un d’entre eux nous poussa devant l’entrée de la Cour d’Honneur, il exécuta une marche arrière dès que nous eûmes franchi le portail. Arrivé au bas de l’escalier j’arrêtai la voiture. Nous descendîmes. Personne pour nous accueillir. Le Chef en profita pour allumer un Coronado.

    Nous montions les marches, un hurlement s’éleva et un individu surgit en courant de derrière une des colonnes :

             _ Enfin ! Vous voilà, je vous attendais depuis longtemps !

    Les filles mirent du temps à reconnaître dans cette personne sans cravate, les pans de sa chemise blanche sortis de son pantalon, la face ravagée de tics et les yeux étranglés de rage  notre Président bien-aimé.

             _ Tout ça est de votre faute vous avez intérêt à me sortir d’affaire sinon je vous fais fusiller, vous les gamines et les chiens. Quand je pense que nous avons dépensé des millions pour ce fiasco à cause de vous ! Dans mon bureau immédiatement !

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    Le bureau était désert, le Président marchait de long en large en nous couvrant d’insultes, le Chef contourna le vaste bureau présidentiel et s’assit sans façon sur le fauteuil du Président devant ce qui ressemblait à une énorme machine à écrire de l’ancien temps.

             _ Monsieur le Président, le temps presse pourriez-vous nous expliquer l’origine des griefs que vous proférez à notre encontre !

             _ C’est très simple, nous avons conçu cette machine…

             _ Avec la CIA, si je ne m’abuse, je suis sûr quand nous avons traversé leurs locaux d’en avoir entrevu une identique posée sur un bureau, exactement la même, sur le coup je n’y ai pas fait attention, mais en voyant celle-ci je commence à comprendre l’ampleur de vos tracas…

             _ Avec la CIA bien sûr, eux ils ont des ingénieurs de qualité, ils ont accepté de travailler avec nous pour mettre au point cette machine…

             _ A impédance psychologique, si j’en crois les derniers articles parus dans les revues scientifiques de haut-niveau, mais je ne croyais pas le projet si avancé !

             _ Ces derniers temps nous avons beaucoup progressé, nous sommes passés au stade expérimental !

             _ Vous avez donc trouvé des cobayes ?

             _ Nous les avons sélectionnés soigneusement, nous les avons entraînés à leur insu, une préparation parapsychologique de haut-niveau qui a exigé de gros moyens !

    Je me permis de prendre la parole :

             _ Par exemple de leur faire croire qu’ils étaient confrontés à un groupe de passeurs de murailles !

             _ Je vois que vous comprenez. Une fois que vous seriez devenus idiots nous aurions pu nous débarrasser définitivement du rock’n’roll ! Cette musique est trop subversive !

             _ Parfaitement, vous nous avez bernés un long moment, mais votre plan a foiré depuis peu !

             _ Oui, une fausse manœuvre, vous étiez les cobayes désignés, vous deviez par un envoi d’ondes magnétiques devenir des espèces de zombies, hélas l’appareil s’est déréglé, toute la population parisienne est devenue zombies, sauf vous deux et votre équipe, l’on a annoncé à la radio que j’avais été mis à l’abri, c’est le contraire, tout le personnel a été évacué, je suis resté seul, j’ai fait venir un régiment de blindés le plus éloigné de Paris et leur ai donné l’ordre de vous ramener ici.

             _ Ça tombait bien, j’avais moi aussi donné à l’Agent Chad l’ordre de nous conduire ici même, je me doutais que vous étiez la source de nos ennuis, mais que voulez-vous de nous au juste ?

             _ C’est simple, la machine à impédance psychologique est devant vous, débrouillez-vous pour qu’elle fonctionne dans le bon sens, que les gens rentrent chez eux et reprennent leur vie comme avant, si vous réussissez je vous gracie sinon je vous jure que je vous fais fusiller par mon régiment de blindés ! 

    Le Chef alluma un Coronado. Il frôla d’un doigt quelques touches, examina  la machine attentivement deux minutes, fronça les sourcils par deux fois, se cala le dos dans le fauteuil et regarda le Président dans les yeux :

             _ Je ne vois pas où se trouve la difficulté, cet appareil me semble marcher comme toutes les machines du monde !

    Le Président se redressa comme s’il avait été piqué par un serpent :

             _ Vous dites n’importe quoi, son élaboration a exigé la collaboration des plus grands cerveaux des unités de Berkeley, de Yales et de Princeton, et monopolisé la force de calcul de Saclay durant trois ans, puisque vous êtes si fort arrêtez-la à l’instant.

    Le Chef haussa les épaules, exhala une longue bouffée de Coronados, étendit le bras vers la gauche, se saisit du cordon électrique et le sépara de la prise.

    • Voilà, votre Tornado psychologique fonctionne comme un chargeur de téléphone portable, si vous le laissez dans la prise, il continue à user du courant et à dispenser ses effets pervers. C’est stupide que vous n’ayez pas pensé à ce truc. Même éteinte votre machine à impédance psychologique n’arrête pas d’émettre ces zones négatives, Il suffisait d’y penser.

    Une énorme rumeur fit vibrer les murs de l’Elysée, c’était l’exclamation poussée par des millions de parisiens libérés de leur emprise noétique.

    Nous nous éclipsâmes discrètement laissant le Président fracasser à coups de pied son joujou électronique. Nous eûmes du mal à nous extraire de la foule compacte qui riait, criait, dansait, sautait de joie…

    Nous parvînmes enfin à trouver une rue plus calme. Le Chef alluma un Coronado :

             _ Agent Chad, allez nous voler une nouvelle voiture, une belle berline assez spacieuse pour contenir quatre personnes et deux chiens, nos jeunes demoiselles ont vécu de fortes émotions, emmenons-les en vacances au bord de la mer !  

             Je n’ai jamais obéi à un ordre du Chef avec autant de célérité.

    Fin de l’épisode.