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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 118

  • CHRONIQUES DE POURPRE 226 : KR'TNT 346 : CAN / NO HIT MAKERS / THE NOBELS / LOOLIE AND THE SURFING ROGERS / NATCHEZ / ZINES / BLUES FEMININ

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 346

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    02 / 11 / 2017

    CAN / NO HIT MAKERS / THE NOBELS

    LOOLIE AND THE SURFIN ROGERS

    NATCHEZ / ZINES / BLUES FEMININ

     

    Le Can dira-t-on

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    Bon, voilà, terminé pour Jaki Liebezeit, l’âme de Can, le roi du beat hypno qui jouait chaque nuit pour des éléphants roses, oui la chanson morose, celle du temps où il s’appelait Jaki. Il est parti notre kiki, sous sa croûte, le kraut est en deuil, les voyageurs au long cours descendent à la prochaine station, les trips gratuits, c’est terminé, les petits cocos. Game over !

    Terminé aussi pour Holger, celui dont on n’arrivait pas à prononcer le nom, alors on s’arrêtait à Holger. Holger Czukay, tu parles d’un nom ! D’ailleurs, c’était un peu la même chose avec les deux mecs qui accompagnaient Tony McPhee dans les Groundhogs. Des blazes impossibles à prononcer et encore moins à mémoriser.

    Jaki et Holger sont des vieux de la vieille : ils sont nés à la fin des années trente. En plus, ils ne sortent pas de la cuisse de Jupiter. Comme John Cale, Holger vient d’un circuit classique, puisqu’il eut Stockhausen à la fois comme professeur et comme père spirituel, de 1963 à 1966. Stockhausen lui apprit l’art de composer mais l’incita surtout à prendre des risques. Jette-toi à l’eau ! C’est vrai qu’on ne fait rien dans la vie si on ne prend pas de risques. N’oubliez pas que Stockhausen figure sur la pochette de Sergent Pepper, juste à côté de WC Fields. Holger rencontra aussi Karajan qui dirigeait sans jamais lire une partition (il connaissait tout par cœur), puis John Cage.

    En 1966, Holger s’installe en Suisse et devient prof dans une école de musique où il rencontre Michael Karoli. Rencontre intéressante puisque Karoli l’initie au rock en lui montrant «I Am The Walrus». L’organiste Irmin Schmidt qui suit aussi les cours de Stockhausen prend contact avec eux et Jaki vient compléter les effectifs. Voilà pour la genèse.

    En montant Can, leur plan est simple : mélanger le rock, le jazz, la musique contemporaine et ce qu’on va appeler plus tard la world music, tout en préservant l’esprit d’improvisation. L’une des aventures les plus excitantes de l’histoire du rock allait commencer. Jaki allait se spécialiser dans l’hypnotic minimalism en conseillant tout simplement à Holger de ne pas jouer ses notes de basse on the beat, mais off the beat - never try to double a foot drum, you play somewhere else - Alors Holger allait jouer something in between, d’où ce son.

    Ceux qui ne supportaient pas ce «rock planant» que les marchands de disques appelaient le kraut-rock (sans savoir ce que ça voulait dire) parvenaient quand même à écouter quelques cuts de Can. Car Can rockait. Ces cats de Cologne trempaient dans l’expérimental, bien sûr (comme d’ailleurs le Velvet), mais certains de leurs albums dégageaient un réel parfum de sauvagerie (comme le Velvet, d’ailleurs). Les deux responsables de cette sauvagerie teutonique s’appelaient Malcolm Mooney et Jaki Liebezeit. Il faut aussi savoir que John Lydon rêvait d’avoir Jaki dans PIL.

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    Pour Holger, le meilleur souvenir de Can, c’est le premier album Monster Movie - The luck is getting under your wings - Sur la pochette, Holger est surnommé technical laboratory chief & red armed bass. Avec «Father Cannot Yell», Jaki crée bien les conditions de l’hypno latéral et l’infâme Malcolm en profite pour commencer à déconner. Ils passent à la pop-rock puissante avec «Outside My Door» et jouent la carte de Can, avec un Malcolm débridé qui donne libre cours à son animalité génétique et là, le miracle de Can commence à se matérialiser. En B, vous ne trouverez qu’un long cut intitulé «You Doo Right», et c’est là que les camps vont se constituer : d’un côté le camp des amateurs de cuts longs, et de l’autre côté, le camp de ceux qui préfèrent le format chanson de trois minutes et qui ne savent pas quoi faire de ces longs morceaux partis à la dérive. Ce ne sont évidemment pas des choses qu’on peut écouter à jeun. Pour rester magnanime, disons qu’il s’agit d’invitations au trip, ce qui était assez courant, pour ne pas dire banal, à l’époque.

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    On trouve deux parfaites abominations sur Soundtracks paru l’année suivante : «Soul Desert» et «Mother Sky». Dans «Soul Desert», Malcolm institue officiellement le groove de cromagnon. Il devient l’espace d’un cut le grand génie malade du XXe siècle. Malcolm Mooney se conduit comme un fabuleux empêcheur de tourner en rond. Ce mec est atteint, oui, mais prodigieusement atteint. Il s’en prend aux maudites morues monotones et immodestes. Dans «Mother Sky», Jaki bat vite et bien, il crée les meilleures conditions du beat hypno longitudinal, celui qu’on jouait en place de Tarente et dans la plaine du Pô, le beat fou des tarentelles qui courent à travers les haies de cyprès depuis des siècles, c’est l’hypno des légendes incertaines et Jaki joue d’incroyables variantes tapageuses, il voyage d’un fût à l’autre à l’allegrio des Grisons. Oh il faut aussi entendre Malcolm jazzer le groove dans «She Brings The Rain». Autre merveille indispensable à tout kraut cat : «Don’t Turn The Light On Leave Me Alone», un groove canien joué à coups d’acou et à la flûte de Pan, et ça fonctionne admirablement. Jaki passe aux sableurs du désert et on assiste à une intensification malveillante du groove basané, à la galvanisation balsamique du grain, au clônage de graves de bazar. Et pour répondre à la question : «Ces mecs créent-ils un monde ?», la réponse est oui.

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    Tago Mago est l’album le plus connu et sans doute le plus apprécié de Can. Mais c’est surtout l’album de Jaki. On assiste avec ce double album au couronnement d’Hypno 1er, roi du beat têtu comme une bourrique. Tous les cuts intéressants de ce disque sont hantés par cet incroyable métronome à deux pattes que fut Jaki Liebezeit. C’est aussi là que Damo Suzuki fait son entrée. Il remplace Malcolm. Dès «Paperhouse», Jaki bat tout droit alors qu’à l’Ouest se lève une tempête sonique. S’ensuit un «Mushroom» devenu un classique. Oui, car voilà le prototype du cut hanté et monté sur le plus décharné des beats qui se puisse concevoir ici bas. Jaki bat ça sec et net. Le mushroom dont parle Damo, c’est bien sûr celui d’Hiroshima - Well I saw a mushroom here - Et en B, ils partent en virée avec «Halleluwah» monté sur un beat de syncope sauvage et complètement fascinant. Jaki crée là l’identité du groupe. C’est le cut de beat parfait et on vit en direct une sorte d’expérience tribale. Après un court interlude musical, on assiste au redémarrage de la machine infernale, c’est digne de Tinguely, tout Can vient de là, de ce mouvement perpétuel et de ce ferraillage exaltant, de cette forme d’Africanité de Cologne, un beat taillé pour la route, dix-huit minutes d’intensité et de classe et avec ça, Jaki crée déjà les conditions d’un monde à venir, celui de Babaluma. Jaki, c’est le jah du job, le jus de Can, un joke de jive.

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    S’ensuit Ege Bamyasi et sa boîte de piments verts. Avec «Pinch», on reste à l’âge d’or de l’ère Damo. Voilà encore un cut d’apparence barbare, la présence de Damo renforce le côté mongole et des trouées de fuzz enveniment encore les choses. Jaki bat ça si sec qu’on s’en effare une fois encore, le beat halète littéralement et Damo se prélasse dans un son qui lui permet d’exercer sa logique psychotique. Avec «Sink Swan Song», Damo Suzuki fait son kiki comme Jaki, et on arrête aussitôt de rigoler, car Can crée les conditions du climat. On a parfois l’impression d’un grand sérieux quand on écoute Can, sans doute à cause de ce côté laid-back persistant. Mais il n’existe rien d’aussi bien battu que ça. Oui, Jaki bat ça sec et sans remords. Can répond à toutes les questions : Can est-il Can ? Oui, car Can est dans Can. Les cuts se succèdent benoîtement en une sorte de procession et Jaki n’en finit plus de trousser ses petites dégelées circonstancielles, comme dans «I’m So Green» - Yes I feel what you said - et l’impression se confirme, tout repose sur Jaki, c’est au-delà de tout ce qu’on peut imaginer en matière de beurre, il bat tout à la dure de gras sec. Ce brillant album s’achève avec un «Spoon» qui sonne véritablement comme un hymne.

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    Future Days paraît en 1973. Le morceau titre de l’album préfigure le Babaluma à venir. Il est ici question de vaporous intensity. La voix de Damo flotte dans des espaces intermédiaires, on a une belle texture respiratoire, douce et si agréable à l’oreille. Tout le monde solote et personne ne solote. Can est le groupe universaliste par excellence. Jaki cultive tranquillement sa polyrythmie. Il préside au destin de Can. Comme toujours, Can affiche un mépris total de la prétention, surtout celle qu’affichent les groupes de rock. John Payne nous rappelle que Can enregistre à l’époque sur un deux pistes, et donc ils s’interdisent toutes les fioritures. Ça finit par donner un son trop dépouillé, trop éthéré, qui ne peut certainement pas plaire à tout le monde. «Bel Air» remplit toute la B, mais on y sombre, corps et âme.

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    Encore deux merveilles impérissables sur Soon Over Babaluma qui date de 1974 : «Dizzy Dizzy» et «Come Sta La Luna». Jaki prend le beat de Dizzy au primaire élastique. Il fabrique une ambiance fascinante avec ses petits bras. Nous voilà au pays magique de Babaluma et franchement, on aimerait bien y rester pour toujours. Les notes y flottent dans une espèce de stratosphère lumineuse. Jaki passe au mambo pour la Luna, mais avec une clameur venue du fond des âges. Can veloute l’atmosphère une fois de plus, nos amis de Cologne chaloupent des hanches sur ce groove mystérieux en qui tout est, comme en un ange, aussi subtil qu’harmonieux. On a là quelque chose d’une beauté parfaite, quelque chose de lointain et de désincarné. Si par curiosité on va faire un petit tour en B, alors on tombe sur «Chain Reaction», une merveille incroyablement africaine. Jaki nous réinvente le beat des savanes, ces fameuses savanes que traversèrent à pieds Gordon et Speke lorsqu’ils exploraient l’Est du continent africain à la recherche des sources du Nil. C’est un cut pour le moins extraordinaire, joué à la meilleure prestance tribale. On y sent battre le pouls du monde antique.

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    Une nommée Christine s’est amusée à grimer les quat’ Can sur la pochette de Landed. L’effet est marrant. C’est fou ce que la fantaisie peut plaire, ici bas. Par contre, les quat’ Can n’ont plus de chanteur, plus de Damo ni de Malcolm. C’est Holger Czukay qui s’y colle, mais il faut bien admettre que le groupe perd toute sa démesure. Ils rentrent dans le rang, mais avec un son toujours tiré à quat’ épingles. Et avec «Half Past One», on revient à Babaluma et à Dizzy Dizzy avec le backbeat exotiki de Jaki le kiki du Kon Tiki. On voit planer un joli beat suspendu tout étoilé d’awites d’Holger. Ils restent dans le velouté de Babaluma pour «Hunters & Collectors». C’est un pays qu’on aime bien, les quat’ Can ont su conserver leur double élégance groovitale et orbitale. Ils retrouvent leur étonnante vitalité avec «Vernal Equinox» joué à la fuite en avant et à la guitare pulsative. On se souvient qu’ils mirent un temps un point d’honneur à se vouloir inclassables. Ils attaquent leur bonne B avec «Red Hot Indians», et comme l’indique le titre de l’album, ils ont atterri non pas sur la lune, mais sur Babaluma, ce qui est nettement plus intéressant. Et donc tout repart de cette contrée magique. Jaki le kiki joue des tablas congolais et Michael Karoli le koko gratte l’oukoulélé du Kon Tiki. Un mystérieux sax vient jazzer le groove, alors ça devient incroyablement délicieux et même jouissif.

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    En 1976, paraît un tas de fonds de tiroirs intitulé Unlimited Edition. Alors bien sûr, quand on est fan de Can et surtout de Jaki, on le rapatrie. On trouve de tout sur ce double album, du «Doko E» joué aux petites ambiances inutiles, de l’hypo canique avec «TV Spot» et «Correction», où Malcom joue les constructivistes à la Malevitch. On l’entend aussi se lancer dans un talking jive sur «The Empress And The Unkraine King» et «Mother Upduff». Il tire admirablement bien son épingle du jeu dans «Fall Of Another Year», une tranche d’épopée musicologique absolument captivante. On trouve aussi des resucées de Babaluma, comme «Ibis». On le sait depuis Landed, ils adorent alunir sur Babaluma.

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    La même année paraît l’excellent Flow Motion. Ils tapent directement dans le Babaluma Sound avec «Babylonian Pearl». La musique semble flotter au dessus des détritus below et dériver vers le futur. Shimmering Fata Morgana. Avec «Smoke», ils tapent dans un beat africain issu de la nuit des temps. C’est à la fois sombre et terriblement angoissant. Mais c’est en B que se joue le destin de ce très grand album. «I Want More» sonne plus pop, et même un peu trop synthétique pour être honnête. De la part d’un groupe comme Can qui refuse habituellement toute forme de concession, voilà un cut étrangement putassier. Ils reviennent au charming laissez-faire avec «Cascade Waltz». Alan Bangs parle même d’une dream-like quality of the music. On est tous d’accord. C’est Michael Karoli qui embarque «Laugh Till You Cry Live Till You Die» au riff de rock sur fond de reggae-dub. C’est délicieusement bon et lourd de sens, riche au sens des splendeurs de Babylone, fruité au sens des goyaves des Caraïbes. C’est un groove de rêve absolument parfait. Ils bouclent cet album superbe avec «And More», véritable coup d’hypno exacerbé. Jaki est ses amis sont encore capables de miracles.

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    Une grosse lame de scie circulaire orne la pochette du pauvre Saw Delight qui sort au mauvais moment, c’est-à-dire en 1977. Can a récupéré deux transfuges de Traffic, Reebop et Rosco Gee, vieux habitués de l’impro. Reebop amène dans Can l’exubérance de la world music. Il chante «Don’t Say No» à l’Africaine. Puis Can renoue avec le Moonshine groove de Future Days. C’est somptueux - Do what you feel that you need to do - Rosco Gee passe un fantastique shuffle de basse dans «Sunshine Day & Night». Jaki bat sec et le cut fascine, enrichi par les percus de Reebop. En B, ils filent droit sur le rock ethnique avec «Animal Waves» et le voyage s’achève avec la belle pop de «Fly By Night». Ces gens-là sont toujours capables de miracles.

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    Le mystère règne sur la pochette d’Out Of Reach qui sort des limbes en 1978. Holger Czukay n’est pas là. Il a quitté le groupe après que Reebop lui ait mis son poing dans la gueule - It became very very dangerous - mais ça n’empêche pas Jaki de battre «Serpentine» comme plâtre. On retrouve l’extraordinaire musicalité qui fait le son du groupe. Peu de gens savent ainsi favoriser l’extension du domaine de la lutte. Ils jouent au dada game avec une sorte de facilité déconcertante. Avec «Pauper’s Daughter And I», ils tapent dans un thème connu. Rosko Gee chante et joue de la basse comme un démon. Leur truc fonctionne aux petites poussées de fièvre maligne. On a là du Can solide, très puissant, bien percuté, drivé à l’os. Retour des ambiances épaisses avec «Seven Days Awake», gros coup de Can rock anguleux et arithmétique, très particulier. Le fan de Can s’y perd et s’y retrouve en même temps. Mais on perd le fil de Can dans «Give Me No Roses». Il faut attendre «Like INOBE GOD» pour renouer avec le groove démentoïde, l’atmosphère de fête et cette ambiance de fin de nuit arrosée qui caractérise si bien le Can dira-t-on.

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    Voilà Can et sa clé de quatorze. On trouve pas mal de hits, là-dessus, notamment «Safe», frappé sec on s’en doute. Mais sans cette frappe, ce genre de disque n’aurait aucun intérêt. Jaki fait le son et comme toujours l’atmosphère finit par envoûter. On a aussi du bel hypno léthargique avec l’«All Gates Open» d’ouverture de bal d’A. C’est encore un beat à la Babaluma. Jaki n’en finit plus de donner du sens aux choses. L’autre hit de l’album se trouve sur la face cachée de la lune : «Sodom». Avec son fantastique thème mélodique, ce cut obsédant et conspiratoire sonne comme une liturgie d’extase purulente. On les entend jouer au ping-pong dans «Ping Pong» et ils terminent avec l’ambiance superbe du Be-Can de «Can Be».

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    Delay 1968 paru en 1981 fait partie des albums indispensables, car on y retrouve Malcolm Mooney dans ses grandes œuvres. Ça saute à la gorge dès «Butterfly». L’hypno, c’est sa came. Pendant que les autres tripotent les ambiances, Jaki et Malcolm créent le mythe de Can. On voit bien que Jaki sait rester ferme sur ses intentions. Il n’est pas homme à baisser les bras. Il tient sacrément bien la distance, huit minutes, ce n’est pas de la roupie de sansonnet. Ils tapent ensuite un hit de r’n’b avec «Nineteen Century Man» ! C’est complètement inespéré, car voilà que Malcolm jerke la paillasse du groove de Cologne. Et derrière Irmin Schmidt gratte des accords de psyché-funk. Ces mecs-là sont capables de tout. Sur sa basse, Holger Czukay joue la carte de Stax ! D’autres merveilles guettent l’imprudent voyageur en B, à commencer par «Man Named Joe», dur et dense, dru et dingue, ah quelle aventure ! Ces mecs savent tracer la route d’un cut et le festival se poursuit avec «Uphill». Malcolm Mooney y fait de sérieux ravages, il découpe bien ses syllabes et syncope son shoot comme un dieu de la guerre et du fer travaillé. Jaki envoie le beat avec la puissance d’une loco à vapeur, on a là le hit terrible de Can, le Can the Can de la révolution industrielle, la rouge rage de la Rhur, l’infernal battage des rivets. Pas de retour possible en arrière. Ils tapent ensuite un blues pour «Little Star Of Bethlehem». Malcolm swingue son texte sur un groove de heavy blues et il en bouche un coin, d’autant qu’on se régale du jeu de basse d’Holger Czukay. Ces mecs ne rigolaient pas.

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    Paru en 1989, Rite Time fait partie des albums magiques, ne serait-ce que pour ce coup de génie qui s’intitule «The Withoutlaw Man» et sa belle approche en crabe. Malcolm Mooney l’explose au fantastique cha cha cha to me. Ils renouent avec la pure hypno, Michael claque des redémarrages. Avec ce genre de cut, Can rappelle qu’il est essentiel de savoir jouer. Retour au groove de jazz déconcertant avec «Below This Level». Effarant ! C’est rien de le dire. Voilà encore une sorte de miracle underground qui bascule dans la démence - Below this level/ There is none - Groove de rêve, Jaki bat. On reste dans la crème de l’hypno avec «Movin’ Right Away». Jaki frappe ça à la vie à la mort. On comprend qu’il soit le batteur dont rêvait John Lydon. C’est encore une fois un cut effarant de puissance démesurée, du Can the Can patenté. On retrouve là cette dimension de l’hypno invariable, le Can crush beat System Sound, la pure sauvagerie de la Révolution industrielle. Tout est noyé de son sur cet album, tout est bardé d’aventures et de thèmes mélodiques. Encore une partie de rigolade pour ce démon de Jaki avec «Hoolah Hoolah». Il bat ça si sec que ça se transforme en chef-d’œuvre de dry beat. Non, il n’existe pas de batteur plus vert sur cette terre. Il fait de ce cut un exercice de style d’éclate dynamitée. Jaki est bel et bien l’âme de Can. Il fait du Keith Hudson dans «Give The Drummer Some». Il joue le groove du dub et claque le beat à la sporadique. On se régalera aussi d’«On The Beautiful Side Of A Romance» qui fait l’ouverture du bal, oui, car voilà encore une fantastique énormité. Malcolm Mooney est de retour pour jouer les victimes du colonialisme. On a là un cut puissant et bien ravagé, même carrément biblique. Jaki ramène dans le beat une dimension africaine. C’est un cut qu’il faut bien qualifier de prophétique. Michael passe des chorus d’une grande violence retenue. Il est tout de même conseillé de bien s’arrimer.

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    Il reste encore au moins deux grosses compiles à se mettre sous la dent : The Lost Tapes et The Singles. Attention, The Lost Tapes est un triple album, mais si on aime bien Can, ça ne mange pas de pain. Ces mecs n’en finissaient plus d’enregistrer, et quand on dispose d’un batteur comme Jaki, on imagine que c’est un bonheur que d’entrer en studio. Comme Sonic Boom, ces gens savent créer du son. Ils nous embarquent dès «Waiting For The Streetcar». Pur Can Sound, répétitif et bien barré. Le jeu consiste à répéter le streetcar jusqu’à plus-soif. Pour ça, ils sont fortiches - I do wait for the streetcar/ I do wait for the streetcar - Jaki nous bat tout ça en syncope arythmique, évidemment. On n’entend que lui. Il libère ses membres. On s’aperçoit au fil des cuts que tout Can repose sur le Jaki beat, toujours en surtension et sur-mixé dans la confiture, ce qui le rend ultra-présent et donc fascinant. On observe le même phénomène dans «Deadly Doris», embarqué au beat de non-retour. Ils restent dans le bon vieux répétitif, Jaki fourbit bien le beat. Il fait tout le boulot. On tombe plus loin sur un «Oscura Primavera» très spécial. D’ailleurs, tout est très spécial dans ce conglomérat. C’est joué en folk-rock lumineux, à la manière du «Pale Blue Eyes» du Velvet, et ça donne une extraordinaire virée intra-utérine, un modèle du genre. S’ensuit un authentique coup de génie : «Bubble Rap», amené au Cannish beat, pur jus de garage colognais. C’est violent et à peine contrôlé, arrosé d’essence et un mec craque une allumette, alors vloooooooofffff, gerbe de fuzz inflammatoire, c’est joué à la Can, avec un sens de l’ultimate qui n’appartient qu’à eux, c’est à la fois puissant et dévastateur, joué et pulsé au beat. Ils mettent un temps fou à retomber sur leurs pattes. Voilà du grand art, empreint d’une certaine explosivité des distorses retorses. Le disk 2 démarre sur l’énorme «Your Friendly Neighbourhood Whore», embarqué au beat tribal de Jaki le kéké et chanté à la merveilleuse ramasse de Malcolm. Dazling, avec un sens du creative drive. On retrouve Malcolm au helm dans «Midnight Sky», extraordinaire runt de r’n’b. Malcolm et Jaki accouplent leurs talents pour le meilleur et pour le pur, Jaki joue en syncope de funk master. C’est tout de même incroyable : l’un des meilleurs r’n’b du monde vient de Cologne. Ils tapent ensuite dans «Desert», qui est le fait le «Soul Desert» de Soundtracks. Fabuleuse dose d’hypno. Malcolm excelle dans ce répétitif cher à John Cale. On a là de l’hypno à l’état très pur. On trouve à la suite une version live de «Spoon», avec un extraordinaire babalumage du son. Le public claque des mains. Damo Suzuki chante. Et on tombe une fois encore sur un coup de génie : «Abba Gada Braxas», ambiancier en diable, situé quelque part dans l’espace. Fantastique aventure extrapolatoire. Un bonheur, un entrelac à la Can qui n’en finit pas. Pur jus de Mad Psychedelia. Sur le disk 3, on retrouve l’ineffable «On The Way To Mother Sky», assez hypno, bien ravagé par la fuzz et hanté par ce démon de Malcolm. Belle dose d’hypno aussi dans «Nesser, Scissors, Fork And Light». Ils n’ont plus besoin de compteur, ils foncent. Encore une fois, tout repose sur Jaki, il tape sec, il va droit à l’hypno. Ils passent en mode jazz-rock pour «Barnacles» et dans «EPS 108», Jaki fourbit les percus de Geoffrey Oryema. On a aussi une belle version live de «Mushroom» et toute cette fantastique aventure se termine avec un «One More Saturday Night» d’échappatoire délibéré. Can s’y fait têtu, c’est chanté à la non revoyure et pulsé au pur beat de la régalade.

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    La compile intitulée The Singles qui vient de paraître fait partie des disques indispensables à tout amateur de bonne chère. Vingt-trois cuts et tout est bon. Le calcul est vite fait. Can n’enregistrait pas que des cuts longs, les impératifs commerciaux les obligeaient parfois à faire court. Et dès «Soul Desert», on retrouve ce fabuleux Soul searcher qu’est Malcolm Mooney. C’est l’hypno inné, Malcolm pousse le désert dans les orties, c’en est presque beefheartien. «Spoon» sonne comme une mésaventure mentale délibérée. On s’aperçoit très vite que tous les cuts, sans exception, sonnent comme des hot hits de hutte, surtout «Halleluwah», où Jaki bat le beat des galères et on voit Malcom entrer dans la danse en titubant comme l’archange Gabriel sous acide. Ou encore «I’m So Green», gorgé de son et de présence, et où Malcolm chante sur le ton de la confidence. Le pire c’est que ça joue aux accords de jazz, et ce n’est pas peu dire. Can nous plonge en permanence dans l’excellence d’un fourmillement de génie cérébral. Tout est superbe, soigné, pulsé, joué avec un art de la retenue unique au monde. Jaki fait feu de tous bois dans «Mushroom», hypno assuré d’avance, il bat à la ramasse du chant et ça tourne vite à l’hallucinant travail de sape. Jaki crée les conditions du mystère, alors que Malcolm hurle sa détresse dans le désert. Retour aussi à «Moonshake» joué au vif argent, dans l’idée d’un décadentisme expressionniste à la Murnau. On tombe plus loin sur l’impérissable «Dizzy Dizzy», un cut béni des dieux qui crée un monde magique, celui de Babaluma. Jaki l’enlumine d’un beat suspensif. «Splash» sonne comme un coup de génie et «Hunters & Collectors» tourne la tête, car trop richement orchestré. C’est un son unique au monde. On sent chez eux une vraie passion pour le groove. Dans «Vernal Equinox», Jaki fait un numéro de cirque assez extravagant et Michael Karoli part en solo de dérapage contrôlé. Comme toujours, Can visite quelques couches atmosphériques. Ils n’ont aucun problème de mobilité. Ils vont là où ça les chante. La compile enchaîne ces deux merveilles que sont «I Want More» et «And More», la pop et le punk, avec un punk d’«And More» mille fois plus punk que tout le punk à venir, monté sur un beat tribal qui évoque la marche des légions de Scipion sur Carthage. C’est exactement l’hypno de marche des armées de l’Antiquité, extrêmement sévère et si salutaire. Can passe le chant de Noël «Silent Night» à la moulinette. Ils expérimentent sous les flocons et on note une fois encore l’extrême intelligence du beat. Il est impossible de se lasser d’un batteur comme Jaki. Can continue de créer des vertiges galactiques avec «Cascad Waltz». Ils font du technicolor colognais. Il règne là une extraordinaire ambiance de fin de règne. On sent que tout a été dit et bien dit chez Can. Donc l’empire de Can peut sombrer dans les ténèbres. Au fond, la vie d’un groupe compte si peu au regard de l’éternité. Quelques disques et puis s’en vont. «Return» paraît plus jazzé du cubitus. Alors Jaki s’en donne à cœur joie. Il est l’un des meilleurs batteurs du monde, il relance avec des roulements d’une extrême finesse.

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    Holger : «Jaki hated it when anyone would say ‘Play your drum solo’. He is someone who wants to integrate and serve in the common sound. That is definitively Can.» (Jaki détestait quand on lui demandait de jouer un solo de batterie. Tout ce qu’il voulait, c’était faire partie du son. Voilà, Can c’est ça).

    Signé : Cazengler, Baballumé

    Jaki Liebezeit. Disparu le 22 janvier 2017

    Holger Czykay. Disparu le 5 septembre 2017

    Can. Monster Movie. Music Factory 1969

    Can. Soundtracks. Liberty 1970

    Can. Tago Mago. United Artists Records 1971

    Can. Ege Bamyasi. United Artists Records 1972

    Can. Future Days. United Artists Records 1973

    Can. Soon Over Babaluma. United Artists Records 1974

    Can. Landed. EMI 1975

    Can. Unlimited Edition. Harvest 1976

    Can. Flow Motion. Harvest 1976

    Can. Saw Delight. Harvest 1977

    Can. Out Of Reach. Harvest 1978

    Can. Can. Harvest 1978

    Can. Delay 1968. Spoon Records 1981

    Can. Rite Time. Mercury 1989

    Can. The Lost Tapes. Spoon Records 2012

    Can. The Singles. Spoon Records 2017

    Holger Czukay. The Mojo Interview by Ian Harrison. Mojo #273 - August 2016

    Sur l’illusse, de gauche à droite : Damo Suzukin Jaki, Irmin Schmidt, Holger et Michael Karoli.

    27 / 10 / 2017 / PARIS

    SUPERSONIC

    NO HIT MAKERS / THE NOBELS

    LOOLIE AND THE SURFIN' ROGERS

     

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    Encore victime d'une injustice cette année, la médaille Fields qui couronne les sommités mathématiques du siècle ne m'a pas été attribuée, moi qui pourtant sait compter jusqu'à deux depuis la maternelle, toutefois je ne suis pas rancunier et décide de me rendre à cette réunion qui regroupe cinq prix Nobel nationaux au Supersonic. Notez toutefois que les destins me furent contraires, dans les couloirs du métro une nasse de contrôleurs fait barrage m'obligeant à une retraite stratégique et un détour inopiné qui me fit débarquer en retard alors que les No Hit Makers avaient déjà entamé leur set. Moi qui croyais que la libre-circulation des individus sans droits de douane et d'octroi était un principe cardinal du libéralisme !

     

    NO HIT MAKERS

    Tout ce que je n'aime pas. Arriver en retard à un concert. En plus un de mes groupes préférés.

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    Une seule consolation, c'est d'être happé par la musique dès l'ouverture de la porte. Je débarque en fin de By my side et tout de suite je suis emporté. Les No Hit Makers, c'est du rockab symphonique. De visu ne se différencient en rien d'un autre groupe de rockab, ne donnent pas dans le country avec une section de quinze violons, n'ayez crainte, Larbi se démène sur sa contrebasse, Vincent maltraite sa Gretsch, Jérôme bétonne sur sa batterie et Eric chante et fusille sa rythmique, mais c'est le résultat d'ensemble qui fait la différence. Ce n'est pas qu'ils soient synchro, c'est que leur musique est complétude absolue, rien à retrancher et surtout rien à rajouter. Ils atteignent à la perfection – non pas l'universelle illusoire – mais celle qui correspond à leur projet. Certains insistent sur leur côté néo-rockab pour rendre compte de leur sauvagerie, n'ont pas tort l'on pourrait tout aussi bien souligner l'aspect fougueux de leur lyrisme. En tout cas, c'est toujours plein de subtilités, ces passages par exemple où la guitare de Vincent endosse on ne sait comment l'exacte tessiture de la voix d'Eric que vous ne savez plus par moments si c'est lui ou la Gretcsh que vous entendez. Toutes deux dans le prolongement de l'autre. Un artifice devenu quasi instinctif qui fait que vous avez l'impression que les morceaux entrent dans une dimension a-temporelle et qu'ils ne se terminent jamais. Alors qu'une fois accomplis vous exécrez leur brièveté. De toute beauté.

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    Larbi est bien sage ce soir, l'astique sa big Mama avec un sérieux et une hargne méthodologique qui fait du bien à voir. Tout intérieur, en feu couvant. Inlassable. Ses bras tatoués comme des serpents venimeux qui passent de branche en branche. Très concentré, pousse de temps un temps un hurlement comme une locomotive à vapeur qui siffle de toutes ses forces pour amorcer une descente fatidique. Eric est à ses côtés, électro-acoustique Gretsch à rosace triangulaire en tête de cobra, un timbre magnifique qui vous colle sur l'enveloppe du chant déployé, Whatcha Gonna Do psalmodié à l'étrille explosive, The Doors of Heaven ouvertes au bazooka, Long Black Shiny Car conduite les yeux fermés, et la révélation dernière, The Devil is in Me, ne croyez pas que le diable s'époumone à vos oreilles, c'est du sirop d'érable qu'il verse dans vos tympans, hélas empoisonné mais terriblement persuasif. Quand le rockab casse les oeufs de l'omelette d'Hamlet tout va bien. Terrible travail cordique de Vincent, l'aborde son instrument à la manière dont Heidegger décrit l'emprise de la technique sur la nature. Processus irréversible qui modifie jusqu'à votre code génétique, vous inocule l'héroïne du rock'n'roll dans vos veines. C'est ce que l'on appelle une sacrée chance. De succomber aux mantras de la sublimation épileptique.

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    Jérôme dans son coin, que l'on n'aperçoit que lorsque l'un de ses acolytes se retourne à-demi vers lui, est le grand préparateur des explorations soniques. Fixe le cap de la dérive entrevue à l'horizon sans cesse reculé. L'a la batterie traçante, genre de ces fusées rouges que l'on lance pour signaler aux troupes l'instant fatidique de l'assaut. Libère les coursiers de l'écurie en feu. Roulements de baguettes qui déchirent les limbes inexplorées du futur et les trois autres qui s'engouffrent dans la verticalité ascendante des avens stellaires dont il ensemence les cieux orageux du rock'n'roll. Un dernier Boogie Chillen et le vaisseau spatial des No Hit Makers se pose notre terre à vaches folles. A vaches molles. Un demi-set que nous noterons à sept et demi sur 7,5. Assistance comblée. L'ombre pourpre du rock'n'roll a encore frappé.

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    PRE-NOBELS

    Se dépêchent de passer leur grosse médaille de prix Nobel à ras de cou. C'est que la salle est surexcitée. Les kr'nteurs en connaissent déjà trois, Luc, Djiv, et Batt, sous ces trois appellations abréviatives se cachent les terribles mâchoires de la mort, les Howlin' Jaws, sont comme les squales qui happent tout ce qui passe à leur portée. Z'ont déjà salement amoché le rockabilly et voici que maintenant ils ont trouvé un nouvel os à ronger, dans le garage. Ne leur confiez pas votre voiture pour une éraflure, sont des requins-marteaux vont vous la transformer en compression de César. Pas Jules, le sculpteur. L'en reste deux, un grand Fran à la guitare et un Tom malingre à l'orgue. L'a fallu l'aider pour monter sur la scène l'on se demandait ce qu'il devait porter de si lourd dans sa valise. Son orgue, petit, beaucoup plus large que long, costaud, massif, du solide, comme un roc – idéal pour le rock – on s'en est rendu compte lorsqu'il a dégringolé de son perchoir pendant son installation, ça ne l'a pas empêché de fonctionner merveilleusement tout le set.

    PRIX NOBELS

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    Loi du garage. Vous démarrez en trombe ou vous êtes éliminé d'office. Pas de seconde chance. Le cheval qui tombe, faut l'abattre sans rémission. Les Nobels vous franchissent l'obstacle à l'arrache ouragan. Baptiste vous crashe la batterie sans pitié et Lucas se précipite sur le devant de la scène pour vous planter des banderilles de riffs – personne ne les fait plus courts, plus rapides et plus violents que lui – l'assistance ondule de plaisir sous ces piqûres de rappel . Des maxi-doses à refiler la tremblote aux menhirs. Vous vous dites que c'est bien parti. Et c'est là que survient la surprise. Excellente. Tom farfouille sur son espèce de farfisa compacté, et le chant mélodieux d'une sirène – moitié ulysséenne, moitié usine – s'élève et magnifie l'entrée tonitruante du départ. Et là-dessus, Tom nous fait coup double, non seulement il sait se servir de son clavier mais en plus il chante. L'a la voix rapide qu'il faut, sans faute. Attention, ça sonne anglais de chez anglais, un arrière-goût Animals sauvage qui n'entend pas périr dans l'arène, pas question d'y aller trop rachitique ou trop tonitruant, faut être dans le rythme, comme la mousse sur la crête de la vague, toujours tout en haut mais collé au mouvement comme ventouse de pieuvre sur le Nautilus du Capitaine Nemo. Get your Mama, Sally Tease, Help Yourself, trois coups de semonces sous la ligne de flottaison, les Nobels quand ils frappent n'y vont pas avec le revers de la médaille. Evidemment Djivan est privé de micro, n'a plus non plus sa monumentale contrebasse pour s'imposer, l'a trouvé la parade, une danelectro longhorn, en forme de lyre, tout de suite ça vous refile une allure d'Orphée descendu aux enfers. D'ailleurs l'on a l'impression qu'il tire sur les nerfs et les tendons des ombres rencontrées, s'en exhale longues plaintes interminable de bête torturées ou cris de souffrance d'âmes inassouvies soumises au supplice de tantale. Toute la différence entre un djivan freudien et une table de dissection abandonnée dans un garage. Seconde guitare pour Fran. Avec les virevoltes de Lucas, vous vous demanderiez ce que vous pourriez faire si vous étiez à la place de Fran. Placer une quelconque contre-rythmique entre les poinçons phoniques de Lucas est tâche impossible. Sont trop rapprochés, pas d'espace suffisant entre eux. Aussi difficile que de faire rentrer un éléphant dans un trou de souris. Se dégonfle pas le Fran, si vous croyez que vous pouvez vous passer de moi, vous vous trompez, et il vous la fait au pachyderme qui vous arrose d'eau saumâtre, mais lui il fuzze, vous barbouille le tableau de traînées de suie qui en approfondit la noirceur. Vous passe le local au cambouis. Du graisseux bien noir, indélébile, qui ne s'efface pas.

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    Vous avez un aperçu des mécanos. Regardons le boulot. Sur des modèles connus. In the Midnight Hour, de Wilson Pickett, the whicked, z'ont retenu la légende du méchant, pour le châssis du riff lourd à souhait pas de problème, vous le laissent s'écraser par terre d'aussi haut, mais à forte cadence, un rythme démentiel, vous n'avez pas longtemps à attendre jusqu'à minuit, la pendule du rock'n'roll ils la démantibulent dans le vestibule, les aiguilles vous passent douze mille fois sur le douze sans que vous ayez le temps de faire un pas sur la pelouse. Idem pour le fameux jungle sound de Bo Diddley, vous en accélère le tempo, pour le sound c'est plutôt hound mais pour la jungle c'est une horde de tigres affamés qui se jettent sur un village, pas de chance, celui où vous habitez. Quant au It's been nice – Gene Vincent vous l'a transformé en bibelot de toute mignarde rouerie – les Nobels ils vous le concassent à la moulinette à choucroute, c'est du joli !

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    Vous raconte pas l'effervescence dans la salle. Tom en délaisse son orgue, s'empare du micro à pleines mains et mène le bal des ardences. Un dernier Catch A Ride et c'est fini. Ils ont cassé la baraque et nous n'aurons même pas droit à un quinzième petit morceau supplémentaire. Les Nobels sont grands, mais la vie est injuste.

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    LOOLIE AND THE SURFING ROGERS

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    Loin d'être enthousiasmé par leur instru d'introduction. Une espèce de patchwork sixty-funk du pire effet. Plutôt poussifs les quatre gars. Rien à voir avec mes souvenirs du mois de juin 2012. Syncope pantouflarde, un sax qui aboie courtement comme un roquet de quinze centimètres qui pense terroriser la planète, bassiste et guitariste en costume, instruments rouge et blanc à l'identique, cela vous a un air d'autant plus vieillot que le hachis funky qu'ils nous servent semble un pathétique effort pour paraître jeune... Mais non, ce n'était qu'un piège diabolique, ont déroulé un tapis miteux, pour que mieux resplendît l'éclat Loolie. Elle arrive, toute belle dans son bustier léopard et sa jupe de cuir fendue jusqu'aux haut d'une cuisse qui voile et parfois dévoile le lieu des féminités fermentueuses. N'a pas encore ouvert la bouche que derrière vous sentez la différence, embrayent en mort, et vont nous le faire en accélération constante tout le long du set.

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    Loolie focalise les regards et les oreilles. Derrière ils affûtent sec. Bye bye le mauvais funkadelic, bonjour les sixties. Guitares sonnantes, se permettent un instrumental, ce ne sont pas les Apaches mais la tribu Comanche qui se radine au complet au galop de ses mustangs sauvages, superfins les Rogers évitent de plagier le Marvin, ont leur son à eux, avec des fusées de sax et une batterie en contre-chant qui soudoie le rythme plus qu'il ne le propulse. Une espèce de tölt islandais, mais à vive allure. La démarche en crabe qui pince-moi quand pince-mi est sur le do.

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    De toutes les manières pourraient vous faire du juji-su ou du jus d'orange, vous vous en foutez. Loolie vous captive. L'a tout ce qu'il faut, une voix de petite fille perverse qui vous affole, ou alors de ces moues de chat aguichantes et dédaigneuses qui vous rendent marteaux, faut l'entendre susurrer Do you Understand ?, philosopher sentencieusement mais pas vraiment platoniquement sur la nature humaine de He's a boy, ou vous inciter à tous les outrages avec Beat me down. L'a la voix douce comme une lanière de fouet, suave comme une porte qui se referme sur vos doigts, tendre comme une batte de base-ball qui vous caresse l'occiput, pas le temps de vous ennuyer, déménage sec, jette les mots comme des meubles par la fenêtre pour tout de suite poser la tête sur l'épaule d'un des boys, une gamine qui demande un câlin, exprès pour les gêner, et bien entendu ils font les hypocrites mettent leur honneur à jouer encore mieux malgré cette mouche du coche qui toute fière de ses méfaits s'en va faire quelques pas de danse candido-voluptueuse devant son micro.

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    Vous mène le public par le bout du nez, bizarrement ce sont les filles les plus énervées qui ne cessent de l'interpeller et de l'acclamer. Une lui tient son verre pour qu'elle puisse y trempoter deux secondes ses lèvres rougeoyantes, l'autre lui baise la main, toutes dansent et remuent, un véritable rond de sorcières de Salem. L'a du charme et du peps, ses cheveux noirs qui tombent sur ses épaules, sa pincée de seins comme poudre magique de perlimpinpin rock, perchée sur ses talons de jaguar ocellé, muscles ondoyants, postures tour à tour gracieuses et graveleuses, en 2012 me souviens d'une jeune fille qui comptait avant tout sur son aisance à interpréter les standards des années cinquante, l'a twisté vers les soixante, mais elle chante autant avec sa voix qu'avec son corps. Du métier et de l'aisance, et encore plus du plaisir à partager son entrain, aucune naïveté, pas le genre à vous tirer des larmes de nostalgie, l'a compris que l'époque ne se fait aucune illusion, elle joue à merveille la fausse innocence, et les musicos sont au diapason, Loolie et ses Rogers ne sont pas dupes, ils sont en représentation d'une image mythique d'un passé lointain que la jeunesse qui forme la majeure partie de l'assistance n'a pas connu mais auquel elle fait semblant d'adhérer, juste pour une heure. Tout le drame et tout le clinquant du rock dans ce brin de loolita exubérante qui étincelle sur scène. Nabokov doit s'en retourner dans sa tombe. L'ardeur est là. Mais les temps sont futiles. Alors Loolie nous abandonne. A notre triste sort. Sort sans se retourner, reine capricieuse qui laisse les guys nous permettre d'atterrir en douceur. Immense ovation, mais elle n'est déjà plus là, fondue dans la foule. Disparue.

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    CARNET MONDAIN

    Présence remarquée de Tony Marlow et remarquable d'Alicia Fiorucci. Toutefois l'assistance aura regretté, l'absence de sa Majesté Speedrock.

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    Damie Chad

    ( Photos scène : FB :Bernie Zedungue )

    ( Photo tigre : FB : Alicia Fiorucci )

    28102017 / TROYES

    3 B

    NATCHEZ

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    La tribu des Natchez s'est sournoisement infiltrée dans le 3 B, le désert à vingt heures, difficile de se frayer un chemin à vingt et une. Depuis trente ans qu'ils mènent leur guerre indienne les Natchez rallient à eux les adeptes de la south-music. Si tu penses à la sardane perpignanaise, passe ton chemin, étranger au cerveau aussi pâle que ton visage. Ici nous sommes sur les territoires sacrés du rock'n'roll, ne pose pas tes pieds n'importe où, seuls de funestes serpents se vautrent avec délice sur les sables arides de cette fournaise mythique, mais si l'esprit de survivance des tribus massacrées habite ton âme, tu seras accueilli avec respect et sérénité.

     

    NATCHEZ

     

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    Non, ce n'est pas parti. Manque l'essentiel aux deux grands escogriffes. Leurs légendaires chapeaux noirs aplatis aussi importants à leur dégaine que le poncho et le cigare éteint à l'homme des hautes plaines. D'un peu le concert était annulé avant la première note, on l'a échappé belle mais les voici coiffés de leurs couvre-chefs indispensables à leur état de pistoleros déjantés. Marchent toujours par deux. L'un à droite, l'autre à gauche. Sortis tout droits d'un cinémascope de Sergio Leone, dégaine narquoise auréolée d'un fouillis de cheveux bouclés qui retombent en cascades broussailleuses sur leurs épaules. De sacrés tireurs. De ceux qui ne ratent pas leur cible même lorsqu'ils ne regardent pas dans sa direction. A chacun sa spécialité. Se ressemblent comme deux gouttes d'eau mouillées – sèches on ne voit plus rien – Facile de reconnaître Manu, c'est celui qui porte un sweat Fender et une Gibson – le dictionnaire médical Larousse nous éclaire : syndrome aigu de la schizophrénie du rock'n'roll vulgairement appelée la malédiction du rocker – en tout cas il sait jouer, vous sert de ces coulées de miel de frelon à vous rendre fou. Son alter-égo, Barbac'h tient aussi une guitare mais son instru, c'est surtout le chant, un gosier hérissé de chardons, in englishe and in french. Mais où sont les indiens ? Pourquoi ces hors-la-loi ? Pourquoi s'arroger le nom de Natchez lorsque l'on se présente comme un gang d'outlaws sans foi ni loi occupés à braconner le grizzli sauvage du rock'n'roll ? Ben, comme tous les bons indiens, ils sont tous morts. L'en reste tout de même un, le dernier, le surveillent de près, l'encadrent soigneusement. Une plume d'aigle accrochée sur sa guitare et une longue chevelure brune qui retombe sur ses épaules. Pourrait se nommer Nuage Rouge, Cheval Fou, Taureau Assis, mais a choisi de répondre au surnom des plus franchouillards de DD. Ruse ignoble, fait semblant de s'assimiler pour vous décocher dans le dos les flèches mortelles de sa basse dont il use comme d'un arc maléfique. Regardez bien son jeu, souvent il recule d'un pas, lève les deux bras et laisse les deux Kit Carson faire tout le boulot. Les deux autres sont à la bourre, pourchassent les coyotes du riff à en perdre haleine, lui il attend sans se buffalo-biler, et puis lorsque la bête est essoufflée il vous la zigouille de deux traits imparables, un dans l'œil droit et l'autre dans le gauche, juste pour leur démontrer que sans lui, la bestiole courrait encore. L'en reste un, que l'on ne voit presque pas. L'est très occupé, tricote de la layette sur ses cymbales. On ne peut pas le lui reprocher, sa tendre copine attend un bébé pour novembre, mais avec les coups incessants qu'il donne m'étonnerait que l'enfançon puisse fermer les mirettes avant longtemps.

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    Vous les voyez, ne vous reste plus qu'à les entendre. Répertoire aussi vaste que les grandes plaines. Rolling Stones, Creedence Clearwaler Revival, Lynyrd Skinyrd, Eagles, ZZ Top – vous reniflez le topo – tout ce qui contient de monstrueuses coulées de lave de guitares volcaniques – nous feront bien trois slows pour nous prouver qu'ils peuvent rouler en respectant les limitations de vitesse, mais z'ont une préférence pour les dégringolades qui tombent de haut, ou les virées sur la highway avec la caisse à fond, Manu s'envole pour les étoiles à chaque solo, d'ailleurs parfois on a l'impression que le morceau n'est qu'un seul solo, un long fleuve de feu qui n'en finit pas de monter jusqu'au septième ciel. Et là-dessus Barbac'h jette l'essence de sa voix sur le barbecue, flambée d'organe qui vous mène à l'orgasme auditif et primitif. Sans oublier les fourbes flèches de DD qui vous apportent la petite mort. Benjamin derrière sur sa machine à coudre se charge des finitions, du cousu-main de fer spécial-trappeurs. Ont aussi leur propres modèles. Style Electric Speed Woman. En profitent pour remercier l'ami Ritchie qui met un coup de rabot sur leur anglais – peu usité dans la Marne française – composent aussi en français, un mix de critique acerbe et d'humour incisif. Qui leur ressemble. Le sourire philosophique qui tue, sans se prendre au sérieux. Trois steaks de set, des brûle-gueules, à chaque fois davantage saignants. De la bosse de bison. Distribution collective avec invités-surprise.

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    Princesse Léna pour commencer. Du cheptel familial. Quatorze printemps, des yeux d'un bleu céruléen soulignés d'un sourire célestial, fluette, gracieuse comme une fleur, digne fille de Barbac'h qui lui laisse interpréter Chaman, l'est prêt à la secourir au moindre faux-pas, inutile précaution, l'est habitée par le courage et guidée par une détermination sans faille. Vous ressuscite l'esprit des bêtes et de la nature, vous guide dans le cercle des danses sacrées et sa voix rebondit comme grêle de sabots de broncos sur la roche dure.

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    Titi pour continuer. Non ce n'est pas le petit dernier de la famille, mais un dur-à-cuire qui a beaucoup vécu, guitariste des Rednecks et de Flagstaff, l'est invité à prendre une guitare, choisit celle de Manu qui tout de suite se jette sur son râtelier pour se saisir d'une Gibson – comportement typique d'un sujet gravement atteint, nous renseigne encore le Larousse Médical, pathologie lourde et insistance qui frise la perversité mono-maniaque – mais arrêtons la consultation, Manu laisse à Titi le temps de se chauffer les doigts, en profite pour nous faire une démonstration, et hop c'est à Titi de se jeter à l'eau, pas un adepte de la brasse coulée, l'est clair qu'il préfère le crawl frénétique, allume toutes les bougies du boogie en une seule fois, et puis tous deux se rapprochent face à face et se lancent dans un chant alterné, un note à note prodigieux qui vous file le frisson de la mort verte, DD s'immisce entre eux et avec son plus grand sérieux sardonique de peau-rouge imperturbable, il s'amuse à caresser sans fin sa plus grosse corde d'un seul doigt répétitif, puis s'éclipse de l'air dégoûté de l'artiste souverain...

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    Enfin Pascal, repéré dans l'inter-set, le guitariste de l'ancien groupe Gang aujourd'hui dissous, et qui a déjà joué en première partie de Natchez, lui aussi commis d'office et au pied levé à poser ses poignes sur une guitare. Encore un qui n'a pas les doigts palmés. Une touche plus nerveuse, plus rock que south-side, bref un de ces petits bonheur qui vous aident à vivre dans ce monde d'inconséquences. Hélas, il se fait tard, même en tenant compte du changement d'heure. Béatrice la patronne surgit toute émotionnée... pour demander un ultime morceau, très long, du genre de ceux qui ne s'achèvent jamais, et les Natchez, crevés mais tout heureux, nous donnent la joyeuse aubade des petits matins du bout de la nuit. Merci Béatrice !

    Bref une nuitée rock'n'roll comme on les aime. Rouge brûlant.

    Damie Chad.

    ZINES

    TU SAIS PAS

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    Troisième vidéo – visible sur You Tube - de Zines. On n'est pas sérieux à dix-sept ans dixit Rimbaud, Zines apporte comme un démenti. Fond noir tâché d'encre violette, deux visages qui n'en forment qu'un qui clignotent comme pour marquer qu'il est difficile de s'ancrer dans la stabilité du réel. L'histoire d'une séparation, celle du rêve avec l'image statutaire et statuaire du rap. Des touches impressionnistes de clavier tombent en gouttes de pluie lentes. Létales. Deux voix très légèrement décalées qui se suivent de près pour marquer l'incertain malaise, lorsque les yeux intérieurs s'ouvrent sur le monde, que l'on se penche sur le puits des abîmes et que l'eau croupie vous renvoie un portrait qui ne correspond pas. Le mythe de la rapcaille s'écaille, l'on est toujours un autre, que les autres voilent. Zines déchire le voile de Tanit, le rideau se lève sur le néant de la pellicule vide. Aucune couleur ne s'impose que la béance du noir. Zines délivre le message de la désillusion. La vie est plus facile que l'on ne croit. Rien ne sert de se grimer pour faire le clown. Les dieux ne sont que des valeurs fiduciaires qui n'ont plus cours chez le peuple des hommes. Il existe une mince fêlure – comme un zeste d'orange amère – entre la vie et l'existence. Un gouffre obscur que l'on s'empêche de voir. Son nom peut être solitude. Zines y porte le regard. Sous le flot noir clapotent les monstres du nihilisme et des croyances mortes. Tout constat auto-identitaire se confond davantage avec l'échec qu'avec le jeu. Drame hamlétique des hochets de la figuration percés au jour de la nuit. Voix de petite fille finale comme un regret d'innocencece qui s'éloigne. Définitivement.

    Zines continue son chemin. Même dans les voies sans issue de la déréliction. L'on dit que la sagesse vient avec l'âge. Mais ce sont là sentences insipides. C'est la cruauté qui apporte la maturité. Zines écarte la tenture. Nous ne savons pas encore ce qu'ils découvriront derrière, mais nous attendons avec impatience. Sont déjà sous des sentes dissidentes. Entre le mur et l'affiche, le tout est de savoir ce qui s'y colle. Ne semblent pas être du genre à s'y engluer. A suivre. Ne pas perdre de vue.

    Damie Chad.

    BLUES ET FEMINISME NOIR

    ANGELA DAVIES

    ( Editions LIBERTALIA / octobre 2017 )

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    Sweet Black Angel des Rolling Stones lui est dédié. Angela Davis est une figure emblématique de la résistance noire aux Etats-Unis, adepte des Black Panthers, accusée de meurtre pour avoir organisé l'évasion de trois militants lors de leur procès – l'intervention des policiers ayant provoqué la mort du juge et de deux des accusés – elle n'a cessé toute sa vie d'être présente dans tous les combats de libération politique, économique et culturelle du peuple africain, américain- pour reprendre une de ses terminologies. Le combat féministe ne lui est pas étranger. A tel point qu'elle prit en 2013 position contre l'interdiction de porter le voile dans les services en relation avec le public en France. L'on sait à quelle dictature pro-islamique a abouti la revendication du port du foulard dans les universités en Turquie, présenté alors comme un simple signe de liberté individuelle...

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    Les cent quarante premières pages de ce livre portent la marque de ce féminisme exacerbé et use d'une méthode un tantinet exaspérante. Ce n'est pas que ce qui est avancé et théorisé soit particulièrement faux, retors ou pervers. Passant au crible les paroles des titres de Ma Rainey et de Bessie Smith, Angela ne rate jamais une occasion de rappeler que si les femmes noires ont subi dans les années vingt et trente la domination des mâles blancs, elles ont en prime dû se débattre contre les violences exercées à leur encontre par le virilisme noir. Cette affirmation nous paraît justifiée mais répétée des dizaines et des dizaines de fois, reprise systématiquement en introduction et en conclusion de chacun des extraits de textes ainsi décryptés, elle en devient lassante. Bis repetita placent certes, mais le mieux est aussi l'ennemi du bien. Au bout d'un certain temps cela tourne à la ritournelle exaspérante de suffragette en mal d'arguments.

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    Faut passer par-dessus cette méthode répétitive à outrance qui ne peut que vous encourager à abandonner la poursuite de la lecture. Car enfin, nous sommes en bonne compagnie, celle de Ma Rainey, celle de Bessie Smith, et surtout celle du blues. Julien Bordier, le traducteur a tenu à faire précéder sa traduction en français des titres cités du texte anglais original. Notons qu'Angela Davis use de l'expression langue anglaise pour désigner ce beaucoup s'obstinent depuis une vingtaine d'années à nommer américain. Dans le même ordre d'idée Julien Bordier s'est refusé de transcrire l'anglais des noirs en parler petit nègre, ses versions sont donc rédigées en un français des plus corrects, bien loin de ce galimatias qu'employa par exemple Marguerite Yourcenar dans Fleuve Profond, Sombre Rivière, méthode qui pour lui revient à conférer toute sa dignité à ce langage à part entière qu'est le Black English.

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    Angela Davis part en guerre contre les idées reçues quant au lyric des textes de blues. On les tient trop souvent pour une étroite transcription des plus réalistes du vécu des noirs. Très centrés sur le quotidien le plus plat, dépourvus de toute ambition critique et politique. Ouvrez les yeux si vous vous aventurez dans les blues. Ce ne sont pas de simples bluettes, mais des pièges à blancs dont les mâchoires se referment sur vous sans que vous les sentiez. Même pas mal, vous traversez le champ de mines sans qu'elles explosent, et parvenu sain et sauf de l'autre côté vous regrettez de vous être déplacé pour si peu. Vous avez tort. Les noirs comprenaient le véritable sens des paroles, leur portée symbolique est loin d'être anodine, et l'humour n'est que le mouchoir du désespoir.

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    Ma Rainey et Bessie Smith ne furent pas de faibles femmes. De véritables matrones qui parlaient haut et fort. Le blues est une musique sexuelle. Non pas parce que le sexe est une des composantes essentielles de la vie de tout un chacun. Ma Rainey appartient à la première génération née après la fin de l'esclavage. Le droit de choisir son partenaire est une des deux libertés sur lesquelles les lois dites de Jim Crow rapidement édictées pour empêcher les anciens esclaves de vivre pleinement leur indépendance ne purent araser. Les hommes ne sont plus des étalons reproductifs et les femmes des porteuses désignées de forts bébés destinés à travailler dur dans les champs. La liberté sexuelle sera vécue comme l'exercice plein et entier de la dignité retrouvée. Ma Rainey, chante ses nombreux amants, préfère les biens membrés qui savent y faire aux maladroits maladifs. L'on est loin des romances lamartiniennes. Mais il y a pire, ne crache pas sur les copines, collectionne les amantes, cette revendication homosexuelle est pratiquement incongrue au début de ce siècle. Les blancs tirent des mines dégoûtées, imités par ces bourgeons de middle-class noire qui commence à poindre... Bessie Smith suivra le modèle défini par Ma Rainey.

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    La deuxième liberté qui échoit aux noirs depuis deux siècles rivés de force dans les plantations est la possibilité de pouvoir se déplacer à leur guise. L'on cavale sans arrêt dans le blues, on ramble interminablement, à travers les états, du Sud au Nord et du Nord au Sud, car ailleurs l'herbe est rarement plus verte... ces cavalcades incessantes – à pieds ou en train - si elles permettent de démultiplier les possibilités de rencontres amoureuses, n'en sont pas moins pourvoyeuses de sourdes colères, car très vite l'on s'aperçoit que l'on tourne en rond dans un espace plus vaste mais dont les voies de dégagement restent bloquées.

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    Ma Rainey et Bessie Smith sont davantage que des chanteuses. De véritables idoles. Le public parcourt de longues distances pour assister à leurs tours de chants, mais elles sont surtout des exemples vivants qu'un autre monde est possible, que la femme n'est pas obligée de recevoir sans se plaindre les horions de leur maris ou de leurs amants, que le désir traverse les genres, que c'est dans sa propre vie qu'il faut d'abord gagner ce respect qui plus tard se traduira par la bataille des droits civiques.

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    Le blues sera la matrice du politique. Il influe, l'air de rien, à mots couverts, l'idée de classe. Le racisme n'est que le cache-sexe de l'exploitation des pauvres et la nécessité de les tenir dans la misère économique et culturelle afin de ne pas écorner les bénéfices, de ne pas renoncer aux privilèges. Rien ne sert de se plaindre. Ni d'imiter les maîtres blancs. Le blues est la musique du diable car il remet en question l'acceptation de la situation sociale prônée par la musique du dieu blanc. Terrible partition du peuple noir, déchiré entre le badigeon rose de l'acceptation de l'Eglise et la vie en bleu sombre. Déchirement qui n'épargne pas les individus en leur intimité. Ma Rainey passera les dernières années de sa vie à refuser de chanter le blues pour s'occuper exclusivement de sa congrégation. Une fin de vie de renégate si l'on y réfléchit. Mais nous userons de charité chrétienne envers elle, elle a tant donné dans ses meilleures années que nous l'absolvons de son péché de bêtise absolue. Bessie Smith ne condescendra pas à se renier. Elle meurt d'un accident des la route en ramblin'woman qui se respecte. Au bon moment, car beaucoup de noirs pauvres qui accèdent à un semblant de mieux-être se détournent du blues qui rappelle d'une façon un peu trop crue le chemin parcouru. Mais Bessie n'est pas qu'une chanteuse de blues, elle est une artiste, son expressivité, sa façon de dire plus que les mots proprement dits par le seul fait de les moduler, influenceront beaucoup les musiciens, l'on peut dire qu'elle allume le flambeau au jazz.

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    Dernier chapitre consacré à Billie Holyday. Elle n'est pas une chanteuse de blues proprement dite. Elle n'aura pas la possibilité de composer ses propres morceaux. Les temps ont changé. Columbia lui choisira d'office ses titres. D'insipides chansonnettes sentimentales. Mais elle n'est pas pour rien la digne héritière de Bessie Smith, la rudesse du moonshine ne provient pas de la bouteille mais de sa distillation sauvage. Filez-lui un refrain à la noix de coco et elle vous le transforme en drame shakespearien. Tout dans l'interprétation. Encore plus douée que Bessie. Mais beaucoup plus abîmée par la vie. L'alcool, la drogue, les amours, mais avant tout son impossibilité à supporter le racisme quotidien, trop de couleuvres, trop d'anacondas à avaler chaque jour. Une immense colère l'habite. Qui la poussera à enregistrer Strange Fruits, malgré sa maison de disques qui s'y oppose et qui finira par peur du scandale à le sortir sous une sous-marque. Elle le paiera très cher. Mais c'est ce morceau pour lequel elle tient à se battre chaque soir avec les organisateurs des concerts et les patrons des lieux où elle se produit afin de l'imposer à tout prix, bravant toutes les interdictions... Traiter Strange Fruits de première chanson contestataire serait un euphémisme, elle fut la mère de toutes les batailles, l'étincelle du réveil de la conscience noire. Tout comme Bessie Smith l'influence de Billie Holiday sera aussi grande sur le jazz qui était en perte de vitesse. Les musiciens trouvent un nouveau public en reprenant les airs des morceaux qu'elle enregistra et mit à la mode, ils deviendront leurs thèmes de prédilection...

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    Ne pas oublier l'hommage appuyé à deux écrivains noirs Langston Hughes – ai dû vous présenter dans KR'TNT ! l'ensemble de ses textes disponibles en langue française - et Zora neale Hurston, firent tous deux partie de la mouvance artistique de la Harlem Renaissance, ils furent les seuls à revendiquer l'héritage du blues dans leurs œuvres alors que l'ensemble des autres artistes se détournèrent de cet héritage séminal, préférant calquer leur démarche sur les canons esthétiques de la littérature blanche. Démarche volontaire d'auto-acculturation qui en dit long sur les cheminements obscurs des esprits si pénétrés des rapports de domination qu'ils pensent lutter contre leurs néfastes emprises alors même qu'ils sont en train de renoncer à la spécificité idiosyncrasique définie par leur peuple. Souvent les esclaves s'affranchissent des maîtres en adoptant leurs habitus culturels, phénomène d'assimilation intellectuelle qui n'est pas sans danger car il gomme les rapports de classe et ressemble à s'y méprendre à une trahison inconsciente. Ces renonciations expliquent pourquoi aujourd'hui de nombreux africains, américains n'osent plus regarder le blues en face.

    Damie Chad.

    PS : Le livre est accompagné d'un CD que nous chroniquerons dans notre livraison 347.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 226 : KR'TNT 345 : CYRIL JORDAN / KIDZ GET DOWN / MERCENARIES / THE BLUES AGAINST YOUTH / NUCLEAR DEVICE / PUNK & ANARCHIE

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 345

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    26 / 10 / 2017

    CYRIL JORDAN

    KIDZ GET DOWN / THE MERCENARIES /

    THE BLUES AGAINST YOUTH / NUCLEAR DEVICE /

    PUNK & ANARCHIE

    Monsieur Jordan - Part Two

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    La bonne nouvelle, c’est le dernier album des Groovies, Fantastic Plastic. On les croyait rincés, on les disait dépassés, on les taxait de has-been, on les plaignait d’être si vieux, on les prenait à la légère, on les enterrait vivants, on s’en lavait les mains. Quelle erreur d’appréciation ! Un mec aussi féru de rock que Cyril Jordan ne peut pas décevoir. Comme Lux Interior, Jeffrey Lee Pierce, Peter Perrett et d’autres, il ne vit que pour ça, le rock, et son dernier album n’en finit plus de nous le rappeler. Cyril Jordan fait partie des gens qu’il faut continuer de suivre à la trace, ces rockers de quarante ans d’âge qui sèment derrière eux la poussière d’étoiles dont on se nourrit depuis l’adolescence. Comme tous les gens de sa génération, il est entré dans la phase critique de la soixantaine, mais sur scène, il fait encore illusion. C’est tout ce qui compte. Qu’attend-on de plus d’un groupe de rock ? Un bon concert et accessoirement un bon album ? Dans le cas des Groovies, on est gâtés. C’est même inespéré. Leur set tient sacrément bien la route, Cyril semble ravi de pouvoir encore monter sur scène avec une section rythmique et un chanteur, c’est ce qu’il a voulu faire toute sa vie, et ça continue. Tant mieux pour lui. Pour cette tournée européenne, il a combiné un drôle de petit set, un panaché de cuts du nouvel album et quelques reprises triées sur le volet. Oh pour ça, on peut lui faire confiance, il a toujours eu le bec fin. Les connaisseurs ont pu apprécier son clin d’œil aux Raiders, avec un «Hungry» bien enlevée et poppy à souhait. Cyril a toujours adoré les Raiders, souvenez-vous de sa fantastique reprise d’«Him Or Me». On connaît mal les Raiders en Europe. Ce groupe était une véritable usine à tubes, aussi prolifique que les Monkees, tant dans la qualité que dans la quantité. Leurs albums sont aussi indispensables que ceux des Standells ou des Beach Boys. Cyril tapait aussi dans NRBQ avec «I Want You Bad», une reprise qu’on retrouve d’ailleurs sur Fantastic Plastic. Comme les Raiders, NRBQ est une véritable institution aux États-Unis. Souvenez-vous que les Stones envisageaient d’embaucher Joey Spampinato pour remplacer Bill Wyman.

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    Sur scène, notre pépère Cyril retrousse ses manches, il met du cœur à l’ouvrage, il se campe sur ses jambes écartées pour mieux riffer, il affiche une mine décidée, il s’immerge dans le son, il noyaute bien sa légende. Il tient toujours à ce que les Groovies se distinguent de la masse. Il y a chez lui quelque chose d’élitiste, au sens culturel, l’homme est fin, il cultive une vision, on le sait car il la développe à longueur de pages dans Ugly Things, sa posture relève à la fois de l’érudition et de l’innocence, au sens de l’ado féru, celui qui creuse pour apprendre les choses qui l’intéressent, comme par exemple les accords de guitare, les marques de certains vêtements, les endroits où sont enregistrés certains albums, les noms des gens qui composent les groupes chouchoutés, cette multitude de petits détails qui font la richesse d’un monde magique. Quand on voit Cyril Jordan sur scène, il ne faut jamais oublier qu’il sort d’une caverne d’Ali-Baba, celle qu’il a patiemment fabriquée de ses propres mains pendant toute sa vie. Dans ce cas précis, tout relève à la fois du sacré et de l’illusion. Idéal quand on sait que le monde réel ne vaut pas tripette, n’est-ce pas ?

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    Et comme le public se compose essentiellement de fans, Cyril les soigne en saupoudrant son set de vieux classiques imparables : «Teenage Head» (systématiquement massacré au chant depuis que Roy Loney n’est plus là), «Shake Some Action» (complètement dévitalisé par l’absence de George Alexander - sa bassline faisait partie des modèles qu’on travaillait dans les années soixante-dix quand on voulait apprendre à jouer de la basse), «Slow Death» (même problème que Shake, la bassline de George Alexander amenait tellement de punch - et Danny Mihm amenait tellement de swing - aujourd’hui on a autre chose, une rythmique de dominantes, il faut faire avec) et «Jumping In The Night», histoire de boucler le panorama.

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    Sur scène, «What The Hell’s Goin’ On» fait dresser l’oreille. Avec ce cut tiré du nouvel album, Cyril opère un spectaculaire retour vers la Stonesy. Comme s’il revenait au bercail. L’épisode beatlemaniaque de l’album Shake Some Action sonnait un peu faux. À part le morceau titre, le reste de l’album pouvait laisser sur sa faim, surtout après une triplette aussi parfaite que Supersnazz/Teenage Head/ Flamingo. Avec la Stonesy, Cyril se sent comme un poisson dans l’eau. Il joue son What The Hell à la petite dépouille de son clair et tape dans la collection de riffs du vieux Keef. C’est précisément là que les Groovies reprennent tout leur sens.

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    D’ailleurs, What The Hell ouvre le bal de cet album grouillant de bonnes surprises. Ça gigote autant que dans une rivière à saumons. Un seul déchet à signaler : «I’d Rather Spend My Time With You». Cet instro qui se niche en B n’a ni queue ni tête. Aussitôt après la petite giclée de Stonesy, le spectre des Byrds vient hanter «End Of The World». On croirait entendre «So YouWanna Be A Rock’n’Roll Star», c’est exactement la même tension psychédélique, il se produit là un extraordinaire phénomène d’osmose avec le cosmos des Byrds. Oui, Cyril détient ce pouvoir surnaturel, il recrée cette vieille magie qui semblait figée dans le passé (un passé que Johnny Rogan tente lui aussi de réanimer à coups de bibles). Lors de son dernier passage à Paris, Cyril attaquait son set en chantant «I Feel A Whole Lot Better», mais cette fois, il va beaucoup plus loin, l’esprit des Byrds bouillonne en lui, son coulé de son renoue avec l’alchimie de l’ancien super-groupe californien. Le spectre des Byrds hante aussi «She Loves Me». Attaqué au fondu d’harmonies vocales, ce cut mélodiquement parfait embrase l’imagination. Le clair de lune à Maubeuge se transforme en coucher de soleil sur Malibu. Ce bec fin de Cyril tape aussi dans l’autre mamelle de la légende californienne, les Beau Brummels, avec «Don’t Talk To Strangers», fantastique foudu enchaîné de folk-rock et d’harmonies vocales. Cyril nous gave de cette pop californienne inimitable. Trop de son, trop de perfection. Un peu comme ces vacances au bord de la mer, jadis, quand il y avait trop de soleil, trop de baignades, trop de bien-être. Ça finissait par devenir louche. Suite du festin de son avec l’«I Want You Bad» entendu à la Maroquinerie, un son noyé d’arpèges magiques, solidement soutenu à la mélodie chant et éclaté à coups de poussées de fièvre harmoniques et de gammes poppy. Et quand on passe en B, on croit rêver car «Crazy Macy» semble sortir tout droit de Sneakers. Les Groovies renouent enfin avec leurs racines. Voilà un hit à l’ancienne, admirablement profilé sous le vent et caramélisé dans l’azur psychédélique, un cut irréel, avenant et mystérieux, fin et délicieux, et groové au mieux des possibilités. S’ensuit un autre sortilège pop intitulé «Lonely Hearts», une pure merveille d’androgynité raphaélite. Voilà encore un hit digne des Beau Brummels.

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    Puisqu’on parlait de phénomènes de mimétisme avec les Byrds, en voilà un autre, cette fois avec Canned Heat : «Just Like A Hurricane» sonne exactement comme «Let’s Work Together», avec peut-être un brin de gras double en plus, mais pas tant que ça. Le pompage est probablement inconscient. Il faut savoir qu’une cervelle de guitariste s’encombre facilement de riffs et de gimmicks entendus à droite et à gauche, et comme la nourriture qu’on avale, ça finit par ressortir d’une façon ou d’une autre. Dans le cas d’Hurricane, ça paraît flagrant. La structure boogie du cut ne trompe pas et Cyril joue ça au pur jus de gras à la Vestine. Il s’agit peut-être d’un hommage inconscient, allez savoir. Il n’empêche que cet album continue de sonner comme un festin de roi car voilà «Fallen Star». Cette pop psyché à fort parfum byrdsien tient tous les sens en éveil.

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    Une fois de plus, Cyril tape en plein dans le mille. On croyait les Groovies largués, mais non, au contraire, ils sont en pleine renaissance, avec un album qui sonne déjà comme un classique du genre. Ils bouclent avec un «Cryin’ Shame» qui monte directement au zénith power-poppy. Les Groovies n’en finissent plus d’écumer le vieux triangle des Bermudes californiennes, tel que défini par les Byrds, les Beau Brummels et les Beach Boys.

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    Signé : Cazengler, Flamine de rien

    Flamin’ Groovies. La Maroquinerie. Paris XXe. 14 septembre 2017

    Flamin’ Groovies. Fantastic Plastic. Sonic Kicks Records 2017

     

    MONTREUIL / 21 – 10 – 2017

    LA COMEDIA

    KIDZ GET DOWN / THE MERCENARIES

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    Direction Montreuil, quittons les délices du rockab pour le purgatoire du punk, direction La Comedia, l'antre-soi undergound des groupes les plus improbables. Découvertes en tous genres garanties. Laboratoire expérimental, fusion et recherche. Brocante du (dé)passé, boutures du futur. Entrée libre mais respectueuse. Public fidèle et varié. Tout âge. Tout sexe. Tout ce que voulez. Et ne voudriez pas. Car comme disait Empédocle attirance et répulsion se partagent le cœur de l'homme. Ambiance fervente et sympathique. Mettez un repère sur ce repaire rock.

     

    KIDZ GET DOWN

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    Plus grands que des kids. Surtout Tommy Tall qui gigote et pogote sur place – scène pas exigüe mais un peu juste pour quatre zigues. Donc Long Tall Tommy qui assure aussi la rythmique mène le bal, pile énergétique gonflée à bloc, j'avais adoré ses vocalises durant la balance – rien à voir avec un soprano mozartien, genre picture horror show, mais là l'a domestiqué son organe, un peu moins de turgescence, parfois plus creux, comme la suaverésonance d'un poumon de grabataire tuberculaire. C'est que si l'affiche proclame punk rock, Kids Get Down ne sont pas tout à fait du genre je-joue-à-fond-qu'importe-si-je-me-brûle-la-cervelle. Mêlent du ska ( suffit ! ) et des relents de reggae dans leurs refrains. Ce qui freine. Je ne suis pas un adepte convaincu de ce punk à la Clash qui ne fonce pas jusqu'au bout du crash. Mais je dois reconnaître qu'ils déménagent bien. Neveu Pierre à la batterie amasse la mousse. N'en rase pas pour autant les murs. Aligne les galets comme la mer les roule à Etretat. Pas de fadaises sur les falaises : marée haute d'équinoxe déferlante, infatigable, increvable, inlassable, de la galopade drumique comme on l'aime, le gonze fonce, défonce, enfonce le rythme en zone rouge. Bassiste à l'honneur, centerfield entre les deux guitaristes, Tanguy tangue, houle de mer qui épouse la coque qui se profile, tantôt de force quatre je me gondole à la Marley I Know a Place, tantôt bateau de plaisance je plaisante force 6 à la Special coup de vent It doesn't Make It Alright, enfin avis de tempête étrave de pirate Monsanto World. Le public donne l'impression de préférer les deux premières options. Manu DK n'use pas d'une lead décaféinée, l'enchaîne les morceaux à fond de tombereau, préfère le hachis saignant à la meringue de mérengué, à croire qu'il n'aime pas trop çà, un adepte du passage du riff en force, tout droit et sans s'attarder sur le troisième temps. Refuse de mettre le pied dans la chaloupe du calypso. Kidz Get Down – émane de cette appellation un parfum de rythme sautillant post-Beatles – heureusement qu'il y a kidz pour nous mettre all right – n'ont pas les deux pieds dans le punk destroy, des morceaux comme Nightmare ou Sweat Earn Buy & Dye – titre de leur dernier album dont la soirée est la release party – emportent toutefois notre adhésion.

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    THE MERCENARIES

     

    S'installent sur scène. Aux premières notes de la balance, j'échange un regard navré avec Patrick, rencontré dans l'inter-set à qui vous devez les illustrations de cette chronique prélevées sur Lived-pat sa chaîne You Tube. Du pur reggae ! Je me demande même si je ne vais pas me perdre ailleurs dans la nuit montreuilloise. Mais ce qui suit aussitôt me séduit. Casquette plate sur la tête – l'est vrai qu'il est difficile de la placer ailleurs – Loki se lance dans un rap. Normalement je devrais déraper, mais c'est très beau avec pour seul accompagnement la basse de Franky qui lui tricote une pulsation de velours. Décide de rester. J'eusse commis une belle erreur de m'échapper.

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    Cinq sur scène. Z'ont collé Jo Robine et son clavier sur l'extrême gauche, contre le mur. Dès qu'il ouvre le robinet de son orgue, c'est le jardin des délices de Jérôme Bosch dans les oreilles. Je ne sais comment il a trafiqué son engin, un simple Roland qui au vu de son armature a beaucoup vécu – c'est célestial, l'aigu et la couleur qui ne se discutent pas, une foudre de miel dans vos tympans, en plus souvent il se permet de jouer d'une seule main, laissant son bras gauche levé vers le plafond en signe de profonde jouissance.

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    Z'ont relégué Mad Phil contre l'autre mur de l'angle droit qui abrite la scène, racisme ordinaire dont les batteurs sont les victimes habituelles, cet ostracisme n'a pas l'air de gêner ce grand fou de Phil. L'est à son affaire. Pour lui le monde se limite à ses peaux. Ne lui en faut pas plus. Petit espace et grand parcours. La mise en équation de ce dilemme se résout par la constance V. Comme Vitesse. Joue à toute bourre. Ne cherche pas midi à quatorze heures ni les éléphants au pôle Sud, vous remplit l'espace phonique d'un roulement incessant. Vulcain est à la forge. Frappe tarentelle qui tourne en rond comme l'araignée de l'imagination dans votre cerveau. Le reggae à cette vitesse, ça me convient parfaitement.

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    Surtout que devant ils ont mis en exposition les bibelots les plus précieux. Les bijoux de famille. Trois chanteurs. Pas un de plus, pas un de moins. Franky bien sûr toujours avec sa basse nerveuse et sa voix voilée qui déjante joliment. Loki lui, luit à la lead. Un rocker, un vrai, un pur et dur. Ne peut pas riffer sans donner l'impression qu'il se prépare à bombarder Hiroshima, et quand il donne de la voix, l'est teigneux mes beaux messieurs comme un bas-rouge qui s'est accroché à vos parties et qui n'en démord pas. Chaque fois qu'il ouvre la bouche ou qu'il touche une corde de sa guitare, vous avez l'impression que vous êtes arrivés au plus profond de l'enfer.

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    Ben non, vous êtes au Paradis. Car il y a une Eve au milieu de la scène. Somptueuse, blonde et charnelle. Une géante. Bad Ness. L'ange luciférien. L'a dû avaler le démonique serpent enroulé autour l'arbre. Elle a la voix qui djente et feule à mort. Pas du genre à trainasser sur les syllabes, n'étire pas les mots sur un kilomètre, vous les crache à la gueule, à la punk attitude. Z'ont un morceau qui s'appelle Héroïne, n'en ont pas un qui s'intitule haschisch. Quand ils accentuent le contre-temps vous avez l'impression d'un drakkar Viking qui débarque dans un village normand. Un coup de bélier qui vous pulvérise le pont-levis d'un château-fort en moins de temps qu'il ne m'en faut pour l'écrire, ensuite ce sont les scènes d'égorgement habituelles à l'intérieur des murailles. Je ne sais si c'est parce que tout le monde déteste la police ou parce que le monde entier préfère les voleurs mais quand ils attaquent Police and Thieves – de ces damnés Clash – c'est la folie dans la foule, ça bouge sévère dans tous les azimuts. N'oubliez pas que par-dessus le marché dans ce capharnaüm bordélique Jo Robine vous claironne de ces nappées baptismales d'orgue pour messe noire en rut majeur.

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    Patrick – comme moi un adepte du rockabilly, me regarde et hoche la tête. Ce n'était pas si mal. C'était même très bien ! Alfred de Musset avait raison : Il ne faut jurer de rien. Même pas de la haine imprescriptible que tout rocker se doit de porter au reggae. L'est vrai que l'on a une excuse, celui des Mercenaries est particulièrement enragé.

    Damie Chad.

     

    Retour vers la teuf-teuf qui m'attend au paddock. Je marche dans la nuit noire. Je ne raconte pas d'histoire, mais voici que des bribes d'un chant solitaire de cowboy retentissent au loin. Je ne suis pas fou, l'herbe de la prairie ne croît pas sous mes pieds, je foule un vulgaire et urbain bitume. Et pourtant sur cette vaste asphalte ce n'est pas une hallucination auditive, et voici que des ombres menaçantes se profilent à l'horizon. Seraient-ce des tueurs de la Western Union Bank qui m'attendent pour me faire la peau, moi l'ami des Indiens qui soutient et pétitionne pour la libération de Léonard Peltier arbitrairement en prison depuis quarante et un an ? Je n'écoute que mon courage, et m'avance sans trembler. C'est un beau jour pour mourir. Pas de panique, j'arrive devant L'Armony, ce sont des fumeurs qui tirent sur une clope et pas sur moi, et par la porte entrouverte c'est bien de la chouette musique américaine qui s'échappe. Un aigle s'éveille dans mon coeur.

     

    MONTREUIL / 21 – 10 – 2017

    L'ARMONY

    THE BLUES AGAINST YOUTH

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    Je fends la foule. Et me faufile devant. Toujours pensé que dans les concerts, c'est comme dans la phalange macédonienne où il fallait être en première ligne pour profiter du spectacle. Il est tout seul, plus tard j'apprendrai qu'il se nomme Gianni Tbay et qu'il arbore The Blues Against Youth comme nom de scène.

    Solitaire mais fort occupé. Chante, joue de la guitare, est assis devant un kit de batterie qu'il manipule de ses pieds délatéralisés, souffle dans un kazoo, et comme je n'assisterai qu'aux trois derniers morceaux me dis qu'il j'ai aussi dû rater quelques épisodes instrumentaux. En tout cas j'ai saisi la beauté du chant et compris d'emblée la portée de son entreprise. Retour aux roots. La voix rurale ce qui n'exclut pas la sophistication, et l'instrumentalisation rudimentaire. A part qu'il a un son de guitare fabuleux. Pas étonnant qu'il propose sur la table de son merchandising un T-shirt comminatoire qui porte le portrait de Robert Johnson. Les coupeurs de cheveux en quatre ne manqueront pas de remarquer avec ironie que les trois morceaux entendus sont davantage d'obédience country que blues. Exactly my lords, et je préciserai même qu'ils louchent fort du côté du folk. Sans oublier que Blues et country sont des rivières parallèles qui comme Rhône et Rhin coulent selon les déclivités opposées d'un partage des eaux, mais qui proviennent d'un réservoir commun.

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    Reste à expliciter cette nomination incompréhensible pour les esprits artificiels. Une pure provoc adressée à l'immense majorité de la jeunesse qui écoute de la musique aseptisée et robotisée, et qui dans son ignorance manifeste vis-à-vis du vieil idiome du blues une arrogance méprisante. Dans certains milieux américains ce reproche se larve d'insultes : blues musique d'esclaves, early-country musique de pauvres. L'on n'a que ce que l'on mérite. Si vous n'êtes ni libres, ni riches, ne vous en prenez qu'à vous. Morale classiste libertarienne, dernier avatar du puritanisme biblique.

     

    APPRENTICE

    THE BLUES AGAINST YOUTH

     

    Enregistré à Rome entre février 2014 et février 2015.

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    Keep it goin' : petite intro, music only, juste pour vous montrer comment une guitare sonne, et pleure, si vous ne comprenez pas qu'elle imite le mocassin qui rampe vers vous, vous avez tout faux. Medium size star bound : la même chose mais sur un tempo rapide, les cordes se tassent quand la voix s'élance, et explosent en mille éclats de verres qui se plantent dans vos yeux quand elle se tait, facile, Tbay en siffle de contentement, manière de se moquer de vous, mais ensuite, bon prince éblouissant il vous offre un festival de sons slide serpentifiques. Barbed times : l'on tient le rythme en plus appuyé, l'harmonica imite le train ( sans se traîner ), la guitare prend la relève et une voix de femme vient soutenir l'aède, la grande tradition country, relevée d'un zeste de Dylan. Instead of nothing : plus près de Zeppelin que de Robert Johnson pour l'éparpillement cordique alors que la voix n'hésite pas à yodeler comme un cow-boy dans un film de Roy Rogers ou sur un disque de Jimmie Rodgers. Somebody settles down : plus lourd, plus grave, plus moderne, malgré les cavalcades de la guitare et les lampées de l'harmonica, rudesse du sud. Lonesome whistle blow : la guitare gémit comme le vent dans les roseaux des poèmes de Yeats, erreur s'agit de la reprise du standard d'Hank Williams, ne prend même pas la peine de forcer l'accent du Sud, c'est la guitare qui se charge du l'épineuse plainte. Prend son temps et nous notre plaisir. Call it quits : changement de vitesse, la voix glapit, pulse et marque l'urgence. La guitare tintamarre et les accords s'éparpillent comme fleur de cactus contenue durant un siècle qui explose enfin. Confusion énergétique comme il en règne dans les meilleures réalisations stoniennes. Boundless : l'a encore de l'énergie, le morceau est confit de voix comme le foie gras d'un canard nourri au grain, d'ailleurs la six-cordes picore comme une poule pressée de pondre. Wish pile blues : après deux ébouriffements de guitares, retour au old style, la voix sous le projecteur comme celle d'un vieux film, guitare en sautoir, narquois sifflotements, l'on a dû beaucoup s'amuser à enregistrer cette pseudo ballade pour générique d'ouverture. Got blood in my rythm : démonstration de ce que l'on doit savoir faire si l'on espère jouer dans la cour des grands. Une architecture galopante qui n'est pas sans rappeler la diabolique aisance de Johnny Cash. The lake : tout doux comme une eau dormante. Mais profonde, froide et glacée. Attirante et langoureuse comme une ondine. Mortelle beauté. Sans voix. Basse funèbre. Apprentice : orgue en sus, n'empêche que la guitare scintille, qu'un cliquetis de tambourin s'entête et que la voix coyotise, moane, et beugle pour marquer sa présence. Très fort. Laissez dérouler. Une petite surprise à la fin.

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    A écouter sans fin. L'oreille aux aguets. Y a toujours un truc que vous n'aviez pas remarqué. Le détail que vous n'aviez pas perçu et qui change tout. De ces disques trop riches que l'on est loin d'épuiser en dix fois. Un siècle d'histoire de la guitare blues et de son bâtard nommé rock'n'roll subsumée en douze plages. De toutes les manières, c'est déjà inscrit sur la pochette, iguane et ne perd pas.

    Damie Chad.

     

    45 REVOLUTIONS PAR MINUTE

    NUCLEAR DEVICE / 1982 – 1989

    HISTOIRE D'UN GROUPE

    ROCK ALTERNATIF

    Daniel '' Chéri Bibi '' Paris-Clavel

    Patrick ''Kiox'' Carde & Nuclear Device

    ( Editions Libertalia / Association La boîte à outils )

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    Nuclear Device. Inconnu au bataillon. En plus moi et le rock alternatif français ce n'est pas l'amour fou, ça me hérisse le hérisson auditif... mais c'était le seul livre résolument rock que les courageuses et dissidentes Editions Libertalia avaient en exposition... alors je l'ai pris. Faute de tigre on adopte un chat. Bel ouvrage, couverture cartonnée, bien mis en page, illustrations couleur, question artefact musical n'en suis pas ressorti convaincu mais si tous les groupes qui ont existé pouvaient se targuer d'avoir une rétrospective bouquinière aussi intelligemment agencée ce serait parfait.

    L'est bâti sur un principe simple : l'aventure est racontée par dix-neuf de ses protagonistes. Dans l'ordre chronologique. Je supposons quelques réunions, quelques interviews solitaires et Chéri-Bibi – le numéro 20 - a dû se coltiner le mix. Au final récit vivant et coloré, les anecdotes ne se contredisent point mais les différents point de vue entrecroisés sur un même processus s'allument de reflets réciproques. Très agréable à lire, l'on a sans cesse envie de savoir comment les évènements relatés de page en page vont finir par se goupiller.

    L'histoire est toute simple. Naissance d'un groupe, son itinéraire, sa dissolution. Circulez, il y a encore à voir : ce que sont devenus nos jeunes héros dans les vingt-cinq années qui suivirent. Tous autant qu'ils sont, font preuve d'honnêteté intellectuelle et d'esprit critique. Aucune acrimonie, aucun nauséabond relent de nostalgie mortifère.

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    Quinze ans au moment du punk. Pourraient focaliser sur les Sex Pistols, remonter le courant New York Dolls, Stooges, MC 5, mais non ils prennent le mauvais embranchement, se renquillent sur The Clash, et sur ses aspects les moins mythiques, les plus miteux, les grosses valises de ska et de reggae que les faussaires transportent en douce... A leur décharge, faut préciser qu'ils sortent de nulle part, de la seule ville de France qui ne vit que vingt-quatre heures par an. Du Mans. Je mens en plus : d'Allonnes. Alone dans la cambrousse. Deux frères. Pascal ( chanteur ) et Patrick ( guitariste ). Même pas capables d'être maltraités par leurs parents. Sont aimants, leur filent dans la tête plein d'idées belles et généreuses. Mouvance PCF. Arrive Chris ( batteur ), à eux trois ils formeront le noyau initial. S'adjoindront Charlu ( bassiste ) – un mec bien qui écoutait de Gene Vincent au collège – Loïc ( ami de la première heure ) et plus tard Jean-Marc ( saxophoniste ) qui relèvera le niveau musical de l'orphéon. La galère normale : l'on se rencontre au collège et dans les environs, on forme un groupe, on trouve enfin un local de répétition, les premiers concerts, on est loin d'être des cadors – l'on ne s'inscrit pas pour rien dans la queue de comète du punk – mais ce n'est pas le plus important, Nuclear Device est avant tout une école de vie. L'auberge espagnole de l'éducation populaire, chacun partage ses connaissances, et ce sentiment de rébellion instinctive qui agit comme un ciment englobeur. Une belle aventure, l'ouverture au monde, l'arrachement à la force de la gravité sociétale. Normalement, tout devrait s'arrêter là, ne devraient rester que les beaux souvenirs de l'entrée dans la jeunesse, quand on arrive à vingt ans, que l'on est devenu la petite gloire locale du coin, il est urgent de se dire que ce n'est qu'un rêve, que les copains et les filles qui vous suivent et entretiennent cette douce illusion de fête perpétuelle, tout cela ne durera pas, qu'il faut être réaliste, que ce semblant de mai 68 culturel et intérieur que l'on a suscité n'est qu'une ridelette dans le verre d'eau de vos cerveaux qui se craquèlent comme le poussin qui brise la coque protectrice de son œuf, faudra bien en faire tôt ou tard son deuil, que la société honnie veille sur votre avenir, qu'elle vous chaponnera un de ces jours et que vous passerez bientôt à la casserole des illusions perdues.

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    Nuclear Device possède leur arme secrète. Leur énergie. Sont les premiers à ne pas en mesurer l'importance. Certes ils ne sont pas aussi seuls qu'ils le croient. Sont représentatifs de tout un courant de la jeunesse française encore souterrain et invisible, les choses bougent sans qu'ils s'en aperçoivent depuis leur lointaine province. A Paris l'on s'agite beaucoup plus, une mouvance alternative est en train de se donner les moyens d'apparaître au grand jour. Des groupes similaires voient le jour comme Corazon Rebelde, les Brigades, OTH, Parabellum... N'ont même pas la prime d'être arrivés avant tous les autres... Ne sont pas les meilleurs du monde, mais sur scène, ils arrachent tout. A la suite d'un concert, Rock Radical Records leur propose d'enregistrer un disque. Le genre d'opportunité qui ne se refuse pas. Z'ont le bras dans l'engrenage. Changent de braquet. Enregistrent un maxi 45 Tours, pas un chef d'oeuvre impérissable mais une belle carte de visite qui leur ouvre les portes de la Capitale. Radikal Records se transforme en Bondage. Sera avec Boucherie Productions la principale maison de disques du mouvement Alternatif qui décolle. Les deux auberges illustrent bien les deux branches constitutives du rock alternatif français, Bondage est plus idéologique, politique, critique... Boucherie insiste sur le côté festif, une résurgence du vieux fonds gaulois, la déconnade érigée en principe de révolte... Les Béruriers Noirs seront le groupe phare de l'époque.

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    C'est le grand saut pour Nuclear Device. Leur quotidien change d'échelle. Abasourdis par le public parisien, des punks comme s'il en pleuvait, n'avaient jamais imaginé une telle concentration au mètre carré. Punks très vite doublés sur leur droite par les Skinheads. Nuclear Device n'aime pas les fachos, les éjecte de leurs concerts, font appel au service d'ordre et de protection de Bondage pour écarter les nazillons et interdire la présence des croix gammées sur les blousons. Nuclear a ses convictions et ne cache pas son foulard rouge dans sa poche sous une pile de mouchoirs sales. S'amusent beaucoup. Tournées homériques et aristophanesques. L'on n'est pas sérieux quand on a vingt-cinq ans. Les groupes se bombardent amicalement de farine et d'œufs pourris. L'on brûle les meubles et l'on défèque dans les chambres des hôtels sordides qui vous reçoivent mal...

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    Ne faut jamais oublier que pendant que vous rigolez le monde n'arrête pas de tourner. Ils enregistreront d'autres 45 tours et deux albums dont le dernier dans un vrai studio qu'ils jugent raté. Ne maîtrisent pas la technique et emportés par le tourbillon ils n'ont pas le recul nécessaire, leur faudrait un œil extérieur qui soit capable d'indiquer une direction... La réalité les attend au tournant. Deux défections dans le groupe qui n'avance pas, qui tourne en rond, qui recule. Changement de nom : ND remplace Nuclear Device, rien ne sert de repeindre la façade si la boutique d'en face propose mieux. Les Bérus se sont séparés, la Mano Negra les remplace  allègrement dans le cœur du public. Savent jouer ces satanés travailleurs au noir, sont plus doués, dépassent tous les autres groupes qui visaient la première place. Sont meilleurs en point c'est tout. N'y a pas photo. Les carottes sont cuites. Pour les ND c'est d'autant plus râlant que les cinq doigts négroïdes reprennent une de leurs caractéristiques, mêlent de l'espagnol à leurs fromages sonores... Pire encore  la Mano Negra franchit le Rubicon. Est le premier groupe du mouvement alternatif underground adepte de ce que l'on n'appelait pas encore le Dye ( Do It Yourself ) à intégrer une major. Perdent leur virginité, signent chez Virgin. L'ère d'innocence est terminée, la prostitution marchande exploite le filon, et fait du blé avec le bébé...

    ND splitte d'un commun accord... le dernier chapitre du livre raconte leur retour à la vie réelle, ne se débrouillent pas si mal, musique, imprimerie, graphisme les occupent. Certains montent même des entreprises. Ont préservé l'essentiel, le groupe n'existe plus mais la tribu est toujours là, les ponts ne sont pas coupés, dispersés mais prêts à s'entraider. Ne font pas de beaux mariages mais vivent intensément...

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    Le livre raconte tout cela, donne la parole aux filles qui ne foncent pas tête baissée dans les récriminations féministes habituelles, et à des figures essentielles du mouvement alternatif comme Marsu et Dom. Se dégagent de tous ces interviewes une grande maturité. N'ont peut-être pas concrétisé tous leurs rêves mais ont au moins essayé. Ce qui est déjà beaucoup. Et relativement rare quand on regarde autour de soi. Figures sympathiques qui témoignent avec simplicité et lucidité de leur expérience humaine. Rock'n'roll et amitiés. Que voulez-vous de plus ?

     

    Le livre est accompagné d'un CD.

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    Arriba Espana Abajo la dictatura : un véritable programme politique, Nuclear Device ne vous cache pas ses préférences, une belle intro guitare et batterie, hélas tout cela périclite en un reggae qui avance à la vitesse d'un gastéropode en retraite, les vieux anarchistes n'ont plus la frite de leur jeunesse. A moins que ce soit le contraire. Dans tous les cas c'est dommage. Hariba Grimzi : c'est vrai que ça ressemble à Indochine, les Nuclear s'en préoccupent à plusieurs fois dans le bouquin, ne pas y voir une copie admirative refoulée mais une rencontre hasardeuse due au manque de dextérité instrumentale. Se différencient par une influence ska sous-jaccente. Servitude nationale : apport du saxophone qui repeint les volets. Du coup c'est le vocal qui manque de punch. C'est sûr qu'il ne faut pas donner l'impression de péter une forme olympique quand on milite pour l'abolition du service militaire. Je reconnais qu'il faut être cabourd pour aller se faire tuer pour les bénéfices des marchands de canon. Desperados : refrain espagnol, un peu de désordre musical, une véritable armée mexicaine en déroute, z'auraient pu s'inspirer de La Horde Sauvage de Peckinpah ou de la musique tex-mex plus appropriée que cet ersatz de dub. Lettres de fusillés : rythme sautillant pour accompagner des extraits de lettres de fusillés de la Résistance. Difficile d'en saisir la signification, joie du héros sûr de sa cause ? Rupture ou contradiction avec les paroles de Servitude Nationale? Ambiguïté ou maladresse dialectique ? Pretoria Basement Dub : anti-apartheid en Afrique du Sud, encore des intonations vocaliques indochinoises, se réfugient dans de longs passages instrumentaux. N° 34 48 : dub à train d'enfants surexités, l'énergie des Nuclear Vice s'apparente à de l'enthousiasme festif. Des tics musicaux que l'on retrouve sur les disques de Bernard Lavilliers. Coscorron Steady Beat : instrumental ennuyant. L'aurait fallu doubler le sax par une véritable section de cuivres. Rock steady du pauvre. Mal produit ajouterons-nous parce que nous sommes méchants. Deprisa Vivre vite : ont imaginé leur propre musique d'ambiance pour Deprisa le film italien. Ce n'était peut-être pas la peine vu le pays d'origine de mettre des éclats de flamenco, des orchestrations à la Bella Ciao auraient été mieux indiquées, mais considéré en soi-même le morceau est bien ficelé avec son riff de guitare sixty. C'est encore du côté du vocal que ça pêche le plus. Aïe, Aïe, Aïe ! Ouvea : contre la police – déjà à l'époque tout le monde la détestait – et son intervention dans la grotte d'Ouvéa en Nouvelle-Calédonie qui se termina par neuf morts pour ne pas dire neuf assassinats. Utilisent le même schéma dichotomique : guillerette music pour grave sujet. Quartier noir : moins réussi que les deux précédents malgré de beaux aboiement du sax, mais le vocal trop grossier écorche mes pauvres oreilles. Je suis un évadé : traitement des cuivres à la Muscle Shoals, de tout coeur avec cet évadé que l'on aimerait aider et cacher. Il chante mal, mais l'on fera un effort, notre bon cœur nous perdra. Street Urchin: rythme serré, un effort sur le vocal, l'ont mixé avec le reste, se sont gardés de le mettre en avant. Le morceau y gagne en cohérence et en densité. Des progrès peut-être pas remarquables mais remarqués. Ruski Hata: contre la répression de la révolution hongroise, à écouter en se souvenant de la triste évolution des pays de l'Est libérés de la main de fer soviétique, mais à l'époque ne pouvaient pas savoir, sont contre les ventes d'armes qui servent à écraser le soulèvement des peuples. Sur les murs : appel à la révolte, un beau magma sonore, graphitis phoniques. Desperados : enregistrement public '' in vivo '' en leur fragnol militant, version qui n'apporte rien de décisif, trop de mollesse de décrochage entre parties vocales et musicales. Ont essayé d'équaliser sans y parvenir. Ont confondu avec égaliser. Deprisa : même commentaire que sur le précédent. Partisans : le chant des partisans, débité à toute vitesse. Intentions louables. Résultat hideux. La modernisation est souvent l'autre nom de la régression. Ici esthétique. Frontières : tristement d'actualité. Un des très rares morceaux du cd bien en place. S'écoute avec plaisir. Guantanamera : Joe Dassin l'avait déjà commis, l'ont perpétré une deuxième fois. Mode d'emploi habituel, l'on accélère le tempo même pas pour finir plus vite, car quand ils tiennent un rythme ils ne le laissent pas de sitôt, y mélangent quelques citations de la Bamba.

     

    Si vous aimez la Mano Negra, Zebda et Sergent Garcia, vous allez adorer. J'ai aimé le récit, mais le disque me tombe des mains. Ce qui est effrayant, c'est de penser que presque trente ans après les Chaussettes Noires, ils ne font pas mieux. Je parle des enregistrements, pas des lyrics. Ce qui était pardonnable en 1960 est une faute en 1990. Ne sont pas les seuls responsables. Se sont débrouillés tout seul, ont fait ce qu'ils ont pu. Je ne vois qu'une explication à ces maladresses. Font partie de ces générations qui ont perdu un contact étroit et direct avec la musique populaire américaine. Ont cru qu'ils pouvaient faire aussi bien en écoutant et en mélangeant le tout venant auditif dispensé sur les radios et les catalogues des nouveautés des maisons de disques de l'époque. Ont cru s'ouvrir au monde. Se sont dispersés aux quatre vents des modes. Vous n'êtes pas obligés de me croire, j'ai toujours été épidermiquement, instinctivement, intuitivement rétif au rock alternatif français.

     

    PUNK ET ANARCHIE

     

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    La maison d'éditions Libertalia fêtait ce samedi 14 octobre ses trente ans d'existence. Exposition, vente de livres et diverses présentations d'ouvrages à paraître. Le cinéaste Tancrède Ramonet montrait en avant-première quelques séquences – non définitives - du troisième volet de Ni Dieu Ni Maître. Rappelons que les deux premières parties de ce documentaire consacré à l'histoire de l'anarchie diffusé sur Arte a quelque peu percuté la conscience du grand public à qui pour la première fois était longuement révélé tout un pan de l'histoire du mouvement ouvrier largement méconnu. Genre de babioles que l'on n'enseigne guère dans les lycées, victimes d'une longue conjuration du silence, autant celle de la bourgeoisie aujourd'hui triomphante que des partis communistes de nos jours en perte de vitesse.

    Les deux premiers épisodes relataient l'histoire des luttes et des révoltes depuis la cristallisation de la pensée théorique du mouvement au dix-neuvième siècle jusqu'au désastre de la guerre d'Espagne. Le troisième et dernier épisode en préparation couvre les années années 1945 à 2001. Est intitulé Les Réseaux de la Colère.

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    Le mouvement anarchiste ne s'est pas encore relevé de sa défaite espagnole. Ce ne sont pourtant pas les raisons de se révolter contre les injustices et les inégalités qui manquent... d'ailleurs la nouvelle façade libérale du vieux monde craque de partout. Mais durant la seconde moitié du siècle précédent le mouvement anarchiste ultra-minoritaire n'est pas au rendez-vous. Selon Tancrède Ramonet, ce sont pourtant les ferments des pratiques anarchistes qui sont à l'origine des nombreuses luttes qui n'arrêtèrent pas d'essaimer durant ces cinquante années. Rappelons-nous de la joyeuse année 1968, et surtout surtout ces phénomènes de remise en question qui ont bousculé les jeunes générations. L'en cite plusieurs comme les revendications féministes, la prise de conscience écologiste et l'émergence du phénomène rock, notamment le tsunami punk.

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    Nous sommes gâtés, le projet de séquence rock nous est dévoilé. Rappelons le principe de la série : des interviews de militants oculaires, et une voix off qui fait le lien entre diverses archives cinématographiques. Ces dernières ne sont pas données, exemple concret : une minute de concert de Sex Pistols coûtent cinq mille euros...

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    Donc quelques minutes consacrées au rock pour résumer un mouvement qui court sur cinq dizaines d'années, je conçois que l'on simplifie quelque peu l'argumentation. Un point sur le rêve de fraternité hippie, San Francisco, l'été de l'amour, l'échec du mouvement qui butte sur cette notion de non-violence que la police ne respecte pas, l'apparition des Diggers qui instituent les distributions gratuites de repas, les magasins à prix libre... les rockstars comme David Bowie et Eric Clapton enivrés de leur pouvoir médiatique qui tiennent des propos douteux pour ne pas dire fascisants... la réaction punk expression d'une saine rébellion contre le rock des cadors qui se pompiérise et devient ennuyant, l'on s'attend à quelques images de Yes ou de Genesis, ben non, ce sera Elvis Presley à Las Vegas. Pauvre Elvis, y avait longtemps à l'époque que le public rock s'était détourné de lui, n'intéressait que les nostalgiques, des mères de famille au bord de la ménopause, des ménagères qui se donnaient l'impression de revivre leur jeunesse en s'offrant pour l'anniversaire de leur mariage le spectacle du King... On ne le haïssait pas, on ne s'en gaussait point. L'était considéré comme un destin pathétique mais pas comme un bouffon. Il serait bon que ces images employées à contre-emploi soient écartées. Tancrède Ramonet devrait réfléchir à la différence godardienne entre juste une image et une image juste.

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    Petite mise au point nécessaire, mais ce n'est pas là où je voulais en venir. Un tel docu, nous l'avons vu, demande des moyens financiers importants. Les deux premiers épisodes ont été en partie aidés par Arte, mais étrangement pour celui-ci toutes les chaînes de Télé et autres institutions culturelles sollicitées se détournent... L'on comprend facilement pourquoi, les évènements relatés dans les deux premières parties se déroulent en un passé relativement lointain. Par contre celle-ci est en prise directe avec notre actualité, la naissance des mouvements qu'elle conte sont à l'origine de ces tumultueuses contestations radicales de plus en plus partagées et de plus en plus vindicatives qui bouillonnent de nos jours.

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    Ce n'est pas cette explication que l'on avance à Tancrède Ramonet. Les médiatiques responsables de notre société se targuent de démocratie. Ils détestent toute forme de censure. Surtout politique ! Ce sont des esprits ouverts. Alors ils ont trouvé le reproche adéquat. La séquence punk ! Qui serait trop ceci, trop cela...

    Un prétexte bien sûr ! Une excuse grossière ! Une ruse cousue du fil blanc de la réaction ! Mais le simple fait que certains puissent encore en 2017 se prévaloir de l'épouvantail du rock'n'roll, démontre à l'envie que notre musique n'est pas tout à fait morte !

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 225 : KR'TNT 344 : LORDS OF ALTAMONT / SPUNYBOYS / STEVE PEREGRIN TOOK / ( LONG )CHRIS / TRY ROCK & ROLL / TWILIGHTERS / BLUES & CO

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 344

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    19 / 10 / 2017

    LORDS OF ALTAMONT / SPUNYBOYS

    STEVE PEREGRIN TOOK / ( LONG ) CHRIS

    TRY ROCK'N'ROLL / TWILIGHTERS / BLUES & CO

    Altamont là-dessus et tu verras Montmartre - Part two

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    Jake Cavaliere semble sortir d’une cour de lycée. En tous les cas, il refuse de devenir adulte. Haut et mince, on ne voit que lui. C’est le but. La rockstar doit se voir comme le nez au milieu de la figure. Et ce plus que dans n’importe quel autre domaine artistique. Quelque chose dans sa physionomie indique clairement une sorte de prédisposition. Dans l’Égypte antique, le paysan qui voyait passer Pharaon sur son char devait se dire la même chose. Ce n’est pas vraiment une affaire de grâce. Parlons plutôt d’une affaire de configuration atypique, d’une stature, d’un certain port de tête, en somme, quelque chose de très concret qui finit par confiner à l’abstraction. Rien à voir avec la beauté. Jake Cavaliere n’est pas beau, loin de là, mais il dégage quelque chose de spécial. Chez lui, la minceur revêt un caractère pathologique puisqu’elle remonte jusqu’au crâne qu’on dirait aplati des deux côtés. Sa coiffure de cheveux plaqués renforce encore cette impression, ses cheveux encadrent son visage comme le ferait un casque de centurion : deux garde-joues de cheveux noirs descendent jusqu’au bas de la mâchoire se fondre dans des rouflaquettes mal fournies. Son visage paraît taillé en sifflet et ses petits yeux renforcent encore l’impression de croiser une fouine humaine. Il n’observe pas la salle du bar, il l’introspecte avidement. Ses cheveux noirs de jais paraissent taillés pour épouser la forme de son crâne étrangement oblong. Jake Cavaliere est ce qu’on appelle chez certains cinéastes une trogne. Quand Federico Fellini et Jean-Pierre Mocky montaient le casting d’un film, ils partaient à la chasse aux trognes. C’est la raison pour laquelle leurs films frappent tellement l’imagination des gens : ça grouille de trognes. Les trognes rendent les situations burlesques. Elles renforcent considérablement le pouvoir d’évocation. Elles donnent du sens à la grandiloquence du trash. Elles rendent certaines scènes inoubliables.

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    Pour consolider ses effets, Jake Cavaliere soigne bien sûr son accoutrement. Il ne porte que du noir : blouson de biker angelino avec le nom du concessionnaire dans le dos (Johnson Motors. Inc. United States Distributor. 36 W Colorado Street. Pasadena. California), jean taille basse et très gros ceinturon à boucle posé sur le bas des hanches, grosse chaîne de portefeuille à la pendouille et du tatouage en veux-tu en voilà. Les ailes d’un aigle remontent de l’encolure du T-shirt jusque sous la mâchoire et confèrent à sa pomme d’adam un statut impérial. Le mot LOVE est tatoué sur les doigts de la main droite et LOST sur ceux de la main gauche. Et quand il ôte son cuir pour jouer sur scène, il montre la suite de son impressionnante collection : sur ses bras, il ne reste pas un seul centimètre carré de peau qui ne soit pas tatoué. Jake Cavaliere ne fait pas les choses à moitié. C’est la raison pour laquelle on l’aime bien. Le ronchonneurs diront qu’il n’invente pas la poudre. Jake pourrait leur répondre qu’il n’est pas là pour ça. Dans un mauvais western spaghetti, il ajouterait qu’il est surtout là pour la faire parler.

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    Les Lords Of Altamont figurent aujourd’hui parmi les rois de la scène. Leur rock plonge des racines avides dans la culture du fameux Californian hell (bikes, death, drugs & Lucifer), dans une tradition garage qui remonte aux Standells et aux Seeds, dans la vampirisation de la Stonesy, dans l’énergie du all nite long typique des surdoués de la défonce angelinote (les Calforniens ont toujours mis un point d’honneur à pulvériser tous les records - hédonisme pour David Crosby, trash éthylique pour Charles Bukowski, wild acid overdride pour Dickie Peterson - et ce qu’on en sait montre que ça va si loin qu’on se demande comment ces gens-là s’y prennent pour agir avec autant de panache. Car vous le savez bien, lorsqu’on est vraiment défoncé, ça peut devenir compliqué de briller en société). Cette notion de démesure est capitale, en ce qui concerne Jake Cavaliere. Tout l’édifice des Lords repose sur cette démesure. Ce serait un château de cartes si Jake Cavaliere n’était pas aussi bon. Il n’en finit plus de consolider son impact scénico-icônique. Il semble qu’avec le temps, les Lords s’améliorent encore. Il se pourrait aussi que les bonnes vibes de l’Escale viennent encore renforcer cette nette impression d’amélioration. Ce bar havrais est un lieu taillé sur mesure pour recevoir un groupe comme les Lords. On peut même parler de conditions idéales : salle sans prétention, public sans prétention et groupe sans prétention. L’essence même du rock - the hardest core of rock’n’roll, dirait Mick Farren - et l’impression toujours plus nette que ce bar havrais devient le lieu idéal pour les concerts de rock. L’anti-thèse de la Gaîté Lyrique.

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    Si tu vas les voir jouer sur scène tu en auras pour tes dix euros. Tu passeras une bonne soirée, ce qui est toujours le but de l’opération. Tu verras opérer la magie d’un groupe américain et tu comprendras que ces gens-là amènent dans le rock une énergie spécifique. Tu comprendras aussi que le garage reste malheureusement l’apanage d’une petite élite. Quand on traîne au Cosmic, on voit trop de groupes misérables se priver d’avenir. Le garage est un genre ô combien difficile. Il ne suffit pas de porter une chemise à pois. Il faut s’appeler Jake Cavaliere, Kid Congo ou Leighton Koizumi pour savoir jouer à ce petit jeu, c’est-à-dire qu’il faut avoir les moyens physiologiques de l’incarner. Comme lorsqu’on parle du punk-rock : il faut s’appeler Steve Jones pour que ça marche, sinon, on voit à travers.

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    Jake Cavaliere s’est voué à son art, comme on entrait jadis en religion. Son set vaut tout l’or du monde, ses albums tiennent joliment la route. Une heure trente de set et pas un seul déchet. Les Lords stompent et blastent à tours de bras, ils n’en finissent plus de réinventer ce vieux garage complètement éculé. En rappel, ils font même une reprise du «Live With Me» des Stones, histoire de rappeler à un public qui n’achète plus de disques que Lords Take Altamont est le meilleur album de reprises des Stones de tous les temps. Mais ça, on l’a déjà expliqué en long, en large et en travers dans le Part One. Sur scène, Jake sort le grand jeu, il secoue la paillasse de son orgue, lui grimpe dessus, prend des poses historiques, il saute, il se cabre, il n’arrête pas une seule seconde, il redonne du sens à l’esthétique de l’art scénique, ça tombe bien, car on est là pour ça. Ce mec pense à tout, il crée des liens avec le public, le remercie d’être venu et Dino, le guitariste aux cheveux crépus, envoie un double blast de giclée riffique, histoire de ratatiner les dernières poches de résistance.

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    Les Lords pulsent un garage jouissif qui ne se prend surtout pas au sérieux. Ils sont à la fête et nous aussi. Ils renouent avec la tradition perdue des grandes fêtes païennes, un temps où les âmes communiaient spontanément dans l’animalité, en dehors de toute contrainte morale et esthétique, comme disait le despote Breton. T’as voulu voir Vesoul et t’as vu Altamont, t’as voulu voit Montmartre et t’es monté là-dessus pour voir les Lords. Bim bam, «Like A Bird» sonne comme l’uppercut de Marcel Cerdan, ah les fesses d’Edith en savent quelque chose, et bam bim boum, tiré de Midnight To 666, «Get In The Car» bingotte en plein dans le mille du bigorneau. Le set des Lords tourne comme une grosse cylindrée de ramalama, la métaphore est si parfaite que ça file sous les étoiles, ils ressuscitent «Action» et «$4,95», deux vieux coucous de Lords Have Mercy, et même ce vieux «Live Fast» qui fit tant d’étincelles, ces mecs jouent les infatigables, comme s’ils transpiraient à peine, ça blaste à qui mieux-mieux, on va de garage drive en garage share, de garage down en garage up, ça shebamme, ça powe, ça bloppe et ça wizze comme au temps béni des sixties, mais avec une dimension cavalierique sourde et profonde, quelque chose qui n’appartient qu’à lui. On parle ici de transsubstantiation garagiste.

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    Le roadie des Lords vendait The Wild Sounds Of The Lords Of Altamont 25 euros. Un peu cher mais qu’est-ce qui n’est pas cher aujourd’hui ? Tiens, tant qu’on est dans les interrogations existentielles : c’est un bon album ?

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    La réponse est dans la question amigo, tu n’as qu’à mettre la galette sur ton pick-up et tu verras arriver «Like A Bird» comme un énorme slab de hard drive monté au beat rebondi car frappé si sec. Tu noteras l’admirable aisance des Lords à pulser le pulmonaire du garage et Dani Sindaco va même te shooter des petites giclées d’adré à point nommé. Jake t’y raconte l’histoire d’une bird qui se prend pour un bird. Alors il la somme de se décider : Stay or go/ Go go go ! S’ensuit un «Been Broken» beaucoup plus énervé, une sorte de petit prodige d’anti-équilibre. Les Lords vont vite et ne craignent pas de se casser la gueule, emportés par leur élan, ils dévalent une forte pente caillouteuse à toute allure. Autre surprise de taille : Jake Cavaliere sonne parfois comme Iggy. Tu en as la preuve dans «Going Downtown» (il retrouve les accents de l’Iggy d’«I Got A Right») et dans «Can’t Lose» (Jake descend les marches chromatiques comme l’Iggy de Let’s go down to my favourite place). Autre bonne raison d’adorer ce disk : «Take A Walk», joué dans la première partie du set au heavy stomping psychhhh, un stormer d’une redoutable efficacité. Jake y bombarde son beat. Voilà un cut bien binaire et donc idéal pour des brutes comme les Lords. La surprise vient surtout d’une reprise d’«Evil», l’un des classiques que composa Big Dix pour Wolf. Jake y joue la carte du guttural. Il a raison, car il peut aller screamer au fond du bois et tu te régaleras de la belle bassline de Rob Zimmermann. Voilà une cover dynamique en diable, ce qui semble logique, vu le titre. L’autre classique garage se trouve en B : «Death On The Highway». Les Lords ne traînent pas en chemin, ils savent trousser un hit de garage pressé. Par contre, les textes de Jake ne volent pas très haut - Blood on the concret/ Better move along - Leurs cuts n’ont d’autre mérite que leur effarante efficacité. Le «Where Did You Sleep Last Night» n’est pas celui de Wolf, ne rêvons pas. Il s’agit d’un simple cut de rock nappé d’orgue et emmené à marche forcée vers le néant luciférien du fatidique Californian Hell.

    Signé : Cazengler, Lord of Altéré

    Lords Of Altamont. L’Escale. Le Havre (76). 10 octobre 2017

    Lords Of Altamont. The Wild Sounds Of The Lords Of Altamont. Heavy Psych Sounds 2017

    12 / 10 / 2017 / LAGNY-SUR-mARNE

    LOCAL DES LONERS

    SPUNYBOYS

     

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    C'est la faute à Totone rencontré par hasard sur le quai de la Gare de l'Est alors que nous étions en train d'attendre un train annulé. Remarquez que si le banlieusard convoi était hors-circuit le billet n'était pas remboursable... Donc Totone qui me remet la pendule mémorielle à l'heure «  On se voit vendredi aux Loners avec les Spuny ? ». Ouf merci, j'ai failli manquer le ravage de l'année ! Première fois que je dois remonter deux fois la longue et large rue pour que la teuf-teuf puisse se glisser dans un interstice stationnaire. Un monde fou, à croire que tous les bikers de la terre et tous les amateurs de cet old style qui never dies, se sont donnés rendez-vous. Qui oserait rater le concert de rentrée des Loners ? A l'intérieur c'est la caque de harengs saurs, d'ailleurs c'est quand on sort pour se rafraîchir entre les deux sets qu'un bouchon d'autoroute du 15 août vous oblige à prendre patience. Pour ma part j'y ai renoncé. Tout compte fait les Spuny me suffisent. Qu'avons-nous besoin de fraîcheur nocturne quand le rock'n'roll flamboie !

     

    POUR UNE APPROCHE SCIENTIFIQUE

    DU SCHEMA FONCTIONNEL

    DES SPUNYBOYS

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    Pas besoin de grand-chose pour monter un combo à la Spunyboy. Suffit d'un batteur. Précisons, pas n'importe quel batteur, pas un qui bat de l'aile, ni un qui branle bas, par contre obligatoirement un qui bat comme plâtre, un qui cherche la bâton pour vous abattre, un qui bataille victorieuse, qui batte de baise ball and chains , qui baratte à mort, qui balourde à bâbord et qui balance des armures d'amure à tribord, ne cherchez pas sur la mercuriale du marché, il n'y a en qu'un, un certain Guillaume qui, par hasard balthazar, bosse chez les boys spuniaques. Suffit pas de battre le beurre rance, faut encore la frappe idoine. Exacte, au pétale de pivoine près. Faut que ça pète sec et que ça loufe lourd. Pas de résonance, pas de réverbération phonique, le coup et c'est tout. Pas doux, plein atout. Pas besoin de s'attarder, l'on passe au suivant sans attendre. La grosse caisse à bout portant, la charley qui ne chuinte pas, les toms à l'atome et la caisse claire très foncée. Bref le Gui-Gui il vous bâtit le squelette, pas le genre femmelette aux bras d'allumette, non des murs de fémurs, des ténèbres de vertèbres, des cumuls de mandibules, des plate-bandes d'omoplates, un stentor pantocrator, un terminator qui vous alligatorise d'une seule frappe.

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    Une fois que vous avez déniché le rapace, vous êtes tranquille. Plus besoin de rien. Ou plutôt deux fois rien. Mais pas de ceux qui foutent rien. Sur la gauche, vous posez un bassiste. Rien de plus simple qu'un bassiste. Prenez le premier qui passe – par exemple celui-ci qui s'appelle Rémi et qui officie chez les Spunic Boys - et filez-lui une contrebasse. Ne confondez pas avec une haute-contre. Rien à voir. D'abord pensez à l'esthétique. Qu'il ait une banane hippopotamique, pharaonique, porte-avionique, supersonique, cela vous habille un rocker encore plus qu'un perfecto, mais ce n'est qu'un détail, qui tue. En plus vous voudriez qu'il sache jouer de la contrebasse ? Non c'est inutile. Sont des milliers de contrebassistes à jouer de la contrebasse dans le monde. Aucune imagination. C'est d'un vulgaire inouï. Ne s'agit pas de jouer de, mais de jouer avec. Verbe du premier groupe à polyvalence variable vous enseigneront les narratologues. Faut qu'il soit comme le gosse à qui vous venez d'offrir un train d'électrique qu'il vous le jette en l'air et qu'il vous le piétine de rage en hurlant. Pas question qu'il commence sagement à assembler les rails, exigez le déraillage immédiat, préférez qu'il plante sauvagement les wagons dans le bras de sa petite sœur avec un sourire d'enfant chérubinique de chœur. Ensuite ne pensez plus à rien. Laissez faire la nature. Elle revient au galop. Pas spunique, hunique.

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    Vous en avez assez avec les deux zigotos précédents ? Je vous conseille tout de même de poster un guitariste sur la droite, ce n'est pas qu'il soit indispensable, mais ça se fait dans le rock. Vous êtes les premiers à rouspéter au resto quand il manque une saucisse de Strasbourg dans votre choucroute. Prenons un exemple au hasard : tiens au pif, Eddie des Spuny. Un prénom rock de chez rock. L'est sur scène, bien sûr qu'il ne sait pas quoi faire, alors pour se donner une contenance, puisqu'il a une guitare entre les mains, faute de mieux, il en joue. Tout pour se faire remarquer. Personne ne lui demande rien. Mais il asperge les arpèges. A tout bout de champ. Dans l'incapacité totale de laisser ses deux camarades philosopher sereinement dans leur coin. Ramène sans arrêt sa fraise. A collerette. Pas le gars charmeur qui laisserait par mégarde s'échapper deux ou trois inoffensives couleuvres à collier, non pas du tout, vous darde d'aspics mortalifères destinés à vous envoyer ad patres au plus vite. Méfiez-vous, souvent dans le rock les guitaristes sont particulièrement venimeux. Celui-ci de la pire espèce. Du genre il n'est jamais crotale pour mal faire.

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    Bon voilà, j'espère avoir été assez clair, la mécanique est remontée. Action !

    THE SPUNYBOYS !

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    Scène un peu étroite pour les Spuny. Guillaume est aux anges, squatte à lui tout seul les deux-tiers du territoire. Trône au milieu, derrière les pièces de son artillerie. Lance la poinçonneuse sans tarder. L'a tous les plans dans ses poings. L'a raccourci les protocoles. Maximum d'efficacité et de force de frappe. Minimum, il ne connaît pas. N'a pas l'article en son rayon d'action. Et l'active dur. Des tours de passe-passe hallucinants. Prend de travers les chemins de traverse, ça les remet droit. Ligne directe. Héphaïstos dans sa forge forgeant le bouclier d'Achille. Du solide, parce que les deux autres héros ils n'apprécient pas le carton-pâte. Leur faut du solide. Leur sert de la tamponnade brevetée. Il pleut des grêlons de la grosseur d'oeufs d'autruches. Ça claque et ça cloque. N'arrête pas une seconde. L'est le démiurge primordial. La grosse aiguille de l'horloge qui indique l'heure d'envol et certifie celle du retour. Décide de tout, du poing final comme du lever du soleil.

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    Rémi s'adonne à son sport favori, le lancer de contrebasse. Maîtrise parfaitement. Le plafond bas ne lui permet pas les envolées lyriques, l'est privé de ses apothéoses altitudinales habituelles. Qu'à cela ne tienne il n'est pas à court d'imagination, sautille et gambade à côté d'elle avec la grâce d'une gamine de dix ans qui saute à l'élastique en cour de récréation, ou alors il saute dessus et tend une jambe bien haut en petit rat d'opéra qui toute fière tente d'atteindre la rampe d'exercice avec son chausson, parfois s'assoit dessus tout en haut et fait le pitre, tout en la faisant tourner sur elle-même, puis l'arrête, vous regarde avec des yeux rigolards, prend subitement la pause du Penseur de Rodin, fauche une casquette du premier rang, fait mine de donner quelques coups de pieds furibards à ses collègues, redescend enfin de son perchoir et continue à plaquer ses accords comme si de rien n'était. Doit avoir un léger creux, se couche par terre et essaie de l'avaler par le manche. Mauvais goût ?

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    L'envoie balader dans le public qui l'emporte on ne sait où, mais la ramène comme le chien fidèle qui rapporte la balle à son maître.

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    Ne partez pas ce n'est pas fini. L'est comme l'Apache que vous croyez tenir dans la poigne de fer de vos bras puissants. Vous pensez le vaincre. Pauvre de vous, sa main glisse et la voici armée d'un large coutelas qu'il vous plante dans le dos. Ce traître couteau qui vous assassine Rémi le sort de sa gorge. Pousse la goualante tout le long. Du nouveau dans le répertoire. Tous les cinq titres un classique de Little Richard. Ma ! Ma ! Ma ! Aoûûûh our souls ! Sauvez nos âmes, c'est trop beau, trop fort, trop puissant, sur ces morceaux de braise les Spuny sont incandescents, batterie, basse et guitare, se collent à la voix, ne forment plus qu'une rythmique folle, l'essentiel de la sauvagerie rock, ne soulignent plus, accompagnent ! Folie noire ! Les alligators sortent de l'eau et vous rongent les pieds. Ne boudent pas pour autant le rock anglais. Vont même jusqu'à exhumer un morceau de Cliff Richard dans la veine de ceux qu'il a commis de mieux du temps d'Apron Strings, en introduction à l'héritage ted qu'ils atomisent sans pitié. C'est là que l'on voit la classe des SpunyBoys, vous démontent les morceaux, mélangent les pièces détachées et vous les restituent selon une géométrie différente à leur guise, encore plus percutants et surprenants. Du rockartb ! Du nouveau sur les formes anciennes. Chamboulement dans les concepts. Idem pour leurs propres originaux. Ne les ont pas améliorés. Ne se sont pas pris la tête en petit comité, les ont mitraillés sur scène, après mille et un concerts à leurs actifs, en sont métamorphosés. Z'avaient des kalachnikovs, sont devenus des missiles. Les Spuny peuvent tout se permettre. Z'ont leur côté country. Un grand amour pour Johnny Horton par exemple. Mais quand ils le mettent en scène, rien ne manque, ni la petite maison dans la prairie, ni les grandes soirées de biture dans le saloon, juste un petit ennui, les sioux sont passés par là, ne reste plus que des cendres et des corps criblés de flèches. L'herbe bleue du Kentucky flambe et le désastre avance.

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    Va falloir télégraphier aux parents de Rémi. On a perdu leur grand garçon, l'a sauté dans la foule avec son instrument et le peuple cannibale des rockers s'est refermé sur lui. Moment d'angoisse, quel gaspillage, une contrebasse toute neuve, blanche comme une vierge de Raphaël, avec le logo des Spuny peinturluré en rouge hyménique sur sa peau ivoirine. Mais non, du fin fond perdu de la salle, il se lance dans un pharamineux solo tumultueux, Gui-Gui a capté le signal lointain, entre en communication avec lui, le guide pas à pas, tels les ingénieurs de la Nasa qui reprennent le contrôle d'une capsule égarée et la ramènent sur sa lampe de lancement. Ovation pour saluer son retour. Du coup il pose son engin contrebassiste sur ma tête, je suis ravi, je fais la promesse de ne plus me laver les cheveux jusqu'à ma mort. C'est qu'être au premier rang d'un concert des Spunyboys n'est pas de tout repos.

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    Un demi-mètre carré pour Eddie, apparemment ça ne lui suffit pas. Ce soir l'a l'âme vagabonde, un nomade insatisfait qui n'arrête pas d'échanger sa place avec Rémi. Le manche de sa guitare est trop long, dépasse de la scène, l'on jugerait qu'il cherche à vous assommer ou à vous éborgner. Prudentes les filles se reculent, reviendront en masse, lorsque Rémi dégoulinant de sueur tombera ses deux chemises successives, glapissent comme des hyènes et ricanent de plaisir en admirant ses pectoraux. Eddie reste insensible à ses frivolités féminines, l'est tout énamouré de sa guitare, ondule de plaisir chaque fois qu'elle miaule sur le toit brûlant de ses persillades riffiques.

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    Vous hache de ces grésils de notes qui vous entaillent le coeur, vous cisaillent le cerveau, que seraient les Spuny sans ses clous dont il vous transperce, il vous strombolise, il vous krakatoatise, il vous pitonise la fournaise. N'en peut plus, nous tourne le dos. Nous présente ses fesses – le monde s'affaisse - et fornique avec sa guitare. L'on ne voit rien, mais l'on entend sa longue plainte éruptive dont les échardes sonores nous déchirent les tympans et nous inondent d'une jouissance jusqu'à lors inconnue des rockers... Eloge de la folie disait Erasme, Eddie se coiffe d'un casque de moto ou se fond dans l'assistance pour que l'on sache de près à quoi ressemble une solophonie de guitare...

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    Difficile descente de scène, sont happés par le public émerveillé qui ne les lâche pas. Un concert de rêve. Le cauchemar des absents commence. N'en n'ont pas fini d'écluser leurs regrets éternels. Deux sets d'intensité incandescente.

    Damie Chad.

    ( Photos : FB : Rockin Lolo / Sergio Kazh Rockabilly Generation )

     

    Took it easy

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    Heureuse coïncidence : dans un numéro de Record Collector daté de mars 2017, Luke Haines rend hommage à Steve Peregrin Took. C’est probablement l’extrême rareté de ce genre d’hommage qui en fait un événement. Lucky Luke rappelle que 1969 ne fut pas une année érotique pour Took, car il la passa au ballon pour possession d’un joint. Il rappelle aussi que Took fit partie de Tyrannosaurus Rex, qu’il joua sur les trois premiers albums du duo, My People Were Fair And Had Sky In Their Hair But Now They’re Content To Wear Stars On Their Brows, Prophets, Seers & Sages The Angels Of The Ages et Unicorn et qu’il fut viré par Bolan à l’issue d’une désastreuse tournée américaine. Alan Vega se souvient très bien d’avoir assisté à cette débâcle lors d’un concert du duo à New York. Si on s’intéresse à ce prince de la désaille que fut Took, il est fortement recommandé d’écouter les trois premiers albums de Tyrannosaurus Rex, car il s’y passe des choses vraiment extraordinaires.

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    My People Were Fair And Had Sky In Their Hair... But Now They’re Content To Wear Stars On Their Brows parut en 1968. Marc Bolan y ramène «Hot Rod Mama» et «Mustang Ford» qu’il jouait déjà dans John’s Chidren, le Mod-band mythique qui l’avait accueilli en 1967, en remplacement de Geoff McClelland. À la fin du groupe, Marc dut restituer la Gibson SG et l’ampli. Pas grave ! Il ressortit aussi sec sa vieille acou Suzuki, se convertit au hippisme et engagea Took pour jouer des congas. Ils jouaient à deux, assis par terre sur des tapis.

    Avec «Hot Rod Mama», Marc invente le rockab hippie et il se met à bêler comme la chèvre de Monsieur Seguin. C’est d’une extraordinaire vitalité hippie. Mais ça marche uniquement parce que Took y croit. Ils se placent tous les deux sous le patronage de William Blake et John Peel les prend vraiment au sérieux. La version de «Mustang Ford» qui ouvre le bal de la B vaut largement le détour. Le parallèle avec le monde magique de Syd Barrett saute aux yeux, gentil monde d’étrangeté et d’innocence. Marc Bolan devient le prince des poètes du paranormal. Dans Bolan - The Rise And Fall Of A 20th Century Superstar, Marc Paytress fait un parallèle avec Donovan - un Donovan que Peely surnomme the prince of loveliness - Et puis avec Piper At The Gates Of Dawn et A Gift From A Flower To A Garden, le premier album de Tyrannosaurus Rex complète la trilogie du summer of love londonien. «Child Star» continuera de fasciner jusqu’à la fin des temps, car Marc chante ça à la savate traînée, avec du child star craché dans l’écume des jours. C’est stupéfiant de présence et complètement licornique. On sent l’ombre de Took planer sur un «Strange Orchestras» gorgé de cette volonté de transe londonienne. On les sent tous les deux déterminés à vaincre. Ils se spécialisent dans les beaux mantras, comme on le constate à l’écoute de «Chateau In Virginia Waters». C’est fou ce qu’à l’époque leur truc pouvait accrocher. Avec Chateau, on comprend les raisons pour lesquelles un bon gars comme Peely a pu craquer. Marc invente le neo-pyschedelic pastoral avec «Dwarfish Trumpet Blues», un fabuleux groove de drone hippie. En B, on tombe sur le fantastique «Knight», une transe épique et translucide. Voilà l’un des sons les plus intéressants du Londres d’alors, gorgé d’une énergie de bongos et de Took attitude. Ils étaient ce qu’on appelait alors des beautiful freaks, des créatures qu’on ne croisait que dans les rues de Londres, certainement pas à Paris. On tombe plus loin sur le joli freakout de «Weilder Of Words» et ils terminent avec un pur mantra, «Frowning Atahualpa», chargé de ces effluves orientales dont Londres raffolait à l’époque. On respirait tout ça chez Biba ou au Kensington market.

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    Avec Prophets, Seers & Sages: The Angels Of The Ages, Marc et Took s’affirment, Tony Visconti les produit et dès «Stacey Grove», ils sortent un son plus sourd et ineffablement judicieux. On sent nettement que Marc Bolan prend son envol, il chante à la corde sensible et bêle à l’occasion. L’amusant de cette histoire, c’est que ce hippie invétéré va devenir une glam-rock idol et même the godfather of punk. N’oublions pas que Captain Sensible le vénérait et que les Damned partirent en tournée avec T. Rex. On tombe en B sur «Salamanda Palaganda», un parfait délire hippie que Mark Paytress taxe de mesmerizing frenzy. C’est vrai qu’à deux ils parviennent à créer les conditions d’une espèce de transe. Quelque chose d’assez fascinant se dégage en permanence de ce concept sonore imaginé par Marc Bolan. En même temps, on ne sait plus si on écoute ces vieux albums pour Bolan ou pour Took. Encore un coup de Jarnac hypno avec «Juniper Suction». Took y prend le contre-chant. Et c’est avec «Scenesof Dinasty» que se joue véritablement le destin de cet album. Ce long poème fleuve joué aux clap-hands est un authentique coup de génie. Marc le chante si bien qu’on croirait presque entendre Dylan chez les hippies. Pur génie de la diction et du travail de souffle. S’il faut emmener un cut de Bolan sur l’île déserte, c’est forcément «Scenesof Dinasty». C’est là que Marc Bolan entre dans la légende.

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    Nouveau bond en avant avec Unicorn, paru en 1969. Il faut dire que les pochettes des trois albums sont particulièrement réussies : la première est une illustration féérique, la seconde nous montre Marc et Took photographiés en noir et blanc dans un parc et la troisième nous les montre tous les deux cadrés en gros plan. Ce troisième album du duo est une véritable pépinière de hits, à commencer par l’excellent «Chariots Of Silk», solide, envoûtant, gorgé d’adrénaline hippie et déjà T. Rexy jusqu’à l’os du genou. Ce cut sonne vraiment comme un hit, avec sa descente mélodique et ses tchoo-tchoo-tchoo à la Mary Chain. Marc Bolan se paye une belle tranche de décadence dans «The Threat Of Winter», une pop-song d’une effarante élégance, pleine de légèreté et de mystery bliss. On monte encore d’un cran dans l’extase avec «Cat Black (The Wizard’s Hat)». Marc Paytress rappelle que Marc est une fervent admirateur de Dion’s Runaround Sue sort of songs. Marc emmène sa mélodie au firmament, voilà un hit visité par la grâce préraphaélite et qui éclôt dans l’azur immaculé des sixties. Le génie de Marc Bolan s’y entend à l’infini. Par contre, la B est complètement ratée. On se consolera en rapatriant la réédition de l’album parue sur A&M en 2014. Il s’agit en effet d’un double album proposant sur le deuxième disque des choses qui ne figurent pas sur les albums officiels, comme par exemple le dernier single du duo Bolan/Took. N’ayons pas peur des mots : «King Of The Rumbling Spires» est pour le fan de base du duo un passage obligé : Bolan et Took s’électrifient. C’est du T. Rex avant la lettre, a riffy, mesmerizing gothic folly, avec Took on bass et Marc qui joue de la fuzzed-up reverberated guitar. C’est énorme et à l’époque, ça passa à l’as ! Voilà un hit qui sonne comme ceux des Move. Le Tyrannosaurus fait de l’œil au Brontosaurus à venir des mighty Move. Pure merveille ! La B-side du single s’appelle «Do You Remember», claustrophobique en diable. On trouve aussi sur ce disk de bonus l’une des ultimes démos du duo : «Once Upon The Seas Of Abyssinia». Mais attention, ce n’est pas fini. Il reste à écouter l’excellent «Ill Starred Man» qui sonne littéralement comme du Ray Davies. Stupéfiant ! Marc se rapproche de la raie de Ray et préfigure Bowie. Il est le maillon manquant du décadentisme dont on se fera les gorges chaudes un peu plus tard. Le dernier cut de la B s’appelle «Blossom Wild Apple Girl», une fois encore absolument brillant et sevré de décadence. La voix de Marc se pose comme une plume dans une lumière de printemps imaginée par Edward Burne-Jones. Ce hit solide, précieux et anglais jusqu’au bout des ongles corrobore les corridors.

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    En réalité, Took ne s’appelait pas Took. Il tirait son nom du Lord Of The Rings de Tolkien. Peregrin Took était un hobbit et un compagnon loyal de Frodo Baggins. Took et Marc ne s’entendaient plus. À l’époque de Unicorn, Took se situait à l’opposé du hippie spectrum - where hard drugs where preferable to softback editions of fantasy fiction and where hardwearing biker leathers and dirty denims were favoured over kafkans and girlish shoes (oui, Took était d’un monde qui préférait les drogues dures aux petits romans de science fiction, un monde qui préférait les blousons de cuir et les jeans sales aux kafkans et aux godasses de gonzesses) - Il est bon de rappeler que Marc ne prenait pas encore de dope et qu’il buvait du thé au jasmin. David Platz rappelle que Took était un mec qui «floated more than walked». Tout est dit, dans cette formule miraculeusement drôle. Et Took voulait enregistrer ses chansons, ce dont Marc ne voulait pas entendre parler. Tyrannosaurus Rex était son concept et Took devait rester à son service. Une amie de Took et de Marc citée par Mark Paytress rappelle que la relation entre les deux amis s’est envenimée à cause des drogues - Basically, Took took too many, though he fonctionned better on acid than most people did. Because he took too much of it, he became slightly immune to its effects (Took prenait trop d’acides, mais il fonctionnait mieux sous acide. Comme il en prenait beaucoup trop, les acides finirent par ne plus avoir d’effet sur lui) - L’anecdote présente quand même un petit côté hilarant. Il faut se souvenir que Syd Barrett faisait lui aussi une sur-consommation d’acides et de mandies, au grand dam de ses collègues du Floyd qui souhaitaient faire carrière. Took devint donc un cosmic punk qui ruina les derniers concerts de Tyrannosaurus Rex aux États-Unis, en se foutant tout simplement à poil sur scène et en performant des bloody-minded acts of musical sabotage. Viré. Marc souhait lui aussi faire carrière.

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    Took échoua donc broke à Ladbroke Grove pour cuver son brouet de mandies et d’héro, en compagnie de ses amis du Pink Fairies Motorcycle Gang & Drinking Club. Il joua sur l’album Think Pink, qu’Haines qualifie de psych masterpiece, et sur un autre album solo, celui de Mick Farren, le fameux Mona - The Carnivorous Circus. Rebaptisé Shagrat The Vagrant, Took y raconte son séjour au ballon en mode spoken-word. On y trouve aussi une version de «Sumertimes Blues» beaucoup moins convaincante que celle de Blue Cheer. Même si on vénère Mick Farren, écouter Mona relève d’une certaine forme de masochisme. C’est l’une de ces aberrations mythiques dont est si friand l’underground britannique, un disque complètement merdique et mal chanté, comme le confirmera plus tard Larry Wallis, lorsqu’il réussira l’exploit de transformer Mick en vrai chanteur.

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    Par contre l’album solo de Twink vaut le détour, mais pour seulement deux raisons. Un, les amateurs de psychout se régaleront d’un «The Thousand Words In A Cardbox» joué au gras double d’anglicité gargouillante et commotionnée. Victor Unitt, qu’on retrouvera dans les Pretty Things, y envoie de belles giclées de glou-glou démentoïde. Deux, «The Sparrow Is A Sign», le cut de fin de B qui sonne comme un stormer psyché relativement digne des Fairies. Le reste de l’album inspire une sorte de vague ennui psychédélique. Avec «Tiptoe On The Highest Hill», Twink paye un lourd tribut au far-outage de psychout. En effet, il stand tiptoe sur the highest hill, il voit le day giver the way to the night. Franchement, on se demande comment font les gens pour trouver ce disque intéressant. Bon, c’est vrai qu’on entend Victor Unitt s’énerver, mais pas assez. Il faut dire que Twink a un don pour le beat, ça on le savait depuis «Baron Saturday». Dans «Mexican Grass War» qui ouvre le bal de la B, il crée les conditions du triple beat on the brat, mais pas avec the baseball bat. Et comme Took rôde dans les parages, ça finit par tourner en eau de boudin avec une chanson à boire, «Three Little Piggies». Ils ne peuvent pas s’empêcher de déconner. Dans les années soixante-dix, pour savoir ce qu’un disque avait dans le ventre, il fallait l’acheter. On ne disposait que de très peu d’infos. Si un journaliste anglais vantait les mérites de Think Pink, on profitait d’un séjour à Londres pour se mettre en chasse. Mais on ne prenait pas un grand risque, car Rock On vendait tous les albums de l’underground (Fairies, Stackwaddy, Broughton, Leigh Stephens, Third World War and co) pour une bouchée de pain. Songez qu’un album aussi affreusement médiocre que Think Pink vaut aujourd’hui 400 euros en ligne !

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    Ces participations aux projets de Twink et de Mick Farren laissaient augurer d’une belle carrière solo qui malheureusement ne vit jamais le jour. Comme il était beaucoup trop untogether, Took ne fut pas invité à rejoindre les Pink Fairies. C’est aussi drôle que l’histoire de Lemmy viré d’Hawkwind pour usage de drogues, s’esclaffe Luke Haines. En conséquence, Took décida de monter Shagrat avec Larry ‘Lazza’ Wallis. Drôle de nom pour un groupe, non ? Took tirait une fois de plus ce nom du Lord Of The Rings, mais cette fois, Shagrat n’est pas le nom d’un gentil Hobbit, mais celui d’un odieux captain Orc. Shagrat ! - Shagrat were phenomenal, the ultimate freakbeat band - Début 70, ils avaient composé ces trois stormers ultraïques que sont «Boo! I Said Freeze», «Steel Abortion» et «Peppermint Flickstick» - Dark druggy Stooges freakouts all - Et Mark Paytress en rajoute une louche, en parlant de Peppermint - Nearly six minutes of stoned agression fuelled by dread wah-wah driven chords that teetered on the edge of feedback and rammed home with a malovelent Took vocal that wavered in and out of key (six minutes d’agression stoned chargée d’accords grouillants de wah-wah qui titubent au bord d’un gouffre de feedback, et Took envenime tout ce bordel en chantant faux) - Et Paytress conclut en affirmant que Shagrat représentait the darker underbelly of Ladbroke Grove alternative culture. On serait tente d’ajouter : au même titre que les Pink Fairies.

    Shagrat monta sur scène pour quelques concerts, mais Took étant Took, il le fit in perfect Took style, c’est-à-dire untogether - Sessions would abort in a chaos of pills or vodka - Alors Larry Wallis mit les voiles pour aller jouer dans UFO. Eh oui ! Même des gens du niveau de Larry Wallis peuvent se vautrer.

    Vous trouverez les cuts mythiques de Shagrat sur Lone Star, paru en 2001. Si vous ouvrez le petit feuillet/pochette du CD, vous y trouverez un fantastique hommage de Larry à son pote Took : «Steve a eu et a toujours une prodigieuse influence sur ma vie, depuis ma consommation massive de LSD jusqu’à la façon dont je compose. Une influence magique. Dave Bidwell qu’on appelait Biddy, était aussi un original. Lui et Steve étaient semblables, et même beaucoup trop semblables. Ces deux-là aimaient bien pousser à l’extrême leurs expériences avec les drogues, ce qui, comme chacun le sait, finit en général assez mal. Si je parle des drogues, c’est parce qu’à l’époque on ne vivait que pour explorer des planètes inconnues, et les vaisseaux spatiaux qui permettaient d’y accéder, c’était justement les drogues. Took était le capitaine de notre vaisseau. Dans les années précédentes, Took avait été salement désavoué. Il avait pourtant joué un rôle aussi important que celui de Bolan dans Tyrannosaurus Rex, un groupe qui sortait de nulle part, et il semble que ce soit Mickey Finn qui en ait tiré les marrons du feu. J’imagine qu’il n’est pas responsable de cette erreur d’appréciation. Alors, il ne vous reste plus qu’à savourer les virées cosmiques de Took, comme il les appelait. J’ajoute que ces chansons dissipent un malentendu voulant apparenter Took et Bolan au monde des lutins de la forêt. C’est entièrement faux. Tout ce qui intéressait Steve était ce qu’il appelait lui-même le kerflicker-kerflash, une sorte de rock’n’roll super-trippant et cosmique, du neon sex fun.» Comme dans le cas d’Hendrix, on se demande ce que Took aurait pondu s’il avait vécu. Aurait-il réussi à perdre le contrôle de son sex fun ? Oui, c’est bien du pur jus de cosmic neon sex fun qu’on entend dans «Boo! I Said Freeze», véritable carnage de druggy dub de freeze joué à l’énergie ralentie, d’autant que Larry balaye tout à la guitare, redevenant du coup l’un des trublions les plus virulents d’Angleterre. Oh, il faut l’entendre déployer sa furia del sol dans les méandres du sex fun de la titube ! On se serait damné à l’époque pour un tel ramdam. On trouve encore de la pure mad psychedelia dans un «Steel Abortion» joué au stone-deaf Wallis of sound, cousu comme le furet, déployé comme une ampleur galvanique, explosé du subitex, situé loin, mais vraiment loin au-delà de toute raison. Larry fait le show, et en bon Wallis qui se respecte, il va là où bon lui semble. Sur cet album aussi miraculeux que miraculé, on retrouve le troisième stormer ultraïque, «Peppermint Flickstick», un cut digne de Syd Barrett, complètement barré, drugtion at the junction, nous voilà projetés au cœur de la pire mad psychedelia qui soit ici bas et Larry se barre en sucette de solo gras. Ah quelles effluves de molles dérives dignes des montres molles du grand Dali délire ! Les Américains férus de psychédélisme feraient bien d’en profiter pour prendre des notes.

    En guise de conclusion brokienne, Luke Haines insinue que Lone Star ne fut jamais mastérisé à la bonne vitesse. Perfect Took style.

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    Est paru en 2003 un autre album de Shagrat, Pink Jackets Required, avec les noms de Twink et Paul Rudolph sur la pochette. Ce disque est une horrible arnaque : Twink aurait overdubbé des percus sur les démos de Took. Sur le Took website, on pouvait lire ceci : «Rest assured, the actual lineup on these tracks was Steve Took, Larry Wallis and Dave Bidwell.» Mais Mick Farren se mit quand même en pétard. Révolté par cette arnaque, il déclara : «What kind of scum robs from the dead, let alone a dead friend ?» (C’est quoi cette bande d’enculés qui pillent un cadavre, qui est en plus le cadavre d’un ami ?). On retrouve d’ailleurs sur Pink Jackets Required trois des cuts de Think Pink («The Sparrow Is A Sign», «The Coming Of The Other One» et «Three Little Piggies»). C’est vraiment du grand n’importe quoi. Twink perdit alors toute crédibilité. D’ailleurs, dans Growing Old Disgracefully, les Pretty Things expliquent qu’ils avaient à une époque dû prendre leurs distances avec ce misérable magouilleur.

    En 1972, Marc Bolan déclarait que Took se trouvait «in the gutter somewhere». La presse ne démentait pas, affirmant que Took n’était plus qu’un day-dreamer in leather, shades and stubble with an appetite for Mandrax (une sorte de clochard céleste en cuir, lunettes noires et barbe, affamé de Mandrax). Ce qui ne l’empêcha pas de s’acoquiner avec Tony Secunda, l’ancien manager des Move et de T. Rex, qu’il surnommait Tony Suck Under. Cette relation ne fit pas que du bien au pauvre Took - Too much cocaine went up to his nose - Secunda installa Took dans un flat transformé en home studio, juste derrière ses bureaux à Mayfair, et lui proposa d’enregistrer quelques demos pour un album solo, mais Took étant Took, il le fit in perfect Took style : nothing ever got finished. Rendu parano par l’abus de coke, Took vivait en reclus dans le flat.

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    Ces sessions finiront heureusement par paraître, mais beaucoup plus tard, en 1995, sous le titre The Missing Link To Tyrannosaurus Rex. Si on rapatrie cet album, ce sera pour deux raisons principales : «Give» et «Syd’s Wine». On voit que ça wha-whate sec chez Secunda. Ah les vaches, ils y vont de bon cœur. Et pouf, ça disparaît, va-t-en savoir pourquoi. Mais ça revient et l’ensemble se veut assez dément, embarqué au big drive. Took est capable de miracles, il ne faut jamais l’oublier. Il prend «Syd’s Wine» en laid-back. Pure druggy song of it all, magnifique, il chante à la titube de bulbe et là, tout Took reprend son sens. On trouve d’autres merveilles sur cet album sauvé des eaux, comme par exemple «Molecular Lucky Charm», trop abîmé pour être pris au sérieux, on n’entend même plus la voix, ça gratte à l’acou devant et ça vire au vieux vaseux. Fantastique «Scorpius» d’entrée de jeu, monté sur un puissant drive de basse : on a Larry Wallis, Twink et Mick Wayne à la basse. La fine équipe habituelle. «Lucky Charm» dégage aussi un charme irrésistible. Took nasille dans le néant de Secunda. Lui et ses amis cherchent des noises à la noise, et le résultat dépasse toutes les attentes. Syd Barrett fait son cirque sur «Flophouse Blues» et «Seventh Sign» vire à l’apocalypse. Le diable cuisine Took, ça se sent. Il sort là un cut de big atmospherix fascinant, un véritable chef-d’œuvre de druggy groove. Il fait son Instant Karma sur «Days». On reste dans le druggy groove d’exception, perdition absolue, une vraie dérive absolutiste, l’équivalent sonique de La Connaissance Par Les Gouffres. Took entre plus dans le vif du sujet avec «I Caution You», une vraie atteinte aux mœurs de la mormoille. Voilà le pur acid rock de Ladbroke Grove, absolument superbe, plein d’allant et brumeux en même temps. Took parvient toujours à ses fins, sachez-le. L’album se termine sur un musculeux «Flophouse Blues (Reprise)», joué dans l’esprit de conquête, au mieux des possibilité du junk punk du Grove. Énorme !

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    En 1974, Took entreprit de composer une cricket song avec Robert Calvert, «Cricket Lovely Cricket», mais le single bien sûr ne vit pas le jour. Quatre ans plus tard, il fit irruption dans la new wave avec Steve Took’s Horns, a tough pub rock bovver boy group, qui enregistra des cuts qui, vous l’avez deviné, ne parurent pas à l’époque. Ils ne firent surface qu’en 2004, chez Cherry Red sous le titre Blow It !!! The All New Adventures Of. Alors oui, il faut absolument écouter cet album, car c’est un chef-d’œuvre de heavy rock underground et ça démarre avec un «It’s Over» dévastateur, extraordinaire de vitalité anglaise, une pure dégringolade d’exaction parabolique. Ah cette façon qu’a Took de balancer l’it’s ohhh/ ver. Quelle classe ! Tout ce qui suit est au même niveau. «Average Man» sonne comme de la Stonesy de flibuste, c’est une régalade de première nécessité. Took défonce la rondelle des annales de la Stonesy. Seuls les Anglais peuvent se permettre de sonner ainsi. S’ensuit «Woman I Need», un balladif complètement décadent, joué à la déconfiture d’accords. Une basse fuzz hante «Ooh My Heart», toute l’énergie des bas-fonds londoniens rejaillit ici, c’est bardé de glissés de basse déments - First she’ll make up her eyes/ Then she’ll make up your mind - Pure démence. Et ce n’est pas fini car voilà «Too Bad», joué au heavy glam de Londres, that’s right, quelle fantastique entrée en matière - Too bad/ Too bad yeah/ Too bad don’t come my way - Monstrueux ! Et il se met à scander Highway Highway driving me - Voilà le heavy glam de rêve, the real Deviant sound, la putréfaction de la stupéfaction, le glam des catacombes. Effarant ! Un peu plus loin, on tombe sur un autre coup de Jarnac intitulé «Wall Of Sound». C’est antédiluvien et plombé aux cuivres. Il s’y passe quelque chose de stoogy, une implosion de brain blast, une pure élévation dévastatrice, complètement inespérée. Voilà le genre de disque qui peut restaurer votre confiance en l’humanité.

    Took et ses Steve Took’s Horns ne montèrent qu’une seule fois sur scène, en 1978 à la Roundhouse, dans le cadre du Bohemian Love-In organisé par un Nik Turner fraîchement viré d’Hawkwind et qui tentait de redémarrer avec un nouveau gang et un album intitulé Sphynx. Ce festival fut le dernier grand événement de l’English hippy underground. Nik surnommait Took ‘a tragic genius’. Steve Took too much.

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    Luke Haines termine son hommage avec une très belle anecdote. En 1980, alors que ses copains d’école écoutaient les Jam, Lucky Luke alla chez WH Smith s’offrir les deux albums de Tyrannosaurus Rex, Unicorn et A Beard Of Stars couplés dans une édition cheap pour seulement £3,99 - I bought it and changed my life for ever - Et c’est en décembre de la même année que Took cassa sa pipe, perfect Took style : il s’étrangla avec un mélange de cocktail cherry, de morphine et de magic mushrooms, des drogues financées par le chèque de royalties qu’il venait de toucher pour Unicorn. Et Luke Haines conclut ainsi : cette fin me fait parfois rêver.

    Signé : Cazengler, tombouctook

    Tyrannosaurus Rex. My People Were Fair And Had Sky In Their Hair... But Now They’re Content To Wear Stars On Their Brows. Regal Zonophone 1968

    Tyrannosaurus Rex. Prophets, Seers & Sages: The Angels Of The Ages. Regal Zonophone 1968

    Tyrannosaurus Rex. Unicorn. Regal Zonophone 1969

    Mick Farren. Mona. The Carnivorous Circus. Transatlantic 1970

    Twink. Think Pink. Polydor 1970

    Shagrat. Lone Star. Captain Trip Records 2001

    Steve Peregrin Took. The Missing Link To Tyrannosaurus Rex. Cleopatra 1995

    Steve Took’ Horns. Blow It !!! The All New Adventures Of. Cherry Red 2004

    Luke Haines : Steve Peregrin Took, the Heavies’ Heavy Head. Record Collector #464 - March 2017.

     

    CHANSONS BIZARRES POUR GENS ETRANGES

    + EP's + inedits

    CHRIS

     

    AUTO-EXTERMINATION / LE PETIT SOLDAT DE PLOMB / HACHISH/ LE REBELLE / ELLE M'APPARTIENT / LA BALLADE DU FILS INDIGNE / LE CHAT REVIENT / NEVRALGIE PARTICULIERE / PREMIERE INTERVIEW / TU NE SERAS PAS MON AMI / BALLADE A MICHELLE / PLAN DE FUGUE / LA PETITE FILLE DE L'HIVER / L'ORPHELIN ET LE TAMBOURIN / ELLE T'ATTEND / A LA COUR DU ROI JOHNNY / LES MURSBLANCS / PARIS SE SABORDE / PRIERE POUR HELLODARKNESS / LA VOIX DU POETE / JE RENTRE.

     

    Rock Paradise Records RPRCD 39 / 2016

     

    Certes Long Chris n'était pas un inconnu pour les rockers lorsqu'il m'est apparu sur l'écran de la télévision familiale. Faisait déjà partie en 1966 de la saga du Golf-Drouot, son amitié avec Johnny Hallyday était légendaire, je possède encore le 45 tours Ma Verte Prairie sur lequel il s'essayait avec les Daltons à un country encore tout engoudronné des cowboys solitaires des derniers westerns. Mais là, l'était métamorphosé, cheveux longs qui lui donnaient une scandaleuse allure de beatnick, répondait aux questions en proie à un tract fou qui le faisait trembler comme une feuille morte, puis s'était lancé dans l'interprétation du Chat qui avait séduit l'ensemble de la famille. Dans laquelle j'étais pourtant considéré comme le mouton noir musical. Preuve qu'il avait su percuter son époque.

    Suis passé régulièrement durant deux ans devant son échoppe au Village Suisse – brocante des bourges – mais n'ai jamais osé entrer... C'est vrai que la version de Génération Perdue de Johnny est supérieure à la sienne mais je préfère l'originale fin de Chris : Tu voudras faire briller le nom Que l'on t'a imposé et non Que ton père t'a donné, qui gomme le côté anarchisant du texte. Heureusement que le grand Jojo na pas effacé le Je peux brûler les églises / Je peux éclater de rire dans Je n'ai Besoin de Personne, hymne stirnérien par excellence, qui se trouve sur le fabuleux Rivière... Ouvre Ton Lit dont Chris écrivit la majorité des lyrics et qui reste le flamboyant et somptueux album du rock français.

    Heureuse initiative de Patrick Renassia et de Rock Paradise de rééditer cinquante ans après sa sortie ces Chansons Bizarres pour Gens Etranges. Beaucoup le recherchaient, peu le retrouvaient. Beaucoup plus authentique que ce que proposait le marché national dans la même catégorie, en dehors d'Huges Aufray plus pop et d'Antoine très commercial n'y avait pas res comme l'on dit en occitan. Me reprends, ne faudrait pas oublier Ferre Grignard, dont plus personne ne parle, mais l'était belge et chantait en anglais.

     

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    Auto-extermination : nudité de la voix et de la guitare. Dylan n'est pas loin, organe moins enroué que le Zimmerman mais texte d'une clarté acide, le premier hymne écologique, paroles peu doucereuses, traits d'harmonica pour souligner l'ampleur du désastre et le message prophétique de la catastrophe annoncée. Le petit soldat de plomb : contraste, de l'apocalypse imminente l'on passe au conte merveilleux d'Andersen, rajoute les feux de l'amour en solution finale. Rondeurs de guitares et courbes vocales. Hachish : fallait oser en 1966, un texte ambigu, une saleté dont on ne peut plus se passer et qui danse dans le cerveau. Dans sa présentation Jean-William Thoury en accentue les aspects condamnatifs, mais parfois faut prêcher le faux pour faire entendre le vrai. Interprétation très expressive, la guitare de Steve Waring écorche les entournures. Le rebelle : avec orchestre pour ballade entraînante, une revisitation du cowboy solitaire transformé en rebelle pacifiste, figure idéale dont le chanteur n'hésite pas à endosser le rôle à la première personne. Elle m'appartient : folk-rock et chanson d'amour à intonations dylaniennes très marquées, avec cette marque de cynisme d'une invisible transparence qui est le sel astringent des lyrics du Bob. La ballade du fils indigne : chanson cousine de La Génération Perdue, mais ici Chris ne se contente pas d'exprimer le mal-être et le malaise, entre de plein fouet dans le conflit, générationnel et sociétal. Crache tout, sa colère et sa haine, cite les noms, précise ses reproches noir sur blanc, la musique partage sa hargne, très belles guitares électriques. La meilleure de la face A de l'album original. Le chat revient : pas d'affolement, Chris nous délivre une fable ésopienne, le chat triomphe de tout. Survit à tous les dangers, et même à l'espèce humaine. Adoptez son indolence native. Névralgie particulière : plutôt cauchemar surréaliste, tout ce qui se passe dans votre tête et que vous n'avez pas le courage de raconter. Les images de la fausse réalité se craquèlent et tout s'embrouille, tout cela parce que votre copine vous a quitté. Mieux vaut en pleurer qu'en rire. Très belle orchestration qui vous pousse le réel au cul. Première interview : plus traditionnel, critique des médias soumis à la vieille idéologie du formatage individuel par le travail. Pas la ronchonnade marxiste de l'aliénation, mais la revendication d'une impertinence bien enlevée. Tu ne seras pas mon ami : des paroles typiques du rock'n'roll français dont Long Chris reste l'un des paroliers les plus aigus, le thème des amis intéressés remis à leur place, une complainte lancinante blues déclinée à toute vitesse, faut que ça valse. Ballade à Michelle : beaux choeurs féminins doublent la voix de Chris, de quoi adoucir les regrets. Cause perdue. L'est trop tard. N'avait pas qu'à. Même s'il ne l'a pas fait exprès. Plan de fugue : la chienlit et le désordre, les déboires de la vie familiale quand elle n'a pas le charme zonderlinesque, revue de fous à lier, l'orchestration sonne en ses meilleurs moments comme du meilleur Dylan, ironie mordante, harmonica en partance, apothéose finale. Cette face B est à la hauteur du dernier morceau de la face A.

    Un demi-siècle après le disque se révèle être un véritable chef d'oeuvre du patrimoine. Mais à l'époque ça se bousculait grave au portillon, y avait du monde rien qu'entre les Beatles et Hendrix... La carrière de Chris n'en a pas été boostée. Grand dommage. Sept titres prélevés sur les quatre 45 Tours suivants de Chris complètent le CD.

    La petite fille de l'hiver : violons à pleurer, une reprise décalée du conte de La Petite-fille aux Allumettes, dommage que Chris n'ait pas eu l'idée – peut-être un projet inabouti ? -de tout un album consacré à Andersen, beau texte qui raconte avant tout la perte irrémédiables des rêves de l'enfance qui s'efface lorsque nous croyons que nous grandissons alors qu'en fait nous rapetissons. L'orphelin et le tambourin : le texte n'est pas sans évoquer la Nuit de Décembre de Musset, je n'insinue pas que Chris a copié, bien au contraire l'a retrouvé une émotion qui appartient à tous, celle du dédoublement de soi-même. Très puissant. Elle t'attend : aigre-doux, masque mortuaire souriant, banjo enjoué, rythme sautillant, polka des mauvaises nouvelles, rendez-vous d'amour au cimetière. A la cour du roi Johnny : Chris au pays des merveilles, Alice a bien grandi, n'est plus la petite fille innocente, mais le monde court à la déglingue surréaliste, une chronique douce-amère vraisemblablement codée. Les murs blancs : finie la féérie, misère de l'amour et amour de la misère, le passé à l'encan, bohème désenchantée, errance solitaire, orgue sifflant, tout passe, certains s'en tirent moins mieux que d'autres. Les chants désespérés font les lyrics les plus beaux. Paris se saborde : l'après-monde. Le cauchemar grignote le passé. Paysage de science-fiction prophétique. Le monde ne court plus à sa perte. Il a déjà franchi la ligne d'arrivée. Celle de l'abîme. Prière pour hellodarkness : prétérition, chanter l'amour pour mieux souligner la cruauté du monde. Egoïsme du bonheur. Tant pis pour les autres. Il faut savoir se renier pour accéder au septième ciel de l'empyrée divine. Très belle envolée de voix féminine à la fin. La voix du poète : montée du nihilisme. Nécessité du poète en nos temps de détresse s'interrogeait Hölderlin, les temps sont incertains, les chansons d'amour valent-elles les fusils ? L'espoir fait vivre !

    Je rentre : titre inédit, enregistré en octobre 2015. Je rentre pour mieux revenir. Chris revient tout du Long. Recolle les morceaux d'une vie diffractée. Pas mal en soi-même, mais je me répète, l'aurait mieux valu le remplacer par La Génération Perdue.

    Un regret : que Chris n'ait pas continué sa carrière. L'est le lyricoeur qui a tant manqué au rock'n'roll français. Certes l'a écrit quelques uns des textes les plus significatifs d'Hallyday mais il nous a privé d'une œuvre qui aurait été exemplaire. L'était en avance sur son temps. S'engageait dans une sorte de pessimisme féérique des plus originaux.

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    Notons que vient de sortir chez Milano Records : Gens Etranges pour Chansons Bizarres, nous les chroniquerons bientôt.

    Damie Chad.

     

    TRY ROCK & ROLL

     

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    Emission rock cornaquée par Thierry Gazel, quarante-deuxième livraison du 09 octobre 2017 en hommage à Gene Vincent disparu le 12 octobre 1971. A écouter en direct sur radiolezart.fr ( tous les lundis à dix-huit heures trente ) ou en podcast sur le FB de Try Rock & Roll.

    Thierry Gazel pourrait reprendre le slogan du président Rosko : Maximum de musique, Minimum de bla-bla, ainsi ce spécial Gene Vincent offre en une heure dix-huit titres entrecoupés par l'essentiel : date, lieu, nom des musiciens présents à l'enregistrement et l'annonce des concerts de la semaine à venir. Pouvez chipoter que votre morceau favori du Screamin' Kid ne soit pas au programme – perso me manquerait Bird Doggin' - mais comme chez Gene tout enregistrement est une petite merveille de précision, la foire d'empoigne risque de tourner au pugilat. Etudiez plutôt la set-list des émissions antérieures qui débordent de perles précieuses et de titres rares. L'en connaît un rayon de miel Thierry Gazel, véritable amoureux et connaisseur de la musique populaire américaine. Rappelons que Thierry Gazel fut le contrebassiste des Ol' Bry dont vous avez intérêt à vous procurer au plus vite les deux premiers albums. L'émission entame sa deuxième année, et Thierry Gazel est devenu par chez nous un des archivistes sonores et des propagandistes ondins les plus importants de la musique des années cinquante. Activiste rockabilly. Bienfaiteur de l'humanité rock'n'roll. A écouter tous les lundis. Sans faute.

    Damie Chad.

     

    THE TWILIGHTERS

    BAD DAMN CATS / KINGDOM OF DELAY / GO ON GIRL / LOOK INSIDE / NOW YOU'RE PSYCHO / RHYTHMBILLY / ILLUSIONS / TWILIGHTERS / SAD &ANGRY / LAMP POSTS / COMMING LIKE CRAZY / SCREAMING / PSYCHO ILLUSIONS

    CHRIS BIRD : guitar & voca: / SAM CHAMROCK : double bass / Jerry Wild : drums, backing vocal & screams

    Driben Records : enregistré entre Août et Décembre 2015 à Kharkiv Ukraine.

     

    Comme vous l'avez lu dans le numéro 2 ( épuisé et déjà collector ainsi que le 1 ) de Generation Rockabilly, en leur début les WiseGuyz étaient un groupe de psycho, après plusieurs changements sont devenus les tueurs de bop que nous connaissons. Mais les premières amours étant inoubliables, Chris Bird n'en continue pas moins de s'adonner dans les Twiligthers à ses originelles psykozoïdales manières.

     

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    Bad damn cats : mettons les points sur le I grec de psycho. De l'autre côté des Carpates les Ukrainiens doivent avoir une définition de ce genre différente de la nôtre. L'on s'en aperçoit dès les premières notes, sonne résolument plus sixties que psychobilly. Ce qui n'est pas en soi désagréable. Cris de mouettes en introduction, je ne sais si ces maudits cats pourchassent les volatiles sur les rives du Dnierp, en tout cas la guitare de Chris souligne à merveille son vocal enragé. Instrumentation marvinienne. Un petit bijou. Kingdom of delay : instrumental, rythmique jazz par en dessous, rappelle tous nos groupes des années soixante, plein d'effets et de surprises tous les vingt secondes. Comme ce n'est pas un débutant qui tient la guitare l'on n'est pas loin de ce à quoi s'amusait Eddie Cochran en reprenant le thème du Quatrième Homme. Go on girl : l'on sort le grand jeu, les filles arrivent, Chris vous prend le ton du gars désabusé qui mâche du chewing-gum et la musique s'emballe d'une manière des plus viriles, le batteur vous pique un cent mètres chrono à décrocher une médaille d'or. Rien à dire, savent s'y prendre avec les gerces, n'oublient même pas de faire les jolis chœurs qui vous filent un air romantique très prisée par la population femelle. C'est du moins ce que l'on dit. Look inside : contrastes, des hachis de guitare, des langueurs monotones, des voix qui agonisent, des accélérations fulgurantes, un peu générique à la James Bond. Tueurs à l'horizon, filles langoureuses dans votre bras. Cherchez l'erreur. Si vous n'avez pas trouvé, c'est que vous êtes déjà morts. Les lèvres pulpeuses étaient empoisonnées. Now you're psycho : non, ce n'est pas le manifeste psycho que vous attendiez. En fait si, mais ça progresse par étapes. Des relents de cat man de Gene Vincent, mais en moins menaçant. Les gars ont le sourire sardonique des tombeurs de filles. Rhythmbilly : ouf ! On est sorti du saloon et on se paie une cavalcade dans la prairie à la recherche des indiens qui ne se montrent pas. Situation idéale pour jouer les fiers-à-bras. Illusions : voix narquoise, contrebasse plissée, guitare moqueuse qui se joue de vos oreilles et Chris qui persifle et fait la grosse voix qui file la trouille quand vous racontez l'histoire du méchant loup aux enfants. On s'y croirait, on a presque peur. Twilighters : la guitare sautille, la voix récite une comptine, la batterie bat le beurre, la six-cordes tourbillonne, valse frénétique. Et l'on refait un tour juste pour le plaisir. Attention cette fois-ci les robes volent plus haut. Penchez-vous et vous entreverrez ce pour quoi vous êtes venus. Sad and angry : ni vraiment triste, ni vraiment en colère, dans l'entre-deux. Le temps monte un peu, las ! le plaisir du baston nous sera refusé. Mais les jeunes coqs jouent la comédie à ravir. La guitare nous file une avoinée finale rien que pour nous montrer combien cela aurait pu faire mal. Qu'on se le dise ! Lamp posts : accords sonores et traînants. La voix s'attarde pendant que l'orchestre tricote. Echos sur les cordes. Taisez-vous et écoutez. Leçon de virtuosité. N'essayez pas d'imiter vous seriez ridicules. Vous le certifie une deuxième fois. Mais vous n'êtes pas aussi stupide que vous en avez l'air. Vous aviez déjà compris. Comming like crazy : bien parti, ça fuse de partout, s'en donne à cœur joie et pas de l'artichaut, du chaud saignant sous le couteau du boucher. Un festival. Screaming : gardez votre souffle, très flegmatique en ses débuts, ensuite vous êtes debout sur le toit du train et la voûte du tunnel se rapproche dangereusement. Quand votre corps rebondit sur le ballast, le wagon éclate de rire. Un morceau interdit aux loosers. Attention deuxième tunnel, à votre tour ! Psycho illusions : gardent le rythme, ça rebondit de partout et sans cesse cette voix atone qui joue l'étonnée alors que toute votre vie défile sous vos yeux en quelques secondes. N'ayez crainte personne ne vous pleurera.

    Si vous aimez la guitare chromée d'or ne manquez pas les Twilighters c'est un régal, vous proposent un étrange psycho-rétro des mieux venus qui vous replonge dans les années dorées sur tranche de ces formations instrumentales des années soixante qui imposèrent les sonorités rock aux oreilles européennes, avec en plus cette remarquable réussite de ne pas sonner passéo-nostalgique. Le secret est bien simple, les morceaux sont construits sur de bonnes vieilles structures rockabilly qui les empêchent de lorgner vers la pop. Deuxième caractéristique, ce sont des instrumentaux avec voix. Ce qui change tout et qui explique les différentes intonations auxquelles le vocal est soumis, déchargé de cette urgence expressive qui est la marque rockab, car l'organe humain est ici traité comme un instrument complémentaire qui se soumet à la fluidité et à la plasticité de la pâte musicale. Chris Bird use d'un timbre caméléon qui s'adapte à toutes les tessitures de l'orchestration. Jamais devant. Tous ensemble. Le fait que la formation ne soit qu'un trio aide à la cohésion du groupe, jouent très près l'un de l'autre, très serrés, extrêmement réactifs, un peu comme ces centaines oiseaux en plein vol qui tous infléchissent en une même seconde leur vol sans qu'aucune collision interne ne vienne perturber l'inaltérable position de chacun. Malgré leur son sixties les Twilighters seraient à envisager en tant que groupe d'expérimentation qui rechercherait une future évolution du rockab. Sans trop le montrer, ce qui expliquerait ce retour vers cette rythmique de base qui s'essaierait à une nouvelle semence, un mix étrange, un extraordinaire hybride, à la croisée de Charlie Christian et de Hank Marvin. Ayez l'oreille raisonneuse.

    Damie Chad.

     

    BLUES & CO

    AUTREMENT BLUES

     

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    Leur slogan n'est pas une formule publicitaire. Correspond à la réalité. Les ai rencontrés à Blues In Sem ( voir KR'TNT ! 338 du 07 / 09 / 2017 ), des passionnés qui vous refilaient les anciens numéros à 2 Euros l'exemplaire et six pour 10. Sont là pour le blues, pas pour le fric. Ont une formule gagnante. La ferveur et rien d'autre. La revue s'est bâtie autour d'un enthousiasme qui a fini par générer l'organisation du Festival Terri'Thouars Blues. Pour ceux qui auraient envie de s'y rendre c'est entre Saumur et Niort. Un groupe de teigneux qui s'accrochent aussi forts que les morpions qui ne quittent pas vos parties génitales. L'air de rien, des émissions sur la radio locale, puis dès 1997 un fanzine – aujourd'hui revue de quatre-vingt pages – puis une association qui commence par organiser des concerts et qui finit par un festival annuel, le prochain du 20 au 25 mars 2018... quand s'arrêteront-ils ? Jusqu'où iront-ils ? Les laisserons-nous faire ?

    Me voit obligé de répondre : Oui ! Sans tristesse. Ai épluché six de leurs numéros. Des fous de blues mais sans œillères. Aiment aussi le country, le rockabilly et l'électricité. L'on y rencontre des gens que l'on aime bien par chez nous. Interviewent par exemple Swinging Dice et The Subway Cowboys, chroniquent les rééditions de Gene Vincent, braquent les projecteurs sur Nico Duportal, vous font des séries sur le Britih Blues, réhabilitent des groupes comme Ten Years After, Spooky Tooth, chroniquent les concerts des Stones et de Clapton, abordent des thématiques diverses comme la naissance du rock en URSS avec les premières duplications des pionniers du rock dès les années cinquante sur des radiographie médicales, ou les campagnes d'enregistrement Alain Lomax dans le Delta et le grand Sud, explorent le passé, de Billie Holliday à Nina Simone, et surtout ne quittent pas des yeux la scène blues vivante en France, en Europe, en Amérique et partout, jusqu'au pays des kangourous, de Fred Cruveiller à Loretta & The Bad Kings, en passant par Eric Bibb à Backsliders.

    Couverture couleur, intérieur noir et blanc un peu spartiate mais aussi efficace que dix rangs d'hoplites massés en formation de combat. Truffé d'informations, de chroniques de disques, de concerts et d'articles de fond. Une particularité que vous entreverrez peut-être comme un défaut mais en laquelle réside sa force : vous ne trouverez pas la revue en kiosque. Se diffuse par abonnements, ont un contingent de trois centaines d'abonnés qui assure la pérennité de l'entreprise.

    D'ailleurs à tout hasard je vous refile les infos nécessaires à votre délestage financier :

    1 an : 4 numéros : 18 Euros. 2 ans : 8 numéros : 34 Euros. ( N'ont pas prévu pour l'éternité ce qui leur permettrait d'engranger des milliard ).

    Règlement : Blues & Co abonnements 31 rue de la Quintinie / 79 100 THOUARS

    Adresses utiles : www.blues-n-co.org et redac@blues-n-co.org plus le FB : Blues & Co le magazine «  autrement blues ».

    Voilà chers kr'tnteurs je n'en ferai pas plus pour vous. Vous ne le méritez pas. Toutefois ces saines lectures ne pourront que vous améliorer.

    Damie Chad.