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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 119

  • CHRONIQUES DE POURPRE 224 : KR'TNT 343 : LEON RUSSELL / NITE HOWLERS / BLUE'SKAÏ GRASS / STEVE JONES ( + SEX PISTOLS ) / ABK6 / DJANGO REINHARTD / CUIRTUREL / DICO-ROCK

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 343

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    12 / 10 / 2017

    LEON RUSSELL / NITE HOWLERS / BLUE'SKAÏ GRASS

    STEVE JONES ( + SEX PISTOLS ) / ABK6

    DJANGO REINHARDT / CUIRTUREL / DICO ROCK

    Russell et poivre

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    Avant de ressembler au Père Noël, Leon Russell a longtemps affiché un beau look sel et poivre. Il appartient définitivement au passé puisqu’il vient de partir rejoindre l’être auquel il ressemblait le plus : Dieu, c’est-à-dire le supérieur hiérarchique du Père Noël.

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    Quand il commence à fréquenter dans les années 70 des gens comme George, Ringo ou Dylan, Tonton Leon est déjà une légende à deux pattes. Il vient en effet du mythique Wrecking Crew, le house-band du Gold Star studio de Los Angeles que s’arrachaient tous les producteurs de renom des early sixties, à commencer bien sûr par Phil Spector, mais aussi Brian Wilson. C’est aussi le Wrecking Crew qui joue sur le premier album des Byrds (le seul Byrd autorisé à jouer sur «Mr Tambourine Man» fut Roger McGuinn). Dans une fantastique interview qu’il accorda à Andy Gill dans les années 90, Tonton Leon rappelle que ce fut Hal Blaine qui baptisa cette fine équipe the Wrecking Crew. Pianiste de formation, Tonton Leon révèle qu’il apprit à jouer de la guitare avec James Burton. En tant que membre honoraire du Wrecking Crew, il joua du piano sur «River Deep Mountain High», «Be My Baby» des Ronettes, «Da Doo Ron Ron» des Crystals, mais aussi sur certains cuts des Beach Boys comme «California Girls» et «Help Me Rhonda», et plus tard sur l’extraordinaire «Try Some Buy Some» de George Harrison, que reprendra David Bowie. Tonton Leon se souvient aussi d’avoir eu le privilège d’accompagner Sam Cooke, Johnny Mathis et l’Aretha de la période Columbia. Il eut aussi la chance de travailler avec Jack Nitzsche, et comme si cela ne suffisait pas, on lui proposa aussi d’accompagner Frank Sinatra. Alors forcément, quand arrivent dans le studio des gens comme Joe Cocker, Clapton ou Delaney Bramlett, Tonton Leon se frotte les mains. Pour lui, c’est de la rigolade.

    Il s’associa à une époque avec Denny Cordell, l’Anglais qui avait découvert Procol Harum et les Moody Blues et qui venait de s’installer à Los Angeles. Ensemble, ils montèrent Shelter Records et parmi leurs découvertes, il faut bien sûr noter celle du prestigieux Dwight Twilley Band.

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    Tonton Leon doit plus sa popularité à la tournée Mad Dogs & Englishmen qu’à son passé dans le Wrecking Crew ou à ses albums solo. Si on a la chance de voir le film qui documente cette tournée historique, on peut le voir faire le chef d’orchestre et jerker dans l’œil du typhon. Mais il est important de rappeler que ses albums valent le détour, car avant d’être un animal de foire et un boute-en-train, Tonton Leon est surtout un auteur/compositeur/interprète de très haut niveau. L’un des géants de son siècle. Il y a d’ailleurs quelque chose de terriblement hugolien dans le personnage.

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    En 1968, il s’associe avec Marc Benno pour monter l’Asylum Choir et enregistrer un premier album, Look Inside The Asylum Choir. Nos deux amis proposent une petite pop psychédélique doucement mâtinée de folk. On trouve déjà sur ce disque ce qui fera la saveur des futurs albums de Tonton Leon : les chœurs féminins. Mais on sent l’Asylum Choir nettement influencé par la pop anglaise de l’époque et plus spécialement les Beatles. «Death Of The Flowers» est en effet très anglais dans l’approche. Par contre, Tonton Leon et son copain Marc américanisent «Indian Style» en faisant sonner le clairon du 8e de cavalerie. Les tuniques bleues attaquent un village indien et on entend le bruit sourd de la mitrailleuse. La B est un désastre à prétention expérimentale et dans «Black Sheep Boogaloo», ils se prennent pour les Beatles en truffant leurs harmonies vocales de bye bye.

     

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    Un an plus tard sort l’Asylum Choir II. Ça reste très passe partout, même si le son se veut travaillé. Leurs compos se tarabiscotent. On trouve un très beau «Straight Brother» en B qui ne demande qu’à déployer ses ailes, mais qui rechigne pourtant à le faire. Tonton Leon chante exactement comme John Lennon dans «Learn How To Boogie». On sent une fixation chez lui. Mais il tape plus dans le côté baroque des Beatles que dans leur côté classique. Ils terminent avec «Lady In Waiting», un balladif country plutôt chaleureux. Ils sont de toute évidence dans leur petit monde et ne semblent pas concernés par l’agitation extérieure, ni par la course au succès. Ce sont des gens sans histoires, de doux hippies.

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    Le premier album solo de Tonton Leon paraît un an plus tard. En 1970, il est déjà poivre et sel. Il a donc pas mal de kilomètres au compteur, pour parler vulgairement. Ce premier album est une petite merveille pour au moins quatre raisons qui se trouvent toutes en B. Grâce à Joe Cocker, tout le monde connaît «Delta Lady». Tonton Leon n’a pas la voix de Joe mais il pousse bien la mécanique du scream. Il fait ensuite son Dylan pour «Prince Of Peace», un rock US chargé de son et de gratouilles, de chœurs et de fatras. Il passe au gospel batch de choc avec «Give Peace A Chance» et Bonnie Bramlett duette avec lui. Et pour compléter la panoplie, il passe au heavy blues avec «Hurtsome Body». Il y frise le laid-back de génie. En tous les cas, il crée l’événement en maniant ce limon. Tonton Leon sait mener sa barque. N’oubliez pas d’écouter «A Song For You» qui ouvre le bal de l’A, un balladif à vocation océanique, très Procol dans le protocole et très Lennon dans le non-dit. En composant ce hit, Tonton Leon voulait composer un classique digne de Frank Sinatra ou Ray Charles. Il rappelle lors de son interview avec Andy Gill qu’il existe 128 versions d’«A Song For You», dont une par Ray Charles. Il prend aussi un «I Put A Spell On You» qui n’est pas celui de Screamin’ Jay. Il s’agit plutôt d’un boogie rock bien endiablé et chargé de chœurs de filles. Pour l’époque, c’est une belle pétaudière. Les filles amènent une énergie considérable. Avec «Hummingbird», il sonne comme le Richie Heavens de «Motherless Child». C’est là où Tonton Leon excelle, dans les versets océaniques des travailleurs de la mer.

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    Un an plus tard, il enregistre l’un de ses meilleurs albums, Leon Russell & the Shelter People, sur quatre sites différents : Londres, Muscle Shoals, Tulsa et Los Angeles. Il y fait deux reprises parfaites de Dylan, «It’s A Hard Rain Gonna Fall» et «It Takes A Lot To Laugh It Takes A Train To Cry». Il les prend toutes les deux au nasal de circonstance. Le hit de l’album pourrait bien être «Crystal Closet Queen», à cause de la présence extraordinaire de Claudia Lennear dans les chœurs. Elle et Kathy McDonald foutent le souk dans la médina. On entend jouer David Hood et Roger Hawkins sur «Home Sweet Oklahoma». Quel joli coup de Southern Soul de rock ! En B, Tonton Leon tape son fantastique balladif suspendu, «The Ballad Of Mad Dogs And Englishmen», il y glisse de fantastiques notes de piano, just for myself and forty friends. Retour au big Muscle Shoals sound avec «She Smiles Like A River». Quelle vitalité ! Ces gens jouent comme dans un rêve de rock. Il prend ensuite «Sweet Emily» au balladif inspiré. Tonton Leon est alors au faîte de son âge d’or. Il maîtrise bien sa quadrature du cercle. Il termine avec l’extraordinaire «Beware Of Darkness», cut d’une grande complexité mélodique qui n’en finit plus d’envoûter les clés de voûte.

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    Pour faire la pochette de Carney, Tonton Leon se grime. Et si on retourne la pochette, on le voit assis devant sa petite caravane. Mais c’est une Rolls qui la tracte. Tonton Leon ne conduit pas n’importe quoi. Par contre, l’album n’est pas très bon. On retrouve les Shelter People sur «Cut In The Wood» et Tonton Leon fait sa petite crise d’Americana avec «Cajun Love Song». Il pose ensuite les jalons d’un rock à venir avec «Roller Derby», boogie rock bardé de chœurs de filles évangéliques. Voilà ce qu’il faut bien appeler du gros rock de bastringue mal fagoté.

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    On retrouve tous ses hits sur le triple album paru en 1973, Leon Live. C’est une œuvre à la fois attachante et compliquée à écouter. Live, il semble parfois que le talent de Tonton Leon se dilue. Mais en même temps, il fait feu de tous bois avec des reprises de Dylan, des tonnes de chœurs et du gospel en veux-tu en voilà. Dès «Mighty Queen Medley», les sisters rappliquent et chauffent bien le marmiton. On trouve de tout dans ce medley, du heavy blues, du shuffle, du Dylan, mais surtout des exactions de Soul Sisters impénitentes. On trouve aussi une version de «Delta Lady» presque aussi bonne que celle de Joe Cocker dans Mad Dogs. Bel hommage à Dylan avec une version bien pulsée d’«It’s All Over Now Baby Blue». On retrouve aussi «Queen Of The Roller Derby» joué à la bonne franquette et il passe au grand gospel batch avec «Great Day». Son gospel est d’une sincérité à toute épreuve. Il nous en recolle d’ailleurs des louches avec son «Jumping Jack Flash Medley» et rend un hommage spectaculaire à Little Richard avec un «Crystal Closet Queen» emmené ventre à terre. Il faut noter la présence des deux guitaristes, Don Preston et Joey Cooper. Les balladifs de Tonton Leon tiennent bien la route, c’est ce qu’on constate à l’écoute de la version live de «Sweet Emily». Et il termine avec un coup de gospel batch infernal, «Sweeping Through The City». Disons qu’on meurt moins bête quand on a écouté cet album en entier, car Tonton Leon fait partie des très grands artistes américains. Il faut bien sûr le situer à niveau égal avec Doctor John.

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    En 1973, il attaque un cycle country de quatre albums avec Hank Wilson’s Back Vol 1. C’est sa manière de nous révéler sa passion dévorante pour la country-music. Il démarre l’album avec un «Rollin’ In My Sweet Baby’s Arms» monté sur un fantastique beat de rockab. Il swingue sa country avec l’énergie d’un rockab Okie et c’est un véritable coup de génie. Et soudain, ça part en délire de banjo/violon. Franchement, Tonton Leon est un dieu du cirque. Il revitalise l’esprit du country bop. On trouve deux belles reprises d’Hank Williams sur cet album résolument country : «I’m So Lonesome I Could Cry» qu’il chante avec tout le feeling du monde et un «Jambalaya» dansant en diable. Il termine l’A avec un très beau «Six Pack To Go» boppé jusqu’à l’os. En fin de B, on se régalera aussi de sa version du «Lost Highway» jouée au slap de base et de rigueur, sans la moindre faiblesse, et il termine cet album sensible avec un bel hommage à LeadBelly dont il reprend «Goodnight Irene» - Goodnite Irene goodnite/ I’ll see you in my dreams.

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    Sur Hank Wilson Vol II, on trouve deux perles : «Wasbash Cannon Ball», merveilleux coup de Western swing avec du violon à gogo, chanté à deux voix avec Willie Nelson, et puis une reprise somptueuse du grand classique de Johnny Horton, «I’m Moving On». Il en fait une version dynamique en diable.

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    Live In Japan est un album live qui vaut le détour, ne serait-ce que pour entendre les filles gueuler sur «Heaven». Elles gueulent tout ce qu’elles peuvent, sans le moindre discernement. Il règne sur cet album une fantastique énergie. On parle ici de best live act of the seventies. Au niveau son, c’est extrêmement chargé. Tout le monde gueule sur scène. Et Tonton Leon commence à enchaîner ses hits, avec «Queen Of The Roller Derby», un boogie réchauffé par la chaleur intrinsèque. C’est du très haut de gamme, comme d’ailleurs le «Roll Away The Stone» qui suit, effarant de hottitude céleste. Les chœurs de filles explosent tout et le backing band sonne comme une machine infernale. Ça se remet en surchauffe avec «Alcatraz». On y entend Wayne Perkins ravager la frontière en pur guitar killer. En voilà un qui sait incendier la sierra. Tonton Leon se paye son heure de gloire avec «A Song For You/Of Thee I Sing», sa chanson fétiche. Il prend ça dans une fantastique ambiance et tout explose !

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    Il tape encore dans Dylan pour l’album Stop All That Jazz. Il reprend «The Ballad Of Hollis Brown» au gospel batch et en fait une version absolument extraordinaire. Il développe une telle énergie qu’on croit voir un pasteur évangéliste devenir hystérique. Il tape aussi dans Mose Allison avec une superbe jazzerie nommée «Smashed». C’est avec «Leaving Whipporwhill» que Tonton Leon se rapproche vraiment de Doctor John. À travers cette puissante assise pianistique transparaît toute la grandeur de l’Americana, la vraie. Puis il tape dans l’intapable, c’est-à-dire le «Spanish Harlem» de Phil Spector et le joue au piano bar, sur fond de congas des Caraïbes et de trompettes mariachi. Une fois de plus, on se dit qu’il faut avoir écouté ça au moins une fois dans sa vie. Tonton Leon montre à nouveau qu’il est l’un des cracks du groove océanique avec «Time For Love». Il aime s’étendre à l’infini. Il nappe son balladif de toute l’espérance du Cap de Bonne Espérance. Quel album ! Il termine avec le morceau titre, histoire de nous servir du jazz d’exception sur un plateau. Tonton Leon explose littéralement son jive de jazz. C’est un album hors du temps et surtout hors des modes.

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    Steve Cropper joue sur Will O’ The Wisp paru en 1975. D’où la richesse du son. Dès «Little Hideway», on retrouve le chant squeezé de Tonton Leon et la magie des chœurs féminins. Une fois encore, il crée de l’événementiel proto-mélodique. Au fil des cuts, on redécouvre ce fantastique créateur d’espaces inusités, d’interstices praticables, d’astuces cabaniques privées de communes mesures. Avec «Can’t Get Over Losing You», il nous plonge dans une sorte d’étrangeté confondante, bien montée au blues de bastringue et hantée par des chants de sirènes à la clé de sol. Le «Stay Away From Sad Songs» confirme cette impression d’étrangeté. Voilà encore un cut russellien en diable - When I sing my love song/ I sing my song for you - Il attaque la B avec un fabuleux balladif intitulé «Back To The Island». Il envoûte par la seule beauté de sa démarche. On entend Tommy Allsup jouer de la jazz guitar sur «Down On Deep River» et ça vaut tout l’or du monde. Il se passe quelque chose d’absolument extraordinaire dans chaque cut. Tonton Leon se montre très au fait des affaires mélodiques : on le constate encore une fois à l’écoute de «Bluebird». Il boucle avec un «Lady Blue» d’allure parfaite. Il laisse sa voix se perdre dans l’horizon. Cet artiste hors normes vise une sorte de perfection, mais sans prétention, il ne se préoccupe que du bon esprit et se contente de jouer ses notes de piano. Il est à la Californie ce que Doctor John est la Nouvelle Orleans, un homme de vision et d’exception, un cajoleur de son et un amoureux du real cool trend.

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    Les deux meilleurs albums de Leon Russell sont probablement ceux qu’il a enregistrés avec sa femme Mary Russell, en 1976 et 1977. Wedding Album grouille littéralement de coups de génie. «Rainbow In Your Eyes» emporte la bouche. On sent immédiatement la classe et la fabuleuse aisance du jeune marié. C’est joué à la meilleure good time music d’Amérique. On a là dans les pattes une pure merveille d’élégance mélodique et de swing léger. Retour au Southern Foutrack avec «Love’s Supposed To Be That Way». Quelle incroyable vitalité des idées ! Mary apporte des contre-chants de haut vol. On se sent merveilleusement bien dans ce son. «Fantasy» sonne encore à part, comme une sorte de balladif afro-cabanique en forme de sortilège et fantastiquement orchestré. On assiste au développement d’un fouillis de son inéluctable. Leon et Mary chantent «Satisfy You» à deux voix, sur fond de groove délicat et lumineux. Et ça continue en B, avec encore tout un tas de merveilles, à commencer par «You Are On My Mind», une pop de Soul joyeuse et pleine d’allant. Ils battent tous les records d’élégance avec «Lavender Blue». C’est pianoté il faut voir comme. Ce disque sonne comme un miracle permanent. Tout y est dédié, délié, délicat, délibéré et démesurément doux - You’ll be my king I’ll be your queen - Encore un balladif visité par l’ange de bonté avec «Quiet Nights». Ils frisent la perfection de Bobby Womack. Et ça continue avec «Windsong», un balladif choyé par un sax volubile. On ne se lasse pas de cette qualité de chant mélodique. Tiens justement, on parlait du loup : Leon et Mary reprennent le «Daylight» de Bobby Womack pour refermer la marche de ce précieux album. Ils nous plongent dans un groove de magie pure avec de faux airs d’Oh Happy Days des Edwin Hawkins Singers.

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    Le miracle se poursuit sur Make Love To The Music paru un an plus tard. Au dos de la pochette, Tonton Leon et Mary posent en famille. Ils reviennent à la good time music dès «Easy Love». Ils savent très bien ce qu’ils font. Tonton Leon chante d’une petite voix fêlée et pincée. On peut parler ici de qualité hors d’âge. Avec «Now Now Boogie», ils tapent dans la pop richement orchestrée et Tonton Leon passe au calypso de bon ton pour «Say You Will». Avec le morceau titre, il retape dans le balladif de classe infiniment supérieure. Les hits se trouvent en B, à commencer par «Love Crazy», une pop de Soul admirable de qualité intrinsèque. C’est cuivré à la diable et vraiment digne de Sly Stone. Tonton Leon est comme Swamp Doog, il fait exactement ce qu’il veut du son. Retour à la good time music dynamique avec «Love Is In Your Eyes». Et puis avec «Island In The Sun», on tient un hit inter-galactique. On comprend soudain d’où viennent les grands popsters américains contemporains : de Leon Russell et des gens de son acabit.

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    Avec Americana, on tombe des nues, car Kim Fowley co-écrit quasiment tout avec Tonton Leon. Ils démarrent avec «Let’s Get Started», un extraordinaire coup de good time music judicieuse et cuivrée de frais. Tonton Leon chante avec sa petite voix de nez, mais aussi avec un feeling extraordinaire. Il enchaîne avec «Elvis & Marylin», un fantastique balladif chanté au timbre fin et unique. Le «From Maine To Mexico» n’et pas le from Maine to San Diego de Joe Hill, mais un balladif d’une élégance sidérante. Il semble que Tonton Leon ne veuille chanter que des cuts d’inspiration divine. Il swingue ensuite le vieux hit de Percy Sledge, «When A Man Loves A Woman» et en B, il continue de taper dans de beaux soft rocks d’obédience américaine. «Shadow And Me» semble visité par la grâce et il boucle cet album incroyablement attachant avec un «Jesus On My Side» de choc.

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    Paru en 1979, Life And Love amorce une sorte de déclin. Sa pop reste raffinée jusqu’au bout des ongles, mais l’étincelle brille par son absence. «Struck By Lightning» sonne comme du Doctor John et pour «Strange Love», Tonton Leon va chercher des orchestrations de heavy groove paranormal. Il revient à son cher balladif océanique avec le morceau titre - When it comes to life and love/ Baby you can count on me - En gros, on a là un album très romantique et un brin ennuyeux. Il boucle avec «On The Borderline», une pop un peu énervée et chargée d’instrumentation.

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    Le Solid State qui paraît quelques années plus tard confirme le sentiment du déclin. Ses balladifs restent pourtant assez purs, mais ça ne suffit pas à masquer le manque d’inspiration. Tonton Leon crée la sensation avec une reprise de «Good Time Charlie’s Got The Blues» de Danny O’Keefe - Well I got my pills to ease the pain/ Can’t find a thing to stop the rain - Et quand il prend «Rescue My Heart» en tête de B, on croit entendre un curieux mélange de Ten CC et de Steely Dan, quelque chose de doux et de profond comme le Gulf Stream. On sent que Tonton Leon cherche à plaire et pour une fois, il perd un peu de sa grâce naturelle. Il suffit d’ailleurs de voir la pochette : il s’y fait des peintures de guerre.

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    Une pure merveille se niche sur l’album Anything Can Happen paru en 1992 : «Jezebel», un cut tapé au Diddley beat. Tina, la fille de Leon, fait les chœurs. Leon vit son rêve de family group. On a là une version énorme, d’autant que Tina est une bonne. Just perfect ! Edgar Winter joue du synthé sur «Angel Ways», un cut qui sonne comme un groove de rêve. Tonton Leon adresse aussi un joli clin d’œil à Chuck avec une reprise de «Too Much Monkey Business». Il la prend sur un mode de petite excitation étrange. Voilà un homme qui a des idées nettes et précises. Le hasard n’a pas sa place dans un esprit aussi affermi. C’est son fils Teddy Jack qui passe le solo. Il n’a que 14 ans. Plus loin, Tonton Leon lance «Life Of The Party» d’une voix d’entre-deux absolument tendancieuse et chante du nez, à la dylanesque. On entend son beau-fils Matt Harris prendre un fabuleux solo d’égarement sur «Love Slave». Tonton Leon n’en finit plus de réserver de sacrées surprises. Et son «No Man’s Land» sonne très Dr John, alors que ça joue au meilleur rebondi rythmique qui se puisse imaginer ici bas.

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    Cet extraordinaire album qu’est Guitar Blues avait un temps disparu des radars et il réapparut par miracle, alors bien sûr, nous allâmes brûler un cierge à Notre-Dame de Lorette. Car enfin, quel album ! Attention, il met un certain temps à décoller. On y trouve «Dark Carousel», une pop-song de charme, et quand on connaît un peu Tonton Leon, on sait qu’il tape là dans son fonds de commerce, c’est toute son éducation et même toute sa moelle, c’est plein de son et d’esprit, il chante dans sa barbe, on sent l’hédonisme du vieux maître. Même chose avec «It’s Impossible», pris au vénérable beat de session, pourtant sombre et peu avenant mais il entre dans sa chanson avec la classe immortelle d’un dieu de l’Olympe. On reste dans l’enchantement avec «Strange Power Of Love». Tonton Leon plonge dans les abysses du blues-rock de haut vol, c’est stupéfiant, car il semble s’exprimer en technicolor. Il s’installe dans une sorte de goove de classe suprême, il transforme un cut d’apparence ordinaire en chef-d’œuvre quasi-cosmique. Pur génie ! Encore un coup de Jarnac avec «The Same Old Song». Ne faites pas l’impasse sur cet album, ce serait une grave erreur. Tonton Leon y explose le groove à sa façon, mais il le fait avec nonchalance, il puise dans ses racines et dans ce que préfèrent les très grands artistes américains : le music-hall, évidemment. Ce disque est énorme jusqu’à la dernière goutte de son. Tiens, encore une merveille avec «Lost Inside The Blues», et son atmosphère d’Arletty, Tonton Leon y va franco de port, il est conseillé d’écouter cet homme chanter, car il y croit dur comme fer. Il gratte son hard blues dans «My Hard Times» avec une abnégation exceptionnelle. Incroyable présence de but what else could I do ? It’s so impossible. Mais qui va aller écouter ce vieux Père Noël aujourd’hui ? Tonton Leon n’a plus rien de sexy depuis longtemps. Et puis ne se contenter que de bonnes chansons, c’est tout de même un peu austère.

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    Tiens, une belle énormité se planque sur Face In The Crowd, le genre d’album qu’on croise dans les bacs et qui n’inspire rien de particulier. Mais si on écoute «This Heart Of Mine», alors on se félicite de ne pas être si con, car voilà une mélodie à la fois incertaine et déterminante qui remonte bien le moral. C’est même un hit, du pur jus événementiel, une incarnation de l’essor. L’autre merveille planquée dans cet album s’appelle «The Devil Started Talking», qui s’impose par son insistance exceptionnelle. D’autres choses flattent l’intellect, comme ce «Love Is A Battlefield» qui ouvre le bal, un heavy blues à la tontonnade, et dans «Dr Love», on voit Tonton Leon chercher des noises à la noise, et ce de façon à la fois magnifique et passe-partout. Sur cet album, Tonton Leon sonne un peu comme le Dylan des derniers albums, très classique, comme installé dans sa légende, pour ne pas dire endormi sur ses lauriers. Son «Betty Ann» sonne un peu comme «Delta lady», bien boosté du beat. Et puis quand on écoute «Blue Eyes & A Black Heart», on réalise un peu mieux à quel point cet homme connaît toutes les ficelles de la pop, de la Soul et de l’harmonie, du blues, du gospel et du zydeco. Il ne faut donc s’étonner de rien. Il prend «What Will I Do Without You» à l’édentée du heavy blues de l’Oklahoma. Si Dieu chantait, il chanterait exactement comme Tonton Leon. S’ensuit un «Mean And Evil» cuivré à outrance. Et il termine cet album infiniment attachant avec «Don’t Bring The Blues To Bed», pur boogie leonien - Don’t start crying/ We’re not going to work it out - Il swingue son don’t start crying de manière totalement subjuguante.

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    Si vous recherchez une compile de balladifs de choc, c’est Signature Songs paru en 2001. On y retrouve le fameux «A Song For You» tiré de son premier album solo, un balladif mélodiquement parfait et comme pianoté au panthéon. On tombe plus loin sur «Tight Rope» tiré de l’album Carney, un balladif beau comme un dieu. Tonton Leon multiplie les passades d’accords de Steinway et ça sonne comme un miracle, d’autant qu’il chante avec des poils de barbe dans la bouche. Absolue merveille, d’une stature immobile, comme lévitative et donc imparable. On retrouve aussi le fantastique «Delta Lady», ce vieux classique qui ne prend pas une ride. Il chante ça au maximum des possibilités invétérées.

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    Son ultime album s’appelle Life Journey. Un gros plan de son visage usé par les ans remplit toute la surface de la pochette. Il y propose des versions de classiques pour le moins extraordinaires, comme ce «Georgia On My Mind» déchirant d’intensité. Tonton Leon appelle Georgia dans la nuit de son déclin, avec la résonance d’un Soul man hors du commun. C’est joué au boom bash de big band et ça monte jusqu’aux neiges du Kilimandjaro. Quelle extraordinaire façon de saluer la compagnie ! Il faut absolument écouter ce dernier spasme du Père Noël. C’est d’une grandiloquence qui dépasse l’entendement. Il tape aussi dans Robert Johnson avec «Come On In My Kitchen». Dans ses bouleversantes notes de pochette, Tonton Leon explique qu’il vaut chanter une dernière fois in the small piece of spacetime which is my life - Quel vertige ! Il est quand même là depuis l’origine des temps. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle on l’écoute. Les grands artistes ont la peau dure, ne l’oublions pas. Il chante comme un vieux crocodile, mais il règne sans partage sur son marigot et tant pis pour la gazelle qui vient se désaltérer. Pourquoi aller tenter le diable ? On retrouve toute l’Americana du monde dans sa version de «That Lucky Old Sun» - Nearing the closure of my adventure, I feel that I must be the luckiest guy in the world - et il salue tous les gens, vous y compris - Bless your hearts - Avec «I Got It Bad And That Ain’t Good», il passe au jazz de Broadway. Il cultive tout ça avec une classe qui effare et qui n’appartient qu’aux vieux boucs un peu magiciens. Il chante à l’agonie du swing et n’en finit plus de redonner vie à l’Americana. On retrouve avec un bonheur non feint «The Masquerade Is Over». Il s’y prélasse comme un jeune homme et enchaîne avec un puissant groove, «I Really Miss You». Tonton Leon a du pot, car derrière, ils jouent comme des dingues, oui, ils pulsent le beat de la fin des haricots, on sent l’imminence du départ, la fin d’une époque, la fin d’un temps où les gens avaient encore une certaine culture. Retour au big-bandisme avec «New York State Of Mind», bardé d’énergie mais d’une autre époque, puis il opère un retour radical au heavy blues avec «Fool’s Paradise» et il termine avec l’excellent «Down In Dixieland», un hommage à la Nouvelle Orleans et aux choses de la vie. On ressort de cet album un peu sonné, comme si on venait d’entendre chanter un vieillard génial.

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    Si on dispose d’un peu de temps libre, on peut aussi jeter un petit coup d’œil au film que Les Blank tourna entre 1972 et 1974 : A Poem Is A Naked Person. Il vient d’être réédité sur DVD. Le titre sort d’un texte de Dylan, on s’en doute. Attention, ce film date un peu, mais il réserve des sacrées surprises, comme par exemple ce plan où Tonton Leon arrive sur scène pour chanter «I’m So Lonesome I Could Cry» d’Hank Williams, ou pire encore, ce plan filmé en studio où on peut voir George Jones chanter «Take Me». Et bien pire encore : Willie Nelson sur scène. On voit aussi Sweet Mary Egan accompagner Willie Nelson au violon, et un peu plus loin, Charlie McCoy accompagne Tonton Leon dans une version de «Goodnight Irene». Voilà comment Les Blank a choisi de nous montrer la puissance de l’Americana. On voit aussi un boa bouffer un poussin en direct, un immeuble s’écrouler à Tulsa et un peintre ramasser des scorpions : ce sont des petites métaphores destinées à illustrer le capitalisme. Oh on voit aussi un mec manger du verre. Leon revient sur scène en Californie pour taper dans l’«I’ll Take You Here» des Staple Singers, puis on le voit dans un studio de Nashville jouer avec des pointures du bluegrass. À un moment, son percussionniste Ambrose Campbell glisse une petite leçon de sagesse : «If you take from life, give back to life. If you do that, you’re on the way.» (Si vous empruntez à la vie, rendez à la vie. Si vous faites ça, vous êtes sur le chemin). Leon Russell fut l’un de ceux qui savaient faire le lien entre le gospel, le bluegrass, Hank Williams, les percus africaines et une certaine idée de la grande pop américaine. Tonton Leon tâtait de tout, ce qui le rendait indispensable.

    Signé : Cazengler, Léon Recel

    Leon Russell. Disparu le 13 novembre 2016

    Asylum Choir. Look Inside The Asylum Choir. Smash Records 1968

    Leon Russell. Leon Russell. Shelter Records 1970

    Leon Russell. Leon Russell & the Shelter People. Shelter Records 1971

    Leon Russell & Mark Benno. Asylum Choir II. Shelter Records 1969

    Leon Russell. Carney. Shelter Records 1972

    Leon Russell. Leon Live. Shelter Records 1973

    Leon Russell. Hank Wilson’ Back Vol 1. Shelter Records 1973

    Leon Russell. Live In Japan. Shelter Records 1974

    Leon Russell. Stop All That Jazz. Shelter Records 1974

    Leon Russell. Will O’ The Wisp. Shelter Records 1975

    Leon Russell & Mary Russell. Wedding Album. Paradise Records 1976

    Leon Russell & Mary Russell. Make Love To The Music. Paradise Records 1977

    Leon Russell. Americana. Paradise Records 1978

    Leon Russell. Life And Love. Paradise Records 1979

    Leon Russell. Hank Wilson Vol II. Paradise Records 1982

    Leon Russell. Solid State. Paradise Records 1984

    Leon Russell. Anything Can Happen. Virgin Records 1992

    Leon Russell. Face In The Crowd. Sagestone Ent 1999

    Leon Russell. Guitar Blues. Leon Russell Records 2001

    Leon Russell. Signature Songs. Leon Russell Records 2001

    Leon Russell. Life Journey. Universal Music 2014

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    Andy Gill : A Song For You. Uncut #237 - February 2017.

    07 / 10 / 2017 / TROYES

    3B

    NITE HOWLERS

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    Pas un chat à vingt heures, une cage de SPA surpeuplée à la veille du grand départ des vacances d'été à vingt-deux heures, les Nite Howlers ne pourront pas dire qu'ils ont été boudés au 3B, une chaude ambiance, mise en train par Fab aux platines qui nous bombarde de vieux rockabs de la mort et d'autres plus récents du cimetière. L'a une sacrée collection notre DJ, passe pas de la daube pour grabataire, un incendiaire. Mais la nature humaine est ainsi constituée que l'on en veut toujours plus, et les Hurleurs de la nuit vont se faire un devoir de nous satisfaire.

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    Une jeune formation, une réunion de vieux renards. De ceux qui vous égorgent un poulailler en moins de cinq minutes. Un carré d'as monumental, jugez-en par vous-mêmes : Franck Abed des Mean Devils, Olivier Laporte des Wild Goners et de Roy Thompson & The Mellow Kings, Jules Moonshiner de Silver Moon, Pedro Pena de Barny & the Rhythm All Stars, le quartet gagnant tous ex-aequo, du cent pour cent bio mijoté à la radiation atomique. La fine fleur du french rockab, une véritable association de malfaiteurs. Comme on les aime.

    NITE HOWLERS

    Le rockab, c'est tout et tout de suite. Du moins pour ceux qui pratiquent le grand jeu, l'ars magna des initiés. Sinon c'est perdu, vous errez dans le désert à longueur de sets insipides. N'a fallu que sept secondes ( je compte très large ) aux Nite pour électriser le public. Jules qui vous envoie deux cling-cling à électrocuter sans rémission tout un pénitencier de hors-la-loi patentés et Pedro qui vous applique la dégelée drumique, un fracas de cymbales digne de ces kaos catastrophiques qui terminaient les prestations des orchestres de la Grèce Antique, ensuite c'est facile, suffit de se mouvoir en orbite selon une courbe spiralée ascendante. Le problème c'est que tous le souhaitent et que très peu y parviennent. Dure loi rockabillyenne qui au contraire du principe de déperdition repositale du système de Carnot énonce que la densité d'énergie produite ne peut-être qu'exponentielle.

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    De façade, elle est trop bien vernie pour être honnête. A croire qu'il passe sa semaine la peau de chamois dans ses menottes à la lustrer amoureusement, à lui parler pour qu'elle ne se sente pas seule. Lui c'est Franck et elle sa big mama. Franck du collier et tabassage en règle, vous la martèle sans pitié, un bourreau jouissif, un sadique qui ne peut s'empêcher de pousser des hurlements de plaisir à chaque fois qu'il porte un coup plus fort que les autres. L'honnêteté chroniqueuse m'oblige à rapporter que la foule remuante loin de s'offusquer d'un tel traitement inhumain le soutient par des cris de contentements admiratifs. Avec Franck le last slap is not the least, l'a encore une spécialité, n'a pas de main, mais une serre d'oiseau de proie qu'il plante dans les cordes tel un aigle royal qui s'abat sur l'échine d'un mouton et lui casse les reins en rien de temps. L'on n'y peut rien c'est dans sa nature, l'a la contrebasse sauvage comme d'autres sont habités par l'instinct de mort. Mais exprime une telle joie sur son visage que vous lui pardonnez, que vous souhaitez qu'il ne s'arrête jamais.

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    Jules est, seulement d'apparence, moins exubérant. Faut dire qu'il donne dans la minutie, micro chirurgien qui pratique la trépanation des cerveaux à grands coups de cisailles mortifères. L'a la guitare qui leade naturellement. Pas le genre de gars qui s'enfonce dans des soli de quinze minutes pour vous perdre en pleine campagne. Plus c'est bref, plus c'est meilleur. Un riff snipper. D'une précision diabolique. Faut dire qu'avec Franck et Pedro qui azimutent à ses côtés, il ne lui reste que des fractions de nano-secondes d'intervention. Tout autre refuserait de jouer et demanderait une heure syndicale de concertation. Lui il se contente du haut-voltage. Vous décharge à chaque fois une ligne à haute tension. Le son de Nite, c'est lui le coupable. Ne cherchez pas plus loin. Joue au frisbee avec des étoiles de guerriers ninja. Saupoudre la nitro. Le comble c'est qu'il est encouragé par le public. Jules triomphe à chaque coup, passe les riffs comme César traverse le Rubicon. En vainqueur. Recouvert de la toge impériale.

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    L'ont caché derrière eux. En pure perte. Trop futé derrière ses fûts pour se faire oublier. De fait, c'est le grand manipulateur. Vous talonne les autres comme cocher de diligence qui fouette son attelage. S'amuse à un petit jeu dangereux. Gagne à tous les coups. Pedro le bonneteau du batteur. Sur quelle timbale, où, quand, comment, pourquoi, vais-je frapper ? Non ce n'est pas de l'interrogation métaphysique. Fait la course. Arrive toujours le premier. Du côté par où on ne l'attend pas. Pousse la pulsation. Ce n'est pas qu'il n'a pas de temps à perdre, c'est qu'il l'a supprimé le contre-temps, un pari qui a le don de plaire à Jules et à Franck. Se retournent sans cesse vers lui, visages rigolards, pour démontrer au maestro es sédition, à ce factieux facétieux, qu'ils ne marchent pas dans la combine, qu'ils y courent, et qu'ils embrayent au quart de tour comme des bouchons de champagne qui pètent et se répandent en milliers de bulles enivrantes. Pedro vous les mènerait en enfer qu'ils ne s'en apercevraient pas.

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    Laissons les garnements jouer ensemble comme portée de tigrons affamés déjà reconnus comme les rois de la jungle rockab. Olivier est à la guitare rythmique. L'est là pour la vitesse de croisière. Qui est aussi celle de pointe. Car le mystère du rockab c'est cela : chaque instrument possède son rôle irremplaçable, irrémédiable. Musique interventive par excellence. Faut être là où l'on doit être à l'instant précis exigé par la loi du genre. Ce qui n'exclut pas toute latitude au génie – ils en ont à revendre - de chacun de batifoler à sa guise, tout en jouant tous ensemble. Comme un seul homme. Le paradoxe de la glace chaude, de la tornade immobile, qui n'est autre que la transcription de la vie mortelle dans laquelle nous nous débattons. Et les Nite Howlers sont les champions de ces galops à fond de train, joliment, salement balancés, une cavalcade qui va s'amplifiant à l'infini mais qui au bout de deux minutes maximum de folie jubilatoire s'arrête brusquement comme la balle de tennis stoppée net sur la raquette pour repartir à l'inverse selon un aiguillage différent. Autres temps, autres heurts. Nous feront deux instrumentaux. Juste pour montrer ce dont ils sont capables, ce wild rock électrique pré-sixties dont ils sont les garagistes en chef. Mais que serait le rockab sans vocaliste ? Le vocal rockab équivaut au cinquième élément, le fluide hyper volatile et étherien, la dimension qui vous permet d'accéder à un autre univers. Réservé aux happy fews comme disait Stendhal, car vous avez beau ouvrir la porte de l'empyrée beaucoup passent devant sans s'en apercevoir. D'ailleurs de temps en temps Olivier en oublie sa guitare, la rejette dans son dos et approche la braise de sa bouche au plus près du micro. C'est qu'il s'attaque à des Himalayas du genre, l'on prend toujours un risque lorsque l'on s'entiche de torches vivantes que sont les pépites de Bob Luman, de Carl Perkins, de Charlie Feathers, de Benny Joy et ce soir le plus beau de tous Ronnie Dawson. Faut la fougue, la foudre et le foutre. Conjugaison de maniérisme et de bestialité. Le rockab respire le sexe et expire le feu. Brûlure et sulfure. Ce miraculeux équilibre Olivier le funambulise sur ses cordes vocales. Une inflexion de trop et c'est la chute libre sans petite branche où se rattraper. Court les pieds nus sur le fil tranchant de la difficulté suprême comme Lancelot sur le pont de l'épée.

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    Je n'en rajoute pas plus. Vous avez compris que vous avez raté quelque chose. Ne sont pas seul Benny aux manettes qui assura le son et le reste qui fait la différence. Le public galvanisé. Chaud chaud, chaud, devant et derrière. Le troisième set s'apparentant à une foule maraboutée par des sorciers. Un entremêlement de corps sous tensions prêts de l'explosion. Guys and girls au bord de la crise sexuelle. Béatrice dispensatrice de nos plus folles soirées, une fois n'est pas coutume, demandant à Fab de relancer la sono, comme l'on arrête les réacteurs d'une centrale atomique pour éviter la surchauffe irradiante. Et vous qui n'étiez pas là et dormiez paisiblement, si vous avez entendu des hurlements de sang retentir dans vos cauchemars, ne cherchez pas les vampires. Ils s'appellent les Nite Howlers.

    Damie Chad.

    ( Photos : FB : Béatrice Berlot )

     

    08 / 09 / 2017 / CHATENAY-SUR-SEINE

    BLUE'SKAÏ GRASS

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    Chatenay perdu au fin-fond de la Brie, une longue rue de village et de l'herbe autour. Mais rien n'arrête le chiendent du rock'n'roll, s'infiltre partout... Des manifestations artistiques sont prévues dans tous les patelins alentour, à Chatenay ils ont choisi de supporter leur local rock band. Initiative des plus louables. Accueil des plus sympathiques, vaste table surchargée de gâteaux et de bonbons en accès libre à l'entrée de la salle des fêtes. Un ancien corps de ferme réaménagé. Vous pourriez y entasser quatre cents personnes, le plafond, avec ses caissons semi-voûtés agrémentés de dizaines de grilles d'aération, d'une hauteur sidérante, traversé à mi-hauteur de longues poutres solitaires qui devaient à l'origine supporter le plancher des greniers, rappelle les carènes de navire renversé qui coiffent les nefs des églises de campagne briarde, m'inquiète un peu... allez équilibrer le son dans un tel volume...

    Blue'Skaï Grass est entouré d'amis. Le groupe s'est formé autour d'Anthony Dean qui fut guitar-mercenaire au Golf-Drouot dans les années d'or et préhistoriques du rock français. Un grand gaillard sympathique pas du tout figé dans la nostalgie. L'est en première ligne, au micro et à la guitare. Hélas, trois fois hélas, n'a pas ouvert la bouche que l'écho s'empare de sa voix et la transforme en un brouhaha assourdissant qui couvre le reste de l'orchestre. Enfer et malédiction ! Basse, deuxième guitare, clavier sont noyés en un charivari dantesque. Il aurait été plus judicieux de jouer dehors, le temps s'y prêtant, que sur cette scène intérieure, dont la maîtrise phonique aurait demandé un sonorisateur plus expérimenté... Mais les rockers sont têtus. Rendez-vous de principe est pris avec Jean-Michel le bassiste pour assister à une répétition un des jeudis soir prochains.

    Un coup pour rien ? Pas du tout, passé l'après-midi à discuter avec des gens passionnants férus de musique, je ne citerai que Jean Rey avec qui il y a quelques années nous avions activement participé à une manifestation peinture-poésie des plus explosives. Bref, vous l'avez compris, nous reviendrons à Chatenay, écouter pousser l'herbe bleue.

    Damie Chad.

    LONELY BOY

    MA VIE DE SEX PISTOLS

    STEVE JONES

    ( Editions : E / P / ASeptembre 2017 )

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    Z'avons surtout donné la parole à John Lydon jusqu'ici dans KR'TNT ! Pas tout à fait de notre faute. La prend souvent. Peut-être une habitude de chanteur posté en première ligne. Sans doute aussi un caractère plus vindicatif que ses collègues. Mais c'est au tour de Steve Jones de s'en emparer. Les fans risquent d'être déçus. Certes le livre est articulé sur trois segments, Avant / Pendant / Après - le lecteur kr'nteur aura deviné que chez notre pistolier il n'y a aucune allusion christologique en ce découpage temporel – mais les Pistols n'ont droit qu'à la portion congrue. Très logiquement si l'on s'en tient à la sainte trinité des rockers, sex prédomine, drugs viennent en deuxième position et le rock'n'roll en est réduit aux acquêts. Serait plus rapide de dire que dans son livre ( écrit en collaboration avec Ben Thompson ) Steve Jones ne parle que de lui. Conçoit l'établissement de son bilan existentiel non pas comme l'on pourrait s'y attendre dans la colonne faits et gestes héroïques fièrement accomplis mais comme le solde de tout compte d'un lourd passif de départ durement apuré. Sans vouloir être méchant ou cynique disons que Steve Jones se la joue un peu Calimero. Le poussin qui n'a pas eu de chance dont la coquille s'est cassée à peine tombé du cul de sa mère.

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    Sa daronne il ne la porte pas dans son cœur. L'a mis au monde et a été incapable de retenir le géniteur. Un teddy ted qui s'en est allé fonder une autre famille plus loin... Deuxième crime impardonnable : l'a arraché du cocon douillet de l'affection de sa grand-mère pour emménager avec celui qui sera son beau-père. Le gamin est la troisième portion de la vache. Pas celle qui rit. Pas celle qui brame non plus. N'est pas du genre à pleurnicher. Réceptionne les coups dans la gueule sans moufter. Intériorise tout. Ce serait mieux s'il était battu pour de vrai, mais non la souffrance est morale. Destruction mentale. Se sent de trop. Moqué, rabaissé, méprisé. Steve perd confiance en lui. Assimile le message. Ne parviendra pas à apprendre totalement à lire et à écrire. L'école l'ennuie et le décourage. Trouve quelque réconfort affectif dans la famille d'un copain du quartier, un certain Paul Cook qui deviendra son meilleur ami.

    Retenez l'eau par un barrage elle finira par trouver un endroit pour s'écouler. Les individus adoptent des stratégies de survie et de compensation. Puisqu'il n'est rien le petit Steve va accumuler du côté de l'avoir. L'est pour l'appropriation directe : par le vol. Commencera comme tout un chacun par les bonbons mais il ne s'arrêtera pas en si piètre chemin. L'est comme un de mes chats qui ne pouvait sortir dans le jardin sans ramener quelque chose à la maison : lézards, taupes, oiseaux, serpents. Une sale habitude dont il ne se débarrassera qu'au bout de trente ans. Les larcins évolueront avec l'âge : trains électriques, bicyclettes, voitures... Ne peut s'aventurer quelque part sans revenir avec un trophée quelconque. Plus tard il équipera les Pistols en sono, micros, guitares, des Small Faces à Bowie il mettra le rock anglais à contribution...

    L'a de la chance, des juges et des policiers peu féroces – remarque qu'en nos jours moins permissifs la surveillance vidéo l'aurait en quelques semaines jeté en prison – se fie à cette cape d'invisibilité psychologique qui le protège et lui permet de rentrer dans les endroits les plus défendus le plus simplement possible en passant en toute innocence devant les gardiens qui n'y prennent pas garde. Crowley a théorisé et expérimenté cette manière de faire : ne s'agit point de devenir invisible mais d'agir en sorte – par un rituel d'auto-persuasion psychique - que vous ne soyez plus visible aux yeux des tiers. Essayez et vous verrez.

    Puisque vous rentrez du commissariat je continue. L'on en arrive au passage pédophilique obligatoire. C'est fou le nombre de biographies qui depuis vingt ans s'arrêtent à la case inceste. A croire que c'est une mode. Pour Steve c'est le beau-père qui lui demande – une seule fois – de le masturber. Fait tout de même amende honorable Steve, précise qu'il aurait peut-être été par la suite victime de sa future addiction sexuelle si la scène ne s'était pas déroulée. Admet qu'auparavant l'avait été déstabilisé par des personnages équivoques du quartier. Et qu'après l'a même sauté le pas tout seul. L'homosexualité ne fut qu'une mise en bouche, trouve vite le bon branchement : les filles.

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    Grandit en touche à tout, un peu supporter de foot, un peu skinhead. N'aime pas le baston denrée de base des skins. L'a un goût prononcé pour la sape. Ne porte pas n'importe quoi. Son art de la fauche lui permet de se fringuer de cap en pied sans rien débourser. La musique aussi. Small Faces, James Brown, Queen, Stooges, David Bowie et Roxy Music... et puis plus tard New York Dolls... L'avenir ne s'annonce guère brillant. Aucune envie de rentrer dans le rang des vies ternes et grises. Une seule échappatoire : former un groupe. Quelques copains, Paul Cook bien sûr, lui au chant. Reconnaît qu'il n'est pas brillant derrière un micro, mais comme il est trop instable pour se concentrer sur l'acquisition et la mémorisation d'un ultra-minimum de bases musicales... le combo qui répond au doux nom de Strand puis de Swankers ( les Frimeurs ) n'est pas en route vers la gloire... Futur incertain...

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    Steve Jones finira par trouver sa bonne étoile. Une boutique de fringues. Y vient pour piquer mais s'y trouve bien. Malcolm Mclaren et Vivienne Westwood se prennent de sympathie pour ce jeune garçon paumé. Jouent père et mère de substitution. Jones est fasciné par le couple, est accueilli, dort chez eux, apprend qu'il existe autre chose que l'univers étroit et prolétarien dont il est issu. Malcolm a une revanche à prendre sur son expérience ratée avec les New York Dolls, l'a l'intuition que quelque chose est à faire avec un groupe de rock. Ne sait pas trop quoi. Il tâtonne. Plus tard il parlera d'un plan d'action concertée de A à Z, froidement appliquée, un peu comme Edgar Poe se vantera d'avoir méthodiquement fabriqué son poème Le Corbeau. Steve Jones n'en croit pas un mot, par contre il ne remet pas en question l'art d'improviser et de manipuler du pygmalion des Sex Pistols. L'accouchement sera difficile. Pour le bassiste, l'employé de la boutique Glen Matlock sera désigné d'office. Paul Cook officie à la batterie, Jones chante trop mal, sera rétrogradé à la guitare, pour les lyrics ce sera un client repéré par Vivienne. Malcolm se trompe d'individu : au lieu de proposer le job à Sid Vicious, il l'offre à John Lydon que Steve surnomme Johnny Rotten.

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    Jusque là tout concorde avec l'histoire officielle. Steve Jones nous donne son interprétation de la saga pistolienne. Au début sont nuls, mais ils s'améliorent. Lui-même se met à taquiner sa guitare toutes les nuits. N'est pas frappé par la grâce, l'avale tant de speed qu'il ne peut dormir. Passe ses blanches nuitées à s'exercer pour exorciser sa nervosité, deviendrait fou s'il n'arrivait à canaliser ses angoisses. Rotten se débrouille au micro et est doué pour écrire des morceaux originaux. Les premiers concerts sont calamiteux mais ils parviennent à produire un son bien à eux. Si les rares essais en studio ne sont pas catastrophiques, il leur manque le déclic et la maîtrise d'un véritable producteur. S'inscrivent tout de même dans l'évolution logique du rock anglais commencé avec le pub-rock, z'ont un son plus crade, moins rhytm'n'blues davantage rock'n'roll et surtout ce qui fait la différence un public qui se reconnaît en eux, et les suit, le fameux Bromley Contingent. Le single Anarchy in the UK leur permet de toucher un public plus vaste.

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    Pour Steve Jones les Sex Pistols sont sur la bonne voie. Empruntent le parcours classique de tous les groupes de rock qui ont su émerger. L'est heureux comme un pape, baise les nanas à la pelle mécanique. Ne lui en faut pas plus pour être au top. Toutes ses belles promesses sont balayées en quelques secondes. Leur première télé tourne mal, tombent dans le panneau tendu par l'animateur Bill Grundy, provoqué Rotten lâchera le mot shit, mais Steve Jones le doublera par un fuck retentissant !

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    Du jour au lendemain, les Pistols sont honnis par l'Angleterre qui y pense très mal. Concerts interdits. La presse se déchaîne. Mais un malheur ne vient jamais seul. Matlock est éjecté de la formation, trop bourgeois, trop poli, trop classe moyenne pour ses comparses. Ne correspond pas à l'image du groupe. Sera remplacé par Sid Vicious. Jones ne mâche pas ses mots. Un crétin absolu. Qui ne sait même pas jouer de la basse. Ne regrettera pas sa disparition. Pour les Pistols les carottes sont cuites. Malgré la sortie de Never Mind the Bollocks. Grandiose mais trop tard. La tentative de repli vers l'Amérique sera un fiasco. Le groupe implosera. Trop de tension, trop d'alcool, trop de dope, trop d'animosité, formé de bric et de broc, trop vite, trop rapidement... Dégomme la légende punk, abomine les crachats et abhorre l'idée aberrante des musiciens géniaux qui n'ont jamais touché un instrument...

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    Pour le dernier tiers du bouquin Steve Jones ne s'attarde guère sur sa carrière musicale. Expédie en quelques paragraphes les Professionals et Chequered Past, quelque fierté à avoir joué sur le So Alone de Johnny Thunders, et d'avoir été demandé pour une session par Bob Dylan. Parle sans aménité des reformations des Sex Pistols qui ramènent du fric, qui procurent des satisfactions mais qui ne reprisent pas tout à fait les vieilles chaussettes trouées. Chacun reste en fin de compte de son côté du trou. L'a eu d'autres chats et chattes à fouetter. Ses addictions à l'héroïne et au sexe. Raconte ses galères. Ce n'est pas l'argent qui pose problème, réfugié aux States, les connaissances ne le laisseront pas tomber. Ce nouvel état de fait lui permettra de se débarrasser de son indéracinable propension à la kleptomanie. Pour l'héro, le combat sera plus difficile, mais il parviendra au bout de plusieurs années à ne plus y toucher. Pour les filles ce sera très dur. Rechutera souvent. Peut-être en consomme-t-il moins parce l'âge venant... Ces trois écueils passés, lui restait encore quelques problèmes originels : revoir sa mère et son beau-père, toujours aussi décevants, et son père une rencontre plus réconfortante... L'a acquis un équilibre, appris à lire et à écrire... L'a trouvé sa place dans le monde. Mène depuis plusieurs années sur les ondes calforniennes une émission radio, passe les disques qu'il aime et interviewe qui il veut...de Bowie à Jerry Lee Lewis...

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    Steve Jones est heureux. Chaque Homme dans sa Nuit s'en va vers sa lumière rappelait Julien Green – l'avait piqué la formule à Victor Hugo – oui mais dans le rock souvent la nuit est plus ensorcelante que le jour.

    Damie Chad.

     

    SUMMER'S GONE / ABK6

     

    SUMMER'S GONE / WORK AND WORK / LET ME GO AGAIN / WIND AND DUST / BRAND NEW TAMBOURINE / THE THINGS I WILL NEVER SEE / THAT'S WHAT I NEED / MY SILVER RING / THUNDER / HEAR A WHISPER / CALL ME ANYTIME / THE BRIDGE.

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    Hypno 005 / Octobre 2017 /

    Daniel Abecassis : Guitars, vocals, keyboards, bass, percussion, bohemianand acoustic guitars, guitar, harp.

    Julien Francomano : drums.

    Artwork : Alan Abecassis.

     

    Summer's gone : rythmique imparable, terriblement américaine, la pochette ne ment pas, ABK6 qui vole sur fond de ciel bleu au-dessus des gratte-ciels, les grands espaces et l'occupation des sols, l'azur célestial et la lie terrestre, cloaque estival dont sont pétris les hommes qui courent au-devant d'eux-mêmes. Un millier de références discographiques – un lyrisme musical à la Neil Young pour ceux qui ont besoin que l'aiguille de leur boussole indique une direction incertaine – mais l'été des illusions s'achève et les pistes qui s'ouvrent sont inexplorées, ABK6 fonce la tête en avant sur ses chemins de traverse, l'on pressent que l'aventure solitaire sera douce et amère. Country électrifié et blues mélodique. Pour le moment les guitares mènent le train et s'accélèrent, la voix s'affirme péremptoire. Nous sommes à l'orée de possibles. Work and work : batterie appuyée, la guitare commente, la voix proclame, la vie n'est pas de l'apple pie, mais cela fait aussi partie de votre fierté, optimisme de virilité appliquée aux choses de la vie qui ne se passent jamais comme il se devrait, guitares s'exacerbent comme chignoles et gonflent et débordent en grondements de milliers de voitures sur la highway. Let me go again : mieux vaut être seul que mal accompagné, assurance tous risques, oser lutter, oser vaincre, partir sans se retourner, enthousiasme de guitares, allégresses drumiques, la voix claironne et assume. Wind and Dust : les trois premiers morceaux comme entrée fracassante, ici le ton change, la voix module d'un cran au-dessous, se charge d'une gravité expérimentale car l'on est déjà de l'autre côté de la rivière que l'on voulait traverser, les guitares font encore le gros dos et foncent droit devant. Pour combien de temps ? Brand new tambourine : nouvelles sonorités, narquoises, voix en ballade mais plus creuses, optimisme de façade, rupture avec ce qui précède, intrusion dylanienne, le temps des révolutions intérieures est survenu. These things I will never see : les introspections ne sont guère joyeuses, l'on oscille en sourdine entre folk et blues, velours moiré de l'orchestration entremêlée de quelques fils d'or. That's what I need : retour du tonus, chat dans la gorge, inflexions jagueriennes idéales pour régler les comptes et remettre les pendules à l'heure. Guitares incisives qui tire-bouchonnent les oreilles. My silver ring : la guitare s'insinue, l'aurait des sonorités de pedal-steel, faudrait savoir à quoi l'on va se décider, prêt à partir ou à rester. La musique se fait tendresse de coton feutré, la voix s'inflexionne sur ce qu'on sait ne pas vouloir. Thunder : cristaux de guitares font mieux que bourrasques de violence, la voix s'affirme, c'est elle qui gronde et emmène la caravane jusqu'à résonner dans le lointain. Hear a wisper : cordes lugubres et la voix qui déclame. L'est des chuchotements qui claquent comme des proclamations, mais l'orchestration mange les mots. Call me anytime : Lassitude et espérances. Décrochages et promesses. La partition se fait douce comme un appel qui résonne dans le vide. The bridge : les ponts mènent bien quelque part peut-être bien là où l'on ne voudrait pas. Mieux vaut se taire et laisser le pont dérouler ses arches et se perdre au loin dans la brume. Piste 13 : pas prévue au programme, pas annoncée sur la bande-annonce. Un cadeau. Rien à voir avec un bonus pour les heureux acheteurs. Le bout de la piste est à portée. Suffit de le décider. L'errance est terminée. Joie champêtre. Piste 14 : marche en avant. La boucle d'optimisme se referme. Juste deux couplets pour résumer et conclure la pérégrination. Plaisir de jouer, de laisser la musique remplir la bande. Satiété. Le but n'était que le chemin.

     

    Ne pas se fier à la beauté des guitares. A première écoute ça ronronne comme un matou exposé au soleil sur son épais coussin. Ça emporte l'adhésion. Bien foutu, bien balancé. Idéal en arrière-fond pour amadouer la copine qui vient chez vous pour la première fois. Erreur dont vous ne tarderez pas à vous repentir. Trop beau pour être vrai. Agit comme ses fleurs carnivores dont le suave parfum vous empoisonne. Ne touchez pas avec votre âme, poisseux de blues. Caché sous des arrangements à la Bruce Springteen, à la Gram Parson. Sachez écouter entre les notes bleues et dorées, Daniel Abecassis nous raconte la sempiternelle histoire des loosers que nous sommes. Porteurs de rêves si simples qu'ils en deviennent monstrueux. Nous tend un miroir américain à notre effigie. La copine s'est débinée. Plan foireux. Mais l'on n'est jamais au mieux ( ou au pire ! ) qu'avec soi-même. Entre intensité et juste milieu le choix n'est pas difficile. C'est ainsi que l'on apprend à se connaître. Daniel Abecassis nous convie à un itinéraire secret, intimiste, empli de guitares juteuses et généreuses. Un ovni dans le rock français. A découvrir.

    Damie Chad.

     

    FOLLES DE DJANGO

    ALEXIS SALATKO

    ( Robert Laffont / Août 2013 )

     

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    Roman. Spécifié dès la couverture. Pour qu'il n'y ait pas tromperie sur la marchandise ? Pour ne pas avoir à se justifier auprès des esprits tatillons ? Ou peut-être pour signifier que la vie de Django Reinhardt était déjà un roman à elle toute seule et que, puisque l'on n'attrape pas plus les mouches avec du vinaigre que l'on ne capture point l'âme gitane en la mettant en fiches, il importait avant tout d'en saisir quelques reflets avec cet outil miroir de mots kaléidoscopiques que serait le roman littéraire ?

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    Trois femmes pour Django. Trois générations. Grand-mère, fille, petite-fille. Maggie, Jenny, Dinah. Par ordre chronologique. Ne comptèrent guère pour Django. Sentimentalement parlant. La dernière n'était qu'une enfant lorsqu'il mourut. L'était le mur et elles la vigne vierge qui s'accroche au moindre interstice. Le tronc tolère le lierre mais s'en soucie peu. Hiatus profond. Entre elles et lui. Sont d'un monde civilisé, rationnel. Lui d'un peuple des marges. Méprisé et méprisant. Si éloigné des représentations romantiques de la psyché européenne. Vit à part. Dans la zone des fortifs. Qu'il transporte toujours et partout dans sa tête. Qu'il reconstitue à chaque étape, dans chaque chambre d'hôtel, dans chaque appartement. Un joyeux foutoir, peuplé de rires, de cousins, d'amis, de musique, d'alcool, de fêtes sans fin. L'instant présent. Passé annihilé. Le futur n'existe pas. ( Un no future très éloigné de celui des Sex Pistols ). L'argent n'a aucune valeur, se boit, se mange, se perd au billard, sans compter, tout de suite. L'aurait peut-être été plus heureux si tout avait pu continuer ainsi, mais il n'en fut rien. Trop doué, ne sait ni lire ni écrire mais saisit d'instinct la musique. L'entend une fois, et est capable tout de suite de broder dessus. Virtuose mais qui ne se répète pas. C'est là son secret qui deviendra sa malédiction. Les gens sont des enfants qui aiment qu'on leur relise chaque soir le même conte. Cela leur permet de dormir debout.

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    Un profond malentendu. Django n'a pas que des qualités. L'est attiré par tout ce qui brille. Surtout les babioles et les bagnoles. Se contente de peu : joyeuse assistance dans un bar, boisson offerte par le patron, pourboires et cachet minimal. Avec en plus, dans son imagination, le rêve qui clignote de l'Amérique... Ce sont les rencontres qui font la différence, Maggie, jeune veuve d'un as de l'aviation mort en mission, qui le découvre par hasard et qui a prescience de son génie. Qui le pousse, qui le présente à Maurice Alexander accordéoniste star qui l'emmène en tournée. La belle vie pour Django... Mais au-delà des circonstances qui l'ont fomenté et formaté, reste la musique et le parcours de l'artiste. Le temps a passé et aujourd'hui Django pour le grand public n'est plus que le roi du jazz manouche, une catégorie étiquetable figée en elle-même, comme la mentalité française aime bien en créer, sœur cousine du jazz New Orleans. Le jazz fut la chance inouïe de Django, ne pouvait mieux rêver que surgissement de ce type de musique qui était en train de déferler depuis les Etats Unis sur le monde. Le jazz lui ressemble, rassemble en lui les postulations essentielles qui participent de l'âme de Django. Liberté et virtuosité. Deux qualités assez antinomiques quand on y réfléchit. L'improvisation est l'âme du jazz, fonctionne comme une métamorphose incessante qui n'est pas sans rappeler les ronds de fumée mallarméens abolis en d'autres ronds. Mutation et renaissance perpétuelle. Une chaîne dont les anneaux se détachent du précédent plutôt qu'ils ne s'y cadenassent. Tout en assurant une continuation formelle des plus structurées. Nous ne sommes pas loin de la transcription de ce qui plus tard prendra pour nom en mathématique théorie des catastrophes, selon laquelle la répétition d'une structure donnée peut du seul fait de sa répétition à l'identique engendrer de monstrueuses mutations comme si la matière procédait par d'incompréhensibles ruptures afin d'assurer son devenir. Une manière de concevoir le monde très éloignée de l'algébrique vision prédictive du triomphe algorithmique, algorythmique, de notre binaire modernité, en fait très proche du mythe de l'éternel retour nietzschéen du même qui induit une telle tension dramatique que la perpétuation cyclique débouche immanquablement sur une rupture catharsique aristotélicienne, ce qu'en rugby l'on nomme l'art du dégagement conclusif de l'essai en cours. La virtuosité vous enferme dans le cercle du chien qui tourne de plus en plus vite sur lui-même pour attraper sa queue, sous l'enthousiasme communicatif des spectateurs, elle est un piège redoutable qui se referme sur vous-même et vous empêche de progresser.

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    La guerre amputa Django de sa carrière. En traître. Sa carrière culmina sous l'Occupation. Un sommet de contradictions, le métèque est l'empereur du Paris by-night. Toute situation de crise vous pousse à chercher des sorties de secours, même si elles conduisent dans les impasses des arrières-cours où l'on entasse les poubelles de l'Histoire. Le swing sera le dérivatif de la capitale occupée. Musique entraînante qui vous tourne la tête et qui permet à Django de laisser libre-cours à son imagination rythmique débridée. Le retour du bâton ne se fera pas attendre. Les allemands n'apprécient guère ni la musique de nègre ni la sous-race des tsiganes. Django tente de fuir, et dans l'impossibilité de quitter la France, se fait discret... La Libération le trouve vivant. Le plus dur est passé. Semble-t-il. Car en Amérique une profonde mutation est en train de germer. Charlie Parker casse les patterns reproductifs du jazz, la révolution Be-Bop change radicalement le visage du cette musique. Le livre décrit à merveille le déchirement du jazz français ( qui par ricochet aura une grosse et néfaste influence sur la naissance du rock par chez nous ) : coupés durant une demi-décade de l'Amérique nos musiciens par la force des choses ont ossifié leur style, eux qui durant des années ont suivi plus ou moins bien le mouvement venu d'outre-Atlantique se retrouvent dix ans plus tard dans la totale incapacité de comprendre l'impérieuse nécessité d'évoluer. Se mettent au diapason du public, tout heureux à la Libération de retrouver la joyeuse ambiance du jazz d'avant-guerre mais qui peu à peu se détournera de cette musique qui commence à dater... Seul Django comprend le danger, ces nouveaux enregistrements dans lesquels il parvient à une plus grande maturité rythmique qui l'éloigne des galopades débridées du début ne ravissent que les connaisseurs. Le jazz devient une musique branchée pour intellectuels... Les masses se détourneront de lui. De nombreux musiciens à court de contrats guignent vers la variété. Les pages sur Grappelli sont d'une sévérité exemplaire... Alexis Salatko ne prend même pas la peine de citer les galéjades d'un Boris Vian. En dernier recours Django aura tenté l'aventure américaine, qui tournera mal, les ténors du Be Bop qu'il brûle de rencontrer sont en tournée très loin de New York, sa programmation dans l'orchestre de Duke Ellington le déçoit, terrible impression d'être exhibé en tant que singe savant dans le quart d'heure des célébrités exotiques... Un soir, mais pas deux. Retourne en France. Jouer ne l'intéresse plus, l'est passé à l'essentiel : créer.

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    L'est déçu et terriblement conscient que pour lui les épinards sont hachés. Quitte la guitare qu'il suspend au mur de sa maison de Samois. Va à la pêche, s'occupe de son gamin et de Dinah... S'est trouvé un autre hobby : la peinture. Qui n'est pas sans lui poser de graves problèmes : la culture tsigane exclut la représentation de la nudité sexuelle de la femme... Contradictions intimes. Ses amis insistent pour qu'il reprenne le flambeau, ce seront les derniers enregistrements, les plus aboutis, mais le cœur n'y est pas, est passé à autre chose, l'a accompli ce qu'il avait à faire en ce bas-monde, inutile en quelque sorte, s'effondre brutalement au mois de mai 1953, coda brutale.

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    Folles de Django est à lire. Une approche oblique d'un musicien englué comme tout un chacun dans le piège de l'existence. Alexis Salatko nous décrit Django du dehors, mais nous permet de le connaître du dedans. Django le viveur, Django le flambeur, Django le noceur, Django l'inconséquent. N'en fait qu'à sa tête. L'a voulu la célébrité et la liberté. A obtenu les deux. Ne les a jamais monnayées. Ni entassées. Des colifichets que l'on exhibe fièrement sur sa poitrine comme des décorations sur la veste des militaires mais dont on se débarrasse dédaigneusement arrivé à la maison. L'insouciance du gamin et le poids indu de la maturité comme un cadeau empoisonné. N'y a qu'à comparer sa vie avec celle d'Elvis Presley pour comprendre lequel des deux fut le plus heureux. Le pire c'est que dans leur grande majorité nos contemporains n'ont d'yeux que pour le colonel Parker.

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    Damie Chad.

    CUIRTUREL !

    FILE-MOI TON CUIR

    ( 4 / 10 ) CUIRS ROCK

    REALISATION STEPHANE GARREL

    CULTURE ET pop / ARTE TV

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    Christian Eudeline fait le buzz sur le net. L'a participé à une mini-série, six minutes maximum l'épisode, consacrée au cuir sur la télé. Lui est échu de présenter l'épisode 4 sur les cuirs rock. Surprise, première image sur Djivan des Howlin' Jaws, comme tout Howlin' qui se respecte entreprend de recoiffer sa banane, aussitôt imité par Lucas – un Jaws sans peigne c'est aussi invraisemblable qu'un alligator sans dents – plus modestement Baptiste Crac Boum Hue se contente de faire tournoyer ses baguettes entre ses doigts, commencent à jouer, profitez-en, c'est court, ne pleurez pas ils reviendront, en coups de vent. Patrick Eudeline prend la parole et là c'est le délice, images mouvantes et émouvantes de Vince Taylor sur scène, beau comme un Dieu Grec, félin échappé du zoo... Vince a-t-il été le premier à porter du cuir sur scène ? Christian Eudeline le pense. D'autres opinent pour Gene Vincent. M'étonnerait que dans les fifties un pionnier ignoré des grandes anales au fond d'une salle perdue dans un bled paumé n'ait pas une fois franchi le pas... On est toujours le second de quelqu'un d'autre... L'est vrai qu'avec Vince et Gene l'on accède au seuil symbolique de la représentation signifiante. Pochette Barclay de Vince – nous l'avons plus d'une fois exhibée sur KR'TNT ! pédagogiquement expliquée et entrecoupée de la prestation impeccable des Jaws qui comin'on on the speed. Hélas tout a une fin, voici les détestables yéyés qui surgissent et font passer les rockers «  pour des vieux cons ». Nous sortons nos mouchoirs pour pleurer, mais rien ne nous sera épargné, l'on doit s'enquiller vingt secondes, de trop, l'annonce du prochain épisode, Renaud tout jeune qui nous parle de provocation. L'a bien changé depuis, s'est bien renié, appelle à voter pour les représentants du capital et embrasse les flics que pourtant tout le monde déteste. Comme quoi si l'habit ne fait pas le moine zen, le cuir ne fait pas le samouraï.

    Damie Chad.

    ATTITUDE ROCK'N'ROLL

    ANNE ET jULIEN / HYPPOLYTE ROMAIN

    ( Editions Plume / Février 1993 )

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    Ne suffit pas d'avoir la dégaine. Faut les mots qui marchent avec. Objets transactionnels des plus utiles mais si vous n'avez pas l'esprit, cause perdue... Joli format allongé avec couverture cartonnée. Si vous tenez à l'emporter avec vous, discrétion peu assurée, dépassera de votre poche. N'était pas donné à l'époque. L'équivalent de quinze euros, rajoutez vingt-cinq ans d'inflation. Ne vous ruinez pas. N'est pas indispensable non plus. Je doute fort que vous séchiez avant de lire les définitions. Beaucoup d'anglais, beaucoup de verlan à la mode à l'époque, un soupçon de manouche, bonjour les narvalos, du simili argot. Pour ceux qui n'aiment pas lire quelques silhouettes d'encre noire, traits épais. Pour retrouver la mémoire de ses vingt ans qu'ils écrivent en quatrième de couve. Comme quoi déjà à l'époque c'était un bouquin pour les retours d'âge.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 223 : KR'TNT ! 342 : CEDDEL DAVIS / LINDSAY HUTTON ( + NTB ) / ABK6 / SKYVOX / MOOVIE / CORA LYNN & THE RHYTHM SNATCHERS / YANN THE CORRUPTED / BLACK PRINTS / ANDY WARHOL ( + ULTRA VIOLET )

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

    , CEDELL DAVIS, LINDSAY HUTTON ( + NBT ), ABK6, SKYVOX, MOOVIE, CORA LYNN & THE RHYTHM SNATCHERS, YANN THE CORRUPTED, BLACK PRINTS, ANDY WARHOL ( + ULTRA VIOLET )

    LIVRAISON 342

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    05 / 10 / 2017

     

    CEDELL DAVIS / LINDSAY HUTTON ( + NBT )

    ABK6 / SKYVOX / MOOVIE

    CORA LYNN & THE RHYTHM SNATCHERS

    YANN THE CORRUPTED / THE BLACK PRINTS

    ANDY WARHOL ( + ULTRA VIOLET )

     

    Cedell ne cède pas

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    Cedell Davis vient de casser sa pipe. Le cœur. De toute façon, il était baisé d’avance. Paralysé de partout, coincé dans un fauteuil roulant, écrabouillé par la main de Dieu, et malgré tout ça, il a réussi à se tailler une solide réputation de real raw bluesman. Il utilisait un couteau à beurre en guise de bottleneck, oh il n’était pas aussi précis qu’Eric Clapton, mais à la limite, ne préférerait-on pas que tous les guitaristes de blues jouent comme Cedell Davis, un peu au pif ?

    Cedell était un vieux de la vieille d’Helena, dans l’Arkansas. Un proche d’Isiah Doctor Ross. Il vit Robert Johnson quand il était môme et il connaissait Elmore James avant que celui-ci n’entrât dans la légende. Cedell reconnaissait volontiers qu’Elmore jouait mieux que lui - He was a better guitar player than I was - Elmore venait jouer chaque week-end chez le père de Cedell, dans un bar sur Plaza Street, à Helena. Le pauvre Elmore avait déjà un gros problème avec l’alcool - And the doctor told him : Elmore don’t mess with that whiskey - Et il savait bien sûr jouer de la slide - Elmore James could slide - Taquin, Cedell ajoutait : «Savez-vous de qui il tient ça ? De Robert Nighthawk ! Robert Nighthawk was the best slide man you could find back in them days !» Pendant dix ans, de 1953 à 1963, ce veinard de Cedell accompagna Robert Nighthawk.

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    Dans un très bel article paru dans Blues Magazine, Alice Clark raconte que Cedell a fait une crise cardiaque en 2015. Depuis, il ne peut plus jouer de guitare. Il ne pouvait déjà plus marcher et il était aussi quasiment sourd. Mais Cedell ne cède pas. À 88 ans, il répétait qu’il ne céderait jamais - I am the type of person who is not going to give up - Comme Jerry Lee, il peut se permettre d’intituler un album «Last Man Standing», version américaine du S’il n’en reste qu’un je serai celui-là. Cedell rappelait qu’Helena et West Memphis, Arkansas, étaient les biggest music towns, bien avant Memphis, Tennessee. Cedell vit aussi jouer Robert Lockwood. Rice Miller voulut le prendre avec lui en tournée, mais Cedell se méfiait de lui. Rice Miller avait pour habitude de disparaître avec la recette des concerts.

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    Son premier album The Horror Of It All est sorti en 1988 sur Fat Possum, évidemment. On l’adore pour son primitivisme enragé. Il suffit d’écouter «Chicken Hank» pour comprendre que Cedell ne se mouche pas avec une cuillère en or dans la bouche. Rien de plus primitif que ce cut tapé sur une caisse et chanté au chicot qui tombe dans la soupe au chou - Uh ! Uh ! - Cedell hoquette le blues et derrière ça bat très approximativement. Ah t’as voulu voir la cabane ? Eh bien voilà la cabane ! Même le solo est pourri, ça pue le vieux bidon. Ils font n’importe quoi ! On a le même genre de désaille avec «I Want You». Cedell fait les choses à sa façon, au mépris qu’en dira-t-on - I love ya baby - Il gratte son vieux riff tout seul - I’m gonna do the best I can - Tu parles, qui voudra de toi, cripple ! Kenny Brown ramène sa fraise sur «If You Like Fat Mama», un heavy blues de boogie boogah classique. On se régale aussi de «Coon Can Mattie», un vieux heavy blues chanté à l’édentée, sauf que Cedell le fait pour de vrai. Il n’a plus de jambes, plus de dents et plus de bras. Un pervers ajouterait : pas de chocolat. Mais son «Keep On Snatchin’ It» vaut tous les coups de bastringue du monde. C’est joué à la ramasse et gratté à la va-comme-je-te-pousse, au pur Grosjean-comme-devant du pousse-toi-de-là-que-je-m’y-mette. On reste dans le pur approximatif avec «Come On Baby». Cedell y va au pif du groove et avec sa guitare, il fout le souk dans la médina. Il joue tout ça à la mesure aventureuse. On l’entend gratter ses cordes au couteau à beurre dans «Cold Chills» - You know baby/ She told me so this morning - Il joue son blues de cabane pourrie, celle qu’on voit là-bas, tout au bout de ce champ abandonné par les patrons blancs dégénérés.

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    Sur la pochette de Feel Like Doin’ Something Wrong, Cedell ressemble vraiment au diable. Attention, c’est un album terrifiant de qualité, l’un des grands disques de blues contemporain. On est littéralement happé dès «Don’t Know Why», bien soutenu et plein de son. C’est Robert Palmer qui produit. Nous voilà donc dans le saint des saints. Cedell claque son boogie à l’édentée. Handicap man est un sacré meneur. Cripple man est protégé des dieux. Il chante son boogah à la pure perfe et gratte ses cordes au couteau à beurre. Alors forcément, ça tourne vite à l’énormité cavalante. Avec «Everyday Day Every Way», Cedell invente un genre nouveau : le blues du bord du fleuve au couteau à beurre. Il sonne comme un délinquant atroce, sa voix traîne dans le caniveau. Plus primitif, ça n’existe pas. Il fait tout à l’ancienne. Il gratte tout à la lame. Il tape dans John Lee Hooker avec «Boogie Chillum Nb2» et chante ça avec une voix de mauvais bougre de la frontière. Puis il tape son «Baby I Want You So» au groove problématique. Avec Cedell, il faut s’attendre à tout. Il a un petit côté trash qui finit par le rendre indispensable. Il traite «If You Like Fat Woman» à l’édentée pure et dure. Sa langue chuinte à travers les gencives abîmées. C’est raide, il faut bien l’avouer. En plus, il s’amuse à gratter en décalage, histoire d’effaroucher les puristes. Mais il faut l’entendre chanter «Feeling Rain Blues». C’est pas compliqué : il chante comme un dieu du blues. Cedell Davis pourrait ben être le vrai truc, au sens où RL Burnside et T-Model Ford pouvaient l’être. Avec «In The Evening», il chante du nez à la délinquance suprême. Voilà la vraie heavyness du fleuve. Mais tout cela n’est rien en comparaison de ce qui arrive. Il claque «Sit Down On My Knee» à la violence de voyou malveillant. Cedell joue comme un punk des bas-fonds d’Helena. Il gratte comme il peut et ses notes traînent la savate. C’est tellement mal joué que ça en devient idéal. Il est le plus crade des bluesmen. Il tape dans Lowell Fulson avec «Reconsider Baby». C’est faux mais c’est bon. Son «Got To Be Moving On» est aussi complètement faux, mais ça passe bien, car c’est l’apanage du diable. À la limite, on préfère Cedell le trash à Steve la gerbe. Il termine avec une reprise de «Green Onions». Il y va au couteau à beurre !

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    Cedell Davis et Herman Alexander se partagent Highway 61 paru en 2003. Herman est excellent, mais ce n’est pas lui qu’on filoche. Il joue le blues qu’on a envie d’entendre, dommage. Et dès qu’on arrive chez Cedell, on sent la différence. Cedell ne rigole pas. Avec «Blues For Big Town», il gratte la cabane. Il explose le blues. C’est Cedell qu’il vous faut. Dans «When I Woke Up This Morning», il fait le show à l’harmo. Il chante comme un soudard, à pleine bouche. Il tape dans «Sugar Mama» et il écrase le blues comme une merde au coin de la rue. Il nous refait le coup des coups d’harmo. Oh il bat Taste, c’est sûr ! Le blues revient toujours au black, c’est son truc. Les petits culs blancs n’ont qu’à se rhabiller, sauf Bonnie, bien sûr. Il joue «Got To Move Down The Road» à la cabane branlante. C’est le style de Cedell, prince de la désaille de fauteuil roulant. Il est dans la précarité du blues, c’est qui fait sa grandeur. Il claque «74 Is A Freight Train» à l’éclaircie du heavy blues. Terrible et patibulaire à la fois. Ce black est un punk du blues, il est mille plus violent que Wolf. Il pousse ses syllabes très loin et il joue faux. Il gratte «Hard Luck Blues» au désespoir d’une vie baisée. Cedell remonte à la surface, on sent son haleine chaude. Ce vieil infirme a le génie du blues.

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    Sur la pochette de Last Man Standing Cedell ressemble encore plus au diable. Décidément, ce mec fait tout ce qu’il faut pour hanter les imaginaires. En fait, Last Man Standing est couplé avec When Lightning Stuck The Pine, le quatrième album de Cedell. Le mec qui joue de la batterie sur ces disques n’est autre que Barrett Martin, le batteur des Screaming Trees. Avec «Catfish & Cornberead», Cedell le punk va chercher son catfish au fond du deep blue sea. Oh yeah, il tape dans le punk-blues, le vrai, celui du couteau à beurre. Ce cut d’ouverture est terrible de heavyness et de son. Si on aime le vrai blues à diction mouillée, alors il faut écouter Cedell Davis. Sur «Party Woman», Cedell duette avec une fille et ça devient vite gras et déconnant. Avec «Who’s Loving You Tonight», Cedell passe au heavy-très-heavy blues. Il règle ses comptes - But that’s alrite/ I know you don’t love me no more - Et il envoie sa gerbe de that’s alrite. Dans «Mississippi Story», il évoque Howlin’ Wolf et Doctor Ross - We were born on the same farm - Il fait le talking blues le plus trash de l’histoire du blues. Et Cedell nous plie «Need You So» en quatre avant de trasher «Yackety Yack» jusqu’à l’os. Il embraye son orchestre à la volée et bascule dans la démence de l’instance furtive. Il faut l’entendre chanter «Everyday Seems The Same». Comme il va - Everyday ! Everyday ! - Spectaculaire ! Et il revient au heavy blues de rêve avec «Further Up On The Road» qu’il chante du haut de sa classe épouvantable.

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    Le second disque s’appelle When Lightning Stuck The Pine. Les gens qui accompagnent Cedell Davis ont bien compris qu’ils allaient jouer du punk-blues. Et ça démarre en trombe avec «Pay To Play». Le vieux Cedell y va franco de port. Il n’a plus rien à perdre. Il s’inscrit dans LA tradition, la vraie, celle des blacks qui n’ont absolument plus rien à perdre. Il reprend le flambeau des géants qui l’ont précédé, comme Muddy et Wolf, avec une niaque exceptionnelle. Il enchaîne avec un heavy blues infernal, «Come On And Ride With Me». Il peut se montrer terrifiant de grandeur bluesy - Please come and stay with me - Il faut entendre Cedell gratter dans la clameur. Il attaque «Woke Up This Morning» avec une violence de soudard. Sa voix grasse à l’édentée fait tout la différence. Retour à la heavyness des enfers avec «So Long I Hate To See You Go». Non, Cedell ne cède pas. Il ne cédera jamais. Il tape là dans la pire des heavyness qu’on ait pu voir ici bas, avec un son exceptionnel. Avec «Give Me That Look», ça déboule aussitôt. Quelle violence dans le riffage ! Cedell en profite car il a le son. Même chose pour «Love Me A Little While». Il reprend «Cold Chills» et en refait une énormité. On n’est plus à ça près. On y entend le son monter brutalement, comme la marée dans la vallée de la mort. Puis il attaque «One Of These Days» à l’assaut frontal. Il rend hommage à T-Bone Walker. Il chante ça à l’énergie du désespoir. C’est vrai qu’il dégage une énergie phénoménale. Il prend «Propaganda» au low-down de la lo-fi et nous envoie valser une fois de plus au fond du marigot de la heavyness avec «Rub Me Baby». Cedell connaît les femmes, alors pas de problème. Derrière lui, ça pulse avec un son dément - Rub me everyday ! - On sort complètement rubbé de ce disque.

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    Son dernier album Even The Devil Gets The Blues vient de paraître. Matthew Smith et toute la bande de Detroiters qui accompagnaient jadis Nathaniel Mayer sont là, derrière Cedell le punk pour «Play With Your Puddle». Ce sont les mecs des Screaming Trees qui font la rythmique. Nous voilà donc une fois encore dans le saint des saints. Ça envoie des coups de trompette dans la gueule du drive ! Et la trompette wha-whate, mon pote, alors attention aux yeux ! Ils jettent du Miles Davis dans la fournaise. Heureusement, ils se calment avec le deuxième cut, «The Silvertone». Ouf ! On l’a échappé belle ! Cedell chante à la cancéreuse, il n’a plus de dents depuis longtemps. De toute façon, il s’en branle des photographes, il rampe jusqu’au micro, alors inutile d’aller le faire chier. Faites pas chier Cedell Davis. C’est une certaine Annie Jantzer qui attaque «Love Blues», elle est bonne, mais quand Cedell entre au cinquième couplet, il fait du Wolf ! Quel fabuleux duo ! La petite Annie a du chien à revendre. Puis Cedell prend «Crap House Bea» à la voix de corbeau poitrinaire, un truc unique au monde. Il reprend aussi «Can’t Be Satisfied». Tu m’étonnes ! Pas facile d’aller limer une gonzesses quand tu rampes par terre comme une limace. Il n’empêche qu’il chante le blues comme un dieu du delta. Il explose «Kansas City» here I come, il en fait un heavy blues exceptionnel. Encore du heavy blues d’exception avec «People Of The Mountain», un truc de zone terminale. Cedell semble remettre tous les compteurs à zéro, tellement il sonne comme le diable. C’est explosé à la pire heavyness qui se puisse imaginer ici bas. On reste dans le même genre d’enfer pour «Cold Chills». Il continue de chanter à l’édentée, et le son accourt au rendez-vous. Tiens, encore une énormité avec «Catfish Blues» et son deep blue sea et ses women fishing afeter me, c’est ultra cuivré et même complètement apoplectique. S’il tape dans le mythe, c’est à l’article de la mort. Avec lui, le blues reprend tout son sens. Les frères Van Conner viennent taper la note dans «Gandma Grandpa» et tout ça se termine avec une version terrible de «Rollin’ And Tumblin’» jouée à la folie avec cette petite folle d’Annie. Voilà le genre de version qui résistera à toutes les critiques, surtout que Cedell entre dans la danse d’une manière plus que déterminée. Les intonations d’Annie sont un modèle du genre. Le vieux Cedell ne fournit plus aucun effort. On assiste en direct à l’explosion d’un vieux classique. Amen.

    Signé : Cazengler, Séquell Davis

    Disparu le 27 septembre 2017

    Cedell Davis. The Horror Of It All. Fat Possum Records 1998

    Cedell Davis. Feel Like Doin’ Something Wrong. Fat Possum Records 1994

    Cedell Davis & Herman Alexander. Higway 61. Wolf Records 2003

    Cedell Davis. Last Man Standing/ When Lightning Stuck The Pine. Sunyata 2015

    Cedell Davis. Even The Devil Gets The Blues. Sunyata Records 2016

    Lightning Strikes Again by Alice Clark. The Blues Magazine #19 - February 2015

     

    Cause you know baby it’s the Next Big Thing

     

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    S’il en est un qui fait autorité aujourd’hui en ce bas monde, c’est bien Lindsay Hutton. Il suffit de feuilleter le Special Issue de The Next Big Thing (Teenage, Excitement, Romance and Mystery) pour s’en convaincre une bonne fois pour toutes. Pour les quarante ans de ce zine de zone, Lindsay Hutton s’est fendu de ce qu’on appelle un bel objet : un 32 pages au format 45 tours enfermé sous pochette plastique avec, comme par hasard, un joli 45 tours des Dahlmans, un couple assez doué en matière de power-pop. Sommaire très copieux avec notamment des textes d’Amy Rigby et d’Art Fein, le mec qui a tout fait pour essayer de manager les Cramps. Les dernières pages sont bourrées de chroniques lapidaires, typical Hutton style, quelques 45 tours - Still the vessel of choice in the bunker - dont un du Dictator Scott Kempner - This guy is one of the greats - et quelques 33 tours dont celui de Full Toilet - Possibly my record of the year for 2016 - Et voilà comment il le présente : «Imagine the Angry Samoans shredding Peter Brotzmann’s ‘Machine Gun’ while Derek and Clive have a sherry in the background. Don Sheets, the man behind this outrage is a genius» - C’est vrai qu’on a tous tendance à crier au génie, ces temps-ci, mais il se pourrait que Lindsay Hutton soit le plus habilité à le faire.

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    Mais les deux choses qui pourraient rendre cette lecture indispensables aux yeux de tout amateur éclairés sont l’édito fait main de Lindsay Hutton et le texte surprise d’un revenant, Long Gone John, qu’on croyait installé sur une île déserte depuis longtemps.

    Lindsay Hutton travaille comme Peter Frame : non seulement il dessine ses textes à la main, mais il remplit l’espace imparti. C’est un exercice passionnant et extraordinairement difficile à réussir. Ça se joue au mot près. Si j’en parle, c’est tout simplement parce que je me suis prêté deux fois à ce petit jeu. D’abord pour un portrait d’Oscar Wilde écrit à la plume sur un bristol A4, à partir des citations que je trouvais les plus remarquables : les pleins et les déliés re-dessinaient l’ombre de son visage. Le portrait parut voici trente ou quarante ans dans un petite revue littéraire. Puis je fis le même travail pour le Service Culturel d’une mairie de la banlieue Ouest qui voulait célébrer le centenaire de la disparition de l’un des mes anciens chouchous, Guy de Maupassant. Je fis donc un portrait écrit, en tirant de ses nouvelles des extraits consacrés au canotage sur la Seine : Maupassant y évoquait bien sûr les rats et ces filles légères qu’il embarquait pour les baiser aussitôt après le premier coude de fleuve. Les pleins et les déliés dessinés à la plume reconstituaient l’ombre du visage familier de Maupassant. Comme je travaillais au service d’une municipalité conservatrice, le texte fut censuré et je dus opérer quelques corrections, mais globalement, je réussis à sauver ce portrait qui devint une affiche.

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    Alors bien sûr, le travail de calligraphe de Lindsay Hutton ne laissera pas indifférents ceux et celles que cette forme d’art peut intéresser. Il écrit son édito en deux parties, la première en pleine justif sur la deux de couve, et la fin sur une colonne qui fait les deux tiers de la page en vis-à-vis. Il compose son texte d’une écriture serrée, extraordinairement bien dessinée. On sent l’homme versé dans les arts graphiques, dans le goût de l’imprimé, dans ce qui fait le charme de cette culture qui remonte au fond des âges. Écrire comme il écrit, ça s’apprend, ça répond à un besoin de produire du beau, ce qu’on appelle des gris typographiques parfaits. Il interligne très serré, mais il prend soin de créer des quarts de blancs entre ses paragraphes, car il connaît son code typo, l’animal. Si vous voulez être lu, apprenez à composer vos textes : c’est ce qu’on vous enseignait à l’École Estienne, au temps d’avant. Il faut aussi savoir qu’il existait encore, voici quarante ou cinquante ans, des gens qui dessinaient des caractères à la main. Des fous ! C’est vrai qu’il existait alors une passion pour la typographie qui depuis lors semble avoir disparu. De toute évidence, Lindsay Hutton s’ancre dans ce monde sacré.

    Voilà en gros ce qu’on peut dire pour la forme. Mais comme Lindsay Hutton est un homme de l’art, il veille à la cohérence : à quoi lui servirait de soigner la forme s’il ne soignait le fond ? S’il dessine des petit caractères calligraphiés, c’est pour mettre sa pensée en forme. Et comme il parle essentiellement de rock - une culture qui nous intéresse - alors ça prend une tournure fascinante, au moins aussi fascinante que les Rock Family Trees de Peter Frame.

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    Il s’exprime si bien, dans un ton si franc, qu’on croit parfois entendre sa voix - I had a thought while scribbling this stuff - Sacrée entrée en matière ! Il pense à un truc alors qu’il commence à dessiner ses lettres patiemment. Il se demande s’il peut encore amener quelque chose, amener a tangible alternate to the bullshit we have to put up with on a daily baisis. This is my shot at providing escape - Comme beaucoup de gens, Lindsay Hutton tente de lutter conte le mal du siècle, la médiocrité, et il voit son zine comme un moyen de lutter. Il rappelle que ses chroniques sont laconiques - The thesis was never my style - Puis il ente dans une polémique justifiée et s’en prend à tous ces phénomènes commerciaux contemporains qui tuent l’esprit de collection de disques, comme ce qu’il appelle the fucking R*cord St*re D*y, qui comme toutes les bonnes arnaques, pave le chemin de l’enfer - down the road to hell - Et puis comme tous les gens de sa génération, il commence à comprendre qu’il ne pourra pas emmener sa collection de disques dans la tombe et qu’il va falloir lâcher du lest - The notion that ‘you can’t take it with you’ is something that could barely have been though possible - c’est amené à l’humour d’Écosse, alors attention aux yeux. Il y pense s’y mettre rapidement - It’s all set to swing into action - Il rend hommage à son vieil imprimeur Martin Lacey qui est toujours en activité. Et en tant que vieux pro, Lindsay reconnaît que tout a changé du tout du tout - et pas en bien - dans ce qu’on appelait autrefois la chaîne graphique - I know that technology in that industry has changed out of all recognition. Once again, not necessarily for the better - Il finit en remerciant les gens qui l’ont suivi depuis le début. Il rappelle qu’il approche de la soixantaine et qu’il a fait ça durant les deux tiers de son existence. «Il n’est pas possible d’aider ceux qui ne s’aident pas eux-mêmes et si tu es entrain de lire cette ligne, c’est qu’elle est la dernière» - Then I do believe that we’ve made the finish line - Quel style !

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    Long Gone John refait surface pour annoncer qu’il sort un nouvel album, après dix années de silence radio. Le groupe s’appelle the Schizophonics. Il en fait un apologie long-gone-johnienne, et comme il fait partie des gens dont on boit les paroles, alors on boit. Chez les amateurs éclairés, Sympathy For The Record Industry fait partie des trois ou quatre labels de référence. Long Gone John raconte que la scène actuelle ne le fait plus trop bander, mais en découvrant ce groupe, son vieil instinct s’est réveillé - And that was so great I simply could not refuse - Refuse de quoi ? Redémarrer Sympathy, bien sûr !

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    Long Gone John raconte que Pat et Lety Beers se sont un jour installés à San Diego et ont commencé à écouter le John Reis Swami Sound System weekly radio slow. Ils se goinfraient déjà de MC5, de Stooges, d’Hendrix et de James Brown, alors ils se sentaient en terrain de connaissance. Ils ont donc monté le groupe et sont vite devenus les chouchous de Mike Stax qui a sorti un single sur Ugly Things - I think the Schizophonics are an amazing force, deserving attention - Et ce fier poète qu’est Long Gone John ajoute que trop de bons groupes disparaissent dans l’indifférence générale, while stylish derivative piles of useless wet shit continue to flourish and thrive (tirade scatologique que je traduirai pas, car ça sentirait mauvais dans la machine de Damie Chad). Long Gone John termine en conseillant vivement d’aller voir les Schizophonics sur YouTube, et surtout d’aller les voir jouer en concert. You will love them and you can thank me later.

    Le problème c’est que ce numéro spécial de The Next Big Thing tiré à 300 exemplaires est déjà épuisé.

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    Mais on peut suivre les conseils de Lindsay Hutton et de Long Gone John, en écoutant simplement les albums qu’ils recommandent si chaudement. À commencer par l’excellentissime All Dahled Up des Dahlmanns, certainement ce qui se fait de mieux aujourd’hui en matière de power-pop. Un son, oui, mais surtout la voix de Line Dahlmann qui nous entourloupe dès «Candy Pants». Tout y est : le sucré de femme avertie, une réelle prestance, la furia del sol d’une power-pop éclairée et le solo vertigineux. Quelle fabuleuse explosion de beauté diaphane ! Line Dahlmann ensorcelle par le seul timbre de sa voix rose et humide. Ils sont tout bêtement effarants de professionnalisme. Même s’ils vont parfois du côté de Blondie, ça reste power-poppé jusqu’à l’os de la gidouille. On entend une belle basse bouger derrière dans «Wake Me Up Tonight», encore un cut d’une rare puissance motrice et «Going Down» semble sacrément bien tenu en laisse. Il semble que ce cut pourrait mordre, car il est acéré et acidulé comme pas deux. On ne peut pas se passer d’un tel son, et s’il n’existait pas, il faudrait alors l’inventer. Merveilleux hit que ce «Love The Haters» profilé sous le vent de la meilleure power-pop qui soit ici bas. C’est à la fois éclaté et porté aux nues, chanté à la candide et porté par le vent du son. Ils passent en mode mid-tempo avec «This Time», alors oui, I can pretend this time, pure énormité, ça vaut tous les hits séculaires de Jackie De Shannon, c’est même une bénédiction de bénédictin, appelons-ça du génie à la fraise, si vous voulez bien, un génie qui scintille à la lumière du jour, c’est tout simplement effarant d’allure édulcorée. On tombe ensuite sur un «Bright City Light» plus banal mais sacrément joué. Dans les remerciements, on trouve les noms de Lindsay Hutton, Andy Shernoff et Amy Rigby. Mais ce n’est pas fini, car voilà l’énorme «Get Up Get Down» monté sur les accords de «Louie Louie», assez cousu, donc, mais Line est une diablesse, elle grésille de génie vocal sur fond de pur power surge. On voit rarement des phénomènes soniques aussi spectaculaires. C’est au-delà de toute expectation, avec en prime un solo killer de congestion fatale, et Line repart à l’assaut du ciel. Quelle extraordinaire débauche d’énergie ! Quand on écoute «Teenage City», on comprend que Line sait attaquer le mâle. Ils font aussi un clin d’œil aux Ramones avec «I Want You Around», certainement le cut que les Ramones auraient rêvé d’enregistrer et ça se termine avec un «Smash You» en forme d’extraordinaire fin de non-recevoir. On ne croise pas souvent des fins d’albums aussi surpersoniques que celle-ci. Il y est question de picker a fight, on est dans les sixties délinquantes, c’est juvénile et terriblement juste - Pick a fight !

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    L’album des The Schizophonics s’appelle Land Of The Living. Il bat tous les records de pétaudière et vaut aussi largement le rapatriement. D’ailleurs on sent que c’est un gros disk rien qu’en contemplant la pochette. Une pure merveille ! On les voit tout les trois photographiés au fish-eye et serrés dans un cadre ovale. Ils ont des gueules de bouffeurs d’écran. Pas beaux mais spéciaux. Comme leur son. Le hit de l’album s’appelle «In Mono». Ils nous tombent dessus à bras raccourcis. Ô puissances des ténèbres ! C’est le riff qui gouverne. On peut parler ici d’impact cataclysmique, et même de meilleur son qu’on ait entendu depuis des lustres. C’est shaké des reins et roulé dans la farine du pur Detroit Sound. On peut même parler de son très intense qui se situe au-delà de toute attente. Tous les diseurs de bonne aventure qui prétendent que le rock est mort vont pouvoir fermer leur boîte à camembert, car avec les Schizo, le rock n’a jamais été aussi vaillant. Surtout quant Pat prend son solo de Krakatoa. Voilà des kids américains qui redonnent au rock ses lettres de noblesse, hey hey, ils démolissent tout sur leur passage, il regorgent de hargne et de son, ils jouent le heavy beat marmoréen et les chœurs font ‘Mono’ ! Pur génie ! Encore du sacrément haleté avec «This Train» - Waiting for the tain - Voilà encore une supercherie bien énervée. Ils sont à cran. Ils grattent si sec. Ils s’exacerbent dans leur coin. Ils font leur truc. Rien à voir avec les Stooges ni le MC5. C’est leur truc, et donc leur force. Pat prend encore un solo qui démolit tout sur son passage. Il riffe à la barbare sur fond de heavy Diddley beat et les descentes vont droit en enfer. Ça syncope comme une bite qui tousse dans le feu de l’action. Les Schizo ont le génie du sonic démento. Ils jouent tout à la clameur extrême et Pat farcit sa dinde de cris de harpie. Ce vieux pirate de Long Gone John avait raison : les Schizos sont taillés pour la route. «Streets Of Heaven’s Hell» dégouline de son. Pat chante ça au pantelant. Il gratte ses puces à sec. Il nous plonge dans le confort d’un enfer sonique brûlant et radicalement inventif. Encore du visité de l’intérieur avec «Make It Last». Pat génère du ouh de combat. C’est infesté de fièvres intestines. Tout est bon sur cet album, ils enfilent les hits comme des perles et réveillent tous les vieux démons du rock incendiaire, celui de No Sleep Till Hammersmith et de Super$hit 666, de Super Shitty To The Max et de Kick Out The Jams. Tiens, justement, puisqu’on parle du MC5, voilà «Welcome», qui sonne comme un hommage aux géants de Detroit. Pat peut pulser du pur jus de MC5, il t’envoie te faire foutre, même rythmique, on se croirait au Grande Ballroom, exactement le même pathos de pétaudière, peut-être même encore plus défenestré du bigorneau et ce démon nous enveloppe tout ça au solo de gras double. Pur démence, il pousse des ouh de vierge folle. Ça MCifayote dans les brancards. Notre héros passe aussi un solo de cathédrale engloutie dans «Open The Door» - Don’t you open the door - Il invente un concept : le heavy-dudisme. Quasiment psyché dans l’os. Encore une petite giclée de MC5 dans «World Of Our Own». Pat ne se prend pas la tête : il rejoue le riff de «Kick Out The Jams». Même tension de ventricule palpitant, même bah-boom de niaque invétérée, yeah in a world of our own, on y est, l’animal repart en solo démentoïde, il Kramérise tout sur son passage et en prime, il renoue avec le génie vocal de Rob Tyner. Qualifions ça d’hommage du siècle ! Et tous les amateurs de killer solo flash se régaleront de celui qui traverse «Move» - Yes you want move - et Pat relance, ça claque des clameurs de red sky, ça tombe bien car voilà «Red Planet», barbouillé au violent fuzz movin’ trash. Ils jouent tout à la non-accalmie, dans la plus parfaite exaction intrinsèque. «Red Planet» sonne les cloches à la volée, tout sent le Kramé à la Kramer sur cet album, jusqu’au dernier cut, allumé en pleine gueule, alors qu’il ne demandait rien à personne.

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    Dans Shindig, Paul Osborne demande à Pat s’il se revendique de Wayne Kramer et de James Brown. Pat s’esclaffe : «I’ll never be as badass as them but I’m very influenced by James Brown and Little Richard.» Il dit aussi admirer la façon dont Jimi Hendrix bougeait sur scène tout en claquant ses notes d’une main pour les laisser résonner dans l’écho du feedback. «I could try some kind of punk version of that technique.» Et Osborne indique que leur album pourrait bien faire d’eux one of the most exciting bands on the planet. Grosse tournée anglaise en octobre, deux dates en Espagne et que dalle en France.

    Signé : Cazengler, Next Big Singe

    The Next Big Thing 40th Anniversary Issue 199-77/2017 (Merci au Professor Von Bee)

    The Dahlmanns. All Dahled Up. Pop Detective Records 2012

    The Schizophonics. Land Of The Living. Sympathy For The Record Industry 2017

    Paul Osborne. The Schizophonics. Shindig #69 - July 2017

    P. S. : Damie Chad se permet de rajouter ce flyer d'un concert ( 27 août 2017 à Los Angeles ) des Grys Gryz ( french combo pétaradant par 2 fois chroniqués dans KR'TNT ! voir # 329 )   avec les Shizophonics

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    PARIS / 28 - 09 – 2017

    QG OBERKAMPF

    SKYVOX / DANIEL ABK6 / MOOVIE

     

    RDV ABK6 O QG. Tant pis pour ceux qui ne comprennent pas les messages chiffrés de l'armée. Généralement dans les films les QG se situent dans de beaux et spacieux châteaux entourés de vastes pelouses verdoyantes, le Quartier Général d'Oberkampf n'arbore point une telle noblesse, à l'intérieur c'est plutôt spartiate, à peines quelques tables et chaises le long des murs, mais méfiez-vous, l'endroit n'en possède pas moins son quadrilatère de lanceurs de missiles rock : une scène qui accueille chaque soir un ou plusieurs groupes, plus un véritable public d'habitués qui viennent pour écouter les combos.

     

    SKYVOX

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    L'en manque un à l'appel. Un tire au flanc. Un certain Pierre qui a préféré rester au lit avec ses microbes. Prennent une décision – qui se révèlera décevante – de ne jouer qu'une demi-douzaine de morceaux. Ce qui est une erreur. Auraient pu doubler la mise, parce que même sans batterie, le set avait du charme. Ne sont plus que quatre. Trois tisseurs de cordes et Sophie au micro. Ne se sont pas moqués d'elle, lui ont tricoté de belles broderies planantes et nuancées, et la grande Sophie devant, deux bras blancs – Saint-Pol Roux aurait parlé de deux serpents de lait – longues jambes gainées de cuir noir, fine silhouette qui impose de par sa seule apparence une présence indiscutable. Belle diction avec parfois comme des intonations d'outre-Rhin qui apportent ce soupçon de mystère qui transcende les quotidiens les plus ternes. Qu'elle chante en anglais ou en français importe peu, sait faire passer les émotions des jours de déception et des nuits d'angoisse, raconte des histoires, dessine avec les mots, les situations et les scènes de la vie qui nous accapare et qui finira par nous tuer. Hervé souligne la noirceur de l'existence de sa basse alors que le contre-chant emmêlé des guitares de Florent et John insiste sur les éclats doucereux de lumière qui éclairent le chemin. Faut voir le geste de la main de Sophie lorsque le morceau s'achève – rien que pour cela le set vaut la peine d'être épié – ces doigts écarquillés qui s'abaissent vers le sol, l'on ne sait plus si elle caresse cérémonialement sans y penser un chien fidèle ou la musique aimée. Une atmosphère versicolore, drama-pop, qui vous prend à la gorge et vous file une pêche extraordinaire. A savourer. Lentement, mais sans clore les yeux, sinon vous ne verriez plus Sophie l'ensorcelante. Ce qui manquerait de sagesse.

     

    ABK6

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    Lui, l'est venu tout seul. Enfin presque, avec sa guitare et sa voix. Ce qui suffit amplement. Acoustique mais tonitruante. Prend toute la place. Un peu comme Bonaparte sur le pont d'Arcole. Et le public qui suit de plus en plus fort à chaque morceau. C'est que Daniel ABK6 sonne américain mieux que personne en notre douce France. Naturellement. Sans effort. La voix et le jeu. Au fond vous trouvez l'or du blues, le vieux blues des marais, prend garde à ne pas déverser toutes les eaux du Mississippi, l'est plus malin que cela ce diable d'ABK6, juste quelques gouttes qu'il extrait de son tube métallique, des espèces d'écorchures qui vous remuent le fond de l'âme comme la cuillère qui tourne la mayonnaise dans son pot, mais ne vous laissez pas dévorer par les varans du désespoir, le son s'amplifie et vous emporte, le bottle neck disparaît dans la paume de sa main. Maltraite ses cordes, tout autre que lui en romprait une en moins de deux minutes, l'a la pesée exacte, la prestesse et la prestance.

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    N'a pas de voix. L'en a deux. Une forte, grondante, virile, et l'autre luminescente, les emploie en alternance, la seconde plus claire comme un rai de soleil pour rendre par contraste l'autre plus sombre, une pour vous oppresser et l'autre pour vous laisser respirer. Forêt et clairière. Montagnes rocheuses et prairie. Le miracle, c'est toute la mythologie de l'Amérique qui défile dans ses doigts et sous sa voix. Paysages, nature et villes, naïveté et turpitude, tout ce que le rock des amerloques véhicule dans ses veines. Cette transfusion de lymphe qui nous irrigue de fond en comble depuis l'adolescence, d'instinct avant même que nous parvenions à déchiffrer un lambeau de refrain. ABK6 restitue cette innocence première, cet instant magique, cette ouverture à un idiome étrange dont les clefs sont fournies au moment même où le rock'n'roll s'est emparé de vous, il y a longtemps à l'orée fondatrice de votre véritable naissance.

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    Expression méchamment doorsienne m'étais-je dit lorsqu'il a annoncé le titre phare de son nouvel album, Summer's Gone, vous avez envie d'ajouter almost comme le grand Jim. Attention ni le placement de la voix ni la structure du morceau ne sont ni veule citation ni vile inclusion, juste la réminiscence d'un esprit qui n'appartient à personne mais qui s'incarne en quelques uns. De même si Celebration évoque directement Ian Curtis et Jim Morrison, ce n'est en rien imitation de peau de lézard ou de corde plastifiée.

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    Les yeux sont rivés sur lui. Capte toute l'assistance, mais il n'est plus là, son timbre éclate, sa guitare tonne, mais lui est ailleurs, incliné sous sa casquette, comme enfermé dans la tourmente dévastatrice d'une musique qui n'appartiendrait qu'à lui, quelque part entre les rives d'un rêve qu'il est en train de toucher de la main et les applaudissements qui lui sont renvoyés en écho. Démonstration magistrale de cette force titanesque que le rock'n'roll infuse dans les individus qui les emporte quand ils ont pris la décision de chevaucher le tigre. Et ce soir, celui qu'a enfourché Daniel ABK6 nous a emmenés avec lui sur son dos.

    ( Photos : Renaud Dumeur )

    MOOVIE

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    Ne sont que trois. Vont faire leur cinéma. Amateurs de films intimistes avec couple qui se déchire dans une deux-pièces-cuisine d'Habitation à Loyer Modéré, hâtez-vous de changer de salle, car ici c'est le film d'aventures, Armagueddon ou La Horde Sauvage, choisissez votre scénario vous-mêmes, eux ils vont peaufiner la bande-son en direct. Le public agglutiné en guise d'images mouvantes et trépidantes. Trois, mais du raffut comme un régiment – dans un quartier général, ça s'impose – aurait dit Tante Agathe. C'est que quand ils branchent le compteur, ils ne mégotent pas. Vous enfilent les morceaux comme porcelets en broche. Ne soyez pas pressés, vos oreilles vont siffler et pourtant ils ne parlent pas de vous.

    Je vous fais défiler le générique. Gros plan sur le pistoléro number one, Franck Ederhi aussi connu sur les avis de mise à prix sous le nom d'Albert Franck – l'est sur votre gauche avec gouaille et guitare. Arrêt sur image sur l'homme aux poings d'or, au fond, de noir vêtu, s'apprête à saccager une batterie innocente qui ne lui a rien fait. Enfin à droite, Lulu Bass, le taciturne qui parle peu mais dans trois minutes fera main basse sur vos oreilles.

    C'est ce que les énarques au ministère de l'économie appelle la théorie du ruissellement. Archi-simple à comprendre. Dès qu'ils ouvrent le robinet du rock'n'roll le déluge s'abat sur vous. Une orgie de sonorités électriques, un torrent de décibels qui déboule sur vous et la crue vous bouffe tout crus. Pas de délais avec les delay. Franck effleure une corde et une infinité de modulations s'enroulent autour de vous tels des mambas affamés, le bassiste préfère les coups bas et tordus qui partent en vrille et qui se plantent entre vos omoplates, quant à Jérôme Jabordes abordez-le avec politesse car il est du genre à vous polir votre carrosserie faciale à coups de marteaux, déploie une imagination débridée à ce jeu dangereux. Qui les amuse. Moultement. Tous ensemble. Se lancent des regards de farces et arttrape-moi-ça-si-tu-peux en faire quelque chose. Soudés comme les trois mousquetaires qui n'auraient même pas besoin de d'Artagnan pour s'emparer des douze ferrés de la reine.

    Pour les paroles Tout y Passe de Dans La peau de Frank Sinatra à Hero Rebelle Destroyer, Franck vous débite les lyrics alternativo-punk à toute vitesse, l'air de s'en défaire au plus vite pour se consacrer à ses échoïtiques orchestrations guitaristiques, d'ailleurs leurs douze morceaux réglementaires menés à fond la caisse, ils se regardent, clignent de l'oeil comme le dernier des hommes dans le Zarathoustra de Nietzsche et sous prétexte d'un dernier rappel, ils se lancent dans un opéra électrique de vingt minutes mené à bride abattue qui explose la tête de toute l'assistance. S'arrêtent sur les rotules, z'ont encore envie mais muscles et doigts doivent être fourbus. C'est Chris qui sauve la mise. Le programmateur du QG, gueule à la serpe, coupe à la Ron Wood, qui prend le micro – belle beuglante, et c'est parti pour une ultime sarabande des mieux syncopées toute bruissante d'électricité avec présentation classique des trois musiciens, deux minutes vingt-cinq secondes de gloire en solo pour chacun d'eux. Mais point trop n'en faut le trio se reforme pour vider les cartouchières et la sarabande instrumentale finale. Certains en redemandent mais Moovie débranche les instruments pour inscrire le mot fin sur la pellicule du plaisir. Ce soir le Quartier Général a gagné la guerre du rock'n'roll !

    Damie Chad.

     

    30 – 09 – 2017

    TROYES / LA CHHAPELLE ARGENCE

    BOP ROCKABILLY Party # 4

    CORA LYNN & THE RHYTHM SNATCHERS

    YANN THE CORRUPTED / THE BLACK PRINTS

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    L'on attendait le Bop Rockabilly Party # 4 pour le mois de juin. Tout le monde. Sauf Billy. Manifestement n'était pas pressé de nous faire son Bop à Billy. Le mois de Junon se profilait à l'horizon et pas une annonce, pas une affiche, rien. Billy restait serein. Pas du tout genre organisateur dévoré d'inquiétude et de tics. Faut que j'en parle à la mairie, se contentait-il de répondre. Parce que Billy quand il organise il donne la liste des groupes qu'il invite, après c'est l'intendance municipale qui se charge du reste. Grand seigneur Billy ! Son job, c'est de téléphoner aux copains pour qu'ils emmènent leurs voitures américaines sur le parvis de la Chapelle Argence et puis de monter sur scène pour présenter les combos. L'a enfin lâché la nouvelle, ce sera en septembre. L'a encore fallu attendre jusqu'au dernier jour ! On lui a pardonné, car maître Billy nous a proposé des plats de choix et de roi.

     

    CORA LYNN & THE RHYTHM SNATCHERS

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    Petit bout de femme en robe rouge sur le devant de la scène. Un triangle de cadors autour qui ne la quittent pas des yeux, veillent sur elle, elle est la perle et eux l'écrin. Pas question de lui faire écran. Lui tissent un fond de ce byssus dont on faisait les voiles de pourpre les plus fins pour la parure des statuts des déesses dans les temples antiques. Trame millimétrée et résistance indéchirable. De la belle ouvrage comme on n'en trouve plus dans le commerce, denrée rare. Précise et précieuse. Alexis Mazzoleni à la guitare. Pas un en France qui ait un jeu aussi sec. Jamais trop, pèse ses interventions au trébuchet. Juste ce qu'il faut. Pas plus, ni moins. La hauteur de son exacte, celle qui s'encastre si parfaitement dans l'ensemble qu'elle consolide l'édifice, la pierre de clef de voûte.

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    Z'avez l'impression qu'à chaque fois il résout un calcul infinitésimal. Réponse exacte sans défaut. Dix-huit chiffres après la virgule. Ne s'agit pas de pousser le rocher de toutes ses forces pour qu'il dévale la pente en emportant tout sur son passage, le nécessaire et l'inutile gaspillage du superflu. Mazzoleni évite ce genre de dégâts collatéraux. Frappe au cœur de la cible. Rien de plus. Tireur d'élite qui élimine la difficulté. Froide précision d'un bouton tourné d'un quart de millimètre et d'un doigté de corde différentiel. A ma connaissance l'est l'unique à user pour une seule note du vibrato avec une parcimonie si réfléchie qu'elle en devient méditative, effet d'une brièveté si confondante qu'il continue à résonner dans votre tête non pas en tant qu'onde sonore mais en tant qu'irremplaçable concours à une perfection architecturale qui n'existerait point sans sa pointilleuse participation.

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    Red Denis adopte le même point de vue. Avec sa carrure de géant ne lui faudrait pas se forcer pour vous produire ces roulements titanesques dont il ne se prive pas en d'autres occasions. Mais là, l'est à l'unisson, l'est au service de Cora Lynn, pas question d'écraser la pitchoune sous un tonnerre de fûts cycloniques, retient ses bras, frappe dure mais constructive. Pas les coups de boutoir à exploser le mur de pierres sèches empilées au millimètre près par Alexis, au contraire, pose des arcs-boutants qui consolident le tout. N'allez pas croire qu'il joue en sourdine, vous assène de ces tabassages de gong à chaque frappe qui s'ouvrent comme pétales d'une fleur carnivore géante qui entend dévorer un rhinocéros. C'est Red Denis qui donne l'ampleur, vous construit les volumes, vous élève un palais sonique somptueux pour la princesse, vastes salles et couloirs démesurés pour que Cora ne soit pas à l'étroit.

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    La tâche la plus délicate échoit à Andras Mitchell, silhouette racée et contrebasse blanche, l'est celui qui est au plus près de la gamine, la précède, court au-devant de toutes ces fantaisies, la protège en la suivant trois pas derrière, ou chevauche à ses côtés, sa big mama dessine des arabesques qui répondent à ses caprices, peut s'aventurer où elle veut, l'est toujours là au plus près, l'enveloppe de courbes phoniques nerveuses, l'agite des foulards de toutes les couleurs, bleu-bop, rose-rockab, mauve-swing, s'adapte à toutes les inflexions coralynéennes, droit comme un I-talique, cérémonialement, impeccablement, immobilement, très légèrement penché sur son instrument, seuls ses doigts trahissent, traduisent et répercutent la tension stylée de son corps qui se découpe dans la lumière des projecteurs, avec la classe du soliste d'un orchestre symphonique.

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    Tous pour une, et une pour le chant. Avec de telles tapisseries de parade feutrées derrière elle, Cora Lynn est dégagée de tout souci. Elle chante, et eux s'adaptent. Verbe haut et clair. Tranchant et virevoltant. Perso j'aurais préféré quelques harmoniques dans les dégradés, mais ses goûts et ses couleurs, elle ne les discute pas. L'a le timbre tourné vers ses modèles, Brenda Lee, Wanda Jackson, Janis Martin, rapide et péremptoire, la voix ne s'attarde jamais, syllabes claires et propulsées au bon endroit, ne se retourne jamais, ne revient jamais sur les cristallineries, les jette et les oublie à la seconde suivante. L'en a toute une flopée de scintillances amadantines, elle rejaillit de joailleries, qu'elle puise à une fontaine intarissable comme la jeune fille du conte de Perrault. Enchaîne les titres, ne prend même pas le temps de respirer, ou alors des phrases rapides qu'elle lâche avec un petit sourire mutin, mais l'est pressée de s'envoler, de bondir vers le faîte de l'arbre, de fendre l'air avec une facilité déconcertante. Fujiyama Mama pour s'envoler vers les sommets éruptifs, Crazy Beat pour moduler les arpèges en apnée, My Boy Elvis pour la légende dorée du rockabilly féminin, Telephone Boogie pour enflammer le bal des pompiers, la salle ondule de plaisir et ronronne de satisfaction comme une chatte qui allaite ses petits, un petit Shakin' All Over comme le dernier verre de l'amourtié avant de reprendre la route. Fêtée comme une reine, musiciens applaudis comme des princes. Billy monte sur scène pour un rappel, Mercy beaucoup, c'est peu mais le show must go on !

     

    YANN THE CORRUPTED

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    Changement de casting. Après l'américaine princesse au petit pois, l'invasion des voyous de l'autre côté du channel. British inspiration, ainsi les présente Billy. Texas est le premier sur scène à brancher sa basse électrique. La grande classe, drap jacket – le smoking des Teds – favoris blancs qui agrémentent sa figure comme neige qui épouse la forme stylée des parterres du jardin. Souriant, relax, mais impatient de jouer. Jacky Lee cale sa batterie, l'a intérêt dans quelques secondes il va casser du bois, ses favoris à lui dessinent comme deux haches d'abordage que les vikings manipulaient en les âges de fureur quand leurs drakkars couraient à la rencontre de l'ennemi. Yann s'installe au micro. Lorsque sept ou huit titres plus tard il se sera dédrapé de son edwardienne jacket, l'exhibera une tenue bleu sombre sur laquelle le rouge de sa guitare tranche comme une blessure sanglante.

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    Ne vous fiez pas à son nom, contrairement à ce qu'il affiche Yan the Corrupted est beaucoup plus corrupteur que corrompu. N'a pas entamé Hang Loose depuis trente secondes que déjà vous êtes séduit, perdu, pourri jusqu'à la moelle épinière. Que vous vous voudriez ne pas apprécier que vous êtes emporté par le torrent tumultueux, inutile de résister, les Corrupted vous emmènent avec eux comme fétu de paille balayé par la tempête. Un titre de Whirlwind - combo germinatif du mouvement de renaissance rockabilly-ted en Angleterre à la mi-temps des années soixante-dix pour confirmer que le vent souffle en tempête. Le phrasé de Yann écume et se bouscule sur la crête de chaque nouveau morceau, lame de fond qui déferle sans que rien ne puisse l'arrêter. Ne se regardent même pas, connaissent la feuille de route par cœur, assez simple en vérité, vite balancé au milieu et bien appuyé sur les bords. Enchaînent les tsunamis sans faiblir. Une précision diabolique. Une régularité époustouflante. Jacky Lee tape plus vite que ses baguettes, se démène, enfile les breaks sans débander une seconde, ça roule et ça cabosse de tous les côtés. Corvette pirate qui se joue des creux de quinze mètres et qui file droit face à la lame, toute voilure dehors. Volcan en éruption. Nous sommes tous Pompéi, rayés de la carte, ensevelis sous les cendres qui n'arrêtent pas de pleuvoir.

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    En capitaine qui tient la barre Yann se permet quelques mots affectueux vis-à-vis de Texax, qu'il présente fièrement comme son père – comme quoi les teds n'engendrent pas des moitiés de cageots sans poignée - attention l'ancêtre en a vu d'autres, c'est lui qui a conseillé et aguerri les chatons, sont grands maintenant, griffent de leurs propres pattes, mais le matou ne se laisse pas distancer, les mène au bal des ardents, vous souffle sur la fournaise, de longues échappées de flammes noires comme l'enfer sortent de sa basse et poussent les deux incendiaires à se surpasser. Comment Yann fait-il pour assurer en même temps sur sa Gretsch et au chant ? Certes n'est pas le seul dans le métier, mais avec les Corrupted les mots s'entrechoquent et les notes se bousculent. L'en cassera une corde. Juste le temps de se saisir de sa seconde guitare déjà prête, la malmène comme les flambeaux que les phalanges d'Alexandre agitaient dans les salles du palais de Persépolis qu'ils réduisirent en cendres. Just for fun. Le plaisir de jouer et l'impact de vaincre.

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    Un seul instant de douceur, The Rose of Love, déjà présent sur leur premier CD Dangerous Youth, dernière ballade que Gene Vincent enregistra à la guitare sèche en compagnie de Ronny Weiser qui garda précieusement la bande. Les Corrupted rajoutent quelques épines aux rosacées, ne vont pas jusqu'à faire de ce bouquet d'amour une gerbe de haine, mais ont choisi de remplacer l'eau du vase par une belle rasade de Jack, les pétales n'en sont que plus vifs. Mais la course reprend aussitôt Fool's Paradise de Buddy Holly survitaminé, Teddy Boy Boogie de Crazy Cavan classique ted incontournable entonné par toute la salle, de même que plus tard We are the Teds, hymne fédérateur de la nation édouardienne. Les filles ne seront pas oublié avec le viril She's the One to Blame juste pour leur apprendre à être trop belles.

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    Z'ont aussi des originaux, présenteront même des titres du prochain album en préparation à la hauteur des hymnes légendaires, mais ils n'en abusent guère, ne sont pas du genre à dédaigner l'héritage, le gardent vivant, l'entretiennent, le bichonnent et le respectent... Les Corrupted nous ont offert une heure de bonheur au milieu du cœur brûlant du pur rock'n'roll. Se retirent sous une monstrueuse ovation.

     

    BLACK PRINTS

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    Billy prévient les âmes sensibles. Nous annonce une véritable tuerie. Se révèlera un excellent prophète en son peuple de rockers. Ne prenait pas trop de risque le Billy, les Black Prints se sont formés autour des frères Clément, voici six années, résurgence d'une formation culte du mouvement french rockabilly, les Dixie Stompers. Pouvait pas me faire un plus grand plaisir Billy, un de mes groupes phares, tous styles confondus, de la scène française actuelle, pas vu depuis deux longues années.

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    J'observe leur installation. N'ont pas changé, enfin si, si Thierry Clément et son frère Olivier restent identiques à eux-mêmes, il y en a deux qui ont pris une sacrée assurance, rien qu'à voir la manière dont Yan Leignel s'accapare la batterie et le sourire carnassier avec lequel Jean-François Marinello ceint sa basse l'on sent qu'ils ne sont pas venus pour compter les hirondelles. Voudrais pas vexer les guys, mais je – et ne suis pas le seul - ne leur accorde qu'un rapide regard. C'est qu'un nouveau guitariste est en train d'escalader les marches d'accès à la scène. Mistake, it's a fake ! pas un, une. Et pas n'importe qui. Emilie Credaro herself. Je l'aurais reconnue entre mille. A son allure de lakota squaw, visage serein et détermination de guerrière sur les pistes les plus dangereuses.

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    Change la donne. Teinte l'empreinte noire de bleu. Sombre comme la tristesse du monde et insidieux comme la rage de vivre. Le son du groupe en est transformé. Certes Olivier assure la rythmique avec l'arme royale et tutélaire du rockabilly, la Gretsch, mais Emilie sur sa Godin – burst flame si j'en puis juger sous les lumières déformantes des projos - ouvre des gouffres et soulève les nuages, un son fabuleux, fabluesleux, elle apporte toute la terre du Delta et l'incoercible puissance du Mississippi, donnant au vieux rockab des familles un espace sonore de déploiement illimité. Emilie libère les forces. Yann Leignel s'engouffre dans cet horizon, y déploie une énergie extraordinaire, commence par inverser la hiérarchie drumique, tant pis pour la caisse claire, la reine est détrônée, Yann ne marque pas le rythme, il l'explose. Une orgie de tambours.

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    L'emboutit le son, bye-bye le cliquètement solitaire des sabots d'un mustang au petit matin, nous convie à un stock-car faramineux, chocs et contrechocs se succèdent sans faiblir d'une seconde, fracasse le décorum traditionnel et fonce à tout instant dans les décors. Genre c'est encore mieux quand le sang des spectateurs que je viens de faucher ruisselle sur la carrosserie déglinguée. Sauvage le Yann, une boule d'énergie pure, crie dans le micro, entonne le début des morceaux, agite sa monstrueuse choucroute de cheveux dans tous les sens, une tignasse sauvage, hors-norme, la sueur dégouline sur ses vêtements, l'est obligé toutes les trente secondes de ramener la grosse caisse qui se carapate en douce sous la violence de ses coups. Barbare batterie. Baratte incessante de baraterie naufragère.

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    Jean-Pierre Marinello n'est pas en reste. Joue de la basse comme le renard du désert chasse la faim qui lui tord le ventre. N'en finit pas de bouger. Voûté, tordu sur son instrument, le compas de ses jambes explorent les sentiers de fuite mais il revient toujours au centre de son territoire. Essore le son. Le torture, l'assombrit, le noircit à outrance, le ronge tel un chacal qui a déterré un os de momie dans un tombeau égyptien et qui se régale de mastiquer à pleines molaires la mort anibusienne dont il abuse d'un sardonique rictus qui tue. L'est à lui tout seul la marque maudite de l'Empreinte Noire, le sceau fatidique et le sourire fatal, la morsure du cobra et le crachat du naja. Violemment applaudi à plusieurs reprises.

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    Thierry Clément en a vu d'autres. Rockabilly man par excellence. Bottes, jeans, chemise black country à liseret blanc et son éternel chapeau. Tambourin en main. L'assure le fil, les petits cailloux du rythme basique qui ne doit jamais être rompu. Aux autres tous les écarts possibles. Thierry trace la piste, celle qui s'enfonce dans les régions inconnues encore aux mains des peaux-rouges. Qu'Arthur Rimbaud qualifiait de criards dans son Bateau Ivre.

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    Olivier Clément et sa Gretsch au centre. La prestance et la grâce incisive. Grand, mince, une silhouette aussi fine qu'une lame de poignard. Two-tones shoes creeperiennes, sombre futal, chemise blanche immaculée, la classe du dandy, l'élégance du rocker. Une voix d'une netteté incroyable. Flexible et vibrante. Un timbre qui s'adonne à toutes les suavités déclinantes comme à toutes les échoïtés métalliques. D'une clarté irradiante et d'une plasticité formelle sans équivalence. Se plie et se plaît à toutes les inflexions, parfaite pour le rockabilly, car dominatrice et apollinienne, toute la furia instrumentale s'ordonne autour d'elle. Axis Mundi la qualifieraient les tenants des doctrines ésotériques.

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    Essaime sa rythmique cochranique insoutenable sur ses cordes sur laquelle vient se greffer la lead d'Emilie, leur faut un doigté extraordinaire pour faire convoler en justes noces de notes l'oronge triomphante du pur rockabilly avec le sombre azur primordial du blues rampant. N'a pas touché une seule fois le bottle-neck qu'elle avait pris soin de déposer soigneusement à ses pieds, cela ne l'a pas empêché de donner l'impression de jouer en slide toute la soirée, agit en prise de terre qui permet de maîtriser les éclats de foudre et les boules de feu du rock'n'roll en les ramenant à la glaise nourricière originelle et semencielle. Des titres comme Restless, Shakin'All Over, Brand New Cadillac en sortent magnifiés, la guitare d'Emilie monte d'autant plus haut qu'elle s'élève de plus bas. Marche aisément sur les traces de Joe Moretti qui joua sur les trois plus grands classiques du rock anglais. Là-haut, Thierry Credaro doit être salement fier de sa fille.

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    La musique ne suffit pas. Le rockab impose le style. L'on n'y chante pas le nez sur le micro comme quand tante Agathe reprise vos chaussettes. Et à ce jeu-là, Olivier emporte la mise. L'a la souplesse féline de Vince Taylor et la sûreté du geste du jeune Elvis, n'en abuse pas, seulement de temps en temps mais alors là la salle exulte. Ce qu'il en reste car les Black Prints l'ont atomisée, que ce soit avec Long Blond Hair, leur époustouflant Stray Cat Strut, ou leur Ready Teddy dévastateur. Une très belle interprétation de Dixie, guerrière et campagnarde, façon de rappeler que le rockabilly est né sur la terre des plantations et le sang des esclaves, qu'il est le pays lointain et mythifié de Julien Green, la terre natale des fantômes d'Edgar Poe et des fêlures de Tennessee Williams, ors et misères mêlées, corps de colères entremêlés.

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    Un dernier Train Kept A Rollin' explosif et Billy qui vient remercier le public invite le Trio Corrompu et Cora Lynn accompagnée de ses arracheurs de sacs à mains de vieilles dames à monter sur scène. Trois guitaristes confirmés au style différents réunis, voilà de quoi entamer non pas un boeuf musqué mais une corrida meurtrière sur l'heure. Mais non, redescendent sous les applaudissements, nous ont tous tellement donné qu'on est rassasiés jusqu'au gosier.

    *

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    Ne reste plus à Billy qu'à préparer la programmation de la Bop Rockabilly Party 5. Au vu de cette quatrième saison qui fut une splendide réussite, nous pouvons lui faire confiance.

    ( Photos : FB : Carl de Sousa et Rey Fonzareli )

    Damie Chad.

    MA VIE AVEC ANDY WARHOL

    ULTRA VIOLET

    ( Albin-Michel / 1989 )

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    Folles années soixante ! Un vent de liberté soufflait sur les arts, la musique et les mœurs, une tornade qui est passée et dont on retrouve encore aujourd'hui bien des traces dans notre quotidien mais qui n'a pas emporté avec elle l'Establishment politicien, peut-être parce que ce qui semblait les signes avant-coureurs d'une révolution n'était que la mue nécessaire aux adaptations des mutations productivistes du capitalisme. Andy Warhol est une des légendes de cette grande secousse qui commotionna bien des existences. Fut un précurseur, et beaucoup plus qu'on ne le croit, il ne révolutionna pas l'art comme on le dit souvent, mais les rapports de l'Artiste avec le public, institua une règle simple, la reconnaissance de celui-ci ne passe plus par le rapport direct avec l'œuvre produite mais par le truchement productif de sa communication. L'a eu des précurseurs, certains éloignés comme Dada qui désacralisa la notion d'œuvre d'art, Picasso qui rompra et déstructurera les canons intangibles de la représentation de la beauté classique, et beaucoup plus contemporain par son utilisation des media, Salvador Dali qui fut un fabuleux metteur en scène de l'artiste en jeune chien fou fauteurs de multiples troubles à qui les maîtres pardonnent toutes les turbulences en expliquant qu'il est génial...

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    Comme par hasard Ultra Violet fut présentée à Andy Warhol par Salvador Dali. En vérité elle s'appelle Isabelle Collin Dufresne. Ne sort pas de nulle part. Est née avec une grosse cuillère en argent dans la bouche. N'y a que la tendresse que l'on ne déverse pas à la louche dans la famille. Dynastie bourgeoise, retenue de rigueur. L'enfant se rebelle, après maintes admonestations, se retrouve en pension chez les bonnes Sœurs. S'ennuie, fugue – en profite à quatorze ans pour perdre sa virginité en l'ayant cherché mais sans l'avoir voulu – bref l'est la brebis noire de la couvée, on l'éloigne chez une de ses sœurs à New York. In the Big Apple. Non, ça ne signifie pas Trognon Pourri mais ça y fait penser.

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    Lui arrive alors ce qui n'advient jamais au peuple anonyme des sans-dents : un petit héritage à point nommé qui lui sert d'argent de poche. Se trouve en sus un amant richissime et passe son temps à courir musées et galeries d'art. Ce n'est pas en ces lieux que l'on pourrait accroire prédisposés qu'elle va rencontrer le grand adorateur de la Gare de Perpignan et du chocolat Lanvin, l'est envoyée chez lui par une ancienne dame d'honneur de la Reine d'Egypte ( en exil ), c'est ce genre de personnes qu'elle fréquente, le gratin des salons les plus huppés. Devient en quelques heures l'égérie du grand Catalan, davantage porté sur la mise en scène de l'acte sexuel que sa réalisation proprement dite. Nous dresse un beau portrait de la mise en œuvre quotidienne de cette paranoïa critique qui reste la philosophie essentielle de la démarche du Maître. Elle saura retenir la leçon, jamais avec, jamais pour, jamais contre, une marionnette est faite pour être manipulée. C'est Dali qui lui présente Andy Warhol.

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    L'est subjuguée par Warhol. Ce sera du donnant-donnant. Lui, il lui ouvre la Factory et l'admet dans son premier cercle. Elle apporte ce qu'il n'a pas : un monstrueux carnet d'adresses. Le haut du panier : artistes reconnus, millionnaires, hommes politiques, dirigeants de sociétés, actionnaires fortunés... Warhol n'est pas ébloui, il a juste ferré une prise juteuse. N'est à l'époque qu'un artiste de seconde zone. L'a gagné ses galons dans la publicité et la mode. De la broutille. L'a une autre ambition. L'a tout compris du monde des affaires. Principe de base : gagner de l'argent, beaucoup d'argent, très vite, sans travailler. Laisser cette pénible tâche aux autres. Si possible sans les payer. Lui, il donne l'idée. Ne va pas la chercher bien loin, se contente de reproduire ce que tout le monde connaît, la figure de Marylin Monroe comme les boites de conserves les plus utilisées par la ménagère américaine. Touche le moins possible ses ustensiles, laisse faire ses aides, peinture et signature comprise. Si c'est mon nom dessus, l'argent de la vente me revient à cent pour cent. C'est son apport à la création artistique. N'est qu'un réaliste mais aussi le père de l'art conceptuel moderne.

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    Sa grande affaire ce n'est pas la peinture, mais le cinéma. Tourne sans arrêt des films. Qui ne lui coûtent pas chers. Impose son mode de production : décors naturels, une seule caméra – ce n'est pas lui qui la tient -, en temps réel, une heure de film égale une heure de tournage, pour les acteurs propose à n'importe qui qui veuille bien accepter, l'on se bat autour de lui, certains de ses proches ( rares) finiront par faire carrière. Le sujet gravite autour du sexe. Pas comme les ailes des moulins de Don Quichotte, préfère les gros plans fixes, visages comme trous du cul. Films pour petits publics présentés dans les universités aux étudiants sensibles à ces expérimentations.

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    Moment d'introduire la grande trilogie : sex, drugs and rock'n'roll. Mon premier a déjà pointé sa bite dans le paragraphe précédent. Priorité donnée à l'homosexualité. L'on baise à couilles rabattues et à bouches pleines dans tous les coins de la Factory. Froidement, sans émotion, sans manifester de plaisir, un acte naturel dépourvu de tout romantisme. On ne donne pas dans la sublimation érotique. Un besoin pornographique. Point à la ligne. La drogue est là, partout présente, forte. Speed et héroïne. Warhol devance son temps. Certes l'arrive dix ans après l'éclosion rockabillique mais le rock'n'roll rapidement écarté par les autorités jouit d'une sulfureuse réputation. Trouvera son groupe. N'est pas meilleur que les autres, mais il joue plus fort que tous. Impossible de ne pas le remarquer. Et puis le timbre si particulièrement monocorde de Lou Reed, si lisse, si éloigné de toute expressivité grandiloquente ! Le groupe possède une curiosité, l'a un batteur femme. Warhol double la mise : impose Nico au chant. Ultra Violet ne concède qu'un chapitre au Velvet, en profite pour dire beaucoup de mal de cette dernière. La présente un peu comme une poupée atone. L'on sent qu'elle a surtout peur que Andy ne la place au plus près de lui...

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    N'a pas trop à craindre. Warhol n'est pas sempiternellement confiné dans sa manufacture. Saisit toutes les occasions. Ne lui suffit pas d'être riche, veut aussi être célèbre. Se doit d'être partout. Où traînent le journalistes, épluche les compte-rendus des expositions et des soirées de la hight society aime voir son nom cité... Vise à la gloire, pour les autres il a théorisé le concept du quart d'heure de célébrité pour tous... Ultra Violet lui ouvre des portes qui seraient restées fermées autrement, le suit aussi dans ses achats compulsifs chez les brocanteurs, les antiquaires et les marchands de tableaux...

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    De 1964 à 1973 Ultra Violet sera de toutes les parties, nage dans le bocal warholien comme un poisson violet. En 1968 Andy a échappé à la mort, Valerie Solanas militante féministe radicale lui a tiré dessus. Ce geste fascine Ultra – tonton Freud parlerait de la mort symbolique du père. Le retour de bâton dû à la coupure du cordon phallique tardera à se faire sentir mais en sera d'autant plus violent. Dépression. Un an au lit... et son bon sang bourgeois la rattrape, juge sévèrement son passé, lit la Bible, adopte une conduite davantage en accord avec les principes chrétiens, se réconcilie avec sa famille, se range des excès en gagnant sa vie dans la mode... Décevante. Même si elle ne renie pas l'artiste qui lui a tant apporté. Andy a déménagé sa Factory, est devenue une véritable entreprise de vente et d'expédition de ses productions. N'a plus le temps aux fariboles. L'a obtenu ce qu'il a voulu, la gloire et l'argent. N'est plus que la reproduction répétitive de ce qu'il est.

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    Le vedettariat médiatique d'Andy Warhol n'est pas sans analogie avec la super-starisation des vedettes rock des années soixante et soixante-dix, pas un hasard si nous croisons les noms de Mick Jagger et de David Bowie dans ces mémoires de petite fille riche. Comme quoi la richesse mène à tout à condition de ne pas en sortir. Sort toutefois de ce monde en 2014.

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    Damie Chad

  • CHRONIQUES DE POURPRE 222 : KR'TNT ! 341 : KIM FOWLEY / MONTEREY POP / WISEGUYS / ABSTRACT MINDED / INSANECOMP / ROCKABILLY GENERATION 2 / BRUNO BLUM / KERYDA

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

    , Kim Fowley, Monterey Pop, WiseGuys, Abstract Minded / Insanecomp, Rockabilly Generation 2, Bruno Blum, Keryda,

    LIVRAISON 341

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    28 / 09 / 2017

     

    KIM FOWLEY / MONTEREY POP / WISE GUYS

    ABSTRACT MINDED / INSANECOMP

    ROCKABILLY GENERATION N° 2 / BRUNO BLUM

    KERYDA

     

    TRISTE NOUVELLE

    Disparition de Tina Craddock, soeur de Gene Vincent, qui fut toujours au côté de son frère et qui a beaucoup fait pour préserver son souvenir et sa présence on the Rocky Road Blues...

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    Feu Fowley - Part Two

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    Paru voici cinq ans, le premier volet de l’autobiographie de Kim Fowley choque. De plusieurs façons. Un, par le riquiqui de sa taille. On s’attend à un volume de 500 pages et on se retrouve avec un petit recueil de vers et de prose dans les pattes. Deux, par la violence contenue dans le premier tiers du livre qu’il consacre essentiellement à ses souvenirs d’enfance. Et trois, par l’âcre parfum de génie que dégagent les pages et qui vous monte directement au cerveau. Kim Fowley, c’est de l’oxygène à l’état pur, mais ça, on le savait depuis 1972, l’année où on écoutait I’m Bad chaque soir en rentrant du lycée.

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    Alors commence le bal des évidences. Quel est l’auteur américain qui par le un et le trois se rapproche le plus de Kim Fowley ? Dylan, bien sûr. Fabuleux Dylan qui plutôt que de nous assommer avec un gourdin de 500 pages préféra nous glisser un petit ouvrage de prose, le fameux Chronicles, dont on relit les pages avec un plaisir aussi gourmand que celui qu’on prendra à relire les contes rassemblés dans L’Hérésiarque & Cie - De la même façon qu’Apollinaire, Bob Dylan et Kim Fowley auraient pu dire : «Oh mais j’ai la faiblesse de me croire un grand talent de conteur.»

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    D’autres parallèles s’imposent avec des auteurs dont la prose est si pure qu’on qualifie leurs ouvrages de ‘précis littéraires’. On pense à Guy Debord et à Maurice Sachs, et bien entendu à Drieu : Feu Fowley croise le destin d’Alain Leroy dans Le Feu Follet, récit mirifique d’exemplarité crépusculaire. Kim Fowley est mort sans s’être tiré une balle dans la bouche, mais il laisse cette extraordinaire impression d’existence furtive, comme s’il n’avait jamais eu de prise sur la réalité. Il précise d’ailleurs qu’il n’a jamais possédé ni meubles, ni maison, ni famille. Comme Jacques Rigault, dadaïste furtif que Drieu prit comme modèle pour son Feu Follet, Kim Follet traverse la culture d’une époque et se volatilise dans une poussière d’étoiles, laissant derrière lui une poignée de disques et quelques feuilles de prose. Qu’on comprenne bien qu’un personnage comme Kim Fowley n’est pas un gadget, ou pire encore, un objet de spéculation chez les Thénardiers du vinyle. Au même titre que Bob Dylan, Kim Fowley est l’un des artistes les plus brillants, les plus complets et les plus fascinants du XXe siècle.

    S’il est une chose qu’il réussit à merveille, c’est assener des vérités. Il commence son ouvrage ainsi : «Les deux moteurs du rock sont le sexe et la vengeance. Vengeance contre les membres pourris de la famille, les copains retors, les profs sadiques et les ennemis du voisinage, tous ces gens qui pensent que vous n’avez ni talent, ni magie, ni avenir.»

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    Mais le conseil qu’on pourrait donner à ceux et celles qui n’ont pas encore lu ce fatidique livruscule serait de commencer par la fin, car Kim Fowley y salue son lecteur de manière émouvante : «J’en ai bavé pour écrire ça. Je voulais simplement que tu saches que j’ai vécu sur cette planète. Que j’ai cherché une femme, qui soit aussi une amante et une amie. Merci d’être mon amie. On a traversé ensemble les miroirs du passé et du temps présent. Mais il n’y a plus d’avenir pour Kim Fowley. Seulement des ennuis. N’oublie pas de lire les deux volumes à paraître. Ils changeront ta vie. Et maintenant, prie pour moi, cette nuit. Je suis déjà parti, quelque part dans l’obscurité où je cherche un trou pour m’y enfouir. Ce livre est dédié à la fiancée de Frankenstein. Hélas, je ne l’ai jamais rencontrée. Tâche d’être heureuse dans ta vie. Merci de m’avoir consacré ton temps.»

    Nous sommes tous la fiancée de Frankenstein. Dans la mort comme dans la vie, Kim Fowley fonctionne en termes d’universalisme. «Si j’étais mort en 1959 avec Big Bopper, Buddy Holly et Richie Valens, ou mort d’une overdose en 1969, et que j’avais laissé ce livre en souvenir, vous vous seriez tous extasiés. Sauf que le jour de leur mort, je suis allé à Hollywood. Ce que j’essaye de te faire comprendre, c’est que j’ai vécu le rock même après qu’il soit mort avec la mort de Buddy Holly. Je suis encore en vie, sous perfusion, avec l’esprit au bord de l’abîme et quelques derniers éclairs de lucidité. Je traverse tout ça juste pour essayer de produire encore un peu de magie. Je raconte dans ce livre le fond de toute cette histoire qu’on appelle le rock et la façon dont ça fonctionnait. Je ne fais que raconter des anecdotes.»

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    Comme Nietzsche avant lui, Kim Fowley se montre humain trop humain, et de la griserie des rencontres naît une sorte de gai savoir qu’il nous restitue sous la forme d’une pluie d’hommages : «Qui étaient les meilleurs ? J’ai déjà cité leurs noms, John Lennon, Jim Morrison, Jerry Lee lewis, et puis aussi Etta james, Sandy Shaw et Dusty Springfield. Mary Weiss a eu de grands moments, elle aussi, God, quels disques ! Phil Spector : sensational. Encore des noms évidents, Joe Meek et George Martin. Roy Orbinson, c’est Dieu. Quand il ouvre le bec pour chanter, c’est la même chose que le mec des Ink Spots ou celui des Skyliners, Jimmy Beaumont. Je veux dire : wouah ! Lorsqu’ils ouvraient le bec pour chanter, ils te changeaient la vie.» En contrepartie, il ne fait pas de cadeaux aux demi-portions : «Frank Zappa était très doué, mais il n’était peut-être pas aussi doué qu’on le disait. Surestimé. Comme tous ces mecs, Nick Cave, Elvis Costello, Nick Drake, on leur donne le bon dieu sans confession. C’est vrai qu’ils étaient relativement bons, mais pas si bons que ça. Tout le monde a de grands moments, mais aussi des moments ennuyeux, ou pas de moments du tout.»

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    Certaines pages peuvent donner le vertige comme celle qu’il consacre à son vieux camarade PJ Proby : «C’est le meilleur interprète de rock qu’il m’ait été donné de côtoyer dans un studio. On lui montre une chanson et il l’enregistre du premier coup, comme s’il l’avait chantée pendant dix ans. Stupéfiant ! Il n’avait même pas besoin de répéter. Et sur scène, il était aussi bon que Jim Morrison. Aussi bon que James Brown. Il avait l’allure, le son, la présence et en plus, il savait composer.» Et il repart de plus belle avec le drinking side : «PJ savait boire. C’était un homme sensible. Il était extrêmement intelligent. C’était un mec bien, même beaucoup trop bien. Tout en lui était beaucoup trop bien. C’est là que se situait le problème, on ne pouvait absolument rien lui reprocher. Il buvait comme un trou, semblait sortir d’un récit de John Barrymore ou d’Eugene O’Neill, ou de n’importe quelle pièce irlandaise montée à New York. Cet homme savait vraiment boire - This guy was a world-class drinker.»

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    Un jour à Londres, Kim Fowley va rendre visite à Joe Meek. La qualité du portrait qu’il brosse de Joe Meek renvoie bien sûr aux portraits qu’Apollinaire croqua de ses contemporains dans Le Flâneur Des Deux Rives, des gens aussi exotiques qu’Alfred Jarry ou Jean Moreas. «Il m’a payé à bouffer. C’était un sandwich à la dinde, parfaitement appareillé à la peau de dinde de son visage. Un sandwich au pain blanc. Il l’avait préparé lui-même. On s’est assis et on a boulotté nos sandwiches. Je lui disais que c’était génial de le rencontrer et on a échangé des compliments sur nos mérites respectifs. Puis je suis parti. Joe Meek est un type qui analyse les choses. Il portait un sweater Mr Rogers avec des boutons devant. Il s’était gominé les cheveux et ils avait sur la peau une couche aussi translucide que la peau d’une dinde de supermarché.»

    À tout seigneur tout honneur, puisqu’il rend un hommage spectaculaire à Syd Nathan, le boss de King Records : «J’ai passé un après-midi avec lui. Il m’avait accordé une audience. J’avais l’habitude d’aller voir des gens comme lui uniquement pour les entendre me raconter leur histoire. Syd Nathan, quel génie ! James Brown, Hank Ballard and the Midnighters, c’est lui. Starday Records aussi. Je veux dire : wouah !»

    Comme Kim Fowley se dit chien, il bénéficie d’un flair extraordinaire et dès 1959, il multiplie les découvertes : Jan & Dean («Jan Barry est une sale mec, un type vicieux, mais c’était un génie du doo-wop, au sens rock’n’roll du genre. Parce qu’il se savait intelligent et talentueux, il croyait que c’était une bonne raison pour se comporter comme un porc»). Puis Kip Tyler, un type qui venait de l’Est et qui portait du cuir («Il était rockabilly, mais d’adoption. No Southern rockabilly»). Puis Bruce Johnson qui joue encore aujourd’hui dans les Beach Boys. Puis les Rivingtons qui lui chantent «Papa-Oum-Maw-Maw» au téléphone. Puis les N’Betweens, futurs Slade, dont Kim admire le chanteur, Noddy Holder, «qui a la même voix que Little Richard et les Isley Brothers - Gravel and power and poetry.»

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    Les pages qu’ils consacre à Gene Vincent comptent parmi les plus émouvantes de ce recueil. Gene ne voulait pas enregistrer en Californie, mais au studio Malaco, situé à Jackson, dans le Mississippi. Comme le studio se trouvait au bord du fleuve, Gene pensait qu’il aurait pu aller pêcher avec ses copains musiciens entre deux prises de son. Il adorait ça. Il voulait faire ce qu’il avait toujours fait : du Southern rock’n’roll. Mais le label refusa. Clive Selwood n’aimait pas Kim et ne comprenait rien à Gene Vincent. Kim raconte qu’ils furent contraints d’aller enregistrer au studio Elektra, dans une ambiance psychédélique qui n’avait strictement rien à voir avec le gut-bucket-rockabilly/redneck-country-driving rock and roll dont se réclamait Gene. Des gens débarquaient dans le studio, comme John Sebastian et son chien de luxe. Ou encore Paul Rothschild, producteur des Doors, accompagné de two blonde surf beasts, au moment où Gene allait attaquer le «Sexy Ways» d’Hank Ballard. Excédé, Gene demanda qui étaient ces gens qui débarquaient sans prévenir. Kim fit les présentations. Gene se tourna alors vers le Rothschid pour le prévenir qu’il allait sortir le flingue qu’il planquait dans sa botte pour lui mettre une balle dans la tête - Leave my studio ! - Rothschild disparut immédiatement.

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    Et lorsqu’on se rapproche des premiers chapitres, Kim replonge avec une rage indescriptible dans la violence de ses souvenirs d’enfance. Ses parents cherchaient à faire carrière à Hollywood. Quand son père Doug partit faire la guerre, sa mère profita de l’occasion pour filer avec un autre mec. Kim a cinq ans et demande à sa mère ce qu’il va devenir. Elle lui répond : «Tu n’es pas le bienvenu chez mon nouveau mari. Il ne veut pas du fils d’un acteur raté. Il va me faire des gosses meilleurs que toi. Ton père est une merde et mon nouveau mari vaut mille fois plus. Mais je n’ai rien contre toi.» C’est ici que l’auteur prend son envol, car à travers la violence des dialogues qu’il restitue, il met en route l’imparable mécanisme d’un roman tragique. Mais c’est en puisant dans le privilège d’avoir vécu cette horrible situation qu’il établit son pouvoir sur le lecteur. Enfant, Kim Fowley fut à la fois victime de la polio et de l’égocentrisme pathologique de ses parents. Et le même jour, sa mère ajoute : «Je ne te reverrai plus. Ça ne m’intéresse pas de te revoir. Je vais donner d’autres enfants à mon nouveau mari.» On est en Californie, à Beverley Hills, une ville que Kim qualifie dans ses chansons d’usine à rêves.

    À toutes fins utiles, il prend soin de re-situer ses parents dans l’histoire du cinéma : «À l’écran, Doug Fowley était horriblement nul. Ma mère Shelby l’était aussi. Elle jouait le rôle de la vendeuse de cigarettes dans Le Grand Sommeil, avec Humphrey Bogart et Lauren Bacall.» Quand adulte Kim sort de l’hôpital, il entre en poésie et se rend à Venice pour «baiser des vieilles salopes à la façon de Byron, avec une canne.» Comme beaucoup de personnages de romans rescapés d’une enfance cauchemardesque, Kim Fowley verse dans l’immoralité, de la même manière que Monsieur de Phocas ou Moravagine. Il crache le feu et domine le monde. Il baise des tonnes de filles et dort sur des parquets - I’ve lived like an animal and a dog since 1959 - «La plupart des gens en Amérique vivent au dessus de leurs moyens. Ils vivent dans des maisons remplies de meubles, de rideaux et de toute cette merde. Ils sont les esclaves de leurs emprunts. Je ne l’ai jamais été. Je suis tout le contraire de ça. J’ai vécu comme un chien et par conséquent j’ai pu rêver toute ma vie comme un sage.» Il faut comprendre par là que Kim Fowley n’appartient plus à son époque et qu’il est devenu ce que professait Oscar Wilde : une œuvre d’art, mais pas inspirée de la Renaissance italienne ou des paisibles Impressionnistes. Non, Kim Fowley tape dans le cœur de cette culture profondément américaine : le trash. «Je suis à la fois John Waters et Sam Phillips. Je suis le roi des hors-la-loi d’Amérique - The Outlaw King of America.»

    Signé : Cazengler, Kim falot.

     

    Kim Fowley. Lord of garbage. Kick Books Original 2012

     

     

    Il est des choses qu’on peut Monterey sans rougir

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    Tiens, voilà Peter Watts ! Il est de retour dans l’Uncut de June pour un petit coup de projecteur sur Monterey, le premier grand festival pop d’Amérique. Watts tend son micro à Pete Townshend : «Ben c’était mon premier voyage en Californie. Ah ouiche ! Il faisait un temps de rêve et c’était le début d’une aventure. Ah t’aurais vu, dans le backstage, t’avais des tas de beautiful people sous acide qui se regardaient fixement les uns les autres et qui dansaient comme des brêles - dancing like twats.» Monterey symbolisait l’âge d’or de la culture hippie, c’est pourtant la férocité des Who et de Jimi Hendrix qui eut le plus d’impact sur le public. Monterey allait servir de modèle à tout ce qui allait suivre : Woodstock, Glastonbury, Altamont et tout le tintouin. Eric Burdon rappelle que Monterey doit essentiellement son succès aux good ol’ vibes qui régnaient dans le coin, cette année-là.

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    Hormis la qualité de la programmation, l’aspect fascinant de Montery Pop est sa genèse. Un playboy nommé Alan Pariser vit le Monterey Jazz Festival et ça lui donna l’idée d’organiser le Monterey Pop Festival. Il connaissait Derek Taylor, l’attaché de presse des Beatles, qui lui conseilla de programmer les Mamas & the Papas qui étaient alors the hippest local act. Étrange coïncidence : John Phillips, Lou Adler et Paul McCartney venaient juste d’envisager l’organisation d’un festival. Et pouf, Lou et John prirent les rênes du projet. Il décidèrent d’en faire une œuvre de charité, ce qui fut un coup de génie. Lou, John, Terry Melcher, Johnny Rivers et Paul Simon mirent chacun 10.000 livres dans la caisse commune pour financer le projet. D’autres personnalités comme Brian Wilson, Donovan, Roger McGuinn, Smokey Robinson, Andrew Loog Oldham et Jagger apportèrent leurs concours. Oldham fut bombardé International Director. Ça lui permit de quitter l’Angleterre où les Stones avaient des problèmes avec la justice. C’est d’ailleurs ce départ pour la Californie qui lui vaudra d’être accusé de lâcheur et d’être viré des Stones. Lou et John demandèrent à Oldham et à McCartney quels étaient selon eux les groupes anglais les plus indiqués pour Monterey. Ils répondirent d’une seule voix : «The ‘Hoooo and Jimi Hendrix !»

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    Lou et John firent des miracles, en tant qu’organisateurs : Lou dealt with money, John the music. Ils s’entendaient à merveille. John Phillips appelait les groupes pour les convaincre de venir jouer à l’œil. Il était à la fois l’organisateur, le promoteur, le booking agent et la tête d’affiche. Il se trouvait au pinacle de sa gloire. C’est là qu’il écrivit en 20 minutes l’un des plus grands hits de l’époque, «San Francisco (Be Sure To Wear Flowers In Your Hair)». Grâce à ce hit, Scott McKenzie allait entrer dans l’histoire. Ce qui fit la grandeur du team Adler/Phillips, c’est qu’ils voulaient the best of everything, et leur everything comprenait le blues, la musique indienne, la pop, le jazz et l’acid rock. Ils eurent donc Ravi Shankar (qui fut le seul à toucher un cachet), le Dead, Simon & Garfunkel et Paul Butterfield. Ils voulaient aussi absolument Dionne Warwick qui hélas ne put se libérer. Les Beach Boys étaient prévus, mais bon, Brian avait la gueule dans la dope. Sollicités, les Impressions ne répondirent pas à l’invitation. Quant à Donovan et aux Kinks, ils ne réussirent pas à obtenir leurs visas. Une rumeur courait comme le furet : les Beatles envisageaient de venir pour un concert exceptionnel. Captain Beefheart, Love et les Lovin’ Spoonful déclinèrent l’invitation. On oublia par contre d’inviter les Doors. Et si Smoky Robinson ne parut pas, c’est parce que Berry Gordy ne voulait pas que Motown participe à ce truc de blancs.

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    Lou Adler réussit même l’exploit de financer le tournage d’un film qu’il confia à D.A. Pennebaker. Par contre, il n’apprécia pas du tout le carnage des ‘Hoooo : on le voit arriver sur scène à la fin de «My Generation» et ramasser les débris en tirant une gueule d’empeigne. Jimi Hendrix et les ‘Hoooo jouèrent l’ordre des sets - qui passait avant qui - à pile ou face, une idée de Brian Jones. Pete Townshend raconte aussi que Jimi Hendrix était pretty fucked up, very smashed on acid. Eh oui, Owsley lui avait offert 100 mg de STP - A major dose - une demi-heure avant le set qui allait le rendre célèbre dans le monde entier. Jimi baise sa guitare sur scène et la fait cramer. Des mauvaises langues dirent à l’époque que la différence entre les ‘Hoooo et Jim Hendrix, c’est que Pete Townshend violait sa guitare alors qu’Hendrix lui faisait l’amour. Townshend le reconnaît lui-même : «Ben ouiche, quoi qu’il fit, Jimi looked so beautiful. Moi jétais qu’un skinny West London boy avec un gros pif, rien qu’un sale petit branleur qui la ramenait.» Quand Lou Adler envoya un extrait du Set de Jimi Hendrix à la chaîne de télé qui devait faire une émission spéciale sur Monterey, le contrat fut bien sûr aussitôt annulé. Trop sauvage pour la middle-class.

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    Monterey est surtout l’emblème d’un temps qu’il faut bien qualifier de magique, ne craignons pas d’employer les grands mots : un temps où on voyait Brian Jones déambuler dans la foule avec Jimi Hendrix ou avec Nico, un temps où la ronde des talents donnait franchement le vertige. Pour s’envoyer un petit shoot de ce bon vertige, il suffit tout simplement de visionner les 3 DVD du coffret Monterey Pop festival paru en 2002. Attention, c’est un format zoné pour l’Amérique. Seul le lecteur DVD de votre cher ordi acceptera ce format.

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    On connaît tous le Jimi Plays Monterey et l’Otis in Monterey, mais la vraie valeur ajoutée du coffret, c’est the Outtakes Performances, presque deux heures d’extraordinaires prestations d’artistes et de groupes qui en 1967 n’étaient pas encore très connus. L’éclosion de la fameuse scène de San Francisco date d’ailleurs de cette année-là. Ils sont venus, ils sont tous là, comme le dit Charles Aznavour : the Association, fantastique énergie, on voit ces mecs en costards prendre les harmonies vocales d’«Along Comes Mary» à quatre voix, puis Paul Simon - mmmm - «Homeward Bound», ce Paul du diable qui drive sa mélodie dans de juteuses descentes d’octaves mirobolantes - Mmmm/ like emptiness in harmony/ I need someone’s company - C’est puissant, car ils ne sont que deux avec une acou, ils créent de la magie, et ils enchaînent avec the Sounds d’Hello darkness my old friend, et ça décolle au subtil tremblement d’and the vision/ That was planted in my brain/ Still remain - on reprend son souffle, on savoure chaque syllabe de cet imputrescible chef-d’œuvre - Within the sound/ ........./ Of silence - C’est imbattable car si pur, d’une pureté mélodique sans égale, Paul prend ça au tremblé de glotte. Ça relève tout simplement de l’admirabilité des choses de ce monde. Ces deux branleurs affichent dans le faire exprès de véritables dégaines d’anges. La misérable banalité de leurs traits n’a d’égale que la grandeur de leur art vocal. D.A. Pennebaker a le génie des cadres serrés : on est si près d’eux qu’on s’y croirait. Country Joe, c’est une autre énergie. Il s’est peint des fleurs sur les joues et il frotte ses talons au sol comme Otis en 1962. Barry Melton joue le blues sur une bête à cornes. Ils swinguent leur Sweet Lorraine, ils psychoutent le Frisco blues et au passage, Country Joe s’impose comme un homme du futur. N’oublions pas qu’à l’époque, tous ces gens sont encore des embryons. Mais quelle présence ! S’ensuit un Al Kooper pas très bon. Accompagné par Harvey Brooks et toute l’équipe de Butter, il tente le coup du shuffle, mais ça ne marche pas. Pourquoi ? Parce qu’il n’a pas de voix. On passe à travers, et justement, Butter arrive à la suite, avec sa gueule de sale mec de service. Il a de la voix, mais il génère de l’ennui avec son blues de Chicago. Alors, attention, voilà Quicksilver, baby, comme si on y était. Cipo porte une veste trois-quarts à franges et joue à l’onglet de pouce. Gary Duncan chante, soutenu aux chœurs par David Frieberg. Fabuleuse décharge de good-timey jerkoff - All I ever wanted to dooooo - Fascinant spectacle !

     

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    Et pouf, voilà l’Electric Flag, l’un des groupes les plus mythiques de Californie, monté de toutes pièces par un Bloomy qui voulait inventer LE groupe qui n’existait pas encore, à l’époque, un mélange de rock, de blues et de soul, avec Buddy Miles au beurre et Harvey Brooks au bassmatic. Il faut voit Bloomy embarquer cette brochette de blues hoods ! Buddy Miles bat comme un démon, avec sa pompadour de soixante centimètres et sa cravate à fleurs. Wow ! Et paf, on tombe à la suite sur les Byrds, avec un Croz coiffé d’une toque en chinchilla. Les Byrds sont brillants, et ça va bien au-delà des possibilités du langage. Croz gratte sa demi-caisse STP. Qui dira la classe du vieux Croz ? Pas de Gene Clark dans les parages, c’est Roger qui se tape le lead. Il porte un bouc et gratte sa Ricken en picking d’onglets. Le peu qu’on en voit donne la chair de poule. On a là l’absolue perfection des harmonies vocales. Voilà encore un shoot d’émotion à l’état le plus pur. Ils font les vibrer les «Chimes Of Freedom» rien que pour nous. Si ce n’est pas de la veine, alors qu’est-ce que c’est ? Chez les Byrds, tout est saturé d’une clarté d’arpeggio florentin. Croz raconte que JFK a été abattu par plusieurs mecs en même temps et que les témoins have been killed, this is your country, ladies and gentlemen ! Ils retombent dans l’excellence d’«He Was A Friend Of Mine» et puis ils s’encanaillent avec une version sauvage d’«Hey Joe», celle des Leaves, bien sûr. Croz trépigne - What’s chou gonna doo - Il embarque ça à train d’enfer, il entre en transe, il chauffe tout Monterey à lui tout seul. Extraordinaire ! Ça fait partie des choses à voir dans une vie d’amateur, tout comme le clair de lune à Maubeuge.

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    Rien qu’avec cet enchaînement de légendes vivantes, on est déjà sur-saturé d’émotion. Mais ce n’est pas fini, car ça repart de plus belle avec Laura Nyro. Elle nous swingue la nuit californienne. Son «Wedding Bell Blues» sonne bien les cloches, même écourté. Elle enchaîne avec ce groove de la perdition absolue qu’est «Poverty Train». Au moyen-âge, on l’aurait accusée de sorcellerie et brûlée vive. S’ensuit l’Airplane qui, comme tous les autres, est encore en phase de décollage, and you better find somebody to love, baby ! La mauvaise surprise de cette montagne d’Outtakes, c’est le Blues Project. Incompréhensible et étrange. Ils attaquent au solo de flûte et ne s’accordent pas la moindre chance. Janis vient électriser la scène, elle s’impose comme on sait, oh-oh yeah, avec «Combination Of The Two». Ce diable de James Gurley joue dans son coin et part en vrille de garage fuzz. Il joue ça au picking d’onglet sauvage. Entre Cipo, Roger McGuin et lui, on a toute la crème de la crème des picking-Gods du rock californien. On voit aussi le Buffalo Springfield. Croz remplace Neil Young. Stephen Stills a déjà une sacrée allure de rock star, avec ses énormes rouflaquettes rouges et sa grosse demi-caisse.

    Oh on voit aussi les Canned Heat, la vraie formation, avec big Bob au chant, Henri Vestine qui passe son solo excentrique et Al Wilson qui en rajoute un à la slide. Tous les groupes qui ont fait la grandeur de la scène californienne sont au rendez-vous, Lou Adler et John Phillips ont bien bossé. Eric Burdon prend un «Paint It Black» très psyché. Dommage que Moby Grape ait sauté au montage.

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    Maintenant, place aux Anglais. This is the ‘Hoooo ! Moony explose d’entrée de jeu. «Substitute» ! Si tu veux voir un grand batteur anglais, c’est le moment ou jamais. Pas de pire sauvagerie scénique que celle des ‘Hoooo. Pendant que Pete fait des bonds, Moony dynamite le beat. Ils enchaînent avec «Summertimes Blues» et «A Quick One». Si on veut les voir démolir le matos, c’est dans l’autre film, le Monterey Pop complet : Pete y explose sa Strato à la fin de «My Generation» puis Moony démolit son kit à coups de pompes pour faire bonne mesure. Ces sont les Mamas & les Papas qui bouclent cet événement historique. Normal, puisque John Phillips est l’un des organisateurs, avec Lou Adler. John porte sa toque en chinchilla. Entre deux coups de Mamas, Scott McKenzie vient chanter son hit planétaire d’alors, «San Francisco» et paf, les Mamas & les Papas tapent dans «Monday Monday», so good to me, avec l’ami Doherty au lead sensible : ça donne une apothéose de la pop du non-retour. Mama Cass fournit les contre-chants de rêve et elle finit par shaker le shook de «Dancing In The Street», oh oui, la grosse le danse et le ouh-ouhte comme une Tamla Queen.

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    Mais l’épisode le plus dévastateur de Monterey reste bien sûr le set de Jimi Hendrix. Curieusement, Pennebaker glisse un autre extrait de concert en amuse-gueule : Jimi y porte un pantalon de velours bleu clair et fait gicler le jus de «Sergent Pepper’s Lonely Heart Club Band», jambes pliées. Puis Brian Jones arrive sur la scène de Monterey pour annoncer the Jim Hendrix Experience, à la suite des ‘Hooo. Jimi surgit affublé d’un boa rouge et d’un pantalon rouge assez moulant. C’est gagné d’avance - I shoul’ve quit you babe/ A long time ago - Mitch Mitchell tente de battre comme Moony mais c’est impossible. Jimi explose «Killing Floor», puis il enchaîne avec «Foxy Lady» - I want do you no harm/ Hooooo/ Foxy lady - Tout se passe dans une ambiance d’aristocratie à la peau noire, puis le set bascule dans l’enchantement d’How does it feel to feel, «Like A Rolling Stone», wooly groovy d’once upon a time you dressed so fine, didn’t you, c’est dingue comme ces phrases nous collent à la peau, mais soudain, Jimi explose «Rock Me Baby» à coups de power-chords, et il revient à de meilleurs sentiments en interpellant Joe - Where you goin’ with that gun in yer hand - Jimi bouffe ses cordes à la grande mode du Chitlin’ - C’mon wild thing/ You make my heart sing - Jimi fait une calipette au sol avec da guitare - I wanna know for sure - Solo dans le dos, les ‘Hooo peuvent prendre des notes, ils n’atteindront jamais ce degré de sauvagerie intrinsèque, et ça ne s’arrête pas là, car voilà que Jimi fait l’amour à sa guitare allongée au sol, il lui pisse un coup d’essence à la raie et craque une allumette. Oh ce n’est pas fini, il la réduit en miettes qu’il jette dans la foule. Les Américains n’avaient encore jamais vu un carnage pareil.

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    Singé : Cazengler, Monteraie du cul

    D.A. Pennebacker. The Complete Monterey Pop Festival. DVD 2002

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    Peter Watts : Be Sure To Wear Flowers In Your Hair. Uncut #241 - June 2017

     

    TROYES / 22 – 09 – 2017

    3B

    WISEGUYZ

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    Attention ils reviennent, de leur lointaine Ukraine, en tournée en France et bien sûr ils connaissent les bonnes adresses, les voici donc ce soir au 3 B. L'information a dû circuler car passé vingt et une heures le bar est sous pression, z'auriez même du mal à y glisser un malabar.

    WISEGUYZ

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    C'est choquant. Vous le savez, mais vous vous y faites prendre à chaque fois. Au début ils ressemblent à n'importe quel autre groupe de rockab. Quand ils démarrent, l'invraisemblable vous saute dessus. Jouent ensemble. Les esprits forts répondront que c'est la moindre des choses à laquelle l'on puisse s'attendre de la part d'un quatuor. Oui, mais avec les WiseGuyz c'est différent.

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    Prenez Ozzy, on le voit mal, au fond, caché par ses trois acolytes, à la batterie. Ne donne jamais l'impression de marquer la rythmique, l'a une frappe – je ne saurais la qualifier, ni lourde, ni légère, tout ce que l'on comprend c'est qu'elle n'accompagne pas les trois cordiers devant, elle se colle à eux, l'est aussi inséparable de leurs sonores émissions que la carapace ne l'est de la tortue, n'importe où qu'ils aillent, il fait partie du chemin, que ça trotte fort ou ça galope sec – pour le pas de parade faut pas y compter avec les Wise, apparemment n'en ont jamais entendu parler – le pire, lorsque vous apercevez l'Ozzy, c'est que pour un peu vous en crèveriez de jalousie, donne l'impression de ne pas y penser, assure avec une facilité déconcertante, vous ne vous étonneriez pas de le trouver en train de lire le journal.

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    Rebel c'est exactement le contraire. Ozzy assis aussi tranquille qu'un pêcheur à la ligne, Rebel debout l'oeil aux aguets, le chasseur qui ne lâche pas son chien du regard prêt à tirer sur le premier perdreau de l'année. N'a pas de hound dog qui vadrouille devant lui, alors il affûte sa contrebasse, de bois verni, plus haute qu'une horloge comtoise et tout aussi mince. L'on dirait qu'il se cache derrière un arbre, le dos courbé, puis lui saute dessus toutes les six secondes, style intervention commando-parachutiste, et il lui secoue les cordes si vigoureusement que les vibrations vous traversent le coeur comme des coups de feu tirés en rafales. De l'autre côté c'est Gluck. Pourquoi la nature lui a-t-elle donné un corps avec deux jambes et deux bras ? Ne se sert que de sa tête et que de son seul avant-bras droit. Démontez tout le reste. Totalement inutile. Ça le prend par crises. Très fréquentes, de deux sortes. L'approche ses lèvres du micro, esquisse un sourire qui rappelle l'oeil goguenard du serpent prêt à frapper qui sort sa langue fourchue, et hop, vous balance une de de ces onomatopées endiablées qui dans le rockab aident à souligner le lead vocal. Ou alors beaucoup plus grave.

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    L'avant-bras – le droit, je rappelle – ne répond plus aux ordres du cerveau. Devient autonome. Impossible de l'arrêter, fouette les cordes de sa guitare, une fois, dix fois, mille fois, impossibilité de stopper et comme par miracle les trois autres suivent le mouvement, des moments de folie collective qui se propage à l'assistance qui crie et applaudit encore plus vigoureusement. Dans cet état rien ne l'arrêterait. Si clinc ! Une corde en moins. Pas de panique, ravitaillement en plein vol, d'une seule main – les copains ne lui jettent pas un regard – pourquoi s'en feraient-ils ? Il continue à wapdoowapper sur son micro à la seconde exacte, à croire qu'il n'a rien d'autre à faire de toute la soirée. C'est que Chris est à la lead-guitare. Avec un tel dynamitero, z'êtes certains que le boulot sera fait de main de maître. Aux doigts d'or. L'est assez grand pour se suffire à lui tout seul. Je l'ai épié de longues minutes, ne suis pas arrivé comprendre comment il fait apparaître et à disparaître son médiator en une fraction de seconde. De toutes les façons avec ou sans, l'a un touché incroyable d'une précision inimaginable. En plus pour vous mettre encore plus la honte, l'est occupé à autre chose. Au chant.

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    Le rockab, c'est de l'art. Un mouchoir de dentelle. Une maille sautée et tout est foutu. Bancal. Banal. Banque-route. Crack boursier. Crise économique. Civilisation effondrée. Voilà l'effet. L'erreur n'est pas un droit. Ou vous réussissez tout, du premier coup, ou vous êtes un tocard. Et les WiseGuyz, ils osent tout, donnent dans l'arachnéen sauvage. Un premier set éblouissant. Pas une seule bavure sur l'ossature. Du rockab pur et dur. Comme vous avez rarement la chance d'en entendre sur scène. En studio, pouvez vous y reprendre à dix fois et multiplier les alternate takes, mais sur scène, c'est du travail d'orfèvre. Faut polir le diamant sans le casser. Le rockab des WiseGuyz ressemble à un mikado musical. Chacun son tour et tous ensemble. Sont lancés à trois cents kilomètres-heure, s'activent dans tous les coins, courent du four au moulin, se passent les brandons pour attiser l'incendie, toc-toc, tout s'arrête, n'entrez pas, pas le temps, les poings ont frappé deux fois sur les bois de l'instru et l'on repart tous groupés comme si rien ne s'était passé. Chris a le vocal mordant. Et c'est le public qui mord à l'hameçon.

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    Vous le suivriez jusqu'au bout du monde. C'est d'ailleurs-là où il va vous emmener au deuxième set. Trois morceaux d'entrée, encore plus saignants que les quinze du premier tir groupé. Vous les prenez en plein museau, des balafres encore plus longues que les précédentes. Et puis l'on change de voltige. L'on change de fil. L'on ne marche plus sur du barbelé qui vous saccage les petons, l'on repose sur de l'élastique qui s'enfonce dans l'abîme à chaque pression la plus infime, et puis vous propulse vers le haut du ciel à une vitesse inouïe. L'on saute dans le jump, on glougloute dans le swing et l'on agonise dans une pulsation, une puljazzion originelle. Les Guyz vous détendent les ressorts du rockab, l'en devient flagada, l'est la corde de l'arc décrochée qui gît à terre, ne bande pas plus qu'un ver de terre qui ondule sur un gazon humide. Tout est perdu. Et hop ! Bop ! Rock ! comme par miracle, les cordages des voiles abattues vous hissent la voilure jusqu'en haut des mâts. Le vent se déchaîne vous emmène au large et pffuittt ! La comédie recommence. Les Wise s'amusent comme des petits fous.

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    Vous collent la crêpe au plafond et la laissent retomber mollement, pour la shooter encore plus haut en trouant les plafonnettes. C'est le moment des interventions, Rebel pulvérise les accords, Gluck hache menu, Ozzy balaie les cendres, Chris recolle les morceaux en un tour de main. Faut les voir s'activer. Dessinent et découpent, déchirent en petits bouts de rien du tout, et vous ressortent la toile de maître, toute neuve, la peinture à l'huile encore fraîche. Jeu cruel et geste fabuleuse, racontent l'histoire du rockab, sa provenance et ses métamorphoses, toute la saga, sans rien omettre. Ne cachent rien, refusent la création ex-nihilo par le saint-esprit, vous  content par le menu sa germination et vous exposent en pleine tête les plans secrets du sous-marin atomique.

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    Laissent l'auditoire pantois, des gosses à qui l'illusionniste a lacéré, à coups de cuter, et puis rendu tout neufs, encore plus beaux, encore plus doux, leurs doudous chéris, avec le sourire comme si rien ne s'était passé. Trop forts. Magique. L'on se précipite sur les disques et les t-shirts, ça baragouine de tous les côtés en mauvais anglais. Rencontre du troisième type. Le genre de concert dont on se souviendra longtemps.

    Damie Chad.

    ( Photos FB : Béatrice Berlot / Sergueï Störkel / Sergio Kazh )

    BEHIND THE WILL

    ABSTRACT MINDED

    ( Official Music Video )

    ( Visible sur YOUTUBE et le FB : ABSTRACT MINDED )

     

    Dernier single d'Abstract Minded. Sur YouTube, image fixe, grimace de logo sur fond d'infini stellaire, avec les paroles qui défilent. Très bon confort d'écoute, très belle prod. Un must.

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    Un unique morceau construit sur le schéma des tétralogies grecques. Commence par un bourdonnement grondeur de voix qui buterait sur elle-même, une tétraplégique reptation de gorge issu des galeries les plus obscures d'une mine charbonnière, musique qui moutonne noir impassible, un fleuve de cendre volcanique qui progresse et arase les doux paysages des âmes choisies, coup de cymbales comme gong de bronze qui résonne dans les temples désertés par les dieux, colère vocale crispatique, et la marche processionnaire reprend, impassible, mais les mots s'écrasent plus longuement tels ces mouchoirs de papier emplis de morve, de sang et de sperme que vous jetez derrière vous afin de désobstruer vos méningiques cloisons fissurées, lézardes de rage sur le métal stridal, la voix qui bazooke les portes blindées de la sortie du labyrinthe, cris de triomphe afin de fêter l'issue catacombère, long soli lyriques de guitares explosives, émissions spharynxgicoïdales chantent victoire, arrêt brutal. Nous ne sommes qu'à l'orée du chemin de glaise noire.

     

    Le plus difficile c'est d'en sortir. Que vous soyez mort – sachez que cela vous arrive plus souvent que vous ne le pensez – étendu en votre léthargie ou simplement retenu en vous-même. Bref, faut s'extraire. Pas facile. Vous n'avez pas la bonne clef dans votre poche. Sinon vous seriez déjà dehors. Une seule solution : enfoncer la porte. Oui, ça fait du bruit. Vous ne croyiez tout de même pas que ça se passerait dans le silence absolu. Et puis il y a le gardien du seuil. La solution décisive serait de l'abattre. Ce n'est pas l'envie qui vous en manque. C'est qu'il vous ressemble tellement que vous vous apercevez qu'il n'est autre que vous-même. La partie s'avère plus compliquée que prévu. Remarquez c'est une histoire connue et rebattue. Le scénario remonte à l'antiquité. C'est expliqué dans les textes des gnostiques. L'avaient pompé sur les vers dorés de l'orphisme. Suffit de transformer le cercueil de votre chair, lui insuffler l'énergie alchimique de la vie. Parce que vous n'êtes que rarement vivant quand vous y réfléchissez.

    Voilà vous avez le fil de l'action. Un peu compliqué, je le concède. Abstrait, dites-vous ? Emission gutturale de la lettre A. L'aleph prodigieux du point d'inexistence qui contient l'univers.

    Damie Chad.

    OFF THE GRID

    INSANECOMP

     

    1290605 – 1921031119 / DIE ALONE / PARTY OUT OF CONTROL / DRUGS ARE FOR IDIOTS / J'EMMERDE / UNSTABLE / FUURY WALL / DUNRK IM FELL BETERR / GET THE FUCK OUTTA MY WAY / I HATE YOU SO MUCH RIGHT NOW / OFF THE GRID / I KNOW EVERYTHING ABOUT LONELINESS / THE FRIGHT / THAT BELONG TO ME / ANOTHER SONG ABOUT YOU / DEMONS UNDER MY SKIN

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    12090605 – 1921031119 : parade, qui procède de loin, des confins de la grandiloquence des espaces infinis qui se rétrécissent et prennent la forme impitoyable du pas saccadé des hordes de l'ordre du malheur en marche à l'assaut de nos frêles forteresses. Die alone : hurlements de prisonniers derrière les grilles, mordent les barreaux et piquent crises de folie impuissantes, chœur de voix dans le lointain comme prières de moines geôliers, convulsion de musique en écrasement de pulpe d'âme dans un presse purée mental, rythmique sardonique, la mort se réduirait-elle au sourire du squelette ? Party out of control : le grand ordinateur vous parle, prêche dans les sables stériles de votre cerveau, des bottes martèlent vos neurones, l'on tire à la kalachnikov dans les coins, voix d'hôtesse de l'air de l'ère ordinatique qui mesure l'ampleur du désastre, le rythme de votre cœur s'accélère, toute panne se résorbe d'elle-même car elle est le message de sa présence. Drugs are for idiots : inutile de vous enfuir dans les paradis artificiels Big brother vous le répète, les drogues sont à l'usage exclusifs des idiots qui verrouillent eux-mêmes leur camisole de force. J'emmerde : proclamation à la face du monde, Moravagine disait qu'il avait marché sur la moitié de la face de Dieu lorsqu'il posait le pied sur un étron. Aujourd'hui Dieu est mort mais la pègre du pouvoir l'a remplacé. Un monde à détruire, en français dans le texte pour que vous compreniez mieux. Unstable : klaxons de mastodontes routiers percent votre vide mental comme trompettes annonciatrices de catastrophe finale. Le monde est instable. L'oeuf de l'univers flotte à la surface de l'océan du chaos. Furry wall : piétinements de voix compressées, urgence rythmique, une criaillerie de foule se bouscule sur les frontières des finitudes, béton des murs et des mots qui se heurtent en eux-mêmes. Satellite de la conscience en perdition. Dunrk Im fell beterr : vous ne maîtrisez plus rien, rythmique aussi lourde et pesante que pied d'éléphant sur votre nuque, une voix a pris le commandement comme une vapeur qui s'exhale d'un marais délétère. Get the fuck outta my way : ne reste plus qu'à chasser le papillon du désastre qui volette sur les décombres de votre moi intérieur. Ses ailes de fer grincent désagréablement sur vos synapses délabrées. Moteurs qui refusent de se mettre en marche. I hate you so much right now : le mixeur de la haine sera votre arme favorite. Mais contre qui le diriger ? Off the grid : Horrible travail, arc à souder cacophonique et étincelles sonores qui ne devraient pas atteindre vos oreilles. Silence total. La délivrance ne serait-elle qu'une déclinaison de l'angoisse existentielle ? I know everything about loneliness : et maintenant si seul dans le vaste monde ! A croire que le tumulte de votre emprisonnement était préférable à cet état de désolation. Postures shakespeariennes, vous mimez et infatuez votre détresse, la dramatisez en coït masturbatoire avec le néant de l'autre. The fright : miaulements de trop de voix qui s'engouffrent en vous comme train noir dans un tunnel fou. That belong to me : est-ce donc cela le lot du monde que les titans du tumulte m'ont imparti, cette frénésie intérieure qui me porte aux extrémités de la puissance des folies autodestructrices, je défie et je crache ma fierté à la face du monde creux comme l'éponge de mon âme qui aspire toute la saleté extérieure. Voix et musiques prennent d'assaut le kaos et submergent les continents. Another song about you : piste ordalique de clairons de merle moqueur, la voix se tait car comment adresser la parole à ce fantôme en face de moi qui me ressemble trop pour ne pas être. Empilement sonore extatique. Demons under my skin : sous-bois inquiétants, jungles menaçantes, j'erre en moi-même et traverse mes propres autoroutes, convois cliquetant de wagons plombés qui entrent dans les gares de triage sous la pluie qui ruisselle. A moins que je ne sois en train de tirer la chasse de ma merde humaine et de sortir les poubelles orgiaques de mes rêves sur le trottoir. Je reste seul en moi-même. Face à mes démons. Démons-tration du moi qui s'applique à tout un chacun.

     

    Bande sonore filmique. Les morceaux s'enchaînent sur une rythmique d'enfer. S'écoute du début à la fin. Cercle vicieux et vicié dont on ne s'échappe pas. Critique de la déraison pure du sujet placé en des conditions optimales de survie aléatoire. Si vous n'appréciez pas, c'est que vous vivez les yeux fermés. N'est pas plus insupportable que votre propre cécité. Insensé qui crois que ton computer neuronal n'est pas le nôtre, aurait écrit Hugo en préface à ses Dévastations.

    Damie Chad.

     

    ROCKABILLY GENERATION N° 2.

    ( Août / Septembre / Octobre 2017 )

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    Sergio Kazh et son équipe sont en train de gagner leur pari : une revue de Rockabilly qui donne sens au mouvement. Le numéro 1 était une promesse, ce numéro 2 est une réussite. Menée avec intelligence. La galaxie Rockabilly est gigantesque. Légendes du passé et nouvelles pousses du futur s'entrecroisent en une espèce d'éternel présent sans fin. Rockabilly Generation qui entend défendre les groupes d'aujourd'hui a compris qu'il faut aussi fouiller dans les braises chaudes et germinatives des générations précédentes tout en évitant de tomber dans un passéisme désuet. Si les premières pages sont consacrées, cinquantenaire oblige, à Elvis Presley dont la carrière est retracée en son entier, l'on passe vite à l'actualité des plus brûlantes avec le compte-rendu du Festival Viva Poulingue'n'roll qui culmine avec les prestations de Barny and The Rhythm All Stars et les WiseGuys. WiseGuys que nous retrouvons pour une longue interview des plus instructives, suivie par un entretien avec The Hoodoo Tones le groupe du Nord qui monte. Kévin qui faisait partie de la première mouture des Spunyboys partage en commun avec Chris des WiseGuys cet esprit d'ouverture musicale qui envisage le rockabilly comme une musique en évolution. Ne s'agit pas de s'enfermer dans une perpétuelle redite de la déclinaison d'un répertoire figé mille fois recommencée mais d'explorer des voies nouvelles pour exacerber les possibilités latentes des éléments primitifs incontournables. Un délicat chemin entre perpétuation et création. Groupes qui montent et groupes qui entrent en hibernation : dernier concert des Noisy Boys et évocation des Capitols, dont il souhaite le retour, par Didier Delcour. Discographie, Agenda des concerts et Courrier des lecteurs closent ce numéro qui comporte déjà quatre pages de plus que le précédent. Un bon signe. Articles plus étoffés, somptueuses photographies couleur de Sergio Kazh. Generation Rockabilly s'inscrit d'ores et déjà comme la revue maîtresse du mouvement rockabilly de par chez nous.

     

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    Editée par l'Association Rockabilly Generation News ( 7 hameau Saint-Eloi / 35 290 Saint-Méen-Le Grand ), 36 pages, 3, 50 Euros + 3, 40 de frais de port pour 1 ou 2 numéros, abonnement 4 numéros : 25 Euros, chèque à Lecoultre Maryse 1A Avenue du Canal 91 700 Ste Geneviève-des-bois ou paiement Paypal maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de toutes les revues...

    ( Photo Sergio Kazh / 3B / WiseGuys + Maryse Lecoultre + Brayan Kazh )

    Damie Chad.

    *

    Grave erreur que de ne pas se tenir informé ! Suis pris au dépourvu ! Pourtant les faits sont là, le nouveau gouvernement que j'abhorre sur tous les bords a dû promulguer en vitesse et en catimini un décret d'urgence, indubitable, façon de couper l'herbe sous les pieds des cathos coincés du bec et des babas exacerbés. Politiquement je n'y crois pas mais à vingt-cinq mètres de distance la réalité me déchire les yeux. Et déjà dans un fouillada ! Et pas qu'un peu, une demi-palette entreposée de la façon la plus innocente, impossible de faire semblant de ne pas les voir, à peu près deux cents briquettes à vue de nez un gros kilos, un emballage d'un jaune étincelant et écrit en énormes lettres vertes - pour une fois l'on a eu pité des mal-voyants - agrémentées d'un point d'exclamation, et le prix sur le panneau victorieusement planté au-dessus, 3 euros, SHIT ! Merde alors ! je me précipite ! Profonde déconvenue, mauvais cinéma, ce n'est qu'un bouquin, un énième scripto de plus sur le canabis, je passe dédaigneusement mais le nom de l'auteur clignote dans ma tête, Bruno Blum, le gonzoman qui au dernier siècle a envoyé le premier papier sur les Sex Pistols à Best, cela mérite le respect. Sûr l'a mal tourné, le révélateur punk s'est transformé en chanvre, pardon en chantre du reggae, mais enfin, ce n'est tout de même pas un zéro absolu, et puis n'oublions pas Sex, Drugs and rock'n'roll !

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    SHIT !

    TOUT SUR LE CANABIS

    BRUNO BLUM

    ( First Editions / 2013 )

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    Shit ! Chut ! Chat en berne ! Sujet sensible. Même chez First éditions qui aime les gros coups médiatiques qui font le ramdam. Z'ont pris un spécialiste. Quelqu'un qui sait de quoi il parle. Commence d'ailleurs par se présenter lui-même : Bruno Blum, oui il a été un accro au shit-à-mort. Ne se présente pas sous ses meilleurs jours. Tout jeune déjà voleur ! Honte sur lui ! S'attaquer à la propriété privée ! Ne faut pas y toucher. Extrêmement périlleux. Pierre-Joseph Proudhon nous a résumé le danger en une formule lapidaire : la propriété, c'est le vol. Y porter la main, c'est insérer ses doigts dans un engrenage fatal. Certes il a volé, mais des disques. C'est déjà mieux. De rock'n'roll ! Faute avouée, crime aux trois-quarts pardonné. Surtout qu'il a une théorie qu'il applique aussi bien à la récupération vinylique qu'au shit ou tout autre condiment qui peut faire votre délice, que ce soit l'ingurgitation infinie de crêpes au chocolat ou l'acquisition forcenée de crédences Louis XV. Ce n'est pas l'objet ou le produit qui produit l'addiction, mais votre tendance compulsive individuelle à l'addiction qui se focalise sur un point sensible du réel. Très souvent cela ne va plus loin que les innocentes collections de porte-clefs ou de cartes postales. Parfois la moindre des passions s'empare de vous, vous dévore, vous dépensez des sommes colossales pour l'achat irrépressible d'un tire-bouchon à la mode dans les années trente, la Dass vous confisque les mioches dont vous n'arrivez plus à vous occuper depuis que votre femme découche avec le voisin du-dessus... Bruno Blum a fumé, par plaisir, par manie, par vice, par choix, cochez toutes les cases. Envers et contre tout. Des crises de tachycardie à effondrer un éléphant, les copines qui se barrent, le rédac chef qui le vire, l'impossibilité de continuer à tenir la basse dans son groupe punk, les loyers impayés, le retour honteux chez sa maman... Jusqu'au jour où une nana lui met le contrat clef en mains. L'arrête en trois semaines. Trouve tout de suite d'autres centres d'intérêt, n'est pas spécialement addictif au cannabis, reprend sa vie en main, ses bouquins, ses disques, ses enregistrements... Extrait la morale de l'histoire : s'en est beaucoup mieux tiré que beaucoup de ses copains – paix à leurs âmes, accros à l'héroïne et autre produits farceurs dont on se détache beaucoup moins facilement, osons le mot : addictifs... L'en tire une ( heureuse ! ) conclusion, le cannabis n'est pas addictif. Ne se contente pas de cette assertion définitive. C'est que dans les sociétés modernes cette évidence n'est guère partagée.

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    Deuxième chapitre assez ennuyeux. Voyage dans le temps et l'espace géographique. Remonte au néolithique, explore toute trace cannabique – exemple : les chamans qui s'enfilent des joints aussi épais que les troncs des chênes centenaires pour entrer en contact avec l'esprit de leurs totémiques bestioles – et puis il passe continents et pays un par un, cultures chanvrique, à tout bout de champs, consommé sous diverses forme, fumé, inhalé, cuisiné, l'on se sert de la fibre pour confectionner des vêtements et tresser des cordes pour la marine, et aspect non négligeable est le remède universel de la pharmacopée des temps anciens et modernes... Ne m'attarderai que sur l'introduction du délit en France. Les plus grands esprits, François Rabelais, Charles Baudelaire, Honoré de Balzac, Théophile Gautier, Gérard de Nerval, enthousiasmés par les nouvelles sensations perpétrées par les joies de la fumette, des textes dont les écrits relatifs aux visions oniriques générées par le LSD in the sixties semblent être à un siècle de distance une décalcomanie fidèle...

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    Troisième chapitre : de loin le plus passionnant, musique et cannabis. L'on file tout droit dans les lieux de perdition de la Nouvelle-Orléans, musiciens, filles et clients s'adonnent aux joies du Tiger ( je ne traduis pas ). Passionnant ça vous ouvre le cerveau et les orifices naturels comme pas un, le jazz est issu de ces clandés, les musicos sont des adeptes de ce revitalisant miracle qui vous file un coup de fouet salvateur... Gros plan sur Louis Armstrong et Mezz Mezzrow – ce blanc qui vit comme un noir parmi les noirs ( voir KR'TNT ! 106 du 12 / 07 / 2012 ) – de grands consommateurs, qui ont nettement contribué à ce que le jazz entre dans les oreilles des blancs. Et voici que bientôt la jeunesse caucasienne adopte les déplorables manières des vilains nègres, se contorsionnent comme des sous-civilisés en de sauvages danses et dégradantes contorsions frénétiques dont sont coutumières les sous-races non évoluées... Heureusement le Ku Klux Klan, le FBI, et la presse à scandale de Hearst veillent au grain de folie qui est en train de dégrader cette saine jeunesse en voie de dégénérescence. Hystérie fascisante qui se traduira par l'interdiction absolue du hash en 1937. Prohibitio quod corumpet juventus.

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    L'on quitte à regret le monde des reefers et des vipers pour aborder la partie plus militante du volume. La prohibition américaine qui s'étend très vite au reste du monde fait vite sentir ses méfaits. La pègre et la mafia organisent le trafic. Les prisons sont engorgées tandis qu'au dehors la criminalisation gangrène les quartiers... L'interdiction n'arrête en rien la consommation... Mais délaissons la lointaine démocratie étatsunienne pour aborder nos douces campagnes françaises actuelles. Prisons et tribunaux engorgés par des milliers de petits trafiquants, économie parallèle dans les cités qui aboutirait à une révolte généralisée si elle était de force stoppée net. Les principes du capitalisme s'appliquent aussi à ces réseaux : l'on propose des produits frelatés à la clientèle qui n'est pas satisfaite. Mais l'on a ce qu'il leur faut : toute une gamme de produits qui vous procurent des sensations bien plus fortes, bien sûr c'est plus cher, goûtez-y une fois et vous vous y reviendrez. Toxicité addictive garantie.

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    Face à cette inflation des plus dangereuses, une seule solution, ce n'est pas la révolution, mais la dépénalisation. Bruno Blum nous joint les réponses de ses demandes adressées aux principaux partis politiques. On ne s'empresse pas pour répondre et chacun est dans son rôle. A droite un non franc direct, à gauche une compréhension du problème...

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    Argument massue que l'auteur explore longuement. Pensez ce que vous voulez de la consommation de la drogue, mais quid du cannabis entrevu au point de vue médical ? Vous embrume peut-être la tête mais beaucoup de malades témoignent : ne parlent pas de remède miracle mais d'un anesthésiant des douleurs qui souvent efface les souffrances que provoquent les médicaments qui combattent cancers, sida, maladie de Parkinson, de Crohn et autres saletés du même acabit. Joue petit : propose que dans un premier temps la recherche pharmaceutique pousse ses études... Attention lobbies: sommes colossales en jeu...

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    Le livre s'arrête là. Le débat est vieux comme L'Appel du 18 Joint 1976 lancé par le CIRC ( Centre d'Information et de Recherche Cannabique ) dont la parution dans les pages de Libération avait causé quelques émois dans le Landerneau politicien à l'époque... N'avance que lentement malgré études et apports expérimentaux de certains chercheurs... Perso je pense que c'est un sous-problème à un changement beaucoup plus radical de l'organisation politico-économique auquel il faut s'atteler. Reprendre sa vie en main. Créer des espaces mentaux de redéploiements idéologiques et révolutionnaires. Vaste programme.

    Damie Chad.

    ROSEE DES RÊVES / KERYDA

     

    Rêve / Amijig / Inis Oirr / Humours / Five Fingers / Si Bheag Si Mhor / Balkanik Rose / I Fell in Love with a Breeze / Freilach / Hargalden / Be Love.

    Harpe celtique : Sara Evans / Contrebasse : Damien Papin.

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    Pochette rose comme un rêve de petite fille. Un disque à voix nues si j'ose dire. Deux instruments harpe et contrebasse dans leur nudité. Deux tessiture effarouchées qui essaient de se conjuguer. Rien de plus, rien de moins que ces deux fragilités qui s'inclinent l'une vers l'autre et qui s'approchent, à se toucher, à se fondre l'une dans l'autre, mais de si grand écart sonore que toute étreinte est un voyage en des contrées dangereuses que l'on pressent merveilleuses. Un disque de douceur et de volupté.

     

    Rêve : gouttes de rosée et amplitude de contrebasse bruissante. Pluie de grâces et orage de gravité. Ondée matutinale sur terre desséchée. Ce n'est qu'un rêve. Sans doute est-il déjà trop tard. Que cela ne vous empêche pas d'y croire. Amijig : Main dans la main, corde dans la corde, l'une sautille et l'autre morigène sans gêne. Puis se tait. La vieillesse a beaucoup à apprendre de la jeunesse. Faut savoir, écouter, entre la vieille chatte automnale qui ronchonne au salon et le chaton allègre qui grimpe aux rideaux, le choix n'est pas à faire. Inis Oirr : lourde basse lugubre ne se taira point. Se rendique d'expérience mais gamineries de perles harpiques se mêlent à son vieux discours. Sans qu'elle le sache la gracilté de l'enfant espiègle s'insinue en son âme. Humours : la harpe ricoche et l'aïeule s'essaie à faire des pointes dans des chaussons rose de danse. Pas si difficile que l'on pourrait le croire. Se laisse entraîner s'achève en danses et virevoltes. Rires sous la charmille. Five Fingers : cinq doigts chacune, mais Mamy triche un peu, l'en possède un sixième qui lui sert à taper sur son bois, mais non c'est le coeur d'un poëte qui se cachait dans son cercueil, le voici qui s'extirpe de sa carapace et l'enfant blonde se mue par miracle en jeune fille. Si Bheag Si Mhor : une mélodie – imaginez une walk on the soft side, le big boy se la joue badly, imite les langueurs sales du saxophone et notre jeune première endosse le rôle de la super-guitar-héroïne. Leurs coeurs marchent à l'amble, ils s'amusent, rien ne sert de parler trop tôt. Balkanik Rose : Se dirigent à petits pas timides vers le jardin des roses. Leur parfum ennivrant se confond avec une rhapsodie arabe aussi douce et épineuse que des quatrains d'Omar Khayyam. I Fell in Love with a Breeze : heure exquise des aveux, maintenant le poëte-contrebasse s'amenuise à mi-voix, les résonnances de la demoiselle prennent le dessus, douces paroles deviennent ausi légères que pollens de fleurs que le vent emporte dans les hauteurs béantes du ciel. Freilach : des notes comme brises de printemps, ou fruits d'été, et feuilles d'automne, même flocons de neige, la rencontre de deux êtres contient tout l'univers en gestation. L'instant est grave. Promesse d'unisson résulte d'une partition originelle. Hargalaten : la prescience de l'acte factuel exige une certaine compoction cérémoniale, toute parade nuptiale est aussi le thrène nostalgique d'un passé que l'on va égorger. Noces sanglantes. Be Love : amplitude sonore, la mer du désir submerge toutes les appréhensions, l'appel insistant d'une flûte précède la vague de plénitude qui submerge le monde.

    Damie Chad.