Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

CHRONIQUES DE POURPRE - Page 114

  • CHRONIQUES DE POURPRE 238 : KR'TNT ! 358 : WAYNE COCHRAN / LYSISTRATA / POGO CAR CRASH CONTROL / MIKE FANTOM AND THE BOP A-TONES / ROCKABILLY GENERATION NEWS 4 / THOUSAND WATT BURN

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 358

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    25 / 01 / 2018

     

    WAYNE COCHRAN

    LYSISTRATA / POGO CAR CRASH CONTOL

    MIKE FANTOM AND THE BOP A-TONES

    ROCKABILLY GENERATION NEWS

    THOUSAND WATT BURN

    Non, Cochran ne crâne pas

    Z3158WAYBECOCHRAN.gif

    L’un des géants du r’n’b américain vient de casser sa pipe. C’est l’occasion rêvée de lui rendre hommage. Wayne Cochran faisait marrer certains disquaires qui le prenaient pour un clown. Sans doute à cause de son côté kitsch : sur les pochettes d’albums, on le voyait en effet conduire des motos et porter une grande pompadour blanche.

    Z3188RICHARD.jpg

    Les moqueurs ne comprenaient pas que le kitsch est l’une des composantes essentielles du statut de shouter américain. Les exemples d’Esquerita, de Little Richard et d’Howard Tate n’en finiront plus de le rappeler. Qui plus est, Wayne Cochran naviguait au même niveau de raunch que les pré-cités. Il était probablement le seul blanc à pouvoir chanter le r’n’b aussi bien qu’Otis ou James Brown. Quand Alec Palao évoque le personnage, il parle de mesmerizing performer, et les disques sont là pour le prouver. On l’a aussi surnommé the White Knight of Soul, ou encore the Blue Eyed Soul Brother. Excepté l’album d’instros High And Ridin’, tous ses disques sont des pétaudières indispensables, à condition bien sûr d’aimer le raw gutbucked rhythm & blues.

    Comme beaucoup d’Américains de sa génération, Wayne Cochran fut un country boy tombé très jeune amoureux du rhythm & blues. Comme il vivait en Georgie, pas loin de Macon, ça facilita grandement les choses, car James Brown qui fut son idole y vivait aussi. Précisons à toutes fins utiles qu’Otis et Little Richard grandirent eux aussi à Macon.

    N’allez surtout pas prendre les gens de Macon pour des cons.

    Wayne Cochran se lança donc à corps perdu dans une carrière de Soul Brother. Il réussit l’exploit spectaculaire de se faire accepter par les géants du genre, Jackie Wilson, James Brown et Otis. Comme le dit Alec Palao, Wayne Cochran was the real deal.

    Nous voilà en 1962. Le jeune Wayne commence par devenir pote avec Otis qui enregistre ses premières démos chez un certain Bobby Smith. À l’époque, Otis chante pour Johnny Jenkins & the Pinetoppers dans des clubs locaux. Puis Wayne va monter son premier groupe et commencer à tourner dans les clubs. C’est l’époque du Cochran Circuit qui va devenir le CC des CC Riders, le nom de sa Soul revue.

    Z3187BROWN.jpg

    Il devient ensuite pote avec James Brown qui se balade dans Macon en Cadillac. Wayne Cochran est dingue de Mr Dynamite - The great thing about James Brown was that he was totally, absolutely original - Cochran explique que James Brown a inventé le funk, il ne faisait pas de r’n’b - The way he performed, the songs he wrote, the band arrangements, he created all that: JB was JB - Oui, JB a tout inventé. Et Wayne Cochran se mit à porter les fringues les plus voyantes, il étudia tous les pas de James Brown, et comme il sentait qu’il lui manquait encore un truc pour attirer l’attention, il opta pour la pompadour platinum. L’idée lui vint lorsqu’il vit les frères Winter jouer dans un club de Shreveport en 1965 : avec les jeux de lumière, les cheveux des deux albinos changeaient de couleur. Wayne décida donc de se teindre les cheveux en platinum et copia la pompadour de James Brown. Voilà, c’est aussi simple que ça. On l’a déjà dit : dans le processus de gestation d’un mythe, le moindre détail revêt une importance considérable.

    z3164miami.jpg

    Wayne Cochran établit sa crédibilité en jouant dans les fameux black theaters : l’Apollo de Harlem, le Regal de Chicago, l’Uptown à Philadelphie. Partout on l’accepte et on l’ovationne. Sa version d’«Harlem Shuffle» démultiplie l’énergie de la version originale de Bob & Earl. Il fait aussi une version fracassante du fameux «Get Down With It» de Bobby Marchan. Pour se faire une idée de ce que représentent ces pétaudières, il suffit de mettre le grappin sur Goin’ Back To Miami, une compile éditée par Ace. Wayne Cochran fait en effet d’«Harlem Shuffle» une version endiablée, chauffée à coups de c’mon baby. Ah il faut l’entendre hurler dans le feu de l’action ! Il chante «Get DownWith It» à la pire effervescence de la Soul. Il screame dans tous les coins, c’est une horreur. Il relance en permanence. Il propose un traitement différent de celui de Slade mais c’est tout aussi inflammatoire, on a là une sorte de cross over dévastateur qui tient à la fois de James Brown et du rock’n’roll. Et sur cette compile, tout est littéralement chauffé à blanc. Tiens, par exemple, le morceau titre : on a l’impression qu’il est joué aux chaudières, c’est plein de sax et de renvois de chœurs frénétiques, de relances de batterie et de hard beat. Tous les cuts s’enchaînent à un rythme infernal, Wayne fait son Otis dans «Which One Should I Chose» et son James Brown dans «When My Baby Cries». Ce mec est brillant, profondément hanté par la Soul. Quand démarre sa reprise de «Get Ready», on tombe de sa chaise. Ce diable de Wayne est dessus, avec du trémolo de white niggah dans le fond du gosier - Look out baby here I come - Encore plus défenestrateur, voilà «You Got It From Me». Il avance à marche forcée, quelle démesure ! Il avance au gros popotin staxy, il ramone au moins autant que Wilson Pickett et c’est peu dire. Il fait un break de voix éteinte. On croit entendre Nathaniel Meyer ! Il refait son James Brown dans «Think». Il interfère exactement de la même façon que son mentor. Et sa version de «You Can’t Judge A Book By Its Cover» explose littéralement. Cet enfoiré est dessus, il est bien meilleur que ses pairs, ah c’mon ! Il prend ça au meilleur heavy groove de Soul de la planète. Il gueule en amont et en aval, il y revient inlassablement. Il retape dans le popotin staxy avec «The Peak Of Love», il est bon sur tous les coups, il est invraisemblable, cette compile sonne comme un rêve de hot Soul. Il emmène «I’m In Trouble» à la force du poignet et gueule comme un con. Il retrouve les accents fêlés de James Brown pour minauder dans «Little Bitty Pretty One». On croit entendre les retours d’accords de Steve Cropper. Il attaque «Somebody Please» à la pire fournaise qui soit ici bas. Il fait du pur Mr Dynamite ! Quel incroyable rebondissement ! Il roule aussi «Hoochie Coochie Man» dans sa farine. Il en fait une mouture spectaculaire, il y va au gros guttural, il ravage des montagnes et déraille dans le raunch. Ce mec n’en finit plus d’épater la galerie des glaces. Même avec le romantico, il brille au firmament : «Up In My Mind» sonne comme un hit intemporel, allumé par des guitares et des échos de «My Girl». «If I Don’t Fit Don’t Force It» vaut aussi pour un joli blast de good-timey Soul de juke. On s’en étourdit. Il fait monter sa sauce avec un brio incomparable. En lui brûle le feu sacré. Il faut prendre ce mec très au sérieux, car il dispense de très belles apothéoses. Nouveau coup de génie avec «My Machine» : c’est noyé de cuivres et embarqué au drive de jazz. Chez Wayne Cochran, tout et bon. Rien à jeter.

    Il devient vite un phénomène au Barn de Miami où il décroche une residency - He tore up the joint night after night - Eh oui, on comprend ce qui pouvait se passer au Barn quand on écoute le fameux live jamais sorti et que propose Ace sur le dik 2 de la compile pré-citée. Il attaque avec une reprise de «Dance To The Music». Quelle fanfare ! Les CC Riders s’amusent comme des gosses. Wayne fait son Sly, mais trop guttural. On frise à chaque instant l’overdose de Soul. D’autant qu’il enchaîne avec une version surchauffée de «Soul Man». Quelle audace ! Il ose taper dans Sam & Dave. C’est pulsé à outrance. Wayne Cochran fait partie des géants de cette terre. On l’attend au virage pour «Try A Little Tenderness» : il l’attaque avec un courage exceptionnel. Il le prend avec toute sa poigne et en fait une version intensément vécue de l’intérieur. Il devient encore plus viscéral qu’Otis, il déploie des trésors de puissance et de no no no et il arrache tout, absolument tout, il fait basculer le cut dans la folie, yeah yeah yeah, il s’en explose la rate et s’en dilate le fion. Il enchaîne avec une cover de «Can’t Turn You Loose» toute aussi explosive. Ce mec est un diable ! Il faut aussi entendre sa version dévastatrice d’«Hold On I’m Comin’». Avec lui, il faut se méfier, il peut exploser Sam & Dave sans prévenir. C’est trop hot ! Mais comment fait-il pour rebondir de manière aussi superbe ? On se posera la question jusqu’à la fin des temps.

    z3166raven.jpg

    Puisqu’on est dans les compiles de burning hell, Raven a sorti en 2005 un 24 titres intitulé Get Down With It qui fait un peu double emploi avec la compile Ace, mais on y trouve des titres comme «Last Kiss» ou «The Coo» qui ne figurent pas sur Miami. On ne se lasse pas de «Last Kiss», cool as fuck, ni de «The Coo», groové jusqu’à l’os. On retrouve donc cette ribambelle de reprises superbes, «Harlem Shuffle», «Get Down With It» et l’infernal «Going Back To Miami» chanté avec toute la bravado d’un pur fan de Soul. On retrouve aussi l’excellent «Some A-Your Sweet Love» chanté à la démesure des enfers et screamé à outrance. On tombe aussi sur une jolie version de «Boom Boom» et son «Peak Of Love» vaut tout Wilson Pickett. «Up In My Mind» sonne comme un hit de Phil Spector. Il faut aussi l’entendre chauffer «Sleepless Nights» à blanc. Non seulement c’est admirablement chanté, mais c’est en plus très inspiré. Wayne Cochran chante comme un dieu. Dans «Sitting In A World Of Snow» et «We’re Gonna Make It», il sonne exactement comme Otis. Il se prélasse dans le lit du fleuve. Son «CC Rider» est terrifiant de santé et derrière, on entend des chœurs de filles soumises. Quelle démence ! Ce mec est increvable. Il ne baissera jamais sa garde. Il charge sa chaudière jusqu’au bout de la nuit. Quel fabuleux shoot de r’n’b américain ! Rien d’aussi parfait sur cette terre ingrate.

    z3159chesss.jpg

    S’il débarque en 1967 à Muscle Shoals pour enregistrer l’album Wayne Cochran, c’est parce qu’il vient de virer tous ses musiciens. Ils devenaient trop gourmands, alors Wayne fut contraint de s’en débarrasser. L’album va sortir sur Chess sous une belle pochette noire, mais Wayne n’apprécie pas le choix du producteur Abner Spector qui selon lui ne connaît rien au r’n’b. C’est là, sur cet album, que se trouvent ses plus gros coups : «Get Ready», «Boom Boom» (l’idée de ramener du raw de r’n’b dans Hooky est géniale), «The Peak Of Love» (il fait Sam & Dave à lui tout seul), «You Don’t Know Like I Know» (toujours du Sam & Dave). Wayne Cochran ne jure que par la grosse efficacité. Tout est bon sur cet album. En B, on tombe sur sa reprise de «You Can’t Judge A Book By Its Cover», puis sur le «Big City Woman» d’Eddie Hinton, et il ramène toute la hargne de Georgie dans «Hoochie Coochie Man». Quand on écoute «Get Down With it», on voit bien que l’album souffre d’une mauvaise prod. C’est pourquoi la compile Ace vaut le détour. Notons enfin que les photos du dos et de l’intérieur de la pochette sont prises au Barn de Miami.

    z3168ccriders.jpg

    Wayne Cochran raconte qu’il tournait toute l’année, sept jours sur sept. Il avait quatorze musiciens dans les CC Riders, plus trois choristes, un roadie et un chauffeur de bus. Un vrai business - You gotta make that payroll whether you’re working or not - Et quand il s’installe à Vegas, il crée la sensation - Taking the place with a distinctly southern fried soul revue. Vegas was agog - Oui, Vegas tombe sur le cul. Elvis vient le voir et Wayne lui offre ses deux costumes taillés chez Nudie. Puis c’est la consécration : Wayne ouvre pour Elvis à L’International Lounge de Las Vegas. Et pour couronner le tout, la Soul Revue d’Ike & Tina Turner accompagne Wayne sur scène.

    z3162ride.jpg

    En 1970, paraît High And Ridin’, un album d’instros. C’est l’époque où Wayne découvre la moto. Les quinze CC Riders posent avec lui sur la pochette, chevauchant des Triumph. Inutile d’aller cavaler après l’album, il ne propose que des versions instrumentales des grands hits de l’époque, «Ode To Billy Joe», «Satisfaction», «Hey Jude». On note cependant que les CC Riders savent jouer, car tout est embarqué au groove de jazz, surtout «Better Get It On Your Soul». Et au dos de la pochette, Wayne pilote la Harley d’Easy Rider, avec le réservoir décoré et stars and stripes. Pourtant, Wayne s’en défend. Il ne voulait pas devenir un hippie outlaw - He was an entertainer, the lounges were his true environment and R&B was his bag - Pour lui, le phénomène hippie n’avait pas d’identité, pas de rien. Il préférait mille fois Sly.

    z 3163alive.jpg

    La même année paraît Alive And Well, produit par John Wagner. Belle pochette : on y retrouve Wayne sur une bécane. Au verso, on le voit de dos, torse nu, foncer sur une route du Nevada. On entend des motos partout sur cet album. C’est là-dessus que se niche l’énorme «My Machine». Les CC Riders règnent sur l’empire du shuffle américain, au moins autant que le mighty Electric Flag. Et c’est d’autant plus vrai que le bassman qui doit être Artie Glenn joue aussi bien qu’Harvey Brooks. Wayne propose un très joli «Sunday Driver» (il y rappelle qu’il n’est pas un motard du dimanche) et derrière lui roule l’un des meilleurs backing-bands d’Amérique. En B, on tombe sur un spectaculaire et interminable «Let Me Come With You», joué au bassmatic intensif. Cet Artie-là épate vraiment la galerie et on entend pas mal de belles motos dans le voisinage. Ils enchaînent avec l’excellent «CC Rider». C’est un modèle de shuffle et certainement l’une des meilleures versions avec celle d’Eric Burdon. Ils bouclent cet album étonnant avec «Chopper 70», l’un de ces beaux instros dont ils ont le secret, bardé de son, de swing, de shuffle et de cuivres.

    z3165epic.jpg

    En 1972 paraît sur Epic son dernier album avec les CC Riders, Cochran. Si on ouvre le gatefold, on tombe sur une photo de Wayne et de ses quinze CC Riders. Spectaculaire image ! Il attaque avec un hommage à Sly Stone intitulé «Do You Like The Sound Of The Music». Il chauffe son funk avec toute l’abnégation du monde, ça grouille de wha-wha et d’escalades de nappes de cuivres. Fantastique ! On se régale aussi de «Somebody’s Been Cuttin’ In On My Groove», admirable groove de good time music, chanté à la force du poignet. Il revient au Staxy Sound System avec l’excellent «Sleepless Nights». Il y rend hommage à Otis à coups de gotta-gotta. Et il boucle l’A avec l’un de ces coups de Trafalgar dont il a le secret : «Boogie», un jive de funk de congestion à la JB, monté au bassmatic de Georgie. Stupéfiant ! Il retire un coup de chapeau à Otis en B avec «Circles» et dans «Sitting In A World Of Snow», il chante ses teardrops à la puissance des bubbles. Il ravage toutes les contrées. Ce mec ne jure que par la puissance intensive. Il fait son Marvin avec «I Will», accompagné à la flûte. Ça a l’air con, comme ça, mais c’est admirable de présence. Et voilà, l’heure de se quitter approche et il finit en beauté avec «We’re Gonna Make It», un slowah à la Otis. Irréprochable. Mais Epic ne l’aide pas. Découragé, Wayne rappelle qu’il doit tourner constamment pour payer ses musiciens. Aucun label ne lui a jamais donné les moyens d’enregistrer. Alors il arrête net sa carrière discographique et reprend la route. Au moins, là il sait qu’il ne dépend de personne en Harley Dacidson.

    Z3189ELVIS.jpg

    Quand épuisé par quarante années de route, il finit par jeter l’éponge, il fait ce que font ses mentors blacks : il devient pasteur. Amen.

    Signé : Cazengler, Wyane Cocrade

    Wayne Cochran. Disparu le 21 novembre 2017

    Wayne Cochran. Wayne Cochran. Chess 1967

    Wayne Cochran. High And Ridin. Bethlehem Records 1970

    Wayne Cochran. Alive And Well. King Records 1970

    Wayne Cochran. Cochran. Epic 1972

    Wayne Cochran. Get Down With It. Raven Records 2005

    Wayne Cochran. Goin’ Back To Miami. Ace Records 2014

    MAGNY-LE-HONGRE / 19 – 01 – 2018

    FILE 7

    LYSISTRATA / POGO CAR CRASH CONTROL

     

    C'est râlant, mais il y a des soirs où vous ne pouvez pas vous en prendre à la terre entière. Une route déserte, la Teuf-teuf qui vous dégotte un itinéraire ultra-rapide, ultra-simple, et une place de stationnement capable d'accueillir un terrain de foot-ball. Même pas une goutte de pluie alors qu'il est tombé des averses dantesques en fin d'après-midi. En fait quand tout va bien dans votre vie, c'est peut-être encore pire que quand tout va mal. Si l'on vous enlève la possibilité de fulminer contre le monde et les Dieux, l'on vous supprime les trois-quarts de votre déraison de vivre. Et comme un malheur ne vient jamais seul, les Pogo Car Crash Control – sublimation rock – passent au File 7. Le bonheur est une idée neuve dixit Saint-Just, s'est trompé, c'est surtout une idée insupportable.

    LYSISTRATA

    z3182lysistous.jpg

    Trois gars qui ont pris un nom de fille. Pas n'importe laquelle, l'égérie aristophanesque de la grève du sexe. Diable si l'on supprime le premier élément de la sainte trinité du rock 'n' roll que reste-t-il de viable en ce bas monde ? La réponse ne se fera pas attendre : Lysistrata. Ne sont que trois. Font du bruit pour trente. Ont même tout un tas de gadgets électroniques pour en rajouter quelque peu, au cas où. Manifestement ne sont pas venus pour passer inaperçus. Commencent par vous asséner trois monstruosités rythmiques. Le genre de babioles qui réconcilient avec le marteau de Thor et le galop de Sleipnir. Ben Amos Cooper trône derrière sa batterie installée sur piédestal. Tape fort et mitraille vite. Puissance de frappe de cataphracte infatigable. A ses pieds sont deux. Face à face. Séparés par deux vastes plateaux, déposés à leurs pieds, surchargés d'effets soniques clignotants, ressemblent à deux champions qui vont s'affronter pour la place de chef de la harde.

    z3186basse.jpg

    Max est le Roy de la basse. Pas question d'accompagnement monocorde, l'est un fervent de l'orchestration tonitruante, à jeu égal avec la batterie, lui vole, une fois sur deux, les breaks échevelés – ceux qui poussent les bricks sur les écueils – ou vous relance la course en pleine mer selon de monstrueuses vagues dévastatrices. Montagnes d'eau forte qui s'écroulent sur les spectateurs ravis.

     

    z3183guitar.jpg

    Théo Guéneau oscille entre violence et préciosité. Avec ses lunettes et sa coupe blonde au bol, comparé à ses deux grands gaillards de compagnons qui agitent en tout sens de noires chevelures broussailleuses l'a un peu l'air de l'intellectuel du groupe. Question hurlevent, course de côtes et chasse à courre, ne faut pas lui en promettre, tient avantageusement sa place. Mais Lysistrata sont des adeptes des climax. Zones anticycloniques, et aires de dépression. Furiosités et curiosités. Théo sololise. Batterie et basse en appoint, en réserve lorsqu'il enregistre ses propres boucles de guitare et y parsème notes creuses comme gouttes échappées d'un robinet d'eau tiède. Un peu long, parfois. Lui manque une virtuosité blues qui serait comme un fil conducteur avec les grands moments des fureurs métalliques. L'on comprend le nom de Lysistrata, guerre et grève. Guerre napolénonienne et paix tolstoïenne. Cannonades et prairies de brumes ensoleillées. Faut reconnaître que les interventions de Théo ravissent le public goûteux. Perso je préfère les grandes chevauchées de conquérants affamés de splendeurs spadassines. Trop grande disparité entre les différents moments, Lysistrata use d'une alternance trop simpliste, c'est au cœur des plus grands tumultes que devraient s'élever les passages d'accalmie, la rupture n'en serait que forte puisqu'ils bénéficieraient de l'élan vital des frénésies enchâssantes.

    z3185batteri.jpg

    A chaque fois que Lysistrata revient au cœur de la tourmente, c'est un régal. Rare. Sacré boulot de Ben qui insuffle un groove échevelé, qui ne vous laisse pas un seul instant de repos. Tam-tam sur les toms, bousculade sur les cymbales, Ben remballe grave, tient le groupe sur le bout de ses baguettes. Délimite le champ de l'affrontement cordique fraternel. Max nous fait le coup de la grande menace sur sa basse, vous refile de grands coups de pied en l'air à chaque fois qu'il envoie un riff, la larsène contre l'ampli, finira par un grand pandémonium, descendu dans la foule il en frotte le manche contre le rebord de la scène, l'en tire un grondement apocalyptique du meilleur aloi. Théo est à genoux, tripote les boutons à la manière d'un fakir qui affute les pointes de sa planche à clous. Se lève s'en va taper sur un tambour de guerre, récupère une baguette pour jouer une espèce de slide bâtonné de dynamite qui vous explose le bulbe rachidien. Jettent leurs instrument et s'en vont comme ils étaient venus dans le bruit et la fureur.

    INTERMEDE

    Les Lysistrata nous ont bien maltraités. Juste comme on aime. Ça s'affaire salement pour dégager le plateau. Jamais vu autant de roadies. Vous rembobinent des kilomètres de fil en un tour de main, vous transportent le matos comme les malfrats vous entassent les valises bourrées de billet dans le coffre de leur voiture, vous installent les retours au centimètre près, effectuent un ultime check-point quasi-silencieux pour la sono, tout est prêt ne manquent plus que les Pogo qui se font attendre...

    POGO CAR CRASH CONTROL

    z3179tous+.jpg

    We want the rock, and we want it now ! Les Pogo ont tout compris. Nous donnent tout, et tout de suite. D'entrée. Et de sortie. Question Grèce antique, ils se sont contentés de piquer deux concepts à Aristote. Pas les moindres. Les deux principaux. Celui du départ et celui de l'arrivée. Energeia et catharsis. Tout le reste n'est que du blabla littéraire. L'énergie et l'extase. Le fouet et la jouissance. Si vous voulez davantage c'est que vous n'êtes pas morts à Eleusis. Relisez Le Puits et le Pendule d'Edgar Poe. Mais après cette introduction théorique, passons à la praxis.

    z3180fille.jpg

    D'abord – faites attention parce qu'il n'y a pas d'après – le son. Une terreur phonique qui s'abat sur vous, une onde cataclysmique qui vous étreint et vous tord dans tous les sens. Pogo joue depuis une seconde et déjà ils ont tout donné. Du condensé. Vous n'en n'aurez jamais plus. Vous n'en aurez jamais moins. Atome initial et terminal. Entre temps, trou noir et vortex maléfique. La terre n'existe plus, les Pogo l'ont annihilée. Le temps de vous rendre compte qu'ils ne sont que quatre. Lola Frichet, the only gal. Toute seule, l'ouvre de grands yeux étonnés de petite fille à qui l'on refuse un dix-septième sucre dans son café-au-lait matinal, et qui vient brutalement de comprendre que l'on ne pactise pas avec le monde, qu'il faut le détruire, irrémédiablement. Surtout pas pour le remplacer par un autre. Alors elle se permet de hâter le processus, frappe du poing sur sa basse et l'on a l'impression que tout en bas Cerbère aboie de toutes ses forces de ses trois gueules sanguinolentes. Avertissements sans frais qui fait chaud au cœur. Parfois elle se plante devant Louis Pernot, le provoque, pour qu'il batte plus vite, pour que la fournaise rougeoyante qu'il dégage se transforme en éruption volcanique.

    z3177batteur.jpg

    L'a les bras qui batifolent dans tous les sens Louis, une pile au radium, torse nu et musclé comme un éphèbe grec, un hoplite spartiate dans toute la splendeur dangereuse de sa beauté, une machine à tuer, un massacreur transphonique, il est la force irradiante des Pogo, la forge des épées fatidiques. Ces épingles cruelles que l'Aphrodite de Pierre Louÿs enfonçaient dans le sein de sa servante. Simon Péchinot n'hésite pas à se hisser sur la grosse caisse de Louis, en statue du Commandeur qui s'en vient ramoner nos âmes. Sinon Simon officie à sa guitare. Etoffe le son.

    z3176simon.jpg

    Pousse la sourdine dans le rouge. Glisse de la tonitruance. La fosse aux serpents à lui tout seul. Partisan du riff dangereux, la longue dague qui s'enfonce en vous, vous traverse de part en part sans même que vous vous en soyez aperçu. S'infiltre dans la forteresse par le conduit des égouts. Ne déboule pas en ami qui vous veut du bien. A peine est-il entré en scène qu'Olivier Pernot se débarrasse d'un fort coup de tête de son bonnet Be Ambitious. L'a dépassé cette étape. Mission accomplie. Boule de feu hirsute, surgie des espaces stellaires, secouée des spasmes de rage et de de colère, venue pour les chants de la désolation et de la rancœur revendiquée. Il ne chante pas, il vitupère, comme la couronne de vipères qui nimbe la trogne menaçante de la Gorgonne, il hurle les stances haineuses de Royaume de la Douleur, Hypothèse Mort, Crève, Déprime Hostile, le constat de la faillite de toute une civilisation.

    z3179olivier+++.jpg

    Dans la salle c'est la chienlit, une sarabande folle emporte les corps et les esprits. Rien ne sert de pleurer. Joie nietzschéenne sans égal. Sans égards pour la tristesse d'un monde qu'il convient de fouler aux pieds, de piétiner, de réduire en néant dans une suprême exaltation sauvage. La musique des Pogo est un ouragan qui balaie les miasmes délétères des angoisses modernes. Elle est un cyclone festif qui souffle sans à-coups. Un tournoiement sans fin, l'on se cogne sans agressivité, les corps se cherchent et se trouvent comme ces nuages d'orages qui se rencontrent afin que la foudre puisse signifier le monde d'un éclair vengeur. Les Pogo sont venus, les Pogo sont partis. Un barrouf de ouf. Le rock'n'roll a triomphé.

    z3178tous.jpg

    Damie Chad.

    ( Photos : FB :  LUCA LIGUORI PHOTOGRAPHIE )

    TROYES / 20 01 – 2018

    3B

    BAR BEATRICE BERLOT

    MIKE FANTOM AND THE BOP A-TONES

    z3150affiche.jpg

    Fume c'est du Belge. C'est le programme du 3 B, ce soir. Une importation. Du grand Nord. Z'étaient déjà venus l'année dernière, z'avaient fait un tabac, alors dans la série un tiens vaut mieux que deux tu l'auras, ils reviennent. Béatrice Berlot n'est pas écossaise, mais question fantôme elle sait reconnaître les esprits frappeurs.

    MIKE FANTOM

    AND THE BOP-A-TONES

    z3155mike++.jpg

    Un fantôme ? Inutile de crier au secours. Rien à voir avec une mystérieuse tache sanglante qui apparaît sur le mur de votre salle de bain, un géant, un vrai, bien en chair, visage éclairé d'un franc sourire, pour le moment il se cache, l'a beau s'être enroulé dans le rideau, il dépasse un peu. N'a pas de souci à se faire. Les Bop A-Tones assurent sans lui. Un de ces instrus – titré Fantomas Rock - qui vous trouent la peau encore plus sûrement que trois bastos de colt.

    z3144ouchene.jpg

    Un sacré tireur à la guitare. Un impitoyable. Le genre de maniaque qui n'utilise que les munitions les plus précieuses. Sa marque de fabrique. Un bienfaiteur de l'humanité, vous truffe la cervelle avec des balles d'or fin – cela enrichit vos idées - du vingt-huit carats ciselé. Un artiste. Vous met au diapason tout de suite. Un roi de la gâchette. Précision et beauté du son. Velouté sixty et aileron white-rock de requin affamé. Additionné de surfin' sauvagement raffiné. Se nomme Patrick Ouchene, le genre de gars qui vous tient tout le plaisir du monde entre ses six cordes.

    z3151batteur+++.jpg

    N'est pas seul, derrière lui Pascal Lunari, barbichette satanique, regard de renard malicieux, le suit comme son ombre. Quand la guitare explose, il vous fracasse l'étrave d'un brise-glace sur la banquise, quand elle s'envole dans la brise matutinale il vous l'accompagne d'un rythme printanier pour mieux galoper à la tête d'une horde mongole, et sur le côté Bart Crauwels, armoire à glace débonnaire qui surplombe sa contrebasse comme un python des Rocheuses s'enroule autour d'un buffle, une pin-up fuselée tatouée sur son avant-bras, bastonne à tout rompre sans avoir l'air d'y penser.

    z3154mike.jpg

    Mais voilà Michel Texier qui s'avance cérémonieusement, se plante sur le micro et tout de suite il nous fusille d'un Too Hot To Bop de la mort qui vous entraîne au pays magique du rockabilly. Sont comme cela, trois sets de quinze morceaux, du meilleur tonneau, de grande cuvée. Avec une facilité déconcertante, une évidence désespérante.

    z3146ouchenes'accorde.jpg

    J'ai oublié de le dire mais Patrick Ouchene, est un teigneux. L'a le rock à fleur de peau. Le gars le plus gentil du monde entre deux morceaux, se repeigne, plaisante, rit, imite Dalida ou David Bowie, mais deux secondes plus tard, c'est la mue, la métamorphose, changement de registre, le rock'n'roll est une affaire trop sérieuse pour être laissé aux demi-sels, vous balance tout de suite du son de haute précision, aussi racé qu'une calandre de Cadillac, aussi griffu qu'une patte d'ours blanc que vous venez de déranger dans sa sieste sur son glaçon. En plus il chante, l'a tout ce qu'il faut l'urgence dans la voix, la fièvre au corps et cette plasticité émotionnelle qui vous transforme le moindre lyric en témoignage existentiel.

    z3148bart.jpg

    Crauwels a les crocs. Ne le montre pas. Mais ça s'entend. Vous refile le swing sans rien dire, par en-dessous, la scansion et la vitesse à train d'enfer, parfois il se contente de slapper avec deux doigts, le gars qui vous frappe avec les deux bois du nunchaku pour mieux vous enchaîner par la suite, quand il arrête vous avez l'impression qu'il vous étrangle. Pendant ce temps je certifie que Lunari ne reste pas dans la lune, bosse comme un dromadaire et vous drosse comme un cachalot, l'a le beat insatiable, genre pendule que vous remontez une fois par siècle mais qui se permet tous les caprices du monde, hache le temps menu, ou vous le dilate à l'extrême. Applique la théorie du Big Band, une explosion initiale et toute la suite n'est que la résolution mathématique de ce grand tapage, l'a l'air de jouer tout seul, le copain qui ne vous refile jamais le ballon au foot, mais non au dernier moment il fait la passe à Ouchène qui vous riffe dans la lucarne, en plus ils en ricanent de plaisir de toutes leurs dents. Nos deux véroles connaissent leur rôle.

    z3145troisimmobiles.jpg

    Je reviens sur Mike. Je vous ai fait attendre. Je n'y peux rien mais il m'énerve. L'est trop bon. Je suis jaloux. Avec lui tout paraît facile. Commence par vous expliquer l'origine du morceau – un max de compositions originales – et puis il se lance. Un peu obligé, parce que Patrick aime bien rentrer dans le vif du sujet pour voir si ses potes sont au taquet, et le Mike vous saisit le trapèze au vol sans même y prendre garde. Ensuite c'est la série des flip-flap arrière, des toboggan de la mort, des sauts de l'ange exterminateur, tout ce qui demande une attention vocale ultime, une précision au millionième de micron, il vous l'exécute avec l'indolence tranquille du gars qui jette une épluchure de banane dans la poubelle, I Bopped the Blues with Mary Lou, il lui en fait de toutes les couleurs, des vertes et des pas mûres, ou alors la petite Justine vaut mieux que je ne vous raconte pas tout ce qu'elle subit. Evidemment l'assistance n'en perd pas une miette auditive, tout le monde se trémousse comme dans une cabine collective de peep show stéréophonique. En plus il ne prend pas toute la galette et la fève pour lui tout seul, en distribue de gros morceaux à ses coéquipiers, des instrumentaux à la tord-boyaux, un Chicken Run brûlant, un Rawhide tout cru, un Jack The Ripper meurtrier, on un dernier Rumble de derrière les pavés, l'appelle Pascal au charbon, lui pique sa place à la batterie, et armé d'une électro-acoustique Pascal nous assène un The Rhythm Of The Train, un Molly Brown et en final un Pick A Bale of Cotton une scie musicale, particulièrement aiguisée et tranchante, qui nous emporte dans le Sud Profond, et qui plonge aux racines les plus traditionnelles du hillbilly. Guitar Breaker et Real Wild Child sont l'occasion parfaite pour Patrick pour vous donner une leçon de guitare inoubliable : sauvage contrôle et éreintement décapsulatoire. Ce mec là est capable de tout, de mener un train riffique d'enfer tout en prenant le temps de s'accorder longuement. Doit avoir cinq ou six doigts en plus que les autres. Termineront sur le Chicken Walk d'Hasil Adkins, vous plument le poulet jusqu'au trognon. Tout le monde aurait bien aimé en reprendre un morceau de plus, mais il faut savoir ne pas exagérer. Nous ont gavés de bonheur. Par les temps qui courent, est plutôt rare. Merci à eux.

    Et à Fabien z3149fab.jpgqui a assuré une sono impeccable, pas de la tarte de calibrer la claironnante guitare de Pascal Ouchene dans le 3 B ! Et à Béatrice qui nous annonce que le 7 avril 2018 nous aurons Crystal & Runnin' Wild, la fille d'un certain Ouchene Pascal. Bon sang ne saurait mentir.

    Damie Chad

    P. S. : trois groupes en deux jours. Lysistrata qui folâtre ( foalâtre serait plus explicatif ) dans l'envergure sonore, Pogo Car Crash Control qui cherche noise au rock'n'roll et Mike Fantom and the Bop A-Tones ( pas du tout atones ) mais qui se cantonnent dans un style que d'aucuns jugeraient dépassé. Les premiers sculptent l'ampleur du son, les deuxièmes expriment une rage et une hargne juvéniles qui sont au fondement du rock, et les troisièmes sont focalisés sur le rock d'avant. Merveilleuse amplitude du rock français si vous me permettez d'annexer la Belgique. After-pionniers, after-punk, after-metal-prog pour faire vite. Et cette constatation que le rockabilly n'apparaît pas comme les parents pauvres du rock. Sans doute faudrait-il oser le concept de la définition du rock'n'roll en tant que bruit subtil chacun se plaçant sur l'un des deux versants... Aussi escarpés des deux côtés.

    Damie Chad.

    ( Photos : FB : Nathalie Metry & Béatrice Berlot )

    ROCKABILLY GENERATION NEWS N° 4

    JANVIER – FEVRIER – MARS 2018

    z3169rgn.jpg

    Superbe photographie de Crazy Cavan en couverture. Rockabilly Generation News prend sa vitesse de croisière trimestrielle. Le numéro 5 sortira au mois d'avril. S'affine et s'améliore à chaque parution. Cette livraison établit une parfait équilibre entre passé et présent, remémoration et actualité. Le rock'n'roll a la vie dure, cela fait septante piges que ça dure. Hommage au pionnier Fats Domino, qui dans les fifties et les sixties vendit plus de disques que nos légendes bien aimées, à l'exception d'Elvis, roi en toutes choses. Pour ceux qui savent écouter, il existe une filiation entre le phrasé décontracté du gros Fats et l'évidente facilité monstrueuse avec laquelle le King s'appropriait tout morceau qu'il daignait se mettre en bouche. Malheureuse actualité oblige la revue se termine sur un autre disparu : Johnny. Sous-titre, bien choisi : Un Phénomène Rock. Qui ne fait pas l'unanimité parmi les rockers. Mais à l'origine de l'implantation du rock'n'roll en notre pays, bien plus que les sinistres pantalonnades du trio Vian-Salvador-Legrand. Mais il est temps d'entrer dans le coeur de la livraison. Les Teddy Boys dont un article retrace la naissance du mouvement en Angleterre. Ceux qui ignorent leur Histoire se coupent de leur futur. Le rock'n'roll et le rockabilly doivent une fière chandelle aux Teddies, ont préservé cette musique, l'ont portée à bout de bras, l'ont transmise et se sont même permises de la faire évoluer. Certes il existe aussi un revival américain, beaucoup plus dispersé et dont on parle moins, mais en Europe ce sont bien les Teddies qui en furent le fer de lance, les Rockers restant obnubilés par les grands pionniers. Parler des Teddies sans évoquer Crazy Cavan relèverait de l'incongruité. Rockabilly Generation News nous offre la totale, présentation de la carrière du maître, interview inédite collationnée ( merci Bryan Kazh ) lors du concert de Toury, le 18 / 11 / 2017, chronique impartiale du concert, et présentation des Old Teds l'association qui organise les festivités rock'n'roll tourystiques. Profitons-en pour adresser notre salut à Texas, activiste émérite du mouvement Ted Hexagonal.

    La terre arable du passé n'a de valeur que par les jeunes pousses qu'elle favorise : trois pages sont consacrées à Eddie Gazel qui se raconte, son premier groupe les Ol' Bry avec la présence tutélaire de Thierry Gazel ( que vous retrouvez tous les lundis à 18 h. 30 dans Try Rock & Roll sur www.radiolezart.fr ) son père et surtout Eddie and the Head Starts – prochainement de passage au 3 B, le 10 / 02 / 2018 – le nouveau combo qui marque les esprits partout où il passe. Reste encore les chroniques sur le festival Rock'n'Roll in Pleugueneuc et le Rockers Revival de Londres où les Spunyboys se permirent d'atomiser les anglais, juste avant Crazy Cavan and The Rhythm Rockers, impérial !

    Rubriques disques, concerts, courrier dans lequel Vince Rogers nous fait part de la proximale sortie documentaire vidéo : The Real Rockin'Move Project, une hydre tentaculaire ( CD-romique et papier ) qui nous conte l'arrivée et le déploiement du rock'n'roll sur la côte d'Azur...

    Un max de photos d'époques et de superbes photographies de Sergio Kazh, le tout sur papier glacé, pour quatre malheureux euros. Un collector dès sa sortie.

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly Generation News ( 7 hameau Saint-Eloi / 35 290 Saint-Méen-Le Grand ), 36 pages, 4 Euros + 3, 60 de frais de port pour 1 ou 2 numéros, offre abonnement 4 numéros : 20, 60 Euros, chèque à Lecoultre Maryse 1A Avenue du Canal 91 700 Ste Geneviève-des-bois ou paiement Paypal maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de toutes les revues... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro.

     

    THOUSAND WATT BURN

    ( EP 1 * )

    On les a vus sur stage voici un peu moins d'une quinzaine – vous savez ces concerts qui vous grignotent l'âme comme un cancer – nous ne tenons pas toujours nos promesses – les Dieux non plus – mais cette fois-ci c'est fissa !

    z3106disc1000.jpg

    My Darling : puissance, emphase et la voix qui explose, un volcan qui s'envole dans les airs, jet de lave brûlante, orchestration de foudre, et puis plus lointaine derrière un rideau de cendres avant le retour encore plus violent, susurre maintenant tandis que la guitare s'alanguit, mais bouffée d'orgueil tout de suite, et ce désir murmuré tout bas mais avec une franchise charnelle étonnante et tempête finale genre citron pressé à la Led Zeppe. Come to Me : orchestration tumultueuse, vocal en rush, l'on n'est pas loin du Dirigeable III, la voix se fond au background ce qui ne l'empêche pas de briser les verres sur la table. Finit par miauler comme une panthère, la batterie écrase tout et la guitare balaie les débris rageusement. She loves a girl : elle murmure mais vous avez l'impression qu'elle hurle, c'est d'ailleurs ce qu'elle se dépêche de faire, cavale lâchée en liberté après un mois d'écurie. Cymbales baffées, ponctuation rapide, guitare bolide, désir femelle envahit le monde. Panthères en folie. Fin brutale. Assouvissement terminal. Listen : l'on repart dans l'ampleur, la voix en écho et les boys qui ramonent dur. Veulent aussi leur part du gâteau. Alors ils enfournent sec, mais la diva ne se laisse pas distancer, les tient sous le chapiteau de sa robe, ils en sonnent les cloches tandis qu'elle psalmodie la fureur de vivre, renversent les riffs à grands coups de coeur rageurs mais elle vaticine comme le démon des fins ultimes. Ne lâchent pas le morceau? en rajoutent pour la submerger une bonne fois pour toute, la guitare avale le monde, la batterie le digère de coups reptatifs, croient-ils triompher l'avoir fait taire définitivement, non elle surgit comme une torpille et vous détruit le porte-avions en cinq secondes. Mortelles.

    Superbe. L'enregistrement ne déçoit. Moins de réverbe sur la voix qu'en public. Z'ont chassé le hasard. Morceaux finement pensés, équilibre subtil entre la foudre instrumentale et l'épanouissement gravitationnel du vocal. Un groupe à suivre.

    Damie Chad.

    * Cet EP ne se présente pas sous la forme d'un artefact qui dans trois millénaires enchantera les archéologues. Pour écouter : cliquez sur thousandwattburn.bandcamp.com

  • CHRONIQUES DE POURPRE 237 : KR'TNT ! 357 : PINK FARIES / CLUB BOMBARDIER / THOUSAND WATT BURN / CRASH MIGHTY / AMERICAN DOG / ROGER KASPARIAN / HUGUES PANNASIé

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 357

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    18 / 01 / 2018

     

    PINK FAIRIES / CLUB BOMBARDIER

    THOUSAND WATT BURN / CRASH MIGHTY

    AMERICAN DOG / ROGER KASPARIAN

    HUGUES PANASSIé

     

    Fairies tale

    z3107.gif

    Comme leur nom l’indique, les Pink Fairies sont un conte de fées. Ils incarnent depuis plus de quarante ans la perfection du rock anglais, ce mélange de wasted elegance et de trash-power unique au monde. Avec les Hammersmith Gorillas, l’Edgar Broughton Band et les Pretties, il n’existe pas de groupe plus mythique en Angleterre.

    z3117collectors.jpg

    Ce fantastique auteur qu’est Luke Haines résume bien les choses : «The Pink Fairies were born out of chaos : The Pink Fairies Motorcycle Gang And Drinking Club was in 1969 the worst fun you could have (...) Duncan Sunderson, Russell Hunter et Paul Rudolph sont bientôt rejoints par the former Tyrannosaurus Rex lunatic Steve Peregrin Took et l’ex-Tomorrow drummer and professional loose cannon Twink.» Ça sonne comme la description d’une lignée royale, pas vrai ? Quand Haines veut qualifier le Fairy style, il sort ses plus beaux effets : anarchy, smells and badass-as-fuck rock’n’roll. Les Fairies saisissent très vite l’importance vitale d’une double batterie : Russell Hunter et Twink jouent les locos. Pour Haines, «Do It» is stupendoulsly punk rock six years before time. On est en plein dans le proto-punk, les gars.

    z3114radio.jpg

    Ce groupe de vétérans qu’on croyait anéanti par les excès en tous genres est toujours alive and well, comme le révèle Naked Radio, un album/DVD qui vient tout juste de paraître. Dès «Golden Bid», on sent que ça va chauffer. Eh oui, c’est carrément joué aux accords de 1969 all across the USA, une vraie stoogerie. Le secret de leur vitalité, c’est la double batterie, c’est-à-dire Russell Hunter et George Butler. Larry Wallis ne fait plus partie de l’aventure, car il a perdu l’usage de ses mains. Le leadership revient à l’ancien bras droit de Mick Farren, Andy Colqhoun, qui chante et joue de la guitare. On trouve plus loin une autre stoogerie intitulée «Runnin’ Outa Road», montée sur une rythmique de rêve. On sent battre le cœur d’acier des Fairies. Ils tapent aussi dans le vieux jumping blues de Ladbroke Grove avec «The Hills Are Burning». Andy s’y comporte en vieux desperado et il a derrière lui la meilleure rythmique d’Angleterre. Andy sonne bien les cloches d’«I Walk Away», encore un cut battu comme plâtre - Freedom is mine/As I walk away/ In the sunshine - Et ils renouent avec le groove interlope de l’underground londonien dans «You Lied To Me». Duncan Sanderson y joue son dub des bas-fonds. Tiens, encore un cut bardé de son, «Midnite Crisis», véritable groove d’anticipation. Andy se met à jouer comme un diable et il enchaîne avec un autre heavy groove de Grove, «Stopped At The Border». Franchement, les Fairies s’amusent bien à déconner avec les vieux concepts. Andy joue le killer flash-man, il tire ses notes dans des éclairs de sonic attack. N’oublions pas que leur fonds de commerce est le boogie, aussi ne faut-il pas s’étonner de les voir s’embarquer dans «Down To The Wire», mais ils le font avec une extraordinaire énergie. C’est cousu de fil blanc mais joué jusqu’au bout de la nuit. Voilà ce que les Anglais appellent le kiss-ass boogie. Les Fairies rendent aussi hommage à Mick Farren avec «Skeleton Army» - The Ace of Spades is the marching song - On sent immédiatement la morsure de l’énormité à l’anglaise. C’est du stomp - The skeleton army is you and me - Et pouf Andy part en goguette sonique. Puis ils rendent un hommage définitif à Mick Farren dans «Mick» - A white Panther at the NME/ And the message is set us free/ Got a deviant strategy/ Poetry and anarchy/ On the side of you and me/ Old Bailey let us be/ Calling out hypocrisy/ In a world of LSD - Et Dieu créa non pas la femme mais Mick Farren. Pur jus fumant de mythologie.

    Quant au DVD qui accompagne l’album, c’est une merveille. On retrouve les Fairies en répétition. Russell Hunter brille par son absence. George Butler bat ça seul. Andy mène le jeu et Sandy grisonne à peine. On voit aussi une promo-vidéo de «Golden Bid», cette fois avec les deux batteurs et Jaki Windmill qui fait désormais partie du groupe. On la voit s’énerver un peu. Le DVD propose aussi des interviews de Sandy, de Jaki et d’Andy. Pour Sandy, les choses n’ont pas changé : c’est toujours sex & drugs & rock’n’roll, the old shamanic hippie void. On retrouve le groupe sur scène au 100 Club pour un concert de rêve. Russel Hunter chante sur le premier cut, mais il revient heureusement derrière son kit pour une fulgurante version de «The Snake». Il semble toujours au bord de l’évanouissement. Les Fairies font une version exemplaire de «Do It» que Sandy prend au chant. Il chante aussi le vieux «Uncle Harry Last Freakout», histoire de boucler ce set magique. Quel drive fantastique ! Les Fairies soukent toujours aussi bien la médina.

    La discographie des Fairies n’est pas très volumineuse, mais tout est très intéressant, notamment les trois premiers albums qui fondent leur dimension mythologique.

    Z3108NEVERLAND.jpg

    Never Never Land paraît en 1971 sous une pochette onirique certainement inspirée par l’univers de Tolkien : quatre lutins assis et peints de dos observent le ciel en fumant des spliffs. On a là la formation originale, Sandy, Russell Hunter, Paul Rudolph et Twink. Album infiniment attachant pour deux raisons : «Say You Love Me» et «Teenage Rebel». Paul attaque Say au big riffing de Grove, c’est un allumeur de furnace, un boogieman entreprenant. Les Fairies sortent un son idéal, le gros rock d’Angleterre et certainement le meilleur beat du temps d’avant. C’est sûr qu’en écoutant ça à l’époque, on devenait irrémédiablement élitiste. On appelait ça le London beat. «Teenage Rebel» préfigure aussi tout le rock anglais à venir, Paul y joue la carte du gras double et le London beat étend son empire sur les cervelles. On trouve aussi sur cet album les deux hits des Fairies : «Dot It» (que Sandy chante dans le concert du 100 Club, indétrônable, embarqué par les deux batteries) et «Uncle Harry’s Last Freakout», chanté au petit guttural de Grove, oh yeah. C’est en fait une belle virée de cosmic rock inside off, l’un de ces morceaux longs faits pour tripper. Paul Rudolph y tisse sa trame inter-galactique alors que sourd en des couches subterreanniques le beat de double stand. Voilà un son unique au monde, véritablement booglarized dans l’essence de la prescience. Pourtant, l’album fait flop. Sandy : «As a live act, we were the business, but as a studio act we were shit... no, not shit... we weren’t used to the studio.»

    z3109sweeties.jpg

    Puis Twink quitte le groupe. Les Fairies flippent : comment va-t-on écrire des chansons ? Ils vont appliquer la vieille théorie scientifique du chaos : du chaos naît la vie. Et Luke Haines ajoute : «What A Bunch Of Sweeties is either a sludged-out clueless Mandrax disaster, or a glorious rock’n’roll mess, the sound of three morons freaking out in a cosmic bin. I’d go for the latter.» (Sweeties est soit un désastre bourbeux occasionné par un bel abus de Mandrax, soit une glorieuse purée de rock enregistrée par trois freaks enfermés dans une poubelle cosmique. Je pencherais pour la glorieuse purée). What A Bunch Of Sweeties paraît l’année suivante avec sa pochette mythique : on y voit un tas de badges, de pilules et de petits objets : pipe à herbe, spliff, carte à jouer, étoile de shérif, etc. On note la présence de Trevor Burton des Move sur l’album (sur «Right On Fight On» et «Portobello Shuffle») (Rich Deakin indique que Burton avait deux problèmes : son ego et l’héro. Il voulait briller sur scène, ce qui ne plaisait pas aux autres et il dut rentrer chez lui à Birmingham - His heroin habit precipitated an early return to his native Birmingham out of concern for his health). Le «Right On Fight On» d’ouverture du bal sonne comme un coup de génie invétéré - Drriiinng ! Drriinng ! I want the Pink Fairies for a gig on Uranus ! - Et le Fairy répond : No way man ! Paul Rudolph embraye avec toute la heavyness du monde, il riffe comme un démon et va placer un peu plus loin l’un de ces solos de glougloutage en raid éclair dont il a le secret. Ils enchaînent avec le heavy shuffle d’un «Portobello Shuffle» violemment troussé au trash de Grove. Et Paul s’en va gicler sur la ligne de crête. Hallucinant spectacle ! Ils restent dans le sans-faute avec «Marylin» - Oh Marylin, won’t you carry in - riffé à la Rudolph et flingué par un solo de batterie. On leur pardonne difficilement ce suicide commercial, même si Paul fait un retour en force au sortir du fucking solo de batterie. On ne peut pas se lasser d’un tel riffeur. La B sonne aussi comme un rêve, et ce dès «Walk Don’t Run/ Middle Run». Paul roule sur un thème cousu de fil blanc, mais il l’enfarine, il ne se refuse aucune extravagance sonique, il bat les accords qu’on retrouvera dans le «Naked Girl» des Cramps et il finit par exploser son cosmos pour nous embarquer dans un spectaculaire délire de mad psyché. Russell Hunter relance indéfiniment, et ils vont droit à la déflagration finale. S’ensuit un «I Went Up I Went Down» digne du White Album, c’est du psychout so far-out d’obédience princière et chanté au gargouillis d’étranglement hallucinatoire, une véritable performance organique. Il y a du génie dans le glorious mess des Fairies, non seulement ça craque bien sous la dent, mais ça monte directement au cerveau. L’apanage des bonnes substances, dirons-nous. Paul revient au heavy riffing pour «X-Ray» et ils terminent l’album avec «I Saw Her Standing There», un fantastique coup de chapeau aux Beatles, version proto-punkoïde qui va rester pour beaucoup de musiciens anglais un véritable modèle. On note l’extraordinaire aisance de la prestance, nous voilà grâce aux Fairies au royaume des cieux, c’est là très exactement que se joue le destin du rock anglais. Il lui faut du gras et de la dégaine, du bordel et de l’intentionnalité, et de quoi altérer les sens qui n’attendent que ça. Ramené de Londres en 1972, What A Bunch Of Sweeties est resté l’un de mes all times favorites.

    Paul Rudolph quitte le groupe et Larry Wallis arrive. Tout le monde connaît l’anecdote : Larry demande aux deux autres :

    — Alors les gars, on enregistre quoi ?

    Les deux autres lui répondent qu’ils n’ont pas de chansons. Et ils ajoutent :

    — T’as qu’à en composer !

    Larry panique :

    — Mais je n’ai jamais composé de chansons !

    — Do it !

    z3110oblivions.jpg

    Alors il do it et ça donne un nouvel album quasi-mythique : Kings Of Oblivion. Le titre est tiré de «The Bewlay Brothers» qu’on trouve sur Hunky Dory. Selon Luke Haines, tous les cuts de Larry Wallis sont punk as fuck - The Lazza-Russ ‘n’ Sandy Fairies line-up was a power trio supreme - Oui, c’est exactement ça, un power-trio suprême, c’est ce qu’on vit au Marquee à l’époque. Après ça, il n’était plus possible de s’intéresser aux groupes français. Les Fairies incarnaient l’essence même du rock. «City Kids» sonne comme un classique entre les classiques, monté sur l’extraordinaire bat russellien, heavy à souhait, bardé de relances, il joue comme une loco, il fonce à travers la nuit. À la limite, c’est lui Russell Hunter qui fait le show. Il double-gutte d’undergut. Alors Larry Wallis peut partir en solo. Ah qui dira la grandeur décadente de Rusell Hunter qu’on voit - sur le triptyque glissé dans la pochette - sous perfusion de bénédictine, avec un visage peint en vert. Cette photo en fit alors fantasmer plus d’un. Encore un hit avec «I Wish I Was A Girl». Cette fois, Sandy fait le show sur son manche de basse, il voyage en mélodie dans la trame d’un cut bâti pour durer. Ils partent à trois comme s’ils partaient à l’aventure et le Wallis part en Futana de solo gargouille. En B, les cuts auraient tendance à retomber comme des soufflés et il faut attendre «Chambermaid» pour renouer avec le cosmic boogie, et «Street Urchin’» pour renouer avec le classicisme. On retrouve l’esprit de «City Kids», le beat avantageux et la clarté du glam. Fantastique ! Ils sonnent comme d’admirables glamsters de baraque foraine. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle on les vénère.

    Mick Farren admirait Larry Wallis pour son côté trash : «Larry avait des pythons, des cobras et même un rattlesnake dans des gros aquariums, tout ça dans un appart minuscule. Il élevait des rats pour nourrir ses serpents. C’était un fucking nightmare. Quand il était rôti, il jouait avec ses serpents et on était sûrs qu’il allait crever.»

    z3111rounfhouse.jpg

    Le Live At The Roundhouse 1975 paru en 1982 est l’un des meilleurs albums live de tous les temps. Double batterie, Twink et Russell Hunter, Sandy sur Rickenbacker et deux killer flash-masters devant, Paul Rudolph et Larry Wallis. En fait, c’est la dernière fois que Paul Rudolph joue dans les Fairies. Et comme Larry Wallis commençait à jouer avec Motörhead, ça sentait la fin des haricots - If the Fairies were going to bow out, they were planning to do it in style (Oui ils comptaient finir en beauté) - Ils roulèrent des centaines de spliffs pour les jeter à la foule. Larry rappelle aussi dans une interview que Sandy, Russell et lui se sont goinfrés de pefedrine avant de monter sur scène - It makes you go mad. So Sandy, Russell and I took as much of that as we could get our hands on (la pefedrine rend fou aussi en ont-ils avalé autant qu’ils ont pu) - Quant à Paul Rudolph, il était arrivé à la Roundhouse en vélo avec une thermos de thé. Ce live saute à la gueule dès «City Kids» que Larry avait composé pour Kings Of Oblivion. Hello alright ? Si on aime le rock anglais, c’est là que ça se passe. Tu prends tout le proto-punk en pleine poire. Tu as là tout l’underground délinquant de Londres. Larry chante et Sandy fait du scooter sur son manche de basse. Ils enchaînent avec une version de «Waiting For The Man» de la pire espèce, claquée par les deux meilleurs trash-punksters d’Angleterre, Larry et Paul. Ils rendent un hommage dément au Velvet. Les Fairies développent une énergie qui leur est propre. Ils sont de toute évidence complètement défoncés. C’est la preuve par neuf qu’il faut jouer défoncé, c’est la clé du rock. S’ils étaient à jeun, ils ne développeraient pas une telle puissance. Ils jouent leur Velvet à outrance, ces mecs jouent à la vie à la mort, c’est saturé de son, au-delà du descriptible. Ils bouclent avec une reprise du «Going Down» de Don Nix, et en font une version heavy qui dépasse toute la démesure du monde. Ça prend des proportions terribles.

    z3116givecigaret.jpg

    Comme Larry Wallis partageait son temps entre la reformation des Fairies et Motörhead, il se gavait d’amphètes : «I think the longest I ever stayed awake in my life was eleven days at Rockfield, and when you think about it now... God !» Onze jours sans dormir à Rockfield ! Et comme il ne mangeait pas, il avait un sacré look - I looked fantastic, my mother nearly had a nervous breakdown when she got to see me - En le voyant si joliment émacié, sa mère faillit bien s’évanouir. N’oublions pas que Larry est l’un des mecs les plus drôles d’Angleterre. Give The Anarchist A Cigarette grouille d’anecdotes hilarantes.

    z3112previously.jpg

    Big Beat fit paraître en 1984 l’excellent Previously Unreleased, une série de cuts inédits enregistrés par Larry, Sandy et George Butler. On retrouve la niaque épouvantable des Fairies dès «As Long As The Price Is Right». Pas de pire powerhouse que celle-ci. Larry vrille comme un beau diable. Ils restent dans le drive des enfers avec «Waiting For The Lightning To Strike». Ils jouent comme des démons. On ne peut pas faire l’impasse sur cet album. Ils restent dans la puissance des ténèbres pour «No Second Chance», encore un cut battu sans vergogne, battu si fort que les coups rebondissent. C’est extraordinairement bien mixé. Quand on écoute «Talk Of The Devil», on les sait capables de miracles.

    z3140farren.jpg

    Côté singles, il est chaudement recommandé d’écouter «Screwed Up» de Mick Farren, car Larry y screwe le beat à sa façon et le précipite dans le gouffre béant du néant psychédélique. Autre petite merveille fatidique : «Spoiling For A Fight», véritable furiosa del sol, c’est la b-side du single «Between The Lines». On a là du pur jus de combativité boogie. Wow, les Faires cherchent la cogne - Fight ! - Et Larry part en killer solo flash !

    z3113killthem.jpg

    On a longtemps pris Kill ‘Em and Eat ‘Em paru en 1987 pour un mauvais album, et chaque fois qu’on le réécoute, ça reste un mauvais album. On y retrouve pourtant la fine fleur de la fine équipe : Larry, Andy, Sandy, Russell et Twink. Sur la pochette, Larry fait le con avec un masque de singe barbu et sa strato rouge. Dans les notes de pochette, Mick Farren raconte qu’un matin de gueule de bois, il est réveillé par un coup de fil qui lui annonce la reformation des Fairies. Oui c’est ça, et Attila revient avec les Huns, hein ? - Yeah and Attila is getting his Huns back together, répond-il - You gotta be kidding - Tu plaisantes, j’espère - And then I remembered, in rock’n’roll, anything is possible - Oui, Mick avait bien raison de dire que tout est possible dans le monde du rock. Et pouf, ils démarrent avec «Broken Statue», un vieux boogie composé par Mick. Larry le joue à la folie et c’est battu comme plâtre par la doublette mythique de Ladbroke Grove. Toute la niaque des Fairies re-surgit de l’eau du lac comme l’épée d’Excalibur. Mais sur cet album, les cuts restent bien ancrés dans le boogie. Larry fait pas mal de ravages, mais il manque l’étincelle qui met le feu aux poudres. «Undercover Of Confusion» sonne comme de la viande de reformation. Pur boogie aussi que ce «Taking LSD». On croirait entendre les Status Quo, ou pire encore, les Dire Straits. Pas plus putassier que ce boogie-ci. Ils font même un «White Girls On Amphetamines» insupportable de médiocrité et de non-présence. On croirait entendre les mauvais groupes français. Larry tente de sauver l’album avec «Seing Double». Il ressort des grosses ficelles, mais au fond, on ne lui demande pas de réinventer la poudre. Il faut rendre à Cesar Wallis ce qui appartient à Cesar Wallis. «Seing Double» est à peu près le seul cut sérieux de cet album.

    Z3142DEVIANTS.jpg

    N’oublions pas que la presse anglaise qualifiait les Fairies de groupe le plus bruyant, le plus chevelu et le plus drogué d’Angleterre. Rich Deakin revient longuement sur le druggy side. Il relate une vieille histoire datant du temps des Deviants : «Il était 6 h 30 du matin et on s’est tous retrouvés à Ladbroke Grove. On est montés dans le van. Il y avait un jukebox à l’intérieur du van. Tout le monde était là, Boss (le père spirituel des Fairies), les Deviants, les copines et toutes les drogues inimaginables. On commençait à rouler et deux flics nous arrêtèrent. Le premier demanda à Tony Wigens de lui présenter son permis et le deuxième alla vers l’arrière du van et ouvrit la portière. Il jeta un coup d’œil à l’intérieur, referma la porte et dit à son collègue : «Come on let’s go. I don’t want to do this !» Rich ajoute que the sight so many freaks freaked the poor copper out. Oh il existe aussi une histoire marrante à base de LSD. Dans son autobio, Mick Farren rappelle qu’au festival de Weeley en 1971, toute la bande avait pris une dose de particulary strong green liquid LSD, fournie par le légendaire dealer John the Bog. Paul Rudolph confirme qu’il a joué tout le set au sol, sur le dos, because the acid was so strong.

    C’est un roadie de Canned Heat qui initie les Fairies au crystal meth : «You want some ?» Sandy se souvient qu’après avoir testé la meth, il n’a pas dormi pendant trois jours. Il rappelle aussi qu’à l’époque les roadies faisaient énormément de trafic de dope, sans que les groupes fussent au courant. C’est un miracle qu’un groupe comme les Fairies n’ait pas fini au trou. Rich Deakin indique que dans les années soixante-dix, on consommait énormément de Mandrax à Ladbroke Grove. Les mandies étaient plus accessibles que l’héro, mais pouvaient se révéler dangereux mélangé à de l’alcool (Billy Murcia). Et puis bien sûr l’héro. Russell partagea un appartement avec Took - Took would do awful things in the bathroom, take smack and get pretty disgusting - Dans une interview, Russell Hunter indique qu’il ne put aller au premier festival de Mont-de-Marsan en 1976 à cause d’une infection au genou - The hazard of the junkie profession - et il réussit à décrocher en 1981, grâce à sa girlfriend qui venait de mourir d’une petite overdose.

    Dans une interview accordée à John Robb, Captain Sensible rend l’hommage définitif : «They were the only raunchy British act. They were rough and ready, punk as anything at the time.» (Ils furent le seul grand groupe trash anglais, bien plus punk que ne le furent les punks). C’est vrai que les Fairies n’étaient pas du genre à vouloir se calmer. Lors d’une tournée allemande en 1981, ils s’ennuyaient tellement sur les autoroutes qu’ils buvaient comme des trous - Breakfast on the road consisted of Bloody Marys, lunch was apple schnapps and on their day off the band visited the Munich Beer Festival (Bloody Mary au réveil, Schnapps aux repas et fête de la bière pour la journée de relâche) - Et pour rester dans le chaos, la presse anglaise annonçait en 1989 que les ex-membres des Fairies allaient remonter chacun dans leur coin des moutures des Pink Fairies : Twink, Paul Rudoph, Larry Wallis et de leur côté le duo Russell/Sandy. Twink et Paul Rudolph n’allèrent nulle part et c’est bien sûr le duo Russell/Sandy qui continue aujourd’hui de sévir.

    z3115deakin.jpg

    Le mot de la fin revient nécessairement à Mick Farren qui écrit, dans la préface de Keep It Together : «Un vers de Bob Dylan décrit cette aventure à la perfection (mais existe-t-il une seule ligne de Dylan qui ne décrive pas tout à la perfection ?) : ‘There was music in the cafés at night and revolution on the stairs.’ Dans un style plus direct, Larry Wallis disait à peu près la même chose : ‘Sleeping single, drinking double’ (dormir seul et boire deux fois plus).» Et comme toujours, la dernière phrase d’un texte de Mick Farren s’en va résonner pour l’éternité dans l’écho du temps : «Comme je l’ai dit, l’histoire que vous allez lire n’est ni celle d’un triomphe ni celle d’une tragédie. Elle s’efforce de raconter ce qui se passe quand on tente de rester dans le réel alors tout devient équivoque. Si on y réfléchit bien et qu’on va vraiment au fond de sa pensée, il devient évident que cet état d’esprit est l’essence même du rock - Which deep down, where the spirit survives, is what the hardest core of rock’n’roll is all about.»

    Signé : Cazengler, pink féru

    Pink Fairies. Never Never Land. Polydor 1971

    Pink Fairies. What A Bunch Of Sweeties. Polydor 1972

    Pink Fairies. Kings Of Oblivion. Polydor 1973

    Pink Fairies. Live At The Roundhouse 1975. Big Beat 1982

    Pink Fairies. Previously Unreleased. Big Beat 1984

    Pink Fairies. Kill ‘Em and Eat ‘Em. Demon 1987

    Pink Fairies. Naked Radio. Gonzo Music 2017

    Rich Deakin. Keep It Together. Cosmic Boogie With The Deviants & The Pink Fairies. Headpress 2007

    Luke Haines. I’m Mandies, fly me. Record Collector #456 - August 2016

    De gauche à droite sur l’illusse : Paul, Twink, Russell & Sandy

    MONTREUIL-SOUS-BOIS / 13 - 01 - 2018

    LA COMEDIA

    CLUB BOMBARDIER / THOUSAND WATT BURN

    CRASH MIGTHTY

    z3102affiche.jpg

    Je ne suis pas méchant, pouvez même marcher sur mes chaussures de daim bleu sans que j'éprouve le besoin de sortir ma bate de base-ball de sous le siège de la Teuf-teuf. Mais là, le gars y a mis du vice. L'avait quatre-vingt kilomètres rien que pour lui. Le choix absolu. De l'autoroute, des quatre voies, des aires de stationnements à n'en plus finir, des bateaux à garer des porte-avions... L'a fait exprès de tomber en panne juste sur les vingt mètres où la chaussée se rétrécit. Un vicieux. Une demi-heure d'attente, des centaines de voitures s'efforçant de le contourner sans l'effleurer, et lui pas gêné, ne lui serait même pas venu à l'idée de tenter l'impossible, gesticulait autour de sa chiotte comme si c'était la huitième merveille du monde, l'aurait pu avoir honte, bouter de dépit le feu à sa tire, renoncer à vivre et se suicider en un dernier sursaut d'honneur, je ne sais pas moi, mais au moins tenter de nous faire comprendre qu'il était désolé, qu'il regrettait, qu'il implorait notre pardon, qu'il ne recommencerait jamais, mais non, s'est même lâchement écarté lorsque pour l'aider un peu j'ai essayé de l'écraser sous les roues de la teuf-teuf, rien que pour lui apprendre à vivre et lui montrer que je déteste arriver en retard à un concert. Total quand je suis rentré dans la Comedia, c'était une tragédia, le Club Bombardier avait déjà pris son envol. Pas depuis longtemps certes, mais si vous tronçonnez un bout du reptile, si vous subtilisez la sonnette au serpent, que lui reste-t-il d'intégrité ?

     

    CLUB BOMBARDIER

    Z3105BOMBARDIER.jpg

    Sont en plein voyage. Ça bourdonne grave. Vitesse de croisière. Volent tous feux éteints. A basse altitude. Ça ronronne comme une menace. Silence de mort dans la salle. Ecoute aux aguets. Tri-réacteur : basse, batterie, guitare. Du lourd, du doom, son sans altérité, rayon spectral paralysateur. Toile de fond. Décor noir. Tentures feutrées. Plus un chanteur. A la voix hiératique. Evolue sur scène. Bouge avec aisance. En pure perte. Car l'on ne suit que les modulations. Gorge profonde, organe rugissant. Pas de cri. Une lame de fond, issue des profondeurs sous-marines d'une sensibilité exacerbée. La puissance et l'onde de choc. Paralysante. Vous capte et ne vous relâche plus. Vous garde prisionnier-volontaire. Sous le charme. Sous le choc. Lenteur fascinante. Récitatifs infinis. Mais l'avion vire de l'aile. S'extrait de l'engluement nuageux. Mission terminée. Lumière dans la salle. Trois secondes s'écoulent, le temps de passer le sas du retour à la réalité. Les lambeaux pays du rêve s'estompent sous le crépitement des applaudissements. Je n'ai assisté qu'aux quinze dernières minutes d'un set aux confins des ouates stellaires.

     

    THOUSAND WATT BURN

    , PINK FAIRIES, CLUB BOMBARDIER, THOUSAND WATT BURN, CRASH MIGHTY, AMERICAN DOG, ROBERT KASPARIAN, HUGUES PANASSIé,

    Il y en une qui a tout compris, laisse bosser les boys. Ne sont que deux, les pauvres. Mais au fur et à mesure qu'ils assurent cela devient inquiétant. Le devant de la scène ressemble au tableau de bord d'un vaisseau interplanétaire, des boîtiers de toutes les couleurs et un entremêlement de fils électriques à ligoter un brontosaure, tout ça pour une guitare ! Mais ce n'est rien comparé à l'installation de la batterie, des cymbales comme s'il en pleuvait et un mélange hétéroclite d'objets qui se représente l'évolution technologique des trois derniers millénaires, de l'antique gong himalayen des temples perdus sur les pentes neigeuses escarpées à une espèce de couvercle de boîte à chaussures rouge et plat comme une limande rectangulaire, qui s'obstinera durant dix minutes à se murer dans un silence hostile chaque fois qu'on essaie de le mener à la baguette, et qui enfin condescendra à se transformer en une espèce de vibraphone émetteur d'ondes sonores chargées de vous froisser la membrane tympanique de vos oreilles étonnées. Mais ravies.

    Elle nous apprend la patience. Le genre de fille sympathique sans qu'elle ait besoin d'ouvrir la bouche. Une présence. Qui en impose. Tranquille, une madone bienfaisante drapée en toute simplicité dans son ample robe noire. Le fait que le micro ne réponde pas à sa voix ne l'émeut guère. Elle tourne un bouton. La petite lumière verte devient bleue. C'est joli, mais très inefficace. A sa place vous attraperiez une crise de nerf, elle non. Reste plénitude zen. Nous rassure en nous faisant une démonstration de bol tibétin. Pas longtemps. Côté sono, l'on possède une solution pour chaque problème, l'on ouvre des valises de câbles électriques et hop l'on sort la rallonge miracle... N'ont pas encore joué une note, tout le monde est agglutiné autour d'eux, personne ne leur en veut, aucune impatience, à croire que le happening de l'attente fait partie du spectacle, une préparation mentale, un exercice spirituel.

    Non, ce ne sont pas les derniers hippies de la mort de retour de Katmandou, la guitare déchire trop. Jamais bien longtemps, vous décortique un riff dynamite, genre attaque au couteau avec égorgement garanti, le temps de laisser la place à l'émulsion drumienne. Brutale. Le chat rit varie la mort des souris qui ne dansent plus même quand il n'est pas là. A eux deux, ils vous installent une ambiance, style Néron faisant rajouter des meubles de bois rares incrustés de gemmes précieuses dans l'incendie de la maison afin de doper le jeu des acteurs, mais il faut l'avouer sans elle ils ne seraient rien. Elle a fait un pas en arrière, elle a porté le micro à ses lèvres et la beauté envoûtante du chant apparaît. Un son bouffé de déformations hertziennes, un organe truffé d'électronique échoïfiante, mais il n'y a plus qu'elle, réverbérante, une voix de prêtresse apocalyptique, elle peut vous annoncer la fin du monde dans les douze secondes qui suivent qu'il vous semble que jamais message de paix aussi suave ne vous fût un jour délivré. Elle vous capte l'esprit. Une époustouflante et détonnante voix d'ulysséenne sirène, alors les deux gars jaloux comme des poux font l'usine. Le drumer balance l'orage, l'ouragan, l'aquilon et le cyclone, le guitar-hero vous scie et vous lamine de dards venimeux de porc-épic psychédélique, font tout ce qu'ils peuvent et même davantage, mais non, c'est elle la Diva, la Callas électrique, la walk-(on the wild side)-yrie wagnerienne de nos rêves les plus fous. N'ont pas dit leurs derniers mots les matelots, profitent d'un instant de calme, le batteur appuie sur une touche et hop retentit une invocation au Prince des Ténèbres, qui vous débite la kyrielle de tous les noms du Diable, de Shitane le bien-aimé à Asmodée le maudit, mais la voix puissante de la prêtresse kashmirique chevauche la tempête, et nous emporte au fin-fond des enfers brûlants. Là où elle ira nous irons, là où elle voudra nous voudrons, là où elle sera nous serons.

    , PINK FAIRIES, CLUB BOMBARDIER, THOUSAND WATT BURN, CRASH MIGHTY, AMERICAN DOG, ROBERT KASPARIAN, HUGUES PANASSIé,

    On n'en est pas encore revenus. Terminent sous une ovation. Nous ont subjugués. L'on se presse autour d'Elle. Eux ils ont trois tonnes de matériel à dégager. L'on aimerait rapporter de cette goethéenne vision walpurgienne une petite amulette démoniaque, voire un objet d'adoration des plus sulpicéennes, mais non ils n'ont rien à proposer, ni un vinyle, ni un CD, ni un single, ni un maxi à emporter bien au chaud serré sur notre cœur. Juste un quatre titres à écouter sur internet !

     

    CRASH MIGHTY

    z3104photoconcert.jpg

    Douche froide. Changement climatique brutal. Les rocks se suivent et ne se ressemblent pas. A première oreille le Crash Mighty n'opère pas dans la subtilité. Genre de plantigrade mal dégrossi qui ne gêne pas pour laisser des traces partout où il passe. Et fait mal. Droit devant, pas un seul regard en arrière. Trio de base, plus chanteuse. Un peu maigrichonne, pas plantureuse pour un gramme. L'air méchant et peu commode. Aboie dans le micro, à croire qu'elle est la première de la meute à courir après la harde des sangliers. Une tenace. S'accroche au vocal comme la cerise au bocal de moonshine. Les trois guys derrière ne valent guère mieux. Une section rythmique genre peloton d'exécution. Ne prennent même pas le temps de vous attacher au poteau. Vous tirent dessus à bout portant et une fois que vous êtes mort ils vérifient si les fusils étaient chargés. Guillaume est à la basse. Un conquérant. L'a résolu la problématique de la section rythmique. Joue en lead. Avec progression logarythmique. A chaque morceau, plus vite, plus fort, plus compliqué. Spécialisé dans les motifs difficiles. Broderie en 3 D. Vous refile le nom du comparse sur les caisses – genre clouteur de cercueil sans état d'âme – Fred Talbat, le mec qui talbasse les calebasses sérieux, s'amuse à compliquer la donne, vous bâtit des cathédrales sonores avec des clochers de dentelles pierreuses juste pour que Guillaume y entremêle ses guirlandes barbelées, vous vous dites qu'à trois ils font assez de bruit pour réveiller les sept Dormants d'Ephèse, mais non, z'ont un joker, le fameux Framy JB à la lead, trouve sans cesse un coin pour enfoncer un riff à l'endroit où vous n'auriez pas pensé. Crash Mighty, une mécanique implacable. Les brodequins d'acier du destin qui vous piétinent avec méthode, Crash ne recule jamais et Mighty avance toujours. Inéluctable. Sans surprise. Mais au bout de cinq morceaux vous êtes en manque, au bout de dix vous êtes addict, au dernier vous ressentez l'imminente cessation des hostilités comme une insulte personnelle, une injustice démocratique, un affront au genre humain, une décision gouvernementale insupportable, manquerait plus que l'univers cessât d'exister sans préavis, alors exceptionnellement pour que la soirée ne se termine pas en émeute, ils auront droit à un rappel. Et Dinny Sandret reprend le micro et nous azimute ses derniers aboiements sanguinaires de louve sauvage et derrière elle les trois chasseurs de scalps déterrent une fois de plus la hache de guerre du rock'n'roll !

    Damie Chad.

    ( Photos : FB des artistes )

     

    *

    z3118logodog.jpg

    • Wouahh ! T'as rentré du métal ! Tiens, American Dog, ai-je dit, tu connais ?

    • Pas écouté, un lot de plus de quatre cents CD's ! Sont partis vite, il y avait même des truc de Metallica dont j'ignorais l'existence, un collectionneur, un gars méthodique, du tout neuf, enregistrait systématiquement sur bandes pour ne pas abîmer l'objet.

    • Et le gus s'est débarrassé de sa collection, du jour au lendemain !

    • Non, il est mort. C'est un de ses amis qui m'a apporté le tout.

    • Ah, bon... parfois les mots en disent moins que ce que vous ressentez...

       

    J'ai pris le chien américain, un peu comme vous recueillez un chat perdu en vous disant que le maître désolé serait heureux de le savoir à l'abri, au chaud, sur votre canapé. Je l'ai écouté avec cette étrange impression de réceptionner un témoin tendu par la main d'une ombre indistincte là-bas, depuis l'autre rive du fleuve...

     

    SCARS-N-BARS

    AMERICAN DOG

    ( Outlaws Records / 2005 )

     

    Keith Pickens : batterie, choeurs / Steve Theado : guitare, choeurs / Mickael Hannon : chant, basse.

    z3119discdogs.jpg

    Workin' man : n'ont pas inventé la poudre mais savent s'en servit. Une voix burnée et la musique qui va avec. Un hors d'oeuvre pour présenter les éléments de base. Que du bio, du nature, du hard rock de l'ancien temps comme l'on n'en fait plus. Pardon comme eux en ont gardé la recette. Faded : doivent être pressés de travailler car ils enchaînent comme des forçats. Pour des gars crevés supportent mieux que bien les cicatrices et les blessures de guerre, y rajoutent même comme en filigrane un parfum de mélodie comme pour vous démontrer qu'en mieux ce serait moins bien. Revendication charpentée du maso qui n'échangerait sa place pour rien au monde. Conviction : le genre de morceau qui emporte votre conviction dès la première seconde, une course à la trompe-la-mort comme une harde de mammouths en colère qui vous foncent dessus avec la ferme intention de vous réduire en flaque de sang, une guitare effrénée, un vocal incitateur, une basse pesante et une batterie qui vous emballe le tout avec le rictus démoniaque du boucher qui vous découpe en morceaux. Lucky 13 : bluesy, une guitare qui ratelle les feuilles mortes de votre blues et c'est parti pour la voiture balai, celle qui vous emmène à la décharge municipale. Une voix insidieuse, une guitare qui strille les oreilles, vous vous obstinez sur le 13, vous êtes courageux ! Vous en remettent une couche instrumentale de béton armé pour être sûr que vous ne changerez pas d'avis. Got You by a chain : solo de guitare pour débuter, le genre de poignard qui s'enfonce dans votre cœur lentement. D'accord, vous n'êtes pas pressé mais ça s'accélère méchant, à croire que le gars qui tient le micro est poursuivi par son percepteur, et ensuite c'est la course éperdue. Z'ont vraiment l'habitude de remettre le couvert deux fois. Vous croyez que c'était terminé, mais non ce n'était que le lever du rideau. Another lost weekend : le weekend est sûrement foutu puisqu'ils l'annoncent mais le morceau lui il est drôlement appétissant. Pourvu que mon prochain vendredi soir dégage une même ardeur, ah ces coups de basse qui vous ratiboise l'hypo(po)thalamus, le genre de distraction que vous ne manquerez rien pour rien. She ain't real pretty ( but she's all I've got ) : un riff d'une perfection absolue, minaude à la manière d'une silhouette de gerce qui danse sur fond de soleil couchant. Ça tressaute de tous les côtés, vous trouverez plus fort, plus méchant, plus efficace, plus tout ce que vous voulez, davantage hard, mais pas mieux. La légèreté de l'être. Burnin yesterday : passons aux choses sérieuses. Les pompiers font les meilleurs incendiaires. Une guitare qui file droit, un drumin' qui assomme les piétons sur le bord de la route pour leur éviter de se faire écraser, une basse qui plisse le goudron, et le délire continue sans fin, z'auraient pu marteler durant deux jours entiers que l'on ne s'en serait pas aperçu. Epoustouflant. Sunday buzz : une guitare dont la caisse traîne dans le delta, la voix qui moanise dans le lointain, méfiez-vous même lorsqu'ils se tortillent gentiment devant vous, l'on ne caresse pas le mignonitou petit crotale, la guitare vous pique de ces petits suçons qui se traduisent par des cloques rouges inquiétantes, un harmonica vient de temps en temps mettre le feu au marécage, juste pour vous montrer que le pire est toujours certain. Little Girl : cymbales feutrées et cordes déchirantes. Les filles ont toujours rendu les rockers mauvais – on n'a jamais compris mais dès qu'il y en a une qui pointe le bout de son nez les boys se sentent obligés de faire les cacous - celle-là elle doit avoir du chien, car nos cabots américains lui font le coup des rois de la jungle, la voix pisse sur tous les lampadaires qui passent, et tous trois remuent la queue d'une façon convaincante. Ten til two : cavalcade finale. Devaient avoir un rendez-vous après la prise car ils y vont fort et vite. Bien fait. Ne s'agit pas de salopéger le travail si bien commencé. Juste un petit festival de ce qu'ils savent faire. Ils en rajoutent à la fin, simplement pour vous prouver que les CD devraient avoir deux faces. Comme dans les films d'aventure, ils ont gardé la scène de l'apocalypse pour la fin de la bobine.

     

    Non, ils n'ont pas inventé la poudre mais s'il vous plaît passez-moi la cartouchière. Les chiens américains savent mordre. Autant que ceux de l'enfer. Merci au rocker inconnu.

    Damie Chad.

     

     

    ROGER KASPARIAN

    ARCHIVES INEDITES D’UN

    PHOTOGRAPHE DES SIXTIES

    ( Introduction : PHILIPPE MANŒUVRE )

    ( Editions GRÜND / Septembre 2014 )

    z3128animals.jpg

    Déjà sorti depuis plus de trois ans. C’est le copain du Gibus qui me le refile sur son camion itinérant. L’a récupéré chez le soldeur - depuis belle lurette les éditeurs ne s’embêtent plus avec les stocks, la rotation rapide de la marchandise favorise la consommation, un des avatars les moins visibles de l’obsolescence programmée, la face obscure de ce qui nous est présenté comme le développement durable par les thuriféraires du marché… Me le faut qu’il m’assure, je le prends pour lui faire plaisir, je ne suis pas un amateur de photographies, je préfère les images. Kasparian, je connais depuis longtemps, c’était une de ses photos qui ornait le super 45 tours français des Animals avec les reprises de Boom-Boom de John Lee Hooker et de Roadrunner de Bo Diddley, une de mes portes d’entrée dans le rock ‘n’ roll à l’époque. In the sixties.

    z3129towshendjeune.jpg

    Bref le genre de bouquin qui ne fait pas plaisir. Facile de comprendre pourquoi : suffit de zieuter le portrait de Pete Townshend page 82, cette fragilité, cette gracilité de moineau des rues, le genre de gamin qui prend les jambes à son cou si vous froncez les sourcils dès que vous le voyez tourner autour de votre petite sœur. Remarquez qu’à l’époque j’aurais peut-être couru plus vite. C’est cela qui fait mal, car le Townshend aujourd’hui sur les clichés il a la tronche d’un grand-père. Alors vous vous dites que vous devez lui ressembler un peu…

    z3120book.jpg

    Mais revenons à Kasparian, l’avait disparu des radars depuis belle lurette. L’a refait surface inopinément sur Rock & Folk voici trois années, un bel article, une expo photos à Paris, et la parution du book, en rafales. Philippe Manœuvre est au guindeau, c’est à lui que la copine d’un stagiaire à la revue montre sur son portable des photos inédites des Rolling Stones. Tout de suite c’est le branle-bas de combat, ça fuse dans la cambuse, ça barde dans la sainte-barbe. D’où les trois bordées des canons. Et une quatrième, Manœuvre devant le coffre au trésor du matelot Kasparian, n’en peut plus, se prend pour Howard Carter qui découvrit la tombe de Toutankhamon. L’en écrit une préface de vingt pages, et met son nom en premier sur la couverture du livre modestement titré en grosses lettres blanches éblouissantes : Philippe Manœuvre - Roger Kasparian.

    Faut être juste, le prologue est assez bien mené, colle parfaitement au boulot entrepris par Kasparian durant la décennie prodigieuse, le rock et le yé-yé, les deux mamelles du rock français. Qui ne s’est jamais remis de cette tare congénitale. Muddy Waters qui s’y connaissait déclara que le bâtard du blues s’appelait rock ‘n’ roll, cet adorable fils de pute ne se priva pas pour engendrer à son tour un avorton national qui est autant notre calamité que notre fierté. Simple question de reconnaissance putative.

    Kasparian est né en 1938. Sera photographe puisque son père l’est déjà. Possède une boutique à Montreuil. Faudra qu’il reprenne la suite en 1970, finie la folle jeunesse, faut nourrir la femme et le gosse, passera son temps à tirer des portraits de famille et les photos de mariage. Une autre vie. Pas celle de Rimbaud.

    z3123jasparianjeune.jpg

    Portrait de l’artiste en jeune chien pressé ? Kasparian ne se présente pas en free lance mais en pigiste. Essaie d‘être sur un maximum de coups, suggère, propose, travaille à la commande, l’est connu dans le milieu, mitraille à tous vents, vend quelques clichés, garde le reste chez lui. Plus de dix mille conservés à la maison, entassés dans des boîtes en carton. Un défaut dans l’absence de cuirasse. Un unique sujet de prédilection : le rock ‘n’ roll. Une stratégie foireuse. Il eût fallu s’adjuger une place importante dans une revue de rock ‘n’ roll. N’y en avait pas des centaines. Pas plus de trois, et plutôt moins que plus. Disco-Revue, jeep de combat pour les purs et les durs, Salut Les Copains limousine grand public, Rock & Folk qui cherche ses marques et qui sera l’indétrônable Rolls Royce des seventies. Chacune possédant ses photographes attitrés peu disposés à laisser échapper leur pitance. Kasparian place ses photos un peu partout, certaines sont même retenues pour des pochettes de disques. Mais au total, au moment de franchir l’étroit goulot qui sépare le statut de l’amateur éclairé de celui du professionnel, l’ensemble de ses publications doit sonner un peu dispersé. L’a bien une opportunité. Qu’il refuse. Ne sera pas le photographe officiel de Claude François. Les rockers ricanent dans son dos et lui donnent raison.

    z3122beatles++.jpg

    Il est vrai que lorsque l’on a photographié les Beatles, les Rolling Stones et Gene Vincent, le recyclage doit s’avérer difficile. Mais la problématique est mal posée. N’importe quel pékin est aujourd’hui capable de tirer, vite fait, mal fait, n’importe quelle star qui passe à portée de son portable. Oui mais ce sont des stars. A l’époque de simples vedettes. Et celles qui ne l’étaient pas en 1960 sont devenues des légendes. L’on retrouve dans les courts commentaires de Kasparian qui présentent ses clichés, les mêmes réflexions que tiennent les participants de l’aventure de Salut Les Copains ( voir KR’TNT 355 du 04 / 01 / 2018 ) : la facilité d’aborder les artistes directement sans passer par le barrage des attachés de presse. Suffit d’aller les cueillir à leur descente du train ou de les attendre dans le hall de l’aéroport. Sont enchantés de rencontrer quelqu’un et acceptent souvent de se laisser piloter dans Paris. Kasparian n’a pas de mal à obtenir des photos de groupe et des portraits individuels. Idem pour les concerts, peut même sans encombre monter sur scène. Wanda Jackson est aux anges, elle pose devant les monuments, elle pourra prouver à ses amis américains qu’elle est bien venue en France…

    z3127book.jpg

    Kasparian photographie du lourd : Jerry Lee Lewis, Chuck Berry, The Shirelles, Who, Kinks, Yardbirds, Animals, Them, Manfred Mann et tous les autres… L’a perdu les clichés de Vince Taylor, le guignon du rock ‘n’ roll a dû s’attacher à la personne de Vince dès le premier jour de sa naissance. Une photo de plus ou de moins ne changera pas le monde, elle peut par contre saisir l’image d’un état d’esprit. Dans l’intimité les visages des Beatles trahissent une franche naïveté, sont en demande du photographe, sur scène le groupe a un peu l’aspect de plantes vertes tout heureuses de se trouver là. Quand on pense que ces quatre gugusses vont dans quelques mois devenir à un niveau planétaire les gourous musicaux d’une génération, l’on a du mal à y croire. Les Stones eux quand ils posent devant l’objectif vous prennent l’air condescendant d’un poing fermé, rien que par sa manière de tenir sa cigarette Keith vous apprend l’arrogance, et les photos de Jagger au micro, Jim Morrison a dû chamaniquement s’en imprégner.

    z3125kasparianvieux.jpg

    Passons rapidement sur les estrangers. Sautez la photo de Dion en cravate de commis-voyageur et celle de Little Eva, cela vous évitera de tomber amoureux. Pour les Yardbirds il manque le son. Manfred Mann à l’aise sur leurs solex. Déboulons sur les frenchies. Tout un chapitre sur Gainsbourg en 1963, laid comme un poux, intelligent comme une tique. Photos de Johnny, Kazparian est fan, avec Joey Greco et Bobbie Clarke ( une seule grosse caisse devant lui ), belle photo de la foule lors d’un concert gratuit à Robinson Village en 1966. Plus les autres, Danyel Gérad submergé par des gosses, un max de photos de Sylvie Vartan ( c’est fou le nombre de photographes qui ont été séduits par cette jeune fille ), un Chris Long comme un jour sans pain, Françoise Hardy qui fait la belle, Moustique très beau, Eddy Mitchell pas en sa meilleure période, Ronnie Bird prêt pour l’envol… plein d’autres, notamment les tableaux vivants savamment mis en scène par Hector et ses Médiators.

    A dévorer sans fin. Attention la nostalgie est masturbatoire. Mais à quoi d’autre pourraient servir de belles photos ?

    Damie Chad.

     

     

    DOUZE ANNEES DE JAZZ

    ( 1927 - 1938 )

    HUGUES PANASSIé

    ( Editions Corrêa / 1946 )

    z3131book.jpg

    L’introduction du rock en notre douce France n’a pas été facile. Celle du jazz ( et du blues ) qui la précéda encore moins. Hugues Panassié n’en fut pas le pionnier, mais l’un des principaux protagonistes. Son nom fut souvent traîné dans la boue, sur la fin de sa vie l’on ricanait sourdement derrière son dos. L’avait eu le tort de proclamer qu’il n’aimait pas le Be-Bop, crime impardonnable pour ceux qui arrivaient après la bataille… Une de mes copines de fac l’avait bien connu. Elle avait habité près de chez lui. Et ce grand monsieur - c’est ainsi qu’elle l’appelait - lui avait ouvert bien des horizons, lui avait fait lire Proust alors qu’elle n’avait que treize ans. C’est ainsi que l’on grandit plus vite dans sa tête…

    z3133saxo.jpg

    C’est en 1927 que tout jeune Hugues Panassié contracta le jazz. N’explique pas comment le microbe s’inocula dans ses veines. Par la petite porte. Celle du jazz blanc de Jack Hilton, l’orchestre à la mode. Une foucade d’adolescent dont il aurait dû se remettre facilement, mais il s’obstina à tel point que lors de ses seize ans son père dut se résoudre à lui offrir un saxophone. Un deuxième microbe celui de la poliomyélyte lui ayant tordu la jambe, la pratique de l’instrument et l’écoute assidue de disques étaient devenues les rares distractions envisageables. Avoir un saxophone c’est bien. En jouer, c’est mieux. Mais plus difficile. Le besoin d’un professeur s’avéra nécessaire. Son père ne mégota pas et dégota un des meilleurs saxophonistes français Dick Wagner. Lui refile les rudiments de base, lui fait connaître l’existence de Fletcher Henderson dont il se procure deux disques ( = quatre morceaux ). Le jeune Panassié est tout heureux, ne jure plus que par la supériorité saxophonéenne de Bix et de l’orchestre de Red Nichols. Les années suivantes le jeune Panassié fréquente les boîtes parisiennes qui présentent la crème des musiciens français, Philippe Brun, Maurice Chaillou, Ray Ventura… les plus aventureux jazzmen français ont entendu deux ou trois disques de Louis Armstrong, sans plus, car tout le monde sait que les meilleurs musiciens de jazz sont blancs.

    z3138mezrow.jpg

    En 1929, les Chicagoans passent à L’Ermitage Moscovite, pas question de rater ce qui apparaît à Panassié comme le nec le plus ultra du jazz américain. Tous des blancs, bien entendu puisqu’ils sont les meilleurs. Le jeune frenchie ne tarde pas à sympathiser avec un des saxophonistes Milton Mesirow… qui accepte de lui donner quelques leçons de saxophone. Un peu une cause perdue, mais Milton transmet quelque chose de bien plus important qu’une dextérité instrumentale au jeune impétrant impatient, lui permet de mieux comprendre le jazz. Mesirow surnommé Mezz Mezzrow - le lecteur de KR’TNT se rapportera à la livraison 106 du 12 / 07 / 2012 - ne doute pas que le jazz est avant tout une musique noire, il a participé à la naissance du jazz aux Etats-Unis et fut le premier blanc à se joindre aux formations noires, l’a même joué avec Louis Armstrong… Mesirow lui apprend à écouter le jazz, à séparer le bon grain de l’ivraie, se contente d’une moue dubitative silencieuse pour indiquer les mauvais disques, mais cela suffit pour que Panassié en tire les bonnes conclusions : le jazz blanc n’est qu’un ersatz, la hot music est noire.

    z3135luncerford.jpg

    Panassié pataugera encore quelque temps à entendre du jazz édulcoré, mais il s’affranchit à grand pas des préventions de son milieu. Aiguise son oreille en commandant des disques directement aux USA, ne rate plus aucune des formations noires qui passent par Paris, entre en amitié avec le trompettiste Muggsy Spanier et le violoniste Eddie South. Sait qu’il ne sera jamais un grand ( et même très moyen ) saxophoniste et que sa plume lui sera plus utile pour défendre bec et ongles ses artistes préférés. Du travail en perspective, André Suarès, Lucien Rebatet, Pierre Bost, traitent de très haut ces nègres discordants qui vous écorchent les oreilles. En juin 1930, Stéphane Mougin lance Jazz - Tango dont durant longtemps Panassié sera un des piliers. L’est devenu un connaisseur reconnu, les musiciens américains se refilent son adresse, l’a des entrées dans tous les établissements, ne rate jamais une répétition… Les rencontres se succèdent, Fats Waller, Duke Ellington, Louis Armstrong. Des pages éblouissantes et étonnantes. Scènes cocasses et émouvantes. Panassié entre dans l’intimité des grands hommes. N’oublie pas de les photographier, l’iconographie du bouquin est étonnante, tous les musiciens en costume impeccable, prenant la pose, flattés en leur fort intérieur de cette considération hommagiale que leur accorde les petits blancs. Pas tous, Hugues Panassié tire à boulets rouges sur Canetti qui s’est improvisé manager de la tournée européenne d’Armstrong et qui pense davantage à se remplir les poches qu’à la santé de sa vedette… Des passes virulentes s’en suivront entre le Melody Maker où Canetti, qui vient aussi de s’emparer de Jazz-Tango a ses entrées, et la nouvelle revue de Panassié, Jazz-Hot dont le premier numéro est paru en mars 1935.

    z3137jazzhotellinnton.jpg

    C’est qu’entre temps en 1932 Hugues Panassié reçoit la visite de jeunes gens qui avaient fondé à Saint-Cloud le Jazz-Club Universitaire quelque peu déficitaire quant à son rayonnement… Le fragile cercle d’amateurs qui regroupe une douzaine de membres sera transformé en Hot-Club de France. Institution qui bénéficie aujourd’hui d’une aura prestigieuse mais qui ne prit son essor que lentement. Les antennes projetées en province ne dépassèrent jamais la dizaine de membres et il fallut plusieurs mois pour que le club atteignît Le chiffre symbolique de cent adhérents. Il était nécessaire de se lancer dans l‘action directe. Ce fut d‘abord une émission hebdomadaire sur Radio L. L. dont les retombées ne furent pas pharamineuses. L’étape suivante - celle de l’organisation de concerts s’imposait. Ce ne fut pas une sinécure, si le premier dans le sous-sol d’un magasin de disques s’avéra être un succès, la suite fut capricieuse. Le Hot Club présentait des artistes français et américains. Les seconds étaient bien meilleurs mais leurs horaires de travail dans les boîtes mordaient sur les heures de programmation. Devaient partir au plus tôt… ou n’arrivaient que très tard. Au bout de deux ans, ces soirées devinrent courues et il n’y eut plus besoin de jongler avec les heures de passage.

    z3136n°8quintette.jpg

    C’est au Boudon que Panassié entendit pour la première fois Django Reinhardt. Le Hot Club entra en ébullition. Enfin un jazzman français de la trempe des noirs américains. L’on ne pouvait rêver mieux ! Fallait organiser un concert – comprenez : pas une apparition dans un dancing - avec un public assis en situation d’écoute et non en train de danser - ce qui donnerait à Django une assise d’estime et de sérieux qui lui ouvrirait les portes d’un studio d’enregistrement. Le concert eu lieu le 2 décembre 1934 - comme par hasard la formation, avec Grapelly ( orthographe panassienne ) au violon, prit le nom de Quintette du Hot-Club de France - et Ultraphone enregistra quelques faces de Django. C’est en cette occasion que Django grava Dinah. Une première expérience studio qui intéressa vivement Hugues Panassié. Son influence grandissait. La parution de son livre Le Jazz Hot n’y était pas pour rien. Les critiques français lui reprochèrent d’avoir osé qualifier Armstrong de génie. Tout le monde sait qu’un nègre peut certes plus ou moins bien jouer de la trompette mais qu’il lui est ontologiquement impossible d’être génial puisqu’il est noir. En Amérique le livre traduit fut accueilli avec stupéfaction, comment était-il possible que le premier livre écrit sur le jazz l'ait été en France par un français !

    z3337booklejazzhot.jpg

    Ironie de l’Histoire : lorsqu’ à la fin des années vingt Panassié s’initie au jazz hot déjà en Amérique le terme hot est remplacé par swing… Très logiquement le terme Swing s’imposera pour le nom de la marque de disques que Panassié décide de fonder. Car Panassié a finement négocié avec Ultraphone qui enregistrera dix-huit titres de Django, plus quatre autres pour Swing.

    z3139discswing.jpg

    Hugues décrit quasiment titre par titre toutes les sessions d’enregistrement de Swing. Des ingénieurs du son peu motivés et les tâtonnements expérimentaux pour disposer les micros de telle façon que certains instruments ne couvrent pas les autres et que tous soient audibles. En fait on essaie de tirer les enseignements des ratés précédents… qui n’apparaissent vraiment qu’à la sortie du disque dans le commerce. Les musiciens se mettent rapidement d’accord et l’on enregistre la première cire. Parfois elle se révèlera être la meilleure. Mais si on veut l’écouter, l’exemplaire est totalement saccagé, il faut donc une nouvelle prise. Qui souvent n’est pas aussi bonne. Mais la première étant irrécupérable… Les musiciens improvisent en direct leurs chorus et souvent la fraîcheur du premier jet est supérieure. Une improvisation répétée est une véritable gageure. Pour éviter ce genre de désagrément Panassié prend l’habitude de demander aux musiciens de se lancer dans un blues, ils connaissent d’instinct si parfaitement le terreau de leur musique que souvent il n’est pas besoin de vérifier la qualité de la prise. De grands noms s’inscrivent au catalogue Swing, Coleman Hawkins, Dickie Wells, Sam Allen et bien sûr Django que tous les américains veulent sur leurs disques… Amener Django au studio à huit heures relève de la mission impossible. Le guitariste se couche généralement sur les six heures, le réveiller à sept exige un maximum de délicatesse, si l’on s’y prend en douceur, si le petit crème que l’on va chercher au plus proche café est assez crémeux ( et les croissants croustillants à souhait ) vous tenez le bon bout. Vous êtes à peu près sûr de ramener Django pour dix heures…

    z3332discotheque.jpg

    Le livre ne s’arrête pas le premier octobre 1938 par hasard. Les menaces de guerre dissuadent de nombreux jazzmen de visiter notre capitale. Puisque la montagne du jazz ne vient plus à lui, Panassié franchit la passerelle du paquebot qui l’emmènera à New York…

    Livre passionnant. Deux cent quatre-vingts pages en petits caractères. Chaque folio fourmille de renseignements, pas le temps de s’ennuyer, Hugues Panassié use d’un style alerte qui nous entraîne sur les sentiers oubliés de l’implantation de la musique populaire américaine par chez nous. Pourfend sans vergogne les intellectuels qui à la fin des années trente, venue de la revue du Cotton Club lors de l’exposition Universelle de 1937 aidant, s’emparent du jazz pour l’expliciter en oubliant de le vivre…

    Finissons sur une curiosité du 12 novembre 1937, une lecture du poète Pierre Reverdy avec Bill Coleman, Stéphane Grapelly et Joseph Reinhardt en accompagnement… une conjonction jazz-littérature qui se révèlera inaudible. Dommage. Mais qui confirme les littéraires recommandations d’Hugues Panassié quant à Marcel Proust …

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 236 : KR'TNT ! 356 : SEX PISTOLS / NO HIT MAKERS ( + BRAIN EATERS + WASHINGTON DEAD CATS + MEXICALI SWINGERS ) / BOBBIE CLARCKE

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 356

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    11 / 01 / 2018

     

    SEX PISTOLS / NO HIT MAKERS ( + Brain Eaters

    + Washington Dead Cats + Mexicaly swingers )

    BOBBIE CLARKE

    Sex pactole - Part two

    z3086book.jpg

    Johan Kugelberg édite un gros bâton de dynamite consacré aux Sex Pistols - God Save Sex Pistols - et il allume la mèche dès la préface en affirmant que the Sex Pistols were the greatest rock and roll situation that the twentielth century brought about (Il y va fort, puisqu’il affirme que les Pistols sont le plus gros coup de rock’n’roll du XXe siècle). Il affirme encore autre chose : rien que pour avoir écrit «Holidays In The Sun», John Lydon would still remain a major British man of letters, oui, l’un des principaux hommes de lettres britanniques, un Lydon qui dans ses early twenties avait déjà l’aura d’un grand agitateur, in the vein of Max Wall, Daniel Cohn-Bendit or hey, Byron for that matter. Et il enfonce encore son clou - paf ! - en affirmant que les Pistols were arguably the greatest rock and roll stalwarts of their generation, bridging mod, glam, and the proto-punk ‘themness’ code to the masses. Et pour étayer tout ça visuellement, Kugelberg propose plus de 300 pages grand format, c’est-à-dire entre cinq et douze kilos de papier. L’éditeur se trouve à New York, mais le livre est imprimé en Chine. On profite de l’occasion pour constater que les Chinois ont appris à rivaliser de qualité avec les grands imprimeurs italiens.

    z3070book.gif

    De deux choses l’une : soit on reste un inconditionnel des Pistols et on se jette sur ce livre, soit on ne l’est plus et on se pose la question suivante : à quoi rime un nouvel ouvrage consacré à cette vieille histoire ?

    z3089pages.jpg

    De toute évidence, le fan des Pistols va se régaler, il va pouvoir se goinfrer d’images et d’infos qu’il connaît déjà, mais comme il ramène chez lui ce que les libraires appellent un «beau livre», il aura l’impression de redécouvrir cet épisode fascinant de l’histoire du rock anglais. Kugelberg a choisi d’alterner des séquences de pages illustrées et des séquences de contenu éditorial présentées sous la forme day by day et uniquement constituées de témoignages. On se retrouve dans l’ambiance de l’excellent Please Kill Me jadis édité par Legs McNeil et Gillian McCain et qui en la matière fait toujours office d’ouvrage de référence. Tous les principaux témoins de la courte saga des Pistols évoquent chaque concert et chaque événement. Tout ça pour dire qu’au fond, il est bien difficile de se lasser d’une histoire aussi génialement météorique que celle des Pistols. Il s’agit en effet d’une histoire parfaite : départ de triple zéro, quatre branleurs passionnés de rock, un buzz de deux ans, un album parfait, un scandale et le chaos technique final. L’essence même du rock, le cum. Ou le scum du cum. La cime du come. L’origine de toute vie. Sex Pistols & drugs & rock’n’roll. L’album est tellement parfait qu’on le réécoute quarante ans plus tard avec le même bonheur. De la même façon qu’on réécoute l’album des Heartbreakers ou le premier album des Damned. Ces disques n’ont pas pris une seule ride.

    z3090pages.jpg

    Maintenant, l’autre point de vue. Imaginons qu’on ait déjà fait le tour depuis belle lurette, qu’on ait pris le temps d’avaler l’England’s Dreaming de Jon Savage, et même les 700 pages de l’England’s Dreaming Tapes paru un peu plus tard, les bouquins de Noel Monk (Twelve Days On The Road With The Sex Pistols - récit marrant de la tournée américaine qui permet de mesurer le haut niveau d’incontrôlabilité de Sidney Vish), de Brian Southall (Ninety Days At EMI, qui n’apporte pas grand chose), de Fred Vermorel (The Inside Story Of The Sex Pistols, le plus ancien, qui fut traduit aux Humanos, dans la prestigieuse collection Speed 17), bien sûr, les deux autobios de John Lydon (No Irish No Blacks No Dogs et Anger Is An Energy, plus récent) et pour finir l’indispensable autobio de Steves Jones, parue l’an passé et qui fonctionne comme la pièce manquante du puzzle, ou si vous préférez, comme la clé de voûte de la cathédrale. Sans oublier l’indispensable Destroy, le photo-book de Dennis Morris. Pour compléter ce panorama, on aura visionné quelques films, ceux de Julian Temple (The Filth & The Fury et There’ll Always Be An England. Live From The Brixton Academy), et le Never Mind The Bollocks, publié par Eagle Vision en 2002. À ce stade, on s’accorde le droit de conclure que le tour est fait, et donc à quoi bon remettre le nez dans une énième resucée de cette courte histoire ?

    z3079dada.jpg

    Eh bien, les Pistols, c’est un peu comme Dada. On croit bien connaître Dada quand on a lu Ribemont-Dessaignes, Tzara, Picabia, Duchamp et qu’on connaît sur le bout des doigts son Man Ray/Erik Satie ou son Schwitters, et puis le jour où on met les pieds dans la caverne d’Ali Dada (Dada Beaubourg), on reprend tout Dada en pleine poire, on erre dans les allées avec la langue qui pend, on puise du regard tout ce qu’on peut, jusqu’à l’overdose, on sort de là épuisé et en jurant de revenir le lendemain. Et c’est en feuilletant le catalogue qu’on comprend la raison de ce choc émotionnel : Dada resplendit dans toute la grandeur de sa parfaite ingénuité.

    z3094dada.jpg

    Comme les Pistols, Dada part de triple zéro : Picabia et Tzara passent un pacte Dada sur le marbre d’un imprimeur zurichois en 1919, en réaction contre la boucherie de la Première Guerre Mondiale. Tzara n’a que 23 ans et Picabia tout juste 40. Ils vont créer un monde à eux deux. Ils deviendront des virtuoses de la provocation et accessoirement, inventeront l’art moderne. Dada ne dure que quatre ans à Zurich, puis trois ans à Paris, où Dada va rejaillir sur le monde entier, avant d’être dévoré vivant par le mouvement surréaliste. Trois ans : on parle ici de fulgurance.

    z3091pages.jpg

    Le gros livre de Kugelberg fonctionne exactement de la même façon que le catalogue Dada Beaubourg : on y voit un monde se construire, page à page. C’est très visuel : triple zéro, des branleurs qui répètent dans un garage, toujours la même histoire, et un mec un peu lettré s’intéresse à eux : McLaren. Alors que le son du groupe prend forme, parce que Steve Jones apprend à jouer de la guitare en écoutant les Stooges et les Dolls, que Glen Matlock sait bricoler des séquences couplet/refrain, et que John Lydon cultive un goût pour l’anarchisme du coin de la rue, McLaren fait exactement ce que fit son idole Guy Debord avant lui : il réfléchit à une stratégie. Comme il grenouille depuis un certain temps dans l’underground culturel, il sait que la réputation d’un groupe repose sur deux choses : le son et l’image. L’un ne va pas sans l’autre. Il fait donc appel à un graphiste londonien, le fameux Jamie Reid et dans les pages de ce gros book, on voit l’image des Pistols se construire. C’est quasiment du step by step. Tous ceux qui s’intéressent au graphisme ou qui en ont fait leur métier savent que le parcours qui conduit à la mouture finale est souvent long et douloureux. Et à partir de rien, mais vraiment rien, Jamie Reid construit cette image des Pistols qui depuis est devenue universelle. Il y a d’abord le logo du groupe monté en lettres découpées dans des titres de presse, puis le fameux visuel de la reine pour «God Save The Queen».

    z3088queenlogo.jpg

    Et là, on se retrouve confronté à une sorte de summum culturel qu’on appelle l’art total : on voit l’image et on entend le son. On entend le son et on voit l’image. L’un de ne va pas sans l’autre. Le mythe des Sex Pistols repose très précisément sur cet amalgame : le texte colérique d’un kid à peine sorti de l’adolescence, deux couplets et deux refrains joués par un fan des Stooges, une image construite au cutter et au bâton de colle par un graphiste qu’obsède le non-respect des codes graphiques, et un marchand de fringues qui s’entiche des théories subversives de Guy Debord. Encore une fois, triple zéro, puis effet boule de neige. Qu’il s’agisse d’un flyer, d’un ticket de concert ou d’une affichette, le moindre petit doc devient œuvre d’art. Le moindre T-shirt et la moindre pochette de single deviennent eux aussi des œuvres d’art.

    Z3071ANARCHY.jpg

    Tout part de ce qu’il existe à l’époque de plus cheap pour devenir objet de convoitise et malheureusement de spéculation. Le gros book de Kugelberg montre les objets en l’état, comme des objets Dada devenus objets de musée et donc de valeur, alors qu’à l’origine, ils sont bricolé sur un mauvais photocopieur. Les photos de scène ne font que renforcer la force de cet anti-concept, car comme Dada, les Pistols retournent l’idée de concept comme une peau de lapin. John, Glen, Steve et Paul jouent leurs rôles de branleurs à merveille, mais on note quand même que Glen gâche un peu l’équilibre graphique des images, trop clean, trop normal, alors McLaren corrige le défaut en le virant. Avec Sid, l’équilibre graphique de la désaille devient parfait. Les photos des Pistols renouent alors avec une tradition très anglaise des grandes photos de groupes, une tradition qui remonte aux early Stones et aux early Who. C’est la clé du système, la crédibilité auprès du public anglais, c’est-à-dire du monde entier. À partir de là, c’est un boulevard qui s’ouvre aux Pistols et à leur entourage : il ne leur reste plus qu’à enregistrer de bonnes chansons pour entrer dans la postérité. Le pire, c’est qu’ils savent aussi le faire. Et ce ne sont pas seulement des bonnes chansons, mais des classiques chargés de toute leur énergie et de ce qu’il faut bien appeler leur génie délinquant, celui de Steve Jones en particulier.

    z3087bus.jpg

    Jamie Reid refait mouche avec son Nowhere Bus qui devient une autre symbiose visuelle du phénomène pistolien, il dessine même un rough du bus, comme on le faisait auparavant pour visualiser une idée avant de la réaliser, une pratique qui hélas a disparu avec les ordis, oui, car les clients ne veulent plus voir de roughs, ils veulent du produit fini. Grâce à Jamie Reid, les pochettes de singles sont traitées comme des œuvres d’art. Parmi les groupes qui retiendront la leçon, il faut citer les Dogs d’Amour et les Drive-By Truckers : un graphiste (ou un illustrateur) pour toutes les pochettes, garantie d’une forte identité. Après les singles, voici l’album et on découvre la genèse d’une des pochettes d’albums les plus célèbres du monde, Never Mind The Bollocks qui devait s’appeler au départ God Save Sex Pistols : comme la maquette du visuel existe, Kugelberg la récupère pour la couverture du livre.

    z3075bollocksjaune.jpg

    Mais tout le monde est bien d’accord, surtout en Angleterre, Never Mind The Bollocks, ça sonne tout de même un peu mieux. C’est un peu comme si en France on écrivait sur la pochette d’un album ‘Je m’en bats les couilles’, ce qui ne manquerait pas de choquer les beaufs et les bobeaufs, but de l’opération. On voit aussi le montage coté de la pochette de l’album : c’est un document technique destiné au photograveur. Le graphiste montait son doc d’exé à tel et indiquait les couleurs à la main (ici, Jamie Reid a écrit dayglo yellow et dayglo red, c’est-à-dire jaune et rouge fluo), avec en plus un choix typo volontairement pauvre : un merveille d’anti-équilibre pour un anti-concept. Les groupes anglais qui à l’époque ont essayé d’imiter la démarche des Pistols (les Clash en l’occurence) se sont vautrés, car ils copiaient un anti-concept et il faut savoir qu’on ne copie pas un anti-concept. On ne copie pas la Fontaine de Duchamp ou la pyramide de Khéops.

    z3092pages.jpg

    Et cette esthétique du chaos graphique va déclencher une véritable marée de fanzines tous plus moches les uns que les autres, c’est à qui fera le plus laid, sans comprendre qu’à l’origine, Jamie Reid est, comme Neville Brody, un graphiste britannique de stature internationale. Tous les apôtres du fameux DIY vont y aller de bon cœur, à coups de cutter, de bâtons de colle et de photocopieur du coin de la rue. McLaren devait être à la fois ravi de cette prolifération et effaré de voir à quel point tous ces gens ne comprenaient rien. Dans le cas de Dada comme dans celui des Pistols, on parle d’art provocateur. Un art certainement plus difficile que l’art classique et pour lequel il faut quelques dispositions.

    Signé : Cazengler, Sex pustule.

    Johan Kugelberg, Jon Savage, Glenn Terry. God Save The Sex Pistols. Rizzoli 2016

    z3093auteurs.jpg

     

    06 / 01 / 2018TROYES

    3B

    NO HIT MAKERS

    z3051affichenohit.jpg

    La teuf-teuf cartonne. Elle a une mission dont dépend la survie de la planète. Huit cents kilomètres d'une traite, demain j'ai un rendez-vous important. Les No Hit Makers passent au 3 B, le cadeau de Noël de Béatrice Berlot, pas question de le rater, la fidèle rock-mobile avale le bitume sans amertume, le moteur à plein volume tel un presse-agrume de compétition. Nous voici déjà arrivés à destination. Les soiffards au bar sans retard, de doux petits bouts de choux qui courent partout, les rockers en manque de Makers, l'ambiance rockabilly des grands soirs.

    NO HIT MAKERS

    z3085tous.jpg

    Pas mal pour un premier morceau, claironne Eric qui fait le modeste. C'est même plus que très bien, mais il est vrai que nous n'avons encore rien entendu comparé à ce qui nous attend. Les No Hit Makers c'est comme l'horloge de la mise feu de la bombe atomique. Une fois que vous l'avez enclenchée vous ne pouvez plus l'arrêter. Mais analysons quelque peu les rouages de cette mécanique infernale.

     

    z3038vincent.jpg

    Vincent est à la Gretsch – vous ne pouvez pas vous tromper, l'a le macaron de la marque en gros sur sa tunique noire. Une lead qui tranche d'orange. Sanguine. Et survitaminée. L'a un défaut, ne peut pas s'empêcher d'en jouer. Le morceau n'est pas terminé que déjà il tonitrue le suivant. Sur ce Jérôme lui emboîte le pas. Vous file la rythmique sur sa caisse claire.

    z3056jérome.jpg

    Douze secondes pas plus, car après c'est la catastrophe, un break à vous couler le Titanic plus monstrueux qu'un iceberg, et Lardi qui se précipite dans les chaloupes de secours et qui souque le souk comme un dément. Il se peut que vous rencontriez des innocents à la tête vide qui sont prêts à témoigner que le sieur Lardi joue de la contrebasse. C'est un mensonge. Ehonté. Totalement faux. Lardi, sa passion c'est le full contact. Sauvage et sans concession. Un fulleur fou.

    z3052lardi.jpg

    Ne se sert que de ses deux mains, pour la simple et bonne raison qu'elles rendent l'utilisation des pieds inutile. Vous refile de ses mourlanes qui valent des coups de tatanes. Elles font mal, et ça s'entend. Sera même obligé de faire signe à Fab à la table de le baisser d'un cran car il a l'impression de submerger le reste du combo. La frite mais pas la triche. Entre deux sets il nous montrera le cal de ses doigts arraché. Slappe sans filet. Vous imaginez le micmac.

     

    z3057eric.jpg

    Ce n'est que le chapitre un et Eric n'est pas encore arrivé. Gretsch électro-acoustique – c'est que le rockab sans Gretsch c'est comme une salade sans feuilles ou un taureau de combat sans cornes - en bandoulière, use d'une technique simple, vous balance la rythmique au lance-flammes, impossible de le dépasser, une course-poursuite avec lui-même, les autres sont au raffut derrière lui, et lui il leur annonce qu'il n'a pas de temps à perdre et qu'ils ont intérêt à se magner s'ils veulent lire la suite de l'histoire. L'a les yeux qui pétillent de malice, alors il vous sort son arme secrète. La voix. Les autres cognent, et lui il amplifie. Il ouvre les espaces. Comme dans les westerns, quand la caméra élargit le champ et vous dévoile les infinies étendues de l'herbe bleue du Kentucky. Aussi impensable que cela puisse paraître, si vous tendez bien l'oreille vous ne tarderez pas à percevoir une fine pointe de country ( nuance wild ) dans la musique des No Hit Makers, une minuscule goutte aussi venimeuse que la morsure du crotale. Une dose chargée de vous immuniser contre les prochaines surprises.

    z3059lardy++.jpg

    Vous croyez avoir fait le tour du topo. O. K. je vois, les No Hit Makers, c'est l'oiseau-tempête qui plane dans dans l'ouragan, genre je dévaste tout et rien ne subsiste après moi. Erreur lamentable. Diagnostic outrecuidant. Non, ils ont un truc en plus. Les No Hit, ça gonfle, ça enfle, ça croît sans rémission... jusqu'à l'apparition d'un étrange phénomène, le goulot d'étranglement, la baudruche qui éclate, pire que tout cela, ce que les astronomes appellent l'apparition d'un trou noir, l'effondrement torsadé de l'espace-temps qui ouvre sa gueule béante et s'apprête à engloutir, la musique, l'orchestre, les spectateurs, le vide béant inéluctable, vous savez que vous allez être avalés par cette concrétion de matière noire dans laquelle vous vous sentez aspirés, le couac sinistre du silence s'abat sur vous, le croassement sourd des corbeaux autour de votre cadavre, plus un bruit, une éternité d'une seconde et brusquement alors que vous croyiez que l'ensevelissement de la destruction finale vous avait minéralisé, transformé en pierre d'achoppement, l'en est toujours un des quatre qui sauve la situation.

    z3058eric+bat.jpg

    Ce peut être tout ou n'importe quoi. Jérôme qui gratte la peau d'un tom, ou qui vous azimute d'une explosion de cymbales, Lardi qui vous larde sa big mama d'un atémi des plus vicieux dans le cordier, ou sa main gauche qui dérape sur le manche, dernier bras levé en vain d'un nageur que l'océan s'apprête à enrober de ses masses liquides, le simple sourire d'Eric, ou Vincent qui vous foudroie d'un riff sorti de nulle part ou de la caverne de Platon, vous croyiez que tout était fini, que les No Hit jouaient trop vite, qu'ils allaient se planter comme des gamins de quatorze ans en répétition, eh bien non, le Quetzalcoalt du rockabilly, le serpent à plumes du néo-rockab, reprend son vol majestueux comme si de rien n'était, et vous emporte comme fétus de pailles dans un immense tourbillon.

    z3053eric+vincent.jpg

    L'est un ustensile qui ne chôme pas chez Vincent, vous use du bigsby comme d'un vol d'étourneaux, propulse le riff vers les hauteurs immodérés du ciel, et quand il le relâche il fait gronder l'orage et éclater le tonnerre. Eric vous lance des giboulées de guitare dans les traboules du désir, sa voix se fait douce et sarcastique, elle interprète le rockab comme les tragédiennes du grand siècle vous hululaient les vers de Racine les soirs de pleine lune, et parfois Lardi hurle dans le micro de ces rugissements dont le lion royal de la 20 Th Century-Fox régalait le pré-générique des grands-films de série-B. Trois sets, le premier : percutant, le deuxième somptueux, le troisième : splendide. Qu'ils reprennent des classiques de Carl Perkins, de Wayne Walker, Johnny Burnette, Hayden Thompson, ou leurs propres compos – finition du prochain CD au mois de février – les No Hit Makers impriment leurs griffes à tout ce qu'ils touchent. Néo-panthère, guépard enragé. Un des groupes les plus essentiels du rockabilly européen actuel. Un son qui n'appartient qu'à eux. N'y avait qu'à regarder les tronches heureuses de l'assistance pour en être persuadés.

    Un grand merci à Béatrice Berlot qui nous réserve des surprises pour la suite, et à Fab pour la sonorisation et son programme de disques explosifs pour les inter-sets.

    Damie Chad.

    ( Photo concert  1 : Fb : Fabien Hubert ( Dj Rockin Cats )  / Toutes les autres : Fb : Béatrice Berlot )

     

    FOUR ON FUR

    BRAIN EATERS / WHASHINGTON DEAD CATS

    NO HIT MAKERS / MEXICALI SWINGERS

    ( FUCK U RECORDS / 2015 )

    z3061discfour on fur.jpg

    You can't judge a record just looking the color. Celui-ci, il est tout blanc, d'une blancheur nivéenne, l'innocence désincarnée. Aube de première communiante. Sillon de jeune vierge encore enclos sur lui-même, tel mignon bouton ronsardien. Hélas il n'en est rien ! Ne vous laissez pas séduire par l'artifesse. La couleur rose de la pochette devrait vous paraître suspecte, et le titre Four on Fur, quatre sur la fourrure ( Sainte Vénus de Sader Masoch, venez à notre secours ! ) duveteuse des trash pussies des cinq demoiselles en tenues légères et non équivoques. En plus il y a la recommandation, Adults Only, et la description : A sexy trashy sleazy dirty lusty juicy yummy smelly compilation, mais comme c'est écrit en anglais, faisons semblant de ne pas comprendre et continuons nos scrutatives et auditives investigations. Et puis il est bien connu que les amateurs de rock sont d'éternels adolescents un peu obnubilés par les affleurements charnels.

     

    Brain Eaters : Jaybird Safary : z'avons déjà rencontré l'anthropophagique tribu des mangeurs de cervelle juste avant la Noël ( voir KR'TNT ! 353 du 21 / 12 / 2017 ), en avions réchappé par miracle, et ploum l'on retombe dessus alors que nous pensions en être débarrassés. Que voulez-vous les safaris réservent bien des surprises. Nous ne savions pas qu'ils étaient aussi mangeurs de sexe. Nous en prenons acte. En tout cas, ça dégouline sec, un harmonica d'enfer, une rythmique obsédante, des guitares qui crient et une voix rageuse emplie de hargne vicieuse. Le genre de rock'n'roll des banquettes arrières que l'on aime. En plus la fin est encore meilleure que le début. Des gars qui ne se contentent de promesses. Washington Dead Cats : Girl I want you : du chat mort à la chatte vivante le pas sera franchi allègrement. Ca fuzze à tous les étages. Terriblement anglais dans le son, eux aussi ont choisi de s'énerver sur la fin du morceau, de viande. Mettent les bouchées doubles, surtout le chanteur qui connaît le trémolo de l'aristotélienne extase finale. Mais pourquoi tant d'amour ! No Hit Makers : Blind and deaf : vaut mieux être sourd et aveugle que d'entendre ça, disait ma grand-mère. La vieille dame – malgré tout le respect que je lui dois – avait tort. Z'y vont à la sauvage, pratiquement du punkabilly, ça sonne comme du vieux garage, les pneus incandescents ont fait fondre le goudron et du carburateur jaillissent des gerbes d'étincelles. Genre greasers qui ont chaud entre les pattes, sifflent les filles et précipitent les présentations, laquelle oserait résister à tant d'aplomb et d'assurance, au cri primal du désir libéré ? Mexically Swingers : Pussy Charmer : pussy pas, il y en aura pour tout le monde. Coup du charme guitare sixty-surf. Des petits malins alors que les trois précédents y vont franco de port, fort de café avec double-remorque de moonshine, eux ils ont opté pour la perfide douceur, la traître indolence, faut attendre la fin du morceau pour que le gars fasse sa proposition malhonnête. Que la donzelle qui bronze et dore se méfie, l'a le rire démoniaque des serial-killers. Sang blague.

    Damie Chad.

    Attention, l'aspect d'un 45 Tours, la taille d'un 45 T, la pochette cartonnée d'un 45 T, un objet idéal pour les cotations de Jukebox Magazine tiré à trois cents exemplaires numérotés, mais après avoir déshabillé la baleine blanche de son rose bikini, n'oubliez pas que ça tourne en 33 T.

     

    BOBBIE CLARKE

    PLAYBOY & SHOWMAN

    LES MEMOIRES DU BATTEUR

    DE VINCE TAYLOR ET JOHNNY HALLYDAY

    ROBERT WOODMAN ET ROMAIN DECORET

    ( Camion Blanc / Décembre 2017 )

    z3062bookbobbie.jpg

    Enorme ! Près de six cents pages. Les mémoires de Bobbie Clarcke, le batteur de Vince Taylor. Que voulez-vous de plus ! Evidemment les éditeurs ne se sont pas jetés dessus. Mais Camion Blanc a embrayé tout de suite. Z'ont même fait un effort pour la repro des photos. Ce n'est un secret pour personne, chez Camion Blanc, c'est souvent cinquante nuances de gris. Pas érotique, pisseux. Mais là ils ont fait attention au tramage, sont parvenus à exprimer les contrastes. Normal, les clichés sont sortis de la collection personnelle de Robert Woodman. Le véritable nom de Bobbie. Traduction de Romain Decoret, bassiste et ami de Bobbie. L'a aussi officié dans les Virginians d'Ervin Travis. Donne régulièrement des leçons de guitare aux lecteurs de Guitarist Magazine. Un incontournable du rock français. Remercions-le pour son travail de traduction qui a dû lui coûter des heures et des heures de travail. Un bouquin qui va rendre fou les inconditionnels du early english rock. Et français. Bobbie prenait des notes. N'est pas un amateur de lyrisme. Les noms, les dates, les faits, ne s'attarde guère. Vise à l'essentiel. N'écrit pas un roman. Ni un recueil de poèmes. C'est qu'il en a traversé des situations dans sa vie, passe vite à la suivante, pour les rêveries sentimentales vous repasserez, ajoutez-y toute la retenue légendaire des Britanniques et vous êtes embarqués en un délicieux maelstrom qui ne s'arrête jamais.

    DU JAZZ AU ROCK'N'ROLL

    Robert Woodman est né en 1940 à Coventry. Famille anglaise aimante. Tout petit il est attiré par les rares artistes qu'il a l'occasion, rarement, de voir sur scène. Il n'en faut pas plus pour forger un destin. Adolescent il devient un amateur de jazz. Mais dès 1956, il kiffe dur les premiers disques de Bill Haley. Mais ses deux idoles sont les orchestres de jazz notamment celui de Sid Phillips.

    z3081sidphillips.jpg

    Court les concerts, souvent à plusieurs dizaines de kilomètres de chez lui. Sympathise avec les musiciens, s'accroche, se rend utile, dort dans le car de la tournée, se fait embaucher, et mettre dehors par manque répété de sérieux. Ne lui jetez pas la première pierre, il est excusable, les filles lui tournent un peu la tête. Recherche un emploi à Londres et l'inespéré se produit : Eric Delaney, son batteur de jazz préféré recherche un boy pour s'occuper de sa batterie ! Lourde tâche, faut se trimballer les étuis dans de pénibles escaliers et d'étroits couloirs, en plus, Eric Delaney possède une particularité quasi exceptionnelle à l'époque en Angleterre, il joue avec une double grosse caisse ! Bobbie ne restera que trois semaines chez Delaney, mais il observe, engrange et apprend. Une histoire de fille motive son renvoi...

    z3082ericdelaney.jpg

    Le 10 février 1957 il assiste à Coventry à un concert de Bill Haley. L'ambiance rock l'éclate, mais il repart en tournée avec Sid Phillips, le batteur Michael Nicholson l'a à la bonne, le laisse jouer sur ses caisses et lui propose de tenir la batterie dans le prochain groupe de trad-jazz qu'il va créer : les Bobcats ! Il écoute Jerry Lee Lewis et voit Duke Ellington sur scène... L'est écarté des Bobcats, l'est renvoyé de l'orchestre de Johnny Dankworth ( la faute à une fille, mon dieu comme ces mammifères femelles sont insupportables ! ), regarde Marty Wilde, Cliff Richard et admire Dizzie Gillepsie... Est assez sûr de lui pour monter son groupe : le Bobby Woodman Band. Un bide, dès le premier spectacle.

    Evolue, doucement mais sûrement, jazz, skiffle, rock, c'est au Pad que le pianiste Johnny Jonhson l'initie au boogie, c'est au Pad, fin décembre 1958, qu'apparaît pour la première fois un certain Vince Taylor...

    ROCK ANGLAIS

    z3099fury.jpg

    Les deux cents pages suivantes nous plongent au coeur du rock anglais. Terry Dene, Vince Eager, Marty Wilde, Billy Fury, Dickie Pride, Duffy Powzers, Johnny Gentle... Bobbie les a tous connus, côtoyés et est parti en tournée avec eux. Des hauts et des bas, des galas et des galères. Les soirées prodigieuses et les retours en camionnettes pourraves. Se rend vite compte que les musiciens sont dépendants des tourneurs, Larry Parnes sans être un philanthrope n'est pas le pire. Sont payés à la tâche et au lance-pierre. Ne s'en plaint pas outre-mesure. Sont parfois obligés de s'ennuyer derrière des chanteurs de variétoche qui ont décroché un hit sirupeux qui plaît aux filles... Mais que seraient les chanteurs sans les musicos derrière. Clarcke joue dans les Vagabonds de Vince Eager avec le bassiste Tex Makins, puis dans les Wildcats de Marty Wilde avec Alain Le Claire, Tex Makins et Big Jim Sullivan, enfin dans les Beat Boys de Billy Fury avec Colin Green. Vince Taylor a décroché un passage en vedette à Oh Boy ! Il est accompagné par les Playboys : Tony Sheridan, Tony Harvey, Brian Licorice Locking, Brian Bennett. La crème de la première génération des musiciens anglais ! Permutations à l'infini selon les dispositions, les contrats, les affinités... Tout le monde se retrouve au 2i's entre deux contrats... c'est là que Vince Taylor essaie d'adjoindre sans succès, à ses Playboys le guitariste de Neil Christian & The Crusaders un certain Jimmy Page qui accepetera quelques semaines plus tard, mais qui se retirera trouvant que Vince n'avait pas assez de concerts.

    Le 28 février 1960, Bobbie Clarcke assiste à Cardiff au concert de Gene Vincent et d'Eddie Cochran...

    AVEC ET SANS VINCE TAYLOR

    En septembre 59, Bobbie avait rejoint les Playboys avec Tex Makins et le guitariste Kenny Fillingham. Le groupe durera jusqu'en février 1960 mais en mai Bobbie, Tony Harvey, Johnny Vance et Alain Le Claire ( au piano) sont de nouveau derrière Vince. Une tournée fracassante. Les prestations sauvages de Vince écrasent celles de Billy Fury et de tous les autres. C'est en ces semaines que Vince et Bobbie se jurent une amotié éternelle, jusque par-delà la mort. Le combo enregistre I'll be your hero et Jet Black Machine. Tout semble au beau fixe, le rock anglais explose avec Screamin' Lord Sutch, Johnny Kidd and the Pirates, Cliff Richard and the Shadows... Vince se marrie avec Perrine et Bobbie avec Rosemary... les concerts s'enchaînent, Vince n'envoie pas toujours la monnaie... Les Playboys se séparent de lui, Vince retourne en Californie...

    Z3100PALETTE.jpg

    Selon Tony Harvey les Playboys sans chanteur doivent devenir les nouveaux Shadows, mais ce pari de laisser la proie pour s'adjuger l'ombre ne se révèlera pas gagnant... Le premier avril, Vince revient, Tony Harvey s'en va chez Nero and The Gladiators avec un certain Tomy Brown à la batterie... sans guitariste Vince retourne en Californie.

    Duffy Power prend la place de Vince, et les Playboys deviennent The Bobby Woodman Noise avec Bob Steele à la guitare. Un bon plan s'annonce, une croisière en bateau vers la France, Rock Across The Channel, s'agit de remplacer Gene Vincent au pied levé, réussite totale, un show British Rock Invasion à l'Olympia est prévu les 7 et 8 juillet prochains. Vince est revenu, un soir il remplace Duffy Powers en retard, et fait un tabac, Duffy revenu entre temps le prend très mal, frappe Bobbie et s'en va... Bobbie demande à Vince s'il peut assurer les shows à l'Olympia, la mécanique est enclenchée !

    VINCE TAYLOR EN FRANCE !

    z3065bobbie+vince.jpg

    La suite est connue. A l'Olympia, Vince Taylor casse la baraque. Barclay se précipite. Contrat avantageux, les Playboys – Vince a tenu à imposer le nom – gagnent 600 francs par semaine qu'ils jouent ou qu'ils ne jouent pas. Vince impose des shows dévastateurs, les français entendent pour la première fois du vrai Rock'n'roll ! Bobbie Clarke – Barclay a imposé le nouveau nom un mix entre Pétula Clarck et Kenny Clarcke le batteur ! – n'est pas tendre avec les Chausettes noires et leur simple caisse claire... Vince Taylor est à la mode ! L'on peut parler d'une Taylormania dans les élites françaises. Les filles, l'argent, et bientôt l'herbe coulent à flot. Les anglais connaissaient le speed mais l'époque est en train de changer doucement sans que personne ne s'en aperçoive... Vince et ses Playboys remportent la Coupe du Monde du Rock'n'roll à Juan-Les-Pins le 23 août 1961, devant les Chaussettes Noires, de l'écurie Barclay. Le 18 novembre c'est l'émeute du Palais des Sports, Vince n'y est pour rien mais la presse l'accuse... Barclay y regarde à deux fois. Les concerts de Vince cartonnent toujours autant, en Espagne, comme en Belgique. Malgré les interdictions, malgré les débordements. Mais Barclay est avant tout un marchand de disques et les ventes des enregistrements de Vince ne montent pas bien haut... surtout si on les compare à celles des Chaussettes Noires... Mais il y a autre chose, le comportement erratique de Vince qui parfois sèche sans préavis les concerts, Bobbie s'en ouvre à Vince, déjà les départs précipités de Vince en Californie lui avaient paru étranges, Vince n'élude pas, il n'est pas dupe des producteurs, même de Barclay qui lui a apporté la gloire, parfois l'impression de n'être qu'une marionnette aux mains de gens qui le considèrent uniquement pour le fric qu'il peut leur emmener l'étreint, alors il s'enfuit pour tout oublier dans les bras d'une jolie fille... fin 1962, Barclay siffle la fin de la récréation...

     

    JOHNNY HALLYDAY

    z3063bobbie+johnny.jpg

    Bobbie rejoint Coventry, Vince l'y retrouve et les Playboys se reforment et début février 1963 c'est le grand départ pour Hambourg. Succès dès leur première apparition, mais Vince triomphe dès le premier set mais il s'absente pour une soirée, tous sont renvoyés illico presto dans leurs foyers. Bobbie ne l'apprendra que plus tard, ils ont laissé des traces, un de leurs scopitones, Twenty Flight Rock, qu'un certain John Lennon ne cesse de regarder tous les soirs... Retour à Paris pour Bobbie désemparé, le téléphone sonne, c'est Johnny Stark le manager de Johnny Hallyday qui le contacte à la demande de sa vedette... Bobbie en profite pour faire embaucher Tex Makins.

    Ce seront les deux meilleures années de Bobbie. La grande vie. Johnny se montre très respectueux et très généreux. Si le tournage du film d'Où Viens-tu Johnny ? Est un doux moment de farniente pour les musiciens, la vie trépidante des tournées qui suivent est épuisante. Johnny et Bobbie assistent à l'Olympia de Gene Vincent le 15 mai 1963, ce même mois de mai Johnny enregistre Elle est Terrible à Londres avec Big Jim Sullivan et une pléiade de musiciens que Bobbie connaît... il emmène Johnny au 2i's... En juin, Tex Mankins et Bobbie enregistrent avec Johnny Da Dou Ron Ron et Douces Filles de Seize Ans... Sont aussi à la Nuit de la Nation du 22 juin 1963... Johnny emmène Bobbie à Nashville où il enregistre sous la houlette de Shelby Singleton avec Chet Atkins et Jerry Kenedy... Les voici à New York à la recherche d'un guitariste rock. Ce sera Joey Greco.

    z3067disshowmen.jpg

    Bobbie et Joey Greco sont en studio chez Barclay pour enregistrer le disque de la dernière chance avec Memphis Tennessee et A Shot Of Rythm & Blues qui sortit en février 1964. Les Beatles sont à Paris pour leur Olympia, Paul et Ringo répondent à l'invitation d'Hallyday et Bobbie est heureux d'apprendre que Paul possède un autographe d'un certain Bobby Woodman qu'il avait obtenu à la fin d'un concert de Billy Fury. En avril Johnny enregistre avec Joey et les Showmen Les Rocks les Plus Terribles. La première période de la vie artistique de Johnny est terminée. Il rejoint l'armée le huit mai, Joey et les Showmen donneront le 1er juin leur dernier concert avec Johnny sur la base militaire de 43 ième RBIM en Allemagne...

    z3068lesrockslesplusterribles.jpg

    AVEC ET SANS VINCE TAYLOR

    Z3101STONES.jpg

    Retour de Vince Taylor en septembre 1964. Direction le Swingin'London ! Rencontre avec les Pretty Things, P. J. Proby et Tom Jones. Bobbie joue avec Ronnie Bird et la Mutualité et au Golf Drouot avec Vince, ces shows où Vince est au meilleur de sa forme incite en février 1965 Barclay à enregistrer l'album Vince … ! qui sera suivi d'une tournée en Espagne et en avril de trois shows devant les Rolling Stones. Le 16 avril leur prestation sans véritable sound check n'est pas impérissable. Celle du 17 est meilleure, mais reléguée en lever de rideau... Celle du 18 se révèlera terrifique, deux rappels et le public qui redemande Vince durant le show des Stones ! Jagger très vexé.

    Vince et le Bobby Clarke Noise tiennent le bon bout. Un bonheur ne vient jamais seul, voici que le mari de Sheila la soeur de Vince, millionnaire producteur de dessins animés veut créer une compagnie de disques. Il vient à Paris constater de visu la qualité des shows de Vince. Une formalité, mais un malheur ne vient jamais seul, Vince part à Londres récupérer de l'argent qu'on lui doit. Vince revient en piteux état, mal prévenu l'a gobé des pilules d'acide coup sur coup comme des oeufs de Pâques en chocolat. Il ne sera plus jamais comme avant. Se présente sur scène, sale, dépenaillé en pleine crise mystique...

    LA CALIFORNIE

    Conseillé par son ami Stash – fils du peintre Balthus à la jeunesse oisive et friquée – Bobbie s'envole pour Hollywood, persuadé d'obtenir une carte de travail en quelques semaines... Vacances paradisiaques, filles faciles, drogues diverses à souhait, superbes concerts de James Brown, de Dylan, des Yardbirds, mais pas d'autorisation de travail...Seul le bluesman Taj Mahal accepte de l'embaucher... Phil Spector lui propose un mariage en blanc avec sa copine ce qui lui permettrait d'obtenir la Green Cart ! Qui tarde à venir, et ce qui devait arriver... se fait arrêter pour la deuxième fois avec un peu d'herbe... L'est réexpédié en Angleterre après quelques mois de prison...

    Retour à la case départ. Reforme le Bobbie Clarcke Noise En France... Quelques essais peu concluants avec Vince totalement à la dérive...

    LA LOOSE

    Deux énormes possibilités se présentent à Bobbie Clarcke, coup sur coup. La première est de rejoindre le nouveau groupe de Ritchie Blackmore, Roundabout. Une affaire en or, deux riches messieurs qui veulent investir dans la musique polpulaire. La fortune colossale amassée par les Beatles est tentante... La deuxième proposition provient d'un autre guitariste, un certain Jeff Beck - l'est déjà tout comme Ritchie Blackmore passé en première partie de Vince Taylor - qui re qui recherche un batteur pour son groupe. Fait un set sans répétition avec Ron Wood à la base et Rod Stewart au chant. Le show se passe à merveille. Enthousiaste Beck lui propose la place. Mauvaise pioche, le porte-feuille bien garni des promoteurs de Roundabout lui semble un sérieux trampoline de lancement. Il refuse de rejoindre le Jeff Beck'Group. Peut-être aussi parce que les résultats sportifs suivis longuement et religieusement à la radio par Rod l'ont insupporté... Toujours est-il qu'un mois plus tard Roudabout a changé de batteur et de nom : désormais il s'appelle Deep Purple. Waterloo et Trafalgar en même temps c'est trop pour un anglais ! Jamais deux sans trois ! Bobbie reforme un groupe, Bodast, avec le guitariste Steve Howe ex-Tomorrow et futur Yes, ils trouvent un label et enregistrent un disque en février 1969, mais la compagnie MGM Records fait faillite...

    Cela commence à sentir le sapin ! En juillet 1969, Reg Guest leur permet d'accompagner Chuck Berry en concert. Le dernier coup d'éclat. Bodast servira encore de backin' group à l'Olympia pour Chuck Berry. Bobbie a vu le Jefferson Airplane, les Doors et Jimmy Hendrix, Arthur Love, Marty Wilde et Tony Sheridan profitent des débuts du Rockn'roll Revival... Nouveau coup de fil de Vince Taylor le 26 avril 1970, un retour qui avortera très vite, Vince saborde les répétitions et s'enfuit le soir du concert...Assiste aux concerts de Pink Floyd et de Dereck and the Dominoes, Bobbie n'est plus un acteur du rock'n'roll, l'est sur le banc de touche, en spectateur...

    z3067johnny+bobbie+joey.jpg

    En 1972, nouveau départ avec Vince Taylor, sets triomphants au Grand Echiquier, au Bataclan, une résidence dans le Sud de la France, enregistrement de quelques titres, mais la guigne ne quitte pas Vince et Bobbie rentre en Angleterre... En 1974, Bobbie prend une place de chauffeur-livreur... ensuite ce sera les coups de la rétro-nostalgie, une réunion avec Joey Greco et Johnny Hallyday, des retrouvailles annuelles au Petit Journal... en 2012, un hommage à Vince avec Johnny Ghee, Alexis Mazzoleni et Romain Decoret... Bobbie Clarcke décède le 29 août 2014... Une page du rock'n'roll se tourne...

    z3069ervintravis.jpg

    Un beau livre. Très triste aussi. Bobbie a bien vécu, sex, drugs and rock'n'roll, mais passé les trente cinq ans, lui qui fut un précurseur n'est plus dans le mouvement... en s'associant au Jeff Beck Group il aurait pu rejoindre la deuxième et prestigieuse grande vague du rock anglais, mais l'on ne refait pas l'Histoire. A moins que l'on n'aille jamais plus loin que soi-même...

    Damie Chad.