Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

CHRONIQUES DE POURPRE - Page 114

  • CHRONIQUE DE POURPRE N° 208 = KR'TNT ! 327 : JESUS & MARY CHAIN / HELLEFTY / KRIMEN & CASTIGO / THELONIOUS MONK

     

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 327

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    04 / 05 / 2017

    JESUS & MARY CHAIN / HELLEFTY /

    KRIMEN & KASTIGO / THELONIOUS MONK

     

    The wind cries Mary Chain

    z1671dessin.gif

    Avec ceux qu’on appelle familièrement les petits Jésus, on aura vu éclater au grand jour le génie du rock anglais. Si on prend un peu de recul, on constate qu’avec seulement six albums, Jim et William Reid ont dit tout ce qu’il y avait à dire en matière de son, de mélodie, d’attitude et d’inventivité. Rien qu’en transcendant leurs principales influences (Beach Boys, Phil Spector et carnage sonique), ils nous ont servi la mélasse sonique dont nous rêvions tous.

    z1678psycko.jpg


    Ils sont arrivés en plein cœur des années quatre-vingt avec Psychocandy et pour beaucoup de gens, ce fut une délivrance, comme si le feedback de William Reid nettoyait toute cette horreur synthétique que déversaient alors les radios et les Thénardiers du disque. William Reid sortait de nulle part et de la pointe de son épée signait d’un Z qui voulait dire Zorro. On s’en souvient nettement : c’était complètement inespéré. Aussi inespéré que les Cramps. On était conquis dès «Just Like Honey», un cut pop parfait joué à l’écho du temps, bee honey, judicieux et apaisé. Ils enchaînaient avec «The Living End», le groove le plus rampant de l’histoire du rock, d’une violence incomparable, du pur jus d’exaction paraplégique balayé par des vents de fuzz, alors que pouvait-on faire d’autre que de crier absalon absalon ? Et ça continuait avec un «Taste The Floor» noyé de son. En entendant ça, Phil Spector a dû hocher la tête. William Reid imprégnait le son jusqu’au trognon, les nappes rôdaient comme des essaims d’abeilles métalliques horriblement inquiétantes et soudain, ce monstre visionnaire enfonçait dans le lard de son cut un solo désintégré et complètement vérolé de distorse, tellement pourri qu’il disparaissait en fumée ! On n’avait encore jamais entendu un truc pareil. Jamais. William Reid devenait avec ce coup de Jarnac le nouveau guitar hero d’Angleterre. Il rééditait cet exploit dans «In A Hole», construit sur le principe d’une pure furie sonique. C’est là que se situait alors l’avenir du rock, au cœur de ce blast sonique incomparable. William Reid transcendait la notion même de violence en tirant d’effroyables coups d’overdrive de fuzz. On croyait pouvoir trouver un peu de répit en B. Fatale erreur ! Ils repartaient dans ce genre qu’ils étaient en train d’inventer, l’urgence sonique, avec «Never Understand», hanté par les meilleures couches de feedback du monde. Ils redéfinissaient même le psychédélisme. S’ensuivait un «Inside Me» fouillé de l’intérieur, infectueux, une sorte de plaie ouverte gorgée de pus et ça coulait tellement que tous les espoirs se noyaient dans ce pus de fuzz extraordinaire. Mais quand avec «Sowy Seeds», ils optaient pour la mélodie, alors l’éclat de l’azur pouvait aveugler. On avait là un cut doté d’une effarante pureté d’intention, une véritable expression de la béatitude, la réponse d’un dieu redevenu miséricordieux aux pauvres pêcheurs. Et puis Jim et William Reid profitaient de «My Little Underground» pour rendre un hommage spectaculaire à Phil Spector. Ils basculaient ensuite dans l’évanescence démoniaque avec un «You Trip Me Up» absolument dément. Avec ce premier album, Jim et William Reid venaient de créer un monde.

    z1679darklands.jpg


    William Reid avoue qu’il paniquait après Psychocandy. Il ne savait plus comment avancer - It would be hard to make another move - Et pourtant, Darklands ne compte pas moins de six coups de génie. Là on peut dire qu’ils exagèrent. Mais justement, la surenchère fait partie de leur arsenal. Il faut simplement en avoir les moyens disons intellectuels. C’est exactement ce qu’on comprend à l’écoute du morceau titre, qui reste pour beaucoup de gens une merveille intemporelle - I’m going to the darklands/ To talk in rhyme/ With my chaotic soul - William chante. Tous ceux qui ont joué «Darklands» dans un groupe savent qu’il s’agit un cut purement shamanique. On reste dans le génie mélodique avec «Deep One Perfect Morning», un cut qui relève du spirituel intimiste. On tombe plus loin sur un fabuleux ramassis de cauchemars psychomoteurs intitulé «Nine Million Rainy Days» - All my time in hell/ Is spent with you - et le génie stratégique de ces Clausewitz de la pop consiste à injecter sur le tard du cut les chœurs de «Sympathy For The Devil». Et puis en B, tout explose, tout entre en osmose avec le cosmos, à commencer par «April Skies», qui monte comme une vague de plaisir, doté d’un raffinement mélodique suprême, Jim et William Reid sont de fabuleux magiciens, under the april sky, elle ne reviendra pas - And a broken heart/ And a screaming head - dynamique glorieuse, William claque de grands accords rayonnants. Ils rendent hommage aux Beach Boys avec «Cherry Came Too». Eh oui, on retrouve là-dedans certains accents d’«American Saga», c’est infernal, car juste - Oh Cherry be bad/ Come on and kiss my head. Les fans du groupe se sont sans doute précipités sur la réédition Edsel de Darklands, qui propose trois disks, dont un disk complet de bonus et un DVD. Le petit conseil qu’on peut donner, c’est de ne pas prendre les bonus des Mary Chain à la légère. Quoi que fasse William Reid, ça tourne toujours à l’émeute. Il fait littéralement preuve de génie sonique dans «Kill Surf City» et on trouve à la suite deux hommages à Bo Diddley : «Bo Diddley Is Jesus» et un «Who Do You Love» ultra-saturé de trash et hanté par les chœurs d’un mec qui va atrocement mal. S’ensuit un «Everything’s Alright When You’re Down» absolument perclus de son. En écoutant ça, on se dit que Jim a de la chance d’avoir un frère comme William. Ils rendent aussi hommage à Hooky avec «Shake» et on retrouve le heavy Mary Chain sound dans un «Happy Place» bousculé par des accélérations de particules. Fantastique coup de «Rider» - I’ve got nothing to lose - qui pourrait bien être la clé du mystère de l’univers. On a un bel outtake avec «Surfin USA», doté du son le plus killer de l’histoire du rock anglais, William est bel et bien the sonic trash king of it all. Il fait encore le dingue sur «Here it Comes Again», joué à la folie de la belle espérance et voilà d’autres outtakes avec «Walk And Crawl» explosé au sonic trash et noyé d’écho, pur wall of sound, monté en mayo à la Thompson et d’un ampleur impardonnable. On trouve plus loin un autre hit jésuistique, «The Hardest Walk», que William joue aux accords de pop suprême et son solo entre en force, bien sûr. Et puis «Don’t Ever Change» sonne comme une pop magique éclairée de l’intérieur. Par contre, les clips vidéo de l’époque vieillissent assez mal. On leur demandait de frimer, et on sait qu’ils détestaient ça, surtout William qui ne supportait pas les gens du business et encore moins ceux de la presse. Il explique que les gens de Warner ont essayé de les mettre dans les pattes des producteurs de Tears For Fear et bien sûr, ça ne pouvait pas marcher. William tient à rappeler qu’avant l’arrivée du succès, il était très pauvre, mais il ajoute qu’il n’est pas devenu riche. On les voit jouer «April Skies» à Top Of The Pops, et là, ils sont les rois du monde. William porte des lunettes noires et passe ses accords ravagés par la malaria. Il dit aussi dans une interview qu’on ne les a jamais ré-invités à Top Of The Pops, car ils tiraient trop la gueule.

    Z1681AUTOMATIC.jpg


    Leur troisième album s’appelle Automatic. Le soufflé retombe un peu, mais on donnerait son âme au diable pour un cut comme «Gimme Hell» - So c’mon - On retrouve l’excellente bouillasse sonique des débuts et les chœurs des Stones - So come on little sugar/ let me get your soul - L’autre monster cut du disk s’appelle «Here Comes Alice», monté sur un fabuleux beat de drone. Tout vibre à bord, c’est encore une fois mélodiquement imparable, une pure mary-chiennerie. On entend William partir en vadrouille sur le tard du cut et il fait toujours autant de ravages. On a aussi un fabuleux shake de shook avec «Between Planets», un sacré battage de beat, ils vont vite, toujours avec cette grandeur que confère l’arrogance lorsqu’elle repose sur une forme de génie - Baby you drive me crazy/ Don’t come around no me - Tiens, voilà encore un joli coup de Jarnac jésuistique : «Head On», planqué en B, un joli hit que Frank Black va d’ailleurs bouffer tout cru. Les paroles figurent parmi les plus réussies de l’histoire du rock - And I take myself/ To the dirty part of town/ Where all my troubles/ Can’t be found - Le pire c’est que ça se joue sur trois accords.

    z1682honey.jpg


    Le quatrième album Honey’s Dead renoue avec la grandeur tutélaire de Darklands. Tout est bon, là-dessus, à commencer par «Reverence», monté sur un beat ultra-agressif - I wanna die just like Jesus Christ - visité par d’horribles spectres soniques et rempli de clameurs de la révolution industrielle, c’est le groove rampant des remparts dans une ignoble atmosphère de crépuscule menaçant et Jim n’en finit plus de dire qu’il wanna die. Retour des chœurs fantômes dans «Teenage Lust», on croit entendre les Stones sur l’arrière de ce beat macabre, et des nappes de son malade transitent ici et là. On se goinfre aussi de «Sugar Ray» et de ses dynamiques imparables - All I want/ Is you - Nous voilà de nouveau au sommet de la pop anglaise. Jim et William Reid intègrent tout le souffle de la pop du Brill et lui donnent une sale vigueur punkoïde. En B, ça se corse avec «Catch Fire», un groove d’une rare férocité, rampant comme ce n’est pas permis. Sur chaque cut, Jim et William Reid jouent avec le feu et finissent dans l’apothéose. Encore un hit démoniaque avec «Rollercoaster», à la fois pop et punk, pop dans l’essence et punk dans l’incandescence. Ce monstre de William joue même ça aux petites notes de retenue. Encore une supercherie jésuistique : «Can’t Get Enough» - Gimme a quick - Et William transperce ça au solo vrilleur - You’re so cool - Quel fabuleux guitariste, ses notes ondulent de plaisir dans la white light et dans la white heat.

    z1692destroyed.jpg


    Avec leur cinquième album, le fameux Stoned & Dethroned, Jim et William Reid passent à l’acou. Ils proposent une série de balladifs souvent teintés de désespoir. Le hit de l’album s’appelle «Sometimes Always», que chantent en duo Jim Reid et Hope Sandoval, qui est alors la poule de William. Elle éclaire le crépuscule des dieux - I won’t get on my knees - Elle chante à l’ingénue génuflexe - Aw you’re a lucky son of a gun - C’est charmant et mordoré à souhait. Avec «She», on a de la jolie pop sixties admirablement équilibrée, juteuse, fruitée et comme lumineuse. En B, on tombe sur «Save Me», visité par un solo extrêmement beau de classicisme éhonté. «Till It Shines» effare par la qualité de sa tenue et Jim semble souffrir mille morts en chantant «God Help Me». Et si on a un faible pour l’inertie, alors il faut écouter «These Days», car même s’il se sent un peu mieux, Jim décide qu’il ne va rien faire - I could take a walk/ I’ll just stay where I am.

    z1685hate.jpg


    Pour faire patienter les fans, les Mary Chain font paraître en 1995 un mini-album intitulé The Jesus And Mary Chain Hate Rock ‘N’ Roll. S’il fallait définir le morceau titre, on pourrait dire qu’il s’agit du rock ultime, un rock complètement blasté du ciboulot de la BBC et arrosé au pissing on me. William gicle littéralement. Le premier solo qu’il passe est beau comme une éjaculation. Jim revient au cœur du maelström sonique avec du rock’n’roll is me. Tiens, encore un cut explosif avec «Something I Can’t Have», c’est explosé au Brill sixties de you’re in my face et de you’re in my house, ça spectorise dans la gueule des dieux avec des too-too-too-too-too qui roulent sur des descentes d’accords infernales. Pas de pire génie sixties que celui-là. C’est du Darklands explosé à la dégringolade d’accords imprévisibles, ça éclate au grand jour, mais à un point qu’on ne parvient même plus à imaginer, et pendant que ça percute le pinball neuronique, ça persiste dans l’excellence du sixties spiritus sanctus, revu et corrigé par deux branleurs de Glasgow. Ce sont les histoires qu’on préfère, celles des gueux de la terre qui se taillent une loge au firmament. Il reste encore une pure énormité sur ce disque : «I’m In With The Out Crowd», guettée au coin du bois par l’affreux William et sa guitare. Il coince les couplets de son frère et les réduit en cendres. Il s’arrange toujours pour déclencher l’incendie en fin de cut. C’est pour ça qu’ils finissent toujours par se retrouver seuls au monde, détestés par les pompiers, les bonnes sœurs et les rabat-joie.

    z1686mumky.jpg


    Leur sixième album studio s’appelle Munki, et à sa parution, ce fut pour les fans une bénédiction. Pourquoi ? parce qu’on croyait le groupe disparu. Warner ne voulait même pas sortir l’album. À cette époque, les Mary Chain n’intéressaient plus personne. Jim et William se sentaient baisés. Et pourtant, dès «Birthday», ils nous livrent l’une de ces puissantes marychienneries dont ils ont le secret - It’s Christmas time again and again - Bien lourd de conséquences et épais comme un fog glasgowan - In my head/ Am I dead - Attention à «Fuzzy», c’est un hit pop digne de ceux des Move et de tout ce qui fit la grandeur de la pop anglaise. Jim et William Reid jouent ça ventre à terre, avec une sorte de ferveur mélodique imbattable et des passages délicats joués au note à note. On assiste à de fantastiques jaillissements de beauté pop, il s’agit là de l’une de leurs pires énormités. Hope Sandoval revient duetter sur «Perfume». Quelle atmosphère ! Ils repartent en jive de marychiennerie comme au temps de Sidewalk avec «Virtually Unreal», une furiosa sonique tourbillonnante. Et soudain éclate «Degenerate», amené sur un riff du Thirteen Floor Elevator. Pur génie ! Ça se fond dans l’effarance sonique des marychiens de Baskerville, William joue ça à l’alerte rouge. Voilà encore une calamité déterminante, un message du dieu du rock maudit, la masse rampante tant désirée, c’est l’épandage d’une jouissance évanescente, la venue du sauveur, la réponse d’un Odin des terres glacées, la manifestation du divin, l’arborescence des guitares électriques, la violence softée et murmurée à l’oreille du genre humain, plie-toi au jeu, amigo. Les guitares électriques danseront pour nous jusqu’à la fin des temps. Elles ne connaîtront de répit que dans l’écroulement définitif du monde des hommes. Avec «Cracking Up», William nous sort un riffing plus élaboré, mais on retrouve toute l’ampleur jésuistique catégoricienne. Il joue ça au note à note et ça semble joliment désiré de l’intérieur. Vaguement infectueux, mais ça se laisse avaler. Avec «Supertramp», on retrouve la pure pop des petites Jésus - I’m a real believer - Et ça vomit du son à torrents entiers. Quelle fabuleuse dégelée. Voilà bien de la pop unique au monde, pleine d’allant, noyée de son, tellement bien réinventée et nourrie d’idéaux si purs. Sur la face 4 de l’édition vinyle, on trouve un choix de cuts intéressants, comme par exemple ce «I Can’t Find The Time For Times», un sacré mid-tempo joué aux maracas, le sixties sound hanté par tout le pathos de Glasgow. S’ensuit un «Man On The Moon» fantastiquement inspiré et qui explose au deuxième couplet, comme ça, sans prévenir. Toute la décadence de la vieille Angleterre rapplique au rendez-vous. C’est d’une insupportable perfection. Mine de rien, avec «Dream Lover», ils créent un genre unique : la heavy pop de rêve. Et puis voilà le coup fatal : «I Hate Rock’n’Roll». Dès l’accord d’intro, William est enragé, il attaque à la note salée, on a là les Mary Chain à l’apogée du sonic trash. Pur génie - I love the BBC/ I love when they’re pissin’ on me/ I Love MTV/ I love when they’re shittin’ on me - Et pour arroser cette incartade, William livre un solo dégueulasse qui transperce les murailles et les époques. Avec ce hit destructeur, les frères Reid règlent leurs comptes. Jim : «There’s a lot of little fucking arseholes that you have to deal with on a daily basis in the music business.» Ce démon détruit tout. On peut aussi se jeter sur la réédition Edsel de Munky, car le disk de bonus est du genre explosif. C’est une nouvelle plongée dans le génie de ce groupe sur-puissant, oui, car voilà un coup de Jarnac intitulé «33 1/3», un pur sonic blast, on n’avait encore jamais vu un truc pareil, ni dans la Bible, ni dans le Necronomicon. William entre là-dedans comme un éléphant dans un jeu de quilles, c’est au-delà de tout ce qu’on peut imaginer, au-delà du bon goût et du bon chic bon genre, ça file comme une torpille nucléaire et William pète la rondelle du cut avec une bravado infinitésimale. Encore de l’ultra-violence avec «Rocket», une vraie attaque en ligne avec une sorte d’intrusion définitive qui réduit le langage en cendres. Encore de la délinquance sonique dans «40,000k», ça hey-hey-heyte et William balaye tout à coups de tornades viscérales. On tombe plus loin sur une session à la BBC qu’ils allument à coups de wanna die on a sunny day/ Just like JFK in the USA. Et la version d’«I Love Rock’n’roll» qui suit explose sans prévenir, voilà le rock de gants noirs et noyé de guitares - Jim : «Before we had the band we were just a couple of nutcases living in the middle of nowhere and that’s what ‘I Love Rock‘n’Roll’ is all about - it gave us our lives» - On a aussi un «Degenerate» pilonné sans pitié. Voilà des gens qui ne s’embarrassent pas avec les conventions de Genève. William gratte ses notes avec une certaine aménité, il faut bien le reconnaître. Et il n’est pas avare de napalm. Et Mo chante sur «Mo Tucker». Tiens un petit coup de live à l’Electric Ballroom en 1995, pour finir ce disk fumant. Tout est affreusement bon, le «Snakedriver» emporte la bouche, de même que le «Crackin’ Up» qui suit, joué à un très niveau de riff alambiqué, c’est gratté à la cocote live. Effarant ! William joue comme un démon. «Head On» vire au tourbillon apocalyptique. Et sur le DVD, on voit William chanter «Crackin’ Up». Il porte les même lunettes que celles de Brian Jones dans le clip de «Jumping Jack Flash».

    z1680barded.jpg


    Encore une fois, le petit conseil qu’on peut donner, comme ça en passant, c’est de ne pas négliger les produits dérivés. Car ça grouille. En 1988 est parue une compile intitulée Barbed Wire Kisses (B-sides and more) sur laquelle figurent des merveilles indispensables, comme «Head», un groove souverainement souterrain porté par un riff de basse têtu comme une mule, qui revient incessamment, buté, un peu borné et le laid-back en fait le charme toxique. Encore une grosse surprise avec «Rider», puis avec «Just Out Of Reach», sacrément bien joué sous le boisseau, comme tenu mystérieusement en laisse, hypnotique et insistant. S’ensuit un «Happy Place» effarant d’élan mélodique. La B démarre en fanfare avec «Sidewalking», valeureux coup de blast de blitz, c’est du Ministry à la sauce écossaise. Ils rendent hommage aux Beach Boys avec une puissante cover de «Surfin’ USA». Ils sont gonflé de s’attaquer à un truc aussi intouchable. Mais Jim et Williams Reid ne ratent jamais leur cible. Et on a aussi un «Upside Down» viscéralement vrillé à la feedbackerie purulente. William chante et vrille à la vie à la mort.

    z1683soundofspeed.jpg

    L’autre grosse compile indispensable à tout adorateur les Mary Chain s’intitule The Sound Of Speed. On trouve là-dessus des trucs dont les gens n’ont pas idée, à commencer par «Reverence», un véritable déflagration sonique, ça gicle dans tous les coins de l’univers avec des accents stoogiens, car on entend les accords de Ron Asheton. On a aussi un «Heat» terrifiant d’insanité sonique et un «Guitar Man» revu et visité par les punks de Glagow, avec un killer solo flash à la clé. Ils terminent l’A avec «Something I Can’t Have», une fabuleuse attaque de pop royale. Ne cherchez plus qui sont les rois d’Écosse ! Ils attaquent la B avec un «Sometimes» hanté par les meilleurs killer solos de l’histoire du rock anglais. Ce dingue de William revient par derrière et illumine la vie des lapins blancs. Il fait trois interventions démentes et déverse chaque fois une pluie de lumière sonique. Et on atteint encore des sommets avec l’extraordinaire «Write Records Released Blues», certainement le cut le plus explosif des petits Jésus - If that phone keeps ringing/ I’m gonna lose some cool - C’est le meilleur son d’Angleterre, avec des couplets hallucinants de qualité - If that scum keeps rising/ I’m gonna jump this ship - Jim règle ses comptes, dans ce heavy blues convulsif à peine tenu en laisse - I won’t get on my knees for you/ I won’t be a record business whore - C’est une déclaration d’intention, toute l’éthique des frères Reid se trouve dans le dernier couplet de ce hit fulgurant. Puisqu’on parle de blues, ils font aussi une cover du «Little Red Rooster» de Big Dix. William sait le jouer et surtout lui faire rendre gorge. Alors ça devient bougrement intéressant. Ils terminent avec un «Lowlife» bardé de son, comme on peut l’imaginer. Ils jouent ça sur le riff de «1969» des Stooges. Joli clin d’œil. On a l’impression de voir la boucle se boucler.

    z1688johnpeel.jpg


    Dans la série des annexes indispensables, on a The Complete Peel Sessions. On y entend un préhistorique «In A Hole» enregistré avant le premier single. Fresh & chaotic. Ça monte directement au cerveau. S’ensuit un «You Trip Me Up» ravagé par la lèpre et William entre dans le lard du cut comme un chirurgien devenu fou à lier. Ils font ensuite exploser les intestins de «Never Understand». Aucun espoir d’en sortir indemne. Il s’agit là de la pire virulence connue dans l’histoire du rock. Ce mec William joue comme un vrai dingue, tout le son rissole dans du feedback, ça fume et c’est bon. Si on reste dans les métaphores à la con, on peut dire que «Taste The Floor» sonne comme le concept du rejet d’organe définitif. C’est une horreur. William sature tout à l’extrême, aucun organisme ne peut supporter ça. Encore plus violent, voilà «The Living End». On croit que William va épargner les canards boiteux. Ha ha ha ! Non, il tombe du ciel comme l’ange exterminateur et tout en grattant des cling-cling par derrière, il commence à fomenter d’atroces complots soniques. Cut après cut, le génie de William Reid se répand sur la terre. Il faut avoir écouté ce disque au moins une fois dans sa vie. Avec «Just Like Honey», il balancent tout simplement le hit pop définitif. C’est joué au meilleur matelas rythmique de Londres. Pas la peine d’aller chercher ailleurs, ça ne sert à rien. Avec «Fall», ils reviennent au down down down de l’apocalypse et William en profite pour revenir tâter la gueuse. Plus loin, on le voit aussi venir visiter «Coast To Coast» avec un solo dément. On s’épuise à écouter des disques aussi bons. On pourrait dire la même chose du Live In Barrowlands paru il y a peu. Ils jouaient ce soir-là l’intégrale de Psychocandy. On s’y tape encore une version incandescente de «The Living End». Rien de tel que de voir la fuzz tout balayer. Mais c’est encore pire avec «Taste The Floor» qui est tout simplement implosé de son. Voilà le secret du bonheur : William et sa purée. Quand il intervient dans un cut, c’est toujours à la manière d’un dieu d’Égypte planqué dans l’ombre. Quelque chose brûle. Il semble même parfois partir en expédition, mais en enfer, oui directement en enfer, comme avec «The Hardest Walk». Si on s’intéresse à un phénomène physique assez rare qu’on appelle l’horreur horizontale, alors il faut ré-écouter «In A Hole». Il s’agit là d’une véritable fuite en avant, de celles qu’on vénère. William y joue à merveille son rôle de dieu d’Égypte planqué dans l’ombre.

    z1691negative.jpg


    Tout aussi indispensable que les albums officiels et les annexes, voici The Power Of Negative Thinking, un coffret quatre disks auréolé de légende. Écho et sifflements sont au rendez-vous, soyez-en sûrs. Et ce dès «Upside Down», noyé au fond du Nil. Et ce «Suck» joué à l’écho du temps cadavérique ! On voit aussi «Ambition» exploser en plein ciel. William s’attaque à l’atome du son, de toute évidence, il cherche la fission, l’ersatz de nucléus délibéré. C’est le son, le dernier son de l’univers connu. On réalise soudain que grâce à William Reid, il existe une mer de possibilités par-delà les limites de l’univers. Avec «Just Out Of Reach», il se met hors de portée. Soit le son troue le cul, soit il dépasse l’entendement, c’est comme on veut. Quand on écoute «Boyfriend’s Dead», on sent bien que c’est hurlé dans la mort. On a là le dernier émolument de lucre molle. Tiens, et cette carpet of serrated noise qu’est «Head» ! A-t-on déjà entendu un truc pareil ? Non. On y lèche les orteils de Dieu. Les Mary Chain résument mieux que personne l’effarant devastating sludge, c’est en tous les cas ce qu’on pense à l’écoute de «Cracked». À part eux, personne n’est capable de sortir un tel son - inbedded sheets of distorded feedback howls - Débrouille-toi avec ça. On retrouve un «Never Understand» visité par des vents violents - feedback drenched pop hell - William y déclenche l’horreur sonique. Il persécute le béni oui oui. Leur truc, c’est l’apanage des pages du self-destruct. Ils honorent l’oreille humaine comme personne n’a osé le faire avant eux. Ils s’élèvent au-delà de tout, dans une aura intentionnelle hors d’âge et hors d’atteinte, une sorte d’exemplarité définitive. Jim et William ont écouté les bons disques, voilà leur secret. On retrouve sensiblement la même intensité sur le disk 2. On les voit ramper comme des cadavres mécaniques dans la nuit glacée de Glasgow. On tombe sur une vieille démo d’«Happy When It Rains», mélodiquement impérissable. Et plus loin sur «Rider», pur coup d’in the face, put gut rock, intentionnellement violent, saute au paf, télescopeur d’accords, stroboscopé dans la gueule de Dieu. Qui saura dire la violence des vauriens d’Écosse ? On trouve aussi un «Here It Comes Again» d’une grande violence intrinsèque et d’une belle virulence viscérale, tout est construit pour être détruit et ils vont si loin qu’on les perd de vue. Attention au «Deviant Slice» qu’on trouve sur le disk 3, car c’est du Ministry Sound que William reprend en mains. C’est un coup de génie, un de plus. On reste dans la marychienneie magique avec «Silverblade» et un «Low Life» joué aux accords des Stooges de «1969», all across your face et William y pulse un solo des enfers. Avec bien sûr du feedback de destruction massive. Ils font une reprise de «Guitarman» qu’ils plongent dans la violence de Glasgow et pour bien enfoncer le clou punk, William y passe un solo d’une ampleur catastrophique. Le killer solo qu’il passe dans «Sometimes» est certainement le pire killer solo de l’histoire du rock. Bel hommage au 13th Floor avec «Reverberation» et retour au génie pop avec «Something I Can’t Have». L’autre raison de rapatrier ce coffret est la présence de l’infernal «Write Record Release Blues» que William secoue au glou-glou psychotique. Au moins, pendant qu’on écoute les Mary Chain, on ne fait pas de conneries. Et sur le disk 4, on retrouve l’infernal «I’m In With The Out Crowd», un cut trashé jusqu’au trognon, avec du gaz à tous les étages. On frise la nausée, mais comme on adore la nausée, alors on continue jusqu’à «Alphabet Street» secoué par des killer solos de William. Il joue avec une sauvagerie jusque-là inconnue. Il faut l’entendre yeah-yeahter sur l’océan de son de «Coast To Coast». Il pousse même des petits cris bienvenus. Encore une révélation avec «Till I Found You» traversé par un solo étrangement beau. C’est d’une splendeur intraveineuse sans commune mesure. On retrouve aussi sur ce disk 4 le fameux «Rocket» explosé au coin du bois et même carrément exacerbé. Cette brute de William ne peut pas s’empêcher de vriller les choses. Encore de la magie pure avec «Easy Life Easy Love» et puis on reprend en pleine gueule ce «40,000k» joué sous le boisseau dévastateur.

    z1695saturday.jpg


    Comme tous le monde le sait, Jim et William ne pouvaient plus se supporter et William quitta le groupe en pleine tournée américaine. Les deux frères ont alors démarré des carrières solo. William a enregistré deux albums solo sous le nom de Lazycame : Saturday The Fourteenth et Finbegin. On n’y sent pas vraiment de volonté compositale. Ce sont des albums qu’on écoute si et seulement si on considère William comme un génie. Mais l’écoute risque de décevoir car tout y est irrémédiablement privé d’avenir. William fait le con et saborde le navire. Il fait son fucking sucker. On entend à un moment un «Kissaround» gratté au coin du feu chez les hippies. William avait tout simplement décidé de nous faire chier et même quand on a compris ça, on continue de l’écouter. Avec «Tired Of Fucking», il fait claquer ses vieux accords de Stonesy dans un lointain d’absurdité congénitale. Quelle belle arnaque ! Cet abruti est très fort. C’est un génie de la crotte de nez. Il se croit même autorisé à faire du Schönberg.

    z1696finbegin.jpg

    Quant à Finbegin, c’est encore pire. Il gratte à coups d’acou et coupe à travers champs. Il tente un petit retour à l’électraque de la détraque avec «Rokit» et fait du bruitisme à la petite semaine dans «Fornicate». Il cherche les petites ambiances délétères et se veut assez oriental dans l’essence.

    z1693happy.jpg

    Par contre, son frère Jim n’a pas déçu les lapins blancs. Il s’est dépêché de remonter Freeheat avec Ben Lurie, Nick Sanderson d’Earl Brutus et l’ancienne petite poule japonaise de Jeffrey Lee Pierce, Romi Mori. Ils n’ont enregistré qu’un EP et un mini-album, mais ils valent largement le détour, à commencer par Don’t Worry Be Happy sur lequel se niche l’excellent «Nobody’s Gonna Trip My Wire» et sa belle violence riffée à la vie à la mort, bien chevillée au corps et délibérément spasmatique ! Voilà une pure stoogerie, jouée dans les clameurs et les solos d’alerte rouge. Jim retrouve les voies du seigneur de l’indicible, les riffs gouttent de gras. Le mini-album Retox est une perle noire, un véritable chef-d’œuvre inconnu. Dès «The Two Of Us», on retrouve le drive les Mary Chain, avec de la folie dans le son. S’ensuit un «Facing Up The Facts» effarant d’adversité, joué à la pire punkitude d’heavyness d’Écosse. Ces gens-là sont dans le son, c’est-à-dire dans une autre dimension. Jim joue la carte de la heavyness maximaliste. Les solos de Ben Lurie sont aussi allumés que ceux de William, on rôtit dans le même enfer, c’est absolument dévasté de l’intérieur, on voit vraiment brûler la carcasse de la paillasse. Ils font aussi subir à «Shining On Little Star» les pires sévices de la marychiennerie. C’est claqué dans la douceur d’une chaude journée de violence urbaine, fabuleusement infectueux et ravagé jusqu’à la racine du thème. Jim chante cette horreur gluante avec une délectation morose et sauve l’honneur des Mary Chain. Le jus coule comme du venin le long de son cou.

    z1687damage.jpg


    Par miracle, le groupe s’est reformé. Jim et William ont réussi à se réconcilier. Du coup, voilà un nouvel album, Damage And Joy, avec une belle assiette de soupe à la tomate sur la pochette et des lettres qui flottent à la surface. Miam miam. Il pèse bien son poids, c’est un double album. Dès «Amputation», on voit que c’est comme d’habitude, c’est-à-dire joué aux accords platoniques de la tectonique sonique. En dépit des apparences, ce battement d’accords reste d’une grande précision. On trouve pas mal de duos intéressants sur le premier album, à commencer par «Always Said» qui Jim chante avec une nommée Bernadette Denning. Ils tentent de nous refaire le coup de «Sometimes Always», sur Stoned & Dethroned. En B, c’est Isobel Campbell qui vient duetter à deux reprises avec Jim sur «Song For A Secret», puis «The Two Of Us». Isobel tente de faire sa Hope. Le cut envoûte, car l’art suprême des Mary Chain est de savoir rendre la pop magique. Les hits purs sont sur l’autre disque, à commencer par «Facing Up The Facts», repêché sur Retox et monté sur un gros dum-dumming de bassmatic. Puis de l’autre côté, on tombe sur une sorte de pop mirifique intitulée «Black And Blues». L’air de rien, William Reid continue d’éclairer le monde.

    z1672mecseul.jpg


    Et comme un miracle n’arrive jamais seul, voilà le groupe de retour sur scène à l’Élysée Montmartre par un beau soir frisquet d’avril. Faut-il parler de concert magique ? Oui. La salle est pleine comme un œuf. Les deux frères arrivent sur scène pour disparaître dans un épais voile de fumigènes.

    z1677mecjaune.jpg

    Comme à son habitude, Jim - alias Mr Shy - s’agrippe à son micro et à sa gauche, William s’applique à jouer ses marychienneries, écrasant ici et là une pédale d’effet et de volume dont le secret est paraît-il bien gardé. Ils tapent au mieux des possibilités du mythe Mary Chain, mixant les cuts du nouvel album avec les vieux standards, dont une version de «Head On» qui fait tourner la tête, aussitôt après cette vieille pop de rêve qu’est «April Skies».

    z1673mecorange.jpg

    Dans les premiers rangs, on voit petites gonzesses ponctuer le beat de la tête et tirer sur des pétards. Ils font un autre enchaînement de luxe avec «Teenage Lust», «Cherry Came Too» et «The Hardest Walk». On vit ça comme une sorte de bombardement bénéfique.

    z1674planprécédent.jpg

    William ne bouge pas d’un centimètre. Fini le temps où il tournait le dos au public. Comme d’ailleurs le temps où Jim titubait sur scène. Il dit dans un interview avoir cessé de boire en 2005. Difficile pour lui de monter sur scène à sec - So to go on stage sober was a bit weird - Mais finalement, il dit s’en accommoder, in a strange way.

    z1675damage.jpg

    Ils bouclent leur set avec l’imparable wanna die on a sunny day/Just like JFK in the USA et un troisième miracle s’accomplit, puisqu’ils reviennent pour un rappel, et quel rappel, good lord ! C’est tout simplement du double concentré de marychiennerie, avec «Just Like Honey», «You Trip Me Up», «The Living End» et «Taste Of Cindy». C’est à ne pas croire, car le son est tellement plein que ça tourne au blast mythico-galactique. On les croyait calmés, eh bien pas du tout. Et ce n’est pas fini, car il reviennent pour un deuxième rappel avec un enchaînement fatal en forme de coup du lapin : «Never Understand» suivi du fatal mayen sonique d’«I Hate Rock’n’Roll». La messe est dite, amen.

    z1676mecbleu.jpg

    Signé : Cazengler, fort marri Chain

    Jesus & Mary Chain. Élysée Montmartre. Paris XVIIIe. 27 avril 2017

    z1689affiche.png


    Jesus & Mary Chain. Psychocandy. Blanco Y Negro 1985
    Jesus & Mary Chain. Darklands. Blanco Y Negro 1987
    Jesus & Mary Chain. Barbed Wire Kisses. Blanco Y Negro 1988
    Jesus & Mary Chain. Automatic. Blanco Y Negro 1989
    Jesus & Mary Chain. Honey’s Dead. Blanco Y Negro 1992
    Jesus & Mary Chain. The Sound Of Speed. Blanco Y Negro 1992
    Jesus & Mary Chain. Stoned & Dethroned. Blanco Y Negro 1994
    Jesus & Mary Chain. Hate Rock ‘N’ Roll. American Recordings 1995
    Jesus & Mary Chain. Munki. Creation Records 1998
    Jesus & Mary Chain. The Complete John Peel Sessions. Strange Fruit 2000
    Jesus & Mary Chain. Barrowlands Live. Demons Records 2003
    Jesus & Mary Chain. Damage & Joy. Artificial Plastic Records 2017
    Jesus & Mary Chain. The Power Of Negative Thinking. B-sides & Rarities. Rhino 2008
    Freeheat. Don’t Worry Be Happy. Hall Of Records 2000
    Freeheat. Retox. Outafocus Recordings 2001
    Lazycame. Saturday The Fourteenth. Hot Tam 2000
    Lazycame. Finbegin. Hall Of Records 2001

    HERME ( 77 ) - 29 / 04 / 2017
    MC SIGWALD'S
    HELLEFTY

    Z1669AFFICHE.jpg

    Souvenez-vous, c'était à la fête de la musique de l'an passé. Copieusement arrosée. Pas dans le bon sens. Prenez l'expression au pied de la lettre mouillée. Le temps était incertain. Mais Hellefty avait tout de même consciencieusement installé tout le matos sur le podium. Devant l'Eglise. Le bon dieu n'avait pas dû aimer l'infernale provocation, n'ont même pas eu le temps de se placer derrière leurs instrus que la pluie avait commencé à tomber et la sécurité avait déclaré qu'il fallait arrêter les frais. Exit Hellefty ! M'étais juré qu'à leur prochain concert, je serai là, et les voici annoncés au local des Sigwald's. Dix kilomètres de la maison, une broutille pour la teut-teuf qui m'y mène en cinq minutes.
    Facile de repérer la ruche à Sigwald's, à l'entrée du village, tout près du passage à niveau, bikers en nombre qui discutent devant l'entrée. Accueil sympathique, un véritable comptoir de bar à gauche, deux stands face à face, pintstriping et aérographe, présentent casques de motos bellement imagés et sculptures de bites aussi écarlates que des canards laqués qui ne sont pas sans évoquer ces phallus de pierre géants que l'on exhibait fièrement lors des antiques processions printanières... La tête protégée et le sexe en présentoir, un parfait résumé des attributs essentiels de l'homo sapiens quand on y pense.
    Une large ouverture permet d'accéder à une deuxième pièce plus petite, c'est là qu'Hellefty a élu domicile, l'on n'attend plus qu'eux, sont un peu nerveux, nouvelle formation et premier concert depuis 2013, vont nous démontrer qu'ils n'avaient pas à s'inquiéter.

    ONE SHOT

    z1722guitar.jpg


    La force froide et le charme glaçant. Un seul set d'une demi-heure qui vous tombe dessus comme une glaciation soudaine. Mais brûlante au dernier degré. Deux hommes, deux femmes. Une tribu néolithique dans une tempête de neige noire qui raconte l'odyssée de la survie.

    z1720drum.jpg

    Au fond Vincent derrière ses fûts arbore l'insigne du clan sur sa grosse caisse, c'est lui qui pousse et martèle le chemin. Un son mat et puissant comme je n'en ai jamais entendu. La frappe lourde et sèche, sans résonance. Ni rêve, ni espoir, la marche seule en avant.

    jesus & mary chain,hellefty,krimen & kastigo,thelonious monk

    Sur sa gauche Florent éventre les blocs de glace de sa guitare étrangement découpée en un triangle maléfiquement écartelé qui semble être une réplique de la faux de la Mort. Jette bas à ras de terre des riffs mambas qui s'engouffrent dans la moindre des fissures du sol gelé.

    z1719tatiana.jpg

    Karine est à la basse, cheveux de feu qui coupent son visage, joue refermée sur elle-même comme si ne comptait pour elle que ses lignes de notes froides qui se déploient derrière elle comme les sillons roides du désespoir.
    Tatiana devant. Longs cheveux noirs, bras blancs dénudés, et moue dédaigneuse. Elle est la grande prêtresse qui invective et vomit la longue litanie des âges farouches. Elle ne chante pas, elle crie, elle screame, elle growle, elle djente. Elle lance les malédictions élémentaires, elle énonce les prophéties rudimentaires des rêves perdus. C'est elle qui mène la danse des soleils évanouis. Pas une plainte, un râle de survivance. Parfois elle se met de côté le temps que l'on entende le piétinement incessant de la horde derrière elle qui amasse la colère et la violence des déterminations inébranlables. La meule de pierre qui tourne et broie tout tout ce qui ne courbe pas la tête sur son passage. Parfois l'on a l'impression que la musique s'arrête comme brutalement bloquée et bute sur un obstacle insurmontable, Vincent conjure les forces ignorées de deux coups de baguettes aussi secs que des silex que l'on cogne l'un contre l'autre pour appeler une étincelle de feu froid, et en écho Florent découpe de nouvelles runes sonores encore plus imparables qu'un vol de vautours à la recherche d'une charogne appétissante.

    z1721bassiste.jpg

    Alors émerge un énigmatique sourire sur les lèvres de Karine et elle nous délecte de quelques lames de basse longues comme une mer de glace qui s'en vont se figer dans le magma glaciaire d'une fournaise aux flammes rigidifiantes. Hellefty en guerre n'offre guère de compatissantes promesses.

    z1723tatiana+++.jpg


    Tatiana continue son conte. Une longue descente dans les souterrains oubliés de cités lovecraftiennes. Mais les anciens dieux sont morts, ne sont plus que les icebergs de nos regrets qui encombrent la banquise de nos remords. Tatiana éructe, elle glapit telle la renarde du désir prise au piège des froideurs nocturnes, sa voix crache la malédiction de la mort et nous enveloppe d'un linceul de soufre et de plomb. Nous mène jusqu'au bout du tunnel qui s'ouvre sur une aube aussi grise que la vacuité de nos âmes.

    jesus & mary chain,hellefty,krimen & kastigo,thelonious monk


    Helllefty n'ira pas plus loin. Un set de toute beauté. Sûr que l'on n'en aurait bien pris un second. Mais celui-ci était si beau, si pur, si condensé, qu'il nous a rassasiés. Imaginez un cube parfait. Qui soit aussi global qu'une sphère de volume identique. Aux arêtes tranchantes dimensionnées et ordonnées selon un nombre qui ne serait pas d'or mais de cet orichalque mystérieux dont le secret reposerait englouti dans les couches souterraines de la neige carbonique des strates atlantidéennes de notre cerveau.

    jesus & mary chain,hellefty,krimen & kastigo,thelonious monk


    Hellefty nous a appris qu'il faut battre le métal tant qu'il est froid. Une leçon de poésie métallifère que nous n'oublierons pas.


    Damie Chad.


    ( Photos : FB : Enagrom clichés désaxés )

    EPIPHYSIS / HELLEFTY

    OPPRESSION /SYMPTOM / THERAPY / CATHARSIS

    TATANIA MAZANO-BENGOU : vocals / FLORIAN GOUJON : guitar / LOUIS GUFFOND : bass / VINCENT FORRESTIER : drums.

    Cube 999 / 2016

    Z1670DISQUE.jpg



    Quelle pochette ! D'un rouge malsain. Un arbre que la tempête échevèle. Vent froid et homme debout. Minuscule, perdu dans le paysage. Gatefold en trois volets. Moine diabolique encapuchonné sur le premier contrevent. Le groupe au centre – retirez le CD pour apercevoir les visages – la sauvage beauté de Tatiana, deuxième rabat. N'oubliez pas de retourner la pochette, si vous n'y faites pas attention apparaît la silhouette d'une trombe mortelle sur l'horizon de ce rose glauque ponctué d'un vol d'oiseaux maléfiques, mais en y regardant de plus près, l'impression rétinienne par trop rapide, laisse place à un bulbe de clocher - surgi d'un horizon de ras de terre - sur lequel se serait posé la statue d'un ange – de rédemption ou de désolation – auréolé d'un vol d'aigles annonciateurs de sombres et poussiéreuses nuées das le lointain... Cela vous a la force de ces retables apocalyptiques que dont on ornait le maître-autel des églises au moyen-âge en signe d'avertissement et de promesse . Hellefty n'est pas un groupe domicilié par hasard dans la cité par excellence médiévale de Provins. Magnifique art-work dû à Florian Goujon.

    Oppression : si vous êtes de santé fragile vous n'irez pas plus loin que les treize premières secondes, une pulsation qui vous retient encore dans le monde connu, après c'est trop tard, la chose prend la parole. Un souffle de loup-cervier venu d'ailleurs, et la musique derrière qui accentue la menace, des battements lourds d'ailes de batteries et de lentes strangulations funérales de guitares. Il est temps de vous éveiller de la vie. Oppressant. Symptom : définitivement de l'autre côté du rock and roll. C'est la voix des millions de morts que renferme la terre qui s'en vient hurler à votre oreille. En plus vos proches vous ont fait une dernière plaisanterie. Vous ont enterré à l'Eglise et vous percevez encore dans la conque évidée de de votre tête les échos du requiem final. Etrange, cela ne vous fait pas rire. Vous avancez en des cryptes innombrablement innommables. Une musique grandiose vous enveloppe de ses suaires dégoulinants d'angoisse et de la lymphe putride des trépassés. Le mélodramatique récitatif appuie à l'endroit où cela vous crève le coeur. Si vous n'avez pas compris l'on vous repasse le râle des macchabées et la drumerie enfonce les clous vampiriques dans votre occiput. Symptomatique. Therapy : Troisième station du calvaire. La batterie martèle les degrés d'un escalier infini. Les guitares vous poussent dans le dos. Vous ne savez si vous remontez ou si vous descendez l'infernal colimaçon. La voix s'est juchée dans votre sternum, vous sentez comme des serres monstrueuses de mots terrifiants qui s'infiltrent en votre chair, ils prophétisent votre agonie antérieure et dévident l'écheveau du désespoir. Que se passera-t-il lorsque l'on arrivera au bout de la bobine ? Horreur du choc thérapique ! Catharsis : ce mot signifie-t-il vraiment soulagement ? La voix stygienne se fait douce, ensorcelante comme celle des sirènes d'Ulysse ou des goules immondes qui hantent les cimetières. Intermède, l'on perçoit le bruit des forges de l'enfer. Vous avez pris le couloir de gauche. Fatale erreur. C'est fini.

    Une splendeur. Un diamant noir. Face de cadavre et lumière infinie.


    Damie Chad.

    HELLEFTY VIDEOS

    OPPRESSION

    z1725oppresion.jpg


    Maintenant la même chose en plus glaçant. La vidéo officielle visible sur You Tube. Le son, c'est bien, l'image c'est mieux. A condition qu'elle ne bavarde pas. Lui suffit d'évoquer. Mini film et scénario cauchemardesque. Tatiana, seule actrice. Plus une silhouette inquiétante. A peine entrevue. Même pas cinq secondes sur les trois cent vingt deux. Juste le temps de d'entrevoir vos phantasmes dans votre boîte crânienne. Les sortir du puits où vous les tenez enfermés. Parce que les libérer consisterait à admettre qu'ils s'emparent des manettes de commandement de votre existence. Mais ici tout se réalise. Tatiana en voiture qui court vers son destin. Maso-shisme fractural. Sommes-nous le jouet des autres ou de nous-mêmes ? L'oppression vient-elle de l'extérieur ou provient-elle de l'intérieur ? Zone grise des interrogations à laquelle le noir et blanc des images ne répond pas. La vie n'est pas un long fleuve tranquille. Juste un long hurlement de terreur agonique qui paralysera celui qui l'entend. Est-ce celui que nous entendrons lorsque nous emprunterons le dernier couloir ? Malgré le soleil de la porte poussée, il n'est pas de retour possible. Nous abordons seulement le viseur rectangulaire d'une autre menace qui se fixe sur nous.

    SYMPTOM

    z1724symptom.jpg


    La même chose, l'on recommence le film. Chant grégorien à l'appui. Sommes-nous morts ou dans le rêve prophétique de notre mort. Donjons médiévaux et cimetières abandonnés. Car tout meurt, même les jardins funéraires. Nous poursuivons en avant notre fragile marche d'insecte. De curieux entomologistes nous observent. Ils font partie de notre paysage végétal. Sont autant nous que nous sommes eux. Tout se brouille, un vol de mygale et une chouette amicale perchée sur l'épaule – the growl of the howl - nous avançons dans notre enfermement. Nous marchons dans le monde autant que nous le déplaçons à chaque fois que nous faisons un pas. Nous sommes en plein-chant de la caméra que nous portons sur nous. Le monde n'est-il que la projection des images mentales que nous portons en nous ? Peut-être notre réalité n'est-elle qu'une image... Notre paranoïa est notre première victime.

    Deux clips d'une saisissante beauté qui dévoilent plus qu'ils ne montrent.


    Damie Chad.

    VIVOS MURIENTOS
    KRIMEN & KASTIGOS

    ( HAMARECORDS / 2014 )

    INTRO / ANSIEDAD / LA MAQUINA / GOSE ASEEZINA / PARASITOS / JUAN CARLOS ! VIENEM TIEMPOS / FALSA REBELDA / REKALDE 23 - 9 - 11 / ETKETIC IRTEN / NI NOS MATAN NI NOS HACEN MAS FUERTES / LA PARANOIA ES CORDURA / VIVOS MURIENTES / PARECES MENTIRA /

    MIGUEL 'KILAMA' : basse et choeurs / TXINARO : guitare et vocal / ASIER 'MUFFIN' : batterie / J GARCIA 'TXINO' : guitare et voix principale.

    z1700krimen.jpg

    M'étonnerais que vous l'ayez, l'ai pécho dans une improbable librairie anarchiste dans un sympathique quartier chaud de Barcelone, l'ai pris pour la couverture qui n'est pas sans un clignement d'oeil du dernier homme nietzschéen à la pochette de Teenage Depression d'Eddie and the Hot Rods. Krimen y Kastigo fondé en 2006, encore en activité, et originaire du pays basque, est un groupe de la mouvance punk, même sans trop comprendre l'espagnol à la simple lecture des titres vous subodorez avec raison qu'ils sont un tantinet engagés, pardon, enragés...

    Intro : basse inquiétante et son plein, voix prémonitoire prophétisant ruines et misères. La musique serre les coudes, l'on est loin du punk anguleux et criard. La guitare bourdonne comme un frelon redoutable. Ansiedad : voix colérique mais le fond musical reste le même, pressé et condensé. La batterie s'emballe mais les guitares gardent la même vitesse. La maquina : musique qui file mais qui garde le pied sur l'accélérateur à l'approche du mur qui clôture l'autoroute, encastrés dans le béton vous en ressortez, conformes, remoulés à l'identique. Vous êtes sous contrôle. Inutile de prier la machine, elle ne tolère aucune déviance. Gose aseezfina : la même chose dans le moule basque. Un peu plus de colère, un peu plus de mordant, mais n'est-ce pas le combat de la dernière chance ? Parasitos : adresse et dénonciation. A tous ceux qui profitent du système. Qui s'en enorgueillissent. Qui marchent tout droit vers leur propre auto-destruction. Fascisme et bourgeoisie les deux faces de la bête immonde. Juan Carlos ! : ritournelle démente en l'honneur du roi qui s'en est allé tuer l'éléphant en Afrique. La bestiole lui est retombée sur le pied. Lui a cassé la jambe. Et l'honneur. Le roi s'excuse en trois mots. Vienen Tiempos : les temps arrivent, ceux de la déperdition humaine, quand vous ne serez plus que des ilotes sans âmes qui auront perdu jusqu'à la mémoire des mots oubliés. Si vous ne faites pas un effort, n'espérez nul réconfort. Ce monde d'ombres creuses est sans pitié. Falsa Rebeldia : ne cherche pas à fuir. Les issues de secours sont des pièges. Tu te crois libre. Mais c'est la drogue qui a pris le contrôle. Tu n'es qu'un rebelle de pacotille. Rekalde 29 / 9 / 11 : la note d'espoir, une nouvelle culture est en train d'émerger, environnée d'ennemis. D'abord libérer la parole, puis libérer les rues. La guerre ne fait que commencer. Message radio. Jingles anti jungle. Etxetik Irten : méchamment envoyé musique à fond de train, et martelage exacerbé. Comme des slogans. No nos Matan, ni nos Hacen mas Fuertes : rupture, douceur d'une valse acoustico-folk. L'urgence revient. Gardez-vous à droite et gardez-vous à gauche. L'ennemi est autour de toi. Pas de quoi inquiéter un esclave. L'en a vu et l'en verra d'autres. La paranoia es cordura : Erreur l'ennemi ne te suit pas pas à pas, il est en toi, tu as assimilé tous ses messages publicitaires. Tu n'es plus que le décalque d'une réalité qui n'est plus toi. Mais depuis quand ? Les voix se rejoignent, la situation est beaucoup plus critique que tu ne le croies. Vivos Murientes : constat amer. Les morts-vivants consomment chaque jour leur propre mort. Se nourrissent de leur propre absence. Sont heureux. Pareces Mentira : en tout cas plus heureux que moi sous la viduité du ciel qui ne suis qu'une solitude démembrée. Peut-être ne proféré-je que des stupidités. Une bêtise qui se mord la queue.

    L'ensemble se présente sous la forme d'un récitatif nihiliste. Guitares mélodiques à fond et ronflantes, batterie éruptive et la voix emportée qui délivre le message des horreurs ultimes. Noire modernité. Sombre présent. Eternel. Le no future dont on aurait barré le second mot. Ne reste que le no initial, le négatif primal et terminal. Ne pas dépasser la dose non prescrite.


    Damie Chad.

    MONK
    LAURENT DE WILDE

    ( Folio 3009 / 1997 )

    z1697book.jpg

    Beau livre, belle écriture qui vise à l'intelligence du style, celui de l'écriture se donnant à lire comme l'équivalence scripturale des sonores émulsions jazzistiques. Laurent de Wilde est lui-même musicien de jazz. De ceux qui au tournant des années quatre-vingt dix ont tenté de le sortir de la répétitive ornière dans laquelle il avait tendance à s'ossifier.

    z1698dewilde.jpg

    S'est adonné à quelques thérapies de choc pour lui faire recoller le train de la modernité en flirtant avec l'informatique, l'électronique, le rap, le reggae... Je vous laisse juge tant au niveau théorique qu'aux résultats pratiques de ces diverses tentatives. En tout état de cause Laurent de Wilde est un chercheur d'introuvable, son livre sur Thelonious Monk ( 1917 – 1982 ) en sus de retracer la vie d'un des pianistes les plus importants de cette musique s'inscrit dans une démarche analytique de l'instrumentation jazz qui n'est pas dépourvu d'intérêt pour les amateurs de rockabilly. Nettement moins pour les adeptes du rock classique sixties-seventies dans lequel prédomine une électrification outrancière qui a une certaine tendance à effacer la pulsation originelle du furet rythmique qui du coup court un peu moins vite. Ceci n'est pas une critique, seulement un constat.

     

    z1701monktrio.jpg


    L'enfance et l'adolescence de Thelonious Monk ne correspondent pas à l'image d'Epinal. Pas d'enfance misérable et sordide. N'est pas non plus né avec une cuillère d'argent enfoncée au plus profond de la gorge. Le père disparaît mystérieusement – nous en reparlerons – mais la mère maintient la famille à l'abri de la grande pauvreté. Monk grandit en territoire affectif protégé, assurance maternelle et garde rapprochée d'une grande soeur attentive. Travaille bien à l'école, un enfant sans histoire intégré dans la vie sociale de son quartier – rien à voir avec un voyou en recherche de son quatre-cent et unième tours de vice – touche à la trompette mais jette son dévolu sur le piano après l'arrivée au domicile familial d'un piano mécanique... Fait son éducation musicale comme tout le monde, à l'église. Chant et harmonium, le gospel possède un oeil qui louche sur la musique classique européenne et l'autre qui brille de tous ses feux vers les lointaines assises rythmiques africaines. Le jeune homme ne se dessale pas. A dix-sept ans il part en tournée pour deux ans. Derrière une prédicatrice évangélique. Une petite formation chargée de faire passer l'amère pilule des sermons qui vous appellent à la rédemption en mettant un peu de boogie-woogie - Monk utilisera les mots de rhythmn and blues et de rock'n'roll - entre les prêches.

    z1702quartet.jpg


    Ici s'intercale une belle histoire d'amour. Et de fidélité. C'est la petite soeur du copain de sa soeur. Elle a douze ans, elle s'appelle Nellie. L'on est presque dans une chanson des Poppys. C'est elle qui est amoureuse. Il attendra qu'elle grandisse un peu. Et puis ils ne se quitteront plus. Monk n'ira jamais voir ailleurs. Plus qu'une compagne, une protectrice. Douce et patiente. Travaille, se charge des gosses et de la maison. Lui, il joue du piano. Ne s'occupe que de son instrument. Ne rapporte que peu d'argent. Elle pousse l'abnégation jusqu'à s'occuper de la belle-mère qui vient habiter à demeure.

    z1703monkorkestra.jpg


    Bien sûr il y a une faille dans ce conte de fée. Une lézarde, invisible à l'oeil nu mais qui ira s'agrandissant d'année en année. Ne cherchez pas ailleurs que dans le cerveau de Monk. Un abîme géant. Qui grignote, happe, dévore, et engloutit sans fin toute la réalité de la vie qui passe à sa portée. Bête immonde et insatiable. Quand elle aura avalé le monde, elle finira par bouffer la seule chose qui reste, Monk lui-même. Une petite bébête qui monte, qui monte, qui monte et qui vous veut du mal. Les docteurs l'ont répertoriée depuis l'aube de l'humanité, elle possède un nom. S'appelle la folie. Chez Monk, elle arbore la douceur cruelle de la panthère. Tant qu'elle vaque à ses affaires, elle le laisse tranquille. Mais quand elle s'endort sur le canapé de sa cervelle, bonjour les dégâts. Un gros chat inoffensif roulé en boule dont le profond sommeil paralyse Monk. Ici la terre et le monde des vivants, alerte rouge, la sonde Monk ne répond plus ! Tout s'arrête. A n'importe quel moment. A la maison, dans un bar, en pleine rue. Parfois pour quelques minutes. Parfois pour plusieurs heures. Nellie, les amis, les musiciens connaissent, veillent au grain, sont compréhensifs, la police qui le ramasse sur un trottoir un peu moins. Une espèce d'autisme schizophrénique inguérissable. A work in progress. Constant.

    z1716coltrane.jpg


    Une force aussi. Quand vous avez une entreprise de démolition qui vous sabre sans répit les méninges, vous comprenez vite que votre temps est limité. Vous n'avez pas une minute de votre vie à perdre. Evitez les conversations inutiles. Ne pas chercher à convaincre votre interlocuteur. Trois accords de piano parlent davantage qu'une oiseuse conversation. Monk sera un taiseux. Rien à dire, rien à déclarer. Trop occupé pour se lancer dans de longues explications. Se contente de quelques mots sibyllins. Héraclitéen. Obscur. Ne fournit pas la notice qui marche avec.

     

    z1717minston.jpg


    Question musique c'est parti pour les petits boulots. Pendant dix ans, il courra le cacheton, derrière les autres. On l'apprécie, une valeur sûre. Le mec qui comprend ce dont vous avez besoin, vite et bien. Surtout pas le gars qui se met en avant, qui profite de la moindre occasion pour afficher son museau quand on ne l'attend pas. Le side-man parfait. L'anonyme du boulot bien fait. Par contre si vous savez prêter l'oreille, vous entendez la différence. Ça se passe à trois pas de l'Apollo, après le job, au Minton's, le club laisse les musiciens jouer ce qu'ils veulent. Une manière de se créer une fidèle clientèle d'amateurs en recherche de nouveauté.

    z1727christian.jpg

    C'est là que l'on rencontre Charlie Christian et sa guitare électrifiée. Charlie dans un grand orchestre même avec l'amplification ce n'est pas le roi de la fête, mais en petit comité, en train de taper sauvagement un boeuf avec deux ou trois autres matadors, c'est une autre bistouille. La grande mutation. Révolution, la guitare s'affranchit de son rôle subalterne. N'est plus un instrument d'accompagnement. Un gratèlement cordique de trois mesures qui reposait les conduits auditifs entre deux tonitruances de cuivre. Le groom qui ouvre la porte du restaurant et qui continue à se la geler dehors pendant que l'on boustifaille à l'intérieur. Charlie c'est le solo, tout seul, à égalité avec tous les autres premiers de la classe. L'est aussi plus doué que la moyenne des autres guitaristes ce qui explique qu'une fois qu'il aura débarrassé le plancher à moins de trente ans, n'y aura pratiquement personne pour la relève. Mais Charlie, c'est l'exemple à suivre, le symbole opératif. N'est pas le seul musicien à vouloir se glisser devant. De tous les côtés, ça bouillonne. Le jazz is changin'. Les jeunes en ont marre de se plier dans le moule huilée à la margarine du déjà-dit, du déjà-fait. Plus question de suivre le boeuf. Chacun veut prendre la tête du troupeau. C'est à qui fera le plus de bruit. Batterie et cuivres se déchaînent. Moi d'abord, écoutez-moi, admirez-moi, vous allez entendre ce que vous allez entendre. Et l'on en prend plein les feuilles. Sont doués les jeunes gars. Z'ont le top et z'ont le bop, et pas frits à l'huile de palme. Vous redéfinissent le jazz à papa de fond en comble à coup de trompettes et de saxophones.

    z1707m+dizzie.jpg

    Dizzy Gillepsie et Charlie Parker sont les rois de ce remue-ménage. Bebop en avant toute ! Des nègres qui ouvrent les cuivres aussi large qu'un dentier de caïman. Les canines qui rayent le plancher. Prêts à croquer le monde. Des séducteurs. Les filles ne résistent pas, mais ce n'est que de la chair à sexophon, ont jeté leur dévolu sur les intellos et les journaleux, vous croquent un critique à chaque interview, leur donnent à foison de quoi remplir les colonnes des journaux, du dorique et du corinthien à volonté. Sont leur propres publicistes. De grands communicants.

    z1718parker+monk.jpg


    Evidemment the Monk est de tous les combats. Mais motus et bouche cousue. La parole n'est pas son fort. Alors il passe après les autres. Vous dicte pas du début à la fin l'article que vous n'avez plus qu'à transcrire, en plus son jeu n'est pas d'accès facile. C'est qu'il n'est pas du genre à ravaler les façades à grandes traînées de ripolin flashy qui vous attire les curieux en moins de deux. Non lui son genre, c'est le bulldozer placide. Vous détruit la bicoque de fond en comble, ensuite il vous édifie une nouvelle baraque, ne paye pas vraiment de mine au premier abord, un peu rébarbative, vous faudrait y loger cinq ou six ans pour piger l'agencement diabolique du plan, le confort des pièces, la solidité à toute épreuve des matériaux, et cette agréable sensation de bien-être qui vous habite si vous décidez d'y résider...

    z1710+griffin.jpg


    Pendant longtemps l'on n'a trouvé des pianos que dans les salles de concert classique et dans les bordels. Trop chic d'un côté, trop choc de l'autre. C'est déjà difficile de se trimballer une contrebasse, mais essayer de vous balader avec ne serait-ce qu'un demi-queue sur le dos. ( Bien plus difficile qu'avec une queue entière par devant ). Mais les boppers commencent à envahir des clubs un tantinet plus huppés. Ont des caprices. Ont besoin d'un piano. Pourquoi les nègres n'auraient-ils pas droit à un piano comme tout orchestre de blanc qui se respecte ? On a cédé à leur caprice. Des enfants qui font la comédie pour avoir le plus gros jouet de la vitrine et une fois qu'ils l'ont, ne savent plus quoi en faire, le laissent dans le coin de leur chambre sans plus jamais y toucher. L'a bien fallu trouver un rôle à cet encombrant. Pas question que le pachyderme se campe aux avant-postes, sous le projecteur. On vous l'a proprement relégué dans la section rythmique. Z'étaient deux, seront trois. Batterie et contrebasse l'ont vu arriver sans trop de plaisir. S'entendaient comme des larrons en foire. Zétaient le moteur et le kérosène de l'avion. Sans eux, pas de sauts démonstratifs de parachute des solistes. Des seconds couteaux, mais indispensables. Simple noblesse de robe mais c'est eux qui fournissaient l'argent rythmique, le nerf des guerres jazzistiques. Tout compte fait le troisième compère s'est révélé précieux et utile, trois pour faire le boulot de deux, c'est reposant, de temps en temps y en a un qui peut se rouler un joint pénardos pendant que les deux copains continuent à ramer dans la soute.

    z1711artblakey.jpg


    Voudrais pas être désagréable mais filer un piano à la section rythmique c'est donner de la confiture aux cochons. Un stradivarius en goguette autour d'un feu de camp dans la grande prairie. Un contre-emploi. Un sous-emploi. Pourquoi pas demander à Einstein de balayer les bureaux tant qu'on y est ! C'est que le piano, c'est un orchestre à lui tout seul. Un piano chez vous équivaut à un philharmonique in-extenso dans votre salon. Le couteau suisse musical. Le pupitre des violons et le gémissement des vents dans les haut-bois, le tintamarre des timbales et le tintannibulement du triangle. Un piano contient à lui tout seul toutes les larmes de Chopin, toutes les symphonies de Beethoven et toutes les orchestrations de Wagner. Alors le cantonner à gauche au fond de la rythmique c'est dommage.

     

    z1704underground.JPG


    Monk le monstre va se charger de le remettre en pôle position. Commence comme tous les autres pianistes. Par faire du bruit pour se faire entendre. Joue en stride. Le stride, c'est le pumpin'piano de Jerry lee, le boogie des clandés et puis ce dynamique balancement roulé boulé ( rock'n'roll en anlais ) des maisons closes aux sexes grand ouverts. Vite et fort. Et je te répète toujours la même chose. De l'énergie en barre chocolatée. De quoi refiler une santé d'airain aux bites avachies au fond des bouges de la New Orleans. Un truc vachement efficace. Et puis facile. Suffit d'une seule main. Un seul ennui, au bout d'un moment l'on s'ennuie. On se fume une clope, on tapote négligemment les fesses rebondies de la serveuse, et en désespoir de cause on pianote de la dextre, des petits trucs, des fantaisies, des fioritures, chacun y va de son tic à soi. Jerry Lou pour les fadaises, il n'y va pas de main morte, de temps en temps il utilise ses deux battoirs ensemble, vous casse la baraque en moins de deux. Mais Monk lui il refuse d'utiliser un grossier subterfuge de cet acabit. L'a sa tactique. Juste l'inverse. C'est les deux mains qui s'adonnent au stride. Mais attention, accrochez-vous, pas comme tous les autres qui se la jouent concours TGV sur la piste inclinée d'Indianapolis. Non, révolutionne le concept du stride, l'invente la montagne plate, l'eau sèche, le serpent à pattes, le stride lent. Jusque là tout va bien, maintenant ça se gâte, le stride lent n'en n'est pas moins rapide. C'est que Monk fonce doucement. Chez lui il bosse tout seul comme un grand. Mais dehors il n'est pas fou ( enfin si ) sait que de l'eau s'écoulera sous le pont Mirabeau avant que l'on vienne l'écouter lui tout seul, alors il commence à deux ou trois, finira plus tard avec un grand orchestre. Se bat d'abord avec la batterie. Kenny Clarke joue la partie avec lui. Plus tard Elvin Jones héritera du boulot entrepris. Ne s'agit plus de taper, mais de feuler. Un poum de grosse caisse pour cent pchfeut de cymbales, à tout instant soyons subtils. La plus belle fille ne peut donner que ce qu'elle a. Idem pour Monk, l'est en train de définir l'ontologie du piano dans le jazz, mais il le fait à sa manière. Pas de grands discours. L'autonomie de l'autiste. Construit son style à partir de quelques notes. Vous prend une chansonnette, vous en élague la structure, coupe au début, érode le milieu et lime la fin, ponctionne le résultat et vous vous le ratatine une fois de plus, le mec qui s'achète un eskimau géant, qui vire la crème gélifiée et qui se contente de mâchonner le bâtonnet du bout des dents, tout juste s'il ne s'excuse pas d'être si glouton. Monk qui s'empare d'un thème n'emprunte que les raccourcis. De temps en temps vous reconnaissez une note, c'est votre jour de chance, d'habitude il change le mode, la tonalité, la hauteur, vous la rabote par dessous ou vous la transmue par-dessus d'un seizième de demi-ton. Faut suivre. L'adore les dissonances et les mesures en nombre impair.

    z1708riverside.jpg


    Pas une once d'arrogance, serviable et attentif. Pouvez lui proposer de jouer n'importe quoi, il connaît, vous dépoussière le truc en trois touches de piano, vous le rénove, vous sertit votre solo d'une monture d'or fin. Evidemment vous avez intérêt à piger immediatly, car le Monk il ne manque pas de vous juger, les grands ne s'y trompent pas, aiment l'avoir avec eux, le gars qui dégage le terrain et vous éveille le public dans la bonne direction, vous le mène à l'endroit exact où vous désirez le cueillir. D'une précision extrême. Ne court qu'à l'essentiel, c'est en cela que réside sa rapidité. Emmenez-le en studio, l'a toujours quelque chose de neuf à proposer. Met plus de temps à trouver le titre qu'à vous pondre un morceau.

    z1712blenote.gif


    Le revers de la médaille existe. Musique exigeante. Faudra dix ans avant qu'une compagnie de disques se décide à l'enregistrer sous son nom. Lion le patron de Blue Note s'y risquera en premier. N'en sera pas récompensé. Monk grave des chefs-d'oeuvre et fait la preuve de ses talents de compositeur. Qui ne se vendront pas. Pourtant l'on avait pris ses précautions. On n'avait pas lâché le fauve taciturne tout seul dans le studio. On l'avait entouré de ses amis. Même scénario chez Prestige. Des disques qui font le régal des musiciens mais qui ne touchent pas le public. Ce n'est qu'en 1962 qu'un gros label, Columbia, se chargera de le produire, preuve qu'il sera devenu une vedette économiquement rentable... .

    z1714disbluenote.jpg


    Lui aura fallu attendre 1953 pour que le ciel s'éclaircisse. L'histoire commence sous de mauvais auspices. Aux States Monk jouait dans un milieu protégé. N'était pas compris mais toute l'intelligentsia des musiciens lui servait de garde rapprochée, on ne l'aimait pas mais on le respectait. Bénéficiait de ces succès déprimants dit d'estime. Ses concerts parisiens seront des fiascos. Sifflé, hué, conspué. Mais le miracle se produit, on l'enregistre lui tout seul pour la première fois, sur un mauvais piano, pour une ultérieure diffusion radio. Son originalité éclate. Les oreilles s'ouvrent et s'écarquillent, l'on est bien en face d'un génie.

    z1706monksolo.jpg


    Un véritable conte de fée parisien. Malgré son existence de tâcheron appointé du jazz, n'avait jamais douté de son génie. Une deuxième bonne sorcière vient à sa rencontre. Un personnage de légende. Non pas issue de la cuisse de Jupiter, mais de beaucoup mieux en ce bas monde englué dans les économiques valeurs bourgeoises, sortie tout droit de la famille Rothschild, mariée sous le nom de Pannonica de Koenigswarter, divorcée de son diplomate de mari. Très belle et amoureuse, mais qui aux Etats Unis où il est en poste, s'est entichée d'une étrange passion pour la musique nègre. Ne se contente pas d'écouter les disques en catimini chez elle, elle court les concerts, discute avec les musiciens, les défend, les aide, s'entremet pour eux, intervient auprès des autorités, use de son entregent pour les tirer des mains des policiers retors... C'est chez elle que Charlie Parker dévoré par l'héroïne s'en viendra clamser à bout de force, durant six ans elle logera dans sa maison Nellie aux abois et Monk dont l'esprit a définitivement sombré dans une folie mutique...

    z1705miles+monk.jpg


    Les dernières années de la vie de Monk mêleront soleil de la reconnaissance et giboulées de la folie. Les flics lui retireront pour détention de dope durant plusieurs années la carte professionnelle qui lui permettrait de jouer à New York. Devra s'épuiser en incessantes tournées américaines puis européennes. Enregistre désormais chez Columbia, mais au débuts des années soixante-dix le jazz prend un coup de vieux. La musique rock draine les foules. Ceux qui sauront évoluer vers le jazz-rock comme Miles Davis ou les petits jeunes comme Herbie Hancock, tireront leur épingle du jeu. Mais Thelonious Monk est trop enfermé dans son monde, dans le branlant château de son âme, n'en voit pas l'intérêt. Le succès survenu trop tard, ne l'avait pas déjà comblé, n'était pas du genre à s'adapter, choisira de se taire, ne touchera plus un piano durant six ans, jusqu'à sa mort. Retrait et folie, héritée de son père que la famille expulsera mystérieusement de son sein, Monk préféra agir en solitaire, s'exfiltra tout seul de la musique et de la vie.
    Un livre à lire. Une vie à vivre.


    Damie Chad

     

     

  • CHRONIQUE DE POURPRE N° 207 = KR'TNT ! 326 : PETE OVEREND WATTS / GUIDO & THE HELLCATS / JIMI HENDRIX / JAMES BALDWIN + RAOUL PECK / JOHNNY HALLYDAY / POLYPHONIX

     

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

    Pete Overend Watts, Guido & the Hellcats, Jimi Hendrix, James Baldwin + Raoul Peck, Johnny Hallyday, Poluphonix,

    LIVRAISON 326

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    27 / 04 / 2017

    PETE OVEREND WATTS ( II ) / GUIDO & THE HELLCATS

    JIMI HENDRIX / JAMES BALDWIN + RAOUL PECK

    JOHNNY HALLYDAY / POLYPHONIX

     

     

    Overend is over
    Part two

    Pete Overend Watts, Guido & the Hellcats, Jimi Hendrix, James Baldwin + Raoul Peck, Johnny Hallyday, Poluphonix,

    Si vous ouvrez le gatefold du premier album de Mott The Hoople modestement titré Mott The Hoople, vous y verrez Pete Overend Watts photographié de profil et coiffé d’un chapeau. À sa gauche, Buffin semble sortir d’un village de nains du Seigneur des Anneaux. Quant aux autres, ils ne ressemblent pas à grand chose. L’album démarre avec une brillante reprise du «You Really Got Me» des Kinks.

    pete overend watts,guido & the hellcats,jimi hendrix,james baldwin + raoul peck,johnny hallyday,poluphonix

     

    Mick Ralph y joue la carte du gras double. Ils en font un instro punk. On sent d’énormes prédispositions. Ils frisent même le Hammersmith Gorillas et le gros solo d’orgue de Verden Allen passe comme une lettre à la poste. Et voilà, terminé.

    Pete Overend Watts, Guido & the Hellcats, Jimi Hendrix, James Baldwin + Raoul Peck, Johnny Hallyday, Poluphonix,

    Pour le reste, ils se conforment au plan prévu : sonner comme Dylan. Alors l’Hunter-national y va de bon cœur. Il ne faut pas lui demander ça deux fois. Il en enchaîne trois à la suite : d’abord une reprise de Doug Sahm, «At The Crossroads» qui lui aussi s’évertuait à sonner comme Dylan, puis «Laugh At Me», un balladif tue-l’amour qui brise l’élan du disque, et zy-va Mouloud, les nappes d’orgue Hammond sonnent exactement comme celles d’Al Kooper dans Highwy 61 Revisited, et ensuite «Backsliding Fearlessly», où l’Hunter-continental fait tout bien, exactement comme Dylan. Là, ils exagèrent un peu. Qui avait besoin d’un nouveau Blonde On Blonde à Londres en 1969, soit quatre ans après la bataille ? Personne, sauf Guy Stevens. L’Hunter-rimaire glissera encore une petite giclée dylanesque en B avec «Half Moon Boy». Mott se voulait le plus américain des groupes de Londres et ce n’était peut-être pas une bonne idée que de vouloir singer Dyaln à tout prix, en tous les cas, pas avec quatre cuts sur un premier album.

     

    Pete Overend Watts, Guido & the Hellcats, Jimi Hendrix, James Baldwin + Raoul Peck, Johnny Hallyday, Poluphonix,

    Alors avec Mad Shadows, ils tentent de corriger le tir en allant plus sur les Stones, et notamment avec l’énorme «Walking With A Mountain», pur jus de Stonesy. On a là le vrai Mott, bourré d’énergie - It’s a gas/ Talkin’ that fast - Et Overend traverse le flux à grands coups d’empoignades de manche. L’autre gros cut de l’album se trouve en B : «Threads Of Iron», une sorte de jam bien enlevée. Ils semblent jouer leur va-tout, Verden pianote, Overend descend et remonte à contre-courant, Buffin multiplie les facéties rythmiques. On a là la fantastique équipe dont rêvait Guy Stevens, il souffle sur ce cut un véritable vent de folie. Le «Thunderbuck Ram» qui ouvre le bal de l’A vaut aussi le détour, car après des ponts malheureux, Mott vire épique et collégramme, oh ils adorent ça, ils tirent soudain l’overdrive, on entend Overend voyager dans le tumulte, et ça tourne à la pure frénésie. Mott sonne alors comme un fleuve qui emporte tout. Fantastique !

    Pete Overend Watts, Guido & the Hellcats, Jimi Hendrix, James Baldwin + Raoul Peck, Johnny Hallyday, Poluphonix,


    Le soufflé retombe brutalement avec Wildlife. Dommage, car la pochette est superbe, les cinq Mott photographiés dans un bois ont des allures de Pretty Things. Mais l’album est un peu mou du genou. Ils démarrent avec un «Whisley Woman» qui n’est pas celui des Groovies, dommage. Ils s’arrangent toutefois pour exploser ce cut insignifiant. Et puis ils vont enchaîner une série de balladifs ineptes, histoire de bien ruiner l’A. L’Hunter-minable n’en finit plus de ramener ses compos, toutes plus insignifiantes les unes que les autres. Overend devait s’emmerder comme un rat mort. Et pouf, l’Hunter-continental refait son Dylan en B avec «Original Mixed-Up Kid». Pour lui c’est facile, il n’a qu’à pomper dans les albums de Dylan. Et le désastre se poursuit avec «Home Is Where I Want To Be», une country-pop de petite bite. Pas la moindre trace d’inspiration à l’horizon. Ce disque tourne à la catastrophe. On se croirait sur un album d’Aerosmith. Ils terminent heureusement avec une petit coup de pétaudière : une reprise de «Keep A Knockin’» bien knockée du bulbe. Il est évident que ces mecs sont taillés pour la route.

    Pete Overend Watts, Guido & the Hellcats, Jimi Hendrix, James Baldwin + Raoul Peck, Johnny Hallyday, Poluphonix,


    Si on suit la chronologie, on tombe ensuite sur le fameux Brain Capers. Le hit de l’album s’appelle «Death May Be Your Santa Claus», introduit par un beat à sec, très vite rejoint par l’épais riff de Ralph, et pouf, ils partent en mode Mott, piano, basse, heavy beat et ça tourne à l’aventure, au boogie down production à l’Anglaise avec des chœurs en veux-tu en voilà. L’Hunter de Milan revient faire son Dylan avec «The Journey» et franchement, on s’en serait bien passé. Bilan de l’A : un seul bon cut sur quatre. Les renforts arrivent en B avec «Sweet Angeline», dylanesque, certes, mais musculeux et plein de son, superbement mal enregistré. Il faut remercier Guy pour ça. Ralph claque «The Moon Upstairs» au riff et ça redevient du pur jus de Capers, ils mettent le cap sur la Stonesy. Dommage que Mott n’ait pas joué davantage avec le feu. Ils terminent dans une sorte de chaos avec «The Wheel Of The Quivering Meat Conception». Belle photo du groupe au dos de la pochette : on les voit assis devant un mur de briques peint en blanc.

    Pete Overend Watts, Guido & the Hellcats, Jimi Hendrix, James Baldwin + Raoul Peck, Johnny Hallyday, Poluphonix,


    On peut s’épargner l’écoute de l’album All The Young Dudes et consacrer un peu plus de temps à Mott,

    Pete Overend Watts, Guido & the Hellcats, Jimi Hendrix, James Baldwin + Raoul Peck, Johnny Hallyday, Poluphonix,

    ne serait-ce que pour examiner la pochette, si on a la chance d’avoir le pressage américain : ils ne sont plus que quatre, Verden Allen ayant jeté l’éponge. Buffin attire l’œil, car il est très beau, mais la star du groupe reste bel et bien Pete Overend Watts, vêtu d’une espèce de tunique en soie ouverte sur la poitrine et d’un pantalon de cuir orange. Avec cet album, Mott passe résolument en mode glam, avec deux excellents cuts, «All The Way From Memphis» et «Whizz Kid». On croirait entendre Ziggy Stardust ! - You look like a star/ But you’re still on the dole - Et Andy McKay prend un solo de sax. On retrouve dans «Whizz Kid» ces climats délétères de familistère. Avec «Violence», Ralph riffe sec et on passe enfin aux choses sérieuses - Nothing to do/ Street corner blues/ Nowhere to walk - Ils reviennent en B à la Stonesy avec l’excellent «Driving Sister». Ils retrouvent enfin leur prédilection pour le Keef System et soudain, tout s’éclaire enfin avec «I’m A Cadillac», un hit fabuleux signé Ralph - I’m a Cadillac/ I’m just holding back - Overend joue de la basse fuzz - You’re a Thunderbird/ Cruising round my heart.

    Pete Overend Watts, Guido & the Hellcats, Jimi Hendrix, James Baldwin + Raoul Peck, Johnny Hallyday, Poluphonix,


    On tombe enfin sur le meilleur album de Mott The Hoople, The Hoople et sa pochette emblématique : une jolie femme s’y pâme, et dans ses cheveux bouclés scintillent les mille et un visages de Mott. Mick Ralph a quitté le groupe pour fonder Bad Co et Luther Grosvenor le remplace. Le voici rebaptisé Ariel Bender et au change, Mott y gagne terriblement. Eh oui, un Grosvenor à bord, ça change tout ! Mott a enfin un vrai son, et un cut d’ouverture de bal comme «The Golden Age Of Rock’n’Roll» éclate au grand jour. On voit tout de suite la différence, surtout quand Ariel Bender passe un solo flash, avec seulement trois notes tirées et dégoulinantes de gras. Dès qu’ils tapent dans le boogie rock à l’Anglaise, ils redeviennent singulièrement convaincants. On trouve sur cet album un coup de génie signé Pete Overend Wats, le fameux «Born Late ‘58». Après un faux départ, Ariel riffe et Overend place un superbe glissé de basse. Oh le voilà qui se met à chanter comme le punk qu’on attend depuis le début - She’s a speeder, a leader/ You’re really gotta meet her - D’autres énormités guettent l’imprudent voyageur, comme par exemple «Marionette», cut volontairement dramatique et quand la marionnette parle, on croirait entendre Johnny Rotten. Le problème, c’est qu’on en 1974, et Johnny Rotten n’existe pas encore. Avec «Alice», ils reviennent au Dylanex, mais avec du poids à l’Anglaise. On les sent enfin détachés des amarres, plus libres de leurs mouvements. Il finissent l’A avec l’énorme «Crash Street Kids» - See my scars/ See my blood - c’est stompé il faut voir comme, Buffin bat comme un beau diable et dans ce monster cut, Overend roule pour vous. Ouf, le groupe trouve enfin son vrai son, car Overend est poussé devant dans le mix. En B, il règne aussi une grosse ambiance dans «Pearl’n’Roy». Franchement, l’arrivée d’Ariel beefe bien le son. Ils sortent là une superbe pièce de good time music décadente à l’Anglaise. On est au chœur du haut de gamme des seventies. Ariel joue très lyrique sur le dernier cut de l’album, l’imparable «Roll Away The Stone», une belle pièce de glam pur. Ils terminent sur cette note éclatante de grandeur. Mott sauve ainsi sa place au panthéon du rock anglais. Cet album est à Mott ce que Let It Bleed est aux Stones : un classique insurpassable.

    Pete Overend Watts, Guido & the Hellcats, Jimi Hendrix, James Baldwin + Raoul Peck, Johnny Hallyday, Poluphonix,


    Alors que le groupe avait enfin trouvé sa vitesse de croisière, l’Hunter-minable jette l’éponge et se barre aux États-Unis pour aller faire carrière avec Mick Ronson. Overend remonte le groupe avec Buffin, Ray Major, Nigel Benjamin et Morgan Fisher. Mott The Hoople devient Mott et un premier album intitulé Drive On sort en 1975. On voit au dos de la pochette une fantastique photo du groupe. Buffin est habillé comme Oscar Wilde, d’un petit veston noir sur-piqué d’un liseré blanc et passé sur un gilet à dix boutons. Autre fait marquant de cet album : Overend compose tous les cuts. Vous y trouverez deux hits glams absolument parfaits : «I’ll Tell You Something» et «Love Now». Nigel Benjamin chante exactement comme Ziggy Stardust. Ils se situent au cœur de cette mythologie - You’re such a shame - C’est le glam le plus pur qui se puisse concevoir ici bas. Même chose avec «Love Now» qui ouvre le bal de la B : Overend chante, repris au refrain par Nigel Benjamin. Le pote Pete reproduit le coup de génie de «Born Late ‘58» et sa fabuleuse machine ronronne. Avec «She Does It», ils reviennent à un format plus rock’n’roll. Overend ne se casse pas trop la tête pour composer, il va vite en besogne, il faut relancer le groupe, les fans attendent. On trouve aussi en B un heavy groove fantastico intitulé «The Great White Wail», joliment atmosphérique, une bonne aubaine, même si ça frise un peu le prog à la Cokney Rebel. S’ensuit un balladif extraordinaire, «Here We Are». Il faut bien dire que les balladifs d’Overend Watts valent mieux que ceux de l’Hunter-médiaire. Tiens, encore deux merveilles pour finir ce bel album : «It Takes One To Know One», pur jus de glam anglais, et «I Can Show How It Is», encore un fantastique balladif de fin de non-recevoir, une merveille d’habilitation de la paragenèse.

    Pete Overend Watts, Guido & the Hellcats, Jimi Hendrix, James Baldwin + Raoul Peck, Johnny Hallyday, Poluphonix,


    Shouting And Pointing, le deuxième album de Mott, accroche un peu moins, dommage. On y trouve toutefois deux petites merveilles, à commencer par «Career (No Such Thing As Rock’n’Roll)». Du pur Ziggy Stardust, encore une fois. C’est dingue comme ce mec Nigel peut sonner comme Ziggy. On a là du glam de rêve, ce qui se fait de mieux aussitôt après Ziggy. L’autre merveille est cette extraordinaire reprise du «Good Times» des Easybeats. C’est Overend qui chante ça - Gonne hava a good time tonite - C’est claqué aux breaks des enfers et Ray Major part en solo laser, il perce les murailles, ouille, quel fin limier ! On trouve sur l’album d’autres cuts solides comme «Collision Course», joliment délibéré et activement recherché de l’intérieur. Et puis aussi ce gros boogie-glam cousu de fil blanc qu’est «Too Short Arm (I Don’t Care)», véritable coup de poker glam à la table du casino, mais c’est un coup de bluff. On se régalera surtout de «Breadside Outcasts», une belle pièce de glam tardif dotée d’un bel élan populaire. Ces diables de Mott résisteront jusqu’au bout. Ils enjolivent leur glam au mieux des possibilités et on admire leur héroïsme.

    Pete Overend Watts, Guido & the Hellcats, Jimi Hendrix, James Baldwin + Raoul Peck, Johnny Hallyday, Poluphonix,


    On trouve aussi dans le commerce un mini-album de Mott avec Steve Hyams intitulé World Cruise. Dès «Dear Louise», on sent que Steve amène du sang neuf à un Mott exhausted, comme on dit en Angleterre. On retombe là dans l’ornière du vieux boogie privé d’espoir. Ce mini-album fut le dernier sursaut de Mott avant les British Lions. Il faut bien dire que Steve n’est pas non plus le sauveur de Bethléem. Avec «Hot Footin’», ils boogottent dans les brancards, pas de surprise, silly boy bye bye baby. S’ensuit la reprise du «Wild In The Streets» de Garland Jeffreys. Voilà un cut décent joué au heavy beat, merci Garland. Mott retrouve des couleurs et renoue avec sa réputation de Boogie Lords at war. Et ça se termine avec le morceau titre claqué aux beaux accords catégoriels. On guettait le réveil de Mott et le voilà, sous forme de gros boogie anglais absolument parfait, joué dans le gras de l’expansion. Ils renouent avec une certaine idée de l’admirabilité des choses et recréent leur vieille magie conquérante. Pur Mott sound. Terrific !

    Pete Overend Watts, Guido & the Hellcats, Jimi Hendrix, James Baldwin + Raoul Peck, Johnny Hallyday, Poluphonix,


    Dernier round avec The British Lions. Overend tente une dernière fois le coup du grand retour, mais pas de chance, ils tombent en pleine vague punk, et en Angleterre, ils n’intéressent plus personne. John Fiddler de Medecine Head est au chant et ce premier album propose deux reprises de choix : «Wild In The Streets» et «International Heroes». Le cut de Garland Jeffreys est poundé comme il faut, ça sonne très Mott - Your teenage jive is going to workout a mess - et le classique de Kim Fowley emporte tous les suffrages, grâce à son refrain magique - International heroes/ You got the teenage blues - Kim Fowley et Ray Davies même combat, pourrait-on dire ! Les Lions font un joli coup de Diddley beat avec «Break This Fool». Au moins, ils ne s’embarrassent pas avec les arcanes du régurgitage, ils pompent à sec et c’est bien. Il ouvrent le bal de la B avec «My Life’s In Your Hands», un gros balladif épique chargé de son jusqu’à la gueule. Retour sur les terres de Mott avec «Booster», gros boogie-rock chanté au renvoi de lyrics. Pas la moindre ambiguïté là-dedans, on a même du step on the gas.

    Pete Overend Watts, Guido & the Hellcats, Jimi Hendrix, James Baldwin + Raoul Peck, Johnny Hallyday, Poluphonix,


    Le deuxième et dernier album des Bristish Lions s’intitule Trouble With Women. Tout un programme. Et dès le morceau titre qui ouvre le bal, on sent que ça va coincer, car John Fiddler chante mal. Dès qu’il sort de Medecine Head, c’est foutu. Overend fait une vaine tentative de retour au glam avec «Any Port In A Storm», mais la voix de Fiddler ne fait pas l’affaire, monsieur le commissaire. Et avec les cuts suivants, on voit que nos amis les Lions flirtent avec le Cockney Rebel Sound System, ce qui n’est pas forcément une bonne initiative. Avec «High Noon,» ils tombent dans le lacustre. Ray Major tente de faire des miracles sur sa guitare, mais la compo ne convainc guère le conseil de guerre. Ils attaquent la B avec «Lay Down Your Love», une ravissante merveille de petite pop invertébrée. Ray Major a beau sortir sa virulence et croiser le fer avec Morgan Fisher, rien n’y fait. Le Lion ne bande pas. Pourtant, c’est tellement bien joué sous le boisseau qu’on y revient. Il se passe quelque chose d’étrange dans certains morceaux. Même sensation d’étrangeté à l’écoute de «Waves Of Love», soutenu aux chœurs sibyllins. Les Lions ont quelque chose d’indéfinissablement tendancieux, comme s’ils refusaient de se prendre au sérieux. D’ailleurs, les chœurs sont marrants. Ils reviennent enfin au glam à la Ziggy avec «Electric Chair». On sent le dernier spasme du glam anglais, d’autant que Ray Major retrouve le son de Mick Ronson. Ils finissent avec un «Won’t You Give Him One (More Chance)». Écoutons-les bien, car c’est la dernière fois qu’ils jouent. Avec cet ultime raout, les Lions tentent de retrouver le filon Mott du chant glam, avec des coulis de piano qui sonnent comme la mandoline d’«I Wish I Was Your Mother». Dommage que ça s’arrête là, car ces mecs avaient quelque chose de terriblement précieux dans leur façon de glammer le rock anglais. Ray Major fait une dernière fois son Ronson et les British Lions disparaissent à tout jamais, engloutis par l’océan. Quelle tragédie !

    Pete Overend Watts, Guido & the Hellcats, Jimi Hendrix, James Baldwin + Raoul Peck, Johnny Hallyday, Poluphonix,


    On trouve dans le commerce un DVD Angle Air qui propose un concert des British Lions filmé en Allemagne, en 1978. On s’aperçoit que sur scène, les Lions sont encore plus puissants que sur disque. Ray Major sort un gros son de gras double et il porte un pantalon de cuir noir. Overend porte un pantalon rouge et une sorte de petit marteau attaché à la taille. Mais le problème, c’est la voix de John Fiddler. C’est flagrant avec «Come On», un cut qui demande quand même un minimum de raunch.

    Pete Overend Watts, Guido & the Hellcats, Jimi Hendrix, James Baldwin + Raoul Peck, Johnny Hallyday, Poluphonix,


    Si on reste fan de Mott, il faut voir The Ballad Of Mott The Hoople, un film tourné par Chris Hall & Mike Kerry. On le trouve sur DVD. Il s’agit là du meilleur des hommages qu’on puisse rendre au gang d’Overend et de Buffin. Tous les acteurs de cette saga apparaissent un par un, tous sauf Overend qui, à l’époque du tournage, devait être déjà malade. Il brille par son absence. On voit Buffin sur le déclin, Verden Allen plutôt bien conservé, Mick Ralph bouffi, Ian Hunter évidemment, et puis tous les autres principaux acteurs, Stan Tippins qui fut le premier chanteur du groupe, relégué au rang de road manager après l’arrivée de l’Hunter-continental, on voit aussi la veuve de Guy Stevens, puis Luther Grosvenor qui a toujours des allures de rockstar, avec son béret, ses bagues et ses bracelets. C’est Buffin qui sort les choses les plus intéressantes, comme par exemple lorsqu’il parle des premiers albums de Mott : «Lots of recordings were dreadful, lots of songs were dreadful, but there were a few bloody good bits» (les morceaux et les enregistrements n’étaient pas bon, mais il y avait quand même dans le tas quelques petites merveilles). Le problème de Mott est qu’ils remplissaient les salles mais leurs quatre albums sur Island ne se vendaient pas. Bowie les sauve quand il apprend qu’ils vont se séparer, mais ça n’empêchera pas Verden Allen et Mick Ralph de quitter le navire. Luther Grosvenor entre dans la danse, mais il n’aime pas trop les chansons de Mott. Comme il le dit lui-même : «I come from a different sort of guitar category !». Eh oui, Spooky Tooth naviguait à un autre niveau. C’est là que Mick Ronson arrive, mais ça ne se passe pas très bien avec Overend et Buffin : Ronson ne leur parle pas. Ça se termine dans les choux. C’est Buffin qui conclut : «Mott came from nowhere except from Guy Steven’s mind. And it’s quite something !»

    Pete Overend Watts, Guido & the Hellcats, Jimi Hendrix, James Baldwin + Raoul Peck, Johnny Hallyday, Poluphonix,


    Et puis si on veut finir de faire le tour du propriétaire, on peut aussi jeter un œil sur Mott The Hoople Under Review. Cette fois, ce sont les critiques anglais qui dépiautent les albums pour nous en vanter les charmes délétères. Au vu de tout cela, on peut comprendre qu’Overend soit resté inconsolable.



    Signé : Cazengler, échec et Mott

    Pete Overend Watts. Disparu le 22 janvier 2017
    Mott The Hoople. Mott The Hoople. Island Records 1969
    Mott The Hoople. Mad Shadows. Island Records 1970
    Mott The Hoople. Wildlife. Island Records 1971
    Mott The Hoople. Brain Capers. Island Records 1971
    Mott The Hoople. All The Young Dudes. CBS 1972
    Mott The Hoople. Mott. CBS 1973
    Mott The Hoople. The Hoople. CBS 1974
    Mott. Drive On. CBS 1975
    Mott. Shouting And Pointing. CBS 1976
    Mott The Hoople Featuring Steve Hyams. World Cruise. Eastworld Recordings 2001
    British Lions. British Lions. Vertigo 1978
    British Lions. Trouble With Women. Cherry Red Records 1980
    Mott The Hoople Under Review. DVD 2007
    Chris Hall & Mike Kerry. The Ballad of Mott The Hoople. DVD 2011
    The Bristish Lions. One More Chance To Run. Live Germany 1978. DVD Angel Air 2007

     

    TROYES / 22 – 04 – 2017
    le 3 B
    GUIDO & THE HELLCATS

     

    pete overend watts,guido & the hellcats,jimi hendrix,james baldwin + raoul peck,johnny hallyday,poluphonix

    C'était au St Vincent, à St Maximin, près de Chantilly que nous avions, Mister B and me, rencontré pour la première fois Guido Kenneth Margesson. L'avait joué dans l'inter-set des Megatons ( voir KR'TNT ! 120 du 08 / 11 / 2012 ), lui et sa guitare, voici près de cinq ans, l'avait seize ans à l'époque et en entrant dans le 3 B, je me disais qu'il devait avoir bien changé depuis. Doit être physionomiste car il me reconnaît dès que je m'approche de lui pour le saluer. L'est devenu un beau jeune homme, sourire aux lèvres et yeux étincelants. A se côtés Jerry des Megatons est là, nous discutons de Johnny Fay qui dans son Cleveland lointain ne rêve que d'une chose, revenir jouer en France et en Europe. Prêt à soixante quinze ans de faire l'aller-retour avion en deux jours pour seulement un unique concert ! A soixante-quinze balais, notre pionnier ne doute de rien !
    Troisième rencontre, d'un autre type, Duduche tout heureux revenu des USA la veille, frais comme un gardon et n'ayant pas dormi depuis deux jours. Ce n'est pas l'assistance des grands soirs mais l'ambiance est bonne et chaleureuse.

    PREMIER SET

    pete overend watts,guido & the hellcats,jimi hendrix,james baldwin + raoul peck,johnny hallyday,poluphonix


    Les Hellcats sont sur piste. Guido devant, arbore un magnifique chapeau de cowboy blanc, veste noire à franges David Crockett, tie ombrée sur chemise blanche et Gretsch 1620 l'oronge vénéneuse des amanites césariennes symbole du rockabilly en bandoulière. Légèrement derrière en décalé Miguel Martinez, jean sombre, et collier de barbe, chemise western aux épaulettes ornées de bucranes enguirlandées de plumes d'aigles indiennes, officie à la basse tandis qu'au fond Cameron Howett de noir vêtu s'assoit à la batterie. Démarrent sur Summertime Blues, nous offriront une belle sélection de Cochran toute la soirée, le son de la guitare sera un peu trop grêle sur les premiers titres suite à une défaillance de la pédale mais cela s'arrangera par la suite.

    pete overend watts,guido & the hellcats,jimi hendrix,james baldwin + raoul peck,johnny hallyday,poluphonix

    Les morceaux sont enlevés à un rythme soutenu, tempo rapide, cela apparaîtra à merveille sur C'mon Everybody, mais de fait le jeu est beaucoup subtil que l'on l'on pourrait le supposer à première oreille. Miguel et Guido jouent à deux, deux complices – se retournent souvent l'un sur l'autre – ne cherchent pas l'osmose, plutôt une envie de dialogue borderline, la basse, s'en allant en un ruisseau tumultueux, suit son chemin, comme si elle ne prenait nullement garde de son compère, mais comme par hasard elle est toujours au rendez-vous pour laisser l'espace au tranchant de la guitare qui s'en vient ricocher sur le dos de lame du courant, tandis qu'à la batterie Cameron maintient un rythme impeccable qui ne souffrirait d'aucune approximation de la part des guitares qui semblent pétarader des quatre sabots comme des broncos en toute liberté alors qu'elles sont soumises aux figures imposées d'une stricte architecture structurante. Fluidité et énergie.

    pete overend watts,guido & the hellcats,jimi hendrix,james baldwin + raoul peck,johnny hallyday,poluphonix


    Beaucoup de reprises, notamment Johnny Cash, mais les originaux sont encore plus percutants. Ces pièces réalisent parfaitement ce que leur manière d'interpréter les classiques sous-entend. C'est du rythme que proviennent les éléments mélodiques, rehaussés des yodels que ne peut retenir Kenneth. Un rockabilly à deux facettes, historiale et moderniste, des relents country et des touches néo et presque psycho. Un Run Chicken Run à vous mordre les doigts, basse qui glousse comme une poule rousse et les staccato de la Gretsch incisifs comme des coups de bec, aiguisés comme les ergots du coq. Du grand art. Surtout que derrière Cameron vous bazarde de ces coups de pompes à détruire le poulailler. Jerry sera mis à contribution pour un titre, souffle doux, par dessous, en accompagnement.

    pete overend watts,guido & the hellcats,jimi hendrix,james baldwin + raoul peck,johnny hallyday,poluphonix

    DEUXIEME SET

    pete overend watts,guido & the hellcats,jimi hendrix,james baldwin + raoul peck,johnny hallyday,poluphonix


    A tout berzingue. Guido donne de la voix, rauque à avaler le micro, de plus en plus forte, de plus en plus violente à chaque morceau, mais sachant s'incurver à volonté, maltraite sa guitare, Miguel Martinez profite de ce qu'il soit si intensément occupé pour lui aussi se lâcher, vous profile de ces maelströms de lignes de basse à vous laminer les sens, pas de swing mais des ondulations infinies qui semblent s'échapper pour filer on ne sait où, de toutes les manières l'on est déjà emmené par la suivante qui vous emporte sur un espèce de toboggan géant. Un style peu canonique mais ô combien efficace et novateur. Comme une vibration souterraine empruntée au metal qui vous verserait de la moelle brûlante dans le squelette du rockabilly afin de le rendre davantage punchy. Les Hellcats sont bien les trois têtes du tigre sauvage qui monte la garde à l'entrée de la chattière infernale. Sont à fond, si bien que l'irrémédiable se produit, Guido casse une corde, et le set s'arrête le temps de réparer les dégâts.
    L'on repartira sur Johnny B. Goode, afin de réopérer le contact avec ces instants de grâce interrompus bien trop abruptement alors que l'on sentait le public de plus en plus pris par l'ambiance. Les Hellcats ont su susciter intérêt et sympathie. L'on ne saurait se séparer si vite.

    pete overend watts,guido & the hellcats,jimi hendrix,james baldwin + raoul peck,johnny hallyday,poluphonix

    JAM DE FIN

    pete overend watts,guido & the hellcats,jimi hendrix,james baldwin + raoul peck,johnny hallyday,poluphonix


    Troisième partie. Le paradis des rockers, reprennent le classiques, just for fun, Jerry s'attelle à son saxo et suit la musique comme le chien qui s'attaque aux mollets des moutons pour les pousser vers la bergerie, vous mordillent de temps en temps de ces solos à ne plus avoir envie de quitter les pâturages de toute la nuit pendant que les Hellcats mettent le feu à toute la plaine. N'en peuvent plus, mais le public est une hydre insatiable, Duduche nous livre son Whole Lotta Shakin Goin' On habituel auquel il adjoindra – voyage à Tupelo oblige - un Hound Dog, des plus affamés. Se joindra ensuite à Jean-François pour une longue improvisation sur Lundi Matin, zéro catho, un poil au bas du dos scato, les Hellcats interprètent encore deux morceaux et à la demande expresse de nombreux participants ils donnent à bout de force un dernier Dixie qui pour certains résonne en cette veille d'élection présidentielle comme une profession de foi... ( Perso, je décline la rébellion rock selon une autre couleur. ). Les chats de l'enfer, directly from Brighton, ont bien mérité leur repos. Encore une excellente soirée au 3 B.


    Damie Chad


    ( Photos : FB Christophe Banjac )

     

    JIMI HENDRIX
    LE GUITARISTE FLAMBOYANT

    STEPHANE LETOURNEUR

    ( Oskar Editions / 2010 )

    Pas faire le rachou pour un euro, belle couve, quatre-vingts pages, tout neuf, et puis Hendrix, tout de même ! L'enfant de Seattle ne mérite pas de moisir dans un bac à soldes ! Nous a trop apporté pour subir cette symbolique ignominie. J'ai feuilleté les dernières pages, Oskar ( rien que le nom ! ) une maison d'éditions spécialisée pour les livres à visée culturelle pour un public enfants, ados et jeunes adultes. Cette dernière catégorie est apparue voici à peine quelques années. Comme si les chérubins en âge avancé de plus de dix-huit ans avaient besoin qu'on leur mâche les globos. Quelle société d'infantilisation !

    pete overend watts,guido & the hellcats,jimi hendrix,james baldwin + raoul peck,johnny hallyday,poluphonix


    Stéphane Letourneur, inconnu au bataillon, l'a déjà fourni un Jim Morisson, un Bob Dylan et un The Clash dans la même collection. Pas lus, je n'en dirai rien. Par contre ce Jimi n'est pas mal foutu. Ecrit simplement, avec des simili-poèmes agrémentés de quelques lyrics ( sans traduction ) en tête de chaque chapitre, l'on a un peu peur au début, le petit garçon malheureux trimballé de droite et de gauche, va-t-on dévier vers une psychanalyse de bazar, mais non le texte a de la tenue. Défile vite, mais rapporte l'essentiel. Passe l'entourage, les sympathiques et les intéressés, systématiquement en revue, la bio avance au galop, parenté, copines, maîtresses, artistes, rencontres, chacun à sa place, mais à chaque fois la silhouette rapidement évoquée en plein dans le viseur. Les faits bruts rapportés sans la vaseline de la moraline. Toute l'Amérique est là, Elvis, le mouvement hippie, la fumette et le LSD, la guerre du Vietnam, et la carrière de Jimi, l'Angleterre, Monterey, Woodstock, les disques, les concerts, un véritable parcours de combattant, le crève-la-faim et la rock'n'roll star. Splendeur et déchéance. Une addiction aux produits qui n'est pas sans rappeler celle d'Elvis...
    L'a aussi son explication quant à la brièveté de cette carrière. Ce n'est pas la pression, le vedettariat qui a tué Hendrix, mais son cul entre deux chaises. La blanche et la noire. Deux couleurs de trop pour un musicien qui voyait le monde en teintes bleues. Azur de rêve et pétrole cauchemardesque. Adulé en tant que musicien rock par la jeunesse blanche et boudé à cause de cela par le public noir, qui ne le connaît guère, davantage focalisé sur la lutte politique de plus en plus radicale prônée par les Black Panthers. Un bluesman sans peuple. Plus la sensation de ne pas maîtriser sa propre trajectoire musicale, d'être devenu dans le mauvais sens de l'expression, une bête de scène, celle que l'on va voir en premier lorsque l'on visite le zoo du rock'n'roll...
    Jusqu'à cette nuit où il prend une dose de somnifères vingt fois supérieure à la normale alors qu'il n'a pas arrêté de boire de toute la soirée. Stéphane Letourneur ne prononce pas le mot de suicide – il ne faut point traumatiser les jeunes esprits – mais le sous-entend très fort... Courageux, vu le public visé. Idéal pour un néophyte. Le rock'n'roll n'est pas un dîner de gala.


    Damie Chad.

     

    JE NE SUIS PAS VOTRE NEGRE
    RAOUL PECK

    ( Diffusé sur Arte le 25 / 04 / 2017
    en salle à partir du 10 Mai 2017 )

    pete overend watts,guido & the hellcats,jimi hendrix,james baldwin + raoul peck,johnny hallyday,poluphonix

    Pas vraiment un film, plutôt un documentaire. Réalisé par Raoul Peck à partir d'un projet cinématographique non abouti de James Baldwin dont nous présentions, encore, Retour dans l'Oeil du Cyclone – recueil d'interventions politiques - voici à peine deux semaines dans notre 324° livraison du 21 / 04 / 2017. Expatrié en France depuis 1948, Baldwin sera un indéfectible combattant de la cause noire. En 1971 il retourne aux USA en 1979 non pour s'y réinstaller mais pour tourner un film sur l'histoire de la ségrégation des noirs mettant notamment l'accent sur trois leaders qu'il a personnellement côtoyés Medgar Evers, assassiné en 1963, Malcolm X, assassiné en 1965, Martin Luther, King assassiné en 1968... Le projet ne sera pas concrétisé.
    Raoul Peck - cinéaste haïtien né en 1953 - qui a eu accès aux notes inédites de Baldwin le restitue en quelque sorte. Le film est constitué de documents – photographiques et filmiques – d'époque et contemporaines, et notamment d'interventions télévisées de James Baldwin qui en forment l'ossature.
    Des images qui donnent froid dans le dos, strange fruits pendus aux arbres, foules de blancs déchaînés, arborant sans complexe signes et slogans nazis qui s'opposent à l'introduction des élèves noirs dans les écoles jusque là réservées aux blancs, émeutes noires durement réprimées par la police, exactions criminelles de cette dernière... Face à cette violence d'Etat les noirs s'organisent et les plus déterminés n'hésitent plus à proclamer la nécessité de l'auto-défense armée.
    Les propos de Baldwin sont plus ambigus. Sans prôner la nécessité de la violence il prophétise que celle-ci ne pourra inéluctablement que se développer si rien ne change dans un avenir proche. Notons que quarante ans plus tard, si rien n'a fondamentalement bougé la colère noire malgré quelques explosions de grande ampleur a toujours été maîtrisée par l'establishment...

    pete overend watts,guido & the hellcats,jimi hendrix,james baldwin + raoul peck,johnny hallyday,poluphonix


    Baldwin se présente comme un lanceur d'alerte, l'annonciateur du cataclysme, use d'une arme oblique. Il renvoie l'ennemi face à lui-même. Il n'existe pas de problème noir aux USA. Ils sont simplement des américains qui ont permis l'édification de la civilisation américaine – les murs et les idéaux - chargés des travaux les plus pénibles et les moins rétribués. Incidemment, il remarque que nombre de blancs n'ont pas été logés – à part l'esclavage – à meilleure enseigne. Par contre il y a un problème blanc. Les blancs vivent dans le mensonge et l'ignorance. Leur suprématie repose sur deux génocides, le rouge et le noir. Le reconnaître leur est difficile, ce serait mettre à bas l'hypocrisie de toute leur structuration moralino-psychique. Le retour du bâton du sentiment d'auto-culpabilisation chrétienne. Baldwin ne méjuge pas de la difficulté de la tâche qui attend ses concitoyens à pâle visage. Mais il s'en lave les mains. Cela les regarde. A eux de se dépatouiller avec. Après quatre cents ans d'oppression sur le dos, les noirs ont leurs propres blessures à cautériser.
    Les noirs sont dans la nasse, entre rêve américain de bien-être social dont ils ont intégré valeurs et espoirs et réalités cauchemardesques d'exploitation ségrégative, entre identité noire à laquelle ils sont sempiternellement renvoyés et problématique de classe qui présuppose une alliance envers les couches de population blanche les plus démunies qui n'ont pour toute richesse que leur soi-disant supériorité raciale... Bonjour la quadrature du cercle.
    Raoul Peck pose le problème, ne joue pas à l'illusionniste qui possède bien au chaud dans sa besace le tour de passe-passe qui permettra de le résoudre. Beau montage rehaussée d'un arrière-fond musical particulièrement bluesy et commentaire mis en valeur par la voix grave et sombre du leader de NTM. Ce remake de cette never ending story est à voir.


    Damie Chad.

    JOHNNY INTERDIT
    GILLES LHOTE


    ( Cherche MIDI / Octobre 2016 )

    pete overend watts,guido & the hellcats,jimi hendrix,james baldwin + raoul peck,johnny hallyday,poluphonix

    Un livre qui porte mal son titre. Rien de moins interdit que le Johnny qui nous est présenté par Gilles Lhote, ce serait plutôt la fabrication d'une idole, mais ce titre renvoie trop aux années soixante, nous sommes au vingt-et-unième siècle, ce serait donc plutôt le lancement du Nouveau Johnny.

    pete overend watts,guido & the hellcats,jimi hendrix,james baldwin + raoul peck,johnny hallyday,poluphonix


    Gilles Lhote n'est pas un inconnu pour les johnnyphiles, c'est lui qui est derrière l'autobiographie Destroy en trois volumes ( Déraciné 1996, Rebelle 1997, Survivant 1998 ), mais aussi, entre autres, Ma vie Rock'n'roll , Johnny de A à Z, Johnny, le Rock dans le Sang : Journal de la Démesure, 2012, tous réédités sous diverses formes à diverse reprises,mais revenons à ce Johnny Interdit. S'il est vrai que le simple nom de Johnny fait vendre, Gilles Lhote peut se vanter d'avoir témoigné une fidélité à toute épreuve depuis plus de trente ans à la star. Notons que Gilles Lhote qui travailla à Paris-Match, VSD, Télé 7 Jours, a beaucoup écrit, Rolling Stones, Sardou, Coluche, Claude François, Dutronc, mais aussi sur les objets représentatifs ou les univers parallèles de la mythologie rock comme les bottes, les jeans, les blousons de cuir, les Harley-Davidson, le rodéo... cela se sent dans cet ouvrage dans lequel le lecteur se rend facilement compte qu'il recycle quelque peu de nombreux éléments empruntés à ses divers intérêts.


    Le livre n'est qu'indirectement centré sur Johnny, s'intéresse au couple formé par Johnny et sa femme Laeticia, du moins dans les premiers chapitres car insensiblement c'est la personnalité du rocker qui s'adjuge la première place. L'ouvrage traite de la période 2010 – 2016, mais Lhote vous file un peu le tournis. Fait des allers-retours dans le passé. Incessants, un coup vous êtes en 2013, puis en 2010, puis en 2016... ne s'interdit aucune limite, d'un paragraphe à l'autre l'on saute comme un kangorock, des années 80 à l'enfance du rocker, d'un show de 1996 aux mues successives de la carrière passée du chanteur... Toute anecdote est prétexte à digressions, faut bien remplir les pages. L'auteur en profite pour multiplier les références aux vedettes internationales qui ont croisé de près Johnny, de Jimmy Hendrix à Jimmy Page... Le dernier quart du bouquin s'ouvre par un abécédaire hallydayen qui regroupe filmographie et nomenclature des familiers pour la plupart déjà abondamment évoqués dans le reste du volume, est suivi par un Johnny Dixit qui contrairement à ce que nous promet son intitulé donne la parole à tous ceux qui ont croisé la route du rocker de Jean-Paul Belmondo à Elsa Triolet, et se termine par la sempiternelle discographie, l'officielle, sans surprise et uniquement les albums de surcroît...
    C'était fin 2009, sur la route, m'étais arrêté au hasard dans un troquet, difficile de ne pas voir les photos de l'artiste qui envahissaient le bar. Manifestement le patron était un fan, de longue date expliqua-t-il – mais on l'avait déjà deviné – l'on sentait le baroudeur, un ancien parachutiste – la mine était grave, l'air inquiet, sur son lit d'hôpital Johnny venait d'être plongé dans le coma artificiel et dans les salles de rédaction l'on s'activait à réunir les éléments de sa prochaine nécrologie... Le récit de Gilles Lhote nous raconte les péripéties de cet épisode critique et nous permet d'assister à la lente et longue remontée de Johnny vers la lumière et le succès. Sous un angle différent que celui auquel on aurait pu s'attendre. Certes, la remonte à la surface nous est contée, la convalescence difficile, la dépression qui l'accompagna, la perte de sa voix, le repli familial, la peur et les angoisses, et enfin lors de son anniversaire Johnny capable de se servir d'un micro, il y a là de quoi faire pleurer dans les chaumières. Mort et résurrection, le combat d'un homme, contre son destin.

    pete overend watts,guido & the hellcats,jimi hendrix,james baldwin + raoul peck,johnny hallyday,poluphonix


    Ben non ! Les spots sont braqués sur Laeticia. Prend les choses en main. Tendresse, amour, sollicitude de l'épouse éplorée passent au second plan. Une intimité qui ne nous est montrée que de loin. Ne nous trompons pas de sujet. Nous ne sommes plus au moyen-âge, mais dans l'Ere de la Communication. Tout est question d'image. Les toubibs se chargeront des médicaments et des recommandations. C'est leur job, sont payés pour cela. Une maladie, si grave soit-elle, mérite un tout autre traitement. Il n'existe pas de remède miracle. La véritable lutte se passe à un autre niveau. Supérieur. Laeticia inaugure une nouvelle stratégie, vous pourriez la juger comme une fuite en avant, un déni de la réalité, mais c'est alors que vous vous trahissez, vous réagissez comme un gagne-petit ! Faut savoir prendre des risques et parier sur l'avenir. Si le moteur de la fusée est cassée, au lieu de vous désoler ou de vous acharner à remonter les rouages, préparez plutôt la rampe de lancement, et établissez le plan imminent de la mise à feu et sur orbite. De la rock'n'roll attitude passons à la Be positive Attitude ! Finies les coups de coeur à l'arrache, les impros géniales, les hasardeuses virées déjantées, voici venu le temps des recettes longuement mijotées, des plans de carrière minutieusement fignolés.

    pete overend watts,guido & the hellcats,jimi hendrix,james baldwin + raoul peck,johnny hallyday,poluphonix


    Les mauvaises langues prétendront que Laeticia en profite pour prendre le pas sur son mari. Définitivement. Lui démontre preuve de réussite à l'appui que sans elle, il n'est pas grand-chose. Se la jouent sociologues, la femme moderne qui s'empare des rouages de la société – l'a existé dans les années quatre-vingt une version alternative de cette montée conquérante du féminisme, une vision davantage réactionnaire, la femelle américaine qui subjugue le mâle, qui corrompt sa virilité, et insuffle dans l'inconscient social de l'american way les valeurs conservatrices d'accumulation et de repli sur soi – et installe peu à peu sa prédominance araknique sur la société.

    pete overend watts,guido & the hellcats,jimi hendrix,james baldwin + raoul peck,johnny hallyday,poluphonix


    Un petit moment que Laeticia préparait son coup d'état. En douce, mais à la vue de tous. Pose en déshabillé léger dans Pure et nue dans Lui. Ne vous laissez pas subjuguer par la prégnance de ces délicieuses images. Laissez tomber vos jugements moraux. Affichez une femme dénudée et les imbéciles ne voient que la nudité. Ou leurs propres préjugés. Ce qui compte, c'est l'entrée dans le gotha international des femmes sublimes, le lectorat potentiel – ne soyez pas patauds d'esprit, s'agit de faire le buzz, non pas auprès des petits lecteurs qui vont débourser dix euros pour se rincer l'oeil à l'eau trouble de leurs phantasmatiques curiosités inavouables – mais faire signe à tout ce que ce ramdam savamment calculé vous ouvre comme possibilités d'accès à des sphères inatteignables au commun des mortels. Cet affichage permet de pénétrer dans le premier cercle de la jet-set artistique. Ne suffit pas d'avoir l'argent et les moyens. Ce genre de babioles est à la portée du premier riche venu. Il importe de devenir une personnalité indispensable de l'élite aux alouettes miroitantes. C'est à ce moment-là que vous pouvez vous offrir votre caution morale, vous participez au campagne de l'Unicef, vous lancez votre fondation, vous venez au secours des malades et des pauvres. Ne s'agit pas d'engloutir votre fortune personnelle, non mais d'inciter le bas-peuple ému par votre coeur bon comme du pain blanc à verser une obole compatissante...

    pete overend watts,guido & the hellcats,jimi hendrix,james baldwin + raoul peck,johnny hallyday,poluphonix


    Johnny s'est rétabli. Entreprend de nouvelles tournées, enregistre de nouveaux disques, tout est reparti. L'on est content pour lui, Gilles Lhote plus que nous. Grisé – dans les cinquante nuances, les plus claires - jusqu'aux ongles des pieds, rien n'est trop beau pour le couple national, c'est un déluge qui nous submerge. Du fric, de la monnaie de l'argent. Les plus beaux habits, les fêtes les plus somptueuses, les avions privés, les résidences de rêve, les amis huppés, ne nous épargne rien, les marques, les coûteuses matières, les boutiques les plus prestigieuses, me demande comment le fan de base qui se prive pour acheter le moindre produit estampillé Johnny doit réagir. Peut-être vit-il cette insolente débauche sans réticence. Prend-il plaisir à contribuer à cette gabegie monstrueuse ? L'existence quotidienne lui procure-t-elle si peu de joie que cette vie par procuration lui est-elle indispensable pour se préserver de toute cruelle lucidité quant au vide abyssal de son propre vécu ? A-t-il l'impression que des paillettes de gloire auréolent ses jours ? Le phénomène d'identification est est-il si prégnant qu'il vit réellement comme en une sorte de dédoublement spectralement lumineux les remarquable épisodes de la saga de son idole ? Sans doute est-ce plus agréable que d'avaler un nombre incalculable d'anti-dépresseurs pour éloigner de sa propre inanité la tentation du suicide...
    Gilles Lhote n'est même pas effleuré par cette problématique. Au royaume doré du roi Johnny tout est beau et magnifique. N'a plus grand chose à dire, nous détaille le nom des créateurs des costumes de scène, puise dans ses réserves et celles des copains. L'avant-dernier chapitre est une reprise de Johnny, Vingt Ans d'Amitié ( KR'TNT ! 278 du 21 / 04 / 2016 ) de Michel Mallory. Ne s'en cache pas, en profite pour nous relater l'enregistrement de Toute La Musique que j'Aime, mais c'est le dernier chapitre Dans le Regard «  Brand New Cadillac » Vince Taylor qui s'avère être le plus passionnant.
    Une simple photographie. De 1971. Due à Tonny Frank, journaliste attitré. Palais des Sports, Mois de septembre. Johnny de dos. N'est pas le sujet de la photo. Zoom sur le public. Foule indescriptible. Dans la cohue, l'on aperçoit Jacques Brel, et Charles Gérard ( comédien ). Et des anonymes. Parmi eux... Vince Taylor, en costume de ville. Et Gilles Lhote en profite pour résumer en trois pages des plus compréhensives la vie de l'ange noir. En rajoute quelque peu sur l'amitié qui lia les deux principaux protagonistes du rock'n'roll français... La photo est en très grand format dans le bureau de Johnny. Ces trois ultimes feuillets rachètent tout le bouquin.


    Damie Chad.

    POLYPHONIX
    DEUXIEME ANTHOLOGIE SONORE

    Fawzi Al-Aledy / Tahar Ben Jelloun / Julien Blaine / Peter Blegvad-John Greaves / Eberhard Blum-Hugo Ball / William S. Burroughs / Olivier Cardot / Jacqueline Cahen- Yocho'o Seffer / Henry Chopin / Corrado Costa / Jules Deelder / Caroline Deseille / François Dufrêne / Esther Ferrer / The Four Horsemen / Allen Ginsberg / John Giorno / Giovanna / Edouard Glissant / Felix Guattari / Brion Gysin / Les Hamadcha d'Essaoura / Bernard Heidsieck / Joël Hubaut-Rhizotomes / Tom Jonhson / Dyali Karam / Arnaud Labelle-Rojoux / Jean-Jacques Lebel – Texture / Ghérasim Luca / André Pieyre de Mandiargues / Michèle Métail / Katalin Molnar / Bruno Montels / Angeline Neveu / Peter Orlovsky / Serge Pey / Christian Prigent / Quatuor Manicle / Nathalie Quintane / Louis Roquin / Jérome Rothenberg / Christophe Tarkos / Tran Quang Haï / Sylvia Ziranek.

    Amis rockers prenez un valium et ne vous énervez pas. Je suis gentil, je vous épargne la lecture du livre qui va avec. Pour les plus courageux, sachez que la connaissance du français, de l'anglais, de l'allemand, du latin, de l'espagnol, de l'italien sont nécessaires. Si par hasard la maîtrise d'un de ces étranges idiomes vous échappait, pas de panique, il n'est pas sûr que vous compreniez l'intérêt des textes écrits en la langue que vous jargonnez depuis votre plus tendre enfance. Permettez-moi toutefois, avant d'en venir au CD annoncé, de me pencher sur le bouquin – oui, il y a des images en couleurs – sobrement intitulé :

    POLYPHONIX
    ( Centre Pompidou / Editions Léo Scheer )

    pete overend watts,guido & the hellcats,jimi hendrix,james baldwin + raoul peck,johnny hallyday,poluphonix

    A l'origine Polyphonix est un festival international de poésie contemporaine, directe, sonore, parlée, performante, fondé en 1979, ce livre édité en 2002 se présente comme le bilan des quarante éditions précédentes et se donne à lire comme un manifeste. Mais quel rapport avec le rock'n'roll ? Les noms de William S. Burroughs, de Gregory Corso, de Bryon Gysin et d'Allen Ginsberg ne sont pas inconnus des amateurs de la Beat Generation, John Giorno qui fut un familier d'Andy Warhol inspira beaucoup de personnalités rock et de groupes tels Debbie Harris, New Order, Sonic Youth et Nick Cave, les amateurs de jazz ne seront pas insensibles à Bern Nix qui officia à la guitare à côté d'Ornette Coleman, et Steve Lassy américain exilé à Paris qui influença une grande partie des musiciens de jazz de notre pays...
    Polyphonix se trouve aux carrefours de nombreuses confluences, poésie, musique, peinture, dessin, dadaïsme, poésie lettriste, surréalisme, et de toux ceux qui au vingtième siècle tentèrent la jonction du poème et des différents modes d'enregistrement rendues possibles par l'évolution des techniques. Nous atteignons à d'étranges confins, expérimentations d'avant-garde, lectures, performances, bruitisme se mêlent et s'entremêlent. Plus de quinze cents artistes sont passés par Polyphonix, des plus traditionnels, aux plus révolutionnaires, la poésie et les textes quittent le livre et tentent d'occuper de nouveaux espaces plus ou moins éphémères, avec plus ou moins de bonheur. Le pire y côtoie le meilleur.

    pete overend watts,guido & the hellcats,jimi hendrix,james baldwin + raoul peck,johnny hallyday,poluphonix


    C'est un lieu ouvert, qui autorise toutes les facilités, je classerai Julien Blaine ( qui officia dans la revue Jungle qui eut quelque crédit dans les milieux rock'n'roll ) parmi celles-là, certains comme Deleuze qui bénéficient d'une aura de sérieux philosophique viennent y chercher une caution de modernité chaotique, et d'autres comme Serge Pey et ses bâtons de guerre sculptés offrent des performances de toute beauté qui empruntent davantage à la cruauté théâtrale d'Antonin Artaud qu'à de tristes pantalonnades.
    Polyphonix se veut dissident. Mais peut-on encore parler de dissidence nomade lorsque l'institution culturelle du Centre Pompidou vous ouvre ses portes ?

    Mais passons au disque. Très décevant. Peu de folie. Peu de cris tempétueux. Quelques suffocations bien venues, des essoufflements un peu malheureux, des chuchotements prévisibles pas du tout inquiétants, et puis pas grand-chose. Arnaud Labelle-Rojoux a beau s'écrier que «  c'est très rock'n'roll », nous n'y trouvons pas notre compte. Tout cela manque de rythme. Nous sommes en France et l'ensemble sent trop l'intellectuel en goguette qui s'en vient s'encanailler à l'American Center, un petit côté bobos adeptes du fameux second degré qui permet de s'esbaudir joyeusement de n'importe quelle improvisation saugrenue. Eriger le non-sense en un-non art nous semble une démarche qui se réduit à l'énonciation tautologique du réel. Ce qu'il y a de terrible c'est que l'ensemble de ces gens sont aussi sérieux qu'une maîtresse de maison qui organisait une réunion Tupperware chez elle dans les années cinquante. Le plus décevant, c'est que tout cela sonne désuet. Dépassé. Faux.


    Damie Chad.


    P.S. : toutefois le livre nous offre un véritable trésor : la reproduction autographique d'un poème érotique de Pierre Louÿs aussi turgescent qu'un étron tout frais au milieu d'un parterre de fleurs fanées. Indispensable.

     

     

  • CHRONIQUE DE POURPRE N° 206 = KR'TNT ! 325 : TEENAGE FANCLUB / WHEEL CAPS / LA BLONDE ET MOI / LITTLE RICHARD / CLAUDE McKAY

     

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

    LIVRAISON 325

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    20 / 04 / 2017

     

    TEENAGE FANCLUB / WHEEL CAPS

    THE GIRL CAN'T HELP IT / LITTLE RICHARD

    CLAUDE McKAY

    You got the Teenage Fanclub blues

    z1571image.gif

    Les Écossais de Teenage Fanclub pourraient très bien sortir d’«International Heroes», le vieux hit de Kim Fowley - International Heroes/ You got the teenage blues/ Change has gotta come soon/ Or else we’re gonna lose - D’ailleurs, les Fannies accompagnent Kim sur l’album Trip Of A Lifetime. Logique, puisque Kim est avec Big Star leur principale influence.

    z1559catholic.jpg


    À parti de là, il n’est pas étonnant que leur premier album A Catholic Education sonne comme un classique. «Everything Flows» se situe exactement au même niveau qu’«International Heroes», c’est un hit de pop universelle, une véritable bénédiction. Ça sonne comme un hymne dès l’intro, claqué à la clameur des belles guitares électriques et la mélodie se fond dans cette clameur. Quelle aveuglante merveille ! Cette fabuleuse exaction macrobiotique d’électricité apostolique se répand sur la terre comme un voile de lumière irisée. Il y a là de quoi faire jerker tous les dieux de l’Olympe, même les plus acariâtres. C’est d’une onctuosité sonique qui relève de la pire des perfections. Les cuts suivants auront du mal à se maintenir au même niveau d’excellence, même le morceau titre qui suit, pourtant bien énervé, joué ventre à terre, noyé d’harmonies vocales, mais on revient inlassablement à «Everything Flows», car c’est LE hit décisif. Ils gavent leur B de beaux cuts, comme «Catholic Education 2», doté lui aussi d’une belle clameur sonique à la Eugenius. Oh, ils savent trousser un cut cavaleur et bien emplumé. Ils gavent «Eternel Light» de son gras et mélodique. Voilà encore une merveille de power pop écossaise. «Every Picture I Paint» semble cavaler dans les highlands, c’est même complètement frénétique et plein de vie. Et ils passent à la Big Starisation des choses avec «Everybody’s Fool». C’est à cause de ces morceaux qu’on est allé au Zénith les voir en première partie de Nirvana. Il était alors impossible de résister à l’appel d’un tel groupe.

    z1560god.jpg


    S’ensuit un maxi tout aussi magique, puisqu’il propose un «God Knows It’s True» aussi déterminant qu’«Everything Flows». Voilà encore un hit lumineux, éclatant et mélodique. Explosivité à tous les étages. On a là tout le génie des early Teenage avec leur mélasse de guitares claires à la Byrds, ces infra-sons qui traversent l’air pur comme des airs de cornemuse. C’est un au-delà de la pop, une sorte de nadir inespéré, après la disparition des Beatles. Ces mecs avaient le pouvoir de créer un mythe, comme Big Star ou Kim Fowley. On ne pouvait pas faire l’impasse sur un hit comme «God Knows It’s True». On retrouve d’ailleurs tous ces hits magiques sur un album compilatoire paru à l’époque, Deep Fried Fanclub. Les Écossais jouaient alors avec tellement de classe qu’ils balayaient toute la Britpop, excepté les Boo Radleys, originaires de Liverpool. Tiens, puisqu’on parle de Liverpool, on trouve sur Deep Fried une excellente reprise de «The Ballad Of John & Yoko», avec la basse de Gerard Love bien montée devant dans le mix. Ils font aussi un joli coup de Big Starism avec «Don’t Cry No Tears». C’est carrément du «September Gurls» à la bonne franquette, travaillé à la mélasse de guitares captivantes. Ils rendent un hommage plus direct à l’ami Alex avec une reprise de «Free Again», un Alex qui n’aurait sans doute jamais existé sans les Beatles. Ils finissent ce précieux album avec «Bad Seed», un beau cut garage joué à la fuzz d’Écosse, tricoté à la dure, battu sévèrement et chanté avec une belle dose de malveillance.

    z1561wagonesque.jpg


    Attention, car ça monte encore d’un cran avec Bandwagonesque. Cet album produit par Don Fleming fait aussi partie des albums classiques, ceux qu’on dit parfaits. C’est un album qui se situe au niveau de l’Album blanc des Beatles, d’Electric Ladyland, de Bonde On Blonde ou encore de Fun House : disque parfait qui ne contient pas le moindre déchet et auquel on revenait inlassablement, lorsqu’il parut dans les années quatre-vingt dix. Il y régnait une fantastique atmosphère de fête et quand on rentrait dans un magasin à Londres, on entendait «Star Sign», ce hit terriblement nerveux, plein de jus, explosé de notes perdues, de fuites soniques, joué à l’extrême densité du bass-drum. Mais il serait vain de vouloir préférer un cut sur cet album, car tout est incroyablement bon, là-dessus, à condition bien sûr d’apprécier la power-pop. On retrouve toute l’énergie sacrée d’«Everything Flows» dans «The Concept», avec un peu plus de poids. C’est la pop anglaise sous son meilleur jour, aussitôt après les Beatles - I didn’t want to hurt you - Tous ceux qui étaient à Londres à l’époque se souviennent d’avoir entendu ça dans les magasins. On se prosterne aussi aux pieds de «What You Do To Me» qui sonne aussi comme un hymne spectaculaire. Il semble à un moment donné que les Fannies en font trop. Chaque cut est une merveille absolue, comme cet «I Don’t Know», avec ses chutes de couplets lourdes et lentes à la Hardellet. Une fois encore, les harmonies vocales se fondent dans l’immense mélasse sonique. Il se passe réellement quelque chose d’historique dans ce disque. La B ne vous accordera aucun répit, car dès «Metal Baby», la dynamique des Teenage se remet en route. Ils chantent à l’unisson du saucisson. Cet album est une fête, au sens ou l’entendait Hemingway, quand il écrivit Paris Est Une Fête. C’est une célébration de la liberté et de la vie, de la lumière de printemps et des femmes légères. La fête se poursuit avec les bouquets de son de «Sidewinder» et la mélodie chant d’«Alcoholiday» vous envoûtera. Tout est magique sur cet album. Signé Gerard Love, «Guiding Star» sonne une fois encore comme un hit planétaire. Mais attention, le pire est à venir : ils claquent l’«Is This Music» de Gerard Love aux cornemuses, dans une espèce de débauche de sur-puissance. Véritable coup de génie que ce final éminemment élégant.

    z1562king.jpg


    The King apparut dans la foulée. Il s’agissait d’un assemblage de jams enregistrées sous la houlette de Don Fleming. L’album faillit bien passer à la trappe. On y trouve une version complètement allumée d’«Instellar Overdrive» de Syd Barrett. Ils sont féroces et déterminés à vaincre. «Like A Virgin» aurait pu se trouver sur Bandwagonesque, ainsi que «The Ballad Of Bow Evil», belle pièce de psyché vertigineuse, jouée à l’aloyau, sans répit ni remords. Gerard Love drive tout ça comme un démon. Le défaut de ce disque, c’est qu’il faut parfois s’armer de patience pour aller jusqu’au bout des morceaux, mais on est bien récompensé. On assiste ici et là à des montées de mélasse incroyables, notamment dans les deux «Heavy Metal».

    z1563treize.jpg


    Puis les Fannies vont trouver leur vitesse de croisière, au rythme d’un album tous les deux ans. Il paraît important de préciser que ces gens-là sont parfaitement incapables de rater un album. Ils vont continuer de se partager les compos, mais comme on va le voir, Gerard Love tire un peu plus son épingle du jeu, car il signe systématiquement tous les gros hits. Il est le Brian Wilson du groupe. Le carrousel commence en 1993 avec Thirteen et son ballon de basket en gros plan sur la pochette. Voilà encore un disque infernal. Gerard Love y signe un hommage à son héros Gene Clark. Si on aime les Byrds, alors on monte directement au paradis, car on a là un hit apocalyptique, heavy à souhait, noyé de brumes et Gerard s’agenouille aux pieds d’un géant pour lui rendre un fabuleux hommage. Il signe aussi un «Fear Of Flying» qui pourrait bien concerner Gene Clark. On le sait, Gene Clark quitta les Byrds car aussitôt après la première tournée européenne, il fit comme Aretha, il décida de ne plus jamais monter dans un avion. Voilà encore un hit de heavy pop, celle qui traîne en chemin, zébrée d’éclairs de génie, c’est exactement ça, a new vibration to a situation, Gerard Love recrée le mythe de la pop anglaise - Don’t fuck it up - Il se met dans la peau de Gene Clark pour un hommage défoncé à mad psychedelia maximalia. C’est Norman Blake qui signe «Commercial Alternative», le hit de Big Star que n’ont pas écrit les Big Star. C’est en plus touillé par un solo infernal. Il signe aussi «The Cabbage», histoire de montrer qu’il peut grimper les pentes de l’Olympe pour aller faire exploser sa pop au sommet. Il sonne tout simplement comme George Harrison dans les Travelling Wilburys ! C’est le même son, mais avec encore plus de panache, comme si c’était possible. Le deuxième cut de l’album est à peine fini qu’on réalise que ces gens sont tous des surdoués. Back to Gerard pour «Radio», encore un hit puissant et affirmé. On a là la meilleure power-pop qu’on ait entendue depuis les Gigolo Aunts, Redd Kross ou Urge Overkill. Le paradis de la pop tournoie sur lui-même comme une toupie géante. Lorsque Gerard bombarde ses cordes de basse, ça repart de plus belle et pour bien corser l’affaire, il multiplie les descentes de manche démentoïdes. Pour ne pas rester en berne, le père Blake revient avec «Norman 3». Cette fois, il sonne comme les Byrds - C’mon break some bread, close the window, you’re the future - Mélodiquement parlant, c’est imputrescible. On est là au cœur de l’imparabilité des choses. Ses claquages d’accords constituent la huitième merveille du monde - Yeah I’m in love with you - Curieusement, les compos de Raymond McGinley accrochent moins, elles donnent un peu de répit, car les disques trop denses peuvent constituer un danger pour l’équilibre physiologique. Il reste encore un hit signé Gerard sur cet album, le fameux «Get Funky». Il s’amuse à jouer un riff de funk sur sa basse et les autres embrayent comme des punksters des bas-fonds de Glasgow. C’est monstrueux et salement claqué du beignet.

    z1564prix.jpg


    Avec Grand Prix et sa formule 1 sur la pochette, le génie composital de Gerard Love continue de faire des ravages. Dès «Sparky’s Dream», la pop s’enflamme et renoue avec l’ampleur de Bandwagonesque - That summer feeling/ Is gonna fly - C’est éclaté aux harmonies vocales dignes des Byrds. On a toujours dit que les Fannies ne juraient que par Big Star, mais en fait ils sont beaucoup plus proche de l’esprit des Byrds. Et si ce cut n’est pas du génie, alors qu’est-ce donc ? On reste dans le monde magique de Gerard Love avec «Don’t Look Back». Il éclabousse littéralement le monde de lumière, comme le fait aussi Brian Wilson. Il a un sens inné de la perfection mélodique. C’est tout simplement écœurant de splendeur, cette pop éclate sous le soleil exactement, il ne s’agit plus ici que de beauté pure. Les poètes symbolistes de l’Avant Siècle auraient adoré cette musique. Norman Blake tente de contribuer au prestige des Fannies avec «Neil Jung». On y entend de belle dégelées soniques dignes de Big Star et en fin renard, Norman y aménage un somptueux break dégoulinant de guitares. On peut dire qu’avec ce groupe on est gâtés. Peut-être même trop. Retour à Gerard avec «Discolite», fuckin’ genius ! On pourrait presque l’appeler le grand architecte de la pop, le pope de la beauté classique, la bombe atomique à deux pattes, le champignon inespéré. Il transforme tout le plomb de la terre en or.

    z1565britain.jpg


    On finit par écouter les albums des Fannies comme on écoutait ceux des Beatles, qui eux aussi se partageaient les compos. Qui fait quoi sur ce nouvel album ? C’est Norman Blake qui ouvre le bal de Songs From Northern Britain avec «Start Again». Il vise l’efficacité de la perfection et cherche à se situer dans l’inexorabilité du contexte. Il continue d’établir sa mainmise byrdsy-big-starique sur le groupe et personne ne lui en tiendra rigueur, bien au contraire - We got time to start again - C’est aussi lui qui signe «Winter», un cut qui s’ouvre comme une fenêtre sur la vallée enchantée. Norman adore voir le soleil briller, c’est un poète de l’affect, un Verlaine de la pop, mais il est vrai qu’on oublie aujourd’hui qui est Verlaine, un personnage clé de la mythologie du monde moderne. Raymond McGinley se fend d’un beau hit avec «I Don’t Care», il s’y montre extrêmement opiniâtre et passe des accords d’une rare violence écossaise. C’est aussi lui qui signe «Can’t Feel My Soul», plus prosaïque, moins glorieux, mais à force de fréquenter des cocos comme Gerard et Norman, il finit par prendre du poil de la bête. Sa pop reste néanmoins quelque peu populacière. Mais on s’en doute, c’est encore Gerard Love qui va rafler la mise avec des hits superbes comme «Ain’t That Enough», d’un impact mélodique effarant, le hit que les Byrds n’ont pas su écrire, puissant et radieux comme ce n’est pas permis. Ou encore «Take The Long Way Round», et sa magie à la Roswell pixique, ses éclats byrdsy et cette ampleur immédiate qui lui permet de verser dans l’universalisme. Il faut voir comme ce mec sait relancer ses dynamiques ! Comme Frank Black, Gerard Love accomplit de vrais miracles. C’est lui qui referme la marche de cet album fatidique avec «Speed Of Light», et il ne manque pas à son devoir car il déclenche une sorte d’enfer sur la terre, taking over, understanding ? Libre à vous d’understander ou pas.

    z1566howdy.jpg


    Gerard Love signe trois hits planétaires sur Howdy paru en l’an 2000 : «I Need Direction», «Near You» et «The Town & The City». C’est de la pop, évidemment, mais avec de l’ampleur. Avec «Near You», il va chercher le chaud du creux du cou et soudain, la musique éclate. C’est sa façon de dire que personne n’est jamais seul au monde. La musique a le pouvoir de sauver l’âme. Encore de l’extraordinaire prestance avec «The Town & The City», prodigieuse extension du domaine de la hutte, voilà encore une pop fièrement dressée vers l’avenir et palpitante de vie dyonisiaque. Norman signe un «Accidental Life» digne des Byrds, claqué à l’éclat psychédélique et plus loin un «Straight And Narrow», joliment pulsé. Ces gens-là ne lâchent rien, ils consacrent tous leurs efforts à la pop et mouillent leurs survêtements de sueur.

    z1565britain.jpg


    En 2002, il enregistrent un album avec Jad Fair, le fameux Words Of Wisdom And Hope. Jad Fair fit en son temps tout ce qu’il put pour passer pour un mec bizarre, on s’en souvient. En tout les cas, il ne chante pas comme un mec normal. Derrière lui, les Fannies sont en forme olympique, ils déversent littéralement de la lumière sonique. Ça se met à chauffer dès «Near To You», car Gerard Love fait ronfler sa basse. Ils enchaînent ça avec un chef-d’œuvre de mad psyché intitulé «Crush On You». Voilà un cut digne des virées druggy du Velvet, avec ces fameuses montées de fièvre subites. Pure puissance d’Écosse, c’est explosé au meilleur groove des highlands. No way out ! Jad Fair fait des siennes dans «Power Of Your Tenderness», il chante à l’accent tranchant et devient assez fascinant. C’est un chanteur extrêmement doué. Une fille qui sonne comme Hope Sandoval vient chanter avec lui sur «Vampire’s Claw». Puis Gerard Love attaque «Sacred Heart» sur un riff de funkster, alors Jad en profite pour faire le con à droite et à gauche. Autant dire que «Sacred Heart» vaut pour une énorme pièce de groove. Tiens, voilà encore un cut digne du Velvet : «Love’s Taken Over». On y retrouve l’extraordinaire tension et les accents de voix tranchants qui firent la grandeur du Velvet. Impossible d’ignorer un tel album.

    z1568man.jpg


    Et puis l’écart commence à se creuser entre les albums. Le rythme des deux ans passe à cinq, mais ils semblent encore gagner en qualité, car Man-Made compte aussi parmi les albums indispensables à tout amateur de grande pop anglaise. Norman Blake ouvre le bal avec «It’s All In My Mind», une pop bien enfoncée du clou car battue avec rage. Ils partent en dérive d’harmonies vocales et ça devient vite fascinant. Ils n’ont rien perdu de cette vision sonique qui fit leur légende, au temps de Creation. Comme les Beach Boys et les Byrds, ils dégagent un fort parfum d’intemporalité. Norman signe aussi «Slow Fade», dans la veine de Bandwagonesque. Raymond McGinley participe au festin avec «Feel» et une attaque frontale de la meilleure pop d’Europe. Ça sonne comme un hit têtu et peu regardant des choses. Raymond hume l’air et va là où le vent le porte. C’est encore une fois Gerard Love qui rafle la mise avec «Time Stops», éclatant d’énergie, comme joué sous le boisseau, à la fois éclaté du Sénégal et chanté à la douceur du beat, ils s’élèvent dans d’extraordinaires évanescences harmoniques et vont se fondre dans l’aura de Brian Wilson. Oh et soudain ça explose avec un solo. Alors, on s’inquiète pour eux. Comment vont-ils pouvoir revenir au calme ? Gerard revient au micro un peu plus tard pour «Save», l’une de ses entourloupettes magiques. Quand on l’écoute chanter, c’est marrant, on pense à un prince. Mais pas ces princes modernes qui font pâle figure, plutôt ceux des contes de Pouchkine ou de Lampedusa. Avec «Born Under A Good Sign», Gerard part à l’envers d’Albert King. Il va vers le psyché magique des Byrds, eh oui, ils savent le jouer à la perfection, ils recréent de fabuleux drive ambivalent que jouait Chris Hillman. Wow ! What a ride ! On ne s’est jamais ennuyé sur un album des Fannies et là encore, on tombe sur un morceau qui grouille de notes multicolores.

    Z1569SHADOWS.jpg


    Avec Shadows, Norman Blake opère un grand retour dans la mad pysché avec «The Back Of My Mind». Il adore les Byrds, ça se voit, il cherche toujours à percer le secret du vieux concept psychédélique édicté par Gene Clark, David Crosby et Roger McGuinn. Sa version du concept est absolument dévastatrice car jouée aux arpèges bulbiques des connaissances antédiluviennes, voilà encore l’un des meilleurs développements de mad psyché qu’on ait vu ici bas depuis «Eight Miles High». Norman Blake salue une fois encore les Byrds avec «When I Still Have Thee», il se montre même mille fois plus musculeux que ses héros californiens. N’oublions jamais que Norman Blake fonctionne comme un torrent de montagne, à plein régime et en grondant dans la lumière. Et que dit l’admirable Gerard Love ? Oh, il ouvre le bal avec «Sometimes I Don’t Need To Believe In Anything», une pop puissante et râblée qui court comme le furet, une petite merveille d’insistance caractérielle, chargée d’explosion climatique. On assiste à un extraordinaire envol d’orfraies de pop écossaise, comme si le maniement des poudres pop libérait des énergies lumineuses jusque-là inconnues. On entend même des ouuuh-ouuuh résonner au fond des fjords. Avec «Into The City», Gerard Love se rapproche des Beach Boys et il en profite pour ouvrir de nouveaux horizons. Retour au pur jus de pop avec «Shock And Awe». Notre héros tâte ici de la pop vertigineuse, il fait éclater toutes les coques des notes, les noires comme les blanches.

    z1570here.jpg


    C’est à nouveau Norman Blake qui lance les festivités de Here, leur tout nouvel album, avec «I’m In Love» une pop qu’il faut bien qualifier d’éclatante. Mine de rien, ils recréent la sensation. Le petit père Blake réédite cet exploit avec un autre hit intitulé «The Darkest Part Of The Night», il renoue même avec la veine des gros mid-tempos hésitants de Bandwagonesque. Cette pop de réacteur nucléaire claquée aux accords de Big Star n’a rien perdu de son allant et de ses dissonances pluridisciplinaires. Norman Blake signe aussi «Live In The Moment» une pop au son plein qui autorise à croire que ces Écossais pourraient encore conquérir le monde. Eh oui, avec ces cuts, on est une fois de plus confronté à une manifestation du génie pop des Fannies. En matière de coups de génie, Gerard Love n’est pas en reste puisqu’il en propose trois, à commencer par «Thin Air», empreint d’une élégance soigneuse, trié sur le volet et volatile, comme l’indique son nom. On s’y régale d’un solo en traversière, lumineux et subtilement saturé. On s’extasie à l’idée que l’avenir de la pop reste entre de si bonnes mains. Il revient en force, notre Gerard préféré, avec «The First Sight» et il nous éclate ça vite fait à la mad psychedelia - If I ever deserve the first sight of a breaktrought - et le solo s’évade de la terre comme une fusée magique. Il faut bien parler ici d’élévation vers la lumière. Il sort encore un hit de son chapeau de magicien avec «It’s A Sign» qui bien sûr renvoie à «Star Sign», avec un solo qui s’en va exploser dans l’azur marmoréen.

    z1572deuxguitares.jpg


    Et pouf, les voilà sur scène à la Gaîté Lyrique ! Ils ressemblent désormais à des petits pépères, ou plutôt à d’anciens amateurs de pop indé abonnés à des mauvais canards. Aucune débauche vestimentaire sur scène, ils portent tous des fringues irrémédiablement normales.

    z1573jpeg.jpg

    Norman Blake porte le cheveu court et des lunettes, il s’est fait un look atroce de premier de la classe, Gerard Love qui semble avoir rétréci au lavage porte une chemise blanche, un jean clair et une basse Fender blanche aussi volumineuse que lui. Raymond va lui aussi réussir à battre tous les records d’anti-starism avec son pantalon en velours côtelé et sa vieille Fender. Inutile de dire qu’on attend des miracles de cette équipe de vétérans de l’âge d’or. Eh bien figurez-vous qu’ils vont presque réussir à flinguer leur set à force de proposer des cuts d’intérêt secondaire. On le sait, rien n’est jamais gagné d’avance, mais les Fannies ont tellement de hits en réserve qu’il leur suffirait juste de les choisir. En fait, il y a deux problèmes : un, ils jouent trop de chansons de Raymond dont on sait qu’elles sont moins brillantes que celle de Norman et de Gerard. Deux, Gerard se met beaucoup trop en retrait et du coup, Norman Blake prend le rôle de leader, alors qu’on sait qu’il n’est pas vraiment l’âme de ce groupe. Fatale erreur ! Pour encore envenimer les choses, Norman Blake change de guitare pour chaque nouveau morceau, alors il finit par nous agacer au moins autant que Ryan Adams qui lui aussi se livrait à ce petit jeu, histoire de monter aux Parisiens médusés sa fabuleuse collection de guitares vintage. Ah on est loin de la guitare à courts-jus de Mick Collins !

    z1574deuxguitares.jpg


    Comme ils sont là pour la promo de leur nouvel album, il tapent forcément dans la viande fraîche, mais pas tant que ça, car Gerard ne chantera qu’une de ses compos sur Here, le fabuleux «Thin Air». Quant à Norman, il va claquer de belles versions de «The Darkest Part Of The Night» et d’«I’m In Love». Dans le cours du set, Gerard chantera aussi «Don’t Look Back», tiré de Grand Prix, et l’effarant «Ain’t That Enough» tiré de Songs From Northern Britain. Avec ça, on devrait se sentir gavé comme une oie, mais non, le problème est qu’on ne supporte pas qu’un groupe aussi haut de gamme puisse jouer des cuts de niveau inférieur. On soupire ostensiblement aux pieds de Norman. Il s’en aperçoit et semble s’excuser.

    z1575mecassis.jpg

    Des mecs commencent à gueuler pour réclamer «The Concept», alors il fait yes yes d’un air embarrassé et indique d’un geste de la main que ça vient, yes yes, after ! Et paf, ils prennent «The Concept» juste en fin de set et forcément la salle explose. C’est réglé comme du papier à musique. Nos cervelles palpitent d’ivresse rimbaldienne. C’est immédiat, c’est même un phénomène physiologique automatique, on sent les artères qui se dilatent de jouissance, Norman et Raymond claquent leurs vieux accords magiques, et franchement, on se dit à ce moment-là qu’il devait se passer exactement la même choses lorsque les Beatles se trouvaient sur scène. Comme les Beatles, les Fannies sont au-delà de la pop, dans le monde magique qu’ils ont inventé. Ils reviennent pour le rappel et attaquent avec un cut pourri. C’est insupportable. Une honte.

    z1576cheveuxcourts.jpg

    Alors pour racheter leur faute, ils enchaînent trois hits inter-galactiques tirés de Bandwagonesque, «What You Do To Me», «Starsign» - que chante Gerard - et ils finissent sur cette inconcevable prestance de la fulgurance qu’est «Everything Flows», une façon exemplaire de boucler la boucle en explosant la haute salle de la Gaîté. Ils redeviennent ce groupe grandiose et magique qu’on vénérait à l’époque et dans leur pattes, la pop reprend tout son sens : elle rend tout simplement les gens heureux.


    Signé : Cazengler, pas Fannie mais fané

    Teenage Fanclub. La Gaîté Lyrique. Paris IIIe. 6 février 2017
    Teenage Fanclub. A Catholic Education. Paperhouse Records 1990
    Teenage Fanclub. God Knows It’s True. Paperhouse Records 1990
    Teenage Fanclub. Bandwagonesque. Creation Records 1991
    Teenage Fanclub. The King. Creation Records 1991
    Teenage Fanclub. Thirteen. Creation Records 1993
    Teenage Fanclub. Grand Prix. Creation Records 1995
    Teenage Fanclub. Songs From Northern Britain. Creation Records 1997
    Teenage Fanclub. Howdy. Columbia 2000
    Teenage Fanclub & Jad Fair. Words Of Wisdom And Hope. Domino 2002
    Teenage Fanclub. Man-Made. Perma 2005
    Teenage Fanclub. Shadows. Perma 2010
    Teenage Fanclub. Here. PeMa 2016

     

    14 – 04 – 2017 / LAGNY-SUR-MARNE
    LOCAL DES LONERS
    WHEEL CAPS

    z1587affiche.jpg

    Soirée tranquille en petit comité avais-je supposé, les rockers éparpillés aux quatre coins de la France, lancés à toute allure sur leurs motos pétaradantes pour profiter de ce week end pascal. Erreur monstrueuse ! Au dernier tournant du labyrinthe qui mène chez les Loners, m'a fallu réviser mes pitoyables prévisions. Une horde de cuirs noirs s'agite devant l'entrée et déborde largement sur la chaussée. Parfait pour réviser les logos de tous les bikers-clubs du département ! Les précédents passages des Wheel Caps à Troyes ( voir KR'TNT ! 313 du 26 / 01 / 2017 ) et les showcases à Rock Paradise à Paris ont suscité le bouche à oreilles et piqué les curiosités. N'ai-je pas garé la teuf-teuf que je tombe sur Phil des Ghost Highway venu soutenir ses pots et Béatrice Berlot entourée des conquistadors du 3 B. Remarquable absence de Duduche, excusé d'office, puisque de l'autre côté de l'Atlantique, en visite à Tupelo et Graceland.

    z1594duduche.jpg

     

    WHEEL CAPS

    z1584lestrois.jpg


    La salle remplie comme un oeuf de Pâque – la métaphore s'impose – pondu par un alligator. Tout le monde est là, sauf les Wheel Caps qui batifolent à l'extérieur. Les voici qui arrivent et s'installent, tous trois sur le devant de la scène. La configuration des lieux s'y prête, pas de préséance, trois complices sourire aux lèvres et mains baladeuses sur des instruments de douce torture musicale.

    z1579drumer.jpg

    Alain Perny lance le sésame magique, Un, deux, trois, quatre, un, deux, et c'est parti ! L'est particulièrement pernicieux le Perny ce soir, vous envoie de ces coups de boutoirs à ébranler les murs les plus épais des citadelles, par dessous, sans que personne ne le voie sur la grosse caisse, et puis du geste innocent de ses deux mains il vous passe le balai sur la caisse claire pour chasser lea poussière, du genre excusez-moi, je ne l'ai pas fait exprès, et tout de suite après, la mine réjouie du gamin qui essaie sa carabine à plomb sur le canari du voisin, il refait cracher les bombardes de Crécy à plein régime, garez-vous sur les trottoirs, il y a le rockab qui passe.

    z1582thierrybasse.jpg

    Manches courtes, une casquette, une contrebasse aux ouïes étoupées, pas de doute, c'est Thierry Daime, le daimon échappé du cerveau de Socrate, qui s'en vient titiller la dialectique des quatre cordes, tire sans ménagement et tape sèchement, la grosse pendule de bois verni ne ronronne pas comme le chat endormi dans le couffin du bébé, elle jappe beaucoup plus qu'elle ne jazze, z'avez intérêt à lui présenter des mollets durs quand elle y plante ses dents hargneuses, plaisir à les entendre ces deux-là quand ils montent ou descendent à toute vitesse les escaliers rythmiques du rockab. Aboient aussi dans le micro pour les choeurs, pas du tout à la Jordanaires qui vous beurrent bien gras, bien mou, la tartine, non à la Jean Bart se jetant à l'abordage sur un malheureux rafiot anglais. Faut des aspérités dans le rockab, des pointes méthodiques que l'on enfonce à coups de maillets, précis et dévastateurs.

    z1580alainchant.jpg


    Entre ses deux assesseurs François Jandolo mène la farandole. Chemise blanche et Gretsch cochranesque, n'en faut pas plus pour rendre les rockers heureux, la voix qui assure et la guitare qui morsure. Les cordes du haut, les cordes du bas. Un diagramme de base d'une simplicité extrême. Un gamin de quatre ans peut le comprendre. Mais après il y a la magie et l'instinct, l'inné et l'acquis, quel que soit le riff, savoir l'exacte proportion des résonnances nécessaires à la volupté auditive, mélange et séparation, le velours des graves et le grêle des aigus, l'est passé maître Mister Jandorock pour toujours laisser un écho du premier dans la gracilité du second et un soupçon de ce dernier dans le velouté gravissime. Mais l'est aussi le Chantdolo, peut-être l'art suprême du rockab, celui qui emmène le bateau au coeur des tempêtes pour mieux traverser l'oeil des ouragans.

    z1578thierrychant.jpg


    Sont en forme les Wheel Caps commencent juste Centipede, leur cinquième morceau, qu'ils ont déjà gagné la partie, un Woring Kind pas du tout ennuyant et Thierry Daime entonne All I can Do. Faudra un jour que l'on m'explique pourquoi cette chansonnette aux paroles si pathétiques suscite un tel élan vital sur les auditeurs. Normalement après l'avoir écoutée vous devriez écourter votre vie, vous tirer une balle dans la tête ou pour les moins courageux entrer dans un monastère, mais non c'est toujours la liesse générale, avouons que Thierry Daime vous l'enlève à un train échevelé, comme les généraux de Napoléon la Redoute de Borodino, à tel point qu'une fois terminé, vu l'exultation de la salle, il se lance à lui tout seul - percussivement secondé par Alain qui n'y va pas de main morte - dans une polyphonie corse du meilleur effet. Un Stray Cats Strut à croire que les Wheel Caps ont déjà été réincarnés en chats de gouttière dans une autre vie, tant ils vous rendent à la perfection l'indolence matoise d'un félidé humain en quête de chattes brûlantes sur les toits, un Boogie Bop Dame à vous damner le fion, un Zombie vombrissant, un petit Gene étourdissant, vincenal en diable qui fiche toute l'assistance à l'agonie puisqu'elle réclame aussitôt après une Rock Therapy, mais les Wheel Caps garent la Rose Cadillac sur le bas-côté. Fin du premier set.

     

    WHEEL CAPS & FRIENDS


    Ne sait pas ce que nos enjoliveurs ont fait durant l'interset – j'étais avec Nelson Carrera qui se laisssait photographier avec des admiratrices- oh Carol ! Corine,Corina ! - impérial le Nelson, avec ses yeux bleus pétillant, sait parler aux demoiselles vous les met dans sa poche en moins de cinq secondes, la grande classe – z'en tout cas ils reviennent au taquet.

    z1583drumrigole.jpg

    Commencent par nous réchauffer avec un Ice Cold, type ice-scream brûlant, Alain Perny, de sa haute stature officie debout derrière la drumerie, fouette ses cymbales comme des femmes lascives que rien ne saurait satisfaire, gesticule à la Toscanini maltraitant le Berliner Orchestra, dents rieuses et mimiques imparables, vous bascule le rockab dans les sentiers de chèvres vertigineux, immédiatement suivi par Thierry Daime qui dégringole la sente des chamois courbé sur son vaisselier Louis XIII, de rocher en rocher, vous sert une fricassée de Splonk ! Splonk ! Splonk ! serrés comme des tourniquets de mitrailleuses dans les westerns mexicains.

    z1590filles.jpg

    L'est bien connu qu'en avril, l'on ne se découvre pas d'un cochranil, alors nous en sortent deux d'un coup, Tired et Sleepy et Completely Sweet, complété en fin de set par un Twenty Flight Rock monstrueux. Ne devrait pas vous dire comment François Jandolo est heureux comme un loup entré en pleine dans la bergerie, un carnage, la voix qui s'inflexifie à merveille et la guitare qui vous incendie les neurones. Blue Jeans et Long Black Train pour nous en faire voir de toutes les couleurs, et entendre la voix des anges. Peux vous certifier qu'ils ont un sexe. Féminin. Ressemblent à y méprendre à des créatures terrestres mais qui poussent des hurlements de démoniaques. Des vrilles de filles qui vous déchirent les tympans, exactement comme sur les chansons des Beatles sur l'enregistrement du Hollywood Bowl à Chicago en 1965. L'ambiance est montée de douze crans, ce ne sont pas des ritournelles à la Rit It Up et à la Tennessee Rock'n'roll qui vont la réfrigérer. Surtout quand on appelle Phil des Ghost

    z1589titus+ghost.jpg

    qui s'en vient batifoler sur les drums en entonnant son morceau fétiche Hello Marylou, suivi par Titus – pas le fils de l'empereur Vespasien – harmonica greffé dans ses phalanges qui nous apporte une touche plus blues que western du meilleur effet avec ses longs legati plus sulfureux que des décharges électriques.

    z1593nelson.jpg

    Nelson Carrera qui se faisait discret au fond de la salle est rappelé à son devoir le plus élémentaire de rocker, et il nous offre en final de toute beauté et en hommage à Chuck Berry un Johnny B. Goode des plus talentueux – sa voix épouse à merveille le phrasé de son idole – les Wheel Caps vous y brodent par-dessous un de ces accompagnements aux gros oignons qui piquent et vous font verser des larmes de sang. N'auraient pas dû si bien faire, leur est sur le champ interdit de descendre de scène et, pauvres forçats enchaînés au dur labeur du rock'n'roll, sont obligés de bisser plusieurs morceaux, dont le fastueux All Ican Do is Cry que Thierry Daime nous clame comme le brame du cerf le soir au fond des bois. Vous en ressortez la moelle épinière toute rabougrie.

    z1591titus+3.jpg


    Un concert de fous. Les Wheel Caps ont allumé le feu. Et ne l'ont pas éteint. Chapeau bas, Messieurs !


    Damie Chad.

    ( Photos : FB : Béatrice Berlot, Rey Fonzareli, Phil Ghost-Highway )


    LA BLONDE ET MOI
    FRANK TASHLIN
    ( 1956 )

    z1601cassette.jpg

    The Girl Can't Help It, le titre est plus parlant pour les rockers. C'était aux alentours de 1967 – plutôt avant qu'après mais je ne puis l'affirmer - je sursautai en feuilletant le programme télé, caramba los gringos ! La Blonde et Moi sur la deuxième chaîne ! Un impératif catégorique aurait dit Kant. Juste un problème. Dans la lointaine Ariège le relais télévision qui desservait mon village ne reliait pas encore la deuxième canal... Solution de secours, filer chez la grand-mère et la convaincre qu'il lui fallait obligatoirement regarder ce chef-d'oeuvre du cinéma mondial dans lequel apparaissait ce demi-dieu, ce héros de l'Humanité en marche qui répondait au nom de Gene Vincent. Jugez de mon éloquence qui atteignit des sommets dignes de Cicéron, je parvins à la persuader et à la convaincre. Quoique à la réflexion je me dise qu'elle resta tout de même sur une appréhension emplie dun scepticisme des plus dubitatifs quant à la nécessité incommensurable du rock'n'roll dans l'avancée de la civilisation... Bref, trois jours plus tard, j'étais assis face à la télévision, prêt à dévorer des yeux et des oreilles ce chef-d'oeuvre mythique du septième art. Hélas, les dieux du rock n'étaient pas de mon côté, ce soir-là le deuxième relais de diffusion qui arrosait l'Ariège était en panne... Des milliers de flocons de neige encombraient le fond noir de l'écran...

    z1602thegirl.jpg


    Le temps a passé... A mon humble honte, j'avoue que jusqu'à cet après-midi de dimanche pluvieux, l'idée et l'envie m'étaient sorties de la tête. A ma décharge toutefois j'ajouterai que depuis l'instauration du net, je me suis abreuvé mainte et mainte fois des trois séquences qui mettent en scène Little Richard, Eddie Cochran et Gene Vincent, j'ai même acheté le DVD en 2008, mais pour ne pas dire que j'ai attendu dix ans pour le visionner, me suis enfin résolu à le regarder, davantage poussé par une intérêt sociologique que par un curiosité purement cinématographique, n'étant guère un spectateur enthousiaste des images qui bougent. ( Je sais nul n'est parfait, mais je me console en me répétant que beaucoup sont parfaitement nuls ).

    z1603affiche.jpg

    Plaisant à regarder. Première constatation : en couleur et en cinémascope. La moindre des choses aujourd'hui, mais en 1956, ce n'était pas donné. Un argument de vente. Dont Tom Ewell l'acteur principal vient faire la promotion sur le générique. Genre démarcheur à domicile. Certes l'image s'allonge à droite et à gauche. De quoi y loger le grand canyon du Colorado, six régiments de cavaleries et douze tribus indiennes sur le sentier de la guerre. Ce ne sera pas le cas, nous ne sommes pas dans un western, mais dans une comédie citadine. Pratiquement toutes les scènes se déroulent en appartements ou en salles de spectacles ( pas le Zénith, mais la boîte-cosy ), et il y a même pire, quelques uns des moments-pivots de l'intrigue se déroulent dans un espace bien plus confiné, dans un poste de télévision. N'oublions pas que la télé fut le fer de lance du rétrécissement urbain américain, et en même temps le début de la société du spectacle. Ce n'est pas un hasard si le roman de la césure poético-existentielle initiée par le mouvement beat prend à la même époque la tangente, Sur La Route de Jack Kerouac paraît en 1957...
    Mais la télévision fut aussi le média de propagation du rock'n'roll, sans elle Elvis Presley serait resté un petit chanteur régional dont la renommée n'aurait jamais dépassé les états limitrophes du Tennessee. Et justement le rock and roll est le sujet du film. Pas exactement. Entre dans l'action par la bande. Le film n'aurait pu être qu'une comédie sentimentale, mais rien de plus fade qu'une historiette amoureuse, l'amour est un plat qui se mange brûlant et fortement épicé. A l'époque la morale pudibonde interdisait tout dévoilement intempestif, fallait trouver autre chose que l'érotisme dénudé, la caméra s'arrête à la naissance de la gorge proéminente de Jayne Mansfield et de Julie London. Donc ce sera le rock'n'roll. Pas question d'en faire le vecteur de la révolte adolescente. L'on ne prend pas cette musique nouvelle au sérieux. Ce n'est pas qu'on ne la comprend pas, c'est que l'on refuse tout bouleversement culturel qui remettrait en question le fragile équilibre sociétal. L'humour et la dérision sont des vecteurs castrateurs et incapacitants. En France, nous aurons droit à la même désinvolture, souvenons-nous du mépris de Boris Vian envers Elvis Presley en particulier et le rock'n'roll en général.

    z1604afficherock.jpg


    Mais la loufoquerie n'est pas obligatoirement signe d'indigence intellectuelle. Le film ne raconte que la fabrication d'une vedette. Que celle-ci y mette de la mauvaise volonté est un des ressorts du comique du scénario. Quand on ôte ses yeux des proéminences Mansfieldiennes, l'on s'aperçoit que l'on est au coeur de ce phénomène de récupération, de contrôle et d'abâtardissement dont le rock'n'roll fut victime aux USA. La guerre des Jukebox que se livrent, d'une manière les plus divertissantes, les deux bandes rivales de la pègre qui dans le film officient dans l'industrie de l'entertainment est prémonitoire du scandale de la payola qui mettra un terme à la carrière d' Alan Freed et de ses rock'n'roll shows, le rock'n'roll ne saurait être qu'un produit de haut rendement financier et de simple consommation musicale.
    L'Equipée Sauvage en 1953, Graine de Violence en 1955, La Blonde et Moi en 1956, de l'inquiétude sociologique au divertissement grand public ( en France, on aurait eu droit à Les Charlots font du rock'n'roll ) le boa constrictor du système d'assimilation marchande est capable d'avaler les proies les plus hostiles – sans doute l'adjectif “obliques” conviendrait-il mieux - et de les digérer avec une placidité souriante qui fait peur. Puis de les régurgiter et de vous les vendre en barquettes réfrigérées dont vous devenez addicts sans vous poser de questions.

    Damie Chad.


    THE GIRL CAN'T HELP IT
    Picture-Disc / NCB 1050 / DENMARK / 1985

    LITTLE RICHARD / NINO TEMPO / JOHNNY OLENN / EDDIE FONTAINE / THREE CHUCKLES / JULIE LONDON / GENE VINCENT / EDDIE COCHRAN / RAY ANTHONY / THE TRENIERS / FATS DOMINO / THE PLATTERS

    z1606mansfield.jpg

    Pas de panique, La Blonde et Moi, est aussi un film musical, si je n'ai que très peu intrinsèquement évoqué cet aspect dans la chronique précédente, c'est que j'ai retrouvé la bande-originale du film sur mes étagères. Je vous en prie, ôtez vos yeux du décolleté plongeant de Jayne Mansfielden face A, vous risqueriez de vous blesser, et ouvrez grand vos oreilles.

    The Girl Can't Help It : chanson générique du film, enregistré pour Specialty, un titre un peu à part avec Lucile, dans le meilleur de la discographie du petit Richard ( mais grand artiste ) prépondérance des cuivres qui demandent une voix plus appuyée moins virevoltante que sur les autres morceaux rock de ces légendaires sessions incendiaires.

    z1610tempo.jpg


    Tempo's Tempo : Nino Tempo et son sax c'est un peu l'éléphant avec sa trompe. Hélas qui fait son numéro dans un cirque. Capable de vous déraciner un séquoïa mais ici on vous le montre en train de cueillir des marguerites. Un peu au début, un peu à la fin, le reste de la séquence occultée par les tribulations du héros. Toutefois c'est mieux en film que sur disque où le morceau trahit trop ses influences jazzy swing. Tout compte fait le réalisateur n'a pas eu entièrement tort. Maintenant attention, vous retrouvez Nino Tempo sur l'album rock'n'roll de John Lennon. Serait-il le Link Wray du saxophone ?

    z1611olenn.jpg


    My Idea of Love : Johnny Olenn, son idée de l'amour n'est pas la nôtre, si doucereux que vous avez envie de rentrer votre bite dans votre poche et de vous faire cénobite. Damoiselles, c'est sans danger. Vous pouvez vous rapprocher. Olenn vaut bien mieux que cette catastrophe. L'a fréquenté Elvis et Johnny Caroll, cela vous classe un homme. I Ain't Gonna Cry No More : sur le coup Johnny a compris qu'il fallait redresser la barre ( demoiselles écartez-vous ) le vocal vous mordille les épaules mais le sax vous écorche la peau un peu plus sauvagement, s'en tire avec les honneurs mais san médaille pour fait de bravoure inoubliable.

    z1523richard.jpg


    Ready Teddy : l'on ne présente plus, un chef d'oeuvre. Si vous ne connaissez pas, sachez que votre présence sur cette planète n'est guère indispensable. Les deux titres de Little Richard disséminés sur le disque sont enchaînés dans le film ( et entrecoupés d'images parasitaires ), l'est beau comme un dieu, devant son piano et dans sa permanente ondulée, l'on a tout fait pour polir son image, mais un tigre reste toujours un fauve, qu'il soit en train de se lécher les pattes dans sa cage ou d'égorger une gazelle innocente en pleine brousse.

    z1609fontaine.jpg


    Cool It Baby : Eddie Fontaine, chanteur, acteur et comédien. Pas un inconnu en 1956, mais à part les sites spécialisés es rockabilly, l'a été bien oublié par chez nous. Un Cool It Baby de bonne facture, mais un peu trop cool du genou à notre goût. Ne pourra servir de générique à ces soirées où vous quittez votre appartement doré pour endosser vos vêtements de serial killer et vous enfoncer dans les brumes les plus épaisses de vos nuits les plus noires.

    z1612chukles.jpg


    Lolilop Lover : Three Chuckles, rien que le titre trahit la mièvrerie du propos, un exemple parfait du rock assagi qui ne chasse plus les souris en leur attachant un bâton de dynamite à la queue. Pour le film ils ont laissé l'accordéon à la maison. Z'auraient pu prendre un rail de cocaïne à la place.

    z1613julielondon.jpg


    Cry Me A River : Princesse Julie London en action. Peut-être la séquence du film la mieux venue. Chanson mélodramatique pour une situation mélodramatique. The right song at the right place, professionnalisme américain insurpassable. Ce n'est pas du swinging London, mais le slow sirupeux que vous devez avoir toujours sur vous si vous avez couché avec la meilleure amie de votre copine et que par une stupide inadvertance vous tenez à raccrocher les wagons au train qui ne vous a pas attendu. Attention, torrents de larmes livrées sans crocodile.

    z1605discvincent.jpg


    Be Bop A Lula : comment se fait-il qu'un demi-siècle après l'on n'ait pas encore retrouvé les rushes de la séquence avec cette fin qui voyait les portraits des grands musiciens classiques accrochés au mur de la salle tomber à terre ( repose Beethoven ! ) lors de la dernière note du combo des Blue Caps en folie. L'existe bien quelques rares images de Gene durant sa période américaine, mais jamais avec une netteté cinématographique équivalente.

    z1619cochran.jpg


    Twenty Flight Rock : séquence iconique – les images mouvantes d'Eddie Cochran sont si rares – tout le rock'n'roll est contenu dans ce haussement guingoisique des épaules, encore plus fort que le jeu de jambes épileptiques d'Elvis qui par ricochet ressemble à la tremblante du mouton. C'est dire si Eddie Cochran reste le chaînon manquant du rock'n'roll.

    z1620anthony.jpg


    Rock Around The Rockpile : une parodie qui pille grossièrement et Bill Haley et Choo-choo Boogie – le scénario l'exige – inutile de demander une exonération à votre précepteur sous prétexte que vous ne l'ayez jamais entendu. Il ne vous l'octroiera pas. Et il aura raison. Ray Antony qui joua dans le big band de Jimmy Dorsey essaie de se rattrapper aux petites branches du rock'n'roll.

    z1621trenier.jpg


    Rockin' Is Your Bizness : allez plutôt sur You Tube, ici les Treniers sont sages comme des images, rien à voir avec certaines de leurs prestations désopilantes. D'autant plus étrange que leur manière favorite aurait été au diapason des intentions parodiques du film.

    z1522domino.jpg


    Blue Monday : Cheveux lissés et ongles manucurés, Fats Domino en paraît presque mince. Petit problème, sa bluette du lundi matin paraît bien fade ( un gumbo sans aileron de requin )comparée à l'impeccable prestation de Little Richard. Bien qu'il soit de la même famille, un matou allongé sur votre canapé n'a rien à voir avec un tigre altéré de sang.

    z1624zola.jpg


    You'll Never Never Know : The Platters. Genre chanson d'amour à verser, une fois de plus, des torrents de larmes. Si vous avez le coeur sec comme le sable de la La Vallée de la Mort, matez plutôt Zola Taylor et essayez de savoir à quoi elle sert dans ce quatuor masculin dont elle a tout l'air d'être la cinquième roue du carrosse.

    Une constatation s'impose, l'omniprésence sur presque tous les morceaux du saxophone. Instrument qui fait la liaison entre le dance jazz et le rock'n'roll, pas un hasard si la guitare électrique se taille la part du lion sur les deux morceaux de Gene Vincent et d'Eddie Cochran. Personne ne saurait arrêter la marche de l'histoire !

    Damie Chad

    LITTLE RICHARD / PARIS 1966
    ENREGISTREMENT PUBLIC
    A L'OLYMPIA

    z1607olympia66.jpg

    THE WILDEST ROCK AND ROLL SHOW EVER RECORDED


    LUCILLE / GOOD GOLLY MISS MOLLY / RIP IT UP / LONG TALL SALLY / TUTTI FRUTTI / JENNY JENNY / SEN ME SOME LOVIN' READY TEDDY / SHE'S GOT IT / WHOLE LOTTA SHAKIN' / OOH POO PAH DOO

    ( ODIO disques : OD-66 )

    Enregistrement non officiel comme l'on dit pudiquement. N'ai pas vu le concert ce 13 décembre 1966 mais ai écouté religieusement le show – si je me souviens bien dans un bar parisien ou à la Maison de la Radio - retransmis par le Pop Club de José Arthur et présenté par Pierre Lattès. Pour la pochette, se sont contentés de reprendre celle du 45 tours I Need Love.

    z1608ineedlove.jpg


    Un Little Richard en pleine forme, soutenu par un public conquis à l'avance, en pleine possession de ses moyens. A cette époque Little Richard continuait sa croisade de retour entreprise en 1964 en Angleterre. A l'origine ne devait entonner que des chants religieux mais les démons du rock'n'roll sont revenus à la charge... Fallait bien prouver à ces morveux d'englishes qui était le roi du rock'n'roll !

    z1614richard.jpg

    L'était accompagné par Johnny B Great & the Quotations, Al King était au saxo, porte bien son nom.

    Lucille : la tornade ne fait que commencer. Les cuivres assènent la marmelade et Little Richard vous passe la seconde couche de poudre de canon. Les festivités s'annoncent torrides. Good Golly Miss Molly : un piano qui égrène comme un début de slow et subitement c'est le délire total, l'on est parti pour une série de bombes atomiques envoyées sans rémission. Un saxophone qui attaque en piqué au milieu du morceau et Little Richard qui knock oute son monde en cinq phrasés terrifiants. Rip It Up : encore le coup du piano mou et le vocal qui écrase les mouettes à coups de marteaux sur l'océan déchaîné, le sax qui vous plante des échardes dans la gorge et vous pousse de ces barres à mines dans les oreilles que cela en devient insupportable, faites quelque chose, arrêtez-le, mais non il continue au-delà de la mort, et sur ce, Little Richard vous passe le rouleau-compresseur de sa voix agrémenté d'un moteur de formule 1, jalousie du sax qui vous creuse une tranchée dans le conduit auditif et tous deux se tirent la bourre jusqu'à la fin du morceau. Long Tall Sally : whoo ! Promis l'on va avoir some fun jusqu'au bout de la nuit, vous secoue le piano comme Jerry Lou dans ses grands moments, et le sax revient bourdonner dans votre cerveau, cette fois le vocal se fâche vraiment, courez aux abris si vous tenez à survivre. Tutti Frutti : deux whaou ! de triomphe et l'on remue la salade aux mille fruits juteux. Yes Indeed. Le piano ricane de toutes ses touches, le sax racaille et cette voix qui ne perd jamais le souffle et relance sans arrêt la machine ! Quel organe ! Jenny Jenny : mamama ! C'est au tour de la petite Jenny de nous montrer ce qu'elle a dans le ventre. Remue salement du bassin et de l'abdomen la garce, le sax s'enfonce en elle comme le Paris-Londres dans le tunnel sous la Manche. Le petit Richard vous presse les tétons du piano comme une brute et vous mordille le vocal à pleine bouche. Send Me Some Lovin' : un peu de romantisme dans ce monde d'orgie romaine, la voix qui prie la demoiselle, et le sax qui rampe comme un suppliant écrasé sous le poids du péché le jour de la première communion. Le titre est vite expédié. Ne faut pas non plus exagérer, les plaisanteries les plus courtes sont les meilleures. Ready Teddy : Et c'est reparti comme la cavalerie d'Alexandre lors de la traversée du Granique. Le sax qui galope devant à grandes enjambées, le public qui devient fou, et Richard qui vous rappelle au cas où vous l'auriez oublié qu'il est le patron. Vous termine le morceau vite fait, bien fait, à coups de sabre laser vocal. She's Got It : oh oui, encore une fois le saxophone bien introduit, en douceur, mais très vite aussi saignant que des menstrues, oh baby, she's got it !Si vous n'appréciez pas, retirez-vous, le rock'n'roll n'est pas pour vous. Tant pis pour vous. Whole Lotta Shakin' : tiens le retour de Jerry Lee, pour le piano fait jeu égal, plus sauvage, plus tranchant, moins redondant, pour le vocal l'est plus incisif, plus méchant, hurle comme un dératé pour supplanter le sax qui met le public en transe. En fait toute la différence entre la tornade noire et l'ouragan blanc. Inutile de choisir. Mortels tous les deux. Ooh Poo Pah Doo : au début l'on croit que prêcheur de Macon va s'amuser au jeu des questions réponses avec le public, dans la plus pure tradition gospellique, mais non le prêtre du rock'n'roll n'est pas prêteur, garde tout pour lui, ne partage pas, d'ailleurs manifestement l'assistance préfère l'écouter que s'entendre, nous aussi, trop tard, this is the end, thank you ! Et c'est tout.

    z1617piano.jpg

    Etrange que l'on ne classe pas cet album ( not authorised ) dans les live les plus meurtriers du rock'n'roll ! Si vous n'avez pas le disque, ne pleurez pas, le concert est sur You Tube.

    z1616sanschemise.jpg


    Damie Chad.

    BANJO
    CLAUDE McKAY


    ( Editions de l’Olivier / Juin 2015 )

    Z1596livre.jpg



    A peine avons-nous entrevu le nom de Claude McKay dans une des nombreuses chroniques que nous avons consacrées à Langston Hughes, poète américain, tête de proue de cet important mouvement artistique nommé Harlem Renaissance, qui au début du vingtième siècle, marqua l’émergence littéraire de la revendication de l’identité noire aux USA.

    z1597hometoharlem.jpg


    Banjo fut le premier roman qu’écrivit Claude McKay même s’il ne parut en 1929, en deuxième position, qu’après Home To Harlem, ouvrage qui en quelque sorte ouvrit, pour employer une expression de James Baldwin, le feu. McKay, né en 1889, est mort en 1948, trop tôt pour participer à l’intensification des luttes pour la reconnaissance des droits civiques dans les années soixante et assister à l’émergence des revendications beaucoup plus violentes des Black Panthers. La courbe de son parcours politique est quelque peu décevante. Très proche du mouvement communiste international au début des années 20 il finira par se convertir au catholicisme. Confronté à la pesanteur des structures et partis politiques il se séparera de son idéal révolutionnaire de jeunesse. Son oeuvre toute dévouée à la cause noire essaie de tracer un chemin revendicatif à l'abri des tentations intégratives réformistes et de la fausse solution du retour à l'Afrique prôné par Marcus Garvey dans son journal The Negro World qui fait l'objet d'âpres discussions entre les principaux protagonistes de Banjo.

    z1598mckay.jpg


    Première surprise, le roman se déroule en France et très précisément dans la bonne ville de Marseille. Certes comme beaucoup d’artistes noirs de sa génération Claude McKay eut la tentation de partir voir si dans les pâturages européens l’herbe était plus verte, mais son roman ne nous conte pas les aventures d’une intellingentsia en exil. Loin de là ! Nous ne sommes pas à Paris, capitale des Arts, mais dans un périmètre strictement délimité : les quais du port de Marseille et le quartier de la Fosse. Inutile de le chercher sur une carte, l’a disparu sous les pelleteuses. Rien de tel qu’une rénovation urbaine pour araser les chancres purulents. C’est que l’on avait fait fort, origines françaises obligent, l’on était allé chercher le modèle dans une très ancienne possession nationale, le Quartier Réservé de New Orleans, tout un ensemble de rues et de boulevards adonnés à la prostitution. Plus les amuse-gueules qui vont avec : bars, cafés, restaurants et modernité envahissante - le roman se passe en 1926 - le premier cinéma porno.

    z1600pubanjo.jpg


    Ce paradis du sexe répondait à deux fonctions primordiales, procurait du travail à toute une armada de prostituées et de macs, et circonscrivait en un espace clos les marins dont le navire faisait relâche dans les bassins. Les hommes sont ainsi faits que lorsqu’ils ont un peu d’argent en poche, de quoi boire et baiser à proximité, ils ne vont guère chercher ailleurs ce qu’ils ont sous la main. En plus ce n’était pas cher, une passe au prix d’une bouteille de rouge, à la portée de toutes les bourses. Evidemment vous pouviez trouver plus cher si votre fortune vous le permettait.
    Les matelots descendaient par bordées entières. De tous les pays. De tous les continents, Asie, Amérique, Europe, Afrique, de toutes les couleurs. Notamment beaucoup de noirs. L’escale marseillaise était appréciée, l’alcool, les femmes, et le soleil. Ce dernier important, nous sommes loin des chaleurs africaines, des touffeurs caribéennes, des moiteurs virginiennes, en France certes, mais sous un chaud climat qui rappelle les origines natales. A tel point que certains préféraient ne pas repartir. Claude McKay nous invite à suivre la petite bande regroupée autour du dénommé Banjo. Une dizaine de nègres de toutes les couleurs. Du plus sombre ébène aux plus beaux cuivres. Un nuancier sans pareil. Proviennent d’un peu partout des états ségrégationnistes du Sud comme de Haïti. Un panel d’expériences variées. Le héros ne s’appelle pas Banjo par hasard, joue de cet instrument typiquement africain, le jazz est la bande-son du bouquin, rien à voir avec le Love Supreme de Coltrane, musique de danse, le ragtime des bastringues, la rythmique continue, rien de tel pour chauffer le cul des filles et mettre en branle le corps des hommes, la danse comme prélude obligatoire à toutes rencontres nuptiales éphémères.

    z1599book.jpg


    Nos gaziers ne sont pas des intellos. Connaissent toutes les combines de la survie. Pompent l’alcool directement dans les barriques entreposées sur les docks, se font nourrir par les cuistots noirs des bateaux à quai, toujours un copain, une connaissance, une rencontre qui paye le coup à boire, un bourgeois en goguette que l’on plume, un amateur fortuné qui ne regarde pas à la dépense, une arnaque par ci, un coup de chance par là, entraide généralisée, celui qui a du fric le partage avec los amigos… En fait quand vous arriviez à échapper aux balles perdues des macs qui règlaient leur comptes entre eux, la vie était plutôt fort agréable.
    Banjo suit sa philosophie. Passer du bon temps. Ne pas se mêler des affaires des autres. Rien à voir avec de l’égoïsme. Ne croit pas en l’homme. Ni noir, ni blanc. Pas de généralité. N’est pas idiot non plus. Mieux vaut être blanc, riche et en bonne santé que noir, pauvre et malade. Connaît les règles du jeu. N’y participe qu’au minimum. Glisse entre les pions sans se faire remarquer. Le premier à truander les autorités, ne laisse pas tomber les amis, mais ne s’attache à personne. Dur avec les femmes dans le seul but de préserver sa liberté.
    Les aventures picaresques se suivent et se ressemblent. Ce sont les circonstances qui sculptent le devenir des hommes et non l’inverse. Marseille est toujours Marseille, mais les conditions extérieures se tendent, la vie devient plus difficile, la crise économique se profile à l’horizon, les idéologies nationalistes se mettent en place, la police qui laissait faire devient plus interventionniste et brutale… Le vernis sociétal craque. L’on commence à voir plus loin que le con des filles, la prostitution est une pompe à fric, c’est sur les richesses qu’elle engendre que se bâtit la fortune des arrivistes à la petite semaine comme celle des grandes familles… Une véritable problématique civilisationnelle. Les pauvres et les riches. Les blancs et les noirs. L’Afrique et l’Europe. Tout cela ne se recoupe pas parfaitement, mais Ray, l’intello dévoyé de la bande, essaie de reconstituer le puzzle de telle façon qu’en apparaissent les signifiances.

    Z1595BANJOUSA.jpg


    McKay pose l’équation - que personne n’a encore résolue - celle de l’identité noire. Ni les blancs. Ni les noirs. Le racisme plus ou moins fort selon les états mais toujours aussi insidieux. Schizophrénie et paranoïa sont sur un bateau qui ne coule pas. Cherchez l’erreur. Trouvez l’horreur. Le roman avance au petit bonheur la malchance. Le seul qui s’en tire sera Banjo. L’on n’en apprendra pas plus sur lui que sur les autres, mais l’on a compris qu’il possède toutes les armes nécessaires pour se dépatouiller des difficultés qui les attendent, lui et Ray, au prochain tournant.
    A la fin de sa longue postface qui tire à hue et a dia dans tous les coins sans apporter grand-chose de transcendant, le traducteur Michel Fabre termine sur une amère - et très juste - remarque. Ce livre qui fut rédigé voici quatre-vingt dix ans, une fois débarrassé de sa couleur locale et épocale, semble avoir été écrit ces derniers mois, ce n’est pas qu’il ait été en avance sur notre temporalité, c’est le monde qui n’a guère évolué. Les analyses que l’on peut par exemple trouver aujourd’hui dans les deux premiers numéros de Negus ( voir KR’TNT ! 297 et 310 du 29 / 09 / 2016 et du 05 / 01 / 2017 ) la première revue française noire éditée et écrite par des noirs, sont en tous points similaires à celles réalisées par Claude McKay. Un peu décourageant quand on y pense !


    Damie Chad.