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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 120

  • CHRONIQUES DE POURPRE 221 : KR'TNT ! ¤ 340 : NICKE ANDERSSON / LEAVING PASSENGER / GATHER NO MOSS / ELEVENZ / ABSTRACT MINDED / FALLEN EIGHT / INSANE CAMP / WILD MIGHTY FREACKS / F J OSSANG / TOM KROMER / EIGHTBALL BOPPERS

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 340

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    21 / 09 / 2017

     

    NICKE ANDERSSON / LEAVING PASSENGER /

    GATHER NO MOSS / ELEVENZ / ABSTRACT MINDED

    FALLEN EIGHT / INSANE CAMP / WILD MIGHTY FREACKS

    F J OSSANG / TOM KROMER

    EIGHTBALL BOPPERS

     

    Les contes d’Andersson

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    Si on se retrouve à bord du Petit Bain par un beau soir du joli mois de mai, ce n’est sans doute pas un hasard, Balthazar. Il se trouve que Nicke Andersson y donne un concert avec son nouveau groupe, Imperial State Electric. Une belle affiche, dirons-nous.

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    En vrai dévot du Detroit Sound, Nicke Andersson s’est taillé au fil du temps une réputation de pur et dur. Il vénère un dieu bicéphale : Stooges & MC5, et parmi ses amis, on compte bien sûr quelques rescapés de cette antique épopée : Scott Morgan (avec lequel il battait le beurre dans les Hydromatics et The Solution) et Wayne Kramer (avec lequel il jouait de la guitare dans DTK MC5). Puis il joua dans les Hellacopters qui ne juraient que par le MC5 et il enregistra le fatidique mini-album Supershit 666 avec son bras droit Dregen et le Wildheart Ginger. Voilà ce qu’il faut bien appeler un joli parcours.

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    Avec Imperial State Electric, il prend un virage plus pop, et tous ceux qui espèrent retrouver le high-octane blasty-blasto de Supershitty To The Max seront déçus. Pour être tout à fait franc, on craignait même de s’ennuyer pendant le set d’Imperial. Eh bien pas du tout ! Ces mecs ont assez de métier pour savoir créer l’événement. Non pas qu’ils créent la surprise, car ça reste dans la veine Hellacopters bien énervée d’antan, mais ils sont tellement bons sur scène qu’ils parviennent à transfigurer les cuts et à salement rocker leur pop. Force est d’admettre qu’Imperial State Electric prend tout son sens sur scène. On a même l’impression que ce ne sont pas les mêmes gens, car leurs cinq albums manquent singulièrement de punch.

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    C’est un pur bonheur que de voir Nicke Andersson sur scène. Il n’est pas devenu légendaire par hasard. Comme Jim Jones qu’on venait de voir trois jours plus tôt au même endroit, le Suédois sait tenir une scène et chauffer une salle. Il le fait avec un réel panache. Il fait partie de ceux qui sont vraiment nés pour ça. Aucun doute : sa raison d’être est de monter sur scène avec une guitare. Il ne porte que du noir et joue sur une bête à cornes blanche. Il porte aussi la casquette d’officier qu’on voit sur les pochettes d’Imperial et les photos de presse. Il nous gratifie lui aussi d’un ballet exceptionnel ponctué de belles montées de fièvre, il joue tous ses cuts au white light white heat circonstanciel et n’accorde aucun répit à un public qui n’en demandait pas tant. C’est un vrai set de rock électrique, tendu et vif, captivant et diablement mouvementé. De l’autre côté de la scène, Dolf de Borst joue de la basse. Oh vous le connaissez, c’est le chanteur des Datsuns, un groupe originaire de Nouvelle Zélande qui débarqua à Londres en plein revival garage des années 2000 et qui se retrouva subitement à la une du NME. Le seul problème avec les Datsuns, c’est que le pauvre Dolf n’a pas de voix. Il ne manque pas de nous rappeler cette fatalité lorsqu’il prend le lead pour roucouler une ou deux chansonnettes.

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    Les Imperial chauffent leur fin de set avec une trilogie impérieuse : «Get Off The Boo Hoo Train», l’«Uh Huh» tiré de Pop War, et un «Reptile Brain» tiré de l’album du même nom, qui atteint des sommets de furiosia. Ils reviendront jouer d’interminables prolongations en rappel, avec au moins dix morceaux, comme ça, juste pour le plaisir. On entendra une fantastique version du vieux «Sonic Reducer» ainsi qu’une reprise bien trempée de l’encore plus vieux «Fortunate Song» de Creedence.

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    Hellacopters ! C’est ainsi que les cultivateurs de pavot mexicains appelaient les hélicos qu’envoyait la CIA pour détruire leurs champs. En 1996, nous n’avions pas de champs de pavot, mais nous poussions des cris en voyant arriver ces fucking Hellacopters. Leur mortelle randonnée débute en effet cette année-là avec un Supershitty To The Max torché en 26 heures. Aw baby, quel album... Tout y est blasté au maximum des possibilités, et dès «Now», ouh ! ça part en hurlette indéterminée. Cette jolie fondue suédoise sonne comme l’épitome de l’épître, alors que sonnent au loin les trompettes de l’apocalypse. Encore plus allumé : «Born Broke», qui sent bon l’escalade de conflit, et question viande, ça se rapproche du MC5. C’est excellent, car maîtrisé et en bonne santé. Il y a quelque chose d’irrémédiable sur cet album. On reste dans le maximalisme avec «Bore Me», yeah you fucking bore me, Nicke n’en peut plus, sa poule doit être infecte pour qu’il gueule comme ça. C’est dingue comme ces mecs savent jouer. Mine de rien, ils proposent la plus belle cohésion blastique de Suède. Ce sacré Nicke hurle à s’en arracher les ovaires. Voilà ce qu’il faut bien appeler un fabuleux shoot de non-recevoir. Ils passent au maximalisme de la heavyness avec «TAB». Ces diables ne reculent devant aucune démesure. C’est affreux. Leur heavyness reste saine et bien fondée. On s’installe dans l’effarance avec «How Could I Care» et sa violente attaque d’how could I care. Cet album est idéal si on a besoin de se chauffer en hiver. Tout y est extrêmement puissant et même tellement puissant que ça n’en finit plus d’interloquer. C’est vrai qu’ils tapent dans tous les clichés du genre, mais avec une force de guerriers poilus. Oh il faut aussi écouter «Random Riot», tout aussi explosif. Supershitty To The Max pourrait bien être l’un des albums les plus explosifs de l’histoire du rock. Nicke et ses amis ont le diable au corps. On s’extasie à l’écoute d’un «Ain’t No Time» beaucoup trop solide, nouvelle énormité amenée aux ouh d’uppercut. On arrive à la fin de cet album épuisé et ravi, comme après une nuit chaude au Cap Français. Et là on tombe sur un «Such A Blast» exceptionnel, l’un des sommets du genre, hanté par les guitares du MC5. Avec ce premier album, les Hellacopters créaient un empire.

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    Avec Payin’ The Dues paru un an plus tard, ils entraient en terre conquise. On commençait à bien se familiariser avec ces nouveaux héros. Ouverture du bal des Dues avec «You Are Nothing», une jolie déflagration sonico-dingoïdale. L’infâme Dregen entrait dans le lard du cut par tous les trous. À la réflexion, on se disait : Trop bardé ! Beaucoup trop bardé ! Peu de gens allaient alors aussi loin dans le trépidant exacerbatoire extraverti. Si on préférait le trash-punk, il fallait attendre «Riot On The Rocks» pour frémir. Les Hellacopters y redoraient le blason du blast en explosant toutes les rondelles des annales. Et puis on tombait sur le hit du disk, le fameux «Hey» monté sur un vrai thème de guitare, un cut imparable et balayé par des paquets de mer, thaw ! en pleine poire ! Quant au solo, il participait de l’éclat définitif du brasier originel. Tout était sur-saturé, en quête d’un maximalisme dégénéré. C’est avec «Soulseller» qu’ils retombaient dans le MC5 : même attaque et même éclat. Puis ils repartaient de plus belle avec «Where The Action Is» joué à l’extrême de la clameur, au edgy expiatoire, là où on crucifie les atomes. Venait enfin la fin des haricots avec un «Psyched Out & Furious» lancé au ouh! d’uppercut d’undergut et suivi la pire effervescence sonique qui se put imaginer ici bas. On avait là sous les yeux la pire équipe de no-waiters de no dining here tonight. Phew !

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    Paru un an plus tard, le mini-album Disapointment Blues sentait la baisse de régime, ce qui semblait logique. Les Hellacopters allaient s’y montrer humains trop humains, c’est-à-dire capables du pire comme du meilleur. On n’y sauvait qu’un seul titre : «Ferrytale», véritable horreur démonologique amenée au gratté sévère. Dregen arrosait ça au solo incendiaire, comme s’il nettoyait une tranchée au lance-flammes. Oh on pouvait aussi écouter «Speedfreak» qui sonnait un peu comme un hommage à Captain Sensible, avec son intro de basse inspirée de «Love Song».

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    Retour aux grandes heures du Duc de Berry avec Grande Rock, chef-d’œuvre de blast intemporel. Grande Rock, c’est un peu leur Grande Ballroom. Dès «Action De Grace», on retrouve les clameurs du MC5. Tout y est gratté aux accords délétères. Même chose avec cet «Alright Already Now» complètement allumé. On y assiste à la victoire du chaos. Le cut disparaît dans une fin d’apocalypse. On retrouve les chœurs de «Sympathy For The Devil» à la fin de «Welcome To Hell». Retour au MC5 avec «The Electric Index Eel». Nicke chante sans complaisance aucune. On assiste là à l’un des plus beaux blasts de l’histoire du blast. Les Hellacopters mettent un point d’honneur à dépasser toutes les bornes. Encore un exercice de haute voltige avec ce «Dogday Mornings» bardé d’accords grattés à contre-courant, et puis tiens, écoute un peu ce «6 VS 7» sur-saturé d’entrée de jeu et noyé d’harmo. «6 VS 7» pourrait bien être l’emblème de ce qu’on appelait alors la high-energy. Et comme si tout ce bordel ne suffisait pas, ça wha-whate et ça glougloute. Ils atteignent des cimes. Cet album est l’un des sommets du genre, même si Dregen a quitté le groupe.

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    Nouvelle baisse de régime avec High Visibility paru un an plus tard. Dommage, car la pochette est assez belle : on y voit jouer des Copters ailés. On y sauve deux cuts, «Throw Away Heroes» et «Hurtin’ Time». Le premier est carrément joué aux accords du MC5. La rythmique qu’on y entend évoque celle de Fred Sonic Smith. Quant à «Hurtin’ Time», c’est autre chose : Nicke l’a composé avec Scott Morgan. C’est un cut éclair. Nicke connaît son affaire. Sur les autres cuts, on peut dire que ça joue bien, ça chauffe même à blanc, mais il manque l’inspiration. On ne garde aucun souvenir de tout ça. Pour qu’un mec aussi brillant que Nicke Andersson (qui à l’époque s’appelle Nick Royale) puisse s’exprimer, il lui faut soit un Dregen, soit un Scott Morgan dans les parages. On voit qu’il adore le nothing at all dans «Truckloads Of Nothin’» et la sévérité maximaliste dans «A Heart Without Home», deux cuts qui restent malgré tout de sacrés clients. Oh et puis avec «I Wanna Touch», on l’entend lancer un speed-rock de vieille meute.

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    Tout au long de leur mortelle randonnée, les Hellacopters ont enregistré des tas de mini-albums avec d’autres groupes, comme par exemple les Flamin’ Sideburns. Ça vaut vraiment le coup d’aller écouter la reprise de «Get Ready» qu’on trouve sur White Trash Soul. Ils mettent toute leur gomme au service du grand Smokey Robinson. Nos vaillants Copters sonnent comme une armée en marche, pas une armée d’aujourd’hui, non, une armée d’avant, du temps où on frappait les glaives sur les boucliers pour vaincre la peur d’affronter un ennemi dix fois supérieur en nombre. Sur ce mini-album, les Copters font une autre reprise de Smokey, «Whole Lot Of Shakin’ In My Heart», complètement hallucinante de véracité suédoise. C’est une véritable révélation. On ne s’en lasse pas, cette idée de trasher la Soul vaut tout l’or du monde.

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    Attention ! Ne prenez pas By The Grace Of God à la légère. Quand on écoute le morceau titre qui ouvre le bal, on croit qu’il s’agit encore d’un album raté, mais si on va jusqu’à «Down In Freestreet», on sera bien récompensé, car voilà une pop claquée aux beaux accords étincelants. C’est même un hit plaisant et captivant, monté sur un mid-tempo bien claqué du beignet. Ça se met ensuite à chauffer avec «Better Than You», so c’mon et on retrouve leur enthousiasme légendaire, cette espèce de nature bon enfant et cette énergie de chef de meute. Nicke charge sa barque d’oh yeah ruisselants de jus. De cut en cut, l’album semble prendre du volume, oui, car voilà un «Carry Me Home» joué aux accords de belle syncope. Ils adorent secouer leur vieux cocotier, ils tripotent la pop américaine avec un certain brio, voilà encore un hit qui ne veut pas dire son nom. Nicke chante ça aux myriades miraculeuses de l’unisson du saucisson. Il rend ensuite un hommage terrible à Dylan avec «Rainy Days Revisited». Cet album gagne vraiment à être connu. Il règne dans ce Rainy Days une belle ambiance dylanesque avivée par des chœurs de dingues. Et pouf, ils enchaînent avec l’excellent «It’s God But It Just Ain’t Right», pris à la grande chasse de la chandeleur, ventre à terre après le cerf. Nick Royale s’y fait Comte Zaroff, il fonce avec notre bénédiction, et voilà qu’ils passent un pont à la Melody Nelson, mais une Melody tombée dans la nitro. Ils repartent en mode garage soul avec l’effarant «On Time» poundé jusqu’à plus-soif, pulsé au maximum - I’m on my way - Odin bat son enclume, c’est imparable. Encore du répondant d’outre-monde avec «Go Easy Now». On dirait que tout va s’écrouler dans la fournaise. Voilà encore un hit miraculeux. Nicke Andresson va jusqu’au bout de la nuit.

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    Les Hellacopters reviennent trois ans plus tard avec Rock & Roll Is Dead et un bel hommage à Chuck, «Before The Fall». On note au passage cette extraordinaire facilité qu’ils ont de claquer le beignet du rock. Ils embrayent aussi sec sur «Everything’s On TV», encore un cut admirable de ramalama fa fa fa, bien bardé de power-chords et titillé par une petite mélodie sacrément accrocheuse. On s’étonne d’une telle santé et d’une si belle allure. On les croyait vides de sens, certains les prenaient même pour des bourrins, mais quelle erreur ! Encore un cut sacrément intense avec «No Angel To Lay Me Away». Nicke travaille son rock au corps, avec un éclat persistant. Il shoote là un joli coup de power-rock et joue la carte classique. C’est explosé aux chœurs d’Horus, voilà enfin le rock de la grande pyramide d’EP. Jacobs, hanté de l’intérieur et si bien dessiné, vraiment fait pour les fans. Ils prennent «Leave It Alone» à la Stonesy des familles. On y entend les vieux accords de Keef dans le lointain et ils nous salent tout ça aux chœurs de rêve. On ne s’ennuie pas un seul instant sur cet album, même si les Hellacopters opèrent un virage vers la pop. Nicke claque son «Put On The Fire» aux accords pressés. Il est incapable d’attendre un bus. Il passe au glam de prestige avec «I Might Come Se You Tonight». Une vraie sinécure. Ce mec est très fort. À un point qu’on n’imagine même pas.

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    Paru en 2008, le dernier album des Hellacopters s’appelle Head Off. On y trouve quatre pures merveilles, à commencer par «Midnight Angels», une pure aubaine directionnelle dotée de toute la puissance du monde. Avec le temps, les Hellacopters sont devenus délectables. On sent chez eux une stature d’exception, quelque chose d’assez mirobolant. Ces mecs qu’on soupçonnait d’être bas du front sont en réalité excellents, talentueux et bourrés d’énergie salvatrice. La deuxième raison de rapatrier cet album s’appelle «Veronica Lake», un cut de pop d’une puissance hors normes. Nicke nique bien son monde, il multiplie les exploits et descend dans des accents pop à l’Anglaise qui défient toute concurrence. Encore de la grosse pop allumée avec «I Just Don’t Know About Girls». Nicke nous chauffe ça sous la paillasse et l’allume au solo définitif. Le cut se répand comme une mélasse de sonic trash inclassable. Les Hellacopters sont un groupe qui vous rend fier d’être fan. Retour au Detroit Sound avec «Throttle Bottom». Nicke ne lâchera jamais la grappe du MC5. Il joue tout son cut aux clameurs de la Saint-Jean. On voit bien que ces gens travaillent à l’ancienne, avec une science du son et un soin du fan qui les honore. Peu de groupes dans l’histoire du rock ont su bâtir des mondes aussi intègres et distribuer autant de blasts d’énervement collatéral. Oh il faut aussi écouter «Another Turn», un strut de pop bien coloré. On n’en finira plus d’admirer ces Suédois huilés de sainteté comme l’étaient les gardiens du temps d’Adonis. On note leur extraordinaire vélocité harmonique de rainbow in your eyes, oh yeah.

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    Comme les Hellacopters multipliaient les produits dérivés (singles, maxis, splits, splots, spluts et scoubidous), les deux volumes de Cream Of The Crap sont une bénédiction pour ceux et celles qui n’ont pas réussi à tout récupérer. Sur Cream of The Crap Volume 1, on trouve deux belles reprises, à commencer par «Gimme Shelter», introduit par des glissés de guitares et des chœurs somptueux. Bienvenue en enfer ! - If I don’t get some shelter/ I’m gonna fade away - Ils poundent ça à la suédoise, c’est-à-dire avec la violence de leurs ancêtres les Vikings. On a là la plus belle version de tous les temps. Ils tapent aussi dans l’«I Got A Right» d’Iggy & the Stooges. Ils tentent le coup, mais comme on dit, qui ne tente rien n’a rien. Ils font tout ce qu’il faut pour réussir et mettent en route leur dynamique infernale. On entend toute la mécanique des accords. Ils amènent le solo au scream. On le sait depuis longtemps, le blast leur va très bien. On retrouve leur extraordinaire vitalité dans «Down Right Blues» chauffé au oouh oouh oouh et au crazy drive à la Kramer. On a là une vraie merveille aventureuse. Tiens encore un hit, «Ferrytale», gratté à la violence inexpugnable, comme gratté à rebrousse-poil, d’une sauvagerie hors normes. Il n’existe rien d’aussi définitif en matière de boogie suédois gratté à l’insistance maladive. Le pire, c’est que ça sonne comme un hit planétaire, avec des refrains magnifiquement drapés d’accords princiers, et on voit le solo glouglouter sur les spasmes d’une rythmique en syncope. Ils tapent aussi dans «The Creeps», un vieux hit de Social Distorsion. Ils n’y vont pas de main morte. C’est explosé d’entrée de jeu. Les canards boiteux ? Espérons qu’ils ont réussi à se mettre à l’abri. Cette reprise du grand Ness est d’une indécence à peine croyable. Oh il faut aussi écouter cette merveille intitulée «Makes It Alright», car elle chevauche le beat de «Gimme Some Loving». Excellent initiative. Ça fait plaisir de voir des gens aussi dégourdis se lancer dans une telle opération. Ils montent ça en mayonnaise, une expression qui, rappelons-le, sert surtout de métaphore pour illustrer la montée du plaisir. Cette montée s’accompagne bien sûr d’une pointe de fièvre à la Wayne Kramer et c’est épouvantablement bon. Avec «Killing Alan», ils reviennent aux sources, c’est-à-dire au pur blast, chauffé à blanc et ponctué d’ouhs d’uppercut dans l’undergut. Ils sonnent ici comme les Damned de «Fan Club». Infernal ! Encore du ravagé de presbytère avec «Misanthropic High», joué au fucking blow des USA. Ils ne sortent plus du pré-carré du MC5, c’est-à-dire le get out de shit up incendié par les nettoyeurs de tranchées. Tout ici est systématiquement porté à incandescence. Tiens, encore de l’explosé d’entrée de jeu avec «1995». Ils célèbrent probablement un anniversaire.

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    On trouve d’autres reprises géniales sur Cream of The Crap Volume 2. Comme par exemple «Low Down Skakin’ Chills» des Nomads, effarant blast garagiste amené au scream et embarqué sur les accords de Gloria - Don’t you dare ! - Ils tapent aussi dans Love avec «A House Is Not A Motel», puis dans Scott avec «Slow Down (Take A Look)». Ils en font de la charpie et jouent ça au plus blast de Detroit. Ils reprennent aussi le fameux «16 With A Bullet» des Scott Pirates. Rien ne peut les endiguer. Nicke part en raid dévastateur. On trouve aussi une magistrale reprise de «Time To Fall» des Radio Birdman. Oh on le sait, les compos des Birdmen sont moins spectaculaires. Elles sont même un peu âpres, ce qui semble logique car composées par un étudiant en médecine. Mais Nicke et son gang transforment ça en brasier. On se régalera aussi d’«(It’s Not A) Long Way Down», pur jus de glam à la Sweet. Ça produit un effet qui atomise la cervelle. Eh oui, les Hellacopters subliment l’énergie du glam, ils reviennent par vagues et c’est aussi imparable que la botte de Nevers. On tombe plus loin sur «Who Are You», pur jus de garage punk coptérien explosé aux clameurs de pilleurs. Dregen carbonise tout à coups de saillies. Il n’existe aucun équivalent dans l’histoire du rock. Ils tapent aussi dans les Dead Boys avec «Ain’t Nothin’ To Do». Leur version est si brûlante qu’elle vaut vraiment le déplacement. Ces mecs décrochent toutes les timbales inimaginables. Avec «Kick This One Slow», Nicke plonge dans un enfer de wha-wha. On se retrouve une fois de plus au cœur d’une belle énormité. Ils tapent aussi dans les Misfits avec «Bullet», mais c’est trop punk et sans espoir de retour. Avec «Master Race Rock», on a une cover plus intéressante, car il s’agit bien sûr des Dictators. Ils étendent une fois de plus le domaine de la lutte, avant de taper dans Sabbath avec «Dirty Women». On l’aura bien compris, ce disque n’est pas de tout repos.

    Le vol des Copters aura quand même duré quatorze ans. Un bail, comme on dit chez les notaires ! Nicke avoue que ça devenait une routine, et donc il fallait arrêter les frais - To be honest we weren’t the happiest of bands by the end.

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    Autre épisode d’importance dans la vie de Nicke : les Hydromatics. En 1999, Nicke et Tony Slug voulaient monter un cover-band du Sonic’s Rendezvous et, miracle, Scott Morgan accepta de chanter avec eux. Nicke et Scott se connaissaient car les Hellacopters et le Sonic’s Rendezvous Band avaient tourné ensemble aux États-Unis. Et pouf, voilà qu’arrive l’album Parts Unknown qui remet le feu aux poudres, d’autant que Scott tape dans les vieux cuts du Sonic’s Rendezvous. Ça démarre en trombe avec une version fumante d’«Earthy». On retrouve toute la fournaise rythmique du MC5. D’ailleurs, on ne se demande même pas d’où sort une telle énergie, on connaît la réponse. Dans ce disk, tout est poussé au maximum des possibilités, comme sur Supershitty. Tiens, revoilà «Dangerous», yeah yeah it’s dangerous, toujours le même coup de blast derrière les oreilles de Dieu. Ils rendent aussi hommage aux esclaves marrons avec «Runaway Slaves» et restent dans l’effarance de la fournaise avec «Heaven» qui sonne comme une déflagration atomique, brroaarrr, enfin un truc dans le genre. Ils défoncent tout, ils passent à travers tout, avec la violence d’une charge de hussards. C’est un son unique au monde, un conglomérat d’accords battus comme plâtre. Tout est sur-saturé de puissance riffique et de blastiquage. Nick tente de surpasser Scott Asheton, mais il bat beaucoup plus technique. Tiens, encore une merveille abominable avec «Getting Here (Is Half The fun)» joué au heavy groove carabiné. C’est encore une fois excellent et même au-delà de toute espérance. Scott Morgan pourrait sauver l’humanité, si seulement l’humanité le connaissait. Il agit toujours dans l’intérêt de la fournaise. On retrouve encore l’esprit du MC5 dans «Nailed», explosé au cœur d’accords, joué ventre à terre et imputrescible. Tout l’album sent bon le brûlé. Mais Nicke a des obligations avec ses Hellacopters, et il doit céder la place à Andy Frost que Scott connaît bien : Andy battait le beurre dans Powertrane.

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    Nicke et Scott se retrouveront un peu plus tard pour monter un autre projet, The Solution. Cette fois, ils vont opter pour un autre genre de fournaise, celle de la Soul. Ils vont partir d’une idée simple : recréer la magie du studio FAME de Muscle Shoals, mais pas en Alabama, en Suède. Comme ces deux-là sont particulièrement doués, ils vont y parvenir. La preuve ? l’album Communicate paru en 2004. Scott y renoue avec le son des Rationals, quand il chantait du raw r’n’b dans les sixties. Il faut absolument écouter «Get On Back» si on aime le r’n’b surchauffé, car c’est digne de tout ce qui se faisait à l’âge d’or de Stax. La grosse viande se trouve en B, avec notamment «Phoenix», une autre énormité montée au beat de Fender bass. Scott y fait son white niggah et c’est saxé jusqu’à l’os du Stax. Attention, une autre merveille impitoyable vous guette, un plus loin : «Words», un magnifique balladif de hot Soul. Scott le prend à l’arracherie gutturale pure et avec un feeling hors normes. Encore un hit avec «End Of The Day», pur jus de r’n’b bien relayé par les filles. Quel extraordinaire cut de Soul dansante ! Scott chante ça avec une belle extravagance.

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    Ils récidivent trois ans plus tard avec The Solution Will Not Be Televised. Il s’agit là d’un album de groove de Soul qui au premier abord ne présente rien d’extraordinaire, sauf que c’est très chanté et littéralement explosé par des backing Sisters déchaînées. On se régale d’un «Somebody» claqué au shuffle de la Solution, bien hot et terriblement inspiré. Les filles montent vite au créneau, you baby you baby, et leurs backings dynamitent la paillasse du cut. Clarisse Muvemba duette avec Scott sur «Pickin’ Wild Mountain Berries». Les voilà au cœur du Muscle Shoals Sound System. Clarisse se bat comme une lionne et se montre fantastique de gueularderie. Scott réussit à transposer les vieilles dynamiques internes du Sonic’s dans la Soul, ce qui relève de l’exploit sportif. C’est frappant quand on écoute «You Never Liked Me Somehow», un cut de Soul agité de tempêtes intestines. Scott chante «Happiness» à la régalade, avec une voix de coffre éclatante, il fait son white niggah et les filles perdent la raison. Il faut voir comme il swingue son happiness ! Et on assiste en prime à un final de cut éblouissant. «Can’t Stop Looking For My Baby» sonne comme un hit de juke bien pulsatif et on revient au groove avec l’excellent «Hijackin’ Love», le vieux hit de Johnnie Taylor. Scott le prend à la gorge en feu et se lance dans une véritable débauche d’exaction. Il finit par l’exploser en le screamant jusqu’au trognon. Il tape ensuite dans les Staple Singers avec le vieux «Heavy Makes You Happy (Shana Boum Boum)». Il duette avec Linn Segelson. Scott la met à l’aise alors elle enfonce bien ses clous. Elle a de la chance de pouvoir chanter avec un génie comme Scott Morgan. Et ça se termine avec l’indescriptible «Funky Fever» qui va en ratiboiser plus d’un et plus d’une.

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    Le fleuron de la prestigieuse carrière de Nicke Andresson est sans nul doute Super$hit 666, le quatuor qu’il monta en 1999 avec Ginger Wildheart, Dregen et Tomas Skogsberg, le boss du studio Sunlight à Stockholm. Nicke bat le beurre et Tomas bassmatique. Ils n’enregistrèrent qu’un mini-album sobrement titré Super$hit 666 sur lequel palpitent trois véritables coups de génie orthodoxes, à commence par «Wire Out». Au niveau blastique, ça dépasse tout ce qu’on connaît. Ils jouent au-delà de ce qui est supportable et ça se termine sur un scream dégénéré. Pas la peine de chercher plus barré, ça n’existe pas. Ils re-dépassent les bornes avec «Dangermind», amené au riff sale à poil dru. C’est une infamie de plus à leur actif. Ça super$hite dans les brancards. Voilà le son le plus dévasté de l’intérieur qu’on ait jamais entendu ici bas. C’est complètement nagazaké du ciboulot. Question excès en tous genres, Ginger est le champion du monde. Il ne pouvait pas trouver de compères mieux assortis que Nicke et Dregen. Et paf, ça repart de plus belle avec «You Smell Canadian». Nicke le claque à la charley de défosse et ça part en mode waouuuh ! C’est une pure giclée de Stonesy. Comprenez qu’on est là dans l’un des albums les plus violents du l’histoire du sonic trash. On ne tarit plus d’éloges une fois qu’on a entendu ça. Ginger et ses amis détrônent tous les concurrents, ils explosent tous les cursus du cosmos et le solo d’harmo qui arrive sur le tard achève les survivants. On retrouve dans ce disque toute l’insolente explosivité de Supershitty To The Max. Ils vont même beaucoup plus loin, ils plongent leur hargne dans le sang du Christ, ils développent une mystique sonique complètement tordue, on a là une sorte de pain béni pour tous ceux qui détestent l’ordre établi et la beaufitude. Tout est hurlé à la relance, riffé avec la pire sauvagerie qui soit, tonitrué à la Villon de Montfaucon, c’est opéré à vif, blasté en plein dans la gueule de Dieu, c’est envoyé dans l’œil de la lune et méliessé sans aucune pitié. Ils terminent avec «Crank It Up», qui comme son nom l’indique, te cranke tout cru. T’es foutu d’avance. Une fois que tu es dans ce disque, t’es baisé. Ils te harponnent, tu finis comme ce pauvre Achab, attaché sur le dos du cachalot blanc qui va t’emporter vers le fond, et tu pourras gueuler, personne ne t’entendra. Alors tu vas boire la tasse, un bouillon de son que tu ne seras pas près d’oublier.

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    Avec Imperial State Electric, Nick Royale redevient Nicke Andersson et passe à autre chose. En 2010, il enregistre tout seul un premier album sobrement intitulé Imperial Static Electric. On s’attend plus ou moins à un résurgence des Hellacopters, mais Nicke opte pour un parti-pris plus consensuel. Il propose une pop-rock sans identité bien définie. Au dos de la pochette, Nicke pose avec ses guitares et une casquette d’officier de la Wehrmacht, histoire de sauver les apparences des clichés. On aura un mal fou à déterrer un cut excitant sur cet album. «Throwing Stones» plaira aux lapins blancs pour son côté pressé qui ne traîne pas en chemin, mais la pop règne sans partage ici et ça ne semble pas lui correspondre. Quand on écoute «I’ll Let You Down», on croirait entendre du Merseybeat de 1963, du genre Jerry & the Peacemakers, Garry & the Mindbinders, Quarrymen ou Searchers. C’est incroyablement ridicule. Il frôle même parfois le bubblegum. Il finit l’A avec un «I Got All Day Long» un brin garage, voire Mott, mais au fond, il ne fait que flatter l’esprit des seventies en cherchant une sorte d’ampleur. Oui, Nicke cherche à niquer le rock seventies et flirte avec le beau glam londonien. En B, il cède aux sirènes du garage avec «Deja Vu», c’est envoyé ad patres vite fait, avec un solo qui coule comme un camembert trop fait, mais ça reste très poppy quand même. Avec un cut comme «Alive», il va plus sur Kiss ou Mick Ralph. On a même l’impression d’entendre une pop qui ne saurait pas choisir son camp. Il boucle avec «Redemption Gone» joué aux clameurs des Heartbreakers, ceux de Johnny, bien sûr.

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    Sur la pochette de Pop War, Nicke chevauche un étalon, en chef de guerre, brandissant l’immense drapeau écarlate de son corps d’armée. Dès «Uh Huh», ils reviennent à cette pop noueuse un peu ennuyeuse qui rappelle les mauvais souvenirs des Cars et de tous ces groupes de rock FM. On croit même avoir un peu de glam avec «The Narrow Line», mais au fond, on en arrive à se dire qu’il vaut mieux aller réécouter Ziggy et Mick Ronson. On croit même entendre Cheap Trick dans «Can’t Seem To Shake Off My Mind». C’est assez courageux de leur part de vouloir jouer les popsters de haut rang. En B, on se régalera du refrain de «Sheltered In The Sand». Ils visent une sorte d’excellence poppy enfarinée, mais l’étincelle leur fait défaut. Ils reviennent enfin à la high energy des Copters avec un «Enough To Break Your Heart» chanté ventre à terre, avec du tonite en veux-tu en voilà et des petits accords à la T. Rex, mais ceux qui pressent la pas, car la nuit tombe et on entend hurler les loups. Nicke se fend de quelques beaux alrite pour ponctuer à la fois sa démarche et ses intentions.

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    Il semble vouloir améliorer la qualité des compos avec l’album Reptile Brain Music. Belle pochette illustrée en tous les cas, avec un design graphique au service d’un vieux cliché. Ils sonnent parfois comme Mott The Hoople («Underwhelmed») et comme Bad Co («Faustian Bargains») et ils arrondissent les angles du garage sur le morceau titre. On observe un regain d’intérêt chez le lapin blanc au moment où arrive «More Than Enough Of Your Love». La détermination finit par payer, d’autant qu’on entend bien la basse de Dolf de Borst dans le mix. Elle sonne fraîche comme un gardon et semble vouloir remonter les courant glacés des fleuves d’Écosse. La viande se trouve en B avec «Apologize», joué aux heavy riffs doublés au sableur. C’est du grand art, d’autant que Dolf rebondit derrière. Ils font une espèce de Bad Co d’inspiration divine. On aura encore de la belle pop inspiratoire avec «Eyes». Ils savent recycler toutes les vieilles ficelles de la grande pop américaine et passer des solos à la George Harrison. Leur «Born Again» est sacrément cavalé ventre à terre, voilà le tagada le plus rapide de l’Ouest. Ces mecs pourraient bien être des virtuoses de la contre-façon. Et puis on retrouve les gros accords à la Mott dans «Nothing Like You Said It Would Be». On est au cœur du rock’n’roll platform boots à l’Anglaise.

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    L’impression d’une nette amélioration se précise avec l’album suivant intitulé Honk Machine. Ils tapent en plein dans Mott pour «Let Me Throw My Life Away», avec de gros accords joués à la cantonade. C’est dingue ce que ces mecs adorent revenir en arrière ! Avec «Guard Down», ils s’énervent un peu, mais leur écart de conduite n’aura rassurez-vous aucune incidence sur l’avenir du genre humain. On salue ce cut uniquement parce qu’il est monté sur une belle bassline de Dorf. Il fouette ses cordes à une vitesse supersonique. Un cut comme «Maybe You’re Right» requiert aussi l’attention du lapin blanc, car swingué léger et admirable à certains petits égards. On les sent plus à l’aise sur des formules plus swinguy. En B, Nicke s’amuse à passer en force avec «Lost In Losing You», mais il le fait à l’ancienne. Sa pop se veut plus élégiaque avec «Just Let Me Know». Ils adorent exploser les genres, voyez-vous. L’ami Nicke sait se glisser dans la peau des gros balladifs qui ont fière allure. C’est même d’ailleurs la première fois qu’un de ses cuts sonne comme un hit. Ils bouclent avec un «It Ain’t What You Think» riffé sévèrement et qui pourrait aussi sonner comme un vieux hit pop-rock des seventies, grâce à son aimable verdeur. Ils jouent sur un éventail de possibilités assez large et ça ne fait que nous conforter dans l’idée qu’ils peuvent être excellents.

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    Leur dernier album All Throught The Night vient de sortir. Nick Tesco est allé rencontrer Nicke en Suède pour Vive le Rock. Il profite de la parution du nouvel album pour faire sa connaissance. Il commence par le complimenter sur la qualité du son. Ça sort d’où ? Un grand studio ? Nicke rigole et lui répond : ma cave. Il explique qu’avec la dernière tournée des Hellacopters, il a réussi à mettre assez de blé à gauche pour équiper un studio. Nicke voulait aller enregistrer chez ToeRag à Londres, mais il n’avait pas le blé nécessaire.

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    Il ne jure que par le son de Muscle Shoals, le drum sound, a dry up-front sound qui pour lui a disparu. Et Kiss, qu’il a toujours adoré. Il avoue même que Kiss est son first love. Puis il évoque le blues, Toumani Diabaté et ces chordal structures qui traversèrent l’Atlantique pour chroniquer l’abomination de l’esclavage. Il évoque aussi le punk-rock qu’il découvrit ado grâce au père de son pote Kenny qui collectionnait les Damned et les Ramones. Alors bienvenue dans le seventies sound d’All Throught The Night avec «Empire Of Fire». L’ami Nicke s’englue dans le heavy rock typique des années de braise, c’est joué au gras double, avec des paroles qui collent au papier du charcutier. On retrouve dans cette mise en bouche tous les vieux réflexes de John Du Caan et des autres graisseux de l’âge d’or. On est hélas obligé de supporter quelques mauvais cuts qui sonnent comme ceux d’Aerosmith ou des Eagles et il faut attendre la fin de l’A pour retrouver du Copters sound avec «Over And Over Again». En B, on peut essayer de se régaler de «Read Me Wrong», une sorte de country-rock mélodique assez dense, pas très loin de ce que font les Teenage Fanclub. Ils prennent «Get Off The Boo Hoo Train» au boogie de la hurlette. Pauvre Nicke, il se fourvoie dans toutes les botaniques. Pour se remonter le moral, il faut prêter l’oreille à «Would You Lie», un joli shoot de high energy.

    Signé : Cazengler, Andersson of a bitch

     

    Imperial State Electric. Le Petit Bain. Paris XIIIe. 13 mai 2017

    Hellacopters. Supershitty To The Max. White jazz Records 1996

    Hellacopters. Payin’ The Dues. White Jazz Records 1997

    Hellacopters. Disapointment Blues. White Jazz Records 1998

    Hellacopters. Grande Rock. White Jazz Records 1999

    Hellacopters. High Visibility. Psychout Records 2000

    Hellacopters & The Flaming Sideburns. White Trash Soul. Bad Afro Records 2001

    Hellacopters. By The Grace Of God. Universal. 2002

    Hellacopters. Rock & Roll Is Dead. Psychout Records 2005

    Hellacopters. Head Off. Psychout Records 2008

    Hellacopters. Cream of The Crap Volume 1. Psychout Records 2002

    Hellacopters. Cream of The Crap Volume 2. Universal 2004

    Hydromatics. Parts Unknown. White Jazz Records 1999

    The Solution. Communicate. Wild Kingdom 2004

    The Solution. Will Not Be Televised. Wild Kingdom 2007

    Supershit 666. Infernal Records 1999

    Imperial State Electric. Imperial Static Electric. Psychout Records 2010

    Imperial State Electric. Pop War. Psychout Records 2012

    Imperial State Electric. Reptile Brain Music. Psychout Records 2013

    Imperial State Electric. Honk Machine. Psychout Records 2015

    Imperial State Electric. All Throught The Night. Psychout Records 2016

    Nick Tesco : High Voltage. Vive le Rock #39 - 2016

    SAVIGNY-LE-TEMPLE / L'EMPREINTE /

    16 -09 – 2017 - LODEX PARTY

    BELLY RAGE / LEAVING PASSENGER / FIN ALTERNATIVE /

    GATHER NO MOSS / ELEVENZ / ABSTRACT MINDED /

    FALLEN EIGHT / INSANE CAMP / WILD MIGHTY FREAKS

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    Font fort à L'Empreinte pour l'ouverture de la saison, neuf groupes d'un coup, un teaming réglé à la minute, une demi-heure par combo, en alternance, une fois dans la petite salle, l'autre dans la grande. Pas de temps à perdre, début des festivités à dix-neuf heures, arrêt à minuit, ce qui permet aux visiteurs qui viennent de loin de rattraper le RER, station à deux cents mètres du local.

    BELLY RAGE

    Sympathiques. Juste un problème, ont oublié à la maison cette rage au ventre qu'ils projettent dans leur appellation. Jeune femme à la longue chevelure bouclée devant au micro, trio de mecs derrière. Elle a ce charme un peu maladroit qui vous interdit de quitter la salle. D'autant plus qu'elle prend de l'assurance au cours du set. L'arrive à supprimer ces moments d'hésitation peuplé de silence entre deux morceaux qui vous détruisent la mécanique de la mayonnaise qui essaie de cristalliser. L'on a envie de crier aux messieurs derrière d'appuyer un peu plus, nous servent un hard trop incolore, sans trop de saveur, donnent l'impression d'une toute nouvelle formation qui n'a pas encore effectuer les réglages nécessaires. Du boulot en perspective, n'empêche que l'on n'a pas envie de les accabler. C'est en forgeant que l'on devient forgeron.

     

    LEAVING PASSENGER

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    Nous ont pas fait le coup du passager abandonné sur une île déserte. Nous ont emmené avec eux. Doucement par la main au début puis l'avion a pris de la vitesse et l'on a voyagé dans un beau pays. L'on avait efourché l'oiseau en toute confiance, nous les avions vus pour la première fois au Chaudron du Mée-sur-Seine ( voir KR'TNT ! 263 du 07 / 01 / 16 ). Z'ont salement progressé. Dans leur genre, hard mélodique appuyé, formule qui repose avant tout sur le chanteur. Z'en ont un, et un bon, Julien, collier de barbe qui lui allonge et poétise le visage, m'évoque je ne sais pourquoi la figure d'un renard, pas du tout l'animal rigolard du roman moyenâgeux, mais la bête fauve et inquiétante que l'on retrouve sur certains tableaux des préraphaélites. Scream, Running, Lies on the Floor, trois titres qui se succèdent en prenant à chaque fois de l'ampleur, Vince s'active à la batterie, met la pression, un peu comme les murs de la cellule dans laquelle l'on vous a enfermé qui se rapprochent inéluctablement afin de vous écraser, Jumar à la basse promulgue des climats oppressants d'humidité et à la guitare PC tisse d'épaisses toiles d'araignées équatoriales, lourde musique qui converge vers Julien, l'en apparaît comme l'exsudation phénoménale. Ses camarades le poussent en avant mais lui il les emporte plus loin dans sa voix. L'emmène aussi le public, le subjugue, ne bouge pratiquement pas, mais les regards ne quittent pas ses lèvres qui se posent sur le micro. When it's done, Where to Begin, Dead Inside, clôtureront le set. C'est dommage, l'on serait resté plus longtemps envoûtés, encroûtés dans cette tiède et onctueuse pâte à modeler les âmes, englués comme des mouches qui se seraient fatidiquement posées sur une matière inconnue, mortelle mais qui vous susurrerait aux oreilles une mort si douce que vous en redemanderiez encore. Un instant d'étrange beauté dans notre monde d'aveugles. Mais peut-être est-il plus prudent de ne pas s'exposer trop longtemps à ses radiations venues d'ailleurs.

     

    FIN ALTERNATIVE

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    Exactement tout ce que je n'aime pas. Un mal fou à supporter le rock alternatif français. Que voulez-vous à chacun ses préventions. Trouve ce genre démagogique. N'aime guère que l'on fasse copain-copain avec moi. Pense que le la scène du monde ressemble plutôt aux théâtres de la cruauté à la Antonin Artaud. Et pourtant ne savent pas quoi faire pour convaincre l'assistance. Huit sur scène, deux choristes, un clavier, un batteur qui frappe fort, un guitariste pas idiot, un bassiste et un grand escogriffe à la dégaine accrocheuse, muni d'un violon électrique, et une chanteuse ( chante en français ) convaincue qui se donne à fond pour vous emmener dans son sillage. Un peu comme ces filles inopportunes qui vous retiennent par les basques alors que vous avez affaire ailleurs. Me suis sauvé au milieu du deuxième morceau, en ai profité pour engloutir une barquette de frites au bar, tenaillé par ma conscience professionnelle j'y suis revenu par deux fois, pour me retirer au plus vite. Ce qui n'est pas facile car ils ont un public qui adore et qui fait masse. Franc succès, je le reconnais. Ensuite je n'y suis plus retourné. Parfois il faut savoir mettre fin aux alternatives.

     

    GATHER NO MOSS

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    Exactement tout ce que j'aime. Un groupe de rock'n'roll. Un vrai. Deux guitares, basse et batterie. N'amassent pas la mousse comme ils se présentent. Ils ont raison, car avec eux inutile de penser que vous pourrez vous raccrocher aux petites herbes. Mykeul est au chant et à la guitare. Une belle retrouvaille, nous l'avons déjà vu en tant que lead-vocal avec One Dollar Quartet ( voir livraisons 239 et 278 ), mais là ce n'est pas pareil, bye-bye les reprises des pionniers, Gather No Moss est d'une toute autre dissemblable formule, bien plus électrique. L'on ne tarde pas à s'en apercevoir, Mykeul envoie le chant et le riff, c'est parti et bien enlevé et c'est là que le miracle se produit. Par-dessous, en-dessous. Le coupable est aux premières loges. Très grand, mince, peinturluré de toutes les couleurs – notamment ce froufrou orange qui lui entaille la gorge comme s'il venait de se faire égorger, et les bras qui ressemblent à des peaux de serpents venimeux, des tatouages qui ressortent d'autant plus sur sa beau ultra-blanche, l'a une dégaine qui n'est pas sans rappeler la silhouette maladive de Sid Vicious. A part que lui il sait jouer. Avant de venir, je m'étais demandé s'il n'aurait pas mieux valu voir Iggy Pop à la Fête de l'Huma, mais là plus question de regretter, car le son stoogien je l'ai à cinquante centimètres de moi. Ah mes amis quelle décoction, mandragore et nitroglycérine, vous savez quand le son s'infiltre partout, qu'il s'empare de vous et vous lamine jusqu'à la pointe des pieds, z'avez l'impression que l'on vous passe à la gégène, c'est délicieux et vous n'avez même pas besoin d'en redemander, parce que les Gather No Moss, ils ne connaissent que ça. Ne sont pas du genre à s'enfermer trois mois dans un ashram sur les pentes enneigées du Thibet pour donner un titre à leur dernier morceau - ont le bon réflexe des originaux - font au plus immédiat, New Rock Song, difficile de trouver une meilleure définition. Evidemment le contenu est à la hauteur. Côté section rythmique ça ne chôme pas, vous poussent la débroussailleuse à grands rendements. Mykeul assure comme un pro, étaient pressés de commencer, l'on n'était que deux pèlerins aux premiers accords, ça n'a pas fini de s'agglutiner avec de ces applaudissements de plus en plus touffus et approbateurs à chaque morceau. Perso la soirée se serait arrêtée là, je serais parti content. Avec les Gather No Moss vous avez tout ce vous pouvez désirer en ce bas monde. L'essentiel reptilien du rock, la force brute de l'électricité. Pouvez vous coucher tranquille dans votre cercueil. Bande de vampires. Lorsque la nuit sera revenue vous irez boire encore une fois le sang électrique des Gather No Moss. Car c'est ainsi que nous survivons.

     

    ELEVENZ

    Ne sont que trois mais ont décidé de faire du bruit pour onze. Y réussissent parfaitement nos trois grands gaillards. Pas du genre à chipoter pour un quart de sucre dans la tasse à thé. Vous avalent directement la théière de décoction au piment de cayenne porcelaine comprise, d'une seule lampée. Si vous vous en tenez aux titres, vous êtes dans l'erreur. Se présentent comme des adeptes du surfer-metal. Summers, Holyday, Surfer, Teenagers, un prospectus de rêve, z'êtes des zèbres prêts à filer sur les plages de sable fin de la Californie. Ils ont juste oublié de vous préciser que vous surfez sur des planches à clous tétanosiques rouillés entouré de requins faméliques aux dents dégoulinantes de sang. Rock primaire. Martelé hardiquement. Font penser aux premiers punks qui vous arrêtaient les morceaux dès qu'ils feignaient de dépasser les deux minutes douze secondes. Le batteur a son truc. D'une simplicité biblique. Toutes les deux secondes il abat son bras gauche sur la caisse claire. La colère de dieu qui tonitrue sur Sodome et Gomorrhe. Circulez il n'y a plus rien à voir. De toutes les manières pour ceux qui n'ont rien compris il recommence dans une seconde. Le bras droit est pour les cymbales. Doivent être contentes les malheureuses quand le set touche à sa fin, je préfère ne pas vous parler du traitement réservé à la grosse caisse, vous n'en dormiriez pas cette nuit. Après un tel cauchemar il n'est point besoin de désespérer, le chanteur a de l'humour, rhinocérosique, ne se prend pas aux sérieux, fait particulièrement gaffe à la fin des morceaux qu'il n'hésite pas à faire recommencer s'ils ne sont pas assez grandiloquents. Assène aussi les riffs à coups de marteaux, vaillamment secondé par le bassiste qui tricote des armures dans son coin. Très fruste. Mais quand l'on n'a rien à boire l'on avale sans râler la bouteille d'alcool à quatre-vingt dix degrés sans sourciller. Alors de quoi vous plaindrez vous ? Ce qui ne vous a pas tué vous a rendu plus fort.

     

    INTRODUCTION A ABSTRACT MINDED

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    C'est comme dans les grands cataclysmes. Ceux qui en sont revenus n'arrivent pas à en parler. A la télé vous voyez les lueurs d'angoisse horrifiées qui brûlent leurs yeux mais il leur est impossible de rendre compte des évènements. En tant que rescapé je vais toutefois tenter de vous donner une idée, certes imparfaite du maelström, mais qui je crois suffira pour définitivement dissuader toute personne censée de se rendre à la moindre des futures apparitions publiques d'Abstract Minded. Notez que connaissant la pernicieuse purulence de la nature humaine je ne me fais guère d'illusion, mes propos alarmistes auront sûrement pour effet d'inciter amateurs et chercheurs de sensations fortes à se précipiter vers le phénomène. J'en décline à l'avance toute responsabilité morale et amorale.

    Rien que le nom est problématique. Avez-vous seulement pensé une fois à cette curieuse notion de rock abstrait induit par le nom du groupe ? Voici le genre d'objet mental non identifié qui ne se laisse pas saisir facilement. A première intuition ce genre de concept semble sortir tout droit d'un esprit malade. Votre inquiétude s'accroîtra lorsque vous vous apercevrez que deux éléments de cet étrange quinconce se sont échappés tout droit de l'asile de Klaustrophobia. Rappelez-vous ce groupe de jeunes gens en colère avec la chanteuse Youki, l'avait un regard si méchant quand elle se saisissait d'un micro que vous aviez envie de courir à Lourdes pour allumer un cierge à la Sainte Vierge. Les trois autres pour le moment je ne ne possède aucune information quant à leur provenance. Donc Alexis Ally Godefroy ( dans le dos ) et Zivan Iddy Rasalofo issus d'un des groupes les plus prometteurs de sa génération, aujourd'hui dissous, j'ai entendu ce dernier tenir à un ami des propos qui sembleront étrangement familiers aux habitués des théories gnostiques, suite à une longue période kaotique, Abstract Minded se serait mis au vert toute une année, le temps de se reconstituer au calme, mais cette accalmie se serait révélée encore plus kaotique que l'époque précédente si charivarique qui en avait suscité le besoin, toutefois ce serait au milieu de ce kaos à la puissance 10 que le groupe aurait reconstitué ses forces et sa vitalité créatrices comme s'il avait accédé, grâce cette nouvelle tornade de grande violence, au centre d'annulation des contraires de l'œil de l'ouragan...

     

    ABSTRACT MINDED

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    Et maintenant sont sur la petite scène. Trop exigüe. Sont cinq, et la colossale stature de Joey Bash Baudrier mange toute la place. Un peu comme ce soir maudit où une souris était entrée par l'oreille dans votre cerveau et s'était emparée de tous vos centres de commandements. Dans la matière grises de vos cellules vos synapses s'étaient mises à tournoyer à toute vitesse. Ainsi réagissent les quatre autres membres du groupe. Bougent sans fin, tournent sur eux-mêmes, s'entremêlent en une ronde effrénée, vous ne savez plus qui est qui, mais ce n'est pas grave car dans le parterre la foule est devenue folle, et vous-mêmes êtes emportés dans le même tourbillon impétueux, les corps se frottent, se cognent, se choquent, s'entrechoquent, vous n'êtes plus qu'une hystérie collective, votre moi se balade de tête en tête, une espèce de capillarité mentale qui trimballe votre esprit de boîte crânienne en boîte crânienne. Attention, vous avez l'image, j'ajoute le son. Musique forte, colérique, composée de noyaux accélératifs qui se succèdent sans arrêt. A peine l'un explose-t-il qu'il est poussé hors du spectre sonore par un nouveau encore plus irique que le précédent. Des boules de feu qui naissent spontanément, des espèces d'étoiles filantes sonores qui s'auto-détruisent à peine nées. Abstract Minded nous délivre un métal neuronal. Nous ne sommes pas loin de certaines outrances de la musique classique d'avant garde, mais ici l'expérience phonique ne se module pas en laboratoire à forte tension technologique, se déroule en vivo, musiciens et spectateurs servent de cobayes. Peut-être dans un futur proche cela tournera-t-il en orgie métaphysique, je n'en veux pour preuve que toutes ces filles qui ont assailli la scène sur le morceau final et se sont mêlées au tournoiement infini des guitaristes. Joey Bash Baudry n'est pas que chanteur. L'a une présence opérative. Dans les deux sens du terme. Dans sa redingote grise il donne l'apparence d'un chanteur d'opéra, le Pavarotti du rock, mais aussi le meneur du rituel qui tente la translation magique des âmes. C'est lui qui pousse le public et l'orchestre au bout d'eux-mêmes, il donne de la voix, il génère l'accélération fabuleuse celle qui déplace non pas les objets et les corps mais leur âme inanimée, porte la tension a son comble. Les deux derniers morceaux seront consacrées à la redescente en soi. Se tient debout, bouche fermée, silencieux, ses bras levés dessinant une coupe de réception, zen terriblement zen. Le bouddha debout qui n'a pas mené l'intrusion collective dans le nirvana et qui agit par sa seule présence pour que les briques mentales du monde reprennent leur place. Abstract Minded nous laisse brisés, pantelants, chancelants, décérébrés. Nous ont promis qu'un jour nous n'aurons plus besoin de catharsis.

     

    FALLEN EIGHT

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    Heureusement qu'il y a eu Fallen Eight juste après. Nous fallait un médicament fort. Nous l'ont administré illico. Fallen Eight c'est comme le définit exactement le titre de leur dernier CD, Rise and Grow, la rosée étincelante de l'aurore et l'intumescence majestueuse du déploiement sonore jusqu'au fracas métallique des forges des Nubelingen. Ce soir nous ont offert le gros du grow. Une musique âpre, remuée, concassée, un gruau d'avoine folle que l'on donne aux chevaux fourbus après l'effort. Sans concession, juste le rock, sans ajout digestif. Servi chaud et de main de maître. Plusieurs mois que nous ne les avions revus sur scène. Le groupe a gagné en cohérence, l'est comme un poing fermé, chacun des cinq doigts ayant augmenté en force et en souplesse. Cela s'appelle une leçon. Rien à dire de plus. Si ce n'est que s'incliner.

     

    INSANE COMP

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    Trois sur scène. Vice à la guitare, Valentin Henry à la batterie. Peu de monde, ce qui explique la nécessité de nombreux samplers qui viennent compléter le magma phonique des musiciens. A moins que ce soit le contraire, les musicos qui accompagnent et commentent le trailer d'un film sonore sur Vitaphone. Beaucoup d'espace libre sur la scène pour Vincent Blaster. Micro en main et voix pas dans sa poche. Le set repose sur lui. Parvient à captiver l'auditoire. Rauque organe. Qui jamais ne se casse et dont il joue avec dextérité. Musique dure et qui donne impression de dépouillement malgré l'habillage électronique. Se bat bien, image d'un guerrier infatigable qui ne quitte jamais la ligne de front. Ont laissé sur les tables d'entrée une centaine de CD à disposition du public. Un geste qui dénote un esprit que nous aimons. Nous le chroniquons dans la livraison prochaine.

     

    WILD MIGTHY FREE

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    Le dernier groupe de la soirée. Bénéficieront d'un public encore nombreux. Nous les avions vus à la troisième session du Wild Pig festival ( voir livraison 296 du 29 / 09 / 16 ). Nous la préférons à cette prestation-ci. Ce n'est pas qu'ils aient été plus mauvais, le show a même gagné en professionnalisme. Sont doués. Crazy Joe évolue dans sa veste et sous un chapeau d'un rose grenat du meilleur aloi qui lui confère une silhouette des plus stylées. Sait s'adresser au public, l'a un jeu de scène ad hoc et sans hic qui se prête à merveille au hip-hop. Un peu gentleman, un peu charlatan. Voici quelques mois j'ai été obligé d'accompagner une amie à un concert de Kery James, pas le genre de truc dont je me suis vanté, j'avais tout de même été déçu par la prestation du rapper numéro 1, extrêmement variétoche et ennuyeuse, très en deçà de sa réputation plus ou moins sulfureuse, Crazy Joe est à mille crans au-dessus. L'a la classe. Américaine serais-je tenté de dire. Trop bien huilée, sans faille, sans faute. Yabby s'occupe des samplers, en dehors du réglage des machines qui ne lui prennent que quelques secondes il ne fait rien, promène son indolence avec décontraction. Flex et sa guitare s'en viennent tourner autour de lui, ce n'est pas son masque blanc de macchabée qui effraiera notre chevronné machiniste. Yabbi présente cette coupe inimitable des employés de bureau débonnaire qui en ont trop vu et que rien ne saurait déranger et émouvoir même la visite inopinée d'un chef de service. Préfère laisser le boulot aux autres. Notamment à Tonton qui arbore au bas du visage un masque de mandibule opératoire qui lui prête un air de cadavre que l'on vient de sortir de la fosse commune et dont toutes les chairs n'ont pas encore fini de se putréfier. En tout cas nos deux morts-vivants pètent la forme, matraquent leurs instruments comme CRS en jour de manifestation. Ce n'est pas ce que j'appelle un set - qui d'après moi se doit de renouer instinctivement avec la dramaturgie du théâtre grec - mais plutôt un spectacle. Une manifestation réussie qui appartient au registre du délassement. Entertainment qui soulage mais ne vous libère pas de vos entailles. En tout cas, nos quatre freaks s'en tirent d'une manière fort agréable. Sont ovationnés par le public. Deux jeunes filles me regardent bizarrement, se demandent pourquoi je ne participe pas au contentement collectif. Désolé, mes demoiselles, comme disait Saint John Perse, à plus amer vont nos songes.

    Damie Chad.

    GENERATION NEANT

    F. J. OSSANG

    ( Blockhaus & Warvillers / 1993 )

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    Le dernier film de F. J. Ossang, 9 Doigts, fut programmé ce mardi 12 septembre 2017 à L'Etrange Festival Paris. Mais nous préférons revenir sur une oeuvre ancienne du cinéaste, le roman Génération Néant sorti aux éditions Blockhaus en 1993. L'était temps d'ailleurs, le tapuscrit datait de plus de dix ans, et les éditeurs tout en reconnaissant l'originalité de l'écriture ne s'étaient pas précipités pour le publier... Facile de présenter le bouquin, Génération Néant est au No Future des Sex Pistols – rappelons fort opportunément que F J Ossang fut aussi le leader du groupe MKB ( Messageros Killer Boys ) - ce qu'un porte-avions de combat est à un radeau perdu au-milieu de l'Océan. Quatre cent pages face à un slogan de deux mots ! Victoire par KO technique pour le petit David face au géant Goliath à la première seconde du first round. Soyons juste, les anglais avaient la rage au ventre et les français vous ont toujours un petit air prétentieux intello qui les dessert bien souvent.

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    Un conseil si vous vous lancez à l'abordage du navire amiral. Prenez tout votre temps, restez un max collé sur les quatre premières pages. Dès la phrase initiale vous êtes en pays connu, polar noir sans sucre, vous avez compris à la cinquième ligne que le petit douanier du Panama ne sera pas à l'heure au taf. Elémentaire, cher Watson ! Mais le titre du chapitre suivant vous avertit : La profondeur de l'énigme. Puits sans fond. Attention un mort peut en cacher un autre. Surtout s'il est vivant. Enfin on ne sait pas trop. Heureusement qu'Eurydice perdue s'en vient chercher son Orphée. N'en est pas pour autant sorti de l'enfer. Ce qui n'est pas le plus grave. C'est au niveau de la comptabilité qu'il est difficile de suivre. Notre héros va mourir treize mille fois. L'anti-gang qui ne prend pas de gants est à ses trousses. Entendez les services secrets de l'ordre noir. Attention, dimension internationale. Mais les Messageros Killer Boys sont des apatrides transeuropéens. A peine en avez-vous abattu un qu'un autre prend sa place. Arthur Strike est immortel. Faut bien qu'il soit vivant puisqu'il n'en finit pas de mourir.

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    N'empêche que l'intrigue avance. Jusqu'à... à peu près la cent cinquantième page. Après vous n'en saurez pas davantage. Normal parce que résolue elle n'est plus intrigante. Ce qui ne veut pas dire que le lecteur s'ennuie. Oh non, n'en a pas le temps. Dans les puits sans fond voyez-vous ce qui est important c'est le puits puisqu'il n'y a pas de fond. Au fond de tout cela, l'est un mystérieux minerai aux infinies propriétés. Pas le genre de joujou à mettre entre toutes les mains. Quand vous avez la puissance infinie vous tenez à la garder secrète. Surtout que c'est un peu dangereux. Certaines manipulations risquent d'ouvrir une faille dans la croûte terrestre et révéler un monde plus creux que votre cervelle. Si vous voyez dans ce scénario une géniale intuition de l'extraction du gaz de schiste autant que vous arrêtiez la lecture. Vous n'avez rien compris. Z'êtes pas du genre à pénétrer dans la cité interdite de Markan. Ne cherchez pas sur une carte. Non ce n'est pas une invention de l'auteur. C'est simplement qu'elle n'est pas détectable. Si l'analogie avec Le Mont Analogue de René Daumal vous saute aux yeux c'est que vous avez pigé que ce pseudo-galimatias politico-policio-prospectif est un roman métaphysique et vous connaissez le moyen de percer le rideau des rayons protectifs qui vous empêchent de pénétrer dans la ville maudite. Je suis bon prince. Je vous refile le code d'entrée. D'une simplicité enfantine. Vous aurez beau essayer de vous y glisser subreptice, jamais vous n'y parviendrez. Pour une simple et bonne raison. Vous y êtes déjà, dedans. Tout se passe dans la tête. Ce qui n'est peut-être pas la bonne solution. Car tout ce qui sort de vous n'est pas obligatoirement du meilleur effet, l'araignée qui tisse son fil de soie n'en est pas moins un monstre prédateur. Et le problème c'est que si vous vous prenez dans la trame de vos phantasmes bonjour l'angoisse, vous n'êtes pas sorti de l'auberge tauromachique des cauchemars. Z'avez intérêt à analyser la situation au plus profond. Déduction totalement partagée par le héros de notre livre. Pour son identité vous avez le choix entre treize mille noms anonymes. Mais Ossang ne vous laisse pas dans l'expectative. Vous dévoile le fin mot de l'histoire. L'est un mélange d'os et de sang. Remarquez comme cela est croquignol, nous sommes tous faits de ces deux matières.

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    Mais ce n'est pas si simple. Parce que c'est plus compliqué. Genre de révélation qui jette davantage un nuage d'encre noire – l'autre côté de l'os blanc de seiche - qu'une grande lumière. C'est que voyez-vous la trace noirâtre porte un nom, elle s'appelle littérature. Pas celle qui s'écrit à la petite semaine, mais celle qui se conçoit comme alchimie, métamorphose du vécu en objectivation littéraire, à l'Antonin Artaud, à la Ezra Pound, à la Stanilas Rodanski... L'oeuvre au rouge du sang de la vie régressée en oeuvre au noir de l'écriture. Génération Néant transforme la vie en caca. Transgression. Oui mais transeuropéenne. Car si there is no future in english dreams ce n'est guère mieux pour toute l'Europe.

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    Montée du nililisme dixit Nietzsche. En plein dedans. Dans la merde noire jusqu'au cou ! Ouille, ça fait mal ! Oui jusqu'aux couilles. Car le serpent du sexe n'est jamais bien loin. La femme ne l'écrasera pas de son talon. Soyons un tantinet plus romantique. Orphée se penche sur Eurydice endormie. Est-il la vipère qui désire lui inoculer la seringue de la mort minérale, ou le poète qui s'interroge sur le mystère androgynique de l'union du mâle et de la femelle ? La mort ne serait-elle pas un absolu bien plus fort que l'amour ? Regardez comment se termine Tristan et Iseut. Toutefois maldonne si les héros meurent à la fin du livre. Cette génération n'engendrera-t-elle que le néant ? Roman métaphysique et donc métapolitique aurait dit Jean Parvuleco. Les Messageros Killer Boys tels un ordre de chevalerie auto-chargée de la regénérescence d'une Europe perdue. Génération vouée à l'échec. Génération du vide. La jaquette intérieure se termine sur la citation de Richard Hell : « I'm the blank generation / and I take it or I leave it each time / I belong to the ------ generation / but I can take it or leave it each time ». Le No Future nous renvoie-t-il au présent éternel de notre dépérissement générationnel ? Au sens aristotélicien de ce dernier terme. Selon cette formule ambiguë nous pouvons espérer du désespoir. Roman Noir. Très noir. Pas étonnant que la génération punk ne se soit emparée de ce livre que du bout des doigts, que du bout des lèvres. Ce qui est dommage. Ecrit électrique de haute poésie. Qui dépasse tout ce qui a été produit en le genre. Livre de chevet des légions destriennes.

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    Damie Chad.

     

    LES VAGABONDS DE LA FAIM

    TOM KROMER

    ( Christian Bourgois Editeur / 2000 )

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    Trouvé au fond de ma bibliothèque. Récupéré, voici une dizaine d'années, dans une bibliothèque municipale qui s'en débarrassait. C'est la dernière mode dans les bibliothèques publiques – qui va s'accélérant – l'on offre à l'étal du servez-vous-librement-s'il-vous-plaît les livres sur lesquels les lecteurs ne se sont pas jetés afin de faire place aux fatras de nouveautés affligeantes qui encombrent les rayonnages de plus en plus consacrés aux ouvrages à charges neuronales équivalentes à zéro, au détriment de ceux qui poussent un tant soit peu à réfléchir. Politique de décervelage menée avec tant d'obstination qu'elle ne saurait correspondre à un plan froidement réfléchi d'idiotisation des populations ! Le titre qui puait la chaussette de hobo pas lavée depuis deux mois et la préface de Philippe Garnier, correspondant de Rock & Folk aux States, voilà des arguments de récupération immédiate ! Pas un hasard que Philippe Garnier se soit intéressé à Tom Kromer lui qui a traduit et présenté John Fante au public français. Sans omettre pour autant le travail de fond de Brice Mathieussent. Tom Kromer c'est un peu l'anti-John Fante ou pour être plus précis, un John Fante qui n'aurait pas réussi à se tirer de la gangue de la misère et à atteindre les feux de la rampe de la célébrité. Tom Kromer abandonnera le combat littéraire. Par dégoût, l'en avait trop vu pour espérer une quelconque salvation individuelle. S'éteindra en 1963, mais l'a depuis longtemps renoncé à son deuxième roman, à la rédaction de ses mémoires et à sa carrière de journaliste.

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    Rejoint l'anonymat des sans-grades, le corps usé, l'esprit las, vaincu sans gloire. L'a gravité autour du groupe de jeunes loups affamés réunis autour d'Upton Sinclair ( que ma grand-mère révérait ), mais s'en est détaché tout seul comme un fruit qui tomberait de l'arbre auquel il se serait rattaché par erreur.

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    Le syndicat Industrial Workers of the World commence à faire parler de lui en 1906, année de naissance de Tom Kromer. Nous sommes une génération après, l'on ne parle plus de hobos mais de stiffs. La Grande Dépression est passée par là. Le ressort de l'espoir est cassé. Rares sont les esprits lucides qui s'aperçoivent que l'on ne sortira de la crise que par l'entrée dans la guerre... Dans Waiting For Nothing, Kromer raconte ses années de faim et de misère. Le scénario nous l'avons déjà rencontré plusieurs fois, une vie de fuite, la montée clandestine dans des trains qui ne vont nulle part, la mendicité, le vol, le chapardage, les combines minables, la violence des flics, les juges impitoyables, les prisons pouilleuses... tout cela Kromer le décline à son tour. Ne rajoute rien. Rabote tout. Dénude jusqu'à l'os. Manger et dormir. Un point c'est tout. L'a tué les mythes. Celui des grands espaces, celui de la camaraderie, celui des jungles accueillantes. Cause du froid et de la pluie. Des souliers sans semelles, du ventre empli de faim et de peur. Les stiffs ne sont pas une variable d'ajustement. Sont de trop. Ont intérêt à disparaître au plus vite. Sont le rebut d'une société qui ne veut pas les voir et qui les chasse de partout. Coups, menaces et insultes sont les seules rations quotidiennes ( toute coïncidence avec l'accueil réservé aujourd'hui aux migrants ne saurait être une erreur de votre réflexion ). Un récit de cruauté. La faim excuse tous les compromis, prostitution homosexuelle, abandon d'enfant dans les jardins publics, et le pire de tout, ces heures à passer à écouter d'interminables sermons et prières dans les missions de charité chrétienne en échange d'une banquette de bois infestée de vermine et d'une soupe à l'eau claire à la rondelle de carotte pourrie. La mort est une grande délivrance. Suicide, roues de train, lotions diverses ( non-garanties bio ), baston, flic qui assure sa prime, un bon stiff est un stiff mort. Ceux qui n'ont ni le courage ni la chance de crever ne s'en prennent qu'à eux-mêmes. Même pas du masochisme, un constat froid comme la mort, comme la neige, comme la pluie, comme la faim, comme la peur. Cercle vicié. Le train qui part vers l'Est et celui qui se dirige vers l'Ouest sont équivalents, ne vous mènent pas jusqu'au bout du rêve que vous ne poursuivez pas. Bouquin tronqué, sans fin. Même pas cent quatre-vingts pages et le lettrage n'est pas des plus minuscules. Kromer l'a griffonné sur des bouts de prospectus. L'a cru un temps qu'il pourrait porter témoignage, mais l'évidence des faits sont têtus. Il n'y a pas de porte de sortie. Inutile de rajouter à l'ampleur du désastre. La coupe est vide. Désespérément vide. La vie qui s'accroche à vous beaucoup plus que vous ne vous accrochez à elle s'avère sans intérêt. Littérature de la misère et misère de la littérature. Impuissance humaine.

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    Bizarrement le livre a été édité en France en 1936 à peine deux ans après sa parution aux Etats-Unis et puis oublié. L'on comprend pourquoi, l'est des choses qu'il vaut mieux ne pas trop regarder en face. Merci à Philippe Garnier de nous permettre d'ouvrir les yeux. L'on n'est jamais trop prévoyant.

    Damie Chad.

     

    BOP TILL YOU DROP

    EIGHTBALL BOPPERS

    ( 8BB Records / 2005 )

     

    THE DENTIST / THE HOUSE OF ROCKIN' / GHOSTRIDER / FLEA BRAIN / T-BIRD TAMMY / GOING DOWN TO BIG MARY'S / THE CRODOC / LET'S SURF / MAKE WITH THE LOVIN' / SHUT THE DOOR / BOYS & GIRLS / HOT ROD ROCKIN' / REBEL WITHOUT A CAUSE / SLIP, SLOP, SLIPPIN' / MAKE MY DAY

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    The dentist : guitare qui surfe sur vos vieux os, cinglerie de cymbales et l'on part chez le dentiste en chef qui vocalise dans le style cochranesque, les autres font les choeurs juste au moment où il vous arrache les incisives, la guitare gronde pour les molaires, vous repartez contents de vous. Vous reste les incisives pour mordre. The house is rockin' : un titre de Stevie Ray Vaughan, qui ronfle comme les Flamin' Groovies, avec en médaillon un choral a capella estampillage pur style rockabilly, et l'on repart sur les guitares grondantes. Ghostrider : fantôme ou pas ça galope dur, un petit écho à la Rawhide, goserie creuse du début qui s'amplifie et se fait plus vindicative, guitares en force qui taillent la route sans ralentir. Les chœurs qui hurlent, la big mama qui bisonne à l'infini. Flea Brain : retour au bop classique déchiré, des vocaux très Blue Caps, faut être solide et croire en soi pour marcher sur les traces de Gene Vincent, y réussissent parfaitement. T-Bird Tammy : une rythmique échevelée, des appuis à la Jordanaires très middle of the road, la voix qui mène le bal et la contrebasse qui dégomme à la machette, pas le temps de s'ennuyer, il y a toujours un qui se dévoue pour appuyer sur l'accélérateur. Going down to big Mary's : très beau avec ces guitares en même temps sonnantes et fondantes, un truc des Paladins repris à la perfection, un peu de nostalgie sound et la batterie qui empile les frappes, la basse qui résonne, et le singer qui raconte le film. Un aqueduc instrumental monumental, l'on se croirait sur la route de Madison. Attention aux fils de fer barbelés du dernier solo. The crodoc : facétie rockabilesque, la vocalise farceuse et la contrebasse qui remue comme une queue d'alligator en colère, le Doc Crodoc est à la fête, tout le bayou saurien tambourine à sa porte. Connaît tous les plans, un récapitulatif de tout ce qu'il faut savoir faire si vous désirez maîtriser le rockab avant de mourir. Let's surf : milieu du disque, surf-rumble du meilleur effet, la guitare emporte tout, même pas la peine de chanter, l'on se contentera des interventions fragmentaires des choristes, un peu d'Espagne et un solo électrique dévastateur à tuer le taureau, la batterie vous le coupe en tranches saignantes, les guitares le font rôtir et vous l'enfilent dans la gueule tout brûlant. Excellent. Nous reprendrons une dizaine de brochettes. Make with the lovin' : sont allés piocher cette merveille chez Dennis Herold, une surprise électrique toutes les quinze secondes, la batterie qui marque le rythme imperturbable, le vocal qui s'impose, les cordes qui épicent la viande fraîche, l'oesophage minaude son contentement, c'est dans la poche. Emballé, c'est pesé. Shut the door : vous la jette en plein sur le museau, s'y mettent à tous pour vous intimer de la fermer et la guitare vous saupoudre de coups de poings pour vous faire comprendre que vous feriez mieux de le claquer le plus vite possible le satané battant de cette maudite porte. Ne demandez pas pourquoi, ils y tiennent méchamment. Et c'est urgent. Boys and Girls : claquements de mains, z'avez intérêt à tenir le rythme car eux ils n'arrêtent pas. Martin Willems fait le disc-jokey, l'on achève bien les filles et les garçons. En plus ils aiment ça. Accélérons la cadence, plus vite, la musique a trois tours d'avance sur vous. Vous n'êtes pas prêts à la rattraper. Irrespirable ! Hot rod rockin' : encore une pépite des Paladins, l'art du hot rod est d'une simplicité enfantine, droit devant et ne vous inquiétez pas des tournants, filez les yeux fermés et suivez la voiture de tête, pas d'illusion vous ne la rattraperez pas, ils vont trop vite. La caisse claire pistonne, les guitares klaxonnent, la big mama michtonne, la rythmique tronçonne. C'est la faute à personne s'ils sont trop bons. Rebel with a cause : guitares mélodramatiques les rockers en veulent toujours plus, sont pressés, rien ne les arrête, même pas la mort, décrochez vos ceintures et suivez le précipice. Solo à la tôle froissée. L'art immortel de vivre vite. Slip, slip, slippin' : un des premiers morceaux d'Eddie Bond en 1956, du pur rockab bop dont les Eighball se goinfrent sans vergogne. Chacun y va de son petit ouragan, accrochez-vous, ça ne décoiffe pas, ça décapite. Make my day : dernier morceau, pas le moment de faiblir, vous soufflent dans les bronches sans défaillir, ce doit être Willy qui glapit le chant, un renard pris au piège qui préfère se ronger la patte qu'abdiquer sa liberté. Rockabilly libératoire et grande claque.

     

    Respirez, c'est terminé. Pas une seconde de repos avec ces diables de Boppers. Ils ont opté pour la formule électrique et les chœurs de tueurs à l'ancienne, qu'ils vous assènent à tout bout de champ comme si votre vie en dépendait. Eighball Boppers réussit l'alliance des contraires. Vocaux tout droit sorti des années cinquante, et torrents de guitares à grands flots.

    En même temps, scrupuleusement fidèles à une certaine pureté anthologique du rockab et modernisme outrancier de la masse sonore qui emporte tout sur son passage. Deux aspects si bien entremêlés que vous ne pouvez rien leur reprocher, ni un purisme excessif, ni vous plaindre d'une suspecte trahison. Sont parvenus à stabiliser le mélange détonnant sans lui ôter sa force de frappe. En ont même doublé les effets. Une réussite parfaite.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 220 : KR'TNT ! ¤ 339 : WILDFIRE WILLIE + BETHUNE / SHEL TALMY / EIGHBALL BOPPERS / JAKE CALYPSO / OSCAR ALEMAN / JIM MORRISON

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 339

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    14 / 09 / 2017

     

    WILDFIRE WILLIE + BETHUNE / SHEL TALMY /

    EIGHTBALL BOPPERs / JAKE CALYPSO

    OSCAR ALEMAN / JIM MORRISON

     

    Wildfire Willie fout le feu

     

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    On l’annonçait comme le messie et il est arrivé sur la grande scène du Rétro avec des allures non pas de messie, mais de vétéran de toutes les guerres. Ah il faut avoir vu le vieux Wildfire Willie bopper le rockab sauvage. On devrait l’appeler Willie la classe. Bon d’accord, il n’est plus tout jeune mais il croque son rockab à belles dents, on voit que ce mec est heureux de monter sur scène pour claquer quelques vieux beignets de crevettes.

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    Comme tous les autres, il gratte une acou serrée sur la poitrine, avec le manche pointé vers le sol, mais il met une telle intensité dans son jeu qu’il parvient à échapper aux clichés. Wildfire Willie ne vit que d’authenticité et d’eau fraîche, il boppe avec ferveur et répand la bonne parole du rockab dans toute l’Europe. Heureusement qu’il existe encore des Suédois comme lui pour propager le fléau du rockab par delà les frontières. Il put his cat clothes on et son petit pote le stand-up man assure un pulsatif vraiment digne de l’âge d’or. Wildfire danse un peu, les frissons l’émoustillent, il relance toujours sa machine avec l’énergie d’un géant. Il te dog son cat avec brio et n’hésite pas à se rouler par terre, pour offrir du spectacle au petit peuple, il fait ses vieux pas de danse d’Elvis, il te visse le set et boppe son cut de cat comme un crack, il te crashe même du party en souvenir de Benny Joy. Wow, Wildfire ne se prive d’aucun éclat.

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    Et comme Sonny Burgess vient de monter au ciel, Wildfire lui rend un ultime hommage avec une version stupéfiante d’«Ain’t Got A Thing» ! Toute la place tressaute en rythme - I got a car/ Ain’t got no gas - On se retourne et que voit-on ? Un beffroi qui twiste le bop - I got a clock/ Ain’t got no hands - Ce démon de Willie rallume tous les vieux brasiers. Il est bien certain que Sonny aurait été ravi de voir son vieux hit fourrager ainsi le cul d’une vieille ville.

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    Toute cette énergie, on la retrouve sur les disques, évidemment. À commencer par cette énorme slap-machine qu’est Rarin’ To Go, un album paru en 2004 sur un petit label suédois. Rarin’ To Go est tellement bien foutu qu’on se relèverait la nuit pour le réécouter. Willie embarque tous ses cuts un par un au pur jus de western swing, «Cool Curves» vaut pour un heavy jive de rockab. Ces mecs sont indiscutablement doués pour la quête du Graal.

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    C’est en tous les cas ce que montre ce «Come Back Baby» finement amené au minimalisme militant. Ce diable de Willie joue la carte du doux rockab. Tiens, voilà une magnifique pièce de country bop enjouée : «I Dig You The Most». Puis ils passent au pur jus de kabykab avec «Get Carried Away». Le festin se poursuit en B avec «Speakin’ Of My Heart», excellent shoot de rockab boppé bon esprit et harangué à la pure traînasse du Tennessee. Et puis tiens, encore du pur jus de juke avec «Cut It Out», bien enragé et presque sauvage. Willie finit son album en apothéose avec un enchaînement de cuts terribles : «Tease Me Baby» (heavy rockab admirablement dosé au chant), «Killer Diller Pills» (joué dans les règles de l’art du meilleur kabykab de cool cat), «If You’ll Be A Baby To Me» (boppé au beat pur, ces mecs jouent comme des dieux du stade) et ça se termine avec l’effarant «Great Cooga Mooga», un cut de bop pour lequel on vendrait sans hésiter son âme au diable. Rrraaaahhhhh !

    Wildfire Willie passait en début d’après-midi, le dimanche. La veille au soir, les Ramblers et lui accompagnaient le légendaire batteur Jimmy Van Eaton, mais, curieusement, pas sur la grande scène. Le vieux Jimmy atteint les quatre-vingt piges, mais il semble conserver un goût pour la frappe sèche, enfin c’est très spécial. On comprend cependant qu’il ait pu faire partie du house-band de Sun Records. Il raconte bien sûr quelques anecdotes. Les gens sont là pour ça.

    La grosse surprise du Rétro vient de deux groupes européens : l’un est belge (Shorty Jetson), et l’autre portugais (Roy Dee & the Spitfires). Deux groupes réellement excellents, chacun dans son style, mais diable, comme cette scène peut être vivante ! Shorty Jetson passait le dimanche après-midi.

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    Ce petit brun au physique de jeune premier grattait son acou comme les autres, accompagné de la formation classique, stand-up/drums/guitare. Au premier abord, le guitariste n’attirait pas l’œil. Il jouait sur Tele et n’avait pas de look, mais il se mit à jouer des descentes de gammes vertigineuses en picking et là, ça devint extrêmement intéressant. Sorti de nulle part, ce mec rivalisait de fluidité avec James Burton. Oui, il tapait carrément dans la véracité de la vélocité.

     

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    Ça semblait donner des ailes à Shorty Jestson qui, cut après cut, finissait par s’imposer, comme une sorte de petite star. Il chantait son rockab à la revoyure, la mèche dans les yeux. Il y avait du Vince Taylor en lui, mais aussi quelque chose qui relevait d’un mélange d’early Jack Palance, d’Indien d’Amérique, de petite arsouille et de branleur. Comme son guitariste Jo la fulgure, ce petit mec brillait comme un sou neuf. Il sortait de nulle part et régalait les amateurs entassés au pied de la scène. Il jouait tout simplement l’un des meilleurs rockabs qu’on pût espérer entendre à l’ombre du vieux beffroi de Béthune.

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    Franchement, ce genre de set relève de l’irrationnel : comment quatre petits mecs sortis du néant parviennent-ils à recréer la magie du rockab, un art éminemment difficile ? Mille fois plus difficile que le garage ou toute autre forme de musique moderne. Pour que ça marche, il faut une vraie voix, une diction parfaite, un vrai look, un sens de l’équilibre et une passion ardente, pas une passion du samedi soir. Le rockab relève plus de la vocation, c’est en tous les cas ce qu’on comprend lorsqu’on voit Shorty ou Wildfire Willie arriver sur scène. Shorty Jetson shakait son shook en rigolant, tellement il semblait heureux de se retrouver sur une grande scène. Sans doute beaucoup trop grande. Il fit tomber la chemise et continua de rocker torse nu.

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    Un immense trois-mâts ornait sa poitrine. Oui, en prime, ce mec arborait des tatouages de cité à l’ancienne, il poussait le sens de la classe jusque-là. Son rockab jubilait et crachait des flammes, comme le pot d’échappement d’un moteur mal réglé, ils osèrent même jouer «Get A Grip», un cut qui se brise comme une coque sur une cassure de rythme et qui repart comme par enchantement. C’est à ça qu’on reconnaît les bons. Après son set, Shorty Jetson vint se balader torse nu dans le public. Il lui restait six exemplaires d’un CD 4 titres sans doute édité à compte d’auteur. Il les offrait.

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    On retrouve sur ce CD toute sa hargne et toute sa classe. Dès «Cry Baby Boogy», il jette sa foi dans le pâté de foie. Ça swingue à la démence et ça rocke jusqu’à l’os à moelle - This kid is soooo gooood ! Puis il fourre «Rocket In Your Pocket» sous le boisseau et le guitariste en profite pour enfiler un coup de driving de dingue. Il ne reste plus qu’à se poster à la fenêtre pour guetter l’arrivée d’un hypothétique album.

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    Roy Dee & the Spitfires viennent du Portugal. C’est l’autre révélation du festival. Wild Records vient de les signer, mais leur album n’est hélas pas encore paru. Il n’avaient que leur talent à offrir. Alors attention, ils pourraient bien devenir aussi énormes que les Wise Guyz, mais dans un genre différent. Alors que les Ukrainiens jonglent avec l’ultra-swing et un look à la Cochran, les Portugais vont plus sur le rockab wildy-wildo et le look marlou, celui des Bouges de Pierre Mac Orlan. Ces mecs sortent tout droit d’une taverne borgne du port, surtout le chanteur et le stand-up man, deux petits formats courts sur pattes, râblés, épais, coiffés de casquettes de gavroches, et pour la chanteur, maillot rayé et bras couverts de tatouages de matelot. Oh et des gueules ! Ils ont ces fabuleuses trognes dignes des collections de gueules cassées qu’on achetait autrefois à Saint-Malo, les fameux portraits d’Étienne Blandin. Le stand-up man porte d’immenses anneaux aux oreilles, il ne fait pas semblant. Si tu veux voir un frère de la côte, c’est lui ! Et puis le son ! Ces mecs-là se spécialisent dans les violentes montées et puissance, c’est-à-dire l’essence même du rockab. Le stand-up cat les génère de tout son corps, c’est hallucinant, il a en lui toute la hargne motrice d’un Johnny Powers, il fait la loco du train de Johnny Burnette, bah-boom bah-boom, il donne des coups sur ses cordes et tortille du cul en cadence. On sent battre le vrai cœur du rockab sauvage. C’est imparable. Roy Dee pique lui aussi de crises de folie furieuse, il part en vrille de Saint-Guy et s’en va zigzaguer au moment où tout menace d’exploser, mais chaque fois, leur train se remet dans les rails et repart comme si de rien n’était. Ces mecs dégagent une énergie bien plus sauvage que n’en dégagent les chevaux de la Brigade Légère, celle de Tony Richardson, bien sûr. Ça plait tellement au public du 73e qu’ils obtiennent deux rappels. Eh oui, on ne trouve pas des hot cats comme ça sous le sabot d’un cheval.

    Signé : Cazengler, Wildfire mouillé

     

    Wildfire Willie & The Ramblers. Béthune Retro. Béthune (62). 27 août 2017

    Wildfire Willie & The Ramblers. Rarin’ To Go. Tessy Records 2004

    Shorty Jetson & The Racketeers. No label.

     

    Talmy ça où ?

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    Et puis comme un miracle n’arrive jamais seul, Record Collector propose à la suite du panorama d’Oregano sur les Creation un article de Bill Kopp sur Shel Talmy. C’est dans ces occasions qu’on loue le seigneur pour de vrai. Comme l’indique le cat Kopp, Shel Talmy devint à l’époque une star, à l’instar de Phil Spector et de George Martin, ce qui était encore assez rare, pour les producteurs. À Londres, les plus connus étaient Mickie Most et bien sûr George Martin qui lui était associé aux Beatles. Mais comme Joe Meek, Shel Talmy avait la particularité d’être à la fois ingénieur du son et producteur. Technical expert with artistic focus. Et comme Andy Warhol avec le Velvet, il veillait au full control over the project.

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    Shel Talmy ne se contentait pas de produire, il découvrait. Hormis les Who, les Kinks et les Creation, il produisit aussi les Easybeats, Bowie et Roy Harper. Excusez du peu. Et comme Eddie Phillips, il ne rajeunit pas, puisqu’il va sur ses quatre-vingt ans. Mais apparemment, il est toujours en activité.

    Au début des années soixante, Shel se fit les dents à Los Angeles. Boss de Conway Recorders, Phil Yeend lui donna sa chance et le petit Shel enregistra des cuts de surf et de r’n’b. Il devint pote avec l’un des personnages clés de l’époque, le fameux Nick Venet qui bossait chez Capitol. Nick lui disait le plus grand bien de l’Angleterre, alors Shel eut l’idée d’y passer six semaines de vacances pour y tâter le terrain. Nick lui donna des acétates : tu peux t’en servir et dire que ce sont les tiens. Oh merci Nick ! C’était pas n’importe quoi : Nick lui filait carrément des acetates des Beach Boys et de Lou Rawls. Arrivé à Londres, Shel prit des rendez-vous. Il commença par demander à voir Dick Rowe chez Decca. Il y alla au flanc : «Je suis le truc le plus génial qu’on ait inventé depuis le fil à couper le beurre !» Intrigué, Dick écouta les acetates de Nick. Bingo ! Dick embaucha Shel sur le champ comme producteur. Son séjour de six semaines allait durer 17 ans.

    Son premier job consistait à produire les Bachelors. Shel rappelle qu’en 1962 British music was very polite, very precise, restrained and without much feel - oui, c’est encore à l’époque une musique bien polie et bien lisse qui ne fait pas de vagues. C’est justement ce qui ne plaisait pas à Shel. Il décida de faire à sa manière - So I chose to do it my way - Il devint producteur indépendant et comptait bien sûr Decca parmi ses clients. Il se fit vite un renom en tant que Famous American record producer et reçut la visite d’Andrew Loog Oldham. Il préférait monter sa boîte et vivre de royalties plutôt que d’être salarié par une grosse maison de disques comme Decca. Il faut dire que Decca battait tous les records de connerie. Souvenez-vous, ils avaient refusé de signer les Beatles. Quand Shel proposa Georgie Fame et Manfred Mann à Decca, ils déclinèrent. Decca allait aussi rater les Who que Shel leur amenait sur un plateau - Faut pas parler aux cons, ça les instruit - S’appuyant sur ce vieil adage, Shel cessa donc d’aller perdre son temps chez Decca et fila démarcher Pye.

    C’est dans une boutique de Denmark Street qu’il rencontra Robert Wace, un mec qui manageait les Ravens. Wace lui fit écouter une démo. Shel flasha sur ce groupe qui allait changer de nom pour devenir les Kinks. Ce fut donc le premier groupe que Shel présenta à Louis Benjamin, le boss de Pye. Louis fit d’une pierre deux coups : il signa immédiatement les Kinks et prit Shel comme producteur indépendant. «Long Tall Sally», premier single des Kinks, parut chez Pye. Shel allait y produire cinq albums et une bonne douzaine de singles des Kinks.

    Il avait des techniques de prise de son inconnues des techniciens britanniques : il voulait douze micros sur la batterie et trois sur l’ampli guitare, un tout près, un à quelques mètres et un autre dans la pièce pour choper le feedback - I wanted my records to be the loudest thing out there - Le rock n’en était encore qu’à ses débuts et Shel sentait qu’il avait the great good fortune of setting the standards. Il fallait donc tout inventer. Il fit travailler des gens comme Bobby Graham, Jimmy Page, Nicky Hopkins et l’arrangeur David Whitaker. Shel était alors ce qu’on appelait un «Hands-on» producer, un producteur clés en mains : il choisissait les chansons, faisait répéter le groupe, faisait les arrangements, enregistrait, overdubbait, mixait et mastérisait. Il voyait Ray Davies chaque semaine pour faire le point sur ses compos. Un jour, Ray commença à lui jouer «Sunny Afternoon» et après seulement quatre mesures, Shel lui dit : «That’s our next #1 !».

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    Puis il découvrit les Who via une gonzesse qui fréquentait Kit Lambert. Elle réussit à convaincre Shel de venir voir les Who répéter dans une église, quelque part dans Londres. À peine eut-il entendu huit mesures qu’il voulut les signer. Il venait de flairer le gros coup. Aucun groupe à Londres ne sonnait comme eux. Et pouf ! «I Can’t Expain», puis le premier album et une demi-douzaine de singles ahurissants ! Shel avait tout simplement réussi à capturer le chaos du groupe. Il tient toutefois à préciser que ce son ne sort pas de la cuisse de Jupiter - Pete and I did spend a lot of time in the studio on our own, trying various mic positions in order to wind up with the sounds you hear on the record - Puis une brouille juridique brisa cette belle union. En 1965, Shel produisit l’«I PityThe Fool» du jeune David Jones qui allait devenir David Bowie. Shel flaira le talent, évidemment - I thought he absolutely was going to make it - Mais David et Shel étaient beaucoup trop en avance sur leur époque.

    Puis il découvrit les Creation, qui furent ses préférés - His major regret - They were coming on great - Mais des tensions énormes déchiraient le groupe et Shel passait son temps à leur rappeler qu’ils étaient en studio pour enregistrer et non pour se taper dessus. Eddie Phillips et Kenny Pickett étaient en conflit avec Bob Garner qui avait une fâcheuse tendance à vouloir se mettre en avant. Shel est d’autant plus amer qu’il avait l’accord d’Ahmet Ertegun pour que l’album sorte sur Atlantic. Strat ne réussit pas non plus à éviter le gâchis. Shel les voyait déjà comme des stars. Ils étaient en tête des charts en Allemagne et un peu partout en Europe - I was going to put them over the top. And I think they would have succeeded. It didn’t happen and I regret it to this day - Si les cuts des Creation sonnent aussi divinement aujourd’hui, c’est bien grâce à Shel Talmy.

    Il produisit aussi un single des Damned, et des gens aussi divers que Lee Hazlewood, Amen Corner, Blues Project, les Small Faces, Goldie & The Gingerbreads et Chad & Jeremy. Et même l’album In Heat des Fuzztones en 1989. Son dernier coup de cœur est un London-based group, the Hidden Charms, dont le son lui rappelle les Kinks et les Who. On ne se refait pas.

    Shel Talmy aura passé sa vie à répéter : A lousy band with a great song will have a hit, but the reverse to that is not true (un mauvais groupe avec une grande chanson aura du succès, mais l’inverse est faux). Il est encore temps d’en prendre de la graine.

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    Et puis voilà qu’Ace propose un petit panorama du business productiviste de Shel Talmy, sous le titre de Making Time. A Shel Talmy Production. Alors oui, on saute dessus. On y trouve évidemment les Who («Anything Anywho Anywhere» - sheer excitement to tape - Les Who qui après Shel ne retrouveront jamais ce degré de perception dingoïde), les Kinks («Tired Of Waiting For You» - Shel is in charge of the visceral violent noise of early Kinks), les Creation («Making Time» - noyé de son dans le limon de Tin Pan, basse pulmonaire et same old song, pure démence de l’outrance), mais aussi des choses bien moins connues mais très spectaculaires, qui contribuent si bien à l’édification du génie productiviste de Shel Talmy, à commencer par l’infernal «Daddy Long Legs» de Lindsay Muir’s Untamed, un hit complètement inconnu au bataillon, monté sur un drive hors d’âge, pure giclée de concomitance suprême, parfait accouplement du talent de Lindsay et du productivisme latent du Talmy. La frangine de Lindsay s’appelle Mary Langley et on trouve sur la compile «Surrender», un hit de Mary ‘Perpetual’ Langley véritablement digne du Brill, elle chante comme une baby doll de rêve et, inexplicablement, elle est passée à la trappe de Père Ubu. Autre surprise de taille : les Sneekers avec «Bald Headed Woman», un rave-up monstrueux digne des Pretties. Le chanteur s’appelle Brian Howard. Il se livre ici à un joyeux trashy trash-out. On a là un pur wild bash-out à l’Anglaise qui sonne comme une fabuleuse explosivité multi-directionnelle, l’un des meilleurs garage-freakout d’Angleterre et Shel le tient bien en laisse. Tout aussi spectaculaire, voilà «Night Comes Down» des Mickey Finn, pur jus de savage beat, bardé de son. Le chanteur s’appelle Alan Mark et franchement, on se demande pourquoi ce groupe n’a pas explosé dans l’inconscient collectif. On passe aux groupes plus connus comme les Nashville Teens, amenés chez Shel par Don Arden. Alors oui, cette version d’«I’m Coming Home» est un petit chef-d’œuvre d’excitation, avec la double attaque de Ray Phillips/Art Sharp et ce killer solo en feedback ! C’est encore une fois bardé de son, incompressible, sauvage et glorieux. C’est là qu’on mesure une fois encore la hauteur du génie de Shel Talmy. L’un de ses gros espoirs était les Rockin’ Vickers de Blackpool. Si on connaît leur nom, c’est sans doute parce que Lemmy y fit ses débuts en tant que Ian Willis. Autre poulain de Shel : Oliver Norman, un black horriblement maigre qui chante «Drowning In My Own Despair» sur le beat de «Bernadette». On a là du pur Tamla Sound, c’est dire si Shel est bon. Même les cuts de Tim Rose et de Trini Lopez passent comme des lettres à la poste. Shel Talmy est une sorte de touche-à-tout de génie. Ses folkeux accrochent un petit peu moins bien. Il faut vraiment aimer le folk anglais pour écouter Pentangle, par exemple. Le duo Chad & Jeremy est beaucoup plus accessible : «A Summer Song» sonne comme un pur chef-d’œuvre de pop stellaire montée aux harmonies vocales subliminales. Ça vibre de beauté. Voilà encore une combinaison fatale de surdoués : même niveau que le team Righteous Brothers/Phil Spector, on est là dans l’ultimate etheric of it all. Au dessus, il n’existe plus rien. Shel dit aussi avoir énormément aimé les Easybeats, il suffit d’écouter «Lisa» pour comprendre ce qu’il veut dire, et Steve Wright reste un shouter exceptionnel. Puisqu’on est dans les Aussies, Shel aurait dû produire les Bee Gees, mais Robert Stigwood, lui-même Aussie, lui brûla la politesse. Autre épisode de taille : le pré-Bowie qui s’appelait encore Davy Jones et dont Shel produisit l’effarant «You’ve Got A Habit Of Leavin’», un slab de Mod pop entrelardé de shoots de freakout à la Talmy. C’est très spectaculaire ! Tiens, encore une merveilleuse surprise : The First Gear avec «A Certain Girl». British sound de 1964, très daté, mais on sent la patte du chef, on entend le travail indubitable du bassliner d’époque, on bouffe du son murky, comme dans les Creation et le son de guitare incroyablement agressif vaut pour une nouvelle preuve de l’existence de Dieu. Shel Talmy avait tout compris. Oh il faut aussi écouter le «Semi-Detached Suburban Mr Jones» de Manfred Mann, car c’est de la pop anglaise dotée d’une profondeur d’écho et d’allant inégalable. Ce fantastique Shel fait aussi du Brill avec Goldie & the Gingerbreads : «That’s Why I Love You» sonne comme un hit, avec ce fantastique trafic de prod prude.

    Signé : Cazengler, Talmygondis

    Making Time. A Shel Talmy Production. Ace Records 2017

    Bill Kopp : A Well Respected Talent. Record Collector #465 - April 2017

     

    TROYES / 08 – 09 – 2017

    3B

    EIGHTBALL BOPPERS

     

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    Sont baths les bataves, connaissent les bonnes adresses. Même là-bas dans leur pays au-dessous du niveau de la mer z'avaient entendu parler du 3 B de Troyes. Ce n'est pas Béatrice la patronne qui aurait laissé passer l'aubaine, les a plombés en plein vol ces hollandais volants qui avaient besoin d'une ville étape dans leur parcours vers le festival Rock'n'Road Stomp de La Souterraine. Une bien belle manière d'inaugurer la saison 2017-2018. Premier concert, apparemment tous les habitués ne sont pas rentrés mais il ne manque pas de têtes nouvelles. N'y a plus qu'à attendre que les Eightball Boppers finissent leurs repas pour que les festivités commencent.

    PREMIER SET

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    Suffit de savoir lire les signes. Surtout ceux qui ne trompent pas. Exemple : ces trois cymbales, cette caisse claire toute seulette avec cet unique long fut de grosse caisse dressé verticalement tel le premier étage d'une fusée sur son pas de tir, en robe zèbre démarquée du motif de la fastueuse veste onagrienne de Gene Vincent à Sidney – quoique à la réflexion ces traits noirs ondoyants sur fond blanc ne soient pas sans évoquer la frisotienne implantation pubienne d'une jeune fille, mais je m'égare, d'autant plus que Rat Rod se glisse derrière cette batterie rudimentaire dont il tient à nous démontrer tout le long de la soirée la redoutable efficacité. Ont bien choisi leur nom, des boppers de la mort, et Rat Ros qui officie debout à la Dickie Harrell est le maître stompeur de la huitième balle.

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    J'entrevois une question qui lève le doigt au fond de la cohorte des lecteurs, vénérable Damie pourriez-vous rappeler à nos ignorances profondément infinies la définition du Bop ? Ultra-simple, cher ami. Le bop c'est le swing. Mais le swing auquel vous prenez bien soin d'enlever au préalable le swing. C'est que voyez-vous le swing ronronne comme un moteur à quatre temps, une fois que c'est parti vous êtes tranquille pour la soirée. Le bop c'est itou, mais en plus fort, et de temps en temps – surtout sur un impair et gagne – vous assène un méchante beigne, toujours dans le rythme, mais genre coup de massue qui vous écrabouille. Hop ! Hop ! Hop ! Hop ! BOP ! Le bop c'est la saccade du coup de pied au cul qui vous éjecte du saloon juste au moment où vous croyiez recevoir sur l'épaule un discret effleurement d'éventail de la belle Lola pour vous inviter à monter au premier étage. Vous avez beau vous y attendre, savoir que le danger du mari jaloux vous guette, vous vous laissez prendre à chaque fois, disons toutes les huit secondes. Certains assurent que le bop est issu des tambours indiens, transbahuté par le rythme claudiquant du blues. Peut-être n'est-ce qu'un mythe fabriqué par un ethnologue qui voulait se faire remarquer. Ce qui est sûr c'est qu'il existe un étrange rapport entre le bop et le galop heurté d'un poney comanche sur le sentier de la guerre. Mais je vois que les 8BB ne m'ont pas attendu.

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    C'est Willy Cornelissen sous son chapeau gris qui a poussé de sa fender stratocaster une soufflante chalumique de dragon déchaîné, vous nettoie en cinq secondes l'œsophage pour le restant de votre vie, vous n'avez d'oreilles que pour ses giclées de fanfare fanfaronnante. Grave erreur, ce n'est pas lui le plus dangereux. Sachez identifier votre ennemi, surtout s'il vous veut du bien.

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    Certes on ne le voit pas bien, se cache un pas en arrière, entre le tronc d'arbre de la grosse caisse et la contrebasse de Henk Haning. Décorée façon char d'assaut. Imitation blindage. Fortes tôles tenues par les rivets style Nautilus de Jules Verne, pin up en écusson, et les flancs à damier jaune et noir comme les cuisines carrelées des années cinquante. L'est à son affaire, tire sur une corde et vous lâche une torpille chaque fois que Rat abat le bop sur son enclume.

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    Revenons à l'homme invisible Bert Damink - c'est son nom - qui joue au modeste, feutre noir aplati sur sa tête et yeux baissés sur sa Gretsch. Orange crochranien, un sacré indice mon cher Watson. Oui foi de Sherlock, n'est pas là pour faire le charlot. Dressez l'oreille, dans le déluge de Willy, ces petites notes, toutes fluides, toutes grêles qui s'insinuent l'air de rien et qui jouent le rôle de l'amorce sur les cocktails molotov, c'est lui. Sacré loustic. Quand vous apercevez que vous avez un couteau entre les omoplates, vous êtes déjà mort depuis longtemps. Aucun regret, passent leur temps à se marrer, échangent des mots incompréhensibles, sourient, rigolent, et enchaînent sans préavis un Flea Brain de Gene Vincent ou un Reelin' and rockin' de Chuck Berry. Le courant passe, Rat Rod possède quelques rudiments de français, coupe un peu les mots, mais établit une sympathique complicité avec l'assistance. Est plus souvent qu'à son tour au vocal. Vous l'assène sèchement sans fioriture ni friture. Une loi de base du rockab, les instrus se taillent la part du lion, mais c'est le singer qui découpe les morceaux. Faut avoir la voix acérée comme une machette, fait la partition, délimite le terrain pour chacun des soutiers, l'est le poteau qui délimite les intervalles, faut une sacrée complicité pour se retrouver tous ensemble pile-poil, les Eightball s'en amusent, il y en a toujours un qui commence quand les autres ne sont pas prêts mais deux secondes plus tard sont tous sur la même ligne. Du grand art. Je n'en veux pour preuve qu'une de leurs compositions. Commencent par répéter trois ou quatre fois Dentist avec la mine lugubre de celui qui va se faire arracher trois molaires sans anesthésie et tout de suite après c'est le paradis, le miracle, du pur Cochran, la guitare de Bert qui slalome entre les étocs et la voix de Rat qui enflent et diminuent tour à tour comme les vagues sur la mer, la contrebasse de Henk qui descend et remonte les escaliers en trombe, et la guitare de Willy qui vous claque une rythmique impitoyable comme une lanière de fouet ondulante. Même les Stay Cats ne nous ont jamais expliqué si clairement le lien structurel et séminal qui relie le bop de Gene à la rythmique d'Eddie. Eddie a raboté la rudesse du Bop, l'a transformé en inflexion, mais cet infléchissement n'est pas un adoucissement, rajoute de le courant électrique continu là où il n'y avait que tohu-bohu des ruptures rythmiques. La voix n'a plus besoin de se déchirer sur les éclats de verre brisé de l'instrumentation, c'est elle qui désormais mène le jeu et renforce de ses nuances sinusoïdales l'expressivité du morceau. Le set s'achève sous les applaudissements. La démonstration des Eightball Boppers est sans bavure. En une quinzaine de titres, ils ont montré qu'ils maîtrisaient parfaitement leur sujet.

     

    DEUXIEME SET

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    On ne se méfie jamais assez. L'on avait reçu une leçon de rockabilly. L'on croyait que c'était terminé que l'on allait se retrouver en territoire connu. Que nenni. Après la leçon, la raclée. Sur les deux premiers morceaux on n'y a pas fait gaffe, bien sûr il y avait cette façon de Bert de faire sonner ses cordes hautes de plus en plus fort. Un régal, un ronronnement de gros matou qui se pelotonne sur son coussin et qui s'apprête à passer à une nuit agréable après une fructueuse chasse aux souris. Puis il y a eu le sourire en coin de Rat Rot nous annonçant un titre en français. Enfin en belge. Et ploum, nous envoient un Ça Plane pour Moi, peu convaincant, genre de facétie qui n'apporte rien de neuf, OK, savent jouer aussi vite que des punks mais on le savait déjà. Z'ont décidé de nous faire perdre tous nos repères, voici These Boots are Made for Walkin', vous le troussent fort joliment le hit de Nancy, mais où veulent-ils en venir au juste ? Pas de panique, nous présentent un hit en dialecte – comprenez chanté en néerlandais – ne me demandez pas le titre par trop imprononçable pour nos gosiers gaulois – marqué pré-early sixtie, ça ressemble à nos premiers groupes français à la Chat Sauvage. Nous ont un peu menés par le bout du nez, mais c'était juste une tactique pour nous déstabiliser, car voici la guitare de Bert qui enfle, enfle, enfle comme un tsunami, ce coup-ci le temps des questions est passé, nous entrons dans l'ère des évidences. Formation rockabilly au carré, partie dans un rumble d'enfer, et ensuite faut suivre, car ça dépiaute sauvage et rapide, adieu le bop, voici les riffs rock qui s'enchaînent et se déchaînent, Raw Hide et le troupeau des long-horns déboule sur nous, l'on va être piétiné par ce millier de bisons qui foncent, quand la rythmique sautille narquoisement, serait-ce Louie-Louie ? pas le temps de lui serrer la main, quinze secondes de Satisfaction immédiatement suivi de Paint it Black qui s'accélère comme une loco qui quitte les rails, normal c'est Highway To Hell, arrêt en gare tout le monde descend sur les deux derniers vers de Stairway Heaven, pour repartir aussitôt sur Born to be Wild, mais j'arrête la liste, elle cache la guitare de Bert, plus de chat qui coucouche dans son panier, rugissement de tigres mangeurs d'hommes, et manque de peau nous faisons partie de l'espèce humaine ! Nous bouffe tout cru ! Diabolique cette succession de plans qui se métamorphosent à l'infini, et le combo qui suit comme les highlanders derrière les cornemuses, quand on enfonce les clous du rock'n'roll dans la croix, il faut que ça saigne un max, sinon, cela n'a pas d'intérêt. Une belle rouste rock'n'roll comme on aime en recevoir. Une apothéose.

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    TROISIEME SET

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    Il se fait tard. N'ont plus rien à prouver. Batifolent entre Stray Cats et classiques à la Tutti Frutti. De la belle ouvrage. Ni l'authenticité de la première partie, ni l'ouragan de la deuxième. Mais le hall des beaux modèles d'exposition que l'on ne se lasse pas d'admirer. Démonstration sur circuit avec dérapages incontrôlés sans faute. Finissent sous les acclamations, et les remerciements, écoulent une valise de CD et signent les affiches à tire larigrock. Pour l'ouverture de sa nouvelle saison Béatrice la patronne a frappé fort. Nous a offert une merveille. Merci les Eightball Boppers ! Une soirée diabolique !

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    Damie Chad.

    ( Photos : FB : Béatrice Berlot et Christophe Banjac )

    100 MILES

    JAKE CALYPSO

    ( Rock Paradise / Chickens Records )

    ( Sortie : 16 août 2017 )

     

    KISMET / HOME IS WHERE THE HEART IS / I WILL BE HOME AGAIN / SUPPOSE / FLAMING STAR / I'LL REMEMBER YOU / POCKETFUL OF RAINBOWS / WILD IN THE COUNTRY / TODAY TOMORROW & FOREVER / IN MY WAY / MILKY WHITE WAY / THEY REMIND ME TOO MUCH OF YOU

     

    Jake Calypso : chant + guitars / Christophe Gillet : guitars + choeurs / Hubert Letombe : acoustic guitar + manettes / Didier Bourlon : guitar / Viktor Huganet : guitar + choeurs / Mehdi Wayball : guitar / Thierry Sellier : drums / Alexandre Letombe : drums / Guillaume Durieux : contrebasse / Ben D. Driver : Contrebasse / Serge Renard Bouzouki : violoncelles + accordéon + mandoline + bouzouki / Nick Anderson : piano / Fabrice Mailly : harmonica / Bernard Leblond : percussions / Jean-Charles Thibaut : choeurs.

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    A lire la liste des participants l'on pourrait croire que Hervé Loison avait décidé de convoquer l'entière tribu des derniers mohicans pour un grand pow-how d'enfer rock'n'rollien. N'en est rien. N'y a pas de disque plus solitaire que celui-là dans toute la production française. Un rêve de rocker. Forever. Comme personne n'oserait en faire. Une folie douce. Le type qui plante une pelouse pour les coccinelles en plein milieu de la jungle infesté de tigres sanguinaires. Remarquez l'on aurait pu s'y attendre. Des indices qui ne trompent pas : dans les premiers temps de son parcours : ce groupe nommé Mystery Train ou cet album enregistré à Memphis dans les studios Sun voici à peine deux ans, ne sont-ce point poinçons presleysiens à foison chez Loison ? Donc un disque dédié à Elvis cela tombe sous le sens pour quelqu'un qui vient de rééditer celui dédicated to Gene Vincent et qui a enregistré par ailleurs des albums consacrés à Little Richard et Johnny Burnette. L'on peut déjà dresser la set list, les incontournables comme Heartbreak Hotel, Hound Dog, Don't Be Cruel, tiens ce Milkcow Blues rugueux à souhait et... ramenons les vaches à lait à l'étable, Hervé ne mange pas de ce pain blanc de la facilité attendue. L'est un rocker, un vrai, un pur, à la dure caboche qui n'en fait qu'à sa tête. Faut toujours surprendre l'ennemi du côté par lequel il ne vous attend pas. Vous rêvez du Pelvis frénétique, erreur sur tous les sillons, ce sera le roucoulard des demoiselles, l'Elvis des plus ignobles ballades, celles qui vous font larmoyer de honte à l'idée qu'elles pourraient vous donner envie de pleurer car il est bien connu qu'un rocker au coeur de pierre ne pleure jamais... Pourrait se trouver au moins une excuse l'oison tapageur : morceaux immémoriaux de la mélancolie populaire que les cowboys chantaient le soir venu autour du feu, mais non fait exprès de puiser dans le répertoire le plus inavouable de l'enfant de Tupelo, quand il troque - à l'instigation dollarophile du colonel Parker - l'herbe bleue du Kentucky pour les champs de navets cinématographiques. Z'oui, mais pour Loison chez Elvis tout est bon. N'est-il pas le roi du rock ? Faut pas grand chose pour le prouver. Un petit magnéto et un billet d'avion. L'aéroplane c'est pour se rendre à Memphis, et le mini-cassette pour enregistrer, à mi-voix et parfois en cachette, et souvent à la sauvette, douze pépites d'Elvis dans les endroits où il a vécu : Tupelo, Graceland, Nashville... poussera le vice jusqu'en Allemagne. C'est de retour à la maison que Loison a rameuté les amis, faut habiller l'émotion de cette voix dénudée, lui tisser un habit transparent de cristal et de diamants.

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    Me suis posé la question : comment rendre compte d'un tel disque ? En même temps totalement hommagial et extrêmement personnel. Après avoir hésité me suis décidé pour l'épreuve ordalique. Par le feu. Morceau par morceau. Version Elvis. Version Jake Calypso. Méthode un peu traître. Nos deux lascars ne sont pas à armes égales. Confort du studio pour l'un, et enregistrement quasi-clandestin pour l'autre. Pas un match, Elvis hors catégorie de par son statut historial et Calypso qui ne se présente pas comme un challenger.

    Kismet : annonce fort la couleur Loison, dès le premier morceau. Perso, Kismet n'a jamais été qu'un morceau au mieux purement anecdotique de la discographie du King, extrait d'un film qui n'a pas laissé un souvenir impérissable dans l'histoire du cinéma. Et c'est-là que l'on se rend compte de l'habileté diabolique du projet. Ne s'agit pas d'une reconstitution à l'identique. Calypso dénude le chant, en accentue la limpide fragilité, donne à sa voix un tremblé que la mature facilité elvisienne a laissé de côté. Même parti-pris pour l'instrumentation qui accompagne plus en douceur qu'elle ne souligne chez Presley. Home is where the heart is : un morceau un peu moins rose ( même si l'héroïne de Kid Galahad s'appelle Rose ) que le précédent, davantage ballade country pour dire vite, Elvis y use sans abus de l'obus de son inflexion barytonnienne. Loison y susurre délicieusement, là où Elvis pousse au drame Calypso tire vers une taquinerie plus délicate. L'air de l'amoureux transi à première oreille, mais qui sait y faire pour embobiner les demoiselles... Moins sûr de lui que le chat des collines mais peut-être plus finaud. I will be home again : un titre de circonstance pour le premier album d'Elvis de retour à l'armée. Elvis met le paquet, voix doublée par celle de Charlie Hodge et derrière la musique balance et tangue comme dans une salle de ball. The Pelvis a les mains sur les hanches de la belle et l'est sûr qu'après   l'assaillira et la saillira à la hache d'abordage sur la banquette arrière... Loison ne se dérobe pas. L'attaque lui aussi bille en tête, guitares un tantinet un peu plus rustiques et des choeurs qui s'en donnent à coeur joie. Va encore y avoir des taches suspectes sur les sièges et Jake en rajoute au final, la voix qui éclate en trompette comme un coup de klaxon triomphal. Elvis n'y avait pas pensé, tant pis pour lui. Suppose : Elvis n'y va pas de voix morte, à l'écouter z'avez l'impression qu'il annonce l'imminence de la fin du monde, heureusement qu'il devient tout tendrou dès qu'il parle d'amour. Pas fou l'oison laisse le violoncelle de Serge Renard se charger de la promotion de la catastrophe, la voix reste à hauteur de demoiselle, la frôle, la cajole comme pas un. Je suppose qu'elle préfèrera l'homme de chair au super héros, même si avec les filles on ne sait jamais. Flaming star : générique d'un des films les plus aboutis Elvis. N'a pas peur Loison de s'attaquer à une de ces pépites du Maître. Genre de titre original dont l'interprétation d'une facilité déconcertante s'impose que aimiez ou non. Indépassable, mais Loison et son gang ont trouvé la parade. Tous ensemble. Une cavalcade digne du meilleur des westerns. Même que celui qui tire de l'accordéon, Serge Renard, joue plus vite que l'homme de main presleysien commis à cette même fonction, et Loison entraîne la troupe en galopant un cran au-dessus. S'en tire avec les honneurs de la guerre. I'll remember you : celui-ci Calypso est allé le chercher sur la dernière piste de la deuxième face de Spinout, Elvis devait l'aimer l'a souvent repris en public, guitare hawaïenne qui picore comme des tourterelles et voix de velours inimitable. Difficile d'être plus langoureux, Jake pose sa voix sur un fil angulaire, la rend plus fragile, plus blanche, le gars qui se déclare la peur au ventre, guitare qui grince en équilibre et traînées d'harmonica pour prendre courage. Pocketful of rainbows : Elvis lui file une allure de petit train d'interlude, le rythme trottine et la voix gambade en arrachant des touffes d'herbe, irrésistible. Coups de sabots sur la batterie, un petit coup d'accordéon pour emporter la décision, le timbre de Jake devient ardent, fouette cocher qui sera le premier à sortir un arc-en-ciel de sa poche ? Wild in the country : Sauvage est le country mais suave est la voix d'Elvis, des chœurs au loin chantonnent quelques cuillerées de miel, fermez les yeux vous êtes au paradis. La réalité doit être un peu plus rugueuse alors Calypso appuie un peu plus et les guitares cristallisent plus fort. Très convaincant. Deux dépliants touristiques alléchants. Today tomorrow & Foerever : Elvis triche, l'a le plus joli des jokers dans sa manche, la divine Ann Margret en personne – une de ses très rares conquêtes qui sera présente à ses obsèques – part avec un double handicap notre champion national si l'on pense à la débauche d'images en surimpression qui accompagnent la scène dans Viva Las Vegas, s'avance seul mais est très vite épaulé par son band d'amis, ce que vous ne voyez pas, vous l'entendrez, les guitares résonnent et bientôt vous marchez sur un tapis de mandoline. Bien joué ! In my way : Elvis. Tout doux, tout court. Sans fioriture. Le frottement des cordes comme comme de lointains pépiements de passereaux. Jake légèrement plus hésitant en sa déclaration. La voix plus nue, plus vulnérable aussi. Emotion pure. Le chant semble s'aventurer dans les orties de la parole. Pour donner plus de poids à la promesse éternelle. Milky white way : Ne s'agit plus pour Elvis de refermer dans sa patte de gentil méchant loup la menotte d'une fillette qu'il ne tardera pas à croquer mais de poser la sienne dans la paume de Dieu. Gospel chatoyant. Alors Jake se lâche. Nous donne les grandes orgues de sa voix qui résonne d'autant plus que l'accompagnement derrière est d'une tonalité plus authentiquement rupestre. They remind me too much of you : Les chœurs qui foncent sur la voix du King et puis qui fondent pour se mettre au diapason de ce mohair doucereux, Jake plus haut, plus affirmatif, avec parfois des clairières de repos et un piano qui laisse perler ses notes.

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    Calypso s'en tire mieux que bien. L'avait mis mis la barre haute. Mais son adversaire n'était pas Elvis. L'a tenté un pari contre lui-même. Crache mes tripes et montre-moi ce dont je suis capable. Fallait un sacré culot et une bonne dose de courage pour se lancer dans une telle entreprise. Et un sacré talent pour la réussir. Ce n'est pas qu'il chante aussi bien qu'Elvis – ce n'est pas la question – mais c'est qu'il se tient à ses côtés sans jamais faire un pas dans les sentiers du ridicule. Sans tricher. En lonely fugitive qui cesse de fuir et qui s'affronte au danger sans ciller. Ces douze morceaux sont les plus doux de toute sa discographie mais jamais il n'a su hausser le ton aussi fort. L'on ne s'en va pas houspiller le cobra dans son abri parce qu'il vous embête, mais pour se mesurer à ses rêves d'enfant. Ou de fan. Ne s'agit pas d'être le plus fort. Mais de combattre. Afin d'être digne de soi-même. A ses propres yeux. Parce qu'en certains moments importants de votre vie vous ne voyez plus les regards des autres. Et en cela Jake Calypso y a merveilleusement réussi.

    Damie Chad.

     

    LE ROI INVISIBLE

    GANI JAKUPI

    ( Futuropolis / Mars 2009 )

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    Une guitare qui mange la couverture amarante, une gueule de nègre qui essaie de se trouver tant bien que mal une place, tiens une BD sur le blues, dans le bac à soldes, toute neuve, on dirait qu'elle sort des rotatives, un euro quatre-vingt dix neuf – j'adore ces prix psychiques – je prends d'office, sans même regarder à l'intérieur. C'est à la maison que je me suis aperçu que j'avais fait fausse route, un gratteur de tango argentin, un jazziste, au secours ! N'empêche qu'au premier coup d'œil, la mise en page est accrocheuse, les bulles sont rectangulaires ( ce qui n'est pas pour me déplaire ) et puis ces couleurs échec et mates, des bleus de nuits solitaires, des rouges sanguinaires, des jaunes dromadaires, des mauves mortuaires, et en dernière feuille des notes documentaires ( ce qui n'est pas sans me complaire ). Je lis, je me précipite sur You Tube pour vérifier, ce Gani Jakupi ne nous servirait-il pas un fake monstrueux ? Mais non, le sieur Oscar Aleman a bien existé ! Nombreux titres, photos à gogo et même extraits de scènes de film. Quant à ce Gani Ja-ne-sais-plus-qui, force est de reconnaître qu'il a une tronche sympathique et un pédigrée des plus foisonnants, vient du Kosovo, batifole entre la BD et une espèce non identifiée de big band de jazz interculturel, dirige une collection de disc-books sur les musicos oubliés, écrit, politise, enregistre, bref l'on subodore un agité tous azimuts qui essaie de vivre un tantinet plus intensément que la moyenne. L'a même reçu le prix Alexandre le Grand, mais je ne peux certifier que les mânes du Macédonien soient en accord avec l'attribution de cette distinction honorifique.

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    L'est temps de lever le rideau sur Oscar Aleman, illustre inconnu. L'avons toutefois croisé quatre ou cinq fois dans Kr'tnt ! - sans le voir ni le nommer. Un de ces personnages de l'ombre mangé par les brouillards de la grande ( et petite ) Histoire. L'a été dans les années trente le chef d'orchestre de Joséphine Baker et a refilé quelques plans de guitare à Django Reinhart, le tout à Paris bien sûr. Capitale culturelle du monde à l'époque. L'a fréquenté les milieux artistes, rencontré entre autres Cocteau et Van Donguen, tapé le boeuf avec Duke Ellington et Louis Armstrong, genre d'activités et de fréquentations mal vues par les occupants allemands qui lui lui feront vite comprendre qu'il vaudrait mieux qu'il disparût au plus vite. Ce sera pour lui le retour à la case départ, Amérique du Sud. N'y est pas un inconnu, en sa jeunesse l'avait été approché par Carlos Gardel le roi du tango, argentin comme il se doit ( né à Toulouse ), mais l'entourage du chanteur l'avait dissuadé de se passer de ce virtuose de la guitare qui aurait pu lui voler la vedette sur scène... Sa deuxième carrière en son pays natal se déroulera sous les auspices du swing et du jazz... Se retirera peu à peu du devant de la scène et finira par mourir en 1980 oublié de tout le monde... Son nom émergera des cendres du souvenir à l'orée du vingt-et-unième siècle, l'album de Gani Jakupi précéda même de quelques années le livre Hommage à Oscar Aleman qui apportera les éléments biographiques indispensables à la naissance d'une légende...

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    La BD de Gani Japuki est un véritable chef-d'oeuvre de composition narrative, sait nous rendre le tourbillon effréné que fut la vie d'Oscar Aleman, scènes chocs et introspections profondes, exploration des failles et des cimes. Oscar Aleman fut un danseur, suffit qu'il passe une jambe devant l'autre sur les images d'archive pour être subjugué, l'est le roi du tango sans saccade, sans ces arrêts brusques - et somme toute désopilants quand on y réfléchit - qui sont au fondement de l'ossature coq-régraphiques de ces combats de machos à l'origine dépourvus de partenaires féminines, y introduit une fluidité swinguante d'une modernité dévastatrice. L'a déployé sa vie selon la dialectique des seconds couteaux, misère originelle, longs ponts de joie débordante, amertume finale. Un triptyque conventionnel. Le lot de la commune humanité ( car tout le monde n'est pas Alexandre ). Mais encore faut-il l'habiter avec la grâce du talent et quelques étincelles de génie. Ce qui vous donne l'impression d'être une étoile dans l'azur noir de votre existence. Mais filante.

    A découvrir.

    Damie Chad.

     

    JIM MORRISON, LE ROI LEZARD

    JERRY HOPKINS

    ( 10 / 181994 )

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    Douze ans après sa première biographie de Jim Morrison qui reste un incontournable pour tous les admirateurs du chanteur Jerry Hopkins éprouva la nécessité de revenir sur le personnage qui entre temps avait acquis un statut légendaire auprès de la jeunesse occidentale. Le livre évite le piège de la redite, le texte est moins touffu, beaucoup plus nerveux, si rapide que que pour étoffer le bouquin notre auteur le fit suivre des grandes interviewes accordées par Morrison tout au long de sa carrière. Mais nous sommes loin d'un travail bâclé qui aurait voulu profiter de l'intérêt suscité par le film d'Oliver Stone sorti en 1991 un an avant la parution de The Lizard King, The Essential Morrison. Qui porte bien son titre. En seulement sept chapitres Hopkins parvient à circonscrire le parcours existentiel de James Douglas Morrison d'une manière fort étonnante puisqu'il dessine d'une main sûre le tracé parabolique de cet embrasement météoritique que fut la vie du poëte.

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    Un gamin attachant. Dans le livre. Car au quotidien ce ne dut pas être une partie de plaisir pour les parents que de tenter d'inculquer les bonnes manières à ce garnement. Le canard sauvage né par inadvertance au coeur de la sagesse poulaillère. Plus tard devait se révéler être le cygne noir de la portée familiale mais pour le moment il n'est qu'un gamin qui épidermiquement ne supporte pas l'autorité. Ce qui est dommageable quand on naît dans une famille de militaires. Ne suivra pas le sillage paternel, ne finira pas amiral. N'est pas idiot. Est même superbement intelligent. Adopte très vite une ligne de conduite qui semble répondre au titre du premier album d'un de ses fabuleux contemporains. Le Are You Experienced ? de Jimi Hendrix. Très tôt Morrison suit une conduite de vie des plus dérangeantes : toute rencontre avec un tiers humain n'est pas vécu comme une ouverture à l'autre mais comme une expérience. Pas scientifique. Poétique. Sachez entrevoir la différence ! N'est pas méchant, mais avant de vous admettre dans son intimité vous fait subir un examen de passage. Dont la validité permanente nécessite de temps à autre de nouveaux tests intempestifs de remise à niveau. L'est un expérimentateur. Vous pousse dans vos retranchements. Etudie vos réactions. Vous pose des défis. Mais il faut comprendre que lui-même se soumet à ce même genre de discipline. Ne demande pas plus de vous moins qu'il n'exige de lui-même. Paul Valéry – ô combien apollinien par rapport au dionysiaque Morrison - a conceptualisé dans sa jeunesse cette façon d'être sous le concept de Gladiator. Celui qui descend dans l'arène mais qui sait que le plus grand des adversaires ne se trouve pas parmi la fourmilière des myrmidons qui gravitent autour de lui à l'extérieur du monde, réside en lui-même. L'on ne comprend rien à Jim Morrison si l'on oublie cette figure agissante de l'Expérimentateur – autre figure tarotique du bourreau - qui le mènera jusqu'au bord du gouffre.

    La musique n'était pas sa première passion. L'avait compris que la civilisation moderne était celle de l'image, et sous sa forme dévoyée, de la communication. Voulait être cinéaste. James Dean et Marlon Brando furent les premiers rebelles, bien avant Elvis Presley. La collusion rock and roll-cinéma est des plus flagrantes. Le rock and roll possède un avantage indépassable, nécessite peu de mise de fond, trois amplis et deux micros et c'est parti mon kiki. Pas besoin dans un premier temps de se lancer à la recherche de millions et d'une société de production. Jim Morrison s'adonna au rock and roll comme ces alchimistes qui pratiquent la voie sèche infiniment plus rapide que la voie humide mais extrêmement plus dangereuse. Le creuset foudroyant vous pète plus facilement à la gueule que l'alambic qui mijote sur le coin du feu.

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    La collusion des Doors est unique dans l'histoire du rock. Trois musiciens qui ne sont pas faits pour jouer ensemble. Davantage des concertistes venus d'horizons musicaux différents qui par la force des choses se retrouvent... à jouer ensemble. N'y parviendront jamais, mais ils trouveront la parade ( pas du tout douce ), seront à côté, chacun dans son coin mais sans aménité envers les deux autres. Sont merveilleusement aidés par Jim, l'improvisateur, le cap est là, faut mettre en musique les lyrics, les accompagner, suivre les effets induits par les textes et si possible les préparer. Car Jim fidèle à lui-même expérimente ses poèmes. Les met en voix, les réécrit, supprime une strophe par ci, rajoute une stance par là. La musique des Doors est une peau de léopard, taches noires morrisoniennes, pourtours fauves du récitatif musical. Le son des Doors pourtant si bien étiquetable grâce aux opulentes sonorités de l'orgue si datées n'est pas plus démodée que le son maigrichon des premières grattes originelles du blues. C'est ainsi que l'on s'aperçoit en quoi les Doors sont profondément un groupe de blues et sans vouloir entamer un inutile débat, peut-être celui qui s'est davantage réinstallé au plus profond du sillon originel que ceux que l'on nommerait d'instinct avant eux, tel le Paul Butterfield Blues Band...

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    Mais il ne s'agit pas de s'arrêter au premier des ingrédients constitutifs de la structure tripartite du rock'n'roll. Morrison sera un grand consommateur de psychotropes. Pour ces derniers après les avoir tous essayés en prenant bien soin de dépasser les doses non prescrites il retournera à la denrée de base, facile à ingurgiter, en vente libre : l'alcool... S'en explique très bien dans ses interviewes, l'alcool est une expérimentation infinie, décapsuler un goulot équivaut à ouvrir une porte, à passer de l'autre côté. L'ivresse en tant qu'art de vivre, en tant que perpétuelle expérimentation. Un courant qui s'empare du bateau ivre de votre conscience. Un mode de connaissance de l'univers et des hommes embarqués sur la même nef des fous. Pas de panique le capitaine garde le contrôle. C'est là le but ultime. Le jeu qui vous emmène au coeur de l'ouragan. Sourcier indien qui suscite ou éloigne les pluies diluviennes.

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    Cela c'est la théorie, car une fois que les orages désirés se sont rués sur vous il convient de ne pas être emporté par les torrentielles ondées que votre désir a appelées. Le grand Expérimentateur se présente comme le grand Manipulateur. Morrison est allé jusqu'au bout. La scène lui enjoindra d'étendre son champ d'action. Elle lui permet de jouer à l'apprenti sorcier. Ne s'agit plus de faire tourner votre entourage en bourrique, genre chef de bureau pervers narcissique qui rend chèvres ses trois dactylos, son champ d'investigation est des plus grands, l'a affaire à des milliers de personnes. Les kids qui crient et qui s'époumonent il sait en jouer, mais le cercle des impétrants s'élargit, le chaman n'est qu'un showman, peut compter sur l'approbation du public acquis à sa cause, mais son succès réveille bien des haines, policiers et ligues de vertu voient d'un très mauvais oeil ce trublion anarchiste qui tourne trop facilement la tête des adolescent(e)s. Après le concert de Miami – sera accusé d'exhibition de ses libidineuses parties – ce n'est pas la maîtrise de la foule qui lui échappe mais ce sont les ennemis de cette libération sexuelle et des esprits qu'il représente qui s'emparent des ficelles.

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    Le voici devenu marionnette. Durant un an et demi la menace de la case prison pèsera sur lui. Le jeu n'en vaut plus la chandelle. Il cherchait ses limites il les a trouvées. Désormais il les connaît. Ce n'est pas une surprise, mais une confirmation. N'était peut-être pas le Roi Lézard mais il pouvait tout faire. Du moins se permettre beaucoup plus que la plupart de ses contemporains, son argent, sa notoriété, son statut de rockstar étaient de sacrés boucliers corybantiques. Possédait l'arme ultime, la foudre jupitérienne. Mais une fois cette puissance acquise, le rêve réalisé était terminé. Rock is dead avait-il l'habitude de dire. Comme pour beaucoup d'artistes le succès s'était insidieusement métamorphosé en dépression. Resta longtemps larvée chez Morrison, mais finit par être incapacitante. Mais il possédait une porte de sortie. Une carte joker que beaucoup d'autres n'ont pas. La poésie.

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    Car ce qui sépare Jim Morrison, ce qui le met à part, c'est la puissance dreamique de ses textes. Résonances ouraniennes qui le portent en avant à mille lieues de tous les autres. Son destin est ailleurs pressent-il. Dès la fin de l'enregistrement de LA Woman – symbolique adieu crépusculaire à la démence américaine - il s'envole pour l'Europe. Le continent de cette vieille culture littéraire dont la puissance prophétique a irradié ses textes. Remonte à la source. Le Roi Lézard entre en hibernation. Tourne la page. N'aura pas le temps d'écrire grand-chose sur la suivante. La mort le rattrape. A moins que ce ne soit lui qui l'attrape par la queue. Expression des mieux venues puisque l'alcool a diminué ses capacités érotiques, porte en lui à son corps défendant un germe inconscient de volonté d'impuissance. La fin reste obscure. Non pas en le sens où l'on ne sait pas exactement comment cela s'est passé mais parce qu'elle mêle et entremêle deux principes vitaux d'illimitation de la vie qui ne sauraient être maniés sans précaution. L'exaltation troubadourienne se brise sur le rocher de l'héroïne. Le serpent bifide possédait bien deux têtes. L'on ne saura jamais laquelle des deux aura porté le coup mortel. Rock is dead. Définitivement. Ce n'est pas grave le toast-blues survit. Le Grand Imprécateur de nos faiblesses n'en finit pas de tonner dans ses poèmes.

    Les interviewes rejetées en fin de volume sont à lire. Elles nous montrent un Jim Morrison des plus lucides. Sait que les formules qu'il jette à la presse ne sont pas de vieux os pourris où il ne reste rien à ronger, mais des mantras synthétiques et évocatoires aux résonances infinies. Des formules magiques. Au sens noble de ce terme. Raymond Abellio a théorisé l'apparition de la grande lyrique romantique comme l'expression du phénomène de dévoilement des connaissances ésotériques. En bout de ce cycle la geste morrisonnienne apparaît comme la finalisation et la destruction de la naïve légende ( pour esprits faibles ) des supérieurs inconnus au profit des activistes poétiques. Un conseil méfiez-vous davantage de ces derniers.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUE DE POURPRE N° 219 = KR'TNT ! 338 : SONNY BURGESS / BARNY & THE RHYTHM ALL STARS / JUKE JOINTS BAND / JACKEZ & THE JACKS / VICTOR PUERTA & THE MELLOW TONES / JULIEN BRUNETAUD "TRIO" / JJ THAMES / KERYDA

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 338

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    07 / 09 / 2017

     

    SONNY BURGESS / BARNY & THE RHYTHM ALL STARS

    JUKE JOINTS BAND / JACKEZ & THE JACKS

    VICTOR PUERTAS & THE MELLOW TONES

    JULIEN BRUNETAUD « TRIO » / JJ THAMES

    KERYDA

    C'est fini pour Sonny

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    I got a life/ Ain’t got no more ! Le pauvre Sonny Burgess pourrait chanter lui-même son épitaphe, sur l’air du fabuleux «Ain’t Got A Thing» dont on ne peut pas se lasser. Un romp de rêve qui fut son deuxième single Sun paru en 1957, aussitôt après le fameux «Red Headed Woman»/We Wanna Boogie», deux titres classiques eux aussi, mais pas aussi exubérants.
    Sonny s’était pointé chez Sam à la bonne époque, pouf, 1956. Sam recrutait à tours de bras, les affaires commençaient à bien marcher, mais avec des petits culs blancs comme Elvis, Johnny Cash et Jerry Lee. N’oublions jamais que Sun fut à ses débuts un label de musique noire. Si vous mettez le nez dans le coffret n°1 des singles Sun sorti chez Bear, vous n’y trouverez que des blacks. Donc Sonny démarre avec son «Red Headed Woman» joué au piano bastringue et ça branle dans le manche dans la cabane. On croit vraiment entendre des blacks et quand Sonny pousse son cri d’orfraie, on comprend qu’il est légèrement atteint. Le solo de trompette confirme la première impression : on se croirait vraiment à la Nouvelle Orleans, chez Cosimo. Pour l’anecdote, sachez qu’à l’époque Sonny fait tout dans le rouge : il gratte une guitare rouge, il porte un costard et des chaussettes rouges, il conduit une bagnole rouge et il va au salon de Tav Falco se faire teindre les cheveux en rouge. Sonny cherche à défrayer la chronique, il a raison, autant se marrer un bon coup. Avec sa B-side «We Wanna Boogie», il tente le coup du rockab et se tape une belle échappée belle. Quel attachant personnage ! Comme l’indique Craig Morrison, il fait partie des rares qui savent tout faire : chanter, jouer en lead et composer. Il n’a aucun problème. Sam l’aime bien, c’mon Sonny ! Alors Sonny casse la baraque avec «Ain’t Got A Thing» : well, il a une caisse, mais il n’a pas d’essence - I got a car/ Ain’t got no gas - il a une poule mais elle n’a pas la classe - She ain’t no class - Et son chèque est en bois - I got a cheque/ But it won’t cash - Il n’a pas de cordes sur sa guitare, c’est fabuleux et drôle, les Pacers font les chœurs - I got a door/ Ain’t got no keys et il n’a pas de beat sur sa batterie - Ain’t got no beat - comme Wolf, he got two feet, but got no shoes, il a une carriole mais pas de mule. C’mon ! Cowboy Jack Clement écrit ce texte poilant, et Sonny en fait la musique. T’en as rêvé ? Sonny l’a fait. L’autre gros pompon de Sonny, c’est le fameux «My Bucket’s Got A Hole In It», le trou dans le seau, encore une histoire de pas de veine, puisque c’est Ricky Nelson qui va rafler la mise avec ce hit, mais Sonny déclare à la radio qu’il n’en veut pas au beau Ricky. En tout, Sonny ne fit que cinq singles sur Sun, mais pas d’album. Pourtant il affirme avoir enregistré chez Sun environ 150 titres avec ses Pacers, mais la plupart furent effacés car Sam économisait les bandes - I got cent songs/ Ain’t got no disk - Gentil, Sonny se dit même surpris que certains de ses cuts aient survécu.

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    C’est Charly qui s’est chargé de la besogne dans les années quatre-vingt en éditant de faux albums Sun. Sonny Burgess & the Pacers permet de savourer la qualité du swing de ce mec qui, comme tous les petits culs blancs de son milieu, se gave de country. Son «Oh Mama» pue la country, mais quelle leçon de swing, mama ! Il faut aussi l’entendre swinguer le big bop dans «All My Sins Are Taken Away». C’est en fait un tradi qu’il cuisine à sa sauce. Il fait aussi une excellente version d’un classique de Big Dix, «My Babe». Comme le cat Cash, Sonny soigne sa diction, il boppe sa glotte et il quand on tombe sur «My Bucket’s Got A Hole In It», c’est un peu comme si on entrait au paradis. Sonny pond là un classique d’hillbill-bop de Memphis, un cut atrocement classieux et rythmé jusqu’à l’os du bas du dos par les Pacers, cette équipe de surdoués. On le voit bien, Sonny adore embrayer cette rengaine, son petit gimmick de guitare vaut tout l’or du monde et il se paye même une belle descente de country bop. Sonny claque encore sa gaufrette dans «Higher», un cut de cat alarmant de qualité et trépidé du coccyx. Sur cet album, tout est vraiment aussi attachant qu’attaché, aussi joué qu’enjoué. Il faut l’entendre, le Sonny, claquer ses coups de clair-voyance dans «Feel So Good» !

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    Sur V3, on trouve l’excellent «Little Town Baby», un bop énervé et typique du Sun Sound System, mais très rock’n’roll. Le hit de cet album est bien sûr «Sadie’s Back In Town», cinquième et dernier single Sun - Aw what a gal - Sonny joue ça à l’énergie pure, dans le tagada d’une fabuleuse cavalcade. C’est tellement bon qu’on en claque des doigts sans même s’en rendre compte. Sonny chante au clair de ton léger, oui, il dispose de cette facilité. Fabuleux spadassin ! Mais les autres cuts rassemblés sur cet album ne marqueront hélas pas les mémoires au fer rouge. Si Sonny reste dans l’histoire du rock, c’est bien sûr grâce à ««Ain’t Got A Thing» - I got those rocks/ Ain’t got no brass.

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    Quand son contrat avec Sun expire en 1960, Sonny devient le guitariste de Conway Twitty, puis son bassiste. On trouve la suite de l’histoire sur wiki et elle n’a rien de passionnant : pour croûter, le pauvre Sonny fait du porte-à-porte pour vendre de la dentelle à des ménagères oisives. D’ailleurs, dans leurs bibles respectives, ni Craig Morrison, ni Sheree Homer ne s’enflamment dans les pages qu’ils consacrent à Sonny. Ils se contentent de retracer son parcours qui comme celui d’Auguste Renoir ou, dans un autre domaine, de Jean Paulhan, reste assez lisse : pas d’exubérance ni d’extravagance d’aucune sorte. Pépère Renoir honorait ses commandes de portraits pour sa clientèle de grands bourgeois. Paulhan distillait un maigre filet littéraire avec des fascicules du type Les Fleurs de Tarbes ou encore F.F. Ou le Critique.
    Quant à Sonny, il enregistrait du swing que Sam effaçait - I got a band/ Ain’t got no fame !

    Signé : Cazengler, Sonny Barjot


    Sonny Burgess And The Pacers. Charly Records 1985
    Sonny Burgess. V3. Charly Records 1986
    Craig Morrison. Go Cat Go. University Of Illinois 1998

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    *

    Le barnum de Barny

     

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    Barny & the Rhythm All Stars sont montés sur la grande scène du Béthune Rétro en début d’après-midi, à l’heure où les gens sortent de table. Pas le meilleur moment, et c’est d’autant plus injuste que Barny aurait largement mérité une place en tête d’affiche, car il bénéficie aujourd’hui d’une solide réputation. Ne serait-ce que parce qu’il reprend le flambeau de son père Carl, qui avec la même formation, avait tout de même réussi à devenir le meilleur billy band français et à enregistrer trois albums qui sonnent comme des classiques indomptables, tous mots bien pesés.

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    Solidement épaulé par cette brochette de vétérans, Barny jette toute sa hargne dans la bataille. Il affiche lui aussi un look de jeune premier et ne semble vivre que pour hoqueter comme Charlie Feathers. Le feu sacré brûle en lui, on voit bien qu’il a eu cette chance de grandir dans une maison où on écoutait de la bonne musique. Ça a l’air con, dit comme ça, mais ce genre de détail peut changer une vie. Savez-vous qu’en 1963, Fred Gibbons avait offert à son fils Billy une Gibson Melody Maker et un ampli Fender Champ pour Noël ? Billy avait alors quatorze ans, et son dad lui recommandait de faire ce qui lui plaisait. Tu veux faire de la musique ? Fais de la musique, Billy boy ! C’est plus facile pour devenir une star. Et si Barny est en train de devenir une star, c’est bien grâce à ça. Certaines lignées font plaisir à voir. Celle des Dickinson comme celle des Da Silva. C’est dingue ce qu’il est bon sur scène, le petit Barny, il dégage comme mille torpédos, il navigue plein vent, il gratte l’acou à coups doubles, il force ses syllabes et les fait jouir, ce qui n’est pas donné à tout le monde, il enfièvre le samedi, il dicte le same old sound, il relève tous les défis, claque ses beignes, il chaloupe souverainement des hanches et quand il se jette sur une enceinte, un mètre plus bas, il se reçoit sur les genoux, essayez d’en faire autant, c’est un coup à se péter les rotules, mais Barny le fait dans le feu de l’action, dans le flash du jive, il fait Jo l’éclair et bondit pour offrir au petit peuple un exploit rockab digne des country-boys les plus sauvages et les plus indécrottables de l’Arkansas, on ne parle même plus du Tennessee, beaucoup plus civilisé, non, Barny va chercher ses références de l’autre côté du fleuve, là où les hommes ne se lavent plus et là où on chante le rockab, allumé au pire moonshine de l’univers. Quand Carl Perkins et ses frangins Jay B. et Clayton débarquaient à Memphis pour enregistrer chez Sam, c’était la gueule explosée au moonshine.

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    En plein milieu du set, le guitariste Claude Placet lâche une info : «Barny a 39 de fièvre ! C’est pour ça que je ne l’approche pas !» Oui, on voit bien qu’il brûle, on le voit jaune de bile, fier de fuel, frit de fièvre, incroyablement voué à son son. Son rockab crépite au grand jour, ces quatre mecs sont hantés par le vieux bop, le batteur la joue jazz, avec la main droite inversée, et le stand-up man nous shuffle le smooth du bop avec un doigté expert. Ces gens-là produisent du très grand art, le cœur du bop bat au vu et au su de toutes et tous, jamais le vieux beffroi ne s’est autant régalé d’un spectacle, lui qui en a vu des vertes et des pas mures.

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    Et comble de chance, l’album de Barny vient de sortir sur Wild, le label qui fait chavirer tous les cœurs rockabs. Alors attention, c’est de la dynamite, le son est tellement poussé dans ses retranchements qu’on se demande si le mastérisateur ne s’est pas endormi sur son établi. Mais pour une fois, trop de son ne tue pas le son. Si on aime bien se faire péter l’oreille au casque, ce disque est chaudement recommandé. Il se situe à la limite du supportable et c’est justement ce qui fait sa force. On ne l’accepterait pas d’un mauvais groupe de garage, ou pire encore d’un groupe de métal. Mais avec Barny, ça passe comme une grosse lettre à la poste, une très grosse lettre, ça blaste dans le boom du bulbe, Bob ! Dès «Not Ready», l’énergie explose le contexte du cortex. Le son sature tellement qu’il en couine de malveillance lubrique. «I Get The Bull By The Horns» saute à la gueule, monté sur un petit riff de commisération et ce dingue de Placet place ses méchantes vrilles, il fait un festival à lui tout seul. Il transcende même la notion de sauvagerie. Mick Green et Cliff Gallup devraient écouter ça et prendre des notes. Même si on sent que ce disque souffre d’un problème de prod, «I Got To The River» saute encore plus à la gueule. Trop d’énergie, trop de son, et bhamm, ce dingue de Placet lâche ses éclairs punkoïdes, il part au diable Vauvert, il bat la campagne, il échappe à toutes les règles, même celles de la physique nucléaire. C’est son album, il part en vrille sans prévenir et file en cavale de siphonnade sidérale, il claque tout à la pantagruélique, il coule ses bronzes dans la démence de l’outrance de Byzance. Son punk noie le rockab. Il dépasse les bornes de la tolérance. Et ça continue avec «Help Me To Find Out», pure crise de sauvagerie bubonique, tout Barny repose sur le démesure du Claude Placet qui n’en finit plus de claquer du beignet de sol meunière, c’est incroyablement wild, et donc en cohérence avec le label. Ah, comme c’est bon la cohérence. Certains iront même jusqu’à dire que tout repose sur elle. Claude Placet se livre une fois encore à une exaction congénitale. Quelle chance a Barny d’avoir ce fou génial derrière lui. Ils montent encore d’un cran dans le défenestrateur avec «Crazy Beat», ils semblent même rejouer le va-tout qu’ils ont déjà au moins joué cinq fois, mais les gens sont parfois vraiment décidés à en découdre. Ils se livrent ici à une pure atrocité rockabilly - Danger danger babe ! - Vrille de clair éclair, une horreur de dégoulinade en forme d’avalanche, frantic stormic of it all ! Ce démon de Placet ne tient plus en place, il est encore plus wild que Wild Records, that’s now baby, alors oui, on y va, et même qu’on y court - Danger danger babe ! - La voix se noie dans la furia del sol du son, mais le compte n’y est pas, puisqu’ils repartent en vieille alerte d’alarme rouge, bhammm, «Mary Sue» frappe sous l’estomac, là où ça fait très mal, Barny chauffe ses voyelles à blanc, il a tout bien pigé, il délecte ses syllabes et les mouille goulûment, alors que Placet repart comme le furet, là-bas sur les crêtes, il s’en prend une fois de plus aux colonnes du temple qui aimeraient bien qu’on leur foute un peu la paix, mais non, Barny revient rouler «Mad Man» dans sa farine, il endiable littéralement la sur-saturation des choses, on assiste ici au sacrifice du son sur l’autel de la folie pure, le credo de Mama Roux ne vaut plus que dalle, Mac. Il faut se résoudre à subir l’empire de la pétaudière, car voilà «Crazy About You», avec sa belle tenue de la teneur, mid-tempo de charme fatal, Placet place ses plaqués de clair-voyance - zy bout you/ zy bout you - et il part en triple charge de brigade légère, il vitupère, il fait le régiment de cosaques de Makhno à lui seul, il claque tout au clair d’asticot cat de kick. Ils replongent enfin dans la latence de la démence avec «Oh Mama» gratté au boogaloo rockab, celui qui ne pardonne pas. C’est pulsé jusqu’à l’os à moelle, dommage que le slap s’embourbe dans la purée. En tous les cas, Barny et ses amis redorent bien le blason du rockab sauvage.


    Signé : Cazengler, Borné & the rhythm Valstar

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    Barny & the Rhythm All Stars. Béthune Retro. Béthune (62). 26 août 2017
    Barny & the Rhythm All Stars. Young And Wild. Wild records 2016

     

    JUKE JOINTS BAND

     

    Festivités traditionnelles ariégeoises, marché nocturne tous les jeudis avec le traditionnel moules-frites sous la halle du marché de Mirepoix et tous les vendredis soirs la grand bouffe de Léran, le village d’à-côté peuplé d’anglais. Avec si possible à chaque fois des formations du cru pour agrémenter ces agapes du cuit. D’où la présence incontournable du Juke Joints Band, le groupe de blues local. Et encore l’on a raté le concert improvisé, le dimanche après-midi précédent lors de la grande brocante de juillet, avec ce saxophoniste fou qui s’est joint au Juke pour un concert d’anthologie. Lot de consolation, un troisième CD sous presse, tout électrique, à paraître pour bientôt.

     

    MIREPOIX / 06 - 08 - 2017

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    Formation à géométrie variable, le Juke est toujours égal à lui-même. Ce soir nous avons droit au triangle bermudien, Chris Papin, tunique indienne, barbichette de fakir sous lisse occiput de bonze, au micro, Ben Jacobacci, T-shirt Led Zeppelin, perché sur son tabouret, à la guitare, et Damien Papin, cheveux blonds sous sombre béret à la basque, à la basse. Et c’est partie électro-acoustique répartie en deux sets, l’un pour l’apéro, le second pour les plats de consistance. Le Juke c’est d’abord la voix de Chris Papin, essayez de caresser un tuyau de zinc avec une carapace de hérisson pour vous en faire une idée. Ça racle de partout, ça crisse dans les oreilles, ça pique comme un porc-épic. L’a une dizaine de matous amoureux qui s’entregorgent dans le gosier, ça ressemble à ces longs hennissements de batterie cacochymique de voiture qui refuse obstinément de démarrer dans les froideurs des petits matins d‘hiver, bref du miel servi brûlant avec le dard virulent des abeilles.

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    Sur sa gauche, ce n’est guère mieux. Apparemment un mec sympa, dans la vie normale. Suffit qu’il attrape une guitare pour qu’il se transforme en sadique de haut niveau. Ne la lâche pas d’une seconde, vous la maltraite sans répit, vous la malmène sur des chemins de haute perdition, elle sonne à elle toute seule comme les douze carillons de vos cauchemars les plus insidieux. L’a des doigts tenailles pour lui pincer les cordes, passe les accords avec la délectation du tortionnaire qui vous arrache les ongles du pied, juste pour vous faire plaisir, en vous révélant des jouissances inédites. Ben, voyons ! Sur la droite s’active Damien le démon. C’est bien le même qui la semaine précédente ( voir chro plus bas ) cachait bien son jeu. Vous passait un archet mélancolique sur sa contrebasse qui ronronnait de nostalgiques langueurs, ce soir l’a les deux mains atteintes de la maladie de Saint-Guy, ses doigts courent sur le manche, à croire qu’ils se sont transformés en un grouillement de mygales affamées qui se sont déclarées la guerre. Vous injectent dans votre âme de ces jets de venin noir comme la mort. Pourraient se contenter de leur diablerie, chacun dans son coin, mais non, se regardent régulièrement du coin de l’œil, du genre essaie de suivre coco si tu peux, l’on va leur montrer ce que l’on sait faire et c’est parti pour de fastueux tête-à-queue sur une corniche bordée de précipices…

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    Ce soir le juke a le blues trombique. Chevrolet sans frein sur l’autoroute des alligators avec les sirènes des pigs par derrière qui vous tirent dessus à la mitraillette. Sur cette chienlit coruscante Chris rajoute le cocktail Molotov de son organe incendiaire et le bayou flambe de mille feux. Les convives attablés en perdent l’appétit, rejettent leurs fourchettes pour taper des mains et bientôt ça transe dans tous les coins. Une espèce de maelstrom sauvage, une danse au soleil noir, qui refusera de se coucher. Faudra deux rappels et un mojo workin’ endiablé pour assécher ce trop-plein d’énergie débordante. La solution radicale afin d’éviter ces débordements populaires intempestifs ne consisterait-elle pas à interdire le blues ? Tout du moins  les frénétiques nuisances sonores du Juke Joints Band ? Avant que la maladie bleue ne s’étende à l’infini.

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    ( Photos : Pat Grand )

     

    LERAN / 28 – 07 - 2017

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    Une toute autre configuration. N’ont que trois rues dignes de ce nom à Léran. Forment un Y. C’est dans le delta de la lettre androgynique qu’est installé le podium réservé au Juke Joints Band. Camionnettes food trucks sur les deux côtés de la branche principale, la population du village et des alentours prennent d’assaut les longues ruelles de tables et de bancs où chacun s’attable. Autant dire que les mandibules mastiquent dur et que rires et conversations fusent et s’entrecroisent tandis que les bambins et les chiens courent de tous côtés. Formation minimale pour le Juke. Ben et Chris. Guitare et chant. Plus près du blues comme les passagers du Titanic plus près de Dieu et du grand plongeon définitif. Deux hommes seuls devant une bruyante assistance qui bâfre et se ravitaille la ventraille de charcutaille. Mais le blues est une force corrosive. Se niche en douce dans votre âme pour y pondre ses œufs bleus de corbeau maléfique. Ben est à la guitare comme pirate à l’abordage. Ses doigts ont dû repousser pendant la nuit, avec la gratinée de la veille je pensais qu’ils étaient usés jusqu’à l‘os du coude, mais non vous saupoudrent la mort aux rats sans discontinuer. Chris ne chante pas. Il est dans le chant. Retranché dans la tour d’ivoire de ses incantations. Le sorcier que personne n’écoute mais qui prononce les malédictions zombiïques. Profère des gestes de vaticinateur, danse ubuesque des bras qui silhouettent des imprécations opératoires. Et peu à peu, il arrache aux tablées ventripotentes la cinquantaine de partenaires nécessaires à l’éclosion de la fête noire, vous a débauché pratiquement que des femmes qui s’en viennent tournoyer extatiquement comme amas de feuilles mortes emportées au vent mauvais, dixit Verlaine. La voix qui sabre et la guitare qui boute le feu. Le Juke flambe comme bûcher cathare aux bons vieux temps de l’inquisition. Plaintes de colères et paroles de feu. Gouttière gutturale de souffrance innervée et énervée, humour salace pour salades d’amour, le blues est l’eau boueuse de la vie, lustrations limpides et vaisselles sales.

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    Ben ramone ses cordes et Chris darde le hérisson de sa voix dans nos conduits auditifs. Deux de feu. Duo de bourreaux. Duel de rapières. Le blues fermente et déborde. De Robert Johnson à Tony Joe White, de Leadbelly à Creedence, personne n’arrêtera cette pluie bleue qui ensanglante le monde depuis l’aurore des temps et la nuit des iguanes. Accélèrent le rythme comme les ailes d’un moulin qui tournerait trop vite, hélicoptère du destin qui fond sur vous, libellule de la vie qui survole les marais de l’inconscience de vivre. Le Juke passe le joint et bande comme un rhinocéros, vous offre le whisky frelaté de vos rêves et kryogénise au crayon rouge les contours rugueux de votre vécu. Suffit d’une voix de rouille, de trouille, et de chtouille qui se balade sur les cordes saccadées et alourdies de pendus d’une guitare exacerbée pour vous révéler la multiplicité contraignante du monde. L’étau se referme sur vous. Vous y laisserez votre peau de serpent. Méfiez-vous, Chris et Ben sont des charmeurs chamaniques. Usent du blues comme d’un sortilège de neige carbonique. Vous rendent à votre condition animale. Et vous aimez cela. Est-ce bête ! C’est le concert fini que vous vous sentez rétrécir. Fin de la métamorphose. Retour à la casse départ. Trop tard. Vous voici rétrogradé dans votre servile condition humaine. Vous ont refilé la poisse du blues. Ne dites pas merci, ils y ont pris de plaisir. Nous aussi. Mais ceci est une autre histoire.

    ( Photos du concert précédent : Pat Grand )

     

    MIREPOIX / 06 – 08 - 2017

    Festival des marionnettes de Mirepoix. Bourgade en ébullition. Des milliers de touristes parcourent la ville en tous sens. Pantins de de toutes sortes, avec ou sans fils. Spectacles braillards, poétiques, rigolards, tragiques, tous goûts et dégoûts confondus. Vous avez le choix, les mercenaires du In, les corsaires du Off et les pirates du Out. Des enfants qui rient et s‘impatientent, des chiens qui courent et aboient, et des adultes qui jouent leur rôle de grandes personnes avec cette dérisoire application qui vous fait douter de la future survie de l’espèce humaine. Eloignons-nous de cette brouillonne agitation que Balzac engloba sous l’irréversible vocable de comédie, nous avons rendez-vous avec Elsa.

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    Elsa n’est point une jeune fille. C’est une association d’aide juridique gratuite. Rappelons que si la justice est une institution des plus coercitives la gratuité est une denrée rare en notre société libérale. Ce dimanche, Elsa ouvre ses portes pour un concert Du Juke Joints Band. Le local tient de la caverne d’Ali Baba et de la Philosophie de l’Ameublement d’Edgar Poe. Un capharnaüm artistique de toute beauté, un entremêlement de tableaux et d’objets insolites, une brocante prodigieuse d’où émane une impression de luxe de calme et de volupté baudelairiennes. La grande salle du fond a été réaménagée, les collections de de fripes plaquées contre les murs, cachées par des paravents. Larges canapés, moelleux sofas, confortables divans, accueillent une trentaine d’amateurs qui attendent sagement le juke, dans cette ambiance de silence feutré et de frêle fraîcheur qui jure avantageusement avec la caniculaire cohue du dehors.

    CONCERT

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    Ben au tabouret et à la guitare sans fil ni mini-ampli. Chris sans micro. Unplugged cent pour cent. Total acoustique. Les cordes et la voix. Pour se pendre. Rien de plus. Rien de moins. Nudité originelle du blues. Gratte rustique et organe rural. Le répertoire en est transfiguré. L’on entend les aigus que d’habitude l’amplification recouvre de la résonance bourdonnante des graves. Une guitare plus plaintive, un vocal davantage pathétique. Moins de sourde colère, l’expression d’une souffrance accrue. Le plafond bas, les tentures et le matelassage compressé des costumes produisent leur effet : pas une once de réverbération, un son mat et cru qui accroît la cruelle nudité élémentale du blues. Une ferveur silencieuse accueille les cinq premiers morceaux, c’est un peu comme si l’on distillait l’eau du Mississippi et que vous la recueilliez dans votre gosier altéré goutte à goutte. Mais plus on est de fous, plus on pleure. Loïc Papillon - le saxophoniste fou évoqué au début de la chronique - qui se prélassait sur ses coussins - est appelé. Un dur boulot l’attend, une impossible gageure. L’extrait de son étui un monumental saxophone ténor, va falloir qu’il mêle la tonitruance de son instrument à la simplicité émouvante de la rudesse acoustique. Faire taire les grandes orgues de la tessiture saxophonique, la réduire, la mettre au diapason, en sourdine. Trouver les interstices dans la trame forcenée des frottement des cordes hystériquement stressées de Ben exige interventions pointilleuses et chirurgicales. Bouche en attente, souffle contenu, Loïc attend la faille, par où s’introduire, le crampon d’acier que l’alpiniste visse dans l’invisible fissure de la paroi rocheuse vertigineuse, la première note clapote comme une bulle d’air, juste le temps de crever, suivie d’une autre et cahin-caha le sax fait son chemin, trouve son registre, grimpe comme la fine et flexible liane de lierre qui enserre bientôt le tronc rugueux de l’arbre. Le blues dans la rue et le sax en chien  qui au fond passe et pisse pour marquer son territoire, puis qui hulule dans le lointain en loup affamé, et qui finit par éclater en chorus magnifique pour prendre sa part au festin des mendiants. Sont maintenant trois mâtins à se partager les meilleurs morceaux, la voix qui tire sur les tripes, la guitare qui arrache les chairs et le sax qui rompt les os. Plus l’assistance qui encourage le hallali sauvage. Nouveau convive. Damien débarque avec sa contrebasse. Renonce sans façon à faire cuire la jambalaya sur le tout électrique. Joue à cru. Les cordes swinguent et apportent une profondeur sonore dont le sax se délecte. Dresse la tête comme le cobra qui attaque. Ne restent ( hélas ! ) que cinq morceaux, un combat collectif à mains nues. Une ruée vers l’or du blues. Insaisissable orichalque qui vous échappe toujours lorsque la musique s’arrête. Qu’importe vous avez touché à la plus grande richesse du monde durant plus d’une heure. Qui peut se vanter d’un tel privilège !

    Boissons et tapas sont offerts par Elsa. Musiciens chaudement félicités, Chris avoue que c’est la première fois que le Juke s’est produit en pur acoustique. Une expérience à renouveler. Le juke a touché à l’essentiel. A l’essence du blues.

    Damie Chad.

    BLUES IN SEM & VICDESSOS

    16° EDITION / 11 / 08 / 2017

    JAKEZ & THE JACKS

    VICTOR PUERTAS & THE MELLOW TONES

    JULIEN BRUNETAUD “ TRIO ”

    JJ. THAMES

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    Le blues au cœur du Piemont ariégeois ! Jakez qui vient de quitter sa Normandie - que nous affirmons sans preuves, natale - nous fera part de son étonnement, première fois qu’il voit les Pyrénées, l’est pourtant juste au début de la vallée de Vicdessos, encore éloignée des sommets, qu’aurait-il dit si le festival avait continué à se passer dans le village perché de Sem, l’aurait connu le bout de la route et la morsure du froid dans la nuit noire et humide, mais l’a eu de la chance, pour la deuxième fois consécutive la seconde et principale soirée de Blues in Sem sise désormais in Vicdessos se déroule dans la halle du marché, en même temps salle des fêtes du bourg de Vic - dénomination hip - ce qui explique une acoustique des plus acceptables et génère un confort d’écoute et d’espace bien plus grand tant pour les musiciens que pour le public nombreux qui envahit les lieux.

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    JAKEZ & THE JACKS

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    Une formule simple et terriblement efficace pour ouvrir la séance. Ingrédients de base : jeunesse, enthousiasme et électricité. Une casquette plate sur la tête et des musiciens affutés. Chicagoan blues à la diable. Dépiautent sec dès le premier morceau. Jakez est à la lead guitare. Connaît tous les plans. Les plus éculés comme les plus secrets. L’est allé faire de l’espionnage industriel aux States, a fréquenté les plus grosses pointures, a piqué tous les plans, les a revisités et se les est appropriés, retaillant le costume à sa mesure. Taille ample et généreuse. Question chant, ce n’est ni l’accent de Brooklin, ni celui des Appalaches, l’on sent l’estampillage gaulois mais à la corsaire, à la Jean Bart qui vous sautait sur une frégate anglaise à la hache d’abordage et qui s’en rendait maître avant que ses occupants aient pu ouvrir la bouche. En résumé, maître Jackez emporte votre conviction, le blues n’appartient à personne, qu’à ceux qui en prennent possession. En fait, c’est tout le contraire, c’est lui qui s’empare de vous - Playing with my Mind - et qui ne vous lâche plus, vous fricasse les synapses et vous fracasse à la sauce au sang.

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    Jackez possède son joker, Little Tom, au début il assure la deuxième guitare - comme au tour de France, c’est la plus ingrate des places du podium - alors de temps en temps il prend sa revanche, passe devant et mène le jeu, pousse l’harmonica dans les lacets les plus serrés et passe les descentes en trombe, sans frein, et les yeux bandés, vous pousse des soli casse-cous ( jamais casse-couilles ), au ras des falaises verticales et quand vous croyez qu’il va entrer dans les décors et la légende des spagyrites morts asphyxiés il lève la main en signe de triomphe et passe le bébé vagissant à la section rythmique, Hugo Deviers le gars qui ne dévie jamais d’un quart de quart de tom, pulse à mort, les autres peuvent batifoler tout tranquille devant lui il vous met de l’huile explosive dans les rouages de la machine Right Place in Time, l’est secondé par Julien Baby Face Dubois, et il en casse du bois à la manière dont il se chauffe, de longues flammes noires qui vous enflamment la moelle épinière sans rémission. Best Looking Girl ou Cold Woman, c’est du pareil au même, vous repeignent les yeux des poupées en bleu sans coup férir et Jackez se charge des finitions, la guitare tremble entre ses mains comme s’il était en train de commettre la bagatelle sur scène, vous la fait crier et gémir ahaner et exploser à volonté, mais c’est sur Ten Years Ago de John Lee Hooker - entre temps l’on a eu droit à tous les grands - qu’il vous fait le grand numéro du cœur brisé, des notes bleues qui coulent de sa six-cordes comme une fontaine de larmes de crocodiles, se sont installés dans votre tête et vous mâchouillent l’âme, si délicieusement que vous aimeriez qu’elle leur serve de chewing-gum tout le reste de votre vie.

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    Mais en ce bas monde, tout a une fin, et les Jacks nous quittent sur un dernier rappel. N’ont pas inventé le blues mais vous ont ouvert le coffre au trésor et vous ont refilé des saphirs gros comme des œufs d’autruche et quelques lapis-lazuli d’un bleuté incandescent. Applaudissements sans fin.

     

    VICTOR PUERTAS & THE MELLOW TONES

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    Deux premiers titres Chacua et Sugar Wated Cole, pour faire chauffer la colle. L’on attend mieux, surtout après la tornade des Jacks, mais cela va venir. Victor Puertas est au chant et à l’harmonica. Surtout à l’harmonica. Vous le bouffe à l’esbroufe. Et je te le fais avancer comme un rouleau de machine à écrire de la droite à gauche de la main dextre, fin de voie, les dix doigts qui papillonnent et stop machine arrière toute, et que je te le fais reculer de gauche à droite d’une senestre diabolique. Manifestement inspiré par le train, el senor Victor Puertas, l’enfonce un peu les portes ouvertes mais d’une manière si cavalière que vous ne pouvez qu’appréciez, hobo blues, vous emporte dans une farandole si shuffle que vous vous croyez en train de conduire la locomotive, surtout qu’il s’amuse autant que vous, sans prétention sans ce côté si déprimant de ces virtuoses imbus d’eux-mêmes qui ont l’air de descendre de leur instrument pour s’admirer jouer pendant que le public se demande comment il va payer la note d’électricité. C’est qu’à côté de lui, il y a de quoi le rappeler à l’ordre. Les Mellow Tones ne passent pas leur temps à regarder passer les trains. Sont plutôt du genre The Great Robbery, deux fines gâchettes de chaque côté de la scène, un Johnny Big Stone, le vieux chien de prairie aguerri qui tire plus vite que tout le monde, et Oscar Rabadan le jeune loup aux dents longues comme un jour sans pain et aux doigts effilés comme des couteaux, qui marche sur ses traces.

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    Victor leur ouvre la porte, chacun à son tour et c’est parti pour des galops de guitares effrénées, chacun son style mais tous deux cœur de cible. Des invincibles. Oriol Fontanals fait le mariole. Solidement accroché à sa basse, l’a un jeu jazz, mord le swing et swingue à mort, mais ne faut pas lui en promettre, sait faire parler la poudre d’escampette, aime les sentiers non balisés sur les parois rocheuses, sauts de cabri avec l’aisance d’une danseuse d’opéra. Derrière, un magicien, l’a du travail, avec les quatre chevaux précédents qui tirent la diligence chacun de leur côté, l’est obligé de s’adonner au psychological drummin’, doit les comprendre tous, les suivre dans leurs délires personnels, mais non coco, tu n’es pas seul, tu peux me croire, aie confiance, je suis là, n’est pas le genre de gars à le leur chuchoter à l’oreille, l’a la frappe tonitruante, savent toujours le retrouver, n’ont qu’à suivre le son des tambours épileptiques. Les zozos tirent à hue et à dia, mais Reginald Villardell fait respecter la règle des trois unités, prenez tous les chemins que vous désirez mais retour obligatoire au blues. Pour mieux prendre un chemin de traverse ruthmique au morceau suivant. Take Me with You, Mr Porter, Whisky Drinkin’, No One Like You, Kill Before se suivent et ne se ressemblent pas mais bruns, noirs ou blancs ce sont toujours des ours bleus. Le dernier We’re Gonna Roll vous à de ces griffes de grizzly des montagnes rockeuses qui emporte la salle au dix-huitième ciel. Mais peut-être même que dans l’euphorie personne ne s’aperçoit que nous sommes dans le septième cercle de l’enfer dantesque du rock and roll. Victor Puertas et ses Mellow Tones remportent la mise. Un peu prestidigitateurs qui vous mènent par le bout du nez hors des sentiers balisés, mais vous n’y voyez que du bleu.

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    Avant de les quitter, n’oublions pas Jean-Jean - l’organisateur émérite du festival, la cheville ouvrière sans qui nous ne serions pas là - appellé à monter sur scène et à prendre son harmo à côté de Victor et qui s’en est tiré comme un grand chef indien. Un véritable peau-bleue, de la tribu des indomptables.

     

    JULIEN BRUNETAUD “ TRIO “

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    Changement d’ambiance. Après le tourbillon des portes qui claquent au vent de la folie douce, ne sont plus que trois sur scène. Un peu maigre, même s’ils trichent un peu puisque Julien Brunetaud est un adepdte de la monte hongroise, l’est sur son tabouret à cheval sur deux pianos, un droit tout électrique et un synthé du grand Nord. Pourrait se contenter de cela, mais l’endosse une troisième casquette, celle du chanteur. Guillaume est au fond derrière sa batterie et Grégoire un peu isolé sur notre gauche, à la Robinson Crusoé sur son île. Je vous le dis franco. N’aurais pas parié un doublon de fer blanc sur Brunetaud et frères lorsque je les ai vus s’installer. En plus quand il annonce de sa petite voix un morceau de Randy Newman je téléphone illico à mon courtier pour qu’il vende toutes mes actions Brunetaud avant le crack boursier. Heureusement que dans les montagnes les communications sont capricieuses. Car à peine avait-il effleuré les touches et ouvert la bouche que j’ai fait comme tout le monde, suis tombé dans sa poche. N’a pas ce que j’appelle une belle voix, l’est comme ces filles qui n’ont rien pour elles mais qui deviennent tout pour vous sans que vous compreniez pourquoi. Un adepte de la Nouvelle Orléans, piano à la Professor Long Hair - rappelons qu’un clandé de la Louisiane ne ressemble en rien à un barrel house à la Jerry Lou - mais dans l’ensemble et les détails ça bastringue pas mal du tout. L’a des facilité le Brunetaud, la bouche sur le micro la main droite sur le clavier et la gauche qui ne perd pas le Nord sur l’orgue.

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    Aussi délatéralisé qu’un batteur me dis-je et du coup mes yeux se portent sur Guillaume. Surprise, ne le lâcherai pas ( de l’œil ) de tout le set, n’est qu’un accompagnateur, on ne s’attend pas à ce qu’il s’envole dans des anabases lyriques, qu’il se perde dans de tapageuses symphonies bruitistes et beethomaniaques, non se contente du contrepoint, mais c’est le premier batteur que je vois jouer sans ses mains. Bien sûr se sert de ses menottes et des baguettes comme le premier bûcheron venu, mais chez lui c’est anecdotique, secondaire, sans importance. Lui il joue avec son intelligence. De la finesse, du tact, de la subtilité. Ne suit pas le virtuose, il de devine, il le devance, pire il le guide, l’emmène où il veut aller, force de proposition prépondérante. Julien Brunetaud vous pond une structure toute neuve et Guillauue vous la transforme aussitôt, trois coups de petits marteaux et vous modifie le plan de l’appartement et c’est à Julien d’adapter l’ameublement à la nouvelle configuration, Guillaume se hâte de changer la couleur des rideaux et la forme du canapé. Un ping-pong fraternel incessant entre les deux, à Grégoire Obollduief, extrêmement concentré sur sa contrebasse obligé à tout moment de s’adapter aux nouvelles figures, est échu le rôle ingrat du caméléon musical, difficile d’être soi-même mais il possède au plus haut degré le génie semenciel de l’abnégation. Un set assez court d’une dizaine de morceaux, mais le premier rappel ne rassasiera pas le public, seront obligés d’en donner un deuxième plus long.

     

    JJ. THAMES

    Sur la pochette de ses disques l’est présentée en sophisticated lady, mais la sur scène vous avez droit à la puissance charnelle de la real thing. Une crinière de lionne, reine de la brousse sauvage, des seins, de rêves duveteux et de cauchemars d’insomniaques, aussi proéminents que des proues de trirèmes grecques, s’enfoncent dans votre regard tels des poignards dans vos yeux, vous ne voyez plus qu’eux, vous êtes définitivement à elle, vous déchire de ses griffes de panthère souveraine et vous aimez cela. Le reste de son corps de féline noire à la peau très blanche ondule sous un vaste voile africain qui nous cache des splendeurs inédites que nous ne pouvons qu’idéaliser. N’a pas ouvert la bouche que déjà vous savez que le bonheur vous attend. La présence. Se suffirait toute seule.

     

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    Mais elle a cru bon de s’entourer d’un groupe de quatre tueurs. Guitare, basse, batterie et un organiste, indispensable pour le rhythm and blues. Parce que la dame le blues elle s’en moque. Elle l’a dans le sang depuis le premier jour alors elle s’en bat l’omphalos comme vous votre première paire de chaussons bleus. Désormais vous êtes le punchin’ball de la princesse échappé du chitlin' circuit. Dans sa jeunesse l'a côtoyé Bobby Blue Bland. Pour vous, les haricots sont cuits, votre vie commence enfin. Vous êtes son sparring partner préféré - car vous êtes intimement persuadé qu’elle ne s’adresse qu’à vous, qu’elle vous a élu vous parmi la foule ondoyante de fantômes qui s’agitent vainement autour de vous. Un Rumble qui sonne comme les clairons qui annoncent l‘empereur romain, ce n‘est pas une image, parce que je ne sais pas comment les musicos s‘y prennent, avec cette formation de base rock and roll tout le set vous avez l‘impression qu‘elle est accompagnée par une section de cuivres particulièrement rutilante. Je vous révèle le secret, de polichinelle car il est inscrit en lettres d’or sur le fronton des trois premiers titres, Hey You, Hattie Pearl, I’m Leavin, et tout est dit : le miracle de la voix. L’a tout un orchestre symphonique dans ses cordes vocales, peut tout faire, tout se permettre, pour vous le prouver vous prodigue un Boom Boom à la Eric Burdon qui fait perdre la tête à toute la salle. Un truc à vous faire manger le chat du voisin tout cru, sans y faire gaffe, avec la peau, le collier anti-puces et les miaulements. Le genre de hors-d’œuvre qui ne saurait suffire à JJ Thames. Trop d’énergie, alors elle a un truc, un truc de femelle qui vous bouffe un sandwich au James-Brown-beurre rehaussé au piment de Cayenne, se tourne vers son guitariste et c’est parti pour le concours des miaulements de tigres affamés. Voix et guitares enthament un dialogue de plus qu’entendant. C’est à qui montera le plus haut, le plus loin, le plus rapidement, la guitare émet des cris humains et le gosier d’airain de JJ. Thames vous strille les esgourdes à coups de règles de fer. Vous décanille les titres à l’emporte pièce, Raw Sugar, No Turning Back, Bad Man, mais ce n’est pas tout, de temps en temps elle pose le bazooka et c’est parti pour pour le mélo.

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    Rappelez-vous la face B, titres lents de la Série Rhythm and Blues, un seul être vous manque et le monde n’existe plus, l’est recouvert d’un torrent de larmes amères et de sanglots d’enfant unijambiste abandonné sur un tas de fumier par ses parents, encore plus désespérant que le plus poignant des blues de Perchman, à faire larmoyer toutes les grand-mères durant tout l‘hiver, la JJ. Thames elle s’arrache les tripes devant vous, elle n’en peut plus, mais elle chante toujours, sa voix domine l’orchestre, l’est à deux mètres du micro et la tragédie n’est pas terminée, personne ne saurait la consoler, I’d Rather Go Blind, alors le combo s’arrête, plus une note, juste la voix de JJ. Thames qui vous troue la poitrine, dans un dernier effort le band redémarre très fort, font l’impossible, vous tissent un rideau mélodramatique d’au moins cent dix sept violons mais la JJ. va crescendo, domine tout, culmine sur le Mont Olympe et le monde s’effondre tout autour. C’est fini. Un sourire qui vous tire des décombres et la diva s’enfuit. Faudra un potin de tous les diables pour la faire revenir. L’apporte deux dernières gâteries, Saaky Ground et pastèque sur le gâteau, un must de BB King, The Thrill is Gone avec Julien Brunetaud à l’orgue et Jackez à la guitare qui ne manque pas de se faire adouber par la gente dame dans un duel guitare-voix, une décoration qui lui manquait lui qui a accompagné Chuck Berry dans sa jeunesse, mais JJ Thames, l’époustouflante, se retire sous un infini d’applaudissements… The thrill is really gone ! Vous la retrouvez dédicaçant tout sourire ses CD, acceptant avec simplicité de se laisser prendre en photo par une foule d’admirateurs.

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    Ainsi se termine ce seizième Festival de Sem et Vicdessos, une belle réussite, peut-être pas garanti cent pour cent blues, mais une programmation sans temps mort, sans une seule de ces fautes de goût qui vous laissent l’impression d’une dent cariée dans la bouche. Belles rencontres avec des passionnés de blues, l’on en reparle dans une prochaine chronique bleue.

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    ( Photos : FB : Blues in Semm et JJ tHAMES )

    Damie Chad.

    BAULOU / 22 - 07 - 2O17

    KERYDA

     

    sonny burgess,barny & the rhythm all stars,juke joints band,jackez & the jacks,victor puertas & the mellow tones  julien brunetaud " trio"  jj

    Tous les deux ans à Baulou - minuscule village ariégeois où fut trouvé au début du siècle le squelette du plus gros mammouth de France - Les Promenades Artistiques qui vous font courir à travers prairies verdoyantes et chemins campagnards de ferme en ferme à la rencontre d’artistes qui exposent leurs œuvres en des lieux inaccoutumés. Midi et soir durant trois jours vous êtes conviés à des apéro-concerts musicaux, bouffe-bio et programmation musicale anémique car dépourvue de la vitamine énergétique rock and roll. Mais ce soir après le jazz et le cirque, Keryda. Amis métalleux écartez-vous, ce n’est pas un spectacle pour vous, Keryda puise à la fontaine du folklore des mélopées enfouies sous les mousses oublieuses de la mémoire.

     

    KERYDA

    Des charmeurs. Damien Papin sur son tabouret à côté de sa contrebasse - une vieille grand-mère des contes de ma mère l’oye que les loups n’ont pas mangée et qui trotte gaillardement sur ses cent cinquante ans - Sara Evans qui file de ses doigts agiles la quenouille de sa harpe celtique. Tous les deux, blonds comme les blés que la faucille n’a pas encore coupés, semblent chevalier et princesse échappés d’un roman arthurien, égarés en nos temps de grande barbarie. Vont vous retourner l’assemblée bruyante et bavardeuse comme une crêpe bretonne au sarrasin. En peu de temps. Juste un chant d’archet qui moutonne moelleusement et un frisson de gouttes d’eau claire échappées de la fontaine harpique. Et puis vous emportent dans la barcarolle du rêve. Attention le voyage n’est pas de tout repos, gigues écossaises et polkas irlandaises se succèdent en tourbillons entraînants. Damien marque le rythme du pied et les deux mains de Sara n’en finissent pas de tisser une toile vaporeuse qu’elle dépose sur les blessures de votre âme à seule fin d’arrêter l’hémorragique tristesse du mal de vivre. Parfois Damien s’empare d’une mandoline dont le son grêle et joyeux carillonne comme grêle de graviers sur la fenêtre de votre amoureuse. L’assistance entre dans la sarabande, pieds et mains tapent en cadence, applaudissements nourris jaillissent comme ronds dans l’eau qui s’évadent et se propagent à l’infini. Gaspard de la Nuit et Aloysius Bertrand squattent votre imagination, fiers jouvenceaux et chastes ( point trop n'en faut non plus ) damoiselles effeuillent roses ronsardiennes, dépourvues d’épines et capiteuses d'un parfum enivrant. De la harpe de Sara sourdent multiples résonnances, bribes de pianos romantiques qui brhamsment le soir au fond des bois nervaliens de Mortefontaine, rondes sacrées des jeux d’enfants et comptines stacato-stacati de la poule qui monte sur le mur et picote le pain dur, en ces moments l’on entend comme le fantôme d’une voix qui s’élève des entrailles ventriloques de la vieille contrebasse, un murmure indistinct qui énonce le mystère perdu des ruines oubliées... Un avant-dernier morceau enjoué, le seul agrémenté de paroles, une chanson à boire le plaisir et l’énergie de vivre qui transporte le public, en final un ultime rideau de brume envahit vos paysages intérieurs, le voyageur se retourne avec mélancolie vers cette arcadie miraculeuse que traversa le Grand Meaulnes et dont il vécut l’exil tout le reste de sa vie… Une soirée d’outre-rêve.

    Damie Chad.