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cyril jordan

  • CHRONIQUES DE POURPRE 426 : KR'TNT ! 426 : NASHVILLE PUSSY / CYRIL JORDAN / KEITH RICHARDS / SHEITAN & THE PUSSY MAGNETS / BENDER / CRITTERS / 404 ERROR / GENE VINCENT

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

    LIVRAISON 426

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    04 / 07 / 2019

     

    NASHVILLE PUSSY / CYRIL JORDAN  

    KEITH RICHARDS

    SHEITAN & THE PUSSY MAGNETS / BENDER /

    CRITTERS / 404 ERROR / GENE VINCENT

     

    LA FABULEUSE EQUIPE DE VOTRE BLOG-ROCK PREFERE PREND DES VACANCES. A CEUX QUI ARRIVERONT A SURVIVRE A CE SEVRAGE INSUPPORTABLE NOUS DONNONS RDV LE 29 / 08 / 2019 POUR UNE NOUVELLE ANNEE DE BRUIT ET DE FUREUR !

    KEEP ROCKIN'TIL NEXT TIME !

     

    What’s new Nashville Pussy cat

    - Part Two

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    Retour en force de Nashville Pussy avec l’album Please To Eat You - Hope you guess my name - Et quand on dit en force, on est encore loin du compte, car il faut entendre la double attaque de guitares dans «She Keeps Me Coming And I Keep Going Back». C’est la vraie attaque, celle du vieux Blaine Cartwright. Tout est là, dans l’exemplarité du Pussy riot. Nashville Pussy fait partie des groupes dont on dit qu’ils font toujours le même album. Ce sont généralement ceux qui n’écoutent pas les disques qui parlent ainsi. On a déjà vu le cas avec les Ramones ou pire encore avec les Cramps.

    — Ah bah ouais, mais c’est toujours les mêmes morceaux !

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    Tous ces groupes ont ce qu’on appelle un son, ils travaillent à l’intérieur de ce son, et c’est toute leur force. Jusqu’au dernier album, les Cramps ont su se renouveler à l’intérieur de leur son, il suffit d’écouter «Fissure Of Rolando». Dans le cas des Nashville Pussy, c’est exactement la même chose : écoute «Hang Tight» et tu vas comprendre que c’est du Nashville inespéré joué au vieux drumbeat de shotgun, pulsé au big bad drive. Voilà de quoi sont capables Blaine, Ruyter et les autres, ils secouent de frissons le boogie d’Hookie et Blaine chante comme un très vieux crocodile. Ça sent bon le génie des marais. Et Ruyter vient clouer le bec du cut à l’hyper incendiaire, comme elle sait si bien le faire. Ce n’est plus un mystère pour personne, Ruyter est la star de Nashville. Attention, cet album fonctionne comme un champ de mines. On avance de cut en cut à ses risques et périls. Voilà un «Just Another Boy» fabuleusement sonné des cloches. Blaine sort son meilleur big boogie et derrière les filles font les jolis chœurs. Tout est joué au maximalus apocalyptus et quand on lit le nom de Daniel Rey sur la pochette, on comprend mieux : Rey est l’un des grands producteurs de rock américain. L’un des plus légendaires, en tous les cas. Ruyter se paye un départ de solo à l’hésitée démoniaque et remonte en saumonade de printemps dans ses bubbles des gammes. Po-wer-ful ! Comme Lemmy, les Nashville transcendent la notion de génie sonique. Ruyter va même aller crucifier le cut au Golgotha. Ils savent aussi taper dans le meilleur glam. La preuve ? «Go Home And Die». Tout un programme. Ils écrasent le chant comme un mégot - Well you talk talk talk/ About everything all the time - Les Nashville nous redonnent du cœur au ventre avec ce brillant «Testify» nappé d’orgue et rentrent dans leur normalité avec «One Bad Mother». Mais la normalité ne dure pas longtemps, car Ruyter redonne vie au chairs du cut, elle redresse la bite molle du rock d’un coup de solo flash exceptionnel. Merci Ruyter. S’ensuit une merveille de boogie blues intitulée «Woke Up This Morning», avec une peau tendue à craquer de heavyness. C’est tout simplement effarant de puissance et de tension. Ruyter part aussi en maraude dans «Drinking My Life Away». Elle cultive l’art du gras double et tape chaque fois dans le mille. Elle plonge dans le shmock avec délectation et des clameurs viennent parfois saluer ses virées. Dans «CCKMP», Blaine déclare : «Cocaine crack killed my brain like a fright train!» et il prévient : «Don’t comme knocking on my door!» Voir Nashville et mourir.

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    C’est exactement ce qu’on fait ce soir-là. Voir Nashville et mourir, oui, mais de bonheur. Du bonheur de voir quatre Américains jouer leur va-tout comme ils le font depuis vingt ans, oh la la, vingt ans déjà. Alors bien sûr, Nashville Pussy ça fait rigoler les esthètes. Les moins féroces diront qu’ils jouent comme des bourrins et que leur trash c’est tout juste bon pour la faune des campings. Les Nashville sont victimes d’un affreux malentendu. Comme tous les malentendus, celui-ci vient directement d’une parfaite méconnaissance des faits. Les Nashville naviguent exactement au même niveau que Motörhead. Chez eux tout repose sur un goût immodéré pour le blast intégral. La réalité de ce prestigieux enfer sonique se mesure plus facilement sur scène, car c’est là très précisément que leur power prend une ampleur qu’il faut bien qualifier de considérable. Et comme souvent dans ces cas-là, les mots peinent à se montrer à la hauteur.

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    En les voyant, on ne peut pas s’empêcher de songer au génie sonique de Motörhead, mais avec cette pouliche frénétique de Ruyter Suys en plus. Ses cheveux passent plus de temps à la verticale que sur ses épaules. Elle est en mouvement permanent, elle trépigne comme un poney apache, elle tape du pied, tend des embuscades de gimmicks délétères, elle ne vit que pour bombarder la terre de power-chords, elle embringue les octaves dans les actifs, climaxe ses crises inflammatoires, elle girouette son giron, ça grésille dans sa résille, toute sa pulpe palpite, elle monte au micro pour des chœurs, gratifie le public de quelques expressions grimacières composites et replonge aussi sec dans sa mégalomanie riffique. Si on veut voir jouer une guitariste américaine, c’est Ruyter Suys qu’il faut voir. Sans la moindre hésitation. Bien plus spectaculaire que la Donita Sparks de L7.

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    Ruyter est unique au monde, redoutablement belle dans le feu de l’action, et mille fois plus crédible que la petite pisseuse d’en face, qui, comme le disait si joliment Brassens, peut bien aller se rhabiller. Eh oui, le vieux George faisait à sa façon l’apologie des fleurs d’automne. Comme la belle dont parle le poète, Ruyter doit payer la gabelle/ Un grain de sel dans ses cheveux, mais diable, quel rayonnement ! Ses longs cheveux bouclés qui tournent dans les faisceaux de lumière constituent l’un des plus beaux symboles d’une féminité conquérante. Si on associe ce spectacle au blast suprême, ça donne Nashville Pussy. Le plus surprenant, c’est qu’ils semblent s’améliorer d’année en année. On pourrait les croire usés par les tournées et l’indifférence grandissante. Au contraire. Ils semblent encore plus explosifs qu’en 2016, lorsqu’ils avaient fait trembler les colonnes du temple, dans ce qu’on appelle ici la grande salle.

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    Du haut de vieille stature légendaire, Blaine Cartwright semble devenu complètement miraud. Mais il porte toujours cette casquette de white-trasher américain et ce blouson rouge et blanc de pilote tellement cra-cra qu’il doit remonter au temps de Nine Pound Hammer, qui, est-il bien utile de le préciser, fut l’un des meilleurs groupes jamais signés par Tim Warren sur Crypt. C’est la raison pour laquelle il faut suivre un mec comme Blaine Cartwright à la trace, aussi fidèlement qu’on suit les Oblivians ou les Gories, qui régénérèrent eux aussi la scène américaine, au temps béni de Crypt. Cartwright sait tenir une scène et poser sa voix juste au dessus du chaos. On sent en lui le vétéran de toutes les guerres. Il sort sa bouteille de Jack quand il a soif . Cet homme semble n’être heureux que sur scène. Il fait sans doute partie des mecs dont la vie se résume à son groupe.

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    Il sait que sa formule blastique tient bien la route et que le public entassé à ses pieds est un public d’inconditionnels. On y voit d’ailleurs très peu de metallers, comme on serait tenté de le croire. Non, les gens qui suivent Nashville sont des amateurs de big bad American Sound et ils savent que l’heure de set va battre des records de chaleur, pour employer la pauvre terminologie des météorologues. Ils tirent les cuts les plus percutants de leur dernier album, notamment «She Keeps Me Coming», «We Want A War» et l’effarant «Low Down Dirty Pig», mais aussi un fantastique shoot de «Why Why Why» tiré de From Hell To Texas, un «Pussy Time» bien gluant tiré du vieux Get Some et deux joli corkers tirés de High As Hell, l’imparable «Piece Of Ass» et le bien nommé «Struttin’ Cock». Blaine Cartwright adore jouer avec les images sexuelles un peu douteuses. C’est son côté farceur. Mais dès qu’on lui met une Les Paul dans les pattes, attention, il ne rigole plus. Ils terminent leur set avec «Go Motherfucker Go», un fabuleux shake hypnotique tiré de leur premier album, Let Them Eat Pussy.

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    C’est l’occasion ou jamais de saluer l’excellente section rythmique composée d’une brune bien grassouillette nommée Bonnie Buitrago et d’un Ben Thomas maigre comme un clou et absolument spectaculaire de présence bombastique. Voir ce mec marteler son beat, franchement, ça réchauffe le cœur. Ben pourrait dire : «Regardez, je suis moi aussi un beau spectacle !», mais il a la grandeur d’âme de le mettre au service de Blaine et de Ruyters, ce qui nous le rend encore plus sympathique.

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    Tous les gens qui jouent dans des groupes le savent : le batteur, c’est la clé de voûte. Sans bon batteur, rien n’est possible, ça s’écroule très vite. Alors, couronnons Ben Simmons, king of Pussy !

    Signé : Cazengler, Nashville poussif.

    Nashville Pussy. Le 106. Rouen (76). 27 juin 2019

    Nashville Pussy. Pleased To Eat You. Ear Music 2018

     

    Monsieur Jordan - Part Four

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    Ils arrivaient des quatre coins de la France pour saluer le retour sur scène de Roy Loney qui fut comme chacun sait LE chanteur des Flamin’ Groovies. L’événement devait se dérouler au Petit Bain, une barcasse ancrée au pied de cette Grande Bibliothèque imaginée jadis par François Miterrand, un homme que tout le monde semble détester aujourd’hui, sans raison particulière. La détestation systématique est entrée dans les mœurs comme les loups dans Paris. Quant aux météorologues, ils avaient annoncé un pic de canicule et ne s’étaient pas vautrés. La file d’attente cuisait comme une longue merguez dégingandée sous un soleil de plomb.

    C’est là qu’une rumeur se mit à circuler et à enfler comme l’ex-tumeur de Wilko Johnson. On chuchotait à voix basse d’une oreille à l’autre.

    — Y paraît qu’y vient pas...

    — Hein ? Qui qui vient pas ?

    — Bah Roy Loney !

    — Ha bah ça !

    La longue merguez bruissait donc de mille chuchotements dans un authentique bain de vapeurs corporelles. La rumeur se glissa ensuite avec la merguez dans la soute du Petit Bain et continua de grossir. Arrivée au frais, la rumeur ne s’en portait que mieux. C’est là qu’un mec apparemment bien informé fit la lumière dans les esprits surchauffés. Il savait pourquoi le pauvre Roy Loney se retrouvait dans la cruelle incapacité de venir ramasser les lauriers qui lui revenaient.

    — Cyril l’a poussé dans l’escalier !

    — Ha bon ?

    — Oui, en arrivant à l’aéroport, pouf ! Cyril l’a fait tomber dans l’escalier qui descend de l’avion.

    Bon après, ça devenait compliqué d’expliquer que Cyril était jaloux de Roy depuis toujours, qu’il lui faisait des croche-pattes dans la rue et qu’il lui collait ses chewing-gums pleins de bave sur son harmo. Normalement, il faut un livre pour entrer dans une litanie de détails, la rumeur n’est pas faite pour porter le poids du monde, comme le disait si bien Peter Handke.

    — Il l’a poussé comme ça, dans l’escalier ?

    — Oui, d’un grand coup d’épaule dans le dos, par pure jalousie. Cyril avait même paraît-il un rictus au coin des lèvres, comme Anthony Perkins dans Psychose.

    — Et Roy, y s’est fait mal ?

    — Oh on l’a embarqué à l’hosto. Et comme il est vieux, ça ne va pas se recoller du premier coup !

    — Aller pousser son copain dans l’escalier, non mais franchement ! C’est vraiment des branleurs ces mecs-là !

    — C’est sûr, ils sont restés bloqués en 1968. Ça leur fait en gros quinze ans d’âge mental. Ce qui n’est déjà pas si mal. Tu as beaucoup de gens qui ont un âge mental beaucoup plus bas.

    — Et si Roy y l’était mort dans l’escalier ?

    — Oh non, Cyril s’arrange toujours pour que ça finisse bien. Il est aussi malin qu’Alfred Hitchcock. Roy a l’hosto, il peut reprendre le micro et chanter son vieux coup de Shake sans personne pour faire ombrage à sa mégalomanie psychédélique...

    — C’est incroyable cette histoire !

    — Oh tu sais, la vie des groupes, ça ne sent pas toujours la rose. Même dans les petits groupes de province. Tu y vois des choses étonnantes. Tu n’en as même pas idée...

    Il fut interrompu par l’entrée sur scène d’un groupe de surf engagé pour la première partie. Ça cloua aussi sec le bec à la rumeur.

    Mais elle reprit de plus belle au terme du set de surf.

    — Et comment tu es courant de cette histoire d’escalier ?

    — Oh, j’ai des infos de première main. C’est un mec de San Francisco. Il racontait qu’un jour Cyril n’arrêtait plus de faire des croche-pattes à Roy qui marchait devant lui dans la rue. À la fin, Roy s’énervait et gueulait : «Stop that !», tu sais avec l’accent garage qu’il prend pour attaquer «Teenage Head», et tu sais ce que Cyril faisait ?

    — Il s’excusait ?

    — Pfffff ! Tu rigoles ou quoi ? Cyril poussait d’affreux petits gloussements de belette psychopathe. Un truc du genre hiiin-hiiiin-hiiiin !

    — C’est dégueulasse ton histoire !

    — Mais non, tu es dans l’univers des comix underground. C’est un humour auquel tu n’auras jamais accès à cause de ton éducation. Avec la gueule que tu as, tes lunettes et ta liquette, on voit bien que tu es cartésien. Donc t’es baisé. Tu passeras toute ta vie à côté. Tiens encore un exemple. Tu sais pourquoi Chris Wilson n’est pas là ?

    — Il l’a aussi poussé dans l’escalier ?

    — Non, pire encore : il l’a envoyé en cure dans un établissement pour vieux Américains ! Eh oui...

    — J’ai vu un reportage à la télé : c’est encore plus sordide que les établissements pour vieux Français. C’est une cure de quoi ?

    — D’amaigrissement.

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    L’arrivée sur scène de Cyril Jordan cloua de nouveau le bec à la rumeur. Il portait les mêmes fringues que lors du dernier set parisien : chemise à motifs, high heel boots et petit fute en vinyle noir. Tiré aux quatre épingles de 1968. On retrouvait aussi les accompagnateurs du set de 2017, Tony Sales, fils prodigue de Hunt & Tony Sales qui firent si bien tinter le Tin Machine, et Chris Von Sneidern, toujours habillé en blanc, mais muté comme un fonctionnaire de la basse à la rythmique.

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    Un nouveau venu avec une gueule de cabochard très sympathique et habillé d’une liquette noire et d’un gros pantalon bordeaux occupait le job de bassman. Les Groovies s’empressèrent de redorer leur blason avec un «Shake Some Action» particulièrement bien sonné, sans chichis ni dentelles d’arpèges. C’est là que le bassman commença à focaliser l’attention. Avec ses gros doigts boudinés, il plaquait à l’implacable les dominantes sur son manche et hochait le beat de la tête avec une ferveur assez peu commune dans sa fonction. Rien qu’avec un coup de Shake, il était en eau.

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    Ses deux mains dégoulinaient de grosses gouttes de sueur. Comme le disaient si bien les ouvriers d’antan, il mouillait sa chemise. C’est une façon de dire qu’il ne faisait pas semblant. On le sentait vraiment investi. Cyril Jordan annonça une chanson des Byrds et nous eûmes droit à une vieille resucée du «Feel A Whole Lot Better» datant de Mathusalem, suivie d’un bond dans le temps avec «Jumpin’ In The Night», qui nous ramenait à l’époque Sire, c’est-à-dire post-Roy Loney, et donc un son moins groovy et plus pop dont on essayait de se contenter à l’époque pour se consoler de l’absence de Roy Loney. Cyril Jordan chantait d’une voix assez gutturale. Vu la qualité des compos, il ne s’en sortait pas si mal. Mais bon, on s’attendait au pire : qui allait se porter volontaire pour massacrer «Teenage Head» ?

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    Le suspense allait durer encore un bon moment avec d’autres régurgitages de la période Sire. Puis Cyril Jordan annonça qu’il allait chanter «Whisky Woman» pour la première fois. Why ? Because the band broke up three months après la sortie de l’album Teenage Head. «Whisky Woman» est toujours resté l’un des cuts préférés des gens qui ont acheté l’album en 1971. Why ? Sans doute parce que rien n’est plus parfait qu’une femme rôtie au whisky. C’est plus élégant - pour une femme - de se piquer la ruche au whisky qu’au vin blanc. En tous les cas, les Groovies savaient le dire en 1971 mieux qu’on ne saura jamais le dire. Et les choses se mirent à vraiment chauffer avec la triplette de Belleville tirée du même album, «High Flyin’ Baby», «Have You Seen My Baby» et un «Yesterday’s Numbers» harnaché du big heavy sound et joué avec une édifiante implication. Le bassman ruisselait comme une vieille serpillière, il arrosait le plancher autour de lui dans un rayon de deux mètres, on voyait la sueur couler dans son gros pantalon bordeaux, et sa basse était tellement gorgée d’humidité qu’elle semblait vermoulue. Ah quel démon ! Il s’offrait même le luxe, dans l’état où il était, de faire des petits bonds en l’air, ce qu’un organisme épuisé refuse normalement de faire. Rien qu’avec le spectaculaire «High Flyin’ Baby», la partie était gagnée. Mais le «Yesterday’s Numbers» aggrava encore les choses, par sa qualité raunchy et déterminée à vaincre un public convaincu d’avance.

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    Mais bon, les groupes agissent souvent sans réfléchir, leur stratégie consiste à foncer dans le tas et à réfléchir plus tard. Le moment tant redouté arriva : Chris Von Sneidern se sacrifia pour chanter «Teenage Head». Ce fut l’horreur, sans doute la pire version jamais offerte en pâture au bon peuple. Dès l’attaque d’I’m a monster, c’était baisé. Il chantait ça d’une petite voix blanche et ridicule et il aggrava encore les choses en ajoutant d’un accent d’hermaphrodite lymphatique un «got a revved up teenage head» qui manquait tellement de crédibilité qu’on en fit la grimace. Ha les choses de la vie !, comme dirait Claude Lelouch. François Miterrand et le Petit Bain eurent droit à un rappel avec «Slow Death», et la rumeur put enfin reprendre.

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    — Le bassiste devrait se méfier. Il est tellement bon qu’il a volé le show ! Tu sais comment il s’appelle ?

    — Ah bah non, chais pas !

    — T’as vu les regards en coin que Cyril lui envoyait ? Ce bassman est bien trop bon pour jouer dans les Groovies. Trop in the face. Il fait trop d’ombre à Cyril. Tu vas voir, il va bientôt tomber dans l’escalier ! Tu vois, le guitariste habillé en blanc ne risque rien. Il est beaucoup plus malin.

    Il fallait absolument savoir comment s’appelait ce bassman héroïque. Comme il venait traîner au mersh, on put lui poser la question. On ne comprit pas grand chose à ce qu’il raconta, hormis le fait qu’il s’appelait Allan ou peut-être Adam et qu’il avait accompagné Link Wray, les Cars, les Tubes et d’autres groupes aux noms incompréhensibles. Nous n’apprîmes son vrai nom que le lendemain : en réalité, il s’appelait Atom Ellis. Si un jour la ville de San Francisco lui dédie une plaque de rue, on pourra y lire : Atom Ellis, mighty sauveur des Flamin’ Groovies.

    Signé : Cazengler, flamin’ crouni

    Flamin’ Groovies. Le Petit Bain. Paris (75). 25 juin 2019

    PS : au fait, où en étions-nous restés des exploits de Monsieur Jordan, le Groovy gentilhomme ? À Seymour Stein qui en 1976 allait relancer la carrière des Groovies avec l’album Shake Some Action. Dans ce Part Three, souvenez-vous, Cyril proposait à Stein d’emmener ses label mates, les Ramones, tourner en Europe. Et on en déduisait que grâce à Cyril, l’Angleterre allait faire une sacrée découverte. Tous les témoins sont formels : c’est en voyant jouer des Ramones pour le première fois que les Londoniens ont découvert le punk, comme un poule qui trouve un couteau.

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    Et donc, au rythme d’un nouvel épisode du San Francisco Beat dans chaque numéro d’Ugly Things, Cyril retrace les aventures des Flamin’ Groovies, tout en continuant de faire soigneusement l’impasse sur Skydog (Profitons de la parenthèse pour rappeler que sans Skydog, personne en Europe n’aurait entendu parler des Groovies). Nous voici donc en novembre 1975, à Monmouth, au pays de Galles. Quatre heures de route depuis Londres, à bord de deux Rolls financées par Stein. Cyril adore cet endroit et tout particulièrement Little Anchor Farm, un manoir hanté vieux de 700 ans. Il s’entend à merveille avec Dave Edmunds, la gloire locale et ils enregistrent vite fait un hit de Paul Revere & The Raiders, «Sometimes», puis des clins d’yeux appuyés aux Beatles comme «Yes It’s True». Cyril dit aussi donner à sa version du «St Louis Blues» de WC Handy the Liverpool feel, ha ! Il s’intéresse en fait beaucoup plus au manoir hanté de Little Anchor Hill. Pourquoi ? Parce que lui et les autres Groovies ont entendu une femme crier dans le couloir alors qu’aucune femme ne traînait ce jour-là dans les parages. Ha ! Serait-ce un fantôme ? Ils trouvent la clé du mystère dans un livre intitulé Haunted Britain : l’auteur affirme que Little Anchor Hill is the most haunted spot in England, c’est-à-dire l’endroit le plus hanté d’Angleterre. Cyril ajoute qu’il y avait des centaines des millions de mouches à Monmouth. Il n’avait encore jamais vu autant de mouches ! Tons of thousands. Dans l’épisode suivant, Cyril revient sur son cher Shake et rappelle qu’ils jouaient alors lui et James Farrell sur des Gretsch, une Nashville et une Anniversary. Autre détail capital : l’album Shake était très orienté : Stones, Lovin’ Spoonful, Paul Revere & The Raiders et of course les Beatles. Cyril ajoute à toutes fins utiles que le classic era des Stones était celui de Brian Jones. Pour restituer ce son, il dit utiliser les instruments qu’utilisaient les Stones en 1965. Il étaye son propos en citant «Crazy Macy», sur le dernier album des Groovies : eh bien, il joue ça sur une Harmony Meteor et un Vox AC 30, comme le Keef d’«It’s All Over Now» et de «Down The Road Apiece». Il indique aussi qu’«I Saw Her» est inspiré des Charlatans, l’un des groupes qu’il chouchoute le plus.

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    En 1976, les Groovies se préparent à enregistrer leur deuxième album Sire. Comme il songe à taper dans les Byrds avec le fameux «Feel A Whole Lot Better», Cyril sort de l’étui sa douze cordes Rickenbacker stéréo. Il rappelle que «Between The Lines» est un hommage à la coke que tout le monde appelle ‘Charlie’ en Angleterre et que les Groovies, dans leur jargon interne, appellent ‘Whatsit’. Il revient aussi à ses chouchous Paul Revere & the Raiders avec «Ups And Downs». Autre choix marrant : il s’amuse à taper dans les Beatles tapant dans le «Reminiscing» de Buddy Holly. Autre fait marquant : n’oublions pas que l’ex-Charlatan Mike Wilhelm fait son entrée dans le groupe avec Now. Cyril observe enfin que Dave Edmunds s’implique de plus en plus dans le son des Groovies, ce qui n’est pas pour lui déplaire. En fait, il profite des deux pages que lui octroie Mike Stax dans chaque numéro d’Ugly Things pour passer tous ses albums au peigne fin. On le sent vraiment très fier de son œuvre.

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    Cyril et les autres profitent des moments de battement pour aller se balader dans la lande, où rôde dit-il Dieu sait quoi, ghosts and wombats and who knows what else. Un soir, Dave emmène Cyril et Chis dans un pub vieux de 400 ans. Dave conduit sa Mini Cooper très vite, nous dit Cyril, a real speedster, et soudain, dans un virage, Cyril se met à hurler car il voit deux lumières rouges. Dave pile net et ils sortent tous les trois de la Mini pour constater que les deux lumières rouges sont en fait les yeux un chien noir géant ! What ? A giant galloping black dog ! Deux fois plus grand qu’un cheval, précise Cyril dont la mâchoire s’est décrochée et pend comme une lanterne sur sa poitrine ! Ils frissonnent tous les trois de plus belle lorsque le monstre passe près deux au ralenti, comme s’il trottait dans une autre dimension. Qui va aller gober une histoire pareille ? Cyril est un peu triste car aujourd’hui Dave Edmunds nie les faits. No giant black dog ! Sans doute a-t-il peur que ça attire les touristes dans la région. En tous les cas, Cyril reste en cohérence avec sa notion de comix underground. Si on repart de son point de vue, c’est une histoire qui va loin. Comme s’il voulait insinuer que les Groovies existaient dans une autre dimension. Quand on y réfléchit bien, c’est extrêmement intéressant. Encore faut-il savoir prendre le temps de réfléchir à certaines hypothèses, surtout quand elles paraissent saugrenues. Ça n’a l’air de rien dit comme ça, mais ce genre de pirouette est l’une des plus difficiles à réussir. Essayez et vous verrez. Oh, on ne réussit pas du premier coup. On se casse la gueule. Mais ça fait du bien de se casser la gueule.

    Ugly Things # 46

    Ugly Things # 47

    Ugly Things # 48

    (Rien dans le 45 et le 49, donc inutile de les acheter).

     

    Keef Keef bourricot

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    Au fond, c’est une bonne chose qu’un cat comme Keef refasse l’actualité. Depuis cinquante ans, on ne se déshabitue pas vraiment de lui, même si les albums des Stones ont perdu leur pouvoir. Difficile de faire des miracles pendant cinquante ans. Ceux qui font des miracles doivent finir par se lasser. On imagine aisément que Keef ait pu se lasser. Au début ça doit être marrant, «The Last Time», «Jumping Jack Flash», «Satisfaction», ensuite «Gimme Shelter», «Live With Me», «You Got The Silver», «Happy», et puis ça finit par devenir une espèce de routine. Dans le regard de Keef, l’éclat prophétique s’est terni, une sorte de mélancolie propre à ceux qui ont tout vécu semble à présent le voiler. Il est arrivé la même chose à Chuck Berry, victime lui aussi d’une écœurante facilité à faire des miracles. Et ce n’est un hasard, Balthazard, si Keef se sentait intellectuellement apparenté à Chuck Berry. La dimension des génies nous dépasse un peu, nous n’avons d’eux qu’une perception très limitée. Keef, Chuck Berry, Gandhi, Martin Luther King, Victor Hugo, que savons-nous d’eux ? Pas grand chose. Quelques disques, quelques livres, quasiment rien. L’extraordinaire de la chose est qu’on réussit quand même à se goinfrer de ce quasiment rien. Tiens, Keef fait la une de Mojo et ça redevient un événement, comme au temps béni des interviews qu’il accordait au New Musical Express, notamment le fameux «You’re never alone with a Smith & Wesson» qu’on avait lu tellement de fois qu’on connaissait l’ordre des questions et la teneur des réponses. Oui, Keef revient avec ses gros doigts boudinés et un regard souligné au khôl. Il est même bombardé rédacteur en chef du numéro et il rip the joint avec un choix d’articles extrêmement keefy : Muddy Waters, Bobby Keys, Peter Tosh et Norah Jones. Écoutez ce que dit cet homme en page 6, pour présenter la sélection de cuts rassemblés dans la compile jointe au mag : «Just the playing of music is one of the most civilized things I can think of.» Et il fait mettre civilized en ital, pour bien insister sur la notion. Eh oui, Chuck Berry incarnait cette notion de civilisation, son ring ring goes the bell balayait toute la haine des racistes blancs d’Amérique et d’ailleurs. Avec sa guitare, Chuck niquait les rednecks, with their guns up their asses. Et Keef continue de vanter les mérites de la musique, disant que les musiciens sont des mecs bizarres, car une autre conversation se fait pendant qu’ils jouent ensemble. Il appelle ça The other language. Avec bien sûr un accord préalable, ce qu’il appelle un agreement. Pour lui c’est ça, the civilized thing. Les mecs jouent ensemble au lieu de se taper dessus. Dans la compile, on retrouve bien sûr Chickah Chuck, mais aussi Jimmy Reed, Pattie Labelle, Willie Mitchell qui a écrit des arrangement pour Talk Is Cheap, les Coasters, Funkadelic, Dion, pas mal de Rastafaris et Muddy Waters. Keef dit qu’en découvrant Muddy à l’époque, il découvrit la notion de power. The inner power.

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    C’est Robert Gordon qui se charge de l’article sur Muddy. Oh la belle double : on y voit Muddy gratter sa gratte et sa femme Geneva l’enlace. L’image parfaite. Tous ceux qui ont lu la bio de Robert Gordon sur Muddy savent pourquoi cette femme est belle et à quel point elle est vitale dans l’histoire de Muddy et donc du blues et donc des Stones : Geneva eut la grandeur d’âme d’accepter que Muddy ait des fiancées à droite à gauche et des enfants avec ces fiancées. Cette façon de tolérer les choses relève de la plus haute intelligence. Mais cette histoire ne passe pas toujours très bien quand on la raconte, ici ou là. Figurez-vous que des gens ne comprennent pas qu’on puisse tolérer des vies parallèles. Ça permet toutefois de conforter l’idée de base : l’intelligence, c’est comme le manque d’intelligence, ça se voit comme le nez au milieu de la figure. Dans l’article, on tombe sur une autre image à caractère historique : ça se passe chez Chess et on voit la triplette de Belleville autour de Leonard le renard : Muddy sous sa pompadour, Little Walter soufflant un coup d’harmo et Bo avec ses Gretsch rectangulaire et ses lunettes à montures d’écailles. Que dire d’autre que Wow ? Wow !

    Keef a 75 balais. Quand on lui demande comment il arrive à sauver les apparences (maitain that chic physique), il répond ceci : «I get up. Ummmm. And then, uh, you know, I sit down. I don’t do none of this trotting around, I think it’s bad for you. It’s bad on the joints, especially on concrete. I don’t go with that. It’s just not for me.» Ça nous rassure de savoir que Keef ne fait pas de jogging comme les autres vieux. Il est un peu comme Mick Farren, pas question de lui faire enlever ses boots. Il annonce qu’il a stoppé la booze. Il se contente d’un verre de pinard pendant les repas et d’une Guinness de temps en temps - It’s like heroin, the experiment is over - Mais il ajoute que si tu le croises dans un bar et que tu lui offres un verre, il ne saura pas le refuser - I wouldn’t turn it down. I’m not a puritan on these matters. It’s just that it’s not on the daily menu any more - Ce qui frappe le plus chez Keef et ce depuis toujours, c’est la classe des réparties, l’extrême agilité à tourner des formules tellement anglaises qu’elles en deviennent indécentes d’élégance. En français, on ne penserait jamais à dire «Je ne fais pas le puritain dans ces cas-là.»

    Alors bien sûr arrive sur le tapis l’histoire de la longévité du groupe : Keef et Jagger, 75 balais, Charlie Watts 78 et Ronnie Wood 72. Keef espère continuer - If you give me 80,000 people, I feel right at home - Il ne veut pas décevoir les gens - The smell of the crowd, it gets ya ! - Et nous voilà de retour en 1988, au moment où Jagger fait ses disques et ses tournées solo. Keef le vit mal et après avoir insulté Jagger dans la presse, il change de tactique et commence à bricoler des cuts dans son coin avec Steve Jordan, le powerhouse new-yorkais. Oh, il insiste bien pour dire qu’il ne voulait pas démarrer un autre groupe, car dit-il, the Rolling Stones is a full time job, mais comme il ne se passe rien cette année là, il rassemble quelques amis - Suddenly I realized, God, it’s like I’m at the beginning of the Rolling Stones again - Et pouf, Bobby Keys entre dans la danse. Keef invite Waddy Watchel, un blanc qui a joué avec Linda Ronstadt et Ivan Neville, le fils d’Aaron. Et puis tiens, on va appeler tous ces mecs the Xpensive Winos. «We started to come up with some interesting songs», croasse Keef.

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    Dans les futurs livres d’histoire, les spécialistes diront que Talk Is Cheap est un chef-d’œuvre de l’ère Richardsienne. Ne serait-ce que pour ce règlement de comptes intitulé «You Don’t Move Me» - It’s no longer funny/ It’s bigger than money/ You just don’t move me any more - Jagger s’en prend plein la gueule. C’est Steve Jordan qui bat le beurre dans cette cambuse. Pif paf, il cogne dur et Keef sculpte son monde magique d’une voix de mineur cacochyme. Quelle admirable musicalité, c’est bardé de clameurs démentes. Pour cet album, Keef est allé enregistrer à New York, puis dans le Sud : il voulait Willie Mitchell et les Memphis Horns sur l’album. Mais aussi d’autres légendes à roulettes comme Bootsy Collins, Maceo Parker, Sarah Dash de Labelle et Johnnie Johnson qui en 1953, avait embauché à Saint-Louis un jeune guitariste nommé Chuck Berry. L’autre coup de génie de l’album s’appelle «How I Wish», c’est le hit universel avec de la mélodie plein la gueule, il n’existe rien d’aussi seigneurial dans l’esprit rock d’Angleterre. Keef chante à la véhémence, comme s’il bramait à la lune dans les causses. Il est pendant quelques minutes le roi du monde, le temps d’une chanson parfaite, il tombe dans un océan de chœurs achalandés et de clameurs grandioses. Steve Jordan mène tout ça à la baguette, sec et net et sans bavures. Il faut aussi écouter «Whip It Up» car Keef l’attaque à la Stonesy et un certain Charley Drayton rentre dans le lard du cut à coup de bassmatic. Voilà LE hit décadent par excellence. Keef est l’Oscar Wilde du rock d’Angleterre, c’mon baby et les filles derrière braillent whip it up. Il faut le voir relancer son hit à la seule force de son intelligence de rocker épouvantablement doué. Keef n’est pas un rêve, brother ! Bobby arrive avec son sax texan à la main et Keef force une voix qu’il n’a pas à coups de baby baby ! Rien d’aussi devastating, whip it up ! Les descentes de basse sèment la confusion dans les rangs. Franchement, c’est très spectaculaire. On retrouve l’un des bassmen favoris de Keef sur deux cuts : Joey Spampinato de NRBQ. Il vient sonner les coches du rumble dans «I Could Have Stood You Up». Et qui joue du piano là-dedans ? Oui, tu l’as deviné : Johnnie Johnson ! Oh boy ! Et Mick Taylor gratte sa gratte. C’est mieux que de gratter ses poux. Ah les brutes ! Le NRBQ joue aussi sur «Rockawhile», encore un cut visité par la grâce. The greatness of the groove according to Keith Richards. C’est aussi rampant qu’un gros reptile. Rockawile ! Rock in style ! On entend Ivan Neville jouer du piano sur «Locked Away», un hit mélodiquement parfait. Ce diable de Keef n’en finira donc jamais de créer l’événement ? Il revient au rumble de groove à retardement avec «It Means A Lot». Le groove qu’il jette dans nos tranchées met du temps à sauter, Keef se situe là, dans la longueur de ce temps, c’est excellent, il chante what does it mean et les autres lui répondent It means a lot, mais dans le décalage du groove de Keef. C’est infernal. Un bassmatic de rêve dévore le cœur du groove. Étonnamment, la magie opère dès le cut d’ouverture, «Big Enough». On sait tout de suite qu’on entre dans un album hors d’âge. Le son saisit. Les Winos jouent au maximum des possibilité du power rock. Keef chante comme il peut mais quel buzz down the road apiece ! Bootsy on bass et Maceo Parker on sax, avec eux soyez certains d’atteindre le cœur d’un mythe qu’on appelle le groove. Steve Jordan y bat le beat du tambour des galères. Retour à la Stonesy pure et dure avec «Take It So Hard». Keef s’étrangle à le chanter. Steve Jordan passe au bassmatic. On a même du shuffle de chœurs. Ce n’est pas un album de tout repos, oh no no no ! On retrouve la même équipe sur «Struggle». Keef a du pot d’avoir ces mecs-là derrière lui. Steve Jordan tape comme un sourd et Keef chante comme une ablette dévoyée, c’est extrêmement rock’n’roll. Keef se prend à son propre jeu. On entend rarement des grooves cognés aussi violemment. Keef duette avec l’immense Sarah Dash sur «Make No Mistake». Elle vient dasher dans les bras de Keef. Fucking sensuality !

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    Dans l’interview, Keef épilogue sur la nature de sa relation avec Jagger. Il évoque un amour fraternel et donc des crises de jalousie. Mais ça n’affecte pas leur mode de fonctionnement - It is a strange relationship, I’ll give it that. Strange, and very long - Pendant l’interview, il fume à la chaîne. L’interviewer lui demande s’il compte arrêter de fumer et Keef lui dit qu’il a essayé mais que ça n’a pas vraiment marché. Keith Cameron cite Lou Reed disant qu’il est plus difficile d’arrêter la fumaga que l’héro et Keef acquiesce : «Arrêter l’héro, c’est l’enfer - it’s hell, but a short hell.» Il ajoute qu’il essaye quand même de réduire sa conso. Et ça marche. Il s’aperçoit qu’il n’en a pas besoin, et c’est exactement comme ça qu’on arrête de fumer. Tout à coup, on trouve que ça ne sert plus à rien de fumer. A useless habit, comme dit Keef. Il avoue aussi être marié depuis 35 ans avec Patti Hansen. Le secret de cette longévité ? - I found somebody that could put up with me, man. You don’t run away from that. Bless her heart - Et quand Keith Cameron lui demande si le fait d’atteindre un âge aussi vénérable que le sien lui apporte une certaine forme de sagesse, Keef croasse : «Je ne pense pas qu’on atteigne cet âge sans rien apprendre.» Et il se penche pour murmurer d’un ton de conspirateur : «J’ai déjà dit ce que j’avais de plus sage à dire lorsque j’étais très jeune, hee heee hee heee.» Mais au fond, il n’aime pas la notion de sagesse. Il préfère parler d’expérience. Puis il ajoute le point essentiel : ne pas rester coincé dans le passé. Aux yeux des tenants de la modernité, il se contredirait presque en avouant un profond mépris pour les réseaux sociaux et les téléphones - I’ve never liked phones, you see - Il explique ça très bien, car quand on devient célèbre à 19 ans, le téléphone sonne tout le temps, et ce sont toujours des gens qui te demandent des trucs. Alors évidemment, les portables, c’est encore pire. Oh no ! Il ajoute que les gens qui le connaissent savent qu’il n’a pas de phone. C’est une élégante façon d’expliquer que la modernité ne passe pas par le smartphone. Au dix-neuvième siècle, on appelait cette tournure d’esprit le dandysme. Keith Cameron conclut l’interview avec un compliment : «You seem a sunny character at heart», ce qu’on pourrait traduire par : «Vous semblez être quelqu’un de très chaleureux.» Et Keef rétorque : «Essentially, yeah !» Bon d’accord, il y a eu des moments difficiles, mais avec un peu d’optimisme, on passe à travers - Nobody said it was easy - C’est du pur Keef.

     

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    La réédition de Talk Is Cheap fait l’actu de Keef. On en profite pour ressortir du placard l’autre chef-d’œuvre de l’ère Richardsienne, Main Offender. On croyait les Stones finis à l’époque. Grave erreur : écoute «Runnin’ Too Deep» et tu retrouveras la Stonesy dans tout son éclat. Et avec l’autre fou de Steve Jordan derrière, ça redevient très sérieux. Keef sait très bien ce qu’il faut faire pour relancer la Stonesy. Back to the basics ! On retrouve ce fou de Steve Jordan sur le «999» d’ouverture. Ivan Neville nous nappe ça sec. On appelle ce genre de mecs des brillants mercenaires. Don’t panic ! Ah ha ! Keef embobine tout le monde. Il claque son rock à la jouissance prévisible, here we go ! Toute sa vie, Keef a gratté sa gratte pour la seule gloire du rock. Quel bâtard de son ! Il faut le voir passer au dub avec «Words Of Wonder». Il sait tiguiliter la note, en plus. Effarant de keefitude céleste ! Encore une belle sinécure avec «Yap Yap» - I hear it’s okay, yeah yeah - Quelle fabuleuse entrée en matière ! Keef joue de la basse. Il n’a besoin de personne en Harley Davidson. Yakety yap ! here we go ! Babi Floyd et Bernard Fowler font le Yap Yap dans le groove du grand Keef qui chante à la sourdine mal réveillée, Yap Yap you talk too much. Il reste dans le heavy groove avec «Wicked As It Seems». Charley Drayton fait gronder sa basse à l’ancienne, Keef chante au rauque et Steve Jordan frappe sa caisse claire comme s’il la haïssait. No way out, font les Winos - Why don’t you go/ All over me - Cet album est une nouvelle leçon de choses. Keef obtient ce son sec incroyablement beau. Il se paye ça comme on se paye une bague de pharaon dans le souk du Caire. Retour à la Stonesy avec «Eileeen». Keef sait claquer un accord au coin du bois. Steve Jordan frappe de plus en plus fort. Quel sale mec ! Personne ne lui dit rien. Qui oserait ? Il frappe avec le venin du killer. Il mord la cuisse du beat. Le beat n’a aucune chance d’en réchapper - What do I do - C’est tendu à se rompre. On est dans l’osmose de l’égalité des chances, Keef donne tout le loisir au choix, il le laisse venir à lui. Il ultra chante au souffreteux, c’est encore une fois d’une classe épouvantable. Ah tu parlais d’aristocratie du rock ? On est en plein dedans.

    Signé : Cazengler, Keith Ricard

    Keith Richards. Talk Is Cheap. Virgin 1988

    Keith Richards. Main Offender. Virgin 1992

    Keith Cameron : The right stuff. Mojo # 305 - April 2019

     

    MONTREUIL / 21 – 06 – 2019

    COMEDIA

    SHEITAN & THE PUSSY MAGNETS

    BENDER / CRITTERS

    Fête de la musique. Gros attroupement Croix de Chavaux, apparemment un groupe à la Pink Floyd, Râoulex King Trio en extérieur à l'Armony, m'arrête pour saluer Raphael Rinaldi qui nous a fait don des photos de Tony Marlow et David Evans voici quinze jours, mais ce soir pour moi c'est la Comedia ou rien, cette goutte de néant qui manque à l'absolu affirmait Stéphane Mallarmé. Comme je n'ai pas réussi à mettre la main sur le rien, me voici à la Comedia. Ici la fête est beaucoup plus existentielle qu'ailleurs. Une ZMAD, zone musicale à défendre.

    SHEITAN & THE PUSSY MAGNETS

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    Nos gens sur scène. Densité maximale. Cinq de Villejuif. Le diable et ses accros de la vulve, rien que cela. Remarquez que c'est plus sain que nos gouvernants qui s'accrochent à leur pouvoir. Z'ont un synthé. On a beau dire mais un orgue dans un groupe c'est comme un ogre dans un conte de fées, ça change tout. Surtout s'il est bien joué, s'il ne bouffe pas le son des acolytes, s'il densifie, s'il ne passe devant que lorsqu'il faut signifier au public que l'instant est important et mérite d'être souligné au fluo rouge. Bref à peine ont-ils démarré qu'ils nous offrent une matière grasse et ondoyante dans laquelle l'on pressent qu'il y aura à donner forme. L'on n'est certainement pas dans un combo punk, mais le diable se niche aussi dans la musique moins sauvage, davantage cuisinée. Le cru et le cuit, raw or cooked, parfois il est bon de se sustenter des deux.

    Rawad pose sa guitare à terre et se saisit de son micro qu'il approche de sa bouche de ses deux mains. Il ne chante pas, il conte, il évoque. L'on ne sait quoi, mais toutes les légendes et toutes les proférations contiennent leur part de sublimité. L'a la voix envoûtante, cela permet à chacun de se raconter ce qui chez lui engendre le rêve. La musique se densifie autour de lui, nous sommes chez des amateurs de ce que je réunirais sous l'appellation incontrôlée de rock anglais poétique, un vaste diagramme qui court des Zombies d'Odessey and Oracles à David Bowie. Que l'on retrouve aussi bien dans les groupes de heavy rock qu'expérimentaux. Une plus grande importance accordée aux paroles et aux gradations musicales. Avec le risque de se perdre dans les arrangements pompiers et les lyrics de carton pâte.

    Mais nos Sheitanistes ont flairé le piège. Alternent les passages lyriques avec des sautes d'humeur dignes des Pretty Things, subitement l'orage tombe sur le pays des merveilles et tout se met à tanguer salement. Dans les jeux de pile du hasard ou face du destin, il suffit de parier sur les deux côtés pour emporter la mise.

    BENDER

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    La balance a déclenché la suspicion. Vous ont envoyé deux fragments de morceaux à raser la moitié de la ville. Dès le début du set ils ont commencé et nous ont démontré de quoi ils étaient capables. Un par un. ( Heureusement ils ne sont que trois ! ). Davy vous écrasé la production mondiale des croquettes en un tour de main sur ses toms. Pulvérisation optimale. S'est arrêté pour laisser la place à Sloog. Rassurant, un bassiste ça doome certes, mais dans les limites du raisonnable. Pas de chance, celui-ci s'est débrouillé avec ses quatre malheureuses cordes pour atteindre le même volume sonore que son confrère batteur, avec en plus le couinement désagréable du goret que l'on égorge. Puis l'a laissé la place libre à Agabawi. Là on pressentait : avec sa chevelure sauvage et sa taille de géant, il ressemblait au chef des barbares qui mène l'attaque contre les légions romaines dans Gladiator, alors quand il a écrabouillé la planète sous son bombardement de riffs, l'on s'est dit que notre dernière heure était proche. Evidemment son petit numéro de dissuasion active terminé, sont partis tous les trois ensemble. Au bout de dix minutes nous bougions encore sous l'éboulement terrifique, faut l'avouer, c'était bon, mais bon pour combien de temps ! Et c'est là que le miracle a eu lieu. En pleine tempête, l'on a entendu une étrange modulation, c'était Agabawi, sur sa guitare, l'alcyon s'est posé sur les flots en colère et la beauté du monde nous est tombée dessus.

    Ne nous ont pas fait le coup de l'arrangement toile arachnéenne qui se balance mollement sous la brise matinale, non c'était épais comme la chape de béton qui recouvre Tchernobyl, du solide, mais aussi immémorial que la frise du Parthénon, Davy a carrément abandonné son poste de drummer fou, s'est saisi du micro et a entonné d'une voix de berceuse affermie un hymne voué à l'on ne sait quel dieu du néant, un chant de remerciement et d'apaisement. Et l'on a senti la respiration régulière du grand cobra endormi. Un étrange sentiment de sereine puissance a inondé les cervelles de l'assistance. Pas de doute on était à l'intérieur du paradis.

    Vous vous en doutez, si les pires choses ont un début, c'est que les meilleures possèdent une fin. Et en moins de temps qu'il n'en faut pour compter jusqu'à 0, 3, l'on s'est retrouvé en enfer, dans le style grand arasement final, Bender a bandé toutes ses forces et nous a ramenés dans l'apocalypse éternelle. Un tourbillon sans fin, une trombe dévastatrice, une onde mortelle qui vous précipite par les fenêtres du vingt-cinquième étage, votre corps éclaté au pied de l'immeuble comme une outre crevée gonflée de sang. Flaque existentielle dans laquelle les sangsues du désespoir viennent se désaltérer.

    Certes le calme est de retour, alors qu'il ne va plus rester une goutte de votre hémoglobine, mais avec plus d'ampleur, Agabawi se lance dans une mélopée, un chant puissant, sorti de ses entrailles de colosse, il clame tel un baryton d'opéra au dernier jour d'un cycle finissant. La mort et la vie étroitement emmêlées dans son gosier. Nous ne savons plus si nous marchons sur des cendres ou parmi un incendie. C'est cela Bender une force qui va droit devant, qui respire fort mais qui n'arrête jamais sa marche. Traverse la chaussée des géants et les clairières heideggeriennes de l'être au pas de course. Partent d'avant le mal et se dirigent au-delà du bien, du néolithique au cosmique. Braconnent le cobra. Recueillent le venin. Vous donnent à boire. Si cela ne vous a pas tué, c'est que cela vous a rendu plus fort. Il vaut mieux que vous n'ayez pas entendu le growlement hideux de Sloog à la fin du dernier morceau. Le crachat qui tue.

    Grosse impression.

    CRITTERS

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    Il est des malfrats qui mettent trois ans à préparer le cambriolage du siècle. L'heure fatidique arrive, la veille la combinaison du coffre a été aléatoirement changée par un programme informatique dont ils ignoraient l'existence. Pas du tout la manière de faire des Critters. Eux, sont les adeptes du vite-fait, bien-réussi. Des chevaliers de la vieille pince-monseigneur. Pour les précautionneux qui ont installé une porte blindée, ils ont quelques bâtons de dynamite en réserve. Vous dégoisent vingt appartements en une matinée. Ceci n'est pas juste une image, mais une image juste. Vous alignent les titres comme se succèdent les torpilles dans les tubes-lanceurs des sous-marins. Touché, coulé, vite une autre, et au suivant. Ne vous prennent pas en traître vous annoncent la prochaine chanson, à peine ont-ils terminé la précédente. C'étaient les Critters en théorie.

    Les voici en pratique. J'ignore ce qu'ils ont contre leur batteur, mais ils le cachent. Font le mur avec leur guitare comme au foot pour le pénalty. Posent devant lui le bassiste, des pectoraux d'athlète grec, pour faire phantasmer les filles il les a recouverts d'un filet à mailles larges qui attise le désir de ces fruits juteux en même temps offerts et retranchés. Ne reste plus qu'une solution au bat-man, puisque l'on ne peut le voir, on l'entendra. A l'énergie qu'il dégage doit lui falloir trente-six heures de caisson oxygéné pour se remettre, à la cadence où il tape on les soupçonne de l'avoir remplacé par un robot de la dernière génération, un prototype dernier-cri de l'Intelligence Artificielle. J'ai vérifié, c'est bien un être humain, pas de tricherie, le gars doit avoir le système nerveux qui fonctionne à la fission nucléaire. Impact de grêlons gros comme des œufs d'autruche sur la batterie.

    Très logiquement, si les deux guitaristes veulent se faire entendre doivent trimer comme sur un trimaran. Perso je filerais ma démission. Eux ça les botte, ça leur plaît, ils en rigolent, ils en raffolent, ne pataugent pas dans la colle, ils volent au devant des difficultés, ils échangent des riffs comme s'ils se trucidaient au scalpel, au plus près, un foulard de trente centimètres ente les dents à la manière d'un lien ombilical par qui transite la rage et l'énergie. Critters au cran d'arrêt qui n'arrête pas. Des coups brefs mais font jaillir des geysers de sang et de lymphe à la manière du montage final de La Dernière Horde. C'est que la bêtise du monde contre laquelle ils se battent est une baudruche crevée qui refuse de se dégonfler. Même que peut-être a-t-elle tendance à enfler ces derniers temps. Qu'importe ils rajoutent de la hargne à chaque morceau : Guerre, Crève, Délire, Marche, Mort, Contrôle, vous dessinent le monde en pointillés comme ces tracés sur les fascicules destinés aux enfants. Si notre monde était une rose, les Critters en seraient les épines. Empoisonnées.

    C'est l'Héracles grec qui chante. Le héros est aussi le hérault. Vous jette les mauvaises nouvelles à la figure, l'a le chant saurien, coupe les phonèmes qui dépassent, ne noie pas le poisson dans l'eau douce, vous ébouillante les crustacés, et leurs pinces coupantes en un ultime spasme vous cisaillent vos dernières illusions aux racines. Ecouter les Critters équivaut à danser Au-dessous du Volcan de Malcolm Lowry. Et personne ne s'en prive, vous communiquent la joie vicieuse des révoltés qui n'abdiquent jamais. Trois rappels aussi incandescents que des illuminations rimbaldiennes. C'était une saison en enfer avec les Critters.

    RETOUR

    Devant L'Armony et sur la Croix de Chavaux les concerts se terminent, je ne m'attarde pas, tel un bateau pirate, suis rempli d'or jusqu'aux écoutilles, et je me hâte vers mon repaire. C'étaient les fêtes du rock'n'roll.

    Damie Chad.

     

    THE CENTURION'S SERVANT

    BENDER

    ( 2019 )

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    Rigil Kent : guitars, synthé, vibraphone, vocals / Agabawi : guitars, keyboard, ukelele, vocals / Sloog : bass, vocals / Davy : drums, keyboard, theremin, vocals / + Alexis Noël saxophone.

    The Centurion's Servant : décliné en quatre mouvements : Part I : Enterred Capernaum : bienvenue dans le capharnaüm, rythme entraînant malgré quelques échardes fuzziques, il semble qu'au bout du couloir certaines marches soient plus difficiles à monter ou à descendre, l'on ne sait plus où l'on en est. / Part II : Under my roof : voix fine de chaton qui miaule, puis c'est l'accompagnement orchestral qui se joint à la chorale insipide, d'autant plus inquiétant que beau, dépaysant. Au loin et tout devant un instrument se plaint. / Part III : Sick and ready to die : moane encore longtemps mais le son s'agonise de lui-même. Bientôt remplacé par des hululements synthétiques. Même le blues se vend sous forme de plastique irrécupérable. / Part IV : Tuning to the crowd : retour à la vie, une voix qui s'affermit, et la musique prend de l'ampleur, montée progressive qui s'éteint brutalement. Mercury Signals : tournoiement des hélices du caducée mercurial pour inaugurer un chargement énergétique sans précédent. Living dead cat : pas vraiment un nouveau morceau, une suite qui s'accélère, des chœurs qui fusent de partout comme si l'on écrasait l'accélérateur sur un échangeur d'autoroutes. Cela se termine par un jeu de batterie qui épouserait les ondoiements grandiloquents d'un orchestre symphonique. Mais en accéléré. Et puis des voix innocentes d'enfants qui viennent de faire une grosse bêtise. Ghosts Place : une guitare seule rejointe par des voix peu fantomatiques, sur un nappé d'orchestration qui recouvre les îles du remord, suivies d'une espèce de vocal processionnaire, une marche en avant dans le noir intérieur. What's in your bag? Can we save Iggy ? : une intro nettement plus rock'n'roll, des voix traitées à la mode groupe filles-sixties, la question métaphysique de la salvation du Pop iguanéen se déroule sur des guitares impertinentes qui tirent la langue. S'interrogerait-on sur le destin du rock en se remémorant ses sources ? La réponse est emportée dans le vent joyeux d'une dernière ronde. Est-ce vraiment si important ? Pray the king : apparition majestueuse de l'orgue, comme quand votre cousine était entrée dans l'église le jour de son mariage. Deuxième mouvement : moins de grandiloquence, les festivités commencent. Cobra is missing : changement d'ambiance, au bout du chemin l'on ne trouve pas toujours ce que l'on désirait. Peut-être fallait-il regarder davantage dans le capharnaüm de son cerveau et ne pas croire les promesses qui rendent les fous joyeux. L'absence du cobra n'a pas l'air d'être une catastrophe irrémédiable. The Centurion's Servant : Part V : l'est temps de tirer la leçon de cette épopée qu'il faut bien se résoudre à nommer en fin de compte burlesque. En queue de poison insidieuse. Quand la promesse ne tient pas ses promesses, le plus sage n'est-il pas d'aller se coucher.

    Un disque ambitieux. Pochette énigmatique pour une citation évangélique. Une mer houleuse et romantique, et le serviteur du centurion en maillot de bain. Ce qui est sûr c'est que les légions ne sont pas là. Les rêves de conquête se dissipent-ils à la vitesse d'une vague qui se retire ! Au dos de la pochette la mariée est bien seule. Mariée basse. Après les illusions perdues vivons-nous l'époque des désillusions retrouvées ? Si le cobra est mort, sur quel autre rivage braquer nos désirs ? Ceci n'est qu'une interprétation. Les disques de rock qui font réfléchir sont assez rares sur cette planète. Soyez curieux. Il paraît que cela rend intelligent. Ce dernier trait de caractère est d'une impérieuse nécessité pour ceux qui veulent survivre. Exemple à suivre : Iggy sur la galette qui sort du congélateur.

    Damie Chad.

    HILL'S LIGHT

    BENDER

    ( Octobre 2014 )

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    Pochette vert tendre et dessin naïf. Représente tout de même aussi bien notre planète que l'œuf cosmique originel. Bender est un groupe à surprises. Le disque précédent possède bien quelques accointances avec le concert beaucoup plus rentre dedans, mais ici nous remontons près de cinq ans en arrière et nous voici loin de notre présent rock. L'ambiance est définitivement cosmic trip.

    Sad little bird on the rain : je ne sais pourquoi – en fait si – à la seule lecture des titres j'ai pensé aux Doors, instrumental tout lent avec en fond des roulements de voitures sur une highway de plus en plus prégnants, c'est la pluie qui tombe sur le pauvre petit oiseau tellement triste qu'il est aux abonnés absents. Matchbox : une comptine enfantine sur le destin d'une allumette, mise en scène d'une voix mélodramatique sur une musique qui flambe. Etincelant et fugace comme un feu de paille. The house : une chanson d'amour toute douce qui égrène ses notes sans se presser, la voix qui traîne, un parfum american folk indéniable, mais la pression arrive plus vite que prévue, et tout redescend tout doucement pour repartir à l'assaut du bonheur. Ce coup-ci l'on pense à Neil Young. Jet lag : des paroles à la dérive colorée planétaire à la Hendrix, mais pour les éclats coupants de guitares vous repasserez, quoique à la fin on s'en rapproche un peu. Airplane's starway : la suite de la précédente, ne pleurez pas les disparus, ils sont très loin et très heureux. Arpège de guitare et voix composées. Harmonies rassurantes. A river of stars : pourquoi se faire tant de soucis sur cette terre puisque bientôt ta poussière volera dans les étoiles. Pas très gai tout de même, c'est sans doute pour cela que la musique se fait incisive, la voix plus lyrique pour vous convaincre de la beauté du chemin des étoiles. Serions-nous en pleine philosophie hippie. Fallen angel : plus dure est la chute, les anges tombés du ciel ne m'arracheront pas de cet espace-temps dans lequel je suis englué. Si la musique devient si violente, serait-ce la marque du désespoir. Le roi Cobra : puisque tu ne vas pas à lui, le roi Cobra vient à toi. La joie déborde, la musique danse, les lyrics s'emmêlent et puis s'exaltent. Des guitares tire-bouchonnent. C'est la fête. La grande fête venus des lointains de l'espace. Bender 3000 : musique compressée, elle a voyagé à la vitesse de la lumière, rien de punk, elle vient du futur, vautrez-vous sur vos petites amies et laissez faire le temps. Il arrive. Avenir radieux. Hurlements de joie. Bend the time : message ultime, détache-toi de toi, sois comme moi poussière d'étoiles capable de renaître en d'autres univers. Le mot joker ''amour'' n'est pas prononcé mais c'est ainsi que se construit les attractions merveilleuses. Qui l'entendrait sans rire en ce nouveau siècle. Ce disque sent son San Francisco à plein nez. Décidément chez Bender les disques se succèdent et ne se ressemblent pas.

     

    CHELSEA SIDE

    BENDER

    ( Septembre 2015 )

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    Un an plus tard. Un graphisme de pochette similaire, mais bye-bye l'œuf orphique, l'omelette est moins bonne que prévue, le Grand Cobra est encore présent, l'est au prise avec ce que nous nommerons au plus vite l'ange du mal, ou l'ectoplasme actif de la Cité des hommes. La pauvre bébête n'est pas à la fête, prend des coups, à l'instar de la Statue de la Liberté elle porte une couronne sur la tête, mais elle ne rayonne point, semble plutôt une tiare d'épines christique.

    Sunday morning : le soleil ne brille pas toujours, l'incompréhension s'installe entre les êtres, musique en urgence emballe sec, mais si tu n'es pas capable de survivre c'est moi qui m'éclate. La cervelle contre le mur. Chelsea side : balade fallacieuse en la grosse pomme. L'est remplie de clichés qui correspondent à la réalité. The dream is over. Du côté de Chelsea le quartier artist, c'est sûrement mieux. L'on se réfugie toujours dans ses propres légendes. Se termine par un petit harmonica tout ce qu'il y a de plus country. Song A : en apparence une belle chanson d'amour, avec cette musique qui glougloute au début et puis le rock s'en mêle comme le doute s'insinue en votre esprit. Chanson de rupture, entre ce ce qui part et ce qui revient. Sans doute pas au-même. Le morceau explose en plein vol. Parfois l'on en dit moins pour en sous-entendre plus. Charivari final. Fallen Angel : deuxième version de l'ange aux ailes cassées. Trémolo dans le vocal. Il semble que l'on ait pris conscience de l'ampleur du sinistre. La vie ne fait pas de cadeau. Les médicaments les plus amers sont ceux qui ne vous soignent pas. La musique n'essaie même plus de faire passer la pilule. I love you little N. Y. C. : amour, haine et déception. La pomme est empoisonnée mais l'on aime y mordre encore une fois. La musique chavire entre le bien et le mal. Batterie élastique. Airplane's starway : l'on reprend l'ascenseur ( presque to heaven ) de la galette précédente. Entrée funèbre, et puis les cendres volent et deviennent poussière d'étoile. Etrange on dirait que cette fois l'on y croit moins. Le monde a changé. Le regard que l'on porte sur lui aussi. Moins de confiance. Hangover : le retour du bâton, je vais vous montrer de quelle gueule de bois je me réchauffe. Splendeurs tonales, toute la mélancolie des rêves brisés. Le grand Cobra n'est-il pas le ver solitaire qui me ronge de l'intérieur. Très beau morceau.

    Etranges ces deux disques. Sonnent américains. Je veux signifier par cela qu'ils ont une qualité d'enregistrement exceptionnelle. Surprenante pour un groupe qui vient de Toulon, mais à consulter le site de Vivarium Production, l'on se dit que Bender a trouvé en cette bonne ville méridionale une pépinière créative en pleine action. Les deux disques sont de même facture mais en un an que de progrès et de maturité acquises. Bender, un groupe à suivre et à surveiller.

    Damie Chad.

     

    30 / 06 / 2019MONCEAU-LES-MINES

    ADA III

    404 ERROR

    ADA, rien à voir avec l'Ada ou l'Ardeur de Nabokov. S'agit de l'Assemblée des Assemblées, liée au mouvement des gilets jaunes. Ne pas confondre avec les tuniques bleues. Beaucoup de parlottes sur les bienfaits de la sainte démocratie pendant que l'Etat aiguise ses serres et que les banquiers entassent les billets. Vaudrait mieux un bon Kick Out The Jam préconisé dès 1967 par le MC 5, mais dans la vie il nous échoit souvent plutôt le pire que le meilleur. Bref cherchez l'erreur. J'ai fini par la dénicher, pour une fois le flair légendaire du rocker n'a pas eu à s'exercer, elle est venue toute seule, par la porte d'entrée et de sortie des oreilles.

    Un petit roseau m'a suffi disait Henrier de Régnier, je suis un peu plus exigeant, me faut un bon balancement électrique, bien cadencé, cela m'arrache de ma chaise automatiquement et mes pas m'entraînent vers le corps du délit – peut-être pour échapper à l'irrémédiable éclat de celui de la Délie – en l'occurrence la fameuse 404 Error. Me presse donc, l'on doit être cinq sur l'ère goudronnée, dans mon entrain je dépasse même un gars qui marche devant moi, c'est lorsque je serai appuyé à la barrière que je réaliserai qu'il s'agit du chanteur qui s'en est venu sans doute au fond du cours vérifier le son. Pas de problème, l'orga n'a pas lésiné sur le matos.

    404 ERROR

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    Ne font que des reprises, ce qui est jouissif certes, je le conçois mais qui reste dommage quand on juge de la netteté de leurs épures. Sont plus qu'au point pour apporter leurs petites contributions personnelles aux trésors du rock. Quatre donc. Trois qui jouent, un qui chante. Pa besoin de plus dans la boite à bouillon-cubes. Un défaut tout de même, perdent trop de temps entre les morceaux, et ce d'autant plus regrettable qu'ils connaissent le répertoire sur le bout des doigts et de la langue. Le public, finiront par avoir une bonne centaine de personnes devant eux, n'aura d'ailleurs de cesse de les presser.

    Fine silhouette sombre, ressemble à un coup de pinceau esthétique d'un maitre calligraphe japonais, Juliet, de profil, le visage intermittent, tantôt caché, tantôt dévoilé, par le double flot de ces cheveux de jais, ses doigts épousent les cordes de sa grosse base, elle vous plaque les accords avec la sérénité d'un samouraï pour qui la mort n'existe pas.

    Jean-Mi ne joue pas de la guitare à moitié. Look de brute biker à la barbe fleurie qui casse du bois rien qu'en fermant les yeux. Et ce qui sort de son ampli ce n'est pas de la mouture charançonnée. Un adepte du gros son. A cette particularité près que lui il ne vous déverse pas les tonitruances comme des tombereaux de pierres sur les pieds. Un soigneux. Lui il brode les riffs, à sa manière, l'ajoute son truc en plume d'aigle royal à chaque motif, vous le connaissez comme ça, et comme ceci avec cette échancrure toute en finesse au milieu, qu'en pensez-vous? On est jaloux, on n'aimerait lui reprocher d'être trop perso, mais non, l'on ne peut pas, l'a de l'imagination, mieux que cela de l'inspiration. L'on dirait un pointilliste qui vous colle le minuscule carré magique de couleur qui n'appartient qu'à lui, et le tableau vous prend une ampleur insoupçonnée.

    Le Bob n'a pas intérêt à jeter l'éponge à chaque round. S'active sur ses fourneaux. Pour la cuisson, c'est du rapide, tourné et retourné, vous sert le cuisseau d'alligator tout dégoulinant de sang, même que parfois il remue encore. Vous donne l'impression d'être à chaque instant à la poursuite du break et hop quand vous croyez qu'il va lui échapper, il vous l'azimute d'un dernier coup. Vainqueur par K. O. et tout de suite il se met en quête du suivant avec lequel il a – quel hasard – un compte à régler. Lui apure l'addition finale de bien belle façon. Se fera ovationner plusieurs fois. C'est que ses trois zigomars ils font dans la quinte flush, le truc que vous avez entendu mille fois, ils vous le restituent à l'identique mais de façon totalement différente, l'arrive un moment où il y en un des trois qui vous file un paquet cadeau supplémentaire, Juliet c'est une basse qui démarre à l'amble, avez-vous déjà entendu un dromadaire baraquer dans la nuit au milieu du Sahara, non, alors je suis désolé, je ne puis vous restituer ce bruit si caractéristique, essayez d'imaginer une fin différente à la pièce de Shakespeare, le râle de regret de Roméo agonisant dans les bras de sa bien-aimée, ou alors c'est Jean-Mi qui vous file un solo, une égoïne crissante à la diable, genre le matin quand vous vous vous lavez les dents à la toile émeri pour avoir une bonne haleine fraîche pour le soir embrasser votre petite amie. Le Bob n'est évidemment pas le dernier dans ce genre de facéties monstrueuses, de temps en temps il prend des vacances, vous laisse en suspend, en plein milieu d'une raquellerie monstrueuse, cascade de pièces d'or sur les toms et puis plus rien, une demi-seconde – en rock c'est l'équivalent d'un semi-millénaire – de silence, et au moment où vous commencez à désespérer comme Oreste dans la scène finale d'Andromaque, splash il vous fend le crâne en deux d'un seul coup à la manière du vase de Soisson, et ensuite alors que vous essayez de recoller les morceaux il poursuit son bonhomme de chemin à toute vitesse.

    Mais voici, celui que tout le monde attend. Une horloge sans lézard tourne à vide. Le bon grain sans l'ivraie de la folie est une erreur de la nature. En rock'n'roll si vous n'avez pas un chanteur qui capte l'attention et la tension, vous pouvez aller vous recycler dans la bicyclette sans roue. Nous le certifions Aurel n'a pas été fabriqué avec de la sciure d'isorel perforé. Sait bouger, sait chanter, sait charmer. Pas de stress, si vous le voyez soudain cavaler vers le micro qu'il a posé un peu n'importe où – surtout n'importe où - se débrouille toujours pour le rattraper juste à l'instant critique. Prend de surcroît le temps de s'ébouriffer les cheveux déjà en bataille, et hop il se lance dans le maelström enflammé de ses congénères et tout de suite l'arc-en-ciel vous sourit en pleines pluie diluvienne, ne force jamais sa voix – l'a des facilités comme l'on dit pour excuser les bons élèves d'être trop bons – mais il vous balance les lyrics avec cette justesse et cette conviction qui force le respect. Exemple, sur le Rock'n'roll de Led Zeppe n'essaie pas de se planter sur le plus haut perchoir du poulailler, il le fait en son propre ton sans esquisser une des modulations stratosphériques nécessaires, et ce sera encore plus évident sur le Whole Lotta Love, vous suit les montagnes russes, passant sans encombres des pentes les plus abruptes aux cimes les plus aiguisées.

    Bref un bon concert. Sans surprise, l'on aurait bien encore smoker on the water, un grand moment, en cachette dans les waters, mais vous connaissez la France profonde des couche-tôt, qu'il faut respecter, le concert s'est achevé bien trop tôt. Bref on a eu le meilleur de l'ADA, l'ardeur rock'n'roll !

    DEUX BECASSES D'OR

    attribuées au rigolo qui tenait à interpréter à tout prix J'ai Dix Ans de Souchon, et à la jeune fille qui s'obstinait à monopoliser le micro pour annoncer la dégustation gratuite de choux à la crème à l'autre bout du campus... Il y a des gens qui ne comprendront jamais le sens de la vraie vie ! Kick Out The Jam, motherfuckers !

    Damie Chad.

    GENE VINCENT AND THE BLUE CAPS

    ( in Rock'n'Folk N° 623 / JUII 2019 )

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    Juste pour info et le plaisir de terminer cette année en citant le nom du plus emblématique des rockers. Page 88, du R'N'F 623, vous trouverez une analyse de la pochette du deuxième LP de Gene Vincent due à Patrick Boudet. Pas vraiment un acharné de la sémiotique – ce qui n'est ni un mal en soi, ni un reproche - Patrick Boudet. Je n'en dis pas plus, ayant pour l'année prochaine le projet d'une contribution vincenale dans les cartons. Keep Rockin' Til' Next Time !

    Damie Chad.

    P. S. : dans le même numéro, une page sur les Grys-Grys chroniqués à plusieurs reprises ces deux dernières années dans KR'TNT ! et le nom de Noël Deschamps, un de nos rockers français préférés, cité à la va-vite en dernière page.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 252 : KR'TNT ! 372 : CYRIL JORDAN / MAID OF ACE / ROSEDALE / RHINO'S REVENGE / MILES DAVIS

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 372

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    04 / 05 / 2018

    CYRIL JORDAN / MAID OF ACE /

    ROSEDALE / RHINO'S REVENGE

    MILES DAVIS

     Monsieur Jordan - Part Three

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    Back to 1971 avec l’ineffable Monsieur Jordan & the San Francisco Beat. C’est l’année où la radio américaine entre dans son déclin d’AM/FM et où les grands groupes américains entrent dans l’underground : le MC5 lâché par Atlantic, les Stooges par Elektra et les Groovies disent bye-bye à Kama-Sutra. C’est aussi l’année où Cyril Jordan engage un guitariste nommé James Farrell et un chanteur nommé Chris Wilson.

    Quand il apprend que Chris Wilson quitte Loose Gravel pour rentrer à Boston, Cyril l’interpelle :

    — Hey Chris, tu veux chanter dans les Groovies ?

    — Ooh yes Cyril !

    Et pouf, Chris s’installe chez Cyril, at mom’s house ! Aux yeux de Cyril, Chris was a natural-born rocker - Boy what a great time we had ! - Les nouveaux Groovies commencent à jouer en public, mais à cette époque dans la Bay Area, on préférait le rock psychédélique et on huait le vieux rock’n’roll. Cyril décide alors de changer le nom du groupe. Ce sera les Dogs - because we were treated like dogs ! - C’est là qu’ils pondent le fameux «Dog Meat». Puis ils reviennent à la raison et redeviennent les Groovies.

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    Ça tombe bien, car Andrew Lauder de United Artists London répond à la lettre que George Alexander lui a envoyée pour lui signaler que les Groovies étaient libres. Rendez-vous sur Sunset Boulevard avec un ponte nommé Marty Cerf. Mais Cyril peine à trouver une place pour garer sa VW dans le quartier et il arrive avec dix minutes de retard. Cerf le jette. Heureusement, Andrew Lauder vient à sa rescousse et décide de prendre les Groovies sous son aile, c’est-à-dire United Artists London. Shebam ! Cyril saute de joie et se dépêche de composer des hits avec Chris Wilson. Et pow, ils pondent «Shake Some Action». Cyril donne du sens à ses paroles - I will find a way/ To get to you some day - Il veut dire qu’il va trouver le moyen d’entrer à nouveau en contact avec les gens qui aiment le rock ! Grâce à Andrew Lauder, ça redevenait possible de really shaker some action.

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    Alors les Groovies débarquent à Londres en 1972. Ils achètent leur gear sur Denmark Street et vont au bout de King’s Road se fringuer chez Granny Takes A Trip. Cyril devient pote avec les deux Américains qui tiennent la boutique et il chope l’info : dans la cave se trouve un carton avec des pompes faites sur mesure pour Brian Jones. Wizzz ! Cyril fond sur le carton comme l’aigle sur la belette - The hippest gear ever made - Ha ! Il va aussi chez McLaren round the corner. Sa boutique s’appelle encore Let It Rock. Chez Granny, c’est pour les Mods et chez Mal, c’est pour les Teds. Bam-balam ! Cyril devient pote avec Mal et il adore son juke-box - Mal turned me on to some kool sounds like «Wouldn’t You Know» by the great Billy Lee Riley, «Take And Give» by Slim Rhodes, Rocking In The Graveyard» by Jackie Morningstar, «The Shape I’m In» by Johnny Restivo (who lost James Burton to Ricky Nelson).

    Bon les fringues, c’est bien gentil, mais maintenant, il faut enregistrer un disque ! Les Groovies passent donc aux choses sérieuses avec le trip à Monmouth, au Pays de Galles, là où se trouve le fameux studio Rockfield de Dave Edmunds. Ils descendent en train jusqu’à Newport. Kingsley Ward vient les chercher à la gare. Il conduit a fuckin’ little Hillman station wagon. Il faut quatre voyages pour trimballer tous les gros amplis Orange et le drum-kit achetés à Denmark Street. Avec Dave Edmunds, les Groovies enregistrent la crème de la crème du gratin dauphinois : «Shake Some Action», «You Tore Me Down» composé sur le pouce, «A Shot Of Rhythm & Blues» d’Arthur Alexander, «Tallahassie Lassie» et l’infernal «Married Woman» de Frankie Lee Sims. Cyril raconte que le blues authority Mike Leadbitter aurait déclaré que «Married Woman» était the best blues recording by a white group that he’s ever heard. Ils enregistrent et mixent cinq hits planétaires en huit heures. Ils rajoutent vite fait une version de «Slow Death» qu’ils n’avaient pas encore pu mettre en boîte. Ces enregistrements se trouvent sur les deux mythiques singles United Artists parus en 1972 : «Married Woman/Get A Shot Of Rhythm And Blues» et «Slow Death/Tallahassie Lassie». Mais la BBC interdit «Slow Death» qui est pourtant une chanson anti-drogue. Blop ! C’est cuit aux patates. Cyril voulait commencer par sortir «You Tore Me down», mais Andrew Lauder a préféré «Slow Death». Tout s’écroule. C’est aussi con que ça. Cyril dit que c’est la faute d’Andrew Lauder. Il découvrent aussi que les gens de United Artists ne pigent rien à rien - They didn’t know what the fuck they were doing - C’est d’autant plus tragique que Derek Taylor d’Apple Records voulait rencontrer les Groovies, mais Cyril se sentait moralement engagé avec Andrew Lauder et il ne pouvait donc pas entrer en contact avec un autre label. Chez lui, ça ne se fait pas.

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    Bon alors ? Andrew Lauder ne se formalise pas. Let’s keep going ! Et il envoie les Groovies tourner dans tout le Royaume-Uni et en France. Justement, ils tournent en France en 1972 avec les Gorillas de Jesse Hector - They were wild boys and had haicuts and muttonchops that made their heads look like heads of gorillas - Tout va bien jusqu’au fameux concert du Mans - The Gorillas were a loud band. Loud like the Frost from Ann Arbor, Michigan - Pow ! Le courant saute. Black-out total dans tout le quartier ! Les flics ! Riot in the riettes !

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    Pendant ce long séjour à Londres, Cyril rencontre dans la rue Vivian Prince, le batteur fou des Pretty Things. Il fait de lui un portrait très affectueux et note que Dick Taylor jouait sur une Harmony Meteor guitar, celle qu’avait Keith Richards en 64.

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    Cyril évoque aussi le concert du MC5 au Speakeasy, le club le plus branché de Londres. Cyril reconnaît George Harrison dans le public mais il est trop timide pour aller lui parler. Début du concert. Biff ! Bang ! Pow ! La salle est trop petite pour un groupe aussi puissant que le MC5 - They were too loud for the place - Une semaine plus tard, le MC5 débarque dans la maison où sont installés les Groovies, à Chingford. Et puis voilà qu’à 4 h du main, Rob Tyner demande à Cyril de lui appeler un taxi. Wiz ! Rob disparaît. Un quart d’heure plus tard, Wayne Kramer demande à Cyril s’il a vu Rob.

    — Oh Rob just left in a cab !

    — Ohhh nooo !

    That was that. Terminé pour le MC5 - The breakup of the MC5 had occured at four in the morning at our house in Chingford. What a terrible loss to American music !

    Le MC5 finit pourtant sa tournée anglaise sans Rob. Cyril les voit sur scène quelques jours plus tard et ils s’en sortent plutôt bien - Strange, Rob wasn’t really missed. They sounded that good - Alors si ça n’est pas un hommage, qu’est-ce donc Dick ?

    Cyril évoque aussi le souvenir d’un groupe nommé Mr Moses Scholl Band - A freaky union of souls, punks on the backline, and an ex-British Army sergeant with Victorian muttonchops as lead singer - le chanteur a vingt ans de plus que les autres - A fuckin’ weirdo this chap - Et puis Cyril finit par se dire qu’il en a marre de ses conneries et lui met du poil à gratter dans sa veste d’uniforme rouge. Pow ! Quelle rigolade !

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    Cyril rencontre aussi deux girls qui font partie d’un groupe nommé American Spring. Elles reprennent des vieux hits pop comme «Mama Said» des Shirelles, «Sheila» de Tommy Roe et «Peggy Sue». Cyril découvre que Marilyn n’est autre que Mrs Brian Wilson et Diane sa sister. Alors pas touche. What a flash ! À ce moment-là, les Beach Boys sont en Hollande pour enregistrer Holland avec Ricky Fataar et Blondie Chaplin que Cyril connaît bien, puisqu’il avait été les chercher à LAX, à la demande de Brian. Et c’est là que germe une idée géniale dans le cerveau bouillonnant de notre héros : enregistrer à Rockfield avec Brian Wilson et Dave Edmunds. Il en parle à Andrew Lauder qui trouve l’idée intéressante, mais pas à Dave Edmunds à qui il veut réserver la surprise.

    Mais tout cela ne débouche sur rien. Une année entière en Angleterre et seulement deux singles parus ! Ha ! What a no-gas !

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    En 1973, les Groovies rentrent au bercail - the Groovie were in a rut - Ils cherchent un batteur et un nouveau label - Don’t ask me why we kept going - Cyril avoue que ça devenait un style de vie. Il commence par recruter un nouveau batteur, David Wright et lui dit d’écouter la batterie sur trois albums : Meet The Beatles, le premier LP des Stones et le premier LP des Kinks. Puis il réussit à décrocher un rendez-vous chez Capitol. Avec Terry Rae des Hollywood Stars et George Alexander, il enregistre une nouvelle démo de «Shake Some Action».

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    Cyril est marrant quand il resitue le contexte historique d’une époque. Il se sert de la radio pour évoquer l’an 1973 : «The British radio charts were alive with groups like Slade, T. Rex, Gary Glitter, Dave Edmunds, David Bowie et Elton John. USA AM radio charts were dead with Tony Orlando, Roberta Flack, Carly Simon and let’s not forget Kiki Wyonna ! That’s a joke, son.» Il raconte que les groupes qui savaient jouer comme les Byrds had gone underground. Il va plus loin en affirmant qu’après la fin des Beatles, America stopped listening to English music.

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    En 1974, Cyril rencontre un autre dingue, Greg Shaw. Shebam ! Ils passent la nuit à écouter des 45 tours. Greg venait de démarrer son label et il voulait les Groovies. Les démos enregistrées chez Dave Edmunds le faisaient baver. Il décida de commencer par sortir «You Tore Me Down» puis d’enregistrer la fameuse cover de «Him Or Me» au Studio Alambic de San Francisco, là où fut enregistré Flamingo. Les Groovies n’avaient plus rien sorti depuis le single «Married Woman» édité par United Artists en 1972 - Thanks to Greg, this had now happened - Puis tout s’accéléra quand on proposa à Greg le poste de vice-président chez Sire, le label de Seymour Stein et Richard Gottehrer. Stein commença par flasher sur «Tore Me Down» et quand il entendit Shake, il tomba de sa chaise. Boum ! S’ensuivit une audition et comme Cyril n’avait pas de nouvelles chansons, il proposa de jouer «Please Please Me» des Beatles. Pif paf ! En plein dans le mille !

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    Cyril revient longuement sur l’empire de la médiocrité qui s’étend à la surface de la terre : « The new so-called artists and trends that they have shoved down our troats are pretty hard to swallow for those of us who aren’t flat head. But there seems to be enough of them around these days so most of this bilge floats to the surface like scum. The incompetence that passes for talent never ceases to amaze me.» (Si tous ces soit-disant artistes et tendances qu’on essaie de nous faire avaler ne passent pas, c’est parce qu’on n’est pas des beaufs. Mais il y en a de plus en plus, ils flottent à la surface comme des étrons. Ça m’épate de voir qu’on tente de faire passer toute cette médiocrité pour du talent).

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    C’est donc Seymour Stein qui en 1976 va relancer la carrière des Groovies avec l’album Shake Some Action. Cyril rend un flamin’ hommage à Stein qui à l’époque signe les Ramones, Richard Hell et les Pretenders - Excellence instead of incompetence - Cyril va loin puisqu’il affirme que Stein a sauvé le rock dans les années 70, et sans Stein, pas de Shake Some Action. Les Groovies s’installent à New York et comme tant d’autres, Cyril découvre les charmes du CBGB : la bonne odeur de bière et de dog shit. Le chien s’appelle Jonathan et il chie partout dans le club. Wouah ! Puis vient l’heure de retourner chez Dave Edmunds pour enregistrer Shake Some Action, l’album que le monde entier attend. Et pour aller jouer en Europe, Cyril propose à Stein d’emmener ses label mates, les Ramones.

    C’est donc grâce à Cyril que l’Angleterre passe au punk.

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    Signé : Cazengler, Flamine de rien du tout

     

    Ugly Things #41 - Spring 2016

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    Ugly Things #42 - Summer 2016

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    Ugly Things #43 - Winter 2016/2017

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    Ugly Things #44 - Spring 2017

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    13 / 04 / 2018CHÂTEAU-THIERRY

    LE BACCHUS

    MAID OF ACE

    Pour conjurer le sort du vendredi 13, quoi de mieux que d’aller à Château-Thierry dans l’antre où la divinité du vin délivre toutes ses saveurs ? Destination pub le Bacchus en territoire axonais. Mais pourquoi donc, me direz-vous ? Non pour aller voir Jason Vorhees se faire découper en morceaux mais pour s’en prendre plein les esgourdes grâce aux anglaises de Maid of Ace. Ce groupe composé uniquement de filles qui en ont s’est formé à Hastings en 2004 et a deux albums à son actif. Autant vous dire tout de suite qu’elles ne font pas dans la dentelle mais cisaillent l’environnement sonore tel Chuck Yeager à bord de son Bell X-1. Habituées à délivrer leurs brûlots punk rock hautement énervés d’un seul coup, elles doivent s’adapter au lieu en scindant leur show en deux parties. Qu’à cela ne tienne, ça ne remet pas en cause leur pouvoir à faire pogoter les personnes venues assister à cette messe dynamitée. Sur cette tournée, Dora Sandoval du groupe US, A Pretty Mess, remplace leur bassiste Amy. Ah...j’oubliais, les Maid Of Ace sont en fait la sororité Elliott composée d’Alison (chant/guitare), Abby (batterie) et Anna (guitare/choeurs). Eh oui, on fait du punk en famille du côté du pays de God Save the Queen. Elles passent en revue leurs compositions « Minimum Wage » , « Disaster Noise », « Stay  away » etc… le tout avec une hargne, une fougue que beaucoup de groupes mâles pourraient leurs envier! Elles dégainent les riffs tels des boulets de canons haute volée et ne sont pas sans rappeler les Runaways ou L7, le côté nerveux en plus. Ce n’est pas pour rien que les Maid of Ace font la première partie de The Exploited pour certaines dates durant cette tournée car une grosse louche hardcore est ajoutée à leur univers. Les dates s’échelonnent de Kingston au festival Punk & Disorderly à Berlin. Elles en veulent et le font savoir. Leurs chansons sont efficaces : c’est franc, direct, ça ne tergiverse pas trois plombes et c’est ça qui est bon. Pas de fioritures, on est dans le vrai, l’authentique, l’urgence et tout le packaging percutant. Elles maîtrisent bien leurs instruments, mention spéciale à la batteuse, et occupent la scène avec brio. En une heure la mission est accomplie de fort belle manière puisqu’à la fin du show, le public en sueur se presse au stand de merchandising. Si j’ai un conseil à vous donner, ressortez vos Doc Marten’s et suivez de près ce groupe car, à mon avis, on n’a pas fini d’en entendre parler !

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    Alicia FIORUCCI

     

    26 / 04 / 2018PARIS

    LA BOULE NOIRE

    ROSEDALE / RHINO' S REVENGE

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    En avril ne te découvre pas d’un fil ! Ce dicton fit choux blanc le jeudi 26 à la Boule Noire (Paris). En effet, le chauffage marchait bien pour le plateau Rosedale et Rhino’s Revenge. Démarrage de la soirée à 20h tapantes avec les français de Rosedale. D’emblée, nous voilà plongés dans l’univers rock blues à voix féminine. Cette formation n’est pas sans rappeler le duo Joe Bonamassa et Beth Hart . En effet, Amandyn Rose a une tessiture vocale proche de celle de la chanteuse US, dont elle est bien évidemment fan. Quant à Charlie Fabert il dispose d’une dextérité guitaristique semblable à celle du tenancier du manche du combo Black Country Communion. Ce quatuor à la solide section rythmique composée de Philippe Sissler à la basse et de Denis Palatin à la batterie nous emmène vers les sons chauds provenus d’Amérique, la patrie du blues. Charlie a gagné en assurance scénique depuis l’époque où il était le poulain de Fred Chapellier. D’ailleurs, il personnalise beaucoup plus son jeu qu’avant avec fougue donnant un vent de fraîcheur au genre. L’élève aurait-il dépassé le maître ? That is the question, vous avez 2 heures ! Enfin bref, retour sur les planches, les français passent en revue les titres de leur album «  Long Way to Go » sorti en 2017, mais aussi des reprises dont celle de Ike et Tina Turner « Nutbush City Limits » autant dire qu’Amandyn se défend très bien dans la peau de la Queen of Rock N Roll ! Denis Palatin à droit à son moment de défoulement grâce à un solo affûté avec une frappe sèche, directe et élaborée, nous voilà rhabillés pour l’hiver ! Après 45 minutes Rosedale laisse la place aux anglais de Rhino’s Revenge sous les applaudissements du public.

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    Changement de plateau, le temps d’aller au bar pour se prendre une pinte puis, sans crier gare, voilà sur scène ce power trio venu d’outre Manche nous assenant un son à décalquer les sonotones avec « One Note Blues ». Dès les premiers accords, nous voici collés au plafond et c’est ça qui est bon. Le rhinocéros a décidé de sortir l’artillerie lourde et on ne va pas s’en plaindre. Faut quand même que je vous dise que nous avons le bassiste de Status Quo devant nous, John Edwards, ce qui n’est pas rien. Il est accompagné par deux compères du feu de dieu, Craig Joiner (de Romeo’s Daughter) à la guitare et Richard Newman (fils du célèbre batteur Tony Newman) derrière les fûts. Le mammifère à corne ne va pas s’arrêter en si bon chemin, mieux, il ne fait que commencer sa course effrénée. En effet, aucun temps mort dans ce show d’une puissance sans faille. Rhino’s Revenge n’est pas du tout une pâle copie du Quo mais a vraiment son empreinte sonore. En effet, si vous vous attendiez à entendre« In the Army Now » c’est rapé puisqu’ils vont interpréter des compositions de leur cuvée comme « Secretary », « Busy Doing Nothing », « Jungle Love » etc.

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    Ça claque comme il se doit ! Ce qui fait vraiment plaisir à voir, c’est le pied qu’ils prennent à délivrer leurs missives auditives. On est dans l’authentique esprit du rock n roll voire pub rock/punk puisque par endroit leurs brûlots résonnent comme du Eddie & The Hot Rods ou Doctor Feelgood. C’est vraiment la classe ! De plus, sans en faire des tonnes, ils démontrent un savoir-faire et une maîtrise dont les anglais ont le secret. L’assemblée est conquise, saute, danse, s’extériorise corporellement, headbangue, même ceux qui ont perdu leurs cheveux se prennent au jeu…Après 1h40 de concert et une reprise d’enfer de « Born to be Wild », le rhinocéros finit sa course sous une ovation des plus chaleureuses. Le temps au trio d’essuyer sa sueur et hop, le voici derrière le stand de merchandising pour s’adonner aux joies des photos souvenir et des échanges avec les fans.

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    Petite précision et non des moindres, une partie de la recette va à l’association « Save the Rhino International » comme quoi, les rockeurs ont du coeur. En tout cas, une revanche de haute volée sur le monde impitoyable du rock !

    Alicia FIORUCCI

    ( Photos : Alicia Fiorucci / Bruno Quofrance )

     

    MILES L’AUTOBIOGRAPHIE

    ( avec Quincy Troupe )

    ( Presses de la Renaissance / 1990 )

     

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    C’est mon arme secrète de rocker. Quand je tombe sur un jazzeux qui commence à me prendre la tête sur ma musique primaire, j’ai ma botte de Nevers, la ressors au dernier moment quand il entreprend de mal parler de Vince Taylor, plouf entre les deux yeux, z’au moment où il ne s’y attend pas, tiens toi qui aimes le jazz, j’ai vu Miles Davis en concert, du coup le gars il me mangerait dans la main, mais je suis bon prince, devant ses yeux larmoyants et quémandeurs en attente de révélation, je donne les détails, et le gars reconnaissant à jamais me quitte comme s’il avait vu le porteur du Graal. Tout juste s’il ne me couche pas sur son testament. Jouait bien le Miles, mais pas beaucoup, c’était quelques années avant sa mort, un peu à bout de souffle, soufflait peu mais bien. Laissait l’orchestre faire le boulot, mais dès qu’il embouchait le clairon ça s’insinuait en vous comme la lèpre et le choléra. Juste pour vous dire combien c’était bon, une note bleue ravageuse.

    La même impression dès la première ligne du prologue. Nécessaire cette intro, parce que le Miles depuis tout petit il déroge à la lettre. N’est pas né pauvre et misérable, comme tout nègre qui se respecte, but a golden lovin’ spoonfull in the mouth, fils d’un dentiste, noir mais riche. Bourgeoisie noire. Consciente de ses racines. Et qui n’a rien oublié. Ni pardonné. Une mère qui descend de Nat Turner - le meneur de la première révolte noire armée - et un père doté d’une personnalité orgueilleuse. L’en héritera. Et surtout très compréhensif. Laissera son fils partir à New York, lui enverra du fric régulièrement, même lorsqu’il quittera l’école. Pour jouer en free lance. Tout en exigeant de lui qu’il ne soit pas un suiveur, un imitateur, mais pleinement lui-même.

    Le genre de doux diktat qui ne pouvait que plaire à Miles. Car le Miles n’est pas un adepte du doute. Ne croit qu’en une chose, en lui-même. Raconte son addiction à la trompette, comprend très vite qu’il lui reste un sacré boulot, qu’il est loin du compte, que le fossé à combler est un véritable gouffre, même pas peur le Miles, passe les étapes une par une, tout en remarquant qu’à chaque fois il s’en sort haut la main, l’élève a atteint le niveau du maître qu’il s’était donné et maintenant il faut qu’il s’en trouve d’autres qui aient quelques petites choses de plus difficiles à lui apprendre.

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    Vise haut. Dizzie Gillepsie et Charlie Parker, pas plus ( n’existe pas ), ni moins ( ne mange pas de ce pain-là ). Officiellement l’arrive à New York en septembre 1944 pour suivre les cours de la prestigieuse Julliard School, Dans sa tête un seul but : trouver le Bird. Plus difficile qu’il ne le croyait. Invisible dans les clubs, si par hasard il se pose sans préavis dans l’un d’entre eux, le lendemain soir quand il court à sa rencontre, l’insaisissable volatile s’est envolé. En attendant Miles est toujours prêt à remplacer la première trompette défaillante, à taper le bœuf dès qu’on le lui demande. Ne s’en tire pas mal, et même plutôt bien. L’apprend beaucoup, les accords un peu trop complexes il commence à les comprendre en les développant au piano. N’est pas un benêt bleu non plus, à Saint-Louis il a déjà joué dans l’orchestre d’Eddie Randle ce qui lui a permis de côtoyer le deuxième cercle du milieu jazzistique, l’a même eu une proposition ( ses parents refuseront ) de tournée avec Tiny Bradshaw - l’on retrouve son nom dans toutes les histoires qui s’intéressent aux origines du rock and roll - mais la grande claque sera la rencontre avec Charlie Parker.

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    Un Charlie difficile à vivre - sexe, dope, et jazz - partout et tout le temps. Se fait sucer par des putains blanches dans les taxis tout en mangeant du poulet et en discutant avec les copains, tout ce qu’il faut pour apprendre la vie à un jeune homme un peu idéaliste. Maqué et père de famille de surcroît ! Oui mais le Bird qui ne voit jamais plus loin que le fric de sa dose, sur scène l’est un brûlot incomparable, ceux qui l’accompagnent en oublient de jouer à leur tour, et le public en redemande. Si difficile à gérer que Dizzie s’en éloignera. Les nuits de Miles sont chaudes, et les journées à la Julliard deviennent pesantes. Ce n’est pas que les profs soient totalement nuls, c’est que blancs ils ne comprennent rien à l’âme noire, le Miles ne crache pas dessus, regarde avec intérêt les partitions des musiciens classiques, mais rien de ce qui est enseigné ne l’aide dans sa démarche personnelle, dans son rapport intime avec la musique. C’est que quand la veille vous avez reçu une standing ovation pour le chorus que Charlie Parker vous a laissé prendre, le cours théorique du lendemain matin paraît un peu fade… L’on peut juger du chemin parcouru en une seule année, c’est à l’automne 1945 que Parker demande à Miles de se joindre en tant que trompette à sa formation. Comme dirait Rimbaud la vraie vie commence.

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    Fait maintenant partie de l’orchestre de Charlie Parker avec Thelonious Monk, et Dizzie Gillepsie ils enregistrent un disque et filent en Californie. L’expérience se révèlera décevante, le Be Bop y est encore pratiquement inconnu, les clubs sont rares et peu accueillants. Le Bird ne fait rien pour arranger les choses, l’est vêtu comme un clochard, ne fait pas d’efforts particuliers sur scène, avale des bouteilles de whisky et de vin bon marché l’une après l’autre pour pallier l’héroïne dont il essaie de se désaliéner. Finit par être enfermé à l’asile où il subit des électrochocs Pendant ces mois d’inaction Miles matraque le bœuf avec tous ceux qu‘il rencontre, joue avec Coleman Hawkins et Charlie Mingus qu’il juge en avance sur son temps. Pour gagner de l’argent il travaille dans l’orchestre de Billy Ecskine qui tient à tout prix à le garder mais en 1947 il retourne à Saint Louis retrouver sa femme qui lui a donné un garçon qu’il n’a encore jamais vu. Ces deux années sont initiatiques, il touche à l’héroïne et la cocaïne qui lui refilent une super-énergie, accepte pour la première fois de l’argent d’une femme blanche et trompe sa régulière avec la chanteuse Ann Baker. Enfin détail non négligeable, il est conscient d’être à deux doigts de posséder un son bien à lui qui sera sa signature identificatrice dans l’histoire du jazz. Il n’a que vingt-et-un ans.

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    Retour à New York, les clubs les plus prestigieux s’alignent les uns à côté des autres dans la 52° Rue, au bout de quinze jours Miles quitte Dizzie pour le Bird de retour lui aussi, phénix renaissant, plus oiseau de feu que jamais. Miles parle davantage de Parker que de lui-même, de sa manière de se lancer dans des soli acrobatiquement arithmétiques, de retomber toujours sur la mesure au millième de quart de note précise, ne donne aucune indication, Max Roach à la batterie tente ( et réussit ) tout ce qu’il peut pour tomber juste et Miles comprend qu’il ne faut pas attendre mais réfléchir posément, Parker pose des énigmes, à vous de les résoudre avant d’être surpris par leur conclusion. Le jazz est une musique intellectuelle. L’on peut tout jouer, c’est très simple il suffit de trouver la solution. Elle existe obligatoirement. Bird n’explique pas. Il rayonne. Avec Bud Powell qui remplace Duke Jordan au piano, Bird enregistre Charlie Parker All Stars, sur lequel Miles place son premier thème Donna Lee. Miles est doublement satisfait, l’est convaincu qu’il a dépassé quelques anciennes influences et qu’il a atteint le même délié, la même fluidité que Lester Young… Miles enregistre enfin son premier disque sous son nom Miles Davis All Stars avec Parker et Roach…

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    1948 sera l’année des ruptures. Avec le Bird, de plus en plus cabochard, de moins en moins contrôlable, et qui garde tout le fric pour lui. Ne pense plus aux copains, fait le rigolo devant les blancs… excédés Max Roach et Miles finissent par le quitter. Les divergences sont peut-être plus profondes Miles fonde son nonnette pour enregistrer Birth of the Cool. Le titre est à lui-tout seul un oriflamme. Convoquez neuf musiciens il en est toujours deux ou trois qui ne répondent pas à l’appel. Beaucoup d’appelés et beaucoup d’élus, même des musiciens blancs… Ce qui plaira aux critiques blancs. Musique lente, plus fluide, qui se peut fredonner, très éloignée de l’aridité algébrique du Be Bop. Miles est convoité, même par Duke Ellington, mais il voyage en solitaire. Le voici pour quelques concerts à Paris, s’y sent bien, si bien que Kenny Clarkevenu avec lui refusera de rentrer au pays, Miles repart malgré l’amour qu’il porte à Juliette Gréco. Cet arrachement il le paiera très cher, par quatre ans d’addiction dure à l’héroïne.

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    Tout fout le camp. Tous les amis musiciens de Miles sont aussi vampirisés par l’héro. Miles se fait maquereau, se fait arrêter par les flics, perd ses engagements, se sépare de sa femme, vole ses amis, la dégringolade, une seule consolation durant ses deux premières années de galère, il accompagne durant quinze jours Billie Hollyday… ironie du sort, de nombreux jazzmen blancs se font des couilles en or avec cette nouvelle musique venue d’ailleurs; le cool jazz…

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    Essaiera de décrocher à plusieurs reprises avec l’aide de son père… enregistre quelques disques avec Sonny Rollins et le Bird, pour Prestige et Blue Note, chaque fois qu’il remonte la pente, l’est le premier à tout faire foirer, jusqu’au jour où il finit après huit jours d’abstinence totale, seul enfermé dans une chambre comme une dinde dans un frigidaire par se débarrasser de sa terrible accoutumance. L’était temps, il y avait ce Chet Baker qui était devenu le chouchou de la presse spécialisée. Certes il jouait bien - un jeu très inspiré d’un certain Miles Davis - un blanc, un suiveur, pas un créateur. Ce terme réservé aux noirs. Ce qui ne l’empêche pas de se lancer dans d’interminables disputes avec Charlie Mingus qui hait systématiquement tous les blancs…

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    Miles signe un contrat d’exclusivité avec Prestige. Il enregistre régulièrement, mais l’essentiel est ailleurs. Il se reconstruit dans sa tête. Avec des hauts et des bas. Un peu de dope encore, mais pas la submersion. Sugar Ray Robinson est devenu son modèle. Se met à la boxe, un art de haute précision qui n’est pas sans accointances avec le jazz. Miles se durcit, devient méfiant, se comporte comme un mac lorsque Juliette Gréco le retrouve à New York… musicalement il commence à entrevoir ce qu’il veut vraiment, retrouve sa maîtrise d’avant la drogue et subit l’influence d’Ahmad Jamal dont le jeu et la musique l’aident à éclaircir, à débroussailler son flow, à le laisser couler d’autant plus sereinement qu’il a éliminé ses propres obstacles… Passage de témoin, le Bird clamse, standing ovation pour Miles au Newport Festival de jazz de 1955. Les critiques blancs deviennent louangeurs. Donnent l’impression de le découvrir lui qui est dans le métier depuis dix ans… John Coltrane opère le bon choix, quitte Jimmy Smith et son orgue pour jouer aux côtés de Miles.

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    Super appart, belles copines, le succès est là, Miles dicte ses conditions aux patrons des boîtes, enregistre chez Columbia, l’est maintenant dans le plus fort du Maim Stream. L’a voulu, ne le regrette pas, garde la tête froide, refuse d’être dupe, Les salles sont pleines, l’argent coule, la dope aussi, Coltrane et Joe Phyllie le batteur sont au cœur de la tourmente. Miles plus que jamais rebel, hip and cool est obligé de les renvoyer mais Trane fait cold turkey et revient en grande forme. Nous sommes en 1958, le grand jeu peut commencer.

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    Ne s’agit plus de jouer du jazz, celui qui n’est que continuation de Louis Armstrong, Duke Ellington, Lester Young et Charlie Parker, s’agit de jouer autrement, en modal dit Miles, de retrouver quelque chose de plus lointain, de dépasser les racines du blues, de se laisser inspirer par l’Afrique originelle. C’est une gageure, en deux ans Miles et son sextette n’y parviennent que cinq ou six fois, mais la formation est au top, elle enregistre en direct et très souvent elle se contente de la première prise. Ce sera le cas pour Kind of Blue, aujourd’hui considéré avec A Love Supreme de Coltrane comme le plus haut sommet du jazz, reconnu comme un chef d’œuvre absolu dès sa sortie, duquel Miles avoue ne pas être satisfait. D’ailleurs il consacre davantage de pages à la confection du suivant Sketches of Spain qui repose avant tout sur un arrangement par Gil Evans du Concerto d’Aranjuez, l’enregistrement nécessite la participation de musiciens classiques qui n’arrivent pas à comprendre les directives de Miles de ne pas jouer les notes écrites mais de les considérer comme des départs pour figurer les espaces qui les séparent. Comme chez Mallarmé les blancs sont les lieux les plus importants. Tout en reconnaissant - et en connaissant - la force des compositeurs classiques Miles règle son compte avec les musiciens classiques qu’il qualifie de robots incapables d’improviser. Ce sont dans leur immense majorité des blancs… malmené et frappé par la police alors qu’il est en train d’attendre un taxi Miles tombe de haut, s’aperçoit que quoi qu’il fasse il sera toujours un nègre. Cette injuste mésaventure accroîtra sa méfiance, son amertume et son cynisme, alors qu’il pensait que les temps étaient en train de changer…

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    Tout va bien. Trop bien. Tournées à gogo. Gagne des milliers de dollars à chaque concert. Roule en Ferrari blanche. Possède un appartement de roi. Des douleurs dans les articulations et des plus graves dans la tête. Médicaments, coke, alcool, méchante limonade. Mort de son père. Mort de sa mère. Trop pris par lui-même pour être présent à leurs derniers moments. L’on sent la dépression larvée. L’ a des musiciens de rêve Tony Williams à la battterie, Herbie Hancock au piano. Mais le jazz se déplace. La new thing apparaît, Miles n’aime guère le free-jazz, des gens - Archie Shepp, Albert Ayler, Cecil Taylor - qui ne savent pas jouer, ou qui ne connaissent qu’une seule manière, une musique non structurée. Fin 1963 il parvient enfin à mettre la main sur Wayne Shorter qu’il guignait depuis longtemps.

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    Le public décroche du jazz dès l’apparition de la free thing en 1960, et se tourne vers Little Richard, Elvis Presley, Chuck Berry, Jerry Lee Lewis, Beatles, Bob Dylan, Stevie Wonder, Supremes, James Brown, le rock sous toutes ses formes se pose en sérieux outsider. Un peu paranoïaque, Miles pense que les critiques ont intentionnellement poussé en avant le free-jazz pour que les gens se détournent de la musique populaire noire pour favoriser la blanche… l’en profite même pour critiquer l’évolution de Coltrane… N’empêche que Wayne et Tony poussent Miles au cul, certes ils structurent sec mais d’un autre côté ils vous secouent salement le panier à salade, pas absolument free, mais vous ont scié pas mal de barreaux de la cage, et puis cette manière de jouer tous ensemble en se marchant dessus, sans s’en vouloir, en toute confiance. Finis les majestueux soli en solitaire, le combo n’est plus qu’une pulsation rythmique incessante et chacun se hâte d’alimenter le foyer. Le band enregistre six albums en quatre ans, mais le public réclame les vieux morceaux de Miles… Les années soixante s’embrasent, les évènements se bousculent, émeutes de Watts, apparition des Black Panthers, amitié avec James Baldwin, Miles écoute Muddy Waters et James Brown, le son de la guitare lui semble essentiel, dans sa tête règne un peu de folie, beaucoup de pression, coke, alcool, soirées très chaudes, sa femme Frances – celle qu'i aura le plus aimée - s’enfuit… l’est sûr que le monde change et qu’un musicien se doit d’accompagner le mouvement…

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    La mort de Coltrane en juillet 1967 affecte Miles. Lui fut-elle nécessaire pour réaliser que l’œuvre de Trane a bousculé le jazz, qu’elle est à l’origine d’une évolution du jazz, plus révolutionnaire que sa propre contribution, et qu’il est temps pour lui d’emprunter des sentiers sinon plus aventureux du moins davantage novateur ? Miles écoute Sly and the Family Stone et rencontre Jimmy Hendrix. Qui ne sait pas lire la musique mais le dialogue permet à tous deux de mieux comprendre la convergence de leurs chemins. Miles admet avoir été influencé par Jimi et réciproquement. Parle aussi de la proximité de Jimi avec le hillbilly. In a Silent Way fit beaucoup de bruit. Ce nouvel album paru en 1969 est aussi important dans l’histoire du jazz que l’enregistrement de Kind of Blue. Mais si Kind est un album de parousie clôturiale d’une certaine histoire du jazz le Silent Way est un point focal d’ouverture, il est l’origine propulsive du jazz-rock et de la fusion. L’a rassemblé une nouvelle équipe autour de lui, Joe Zawinul qui joue sur piano électrique, Keith Jarrett qui lui aussi électrise son piano, Chick Corea lui aussi au piano, Jack Déjointe à la batterie, et John McLaughlin à la guitare qui débuta dans la première génération rock and roll anglais… Miles accorde davantage d’importance à l’album suivant Bitches Brew qui lui semble d’une complexité mieux aboutie.

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    Miles gagne jusqu’à 400 000 dollars par an mais il remarque que ses concerts ne sont plus sold out, aussi franchit-il le pas et part-il à la rencontre du public rock, passe au Filmore East de San Francisco entre Steve Miller et Gratefull Dead, et en première partie de Santana, une nouvelle frange du public se rallie à lui… fait des efforts abandonne ses beaux costumes trois pièces pour des tenues plus libres, pas tout à fait le débraillé rock, change de coiffure, ne s’agit pas seulement d’un simple relookage, ça bouge aussi dans sa tête, sa compagne Betty Mabry n’est pas pour rien dans cette évolution, il se séparera d’elle au bout d’un an car son allure de rockeuse un peu trop sauvage jure un peu avec le milieu un tantinet compassé du jazz dont il reste tributaire…

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    S’ouvre une période des plus créatrices de Miles, les disques s’enchaînent et surprennent, Miles change sans arrêt de musiciens, Billy Cobham sera choisi pour sa frappe plus rock, Miles insiste beaucoup depuis toujours sur le rôle moteur du batteur dans ses différents combos, c’est sur son jeu que se calent les soli, même si maintenant il fait moins de solo, pour accompagner sa nouvelle manière de trumpet groove il adjoint un percussionniste à sa section rythmique… Miles participe au festival de l’île de Wight, Hendrix meurt alors que rendez-vous était pris pour un enregistrement commun… Miles se sert d’une pédale wha-wha sur sa trompette… se rend compte que les jeunes noirs ne connaissent pratiquement pas Hendrix trop près du rock blanc… Pour se rapprocher de ce public Miles tente d’infléchir la courbe trop free de sa formation vers un groove funk, ce qui n’est pas sans provoquer de nombreuses dissensions avec certains de ses musiciens qui s’accrochent aux patterns du jazz pur… Avec On the Corner, Miles concilie l’inconciliable Stockausen, Sly Stone, James Brown, Bach et Paul Buckmaster, passe aussi à l’électrique intégral pour avoir un son qui soit audible dans les grandes salles. Miles va mal, trop de sexe, trop de drogues, trop de tournées, une prothèse de hanche de plus en plus douloureuse, Columbia ne pousse pas son disque vers le jeune public noir friand de rhythm and blues et le public jazz traditionnel est incapable de comprendre cette nouvelle musique. Un accident de voiture lui brise les deux chevilles, Miles est la proie de ses vieux démons, Fin 1975, Miles arrête.

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    Restera enfermé quatre années chez lui, une longue nuit, entre dope et femmes, entre produits et sexe, vit ses phantasmes, ne sort que très rarement, ce qui est plus prudent vu ses crises de paranoïa et les flics obligés de le déposer à l’hôpital psychiatrique, Cicely une ancienne copine revient vers lui et l’aiguille vers une vie moins excessive, son jeune neveu Milburn fou de batterie lui téléphone souvent pour demander conseil, et Columbia insiste pour qu’il reprenne le combat et accepte qu‘il prenne George Butler, un noir, comme producteur.

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    La santé se détériore mais le succès est là dès les premières gigs. Touche quinze mille dollars par soirée pour un club de 425 places, embraye sur les tournées grassement payées en Europe et au Japon, les critiques sont plus que mitigés, ses deux derniers disques The Man with the Horn et Decoy sont jugés peu aventureux. Miles remarque simplement que le jazz se répète et qu’il faut devenir accessible à l’oreille du public façonnée par le rock blanc… L’a d’autres chats à fouetter, les alarmes des toubibs qui exigent qu’il arrête le tabac et l’alcool, le diabète est devant la porte mais une c’est une crise cardiaque qui frappe la première, lui paralysant les doigts, s’en remet mais fin 1983 la nécessité d’un repos se fait sentir… Détour par la case hôpital, hanche et pneumonie, cette dernière étant le lot ultime d’organismes fatigués, c’est elle qui a emporté Billie Hollyday et Coltrane.

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    En 1984 Miles quitte Columbia pour la Warner, reçoit récompenses et prix prestigieux mais il n’aime pas qu’on lui préfère dans la plupart des cas Wynton Marsalis musicien de jazz et de musique classique, une manière pour les blancs d’honorer un artiste noir formé dans la tradition européenne… Miles a soixante ans, les évènements se répètent, coma diabétique, violentes disputes avec Cicely, un musicien Darryl Jones qui le quitte pour aller jouer avec Sting qui propose davantage de blé, tournées, enregistrement de Tutu, - combat contre l’apartheid et emploi forcené de synthés - grands concerts avec U2, participation à un épisode de Miami Vice Miles, pub Honda, Miles est partout où il faut être et même là où il faudrait ne pas être… Au retour d’une réception organisée par Reagan pour rendre hommage à Ray Charles, Miles excédé par l’ignorance crasse de l’élite blanche casse avec Cicely Tyson qui l’avait embrigadé dans cette galère…

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    L’autobiographie se termine, fait un peu le tour de la question. Vous connaissez la réponse, elle s’appelle Miles. Revient sur le futur de la musique, Prince est le bon cheval, mais Miles ne dédaigne pas le rap et parle même du zouk. Pour lui la musique authentique est noire. Parle de ses rapports avec ses musiciens. Pas de blabla, un musicien respecte les musiciens mais ne parle de musique qu’avec son instrument. Parle de l’évolution de la musique, le monde change, la nature des instruments change, donc la musique change. Il est inutile de regretter le passé, aller de l’avant pour ne pas s’ossifier. Lui-même a évolué, ne serait-ce que par contraintes économiques, l’argent vous permet de rester libre. Avoue sans honte ni regret qu’il a su s’adapter pour survivre. Parle beaucoup des femmes, avec amour et tendresse, mais sans concession, ses préférences et ses choix. Certaines ne savent pas comment faire avec un homme, surtout si c’est un artiste. Le veulent pour elles, l’embêtent, l’agacent. Oui parfois il en a frappé, il le regrette mais c’est ainsi. Passe aux hommes, l’est moins disert, si vous êtes cool tout se passera bien. En vient à la différence entre les blancs et les noirs. Les blancs se croient habilités à être des donneurs de leçons mais les noirs sont les créateurs… Pensent aux morts qu’il a connus de son vivant, sont proches de lui, sent leurs esprits tout proches… Se sent investi de la puissance de la musique. L’est prêt à foncer droit devant dès le premier temps…

     

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    Miles termine son Autobiographie en 1988. Il mourra en 1991. Vous n’êtes pas obligé de tout gober. Vous donne l’impression qu’il force un peu sur les côtés déplaisants de sa personnalité. Ne mâche pas ses mots. Traite ses deux premiers fils de ratés. Se dépêche d’ajouter que c’est un peu de sa faute, mais maintenant qu’ils sont grands, c’est à eux de se prendre en charge. A l’intérieur de leur tête personne ne peut les aider. La vie ne fait pas de cadeau, Miles non plus. L’on décèle chez Miles une certaine coquetterie à se décrire plus noir qu’il n’était.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 226 : KR'TNT 345 : CYRIL JORDAN / KIDZ GET DOWN / MERCENARIES / THE BLUES AGAINST YOUTH / NUCLEAR DEVICE / PUNK & ANARCHIE

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 345

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    26 / 10 / 2017

    CYRIL JORDAN

    KIDZ GET DOWN / THE MERCENARIES /

    THE BLUES AGAINST YOUTH / NUCLEAR DEVICE /

    PUNK & ANARCHIE

    Monsieur Jordan - Part Two

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    La bonne nouvelle, c’est le dernier album des Groovies, Fantastic Plastic. On les croyait rincés, on les disait dépassés, on les taxait de has-been, on les plaignait d’être si vieux, on les prenait à la légère, on les enterrait vivants, on s’en lavait les mains. Quelle erreur d’appréciation ! Un mec aussi féru de rock que Cyril Jordan ne peut pas décevoir. Comme Lux Interior, Jeffrey Lee Pierce, Peter Perrett et d’autres, il ne vit que pour ça, le rock, et son dernier album n’en finit plus de nous le rappeler. Cyril Jordan fait partie des gens qu’il faut continuer de suivre à la trace, ces rockers de quarante ans d’âge qui sèment derrière eux la poussière d’étoiles dont on se nourrit depuis l’adolescence. Comme tous les gens de sa génération, il est entré dans la phase critique de la soixantaine, mais sur scène, il fait encore illusion. C’est tout ce qui compte. Qu’attend-on de plus d’un groupe de rock ? Un bon concert et accessoirement un bon album ? Dans le cas des Groovies, on est gâtés. C’est même inespéré. Leur set tient sacrément bien la route, Cyril semble ravi de pouvoir encore monter sur scène avec une section rythmique et un chanteur, c’est ce qu’il a voulu faire toute sa vie, et ça continue. Tant mieux pour lui. Pour cette tournée européenne, il a combiné un drôle de petit set, un panaché de cuts du nouvel album et quelques reprises triées sur le volet. Oh pour ça, on peut lui faire confiance, il a toujours eu le bec fin. Les connaisseurs ont pu apprécier son clin d’œil aux Raiders, avec un «Hungry» bien enlevée et poppy à souhait. Cyril a toujours adoré les Raiders, souvenez-vous de sa fantastique reprise d’«Him Or Me». On connaît mal les Raiders en Europe. Ce groupe était une véritable usine à tubes, aussi prolifique que les Monkees, tant dans la qualité que dans la quantité. Leurs albums sont aussi indispensables que ceux des Standells ou des Beach Boys. Cyril tapait aussi dans NRBQ avec «I Want You Bad», une reprise qu’on retrouve d’ailleurs sur Fantastic Plastic. Comme les Raiders, NRBQ est une véritable institution aux États-Unis. Souvenez-vous que les Stones envisageaient d’embaucher Joey Spampinato pour remplacer Bill Wyman.

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    Sur scène, notre pépère Cyril retrousse ses manches, il met du cœur à l’ouvrage, il se campe sur ses jambes écartées pour mieux riffer, il affiche une mine décidée, il s’immerge dans le son, il noyaute bien sa légende. Il tient toujours à ce que les Groovies se distinguent de la masse. Il y a chez lui quelque chose d’élitiste, au sens culturel, l’homme est fin, il cultive une vision, on le sait car il la développe à longueur de pages dans Ugly Things, sa posture relève à la fois de l’érudition et de l’innocence, au sens de l’ado féru, celui qui creuse pour apprendre les choses qui l’intéressent, comme par exemple les accords de guitare, les marques de certains vêtements, les endroits où sont enregistrés certains albums, les noms des gens qui composent les groupes chouchoutés, cette multitude de petits détails qui font la richesse d’un monde magique. Quand on voit Cyril Jordan sur scène, il ne faut jamais oublier qu’il sort d’une caverne d’Ali-Baba, celle qu’il a patiemment fabriquée de ses propres mains pendant toute sa vie. Dans ce cas précis, tout relève à la fois du sacré et de l’illusion. Idéal quand on sait que le monde réel ne vaut pas tripette, n’est-ce pas ?

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    Et comme le public se compose essentiellement de fans, Cyril les soigne en saupoudrant son set de vieux classiques imparables : «Teenage Head» (systématiquement massacré au chant depuis que Roy Loney n’est plus là), «Shake Some Action» (complètement dévitalisé par l’absence de George Alexander - sa bassline faisait partie des modèles qu’on travaillait dans les années soixante-dix quand on voulait apprendre à jouer de la basse), «Slow Death» (même problème que Shake, la bassline de George Alexander amenait tellement de punch - et Danny Mihm amenait tellement de swing - aujourd’hui on a autre chose, une rythmique de dominantes, il faut faire avec) et «Jumping In The Night», histoire de boucler le panorama.

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    Sur scène, «What The Hell’s Goin’ On» fait dresser l’oreille. Avec ce cut tiré du nouvel album, Cyril opère un spectaculaire retour vers la Stonesy. Comme s’il revenait au bercail. L’épisode beatlemaniaque de l’album Shake Some Action sonnait un peu faux. À part le morceau titre, le reste de l’album pouvait laisser sur sa faim, surtout après une triplette aussi parfaite que Supersnazz/Teenage Head/ Flamingo. Avec la Stonesy, Cyril se sent comme un poisson dans l’eau. Il joue son What The Hell à la petite dépouille de son clair et tape dans la collection de riffs du vieux Keef. C’est précisément là que les Groovies reprennent tout leur sens.

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    D’ailleurs, What The Hell ouvre le bal de cet album grouillant de bonnes surprises. Ça gigote autant que dans une rivière à saumons. Un seul déchet à signaler : «I’d Rather Spend My Time With You». Cet instro qui se niche en B n’a ni queue ni tête. Aussitôt après la petite giclée de Stonesy, le spectre des Byrds vient hanter «End Of The World». On croirait entendre «So YouWanna Be A Rock’n’Roll Star», c’est exactement la même tension psychédélique, il se produit là un extraordinaire phénomène d’osmose avec le cosmos des Byrds. Oui, Cyril détient ce pouvoir surnaturel, il recrée cette vieille magie qui semblait figée dans le passé (un passé que Johnny Rogan tente lui aussi de réanimer à coups de bibles). Lors de son dernier passage à Paris, Cyril attaquait son set en chantant «I Feel A Whole Lot Better», mais cette fois, il va beaucoup plus loin, l’esprit des Byrds bouillonne en lui, son coulé de son renoue avec l’alchimie de l’ancien super-groupe californien. Le spectre des Byrds hante aussi «She Loves Me». Attaqué au fondu d’harmonies vocales, ce cut mélodiquement parfait embrase l’imagination. Le clair de lune à Maubeuge se transforme en coucher de soleil sur Malibu. Ce bec fin de Cyril tape aussi dans l’autre mamelle de la légende californienne, les Beau Brummels, avec «Don’t Talk To Strangers», fantastique foudu enchaîné de folk-rock et d’harmonies vocales. Cyril nous gave de cette pop californienne inimitable. Trop de son, trop de perfection. Un peu comme ces vacances au bord de la mer, jadis, quand il y avait trop de soleil, trop de baignades, trop de bien-être. Ça finissait par devenir louche. Suite du festin de son avec l’«I Want You Bad» entendu à la Maroquinerie, un son noyé d’arpèges magiques, solidement soutenu à la mélodie chant et éclaté à coups de poussées de fièvre harmoniques et de gammes poppy. Et quand on passe en B, on croit rêver car «Crazy Macy» semble sortir tout droit de Sneakers. Les Groovies renouent enfin avec leurs racines. Voilà un hit à l’ancienne, admirablement profilé sous le vent et caramélisé dans l’azur psychédélique, un cut irréel, avenant et mystérieux, fin et délicieux, et groové au mieux des possibilités. S’ensuit un autre sortilège pop intitulé «Lonely Hearts», une pure merveille d’androgynité raphaélite. Voilà encore un hit digne des Beau Brummels.

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    Puisqu’on parlait de phénomènes de mimétisme avec les Byrds, en voilà un autre, cette fois avec Canned Heat : «Just Like A Hurricane» sonne exactement comme «Let’s Work Together», avec peut-être un brin de gras double en plus, mais pas tant que ça. Le pompage est probablement inconscient. Il faut savoir qu’une cervelle de guitariste s’encombre facilement de riffs et de gimmicks entendus à droite et à gauche, et comme la nourriture qu’on avale, ça finit par ressortir d’une façon ou d’une autre. Dans le cas d’Hurricane, ça paraît flagrant. La structure boogie du cut ne trompe pas et Cyril joue ça au pur jus de gras à la Vestine. Il s’agit peut-être d’un hommage inconscient, allez savoir. Il n’empêche que cet album continue de sonner comme un festin de roi car voilà «Fallen Star». Cette pop psyché à fort parfum byrdsien tient tous les sens en éveil.

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    Une fois de plus, Cyril tape en plein dans le mille. On croyait les Groovies largués, mais non, au contraire, ils sont en pleine renaissance, avec un album qui sonne déjà comme un classique du genre. Ils bouclent avec un «Cryin’ Shame» qui monte directement au zénith power-poppy. Les Groovies n’en finissent plus d’écumer le vieux triangle des Bermudes californiennes, tel que défini par les Byrds, les Beau Brummels et les Beach Boys.

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    Signé : Cazengler, Flamine de rien

    Flamin’ Groovies. La Maroquinerie. Paris XXe. 14 septembre 2017

    Flamin’ Groovies. Fantastic Plastic. Sonic Kicks Records 2017

     

    MONTREUIL / 21 – 10 – 2017

    LA COMEDIA

    KIDZ GET DOWN / THE MERCENARIES

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    Direction Montreuil, quittons les délices du rockab pour le purgatoire du punk, direction La Comedia, l'antre-soi undergound des groupes les plus improbables. Découvertes en tous genres garanties. Laboratoire expérimental, fusion et recherche. Brocante du (dé)passé, boutures du futur. Entrée libre mais respectueuse. Public fidèle et varié. Tout âge. Tout sexe. Tout ce que voulez. Et ne voudriez pas. Car comme disait Empédocle attirance et répulsion se partagent le cœur de l'homme. Ambiance fervente et sympathique. Mettez un repère sur ce repaire rock.

     

    KIDZ GET DOWN

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    Plus grands que des kids. Surtout Tommy Tall qui gigote et pogote sur place – scène pas exigüe mais un peu juste pour quatre zigues. Donc Long Tall Tommy qui assure aussi la rythmique mène le bal, pile énergétique gonflée à bloc, j'avais adoré ses vocalises durant la balance – rien à voir avec un soprano mozartien, genre picture horror show, mais là l'a domestiqué son organe, un peu moins de turgescence, parfois plus creux, comme la suaverésonance d'un poumon de grabataire tuberculaire. C'est que si l'affiche proclame punk rock, Kids Get Down ne sont pas tout à fait du genre je-joue-à-fond-qu'importe-si-je-me-brûle-la-cervelle. Mêlent du ska ( suffit ! ) et des relents de reggae dans leurs refrains. Ce qui freine. Je ne suis pas un adepte convaincu de ce punk à la Clash qui ne fonce pas jusqu'au bout du crash. Mais je dois reconnaître qu'ils déménagent bien. Neveu Pierre à la batterie amasse la mousse. N'en rase pas pour autant les murs. Aligne les galets comme la mer les roule à Etretat. Pas de fadaises sur les falaises : marée haute d'équinoxe déferlante, infatigable, increvable, inlassable, de la galopade drumique comme on l'aime, le gonze fonce, défonce, enfonce le rythme en zone rouge. Bassiste à l'honneur, centerfield entre les deux guitaristes, Tanguy tangue, houle de mer qui épouse la coque qui se profile, tantôt de force quatre je me gondole à la Marley I Know a Place, tantôt bateau de plaisance je plaisante force 6 à la Special coup de vent It doesn't Make It Alright, enfin avis de tempête étrave de pirate Monsanto World. Le public donne l'impression de préférer les deux premières options. Manu DK n'use pas d'une lead décaféinée, l'enchaîne les morceaux à fond de tombereau, préfère le hachis saignant à la meringue de mérengué, à croire qu'il n'aime pas trop çà, un adepte du passage du riff en force, tout droit et sans s'attarder sur le troisième temps. Refuse de mettre le pied dans la chaloupe du calypso. Kidz Get Down – émane de cette appellation un parfum de rythme sautillant post-Beatles – heureusement qu'il y a kidz pour nous mettre all right – n'ont pas les deux pieds dans le punk destroy, des morceaux comme Nightmare ou Sweat Earn Buy & Dye – titre de leur dernier album dont la soirée est la release party – emportent toutefois notre adhésion.

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    THE MERCENARIES

     

    S'installent sur scène. Aux premières notes de la balance, j'échange un regard navré avec Patrick, rencontré dans l'inter-set à qui vous devez les illustrations de cette chronique prélevées sur Lived-pat sa chaîne You Tube. Du pur reggae ! Je me demande même si je ne vais pas me perdre ailleurs dans la nuit montreuilloise. Mais ce qui suit aussitôt me séduit. Casquette plate sur la tête – l'est vrai qu'il est difficile de la placer ailleurs – Loki se lance dans un rap. Normalement je devrais déraper, mais c'est très beau avec pour seul accompagnement la basse de Franky qui lui tricote une pulsation de velours. Décide de rester. J'eusse commis une belle erreur de m'échapper.

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    Cinq sur scène. Z'ont collé Jo Robine et son clavier sur l'extrême gauche, contre le mur. Dès qu'il ouvre le robinet de son orgue, c'est le jardin des délices de Jérôme Bosch dans les oreilles. Je ne sais comment il a trafiqué son engin, un simple Roland qui au vu de son armature a beaucoup vécu – c'est célestial, l'aigu et la couleur qui ne se discutent pas, une foudre de miel dans vos tympans, en plus souvent il se permet de jouer d'une seule main, laissant son bras gauche levé vers le plafond en signe de profonde jouissance.

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    Z'ont relégué Mad Phil contre l'autre mur de l'angle droit qui abrite la scène, racisme ordinaire dont les batteurs sont les victimes habituelles, cet ostracisme n'a pas l'air de gêner ce grand fou de Phil. L'est à son affaire. Pour lui le monde se limite à ses peaux. Ne lui en faut pas plus. Petit espace et grand parcours. La mise en équation de ce dilemme se résout par la constance V. Comme Vitesse. Joue à toute bourre. Ne cherche pas midi à quatorze heures ni les éléphants au pôle Sud, vous remplit l'espace phonique d'un roulement incessant. Vulcain est à la forge. Frappe tarentelle qui tourne en rond comme l'araignée de l'imagination dans votre cerveau. Le reggae à cette vitesse, ça me convient parfaitement.

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    Surtout que devant ils ont mis en exposition les bibelots les plus précieux. Les bijoux de famille. Trois chanteurs. Pas un de plus, pas un de moins. Franky bien sûr toujours avec sa basse nerveuse et sa voix voilée qui déjante joliment. Loki lui, luit à la lead. Un rocker, un vrai, un pur et dur. Ne peut pas riffer sans donner l'impression qu'il se prépare à bombarder Hiroshima, et quand il donne de la voix, l'est teigneux mes beaux messieurs comme un bas-rouge qui s'est accroché à vos parties et qui n'en démord pas. Chaque fois qu'il ouvre la bouche ou qu'il touche une corde de sa guitare, vous avez l'impression que vous êtes arrivés au plus profond de l'enfer.

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    Ben non, vous êtes au Paradis. Car il y a une Eve au milieu de la scène. Somptueuse, blonde et charnelle. Une géante. Bad Ness. L'ange luciférien. L'a dû avaler le démonique serpent enroulé autour l'arbre. Elle a la voix qui djente et feule à mort. Pas du genre à trainasser sur les syllabes, n'étire pas les mots sur un kilomètre, vous les crache à la gueule, à la punk attitude. Z'ont un morceau qui s'appelle Héroïne, n'en ont pas un qui s'intitule haschisch. Quand ils accentuent le contre-temps vous avez l'impression d'un drakkar Viking qui débarque dans un village normand. Un coup de bélier qui vous pulvérise le pont-levis d'un château-fort en moins de temps qu'il ne m'en faut pour l'écrire, ensuite ce sont les scènes d'égorgement habituelles à l'intérieur des murailles. Je ne sais si c'est parce que tout le monde déteste la police ou parce que le monde entier préfère les voleurs mais quand ils attaquent Police and Thieves – de ces damnés Clash – c'est la folie dans la foule, ça bouge sévère dans tous les azimuts. N'oubliez pas que par-dessus le marché dans ce capharnaüm bordélique Jo Robine vous claironne de ces nappées baptismales d'orgue pour messe noire en rut majeur.

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    Patrick – comme moi un adepte du rockabilly, me regarde et hoche la tête. Ce n'était pas si mal. C'était même très bien ! Alfred de Musset avait raison : Il ne faut jurer de rien. Même pas de la haine imprescriptible que tout rocker se doit de porter au reggae. L'est vrai que l'on a une excuse, celui des Mercenaries est particulièrement enragé.

    Damie Chad.

     

    Retour vers la teuf-teuf qui m'attend au paddock. Je marche dans la nuit noire. Je ne raconte pas d'histoire, mais voici que des bribes d'un chant solitaire de cowboy retentissent au loin. Je ne suis pas fou, l'herbe de la prairie ne croît pas sous mes pieds, je foule un vulgaire et urbain bitume. Et pourtant sur cette vaste asphalte ce n'est pas une hallucination auditive, et voici que des ombres menaçantes se profilent à l'horizon. Seraient-ce des tueurs de la Western Union Bank qui m'attendent pour me faire la peau, moi l'ami des Indiens qui soutient et pétitionne pour la libération de Léonard Peltier arbitrairement en prison depuis quarante et un an ? Je n'écoute que mon courage, et m'avance sans trembler. C'est un beau jour pour mourir. Pas de panique, j'arrive devant L'Armony, ce sont des fumeurs qui tirent sur une clope et pas sur moi, et par la porte entrouverte c'est bien de la chouette musique américaine qui s'échappe. Un aigle s'éveille dans mon coeur.

     

    MONTREUIL / 21 – 10 – 2017

    L'ARMONY

    THE BLUES AGAINST YOUTH

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    Je fends la foule. Et me faufile devant. Toujours pensé que dans les concerts, c'est comme dans la phalange macédonienne où il fallait être en première ligne pour profiter du spectacle. Il est tout seul, plus tard j'apprendrai qu'il se nomme Gianni Tbay et qu'il arbore The Blues Against Youth comme nom de scène.

    Solitaire mais fort occupé. Chante, joue de la guitare, est assis devant un kit de batterie qu'il manipule de ses pieds délatéralisés, souffle dans un kazoo, et comme je n'assisterai qu'aux trois derniers morceaux me dis qu'il j'ai aussi dû rater quelques épisodes instrumentaux. En tout cas j'ai saisi la beauté du chant et compris d'emblée la portée de son entreprise. Retour aux roots. La voix rurale ce qui n'exclut pas la sophistication, et l'instrumentalisation rudimentaire. A part qu'il a un son de guitare fabuleux. Pas étonnant qu'il propose sur la table de son merchandising un T-shirt comminatoire qui porte le portrait de Robert Johnson. Les coupeurs de cheveux en quatre ne manqueront pas de remarquer avec ironie que les trois morceaux entendus sont davantage d'obédience country que blues. Exactly my lords, et je préciserai même qu'ils louchent fort du côté du folk. Sans oublier que Blues et country sont des rivières parallèles qui comme Rhône et Rhin coulent selon les déclivités opposées d'un partage des eaux, mais qui proviennent d'un réservoir commun.

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    Reste à expliciter cette nomination incompréhensible pour les esprits artificiels. Une pure provoc adressée à l'immense majorité de la jeunesse qui écoute de la musique aseptisée et robotisée, et qui dans son ignorance manifeste vis-à-vis du vieil idiome du blues une arrogance méprisante. Dans certains milieux américains ce reproche se larve d'insultes : blues musique d'esclaves, early-country musique de pauvres. L'on n'a que ce que l'on mérite. Si vous n'êtes ni libres, ni riches, ne vous en prenez qu'à vous. Morale classiste libertarienne, dernier avatar du puritanisme biblique.

     

    APPRENTICE

    THE BLUES AGAINST YOUTH

     

    Enregistré à Rome entre février 2014 et février 2015.

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    Keep it goin' : petite intro, music only, juste pour vous montrer comment une guitare sonne, et pleure, si vous ne comprenez pas qu'elle imite le mocassin qui rampe vers vous, vous avez tout faux. Medium size star bound : la même chose mais sur un tempo rapide, les cordes se tassent quand la voix s'élance, et explosent en mille éclats de verres qui se plantent dans vos yeux quand elle se tait, facile, Tbay en siffle de contentement, manière de se moquer de vous, mais ensuite, bon prince éblouissant il vous offre un festival de sons slide serpentifiques. Barbed times : l'on tient le rythme en plus appuyé, l'harmonica imite le train ( sans se traîner ), la guitare prend la relève et une voix de femme vient soutenir l'aède, la grande tradition country, relevée d'un zeste de Dylan. Instead of nothing : plus près de Zeppelin que de Robert Johnson pour l'éparpillement cordique alors que la voix n'hésite pas à yodeler comme un cow-boy dans un film de Roy Rogers ou sur un disque de Jimmie Rodgers. Somebody settles down : plus lourd, plus grave, plus moderne, malgré les cavalcades de la guitare et les lampées de l'harmonica, rudesse du sud. Lonesome whistle blow : la guitare gémit comme le vent dans les roseaux des poèmes de Yeats, erreur s'agit de la reprise du standard d'Hank Williams, ne prend même pas la peine de forcer l'accent du Sud, c'est la guitare qui se charge du l'épineuse plainte. Prend son temps et nous notre plaisir. Call it quits : changement de vitesse, la voix glapit, pulse et marque l'urgence. La guitare tintamarre et les accords s'éparpillent comme fleur de cactus contenue durant un siècle qui explose enfin. Confusion énergétique comme il en règne dans les meilleures réalisations stoniennes. Boundless : l'a encore de l'énergie, le morceau est confit de voix comme le foie gras d'un canard nourri au grain, d'ailleurs la six-cordes picore comme une poule pressée de pondre. Wish pile blues : après deux ébouriffements de guitares, retour au old style, la voix sous le projecteur comme celle d'un vieux film, guitare en sautoir, narquois sifflotements, l'on a dû beaucoup s'amuser à enregistrer cette pseudo ballade pour générique d'ouverture. Got blood in my rythm : démonstration de ce que l'on doit savoir faire si l'on espère jouer dans la cour des grands. Une architecture galopante qui n'est pas sans rappeler la diabolique aisance de Johnny Cash. The lake : tout doux comme une eau dormante. Mais profonde, froide et glacée. Attirante et langoureuse comme une ondine. Mortelle beauté. Sans voix. Basse funèbre. Apprentice : orgue en sus, n'empêche que la guitare scintille, qu'un cliquetis de tambourin s'entête et que la voix coyotise, moane, et beugle pour marquer sa présence. Très fort. Laissez dérouler. Une petite surprise à la fin.

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    A écouter sans fin. L'oreille aux aguets. Y a toujours un truc que vous n'aviez pas remarqué. Le détail que vous n'aviez pas perçu et qui change tout. De ces disques trop riches que l'on est loin d'épuiser en dix fois. Un siècle d'histoire de la guitare blues et de son bâtard nommé rock'n'roll subsumée en douze plages. De toutes les manières, c'est déjà inscrit sur la pochette, iguane et ne perd pas.

    Damie Chad.

     

    45 REVOLUTIONS PAR MINUTE

    NUCLEAR DEVICE / 1982 – 1989

    HISTOIRE D'UN GROUPE

    ROCK ALTERNATIF

    Daniel '' Chéri Bibi '' Paris-Clavel

    Patrick ''Kiox'' Carde & Nuclear Device

    ( Editions Libertalia / Association La boîte à outils )

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    Nuclear Device. Inconnu au bataillon. En plus moi et le rock alternatif français ce n'est pas l'amour fou, ça me hérisse le hérisson auditif... mais c'était le seul livre résolument rock que les courageuses et dissidentes Editions Libertalia avaient en exposition... alors je l'ai pris. Faute de tigre on adopte un chat. Bel ouvrage, couverture cartonnée, bien mis en page, illustrations couleur, question artefact musical n'en suis pas ressorti convaincu mais si tous les groupes qui ont existé pouvaient se targuer d'avoir une rétrospective bouquinière aussi intelligemment agencée ce serait parfait.

    L'est bâti sur un principe simple : l'aventure est racontée par dix-neuf de ses protagonistes. Dans l'ordre chronologique. Je supposons quelques réunions, quelques interviews solitaires et Chéri-Bibi – le numéro 20 - a dû se coltiner le mix. Au final récit vivant et coloré, les anecdotes ne se contredisent point mais les différents point de vue entrecroisés sur un même processus s'allument de reflets réciproques. Très agréable à lire, l'on a sans cesse envie de savoir comment les évènements relatés de page en page vont finir par se goupiller.

    L'histoire est toute simple. Naissance d'un groupe, son itinéraire, sa dissolution. Circulez, il y a encore à voir : ce que sont devenus nos jeunes héros dans les vingt-cinq années qui suivirent. Tous autant qu'ils sont, font preuve d'honnêteté intellectuelle et d'esprit critique. Aucune acrimonie, aucun nauséabond relent de nostalgie mortifère.

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    Quinze ans au moment du punk. Pourraient focaliser sur les Sex Pistols, remonter le courant New York Dolls, Stooges, MC 5, mais non ils prennent le mauvais embranchement, se renquillent sur The Clash, et sur ses aspects les moins mythiques, les plus miteux, les grosses valises de ska et de reggae que les faussaires transportent en douce... A leur décharge, faut préciser qu'ils sortent de nulle part, de la seule ville de France qui ne vit que vingt-quatre heures par an. Du Mans. Je mens en plus : d'Allonnes. Alone dans la cambrousse. Deux frères. Pascal ( chanteur ) et Patrick ( guitariste ). Même pas capables d'être maltraités par leurs parents. Sont aimants, leur filent dans la tête plein d'idées belles et généreuses. Mouvance PCF. Arrive Chris ( batteur ), à eux trois ils formeront le noyau initial. S'adjoindront Charlu ( bassiste ) – un mec bien qui écoutait de Gene Vincent au collège – Loïc ( ami de la première heure ) et plus tard Jean-Marc ( saxophoniste ) qui relèvera le niveau musical de l'orphéon. La galère normale : l'on se rencontre au collège et dans les environs, on forme un groupe, on trouve enfin un local de répétition, les premiers concerts, on est loin d'être des cadors – l'on ne s'inscrit pas pour rien dans la queue de comète du punk – mais ce n'est pas le plus important, Nuclear Device est avant tout une école de vie. L'auberge espagnole de l'éducation populaire, chacun partage ses connaissances, et ce sentiment de rébellion instinctive qui agit comme un ciment englobeur. Une belle aventure, l'ouverture au monde, l'arrachement à la force de la gravité sociétale. Normalement, tout devrait s'arrêter là, ne devraient rester que les beaux souvenirs de l'entrée dans la jeunesse, quand on arrive à vingt ans, que l'on est devenu la petite gloire locale du coin, il est urgent de se dire que ce n'est qu'un rêve, que les copains et les filles qui vous suivent et entretiennent cette douce illusion de fête perpétuelle, tout cela ne durera pas, qu'il faut être réaliste, que ce semblant de mai 68 culturel et intérieur que l'on a suscité n'est qu'une ridelette dans le verre d'eau de vos cerveaux qui se craquèlent comme le poussin qui brise la coque protectrice de son œuf, faudra bien en faire tôt ou tard son deuil, que la société honnie veille sur votre avenir, qu'elle vous chaponnera un de ces jours et que vous passerez bientôt à la casserole des illusions perdues.

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    Nuclear Device possède leur arme secrète. Leur énergie. Sont les premiers à ne pas en mesurer l'importance. Certes ils ne sont pas aussi seuls qu'ils le croient. Sont représentatifs de tout un courant de la jeunesse française encore souterrain et invisible, les choses bougent sans qu'ils s'en aperçoivent depuis leur lointaine province. A Paris l'on s'agite beaucoup plus, une mouvance alternative est en train de se donner les moyens d'apparaître au grand jour. Des groupes similaires voient le jour comme Corazon Rebelde, les Brigades, OTH, Parabellum... N'ont même pas la prime d'être arrivés avant tous les autres... Ne sont pas les meilleurs du monde, mais sur scène, ils arrachent tout. A la suite d'un concert, Rock Radical Records leur propose d'enregistrer un disque. Le genre d'opportunité qui ne se refuse pas. Z'ont le bras dans l'engrenage. Changent de braquet. Enregistrent un maxi 45 Tours, pas un chef d'oeuvre impérissable mais une belle carte de visite qui leur ouvre les portes de la Capitale. Radikal Records se transforme en Bondage. Sera avec Boucherie Productions la principale maison de disques du mouvement Alternatif qui décolle. Les deux auberges illustrent bien les deux branches constitutives du rock alternatif français, Bondage est plus idéologique, politique, critique... Boucherie insiste sur le côté festif, une résurgence du vieux fonds gaulois, la déconnade érigée en principe de révolte... Les Béruriers Noirs seront le groupe phare de l'époque.

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    C'est le grand saut pour Nuclear Device. Leur quotidien change d'échelle. Abasourdis par le public parisien, des punks comme s'il en pleuvait, n'avaient jamais imaginé une telle concentration au mètre carré. Punks très vite doublés sur leur droite par les Skinheads. Nuclear Device n'aime pas les fachos, les éjecte de leurs concerts, font appel au service d'ordre et de protection de Bondage pour écarter les nazillons et interdire la présence des croix gammées sur les blousons. Nuclear a ses convictions et ne cache pas son foulard rouge dans sa poche sous une pile de mouchoirs sales. S'amusent beaucoup. Tournées homériques et aristophanesques. L'on n'est pas sérieux quand on a vingt-cinq ans. Les groupes se bombardent amicalement de farine et d'œufs pourris. L'on brûle les meubles et l'on défèque dans les chambres des hôtels sordides qui vous reçoivent mal...

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    Ne faut jamais oublier que pendant que vous rigolez le monde n'arrête pas de tourner. Ils enregistreront d'autres 45 tours et deux albums dont le dernier dans un vrai studio qu'ils jugent raté. Ne maîtrisent pas la technique et emportés par le tourbillon ils n'ont pas le recul nécessaire, leur faudrait un œil extérieur qui soit capable d'indiquer une direction... La réalité les attend au tournant. Deux défections dans le groupe qui n'avance pas, qui tourne en rond, qui recule. Changement de nom : ND remplace Nuclear Device, rien ne sert de repeindre la façade si la boutique d'en face propose mieux. Les Bérus se sont séparés, la Mano Negra les remplace  allègrement dans le cœur du public. Savent jouer ces satanés travailleurs au noir, sont plus doués, dépassent tous les autres groupes qui visaient la première place. Sont meilleurs en point c'est tout. N'y a pas photo. Les carottes sont cuites. Pour les ND c'est d'autant plus râlant que les cinq doigts négroïdes reprennent une de leurs caractéristiques, mêlent de l'espagnol à leurs fromages sonores... Pire encore  la Mano Negra franchit le Rubicon. Est le premier groupe du mouvement alternatif underground adepte de ce que l'on n'appelait pas encore le Dye ( Do It Yourself ) à intégrer une major. Perdent leur virginité, signent chez Virgin. L'ère d'innocence est terminée, la prostitution marchande exploite le filon, et fait du blé avec le bébé...

    ND splitte d'un commun accord... le dernier chapitre du livre raconte leur retour à la vie réelle, ne se débrouillent pas si mal, musique, imprimerie, graphisme les occupent. Certains montent même des entreprises. Ont préservé l'essentiel, le groupe n'existe plus mais la tribu est toujours là, les ponts ne sont pas coupés, dispersés mais prêts à s'entraider. Ne font pas de beaux mariages mais vivent intensément...

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    Le livre raconte tout cela, donne la parole aux filles qui ne foncent pas tête baissée dans les récriminations féministes habituelles, et à des figures essentielles du mouvement alternatif comme Marsu et Dom. Se dégagent de tous ces interviewes une grande maturité. N'ont peut-être pas concrétisé tous leurs rêves mais ont au moins essayé. Ce qui est déjà beaucoup. Et relativement rare quand on regarde autour de soi. Figures sympathiques qui témoignent avec simplicité et lucidité de leur expérience humaine. Rock'n'roll et amitiés. Que voulez-vous de plus ?

     

    Le livre est accompagné d'un CD.

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    Arriba Espana Abajo la dictatura : un véritable programme politique, Nuclear Device ne vous cache pas ses préférences, une belle intro guitare et batterie, hélas tout cela périclite en un reggae qui avance à la vitesse d'un gastéropode en retraite, les vieux anarchistes n'ont plus la frite de leur jeunesse. A moins que ce soit le contraire. Dans tous les cas c'est dommage. Hariba Grimzi : c'est vrai que ça ressemble à Indochine, les Nuclear s'en préoccupent à plusieurs fois dans le bouquin, ne pas y voir une copie admirative refoulée mais une rencontre hasardeuse due au manque de dextérité instrumentale. Se différencient par une influence ska sous-jaccente. Servitude nationale : apport du saxophone qui repeint les volets. Du coup c'est le vocal qui manque de punch. C'est sûr qu'il ne faut pas donner l'impression de péter une forme olympique quand on milite pour l'abolition du service militaire. Je reconnais qu'il faut être cabourd pour aller se faire tuer pour les bénéfices des marchands de canon. Desperados : refrain espagnol, un peu de désordre musical, une véritable armée mexicaine en déroute, z'auraient pu s'inspirer de La Horde Sauvage de Peckinpah ou de la musique tex-mex plus appropriée que cet ersatz de dub. Lettres de fusillés : rythme sautillant pour accompagner des extraits de lettres de fusillés de la Résistance. Difficile d'en saisir la signification, joie du héros sûr de sa cause ? Rupture ou contradiction avec les paroles de Servitude Nationale? Ambiguïté ou maladresse dialectique ? Pretoria Basement Dub : anti-apartheid en Afrique du Sud, encore des intonations vocaliques indochinoises, se réfugient dans de longs passages instrumentaux. N° 34 48 : dub à train d'enfants surexités, l'énergie des Nuclear Vice s'apparente à de l'enthousiasme festif. Des tics musicaux que l'on retrouve sur les disques de Bernard Lavilliers. Coscorron Steady Beat : instrumental ennuyant. L'aurait fallu doubler le sax par une véritable section de cuivres. Rock steady du pauvre. Mal produit ajouterons-nous parce que nous sommes méchants. Deprisa Vivre vite : ont imaginé leur propre musique d'ambiance pour Deprisa le film italien. Ce n'était peut-être pas la peine vu le pays d'origine de mettre des éclats de flamenco, des orchestrations à la Bella Ciao auraient été mieux indiquées, mais considéré en soi-même le morceau est bien ficelé avec son riff de guitare sixty. C'est encore du côté du vocal que ça pêche le plus. Aïe, Aïe, Aïe ! Ouvea : contre la police – déjà à l'époque tout le monde la détestait – et son intervention dans la grotte d'Ouvéa en Nouvelle-Calédonie qui se termina par neuf morts pour ne pas dire neuf assassinats. Utilisent le même schéma dichotomique : guillerette music pour grave sujet. Quartier noir : moins réussi que les deux précédents malgré de beaux aboiement du sax, mais le vocal trop grossier écorche mes pauvres oreilles. Je suis un évadé : traitement des cuivres à la Muscle Shoals, de tout coeur avec cet évadé que l'on aimerait aider et cacher. Il chante mal, mais l'on fera un effort, notre bon cœur nous perdra. Street Urchin: rythme serré, un effort sur le vocal, l'ont mixé avec le reste, se sont gardés de le mettre en avant. Le morceau y gagne en cohérence et en densité. Des progrès peut-être pas remarquables mais remarqués. Ruski Hata: contre la répression de la révolution hongroise, à écouter en se souvenant de la triste évolution des pays de l'Est libérés de la main de fer soviétique, mais à l'époque ne pouvaient pas savoir, sont contre les ventes d'armes qui servent à écraser le soulèvement des peuples. Sur les murs : appel à la révolte, un beau magma sonore, graphitis phoniques. Desperados : enregistrement public '' in vivo '' en leur fragnol militant, version qui n'apporte rien de décisif, trop de mollesse de décrochage entre parties vocales et musicales. Ont essayé d'équaliser sans y parvenir. Ont confondu avec égaliser. Deprisa : même commentaire que sur le précédent. Partisans : le chant des partisans, débité à toute vitesse. Intentions louables. Résultat hideux. La modernisation est souvent l'autre nom de la régression. Ici esthétique. Frontières : tristement d'actualité. Un des très rares morceaux du cd bien en place. S'écoute avec plaisir. Guantanamera : Joe Dassin l'avait déjà commis, l'ont perpétré une deuxième fois. Mode d'emploi habituel, l'on accélère le tempo même pas pour finir plus vite, car quand ils tiennent un rythme ils ne le laissent pas de sitôt, y mélangent quelques citations de la Bamba.

     

    Si vous aimez la Mano Negra, Zebda et Sergent Garcia, vous allez adorer. J'ai aimé le récit, mais le disque me tombe des mains. Ce qui est effrayant, c'est de penser que presque trente ans après les Chaussettes Noires, ils ne font pas mieux. Je parle des enregistrements, pas des lyrics. Ce qui était pardonnable en 1960 est une faute en 1990. Ne sont pas les seuls responsables. Se sont débrouillés tout seul, ont fait ce qu'ils ont pu. Je ne vois qu'une explication à ces maladresses. Font partie de ces générations qui ont perdu un contact étroit et direct avec la musique populaire américaine. Ont cru qu'ils pouvaient faire aussi bien en écoutant et en mélangeant le tout venant auditif dispensé sur les radios et les catalogues des nouveautés des maisons de disques de l'époque. Ont cru s'ouvrir au monde. Se sont dispersés aux quatre vents des modes. Vous n'êtes pas obligés de me croire, j'ai toujours été épidermiquement, instinctivement, intuitivement rétif au rock alternatif français.

     

    PUNK ET ANARCHIE

     

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    La maison d'éditions Libertalia fêtait ce samedi 14 octobre ses trente ans d'existence. Exposition, vente de livres et diverses présentations d'ouvrages à paraître. Le cinéaste Tancrède Ramonet montrait en avant-première quelques séquences – non définitives - du troisième volet de Ni Dieu Ni Maître. Rappelons que les deux premières parties de ce documentaire consacré à l'histoire de l'anarchie diffusé sur Arte a quelque peu percuté la conscience du grand public à qui pour la première fois était longuement révélé tout un pan de l'histoire du mouvement ouvrier largement méconnu. Genre de babioles que l'on n'enseigne guère dans les lycées, victimes d'une longue conjuration du silence, autant celle de la bourgeoisie aujourd'hui triomphante que des partis communistes de nos jours en perte de vitesse.

    Les deux premiers épisodes relataient l'histoire des luttes et des révoltes depuis la cristallisation de la pensée théorique du mouvement au dix-neuvième siècle jusqu'au désastre de la guerre d'Espagne. Le troisième et dernier épisode en préparation couvre les années années 1945 à 2001. Est intitulé Les Réseaux de la Colère.

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    Le mouvement anarchiste ne s'est pas encore relevé de sa défaite espagnole. Ce ne sont pourtant pas les raisons de se révolter contre les injustices et les inégalités qui manquent... d'ailleurs la nouvelle façade libérale du vieux monde craque de partout. Mais durant la seconde moitié du siècle précédent le mouvement anarchiste ultra-minoritaire n'est pas au rendez-vous. Selon Tancrède Ramonet, ce sont pourtant les ferments des pratiques anarchistes qui sont à l'origine des nombreuses luttes qui n'arrêtèrent pas d'essaimer durant ces cinquante années. Rappelons-nous de la joyeuse année 1968, et surtout surtout ces phénomènes de remise en question qui ont bousculé les jeunes générations. L'en cite plusieurs comme les revendications féministes, la prise de conscience écologiste et l'émergence du phénomène rock, notamment le tsunami punk.

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    Nous sommes gâtés, le projet de séquence rock nous est dévoilé. Rappelons le principe de la série : des interviews de militants oculaires, et une voix off qui fait le lien entre diverses archives cinématographiques. Ces dernières ne sont pas données, exemple concret : une minute de concert de Sex Pistols coûtent cinq mille euros...

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    Donc quelques minutes consacrées au rock pour résumer un mouvement qui court sur cinq dizaines d'années, je conçois que l'on simplifie quelque peu l'argumentation. Un point sur le rêve de fraternité hippie, San Francisco, l'été de l'amour, l'échec du mouvement qui butte sur cette notion de non-violence que la police ne respecte pas, l'apparition des Diggers qui instituent les distributions gratuites de repas, les magasins à prix libre... les rockstars comme David Bowie et Eric Clapton enivrés de leur pouvoir médiatique qui tiennent des propos douteux pour ne pas dire fascisants... la réaction punk expression d'une saine rébellion contre le rock des cadors qui se pompiérise et devient ennuyant, l'on s'attend à quelques images de Yes ou de Genesis, ben non, ce sera Elvis Presley à Las Vegas. Pauvre Elvis, y avait longtemps à l'époque que le public rock s'était détourné de lui, n'intéressait que les nostalgiques, des mères de famille au bord de la ménopause, des ménagères qui se donnaient l'impression de revivre leur jeunesse en s'offrant pour l'anniversaire de leur mariage le spectacle du King... On ne le haïssait pas, on ne s'en gaussait point. L'était considéré comme un destin pathétique mais pas comme un bouffon. Il serait bon que ces images employées à contre-emploi soient écartées. Tancrède Ramonet devrait réfléchir à la différence godardienne entre juste une image et une image juste.

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    Petite mise au point nécessaire, mais ce n'est pas là où je voulais en venir. Un tel docu, nous l'avons vu, demande des moyens financiers importants. Les deux premiers épisodes ont été en partie aidés par Arte, mais étrangement pour celui-ci toutes les chaînes de Télé et autres institutions culturelles sollicitées se détournent... L'on comprend facilement pourquoi, les évènements relatés dans les deux premières parties se déroulent en un passé relativement lointain. Par contre celle-ci est en prise directe avec notre actualité, la naissance des mouvements qu'elle conte sont à l'origine de ces tumultueuses contestations radicales de plus en plus partagées et de plus en plus vindicatives qui bouillonnent de nos jours.

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    Ce n'est pas cette explication que l'on avance à Tancrède Ramonet. Les médiatiques responsables de notre société se targuent de démocratie. Ils détestent toute forme de censure. Surtout politique ! Ce sont des esprits ouverts. Alors ils ont trouvé le reproche adéquat. La séquence punk ! Qui serait trop ceci, trop cela...

    Un prétexte bien sûr ! Une excuse grossière ! Une ruse cousue du fil blanc de la réaction ! Mais le simple fait que certains puissent encore en 2017 se prévaloir de l'épouvantail du rock'n'roll, démontre à l'envie que notre musique n'est pas tout à fait morte !

    Damie Chad.