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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 115

  • CHRONIQUES DE POURPRE 235 : KR'TNT ! 355 : SYD BARRETT / JOE ALBANY / SALUT LES COPAINS / BLOUSONS NOIRS

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

    , Syd Barrett, Jo Albany, Salut les Copains, Blousons noirs,

    LIVRAISON 355

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    04 / 01 / 2018

    SYD BARRETT / JOE ALBANY /

    SALUT LES COPAINS / BLOUSONS NOIRS

     

    SYD BARRETT M'ETAIT CONTE

    , Syd Barrett, Jo Albany, Salut les Copains, Blousons noirs,

    Qui mieux que Jenny Fabian peut évoquer la mémoire de Syd Barrett ? - We don’t really know what destroyed Syd’s creativity. Whether it was the drugs or the fact that something was stopping him creating because he didn’t want to join the circus (Alors, les drogues ou le rejet du cirque ?) - C’est bien de laisser planer le doute. On met toujours trop de choses sur le compte des drogues.

    Une autre girlfriend, Jenny Spire, vient corroborer le doute. Selon elle, Syd préféra revenir à ce qui l’intéressait vraiment, la peinture. On sort donc du cliché acid-demolisdhed poster boy dont on nous rabâche les oreilles depuis cinquante ans.

    C’est dans Shiding que Kris Needs retrace le trajet météorique de l’un des acteurs les plus brillants de l’ère psychédélique britannique. S’il commence par rappeler que Jenny Fabian passa du temps avec Barrett, c’est pour remettre les choses en perspective d’une manière élégante.

    Ado, Syd apprend à jouer Bo Diddley sur une cheap Hofner. Il utilise son Zippo pour jouer en slide. Avec son pote Roger Waters, ils se tapent des virées en motorbike dans la countryside. Puis ce sont les première virées au LSD, en 1966, et là commence un fantastique voyage vers l’inconnu.

    , Syd Barrett, Jo Albany, Salut les Copains, Blousons noirs,

    C’est le début de l’histoire du Pink Floyd que tout le monde connaît par cœur. Selon Michael Horovitz, the early Pink Floyd were highly original. Il trouvait que leur son était une interesting variation on old blues. Eh oui, le Floyd n’écoutait pas de psyché pour la bonne raison que le psyché n’existait pas encore. Ils écoutaient du blues. C’est le vénérable Pete Brown qui se souvient des choses les plus intéressantes. Selon lui, Syd n’était pas un grand guitariste, mais il pouvait improviser, il disposait de cette inventivité capable de tenir un public en haleine - He had a real imagination and could instinctively come up with lots of ideas. Some of his improvisations within his limitations were extraordinary - Syd faisait le show. Les autres pouvaient groover, mais ça s’arrêtait là. Pete Brown indique aussi que «See Emily Play» et «Arnold Lane» influencèrent sa propre façon d’écrire, notamment ce qu’il écrivait pour Jack Bruce et Cream : «Arnold Lane is beautifully written. Certainly lyrically, he was genius.» Il ajoute que les rimes sont intelligentes et la technique really fucking good.

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    Oui, «See Emily Play» et «Arnold Lane» furent des singles magiques, au même titre que «Strawberry Fields» et «Penny Lane». Syd Barrett incarnait l’Angleterre qui nous faisait rêver. Et c’est là que Kris Needs achève le premier volet de son mémorial : Avec «See Emily Play», the fun part of the trip was already coming to a close. Fin de la rigolade.

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    L’ère du désenchantement s’ouvre avec le premier album du Floyd, The Piper At The Gates Of Dawn. Syd le sauve avec «Lucifer Sam», sans doute le hit le plus tendu du Floyd, chargé de suspense et élastique en diable. Syd y joue une partie de guitare historique, une rouerie progressive sublime digne d’un Romanichel des Balkans. C’est aussi sur cet album qu’on trouve le fameux «Insterstellar Overdrive», le hit le plus connu du early Floyd, monté sur ce vieux gimmick descendant qui crée les conditions du psych-out so far out of mind. Syd gratte sa Télé comme un dingue. Il joue le jeu à fond. Le seul intérêt de ce délire est de l’entendre gratter sa Télé. Mais il est évident qu’à l’époque, ça ne pouvait pas marcher, car ce délire psychédélique frisait le foutage de gueule. Ils semblaient jouer la montre molle. On pourrait dire la même chose d’«Astronomy Dominé» qui ouvre le bal de l’A et qui maintenant sonne comme un classique entre les classiques. C’est l’archétype de ce space-rock d’obédience psychédélique qui va faire tant de ravages dans le monde moderne. Syd fait des miracles sur «Take Thy Stethoscope And Walk». Il montre d’excellentes dispositions à jiver le psychout. Il signe la plupart des morceaux et notamment le fameux «Chapter 24», une rengaine psychédélique digne du grand Barrett à venir et qui tient de l’enchantement.

    Il vit à cette époque au 101 Cromwell Road, a place were acid flowed like water, précise Needs. Quand Jenny Spires revoit Syd au 14 Hour Technicolor Dream, elle le trouve changé, très fatigué et hagard. Daevid Allen le trouve même particulièrement absent sur scène - The glissando guitar stroker looked like he wasn’t there. It wouldn’t be long before he wasn’t - En fait, Syd rejette tout le cirque environnant. Jenny Fabian explique que les groupes underground devenaient commerciaux et que les magouilleurs s’infiltraient dans le milieu pour l’exploiter. Des groupes achetaient des fringues et des light shows pour imiter le Floyd. Toujours la même histoire : des pionniers créent un monde et les pilleurs affluent. Syd ne pouvait pas supporter ça. Il n’en finissait plus de répéter : «I don’t want to be a pop star.»

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    L’album suivant déçoit horriblement. Il semble que Roger Waters ait pris les commandes puisqu’il signe une grande majorité des cuts d’A Saucerful A Secrets. Il compose deux des cuts les plus connus du Floyd, «Let There Be More Light» et surtout le fameux «Set The Controls For The Heart Of The Sun», mais il manque l’essentiel, c’est-à-dire le décadentisme de Syd Barrett. Le pauvre Syd ne signe que ce «Jugband Blues» de fin de parcours qui ne fonctionne même pas.

    Kris Needs a parfaitement raison de tracer un parallèle entre les destins de Syd et de Brian Jones, tous les deux virés pour «incapacité». En janvier, le Floyd décide de partir en tournée avec David Gilmour - in a somewhat uncanny re-enactment of the Stones dumping the incapacited Brian Jones, (the Floyd) embarked on their rise to world domination with a different guitarist - Comme les Stones avec Mick Taylor, le Floyd partit à la conquête du monde (et des tiroirs caisses) avec un remplaçant.

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    Barrett passe à autre chose avec Barrett, son premier album solo. Dès «Baby Lemonade», on entre dans un monde magique, celui d’un acid-head fabuleusement doué. Il semble qu’une fumée de magie sorte de sa bouche. C’est là qu’il invente le décadentisme, mais pas n’importe lequel : un décadentisme psychédélique chargé de basse et de vibes fanées. Les deux coups de génie de Barrett sont «Dominoes» et «Rats». Avec «Dominoes», on peut parler d’aristocratie du rock anglais, de London swing, de noyau du nucléus, de cœur de mythe, oui, car Syd délie l’idée d’un son de you and I and dominoes, il étend l’empire du groove sur le purple world et par son génie mélodique, il émancipe l’excellence de la latence, ça va loin car ça jazze la java, il atteint des cimes de wasted elegance et ça jive jusqu’au vertige. Avec «Rats», il jamme le Diddley beat des catacombes. C’est tout simplement admirable de prescience psychédélique, that’s love yeah yeah. Voilà le Diddley beat de Ladbroke Grove. Tout est bon sur cet album, «Love Song» sonne comme une pop-song parfaite, son fil mélodique envoûte les clés de voûte. Voilà une pop-song aussi charmante que la campagne anglaise au printemps. Avec «Maisie», Syd joue le heavy blues de Londres, mais à la mode Barrett. Et pouf, lorsqu’on entre dans le versant obscur de l’Harvest, on tombe sur «Gigolo Aunt», l’archétype de la pop anglaise, le swing du swinging London monté lui aussi sur un incroyable beat de basse rebondi - I know what you are/ You are a gigolo aunt - et ça vire au jive de jazz, Syd passe d’étranges passades et Gilmour trousse une bassline dynamique en diable. Mine de rien, c’est un super-groupe qu’on écoute : Jerry Shirley au beurre, Gilmour au bassmatic et Syd Barrett au swing. «Wined And Dined» sonne aussi comme une dérive, en tous les cas, ça reste en cohérence avec l’univers brillant de Syd Barrett.

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    The Madcap Laughs vaut aussi le détour, ne serait-ce que pour entendre ce terrible coup de génie bluesy qu’est «Long Gone», pur Barrett Sound bien barré, et l’encore plus génial «No Good Trying», cut de groove à rebrousse-poil qui se situe dans la veine de «Dominoes». Syd y vrille la moelle de l’épinière et renoue avec l’authentique beat de la désaille. À ce petit jeu, il reste invaincu. Il retrouve la veine infernale du calcul intégral, c’est hautement toxique, bardé de psychédélisme intempestif et joué aux guitares dénouées, sur du débouché de basse. Fascinant ! Il traîne dans le fond du cut un vieux reste de mad psychedelia et Syd semble se laisser bercer par toute cette folie. «Octopus» sonne comme un balladif indifférent au temps et aux modes. Syd y claque un solo de congestion parabolique. Il ne fait que des choses radicalement hors normes, puisqu’il chante les bras en l’air alors que le courant l’emporte. On le soupçonnerait même de faire du psyché sans même s’en rendre compte. Il joue «Late Night» au petit riff inoffensif et même, pourrait-on dire, à l’indicibilité de l’inside me I feel. On entend un boom, on croit qu’il vient du mur, mais non, il est dans le son. Encore une extraordinaire dérive de Sargasse avec «Terrapin». C’est le balladif barrettien de crystal blue. Cette nonchalance sonique finirait bien par poivrer une statue de sel. Le gratté intrigue. Et voilà «No Man’s Land» joué au heavy psyché bien intentionné.

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    Quand on écoute ça, on se sent dans la vraie vie. Mick Rock signe la photo de pochette prise à Earls Court, dans l’appartement où Syd s’est installé après avoir été viré du Floyd. La première chose que Syd y fit fut de repeindre le parquet en deux tons alternés et d’héberger Iggy the Eskimo qu’on voit nue sur certaines images de Mick Rock.

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    Pas besoin d’emmener The Best Of Syd Barrett. Wouldn’t You Miss Me? sur l’île déserte. Il y va tout seul. On y retrouve un choix de merveilles tirées de ses deux albums solo et d’incroyables coups de génie, tiens par exemple «Wolf Pack» qu’on dirait chanté dans un village de la Sarre par Gaspard Hauser. Syd chante à l’écho des vallées de nowhere land. C’est stupéfiant de perdition, sans espoir et ce démon gratte tout ce qu’il peut sur sa guitare. Et il revient avec des remugles d’énergie jugulaire. C’est hanté par toutes sortes de démons et claqué au vent mauvais. On irait même jusqu’à dire que c’est trié sur le volet du néant. Pas de rock possible après ça. On a aussi du weird as fuck avec «Shawn Lee (Silas lang)». Pur jus dada, mais du dada synthétique, celui dont rêvait sans doute Tzara. La chose se veut expiatoire, bardée de son weirdy et de basse déconvenue. On entre ici dans un monde très spécial. Cette compile propose aussi le mystérieux «Opel», psyché, délirant et gratté à coups d’acou. Syd se joue des règles de l’harmonie. En pur dandy, il crée les siennes. Et il gratte à outrance, en pure désespérance. Avec «I Never Lied To You», Syd crée les conditions du désastre. Comme il ne veut pas avoir à se justifier, il abîme sa voix. Il chante à la renverse. Et on note l’extraordinaire okay baby de «Love Song». Pur Syd des bas fonds. Il va même jusqu’à exploser les bas fonds du groove psyché. Remarquable ! On a là une rengaine sublime grattée au banjo et noyée d’orgue. Encore un magnifique exercice de style byzantin.

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    Il faut savoir que les deux gros hits de Syd, «See Emily Play» et «Arnold Lane» ne figurent pas sur les albums du Floyd. Si on ne dispose pas des deux singles, la compile Relics peut se révéler très pratique. Car enfin, «Arnold Lane» reste bel et bien l’archétype le plus fulgurant du psyché britannique. C’est là très précisément que Syd Barrett étend son empire. Il arrondit les angles de la terre des Angles. «See Emily Play» sonne comme la huitième merveille du monde, c’est embarqué au heavy punch d’Emily tries to understand. On voit la pop se tendre à l’extrême et Syd jouer à la surface. En réalité, il chevauche sa licorne. On tombe plus loin sur «Be Carefull With That Axe Eugene». Dommage que Syd ne soit plus là, car c’est véritablement un beau cut. On le trouve sur Ummagumma. On y sent des vieux remugles de «Dominoes». En ce temps-là, David Gilmour avait les cheveux gras.

    Signé : Cazengler, Barrett de shit

    Pink Floyd. The Piper At The Gates Of Dawn. Columbia 1967

    Pink Floyd. A Saucerful Of Secrets. Columbia

    Syd Barrett. Barrett. Harvest 1970

    Syd Barrett. The Madcap Laughs. Harvest 1970

    Syd Barrett. The Best Of Syd Barrett. Wouldn’t You Miss Me? Harvest 2001

    Pink Floyd. Relics. Capitol Records 1996

     

    LOW DOWN

    JAZZ, CAME, ET AUTRES CONTES

    DE LA PRINCESSE BE-BOP

    A.J. ALBANY

    ( 10 / 18 - Janvier 2017 )

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    Le sous-titre original est davantage explicite : Junk, Jazz, and Other Fairy Tales from Childhood. Ne vous éloignez pas sous prétexte du gros mot jazz, vous trouverez plus difficilement rock and roll dans votre bibliothèque. Certes Joe Albany fut un pianiste de jazz. Blanc. Qui participa à l’aventure Be Bop aux côtés de Charlie Parker et de Lester Young. Joua avec Charlie Mingus et Chet Baker. Un pédigrée à vous faire mourir de jalousie. A vous rengorger pour le restant de vos jours. Mais Joe Albany n’était de ce genre-là, l’avait mieux à faire. De la musique avant toute chose. Pas un gramme de mentalité d’arriviste. Un artiste désintéressé. L’explosion Be-Bop passée, la vague retombée, il se retrouve au début des années soixante à courir le cachet et à jouer des ballades sirupeuses dans les halls d’accueil des hôtels de troisième classe…

    Joe Albany avait du charme, les femmes le remarquaient, les plus belles. Ne manqua pas de séduire Sheila, pas n’importe qui, un être d’exception, cultivée, intelligente, fut la maîtresse d’Allen Ginsberg qu’elle aida dans la rédaction de Howl ! Le texte qui devait lui apporter la célébrité. Ginsberg, Sheila et Neal Cassidy couchaient souvent ensemble, à tel point que Ginsberg en vint à se définir comme homosexuel… Sheila et Joe Albany se rencontrèrent en 1959 dans une fête organisée par le pianiste Erroll Garner à Los Angeles. En 1962 naquit Amy Jo Albany…

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    Un véritable conte de fées. Mais je m’aperçois que j’ai oublié une donnée essentielle qui structurera toute la suite du récit d’Amy. Un couple de junkies. Des accros de la mort. A cinq ans Sheila a déjà beaucoup vu et appris. L’enfant a compris qu’elle ne survivra que si elle possède ses propres défenses intérieures… Sheila n’est pas étouffée par la fibre maternelle. Sa fille lui pèse. Elle finira par déserter définitivement le foyer conjugal… C’est alors que commencent les années de bonheur.

    Joe Albany aime sa fille. Sa fille et l’héroïne. A part égale. Se protègent tous les deux. N’allez pas glisser votre main dans la culotte d’Amy, son père est un colosse qui ne fait pas de quartier. Auprès de Joe, Amy se sent en sécurité. Elle veille sur son père à sa manière, ne lui faisant jamais reproche de ses stations dans la salle de bain. Supporte même ses maîtresses… Peu d’argent, quelques cachets par ci par là, mais une complicité sans faille, le cinéma, les promenades dans Hollywood, les soirées télé, les grignotages gourmands sur le sofa… Peu de choses, un véritable paradis comparé à ce qui les attend au-dehors. Amy a du mal à établir des contacts avec les autres enfants et les adultes, se méfie de tout et de tout monde, développe un fort esprit d’indépendance. Pour Joe c’est encore plus difficile, pour la police la donne est facile : ou tu donnes le nom de ton dealer, ou tu vas en taule… Joe jongle avec les flics, les juges, la mafia et les rendez-vous avec les tuteurs moraux à qui il doit prouver qu’il ne se pique plus…

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    Amy rencontre Louis Armstrong, écoute de la bonne musique. Son père l’initie, lui montre comment on développe un thème. Elle se passe et se repasse les grands du jazz mais pas que. Les Stones, les Yardbirds, Led Zeppelin, Black Sabbath… Une vie de rêve en quelque sorte. Qui se brise le jour où son père décide de partir en Europe. Y trouvera un public, y enregistrera des disques. Mais pour la gamine, c’est une espèce de trahison, se rend compte que son père adoré peut vivre sans elle…

    Passera son adolescence chez sa grand-mère. Pas méchante, mais l’enfant qui entre dans sa dixième année se sent seule. Son cousin de dix ans son aîné lui impose une tutelle sexuelle qui lui déplaît. Le jour où elle a assez de cran pour lui signifier l’arrêt de ces relations incestueuses, le jeune homme en colère saute sur sa moto et démarre à toute vitesse… pour se scratcher contre un mur quelques kilomètres plus loin… Cette mort ne l’affecte guère, elle a douze ans et les tourments de l’adolescence la taraudent… Son père l’invite en Europe, mais la magie qui les unissait n’existe plus, elle sera soulagée de repartir à L. A… Plus tard quand taraudé par la nostalgie d’Hollywood il reviendra, ils se verront de temps en temps, de moins en moins…

    L’est enfermée dans une tour d’ivoire et de solitude. Les adultes l’attirent mais leur amitié est intéressée, malgré leurs discours moralisateurs et puritains sont obnubilés par la possession de son sexe, qu’elle offre à des petits copains qui ne l’émeuvent point. Terrible déréliction… En dernier recours elle part à la recherche de sa mère qu’elle retrouve écroulée sur un trottoir. La maman tirée de sa léthargie, la regarde, la traite de pute et replonge dans son coma… C’est-ce soir-là qu’Amy prend sa première dose d’héroïne.

    Le livre se termine là. Une note liminaire nous apprend que sur l’instigation d’un cinéaste qui a connu son père elle écrit en 2002 ses notes qui deviendront un livre puis un film produit par les Red Hot Chili Peppers…

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    Un livre d’amour filial. Glacial. Une plongée dans un univers impitoyable. Une société sans empathie. Marche et crève. Les misérables et les cœurs-tendres, les idéalistes et les crapules, une série de portraits sans concession. Jamais un milligramme d’auto-apitoiement. La vie ne fait pas de cadeau, la leçon est claire : aucune raison pour en offrir à quiconque, même pas à toi-même.

    Ne surnage dans toute cette horreur que l’amour d’une petite fille pour son père. Amy n’en est pas dupe pour autant. Son père n’est pas un héros. Un paumé, un has-been, a tout perdu pour la simple raison qu’il n’a rien su garder. Une fêlure quelque part, sans doute en lui, aujourd’hui les psychologues diraient qu’il a été mal narcicisé, de son temps le couperet des psychiatres parlait net, fut diagnostiqué d’hébéphrénie, un espèce de crétinerie congénitale que l’on soignait en prescrivant des tasses de chocolat chaud ou des électrochocs. Eut de la chance, eut droit aux deux médicamentations…

    Dans ce monde de folie Amy et son père surent se bâtir une île au trésor, un refuge indestructible. Mais Joe Albany en avait une autre, un ilot enchanté pour lui tout seul. S’y rendait tous les jours. Héroïne, speed, LSD, qu’importe le flacon pourvu que l’on ait sa dose. Amy ne juge pas. Ne condamne pas. Ne critique pas. Elle raconte. Elle ne constate pas à la manière des huissiers. Nous restitue son père tel qu’en lui-même. Sans jérémiade. Sans reproche. Sans plainte. Le bonheur est une plante parasite, un lierre qui s’accroche aux troncs les plus rugueux. N’oublie surtout pas le plus important, le jazz qui fut la passion de cet homme, en assuma toutes les vicissitudes, à la recherche d’une solitude absolue qui le laissait en tête-à-tête avec cette musique qui l’habitait et le hantait. Au point de déserter le monde des hommes, et sa petite fille chérie qu’il adorait et qui persiste alors qu’il n’est plus à lui porter hommage pour tout ce qu’il lui a transmis. Le goût âpre d’une vie immodérée.

    Damie Chad.

    NOS ANNEES

    SALUT LES COPAINS

    1959 - 1976

    CHRISTOPHE QUILLIEN

    ( Flammarion / 2009 )

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    Camping d’Argeles. 1966. Excédée ma mère me prie d’un ton comminatoire pour la dix-huitième fois d’éteindre mon transistor. Elle aimerait pour une fois au moins dans l’année manger dans le calme. Bon fils je m’exécute déplorant en mon fort intérieur une telle extravagante exigence de la part d’un adulte responsable. Autant débrancher l’oxygène à un malade sur son lit d’hôpital. Je me prépare à une longue agonie. Mais non je survivrai. Certes j’ai arrêté le poste, mais le jingle de Salut Les Copains retentit aussi fort que si je ne l’avais point interrompu. Partout dans le camping, tous les transistors sont branchés à tue-tête sur SLC. Ma mère excédée soupire douloureusement et s’avoue vaincue : « Tu peux le rallumer, cela ne changera rien ! »

    ROCK ‘N’ CAT

    Salut Les Copains débuta en 1959 sur Europe 1, la radio périphérique qui tentait de se démarquer de toutes les autres. Qui n’étaient pas très nombreuses et qui usaient pour s’adresser à leurs auditeurs d’un ton compassé à endormir les trépassés. Sur Europe l’on cherche les idées nouvelles. Ce sera Suzie, le jeudi après-midi, elle présente des disques de rock’roll. Les cats ne sont pas au-rendez-vous. Pas grave ( un peu quand même ), Suzy a emmené son chat dans le studio. L’est censé lui répondre et manifester approbation ( ou réprobation ) lorsqu’elle s’adresse à lui. Mais le matou ne s’avère pas très communicatif. Faut repenser le schéma narratif de l’émission.

    JAZZ ‘N’ BIRD

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    L’oiseau est mort. N’incriminez pas le chat de Suzie. N’empêche que la station est dans la mouise. Charlie Parker a eu la mauvaise idée de clamser ce 12 mars 1955. Moment idéal pour une émission hommagiale. Gros problème dans la cambuse. La station n’a même pas un disque du Bird dans sa discothèque ! Maurice Siegel responsable de l’information se creuse la tête pour dénicher la galette salvatrice. Trouve la solution : un certain photographe de presse Daniel Filipacchi, qu’il a rencontré en 1951 et qui lui avait beaucoup parlé de jazz. Un mec cool ce Filipacchi, non seulement il accepte de prêter ses disques mais aussi de parler de Parker à l’antenne. Se tire de l’épreuve comme un chef, il connaît son sujet et ne bafouille pas une demi-seconde micro ouvert. Louis Merlin, le directeur -général, lui propose de présenter une nouvelle émission : Pour ceux qui aiment le jazz.

    DESTINS CROISES

    A chacun son métier et les auditeurs seront bien gardés. Lucien Morisse, le directeur de la programmation de la station, n’aime guère que le grand chef empiète sur ses prérogatives. En plus pour l’émission jazz l’a un de ses amis à placer, un certain Frank Ténot, ingénieur et amateur distingué de jazz. Les deux pontes s’abstiennent d’une guerre de tranchée, leurs protégés présenteront l’émission à tour de rôle. Le deal est mis entre les mains de Ténot et de Filipacchi. C’est là que Filipacchi se révèle fin stratège. Feront l’émission ensemble. Les deux hommes scellent une amitié indéfectible. Désormais ce sera eux deux contre le monde entier. Ténot en lieutenant fidèle, Filipacchi en fin stratège.

    LE LOUP DANS LA BERGERIE

    Pour ceux qui aiment le Jazz est devenu le rendez-vous des amateurs de jazz… Après l’échec désastreux de Suzie et de son chat, Filipacchi se voit proposer de reprendre Salut Les Copains. Ténot n’est pas chaud, Daniel ménage ses arrières et ses portes de sortie, lorsqu’il prend le micro pour la première fois le 19 octobre 1959, il a arraché à Lucien Morisse le titre de producteur exclusif de l’émission. En d’autres termes il est entièrement libre de faire ce qu‘il veut. Morisse s’en mordra les doigts, l’a fait preuve d’un manque de flair évident sur ce coup-là.

    SLC RADIO

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    Le projet initial est de capter un auditoire jeune avec une musique plus facile à écouter que les abstractions quintessenciées du jazz. Beaucoup de rhythm’n’blues, Ray Charles est le chanteur phare de l’émission et quelques français comme Gilbert Bécaud - le titre de l’émission est celui d’une de ses chansons - et Brassens. Mais ce n’est pas le plus important. SLC séduit d’abord par son style. Rien d’original, Daniel se contente de parler comme tout le monde, n’use jamais d’une voix mélodramatique, pas de bavardage intempestif, et surtout il abandonne ce phrasé culturel coincé du cul et de la glotte qui sévissait jusqu’ à lors. Une présentation qui n’est pas exempte de monotonie, pour pallier ce défaut des jingles musicaux relancent de temps en tems la donne, et l’émission alterne pages de pub énoncées sur fond musical soutenu et séquences spécialisées, généralement de trois disques, qui structurent et dynamisent le flux.

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    Sympa. Mais sans plus. L’émission bénéficie très vite de l’éclosion d’une nouvelle vague musicale, insufflée par la légendaire percée de Johnny Hallyday. Le rock ‘n’ roll français apparaît tel un cyclone qui dévaste tout sur son passage. Filipacchi a l’intelligence de surfer sur cette vague. SLC en deviendra même un canal de dérivation. Les premiers arrivés seront les premiers servis.

    Filipacchi sait manier les hommes. L’est de ces patrons qui délèguent un max. Décide de tout en final mais accorde facilement sa confiance à ceux qui se proposent. Faut avoir son aval, mais en amont chacun peut montrer de quoi il est capable. Une fine équipe se constitue, venue d’horizons divers mais pas mal de fils de bonne famille qui s’en viennent jeter leur gourme. Josette Bortot-Sainte-Marie, Michel Poulain, Michel Brillé et Claude Cheisson en constitueront le noyau initial.

    SLC MAGAZINE

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    Les auditeurs ne cessent d’écrire. Ceux qui envoient des lettres de félicitation. Ceux qui aimeraient en savoir plus sur tous ces chanteurs dont presque personne ne parlent par ailleurs. Filipacchi passe à l’offensive. Au mois de juillet 1962, paraît le premier numéro de Salut Les Copains. S’en vendront 185 000 exemplaires, un an plus tard le magazine atteint le million… Ce triomphe inespéré change la donne. Commençons par le petit bout de la lorgnette : l’équipe rédactionnelle exulte, Raymond Mouly, Rolland Gaillac, Jean-Marie Perier, Guy Abitan, Eric Vincent, Jean-Pierre Frimbois, Michel Tattinger, Liliane Donval, Danièle Delmas, Jean-Marc Pascal, Jean-Marie Moreau, Andréa Bureau, vivent leur âge d’or… la rédaction est avant tout un lieu de rencontres. Sans intermédiaires. Les lecteurs, les fans, et les idoles qui n’arrêtent pas de passer dire bonjour. Des copains. Jamais magazine n’a jamais mieux porter son nom. L’on se tutoie, l’on sort ensemble, l’on part en vacances en même temps. Une réelle complicité lie les vedettes et les journalistes. L’on n’est pas trop regardant sur les notes de frais. L’on accueille toutes les fantaisies avec joie. L’on rit, l’on s’amuse beaucoup. Personne ne se prend au sérieux…

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    Bon bout de la lorgnette. L’oeil de Daniel Filipacchi qui regarde ce joyeux tapage et qui réfléchit. Un journal qui marche, c’est bien. Deux, c’est mieux. L’on crée une petite sœur Mlle Âge Tendre. Notre disc-jockey se convertit en capitaine d’industrie. Une entreprise doit savoir se diversifier. Rachette des titres et des licences. Fonde un empire de presse, l'on n'est pas pour rien le fils du secrétaire général des Messageries Hachette...

    ESTHETIQUE ET IDEOLOGIE

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    Avant tout une belle revue. Des photos qui vous donnent envie de voir les suivantes. Plaisir de l’œil, couleurs vives, découpages novateurs, maquettes à l’arache mais soignées. Les textes ne sont pas très longs. Donnent l’impression de s’arrêter juste à la fin de l’introduction. Vous laissent sur votre faim. Je lisais la revue chez les copines de ma sœur mais n’en ai jamais acheté un seul exemplaire. N’était pas assez rock à mon goût. L’est une ligne de démarcation à laquelle Filipacchi n’a jamais dérogé : Johnny Hallyday, oui / Vince Taylor, non. Le magazine porte bien son nom : ce n’est pas Bonjour les Rebelles. Pour cela, vaut mieux acheter Disco-Revue de Jean-Claude Berthon. Qui a refusé de vendre le titre à Filipacchi qui lorgnait dessus avant d’entreprendre Salut. Toute la différence entre le fanzine et le vecteur grand-public. Certes Disco-Revue n’était pas sans défauts, mais l’esprit était-là.

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    Salut Les Copains s’était donné les moyens. Et l’on ne prête qu’aux riches. Les plus belles photos d’époque des Stones, des Animals, des Yardbirds, des Kinks, c’était SLC qui les publiait. Z’avaient les moyens d’envoyer leurs reporters de l’autre côté de la Manche. En 1964, pour leurs passages à l’Olympia, les Beatles sont cornaqués par SLC, font main-basse sur leurs albums directement importés d’Amérique, et c’est ainsi que John Lennon entendra parler pour la première fois d’un certain Bob Dylan…

    JOHNNY ET LES AUTRES

    , Syd Barrett, Jo Albany, Salut les Copains, Blousons noirs,

    L’émission radiophonique n’en continue pas moins. Un tiers de disques anglo-saxons pour deux tiers de francophones. Les goûts du public influent sur la programmation. Pas en bien. Sheila, Claude François et bientôt des Hervé Villard et des Adamo comme s’il en neigait. Oui mais entre ces inepties l’on entendait des pépites comme Heart Full of Time ou Bird Doggin qui vous réconciliaient avec l’humanité… Noël Deschamps, Ronnie Bird, Baschung, Thierry Vincent, côté français parvenaient tant bien que mal à surnager. Mitchell et Dick Rivers étaient écrasés par Johnny. Sur celui-ci deux courtes anecdotes dont je n’ai depuis trouvé trace nulle part alors que quelques centaines milliers de personne ont dû les entendre comme moi.

    La première, un titre enregistré à la Locomotive en direct par Hallyday pour fêter ce qui devait être ses cinq ans de carrière et passé quelques rares fois dans l’émission, une ambiance survoltée et Johnny chantant : « J’ai balayé, avec son bras sous mon bras, j’ai balayé ! ». N’en ai plus entendu parler depuis.

    , Syd Barrett, Jo Albany, Salut les Copains, Blousons noirs,

    La deuxième qui montre à l’excès le poids de l’émission. Johnny passe en coup de vent, le micro lui est toujours ouvert, présente trois disques qu’il aime bien, dont Les Elucubrations dans lesquelles Antoine se proposait de voir Johnny Hallyday en cage à Médrano dans les couloirs du métro. Johnny déclare la chanson sympathique et repart aussi vite qu’il était venu. Trois jours plus tard, Daniel Filipacchi prend la parole, à son habitude, en toute innocence, interroge l’air de rien les auditeurs s’ils ne jugent pas les paroles d’Antoine un peu trop irrespectueuses. Demande que l’on donne son avis. Les réponses ne souffrent d’aucune ambiguïté, les fans de Johnny sont ulcérés, la tension monte, jusqu’à ce que, SLC ! une nouveauté SLC ! déboule dans les oreilles de l’audimat le vengeur Cheveux Longs, Idées Courtes qui relancera la carrière du rocker national… Une manipulation digne des services secrets… C’est en cette même année 1966 que paraît le premier fascicule de Rock & Folk…

    LE RETOUR DU BÂTON

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    The Times they are A-Changing prophétisait Dylan en 1964. Ne se trompait pas le bougre. Les mentalités évoluent. Guerre au Vietnam, nouvelle conscience, et dans le cas qui nous occupe, nouvelle manière de faire de la radio. En France, ça se passe sur RTL, le Président Rosko hurle au micro, il présente des disques beaucoup plus électriques que SLC… mais l’on est toujours trahi par les siens. Sur Europe 1, cela fait plusieurs années que Lucien Morisse garde un chien de sa chienne à Daniel Philipacchi. Même qu’entre temps elle a fait des petits. Dans la station les jaloux ne manquent pas. Le succès génère aussi de la haine. Morisse manœuvre finement, d’après lui SLC repose avant tout sur la voix de Daniel, qu’il soit quotidiennement présent au micro ! Plus prosaïquement parlant il aimerait récupérer la tranche horaire pour passer les vedettes de la maison de disques A/Z qu’il vient de monter… Filipacchi qui s’occupe avant tout de la constitution de son groupe de presse et qui pour cela se fait très souvent remplacer par Monty, Calos, Patrick Topaloff ou Jean-Bernard Hebey se fâche tout rouge. N’a plus besoin de l’émission. L’a mieux à faire ailleurs. Il donne sa démission.

    Salut Les Copains s’arrête du jour au lendemain. Personne ne le sait encore que dans quelques semaines surviendra Mai 68... Une nouvelle génération, beaucoup plus politisée que celle des rockers et des ye-yés - SLC s’est toujours battue contre cette appellation jugée infamante - prend la relève…

    LES QUEUES DE LA COMETE

    Sur les ondes Super SLC prendra la suite de SLC, la même chose mais la magie est rompue, la jeunesse se branche plutôt sur Campus de Michel Lancelot… Au bout d’un an et demi, Europe lancera Periphéric qui est censée correspondre à l’air du temps tumultueux, au bout d’un mois devant la désaffection des annonceurs l’émission est retirée…

    La revue survivra un peu plus longtemps mais dès 1972, elle est dépassée dans le cœur des lecteurs par de nouvelles venues, Hit Magazine, Podium et Stéphanie, couleurs criardes, mini-articles, photos moches. Des sucreries pour les donzelles de quatorze ans qui en raffolent… Salut Les Copains change de maquette pour ne pas rester à la traîne, puis se transforme en Salut… en 1976, Daniel Filipacchi arrête les frais. Une époque se termine… Une autre prend la place… Aujourd’hui tout cela est de l’histoire ancienne. Ne cédez pas à la nostalgie. Demandez-vous plutôt si c’est le ver qui est dans le fruit, ou le fruit qui est autour du ver.

    Damie Chad

    Le livre vaut le détour et est bourré de renseignements. Christophe Quillien a interrogé les principaux protagonistes de l’époque qui jouent le jeu de l‘analyse et n‘essaient point de tirer la couverture à eux.

     

    *

     

    Deux têtes de gondoles remplies de livres sur Johnny. Je me demande si une fois qu’on m’aura descendu sous terre si l’on en fera autant pour moi. M’apprête à me répondre lorsque mon œil ( le gauche ) est attiré par un tout petit bouquin, un peu à part, séparé des autres toutefois, mais pas tout à fait. Cette étrangeté dispositionnelle mérite enquête. Pourquoi un tel ostracisme vis-à-vis d’un book d’apparence si chétive ! Je m’approche et me penche, apparemment la couverture s’orne d’une caricature de Johnny, les causes de cette relégation n’en paraissent que plus obscures. M’en empare et une partie du mystère se résorbe lorsque le livre s’ouvre de lui-même à la dernière page, novembre 2016, diantre l’auteur s’y était pris à l’avance, je me hâte de chercher le nom de ce prophète sur la première se couverture. N’y est pas. N’est pas loin, imprimé sur une bande de plastique transparente. Maquette chiadée. Patrick Eudeline ! Pas un inconnu ! Mais la mention latérale me fait tilter. Roman ! Vu l’épaisseur c’est un tantinet exagéré. Pourquoi pas encyclopédie universelle tant qu’ils y étaient ! Opterais pour le terme de nouvelle. Mais pas question de faire le difficile, j’avais adoré Ce Siècle Aura ta Peau paru chez Florent Massot en 1997 ( voir KR’TNT ! 192 du 06 / 06 / 2014 ) et dès la deuxième ligne de la présentation se détachent les mots blousons noirs.

     

    LE PETIT GARS

    QUI SE ROULAIT PAR TERRE

    PATRICK EUDELINE

    Illustration : François Boucq

    ( Editions Incipit / Novembre 2016 )

    , Syd Barrett, Jo Albany, Salut les Copains, Blousons noirs,

    Vite lu. Mais bien fait. Eudeline a travaillé les décors. Une véritable reconstitution historique. Ne vous parle même pas des bâtiments parisiens du quinzième, crasseux à souhait. Objets d’époque, un maniaque du détail, affiches publicitaires garanties, ustensiles de cuisine adéquats. Nous sommes bien au mois d’avril 1960. Même que je le soupçonne d’avoir enquêté sur le bulletin météo. Nous sommes au vingtième siècle, pas au dix-neuvième, donc notre auteur ne s’est pas déguisé en Sherlock mais en sociologue. Plongée dans le milieu populaire. Travail, Huma, rades moches. Univers sans horizon. Et là-dedans les pistoléros de la mort. Presque. Une bande de loulous qui s’ennuient… à mort. Puisque ce sont les pistoleros de la mort. CQFD. Bref des jeunes, sans avenir. Mais au futur de prolos calibré. En attendant l’Algérie ils rêvent. D’Amérique. Et de rock and roll. Z’ont vu James Dean et Elvis au cinéma. Connaissent Eddie Cochran, Bill Haley, Buddy Holly, Little Richard et Gene Vincent. N’ont pas de disques mais les ont de rares fois entendus dans des juke-boxes, dans les cafés squattés par les soldats américains de l’Otan. Sont en train de reconstituer le puzzle du rock and roll, mais il leur manque toutes les pièces…

    Voilà, ne manque plus qu’à faire sauter le bâton de dynamite. Car c’en est un. La France entière est assise dessus mais elle l’ignore. Faut une étincelle. Elle arrive au moment du repas, comme un cheveu sur la soupe. Personne n’attendait qu’elle surgisse à cet endroit précis, dans une émission débilitante de variétoche ringarde. S’appelle Johnny Hallyday et vous le connaissez mieux sous le nom de Jean-Philippe Smet, et au lieu de laisser dire qu’il est né dans la rue, il admet être de nationalité américaine. Dès le début l’hypothèse d’un rock français paraissait incongrue. Chante et se roule par terre. Freddy - c’est lui le héros de ce technicolor en blanc et noir grisâtres - en reste des plus circonspects. N’ croit pas. Un faiseur. Pas un authentique.

    Crac ! Crac ! Feran tot petat ! C’était un slogan des occitanistes de l’après-mai 68 ! De belles promesses qui ne se sont jamais concrétisées. Au sortir de son émission Johnny et Lee Hallyday ne sont pas autant outrecuidants. Seraient enclins à épiloguer sur leur échec. Pétard mouillé n’allume point de feu dixit la populaire sagesse.

    Mais quand on rêve de western, comme dans les films, la cavale rie. Freddy n’a pas su lire les signes. Sa petite sœur du haut de ses quatorze ans a apprécié. Et le lendemain, il n’y a pas photo, les filles ont pris fait et cause pour Johnny. L’est le premier à s’en apercevoir, les gerces crient de joie quand elles le voient dans la voiture de Lee arrêtée au feu rouge. Pour lui la vie va commencer.

    Pour Freddy aussi. Ghislaine la copine qu’il n’aurait pas osé entreprendre sans un sou en poche, elle aussi a vu Johnny à la télé, et elle lui sourit d’une façon si avenante que l’instant héroïque, celui qui sourit aux audacieux, est venu. Pas question de le rater. Il faut saisir sa chance . Heure H et Jour J. Evidemment tous les blousons noirs ne sont pas Johnny Hallyday.

    Aussi dur que le bois des tendres années. Les blousons noirs ne seront qu’un feu de paille. Oubli d’autant plus grand que les manchettes des journaux furent larges. Jean-Paul Bourre qui fit partie de la Bande de la Croix Blanche d’Issoire n’est pas d’accord. Les bandes ont continué, c’est l’actualité qui les a oubliées. D’autres chats à fouetter. Rien ne sert de resservir la même info trop longtemps. Il est nécessaire de changer de film pour que les téléspectateurs ne désertent pas leurs écrans. Des fois qu’ils iraient s’amuser à entasser les pavés sur les grands boulevards.

    Petit récit. Rajout de vingt pages de documents. Et cette mention sur la page de garde qui fait plaisir : Ouvrage dirigé par Bertil Scali. Serait-ce la résurgence des Editions Scali disparues corps et bien en 2008 que les amateurs de rock recherchent à l’égal de l’or des templiers pour leur catalogue rock !

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 234 : KR'TNT ! 354 : JOHNNY KIDD / THE WHO / JACK BLACK / MICHAEL JACKSON

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 354

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    28 / 12 / 2017

    JOHNNY KIDD / THE WHO /

    JACK BLACK / MICHAEL JACKSON

    THE KIDD IS ALRIGHT

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    Lorsque Johnny Kidd meurt dans cet accident de voiture en 1966, Nick Simper est avec lui. Simper survit miraculeusement. On le retrouve un peu plus tard dans la première mouture de Deep Purple. Un parallèle s’impose avec le car crash qui a tué Eddie Cochran et dont Gene Vincent est ressorti miraculeusement indemne. Eddie cassait sa pipe dans la fleur de l’âge : 22 ans. Pareil pour Johnny : 30 ans.

    Il faut aussi savoir qu’il existe deux périodes, dans l’histoire de la piraterie : l’avant-Green et le Green. Quand Mick Green arrive dans le groupe en 1962, Johnny Kidd a déjà beaucoup navigué. Il a déjà enregistré «Shakin’ All Over» et «Please Don’t Touch».

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    Non pas que l’histoire de Johnny Kidd soit indissociable de celle de Mick Green, mais ce serait dommage de limiter Johnny Kidd à Johnny Kidd. D’autant que Rober Palmer établit dans son livre Deep Blues une filiation directe entre Willie Johnson (le guitariste de Wolf), Paul Burlinson et Mick Green, ce qui est tout de même assez extraordinaire. Ce qui frappe le plus dans la courte histoire de Johnny Kidd, c’est sa modernité. Elle existait avant l’arrivée de Mick Green, mais justement, Mick Green ne fit que sublimer cette modernité en amenant un son et une attaque uniques alors en Angleterre.

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    Quand on écoute le magnifique The Best Of paru en 1977, on ne cherche pas à faire la différence entre les époques, et pourtant, il semble nécessaire de devoir le faire, ne serait-ce que pour ne pas attribuer à Mick Green des choses d’Alan Caddy qui fut le premier guitariste des Pirates. C’est justement la première mouture des Pirates qui joue sur «Please Don’t Touch», «Shakin’ All Over» et le fabuleux «Restless» : Alan Caddy, Brian Cregg et Clem Cattini.

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    Quand Mick quitte le groupe en 1964, c’est John Weider qui le remplace, un mec qu’on retrouvera plus tard dans les New Animals et Family. Weider joue sur «The Birds & The Bees», avec un son nettement plus psyché. On trouve même sur cette compile le tout dernier cut enregistré par Johnny avant sa mort : «It’s Got To Be You» : c’est carrément du r’n’b. On est en 1966 et Johnny comprend qu’il doit s’adapter à l’époque. On trouve Mick Green en B sur pas mal de cuts solides comme «I Can Tell», joli coup de Bo et Mick part en solo fantôme. C’est aussi lui qui joue la Beatlemania d’«Hungry For Love», mais il y passe un solo de punk orné de tortillettes. Justement, «Shot Of Rhythm And Blues» fut le tout premier enregistrement de Mick. Il y passe un solo clair comme de l’eau de roche. Il passe aussi un solo punk dans «My Babe», notes tordues et puissant drive de basse. Toujours aussi divin, voici «Casting My Spell», encore du grand Green d’attaque félonne, ultra-joué à la guitare et même stupéfiant. Il faut savoir que Johnny envisageait d’enregistrer un premier album entièrement consacré à Gene. Mais il n’en eut pas le temps.

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    Avec The Johnny Kidd Memorial Album, on pourrait prétendre faire le tour de l’épiphénomène Johnny Kidd. Les grands hits du pirate y sont rassemblés, à commencer par le fameux «Shakin’ All Over», véritable Graal du rock anglais - You make me shake and I like you baby - On est frappé par la qualité du son, c’est l’avant-Mick Green.

     

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    Selon Clem Cattini, c’est Joe Moretti qui joue le legendary solo de Shakin’. Johnny fait son Elvis avec «Let’s Talk About Us» et vire pop avec «Hungry For Love», mais une pop particulière, plus proverbiale, amenée aux riffs californiens, c’est de la Beatlemania de pirate d’eau douce. On voit rapidement que Johnny s’adapte aux modes. Son «Please Don’t Bring Me Down» sonne comme Shakin’. C’est de bonne guerre, Johnny ressort ses vieilles ficelles de caleçon comme le firent avant lui Elmore James et Slim Harpo. On tombe enfin sur «Please Don’t Touch», classique de rock anglais qui fit baver Lemmy, véritable slab de hard time killing floor rock tendu et beau. Alan Caddy ne joue que la rythmique. On le voit aussi taper dans Smokey avec «Shop Around». C’est gonflé mais bien vu, joué à l’anglaise de cuir de biker de Baskerville. Quelle niaque ! Johnny botte le cul de la Soul à coups de biker boots. Avec «Doctor Feelgood», il préfigure Doctor Feelgood, c’est un sacré coup de Jarnac, toute la modernité du rock anglais est là, they call the doctor, il développe une énergie considérable et c’est bardé de chœurs de rêve - Good good good/ So good ! - Comme dans «Gloria».

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    Lorsqu’on écoute Your Cheating Heart, on est de nouveau frappé par la qualité du son, notamment sur «Gotta Travel On», amené aux riffs des bas-fonds de l’East End. C’est claqué à la désaille. Quel merveilleux backing ! On y entend bien le claqué de percus métalliques et le rond de la basse, avec en prime un solo vicelard joué dans les règles de l’art. Tout est solidement bien foutu sur cette compile parue après sa mort. Le morceau titre sonne comme un heavy slowah à l’anglaise, Johnny sait recycler les vieux coucous. Il s’éclate la glotte au coin du juke alors que valsent les nappes d’orgue, et derrière, ça riffe sec et sale. On tombe ensuite sur un «Longing Lips» sacrément moderne, côté son. Il faut bien parler de modernité du son. Johnny règne sans partage sur ses cuts. Son extraordinaire énergie a quelque chose de kiddique. Chaque cut accroche terriblement. Il tape chaque fois dans le mille avec quelque chose de véridique dans le son, comme l’indique «Weep No More My Baby», voilà encore un cut qui s’inscrit dans la meilleure veine du rock anglais, ça pue le dératé de BSA à Croydon. Mick Green y claque un solo infernal. Ce mec pue du culte. C’est un mélange de Please Don’t Touch et de Skakin’, pur jus de modernité des caves de juke. Avec «Jealous Girl», Johnny passe au Mersey Beat, il tape sans vergogne dans la gueule des genres. C’est un Pirate qui se prend pour un voyou. Il se prend même pour John Lennon avec sa braguette ouverte et son couteau entre les dents. «It’s Got To Be You» sonne comme un hit de Tom Jones, très orchestré, salué aux trompettes, avec des connes qui font ouuuh-ouuuh et puis ahhhh-ahhhh. Il tape aussi dans Lee Hazlewood avec «The Fool» joué à la désaille du désert de Piccadily. Il bouffe vraiment à tous les râteliers. Il a du pot d’avoir des Pirates derrière lui. On note encore son extraordinaire aisance dans «Big Blon’ Baby» amené au petit comedy act à la Coasters, c’est quasi-balloche mais Johnny le swingue et c’est salement claqué à la guitare par Alan Caddy. Johnny tape plus loin dans le fameux «Shot Of Rhythm And Blues», mais façon biker de banlieue, clap-hands et killer-solo, pure démence de la partance ! Unique en Angleterre.

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    Sur l’album Rarities paru en 1983, on tombe sur des merveilles de type «More Of The Same» et «I Just Want To Make Love To You» qui datent de 1961 (avant-Green) : c’est le temps du gros son de basse boogaloo à souhait et de la prod de rêve. Tous les bassmen devraient écouter ça. Même chose pour «Weep No More My Babe», incroyablement bien chanté, avec ce son de rêve, tellement moderne pour l’époque. Toujours aussi fantastique, voilà «You Got What It Takes», ultra-produit et monté sur une basse sourde. John Weider fait le coq dans «This Golden Ring». Johnny veut en croquer, alors il se met au psyché. C’est aussi Weider qui claque la fantastique reprise d’«I Can’t Turn You Loose» d’Otis. Ils tapent dans le «Right String But The Wrong Yoyo» de Carl Perkins et bien sûr Mick le joue sévère. Il tâte de l’ambiance country mais avec une certaine virulence de figuralisme figuratif émancipé. On trouve des choses amusantes en B, comme cet «I Hate Getting Up In The Morning», très pop 66. Johnny est accompagné par de unknowns et avec «Send Fot That Girl», il visait la belle pop d’ambre jaune. Cette compile s’achève sur «Whole Lotta Woman», un sacré shook de shake généreusement nappé d’orgue, avec John Weider au compas. Puissant et même carrément hypno. On n’ose même pas imaginer les ravages qu’aurait fait Johnny s’il avait continué à écumer les rivages d’Angleterre.

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    The Lost BBC Sessions And More Rare Trax est encore une compile qui vaut le détour : quarante-et-un titres ! Avec des voix d’annonces d’époque. Ça démarre sur la cover de «My Babe» et son killer solo. Tout aussi punkoïde, voilà «Magic Of Love». Nous voilà chez les Pirates ! Avec «That’s All You Gotta Do», Johnny swingue bien le mambo de la Tortue. Puis il prend «Weep No More My Baby» à la saleté maximaliste. C’est tellement rampant qu’on pourrait presque s’en indigner. C’est même sabré au claqué de notes infernales et Johnny brame à la lune. Quelle équipe de surdoués ! On retrouve leur monstrueuse énergie dans «Setarip» et même un balladif de sirupe comme «Dream Lover» passe comme une lettre à la poste. Retour au déflagratoire avec «I Go Ape», mais c’est un nommé Tom Brown qui chante. On tombe ensuite sur une somptueuse version de «Restless», bien boogaloo. Tremble carcasse ! Et les surdoués enchaînent avec l’imparable Shakin’, fabuleuse descente aux enfers du rock anglais, et Alan Caddy part en vrille de clair, c’est tout l’art de faire du punk-rock en clair. Ça monte encore en puissance avec «Feelin’», choo-choo train de fellin baillebi baillebi, fantastique diction de force motrice - It’s crazy when you’re around me - ah les mains des femmes - Oh what a feeling ! - You do it all the time - Prestance de la démence. Et voilà qu’arrive «Please Don’t Touch», classique d’outre-tombe, l’antre du mythe, la Tortue du rock anglais. S’ensuit un «Shakin’» qui coule de source, merveilleuse version rampée. Il faut rappeler que les BBC sessions sont souvent bien meilleures que les enregistrements studio. Johnny colle si bien au backbone, au shiver if it all que c’en est désarmant. Et Alan Caddy emmanche son manche. En 1961, ces mecs avaient déjà tellement de génie. Et on remonte à travers le temps avec le fabuleux «Longin’ Lips», puis «More Of The Same», joué au sourd de basse et Johnny surfe sur les Caraïbes, on a du punk dans les vergues et ça change absolument tout. Tiens et puis ce «Some Other Guy» violent et lui aussi claqué punk. On retrouve leur fabuleuse énergie rock’n’roll dans «Growl» et tout le rowdy de la terre dans l’extraordinaire «Big Blon’ Baby», ce gros travail de sape, avec un son qui descend directement à la cave. Ainsi va la vie.

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    Dans Record Collector, Jack Watkins n’hésite pas à traiter Johnny de caméléon : «Ce chouchou des Teds tapait dans tous les genres : rock, merseybeat et juste avant sa mort, il tapait dans the presentable uptown sound.» Et il ajoute : «In his hearts of hearts through, with his total lack of pretentiousness, the Kidd was a British rockabilly, his roots in the grit and grime of London NW6.» (Au plus profond de son cœur et en l’absence de la moindre trace de prétention, le Kidd était un rockab pur et dur issu des bas-fonds crasseux de London NW6). Magnifique définition d’un gros culte britannique. Jack ajoute qu’à la différence des country boys du Tennessee, Johnny était un rocker urbain basé à Willesden Junction, avec a bit of a cockney rocker-cum-crooner with a few throaty blues effects on top. Jack rappelle aussi que les chaises volaient lors des early gigs.

    Notre bon Kiddophile Jack Watkins revient inlassablement sur l’élément qui fait la force de Johnny : sa voix, le pur London accent - I can’t listen to Johnny without hearring North West London - Et paf, Jack repart dans les filiations à la Robert Palmer en indiquant que les bolt-lightning interjections d’Alan Cadddy lui rappellent celles de Roland Janes, au temps où il accompagnait Jerry Lee. Le monde du très grand rock est tout petit, ne l’oublions pas.

     

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    Le Caddy en question n’est pas n’importe qui : lorsqu’il arrive pour auditionner à Denmark Street, il porte un chapeau de Robin des Bois avec une plume et un long manteau - He looked more like a country squire than a rock guitarist - Et là, notre Kiddophile n’ose pas tracer le parallèle qui s’impose avec Teddy Paige qui lui aussi se baladait dans Londres déguisé en Robin des Bois. En voyant débarquer Caddy, Brian Cregg et Clem sont inquiets : «Look at the state of this guy ! I hope he plays better than he looks !» (T’as vu la gueule de ce mec ? Espérons que son jeu vaut mieux que son allure). Et Clem conclut en disant que ce tall guy always looked immaculate et qu’il avait des allures d’agent immobilier.

    Alan Caddy avait déjà navigué avec les Tornados et Joe Meek. Caddy était en effet un enfant prodige, et tellement timide qu’il jouait derrière le rideau de scène. Mais il avait une petite manie : il faisait le windmill avec son bras droit au dessus de sa Strato, ce qui allait bien sûr beaucoup intéresser le jeune Pete Townshend. Caddy combinait déjà le lead et le rhythm sur sa guitare, ce qui permit aux Pirates se fonctionner à trois. En les voyant jouer sur scène en power trio, les Big Three se mirent à jouer à trois et John Paul Jones avoue qu’après avoir vu Brian Gregg, il voulut jouer de la basse. Avec tout ça, les Pirates devinrent forcément mythiques : Caddy and the big sound, la basse de Brian Gregg et le thunderclap drumming de Clem Cattini. Alan Caddy était tellement nerveux qu’il se mit à boire comme un trou, notamment en studio. C’est la raison pour laquelle on fit appel à Joe Moretti. Pas n’importe qui, puisqu’il s’agit du mec qui a joué sur le «Brand New Cadillac» de Vince Taylor. Alan n’avait pas assez confiance en lui pour jouer le solo de Shakin’ en studio. Mais il le montra à Moretti qui put alors le rejouer. Et pour produire le shimmering effect du riff, Brian Gregg fit glisser son briquet sur les cordes de la guitare qu’Alan Caddy grattait. C’est aussi Moretti qui passe le solo dans «Restless», cet autre chef-d’œuvre qui mystérieusement n’eut pas autant de succès que Shakin’.

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    «Please Don’t Touch», «Shakin’ All Over», «Restless» et «Please Don’t Bring Me Down» constituent la fameuse série des «women give me the quivers» Johnny Kidd classics. C’est au terme de cette série que les trois Pirates (Clem, Alan et Brian) quittent le navire pour aller rejoindre Colin Hicks en Italie.

    Clem allait devenir session man réputé. Jimmy Page le vit même comme batteur possible de Led Zep. Quant à Caddy, il allait sombrer dans le heavy drinking. Lors d’un concert de reformation en 1991, il fut incapable de jouer sur scène - His playing went to pieces on stage - Et donc Johnny continua d’écumer les mers, en mettant le cap sur le r’n’b. Et comme il traînait pas mal à la Cavern, il s’empiffra de Beatlemania. Mais il jugeait bon d’ajouter : «The Beatles will never be as big as Joe Brown !»

    Le pauvre Johnny enregistra des cuts à Abbey Road pour un album qui ne parut pas. Et comme tous les autres, il suivait les modes pour continuer à exister - He was desperately chasing trends - Clem Cattini rappelle que Johnny était très populaire et que chaque concert était sold out. But he wasn’t business minded. Il s’achetait des tas de costard, mais il dormait sur le plancher du van. Il était complètement désorganisé et perdait tout son blé au jeu. Clem ajoute qu’il adorait Johnny car c’était un homme entier. There was no side to Johnny. What you saw was what you got.

     

    Signé : Cazengler, Johnny Bidd

    Johnny Kidd & The Pirates. The Johnny Kidd Memorial Album. Odeon 1970

    Johnny Kidd & The Pirates. Your Cheating Heart. Columbia 1971

    Johnny Kidd & The Pirates. The Best Of. EMI 1977

    Johnny Kidd & The Pirates. Rarities. See For Miles Ltd 1983

    Johnny Kidd & The Pirates. The Lost BBC Sessions And More Rare Trax. Black Flag Records 1994

    Jack Watkins. Blackboard Junction. Record Collector #469 - August 2017

    THE WHO

    LE GROUPE MOD

    PHILIPPE MARGOTIN

    ( Editions de La Lagune / 2007 )

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    Toujours dans le même fouillada. Notre lieu de rencontre. Un amateur de rock. Possède des milliers de disques et recherche encore la perle rare. Ne peut plus rentrer dans une pièce de sa maison tellement elle est encombrée... L'on passe au minimum une heure à bavarder entre deux bacs, à peu près deux fois par trimestre. L'est né la même année que Johnny, rockabilly, reprises, et très vite l'on saute sur les groupes anglais. Avec cette question angoissante : vieillesse et rock'n'roll ! Sous-entendu le sens d'une vie à rester encalminé dans son adolescence... I hope I die before I get old s'exclamait Peter Tonwshend dans My Generation, l'a survécu et il n'y a pas si longtemps refaisait une énième tournée... L'on se quitte, l'a déniché un boîtier sur les génériques de films «  avec des trucs intéressants dessus » et moi un bouquin sur Berthe Morisot.

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    Retour à la maison, jette un regard effaré sur le capharnaüm de mon garage quand sur l'étagère mon œil est accroché sur un rayonnage par le drapeau de la perfide Albion. Je tire, et hop, tiens un bouquin sur les Who, on en parlait cet après-midi ! Le soir, je cède à la nostalgie-rock – dommage que Baudelaire n'ait pas connu ce sentiment, l'aurait ajouté une section vénéneuse à ses fleurs maladives - et m'enquille le bouquin en entier avant le dodo. N'est pas épais et écrit gros. Philippe Margotin – l'a beaucoup écrit sur les grands noms de Ray Charles à Amy Whinehouse, du blues au punk - ne joue pas au margoulin, rapide et efficace, cite largement ses confrères, parvient à tracer l'épure de toute une génération et le destin d'un groupe. Encore que le mot destin soit mal choisi. Cette notion inclut l'idée d'une fatalité irrémédiable, les Who ne connaissent pas ce coup de hache terminal, ce couperet de guillotine, qui transforme une existence en épopée. La légende se dissout dans les eaux lénifiantes d'une survie à petits feux. Le flamboiement de My Generation se meurt dans l'estuaire de My Dissolution.

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    Oui mais quel groupe de rock ! L'un des plus grands ! Et mieux que cela l'un des plus essentiels. Et surtout l'un des plus intelligents. Une intelligence beaucoup plus instinctive que maîtrisée. Z'ont su faire le bon choix. La dichotomie Beatles / Rolling Stones est des plus signifiantes. Les Who ont commencé comme les Beatles, vaudrait mieux dire comme les Quarrymen. Le rock blanc des pionniers. Pas un hasard si sur scène ils reprenaient Summertime Blues d'Eddie Cochran et Shakin' All Over de Johnny Kid. Un œil sur l'Amérique, un œil sur l'Angleterre. Townshend a toujours une corde de guitare qui résonne dans l'ombre d'Hank Marvin et une autre dans le sable de l'american surfin'. L'harmonie vocale à la Beach Boys de leurs morceaux les plus mélodiques descend de cet héritage. Mais ils ont su aussi faire le cross-over. Sont passés du côté obscur de la force. C'était à une époque où les Rolling Stones détestaient qu'on les définît en employant le terme de rock'n'roll. Trichaient un peu, avaient beaucoup appris de Chuck Berry et de Bo Diddley, mais ils avaient remonté vers les racines, de Chuck à Muddy Waters il n'y a qu'un pas, et bientôt ils avaient trempé leurs pieds dans l'eau boueuse du Delta. Un groupe de blues. Mais méchamment électrifié. Les Who ont assisté aux premiers concerts des Stones, ont vite compris qu'ils avaient le truc en plume de plomb saturnien qui fait la différence, l'énergie. Les Stones avaient édicté le nombre d'or : blues électrifié égale rhythm'n'blues. Sources noires du rock'n'roll. Décidément les deux créneaux étaient pris. Les Who ont tapé dans la surenchère. Blanc ou noir ? Ce sera noir mais très sombre. Pas de l'ardoise anthracite bleutée. Comme à la lessive vont ajouter les détergents qui lavent plus noir. Exit le rhythm'n'blues. Ont la formule choc. Désormais ce sera Maximum Rhythm'n'Blues ! De fait ils n'arriveront jamais à dépasser l'indigo profond des Rolling mais ils y ajouteront la fureur et l'auto-destruction. Des Bakounine un tantinet autistes – Tommy n'est pas loin – qui ne voient guère plus loin que leurs petites et immodestes personnes. De fait les Who klaxonnent beaucoup plus rock que blues, mais tout le monde s'en fout, ils sonnent juste et haut. Et c'est ce qu'il faut.

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    L'est difficile de renier ses origines. Le prolétaire n'est pas loin du petit-bourgeois. J'emploie ce mot sans aucune acrimonie péjorative. Le petit-bourgeois n'est qu'un prolétaire qui a la chance de bénéficier d'instants de réflexion. Et en tant que vedettes naissantes du rock anglais, des Lennon et Townshend auront la chance – expériences, rencontres – de regarder autour d'eux et d'essayer de ne pas être dupes de la fulgurance de leurs succès. Le profil des groupes anglais se modifie insensiblement, les Beatles se focalisent sur la musique, les Kinks commencent à s'adonner à une espèce de critique sociale malveillante et nostalgique ( un composé instable ), les Who vont céder à l'intellectualisme. Soyons francs, l'est difficile de faire passer Keith Moon pour un professeur d'université défroqué mais il saura adapter sa frappe sauvage aux nouvelles orientations de Townshend. Roger Daltrey agira de même, suffit que la viande fournie soit assez sanguinolente pour qu'il puisse la déchirer à plein gosier. Quant à Entwistle son mutisme n'était pas étranger aux angoisses existentielles que Townshend mettait en scène. Ce n'est pas Lucy la jolie fille avec des diamants dans le ciel coloré mais Tommy renfermé en lui-même dans sa nuit intérieure. C'est que Townshend ne veut plus de chansonnette rock de trois minutes, vise l'œuvre, totale, intégrale, sera le Wagner du rock'n'roll, ni plus ni moins qu'un opéra. L' en a déjà esquissé un en six petits morceaux dès le deuxième album, A Quick One, While He's Away. Une bluette d'une fraîche épousée qui trompe son mari absent... Pas de quoi fouetter une chatte, mais c'est l'idée qui compte. Comment raconter en rocks une histoire avec un début, un milieu, et une fin. Cette première fois, ce ne sont que six petits croquis ultra-rapides, mais on doit pouvoir faire mieux.

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    Ce sera Tommy ( 1969 ), avec ouverture et grand orchestre. Un double trente-trois tours conceptuel. Tommy qui assiste au meurtre du père – bonjour Mister Freud – tué par son beau-père – comédie de moeurs – en devient sourd, muet et aveugle... violé par son oncle... acquiert la célébrité en devenant champion de flipper... brise la glace auto-réfléchissante de sa solitude... retrouve la vue, l'audition et la parole... pour se voir abandonné par ses fans... se referme et reconstitue sa bulle emmurante et protectrice... Much ado for nothing pour les esprits désabusés, précis de psychologie appliquée qui colle parfaitement à son époque ? Les méfaits du sexe, version rock'n'roll !

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    Après ce succès phénoménal, ce sera Lifehouse. Projet que Townshend ne parviendra pas à maîtriser. Who's Next ! Sera en partie composé des débris de cet opus majeur. Qui trop étreint, mal embrasse. Townshend entend donner une vision critique de la vie moderne. Mais en sa totalité. Sans se focaliser uniquement sur les rapports entre les individus. Mais il faudrait qu'il en soit davantage détaché. L'a le nez en plein dans le caca. Ne possède pas l'éloignement nécessaire. Il a la prescience de ce que quelques mois plus tard dans les universités l'on nommera post-modernité, il sent mais ne possède pas les outils conceptuels qui lui permettraient d'expliciter le nœud gordien des contradictions qui s'accumulent. Notons qu'en l'année de 1973 Led Zeppelin parlera de House of the Holly. Quand le monde devient trop compliqué la mythologie s'avère être le dernier refuge.

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    Townshend se rabattra sur ce qu'il connaît le mieux. Sa jeunesse, le mouvement Mod, et ses trois compagnons. Quadrophenia – sorti en 1973, les dates signifient beaucoup plus qu'un numéro - est l'adieu à l'innocence du rock'n'roll. Les Who sont des tout premiers à inclure des artefacts électroniques dans leurs enregistrements, une manière d'amplifier la démesure phonique. Le groupe est à son acmé. Tout le reste ne sera que survie. Plus ou moins pathétique. Le punk est en gestation. Ce sont toujours vos petits-enfants qui vous rejettent dans le passé des époques révolues. Saturne vous dévore plus vite que vous ne vous y attendiez.

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    N'empêche que les Who restent un des groupes essentiels de notre musique. Les géniteurs de la démence sonore.

    Damie Chad.

     

    YEGG

    JACK BLACK

    ( Les Fondeurs de Briques / Novembre 2009 )

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     Le livre vient d’être réédité chez Monsieur Toussaint Louverture sous le titre de Personne ne Gagne. Les Fondeurs de Briques lui avaient préféré ce mystérieux Yegg dérivé du chinois Yekk qui signifie mendiant. Ce mot désignait dans l’argot des hobos les malandrins de la plus haute caste, celle des perceurs de coffres-forts. Le bouquin est un classique de la littérature underground américaine William S. Burrough en a rédigé une préface que vous retrouvez dans les deux éditions. Plus de quatre cents pages qui se lisent comme du petit lait. Pas très blanc, un peu teinté de noir-anarchie-individualiste. La bande mais sans Bonnot. Précis de récupération sauvage.

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    La légende noire des malheureux hobos, travailleurs itinérants sans emplois, à la recherche d’hypothétiques jobs sous-payés au travers de la grande et riche Amérique est une constance de la littérature prolétarienne. Elle est habituellement érigée en dénonciation de la barbarie du système économique d’exploitation capitaliste. Jack Black ne participe pas de cette vision militante. L’est de ces êtres qui ont décidé de vivre en loup parmi les loups. D’instinct il refuse le travail, ce qu’il ne possède pas il le prendra. Se servira tout seul. Orphelin de mère, élevé par un père qui trime toute la journée, l’en vient à l’âge de l’adolescence à fréquenter les lieux interlopes, les rades louches, les bas-fonds d’une société impitoyable. Ne sera pas un voleur de poules. Préfère voler le bœuf que l’œuf. L’a de la chance, l’est très vite pris en charge par la confrérie des Johnson, les as de la cambriole. L’est un bon sujet - ne s’effondre pas en pleurnichant lorsqu’il est serré par les flics, ne pipe pas un mot sur les copains, sait se taire et ne pas parler à tort et à travers. L’on peut compter sur lui, n’est ni un donneur ni un traître. Recevra l’éducation idoine réservée à ceux qui savent la boucler quand on les boucle. Les malfrats possèdent leur code d’honneur. Les deux premiers tiers du récit sont réservés aux années d’apprentissage. Peu de théorie, beaucoup de pratique. L’apprend vite et bien. Pas de précipitation, pas de hasard. Les coups sont longuement préparés. Avant tout les itinéraires de dégagement et de fuite. Pas question de s’attarder dans un bled où l’on vient de commettre son forfait. Ne jamais porter sur soi les objets dérobés et l’argent compromettant. Enterrer le butin, revenir le chercher plus tard. Avoir son réseau d’écoulement et de refourgage sûr et rapide. L’on ne pratique guère le vol à la tire, l’on préfère dynamiter les coffres-forts. C’est plus rentable.

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    Nous sommes à la fin du dix-neuvième et au début du vingtième. Une époque bénie. L’informatique n’existe pas, les communications entre les villes et les états ne sont guère rationalisées, la police est avant tout locale. Suffit de monter en douce dans un wagon pour échapper à son emprise. Les avocats sont véreux et avec un peu de chance les juges soudoyés se montrent compréhensifs. Revers de la médaille, les temps sont brutaux et expéditifs. Abattre un hobo d’un coup de revolver n’est guère répréhensible.

    Défile une galerie de personnages hauts en couleurs. Scènes picaresques, dans les jungles l’on organise les conventions, jours de bitures extrêmes, open bar à gogo. La fête terminée, les poches vides, ne reste plus qu’à reprendre le turbin. Nécessité d’avoir toujours au minimum un coup d’avance, minutieusement préparé qui vous permet de vous renflouer les poches…

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    Nous ne sommes pas dans un conte de fées, les meilleurs se font pincer, les plus prudents abattre sans sommation. Bonjour monde cruel et sans pitié ! Dernier tiers du récit, Jack Black enchaîne les coups foireux, manque de chance, mauvais hasards, imprudences dues à des complices moins aguerris, l’étau se referme petit à petit sur notre héros. La police affine ses méthodes et devient de plus en plus efficace. L’a déjà fait quelques séjours de prison mais après maintes péripéties Black se retrouve au noir pour plusieurs années.

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    Le temps de méditer et d’ajouter quelques appendices à son code d’honneur. Tire le bilan de ces années sur la brèche. L’est un peu poussé dans ses retranchements par la violence sadique du système et des gardiens. Isolements, passages à tabac, supplice de la camisole de force - rien à voir avec celle que l’on passe aux fous dans les asiles - le dur des durs fait ses comptes. L’aurait gagné davantage d’argent en prenant un petit boulot pépère, sans histoires. L’a bossé comme un marlouf pour mettre au point ses affaires, l’est usé physiquement et psychiquement. Trop de pression. L’est devenu accro à l’opium. Aucun soupçon de moralisme dans ce constat d’échec, n’est pas particulièrement fier de ses actes, mais police et justice sont aussi pourries que lui. Les prisons sont des lieux de violence et d’injustice. Les châtiments physiques, les mauvais traitements, ne servent qu’à renforcer votre haine et votre détermination. Vous emprisonnez un loup, vous relâchez un tigre…

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    Va trouver quelques appuis, des voix s’élèvent contre l’inhumanité des conditions pénitentiaires. Des juges humanistes font le pari de le libérer. Se range des voitures. Deviendra bibliothécaire, écrivain et journaliste. En annexe vous trouvez de longs extraits d’un grand article qu’il fit paraître en 1929 dans le Harper’s Magazine. Des plus intéressants, suffirait de changer les lieux et les noms pour croire qu’il est dirigé contre la politique du tout sécuritaire et de la répression tout azimut décidée sous l’ère Sarkozy et gaillardement poursuivie par ses deux successeurs. Jack Black - l’on n’a jamais su sa véritable identité - était-il sage comme une image ? On retrouva son cadavre dans le Port de New York… Toutes les suppositions sont permises. Fut-il repêché de ces eaux troubles pour avoir été puni par ce par quoi il avait beaucoup péché ? Nous lui pardonnerons beaucoup. D'autant plus que certains affirment l'hypothèse du suicide. Courageux jusqu'au bout.

    Damie Chad.

    BAD

    MICHAEL JACKSON LE MUTANT

    JEAN-PAUL BOURRE

    ( Bartillat / 2004 )

     

     

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    N’aurais jamais acheté le bouquin s’il n’avait été signé par Jean-Paul Bourre. Fut une époque où il était difficile d’écouter la radio sans qu’un tube des Jackson Five ne vienne vous écorcher les oreilles. Aussi quand Michael Jackson a volé de ses propres ailes ne lui ai-je accordé qu’une des plus distraites attention. Par contre suis toujours à l’affût des livres de Jean-Paul Bourre, un esprit curieux, un œil trombinoscopique qui s’intéresse à tout ce qui fait sens en cette vallée de larmes.

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    Ne s’agit pas d’une étude musicale. Focus sur la star. Le glamour et le hallali. Faut avouer que Michael Jakson a fait peur. Le gars qui tire sur la sonnette du serpent pour attirer les regards sur son immodeste personne. Un gamin qui sonne aux mauvaises portes et qui ne s’enfuit pas en courant pour se cacher. Le mec qui se promène avec un paratonnerre à la main et qui s’en vient pleurnicher lorsque la foudre lui tombe dessus.

    L’ a des excuses. Son père qui vous réduit le complexe d’Œdipe en miettes à coups de ceinturons, une mère confite en religion, la marmaille déguste salement. Les filles dans leur chair et les boys dans leur âme. Méthode éducative un peu rude mais ô combien efficace. Vendront tous des disques par millions. Michael encore davantage que les autres.

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    Sortez votre mouchoir, n’oubliez pas de pleurer sur le pauvre petit garçon malheureux qui ne peut pas aller jouer avec les enfants de son âge au coin de la rue. Prisonnier derrière la vitre des studios. Des compensations tout de même : Diana Ross est folle de cet adolescent fragile, l’accueille chez elle et lui fait subir les derniers outrages. De quoi le dégoûter des femelles entreprises pour le restant de sa vie.

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    La gloire, l’argent, le sentiment de toute puissance. Le jeune homme profite de sa fortune pour courir après son enfance perdue. Ne la rattrapera pas. Capturera celle des autres. S’est bâti un palais aux mille merveille. Un mini Disney Park. Pas un piège à touristes. Mais à jeunes garçons. Les invite chez lui. Avec l’accord de leurs parents… Tout le monde sait tout mais personne ne moufte. Evidemment cette impunité fait des jaloux… Qui se taisent, on n’est jamais trop prudent devant les riches…

    Heureusement la justice veille. La chance d’un petit juge. Un père la morale qui enverrait avec plaisir le gros poisson dans l’aquarium d’une prison. La gloire sans le glamour. Réussit presque son coup en 1993. Mais Jackson et le père outragé s’entendent à l’amiable. Une ardoise de quarante sept millions de dollars pour Mickael qui s’estime heureux de s’en être tiré à si mauvais compte. Mais notre juge remettra le couvert dix ans après.

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    Jackson ne s’aide pas. Déclare dans une interview que rien n’est plus beau que de s’endormir en toute innocence avec un enfant dans son lit… Paroles impardonnables. En Amérique ( et ailleurs ) tout est permis. A condition que vous ayez de quoi vous acheter les objets qui concourent à la satisfaction de vos désirs personnels. Pour le bas-peuple qui ne peut pas s’offrir l’accomplissement de ses phantasmes, l’on a érigé une frontière morale, un interdit qui témoigne que les riches ne peuvent pas tout faire. L’est une ligne rouge à ne pas s’offrir. Le crime pédophilique. Le livre est édité en 2004, il ne nous apprend donc pas la suite des opérations justicières…

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    Nous n’en sortons pas si déçus que cela. Jean-Paul Bourre se livre à une analyse du mode de vie de Michael Jackson des plus fines. Passons sur ses faiblesses larmoyantes qui ne le rendent guère sympathique. Certains côtés de la personnalité de notre malheureux héros ne plaident pas en sa faveur. Par contre, Michael avait deux ou trois trains d’avance sur son époque. L’a été un précurseur. On a beaucoup rigolé dans les chaumières sur son caisson à oxygène dans lequel la star allait se ressourcer. L’on a été plus sévère sur ce nègre honteux qui reniait ses origines et qui dépensait des millions de dollars pour se blanchir la peau… Condamnations à courte vue. Jackson voyait plus loin que notre commune humanité. Aujourd’hui il apparaît comme un devancier de ce mouvement transhumaniste qui embrase les hautes sphères de la société américaine. L’homme ne survivra pas à la catastrophe écologique qui se prépare. Encore quelques années et un virus propagé par d’innocents moustiques ou tout autre moyen de locomotion aura raison de l'humanité. L’espèce humaine connaîtra le sort des dinosaures. Rayée de la surface de la terre par un coup de baguette magique.

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    Michael Jackson se prépare. A la grande métamorphose. Assiste à plusieurs opérations sur le cerveau. Subit de nombreuses opérations présentées comme de la chirurgie esthétique. Enquille des doses de calmants à endormir des éléphants… L’est mal dans sa peau d’homme. De simple mortel. Qui se doit de finir comme tout un chacun au cimetière. Peur panique. Contre laquelle il lutte avec une très grande maladresse. N’est qu’un artiste à la sensibilité exacerbée. Ne possède pas la froideur raisonnée du reptile. Il veut muer. Il veut muter. Refuse de se reproduire. Sexualité spermatique qui dénote le refus de l’accomplissement ovarien. Cherche le saut qualicatif qui lui permettrait d’accéder à l’immortalité. N’est qu’un insecte englué dans la toile d’araignée de ses propres angoisses. Lui manque l’armature intellectuelle, la charpente déductive du scientifique. Finira par en crever. Victime de sa prescience instinctive. L’est comme le scorpion piégé qui retourne son dard empoisonné contre lui-même. Mourir mais ne pas se rendre. Ligne de fuite auto-mutilante. Un livre qui va plus loin que les pâles images d’Epinal. A méditer. Un book qui malgré les apparences éditoriales de sa mise en vente sur le marché ne surfe pas sur l’actualité. Jean-Paul Bourre possède un esprit incisif qui déchire les membranes opaques d’un futur plus proche de nous qu’il n’y paraît. Sentinelle des catastrophes à venir.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 233 : KR'TNT ! 353 : MICK ROCK / ROBERT CALVERT / BRAIN EATERS / ROBERT CALVERT / 2SISTERS / BULGARIAN YOGURT / BAPTISTE GROAZIL + POGO CAR CRASH CONTROL / KID ORY / DANIEL GIRAUD

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 353

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    21 / 12 / 2017

     MICK ROCK / ROBERT CALVERT

    BRAIN EATERS / 2SISTERS

    BULGARIAN  YOGOURT / KID ORY

    BAPTISTE GROAZIL & POGO CAR CRASH CONTROL

    DANIEL GIRAUD

     

    AMIS ROCKERS,

    VOUS AVEZ DE LA CHANCE, PERIODES FESTIVES EN VUE, LA LIVRAISON 353 ARRIVE AVEC DEUX JOURS D'AVANCE, ET LA 354 LA SUIVRA DE PEU...

    N'OUBLIEZ PAS DE VIVRE SANS MODERATION §

    Vive le Rock

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    Dans Shot - The Psycho-spiritual Mantra of Rock, le film que lui consacre Barnaby Clay, Mick Rock frime un peu. Mais il en a les moyens. C’est à lui qu’on doit les pochettes de Transformer, de Raw Power et de The Madcap Laughs. Excusez du peu. Le photographe Mick Rock eut la chance de fréquenter les bonnes personnes au bon moment. Hormis Syd Barrett et Lou Reed, il eut aussi pour ami Bowie, et c’est sans doute de là que lui vient sa fascination pour le glam. Lorsqu’il évoque ses souvenirs, Mick Rock fait entendre des cassettes de ses conversations. On l’entend discuter avec David Bowie qui évoque les noms de Bolan, de Lennon et de Dylan pour dire : «We are the original false prophets, we are the gods !» Et le diable sait qu’il a raison de dire ça.

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    Mick Rock est un solide Britannique qui, par sa stature et son grawl spécial, fait penser à Ian Hunter. C’est le même genre de force de la nature. Dans ce film, Mick Rock tente de faire passer son métier de photographe pour quelque chose de mythique, mais il devient vite prétentieux et mord un peu le trait - I’m not after your soul, I’m after your fucking aura - Helmut Newton et Richard Avedon peuvent prétendre au mythe, certainement pas Mick Rock, même s’il a fait trois belles pochettes. Il n’y a pas d’art chez Mick Rock, juste de bonnes fréquentations. Il a la chance incroyable de fréquenter Bowie, Lou Reed et Iggy, mais il en parle comme quelque chose de réfléchi - I always made sure in a final analysis that it made some kind of sense - C’est facile à dire, après coup.

    Mick Rock vient de Cambridge, ce qui l’oblige à parler de culture. Alors il cite Rimbaud et Baudelaire. Puis il passe aux choses sérieuses avec les drogues psychédéliques, il adore the altered states, et pouf, voilà le summer of love et Syd qu’il photographie dans ce bel appartement - Psychedelic Syd had a band called Pink Floyd - Syd vient de repeindre son parquet en teintes alternées, telles qu’on peut le voir sur la pochette du Madcap. Mick Rock explique qu’en 1971, Syd lost interest, he couldn’t get there anymore, tout le bordel du music business ne l’intéressait plus, he never did another interview.

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    Et sans transition, il passe à Bowie, ou plutôt Ziggy. Les gens lui disent qu’il voit Ziggy the way he sees himself, c’est un beau compliment, mais pour un photographe, c’est facile quand on a un mec comme Ziggy devant l’objectif. C’est Ziggy qui fait tout le boulot.

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    La fameuse photo de Lou Reed qui orme la pochette de Transformer fut prise au Whale concert : Lou Reed était monté sur scène pour jouer avec Ziggy. Mick Rock adore cette image - the cold shiver, the make-up and all the darkness in the eyes - Et il ajoute en revoyant l’image : Bingo ! That was the cover ! Et quand il passe aux Stooges, Mick Rock se met en transe : it was a complete revolution.

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    Dans l’interview qu’il accorde à Vive Le Rock, Mick Rock se dit attiré par les vrais artistes : «I was more interested in, shall we say, performers who were also definitely artists.» Il rappelle des choses élémentaires qui méritent l’attention. À l’époque où il faisait les images qui sont devenues légendaires, personne n’avait de blé, not David and certainly not Lou or Iggy. Et donc Rock non plus. Sa mère le soupçonnait de faire des photos pour éviter de chercher un vrai job.

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    Il rappelle qu’il fut payé à coups de lance-pierres pour les pochettes de Transformer (100 £) et Raw Power (200 $) - Records labels just wanted cheap photography, that was their attitude - Dans l’interview, Mick Rock nous fout bien l’eau à la bouche en confiant qu’il dispose d’images inédites de Bowie (Over 5.000 images of Bowie as Ziggy Stardust alone, let alone the other images I took of him. And there’s the video footage and music videos I made for him) Et il ajoute : «I actually have him in 73 different outfits. I think some of them have never been printed.» Ça va loin cette histoire. Pour lui, Bowie avait a very decent look. I’ll tell you that. I don’t think Lou and Iggy were quite so up to scratch psychologically, I think they were more the wounded warriors from the American thing. (Selon Rock, Iggy et Lou n’étaient pas aussi solides que Bowie, ils avaient pas mal morflé en Amérique). Ce sont des mecs comme Lou et Iggy qui ont apporté ce que Mick Rock appelle un «edge» à Bowie, ce que Bolan n’a jamais eu. David Bowie was much more interesting. Iggy and Lou gave an edge to David in terms of media image. Il rappelle encore que Bowie avait de l’ambition, alors que Lou et Iggy étaient livrés à eux-mêmes et n’avaient aucun succès commercial. Personne n’attendait plus rien d’Iggy et encore moins de Lou Reed dont le premier album solo avait floppé. Son label allait même le virer. Il faut tout de même se souvenir que les labels n’avaient aucune pitié pour ceux qui ne rapportaient rien.

    Quand il aborde le chapitre du glam dans son film, c’est une pluie d’images qui s’abat : Thin Lizzy, Marianne Faithfull, Peter Gabriel, Patti Labelle, il a tout photographié ! Queen aussi - Mercury, he looks like he’s in bloody heaven - Mick Rock se veut simple - I just want the pictures, I don’t care about the whys - et pouf, il cite Stanislavski, le thérorien de l’actor’s studio.

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    Mick Rock commence à voyager : Bowie l’invite à Berlin et Lou Reed à New York. Il refait des photos qui vont devenir d’autres pochettes : Rock’n’Roll Heart, Coney Island Baby, Sally Can’t Dance et cette image spectaculaire où Lou porte un blouson en plastique transparent. Et Lou Reed lui dit : «There’s 50.000 junkies in New York. They deserve a song.» Et qu’entend-on ? «Heroin», bien sûr.

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    Arrive l’écriteau punk. Mick Rock fait la pochette d’End Of The Century des Ramones, mais il préfère le glam - The punks, they are ugly - Il fait aussi Joan Jett, Blondie, les Dead Boys et Motley Crue - You couldn’t take a bad picture.

    Mais sa plus grand passion, c’est la coke - I was so in love with cocaine. I was also in yoga. Just a fucking bang in the brain - Arrive ce qui arrive : trois crises cardiaques in his early forties, il doit la vie à Allen Klein et Andrew Loog Oldham qui ont financé les soins à l’hosto. Et c’est là où le film devient pénible : Rock met en scène sa mort et son passage sur le billard. Il transforme même sa grande table lumineuse, l’outil de travail par excellence, en billard.

    Signé : Cazengler, Mick Roquefort

    Barnaby Clay. Shot. The Psycho-spiritual Mantra of Rock. DVD Vice Media 2017

    Walk On The Wild Side by Ian Chaddock. Vive le Rock #47

     

    Le calvaire de Robert Calvert

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    Décidément, Luke Haines ne s’intéresse qu’aux beautiful losers de l’underground britannique. Après les Pink Fairies, Steve Peregrine Took, voici Robert Calvert, l’excentrique de service.

    Pour que les profanes s’y retrouvent, Luke Haines rattache Calvert à Hawkwind et indique que l’histoire d’Hawkwind se découpe en quatre tranches : un, le busker-stoner des débuts, deux, la période space-rock classique de United Artist - incorporating the twin towers of Lemmy as speed-freak-biker-talisman, and Stacia as topless-acid-dancing-Dolly-Dorris-petrol-pump-attendant-gone- rogue - trois la période led by Captains Dave Brock and Robert Calvert, quatre, celle qui part de l’album Levitation (1980) jusqu’à aujourd’hui : trance, dungeons and dragons, bad heavy metal. C’est un peu le même problème qu’avec l’interminable discographie de John Lee Hooker : il faut découper en tranches, si on veut s’y retrouver.

    Selon Luke Haines, c’est la période Robert Calvert qui vaut le détour.

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    À l’origine des temps, Bob Calvert et Nik Turner étaient des marginaux de Margate, une station balnéaire située dans le Kent. Nik et Bob vendaient des chapeaux sur le front de mer. Et puis un jour, ils roulèrent leurs duvets, grimpèrent dans un van et foncèrent jusqu’à Londres.

    Ce dingue de Bob ne voulait pas être rock star : il voulait piloter un avion de chasse. Mais au lieu d’intégrer la Royal Air Force, il intégra the West London’s freak scene - a naturel poet and agitator - En 1970, il allait devenir l’un des resident space poets d’Hawkwind et devenir célèbre en écrivant les paroles de «Silver Machine». Il allait travailler avec Barney Bubbles sur le concept de pochette multidimensionnelle d’In Search Of Space et faire ses débuts de Space Poet dans Space Ritual. L’encart publicitaire de l’époque indiquait : «Ninety Minutes of Brain Damage.»

    Bob Calvert grenouilla donc dans le milieu de la presse underground et se lia avec des gens qui écrivaient ou dessinaient pour International Times, OZ et Frendz. Il écrivit des poèmes et des fictions pour Frendz, se voyant comme un «guérillero anti-conformiste». À cette époque, l’écrivain Michael Moorcock - un anarchiste naturel - publiait le magazine de science-fiction New Worlds. Il balançait des textes partout, y compris à Frendz, où Bob avait trouvé son terrain d’expression. Ils faisaient tous les deux de la scène. Moorcock jouait du banjo et Bob lisait des poèmes. Bob en arriva à la conclusion suivante : le meilleur moyen de toucher les gens, c’est avec la musique. Grâce à gens-là, Bob Calvert, Barney Bubbles et Michael Moorcock, le phénomène Hawkwind prit de l’ampleur. Nik Turner invita Bob à se joindre au groupe en tant que compositeur, pensant qu’Hawkwind serait pour son copain poète et amateur de science fiction et de philosophie un bon environnement. Bob déclara au journaliste Martin Hayman de Sounds : «Je suis plus un lecteur de poèmes qu’un chanteur. J’utilise les mots non comme des concepts mais comme des objets concrets.»

    Barney et Bob conçurent donc le livret paru avec l’album X In Search Of Space. Ils y racontaient un voyage bi-dimensionnel à bord d’un vaisseau spatial, sous forme de journal de bord du capitaine. Le vaisseau visitait la terre en 1985 et découvrait une planète en ruine, couverte de béton et d’acier. L’idée était de Bob. Il écrivait les textes et Barney les illustrait. Nik Turner déclara : «Ils ont montré la voie au groupe.» Sur scène, Hawkwind avait nettement plus d’allure que le Pink Floyd : dans Hawkwind, il y avait une danseuse et un batteur nus, un saxophoniste lunatique qui portait toutes sortes de déguisements excentriques, l’incontrôlable Bob Calvert et l’écrivain à la mode Michael Moorcock. Avec Lemmy, ils avaient en plus l’incarnation parfaite du rock’n’roll et des lignes de basse ravageuses. Ils avaient en prime deux savants fous qui tripotaient des générateurs audio. «Stacia, Nik et Lemmy étaient les personnage clés de ce show, ainsi que Calvert quand il était là.» On l’a oublié, mais en son temps, Hawkwind fut certainement le groupe le plus spectaculaire d’Angleterre. Dans la naissance du mythe, Bob joua un rôle considérable.

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    Il joua son rôle d’excentrique à merveille. Dans le fantastique ouvrage de Carole Clerk, les témoignages de son excentricité pullulent. Lemmy : «Bob Calvert portait un petit bracelet et des boucles d’oreilles. Il tentait désespérément de passer pour un anarchiste, mais il n’était qu’un branleur de citadin - ‘Putain, comme c’est cooool, vraiment très cooool... ciao !’ Il était complètement bidon. Il allait bien, et tout à coup il allait mal. Il avalait des valiums, parlait à toute vitesse et il faisait de l’hyperventilation. Il a eu l’idée de monter sur scène avec une machine à écrire attachée en bandoulière autour du cou. Il tapait des textes et les lançait dans le public. Il avait du talent mais pas autant que le croyaient les gens. J’ai enregistré l’album Captain Lockheed And the Starfighters avec lui et il ne savait vraiment pas ce qu’il faisait.»

    Le Space Ritual était l’idée de Bob. En novembre 1971, il déclarait au Melody Maker : «Le point de départ, c’est une équipe de cosmonautes dans le coma, et l’opéra est la représentation des rêves qu’ils font alors qu’ils filent vers le fond du cosmos. C’est une interprétation mythologique de l’actualité. Ce n’est pas la prédiction de ce qui va se produire. C’est la mythologie de l’espace, au sens où les voyages intersidéraux et les vaisseaux spatiaux sont à l’image des voyages de l’antiquité.» Bob préférait parler de ‘fiction spéculative’ plutôt que de ‘science-fiction’. Il poursuivait : «Au démarrage, Hawkwind avait déjà un son spatial. Mais maintenant, les choses ont vraiment pris forme, même si beaucoup d’entre-elles sont encore plus suggérées qu’explicites. Peut-être que c’est dû au côté hypnotique, avec les sons électroniques et les stroboscopes.»

    Mais Lemmy n’avait aucune patience avec ce genre de lascar : «À Wembley, Bob Calvert s’est pointé déguisé. Il portait une longue cape décorée de lunes et d’étoiles, et un chapeau de sorcière. Il avait une trompette et une épée. Dans le troisième morceau, après deux couplets, il est venu me donner des coups d’épée. Je lui ai mis mon poing dans la gueule. Il fallait avoir de la patience avec ce genre de clampin. Frapper un mec quand tu joues de la basse, ce n’est pas facile. J’aurais pu le dégommer d’un coup de basse, mais j’avais peur de la péter.»

    Bob retourna se faire soigner dans un service de psychiatrie. Il faisait des crises. Michael Moorcock le remplaça sur scène. La pauvre Bob allait rester à l’écart du groupe pendant un certain temps, puis il allait revenir. Tiens, par exemple avec «Urban Guerilla», le plus grand bide de l’histoire d’Hawkwind, co-écrit avec Dave Brock. Les paroles disaient : «Je suis un guérillero urbain. Je fabrique des bombes dans ma cave.» Censuré. Lemmy était furieux : «On a fait une fois un concert de soutien pour les Stoke Newington 8. ‘Urban Guerilla’ était une sorte de livre des recettes de l’anarchie : comment fabriquer une bombe dans ta cave. Voilà ce qu’était ‘Urban Guerilla’. Voilà le délire de Calvert. Qu’il aille au diable !» L’épisode est franchement hilarant : «Robert Calvert s’habillait comme un guérillero urbain. Il portait des tenues de combattant. Il admirait des gens comme Lawrence d’Arabie. Il adorait les tenues militaires. Lors d’une dépression, il s’est habillé en soldat, il a marché 40 km puis il est entré dans un service de psychiatrie. Tout ça donne une sortie d’imagerie bizarre.» Et puis est arrivé ce qui devait arriver : «La brigade anti-terroriste a fouillé mon appartement. Il ont démoli le parquet à la recherche de bombes et d’armes.»

    Bob multipliait les extravagances : déguisé entièrement en pilote de chasse de la Première Guerre Mondiale, avec ses culottes de cheval, ses bottes de cavalier, son foulard et son casque en cuir, il ressemblait à un mélange de Biggles et de Lawrence d’Arabie, mais avec un côté sado-maso.

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    En 1974, Bob enregistre Captain Lookheed & The Starfighters avec ses amis Viv Stanshall et Jim Capaldi. Il conçoit cet album comme un opéra bouffe : après la guerre, le gouvernement allemand achète des chasseurs Lockheed aux Américains. Le problème est que ces avions s’écrasent. C’est une histoire vraie et Bob délire bien avec. 159 Starfighters s’écrasent au sol et 106 pilotes y laissent la vie, voilà ce que dit le TV News reporter à un moment donné. C’est sur cet album devenu mythique qu’on trouve «The Right Stuff», l’un des grands classiques du rock moderne, repris par Monster Magnet - I don’t feel fear or panic/ And nothing brings me down - Pur génie de l’extension du domaine de la lutte binaire, ce riff insistant te hantera la cervelle jusqu’à la fin des temps - I’m the right stuff/ Baby the right stuff/ Just watch my trail - Robert n’en finit plus de créer sa légende - I never fail/ Just catch my trail - Dave Brock et Lemmy jouent aussi sur ce fabuleux album. C’est d’ailleurs la présence de Lemmy qui le rend mythique. On entend Dave Brock partir en solo dans «The Widowmaker», surnom donné aux avions par les pilotes allemands - le faiseur de veuves. Nik Turner souffle dans le désert et on entend voler des spoutnicks sauvages à la Dikmik. On a un autre fantastique heavy rock en A, «The Aerospace Inferno». Paul Rudolph et Lemmy pourvoient aux nécessités - Not even your ashes will be found/ What a good way to go - Et en B, ils repartent de plus belle en rock action avec «Ejection», toujours bien binaire, même riff que «The Right Stuff», pilonné par Simon King et harcelé par le sax cabossé de Nik Turner. Quel son ! Paul Rudolph passe un solo d’exacerbation latérale de Ladbroke Grove. Pas étonnant que ce disque soit entré dans la légende. Nik Turner déclara par la suite : «J’ai composé ‘The Widowmaker’ avec Bob. J’ai aussi composé ‘The Right Stuff’ avec Bob, mais sur le disque c’est juste marqué Bob Calvert. Ce genre de truc ne me monte pas au cerveau. De toute façon, les preuves sont dans Came Home, un disque pirate. Tu entendras ces riffs qui datent des débuts d’Hawkwind et ces morceaux ne sont jamais parus dans le commerce.»

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    L’année suivante, Bob récidive avec Lucky Leif And The Longships. On ne retrouve que Nik et Paul Rudolph sur cet album un peu raté. Cette fois, Bob s’intéresse à l’histoire de Leif, fils d’Eirik the Red, qui découvrit le continent américain cinq siècles avant Christophe Colomb. On ne sauve que deux cuts sur Lucky Leif : «Ship Of Fools» bien riffé par Paul Rudolph et «The Lay Of The Surfers» qui sonne comme un pastiche des Beach Boys, avec du pillaging towns et du Valhalla bound plein les rimes - We’re gonna ride you to your watery graves - Quoi qu’il fasse, Bob reste un poète. Et puis après, ça dégénère. «Voyaging To Vinland» est un remake d’«Hissez Haut Santiano», et «Brave New World» tourne à la farce - It’s A mericle (sic) - Le «Magical Potion» fait illusion, car Paul Rudolph le prend au Diddley beat ralenti et Michael Moorcock joue du banjo sur «Moonshine In The Mountains». Bob va même faire l’indien dans «Storm Chant Of The Skrealings». Il entre bien dans son délire. Dommage qu’on ne soit pas tenté de le suivre.

    En 1976, Bob rejoint Hawkwind et co-écrit avec Dave Brock deux albums, Quark Strangeness And Charm et le 25 Years On des Hawklords. Il chante aussi sur Astounding Sounds, Amazing Music et P.X.R.5.

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    Bob déclara au Melody Maker qu’avec l’album Astounding Sounds, Amazing Music, ils visaient «au croisement d’une démarche intellectuelle avec la bande dessinée.» L’album vaut sacrément le détour, ne serait-ce que pour l’infernal «Reefer Madness» d’ouverture du bal. Comme toujours, Bob se trouve mêlé au meilleur d’Hawk, ça part en heavy rffing. On ne se lasse pas de cette solidité, on y retrouve le beat du stomp anglais et un goût certain pour l’hypno. C’est même jazzé au sax. Effarant ! Bob chante «Steppenwolf» avec de faux accents à la Bryan Ferry. C’est son côté gothique décadent qui remonte à la surface. Et puis, il faut bien dire qu’il adore tout ce qui chevauche le gros beat. Bob reste le meilleur maître de cérémonie qu’on ait pu voir dans Hawkwind. On retrouve de la belle hypno en B dans «The Aubergine That Ate Rangoon», visité au sax galactique. Ces mecs travaillaient une vision du son intéressante. Encore du so solid stuff avec «Kerb Crawler». Dave y bat bien le nave.

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    Dans le NME, Monty Smith s’enthousiasmait de «l’humour psychotique» de Bob et il résumait Quark Strangeness And Charm ainsi : «C’est plein de riffs monstrueux et de bourdonnements de synthé, et Dave Brock part en vrille sur des solos (plutôt que de rester perpétuellement en rythmique). Simon House joue des solos de violon hypnotiques. Mais c’est Robert Calvert qui se tape la part du lion. Il est parfait. Hawkwind a annoncé la couleur : ils sont de retour. Aucun doute là-dessus. C’est un album très drôle.» Eh oui, Monty a raison, Bob se comporte en franc-tireur, il surgit dans des cuts éclairs porteurs de germes comme «Spirit Of The Edge». Adrian Shaw, Simon King et Dave contribuent au festin sonique. Bob chante ça d’une voix de mec déterminé, dans une étonnante ambiance de space-rock inspiré. On se régale des belles basslines d’Adrian Shaw. Fantastique bassman que ce Shaw-là ! Il faut ajouter que Dave a fait le ménage dans le groupe : Nik Turner, Alan Powell et Paul Rudolph ont tous été virés. Avec «Damnation Alley», Bob ramène son Hawk de combat et Adrian Shaw joue comme un beau diable. Voilà encore du boogie-rock de qualité supérieure, joué à l’intrinsèque de la pastèque, à l’incidence de la diligence. Il semble bien que ce soit Shaw qui fasse le show. On tombe en B sur un morceau titre quasiment velvétique. Bob a la glotte qu’il faut pour ça. Et derrière on entend le même ramdam que dans «Waiting For The Man» - We got sick of chat chat chatter - Quelle fabuleuse santé !

    L’année où parut Quark Strangeness And Charm, le punk sonnait les cloches de Londres. Les Damned devinrent potes avec Nik Turner et Bob. Rat Scabies raconte qu’il rencontra Bob pour la première fois au Dingwalls : «Il portait des culottes de cheval et des bottes. Il est venu vers moi et a dit : ‘Salut, je suis Bob Calvert d’Hawkwind’. Je lui ai répondu : ‘Je ne veux pas te causer parce que vous avez viré Lemmy, bande de bâtards.’ Il a dit qu’il n’y était pour rien et ça avait l’air vrai. C’était un vrai gentleman.» Rat et lui devinrent amis au point qu’ils montèrent un spectacle ensemble.

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    Après la fin momentanée d’Hawkwind, Bob monte les Hawklords avec son pote Dave. Facile, ils habitent tous les deux dans le même coin du Devon. Paru en 1978, l’album s’appelle 25 Years On. Quel album ! Ne serait-ce que pour le «25 Years» qui boucle l’A, un cut qui sonne comme du Roxy frénétique. Dave y apporte une infatigable assise rythmique et ça vire hypno à la Can, dans une superbe fuite en avant. C’est là qu’on reconnaît ses pairs. Quelle excellence ! «PSI Power» sonne judicieusement pop. Bob cherche le hit, ça se sent, il donne un certain élan à sa pop dans une ambiance bon enfant. Bob et Dave ne se cassent plus la tête à vouloir voyager dans l’espace, un petit coup de pop à synthé, ça ira bien comme ça. Ils reviennent toutefois au solide romp de rock avec «Free Fall». Derrière le rideau de velours, Dave riffe salement. Ces deux-là savent condenser le rock atmosphérique. Ici, tout est joliment enveloppé de mélodie satinée. C’est à la fois délicat et pacifiant. En B, avec «Flying Doctor», on retrouve le puissant riffing de Dave mélangé à de petits effets synthétiques du meilleur effet. Dave et Bob auraient pu pulvériser les charts anglais. Ils ne proposaient alors que des hits superbes. Nous n’en finirons plus de gloser sur la puissance brokienne. S’ensuit «The Only Ones», une jolie pièce de pop synthétique visitée par la grâce, très ondoyante et chargée d’harmonies vocales, digne des Mamas & the Papas. Cet album est une splendeur. Dave et Bob n’y proposent que des régalades.

    Mais dans Hawkwind, Bob commençait à poser de sérieux problèmes. Ses collègues savaient que lorsqu’il débordait d’idées, qu’il bouillonnait d’énergie et qu’il sautait d’un projet à l’autre, il devenait incontrôlable. Hawkwind partit en tournée sur le continent et Bob devint justement incontrôlable. Ce qui nous vaut l’une des anecdotes les plus drôles de la saga d’Hawkwind.

    Ils arrivèrent sur scène à Paris, au Palais des Sports. Dave Brock : «Bob était surexcité, mais sur scène il était vraiment bon. Ce soir-là, il a attrapé les cheveux d’Adrian Shaw et lui a mis son épée sur la gorge. On croyait qu’il allait le décapiter. Il a jeté l’épée avec une telle violence qu’elle s’est fichée dans le plancher. Le public a adoré ça ! On a eu trois rappels. On a fait un carton, ce soir-là.» Mais l’embellie n’allait pas durer. Dave poursuit : «On répondait à des interviews dans la loge. Il y avait des journalistes du Monde. Le road manager Jeff Dexter dit à Bob : ‘Réponds aux questions de ce critique d’art, s’il te plaît.’ Le journaliste a posé une question et Bob a dit : ‘Ce mec parle comme un pédé !’ Et il lui a lancé son gant à la figure. ‘Je te défie en duel !’ Choqué, le journaliste a quitté la loge aussitôt. Bob a ensuite déclaré, sur un ton très viril : ‘Je ne veux pas de pédés dans ma loge !’ On est rentrés tous les trois à l’hôtel à pieds, Jeff Dexter, Bob et moi. Bob essayé d’étrangler Jeff dans la rue. Il était devenu fou. Cette-nuit-là, Bob était tellement survolté qu’il n’arrivait pas à dormir.» Et Dave continue : «Sur scène on utilisait un faux flingue pour une réplique. Le chargeur était vide. Bob s’amusait avec. Il jouait à la roulette russe et quand il appuyait sur la gâchette, ça faisait ‘click’. Je gardais ce flingue dans ma valise et Bob était au bar, entouré de ses admirateurs. Jeff s’arrangeait pour qu’il reste au bar. Il buvait toute la nuit et à un moment, un policier en civil est arrivé. Bob était certainement en train de parler de guérilla urbaine et à un moment il a dû dire à voix haute que j’avais une arme dans ma chambre. Le gang Baader Meinhof étaient en cavale à l’époque, et on supposait qu’il se planquait à Paris. Le flic a fait venir des renforts et vers six heures du matin, on a frappé à ma porte. J’ai ouvert et tous ces flics me sont tombés dessus. Je me suis retrouvé en calbut contre le mur avec les bras en l’air. Ils disaient : ‘On sait qui vous êtes. Vous êtes un terroriste.’ Ils ont fouillé mon sac et ont trouvé le calibre. On était vraiment à bout de nerfs. Jeff Dexter a dit qu’il allait ramener Bob à Londres pour le coller dans un hôpital. Il conseillait d’annuler le reste de la tournée.»

    Les concerts prévus aux Pays-Bas furent aussitôt annulés. Adrian Shaw raconte la fin de cette histoire : «Dave nous a réunis pour nous dire qu’il en avait marre de tout ce cirque. Il voulait rentrer chez lui. On était tous d’accord. On avait prévu de se retrouver à l’accueil un quart d’heure plus tard, de sauter dans la bagnole et de se tirer sans Bob. On était là à l’accueil avec nos sacs, on attendait quelqu’un, je ne sais plus qui, et soudain Bob s’est pointé. Il nous a demandé ce qui se passait. On lui a dit qu’on avait décidé de partir. Il a dit qu’il allait chercher son sac. Celui qu’on attendait est arrivé, on a sauté dans la bagnole, et on a vu Bob arriver en traînant son sac.»

    Dave : «On avait loué une Mercedes. On venait de mettre nos sacs dans le coffre quand Bob s’est pointé. Il était en culotte de cheval avec une ceinture de cowboy. Quelqu’un a dit : ‘Vas-y démarre !’ J’ai roulé quelques mètres jusqu’en bas de la rue et je me suis retrouvé coincé dans un bouchon. Bob était scié : ‘Ils se barrent sans moi !’ Simon a crié : ‘Vite, monte sur le trottoir !’ J’ai réussi à contourner le bouchon. Bob nous coursait.»

    Adrian : «On s’est barrés et on l’a laissé en plan. Je ne trouvais pas ça terrible. Aujourd’hui, je trouve que ce qu’on a fait est horrible. Tu n’abandonnes pas un copain qui a des problèmes mentaux dans un pays étranger, parce que ça t’arrange. Jeff Dexter a dit que lorsqu’il a emmené Bob à l’aéroport, il devait le frapper sur le crâne avec un bâton. Mais Bob a saisi Jeff à la gorge et ça a tourné au grabuge.» C’est vrai qu’à cette époque, Dexter était habitué à sentir les mains de Bob autour de son cou. Malgré les événements qui s’étaient déroulés à Paris, le groupe se réunit à Rockfield en janvier 1978 pour enregistrer «Death Trap», «Jack Of Shadows» et «PXR5». Bob qui semblait avoir pardonné le coup de Paris était là. Adrian Shaw : «Il a tout oublié, c’est assez miraculeux. Tout est rentré dans l’ordre. On a enregistré et on est repartis en tournée. Je crois que Robert était toujours considéré comme le chanteur et il nous a pardonné. Il s’est énormément investi dans cet album.»

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    Encore un bel album de Bob : P.X.R.5. Il s’y niche deux standards hypno : «Death Trap» et «Uncle Sam’s On Mars». Voilà Bob de nouveau embringué dans un coup de rock spectaculaire, avec du Death Trap qui préfigure Devo, et ce n’est pas peu dire. Bob a dix ans d’avance sur les Mongoloïdes. Ils ne sont plus que trois dans le groupe : Bob, Dave et Simon King. Le père Dave se fend d’un bon solo killer. Comme sur tous les albums d’Hawkwind, on trouve le cut de séduction en ouverture de bal. Puis ça a tendance à baisser. Bob redresse le niveau avec «Uncle Sam’s On Mars», c’est du live, hanté par des spoutnicks. Adrian Shaw et Simon King y tiennent bien le beat et ça vire hypno, idéal pour un performer aussi agité que Bob. Il tape aussi une belle version live de «Robot» en B. C’est terrifiant d’efficacité. Bob ramène tout son gothique débridé, ça sonne un peu comme «Death Trap» mais avec du Robot Robot en exergue aboyée à la Devo. Climat à la fois dramatique et passionnant. Ça se passe dans un festival en 1979 et comme ça dure environ quinze minutes, Bob a tout le temps de faire le con avec son épée.

    Puis Bob quitte Hawkwind. Fin de l’épisode.

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    Et voilà qu’en 1981, année de l’élection de François Miterrand, Bob recrée la sensation avec Hype, un solide album de pop-rock baroque passé complètement inaperçu. Dave rendit hommage à Bob qui écrivait alors Hype, un roman qui concernait le showbusiness et qui allait donner son titre à l’album du même nom. Dès l’«Over My Head» d’ouverture du bal, Bob sort de sa manche un glam impressionnant. Oui, ce mec sait écrire des chansons, ce touche-à-tout tient rudement bien la route. Au générique, les seuls noms connus sont ceux de Michael Moorcock et de Nik Turner. «Ambitions» sonne comme un hit pop, mais monté sur l’un de ces stomps dont Bob a le secret. Ça frise un peu la diskö, c’est vrai, mais ça passe car il s’agit de Bob, un citoyen au-dessus de tout soupçon. Très vite, il révèle un penchant pour la pop baroque et maniérée de type Cokney Rebel, avec des cuts comme «It’s The Same» et «Hanging Out In The Seafront». Et comme tout cela est très écrit, on pense bien sûr à Ray Davies. Avec «Sensitive», Bob revient à son cher stomp de pop-rock glammy. Il impose une présence indéniable. Cut solide et bien monté, subtilement glammy. Il cultive un goût pour les classiques du rock, comme on le constate à l’écoute d’«Evil Rock». L’atroce punk Nik Turner souffle dans son sax cabossé et on assiste à un joli coup de riffing sauvage sur le tard. Notre homme sait finir en apothéose. On trouve encore du so solid stuff en B avec «We Like To Be Frightened», pur jus bobbique. Il n’en finira donc plus d’épater la galerie ! Il chante sous le boisseau et mène bien sa barque. On finit par comprendre que Bob est incapable de fourbir un mauvais cut. Il termine cet excellent album avec «Lord Of The Hornets», toujours très Cockney Rebel dans l’esprit, il adore ce son arrogant et saute au paf. Tout le décorum accourt au rendez-vous. Si tu cherches un popster de rêve, c’est lui.

    Selon Luke Haines, le vrai chef-d’œuvre de Bob est l’album Freq paru en 1985, un concept-album consacré aux grèves de mineurs. Pour Lucky Luke, Bob n’est ni un fighter pilot, ni un space poet, mais un fighter poet. C’est ça, on lui dira.

    Bob casse sa pipe en 1988. Petite crise cardiaque. Il n’a que 43 ans. Mais on ne s’en plaint pas, quand on a eu une vie aussi bien remplie.

    Signé : Cazengler, Robert Calva

    Captain Lockheed And The Starfighters. United Artist Records 1974

    Robert Calvert. Lucky Leif And The Longships. United Artist Records 1975

    Hawkwind. Astounding Sounds, Amazing Music. Charisma 1976

    Hawkwind. Quark, Strangeness And Charm. Charisma 1977

    Hawkords. 25 Years On. Charisma 1978

    Hawkwind. P.X.R.5. Charisma 1979

    Robert Calvert. Hype. A-Side Records 1981

    Luke Haines :This Is Your Captain Speaking - Your captain is cred. Record Collector #466 - May 2017

    Carol Clerk. The Saga Of Hawkwind. Omnibus Press 2004

     

    16 – 12 – 2017 / MONTREUIL

    LA COMEDIA MICHELET

    BRAIN EATERS / 2SISTERS

    BULGARIAN  YOGURT

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    Vous me connaissez, un mec tranquille, calme, serein et pacifique, mais là j'ai envie de descendre de la teuf-teuf avec ma batte de base-ball. Sont des centaines autour de moi. Squattent la chaussée leur vulgaire trogne épanouie, les bras surchargés de paquets. Aucune prévenance, occupent même mon parking favori. Ce soir Montreuil me déçoit. Tous ces gens qui passent surchargés de cadeaux et personne qui ne m'en offre un. J'accepterais n'importe quoi, un presque rien, les oeuvres érotiques complètes de Pierre Louÿs par exemple, ou un coffret de 70 pirates de Led Zeppelin, mais non, ils me dédaignent, ne s'aperçoivent même pas que j'existe. J'essaie la halle du marché, transformée en salon de l'automobile, même plus un espace pour garer un vélo sans pédales. La mort dans l'âme, j'emprunte le labyrinthe des petites ruelles. Miracle ! Tous les soixante-dix mètres deux espaces inoccupés. Vous y logeriez un bus à impériale. Mais non, ils sont réservés aux handicapés. N'ai rien contre, mais des gens à mobilité réduite qui se déplacent en bagnole, je trouve cela illogique. En plus, à Montreuil c'est comme ces pays qui ont des puits mais pas de pétrole, eux ils ont des places mais il leur manque les handicapés. L'heure tourne, vient celle de prendre les grandes décisions, tiens deux épis réservés aux blessés de la vie libres à deux pas de la Comédia, un signe bienveillant des dieux de l'Olympe, m'y gare sans état d'âme. Pas question pour un rocker de rater un concert. Une catastrophe pire que le dérèglement climatique. J'écoute la voix de la sagesse. Comme disait Spinoza, quand tu ne peux pas, tu fais quand même.

    Fin de la balance. Je n'écoute pas. Je zieute. Pas le mec sur scène qui tient sa copine entre les bras. Sa nénette. Mignonne comme tout. Je veux la même. Du style et un chien fou. L'a souligné son visage d'un trait noir qui lui donne des yeux incandescents. Au bout d'un quart d'heure je m'arrache à ma contemplation et jette un regard au gars qui entoure sa grand-mère de ses bras énamourés. Non, ce n'est pas un gérontophile, je le connais, je le reconnais, c'est Bilar des No Hit Makers avec sa contrebasse new-design, mais que vient-il faire dans cette soirée rock'n'roll punk déjantée, pas le temps de répondre, faut que je fasse gaffe à mon cerveau, je n'en ai qu'un et les mangeurs de cervelles sont sur scène.

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    ( photo hors contexte permettant d'entrevoir the big ma' )

     

    BRAIN EATERS

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    C'est comme dans les films de série B. L'inspecteur Labavure se méfie des indices qui trompent. Exemple : J C, guitare Gretsch et T-shirt logo Sun. Des rockabilly men ? Evitez les conclusions hâtives. Le fin limier jette plutôt un regard suspicieux sur Megadom le batteur, T-Shirt Meteors, certes il y a l'intro, Spunky, musicale, surfin' en diable, serait-on en présence d'un quadrille de punkabilly boys ? Démentent aussitôt avec trois titres : Lobo Loco, Vicky Lou, Brainmobile, du punk du plus orthodoxe. Asséné sans états d'âme. Les tricotent sans fioriture. Serait-on partis pour s'ennuyer ? Non cachent leur jeu. La suite se révèle plus surprenante. Salmigondis déjanté. Vous trouvez tout ce dont vous avez besoin chez eux. Des rognures déjantés de hillbilly descendu des collines, des persillades de garage pétaradant, du beat implacable qui vous poursuit tout le long de la nuit. Nous jouent des morceaux de leur prochain CD comme Cool It Baby, entre parenthèses plutôt chaude brûlante la Baby, et des fantaisies monstrueuses comme Bad Lumberjack et This Thing will Kill Me. Muskrat à la basse et Megadom aux baguettes visent à l'efficacité. JC vous entoure le bébé de barbelés very Heavy et monsieur le Professeur Boudou vous martèle la leçon d'une voix de stentor. Un mauvais exemple pour notre saine jeunesse, quitte la salle de classe, s'en va se promener dans le public avec son micro, revient pour s'allonger de tout son long sur scène dans l'espoir de déchiffrer la set-list, avec tant de difficulté que l'on se demande si notre vénéré professeur sait bien lire. En tout cas, l'obtient des résultats, car le combo file sans erreur. Sur Shake It il nous demande de nous remuer un peu, les filles donnent le mauvais exemple : épandent de la bière par terre et s'amusent à faire des glissades tout le long de la scène. De toutes les façons ils adorent les Bad Girls et la petite Lil Devil Blue. Les Brain Eaters aiment manger ( vos synapses ) épicé. Montent la sauce à la moutarde extra-forte en progression continue. Recette simple : chaque morceau plus subtilement échevelé que le précédent. Nous avons encore mieux en magasin, pas plus cher, mais plus solide et effilé comme un yatagan, vendu avec les traces de sang véritable. Pas sec, vous pouvez lécher et tout le monde s'en vient goûter ce coulis de framboise exceptionnel. Finissent sur Woodoo Bayou et un petit Ramones pour vous ramoner les consciences. Z'auraient pu continuer, deux ou trois heures, mais non faut en laisser pour les autres.

    2SISTERS

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    Grosse déception. M'attendais à deux super-meufs, mais non ce sont quatre gars... Homme libre disait Baudelaire, toujours tu chériras la mer. Mais les rockers ont une nette préférence pour les guitares. Et les quatre malandrins de 2Sisters, se cachent derrière la leur. Des éclaboussures à la Stooges, mais infinies, derrière ça pulse de tous les diables, un tambourinaire qui n'en finit pas de propulser le train, un bassiste qui a dépassé le coma épileptique, tétanisé sur ses cordes, une espèce de robot surintelligent programmé jusqu'à ce que mort s'en suive, et une guitare qui rugit comme le vieil océan de Maldoror. Stridences électriques qui s'emparent de mon âme comme pieuvre vorace «  O poulpe au regard de soie ! Toi dont l'âme est inséparable de la mienne; toi, le plus beau des habitants du globe terrestre, et qui commandes à un sérail de quatre cents ventouses; toi, en qui siègent noblement, comme dans leur résidence naturelle, par un commun accord, d'un lien indestructible, la douce vertu communicative et les grâces divines, pourquoi n'es-tu pas avec moi, ton ventre de mercure contre ma poitrine d'aluminium, assis tous les deux sur quelque rocher du rivage, pour contempler ce spectacle que j'adore » j'en suis tout émotionné, tellement commotionné, que les stances des chants maudits du Comte de Lautréamont s'en viennent à mes lèvres. Z'ont aussi un chanteur. Collé à son micro. N'en bougera pas de tout le set. Seul, immobile, inquiétant. Les autres enfantent la tempête, et lui murmure des imprécations inaudibles, il susurre doucement des mantras empoisonnés. Ils sont le dard. Il est le venin. N'assure pas le chant. Distille une présence. Une espèce d'ombre menaçante, une réserve de tourmente, le moyeu immobile de la tornade rock'n'roll. Et les autres se déchaînent, même pas le temps de finir un morceau que le riff du suivant emporte déjà la houle de la guitare. Rodeo, Booze, Down, Creeping, U & Me, What Have you Done, les morceaux se suivent et se ressemblent comme l'ouragan imite l'hurricane. Une morsure à double moteur avec les dents cariées de Mötorhead et des gencives sanguinolentes soignées au détergent MC 5. Vous avez l'impression que ce sont vos oreilles qui émettent cette ambroisie sonore destructrice. La force est en vous, et vous êtes le mal qui prolifère. Un miracle vers la fin du set, le batteur stoppe ses coups de roulis, le chant se tait, la guitare ne joue plus, cinq secondes, l'instant irrémédiable du temps qui suspend son vol, mais non, le bassiste en profite, sa basse raquelle comme un chien à qui vous arrachez les tripes tout vivant, les cordes poussent un cri de souffrance, un nid de serpents sur lequel vous marchez par mégarde, et le déluge sonore se rue sur vous et retombe en pluie diluvienne sur les épaules des filles qui dansent devant la scène. Plouf ! la lumière revient. Etrange impression, comme dans les films d'épouvante, que tout le monde doute encore que les zombies soient rentrés au cimetière. C'est que le rock'n'roll comme le Père Noël ne passe pas tous les jours.

    BULGARIAN YOGURT

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    L'on aura tout eu ce soir, après la tribu des bouffeurs de cervelles tout crues, le couvent des bonnes soeurs électriques, voici la marée humaine des hordes bulgares, ces grands mangeurs de yaourts périmés devant l'Eternel, s'emparent de la scène. L'en sort de partout. S'entassent à six sur la scène. Sept si l'on compte la dame Jeanne de Larby peinturlurée comme un poney de guerre hunique, Jansh armé de son carquois à baguettes, deux guitaristes, deux leads qui passeront leur temps à se mitrailler de riffs aigus. Z'ont amené une femelle, au cas où, bardée d'un saxophone trois fois plus haut qu'elle, plus le grand chef. Parade devant ses troupes, son chef chauve ornée d'une banane de rocker triangulaire comme un foc de brick pirate, pointu comme les récifs d'Ouessant. S'agenouille en un étrange rituel devant ses troupes, l'on ne sait pas trop ce qu'il stratège, nous montre son cul, la tête enfouie dans la grosse caisse. Se retourne brusquement vers nous, s'est transformé en homme-totem, arbore une fine cravate blanche de dandy, et s'est recouvert le visage d'une cagoule de velours léopard. L'arrachera le tout très bientôt, finira torse nu, joue avec son pied de micro avec la sveltesse des filles du Crazy Horse autour de leurs rampes.

    Derrière c'est la cavalerie, qui charge. Mille sabots de feu, Riding My Horse, qui vous saccadent un punk-rock destruozidal. La pagaille complète. La gaffette Yamette ne sait plus à quel sax se vouer, les échange tour à tour, un gros, un petit et puis un petit et un gros. Une préférence pour le gros. L'en tire des bruits de sirène, celles du Titanic – The Way I Wana Die - pour avertir les passagers que l'iceberg vient de perforer la coque. Bilar est déjà dans le canot de sauvetage, souque ferme sur sa basse, ce n'est plus de l'amour, c'est de la rage, peuvent tous couler, lui il sauvera sa fusain de dulcinée. L'est suivi de près par Jansh qui s'enfuit à toute vitesse, sur le radeau de fortune de sa batterie, il rame sur la crête des vagues avec ses baguettes. Les guitaristes ne sont pas d'accord, ont chacun attrapé un bout de cordage et tirent de toutes leurs forces en sens opposés. Normalement le rafiot devrait être au fond de l'eau depuis une demi-heure, surprise générale il flotte comme un bouchon de liège, Sam nous invective du haut de son mégaphone, et tout le monde s'embarque avec lui dans cette galère. Misery, On My Grave, sûr que la situation est grave, mais en contre-partie l'on s'amuse comme des petits fous, personne n'échangerait sa place contre un hectare de terre ferme du paradis, l'on frise la Paranoïa, l'on est à 15 Miles From Hell, mais l'on a jamais été aussi bien de notre vie. Une pétaudière, une chaudière. Ça tangue, ça valse, ça cravache, ça gigote, ça pogote, dans tous les sens. Abordage et sabordage, le punk n'a pas d'âge. Un enfant se hisse tout en haut de la barre métallique qui soutient le plafond, à voir les faces qui sourient aux anges et s'égosillent aux démons doit y avoir un fond de speed et de LSD dans la recette du Bulgarian Yogurt. Les nerfs en vrille sur la nef des fous. Jusqu'où serions-nous allés si l'heure préfectorale n'en avait décidé autrement ? Les Bulgarian sont trempes de sueur, sont salués par une monstrueuse ovation, sortent de scène en emportant leur triomphe et nous abandonnant à nos regrets insatiables.

    Ce soir, à Montreuil, rue Michelet, nous avons eu droit à l'inhumaine comédie du rock'n'roll !

    Damie Chad.

    MONDE HOSTILE

    BAPTISTE GROAZIL

    FEATURING

    POGO CAR CRASH CONTROL !

     

    Monde cruel. L'avaient promis pour les saturnales de décembre. Je le voyais déjà sous le sapin en flammes avec le petit Jésus découpé en morceaux pour le barbecue. A en pourlécher les babines de ma voisine de table. La terrible nouvelle vient de tomber faudra attendre jusqu'au 23 mars 2018. Un scandale. Un cas typique de maltraitance du public rock. Et le gouvernement qui ne pipe mot devant cette catastrophe nationale. Démission ! Démission ! Démission ! Révolution !

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    Toutefois, un peu de bon dans notre malheur. Même beaucoup. Non pas un os dénudé jusqu'à la moelle absente. Un gros cuisseau tout dégoulinant de sang et de graisse de tyranosaurux rex. Un méchant pas tout à fait mort qui mord encore. Certes ce n'est qu'un gigot alors que l'on attendait le monstre entier, mais c'est du bio-sauvage engraissé au déchet atomique de centrale nucléaire non recyclé. Idéal pour mettre les rockers en appétit.

    Je vous refile l'adresse où le chien – you wana be my dog ! - l'a enterré au fond du jardin, F.B. Pogo Car Crash Control. Pour ceux qui ont des instincts de petits propriétaires, c'est pour une misère sur toutes les plate-formes de chargement – perso je préfère le tas kropotkinien du prélèvement libre, c'est pour cela que KR'TNT ! est accessible sans droit de douane – bien sûr il y a un coupable pour cette chose immonde. S'appelle Baptiste Groazil. L'avait déjà sévi sur la pochette du premier EP que voici :

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    L'a évidemment sévices sur celle du premier et prochain album, la voilà :

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    Un véritable chARTcutier, un maître-saigneur, responsable des clips officiels du groupe. Et le Groazil quand il pousse son groin de grésil dans les images, ça grésille de partout. Méthode sanglier qui vous dévaste dix-sept hectares de pelouse – celle que vous venez de tondre - en une nuit. Me fais l'avocat du diable. La torrentielle noise-music des P3C, ce n'est pas non plus le long fleuve tranquille des vies monotones. L'artiste se doit d'indexer sa représentation sur l'objet de ses délires. Sinon vous tombez dans la gratuité dadaïste des plus attendues parce que des moins contextualisées. Toute la différence entre le factice moderniste et le poïen grec.

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    Bref vous en prenez plein les mirettes. Groazil l'est plutôt un as du démontage que du montage. Pas de pitié pour les presbytes et les myopes, vous crève les yeux à coups d'éclats. Un sagouin de l'image. Pour vous donner un équivalent pictural, c'est l'état des mains du bambin qui sort de maternelle après avoir fait activité peinture. Vous ratiboise la rétine en six secondes. Vous découpe les pupilles à la machette. N'y est pour rien. C'est le monde des Pogo qui est hostile. Le nôtre aussi du même coup. Mais il y a des maso, attardez-vous ( façon de parler ) sur la mine radieuse des fans, y a aussi les atterrés, la triste gueule d'adolescents boudeurs des Pogos, le tout et son contraire, le rien et sa plénitude, c'est un jeu, Groazil mélange les cartes, les carrés d'as et les valets de ferme ( ta gueule ). Pour ceux qui ne comprennent pas dans quel wagon ils ont mis les pieds, il écrit les titres en gros. C'est un peu comme la salade composée de la cantine universelle, vous triez les feuilles et vous avalez les lombrics. C'est avec les vers que l'on fait les poèmes. Juteux à souhait. Remplis de vitamines. Energétique.

    Damie Chad.

    P. S. : En passant par le F.B. Baptiste Groazil vous tombez sur son tomblelog, les bras vous en tombent. De cimetière.

     

    KID ORY

    ( Classic Jazz Archive )

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    La pire des trahisons. Par moi-même. Toujours dans ma recherche des incertaines et mythiques origines du rock'n'roll, fouinais dans un bac à soldes de disques de jazz – je sais ce n'est pas bien – mais entre le jazz et le blues la frontière n'est pas loin... La photo de la pochette m'attire, ensemble très New Orleans de la toute première heure, je zieute le nom, Kid Ory, je reste de marbre, un clin d'oeil sur les dates, 1886 – 1923, diable ! Un mec qui a eu la chance d'enregistrer et de mourir en 1923, vous ne trouverez jamais mieux plus proche du blues, pour mémoire je vous rappelle que le premier enregistrement officiel de blues date de 1920 ( Crazy Blues par Mamie Smith ), je prends sans regarder le prix. Ne soyons pas hypocrite, 1, 50 euros pour deux CD's ! Arrivé à la maison, à la lumière je m'aperçois que mes yeux ont mal interprété, à leur décharge faut reconnaître que le chiffre litigieux bénéficie d'une graphie abstracto-moderniste, ce Kid Ory est un gars qui n'a vraiment pas eu de chance dans sa vie, l'a survécu jusqu'en 1973 ! Soyons bon prince, pardonnons-lui cette obstination vitale, et écoutons de nos deux oreilles.

    Les deux CD's ne couvrent que la toute première partie de la vie de Kid Ory. Souvent, mais pas toujours, les premiers enregistrements des musiciens sont les meilleurs. Ce phénomène est très patent pour de nombreux groupes rock. Exprimer, jeter tout ce que l'on a dans le ventre tel sa gourme entre les cuisses des premières rencontres ne signifie pas que l'on soit un véritable créateur doué de capacités de maturations ou de renouvellement. Sans parler des maisons de disques qui vous poussent à rechercher une audience grand public... Mais pour la génération des premiers jazzmen une autre problématique s'est imposée. Brutalement. La crise de 1929. Qui les a renvoyés au chômage. Au début des années trente, c'est la débandade, tous ceux qui parvenaient à vivre de leur musique sont obligés de chercher un boulot d'appoint, et bientôt à temps plein. Les exemples ne manquent pas, nous avons déjà évoqué le cas de Sidney Bechet ouvrant un garage et puis une laverie. Pour Kid Ory ce sera un élevage de poulets... Dans les années quarante s'amorcera un revival jazz New Orleans et certains sauront profiter de ce regain d'intérêt pour leur musique. Kid Ory sera de ceux-là. Se permettra même de refuser de rejoindre la formation de Louis Armstrong, gagnant par ses propres moyens beaucoup plus que le deal proposé par le grand Satchmo. Une fin de vie heureuse pour Kid Ory, reconnu de toute la profession et à qui le public manifestera sa fidélité jusqu'à la fin.

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    Mais nous n'en sommes pas là. Tout gamin, poussé à La Place, cité voisine de la Nouvelle Orleans, Kid Ory s'entiche du cornetiste Buddy Bolden. L'influence de celui-ci sur la naissance du jazz s'avèrera déterminante. Ayant abandonné le banjo pour le cornet il aidera à dégager la nouvelle musique en gestation des courses échevelées du ragtime. Ne s'agit plus de jouer vite, mais d'exploser la virtualité de son instrument. La virtuosité exige un autre espace sonore. Bolden sera celui qui transcende la section rythmique des cuivres. Plus question qu'elle se contente de soutenir, d'appuyer, de souligner la lead-section des cordes. Bolden se permet de tirer des soli de son cornet. Cornets et trompettes s'engouffrent dans la brèche qu'il a ouverte. Les cuivres s'emparent de la lead-section de l'orchestre.

    Kid Ory qui sur le conseil de Buddy Bolden s'est mis au trombone emprunte cette voie royale. A la New Orleans il ne joue pas avec des moins que rien, son chemin croise souvent ceux de Joe King – c'est Ory qui lui décerne ce titre honorifique – Oliver et de Louis Armstrong. Les jazzmen sont heureux comme des coqs en pâte dans le quartier chaud de Storyville, filles, alcools, produits, musique, difficile de rêver meilleur environnement. Mais en 1917 la municipalité est prise d'une crise de puritanisme aigu. Les musiciens émigrent alors vers Chicago. Certains s'arrêtent à Kansas City, Kid Ory fait un détour par Los Angeles.

     

    MUSKRAT RAMBLE

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    Ory's creole trombone : ( Los Angeles, Juin 1922 ) : surprenant, zig-zags de trombone, nous sommes encore bien près du ragtime et des bizduits qui vous attrapent l'oreille. Une musique qui évoque l'accompagnement des premiers dessins animés de Walt Disney mais vous avez de ces tutti orchestraux qui de temps en temps s'incrustent dans vos palourdes pour ne plus en ressortir. Prometteur. Le jazz entre dans une nouvelle ère. De nombreux spécialistes pensent que cette face enregistrée sous le nom de Ory's Creole Jazz Band est le véritable premier enregistrement de jazz proprement dit bien plus que celui d'Original Dixieland Jass Band réalisé en 1917 et qu'ils considèrent comme de la musique folklorique jouée par des blancs... Un morceau historique. Gut bucket blues : ( Chicago, 12 novembre 1925 ) : une voix reconnaissable entre toutes, attention nous ne sommes plus avec le Creole Jazz Band mais avec le Hot Five d'Armstrong, c'est bien lui qui lance la danse. Lil Armstrong est au piano, c'est elle qui a poussé Louis à se mettre en avant. L'a eu raison, cette frangipane vanillée de cuivres est merveilleux. Come back sweet papa : ( Chicago, 22 février 1926 ) : l'on prend les mêmes et on recommence, mouettes rieuses qui survolent une mer radieuse. Le génie de l'orchestration à l'état pur. Georgia grind : ( Chicago, 26 février 1926 ) : voici trois titres issus de la même session, Lil est au chant, voix un peu trop lointaine même si les cuivres se taisent et ponctuent doucement après elle. La voix de Louis sur le piano, et c'est reparti pour une douceur de clarinette, trop vite interrompue. Oriental strut : ( Chicago, 26 février 1926 ) : rythme canaille et trombone langoureux, chacun à son tour s'en vient pincer les hanches de la fille, impossible de dire celui qu'elle préfèrera. Pas de jalousie entre les gars, jouent trop bien entre eux. Muskrat ramble : ( Chicago, 26 février 1926 ) : tous ensemble et droit devant, on lève la jambe et l'on souffle comme des déhanchés. Raisins muscats, des grappes porteuses d'ivresse. Snag it : ( Chicago, 11 mars 1926 ) : plus de Hot Five, mais en plus d'Armstrong et de Kid Ory, voici King Oliver qui s'est joint à eux, faudrait encore citer les huit autres qui ne sont pas venus pour rester les mains et la bouche dans les poches. Ampleur sonique, cavalcade et trompettes de cavalerie, poussez-vous la colonie passe, tuba et batterie à la fête. Fanfare subtile. Sugar foot stomp : ( Chicago, 29 mai 1926 ) : tous ensemble l'on stompe à tout rompre, on peut vous le faire tout doucement et tout seul mais beaucoup mieux quand on s'y met tous. Wa-Wa-Wa : ( Chicago, 29 mai 1926 ) : c'est pas du scat mais les cats sont là et les souris dansent. Tutti dantesque. 29 th and dearborn : ( Chicago, 10 mars 1926 ) : autre séance sans cadors heureux d'être né certes, mais l'ensemble est un peu poussif et répétitif. Manque d'imagination dans les soli. Too bad : ( Chicago, 11 mars 1926 ) : King Oliver est revenu avec un peu de monde, cela se sent, même si l'absence d'Armstrong est évidente.

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    Dropping shucks : ( Chicago, 16 juin 1926 ) : Hot Five, de la dentelle, beau comme une élégie de Verlaine, de la musique avant toute chose. Armstrong qui boppe au chant, remplacez les cuivres par des guitares électriques et c'est presque du rockabilly. Who's it : ( Chicago, 16 juin 1926 ) : de l'aisance et de la grâce, trombone amoureux et l'escarcelle repart au sommet du chapiteau, en bas sur la piste les clowns soufflent dans leur langue de belle-mère et les ballerines dansent sur le fil. Agilité déconcertante. The king of the Zulus : ( Chicago, 23 juin 1926 ) : Toujours le Hot Five, la musique s'interrompt pour une dispute vocale et l'on reprend le mouvement, sans inquiétude comme si de rien n'était. Le banjo à l'honneur pour une fois, le cornet de Louis se glisse dans des trous de souris. Big fat Ma and Skinny Pa : ( Chicago, 23 juin 1926 ) : déclaration à la parade et tout le monde en pas de deux comme les petits rats de l'opéra. La voix d'Armstrong guide les évolutions. Sweet little Papa : ( Chicago, 23 juin 1926 ) : cette facilité déconcertante de cinq musiciens qui s'écoutent comme larrons en foire et cette désinvolture qui n'arrive même pas à être horripilante. Gatemouth : ( Chicago, 13 juillet 1926 ) : sonne très moderne, un son beaucoup plus actuel. Nouveau combo, Louis a Disparu, Gil est là. S'en donnent tous à tue-tête. Ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort. Papa Dip : ( Chicago, 13 juillet 1926 ) : à l'identique sur un tempo plus rapide. Musique de danse et de trémoussements impromptus.

    ORY'S CREOLE TROMBONE

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    Flat foot : ( Chicago, 14 juillet 1926 ) : la clarinette de Jimmy Dodds suave comme une barbe à papa, le banjo de Johnny St Cyr qui se secoue les puces, Lil Armstrong qui charlestonne sur son clavier, Ory confettise sur son trombone. Mad dog : ( Chicago, 14 juillet 1926 ) : chien fou slalome entre les quilles, Ory aboie mais l'on sent qu'il aime les bêtes, la clarinette siffle sans méchanceté. Dead man blues : ( Chicago, 21 septembre 1926 ) : enterrement de première classe, l'on a renforcé le pupitre des clarinettes car l'on ne va pas laisser partir le macchabée dans un silence de mort. Hommagial, mais l'on évoque avant tout les moments heureux. Les cuivres ne sont pas loin du swing des décennies postérieuses. Black bottom stomp : ( Chicago, 15 septembre 1926 ) : Jelly Roll Morton est au piano et chaque instrument y va de son sprint, qui aura l'honneur de dépasser le piano fou ? S'y mettent tous ensemble mais il se maintient à leur hauteur et les plante dans le virage en tête d'épingle. Furax final. The chant : ( Chicago, 15 septembre 1926 ) : ce coup-ci la course se fait sur la largeur de la route, l'on mord dans les bas-côtés, l'on écrase les piétons, quelle rigolade ! Morton actionne les pistons et tous les autres au klaxon. Jazz Lips: ( Chicago, 16 décembre 1926 ) : attention lèvres d'or et son Cinq Chaud de braise sont de retour, Jimmy Dodds frétille des trilles sans fin et Armstrong donne de la voix pour montrer qui est le patron. Doctor jazz : ( Chicago, 16 novembre 1926 ) : d'ailleurs voici le docteur trop bien, on prend les mêmes plus Johnny Saint Cyr pas radin qui se radine avec son banjo. Plein gaz. Plein jazz. Le trombone vous en met met plein la trombine. Grandpa's spells : ( Chicago, 16 décembre 1926 ) : honneur au banjo, l'en pince pour la musique, les cuivres tout autour lui font fête. Jelly Roll se contente de trois mesures. Mais suprématiales. Original Jelly-Roll blues : ( Chicago, 16 décembre 1926 ) : d'ailleurs se taille part du lion sur ce morceau suivant, et malin avec cela, vous tire la descente de lit par en-dessous, le mec qui suit de loin, qui laisse les copains faire les zigotos et les ronds de jambe, mais les filles ne voient que lui. Cannon Ball Blues : ( Chicago, 16 décembre 1926 ) : George Mitchell vous tamponne les pavillons de son cornet, les autres l'accompagnent, ce coup-ci c'est lui qui remporte la mise même si les copains ne chôment pas, que voulez-vous il ne baille pas au cornet. Showboat shuffle : ( Chicago, 22 avril 1927 ) : le disque original grésille, le cornet de King Oliver se défonce à mort. Quelque part au fond de la cambuse on remue la cafetière, mais le showboat passe en toute majesté. Méfiez-vous le tuba est mortel. Put 'em down blues : ( Chicago, 2 septembre 1927 ) : Du blues ? Pas vraiment mais le public achète de plus en plus de ces femelles bleues qui ont une super côte. Pas du tout fêlée. Du coup Lil Armstrong se sent obligé de pianoter tout ce qu'il y a de plus bastringue. Et les cuivres tirent une langue longue tremousseuse comme un serpent à sonnettes à ces dames. Fairplay ?

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    Ory's creole trombone : ( Chicago, 2 septembre 1927 ) : tout compte fait Ory est toujours dans nos oreilles mais on l'entend mal, l'aigu des cornets et des clarinettes ne lui laissent trop souvent que la part d'ombre. Alors ce coup-ci il ouvre le bal. Une évidence sans ses flonflons tous les autres n'existeraient qu'à moitié. The last time : ( Chicago, 6 septembre 1927 ) : un titre pré-stonien ? Que non, ici pas de bruit de fond, pas de mur de son, plutôt un feu d'artifice, rouge cornet, fraise clarinette, outremer du trombone et Louis qui pousse la chansonnette comme une brouette remplie de bâtons de dynamite. Allumés. Shuttin' with some barbecue : ( Chicago, 9 décembre 1927 ) : fête champêtre et pirate, y a de la joie dirait Charles Trenet, oui mais ici il est interdit de se traîner. Faut souffler sur les charbons ardents. Got no blues : ( Chicago, 9 décembre 1927 ) : pas le temps d'avoir le blues, on vous le répète en long et en large. On répépiège un peu tout de même. Banjo un tantinet encombrant. Heureusement que Louis est là pour pousser le cornet de la bonne sœur dans les orties du désir. Once in a while : ( Chicago, 10 décembre 1927 ) : dans la série on va vous montrer tout ce ce que l'on sait faire, tous ensemble et un par un. Vous ne trouverez pas mieux. En abuseraient presque un poil de trop. I'm not rough : ( Chicago, 10 décembre 1927 ) : on ne l'attendait plus mais voici le blues. Pas un qui rampe. Un qui brille d'azur. L'on s'arrête en fin de mesure pour mieux pousser la charrette tous ensemble, tous en cœur. Qui bat très fort. Louis hache les mots. Ne laissez pas traîner les doigts. Surtout qu'à la fin ça s'accélère. Hotter thant that : ( Chicago, 13 décembre 1927 ) : vous ne trouverez pas plus brûlant. Le Hot Five porte bien son nom. Ory est au trombone comme d'autres titrent au tromblon, et Louis scate comme s'il squattait la moquette de la chatterie de la SPA.

     

    La compil met Kid Ory en vedette. Mais pas d'illusion c'est Armstrong qui dépasse. Et toute une époque. Le jazz est né de ce melting pot de musiciens qui apprenaient à cohabiter ensemble dans un formation où aucun ne désirait ravaler son identité instrumentale. Avaient compris d'instinct que jouer à ôte-toi-de-là-que-je-m'y-mette les desservirait. Alors s'y sont collés tous ensemble car l'union fait la force mais en aménageant à chacun une fenêtre de tir dont tous les autres tenaient les battants grands ouverts. Pas longtemps, souvent encore moins qu'au rockabilly, mais l'opportunité à saisir afin de se démarquer de tous les autres. Brûlures rafraîchissantes.

    Damie Chad.

    *

    L'ART D'APPRIVOISER LE BUFFLE

    DANIEL GIRAUD

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    A la seule lecture de ce titre le lectorat de KR'TNT ! se partage en deux clans. Une première moitié qui dit : «  Ah ! Je vois ! Des chansons sur les bisons et les teepees, Damie va nous causer de la contribution des peaux-rouges aux rock'n'roll, genre Link Wray, Jimi Hendrix, Redbones et tout le reste de la tribu ! » et une seconde qui répond «  Pas du tout, c'est un trip country, sur le rodéo, long corns sauvages, vaches folles, pom-pom girls, et chevaux. Je parie une monographie sur Alan Jackson !  ».

    Illustration parfaite du vieil antagonisme séculaire qui oppose indiens et cowboys ! Inutile de sortir les Winchesters et les coutelas à scalper. Amis rockers, le buffle dont il est question ici est un véritable buffle, pas un lointain cousin dégénéré made in USA, il s'agit de l'original buffle chinois. Du made in China, tout ce qu'il y a de plus authentique. Comme vous pouvez le voir sur la couverture du livre.

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    Réponse générale : «  Un livre ! Nous croyions que c'était le dernier CD du chanteur de blues ariégeois Daniel Giraud ! Tu sais, nous la lecture... et puis franchement sans vouloir te vexer nous n'avons pas particulièrement envisagé d'acheter un buffle, du moins dans l'immédiat, alors un bouquin sur l'élevage du buffle... tu n'aurais pas plutôt un book sur les rockabillies pin-up par hasard ! »

    Amis rockers, je vous rassure, le bouquin est minuscule, 15 centimètres sur dix, et seulement huit pages. Dont deux d'illustrations. Une véritable bande dessinée en dix vignettes, rondes, de petites bulles, sans phylactère. Même pas besoin de lire les notules explicatives de Daniel Giraud pour comprendre. En plus je vous explique. Ecoutez bien, je commente les images :

     

    • 1° ) Je cherche le buffle que j'ai perdu. 2° ) Chouette, les empreintes du buffle ! 3° ) D'ailleurs le voici en muscle et en cornes ! 4° ) Il n'aime pas trop que je lui passe une corde autour du cou. 5° ) Un bon coup de fouet sur les fesses pour lui apprendre à se tenir tranquille ! 6° ) Hop, je monte sur son dos et le ramène à l'étable. 7° ) Désormais le buffle se le tient pour dit et ne songe plus à s'enfuir. 8° ) Plus de problème, je ne pense même plus au buffle. 9° ) Mon buffle m'indiffère totalement. 10° ) A tel point que quand je vais au marché pour le vendre j'oublie de l'emmener. Voilà, c'est fini !

    • Heu ! Vachement intéressant Damie, l'est sûr que les histoires les plus courtes sont les meilleures. Mais enfin Damie, l'aurait tout de même été moins fatigant de laisser le buffle là où il était au début de l'histoire !

    • Amis rockers vous me décevez, la membrane imperméable qui comprime le pois chiche de votre cerveau est aussi épaisse que le cuir de votre perfecto. Vous n'avez rien compris ! Le buffle n'est qu'une image !

    • Tu nous avais dit qu'il y en avait dix !

    • Le buffle représente le corps que votre esprit doit savoir dompter, puis oublier, pour finir en être totalement séparé, c'est ainsi que vous obtiendrez le nirvana !

    • Nirvana, ne t'inquiète pas, on a déjà tous les disques ! Par contre on veut bien oublier notre corps mais pas celui de la petite Suzie ! Tu vois Damie, ton book, il est trop intellectuel ! Comme disait Buffalo Bill, faut un minimum de chair autour de l'os ! Fût-il de buffle chinois ! Tant pis si tu riz jaune !

    • Allo, Daniel, tu sais les illustrations de Tensho Shodun le moine zen du quinzième siècle et les gravures contemporaines de Tomikichiro To Kusari n'ont pas provoqué un raz-de-marée spirituel chez les kr'tnt readers ! Tu devrais songer à écrire L'Art d'Apprivoiser le Rocker !

    Damie Chad.

    L'art d'apprivoiser le buffle : Daniel Giraud. ARQA Editions. 5 euros.