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rockambolesques - Page 4

  • CHRONIQUES DE POURPRE 628: KR'TNT 628 : WILD JIMMY SPRUILL / BIG JOANIE / BRENDA & THE TABULATIONS / GHOST HIGWAY + ROCKABILLY GENERATION NEWS / HOLLY GOLLIGHTLY / MARLOW RIDER / SIAPIENTIA DIABOLI / BILL CRANE / ROCKAMBOLESQUES

     

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 628

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    18 / 01 / 2024

      

    WILD JIMMY SPRUILL / BIG JOANIE

    BRENDA & THE TABULATIONS

    GHOST HIGHWAY + ROCKABILLY GENERATION NEWS

    HOLLY GOLIGHTLY / MARLOW RIDER / SAPIENTIA DIABOLI  BILL CRANE / ROCKAMBOLESQUES

      

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 628

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    Wizards & True Stars

     - Spruill building

     

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             Tiens tiens, qu’est-ce que c’est que cette compile ? Ace nous sort un New York City Blues  ? Comme la curiosité est un vilain défaut, on y va en courant. Toujours le même moteur : la hantise de rater un gros truc. Et comme Ace est en quelque sorte le spécialiste des grands inconnus au bataillon, on ne cherche même pas à savoir le pourquoi du comment, on rapatrie New York City Blues aussi sec. On jugera sur pièce.

             Et le résultat ne se fait pas attendre. Tu te retrouves dans les godasses de Christophe Colomb. Tu découvres un continent.

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             Joli comp/coup d’Ace que ce New York City Blues. Comp/coup d’audace d’autant plus joli qu’il est drivé par John Broven, LE grand spécialiste de la Nouvelle Orleans et des movers-shakers. Ça grouille de puces dans la comp/coup de Jarnac. Tiens, tu vas te gratter avec Tarheel Slim & Little Ann, et leur «Security». Mari et femme. Vrai shake de jump ! Imparable ! Wild as wild ! Battu au sec des enfers. Même niveau que Shirley & Lee ou encore Mickey & Sylvia. On croise plus loin l’excellent Rosco Gordon avec «I Wanna Get High», ce vieux crabe de Memphis réinstallé à New York est toujours en plein dedans. Joli shoot de swing avec Stick McGhee & His Buddies et «Drinkin Wine Spo-Dee-O-Dee». Gros bastringue - Down in New Orleans/ Where Everything Is Fine - Granville ‘Stick’ McGhee est le frère de Brownie. Broven nous dit que Brownie takes second vocal and guitar duties. Ce qui est frappant, c’est qu’avec cette compile et ce son, on est aussitôt dans le vrai. Dans l’absolu d’Absalon. Encore du real deal de New York City Blues avec Larry Dale & The House Rockers et «New York City Blues». C’est l’essence même de ce qu’on appelle le primitif. Merci Ace pour cette bombe atomique. Heavy power encore avec Wilbert Harrison et «Goodbye Kansas City». New York here I come ! Il dit adieu à Kansas City. Broven donne l’une de ces infos qu’on qualifie ici de définitives : «This record was first issued en 1965 by Guy Stevens on his ahead-of-its-time ‘50 Minutes 24 Seconds Of Recorded Dynamite’ UK Sue LP.» Tiens encore une bombe avec Ruth Brown And Her Rhythmakers et «Mambo Baby». Elle y va la Ruth, elle te plie ça en quatre vite fait. En prime, tu as un solo de sax dément. Broven qui ne perd pas une occasion de briller en société rappelle qu’on surnommait Atlantic ‘The House That Ruth Built’, juste avant que Ray Charles et Aretha ne radinent leurs fraises respectives. Encore un génie inconnu : Wild Jimmy Spruill et «Kansas City March». Comme Mickey Baker, il est top session man in New York City. Guy Stevens a aussi collé l’«Hard Grind» de Wild Jimmy Spruill sur son 50 Minutes 24 Seconds Of Recorded Dynamite. C’est lui, Wild Jimmy Spruill, qu’on voit danser sur la pochette avec sa guitare dans le cou. Il balaye son cut aux quatre vents. Wild as Spruill ! Avec «Step It Up And Go», Blind Boy Fuller est trop primitif. Champion Jack Dupree fait du deep round midnite avec «Bad Blood», et Bob Gaddy fait du heavy blues avec «Stormy Monday Blues». On note au passage que le New York City blues est beaucoup plus âpre.

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    John Broven nous rappelle que le Rev. Gary Davis est un vieux de la vieille et qu’il a influencé des tas de gens, comme Brownie McGhee, Blind Boy Fuller, Tarheel Slim et Larry Johnson. Mais il a aussi formé Dave Van Ronk, John Sebastian et Bob Weir. On l’entend gratter un «Say No To The Devil» antique et réfractaire en diable. On se régale d’«Hard Times The Slop», le fantastique shuffle de Noble Watts & His Rhythm Sparks. Ces mecs jouent leur va-tout, un brin New Orleans, mais avec un son plus urbain. June Bateman est la femme de Noble ‘Thin Man’ Watts. Elle tape un «Believe Me Darling», heavy et juvénile à la fois, elle s’applique à la vie à la mort. C’est un cut signé Wild Jimmy Spruill, un Spruill qu’on retrouve sur cette compile à tous les coins de rue. Ce cut nous dit Broven apparaît aussi sur le fameux 50 Minutes 24 Seconds Of Recorded Dynamite. Et puis voilà John Hammond avec l’«I Wish You Would» de Billy Boy Arnold, accompagné nous dit Broven par Robbie Robertson, Bill Wyman et Charles Honeyboy Otis (le beurre-man de Professor Longhair). Hammond te tape ça au pire heavy blues de la conjecture. C’est l’époque Red Bird, le label de Leiber & Stoller. Quel flash. Tu vois trente-six chandelles !

             Petite cerise sur le gâtö, la compile s’accompagne de la parution d’un book de Larry Simon, préfacé par John Broven. Même titre : New York City Blues: Postwar Portraits From Harlem To The Village And Beyond. Bien sûr, tu lui sautes dessus. Tu attaques la diligence. Yahooh Rintintin ! Et tu vas droit sur l’héros du jour : Wild Jimmy Spruill !

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             Dans sa fastueuse préface, Broven se pose la question : pourquoi Spruill n’est-il pas plus connu ? Peut-être parce qu’avant d’être un guitar hero, il était un session man et à cette époque, on ne créditait pas les session men. Effectivement, le nom de Spruill n’apparaît pas sur les pochettes de Wilbert Harrison. Broven rappelle aussi qu’on qualifiait le style de Spruill de scratchin’ style. Broven veut savoir d’où ça vient, et Spruill lui explique qu’au cours d’une session, il ne savait pas quoi faire, alors il scratchait. Bobby Robinson qui enregistrait lui a dit qu’il ne voulait pas de ce scratchin’, alors Spruill l’a envoyé sur les roses - Je jouerai comme j’ai envie de jouer. Si t’es pas content, c’est pareil - Le scratchin’ style vient de là. Car oui, Spruill est une forte tête.

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    Il faut lire l’interview qu’il accorde à Larry Simon, en 1993. Simon lui demande pourquoi il est venu à New York et Spruill lui raconte qu’il est venu voir son frère, et comme il pouvait vivre en jouant de la guitare, alors il est resté - I think it was around 1955 or ‘56 around june 8 - Simon lui demande ce qu’on attendait de lui en studio, et Spruill dit qu’on n’exigeait rien de lui en particulier - Because they wanted me to play how I feel. Ils savaient comment je sonnais. C’était probablement King Curtis, il me faisait confiance, il me disait : «Jimmy do what you can do, show me what you got.» J’ai toujours joué comme je le sentais. Quand ça vient de moi, il sait que ça va être bien - Alors Simon lui demande s’ils ont enregistré ensemble, et Spruill ne sait plus trop bien, car il a enregistré avec tellement de gens - I think we did a thing called «Chicken Scratch» - Simon le branche ensuite sur Wilbert Harrison, alors Spruill y va - It was OK. Je l’aimais bien. Il buvait comme un trou, mais ça ne me posait pas de problème. Il me donnait tout ce que je demandais - Puis c’est au tour d’Elmore James - He was a great guitar player, but he liked his bottle - Simon lui demande si Elmore lui laissait les coudées franches et Spruill précise - No, he wanted his music right. If it was not right he would get on your butt right then. Sur l’un de ses albums, tu peux l’entendre parler à un autre mec. «Wait a minute, wait a minute, that ain’t right.» Je crois que j’ai fait deux albums avec lui, chez Bobby Robinson - Plus loin, Simon dit que peu de gens savent qu’Elmore pouvait jouer du jazz, alors Spruill se cabre - Tu rigoles ? Ce mec pouvait jouer en tournant autour de B.B. King, autour de n’importe qui, Albert Collins, tous ces mecs. Albert King n’était pas au niveau d’Elmore. Et je ne parle pas de la slide. Elmore c’était quelque chose ! Nice guy.

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             En plus d’être un fantastique guitar slinger, Wild Jimmy Spruill a des idées bien arrêtées. Il a joué avec Miles Davis, mais ne se souvient plus trop bien si Miles est venu au studio. Il rigole, «he was a crazy man et je ne veux rien dire sur lui. He was a nut but I know I’m a nut.» Puis il embraye aussi sec sur Chucky Chuckah - Et Chuck Berry, forget about this guy! J’ai joué trois soirs avec lui à New York. Le premier soir, il m’a dit : «Ce que je veux, Jimmy, c’est que tu restes derrière moi. Je ne veux pas te voir sauter partout.» Je lui ai répondu : «C’est mon groupe. Si tu ne veux pas jouer avec mon groupe, you can get your long ass back where you came from.» Après, on s’entendait bien. Mais il voulait quand même que je reste derrière lui. Alors je lui ai dit : «Personne ne me donne des ordres. Le seul boss que j’ai, c’est God, and you’re not God so get the hell out of my face.» I don’t take no boss stuff, parce que quand tu as un boss, tu perds ton esprit, quelqu’un d’autre te dit ce que tu dois faire. That’s why  I never have a boss. A boss is like a slave driver. Donc jamais de boss. Si t’as un boss, you’re in trouble - Les concerts dont Spruill parle datent de 1959. 

             Wild Jimmy Spruill est un mec vraiment entier. Simon le rebranche sur ce qui est bien et ce qui ne l’est pas. Spruill embraye aussi sec - Si c’est pas bon, je ne le fais pas. Je ne bosse pas pour le blé. Je bosse parce que ça me rend heureux. Si je fais un truc qui ne me rend pas heureux, alors je ne le fais pas. Si je ne suis pas heureux avec cette guitare, je la scie en deux - L’ironie de l’histoire, c’est que Spruill joue sur une guitare qu’il a sciée en deux, une Les Paul Studio model, comme on le voit sur la couve du book. Idée que reprendra plus tard Pete Shelley avec Buzzcocks.

             Simon lui demande à la suite s’il s’intéresse à autre chose que la musique. Spruill dit qu’il sait tout faire - I’m a brick mason, a plumber, an electrician, a carpet layer, an interior decorator. I draw. Je ne peux pas t’énumérer tout ce que je fais - Puis Simon revient sur la musique et s’interroge sur ce silence de 18 ans. Alors pourquoi cette longue interruption ? Spruill dit qu’il en avait marre de la routine - I can’t stand the the blues over and over and over. Tu sais, il y a une différence entre le blues and blues music. When you play the music, you hear the blues. Quand tu es dans un champ à cueillir le coton avec ta mère, à tirer le gros sac down the road avec un serpent qui file entre tes jambes, that’s the blues. Ce que les gens ne comprennent pas, c’est que le blues n’a pas d’accords. Vous le jouez tous avec des accords. Il n’y a pas d’accords dans le blues. Oh Lord help me make it through the day - Spruill chante a field-style work song - Le jour d’après, elle va chanter deux ou trois mesures en plus, la même chose, et encore dans les deux ou trois semaines suivantes. So that were the blues - Spruill insiste : «Blues is a prayer, and people don’t realize what blues is.»

             Plus loin, Paul Oscher rappelle que pour combattre la routine, Wild Jimmy Spruill changeait constamment ses patterns, c’est-à-dire les motifs dans les gammes de blues - He always changed up stuff, he was really dynamite. He changed the in-between patterns.

             Broven se positionne en tant qu’amateur de vieux coucous : «Pourquoi écouter des enregistrements si anciens ? Parce qu’ils sonnent souvent aussi bien, sinon mieux aujourd’hui. Pour moi, c’est la définition de la musique classique.» Puis il revient sur la scène new-yorkaise : «For blues guitar, pas la peine de chercher plus loin que Billy Butler et son jeu classique sur «Honky Tonk», les accompagnements de Jimmy Spruill et les superbes licks de Larry Dale sur le Blues From The Gutter de Champion Jack Dupree, ou encore Tarhell Slim sur «Number 9 Train», puis il y a le boulot majestueux de Mickey Guitar Baker, qui comme Butler et Spruill, a un style immédiatement identifiable. Saxophone ? Les first-call players sont King Curtis, Sam The Man Taylor, Big Al Sears et Nobel Watts. Blues Piano ? New York a des fameux pianistes comme Van Walls, Dave Baby Cortez, Bob Gaddy et Dupree.»

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             Comme tout ce qu’écrit John Broven, son introduction est extrêmement balèze. Il commence par flasher sur la scène new-yorkaise via Blind Boy Fuller, «qui a directement influencé Brownie McGhee et Tarheel Slim in a style known as Piemond Blues.» Broven qui est anglais s’est passionné pour la musique noire dans les années 50, grâce à Atlantic qui était distribué en Grande-Bretagne par London American Records, et boom !, les Coasters («Searching/Young Blood»), Chuck Willis («C.C. Rider» et «Betty & Dupree»), les Bobbettes («Mr. Lee»), puis les albums de Ray Charles (Yes Indeed!) et Champion Jack Dupree (Blues From The Gutter). C’est le début de la frénésie, Broven enquille Wilbert Harrison («Kansas City»), Dave Baby Cortez («The Happy Organ») et Buster Brown («Fannie Mae»). Broven lâche alors son boulot de banquier (Midland Bank) et devient consultant pour Ace Records de 1991 à 2006 - Je voyais le business de l’intérieur et je dois tout à Roger Armstrong, Ted Carroll et Trevor Churchill for the sharp-end education - Alors il s’installe en 1995 à Long Island pour explorer la scène new-yorkaise.

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    C’est là qu’il écrit l’une des bibles du XXe siècle, Record Makers & Brokers: Voices Of The Independant Rock’n’Roll Pioneers, pour laquelle il interviewe des tas de gens - Ce livre est le sommet de ma carrière en tant que chercheur, collectionneur, auteur, consultant et label manager - Ils découvre que pas mal de gonzesses sont actives dans le New York music biz : «Bess Berman (Apollo), Miriam Abramson (Atlantic), Bea Kaslin (Mascot and Hull), Zell Sanders (J&S) et Florence Greenberg (Scepter & Wand).» - Their accomplishments were extraordinary - Pour Broven, le gros label new-yorkais reste Atlantic, focalisé sur le r’n’b, avec Ruth Brown, les Clovers, Clyde McPhatter & the Drifters, car comme le lui dit Ahmet Ertegun, «there were no blue players in New York». Un seul mec parvient à enregistrer du blues new-yrokais : Bobby Robinson sur ses labels Fire & Fury Records. C’est lui qui sort le «Kansas City» de Wilbert Harrison. Voilà pourquoi, nous dit Broven, Bobby Robinson est très présent dans ce book. Il sort des down-home recordings d’Elmore James et de Lightnin’ Hopkins with New York session men.

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             Simon interviewe Bobby Robinson dans sa boutique de disques à Harlem en 1993. Boom, direct sur Elmore James. Il raconte qu’Elmore et lui sont sous une pluie battante et Elmore lui dit qu’it’s like the sky crying. Bobby lui demande de répéter. Elmore répète : «It looks like the sky is cruying. L’eau roule comme des larmes down the street.» Arrivé au studio, Bobby demande à Elmore de s’asseoir, il attrape un crayon et dit : «Strike me a lonely weird sound.» Elmore le fait et la basse arrive derrière - J’ai écrit les paroles sur le tas. Et en quelques minutes, on avait «The Sky Is Crying» - Voilà, Bobby Robinson, c’est ça, du down-home on the spot. Fascinant personnage !

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    Il fait aussi «Ya Ya « avec Lee Dorsey. Il l’a écrit dans un bar à la Nouvelle Orleans, en juin 1961 - J’ai demandé un bout de papier à la serveuse. Elle m’a passé un petit bloc avec des lignes rouges qu’elle avait près de sa caisse. J’ai écrit le truc sur le tas, down here, see how you feel that, see if she could feel this (il chante), Sitting here la la, waiting for my ya ya. La la that’s just like a song, and ya ya, that means a girl - Bobby veut Allen Toussaint pour enregistrer «Ya Ya», mais Allen vient de signer un contrat d’exclusivité, alors il lui propose Harold Battiste - You’ll be satisfied - Harold radine sa fraise. Lee lui chante le truc et Harold pond les arrangement sur le tas - It was simple - Puis Harold rassemble un orchestre et fixe un rancart at five o’clock. Voilà la genèse d’un hit intemporel. «Ya Ya». C’est grâce à Bobby Marchan que Bobby Robinson est entré en contact avec Lee Dorsey. Au téléphone, Bobby Robinson demande à Bobby Marchan s’il connaît un mec du nom de Lee Dorsey. Bobby Marchan rigole : «Yeah he lives right down the street here.» Alors Bobby Robinson lui demande de ne pas raccrocher et d’aller le chercher immédiatement - That was amazing - Ce sont les petits détails qui font la grande rivière du rock. Un peu plus tard, Bobby va trouver Lee Dorsey chez lui à la Nouvelle Orleans, in the Ninth Ward, le quartier black et pauvre où vivait aussi Fatsy. Ils s’assoient pour papoter et Lee lui dit : «I’m not a singer, I just like singing. I used to be a lightweight fighter.» Oui, Bobby était boxeur avant de chanter. Quant à Bobby Marchan, Bobby Robinson l’a trouvé via the Clowns et Huey Piano Smith. Après avoir quitté les Clowns, Bobby Marchan est allé à Salt Lake City faire la drag-queen dans les clubs.

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             Simon branche Robinson sur Willis Gator Jackson et un fantastique guitariste du nom de Bill Jennings. Robinson saute en l’air - Terrific. Terrific. It’s a shame. I did a couple of things on him - Puis Simon le branche sur Skeeter Best, un autre guitar player. Robinson lui dit qu’il a cassé sa pipe en bois, mais il a accompagné «quite a few of my artists». Et Billy Butler ? Il était avec King Curtis ? - Yeah. King Curtis. Terrific player. Bill was a great guy - Peu de gens savent que Bobby Robinson a composé «When A Man Loves A Woman’», le hit de Percy Sledge, sorti sur Atlantic. Il l’a enregistré une première fois avec Joe Haywood sur Enjoy, Percy Sledge l’a entendu et en a fait un hit en 1966. Robinson dit avoir gagné plus de $100.000 avec cet hit - That’s my biggest song moneywise. On reviendra sur Bobby Robinson.

             Ce book de Larry Simon grouille de puces. Après Bobby Robinson, Simon va trouver Hy Weiss chez lui, à Long Island, toujours en 1993. Weiss se souvient d’avoir bossé avec Brownie McGhee, Sonny Terry, Larry Dale et Jack Dupree, tous ceux qui étaient là avant la bataille. Comme Ahmet Ertegun, Hy Weiss allait dans les clubs de blackos à Harlem. Il dit avoir fait un album avec Brownie McGhee, qui est sorti su Ace Records (UK) - Ce sont les seuls auxquels j’accorde une licence. Tous les autres piratent mes disques.  

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             Ça tombe bien, Ace a pondu en 2003 une petite comp d’Hy : Hy Weiss Presents Old Town Records. Pour les ceusses qui ne seraient pas au courant, Old Town Records est un label de doo-wop. Un mighty label ! Pour l’amateur de doo-wop, cette compile est une aubaine en forme de bombe atomique. Tu vas d’extase en extase, ça grouille de puces, à commencer par The Earls qui sonnent comme les Rivingtons avec «Remember Then». Tu es aussitôt frappé par deux choses : la qualité du son ET la qualité des interprètes, tous bien sûr inconnus au bataillon. C’est le genre de compile qui te réconcilie avec la vie. Sur les 60 cuts de la comp, tu as au moins 20 hits de hutte. On retrouve bien sûr des gens que Simon a interviewé dans son book, comme Billy Bland qui fait du Bo avec «Chicken In The Basket», et l’excellent «Let The Little Girl Dance», pur jus de New York City Sound d’avant l’heure. Sur le disk 2, on croise un single demented de Larry Dale, «Big Muddy». C’est tellement bon que tu te demandes d’où ça sort, il tape un big boogie avec un son extraordinaire, il claque le beignet de ses poux, et sur «Let The Doorbell Ring», il passe un wild killer solo. Te voilà prévenu. Tu graves le nom de Larry Dale sur tes tablettes d’argile. Côté kitsch, on est servis comme des princes avec «Robert & Johnny («We Belong Together», qui coule dans la manche), The Valentines («Tonight Kathleen», qui dégouline dans la culotte), The Solitaires («The Wedding», yes I dooo, ils sont terrific de romantica) et The Supremes («Tonight», pas les Supremes de la Ross, évidemment). Il pleut des coups de génie comme vache qui pisse : The Haptones avec «Life Is But A Dream» (une pure merveille d’harmonies vocales), The Co-Eds + Gwen Edwards avec «Love You Baby All The Time», un wild jump battu à l’oss de l’ass et la Gwen devient folle, et puis l’effarante Ruth McFadder & The Haptones, avec «Dream Is No Good For You», le heavy blues le plus urba d’orbi. Bon, il y a plein d’autres choses, mais avec ce genre de comp, on n’en finirait plus. Hy Weiss a fait un boulot fantastique. Ça grouille encore de puces sur le disk 2 avec The Fiestas («Last Night I Dreamed», gluant et chanté à outrance, big time de doo-wop d’Hy en mode Rivingtons, du son, rien que du son !), on retrouve l’excellente Ruth McFadden avec «Teenage Blues» (elle te drive ça sec, dirty girl, heavy sur le beat, digne des géantes comme Etta James et Big Maybelle), Gene Humford & The Serenaders avec «Please Give Me One More Chance» (superbe de mâle assurance et d’élégance jazzy, capiteux mélange de groove et de dandysme), on croise aussi Brownie McGhee et Sonny Terry, les cracks du deep Southern Sound, et tu tombes en arrêt devant

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    Arthur Prysock et sa cover de «Good Rocking Tonight», swing et voix de rêve, cover de choc révélatoire, et puis tu aussi The Vocaleers avec «One For My Baby (And One For The Road)», ils font le doo-wop des Flamingos, le doo-wop genius à l’état le plus pur, tu croises plus loin The Bonnevilles avec «Lorraine», le pire doo-wop de l’univers connu des hommes, hurlé dans les harmonies vocales. Incroyable power underground ! Si Hy était là, on lui serrerait bien fort la pince pour le remercier. Tu croises aussi Rosco Gordon, et plus loin Buddy & Ella Johnson avec «Like You Do». Ella t’interloque littéralement. Surprise de taille avec Lester Young avec «Down To The River», un wild boogie blues digne d’Hooky, et c’est pas peu dire ! On termine avec deux smashing smashes : Eddie Alston avec «I Just Can’t Help It», monté sur l’heavy beat de «Memphis Tennessee», wild as fuck, puis The Gypsies avec un «Jerk It» qui vaut largement tout Motown. Te voilà pétrifié. D’autant plus pétrifié que les Gypsies allaient devenir les Flirtations et venir rocker la vieille Angleterre.

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             Puis Larry Simon rencontre Rosco Gordon en 2002, l’ancienne légende vivante de Memphis, l’un des premiers blackos qu’enregistre Uncle Sam dans son Memphis Recording Service studio, juste avant de lancer Sun Records - Rosco avait un off-beat rhythmic feel unique que Phillips baptisa «Rosco’s Rhythm» - Rosco est resté avec Uncle Sam de 1951 à 1957. Rosco raconte qu’Uncle Sam lui a proposé de chanter «Booted» - That was a strange tune - «Booted» devient un hit et Uncle Sam file 100 $ à Rosco - No royalties, no nothing, just $100 - Puis il explique qu’Ike Turner déboule en ville et demande à Rosco d’enregistrer «Booted» pour les Bihari Brothers. Rosco est jeune et ne connaît rien au business, alors il enregistre le «Booted» d’Uncle Sam pour les Bihari. C’est là qu’Uncle Sam s’est fâché avec Rosco.

             Simon rappelle que Rosco fut aussi important à Memphis que l’étaient Johnny Ace, Bobby Bland, Junior Parker et B.B. King. Comme sa carrière a capoté, il s’est réinstallé dans le Queens en 1962. Il y a monté un label et a continué de se produire sur scène. Puis il a gagné au poker une boutique de pressing - Yeah I was in the dry cleaning business for seventeen years. I made a good living. I was home with my family every night. That meant more to me than all the money in the world and the fame. My family - Le fleuron de l’interview, c’est Butch, le fameux chicken qu’on voit d’ailleurs dans Rock Baby Rock, un superbe rock’n’roll movie de 1957 - That’s the original Butch - Le poulet est resté un an et demi avec Rosco. Il pense que c’est le scotch qui l’a tué. Chaque soir sur scène, Rosco lui donnait un peu de scotch à boire et les gens disaient : «Here comes Roco and his drunk chicken.» Simon le branche aussi sur Beale Street et boom, Rosco part bille en tête sur les Beale Streeters - all of us, you know, all the Memphis musicians, B.B. King, Bobby Bland, Johnny Ace, Earl Forest and myself. We were supposed to be the Beale Streeters - Mais c’est un coup monté par Don Robey, Rosco avoue n’avoir bossé qu’avec Bobby Bland - Je n’avais pas de bagnole et Bobby Bland nous conduisait au concert. Bobby chantait au volant et assis à l’arrière je me disais que j’aurais dû être son chauffeur et non l’inverse.

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             Simon rencontre aussi Paul Oscher, un blanc qui a joué dans le groupe de Muddy Waters. Oscher a vécu chez Muddy pendant quatre ans. Quand il quitte Muddy en 1971, il revient s’installer à New York. Il évoque une blackette nommée Naomi Davis qui chantait dans les black clubs et qui est devenue la fameuse Naomi Shelton, and she just sings gospel music. Oscher évoque aussi Mickey Baker qui l’hébergea chez lui à Paris, quand il vivait du côté de Bastille. Oscher fait aussi l’éloge du Blues From The Gutter de Champion Jack Dupree - That whole crowd, Sticks McGhee, Jack Dupree, Bob Gaddy, Larry Dale, they hung out together - Oscher explique ensuite qu’il n’existe pas de Chicago blues, «it’s southern blues, just southerners that came from Mississippi, Alabama, Texas, Louisiana, Georgia, Florida - that moved to these places.»

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             C’est Jerry Wexler qui produit le Blues From The Gutter de Champion Jack Dupree, un Atlantic de 1958, mais Tom Dowd fait tout le boulot, car c’est lui l’ingé-son. Oscher a raison de le saluer, car c’est un album remarquable, avec Willie Jones au beurre sensible et le superbe piano blues de Jack Dupree. Il y va au so low down dans «T.B Blues», well I got the teebee, real deal de blues - Teebee down in my bones - Dupree a la voix encore verte, il n’est pas encore devenu le vieux boxeur aigri. Il propose un blues parfait, mais sans surprise. Difficile à accepter quand on est lancé dans la quête du Graal. Dupree fait son petit bonhomme de chemin Atlantic avec «Can’t Kick The Habit» et tu as un gros solo de gras double d’un cat nommé Ennis Lowery. «Evil Woman» est un judicieux mélange de heavy blues et de piano blues, Dupree ne se casse pas trop la nénette, il fait toujours le même cut. Puis ça chauffe avec «Nasty Boogie», wow !, ça swingue au jive de jazz. L’album se réveille enfin. Excellent ! Il attaque sa B avec une drug-song, «Junker’s Blues» - Some people call me a junker/ Cause I’m loaded all the time - Il parle ouvertement de la needle et de la coke - Said goodbye to whiskey - Il tape à la suite «Blad Blood» au round midnite, il est précis sur le jive de bad blood mama - Let the doctor see what you got - et arrive sur ses talons un gros solo agacé d’Ennis le killer. Dans «Goin’ Down Slow», il dit qu’il va se calmer - Yeah I had my fun - et il termine avec deux grooves de la Nouvelle Orleans, «Frankie & Johnny» et «Stack-O-Lee». Il y va au diamond ring, oh Johnny et finit en mode ti nah/ ti nah/ nah nah. Il te groove ça droit entre les deux yeux. Fantastique aisance !

             Et puis voilà bien sûr John Hammond. Il est fier d’avoir eu Wild Jimmy Spruill sur son bel album Big City Blues. Hammond dit aussi avoir enregistré un single («I Can Tell/I Wish You Would») pour Red Bird, le label de Leiber & Stoller. On reste donc en famille.

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    Larry Simon ressort aussi un article daté de 1975, publié dans le Melody Maker et consacré à Victoria Spivey, a classic woman blues singer des années 20 et 30, et boss d’un label de Brooklyn dans les années 60 et 70, Spivey Records. «Il est possible qu’elle soit à l’origine de la découverte de Bob Dylan, qu’on entend derrière Big Joe Williams sur le Spivey album Three Kings And The Queen, les deux autres kings étant Roosevelt Sykes et Lonnie Johnson.» Quand elle montait sur scène au Gerde’s Folk City (at 11 West Fourth Street), «elle mettait un point d’honneur à inviter le jeune Bob sur scène pour chanter avec elle.» Pour la remercier, Dylan va mettre une photo d’elle au dos de la pochette de New Morning, en 1970. Sans légender l’image, bien sûr. Tout le monde se demandait qui était cette blackette et voulait savoir son nom. Devenue une vieille dame, Mama Spivey dit qu’elle ne travaille «plus que quatre jours par mois» - I’ll drag my band around and headline them any time. I call it Spivey and Her Blues Power. I tore up those festivals in New York and Philadelphia - I really rocked ‘em! - À la fin de l’interview, Victoria Spivey lance : «Hey! Let’s all get drunk and be somebody!».

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             Autre personnage de légende : The Reverend Gary Davis, originaire de South Carolina et qui s’installe à Harlem dans les années 40. Il devient teacher et forme des tas de gens, Dave Van Ronk, Jorma Kaukonen, John Sebastian. Le Rev est un virtuose qui ne joue que du pouce et de l’index en picking - intricate picking - Simon dit qu’il a influencé tous les vieux de la vieille, «Blind Boy Fuller, Bull City Red, Brownie McGhee, Alec Seward, Tarheel Slim et Larry Johnson», et dans la génération suivante, «Bob Dylan, les Stones, Peter Paul & Mary, Keb’ Mo’, le Grateful Dead, Ry Cooder, Taj Mahal and more.»

             Tiens, justement, le voici, Tarheel Slim, un surdoué qui peut jouer ce qu’il entend - If I can hear it, I can play it - Que ce soit à l’église ou dans un club, I rock that - As long as I’m accepted, I’ll do my thing - En 1958, il enregistre «Number 9 Train» pour Fire Records, le label de Bobby Robinson, cut génial qu’on retrouve sur Scratchin’ - The Wild Jimmy Spruill Story, et sur la compile Ace New York City Blues. Il fait aussi un hit avec Little Ann, «It’s Too Late», enregistré lui aussi sur Fire et qu’on retrouve sur Scratchin’

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    (Tommy Dowds)

             Il semblait logique que tout ça se termine avec Doc Pomus. Comme Dickinson à Memphis, Doc est la mémoire vivante de New York City. Il a commencé par rencontrer Herb Abramson et Tommy Dowd - Herb Abramson était l’A&R de National Records et Tommy Dowd était l’ingé-son. En tant que producteur et ingé-son, ils étaient les rois du blues et du rhythm’n’blues. Ils ont amené leurs expertises chez Atlantic et je suis sûr qu’Ahmet Ertegun et Jerry Wexler ont tout appris d’Herb Abramson et Tommy Dowd - Doc évoque aussi Alan Freed qui ne passait dans son radio show que les disques qu’il appréciait. Pour Doc, Alan Freed a vraiment aidé des gens, et il s’y connaissait en musique. Doc dit aussi avoir découvert Elvis en 1956 avec «Mystery Train», on the Dorsey Brothers TV show - It sounded like some guy come out of the swamps - Il rend bien sûr hommage à Leiber & Stoller - First of all, they were real geniuses - Il évoque un autre genius : King Curtis - La plupart des gens ne le savent pas, King Curtis a été mon joueur de sax pendant longtemps. Curtis et Mickey Baker faisaient partie de mon groupe et c’est par moi que King Curtis a eu sa première session chez Atlantic. J’ai aussi recommandé Mickey Baker chez Atlantic - Pour Doc, Mickey était un innovateur, il avait toujours des idées.

             Pour entrer dans le monde magique de Wild Jimmy Spruill, il existe trois possibilités : The Hard Grin Bluesman 1956-1964, Scratch & Twist Rare & Unissued NY R&B 1956-62 et Scratchin’ - The Wild Jimmy Spruill Story. Si tu commences par le troisième, tu vas tomber de ta chaise à répétition. Au moins, comme ça, ce sera fait.

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             Scratchin’ - The Wild Jimmy Spruill Story est un double CD bourré de dynamite. Spruill Building claque des wild killer solos à tous les coins de rue et ça commence dès le «Kansas City» de Wilbert Harrison. Dans son hit le plus fameux, «Hard Grind», Spruill Building fait même exploser son killer solo flash. Il accompagne pas mal de gens intéressants, comme par exemple Tarhell Slim, sur «Wildcat Tamer». Spruill Building arrose par derrière. C’est un son magique, ça grouille de vie ! Terrific ! On l’entend aussi accompagner Larry Dale sur «Big Muddy», un heavy blues superbe de just the way you doo. Et tout explose plus loin avec «Kansas City March», Spruill Building t’explose tout au heavy power. Il est encore pire que Freddie King ! Ça monte encore d’un cran avec Elmore James et «Strange Angels», le heavy blues de why do yoooo treat me so mean. La fête au village ! Nouvelle révélation avec June Bateman, et «Possum Belly Overalls», accompagnée par son mari Noble Thin Man Watts & His Band. Raw et féminin, elle te chauffe le Possum à blanc. Révélation encore avec Chuck Bradford et «You’re Going To Miss Me (When I’m Gone)», effarant d’attaque au raw, pur genius primitif ! Plus loin, le «Sweet Little Girl» de Lynn Taylor & The Peachettes te saute à la gueule, tu as là un heavy groove extrêmement sauvage. Avec Spruill Building, les cadors du disk 1 sont bel et bien Tarheel Smith et Little Ann : «No 9 Train» fout un souk terrible dans la médina - Number 9/ Number 9/ Took my baby down the line - S’ensuit un Heartbreaking Blues de rêve, le «Hardworking Man» de B. Brown & His Rockin’ McVouts, ça chante dans la tenure de la saumure et Spruill Building gratte ses poux dans l’écho new-yorkais. On croise aussi Bobby Marchan, Solomon Burke et Maxine Brown. Ce démon de Spruill Building referme la marche avec «Scratchin’». Wild as fuck ! Spruill Building est aussi primordial que Link Wray, il faut le voir lancer sa wild attack, il te cisaille son killer solo dans le sens du vent.

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             Tu retrouves toutes ces superstars sur le disk 2, à commencer par Tarheel Slim & Little Ann avec «Don’t Ever Leave Me», un fantastique shout de heavy blues tapé au duo d’enfer. June Bateman revient aussi avec «Go Away Mr Blues», elle chante au perçant définitif. On reste dans le heavy blues révélatoire avec Little Danny et «Mind On Loving You», avec ce fou de Spruill Building derrière. Ah il est bon le Danny. Révélation encore avec Buster Brown et «Is You Is Or Is You Ain’t My Baby», il y va le Buster, avec une fantastique sonorité de l’entrain. Sur «I’m Worried», Elmore James refait son Dust My Blues, mais avec le barrelhouse et le Spruill Building en plus. C’est tout de même autre chose que le British Blues. Plus loin, tu vas tomber que les Shirelles et «Dedicated To The One I Love», que va reprendre Mama Cass. Nouveau choc émotionnel avec Rose Marie With Bill Ivey & The Sabers et «Most Of All» : big time de full magic avec le Spruill Building en solo trash. Tu crois rêver ! Et si tu veux avoir une petite idée du power du vrai New York City Sound, alors écoute Walkin’ Willie & His Orchestra et «If You Just Woulda Say Goodbye», un wild r’n’b avec des chœurs de blackettes délurées. Groove de flash tribal. Walkin’ Willie forever ! Ce démon de Spruill Building fait encore des ravages dans l’«After Hour Blues» d’Hal Page & The Whalers et le voilà en solo pour «Country Boy», il chante et tape ça au black yodell. Pas de surprise avec Little Anthony & The Imperials, toujours aussi sirupeux, et ça se termine en apocalypse avec The Dan-Dees et «Memphis», ces mecs jouent à la vie à la mort, c’est d’une rare violence, monté sur un heavy beat infernal, et c’est à Wilbert Harrison que revient l’honneur de boucler ce bouclard avec «Goodbye Kansas City» que va bien sûr exploser notre héros Wild Jimmy Spruill. Ce démon te pulvérise le moindre solo en mille morceaux.    

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             Il existe dans le commerce une autre compile sympa de Wild Jimmy Spruill : Scratch & Twist Rare & Unissued NY R&B 1956-62. Pour ce démon, «Memphis» c’est du gâtö. Il travaille sur la crête du sonic trash, il est à l’aboi des abus, c’est le pire franc-tireur des Amériques, le Capitaine Conan du proto-punk. Il reste le roi de la jungle avec ses deux indétrônables, «Kansas City March» et «Hard Grind», grattés à la clairette malfaisante. Dans le «Sweet Little Girl» de Lynn Taylor & The Peachettes, il passe un solo d’une rare acuité, et un autre solo beaucoup plus dégoulinant dans «Most Of All», que chantent Rose Marie & Bill Ivey. Et ça continue avec «The Rooster», il vitupère, et rôde comme un loup dans «Driving Home». C’est un bonheur que de l’écouter jouer. Il sait varier les genres. Il file ventre à terre dans le morceau titre de la compile et on assiste à un gros numéro de Black Power de street corner avec le «Please Don’t Hurt Me» de Jim & Bob Harrison. Tous les solos que passe Spruill building sont tellement inventifs qu’ils sonnent chaque fois comme des pieds de nez aux pitoyables frimeurs blancs. Il passe à l’Hawaï guitar sur «Lonely island». Il peut tout jouer, jusqu’à la nausée joyeuse. Et cette belle compile palpitante s’achève avec «Party Hardy» où il duette ses poux avec Larry Dale. Fantastique numéro de génie de New York City jive. Il faut avoir écouté «Party Hardy» au moins une fois dans sa vie. 

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             On retrouve les vieux coups d’éclat proto-punk du grand Wild Jimmy Spruill sur The Hard Grin Bluesman 1956-1964, notamment le «Kansas City March» et l’«Hard Grind». Faramineuse attaque, chaque fois on est surpris par la verdeur de son jeu, par son vibré délétère. On retrouve aussi tout le background de l’early Little Richard, une pétaudière à la Cosimo Matassa. Wild Jimmy Spruill est encore plus viscéral que Freddie King. Il claque ses notes acides à la revoyure. Il faut entendre le killer solo qu’il passe dans le «Drafted» de Wilbert Harrison, et en B, dans «Your Evil Thoughts» de Lee Roy Little. Chaque solo de Wild Jimmy Spruill est une jubilation extravertie, un jaillissement d’excelsior. Sur cet album, on retrouve bien sûr tous les acteurs de la légende de Wild Jimmy Spruill, Bobby Long, June Bateman, et en fin de B on retombe sur l’effarant «Country Boy». Il peut rocker le jump et rire comme le diable.

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             On ne perd pas son temps à écouter la petite compile que Jasmine consacre à l’excellent Noble Thin Man Watts, Honkin’ Shakin’ & Slidin’ - Noble Thin Man Watts Featuring June Bateman. Si on apprécie le heavy jump new-yorkais de l’aube des temps, on se régale. Bon, 31 cuts, c’est beaucoup, mais les cuts sont courts et pour la plupart instros, mais pas n’importe quels instros, ce sont des instros puissants et rebondis. De ci de là, Noble Thin Man Watts donne des petites leçons de swing, et on entend souvent son sax on the run. Tout est hallucinant de big time, mais encore une fois, il faut aimer ce son. Avec le wild groove de «South Shore Drive», Noble Thin Man Watts et son orchestre swinguent le jazz. Ah voilà enfin June Bateman, avec «Need Your Love». Elle chante ça à la petite arrache, et elle enchaîne avec un fantastique jumpy jumpah, «Yes I Will». C’est bardé d’énergie et de son. Encore plus extraordinaire, voilà «Easy Going Pt2», suivi d’un autre instro aux frontières du jazz, «Midnite Flight». Noble Thin Man Watts passe par toutes les embouchures, c’est très spectaculaire. Il tape une fabuleuse cover d’«I’m Walkin The Floor Over You». Ces mecs s’amusent bien, ils visitent tous les atours du pourtour. L’instro est leur royaume. Soit ils cavalent à travers la plaine et l’incendient au sax, soit ils t’emmènent à la fête foraine. Retour au gros beat des reins avec «Good Times», avec un solo de sax digne de ceux de Lee Allen. Plus loin «Flap Jack» radine sa fraise de heavy grrove, et comme il n’est pas question ni de baisser la garde, ni de souffler, ils bombardent «(The Original) Boogie Woogie» avec une profondeur de son extravagante. Ça préfigure Jr. Walker. Noble Thin Man Watts est un diable, une corne dans la brume. Tu deviens conscient de ce que signifie le New York City Sound. Ils embarquent le «Mashed Potatoes» au paradis, avec ce power unilatéral et cette assurance limpide teintée d’ironie. June Bateman revient casser la baraque avec «Come On Little Boy», un wild jump à la Little Richard. Elle te ramone ça vite fait. June Batemen est une Little Richard au féminin. Et dans «The Frog Hop», tu entends ce dingue de Wild Jimy Spruill. June Bateman duette avec Noble sur «What ‘Ya Gonna Do» et c’est su solide, pas la peine de te faire un dessin. Le solo de sax laisse rêveur, et ça s’emballe sur la tard. Cette aventure se termine avec un autre big timer, «Jookin’», fantastiquement amené sur un plateau d’argent. Big bassmatic et beurre bien black. Tu nages en plein rêve. Les poux, c’est forcément du Spruill building.  

    Signé : Cazengler, faible d’es Sprill

    New York City Blues. Ace Records 2022

    Wild Jimmy Spruill. The Hard Grin Bluesman 1956-1964. Krazy Kat 1984 

    Wild Jimmy Spruill. Scratch & Twist Rare & Unissued NY R&B 1956-62. Night Train 2005 

    Wild Jimmy Spruill. Scratchin’ - The Wild Jimmy Spruill Story. Great Voices Of The Century 2014

    Honkin’ Shakin’ & Slidin. Noble Thin Man Watts Featuring June Bateman. Jasmine Records 2019

    Hy Weiss Presents Old Town Records. Ace Records 2003

    Champion Jack Dupree. Blues From The Gutter. Atlantic 1958

    Larry Simon/ John Broven. New York City Blues: Postwar Portraits From Harlem To The Village And Beyond. University Press Of Mississippi 2021

     

     

    L’avenir du rock

    - Big Joanie tout en bloc 

             S’il est une dimension qu’affectionne particulièrement l’avenir du rock, c’est bien celle du Big. Plus c’est Big, et plus ça frétille dans sa culotte. L’avenir du rock est un jouisseur, sinon, il ne serait pas l’avenir du rock. Le rock est un art qui s’adresse aux régions du plaisir, dans l’éponge qui nous sert à tous de cervelle. Tu écoutes du rock pour éprouver du plaisir, sinon ça ne sert à rien. Le rock te flatte l’intellect et te met en rut. Pas besoin d’attendre le printemps. Et plus le rock est Big, plus ton intellect se dresse vers l’avenir. Tu veux des exemples ? Les deux qui viennent immédiatement à l’esprit sont Big Bill Broonzy et Big Joe Williams. Ah si l’avenir du rock avait huit bras comme Shiva, il remplirait le web d’éloges, mais ce n’est pas le cas, en attendant, il continue de se gargariser avec son big délire de Big, tiens il en chope deux au vol dans son manège enchanté, The Big Bopper et Big Star, oh pas des moindres, c’est même du super Big dans les deux cas, et pouf, comme il s’amuse bien, il épingle encore deux super-biggy Bigs, Big Joe Turner et Big Maybelle et là, il se marre, car il voit déjà l’embouteillage inside the goldmine, la foule des gros Bigs qui s’agglutinent au portillon, les intestins de la légende vont exploser, tant pis. L’avenir du rock continue de se gargariser, rrrrrrrrrr, rrrrrrrrrrr, il fait rouler sa glotte au Big délire. Ah il aurait dû commencer par Arthur Big Boy Crudup, ça c’est du Big, du bon gros Big, il en pouffe d’extase, puis il laisse venir à lui Big Mama Thornton, il se souvient aussi du grand Big Jim Sullivan, et de Big Brother & The Holding Company. Il ramène à la surface les fabuleux Big Three de Liverpool, mais aussi le Fifteen Big Ones des Beach Boys, et encore le Mr. Big Stuff de Jean Knight, Big et Big et Colégram, am stram gram !

             — Halte là !, dit le numérateur.

             — Quoi ?, répond l’avenir/dénominateur du rock.

             — Vous êtes à contre-emploi ! Vous êtes un âne. Tous les vieux crabes que vous énumérez bêtement appartiennent au passé du rock. Vous n’êtes qu’un imposteur. Quelle solution allez-vous trouver pour résoudre cette équation et laver votre honneur, avenir du rock ?

             — Oh c’est enfantin : Big Joanie.

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             Et pourtant, ça commence mal dans Uncut : «Feminist post punk trio». Si tu es normalement constitué, tu te tires en courant à la seule vue de cette formule. La journaliste Emily MacKay manie bien les formules ronflantes.

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    Elle s’en donne à cœur-joie : «girl-group flavoured, riot-grrrrl-laced indie punk». See Emily Play ! Elle ajoute que Thurston Moore a monté un label exprès pour Big Joanie. See Emily Play ajoute que Big Joanie navigue dans la mouvance Kill Rock Stars, Bikini Kill, Sleater-Kinney. Tous les archétypes accourent au rendez-vous. Comme la poule qui trouve un couteau, See Emily Play a aussi découvert des échos de Belly et des Throwing Muses dans leur son. N’importe quoi ! Elle argumente à coups de «swirling guitars and ghostly-sweet backing vocals». Elle a en plus découvert des «bouncy grunge attacks» de Nirvana, et comme grosse cerise sur le gâtö, elle fait référence aux Shangri-Las. Mais leur cœur de métier reste selon elle «that raw punk heart and touch of girl-group sugar». Celle-là, il faudra la faire piquer.

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             Bon, on va laisser See Emily Play refroidir un peu et aller voir ce que raconte sa consœur Lucy O’Brien dans Mojo. Pareil, une page, dans la rubrique ‘Rising’. Ça commence encore plus mal. La lead de Big Joanie Stephanie Phillips déclare : «I was getting interested in black feminism and intersectionality.» Quand tu lis une ânerie pareille, tu tournes aussitôt la page. Mais la curiosité l’emporte. Que va bien pouvoir nous raconter Lucy In The Sky With Diamonds ? Elle n’est pas avare elle non plus de formules ronflantes et gonflantes du genre «compelling feminist punk». On apprend que Stephanie Phillips fut une «self-confessed teenage music nerd» qui écoutait tout depuis Destiny’s Child jusqu’aux Yeah Yeah Yeah en passant par Franz Ferdinand. Puis elle monte Big Joanie à Londres avec la beurette Charline Taylor-Stone et la bassmatiqueuse Kiera Coward-Deyell, vite remplacée par la belle Estella Adeyeri.

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             La seule chose qui reste à faire est d’écouter les albums, en attendant Godot. Les deux albums se débrouillent très bien tout seuls. Ils n’ont besoin de personne en Harley Davidson, surtout pas des cloches de la presse. Le premier s’appelle Sistahs et date de 2018. Belle pochette et deux blackettes assises sur un banc : photo de famille, la mère et la tante, paraît-il. Attention : big sound ! Heavy ramshakle de London town. Ça devient vite abrupt avec «Fall Asleep». Stephanie Phillips chante en sous-main avec un aplomb qui te cloue le bec. «Fall Asleep» sonne comme un coup de génie. Dommage qu’il y ait un solo d’électro-shit. Elles raclent bien le plancher. Elles déballent plutôt crûment l’âpre vérité de l’underground. Elles restent dans l’éclat révélatoire avec «Used To Be Friends». C’est comme joué au cul du camion, elles ont un style délicieusement underground, pas sérieux, d’une fraîcheur incomparable. Et voilà la triplette de Belleville de la modernité : «Way Out», «Down Down» et «Tell A Lie». Elles tapent dans le tas. C’est du big Big Joanie. Elles profitent de «Down Down» pour foncer dans le tas. Quelle modernité ! Leur Down Down bascule dans un bain de sature. Avec «Tell A Lie», elles sonnent comme le Magic Band. Tropical Hot Dog Night in the London Underground. Magic Banditisme, c’est violent et beau, saturé de son. Elles passent leur temps à courtiser les chimères au big beat. Elles te saturent «How Could You Love Me» aux essences de Cocteau Twins. Cette heavy pop est impressionnante. Stephanie Phillips te tartine ça sur un gratté de basse fuzz. Cet album est une révélation. Elles tapent directement dans l’underground universaliste, c’est-à-dire accessible à tous.  

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             Leur deuxième album Back Home est du même acabit. Boom ! «Cactus Tree» ! Heavy psychedelia. Pur tremblement de terre. The Mamas & The Papas meet Blue Cheer. Effarant d’oouhh ouuhh. Elles poussent le bouchon au petit chant de Cactus Tree. Apocalyptic ! Elles cherchent quoi ? La noise ? Elles l’ont trouvée. C’est L’Apocalypse selon Saint-Joanie. Sur les photos de l’album, elles ont l’air de trois sorcières, celles de Shakespeare, bien sûr. Elles tapent tout au heavy sound et tartinent à bras raccourcis. Puis elles s’en vont te claquer «What Are You Waiting For» au post-punk, mais un post-punk particulier, puisque élastique et traîné dans la boue. Nouveau coup de génie avec «In My Arms», elles te courent bien sur l’haricot, tout est plein de jus sur cet album, Stephanie Phillips chante au poids de la ferraille. Pas de détails, pas de chichis. Elle t’enfonce son cut dans la gorge, elle dégouline littéralement de véracité, et derrière, elle a les chœurs du Saint-Esprit. Cet album est une mine d’or, comme le montre encore «Your Words». Les Trois Sorcières te fascinent, elles mènent le sabbat, elles semblent surgir des profondeurs et remonter vers la surface. Rien de plus excuriating qu’«Happier Still». Elles s’ébrouent dans les rafales d’heavy sound. Toute cette classe paraît irréelle. Avec «Increase», Stephanie Phillips sonne comme une superstar, elle chante du coin, comme une Billie Holiday trash-punk, elle tape ça en biseau, elle remonte des remugles de Brill, des trucs déments dont on n’a pas idée. Puis elle t’assomme «Today» à coup de meilleur son d’Angleterre. C’est extravagant, les Trois Sorcières jouent en permanence avec le feu. Encore un hit de Brill avec «In My Arms (Reprise)», elles ont tant s’écho que ça frise le Totor Sound. Tu nages avec elles en plein délire. Ils sont devenus rares les albums qui te déstabilisent.

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             On les attendait donc de pied ferme, les trois blackettes. Soif d’exotisme ? Probablement. Soif de modernité et de black rock, surtout quand on a pris la peine d’écouter les albums. Big thrill assuré. Dans ce monde pourri qui ressemble de plus en plus à une tartine puante, Big Joanie fait l’effet d’une petite fontaine de jouvence. Dès leur arrivée sur scène, c’est la classe, elles sentent bon le London underground, Stephanie Phillips trimballe un faux air d’institutrice frigide, mais elle va se défrigidiser vite fait.

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    En bonne Africaine, elle met ses formes généreuses en valeur, comme moulée par Jean-Paul Goude, et pouf, elle te gratte sa petite gratte verte underground et place sa voix, une voix incroyablement grave qui tranche sur le funky booty bringuebalant du trio. À sa gauche danse la merveilleuse Estella, haute et filiforme, surplombée d’un inexorable chignon de tresses, il n’y qu’à Londres que tu vois des black stars pareilles surgir de l’underground, elle porte du noir et bassmatique avec de très grandes mains.

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    Tu voulais du rock ? Te voilà servi. Wham bam ! «Cactus Tree» en amuse-gueule, on le connaît par cœur ce Cactus Tree, c’est lui qui ouvre le bal du fantastique Back Home, le deuxième album de ce trio incroyablement fastueux. Baraque cassée d’office, elles ramènent tellement de son, Stephanie Phillips chante au tranchant, elle te perfore le Mont-Blanc vite fait, et derrière, tu as cette petite beurette qui claque un beat afro-punk, une pure merveille d’undergrounding.

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    Oui, tout ça pour dire qu’il reste encore un milliard de possibilité dans l’expression de cet art qu’on nomme le rock, et Big Joanie semble ouvrir de nouvelles voies. Ces pauvres cloches de la presse anglaise essayent de les comparer à Nirvana et à chais pas quoi, mais non, c’est du pur Big Joanie, c’est l’Afrique qui rocke, et là, tu penses plutôt à Black Merda et à Sly Stone. Elles enchaînent avec «Happier Still» moins dévastateur sur scène que sur l’album, mais diable, comme ça rocke sous le boisseau. Elles ne s’accordent guère de répit, car les cuts foncent quasiment tous dans le tas, enfin dans un certain tas.

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    C’est une énergie qu’on sent différente, pas de grimaces de solistes, pas de big badaboum de petits culs blancs, elles développent une vieille force tranquille, la même que celle de François Mitterrand, et la belle Estella bassmatique à n’en plus finir tout en tanguant de babord vers tribord, mais avec une classe écœurante. Lorsque Stephanie Phillips pose sa gratte pour prendre un tambourin, Estella change d’instru et gratte ses poux avec une sens aigu de la négligence africaine. C’est un délire, un pied de nez définitif à tous les cons du rock qui s’imaginent qu’un grand solo de guitare est le fin du fin. Quelle erreur ! On verra même Stephanie Phillips jouer un solo magnifiquement approximatif sur sa belle gratte verte. Après le concert, au bar, un vieux schnoque viendra se plaindre :

             — Non mais t’as vu le solo ?

             Que répondre ? Rien. Les avis de ces gens-là sont à l’intelligence ce que le gravier est à la sodomie. Enfin bref, on ne va pas épiloguer, c’est déjà assez douloureux comme ça. Big Joanie fait une sorte de sans faute. Impossible de distinguer les temps forts des pas-temps forts, chaque cut se distingue par ses qualités intrinsèques et par ses ressorts secrets. L’idéal est de se faire une idée en écoutant les deux albums. Vers la fin, «Sainted» fait craquer, car puissant, tribal, hanté par des fantômes de chœurs - After the rain falls/ The rain falls - infiniment plus puissant que sur l’album, où le cut est gazé par les claviers, par contre, sur scène, il est drivé au note à note d’Estella qui hoche la tête au beat purpurin, elle gratte à la furibarde, il pleut du son et de l’esprit d’after the rain falls, ça te subjugue le jujube, ça t’extirpe des tropismes, ça l’implique à l’aplat, et Estella ramène son the rain falls dans cette extraordinaire fournaise de modernité. Te voilà conquis, Anatole. 

    Signé : Cazengler, Big Joabard

    Big Joanie. Le 106. Rouen (76). 19 octobre 2023

    Big Joanie. Sistahs. The Daydream Library Series 2018

    Big Joanie. Back Home. Kill Rock Stars 2022

    Lucy O’Brien : Joyfully decolonising London’s DIY punk scene. Mojo # 348 - November 2022

    Emily MacKay. Back Home. Uncut # 307 - December 2022

     

     

    Inside the goldmine

     - Brenda sied

             À l’origine des temps, nous mettions tous les deux un point d’honneur à observer les règles de la bienséance. Lady Claudia se prêtait au jeu subtil du badinage à forte tendance culturelle. Elle y prenait, semblait-il, plaisir, prenant soin d’échancrer toujours plus son décolleté. Le jeu consistait à ne révéler aucun trouble, ni d’un côté ni de l’autre. Notre configuration s’inspirait bien sûr de celle d’Harold et Maude. Lady Claudia avait un certain âge, celui que chante Brassens dans «Saturne» - C’est pas vilain, les fleurs d’automne/ Et tous les poètes l’ont dit - Dans son regard clair dansait une soif de vie extraordinaire, et elle semblait chanter en chœur avec Brassens : «Viens effeuiller la marguerite/ De l’été de la Saint-Martin.» Elle avait bien sûr «le grain de sel dans les cheveux», des boucles argentées encadraient un petit visage à la rondeur parfaite, qu’illuminaient deux yeux si clairs qu’ils semblaient transparents. Elle parlait d’une voix chantante, te faisant âprement regretter de n’avoir pu partager sa jeunesse. On devinait en elle des soifs gigantesques. Nous nous retrouvions chaque semaine dans un petit rade de la rue de Provence pour travailler sur les couvertures des ouvrages dont elle avait la charge éditoriale. Elle savait se montrer ouverte à toutes les propositions, et bien sûr, le froufrou des idées aiguisait jusqu’au délire les stratégies d’approche sensorielle. Tout se jouait dans les regards qui devaient rester muets, car telle était la règle tacite, mais tout semblait indiquer le contraire, les battements des cœurs, les craquements des digues libidinales, le rose aux joues, tout cela menaçait en permanence de se montrer criant de vérité. Le manège se poursuivit pendant quelques années, sans que rien ne se produisit. À aucun moment, il ne sous serait venu à l’idée de demander au tavernier s’il disposait d’une chambre libre. La volonté de conserver intacte cette chaleur relationnelle intense nous tenait implicitement à cœur. Et puis un jour, elle ne vint pas. Elle avait toujours été très ponctuelle. Un problème ? Il ne restait plus qu’à payer le café et à reprendre le métro. Je ne mis plus jamais les pieds dans ce petit rade de la rue de Provence qui s’appelait l’Arrivée.    

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             Claudia et Brenda ont un sacré point commun : le charme. On peut même parler de charme fou. Avec ses Tabulations, Brenda fit partie dans les années soixante-dix des poulains du grand Van McCoy. L’âge d’or des Tabulations va de 1966 à 1971, date à laquelle les trois doo-woppers d’origine furent remplacés par deux blackettes.

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             Brenda & The Tabulations est un groupe qu’il ne faut pas prendre à la légère. Leur premier album Dry Your Eyes propose une fantastique série de covers. Brenda tape dans le dur de Burt avec «Walk On By», puis dans le dur de Brian Wilson avec «God Only Knows», c’est joué à la trompette, elle le fait à la Ronette, elle s’éclate bien au Sénégal. Elle tape aussi dans le dur de «Summertime», c’est vermoulu mais extrêmement bon. Et ça continue avec le «Where Did Our Love Go» des Supremes, elle y va, la Brenda, il fait la nique à Motown. Et ça continue avec «Just Once In A Lifetime» qu’elle attaque à la limace extrême, elle s’y complaît, elle est bonne à la manœuvre, elle en fait une pure merveille océanique, une Soul de charme irréfutable. Tu crois qu’elle va finir par se calmer ? Là tu te fous le doigt dans l’œil, car voilà qu’elle allume le «Forever» des Marvelettes, nouveau shoot de pur génie. Elle revient au devant de la scène avec «Hey Boy» et elle atteint l’apothéose avec «Oh Lord What Are You Doing To Me», une chanson en forme d’attachement sexuel. De toute évidence, elle y prend du plaisir, elle monte au won’t you hear me & love me, elle est l’incarnation parfaite du sexe de cuisses ouvertes, let me love aw lawd.

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             Comme l’album est sorti du Dionn, on peut compléter l’écoute avec celle de The Dionn Singles Collection 1966-1969, une compile judicieuse parue en 2008. En 1966, Brenda et ses Tabs montaient déjà au front avec «The Wash» - Do the wash/ Everybody - hit de juke monté sur une bassline digne d’Archie Bell - C’mon people/ Do the wash - S’ensuit une belle série de petits balladifs sucrés, souvent pleurnichards, l’époque voulait ça, et soudain, avec «Baby You’re So Right For Me», on se croirait chez Motown : élan et allure accourent au rendez-vous. Et boom, Brenda recasse la baraque avec «That’s In The Past», un heavy groove de r’n’b, elle s’y plonge au baby sucré, elle te drive ça à coups de get off my life. Elle est merveilleuse, la Brenda, elle t’épouse en permanence. Elle fait de la Soul de haut de gamme avec «A Reason To Live» produit par Gamble & Huff, même chose avec «That’s The Price You have To Pay», Brenda s’y trouve contrebalancée par le power des orchestrations. Stupéfiant !

             Bon soyons clair : Brenda s’appelle Brenda Payton et les Tabulations sont Maurice Coates, Eddie Jackson et James Rucker. Brenda et Maurice bossaient en 1966 dans un jardin d’enfants in downtown Philadephia et une certaine Gilda Woods qui passait dans le coin en bagnole les entendit chanter. Boom ! Bill Dahl insiste pour dire que Brenda et ses Tabs savaient cooker un hit avant de rencontrer Van McCoy en 1970. Mais avec Van in tow, ça allait exploser. Dahl qualifie le team Van McCoy/Brenda & the Tabs d’«unbeatable combination». Oui, c’est l’une des combinaisons historiques qui font la grandeur de la Soul. Leur plus grand hit sera «Right On The Tip On My Tongue» qu’on retrouve sur la compile Top Bottom Singles Collection.

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             Brenda & The Tabulations enregistrent un deuxième album sans titre en 1970. Ils attaquent au heavy Burt avec «Don’t Make Me Over», Brenda tape ça au sucre et va l’exploser à la sortie. Cet album est de la dynamite. Il faut la voir fondre son sucre dans la fournaise de «The Touch Of You», elle y va au power maximal de baby baby ! Elle t’éclate ensuite «Lies Lies Lies», et comme c’est produit par Van McCoy, tu as les violons derrière. Elle ramène tout le power du peuple noir dans les violons de Lies Lies Lies. Elle tape ensuite le «California Soul» d’Ashford & Simpson, rendu célèbre par The 5th Dimension et le duo Marvin Gaye/Tammi Terrell. Coup de génie en B avec «You’ve Changed». Elle le prend au vibré de glotte à la Esther Phillips. Pure magie ! - And my darling/ You’re changed - Elle le monte bien, ça entre sous ta peau. Elle fait encore un carnage avec une cover du «Someday We’ll Be Together» des Supremes. Brenda est une vainqueuse.

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             Dans la foulée, il convient d’écouter The Top And Bottom Singles Collection 1969-1971. C’est là qu’on trouve l’excellent «Right On The Tip Of My Tongue» qui ne figure pas sur l’album Top Bottom. Elle s’y montre infiniment crédible, c’est un hit se Soul-pop. On retrouve aussi l’excellent «You’ve Changed» d’oh my darling et ses bouquets d’harmonies vocales ancrées dans le doo-wop. On retrouve aussi l’excellent «Stop Sneakin’ Around», pur jus de wild r’n’b, puis «Lies Lies Lies», Brenda mène la sarabande des chœurs déments. Elle est la reine des Tabulations et du heavy r’n’b. Retrouvailles encore avec la grosse cover de Burt, «Don’t Make Me Over», pas aussi spectaculaire que la mouture de Dionne la lionne, mais Brenda s’accroche bien à sa tartine. On se régale aussi d’«A Part Of You» et de l’extraordinaire latence de la Brenda. Elle t’épouse dans l’immensité du néant des disques oubliés et des artistes qui n’intéressent plus personne. Et puis tu retrouves aussi cette compo de rêve, «Where There’s A Will (There’s A Way)», elle te la chante au petit sucre envahissant. Van The Man l’aura protégée jusqu’au bout, «A Love You Can Depend On» est admirable, c’est du r’n’b éclairé, un fabuleux shake de revienzy. Elle te swingue le Van The Man au my love. Cette compile est une véritable aventure artistique.

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             Paru en 1977, I Keep Coming Back For More est beaucoup plus diskö. Dès «Superstar», les Tabulations tabulent sur le diskö funk de haut vol. Brenda choisit le bon côté des choses, la diskö dance des jours heureux. Le hit de l’album s’appelle «Everybody’s Fool», pur jus de diskö des jours heureux, c’est excellent, plein d’esprit, plein de promesses, de joie de vivre, une vraie révélation diskoïdale, avec de l’espagnolade sur la fin et, bien sûr, c’est noyé de violons. Elle est encore divinement bonne la Brenda avec «Let’s Go All The Way (Down)». Tout est inspiré sur cet album qui sent bon le revienzy. 

    Signé : Cazengler, Brendavoine

    Brenda & The Tabulations. Dry Your Eyes. Dionn Records 1967 

    Brenda & The Tabulations. Brenda & The Tabulations. Top And Bottom Records 1970 

    Brenda & The Tabulations. I Keep Coming Back For More. Chocolate City 1977

    Brenda & The Tabulations. The Top And Bottom Singles Collection 1969-1971. Jamie 2008

    Brenda & The Tabulations. The Dionn Singles Collection 1966-1969. Jamie 2008

     

     

    Talking ‘Bout My Generation

    - Part Nine

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             Joli coup que cette couve ! Rockabilly Generation démarre l’année en beauté avec T-Beker Trio, un upper-bopping trio dont on a dit ici tout le bien qu’il fallait en penser. Les fans de rockab peuvent y aller les yeux fermés. Et les yeux encore plus fermés avec Ghost Highway, accueillis eux aussi en héros dans les premières pages de ce numéro bien décidé à en découdre.

             Les Ghost, que Damie Chad suit à la trace depuis l’aube des temps, les Ghost qui constituent avec Barny & The Rhythm All Stars, Jake Calypso, les Hot Slap, T-Becker Trio, Tony Marlow et les Spunyboys le fleuron du French Rockab, le fer de lance d’une culture extraordinairement vivace et classieuse, il faut les voir bopper le blues sur scène, tous ces mecs, il faut les voir ignorer superbement les modes et les tendances, dire non à la médiocrité qui se répand sur la terre en proposant un son, une énergie et une inventivité qui n’en finissent plus de surprendre, tous ces mecs ne tournent pas en rond, contrairement à ce qu’on pourrait croire, ils avancent et perpétuent la tradition, avec des albums incroyablement bien foutus. Rockab et gospel sont les deux mamelles du destin, comme dirait Boby Lapointe.

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             Back On The Road ? Les yeux fermés. Quel album ! Bourré de dynamite et de covers d’Eddie Cochran. Il faut voir les Ghost taper «Teenage Heaven» au heavy beat dévastateur ! C’est la cover du diable, t’a intérêt à faire tes prières, ils te relancent ça au beat de l’or des reins. Il n’existe rien de plus puissant et d’injecté que ce truc-là. Ils tapent un autre Eddie, «I’m Ready», et c’est encore du pur cavalé sur l’haricot, ils lui redonnent tout le punch de sa gloire éternelle, et ça éclate au grand jour, les solos sont de véritables rosaces de solace. Ils tapent aussi dans les frères Burnette avec «Warm Love» embarqué à ras la motte, en mode wild rock’n’roll, pas le temps de souffler, et plus, loin avec «Whenever You’re Ready», gratté à coups d’acou et soudain, ça bascule dans le génie burnettien, avec un son plein comme un œuf et finement veiné de jazz. Les Ghost sont fabuleusement doués. Ils tapent un autre énorme classique, le «Black Slacks» rendu populaire par Billy Lee Riley. Ils l’attaquent de front au bllllbllllblllll et en font une version wild as fuck. Ils respectent l’étiquette à la folie. Mais c’est avec leurs compos qu’ils raflent la mise. Les Ghost ont le rockab dans le sang, comme le montre cet «Hunter» superbe de wildcatisme, tapé au beat rebondi, avec un souci d’authenticité confondant. Ils cherchent encore la petite bête avec un «Nervous Wolfman» qui ne demande qu’une chose : s’encastrer dans un platane. Ça roule sur place, ça claque un solo de Wolfman et ça se couronne d’un joli coup d’apothéose. Ils sortent les crocs du bop avec un «Born To Love One Woman» embarqué au slap prévalent, une merveille de claqué du beignet. S’ensuit une «Female Hercules» elle aussi slappée de frais. Tu as tout le slap du monde dans cette Herculette. Toutes leurs compos sont du pur wild cats on fire, comme le montre encore «She Said I Love You Baby». Quand tu as ça dans les oreilles, les murs palpitent et ça sent bon les racines du monde. Rien de plus wild ici bas. Ils bouclent cet album haut en couleurs avec une autre cover, le «Gone Ridin’» de Chris Isaak. Ils le tapent au hard bop, celui qui a le front bas du taureau en colère, ils te mettent vite aux abois, c’est frénétique et gratté à la cocote barbare. Encore une écoute dont tu sors à quatre pattes avec la langue qui pendouille.

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             Mais tu en redemandes. Alors voilà l’album sans titre Ghost Highway qui démarre en fanfare avec «Snatch And Grab It» et qui va ensuite droit sur Big Dix avec une cover de «My Babe» slappée around the corner. Plus loin, ils tapent encore dans le mille avec l’«You Can Do No Wrong» de Carl Perkins, le roi du baby baby, fantastique énergie de can do no wrong, bien remonté des bretelles avec un solo wild as fuck. Le power des Ghost éclate encore au grand jour. Tiens, une autre cover du diable avec le «Big Fool» de Ronnie Self. Ils rendent ensuite hommage à Galloping Cliff Gallup avec «Cliff Tribute», un instro qui se carapate, slappé à l’oss de l’ass. Retour au wild cat strut avec «Shotgun Boogie». Ils disposent pour ça de toute l’énergie du monde, puis ils passent sans ciller au bopping craze avec «Tennessee Rock’n’Roll», et là tu as le slap pur et dur. Alors il faut s’arrêter un moment et saluer Zio le slappeur fou. Ils basculent ensuite dans l’Hank avec «Moaning The Blues», ils lui shootent une violente dose de rockab, et le mec chante comme un démon échappé du bréviaire de l’Americana, il yodelle dans les virages et chauffe le cul des syllabes au Country Honk. C’est gorgeous et gorgé de talent vocal. Zio bombarde ensuite «Going Up The Country», c’est lui qui propulse le rockab dans tes artères, Zio c’est Zeus, il te garantit la pureté du son, le real deal de tagada. Ils tapent aussi l’«All By Myself» de Dave Bartholomew et finissent en apothéose avec le «Tired & Sleepy» des Cochran Brothers, Zio te claque ça sec, il donne vie au beat.   

    Signé : Cazengler, ghostique

    Ghost Highway. Back On The Road. Rock Paradise 2009  

    Ghost Highway. Ghost Highway. Rock Paradise 2011

    Rockabilly Generation # 28 - Janvier Février Mars 2024

     

     

    Holly ne met pas le hola

     - Part Three

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             À partir de 2007, Holly s’acoquine avec Lawyer Dave pour enregistrer une ribambelle d’albums sous le nom d’Holly Golightly & The Brokeoffs. Sur la pochette de You Can’t Buy A Gun When You’re Crying, on voit une photo d’Holly et de Lawyer Dave déchirée. Alors, à quoi faut-il s’attendre avec cette nouvelle série d’aventures ?

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     Plutôt à quelque chose de rural, car ils jouent souvent à deux dans la cuisine, Lawyer Dave faisant le one-man band derrière Holly. Elle attaque l’album avec « Devil Do », un joli boogaloo musculeux et joliment vu, enregistré avec des bouts de ficelle et sacrément mystérieux, bien tapé, bien lancinant, du pur jus de duo inspiré par les trous de nez. Elle continue dans la lancinance avec « Just Around The Bend », pas très éloigné du Vanessa-paradigme. Au moins, elle sait de quoi elle parle. Et puis elle va enfiler les mélopifs de petite eau saumâtre comme des perles et s’enliser dans cet intimisme campagnard à coloration country. Elle va taper dans l’Americana pétri d’ennui des soirées austères sans télé et revenir de temps en temps à de la country lumineuse, comme c’est le cas avec « You Can’t Buy A Gun ». Joli cut que ce « So Long » joué au country blues, with my suitcase in my hand, so long I really go, vraiment digne de Robert Johnson - Tears in my eyes, so long I say goodbye - Ce cut très intéressant luit comme le diamant vert du Transvaal d’Alpes perdues - You keep my heart - et ça vire au magnifico. Holly parvient à recréer une sorte d’Americana dans sa cuisine de petites boîtes à sucre en fer. Le disque soubresaute avec les derniers cuts. « Jesus Don’t Love Me » est trop country pour être honnête. Ils se prennent tous les deux pour des colons des Appalaches et ils passent au vieux grattage de bord du fleuve avec « I Let My Daddy Do That », qui sonne comme du Bessie Smith de soixante-dix-huit tours tamisard. Au fond, on ne peut pas leur en vouloir de se vautrer dans la contre-façon, d’autant qu’Holly raconte qu’elle laisse son daddy la baiser - Because it satisfies my big dick, lui dit-il - S’ensuit un « Whoopie Ti Yi Yu » digne des grands soirs maudits de la Nouvelle Zélande. Terrible car ravagé par des tempêtes lentes. Elle termine avec un « Devil Don’t » nerveux et irritable, du pur jus de terreau. En gros, ils jouent une sorte de country-blues de buanderie.

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             Deux jolies choses se nichent sur ce Nobody Will Be There doté d’une pochette faussement infantile. « Hug Ya Kiss Ya Squeeze Ya » est monté sur un gros tatapoum rural et chanté à deux voix. Lawyer Dave le one-man band et Holly s’amusent bien. Ils restent dans ce beau beat de bastringue tapé au bass-drum d’occase. Ils tapent ensuite dans Lee Hazlewood avec « Dark In My Heart », bien monté au stomp de grosse caisse et gratouillé à la main molle, avec des couplets repris à la doublette de voix. Ils sont tous les deux exemplaires de fidélité harmonique. Leur « Devil Do » renoue avec le tatapoum rural. Ils adorent tripoter ce son déjà exploré par Dan John Miller et sa femme Tracee Mae Miller dans Blanche, un duo qui faillit devenir énorme dans les années 2003/2004. « Indeed You Do » sonnerait presque comme du blues-rock d’honky-tonk, quelque part du côté de chez T-Model Ford. Joli cut car épais comme pas deux, et on retrouve la poigne d’Holly qui fascinait tellement les garçons à l’époque des Headcoatees. On se régalera aussi d’« Escalator » qui ouvre la B, un joli country-rock monté à l’harmonie comme une salade oubliée au potager. Leur truc se veut superbe d’aisance élancée.

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             Malgré sa belle pochette, Dirt Don’t Hurt a tout du disque faiblard. « Burn You Fun » vaut pour une jolie tracasserie à deux voix. Ils sonnent tous les deux comme Blanche qui fut spécialisé en son temps dans la country gothique. Ils consacrent une chanson à la vieille poule, « Clutch Old Hen », cut claudiquant, assez expressionniste et un peu cucul la praline. Ils adorent évoquer leur basse-cour. Normal pour des ruraux. Dommage qu’Holly ne fasse pas sa cocotte. Retour au grand battage de British Beat avec « Gettin’ High For Jesus ». On se croirait à Richmond en 1963 ! Admirable, bien lié à l’harmo, bourré de bon gros shuffle et de cliquetis démonologiques. S’ensuit une traînarderie à la Lanegan, « Three Times Under ». L’autre gros cut du disque est « Boat’s Up The River », gratté avec des tas d’instruments, alors que la voix part à la dérive.

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             Petit regain de d’énergie avec Medicine County paru en 2011. Un peintre naïf orne la pochette d’une beau portrait du couple. Ils restent majoritairement dans cette country obsédante abondée au banjo, notamment avec « Murder In My Mind » chanté à deux voix confondues et fantastique d’esprit corrosif. La bonne surprise vient de « When He Comes », un vieux rock joué à la sauvagerie des instrus d’hillbillies. Excellent brouet de rock primitif et cauteleux. Si on veut se remonter le moral, on peut écouter « Escalator » qui est un petit chef-d’œuvre de good time music envoyé à deux voix dans la lumière crue du printemps. Holly ramène son ingéniosité avec deux cuts magistraux, « Eyes In The Back Of My Head » et « Deadly Departed ». Puis elle envoie un balladif abrasif de haut rang avec « Don’t Fail Me Now », incroyablement éclairé aux guitares atypiques, et même furieux dans l’essence. Et avec « Jack O Diamonds, » ils reviennent à leur son de petits outils grattés.

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             No Help Coming paraît la même année. Ils prennent le morceau titre d’ouverture au ton du vieux boogie blues, mais ils l’enrichissent d’un son d’instrus de bastringue approximatifs et c’est précisément ce qui fait le charme de leur underground de brocante. D’ailleurs on les voit tous les deux sur la pochette : Lawyer Dave porte la barbe et une casquette d’anarchiste russe, et Holly un tablier de fermière. Elle tient aussi une poule dans les bras. Voilà les glorieux rockers britanniques. On saute directement à l’« Here Lies My Love » car voilà un gros blues de promontoire. Holly connaît les secrets du stomp primitif - It was a bad situation/ From the beginning to the end - merveilleusement inspiré par les trous de nez. Ils montent « Get Out My House » sur un vieux shuffle de boogie blues et le swinguent dans la cuisine. Ils s’amusent bien, avec leurs instruments en bois et leurs casseroles en cuivre - Tire-toi de chez moi ! - Lawyer Dave attaque « Leave It Alone » directement au banjo. Il faut se souvenir qu’Holly tient à l’uniformité des choses. Elle reste sur la ligne barbu & roots. On tombe plus loin sur une belle chanson à boire, « Lord Knows We’re Drinking », idéale à l’heure de la rasade du pirate.

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             Long Distance n’est pas l’album du siècle. Pourtant on l’écoute avec un intérêt certain. Holly prélasse bien son « Mother Earth » dans la mélasse. C’est gratté avec toute l’aisance que permet le blues. On a là un son plein comme un œuf et Holly chante avec toute la prestance de la pertinence. « Dear John » est gratté au banjo et on pense encore à Blanche. C’est rengainard et traîne-savate, un brin négligé. Avec « Come The Day », Holly joue la carte de la persévérance. Elle nasille comme elle seule sait le faire, en maîtresse femme qui ne se refuse rien. Rien d’aussi surprenant qu’« I Don’t Know ». Le banjo fait son grand retour dans « My Love Is » - My love is a mountain side - Elle chante avec quelque chose de suranné dans le ton. Tiens ! Une nouvelle version de « Big Boss Man ». Cette fois, ils la jouent au trébuchet, au washboard et aux cuillères. Admirable ! Holly swingue comme une négresse de l’Alabama. Bon d’accord, ce n’est pas la version de Graham Bond, mais on ne va pas chipoter.  

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             Sunday Run Me Over parait en 2012 avec une pochette peinte par John Langford. L’album est enregistré à la campagne, à Camp Esco, dont on voit la photo à l’intérieur de la pochette. Ça ressemble au paradis avec des poules, des chiens et un âne. Holly et Lawyer Dave attaquent avec « Goddam Holy Roll », une grosse pétaudière de cabane du Sussex ou d’ailleurs. Ça sent la poule qui pond et le good time roll, la barbe et la bonne santé. Ils tournent à l’énergie pure et elle chante tout ça du nez. Admirable ! Avec « They Say », ils passent au heavy blues lugubre primitif. Encore plus terrible de primitivisme, voici « Tank », bien monté sur son riff élaboré, probablement un coup de Lawyer Dave. C’est terrible de présence divine. Ils jouent « One For The Road » à la casserole de Camp Esco. On les sent déterminés à faire la fête. Avec « Turn Around », Holly traque la country de façon balèze. Elle nasille admirablement son don’t come back again ! Avec « The Future’s Here », Holly passe au ragtime et s’amuse comme une diablesse de petite vertu. Et puis ça dégénère, car voici Dave qui nous fait avec « Hard To Be Humble » du flon-flon de bastringue à la ramasse de la revoyure. Et dans « Goodnight », Holly se prend pour Mark Lanegan. Ils finissent avec un beau « This Shit Is Gold » bourré d’énergie concomitante. Ça pulse le beat à Camp Esco ! Ils sortent là une vraie pétaudière de stomp à deux balles. Excellent !

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             Et puis voilà All Her Fault. Ils sont dessinés tous les deux sur la pochette comme Adam et Eve, les instruments dissimulant les parties honteuses. Lawyer Dave tient un dobro et Holly un banjo. Elle porte aussi des lunettes et deux mèches de cheveux dissimulent  ses tétons. Le cut d’ouverture s’intitule « SLC », ce qui ne veut pas dire Salut Les Copains, mais Salt Lake City - Why do you wanna go to Salt Lake City - Ils refont le Blanche country blend à deux voix sur fond de beat turgescent et de coups de charley intempestifs. On trouve trois véritables énormités sur cet album noyé dans la masse. Pour commencer, « Can’t Pretend », bien fouetté à la croupe d’étalon. C’est un cut long distance. Il avale la prairie. Il court la piste. Il franchit des frontières. Bon beat tagada. Holly chante bien sucré, comme au bon vieux temps des Headcoatees. Elle gère bien son devenir. La seconde perle se trouve en B et s’appelle « 1234 ». On sait maintenant qu’il existe au moins deux énormités sur chaque disque d’Holly. Elle sait pounder un beat sourd. Voilà encore une belle pièce de rock tonique et chargé d’or, d’orgue et de tous les onguents des Angles. La troisième perle fait la fermeture : « King Lee ». C’est un rocky folky-folka bien balancé qui renvoie aux grands classiques de juke, solidement joué, diablement inspiré, doté de descentes de basse et d’un refrain chanté aux voix concomitantes. Pure énormité ! Holly y ramène toute son élégance de petite reine britannique.

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             Son nouvel album vient de paraître : Slowtown Now. Alors ? Ça commence mal, car un horrible dessin de Tim Kerr orne la pochette. Ensuite, Holly veille à conserver son capital sympathie, mais elle n’en fait pas plus. Elle opère toutefois un net retour à ce bon garage vénéneux qui fit sa spécialité. « Fool Fool Fool » est un groove malveillant conduit au fil d’un riff de fuzz, très sixties dans l’esprit. Le « Frozen In Time » qui suit se veut jazzy dans l’approche, et admirable de bonne humeur musicale dans l’esprit. On retrouve Ed Deegan dans ses grandes heures grâce à « As You Go Down » et dans « Stopped My Heart », Holly raconte qu’un mec lui a stoppé le cœur, à l’Anglaise, et Ed Deegan part en solo vainqueur. Mais rien ne veut accrocher durablement sur cet album. Pourtant l’écoute se veut résolue, attentive et même tendue. Holly reste sur son registre de Mata-Hari à la voix sucrée qui ensorcelle. Elle finit en Brill à l’écho du temps d’antan avec « When I Wake ». C’est vraiment bien vu de sa part.

    Signé : Cazengler, Holy shit !

    Holly Golightly & The Brokeoffs. You Can’t Buy A Gun When You’re Crying. Damaged Goods 2007

    Holly Golightly & The Brokeoffs. Nobody Will Be There. Damaged Goods 2011

    Holly Golightly & The Brokeoffs. Dirt Don’t Hurt. Transdreamer Records 2008

    Holly Golightly & The Brokeoffs. Medicine County. Transdreamer Records 2011

    Holly Golightly & The Brokeoffs. No Help Coming, Transdreamer Records 2011

    Holly Golightly & The Brokeoffs. Long Distance. Damaged Goods 2012

    Holly Golightly & The Brokeoffs. Sunday Run Me Over. Transdreamer Records 2012

    Holly Golightly & The Brokeoffs. All Her Fault. Transdreamer Records 2014

    Holly Golightly. Slowtown Now. Damaged Goods 2015

     

     

    *

    J’en veux à mort à Marlow Rider, l’a annoncé la sortie de la seconde vidéo de Kriptogenèse juste la veille de mon départ en vacances. Je ne me plains pas, j’étais sur la plage entouré d’un essaim de jeunes filles nues qui secouaient avec vénération des palmes au-dessus de mon corps musclé pour que je n’attrapasse point une insolation caribéenne. Mais enfin, il aurait pu attendre que je revienne en France… Bref il est plus que temps de regarder cette vidéo.

    HARD DRIVING ROCK’N’ROLL

    MARLOW RIDER

    (Réal : Seb le Bison / Prod : Bullit Records)

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    Les premières images sont anodines, des vues de Paris, boulevards parisiens, un bobo écolo sur son vélo (mais pourquoi personne ne l’a-t-il pas encore écrasé), comme dans un début de film, l’on sait qu’il va arriver quelque chose… L’on n’attend que le Marlou, il survient sur sa moto ( pas du tout écolo), je conseillerai aux âmes sensibles de se contenter de dénombrer les patches de son blouson, Gene Vincent, Eddie Cochran, galons rock sur le haut de la manche de son Perfecto, le logo Sun, Johnny Kidd le rocker pirate, je les laisse compléter la liste, ensuite je leur conseille d’aller dans le jardin arroser leurs salades peuplées de limaces.

    C’est que voyez-vous le Marlow il vous a un de ces airs de méchant à cauchemarder toute la nuit, avec ses lunettes de batracien acariâtre et son casque rond qui transforme sa tête en obus volant, l’est un guerrier sans foi ni loi – ne lâche-t-il d’ailleurs pas son guidon d’une manière fort vindicative – l’on n’a pas envie de l’arrêter pour lui demander l’heure.

    Sur la prod ils se sont inquiétés, plus d’une minute et la vidéo serait interdite pour incitation à la haine, à la violence, peut-être même pour terrorisme. Mettons les rockers à leur place, non pas en déambulation motorisée au milieu de la foule innocente, mais sur scène, au moins là en lieu clos l’on peut limiter leurs débordements sur un espace réduit. Donc le Marlou en concert. Ce n’est guère mieux : les bras nus recouverts de tatouages, comme guitare il a pris un de ses tridents que du temps de Moby Dick l’on enfonçait dans le flanc des baleines, il chante avec la hargne du Capitaine Achab hurlant ses ordres sur le Pequod, bref un sacré moment de rock’n’roll.

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    Attention deux fois deux secondes d’images inquiétantes, cet étrange gros plan sur ce batteur à tête d’oiseau et puis sur Amine Leroy, habillé de noir, contrebasse noire et yeux noirs qui semble regarder sans voir, ô bien sûr après vous avez le Marlou qui vous turbine un de ces soli abrasifs dont il garde le secret, destiné à détourner votre attention, pour un peu vous n’y ferez pas gaffe, diable l’on est où là, dans une vidéo de Malow ou dans dans la première Elégie de Duino de Rilke, avec cet oiseau qui passe et repasse et se trémousse, l’a de drôles d’ailes, plutôt celle d’un ange, tiens encore Marlow sur son engin, question ange l’on serait plutôt du côté des Hell’s Angels, maintenant c’est l’alternance, un coup sur sa pétaudière, un coup derrière le micro, tout en continuant à chanter sans hiatus comme s’il était dans son deux pièces-cuisine,  puis Amine concentré en lui-même , puis l’oiseau à la batterie, maintenant sont tous les trois ensemble, Amine, l’oiseau blanc, drôle de formation de bric et de brock, un peu de glisse motocyclettée et tous les trois ont droit à un tiers dument délimité de l’image, z’y vont à fond, c’est la fin. Leur dernier mot Rock’n’roll ! Ecran noir. Inscription blanche : A LA MEMOIRE DE FRED KOLINSKI – 10 décembre 1954 – 16 mai 1923. Un ange passe. Dans votre mémoire. La photo de Fred s’affiche, souriant nimbé de ses cheveux blancs. Le compagnon de dix ans de gala et de galère rock ‘n’ roll.  

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    En fait c’est très bien de n’avoir pas pu la chroniquer cet été. L’impression que Fred est toujours là à nos côtés pour cette année 2024 !

    Damie Chad.

     

    *

    Je l’ai reconnu tout de suite. Aucun mérite à cela. L’œuvre est célèbre. Une fois que vous l’avez vue vous vous en souvenez. Mais ce ne sont pas les combattants qui ont obnubilé mon œil, mais l’homme dans sa toge blanche qui lui mange le bas du visage, l’autre aussi, avec son espèce de calotte rouge sur la tête. Qui s’agrippe au précédent comme si le spectacle lui faisait peur, c’est pourtant lui qui a décidé de décrire le funeste spectacle, l’est devenu célèbre pour la premier livre L’Enfer de ce son ouvrage La Divine Comédie, c’est Dante. Le premier c’est Virgile. Il ne montre aucune frayeur. Il sait, il connaît. Pour beaucoup de nos contemporains Virgile n’est qu’un lointain et vieux poëte latin. Il fut beaucoup plus que cela. Son œuvre est totalement cryptée. Donc elle dévoile tout. Il suffit d’avoir la patience de lire. Et de penser par la suite.

    Le tableau est de William Bouguereau. Un pompier. L’expression est malveillante, toutefois dès que l’on évoque les pompiers l’idée du feu héraclitéen n’est pas loin. Né en 1825, trop vieux pour la modernité, la jeunesse pré-Impressionniste et les Impressionnistes seront sans pitié, eux-mêmes subiront la même vindicte critique lorsque Dada et Surréalisme prendront le pouvoir, aux temps de l’Abstraction triomphante à leur tour les représentants de désormais l’ancienne génération encoururent le retour du bâton… la chaîne de la médisance et du dénigrement est sans fin… Bouguereau mourut en 1905. A peu près oublié. De tout le monde. Sauf des Américains, c’est en leur pays que pratiquement toute son œuvre se trouve…  

    Théophile Gautier commente longuement ce tableau, pour notre part nous nous contenterons d’un regard, loin de toute médiévale anecdote évènementielle, symbolique. Nous y verrons surtout la représentation métaphorique de la haine prédatrice qui peut embraser l’esprit et le corps des hommes, ce n’est plus Saturne dévorant ses enfants, mais les hommes s’entredévorant eux-mêmes. L’homme est un loup pour l’homme disait Horace poëte contemporain de Virgile.

    Ce qui est important, pour la chronique de la K7 qui suit, c’est qu’au-delà de sa force expressive la scène de ce tableau se déroule dans l’ Enfer. Vous comprendrez pourquoi en lisant le nom du groupe :

    LA MATTA BESTIALITADE

    SAPIENTIA DIABOLI

    (K7 / Bandcamp / Oct 2023)

             Je ne sais qui se cache derrière ce groupe, j’ai eu du mal à dénicher qu’ils étaient américains. D’où exactement ? Je les croirais volontiers européens.

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    Pape Satan, pape Satan aleppe : (premier vers du chant Sept de l’Enfer de Dante prononcé par un démon appelé Pluton – surnom du Dieu grec des Enfers - doit-on le traduire par : Paix Satan, Paix Satan, va en paix ?) : drôle de ziqmuc assez difficile à définir, d’ailleurs au bout d’une minute elle se finit pour ainsi dire d’elle-même comme si elle se rendait compte que bâtie comme elle l’était elle ne pourrait se maintenir bien longtemps, au passage on ara reconnu des sifflements aussi incertains que ceux des rhombes lors des processions rituelliques, au tout début l’espèce d’emballement noisique inaugural baisse d’un ton lorsque s’élève un chœur processionnel qui disparaît très vite alors que l’on s’attendait à un développement continuel, ce qui est certain c’est que l’on s’est psychiquement installé en un espace séquentiel d’écoute peu habituel, grande est notre déréliction mentale quand le morceau semble s’arrêter pour de bon pour mieux repartir à un rythme accéléré, une charge battériale emporte tout sur son passage, les chœurs reviennent ultrarapides même si l’on se rend compte que l’ampleur sonore est peut-être due à une seule ou deux voix, même si vous avez l’impression que les participants sont nombreux vous comprenez que la cérémonie qui anime et regroupe des dizaines de fidèles, s’adresse à chacun d’entre eux, que l’emprise collective n’a d’authenticité que si elle est la conjonction de ferveurs individuelles, chacune vécue et ressentie selon une seule intrication personnelle. N’employons pas le mot de vocalisation mais de proférations rythmiques qui bientôt culminent en un extraordinaire jeu de répons suscités par un maître de cérémonie qui recueille les réparties des participants, le tout s’alchimise en une espèce d’oratorio angélique final. N’oubliez jamais la double nature de Satan, pour être du mal il n’en reste pas moins le premier ange. L sol tace : (trois mots tirés du Chant I de l’Enfer, qui est aussi l’ouverture  de La Divina Comedia, Dante est poussé par l’apparition d’une Louve incarnation de toute l’imperfectibilité humaine vers la zone d’ombre – là où le soleil se tait – qui le mènera jusqu’à la porte infernale.) : il ne suffit pas d’invoquer Satan mais d’emprunter la sente qui mène à lui, vertigineuse descente battériale, l’on se doit de se précipiter vers cette lumière noire que l’on désire, une cavalcade à la hussarde, enthousiasmante, joyeuse et jubilatoire vers le maître de la mort et de l’autre vie, à mi-chemin l’on reprend quelque peu son souffle avant de s’élancer en toute connaissance de la portée de nos actes, un grand éclair blanc terminal de musique séraphique. Le morceau s’arrête non pas brusquement mais irrémédiablement. L’on est définitivement passé de l’autre côté. (Pour la petite histoire, il existe un groupe de Black Metal reconnu qui a pris pour nom L Sol Tace.) Il gran rifiuto : (encore une expression tirée du Livre des Enfers. Selon Dante le grand refus de servir Dieu à la place où il avait été appelé serait celui du Pape Célestin V qui se sentant trop vieux aurait démissionné de la charge pontificale suprême…) : le serment de la déposition de Dieu est répété ab libitem, profération intérieure et extérieure, à voix haute, et la basse celle que seule entend celui qui s’engage, les harmoniques, non pas celles du son, mais celles du sens, ces pensées qui adviennent et que l’on retient même dans le temps même où nous parlons, pour le son l’instrumentation s’en charge, jamais entendu une telle orchestration riffique chez un groupe de metal, chaque riff, la manière dont il se perpétue, dont il est posé, dont il surgit, dont il s’entrecroise, dont il disparaît est une nuance, composant ainsi une palette de la folie humaine qui se détache d’elle-même pour en même temps investir le vide de sa propre expulsion par l’appropriation métamorphosique substancielle d’une angélique nature a-humaine qui ne vous tue pas mais vous excède. Raphael masameche zabi almi : (paroles incompréhensibles prononcées par Nimrod dans le trente et unième chant de L’enfer de Dante. Le géant Nimrod est l’initiateur de la construction de la Tour de Babel construite par les hommes… Devant la menace que représente l’édification de cette tour censée atteindre le Ciel, Dieu divise les hommes en leur ôtant le privilège unificateur la langue originelle commune… Nimrod le principal fautif hérite d’un langage intraduisible…) : falaise de marbre   noir et barrage de glace blanche, l’inéluctable est arrivé, ce n’est pas que l’on ait pris le parti du Diable qui compte c’est, qu’envers et contre tout, malgré le prix à payer, l’on ait rejoint la phalange de ceux qui sont contre Dieu. C’est de se ranger du côté du meurtre infini, car Dieu ne meurt que… à quoi correspond cette coupure dans la monumentale avancée riffique de cette reprise, si ce n’est à la prise de conscience que Dieu ne peut être vraiment mort qu’au moment où on le tue. Qu’il faut sans cesse reprendre ce travail de boucherie métaphysique pour le mener à bien. Pour inverser le mal en bien. Comment sinon comprendre la devise auto-définitoire que le groupe a mis en exergue de son Bandcamp : ‘’ La sagesse du diable est sans fin’’ , cela ne signifie-t-il pas que l’œuvre satanique est infinie. Sans quoi il serait parfait. Sans quoi il serait Dieu. Sans quoi il faudrait qu’il s’auto-détruise pour engendrer le néant.

             Vous en voudriez encore et puisque vous n’aimez guère écouter les cassettes vous aimeriez l’avoir en CD, vous êtes insatiables, la sagesse du Diable vole à votre secours : ce premier janvier 2024 ils ont posté sur Bandcamp les trois derniers morceaux de La Matta Bestialitade sous le titre de :

    FLAGELLO IN TERRA

    SAPIENTIA DIABOLI

    (CD / Bandcamp / Janvier 2024)

    Evitez de passer pour un béotien devant votre petite amie lorsque le facteur vous livrera le CD. Non la couve ne représente, ni un vase de fleurs ni une large coupe posée à l’envers.  Il est sûr que le format cédéique n’aide pas à entrevoir les dimensions de l’objet. C’est un peu la Colonne Trajanne de la Renaissance. Elle n’a pas été commandée par Trajan à Apollodore de Damas pour commémorer ses victoires sur les Daces mais par Lorenzo Pierfrancesco de Médicis à Botticelli pour illustrer une copie manuscrite de La Divine Comédie de Dante. Si la Colonne Trajane est encore debout à Rome Botticelli mourut avant d’avoir terminé son œuvre. La plupart des dessins tracés par le peintre n’ont pas été colorés… Sandro Botticelli avait toutefois terminé une Carte de l’Enfer sur une seule page, 32 sur 45 centimètres. Ce qui nous permet d’imaginer la grandeur de l’œuvre finale si l’on avait réuni les feuilles sur un seul panneau, qui aurait atteint la dimension d’un vaste tableau de cinq mètres de largeur sur plus de trois mètres de hauteur.

    Flagello in terra, fléau de la terre, titre programmateur des trois morceaux du CD est une citation du Chant 12 de L’Enfer désignant Attila…

    Ces trois morceaux sont un peu comme le défilé des Enfers, l’on n’y présente que les grosses pointures. Le musée des horreurs absolues, si vous voulez, mais aussi les étapes nécessaires à accomplir si vous désirez rencontrez l’Adversaire, le seul qui ait et eu le courage de s’opposer à Dieu. De vous libérer de votre esclavage assureront certains.

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    Il gran vermo : (le gros ver c’est par ses mots peu flatteurs que Dante dans le Chant VI de l’Enfer qualifie Cerbère le féroce gardien des Enfers grecs) : trompettes de riffades tous azimuts en tournoiements successifs, il s’agit de célébrer le gardien de la porte primordiale, celui qui laisse entrer mais pas ressortir, vocal grondeur resserré sur lui-même comme un triple grognement de chien colérique et intraitable, l’on descend les marches infinies d’un escalier, l’écho bruyant ne saurait nous soustraire à l’examen canin, silence c’est le moment crucial du passage vers les profondeurs interdites, nous sommes tremblants et frissonnants devant lui, mais non il se couche et incline ses trois gueules baveuses. Nous avons notre sésame, nous enjambons son corps massif, il fait semblant de ne pas s’en apercevoir. L’infami di Creti : (l’infamie de Crète n’est autre que le fameux Minotaure qui n’a rien perdu de sa bestialité lorsque Dante le rencontre dans le douzième chant de L’Enfer.) : un chien même à trois têtes n’est qu’un chien mais nous nous dirigeons vers un être d’une autre nature, est-ce pour marquer qu’il est une déviation, une entorse à l’ordre des ordres intangibles que les premières notes de ce morceau sont erratique, à croire qu’elles s’éloignent dans l’espace pour nous signaler que nous entrons dans le règne de la contre-nature, et voici que la musique déferle que le vocal pousse en avant comme le vit du taureau païen qui s’enfonce dans ce bouillonnement visqueux de la femme qui jouit intensément de cette union interdite. Moment de rétention spermatique avant que la bête ne propulse son éjaculation dans le vagin de cette vache si moelleuse, la Bête est là le fils de la femme et du taureau, il meugle et nous tremblons de joie, nous sommes définitivement de l’autre côté. Vexilla regis prodeunt inferno : (les bannières des rois flottent en Enfer’’ Vers 1 du Chant 34 et dernier de L’Enfer de Dante, dans lequel Virgile et Dante font face au détestable Lucifer, ainsi s’appelait Satan alors qu’il était le premier des anges…) : attention ne reste plus que l’approbation finale, nous sommes face à lui, Dante nous dit qu’il a les pieds en haut, ce n’est pas qu’il n’ait plus toute sa tête, c’est qu’il est l’inverse de l’ordre humain et divin normal, l’appréhender en cette étrange position nous enjoint à entendre qu’à l’instar de cette bouillie riffique débordante qui nous recouvre tout désormais a changé, que nous sommes ailleurs, que nous sommes d’ailleurs, d’un anti-monde. Du côté obscurément lumineux de la force.

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             Un seul adjectif pour résumer les deux panneaux de cette œuvre qui n’en forme qu’une : dantesque.

    Damie Chad.

     

    *

             J’avais prévu un petit tour dans les opulents pâturages de l’herbe bleue, je vous promets la découverte d’une petite merveille la semaine prochaine, oui mais non un léger contretemps, je n’y suis doublement pour rien, je me hâte de dénoncer les deux coupables, le premier c’est le rock’n’roll, comment résister à l’attrait de cette maudite musique, je ne sais pas, alors je ne résiste pas. Le deuxième les lecteurs de la livraison 627 s’en souviennent, c’est Bill Crane, l’a terminé l’année 2023 par un album douze titres, très intéressant, l’est comme Jules César, il ne se repose pas sur ses lauriers, les dix premiers jours de janvier 2024 ne s’étaient pas écoulés qu’il a placé deux nouveaux titres sur YT, pas n’importe lesquels, on se hâte d’écouter.

             Le temps d’écrire ce premier paragraphe je m’aperçois qu’il vient d’en ajouter un troisième. Une véritable corne d’abondance. Par contre il vous remet trois fois le même décor. Très instructif. D’abord l’a rajouté un bouquet de fleur. Influence orientale peut-être parce qu’il vit en Thaïlande, ne comptez pas sur moi pour un cours d’Hanakotoba. Pour tout le reste de la photo, je sais. Je connais. Le coiffeur où mon père m’emmenait quand j’étais tout petit en avait posé un posé derrière sa vitrine pour protéger ses clients des rayons intempestifs du soleil. Store oriental en plastique, le must à la fin des années cinquante, la mode au début des sixties.

             Retenez bien le dernier mot du deuxième paragraphe, un indice fondamental, sans lui vous ne comprendrez rien au projet de Bill Crane.

    LOVE AGAIN

    BILL CRANE

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             Evidemment on pense à Eddie Cochran, à son Love again enregistré en 1958, écrit par Sharon Sheeley, ce n’est pas son meilleur morceau, une chansonnette sur laquelle il musèle sa voix de fauve, imaginez au début du conte le loup en train d’amadouer le petit Chaperon rouge. Un conseil jetez un coin d’oreille sur la guitare. Z’avez aussi le In love again, 58 aussi, de Gene Vincent, une dentelle traitée à la Bo Diddley, merci Clyde Pennington pour la tambourinade, avec Grady Owen à la basse, et surtout les clairvoyantes notes de velours de la guitare de Johnny Meeks. Plus la voix si fine Gene, quand je l’ai écouté en interview radio pour la première fois, j’ai cru entendre une jeune fille. Bill Crane possède une voix beaucoup plus forte.

             Toujours les trois premières secondes dévolues à la machine, la boîte à rythme que l’on oublie au premier vlang de guitare. La voix et la guitare. La première davantage grave, la deuxième davantage claire. Bizarrement Bill Crane ne joue ni de la guitare ni ne se sert de sa voix. Il joue du rêve, de la nostalgie, des bouffées de regrets, de temps perdu jamais retrouvé, nous chuchote à l’oreille que nous avançons vers notre tombe. Une chanson de rien du tout, elle ranime le souvenir des jours heureux qui n’ont pas fui, le cristal de notre âme fêlée à tout jamais. Un travail d’orfèvrerie. De poésie pure.

    CLOMPLETELY SWEET

    BILL CRANE

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             Completely Eddie Cochran, ce coup-ci Eddie mignardise, il joue au gros matou qui s’amuse avec la souris, l’avance la guitare à pas feutrés et brusquement de temps en temps il lui zèbre le dos d’un coup de griffes sanglantes. Jeu de voix, jeu de guitare, jeu de vilain.

             Bill Crane change la donne. Ce coup-ci le matou ne joue plus, l’a le cœur en confettis et la guitare en confiture. Le sucre rend son café amer. Même la possibilité du bonheur le rend triste. L’a le cerveau qui déraille grave. La voix vous file la saudade, la guitare vous jette dans les bras du blues. Le retour aux origines du rock ne se passe pas comme prévu. Quelque chose a vrillé, pourquoi, comment, l’on ne sait pas. Bill Crane pose une question grave. Le rock’n’roll est-il aussi comme toutes les autres une pauvre chose humaine ? Ou un serpent qui se mord la queue.

    BE BOP A LULA

    BILL CRANE

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    Y a tellement de versions de Be Bop a Lula de par le monde. Gene Vincent en a quatre, canoniques, l’originale insurpassable, la twist, la honky tonky, et la lente qu’il exécutait sur scène. Drôle de gageure pour Bill Crane.

    La prend bien, à sa manière, sur un tempo medium, tout dans la voix, chaque inflexion comme touche d’un pinceau qui contiendrait les chatoyances essentielles du monde, et ses clangs de guitare qui rythment les espaces de temps qui nous séparent d’on ne sait quoi, d’on ne sait qui, le plus terrible c’est quand ça s’arrête, il ne nous manque rien, ni les cris de Dickie Harrel ni les escadrilles mouchetées de Cliff Gallup, l’on était ailleurs, dans une espèce de soucoupe volante emportée dans la houle du cosmos. Elle forme un tout, un condensé, un truc qui n’appartient qu’à Bill Crane, comprendre comment il a manigancé son miracle demanderait trop de temps, il vaut mieux fermer les yeux et se laisser bercer par ce clapotis venu de l’autre côté de nous-mêmes.

    Remercions Bil Crane de cette relecture du rock’n’roll qu’il nous offre. Tout le blanc du passé, tout le jaune du présent condensés dans cet œuf séminal qu’il faudra un jour casser pour donner naissance au futur.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll ! 

    14

             Le Chef alluma un Coronado avant même de s’asseoir à son bureau qu’à ma grande surprise il me tendit aussitôt :

             _ Prenez-le, Agent Chad, c’est un Petulanto, lui a été le nom de ces légions gauloises qui se regroupèrent autour de l’Empereur Julien, pour lui offrir l’Empire, autant dire que dans les cas désespérés el Petulanto vous insuffle l’énergie et l’influx nécessaires aux accomplissements des grandes œuvres. Nous en avons un grand besoin.

             Le Chef avait (comme toujours) raison, le lecteur aura du mal à me croire, il y avait plus de quarante-huit heures que nous n’avions pas dormi. Nous avions parcouru de nuit comme de jour les rues de Paris. Au début les deux chiens marchaient allègrement devant nous. Nous les suivions d’un pas léger, dès que nous arrivions dans le dos d’un passant nous ralentissions. Hélas des centaines d’individus que nous filâmes discrètement sans bruit aucun n’émit le moindre mouvement à partir duquel nous aurions pu envisager qu’il se préparât à traverser un mur. Des citoyens lambda qui stupidement rentraient chez eux en passant par la porte. Certains s’arrêtaient dans un bar ou un magasin, d’autres hélaient un taxi ou se rendaient chez le coiffeur. Quelle triste humanité maugréions-nous entre nos dents. Les dernières heures, Molossito s’était écroulé de fatigue, j’avais dû le porter dans mes bras je ressentais sur mes mains la brûlure du bout de ses pattes. La pauvre bête n’en cessa point autant de surveiller le moindre individu qui marchait devant nous, la gueule entrouverte pour nous signaler au plus vite le moindre mouvement suspect.

             Je ne voudrais point que l’on m’accusât de publicité clandestine, voire de peyola, en faveur del Pétulanto, il ne s’était pas écoulé une demi-heure, que la fatigue et l’ensommeillement qui embrumait mon esprit disparurent comme par miracle. Non seulement je me sentais en pleine forme mais il se produisit comme une décharge électrique en ma boîte crânienne, mes neurones s’entrechoquaient à la vitesse de l’éclair.

    • Chef auriez-vous un mouchoir dans votre poche ?
    • Agent Chad, j’en ai toujours un sur mon Rafalos, dans les circonstances difficiles je fais mine d’être enrhumé et de me moucher, à la quatrième ou cinquième fois, c’est mon Rafalos que je sors et je liquide l’empêcheur de tourner en rond qui se met en travers de mon chemin. Tenez, le voici, ne l’abîmez pas c’est ma grand-mère qui…
    • Qui vous a enseigne le coup du mouchoir ! Ce devait-être une sainte femme !
    • Non Agent Chad c’est elle qui m’a offert ce mouchoir sur son lit de mort en me disant ‘’ Henri, ça peut toujours servir’’.
    • Chef j’ignorais que vous vous prénommiez Henri.
    • Pas du tout, dans les derniers mois de sa vie elle me confondait toujours, je n’ai jamais compris pourquoi, avec Henri IV.

    15

    Je vous raconterai un jour la suite de cette conversation étonnante qui dura bien deux heures. Je connais l’impatience de nos jeunes lecteurs pressés qui ont besoin d’action et de rebondissements.  Pour le moment je me contenterai d’en rapporter la fin.

    _ Chef, maintenant que vous m’aviez confié votre mouchoir, auriez-vos une craie rouge à me donner ?

    _ Bien sûr, tous les amateurs de Coronados connaissent l’astuce, dans votre tiroir à Coronado il est bon de mettre un bâton de craie, le calcaire empêche l’humidification de la cape, toutefois Agent Chad, j’entrevois  ce que vous êtes en train de mijoter, attention cela peut se révéler dangereux, faites-le au plus vite, puis nous rentrerons chez nous illico presto pour nous reposer. Nous avons besoin d’une bonne nuit, dans notre état de fatigue avancée il est inutile que nous nous confrontions immédiatement à nos ennemis.

    Un quart d’heure plus tard nous descendions les escaliers…

    17 (A)

    Non, je me suis pas emmêlé les pinceaux, le chapitre 16 sera interpolé entre le 17 A et le 17 B , nous voici donc au lendemain matin lorsque nous remontons les quinze étages ( parfois dans la relation d’aventures précédentes j’ai indiqué 14 pour déstabiliser, niveau psychologique évidemment, un ennemi qui voudrait lancer une attaque contre les bureaux du SSR), les chiens sur nos talons, nous devisons sereinement sans nous presser. Le Chef s’arrête au niveau du troisième étage pour allumer un Coronado :

             _Agent Chad prenons notre temps, l’intérêt d’une surprise réside non pas dans sa révélation finale, mais dans l’attente, tenez par exemple à cinq ans quand ma grand-mère m’avait offert un tank chenillé pour poursuivre le chat du voisin dans le jardin, mon cœur a palpité comme jamais dans l’attente ultime de l’arrivée du Père Noël et non pas quand j’ai eu ouvert le cadeau. Surtout qu’avec mon véhicule j’ai renversé le sapin et écrasé la poupée de ma petite sœur qu’i a fallu amputer. Mais arrêtons de parler de moi, que pensez-vous que nous allons découvrir ?

    16

             La veille d’un coup d’un désinvolte coup de mouchoir j’avais effacé sur la porte l’inscription :

    1 à 1

    A CHARGE DE REVANCHE !

    Que j’avais remplacée grâce à ma craie rouge par la mention :

    NOUS AVONS ATTENDU

    TOUTE LA JOURNEE

    EN VAIN !

    SVP

    SOYEZ PLUS REACTIFS !

    Je sais que c’est d’un goût douteux, mais dessous j’avais dessiné un gros doigt bien tendu, dans le style des graffitis retrouvés sur les murs de Pompéi.

    17 (B)

             C’était écrit en grosses lettres sanguinolentes :

    VOUS N’AVEZ RIEN PERDU POUR ATTENDRE !

             _ Chef, ce passé composé ne me dit rien qui vaille !

             _ Agent Chad, c’est ce que je redoute, de Borodino comme dirait Napoléon,

    Je pense qu’ils nous ont joué un mauvais tour à leur façon, ouvrez-moi vite la porte du local !

             A première vue rien n’avait bougé. Une première et rapide inspection nous révéla que l’on n’avait touché à rien, ni aux collections de disques, ni aux revues, ni aux ordinateurs. Quelques vérifications nous permirent de vérifier qu’ils n’avaient même pas forcé nos mots de passe.

             _ Apparemment ils n’ont pas profité de leur pouvoir de traverser les murs pour visiter le local, aurions-nous vraiment à faire à des gentlemen. Jusqu’à maintenant à part l’enlèvement de nos chiens qu’ils nous ont rendus et quelques inscriptions sur la porte d’entrée, nous n’avons pas grand-chose, reconnaissons-le, à leur reprocher.

             Hélas le Chef changea rapidement d’avis. Le sourire aux lèvres il avait pris sa place au bureau et instinctivement il plongeait sa main dans le tiroir Coronados. Je me souviendrai toute ma vie de ce cri de bête blessée qui me transperça. Je crus à une attaque d’apoplexie, le visage du Chef s’était figé, sa figure prit l’aspect hideux de la tête de la Gorgonne, je crus entrevoir un entrelacement de vipères et de haine autour de son visage, dans le tiroir sa main s’était refermée sur des débris de cigares, l’on avait méthodiquement écrasé sa réserve de Coronados, ses yeux sortaient de ses orbites, il n’arrivait plus qu’à articuler de vagues sons, je crus entendre :

    • A-O-A-O-A-O-A-O-A-O

    Il répéta ce désordre borborygmiques plus d’une trentaine de fois cette suite de A et de O, je crus que son esprit effondré s’était bloqué, que l’une des intelligences les plus géniales de ce siècle avait splitté,  qu’il ne pouvait plus que répéter sans fin le mot Coronado, mais non j’étais loin du compte, le Chef reprit ses esprits :

             _ Bordel agent Chad, RA-FFA-LOS, RA-FFA-LOS-RA-FFA-LOS, Ra-FFA-LOS !

             Je compris ce qu’il voulait dire : je sortis mon Raffalos et commençai à tirer méthodiquement sur les murs, le Chef ne tarda pas à m’imiter, durant vingt minutes nous criblâmes de balles toutes les parois du local. Les chiens surexcités de tous les côtés aboyaient de toutes leurs forces. Nous arrêtâmes faute de minutions. Un étrange silence remplit la pièce, nous n’entendîmes plus que les lapements des chiens… Ils étaient en train de lécher une longue trainée de sang qui coulait d’un mur.

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 627 : KR'TNT 627 : GENE VINCENT / FOMIES / COLIN ESCOTT / SAM COOMES / RONNIE DYSON / ARCHE / ACROSS THE DIVIDE / BILL CRANE / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 627

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    11 / 01 / 2024

     

    GENE VINCENT / FOMIES / COLIN ESCORT

    SAM COOMES / RONNIE DYSON

    ARCHE / ACROSS THE DIVIDE

    BILL CRANE / ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 627

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

    - Là où il y a du Gene, il y a du plaisir

    (Part Three)

     

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             Avec un tout petit peu d’imagination, on verra la Ford Consul rouler dans la nuit à tombeau ouvert, sur la route de Bath qui longe l’A4, en direction de Chippenham. George Martin est toujours au volant, et, assis à la place du mort, se trouve Patrick Thompkins, le mec de la Fosters, l’agence qui organise la tournée. Serrés comme des sardines sur la banquette arrière, on retrouve bien sûr Gene Vincent, Kim Fowley et Mick Farren. La Ford fonce dans la nuit éternelle.

             Gene boit du Jack au goulot et feuillette un canard.

             — Sont sympas, les cats de Rockabilly Generation ! Font un hors-série sur bibi ! Hey, Kim, z’en ont déjà fait un, non ?

             — T’as raison, c’est le deuxième. Pour un mec qu’a pas de chance, t’es gâté, mon poto.

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             — Attends voir ! Ya Damie Chad qui m’tire un sacré coup d’chapeau, yeah ! Écoutez-ça les mecs : «L’on dit que parfois, un étrange volatile vient se poser sur l’ardoise délavée qui porte son nom. Ce serait l’âme de son frère d’ombre, celle du grand poète Edgar Allan Poe et l’on entend alors une merveilleuse clameur que la brise de la nuit se dépêche de dissoudre... La grande Amérique utilitariste s’est de toujours détournée de ce chant alterné de destins brisés qui mêle l’amertume des sanglots et les brillances des désirs insatisfaits.»

             Un ange passe. Mick rompt le silence :

             — Damie donne du doom.

             — C’est quoi du doom ?

             — Un glacis littéraire ! Damie Chad a pigé qui tu étais, Gene. Il est l’un des rares. Peut-être même le seul. Il t’associe à Edgar Allan Poe et ça, c’est du real deal d’ultra-fan qui te voit dans le cosmos et qui connaît ta musique par cœur. C’est du so far out à travers les genres et les époques, c’est en plein dans le mille de la cyber-structure alluvionnaire, il va cueillir l’exactitude au cœur même de l’infini des connaissances... T’as vraiment une veine de pendu, Gene, Damie te Pym le pion en beauté, il te Raven la façade à l’evermore, il t’Usher au Roderick et rac, à la Madeline de Proust, il t’Ovalise le portrait et t’oblate à l’Oblong, ce qui n’est pas rien, si tu y réfléchis bien...

             — Oh Mick, je pige rien à ton délire de speed-freak. Tu m’courais déjà sur l’haricot avec ton baratin sur Richard III !

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             — Mais c’était pas du baratin, poto ! Quand tu portais du cuir noir et tes gants noirs, avec ton col relevé et ton gros médaillon en or, t’étais la réplique exacte du Richard III qu’incarna Laurence Olivier dans ce cult-movie tourné en 55. Mon hommage vaut bien celui de Damie. T’es un cat trop ultime, Gene. Too far out ! On est obligé de t’associer à des gens comme Poe ou Richard III, parce qu’on ne peut t’associer à rien d’autre.

             Kim éclate de rire :

             — Le Richard III du rock’n’roll ! Coincé dans ce rôle, tu ne pouvais vraiment pas sourire ! T’étais complètement baisé, Gene. Un mauvais garçon ne peut pas être gentil.

             Mick ajoute :

             — Tu collais parfaitement au portrait qu’on a fait de Lord Byron, un mec cinglé, mauvais et dangereux à fréquenter... T’étais un peu Dracula en Harley Davidson !

             — T’as tout faux mon gars ! Jamais eu d’Harley ! J’roulais en Triumph Tiger 500 cm3, celle qu’a Johnny Strabler dans The Wild One.

             — Quand cette bonne femme t’est rentrée dedans avec sa Chrysler, t’es devenu une sorte d’Achille en cuir noir, un demi-dieu trahi par sa condition de mortel.

             — On pourrait pas parler d’aut’ chose que d’ma patte folle ? Et puis vous pouvez bien la ramener tous les deux ! Question bad boys of rock’n’roll, vous êtes pas mal non plus ! Toi Mick avec ta passion pour les amphètes et l’anarchie, et toi Kim, avec tes petites arnaques et tes tonnes d’histoires de cul...

             — On t’arrivera jamais à la cheville, Gene. C’est pour ça qu’on t’admire. Avec Damie Chad, on forme un fan-club de choc.

             — Vous oubliez Jimbo, les mecs. On s’piquait la ruche ensemble au Shamrock, ce rade de Silver Lake, au bout d’Santa Monica Boulevard, à Hollywood. Ce rade est dev’nu ensuite le repaire des punks de L.A. Jimbo me disait qu’y m’devait tout, le cuir noir, la posture au pied de micro ! Tu t’souviens du grand Jimbolaya, Kim ?

             — Yep, mais j’aimais pas trop le voir débouler au studio avec sa faune, quand on enregistrait I’m Back And I’m Proud.

             — Un drôle de plan....

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             — Oui, mais vachement intéressant ! Clive Selwood et John Peel venaient de monter Dandelion Records. Selwood ratissait le secteur de Los Angeles et Peely celui de Londres. Selwood s’est aperçu que t’avais plus de contrat, et comme Peely était l’un de tes plus gros fans en Angleterre, ils t’ont proposé le deal du siècle, et comme ils voulaient le meilleur producteur de la West Coast, ils m’ont contacté. L’idée était de sortir un smash, et d’exploser la rondelle des charts. Quand t’es arrivé au studio, t’avais drôlement changé, tu ne ressemblais plus à un vampire, mais à un moine jovial.

             Mick éclate de rire :

             — Avec un p’tit côté Guy Debord, ce qui n’est pas si mal, au fond, pas vrai Kim ?

             — T’avais pris du poids, poto. Pour te faire honneur, j’avais rassemblé la crème de la crème du gratin dauphinois : Skip Battin des Byrds, toujours en taille basse rouge, Red Rhodes, le roi de la pedal steel, Jim Gordon, qui a battu le beurre sur Pet Sounds, mais aussi derrière Gene Clark et dans Mad Dogs & Englishmen, et puis ton ancien cat des Blue Caps, Johnny Meeks. 

             — Franchement, Kim, j’ai pas du tout aimé ta façon de m’accueillir quand j’me suis pointé au studio. Tu m’as r’gardé du haut de tes deux mètres de grande chipolata et tu m’as dit : «Alors, c’est toi Gene Vincent ?». T’as eu du cul mon pote que j’le prenne pas d’traviole !

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             — C’était pour te faire monter l’adréaline au cerveau, Byron de mes deux ! Je sais que tu m’as pris en grippe. C’était fait pour. 

             — Ah le pire, c’est quand tu m’as interdit d’boire !

             — Ah ouais, tu trimballais ton fucking attaché-case et tes trois bouteilles de Martini. T’étais pathétique. Glink glink. On t’entendait marcher dans la rue avec tes litrons. 

             — Alors tu m’as balancé d’un air mauvais : «Personne ne boit dans ce studio !». T’es un fucking tyran ! T’es pire qu’Hitler ! Personne n’a jamais osé m’parler comme ça ! 

             Kim éclate de rire.

             — Moi si, ma poule !

             Alors Gene se tourne vers Mick et lui dit :

             — Tu sais pas c’qu’il a encore osé m’balancer, à moi, Gene Vincent, cet enfoiré de chipolata ?

             — Vazy...

             — Il m’a fixé dans le blanc des yeux et m’a dit : «Hey toi, tu vas me chier une de tes grosses merdes pour teenagers !». C’est un miracle qu’il soit encore en vie, ce fucking bâtard ! J’ai failli lui balancer un coup de béquille en travers de sa gueule !

             — Plains-toi pas, Gene, il fallait bien planter le décor.

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             — Ah tu parles d’un décor ! Quand j’y r’pense, c’est vrai qu’c’était un bon deal, même avec un cat aussi crazy que toi. J’avais un vrai plan de bataille. C’est moi qu’a choisi l’titre, I’m Back And I’m Proud. Je trouvais que ça sonnait juste. Je voulais faire un disque très commercial, pour rev’nir dans les charts, et montrer que Gene Vincent n’était pas cuit aux patates. J’ai choisi trois cuts que j’aime bien : «Rockin Robin» de Bobby Day, «Sexy Ways» d’Hank Ballard et le «White Lightning» du Big Bopper. Mais avec Kim, on roulait pas à la même vitesse.

             — C’est sûr ! Skip Battin disait que t’étais un fucking perfectionniste, alors que moi, j’aimais bien aller vite. Une prise et au suivant ! Tu prétextais toujours que la première prise n’était pas bonne et tu voulais en faire d’autres.

             — J’en fais en général une vingtaine...

             — C’était hors de question, et tu veux savoir pourquoi ?

             — Vazy dis...

             — Parce que je m’ennuyais à crever T’avais l’air de te complaire dans une variété pathétique. Tu devenais atrocement conventionnel. Comme Elvis. On t’avait limé les crocs. T’avais perdu la niaque de «Bird Doggin’» et de «Woman Love». Je hais le ventre mou du rock américain ! Je te vois encore te trémousser sur ton tabouret quand tu chantais «Rainbow Of Midnight». Des légendes ramollo comme toi, j’en ponds dix chaque matin ! J’avais plus qu’une envie : t’attraper par le colback pour te faire bouffer ta béquille, ton cran d’arrêt et tes trois bouteilles de Martini.

             Mick ajoute, d’une voix sourde :

             — Johnny Meeks a même dit que vous avez tous les deux massacré cet album. Pourquoi t’as pas tapé dans Hank Williams, Gene ?

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             — Mais si, j’ai tapé dans l’Hank ! Ya «No. 9 (Lonesome Whistle)» sur I’m Back, et avant ça, j’avais déjà tapé des sacrément bonnes covers d’«Hey Good Lookin’» et d’«Your Cheatin’ Heart».

             — L’Hank c’est capital, car t’en es l’héritier direct ! Tu sais qu’à l’âge de quatorze ans, l’Hank tournait déjà avec les Drifting Cowboys, et qu’il buvait comme un trou.

             — Ouais, tout l’monde le sait...

             — Puis il est passé à la benzedrine et à l’hydrate de chloral, pour tenir le choc des tournées. Il s’est allumé la tirelire aux amphètes, comme Elvis.

             — Ça c’est ton rayon, Mick ! Mais tout c’que tu rabaches, on l’sait déjà...

             — Voilà où je veux venir : c’est lui, l’Hank, qu’a inventé le mythe romantique de l’auto-destruction systématique, en cassant sa pipe en bois à 29 ans sur la banquette arrière de sa Cadillac bleue, alors qu’il taillait la route pour Canton, Ohio. Bien avant Chucky Chuckah et Moonie, il baisait des mineures et tirait des coups de feu dans des chambres d’hôtel. Le monde de la country fourmillait d’ivrognes, de bagarreurs, et de fouteurs de merde qui ne furent pas excommuniés, mais l’Hank le fut. Tu sais pourquoi ?

             — Parce que c’était en vampire en Harley Davidson ?

             — Pfffff ! Parce qu’il injectait dans sa country du sexe pur, en plus d’une pointe de blues que lui avait transmise Tee-Tot, le mentor black de son enfance. L’Hank préfigurait le rock’n’roll. Au début des fifties, il terrorisait Nashville, mais des gosses comme toi, Gene, et comme Elvis, vous le dévoriez déjà des yeux. Toi et l’Hank vous avez le même look, l’œil hagard et le visage émacié des petits loubards à la dérive. Vous êtes tous les deux parfaitement incapables de gérer vos démons. Alors, vous vous laissez aller, drivés par l’alcool, la dope et le hurlement des guitares électriques.

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             — Dès fois, Mick, je trouve que t’en fais un peu trop. C’est vrai qu’Hank est un crack, mais l’Hank c’est l’Hank, et moi c’est moi. Chais pas pourquoi vous avez tous la manie d’vouloir me rattacher à d’autre zigs ? Pour montrer l’étendue de votre culture ? J’aimerais mieux qu’on m’calcule comme un p’tit mec de Virginie, capable de rocker des salles et d’enregistrer des chouettes 45 tours. Mick, je me souviens d’un passage que t’as écrit sur moi dans ton book, que j’ai bien aimé, comme le passage de Damie Chad, tout à l’heure. J’l’ai tellement bien aimé que j’l’ai appris par cœur, tu sais, c’est ton passage sur le show au London Palladium : «Cette fois, ce sont les Teddy Boys anglais qui par leur présence et la force de leurs acclamations créèrent les conditions d’un concert exceptionnel et purent pendant une demi-heure revivre leur jeunesse enfuie. Les Teds étaient sur leur 31, portant des vestes longues, des pantalons serrés, des creepers à semelles compensées. Ils sifflèrent les Impalas et les Nashville Teens qui jouaient en première partie, puis, quand Gene Vincent arriva sur scène, ils se mirent à hurler et à danser dans les allées, exactement comme en 1959, okay ?» Là, oui, ça m’va bien. C’est nickel-chrome. Ça colle à la réalité.

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             — Ouais, mais attends Gene, t’as raison, mais à côté de ça, tu ne peux pas empêcher les gens de te voir sous un autre angle. En devenant Gene Vincent, t’as pris pied dans c’que j’appelle la tragédie d’essence antique du rock’n’roll. Comprends bien que dans l’univers du rock - et avant ça, dans l’monde du jazz et du blues - y a eu des personnages comme Robert Johnson, Charlie Parker, Johnny Ace, puis des mecs comme Jimbo, Moonie et Sid Vicious, dont la personnalité se situait bien au-delà d’la musique qu’ils jouaient. Certains d’entre-eux furent pleinement acceptés comme étant représentatifs de leur époque et sont devenus les dieux de c’qu’il faut bien appeler des tribus des temps modernes, dont les racines plongent dans la nuit des temps et qui parviennent à s’adapter à notre époque.

             — J’pige rien à ton délire. Franchement, j’entrave que dalle. T’es trop intello pour moi, Mick. Je préfère Kim quand il m’insulte. Là, oui, je pige tout d’suite.

             — Bon d’accord, je vais te le dire autrement : sur le papier, Jimbo semble mille fois plus important, en termes de starisation, que tu ne l’as jamais été. Et pourtant, vos destins vous rendent égaux. Mais c’est toi Gene qui a inventé ce personnage du rocker qui donne tout son sens au rock’n’roll. Sans cet esprit à la fois destroy et romantique, le rock n’est plus qu’une simple musique de danse, comprrrrendo ? Pour te l’dire autrement, ta légende est absolument ir-ré-pro-cha-ble. Ça te va comme ça ?

             — Je l’savais déjà, Mick. Tu vas t’faire une entorse à la cervelle, si tu continues à délirer comme ça. Tiens bois un coup, tu dois avoir la gorge sèche, à force de baratiner.

             — Quand j’t’ai vu pour la première fois sur scène, c’était en 1961, à l’Essoldo de Brighton. T’as changé ma vie. Comme t’as changé celle de David Lynch. Tu sais pourquoi ?

             — Parce qu’il était un vampire en Harley Davidson ?

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             — Non, poto, parce que dans Wild At Heart, il te rend l’hommage définitif : il utilise  «Be-Bop-A-Lula» comme un motif musical et fait monter Sailor et Lula à bord d’une Cadillac El Dorado 1975 décapotable. Sailor porte la veste en peau de serpent que portait ton idole Marlon Brando dans The Fugitive Kind. Avec ce road movie, David Lynch a fait d’toi l’une des grandes icônes du kitsch démoniaque. À l’Essoldo de Brighton, ton col relevé encadrait ton visage cadavérique. T’étais aussi blanc que Dracula et des mèches trempées de sueur s’écroulaient sur son front. Tu levais les yeux vers un point imaginaire, perdu dans la voûte de l’auditorium, comme si tu fixais les anges malveillants qui tournoyaient et qu’on ne pouvait voir.

    Signé : Cazengler, madame sans gêne

    Rockabilly Generation Hors Série # 4 Spécial Gene Vincent - Janvier 2024

    Mick Farren. Gene Vincent: There’s One In Every Town. Do-Not Press 2004

    Gene Vincent. I’m Back And I’m Proud. Dandelion Records 1970

     

     

    L’avenir du rock

     - Travail de Fomies

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             Côté folies, l’avenir du rock en connaît un rayon. C’est même l’un de ses moteurs, il pousserait bien le bouchon jusqu’à s’en couronner l’épitaphe, s’il ne se retenait pas, ces folies qu’il sent rouler en lui comme des fleuves en furie, ces folies qu’il adore comme des déesses antiques, il se jette à leurs pieds, les Bergères et les Méricourt, et puis on le verra encore se prosterner jusqu’à terre devant les érudits aberrés, les stratèges de la science de la patate chaude jadis dénombrés par Charles Nodier, les quadrateurs du cercle et les Christs des oliviers nervaliens, le Raymond-la-science-inexacte de Locus Solus et le plein-chant des Chants de Maldoror d’un Ducasse qui cassa les caciques, les Contes Immoraux du colosse Pétrus pétri de Borel, oh et puis la Lettre À Dieu de l’incompatible Xavier Forneret qu’il faut bien sûr accoupler avec les hennissements d’Artaud le Momo, livré à lui-même avec Pour En Finir Avec le Jugement de Dieu, lors d’une si scélérate radiodiffusion, voilà tout ce qui captive profondément l’avenir du rock, voilà l’ensemble des mille pieuvres dont son crâne s’envahit, jusqu’à la fin des temps, il restera à l’écoute de ce bouillonnement souterrain de l’esprit libre, il jouira d’entendre cette pression mirifique lui battre les tempes, bah-boom, bah-boom, il acclamera encore tous ces antihéros qui surent arracher leurs chaînes et renier toute pudeur et toute mesure, toute espèce de contrainte morale ou esthétique, tout sentiment et tout matérialisme, pour enfin exister à la folie, et il replongera sans fin dans ce festin de destins mirifiques, au nombre desquels il compte l’ineffable Moonie d’au clair de la lune, et bien d’autres fabuleux hétéroclites du rock comme Roky le roquet, Syd Barrett-m’était-conté, Skip on-rolling-Spence, Vince my-Taylor-is-not-rich, et lorsqu’enfin, tel un Des Esseintes épuisé, il atteindra le fond de son filon de folies, l’avenir du rock abandonnera les folies pour passer aux Fomies.

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             Alors t’es là en train de siffler ta mousse au bar et soudain tu entends une explosion. Alors tu files vite fait à la cave voir ce qui se passe. Le groupe s’appelle Fomies. Cinq mecs entassés sur la petite scène, deux qui grattent leurs poux sur des bêtes à cornes, un bassman en plein élan cathartique, un steady beurreman, et derrière, noyé dans l’ombre, un mec claviote comme un damné. Dire que ces mecs sont explosifs, c’est un euphémisme. Ils cultivent une science du décollage qui en impose, ils arrachent littéralement leurs heavy krauty cuts du sol, comme le fit Howard Hughes avec son monstrueux hydravion, c’est exactement le même power, ils jouent vite et fort, mais ils ont en plus des réserves considérables, et leur jeu consiste à faire exploser le cut en plein ciel, ce qu’ils font avec une facilité déconcertante ! C’est à la fois sidérant et complètement réjouissant, leur power a quelque chose de surréaliste, c’est peut-être la première fois qu’on voit un groupe cultiver le meilleur hypno du monde, le Kraut, et soudain déclencher une explosion pour aller crever le ciel, bien sûr ils ne crèvent rien, car il se cognent à la voûte de la petite cave, mais leur élan est pur, et la maigre assistance saute partout. Impossible de résister à leur assaut. Dans un tel moment, tu assistes au twist des planètes. Le rock reprend tout son sens. Il redevient la forme d’art la plus immédiate, celle qui te saute à la gorge. Les Suisses font de l’art moderne exubérant, te voilà happé et happy. 

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             En plus, ces mecs sont d’une modestie parfaite, quand on leur dit qu’ils sont vraiment bons, ils disent merci. De toute évidence, ils savent qu’ils sont bons, mais ils ne la ramènent pas.  Ce sont des Suisses, basés à Vevey, pas très loin de Montreux, et bien sûr, ils écoutent les Osees. C’est la même énergie, et le petit mec au beurre vaut bien les deux batteurs de John Dwyer. Lui et son collègue bassman constituent une fière rythmique, ces rythmiques qu’ont dit invincibles et qui ont fait les beaux jours de Can et d’Hawkwind. Les Suisses tapent exactement au même niveau. Can et Hawkwind nous ont souvent fait sauter en l’air, alors avec Fomies, c’est exactement la même chose. La surprise est de taille.

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    Ils sont en deuxième position sur une prog de trois groupes, et bien sûr, il faut craindre pour la santé mentale du troisième groupe, les Italiens de Giöbia. D’ailleurs, ils sont dans la cave et assistent au carnage. Ils vont devoir redoubler d’efforts pour surpasser le power des Suisses, ce qui paraît bien sûr impossible. Personne ne peut jouer après Fomies. C’est tout de même dingue de tomber sur des groupes parfaitement inconnus qui sont aussi bons.   

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             Alors on fait une razzia au merch. Le bassman précise qu’ils ont joué essentiellement les cuts d’Ominous Prominence, leur dernier album. On espère retrouver les explosions du set. Ils démarrent d’ailleurs leur set avec le «Glass Pyramid» d’ouverture de bal d’Ominous Prominence, un cut travaillé au heavy doom suisse. Crédible. Visité par un solo à l’étranglée. Bardé de bon son. Et boom !, ils embarquent «Lakeside Fever» en mode Kraut. Énorme ! Dans la poche. De vrais diables. Ils développent avec frénésie, c’est exactement ce qu’on a vu sur scène. Belle dégelée de dévolu. C’est à toute épreuve. Plein d’accidents et de redémarrages. Hypno magique. Digne des grandes heures du duc de Dwyer. On retrouve aussi le «See» du set, bien arrosé de heavy riff raff. Ils s’inspirent encore du premier Sabbath, avec un son frais comme un gardon de Birmingham.Ils sont en plein Sab, ils concentrent les explosions pour mieux exploser. Mais ça traîne un peu en longueur et ça se dilapide. Ils renouent avec le génie dans «Barren Mind». Belle ampleur du geste. Ces mecs savent bâtir un petit empire. Ils restent sur la brèche. Puissants et toujours intéressants. Curieux cut que ce «Confusion» attaqué en mode Talking Heads, avec un riff de Stonesy. Ils reprennent la main avec un chant en lousdé. C’est vite torché, avec les Suisses. Et toujours ce beurre du diable. Fin d’album spectaculaire avec «The Eyewall» et «Chermabag», deux des hits du set, cavalés tous les deux à l’haricot du kraut, leur «Eyewall» file ventre à terre en territoire des spoutnicks, c’est brillant, plein comme un œuf, bourré de relances, une véritable aubaine. «Chermabag» repart de plus belle, ils tapent ça upfront, ça défonce les barrages et tu as même un solo de destruction massive dans la matière en fusion. Ils détruisent tout sur leur passage. L’herbe ne repousse pas après le passage de Fomies.

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               L’album précédent s’appelle Sudden Lag. Le morceau titre est l’un des cuts les plus explosif du set de Fomies. On retrouve bien le passage à l’acte dans la version studio. Ça sonne même comme un hit dès l’intro. Pure furia del sol. Les deux bêtes à cornes foutent le feu. Tu ne bats pas Sudden Lag à la course. Ces mecs ont tellement de souffle qu’ils te collent au mur. C’est extraordinairement bon. Les poux tombent à bras raccourcis sur le beat. Quel carnage ! Ils virent hypno Kraut histoire d’endormir la méfiance, tu commences à somnoler, ça gratte des poux dans la pénombre et le bassmatic commence à grignoter le foie du cut, c’est le moment que choisit ce démon du beurre pour relancer, mais il relance comme un porc, avec une animalité terrifiante, alors ça explose dans le ciel ! C’est leur truc. Et ça continue de monter par étapes, avec une sorte d’imparabilité des choses, on assiste sidéré au retour du couplet, ça joue dans l’ass de l’oss et ça monte encore pour exploser. Ils ne vivent que pour ça, l’explosion. Et les poux foutent le feu. Le «Noise Less Noise» d’ouverture de bal est lui aussi fougueux comme pas deux, bien propulsé dans l’orbite du Kraut, le mec bat à la bonne mesure, et à un moment, ils décollent. Ils font du pur Can. Comme Can, ils ont l’énergie du beat. Même chose avec «Foggy Disposition». C’est vite noyé de poux et ça explose. Ils montent leur «Ego Trip» sur un riff tiré du premier album de Sabbath. Fantastique clin d’œil ! Ils font sauter le compteur des distos. Avec «A9», ils filent en plein dans les Osees. C’est merveilleusement bien expédié, ils montent leur frénésie en neige, c’est très spectaculaire, ils vont s’encastrer délibérément dans des platanes à coups de solos transgressifs. Tu ne perds pas ton temps à écouter ces mecs-là.

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             Et puis tiens, cadö ! Oh merci ! Un petit EP. On ne crache pas dessus. Fakie Homie Surfboard. 5 Titres. Quelle belle aubaine, car en 2017, les Suisses étaient déjà dans l’énormité. Leur «Paul» est bien gorgé de gras double, bien dérouillé. Ils tapent encore dans l’excellence du patrimoine gaga sixties avec «Complication». C’est même violemment bon. Ils refont «Farmer John» à la dure. Ils optent pour le wild roll over. Sans doute l’un des meilleurs shoot de gaga d’Europe. Ils te jettent ça en l’air et ça retombe sur ses pattes. Uns merveille ! S’ensuit un «West Ocean Sunday» complètement bousillé du bât flanc, trituré au gras double, on entend les bêtes à cornes, c’est énorme, ils sont agiles et puissants, et le départ en solo vaut tout Johnny Thunders. C’est complètement inexpected. Donc génial. Suite de la fête au village avec «River». Ça taille la route ! Et pour finir, ils t’explosent «Primus», et ça chante à la vie à la mort. Ces mecs sont avec les Monsters les rois du wild Swiss gaga, et même du gaga tout court.

    Signé : Cazengler, Fomironton mirontaine

    Fomies. Le Trois Pièces. Rouen (76). 13 décembre 2023

    Fomies. Fakie Homie Surfboard. 2017

    Fomies. Sudden Lag. Hummus Records 2022

    Fomies. Ominous Prominence. Taxi Gauche Records 2023

     

     

    The Memphis Beat - Escott me, partner !

     

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             S’il est un grand Sunologue devant l’Éternel, c’est bien sûr Colin Escott. Son Good Rockin’ Tonight ressemble étrangement à un passage obligé. C’est en tous les cas l’ouvrage qui permet d’écouter tous les Sun cats en parfaite connaissance de cause. L’Escott les passe tous en revue, un par un, ils sont venus, ils sont tous là, comme dirait Charlot dans «La Mama». Le plus bel hommage est bien sûr celui que rend l’auteur à Sam Phillips, et Peter Guralnick se joint à lui dans la préface pour saluer le génie d’Uncle Sam. Il cite Cowboy Jack Clement : «Si Elvis était une star, alors Sam Phillips était une superstar.» En seulement une décennie, et en tant que one-man operation, Sam a selon Guralnick créé un monde auquel rien ne peut être comparé, the stylistic bedrock not just for rock’n’roll but for much of modern blues as well. Guralnick va loin, car il parle de vision historique, et c’est de cela dont il faut se souvenir. Guralnick re-cite cette phrase de Sam qu’on aime à croiser, lorsqu’il évoque Wolf : «This is where the soul of man never dies», et Guralnick ajoute dans la foulée : this is what Sun records was about. On ne peut espérer plus beau mélange de magie et de légende, ce sont les vraies racines du rock, tout vient de cet homme et des amis. It was in the Sun studio that rock’n’roll was born. L’Escott rappelle aussi que l’instinct de Sam était infaillible : en huit ans, il a découvert B.B. King, Wolf, Ike Turner, Rufus Thomas, Elvis, Johnny Cash, Jerry Lee, Carl Perkins, Charlie Rich, Roy Orbison et beaucoup d’autres. Une fois installé à Memphis, Sam se sentit environné par des gens de talent. Sa seule préoccupation fut de capter le feeling de tous ces gens. L’expertise musicale ne l’intéressait pas. Des professionnels auraient foutu Elvis et Johnny Cash à la porte. Par contre, Sam vit en eux deux diamants bruts. À part Sam, le raw n’intéressait pas les gens du business. Jim Dickinson rappelle que les yeux de Sam brillaient étrangement - You could look into his eyes and see whirling pools of insanity. You knew that he was looking down into your guts - C’est comme ça qu’il observait Wolf. Qu’il observait Elvis. Avec le feu sacré. Dévoré par la passion. Et Dickinson conclut : «Someting happened. That’s what he does that’s magic.» Chez Uncle Sam, tout marchait à l’adrénaline. Un bon chanteur ne l’intéressait pas plus que ça. Il voulait quelque chose de distinctif. Pour lui le plus important était la spontanéité. Quand en 1982, il évoque les techniques modernes et les overdubs, il traite tout ça de bullshit - I don’t go for it - Et il s’investit tellement dans ses artistes qu’il invente même la notion de producteur. Il crée un son à partir d’une atmosphère.

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             Pour évoquer le Memphis Sound, l’Escott cite Willie Mitchell qui avait remarqué qu’à Memphis, les musiciens jouaient légèrement en retard sur le beat - Behind the beat a little bit - Même le Bill Black Combo et Otis Redding, ajoute-t-il. Il y avait un demi-temps de retard sur le beat et il semblait que tout le monde allait se planter, mais ils balançaient pour se remettre sur le beat. Pour Willie Mitchell, on trouve aussi ce behind the beat dans le Memphis blues et chez Al Green.

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             L’Escott passe en revue toute l’équipe des pionniers blacks de Sun, Joe Hill Louis, Jackie Brenston & Ike Turner, Roscoe Gordon et bien sûr Wolf. Sam redit qu’il n’avait jamais vu des pieds aussi grands que ceux de Wolf - And I tell you, the greatest sight you could see today would be Chester Burnett doing one of those sessions in my studio. God what it would be worth to see the fervor in that man’s face when he sang - Sam fait une description apocalyptique de Wolf en studio - When the beat got going in the studio, he would sit there and sing, hypnotizing himself. Wolf was one of those raw people. Dedicated. Natural - Les blackos se passent le mot. B.B. King dit à Ike Turner qu’un blanc enregistre les nègres à Memphis. Sam tente de monter des deals avec Jules et Saul Bihari, puis avec Leonard Chess, mais c’est pas facile de faire des affaires avec des gens qui raisonnent plus en termes de profit qu’en termes de qualité artistique. L’un des premiers modèles de Sam est le «Boogie Chilling» De John Lee Hooker et son vrai premier coup d’éclat est bien sûr «Rocket 88» que dynamite Ike en studio derrière son Wurlitzer. Mais Sam avoue que Phil et Leonard le renard ne sont pas très honnêtes avec lui. Il finit par en avoir marre de se faire rouler la gueule par les frères Chess et les frères Bihari. Alors il monte Sun. Son frère Jud vient faire le promo-man. Little Milton est l’un des premiers à enregistrer sur Sun. Mais Milton est un caméléon, il fait du Fats Domino, du Elmore James, du B.B. King et du Guitar Slim. Ce n’est pas vraiment ce que Sam recherche. Il trouve plus de raw dans la guitare de Pat Hare qui accompagne James Cotton sur «Cotton Crop Blues». L’Escott parle d’un solo of extraordinary violence and passion. Ça date de 1954. Jusqu’à son départ de Memphis en 1954 avec Junior Parker, Pat Hare devint an early Sun trademark as well. Sam parle d’un mismatch of impedence sur son ampli, un Fender amp. Entre l’ampli crevé des Rhythm Kings d’Ike Turner et le mismatch de Pat Hare, Sam se régale.

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             1954, c’est aussi la naissance d’un mythe : Elvis. L’Escott rappelle qu’en 1954, la musique d’Elvis échappait à toutes les normes - How alien his music was - L’Escott s’émerveille encore de «Mystery Train» : il y a seulement trois instruments sur le disk, mais il sonne aussi bien que n’importe quel autre chart-topper. Elvis ne réussira plus jamais à sonner aussi bien qu’au temps de Sam - as fresh, as wild, as loose - Edwin Howard parle de la vie d’Elvis comme d’une tragédie : «Il aurait pu évoluer, étudier et voyager, mais il préférait rester dans le monde de son enfance, en louant des salles de cinéma, des manèges et en badinant avec des poupées. La quarantaine ne lui a pas réussi et le troisième âge aurait été obscène. Sa vie était devenue si lamentable qu’à mes yeux, sa mort l’est moins.» Mais grâce à Sam, Elvis a révolutionné le XXe siècle en donnant vie au rock’n’roll. Roy Orbison se souvient de la première fois qu’il vit Elvis sur scène : «First thing, he came out and spat out a piece of gum onto the stage. He was a punk kid. A weird-looking dude.»  Sam admire aussi le style de Bill Black - It was a slap beat and a tonal beat at one and the same time - C’est important, car il n’y a pas de batterie dans le studio. Sam rajoute de l’écho pour graisser le son. Et sur scène, Bill fait le show, alors que Scotty reste concentré sur sa guitare. Mais en 1955, Sam n’a plus un rond. Il vient de racheter les parts de Jud dans Sun et il se retrouve sur la paille, avec le Colonel qui rôde autour de lui comme une hyène. Sam doit se résoudre à vendre le contrat d’Elvis pour éviter de couler. Il craint surtout les poursuites du Colonel qui est devenu manager d’Elvis, en cas de défaut de paiement des royalties.

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             C’est là que débarque Johnny Cash, un artiste très limité aussi bien côté voix que côté jeu. Mais Sam fait une force de ces faiblesses. Cash ne s’embarrasse pas avec les scrupules. Il propose très vite son «Folsom Prison Blues» qui est un pompage note pour note du «Creshent City Blues» de Gordon Jenkins. Ce que Sam apprécie le plus chez Cash & the Tennessee Two, c’est l’originalité de leur son. Sam lance Cash et puis un jour il entend des rumeurs. Cash aurait signé un pré-accord avec Columbia qui prendrait effet à la fin de son contrat Sun. Sam n’y croit pas. En avril 1958, Sam va chez Cash, il sonne à la porte - Je l’ai fixé dans le blanc des yeux. John, on me dit que tu as signé un accord avec un autre label qui prend effet le jour de l’expiration du contrat Sun. Je veux que tu me répondes d’homme à homme : est-ce que c’est vrai ? J’ai su au moment où il ouvrait la bouche qu’il mentait. C’est la seule putain de fois où Johnny Cash m’a menti, et je savais la vérité ! Ça fait mal ! Ça fait très mal ! - Sam rappelle qu’il a consacré énormément de temps à Cash, et à Carl Perkins qui va lui faire le même coup. Il pense que Cash et Carl étaient jaloux de Jerry Lee auquel Sam consacrait alors énormément de temps et de moyens - Ils étaient tous très jeunes et il y avait énormément de jalousie - Sam avait réussi à faire du son de Cash, Luther Perkins et Marshall Grant le son le plus innovant et le plus original en country music depuis la mort d’Hank Williams. 

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             Sam tente aussi de faire une star d’Harmonica Frank, a modern-day hobo, un one-man band qui chantait d’un côté de sa bouche avec un harmo coincé de l’autre côté de la bouche, et qui s’accompagnait à la guitare. Sam avoue que s’il en avait eu les moyens financiers, il aurait fait de Frank Floyd une institution. Par contre, ça ne marchait pas avec Charlie Feathers. Un mélange de mauvais caractère, de poisse et d’erreurs d’appréciation lui firent prendre le chemin des bars minables, alors qu’il pouvait prétendre au rond du projecteur comme Carl Perkins, Elvis et Cash. Et à force de réécrire l’histoire, nous dit l’Escott, il est finalement devenu une star de la réécriture de l’histoire. L’Escott n’y va pas par quatre chemins ! Et puis se montrer impatient avec Sam n’était peut-être pas la meilleure chose à faire. D’ailleurs Sam dit que Charlie était quelqu’un de difficile - a little difficult to work with - Sam ajoute que Charlie racontait des histoires et qu’il finissait par y croire. À ses yeux, le talent de Charlie était dans la country - the blues feeling he put into a hillbilly song - Il aurait pu être the George Jones of his day. Par contre, Carl Perkins, c’est du pur honky-tonk - But you could never take the country out of Carl Perkins - L’Escott affirme que Carl travaillait dur pour échapper à un destin de fermier. En jouant son honky-tonk avec un blues feel, Carl allait inventer un son hybride qu’on allait appeler le rockabilly. Lui et Elvis étaient les seuls à savoir le faire, en 1954. C’est la femme du Carl qui un jour entend Elvis chanter «Blue Moon Over Kentucky» à la radio, dans la cuisine, et qui s’exclame : «Carl, that sounds just like y’all !» Et quand Sam voit débarquer Carl pour la première fois à Memphis, il voit tout de suite le paysan : «One of the greatest plowhands in the world !» Carl adore chanter bourré. L’Escott souligne que Carl en a un sacré coup dans le nez quand il enregistre «Her Love Rubbed Off». Il va même comparer le style douteux de Carl à celui de Jimmy Reed. Carl est comme Hank Williams, un poète rural, ses racines sont les Tennessee barrooms. L’Escott rapporte aussi des incidents de tournée avec Jerry Lee : dans la loge, il y avait Carl, Warren Smith et Jerry Lee qui parce qu’il venait de sortir l’un de ses big records annonçait qu’il passait en dernier. Alors Clayton Perkins qui sifflait une rasade de whisky et lança à Jerry Lee : «If you’re going on last, we’re gonna fight !» Et puis comme Cash, Carl est secrètement pré-signé par Columbia, alors que son contrat Sun n’a pas encore expiré. Mais comme tous ceux qui ont quitté Sam, Carl ne put jamais renouer avec la magie de ses débuts - We were trying 100 percent and Sam Phillips captured it - L’Escott rappelle aussi qu’aux yeux de gens comme les Beatles, Carl était un vrai héros.

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             Par contre Sam ne sait pas quoi faire de Roy Orbison. Il est obligé de le laisser partir, mais il avoue regretter de ne pas avoir essayé d’en faire un rocker. Sam engage Roland Janes car il voit en lui un allié précieux : un guitariste privé d’ego. Malcolm Yelvington réussit à passer son audition chez Sun grâce à «Drinkin’ Wine Spo-Dee-O-Dee», un vieux coucou qu’il joue en tournée depuis longtemps, mais il est beaucoup trop vieux pour la gloriole. Ray Harris veut lui aussi sa part du gâteau et prend le parti d’être le rockab le plus sauvage d’Amérique. Sam croit que Ray va faire une crise cardiaque en studio, tellement il s’excite. «Come On Little Mama» date de 1956. Les paroles sont incompréhensibles, les musiciens limités, la production douteuse, mais la performance est irrésistible. Du pur jus de Sam. L’autre grand mystère Sun, c’est Billy Lee Riley, que Sam cantonna dans le rôle de house-band member avec Roland Janes et J.M. Eaton. L’Escott ajoute que Riley avait l’un des hottest working bands in the mid-South. Sam : «Riley was just a damn good rocker, but man he was so damn weird in many ways.» Sam dit que Riley l’intéressait, mais ce n’était pas facile de travailler avec lui. Quand il buvait un coup, il devenait quelqu’un d’autre - I was disapointed we never broke him into the big time. His band was just a rockin’ mother ! - Le vrai problème c’est que Billy Lee Riley n’a pas de style personnel. C’est un caméléon, comme Little Milton, doté d’un talent indéniable mais qui manque de direction. Il commence par faire le hillbilly singer, puis il veut faire le Little Richard blanc, puis des instros, du blues, des Whiskey-a-Go-Go albums, de la country soul, et donc tout et n’importe quoi. Warren Smith n’a pas non plus décroché le jackpot. Il a le look et la volonté de réussir, mais ça ne suffit pas. Il arrive malheureusement au moment où Sam met le paquet sur Jerry Lee. Warren le vit si mal que dès qu’il tombe sur un disk de Jerry Lee, il le casse en mille morceaux.

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             Alors justement, Jerry Lee. Sam et lui étaient destinés à grimper au sommet ensemble - And together they defined all that is best in rock’n’roll - On croyait avoir atteint des sommets avec Carl Perkins et Elvis. Eh bien non, c’est avec Jerry Lee que tout explose. Quand Jerry Lee cite les stylistes, il déclare : «Al Jolson is Number One. Jimmie Rogers is Number Two. Number Three is Hank Williams. And Number Four is Jerry Lee Lewis.» Quand Jerry Lee débarque pour la première fois à Memphis avec son père Elmo qui a vendu treize douzaines d’œufs pour financer le voyage, Sam est en déplacement. C’est donc Jack Clement qui reçoit un Jerry Lee qui prétend jouer du piano comme Chet Atkins. Jack le voit jouer et en effet, c’est très impressionnant. Il enregistre une bande pour la faire écouter à Sam. Quand de retour à Memphis Sam écoute la bande, il entend quelque chose de spirituel dans le son. Il dit à Jack : «Va me chercher ce mec immédiatement !» Lorsque le scandale du mariage de Jerry Lee avec Myra éclate en Angleterre, Sam prend sa défense. Il est outré par la violence de l’acharnement médiatique. Roland Janes affirme que Jerry Lee veillait à montrer que le scandale ne l’affectait pas : «He’s a very deep person. He could be hurting and never let it show.» Pour Roland Janes, Jerry Lee est un homme extrêmement honnête qui pensait que les gens s’intéressaient surtout à sa musique, et non à sa vie privée. Erreur fatale qui va presque lui coûter sa carrière. Mais même si Jerry Lee se sent trahi, mais il sait garder la tête haute. Roland Janes ajoute qu’il aimait Jerry Lee comme un frère. Il était son guitariste en tournée, ne l’oublions pas. Il conclut qu’il ne trouve personne qu’on puisse comparer à Jerry Lee, et là-dessus, on est tous bien d’accord avec lui - I don’t think even he knows how great he is.

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             Sam reprend son bâton de pèlerin pour saluer Charlie Rich : «I don’t think I ever recorded anyone who was better as a singer, writer and player than Charlie Rich. It is all so effortless, the way he moves from rock to country to blues to jazz.» La saga Sun se termine en 1962 avec Frank Frost, le dernier grand artiste de blues enregistré à Memphis. Un DJ de Nashville affirme que l’album de Frost est le meilleur album de blues qu’il ait entendu, mais c’est un désastre commercial. Dernier spasme de Sun avec les Jesters et «Cadillac Man». Grosse équipe : Dickinson, Teddy Paige, et Jerry, le fils cadet de Sam.

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             Et puis voilà, Sam en a marre, il vend Sun à Shelby Singleton qui maintient Sun en vie au long des années soixante-dix, avec des gens comme Sleepy LaBeef qui arrive vingt ans trop tard. Et Jimmy Ellis, plus connu sous le nom d’Orion Eckey Darnell et que l’Escott étripe - His style began and ended with affectation - Après avoir vendu Sun, Sam reste un peu dans le business, mais pas trop. Il manage des stations de radio et gère son portefeuille d’actions. Il se dit intéressé à produire Bob Dylan et aide Knox et Jerry à produire John Prine en 1978. C’est là que Dickinson raconte l’anecdote du projet qu’il monte avec Knox et B.B. King. Knox demande à son père s’il veut bien assister à la session d’enregistrement de B.B. King et Sam refuse. No. Knox veut savoir pourquoi il refuse. Et Sam répond : «Tu ne peux pas aller voir Picasso et lui demander de peindre une petite toile vite fait.» Dickinson dit que sa réponse peut paraître présomptueuse, mais c’est la façon dont il voit les choses. Une fois qu’on sort d’une aventure créative, il est difficile d’y revenir - Everything in recording is input and output and when you lose that signal flow, you never get it back - Rien de plus vrai.

    Signé : Cazengler, Escocott minute

    Colin Escott & Martin Hawkins. Good Rockin’ Tonight. St. Martin’s Press 1991

     

     

    Sam Coomes is coming

     - Part Two

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             Il serait bon d’installer Sam Coomes sur le trône d’American Popland. Hélas, deux rois se partagent déjà le royaume d’American Popland : Robert Pollard et Frank Black. Sam le sait, il est condamné aux ténèbres de l’undergound, mais comme il dispose des lumières d’un esprit bien tourné, il fait contre mauvaise fortune bon cœur.

             Il assoit sa réputation sur une ribambelle d’excellents albums, ceux de Quasi qu’on ne cesse de recommander à tout va. Quasi est un duo basé à Portland dans l’Oregon. Aux côtés de Sam Coomes, on retrouve Janet Weiss, qui bat aussi le beurre dans Sleater-Kinney. Le déroulé d’albums qui suit va montrer à quel point ce duo constitue l’une des forces vives de la nation américaine.

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             Qui aurait acheté leur premier album, le mystérieux R&B Transmogrification paru en 1997 ? Pas grand monde. Spin a dû faire le buzz, à l’époque. Très vite, Sam Coomes impose un style unique, un mélange de libertarisme littéraire et de libéralisme mélodique. «Ghost Vs Vampire» relève du pur génie. Pourquoi ? Parce que c’est un cut digne des Beach Boys et hanté par des renvois d’accords qui évoquent l’âge d’or du Teenage Fanclub, c’est-à-dire Bandwagonesque. Sam précise que le fantôme n’est pas le rival du vampire - It’s not mine to choose if I win or lose/ But he who last laughs the loudest - C’est à celui qui rira le plus fort ! L’autre coup de génie s’appelle «Chocolate Rabbit», perdu au fond de la B et claqué aux accords du Teenage. Voilà encore une extraordinaire shoote d’ambivalence prévalente, ou de prévalence ambivalente, c’est la même chose - On Easter I got a rabbit/ The biggest I ever saw - Il lui croque la tête et trouve le chocolat du lapin de Pâques dégueulasse. Oh mais ce n’est pas fini ! Sam met en place avec cet album sa principale obsession : la mort. Si on retourne la pochette, on voit le dessin d’un piano-cercueil. Ça tombe bien, car il chante «My Coffin», une chanson lancinante dans laquelle il raconte nonchalamment qu’il construit le cercueil dans lequel on l’enterrera un beau jour, et il espère, dans pas longtemps - One day I shall die & I should hope it won’t be long - Dès «Ghost Dreaming» qui ouvre ce bal de vampires, Sam crée les conditions de l’étrangeté maximaliste. Il chante d’une voix de pinson argentique et implante le weird dans le ness latéral, créant ainsi la weirdness latérale. On a là du pur dada montagneux. Dans «The Ballad Of The Mechanical Man», il rappelle que soon, on sera tous morts, et cette idée le détend - Soon we’ll be all dead/ It makes me feel so comfortable - Il relativise même ses relations sentimentales, comme on le voit dans «In The First Place». Sur le mode d’un balladif traîne-savate extraordinairement décadent, Sam explique qu’au début, il croyait qu’elle lui appartenait, il croyait même que cette possession était réelle, mais au fond, si on y réfléchit bien, ce genre de chose n’a strictement aucune importance - But now it’s no big deal/ It doesn’t matter - Puis on entend Janet pulser le beat dans l’énorme «Two Faced». En B, Sam rappelle dans «When I’m Dead» que quand il sera mort, vous serez tous en vie, debout dans le funeral home, à vous demander ce que vous allez faire de ce dead body. Fantastique poète morbide ! Sam pourrait bien être le Maurice Rollinat du royaume de Popland.

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             L’année suivante sort Featuring Birds. C’est encore un disque bourré de coups de génie du calibre d’«I Never Want To See You Again». Sam s’y envole. On se croirait dans le White Album des Beatles - We purshase pleasure/ Pay for it with hurt/ And we rarely get our money’s worth - On se ruine à s’acheter du plaisir et c’est souvent pour des prunes, comme dirait Gide. Et ça continue avec «The Poisoned Well», ou il raconte qu’on a le choix entre deux solutions : soit mourir de soif, soit boire l’eau du puits empoisonné. Il en profite pour lâcher une petite confidence - You don’t live long but you may write the perfect song - Voilà sa deuxième obsession, après la mort : écrire la chanson parfaite. Avec «Our Happiness Is Guaranteed», Sam chante l’absurdité de son temps - Fed by TV, we rarely need to sleep - et il rappelle que le bonheur de l’Américain moyen est garanti et que les rêves ne servent à rien. Il fait avec «Sea Shanty» une fantastique dérive musicologique - You and I go drifting by the abandonned vessel of the everyday - Il décrit sa vie quotidienne comme une errance à bord d’un vaisseau abandonné. On tombe en B sur un chef-d’œuvre de désespoir latent, «You Fucked Yourself», joué sur une valse à deux temps. C’est dégoulinant d’auto-dérision - You changed your mind when it’s too late/ Self deceit is your worst mistake - Oui, il ne fallait pas changer d’avis, il était trop tard de toute façon, et te mentir à toi-même est la pire des erreurs. Il tape encore dans le registre de l’inutilité des choses avec «I Give Up» - It’s gone so wrong/ So long - Il arrête les frais. On prend ensuite «Repetition» en pleine poire, Janet et Sam duettent et ça se fond dans le lagon d’argent. Ils chantent sur un heavy groove désespérément beau - Tell me now/ What’s the use of a brain - C’est gorgé de son jusqu’à l’oss de l’ass, Sam et Janet pondent là une sorte d’apoplexie musicologique digne d’un Brian Wilson qui serait l’enfant caché d’Oscar Wilde et de la fée Morgane. Une façon comme une autre de dire qu’il s’agit d’un disk magick.

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             Field Studies est un album à trois faces, comme l’immortel Second Winter. Il s’y niche une petite merveille intitulée «The Stars You Left Behind». On croit entendre le Mercury Rev de Deserter’s Songs, the sound of the Catskill Montains, noyé dans des brumes d’harmonies somptueuses - Far away from everything/ Far away from everywhere/ No one hears you sing - Tiens, encore une Beautiful Song avec «The Golden Egg» où il explique que ses chansons n’ont absolument aucun sens - Don’t believe a word I sing/ Because it’s only a song and it don’t mean a thing - On trouve en B l’«Under A Cloud» franchement digne des Beatles, et d’une grande fraîcheur de ton. Avec «Bon Voyage», il chante une ode à la dérive des continents. Même quand il joue la carte du bastringue, comme c’est le cas avec «Birds», Sam garde l’œil rivé sur la mélodie. Et on se régalera de cette fable intitulée «A Fable With No Moral», dans laquelle il veut vendre son âme au diable pour avoir de quoi payer son loyer. Mais le diable n’envoie pas le chèque. Alors il décide d’aller vendre son âme dans la rue avec un écriteau. Soudain, le diable arrive au volant d’une Land Rover et dit à Sam que ce n’est pas à lui de vendre son âme. 

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             Paru en 2003, Hot Shit est certainement l’album de Quasi le plus connu. Ça démarre en fanfare avec le morceau titre qui encore une fois a tous les atours d’un coup de génie. Sam amène ça au slinging du Delta et Janet rentre dans le chou du cut en mode powerhouse weisspasienne. Ça donne un cut d’étrangement délicieux - Hot shit on a silver platter - On y assiste à une fantastique déglingue orchestrale ! Et ça continue dans une veine plus décadente avec un «Seven Years Gone» qui sonne comme un hit dès la première mesure. Une fois encore, Sam y crée un monde. Janet et lui se tapent ensuite une belle tranche de rock’n’roll avec «Good Time Rock’n’roll» - You got your crocodile boots/ I got my John The Conqueror root - Ils swinguent avec autant de classe que Chuck Prophet, et c’est pas peu dire ! Ils enchaînent avec «Master & Dog», une comptine d’une finesse remarquable, et qui bascule sans prévenir dans l’heavy fried-drenched psych à la Blue Cheer. Bam Bam, on entend même passer les éléphants de Scipion. Et pour finir le balda, voici «Drunken Tears» qui sonne comme le hit dont rêve Sam - So what if you’re not the genius/ You always thought you were - Il prend assez de distance avec son génie pour le tourner en dérision, et ça, les amis, ça vaut tout l’or du monde. Par contre, la B est complètement insignifiante.

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             Une joli petit coup de génie se cache sur l’album jaune intitulé When The Going Gets Dark : c’est le morceau titre, qui sonne comme un fantastique shoot de chanson à boire across the milky way. Sam le chante à la revoyure tarabiscopique. Il est vraiment le seul à pouvoir se permettre ce genre d’exhalaison. L’aut’hot hit de l’album se trouve au bout de la B des cochons : «Death Culture Blues». Sam et Janet cassent bien leur baraque. Sam joue comme un fou de Dieu - I’ve done my time/ I took my bath/ I’m back on track down the shining path - Et ça rime, en prime. On retrouve sa fameuse obsession morbide dès l’«Alice The Goon» d’ouverture de balda - Pull the plug/ Watch him die - Sam n’en finit plus d’étendre son empire sur la poésie avec des trucs du genre Sailing to the moon with Alice the Goon/ I’m Popeye the sailor man/ I live in a garbage can - Il est vraiment le Poe du rock (Hello Damie). On fait difficilement mieux en matière d’inventivité poétique. Avec «The Rhino», Sam va chercher l’insoutenable légèreté du hêtre. Il n’hésite pas non pas à taper dans le heavy groove hendrixien pour «Peace And Love», histoire de bien installer un texte terriblement désabusé. En B, on retombe sur le parallélisme avec Mercury Rev, grâce à «Poverty Sucks». Sam insinue même que ce n’est pas un péché que d’être pauvre.

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             American Gong pourrait bien être l’un des meilleurs albums du duo, ne serait-ce que pour «Repulsion» qui ouvre le balda. Oui, car voilà un hit pop bien battu en brèche, et Sam fait de la haute voltige sur le manche de sa guitare. Mine de rien, il bat tous les records. Il enchaîne avec un nouveau coup de génie intitulé «Little White Horse», qui raconte l’histoire d’un mec ordinaire, mais c’est délicieusement sur-orchestré. Il va de coup de maître en coup de maître avec «Everything & Nothing At All» puis «Bye Bye Blackbird» qui au premier abord se présente comme un hommage aux Beatles du White Album, mais Sam le pousse à un niveau purement exutoire. Il tire le rock de sa pop dans une vraie dimension poétique, et va puiser dans sa mélancolie des ressources insoupçonnables. Sam Coomes est un artiste ahurissant. Chaque fois, c’est un peu comme s’il divinisait sa parole - Bye bye blackbird/ Days are getting cold - Il swingue sa langue à outrance - Bye bye blackbird/ Fly into the sun - et à la fin, lorsqu’il arrive à l’article de la mort, il réclame la fameuse blanket of light, c’est-à-dire le linceul de lumière. Il se prépare à explorer l’au-delà dans «Death Is Not The End» - You’re off the hook/ But not for good - et se glisse dans la peau d’un suicidaire pour écrire les paroles de sa chanson - Everyday you cry like a child/ After a while you just get used to it - C’est tellement criant de vérité ! Et il met une mélodie chant superbe au service d’un texte épouvantablement explicite. Encore du texte de rêve dans un «Rockabilly Party» bardé de clameurs, joué au heavy riff et au mid-tempo dévastateur, avec un Humpty Dumpy assis on a fence, or on a wall as I recall/ It still don’t make no sense - Comme d’habitude, Sam ne parvient pas à donner du sens à sa vie. Il termine cet album fantasmagorique avec un clin d’œil aux Cajuns intitulé «Laissez les Bons Temps Rouler», mélodique en diable et donc parfait. Il revient en permanence sur l’à-quoi-bon, sur le lay the burden down pour renaître in le centre du soleil qu’il prononce en Français, évidemment.

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             Sam se lance en 2013 dans l’aventure risquée du double album avec Mole City. On ne peut pas dire que ce soit un album déterminant, ce serait exagérer. Par contre, tous les Dadaïstes sont unanimes pour se régaler du plantureux «Headshrinker» qu’on trouve en B. Oui car voilà du pur Dada sound - I think I must be blind/ Cause I never saw a word you said - Il pense qu’il est aveugle car il n’a jamais vu un seul des mots qu’elle prononce, et il ajoute que ce n’est pas compliqué de voir la lumière si c’est ce qu’on décide de faire. Voilà un chef-d’œuvre d’absurdité littéraire parfait et monté sur un tempo intriguant digne des pas de danse de Jean Arp au doux cacadou du Cabaret Voltaire, celui de Munich, évidemment. Avec «You Can Stay But You Gotta Go», Sam s’interroge encore une fois sur le sens de la vie, et constate la profonde vanité des choses - What it’s all about ?/ Haven’t got a clue - Quel sens ça peut avoir, il n’en a pas la moindre idée. On retrouve son goût pour la dérive surannée dans «See You On Mars» - I’m sailing on a slowboat to China/ Why should I care - On se croirait du côté de chez Swan. En B, on tombe sur un fantastique «Fat Fanny Land» joliment clap-handé - With her black leather boots & her Kevlar riot gear - et ça se termine comme d’habitude avec du game over. Sam renoue avec le grand art pour «Nostalgia Kills», un modèle de heavy rock américain, celui qui emporte la bouche et tous les suffrages de Suffragette City. On se croirait presque dans la démesure d’«Helter Skelter» et ce n’est pas peu dire ! En C, on tombe sur l’excellent «The Goat» joué au gras insistant et avec une aisance toujours aussi insupportable. Ce mec modélise son son comme J. Mascis, mais avec une approche plus plastique à la Rodin - I’ll be the goat any time you need it baby - Il se livre avec «Gnot» à un nouvel exercice de style à la Henri Michaux - I lead my life like it’s out on lean/ I guess my mind got a mind of its own - Il faut aller jusqu’à la dernière face, car c’est là que se niche l’effarant «New Western Way» dans lequel Sam prône le drop-out, c’est-à-dire fuir ce monde pourri des Mickey Mouse et autres gadgets des temps modernes pour retrouver les ciels et Raging Bull. C’est extrêmement littéraire, fabuleusement bien écrit et d’une justesse qui laisse rêveur.

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             Et puis voilà-t-y pas que Sam se fend d’un album solo, histoire d’ouvrir la brèche à de nouvelles fringales. L’album s’appelle Bugger Me et s’accompagne d’une beau douze pages, prétexte à déraison fictionnelle. Souvenons-nous d’une chose : Sam est un organiste, donc nous avons un album d’orgue et de strombolis electro, mais, car il y a un mais, la mélodie qui reste son arme fatale finit toujours par dominer la situation, et c’est exactement ce qui se passe dans «Stride On», l’étrangement beau cut d’ouverture de bal des Laze : envoûtement garanti. C’est même fabuleusement underground. On n’en attendait pas moins d’un loustic aussi éthique. Avec «Tough Times In Plastic Land», Sam passe au pur jus de tiptop Dada et tintinnabule sous la pleine lune au long de la rue de la Lune. You can’t argue with a crocodile, nous dit-il et il ajoute plus loin Ghost rider & Doctor Strange/ Hanging out on the astral plane - Voici donc le décor planté. Sam bâti un bel univers d’orgue. Il rebondit sur le dos du Dada Leg System. En B, on retrouve avec «Cruisin’ Thru» un faux air d’orge de barbarie, mais avec un objectif, comme dirait Bourdieu : la mélodie. Il se plaît à envoûter l’imprudent voyageur - Chuck out the old/ Suck in the new/ A stranger in my old town - Avec «Fordana», il épouse le galbe de la beauté antique et se répand à la surface du monde.  

    Signé : Cazengler, coomique troupier

    Quasi. R&B Transmogrification. Up Records 1997

    Quasi. Featuring Birds. Up Records 1998

    Quasi. Field Studies. Up Records 1999

    Quasi. Hot Shit. Touch And Go 2003

    Quasi. When The Going Gets Dark. Touch And Go 2006

    Quasi. American Gong. Kill Rock Stars 2010

    Quasi. Mole City. Kill Rock Stars 2013

    Sam Coomes. Bugger Me. Domino 2016

     

     

    Inside the goldmine

     - Dyson ardent

             Parce qu’il s’appelait Bison, on le surnommait Bison Futé. Mais en réalité, il n’était pas très futé. Pas fute-fute, comme on dit familièrement. N’importe qui à sa place aurait mal vécu d’être aussi mal surnommé. Bison l’acceptait plutôt bien, sans doute parce qu’il n’était pas très futé, donc moins susceptible que les gens qui se croient intelligents et qui ne le sont pas. L’avantage qu’avait Bison sur tous les cons, c’est qu’il n’avait aucune distance par rapport à lui-même : il se vivait en direct, d’homme à homme, pourrait-on dire. Il n’était pas du genre à s’observer dans un miroir et à ajuster des petites mèches noires. À sa façon, Bison avait compris un truc essentiel : ne jamais tourner autour du pot, c’est-à-dire son nombril, ce qui permet bien entendu de foncer. Alors Bison a toujours foncé. Chez lui, c’est génétique. Ce qui lui a permis de commettre quelques erreurs, qui sont, comme chacun sait, les clés de la connaissance. Bison a toujours fonctionné à l’instinct, il n’a jamais cultivé aucune idée de sa valeur, ça ne pouvait d’ailleurs pas lui traverser l’esprit. Bison sortait de chez lui, c’est-à-dire de sa tête, pour s’intéresser aux autres, mais à sa façon, très sommaire, très basique. Il créait ainsi des équilibres qui lui permettaient de vivre en paix avec les autres. Il devenait une sorte d’anti-Sartre, un surnom qui l’aurait bien fait marrer. De toute façon, il rigolait facilement : Bison futé ou anti-Sartre, c’est du pareil au même. Rencontrer Bison dans la rue et aller boire un café ou une mousse avec lui était chaque fois l’occasion de passer un moment paisible, pour ne pas dire agréable. Oh pas un moment de grâce, n’exagérons tout de même pas, mais on aurait échangé dix autres rencontres contre celle-ci. Le pur simplisme de son propos dessinait le cadre de la conversation et rien n’était plus jouissif que de veiller à ne pas le briser. Bison établissait à sa manière une sorte d’espace intermédiaire dans lequel il faisait bon fondre son propos, son temps, enfin tout ce qu’on peut offrir en de telles circonstances. On y goûtait cette plénitude qu’on ressent parfois, lorsqu’on contemple le ciel et que le temps s’arrête.

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             Pas de danger que surnomme Ronnie Dyson ‘Dyson Futé’. Dyson ardent lui va comme un gant. C’est sur Ready Or Not (Thom Bell Philly Soul Arrangements & Productions 1965-1978), la belle compile Kent consacrée à Thom Bell, qu’on a croisé la piste de Ronnie Dyson. Quand tu entends la voix du Dyson ardent, tu pars immédiatement à sa découverte. Il fit ses débuts dans Hair à Broadway. Son premier album parut sur Columbia, produit bien sûr par Thom Bell. Ce petit Soul Brother offre un rare mélange d’ingénuité et de maturité. 

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             Ingénu, comme le montre le portrait qui orne la pochette d’(If You let Me Make Love To You Then) Why Can’t I Touch You. Il a ce qu’on appelle un regard dévorant, ses deux grands yeux noirs plongent en toi. Il attaque son fantastique festin de Soul avec «I Don’t Wanna Cry». Il jette ses bras vers le ciel et s’impose comme un petit géant. Sa première cover est celle d’un cut de Laura Nyro «Emmie». Il en fait une belle tarte à la crème. Avec «I Just Can’t Help Believin’», il sert une grosse tranche palpitante de Soul des jours heureux. Quel tempérament ! Il chante d’une voix extrêmement colorée. Il peut monter très haut, comme le montre «She’s Gone». Ronnie Dyson est un fabuleux interprète. Il tape ensuite une cover de «Band Of Gold», un hit de Freda Payne signé Holland/Dozier/Holland. C’est plein d’allure et d’allant, plein d’all along the bay d’Along. Il boucle ce vaillant petit album avec une autre cover, celle du big «Bridge Over Toubled Water», idéal pour un brillant Soul Brother en herbe. Il en fait du gospel. C’est assez dément ! Soul on sailor ! Il mène bien sa barcasse.

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             C’est bien sûr Thom Bell qui produit One Man Band, un Columbia paru en 1973. Et là, wow !, oui, wow dès la pochette avec ce portrait du Dyson ardent à peine sortie de l’adolescence, et la fascination qu’il exerce s’accroît encore avec le morceau titre d’ouverture de balda, une pièce de Soul bien sentie, très orchestrée, qu’il chante à pleins poumons. Le Dyson ardent tape une Soul de bon aloi, pas très éloignée de Broadway. On sent la patte de Bell, le Gershwin black. Cette Soul est même un petit peu trop orchestrée, comme le fut celle de Brook Benton. En B, il tape une belle reprise du «Something» de George Harrison. On admire la fabuleuse attaque du Dyson ardent et les orchestrations du mentor Bell. Le Dyson ardent chante à la folie éperdue de la Soul. Il termine avec «The Love Of A Woman», un cut de fantastique allure embarqué aux percus, à la fois puissant et d’une élégance stupéfiante, un vrai coup de génie, le Dyson ardent chante tout ce qu’il peut, à la furie enchanteresse.  

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             Les deux meilleurs albums du Dyson ardent sont sans conteste The More You Do It et Love In All Flavors. Ils sont aussi énormes et aussi indispensables l’un que l’autre. The More You Do It grouille de pépites, tiens comme ce «Won’t You Come Stay With Me» planqué au bout de la B, un énorme groove signé Charles Jackson. Le Dyson ardent est un fabuleux Soul Brother, il expurge la pulpe du jus, ou le jus de la pulpe, c’est comme on veut. Fascinant Soul Brother. Comme il est ardent, il redouble d’intensité. Il attaque son balda avec l’«A Song For You» de Tonton Leon. Il chante ça à la prescience divine, celle qui ne pardonne pas. Il creuse sa Soul avec insistance. Le Dyson ardent chante d’une voix perçante et les compos de Charles Chuck Jackson & Marvin Yancy sont épatantes. Ce Jackson-là n’a rien à voir avec le grand Chuck Jackson. Charles Chuck Jackson est aussi le lead singer des Independants sur lesquels nous reviendrons dès que possible. Fantastique shoot de Soul des jours heureux avec «The More You Do It (The More I Like It)». C’est littéralement saturé de soleil et de Soul, il balance une Soul présente, étincelante, il chante au perçant pur avec une énergie de tous les diables. Il finit son balda avec un groove de 6 minutes, «You Set My Spirit Free», groove puissant et bien tempéré, nourri par des chœurs de filles délurées. Quelle virée ! Quel incroyable power ! De l’autre côté, «You And Me» sonne comme du Stevie Wonder, yeah yeah yeah, c’est du roule ma poule de première catégorie, une fast pop de Soul écarlate. Il tartine encore «Love Won’t Let Me Wait» dans le haut du panier, il se veut profondément intense, aux frontières du round midnite. Il sait aussi poser un yeah, comme on le voit faire dans «Lovin’ Feelin’». Il sonne comme un vétéran de toutes les guerres. Ronnie forever !

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             La pochette de Love In All Flavors est un peu bizarre : le visage de Ronnie Dyson est mal éclairé, alors sous son chapeau blanc, il est tout noir. Des petites putes noires se pressent autour de lui. Elles ont raison, car le Dyson est plus ardent que jamais. Boom dès «Ain’t Nothing Wrong». Il se couronne empereur du Groove à la cathédrale de Reims, il lève autour de lui des masses de chœurs chaleureux, sa Soul se fond dans la clameur de la Chandeleur. Il en fait une merveille suspensive, c’est probablement le groove de tes rêves inavouables, là tu entres dans l’artistry pure du Black Power. À sa façon, il survole toute l’histoire de la Soul avec une grandeur d’âme extraordinaire. Le Dyson ardent est un conquérant, aucune Asie Mineure ne saurait lui résister, surtout pas la tienne. Il dégouline de présence impériale. Encore un groove de qualité infiniment supérieure avec «Don’t Be Afraid». On peut même parler de qualité épouvantablement supérieure. Il y va au dur comme fer, il a le génie Soul chevillé au corps. Dommage qu’il soit passé à la diskö un peu plus tard. Il règne encore sur la Soul éternelle avec «I Just Want To Be There». Puis il attaque sa B avec le «Sara Smile» d’Hall & Oates, il s’enfonce dans ce délicieux dédale d’heavy Soul, il est mordant et présent à la fois, il chante sa Sara à tue tête, il devient un seigneur des annales de la Soul. C’mon ! Avec «Just As You Are», il est plus propulsif, le bassmatic va et vient entre ses reins, c’est définitivement énorme. Tout ce qu’il fait relève de la fantasmatique énormité catégorielle. «I Can’t Believe That» sonne comme la Soul d’un vrai héros. Il est magnifique et son album n’en finit plus de stupéfier. Il reprend la barre du groove avec «You’re Number One» et derrière les filles deviennent complètement folles, ah il faut voir ce lupanar ! Ronnie Dyon reste le seul maître à bord, il te drive ça d’une poigne de fer, il est l’un des grands drivers de son temps. Oui, il faut écouter «You’re Number One», Ronnie te groove ça dans le bas des reins, il te fond dans son beurre, il est ardent jusqu’au bout des ongles.  

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             Paru en 1979, If The Shoe Fits est un album résolument diskö. On sauve «Couples Only», la diskö des jours heureux, et le good time de «Long Distance Lover», car cet excellent chanteur qu’est le Dyson ardent dispose d’un timbre très précis, très oblitérant.

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             On reste dans le diskö avec Phase 2. Sur la pochette, Ronnie garde sa bouille d’enfant. Il chante d’une voix colorée et bien mûre. Il attaque sa B avec «Expressway To Your Heart», un petit shoot de diskö funk gentillet. Ronnie Tysonne bien son beat. C’est excellent. On sauve aussi «Foreplay», un petit soft groove. Ronnie propose une belle Soul de my my my. Il tient tête.

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             Son dernier album s’appelle Brand New Day, un Cotillon de 1983, beaucoup trop diskö pour les gueules à fuel, mais on se régale néanmoins d’«I Need Just A Little More», monté sur un beat sec comme un olivier. Fantastique ardeur ardente. Ah quel dommage que tout l’album ne soit pas de ce niveau. Il termine avec «You Better Be Fierce». Il tente sa chance et sa tentative est belle. Il s’agit de Ronnie Dyson, after all.

    Signé : Cazengler, Ronnie Bidon

    Ronnie Dyson. (If You let Me Make Love To You Then) Why Can’t I Touch You. Columbia 1970

    Ronnie Dyson. One Man Band. Columbia 1973   

    Ronnie Dyson. The More You Do It. Columbia 1976

    Ronnie Dyson. Love In All Flavors. Columbia 1977

    Ronnie Dyson. If The Shoe Fits. Columbia 1979  

    Ronnie Dyson. Phase 2. Cotillon 182

    Ronnie Dyson. Brand New Day. Cotillon1983

     

    *

    En voiture Simone, c’est reparti, première chronique rock de l’année, KR’TNT ! va encore rouler sa bosse. Pardon son Bossi. Car oui il s’appelle Simone Bossi. Non il n’a pas enregistré un disque mais une de ses photos m’a arraché l’œil. Le frontal, celui qui voit plus profond que les couleurs superficielles du monde.

    Remarquez ce n’est pas de sa faute. Je peux vous livrer les noms des coupables : Alexis Tytelman et Léo Leyzerowitz. From Paris (France). A eux deux ils forment Arche. Z’ont utilisé une de ses photographies pour la couve de leur premier opus. Ils l’ont un peu détournée, ceci n’est pas un reproche mais fait partie des aléas réceptionnels de toute œuvre livrée au public, en rajoutant au bas du cliché et le nom du groupe et le titre de l’album.

    EVERYTHING WILL DISAPPEAR

    ARCHE

    (Bandcamp - 23 / 12 / 2023)

    , gene vincent, fomies, colin escort, sam coomes, ronnie dyson, arche, ashen, bill crane, rockambolesques,

             A première vue l’entrée bétonnée d’un site militaire antiatomique. Un blockhaus de commandement et de survie. D’ailleurs l’appellation d’Arche ne participe-t-elle pas de cette notion de survivance post-apocalyptique, tout juste si l’on n’entrevoit pas la barbe blanche de Noé roupillant entre un tigre et un lion couchés à ses pieds. S’impose un sacré bémol à cette vision rassurante, la porte grand-ouverte de notre abri laisse à supposer qu’il n’est guère hermétique… Les trois termes du titre anglais dissipent la moindre parcelle d’espérance : rien ne subsistera ! Difficile d’être davantage nihiliste.

             Essayons de nous raccrocher aux petites herbes : ainsi sur YT la mention : leur projet : ‘’ Ils ( Alexis & Théo) ont à leur tour décidé de  prédire une période de grande désolation’’ n’incite point à l’optimisme… sur bandcamp leur succincte introduction : ‘’ Au commencement était le drone’’ veut-elle qualifier que leur structure musicale de base serait la répétition ou que l’utilisation militaire des drones aux frontières de l’Ukraine n’est qu’un avant-goût de notre futur immédiat…

             Rendons au neveu de César ce qui est à Auguste et à Simone ce qui est à Bossi. C’est bien l’empereur romain qui a donné l’ordre de fortifier l’éperon rocheux qui domine la ville suisse de Bellinzone.  L’idée était bonne. Elle bloquait un passage des Alpes qui permettrait à une armée ennemie de débouler par surprise sur l’Italie, au cours des siècles suivants elle fut sans cesse reprise. Au treizième siècle fut bâtie sur l’éminence l’immense forteresse de Castelgrande. Aujourd’hui transformée en musée. Les touristes devaient faire un super détour pour y accéder. En 1989 l’architecte Aurelio Galfetti aménagea et construisit au bas de l’amoncellement rocheux un ascenseur qui vous monte directement à l’intérieur du château. C’est l’entrée de cet ouvrage monumental qui est représentée sur la photo de Simone Bossi.

             Elle fait partie d’une série de dix clichés que vous retrouverez facilement. Un tour sur son instagram et sur son site s’impose. Bossi se définit par un seul mot : photographe. L’on aurait envie de préciser : photographe d’architecture. Mauvais aiguillage. Il ne photographie pas des monuments. Mais des morceaux d’habitation. Un bout de pièce, l’angle formé par deux murs, quelques marches d’escalier, une fenêtre. Ne vous file pas le plan d’ensemble. Ce qui l’intéresse c’est l’espace, et pour être plus précis le vide qu’englobe cet espace. Curieuse manière de procéder. Ne cherche pas à donner à voir. Sa motivation première, c’est de créer son espace, de le prendre au piège de sa présence. Ne confondez pas : pas la présence de l’espace en tant que tel ou telle, mais sa présence à lui, lorsqu’il clique sur son instamatic, c’est lui qui emprisonne toute sa personnalité, tout son passé, tous les instants accumulés depuis son enfance, qui se résument en quelque sorte par cette extimité vidique de son intimité existentielle. Une méthode mallarméenne d’abolir le hasard car ce qu’il photographie ce n’est pas un lieu quelconque ou exotique mais le lieu de sa propre présence reflétée par sa propre absence dans l’ici et l’éternité de l’instant. Rien n’aura eu lieu que son absence physique d’un lieu métamorphosé en espace métaphysique.

             Quand on y pense un tantinet le cliché est bien choisi, illustrer la future disparition de toute chose par une présence qui n’est qu’absence équivaut à doter le non-être de toute chose de sa propre êtralité. La vôtre et celle du non-être.

    Part 1 : ce n’est rien, un souffle sombre, issu de la bouche d’ombre, profond, lent, une exhalaison lointaine qui se perd d’elle-même avant de renaître d’elle-même, une corde de guitare, résonnance mélodique de deux secondes, ensuite comme une insistance à vouloir vivre, à ne pas disparaître, un éloignement vibratoire de plus en plus présence, une onde sonore qui semble s’enfler sans aucun apport extérieur, une espèce de vrombissement de mouche vibrionnée, infinie en le sens que chacune de ses parties ne saurait avoir d’autre présence que sa volonté à se maintenir, un vagissement de turpitude originaire de lointains confins, et cette note qui s’exalte, mais qui ne pourrait tenir que dans son déchirement, un truchement sonore indistinct, une onde qui voyagerait dans les confins du monde et dont on entend des remugles vibrationnels lorsqu’elle se heurte au mur de sa propre finitude. Part 2 : pas une entrée fracassante plutôt une sortie, qui ne tarde pas à s’agoniser de sa propre rumeur, glissements chuintés sur une corde de guitare, une espèce d’aller sans retour qui finit par revenir sur lui-même, un millepatte rampant dont les pattes explosent en un feu d’artifice de lumière noire, ce qui produit une espèce d’effulgence dramatique de dépliement, de reploiement sur soi-même, un écho comme d’une voix qui ne fut jamais prononcée, la matière sonore se voudrait-elle imitation humaine, un roulement de galets dans une gorge profonde, une faille sans fin dans laquelle elle réfugierait à la manière d’un serpent malade qui chercherait en vain sa queue lézardique dont il n’a jamais été doté.

             Deux guitares, un enregistrement live en studio. Un coup de dés dont les faces ne portent la gravure d’aucun chiffre. N’est-ce pas l’unique manière non pas de gagner mais de ne pas perdre à tous les coups. Douze minutes, douze secondes. Un chiffre typiquement mallarméen.

             Une arche prometteuse.

    Damie Chad.

     

    *

            Un petit tour sur le FB d’Across The Divide, nous suivons ce groupe depuis plusieurs années, que deviennent-ils, pas grand-chose à voir depuis plusieurs mois, ah si, un post d’une ligne, travaillent sur de nouvelles surprises, merci pour la précision ! Ah, non, sont tout de même gentils, pour nous faire patienter ils nous offrent une vidéo que nous nous nous dépêchons de regarder car elle date du 05 septembre 2003.

    ANOTHER DAY

    ACROSS THE DIVIDE

    (Official Music Video / YT / Septembre 2023)

    Another Day est le sixième et dernier morceau de l’EP Eternal, que nous avons chroniqué dans notre livraison 593 du 23 / 03 / 2023. Rappelons aux esprits distraits que rien n’est plus près de l’éternité que la mort. La musique d’Across The Divide n’est en rien joyeuse. Elle se tient aux bords les plus extrêmes de la fracture. Celle qui sépare ce qui a été de ce qui n’est plus. Sur quel bord exactement ? A vous de choisir. Dans notre présentation de l’EP nous assurions qu’Another Day était une chanson d’amour. Nous encouragions les partisans de la vie en rose de la considérer ainsi. Nous n’aimons guère chagriner les âmes tendres. Par honnêteté intellectuelle nous indiquions que l’on pouvait aussi la considérer autrement.

    La vidéo est créditée à Regan Macdowan, j’ignore tout de lui, je ne sais s’il en est le réalisateur ou l’un des personnages. Quoi qu’il en soit je n’ai jamais vu une vidéo qui permette d’écouter aussi bien une chanson. Généralement les clips permettent au mieux de voir la musique en la noyant sous un flot d’images, les clips miment, ici la vidéo interprète le morceau, un peu comme un orchestre interprète une symphonie de Brahms ou une danseuse étoile Le lac des Cygnes. Que de références classiques pour du rock’n’roll maugréeront les intelligences étroites.

    Je me hâte d’ajouter que nous sommes en pleine théâtralité classique française, respect absolu de la règle des trois unités, lieu, temps, action. Les trois offertes en un seul paquet bien ficelé. De plus comme il s’agit de musique nous sommes plus près de la gestualité d’un ballet classique que des allées et venues de personnages sur une estrade de bois. Enfonçons le clou pour qu’il fasse davantage mal, s’il fallait mettre cette vidéo en relation avec une autre œuvre ce serait avec l’opéra Madame Butterfly de Puccini.

    , gene vincent, fomies, colin escort, sam coomes, ronnie dyson, arche, ashen, bill crane, rockambolesques,

    Une pièce. Grande, quelconque. Ajourée. De nombreuses fenêtres. Une cage de verre dont on ne s’évade pas. Ils sont trois. Eliminons : Lui. A peine le verrons-nous traverser la pièce. De fait il n’est pas là. Il est absent. Il est parti. Celui par qui le malheur est arrivé. L’amant si vous voulez que nous lui accrochions une pancarte sur le dos. Donc ils ne sont plus que deux. Débarrassons-nous de celle qui restera jusqu’à la fin. Il est parti. Elle le regrette. Soyons dur et cruel, laissons-là à son triste sort. Enfin il y a Lui. Non ce n’est pas le même que le premier. C’est un danseur. Une projection du cerveau de l’esseulée. Il est beau, il danse comme un Dieu ( grec, évidemment), il traduit le chagrin, il se métamorphose en désespoir, c’est le chant du cygne, le cygne noir qui s’allonge à terre, replie ses bras comme des ailes, le voici refermé sur lui-même, recroquevillé, derniers soubresauts d’agonie d’un rêve qui ne survit pas à lui-même. Normal, dans le théâtre classique, il est interdit de faire mourir un personnage sur scène, alors c’est le rêve qui se charge d’incarner cette monstrueuse action.

    Maintenant rajoutons un soupçon d’ambiguïté, nous l’avons déjà dit, le clip est extrêmement dépouillé réduit à presque rien, à presque personne, du coup l’on entend beaucoup plus le vocal, c’est un homme qui chante, y a une seconde voix toute aussi virile en duo qui assombrit par moments l’atmosphère, l’on peut donc s’amuser (souvenez-vous de notre parti pris de cruauté) à permuter les rôles. Nous faisons confiance à nos lecteurs pour se livrer à ce petit jeu permutatif. En tous les cas souvenez-vous que quel que soit le côté de la fosse béante sur laquelle vous vous trouvez les chants les plus désespérés sont les plus beaux. Merci Musset.

    Damie Chad.

     

    *

            Amis rockers que feriez-vous si vous étiez à l’autre bout du monde ? Je vous entends rugir : du rock ‘n’ roll ! Félicitations, la seule bonne réponse attendue ! Prenons un exemple au hasard. Enfin presque, parce que des amis qui se sont exilés à plusieurs milliers de kilomètres de notre douce France, je les compte sur un seul doigt de mes deux mains. Je vous parle souvent de lui, d’Eric Calassou, là-bas en Thaïlande.  D’apparence il n’a pas changé ses habitudes, il écrivait en France, il écrit en Thaïlande, il prenait des photos en France, il prend des photos en Thaïlande, il peignait en France, il peint en Thaïlande, il composait de la musique en France, il compose de la musique en Thaïlande. Bref l’a continué à être ce qu’il était. Juste un petit truc qui cloche (à la façon d’Edgar Poe) il avait un groupe de rock en France, il ne l’a plus en Thaïlande. Bref chaque fois que je vous parle de ces dernières réalisations made in Thaïland, dans mon petit chapeau introductif je vous rappelle qu’Eric Calassou était aussi le meneur du groupe Bill Crane, or, voici : tout nouveau, tout beau :

    BABY CALL MY NAME

    BILL CRANE

    (You Tube)

             J’en conviens, si l’image correspond bien au titre de l’album se dégage d’elle un parfum suranné, à l’heure du portable invasif nous voici ramenés aux combinés gris à roulettes du siècle dernier. Esthétique que je me plais à qualifier de spartiate. Le minimum vital, rien de plus. Justement question minimal Bill Crane s’avère un groupe un soupçon tantinet squelettique. Pas de bassiste. Pas de batteur. N’évoquons même pas la possibilité d’un organiste ou, soyons fous, d’un trompettiste. Le trio de base du rock‘n’roll réduit à une seule personne. Après tout on n’est jamais mieux servi que par soi-même. Apparemment les musiciens de rock ne courent pas les rues en Thaïlande. Et puis il aurait fallu qu’ils s’approprient l’esprit Bill Crane, ce qui doit demander un certain effort. L’en faut davantage pour décourager un rocker isolé en pays asiate. Calassou n’a pas fait appel à l’Intelligence Artificielle, s’est branché sur l’application Garageband.

             Si vous en déduisez qu’Eric Calassou vous a fignolé un disque de rock ‘n’roll qui ressemble à un véritable disque de rock ‘n’ roll, à partir d’ ersatz sonores de seconde main, vous êtes dans l’erreur. Un disque de Bill Crane ne saurait être du simili Bill Crane. Certes du nouveau dans le stock Bill Crane mais pas du Bill Crane toc.

             Eric Calassou, n’est pas toc-toc. Je l’imagine assis devant son appli, sa guitare sur les genoux, l’a dû méditer un moment, ou peut-être a-t-il agi d’instinct. Je ne sais pas, mais le résultat est-là.  

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    Baby call my name : c’est un peu comme ces filles toute nues qui s’habillent avec trois fois rien, un peu de rouge à lèvres sur le bout rose de leurs seins. Et tout de suite c’est beaucoup mieux. Bon, la fille n’est pas là, ce n’est pas le problème. Je ne vous parle pas de la fille mais de la manière dont est composé le morceau. Derrière vous avez la machine, elle fait le minimum, vous savez ces couches de peinture monochrome que les peintres passent sur leurs toiles avant de commencer leur tableau. On arrive au plus dur, Eric n’a pas de pinceau, mais il l’a une voix, c’est elle qui va dessiner les arabesques qui donnent formes à la chose représentée. Difficile de la faire apparaître puisqu’elle est absente, justement le vocal vous dessine l’absence. Pas facile de représenter une chose qui n’est plus là. Faut utiliser la technique du trompe-l’œil, ici avantageusement remplacée par le trémolo du désespoir. Tout est dans la manière de répéter baby, call my name. Ne faut surtout pas exagérer non plus. L’on ne va tout de même pas se suicider pour une fille. Les rockers n’ont pas le cœur en pain de mie. Suffit de jouer le jeu. Pour les lyrics pas besoin de fignoler des alexandrins à la Lamartine, suffit d’y mettre un peu d’influx répétitif, tragediante y comediante, le larynx qui tremble ou s’énerve, les mots n’ont aucune importance, tout est dans l’intonation, le gamin devant son électrophone qui se prend pour Jagger, ou Robert Plant, n’atteint pas le rock’n’roll mais l’essence du rock ‘n’ roll. La fièvre sans la température. Juste l’attitude rock, ou vous l’avez ou vous ne l’avez pas. La gerce peut aller se rhabiller, si elle avait le bon feeling elle serait restée.  Retenez la leçon, vous ne trouverez pas meilleur professeur que Bill Crane. Hold me tight :  qu’est-ce que je disais, l’option suicide était inenvisageable, serre moi fort, elle s’est dépêchée de revenir, alors le gars lui sort le grand jeu, l’a investi sur sa voix de séducteur N°4, aussi forte que les grandes orgues de Saint-Sernin ( Toulouse), grandiose, pas croque-mort à la Johnny Cash, plutôt croque-motte si vous voyez ce que je veux dire, vous enduit le corps de la jeune fille d’un truc aussi gluant et lubrifiant que la bave de cobra en rut, la boîte à rythme clopine un peu à cloche-pied, elle vous gongue comme thanatos et vous ensuave comme éros,  mais c’est la guitare qui se tape tout le boulot, des espèces de feulements serpentiques auxquels personne ne résiste, d’ailleurs le Calassou oublie les paroles et vous sort le la-la-la du gosier de l’Iguane, le coup du charme obnubilant, l’est sûr de son effet, une espèce de slow-blues visqueux dans lequel on adore patauger. Move me : ce morceau est un peu la saison 2 du précédent. La basse vous creuse une tombe assez profonde pour contenir toute la famille, la batterie y va lentamente pero seguramente comme dicen los espagnolitos, sans se presser, utile mais futile, le Calassou prend son pied, vous l’entendez déglutir, le pire ce sont ses hoquets, venus tout droit du rockab, que vous ne reconnaîtrez pas parce qu’il les allonge démesurément en sifflets interminables de train qui résonnent sur les murs du tunnel dans lequel il s’est engagé. Vous ne savez pas si c’est du caviar ou des œufs de lump, vous en reprenez, vous vous goinfrez. Petite mort. Dance to the music : tiens un vrai bruit de machine vite écrasé par une basse de profundis, c’est la saison 3, en pire ou en mieux, tout dépend de la dose de stress-dance que vous vous pouvez supporter, en plus violent, en plus assourdissant, le Calassou vous le fait de temps en temps à la voix mentholée et très souvent à la résonnance marbrée au brou de noix, maintenant en arrière-fond  un gars fait du morse à moins que ce ne soit une grand-mère qui tricote une mantille de deuil, vous vous en moquez, il y a ces vlangs de guitares tranchants comme des couperets de guillotine qui vous découpent en tranches fines. L’on était parti sur un trip typiquement rock’n’roll, faut se l’avouer dans le genre blues funèbre vous êtes aux premières loges. Au fur et à mesure que s’écoulent les morceaux Calassou maîtrise de mieux en la machine, une percu tam-tameuse sonne le glas de vos oreilles fissurées, vous m’en direz des nouvelles. Am breaking now : vous croyez avoir tout vu, tout lu, tout entendu, ici c’est la voix de Jim Morrison en train de péter le câble qui le retenait à l’univers, le Calassou il ne fait pas dans la compromission, déjà au morceau précédent la valse binaire de l’histoire d’amour sur chaise bancale n’incitait pas à l’optimisme, l’on dirait qu’il a enregistré le bruit de fond d’une tempête mentale, à chaque seconde l’on descend six pieds sous terre, et l’on suit la marche nuptiale vers le néant, l’on a compris que si nous perdons la procession, c’en était fini de nous et surtout de tout. C’mon baby : respiration, de retour à l’ambiance du premier morceau, il nous le fait à la Presley, I want you, I need you, I love you, parfois ça fait du bien de se raccrocher aux valeurs sûres, des bruits de moteurs, une frappe de bûcheron canadien, l’on s’amuse comme des fous, délire rock, guitares klaxonnante. Clin d’œil à Cochran, cocard à la Bo Diddley. L’on est de retour chez nous dans la terre du rock’n’roll foutraque. I got the blues : pas besoin de vous faire un dessin, retour à l’essence du Delta, une autre forme de foutraquie, plus inquiétante, le blues est un crotale qui se réveille chaque matin dans votre cerveau, ne faut pas dormir la bouche ouverte aux rêves roses, le blues descend sur vous comme la nuit mentale sur le monde, si vous ne savez pas ce qu’est le blues écoutez ce seul morceau vous saurez tout : des percus africaines aux digues rompues du Mississippi. On ne le savait pas, mais apparemment il coule aussi en Thaïlande. Down on the corner : ah, un titre qui fleure bon le rockabilly et le country, écoutez-le et l’évidence s’imposera à vous, à l’origine venus de continents différents le blues et le country sont une seule et même pulsation née dans le sang des hommes. Issue d’une même résidence en un monde hostile. Les deux faces du même couteau que l’on s’enfonce dans la chair pour conjurer le malheur de vivre, ou la tentation d’exister. World without gun : c’est-y-quoi ? Un truc que vous n’avez jamais entendu, un chant d’espérance, une prière à qui vous voulez ( sauf à Dieu ) une espèce d’un nouveau genre en mutation, perso je le définirai comme une espèce mutante, un noise-gospel de la dernière génération. Avec un bruitage d’orgue de barbarie pour conjurer la barbarie humaine.  Déchirant. My life : l’a décidé de ne pas nous faire de cadeau, ne s’en fait pas non plus puisque à l’origine ce morceau s’intitulait In the darkness, une longue plainte, un cheval fourbu qui marche à l’amble, dans le désert de l’existence, son écurie ne sera qu’un squelette à moitié recouvert dans un désert de sable, tempo lent et voix ténébreuse expirante, la prière n’a été en rien exaucée… Magnifique. A ne pas écouter si vous êtes dépressif.  Get out of this town : retombée et désillusion. Le même thème que We ‘ve gotta get out of this place des Animals mais en plus désespéré, la ville est partout, le gars n’en sortira jamais, marche d’un bon pas, rien n’y fait, de fait il tourne en rond dans sa solitude, de temps en temps il imite le long cri du train qu’il ne prendra jamais. Il y a longtemps qu’il ne s’arrête plus dans sa caboche. Voix gravissime. Il hurle. Move me : Chinese Modern Remix : la surprise du chef, n’oublions pas que nous sommes en Thaïlande, version orientale. Au premier coup de gong peut-être évoquerez-vous le Schéhérazade de Rimski-Korsakov, erreur fatale, nous ne sommes plus à la même époque, le bruit recouvre la splendeur du rêve, une percu jacasse comme cent mille perroquets, et des stridences vous traversent la tête, un véritable cauchemar, la voix d’Eric tente de dompter le brouhaha, est-ce une façon de nous dire qu’il y a trop d’hommes sur notre planète.

             Ces onze titres sont une splendeur, Bill Crane touche aux origines et à l’essence du rock’n’roll. Génialement novateur.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll ! 

    10

             Le Chef semblait soucieux, il s’écoula un long temps (cinq secondes) avant qu’il n’allumât un Coronado :

             _ Agent Chad, inutile de nous perdre en raisonnements oiseux, nous devons nous livrer à quelques primaires vérifications expérimentales afin d’éclaircir quelque peu ce mystère insondable. Je prends le double des clefs de votre habitation provinoise, pendant ce temps volez-moi une voiture que vous stationnerez sur le trottoir devant l’entrée du service. Dès que je serai parti, procurez-vous un autre véhicule, laissez s’écouler deux heures de temps et retournez chez vous. A vitesse modérée, ne conduisez pas comme un fou selon votre mauvaise habitude, n’attirez en aucune façon l’attention sur votre personne, nous nous devons d’être discrets. Une fois à la maison, filez au lit, tirez les verrous de votre porte, allongez-vous et attendez-moi.

    11

             J’ai roulé tranquillou jusqu’ Provins. Molossa et Molossito allongés sur la banquette arrière. Un œil dans le rétro et l’autre sur mon Rafafos déposé sur mes genoux. Ses précautions se révélèrent vaines. Aucun incident notable ne survint. Je stationnai dans une rue adjacente de mon domicile et regagnai la porte d’entrée mes deux clebs sur les talons.

             _ Ho, les chiens, je sais que ce n’est pas l’heure, nous allons nous coucher !

             A peine eus-je ouvert la porte de ma chambre que les deux braves bêtes se précipitèrent sous le lit en aboyant frénétiquement. J’entendis un mouvement de reptation sous ma couche, mon Rafalos à la main je m’apprêtai à tirer lorsque la tête du Chef émergea :

             _ Agent Chad, point de nervosité la première de nos expériences vient de se terminer. J’allume un Coronado, au moins trois bons quarts d’heure que je m’en suis abstenu, un supplice odieux tout cela pour anéantir une possibilité qu’au fond de moi-même je jugeai improbable ! Nous pouvons désormais éliminer la proposition jaune.

             _ Chef vous supposiez que c’était la maffia chinoise qui nous s’était chargé d’enlever nos chiens !

             _ Agent Chad, vous me décevez, vous n’avez jamais lu Le mystère de la chambre jaune de Gaston Leroux, cette tentative de meurtre commise dans une pièce hermétiquement close !

             _ Donc vous supposiez que le ravisseur de Molossito et Molossa était caché sous le lit lorsque nous nous sommes couchés !

             _ Agent Chad, arrêtons de discutailler, ce n’est pas le cas, nous venons d’établir que les chiens l’auraient découvert, il est temps de vérifier l’hypothèse bleuâtre.

    12

             L’expérimentation dura près de trois heures. Mon rôle ne me demanda pas beaucoup d’efforts. A part tirer les trois verrous intérieurs de ma chambre et rester à bouquiner en compagnie de mes deux fidèles compagnons, ce ne fut pas très fatigant, mais lorsque le Chef tambourina sur la porte en hurlant que je pouvais ouvrir, à peine l’eus-je entrebâillée qu’un épais nuage de fumée bleuâtre m’assaillit. Au loin j’entrevis dans un halo bleuté la silhouette du Chef :

             _Agent Chad j’avoue que j’avais davantage d’espoir avec ma seconde hypothèse, notre ravisseur aurait pu par le trou de votre serrure insuffler un soporifique dans votre chambre, mais le clapet de sécurité dont vous avez équipé votre serrure s’est avéré totalement hermétique…

             _ Chef comment serait-il rentré puisque les verrous intérieurs étaient tirés !

             _ Agent Chad, très facilement, il vous aurait d’abord endormi vous et les chiens avec l’aide d’un narcotique quelconque, dans un deuxième temps grâce à ce que l’on appelle un Injonctif de Volonté il vous aurait inculqué l’ordre de tirer les verrous et de vous recoucher. Il serait alors rentré, aurait capturé les chiens puis avec l’aide du même IDV il vous aurait intimé l’ordre de de refermer les verrous et de vous rendormir.

             _ Chef, j’ai un soudain trou de mémoire pourriez-vous me rappeler ce que c’est que l’IDV, je ne sais comment mon système neuronal confond avec IGV…

             _ Agent Chad, en tant qu’Agent du Renseignement vous devriez vous tenir au courant des avancées de la science, un IDV est un produit qui s’administre sous différentes formes, gélules, solutions buvables, ou spray. Il permet à un patient d’être non seulement privé de toute forme de volonté mais surtout de devenir sensible à toute injonction donnée par une autre personne.

             _ Un peu comme les zombies du vaudou, Chef ?

             _ Exactement mais l’effet est loin d’être aussi efficace, il ne dure que deux ou trois minutes. Bref, trois ou quatre gros pschitt par le trou de la serrure et un ordre hurlé au travers de la porte, par exemple au mégaphone, pour que votre oreille le réceptionne et le transmette au cerveau, et le tour est joué !

             _ Chef, j’ai donc échappé à ce traitement diabolique !

             _ Exactement Agent Chad, ce qui ne résout pas notre affaire, il est temps de rentrer au Service et de méditer à tête reposée sur cette mystérieuse affaire.

    13

             Nous discutâmes longuement. Nous tombâmes rapidement d’accord sur un premier point : nos modestes personnes n’étaient pas dans la mire de nos ennemis, en tant que telles. Au travers de nous et nos chiens c’était le rock ‘n’ roll qui était visé. Pour quel mobile, nous n’en savions rien.

             Il était maintenant près de minuit et nous n’avions pas progressé d’un millionième de millimètre.

             _ Agent Chad, j’allume un dernier Coronado et nous partons nous coucher. A moins que vous n’ayez une dernière réflexion particulièrement pertinente à me proposer.

             _ Hélas Chef, à moins d’être le passe-muraille de la nouvelle de Marcel Aymé, je ne vois pas qui aurait pu rentrer dans ma chambre fermée à clef en traversant le mur !

             _ Bon sang, Agent Chad, pourquoi ne l’avez-vous pas dit plus tôt, cela nous aurait fait gagner du temps ! Pour sûr vous avez raison, ces gens-là connaissent le moyen de traverser les murs. Ils ne doivent pas être légion en France, nous les repèrerons assez facilement, faites-moi confiance, quelques heures tout au plus, le premier gars qui traverse un mur, il suffit de courir à toute vitesse de l’autre côté du mur pour le cueillir à sa sortie !

             _ Chef, vous êtes trop optimiste ! Jamais de ma vie je n’ai vu personne entrer dans un mur devant moi !

             _ Arrêtez d’énoncer de stupides évidences Agent Chad, tenez du coup…

    Le Chef sortit un Coronado hors de sa poche, le contempla avec vénération durant trois longues minutes, avant de se résoudre à le porter à sa bouche et de craquer une allumette.

             _ Agent Chad vous n’avez jamais vu quelqu’un qui marchait devant vous entrer dans un des murs qui bordaient le trottoir que vous suiviez pour la simple et bonne raison que vous n’aviez jamais imaginé que cela fût possible en ce bas-monde, l’on ne trouve que ce que l’on cherche, un peu comme le hasard objectif d’André Breton, qu’entre nous je n’aime pas du tout, un peu trop directif dans sa gestion du mouvement Surréaliste, une âme, non pas de dictateur, cette expression est trop élogieuse, bien plus petite que cela, une âme… une âme… de petit-chef ! Oui c’est bien le mot que je cherchais ! D’ailleurs existe-t-il un document quelconque d’après lequel on pourrait interférer qu’il ait eu l’occasion d’allumer une seule fois, un Coronado ?

             _ Non Chef, je n’ai jamais vu une photo de Breton en train de savourer un Coronado, je vous l’accorde, par contre je persiste à déclarer que je n’ai jamais un homme entrer dans un mur !

             _ Certes Agent Chad, je veux bien vous croire, pourtant dans cette même pièce pour ma part j’en connais au moins un.

             _ Quoi, Chef, vous en avez vu un ?

             _ Agent Chad, me prenez-vous pour un jocrisse, si j’en avais vu un je l’aurais immédiatement abattu d’un coup de Rafalos, n’oubliez pas que certaines munitions de mon Rafolos sonts capable de s’enfoncer de cinquante centimètres dans une épaisseur de béton précontraint, je ne vous parle même pas des façades de briques !

             _ Chef vous n’en avez pas vu, moi non plus, qui donc dans cette pièce aurait pu en voir !

             _ Agent Chad, pourquoi croiriez-vous que l’on s’en soit pris à Molossa et Molossito, nous tenons-là enfin une piste sérieuse !

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 626 : KR'TNT 626 : KEITH MOON / NICK WATERHOUSE / SAM COOMES / BILLY BUTLER / HOLLY GOLIGHTLY / ASHEN / ERIC HOBSBAWM / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 626

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    04 / 01 / 2024

     

    KEITH MOON / NICK WATERHOUSE

    SAM COOMES / BILLY BUTLER

    HOLLY GOLIGHTLY / ASHEN / ERIC HOBSBAWM

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 626

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

    Wizards & True Stars

    - Fly me to the Moon

     

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             Le Moon The Loon qui traîne ici est une petite édition de poche fatiguée. Elle date de 1981. Elle a bien vécu sa vie de book et a sans doute fait rigoler sa palanquée de lecteurs. Keith Moon est généralement qualifié de lunatic dans la presse anglaise, mais le portrait qu’en fait Dougal Butler dans Moon the Loon: The Amazing Rock And Roll Life Of Keith Moon va bien au-delà du lunatic.

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    C’est l’équivalent littéraire de Las Vegas Parano, le trash-movie de Terry Gilliams : l’ouvrage nage en permanence dans les inondations de suites royales et des raz de marée d’outrages aux bonnes mœurs, dans des amas pharaoniques de giggles et dans du Monthy Pyton exponentiel. Contaminé par Moonie, Dougal devient un écrivain extrêmement drôle : il maîtrise l’art insensé de préparer le lecteur à l’imminence d’une catastrophe, celle qui germe dans le cerveau en surchauffe du prince des lunatics. Keith Moon et les Who ont incarné mieux que quiconque le mythe du rock’n’roll mayhem. S’ils ont su porter au pinacle l’esprit du sex and drugs and rock’n’roll mieux que tous les autres candidats au désastre, c’est parce qu’ils disposent d’un moteur que n’ont pas forcément les autres : l’humour. Mais un humour spécial, cet humour anglais dévastateur qui ne fait pas de quartier.

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             L’idéal pour accompagner cette lecture est de voir en parallèle le film de Jeff Stein, The Kids Are Alright. C’est une manière de combiner les plaisirs des sens, de joindre l’utile à l’agréable, de réunir le yin et le yang des Who, une manière de relancer le cœur battant du rock anglais, car les Who ne sont que ça. On redevient aussi dingue des Who qu’on l’était en 1965, quand passait à la radio «My Generation». Ça tombe bien, le film de Jeff Stein démarre sur «My Generation», bing bang ptoooff t’es baisé, Moonie tape au poignet cassé le haut du hit-hat, The ‘Hooo !, les rois du monde en jabots blancs, c’est ce que montre Stein dans son film, break de basse, roll over de Moonie, double grosse caisse, il bat déjà tout le freakout de London town et les ‘Hoooo cassent tout, bing bang ptooff ! Au bout de trois minutes, la messe du rock est dite. Les ‘Hoooo allaient déjà plus loin que tous les autres, et en matière de destroy, Townshend est un pionnier étincelant. Il était donc logique que Moonie développe sa propre succursale de destroy oh-boy. C’est ce que Dougal raconte.

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             À travers le bruit et la fureur du chaos prémédité, Dougal réussit à brosser un portrait de Moonie d’un réalisme sidérant. C’est tellement bien maîtrisé qu’on s’en effare au fil des pages. Pourquoi ? Bonne question ! Pourquoi accorderait-on le moindre crédit à ce mec qui détruit systématiquement ses chambres d’hôtels, ses vies de couple et ses voitures de luxe ? Dougal nous donne la réponse petit à petit : il fait remonter à la surface du tas de débris et de fumées un personnage incroyablement pur et drôle, juvénile et attachant, incapable de la moindre méchanceté, ni de la moindre vulgarité. Son camp, c’est Père Ubu et pas Hitler, son camp c’est Dada à la puissance 1000, c’est-à-dire Dada rock, il est le seul et unique fer de lance du Dada rock, avec Vivian Stanshall, qui, comme par hasard, sur le Pont des Arts, devient son copain et participe à quelques raids destroy, le plus connu étant l’épisode où, sanglés tous les deux dans des uniformes noirs de SS nazis, ils sont allés provoquer des vieux dans un asile. C’est la suite de Charlot, Moonie exploite exactement les mêmes travers, il fonce exactement dans le même tas. Il va mettre dix ans à se détruire et à casser sa pipe en bois, mais ces dix années comptent parmi les plus festives de l’histoire du rock. Ce sont ces dix années que raconte Dougal. Accroche ta ceinture.

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             Dougal est embauché par Moonie comme «chauffeur». Mais bien sûr, c’est du 24/24, il participe aux tournées, aux orgies et aux abus d’alcool et de dope. Et bien sûr à ce qu’il appelle les «jolly-ups». Il utilise tellement de slang dans son book qu’il donne à la fin trois pages de lexique. On est chez les ‘Hooo, et on parle le Shepherd Bush slang, dear boy. Et on joue le Shepherd Bush rock, comme l’indique Townshend dans le Stein movie : «Just musical sensationalism. We do something big on the stage. It’s just basic Shepherd Bush enjoyment.» Voilà sa définition des ‘Hooo sur scène. Et boom, «Can’t Explain», early ‘Hooo en noir et blanc, Moonie en cocarde, l’air ahuri, frappe sèche, wild rolls, il est précis et dingue à la fois, il décuple en permanence. L’art moderne, c’est Moonie. Tous les Dadaïstes savent ce que signifie précisément la notion d’art moderne. Tu réalises soudain que l’art moderne des ‘Hooo ne vieillira jamais.

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             Tiens, pour s’amuser un peu, on peut prendre un épisode au hasard : la tournée des Who avec The Herd en 1967. Le batteur des Herd est un vieux batteur qui joue avec un gong : «Le gong est là pour un effet dramatique, mais cet effet devient comique quand Moonie et Entwistle tirent sur les fils qu’ils ont attaché au gong au moment où le batteur gériatrique doit frapper dessus.» Dougal ajoute que lui, Moonie et Entwistle sont tellement pliés de rire qu’ils manquent de se casser la gueule du perchoir où ils sont postés pour tirer les fils. Ils n’en restent pas là. Pour le dernier concert de la tournée, ils installent des pétards avec des détonateurs électroniques sur l’orgue d’Andy Bown et son set ressemble, nous dit Dougal hilare, «plus à Pearl Harbour qu’à un Ava Gardner rock number.» C’est pas compliqué : tout le book est de ce niveau, avec une légère tendance à l’aggravation des dégâts. Dougal dit en gros que de 1967 à 1977, il a passé son temps à se fendre la gueule. Bien sûr, il parle aussi des autres ‘Hooo : «Quand il n’est pas en tournée, John Entwhistle se montre apte au calme, mais en tournée, stimulé par the magic ingredients, il peut sauter partout. Pete Townshend est plus enclin à la philosophie et peut communiquer avec des présences divines qui me restent invisibles, mais il est aussi capable de rivaliser avec Moonie pour le trône de King of Hotel Wreckers.»

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             Moonie fait tellement la fête qu’il est toujours en retard le matin quand il faut prendre l’avion pour le prochain concert. Le job de Dougal est de le rapatrier à temps. Il trouve Moonie à poil sur son lit - Je lui crie dessus, je le secoue, je le frappe, je le fais rouler, il finit par émerger. «Ah dear boy, what is the matter? What’s the time? Get me a brandy, there’s a good chap» - Moonie démarre le matin au cognac. Puis il réclame sa mallette à dope, exactement comme dans Las Vegas Parano. Il s’envoie une grosse poignée de pills dans le cornet puis il coiffe la toque avec les cornes de bison qu’il vient d’acheter chez Nudie’s, the western shop. Pas question d’aller nulle part sans les fucking buffalo horns - Las Vegas Parano suite - Aujourd’hui, Moonie démarre la journée ensommeillé et complètement à côté de ses pompes. Puis il se réveille et se conduit d’une façon étrange et même incohérente à ses propres yeux. Il parle par à-coups, il chante, il grogne. Il accélère soudain. Puis il retombe dans la stupeur. Finalement, le voilà plus ou moins habillé, coiffé de ses cornes de bison, on monte dans la limo et on fonce à l’aéroport - Bien sûr Moonie ne tient pas debout. Dougal le met dans un fauteuil roulant. Moonie pendouille d’un côté avec ses cornes de bison. Un mec lui lance  :

             — Hey Mr. Moon! How you’re doing man?

             — Ooooooooooarrrrrrhggggghhhh, replied Moonie.

             Dougal reproduit bien les répliques comateuses de Moonie. L’entrée dans cette salle de concert à San Francisco est extraordinairement drôle et destroy. Bien sûr, Moonie n’est pas en état de jouer. Sur scène, il ne joue pas à la bonne vitesse. Townshend se rapproche de lui et lance : «Play faster, you cunt. Faster!». Dougal sait qu’il doit trouver un toubib. Un mec accepte d’intervenir sur scène et de lui injecter une potion miracle dans les deux chevilles pendant qu’il joue. Okay, mais pendant l’injection, Moonie doit lâcher ses pédales de grosses caisses - Stop playing the fucking bass drums, lui crie Dougal qui s’est glissé à 4 pattes derrière la batterie. Le toubib et Dougal arrivent à faire les deux injections en même temps, et du coup Moonie repart de plus belle - He’s drumming such a storm that Townshend turns round and screams to him : ‘PLAY SLOWER, YOU CUNT, SLOWER! - À travers cette scène hilarante, on observe un détail qui n’est pas neutre : Dougal n’aime pas trop Townshend, d’ailleurs, il ajoute : «There’s no pleasing some people», ce qui peut vouloir dire : il y a des gens qui ne seront jamais contents.

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             Moonie est un fabuleux clown tragique, l’ultime clown tragique du rock. Il paye son art de sa vie. Son mode de fonctionnement est ce que les Anglais appellent the oblivion, une façon d’ignorer le réel en vivant à cent à l’heure. Alors Moonie vit l’oblivion à cent à l’heure.

             Dougal décrit une autre scène : Moonie réclame du liquide à une vieille dame qui tient un kiosque. Elle commence par lui lancer : «Êtes-vous le hooligan qui fait tout ce bruit dans les parages, jeune homme ?», et Moonie lui répond :

             — C’est moi, misérable vieille moutte ! Donne-moi some fucking money !» Et il sort son pistolet en plastique et le colle au nez de la vieille.

             — Arrrrrrgggggghhhhhh !, et elle tombe dans les pommes.

             Moonie, c’est ça en permanence, du délire au kilo-tonne, une pression de tous les instants dans un nuage d’alcool, de dope et d’inventivité à tout prix. Pour bien comprendre ce que ça signifie, le plus simple est de lire ce book. Moonie, c’est Dada rock à la puissance 1000.

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             Quand il veut un truc, il le lui faut tout de suite. On the spot, dit Dougal. Une Mercedes, une Rolls Corniche, une Lincoln Continental, un camion pour livrer le lait, et maintenant une Excalibur. Amusé, Dougal reconnaît à Moonie un réel manque de talent pour la conduite automobile. En plus, il a rarement son permis sur lui. Il collectionne bien sûr les crash, mais il s’en sort toujours sans dégâts corporels - But of couse, this is all part of Moonie’s practically miraculous ability to survive - Mais pour se payer l’Excalibur SS - une réplique of 1930’s Mercedes sports tourer, the kind of car, ajoute Dougal, that even Herman Goering would find a bit flash - Moonie doit sortir du cash, 40 000 $, chez un agent de change américain, Greenback & Schtum. Dougal accompagne Moonie dans l’immeuble de Greenback & Schtum. Une secrétaire dit que Greenback est en voyage, alors, Moonie cherche Schtum. Il cherche à sa façon, il ouvre toutes les portes des bureaux et aboie : «Schtum ?», jusqu’au moment où un mec lui répond «Yes ?». Et là, Moonie hurle : «Give me my fucking money !». Le mec essaye de lui expliquer qu’on ne peut pas sortir autant de cash sur le champ, alors Moonie monte en température : «Now, listen to me, you cunt. Je sais que toi et tes larbins en costards rayés avez 40 000 $ qui m’appartiennent, alors je suis venu les récupérer, va au coffre et file-moi mon blé, de préférence en billets bien neufs. Puis je partirai avant que tu aies pu dire : profits et pertes.» Ça tourne à l’apocalypse parce que le Schtum résiste encore, mais Moonie emploie les grands moyens, c’est du cirque dans la vie réelle et on se marre comme un bossu en lisant ces pages.

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             Bon, il achète l’Excalibur cash, mais elle ne dure pas longtemps, car il repère la légendaire Liberace Excalibur, encore plus flashy. Il se paye aussi l’AC Frua 428, une bombe dotée d’un moteur V8, mais comme Moonie roule dans les petites rues à 150 à l’heure, l’AC retourne vite au garage. Le plus souvent, c’est Dougal qui conduit, mais certains soirs, Moonie demande les clés, un moment que Dougal appréhende, car c’est un présage de «mechanised disaster». Et puis voilà l’épisode avec Ted et sa jambe de bois dans un local pub. Tout le monde picole au pub et Moonie propose à Ted de le ramener chez lui. Bien sûr, Ted refuse. Il préfère marcher. Mais on ne dit pas non à Moonie. Un Moonie, précise Dougal qui assiste à la scène, drunker than a skunk. Le véhicule cette fois est un Bucket T Street Rod, dont le moteur est encore plus gros que celui de l’AC 428. Tout est drôle dans ce book, même la démesure est drôle. Elle fait tellement partie du jeu. Alors Moonie met le contact. Vrooom vrroaaaaammm. Dougal dit que ça fait autant de bruit que le Concorde. Le moteur est en échappement libre. Ted est en alerte rouge. Dougal croit qu’il va sauter de la voiture, mais avant qu’il n’ait pu faire le moindre geste, Moonie enclenche le clutch - Le moteur est si puisant que la caisse se lève sur les roues arrière et vroaaaaaaarr, c’est parti à fond dans Chertsey High Street - Les hurlements du moteur sont à peine couverts par ceux de Ted - Dougal parle de banshee wailing, pour décrire les hurlements, ce qui n’est pas rien. Si Ted pousse des cris de banshee, c’est parce que sa jambe de bois s’est décrochée. Il la récupère au moment où Dougal s’aperçoit que Moonie roule du mauvais côté de la rue et qu’un camion arrive en face. On entend les crissements des freins du camion - Moonie of course is pissing himself with laughter et ne montre aucune intention de tourner le volant pour éviter la collision - Alors Ted frappe Moonie sur le crâne à coups de jambe de bois et Dougal décrit le bruit que ça fait : BOFF ! L’épisode est à hurler de rire. On ne se croirait pas dans un rock book, et pourtant si. Keith Moon, batteur des ‘Hooo.

             Retour au film. «Baba O’Riley», heavy beat, Townshend en mode power chords et l’extravagant rolling power de Moonie et ses coups de gong ! Et puis tu as les early ‘Hooo de «Shout & Shimmy», avec the Ox sur une Dan Electro, Moonie sur un drumkit simple - logo avec la flèche - et bien sûr, il bat le beurre de tous les diables.  

             Quand il est à Londres, Moonie traîne dans des clubs comme Tramp. Bien sûr, il se fout à poil juste avant d’entrer, et comme il s’appelle Keith Moon, on le laisse entrer à condition d’enfiler un calbut. Il l’enlève aussitôt entré, il repère Jagger à Bianca et file droit sur eux - «Hello my dears» - et comme la bite de Moonie traîne près des steaks, Jagger et Bianca se lèvent aussitôt et quittent la table. Dougal ajoute que la Bianca abreuve Moonie d’insultes. Il pense que Bianca is a very snotty lady, une morveuse, dirait-on par ici. En même temps, il reconnaît que ça ne doit pas être très agréable de voir traîner la bite de Moonie sur la table. Un appendice qu’il surnomme the Moon dong

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             «Young Man Blues», Townshend en combinaison blanche, heavy 70s, classic stuff, démembrement de Mose Allison - chant, puis gratte/Moonie, et voilà le «See Me Feel Me» emblématique, Townshed combi blanche et bête à cornes, et Moonie bouche ouverte. Puis la scène finale de Woodstock, lorsque Townshend jette sa bête à cornes pour l’offrir au public. The ‘Hooo.

             Dougal rappelle aussi un trait fondamental du caractère de Moonie : sa sympathie pour les clochards et les damnés de la terre. C’est même essentiel. Tiens, en voilà quatre dans la rue. Pas le droit d’entrer au pub voisin ? Pas de problème, les gars, suivez-moi. Droit au bar. Paf, Moonie sort l’oseille et commande une tournée of very large brandies. Quand le patron lui dit qu’après ça, il doit vider les lieux - I want you lot out, understand? - Dougal dit qu’il commet une TRÈS grave erreur - S’il avait su à qui il s’adressait, il aurait choisi de parler sur un autre ton - Moonie ne dit rien - Le pub est silencieux, et ça ressemble plus à une scène de western qu’une scène dans un pub anglais. Je vois soudain les yeux de Moonie briller. Il fixe le plateau où le patron place les verres qu’il va servir. Et quand le plateau est bien rempli de verres, Moonie le soulève et balance les verres dans le mur derrière le bar, les projectiles fracassent toutes les bouteilles et avec le plateau vide, Moonie frappe le patron sur le crâne, et ça fait DING ! - Instant chaos - Les clodos sautent et chantent. Le patron veut appeler les perdreaux. Moonie, c’est Robin des Bois.

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             Dans un hôtel, Moonie demande à Dougal de faire venir six masseuses pour faire la fête dans la chambre. Elles se foutent à poil, mais elles ne sont pas là pour baiser, Moonie veut faire la fête, alors il propose une bataille d’oreillers. Le champagne coule à flots, et Moonie essaye d’enfoncer les bouteilles vides dans le cul des masseuses, mais elles ne veulent pas. Alors Moonie propose un autre jeu. Il a un garde du corps nommé Isadore - Vous devez visualiser le contexte : il s’agit d’une chambre d’hôtel où tout est détruit, avec des plumes partout et des bouteilles de champagne vides. Le lit est écroulé, les rideaux sont en lambeaux, pas un seul meuble n’est entier, les filles sont à poil et couvertes de plumes, Moonie est aussi à poil mais sans plumes car rincé au champagne. C’est là que j’appelle Isadore dans sa chambre. ‘Isadore ?’ ‘Yeah? Dougal?’. ‘Écoute mec, tu devrais te lever et venir immédiatement. Moonie est hors de contrôle. Il est... Christ... Pour l’amour de Dieu, ramène-toi. Il a violé une femme de ménage. Je crois qu’elle est morte, man, il y a du sang qui coule de sa bouche. Et là, je commence à chialer, alors Isadore rapplique immédiatement. Il entre en trombe dans la chambre et découvre tout le bordel : la fille par terre, les jambes ouvertes, avec du ketchup plein la figure, Moonie recroquevillé dans un coin, se cognant la tête contre le mur et grognant, moi et cinq autres filles hystériques et en pleurs - Voilà le genre de coup que monte Moonie. Et chaque fois ça marche. 

             Dans un restau, Moonie fait venir 12 masseuses, leur demande d’enlever leurs knickers, de s’asseoir sur le comptoir et d’ouvrir les jambes. Alors il parle d’une voix de magicien au moment où il prépare son numéro : «Et maintenant pour votre délectation et votre plaisir, the one and only, the great, the astonishing, the astounding Moonio will perform his world famous multi-clitoral stimulation - before your very eyes and entirely without a safety net!». Puis il plonge dans la première beaver pie et titille le clito. Et il continue en allant de plus en plus vite. Les filles coopèrent in a most delightful manner

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             Jeff Stein mélange bien les époques. Après Woodstock, il revient au ramshakle d’«Anyway, Anyhow, Anywhere», Moonie en cocarde, freakout ! Puis «Substitute», dynamite !  et bien sûr c’est encore Moonie qui propulse le «Magic Bus». Et ça continue d’exploser au Rock Roll Circus avec «A Quick One While He’s Away», Moonie bombarde, the Ox bombarde, you are forgiven, Moonie bat à l’éperdue, il explose en gerbes de joie dionysiaque, il n’existe aucun batteur comparable à Moon the Loon. Absolument aucun.

             Moonie commence à faire du cinéma. Il est bon pour ça. C’est un acteur né. Le voilà sur le tournage de That’ll be The Day. Le réalisateur s’appelle Claude Whatham. Moonie joue le rôle du batteur des Stray Cats. Mais il trouve que l’ambiance est mauvaise sur le plateau. Alors il monte un coup. Il attend que Whatham demande le calme pour lancer sa première attaque. Soudain, dans la sono du plateau de tournage, une voix énorme annonce : «Les Allemands bombardent Neasden. Une bombe atomique va tomber sur Neasden. Courez immédiatement aux abris avec votre masque à gaz. Je répète...» Whatham hurle. Cut ! Cut ! Cut ! Il explose : «Find the loony ! Find the bastard !» Alors Moonie lance son deuxième raid : «N’essayez pas de me trouver. Je répète : N’essayez pas de me trouver. J’ai une mitraillette et je n’hésiterai pas à m’en servir. Je suis armé et très dangereux.» Whatham hurle de plus belle : «Trouvez-le ! Jesus-Christ, sortez-moi ce bâtard d’ici !». Alors Moonie envoie le troisième raid : «S’il y a des flics ici, sachez et que je fume un joint et que je me fais un shoot d’héro dans l’artère principale. Tous ceux qui jouent dans ce film ont la chtouille et des morpions. Chacun est prié de se rendre dans la clinique la plus proche. Toutes les filles de l’île de Wight sont des putes et elles vont enlever leurs knickers à la première occasion.» Whatham devient fou. Moonie continue : «Notez que Claude Whatham va être remplacé par un autre réalisateur. Un autre réalisateur est en route. On ne veut plus de Claude Whatham sur ce tournage parce qu’il encule le directeur de casting, ne niez pas, Claude, parce qu’on vous a vu. On vous a vu enculer le directeur de casting.» Quand on trouve enfin Moonie, tout ce qu’il trouve à dire, c’est qu’il a redonné vie à ce plateau de tournage.

             Sur le tournage de Stardust, Moonie refout le souk. La scène se déroule dans un restaurant, et soudain, il y a beaucoup d’animation. Stop the cameras !, crie le patron du restaurant. Car quelqu’un a modifié le menu affiché au mur sur la grande ardoise :

             — Fried Shit and Ships

             — Prunes and Piss

             — Bollocks on Toast

             «Inevitably, Moonie is absolutely convulsed with laughter and he can hardly stand up.»

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             Alors bien sûr, il faut voir ces deux films, That’ll Be The Day et Stardust, qui sont les deux parties d’une même histoire, celle de Jim MacLaine, interprété par David Essex. Le casting des deux films est somptueux, Ringo et Billy Fury jouent des rôles clés dans le premier, Adam Faith et Dave Edmunds dans le deuxième. Il existe une parenté entre ces deux films et Quadrophenia, car l’approche sociologique sonne juste : David Essex grandit dans un milieu working class (sa mère tient une petite épicerie et son père s’est fait la cerise). Il quitte l’école - Got enough of schooling school - pour aller zoner dans une station balnéaire - So I gave up, ran away and hitched to a roller-coaster ride in search of fish & chips & freedom - Il trouve une piaule - Two pounds ten in advance - et pour vivre, il loue des transats - I might finish up being the first British rock’n’roll deckchair selling millionaire tycoon - Il devient pote avec Ringo qui est effarant de justesse dans son rôle de Teddy boy. Et puis voici le moment de vérité : Whatman filme un groupe de rock dans une petite salle. Première apparition de Moonie au beurre derrière Stormy Tempest, interprété par l’effarant Billy Fury. On voit aussi Graham Bond au sax et certainement Manfred Mann aux keys. On voit aussi un concours de danse et Ringo fait un vrai numéro de cirque. Moonie aussi. La petite scène qu’il fait avec sa batterie vaut tout l’or du monde. Puis Jim MacLaine rentre chez sa mère, se marie et fait un gosse. Jusqu’au jour où, comme son père, il quitte sa femme, son fils et sa mère, qui n’est pas surprise. Il va s’acheter une guitare. C’est la fin du premier épisode. C’est bien de pouvoir revoir ce film, c’est l’un des grands classiques du ciné rock britannique.

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             L’idéal est de pouvoir enchaîner aussitôt avec Stardust. Jim McLaine a monté un groupe nommé Stray Cats (rien à voir avec les Stray Cats américains) avec Dave Edmunds, Moonie et deux autres mecs, et il demande à Mike Menary (l’excellent Adam Faith) de faire le road manager. Okay then, Adam Faith fait des prodiges : il finance un van plus confortable, il négocie un contrat avec un label boss interprété par Marty Wilde. Moonie fait des apparitions plus fréquentes, mais en tant que pitre, et il n’est pas aussi bon que Ringo. Il redevient le légendaire Moonie lorsqu’il bat le beurre de glam pour David Essex sur «You Kept Me Waiting» et là, on voit le beurreman physique extravagant. Magnifique plan rock. Puis on les voit en costards gris exploser la scène avec «Some Other Guy» et là tu vois Moonie battre les bras en l’air, les cheveux au vent, le groupe est #1 en Angleterre, alors Moonie bat le beurre du diable, il saute sur son tabouret, c’est un joli mélange Who/Beatles, et tout le film est monté sur le modèle de la Beatlemania, avec les girls qui hurlent et les poursuites dans la rue. Puis le groupe tombe dans les pattes d’un investisseur texan, Porter Lee Austin, et devient une grosse machine à fric. Adam Faith et le Texan misent tout sur David Essex, donc le groupe est viré. Il est arrivé la même chose à Elvis. David Essex va finir par s’isoler dans un spanish castle avec Adam Faith. Pour connaître la fin, il faut voir le film.

             Retour à Stein qui réussit à filmer les ‘Hooo en répète. Moonie chante «Barbara Ann» au chat perché, c’est un fan inconditionnel des Beach Boys et de Jan & Dean. Il porte la barbe taillée et un débardeur rayé rouge et blanc. Un journaliste lui demande de raconter la vérité. Moonie : «Tell the truth ? I can’t do that. You can’t afford me.»

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    ( Dougal  & Keith in 1977 )

             Dougal donne la clé de Moonie : «Observez bien ce mec. C’est une catastrophe ambulante. Il a un ego démesuré, complètement démesuré. Mais en plus de tout, ça, c’est un homme généreux qui a besoin d’un exutoire, et comme il ne trouve pas d’exutoire au sens conventionnel du terme, il explose all over the place into outrageous behaviour. Et dans la plupart des cas, je suis là pour ramasser les morceaux.» Voilà donc la clé de Moonie. Quand Dougal décide de quitter Moonie pour aller bosser avec Jeff Stein et devenir assistant réalisateur, ça se passe très mal. On arrive à la fin du book. Moonie commence par lui interdire de le quitter, puis il l’insulte et finit par le frapper. Dougal répond et envoie Moonie au tapis. Bing bang ptooof. Dougal parle d’un épisode traumatic. Sa décision est prise : il rentre à Londres avec Stein. Alors Moonie embauche Keith Allison pour le remplacer. Mais il reste attaché à Dougal. Peu de temps après, il envoie Keith Allison le chercher pour le faire monter dans la limo et tenter une dernière fois de le convaincre de rester à son service. Moonie commence par s’excuser. Puis, il lui propose 50 % de tout ce qu’il gagne, Dougal dit non. Alors Moonie chiale toutes les larmes de son corps. Te voilà très exactement au cœur de ce que Robert Wyatt appelait the rock bottom. La vulnérabilité.

             Moonie va casser sa pipe en bois un an plus tard. Bizarrement, les ‘Hooo vont continuer sans lui.

    Signé : Cazengler, Keith Mou

    Dougal Butler. Moon the Loon: The Amazing Rock And Roll Life Of Keith Moon. Star 1981

    Jeff Stein. The Kids Are Alright. DVD 2003

    Claude Whatham. That’ll Be The Day. DVD 2020

    Michael Apted. Stardust DVD 2019

     

    Bridge over troubled Waterhouse

     - Part Two

     

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             Sur la grande scène, l’an passé, Nick Waterhouse sortait le Grand Jeu : costard d’American corporate, section de cuivres, allure de Revue, un set taillé au cordeau, immensément pro, quasi-Daptone. Big showtime d’American showman. Par contre, dans cette petite salle havraise, il fait tout l’inverse : Nick tombe la veste, il se pointe en chemise blanche, petit fute de tergal et mocassins.

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    Et là, ça joue, sans doute plus qu’avec tout le bataclan de la grande scène. Il est fantastiquement accompagné, ça jazze sec et net au beurre, ça slappe au round midnite sur la stand-up, un petit gros keyboarde à babord, et un Texas guy gratte des contreforts à la Chet Atkins sur sa Gretsch.

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    Te voilà arrivé au royaume du groove, sans doute le meilleur groove blanc qui se puisse concevoir de nos jours. Le Nick te nique tout, il claque des gimmicks parcimonieux avec la sagesse d’un vieux blackos, il pose sa voix avec un talent surnaturel, ce mec bat tous les records du genre, il fait corps avec son groove, il se bat pied à pied avec toutes ses structures biscornues et coule au final un bronze magnifique, tu passes une grande heure au pied d’un artiste qu’il faut bien qualifier de parfait.

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             Nick Waterhouse est l’héritier direct de Roogalator, le groupe de Danny Adler qui fut l’un des groupes les plus excitants, à Londres, en 1976. Wow la gratte vert pailleté de Danny Adler ! Et l’héritier le plus direct de Nick est P.M. Warson qu’on eut la chance de voir dans la région l’été dernier, Warson dont l’idole n’est autre que James Hunter. Tous ces mecs ont des racines dans le funk et dans la mélodie, ils combinent un son qui n’est jamais putassier, ils maîtrisent la science exacte du groove black telle qu’on la trouve chez Leroy Hutson ou encore Al Green & the Hi Rhythm, un sens aigu du smooth et du rythme, eh oui, Nick Waterhouse cultive cette élégance. Il attaque son set avec «High Tiding», tiré d’Holly qui n’est pas son meilleur album, et boom il embraye sur «I Feel An Urge Coming On», groové sec dans les règles du lard fumé. Il tape dans tous ses albums, voilà qu’il tire ensuite «Santa Ana» de Promenade Blue, cet album qu’on avait trouvé si décevant.

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    Mais comme il tourne pour la promo de son petit dernier, il se montre assez insistant avec «(No) Commitment». Le cut qu’on a repéré sur The Fooler s’appelle «Late In The Garden», Nick le cale plus loin dans le set, on le repère immédiatement, car il le tape aux heavy chords de gaga angelino, c’est un heavy groove infesté de réverb et ce démon de Nick se met à sonner comme Thee Midnighters, un combo chicano quasi-mythique arraché jadis à l’oubli par Norton. Et là, tu réalises que tu as le vrai truc. L’autre gros cut du Fooler s’appelle «Hide & Seek», Nick le claque sur scène, il le prend en mode joli groove dansant, il fait la java bleue de Los Angeles et n’en finit plus de nous en boucher des coins. C’est dingue comme ce mec sait rebondir dans ses aventures.

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             Après l’affreux Promenade Blue, il revient en force avec l’excellentissime The Fooler.

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    Là, tu peux y aller les yeux fermés. On y retrouve ce cœur de set, «Late In The Garden», bien allumé aux heavy chords, c’est infesté de réverb, fantastique clin d’œil aux Midnighters - It’s a testament to all the grace & work - Pur genius. L’autre coup de maître s’appelle «Unreal Immaterial», attaqué en mode stomp. Incroyable rebondissement ! Les chœurs font «ships in bottles» et le sax chauffe ça hot. Ce genre de cut dépasse l’entendement. Wild as Nick ! Ça joue avec l’énergie du «Gloria» des Them, mais avec de la démesure. Le Nick rentre dans le chou du rap gaga and dry land lies. Il attaque ce bel album avec «Looking For A Place», un heavy groove de bonne fortune qu’il chante à la menace - You said/ You were looking fir a place - Et paf, il te passe le solo spatial de réverb dans la moiteur de la nuit. «Hide & Seek» fait partie du set, c’est un joli groove dansant, presque poppy poppah. Avec cette Beautiful Song, il fait la java bleue de Los Angeles. Il rehausse cette merveille de good time music d’espagnolades. Chez Nick tout n’est que luxe, calme et espagnolades. «Play To Win» fait aussi partie du set, encore un wild groove, du full blown Waterhousing. Ah il faut le voir groover son every gamble game ! Il y va au don’t you deal me a hand et ça swingue à coups de trompettes. Plus loin, on recroise l’excellent «It Was The Style», un heavy cha cha cha, il y ramène toute la prestance kitschy dont il est capable, il shake son ass off sur ce heavy groove de toréador. Il finit avec un «Plan For Leavin’» assez dylanex, très bizarre, très orienté, accompagné aux trompettes mariachi.

    Signé : Cazengler, Nick Water-closet

    Nick Waterhouse. Le Tétris. Le Havre (76). Le 15 novembre 2023

    Nick Waterhouse. The Fooler. Pres Records 2023

     

     

    L’avenir du rock

     - Sam Coomes is coming

     (Part One)

             Quand l’avenir du rock se fâche avec une copine, c’est qu’il a une idée derrière la tête. Il ne fait jamais rien gratuitement. S’il décide d’engager une embrouille, c’est à des fins très précises. Il faut bien le connaître pour comprendre. À ses yeux, la vie est un jeu qui peut s’apparenter à une partie d’échecs. S’il admire tant Marcel Duchamp, ce n’est pas un hasard. S’il admire tant l’adepte de Clausewitz que fut Guy Debord, ce n’est pas non plus un hasard. Dans un cas comme dans l’autre, les petites mécaniques mentales génèrent plus d’excitation que n’en générera jamais la pratique des vices. Tout joueur d’échecs sait cela. Tu n’avances pas tes pions impunément. Tu joues, tu perds, tu joues, tu gagnes, mais tu joues toujours, même si tu ne le sais pas. Prendre une décision, c’est une façon de déplacer un pion, c’est-à-dire un acte qui peut entraîner des conséquences. Mais les conséquences restent dans le jeu. La vie et la mort font partie du jeu. Tu nais, tu gagnes, tu meurs, tu perds, entre les deux, tu joues des coups, les coups que tu peux. On comprend qu’un être supérieurement intelligent comme le fut Marcel Duchamp ait pu être fasciné par les coups d’échecs. Au plus secret de sa vie intérieure, l’avenir du rock fomente de délicieux complots. Il voit très bien le moyen d’obtenir le mat en trois coups, il suffit de prendre le temps de le préparer. Premier coup : il boit l’apéro seul dans son coin avec le casque sur la tête. La copine s’énerve. «Tu te crois où ?». Deuxième coup : un peu plus tard dans la soirée, il sort et va passer la soirée en ville, sans donner aucune explication. La copine est sciée. Troisième coup : il rentre le matin à l’aube réveille brutalement toute la baraque en passant un album des Stooges, avec le volume de l’ampli à fond. La copine sort de la chambre, excédée. Elle ne lui demande même pas d’où il vient. Elle fait sa valise et annonce qu’elle se barre de cette baraque de dingue. Alors l’avenir du rock lui lance, avec un petit sourire en coin :

             — Baby Coomes back !

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             Il faut s’appeler l’avenir du rock pour oser des coups pareils. Et ça marche à tous les coups.  Sam Coomes serait ravi d’apprendre qu’il a servi les desseins de l’avenir du rock.

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             L’autre jour dans Mojo, Victoria Segal annonçait le grand retour de Quasi qui fut, t’en souvient-il, le fer de lance de la grande pop américaine des noughties avec les Guided et Yo La Tengo. Sam Coomes et Janet Weiss ont longtemps cassé la baraque avec des albums faramineux, et malgré tout ça, ils ne font toujours pas la une des magazines. Bon, une page dans Mojo, c’est mieux que rien, alors on ne va pas aller se plaindre.

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    ( Sleater Kinney )

             En dehors de Quasi, Sam Coomes accompagne maintenant Jon Spencer & The Hitmakers. Janet Weiss a battu le beurre dans Sleater Kinney jusqu’en 2019, et dans d’autres groupes encore plus underground. Ils ont tous les deux un parcours aventureux qui s’étend sur plus de 30 ans. Ils vivent tous les deux à Portland, Oregon, mais séparément. Ils savent qu’ils sont cultes, mais ils ne la ramènent pas. Sam Coomes : «A Lot of people escape our cult, or avoid it.» C’est sa façon d’en rigoler. Chaque fois qu’ils sortent un album, ils pensent qu’ils vont devenir énormes, mais heureusement, la gloire les épargne, ce qui permet à Sam Coomes de philosopher : «La musique tient plus de la quête spirituelle que du job ou de la carrière.» À la fin des années 80, au terme d’un concert de Donner Party, son premier groupe, Sam Coomes a rencontré Janet Weiss. Ils se sont mariés et installés à Portland, puis séparés en 1997. Mais ils ont su conserver le plus important : la musique, c’est-à-dire Quasi. Leur grandeur, nous dit la victorieuse Segal, est de savoir transformer «life’s bitterest twists into pop euphoria», devenant, ajoute-t-elle, «the cult band’s cult band». En plus de Sleater Kinney et de Quasi, Janet Weiss battait aussi le beurre dans Stephen Malkmus’s Jicks. Quasi accompagnait aussi Elliott Smith. Ils se sont toujours bien débrouillés pour rester au cœur d’une scène passionnante. Rien de plus intense qu’Elliott Smith et Stephen Malkmus ! Ils ont aussi accompagné, nous dit Segal, les Go-Betweens sur leur come-back album, The Friends Of Rachel Worth. Ça s’appelle un parcours prestigieux. 

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             Breaking The Balls Of History est donc le dixième album de Quasi. Au premier abord, l’album sonne un peu pop indé, mais comme Sam Coomes n’est pas avare de poudre de Perlimpinpin, il faut s’attendre à un bon régal. Première estocade avec «Queen Of Ears». Comme ce mec est bon, on lui lèche les bottes. Il ramène dans son Queen toute la modernité dont il est capable. En fait, la modernité est la botte secrète de Quasi. Puis l’album va commencer à grouiller de puces. Il te balaye la pop d’un revers de la main avec «Shitty Is Pretty», Sam Coomes fait la meilleure pop d’Amérique, une pop pleine de jus qui ne craint ni la mort ni le diable. Pur Coomes power ! Et ça repart de plus belle avec «Riots & Jokes». Janet Weiss lance cette horreur, les voilà au cul du bottom, c’est une pure décharge de printemps, Sam Coomes te travaille ça au shuffle explosif, personne n’est jamais allé aussi loin dans la prévalence de l’évanescence, les vagues de shuffle t’arrivent en pleine gueule comme des paquets de mer, et les descentes d’accords sont mirifiques ! Cette pop innervée flirte en permanence avec le génie. Et ça continue avec «Doomscrollers», heavy pop monumentale, drivée dans la fibre. Ah il faut les voir amener «Nowheresville» au petit pouet de Sam, avec le tatapoum de Janet juste derrière - Shoot-ouff-ouff/ Get it - Sam te roule ça dans sa farine. Cet album a une pêche qui donne à voir et qui donne surtout du fil aux rotors, quelle niaque, c’est du cosmic Coomes, et là tu as un killer solo flash à faire pâlir d’envie Jon Spencer. Ils tapent leur «Rotten Wrock» aux casseroles de la misère et bouclent avec «The Losers Win» qui élargit à l’extrême leur pop évangélique. Sam Coomes joue de l’orgue, mais ça prend une dimension universelle. Sam Coomes is coming ! Il veille à tout, il est bien plus puissant que Paul McCartney.    

             Signé : Cazengler, coomique

    Quasi. Breaking The Balls Of History. Sub Pop 2023

    Victoria Segal : Quasi fight back, again. Mojo # 352 - March 2023

     

    Inside the goldmine

     - Butler de rien

             Ballo venait d’un univers complètement différent, celui de la petite bourgeoisie de banlieue verte. On le sait, la banlieue verte et la banlieue rouge n’ont jamais fait bon ménage. Mais cette fois, il s’agissait de bosser ensemble. Comme on avait des clients en com ressources humaines dans les groupes bancaires, c’est Ballo qui allait au charbon pour assurer le suivi commercial. Fréquenter les DRH des groupes bancaires ne lui posait aucun problème : il venait exactement du même monde. Au café du lundi matin, Ballo racontait souvent qu’il avait passé le week-end dans un mariage de 200 personnes, et qu’il avait rempli un nouveau carnet d’adresses. Il ne fonctionnait que par réseautage et tous les gens qu’il fréquentait bossaient eux aussi dans le petit monde privilégié des tours de la Défense. Certainement pas à l’usine. À son expertise technico-commerciale, Ballo ajoutait celle des cravates. Il avait le visage très large, le cheveu coiffé et plaqué au gel, de grands yeux verts et une bouche pincée qui en disait plus sur son caractère que tout ce qu’il voulait bien nous confier. Ballo était en quelque sorte un modèle de conformisme et il ne ménageait pas ses efforts pour s’adapter aux rigueurs de notre fréquentation, on sentait en tous les cas que notre façon d’être ne le laissait pas indifférent. Il respectait surtout notre créativité, car elle était source de richesse. On le payait pour la vendre à des gens qu’on ne voulait pas fréquenter. Ballo en tirait un double avantage : d’une part, il éprouvait de la fierté à surprendre ses clients en les déroutant : le conformiste vendait de l’anticonformisme à des conformistes, et comme ça marchait à tous les coups, il en redemandait. Et d’autre part, il s’enrichissait rapidement, car il savait parfaitement bien gérer un effet boule de neige. En quelques années, cette relation extrêmement mal embouchée devint objet de fierté, car basée sur le respect mutuel, ce qui n’est pas si courant dans ce monde de brutes qu’est le monde des affaires.

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             Pendant que Ballo vendait du vent, Billy charmait sa muse à Chicago. Vu d’avion, c’est exactement le même travail de fourmi. Ballo et Billy méritent tous les deux qu’on leur consacre un peu de temps et qu’on leur rende hommage. On a découvert Billy Butler dans une extraordinaire compile Chicago Soul, The Class Of Mayfield High, le Mayfield en question était bien sûr Curtis Mayfield. Une compile Kent lui rend aussi hommage : The Right Tracks. The Complete Okeh Recordings 1963-1966. C’est bien sûr Tony Rounce qui prend Billy en charge.

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             Comme le faisait si justement remarquer Hank Williams Jr, ce n’est jamais facile de faire carrière dans l’ombre d’un very famous one. Billy Butler est le petit frère du Soul icon Jerry Butler. Billy nous dit Rounce avait la chance d’être un chanteur et un guitariste talentueux, et la malchance de vouloir entamer une carrière alors que son grand frère était à l’apogée de la sienne.  Rounce va loin lorsqu’il affirme que le petit Billy a fait some of the best Soul records ever, sous la haute autorité de géants comme Carl Davis, Curtis Mayfield et Gerald Sims. Comme chacun sait, Jerry Butler fit carrière avec The Impressions et Billy n’avait que 13 ans quand Jerry connut la gloire avec «For Your Precious Love». Carl Davis signe Billy & The Four Enchanters en 1963 sur OKeh. Pour leur première session, Billy et ses amis enregistrent «Does It Matter», un cut chouchouté par les fans de Northern Soul, mais Rounce a un faible pour «Found True Love», qui ouvre le bal de la compile. On a là une big Soul primitive avec des harmonies vocales de rêve. Globalement, Billy fait une Soul de doo-wop. Rounce prend de l’élan pour déclarer qu’avec «The Monkey Time» de Major Lance et l’«It’s All Right» des Impressions, «Found True Love» constitue le trio de choc du «Chicago Soul’s golden era». Puis, comme il fait habituellement, Rounce nous ennuie avec ses chipoti-chipotas de découvreur de bandes inédites, ce qui fait qu’on se retrouve avec des doublons («Found True Love», «Does It Matter» et «Lady Love»). Lors d’une deuxième session, Billy et ses amis enregistrent «Fighting A Losing Battle», un autre cut chouchouté par Rounce. Il n’empêche que le résultat n’est pas très probant : un an de contrat et toujours pas de hits. Carl Davis renouvelle quand même le contrat du jeune Billy qui repart à l’assaut du ciel avec une compo de Curtis Mayfield, «Gotta Get Away». En 1964, il enregistre une autre compo de Papa Curtis, «Nevertheless», un solide r’n’b de yeah yeah I love you, Billy arrose de ses chunky guitar chords, mais c’est encore un flop. Lors de la même session, il met en boîte «Tomorrow Is Another Day», la Soul de la miséricorde. Et c’est en 1965 que Billy enregistre ses deux plus grands hits, «Right Track» et «Boston Monkey» que Rounce qualifie de dance floor classics. Il a raison le Rounce, Billy devient the king of it all avec son «Right Track», pur genius d’I believe - I believe I’m on the right track - Même magie avec «Boston Monkey», the Major Lance’s compulsive dance workout. Impossible de rester assis. C’est Dave Godin et son Soul City label qui font connaître le fabuleux «Right Track» en Angleterre. Godin envisage de sortir l’album du même nom paru sur OKeh, mais son label coule. Carl Davis quitte OKeh et le contrat de Billy prend fin. Davis est nommé big boss de Brunswick à Chicago et remonte une nouvelle équipe. Billy le rejoint. Mais le temps de la belle Soul de doo-wop est révolu. Le pauvre Billy rentre dans le rang.  

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             En 1973 paraît un album de Billy Butler & Infinity, Hung On You. Big album - How should I start this conversation ? - Billy t’explose la conversation dès «I’m So Hung Up On You». C’est extrême, il pousse la Soul dans le dos pour qu’elle avance plus vite, il explose les cadences de sex on you. «I Don’t Want To Love You» tombe du ciel. Il fait de la heavy Soul de charme chaud. Billy est un Brother intense, il tartine la Soul à l’infini. Il a derrière lui des chœurs de folles, on les entend bien dans «Whatever’s Fair», puis il fait claquer l’orage dans «Storm», Billy l’attaque au heavy groove, comme dans «Season Of The Witch». C’est saturé de feeling, ça groove sous les éclairs. «Free Yourself» ? Wild as fuck. Tu comprends pourquoi Billy est recherché. Il éclate ensuite «Dip Dip I’ve Got My Hands Full» au Sénégal, c’est énorme car bien fondé - I’ve got my hands full/ Of you - Il groove le heavy r’n’b. Il va chercher les grosses orchestrations pour donner du poids à «Now You Know» et là il s’envole par-dessus les toits - I’m on your side - Billy est puissant, il peut aller très loin. Il t’allume encore la chaudière avec «You Can’t Always Tell», il est le crack des cracks, il te fait du pur jus de wild r’n’b.

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             Paru pourtant sur Curtom en 1977, Sugar Candy Lady n’est pas l’album du siècle. Billy y propose une Soul de satin jaune curtomisée. Dans «I Know The Feeling Well», des petites gonzesses chantent get yourself together en chœur. Billy se la coule douce et va danser un petit coup avec «Play My Music». Il sait gérer son destin. Il fait de la belle Soul («Feel The Magic»), mais sans magie. Pourtant tout est là : les violons, le beat, les chœurs, la wah. Encore du très beau satin jaune avec «Alone At Last (Pt1 & 2)», il est dans l’énergie de Marvin, avec de très beaux arrangements orchestraux. Il tente sa chance jusqu’au bout de la B avec «My Love For You Grows». Il a raison. Billy a du talent.

    Signé : Cazengler, chat botlé

    Billy Butler. Billy Butler & Infinity. Hung On You. Pride 1973 

    Billy Butler. Sugar Candy Lady. Curtom 1977

    Billy Butler. The Right Tracks. The Complete Okeh Recordings 1963-1966. Kent Soul 2007

     

     

    Holly ne met pas le hola

     - Part Two

     

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             Fraîchement émoulue de l’Institut Supérieur de Formation du Garage Britannique (Thee Headcoatees), Holly s’est lancée dans une carrière solo. Elle jouait sur du velours car deux labels prestigieux la soutenaient : Damaged Goods en Grande-Bretagne et Sympathy For The Record Industry aux États-Unis. Quand on a des atouts comme ceux-là en main, la partie est gagnée d’avance. D’autant qu’Holly a basé sa légende sur une autre légende, celle de Breakfast At Tiffany’s, l’extraordinaire nouvelle de Truman Capote porté à l’écran par Blake Edwards au début des sixties. Bon nombre de jeunes coqs tombèrent sous le charme d’Audrey Hepburn qui campe à merveille le rôle d’Holly. Ah, il faut voir Audrey chanter « Moon River » assise la nuit sur le rebord de sa fenêtre : pur moment de magie. Et tout l’art d’Holly l’Anglaise vient de là, de ce pur moment de bonheur cinématographique.

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             Elle entame sa carrière solo en 1995 avec The Good Things qui reste bien dans la lignée des prestigieux albums des Headcoatees. Ouverture de balda avec un « Virtually Happy » monté sur un beat tribal de Bruce Brand. Pure présence apostolique ! Le garage d’Holly reste à la fois très vinaigré et très Shangri-La. Elle enchaîne avec un « Listen » chanté du nez. On sent qu’elle brigue la couronne, et que chaque morceau est dûment réfléchi, pesé et soupesé. Belle énormité que ce « Comedy True » rampé sur le pavé. Fantastique car progressif dans la charge de trash-guitar. Ce cut fait partie des hauts lieux d’Holly. Elle frise le génie avec un « Without You » monté sur un riff très violent. Elle tape là l’un des gagas les plus explosifs d’Angleterre. Ça riffe à outrance, on se croirait presque chez les Troggs, les Kinks et tous les autres, c’est trash explosif à l’état le plus pur. Le guitar slinger s’appelle Ed Shadoogie. Le dernier big time de l’album s’appelle « Every Word », ambitieux et cavaleur, revisité par ce démon d’Ed Shadoogie. Et voilà le travail. Sur chacun des (nombreux) albums d’Holly vont se nicher systématiquement deux ou trois merveilles. Il n’est donc pas question d’en rater un, car quand on a commencé à goûter aux charmes de « Without You », on souhaite voir la suite. 

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             Un an plus tard paraît The Main Attraction. Comme prévu, deux bombes s’y nichent. À commencer par « So Far Up There », de type gaga insidieux. Voilà qu’Holly traîne dans les caniveaux. Il ne faut ni l’approcher ni lui faire confiance. Elle n’est rien d’autre qu’une traînée des faubourgs, l’une des pires, celle qui chante du nez, une sale petite garce vénéneuse. Elle sort là une pure merveille de malveillance. L’autre bombe s’appelle « King Of Everything », amené comme un hit des Walker Brothers. Holly coule là un fantastique bronze d’extrapolation du mythe sixties - You’re the king of everything and I belong to you - Tout est joué à la basse. On trouve deux autre cuts magistraux sur The Main Attraction, « I Thought Wrong » (qui sonne comme du Velvet, insistant et vénéneux) et « If I Should Ever Leave » (qu’elle chante comme un Dylan tombé dans la lessiveuse, tout est poussé dans les retranchements, même l’orchestration, et ça donne un cut étonnant de ferveur incongrue).

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             On trouve un joli duo d’antho à Toto sur Laugh It Up, paru en 1996 : il s’agit d’une reprise du « Sand » de Lee Hazlewood chanté en duo avec Brian Nevill. On sent bien qu’après le carnage des Headcoatees, Holly aspire à plus de charité chrétienne. Alors elle tape dans le boogie de Big Dix à deux reprises, d’abord avec « Mellow Down Easy », joué à la bonne insistance de Toe Rag et sablé comme chez Ike, et avec le cut final, « Hold Me Baby » dont certains passages de guitares renvoient aux early Stones. On se régale de « Don’t Lie To Me », véritablement hanté par un solo trash d’une effroyable saleté sonique. Elle tape dans Ike en B avec « Troubles On My Mind » qu’elle prend au douceâtre angélique et elle humilie un mec avec « You Ain’t No Big Thing Baby ». Les albums d’Holly sont tous passionnants.      

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             Elle enregistre Painted On l’année suivante. En plus de Bruce Brand, on aperçoit Brian Nevill et Dan Melchior dans le studio de Liam Watson. Elle attaque avec « Run Cold », un groove de suburb classique qui sent bon la négligence féminine, un fumet que Napoléon Bonaparte appréciait particulièrement. Mais on sent qu’Holly s’éparpille un peu au fil des cuts : elle va du bastringue de bord de fleuve au heavy balladif peu déterminant, en passant par la country de pacotille. Avec « A Lenght Of Pipe », elle danse devant son juke. Elle inaugure un genre nouveau, le beat des antiquaires avec « Snake Eyed » qui sonne comme un fracas de vieilles casseroles ternies et poussiéreuses, mais elle y trouve une sorte de dynamique ancienne.

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             Elle redresse un peu la barre avec Up The Empire l’année suivante. Dan Melchior et Brian Nevill l’accompagne sur la scène de l’Empire Ballroom, Bridgetown’s premier nightspot. Deux belles choses sur ce petit disque sans prétention : « Trouble On My Mind », merveilleux hit de juke, juste de ton, vrillé par un solo énorme, et « Believe Me », tapé à la ramasse par Brian Nevill et qui sonne comme un groove des bas-fonds londoniens. Il règne une très belle ambiance sur cette petite scène. On se régale aussi d’une belle version de « Big Boss Man », d’un « Look For Me Baby » bien chaud et bien ouvragé, et d’une reprise de « It’s All Over Now » bien senti. Concert de rock anglais classique des années 90. Avec cet album, on atteint le cœur de l’underground britannique le plus magique.

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             Holly semble atteindre une sorte de vitesse de croisière avec Serial Girlfriend. Elle démarre en trombe avec « I Can’t Be Twisted », pur gaga brut de Brit tiré de l’avant. Arrive un solo fatidique, du pur jus de modernité classique, furibard et dément, encore pire que le solo de « Bird Doggin’ ». On trouve un autre killer solo sur « Down Down Down », battu au fond du bois de Toe Rag par Brian Nevill et arrosé de sauce sixties. Holly adore ces ambiances moody des clubs de Soho finement parfumés dandysme. Et soudain le solo surgit ! Voilà le secret d’Holly, elle peut rameuter le pire killer solo flash de l’histoire du rock anglais. On ne sait pas qui de Dan Melchior, Bruce Brand, Ed Deegan ou George Sueret passe le killer solo, mais on s’en fout. Puis elle s’éparpille avec les autres titres, passant de la petite rumba cacochyme (« Want No Other ») au heavy blues (« Come The Day ») en passant par la BO d’anticipation merveilleusement cinéphilique (« Serial Girlfriend »). L’ultime gros cut de l’album est « Til I Get », violent, noyé de son, et demented. On s’en repaît, d’autant qu’Holly fait sa gothique à la marée montante.

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             Elle revient se jeter dans les bras de Wild Billy Childish pour enregistrer cet album fabuleux qu’est In Blood. Dans ses notes de pochette, Billy annonce : « This album uses one chord ! And it’s simple and dumb ! ». Pour lui, trois accords c’est beaucoup trop. On peut garer le gaga sur un seul accord, et il le prouve avec le stomp rural de « Step Out ». Ces deux-là taillent bien la route. Le rock anglais leur doit une fière chandelle. Le jeu de gratte de Billy compte parmi les plus radicaux de l’échiquier politique. C’est un bretteur exemplaire. Ils enchaînent avec un morceau titre bien secoué du cocotier. Dans ses notes, Billy donne une extraordinaire leçon de morale et il va même jusqu’à prophétiser : « The future belongs to the glorious amateur ! One chord, one song, one sound ! ». Ils ramonent la cheminée du rock. Attention à « Demolition Girl » : c’est un vieux beat turgescent à la Pretties, monstrueux d’allant et complètement dévastateur, une vraie saleté endémique. Billy s’énerve, il secoue la tête en jivant son tintouin, c’est d’autant plus violent que c’est cadencé - Demolition baby ! - Billy et Holly mériteraient de passer la nuit dans le grand lit royal du palais de Buckhingham. Il faut l’entendre tirer ses morves de solo. Encore du British Beat d’excelsior avec « You Move Me », puis Holly s’en va foutre le souk dans la médina avec « It’s Natural Fact ». Elle y fait sa Bessie Smith, et là, ça prend une tournure énorme, car elle glisse. Nous voilà plongés dans les conditions optimales du rock anglais, avec une Holly qui nasille sur un groove de jazz contrebalancé au riff-raff. Rock genius à l’état pur. Tout aussi terrifiant, voilà « I’m The Robber », monté sur un vieux beat connu comme le loup blanc - It’s a hold up ! Hold up your arms ! - Coups d’harp par dessus, ils sont complètement dingues. Et ils bouclent In Blood avec « Hold Me ». Coups d’harp et brandy brash au comptoir. Quelle leçon !

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             Holly s’est fait peindre le portrait pour God Don’t Like It paru en l’an 2000. C’est un album moyen. On y trouve deux beaux cuts d’antho à Toto, à commencer par « I Hear You », qui est amené au petit groove de fête foraine. Dan Melchior y joue de la guitare fantôme et crée une présence fantastique. Ça groove à la racine du mythe. Il faut ensuite attendre « Second Place » pour renouer avec le gaga gagnant et plombé de fuzz. Holly chante d’autorité et ça donne un nouveau joyau pour la couronne de l’Underground Britannique. Qui saura dire l’éclat interplanétaire d’Holly ? Puis elle fait exactement comme sur les autres albums, elle s’éparpille. Elle tape dans le tintouin bluesy avec « I Don’t Know » et ça nasille au fond du fond. Son « Nothing You Can Say » est un groove de nez pincé joué à la stand-up amateur. Elle boucle avec un petit coup d’excitation final, « Use Me », chanté en mode amateur, comme ces girl-groups qui ne savaient pas chanter, mais leur candeur finira par s’imposer sous les lampions de la postérité.

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             Elle enregistre Desperate Little Town en 2001 avec Dan Melchior. Attention, c’est bardé d’énormités. Ils attaquent avec « Directly From My Heart » dans une fantastique ambiance à la Little Richard, avec un claqué d’accords poussiéreux. Extraordinaire ! On sent le génie gaga galeux de Dan Melchior. Sur « I’ll Follow Her », Dan chante comme un démon. Il gratte son vieux débris de dobro. Il gratte un blues d’élégance suprême. Et ça continue avec « Why Don’t You Love Me », et un retour sur le sentier de la guerre. Sacré Dan, quel fouteur de souk ! Il peut raser une ville tout seul. On passe au gaga gavé avec « Lifering ». Dan Melchior a le diable au corps. La pauvre Holly suit en tirant la langue. Dan se livre à un fantastique battage d’accords et le double de tortillettes de slide. Écoutez Dan Melchior les gars, c’est lui le king of the kong, le grimpé du sommet, celui qui chope les biplans pour les broyer. Quel gaga God ! Dan revient sonner les cloches du gaga gold avec le morceau titre. Il sort toujours ces petits riffs dont on raffole. On sent bien que ce mec ne vit que pour ça. Il ne mégote pas. Il faut aussi écouter « Don’t Pass The Hat Around », un heavy blues tamisard. Toute la mud coule des doigts de Dan la bête. En plus, c’est signé Tony McPhee.

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             S’il ne fallait conserver qu’un seul album de ce personnage faramineux qu’est Holly, ce serait sans le moindre doute le Singles Round-Up paru en 2001. Sur les 24 titres compilés, on a 12 bombes. Elle attaque avec « Virtually Happy », amené comme une grosse purge de gaga grind. Elle tient bien son rang de gaga Queen et chante d’une voix incroyablement pointue, d’un pointu qui frise la délinquance. Ça sonne comme un hit sixties, mais avec le poids d’une voix en plus. « No Big Thing » est aussi un énorme hit garage - You ain’t no big thing baby ! - Pure perle rare de gaga galvaudé. Le festival se poursuit avec « My Own Sake » épais et groovy, si épais que ça devient irrespirablement génial. Elle prend aussi « Til I Get » à la violence des bas-fonds, c’est aussi furieusement embarqué qu’un vieux hit des Pretties. « Waiting Room » sonne comme le meilleur gaga gogol. Elle chante d’une voix de gras double et pèse sur ses accents avec mauvaiseté, puis elle se hisse au sommet des explosions. Tout est roulé dans une farine de fuzz. Encore un hit de juke avec « I Can Be Trusted », vrillé d’un wild killer solo flash. Sur cette compile, tout est bon, il n’y a rien à jeter. Encore un hit avec « No Hope Bar » qu’elle gère à la meilleure embardée qui soit. Tiens, encore une extravagance avec « In You », shootée de solos intraveineux, c’est dingue, et même affolant de son sale et de proto-souffle d’audace. Elle reste dans le hard beat avec « Believe #2 » chargé de son à ras-bord et vrillé par l’un des meilleurs killer solos de l’histoire du kill kill kill. Il s’appelle Ed Deegan, c’est un redoutable interventionniste. Elle ondule des hanches sur « Too Late Now » et chante d’une voix trempée comme l’acier, puis elle tape le « Sand » de Lee Hazlewood en duo avec Max Décharné. C’est Dan Melchior qui reprend l’« Your Love Is Mine » d’Ike avec elle. Ils forment un couple rempli de hargne atrocement malveillante. Dan Melchior prend le lead sur « Laughing To Keep From Crying ». Il peut chanter comme un bluesman borgne de cabane et Holly le rejoint à l’unisson du saucisson. Sacré Dan, il sait lui aussi rester en alerte rouge. On aurait aimé qu’Holly fasse ses Brokeoffs avec lui plutôt qu’avec Lawyer Dave. Puis elle duette avec son vieux compagnon de route Bruce Brand sur un « Listen » admirable de bassmatic. Le dernier cut de cette superbe compile est une reprise de Pavement, « Box Elder » qu’elle explose dans les règles du lard fumant. Ça lui va comme un gant. Elle règne sur son empire.

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             Truly She Is None Other est probablement l’album d’Holly le plus connu. C’est aussi à l’occasion de sa parution en 2003 qu’elle vint jouer à Paris, au Café de la Danse. Pas mal de très bons cuts sur cet album, à commencer par le fameux « Walk A Mile » - Walk a mile in my shoes - pur dandysme écarlate de cramoisi, comme sur la pochette. Holly brode ça à l’or fin. Elle enchaîne avec « All Around The Houses », un petit groove rantanplan qui tournicote autour des maisons. L’indomptable Sir Bald Diddley joue là-dessus et ça s’entend dans le secret des tornades. Quelle magnifique ambiance ! Joli coup de British Beat avec « Time Will Tell », bien tapé par l’ineffable Bruce Bash Brand. Voilà du bon garage anglais sur deux accords bien décidés. Holly adore se secouer le popotin sur du vieux jive de juke, en souvenir du temps béni des Headcoatees. Encore une pièce de choix avec « It’s All Me » groovité aux guitares lumineuses, d’une exemplarité sans pareil. On croise plus loin « You Have Yet To Win », un classique de twisted jukebox. Holly sait traiter la chose à l’ancienne. Il faut entendre ces claqués de guitare infectueux, ce violent solo et l’esbroufe des clap-hands. Et Sir Bald touille bien la braise. Ah le bougre ! 

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             Down Gina’s At 3 fait partie des très grands albums live de l’histoire du rock. Tout est bon là-dessus. Bruce Brand et deux membres des Greenhornes accompagnent Holly : Jack Lawrence et Eric Stein. Ça commence vraiment à chauffer avec « Lenght Of Pipe », drivé au bassmatic. Quand tu as un mec comme Jack Lawrence à la basse, ça s’entend. Il sait groover. Eric Stein passe un killer solo furibard. Elle tape ensuite dans le beau « Walk A Mile »  de l’album précédent. Plus loin, elle bascule dans l’heavy blues avec « Further On Up The Road » et on revient au gaga gut avec « Won’t You Got Out ». Jack Lawrence joue ça à la mortadelle du petit cheval, il nous swingue ça à la barbaresque. Voilà comment on joue le gaga gold : au swing, comme le jouaient les Groovies. Killer solo d’Eric le viking. On notera la violence de la montée dans « Nothing You Can Say », digne des pires tensions de la Guerre Froide. On tape là dans l’inexorable. Derrière Eric et Holly, Jack Lawrence et Bruce Brand veillent au grain du grind. Quel gang ! Ça explose d’un côté et Jack Lawrence reste de marbre. On revient aux Headcoatees avec « No Big Thing ». Admirable ! On se croirait dans un album de rêve. Et ça continue comme ça jusqu’au bout avec « Run Cold » gros gaga-mambo de Londres qu’ils font rissoler à coups de killer solos, et « Shot Down Explosion », dans une version définitive. Boom ! Ça explose.

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             Slowly But Surely est le dernier album qu’elle enregistre en tant qu’Holly. The Bongolian vient donner u petit coup de main au shuffle. Holly jazze « My Love » jusqu’à l’oss de l’ass. Elle bénéficie d’un joli son de stand-up, rond et profond, et même carrément vulvique - My love is a deep blue sea - Avec « Dear John » on comprend qu’Holly prend une direction plus rootsy. Elle s’intéresse aux racines de l’Americana, ce qui est parfaitement absurde, de la part d’une Anglaise aussi anglaise qu’elle. Elle revient heureusement au gaga guilleret avec « In Your Head », arrosé de piano gadget par le petit Nasser Bouzida. Holly retrouve ses marques dans le bon vieux gaga gig à la noix de coco, mais prise entre deux feux : le balancement des hanches et le solo trash. Elle renoue avec le succès et sauve un album assez mal embouché, mal foutu et mal pensé. Plus loin, elle chante « Through Sun & Wine » avec la voix de Vanessa Paradis. C’est horrible de candeur factice. C’est vrai qu’il faut faire l’effort d’entrer dans sa cuisine remplie de petites boîtes à sucre en fer, car ça permet de bien apprécier sa version d’« All Grown Up », d’autant que c’est bardé de solos joués à l’élastique. Encore une jolie pièce avec un « Won’t Come Between » noyé d’orgue. Holly ne fait pas n’importe quoi.

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             On trouve pas mal de hits de juke sur My First Holly Golightly Album, à commencer par « Wherever You Were » chanté au petit sucre. Holly est vénéneuse. Son cut est à la fois terrible de tenue et choquant d’irrévérence. On retrouve l’excellent « You Ain’t A Big thing ». Son « Won’t Go Out » sonne comme une vieux rumble de gaga grivois et une stand-up embarque « Nothing You Can Say ». On se régale de « Further Up The Road » joué au boogie insistant et de « Run Cold » dégoulinant de décadence. Elle tape plus loin un « My Love Is » superbe de stand-up motion et chanté d’une voix de rêve - My love for you is a mountain ride - On rêve tous d’avoir une poule qui nous dise des choses comme ça.

             On voit la suite dans un Part Three.

    Signé : Cazengler, Holy shit !

    Holly Golightly. The Good Things. Damaged Goods 1995

    Holly Golightly. The Main Attraction. Damaged Goods 1996

    Holly Golightly. Laugh It Up. Vinyl Japan 1996     

    Holly Golightly. Painted On. Sympathy For The Record Industry 1997

    Holly Golightly. Up The Empire. Sympathy For The Record Industry 1998

    Holly Golightly. Serial Girlfriend. Damaged Goods 1998

    Holly Golightly. In Blood. Wabana 1999

    Holly Golightly. God Don’t Like It. Damaged Goods 2000

    Holly Golightly. Desperate Little Town. Sympathy For The Record Industry 2001

    Holly Golightly. Singles Round-Up. Damaged Goods 2001

    Holly Golightly. Truly She Is None Other. Damaged Goods 2003

    Holly Golightly. Down Gina’s At 3. Sympathy For The Record Industry 2003

    Holly Golightly. Slowly but Surely. Damaged Goods 2004

    Holly Golightly. My First Holly Golightly Album 2005

     

    *

    Ashen nous semble un groupe de metalcore précieux. Non pas parce qu’il est français mais parce que sa production et son parcours empruntent un chemin original. Se contentent d’envoyer leurs vidéos sur les plates-formes de streaming musical, qu’elles soient payantes ou en accès libre. Le bouche à oreille suffit pour drainer les fans vers les concerts.

    Nous les suivons de près : ainsi dans notre livraison 545 du10 / 03 / 2002 nous avions chroniqué : Sapiens, Hidden, Outler. Nowhere dans la 595 du 6 juin 2023, Angel et Smells like teen spirit (reprise hommagiale à Nirvana), voici à peine trois mois, dans notre 610, le 07 septembre de cette année.

    Aux seuls titres de ces vidéos le lecteur aura compris que l’univers d’Ashen est un peu à part…

    CHIMERA

    ASHEN

    (Official Lyric Vidéo / 7 -12 – 2023)

    ( Production Out of Line Music)

    Directeur : Bastien Sablé / Effets spéciaux : Alban Lavaud / Maquillage : Jade Maret / Nails : @jessiculottes : sur son instagram Jess est aussi tatoueuse et vous intime l’ordre d’aller voir la vidéo Angel d’Ashen.

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    Clem Richard : vocal : / Antoine Zimer : guitars / Niels Tozer : guitar, additional vocals / Thibaud Poully :  bass / Tristan Broggeat : drums.

             Chimera, le titre est prometteur, instinctivement l’on pense à Gérard de Nerval, une fausse piste dès que l’on évoque le prince à la tour abolie, c’est plus complexe que cela. El desdichado souffre d’une absence, il est un trou béant, une étoile effondrée sur elle-même mais en dehors de lui. Ce que pleure Nerval c’est l’absence des Dieux, il aimerait en créer un autre, plus exactement une autre, une nouvelle, un impossible alliage qui réunirait la matière des Dieux des antiques mythologies et celle du christianisme, la Mère originelle et géologique, les vénus kallipyges préhistoriales à la diaphanéité de la Vierge catholique.

             Certains se demanderont pourquoi je présente pour évoquer cette vidéo d’Ashen une explication que je m’empresse de déclarer fausse. Pour deux raisons : la première parce que je tiens à démontrer la qualité intrinsèque de cette vidéo en la comparant à un des textes poétiques les plus brillants, en d’autres mots qui émet une lumière si vive que la nuit dans laquelle nous nous débattons paraît encore plus obscure. L’on ne peut comparer que des objets de même intensité.

             Le deuxième réside en cette constatation. Si le poème de Nerval évoque d’une manière toute nervalienne la mort des Dieux, Nietzsche aura la sienne, la Chimera d’Ashen est à regarder et à écouter comme la suite du poème de Nerval. Ne pas entendre le mot suite comme le deuxième épisode d’un récit dans lequel on retrouve plus ou moins les mêmes personnages, nos contemporains les plus immédiats parleront de Saison 1 et 2. Plutôt l’imaginer selon Aristote d’après qui toute cause engendre une conséquence.

             Les Dieux sont morts reste l’Homme. Si l’Homme ne peut plus parler aux Dieux, il ne peut s’adresser qu’à lui-même. Les âmes charitables affirmeront qu’il trouvera son bonheur à échanger avec ses semblables. Oui mais si les autres me ressemblent à quoi bon discuter le morceau de gras. Je connais déjà les réponses.  Mieux vaut s’adresser à Dieu qu’à ses saints ! Tout Homme qui se respecte ne parlera qu’à lui-même. Pas à un miroir. Pas à un clone.

             Evidemment la situation se complexifie. Relisez la troisième ligne de ce texte. Nous retombons sur nos pattes. Par la même occasion sur Nerval. Le doux Gérard en appelle aux Dieux extérieurs. L’Homme moderne ne peut susciter qu’un être qui soit non pas au-dehors de lui, mais en lui-même. L’Homme moderne engendre des monstres qui naissent et vivent au-dedans de lui. Les cliniciens nomment ce phénomène délire schizophrénique.

             Le mot délire est rassurant. Si vous délirez c’est que ce n’est pas vrai. Le problème c’est que ce délire vous coupe en deux, ou plutôt vous multiplie par deux. Coupé en deux vous êtes encore la moitié de vous deux, multiplié par deux vous n’êtes plus seul chez vous. La lutte commence. A mort. Êtes-vous sûr de la gagner.

             Après toute cette longue vidéo, vous demanderez-vous pourquoi l’on ne voit que Clem Richard ? Les quatre autres n’ont pas été retenus par le casting. Ne vous inquiétez pas dans les notes ils précisent que texte et musique sont bien l’œuvre commune de leurs cinq individualités créatrices.

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             Fond noir. Clem assis sur un tabouret. Vêtu de gris. La couleur la plus impersonnelle qui soit. Cheveux bleus. Rien à voir avec un coin de ciel bleu. Ses yeux sont dirigés vers vous. Il ne vous regarde pas. Sa voix dégobille une vomissure de sludge, quand elle redevient à peu près ( soyons gentil ) normale il chante pour lui-même, l’a l’air de réciter un mantra que lui seul peut comprendre, sa bouche se tord, l’est en pleine crise de folie, dure et pure, il hurle, ce pauvre gars dans sa cellule est à plaindre, vous aimeriez qu’on lui refile un calmant, vous vous apprêtez à téléphoner à une association anti-psychiatrique, reposez votre téléphone, c’est inutile, non il n’est pas mort la situation a changé, certes il est toujours aussi agité, mais le voici tel un empereur romain sur sa chaise curule, le plaid de pourpre qui l’enveloppe laisse entrevoir la blancheur d’un haut de toge, l’est assis sur le toit du monde, derrire lui une chaîne de montagne, des éclaire déchirent le ciel rouge sang, ce n’est plus un malade mental enfermé dans le cachot d’un asile mais le maître du monde qui hurle son mécontentement à la face du monde qui oserait lui résister, maintenant il vous regarde, évitez de regarder ses ongles effilés comme les serres d’un oiseau de proie, vous pensez à Caligula, oui c’est comme cela qu’il devait s’adresser au vil troupeau des êtres humains, il se calme sa main soutient sa tête qui s’incline, la caméra s’abaisse l’on aperçoit la plaque de marbre qui soutient son trône, horreur elle est jugée sur une pyramide de têtes de mort, un peu à la manière de Tamerlan le conquérant, (un poème d’Edgar Poe porte son nom), mais notre prince à la tour maboulie n’en veut pas à l’humanité entière, uniquement à lui-même, et plus exactement cette chimère qui l’habite, le visite de temps en temps et va jusqu’à prendre sa place, dans sa confusion il en appelle à Dieu, qui ne répond pas, à moins qu’il ne se prenne pour Dieu le taiseux, ne se prend-il pas lui-même pour Chimera, à moins que ce ne soit sa Chimera qui se prenne et pour lui et pour Dieu, trop de confusion, n’est-il qu’un gamin poignardé, égorgé par sa propre folie, ne s’est-il pas drapé dans la pourpre impériale et divine de son propre sang, qui est-il au juste, qui sera capable de le lui dire en prononçant juste son nom. Son nom juste.

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             De toutes les vidéos d’Ashen celle-ci est la plus belle, la plus violente, la plus puissante. Outre l’outrance de son vocal, Clem ne donne pas l’illusion de jouer, il est ce qu’il dit qu’il est. Il vocifère, on y croit dur comme du fer. L’on en oublie la musique, elle est là comme un fleuve de sang fertile, un sombre terreau dans lequel la voix démesurée de Clem trouve force er racine.

             Un clip de folie. Ô insensés qui croyez qu’elle n’exprime pas le plus intimement profond de ce que vous cachez en vous.

    Damie Chad.

     

     

    REBELLIONS

    ERIC HOBSBAWM

    (Editions Aden / 2011)

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    Un tel titre plaît d’emblée aux rockers. Qui risquent de déchanter. Nous ne parlerons pas de rock’n’roll mais de jazz. Pourquoi ? La réponse est à trouver dans la première partie du sous-titre :

    LA RESISTANCE DES GENS ORDINAIRES

    Attention ne pas confondre les gens ordinaires au sens où l’emploie Eric Hobsbawm avec ce que l’on nomme communément Monsieur Tout-le-Monde ou le citoyen lambda. Les gens ordinaires tels que les définit Hobsbawm ne sont pas des moutons. Ils possèdent une forte personnalité. Ils prennent fait et cause pour leurs propres goûts et leurs propres idées. A tel point qu’ils parviennent à fédérer autour de leurs jugements quelques personnes aux penchants similaires dont le rassemblement forme les embryons de ce que l’on a défini dans les années soixante-dix comme les minorités agissantes.

    Gardons-nous de tout romantisme. Les gens ordinaires ne font pas l’Histoire. Ils agissent dans les interstices. Eric Hobsbawm n’est pas un idéaliste, il est resté toute sa vie (1917-2012) un marxiste convaincu. Ce sont les lentes métamorphoses des rapports de production qui induisent les grandes ruptures historiales.

    Si Hobsbawn fut un historien respecté par les élites britanniques il ne cacha jamais ses sympathies actives pour le Parti Communiste Soviétique qu’il soutint jusqu’à l’intervention russe en Tchécoslovaquie. Par la suite il glissa progressivement à l’idée d’un communisme moins dictatorial et mena une réflexion qui posa les bases de l’élaboration des principes politiques de l’émergence de ce qui fut nommé tant aux USA qu’en Angleterre la deuxième gauche. L’on sait que cette nouvelle gauche fut le cheval de Troie de l’entrée de la pensée libérale dans les milieux politiques de gauche. Il resta toutefois jusqu’à la fin un penseur marxiste convaincu. En France on ne l’aime guère pour cela. D’autant plus que l’on peut relire son œuvre comme une pensée dans laquelle se retrouve l’ancienne coupure épistémologique fondationnelle des mouvements révolutionnaires partagés entre communisme et anarchisme.

    Ceci posé il est temps de s’intéresser à la deuxième partie du sous-titre :

    JAZZ, PAYSANS ET PROLETAIRES

             Notons que dans son livre de près de six cent pages, les chapitres dévolus au jazz ne viennent qu’en troisième position. Nous ne commenterons que ceux-ci :

    LE CARUSO DU JAZZ

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             Le titre perd son mystère quand l’on sait que Sidney Bechet (1897 - 1959) se vantait de s’être inspiré des enregistrements d’Enrico Caruso le célèbre ténor italien (1873-1921) pour mettre au point son célèbre falsetto qui fit beaucoup pour sa réputation. Hobsbwam se demande pourquoi et comment Sydney Bechet fut reconnu comme l’un des tout premiers jazzmen.

             Hobsbwam ne néglige pas les talents de Bechet, une voix reconnaissable entre mille et une maîtrise du saxophone soprano incontestable, ce ne sont pas ses qualités qui lui permirent d’être intégré dans la liste des incontournables fondateurs du jazz. L’avait un sacré défaut : son caractère, il n’était pas aimé de ceux qui ont joué avec lui. Il n’aimait pas musiciens talentueux, voulait être le maître de la formation, n’accordait pas à tout le monde son solo, son petit quart d’heure de gloire, faisait montre sur scène et en dehors d’un comportement égoïste peu plaisant… Les témoignages se recoupent, mais la jalousie n’est-elle pas aussi le premier ressort du ressentiment.

             Bechet est un créole de la New Orleans. Jusqu’à la fin de la guerre de Sécession, après laquelle ils furent remis au rang des noirs, les créoles formaient un milieu cultivé (très) relativement favorisé. Bechet a tout juste vingt ans lors de la fermeture en 1917 de Storyville le quartier sex, alcool, jeu and jazz de New Orleans. Comme la plupart des musiciens il émigrera vers le nord et l’est des Etats-Unis. C’est ainsi que le jazz devint une musique non plus régionale mais en quelque sorte nationale.

             La crise de vingt-neuf ne fut pas sans conséquence pour les musiciens de jazz. Les disques ne se vendent plus, le public se détourne du hot et porte ses préférences vers une musique moins rugueuse et davantage festive. Duke Ellington, Armstrong ne font que maigre recette. Bechet qui au début des années vingt est considéré comme un musicien de pointe ouvre un magasin de rafistolage de vêtements en 1933.

             Les petits blancs intellos jouèrent le rôle du Septième de Cavalerie pour sauver le soldat Bechet sinon perdu du moins oublié. Ces jeunes gens s’aperçurent à la fin des années trente qu’ils avaient raté les débuts du jazz. Devaient d’après eux se trouver entre Congo Square et Storyville, en plein cœur de la Nouvelle-Orléans.

             Ce mouvement antiquarianiste – de retour aux ‘’antiquités’’ du jazz toucha aussi bien les ricains que les européens. Une des figures les plus marquantes par chez nous fut Hugues Panassié. Nombreux furent les musiciens noirs qui dès les années 20 vinrent en Europe. Durant quatre ans Sydney Bechet partagea à Paris avec Joséphine Baker le succès (et même plus) de La Revue Nègre. Bechet qui s’était déjà fait expulser d’Angleterre subit le même sort par chez nous après une violente bagarre en 1928.

             En 1938 Sydney Bechet reçoit une sorte de reconnaissance américaine pour sa participation aux côtés de Count Basie, de Benny Goodman et ( bonjour le rock’n’roll) de Big Joe Turner, nous sommes dans le même mouvement de reconnaissance de l’apport de la musique noire à la culture du vingtième siècle, qui se matérialisa dans le retentissement du concert From gospel to swing organisé par John Hammond (Bob Dylan lui doit beaucoup) au Carnegie Hall in la Grosse Pomme.

             En 1949, Bechet s’installe en France, accompagné de groupes français, il devient le propagateur de ce renouveau du Jazz New Orleans, ce dixieland qui connut un énorme succès populaire qui perdure encore aujourd’hui. C’est une forme passéiste et ossifiée du jazz à l’écart de l’évolution de cette musique qui culmina dans l’explosion Be Bop et se désintégra dans la magnificence du free-jazz.

             A la fin de son article, Hobsbawm modère quelque peu les critiques virulentes par lesquelles il débuta sa présentation. L’on sent qu’il eût aimé un artiste qui soit resté tout le long de sa vie un défricheur novateur de formes sonores révolutionnaires. Idéologie et réalité ne concordent pas toujours.

    COUNT BASIE

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            Ça commence mal pour le jazz. Hobsbawm cite un extrait des mémoires de Count Basie qui s’aperçoit que les gamins qui viennent écouter le jazz n’accrochent plus, qu’ils sont en attente d’autre chose. Hobsman résume le phénomène : la musique populaire américaine vient de commettre un crime : le fils a tué le père. Le rock’n’roll a tué le jazz. Il se rattrape aux petites branches, l’article est publié en 1986, il reproche à Count ( 1904 -1984) que certes le rock a éclipsé le jazz mais que ce dernier a atteint son intronisation depuis la fin des années cinquante n’est-il pas devenu sans contestation possible la grande musique américaine classique. J’appellerais cela la consolation du pauvre. Démuni de ses biens.

             Hobsbawm reproche à Count d’être un peu frigide dans son Good Morning Blues. L’esquive un peu trop les réalités. A ses débuts le Big Band de Basie issu de Kansas City est une fabuleuse machine à rythmes, l’on joue à fond la caisse, sans partition, l’on baise à tous vents, l’on boit comme des trous, poker et whisky sont les deux mamelles du swing. Mais lors des années soixante des intellectuels s’emparent du jazz  en le qualifiant de musique révolutionnaire. Ce lumpen-prolétariat très mauvais genre est prié de ne plus porter des pantalons rapiécés, d’adopter des attitudes moins sauvages, ok pour le chic, ko pour le choc. Count débuta comme pianiste itinérant, naviguant à la petite semaine entre embauches dans un bar ou dans une tournée burlesque. Les noirs ne sont pas naturellement des accros du blues, z’aiment la danse, la baise, la bouffe, le chambard et autres saloperies du même acabit. Basie n’était même pas un grand pianiste. Tout ce qu’il savait faire c’était marquer le tempo, une fois la base établie, créait un riff (souvent inspiré d’un morceau connu) pour les sax, qui le refilaient aux trombones, qui le refilaient aux trompettes et vogue la galère, tout le monde se retrouvait, vent en poupe dans un tutti de tous les devils de l’enfer. Un baltringue qui vous foutait le feu au croupions des danseuses et des danseurs. Vingt ans plus tard, avec un super-big orchestra Basie s’est moderato, les copains lui refilent des arrangement tout faits, les musicos ont des partoches, ça rutile encore, mais ça ne brutalise plus. Le jazz s’est gauchisé, l’est devenu un objet culturel   d’intronisation. Une cause morale à défendre. Pourquoi d’après vous les rockers se sont-ils passionnés pour Rebel without a cause.

    DUKE ELLINGTON

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             Si l’on pouvait retrouver Count Basie ivre mort après un concert, ce n’était pas le cas du Duke. Certains le défendront en disant qu’il était d’une nature apollinienne et point dionysiaque. Les plus méchants assèneront qu’il ressemblait davantage à un cul-blanc qu’à un nègre. Duke issu de la petite-bourgeoisie noire fut un enfant gâté et en grandissant il se persuada qu’il était un être destiné à un destin supérieur.  Pas étonnant qu’il se considérât comme un artiste. Un compositeur, le mec hiérarchiquement situé un cran (voire plusieurs) au-dessus du chef d’orchestre.

             Entre nous soit dit, si à ses débuts il agissait en corsaire en signant les morceaux de ses musiciens il a par la suite endossé le rôle d’armateur.  Il se faisait aider par son directeur musical. Notons que ces pratiques étaient monnaie courante (et trébuchante) dans les milieux de la musique populaire américaine…

             Bizarrement sa façon de procéder, de mener son orchestre présente quelques analogies, me semble-t-il, avec James Brown, l’emmène un bout de mélodie, deux ou trois rythmes, qu’il joue au piano et les musiciens doivent se les approprier, chacun rajoute un peu, beaucoup, de soi mais en respectant le code initial imposé par le Maître. Evidemment on imagine mal Beethoven jouant son pom-pom-pom-pom au piano et demandant à son premier violon de proposer une suite… Ellington apportait une couleur inimitable qui poussait les musiciens à se dépasser. Il n’aimait guère garder les partitions, pour lui la musique se conservait par sa pratique. Dans la dernière partie de sa vie, la vogue du jazz étant dépassée, il n’hésita pas à reflouer les caisses de son very big bazar avec ses royalties.

             De fait l’orchestre d’Ellington était un peu onaniste, il jouait pour lui-même, les musiciens s’écoutaient et se répondaient. Dans la plupart du temps les danseurs se moquaient dukalement de la qualité de la musique. L’important était la danse.

             Plus tard lorsque l’orchestre visitait Europe, l’est même passé par Provins, Duke donnait aux auditeurs qui le vénéraient ce qu’ils attendaient, il l’avait spécialement un tuba qui vous sortait un son jungle à juguler un tigre mangeur d’hommes.

             L’est difficile d’inscrire Ellington dans une perspective révolutionnaire. Tant politiquement que musicalement. Sa musique serait à considérer plutôt une mise non pas en abyme mais en acmé de toutes les pratiques instrumentales noires qui l’ont précédée. Une marée d’équinoxe dont l’étale aurait atteint un niveau jusqu’à lui inégalé et insurpassable pour les nouvelles générations de musiciens jazz biberonnés à la musique classique européenne. Autre temps, autres mœurs.

    LE JAZZ ARRIVE EN EUROPE

             Le jazz a très tôt traversé l’Atlantique. Dès 1908 la comédie musicale Corindy : the origine of cakewalk est jouée à New York et à Londres. C’est son créateur Will Marion Cook qui fera venir Sidney Bechet in London. 1914 : le foxtrot fait son apparition aux States, en 1915, via la Grande-Bretagne il débarque en Belgique. En 1917 des premiers groupes de jazz font leur apparition en tant que tel sur notre continent. A la fin des années vingt des amateurs de la deuxième génération jazz commencent à développer une nostalgie des débuts du jazz qu’ils n’ont pas connus et qui engendrera un véritable revival dixieland. Au mois de novembre dernier la célèbre fête de la niflette de Provins (gâteau local) était animée par un groupe français de New Orleans.

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    ( Martial Solal + Jean Cocteau)

             Les premiers livres d’importance sur le jazz sont édités en 1926, mais l’avant-garde artistique de Jean Cocteau à David Milhaud s’intéresse à cette musique dès 1918. Le jazz fut aussi un outil émancipateur et quelque peu transgressif sous forme de danse pour l’aristocratie et la bourgeoisie anglaises. Il est vrai que dès 1900 des danses comme le boston avaient commencé à déverrouiller les attitudes guindées des corps. Les femmes en furent les premières bénéficiaires.

             En 1930 se constituent des groupes d’amateurs passionnés qui collectionnent les disques, et qui parfois se risquent à s’emparer d’un instrument. L’arrivée des disques de blues en Angleterre engendra… le rock anglais… qui ne tarda pas à déferler par un juste retour des choses aux States…

             Le jazz fut davantage accepté en Angleterre qu’en France. Accepté et joué. Certes l’impasse sur le Be bop se traduisit par le développement de groupe de jazz trad. En France, hormis une minorité de passionnés, le jazz hormis en ses débuts grâce à la danse, n’atteignit jamais à une grande popularité. Pays davantage marqué à gauche que nos voisins d’outre-Manche le blues et le jazz devinrent les musiques de minorités oppressées par l’ordre capitaliste. On les révéra, on les écouta, mais la pratique instrumentale ne suivit pas.

    LE SWING DU PEUPLE

             Ce chapitre bien plus intéressant que le précédent explore les rapports entretenus par le jazz, principalement les grands orchestres et la gauche durant les deux présidences de Roosevelt du New Deal à la fin de son deuxième mandat en 1941. Roosevelt décéda en 1945. Il y eut une alliance objective entre le jazz et la gauche américaine. Une alliance beaucoup plus culturelle que politique.  En le sens que si bien sûr les musiciens de jazz ne sont pas insensibles aux idées d’égalité raciale ils ne sont pas des militants encartés ni au Parti Démocrate, ni au Parti Communiste.  John Hammond s’avère être le symbole de cette période, il organise de nombreux concerts de jazz qui sont retransmis en direct dans tous les états et qui seront surtout écoutés par les jeunes et les étudiants. Hammond encourage la composition d’orchestres mixtes, sans trop de succès.

             De fait le jazz possède désormais pignon sur rue, mais le public ne se renouvelle pas. En 1946, sous la présidence de Truman se produit une espèce de cassure générationnelle. Par manque de public tous les grands orchestres s’arrêtent. Seul Ellington continuera sur ses propres deniers.  Le public en majorité blanc se reconnaît davantage dans cette musique qui est en train de devenir le country & western. Les grandes heures du jazz ont sonné.

    LE JAZZ DEPUIS 1960

             Ce n’est pas tout à fait vrai. Entre 1950 et 1960 le Be Bop connut une glorieuse décennie, vrai succès et fausse donne, le Be Bop est une musique métaphysique, elle parle au corps, elle parle à l’âme, elle parle de leurs misères et de leurs splendeurs, elle est la musique d’une génération née dans les années trente, un pied dans les années noires un pied sur le seuil des années heureuses. Hobsbawm consacre de nombreuses pages à la naissance du rock. Je n’insiste pas. Nous connaissons cela. Sixties et seventies seront des années économiquement opulentes.  Des millions d’adolescents sont maintenant en capacité d’acheter des disques. L’industrie du showbiz engrange des profits colossaux.

             Le public jazz se rétracte, il joue à la citadelle assiégée. Il refuse toute compromissions avec le rock. Il acceptera du bout de l’oreille Miles Davis lui reprochant sa fusion… Les artistes de jazz-rock à la Chick Correa ont beaucoup plus d’adeptes dans le public provenant du rock que des derniers résistants jazz.

             Les musiciens continuent le combat. Le Be Bop a démonté les structures du jazz, l’a mis le moteur en pièce détachées et a démontré avec brio ce que l’on pourrait attendre de chacune d’elle, il a désarticulé les structures de base du jazz, mais il n’a touché à rien. John Coltrane de son seul souffle a démantelé la tuyauterie. Ses successeurs ne la remonteront pas, ils la désintègrent, le free-jazz ne connaît plus de limite. Les nouveaux jazzmen flirtent avec la musique classique d’avant-garde, ils empruntent les sentiers du noise, ils vont loin, très loin… du public. Seule une infime minorité les suit, les autres réécoutent les disques du passé.

             Cet article est écrit en 1993, Eric Hobsbawm oublie de faire référence à son concept de rébellion. L’en oublie de citer les émeutes de Watts, les Black Panthers, l’espoir généré par la lutte et la défaite amère…

    BILLIE HOLLIDAY

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             Un court article hommagial qu’ Eric Hobsbawm écrivit à la demande de John Hammond en 1959 à la mort de Billie Holliday. Il rappelle en introduction que sur son lit de mort John Hammond lui avoue que la chose dont il est le plus fier de toute son existence fut d’avoir découvert Billie Holliday…

    *

              Ces chapitres sont intéressants, j’avoue que je m’attendais à mieux. Les trois premiers sont les mieux écrits. Trop étreint qui mal embrasse me contenterai-je d’ajouter pour les trois suivants. Trop généralistes pour que puisse s’y déployer une pensée cohérente.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

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     6

    A peine avions-nous passé les bandes plastiques rouges et blanches qui délimitaient une zone d’accès interdit le long du trottoir du Chat qui pêche un os à moelle un gros homme manifestement un commissaire de police s’interposa l’air furioso. A sa décharge je me dois de signaler la sympathique facétie du Chef qui s’était emparé du ruban et l’avait sectionné en s’aidant du clair baiser de feu de son Coronado.

             _ Messieurs reculez immédiatement, trois de mes hommes vont vous coffrer sur le champ en garde-à-vue, pour qui vous prenez vous ?

    Le visage du commissaire s’empourpra quand de son air le plus placide le Chef exhiba sa carte d’Agent Secret. Un sourire moqueur aux lèvres je lui tendis à mon tour mon sésame. A ma grande surprise il s’en saisit vivement, l’examina longuement et se tourna vers le Chef :

    _ Excusez-moi cher collègue, j’admets volontiers que mon interpellation ait été un peu rogue, je n’avais pas compris que vous m’emmeniez votre subalterne pour interrogatoire. En tant que simple policier je m’incline… que vous qui êtes d’un niveau et d’un grade bien plus élevé que le mien dans les services de sécurité de notre nation ne tente pas de soustraire des lois de notre République un de ses agents sous sa responsabilité dénote une rectitude professionnelle qui vous honore. Je vous prie de me suivre, j’ai le regret de vous avertir que les faits ne plaident pas en sa faveur.

    La scène n’était pas ragoûtante, le patron du Chat qui pêche un os à moelle était étendu nu au milieu de la salle. A ses côtés gisaient également déudés les cadavres du cuisinier et de la serveuse, c’était elle qui la veille nous avait servis, Molossa, Molossito (mon cœur se serra lorsque leurs noms surgirent dans ma pensée) et moi-même, nos entrecôtes garnies. Les assassins s’étaient amusés. Ils avaient éventré les trois malheureuses victimes. Leurs intestins avaient été prélevés ils étaient suspendus, un peu comme des guirlandes de Noël, au plafond. 

    Le commissaire se tourna vers moi :

    _ Pourriez-vous Monsieur Damie Chad, nous expliquer les motifs de cette abominable mise en scène, à toutes fins utiles je préciserai que l’équipe de rugby de la ville de Provins qui rentrait en autobus d’un entraînement nocturne vous ont vu quitter l’établissement d’un pas pressé. Pire ce matin vous êtes revenu sur les lieux de votre crime, trois témoins qui vous connaissent, Provins est une petite ville, vous ont aperçu sortir du restaurant pour vous engouffrer dans votre voiture à toute vitesse.

    Je n’eus pas le temps d’ouvrir la bouche. Le Chef me devança :

    _ Cher Commissaire, je ne peux que vous remercier pour la rapidité et les résultats de votre enquête. Nous ne sommes pas venus ici par hasard, j’ai le regret de vous apprendre que vous ne voyiez que la pointe de l’iceberg. J’ai reçu cette nuit une notification de l’Elysée qui m’enjoignait de leur amener au plus vite le sieur Damie Chad. Sachez qu’il aurait ce matin même trucidé un innocent automobiliste qui s’accrochait désespérément à son automobile que cet ignoble individu tentait de lui voler. Sous l’agent Chad se cache un des serial killers les plus monstrueux que la terre ait porté. Un être assoiffé de sang et de meurtres. Sachez que cette matinée, sur ordre, j’étais venu le chercher à Provins, en passant dans la rue il a manifesté l’envie de prendre un café dans cet établissement. Je comprends désormais ses raisons, il voulait revenir se repaître une nouvelle fois du spectacle de son triple crime. Mais ce n’est pas tout…

    Le Chef se rapproche du commissaire et lui souffle à l’oreille :

    _ Entre nous c’est encore plus grave, nous le tenons à l’œil depuis quelque temps… entre nous son rôle de tueur en série ne serait qu’une couverture… il est certainement à la tête d’une organisation terroriste ultra-secrète qui serait en train d’infiltrer nos services secrets mais aussi nos forces de police et de gendarmerie… un conseil vérifiez tous vos subordonnés, leur identité, leurs parcours leurs comportements pendant le travail et leurs fréquentations dans leur vie privée.

    Les yeux exorbités du commissaire trahissent sa sidération :

    _ Puis-je faire quelque chose pour vous aider ?  

    _ Si vos hommes pouvaient le menotter et l’attacher solidement à son siège dans ma voiture. Je le livre dans l’heure qui suit à la CIM, la Cellule d’Interrogatoire Musclé des sous-sols de l’Elysée. Soyez sûr qu’après une bonne séance nous en saurons davantage.  Pour ma part je m’empresserai de rapporter à notre Président, qui suit personnellement ce dossier, votre intervention décisive. Comme tout homme notre dirigeant n’est pas exempt de défauts, je vous l’accorde, mais il sait reconnaître, féliciter et récompenser et surtout ne jamais oublier tous ceux qui œuvrent à la sécurité de notre pays.

    7

    A peine avions nous dépassé de quelques kilomètres la ville de Provins, le Chef m’avait détaché et délivré de mon inconfortable situation. Je repris ma place de chauffeur et me hâtai de rejoindre Paris.

    Le Chef avait allumé un Coronado. Il ne disait rien, il réfléchissait. Moi aussi. Cette affaire s’annonçait mystérieuse. Un véritable guet-apens. Une machination. Il était sûr que j’avais été suivi. Par qui ? Pour quoi ? Dans quel but ? Il était fort improbable que mes chiens aient été visés pour eux-mêmes. Mais qui visait-on au juste ? Ma modeste personne, le Chef, le service, le rock’n’roll ! Par acquis de conscience je jetais un coup d’œil au rétro. Dix minutes plus tard ma conviction était faite, deux voitures à tour de rôle nous suivaient.

    La nuit était tombée. Le Chef alluma un Coronado.

    • Agent Chad c’est un peu bête, j’ai envie de faire pipi, une envie irrésistible, dès que vous apercevez un arbre solitaire au bord de la route, arrêtez-moi, je me dépêche, ne m’attendez pas, continuez votre route, revenez me prendre dans quelques minutes, j’ai mes pudeurs de jeune fille, je n’aime guère que l’on m’aperçoive faire pipi, même vous, c’est bête mais je n’y peux rien, ma mère se moquait de moi, je m’enfermais à clef dans les WC et je n’ouvrai ma braguette que lorsque je l’avais entendue descendre les escaliers. Croyez-vous que je devrais entamer une psychanalyse ?

    Nous papotâmes sur les bienfaits d’une analyse, le Chef était partisan de Lacan, personnellement je tenais pour Young, nous tombâmes d’accord pour médire de Freud…

    Je freinai brutalement pile devant un ormeau solitaire. Le Chef sortit prestement et alla se cacher derrière le tronc assez imposant de l’arbre. Je redémarrai d’un coup sec, puis insensiblement diminuai ma vitesse… De loin sur cette ligne droite j’apercevais le bout du cigare incandescent du Coronado. Une voiture vint me coller au cul, pardon au parechoc. Une autre s’arrêta juste en face de l’arbre derrière lequel urinait le Chef. Dans ma tête Je comptais à voix basse : un, deux, trois ! Les gars regretteront toute leur mort le fait d’avoir ouvert leurs portières, un trait de feu traversa le bas-côté de la route, une boule de feu explosa, le Chef avait lancé un Coronado 117 surnomme El dynamitero…

    J’accélérai à fond et effectuai sur place un demi-tour, la voiture en face à qui je venais de couper la route s’encastra instinctivement si j’ose écrire dans celle de mes poursuivants. Quelques instants plus tard le Chef traversait la route pour prendre place à mes côtés.

    • Agent Chad c’est terrible avec ces gaziers je n’ai même pas eu le temps de faire pipi !

    9

    Nous fîmes demi-tour et rentrâmes en devisant fièrement :

             _ Chef, l’on ne peut pas dire que votre envie de faire pipi a été un acte manqué !

             _ Agent Chad je suis assez fier de nous, nous avons éléminé nos ennemis, mais là n’est pas la question. Nous avons réussi à créer un nouveau concept psychanalytique qui parachève cette théorie : nous venons de créer le concept d’acte réussi. Une véritable réussite !

             _ Je garai la voiture au bas du local. A peine avions nous mis les pieds sur la première marche que des aboiements retentirent. Deux boules de poils sautèrent sur nous. Ils étaient fous de joie de nous retrouver. Nous échangeâmes mille caresses.

    Ce n’est qu’une fois en haut que nous trouvâmes l’inscription à la craie sur la porte du local

    1 à 1

    A CHARGE DE REVANCHE !

    Ces messieurs sont beaux joueurs s’exclama le Chef et il alluma un Coronado !

    A suivre…