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new york dolls

  • CHRONIQUES DE POURPRE 634: KR'TNT 634 : NEW YORK DOLLS / COURETTES / SUN RECORDS / McKINLEY MITCHELL / SLY STONE / MESSE / EIHWAR / JOHNNY HALLYDAY / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 634

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    29 / 02 / 2024

     

     NEW YORK DOLLS / COURETTES

    SUN RECORDS / McKINLEY MITCHELL

    SLY STONE / MESSE / EIHWAR

    JOHNNY HALLYDAY / ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 634

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - Dollse Vita

    (Part Two) 

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             Franchement, si tu es fan des New York Dolls, ou plus simplement du rock dans ce qu’il peut présenter de plus outrageous, vois et revois le docu de Bob Gruen & Nadya Beck, All Dolled Up - A New York Dolls Story. Gruen qui venait de se payer une caméra a filmé 40 heures de Dolls, et son docu montre à quel point les Dolls étaient à la fois bien ancrés dans leur temps et terriblement en avance sur tous les autres, notamment les Stones et les laborieux Aerosmith. En fait, ils reprenaient les éléments qui firent la grandeur des Stones pour les pousser à l’extrême, et ça passe à la fois par des bonnes chansons, la dope, un son et surtout un look. Et sur les quatre plans, les Dolls étaient imparables. Ils étaient même devenus les meilleurs. Aux États-Unis, les Dolls, les Groovies, le Velvet et les Stooges ont repoussé les frontières de l’empire du rock, un empire créé dix ans plus tôt par Elvis, Little Richard, Jerry Lee, Bo, Chucky Chuckah, Charlie Feathers, Gene Vincent et quelques autres. De tous ces candidats au désastre, les Dolls furent de toute évidence les plus exposés. Ils ne pouvaient pas faire autrement que de vivre la dollse vita, c’est-à-dire la version new-yorkaise du sex & drugs & rock’n’roll, une dollse vita qui a décimé le groupe, puisqu’aujourd’hui, seul David Johansen a survécu, comme chacun sait.

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             Le Gruen movie est un festin d’images, du double concentré de trash visuel en noir et blanc, un brouet gargantuesque de chevelures ébouriffées, de guitares électriques, de street slang, de platform boots, de lunettes noires extravagantes, de groupies défoncées, de backstages improbables, de torses post-adolescents, de lèvres peintes, de Mystery Girls, toute cette énergie et toute cette débauche qu’on a découvrit en 1973, via le premier album des Dolls, et qu’on adopta aussitôt adoptée pour la vénérer, une vénération qui a donc 50 ans d’âge. Et qui n’a jamais pâli.

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             Les gens n’ont pas bien percuté à l’époque : les Dolls, leur look, leur son, leur provoc, c’est exactement le même esprit que celui d’Evis en 1954, quand il twiste des rotules sur scène en pantalon rose. Même esprit que celui d’Eddie Cochran qui se farde les yeux au mascara et qui fume sa pipe à herbe. C’est le même langage visuel destiné à porter un message qui s’appelle le rock. «Mystery Train» et «Mystery Girls» même combat ! Pour Elvis et les Dolls, il ne s’agit pas tant de choquer le bourgeois que de rassembler les kindred spirits, comme on dit en Angleterre, c’est-à-dire les âmes sœurs. Dans l’histoire de l’humanité, et dans une histoire qui ne soit pas politique, peu de gens ont réussi cet exploit, c’est là où d’une certaine façon le rock flirte avec la spiritualité, en rassemblant les brebis égarées. John Lennon a eu raison d’affirmer que les Beatles étaient plus célèbres que le Christ. Les Dolls ont rassemblé beaucoup moins de gens qu’Elvis et les Beatles, mais les ceusses qui ont adhéré au parti du Trash won’t pick it up n’ont JAMAIS déchiré leur carte. 

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             Alors qu’Elvis allait être contraint de rentrer dans le rang, les Dolls ont explosé en plein vol, ce qui est à la fois une fin logique et ce qu’on appelle une tragédie des temps modernes. On pressentait déjà à l’époque qu’ils n’allaient pas tenir longtemps. Too Much Too Soon avait quelque chose de prémonitoire. En se sacrifiant sur l’autel des dieux du rock, les Dolls obéissaient à une pratique qui remontait à la nuit des temps, celle du sacrifice humain. Une pratique qui anticipait l’ère de la tragédie grecque, qui elle-même anticipait une époque qui est la nôtre, elle aussi tragique, mais pour d’autres raisons, disons plus condamnables.

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             Dans l’histoire du rock, peu de groupes ont «échoué» si près du but. Comprenez par-là que les Dolls auraient dû devenir aussi énormes que les Stones, Aerosmith et Kiss confondus, c’est exactement ce que montre le docu de Bob Gruen. On le savait à l’époque, leurs deux albums rivalisaient de classicisme avec les triplettes majeures que sont celles du Velvet, des Stooges, de l’Expérience et du MC5. Il faudra attendre 40 ans pour qu’un docu vienne conforter cette vieille conviction. Gruen fait éclater la génie des Dolls au grand jour. Heureusement qu’il est allé les filmer au Max’s Kansas City et à Kenny’s Castaway, on les voit taper «Jet Boy» sur scène avec un Johnny T torse nu, puis on se tape une petite lampée de «Personality Crisis» et là, on ajuste son propos : il est certain que les Dolls sont le groupe le plus outrageous de l’histoire du rock. Ils poussent l’extravagance des mises et des chevelures à l’extrême onction de la ponction, tu ne peux pas avoir plus de cheveux que les Dolls, et ils se bombent à coups de spray pour maintenir les geysers capillaires en l’air. Et là, sur scène, pas de cadeaux : big voice et deux guitares. «Subway Train» au Max’s, l’un des cuts des Dolls les plus difficiles à reprendre. Il n’y a qu’eux pour savoir jouer un cut aussi bringuebalant. Et boom voilà le trash won’t pick it up qui te faisait valser les neurones, à l’époque. Coup de génie de Gruen : il accompagne les Dolls en tournée ! C’est le fameux voyage en Californie. Tu vois Sylvain Sylvain en short et en bottes, délicieusement provoquant, et Johansen en costard noir avec un petit haut blanc et un chapeau de chochote. Les gens les matent dans le hall de l’aéroport. Ils jouent au Whisky A Go-Go, Gruen filme le sound-check, puis il nous emmène à l’English Disco de Rodney Bigenheimer et là on voit des gens improbables danser sur «I’m Waiting For The Man», les gonzesses font n’importe quoi, c’est l’époque où jerker devient difficile, car les cuts ne sont pas faits pour la danse, surtout pas ceux des Dolls. Ils vont ensuite jouer au Matrix, à San Francisco, Johnny T traîne avec une petite blondasse qui pourrait bien être Sable Starr. Sur scène, ils tapent une version demented de «Mystery Girls». Killer Kane est sur scène, mais il ne joue pas, sa main droite est dans un plâtre, cadeau de sa poule qui a essayé de lui scier le pouce pendant qu’il cuvait sa picole. Tony Machine le remplace au bassmatic. On voit aussi Jerry Nolan jouer la loco sur scène et Syl Sylvain gratter ses poux sur une Flying V. Johansen rend hommage à Willie Dixon - Willie got it. It’s called Hoochie Coochie Man - et ça embraye plus loin sur «The Great Big Kiss». Bob Gruen réussit aussi à filmer l’Hollywood TV Show et on assiste à la séance de maquillage. Spectaculaire ! Ces gens-là savent poser. Ils adoraient poser. Personality Crisis TV show, c’est d’ailleurs de ce show mythique que sort la photo de pochette de Too Much Too Soon. Encore un coup de génie documentariste : Gruen se pointe avec sa caméra à l’Halloween Party au Grand Ballroom du Waldorf Astoria. Rien de pouvait plus freiner l’ascension des Dolls, ils brûlaient toutes les étapes, ils incarnaient le mythe du rock mieux que tous les autres groupes, ils étaient flamboyants. De vraies superstars, avec un set qui tournait comme une grosse horloge. Puis sur la scène du Little Hippodrome, Johnny T chante «Pirate Love» qu’il reprendra avec les Heartbreakers. Il est torse nu, très carré d’épaules, Johansen lui cède le micro. 

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             Il existe un deuxième film de Bob Gruen : New York Dolls - Lookin’ Fine On Television. La matière filmique est la même, mais le film est monté différemment : Gruen part d’une liste de cuts et monte un millefeuille de séquences différentes sur chacun d’eux. Pour le fan des Dolls, c’est une nouvelle foire à la saucisse. Ça démarre en trombe avec «Looking For A Kiss» : Johnny Thunders bien campé sur ses jambes et riff brutal pointé un gros hochement de tête. S’il fallait résumer les Dolls en seul mot, ce serait ‘flamboyant’. David Jo annonce : «And it’s called Babylon/ C’mon boys !». Tout ce que filme Gruen, c’est les Dolls MK2 avec Jerry Nolan. Ah les chœurs de Babylon, c’est quelque chose ! Les Dolls ne le savent pas encore à l’époque, mais leur «Babylon» est devenu un classique, au même titre de «Wanna Be Your Dog» et «Venus In Furs». Encore de la fantastique énergie avec «Trash» et «Bad Detective», big atmo avec «Vietnamese Babies» et grosse ambiance révolutionnaire avec «Bad Girl». Quand Johnny Thunders chante «Chatterbox», il est déjà violemment dans les Heartbreakers. Power maximal. Encore un sonic assault au Waldorf avec «Human Being», Johnny T sur Flying V et chœurs d’artiche avec David Jo. Encore plus heavy, voici «Private World», suivi du fantastique emballement de «Subway Train» et ses cassures de rythme intrinsèques. L’apogée des Dolls : «Personality Crisis» qu’ils montent en chantilly. On s’effare de l’extraordinaire nombre de bons cuts. Pas un seul déchet. Voici donc l’épitome de chèvre du rock, «Who’s The Mystery Girl», et tout se termine avec un «Jet Boy» fondamental et un Johnny T qui mène le bal au riff.   

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             De tous, Martin Scorsese est sans doute le plus habilité à rendre hommage aux Dolls. Il le fait donc via un film paru l’an passé, Personality Crisis One Night Only, et qu’on peut choper sur DVD américain. Il faut donc le lire sur un ordi. Il n’existe pas d’artiste plus new-yorkais que David Johansen, c’est ce que Scorsese entend démontrer avec ce film extraordinaire. Scorsese et son équipe ont filmé un concert unique de David Jo au Café Carlyle en 2020. Il a 70 balais et pour son âge, il est extraordinairement bien conservé : pompadour assez haute, moustache taillée, taille de guêpe, rubis à la main droite, émeraude à la main gauche, funky but chic, verres teintés. Il est la rockstar par excellence. Scorsese n’en finit plus de cadrer en gros plan ce crooner faramineux. L’ambiance est celle d’un cabaret, public assis à des tables, petites lampes, comme dans les films, David Jo est souvent filmé de dos et d’en haut, ce qui donne une vision globale de l’ambiance, comme dans New York New York. Entre chaque cut, il raconte des anecdotes qui sont à son image, extraordinaires et souvent drôles. Il joue son personnage de Buster Poindexter et tape un répertoire élargi, qui va des ballades de crooner jusqu’au «Personality Crisis» des Dolls. Il attaque d’ailleurs avec «Funky But Chic», awite awite, il swingue à gogo. Puis il enchaîne avec I hear a melody in the street, il te groove ça à la new-yorkaise de round midnite, et comme le public est aussi là pour ça, il sort des vieux souvenirs des Dolls : c’est l’anecdote de la Newcastle Brown Ale, les Anglais leur disent drink it ! drink it, big cans, des super pintes, et puis on stage, the drummer throws up, il dégueule et joue dans son vomi, une éclaboussure arrive dans la bouche de David Jo qui dégueule à son tour, blaaaaarhggghhh, comme dirait Nick Kent, throw up, bass throws up, guitar throws up and that was the beginning of punk, the Dolls throwing up. Melody yeah yeah. Puis Scorsese commence à injecter des images d’archives des Dolls, et là ça devient vertigineux, «Stranded In The Jungle» - Meanwhile back in the States - Johnny Thunders torse nu en pantalon à franges, grandeur des Dolls sur scène. Puis paf, voilà la grande tronche de Morrisey - They were very violent, very witty, very intelligent - Il parle même de danger in pop - That was the turning point for me. Every single song is really a hit single. They look like male prostitutes - Moz n’en peut plus - The absolute answer to everything - À l’époque, David Jo explique la stratégie des Dolls : «Bring these walls down and have a party kinda thing.». Il se moque un peu de Morrisey - Have you heard of a fellow named Morrisey ? He was the teenage president of the New York Dolls fan club in England - Et ça embraye aussi sec sur le fameux Meltdown Festival de 2004, «Jet Boy», entrelardé avec du Johnny Thunders cuir noir/Teardrop blanche - Lucky was my baby - Le Jet Boy te hante encore, cinquante ans après.

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             Et pouf, il attaque l’un des hits planétaires du grand retour des Dolls (One Day It Will Please Us To Remember Even This), «Plenty Of Music» - There in a world gone mad/ Feelin’ sad/ I guess I’m sorry - et soudain, il s’élance sans s’élancer - I hear plenty of music/ I see superfluous beauty everywhere/ Why should I care/ What does it matter - Il chante ça au pâteux de vieux Doll, mais avec une classe qui subjugue. Scorsese continue d’entrelarder son film avec virtuosité : il ramène un plan des Harry Smith, on stage, David Jo avec Hubert Sumlin et Charlie Musselwhite, et le «Smokestack Lightning» de Wolf. Oui, David Jo a rencontré Harry Smith au Chelsea, l’Harry Smith qui a collecté les archives de l’American Folk Music.

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             David Jo enfile les hits comme des perles - It’s always raining here - présente Penny Arcade, une vieille de la vieille, puis il raconte comment un jour Killer Kane et Billy Murcia sont venus taper à sa porte, alors il imite la voix d’eunuque de Killer Kane - I understand you’re a singer - et boom, il embraye aussi sec sur «Lonely Planet Boy». Rien de plus Dollsy que cet épisode. Scorsese nous montre aussi le jeune Buster Poindexter, coiffé exactement comme le vieux David Jo - I can sing anything. Any inexpected kind of song - Voilà ce qui fait venir le public. Scorsese ne laisse rien au hasard. Il ratisse tout ce qui fait la grandeur de David Jo, à commencer par sa présence. Dans une interview, un mec dit à David Jo qu’Aerosmith et Kiss ont connu la gloire, mais pas les Dolls, auxquels ils ont tout pompé. David Jo répond à côté - The Dolls were a band’s band - Il cite l’exemple des Ramones qui eux aussi disaient : «We can do that.» Et boom, nouveau hit faramineux avec «Maimed Happiness», tiré aussi d’One Day It Will Please Us To Remember Even This. Maimed veut dire ‘estropié’, et David Jo ajoute : «Life is just maimed happiness.» Ils finissent avec «Personality Crisis» et Scorsese cadre Brian Koonin sur sa Tele, mais aussi Keith Cotton au piano, Richard Hammond au bassmatic et Ray Grappone au beurre. Méchante équipe !   

    Signé : Cazengler, New York Dumb

    Martin Scorsese. Personality Crisis One Night Only. DVD 2023

    Bob Gruen & Nadya Beck. All Dolled Up. A New York Dolls Story. DVD 2005

    Bob Gruen & Nadya Beck. New York Dolls. Lookin’ Fine On Television. DVD 2011

     

     

    L’avenir du rock

     - Elle court elle court la Courette

             L’avenir du rock marche dans le désert depuis des années. Il a fini par se lasser de la marche, comme on se lasse de tout. Alors pour se divertir, il s’est mis à courir. Disons qu’il galope, car n’étant pas un sportif, sa foulée n’a vraiment rien d’élégant. Et depuis qu’il court, il voit tout le monde courir. Un jour il croise à nouveau Rimbaud et ses quatre porteurs éthiopiens. L’avenir du rock interpelle Rimbaud. Tout le monde s’arrête.

             — Mais vous zêtes pas Rimbaud !

             — Ben non, vous voyez bien !

             — Alors qui vous zêtes ?

             — Sylvain Tintin !

             — Vous m’en direz tant ! Je vous croyais au Tibet à la recherche du Yéti des neiges. 

             — Non, je voyage sur les traces de Rimbaud pour célébrer sa mémoire dans mon prochain livre. J’écris sur ma civière, voyez-vous. Permettez-moi de vous présenter mes porteurs : Abebe Bikila qui s’entraîne pour le marathon olympique, son frère Abobo Bikila qui vient d’acheter un duplex dans le Marais, son autre frère Abubu Bikila qui est en sevrage après tant d’abus, et lui, c’est Abibi Bikila qu’on surnomme Fricotin, ne me demandez pas pourquoi. Vous pouvez profiter du voyage, si vous le désirez, c’est une civière à deux places...

             — Non merci, zêtes sympa, Sylvain Tintin, je dois affronter mon destin.

             L’avenir du rock reprend sa course. Quelques heures plus tard, il croise un couple exotique, un mec habillé en noir et coiffé d’une casquette court devant, suivi à vingt mètres de Ronnie Spector. Intrigué, l’avenir du rock les interpelle. Tout le monde s’arrête.

             — Mais vous zêtes pas Ronnie Spector !

             — Ben non, vous voyez bien !

             — Alors qui vous zêtes ?

             — Flavia Couri !

             — Vous m’en direz tant ! Pourquoi courez-vous ainsi ? 

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             — Parce que nous sommes les Courettes !

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             Franchement, on ne pouvait rêver meilleure introduction. Le désert a tout de même meilleure réputation que la banlieue d’elle-court-elle-court. Et d’ailleurs, elle court elle court aussi sur scène, la Courette, dans sa petite robe rouge et ses bottines en vinyle blanc. Set énergique d’un duo rompu à toutes les disciplines du power-gaga. Elle s’appelle Flavia et on peut dire qu’elle tient bien la rampe, elle remplit bien le spectre du chant et gratte des jolis poux de fuzz entre deux eaux. Leur petite machine tourne comme une horloge.

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    Côté beurre, le gros Martin ne chôme pas, sous sa casquette de Liverpool, il bat pour dix, se prend pour Pantagruel, il boom-boom-boom et badaboumme, c’est un vrai marteau pilon échappé des forges du Creusot. Il a pour sale manie de se remplir la bouche d’eau et de faire son Moby Dick, avec des jets de dix mètres de haut dans le ciel, et si tu te trouves au pied de sa batterie, tu en prends plein la gueule. Bon, une fois c’est marrant. Mais au bout de dix fois, ça ne l’est plus. Pour te consoler, tu peux te contenter de penser que c’est moins pire que la bière. On a tous été dans des concerts punk à la mormoille où il pleuvait de la bière comme vache qui pisse.

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    Donc Moby Dick fait la loco des forges, et pour Flavia c’est du gâtö, elle peut foncer dans la nuit. Elle est d’une fraîcheur incomparable, impressionnante de professionnalisme gaga. La plupart des cuts font boom, surtout «Boom Dynamite», et le magnifique «Trashcan Honey» hanté par des chœurs de rêve - Trashcan Honey ouuuh ouuuh - Ça explose comme une comète au printemps.

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    Ils démarrent le set avec un «Hoodoo Hop» gavé de fuzz comme oie, si gavé qu’il en devient classique. On a déjà tellement entendu ce son qu’on ne cille plus, et pourtant, ça reste d’une redoutable efficacité. Les deux Courettes ont le diable au corps. Flavia trépigne sur son «Shake», pourtant tellement classique, mais dans ce contexte, ça passe comme une lettre à la poste. Ils terminent avec l’«Hop The Twig» tiré de Back To Mono, et tenu par la barbichette d’un riff qu’on dirait sorti tout droit de la SG de Link Wray. Un son lourd de menace. Pas de meilleure façon de célébrer la magie enfuie des sixties.

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    Elle chante à l’accent fêlé et amplifie le sortilège. En rappel, ils tirent aussi le «Misfits & Freaks» de Back To Mono, c’est héroïque car la prod est tellement spectorienne qu’on n’imagine pas les voir jouer ça sur scène, mais elle y va de bon cœur, et Moby Dick continue de cracher des jets d’eau à gogo. Ils restent sur le Back To Mono pour conclure avec «Won’t Let You Go», belle power pop sixties tellement spectorienne qu’elle remplit le cœur d’aise. Moby Dick fait des jolis chœurs. Les Courettes ont découvert le secret des dynamiques infernales.

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             Avec Here Are The Courettes, pas de surprise : on reste dans le classic gaga sauvage avec ses solos de fuzz et ses wouahh juvéniles. Ils s’amusent même à monter «Money Blind» sur le beat de «Lust For Life», alors t’as qu’à voir. Ils y vont la fleur au fusil, à l’here we go ! Pas de problème. Admirable Flavia ! Elle dispense des flaveurs. Les deux bombes de l’album sont en B : «Shiver» et «We Are Gonna Die». Elle gratte son Shiver à l’ongle sec et Moby Dick le bat comme plâtre. Voilà l’hit ! Sec comme un olivier. Bien décharné. Une olive tous les huit ans. On se régale encore plus de la belle intro du Gonne Die. Big disto de bim badaboom, elle te riffe ça comme la reine des cakes.

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             We Are The Courettes est un album bien plus dodu que le précédent : 7 bombes sur 12 cuts. Pas mal pour un groupe de zone B. Flavia commence par noyer son «Time Is Ticking» de fuzz. Elle connaît toutes les ficelles du caleçon. C’est excellent, bourré d’écho et de climax tic tic.  En bout de B, elle tape le «Boom Dynamite» du set. Elle le pulse au riff surexcité. L’autre coup de génie est le «Voodoo Doll» traversé par un hallucinant solo de corne de brume. Voilà un cut d’une brutalité indescriptible. Même topo avec «All About You». Une pluie de silver sixties s’abat sur la terre des Courettes. Avec sa belle énergie d’absolute beginner, ses blasts opérationnels et ses jives définitifs, cet album bat tous les records de densité. Derrière Flavia, Moby Dick tape comme un sourd. Elle attaque «Nobody But You» aux accords de Dave Davies. C’est exactement le même freakout de wild gaga strut, et ça continue avec la Méricourt absolue de «TCHAU», c’est du sans pitié pour les canards boiteux. Si tu aimes la viande, te voilà bien servi. On les retrouve beaucoup trop énervés sur «The Teens Are Square». Elle monte sur tous les coups, et son talent finit par nous faire oublier les clichés.

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             Le Back In Mono paru en 2021 compte parmi les plus somptueux hommages à Totor. On se croirait au Gold Star en 1965. Flavia n’y va pas de main morte, elle est en plein dans Ronnie, et ce dès «Want You Like A Cigarette», porté par une prod démente saturée de Back in Mono, ça grince dans les poches, ça shake all over. Et ça continue avec «I Can Hardly Wait», c’est même du Totor à la puissance 10, l’«Hey Boy» qui suit est un copy-cat des Ronettes, «Night Time (The Boy Of Mine)» semble sortir tout droit d’un juke de 1964, c’est inespéré de Wall Of Sound, confus et puissant de yeah yeah yeah. Ils enfilent les pop blasters comme des perles, Flavia Spector a tous les réflexes du Brill. Ils explosent encore la rondelle des annales de Totor avec «Until You’re Mine» et «Trash Can Honey» déborde littéralement de niaque, ils forcent un peu la main du destin, et on voit «My One & Only Baby» se noyer dans la prod, elle se prend vraiment pour les Ronettes, même élan et même magie de juke. Et ça bombarde encore jusqu’à la fin, avec l’«Edge Of My Nerves» tapé à l’énergie de fast pop chantilly, ils sont les héritiers directs du génie pop de Totor.

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             Ce serait bête de faire l’impasse sur Back In Mono (B-Sides & Outtakes), car ce mini-album grouille de puces. Tu te grattes dès «Daydream» qui sent bon l’«Eve Of Destruction», mais plongé dans l’enfer de Totor. Trop beau pour être vrai ! Explosif ! Ils rassemblent toutes les conditions du stomp et de la fuzz pour allumer «Tough Like That», pur jus de petite pop trash produite dans l’esprit de non-retour. Flavia Spector gueule sa rage dans le chaos sonique et colle son cut au plafond. Nouvelle descente aux enfers du paradis avec «Talking About My Baby». Franchement, tu n’en reviens pas d’entendre un tel brouet d’excelsior, ils collectionnent les coups de génie, toutes les voiles sont bien gonflées, Totor aurait adoré Flavia, cette petite reine de la ritournelle du Brill. Avec «Only Happy When You’re Gone», elle passe au classic jive de Brill. Ils se jettent tous les deux à fond dans ce vieux mythe et bien sûr, ils n’oublient pas les castagnettes. Ils finissent en beauté avec «The Boy I Love», straight pop de right away, elle ramène son meilleur sucre, avec un petit côté France Gall, puis «So What», en plein cœur du gaga-punk et tapé avec une incroyable ferveur.

    Signé : Cazengler, court toujours

    The Courettes. Le 106. Rouen (76). 9 février 2024

    Courettes. Here Are The Courettes. Sounds Of Subterrania 2015

    Courettes. We Are The Courettes. Sounds Of Subterrania 2018

    Courettes. Back In Mono. Damaged Goods 2021

    Courettes. Back In Mono (B-Sides & Outtakes). Damaged Goods 2022

     

     

    The Memphis Beat

     - Flip Floyd and Fly

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             L’air de rien, John Floyd abat un sacré boulot dans son petit livrotin, Sun Records An Oral History : il donne la parole à un tas de monstres sacrés, Rosco Gordon, Roland Janes, Jack Clement, Billy Lee Riley, Little Milton Campbell, Jim Dickinson et des tas d’autres, mais c’est dans le spasme final d’un choix discographique qu’il s’affirme en tant que fan de tous les diables. Il fait l’une des meilleures apologies du rockabilly qu’on ait vue ici-bas et il choisit son camp : Jerry Lee et Carl Perkins, oui, la box de Gene Vincent chez Capitol, non. Et il dit pourquoi : «You could make an argument for Gene Vincent, I guess but I’ve heard the Capitol box and I’m not buying it - The box or the argument. (Tu peux essayer de me vendre Gene Vincent, mais j’ai écouté le coffret Capitol et je n’en veux pas. Ni de ton argument ni du coffret)» Il préfère la box de Carl Perkins, Classic, parue chez Bear : «Classic restitue l’homme tel qu’il fut, l’artiste de rockabilly le plus sauvagement doué, un mix de chanteur/compositeur/guitariste/leader qui ne fut jamais égalé.» Et il reprend juste après Gene Vincent : «Pendant quelques années dans le milieu des fifties, Carl Perkins incarna le rockabilly comme nul autre, de ce côté-ci d’Elvis. Il était aussi barré que le plus barré des rockabs («Her Love Rubbed Off») et il chantait avec la niaque d’un shouter de jump et un twang dans la voix aussi country qu’une bombonne d’alcool de maïs du Tennessee.» Voilà comment en quelques lignes, John Floyd brosse le portrait d’un géant et il a raison d’insister sur Carl Perkins, car il règne encore sur la terre comme au ciel. John Floyd sort à peu près le même genre de dithyrambe sur Jerry Lee. La box Bear Classic Jerry Lee est pour lui le summum du boxing : «Dire que ce coffret est le plus parfait coffret de Jerry Lee n’est pas exact. Il faudrait plutôt dire que c’est le meilleur coffret existant sur cette planète.» Et dans un dernier spasme d’exaltation, il clame : «But trust me, you need the box.»

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             Bien sûr, l’auteur aménage un bel espace pour Elvis dans sa discographie. Il recommande tout de suite The Complete 50’s Masters qui rassemble tout ce qui fut enregistré chez Sun, c’est-à-dire cinq singles. Il recommande aussi l’amazing docu Elvis  ‘56. Et il redit son admiration pour ce qu’Elvis, Bill, Scotty et Sam ont inventé dans cette petite pièce carrée du 706 : «Chaque fois que je réécoute ces singles, je m’émerveille de l’adresse, de la grâce et de la détermination avec lesquelles Elvis, Scotty et Bill ont approché le «Good Rocking Tonight» de Roy Brown et le «That’s Allright» d’Arthur Crudup, et de la façon dont ils ont transformé le médiocre «Baby Let’s Play House» d’Arthur Gunter en thundering culmination de tout ce qu’ils avaient réussi à faire lors de la première séance d’enregistrement.» Et il conclut son chapitre Elvis avec la plus rockab des chutes : «Rien de ce qui a pu être écrit à propos d’Elvis et des singles Sun ne peut dire la grandeur de cette musique et à quel point elle est bonne. Il faut juste l’écouter.» Alors évidemment, après le trio de tête Carl/Jerry Lee/Elvis, il est difficile de chauffer le brasier des recommandations. John Floyd regrette qu’il n’existe pas de box consacrée à Billy Lee Riley, le seul artiste Sun qui selon lui aurait pu continuer à porter le flambeau après le départ d’Elvis et avec, précise-t-il «more gusto, relish and determination than the killer.» C’est ce qu’il ressent en écoutant les manic rockers qui ont fait la légende de Billy Lee chez les fans de rockab. Il va loin car il affirme que Billy Lee est resté culte car il n’a jamais connu le succès et donc n’a jamais terni sa glorieuse obscurité. Il cite aussi la classe de Charlie Rich et recommande son dernier album, Pictures And Paintings («triomphant retour sur Sire en 1992»).

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             En aval, John Floyd remonte jusqu’au Box Sun Blues Years 1950-1956 qu’il tient non pas pour la plus belle collection de blues de Sam Phillips, mais pour le plus beau coffret de postwar blues. On y retrouve Wolf, Joe Hill Louis, Sleepy John Estes et tous les autres, BB King, Little Milton et Rufus Thomas. Et quand il pointe les volumes des Memphis Days de Wolf, il parle de «musique la plus abrasive, la plus poignante, la plus suffocante du panthéon de la musique américaine.» Floyd évoque une voix chargée de pathos et de terreur, et les schrapnels de la guitare de Willie Johnson. Sam Phillips disait de Wolf qu’il était le plus grand artiste qu’il ait jamais enregistré, plus grand qu’Elvis. Puisqu’on est dans Wolf, voilà Pat Hare que recommande Floyd. Il recommande aussi l’Hey Boss Man de Frank Frost, dernier bluesman enregistré par Sam Phillips. Et puis comme pour Billy Lee Riley, Floyd regrette qu’on n’ait pas de box pour Charlie Feathers. Il parle d’une vaste et fascinante carrière, mais dit-il en guise de consolation, il suffit d’amasser les disques existants pour comprendre la portée de son considerable cult following. Ce qu’ont fait tous les dedicated followers of the fashion.

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             Ce petit livre qui ne paye pas de mine dit tout ce qu’il faut dire du rockab, né en juillet 54 au 706 Union Avenue, Memphis Tennessee. Dans une petite pièce, quatre mecs, Scotty, Bill, Elvis et Sam surent brasser le blues, la country, le bluegrass et la pop pour en faire quelque chose d’autre. Le rockabilly, simple mélange de raw country sound, popping guitar, slapback bass, blues-soaked swing et d’echo pioneering allait devenir une spécialité régionale. Floyd rappelle que Johnny Burnette a raté son audition chez Sun et qu’il dut aller à Nashville enregistrer chez Coral, où enregistrait déjà Buddy Holly. Mais le meilleur rockabilly fut enregistré à Memphis. Floyd rappelle que Billy Lee Riley aurait dû devenir une star. Il dit aussi que la grandeur de Jerry Lee dépassait largement le rockab, et même le rock’n’roll et la country et que Carl Perkins reste le rockab quintessentiel, car il sut en maîtriser les thèmes et le concept. Il termine ces quelques pages enflammées en citant les héritiers du rockab : Ronnie Hawkins et son hoodoo boogie, Billy Swan et sa country-pop, et puis les Cramps.

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             Autant les pages consacrées à Charlie Feathers sont émouvantes, autant celles consacrées à Billy Lee Riley sont enflammées. Floyd voit Charlie Feathers comme un excentrique hot-tempered doté d’une voix qui va du chat perché au baryton, un homme qui affirme avoir inventé le rockab - et non Sam ou Elvis. Quinton Claunch qui fut chargé par Sam d’enregistrer Charlie aimait bien sa voix, mais il le trouvait un peu trop auto-centré, «to say the least», «il était son pire ennemi et ne faisait confiance à personne.» Charlie prétendait avoir appris à Elvis à chanter, mais Claunch pense qu’au fond Charlie en voulait à Elvis de le voir réussir en utilisant la même vision du son, et il ne pouvait tout simplement pas le supporter.

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             Et pour Floyd, Billy Lee Riley avait une voix de rêve, qui mêlait Elvis et Little Richard. Il avait aussi un style de guitare qui allait devenir un modèle du genre. Mais il ne s’entendait pas bien avec Sam - Sam and I didn’t really get along per se - Ils se respectaient mais s’engueulaient. Billy voulait faire un truc et Sam voulait qu’il en fasse en autre. Pour Billy, le vraie génie chez Sun n’est pas Sam, mais Jack Clement. C’est Jack qui a tout enregistré pour Billy chez Sun. Et comme à l’époque, Billy et Sam picolent pas mal, ça n’arrange pas les choses. Quand Billy découvre que Sam met Jerry Lee en avant chez Alan Freed, alors il explose et casse tout chez Sun - That was enough to make me mad - Il faut se rappeler que l’alcool coulait à flots chez Sun. Comme le rappelle Billy un peu plus loin, ils n’enregistraient jamais sans en avoir un coup dans la gueule. Pas du dope, juste de l’alcool - And by the time the session was over everybody was stoned - Billy est le seul qui ne soit pas condescendant avec Sam que tout le monde prend pour Dieu. «Tout le monde l’appelle Mr Phillips, except me.» Billy et Sam avaient des rapports plus directs, ils ne s’aimaient pas, mais comme le dit si bien Billy, «he knew what I had to offer and I knew that he was talented.» Billy Lee Riley et Charlies Feathers sont certainement deux des artistes les plus attachants de l’âge d’or. Et leurs disques ne déçoivent jamais.

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             On s’en doute, les coups de projecteur sur Sam grouillent dans cet opuscule boppy. C’est Malcom Yelvington qui raconte sa première rencontre au 706. Il dit à Sam : « I understand you’re putting records out !» et que lui répond Sam ? «Yeah, a few !» Puis il lui demande ce qu’il peut proposer et Yelvington annonce a real good country band. «Ça vous intéresse ?» Et Sam répond : «Je ne sais pas ce que je cherche. Je le sais quand je l’entends.» Voilà qui définit bien Sam Phillips. Il cherche autre chose. Something different. Quand plus tard Malcolm revient faire un tour chez Sun, Sam le chope et lui dit : «Vous vous rappelez de ce que je vous ait dit l’autre fois, à propos de ce que je cherchais ? Eh bien j’ai enfin entendu ce que je cherchais.» Elvis, bien sûr, le premier single sur Sun. Et Jack Clement ajoute : «Il y avait quelque chose en lui qui poussait les gens à jouer pour lui, parce que quand il appréciait un truc qu’il entendait, il entrait en adoration.» Roland Janes va beaucoup plus loin quand il dit que Sam savait dénicher les gens qui avaient quelque chose d’original pour en faire des stars. «Si Jerry Lee avait enregistré à Nashville, on lui aurait dit d’arrêter le piano et de gratter une guitare. Et personne n’aurait jamais enregistré Johnny Cash.» Pour Roland Janes, Cash est devenu l’artiste le plus distinctif, le plus unique de Sun. Rosco Gordon pense lui aussi beaucoup de bien d’uncle Sam qui lui disait, alors qu’il entrait en studio : «Ne cherchez pas à faire un tube, faites une bonne chanson.» Rosco n’en revenait pas de voir Sam faire tant de miracles avec une seule piste, all that rinky-dink recording stuff. Et quand toute cette magie se produisait, les gens avaient une moyenne d’âge de 20 ans et Sam que tout le monde appelait Mr Phillips, n’avait que 30 ans !

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             C’est Jack Clement qui appelle Roland Janes pour lui dire qu’il a en studio un petit mec originaire de Louisiane et qu’il est pretty good. Oui, il s’agit bien de Jerry Lee. Mais Billy Lee Riley le voit trop se vanter. Jerry Lee se dit le meilleur et personne ne pourrait lui dire le contraire. Billy n’est pas un vantard. Il n’a pas besoin de ça. «Jerry Lee non plus», ajoute-t-il, «il suffit de le voir jouer  pour savoir à quel point il est bon.» Roland Janes dit aussi qu’on croyait Jerry Lee jaloux d’Elvis. Oh pas du tout. Pourquoi ? Parce que Jerry Lee se savait bien meilleur qu’Elvis, et qui encore une fois allait pouvoir prétendre le contraire ? Mais Roland Janes a raison, au fond, comment pouvait-on les comparer ? Elvis était un romantique et Jerry Lee un knock-down drag-out, qu’on peut traduire par démolisseur. Le jour de l’enregistrement de «Great Balls Of Fire», Sam et Jerry Lee ont un échange explosif en studio. Ils s’accrochent sur le thème de la foi et Jerry Lee explose : «No no  no how can the devil save souls ? What are you talking about ? Man, I got the devil in me ! If I didn’t have, I’d be a Christian !» Tout Jerry Lee est là. Floyd en pince aussi pour Charlie Rich qui pendant sa période chez Hi Records en 1966-67, enregistra «some of the greatest blue-eyed Soul ever recorder - in Memphis, Muscle Shoals, anywhere.» 

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             Encore plus en aval, John Floyd donne la parole aux pionniers, Rufus Tomas, Little Milton et Rosco Gordon. Rufus dit son attachement à Memphis. Il ne voulut ni s’installer à New York ni à Chicago. Jeune, il commence par faire le tap dancer et apprend à capter l’attention du public. Rufus ne se vante pas quand il dit que personne ne sait aussi bien capter l’attention du public que lui. En 1930, il rejoint les fameux Rabbit Foot Minstrels dont parle aussi Charles Neville dans ses mémoires. Quand Rufus débarque chez Sun et plus tard chez Stax, il a déjà du métier. Il rappelle aussi que BB King venait jouer au concours amateur du mercredi soir sur Beale Street. Le gagnant remportait un dollar et BB avait besoin de ce dollar pour vivre - BB King was there to get that dollar - Et très vite, Rufus s’aperçoit qu’il a du gravier dans la voix et qu’il ne peut plus chanter de pop songs. Il ne sait pas encore que ce gravier va faire des miracles chez Stax. Rufus n’aime pas Sam. Problème de blé, encore une fois. Rufus le voit rouler en Bentley et lui demande avec quel blé il a pu se payer cette bagnole étrangère. Il ne récupère que 500 $ pour «Bear Cat» qui se vend énormément - He was an arrogant bastard. He is today - Little Milton rappelle que c’est Ike Turner qui le repère et qui l’emmène chez Sun. Sur «Beggin’ My Baby», son premier single Sun, Ike joue du piano.

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             Rosco Gordon explique qu’il ne chante que pour gagner de quoi s’acheter du pinard (wine money). Il n’est même pas nerveux en entrant en studio. Il enregistre «Booted» et à l’époque son chauffeur s’appelle Bobby Bland.

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             Tous ces gens donnent le tournis, mais celui qui bat tous les records de présence, c’est bien sûr Jim Dickinson. John Floyd a l’intelligence de lui tendre le micro. Pour Dickinson, Elvis était tout simplement superman. «Il y avait quelque chose dans sa façon d’entrer sur scène qui dépassait tout ce qu’on pouvait imaginer.» Et il ajoute : «J’ai vu les Beatles lors de leur première tournée, j’ai vu les Stones à toutes les époques, j’ai vu Dylan, mais je n’ai jamais rien vu d’aussi fort qu’Elvis. Juste le voir entrer sur scène. Il n’avait même pas besoin de chanter. On perd un peu ça de vue aujourd’hui, mais ce qu’il fit à cette époque était révolutionnaire, juste en secouant une jambe, il déclenchait une révolution sexuelle et il transformait la façon dont chaque homme se coiffait, marchait ou parlait. Encore aujourd’hui, il est le visage le plus connu dans toute l’histoire du genre humain.» John Floyd dit que Dickinson est parfaitement à sa place dans cette ville de brillants marginaux et de visionnaires excentriques qu’est Memphis. Floyd tient Dickinson pour un pur produit de la Memphis dementia, pire encore, comme l’héritier de Sam Phillips et de Dewey Phillips. Il pense aussi qu’il a largement contribué à façonner la légende de Memphis et à assurer à son avenir. Dickinson : «Dans ma famille, on est musiciens depuis cinq ou six générations, mais sans être professionnels. Ma mère avait reçu une solide éducation. Elle a joué du piano à l’église pendant toute sa vie.» Quand on tente de lui inculquer des connaissances de musique classique, le petit Dickinson se cabre. C’est le jardinier black Alec qui lui amène un jour Butterfly, un pianiste black. Butterfly explique au gamin que la musique est faite de codes. Alors ça plait au jeune Dickinson qui traduit ça dans son imagination en codes secrets. Bien sûr, Butterfly voulait dire chords, c’est-à-dire accords, mais le gosse comprend codes et ça l’intéresse. Tu prends un code avec la main droite et une octave avec la main gauche, tu joues ça en rythme et ça donne le rock’n’roll. Mais à l’époque où Dickinson veut jouer du rock’n’roll, au début des années soixante, c’est encore très mal vu. «La musique teenage n’était pas reconnue alors. Il a fallu attendre l’arrivée des Beatles et des Rolling Stones pour qu’elle soit acceptée. Les groupies n’existaient pas non plus. Le rock’n’roll n’était même pas cool. On nous considérait comme des délinquants (deviant behavior of some kind).» Et dans un paragraphe poignant, Dickinson rappelle qu’il doit tout, absolument tout, à Dewey Phillips. «My whole musical taste, what I do for a living came from listening to Phillips on the radio.» Car ce qu’il proposait était totalement différent, c’était l’idée clé, une idée qu’on va retrouver chez Sam Phillips, lui aussi en quête de something totally different. Dewey Phillips ne s’adressait ni aux black people, ni aux white people, il s’adressait aux good people. La couleur ne l’intéressait pas, pour lui «the colour was good and he was playing good music. It was Sister Rosetta Tharpe and then Hank Williams.» Dickinson écoute tellement Dewey Phillips qu’il le croit sur parole quand il dit que Billy Lee Riley est une star. Jusqu’au moment où il va faire ses études au Texas et découvre que personne ne connaît «Red Hot» au Texas. Red quoi ? Même chose pour Sonny Burgess. Sonny qui ? En dehors de Memphis, personne ne connaît Sonny Burgess. Mais Dickinson croit Dewey sur parole quand il dit que Sonny est une star. «Dewey said he was, you know ?»

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             Dickinson revient sur la grande spécificité de Memphis qui est de favoriser l’individu, et pas seulement la musique. Les réussites à Memphis sont toutes des réussites individuelles. C’est aussi lui qui va faire l’un des derniers singles Sun avec les Jesters, un groupe quasi-mythique dans lequel on trouve le fils cadet de Sam, Jerry Phillips à la guitare, et Teddy Paige. Dickinson chante et Knox, le fils aîné de Sam, enregistre. C’est le fameux «Cadillac Man». Il rappelle aussi que durant les années 70, Knox et lui ont tenté de monter un coup avec BB King. Ça paraissait évident que Sam allait accepter, car c’était un projet extrêmement significatif. Tout est prêt. Knox en parle à Sam qui dit non. Pourquoi ? Dickinson n’en revient pas. A-t-il donné une raison ? Et Knox dit oui. Sam lui aurait rétorqué : «On ne peut pas aller demander à Picasso de peindre une petite toile comme ça vite fait.» Selon Dickinson, Sam Phillips voyait les choses à sa façon, c’est-à-dire en grand.

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             «Il y a des gens qui me disent que la période de génie de Sam a duré dix ans, comme son alcoolisme qui a duré dix ans, et sa thérapie à base d’électrochocs a aussi duré dix ans.» Et ce fin renard rigolard ajoute : «Je sais qu’il était fasciné par le courant électrique.» Dickinson raconte qu’il a vu Sam mette un tournevis sur un contact et créer un éclair. C’était du 110 V ! Sam : «A little one-ten (110) doesn’t hurt you. You need two-twenty (220) every now and then to know you’re alive.» Dickinson conclut en affirmant que Sam n’est pas un être humain ordinaire.

    Signé : Cazengler, John Flop

    John Floyd. Sun Records : An Oral History. Devault-Graves Digital Editions 1998

     

     

    Inside the goldmine

     - McKinley dans la poche

             Comme il pouvait nous agacer ce Kiki avec sa petite moustache pré-pubère, ses grosses lèvres, son acné virulente et sa façon de se placer sous la protection d’un gros dur, avec cet air provocateur qu’ont les chats siamois. Et pour aggraver les choses, il était en plus le chouchou de sa mère. Il y avait certainement un vieux fond de jalousie parmi nous, les autres membres du groupe. Nous n’avions pas de famille ni personne pour nous protéger. L’idée était de lui apprendre à vivre. On ne supportait plus de le voir prendre ses poses alanguies en suçant les bonbons que lui faisait porter chaque jour sa mère. Nous guettâmes longtemps l’occasion, et le jour où son protecteur fut appelé par le directeur de la colo pour une raison x, nous passâmes à l’action. Viens par ici mon Kiki. Il sentit tout de suite que les choses allaient mal tourner et il se mit à chialer comme une gonzesse et à appeler sa mère. On s’empara de lui à quatre, chacun tenait une jambe et un bras et nous le transportâmes dans la salle de bain. Il tentait de se débattre. Nous approchâmes des chiottes immondes qui n’étaient jamais nettoyées. Kiki se mit à hurler, non ! non ! pas ça ! Et nous lui plongeâmes la tête dans l’eau, enfin si on pouvait encore appeler ça de l’eau. Il perdit connaissance. On l’installa assis au sol contre le mur et il revint à lui. Il nous regarda tous les quatre avec une tristesse infinie. Il y avait dans ce regard un tel désespoir que nous éprouvâmes tous de la honte. Nous fûmes alors traversés par un violent désir de réparer. «T’inquéquète donpas mon Kiki, on va te nettoyer.» On le lava, on le peignit, on lui fit même des bisous sur le front. On le ramena dans le réfectoire et on lui réchauffa un bol de chocolat chaud. Nous devînmes tous les quatre ses meilleurs amis de colo, mais jamais la tristesse ne s’effaça de son regard. Bien des années plus tard, je tombai par hasard sur Kiki dans la rue. «Savati mon Kiki ?». Il répondit que oui, «savabin», mais son regard disait exactement le contraire.

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             Le souvenir du pauvre Kiki nous ramène à un autre kiki, McKinley Mitchell, découvert dans une box et pas n’importe quelle box, la box Malaco, coco. Comme McKiki est un mec de Jackson, Mississippi, il paraît donc logique de le retrouver sur Malaco, le label local.

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             Il enregistre son premier album sans titre sur Chimneyville, l’ancêtre de Malaco, en 1978. Dès «Open House At My House», on réalise qu’il sonne exactement comme Bobby Blue Bland, et donc on devient potes, car ici, Bobby Blue Bland est un dieu. McKiki est un fabuleux groover, on se régale de sa fantastique allure. Il tape ensuite une cover de «You’re So Fine», ce vieux hit mondial des Falcons repris par Ike & Tina Turner. Il clôt son balda avec «You Know I’ve Tried», une belle Soul de power Soul Brother. Il secoue bien les colonnes du temple de Chimneyville. En B, il tape dans Bobby Darin avec «Dream Lover» et finit avec «Follow The Wind», une chanson de cowboy lancée au petit trot, c’est plein d’élan et bien ouvert sur l’horizon. McKiki adore chanter dans le vent de la plaine. On est vraiment content pour lui.

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             Il apparaît en gros plan avec ses baguouses sur la pochette d’I Won’t Be Back For More. Au dos, le mec du label Retta’s Records a écrit en gros : «This is a hit record !» On veut bien le croire, car McKiki est un sacré Soul Brother, il te groove son morceau titre au doux du velouté, il te groove ça au quart de poil, c’est un mec précis. Fantastique artiste ! L’album est enregistré dans un studio de Memphis avec une équipe de surdoués inconnus. On a là une sorte de petit son d’une grande qualité. Le bassman s’appelle Ray Griffin, c’est un bon. Il faut entendre son walking bass dans «I’ve Been Wrong». «I Got A Couple Of Years On You» est plus pop. On appelle ça la country Soul. Belles racines, en attendant. Bien dans l’esprit des chops de Chips. McKiki sait balancer sa plâtrée, comme le montre le «Watch Over Me» d’ouverture de bal de B. Puissant shouter. Il fait encore de la Soul pop avec une «Mariah» extrêmement bien apprêtée. McKiki opte pour le haut du panier. Il termine ce bel album avec «I Don’t Know Which Way To Turn». Il charge sa barcasse au when you look at me

    Signé : Cazengler, Mitchell ma belle

    McKinley Mitchell. McKinley Mitchell. Chimneyville Records 1978

    McKinley Mitchell. I Won’t Be Back For More. Retta’s Records 1984

     

     

    The Sly is the limit

    - Part Three

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             Au même titre que Phil Spector, Ike Turner et Brian Wilson, Sly Stone entre dans la caste des génies du son. The Family Stone n’est que le couronnement d’une carrière qui débute au début des années soixante, lorsqu’il travaille pour le compte du label californien Autumn Records. Ce sont deux blancs qui le dirigent, Tom Donahue et Bob Mitchell, mais ils ont pour particularité de priser la musique noire. Attention, n’allez pas croire que Sly est californien : comme la plupart des grands artistes blacks installés en Californie (Arthur Lee, les Chambers Brothers, Lowell Fulsom) Sly vient du Deep South et plus précisément de Dallas, au Texas. Sly montre très vite un penchant pour les fringues flashy : on le voit porter un costard Pierre Cardin en peau de serpent et peigner soigneusement sa pompadour. Parmi les groupes qu’il produit pour le compte de Big Daddy Donahue, il y a les Beau Brummels. Sly admire le style et les chansons de Sal Valentino - I like the way Sal sings ‘I’m a man’ on Underdog. Go on Sal ! - Il admire aussi Ray Charles et Dylan. Sly est un homme passionnant, il faut l’écouter rendre hommage à ses pairs - The intelligence in my music comes from Mr Froelich. I tried the stuff that he taught me and it worked, and will work forever. The basic physics of music, that’s all it is. Little things, like play an intro, not too long. If it’s got a lot of energy, don’t do it so fast, do it slower - Sly explique qu’il a travaillé à partir de ce que Monsieur Froelich lui a appris et ça a marché. Commence par jouer une intro, pas trop longue, et s’il y a trop d’énergie, ralentis un peu.

             C’est le flamboyant David Kapralik, A&R chez Columbia, qui signe Sly & The Family Stone en 1967. Il devient en même temps le manager du groupe. Va sortir sur le subsidiary Epic une belle ribambelle d’albums qu’il faut bien qualifier d’historiques.

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             Dès A Whole New Thing, on sent monter le souffle. Sly introduit «Underdog» à la bluette de Frère Jacques et il relaie ça au heavy groove de Soul et aux yeah yeahhh. La Family Stone qui joue sur ce premier album restera intacte jusqu’à la fin, car c’est une vraie family : Freddie est son frère, Rose sa sœur, Larry Graham son cousin, Jerry Martini est un vieux pote et il se trouve que Greg Errico est le cousin de Jerry. Avec «Turn Me Loose», Sly passe au wild r’n’b. Sly sait tourner les choses à son avantage. Voilà les prémisses du Sly sound, cette fabuleuse énergie qui explosera à Woodstock. Sly grimpe au sommet de l’Ararat pour jeter un slowah à la face de Dieu : «Let Me Hear It From You». En B, on tombe immédiatement sur un heavy groove écœurant de classe, «I Cannot Make It». Voilà encore du Sly qui fait dresser l’oreille du lapin blanc. Ploc ! «Trip To Your Heart» sonne comme une espèce de groove intermédiaire terriblement ancré dans la modernité. C’est l’autre caractéristique du génie de Sly Stone : il semble toujours en avance sur son époque. «Bad Risk» sonne comme un fabuleux coup de Soul rampante. Sly amène ça avec le finesse du renard et des mains de cordonnier. En 1967, la messe est dite.

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             Premier hit planétaire en 1968 avec «Dance To The Music» qu’on retrouve sur l’album du même nom. Ouch ! C’est l’un des plus grands hits du siècle passé. Le pulsif profond de Sly Stone semble monter des entrailles de la terre. Les breaks à vide sont tellement libres qu’ils semblent déréglés. On retrouve le thème de Dance dans «Dance To The Medley», bardé de départs de basse signés Larry, la bête de Gévaudan. Rose chante avec son frère et Larry fait tous les coups de ra-da-da-dam. Quelle pétaudière ! Rose sait elle aussi envoyer la purée. Le son de la Family Stone est unique au monde. L’autre énormité se niche en B : «Ride The Rhythm». Sly prend ça au chat perché et swingue le jazz du funk. On ressent l’admirable pulsation du feeling sauvage. Sly groove le boogaloo et derrière lui, Larry la bête fait rouler ses notes sous ses gros doigts boudinés. Quelle rigolade ! Ah il faut aussi écouter le beurre infernal que bat Greg Errico dans «Are You Ready». Larry vole à son secours. Ces mecs-là n’en finissent plus de groover la modernité. C’est leur apanage. Larry revient jouer une belle ligne de basse fougueuse dans «Don’t Burn Baby». Quand on l’entend, on pense à un étalon sauvage. Ses notes courent derrière le chant du Sly. Mine de rien, Sly et sa family déroulaient le tapis rouge à la modernité.

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             On reste dans l’âge d’or avec l’album Life, paru aussi en 1968. Dès «Dynamite», Larry remet ses vieux ra-da-da-dam en route. C’est infernal. D’ailleurs l’ensemble du groupe s’apparente plus à une machine infernale qu’à un orchestre de groove. On trouve deux merveilles sur cet album, à commencer par «Chicken», cot-cot-coté et swingué au meilleur funk de Sly. On se croirait dans la basse-cour du ghetto funky - Have you heard about me - L’autre merveille se niche en B : «I’m An Animal». Il s’agit là d’une pièce de ce groove intermédiaire dans lequel Sly va finir par se spécialiser. C’est orchestré à la trompette et joliment maintenu sous pression. Puis Sly attaque «M’Lady» au pom pom pom de prédilection. On s’en doute, Larry ramène sa fraise avec le ra-da-da-dam de Dance. C’est bien sûr une variante de leur vieux hit, mais quelle variante ! On retrouve d’ailleurs le thème de Dance dans «Love City», avec les coups de baryton de Brother Freddie et les relances de Sister Rose. Ils bouclent cet album solide avec «Jane Is A Groupee», un joli de coup de groove à la décontracte monté sur une bassline de rêve. Sacré Larry ! Il n’en finit plus de régaler la compagnie. Le hit de l’album est certainement «Plastic Jim», l’adaptation funky d’Eleanor Rigby - All the plastic people/ Where do they all come from - Voilà qu’éclate une fois de plus au grand jour la modernité de Sly Stone. On ne résiste pas non plus au charme d’«Harmony», petit chef-d’œuvre de good time music.

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             Le deuxième hit planétaire de Sly se trouve sur l’album Stand ! paru l’année suivante : «I Want To Take You Higher», cette monstruosité qui a révélé Sly au public rock, via le film tourné lors du festival de Woodstock. C’est le son de la fournaise, le vrai, celui que vomissent les entrailles de la terre. Larry Graham roule son riff et Cynthia souffle dans sa trompette. On ne se lasse pas de revoir Sly & The Family Stone sur scène à Woodstock. Avec «Don’t Call Me Nigger Whitey», Sly se paye un fier adressage aux blancs qui insultent la grandeur du peuple noir. Autre hit planétaire en B : «Everyday People», un fantastique appel à la tolérance - Oh sha sha we got to to live together - Fabuleux groove de la paix sur la terre - And so on and so on and scooby dody doo bee/ I am everyday people - Eh oui, Sly navigue exactement au même niveau que John Lennon et Bob Dylan. Il peut aussi fait de la hot soul à la James Brown, comme on le constate à l’écoute de «You Can Make It If You Try», mais c’est sly-stoné de frais.

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             Comme on l’a épluché dans le Part One, on ne va pas revenir sur ce chef-d’œuvre qu’est  There’s A Riot Goin’ On. On passe directement à Fresh, paru en 1973.

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    C’est un album qui porte bien son nom. Sly semble revitaliser l’univers musical. Il suffit d’écouter «If You Want Me To Stay» pour en avoir le cœur net. Comme toujours chez Sly, le cut est monté sur une bassline rêve, une basse carrément pouet-pouet de gros popotin. C’est softy à souhait et d’une classe épouvantable. On passe au concassage de funk avec «Frisky». Sly se situe encore à la pointe du progrès. On sent une immédiate modernité de ton, une incroyable énergie de progression latérale, une subtilité du funk qui n’existe pas ailleurs. Sly est aussi avant-gardiste que Miles Davis. On se régalera aussi de «Thankful N’ Thoughtful», un groove de funk zébré d’éclairs de scream. Pur coup de génie en B avec «Que Sera Sera», l’apogée du groove laid-back en cuir clouté, un summum d’excelsior. Il faut aussi écouter «I Don’t Know (Satisfaction)» si on apprécie le slow-groove, car il s’étend à l’infini, comme une mer étale, immense et visitée par des notes de basse-mouettes et des whawahtis impénitents. Les chœurs de filles relèvent de la pire sorcellerie qu’on ait vu ici bas depuis le XIIIe siècle. L’autre hit de l’album pourrait bien être le fantastique «Keep On Dancin’», une extraordinaire fiesta de good time music, un festin de roi, habilement rythmé et orchestré au groove coconut.

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             Avec Small Talk paru l’année suivante, Sly fusionne le r’n’b et la psychedelia, comme le font Black Merda et Rotary Connection à la même époque. On trouve en B «Loose Booty», un fabuleux groove de Soul moderne chanté par tous les membres de la famille - Get into some dancin’/ Do what it’s all about - Puis Sister Rose prend «Wishful Thinking» au chant avec Sly et ils tapent ensemble dans une belle démesure de groove stonien. On a là du lo-fi en suspension, une pure merveille perdue dans la nuit des temps. C’est indécent de classe. Le dernier cut de l’album est un autre pur chef d’œuvre : «This Is Love». Sly rend un hommage vibrant au doo-wop avec les chevap doo wap des Flamingos. On note au passage que Rusty Allen a remplacé Larry Graham à la basse. Rusty fait des siennes dans «Time For Livin’», joli cut d’heavy popotin saturé de basses. S’ensuit un admirable groove mélodique intitulé «Can’t Strain My Brain». Sly le travaille au corps avec une maestria de la déconstruction et des faux airs de dérive excessive.

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             Sur la pochette de Heard Ya Missed Me Well I’m Back, Sly se déguise en homme orchestre. Et au dos, il pose avec la Family au grand complet. On trouve pas mal de cuts très pertinents sur cet album passé un peu à l’as, à commencer par «What Was I Thinkin’ In My Head», un solide strut de Stone Funk aménagé avec des plages enjouées et chanté à la bonne franquette. Sly adore créer ces atmosphères festives qui renvoient aux Village People. Il passe au slow groove de charme avec «Nothing Less Than Happiness», en duo avec une certaine M’Lady Bianca. Quel fabuleux duo ! Il boucle l’A avec «Blessing In Disguise», une belle pop de Soul élégiaque extrêmement orchestrée et noyée de backing vocals féminins. L’empereur Sly règne sans partage sur l’univers. En B, on trouve «Let’s Be Together», un funk stonien de bonne constitution. Ces gens-là n’ont plus rien à prouver. Ils savent groover le funk en douceur et en profondeur. Quelle délectation ! Tout est amplement orchestré et bien lubrifié aux jointures.

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             Sly fait le playboy des deux côtés de la pochette de Back On The Right Track paru en 1979. Trois cuts sortent du rang, «Remember Who You Are», le morceau titre, et «If It’s Not Adding Up», qui sont en fait les trois premiers cuts de l’A. Pour Remember, Sly tape dans son vieux groove de funk à la Stone. Il joue ça sous le boisseau d’un groove de basse sourde. Franchement, ce mec a le génie du son. Avec Back, il renoue avec le pur funk d’énormité de la Family Stone, c’est-à-dire le beat des origines de la terre, tout cela dans une explosion de chœurs féminins et de cuivres. Il reste dans la funky motion pour Addin’ Up. En B, il va rester dans le funk pour emmener «Shine It On» au paradis et passe au funk désarticulé à la Stevie Wonder pour «It Takes All Kinds». Sacré Sly, il slamme le slum avec du pur sledge, et une basse pouet-pouet mène tout ça par le bout du nez. Quel album ! Il boucle avec «Sheer Energy», encore du groove de rang princier, joué jusqu’à l’os du genou et contrebalancé par des Soul Sisters infernales.

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             Voilà encore un album quasiment passé inaperçu en 1982 : Ain’t But One Way. On y trouve un coup de génie intitulé «Who In The Funk Do You Think You Are». Sly monte ça au stomp d’heavy funk. Il n’y a que lui qui puisse monter des coups pareils. Il ne fonctionne qu’à l’énergie pure. Il fait une cover extravagante du «You Really Got Me» des Kinks. Encore plus épouvantable, «We Can Do It», groove de Soul-jazz visité par la grâce. Il boucle cet album impeccable avec «High Y’All», une resucée de Wanna Take You Higher. Il ressort exactement la même énergie. On trouve aussi deux ou trois choses intéressantes en A comme par exemple «L.O.V.I.N.U», rappé au meilleur beat. C’est tellement dansant qu’on croit parfois entendre du diskö-funk. Joli coup de good time music avec «Ha Ha Hee Hee». Du son, rien que du son. Chez Sly, c’est le son qui compte. Il faut entendre ces fabuleuses nappes de cuivres derrière le doux du beat. Voilà un nouveau hit planétaire, complètement envoûtant. Tout l’album est bon, de toute façon.

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             En 1975, il attaque une carrière solo. Plus de Family sur les pochettes. Il saute en l’air pour High On You, comme il le faisait pour Fresh. Voilà encore un album qui grouille d’énormités, à commencer par «I Get High On You», où on retrouve la profondeur grondante du cosmic funk d’«I Want To Take You Higher». Sly stone son stomp. Quand on entre en terre de stone, on entre en terre sacrée. Tout y est hors du temps, hors des hommes et des dieux. The Sly is the limit, ne l’oublions pas. Retour au hard funk avec «Who Do You Love», spécialité stonienne, son des profondeurs et tourbillon de gargouillis, groove épais que rien ne presse. En B, Sly tape dans la Soul funk des profondeurs avec «Organize». Pur Sly System. On a là le meilleur son de basse de tous les temps, bien rebondi, gras et gros, presque infra. Il passe au joli softy softah avec «Le Lo Li», joué sous le boisseau d’une chape orchestrale psycho-funkoïdale, mais avec des angles arrondis. Il prend plus loin «So Good To Me» à la finesse tamisée pour mieux créer l’enchantement.   

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             L’album Ten Years Too Soon est un album de remix. On y retrouve les gros hits de Sly remixés par des New-Yorkais. C’est un peu absurde, surtout quand on a un cut comme «Dance To The Music» qui est déjà calibré pour le dance-floor. Ces gens-là se sont aussi amusés à remixer  «Sing A Simple Song» et «Everyday People». C’est comme si on shootait des produits dans un corps parfait. 

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             I’m Back ! Family And Friends sonne comme l’album du grand retour. Sly reprend son destin en main et redonne un coup de jeune à ses vieux hits, comme «Dance To The Music» qui devient de la pure folie. Ça dégouline littéralement de génie pur. Ray Manzarek joue de l’orgue là-dessus. Ann Wilson vient duetter avec Sly sur «Everyday People». Et paf, il tape dans «Family Affair». Classe suprême, voix de Soul chargée d’histoire. Hit de rêve. Sly se situe au même niveau qu’Aretha et Marvin. Ce sont des artistes hors du temps et des modes. Ils relèvent de l’inéluctabilité des choses, Nathaniel. Johnny Winter vient jouer sur «Thank You». Johnny joue avec le feu du funk, et il part en solo flash ! Wow ! Sly et lui s’entendent à merveille - Falletin Me Be Mice Elf Agin - On entend même Johnny doubler au guttural. Quelle fournaise, les amis ! En B, c’est Jeff Beck qui radine sa fraise pour jouer «(I Want To Take You) Higher». Sly remet en route la machine infernale de Woodstock. Jeff Beck l’épouse à la note grasse. Il cocote et part en petite vrille de wah casuistique. Encore du son, rien que du son dans «Plain Jane», funky motion glougloutée jusqu’à la moelle, et Sly revient au gospel mélodique avec «His Eye Is On The Sparrow», jadis repris par Sister Rosetta Tharpe et Mahalia Jackson, cut envoûtant qui s’étend jusqu’à l’horizon.

    Signé : Cazengler, Family Stome de chèvre

    Sly & the Family Stone. A Whole New Thing. Epic 1967

    Sly & the Family Stone. Dance To The Music. Epic 1968

    Sly & the Family Stone. Life. Epic 1968

    Sly & the Family Stone. Stand ! Epic 1969

    Sly & the Family Stone. There’s A Riot Goin’ On. Epic 1971

    Sly & the Family Stone. Fresh. Epic 1973

    Sly & the Family Stone. Small Talk. Epic 1974

    Sly & the Family Stone. Heard Ya Missed Me Well I’m Back. Epic 1976

    Sly & the Family Stone. Back On The Right Track. Warner Bros Records 1979

    Sly & the Family Stone. Ain’t But One Way. Warner Bros Records 1982

    Sly  Stone. High On You. Epic 1975 

    Sly  Stone. Ten Years Too Soon. Epic 1979 

    Sly  Stone. I’m Back ! Family And Friends. Cleopatra 2011

     

     

    *

    Tiens un groupe français. Qui chante en français. Etrange pour un groupe qui vient d’Allemagne. Erreur sous la ligne de flottaison. Si la bonne ville de Brunswick se situe en Germanie le New Brunswick est une province du Canada, côte atlantique, accolée à la Nouvelle-Ecosse dont dépend Oak Island, l’île au légendaire trésor introuvable depuis trois siècles… Viennent de Bathurst, la bourgade qui n’atteint pas les quinze mille habitants possèderait un des plus beaux sites touristiques du Canada. Nous demanderons à Marie Desjardins, notre canadienne préférée, de corroborer les dires de Wikipédia.

    J’ METTRAI LE FEU

    MESSE

    (Local pick up only  / Février 2024)

                    Drôle de nom pour un groupe. Seraient-ils chrétiens ? Ou ont-ils choisi ce mot pour exprimer l’idée de réunion festive que l’on peut associer à ce genre de cérémonie religieuse ? Cela demande réflexion, surtout si vous êtes comme moi et que vous pensez que par les temps qui courent le retour du religieux est une malédiction renaissante.

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             Comment interpréter cette couve. Un briquet, généralement on s’en sert pour mettre le feu au cordon d’un bâton de dynamites, ou ont-ils voulu moderniser le cierge ?

    Maxime Boudreau : vocal, guitare / Sam Newman : basse / Jacob Savoie : batterie.

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    Révolution : le morceau est sorti en avant-première au mois de janvier, agrémentée d’une image à peu près semblable à celle de la couve de l’EP, à cette différence près que le briquet ne brûle plus tout seul en solitaire dans son coin, une main d’activiste décidé se prépare-telle à mettre le feu au monde entier… : musicalement ce n’est pas très révolutionnaire, du heavy metal ni très lourd ni très métallique mais de l’allant et de la vivacité, beaucoup plus problématique la douce langue françoise, est-ce pour cela que les couplets sont si courts, un peu trop chantée, un peu trop allongée, trop mélodieuse, manque le hachis méchant des englishes qui vous mordent au visage chaque fois qu’ils ouvrent la bouche. Lyrics ambigus, lancer une révolution par la fenêtre, pour mettre le feu à toute la plaine ou pour s’en débarrasser, bon ils y mettent du cœur, du sang et de l’espoir, donnons-leur quitus. Les derniers poètes : attention influence blues, balancement rythmique sans histoire et de rigueur et la voix bien devant, normal puisque l’on donne la parole pour la dernière fois aux poètes. L’on est proche de la fin du monde, vision critique et acerbe de notre marasme actuel, on approuve, un seul truc qui nous fait dresser l’oreille, ces damnés poètes, ne pourrait-on pas les fusiller comme tout le monde, pourquoi les crucifier. Automne : bon l’on croyait que les poëtes étaient morts, ils ont décidé de les remplacer, musicalement nous sommes borderline avec la variété, cette voix blanche parlée n’est pas très, comment dire poétique, s’en sont rendus compte, la fin du morceau ne se prend plus pour une chanson d’automne verlainienne, alors ils asticotent leurs instruments, et là c’est vraiment bien. T. O. M. I. : z’ont compris, un bel instrumental qui tient debout, hélas trop court !

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    Gaz : sorti aussi en avant-première au mois de janvier, image parlante, selon la mythographie française l’on pense aux pétroleuses de la Commune qui mirent le feu à Paris pour retarder l’avancée des troupes versaillaises, genre de feu de joie qui vous met le cœur en fête : la musique à fond, enfin nos incendiaires s’apprêtent à passer à l’action directe, ben non, le chat ne retombe pas sur ses pattes, feront la révolution lorsque le gaz sera moins cher. Niveau activisme c’est un peu affligeant. L’est vrai que Dieu ne leur a envoyé aucun message de réconfort. Remarquez, dans la Bible il est dit que Dieu vomit les tièdes. Il a raison.

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             Vous avez plusieurs vidéos de Messe sur scène. Jouent leur musique avec fidélité, mais leurs accoutrements, leur tenue soignée, leurs cheveux peignés, tout indique qu’ils visent un public de jeunes adolescents qui ne sont jamais tombés tout seul dans la marmite du rock ‘n’ roll, doivent vivre cela comme une initiation. Voilà, la messe est dite.

    Damie Chad.

     

    *

    Les anciens Dieux ne sont pas rancuniers, ne m’en ont pas voulu d’avoir chroniqué Messe, Apollon Lyncée, l’Apollon-loup, l’Apollon Hyperboréen, m’a envoyé ses nordiques copains en renfort, je ne pensais nullement à eux quand mon œil a été attiré par une trace d’ours sur le net, une méchante, bien griffue, avec des taches de sang, alors j’ai suivi la piste sanglante, je n’ai pas été déçu :

    BERSERKR

    EIHWAR

    Suffit d’un mot entrevu un quart de seconde sur You Tube pour que je visionne une vidéo, lorsque les vikings voguaient sur les mers lointaines, parfois l’un des membres de l’équipage harassé de ramer durant des heures contre une mer mauvaise pétait les plombs, ainsi s’exprimerait avec la grossièreté ignorante qui le caractérise un homme moderne, nos hardis navigateurs proposaient une autre lecture du phénomène, s’agissait de ce qu’aujourd’hui nous attribuons aux pouvoirs de ce que nous appelons chamanisme. Etait-ce le guerrier qui appelait en renfort son animal totémique ou l’esprit de l’Ours qui entrait en lui ? Toujours est-il que pris d’une fureur sacrée il se saisissait de son épée, mordait à pleines dents son bouclier, et commençait à s’en prendre au drakkar, voire à se jeter sur ses camarades qui essayaient, avec plus ou moins de réussite, à le désarmer… J’ai cliqué et j’ai été si étonné par les images que je n’ai pas pensé une seconde à accorder ne serait-ce que la moitié du quart d’une oreille pour prêter une quelconque attention à la musique.

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    D’abord c’est beau, images esthétiques d’un gris bleuté qui tout de suite vous mettent dans l’ambiance, ce guerrier vêtu de noir, homme de fer, habits de cuir, assis par terre dégage une idée de puissance tranquille rehaussée par le hurlement de loups que l’on ne voit pas. Le deuxième personnage qui apparaît et qui semble se porter à la rencontre du chevalier noir n’est pas moins inquiétant, d’ailleurs tout de blanc vêtu, qui est-ce, une prêtresse, un homme, une femme ? J’ai hésité, certes les longs cheveux blonds dans son dos et ses espèces de fourrures au niveau des seins, tout indique une fille, mais le crâne d’ursidé qui cache son visage teinté de noir, ne serait-ce pas ce que les Grecs on appelait un bel éphèbe, mais la voici munie d’un grand tambour qui danse, au sommet d’un énorme rocher, son ventre ondule, l’on envie d’arracher sa ceintures d’où pendent des linges mouvants qui cachent son sexe, belle et bestiale en même temps, attirante et dangereuse,  accroupie, elle dessine un cercle de runes mystérieuses avec des bouts de branches, l’épée à l’épaule, au travers des bois sombres, il arrive, elle marche, elle mord son épée à pleines dents, elle l’appelle, il la voit, il s’avance, derrière lui se dresse un énorme Yggdrasil, elle s’élance, et leurs épées s’entrechoquent sous la sombre et splendide ramure de l’arbre du monde, qui va triompher, la scène du combat est entrecoupée d’images d’elle tambourinant tout en haut de son immense rocher, qui va gagner, qui va vaincre, déjà les féministes proclament leur championne, elles n’ont rien compris, le vainqueur, la vainqueuse, cela importe peu, les images s’arrêtent, sur le noir de l’écran s’inscrivent quelques vers,  Etreins la fureur sauvage au fond de toi, aucune limite, aucune peur, le sentier d’Odin que nous vénérons est cinglant comme l’éclair. Dernières images consacrées à la splendeur naturelle du lieu qui a eu l’honneur d’accueilli le combat.

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    Evidemment question musique vous supposez une espèce de choc de titans sonores. Des murs d’airains et des entrechoquements de bronze. Vous avez juste quarante ans de retard. Une part importante de groupes metal ou d’origine industrielle qui se sont entichés de mythologies scandinaves ont dès les années quatre-vingt emprunté le chemin de cet âge de fer, mais les clinquances mythologiques brinquebalantes ont peu à peu laissé place à une certaine lassitude, l’on a cherché à comprendre le sens de ces scénarios de plaies et de bosses, sous la chair sonnante et trébuchante l’on a essayé de retrouver une subtilité spirituelle, une spiritualité païenne.  Bref du heavy metal, un peu trop carton-pâte l’on en est arrivé à s’inscrire dans un mouvement néo-folk.

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    La première apparition d’Eihwar a ainsi eu lieu à Nantes, le 23 mai 2023, dans la salle de concert Les Ferrailleurs, lors de la Pagan Folk Night La Nuit des Sorcières. Nous invitons les lecteurs à visionner sur You Tube Eihwar Ragnarök Live, sous-titrée Wiking War Trance, qui nous montre un public subjugué par l’apparition de nos deux précédents héros dans leur accoutrement filmique, elle martelant sans cesse son tambour de guerre, l’entrecoupant toutefois de mélodiques mélopées tandis que notre chevalier noir s’escrimant sur son équipement électro laisse échapper de son gosier des gutturalités de mauvais augures. L’ensemble un tantinet monotone n’est pas pour autant ennuyeux.

    Ne gobez pas la première ligne de présentation de notre duo sur Bandcamp, non ils ne sortent pas de la forêt hercynienne, proviennent d’une contrée davantage civilisée, de Toulouse. Ayant longuement fréquenté durant ma jeunesse estudiantine cette capitale du Midi, je peux vous affirmer qu’elle n’est pas peuplée de tribus sauvages, certes les vikings ont bien assiégé la ville rose en 864, z’ont dû se comporter d’une manière fort peu courtoise avec les jeunes filles et femmes de nos campagnes garonnaises, ces antécédents historiaux sont-ils la cause de cette fièvre nordique qui s’est emparée de nos deux jeunes gens, une résurgence atavique de quelques gouttes de sang nordiques léguées à leurs corps défendants ( voire consentants ) par de lointaines ancêtres ont-elles humecté le filigrane de leurs consciences, de leurs rêves, de leurs désirs, et de leurs volontés. Peut-être. Nous aimerions souscrire à cette vision romantique des transmissions héréditaires… peut-être s’inscrivent-ils simplement dans cette mouvance pagano-scaldique dont se réclament au-travers de toute l’Europe de nombreux groupes de rock.

    Sont deux. Asrunn : chant, percussion traditionnelle / Mark : voix, drum pad, samples. Soupçonnons autour d’eux un clan amical qui les aura aidés dans la mise en place de leur projet. C’est en février 2023 qu’ils ont posté leur première vidéo sur You Tube. Le bouche à oreille a fonctionné à merveille. Z’ont atteint jusqu’à un million de vues. Sont programmés pour cette année 2024 dans de nombreux festival notamment au Hellfest. Viennent de sortir leur premier album, compilation de leurs vidéos sur Season of Mist.

    RAGNARÖK

    (Viking War Music)

    EIHWAR

    (Season Of Mist / Digital / Février 2024)

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    Eihwar est le nom de la rune qui représente la lettre E. Elle désigne la Mort. Notons que cette lettre E se retrouvait au fronton du temple de Delphes, le sanctuaire sacré de la Grèce antique. Qui se peut traduire par Être… Il n’existe pas de plus grand écart entre deux notions.

    Asrunn = Ours (origine finoise) / Mark = consacré à Mars dieu de la guerre (origine latine).

    Berserk : nous n’en dirons pas plus qu’au début de cette chronique. Nous ne nous répèterons pas. Ne montons-nous pas dans le train de l’existence alors qu’il déjà en marche depuis longtemps…

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    Fenrir : image fixe, Fenrir le loup vous regarde, ses yeux vous supplient-ils, il reste immobile, seuls bougent les flocons de neige qui tombent, point d’anthropomorphisme, Fenrir est la bête sauvage, porteuse de mort, il attend, et la musique n’est qu’un piétinement de pattes de loups sur une piste de glace interminable qu’il déroule interminablement à l’intérieur de son attente, la musique semble attendre, elle se fait douce, elle caresse, elle ne précipite pas le temps, car l’on attend l’accomplissement de la terrible prophétie de la fin du monde, Fenrir n’est plus que la longue patience des bêtes qui attendent la délivrance non pas de l’emprise des hommes, mais de ceux que Fenrir, seuls quelque uns de ces grognement le laissent entendre,  l’instant où ses chaînes tomberont, vers lesquels il se précipitera, non pas sur les hommes mais sur les Dieux pour les tuer, et hâter la venue d’un autre monde, la voix d’Asrunn qui chantonne comme une berceuse d’éveil, un relent de vengeance, l’on est au cœur de l’attente, la bête ne meurt jamais, comme la Mort. Très beau morceau qui rappelle la phrase d’Henri Bosco : ‘’ Que fait la neige lorsqu’elle est tombée. Elle attend.’’ Ragnar’s last Raid : vidéo de mer mouvante, l’on ne sait si Ragnar de Lodbrok fut le chef aux bras velus à qui la ville de Paris dut verser rançon pour ne pas être prise, on lui prête tellement d’exploits, que peut-être est-il plus qu’un héros valeureux, un personnage poétique qui serait la transcription de l’âme indomptable et pratiquement inhumaine (comprenez proche des Dieux) des peuples de la mer farouche. Eihwar nous étonne et entonne un poème, il ne conte ni le bruit ni la fureur, exprime seulement la nostalgie de cette existence dont il ne reste qu’un souvenir lointain, une espèce d’invocation, une lamentation à la brièveté de la vie si orgueilleuse fut-elle, la voix d’Asrunn splendide, telle l’écume légère qui flotte au-dessus des vagues et que la moindre brise disperse… Ragnarök : la fin du monde, les Dieux et les âmes des guerriers morts au combat vont s’affronter aux forces du mal représentées par les Géants. Nous ne sommes pas dans Le Seigneur des Anneaux, le dernier combat est perdu d’avance… Perdu et gagné, c’est ce que raconte la musique d’Eihmar, quelques cliquetis d’épées, une cadence qui s’accélère un moment, une sonorité de cornemuse vive comme une flûte, mais la musique dronique revient sur elle-même, une ronde tantôt funèbre, tantôt presque heureuse, c’est que l’essentiel a été sauvé, Odin a tué Fenrir, Fenrir a tué Odin, mais le monde est préservé, un cycle qui s’achève annonce le retour d’un nouveau cycle qui commence. Eternel Retour. Trompes mortuaires. Skajldmö : en français nous utilisons le mot Walkyrie pour désigner ces guerrières armées de boucliers et d’une épée qui combattaient à l’égal des hommes, un morceau pour Asrunn, c’est pourtant la voix sourde et marmonnante de Mark que l’on entend surtout, son grondement, ses grognements, en contrechant Asrunn manie l’épée de son chant et de son souffle, elle est au cœur de la mêlée, contre ou avec les hommes et les Dieux, c’est elle qui ranime la flamme lorsque l’intensité du combat baisse d’un cran, elle ouvre le bal de la mort. The feast of Thor : qu’est-ce que cette fête de Thor, ce ne peut être que la joie du combat, de la lutte, un loup hurle dans la nuit, est-ce Fenrir qui glapit sur ce qui ressemble à un tapis de vieille à roue, assez pour tirer Thor de son sommeil, Mark joue à merveille ce rôle de l’éveillé qui titube encore engoncé dans son somme, la voix d’Asrunn  résonne comme un appel, une incitation incessante à la guerre, Le marteau de Thor tapote gentiment, vindicative la voix d’Arsunn exiget qu’il écrase des crânes, c’est l’ombre de la mort qu’elle a réveillée, qui marche maintenant aux côtés du Dieu, le monde chuchote et retient son souffle, maintenant la peur le précède, mais il avance, grognements, ébrouements, ce coup-ci c’est parti, Asrunn appelle de plus belle, elle incite, elle instille l’idée du carnage, personne n’arrêtera le malheur qui fond, l’on entent le tonnerre tonner… The forge : il s’agit du premier morceau réalisé par Eihwar, le titre renvoie immédiatement à la légende de Siegfried de Wagner, elle-même formée à partir de la saga de Sigurd, un descendant d’Odin, l’on entend les bruits de la forge, le marteau qui cliquette sur l’enclume, afin de renouer l’épée qu’Odin a brisée, mais plus que cela par trop anecdotique c’est à la démarche du destin que nous assistons, elle n’est pas rapide, elle prend son temps, la voix d’Asrunn s’élève, comme des tentures de sang séché que l’on dresserait à chaque point focal et oblique d’une existence qui vous entraîne inéluctablement vers votre fin, n’oubliez pas qu’il n'y a que deux façons de mourir, par la ruse d’un Dieu, et plus ignominieuse par la traître main d’un proche. The new vikings : cornes de brume, tambourinades nettement plus directes, les anciens Dieux, les antiques héros, de la vieille histoire, même si les nouveaux vikings ont le même chat à fouetter à savoir la mort de notre monde, tout ce qui a précédé n’est qu’un rappel, les mêmes causes produisent les mêmes effets, la musique décroit pour laisser Asrunn approcher ses lèvres de votre oreille et doucement vous révéler le terrible secret, tout dépend de vous, réveillez-vous maintenant, Mark grogne plus fort, est-ce vraiment utile. Silence. A chacun de jouer. Valhalla : encore le hurlement de Fenrir, le Valhala, cette forteresse du domaine des Dieux dans laquelle les Walkyries ont ramené les corps et les âmes des guerriers les plus valeureux morts sur les champs de bataille, ils attendent là, buvant, chantant, s’entraînant au maniement des âmes le Ragnarök, vous n’entrez en ce glorieux lieu mirifique que   par la porte de Mort, vous n’en sortez que pour mourir. Le morceau alterne brûlures de joie, élans vitaux, et passages plus sombres, chaos se diluant dans le néant.

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    Yggdrasil’s Reneval : paysage verdoyant, racines moussues de l’arbre du monde, un voyage est achevé, un autre commence, Vita Nova dirait Dante, renaissance, musique printanière, la voix toute pure d’Asrunn s’élève, son tambourin magique scande la joie de vivre, Mark marque le rythme de la ronde nouvelle qui se forme, farandole, tarentelle, ô mon âme n’aspire pas à la vie immortelle, épuise les champs du possible. Epigraphe de Pindare mise en exergue par Paul Valéry à son Cimetière marin.

             Ce disque est une superbe réussite. Nous avons déposé le crottin sleipnirique de nos rêveries au bas de chacun de ces dix morceaux, mais il est préférable de l’écouter d’une seule traite, comme un oratorio ontique qui nous affirmerait que la Mort n’est qu’un aspect de l’Être. Transe infinie.

    Damie Chad.

     

    *

             Dans notre livraison 622 du 30 / 11 / 2023, rendant compte de la vidéo ‘’ Le Cri ’’ dernier présenté comme l’unique inédit de Johnny Hallyday je ricanais prophétisant que de nouveaux inédits ne tarderaient pas à apparaître. Evidemment la vie m’a donné raison.

             Philippe Labro est rentré dans ma vie grâce à Johnny. Un 45 tours deux titres, deux textes écrits par Philippe Labro. Le premier fit scandale. Mettait en cause un personnage qui quelques années auparavant avait fait vaciller la carrière des Beatles aux States. Jésus Christ. Faut avouer que pour l’époque, nous sommes pourtant après mai 1968, Labro avait fait fort. Un texte qu’il avait ramené des Etats-Unis, en plein dans la période hippie, bref on y racontait que Jésus fumait de la marie jeanne et qu’il aimait les filles aux seins nus. Les cathos coincés du soutien-gorge s’étaient émus, en avait appelé au Vatican, les radios avaient renâclé pour le passer, certains disquaires refusèrent de le vendre...

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             Comme toujours l’on s’était trompé de cible, suffisait d’ôter ses yeux de ces seins que l’on ne saurait voir, pour réaliser la virulence du deuxième titre. L’antithèse du premier. Labro n’y parlait plus de douceur, de paix et d’amour. On me recherche, écrit à la première personne, vous jetait dans la peau d’un mauvais garçon, d’un malfrat, d’un voyou en fuite et décidé à ne pas se laisser prendre et prêt à en découdre jusqu’au bout… Un texte violemment anarchiste, certains moralistes s’autoriseront à dire dans le mauvais sens du terme, sans concession, qui n’attira pas les foudres des censeurs… Aujourd’hui il serait taxé d’incitation au terrorisme !

             Labro écrivit pas moins de cinq textes pour Vie le treizième album de Johnny sorti en novembre 1970, dont le surprenant Poème sur la Septième.

    Pour le quatorzième album Flagrant Délit paru en juin 1971, Labro écrivit l’ensemble des dix textes.

             Ce 16 février 2024 est parue la réédition de Flagrant Délit augmenté de deux inédits. Ces bandes ont été retrouvées à l’Olympic Sound Studio de Londres référencées sous le nom de Lee Halliday.

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    Reste : pas vraiment un chef-d’œuvre, une démo, un texte gentillet, pas de quoi pavoiser. N’apporte pas grand-chose à notre rocker national.

    Waterloo : si Reste est le genre de chansonnette que n’importe qui pourrait écrire, Labro était conscient qu’un texte doit choquer, surprendre, fasciner son auditeur. Déjà rien que le titre vous interpelle. Toutefois si l’on pense que le Poème sur la 7 ième, était un texte lu sur un extrait de la Septième Symphonie de Beethoven, et si l’on se souvient que Beethoven avait dans un premier temps dédié sa Symphonie N° 3, L’Héroïque, à Napoléon Bonaparte, l’on comprend la logique mentale qui a présidé à la naissance de Waterloo. Le projet a été abandonné. Nous n’avons droit qu’à une démo. La prépondérance du piano nous assure que nous sommes aux tout premiers tâtonnements de la mise en place. Manque l’essentiel : un orchestre symphonique. C’était le Grand Orchestre de Jean-Claude Vannier qui présidait au Poème sur la Septième. Et puis, avouons-le le texte un peu trop pathos de Labro n’est pas la hauteur de l’épopée napoléonienne, prend le sujet par le petit bout de la lorgnette. Celui des soldats qui vont mourir pour une idée qui ne leur appartient pas. Et qui les dépasse. Dommage que Labro n’ait pas repris son projet. Peut-être aurait-il dû envisager Austerlitz ou Eylau.

             Napoléon est un sujet qui sent la poudre. De canon.

    Damie Chad.

            

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

     

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    Le Chef doit être en train d’allumer un Coronado. Nous cavalons. Josiane est à la traîne, je la tire par la main, je lui impose un rythme soutenu. Elle aurait envie de se plaindre, son souffle coupé lui interdit d’émettre le moindre mot. C’est le troisième hôtel dont nous sortons en courant. Sans aucune explication. La chambre à trois cent euros lui aurait parfaitement convenu, sans un mot, j’ai gagné la rue. Le sixième s’avèrera le bon. Au neuvième étage, tout en haut, ascenseur en panne. Je n’ai pas hésité une seconde, ai refilé sans rechigner au directeur les mille trois cent trente euros quarante-six centimes qu’il demandait. Affalée sur le lit Josiane ne m’adresse la parole qu’au bout de trente-cinq minutes.

             _ Damie c’est loin et c’est un peu cher !

             _ Ne t’inquiète pas, un agent du SSR se doit d’assurer un certain standing, c’est le Chef qui l’a dit.

             _ Et les chiens ils ne sont plus là !

             _ Je les ai renvoyés au local d’un signe de la main, ils sont intelligents, ils ont compris, j’avais envie de rester cette nuit avec toi seule.

             _ Je ne comprends pas pourquoi tu préfères cette chambre, c’est la plus chère et la moins intime. Elle est si grande que le lit paraît tout petit !

             _ Tu verras quand tu seras toute nue tout contre moi, question intimité tu ne trouveras pas mieux.

    Un argument décisif si j’en crois la hâte avec laquelle elle se déshabille. J’ai bien calculé mon coup. Je ne doute pas que les Briseurs de Murailles soient à nos trousses. Justement cette chambre ne possède pas de murs.  En guise de parois uniquement de larges baies vitrées. Même la porte est en verre blindé épais, insensible aux balles de kalachnikov, s’est vanté le Directeur.

             _ La chambre des amoureux, pour la Saint-Valentin je la loue à dix mille euros. Vous voyez tout Paris et personne ne peut vous voir, même si vous laissez la lumière allumée. Une merveille architecturale ! De par le monde, vous n’en trouverez qu’une comme elle, tout en haut de l’Empire State Building

    J’ai réfléchi, les briseurs de murailles traversent les murs, mais le verre peut-être pas ! Un matériau coupant ! Avec un peu de chance nous passerons une nuit tranquille, s’ils parviennent à entrer, mon Rafalos sous l’oreiller à portée de mains, je les attends de pied ferme…

    32

    Il est temps de s’occuper de Josiane, chérie j’ai eu très peur, j’ai besoin de beaucoup de câlins m’a-telle averti. Je la comprends. Elle n’a pas menti. Sept ou huit fois de suite, je n’ai pas compté, j’ai dû l’honorer de toute ma virilité pénétrante, maintenant rassérénée elle dort paisiblement entre mes bras. Un agent du SSR en mission ne dort jamais, vous le savez, la main refermée sur la crosse de mon Rafalos je reste aux aguets, l’oreille tendue, guettant le moindre frémissement…

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    Je n’ai rien entendu. Si ce n’est le coup de feu tiré à bout portant dans la tête de Josiane. Avant que j’aie eu le temps de réagir, une main ferme a tiré le cadavre de Josiane hors de mes bras et un corps de femme nue a pris sa place. Gisèle ! Je l’ai reconnue à la douceur inimitable de sa peau.

             _ Je déteste que l’homme que j’aime me fasse des cachoteries dès que j’ai le dos tourné, me souffle-telle à l’oreille, ce n’est rien, ajoute-t-elle, je te pardonne.

    Cette nuit-là du neuvième étage je suis passé au septième ciel…

    34

    Le Chef allume un Coronado. Dans le wagon du métro des voix s’élèvent :

             _ Monsieur il est interdit de fumer dans le métro !

    Le Chef tire son Rafalos de sa poche :

             _ Le dernier qui osé me dire cela est mort, si vous ne me croyez pas, allez vérifier, cimetière de Pantin, Allée G, tombe 647, un certain Jean Fenocle, tué par balle dans une rame du métro, mardi dernier.

    Une voix étranglée par l’émotion accapare l’attention :

             _ C’est vrai, j’en ai entendu parler à la radio !

             _ Nous vivons dans un monde d’assassin, vous avez vu ce matin dans le bulletin d’infos c’est inimaginable !

             _ Mon dieu ! que s’est-il encore passé, je pressens une horreur !

    Le Chef n’a pas le temps d’entendre. Le métro vient de s’arrêter dans la station où il descend.

             _Messieurs-dames, au revoir, tenez-vous le pour dit !

    Avant de descendre il lâche un gros nuage de son Coronados, un Espuantoso Somptuoso dont la fragrance provoque des vomissements intempestifs chez les deux femmes enceintes du wagon.

    35

    Le Chef n’est pas étonné de retrouver Molossa et Molossito qui l’attendent derrière la porte du local dans laquelle il les a enfermés la veille. L’Agent Chad n’est pas venu les chercher. Il pressent que la situation est grave. Très grave, confirme-t-il aux deux chiens qui le regardent d’un air interrogatif. Il prend le temps d’allumer un Coronado. Il donne les dernières consignes :

             _ Attention, Molossa et Molossito, faut y aller mollo !

    Les deux chiens ont compris. Le monde est peuplé de périls, la tâche s’avère difficile, pire que de marcher sur des œufs de crocodiles sur le point d’éclore. Comme un seul homme ils emboîtent le pas du Chef.

    36

    Les abords du Palais de Justice grouillent de monde. La fièvre des grands jours. Journalistes télé et radio se pressent vers la grande salle. Elle est remplie comme un œuf. Molossito se demande si c’est un œuf de crocodile. Un brouhaha indescriptible monte de la foule amassée. Un huissier survient. Il monte à la tribune et annonce d’une voix forte :

             _ Mesdames, Messieurs, silence, le procureur de la République vient vous parler.

    Le procureur s’est levé de bonne heure, l’a été arraché de son lit par un coup de téléphone intempestif du ministre de la police, il n’a pas eu le temps de se coiffer, le nœud de sa cravate est défait. Il prend son air sévère N° 4 et s’empare du micro.

             _ Je n’irai pas par quatre chemins, l’affaire qui nous préoccupe est un des féminicides les plus épouvantables du siècle. Non seulement l’assassin a lâchement tué son amie d’un coup de Rafalos dans la tête – des exclamations d’horreur fusent – un peu de silence s’il vous plaît, ceci n’est que le début du drame, je ne m’offusquerai pas si certaines âmes sensibles désireraient ne pas entendre la suite – personne ne sort – après quoi il a simplement jeté cette compagne hors de son lit – des oh ! de stupéfaction et de dégoût s’élèvent – excusez-moi de ce qui va suivre qui risque si j’utilise une expression tant soit peu populaire, vous couper l’appétit, il a refait l’amour dans les draps ensanglantés avec une deuxième femme. Qui n’était pas là lorsque la femme de chambre a ouvert pour apporter le déjeuner. Elle n’a trouvé que le cadavre de la première sur la descente de lit et l’assassin qui dormait comme un ange pour reprendre ses propres termes.

    Plusieurs doigts se lèvent dans l’assistance, le Procureur en désigne un au hasard au premier rang :

             _ Comment savez-vous qu’il y a eu une deuxième femme que personne n’a vue si nous avons bien compris ?

             _ Personne ne l’a vue, nous ignorons son identité mais les analyses biologiques sont formelles : le lit a été fréquenté par trois personnes : l’assassin, la jeune femme morte et une deuxième femme mystérieusement disparue… Voilà vous savez tout, nous vous reconvoquerons si nous avons du nouveau. Je vous remercie.

    Dans la salle c’est la bronca. Des groupes de féministes lèvent des pancartes, elles exigent la démission du Procureur et du Ministre. On leur cache quelque chose, elles veulent savoir le nom de l’assassin qui a tué au moins deux femmes. C’est le chahut, la chienlit. Personne ne s’aperçoit que le Chef a allumé un Coronado ! Le Procureur reprend la parole :

             _ Nous ne pouvons vous révéler le nom de l’assassin, la loi nous l’interdit.

    La phrase du procureur provoque la stupeur, une clameur s’élève de l’assistance :

             _ Tous complices, tous coupables, tous pourris, police partout, justice nulle part !

    Le Procureur fait signe qu’il veut parler :

             _ L’affaire est beaucoup plus grave que vous ne l’imaginez, nous ne pouvons révéler le nom de l’assassin car quelques heures auparavant on a remorqué sa présence sur les lieux de la Bibliothèque Municipale dans laquelle hier ont été dénombrés plus de quatre-vingt morts. Peut-être tenons-nous là le serial killer le plus prolifique que le monde ait connu jusqu’à aujourd’hui, oui chez nous, en France !

    La foule subjuguée et flattée par la dernière déclaration du Procureur crie trois fois Vive La France ! et entonne une vibrante Marseillaise…

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 564 : KR'TNT 564 : LARRY PARNES / NEW YORK DOLLS / BABY GRANDE / QUINTRON / MACHINE ROUGE / JONI MITCHELL / ELVIS PRESLEY / BIJOU ( SVP ) / PATRICK CANNET

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 564

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    01 / 09 / 2022

    LARRY PARNES / NEW YORK DOLLS

    BABY GRANDE / QUINTRON

    MACHINE ROUGE / JONI MITCHELL

    ELVIS PRESLEY / BIJOU ( SVP )

    PATRICK CANNET

    Sur ce site : livraisons 318 – 564

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

    La Parnes des choses

     

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                Avec Joe Meek, Brian Epstein, Lionel Bart et Robert Stigwood, Larry Parnes est l’un des parrains de la Velvet Mafia, un concept érigé par Darryl W. Bullock pour les besoins d’un livre : The Velvet Mafia - The Gay Men Who Ran The Swinging Sixties. On savait que tous ces gens étaient gay, et si Bullock les rassemble dans un bon book, c’est parce qu’effectivement ils se connaissaient, se fréquentaient et, à l’occasion, brassaient des affaires ensemble. Comme leurs collègues de la mafia new-yorkaise, ils ont bâti des empires financiers et régné sans partage sur le plus gros biz des early sixties, le Swinging London. Les cinq hommes cités plus haut sont les têtes de gondole. Bullock évoque aussi Kit Lambert, Tony Stratton Smith et Simon Napier-Bell, autres membres actifs de la Velvet Mafia, qu’il ne faudrait pas prendre pour des seconds couteaux. Le Bullock book grouille d’infos pas piquées des hannetons, certaines pages flirtent avec l’immondice et d’autres basculent dans la tragédie, puisqu’au final, la Velvet Mafia lègue une belle série de cadavres à la postérité. Tu en auras pour ton argent, si tu surmontes tes a-priori et que tu mets le nez dans ce book d’essence malodorante, mais d’une rare honnêteté intellectuelle.

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             Peut-être est-ce la première fois qu’un auteur aborde de front l’aspect gay du London music biz. Bullock rappelle qu’en Angleterre, jusqu’en 1967, les homosexuels vont au trou s’ils se font choper en train de racoler dans les pissotières. Mais ça n’empêche pas cette communauté d’être hyper-active et même de proliférer. Comme le montre si bien Bullock, tous ces hommes de pouvoir sont affamés de sexe. Ils vont même jusqu’à inventer de toutes pièces des rock stars pour satisfaire leurs besoins. Bullock met nettement en avant Larry Parnes, le pionnier, le premier grand manager d’Angleterre, puisqu’il est le premier à monter une «écurie» de jeunes talents, dont les plus connus sont bien sûr Billy Fury, Tommy Steele et Marty Wilde. Indépendamment des exigences libidinales, Parnes comprend surtout qu’on peut se faire pas mal de blé en packageant des beaux mecs, car il a vu de quelle façon les stars américaines - et en particulier Elvis - ont su faire main basse sur les cœurs des teenagers anglais et accessoirement leur vider les poches. D’où l’idée de reproduire le phénomène en Angleterre. Parnes commence par se faire la main sur Tom Hicks qu’il rebaptise aussi sec Tommy Steele. Il supervise à la fois sa carrière publique et sa vie privée, pas de girlfriend, mon petit bonhomme, mais heureusement Tommy résiste et épouse sa poule Anne Donati en 1960.

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             L’idéal serait de ne pas prendre Tommy Steele à la légère. Bear sort une compile assez explosive, Doomsday Rock et quand on tombe sur «Rock Around The Town» on comprend tout. Steely chante à la niaque de l’East End. Les punks devraient prendre des notes. Ce mec était déjà extraordinairement wild. Les Stray Cats n’ont jamais été aussi bons que lui. On a un solo de sax et l’orchestre swingue aussi bien que les Comets de Bill Haley. Autre coup de tonnerre : «Rock With The Caveman». Il revient au bebop des cavernes, Steely boom bam. Chez les Anglais, on explose le beat rockab au sax. Il faut aussi le voir chanter «Grandad’s Rock» d’une voix de canard - Oh c’mon rock grandad - Quand les Anglais se mettent à swinguer, ils battent tous les records. Fabuleuse diction, il faut le voir swinguer son fridge in the kitchen dans «I Puts The Lightie On». Steely est une aubaine pour tes oreilles. Tiens voilà une version live d’«On The Move», orchestrée par un big band - Choo choo baby ! I’m coming home to you ! - Il fait du Bill Haley. Quelle classe ! Cut après cut, il nous fait tourner la tête - Mon manège à moi c’est toi - Puis il shake «(The Girl With The) Long Black Hair» à la mode early sixties. C’est effarant de high quality, Steely sonne très Buddy Holly, avec le même genre de pulsation sourde. Méchante attaque que celle de «Rebel Rock» ! Steely est un punk atroce. Encore plus explosif, voici «Two Eyes», monté sur un big drive de basse et traversé par un solo de jazz manouche, Steely pourlèche son swing. Il se pourrait bien que dans certains cas, le swing anglais soit le meilleur de tous. Il chante «Happy Go Lucky Blues» avec un petit côté putassier et des figurants chantent dans les buissons. Il attaque ensuite son «Singing The Blues» en sifflant. Quel sens du kitsch ! Personne ne peut battre Steely au petit jeu de «Razzle Dazzle». Violence de l’attaque ! Pas de pire violence en Angleterre. Pas d’équivalent non plus. Steely vise l’extrême razzle du dazzle et il revient aussitôt après le solo de sax avec un baby can’t you see, aw quelle bête de Gévaudan ! Il développe un power sidéral. Cette compile montre que Steely avait du style et de l’énergie à revendre. Il éclipse n’importe quel ténor du barreau. Il faut le voir tortiller sa «Teenage Party», il twiste ses syllabes au sommet de l’art, et l’air de rien, il parvient à sortir un cut incroyablement sexy, là où beaucoup d’autres se seraient vautrés. Tout ce qu’il fait est bon et même passionnant. Il bouffe son «Tallahassie Lassie» tout cru et dans «Build Up» on entend le slap rebondir. C’est d’une qualité inespérée.  

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             Parnes se taille vite un réputation de control freak, il ne supporte pas qu’on lui désobéisse, alors il gueule comme un cocher anglais. Il ne s’inspire que d’un seul modèle, le Colonel Parker, mais il pousse le bouchon encore plus loin : à la différence du Colonel qui se concentre sur un seul artiste, Parnes a plusieurs fers au feu. C’est le concept de l’écurie, the stable of stars : Roy Taylor devient Vince Eager, Ronald Wycherley devient Billy Fury, Clive Powell devient Georgie Fame, Christopher Morris devient Lance Fortune, Ray Howard devient Duffy Power, John Askew devient Johnny Gentle et Richard Kneller devient Dickie Pride. L’un des seuls qui parvient à échapper au baptême, c’est Joe Brown : il refuse l’Elmer Twitch que lui propose Parnes. No way. Parnes contrôle donc tous les aspects de la vie de ses poulains, il leur dit what to wear and what to sing. Le tarif de Parnes, c’est 40 %. Il est moins cher que le Colonel qui rackette 50 % des revenus d’Elvis. Marty Wilde dit qu’il n’a jamais reçu de royalties. Quand le père de Marty chope Parnes pour lui demander où sont passées les royalties, Parnes dit qu’elles financent la publicité. Ah ouais, c’est ça... En fait les sommes détournées sont énormes, un comptable les estime à £50,000 - He was a greedy bastard - Les gens que Parnes paye grassement sont les attachés de presse et les publicity guys, pas les stars de sa stable of stars. Son appartement sert de quartier général. Il héberge même certains de ses poulains, comme Billy Fury. La bouffe est bonne et l’atmosphère plaisante, nous dit Bullock. Mais Parnes n’héberge pas à l’œil. Tout a un coût. Les poulains ne reçoivent qu’un maigre salaire hebdomadaire. Parnes se paye sur la bête. Toujours la même histoire. Il faut des baisés. 

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             Un jour, Parnes pose la main sur la cuisse de Vince Eager et lui dit : «Je vais faire de toi une star.» Eager n’aime pas trop ses façons, mais bon, il a envie de devenir une star, et comme il n’habite pas Londres, il accepte la proposition que lui fait Parnes de l’héberger. Bien sûr, il n’y a qu’un seul lit. Parnes lui indique qu’il dort de ce côté et va dans la salle de bains se laver la queue et les dents. Eager se méfie et se glisse dans le lit entre le drap du dessus et la couverture. Quand Parnes vient se coucher, Eager est protégé par un drap, mais par sécurité, il empoigne la lampe de chevet, prêt à défoncer la gueule de Parnes si jamais il tente quelque chose. Le lendemain, Eager met les choses au clair - I don’t swing that way - et il ajoute que son frère est flic, ce qui calme Parnes aussi sec. Tony Sheridan et Georgie Fame se plaignent aussi des avances de Parnes - Il a essayé de me séduire, comme il a probablement essayé de séduire tous les autres chanteurs. L’homosexualité était alors illégale et j’étais terrifié, aussi n’ai-je rien dit à personne. Je lui ai tordu le poignet et me suis tiré de chez lui vite fait - and got the hell out of there -  C’est bien sûr l’arrivée des Beatles en 1962 qui va ruiner le biz de Parnes. Les rock’n’roll singers n’intéressent plus le public. Pourtant Brian Epstein lui propose de co-manager les Beatles, mais Parnes refuse, parce qu’Epstein ne lui propose pas assez. Comme Dick Rowe chez Decca, il fait la plus grave erreur de sa vie en disant non aux Beatles. Parnes va se retirer progressivement d’un biz dont il est pourtant le pionnier en Angleterre, et en 1964, il va monter the British Impressario’s Guild, une sorte de club de managers dont une grand majorité sont nous dit Bullock gay or Jeswish, or both. Club de dix personnes dans lequel on retrouve Parnes, Epstein, le grand avocat David Jacobs et Robert Stigwood.

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             Si Brian Epstein est plus connu que Larry Parnes, c’est bien sûr grâce aux Beatles. Bullock nous brosse un portait plutôt sensible d’Epstein, lui aussi embringué dans l’imbroglio libidinal du tabou homo. John Lennon proposait de rebaptiser l’autobio d’Epstein A Cellarful Of Noise en Cellarful of Boys, or Queer Jew. Piégé par un flic, le jeune Epstein se fait choper à Londres pour racolage dans les pissotières, et ayant échappé de justesse au scandale et à une condamnation, il rentre à Liverpool, demande pardon à ses parents et se consacre pendant trois ans au biz familial, un gros commerce de meubles qui vend accessoirement les disques. Et c’est à travers ce biz qu’il va croiser le chemin des Beatles. Epstein se rapproche assez vite de Parnes qui est alors le plus gros manager d’Angleterre, pour lui demander conseil. Et soudain, tout explose à Liverpool, Epstein devient à son tour le plus gros manager d’Angleterre. C’est la fin du règne de Larry Parnes. Epstein lance en 1963 Gerry & The Pacemakers, Billy J. Kramer & the Dakotas, les Fourmost, les Beatles et Cilla Black - Scouse takover - Pour gérer ce ras-de-marée, Epstein doit monter une structure qu’il baptise NEMS (North End Music Stores) et signe des groupes à tours de bras. Il commence aussi à popper des pills à tour de bras et finit par s’engueuler avec tout le monde, surtout avec Derek Taylor, son attaché de presse, l’accusant d’avoir tenu des propos antisémites, ce que réfute Taylor - Absolute rubbish ! - Taylor indique que ses meilleurs amis sont juifs et homos et pouf, il donne sa démission. Derek Taylor est furieux après Epstein - A twat to work for - On tombe à un moment sur un passage troublant qui met en scène Epstein et John Lennon dans l’hôtel où ils séjournent, lors d’un voyage à Barcelone. C’est Lennon qui parle : «Eppy n’arrêtait plus d’insister. Un soir, j’ai baissé mon froc et je lui ai dit : ‘vas-y, for Christ’s sake, encule-moi, just stick it up me fucking arse, then’ et Eppy lui dit qu’il ne fait pas ce genre de chose, alors Lennon lui demande ce qu’il fait et Eppy lui dit qu’il se contente de tripoter, alors Lennon le laisse faire, ‘the poor bastard, he can’t help the way he is’, ce qui peut vouloir dire qu’il ne parvient même pas à s’assumer.» Un expert des Beatles explique un peu plus loin que Lennon n’était pas homo, mais qu’il était prêt à tout tester, par curiosité.

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             On croise pas mal Lionel Bart aussi dans les pages du Bullock book, un Bart célèbre pour ses comédies musicales, notamment le fameux Oliver où le Davy Jones des Monkees fit ses débuts, à Londres. Le troisième parrain de la Velvet Mafia est sans doute le plus intéressant de tous, puisqu’il s’agit de Joe Meek. Direction Holloway Road où Meek installe son studio au-dessus d’un magasin qui vend des articles en cuir. S’installe à la même adresse un certain Pierre de Rouffignac, qui est l’associé de Vic Billings, futur manager de Dusty chérie. Le premier cat que Meek enregistre à Holloway Road n’est autre que Michael Bourne vite rebaptisé Mike Berry. Meek flashe sur sa version de «Peggy Sue Get Married». Pourquoi ? Parce qu’il est obsédé par Buddy Holly. Meek organise même des séances de spiritisme pour invoquer l’esprit de Buddy. Epstein vient aussi trouver Meek pour lui proposer d’enregistrer les Beatles, mais comme Parnes, Meek commet la plus grosse erreur de sa vie en déclinant l’offre. C’est comme chacun sait George Martin qui va récupérer les Beatles. Meek est alors un producteur important à Londres, on dit même qu’il aurait influencé Phil Spector, notamment avec «Telstar». Meek était sacrément en avance sur son temps, car il a enregistré «Telstar» sur un deux pistes, avec la salle de bain comme chambre d’écho. En 1961, Meek reçoit les Moontrekkers. Il aime bien le groupe, mais pas le chanteur, Rod Stewart, qui doit dégager. Avec les Moontrekkers, il enregistre «Night Of The Vampire», il préfigure Roky ! Décidément, le pauvre Meek collectionne les erreurs : après avoir dit non pour les Beatles, il vire Rod The Mod. Puis il enregistre Tommy Scott & the Senators, mais ça tourne mal, car Meek met la main au panier de Tommy qui l’envoie promener. Tommy est scié, il retrouve ses copains dans la rue et leur dit : «He just touched my bollocks! That bastard grabbed my balls!». Furieux d’avoir été éconduit, Meek déchire le contrat des Senators, mais Tommy va changer de nom et devenir une megastar sous le nom de Tom Jones (Hello Gildas). Sacré Meek, il n’en finit plus de collectionner les embrouilles. Meek et Parnes bossent un moment ensemble : les Tornados qui sont sous contrat avec Meek accompagnent Billy Fury, l’une des stars de la Parnes stable. Mais le «mariage» va tourner en eau de boudin - a mariage made in hell - Parnes et Meek ne s’entendent pas du tout. «Telstar» est number one dans le monde entier. Quand Parnes refuse de laisser partir les Tornados en tournée américaine, c’est la fin des haricots. Il impose que Billy Fury fasse partie du voyage et c’est hors de question pour Meek. Trop tard pour les Tornados, les Beatles arrivent avec «Love Me Do». Meek est aussi réputé pour ses crises de colère. Si par exemple tu lui demandes l’argent des royalties - Come on Joe, where’s my money - il s’empare du premier objet à portée de main et te le balance en plein gueule, que ce soit une chaise ou encore une paire de ciseaux qui va se ficher dans la porte juste à côté de toi. Alors t’as intérêt à te barrer vite fait ! Et puis il y a l’épisode Heinz, chanteur des Saints - pas ceux de Chris Bailey - Heinz le péroxydé d’origine allemande dont Meek est amoureux et dont il veut faire une star. Meek l’installe chez lui à Holloway Road et lui promet monts et merveilles. Il parvient à lancer Heinz avec un hommage à Eddie Cochran, «Just Like Eddie» sur lequel joue Ritchie Blackmore.

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             Alors on ressort le Remembering d’Heinz de l’étagère : quel album ! Deux choses frappent : Heinz parvient à sonner comme Eddie, aucun problème. Et puis il y a le génie du son. «Just Like Eddie» est comme visité par l’esprit d’un son, le Meeky Meek avec les guitares de la planète Mars, donc ça devient doublement mythique : Eddie + Meek. La reprise de «Three Steps To Heaven» est une vraie merveille de prod miraculeuse. Heinz boucle son balda avec une vraie cover de «Twenty Flight Rock», il chante dans l’écho d’Holloway, ça barde dans la cambuse de Meeky Mouse. En B, «Country Boy» est plus poppy poppy petit bikini, mais Blackmore passe un sacré solo de guitare. Encore une cover de rêve avec «Cut Across Shorty», c’est plein de son et de spirit et le «Summertime Blues» qui suit est presque une copie conforme. Meek vaut bien Gold Star, il recrée toute la Cochran craze in North London. L’album s’achève avec un «Tribute To Eddie» composé par Joe Meek, objet troublant, insidieux, fantomatique et quasi-mythique. 

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             Dans la même série Remembering chez Decca, tu as aussi un Dave Berry, mais il est beaucoup moins intéressant que l’Heinz. Dave Berry est trop pop. Un seul cut retient l’attention, c’est «Little Things», un hit parfait, monté sur un hard drive. On salue la prestance du petit Dave. Il ouvre son bal de B avec une cover de «Memphis Tennessee», mais c’est une version plus lente, très anglaise et visitée par des guitares fantômes. Son «Not Fade Away» est assez pur, Texas in London. Mais autant écouter l’original. 

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             En 1966, Epstein emmène Meek voir Dylan à l’Albert Hall. Ils essayent encore de bosser ensemble avec les Cryin’ Shames, mais Meek n’est plus en état mental de négocier un deal. Il commence à lâcher prise. Il fait un peu de parano, surtout depuis le jour où les Kray twins ont  voulu prendre le contrôle des Tornados. Meek leur a dit d’aller se faire foutre, mais ça mon gars, ce n’est pas le genre de chose qu’on peut dire aux frères Kray. Alors que fait Ronnie Kray ? Il fait savoir qu’il va s’occuper de Joe - He told him that he would take care of Joe - Eh oui, on croise les Kray twins dans les pages du Bullock book, quelques macchabées aussi, dont l’opérateur de Meek retrouvé en morceaux dans une valise, et puis après la fin tragique de Meek, Scotland Yard trouve pas mal de flacons de pills chez lui, des amphètes, purple hearts & Dexadrine. On croise aussi Judy Garland dans les heures sombres du book, elle est en fin de carrière, installée à Londres, elle aussi assez fatiguée de la vie pour s’overdoser à coup de quinal barbitone, c’est-à-dire de Séconal, même chose pour Epstein retrouvé dans son lit, overdosé aux barbituriques, et David Jacobs, qui se pend avec le cordon de satin de sa robe de chambre. Le Bullock book s’assombrit à mesure qu’on avance, d’autant que l’auteur soupçonne des choses qui rendent cette lecture aussi passionnante qu’un mauvais polar. Oh et puis l’histoire encore plus tragique de Billy Fury qui tombe dans les pommes en 1961 après un concert à Cambridge, et cinq mois plus tard, il retombe dans les pommes, alors Parnes lui fait un massage cardiaque pour le ramener à la vie. Les médecins conseillent à Billy de se reposer mais le manager Parnes fout la pression, et Billy n’en finit plus de tomber dans les pommes. Pauvre Billy Fury. Il se vautre aussi avec certains de ses albums, comme le montre We Want Billy. Il chante son «Sweet Little Sixteen» du nez et on entend une fausse foule gueuler derrière. Ce n’est pas bon. Le seul cut qu’on sauve est la version d’«I’m Movin’ On». Dommage car le guitariste des Tornados est excellent. Il y a sur l’album une face rapide et une face lente et c’est bien là le problème.

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             Tiens, voilà Andrew Loog Oldham et son chauffeur, l’East End gangster Reg King qui bosse un peu à l’occasion pour Epstein et Lionel Bart. C’est Dusty chérie qui va taper à la porte de Vic Billings qui manageait l’une des stars de Joe Meek, Michael Cox, puis Kiki Dee. Le tableau serait incomplet sans les Gunnell Brothers, propriétaires du Flamingo et du Bag O’Nails, et managers de Georgie Fame, puis de Geno Washington, Long John Baldry, Fleetwood Mac et Rod Stewart. Ils finissent par revendre leur agence à Robert Stigwood. C’est au bag O’Nails que Jimi Hendrix fait son premier concert londonien, et qui trouve-t-on dans l’assistance ? Lambert and Stamp, qui sont forcément fascinés par le Voodoo Chile.

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             Kit Lambert prend un mauvais départ dans la vie. Il est le fils du compositeur Constant Lambert qui eut une love affair avec une danseuse nommée Margot Fontayn. Avant d’épouser Lambert Senior, la danseuse vivait avec le peintre Christopher ‘Kit’ Wood qui ne trouva rien de mieux à faire que de se jeter sous un train à la gare de Salisbury, et quand elle mit son fils au monde, elle l’appela Kit en souvenir de son Kit. Devenu adulte, Kit participe à l’expédition de Richard Mason en Amazonie. Quand on retrouve Mason criblé de flèches dans la forêt, Kit est soupçonné puis relâché. De retour à Londres, il rencontre Chris Stamp et ils décident de faire du cinéma ensemble. Ils commencent par bosser pour Judy Garland (I Could Go On Singing), puis ils flashent sur les Who qu’ils voient sur scène. Les Who s’appellent encore les High Numbers. Lambert et Stamp décident de les manager. Ils commencent par se débarrasser des précédents managers, Peter Maeden et Helmut Gorden. Maeden reçoit 150 £ en cash et Gorden retourne fabriquer des poignées de portes dans sa fabrique. Puis ils se débarrassent de Shel Talmy, le producteur des early Who. Talmy est furieux : «Lambert was out ouf his fucking mind... I think he was certificably insane.» Il voit Lambert comme un égocentrique atteint de paranoïa. Devenus managers du groupe, Lambert et Stamp ramassent 30 % des revenus. Quand après une grosse shoote, Moony ressort du studio avec un œil au beurre noir, il décide, conjointement avec John Entwistle, de quitter les Who. Alors ils vont annoncer la bonne nouvelle à Kit. Il n’est pas là ? On leur dit qu’il est chez Stigwood. Alors ils y vont. Comme personne ne répond à la porte, Moony casse un carreau et entre. Il finit par les trouver tous les deux dans la chambre, au pieu, Stigwood et Kit, holding the sheets. En 1981, Kit casse sa pipe en bois, suite à des blessures au crâne. Officiellement une chute dans la salle de bains, mais en réalité, on lui aurait démonté la gueule dans les toilettes d’un bar gay.

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             De tous, Stigwood est le moins piqué des hannetons, en tous les cas, il va réussir à passer à travers, là où ses anciens collègues ont échoué. Il commence comme Parnes, en supervisant tous les aspects de la vie de ses poulains, le premier étant John Leyton, depuis longtemps oublié. Comme Parnes, il tente de transformer des beaux mecs en rock stars. Pendant un temps, le petit ami de Stigwood est le fameux Sir Joseph Lockwood qu’on voit photographié avec les Kray twins. Beau scandale. Bullock se régale. Mike Berry raconte que Stigwood a passé une soirée entière à essayer de le sauter, et gentiment Berry a fini par lui dire : «You’re lucky I’m not a violent man.» On croyait avoir atteint les tréfonds du dark avec le Bay City Rollers book, mais Bullock semble aller encore plus loin dans les ténèbres. On surnomme Stigwood a lovely old queen. Il tente de lancer Simon Scott, mais ça ne marche pas. Comme il dépense sans compter, il doit du blé à droite et à gauche, notamment à Andrew Loog Oldham. Un soir, Oldham et Keith Richards coincent Stigwood dans les escaliers du Scott Of Saint James et Keef lui balance 16 coups de genou dans l’aine, «one for each grand he owned us. Mais il ne s’est jamais excusé. J’ai pas dû le frapper assez fort.» Par contre, Stigwood s’entend bien avec Epstein. Ils passent même des vacances ensemble à Paris. C’est en bossant avec Epstein que Stigwood finit par devenir respectable. Stigwood veut racheter les parts d’Epstein dans NEMS, mais Epstein se dit trop lié à ses artistes. Il ne veut pas que les gens dont il se sent responsable tombent dans les pattes de n’importe qui - Je m’occupe d’êtres humains, pas de bouts de bois - Et les Beatles ne veulent pas de Stigwood dans NEMS. Ils menacent de chanter faux, si Stigwood ramène sa fraise. Mais bon, Epstein finit par vendre 51% des parts de NEMS à Stigwood. Quand Stigwood s’installe dans les bureaux de NEMS, le personnel est choqué. En fait, Epstein en a marre du music biz et il envisage de se retirer. Et puis Stigwood et son associé Shaw quittent NEMS quand ils comprennent que les Beatles ne veulent pas d’eux. Alors ils montent RSO (Robert Stigwood Organisation), avec le soutien financier de Polydor, en Allemagne, et démarrent avec Cream et les Bee Gees. Stigwood finit par se débarrasser de David Shaw, son associé et génie financier. On connaît la suite de l’histoire des Bee Gees, le succès mondial avec la daube diskö du samedi soir et quand les frères Gibbs demandent où est passé le blé, ils n’ont pas de réponse, alors ils traînent Stigwood en justice et réclament 136 millions de dollars de dommages et intérêts. Ils finiront par négocier secrètement un arrangement. L’histoire du rock n’est pas faite que de rock.

    Signé : Cazengler, Velvet mafiotte

    Darryl W. Bullock. The Velvet Mafia. The Gay Men Who Ran The Swinging Sixties. Omnibus Press 2021

    Heinz. Remembering, Decca 1977

    Dave Berry. Remembering, Decca 1976

    Tommy Steele. Doosday Rock Vol. 1. Bear Family 2019

    Billy Fury. We Want Billy. Decca Records 1963

     

    Dollse Vita - Part One

     

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                Tu veux un scoop ? Martin Scorsese prépare un docu sur les Dolls. Le scoop se trouve à la fin d’une longue interview que David Johansen - The Last Doll - accorde à Jon Savage dans Mojo. Inespéré ! Non seulement Johansen refait surface, mais qu’on puisse encore s’intéresser aujourd’hui à l’histoire des Dolls, ça tient du miracle.

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             Une longue intro nous redit tout ce qu’on sait déjà. Les excès, the next big thing et tout le baratin habituel. On a même droit à l’énumération des cassages de pipes en bois : Johnny Thunders (1991), Jerry Nolan (1992), Killer Kane (2004) et Syl Sylvain (2021). Mais on est là pour boire les paroles de Johansen.

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             Savage commence par annoncer qu’on fête le cinquantième anniversaire de la residency des Dolls à l’Oscar Wilde Room du Mercer Arts Center. Johansen raconte que c’est Eric Emerson qui l’a branché sur ce plan au Mercer et comme le set des Dolls avait plu au manager du Mercer, ils ont décroché la fameuse residency - So that was that - Johansen décrit la salle comme petite mais pouvant contenir 200 personnes. Évidemment Savage le branche sur le gay element. Johansen se marre. Mais non, le gay element n’existe pas à cette époque - Si un mec était outrageusement gay, on ne disait pas qu’il était gay, on disait qu’il était fantastique - Gay wasn’t a part of the lexicon - Puis il aborde rapidement le chapitre des concerts de rock de l’époque, tous ces concerts fabuleux qu’on pouvait voir dans les early seventies au Fillmore East, Miles Davis et les Who, par exemple. Johansen fait partie des kids qui veulent absolument faire du rock et tous les mecs qu’il rencontre sont aussi des passionnés : «Syl was T.Rex kind of guy, Arthur liked Sky Saxon and The Seeds, John liked the MC5, I was crazy about Janis Joplin. I can’t remember what Billy’s thing was.» Il va aux shows de Murray The K et flashe sur Mitch Ryder qui à l’époque casse la baraque torse nu, en trois minutes. Et quand Savage qui se croit drôle lui demande s’il préférait les Stones ou les Beatles, Johansen répond à sa façon : «To a degree I liked all of thoses bands. The Kinks, The Zombies, whatever came out, all the bands from England. But also, tempered with American R&B.» Il jouait «Mustang Sally» avec ses copains, il adorait aussi The Four Seasons and crazy singers like Lou Christie.

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             Johansen raconte aussi que John voulait répéter tous les jours. Il était un peu le moteur des Dolls. Puis l’influence de Syl a grossi. Mais le plus important dans tout ça était que les cinq Dolls étaient obsédés de rock’n’roll. Et comme ils voient beaucoup de groupes jouer des solos de 20 minutes au Fillmore, les Dolls rêvent d’un show explosif - It wasn’t even that we choregraphed or planned it, nothing like that, it happened spontaneously - Et puis quand Savage lui demande s’il se souvient quand les Dolls ont décollé, Johansen dit non. Les Dolls n’ont jamais décollé, sauf dans leur quartier à Manhattan. Tous les requins du music biz venaient pourtant les voir jouer : Clive Davis, Ahmet Ertegun. Mais celui qui les veut vraiment, c’est Paul Nelson, un A&R de Mercury. Nelson finit par convaincre son boss de signer les Dolls. Comme Marty Thau s’occupe des Dolls, c’est lui qui négocie le contrat.

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    ( Billy Murcia )

             Savage branche ensuite Johansen sur la mort de Billy - It was devastating. A shocking situation. It was a horrible misadventure, really. You don’t really get over things like that - Johansen évoque aussi la photo de pochette du premier album et la tournée américaine en première partie de Mott The Hoople. Savage veut absolument savoir si on les traitait de tapettes dans la rue. Johansen répond encore de biais : «De temps en temps, un mec nous insultait depuis la vitre baissée de sa bagnole. Mais je pense que les gens y réfléchissaient à deux fois avant de nous menacer car on dégageait quelque chose qui leur faisait croire qu’on pouvait être dangereux, if you fucked with us. On n’avait pas peur de se battre.» 

             Il raconte aussi que DownBeat magazine qui était un canard de jazz fit une chronique du premier album des Dolls, alors qu’ils ne chroniquaient jamais de disques de rock - Ils nous ont collé quatre étoiles et ont dit des choses superbes sur nous, comment notre musique illustrait la ville et la rue - J’étais fier de cette chronique. Et il continue sur le scoop : «Marty Scorsese est un fan des Dolls depuis le temps du Mercer. Il m’a dit que pendant le tournage de Mean Streets, il passait notre album sur le plateau, à plein volume, pour stimuler les acteurs.» C’est là qu’il évoque le docu avec Scorsese. Histoire de nous faire encore baver un peu, Johansen dit avoir enregistré une vingtaine de chansons. Son répertoire couvre toutes les époques, depuis le début jusqu’au dernier album des Dolls paru en 2011, Dancing Backwards In High Heels

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             Eh oui onze ans sont passés depuis Dancing Backwards. Ils ont enregistré cet album à Newcastle, comme nous le montre le DVD qui accompagne l’album. On profite en même temps d’un concert des Dolls filmé dans un club de Newcastle, le Cluny. Le film nous montre l’ultime mouture des Dolls autour de Johansen et Syl : l’ex-Blondie Frank Infante gratte sa gratte, Jason Hill bassmatique et Brian Delaney bat le beurre. Sur scène, c’est vraiment excellent. Il se trouve que Jason Hill est aussi le producteur de l’album. Alors le docu ? C’est un peu comme si on y était. On voit même la poule de Johansen, une très belle brune bien conservée. Quand ils jouent «Looking For A Kiss» sur scène, c’est exactement le même son qu’à l’origine. Magie pure ! Dans le docu, Syl prend souvent la parole. Il a encore une certaine classe, avec sa casquette de Gavroche. Il explique qu’il trouve des structures et des mélodies sur sa gratte and David puts a line on it. Sur scène, tout le côté wild guitars, c’est Syl sur sa Gretsch. On le voit aussi gratter les accords de «Streetcake» dans une cabine du studio. Fantastique ! Encore de la magie pure ! Il danse en grattant sa Les Paul. Syl pense que the musicians & writers have a duty. Et bien sûr, ça se termine sur scène : «It’s called Personality Crisis» - Ahhh yeah yeah yeah. Johansen le fait pour de vrai.

             On retrouve «Streetcake» sur l’album, et franchement, c’est du baume au cœur. Tellement du baume au cœur qu’on l’écoute en boucle pour se griser des chœurs de Syl et du raunch de Johansen. «Streetcake», c’est le son des fantômes du rock suprême, avec un Johansen qui refuse de mourir et le fantôme de Syl qui fait ahhhhh dans l’écho et qui gratte les plus beaux accords new-yorkais de tous les temps, et là, rien qu’avec ce petit balladif Dollsy, tu te retrouves au sommet de tous les mythes, perché sur l’Empire State Building avec King-Kong, et tu as le vertige, c’est trop bon, mais le vertige est dans ton cœur, et pendant que Syl pousse des ahhhh de rêve, Johansen revient toujours au raw. Ces mecs nous ont initié à la vie et ils sont toujours là, avec un power et une grâce dont on ne trouvera hélas plus d’équivalent - Let me be your streetcake/ Till your breadman come/ Give you more sugar/ Than the breadman done - C’est le plus beau rêve des Amériques, Johansen et Syl ont réussi à le recréer - I’m so sweet like the New York Dolls - Terrifique ! Ils s’enfoncent dans l’art comme Gauguin dans le rouge. Fais gaffe, ce cut peut te broyer le cœur, car Johansen et Syl te ramènent loin en arrière. Tu les vois photographiés tous les deux au dos du booklet et tu vois Syl qui est mort maintenant, avec sa casquette de Gavroche et sa dégaine de Doll et tu chiales parce que tu te sens seul dans ce monde d’une terrifiante médiocrité. Comme Johnny Thunders, Killer Kane et Jerry Nolan, Syl était une sorte de dernier rempart, maintenant il ne reste plus que Johansen, Iggy et Wayne Kramer, que Dieu protège ces survivants - To my head ! - Les coups d’harmo de «Pills» sonnent encore le tocsin dans ta cervelle. Oh et puis tu as ce «Fool For You Baby» en ouverture de bal, immense pied de nez des Dolls à la postérité, ça sort tout droit du Brill, c’est l’absolu séculaire du don’t you break my heart, plombé de sonic genius, saturé de dont dont dee lee dont dont. Les Dolls se dégagent de toutes les influences pour ne sonner que comme les Dolls. Johansen et Syl pondent encore un chef-d’œuvre Dollsy, «Talk To Me Baby», énorme, plein d’élan du Brill, nouvelle manifestation du Syl power, cut définitif, Johansen le chante à l’arrache des Dolls, tu as des coups de piano et des redémarrages demented. Avec «Round And Round She Goes», ils renouent avec leur racines et passent au stomp. Parce que ce sont les Dolls, ça devient énorme. Johansen écrase le champignon du record machine. Encore du pur jus Dollsy avec «I Sold My Heart To The Junkman». Ils sont capables de faire du Brill de junkman ! C’est un coup d’éclat transcendantal. Ils tapent «Baby Tell Me What I’m On» au Diddley Beat - Babeh/ Babeh I’m so gone - Drug-out reggae so far out. Puis ils tapent une version de «Funky But Chic» et avec Syl derrière, la magie est intacte. Ils perpétuent leur art jusqu’au bout et là tu as tous les chœurs de Dolls dont tu rêves. On retrouve «Funky But Chic» dans les bonus enregistrés au Cluny, Syl le lance à la Thunders, ça joue aux deux guitares avec les chœurs de Syl derrière, alors tu tombes de ta chaise, même chose avec la version live de «Cause I Sez So», c’est hot as hell, au-delà de toute espérance, ils rentrent dans le chou du lard avec des guitares terribles et Syl sort tout le Grand Jeu des Dolls, un son unique au monde, il faut en profiter, ces deux mecs sont encore là le temps d’un disque, et puis tout sera fini. Et ça repart de plus belle avec «Hey Bo Diddley» - Hey Bo Diddley/ Where you been - Fantastique hommage ! Dans la bouche de Johansen, Bo c’est beau ! Syl reste en overdrive de Thunders et puis tu as encore «Pills». Il n’y a que les Dolls pour exploser aussi monstrueusement - A rock and roll nurse go into my head - C’est l’hymne de New York City.

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             En 2005, Johansen et Syl avaient annoncé une reformation des Dolls avec Steve Conte, Sami Yaffa et Brian Delaney. C’est cette nouvelle configuration qui enregistre One Day It Will Please Us To Remember Even This. L’album est un beau clin d’œil aux Dolls. Trois cuts pourraient très bien figurer sur le premier album : «Running Around», «Punishing World» et «Fishnets & Cigarettes». D’abord parce que ce sont des compos de Syl et le grand Johansen reprend le contrôle de l’aéroport. Il retrouve ses marques avec les chœurs et le boogie down. C’est là où il excelle depuis cinquante ans. Syl signe aussi «Fishnets & Cigarettes», et Johansen ramène le power absolu. Par contre, c’est Conte qui signe «Punishing World». Il tape en plein cœur du big Dollsy sound, l’énergie est intacte, il ne manque plus que Johnny Thunders. On assiste à la restitution de l’énorme power des origines du monde. Syl signe «Dance Like A Monkey» et pompe «Lust For Life». Même beat. C’est là que New York se fond dans Detroit. Johansen fait des merveilles avec la belle pop de «Plenty Of Music». Syl signe aussi l’excellent «Dancing On The Lip Of A Volcano». Et voilà la cerise sur le gâtö : Iggy vient duetter avec Johansen sur «Gimme Luv & Turn On The Light». On appelle ça une énormité impavide. Et cet album de rêve s’achève sur une autre compo de Syl, «Take A Good Look At My Good Looks» : Johansen et Syl s’entendent à merveille pour créer des petits moments de magie balladive.

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             Paru en 2009, ‘Cause I Sez So est le deuxième album de reformation des Dolls autour de Johansen et Syl. Et pour que l’illusion soit complète, Todd Rundgren produit, comme au temps du premier album. Alors pas de problème, on sait qu’on aura du son. On retombe sur le classic Dolls sound dès le morceau titre d’ouverture de balda. C’est un son réellement unique au monde. Ils rejouent leur vieux va-tout. On retrouve le Dollsy sound dans le cut du bout de la B, «Exorcism Of Despair», véritable mur du son avec un Johansen au dessus de la mêlée et des grosses guitares du Conte. Le Conte est bon. Le hit de l’album est «My World», une grosse compo signée Syl, grattée à coups d’acou, avec un coup de wah du Conte en plein milieu. On entend bien Sami Yaffa voyager sur le manche de sa basse dans «Muddy Bones». Johansen est en pleine forme. Il fait plaisir à voir. Il aime bien les balladifs du Conte, comme ce «Temptation To Exist», mais aussi ceux de son vieux compadre Syl. Ils signent encore une grosse compo : «Drowning». On les voit tous les deux se diriger de plus en plus vers les grosses compos. «Drowning» raconte l’histoire d’un homme qui se noie - I’m not waving hello/ I ain’t throwing around with the mama/ Don’t let me go - C’est bourré d’humour. Et puis tu as aussi ce big dancing rock signé Syl et Conte, «Nobody Got No Big News», Johansen y ramène l’énergie du rap, c’est vraiment du big business, let’s get radiant ! On note aussi au passage la version reggae de «Trash».

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             On a commencé avec Scorsese et on finit avec lui. Faut-il voir et revoir la série Vinyl en dix épisodes ? Oui, car c’est un bel éclairage sur le music biz new-yorkais des années 70, juste avant l’arrivée du punk-rock. Dans l’épisode 10, le personnage principal Richie Finestra donne ses rendez-vous dans un bar du Bowery. Après son rendez-vous, Finestra vient papoter avec le patron du bar. Celui-ci songe à changer le nom de son bar et à y organiser des concerts. Il a crayonné sur un bout de papier son idée de nouveau nom : CBGB. Il s’agit bien sûr d’Hilly Kristal. Et comme le premier épisode de la série démarre en 1973 au Mercer avec les Dolls, la boucle est bouclée. N’oublie pas que le punk est né à New York, pas à Londres.

             Supervisée par Scorsese, la série tient sacrément bien la route. On y retrouve le mélange qui a fait le charme des premiers films de Scorsese, ce puissant cocktail de rock, de coke et de violence mafieuse. On n’avait encore jamais vu autant de rails de coke, excepté dans The Wolf Of Wall Street ! Si tout démarre au Mercer, ce n’est pas un hasard, Balthazar : les Dolls sont au cœur de toute la modernité du rock. Scorsese le savait à l’époque. Il parvient à reconstituer l’ambiance de ce que fut un set des Dolls à l’âge d’or. On voit même Syl faire du stage dive avec sa Flying V. 

             Richie Finestra a des faux airs de Travolta : italo-New-yorkais, on est en plein dans le Scorsese System. Finestra/Travolta dirige le label American Century qui bat de l’aile, car trop ancré dans le passé. Scorsese parvient à filmer l’écroulement du Mercer, avec Finestra/Travolta à l’intérieur. Au milieu des décombres, Finestra/Travolta a une vision : il voit les Dolls comme l’avenir du rock, alors comme Seymour Stein, il part à la chasse du next big thing : le groupe s’appelle the Nasty Bits, un groupe punk avant l’heure, très certainement inspiré du personnage de Richard Hell.

             Scorsese veille à ne pas oublier l’autre mamelle de la modernité : le Velvet. Alors on se régale, car c’est servi sur un plateau d’argent - I am tired/ I am weary/ I could sleep for a thousand years - Pure magie reconstitutive - Different colours made of tears - «Venus in Furs» nous berce encore de bien belles langueurs monotones, cinquante ans plus tard. Scorsese et ses scénaristes (dont l’excellent Rich Cohen) réussissent un habile mélange de méli-mélo avec des faits réels. On voit Alice Cooper apparaître dans l’épisode 3, mais c’est complètement raté. Une façon comme une autre de dire que le personnage d’Alice Cooper n’a jamais été crédible. Les Dolls l’étaient mille fois plus. Par contre l’Hannibal qui pointe sa museau dans l’épisode 4 vaut le détour : hommage au funk des seventies, à Sly Stone et à Bootsy Collins. La plupart des scènes sont filmées dans les locaux du label de Finestra/Travolta : on y voit le ballet des associés et des assistantes, tous et toutes plus incompétent(e)s les uns que les autres. Scorsese nous ressert une petite louche de Lou Reed dans l’épisode 5 avec une version de «White Light White Heat» sur scène. Dans le 6, on voit Bowie débarquer à New York avec «Suffragette City», et on entend le «No Fun» des Stooges chez un marchand de guitares. Et puis un mec chante «Life On Mars» au piano dans une fête juive. N’oublions pas que New York est la plus grande ville juive du monde. Finestra/Travolta fait un saut en Californie pour l’épisode 7, il vend l’avion de son label à un mec qui organise une fête à Malibu et là défilent tous les luminaries de la scène locale : Mama Cass, Gram Parsons, Captain Stills Manyhands et puis il y a une scène magique avec Elvis à Las Vegas. Finestra/Travolta rencontre Elvis backstage et ils tentent de monter un plan ensemble, alors Elvis veut les Sweet Inspirations et Finestra/Travolta propose Pop Staples pour produire le nouvel album, alors Elvis exulte : «You got it !». Jusqu’au moment où le Colonel Parker arrive et vire Finestra/Travolta. Elvis va coucher au panier. La scène est d’une incroyable justesse. Bravo Scorsese !

             Il n’empêche que le label continue de s’enfoncer, alors Finestra/Travolta doit emprunter de l’argent. Comme la banque lui refuse le prêt, il s’adresse à Colasso, un type de la mafia qui lui prête 100 000 $ en cash. Taux à 5%. L’épisode 8 nous permet d’entrer dans deux mythologies : celle des trois accords et celle de la mafia. Lester Grimes qui est le manager black des Dirty Bits explique à ses protégés que tout repose sur trois accords : ré la si. Et il joue un medley de toute l’histoire du rock et du blues sur sa gratte. Quant à la mafia, c’est l’occasion pour Scorsese de renouer avec sa vieille virtuosité : il montre comment Colasso étrangle un mauvais payeur avec le fil électrique d’une lampe. Colasso est bien sûr une interprétation libre du personnage de Morris Levy. Dans le 8, on voit aussi apparaître John Lennon et May Pang au Max’s, alors que Bob Marley joue sur scène. Pour la fin de la série, Scorsese fait jouer les Dirty Bits en première partie des Dolls qu’on ne voit hélas que dans la salle, mais pour lui, c’est l’occasion rêvée de boucler la boucle. Bien sûr, la saison 1 appelle une suite.

    Signé : Cazengler, New York Dumb

    New York Dolls. One Day It Will Please Us To Remember Even This. Roadrunner Records 2006

    New York Dolls. ‘Cause I Sez So. ATCO records 2009

    New York Dolls. Dancing Backward In High Heels. 429 Records 2011

    Martin Scorsese. Vinyl. Saison 1. DVD 2016

    Jon Savage : Fantasy Island. Mojo # 345 - August 2022

     

     

    Inside the goldmine - Baby Grande Ballroom

     

                Il sortit de l’hôtel Saint-Francis et alla se jeter dans le flot des passants que charriait la 42e rue. Il se grisait de l’éclat du ciel bleu et de l’énergie qui électrisait cette ville. Il rentra dans un peep-show, paya six dollars et s’installa dans une cabine. Il avala deux cachets de benzedrine et attendit - oh pas longtemps - l’arrivée de la fille derrière la vitre. Blonde du haut mais brune du bas, elle ne portait rien d’autre qu’une moue de morgue. Elle commença à se masturber, un doigt dans chaque orifice. Alors il en fit autant et prit soin d’éjaculer sur la vitre, comme c’était l’usage. Il sortit relaxé de l’immeuble et héla un taxi qui le conduisit downtown, où il allait tenter, en parfait disciple de Dorian Gray, de «perdre son âme». La nuit tomba. Il s’installa sous un réverbère, au coin d’une rue déserte, et attendit qu’une lame le menaçât, ou mieux encore, qu’un gang de Portoricains, Young Lords de préférence, ne vint le rouer de coups et le violer. Sa quête de modernité et son horreur congénitale de l’ennui le conduisaient comme d’autres avant lui - et pas des moindres - à rechercher le frisson des situations extrêmes. Il n’eut pas à attendre très longtemps. Six jeunes blacks aux yeux rouges sortirent de l’ombre, approchant en silence comme des chats méfiants. Ils brandissaient des barres à mine. Pas un bruit, silence total. Il reçut un premier coup de barre dans le genou et en tombant, un deuxième coup porté au visage lui cassa à peu près toutes les dents. Puis les coups redoublèrent de violence. Il subissait le supplice de la roue. Les blacks frappaient à tour de rôle. Au moment où il rendit l’âme, son double se détacha et l’éleva à la verticale. En proie à des vieilles superstitions, les blacks reculèrent et s’enfuirent. Zéphyr s’éleva à la verticale, ainsi qu’il l’avait annoncé dans ses romans.

     

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             D’un Zéphyr l’autre, comme dirait Céline. Le «Zephyr» de Baby Grande n’a de new-yorkais que la coïncidence. Ces Australiens contemporains des early Saints auraient très bien pu enregistrer ce «Zephyr» - apparemment jamais sorti - dans le downtown new-yorkais.

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             En 2019, RPM fit paraître un petit coffret glammy retentissant, All The Young Droogs. On en a déjà dit le plus grand bien sur KRTNT. Il faut bien reconnaître que l’album grouille de puces, Third World War, Milk ‘N’ Cookies, Hector, Brett Smiley, Helter Skelter, en tout soixante glam nuggets qui mettent les sens en alerte rouge, avec un seul petit défaut : l’absence de Jook et des Gorillas (même si Helter Skelter est là). Il se trouve que le meilleur cut de ce coffret si haut en couleurs est le fameux «Zephyr» épinglé plus haut. Les Australiens s’y prêtent à une fantastique charge des Walkyries. Ces mecs ont du raw power plein la culotte. Leur vice, c’est l’explosivité pressante comme une envie - Well I call you a zephyr - Tout est là, dans cette énergie des guitares, dans ce son rempli à ras-bord, dans cette niaque de mauvais aloi, personne ne les aime et ils ne s’aiment pas non plus. Ils semblent même bien meilleurs que les Saints, ce qui n’est pas facile à dire pour un vieil inconditionnel des Saints.

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             C’est à peu près tout ce qu’on avait à se mettre sous la dent. Et puis voilà qu’on annonce la parution d’un album d’inédits de Baby Grande. Stupéfaction ! HoZac est un label américain spécialisé dans le punk’n’roll (Davila 666, Chrome Cranks, Kim Salmon, Mark Sultan, etc.), la réédition d’albums métempsychotiques et l’édition de livres nitrogéniques (Sal Maida, Bob Bert, etc.). C’est donc en 2018, soit un an avant les Droogs, qu’HoZac fit paraître un album d’inédits de Baby Grande - HoZac Archival is proud to present these incredible recordings to complete your explosive lifestyle - On trouve un peu de littérature, sur la pochette intérieure, notamment une interview de Steve Kilbey (chant) et Dave Scotland (guitar). HoZac tente de les ramener vers les Saints qui enregistraient leur premier album dans le même studio, mais les deux groupes ne se connaissaient pas. Comme les Saints, Baby Grande enregistre des démos pour EMI, mais EMI les jette. HoZac n’y va pas de main morte : sur la pochette, ils ont collé un sticker jaune où on peut lire «Australian GLAM/Proto-PUNK missing link», de quoi faire bander tous les curés de Camaret. Notre cher «Zephyr» y ouvre le bal de la B, toujours aussi subjuguant que suburbain. On constate une fois de plus la violence du riffing, c’est assez glammy, oh boy, mais descendu dans la rue. Tellement dans la rue que ça devient digne des Dolls, ils déploient des ailes d’aréopage, Dave Scotland claque un solo qui prend feu dans l’azur prométhéen, well I call you a zephyr/ You should glow, ils sont sur le même terrain que Slade, la voix en moins. Dommage que les autres cuts ne soient pas du même niveau. Ça pourrait à la limite expliquer qu’EMI les ait jetés, mais bon, «Zephyr» suffit à notre bonheur. Avec «Pure White & Deadly», ils font ce que tous les groupes - et Mott oh ma Mott - faisaient dans les early seventies : du boogie-rock. Il sont dans le bain, bien dans le bain dis donc, Dave Scotland joue à la cocote sournoise. Ils ont opté pour les bons réflexes. Comme HoZac n’avait pas assez de cuts pour remplir un album, ils ont collé en fin de B une autre mouture de «Pure White & Deadly», un peu plus grasse du bide, ce qui lève toute forme d’ambiguïté. Ils vont vite en besogne et le bassman se faufile partout. Dave Scotland claque une fois de plus un killer solo flash impitoyablement fluidifié et là, on le prend très au sérieux. C’est Mick Ralph, mais à Canberra. Avec «Going There & Back», ils adressent un gros clin d’œil aux Young Dudes. Comme ils sont d’un naturel aimable, ils y vont de bon cœur, au crush crush de room et de TV screen. Mais leur «Madame Lash» ne fonctionne pas, même si Lash rime si richement avec trash. Et les autres cuts refusent obstinément de décoller. Dave Scotland tente de sauver «She Thinks She’s A Diamond» avec un solo fleuve de la plus belle autorité, mais Baby peine à jouir. Contentons-nous donc de nous envoler avec Zephyr.

    Signé : Cazengler, Baby Glande

    Baby Grande. Baby Grande. HoZac Records 2018

    All The Young Droogs. RPM 2019

     

    L’avenir du rock - God save the Quintron

     

                Il n’oserait l’avouer à personne. L’avenir du rock a toujours rêvé d’être une grenouille. Oh pas la grenouille stupide dont se moque si gentiment La Fontaine, cette grenouille qui enfle pour égaler le bœuf en grosseur et qui enfle tant et si bien qu’elle éclate. Ni la grenouille dont on sert les cuisses revenues à la poêle dans les restaurants à la mormoille, et encore moins celle qu’on dissèque à vif dans les bacs des cours de sciences naturelles pour examiner ses organes. L’avenir du rock songe plutôt à la grenouille en peluche que trimballait Clarence Frogman Henry sur scène, un Clarence dont la prestance persistera et signera à travers les siècles, soyez-en certains, le Clarence de la froggy motion sempiternelle, un Clarence chouchouté par les oreilles alertes et vives, car connaît-on meilleure prestance que celle-ci ? Ah comme il aurait adoré sautiller dans les roseaux, l’avenir du rock, attraper des libellules au vol, échapper d’un bond au vieil alligator, et le soir aller jusqu’à la cabane de Bobby Charles pour l’écouter entonner ses Champs Élysées sur sa vieille guitare gondolée - Les femmes sont jolies/ Sur le (sic) Champs Élysee (sic)/ Ils (sic) vous donnent des envies - Ah quel poète délicieux, enfoui au fond d’un Bayou qu’on dirait peint par le Douanier Rousseau. En suivant la berge du fleuve, l’avenir du rock serait ensuite allé par petits bonds jusqu’à la maison du vieux Tony Joe pour le voir éplucher sa polk salad à la lumière d’une lampe à pétrole, sous sa véranda, car comme il le croasse si bien dans l’histoire d’Annie qui est encore plus mauvaise que les alligators, c’est tout ce qu’il y a à manger Down in Louisiana, where the alligators grow so mean. Mais par-dessus tout, l’avenir du rock aurait adoré voir Monsieur Quintron approcher des roseaux à quatre pattes avec son petit magnétophone accroché autour du cou, Monsieur Quintron et son crâne métaphysique couronné de chaume, sa petite rangée de canines pointues et ce regard si flaubertien de matelot en détresse, promenant sur la solitude de sa vie des yeux désespérés, cherchant au loin quelque voile blanche dans les brumes de l’horizon.

     

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             Ça fera bientôt trente ans que Monsieur Quintron intrigue les masses populaires. Trente ans qu’il méduse les foules à petits coups de séquenceur. Trente ans qu’il envoie ses mains de cire valser sur le clavier d’un orgue Hammond. Trente ans qu’il nous fait danser le jerk des squelettes de la Nouvelle Orleans. Trente ans qu’on rit avec la mort qui est son double.

             En 2012, Monsieur Quintron est venu en Normandie nous secouer les cloches. On ne croise pas tous les jours une légende vivante, dans cette région. On y croise plus facilement des vaches, et des gens qui vont mal. À l’époque, Monsieur Quintron s’installait torse nu derrière son clavier. Il portait un pantalon de cuir noir. Grand, brun, gueule de star. Fabuleux Soul-shaker, l’un des meilleurs du cru. Pendant que son corps ruisselait de sueur, il nappait d’orgue son Soul-shuffle et shakait sauvagement sa charley. Il swinguait comme un entrepreneur de démolition. Des choses bizarres roulaient sous la peau humide de ce chaud lapin de sucre sauvage. Il pulsait le rumble et l’envoyait rouler dans les orties. À deux mètres de lui, plantée derrière un micro, Miss Pussycat secouait ses maracas et chantait comme une casserole. Elle œuvrait pour la postérité du trash qui est, avouons-le, notre religion secrète.

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             Et pouf, dix ans plus tard, ils redébarquent en Normandie, pour un concert gratuit en plein air. Quintron ne se met plus torse nu derrière sa machine infernale, mais il conduit toujours aussi bien son bal des vampires de la Nouvelle Orleans.

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    C’est un fabuleux hellraiser, il tape le beat sur sa charley et racle à la baguette la pedal steel installée sur sa machine. Il ramène des sonorités incroyables dans son boogie-blast, des accords fantômes de Deep Southern country. Cette fois, Quintron et Miss Pussycat sont accompagnés par un batteur tout maigre et un ostrogoth ventru qui joue sur un mini-moog et qui souffle dans un tuyau en caoutchouc. Avec son gros bide tatoué, il vole la vedette sur scène.

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    Quintron offre toujours le même cocktail hallucinant de ramshakle et de swamp-boogie, il mène ça ventre à terre et chante toujours comme une superstar. Il s’est laissé pousser les cheveux, mais il reste l’un des rock’n’roll animals les plus sexy d’Amérique. Bizarrement, les gens chipotent en France. Comme d’habitude.

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             Un soir, sous les étoiles, en mer des Caraïbes, le célèbre capitaine Flint nous confiait ceci : «Il y a deux sortes de créatures sur cette terre : les beaufs et les trash !». Au-dessus de nos têtes pourrissaient les cadavres d’officiers espagnols accrochés par les pieds aux gréements. Ces charognes illustraient parfaitement son discours. 

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             Are You Ready For An Organ Solo ? Sous cette invitation déguisée se tapit un rude album rempli de gros jerks dératés, palmés d’orgue, plus chancelants que chantés, et bardés de chœurs tragicomix. «Place Unknown» est un merveilleux dada banana split. Prince du shuffle des cimetières abandonnés, Monsieur Quintron l’orne de jarretières d’os. Ce jerk est entêtant comme ce n’est pas permis, franchement, et les chœurs de Miss Pussycat éreinteront les plus coriaces d’entre-vous. Quintron adore les pièces de boogie-down-production-shout-balam qui nous font danser jusqu’à l’aube dans les allées du Quartier français, tout près du palais vermoulu où se planque le dandy cucumber. Le cœur quintronien balance souvent entre le straight r’n’b bien secoué du cocotier et la petite pop dada fraîche comme une laitue et habilement cadencée par les infra-sons, comme par exemple «Cave Formation», où l’on entend Miss Pussycat chanter comme si elle était encore en maternelle. Pour le reste, Monsieur Quintron drumbeatera sévèrement, car telle est sa secrète ambition.

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             Si tu t’accommodes aisément de la fantaisie, alors écoute cet album qui s’appelle Swamp Tech. Le samedi, Quintron va faire ses courses sur Canal Street. Il adore piquer dans les magasins. «Shoplifter» raconte ses exploits. Il nous nappe ça d’orgue et nous fait danser au salon. Sa boîte à rythme fait des miracles, on peut bien l’admettre. C’est à Miss Pussycat que revient l’insigne honneur de chanter «Fly Like A Rat». C’est dingue ce qu’elle peut mal chanter. Mais le morceau a fière allure. Ces deux-là font ce qu’ils veulent. Ils naviguent en solitaire. Ils n’ont qu’une seule loi : la liberté à tout crin. Ils jouent dans LEUR club et enregistrent sur LEUR label, Bulb Records. La typo de Bulb est dessinée comme celle du label SUN de Sam Phillips : quatre lettres sont disposées sur un demi cercle divisé en quartiers par les rayons du soleil levant. À la fin de «Fly Like A Rat», Quintron vient screamer un bon coup. Avec «Witch In The Club», il nous prouve une fois de plus qu’il sait vraiment pulser le beat louisianais - Louis Louie Louie - c’est un crack de l’abattage, un furoncle intraitable. Il met les bouchées doubles. Sa reprise de Kiss est encore plus énorme : il transforme «God Of Thunder» en gros jerk des Caraïbes. Comme nous tous, Quintron déteste cordialement le cupide Gene Simmons.

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             Bien des fans de Quintron se sont fait rouler la gueule. L’immonde Quintron s’autorise à faire paraître de temps en temps des albums expérimentaux. Sur Drum Buddy Demonstration Vol. 1, il nous refile quelques échantillons de sons produits par son séquenceur. 

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    Avec les fameuses Frog Tapes, il nous emmène dans le bayou écouter chanter les grenouilles, d’où le titre de cet album qui s’arrache à prix d’or. Ne perdons jamais de vue que Monsieur Quintron est l’un des derniers originaux de l’aventure rock, et ses admirateurs doivent parfois avaler des grosses couleuvres et apprendre à faire preuve de bienveillance.

             Mais au bout du compte, on est bien récompensé.

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             En 2008, une pochette étrange trônait dans les vitrines des magasins. On y voyait le vampire Quintron assis auprès d’une entraîneuse noire. Elle portait sur les épaules un monstrueux python du bayou, comme d’autres portent une cape de zibeline. Renseignements pris auprès du détaillant, il apparaissait que le python portait le doux nom de Boobaalah, qu’on estimait son âge à deux cents ans et qu’il avait pour particularité de miauler pour séduire ses victimes, qui étaient généralement des cochons ou des petits nègres égarés aux abords du marais. L’album s’appelle Too Thirsty 4 Love. Il nous tient une fois de plus la dragée haute. «Waterfall» et le morceau titre posent leurs mains sur nos hanches et nous font danser la java des marais. Impossible de résister au drumbeat de Drum Buddy. Miss Pussycat rejoint Quintron sur «Dirt Bag Fever». Il contribue à la postérité - run wanado dah doo - C’est une sorte de petit hit cosmique et bien intentionné. On se retrouve une fois de plus sous le charme du trash. De l’autre côté du disque traîne un mambo judicieux qui s’appelle «Freedom». C’est une valse à trois temps de la Nouvelle Orleans, une étonnante pièce de machinerie truculente et bien née. Et si on veut retrouver ce qui fait la puissance seigneuriale de Quintron, c’est-à-dire le rock solide nappé d’orgue, alors il ne reste plus qu’à écouter «Model Ex Citizen». Évidemment, Miss Pussycat vient vinaigrer l’affaire. Et tout le reste n’est que littérature, comme dirait le pauvre Lélian.

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             En 2011 paraît Le Sucre Du Sauvage. Voilà encore un album rempli de petite pop que Miss Pussycat massacre avec ostentation. Elle est le fléau des temps modernes. Pourtant, ils réussissent parfois des exploits, comme par exemple ce morceau qui s’appelle «Face Down The Gutter» qu’ils chantouillent à deux voix et qu’ils bardent de clap-hands, très sixties dans l’esprit et admirable à bien des égards. Quintron peut aussi faire du boogie à la Canned Heat. Il suffit de le lui demander gentiment. Certains morceaux pourraient très bien sonner comme des tubes planétaires, «Banana Beat» par exemple, mais c’est impensable, parce qu’ils refusent tous les deux de se prendre au sérieux. Du coup, on se retrouve avec de la pop exacerbée qui pique un peu, comme un beaujolais, surtout lorsque Miss Pussycat chante seule, comme c’est ici le cas. «Sucre Du Sauvage» est plus cavaleur et donc plus entreprenant. On retrouve ce brouet unique au monde d’orgue dansant et de Drum Buddy dada électronique qui envoie aux gémonies les conclusions hâtives. On suit à la trace ce petit groove cocasse qui finit en coin-coin. 

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             Les affaires sérieuses de Monsieur Quintron se trouvent sur deux albums malheureusement difficiles à dénicher. La pochette en or d’Unmasked Organ Light-Year Of Infinity Man fera rêver les Égyptologues dans deux mille ans, d’autant qu’elle est frappée du sceau royal Bulb Records. C’est là que Quintron matérialise vraiment son art cybernétique de marécage. «Mysterious Rangers» s’ouvre sur un petit hurlement de Miss Pussycat, ce qui est bon signe. On est aussitôt embarqué par un bon beat qui génère une réelle tension garage. Si on apprécie la cohérence du groove déluré, alors on sera comblé. «White Man Style» tient du génie. Avec ce monstrueux cyber-groove évanescent et fondateur, Quintron bat tous les records. Il nappe ça d’orgue et érige un beat furieux et industriel à la fois. Il ulule comme un rockab. Thor des temps modernes, il bat au marteau le groove dindon. «Hurricane» est digne du mythique «Tiger» de Brian Auger. C’est le pur shuffle des caves enfumées. Quintron fait rouler son scream sous les voûtes humides. Miss Pussycat hurle comme une bête. Elle fait les chœurs. À chaque morceau, ils réaffirment un peu mieux leur totale indépendance. «Push Pull or Drag» est du trash pur et dur. Avec «Peter Pan», Quintron va vous en boucher un coin. C’est ce qu’on pourrait appeler un hit atomique. Quintron chante comme Lux et noie son bousin sous des nappes d’orgue. C’est exactement la même énergie que celle des Cramps. Même démesure. On croit même entendre «New Kind Of Kick». Quintron grille tous les plafonniers. Il scande comme Lux. C’est un shouter des enfers.

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             Avec Les Mains d’Orlac, Peter Lorre avait réussi à traumariser toute une génération. On retrouve ces mains maudites sur la pochette de These Hands Of Mine. C’est Miss Pussycat qui secoue les cacahuètes dans cet enfer Dada qu’est «Meet Me At The Club House». Elle secoue aussi des sacs de café du Brésil. Ils pavent cet instro electro-jerkoïde de bonnes intentions. On trouve aussi sur ce disque terrible un heavy groove nommé «It’s Moving Me». On les voit errer tous les deux au long des chemins bourbeux de l’infortune. Ils créent une atmosphère lourde de conséquences. «Wild Indians» est une parade de western superbe d’inventivité, montée sur un drumbeat béatificateur. Quintron sait provoquer la débâcle inventorielle. Après une longue intro, «Grandfather Time» déboule avec un shuffle d’orgue et un drumbeat turgescent. Infernal. Ça saute à la gorge. C’est bardé de chœurs sauvages. Au XVe siècle, on appelait ça l’énergie du Diable. Encore un beat de forcené avec «Caveman 5000». Quintron enfonce ses clous avec une rage de forcené.

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             La réputation de Quintron repose aussi pour une grande part sur l’album qu’il enregistra en 1997 avec les Oblivians, Oblivians Play Nine Songs With Mr Quintron. C’est l’un des grands classiques du garage-punk de cette époque. Alors que des horreurs comme «Feel All Right» et «I May Be Gone» explosent, Quintron veille au grain. Il fédère les atomes à coups de nappes d’orgue. Alors que les riffs de guitare dévastent tout, Quintron entre dans le lard du cut avec une belle assurance. Il nappe le chaos de nappes majestueuses. Il se mêle au télescopage des genres avec une vraie candeur estudiantine. On le sent comme un poisson dans l’eau, notamment dans «What’s The Matter Now», qu’il nappe dès l’intro. Il saute sur son tabouret et envoie des giclées de sauce piquante. C’est lui le patron. Il rugit comme une tempête. Il ouvre un océan pour «Mary Lou», l’un des hits garage du siècle. Il faut le voir distiller ses marées de shuffle ! Diabolique !

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             Retour en fanfare avec Goblin Alert. Quintron & Miss Pussycat n’ont jamais été aussi bons ! Ils partent en mode stomp avec «Tenagers Don’t Know Shit», ça joue à l’extrême drumbeat d’hypno à Toto, c’est fantastiquement embarqué pour Cythère, avec des breaks de mini-moog et de piano - My name is Jesus Christ & I’m not magic - Ils duettent ensuite ventre à terre pour le morceau titre. Avec le temps, Miss Pussycat prend de l’assurance. Ils jettent toute leur niaque dans leur vieille balance. Coup de Trafalgar avec «Buc-ee’s Got A Problem» : ce country rock joué au lap steel est bourré d’énergie. Tout sur cet album est visité par la grâce de la Louisiane. Et ça repart de plus belle en B avec «Stroller Pollution». Ils adorent cavaler ventre à terre dans le bayou. Sam Yober et Drum Buddy y vont de bon cœur. Quintron n’a jamais eu autant d’énergie. Ce bel épisode swampy s’achève avec «Weaver Wear», emmené au gros tatapoum de Drum Buddy et animé par une Miss Pussycat rayonnante. Elle est superbe, plus rien à voir avec la casserole d’antan, elle est délirante, elle grimpe au sommet du lard, elle enfile les perles, elle mène bien le bal des Laze, elle devient la front-woman number one. Quintron & Miss Pussycat continuent de suivre leur petit bonhomme de chemin avec goût et fantaisie. Wow, il faut voir Quintron noyer son Weaver sous des nappes d’orgue démentes ! Tout est beau au paradis du swamp.

    Signé : Cazengler, pilleur de Quintrons

    Quintron & Miss Pussycat. Le 106. Rouen (76). 10 octobre 2012

    Quintron & Miss Pussycat. Les Terrasses du Jeudi. Rouen (76). 21 juillet 2022

    Quintron. The Amazing Spellcaster. Live At The Pussycat Caverns. Bulb Records 1995

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    Oblivians Play 9 Songs With Mr Quintron. Crypt Records 1997

    Quintron. These Hands Of Mine. Skin Graft Records 1998

    Quintron. Unmasked Organ Light-Year Of Infinity Man. Bulb Records 2000

    Quintron. Drum Buddy Demonstration Vol. 1. Skin Graft Records/Rhinestone Records 2001

    Quintron. Are You Ready For An Organ Solo ? Rhinestone Records 2003

    Quintron. The Frog Tape. Skin Graft Records 2005

    Quintron. Swamp Tech. Tigerbeat6 Records/Rhinestone Records 2005

    Quintron. Too Thirsty 4 Love. Rhinestone Records/Goner Records 2008

    Quintron. Sucre Du Sauvage. Goner Records 2011

    Quintron. Goblin Alert. Goner Records 2020

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     *

             Avant d’aborder une machine, serait-elle rouge, il convient de présenter les mécaniciens qui l’ont créée et qui la font marcher. Sont trois.

             Le premier se nomme Francis R Cambuzat. L’a un pedigree long comme un agenda téléphonique, l’a fondé des tas de groupes, suscité aux quatre coins de la planète des expériences soniques de toutes sortes, l’a commencé à dix-sept ans à jouer avec Dizzy Gillespie au Blue Note in the Big Apple - déjà l’on comprend que la musique qui tourne en rond sur elle-même n’est pas son dada - l’est arrivé à se faire un nom de journaliste free lance  aux USA avec une interview d’Iggy Pop, l’a donné plusieurs milliers de concerts sur tous les continents. Notamment avec Putan Club.

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             Ne sont que deux dans ce putain de club, lui et Gianna Greco. D’origine italienne, encore une qui ne sait pas rester en place, s’est mêlée à la révolution tunisienne, lorsque le mouvement a foiré, elle a décidé de se battre avec ses propres armes ( voix + basse ) et de porter les idées d’insoumission et de subversion partout où les pouvoirs maltraitent les hommes. Pour savoir où exactement, il suffit de recopier la liste alphabétique de tous les pays.

             Musicalement il est difficile de définir le style de Putan Cub, en fait c’est très facile : sont punk, rock’n’roll, metal, classique, jazz, techno, rajoutez les ingrédients qui vous semblent manquer.

             Nous vous reparlerons de Putan Club une autre fois, c’est que nos deux ostrogoths se sont affiliés à un troisième, très connu du public français, Denis Lavant, comédien – ce mot ne le définit pas, il n’interprète pas ses personnages, il essaie d’en restituer l’authenticité - l’a tourné des films, notamment avec Léo Carax, joué et mis en scène de nombreuses pièces du théâtre classique et contemporain et monté plusieurs spectacles hommagiaux. Nous retiendrons principalement sa magistrale évocation de Joë Bousquet, le poëte carcassonnais grièvement blessé en 1918, cloué sur son lit de souffrance durant plus de trente ans Ce qui nous emmène à la troisième corde de son arc : la lecture de textes, Céline pour n’en citer qu’une, et de poésie.

             Bref l’association de Putan Club et de Denis Lavant a donné naissance à Machine Rouge. A notre connaissance Machine Rouge n’a pas perduré. Ne sont écoutables que quatre morceaux, sur SunCloud, sur lesquels nous ne nous attarderons pas – il s’agit de quatre démos de lecture de poèmes d’Henri-Simon Fure, de Marina Tsvetaïa, de Federico Garcia Lorca, de Velimir Khlebnikor, les deux premières sont les plus réussies. Reste une vidéo sur You Tube, qui nous intéresse particulièrement. Sur laquelle nous dresserons l’oreille.

             Rien d’autre que le célèbre poème péremptoirement nommé Le Coup de dés de Stéphane Mallarmé. Ce n’est pas une œuvre facile, pour la mieux présenter ils ont fait appel à Carlo Mazzotta, vous trouverez sur son canal YT une floppée de vidéos de lectures poétiques diverses de ce dernier.

    *

             Un coup de dés jamais n’abolira le hasard, son titre véritable non abrégé, écrit en 1898, est une œuvre fondatrice de notre modernité. Elle interroge autant l’écriture poétique que musicale. Elle se situe exactement au croisement de la théorie réflexive et de la pratique artistique. Tout en offrant plusieurs pistes de lecture, elle reste mystérieuse.

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             Lecture circonstancielle : au moment où Mallarmé l’écrit la poésie française traverse une crise majeure. Les jeunes poëtes délaissent pour le vers libre l’alexandrin qui fut le mètre royal du dix-neuvième siècle de Victor Hugo à Leconte de Lisle. Le Coup de dés peut être compris comme la désintégration atomique de l’alexandrin, les mots, de grosseurs diverses, sont éparpillés un peu partout ( au hasard ? ) sur l’ensemble de la page blanche. Le chiffre douze ( les douze syllabes accentuées de l’alexandrins ) préside de façon non visible à la structuration typographique ( abolition du hasard ? ) du poème.

              Une thématique typiquement mallarméenne : le poème peut être lu comme une réflexion sur l’incidence de l’acte poétique sur la réalité du monde. La réponse de Mallarmé reste très ambigüe. Est-elle nulle – en ce cas-là si une action humaine  peut signifier (donner à ce verbe le sens d’ordonner) le réel, ce n’est qu’un effet du hasard, l’artiste n’y est pour rien, il ne maîtrise rien. Il est alors permis de décréter que ses prétentions ne sont que vanité.

              Au contraire si l’action du poëte se révèle signifiante, que se passe-t-il au juste dans ce cas ? Quelle serait alors la portée de ce geste qui échappe au hasard. Pour parler comme Hegel : qui échappe à l’infini (de la négativité des possibles) pour s’inscrire dans l’absolu de sa propre unicité, de sa propre positivité.

             Musicalement parlant, la note qui se pose sur le silence, tel l’oiseau sur la mer, n’est-elle qu’une criaillerie adjacente sans véritable teneur intrinsèque, ou modifie-t-elle la nature de l’océan…

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             Outre ces problèmes philosophiques, Le coup de dés en soulève un autre, très pragmatique, peut-être encore plus difficile. Comment le lire ?   Certes n’importe quel imbécile peut en articuler les vocables à haute voix, mais comment donner au lecteur l’idée de l’éparpillement spatial de son écriture. Souvent les lectures de poèmes sont musicales. Quelle musique lui attribuer ? Aucune ligne mélodique est incapable de suivre le morcellement du texte, peut-être vaut-il mieux penser à une musique qui ressemblerait aux trébuchements perlés des Gnossiennes d’Eric Satie… Paul Valéry à qui Mallarmé montra le poème s’opposa plus tard de toute son influence littéraire à une représentation musicale regroupant orchestre et plusieurs chanteurs lyriques… Pour bien comprendre la position de Valéry, il est nécessaire de rappeler que ce poème s’apparente si l’on s’en rapporte à diverses tentatives similaires et antérieures de Mallarmé à un rituel qui ne saurait être partagé sans initiation aux premiers venus, sans cette préparation son hermétique incompréhensibilité resterait lettre morte. Se risquer à une interprétation publique de ce poème est une véritable gageure.

    MACHINE ROUGE

    UN COUP DE DES JAMAIS N’ABOLIRA LE HASARD

    ( Festival Croisements / Post Mountain / Pékin /

    17 & 18 Avril 2015)

            Une toute petite salle, peu d’espace, une table ronde, serait-ce une allusion à celle des Mardis qui réunissait chez Mallarmé l’élite poétique symboliste, un lumignon posé dessus, qui exalte de sa lueur la blancheur de quelques feuilles épars de papier, l’on ne voit rien ou presque. L’image arbore une teinte oscillant entre bistre et grenat, le public est resserré, tassé sur l’étroite largeur de la scène, certains écoutent, d’autres sont sur leurs portables… on entraperçoit Francis R Cambuzat figé en une pose qui rappelle la fameuse et volatilesque marche chuck berryienne,  Gianna Greco, debout, dos au mur, basse en main, la musique est là, une machine électronique qui produit un bruit tournant, assez doux, entre pales d’hélicoptère et gloutonnements de lavabo avec en arrière-plan une espèce de stridulation tremblotante de cigales.

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             Dès l’énoncé du premier mot, est-ce vraiment un hasard s’il n’est autre que ‘’un’’, deux constatations s’imposent, la première c’est que nous assistons à un récital de Denis Lavant. C’est-lui la vedette – ce qui ne respecte pas l’impersonnalisation du poème voulue par Mallarmé, les musiciens sont des accompagnateurs, pratiquement relégués au rang d’accessoires.

             La deuxième, c’est l’apparition de chaque mot, puis de chaque ensemble de vocables expectorés par Lavant en surimpression mouvante, en gros caractères, repris aussi selon une ligne horizontale très discrètes à mi-hauteur de l’image. C’est-là le travail de Carlo Mazzotta, rattache le dire au texte, l’idée n’est pas de permettre au public qui regarde la vidéo de mieux comprendre le texte, mais de rappeler que le vertige du poème n’est pas dans son élocution mais dans son écriture, tout en faisant d’une simple vidéo une espèce d’opéra d’art total  qui allie musique, théâtralité, peinture, élocution, et texte, un semblant de mini opéra wagnérien du pauvre, afin de rappeler que toutes ces disciplines artistiques qui ne sont pas poésie ne sont pas là pour mettre en valeur la poésie, mais que la poésie reste le noyau germinatif qui leur donne la possibilité d’apparaître. Et aussi de disparaître.

             Denis Lavant seul face au texte. Il choisit l’intensité de la déclamation. Il hurle, pratiquement chaque mot, il s’essaie à un vacarme qui soit à la hauteur du drame cosmique qui se déroule dans le poème. L’est soutenu par des coups violents de batterie qui ponctuent chacune de ses expectorations. La caméra est maintenant plein-champ, toute la largeur de la scène accueille un public silencieux, sagement assis qui écoute. Des amplifications de guitares viennent à sa rescousse, tout est fait comme dans un film pour signaler aux spectateurs que si la musique monte c’est qu’il est en train de se passer quelque chose d’important là.

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             Denis Lavant fait de grands gestes de désignation, le texte qui s’inscrit en petites lettres blanches tente de reproduire la typographie échevelée du poème. Denis joue. Il fait l’acteur. N’est plus qu’un théâtreux debout sur la table qui cherche à épater la galerie… Ne s’appuie jamais sur la musique que tissent ses deux acolytes, l’a tort, car ils amènent l’impression de grandeur qui manque à ce qu’il faut bien se résoudre à définir comme des pitreries dépourvues de toute profondeur métaphysique. Les stridences guitariques ont pris le commandement, Lavant déambule sans but précis, il vitupère sans le venin de la guitare, la musique mange les mots, elle bouffe la poésie – tout l’envers des volitions mallarméennes – concentrés, agenouillés Francis et Gianna, tournent les boutons de leur tableau de bord, des sifflements – ceux qu’Igitur entendait dans son conte – maintenant Lavant susurre, plume qui choit dans le tourbillon d’écume, l’est moqueur, l’a l’air d’un ivrogne victorieux qui a assez bu pour ne pas se prendre au sérieux, l’on se dirige vers la fin du poème, il donne l’impression de n’en pas saisir la portée cosmologique alors que Gianna et Francis lancent une rythmique obsédante, Lavant tourne sur lui-même, comme la roulette du casino,  alors que s’affiche le mot hasard, ensuite il déglutit un long monologue celui de l’échec, l’accompagnement musical perd de sa splendeur, Lavant a l’air joyeux, la limitation humaine lui paraît de bonne guerre, et lorsque la constellation finale point à l’horizon, son timbre reste sceptique, l’on s’attendrait à ce que la musique ne se contente pas de ses passages à vide destinés à exalter l’impatience des fans avant le déchaînement final, il n’en sera rien, l’on se dirige vers un minuscule kaos répétitif, scandé par Denis Lavant, le ressassement satisfait du nihilisme incapable de briser la barrière de ses renoncements.

             Une belle performance d’acteur, certes. Soutenus par deux bons musiciens. Elle ravira bien des auditeurs qui ne connaissent pas le poème.  Toutefois la lecture de Denis Lavant ne nous satisfait pas. Etrangement nous dirons que cette lecture est trop poétique dans le mauvais sens de ce terme. Trop culturellement attendue. Elle est un spectacle. Pas un acte. Machine pas assez rouge.

    Damie Chad.

              

    JONI MITCHELL

    LE SPLEEN ET LA COLERE

    Clara & Julia Kuperberg

     ( ARTEYT )

     

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    Pas vraiment un documentaire – même si les images archives raviront les amateurs du mouvement hippie, notamment les fans de Crosby, Stills, Nash & Young. Pas vraiment un film non plus, même si ces 52 minutes sont ainsi présentées. Un portrait. D’une artiste. D’une grande artiste. J’ai toujours aimé cette fille, même si je n’ai suivi sa carrière que de loin. Mais sa façon de poser sa voix. De monter et de descendre. Prenez ce second verbe comme dans un roman policier où le héros abat quelqu’un. Car c’est ainsi qu’elle chante. Débute par une harmonie angélique, pour la casser aussitôt. Idem à la guitare. L’expression d’accords ouverts devraient être réservée à elle seule. Elle ouvre la porte du paradis, jusque-là c’est parfait, mais elle n’entre pas, elle fait demi-tour, et elle s’en va en laissant la porte ouverte. A croire que ce qu’elle a entrevu ne vaut pas tripette, tout le monde peut entrer sans se donner la peine de frapper, pour elle, ça ne vaut pas le coup, elle a déjà vu mieux ailleurs. En elle-même. La beauté intérieure de ses émotions, de son accointance, toute de retenue, au monde lui suffit.

    Pas étonnant qu’elle ait mis du jazz dans son folk. Elle est comme la feuille de l’arbre qui arbore de nouvelles teintes selon la saison. Elle ne change pas, le temps avive et pâlit les tatouages – c’est ainsi qu’elle décrit ses chansons – elles viennent de loin, d’une source poétique enfouie au plus profond d’elle. Elle a cet avantage sur Dylan de ne pas être prisonnière d’une culture de référence biblique, elle puise en elle seule. Les miroirs agissent ainsi capturant les reflets de de ce et de ceux qui passent dans leur champ de vision. De son chant de vision à elle.

    Elle pose des mots, et des couleurs. Car elle peint aussi. Il existe d’étranges similitudes entre certains de ses tableaux et ceux de Dylan. Peut-être sont-ils tous deux un peu trop obsédés par le déploiement historial de la peinture européenne pour peindre la réalité américaine. D’où la nécessité du recours à la poésie. Je la compare souvent, dans sa manière de poser les mots à Emily Dickinson, mais une Dickinson qui a su sortir de sa chambre mentale pour parcourir le vaste monde.

    L’a su garder sa liberté. N’est pas restée prisonnière de son personnage. Elle a refusé d’évoluer dans le sens passe-partout de cette expression. Elle a suivi les hauts et les bas de ses propres cassures, de ses brisures intérieures, elle descend dans ses propres gouffres et escalade ses propres escarpements. C’est elle qui sculpte les aléas de sa vie.

    Et puis il y a cette beauté physique, cette blancheur intangible, la même qu’entrevoit Arthur Gordon Pym à la fin de ses aventures. C’est que les corbeaux sont toujours noirs qu’ils soient de Van Gogh ou d’Edgar Allan Poe.

    Damie Chad.

     

     

    ELVIS

    BAZ LUHMANN

     ( Sortie française : 22 Juin 2022 )

     

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    Un film sur Elvis, enfin ! Pas trop tôt. C’étaient les premières réactions. Les suivantes puisaient dans le tonneau de l’inquiétude : que vont-ils nous sortir, avec eux il est bon de s’attendre au pire. Dans les milieux rockabilly, la rumeur n’en finissait pas de ronger les cerveaux. A peine le film était-il visible sur les écrans que les comptes-rendus n’ont cessé de fleurir. Surprise, dans l’ensemble ils étaient favorables. Le réalisateur et les acteurs s’étaient bien débrouillés. Acceptable, honnête, l’inquisition rockabillyenne n’a pas déchaîné ses foudres. Ailleurs dans la presse officielle, nombre de journalistes ne firent même pas attention à Elvis. Un comparse dans le film, le second rôle, le premier était dévolu au Colonel Parker. Manifestement ils n’en avaient jamais entendu parler.

    Je vais faire pire qu’eux, non seulement je ne m’attarderai pas sur le Colonel mais tout juste si j’évoquerai Elvis. Ce n’est pas que nous ne l’aimons pas mais nous avons dû déjà consacrer une quinzaine de chronics au king du rock’n’roll, la dernière pas plus tard que la semaine dernière, Marie Desjardins se proposant de s’infiltrer dans la psyché d’Elvis afin d’analyser les rouages grippés du métabolisme relationnel qui présida à tous ses actes, ses rejets, ses acceptations, ses contradictions… chaque individu est pour le reste de l’humanité un univers infini et inconnu qui n’en possède pas moins de strictes limitations dont il est quasi-impossible de cerner avec exactitude les contours.

    Me contenterai de parler du support, du film. M’a plu, car Baz Luhmann a su se saisir, ou du moins s’approcher d’un certain aspect de l’essence du rock ‘n’roll. Bien sûr c’est une musique populaire américaine. Oui il vient du blues, mais son origine réside d’après moi tant au niveau historial qu’ontologique ( je ne suis pas le seul à le penser ) dans la fête foraine et l’art du cirque. Balance sans arrêt du risque au truquage. L’on oscille sempiternellement dans un univers impitoyable, entre le trapèze et la chute, entre le tremplin et le plouf. Moitié spectacle de catch et moitié authenticité, le mélodrame où tous les coups qui font mal sont portés et toutes les ficelles de l’esbrouffe sont permises. Le mélodrame, tantôt mélo-pathos-pâteux et le drame humain d’être un homme. Une métaphysique entertaine-mentale qui se déroule dans le monde physique mais qui escamote l’après (méta) que l’on cache soigneusement dans les coulisses du désespoir ou de la superficialité. Toute la différence existentielle entre se mettre en scène et être mis en scène. La marionnette de Kleist ou le joueur d’échec de Maelzel d’Edgar Poe.

    La règle est simple. Vous passez à la caisse et vous devez en avoir pour votre argent. Vous donnez du flouze, l’on vous rend du flou. Le pire c’est que vous êtes content. Tour de passe-passe. Sur un rythme effréné Baz Luhmann vous dévoile le décor et l’envers du décor. L’est le magicien qui vous démonte la boîte vide, l’assemble devant vous, la ferme, la transperce de quelques fleurets puis l’ouvre et vous découvre Elvis le corps traversé par des épées qui ne le tuent pas. Le Christ descend de sa croix tout sourire, pendant que vous applaudissez vous ne vous apercevez pas qu’il s’écroule dans son cercueil. Circulez, il n’y a plus rien à voir. Le film se termine sur cette apothéose meurtrière. La catharsis aristotélicienne est respectée.

    En France dans le même ordre d’idée, nous avons eu 1972 le Johnny Hallyday Circus. Johnny s’en est tiré vivant mais le cirque a fait flop. Cherchez l’erreur.

    Damie Chad.

     

     

    BIJOU  ( SVP )

    PAVILLON DES SPORTS / PROVINS

    ( 01 / 07 / 2022 )

     

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             Cornegidouille, la queue pour entrer dans un concert rock à Provins. Plus de sept cent cinquante entrées. L’on doit être dans un film de science-fiction. Nuançons. Ce doit être tous des fans de Jacques Rogy ( collection Spirale ) et de René son inénarrable chauffeur qui à longueur de pages répète qu’avant les grandes occasions il faut toujours se sustenter. Toutes les tables sont prises, dans les marabouts l’on s’active autour de la cuisson des saucisses, et à trois euros la mini-bouteille d’eau de source les commerçants ne font pas grise mine. Fait chaud et c’est la première sortie post-covid sans masque obligatoire à laquelle se risquent les provinois…

             Bref ça baffre, ça bouffe, ça discute, ça rigole à plein gosier. Manifestement ne sont pas là pour le coffre à Bijou… La preuve mathématique est vite faite. Lorsque le groupe s’installe, nous ne sommes que quatre devant la scène. A la fin du set par un peu prompt renfort nous finîmes à quinze. Scène de la vie de province aurait écrit Balzac…

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             Frank Ballier bat le beurre – pour reprendre une expression du Cat Zengler – c’est honnête mais peu généreux. Le grand escogriffe sur notre gauche, avec sa Gretsch c’est Pat Llaberia, se débrouille plus que bien, au tir à la corde et à la voix, assume un tiers des morceaux, enfin le seul membre originel du groupe Phillipe Dauga branche sa basse sur son Peavey. Ce dernier détail est de la plus haute importance.

             Grimacent et rient, du genre on a connu d’autres galères et l’on s’en est toujours sortis. Vont dérouler de vieux morceaux historiques, quelques nouveaux, quelques reprises, en français et en anglais. Peu de monde, parfait, ils vont jouer fort, très fort. C’est-là où le Peavey entre en scène. Dauga a le son. Va en abreuver la population, vous ne m’écoutez pas, vous m’entendrez, style Jeanne d’Arc sur le bûcher, vous ne m’avez pas crue vous m’aurez cuite, avec ses cheveux blancs, ses réflexions désabusées, et sa manière de valdinguer ses cordes, il sauve la situation. En fait l’on sent qu’il est heureux de jouer. Le concert est un véritable régal. Quand le rock frappe à la porte, pas besoin de l’ouvrir, il la défonce tout seul sans pitié. Rock, très rock. Lorsqu’ils arrêtent, les attablés surpris par le silence assourdissant, applaudissent tous ensemble. Voudraient-ils se faire pardonner…

             Sont suivis par La Légende ( du rock ). Sont une bonne dizaine sur scène. Les requins du coin. Enfilent les standards. Au millimètre près. Derrière eux sur grand écran une vidéo des groupes dont ils copient à l’identique le morceau, c’est-là que je m’aperçois que les Doobie Brothers possèdent des rangées de Peaveys encore plus nombreuses que ma collection de zéros en préparation latine, autrement la Légende assure. Mais comme dirait Mallarmé ce n’est pas l’Azur… je m’ennuie – pourtant cette fois ils sont bien cent cinquante autour de moi à applaudir métronomiquement à la fin de chaque titre – donc je m’ennuie, un peu, beaucoup, énormément, alors à la fin du sixième morceau je m’éclipse et rentre chez moi.

    Damie Chad.

     

    *

    La bande du Drugstore, celle de Zermati, vous connaissez ? Oui, mais l’autre, celle du second Drugstore ? Non ! N’ayez pas honte, moi non plus avant que je ne lise ce livre.

    1976

    LA BANDE DES ‘’TERREURS’’

    DU ROND-POINT DES CHAMPS-ELYSEES

    PATRICK CANNET

     

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    Y a Champs-Elysées et Champs Elysées. Je ne parle pas des champs d’asphodèles souterrains de la Grèce antique, mais de notre prestigieuse avenue présidentielle, pas celle de la haute-bourgeoisie, celle des petites mains. De la valetaille qui travaille dans les entrailles et les sous-sols. Patrick Cannet n’est pas né avec une spoonfull dorée dans la bouche, deux sœurs – une grande et une petite ( elle compte pour du beurre ), un frère, le père est parti, la maman courageuse et débrouillarde est restée, elle accumule les petits boulots pour permettre à sa couvée de survivre.

    Ne pleurez pas, Patrick Cannet n’échangera pas son enfance contre la vôtre, l’est heureux, l’a un immense terrain de jeux, les places, les parcs et les rues du triangle Monceau-Elysées- Tuilerie, et puis les copains, Samuel, Raphaël, Armando, Justin, Miagy, Chen… une belle bande de potes inséparables, ne portent pas le Perfecto, nous sommes en 1976, sont des mômes, des gamins, n'ont qu’un idéal : Saint-Etienne. Non pour sa Manufacture, pour son équipe de foot, passent leur temps à d’interminables parties, le foot toujours recommencé…

    Le problème de l’enfance, c’est qu’elle a une fin, une faim d’absolu aussi, mais ceci est une autre histoire, le tout est de s’en sortir sans trop de mal. Petits services, petits billets, des expériences qui vous aident à vous frotter au monde des adultes, à prendre la mesure des choses et des gens… Reste aussi l’autre problème, celui d’entrer dans l’adolescence. L’autoroute, non le sentier, de dégagement c’est la musique. Les disques de la grande sœur, des rencontres qui vous font découvrir des sons étranges venus d’ailleurs et de partout, Peter Frampton, Chicago, Beatles, la grande sœur qui fréquente des bandes de rocker du côté de la Bastille…

    C’est tout. Un coup de ciseaux pour terminer la première bobine du film, notre héros se fait renverser par une voiture… la vie suivra son cour, Patrick Cannet ne deviendra ni chanteur ni musicien de rock, sa vie emprunte un autre chemin, dont il ne dit rien. N’est pas un parleur. L’est du genre pudique. Ne dévoile rien. Suggère à mots couverts. Ne décrit pas, il évoque, rien de nouveau ou de révolutionnaire, le récit pas très long, d’une enfance, personnelle et similaire, unique et partagée, qui ressemble à tant d’autres…

    Un excellent contre-point, une autre jeunesse, anonyme, ignorée, qui a existé aussi, même si les projecteurs ne se sont jamais braqués sur elle. L’envers de l’histoire contemporaine. L’autre côté de la clinquance des miroirs.

    Damie Chad.