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rockambolesques - Page 6

  • CHRONIQUES DE POURPRE 630: KR'TNT 630 : SHANGRI-LAS / MARC BOLAN / NUDE PARTY / WHITEOUT / GIÖBIA / JEAN-FRANCOIS JACQ / KIVA / PIRATE HYMN / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 630

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    01 / 02 / 2024

     

    SHANGRI-LAS / MARC BOLAN

    NUDE PARTY / WHITEOUT / GIÖBIA

      JEAN-FRANCOIS JACQ / KIVA

    PIRATE HYMN / ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 630

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Le chant gris des Shangri-Las

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             Curieuse histoire que celle des Shangri-Las, quatre petites gonzesses du Queens réunies dans un studio par un producteur fantôme. On surnommait George Morton « Shadow » parce qu’il lui arrivait de disparaître comme un fantôme. Il est là, et soudain, il n’est plus là. George ? Good Lord, George ! Arrête ton cirque ! Ça nous fait pas rire ! Mais où est-il passé ? C’est incroyable ! Ho George ! Tu pourrais au moins nous répondre, espèce d’abruti ! 

             Les Shangri-Las étaient ce qu’on appelait à l’époque un quatuor vocal, comme il en existait des milliers à New York. Mais celui-ci était particulier, car constitué de deux paires de sisters, Betty et Mary Weiss d’un côté, Mary Ann et Marge Ganser de l’autre, deux jumelles. L’autre élément qui les distinguait des autres girl-groups, c’était leur réputation de bad girls. Mary Weiss trimballait un calibre avec elle. Quand les flics du FBI lui demandaient pourquoi elle était armée, elle répondait que c’était réservé au premier bâtard qui allait essayer d’entrer dans sa chambre d’hôtel. Tu veux un dessin, flicard ?

             Et puisque Mary Weiss vient de casser sa pipe en bois, nous allons procéder à une modeste oraison funèbre, comme il est d’usage sur ce bloggy-bloggah béni des dieux du web. Ici nous célébrons la mémoire de nos idoles et leur sacrifions non pas des agneaux mais nos ferveurs.

             La légende des Shangri-Las repose sur deux mamelles déterminantes : la production géniale de Shadow Morton et la voix de Mary Weiss. Mais cette légende doit aussi énormément aux clins d’yeux de fans célèbres comme les Dolls qui reprenaient « Give Him A Great Big Kiss », ou encore les Damned qui démarraient « New Rose » - leur single historique - avec la première phrase de « Leader Of The Pack » : « Is she really goin’ out with him ? » Beaucoup de gens en 1977 ne savaient pas trop qui étaient les Shangri-Las, et puisque Dave Vanian les citait, alors les Shangri-Las sont apparues dans les bacs des disquaires cupides qui n’avaient plus qu’un seul mot à la bouche : mythique !

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             La discographie des Shangri-Las n’est pas très dodue : seulement deux albums et une poignée de singles. Leader Of The Pack est sorti en 1964, et encore, ce n’est qu’une moitié d’album, car les deux paires de sisters n’avaient alors enregistré que quelques singles. Le label a rempli la B avec des cuts live de mauvaise qualité. Cet album a donc souffert d’une réputation pour le moins surfaite. De là à dire que c’est une fabuleuse arnaque, c’est un pas qu’on franchit avec allégresse. Jackie DeShannon n’aurait jamais toléré une telle arnaque.

             Mais c’est vrai, souviens-toi, les Shangri-Las sont des bad girls. Pour aggraver les choses, elles sont tombées dans les pattes de gens peu scrupuleux qui ont fait du blé sur leur dos. La pratique était courante à l’époque. Ça foutait les deux paires de sisters en rogne de voir que leurs singles se vendaient à des millions d’exemplaires et qu’elles ne palpaient pas un seul bifton.

             Tous les hits des Shangri-Las se trouvent sur le balda de Leader Of The Pack. À commencer par un « Give Him A Great Big Kiss » sévèrement claqué aux clap-hands. Quand il entendait ça à la radio en 1965, le jeune Johnny Thunders tombait en pâmoison. Pour composer le morceau titre de l’album, Shadow Morton s’était acoquiné avec Ellie Greenwich. Et pour corser l’affaire, il a fait entrer des gros bikers tatoués - avec leurs motos - dans le studio. Il voulait le vrai son. Alors OK. Tu veux le gros son ? Écoute ça ! Les mecs débrayaient et mettaient les gaz, vroaaaaar, en direct, et les filles chantaient sans tousser, malgré toute la fumée. Mary Weiss miaulait ça très perché. On sentait dans la rythmique un groove gigantesque à la Sonny & Cher. Le génie d’Ellie Greenwich avait encore frappé. Vroarrrrr ! On comprend que Dave Vanian soit tombé dingue de ce morceau qui sortait de son petit transistor alors qu’il creusait une tombe sous la pluie. « Leader Of The Pack » est à la fois une pièce fabuleuse de profondeur et une chanson affreusement triste. C’est avec ça que Shadow Morton s’est taillé une réputation de producteur légendaire. Plus tard, les Dolls le voudront comme producteur et il acceptera de produire leur second album, Too Much Too Soon.

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             Son autre coup de maître fut de faire entrer des mouettes dans le studio pour « Remember (Waiting In The Sand) » une mélopée bien sirupeuse, comme on les aimait à l’époque. T’as déjà essayé de faire rentrer des mouettes chez toi ? Pas facile. Ces bestioles sont particulièrement bêtes, au moins autant que les poules, il faut presque les assommer pour en tirer quelque chose. Shadow Morton a réussi un véritable coup de maître. Malgré le son pourri, on trouve des reprises prometteuses en B et notamment une version live de « Twist And Shout » chantée très perché. Mary et les jumelles arrivaient à sortir des trucs incroyablement sexy et sucrés.

             Quand elles ont démarré, elles étaient encore adolescentes. Mary n’avait que 15 ans et les jumelles 16. Pour partir en tournée avec les Beatles, elles durent quitter l’école et renoncer à l’éducation, ce qui les arrangeait bien, car en bonnes bad girls qui se respectent, elles ne pouvaient pas encadrer leurs profs. Elles ont donc passé les plus belles années de leur vie à sillonner les États-Unis avec des blanc-becs comme les Rolling Stones, les Animals, Vanilla Fudge et les Sonics, puis elles ont débarqué en Angleterre pour tourner avec des branleurs encore plus boutonneux, du style Herman’s Hermits.

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             Leur deuxième album, Shangri-Las 65, est sorti dans la foulée. Il est beaucoup plus solide que le premier. Avec « Right Now And Not Later », on a un son de rêve, un shuffle exceptionnel, soutenu aux tambourins, chanté à fond de train. C’est d’une puissance infernale. On trouve sur cet album pas mal de compos d’Ellie Greenwich et notamment « Give Us Your Blessings », une belle pièce de pop élancée qui plonge ses racines dans le gospel et que Mary Weiss chante à la mode californienne. Stupéfiant ! Shadow Morton signe « Sophisticated Boom Boom » que reprend aujourd’hui Kid Congo sur scène. « I’m Blue » est carrément une reprise des fabuleuses Ikettes. C’est groovy en diable et monté sur une big bassline. L’un de leurs plus gros hits restera sans doute « The Train From Kansas City », une grosse compo signée Ellie Greenwich, une vraie merveille taillée dans l’harmonique. On sent le drive d’Ellie, the beast of the Brill. Ellie avait du génie. Il faut voir comme elle tortille son couplet pour le faire sonner comme un hit planétaire, en plein cœur des sixties qui sont déjà congestionnées par des milliers de hits planétaires. On reste dans la magie sixties avec « What’s A Girl Supposed To Do », chanté aux voix perchées. Mary Weiss y va de bon cœur - woo oh woo oh yeah - c’est l’époque qui veut ça.

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             Puis leur étoile s’éteint et elles replongent dans l’anonymat. Les deux jumelles vont casser leur pipe. Mary et Betty essaieront de revenir en 1977, aidées par Andy Paley, mais le projet d’album restera à l’état de projet. Il faudra attendre 2007 et l’aide de Billy Miller (Norton) pour qu’un album de Mary Weiss apparaisse chez les disquaires. Ce sera le fameux Dangerous Games. Fameux car salué par Shadow Morton qui était alors encore vivant, mastérisé chez Sundazed et doté d’une pochette signée Roberta Bayley - la photographe qui a fait la pochette du premier album des Ramones, et les portraits officiels de Richard Hell, des Dolls (devant Gem Spa) et des Heartbreakers, entre autres. Ce sont les Reigning Sound qui accompagnent Mary Weiss sur Dangerous Games. Ce gros coquin de Greg Cartwright est remonté au Nord pour se rapprocher des femmes fatales. On l’a vu sur scène avec Rachel Nagy et ce qui reste des Detroit Cobras. Voilà maintenant qu’il fricote avec Mary Weiss et qu’il lui compose des chansons, souvent très bien foutues. Et dans les chœurs on retrouve Miriam Linna, elle aussi bien pourvue, côté légende. Très vite, on tombe sous le charme de « Nobody Knows (But I Do) » une belle power-pop signée Greg Cartwright. Voilà une grosse pop à la mode new-yorkaise superbement travaillée et lumineuse, dynamique et entêtante. Mary Weiss chante désormais d’une voix de tête très mûre. On tombe ensuite sur une énormité qui s’appelle « Stop And Think It Over », une power-pop d’allure royale, embarquée au bassmatic aérodynamique et dotée d’une grâce presque typique des Oblivians. Mary Weiss montre qu’elle peut encore monter très haut, over the rainbow, si elle veut. Les compos des autres copains sont un peu plus faibles. Les seules qui tiennent la route sont celles de Greg Cartwright. On sent que l’animal veut s’inscrire dans la légende. Elle fait aussi une reprise des Real Kids, « Tell Me What You Want Me To Do », traitée en tressauté avec des nappes d’orgue à la Blondie. C’est un audacieux mélange de pop new-yorkaise monté sur le riff du « Venus » des Shocking Blue. D’autant plus surprenant que le solo est quasiment le même, note pour note. Sans doute un clin d’œil. Retour en force d’Ellie Greenwich avec « Heaven Only Knows », la vraie pop du Brill avec des chœurs agonisants. Lorsqu’Ellie traîne dans les parages, on ne craint pas l’ennui. S’ensuit un « I Don’t Care » qui reste dans la haute volée. Compo soignée, agitée aux tambourins, inspirée et dotée d’une jolie mélodie, comme dirait Robert Charlebois.

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             Et Shadow ? Mais où est-il passé ? Les gens d’Ace se sont occupés de lui en publiant en 2013 une rétrospective : Sophisticated Boom Boom! The Shadow Morton Story. On y entend les artistes que découvrit ou produisit Shadow Morton : les Shangri-Las, Janis Ian, Blues Project, Vanilla Fudge, Iron Butterfly, Mott The Hoople et les Dolls. Si on ne connaît pas Janis Ian, c’est l’occasion de la découvrir avec « Too Old To Go ‘Way Little Girl », grosse pièce de folk-rock psyché chantée à fond de train, complètement extravagante.

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             La vraie merveille qui se niche sur cette antho à Toto, ce sont les deux titres enregistrés par Ellie Greenwich. Et là, on entre dans la légende, comme si deux esprits supérieurs, Ellie et Shadow, nous conviaient à partager un moment de leur intimité artistique. « Baby » est un hit planétaire. Ellie, c’est la reine de New York, elle embarque son baby-baby et rentre dans le lard du retour de manivelle. Elle a le sens parfait du jerk - So close to my heart ! - C’est une merveille. Elle fait un autre titre moins spectaculaire, « You Don’t Know » qu’elle taille dans la mélodie.

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    Une fois qu’on a bien épluché l’antho, on peut se plonger dans le booklet de 40 pages qui l’accompagne et là, on trouve tout ce qu’on a besoin d’apprendre sur Shadow Morton. Mick Patrick avait entrepris une correspondance par mail avec Shadow et là attention, attachez vos ceintures, car on fonce droit dans la mythologie, la vraie. Shadow raconte ses souvenirs de gamin dans le gang des Red Devils, au sud de Flatbush Avenue, puis il raconte comment il a voulu entrer dans le show-biz en montant au neuvième étage du Brill Building pour proposer une chanson qu’il n’avait pas encore à Ellie Greenwich qui le reçoit bien, mais il y a ce con de Jeff Barry qui le snobbe. Ça ne plaît pas du tout à Morton qui vient de Brooklyn, qui est irlandais et alcoolique. Il ne faut pas trop lui courir sur l’haricot - You don’t take that attitude with me very long ! - Barry lui demande de quoi il vit, alors Shadow prend ça comme une insulte et lui répond avec morgue : 

             — La même chose que vous, j’écris des chansons !

             — Quel genre de chansons ? 

             — Des hits ! 

             — Alors ramenez-en un ! 

             Shadow sort du bureau aussi sec, il attend quelques secondes et il revient dans le bureau avec un grand sourire :

             — On a oublié de préciser une chose. Un hit rapide ou un hit lent ?

             Barry se marre et lui dit :

             — Kid, bring me a slow hit !

             Fantastique démarrage en trombe, complètement à l’esbrouffe. Shadow a rendez-vous le mardi suivant. Il connaît un nommé George Sterner qui connaît des musiciens. Il connaît aussi quatre filles du Queens, qui accepteraient d’enregistrer une démo dans un studio de bricolo. Il lui manque encore le plus important : la chanson. Il compose « Remember (Walkin In The Sand) » dans sa tête et pouf, c’est parti ! Ce qu’il fait plait beaucoup à Jerry Leiber qui l’engage comme compositeur et producteur. Quand il touche son premier chèque de royalties, Shadow s’achète une Harley. Et il replonge dans la mythologie de son adolescence, il se souvient de l’énorme gang de bikers au soda shop, et il compose « Leader Of The Pack » ! Petite cerise sur le gâteau, il fait mourir son héros biker. On lui dit que ça ne passera jamais à la radio. Les histoires de voyous en motocyclettes n’intéressent pas les gens. Shadow croit que sa dernière heure est arrivée et qu’il va se faire virer du Brill. Mais « Leader Of The Pack » devient un hit interplanétaire qui dégomme le « Baby Love » des Supremes de la tête des charts. Et pour les Shangri-Las, c’est la consécration.

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             C’est l’une des grandes histoires de rêve du rock américain. Ce petit mec de Brooklyn et ces trois filles du Queens ont réussi à monter une belle cabale à partir de rien. Jeff Barry admet que les Shangri-las étaient avant tout la vision de Shadow Morton - He was such a dramatic guy - Et comme « Leader Of The Pack » devient un hit énorme, Shadow offre une Harley à Jeff Barry. C’est certainement cette machine que Barry va piloter pour accompagner son pote Bert Berns en virée dans les Catskills Mountains, au Nord de New York. En fait, Shadow fabrique des petits opéras de quat’ sous avec des effets sonores, et ça plaira beaucoup au public, car les effets favorisent le travail de l’imagination. Fermez les yeux et vous verrez le biker foncer dans un mur.

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             C’est George Goldner, patron de Leiber & Stoller, qui surnomme George Morton ‘Shadow’, à cause de sa manie de la disparition - I did the bars on Long Island, shot some pool, made some bets, played some liar’s poker - Shadow disparaît dans les bars de Long Island, il joue au billard, fait des paris et joue au poker menteur. Ellie Greenwich trouvait les Shangri-Las à la fois dures et vulnérables. Elle trouve que Mary Weiss n’était pas une grande chanteuse, mais elle avait exactement ce qu’il fallait pour faire des disques intéressants - Her whole thing was her look and her sound - Et elle avait cette voix de nez et cette attitude de fille de la rue - The best of both worlds - Puis Shadow découvre Janis Ian, une petite prodige de 15 ans originaire de Manhattan. C’est un nommé Vigola qui ramène Janis un matin dans le bureau de Shadow. Vas-y chante un coup. Elle gratte sa guitare Ovation et chante son truc. Shadow lit un journal, le pieds croisés sur son bureau et marmonne des injures destinées à Vigola, du genre je vais te balancer par la fenêtre. Janis remet sa guitare dans l’étui, sort un briquet de sa poche, fout le feu à un papier qui dépasse du bureau et s’en va en claquant la porte. Jeff Barry la rattrape dans l’ascenseur et la ramène chez Shadow qui lui demande de rejouer sa chanson. Puis il appelle Ahmet Ertegun pour lui dire qu’il a une nouvelle artiste et qu’il veut l’enregistrer. Ahmet demande s’il peut l’entendre. Shadow lui dit non. Mais aucun label ne veut d’elle, pas même Atlantic qui fait la fine bouche. C’est MGM qui sort le premier disque de Janis Ian, en même temps qu’une autre énormité de l’époque, « Wedding Bell Blues » de Laura Nyro. Puis un jour, Shadow reçoit un coup de fil de Leonard Bernstein. Sa secrétaire croit que c’est un gag. Mais non, c’est bien le grand Leonard. Il veut rencontrer Janis. Et pouf, un nouveau mythe prend forme.

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             Atlantic se plaint à un moment de n’avoir que des noirs dans son cheptel. Ahmet demande à Shadow de lui trouver un white soul group. Atlantic perd de l’argent chez les blancs et il veut un groupe blanc pour reconquérir le marché. Pas de problème, Shadow a repéré les Young Rascals. Puis on lui présente les Pigeons. Shadow n’aime pas le nom du groupe. Mais quand il les voit jouer su scène, il est complètement fasciné par les quatre compères, Tim Bogert, Vinnie Martell, Mark Stein et Carmine Appice. Il fait une démo avec eux et la balance à Atlantic qui demande à les voir. Shadow dit non. Les Vanilla Fudge sont dans les pattes du producteur idéal. C’est lui qui lance ce groupe monstrueusement doué. Shadow balaie aussi les réticences d’Atlantic qui ne voyait pas de hit single dans le premier album. En 1968, Shadow participe aux sessions d’enregistrement d’Eli And The Testament Confession de Laura Nyro et d’Electric Ladyland de Jimi Hendrix  - I happened to be one of the two who ended up three days in the studio recording with him. We cut about seven or eight sides - Puis Ahmet Ertegun insiste pour que Shadow produise l’« In-A-Gadda-Da-Vida » d’Iron Butterfly. Ils voulaient le Long Island sound.

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             Dernier grand épisode de la saga Shadow : les New York Dolls. Ils voulaient Jerry Leiber et Mike Stoller comme producteurs, mais ceux-ci se désistèrent. Alors ce fut Shadow. À l’époque, Shadow est fatigué du business et la musique l’ennuie. Il accepte cependant de relever le défi des Dolls - The Dolls can certainly snap you out of boredom - Ils travaillent 24 heures sur 24 - They had an incredible amount of energy. God, I remember the scenes in the studio. The word intense is not intense enough - Il les laisse faire ce qu’ils font habituellement et se contente de les enregistrer - I try to capture what they, the artists, do - Le booklet est en plus bardé d’images fantastiques de Shadow. Sans les gens d’Ace, que serions-nous devenus ?   

    Signé : Cazengler, Shangri-gros lard

    Mary Weiss. Disparue le 19 janvier 2024

    Shangri-Las. Leader Of The Pack. Red Bird Records 1964

    Shangri-Las. Shangri-Las 65. Red Bird Records 1965

    Mary Weiss. Dangerous Game. Norton Records 2007

    Sophisticated Boom Boom! The Shadow Morton Story. Ace Records 2013

    De gauche à droite sur l’illustration : Marge Ganser, Mary Weiss et Mary Ann Ganser, ou Mary Ann Ganser, Mary Weiss et Marge Ganser, c’est comme on veut.

     

     

    Wizards & True Stars

     - Bolan mal an (Part One)

     

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             Marc Bolan revient dans l’actu via un beau tribute : Elemental Child - The Words And Music Of Marc Bolan. Cet Easy Action sort tout juste du four. Une façon comme une autre de nous rappeler que Marc Bolan fut une star aussi énorme qu’éphémère, principalement en Angleterre. Quelques souvenirs d’aventures romantiques restent imprégnés de «Get It On». À Londres, dans les early seventies, il fallait traîner dans certaines discothèques pour rencontrer des filles, et le glam faisait rage, surtout celui de Marc Bolan. Dans les boutiques de fringues, on entendait T. Rex et Slade. Plus tard, ce sera le «Star Sign» des Fannies. Et encore plus tard «Rock’n’Roll Star» d’Oasis. Tout cela est si terriblement anglais. Voilà comment dans la vie on se fait façonner.

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             Pour goûter aux délices de cette époque révolue, rien de tel qu’un bon tribute. Elemental Child est en soi un événement, même si les contributeurs ne sont pas les plus connus, exceptés Andy Ellison, Swervedriver et Rachel Stamp. Comme chacun sait, Andy Ellison et Marc Bolan ont à une époque navigué ensemble dans John’s Children, un groupe culte rival des Who.

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    Jet et les Radio Stars naîtront des cendres de John’s Children. Puis Boz Boorer, le mec des Polecats, remontera John’s Chidren dans les années 90. Il n’est donc pas surprenant de retrouver Andy Ellison et Boz Boorer sur deux des cuts du tribute, «The Third Degree» et «Menthol Dan». Belle tension Mod pop, bien contrebalancée, avec du big bass drum d’Andy, Oh Andy, l’une des rock stars britanniques les moins connues. Quel swagger ! Il ramène toute la vieille niaque de John’s Children. Quel bonheur encore que de retrouver Swervedriver. Ces mecs ont toujours navigué au-dessus de tout soupçon. Ils tapent «Chateau In Virginia Waters» avec tout le velouté de leur classe et leur génie liquide. Ils ont toujours su se répandre en douceur. Rachel Stamp se planque sur le disk 2 et tape une cover stoogienne de «Calling All Destroyers» - They change the key & add a few extra chords, nous dit le liner-man - Belle vison du monde magique de Marc Bolan. Les Polecats de Boz Boorer tapent une belle cover rockab de «Jeepster» : double wild craze, celle de Boz, et celle de la stand-up. C’est ce que Jack Rabbit Slim n’a pas compris : on peut claquer les sixties en mode rockab, et même y conserver l’esprit du glam. Et puis voilà le bataillon des inconnus qui nous offrent un festin de belles covers : Witchwood avec «Child Star» (ces mecs connaissent tous les secrets des vagues, ils reviennent inlassablement lécher la rive, et comme ils sont persuadés d’être des élus, ils visent le sommet de la Mad Psychedelia, avec de gros moyens, dont une flûte), Chris Connelly & The Liquid Gang avec «Cat Black (The Wizard Hat)» (Gorgé d’écho, inspiré, puissant et plongé), The Charms avec «Elemental Child» (produit par Jim Diamond, c’est le glam de Detroit, même veine que Timmy’s Organism, touillé dans le brasier au tison-solo). Et sur le disk 2, les Black Bombers avec «Raw Ramp» (tapé à la vie à la mort du petit cheval, puissant parfum glam dans le feu de l’action), Kelly Relly avec «Ballroom Of Stars» (elle découvre le glam à 11 ans, la voilà avec le top hat et c’est elle qui passe le solo), Mexican Dogs avec «Life’s A Gas» (tout le glam est dans le chant, ils tapent d’ailleurs leur glam à coups d’acou), et Burn It To The Ground avec l’imparable «Children Of The Revolution» : version hardcore, mais dans le feu de l’action, ils fourbissent bien le glam, c’mon ! Dans le mix du diable, ils parviennent à maintenir le refrain magique.

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             Tant qu’on y est, on peut feuilleter l’excellente bio de Mark Paytress, Bolan: The Rise And Fall Of A 20th Century Superstar. Comme le font la plupart des grands biographes, Paytress parvient à arracher son sujet au passé pour le recaler dans le présent, et accessoirement lui redonner vie, le temps d’une lecture. Et pour chasser toute ambiguïté, il propose dès les premières pages un rééchelonnage, affirmant que Bolan était une pop idol au même titre que Jimi Hendrix et Elvis - He was simply one of those characters that was a star almost by nature - Il ajoute que la gloire ne vint que plus tard, sous forme d’un by-product - Superstardom was his destiny - Son destin prend forme lorsqu’à 9 ans il découvre «the singing dancing demigod Elvis». Choc terrible en 1956 avec «Hound Dog». Il abandonne aussitôt ses héros d’enfance, Davy Crockett et Geronimo. Hail! Hail! Rock’n’roll

             Il s’appelle encore Mark Feld et devient Mod, l’un de ces obsessive stylists qui hantaient les London modern jazz clubs. Paytress entre alors dans le lagon d’argent de la culture Mod. Bolan devient Mod à 11 ans, il cultive ce style incarné par Frankie Laine, un mélange de modernité et de sophistication, de soin du détail et d’originalité. Il devient la «star of three streets in Hackney», il porte la cravate et collectionne les costards. Comme il est pauvre, il doit se débrouiller pour trouver des fringues pas chères et les faire retaper à la maison. Il possède 40 costards. Marc the Mod change de fringues quatre fois par jour. Il salue d’un hochement de tête les gens hip dans la rue. Mais il n’a pas d’amis. Et il a la trouille des scooters. Il déteste aller au bord de la mer. Pas à cause des crabes. Il ne veut pas que l’eau le décoiffe.

             Il se passionne pour Woodie Guthrie, puis pour Dylan, un solitaire, comme lui - the archetypal romantic rock artist - L’ex-Mod Bolan se conçoit désormais comme un mystère et devient poète. Le Mod devient un hippie, c’est-à-dire une extension du romantic rebel dont l’archétype est Bob Dylan. Bolan veille à rester cohérent. Il cultive un «Beatnick-inspired poverty chic» et reste obsédé par son image. Il flirte nous dit Paytress avec a kind of cerebral striptease. Il devient le fruit de son imagination et découvre grâce à Dylan que la musique peut aller sur un terrain jusque-là réservé à la littérature. Il apprend à gratter ses poux et à souffler des coups d’harp. Sous son romantisme couvent ses aspirations au superstardom. Paytress établit vite un autre parallèle fondamental avec Syd Barrett. Ils sont tous les deux bruns, bouclés, «and incredibly cute Aquarian pin-ups with suggestions of androginy who radiated airs of unblemished innocence.» Syd et Marc vont aussi avoir la même poule, June Child. Mais comme le dit si joliment Paytress, en quelques mois, les abus d’acides et de mandrax allaient «libérer Barrett de ses responsabilités de pop star.» Bolan ne l’oubliera pas : «One of the few people I’d actually call a genius. He inspired me beyond belief.» Pete Brown précise toutefois que Syd Barrett était beaucoup plus convainquan «car il était beaucoup moins préoccupé de son talent poétique.» Brown ajoute que Barrett avait fréquenté l’art school, ce qui le rendait beaucoup plus sophistiqué. Il dit aussi que la comparaison de Bolan avec Dylan est un peu exagérée : «Quand Dylan faisait du mysticisme, il tapait dans l’imagerie de la Bible, il était beaucoup plus pointu que le fut jamais Bolan.» Il ne supporte pas non plus le côté féerique, the Tolkien stuff, qu’ont exploité les hippies. Bullshit ! Combiné aux acides, ça a bousillé les gens - It sent people off to a kind of numbskull cloud cuckooland.

             Le producteur indépendant Jim Economides prend Bolan sous son aile et l’emmène pousser la chansonnette chez le Decca boss Dick Rowe qui lui offre un one-single record deal. Comme il s’appelle encore Mark Feld, il sent venir le moment de changer de nom. Il fréquente un acteur nommé James Bolam et il aime bien son nom - Mark liked the sound of it - Puis Mark devient Marc. Comme il a besoin d’un svengali, il va trouver en 1966 Simon Napier-Bell. Il sonne à sa porte, Napier ouvre - He liked what he saw - Napier voit Bolan comme un «Charles Dickens urchin». Bolan rentre avec sa gratte, s’assoit et gratte ses cuts - His guitar playing was appalling, but I just loved the voice - Bolan s’inspire de ses idoles, Dylan, Cliff Richard et même Sonny Bono et trouve un style vocal unique à l’époque. On a aussi comparé sa voix à celles de Bessie Smith et de Buffy Sainte-Marie, dont il s’était épris. Napier est aux anges. Il voit Bolan développer un style complètement innovant. Petite cerise sur le gâtö : il compose. Et ses compos impressionnent Napier qui est encore le manager des Yardbirds. Mais Napier en a marre du bordel interne des Yardbirds, il trouve Bolan plus reposant et «plus intéressant», «a nobody with a great face, a distinctive voice, a handful of good songs and bags of enthusiasm.» En plus Napier trouve les Yardbirds ringards - The boring old Yardbirds were the straightest, dullest bunch ever - Il explique qu’il est hédoniste, il cite l’exemple de Brian Epstein qui louchait sue les Beatles, alors il louche sur Bolan et John’s Children.

             À l’époque, Bolan couche avec tout le monde, y compris Napier. Lequel Napier rappelle que durant les sixties, «c’était impossible d’avoir des relations normales avec les gens. Elles ne pouvaient être que sexuelles. Mais les relations restaient ponctuelles. Pas d’engagement. Rien de plus que de fumer un joint ensemble. Je pense que Marc avait des relations avec des tas de gens qui n’étaient pas intimes, mais des nice, easy relationships.»   

             Paytresss qualifie John’s Children de «ramshackle bunch from Leatherhead». Napier ne jure que par eux. Il vire le guitariste Geoff McClelland et le remplace par Bolan. Le groupe rivalise de chaos avec les Who. Bolan frappe son ampli à coups de chaîne. Ils tournent en Allemagne avec les Who et finissent par se faire virer de la tournée. Irrité par leur «almost immature appetite for destruction», Townshend s’en débarrasse. Napier et les John’s vont rentrer à Londres la queue entre les jambes, avec 25 000 £ de dettes - and I’d wrecked my car, ajoute Napier - C’est la fin du groupe. Bolan ne jouera plus avec eux. Dommage, car en 1967, les John’s Children ont enregistré une douzaine de compos de Bolan. Paytress indique que si «Desdemona» avait décollé, les John’s Children seraient devenus «a very Bristish response to the Velvet Underground.» Il ajoute plus loin qu’avec «Hot Rod Mama», «John’s Children were Britain’s premier garageland rockers.» Quand paraît le single «Midsummer Night’s Scene», Bolan a quitté le groupe.

             Après l’épisode John’s Children, Bolan se réinvente. Il abandonne le pop world capricieux pour se repositionner dans l’underground. Il va travailler son image obsessivement, l’ex-Mod crée sa légende vestimentaire avec des jackets en patchwork, des «green girl shoes and a cascading crown of Pre-Raphaelite hair.» C’est l’avènement de Tyrannosaurus Rex, un nom trouvé dans une nouvelle de Ray Bradbury, A Sound Of Thunder. Baptême du feu avec le «Debora» de sinistre mémoire. Ah comme on a pu détester ce mauvais single et ces bêlements de chèvre.

             Bolan monte le duo avec Steve Peregrin Took, salué ici même en 2017, lorsque Luke la main froide lui rendit hommage dans sa column de Record Collector. C’est aussi le début d’une belle romance avec John Peel qui flashe sur la voix de Bolan. Ils partagent en outre une passion immodérée pour les «old Gene Vincent and Eddie Cochran 45s.» Joe Boyd voit Tyrannosaurus Rex sur scène. Bien qu’ils sonnent acoustiques, il trouve que les cuts de Marc sont toujours «rock oriented». C’est là que Tony Visconti entre en scène. Comme Peely, il flashe sur Bolan - Alors que Steve avait l’air d’un hippie, Marc ressemblait à un exotic gypsy with his curly hair - Comme Tony Visconti bosse pour Denny Cordell, il insiste pour les signer. Mais Cordell dit qu’il ne comprend rien à leur son. Mais il fait confiance à Visconti et les signe.

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             Il est indispensable de remettre le nez dans les albums qui précédent la T-Rexamania, à commencer par My People Were Fair And Had Sky In Their Hair... But Now They’re Content To Wear Stars On Their Brows paru en 1968. Bolan y ramène «Hot Rod Mama» et «Mustang Ford» qu’il jouait déjà dans John’s Chidren, le Mod-band mythique qui l’avait accueilli en 1967. À la fin du groupe, Marc dut restituer la Gibson SG et l’ampli. Pas grave ! Il ressortit aussi sec sa vieille acou Suzuki, se convertit au hippisme et engagea Took pour jouer des congas. Ils jouaient à deux, assis par terre sur des tapis. Avec «Hot Rod Mama», Bolan invente le rockab hippie et il se met à bêler comme la chèvre de Monsieur Seguin. C’est d’une extraordinaire vitalité hippie. Mais ça marche uniquement parce que Took y croit.

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    Ils se placent tous les deux sous le patronage de William Blake et John Peel les prend vraiment au sérieux. La version de «Mustang Ford» qui ouvre le bal de la B vaut largement le détour. Le parallèle avec le monde magique de Syd Barrett saute aux yeux, gentil monde d’étrangeté et d’innocence. Bolan devient le prince des poètes du paranormal. Paytress fait aussi un parallèle avec Donovan - un Donovan que Peely surnomme the prince of loveliness - Avec The Piper At The Gates Of Dawn et A Gift From A Flower To A Garden, le premier album de Tyrannosaurus Rex complète la trilogie du summer of love londonien. «Child Star» continuera de fasciner jusqu’à la fin des temps, car Bolan chante ça à la savate traînée, avec du child star craché dans l’écume des jours. C’est stupéfiant de présence et complètement licornique. On sent l’ombre de Took planer sur un «Strange Orchestras» gorgé de cette volonté de transe londonienne. On les sent tous les deux déterminés à vaincre. Ils se spécialisent dans les beaux mantras, comme on le constate à l’écoute de «Chateau In Virginia Waters». C’est fou ce qu’à l’époque leur truc pouvait accrocher. Avec Chateau, on comprend les raisons pour lesquelles un bon gars comme Peely a pu craquer. Bolan invente le «neo-pyschedelic pastoral» avec «Dwarfish Trumpet Blues», un fabuleux groove de drone hippie. En B, on tombe sur le fantastique «Knight», une transe épique et translucide. Voilà l’un des sons les plus intéressants du Londres d’alors, gorgé d’une énergie de bongos et de Took attitude. Ils étaient ce qu’on appelait alors des beautiful freaks, des créatures qu’on ne croisait que dans les rues de Londres, certainement pas à Paris. On tombe plus loin sur le joli freakout de «Weilder Of Words» et ils terminent avec un pur mantra, «Frowning Atahualpa», chargé de ces effluves orientales dont Londres raffolait à l’époque. On respirait tout ça chez Biba et au Kensington Market.  

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             Avec Prophets, Seers & Sages: The Angels Of The Ages, Bolan et Took s’affirment, Tony Visconti les produit, et dès «Stacey Grove», ils sortent un son plus sourd et ineffablement judicieux. On sent nettement que Bolan prend son envol, il chante à la corde sensible et bêle à l’occasion. L’amusant de cette histoire, c’est que ce hippie invétéré va devenir une glam-rock idol et même the Godfather Of Punk. Captain Sensible le vénère et les Damned partiront en tournée avec T. Rex. On tombe en B sur «Salamanda Palaganda», un parfait délire hippie que Paytress taxe de mesmerizing frenzy. C’est vrai qu’à deux ils parviennent à créer les conditions d’une espèce de transe. Quelque chose d’assez fascinant se dégage en permanence de ce concept sonore imaginé par Bolan. En même temps, on ne sait plus si on écoute ces vieux albums pour Bolan ou pour Took. Encore un coup de Jarnac hypno avec «Juniper Suction». Took y prend le contre-chant. Et c’est avec «Scenesof Dinasty» que se joue véritablement le destin de cet album. Ce long poème fleuve joué aux clap-hands est un authentique coup de génie. Bolan le chante si bien qu’on croirait presque entendre Dylan chez les hippies. Pur génie de la diction et du travail de souffle. S’il faut emmener un cut de Bolan sur l’île déserte, c’est forcément «Scenesof Dinasty». C’est là que Marc Bolan entre dans la légende.

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             Nouveau bond en avant avec Unicorn, paru en 1969. Il faut dire que les pochettes des trois albums sont particulièrement réussies : la première est une illustration féerique, la seconde nous montre Bolan et Took photographiés en noir et blanc dans un parc et la troisième nous les montre tous les deux cadrés en gros plan. Ce troisième album du duo est une véritable pépinière de hits, à commencer par l’excellent «Chariots Of Silk», solide, envoûtant, gorgé d’adrénaline hippie et déjà T. Rexy jusqu’à l’oss de l’ass. Ce cut sonne vraiment comme un hit, avec sa descente mélodique et ses tchoo-tchoo-tchoo à la Mary Chain. Bolan se paye une belle tranche de décadence dans «The Threat Of Winter», une pop-song d’une effarante élégance, pleine de légèreté et de mystery bliss. On monte encore d’un cran dans l’extase avec «Cat Black (The Wizard’s Hat)». Paytress rappelle que Bolan est une fervent admirateur de Dion’s Runaround Sue sort of songs. Bolan emmène sa mélodie au firmament, voilà un hit visité par la grâce préraphaélite et qui éclôt dans l’azur immaculé des sixties. Le génie de Marc Bolan s’y entend à l’infini. Par contre, la B est complètement ratée. On se consolera en rapatriant la réédition de l’album parue sur A&M en 2014. Il s’agit en effet d’un double album proposant sur le deuxième disque des choses qui ne figurent pas sur les albums officiels, comme par exemple le dernier single du duo Bolan/Took. N’ayons pas peur des mots : «King Of The Rumbling Spires» est pour le fan de base du duo un passage obligé : Bolan et Took s’électrifient. C’est du T. Rex avant la lettre, a riffy, mesmerizing gothic folly, avec Took on bass et Marc qui joue de la fuzzed-up reverberated guitar. C’est énorme et à l’époque, ça passa à l’as ! Voilà un hit qui sonne comme ceux des Move. Le Tyrannosaurus fait de l’œil au Brontosaurus à venir des mighty Move. Pure merveille ! La B-side du single s’appelle «Do You Remember», claustrophobique en diable. On trouve aussi sur ce disk de bonus l’une des ultimes démos du duo : «Once Upon The Seas Of Abyssinia». Mais attention, ce n’est pas fini. Il reste à écouter l’excellent «Ill Starred Man» qui sonne littéralement comme du Ray Davies. Stupéfiant ! Bolan se rapproche de la raie de Ray et préfigure Bowie. Il est le maillon manquant du décadentisme dont on se fera les gorges chaudes un peu plus tard. Le dernier cut de la B s’appelle «Blossom Wild Apple Girl», une fois encore absolument brillant et sevré de décadence. La voix de Bolan se pose comme une plume dans une lumière de printemps imaginée par Edward Burne-Jones. Ce hit solide, précieux et anglais jusqu’au bout des ongles corrobore les corridors. 

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             Keith Altham est surpris par l’évolution de l’ex-Mod, de l’ex-Beatnik et de l’ex-John’s Children dynamo : «I saw Tyrannosaurus Rex at the Albert Hall and they bored me to death.» Puis au retour d’une tournée américaine chaotique, Bolan se débarrasse de Took et le remplace par Mickey Finn, un gentil toutou qui dit oui à tout. Visconti : «Mickey was a breath of fresh air after Steve who was very heavy.» La relation avec Peely va aussi tourner court. Peely avoue qu’il n’était pas dupe, Bolan se servait de lui pour passer à la radio. Peely dit aussi que Bolan a quelque chose de dur en lui, et que généralement, le succès ne fait qu’empirer les choses. Quand plus tard, Peely refuse de passer «Get It On» dans son émission, car il estime que Bolan devenu superstar n’a plus besoin de son aide, Bolan le prend mal et lui tourne le dos. Peely : «Marc didn’t become a monster but he didn’t have to be Mr. Nice Guy any more.» Peely pense que Bolan l’associait avec le souvenir des jours difficiles et qu’il voulait fréquenter d’autres gens. Napier pense que c’est Mungo Jerry qui a aidé Bolan à décoller, à le sortir de l’ornière du circuit des universités. Quand il arrive sur Fly Records, un petit label monté par Kit Lambert, Bolan largue le Tyrannosaurus et passe à T. Rex. Il va décoller avec un 12-bar record, «Hot Love», en 1971, en même temps que deux autres 12-bars, «I Hear You Knocking» de Dave Edmunds et «Baby Jump» de Mungo Jerry. Bolan passe du statut de «cross-legged hippie troubadour» à celui de «swaggering pop idol».

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             Bon, pas la peine de tourner autour du pot : le premier album sans titre de T. Rex ne casse pas des briques. Dommage, car la pochette inspire confiance : Bolan et Mickey Finn ressemblent à des superstars. Par contre, quand on lit les notes de pochette, le nom de Finn n’apparaît nulle part. Il sert de faire-valoir. Bolan voulait juste un good-looking kid près de lui. Globalement, ce premier T. Rex sonne très Tyrannosaurus Rex, avec les tablas et la position de lotus. Bolan fait sa chèvre comme au temps de «Debora» dans «It Is Love», c’est encore très tablas sur «Summer Deep» mais avec un gratté de poux électrique. Avec «Root Of Star», Bolan impose un style vocal unique, très fruité. On sauve cependant deux cuts : «Jewel», joli de shoot de boogie, real deal de British Underground doté d’un fantastique développé. Bolan grimpe au sommet de son lard en devenir. L’autre cut s’appelle «Seagull Woman», très T-Rextasy, traversé par un fantastique filet de solo fin.

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             Bolan sent qu’il faut sortir les crocs et durcir le son. Il engage Steve Currie et Bill Legend. Visconti est aux manettes pour capter ce nouveau son raw and primitive. Ils enregistrent l’Electric Warrior live au Media Sound Studio de New York. Bolan : «We recorded like the early Sun records.» Avec sa pochette en forme de «first iconic image of the Seventies», Electric Warrior frappe les imaginations. Paytress dit qu’Electric Warrior est l’héritier du Plastic Ono Band de John Lennon paru juste avant : même simplicité, même immédiateté. no-frills rock’n’roll sound. On y trouve des perles rares du genre «Monolith», un fantastique balladif de charme que Bolan chante au tremblé de glotte. Quel enchanteur ! C’est aussi sur cet album que se trouve l’un des plus grands hits de l’ère glam, «Get It On», l’archétype de l’apanage des alpages. On peut dire la même chose de «Jeepster», monté sur un riff de boogie. Glam joyeux et digne de cette grande époque que fut l’adolescence, temps béni du libre arbitre et des métabolismes changeants. On comprend rapidement que Bolan crée son monde, comme va le faire Bowie. Autre hit glam : «Mambo Sun», doté d’une belle tension sexuelle. Avec «Girl», Bolan retrouve ses vieux accents charmants, Bolan mal an. C’est ici qu’il swingue la décadence, comme va le faire Bowie. Dans «The Motivator», Bolan laisse remonter des relents de «Deborah», à base de tablas et de groove intimiste. Il préfigure encore Bowie avec «Life’s A Gas», dans le chaud du ton. Bolan est aussi à l’aise sur les balladifs que sur les hits glam. Cet album attachant est bourré de son et de proximité. Album emblématique d’une rockstar anglaise.

    T-Rex explose en Angleterre. Electric Warrior déclenche la T-Rextasy, suite de la Beatlemania. C’est aussi l’avènement du glam. Tout repart à zéro, comme en 1956 et en 1964. Bolan devient le «20th century schizoid rock man», et Paytress indique que dans la presse il est victime d’une «overdose of hype». Devenu riche, Bolan se paye une AC sports car et une Rolls. En studio, il peaufine avec Visconti un T. Rex Sound à l’image du personnage - extravagant, magnificent, unmistakeable - Iggy qui est alors à Londres voit T. Rex sur scène et trouve le show «kinda Chipmunky». Il ne succombe pas au charme de Bolan. Mais pour tous les autres, «T. Rex are the new Beatles, the biggest pop sensation in years.» Avec «Telegram Sam», Bolan et Visconti veulent se démarquer du hit factory de Totor et du Motown Sound. Ils basent tout sur le fuzzed-up guitar riff, ils créent le concept de «pocket symphony». Bolan ne sortira plus de ce concept.

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    ( Marc Bolan + Mickey Finn)

             Visconti raconte un épisode étrange : «On est en route, dans la limo, je suis assis à l’arrière avec Marc, Mickey, Steve et Bill. Marc est bourré. Il boit du cognac au goulot. C’est le matin. Soudain, il attaque une chanson. ‘I’m an old boon dog from the boon docks.’ Il essaye de nous faire chanter avec lui. On a tous un peu la trouille. The leader is out of control. Je n’ai jamais eu peur de me confronter à lui, mais je savais que ce n’était pas le bon moment pour le faire. Il insiste : ‘C’mon everybody sing! C’mon Mickey you cunt!’. Il aboie comme un chien, il est complètement soûl. Pour faire baisser la tension, Mickey se met à chanter, et Marc passe son bras autour de son épaule. That’s how the Slider began.»   

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             Bolan se tape encore une pochette iconique pour The Slider. Tous les fans de glam chérissent cet album pour au moins deux raisons : «Metal Guru» et «Telegram Sam». C’est le glam dans toute sa splendeur conquérante. Bolan chante à la fantastique allure. Il préfigure tout le Ziggy à venir. Le «Telegram Sam» qui ouvre le bal de la B est l’autre mamelle du glam, un Telegram mené au allonzy d’alley hop. Superbe et ravageur - Purple pie Pete/ Your lips are like lightening girls melt in the heat - Imbattable. Mais le reste des cuts est moins flamboyant, même s’il chante «Mystic Lady» magnifiquement. Autre hit glam : le morceau titre qu’il chante à la coulée douce - And when I’m sad/ I slide - Et puis avec «Baby Strange», on voit bien qu’il tourne autour du pot de miel.

             Quand T. Rex repart en tournée américaine, ils prennent l’avion sans B.P. Fallon qui était l’attaché de presse de Bolan depuis deux ans. Alors B.P. paraphrase Dylan pour donner sa démission : «It’s Alright Marc, I’m only leaving.» Alors que Bolan devient millionnaire, Steve Currie et Bill Legend sont toujours payé 40 £ par semaine, plus 26,50 £ par session d’enregistrement, sur des albums qui rapportent quand même plusieurs millions de £. Dans la presse, Bolan se vante : «Today I’m not making £40 a week but £40 every second.» En Angleterre, des gens comme Vincent Crane d’Atomic Rooster le détestent : «I feel Marc Bolan is totally mediocre in every respect.» Dave Hill de Slade dit bien aimer ses chansons, mais il trouve que le groupe n’apporte rien. Don Powell qui bat le beurre de Slade raconte que Bolan leur a proposé d’alterner les parutions de singles, afin que chacun puisse accéder au sommet des charts à tour de rôle - Chas Chandler (Slade’s Manager)  told him to fuck off - Slade aura 6 number ones et Bolan 4. Bolan s’acoquine avec Tony Secunda. Ils montent ensemble The T. Rex Wax Co label et une publishing company qui vend les cuts sous licence à EMI. Bolan garde ainsi le contrôle de tout ce qu’il fait. En six mois, ils ramassent six millions de dollars «on worldwhile records deals alone», se vante Secunda qui est un négociateur hors pair. Puis Bolan se débarrasse d’un Secunda qui s’en sort pas si mal - Still I made a lot of money and I got a Ferrari out of it.

             Bolan tourne à la coke et au champagne - It was Marc and June’s poison - Les bouchons sautent pour la sortie en salle du film Born To Boogie, qui sera le dernier spasme de la T-Rextasy.

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             Ringo a filmé Bolan en 1972, à l’Empire Pool de Wembley. Merci Ringo, car plus qu’aucun autre docu tourné à l’époque, celui-ci montre à quel point Bolan était bon sur scène. Mais vraiment bon. Il avait fini par laisser tomber le côté gnangnan de Tyrannosaurus Rex pour aller sur un son plus rock. Il est bien sûr très bien accompagné (Mickey Finn, qui ne sert pas à grand-chose, Steve Currie au bassmatic, et surtout l’excellent Bill Legend au beurre), mais c’est Bolan qui vole son propre show. Il est la parfaite rockstar anglaise. Il a toutes les mamelles du destin : la voix, le look, le son et les poux, car il n’en finit plus de les gratter et d’épater la galerie. Si on veut prendre la mesure de Bolan, après avoir digéré une bonne bio, il faut voir et revoir Born To Boogie.

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             Petit, il est déjà fan d’Eddie Cochran, ça veut dire qu’il a déjà tout bon. Pas étonnant de le retrouver sur scène dix ans plus tard avec une Les Paul dans les pattes. The Les Paul power ! Bolan a fini par devenir le roi du gimmick, clack clack, yes you are, tel que le montre «Jeepster». Temps béni de l’Angleterre bénie des dieux, veste de satin blanc, You’re so sweet/ You’re so fine, aw my Gawd, il tape en plein dans le mille à coups d’I’m just a Jeepster for you love. Qui pouvait résister à ça ? Personne ! Et Ringo l’avait bien compris, puisqu’il était là avec ses caméras. Sur scène, tout est centré sur Bolan, les autres ne comptent que pour beurre. Le pauvre Mickey Finn bat ses bongos, et c’est pas le mec de Santana. Il n’est pas très bon. Bolan joue pas mal en La, il a son public, tout le monde saute en l’air dans les premiers rangs. Ringo filme les gamines maquillées. Big hard fan-base. Il alterne aussi les séquences de Wembley avec des plans filmés dans le studio d’Apple à Saville Road. Bolan tape un «Blue Suede Shoes» accompagné par Ringo au beurre et Elton John au piano. Puis il tape un «Chidren Of The Revolution» avec sa grosse gratte rouge et du rouge à lèvres.

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             Hélas, le côté Tyrannosaurus reprend le dessus à Wembley puisqu’on retrouve Bolan assis en lotus avec une acou. Il tape un «Cosmic Dancer» passé de mode. Disons que ça fait partie du jeu, mais on perd le rockalama qui a fait de lui une superstar. Tout revient dans l’ordre lorsqu’il annonce : «This song is called Telegram Sam !». Power chords all over the glam era ! C’est l’apanage de l’archétype, il cale des incursions intestines entre deux gimmicks de monster stroke, il maîtrise l’art des petits incendies, il peut même hendrixer dans le feu du glam, il est unique en Angleterre. Il joue clair et net, cartes sur table, il va et il vient entre les reins de l’or du Rhin, il va claquer ses beignets et revient au micro télégrammer Sam. Fantastique artiste ! Avec Bolan, le glam est beaucoup plus que le glam. C’est le gloom du glare.

             Ringo l’a aussi filmé dans le jardin de John Lennon, assis dans l’herbe, il y gratte ses hits glam à coups d’acou, «Jeepster», «Get It On». On est frappé par la simplicité de ses hits. Tout repose en fait sur son maniérisme vocal qui est vraiment du grand art. La richesse de sa voix et de ses intonations contrebalance l’apparente simplicité des carcasses. Ringo le filme coiffé de ce haut de forme en cuir brun qui d’une certaine façon est devenu son logo, un logo que reprendra le fan number one de Bolan, Nikki Sudden. Encore un cut fondateur du glam : «Hot Love» et «Get It On» qui va plus sur le raw glam, bien tenu en laisse, Bolan le module au petit chat perché perverti. Il gratte aussi une Strato blanche. Il est partout dans le son, il n’a vraiment besoin de personne en Harley Davidson. Bolan does it right, même le killer solo flash en bas du manche. Pour les kids, Bolan est la star parfaite : du son et si good-looking ! On le voit soloter pendant des plombes sur «Cadillac», il sort du glam pour rocker la bête, et puis voilà qu’il rend hommage à son point de départ : Eddie Cochran avec «Summertime Blues».

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             Comme Rolan Bolan est le fil de Bolan et de Gloria Jones, il est métis. Alors on le voit dans les bonus conduire quelques belles interviews de prestige. Il rappelle quand même qu’il n’avait que deux ans quand son dad a cassé sa pipe en bois, dans l’Austin que conduisait sa mère. Au micro de Rolan, Tony Visconti est égal à lui-même : il explique qu’il a tout fait. Il dit aussi : «Your dad was one of the icons.» On profite des bonus pour relever quelques petits détails qui ont leur importance. Ringo filme avec cinq caméras syncro - Crazy but under control, rappelle le technicien en chef - On voit aussi Rosco qui a pris un violent coup de vieux. C’est lui qui annonce Bolan sur scène à Wembley. Et Ringo qui a tant filmé le public rappelle un truc essentiel : «The audience is part of the show.» La morale de cette histoire selon Ringo est que la T-Rextasy est la suite logique de la Beatlemania.  

             Nick Kent ne trouve pas le film très bon. Il pense que Bolan s’est tiré une balle dans le pied en incluant une scène d’acou «where he strums the most blatantly out-of-tune guitar I’ve posibly ever heard and whines obnoxiously for over five minutes.» Paytress ajoute que Kent avait pour héros des gens comme Syd Barrett, Brian Wilson, Keith Richards et Iggy Pop, et, pour lui, Marc Bolan était loin de leur arriver à la cheville.

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             Encore deux hits glam sur Tanx : «Shock Rock» et «Born To Boogie». On ne va pas s’en plaindre, on est là pour ça. Bolan maîtrise l’art du glam et passe un petit solo à l’excédée. «Born To Boogie» est l’endroit exact où le glam sucre les fraises du boogie. Bolan couronne le tout d’un chant outrancier. On pourrait lui reprocher de se répéter, mais il s’arrange toujours pour que ça sonne comme du big Bolan. Avec «Tenement Lady», il shoote une jolie dose de glam dans le champ des possibles. On assiste aussi au retour de la chèvre dans le chant. On le voit un peu plus loin trousser les jupes du rock anglais avec «Country Honey». Belles guitares. On retrouve Bolan au sommet de son art pétillant avec un «Mad Donna» bien sonné des cloches, bardé d’accords, de chant, de piano, et de glam. Encore une belle opération de charme avec «Highway Knees». Il sait émoustiller les muqueuses. N’oublions jamais que Bolan est avant toute chose un fantastique chanteur de charme. Il boucle cet album superbe avec «Left Hand Luke», un heavy balladif joliment soutenu par des chœurs de filles, des violons et un solo au long cours. C’est excellent, gorgé de bonne énergie londonienne. On sent chez Bolan le pur plaisir de faire du rock, et il le fait à son idée, avec un style qu’il faut bien qualifier d’unique.

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             Paytress se fend d’un étrange parallèle entre Zinc Alloy et Exile In Main Street, parus en même temps et qui ont pour points commun le «rock’n’roll abandon with an urgency and directness mistaken at the time for vulgarity.» Et il ajoute ceci qui est déterminant : «The musical directors on both (Keith Richards and Marc) are out of control, the producers reduced to vitual bystanders.» Bolan se fait colorier les yeux en bleu pour la pochette de Zinc Alloy & The Hidden Riders Of Tomorrow. C’est de bonne guerre, on ne va pas le lui reprocher. Ceci dit, il continue d’honorer les dieux du glam avec «Interstellar Soul». Ça reste du grand art, du glam d’usage courant joué avec doigté et délicatesse. Le hit de l’album s’appelle «Teenage Dream», sans doute le plus décadent de ses hits. Sa magie opère, à base de violons et de guitare électrique. Le voici au sommet de la T-Rexmania - Silver surfer and the ragged kid/ Are all sad and rusted boy - Encore un superbe bouquet de glam avec «Venus Loon» et des paroles à l’avenant - Going to see my baby in the afternoon/ Going to take my baby on a Venus loon - Bolan est l’artiste idéal pour les ados affamés de glamour rock. Il fait aussi du slow glam avec «Explosive Mouth». Il revisite l’art rock anglais à sa façon, sans forcer. Il termine avec «The Leopards Featuring Gardenia & The Mighty Slug» et les filles font we’re the leopards. On l’a dit, Bolan est brillant sur les morceaux lents. Il peut même se montrer envoûtant.

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             L’album suivant s’appelle Light Of Love aux États-Unis et Bolan’s Zip Gun en Angleterre. Paytress ne jure que par «Think Zinc» - A mutant metal-techno refashioning of the vintage T. Rex sound, it opened on the footstomping manner of the Supremes’ «Where Did Our Love Go», then hit he manic button with a demonic, fuzzed up guitar riff, filth-honking horns and a pulsating backing track overlaid with vocals that sweated and swelled as Bolan repeated the title like an out of control monomaniac - On entend Gloria Jones dans «Think Zinc», c’est très bien foutu. Bolan maintient bien son cap. L’un dans l’autre, Zip Gun est un excellent album et même un classique du rock anglais des seventies. Nouveau hit glam avec «Zip Gun Boogie». Il sucre les fraises du glam. Mélange détonnant de boogie et de chant juvénile. C’est une véritable bénédiction glammaire. Mais c’est avec «Till Down» qu’il emporte la partie. Bolan est un chanteur de charme fou. Il se veut fin et décadent, au moins autant qu’Oscar Wilde. Nouvelle merveille constituante avec «Girl In The Thunderbolt Surf». Il chante à l’accent d’elfe, un rôle qui lui va à ravir. Il fait aussi du glam frileux avec «Light Of Love». Il passe en mode heavy blues pour «Token Of My Love», mais avec le charme de sa voix, ça passe très bien.

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             Fin 1974, Bolan se sépare de Mickey Finn, qui était une sorte de talisman - Now Bolan ne pouvait plus se permettre d’être sentimental - Il semble encore monter d’un cran avec Futuristic Dragon. Véritable coup de génie que ce «Casual Agent», avec sa copine de cheval Gloria Jones aux chœurs. Fantastique exercice de diction - Dejected like Delilah/ She sucked upon my peach - Il revient à sa chère décadence avec «Dawn Storm» et chante son times they are strange/ And I won’t rearrange à la dégoulinade. Back to the glam avec «Jupiter Liar». Bolan est un petit Merlin, il enchante son monde. Son would you lie to me se pose comme une pétale de fleur sur les lèvres de l’ange Gabriel. Nouveau shoot de décadence avec «All Alone». Il sait bêler à bon escient - Zeus never loose with his Grecian kiss/ His Grecian kiss - «New York City» sonne comme un petit boogie glammy bien documenté du cagibi : Bolan demande si on a vu une femme arriver de New York City avec une grenouille dans la main. En B, il veut qu’on l’emmène sur «Sensation Boulevard». Il veut absolument y aller, ahh tak me down to Sensation Boulevard. Joli solo de guitare et fantastique maestria. Il peut même se montrer assez coquin car dans «Ride My Wheels», il veut lubrifier sa poule toute la nuit - But lady I want to oil your engines all night - Futuristic Dragon est certainement son album le plus décadent. 

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             L’album du chant du cygne s’appelle Dandy In the Underworld et paraît l’année de tous les dangers, en 1977. Décadence et glam à tous les étages en montant chez Marc, à commencer par l’heavy glam du morceau titre d’ouverture de balda. Il chante ça au mieux des possibilités bolanesques. Quelle fantastique présence ! Glam toujours avec «Teen Riot Structure» en B, plus pop mais servi bien frais. Il est à la fin de son parcours mais au sommet de son petit art. Le Teen Riot lui va si bien. Il ne sait pas encore qu’il va mourir dans un accident de voiture. Il chante suprêmement «The Soul Of My Suit». Son vibré de glotte finit par faire merveille, I love you yeah yeah, un parfum de glam flatte les mannes de la vieille Angleterre. Il ramène sa cocote glam dans «Crimson Moon» - I wanna feel your heat/ Under the crimson moon - Joli coup de boogie glam, son de rêve, présence extrême - Hey little girl you move so fine/ I want to make you mine/ Under the moon - Mais il tourne un peu en rond avec son boogie, comme le montrent «Groove A Litle» ou «I Love To Boogie». C’est très Bolan dans l’esprit, ça n’a aucun intérêt, mais c’est ultra-chanté.

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             La même année, il se proclame «Godfather Of Punk». D’ailleurs Captain Sensible porte un T-shirt T. Rex, alors Bolan emmène les Damned en tournée, des Damned qui lui demandent d’enregistrer an album of really raw stuff. Captain raconte que Bolan et les Damned voyageaient à bord du même bus. Bolan ne fumait plus, ne buvait plus et ne touchait plus à la dope. L’épisode punk est fondamental pour bien comprendre Bolan : il pige l’air du temps. Pour lui, le Punk c’est «the early Sixties American girl group The Angels, maverik film director Federico Fellini, pop falsetto Frankie Valli and Hollywood outsider Orson Welles.» Il sait qu’il faut rejeter «the conventional icons» pour aller dans les marges. Dans la presse, Bolan pontifie : «I consider myself to be the elder statesman of punk. The Godfather Of Punk, if you like.» Il flashe aussi sur Siouxie & The Banshees et caresse le projet de les produire. Trois raisons à ce flash : «Siouxie’s ‘Dreamy Lady’ make-up, the band’s Bolan-like sense of drama and the inclusion of ‘20th Century Boy’ in their set.» Il a aussi une émission de télé, Marc, et pour présenter Generation X, il déclare face à la caméra : «They have a new singer called Billy Idol , who’s supposed to be as (takes a pink tose to his nose and sniffs it) pretty as me.»

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             Mais pas que le punk. Il tapait déjà dans la Soul avant Bowie et Lennon. Il produit l’album de Pat Hall, avec des reprises de «Keep On Truckin’» (Eddie Kendricks) et «Clean Up Woman» (Betty Wright) qui font partie de ses cuts favoris. Il adore aussi le «Money Honey» de Clyde McPhatters et l’«Ain’t That A Shame» de Fatsy. Il compose «High» et «Cry Baby» avec Gloria Jones, des cuts qu’on retrouve sur l’album solo de Gloria paru en 1976. Bolan s’entend bien avec le frère de Gloria, Richard Jones, qui est une sorte de Barry White. Il admire aussi Kenny Gamble, Leon Huff et Thom Bell, les architectes de la Philly Soul d’Harold Melvin & The Blue Notes et des O’Jays. La Soul règne sans partage dans la limo qui emmène Pat, Gloria et Marc à travers les rues américaines. C’est la facette qu’on connaît moins chez Bolan : le précurseur.

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             En 1974, Bolan s’est séparé de June et il tombe amoureux de Gloria Jones. Il l’a déjà rencontrée en 1969, lors de la première tournée américaine de Tyrannosaurus Rex. Bolan fut invité  à la party de Miss Mercy, l’une des GTO’s, et Gloria était là. Puis en 1972, Gloria faisait les chœurs sur scène à San Francisco pour T. Rex. Elle était aussi devenue «an in-house Tamla Motown songwriter». À ses débuts, dans les early sixties, il y avait déjà trop de stars chez Motown. Berry Gordy venait de signer Brenda Holloway. Les Supremes et Martha Reeves commençaient à décoller, il n’y avait donc pas de place pour Gloria, alors Hal Davis qui l’avait repérée l’a présentée à Ed Cobb, oui, l’Ed Cobb des Standells. Cobb a une petite compo pour Gloria : «Tainted Love». Puis on va entendre Gloria la backing-singer sur pas mal de gros coups, comme le Christmas Album de Totor, et sur le «Salt Of The Earth» des Stones - That was Merry Clayton, Brenda and Patrice Holloway and myself - Elle a aussi fait des baking-vocals pour Delaney & Bonnie, les Supremes et Ike & Tina Turner, avant de rejoindre Bolan. Gloria Jones est déjà une artiste complète lorsqu’elle entre dans la vie de Bolan.

             Oh et puis le glam ! Les gens qui sont arrivés à la suite de Bolan ont pompé ce qu’ils pouvaient pomper, nous dit Dave Thompson dans sa bible Gam Rock : «Gary Glitter took the primeval stomp, Slade took the terrace simplicity, The Sweet took the pre-pubescent awareness and David Bowie took the sex.» «And some of Marc’s audience», ajoute Paytress, goguenard. En 1973, le Melody Maker titrait : «Glam Rock is dead says Marc», mais c’était faux, car Roxy Music, Lou Reed, les Carpenters et Suzi Quatro déboulaient. Puis une nouvelle vague va heurter les rivages d’Angleterre en 1974 avec Showaddywaddy, les Rubettes, Alvin Stardust et les Bay City Rollers. On verra encore bien d’autres vagues par la suite, avec les Sirens, les 1990s à Glasgow, et, cette année, Gyasi en Amérique.

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             Paytress passe aussi pas mal de temps sur la relation Bowie/Bolan, qui fait par ailleurs l’objet d’un ouvrage complet sur lequel nous reviendrons (Mark Burrows : The London Boys: David Bowie, Marc Bolan and the 60s Teenage Dream). Visconti qui connaît les deux loustics depuis le début parle d’une rivalité et d’une admiration réciproque. Bowie et Bolan se croisent souvent sur Denmark Street alors qu’ils grenouillent à la recherche d’un contrat. Ils jamment pas mal ensemble, et leur principale préoccupation était «to get high and listen to Beach Boys and Phil Spector albums.» Ils préféraient Smiley Smile et Wild Honey à Pet Sounds. Ils jouaient «Vegetables» ensemble et se délectaient d’«Heroes & Villains». Ils sont ensemble en studio pour «The Prettiest Star», mais Bolan est jaloux du succès de Bowie avec «Space Oddity». Visconti précise un truc fondamental : Bowie admirait Marc. Il adorait sa compagnie - Bowie l’admirait ouvertement, il le respectait et le qualifiait de cosmic punk. Il a tout fait pour devenir l’ami de Marc qui, réciproquement l’admirait en secret - Bolan assiste au concert de The Hype, le pre-Glam infamy monté par Bowie avec Visconti à la basse : du glam avant le glam.

             Puis Bowie va prendre la place de Bolan à la une des canards. Il s’attire aussi les louanges des critiques et reçoit un accueil favorable aux États-Unis lors de sa première tournée, ce qui ne fut pas le cas pour Bolan - Lillan Boxon : a star is born - Mick Gray ajoute : «Marc was pissed off when David started to take off both at home and in the elusive USA. They had a love/hate relantionship, they were similar people, both control freaks out of control.» Puis en 1974, Bowie récupère Visconti pour Diamond Dogs - futuristic space-age soul epic - qui va cartonner, alors que le Zinc Alloy de Bolan patauge dans la marmelade. C’est l’époque où Bolan grossit. Paytress se marre : «Marc got fat. David got thin. Marc got soul. David got America.» Gloria Jones ajoute que Marc adorait la Soul, mais David est allé beaucoup plus loin, ce fut la clé de son succès aux États-Unis. La conversion de Bowie au R&B était totale. Bowie avait l’avantage sur Marc de savoir changer rapidement. Mickey Finn : «Marc had this hit formula but he never moved on.» Le parallèle est extrêmement intéressant : on en voit un qui avance et l’autre qui stagne. Bolan qui n’est pas dupe s’amuse de ce parallèle avec son vieux rival : «Bowie called his child Zowie so I thought I‘d call mine Rolan Bolan.» L’ironie de l’histoire, c’est que Bolan va entrer dans la légende en disparaissant brutalement, alors que Bowie va se griller auprès de ses fans de la première heure avec son délire de Thin White Duke. Les choses sont toujours beaucoup plus complexes qu’elles ne paraissent.

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    Marc and June

             Paytress finit par amorcer le chapitre du déclin de Bolan le magnifique. En 1972, Bolan se noie déjà dans un océan de coke et de champagne. Fortifié par the ego-swilling stimulants, il n’écoute plus les conseils de ses amis. Petit à petit, il va virer tous les gens qui l’ont aidé : B.P. Fallon, John Peel, Tony Secunda, Mickey Finn, June Bolan, Bill Legend & Steve Currie, la liste est longue. Il va même réussir à s’aliéner son public en Angleterre. En tournée américaine, il joue des solos trop longs, les gens s’ennuient. Même Visconti se lasse de ses excès d’égotisme et de substances. Bolan devient tout ce qu’il détestait chez Took. Le succès a transformé le «softly spoken child starlet with ascetic tendancies en V.I.P. ayant signé un pacte faustien le menaçant de perdre toute dignité.» Puis Marc qui sait tout engage le bras de fer avec Visconti. Ça chauffe dans la cabine. Bolan met l’autorité technique de Visconti à rude épreuve. Visconti finit par jeter l’éponge en 1973. June Bolan est persuadée que l’Amérique a détruit Bolan. Bolan va commencer à enfler, comme Elvis - Bolan was slipping into a Presley-like netherwold - La presse le traite de «Porky Pixie», et de «Glittering Chipolata Sausage». Bolan est devenu une sorte de Gary Glitter croisé avec Leslie West, and he didn’t give a damn. Rien à foutre. Alors que Bowie maigrit grâce à la coke, Bolan enfle comme une patate - Marc simply expanded.

             Il enregistre sur son magnéto, complètement défoncé, et le lendemain matin, il a toutes les peines du monde à se rappeler ce qu’il a foutu la veille. Il séjourne énormément sur la Côte d’Azur, mais Paytress rigole, car il ajoute que Marc ne voyait pas beaucoup la plage. Pas son truc, after all. Bolan boit comme un trou. Ted Dicks le voit descendre 16 bouteilles de rosé dans la journée. Le lendemain, il n’avait aucun souvenir de ce qu’il avait fait en studio. Ah comme les gens sont moqueurs. Puis EMI rechigne à sortir un nouvel album de T. Rex. Ça tombe bien, car Bolan rechigne, lui aussi. Sans doute usé par la routine du star-system, il était peut-être parvenu à se convaincre, de la même façon que Syd Barrett, qu’un exil volontaire pouvait favoriser l’éclosion de sa légende.

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             Et puis en septembre 1977, Gloria et Marc sortent au petit jour d’une fête bien arrosée. Gloria prend le volant de la purple Mini 1275 GT pour ramener Marc au bercail. Personne dans les rues, à cette heure, alors on peut foncer. Vroom vroom ! Rhhhaaa Vroom vroom ! Boom ! La gueule dans un platane. Aux obsèques, tu as Bowie, Rod The Mod, Steve Harley, Linda Lewis, les Damned, Alvin Stardust, et Visconti. Bolan mal an, ça s’est bien terminé : il est entré brutalement dans la légende. C’est tout ce qu’on attend du rock.  

    Signé : Cazengler, Bo-l’âne

    Tyrannosaurus Rex. My People Were Fair And Had Sky In Their Hair... But Now They’re Content To Wear Stars On Their Brows. Regal Zonophone 1968

    Tyrannosaurus Rex. Prophets, Seers & Sages: The Angels Of The Ages. Regal Zonophone 1968

    Tyrannosaurus Rex. Unicorn. Regal Zonophone 1969Rex. T. Rex. Fly Records 1970

    T-Rex. Electric Warrior. Fly records 1971

    T-Rex. The Slider. EMI 1972

    T-Rex. Tanx. EMI 1973

    T-Rex. Zinc Alloy & The Hidden Riders Of Tomorrow. EMI 1974

    T-Rex. Bolan’s Zip Gun. EMI 1975

    T-Rex. Futuristic Dragon. EMI 1976

    T-Rex. Dandy In the Underworld. EMI 1977

    Elemental Child. The Words And Music Of Marc Bolan. Easy Action 2023

    Mark Paytress. Bolan: The Rise And Fall Of A 20th Century Superstar. Omnibus Press 2006

    T-Rex : Born To Boogie. DVD 2005

     

     

    L’avenir du rock

    - Hey Nude

             L’avenir du rock ne porte pas les jeux de société en très haute estime. Il en est un qui trouve cependant grâce à ses yeux : le poker déshabillant. Il fut un temps où il adorait le pratiquer dans un petit cercle d’amis on va dire évolués, surtout les amies, car ce genre de divertissement demande des dispositions particulières. On ne s’effeuille pas devant n’importe qui, ni n’importe comment. À l’usage, l’avenir du rock découvrit que le fin du fin n’était pas de voir les amies à poil, mais de se retrouver soi-même à poil. La pratique de ce jeu requiert donc des aptitudes stratégiques. Bien sûr, il n’était pas le seul à se découvrir une passion pour l’exhibitionnisme. Il la détecta chez les autres, notamment chez ces fameuses amies qui étaient tellement fières de montrer leur cul qu’elles redoublaient de malignité pour perdre la main, osant même parfois tricher. «Oh zut, j’ai encore perdu... J’enlève le haut ?». Les règles de ce jeu infiniment social sont simples : chacun des participants, six idéalement, doit porter le même nombre de vêtements, abandonner tout a-priori, et bien sûr, savoir mesurer ses émotions. On peut s’arrêter au premier corps nu, ou continuer, les règles restent assez flexibles. Généralement l’ambiance est bonne, on ne plaint jamais le perdant ou la perdante, au contraire, on le ou on la félicite :

             — Ah quels jolis seins tu as, ma puce, on peut toucher ?

             — Bien sûr

             — Ah comme ils sont fermes, Pierre a bien de la chance !

             L’avenir du rock doit cependant rester prudent pour ne pas choquer la copine du moment. Elle participe bien sûr au jeu et rêve d’avoir des seins aussi fermes, mais comme le précise aimablement l’avenir du rock, «Elle n’a pas d’aussi jolis seins, mais elle a d’autres qualités.» Toutes ces raisons mêlées à de délicieux souvenirs font que l’avenir du rock adore The Nude Party. 

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             Il a raison l’avenir du rock. Comment ne pas en pincer pour The Nude Party, ce groupe basé en Caroline du Nord ? Six membres, un goût immodéré pour la débauche et déjà trois albums imbattables. C’est un peu comme si tout recommençait. Les Stones, le Velvet, les Kinks, tout ! Une façon comme une autre de dire que le rock est un éternel recommencement.

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             Une chronique extrêmement élogieuse dans Shindig! de leur troisième album nous mit récemment sur la piste de The Nude Party. Le mec disait en gros qu’on ne pouvait pas résister à la joie et à la bonne humeur qui règnent sur Rides On. On trouve rarement un tel enthousiasme dans une chronique. Alors on est allé voir et le mec a raison : les Nude Party réinventent la Stonesy, dès les deux premiers cuts, «Word Gets Around» et «Hard Times (All Around)». Oui, c’est de la Stonesy, hey hey, mais avec un entrain démesuré. Une Stonesy inespérée de power, une Stonesy encore meilleure que la Stonesy, plus royaliste que le roi. «Hard Times (All Around)» pourrait sortir de Let It Bleed, c’est claqué à la «Live With Me», ils descendent au barbu avec délectation.  Et puis il se met à pleuvoir des coups de génie : «Cherry Red Books» et «Somebody Tryin’ To Hoodoo Me». Avec le premier, ils tapent dans le big Californian Hook avec de l’écho, voilà un cut excellent, déviant et bien balancé, quasi Stonesy early 65, pur génie de genèse, la basse pouette et la gratte couine dans l’écho du temps, on croit entendre Brian Jones sur sa Gretsch vert pâle. Ils amènent le Hoodoo Me au heavy groove de Stylish Stills, ils sont dessus, sérieux et graves, ils sont infiniment crédibles, Patton Magee chante au tranchant, dans un hoodoo de rêve. Il attaque encore «Tell Em» au sévère et chante «Sold Out Of Love» comme un crack. Il sait chanter à l’accent cassé. Album fabuleux : tu as du son et de vrais riders on the storm. Les grattés de poux et l’énergie sont extraordinaires. Ils terminent Rides On avec «Red Rocket Ride», en se payant le luxe d’un balladif aussi immense que l’horizon. Ils y flirtent avec le Dylanex et ça groove à coups d’harp.

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             Leur premier album sans titre date de 2018. Esthétique sixties pour la pochette et nouveau shoot de Stonessy avec «Chevrolet Man». On entend la slide d’Exile et Patton Magee chante exactement comme le Jag. Il fait encore des siennes sur «Gringo Che». Cette fois, il opte pour l’exotica punk. Ce mec est vraiment bon - Viva el Gringo ! - Ça se termine en belle apocalypse et ça continue avec «Wild Coyote», dans un esprit western spaghetti. Patton Magee chante vraiment à la surface des choses. C’est un punk indubitable. On se régale aussi du «Water On Mars» d’ouverture, bien emmené au gratté de poux et aux nappes d’orgue. Vibe énorme ! Ils naviguent à très haut niveau. Avec «Feels Alright», ils vont plus sur le Lou Reed de Transformer, c’est heavy et beau, ils dégagent leur rock des convenances, ils tapent dans l’arrière-boutique de bon ton. «War Is Coming» sonne plus gaga sixties. Ils se permettent toutes les audaces. Ils drivent «Live Like Me» dans le heavy Nude. Il faut un talent fou pour réussir un coup pareil. Le coup de génie de l’album se trouve juste avant la fin : «Astral Man». Thème toxique, alors tu plonges. Ils réussissent chaque fois cet étonnant mélange d’élévation sonique et de chant punk. Ils développent d’extraordinaires rebondissements, ils te claquent le thème toxique à l’accord de réverb, alors t’es baisé.

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             Midnight Manor date de 2020. Attention, c’est une bête. Elle grouille de puces. Quatre coups de génie, pour commencer. «Lonely Heather» te met tout de suite au parfum : voilà un cut effroyable de wild rockalama. Ils te défoncent vite fait la rondelle des annales. On entend rarement des cuts aussi sauvages. «Pardon Me Satan» est encore plus terrific. C’est un balladif avec les castagnettes de Totor. Les Nude te swiguent le bas des reins. Fantastique allure, pleurésie de Stonesy, fabuleusement chantée à l’interne de punkster. Avec «Cure On You», ils te font une Stonesy de trash out so far out. Les Nude sont l’un des groupes les plus importants de cette époque. Chaque cut est noyé de son et chanté au sommet du lard. Sur «Easier Said Than Done», Patton Magee chante comme Peter Perrett. Il chante à l’under my skin. Ils adressent un gros clin d’œil aux Stones avec «Shine Your Light» et «What’s The Deal» sonne comme la Stonesy du paradis. Oh le Deal ! Ils font éclater les notes de clear guitar dans l’azur subterranean. Encore de la Stonesy à la Nude avec «Thirsty Drinking Blues». Nous voilà donc une fois de plus sur un album faramineux. Ils amènent «Times Moves On» à la désaille extrême, avec des castagnettes. Leur rock s’accroche comme la moule à son rocher. Et puis avec «Judith» ils reshootent tout le Nude power dans la Stonesy. Ces mecs savent dégringoler de très haut. Le son des Nude ? Un fracas permanent de good times Nudies.

    Signé : Cazengler, Nude Pâteux

    Nude Party. The Nude Party.  New West Records 2018

    Nude Party. Midnight Manor. New West Records 2020

    Nude Party. Rides On. New West Records 2023

     

     

    Inside the goldmine

     - Whiteout of my mind

             Dans cet hôtel pouilleux des bas-fonds, Wetoo occupait la chambre voisine. On se croisait parfois, tard le soir, et on échangeait quelques mots. Il disait venir du Zaïre. Il parlait dans un français très sommaire. La pauvre Wetoo ne payait pas de mine : ce black malingre ne devait pas manger souvent. Il avait des allures de chat pelé, il ne se coiffait jamais. Ses mèches de cheveux qui tire-bouchonnaient à la verticale semblaient électrisées. La peau de son visage étroit était comme grêlée de petites cicatrices et piquée de poils de barbe épars. Wetoo portait toujours la même veste à carreaux et le même pantalon feu de plancher, sans doute récupérés à l’Armée du Salut. Par contre, il portait des boots blanches à hauts talons de bois clair, ces talons qu’on appelle à Londres the Cuban heels.

             — Wetoo, je flashe sur tes boots. Tu les vendrais pas ? Combien t’en veux ?

             — Non. Pas possible.

             Plus tard, en pleine nuit, Wetoo était tellement affamé qu’il frappa à la porte :

             — Moi très faim. Toi donne à manger.

             — Non. Pas possible.

             Il retourna se coucher. À travers le mur trop fin, je l’entendis pleurer. Il était à bout. On se revit le lendemain, il avait les yeux gonflés et semblait avoir d’immenses difficultés à respirer. Pour cesser ce jeu stupide, je lui pris la main pour y fourrer un billet :

             — Paye-toi un casse-dalle !

             Il revint frapper à la porte de la chambre dix minutes plus tard. Il brandissait un énorme jambon-beurre.

             — Viens. Nous parler.

             Il me fit entrer dans sa chambre qui était l’exacte illustration du dénuement : à part le lit, la chaise et le lavabo, il n’y avait rien. Wetoo prit la chaise et me fit asseoir sur le lit. Et en grignotant à toutes petites bouchées son énorme casse-dalle, il commença le récit de sa vie de petit Zaïrois né dans un camp de mineurs réduits en esclavage par Mobutu. Ils sont des milliers à exploiter les mines de diamants pour le compte du tyran et peu ont réussi à s’évader. Wetoo fait partie de ces miraculés. Il a fait tout le chemin depuis l’Afrique jusqu’ici par les moyens habituels : sous des camions, dans des barcasses de fortune, il n’a pas de papiers. Puis, avec un drôle de sourire, il fit glisser la fermeture éclair de sa boot droite, la retourna et fit pivoter le talon : il transportait des diamants qu’il avait réussi à voler avant de s’enfuir. Il n’était bien sûr pas question de les vendre. Trophée ! 

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             De la même manière que Wetoo, Whiteout bat tous les records de la poisse. Paul Ritchie leur accorde six pages dans Shindig! et conclut son chapô ainsi : «Why Weren’t Whiteout huge?». Ils auraient pu et n’ont pas pu. Vu la qualité des chansons, c’est incompréhensible. Ces Écossais de Glasgow ne sont devenus énormes qu’au Japon. Pour le reste du monde, et notamment l’Angleterre : tintin. On les qualifiait pourtant de next big thing in the Face magazine. Ritchie les qualifie d’«as diminutive as the Small Faces, with the good times vibes of Rod Stewart and the Faces.»

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             Le chanteur s’appelle Andrew Caldwell et le guitariste Eric Lindsay. Whiteout démarre à peu près à la même époque que les Stone Roses et c’est en voyant les Stone Roses sur scène qu’Eric Lindsey pige tout : «I got a real sense of ‘anyone can do it’.» Il bosse pour 65 £ par semaine chez un comptable, et jouer le samedi soir sur scène rapporte 500 £, alors le choix est vite fait. Andrew Caldwell compose avec le bassman, Paul Carroll. Les Whiteout débarquent à Londres et découvrent avec ravissement la scène de Camden - This was pre-Britpop and Camden was fucking great - Puis on leur propose une première tournée avec Oasis. Le manager Andrew McDermid (McD) rappelle qu’Oasis et Whiteout étaient deux groupes très différents, Oasis, «quite conservative», alors que Whiteout développait des influences «soul, country and folk». Ils vont vivre leur pic de carrière au Japon, puis sortir Bite It.

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             On considère généralement Bite It comme un classique. L’album porte bien son nom : t’es mordu à la gorge dès «Thirty Eight». Eh oui, ils te tapent ça à la heavy psychedelia. C’est littéralement noyé de son. Psyché boom de Glasgow ! Ils rivalisent de power surge avec les Creation. Ça splouche par tous les pores. Ils ont le power des Fannies et des Beatles. Le «No Time» qui suit est tout aussi gorgé d’esprit et de son. Imparable. Ils incarnaient alors l’avenir du rock, avec un glamour de clameur excédentaire, ils proposaient sans doute l’une des meilleurs heavy pop d’Angleterre. Ils peuvent se montrer plus pubères («Jackie’s Racing»), mais ils restent bénis des dieux. C’est tout de même incroyable que ce groupe n’ait pas explosé à la face du monde ! Nouvelle merveille extraordinaire : «Shine On You», ça tombe du ciel une fois de plus, et là tu n’as plus que tes yeux pour pleurer, car oui, quelle pluie de lumière, c’est hallucinant de qualité, bardé de retours de manivelle, ils jouent aux guitares de cristal et ça explose sur le tard, mais de façon si maîtrisée ! Sur l’heavy pop de «U Drag Me», Andrew Caldwell sonne comme John Lennon. On sent clairement l’influence. Ils auraient sans doute pu devenir aussi énormes que les Beatles. S’ensuit un «Baby Don’t Give Up On Me Yet» encore plus bealtlemaniaque, même aplomb, même power, Eric Lindsay joue comme le roi George, il se fond dans le chant. Ils montrent aussi un goût prononcé pour les balladifs intensifs, comme le montre «You Left Me Seeing Stars», ils sont parfaitement capables de panavision en technicolor. «Everyday» révèle encore un répondant extraordinaire. Ils valent cent fois les autres prétendants au trône. Ils disposent de la meilleure des aubaines : le gros son fouillé aux grattes vengeresses, ils sont les rois de l’efficacité confondante. Franchement, Whiteout aurait dû régner sans partage.

             Ils commencent à enregistrer les démos du deuxième album quand Andrew Caldwell lâche sa bombe : il quitte le groupe. Ils auditionnent des chanteurs pour le remplacer, mais ne trouvent personne. Alors Eric Lindsay prend le chant. Pour aggraver encore les choses, leur label Silvertone les vire. En désespoir de cause, McD va sortir Big Wow sur son label YoYo ! Well done, McD !  

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             Paru en 1998, Big Wow s’ouvre sur un sacré coup de génie : «Kickout», le bien nommé. Voilà un cut bardé de poux, «Kickout» tombe du ciel ! Wow, comme ces mecs sont doués ! Ils te balayent tout le Brit rock d’un revers de main, ils t’explosent le subterranean à coups de sunshine et arrosent tout de coulées de lave, c’est d’un absolutisme total. Ils ont le power chevillé au corps. On ne peut pas faire autrement que de les comparer à Nazz. Ces surdoués montrent la voie. On peut qualifier leur son d’agent fabuleusement actif. Ils touillent le lard fumant avec une rare dextérité. Cet album est gorgé de son et de vie, à tous les niveaux de l’échelle boréale. Ils tapent un merveilleux shoot de power-pop avec «I Don’t Wanna Hear About It» et leur «Out On The Town» est bien déculotté, c’est même une vraie dégelée de printemps, ils tapent ça aux gros accords de surge, ces surdoués sont beaucoup trop doués, ils jouent une pop épaisse et revendicatrice. Encore de l’extrême ampleur avec «Take It With Ease», ils sont les harmonies vocales et l’élan vital, plus des riffs acides, ça sonne presque comme un hit. Fantastique énergie des oh-oh ! Tout est tellement enrichi sur cet album, tellement serti de pierreries, tout est si joyeusement envoyé, ces mecs ont toute la vie devant eux. Et ça se termine avec le big heavy sound de «Back Where I Used To Be». Là tu te prosternes, mon frère, c’est d’une classe infernale, ils sont même insolents, c’est bercé de notes languides, chanté au léché, on assiste au fantastique développement du Whiteout System. Un enchantement !

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             Il existe aussi une compile de Whiteout. Elle s’appelle Young Tribe Rule et date de 1995. Ils perpétuent leur tradition de heavy pop bien sous-tendue. Avec «Get Me Through (Outta Here)», ils sonnent même comme un groupe de rock psychédélique californien, c’est heavy et assez pulpeux. On s’en pourlèche les babines. Le «Cousin Jane» qui referme le balda n’est pas celui de Larry Page composé pour les Troggs. Celui de Whitout est un cut psyché axé sur «Norvegian Wood» et grouillant de tortillettes, extrêmement puissant et raffiné. Le coup de Jarnac de l’album, c’est leur cover du «Rocks Off» des Stones. Alors bravo à tous les repreneurs de Stonesy car chacun sait qu’on ne battra jamais les Stones à la course. Whiteout leur rend un bel hommage. Quel panache de bravado !

    Signé : Cazengler, white outre

    Whiteout. Bite It. Silvertone Records 1995 

    Whiteout. Young Tribe Rule. Silvertone Records 1995

    Whiteout. Big Wow. YOYO 1998

    Paul Ritchie : Whaterver happened to the likely lads. Shindig! # 135 - January 2023

     

     

    Jobi Giöbia

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             Ce soir-là, les Italiens de Giöbia devaient relever un sacré défi : monter sur scène après Fomies.

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    Les Italiens n’ont que deux atouts : leur réputation de groupe psyché avec une palanquée d’albums sur Heavy Psych Sounds, l’un des labels de pointe du genre, et un look de rock stars. Ils sont quatre, trois mecs et une petite gonzesse. Elle claviote, et les trois autres se répartissent les rôles habituels, poux, beurre et bassmatic. On apprendra plus tard que le bassman s’appelle Paolo et le blond qui gratte ses poux Stefano. C’est lui qui nous intéresse, car il a un charisme épouvantable. Cheveux longs, chemise à fleurs, taille basse noir et ceinturon clouté. Il est just perfect. Tu peux lui confier les clés.

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    Tu vois ces mecs sur scène et ça te remonte bien le moral, car ils y croient encore dur comme fer, le rock et sa légende ne disparaîtront pas tant que des petits mecs comme eux monteront sur scène pour vendre les albums qu’ils enregistrent. Ils jouent leur psyché pour de vrai, ils n’inventent pas la poudre, Sun Dial, Moon Duo/ Wooden Shjips, Vibravoid, The Heads, Loop, Doctors Of Space, Tame Impala et des tas d’autres sont déjà passés par là avec le brio que l’on sait, alors Giöbia se contente d’incarner cette essence souveraine et de lui donner du volume, le temps d’un concert sans prétention. Tu es là et tu es content d’être là. Ils jouent bien sûr dans les fumées, ce qui fait qu’on ne distingue pas grand-chose. Ils plantent leur décor et font décoller leur hydravion, pas de la même façon que Fomies, ils le font de façon plus classique, et ça marche, même si parfois, ça semble laborieux. Encore une fois, le bon psyché n’est pas une musique qui s’écoute à jeun. Elle est conçue pour les voyages, et non pour la simple observation. C’est une musique qui s’adresse directement à ta cervelle, elle ne flatte pas les bas instincts.

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    Stefano gratte principalement une belle bête à cornes, mais il a aussi un bouzouki et un sitar, histoire de décorer son hydravion d’effluves orientales. Ce qu’ils tentent de faire est héroïque : emmener un maigre public en voyage cosmique, car c’est ainsi qu’ils se situent, cosmic psychedelia, mais ils n’ont pas les reins d’Hawkwind, leur Space Ritual est différent, moins brutal, moins païen. Ils tentent le so far out, cut après cut, et ça finit par marcher, au point qu’on s’attriste de voir arriver la fin du set. Stefano est une authentique rockstar, comme tant d’autres, condamné à l’underground.  

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             Encore une fois, c’est important de voir ces mecs jouer, car ils perpétuent à leur façon une tradition vieille de cinquante ans. Ils sont les héritiers directs du Floyd de Syd Barrett et des grandes heures de la psychedelia californienne qu’incarnèrent brièvement les Byrds au temps de Geno.

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    On ramasse vite fait l’Acid Disorder au merch histoire de voir s’ils décollent plus facilement en studio. Belle pochette et bel album, c’est un pur album de Mad Psychedelia. Belle ambiance, presque familière, avec un synthé cosmique. Stefano reprend la main sur le tard de «Queens Of Wands» avec des plans nerveux de speed freak. Il ramène son sitar dans «The Sweetest Nightmare», et passe à l’heavyness à coups de bête à cornes. Les Italiens visent clairement l’horizon embrumé de la Mad Psychedelia, ils savent enquiller un cut jusqu’à l’oss de l’ass, et Stefano chante depuis le fond du maelström. Il attaque son «Conciousness Equals Energy» au triple galop. Ça rue bien dans les brancards, ils adorent raser la smala d’Abdelkader, ils chargent à l’Italienne, au tagada milano, c’est d’une efficacité souveraine, ils bourrent le mou du so far out, et comme si tout cela ne suffisait pas, ils envoient leur Conciousness glisser sur la peau de banane du real deal, alors on adhère au parti. Encore une belle explosion nucléaire avec «Screaming Souls». Ça vaut largement Kadavar. C’est excellent, bien tapé dans le mille, secoué à la tempête sonique, et même explosif. C’est avec ce «Screaming Souls» qu’ils prennent leur vitesse de croisière. Autre cut de premier choix : «Blood Is Gone», un brouillard sonique que Stefano traverse à la note fluorescente. Il joue comme une superstar du rock psychédélique, il faut voir la crise qu’il pique ! Il tire sa note jusqu’à plus soif. On voit cette note fusée mauve traverser l’univers orange en fusion. Pas besoin de sortir ta pipe à herbe. Ils tapent ensuite leur «In Line» au big time de réverb, une réverb qui chante dans le cosmos, avec ses notes en suspension, et cette fière équipée milanaise s’achève avec le morceau titre, qui s’inscrit naturellement dans la belle tradition planante. C’est même un cut extraordinaire d’aisance planétaire. Ils se prélassent chez Nabuchodonosor, dans leurs robes de pourpre, c’est très acclimaté, très fluvial, bien orné de grelots, épaissi de soupirs orientalisants, belle séance d’élévation, ils savent courtiser une muse. L’Acid Disorder porte bien son nom.

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             Bizarrement, on s’ennuie un peu sur Plasmatic Idol. Ils proposent des cuts très sculpturaux, tellement sidéraux qu’ils se paument. Aucune trace de mad psychedelia dans les premiers cuts. Ils embarquent à bord du vaisseau spatial «Hardwar» et se barrent très loin. Mais tu ne frémis pas vraiment. Ils planent, c’est sûr, mais ça ne plane que pour eux, comme dirait l’autre. Le power arrive enfin avec «The Escape», ils entrent dans le forum d’Herculanum, ça wahte bien sous les semelles d’Hermes, ils battent la chamade vite fait, puis ils reprennent leur routine. C’est un son trop synthé. Ça demande à voyager dans l’outrospace, mais il ne se passe pas grand chose. Beaucoup de bruit pour rien. Stefano chante comme il peu dans l’écho du temps qui passe.

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             En 2021, Giöbia sort un split avec The Cosmic Dead : The Intergalactic Connection Exploring The Sideral Remote Hyperspace. Bon, c’est pas l’album du siècle. On ne se régale que du «Canyon Moon» d’ouverture de bal. Comme c’est une invitation à voyager dans l’espace, tu y vas, c’est certain. Grand retour du big power de Space Ritual avec une basse voyageuse qui traverse tout le fourbi avec une élégance extrême. Stephano joue à mille années-lumière du rock, il est complètement barré ailleurs. Ses camarades et lui détiennent tous les tenants et les aboutissants de la mad psychedelia et ça repart inlassablement en voyage. C’est le genre de cut qui ne devrait jamais s’arrêter.

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             Gardons le meilleur pour la fin : Magnifier. Là oui, tu y vas les yeux fermés. Le joyau intersidéral de l’album s’appelle «Devil’s Howl», ils l’attaquent à la défiance de l’effarance, au beat pantelant, ils repoussent les limites du genre et atteignent enfin l’outrospace, avec un son d’écho terrible et distendu, ils pénètrent la vulve du son et enfantent un Howl puissant et vivifiant, d’une rare violence. Magnifier est un pur album de Mad Psychedelia, avec une mise en bouche superbe : «This World Was Being Watched Closely», les poux de Stefan tournoient au plafond, on sent un gigantesque appel d’air, une profondeur inconnue, c’est tellement bien claqué du beignet qu’on sent venir l’explosion, mais ils se contiennent, ils n’extrapolent pas encore, ils cultivent un son plein comme un œuf et sur le tard, se livrent à une fabuleuse envolée. Stefano ramone bien «The Stain» à coups d’SG. Il allume son sentier de la guerre à la main lourde et lente. Il connaît tous les secrets de l’ampleur, il joue sur tous les niveaux et vise clairement l’échappée belle. «The Stain» est un cut puissant visité par des lames de fond, chanté au plafond de verre et qui monte bien en température. S’ensuit un cut italien heavy as hell, «Lantamenta La Luce Svanirà». Cette fois, ils sortent les gros arguments, ils s’inscrivent dans le haut du panier, ils tapent à la bonne porte, ils tablent sur les émeraudes de Salomon, ils fouillent à l’italienne et se coulent comme des fluides luminescents dans l’écho du temps. Quelle superbe allure ! Pas de doute, Magnifier est leur plus bel album. Avec «Sun Spectre», ils se livrent à un nouveau voyage de flash intersidéral merveilleusement orchestré et aligné sur les planètes. C’est à la fois somptueux et so far out, quasi hypno, bien enfoncé du clou, tapé au big heartbeat. Ah quel beurre et quelles semelles de plomb !   

    Signé : Cazengler, Jobi Giobard

    Giöbia. Le Trois Pièces. Rouen (76). 13 décembre 2023

    Giöbia. Magnifier. Sulatron Records 2015

    Giöbia. Plasmatic Idol. Heavy Psych Sounds 2020

    Giöbia & The Cosmic Dead. The Intergalactic Connection Exploring The Sideral Remote Hyperspace. Heavy Psych Sounds 2021

    Giöbia. Acid Disorder. Heavy Psych Sounds 2023

     

    *

    Jean-François Jacq n’est pas un inconnu chez Kr’tnt, nous avons déjà chroniqué son Bijou. Vie et mort d’un groupe français et son Ian Dury & Sex & Drugs & Rock’n’roll. Normal ce sont des livres qui causent de rock’n’roll. And we like it.

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    Oui mais il y a un autre Jean-François Jacq (c’est exactement le même) qui écrit d’autres livres d’un autre registre. Dans notre livraison 252 du 12 / 10 / 2015, nous lisions Hémorragie à l’errance (Genèse) et Heurt-Limite (récit incantatoire), nous recensions Fragments d’un amour suprême dans notre livraison 273 du 17 /03 / 2016.

    Trois récits biographiques bouleversants, d’une qualité d’écriture sans égale, Jean-François n’est pas né avec une sugar spoonful dans le gosier, la vie lui a plutôt coulé du vinaigre cyanurisé dans la gorge. Il s’en est bien sorti, c’est notre version optimiste pour nos lecteurs sensibles qui confondraient monde-bleu et monde-blues. Ce dernier vous colle à la peau chaque matin quand vous vous awokez…

    Vient de paraître ce que l’on pourrait appeler le quatrième tome des Mémoires d’Outre-Tombe de Jean-François Jacq, non pas parce qu’elles auraient été destinées, comme celles de Chateaubriand, à paraître après sa mort, mais parce que parfois il faut d’abord s’extirper de la tombe dans laquelle on vous a enfermé pour commencer à vivre… Serez-vous surpris du titre de ce nouveau livre :

    IL FERA BON MOURIR UN JOUR

    JEAN-FRANCOIS JACQ

    (Ardavena Editions / 2023

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             Au cas où vous n’auriez pas compris, la couverture vous offre la reproduction d’une Vanité de N. L. Peschier, peintre franco-néernlandais mort en 1661. Le sujet n’est pas gai, je vous l’accorde, mais pour assurer une parfaite coalescence entre la couve et la teneur du récit, l’éditeur a occulté les parties les plus frivoles du tableau, ne restent que le crâne, le livre et une carte. Le sort qui vous incombe, l’illusoire immortalité de la littérature et la mort.

             Si vous aimez les raids de la mort, il n’y a que deux manières de placer la caméra. Sur le devant de la moto. Elle enregistre le paysage, les péripéties, les dangers, le sel de la vie en accéléré. Jean-François Jacq n’est pas un frimeur. Il place la caméra au plus près de son visage, son écriture est un véritable face à face avec la mort. Une course éperdue, sans pitié, sans tricherie, juste la peur, les angoisses, la détermination. Pour le spectacle, les rodomontades, les effets de manche, c’est raté. Par contre pour la véracité évènementielle réduite à son essencialité survenante et l’authenticité réactionnelle vous êtes aux premières loges. Vous n’assistez pas au spectacle du monde, vous voyez sa cruauté.

             Les premières années sont fondatrices, les psychologues nous l’assurent. Chacun fait comme il peut avec le paquet-cadeau familial que lui a décerné le sort. Jean-François Jacq n’a pas été gâté. Je vous rassure. Aucune jérémiade. Ne cherche pas à apitoyer le lecteur sur son enfance malheureuse. Ni sur sa jeunesse calamiteuse. Gardez vos larmes, il s’occupe du crocodile. L’a vite compris la première leçon de la vie. Tout est en vous, votre faiblesse et votre force. Le bureau des larmes est fermé. Ou alors le guichetier vous veut du mal.

             Ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort. Il a survécu. Il a étonné les médecins. Il n’a jamais hésité à s’affronter au taureau des circonstances les mains nues. S’est retrouvé à plusieurs reprises sur le sable des banderilles psychiques. Saignant de toute son âme. N’évoquons point son corps roué de souffrances. L’a été trahi. L’a été aidé. Un peu. Pas trop. Surtout par lui-même. De toutes les façons quand le monde entier se retire de vous, seule la solitude de votre hargne à vouloir vivre vous tendra la main. Il n’en tire aucune gloriole, il ne s’en cache pas il aurait préféré un chemin plus facile. Que voulez-vous, faute de grive vous êtes obligé de manger la merde existentielle qui vous colle à la peau.

             Je n’écris pas cette chronique pour vous énumérer une par une toutes les épreuves qu’il a traversées. Il les raconte bien mieux que moi. Mais ne lisez pas ce livre pour savoir ce que je ne vous détaille pas. Pour sûr vous trouverez difficilement pire, mais ne vous faites aucune illusion. En cherchant bien vous dénicherez autour de vous ce que vous cherchez.  Les voyageurs du bout de la nuit sont plus nombreux que vous ne le supposiez. Jean-François Jacq braque un projecteur cru sur cette déshérence sociale, affective, physique et psychique.

             Les trois récits évoqués dans notre chapeau introductifs nous avaient prévenus. Ils sont comme des épisodes détachés de la tourmentique saga de la vie de Jean-François Jacq. Mais cette fois-ci il a décidé de remonter à l’origine. De redescendre le torrent écumeux depuis sa source. Afin d’établir une perspective au plus près. Non pas de la vérité, mais de l’écriture. Voici quelques semaines de cela je lisais sur son Face Book une courte notule de notre auteur, faisant part de sa difficulté à mettre la dernière main à son récit. Je n’y ai pas cru, nous fait le coup de la vanité d’auteur, ai-je pensé, genre je n’y arriverai jamais et puis il va nous servir un book aussi bien écrit que les trois précédents.

             Ne mentait pas le bougre. De fait, aucune allusion à son écriture. L’était en train de passer à la dimension supérieure : celle du style. Cet instant ou la manière de dire s’identifie de si près à ce qui est dit qu’il s’établit un équilibre mystérieux entre le fond et la forme, ce moment où les morceaux de bois que l’on a longtemps frottés l’un contre l’autre donnent naissance au feu. Temps de fulgurance alchimique et rimbaldiennne où le témoignage devient littérature. Des livres de prisonniers qui racontent leurs années d’enfermement ne manquent pas, mais lorsque Jean Genet écrit Miracle de la Rose, c’est une rose littéraire qui s’épanouit. Attention, je ne dis pas que Jean-François Jacq imite Jean Genet, pas du tout, au contraire il est parvenu à écrire comme seul Jean-François Jacq sait et peut  le faire,  à ce niveau d’incandescence où l’on reconnaît la patte particulière d’un grand écrivain, dès les premières lignes, qui vous emportent, dans la grande confluence des mots qui charrient d’autant plus la beauté de la langue qu’ils sont inséminés par le sens personnel que leur impose l’auteur, ils sont venus à lui, barques vides portées par le courant du langage, et il nous les renvoie  ployant sur le faix de toutes les expériences existentielles et ruminations méditatives par lesquelles  il a construit sa vision de la réalité du monde vécu.

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             Dans un ouvrage tout élément doit concourir à sa fin. Nous l’avons déjà dit : dans ce livre Jean-François Jacq remonte à l’origine de son existence. Biographiquement il raconte chronologiquement sa vie depuis ses premières années jusqu’à sa rencontre avec Frida. Ne rêvez pas, ce n’est pas sa petite amie. L’a déroulé un bon morceau du serpent de sa vie. Maintenant les serpents ont tous une mauvaise habitude. Oui ils piquent. Mais ce n’est pas le plus grave, avec tout ce qu’il a déjà supporté… Non, ces maudits reptiles ont la mauvaise habitude de se mordre la queue. L’a voulu raconter l’histoire depuis le début, et maintenant qu’il a terminé, l’histoire le rattrape et le ramène au début. Retour. L’on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. C’est donc le début sans être le début. Vous êtes au-delà du bien et du mal. C’est pire. C’est la même chose. Peut-être même la chose-même.

             Sans concession. Glaçant. Brûlant.

             Un grand livre. Magnifique.

    Damie Chad.

     

    *

    Pour une fois, c’est la longueur du titre qui a attiré mon attention, surtout ce premier mot si rilkéen, j’ai voulu en savoir plus, tiens comme par hasard des grecs, redoublement de moins en moins hasardeux : je m’aperçois sur leur Instagram qu’ils sont suivis par Thumos. Décidément tos les chemins mènent à Athènes…

    AN ELEGY OF SCARS AND PAST REFLECTIONS

    KIVA

    (Album numérique / Bandcamp / Janvier 2024)

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    La couve interroge. Qu’est-ce : un miroir noir ? Une stèle ? Une fosse ? Ce qui est sûr c’est la bordure de pierres rugueuses. Pourquoi pas la porte des Enfers, ou une représentation du néant. N’oublions pas qu’en grec le mot ‘’élégie’’ selon l’étymologie signifiait avant tout : chant de deuil. L’on assure que l’animal sacrifié était un bouc, mais dans les tout premiers temps c’était un homme qui était sacrifié. Plus tard on se contenta de le chasser du territoire de la cité. Dans les deux cas il était retranché de la communauté humaine.

    Kiva désigne une pièce ronde souterraine et fermée dans lesquelles les indiens Pueblos s’adonnaient à leurs rituels. On y accédait par une étroite ouverture supérieure fermée par une trappe… Dans leur courte présentation Kivas se présente comme s’immergeant dans des rituels musicaux étonnants, destinés à se transformer en paysages musicaux dans l’esprit de celui qui les écoute en silence. Autrement dit le groupe essaie de susciter des visions intérieures…

    Le géométrique logo du groupe avec son octogone, dans lequel s’inscrivent deux carrés, tranché du K initial, symbolise-t-il le fer du sacrifice qui entaille la victime…

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    Dimitris : vocals / Antonis : guitar / George : bass / Stefanos : drums.

    In silence : question silence c’est un peu raté, beaucoup plus une impression de vide rempli par les hurlements sludgisés de Dimitris, il rugit comme un pauvre diable qui n’a aucune envie de se laisser maltraiter, ce n’est pas que la musique soit lente, même qu’à un moment il ne chante plus, il récite les lyrics comme un poème, c’est qu’elle ne se presse pas, elle se déploie à sa propre vitesse, elle prend son temps, elle est dans une autre direction, elle plonge, est-ce dans l’eau mémorielle ou dans le léthé infernal, revit-on sa propre mort qui n’a pas encore eu lieu, est-ce bêtement une histoire d’amour qui se termine mal au fond du canal le plus proche, l’on dit que la noyade est la plus douce des morts, que l’on revoit toute sa vie comme un film, que l’on emporte ses regrets avec soi, une manière comme une autre de rester en présence avec l’idée de son bonheur, c’est sans doute pour cela que cette musique est si consolante. Woe, is me : basse sombre, tapotements vitaux et guitare presque joyeuse, malheur c’est toujours moi, que je sois encore vivant, que je sois enfin moi, impossible de m’extraire de moi-même, énormément d’emphase dans le chant de Dimitris, il doit embrasser les tourments de la vie et la quiétude de la mort, à moins que ce ne soit le contraire, car peut-être que les morts vivent-ils, ils dansent dans leur immobilité, ils espèrent le retour, à la maison, ils ne sont jamais seuls puisqu’ils ont emporté avec eux les affres de leurs souffrances et la présence de ce qu’ils ont été, la musique est un nœud de contradictions, elle tire à hue et à dia, elle s’agite, on espère, pourtant jamais elle desserrera le nœud coulant de la vie et de la morts étroitement imbriquées. Explosion orchestrale finale. Dans les deux cas, ça se passera mal. Delusion : vocals : Victor Kaas : ce coup-ci les instrus frappent fort à la porte de votre âme, voix grave de Kaas, celui qui parle n’est plus d’ici, il est de l’autre côté déjà mort, encore être vivant pensant dans sa mort, il est ailleurs et en même temps à l’intérieur de lui-même, son corps existe toujours mais son esprit n’est plus que cendres, grand désarroi, la musique se précipite, elle concasse le néant, et il hurle beaucoup plus fortement qu’il n’a jamais eu l’occasion de le faire du temps de son vivant, il parle à toi qui es au-dessus dans le règne de l’existence, tu l’entends si fort parce que c’est lui que tu recherches, pourquoi ne lui réponds-tu pas, se pourrait-il qu’il se parle uniquement à lui-même. From the ego of our ancestors : notes translucides et perforantes, et si elles imitaient les pas lourds de ceux qui reviennent, car les morts reviennent puisque depuis toujours ils hantent les esprits des vivants, amplifications sonores, traverser la boule de feu et de lumière, chuchotements indistincts, désormais tout est inversé, les morts revivent et les vivants aspirent à la mort, la musique ébranle la terre des certitudes intellectuelles, la bouche d’ombre s’est collée à ton oreille, tu ne sais si les pensées qui t’agitent sont les tiennes ou celles de l’infra-monde, une statue de pierre chemine lourdement, les pas d’Orphée remontant vers la lumière avaient-ils cette force, il est trop tard pour prier, mais l’on ne peut s’empêcher de prier, des coups ébranlent la porte qui sépare la vie de la mort, qui frappe, de quel côté se trouve le cogneur fou, veut-il entrer, veut-il sortir, n’appartiennent-ils pas tous deux à la même famille. Est-ce vraiment important de savoir qui a engendré l’autre. Pourquoi voudriez-vous une réponse.

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    Voracious soul : la noirceur du monde s’estompe, l’on est sorti de la caverne platonicienne, l’on marche vers le soleil, on ne l’atteindra pas, l’on ne s’y brûlerait pas puisque nos cœurs ne sont que cendres froides, ce n’est pas nous qui mourons c’est le monde que nous habitons, que nous croyons habiter, car nous ne sommes que présence de notre présence, ne sommes-nous pas depuis le début présents au monde des vivants et au monde des morts, et ce sont ces deux mondes qui meurent à chaque instant pour pouvoir vivre de leur propre mort et de leur propre vie. Arrêt brutal. Tout a été. Comprenne qui pourra. Orphée monte vers le soleil mais son âme s’enfuit dans les corridors obscurs.

             Tout ceci n’est qu’une interprétation. Ce qui est certain c’est que Kiva s’adonne à un rituel musical. Ecoutez bien, vous comprendrez, que l’on appelle quelque chose, une forme, que l’on lui demande de venir. Elle ne se matérialise pas mais vous sentez sa présence. C’est déjà trop.

             Ce disque peut mette mal à l’aise. Phoniquement parlant il n’est en rien novateur. Kiva use de moyens éprouvés. Musicalement vous êtes en terrain connu. Le malaise est d’autant plus fort qu’il n’est jamais fait appel à des conjurations sonores extraordinaires, seulement la vie et la mort. Rien de plus. Rien de moins. Vous connaissez. Toutefois attention, Kiva vous emmène sur un drôle de chemin. Il se peut que vous n’en reveniez point. Mais vous ne le regretterez pas.

    Damie Chad.

     

    *

    Parfois l’envie vous prend de tout plaquer et d’aller voir si l’herbe des sargasses est plus verte que par ici. Quand j’ai vu la silhouette du brick se profiler sur le fond de l’image, mon cœur a fait un bond, mais lorsque s’est inscrit au premier plan la figure de ce capitaine pirate abordant le rivage d’une île maudite ou au trésor, j’ai tout de suite embarqué sans même savoir ce que c’était. Faut dire que c’était alléchant : independant pirate metal band. En plus un groupe polonais.

    EXPLORER

    PIRATE HYMN

    ( Album Numérique : Bandcamp / Janvier 2024)

    Le groupe a déjà trois albums et un EP a son actif.  Des instrumentaux, ce dernier est le seul à comporter des parties vocales. Tassos Lazaris est crédité aux parties vocales et Damian Gzajkowski : aux solos de guitare. N’empêche que le projet est l’œuvre d’un solitaire, un certain Jean-Michel – prénom à consonnance peu polonaise – qui revendique la composition des morceaux.  Non pas un one-man-band, plutôt un one-man-dream. J’adore ces individus, un peu monomaniaques, qui s’obstinent dans leurs passions.

    Jean-Michel a fait partie sous le nom de Jan Pawel jusqu’en 2019 de Blazon Stone groupe allemand dans lequel il tenait les claviers. Blazon Stone n’a jamais caché son admiration pour le groupe allemand Runnin’ Wild dont le titre du premier album : Under Jolly Roger est assez évocateur et se passe de tout commentaire. Pour ceux qui adorent les généalogies, n’oublions pas que la pensée généalogique fut par excellence une des méthodes d’analyse du réel de Nietzsche, Runnin’ Wild a pris pour oriflamme nominatif le titre d’un morceau de Judas Priest.

    Petit hors-d’œuvre : mon film de pirate préféré : L’île sanglante de Michael Ritchie. Ce n’est pas un bon film, mais c’est le plus bel hommage qui ait été rendu à la piraterie. Le film se déroule à notre époque (années 70). Vous n’y verrez pas de vrais pirates d’antan, mais le rêve de la piraterie incarnée. Parfois le rêve s’empare de la réalité et triomphe d’elle. Un film moral (très cucul la praline) puisque la réalité reprend en la dernière minute ses droits. Mais si vous y réfléchissez, ce film démontre que le désordre de l’impossible est inscrit dans les cadres du possible. Aux rêveurs, aux railleurs comme disait Villiers de L’isle ( sanglante) Adam.

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    Captain’s diary : instrumental : belle intro, des chœurs masculins s’élèvent, vous êtes propulsé en quelques secondes sur un rivage inconnu, une guitare chantonne les notes de l’avenir, le danger vous guette, tout peut survenir, et brutalement une guitare endiablée déboule sur vous, bonjour le metal, le solo charge sur vous à la baïonnette, les chœurs essaient de le surpasser, il leur tient la dragée haute et passe à côté de vous par miracle, et c’est fini. Vous n’auriez jamais dû entamer la lecture de ce journal de bord, vos passerez toute la nuit à le lire et le relire. Explorer : certes la rythmique folle est des plus metalliques, mais l’intro vous a scié, on se croirait en Irlande, va falloir s’y faire, moitié folk celtique, moitié metal, et le mélange est super bien fait, entre la guitare de Damian, mérite son prénom démoniaque, qui mange ses cordes tels ces requins affamés qui s’ouvrent le ventre pour dévorer leurs propres entrailles, la voix de Tassos qu’il est obligé de hausser jusqu’au nid de pie pour suivre le rythme, et les chœurs de l’équipage qui scandent et augmentent  la vitesse, vous ne savez plus où donner de la  tête, c’est le portrait de l’aventurier à la lunette, le Capitaine sur la dunette, seul face à l’océan et à  l’inconnu, homme libre toujours tu chériras la mer.  Dance of death : un peu d’accordéon pour le chant de l’équipage, ce n’est pas un menuet de salon, plutôt un remué d’os sauvages, la guitare fonce au travers des embruns sur une mer en colère, elle file droit quinze nœuds, un vaisseau fantôme, tiens les chœurs reviennent et vous enveloppent de leurs clameurs, l’on se demande comment Tassos respire, le romantisme possède deux visages, avec le morceau précédent c’était la face claire du Héros, seul contre le monde, maintenant c’est la face sombre, les squelettes, la mort, la damnation, une ronde infernale,  à chacun son lot, égalité des chances devant la camarde, une cloche sonne, la vision horrible s’évanouit.

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    Hoist the sails : Hissez les voiles, l’injonction suprême, plus fort, plus vite, l’équipage prend la mer, le Capitaine Rolf – hommage au captain singer De Running Wild – la batterie bat le rappel, elle a la cadence de ces lames infatigables qui cognent contre la coque. La course est le seul remède contre les ennuis terrestres. Le morceau vous secoue comme un ouragan, vont-ils survivre à sa force, tout autre que Tassos en ressortirait la voix brisée, mais non ils passent le cap des tempêtes comme si c’était une partie de plaisir. Pour ceux qui veulent en voir plus, une Lyric Video pour préparer la sortie de l’album est visible sur YT, pas exceptionnelle, les couleurs sont trop pâles, extraits de film de pirate et drapeau noir. Suffisant toutefois pour regretter de ne pas être né à cette époque. Volta do mar : retour de mer, instrumental, la guitare éclate comme une corne de brume, le soleil éclaire les chœurs, l’on pressent l’alcool des tavernes enfumées et l’on sent le corps des filles qui se pressent contre vous, des pièces d’or roulent sur la table. Jour de fête. Drunken Whales : ce serait le moment de se poser, l’on a bien bu, la nuit est tombée depuis longtemps, c’est l’heure de se taire et d’écouter la parole du vieux marin qui raconte la merveilleuse légende de la baleine ivre, eh bien non c’est une bacchanale sans fin, à croire qu’ils ont décidé que chaque morceau serait plus rapide et plus fou que le précédent. Les pirates ne connaissent pas le blues tout est prétexte, les chiens de mer chassent en meute que ce soit l’or ou les filles. Réjouissances faustiennes. Storm wind riders : tiens le bruit de la mer, une guitare acoustique, les plaisirs de la plage sont vite terminés, le drapeau noir est hissé, metal et celtic musics se tirent la bourre, l’on chevauche la tempête, un solo de guitare qui imite le cri des pétrels dans les nuées, le vent les porte vers de futurs combats, tout s’apaise, va-t-on terminer comme au début, le charivari reprend de plus belle, monstrueuse apothéose. L’on entend plus que les vagues et les mouettes.

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    Fancy : l’on finit par une fantaisie, la Fancy était un navire de guerre de 46 canons dont s’empara Every Long Ben, un des plus célèbres pirates anglais qui sévit dans l’Océan Indien et les Caraïbes, il s’empara notamment d’un navire transportant la fille du Grand Moghol (souverain de l’Inde) et l’équivalent de quatre-vingt millions d’euros de pierreries et de pièces d’or. Il ne fut jamais pris par la couronne d’Angleterre, l’on ne sait trop ce qu’il devenu, est-il mort pauvre comme le prétendent certains où a-t-il survécu rangé des affaires quelque part en Amérique du Sud. L’on pense au pirate français Jean Lafitte, paisible retraité de la New Orleans, qui devenu vieux voyagea en Europe et discuta avec Karl Marx… L’existe aussi une Lyric Video supérieure à celle de Hoist the sails, composée elle aussi à partir d’extraits de film. Ce dernier morceau est l’hymne définitif de la piraterie, brutal comme une bordée de canon, enlevé comme un abordage, rutilant comme une balafre de sabre sur un visage de vieux loup de mer. Tout ce que vous n’avez pas eu le courage de vivre, Pirate Hymn le chante.

             Toux ceux qui aiment les pirates aimeront cet album. Les autres ne le méritent pas.

    Damie Chad.

                       Un Ennui désolé par les cruels espoirs

                       Croit encore à l’adieu suprême des mouchoirs !

                       Et, peut-être, les mâts, invitant les orages,

                                  Sont-ils de ceux qu'un vent penche sur les naufrages

                       Perdus, sans mâts, sans mâts, ni fertiles îlots

                       Mais, ô mon coeur, entends le chant des matelots !

                                                                                        Stéphane Mallarmé.

     

     ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll ! 

    18

    Le Chel était d’une humeur exécrable :

             _ Agent Chad, filez au premier bureau de tabac venu et ramenez-moi douze boîtes de Coronados, au plus vite.

    Quand je suis revenu à ma grande surprise le Chef était tout sourire, planté devant le mur d’où suintaient les gouttes de sang que Molossa et Molossito continuaient à lécher en remuant la queue de contentement. Le Chef se saisit sans se presser du paquet que je lui ramenai.

             _ Merci Agent Chad, vous me sauvez la vie !

    Mais à la lenteur avec laquelle il ouvrit précautionneusement une première boîte, et entreprit de dévisser avec un soin extrême le capuchon du tube du métal, le temps qu’il prit à soupeser avec une scrupuleuse attention le cigare essayant de le maintenir en équilibre sur son index, et cette insistance à chercher une boîte d’allumettes dans tous les endroits où il ne les rangeait jamais, j’en conclus qu’il n’était pas mourant.

             _ Agent Chad, vous souvenez-vous de ces affiches de la Résistance : Les murs ont des oreilles ?

             _ Bien sûr Chef !

             _ En effet Agent Chad, d’une esthétique expressive particulièrement réussi, mais évitons de nous lancer dans une discussion artistique, j’ai une nouvelle surprenante à vous apprendre : non seulement les murs ont des oreilles mais en plus ils parlent. Collez votre esgourde gauche sur ce mur et écoutez.

    Ce n’était pas une plaisanterie. A peine eus-je posé mon appendice ouïstique que j’entendis :

             _ Par pitié, sortez-moi de là, je suis blessé, je n’ai plus assez de force pour m’extraire moi-même de ce béton, faites vite, je vous en prie !

    Le Chef n’était pas de cet avis :

             _ Cet individu est totalement fou, il déchiquète ma provision de Coronados et il s’imagine que l’on va le tirer du pétrin dans lequel il s’est mis au plus vite. Je pense qu’il doit encore souffrir un peu. Au minimum le temps de terminer les quatorze autres Coronados de la boîte que je viens d’entamer. Comme le temps passe vite, je suis déjà en train d’allumer mon deuxième ! Peut-être ouvrirais-je ensuite une nouvelle boîte !

    19

    Ce ne fut pas facile d’extraire notre quidam de sa gangue de métal. Je dus aller voler un marteau-piqueur et un compresseur sur un chantier. Après plusieurs heures d’efforts entrecoupées de poses coronadiques, il s’affala enfin sur le plancher, il ne tenait plus debout ayant reçu une balle de Rafalos dans chacune de ces deux cuisses. Le Chef se chargea de mener l’interrogatoire :

             _ Quel est ton nom ?

             _ Je ne sais pas !

             _ Je te préviens que l’Agent Chad est insensible à l’humour !

    Le gars put aussitôt vérifier que le Chef ne mentait pas. D’une balle de Rafalos je m’amusai à lui arracher le pouce de son pied gauche. Le gars poussa un rugissement de douleur.

             _ Arrête de crier comme une fillette, je te préviens que l’Agent Chad possède encore neuf balles dans son chargeur. Une pour chacun de tes orteils.

    Sur l’instant, afin de corroborer les dires du Chef je lui décanillai les quatre orteils qui lui restaient sur son pied gauche.

             _ Arrête de jouer au courageux, avec nous ça ne marche pas, ton pied n’est pas beau, veux-tu vraiment avoir un deuxième pied-bot ? Si oui l’Agent Chad avec sa gentillesse coutumière se chargera de te satisfaire.

    Le gars devait être un pied tendre. N’arrêta plus de parler. Pour le faire taire je dus lui envoyer un bastos dans le crâne puis me débarrasser de son cadavre dans le vide-ordure.

    20

             Le Chef alluma un Coronado.

             _ Agent Chad, pendant que je savoure ce cigare pourriez-vous résumer tout ce que ce gaillard nous a appris.

             _ Il s’appelait Jean Thorieux. L’était au chômage lorsque les Assédics lui ont proposé de faire un stage pour se remettre au niveau. Le premier jour il n’a rien remarqué de particulier. Avec une dizaine d’autres gars on lui a demandé de monter un mur de parpaings. C’était dans leurs cordes, z’étaient tous des travailleurs du bâtiment, et c’était un stage bâtiment.

             _ Agent Chad, attendez une minute dix-sept secondes que j’allume un Coronado, la suite est palpitante !

             _ Oui Chef, le deuxième jour ce n’était plus le même instructeur. Un grand mec avec une drôle de voix. Leur a dit, que niveau construction ils assuraient, que ce qui leur faisait défaut ce n’était pas les qualités professionnelles mais la force mentale. Le gus leur a dit de se poster devant le mur, et de penser qu’ils étaient capables de traverser le mur qu’ils avaient construit. Z’ont cru à une blague. Mais non ils ont dû rester sept heures devant le mur les yeux fermés. Sans pause-déjeuner et interdiction d’aller aux toilettes. Pire que du travail d’usine sur la chaîne.

             _ Remarquez agent Chad que ce genre d’exercice n’est pas nouveau. L’est directement inspiré des stages d’entreprise des années quatre-vingt, pour souder les équipes et leur inculquer l’idée de se surpasser on leur proposait de sauter à l’élastique depuis le haut d’un pont ou de marcher pieds nus sur un tapis de braises brûlantes. Au moins pendant ce temps le personnel ne pensait pas à demander des augmentations de salaires. Mais continuez Agent Chad, je vous en prie.

             _ Au soir du troisième jour, l’on a dit à l’un d’entre eux, qu’il ne faisait pas assez d’effort, qu’il était radié du stage et que puisqu’il y mettait de la mauvaise volonté, on allait lui sucrer ses allocations chômage. Ensuite chaque soir, un d’entre eux a été systématiquement licencié. Jean Thorieux s’est accroché, l’avait une femme et des enfants. Il ne voulait pas perdre ses indemnités. Ala fin il est resté tout seul. Il pensait être renvoyé le soir même, mais à sa grande surprise il s’est retrouvé de l’autre côté du mur sans trop y penser.

             _ Vous voyez Agent Chad, quand on veut un peu. Tenez, prenons un exemple au hasard : je veux allumer un Coronado, regardez j’allume un Coronado !

    21

    J’ai arrêté la bagnole devant le HLM d’une cité d’Aulnay-sous-bois. Suis directement monté au quatrième étage à la porte 401. J’ai sonné. J’ai entendu des pas à l’intérieur se dirigeant vers la porte d’entrée. Qui s’est ouverte. Une jeune femme avenante posa sur moi ses beaux yeux bleus.

             _ Monsieur, que puis-je pour vous ?

             _ Excusez-moi madame de vous déranger si tard, vous et vos enfants, il est huit heures et demie, je peux repasser dans une demi-heure, voire une heure si vous le désirez, il est important que les bambins puissent entendre une histoire avant de s’endormir.

             _ Je n’ai pas d’enfants Monsieur, que voulez-vous au juste, je ne vous connais pas.

             _ Je voulais parler à votre mari Jean Thorieux !

             _ Je ne suis pas mariée, Jean Thorieux est mon frère, je suis sa sœur Gisèle Thorieux, mais que lui voulez-vous au juste, j’espère qu’il ne lui est rien arrivé. Mais ne restez pas devant la porte, puisque vous connaissez Jean, entrez, vous prendrez bien un café ?

    Gisèle apporta deux tasses de café et prit place à mes côtés sur le canapé.  

             _ Non je n’attendais pas Jean ce soir, il n’habite pas avec moi, il loge au 402, sur l’appartement en face sur le palier. Je le vois peu, un gentil garçon, un instable, il ne dégage pas du tout l’air sérieux et posé qui émane de vous, à peine a-t-il trouvé un boulot qu’il se fait mettre à la porte pour en cherche un autre. Un insatisfait. Un exalté. Depuis trois semaines il s’est entiché de paranormal, il est sûr que nous possédons tous des pouvoirs, que nous les laissons dormir au fond de nous. Pas plus tard que la semaine dernière, il m’a bien fait rire, il m’affirmait   que si l’on voulait l’on serait capable de traverser les murs, qu’il était sûr que de par le monde il devait déjà exister une SBM, une Société des Briseurs de Murs. Il m’a bien fait rire, hi ! hi ! hi ! ne trouvez pas cela idiot vous aussi !

             _ Totalement Gisèle, je ne pense pas que l’Homme sera capable de passer les murs avant plusieurs siècles, avec l’aide de la Science bien sûr, aujourd’hui cela relève de la folie pure. Par contre je suis d’accord avec ses prolégomènes, il est sûr que nous possédons tous des pouvoirs d’une force considérable au fond de nous qui ne demandent qu’à être éveillés. Tenez prenons votre propre exemple Gisèle, quand je vous vois assise sur ce canapé tout près de moi, je dois avouer que quelque chose, une force inconnue m’attire contre vous, si je me retenais Gisèle, aussi vrai que je m’appelle Damie je vous assure que je me jetterais sur vous, et peut-être même dans quelques instants serais-je incapable de me contrôler, ah Gisèle !

             _ Damie je vous en prie, succombez à cet instinct qui vous jette vers moi, je consens à tout ce que voulez, et même à ce que je ne veux pas !

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 628: KR'TNT 628 : WILD JIMMY SPRUILL / BIG JOANIE / BRENDA & THE TABULATIONS / GHOST HIGWAY + ROCKABILLY GENERATION NEWS / HOLLY GOLLIGHTLY / MARLOW RIDER / SIAPIENTIA DIABOLI / BILL CRANE / ROCKAMBOLESQUES

     

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 628

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    18 / 01 / 2024

      

    WILD JIMMY SPRUILL / BIG JOANIE

    BRENDA & THE TABULATIONS

    GHOST HIGHWAY + ROCKABILLY GENERATION NEWS

    HOLLY GOLIGHTLY / MARLOW RIDER / SAPIENTIA DIABOLI  BILL CRANE / ROCKAMBOLESQUES

      

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 628

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    Wizards & True Stars

     - Spruill building

     

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             Tiens tiens, qu’est-ce que c’est que cette compile ? Ace nous sort un New York City Blues  ? Comme la curiosité est un vilain défaut, on y va en courant. Toujours le même moteur : la hantise de rater un gros truc. Et comme Ace est en quelque sorte le spécialiste des grands inconnus au bataillon, on ne cherche même pas à savoir le pourquoi du comment, on rapatrie New York City Blues aussi sec. On jugera sur pièce.

             Et le résultat ne se fait pas attendre. Tu te retrouves dans les godasses de Christophe Colomb. Tu découvres un continent.

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             Joli comp/coup d’Ace que ce New York City Blues. Comp/coup d’audace d’autant plus joli qu’il est drivé par John Broven, LE grand spécialiste de la Nouvelle Orleans et des movers-shakers. Ça grouille de puces dans la comp/coup de Jarnac. Tiens, tu vas te gratter avec Tarheel Slim & Little Ann, et leur «Security». Mari et femme. Vrai shake de jump ! Imparable ! Wild as wild ! Battu au sec des enfers. Même niveau que Shirley & Lee ou encore Mickey & Sylvia. On croise plus loin l’excellent Rosco Gordon avec «I Wanna Get High», ce vieux crabe de Memphis réinstallé à New York est toujours en plein dedans. Joli shoot de swing avec Stick McGhee & His Buddies et «Drinkin Wine Spo-Dee-O-Dee». Gros bastringue - Down in New Orleans/ Where Everything Is Fine - Granville ‘Stick’ McGhee est le frère de Brownie. Broven nous dit que Brownie takes second vocal and guitar duties. Ce qui est frappant, c’est qu’avec cette compile et ce son, on est aussitôt dans le vrai. Dans l’absolu d’Absalon. Encore du real deal de New York City Blues avec Larry Dale & The House Rockers et «New York City Blues». C’est l’essence même de ce qu’on appelle le primitif. Merci Ace pour cette bombe atomique. Heavy power encore avec Wilbert Harrison et «Goodbye Kansas City». New York here I come ! Il dit adieu à Kansas City. Broven donne l’une de ces infos qu’on qualifie ici de définitives : «This record was first issued en 1965 by Guy Stevens on his ahead-of-its-time ‘50 Minutes 24 Seconds Of Recorded Dynamite’ UK Sue LP.» Tiens encore une bombe avec Ruth Brown And Her Rhythmakers et «Mambo Baby». Elle y va la Ruth, elle te plie ça en quatre vite fait. En prime, tu as un solo de sax dément. Broven qui ne perd pas une occasion de briller en société rappelle qu’on surnommait Atlantic ‘The House That Ruth Built’, juste avant que Ray Charles et Aretha ne radinent leurs fraises respectives. Encore un génie inconnu : Wild Jimmy Spruill et «Kansas City March». Comme Mickey Baker, il est top session man in New York City. Guy Stevens a aussi collé l’«Hard Grind» de Wild Jimmy Spruill sur son 50 Minutes 24 Seconds Of Recorded Dynamite. C’est lui, Wild Jimmy Spruill, qu’on voit danser sur la pochette avec sa guitare dans le cou. Il balaye son cut aux quatre vents. Wild as Spruill ! Avec «Step It Up And Go», Blind Boy Fuller est trop primitif. Champion Jack Dupree fait du deep round midnite avec «Bad Blood», et Bob Gaddy fait du heavy blues avec «Stormy Monday Blues». On note au passage que le New York City blues est beaucoup plus âpre.

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    John Broven nous rappelle que le Rev. Gary Davis est un vieux de la vieille et qu’il a influencé des tas de gens, comme Brownie McGhee, Blind Boy Fuller, Tarheel Slim et Larry Johnson. Mais il a aussi formé Dave Van Ronk, John Sebastian et Bob Weir. On l’entend gratter un «Say No To The Devil» antique et réfractaire en diable. On se régale d’«Hard Times The Slop», le fantastique shuffle de Noble Watts & His Rhythm Sparks. Ces mecs jouent leur va-tout, un brin New Orleans, mais avec un son plus urbain. June Bateman est la femme de Noble ‘Thin Man’ Watts. Elle tape un «Believe Me Darling», heavy et juvénile à la fois, elle s’applique à la vie à la mort. C’est un cut signé Wild Jimmy Spruill, un Spruill qu’on retrouve sur cette compile à tous les coins de rue. Ce cut nous dit Broven apparaît aussi sur le fameux 50 Minutes 24 Seconds Of Recorded Dynamite. Et puis voilà John Hammond avec l’«I Wish You Would» de Billy Boy Arnold, accompagné nous dit Broven par Robbie Robertson, Bill Wyman et Charles Honeyboy Otis (le beurre-man de Professor Longhair). Hammond te tape ça au pire heavy blues de la conjecture. C’est l’époque Red Bird, le label de Leiber & Stoller. Quel flash. Tu vois trente-six chandelles !

             Petite cerise sur le gâtö, la compile s’accompagne de la parution d’un book de Larry Simon, préfacé par John Broven. Même titre : New York City Blues: Postwar Portraits From Harlem To The Village And Beyond. Bien sûr, tu lui sautes dessus. Tu attaques la diligence. Yahooh Rintintin ! Et tu vas droit sur l’héros du jour : Wild Jimmy Spruill !

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             Dans sa fastueuse préface, Broven se pose la question : pourquoi Spruill n’est-il pas plus connu ? Peut-être parce qu’avant d’être un guitar hero, il était un session man et à cette époque, on ne créditait pas les session men. Effectivement, le nom de Spruill n’apparaît pas sur les pochettes de Wilbert Harrison. Broven rappelle aussi qu’on qualifiait le style de Spruill de scratchin’ style. Broven veut savoir d’où ça vient, et Spruill lui explique qu’au cours d’une session, il ne savait pas quoi faire, alors il scratchait. Bobby Robinson qui enregistrait lui a dit qu’il ne voulait pas de ce scratchin’, alors Spruill l’a envoyé sur les roses - Je jouerai comme j’ai envie de jouer. Si t’es pas content, c’est pareil - Le scratchin’ style vient de là. Car oui, Spruill est une forte tête.

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    Il faut lire l’interview qu’il accorde à Larry Simon, en 1993. Simon lui demande pourquoi il est venu à New York et Spruill lui raconte qu’il est venu voir son frère, et comme il pouvait vivre en jouant de la guitare, alors il est resté - I think it was around 1955 or ‘56 around june 8 - Simon lui demande ce qu’on attendait de lui en studio, et Spruill dit qu’on n’exigeait rien de lui en particulier - Because they wanted me to play how I feel. Ils savaient comment je sonnais. C’était probablement King Curtis, il me faisait confiance, il me disait : «Jimmy do what you can do, show me what you got.» J’ai toujours joué comme je le sentais. Quand ça vient de moi, il sait que ça va être bien - Alors Simon lui demande s’ils ont enregistré ensemble, et Spruill ne sait plus trop bien, car il a enregistré avec tellement de gens - I think we did a thing called «Chicken Scratch» - Simon le branche ensuite sur Wilbert Harrison, alors Spruill y va - It was OK. Je l’aimais bien. Il buvait comme un trou, mais ça ne me posait pas de problème. Il me donnait tout ce que je demandais - Puis c’est au tour d’Elmore James - He was a great guitar player, but he liked his bottle - Simon lui demande si Elmore lui laissait les coudées franches et Spruill précise - No, he wanted his music right. If it was not right he would get on your butt right then. Sur l’un de ses albums, tu peux l’entendre parler à un autre mec. «Wait a minute, wait a minute, that ain’t right.» Je crois que j’ai fait deux albums avec lui, chez Bobby Robinson - Plus loin, Simon dit que peu de gens savent qu’Elmore pouvait jouer du jazz, alors Spruill se cabre - Tu rigoles ? Ce mec pouvait jouer en tournant autour de B.B. King, autour de n’importe qui, Albert Collins, tous ces mecs. Albert King n’était pas au niveau d’Elmore. Et je ne parle pas de la slide. Elmore c’était quelque chose ! Nice guy.

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             En plus d’être un fantastique guitar slinger, Wild Jimmy Spruill a des idées bien arrêtées. Il a joué avec Miles Davis, mais ne se souvient plus trop bien si Miles est venu au studio. Il rigole, «he was a crazy man et je ne veux rien dire sur lui. He was a nut but I know I’m a nut.» Puis il embraye aussi sec sur Chucky Chuckah - Et Chuck Berry, forget about this guy! J’ai joué trois soirs avec lui à New York. Le premier soir, il m’a dit : «Ce que je veux, Jimmy, c’est que tu restes derrière moi. Je ne veux pas te voir sauter partout.» Je lui ai répondu : «C’est mon groupe. Si tu ne veux pas jouer avec mon groupe, you can get your long ass back where you came from.» Après, on s’entendait bien. Mais il voulait quand même que je reste derrière lui. Alors je lui ai dit : «Personne ne me donne des ordres. Le seul boss que j’ai, c’est God, and you’re not God so get the hell out of my face.» I don’t take no boss stuff, parce que quand tu as un boss, tu perds ton esprit, quelqu’un d’autre te dit ce que tu dois faire. That’s why  I never have a boss. A boss is like a slave driver. Donc jamais de boss. Si t’as un boss, you’re in trouble - Les concerts dont Spruill parle datent de 1959. 

             Wild Jimmy Spruill est un mec vraiment entier. Simon le rebranche sur ce qui est bien et ce qui ne l’est pas. Spruill embraye aussi sec - Si c’est pas bon, je ne le fais pas. Je ne bosse pas pour le blé. Je bosse parce que ça me rend heureux. Si je fais un truc qui ne me rend pas heureux, alors je ne le fais pas. Si je ne suis pas heureux avec cette guitare, je la scie en deux - L’ironie de l’histoire, c’est que Spruill joue sur une guitare qu’il a sciée en deux, une Les Paul Studio model, comme on le voit sur la couve du book. Idée que reprendra plus tard Pete Shelley avec Buzzcocks.

             Simon lui demande à la suite s’il s’intéresse à autre chose que la musique. Spruill dit qu’il sait tout faire - I’m a brick mason, a plumber, an electrician, a carpet layer, an interior decorator. I draw. Je ne peux pas t’énumérer tout ce que je fais - Puis Simon revient sur la musique et s’interroge sur ce silence de 18 ans. Alors pourquoi cette longue interruption ? Spruill dit qu’il en avait marre de la routine - I can’t stand the the blues over and over and over. Tu sais, il y a une différence entre le blues and blues music. When you play the music, you hear the blues. Quand tu es dans un champ à cueillir le coton avec ta mère, à tirer le gros sac down the road avec un serpent qui file entre tes jambes, that’s the blues. Ce que les gens ne comprennent pas, c’est que le blues n’a pas d’accords. Vous le jouez tous avec des accords. Il n’y a pas d’accords dans le blues. Oh Lord help me make it through the day - Spruill chante a field-style work song - Le jour d’après, elle va chanter deux ou trois mesures en plus, la même chose, et encore dans les deux ou trois semaines suivantes. So that were the blues - Spruill insiste : «Blues is a prayer, and people don’t realize what blues is.»

             Plus loin, Paul Oscher rappelle que pour combattre la routine, Wild Jimmy Spruill changeait constamment ses patterns, c’est-à-dire les motifs dans les gammes de blues - He always changed up stuff, he was really dynamite. He changed the in-between patterns.

             Broven se positionne en tant qu’amateur de vieux coucous : «Pourquoi écouter des enregistrements si anciens ? Parce qu’ils sonnent souvent aussi bien, sinon mieux aujourd’hui. Pour moi, c’est la définition de la musique classique.» Puis il revient sur la scène new-yorkaise : «For blues guitar, pas la peine de chercher plus loin que Billy Butler et son jeu classique sur «Honky Tonk», les accompagnements de Jimmy Spruill et les superbes licks de Larry Dale sur le Blues From The Gutter de Champion Jack Dupree, ou encore Tarhell Slim sur «Number 9 Train», puis il y a le boulot majestueux de Mickey Guitar Baker, qui comme Butler et Spruill, a un style immédiatement identifiable. Saxophone ? Les first-call players sont King Curtis, Sam The Man Taylor, Big Al Sears et Nobel Watts. Blues Piano ? New York a des fameux pianistes comme Van Walls, Dave Baby Cortez, Bob Gaddy et Dupree.»

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             Comme tout ce qu’écrit John Broven, son introduction est extrêmement balèze. Il commence par flasher sur la scène new-yorkaise via Blind Boy Fuller, «qui a directement influencé Brownie McGhee et Tarheel Slim in a style known as Piemond Blues.» Broven qui est anglais s’est passionné pour la musique noire dans les années 50, grâce à Atlantic qui était distribué en Grande-Bretagne par London American Records, et boom !, les Coasters («Searching/Young Blood»), Chuck Willis («C.C. Rider» et «Betty & Dupree»), les Bobbettes («Mr. Lee»), puis les albums de Ray Charles (Yes Indeed!) et Champion Jack Dupree (Blues From The Gutter). C’est le début de la frénésie, Broven enquille Wilbert Harrison («Kansas City»), Dave Baby Cortez («The Happy Organ») et Buster Brown («Fannie Mae»). Broven lâche alors son boulot de banquier (Midland Bank) et devient consultant pour Ace Records de 1991 à 2006 - Je voyais le business de l’intérieur et je dois tout à Roger Armstrong, Ted Carroll et Trevor Churchill for the sharp-end education - Alors il s’installe en 1995 à Long Island pour explorer la scène new-yorkaise.

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    C’est là qu’il écrit l’une des bibles du XXe siècle, Record Makers & Brokers: Voices Of The Independant Rock’n’Roll Pioneers, pour laquelle il interviewe des tas de gens - Ce livre est le sommet de ma carrière en tant que chercheur, collectionneur, auteur, consultant et label manager - Ils découvre que pas mal de gonzesses sont actives dans le New York music biz : «Bess Berman (Apollo), Miriam Abramson (Atlantic), Bea Kaslin (Mascot and Hull), Zell Sanders (J&S) et Florence Greenberg (Scepter & Wand).» - Their accomplishments were extraordinary - Pour Broven, le gros label new-yorkais reste Atlantic, focalisé sur le r’n’b, avec Ruth Brown, les Clovers, Clyde McPhatter & the Drifters, car comme le lui dit Ahmet Ertegun, «there were no blue players in New York». Un seul mec parvient à enregistrer du blues new-yrokais : Bobby Robinson sur ses labels Fire & Fury Records. C’est lui qui sort le «Kansas City» de Wilbert Harrison. Voilà pourquoi, nous dit Broven, Bobby Robinson est très présent dans ce book. Il sort des down-home recordings d’Elmore James et de Lightnin’ Hopkins with New York session men.

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             Simon interviewe Bobby Robinson dans sa boutique de disques à Harlem en 1993. Boom, direct sur Elmore James. Il raconte qu’Elmore et lui sont sous une pluie battante et Elmore lui dit qu’it’s like the sky crying. Bobby lui demande de répéter. Elmore répète : «It looks like the sky is cruying. L’eau roule comme des larmes down the street.» Arrivé au studio, Bobby demande à Elmore de s’asseoir, il attrape un crayon et dit : «Strike me a lonely weird sound.» Elmore le fait et la basse arrive derrière - J’ai écrit les paroles sur le tas. Et en quelques minutes, on avait «The Sky Is Crying» - Voilà, Bobby Robinson, c’est ça, du down-home on the spot. Fascinant personnage !

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    Il fait aussi «Ya Ya « avec Lee Dorsey. Il l’a écrit dans un bar à la Nouvelle Orleans, en juin 1961 - J’ai demandé un bout de papier à la serveuse. Elle m’a passé un petit bloc avec des lignes rouges qu’elle avait près de sa caisse. J’ai écrit le truc sur le tas, down here, see how you feel that, see if she could feel this (il chante), Sitting here la la, waiting for my ya ya. La la that’s just like a song, and ya ya, that means a girl - Bobby veut Allen Toussaint pour enregistrer «Ya Ya», mais Allen vient de signer un contrat d’exclusivité, alors il lui propose Harold Battiste - You’ll be satisfied - Harold radine sa fraise. Lee lui chante le truc et Harold pond les arrangement sur le tas - It was simple - Puis Harold rassemble un orchestre et fixe un rancart at five o’clock. Voilà la genèse d’un hit intemporel. «Ya Ya». C’est grâce à Bobby Marchan que Bobby Robinson est entré en contact avec Lee Dorsey. Au téléphone, Bobby Robinson demande à Bobby Marchan s’il connaît un mec du nom de Lee Dorsey. Bobby Marchan rigole : «Yeah he lives right down the street here.» Alors Bobby Robinson lui demande de ne pas raccrocher et d’aller le chercher immédiatement - That was amazing - Ce sont les petits détails qui font la grande rivière du rock. Un peu plus tard, Bobby va trouver Lee Dorsey chez lui à la Nouvelle Orleans, in the Ninth Ward, le quartier black et pauvre où vivait aussi Fatsy. Ils s’assoient pour papoter et Lee lui dit : «I’m not a singer, I just like singing. I used to be a lightweight fighter.» Oui, Bobby était boxeur avant de chanter. Quant à Bobby Marchan, Bobby Robinson l’a trouvé via the Clowns et Huey Piano Smith. Après avoir quitté les Clowns, Bobby Marchan est allé à Salt Lake City faire la drag-queen dans les clubs.

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             Simon branche Robinson sur Willis Gator Jackson et un fantastique guitariste du nom de Bill Jennings. Robinson saute en l’air - Terrific. Terrific. It’s a shame. I did a couple of things on him - Puis Simon le branche sur Skeeter Best, un autre guitar player. Robinson lui dit qu’il a cassé sa pipe en bois, mais il a accompagné «quite a few of my artists». Et Billy Butler ? Il était avec King Curtis ? - Yeah. King Curtis. Terrific player. Bill was a great guy - Peu de gens savent que Bobby Robinson a composé «When A Man Loves A Woman’», le hit de Percy Sledge, sorti sur Atlantic. Il l’a enregistré une première fois avec Joe Haywood sur Enjoy, Percy Sledge l’a entendu et en a fait un hit en 1966. Robinson dit avoir gagné plus de $100.000 avec cet hit - That’s my biggest song moneywise. On reviendra sur Bobby Robinson.

             Ce book de Larry Simon grouille de puces. Après Bobby Robinson, Simon va trouver Hy Weiss chez lui, à Long Island, toujours en 1993. Weiss se souvient d’avoir bossé avec Brownie McGhee, Sonny Terry, Larry Dale et Jack Dupree, tous ceux qui étaient là avant la bataille. Comme Ahmet Ertegun, Hy Weiss allait dans les clubs de blackos à Harlem. Il dit avoir fait un album avec Brownie McGhee, qui est sorti su Ace Records (UK) - Ce sont les seuls auxquels j’accorde une licence. Tous les autres piratent mes disques.  

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             Ça tombe bien, Ace a pondu en 2003 une petite comp d’Hy : Hy Weiss Presents Old Town Records. Pour les ceusses qui ne seraient pas au courant, Old Town Records est un label de doo-wop. Un mighty label ! Pour l’amateur de doo-wop, cette compile est une aubaine en forme de bombe atomique. Tu vas d’extase en extase, ça grouille de puces, à commencer par The Earls qui sonnent comme les Rivingtons avec «Remember Then». Tu es aussitôt frappé par deux choses : la qualité du son ET la qualité des interprètes, tous bien sûr inconnus au bataillon. C’est le genre de compile qui te réconcilie avec la vie. Sur les 60 cuts de la comp, tu as au moins 20 hits de hutte. On retrouve bien sûr des gens que Simon a interviewé dans son book, comme Billy Bland qui fait du Bo avec «Chicken In The Basket», et l’excellent «Let The Little Girl Dance», pur jus de New York City Sound d’avant l’heure. Sur le disk 2, on croise un single demented de Larry Dale, «Big Muddy». C’est tellement bon que tu te demandes d’où ça sort, il tape un big boogie avec un son extraordinaire, il claque le beignet de ses poux, et sur «Let The Doorbell Ring», il passe un wild killer solo. Te voilà prévenu. Tu graves le nom de Larry Dale sur tes tablettes d’argile. Côté kitsch, on est servis comme des princes avec «Robert & Johnny («We Belong Together», qui coule dans la manche), The Valentines («Tonight Kathleen», qui dégouline dans la culotte), The Solitaires («The Wedding», yes I dooo, ils sont terrific de romantica) et The Supremes («Tonight», pas les Supremes de la Ross, évidemment). Il pleut des coups de génie comme vache qui pisse : The Haptones avec «Life Is But A Dream» (une pure merveille d’harmonies vocales), The Co-Eds + Gwen Edwards avec «Love You Baby All The Time», un wild jump battu à l’oss de l’ass et la Gwen devient folle, et puis l’effarante Ruth McFadder & The Haptones, avec «Dream Is No Good For You», le heavy blues le plus urba d’orbi. Bon, il y a plein d’autres choses, mais avec ce genre de comp, on n’en finirait plus. Hy Weiss a fait un boulot fantastique. Ça grouille encore de puces sur le disk 2 avec The Fiestas («Last Night I Dreamed», gluant et chanté à outrance, big time de doo-wop d’Hy en mode Rivingtons, du son, rien que du son !), on retrouve l’excellente Ruth McFadden avec «Teenage Blues» (elle te drive ça sec, dirty girl, heavy sur le beat, digne des géantes comme Etta James et Big Maybelle), Gene Humford & The Serenaders avec «Please Give Me One More Chance» (superbe de mâle assurance et d’élégance jazzy, capiteux mélange de groove et de dandysme), on croise aussi Brownie McGhee et Sonny Terry, les cracks du deep Southern Sound, et tu tombes en arrêt devant

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    Arthur Prysock et sa cover de «Good Rocking Tonight», swing et voix de rêve, cover de choc révélatoire, et puis tu aussi The Vocaleers avec «One For My Baby (And One For The Road)», ils font le doo-wop des Flamingos, le doo-wop genius à l’état le plus pur, tu croises plus loin The Bonnevilles avec «Lorraine», le pire doo-wop de l’univers connu des hommes, hurlé dans les harmonies vocales. Incroyable power underground ! Si Hy était là, on lui serrerait bien fort la pince pour le remercier. Tu croises aussi Rosco Gordon, et plus loin Buddy & Ella Johnson avec «Like You Do». Ella t’interloque littéralement. Surprise de taille avec Lester Young avec «Down To The River», un wild boogie blues digne d’Hooky, et c’est pas peu dire ! On termine avec deux smashing smashes : Eddie Alston avec «I Just Can’t Help It», monté sur l’heavy beat de «Memphis Tennessee», wild as fuck, puis The Gypsies avec un «Jerk It» qui vaut largement tout Motown. Te voilà pétrifié. D’autant plus pétrifié que les Gypsies allaient devenir les Flirtations et venir rocker la vieille Angleterre.

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             Puis Larry Simon rencontre Rosco Gordon en 2002, l’ancienne légende vivante de Memphis, l’un des premiers blackos qu’enregistre Uncle Sam dans son Memphis Recording Service studio, juste avant de lancer Sun Records - Rosco avait un off-beat rhythmic feel unique que Phillips baptisa «Rosco’s Rhythm» - Rosco est resté avec Uncle Sam de 1951 à 1957. Rosco raconte qu’Uncle Sam lui a proposé de chanter «Booted» - That was a strange tune - «Booted» devient un hit et Uncle Sam file 100 $ à Rosco - No royalties, no nothing, just $100 - Puis il explique qu’Ike Turner déboule en ville et demande à Rosco d’enregistrer «Booted» pour les Bihari Brothers. Rosco est jeune et ne connaît rien au business, alors il enregistre le «Booted» d’Uncle Sam pour les Bihari. C’est là qu’Uncle Sam s’est fâché avec Rosco.

             Simon rappelle que Rosco fut aussi important à Memphis que l’étaient Johnny Ace, Bobby Bland, Junior Parker et B.B. King. Comme sa carrière a capoté, il s’est réinstallé dans le Queens en 1962. Il y a monté un label et a continué de se produire sur scène. Puis il a gagné au poker une boutique de pressing - Yeah I was in the dry cleaning business for seventeen years. I made a good living. I was home with my family every night. That meant more to me than all the money in the world and the fame. My family - Le fleuron de l’interview, c’est Butch, le fameux chicken qu’on voit d’ailleurs dans Rock Baby Rock, un superbe rock’n’roll movie de 1957 - That’s the original Butch - Le poulet est resté un an et demi avec Rosco. Il pense que c’est le scotch qui l’a tué. Chaque soir sur scène, Rosco lui donnait un peu de scotch à boire et les gens disaient : «Here comes Roco and his drunk chicken.» Simon le branche aussi sur Beale Street et boom, Rosco part bille en tête sur les Beale Streeters - all of us, you know, all the Memphis musicians, B.B. King, Bobby Bland, Johnny Ace, Earl Forest and myself. We were supposed to be the Beale Streeters - Mais c’est un coup monté par Don Robey, Rosco avoue n’avoir bossé qu’avec Bobby Bland - Je n’avais pas de bagnole et Bobby Bland nous conduisait au concert. Bobby chantait au volant et assis à l’arrière je me disais que j’aurais dû être son chauffeur et non l’inverse.

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             Simon rencontre aussi Paul Oscher, un blanc qui a joué dans le groupe de Muddy Waters. Oscher a vécu chez Muddy pendant quatre ans. Quand il quitte Muddy en 1971, il revient s’installer à New York. Il évoque une blackette nommée Naomi Davis qui chantait dans les black clubs et qui est devenue la fameuse Naomi Shelton, and she just sings gospel music. Oscher évoque aussi Mickey Baker qui l’hébergea chez lui à Paris, quand il vivait du côté de Bastille. Oscher fait aussi l’éloge du Blues From The Gutter de Champion Jack Dupree - That whole crowd, Sticks McGhee, Jack Dupree, Bob Gaddy, Larry Dale, they hung out together - Oscher explique ensuite qu’il n’existe pas de Chicago blues, «it’s southern blues, just southerners that came from Mississippi, Alabama, Texas, Louisiana, Georgia, Florida - that moved to these places.»

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             C’est Jerry Wexler qui produit le Blues From The Gutter de Champion Jack Dupree, un Atlantic de 1958, mais Tom Dowd fait tout le boulot, car c’est lui l’ingé-son. Oscher a raison de le saluer, car c’est un album remarquable, avec Willie Jones au beurre sensible et le superbe piano blues de Jack Dupree. Il y va au so low down dans «T.B Blues», well I got the teebee, real deal de blues - Teebee down in my bones - Dupree a la voix encore verte, il n’est pas encore devenu le vieux boxeur aigri. Il propose un blues parfait, mais sans surprise. Difficile à accepter quand on est lancé dans la quête du Graal. Dupree fait son petit bonhomme de chemin Atlantic avec «Can’t Kick The Habit» et tu as un gros solo de gras double d’un cat nommé Ennis Lowery. «Evil Woman» est un judicieux mélange de heavy blues et de piano blues, Dupree ne se casse pas trop la nénette, il fait toujours le même cut. Puis ça chauffe avec «Nasty Boogie», wow !, ça swingue au jive de jazz. L’album se réveille enfin. Excellent ! Il attaque sa B avec une drug-song, «Junker’s Blues» - Some people call me a junker/ Cause I’m loaded all the time - Il parle ouvertement de la needle et de la coke - Said goodbye to whiskey - Il tape à la suite «Blad Blood» au round midnite, il est précis sur le jive de bad blood mama - Let the doctor see what you got - et arrive sur ses talons un gros solo agacé d’Ennis le killer. Dans «Goin’ Down Slow», il dit qu’il va se calmer - Yeah I had my fun - et il termine avec deux grooves de la Nouvelle Orleans, «Frankie & Johnny» et «Stack-O-Lee». Il y va au diamond ring, oh Johnny et finit en mode ti nah/ ti nah/ nah nah. Il te groove ça droit entre les deux yeux. Fantastique aisance !

             Et puis voilà bien sûr John Hammond. Il est fier d’avoir eu Wild Jimmy Spruill sur son bel album Big City Blues. Hammond dit aussi avoir enregistré un single («I Can Tell/I Wish You Would») pour Red Bird, le label de Leiber & Stoller. On reste donc en famille.

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    Larry Simon ressort aussi un article daté de 1975, publié dans le Melody Maker et consacré à Victoria Spivey, a classic woman blues singer des années 20 et 30, et boss d’un label de Brooklyn dans les années 60 et 70, Spivey Records. «Il est possible qu’elle soit à l’origine de la découverte de Bob Dylan, qu’on entend derrière Big Joe Williams sur le Spivey album Three Kings And The Queen, les deux autres kings étant Roosevelt Sykes et Lonnie Johnson.» Quand elle montait sur scène au Gerde’s Folk City (at 11 West Fourth Street), «elle mettait un point d’honneur à inviter le jeune Bob sur scène pour chanter avec elle.» Pour la remercier, Dylan va mettre une photo d’elle au dos de la pochette de New Morning, en 1970. Sans légender l’image, bien sûr. Tout le monde se demandait qui était cette blackette et voulait savoir son nom. Devenue une vieille dame, Mama Spivey dit qu’elle ne travaille «plus que quatre jours par mois» - I’ll drag my band around and headline them any time. I call it Spivey and Her Blues Power. I tore up those festivals in New York and Philadelphia - I really rocked ‘em! - À la fin de l’interview, Victoria Spivey lance : «Hey! Let’s all get drunk and be somebody!».

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             Autre personnage de légende : The Reverend Gary Davis, originaire de South Carolina et qui s’installe à Harlem dans les années 40. Il devient teacher et forme des tas de gens, Dave Van Ronk, Jorma Kaukonen, John Sebastian. Le Rev est un virtuose qui ne joue que du pouce et de l’index en picking - intricate picking - Simon dit qu’il a influencé tous les vieux de la vieille, «Blind Boy Fuller, Bull City Red, Brownie McGhee, Alec Seward, Tarheel Slim et Larry Johnson», et dans la génération suivante, «Bob Dylan, les Stones, Peter Paul & Mary, Keb’ Mo’, le Grateful Dead, Ry Cooder, Taj Mahal and more.»

             Tiens, justement, le voici, Tarheel Slim, un surdoué qui peut jouer ce qu’il entend - If I can hear it, I can play it - Que ce soit à l’église ou dans un club, I rock that - As long as I’m accepted, I’ll do my thing - En 1958, il enregistre «Number 9 Train» pour Fire Records, le label de Bobby Robinson, cut génial qu’on retrouve sur Scratchin’ - The Wild Jimmy Spruill Story, et sur la compile Ace New York City Blues. Il fait aussi un hit avec Little Ann, «It’s Too Late», enregistré lui aussi sur Fire et qu’on retrouve sur Scratchin’

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    (Tommy Dowds)

             Il semblait logique que tout ça se termine avec Doc Pomus. Comme Dickinson à Memphis, Doc est la mémoire vivante de New York City. Il a commencé par rencontrer Herb Abramson et Tommy Dowd - Herb Abramson était l’A&R de National Records et Tommy Dowd était l’ingé-son. En tant que producteur et ingé-son, ils étaient les rois du blues et du rhythm’n’blues. Ils ont amené leurs expertises chez Atlantic et je suis sûr qu’Ahmet Ertegun et Jerry Wexler ont tout appris d’Herb Abramson et Tommy Dowd - Doc évoque aussi Alan Freed qui ne passait dans son radio show que les disques qu’il appréciait. Pour Doc, Alan Freed a vraiment aidé des gens, et il s’y connaissait en musique. Doc dit aussi avoir découvert Elvis en 1956 avec «Mystery Train», on the Dorsey Brothers TV show - It sounded like some guy come out of the swamps - Il rend bien sûr hommage à Leiber & Stoller - First of all, they were real geniuses - Il évoque un autre genius : King Curtis - La plupart des gens ne le savent pas, King Curtis a été mon joueur de sax pendant longtemps. Curtis et Mickey Baker faisaient partie de mon groupe et c’est par moi que King Curtis a eu sa première session chez Atlantic. J’ai aussi recommandé Mickey Baker chez Atlantic - Pour Doc, Mickey était un innovateur, il avait toujours des idées.

             Pour entrer dans le monde magique de Wild Jimmy Spruill, il existe trois possibilités : The Hard Grin Bluesman 1956-1964, Scratch & Twist Rare & Unissued NY R&B 1956-62 et Scratchin’ - The Wild Jimmy Spruill Story. Si tu commences par le troisième, tu vas tomber de ta chaise à répétition. Au moins, comme ça, ce sera fait.

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             Scratchin’ - The Wild Jimmy Spruill Story est un double CD bourré de dynamite. Spruill Building claque des wild killer solos à tous les coins de rue et ça commence dès le «Kansas City» de Wilbert Harrison. Dans son hit le plus fameux, «Hard Grind», Spruill Building fait même exploser son killer solo flash. Il accompagne pas mal de gens intéressants, comme par exemple Tarhell Slim, sur «Wildcat Tamer». Spruill Building arrose par derrière. C’est un son magique, ça grouille de vie ! Terrific ! On l’entend aussi accompagner Larry Dale sur «Big Muddy», un heavy blues superbe de just the way you doo. Et tout explose plus loin avec «Kansas City March», Spruill Building t’explose tout au heavy power. Il est encore pire que Freddie King ! Ça monte encore d’un cran avec Elmore James et «Strange Angels», le heavy blues de why do yoooo treat me so mean. La fête au village ! Nouvelle révélation avec June Bateman, et «Possum Belly Overalls», accompagnée par son mari Noble Thin Man Watts & His Band. Raw et féminin, elle te chauffe le Possum à blanc. Révélation encore avec Chuck Bradford et «You’re Going To Miss Me (When I’m Gone)», effarant d’attaque au raw, pur genius primitif ! Plus loin, le «Sweet Little Girl» de Lynn Taylor & The Peachettes te saute à la gueule, tu as là un heavy groove extrêmement sauvage. Avec Spruill Building, les cadors du disk 1 sont bel et bien Tarheel Smith et Little Ann : «No 9 Train» fout un souk terrible dans la médina - Number 9/ Number 9/ Took my baby down the line - S’ensuit un Heartbreaking Blues de rêve, le «Hardworking Man» de B. Brown & His Rockin’ McVouts, ça chante dans la tenure de la saumure et Spruill Building gratte ses poux dans l’écho new-yorkais. On croise aussi Bobby Marchan, Solomon Burke et Maxine Brown. Ce démon de Spruill Building referme la marche avec «Scratchin’». Wild as fuck ! Spruill Building est aussi primordial que Link Wray, il faut le voir lancer sa wild attack, il te cisaille son killer solo dans le sens du vent.

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             Tu retrouves toutes ces superstars sur le disk 2, à commencer par Tarheel Slim & Little Ann avec «Don’t Ever Leave Me», un fantastique shout de heavy blues tapé au duo d’enfer. June Bateman revient aussi avec «Go Away Mr Blues», elle chante au perçant définitif. On reste dans le heavy blues révélatoire avec Little Danny et «Mind On Loving You», avec ce fou de Spruill Building derrière. Ah il est bon le Danny. Révélation encore avec Buster Brown et «Is You Is Or Is You Ain’t My Baby», il y va le Buster, avec une fantastique sonorité de l’entrain. Sur «I’m Worried», Elmore James refait son Dust My Blues, mais avec le barrelhouse et le Spruill Building en plus. C’est tout de même autre chose que le British Blues. Plus loin, tu vas tomber que les Shirelles et «Dedicated To The One I Love», que va reprendre Mama Cass. Nouveau choc émotionnel avec Rose Marie With Bill Ivey & The Sabers et «Most Of All» : big time de full magic avec le Spruill Building en solo trash. Tu crois rêver ! Et si tu veux avoir une petite idée du power du vrai New York City Sound, alors écoute Walkin’ Willie & His Orchestra et «If You Just Woulda Say Goodbye», un wild r’n’b avec des chœurs de blackettes délurées. Groove de flash tribal. Walkin’ Willie forever ! Ce démon de Spruill Building fait encore des ravages dans l’«After Hour Blues» d’Hal Page & The Whalers et le voilà en solo pour «Country Boy», il chante et tape ça au black yodell. Pas de surprise avec Little Anthony & The Imperials, toujours aussi sirupeux, et ça se termine en apocalypse avec The Dan-Dees et «Memphis», ces mecs jouent à la vie à la mort, c’est d’une rare violence, monté sur un heavy beat infernal, et c’est à Wilbert Harrison que revient l’honneur de boucler ce bouclard avec «Goodbye Kansas City» que va bien sûr exploser notre héros Wild Jimmy Spruill. Ce démon te pulvérise le moindre solo en mille morceaux.    

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             Il existe dans le commerce une autre compile sympa de Wild Jimmy Spruill : Scratch & Twist Rare & Unissued NY R&B 1956-62. Pour ce démon, «Memphis» c’est du gâtö. Il travaille sur la crête du sonic trash, il est à l’aboi des abus, c’est le pire franc-tireur des Amériques, le Capitaine Conan du proto-punk. Il reste le roi de la jungle avec ses deux indétrônables, «Kansas City March» et «Hard Grind», grattés à la clairette malfaisante. Dans le «Sweet Little Girl» de Lynn Taylor & The Peachettes, il passe un solo d’une rare acuité, et un autre solo beaucoup plus dégoulinant dans «Most Of All», que chantent Rose Marie & Bill Ivey. Et ça continue avec «The Rooster», il vitupère, et rôde comme un loup dans «Driving Home». C’est un bonheur que de l’écouter jouer. Il sait varier les genres. Il file ventre à terre dans le morceau titre de la compile et on assiste à un gros numéro de Black Power de street corner avec le «Please Don’t Hurt Me» de Jim & Bob Harrison. Tous les solos que passe Spruill building sont tellement inventifs qu’ils sonnent chaque fois comme des pieds de nez aux pitoyables frimeurs blancs. Il passe à l’Hawaï guitar sur «Lonely island». Il peut tout jouer, jusqu’à la nausée joyeuse. Et cette belle compile palpitante s’achève avec «Party Hardy» où il duette ses poux avec Larry Dale. Fantastique numéro de génie de New York City jive. Il faut avoir écouté «Party Hardy» au moins une fois dans sa vie. 

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             On retrouve les vieux coups d’éclat proto-punk du grand Wild Jimmy Spruill sur The Hard Grin Bluesman 1956-1964, notamment le «Kansas City March» et l’«Hard Grind». Faramineuse attaque, chaque fois on est surpris par la verdeur de son jeu, par son vibré délétère. On retrouve aussi tout le background de l’early Little Richard, une pétaudière à la Cosimo Matassa. Wild Jimmy Spruill est encore plus viscéral que Freddie King. Il claque ses notes acides à la revoyure. Il faut entendre le killer solo qu’il passe dans le «Drafted» de Wilbert Harrison, et en B, dans «Your Evil Thoughts» de Lee Roy Little. Chaque solo de Wild Jimmy Spruill est une jubilation extravertie, un jaillissement d’excelsior. Sur cet album, on retrouve bien sûr tous les acteurs de la légende de Wild Jimmy Spruill, Bobby Long, June Bateman, et en fin de B on retombe sur l’effarant «Country Boy». Il peut rocker le jump et rire comme le diable.

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             On ne perd pas son temps à écouter la petite compile que Jasmine consacre à l’excellent Noble Thin Man Watts, Honkin’ Shakin’ & Slidin’ - Noble Thin Man Watts Featuring June Bateman. Si on apprécie le heavy jump new-yorkais de l’aube des temps, on se régale. Bon, 31 cuts, c’est beaucoup, mais les cuts sont courts et pour la plupart instros, mais pas n’importe quels instros, ce sont des instros puissants et rebondis. De ci de là, Noble Thin Man Watts donne des petites leçons de swing, et on entend souvent son sax on the run. Tout est hallucinant de big time, mais encore une fois, il faut aimer ce son. Avec le wild groove de «South Shore Drive», Noble Thin Man Watts et son orchestre swinguent le jazz. Ah voilà enfin June Bateman, avec «Need Your Love». Elle chante ça à la petite arrache, et elle enchaîne avec un fantastique jumpy jumpah, «Yes I Will». C’est bardé d’énergie et de son. Encore plus extraordinaire, voilà «Easy Going Pt2», suivi d’un autre instro aux frontières du jazz, «Midnite Flight». Noble Thin Man Watts passe par toutes les embouchures, c’est très spectaculaire. Il tape une fabuleuse cover d’«I’m Walkin The Floor Over You». Ces mecs s’amusent bien, ils visitent tous les atours du pourtour. L’instro est leur royaume. Soit ils cavalent à travers la plaine et l’incendient au sax, soit ils t’emmènent à la fête foraine. Retour au gros beat des reins avec «Good Times», avec un solo de sax digne de ceux de Lee Allen. Plus loin «Flap Jack» radine sa fraise de heavy grrove, et comme il n’est pas question ni de baisser la garde, ni de souffler, ils bombardent «(The Original) Boogie Woogie» avec une profondeur de son extravagante. Ça préfigure Jr. Walker. Noble Thin Man Watts est un diable, une corne dans la brume. Tu deviens conscient de ce que signifie le New York City Sound. Ils embarquent le «Mashed Potatoes» au paradis, avec ce power unilatéral et cette assurance limpide teintée d’ironie. June Bateman revient casser la baraque avec «Come On Little Boy», un wild jump à la Little Richard. Elle te ramone ça vite fait. June Batemen est une Little Richard au féminin. Et dans «The Frog Hop», tu entends ce dingue de Wild Jimy Spruill. June Bateman duette avec Noble sur «What ‘Ya Gonna Do» et c’est su solide, pas la peine de te faire un dessin. Le solo de sax laisse rêveur, et ça s’emballe sur la tard. Cette aventure se termine avec un autre big timer, «Jookin’», fantastiquement amené sur un plateau d’argent. Big bassmatic et beurre bien black. Tu nages en plein rêve. Les poux, c’est forcément du Spruill building.  

    Signé : Cazengler, faible d’es Sprill

    New York City Blues. Ace Records 2022

    Wild Jimmy Spruill. The Hard Grin Bluesman 1956-1964. Krazy Kat 1984 

    Wild Jimmy Spruill. Scratch & Twist Rare & Unissued NY R&B 1956-62. Night Train 2005 

    Wild Jimmy Spruill. Scratchin’ - The Wild Jimmy Spruill Story. Great Voices Of The Century 2014

    Honkin’ Shakin’ & Slidin. Noble Thin Man Watts Featuring June Bateman. Jasmine Records 2019

    Hy Weiss Presents Old Town Records. Ace Records 2003

    Champion Jack Dupree. Blues From The Gutter. Atlantic 1958

    Larry Simon/ John Broven. New York City Blues: Postwar Portraits From Harlem To The Village And Beyond. University Press Of Mississippi 2021

     

     

    L’avenir du rock

    - Big Joanie tout en bloc 

             S’il est une dimension qu’affectionne particulièrement l’avenir du rock, c’est bien celle du Big. Plus c’est Big, et plus ça frétille dans sa culotte. L’avenir du rock est un jouisseur, sinon, il ne serait pas l’avenir du rock. Le rock est un art qui s’adresse aux régions du plaisir, dans l’éponge qui nous sert à tous de cervelle. Tu écoutes du rock pour éprouver du plaisir, sinon ça ne sert à rien. Le rock te flatte l’intellect et te met en rut. Pas besoin d’attendre le printemps. Et plus le rock est Big, plus ton intellect se dresse vers l’avenir. Tu veux des exemples ? Les deux qui viennent immédiatement à l’esprit sont Big Bill Broonzy et Big Joe Williams. Ah si l’avenir du rock avait huit bras comme Shiva, il remplirait le web d’éloges, mais ce n’est pas le cas, en attendant, il continue de se gargariser avec son big délire de Big, tiens il en chope deux au vol dans son manège enchanté, The Big Bopper et Big Star, oh pas des moindres, c’est même du super Big dans les deux cas, et pouf, comme il s’amuse bien, il épingle encore deux super-biggy Bigs, Big Joe Turner et Big Maybelle et là, il se marre, car il voit déjà l’embouteillage inside the goldmine, la foule des gros Bigs qui s’agglutinent au portillon, les intestins de la légende vont exploser, tant pis. L’avenir du rock continue de se gargariser, rrrrrrrrrr, rrrrrrrrrrr, il fait rouler sa glotte au Big délire. Ah il aurait dû commencer par Arthur Big Boy Crudup, ça c’est du Big, du bon gros Big, il en pouffe d’extase, puis il laisse venir à lui Big Mama Thornton, il se souvient aussi du grand Big Jim Sullivan, et de Big Brother & The Holding Company. Il ramène à la surface les fabuleux Big Three de Liverpool, mais aussi le Fifteen Big Ones des Beach Boys, et encore le Mr. Big Stuff de Jean Knight, Big et Big et Colégram, am stram gram !

             — Halte là !, dit le numérateur.

             — Quoi ?, répond l’avenir/dénominateur du rock.

             — Vous êtes à contre-emploi ! Vous êtes un âne. Tous les vieux crabes que vous énumérez bêtement appartiennent au passé du rock. Vous n’êtes qu’un imposteur. Quelle solution allez-vous trouver pour résoudre cette équation et laver votre honneur, avenir du rock ?

             — Oh c’est enfantin : Big Joanie.

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             Et pourtant, ça commence mal dans Uncut : «Feminist post punk trio». Si tu es normalement constitué, tu te tires en courant à la seule vue de cette formule. La journaliste Emily MacKay manie bien les formules ronflantes.

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    Elle s’en donne à cœur-joie : «girl-group flavoured, riot-grrrrl-laced indie punk». See Emily Play ! Elle ajoute que Thurston Moore a monté un label exprès pour Big Joanie. See Emily Play ajoute que Big Joanie navigue dans la mouvance Kill Rock Stars, Bikini Kill, Sleater-Kinney. Tous les archétypes accourent au rendez-vous. Comme la poule qui trouve un couteau, See Emily Play a aussi découvert des échos de Belly et des Throwing Muses dans leur son. N’importe quoi ! Elle argumente à coups de «swirling guitars and ghostly-sweet backing vocals». Elle a en plus découvert des «bouncy grunge attacks» de Nirvana, et comme grosse cerise sur le gâtö, elle fait référence aux Shangri-Las. Mais leur cœur de métier reste selon elle «that raw punk heart and touch of girl-group sugar». Celle-là, il faudra la faire piquer.

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             Bon, on va laisser See Emily Play refroidir un peu et aller voir ce que raconte sa consœur Lucy O’Brien dans Mojo. Pareil, une page, dans la rubrique ‘Rising’. Ça commence encore plus mal. La lead de Big Joanie Stephanie Phillips déclare : «I was getting interested in black feminism and intersectionality.» Quand tu lis une ânerie pareille, tu tournes aussitôt la page. Mais la curiosité l’emporte. Que va bien pouvoir nous raconter Lucy In The Sky With Diamonds ? Elle n’est pas avare elle non plus de formules ronflantes et gonflantes du genre «compelling feminist punk». On apprend que Stephanie Phillips fut une «self-confessed teenage music nerd» qui écoutait tout depuis Destiny’s Child jusqu’aux Yeah Yeah Yeah en passant par Franz Ferdinand. Puis elle monte Big Joanie à Londres avec la beurette Charline Taylor-Stone et la bassmatiqueuse Kiera Coward-Deyell, vite remplacée par la belle Estella Adeyeri.

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             La seule chose qui reste à faire est d’écouter les albums, en attendant Godot. Les deux albums se débrouillent très bien tout seuls. Ils n’ont besoin de personne en Harley Davidson, surtout pas des cloches de la presse. Le premier s’appelle Sistahs et date de 2018. Belle pochette et deux blackettes assises sur un banc : photo de famille, la mère et la tante, paraît-il. Attention : big sound ! Heavy ramshakle de London town. Ça devient vite abrupt avec «Fall Asleep». Stephanie Phillips chante en sous-main avec un aplomb qui te cloue le bec. «Fall Asleep» sonne comme un coup de génie. Dommage qu’il y ait un solo d’électro-shit. Elles raclent bien le plancher. Elles déballent plutôt crûment l’âpre vérité de l’underground. Elles restent dans l’éclat révélatoire avec «Used To Be Friends». C’est comme joué au cul du camion, elles ont un style délicieusement underground, pas sérieux, d’une fraîcheur incomparable. Et voilà la triplette de Belleville de la modernité : «Way Out», «Down Down» et «Tell A Lie». Elles tapent dans le tas. C’est du big Big Joanie. Elles profitent de «Down Down» pour foncer dans le tas. Quelle modernité ! Leur Down Down bascule dans un bain de sature. Avec «Tell A Lie», elles sonnent comme le Magic Band. Tropical Hot Dog Night in the London Underground. Magic Banditisme, c’est violent et beau, saturé de son. Elles passent leur temps à courtiser les chimères au big beat. Elles te saturent «How Could You Love Me» aux essences de Cocteau Twins. Cette heavy pop est impressionnante. Stephanie Phillips te tartine ça sur un gratté de basse fuzz. Cet album est une révélation. Elles tapent directement dans l’underground universaliste, c’est-à-dire accessible à tous.  

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             Leur deuxième album Back Home est du même acabit. Boom ! «Cactus Tree» ! Heavy psychedelia. Pur tremblement de terre. The Mamas & The Papas meet Blue Cheer. Effarant d’oouhh ouuhh. Elles poussent le bouchon au petit chant de Cactus Tree. Apocalyptic ! Elles cherchent quoi ? La noise ? Elles l’ont trouvée. C’est L’Apocalypse selon Saint-Joanie. Sur les photos de l’album, elles ont l’air de trois sorcières, celles de Shakespeare, bien sûr. Elles tapent tout au heavy sound et tartinent à bras raccourcis. Puis elles s’en vont te claquer «What Are You Waiting For» au post-punk, mais un post-punk particulier, puisque élastique et traîné dans la boue. Nouveau coup de génie avec «In My Arms», elles te courent bien sur l’haricot, tout est plein de jus sur cet album, Stephanie Phillips chante au poids de la ferraille. Pas de détails, pas de chichis. Elle t’enfonce son cut dans la gorge, elle dégouline littéralement de véracité, et derrière, elle a les chœurs du Saint-Esprit. Cet album est une mine d’or, comme le montre encore «Your Words». Les Trois Sorcières te fascinent, elles mènent le sabbat, elles semblent surgir des profondeurs et remonter vers la surface. Rien de plus excuriating qu’«Happier Still». Elles s’ébrouent dans les rafales d’heavy sound. Toute cette classe paraît irréelle. Avec «Increase», Stephanie Phillips sonne comme une superstar, elle chante du coin, comme une Billie Holiday trash-punk, elle tape ça en biseau, elle remonte des remugles de Brill, des trucs déments dont on n’a pas idée. Puis elle t’assomme «Today» à coup de meilleur son d’Angleterre. C’est extravagant, les Trois Sorcières jouent en permanence avec le feu. Encore un hit de Brill avec «In My Arms (Reprise)», elles ont tant s’écho que ça frise le Totor Sound. Tu nages avec elles en plein délire. Ils sont devenus rares les albums qui te déstabilisent.

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             On les attendait donc de pied ferme, les trois blackettes. Soif d’exotisme ? Probablement. Soif de modernité et de black rock, surtout quand on a pris la peine d’écouter les albums. Big thrill assuré. Dans ce monde pourri qui ressemble de plus en plus à une tartine puante, Big Joanie fait l’effet d’une petite fontaine de jouvence. Dès leur arrivée sur scène, c’est la classe, elles sentent bon le London underground, Stephanie Phillips trimballe un faux air d’institutrice frigide, mais elle va se défrigidiser vite fait.

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    En bonne Africaine, elle met ses formes généreuses en valeur, comme moulée par Jean-Paul Goude, et pouf, elle te gratte sa petite gratte verte underground et place sa voix, une voix incroyablement grave qui tranche sur le funky booty bringuebalant du trio. À sa gauche danse la merveilleuse Estella, haute et filiforme, surplombée d’un inexorable chignon de tresses, il n’y qu’à Londres que tu vois des black stars pareilles surgir de l’underground, elle porte du noir et bassmatique avec de très grandes mains.

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    Tu voulais du rock ? Te voilà servi. Wham bam ! «Cactus Tree» en amuse-gueule, on le connaît par cœur ce Cactus Tree, c’est lui qui ouvre le bal du fantastique Back Home, le deuxième album de ce trio incroyablement fastueux. Baraque cassée d’office, elles ramènent tellement de son, Stephanie Phillips chante au tranchant, elle te perfore le Mont-Blanc vite fait, et derrière, tu as cette petite beurette qui claque un beat afro-punk, une pure merveille d’undergrounding.

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    Oui, tout ça pour dire qu’il reste encore un milliard de possibilité dans l’expression de cet art qu’on nomme le rock, et Big Joanie semble ouvrir de nouvelles voies. Ces pauvres cloches de la presse anglaise essayent de les comparer à Nirvana et à chais pas quoi, mais non, c’est du pur Big Joanie, c’est l’Afrique qui rocke, et là, tu penses plutôt à Black Merda et à Sly Stone. Elles enchaînent avec «Happier Still» moins dévastateur sur scène que sur l’album, mais diable, comme ça rocke sous le boisseau. Elles ne s’accordent guère de répit, car les cuts foncent quasiment tous dans le tas, enfin dans un certain tas.

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    C’est une énergie qu’on sent différente, pas de grimaces de solistes, pas de big badaboum de petits culs blancs, elles développent une vieille force tranquille, la même que celle de François Mitterrand, et la belle Estella bassmatique à n’en plus finir tout en tanguant de babord vers tribord, mais avec une classe écœurante. Lorsque Stephanie Phillips pose sa gratte pour prendre un tambourin, Estella change d’instru et gratte ses poux avec une sens aigu de la négligence africaine. C’est un délire, un pied de nez définitif à tous les cons du rock qui s’imaginent qu’un grand solo de guitare est le fin du fin. Quelle erreur ! On verra même Stephanie Phillips jouer un solo magnifiquement approximatif sur sa belle gratte verte. Après le concert, au bar, un vieux schnoque viendra se plaindre :

             — Non mais t’as vu le solo ?

             Que répondre ? Rien. Les avis de ces gens-là sont à l’intelligence ce que le gravier est à la sodomie. Enfin bref, on ne va pas épiloguer, c’est déjà assez douloureux comme ça. Big Joanie fait une sorte de sans faute. Impossible de distinguer les temps forts des pas-temps forts, chaque cut se distingue par ses qualités intrinsèques et par ses ressorts secrets. L’idéal est de se faire une idée en écoutant les deux albums. Vers la fin, «Sainted» fait craquer, car puissant, tribal, hanté par des fantômes de chœurs - After the rain falls/ The rain falls - infiniment plus puissant que sur l’album, où le cut est gazé par les claviers, par contre, sur scène, il est drivé au note à note d’Estella qui hoche la tête au beat purpurin, elle gratte à la furibarde, il pleut du son et de l’esprit d’after the rain falls, ça te subjugue le jujube, ça t’extirpe des tropismes, ça l’implique à l’aplat, et Estella ramène son the rain falls dans cette extraordinaire fournaise de modernité. Te voilà conquis, Anatole. 

    Signé : Cazengler, Big Joabard

    Big Joanie. Le 106. Rouen (76). 19 octobre 2023

    Big Joanie. Sistahs. The Daydream Library Series 2018

    Big Joanie. Back Home. Kill Rock Stars 2022

    Lucy O’Brien : Joyfully decolonising London’s DIY punk scene. Mojo # 348 - November 2022

    Emily MacKay. Back Home. Uncut # 307 - December 2022

     

     

    Inside the goldmine

     - Brenda sied

             À l’origine des temps, nous mettions tous les deux un point d’honneur à observer les règles de la bienséance. Lady Claudia se prêtait au jeu subtil du badinage à forte tendance culturelle. Elle y prenait, semblait-il, plaisir, prenant soin d’échancrer toujours plus son décolleté. Le jeu consistait à ne révéler aucun trouble, ni d’un côté ni de l’autre. Notre configuration s’inspirait bien sûr de celle d’Harold et Maude. Lady Claudia avait un certain âge, celui que chante Brassens dans «Saturne» - C’est pas vilain, les fleurs d’automne/ Et tous les poètes l’ont dit - Dans son regard clair dansait une soif de vie extraordinaire, et elle semblait chanter en chœur avec Brassens : «Viens effeuiller la marguerite/ De l’été de la Saint-Martin.» Elle avait bien sûr «le grain de sel dans les cheveux», des boucles argentées encadraient un petit visage à la rondeur parfaite, qu’illuminaient deux yeux si clairs qu’ils semblaient transparents. Elle parlait d’une voix chantante, te faisant âprement regretter de n’avoir pu partager sa jeunesse. On devinait en elle des soifs gigantesques. Nous nous retrouvions chaque semaine dans un petit rade de la rue de Provence pour travailler sur les couvertures des ouvrages dont elle avait la charge éditoriale. Elle savait se montrer ouverte à toutes les propositions, et bien sûr, le froufrou des idées aiguisait jusqu’au délire les stratégies d’approche sensorielle. Tout se jouait dans les regards qui devaient rester muets, car telle était la règle tacite, mais tout semblait indiquer le contraire, les battements des cœurs, les craquements des digues libidinales, le rose aux joues, tout cela menaçait en permanence de se montrer criant de vérité. Le manège se poursuivit pendant quelques années, sans que rien ne se produisit. À aucun moment, il ne sous serait venu à l’idée de demander au tavernier s’il disposait d’une chambre libre. La volonté de conserver intacte cette chaleur relationnelle intense nous tenait implicitement à cœur. Et puis un jour, elle ne vint pas. Elle avait toujours été très ponctuelle. Un problème ? Il ne restait plus qu’à payer le café et à reprendre le métro. Je ne mis plus jamais les pieds dans ce petit rade de la rue de Provence qui s’appelait l’Arrivée.    

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             Claudia et Brenda ont un sacré point commun : le charme. On peut même parler de charme fou. Avec ses Tabulations, Brenda fit partie dans les années soixante-dix des poulains du grand Van McCoy. L’âge d’or des Tabulations va de 1966 à 1971, date à laquelle les trois doo-woppers d’origine furent remplacés par deux blackettes.

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             Brenda & The Tabulations est un groupe qu’il ne faut pas prendre à la légère. Leur premier album Dry Your Eyes propose une fantastique série de covers. Brenda tape dans le dur de Burt avec «Walk On By», puis dans le dur de Brian Wilson avec «God Only Knows», c’est joué à la trompette, elle le fait à la Ronette, elle s’éclate bien au Sénégal. Elle tape aussi dans le dur de «Summertime», c’est vermoulu mais extrêmement bon. Et ça continue avec le «Where Did Our Love Go» des Supremes, elle y va, la Brenda, il fait la nique à Motown. Et ça continue avec «Just Once In A Lifetime» qu’elle attaque à la limace extrême, elle s’y complaît, elle est bonne à la manœuvre, elle en fait une pure merveille océanique, une Soul de charme irréfutable. Tu crois qu’elle va finir par se calmer ? Là tu te fous le doigt dans l’œil, car voilà qu’elle allume le «Forever» des Marvelettes, nouveau shoot de pur génie. Elle revient au devant de la scène avec «Hey Boy» et elle atteint l’apothéose avec «Oh Lord What Are You Doing To Me», une chanson en forme d’attachement sexuel. De toute évidence, elle y prend du plaisir, elle monte au won’t you hear me & love me, elle est l’incarnation parfaite du sexe de cuisses ouvertes, let me love aw lawd.

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             Comme l’album est sorti du Dionn, on peut compléter l’écoute avec celle de The Dionn Singles Collection 1966-1969, une compile judicieuse parue en 2008. En 1966, Brenda et ses Tabs montaient déjà au front avec «The Wash» - Do the wash/ Everybody - hit de juke monté sur une bassline digne d’Archie Bell - C’mon people/ Do the wash - S’ensuit une belle série de petits balladifs sucrés, souvent pleurnichards, l’époque voulait ça, et soudain, avec «Baby You’re So Right For Me», on se croirait chez Motown : élan et allure accourent au rendez-vous. Et boom, Brenda recasse la baraque avec «That’s In The Past», un heavy groove de r’n’b, elle s’y plonge au baby sucré, elle te drive ça à coups de get off my life. Elle est merveilleuse, la Brenda, elle t’épouse en permanence. Elle fait de la Soul de haut de gamme avec «A Reason To Live» produit par Gamble & Huff, même chose avec «That’s The Price You have To Pay», Brenda s’y trouve contrebalancée par le power des orchestrations. Stupéfiant !

             Bon soyons clair : Brenda s’appelle Brenda Payton et les Tabulations sont Maurice Coates, Eddie Jackson et James Rucker. Brenda et Maurice bossaient en 1966 dans un jardin d’enfants in downtown Philadephia et une certaine Gilda Woods qui passait dans le coin en bagnole les entendit chanter. Boom ! Bill Dahl insiste pour dire que Brenda et ses Tabs savaient cooker un hit avant de rencontrer Van McCoy en 1970. Mais avec Van in tow, ça allait exploser. Dahl qualifie le team Van McCoy/Brenda & the Tabs d’«unbeatable combination». Oui, c’est l’une des combinaisons historiques qui font la grandeur de la Soul. Leur plus grand hit sera «Right On The Tip On My Tongue» qu’on retrouve sur la compile Top Bottom Singles Collection.

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             Brenda & The Tabulations enregistrent un deuxième album sans titre en 1970. Ils attaquent au heavy Burt avec «Don’t Make Me Over», Brenda tape ça au sucre et va l’exploser à la sortie. Cet album est de la dynamite. Il faut la voir fondre son sucre dans la fournaise de «The Touch Of You», elle y va au power maximal de baby baby ! Elle t’éclate ensuite «Lies Lies Lies», et comme c’est produit par Van McCoy, tu as les violons derrière. Elle ramène tout le power du peuple noir dans les violons de Lies Lies Lies. Elle tape ensuite le «California Soul» d’Ashford & Simpson, rendu célèbre par The 5th Dimension et le duo Marvin Gaye/Tammi Terrell. Coup de génie en B avec «You’ve Changed». Elle le prend au vibré de glotte à la Esther Phillips. Pure magie ! - And my darling/ You’re changed - Elle le monte bien, ça entre sous ta peau. Elle fait encore un carnage avec une cover du «Someday We’ll Be Together» des Supremes. Brenda est une vainqueuse.

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             Dans la foulée, il convient d’écouter The Top And Bottom Singles Collection 1969-1971. C’est là qu’on trouve l’excellent «Right On The Tip Of My Tongue» qui ne figure pas sur l’album Top Bottom. Elle s’y montre infiniment crédible, c’est un hit se Soul-pop. On retrouve aussi l’excellent «You’ve Changed» d’oh my darling et ses bouquets d’harmonies vocales ancrées dans le doo-wop. On retrouve aussi l’excellent «Stop Sneakin’ Around», pur jus de wild r’n’b, puis «Lies Lies Lies», Brenda mène la sarabande des chœurs déments. Elle est la reine des Tabulations et du heavy r’n’b. Retrouvailles encore avec la grosse cover de Burt, «Don’t Make Me Over», pas aussi spectaculaire que la mouture de Dionne la lionne, mais Brenda s’accroche bien à sa tartine. On se régale aussi d’«A Part Of You» et de l’extraordinaire latence de la Brenda. Elle t’épouse dans l’immensité du néant des disques oubliés et des artistes qui n’intéressent plus personne. Et puis tu retrouves aussi cette compo de rêve, «Where There’s A Will (There’s A Way)», elle te la chante au petit sucre envahissant. Van The Man l’aura protégée jusqu’au bout, «A Love You Can Depend On» est admirable, c’est du r’n’b éclairé, un fabuleux shake de revienzy. Elle te swingue le Van The Man au my love. Cette compile est une véritable aventure artistique.

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             Paru en 1977, I Keep Coming Back For More est beaucoup plus diskö. Dès «Superstar», les Tabulations tabulent sur le diskö funk de haut vol. Brenda choisit le bon côté des choses, la diskö dance des jours heureux. Le hit de l’album s’appelle «Everybody’s Fool», pur jus de diskö des jours heureux, c’est excellent, plein d’esprit, plein de promesses, de joie de vivre, une vraie révélation diskoïdale, avec de l’espagnolade sur la fin et, bien sûr, c’est noyé de violons. Elle est encore divinement bonne la Brenda avec «Let’s Go All The Way (Down)». Tout est inspiré sur cet album qui sent bon le revienzy. 

    Signé : Cazengler, Brendavoine

    Brenda & The Tabulations. Dry Your Eyes. Dionn Records 1967 

    Brenda & The Tabulations. Brenda & The Tabulations. Top And Bottom Records 1970 

    Brenda & The Tabulations. I Keep Coming Back For More. Chocolate City 1977

    Brenda & The Tabulations. The Top And Bottom Singles Collection 1969-1971. Jamie 2008

    Brenda & The Tabulations. The Dionn Singles Collection 1966-1969. Jamie 2008

     

     

    Talking ‘Bout My Generation

    - Part Nine

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             Joli coup que cette couve ! Rockabilly Generation démarre l’année en beauté avec T-Beker Trio, un upper-bopping trio dont on a dit ici tout le bien qu’il fallait en penser. Les fans de rockab peuvent y aller les yeux fermés. Et les yeux encore plus fermés avec Ghost Highway, accueillis eux aussi en héros dans les premières pages de ce numéro bien décidé à en découdre.

             Les Ghost, que Damie Chad suit à la trace depuis l’aube des temps, les Ghost qui constituent avec Barny & The Rhythm All Stars, Jake Calypso, les Hot Slap, T-Becker Trio, Tony Marlow et les Spunyboys le fleuron du French Rockab, le fer de lance d’une culture extraordinairement vivace et classieuse, il faut les voir bopper le blues sur scène, tous ces mecs, il faut les voir ignorer superbement les modes et les tendances, dire non à la médiocrité qui se répand sur la terre en proposant un son, une énergie et une inventivité qui n’en finissent plus de surprendre, tous ces mecs ne tournent pas en rond, contrairement à ce qu’on pourrait croire, ils avancent et perpétuent la tradition, avec des albums incroyablement bien foutus. Rockab et gospel sont les deux mamelles du destin, comme dirait Boby Lapointe.

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             Back On The Road ? Les yeux fermés. Quel album ! Bourré de dynamite et de covers d’Eddie Cochran. Il faut voir les Ghost taper «Teenage Heaven» au heavy beat dévastateur ! C’est la cover du diable, t’a intérêt à faire tes prières, ils te relancent ça au beat de l’or des reins. Il n’existe rien de plus puissant et d’injecté que ce truc-là. Ils tapent un autre Eddie, «I’m Ready», et c’est encore du pur cavalé sur l’haricot, ils lui redonnent tout le punch de sa gloire éternelle, et ça éclate au grand jour, les solos sont de véritables rosaces de solace. Ils tapent aussi dans les frères Burnette avec «Warm Love» embarqué à ras la motte, en mode wild rock’n’roll, pas le temps de souffler, et plus, loin avec «Whenever You’re Ready», gratté à coups d’acou et soudain, ça bascule dans le génie burnettien, avec un son plein comme un œuf et finement veiné de jazz. Les Ghost sont fabuleusement doués. Ils tapent un autre énorme classique, le «Black Slacks» rendu populaire par Billy Lee Riley. Ils l’attaquent de front au bllllbllllblllll et en font une version wild as fuck. Ils respectent l’étiquette à la folie. Mais c’est avec leurs compos qu’ils raflent la mise. Les Ghost ont le rockab dans le sang, comme le montre cet «Hunter» superbe de wildcatisme, tapé au beat rebondi, avec un souci d’authenticité confondant. Ils cherchent encore la petite bête avec un «Nervous Wolfman» qui ne demande qu’une chose : s’encastrer dans un platane. Ça roule sur place, ça claque un solo de Wolfman et ça se couronne d’un joli coup d’apothéose. Ils sortent les crocs du bop avec un «Born To Love One Woman» embarqué au slap prévalent, une merveille de claqué du beignet. S’ensuit une «Female Hercules» elle aussi slappée de frais. Tu as tout le slap du monde dans cette Herculette. Toutes leurs compos sont du pur wild cats on fire, comme le montre encore «She Said I Love You Baby». Quand tu as ça dans les oreilles, les murs palpitent et ça sent bon les racines du monde. Rien de plus wild ici bas. Ils bouclent cet album haut en couleurs avec une autre cover, le «Gone Ridin’» de Chris Isaak. Ils le tapent au hard bop, celui qui a le front bas du taureau en colère, ils te mettent vite aux abois, c’est frénétique et gratté à la cocote barbare. Encore une écoute dont tu sors à quatre pattes avec la langue qui pendouille.

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             Mais tu en redemandes. Alors voilà l’album sans titre Ghost Highway qui démarre en fanfare avec «Snatch And Grab It» et qui va ensuite droit sur Big Dix avec une cover de «My Babe» slappée around the corner. Plus loin, ils tapent encore dans le mille avec l’«You Can Do No Wrong» de Carl Perkins, le roi du baby baby, fantastique énergie de can do no wrong, bien remonté des bretelles avec un solo wild as fuck. Le power des Ghost éclate encore au grand jour. Tiens, une autre cover du diable avec le «Big Fool» de Ronnie Self. Ils rendent ensuite hommage à Galloping Cliff Gallup avec «Cliff Tribute», un instro qui se carapate, slappé à l’oss de l’ass. Retour au wild cat strut avec «Shotgun Boogie». Ils disposent pour ça de toute l’énergie du monde, puis ils passent sans ciller au bopping craze avec «Tennessee Rock’n’Roll», et là tu as le slap pur et dur. Alors il faut s’arrêter un moment et saluer Zio le slappeur fou. Ils basculent ensuite dans l’Hank avec «Moaning The Blues», ils lui shootent une violente dose de rockab, et le mec chante comme un démon échappé du bréviaire de l’Americana, il yodelle dans les virages et chauffe le cul des syllabes au Country Honk. C’est gorgeous et gorgé de talent vocal. Zio bombarde ensuite «Going Up The Country», c’est lui qui propulse le rockab dans tes artères, Zio c’est Zeus, il te garantit la pureté du son, le real deal de tagada. Ils tapent aussi l’«All By Myself» de Dave Bartholomew et finissent en apothéose avec le «Tired & Sleepy» des Cochran Brothers, Zio te claque ça sec, il donne vie au beat.   

    Signé : Cazengler, ghostique

    Ghost Highway. Back On The Road. Rock Paradise 2009  

    Ghost Highway. Ghost Highway. Rock Paradise 2011

    Rockabilly Generation # 28 - Janvier Février Mars 2024

     

     

    Holly ne met pas le hola

     - Part Three

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             À partir de 2007, Holly s’acoquine avec Lawyer Dave pour enregistrer une ribambelle d’albums sous le nom d’Holly Golightly & The Brokeoffs. Sur la pochette de You Can’t Buy A Gun When You’re Crying, on voit une photo d’Holly et de Lawyer Dave déchirée. Alors, à quoi faut-il s’attendre avec cette nouvelle série d’aventures ?

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     Plutôt à quelque chose de rural, car ils jouent souvent à deux dans la cuisine, Lawyer Dave faisant le one-man band derrière Holly. Elle attaque l’album avec « Devil Do », un joli boogaloo musculeux et joliment vu, enregistré avec des bouts de ficelle et sacrément mystérieux, bien tapé, bien lancinant, du pur jus de duo inspiré par les trous de nez. Elle continue dans la lancinance avec « Just Around The Bend », pas très éloigné du Vanessa-paradigme. Au moins, elle sait de quoi elle parle. Et puis elle va enfiler les mélopifs de petite eau saumâtre comme des perles et s’enliser dans cet intimisme campagnard à coloration country. Elle va taper dans l’Americana pétri d’ennui des soirées austères sans télé et revenir de temps en temps à de la country lumineuse, comme c’est le cas avec « You Can’t Buy A Gun ». Joli cut que ce « So Long » joué au country blues, with my suitcase in my hand, so long I really go, vraiment digne de Robert Johnson - Tears in my eyes, so long I say goodbye - Ce cut très intéressant luit comme le diamant vert du Transvaal d’Alpes perdues - You keep my heart - et ça vire au magnifico. Holly parvient à recréer une sorte d’Americana dans sa cuisine de petites boîtes à sucre en fer. Le disque soubresaute avec les derniers cuts. « Jesus Don’t Love Me » est trop country pour être honnête. Ils se prennent tous les deux pour des colons des Appalaches et ils passent au vieux grattage de bord du fleuve avec « I Let My Daddy Do That », qui sonne comme du Bessie Smith de soixante-dix-huit tours tamisard. Au fond, on ne peut pas leur en vouloir de se vautrer dans la contre-façon, d’autant qu’Holly raconte qu’elle laisse son daddy la baiser - Because it satisfies my big dick, lui dit-il - S’ensuit un « Whoopie Ti Yi Yu » digne des grands soirs maudits de la Nouvelle Zélande. Terrible car ravagé par des tempêtes lentes. Elle termine avec un « Devil Don’t » nerveux et irritable, du pur jus de terreau. En gros, ils jouent une sorte de country-blues de buanderie.

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             Deux jolies choses se nichent sur ce Nobody Will Be There doté d’une pochette faussement infantile. « Hug Ya Kiss Ya Squeeze Ya » est monté sur un gros tatapoum rural et chanté à deux voix. Lawyer Dave le one-man band et Holly s’amusent bien. Ils restent dans ce beau beat de bastringue tapé au bass-drum d’occase. Ils tapent ensuite dans Lee Hazlewood avec « Dark In My Heart », bien monté au stomp de grosse caisse et gratouillé à la main molle, avec des couplets repris à la doublette de voix. Ils sont tous les deux exemplaires de fidélité harmonique. Leur « Devil Do » renoue avec le tatapoum rural. Ils adorent tripoter ce son déjà exploré par Dan John Miller et sa femme Tracee Mae Miller dans Blanche, un duo qui faillit devenir énorme dans les années 2003/2004. « Indeed You Do » sonnerait presque comme du blues-rock d’honky-tonk, quelque part du côté de chez T-Model Ford. Joli cut car épais comme pas deux, et on retrouve la poigne d’Holly qui fascinait tellement les garçons à l’époque des Headcoatees. On se régalera aussi d’« Escalator » qui ouvre la B, un joli country-rock monté à l’harmonie comme une salade oubliée au potager. Leur truc se veut superbe d’aisance élancée.

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             Malgré sa belle pochette, Dirt Don’t Hurt a tout du disque faiblard. « Burn You Fun » vaut pour une jolie tracasserie à deux voix. Ils sonnent tous les deux comme Blanche qui fut spécialisé en son temps dans la country gothique. Ils consacrent une chanson à la vieille poule, « Clutch Old Hen », cut claudiquant, assez expressionniste et un peu cucul la praline. Ils adorent évoquer leur basse-cour. Normal pour des ruraux. Dommage qu’Holly ne fasse pas sa cocotte. Retour au grand battage de British Beat avec « Gettin’ High For Jesus ». On se croirait à Richmond en 1963 ! Admirable, bien lié à l’harmo, bourré de bon gros shuffle et de cliquetis démonologiques. S’ensuit une traînarderie à la Lanegan, « Three Times Under ». L’autre gros cut du disque est « Boat’s Up The River », gratté avec des tas d’instruments, alors que la voix part à la dérive.

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             Petit regain de d’énergie avec Medicine County paru en 2011. Un peintre naïf orne la pochette d’une beau portrait du couple. Ils restent majoritairement dans cette country obsédante abondée au banjo, notamment avec « Murder In My Mind » chanté à deux voix confondues et fantastique d’esprit corrosif. La bonne surprise vient de « When He Comes », un vieux rock joué à la sauvagerie des instrus d’hillbillies. Excellent brouet de rock primitif et cauteleux. Si on veut se remonter le moral, on peut écouter « Escalator » qui est un petit chef-d’œuvre de good time music envoyé à deux voix dans la lumière crue du printemps. Holly ramène son ingéniosité avec deux cuts magistraux, « Eyes In The Back Of My Head » et « Deadly Departed ». Puis elle envoie un balladif abrasif de haut rang avec « Don’t Fail Me Now », incroyablement éclairé aux guitares atypiques, et même furieux dans l’essence. Et avec « Jack O Diamonds, » ils reviennent à leur son de petits outils grattés.

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             No Help Coming paraît la même année. Ils prennent le morceau titre d’ouverture au ton du vieux boogie blues, mais ils l’enrichissent d’un son d’instrus de bastringue approximatifs et c’est précisément ce qui fait le charme de leur underground de brocante. D’ailleurs on les voit tous les deux sur la pochette : Lawyer Dave porte la barbe et une casquette d’anarchiste russe, et Holly un tablier de fermière. Elle tient aussi une poule dans les bras. Voilà les glorieux rockers britanniques. On saute directement à l’« Here Lies My Love » car voilà un gros blues de promontoire. Holly connaît les secrets du stomp primitif - It was a bad situation/ From the beginning to the end - merveilleusement inspiré par les trous de nez. Ils montent « Get Out My House » sur un vieux shuffle de boogie blues et le swinguent dans la cuisine. Ils s’amusent bien, avec leurs instruments en bois et leurs casseroles en cuivre - Tire-toi de chez moi ! - Lawyer Dave attaque « Leave It Alone » directement au banjo. Il faut se souvenir qu’Holly tient à l’uniformité des choses. Elle reste sur la ligne barbu & roots. On tombe plus loin sur une belle chanson à boire, « Lord Knows We’re Drinking », idéale à l’heure de la rasade du pirate.

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             Long Distance n’est pas l’album du siècle. Pourtant on l’écoute avec un intérêt certain. Holly prélasse bien son « Mother Earth » dans la mélasse. C’est gratté avec toute l’aisance que permet le blues. On a là un son plein comme un œuf et Holly chante avec toute la prestance de la pertinence. « Dear John » est gratté au banjo et on pense encore à Blanche. C’est rengainard et traîne-savate, un brin négligé. Avec « Come The Day », Holly joue la carte de la persévérance. Elle nasille comme elle seule sait le faire, en maîtresse femme qui ne se refuse rien. Rien d’aussi surprenant qu’« I Don’t Know ». Le banjo fait son grand retour dans « My Love Is » - My love is a mountain side - Elle chante avec quelque chose de suranné dans le ton. Tiens ! Une nouvelle version de « Big Boss Man ». Cette fois, ils la jouent au trébuchet, au washboard et aux cuillères. Admirable ! Holly swingue comme une négresse de l’Alabama. Bon d’accord, ce n’est pas la version de Graham Bond, mais on ne va pas chipoter.  

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             Sunday Run Me Over parait en 2012 avec une pochette peinte par John Langford. L’album est enregistré à la campagne, à Camp Esco, dont on voit la photo à l’intérieur de la pochette. Ça ressemble au paradis avec des poules, des chiens et un âne. Holly et Lawyer Dave attaquent avec « Goddam Holy Roll », une grosse pétaudière de cabane du Sussex ou d’ailleurs. Ça sent la poule qui pond et le good time roll, la barbe et la bonne santé. Ils tournent à l’énergie pure et elle chante tout ça du nez. Admirable ! Avec « They Say », ils passent au heavy blues lugubre primitif. Encore plus terrible de primitivisme, voici « Tank », bien monté sur son riff élaboré, probablement un coup de Lawyer Dave. C’est terrible de présence divine. Ils jouent « One For The Road » à la casserole de Camp Esco. On les sent déterminés à faire la fête. Avec « Turn Around », Holly traque la country de façon balèze. Elle nasille admirablement son don’t come back again ! Avec « The Future’s Here », Holly passe au ragtime et s’amuse comme une diablesse de petite vertu. Et puis ça dégénère, car voici Dave qui nous fait avec « Hard To Be Humble » du flon-flon de bastringue à la ramasse de la revoyure. Et dans « Goodnight », Holly se prend pour Mark Lanegan. Ils finissent avec un beau « This Shit Is Gold » bourré d’énergie concomitante. Ça pulse le beat à Camp Esco ! Ils sortent là une vraie pétaudière de stomp à deux balles. Excellent !

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             Et puis voilà All Her Fault. Ils sont dessinés tous les deux sur la pochette comme Adam et Eve, les instruments dissimulant les parties honteuses. Lawyer Dave tient un dobro et Holly un banjo. Elle porte aussi des lunettes et deux mèches de cheveux dissimulent  ses tétons. Le cut d’ouverture s’intitule « SLC », ce qui ne veut pas dire Salut Les Copains, mais Salt Lake City - Why do you wanna go to Salt Lake City - Ils refont le Blanche country blend à deux voix sur fond de beat turgescent et de coups de charley intempestifs. On trouve trois véritables énormités sur cet album noyé dans la masse. Pour commencer, « Can’t Pretend », bien fouetté à la croupe d’étalon. C’est un cut long distance. Il avale la prairie. Il court la piste. Il franchit des frontières. Bon beat tagada. Holly chante bien sucré, comme au bon vieux temps des Headcoatees. Elle gère bien son devenir. La seconde perle se trouve en B et s’appelle « 1234 ». On sait maintenant qu’il existe au moins deux énormités sur chaque disque d’Holly. Elle sait pounder un beat sourd. Voilà encore une belle pièce de rock tonique et chargé d’or, d’orgue et de tous les onguents des Angles. La troisième perle fait la fermeture : « King Lee ». C’est un rocky folky-folka bien balancé qui renvoie aux grands classiques de juke, solidement joué, diablement inspiré, doté de descentes de basse et d’un refrain chanté aux voix concomitantes. Pure énormité ! Holly y ramène toute son élégance de petite reine britannique.

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             Son nouvel album vient de paraître : Slowtown Now. Alors ? Ça commence mal, car un horrible dessin de Tim Kerr orne la pochette. Ensuite, Holly veille à conserver son capital sympathie, mais elle n’en fait pas plus. Elle opère toutefois un net retour à ce bon garage vénéneux qui fit sa spécialité. « Fool Fool Fool » est un groove malveillant conduit au fil d’un riff de fuzz, très sixties dans l’esprit. Le « Frozen In Time » qui suit se veut jazzy dans l’approche, et admirable de bonne humeur musicale dans l’esprit. On retrouve Ed Deegan dans ses grandes heures grâce à « As You Go Down » et dans « Stopped My Heart », Holly raconte qu’un mec lui a stoppé le cœur, à l’Anglaise, et Ed Deegan part en solo vainqueur. Mais rien ne veut accrocher durablement sur cet album. Pourtant l’écoute se veut résolue, attentive et même tendue. Holly reste sur son registre de Mata-Hari à la voix sucrée qui ensorcelle. Elle finit en Brill à l’écho du temps d’antan avec « When I Wake ». C’est vraiment bien vu de sa part.

    Signé : Cazengler, Holy shit !

    Holly Golightly & The Brokeoffs. You Can’t Buy A Gun When You’re Crying. Damaged Goods 2007

    Holly Golightly & The Brokeoffs. Nobody Will Be There. Damaged Goods 2011

    Holly Golightly & The Brokeoffs. Dirt Don’t Hurt. Transdreamer Records 2008

    Holly Golightly & The Brokeoffs. Medicine County. Transdreamer Records 2011

    Holly Golightly & The Brokeoffs. No Help Coming, Transdreamer Records 2011

    Holly Golightly & The Brokeoffs. Long Distance. Damaged Goods 2012

    Holly Golightly & The Brokeoffs. Sunday Run Me Over. Transdreamer Records 2012

    Holly Golightly & The Brokeoffs. All Her Fault. Transdreamer Records 2014

    Holly Golightly. Slowtown Now. Damaged Goods 2015

     

     

    *

    J’en veux à mort à Marlow Rider, l’a annoncé la sortie de la seconde vidéo de Kriptogenèse juste la veille de mon départ en vacances. Je ne me plains pas, j’étais sur la plage entouré d’un essaim de jeunes filles nues qui secouaient avec vénération des palmes au-dessus de mon corps musclé pour que je n’attrapasse point une insolation caribéenne. Mais enfin, il aurait pu attendre que je revienne en France… Bref il est plus que temps de regarder cette vidéo.

    HARD DRIVING ROCK’N’ROLL

    MARLOW RIDER

    (Réal : Seb le Bison / Prod : Bullit Records)

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    Les premières images sont anodines, des vues de Paris, boulevards parisiens, un bobo écolo sur son vélo (mais pourquoi personne ne l’a-t-il pas encore écrasé), comme dans un début de film, l’on sait qu’il va arriver quelque chose… L’on n’attend que le Marlou, il survient sur sa moto ( pas du tout écolo), je conseillerai aux âmes sensibles de se contenter de dénombrer les patches de son blouson, Gene Vincent, Eddie Cochran, galons rock sur le haut de la manche de son Perfecto, le logo Sun, Johnny Kidd le rocker pirate, je les laisse compléter la liste, ensuite je leur conseille d’aller dans le jardin arroser leurs salades peuplées de limaces.

    C’est que voyez-vous le Marlow il vous a un de ces airs de méchant à cauchemarder toute la nuit, avec ses lunettes de batracien acariâtre et son casque rond qui transforme sa tête en obus volant, l’est un guerrier sans foi ni loi – ne lâche-t-il d’ailleurs pas son guidon d’une manière fort vindicative – l’on n’a pas envie de l’arrêter pour lui demander l’heure.

    Sur la prod ils se sont inquiétés, plus d’une minute et la vidéo serait interdite pour incitation à la haine, à la violence, peut-être même pour terrorisme. Mettons les rockers à leur place, non pas en déambulation motorisée au milieu de la foule innocente, mais sur scène, au moins là en lieu clos l’on peut limiter leurs débordements sur un espace réduit. Donc le Marlou en concert. Ce n’est guère mieux : les bras nus recouverts de tatouages, comme guitare il a pris un de ses tridents que du temps de Moby Dick l’on enfonçait dans le flanc des baleines, il chante avec la hargne du Capitaine Achab hurlant ses ordres sur le Pequod, bref un sacré moment de rock’n’roll.

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    Attention deux fois deux secondes d’images inquiétantes, cet étrange gros plan sur ce batteur à tête d’oiseau et puis sur Amine Leroy, habillé de noir, contrebasse noire et yeux noirs qui semble regarder sans voir, ô bien sûr après vous avez le Marlou qui vous turbine un de ces soli abrasifs dont il garde le secret, destiné à détourner votre attention, pour un peu vous n’y ferez pas gaffe, diable l’on est où là, dans une vidéo de Malow ou dans dans la première Elégie de Duino de Rilke, avec cet oiseau qui passe et repasse et se trémousse, l’a de drôles d’ailes, plutôt celle d’un ange, tiens encore Marlow sur son engin, question ange l’on serait plutôt du côté des Hell’s Angels, maintenant c’est l’alternance, un coup sur sa pétaudière, un coup derrière le micro, tout en continuant à chanter sans hiatus comme s’il était dans son deux pièces-cuisine,  puis Amine concentré en lui-même , puis l’oiseau à la batterie, maintenant sont tous les trois ensemble, Amine, l’oiseau blanc, drôle de formation de bric et de brock, un peu de glisse motocyclettée et tous les trois ont droit à un tiers dument délimité de l’image, z’y vont à fond, c’est la fin. Leur dernier mot Rock’n’roll ! Ecran noir. Inscription blanche : A LA MEMOIRE DE FRED KOLINSKI – 10 décembre 1954 – 16 mai 1923. Un ange passe. Dans votre mémoire. La photo de Fred s’affiche, souriant nimbé de ses cheveux blancs. Le compagnon de dix ans de gala et de galère rock ‘n’ roll.  

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    En fait c’est très bien de n’avoir pas pu la chroniquer cet été. L’impression que Fred est toujours là à nos côtés pour cette année 2024 !

    Damie Chad.

     

    *

    Je l’ai reconnu tout de suite. Aucun mérite à cela. L’œuvre est célèbre. Une fois que vous l’avez vue vous vous en souvenez. Mais ce ne sont pas les combattants qui ont obnubilé mon œil, mais l’homme dans sa toge blanche qui lui mange le bas du visage, l’autre aussi, avec son espèce de calotte rouge sur la tête. Qui s’agrippe au précédent comme si le spectacle lui faisait peur, c’est pourtant lui qui a décidé de décrire le funeste spectacle, l’est devenu célèbre pour la premier livre L’Enfer de ce son ouvrage La Divine Comédie, c’est Dante. Le premier c’est Virgile. Il ne montre aucune frayeur. Il sait, il connaît. Pour beaucoup de nos contemporains Virgile n’est qu’un lointain et vieux poëte latin. Il fut beaucoup plus que cela. Son œuvre est totalement cryptée. Donc elle dévoile tout. Il suffit d’avoir la patience de lire. Et de penser par la suite.

    Le tableau est de William Bouguereau. Un pompier. L’expression est malveillante, toutefois dès que l’on évoque les pompiers l’idée du feu héraclitéen n’est pas loin. Né en 1825, trop vieux pour la modernité, la jeunesse pré-Impressionniste et les Impressionnistes seront sans pitié, eux-mêmes subiront la même vindicte critique lorsque Dada et Surréalisme prendront le pouvoir, aux temps de l’Abstraction triomphante à leur tour les représentants de désormais l’ancienne génération encoururent le retour du bâton… la chaîne de la médisance et du dénigrement est sans fin… Bouguereau mourut en 1905. A peu près oublié. De tout le monde. Sauf des Américains, c’est en leur pays que pratiquement toute son œuvre se trouve…  

    Théophile Gautier commente longuement ce tableau, pour notre part nous nous contenterons d’un regard, loin de toute médiévale anecdote évènementielle, symbolique. Nous y verrons surtout la représentation métaphorique de la haine prédatrice qui peut embraser l’esprit et le corps des hommes, ce n’est plus Saturne dévorant ses enfants, mais les hommes s’entredévorant eux-mêmes. L’homme est un loup pour l’homme disait Horace poëte contemporain de Virgile.

    Ce qui est important, pour la chronique de la K7 qui suit, c’est qu’au-delà de sa force expressive la scène de ce tableau se déroule dans l’ Enfer. Vous comprendrez pourquoi en lisant le nom du groupe :

    LA MATTA BESTIALITADE

    SAPIENTIA DIABOLI

    (K7 / Bandcamp / Oct 2023)

             Je ne sais qui se cache derrière ce groupe, j’ai eu du mal à dénicher qu’ils étaient américains. D’où exactement ? Je les croirais volontiers européens.

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    Pape Satan, pape Satan aleppe : (premier vers du chant Sept de l’Enfer de Dante prononcé par un démon appelé Pluton – surnom du Dieu grec des Enfers - doit-on le traduire par : Paix Satan, Paix Satan, va en paix ?) : drôle de ziqmuc assez difficile à définir, d’ailleurs au bout d’une minute elle se finit pour ainsi dire d’elle-même comme si elle se rendait compte que bâtie comme elle l’était elle ne pourrait se maintenir bien longtemps, au passage on ara reconnu des sifflements aussi incertains que ceux des rhombes lors des processions rituelliques, au tout début l’espèce d’emballement noisique inaugural baisse d’un ton lorsque s’élève un chœur processionnel qui disparaît très vite alors que l’on s’attendait à un développement continuel, ce qui est certain c’est que l’on s’est psychiquement installé en un espace séquentiel d’écoute peu habituel, grande est notre déréliction mentale quand le morceau semble s’arrêter pour de bon pour mieux repartir à un rythme accéléré, une charge battériale emporte tout sur son passage, les chœurs reviennent ultrarapides même si l’on se rend compte que l’ampleur sonore est peut-être due à une seule ou deux voix, même si vous avez l’impression que les participants sont nombreux vous comprenez que la cérémonie qui anime et regroupe des dizaines de fidèles, s’adresse à chacun d’entre eux, que l’emprise collective n’a d’authenticité que si elle est la conjonction de ferveurs individuelles, chacune vécue et ressentie selon une seule intrication personnelle. N’employons pas le mot de vocalisation mais de proférations rythmiques qui bientôt culminent en un extraordinaire jeu de répons suscités par un maître de cérémonie qui recueille les réparties des participants, le tout s’alchimise en une espèce d’oratorio angélique final. N’oubliez jamais la double nature de Satan, pour être du mal il n’en reste pas moins le premier ange. L sol tace : (trois mots tirés du Chant I de l’Enfer, qui est aussi l’ouverture  de La Divina Comedia, Dante est poussé par l’apparition d’une Louve incarnation de toute l’imperfectibilité humaine vers la zone d’ombre – là où le soleil se tait – qui le mènera jusqu’à la porte infernale.) : il ne suffit pas d’invoquer Satan mais d’emprunter la sente qui mène à lui, vertigineuse descente battériale, l’on se doit de se précipiter vers cette lumière noire que l’on désire, une cavalcade à la hussarde, enthousiasmante, joyeuse et jubilatoire vers le maître de la mort et de l’autre vie, à mi-chemin l’on reprend quelque peu son souffle avant de s’élancer en toute connaissance de la portée de nos actes, un grand éclair blanc terminal de musique séraphique. Le morceau s’arrête non pas brusquement mais irrémédiablement. L’on est définitivement passé de l’autre côté. (Pour la petite histoire, il existe un groupe de Black Metal reconnu qui a pris pour nom L Sol Tace.) Il gran rifiuto : (encore une expression tirée du Livre des Enfers. Selon Dante le grand refus de servir Dieu à la place où il avait été appelé serait celui du Pape Célestin V qui se sentant trop vieux aurait démissionné de la charge pontificale suprême…) : le serment de la déposition de Dieu est répété ab libitem, profération intérieure et extérieure, à voix haute, et la basse celle que seule entend celui qui s’engage, les harmoniques, non pas celles du son, mais celles du sens, ces pensées qui adviennent et que l’on retient même dans le temps même où nous parlons, pour le son l’instrumentation s’en charge, jamais entendu une telle orchestration riffique chez un groupe de metal, chaque riff, la manière dont il se perpétue, dont il est posé, dont il surgit, dont il s’entrecroise, dont il disparaît est une nuance, composant ainsi une palette de la folie humaine qui se détache d’elle-même pour en même temps investir le vide de sa propre expulsion par l’appropriation métamorphosique substancielle d’une angélique nature a-humaine qui ne vous tue pas mais vous excède. Raphael masameche zabi almi : (paroles incompréhensibles prononcées par Nimrod dans le trente et unième chant de L’enfer de Dante. Le géant Nimrod est l’initiateur de la construction de la Tour de Babel construite par les hommes… Devant la menace que représente l’édification de cette tour censée atteindre le Ciel, Dieu divise les hommes en leur ôtant le privilège unificateur la langue originelle commune… Nimrod le principal fautif hérite d’un langage intraduisible…) : falaise de marbre   noir et barrage de glace blanche, l’inéluctable est arrivé, ce n’est pas que l’on ait pris le parti du Diable qui compte c’est, qu’envers et contre tout, malgré le prix à payer, l’on ait rejoint la phalange de ceux qui sont contre Dieu. C’est de se ranger du côté du meurtre infini, car Dieu ne meurt que… à quoi correspond cette coupure dans la monumentale avancée riffique de cette reprise, si ce n’est à la prise de conscience que Dieu ne peut être vraiment mort qu’au moment où on le tue. Qu’il faut sans cesse reprendre ce travail de boucherie métaphysique pour le mener à bien. Pour inverser le mal en bien. Comment sinon comprendre la devise auto-définitoire que le groupe a mis en exergue de son Bandcamp : ‘’ La sagesse du diable est sans fin’’ , cela ne signifie-t-il pas que l’œuvre satanique est infinie. Sans quoi il serait parfait. Sans quoi il serait Dieu. Sans quoi il faudrait qu’il s’auto-détruise pour engendrer le néant.

             Vous en voudriez encore et puisque vous n’aimez guère écouter les cassettes vous aimeriez l’avoir en CD, vous êtes insatiables, la sagesse du Diable vole à votre secours : ce premier janvier 2024 ils ont posté sur Bandcamp les trois derniers morceaux de La Matta Bestialitade sous le titre de :

    FLAGELLO IN TERRA

    SAPIENTIA DIABOLI

    (CD / Bandcamp / Janvier 2024)

    Evitez de passer pour un béotien devant votre petite amie lorsque le facteur vous livrera le CD. Non la couve ne représente, ni un vase de fleurs ni une large coupe posée à l’envers.  Il est sûr que le format cédéique n’aide pas à entrevoir les dimensions de l’objet. C’est un peu la Colonne Trajanne de la Renaissance. Elle n’a pas été commandée par Trajan à Apollodore de Damas pour commémorer ses victoires sur les Daces mais par Lorenzo Pierfrancesco de Médicis à Botticelli pour illustrer une copie manuscrite de La Divine Comédie de Dante. Si la Colonne Trajane est encore debout à Rome Botticelli mourut avant d’avoir terminé son œuvre. La plupart des dessins tracés par le peintre n’ont pas été colorés… Sandro Botticelli avait toutefois terminé une Carte de l’Enfer sur une seule page, 32 sur 45 centimètres. Ce qui nous permet d’imaginer la grandeur de l’œuvre finale si l’on avait réuni les feuilles sur un seul panneau, qui aurait atteint la dimension d’un vaste tableau de cinq mètres de largeur sur plus de trois mètres de hauteur.

    Flagello in terra, fléau de la terre, titre programmateur des trois morceaux du CD est une citation du Chant 12 de L’Enfer désignant Attila…

    Ces trois morceaux sont un peu comme le défilé des Enfers, l’on n’y présente que les grosses pointures. Le musée des horreurs absolues, si vous voulez, mais aussi les étapes nécessaires à accomplir si vous désirez rencontrez l’Adversaire, le seul qui ait et eu le courage de s’opposer à Dieu. De vous libérer de votre esclavage assureront certains.

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    Il gran vermo : (le gros ver c’est par ses mots peu flatteurs que Dante dans le Chant VI de l’Enfer qualifie Cerbère le féroce gardien des Enfers grecs) : trompettes de riffades tous azimuts en tournoiements successifs, il s’agit de célébrer le gardien de la porte primordiale, celui qui laisse entrer mais pas ressortir, vocal grondeur resserré sur lui-même comme un triple grognement de chien colérique et intraitable, l’on descend les marches infinies d’un escalier, l’écho bruyant ne saurait nous soustraire à l’examen canin, silence c’est le moment crucial du passage vers les profondeurs interdites, nous sommes tremblants et frissonnants devant lui, mais non il se couche et incline ses trois gueules baveuses. Nous avons notre sésame, nous enjambons son corps massif, il fait semblant de ne pas s’en apercevoir. L’infami di Creti : (l’infamie de Crète n’est autre que le fameux Minotaure qui n’a rien perdu de sa bestialité lorsque Dante le rencontre dans le douzième chant de L’Enfer.) : un chien même à trois têtes n’est qu’un chien mais nous nous dirigeons vers un être d’une autre nature, est-ce pour marquer qu’il est une déviation, une entorse à l’ordre des ordres intangibles que les premières notes de ce morceau sont erratique, à croire qu’elles s’éloignent dans l’espace pour nous signaler que nous entrons dans le règne de la contre-nature, et voici que la musique déferle que le vocal pousse en avant comme le vit du taureau païen qui s’enfonce dans ce bouillonnement visqueux de la femme qui jouit intensément de cette union interdite. Moment de rétention spermatique avant que la bête ne propulse son éjaculation dans le vagin de cette vache si moelleuse, la Bête est là le fils de la femme et du taureau, il meugle et nous tremblons de joie, nous sommes définitivement de l’autre côté. Vexilla regis prodeunt inferno : (les bannières des rois flottent en Enfer’’ Vers 1 du Chant 34 et dernier de L’Enfer de Dante, dans lequel Virgile et Dante font face au détestable Lucifer, ainsi s’appelait Satan alors qu’il était le premier des anges…) : attention ne reste plus que l’approbation finale, nous sommes face à lui, Dante nous dit qu’il a les pieds en haut, ce n’est pas qu’il n’ait plus toute sa tête, c’est qu’il est l’inverse de l’ordre humain et divin normal, l’appréhender en cette étrange position nous enjoint à entendre qu’à l’instar de cette bouillie riffique débordante qui nous recouvre tout désormais a changé, que nous sommes ailleurs, que nous sommes d’ailleurs, d’un anti-monde. Du côté obscurément lumineux de la force.

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             Un seul adjectif pour résumer les deux panneaux de cette œuvre qui n’en forme qu’une : dantesque.

    Damie Chad.

     

    *

             J’avais prévu un petit tour dans les opulents pâturages de l’herbe bleue, je vous promets la découverte d’une petite merveille la semaine prochaine, oui mais non un léger contretemps, je n’y suis doublement pour rien, je me hâte de dénoncer les deux coupables, le premier c’est le rock’n’roll, comment résister à l’attrait de cette maudite musique, je ne sais pas, alors je ne résiste pas. Le deuxième les lecteurs de la livraison 627 s’en souviennent, c’est Bill Crane, l’a terminé l’année 2023 par un album douze titres, très intéressant, l’est comme Jules César, il ne se repose pas sur ses lauriers, les dix premiers jours de janvier 2024 ne s’étaient pas écoulés qu’il a placé deux nouveaux titres sur YT, pas n’importe lesquels, on se hâte d’écouter.

             Le temps d’écrire ce premier paragraphe je m’aperçois qu’il vient d’en ajouter un troisième. Une véritable corne d’abondance. Par contre il vous remet trois fois le même décor. Très instructif. D’abord l’a rajouté un bouquet de fleur. Influence orientale peut-être parce qu’il vit en Thaïlande, ne comptez pas sur moi pour un cours d’Hanakotoba. Pour tout le reste de la photo, je sais. Je connais. Le coiffeur où mon père m’emmenait quand j’étais tout petit en avait posé un posé derrière sa vitrine pour protéger ses clients des rayons intempestifs du soleil. Store oriental en plastique, le must à la fin des années cinquante, la mode au début des sixties.

             Retenez bien le dernier mot du deuxième paragraphe, un indice fondamental, sans lui vous ne comprendrez rien au projet de Bill Crane.

    LOVE AGAIN

    BILL CRANE

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             Evidemment on pense à Eddie Cochran, à son Love again enregistré en 1958, écrit par Sharon Sheeley, ce n’est pas son meilleur morceau, une chansonnette sur laquelle il musèle sa voix de fauve, imaginez au début du conte le loup en train d’amadouer le petit Chaperon rouge. Un conseil jetez un coin d’oreille sur la guitare. Z’avez aussi le In love again, 58 aussi, de Gene Vincent, une dentelle traitée à la Bo Diddley, merci Clyde Pennington pour la tambourinade, avec Grady Owen à la basse, et surtout les clairvoyantes notes de velours de la guitare de Johnny Meeks. Plus la voix si fine Gene, quand je l’ai écouté en interview radio pour la première fois, j’ai cru entendre une jeune fille. Bill Crane possède une voix beaucoup plus forte.

             Toujours les trois premières secondes dévolues à la machine, la boîte à rythme que l’on oublie au premier vlang de guitare. La voix et la guitare. La première davantage grave, la deuxième davantage claire. Bizarrement Bill Crane ne joue ni de la guitare ni ne se sert de sa voix. Il joue du rêve, de la nostalgie, des bouffées de regrets, de temps perdu jamais retrouvé, nous chuchote à l’oreille que nous avançons vers notre tombe. Une chanson de rien du tout, elle ranime le souvenir des jours heureux qui n’ont pas fui, le cristal de notre âme fêlée à tout jamais. Un travail d’orfèvrerie. De poésie pure.

    CLOMPLETELY SWEET

    BILL CRANE

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             Completely Eddie Cochran, ce coup-ci Eddie mignardise, il joue au gros matou qui s’amuse avec la souris, l’avance la guitare à pas feutrés et brusquement de temps en temps il lui zèbre le dos d’un coup de griffes sanglantes. Jeu de voix, jeu de guitare, jeu de vilain.

             Bill Crane change la donne. Ce coup-ci le matou ne joue plus, l’a le cœur en confettis et la guitare en confiture. Le sucre rend son café amer. Même la possibilité du bonheur le rend triste. L’a le cerveau qui déraille grave. La voix vous file la saudade, la guitare vous jette dans les bras du blues. Le retour aux origines du rock ne se passe pas comme prévu. Quelque chose a vrillé, pourquoi, comment, l’on ne sait pas. Bill Crane pose une question grave. Le rock’n’roll est-il aussi comme toutes les autres une pauvre chose humaine ? Ou un serpent qui se mord la queue.

    BE BOP A LULA

    BILL CRANE

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    Y a tellement de versions de Be Bop a Lula de par le monde. Gene Vincent en a quatre, canoniques, l’originale insurpassable, la twist, la honky tonky, et la lente qu’il exécutait sur scène. Drôle de gageure pour Bill Crane.

    La prend bien, à sa manière, sur un tempo medium, tout dans la voix, chaque inflexion comme touche d’un pinceau qui contiendrait les chatoyances essentielles du monde, et ses clangs de guitare qui rythment les espaces de temps qui nous séparent d’on ne sait quoi, d’on ne sait qui, le plus terrible c’est quand ça s’arrête, il ne nous manque rien, ni les cris de Dickie Harrel ni les escadrilles mouchetées de Cliff Gallup, l’on était ailleurs, dans une espèce de soucoupe volante emportée dans la houle du cosmos. Elle forme un tout, un condensé, un truc qui n’appartient qu’à Bill Crane, comprendre comment il a manigancé son miracle demanderait trop de temps, il vaut mieux fermer les yeux et se laisser bercer par ce clapotis venu de l’autre côté de nous-mêmes.

    Remercions Bil Crane de cette relecture du rock’n’roll qu’il nous offre. Tout le blanc du passé, tout le jaune du présent condensés dans cet œuf séminal qu’il faudra un jour casser pour donner naissance au futur.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll ! 

    14

             Le Chef alluma un Coronado avant même de s’asseoir à son bureau qu’à ma grande surprise il me tendit aussitôt :

             _ Prenez-le, Agent Chad, c’est un Petulanto, lui a été le nom de ces légions gauloises qui se regroupèrent autour de l’Empereur Julien, pour lui offrir l’Empire, autant dire que dans les cas désespérés el Petulanto vous insuffle l’énergie et l’influx nécessaires aux accomplissements des grandes œuvres. Nous en avons un grand besoin.

             Le Chef avait (comme toujours) raison, le lecteur aura du mal à me croire, il y avait plus de quarante-huit heures que nous n’avions pas dormi. Nous avions parcouru de nuit comme de jour les rues de Paris. Au début les deux chiens marchaient allègrement devant nous. Nous les suivions d’un pas léger, dès que nous arrivions dans le dos d’un passant nous ralentissions. Hélas des centaines d’individus que nous filâmes discrètement sans bruit aucun n’émit le moindre mouvement à partir duquel nous aurions pu envisager qu’il se préparât à traverser un mur. Des citoyens lambda qui stupidement rentraient chez eux en passant par la porte. Certains s’arrêtaient dans un bar ou un magasin, d’autres hélaient un taxi ou se rendaient chez le coiffeur. Quelle triste humanité maugréions-nous entre nos dents. Les dernières heures, Molossito s’était écroulé de fatigue, j’avais dû le porter dans mes bras je ressentais sur mes mains la brûlure du bout de ses pattes. La pauvre bête n’en cessa point autant de surveiller le moindre individu qui marchait devant nous, la gueule entrouverte pour nous signaler au plus vite le moindre mouvement suspect.

             Je ne voudrais point que l’on m’accusât de publicité clandestine, voire de peyola, en faveur del Pétulanto, il ne s’était pas écoulé une demi-heure, que la fatigue et l’ensommeillement qui embrumait mon esprit disparurent comme par miracle. Non seulement je me sentais en pleine forme mais il se produisit comme une décharge électrique en ma boîte crânienne, mes neurones s’entrechoquaient à la vitesse de l’éclair.

    • Chef auriez-vous un mouchoir dans votre poche ?
    • Agent Chad, j’en ai toujours un sur mon Rafalos, dans les circonstances difficiles je fais mine d’être enrhumé et de me moucher, à la quatrième ou cinquième fois, c’est mon Rafalos que je sors et je liquide l’empêcheur de tourner en rond qui se met en travers de mon chemin. Tenez, le voici, ne l’abîmez pas c’est ma grand-mère qui…
    • Qui vous a enseigne le coup du mouchoir ! Ce devait-être une sainte femme !
    • Non Agent Chad c’est elle qui m’a offert ce mouchoir sur son lit de mort en me disant ‘’ Henri, ça peut toujours servir’’.
    • Chef j’ignorais que vous vous prénommiez Henri.
    • Pas du tout, dans les derniers mois de sa vie elle me confondait toujours, je n’ai jamais compris pourquoi, avec Henri IV.

    15

    Je vous raconterai un jour la suite de cette conversation étonnante qui dura bien deux heures. Je connais l’impatience de nos jeunes lecteurs pressés qui ont besoin d’action et de rebondissements.  Pour le moment je me contenterai d’en rapporter la fin.

    _ Chef, maintenant que vous m’aviez confié votre mouchoir, auriez-vos une craie rouge à me donner ?

    _ Bien sûr, tous les amateurs de Coronados connaissent l’astuce, dans votre tiroir à Coronado il est bon de mettre un bâton de craie, le calcaire empêche l’humidification de la cape, toutefois Agent Chad, j’entrevois  ce que vous êtes en train de mijoter, attention cela peut se révéler dangereux, faites-le au plus vite, puis nous rentrerons chez nous illico presto pour nous reposer. Nous avons besoin d’une bonne nuit, dans notre état de fatigue avancée il est inutile que nous nous confrontions immédiatement à nos ennemis.

    Un quart d’heure plus tard nous descendions les escaliers…

    17 (A)

    Non, je me suis pas emmêlé les pinceaux, le chapitre 16 sera interpolé entre le 17 A et le 17 B , nous voici donc au lendemain matin lorsque nous remontons les quinze étages ( parfois dans la relation d’aventures précédentes j’ai indiqué 14 pour déstabiliser, niveau psychologique évidemment, un ennemi qui voudrait lancer une attaque contre les bureaux du SSR), les chiens sur nos talons, nous devisons sereinement sans nous presser. Le Chef s’arrête au niveau du troisième étage pour allumer un Coronado :

             _Agent Chad prenons notre temps, l’intérêt d’une surprise réside non pas dans sa révélation finale, mais dans l’attente, tenez par exemple à cinq ans quand ma grand-mère m’avait offert un tank chenillé pour poursuivre le chat du voisin dans le jardin, mon cœur a palpité comme jamais dans l’attente ultime de l’arrivée du Père Noël et non pas quand j’ai eu ouvert le cadeau. Surtout qu’avec mon véhicule j’ai renversé le sapin et écrasé la poupée de ma petite sœur qu’i a fallu amputer. Mais arrêtons de parler de moi, que pensez-vous que nous allons découvrir ?

    16

             La veille d’un coup d’un désinvolte coup de mouchoir j’avais effacé sur la porte l’inscription :

    1 à 1

    A CHARGE DE REVANCHE !

    Que j’avais remplacée grâce à ma craie rouge par la mention :

    NOUS AVONS ATTENDU

    TOUTE LA JOURNEE

    EN VAIN !

    SVP

    SOYEZ PLUS REACTIFS !

    Je sais que c’est d’un goût douteux, mais dessous j’avais dessiné un gros doigt bien tendu, dans le style des graffitis retrouvés sur les murs de Pompéi.

    17 (B)

             C’était écrit en grosses lettres sanguinolentes :

    VOUS N’AVEZ RIEN PERDU POUR ATTENDRE !

             _ Chef, ce passé composé ne me dit rien qui vaille !

             _ Agent Chad, c’est ce que je redoute, de Borodino comme dirait Napoléon,

    Je pense qu’ils nous ont joué un mauvais tour à leur façon, ouvrez-moi vite la porte du local !

             A première vue rien n’avait bougé. Une première et rapide inspection nous révéla que l’on n’avait touché à rien, ni aux collections de disques, ni aux revues, ni aux ordinateurs. Quelques vérifications nous permirent de vérifier qu’ils n’avaient même pas forcé nos mots de passe.

             _ Apparemment ils n’ont pas profité de leur pouvoir de traverser les murs pour visiter le local, aurions-nous vraiment à faire à des gentlemen. Jusqu’à maintenant à part l’enlèvement de nos chiens qu’ils nous ont rendus et quelques inscriptions sur la porte d’entrée, nous n’avons pas grand-chose, reconnaissons-le, à leur reprocher.

             Hélas le Chef changea rapidement d’avis. Le sourire aux lèvres il avait pris sa place au bureau et instinctivement il plongeait sa main dans le tiroir Coronados. Je me souviendrai toute ma vie de ce cri de bête blessée qui me transperça. Je crus à une attaque d’apoplexie, le visage du Chef s’était figé, sa figure prit l’aspect hideux de la tête de la Gorgonne, je crus entrevoir un entrelacement de vipères et de haine autour de son visage, dans le tiroir sa main s’était refermée sur des débris de cigares, l’on avait méthodiquement écrasé sa réserve de Coronados, ses yeux sortaient de ses orbites, il n’arrivait plus qu’à articuler de vagues sons, je crus entendre :

    • A-O-A-O-A-O-A-O-A-O

    Il répéta ce désordre borborygmiques plus d’une trentaine de fois cette suite de A et de O, je crus que son esprit effondré s’était bloqué, que l’une des intelligences les plus géniales de ce siècle avait splitté,  qu’il ne pouvait plus que répéter sans fin le mot Coronado, mais non j’étais loin du compte, le Chef reprit ses esprits :

             _ Bordel agent Chad, RA-FFA-LOS, RA-FFA-LOS-RA-FFA-LOS, Ra-FFA-LOS !

             Je compris ce qu’il voulait dire : je sortis mon Raffalos et commençai à tirer méthodiquement sur les murs, le Chef ne tarda pas à m’imiter, durant vingt minutes nous criblâmes de balles toutes les parois du local. Les chiens surexcités de tous les côtés aboyaient de toutes leurs forces. Nous arrêtâmes faute de minutions. Un étrange silence remplit la pièce, nous n’entendîmes plus que les lapements des chiens… Ils étaient en train de lécher une longue trainée de sang qui coulait d’un mur.

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 627 : KR'TNT 627 : GENE VINCENT / FOMIES / COLIN ESCOTT / SAM COOMES / RONNIE DYSON / ARCHE / ACROSS THE DIVIDE / BILL CRANE / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 627

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    11 / 01 / 2024

     

    GENE VINCENT / FOMIES / COLIN ESCORT

    SAM COOMES / RONNIE DYSON

    ARCHE / ACROSS THE DIVIDE

    BILL CRANE / ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 627

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

    - Là où il y a du Gene, il y a du plaisir

    (Part Three)

     

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             Avec un tout petit peu d’imagination, on verra la Ford Consul rouler dans la nuit à tombeau ouvert, sur la route de Bath qui longe l’A4, en direction de Chippenham. George Martin est toujours au volant, et, assis à la place du mort, se trouve Patrick Thompkins, le mec de la Fosters, l’agence qui organise la tournée. Serrés comme des sardines sur la banquette arrière, on retrouve bien sûr Gene Vincent, Kim Fowley et Mick Farren. La Ford fonce dans la nuit éternelle.

             Gene boit du Jack au goulot et feuillette un canard.

             — Sont sympas, les cats de Rockabilly Generation ! Font un hors-série sur bibi ! Hey, Kim, z’en ont déjà fait un, non ?

             — T’as raison, c’est le deuxième. Pour un mec qu’a pas de chance, t’es gâté, mon poto.

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             — Attends voir ! Ya Damie Chad qui m’tire un sacré coup d’chapeau, yeah ! Écoutez-ça les mecs : «L’on dit que parfois, un étrange volatile vient se poser sur l’ardoise délavée qui porte son nom. Ce serait l’âme de son frère d’ombre, celle du grand poète Edgar Allan Poe et l’on entend alors une merveilleuse clameur que la brise de la nuit se dépêche de dissoudre... La grande Amérique utilitariste s’est de toujours détournée de ce chant alterné de destins brisés qui mêle l’amertume des sanglots et les brillances des désirs insatisfaits.»

             Un ange passe. Mick rompt le silence :

             — Damie donne du doom.

             — C’est quoi du doom ?

             — Un glacis littéraire ! Damie Chad a pigé qui tu étais, Gene. Il est l’un des rares. Peut-être même le seul. Il t’associe à Edgar Allan Poe et ça, c’est du real deal d’ultra-fan qui te voit dans le cosmos et qui connaît ta musique par cœur. C’est du so far out à travers les genres et les époques, c’est en plein dans le mille de la cyber-structure alluvionnaire, il va cueillir l’exactitude au cœur même de l’infini des connaissances... T’as vraiment une veine de pendu, Gene, Damie te Pym le pion en beauté, il te Raven la façade à l’evermore, il t’Usher au Roderick et rac, à la Madeline de Proust, il t’Ovalise le portrait et t’oblate à l’Oblong, ce qui n’est pas rien, si tu y réfléchis bien...

             — Oh Mick, je pige rien à ton délire de speed-freak. Tu m’courais déjà sur l’haricot avec ton baratin sur Richard III !

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             — Mais c’était pas du baratin, poto ! Quand tu portais du cuir noir et tes gants noirs, avec ton col relevé et ton gros médaillon en or, t’étais la réplique exacte du Richard III qu’incarna Laurence Olivier dans ce cult-movie tourné en 55. Mon hommage vaut bien celui de Damie. T’es un cat trop ultime, Gene. Too far out ! On est obligé de t’associer à des gens comme Poe ou Richard III, parce qu’on ne peut t’associer à rien d’autre.

             Kim éclate de rire :

             — Le Richard III du rock’n’roll ! Coincé dans ce rôle, tu ne pouvais vraiment pas sourire ! T’étais complètement baisé, Gene. Un mauvais garçon ne peut pas être gentil.

             Mick ajoute :

             — Tu collais parfaitement au portrait qu’on a fait de Lord Byron, un mec cinglé, mauvais et dangereux à fréquenter... T’étais un peu Dracula en Harley Davidson !

             — T’as tout faux mon gars ! Jamais eu d’Harley ! J’roulais en Triumph Tiger 500 cm3, celle qu’a Johnny Strabler dans The Wild One.

             — Quand cette bonne femme t’est rentrée dedans avec sa Chrysler, t’es devenu une sorte d’Achille en cuir noir, un demi-dieu trahi par sa condition de mortel.

             — On pourrait pas parler d’aut’ chose que d’ma patte folle ? Et puis vous pouvez bien la ramener tous les deux ! Question bad boys of rock’n’roll, vous êtes pas mal non plus ! Toi Mick avec ta passion pour les amphètes et l’anarchie, et toi Kim, avec tes petites arnaques et tes tonnes d’histoires de cul...

             — On t’arrivera jamais à la cheville, Gene. C’est pour ça qu’on t’admire. Avec Damie Chad, on forme un fan-club de choc.

             — Vous oubliez Jimbo, les mecs. On s’piquait la ruche ensemble au Shamrock, ce rade de Silver Lake, au bout d’Santa Monica Boulevard, à Hollywood. Ce rade est dev’nu ensuite le repaire des punks de L.A. Jimbo me disait qu’y m’devait tout, le cuir noir, la posture au pied de micro ! Tu t’souviens du grand Jimbolaya, Kim ?

             — Yep, mais j’aimais pas trop le voir débouler au studio avec sa faune, quand on enregistrait I’m Back And I’m Proud.

             — Un drôle de plan....

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             — Oui, mais vachement intéressant ! Clive Selwood et John Peel venaient de monter Dandelion Records. Selwood ratissait le secteur de Los Angeles et Peely celui de Londres. Selwood s’est aperçu que t’avais plus de contrat, et comme Peely était l’un de tes plus gros fans en Angleterre, ils t’ont proposé le deal du siècle, et comme ils voulaient le meilleur producteur de la West Coast, ils m’ont contacté. L’idée était de sortir un smash, et d’exploser la rondelle des charts. Quand t’es arrivé au studio, t’avais drôlement changé, tu ne ressemblais plus à un vampire, mais à un moine jovial.

             Mick éclate de rire :

             — Avec un p’tit côté Guy Debord, ce qui n’est pas si mal, au fond, pas vrai Kim ?

             — T’avais pris du poids, poto. Pour te faire honneur, j’avais rassemblé la crème de la crème du gratin dauphinois : Skip Battin des Byrds, toujours en taille basse rouge, Red Rhodes, le roi de la pedal steel, Jim Gordon, qui a battu le beurre sur Pet Sounds, mais aussi derrière Gene Clark et dans Mad Dogs & Englishmen, et puis ton ancien cat des Blue Caps, Johnny Meeks. 

             — Franchement, Kim, j’ai pas du tout aimé ta façon de m’accueillir quand j’me suis pointé au studio. Tu m’as r’gardé du haut de tes deux mètres de grande chipolata et tu m’as dit : «Alors, c’est toi Gene Vincent ?». T’as eu du cul mon pote que j’le prenne pas d’traviole !

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             — C’était pour te faire monter l’adréaline au cerveau, Byron de mes deux ! Je sais que tu m’as pris en grippe. C’était fait pour. 

             — Ah le pire, c’est quand tu m’as interdit d’boire !

             — Ah ouais, tu trimballais ton fucking attaché-case et tes trois bouteilles de Martini. T’étais pathétique. Glink glink. On t’entendait marcher dans la rue avec tes litrons. 

             — Alors tu m’as balancé d’un air mauvais : «Personne ne boit dans ce studio !». T’es un fucking tyran ! T’es pire qu’Hitler ! Personne n’a jamais osé m’parler comme ça ! 

             Kim éclate de rire.

             — Moi si, ma poule !

             Alors Gene se tourne vers Mick et lui dit :

             — Tu sais pas c’qu’il a encore osé m’balancer, à moi, Gene Vincent, cet enfoiré de chipolata ?

             — Vazy...

             — Il m’a fixé dans le blanc des yeux et m’a dit : «Hey toi, tu vas me chier une de tes grosses merdes pour teenagers !». C’est un miracle qu’il soit encore en vie, ce fucking bâtard ! J’ai failli lui balancer un coup de béquille en travers de sa gueule !

             — Plains-toi pas, Gene, il fallait bien planter le décor.

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             — Ah tu parles d’un décor ! Quand j’y r’pense, c’est vrai qu’c’était un bon deal, même avec un cat aussi crazy que toi. J’avais un vrai plan de bataille. C’est moi qu’a choisi l’titre, I’m Back And I’m Proud. Je trouvais que ça sonnait juste. Je voulais faire un disque très commercial, pour rev’nir dans les charts, et montrer que Gene Vincent n’était pas cuit aux patates. J’ai choisi trois cuts que j’aime bien : «Rockin Robin» de Bobby Day, «Sexy Ways» d’Hank Ballard et le «White Lightning» du Big Bopper. Mais avec Kim, on roulait pas à la même vitesse.

             — C’est sûr ! Skip Battin disait que t’étais un fucking perfectionniste, alors que moi, j’aimais bien aller vite. Une prise et au suivant ! Tu prétextais toujours que la première prise n’était pas bonne et tu voulais en faire d’autres.

             — J’en fais en général une vingtaine...

             — C’était hors de question, et tu veux savoir pourquoi ?

             — Vazy dis...

             — Parce que je m’ennuyais à crever T’avais l’air de te complaire dans une variété pathétique. Tu devenais atrocement conventionnel. Comme Elvis. On t’avait limé les crocs. T’avais perdu la niaque de «Bird Doggin’» et de «Woman Love». Je hais le ventre mou du rock américain ! Je te vois encore te trémousser sur ton tabouret quand tu chantais «Rainbow Of Midnight». Des légendes ramollo comme toi, j’en ponds dix chaque matin ! J’avais plus qu’une envie : t’attraper par le colback pour te faire bouffer ta béquille, ton cran d’arrêt et tes trois bouteilles de Martini.

             Mick ajoute, d’une voix sourde :

             — Johnny Meeks a même dit que vous avez tous les deux massacré cet album. Pourquoi t’as pas tapé dans Hank Williams, Gene ?

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             — Mais si, j’ai tapé dans l’Hank ! Ya «No. 9 (Lonesome Whistle)» sur I’m Back, et avant ça, j’avais déjà tapé des sacrément bonnes covers d’«Hey Good Lookin’» et d’«Your Cheatin’ Heart».

             — L’Hank c’est capital, car t’en es l’héritier direct ! Tu sais qu’à l’âge de quatorze ans, l’Hank tournait déjà avec les Drifting Cowboys, et qu’il buvait comme un trou.

             — Ouais, tout l’monde le sait...

             — Puis il est passé à la benzedrine et à l’hydrate de chloral, pour tenir le choc des tournées. Il s’est allumé la tirelire aux amphètes, comme Elvis.

             — Ça c’est ton rayon, Mick ! Mais tout c’que tu rabaches, on l’sait déjà...

             — Voilà où je veux venir : c’est lui, l’Hank, qu’a inventé le mythe romantique de l’auto-destruction systématique, en cassant sa pipe en bois à 29 ans sur la banquette arrière de sa Cadillac bleue, alors qu’il taillait la route pour Canton, Ohio. Bien avant Chucky Chuckah et Moonie, il baisait des mineures et tirait des coups de feu dans des chambres d’hôtel. Le monde de la country fourmillait d’ivrognes, de bagarreurs, et de fouteurs de merde qui ne furent pas excommuniés, mais l’Hank le fut. Tu sais pourquoi ?

             — Parce que c’était en vampire en Harley Davidson ?

             — Pfffff ! Parce qu’il injectait dans sa country du sexe pur, en plus d’une pointe de blues que lui avait transmise Tee-Tot, le mentor black de son enfance. L’Hank préfigurait le rock’n’roll. Au début des fifties, il terrorisait Nashville, mais des gosses comme toi, Gene, et comme Elvis, vous le dévoriez déjà des yeux. Toi et l’Hank vous avez le même look, l’œil hagard et le visage émacié des petits loubards à la dérive. Vous êtes tous les deux parfaitement incapables de gérer vos démons. Alors, vous vous laissez aller, drivés par l’alcool, la dope et le hurlement des guitares électriques.

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             — Dès fois, Mick, je trouve que t’en fais un peu trop. C’est vrai qu’Hank est un crack, mais l’Hank c’est l’Hank, et moi c’est moi. Chais pas pourquoi vous avez tous la manie d’vouloir me rattacher à d’autre zigs ? Pour montrer l’étendue de votre culture ? J’aimerais mieux qu’on m’calcule comme un p’tit mec de Virginie, capable de rocker des salles et d’enregistrer des chouettes 45 tours. Mick, je me souviens d’un passage que t’as écrit sur moi dans ton book, que j’ai bien aimé, comme le passage de Damie Chad, tout à l’heure. J’l’ai tellement bien aimé que j’l’ai appris par cœur, tu sais, c’est ton passage sur le show au London Palladium : «Cette fois, ce sont les Teddy Boys anglais qui par leur présence et la force de leurs acclamations créèrent les conditions d’un concert exceptionnel et purent pendant une demi-heure revivre leur jeunesse enfuie. Les Teds étaient sur leur 31, portant des vestes longues, des pantalons serrés, des creepers à semelles compensées. Ils sifflèrent les Impalas et les Nashville Teens qui jouaient en première partie, puis, quand Gene Vincent arriva sur scène, ils se mirent à hurler et à danser dans les allées, exactement comme en 1959, okay ?» Là, oui, ça m’va bien. C’est nickel-chrome. Ça colle à la réalité.

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             — Ouais, mais attends Gene, t’as raison, mais à côté de ça, tu ne peux pas empêcher les gens de te voir sous un autre angle. En devenant Gene Vincent, t’as pris pied dans c’que j’appelle la tragédie d’essence antique du rock’n’roll. Comprends bien que dans l’univers du rock - et avant ça, dans l’monde du jazz et du blues - y a eu des personnages comme Robert Johnson, Charlie Parker, Johnny Ace, puis des mecs comme Jimbo, Moonie et Sid Vicious, dont la personnalité se situait bien au-delà d’la musique qu’ils jouaient. Certains d’entre-eux furent pleinement acceptés comme étant représentatifs de leur époque et sont devenus les dieux de c’qu’il faut bien appeler des tribus des temps modernes, dont les racines plongent dans la nuit des temps et qui parviennent à s’adapter à notre époque.

             — J’pige rien à ton délire. Franchement, j’entrave que dalle. T’es trop intello pour moi, Mick. Je préfère Kim quand il m’insulte. Là, oui, je pige tout d’suite.

             — Bon d’accord, je vais te le dire autrement : sur le papier, Jimbo semble mille fois plus important, en termes de starisation, que tu ne l’as jamais été. Et pourtant, vos destins vous rendent égaux. Mais c’est toi Gene qui a inventé ce personnage du rocker qui donne tout son sens au rock’n’roll. Sans cet esprit à la fois destroy et romantique, le rock n’est plus qu’une simple musique de danse, comprrrrendo ? Pour te l’dire autrement, ta légende est absolument ir-ré-pro-cha-ble. Ça te va comme ça ?

             — Je l’savais déjà, Mick. Tu vas t’faire une entorse à la cervelle, si tu continues à délirer comme ça. Tiens bois un coup, tu dois avoir la gorge sèche, à force de baratiner.

             — Quand j’t’ai vu pour la première fois sur scène, c’était en 1961, à l’Essoldo de Brighton. T’as changé ma vie. Comme t’as changé celle de David Lynch. Tu sais pourquoi ?

             — Parce qu’il était un vampire en Harley Davidson ?

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             — Non, poto, parce que dans Wild At Heart, il te rend l’hommage définitif : il utilise  «Be-Bop-A-Lula» comme un motif musical et fait monter Sailor et Lula à bord d’une Cadillac El Dorado 1975 décapotable. Sailor porte la veste en peau de serpent que portait ton idole Marlon Brando dans The Fugitive Kind. Avec ce road movie, David Lynch a fait d’toi l’une des grandes icônes du kitsch démoniaque. À l’Essoldo de Brighton, ton col relevé encadrait ton visage cadavérique. T’étais aussi blanc que Dracula et des mèches trempées de sueur s’écroulaient sur son front. Tu levais les yeux vers un point imaginaire, perdu dans la voûte de l’auditorium, comme si tu fixais les anges malveillants qui tournoyaient et qu’on ne pouvait voir.

    Signé : Cazengler, madame sans gêne

    Rockabilly Generation Hors Série # 4 Spécial Gene Vincent - Janvier 2024

    Mick Farren. Gene Vincent: There’s One In Every Town. Do-Not Press 2004

    Gene Vincent. I’m Back And I’m Proud. Dandelion Records 1970

     

     

    L’avenir du rock

     - Travail de Fomies

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             Côté folies, l’avenir du rock en connaît un rayon. C’est même l’un de ses moteurs, il pousserait bien le bouchon jusqu’à s’en couronner l’épitaphe, s’il ne se retenait pas, ces folies qu’il sent rouler en lui comme des fleuves en furie, ces folies qu’il adore comme des déesses antiques, il se jette à leurs pieds, les Bergères et les Méricourt, et puis on le verra encore se prosterner jusqu’à terre devant les érudits aberrés, les stratèges de la science de la patate chaude jadis dénombrés par Charles Nodier, les quadrateurs du cercle et les Christs des oliviers nervaliens, le Raymond-la-science-inexacte de Locus Solus et le plein-chant des Chants de Maldoror d’un Ducasse qui cassa les caciques, les Contes Immoraux du colosse Pétrus pétri de Borel, oh et puis la Lettre À Dieu de l’incompatible Xavier Forneret qu’il faut bien sûr accoupler avec les hennissements d’Artaud le Momo, livré à lui-même avec Pour En Finir Avec le Jugement de Dieu, lors d’une si scélérate radiodiffusion, voilà tout ce qui captive profondément l’avenir du rock, voilà l’ensemble des mille pieuvres dont son crâne s’envahit, jusqu’à la fin des temps, il restera à l’écoute de ce bouillonnement souterrain de l’esprit libre, il jouira d’entendre cette pression mirifique lui battre les tempes, bah-boom, bah-boom, il acclamera encore tous ces antihéros qui surent arracher leurs chaînes et renier toute pudeur et toute mesure, toute espèce de contrainte morale ou esthétique, tout sentiment et tout matérialisme, pour enfin exister à la folie, et il replongera sans fin dans ce festin de destins mirifiques, au nombre desquels il compte l’ineffable Moonie d’au clair de la lune, et bien d’autres fabuleux hétéroclites du rock comme Roky le roquet, Syd Barrett-m’était-conté, Skip on-rolling-Spence, Vince my-Taylor-is-not-rich, et lorsqu’enfin, tel un Des Esseintes épuisé, il atteindra le fond de son filon de folies, l’avenir du rock abandonnera les folies pour passer aux Fomies.

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             Alors t’es là en train de siffler ta mousse au bar et soudain tu entends une explosion. Alors tu files vite fait à la cave voir ce qui se passe. Le groupe s’appelle Fomies. Cinq mecs entassés sur la petite scène, deux qui grattent leurs poux sur des bêtes à cornes, un bassman en plein élan cathartique, un steady beurreman, et derrière, noyé dans l’ombre, un mec claviote comme un damné. Dire que ces mecs sont explosifs, c’est un euphémisme. Ils cultivent une science du décollage qui en impose, ils arrachent littéralement leurs heavy krauty cuts du sol, comme le fit Howard Hughes avec son monstrueux hydravion, c’est exactement le même power, ils jouent vite et fort, mais ils ont en plus des réserves considérables, et leur jeu consiste à faire exploser le cut en plein ciel, ce qu’ils font avec une facilité déconcertante ! C’est à la fois sidérant et complètement réjouissant, leur power a quelque chose de surréaliste, c’est peut-être la première fois qu’on voit un groupe cultiver le meilleur hypno du monde, le Kraut, et soudain déclencher une explosion pour aller crever le ciel, bien sûr ils ne crèvent rien, car il se cognent à la voûte de la petite cave, mais leur élan est pur, et la maigre assistance saute partout. Impossible de résister à leur assaut. Dans un tel moment, tu assistes au twist des planètes. Le rock reprend tout son sens. Il redevient la forme d’art la plus immédiate, celle qui te saute à la gorge. Les Suisses font de l’art moderne exubérant, te voilà happé et happy. 

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             En plus, ces mecs sont d’une modestie parfaite, quand on leur dit qu’ils sont vraiment bons, ils disent merci. De toute évidence, ils savent qu’ils sont bons, mais ils ne la ramènent pas.  Ce sont des Suisses, basés à Vevey, pas très loin de Montreux, et bien sûr, ils écoutent les Osees. C’est la même énergie, et le petit mec au beurre vaut bien les deux batteurs de John Dwyer. Lui et son collègue bassman constituent une fière rythmique, ces rythmiques qu’ont dit invincibles et qui ont fait les beaux jours de Can et d’Hawkwind. Les Suisses tapent exactement au même niveau. Can et Hawkwind nous ont souvent fait sauter en l’air, alors avec Fomies, c’est exactement la même chose. La surprise est de taille.

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    Ils sont en deuxième position sur une prog de trois groupes, et bien sûr, il faut craindre pour la santé mentale du troisième groupe, les Italiens de Giöbia. D’ailleurs, ils sont dans la cave et assistent au carnage. Ils vont devoir redoubler d’efforts pour surpasser le power des Suisses, ce qui paraît bien sûr impossible. Personne ne peut jouer après Fomies. C’est tout de même dingue de tomber sur des groupes parfaitement inconnus qui sont aussi bons.   

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             Alors on fait une razzia au merch. Le bassman précise qu’ils ont joué essentiellement les cuts d’Ominous Prominence, leur dernier album. On espère retrouver les explosions du set. Ils démarrent d’ailleurs leur set avec le «Glass Pyramid» d’ouverture de bal d’Ominous Prominence, un cut travaillé au heavy doom suisse. Crédible. Visité par un solo à l’étranglée. Bardé de bon son. Et boom !, ils embarquent «Lakeside Fever» en mode Kraut. Énorme ! Dans la poche. De vrais diables. Ils développent avec frénésie, c’est exactement ce qu’on a vu sur scène. Belle dégelée de dévolu. C’est à toute épreuve. Plein d’accidents et de redémarrages. Hypno magique. Digne des grandes heures du duc de Dwyer. On retrouve aussi le «See» du set, bien arrosé de heavy riff raff. Ils s’inspirent encore du premier Sabbath, avec un son frais comme un gardon de Birmingham.Ils sont en plein Sab, ils concentrent les explosions pour mieux exploser. Mais ça traîne un peu en longueur et ça se dilapide. Ils renouent avec le génie dans «Barren Mind». Belle ampleur du geste. Ces mecs savent bâtir un petit empire. Ils restent sur la brèche. Puissants et toujours intéressants. Curieux cut que ce «Confusion» attaqué en mode Talking Heads, avec un riff de Stonesy. Ils reprennent la main avec un chant en lousdé. C’est vite torché, avec les Suisses. Et toujours ce beurre du diable. Fin d’album spectaculaire avec «The Eyewall» et «Chermabag», deux des hits du set, cavalés tous les deux à l’haricot du kraut, leur «Eyewall» file ventre à terre en territoire des spoutnicks, c’est brillant, plein comme un œuf, bourré de relances, une véritable aubaine. «Chermabag» repart de plus belle, ils tapent ça upfront, ça défonce les barrages et tu as même un solo de destruction massive dans la matière en fusion. Ils détruisent tout sur leur passage. L’herbe ne repousse pas après le passage de Fomies.

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               L’album précédent s’appelle Sudden Lag. Le morceau titre est l’un des cuts les plus explosif du set de Fomies. On retrouve bien le passage à l’acte dans la version studio. Ça sonne même comme un hit dès l’intro. Pure furia del sol. Les deux bêtes à cornes foutent le feu. Tu ne bats pas Sudden Lag à la course. Ces mecs ont tellement de souffle qu’ils te collent au mur. C’est extraordinairement bon. Les poux tombent à bras raccourcis sur le beat. Quel carnage ! Ils virent hypno Kraut histoire d’endormir la méfiance, tu commences à somnoler, ça gratte des poux dans la pénombre et le bassmatic commence à grignoter le foie du cut, c’est le moment que choisit ce démon du beurre pour relancer, mais il relance comme un porc, avec une animalité terrifiante, alors ça explose dans le ciel ! C’est leur truc. Et ça continue de monter par étapes, avec une sorte d’imparabilité des choses, on assiste sidéré au retour du couplet, ça joue dans l’ass de l’oss et ça monte encore pour exploser. Ils ne vivent que pour ça, l’explosion. Et les poux foutent le feu. Le «Noise Less Noise» d’ouverture de bal est lui aussi fougueux comme pas deux, bien propulsé dans l’orbite du Kraut, le mec bat à la bonne mesure, et à un moment, ils décollent. Ils font du pur Can. Comme Can, ils ont l’énergie du beat. Même chose avec «Foggy Disposition». C’est vite noyé de poux et ça explose. Ils montent leur «Ego Trip» sur un riff tiré du premier album de Sabbath. Fantastique clin d’œil ! Ils font sauter le compteur des distos. Avec «A9», ils filent en plein dans les Osees. C’est merveilleusement bien expédié, ils montent leur frénésie en neige, c’est très spectaculaire, ils vont s’encastrer délibérément dans des platanes à coups de solos transgressifs. Tu ne perds pas ton temps à écouter ces mecs-là.

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             Et puis tiens, cadö ! Oh merci ! Un petit EP. On ne crache pas dessus. Fakie Homie Surfboard. 5 Titres. Quelle belle aubaine, car en 2017, les Suisses étaient déjà dans l’énormité. Leur «Paul» est bien gorgé de gras double, bien dérouillé. Ils tapent encore dans l’excellence du patrimoine gaga sixties avec «Complication». C’est même violemment bon. Ils refont «Farmer John» à la dure. Ils optent pour le wild roll over. Sans doute l’un des meilleurs shoot de gaga d’Europe. Ils te jettent ça en l’air et ça retombe sur ses pattes. Uns merveille ! S’ensuit un «West Ocean Sunday» complètement bousillé du bât flanc, trituré au gras double, on entend les bêtes à cornes, c’est énorme, ils sont agiles et puissants, et le départ en solo vaut tout Johnny Thunders. C’est complètement inexpected. Donc génial. Suite de la fête au village avec «River». Ça taille la route ! Et pour finir, ils t’explosent «Primus», et ça chante à la vie à la mort. Ces mecs sont avec les Monsters les rois du wild Swiss gaga, et même du gaga tout court.

    Signé : Cazengler, Fomironton mirontaine

    Fomies. Le Trois Pièces. Rouen (76). 13 décembre 2023

    Fomies. Fakie Homie Surfboard. 2017

    Fomies. Sudden Lag. Hummus Records 2022

    Fomies. Ominous Prominence. Taxi Gauche Records 2023

     

     

    The Memphis Beat - Escott me, partner !

     

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             S’il est un grand Sunologue devant l’Éternel, c’est bien sûr Colin Escott. Son Good Rockin’ Tonight ressemble étrangement à un passage obligé. C’est en tous les cas l’ouvrage qui permet d’écouter tous les Sun cats en parfaite connaissance de cause. L’Escott les passe tous en revue, un par un, ils sont venus, ils sont tous là, comme dirait Charlot dans «La Mama». Le plus bel hommage est bien sûr celui que rend l’auteur à Sam Phillips, et Peter Guralnick se joint à lui dans la préface pour saluer le génie d’Uncle Sam. Il cite Cowboy Jack Clement : «Si Elvis était une star, alors Sam Phillips était une superstar.» En seulement une décennie, et en tant que one-man operation, Sam a selon Guralnick créé un monde auquel rien ne peut être comparé, the stylistic bedrock not just for rock’n’roll but for much of modern blues as well. Guralnick va loin, car il parle de vision historique, et c’est de cela dont il faut se souvenir. Guralnick re-cite cette phrase de Sam qu’on aime à croiser, lorsqu’il évoque Wolf : «This is where the soul of man never dies», et Guralnick ajoute dans la foulée : this is what Sun records was about. On ne peut espérer plus beau mélange de magie et de légende, ce sont les vraies racines du rock, tout vient de cet homme et des amis. It was in the Sun studio that rock’n’roll was born. L’Escott rappelle aussi que l’instinct de Sam était infaillible : en huit ans, il a découvert B.B. King, Wolf, Ike Turner, Rufus Thomas, Elvis, Johnny Cash, Jerry Lee, Carl Perkins, Charlie Rich, Roy Orbison et beaucoup d’autres. Une fois installé à Memphis, Sam se sentit environné par des gens de talent. Sa seule préoccupation fut de capter le feeling de tous ces gens. L’expertise musicale ne l’intéressait pas. Des professionnels auraient foutu Elvis et Johnny Cash à la porte. Par contre, Sam vit en eux deux diamants bruts. À part Sam, le raw n’intéressait pas les gens du business. Jim Dickinson rappelle que les yeux de Sam brillaient étrangement - You could look into his eyes and see whirling pools of insanity. You knew that he was looking down into your guts - C’est comme ça qu’il observait Wolf. Qu’il observait Elvis. Avec le feu sacré. Dévoré par la passion. Et Dickinson conclut : «Someting happened. That’s what he does that’s magic.» Chez Uncle Sam, tout marchait à l’adrénaline. Un bon chanteur ne l’intéressait pas plus que ça. Il voulait quelque chose de distinctif. Pour lui le plus important était la spontanéité. Quand en 1982, il évoque les techniques modernes et les overdubs, il traite tout ça de bullshit - I don’t go for it - Et il s’investit tellement dans ses artistes qu’il invente même la notion de producteur. Il crée un son à partir d’une atmosphère.

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             Pour évoquer le Memphis Sound, l’Escott cite Willie Mitchell qui avait remarqué qu’à Memphis, les musiciens jouaient légèrement en retard sur le beat - Behind the beat a little bit - Même le Bill Black Combo et Otis Redding, ajoute-t-il. Il y avait un demi-temps de retard sur le beat et il semblait que tout le monde allait se planter, mais ils balançaient pour se remettre sur le beat. Pour Willie Mitchell, on trouve aussi ce behind the beat dans le Memphis blues et chez Al Green.

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             L’Escott passe en revue toute l’équipe des pionniers blacks de Sun, Joe Hill Louis, Jackie Brenston & Ike Turner, Roscoe Gordon et bien sûr Wolf. Sam redit qu’il n’avait jamais vu des pieds aussi grands que ceux de Wolf - And I tell you, the greatest sight you could see today would be Chester Burnett doing one of those sessions in my studio. God what it would be worth to see the fervor in that man’s face when he sang - Sam fait une description apocalyptique de Wolf en studio - When the beat got going in the studio, he would sit there and sing, hypnotizing himself. Wolf was one of those raw people. Dedicated. Natural - Les blackos se passent le mot. B.B. King dit à Ike Turner qu’un blanc enregistre les nègres à Memphis. Sam tente de monter des deals avec Jules et Saul Bihari, puis avec Leonard Chess, mais c’est pas facile de faire des affaires avec des gens qui raisonnent plus en termes de profit qu’en termes de qualité artistique. L’un des premiers modèles de Sam est le «Boogie Chilling» De John Lee Hooker et son vrai premier coup d’éclat est bien sûr «Rocket 88» que dynamite Ike en studio derrière son Wurlitzer. Mais Sam avoue que Phil et Leonard le renard ne sont pas très honnêtes avec lui. Il finit par en avoir marre de se faire rouler la gueule par les frères Chess et les frères Bihari. Alors il monte Sun. Son frère Jud vient faire le promo-man. Little Milton est l’un des premiers à enregistrer sur Sun. Mais Milton est un caméléon, il fait du Fats Domino, du Elmore James, du B.B. King et du Guitar Slim. Ce n’est pas vraiment ce que Sam recherche. Il trouve plus de raw dans la guitare de Pat Hare qui accompagne James Cotton sur «Cotton Crop Blues». L’Escott parle d’un solo of extraordinary violence and passion. Ça date de 1954. Jusqu’à son départ de Memphis en 1954 avec Junior Parker, Pat Hare devint an early Sun trademark as well. Sam parle d’un mismatch of impedence sur son ampli, un Fender amp. Entre l’ampli crevé des Rhythm Kings d’Ike Turner et le mismatch de Pat Hare, Sam se régale.

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             1954, c’est aussi la naissance d’un mythe : Elvis. L’Escott rappelle qu’en 1954, la musique d’Elvis échappait à toutes les normes - How alien his music was - L’Escott s’émerveille encore de «Mystery Train» : il y a seulement trois instruments sur le disk, mais il sonne aussi bien que n’importe quel autre chart-topper. Elvis ne réussira plus jamais à sonner aussi bien qu’au temps de Sam - as fresh, as wild, as loose - Edwin Howard parle de la vie d’Elvis comme d’une tragédie : «Il aurait pu évoluer, étudier et voyager, mais il préférait rester dans le monde de son enfance, en louant des salles de cinéma, des manèges et en badinant avec des poupées. La quarantaine ne lui a pas réussi et le troisième âge aurait été obscène. Sa vie était devenue si lamentable qu’à mes yeux, sa mort l’est moins.» Mais grâce à Sam, Elvis a révolutionné le XXe siècle en donnant vie au rock’n’roll. Roy Orbison se souvient de la première fois qu’il vit Elvis sur scène : «First thing, he came out and spat out a piece of gum onto the stage. He was a punk kid. A weird-looking dude.»  Sam admire aussi le style de Bill Black - It was a slap beat and a tonal beat at one and the same time - C’est important, car il n’y a pas de batterie dans le studio. Sam rajoute de l’écho pour graisser le son. Et sur scène, Bill fait le show, alors que Scotty reste concentré sur sa guitare. Mais en 1955, Sam n’a plus un rond. Il vient de racheter les parts de Jud dans Sun et il se retrouve sur la paille, avec le Colonel qui rôde autour de lui comme une hyène. Sam doit se résoudre à vendre le contrat d’Elvis pour éviter de couler. Il craint surtout les poursuites du Colonel qui est devenu manager d’Elvis, en cas de défaut de paiement des royalties.

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             C’est là que débarque Johnny Cash, un artiste très limité aussi bien côté voix que côté jeu. Mais Sam fait une force de ces faiblesses. Cash ne s’embarrasse pas avec les scrupules. Il propose très vite son «Folsom Prison Blues» qui est un pompage note pour note du «Creshent City Blues» de Gordon Jenkins. Ce que Sam apprécie le plus chez Cash & the Tennessee Two, c’est l’originalité de leur son. Sam lance Cash et puis un jour il entend des rumeurs. Cash aurait signé un pré-accord avec Columbia qui prendrait effet à la fin de son contrat Sun. Sam n’y croit pas. En avril 1958, Sam va chez Cash, il sonne à la porte - Je l’ai fixé dans le blanc des yeux. John, on me dit que tu as signé un accord avec un autre label qui prend effet le jour de l’expiration du contrat Sun. Je veux que tu me répondes d’homme à homme : est-ce que c’est vrai ? J’ai su au moment où il ouvrait la bouche qu’il mentait. C’est la seule putain de fois où Johnny Cash m’a menti, et je savais la vérité ! Ça fait mal ! Ça fait très mal ! - Sam rappelle qu’il a consacré énormément de temps à Cash, et à Carl Perkins qui va lui faire le même coup. Il pense que Cash et Carl étaient jaloux de Jerry Lee auquel Sam consacrait alors énormément de temps et de moyens - Ils étaient tous très jeunes et il y avait énormément de jalousie - Sam avait réussi à faire du son de Cash, Luther Perkins et Marshall Grant le son le plus innovant et le plus original en country music depuis la mort d’Hank Williams. 

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             Sam tente aussi de faire une star d’Harmonica Frank, a modern-day hobo, un one-man band qui chantait d’un côté de sa bouche avec un harmo coincé de l’autre côté de la bouche, et qui s’accompagnait à la guitare. Sam avoue que s’il en avait eu les moyens financiers, il aurait fait de Frank Floyd une institution. Par contre, ça ne marchait pas avec Charlie Feathers. Un mélange de mauvais caractère, de poisse et d’erreurs d’appréciation lui firent prendre le chemin des bars minables, alors qu’il pouvait prétendre au rond du projecteur comme Carl Perkins, Elvis et Cash. Et à force de réécrire l’histoire, nous dit l’Escott, il est finalement devenu une star de la réécriture de l’histoire. L’Escott n’y va pas par quatre chemins ! Et puis se montrer impatient avec Sam n’était peut-être pas la meilleure chose à faire. D’ailleurs Sam dit que Charlie était quelqu’un de difficile - a little difficult to work with - Sam ajoute que Charlie racontait des histoires et qu’il finissait par y croire. À ses yeux, le talent de Charlie était dans la country - the blues feeling he put into a hillbilly song - Il aurait pu être the George Jones of his day. Par contre, Carl Perkins, c’est du pur honky-tonk - But you could never take the country out of Carl Perkins - L’Escott affirme que Carl travaillait dur pour échapper à un destin de fermier. En jouant son honky-tonk avec un blues feel, Carl allait inventer un son hybride qu’on allait appeler le rockabilly. Lui et Elvis étaient les seuls à savoir le faire, en 1954. C’est la femme du Carl qui un jour entend Elvis chanter «Blue Moon Over Kentucky» à la radio, dans la cuisine, et qui s’exclame : «Carl, that sounds just like y’all !» Et quand Sam voit débarquer Carl pour la première fois à Memphis, il voit tout de suite le paysan : «One of the greatest plowhands in the world !» Carl adore chanter bourré. L’Escott souligne que Carl en a un sacré coup dans le nez quand il enregistre «Her Love Rubbed Off». Il va même comparer le style douteux de Carl à celui de Jimmy Reed. Carl est comme Hank Williams, un poète rural, ses racines sont les Tennessee barrooms. L’Escott rapporte aussi des incidents de tournée avec Jerry Lee : dans la loge, il y avait Carl, Warren Smith et Jerry Lee qui parce qu’il venait de sortir l’un de ses big records annonçait qu’il passait en dernier. Alors Clayton Perkins qui sifflait une rasade de whisky et lança à Jerry Lee : «If you’re going on last, we’re gonna fight !» Et puis comme Cash, Carl est secrètement pré-signé par Columbia, alors que son contrat Sun n’a pas encore expiré. Mais comme tous ceux qui ont quitté Sam, Carl ne put jamais renouer avec la magie de ses débuts - We were trying 100 percent and Sam Phillips captured it - L’Escott rappelle aussi qu’aux yeux de gens comme les Beatles, Carl était un vrai héros.

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             Par contre Sam ne sait pas quoi faire de Roy Orbison. Il est obligé de le laisser partir, mais il avoue regretter de ne pas avoir essayé d’en faire un rocker. Sam engage Roland Janes car il voit en lui un allié précieux : un guitariste privé d’ego. Malcolm Yelvington réussit à passer son audition chez Sun grâce à «Drinkin’ Wine Spo-Dee-O-Dee», un vieux coucou qu’il joue en tournée depuis longtemps, mais il est beaucoup trop vieux pour la gloriole. Ray Harris veut lui aussi sa part du gâteau et prend le parti d’être le rockab le plus sauvage d’Amérique. Sam croit que Ray va faire une crise cardiaque en studio, tellement il s’excite. «Come On Little Mama» date de 1956. Les paroles sont incompréhensibles, les musiciens limités, la production douteuse, mais la performance est irrésistible. Du pur jus de Sam. L’autre grand mystère Sun, c’est Billy Lee Riley, que Sam cantonna dans le rôle de house-band member avec Roland Janes et J.M. Eaton. L’Escott ajoute que Riley avait l’un des hottest working bands in the mid-South. Sam : «Riley was just a damn good rocker, but man he was so damn weird in many ways.» Sam dit que Riley l’intéressait, mais ce n’était pas facile de travailler avec lui. Quand il buvait un coup, il devenait quelqu’un d’autre - I was disapointed we never broke him into the big time. His band was just a rockin’ mother ! - Le vrai problème c’est que Billy Lee Riley n’a pas de style personnel. C’est un caméléon, comme Little Milton, doté d’un talent indéniable mais qui manque de direction. Il commence par faire le hillbilly singer, puis il veut faire le Little Richard blanc, puis des instros, du blues, des Whiskey-a-Go-Go albums, de la country soul, et donc tout et n’importe quoi. Warren Smith n’a pas non plus décroché le jackpot. Il a le look et la volonté de réussir, mais ça ne suffit pas. Il arrive malheureusement au moment où Sam met le paquet sur Jerry Lee. Warren le vit si mal que dès qu’il tombe sur un disk de Jerry Lee, il le casse en mille morceaux.

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             Alors justement, Jerry Lee. Sam et lui étaient destinés à grimper au sommet ensemble - And together they defined all that is best in rock’n’roll - On croyait avoir atteint des sommets avec Carl Perkins et Elvis. Eh bien non, c’est avec Jerry Lee que tout explose. Quand Jerry Lee cite les stylistes, il déclare : «Al Jolson is Number One. Jimmie Rogers is Number Two. Number Three is Hank Williams. And Number Four is Jerry Lee Lewis.» Quand Jerry Lee débarque pour la première fois à Memphis avec son père Elmo qui a vendu treize douzaines d’œufs pour financer le voyage, Sam est en déplacement. C’est donc Jack Clement qui reçoit un Jerry Lee qui prétend jouer du piano comme Chet Atkins. Jack le voit jouer et en effet, c’est très impressionnant. Il enregistre une bande pour la faire écouter à Sam. Quand de retour à Memphis Sam écoute la bande, il entend quelque chose de spirituel dans le son. Il dit à Jack : «Va me chercher ce mec immédiatement !» Lorsque le scandale du mariage de Jerry Lee avec Myra éclate en Angleterre, Sam prend sa défense. Il est outré par la violence de l’acharnement médiatique. Roland Janes affirme que Jerry Lee veillait à montrer que le scandale ne l’affectait pas : «He’s a very deep person. He could be hurting and never let it show.» Pour Roland Janes, Jerry Lee est un homme extrêmement honnête qui pensait que les gens s’intéressaient surtout à sa musique, et non à sa vie privée. Erreur fatale qui va presque lui coûter sa carrière. Mais même si Jerry Lee se sent trahi, mais il sait garder la tête haute. Roland Janes ajoute qu’il aimait Jerry Lee comme un frère. Il était son guitariste en tournée, ne l’oublions pas. Il conclut qu’il ne trouve personne qu’on puisse comparer à Jerry Lee, et là-dessus, on est tous bien d’accord avec lui - I don’t think even he knows how great he is.

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             Sam reprend son bâton de pèlerin pour saluer Charlie Rich : «I don’t think I ever recorded anyone who was better as a singer, writer and player than Charlie Rich. It is all so effortless, the way he moves from rock to country to blues to jazz.» La saga Sun se termine en 1962 avec Frank Frost, le dernier grand artiste de blues enregistré à Memphis. Un DJ de Nashville affirme que l’album de Frost est le meilleur album de blues qu’il ait entendu, mais c’est un désastre commercial. Dernier spasme de Sun avec les Jesters et «Cadillac Man». Grosse équipe : Dickinson, Teddy Paige, et Jerry, le fils cadet de Sam.

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             Et puis voilà, Sam en a marre, il vend Sun à Shelby Singleton qui maintient Sun en vie au long des années soixante-dix, avec des gens comme Sleepy LaBeef qui arrive vingt ans trop tard. Et Jimmy Ellis, plus connu sous le nom d’Orion Eckey Darnell et que l’Escott étripe - His style began and ended with affectation - Après avoir vendu Sun, Sam reste un peu dans le business, mais pas trop. Il manage des stations de radio et gère son portefeuille d’actions. Il se dit intéressé à produire Bob Dylan et aide Knox et Jerry à produire John Prine en 1978. C’est là que Dickinson raconte l’anecdote du projet qu’il monte avec Knox et B.B. King. Knox demande à son père s’il veut bien assister à la session d’enregistrement de B.B. King et Sam refuse. No. Knox veut savoir pourquoi il refuse. Et Sam répond : «Tu ne peux pas aller voir Picasso et lui demander de peindre une petite toile vite fait.» Dickinson dit que sa réponse peut paraître présomptueuse, mais c’est la façon dont il voit les choses. Une fois qu’on sort d’une aventure créative, il est difficile d’y revenir - Everything in recording is input and output and when you lose that signal flow, you never get it back - Rien de plus vrai.

    Signé : Cazengler, Escocott minute

    Colin Escott & Martin Hawkins. Good Rockin’ Tonight. St. Martin’s Press 1991

     

     

    Sam Coomes is coming

     - Part Two

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             Il serait bon d’installer Sam Coomes sur le trône d’American Popland. Hélas, deux rois se partagent déjà le royaume d’American Popland : Robert Pollard et Frank Black. Sam le sait, il est condamné aux ténèbres de l’undergound, mais comme il dispose des lumières d’un esprit bien tourné, il fait contre mauvaise fortune bon cœur.

             Il assoit sa réputation sur une ribambelle d’excellents albums, ceux de Quasi qu’on ne cesse de recommander à tout va. Quasi est un duo basé à Portland dans l’Oregon. Aux côtés de Sam Coomes, on retrouve Janet Weiss, qui bat aussi le beurre dans Sleater-Kinney. Le déroulé d’albums qui suit va montrer à quel point ce duo constitue l’une des forces vives de la nation américaine.

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             Qui aurait acheté leur premier album, le mystérieux R&B Transmogrification paru en 1997 ? Pas grand monde. Spin a dû faire le buzz, à l’époque. Très vite, Sam Coomes impose un style unique, un mélange de libertarisme littéraire et de libéralisme mélodique. «Ghost Vs Vampire» relève du pur génie. Pourquoi ? Parce que c’est un cut digne des Beach Boys et hanté par des renvois d’accords qui évoquent l’âge d’or du Teenage Fanclub, c’est-à-dire Bandwagonesque. Sam précise que le fantôme n’est pas le rival du vampire - It’s not mine to choose if I win or lose/ But he who last laughs the loudest - C’est à celui qui rira le plus fort ! L’autre coup de génie s’appelle «Chocolate Rabbit», perdu au fond de la B et claqué aux accords du Teenage. Voilà encore une extraordinaire shoote d’ambivalence prévalente, ou de prévalence ambivalente, c’est la même chose - On Easter I got a rabbit/ The biggest I ever saw - Il lui croque la tête et trouve le chocolat du lapin de Pâques dégueulasse. Oh mais ce n’est pas fini ! Sam met en place avec cet album sa principale obsession : la mort. Si on retourne la pochette, on voit le dessin d’un piano-cercueil. Ça tombe bien, car il chante «My Coffin», une chanson lancinante dans laquelle il raconte nonchalamment qu’il construit le cercueil dans lequel on l’enterrera un beau jour, et il espère, dans pas longtemps - One day I shall die & I should hope it won’t be long - Dès «Ghost Dreaming» qui ouvre ce bal de vampires, Sam crée les conditions de l’étrangeté maximaliste. Il chante d’une voix de pinson argentique et implante le weird dans le ness latéral, créant ainsi la weirdness latérale. On a là du pur dada montagneux. Dans «The Ballad Of The Mechanical Man», il rappelle que soon, on sera tous morts, et cette idée le détend - Soon we’ll be all dead/ It makes me feel so comfortable - Il relativise même ses relations sentimentales, comme on le voit dans «In The First Place». Sur le mode d’un balladif traîne-savate extraordinairement décadent, Sam explique qu’au début, il croyait qu’elle lui appartenait, il croyait même que cette possession était réelle, mais au fond, si on y réfléchit bien, ce genre de chose n’a strictement aucune importance - But now it’s no big deal/ It doesn’t matter - Puis on entend Janet pulser le beat dans l’énorme «Two Faced». En B, Sam rappelle dans «When I’m Dead» que quand il sera mort, vous serez tous en vie, debout dans le funeral home, à vous demander ce que vous allez faire de ce dead body. Fantastique poète morbide ! Sam pourrait bien être le Maurice Rollinat du royaume de Popland.

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             L’année suivante sort Featuring Birds. C’est encore un disque bourré de coups de génie du calibre d’«I Never Want To See You Again». Sam s’y envole. On se croirait dans le White Album des Beatles - We purshase pleasure/ Pay for it with hurt/ And we rarely get our money’s worth - On se ruine à s’acheter du plaisir et c’est souvent pour des prunes, comme dirait Gide. Et ça continue avec «The Poisoned Well», ou il raconte qu’on a le choix entre deux solutions : soit mourir de soif, soit boire l’eau du puits empoisonné. Il en profite pour lâcher une petite confidence - You don’t live long but you may write the perfect song - Voilà sa deuxième obsession, après la mort : écrire la chanson parfaite. Avec «Our Happiness Is Guaranteed», Sam chante l’absurdité de son temps - Fed by TV, we rarely need to sleep - et il rappelle que le bonheur de l’Américain moyen est garanti et que les rêves ne servent à rien. Il fait avec «Sea Shanty» une fantastique dérive musicologique - You and I go drifting by the abandonned vessel of the everyday - Il décrit sa vie quotidienne comme une errance à bord d’un vaisseau abandonné. On tombe en B sur un chef-d’œuvre de désespoir latent, «You Fucked Yourself», joué sur une valse à deux temps. C’est dégoulinant d’auto-dérision - You changed your mind when it’s too late/ Self deceit is your worst mistake - Oui, il ne fallait pas changer d’avis, il était trop tard de toute façon, et te mentir à toi-même est la pire des erreurs. Il tape encore dans le registre de l’inutilité des choses avec «I Give Up» - It’s gone so wrong/ So long - Il arrête les frais. On prend ensuite «Repetition» en pleine poire, Janet et Sam duettent et ça se fond dans le lagon d’argent. Ils chantent sur un heavy groove désespérément beau - Tell me now/ What’s the use of a brain - C’est gorgé de son jusqu’à l’oss de l’ass, Sam et Janet pondent là une sorte d’apoplexie musicologique digne d’un Brian Wilson qui serait l’enfant caché d’Oscar Wilde et de la fée Morgane. Une façon comme une autre de dire qu’il s’agit d’un disk magick.

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             Field Studies est un album à trois faces, comme l’immortel Second Winter. Il s’y niche une petite merveille intitulée «The Stars You Left Behind». On croit entendre le Mercury Rev de Deserter’s Songs, the sound of the Catskill Montains, noyé dans des brumes d’harmonies somptueuses - Far away from everything/ Far away from everywhere/ No one hears you sing - Tiens, encore une Beautiful Song avec «The Golden Egg» où il explique que ses chansons n’ont absolument aucun sens - Don’t believe a word I sing/ Because it’s only a song and it don’t mean a thing - On trouve en B l’«Under A Cloud» franchement digne des Beatles, et d’une grande fraîcheur de ton. Avec «Bon Voyage», il chante une ode à la dérive des continents. Même quand il joue la carte du bastringue, comme c’est le cas avec «Birds», Sam garde l’œil rivé sur la mélodie. Et on se régalera de cette fable intitulée «A Fable With No Moral», dans laquelle il veut vendre son âme au diable pour avoir de quoi payer son loyer. Mais le diable n’envoie pas le chèque. Alors il décide d’aller vendre son âme dans la rue avec un écriteau. Soudain, le diable arrive au volant d’une Land Rover et dit à Sam que ce n’est pas à lui de vendre son âme. 

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             Paru en 2003, Hot Shit est certainement l’album de Quasi le plus connu. Ça démarre en fanfare avec le morceau titre qui encore une fois a tous les atours d’un coup de génie. Sam amène ça au slinging du Delta et Janet rentre dans le chou du cut en mode powerhouse weisspasienne. Ça donne un cut d’étrangement délicieux - Hot shit on a silver platter - On y assiste à une fantastique déglingue orchestrale ! Et ça continue dans une veine plus décadente avec un «Seven Years Gone» qui sonne comme un hit dès la première mesure. Une fois encore, Sam y crée un monde. Janet et lui se tapent ensuite une belle tranche de rock’n’roll avec «Good Time Rock’n’roll» - You got your crocodile boots/ I got my John The Conqueror root - Ils swinguent avec autant de classe que Chuck Prophet, et c’est pas peu dire ! Ils enchaînent avec «Master & Dog», une comptine d’une finesse remarquable, et qui bascule sans prévenir dans l’heavy fried-drenched psych à la Blue Cheer. Bam Bam, on entend même passer les éléphants de Scipion. Et pour finir le balda, voici «Drunken Tears» qui sonne comme le hit dont rêve Sam - So what if you’re not the genius/ You always thought you were - Il prend assez de distance avec son génie pour le tourner en dérision, et ça, les amis, ça vaut tout l’or du monde. Par contre, la B est complètement insignifiante.

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             Une joli petit coup de génie se cache sur l’album jaune intitulé When The Going Gets Dark : c’est le morceau titre, qui sonne comme un fantastique shoot de chanson à boire across the milky way. Sam le chante à la revoyure tarabiscopique. Il est vraiment le seul à pouvoir se permettre ce genre d’exhalaison. L’aut’hot hit de l’album se trouve au bout de la B des cochons : «Death Culture Blues». Sam et Janet cassent bien leur baraque. Sam joue comme un fou de Dieu - I’ve done my time/ I took my bath/ I’m back on track down the shining path - Et ça rime, en prime. On retrouve sa fameuse obsession morbide dès l’«Alice The Goon» d’ouverture de balda - Pull the plug/ Watch him die - Sam n’en finit plus d’étendre son empire sur la poésie avec des trucs du genre Sailing to the moon with Alice the Goon/ I’m Popeye the sailor man/ I live in a garbage can - Il est vraiment le Poe du rock (Hello Damie). On fait difficilement mieux en matière d’inventivité poétique. Avec «The Rhino», Sam va chercher l’insoutenable légèreté du hêtre. Il n’hésite pas non pas à taper dans le heavy groove hendrixien pour «Peace And Love», histoire de bien installer un texte terriblement désabusé. En B, on retombe sur le parallélisme avec Mercury Rev, grâce à «Poverty Sucks». Sam insinue même que ce n’est pas un péché que d’être pauvre.

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             American Gong pourrait bien être l’un des meilleurs albums du duo, ne serait-ce que pour «Repulsion» qui ouvre le balda. Oui, car voilà un hit pop bien battu en brèche, et Sam fait de la haute voltige sur le manche de sa guitare. Mine de rien, il bat tous les records. Il enchaîne avec un nouveau coup de génie intitulé «Little White Horse», qui raconte l’histoire d’un mec ordinaire, mais c’est délicieusement sur-orchestré. Il va de coup de maître en coup de maître avec «Everything & Nothing At All» puis «Bye Bye Blackbird» qui au premier abord se présente comme un hommage aux Beatles du White Album, mais Sam le pousse à un niveau purement exutoire. Il tire le rock de sa pop dans une vraie dimension poétique, et va puiser dans sa mélancolie des ressources insoupçonnables. Sam Coomes est un artiste ahurissant. Chaque fois, c’est un peu comme s’il divinisait sa parole - Bye bye blackbird/ Days are getting cold - Il swingue sa langue à outrance - Bye bye blackbird/ Fly into the sun - et à la fin, lorsqu’il arrive à l’article de la mort, il réclame la fameuse blanket of light, c’est-à-dire le linceul de lumière. Il se prépare à explorer l’au-delà dans «Death Is Not The End» - You’re off the hook/ But not for good - et se glisse dans la peau d’un suicidaire pour écrire les paroles de sa chanson - Everyday you cry like a child/ After a while you just get used to it - C’est tellement criant de vérité ! Et il met une mélodie chant superbe au service d’un texte épouvantablement explicite. Encore du texte de rêve dans un «Rockabilly Party» bardé de clameurs, joué au heavy riff et au mid-tempo dévastateur, avec un Humpty Dumpy assis on a fence, or on a wall as I recall/ It still don’t make no sense - Comme d’habitude, Sam ne parvient pas à donner du sens à sa vie. Il termine cet album fantasmagorique avec un clin d’œil aux Cajuns intitulé «Laissez les Bons Temps Rouler», mélodique en diable et donc parfait. Il revient en permanence sur l’à-quoi-bon, sur le lay the burden down pour renaître in le centre du soleil qu’il prononce en Français, évidemment.

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             Sam se lance en 2013 dans l’aventure risquée du double album avec Mole City. On ne peut pas dire que ce soit un album déterminant, ce serait exagérer. Par contre, tous les Dadaïstes sont unanimes pour se régaler du plantureux «Headshrinker» qu’on trouve en B. Oui car voilà du pur Dada sound - I think I must be blind/ Cause I never saw a word you said - Il pense qu’il est aveugle car il n’a jamais vu un seul des mots qu’elle prononce, et il ajoute que ce n’est pas compliqué de voir la lumière si c’est ce qu’on décide de faire. Voilà un chef-d’œuvre d’absurdité littéraire parfait et monté sur un tempo intriguant digne des pas de danse de Jean Arp au doux cacadou du Cabaret Voltaire, celui de Munich, évidemment. Avec «You Can Stay But You Gotta Go», Sam s’interroge encore une fois sur le sens de la vie, et constate la profonde vanité des choses - What it’s all about ?/ Haven’t got a clue - Quel sens ça peut avoir, il n’en a pas la moindre idée. On retrouve son goût pour la dérive surannée dans «See You On Mars» - I’m sailing on a slowboat to China/ Why should I care - On se croirait du côté de chez Swan. En B, on tombe sur un fantastique «Fat Fanny Land» joliment clap-handé - With her black leather boots & her Kevlar riot gear - et ça se termine comme d’habitude avec du game over. Sam renoue avec le grand art pour «Nostalgia Kills», un modèle de heavy rock américain, celui qui emporte la bouche et tous les suffrages de Suffragette City. On se croirait presque dans la démesure d’«Helter Skelter» et ce n’est pas peu dire ! En C, on tombe sur l’excellent «The Goat» joué au gras insistant et avec une aisance toujours aussi insupportable. Ce mec modélise son son comme J. Mascis, mais avec une approche plus plastique à la Rodin - I’ll be the goat any time you need it baby - Il se livre avec «Gnot» à un nouvel exercice de style à la Henri Michaux - I lead my life like it’s out on lean/ I guess my mind got a mind of its own - Il faut aller jusqu’à la dernière face, car c’est là que se niche l’effarant «New Western Way» dans lequel Sam prône le drop-out, c’est-à-dire fuir ce monde pourri des Mickey Mouse et autres gadgets des temps modernes pour retrouver les ciels et Raging Bull. C’est extrêmement littéraire, fabuleusement bien écrit et d’une justesse qui laisse rêveur.

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             Et puis voilà-t-y pas que Sam se fend d’un album solo, histoire d’ouvrir la brèche à de nouvelles fringales. L’album s’appelle Bugger Me et s’accompagne d’une beau douze pages, prétexte à déraison fictionnelle. Souvenons-nous d’une chose : Sam est un organiste, donc nous avons un album d’orgue et de strombolis electro, mais, car il y a un mais, la mélodie qui reste son arme fatale finit toujours par dominer la situation, et c’est exactement ce qui se passe dans «Stride On», l’étrangement beau cut d’ouverture de bal des Laze : envoûtement garanti. C’est même fabuleusement underground. On n’en attendait pas moins d’un loustic aussi éthique. Avec «Tough Times In Plastic Land», Sam passe au pur jus de tiptop Dada et tintinnabule sous la pleine lune au long de la rue de la Lune. You can’t argue with a crocodile, nous dit-il et il ajoute plus loin Ghost rider & Doctor Strange/ Hanging out on the astral plane - Voici donc le décor planté. Sam bâti un bel univers d’orgue. Il rebondit sur le dos du Dada Leg System. En B, on retrouve avec «Cruisin’ Thru» un faux air d’orge de barbarie, mais avec un objectif, comme dirait Bourdieu : la mélodie. Il se plaît à envoûter l’imprudent voyageur - Chuck out the old/ Suck in the new/ A stranger in my old town - Avec «Fordana», il épouse le galbe de la beauté antique et se répand à la surface du monde.  

    Signé : Cazengler, coomique troupier

    Quasi. R&B Transmogrification. Up Records 1997

    Quasi. Featuring Birds. Up Records 1998

    Quasi. Field Studies. Up Records 1999

    Quasi. Hot Shit. Touch And Go 2003

    Quasi. When The Going Gets Dark. Touch And Go 2006

    Quasi. American Gong. Kill Rock Stars 2010

    Quasi. Mole City. Kill Rock Stars 2013

    Sam Coomes. Bugger Me. Domino 2016

     

     

    Inside the goldmine

     - Dyson ardent

             Parce qu’il s’appelait Bison, on le surnommait Bison Futé. Mais en réalité, il n’était pas très futé. Pas fute-fute, comme on dit familièrement. N’importe qui à sa place aurait mal vécu d’être aussi mal surnommé. Bison l’acceptait plutôt bien, sans doute parce qu’il n’était pas très futé, donc moins susceptible que les gens qui se croient intelligents et qui ne le sont pas. L’avantage qu’avait Bison sur tous les cons, c’est qu’il n’avait aucune distance par rapport à lui-même : il se vivait en direct, d’homme à homme, pourrait-on dire. Il n’était pas du genre à s’observer dans un miroir et à ajuster des petites mèches noires. À sa façon, Bison avait compris un truc essentiel : ne jamais tourner autour du pot, c’est-à-dire son nombril, ce qui permet bien entendu de foncer. Alors Bison a toujours foncé. Chez lui, c’est génétique. Ce qui lui a permis de commettre quelques erreurs, qui sont, comme chacun sait, les clés de la connaissance. Bison a toujours fonctionné à l’instinct, il n’a jamais cultivé aucune idée de sa valeur, ça ne pouvait d’ailleurs pas lui traverser l’esprit. Bison sortait de chez lui, c’est-à-dire de sa tête, pour s’intéresser aux autres, mais à sa façon, très sommaire, très basique. Il créait ainsi des équilibres qui lui permettaient de vivre en paix avec les autres. Il devenait une sorte d’anti-Sartre, un surnom qui l’aurait bien fait marrer. De toute façon, il rigolait facilement : Bison futé ou anti-Sartre, c’est du pareil au même. Rencontrer Bison dans la rue et aller boire un café ou une mousse avec lui était chaque fois l’occasion de passer un moment paisible, pour ne pas dire agréable. Oh pas un moment de grâce, n’exagérons tout de même pas, mais on aurait échangé dix autres rencontres contre celle-ci. Le pur simplisme de son propos dessinait le cadre de la conversation et rien n’était plus jouissif que de veiller à ne pas le briser. Bison établissait à sa manière une sorte d’espace intermédiaire dans lequel il faisait bon fondre son propos, son temps, enfin tout ce qu’on peut offrir en de telles circonstances. On y goûtait cette plénitude qu’on ressent parfois, lorsqu’on contemple le ciel et que le temps s’arrête.

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             Pas de danger que surnomme Ronnie Dyson ‘Dyson Futé’. Dyson ardent lui va comme un gant. C’est sur Ready Or Not (Thom Bell Philly Soul Arrangements & Productions 1965-1978), la belle compile Kent consacrée à Thom Bell, qu’on a croisé la piste de Ronnie Dyson. Quand tu entends la voix du Dyson ardent, tu pars immédiatement à sa découverte. Il fit ses débuts dans Hair à Broadway. Son premier album parut sur Columbia, produit bien sûr par Thom Bell. Ce petit Soul Brother offre un rare mélange d’ingénuité et de maturité. 

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             Ingénu, comme le montre le portrait qui orne la pochette d’(If You let Me Make Love To You Then) Why Can’t I Touch You. Il a ce qu’on appelle un regard dévorant, ses deux grands yeux noirs plongent en toi. Il attaque son fantastique festin de Soul avec «I Don’t Wanna Cry». Il jette ses bras vers le ciel et s’impose comme un petit géant. Sa première cover est celle d’un cut de Laura Nyro «Emmie». Il en fait une belle tarte à la crème. Avec «I Just Can’t Help Believin’», il sert une grosse tranche palpitante de Soul des jours heureux. Quel tempérament ! Il chante d’une voix extrêmement colorée. Il peut monter très haut, comme le montre «She’s Gone». Ronnie Dyson est un fabuleux interprète. Il tape ensuite une cover de «Band Of Gold», un hit de Freda Payne signé Holland/Dozier/Holland. C’est plein d’allure et d’allant, plein d’all along the bay d’Along. Il boucle ce vaillant petit album avec une autre cover, celle du big «Bridge Over Toubled Water», idéal pour un brillant Soul Brother en herbe. Il en fait du gospel. C’est assez dément ! Soul on sailor ! Il mène bien sa barcasse.

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             C’est bien sûr Thom Bell qui produit One Man Band, un Columbia paru en 1973. Et là, wow !, oui, wow dès la pochette avec ce portrait du Dyson ardent à peine sortie de l’adolescence, et la fascination qu’il exerce s’accroît encore avec le morceau titre d’ouverture de balda, une pièce de Soul bien sentie, très orchestrée, qu’il chante à pleins poumons. Le Dyson ardent tape une Soul de bon aloi, pas très éloignée de Broadway. On sent la patte de Bell, le Gershwin black. Cette Soul est même un petit peu trop orchestrée, comme le fut celle de Brook Benton. En B, il tape une belle reprise du «Something» de George Harrison. On admire la fabuleuse attaque du Dyson ardent et les orchestrations du mentor Bell. Le Dyson ardent chante à la folie éperdue de la Soul. Il termine avec «The Love Of A Woman», un cut de fantastique allure embarqué aux percus, à la fois puissant et d’une élégance stupéfiante, un vrai coup de génie, le Dyson ardent chante tout ce qu’il peut, à la furie enchanteresse.  

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             Les deux meilleurs albums du Dyson ardent sont sans conteste The More You Do It et Love In All Flavors. Ils sont aussi énormes et aussi indispensables l’un que l’autre. The More You Do It grouille de pépites, tiens comme ce «Won’t You Come Stay With Me» planqué au bout de la B, un énorme groove signé Charles Jackson. Le Dyson ardent est un fabuleux Soul Brother, il expurge la pulpe du jus, ou le jus de la pulpe, c’est comme on veut. Fascinant Soul Brother. Comme il est ardent, il redouble d’intensité. Il attaque son balda avec l’«A Song For You» de Tonton Leon. Il chante ça à la prescience divine, celle qui ne pardonne pas. Il creuse sa Soul avec insistance. Le Dyson ardent chante d’une voix perçante et les compos de Charles Chuck Jackson & Marvin Yancy sont épatantes. Ce Jackson-là n’a rien à voir avec le grand Chuck Jackson. Charles Chuck Jackson est aussi le lead singer des Independants sur lesquels nous reviendrons dès que possible. Fantastique shoot de Soul des jours heureux avec «The More You Do It (The More I Like It)». C’est littéralement saturé de soleil et de Soul, il balance une Soul présente, étincelante, il chante au perçant pur avec une énergie de tous les diables. Il finit son balda avec un groove de 6 minutes, «You Set My Spirit Free», groove puissant et bien tempéré, nourri par des chœurs de filles délurées. Quelle virée ! Quel incroyable power ! De l’autre côté, «You And Me» sonne comme du Stevie Wonder, yeah yeah yeah, c’est du roule ma poule de première catégorie, une fast pop de Soul écarlate. Il tartine encore «Love Won’t Let Me Wait» dans le haut du panier, il se veut profondément intense, aux frontières du round midnite. Il sait aussi poser un yeah, comme on le voit faire dans «Lovin’ Feelin’». Il sonne comme un vétéran de toutes les guerres. Ronnie forever !

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             La pochette de Love In All Flavors est un peu bizarre : le visage de Ronnie Dyson est mal éclairé, alors sous son chapeau blanc, il est tout noir. Des petites putes noires se pressent autour de lui. Elles ont raison, car le Dyson est plus ardent que jamais. Boom dès «Ain’t Nothing Wrong». Il se couronne empereur du Groove à la cathédrale de Reims, il lève autour de lui des masses de chœurs chaleureux, sa Soul se fond dans la clameur de la Chandeleur. Il en fait une merveille suspensive, c’est probablement le groove de tes rêves inavouables, là tu entres dans l’artistry pure du Black Power. À sa façon, il survole toute l’histoire de la Soul avec une grandeur d’âme extraordinaire. Le Dyson ardent est un conquérant, aucune Asie Mineure ne saurait lui résister, surtout pas la tienne. Il dégouline de présence impériale. Encore un groove de qualité infiniment supérieure avec «Don’t Be Afraid». On peut même parler de qualité épouvantablement supérieure. Il y va au dur comme fer, il a le génie Soul chevillé au corps. Dommage qu’il soit passé à la diskö un peu plus tard. Il règne encore sur la Soul éternelle avec «I Just Want To Be There». Puis il attaque sa B avec le «Sara Smile» d’Hall & Oates, il s’enfonce dans ce délicieux dédale d’heavy Soul, il est mordant et présent à la fois, il chante sa Sara à tue tête, il devient un seigneur des annales de la Soul. C’mon ! Avec «Just As You Are», il est plus propulsif, le bassmatic va et vient entre ses reins, c’est définitivement énorme. Tout ce qu’il fait relève de la fantasmatique énormité catégorielle. «I Can’t Believe That» sonne comme la Soul d’un vrai héros. Il est magnifique et son album n’en finit plus de stupéfier. Il reprend la barre du groove avec «You’re Number One» et derrière les filles deviennent complètement folles, ah il faut voir ce lupanar ! Ronnie Dyon reste le seul maître à bord, il te drive ça d’une poigne de fer, il est l’un des grands drivers de son temps. Oui, il faut écouter «You’re Number One», Ronnie te groove ça dans le bas des reins, il te fond dans son beurre, il est ardent jusqu’au bout des ongles.  

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             Paru en 1979, If The Shoe Fits est un album résolument diskö. On sauve «Couples Only», la diskö des jours heureux, et le good time de «Long Distance Lover», car cet excellent chanteur qu’est le Dyson ardent dispose d’un timbre très précis, très oblitérant.

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             On reste dans le diskö avec Phase 2. Sur la pochette, Ronnie garde sa bouille d’enfant. Il chante d’une voix colorée et bien mûre. Il attaque sa B avec «Expressway To Your Heart», un petit shoot de diskö funk gentillet. Ronnie Tysonne bien son beat. C’est excellent. On sauve aussi «Foreplay», un petit soft groove. Ronnie propose une belle Soul de my my my. Il tient tête.

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             Son dernier album s’appelle Brand New Day, un Cotillon de 1983, beaucoup trop diskö pour les gueules à fuel, mais on se régale néanmoins d’«I Need Just A Little More», monté sur un beat sec comme un olivier. Fantastique ardeur ardente. Ah quel dommage que tout l’album ne soit pas de ce niveau. Il termine avec «You Better Be Fierce». Il tente sa chance et sa tentative est belle. Il s’agit de Ronnie Dyson, after all.

    Signé : Cazengler, Ronnie Bidon

    Ronnie Dyson. (If You let Me Make Love To You Then) Why Can’t I Touch You. Columbia 1970

    Ronnie Dyson. One Man Band. Columbia 1973   

    Ronnie Dyson. The More You Do It. Columbia 1976

    Ronnie Dyson. Love In All Flavors. Columbia 1977

    Ronnie Dyson. If The Shoe Fits. Columbia 1979  

    Ronnie Dyson. Phase 2. Cotillon 182

    Ronnie Dyson. Brand New Day. Cotillon1983

     

    *

    En voiture Simone, c’est reparti, première chronique rock de l’année, KR’TNT ! va encore rouler sa bosse. Pardon son Bossi. Car oui il s’appelle Simone Bossi. Non il n’a pas enregistré un disque mais une de ses photos m’a arraché l’œil. Le frontal, celui qui voit plus profond que les couleurs superficielles du monde.

    Remarquez ce n’est pas de sa faute. Je peux vous livrer les noms des coupables : Alexis Tytelman et Léo Leyzerowitz. From Paris (France). A eux deux ils forment Arche. Z’ont utilisé une de ses photographies pour la couve de leur premier opus. Ils l’ont un peu détournée, ceci n’est pas un reproche mais fait partie des aléas réceptionnels de toute œuvre livrée au public, en rajoutant au bas du cliché et le nom du groupe et le titre de l’album.

    EVERYTHING WILL DISAPPEAR

    ARCHE

    (Bandcamp - 23 / 12 / 2023)

    , gene vincent, fomies, colin escort, sam coomes, ronnie dyson, arche, ashen, bill crane, rockambolesques,

             A première vue l’entrée bétonnée d’un site militaire antiatomique. Un blockhaus de commandement et de survie. D’ailleurs l’appellation d’Arche ne participe-t-elle pas de cette notion de survivance post-apocalyptique, tout juste si l’on n’entrevoit pas la barbe blanche de Noé roupillant entre un tigre et un lion couchés à ses pieds. S’impose un sacré bémol à cette vision rassurante, la porte grand-ouverte de notre abri laisse à supposer qu’il n’est guère hermétique… Les trois termes du titre anglais dissipent la moindre parcelle d’espérance : rien ne subsistera ! Difficile d’être davantage nihiliste.

             Essayons de nous raccrocher aux petites herbes : ainsi sur YT la mention : leur projet : ‘’ Ils ( Alexis & Théo) ont à leur tour décidé de  prédire une période de grande désolation’’ n’incite point à l’optimisme… sur bandcamp leur succincte introduction : ‘’ Au commencement était le drone’’ veut-elle qualifier que leur structure musicale de base serait la répétition ou que l’utilisation militaire des drones aux frontières de l’Ukraine n’est qu’un avant-goût de notre futur immédiat…

             Rendons au neveu de César ce qui est à Auguste et à Simone ce qui est à Bossi. C’est bien l’empereur romain qui a donné l’ordre de fortifier l’éperon rocheux qui domine la ville suisse de Bellinzone.  L’idée était bonne. Elle bloquait un passage des Alpes qui permettrait à une armée ennemie de débouler par surprise sur l’Italie, au cours des siècles suivants elle fut sans cesse reprise. Au treizième siècle fut bâtie sur l’éminence l’immense forteresse de Castelgrande. Aujourd’hui transformée en musée. Les touristes devaient faire un super détour pour y accéder. En 1989 l’architecte Aurelio Galfetti aménagea et construisit au bas de l’amoncellement rocheux un ascenseur qui vous monte directement à l’intérieur du château. C’est l’entrée de cet ouvrage monumental qui est représentée sur la photo de Simone Bossi.

             Elle fait partie d’une série de dix clichés que vous retrouverez facilement. Un tour sur son instagram et sur son site s’impose. Bossi se définit par un seul mot : photographe. L’on aurait envie de préciser : photographe d’architecture. Mauvais aiguillage. Il ne photographie pas des monuments. Mais des morceaux d’habitation. Un bout de pièce, l’angle formé par deux murs, quelques marches d’escalier, une fenêtre. Ne vous file pas le plan d’ensemble. Ce qui l’intéresse c’est l’espace, et pour être plus précis le vide qu’englobe cet espace. Curieuse manière de procéder. Ne cherche pas à donner à voir. Sa motivation première, c’est de créer son espace, de le prendre au piège de sa présence. Ne confondez pas : pas la présence de l’espace en tant que tel ou telle, mais sa présence à lui, lorsqu’il clique sur son instamatic, c’est lui qui emprisonne toute sa personnalité, tout son passé, tous les instants accumulés depuis son enfance, qui se résument en quelque sorte par cette extimité vidique de son intimité existentielle. Une méthode mallarméenne d’abolir le hasard car ce qu’il photographie ce n’est pas un lieu quelconque ou exotique mais le lieu de sa propre présence reflétée par sa propre absence dans l’ici et l’éternité de l’instant. Rien n’aura eu lieu que son absence physique d’un lieu métamorphosé en espace métaphysique.

             Quand on y pense un tantinet le cliché est bien choisi, illustrer la future disparition de toute chose par une présence qui n’est qu’absence équivaut à doter le non-être de toute chose de sa propre êtralité. La vôtre et celle du non-être.

    Part 1 : ce n’est rien, un souffle sombre, issu de la bouche d’ombre, profond, lent, une exhalaison lointaine qui se perd d’elle-même avant de renaître d’elle-même, une corde de guitare, résonnance mélodique de deux secondes, ensuite comme une insistance à vouloir vivre, à ne pas disparaître, un éloignement vibratoire de plus en plus présence, une onde sonore qui semble s’enfler sans aucun apport extérieur, une espèce de vrombissement de mouche vibrionnée, infinie en le sens que chacune de ses parties ne saurait avoir d’autre présence que sa volonté à se maintenir, un vagissement de turpitude originaire de lointains confins, et cette note qui s’exalte, mais qui ne pourrait tenir que dans son déchirement, un truchement sonore indistinct, une onde qui voyagerait dans les confins du monde et dont on entend des remugles vibrationnels lorsqu’elle se heurte au mur de sa propre finitude. Part 2 : pas une entrée fracassante plutôt une sortie, qui ne tarde pas à s’agoniser de sa propre rumeur, glissements chuintés sur une corde de guitare, une espèce d’aller sans retour qui finit par revenir sur lui-même, un millepatte rampant dont les pattes explosent en un feu d’artifice de lumière noire, ce qui produit une espèce d’effulgence dramatique de dépliement, de reploiement sur soi-même, un écho comme d’une voix qui ne fut jamais prononcée, la matière sonore se voudrait-elle imitation humaine, un roulement de galets dans une gorge profonde, une faille sans fin dans laquelle elle réfugierait à la manière d’un serpent malade qui chercherait en vain sa queue lézardique dont il n’a jamais été doté.

             Deux guitares, un enregistrement live en studio. Un coup de dés dont les faces ne portent la gravure d’aucun chiffre. N’est-ce pas l’unique manière non pas de gagner mais de ne pas perdre à tous les coups. Douze minutes, douze secondes. Un chiffre typiquement mallarméen.

             Une arche prometteuse.

    Damie Chad.

     

    *

            Un petit tour sur le FB d’Across The Divide, nous suivons ce groupe depuis plusieurs années, que deviennent-ils, pas grand-chose à voir depuis plusieurs mois, ah si, un post d’une ligne, travaillent sur de nouvelles surprises, merci pour la précision ! Ah, non, sont tout de même gentils, pour nous faire patienter ils nous offrent une vidéo que nous nous nous dépêchons de regarder car elle date du 05 septembre 2003.

    ANOTHER DAY

    ACROSS THE DIVIDE

    (Official Music Video / YT / Septembre 2023)

    Another Day est le sixième et dernier morceau de l’EP Eternal, que nous avons chroniqué dans notre livraison 593 du 23 / 03 / 2023. Rappelons aux esprits distraits que rien n’est plus près de l’éternité que la mort. La musique d’Across The Divide n’est en rien joyeuse. Elle se tient aux bords les plus extrêmes de la fracture. Celle qui sépare ce qui a été de ce qui n’est plus. Sur quel bord exactement ? A vous de choisir. Dans notre présentation de l’EP nous assurions qu’Another Day était une chanson d’amour. Nous encouragions les partisans de la vie en rose de la considérer ainsi. Nous n’aimons guère chagriner les âmes tendres. Par honnêteté intellectuelle nous indiquions que l’on pouvait aussi la considérer autrement.

    La vidéo est créditée à Regan Macdowan, j’ignore tout de lui, je ne sais s’il en est le réalisateur ou l’un des personnages. Quoi qu’il en soit je n’ai jamais vu une vidéo qui permette d’écouter aussi bien une chanson. Généralement les clips permettent au mieux de voir la musique en la noyant sous un flot d’images, les clips miment, ici la vidéo interprète le morceau, un peu comme un orchestre interprète une symphonie de Brahms ou une danseuse étoile Le lac des Cygnes. Que de références classiques pour du rock’n’roll maugréeront les intelligences étroites.

    Je me hâte d’ajouter que nous sommes en pleine théâtralité classique française, respect absolu de la règle des trois unités, lieu, temps, action. Les trois offertes en un seul paquet bien ficelé. De plus comme il s’agit de musique nous sommes plus près de la gestualité d’un ballet classique que des allées et venues de personnages sur une estrade de bois. Enfonçons le clou pour qu’il fasse davantage mal, s’il fallait mettre cette vidéo en relation avec une autre œuvre ce serait avec l’opéra Madame Butterfly de Puccini.

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    Une pièce. Grande, quelconque. Ajourée. De nombreuses fenêtres. Une cage de verre dont on ne s’évade pas. Ils sont trois. Eliminons : Lui. A peine le verrons-nous traverser la pièce. De fait il n’est pas là. Il est absent. Il est parti. Celui par qui le malheur est arrivé. L’amant si vous voulez que nous lui accrochions une pancarte sur le dos. Donc ils ne sont plus que deux. Débarrassons-nous de celle qui restera jusqu’à la fin. Il est parti. Elle le regrette. Soyons dur et cruel, laissons-là à son triste sort. Enfin il y a Lui. Non ce n’est pas le même que le premier. C’est un danseur. Une projection du cerveau de l’esseulée. Il est beau, il danse comme un Dieu ( grec, évidemment), il traduit le chagrin, il se métamorphose en désespoir, c’est le chant du cygne, le cygne noir qui s’allonge à terre, replie ses bras comme des ailes, le voici refermé sur lui-même, recroquevillé, derniers soubresauts d’agonie d’un rêve qui ne survit pas à lui-même. Normal, dans le théâtre classique, il est interdit de faire mourir un personnage sur scène, alors c’est le rêve qui se charge d’incarner cette monstrueuse action.

    Maintenant rajoutons un soupçon d’ambiguïté, nous l’avons déjà dit, le clip est extrêmement dépouillé réduit à presque rien, à presque personne, du coup l’on entend beaucoup plus le vocal, c’est un homme qui chante, y a une seconde voix toute aussi virile en duo qui assombrit par moments l’atmosphère, l’on peut donc s’amuser (souvenez-vous de notre parti pris de cruauté) à permuter les rôles. Nous faisons confiance à nos lecteurs pour se livrer à ce petit jeu permutatif. En tous les cas souvenez-vous que quel que soit le côté de la fosse béante sur laquelle vous vous trouvez les chants les plus désespérés sont les plus beaux. Merci Musset.

    Damie Chad.

     

    *

            Amis rockers que feriez-vous si vous étiez à l’autre bout du monde ? Je vous entends rugir : du rock ‘n’ roll ! Félicitations, la seule bonne réponse attendue ! Prenons un exemple au hasard. Enfin presque, parce que des amis qui se sont exilés à plusieurs milliers de kilomètres de notre douce France, je les compte sur un seul doigt de mes deux mains. Je vous parle souvent de lui, d’Eric Calassou, là-bas en Thaïlande.  D’apparence il n’a pas changé ses habitudes, il écrivait en France, il écrit en Thaïlande, il prenait des photos en France, il prend des photos en Thaïlande, il peignait en France, il peint en Thaïlande, il composait de la musique en France, il compose de la musique en Thaïlande. Bref l’a continué à être ce qu’il était. Juste un petit truc qui cloche (à la façon d’Edgar Poe) il avait un groupe de rock en France, il ne l’a plus en Thaïlande. Bref chaque fois que je vous parle de ces dernières réalisations made in Thaïland, dans mon petit chapeau introductif je vous rappelle qu’Eric Calassou était aussi le meneur du groupe Bill Crane, or, voici : tout nouveau, tout beau :

    BABY CALL MY NAME

    BILL CRANE

    (You Tube)

             J’en conviens, si l’image correspond bien au titre de l’album se dégage d’elle un parfum suranné, à l’heure du portable invasif nous voici ramenés aux combinés gris à roulettes du siècle dernier. Esthétique que je me plais à qualifier de spartiate. Le minimum vital, rien de plus. Justement question minimal Bill Crane s’avère un groupe un soupçon tantinet squelettique. Pas de bassiste. Pas de batteur. N’évoquons même pas la possibilité d’un organiste ou, soyons fous, d’un trompettiste. Le trio de base du rock‘n’roll réduit à une seule personne. Après tout on n’est jamais mieux servi que par soi-même. Apparemment les musiciens de rock ne courent pas les rues en Thaïlande. Et puis il aurait fallu qu’ils s’approprient l’esprit Bill Crane, ce qui doit demander un certain effort. L’en faut davantage pour décourager un rocker isolé en pays asiate. Calassou n’a pas fait appel à l’Intelligence Artificielle, s’est branché sur l’application Garageband.

             Si vous en déduisez qu’Eric Calassou vous a fignolé un disque de rock ‘n’roll qui ressemble à un véritable disque de rock ‘n’ roll, à partir d’ ersatz sonores de seconde main, vous êtes dans l’erreur. Un disque de Bill Crane ne saurait être du simili Bill Crane. Certes du nouveau dans le stock Bill Crane mais pas du Bill Crane toc.

             Eric Calassou, n’est pas toc-toc. Je l’imagine assis devant son appli, sa guitare sur les genoux, l’a dû méditer un moment, ou peut-être a-t-il agi d’instinct. Je ne sais pas, mais le résultat est-là.  

    , gene vincent, fomies, colin escort, sam coomes, ronnie dyson, arche, ashen, bill crane, rockambolesques,

    Baby call my name : c’est un peu comme ces filles toute nues qui s’habillent avec trois fois rien, un peu de rouge à lèvres sur le bout rose de leurs seins. Et tout de suite c’est beaucoup mieux. Bon, la fille n’est pas là, ce n’est pas le problème. Je ne vous parle pas de la fille mais de la manière dont est composé le morceau. Derrière vous avez la machine, elle fait le minimum, vous savez ces couches de peinture monochrome que les peintres passent sur leurs toiles avant de commencer leur tableau. On arrive au plus dur, Eric n’a pas de pinceau, mais il l’a une voix, c’est elle qui va dessiner les arabesques qui donnent formes à la chose représentée. Difficile de la faire apparaître puisqu’elle est absente, justement le vocal vous dessine l’absence. Pas facile de représenter une chose qui n’est plus là. Faut utiliser la technique du trompe-l’œil, ici avantageusement remplacée par le trémolo du désespoir. Tout est dans la manière de répéter baby, call my name. Ne faut surtout pas exagérer non plus. L’on ne va tout de même pas se suicider pour une fille. Les rockers n’ont pas le cœur en pain de mie. Suffit de jouer le jeu. Pour les lyrics pas besoin de fignoler des alexandrins à la Lamartine, suffit d’y mettre un peu d’influx répétitif, tragediante y comediante, le larynx qui tremble ou s’énerve, les mots n’ont aucune importance, tout est dans l’intonation, le gamin devant son électrophone qui se prend pour Jagger, ou Robert Plant, n’atteint pas le rock’n’roll mais l’essence du rock ‘n’ roll. La fièvre sans la température. Juste l’attitude rock, ou vous l’avez ou vous ne l’avez pas. La gerce peut aller se rhabiller, si elle avait le bon feeling elle serait restée.  Retenez la leçon, vous ne trouverez pas meilleur professeur que Bill Crane. Hold me tight :  qu’est-ce que je disais, l’option suicide était inenvisageable, serre moi fort, elle s’est dépêchée de revenir, alors le gars lui sort le grand jeu, l’a investi sur sa voix de séducteur N°4, aussi forte que les grandes orgues de Saint-Sernin ( Toulouse), grandiose, pas croque-mort à la Johnny Cash, plutôt croque-motte si vous voyez ce que je veux dire, vous enduit le corps de la jeune fille d’un truc aussi gluant et lubrifiant que la bave de cobra en rut, la boîte à rythme clopine un peu à cloche-pied, elle vous gongue comme thanatos et vous ensuave comme éros,  mais c’est la guitare qui se tape tout le boulot, des espèces de feulements serpentiques auxquels personne ne résiste, d’ailleurs le Calassou oublie les paroles et vous sort le la-la-la du gosier de l’Iguane, le coup du charme obnubilant, l’est sûr de son effet, une espèce de slow-blues visqueux dans lequel on adore patauger. Move me : ce morceau est un peu la saison 2 du précédent. La basse vous creuse une tombe assez profonde pour contenir toute la famille, la batterie y va lentamente pero seguramente comme dicen los espagnolitos, sans se presser, utile mais futile, le Calassou prend son pied, vous l’entendez déglutir, le pire ce sont ses hoquets, venus tout droit du rockab, que vous ne reconnaîtrez pas parce qu’il les allonge démesurément en sifflets interminables de train qui résonnent sur les murs du tunnel dans lequel il s’est engagé. Vous ne savez pas si c’est du caviar ou des œufs de lump, vous en reprenez, vous vous goinfrez. Petite mort. Dance to the music : tiens un vrai bruit de machine vite écrasé par une basse de profundis, c’est la saison 3, en pire ou en mieux, tout dépend de la dose de stress-dance que vous vous pouvez supporter, en plus violent, en plus assourdissant, le Calassou vous le fait de temps en temps à la voix mentholée et très souvent à la résonnance marbrée au brou de noix, maintenant en arrière-fond  un gars fait du morse à moins que ce ne soit une grand-mère qui tricote une mantille de deuil, vous vous en moquez, il y a ces vlangs de guitares tranchants comme des couperets de guillotine qui vous découpent en tranches fines. L’on était parti sur un trip typiquement rock’n’roll, faut se l’avouer dans le genre blues funèbre vous êtes aux premières loges. Au fur et à mesure que s’écoulent les morceaux Calassou maîtrise de mieux en la machine, une percu tam-tameuse sonne le glas de vos oreilles fissurées, vous m’en direz des nouvelles. Am breaking now : vous croyez avoir tout vu, tout lu, tout entendu, ici c’est la voix de Jim Morrison en train de péter le câble qui le retenait à l’univers, le Calassou il ne fait pas dans la compromission, déjà au morceau précédent la valse binaire de l’histoire d’amour sur chaise bancale n’incitait pas à l’optimisme, l’on dirait qu’il a enregistré le bruit de fond d’une tempête mentale, à chaque seconde l’on descend six pieds sous terre, et l’on suit la marche nuptiale vers le néant, l’on a compris que si nous perdons la procession, c’en était fini de nous et surtout de tout. C’mon baby : respiration, de retour à l’ambiance du premier morceau, il nous le fait à la Presley, I want you, I need you, I love you, parfois ça fait du bien de se raccrocher aux valeurs sûres, des bruits de moteurs, une frappe de bûcheron canadien, l’on s’amuse comme des fous, délire rock, guitares klaxonnante. Clin d’œil à Cochran, cocard à la Bo Diddley. L’on est de retour chez nous dans la terre du rock’n’roll foutraque. I got the blues : pas besoin de vous faire un dessin, retour à l’essence du Delta, une autre forme de foutraquie, plus inquiétante, le blues est un crotale qui se réveille chaque matin dans votre cerveau, ne faut pas dormir la bouche ouverte aux rêves roses, le blues descend sur vous comme la nuit mentale sur le monde, si vous ne savez pas ce qu’est le blues écoutez ce seul morceau vous saurez tout : des percus africaines aux digues rompues du Mississippi. On ne le savait pas, mais apparemment il coule aussi en Thaïlande. Down on the corner : ah, un titre qui fleure bon le rockabilly et le country, écoutez-le et l’évidence s’imposera à vous, à l’origine venus de continents différents le blues et le country sont une seule et même pulsation née dans le sang des hommes. Issue d’une même résidence en un monde hostile. Les deux faces du même couteau que l’on s’enfonce dans la chair pour conjurer le malheur de vivre, ou la tentation d’exister. World without gun : c’est-y-quoi ? Un truc que vous n’avez jamais entendu, un chant d’espérance, une prière à qui vous voulez ( sauf à Dieu ) une espèce d’un nouveau genre en mutation, perso je le définirai comme une espèce mutante, un noise-gospel de la dernière génération. Avec un bruitage d’orgue de barbarie pour conjurer la barbarie humaine.  Déchirant. My life : l’a décidé de ne pas nous faire de cadeau, ne s’en fait pas non plus puisque à l’origine ce morceau s’intitulait In the darkness, une longue plainte, un cheval fourbu qui marche à l’amble, dans le désert de l’existence, son écurie ne sera qu’un squelette à moitié recouvert dans un désert de sable, tempo lent et voix ténébreuse expirante, la prière n’a été en rien exaucée… Magnifique. A ne pas écouter si vous êtes dépressif.  Get out of this town : retombée et désillusion. Le même thème que We ‘ve gotta get out of this place des Animals mais en plus désespéré, la ville est partout, le gars n’en sortira jamais, marche d’un bon pas, rien n’y fait, de fait il tourne en rond dans sa solitude, de temps en temps il imite le long cri du train qu’il ne prendra jamais. Il y a longtemps qu’il ne s’arrête plus dans sa caboche. Voix gravissime. Il hurle. Move me : Chinese Modern Remix : la surprise du chef, n’oublions pas que nous sommes en Thaïlande, version orientale. Au premier coup de gong peut-être évoquerez-vous le Schéhérazade de Rimski-Korsakov, erreur fatale, nous ne sommes plus à la même époque, le bruit recouvre la splendeur du rêve, une percu jacasse comme cent mille perroquets, et des stridences vous traversent la tête, un véritable cauchemar, la voix d’Eric tente de dompter le brouhaha, est-ce une façon de nous dire qu’il y a trop d’hommes sur notre planète.

             Ces onze titres sont une splendeur, Bill Crane touche aux origines et à l’essence du rock’n’roll. Génialement novateur.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll ! 

    10

             Le Chef semblait soucieux, il s’écoula un long temps (cinq secondes) avant qu’il n’allumât un Coronado :

             _ Agent Chad, inutile de nous perdre en raisonnements oiseux, nous devons nous livrer à quelques primaires vérifications expérimentales afin d’éclaircir quelque peu ce mystère insondable. Je prends le double des clefs de votre habitation provinoise, pendant ce temps volez-moi une voiture que vous stationnerez sur le trottoir devant l’entrée du service. Dès que je serai parti, procurez-vous un autre véhicule, laissez s’écouler deux heures de temps et retournez chez vous. A vitesse modérée, ne conduisez pas comme un fou selon votre mauvaise habitude, n’attirez en aucune façon l’attention sur votre personne, nous nous devons d’être discrets. Une fois à la maison, filez au lit, tirez les verrous de votre porte, allongez-vous et attendez-moi.

    11

             J’ai roulé tranquillou jusqu’ Provins. Molossa et Molossito allongés sur la banquette arrière. Un œil dans le rétro et l’autre sur mon Rafafos déposé sur mes genoux. Ses précautions se révélèrent vaines. Aucun incident notable ne survint. Je stationnai dans une rue adjacente de mon domicile et regagnai la porte d’entrée mes deux clebs sur les talons.

             _ Ho, les chiens, je sais que ce n’est pas l’heure, nous allons nous coucher !

             A peine eus-je ouvert la porte de ma chambre que les deux braves bêtes se précipitèrent sous le lit en aboyant frénétiquement. J’entendis un mouvement de reptation sous ma couche, mon Rafalos à la main je m’apprêtai à tirer lorsque la tête du Chef émergea :

             _ Agent Chad, point de nervosité la première de nos expériences vient de se terminer. J’allume un Coronado, au moins trois bons quarts d’heure que je m’en suis abstenu, un supplice odieux tout cela pour anéantir une possibilité qu’au fond de moi-même je jugeai improbable ! Nous pouvons désormais éliminer la proposition jaune.

             _ Chef vous supposiez que c’était la maffia chinoise qui nous s’était chargé d’enlever nos chiens !

             _ Agent Chad, vous me décevez, vous n’avez jamais lu Le mystère de la chambre jaune de Gaston Leroux, cette tentative de meurtre commise dans une pièce hermétiquement close !

             _ Donc vous supposiez que le ravisseur de Molossito et Molossa était caché sous le lit lorsque nous nous sommes couchés !

             _ Agent Chad, arrêtons de discutailler, ce n’est pas le cas, nous venons d’établir que les chiens l’auraient découvert, il est temps de vérifier l’hypothèse bleuâtre.

    12

             L’expérimentation dura près de trois heures. Mon rôle ne me demanda pas beaucoup d’efforts. A part tirer les trois verrous intérieurs de ma chambre et rester à bouquiner en compagnie de mes deux fidèles compagnons, ce ne fut pas très fatigant, mais lorsque le Chef tambourina sur la porte en hurlant que je pouvais ouvrir, à peine l’eus-je entrebâillée qu’un épais nuage de fumée bleuâtre m’assaillit. Au loin j’entrevis dans un halo bleuté la silhouette du Chef :

             _Agent Chad j’avoue que j’avais davantage d’espoir avec ma seconde hypothèse, notre ravisseur aurait pu par le trou de votre serrure insuffler un soporifique dans votre chambre, mais le clapet de sécurité dont vous avez équipé votre serrure s’est avéré totalement hermétique…

             _ Chef comment serait-il rentré puisque les verrous intérieurs étaient tirés !

             _ Agent Chad, très facilement, il vous aurait d’abord endormi vous et les chiens avec l’aide d’un narcotique quelconque, dans un deuxième temps grâce à ce que l’on appelle un Injonctif de Volonté il vous aurait inculqué l’ordre de tirer les verrous et de vous recoucher. Il serait alors rentré, aurait capturé les chiens puis avec l’aide du même IDV il vous aurait intimé l’ordre de de refermer les verrous et de vous rendormir.

             _ Chef, j’ai un soudain trou de mémoire pourriez-vous me rappeler ce que c’est que l’IDV, je ne sais comment mon système neuronal confond avec IGV…

             _ Agent Chad, en tant qu’Agent du Renseignement vous devriez vous tenir au courant des avancées de la science, un IDV est un produit qui s’administre sous différentes formes, gélules, solutions buvables, ou spray. Il permet à un patient d’être non seulement privé de toute forme de volonté mais surtout de devenir sensible à toute injonction donnée par une autre personne.

             _ Un peu comme les zombies du vaudou, Chef ?

             _ Exactement mais l’effet est loin d’être aussi efficace, il ne dure que deux ou trois minutes. Bref, trois ou quatre gros pschitt par le trou de la serrure et un ordre hurlé au travers de la porte, par exemple au mégaphone, pour que votre oreille le réceptionne et le transmette au cerveau, et le tour est joué !

             _ Chef, j’ai donc échappé à ce traitement diabolique !

             _ Exactement Agent Chad, ce qui ne résout pas notre affaire, il est temps de rentrer au Service et de méditer à tête reposée sur cette mystérieuse affaire.

    13

             Nous discutâmes longuement. Nous tombâmes rapidement d’accord sur un premier point : nos modestes personnes n’étaient pas dans la mire de nos ennemis, en tant que telles. Au travers de nous et nos chiens c’était le rock ‘n’ roll qui était visé. Pour quel mobile, nous n’en savions rien.

             Il était maintenant près de minuit et nous n’avions pas progressé d’un millionième de millimètre.

             _ Agent Chad, j’allume un dernier Coronado et nous partons nous coucher. A moins que vous n’ayez une dernière réflexion particulièrement pertinente à me proposer.

             _ Hélas Chef, à moins d’être le passe-muraille de la nouvelle de Marcel Aymé, je ne vois pas qui aurait pu rentrer dans ma chambre fermée à clef en traversant le mur !

             _ Bon sang, Agent Chad, pourquoi ne l’avez-vous pas dit plus tôt, cela nous aurait fait gagner du temps ! Pour sûr vous avez raison, ces gens-là connaissent le moyen de traverser les murs. Ils ne doivent pas être légion en France, nous les repèrerons assez facilement, faites-moi confiance, quelques heures tout au plus, le premier gars qui traverse un mur, il suffit de courir à toute vitesse de l’autre côté du mur pour le cueillir à sa sortie !

             _ Chef, vous êtes trop optimiste ! Jamais de ma vie je n’ai vu personne entrer dans un mur devant moi !

             _ Arrêtez d’énoncer de stupides évidences Agent Chad, tenez du coup…

    Le Chef sortit un Coronado hors de sa poche, le contempla avec vénération durant trois longues minutes, avant de se résoudre à le porter à sa bouche et de craquer une allumette.

             _ Agent Chad vous n’avez jamais vu quelqu’un qui marchait devant vous entrer dans un des murs qui bordaient le trottoir que vous suiviez pour la simple et bonne raison que vous n’aviez jamais imaginé que cela fût possible en ce bas-monde, l’on ne trouve que ce que l’on cherche, un peu comme le hasard objectif d’André Breton, qu’entre nous je n’aime pas du tout, un peu trop directif dans sa gestion du mouvement Surréaliste, une âme, non pas de dictateur, cette expression est trop élogieuse, bien plus petite que cela, une âme… une âme… de petit-chef ! Oui c’est bien le mot que je cherchais ! D’ailleurs existe-t-il un document quelconque d’après lequel on pourrait interférer qu’il ait eu l’occasion d’allumer une seule fois, un Coronado ?

             _ Non Chef, je n’ai jamais vu une photo de Breton en train de savourer un Coronado, je vous l’accorde, par contre je persiste à déclarer que je n’ai jamais un homme entrer dans un mur !

             _ Certes Agent Chad, je veux bien vous croire, pourtant dans cette même pièce pour ma part j’en connais au moins un.

             _ Quoi, Chef, vous en avez vu un ?

             _ Agent Chad, me prenez-vous pour un jocrisse, si j’en avais vu un je l’aurais immédiatement abattu d’un coup de Rafalos, n’oubliez pas que certaines munitions de mon Rafolos sonts capable de s’enfoncer de cinquante centimètres dans une épaisseur de béton précontraint, je ne vous parle même pas des façades de briques !

             _ Chef vous n’en avez pas vu, moi non plus, qui donc dans cette pièce aurait pu en voir !

             _ Agent Chad, pourquoi croiriez-vous que l’on s’en soit pris à Molossa et Molossito, nous tenons-là enfin une piste sérieuse !

    Damie Chad.