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rockambolesques - Page 5

  • CHRONIQUES DE POURPRE 612 : KR'TNT 612 : BRAT FARRAR / GENE CLARK / SYD BARRETT / YO LA TENGO / SHARON RIDLEY / MAMA'S BROKE / WODOROST / RAOUL GALVAN + ERIC CALASSOU / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 612

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    21 / 09 / 2023

     

    BRAT FARRAR / GENE CLARK

    SYD BARRETT / YO LA TENGO / SHARON RIDLEY

    MAMA’S BROKE / WODOROST

     RAOUL GALVAN + ERIC CALASSOU

    ROCKAMBOLESQUES

      

     

    Un Farrar dans la nuit

     

    brat farrar,gene clark,syd barrett,yo la tengo,sharon ridley,mama's broke,wodorost,raoul galvan + eric calassou,rockambolesques

             Pareil que Cash, Brat jouait tous les jours. Comme Gildas passait Brat dans son Radio Show, alors on est allé voir jouer Brat. Gildas avait du pif. Il savait flairer une piste. D’ailleurs, on lui doit pas mal de découvertes, le Bench Club de Toulouse, The Little Richards de Californie, Timmy’s Organism de Detroit, les Why Oh Whys de Suède, Kurt Baker Combo du Maine, les Psychedelic Speed Freaks du Japon, et l’Aussie Brat Farrar. Diable comme Brat sonnait bien dans son show.

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    Alors tu vas voir Brat gratter ses poux à la Banche et qui trottine à ta droite ? Le fantôme de Gildas. Clopin-clopant. Comme lors de la nuit magique de 2019.

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             Brat s’est coupé la tignasse. Ça le rajeunit. Il a monté un groupe et roule ma poule. Brat et ses trois amis tapent un rock high-energy bien senti. Brat passe tous les solos, il n’est pas avare de petites gestuelles. Il peut aller gratter ses poux dans le dos, comme d’autres avant lui. À son sourire carnassier, on voit qu’il est content de rocker le Binic. Son set tient sacrément bien la route, on s’en régale le premier jour, mais le lendemain, c’est encore mieux. Les virulences n’ont aucun secret pour lui, il combine le blast avec le climaxing, il cultive la dissonance qui électrise la peau, il sait faire dresser l’oreille, il claque un rock extrêmement évolué, bien dressé vers l’avenir, et tous les ceusses qui connaissent ses albums savent ce que ça signifie. Son fonds de commerce reste le vieux gaga-punk cher à Gildas, mais il l’agrémente d’une touche anguleuse qu’on peut bien qualifier de modernité.

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    Brat ne craint pas d’être avalé par le passé, il développe une espèce d’animalité étrange, que contrebalance un sentiment d’austérité, peut-être dû au fait qu’il ne porte que du noir. Va-t-en savoir.

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             À ce stade de conjecture, il est indispensable d’écouter ses quatre albums pour se faire une idée précise. Visuellement, il opte dès le départ pour un graphisme austère, une image traitée avec un filtre trameur Photoshop et barrée d’un gros Brat Farrar en extra-bold condensed. Une façon comme une autre de dire bim bam boom.

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    Deuxième chose : Brat Farrar est un one man band. Il se débrouille tout seul : performing, writing, mixing, mastering, il n’a besoin de personne en Harley Davidson. Son premier album sans titre est un Off The Hip qui date de 2012. Boom avec «Punk Records», le cut qui clôt chacun de ses sets. Ah il l’aime bien son vieux «Punk Records». Il a raison, car «Punk Records» est bien exacerbé du coconut. Le brave Brat pique de violentes crises. Il enchaîne ça avec une belle énormité, «You Got Me Hanging Around», il y va au wild gaga-punk d’hanging around, il adore ce sourd beat des profondeurs. Avec «Ask The Night Tonight», il sonne comme les Buzzcocks. Et plus globalement, il arrose tous ses cuts avec un beau vent du Nord. La B est moins sexy, il fait parfois un peu la Post, et il faut attendre «Boneyard» pour trouver du bon rampant et une bonne cocote de la mort qui tue.

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             Deux ans plus tard, il récidive avec Brat Farrar II et te claque deux jolis coups de génie enchaînés : «Good By Myself» et «Johnny Sparrow». Max Brat sait monter à la menace du Good et il taille son Sparrow dans la masse, il travaille le trash comme Rodin l’argile, il balance tous les vents du Nord si ça lui chante, il se veut très directif, il gratte des poux qui attaquent comme les oiseaux d’Hitchcock et ça splurge dans le carnage. Il fait de l’Hitch pur. Il n’est pas non plus avare de Punk’s Not Dead, comme le montre «Nothing There». Il réunit son essaim de frelons et repart à l’attaque, au beat pressé de Paul Morand. Il y bat le beurre du diable, il bat ses œufs, il est dépassé par sa neige de blancs d’œufs. Ce sont des choses qui arrivent. Au rayon énormités, il est bien garni, comme le montre ce «Do You Really Wanna Know» atrocement tiré par les cheveux, il connaît le secret des clameurs, il rend son beat violent, avec des poux de Hurlevent en surface. Quel spectacle ! Encore une belle énormité avec «Off To See The World», il jongle avec les ressources inexplorées, le voilà aussi fier que d’Artagnan, mais il impose son rock fier à bras en sourdine, même s’il ramène ses essaims, il gratte en biseau, mais en fait, tu entends plusieurs grattes en biseau qui semblent causer entre elles pendant que le fier à Brat chante ses conneries. Et là, tu adhères au parti, car te voilà convaincu. Voilà un Aussie qui conçoit son album comme une aventure. C’est tout ce qu’il faut retenir de lui.   

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             Dans son radio show Gildas passait l’«On Your Mind» tiré du III, un Kizmiaz de 2017. Il passait aussi «Always You» qui n’est pas sur les albums. Juste un brillant single. Le fier à Brat a choisi une belle photo floue pour la pochette. Ceci dit, l’album est remarquable : deux stoogeries et en plus, un «When I Wake» qui évoque les Pixies. Si tu le cherches, il est planqué en B. Le Brat l’attaque très haut dans le ciel rouge. Il joue exactement comme Joey Santiago, à coups de stridences inconvenantes. Il a vraiment du génie, surtout qu’il fait tout ça tout seul. La première stoogerie s’appelle «On Your Mind», Gildas avait du pif, I wanna be on your mind, le Brat d’honneur a tout bon, c’est stoogé jusqu’à l’oss de l’ass, la tension, les incendies, le heartbeat, l’I wanna be on your mind, tout est là, with a heart full of napalm ! La deuxième stoogerie ouvre le bal de la B : «Downtown». Ses attaques de front sont historiques, il oscille au bord du cratère, il propose une nouvelle fantastique démonstration de force. Sa gratte prend feu. Le Brat bat tous les Aussies, si si, à la course. Il sort vraiment du lot. Il est fin et plein d’idées dégoulinantes de power, comme électrisées. Il tape en A son «Make You Mine» avec une incroyable perversité, son poison coule dans les veines de la vestale verte, il gratte une atroce cocote infectueuse. Sur cet album, tout est bien serré, bien fourni, bien foutu, bien senti. Brat est réellement un Farrar dans la nuit.

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             On est bien content d’avoir sous la main un album comme Adventures In The Skin Trade. Pourquoi ? Parce que chaque fois qu’on le ressort de l’étagère, on peut réécouter le morceau titre qui non seulement ouvre le balda, mais dit tout ce qu’il y a à savoir sur le Brat long. Rien qu’avec ce cut, il devient une quasi-rockstar inconnue. Le Brat connaît tous les secrets du pulsatif. On se croirait chez les Stooges, c’est vrai, il règne dans ce cut un violent parfum de stoogerie, et même d’heavy stoogerie seigneuriale, et petite cerise sur le gâtö, il finit en écrasant sa chique à la manière de Johnny Rotten. Dommage que la suite ne soit pas du même acabit. Bon il y a du son et des incendies dans «Come Back To You» et son «Big Crash» est bien chargé de la barcasse, mais ton cœur ne bat que pour le morceau titre. Il sauve sa B avec «Not Like You», fast & sharp. Il paraît indomptable, c’est un véritable Aussie de Gévaudan, il tortille sa vrille et se prend littéralement pour Ron Asheton. Ce brave Brat a du génie sonique à revendre et tout l’avenir devant lui.

    Signé : Cazengler, Brat Farine

    Brat Farrar. Binic Folk Blues Festival (22). 28/29/30 juillet 2023

    Brat Farrar. Brat Farrar. Off The Hip 2012 

    Brat Farrar. Brat Farrar II. P. Trash records 2014  

    Brat Farrar. III. Kizmiaz Records 2017 

    Brat Farrar. Adventures In The Skin Trade. Beast Records 2020

     

     

    Last train to Clark’s ville

    - Part Three

     

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             Pour bien prendre les choses en dépit du bon sens, on va attaquer ce Part Three avec les trois albums des Byrds, qui furent t’en souvient-il le groupe de Gene Clark, de la même façon que les Rolling Stones furent le groupe de Brian Jones. Et comme on le soulignait quelque part dans le Part One, Geno et Brian Jones s’entendaient très bien, ce qui ne surprendra personne.

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             Tout fan de Geno a commencé sa carrière de fan par Mr. Tambourine Man, un album paru en 1965 et qu’il faut bien qualifier de dément. Le morceau titre d’ouverture de balda te plonge depuis bientôt soixante ans dans la magie des sixties. Tu serres ce gros cartonné Columbia US contre ton cœur, car c’est tout ce qu’il te reste à faire quand éclatent les carillons de l’éternelle jeunesse captés par Terry Melcher. Le «Mr. Tambourine Man» des Byrds, c’est en quelque sorte l’apanage définitif. Geno mettra un point d’honneur à rester digne toute sa vie de ce coup de génie. Les Byrds ont le son, le groove, le poids, le jingle et tout le jangle du monde. Geno entre ensuite en lice avec son premier hit, «I’ll Feel A Whole Lot Better» - When you’re gone - Si ce n’est pas un coup de génie, alors qu’est-ce c’est ? Il signe encore «Spanish Harlem Incident», un fantastique groove californien, et il co-écrit «Here Without You» avec Croz. C’est immédiatement du très haut de gamme. Ils bouclent cette A faramineuse avec un «Bells Of Rhymmey» prodigieusement monté au chant harmonique pyrotechnique. En six coups, ils ont gagné la partie. Et la fête continue en B avec «All I Really Want To Do». Tu t’en abreuves jusqu’à plus soif.

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             Deux coups de génie ouvrent la balda de Turn Turn Turn, paru la même année : le morceau titre - To everything there’s a season - et «It Won’t Be Wrong». Mais le reste de l’album refuse obstinément de décoller. Leur cover du «Lay Down Your Weary Tune» de Dylan sauve les meubles. Il règne une mauvaise ambiance dans le groupe : McGuinn et Croz sont jaloux de Geno qui ramasse plus de blé qu’eux et qui roule en Ferrari. Alors Geno va quitter les Byrds en 1966. Hop terminé.

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             Le nom de Geno apparaît pourtant sur Fifth Dimension. Il co-signe «Eight Miles High» avec McGuinn et Croz, alors qu’en réalité, il a bossé l’idée avec Brian Jones, comme l’indique John Einarson. «Eight Miles High» est l’un des Ararats de la Mad Psychedelia. L’autre Ararat, c’est «I See You», co-signé par McGuinn et Croz, une wild psyché jouée à ras les pâquerettes, un joli ventre à terre d’excellence carabinée. En matière d’excellence au sein des Byrds, c’est Croz qui va prendre la relève, jusqu’à ce qu’il soit viré. L’autre hit des Byrds est bien sûr «Mr. Spaceman», presque pop, mais avec du son. Excellence des excellences. Croz commence à imposer sa marque avec le pur groove de «What’s Happening?». En B, ils trouvent le moyen de massacrer «Hey Joe» et d’enchaîner avec cet épouvantable filler qu’est «Captain Soul». Les Byrds vont commencer à se déplumer ou à se remplumer, en fonction des albums.

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             C’est intéressant d’écouter les Byrds demos de 1964, The Preflyte Sessions, car tout est quasi-Clark, et comme à l’époque Geno en pinçait pour les Beatles, alors il ne faut pas s’étonner de voir les early Byrds sonner comme les Beatles. Le sommet de l’A est ce «Don’t Be Long» qui sonne comme un hit. En B, on tombe sur une belle compo de Croz, «The Airport Song», qui préfigure le Croz à venir. On a aussi une version sèche de «Mr. Tambourine Man» battue à la marche militaire. En C, Croz chante «Willie jean» et «Come Back Baby». Il était déjà dans le groove. C’est lui le plus intéressant, avec Geno. Et puis en D, tu vas trouver une version ahurissante de l’«It’s No Use» signé McGuinn/Geno, et le très beau «Boston» de Geno monté sur un bassmatic joliment électrique.

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             Dans le même esprit, Sundazed sortait en l’an 2000 une petite compile d’early cuts, le premier volume de Sanctuary. Ça démarre sur une version magique de l’«All I Really Want To Do» de Dylan. Les Byrds restent à leur sommet avec «You Won’t Have To Cry». Ils sont aussi puissants que les Beatles. C’est un son unique, porté à son sommet. Encore de la pure Byrdsymania avec «She Don’t Care About Time» et son gratté de poux emblématique, ainsi que son cocktail mortel d’harmonies douceâtres. Dans le même esprit, voilà une version superbe d’«It’s All Over Baby Blue». Après le Dylanex, la grande spécialité des Byrds est la wild psychedelia, et en voilà l’un des emblèmes : «Why». Avec «John Riley», tu vas forcément tomber de ta chaise, car voilà un fabuleux instro de jazz rock fusion. Croz reprend ensuite la main avec l’imparable «Psychodrama City». Ah quelle pureté d’intention ! Il est vraiment sur la brèche du devenir. Il enchaîne avec son «Mind Gardens» et montre qu’avec son orientalisme, il est très en avance sur le roi George. Croz toujours avec «Lady Friend». Belle grandeur. Prod énorme, Gary Usher et ses cuivres. Tu n’en peux plus tellement c’est beau !

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             Dans le même esprit, tu as Never Before, considéré comme «the great lost Byrds album», ou mieux encore, «The great lost Byrds singles». Ils s’agit surtout de ce qu’on appelle les stereo mixes. Et boom, tu tombes très vite sur cette bombe de Geno qui s’appelle «She Has A Way» et qui devait figurer sur le premier album des Byrds : pur jus de mad psychedelia ! Tu as aussi l’«It’s All Over Now Baby Blue» de Dylan enregistré en cachette par les Byrds et Jim Dickson, pendant que Terry Melcher était à la plage à Palm Springs. Belle attaque, la meilleure. Ça s’écoute avec plaisir, même si on connaît tout ça par cœur. S’ensuit «Never Before», la dernière chanson que Geno a composée pour les Byrds, à la fin de l’«Eight Miles High» session. Rien de plus upfront que Never Before. Et puis tu as «Why», signé McGuinn/Croz, une sorte d’apanage du rock californien, avec un big pulsatif underground et transpercé par un solo de McGuinn. «Triad», c’est encore autre chose, Croz le groove à la dérive, il l’étale en plein jour, il descend les escaliers d’I love you too. Ce cut magique qui devait figurer sur The Notorious Byrd Brothers n’y figura pas, car Croz refusa de l’enregistrer avec ses faux frères, et donc c’est resté un single, d’où sa présence sur Never Before - Why can’t we go as three - Croz y prône le ménage à trois. Et puis il y a aussi «Lady Friend», un autre single magique de Croz, véritable coup de génie.  

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             L’album sans titre de reformation des Byrds paru en 1973 vaut le déplacement pour une bonne et simple raison : «Full Circle». Cut de Geno, forcément. Tout de suite magique - Funny how the circle turns around/ First you’re up and the you’re down again - Power du songwriting, c’est lui, Geno, qui ramène tout le power dans les Byrds, il amène de la chaleur et les autres ramènent de la clameur. On voit la différence avec «Sweet Mary», lamentable compo de McGuinn, du heavy médiéval privé d’avenir. Geno ramène ensuite «Changing Heart», un soft country rock bien pépère. Avec Geno, c’est clair comme de l’eau de roche : compo solide et admirable. Ils tapent ensuite dans un cut de Joni, «For Free», un balladif en suspension, superbe groove transverse - He was playing good for free - C’est Croz qui chante. Il va d’ailleurs reprendre ce magic cut sur son dernier album studio, For Free. McGuinn enchaîne avec son «Born To Rock’n’Roll», un joli shoot dylanesque plein de son, bien enraciné dans l’Americana. Ils tapent aussi une version du «Cowgirl In The Sand» de Neil Young - Hello cowgirl in the sand - C’est très fleur bleue. Croz tape ensuite son «Long Live The King», une petite compo énervée avec de contreforts d’harmonies vocales extraordinaires. Croz groove son cut dans le jazz, il te blaste ça vite fait bien fait. Il te plonge à nouveau dans le groove avec «Laughing». Sa voix ne trompe pas. Il est le roi du groove américain, c’est un navigateur qui sait godiller à travers les récifs. Il fait autorité. Bizarrement, ils terminent avec une autre cover de Neil Young, «(See The Sky) About To Rain». Ses compos sonnent parfois comme des tue-l’amour qui s’accrochent aux branches d’un petit thème mélodique.

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             John Einarson signe les liners d’A Trip Though The Rose Garden (The Rose Garden Collection). Inutile de tourner autour du pot : cette compile est un passage obligé. The Rose Garden est un groupe complètement fasciné par les Byrds. Dans les bonus, on trouve un version live de «So You Want To Be A Rock’n’Roll Star» capable de faire pâlir les Byrds. Ils sont en plein dans l’excellence du heavy rumble des Byrds, ils sont peut-être même meilleurs sur ce coup-là. C’est d’ailleurs ce que Geno leur dit un jour : «You do Byrds better than we ever did.» La compile propose l’album A Trip Though The Rose Garden et une quinzaine de bonus d’une qualité extraordinaire. John Nooren gratte une douze Ricken, Jim Groshong gratte aussi ses poux, Bruce Bowdin bat le beurre et l’extraordinaire bassman qu’on entend dévorer les cuts s’appelle Bill Fleming. Ils intègrent aussi la chanteuse Diana De Rose, et les hustlers Greene & Stone les prennent sous contrat. Ces deux-là sont connus à Los Angeles pour avoir découvert Sonny & Cher et Buffalo Springfield. Ils ont aussi une connexion avec Ahmet Ertegun et pouf, The Rose Garden se retrouve sur ATCO. C’est Greene & Stone qui choisissent les cuts de l’album. Geno qui aime bien les Rose propose un coup de main et leur file «Till Today» qu’il vient tout juste de composer. Geno leur montre le cut et on retrouve cette démo dans les bonus. On trouve d’ailleurs trois versions sur la compile, celle de l’album - And I got moved out of my mind - du génie pur, et la démo, dévorée vivante par le walking bass de Bill Fleming, démo suivie d’un remaster spectaculaire. «Till Today» est sans doute l’un des hits du siècle passé, tout est supra-balancé aux harmonies vocales et dévoré par cette walking bass. Sur l’acétate que leur donne Geno, ils choisissent un autre cut, «Long Time». Mais quand leur album paraît, les Rose Garden sont horrifiés par le son. Ils étaient pourtant contents du rough mix du Gold Star, mais Greene & Stone ont embarqué les bandes à New York et ont tout remixé pour en faire du vocal-oriented. Ils ont enterré la gratte de John Nooren. C’est la raison pour laquelle les bonus sont vitaux, car entend bien les grattes et la basse. Bruce pense que Greene & Stone avaient une idée derrière la tête : pousser Diana De Rose au-devant. C’est vrai qu’avec «February Sunshine», ils sonnent exactement comme les Mamas & The Papas. Sur «Coins For Fun», on entend des harmonies vocales et des grattes des Byrds. Encore de la bonne énergie californienne dans «Rider», très bluegrass dans l’essence, plein de roots et d’un tas de choses. Ils rendent ensuite hommage à Dylan avec «She Belongs To Me». Hommage de rêve à un génie, le mec te chante ça à la tremblote divine. Puis on entre dans le jardin d’Eden des bonus avec «If My World Falls Though» qui sonne encore comme les Mamas & The Papas, même son de la marée montante. Ils ont ce power considérable. En B-side de ce single, on trouve l’affolant «Here’s Today», qu’ils font sonner comme un hit des Byrds. On en trouve une version monomix plus loin, sertie d’un solo de basse. Ils enregistrent aussi une cover du «Down The Wire» de Neil Young, un heavy psychout  de Byrdsymania avec tout le power de la nation. Il faut voir comme ces mecs étaient doués. Geno ne s’était pas trompé. Le groupe s’écroule quand Jim et Bruce sont appelés sous les drapeaux. Ils obtiennent le statut d’objecteurs de conscience et se retrouvent dans un camp d’Oregon pour deux ans de service civil. Greene & Stone essayent de lancer Diana De Rose en solo. Mais ce sont les versions live des Rose qui cassent la baraque, à commencer par «Next Plane To London», fabuleusement heavy, rien à voir avec la version studio, c’est suivi du «So You Want To Be A Rock’n’Roll Star» et ils restent dans les Byrds avec «She Don’t Care About Time». Ils n’enfoncent pas le clou des Byrds, ils le défoncent ! The Rose Garden devient une révélation. Ils terminent avec une cover du mighty «You Don’t Love Me» de Willie Cobbs. Aw my Cobbs ! 

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             Ça vaut franchement le coup de rapatrier The Lost Studio Sessions 1964-1982. L’album vaut la peau des fesses, mais on est content de l’avoir sous la main. Ça grouille de puces, ce sont des démos, Geno gratte below et il faut attendre «Back Street Mirror» pour frémir un petit coup, car il fait du pur «Like A Rolling Stone». Plus loin il remonte les bretelles d’«Adrienne» à coups de gimmicky deepy deep, sa sweet Adrienne est une merveille d’intimisme et de chant délicat. Geno est l’artiste parfait. On reste dans la magie avec «Walking Throught His Lifetime», il gratte ses poux à n’en plus finir et «The Sparrow» couronne cette belle triplette de Belleville. Avec Geno, ça valse assez vite. Retour aux Byrds avec «She Darked The Sun» et «She Don’t Care About Me». Tout est beau sur cette compile de démos. On passe à Nyteflyte avec «One Hundred Years From Now» et franchement, on ne se lasse pas de cette classe invraisemblable. Il fait une cover de «The Letter» et passe à la fast country de génie avec «Still Feeling Blue». Au fil des cuts, il retape tout son registre : Byrdsymania à la moulinette, country extra-circonvolutionnaire, avec Geno, c’est vite plié, il a des chansons et il ramène tout le son du monde.

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             On trouve de très belles compos de Geno sur McGuinn Hillman & Clark, le premier album sans titre du conglomérat McGuinn Hillman & Clark, à commencer par l’excellent «Little Mama», c’est tout de suite chaud, chanté, oh-oh, c’est du Geno pur et dur, il t’explose la pop avec un sens aigu de l’universalisme. Il éclaire la réunion, il ramène le cut qui fait foi, il y a de la magie dans son Little Mama, il pousse son bouchon très loin au yeah yeah yeah. Il remonte au front plus loin avec «Backstage Pass». Il t’embobine aussi sec, mais il le fait à l’incidence, sans mauvaise intention, chez lui, c’est naturel, il faut que ça éclate. Il a encore deux cuts en B, «Feeling Higher», il y va doucement pour ne pas froisser McGuinn et Hillman, et «Release Me Girl», un heavy groove dans lequel il se fond au release me girl/ Tonite, sans trop se casser la tête. L’autre moment fort de l’album est une Beautiful Song signée McGuinn, «Bye Bye Baby». Il la prend à la traînasse de la populace. McGuinn taille aussi sa route avec un superbe «You Don’t Wish Her Off».

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             John Einarson nous avait prévenu : Geno ne chante que deux cuts sur City, le deuxième album du conglomérat McGuinn Hillman & Clark. Il tente le coup avec «Won’t Let You Down». Il a du courage, il sait driver son witchcraft. Et en B, il revient avec un petit shoot de heavy rock, «Painted Fire». Il ne se casse pas la tête. C’est avec le morceau titre en A que le conglomérat sauve l’album, on y trouve des vieux relents des Byrds in the heart of the city. McGuinn est malin comme un renard, il parvient toujours à recycler sa vieille magie. Il est d’ailleurs le seul en Amérique à sonner comme ça. Ses descentes de gratté de poux ne pardonnent pas.

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             Full Cirle - A Tribute To Gene Clark ressemble à s’y méprendre à un passage obligé. Non seulement le CD est double, mais il grouille de puces. Tiens, rien que sur le disk 1, tu as deux classiques revisités pas des féroces géants underground : «I’ll Feel A Whole Lot Better» par des Suédois qui s’appellent The Merrymakers, et «Eight Miles High» par Myracle Brah. Les Suédois sortent un brillant ramshakle pour faire honneur à Geno, et les Brah tapent l’Eight Miles High au wild brash out of the fuck-up, c’est bardé de power et de purée démente. Alors tu y reviens encore et encore. Les Lears tapent aussi en plein dans les Byrds avec «The Byrd That Couldn’t Fly». Les gros clients se bousculent au portillon, ça n’en finit plus. Michael Carpenter ouvre le bal avec «That’s Alright By Me», ce mec y va au big Clarky country sound, au big zyva, c’est un pro du pur et dur. Les Retros sonnent exactement comme les Byrds, avec «Long Time». Dévoré et dévorant, noyé de gratté de poux génial. Niveau poux, tu ne peux pas espérer mieux. Le groupe qui tape «She Has A Way» s’appelle The Idea. Ils en font une version lumineuse. Ces mecs sonnent comme des anges du paradis. Les Kennedys entrent à leur tour dans le giron des Byrds avec «Here Without You». Suprême accointance. Mais ces mecs ont trop d’albums au compteur, alors tu n’y mets pas les pieds. Et voilà le frère de Geno, Rick Clark, avec «Del Gato», il chante cette exotica de Mexicano d’une voix forte. Roger & Jim tapent «So You Lost Your Baby» à l’absolute claquage de claqué psyché, mais à fond de cale, avec des grattes qui virevoltent. Sid Griffin entre dans le génie de Geno avec «Why Not Your Baby». Nouvelle surprise avec Einstein’s Sister et «Changing Heart», wild country pop d’une infinie finesse. Pour tous ces gens-là, c’est du gâtö : Geno n’écrivait que des bonnes chansons.

             Le disk 2 est aussi dense, sinon pire. Coup de génie des Finkers avec «Radio Song». Ils sonnent comme des démons. The Shazam sont des mecs de Nashville et font un carton avec «Is Yours Is Mine». Ils rentrent dans le lard des Byrds et c’est pas peu dire. Nouvelle révélation avec Buddy Woodward & The Ghost Rockets, ils tapent «With Care From Someone» au boogie de wild ride, avec la mélodie chant en surface. L’hommage est sidérant : mélodie chant + banjo demetend. Pat Buchanan et John Jorgenson rendent aussi un hommage vibrant à Geno avec ce qu’il faut bien appeler une grosse compo : «Set You Free This Time». Ils plongent à leur tour dans le génie de Geno. Bill Lloyd est aussi dans les Byrds jusqu’au cou avec «The World Turns All Around Her», c’est enlevé par le ventre, à la manière des Byrds. Les Mop Tops tapent une cinglante cover de «Christine», et Steve Wynn gratte «Tomorrow Is A Long Way» à la grosse cocote, au plus près du gazon. Encore une belle giclée de Byrdsy sperm avec Walter Egan et «Reason Why». Le Walter est en plein dedans, il fait bien le Geno, c’est tendu et beau à pleurer. Frank Jackson Blake tombe à son tour sur le râble de Geno avec «You Won’t Have To Cry», mais il le fait avec toute la grâce du monde. Et là tu pries Dieu non seulement que tous nous veuille absoudre, mais aussi que ça ne cesse jamais. Pur genius d’you don’t have to cry anymore. Avec les Grip Weeds tu es encore dans le vrai, ils tapent une fantastique mouture de «She Don’t Care About Time». Ils sont dans les Byrds avec une niaque de Weeds. Rich Hopkins a tout le son du monde avec «You’ve Gone». Tout ça pour dire que les compos de Geno ne sont que des smash. C’est Kai, le fils de Geno, qui referme la marche avec «In My Heart». Pas facile de rentrer dans les godasses d’un père comme Geno.

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             On a découvert Starry Eyed And Laughing sur la belle compile Ace, You Showed Me - The Songs Of Gene Clark. Ce sont des Anglais et leur premier album sans titre date de 1974. Starry Eyed And Laughing est une petite merveille ! L’âme du groupe s’appelle Ross McGeeney, un fou du gratté de poux. Il amène une énergie considérable dès «Going Down» en ouverture du balda. Ces mecs descendent directement au barbu du down down down et du singing something et paf, ce génie de McGeeney te claque un wild killer solo flash. Il est encore pire que Clarence White. Ils font ensuite du country classic, mais avec esprit («Money Is No Friend Of Mine») et ils bouclent leur balda avec l’excellent «See Your Face» qui fond comme un bonbon sur la langue. Ils sonnent exactement comme les Byrds. En B, ils tapent ce qu’on appelle un boogie rock enthousiasmant, «Living In London». Une vraie sinécure de fast London rock - Living in London starts to make me crazy yeah - Retour à la belle country lumineuse avec «Never Say Too Late», franchement, tu te régales en compagnie de ces mecs-là. Ils font leurs adieux avec un «Everybody» digne du «Eight Miles High» des Byrds. Fantastique resucée ! On croirait entendre Geno. Même power, même fluidité psychédélique, même énergie atomique de la radiation congénitale.

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             Leur deuxième album s’appelle Thought Talk. Il se présente sous les meilleurs auspices avec «Good Love». Ils ont tellement de son ! Et le mec chante si bien ! C’est une pop pleine d’élan vital, une pop inspirée par les trous de nez. L’autre énormité de l’album s’appelle «Flames In The Rain» et elle se planque en B. Il faut aller la chercher, elle ne viendra pas toute seule. C’est de la big heavy pop de type Dylanex, chantée d’une voix tremblante d’émotion, une pop aérienne et même hantée. Avec le morceau titre qui arrive aussitôt après, ils font du CS&N, même allure, même Déjà Vu, avec un jazz solo liquide, c’est incroyablement bon et chaud, c’est un rock qui te coule dans la manche. On retrouve le Dylanex dans «One Foot In The Boat» et un brin de country rock persistant dans «Since I Lost You», chanté au doux du menton, très californien dans l’esprit. Avec «Believe», ils sonnent exactement comme Midlake, ou plutôt Midlake sonne exactement comme Starry Eyed And Laughing. Ils tapent chaque fois dans le mille. Ces mecs sont beaucoup trop polis pour être honnêtes, trop doués pour être charitables, beaucoup trop diserts pour être éligibles.

    Signé : Cazengler, tête à Clark

    Byrds. Mr. Tambourine Man. Columbia 1965

    Byrds. Turn Turn Turn. Columbia 1965

    Byrds. Fifth Dimension. Columbia 1966

    Byrds. Sanctuary. Sundazed 2000

    Byrds. The Preflyte Sessions. Sundazed 2001

    Byrds. Never Before. Murray Hill Records 1987 

    Byrds. Byrds. Asylum Records 1973

    The Rose Garden. A Trip Though The Rose Garden (The RG Collection). Omnivore Recordings 2018

    Gene Clark. The Lost Studio Sessions 1964-1982. Sierra Records 2016

    McGuinn Hillman & Clark. McGuinn Hillman & Clark. Capitol Records 1979

    McGuinn Hillman & Clark. City. Capitol Records 1980

    Full Cirle - A Tribute To Gene Clark. Not Lame Recordings 2000

    Starry Eyed And Laughing. Starry Eyed And Laughing. CBS 1974

    Starry Eyed And Laughing. Thought Talk. CBS 1975

     

     

    Wizards & True Stars

    Syd Barrett m’était conté

    (Part Two)

     

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             Syd Barrett et Brian Jones partagent le même destin, un destin de brillants précurseurs, et s’il fallait les résumer par une formule, on céderait aisément à quelque infime pulsion poétique en les qualifiant d’élégants ectoplasmes éphémères élus pour l’éternité. 

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             Voici dix ans, Rob Chapman publiait Syd Barrett - A Very Irregular Head, un book gras et rose comme un bourgeois satisfait de sa condition. À la première lecture, on trouvait l’auteur pontifiant, on l’aurait presque traité de pompeux cornichon, pour reprendre une invective chère à Noël Godin, un autre héros. Chapman s’inscrivait à l’exact opposé de Nick Kent, qui, avec ‘The Cracked Ballad of Syd Barrett’, avait su dire tout le bien qu’il fallait penser de l’élégant ectoplasme éphémère élu pour l’éternité.

             Puis, à seule fin d’alimenter la chronique des Wizards & True Stars, l’idée saugrenue vint de ressortir le fat book de l’étagère. À la relecture, le fat book a pris une autre allure. Essayons d’en comprendre la raison.

             Rob Chapman est un coupeur de cheveux en quatre. Il passe un temps infini à dire le pourquoi du comment, il consacre des chapitres entiers à des détails qui ne méritaient qu’un petit paragraphe. Il revient notamment sur le mythe créé par Nick Kent, la fameuse bouillasse de Brylcreem et de Mandrax dont Syd s’était barbouillé la tignasse avant de monter sur scène avec son groupe, le Pink Floyd - Jesus wore a crown of thorns. Sad, mad Syd rubbed some gloop into his scalp - Chapman détruit le mythe, mais il s’empresse d’ajouter que les articles de Nick Kent parus à l’époque sans le NME comptent parmi «the finest in English music journalism.» La parution de ‘The Cracked Ballad’ sonnait déjà presque comme un requiem, précise Chapman dans son introduction. Il ajoute à la suite que Kent fut lui aussi victime de sa passion pour la dope, et comme Syd, il se brûla les ailes, lorsqu’il faillit devenir le guitariste des Sex Pistols. Le parallèle est à la fois indélicat et juste. C’est Chapman. Indélicat et juste. Il faut faire avec. Chapman finit par faire craquer Kent qui lâche le morceau : «Cette histoire (de Mandrax & Brylcreem) est plus ou moins vraie. Elle fait partie d’un ensemble de strange tales, beaucoup sont vraies, d’autres relèvent de la fiction.» Il ajoute : «Ce sont des histoires dont les sources sont à moitié authentiques. Il est plus que probable que la plupart sont des inventions.» Finalement, personne n’est jamais revenu sur ces fables pour les démentir. Du coup, elles sont devenues réalité.

             Voilà le problème : ce fat book démystifie et en même temps, Chapman n’en finit plus d’essayer d’approcher la vérité : au bout de ses 400 pages, on sait à peu près qui est en réalité Syd Barrett. Sous la plume de Chapman, c’est pas jojo. Sex and drugs and rock’n’roll. Ceux qui pensent que le rock est un conte de fées se fourrent le doigt dans l’œil jusqu’au coude.     

             L’immense avantage de cette relecture est qu’elle met en lumière le véritable enjeu de ce travail d’investigation. Chapman démontre que RIEN n’est possible sans terreau culturel. Il fait exactement le même travail d’Hercule que Marcus O’Dair avec Different Every Time: The Authorized Biography Of Robert Wyatt. Il prouve que les esprits modernes, en matière de rock, sont des êtres extraordinairement cultivés qui se nourrissent essentiellement de peintres et d’écrivains. Surtout en Angleterre. D’où la différence entre Syd Barrett et Guns’n’Roses.

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            (Nicolas de Staël)

    Faut-il rappeler qu’avant toute chose, Syd Barrett est peintre. Barry Miles le dit influencé par Nicolas de Staël - qui fut aussi une big influence pour Stu Sutcliffe - Un de Staël lui-même influencé par Soutine. Rien qu’avec ces deux noms, on situe parfaitement Syd, «thick broad paint» pour Soutine, l’anar figuratif par excellence, Soutine et de Staël bossent au couteau, ils t’emplâtrent les châssis d’aplats mirobolants, Syd prend racine dans l’éclat morbide de la décomposition soutinienne, et dans la mirobolante fulgure des glacis de de Staël, qui brouille à jamais les pistes en broyant la figuration dans le jeu de ses plaques tectoniques d’aplats. De Staël suggère monstrueusement, comme va le faire Syd avec sa gratte. Chapman ajoute ceci qui est d’une rare pertinence : «À la différence de Soutine, de Staël était un esprit synthétique, plus attiré par la beauté et l’harmonie que par le chaos, et son influence sur Syd et sur sa perception est indéniable.» C’est le premier d’une longue série d’éclairages. Syd Barrett ne tombe pas du ciel. Chapman illustre le penchant féminin de Syd par une longue évocation de Françoise Sagan. Syd lit She magazine, et la meilleure incarnation du féminisme à l’époque, c’est Sagan qui tire son pseudo d’À La Recherche Du Temps Perdu. Chapman dresse un sacré parallèle entre Syd et Sagan : premier succès en 1954 avec Bonjour Tristesse, elle n’a que 18 ans, elle traîne avec «the Left Bank radical chic, avec Sartre, Godard, Hemingway et Henry Miller» et forme sa bande, la Bande Sagan, avec Juliette Gréco. Le parallèle est osé mais juste. Bravo Chapman ! On vénère autant Sagan que Syd : même sens de l’anticonformisme radical. 

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    ( Chiam Soutine)

             Après Soutine et de Staël, Syd se passionne pour Rauschenberg qui fut formé dans les années 40 par un expat allemand du Bauhaus, Josef Albers. Au Black Mountain College, en Caroline du Nord, Rauschenberg devient pote avec John Cage. Ensemble, ils envisagent de détruire les barrières qui séparent l’art de la vie, et cette philosophie allait avoir des conséquences énormes sur l’art des performances et de la danse moderne. En 1964, Syd va voir l’expo Rauschenberg à la Whitechapel Gallery. Révélation ! On est en plein Duchamp avec Monogram, le bouc et son pneu, et puis les collages, les présidents, l’éclat d’une nouvelle modernité, à la suite de de Staël et de Soutine. Dans ses conversations, Syd cite aussi, Willem De Kooning, influencé par Soutine, et instigateur de l’action painting, de la même façon que Syd sera l’instigateur de l’action acid trip.

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     ( Rauschenberg)

            De de Staël et Rauschenberg au LSD, il n’y a qu’un pas. Le lien est direct. Andrew Rawlinson indique la voie : «Aldous Huxley en a fait une réalité. Tout ce qu’écrit Huxley dans The Doors Of Perception est confirmé par le LSD.» Syd est l’un des pionniers de l’acide à Cambridge, dès 1963. Anthony Stern ajoute que Syd est fasciné par ses découvertes - the colours, the movements, the things spiralling - the constant breaking up and fractal imagery all happening at the same time - Il nous décrit tout simplement The Piper At The Gates Of Dawn.

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             Autre épisode crucial dans l’éclosion de Syd : the Free School en 1966, où débarque l’actrice warholienne Kate Heliczer avec sous le bras «the first demo tapes du Velvet Underground.» Dans l’assistance, il y aussi quatre personnages clés, John Hopkins, Peter Jenner, Andrew King et Joe Boyd. Un Boyd qui vient des États-Unis où il faisait tourner Sleepy John Estes, Jesse Fuller, Sonny Terry & Brownie McGhee, Skip James, Muddy Waters et le Révérend Gary Davis. Il a vu Dylan exploser le Newport Folk Festival en 1965. Il a aussi accompagné The Blues & Gospel Caravan en Europe, en 1964 et 1965, et a emmené en tournée Roland Kirk et Coleman Hawkins, nous rappelle Chapman, inlassablement. Et en 1965, Joe Boyd s’installe à Londres et bosse pour Jac Holzman. Il est l’Elektra-man de London town. Pas de meilleur candidat pour rassembler les têtes de gondole de l’English counter-culture. C’est lui qui emmène le Floyd en studio pour enregistrer «Arnold Layne».  

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     ( Edwar Lear )

            Pete Brown rappelle que les ombres de Lewis Carroll et d’Edward Lear planent aussi sur Syd - Language, lateral thinking, looking at the weirdness of British existence, looking at rural or semi-rural peculiarities - Chapman rajoute les noms de Kenneth Grahame, Charles Dogson et Hillaire Belloc, des auteurs sans lesquels le Syd n’est pas concevable. Chapman s’attarde particulièrement sur Edward Lear qui a créé «une fascinante nonsensical cosmogeny de la vie humaine, animale et végétale, peuplée de créatures étranges, dont la plus connue est The Dong with the Luminous Nose.» - Il a inventé une botanique absurde, des recettes absurdes, des petits poèmes absurdes, des chansons absurdes et un alphabet absurde. John Lennon est dans le monde pop le descendant le plus évident de Lear - Quand Syd écrit des lettres à ses copines, il fait du Lear. Chapman en cite de larges extraits. C’est pour ça qu’il faut lire son fat book. 

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        ( John Latham )

         Chapman dresse encore un somptueux parallèle entre Syd et John Latham : «Latham comme Syd se passionnait pour le cut-up et le collage. Ils partageaient la même fascination pour Kurt Schwitters, Hugo Ball, Tristan Tzara, Robert Rauschenberg, et en matière littéraire, pour James Joyce et Bob Cobbing.» Alors que Latham se rapprochait d’Alexander Trocchi et de William Burroughs, Syd se heurtait à l’incompréhension de ses producteurs qui trouvaient ses «dark nursery rhymes trop weird». On lui réclamait une suite d’«Emily Play». Chapman insiste longuement sur ce parallèle, car à cette époque, Syd commence à taper dans le minimalisme Lathamien : il monte sur scène et ne joue qu’une seule note pendant une heure. Les gens croient que c’est à cause de l’acide. Ils n’ont rien compris. La note unique de Syd fait écho au «one-second painting de Latham qui cherchait à repousser les frontières de l’art conceptuel». Latham peint pendant une seconde avec un spray gun. Quand Syd fait la même chose, une note pendant une heure, on l’accuse de sabotage. Les trois autres Pink Floyd ont les dents qui rayent le parquet. Ils veulent faire carrière. Les conneries de Latham, ça ne les intéresse pas. Ils veulent des millions de dollars et des Ferraris. Ils les auront une fois qu’ils auront viré Syd. Pendant ce temps, Latham continue d’explorer les frontières du Nord. Il essaye de capturer le «zero moment» sur toile. Il est galvanisé quand il ouvre les Carnets de Leonard de Vinci et qu’il tombe sur cette phrase : «Parmi les grandes choses qui se trouvent parmi nous, la plus grande est le Rien.» Latham va loin, il cherche la fin de l’art et la dissolution du corps, comme Klein qui de son côté joue avec les body prints. Syd explore les mêmes zones avec sa gratte - Alors que Latham travaille sur les paramètres de l’art de la vie, on envoie Syd Barrett aux États-Unis jouer au Pat Boone Show.

             Nicolas de Staël, John Latham, Edward Lear, tic tic tic... fait le fat book dans la cervelle de son lecteur. En étalant son terreau culturel, Chapman amène une énergie considérable. Il donne forme à la vraie vie de Syd Barrett. Il galvanise son lecteur. Et donne surtout envie de relire Edward Lear. Et de réécouter The Piper.

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            Un Syd d’une flagrante modernité. Chapman dit ceci : «I never met a single punk who didn’t like Syd Barrett». Les seuls qui trouvèrent grâce aux yeux des punks furent Syd et Phil Lynott. Tous les autres à la fosse ! Chapman fonce ensuite sur le cœur du mythe, le génie de Syd Barrett, on est là pour ça. Andrew Rawlinson voit Syd comme un être béni des dieux : «Il était peintre et musicien, and he was very, very quick. Life worked for Syd. He could make things. And boom it happened. And he was a very good-looking boy of course. The girls loved him.» Une gonzesse le qualifie de glamourous, elle parle de l’intensité de son regard - He was glamour on legs - Ses toiles avaient du panache, very Soutine-ish. Et son côté très féminin frappait tout le monde. Il grandit à Cambridge, une ville remplie d’excentriques en vélo et de très grands intellectuels. Pas un hasard si Daevid Allen s’y établit lorsqu’il débarque en Angleterre. Syd se passionne aussi pour Bo Diddley et Dylan. Il s’intéresse aussi aux bluesmen obscurs, notamment Pink Anderson et Floyd Council. L’un de ses premiers masterstrokes et de former le nom de son groupe à partir de ceux de ces deux bluesmen obscurs. Syd s’appuie sur une impulsion créative purement littéraire, qui nourrit aussi sa peinture. Chapman précise qu’on retrouve la même impulsion dans le cubisme, le surréalisme et le pop art. Un sens inné de la modernité. Syd va d’ailleurs commencer à lâcher Bo Diddley pour se déconstruire et devenir plus abstrait. Il mélange cette impulsion au LSD et aux light-shows de Mike Leonard, et ça donne l’early Pink Floyd révolutionnaire. On est obligé de parler d’une révolution artistique, dont l’instigateur est Syd, certainement pas les trois autres. Mike Leonard est selon Chapman le catalyseur de cette révolution. Grâce au LSD et au light-show, Syd peut improviser. La pop ne l’intéresse pas plus que ça. Il rêve surtout d’art total, mais il sait garder un sens de l’immédiateté. Il dit préférer les Beatles à John Cage. Andrew Rawlinson rappelle que Syd était ouvert à tout, au temps de l’early Pink Floyd - He could pick up on the best quality of popular culture - Bob Klose a une approche du Syd encore plus fine : «Il a réalisé que sa vision musicale et ses limitations le poussaient dans certaines directions. Votre créativité vous pousse alors vers quelque chose de nouveau et d’inexploré.» Il se met à chercher des sons, et en 1963, il commence à gratter ses cordes avec un Zippo. Il en fait une justification conceptuelle. Sur scène, Syd et son groupe bousculent les normes - They were totally new. Personne n’avait entendu un tel son. It was free-form experimental pop, dit Duggie Fields - Syd commence à mettre au point des abstractions atonales et il s’entend bien avec Rick Wright qui joue du Morse sur son clavier et des eerie vibrato squalls dignes de l’avant-garde européenne. Syd ouvre les voies du seigneur avec «Interstellar Overdrive», à coups de relentless pulse et de fragmentation de la ligne mélodique. Anthony Stern dit que ça vire jazz, «it’s just this wonderful hybrid thing where rock’n’roll just lets go to itself and lets its hair down.» Chapman compare «Interstellar Overdrive» à «Sister Ray», ils créent «something enterily new out of ensemble playing» - Insterstellar Overdive fonctionne comme une sorte d’anti-music. C’est le jeu collectif qui produit cet effet, selon Chapman, «they lock into exactly the same kind of primal empathy.» Peter Brown voit Syd comme un être incredibly charismatic. «Malgré ses limitations sur la guitare, il pouvait faire des choses très intéressantes. Il pouvait sortir des textures ou des improvisations linéaires.» Andrew King trace un parallèle osé entre Syd et Picasso - Un mec dit un jour à Picasso : «Je peux faire ça en 5 minutes.» Et Picasso répond : «Bon d’accord, mais ça m’a pris 70 ans et 5 minutes.» C’est la même chose pour les explorations instrumentales de Syd. Elles ne tombent pas du ciel - Andrew Rawlinson pense lui aussi que Syd fonctionne comme Picasso - Je veux dire dans sa méthode de travail. Nous savons tous que Picasso essayait tout - Il conclut sa brillante démonstration en affirmant que Picasso a fait ça toute sa vie. «Syd was the same. Le problème, c’est que sa vie créative n’a pas duré très longtemps.» Barry Miles ajoute : «Syd n’a jamais été un virtuose. He was much better at exploring ideas.»

             Et puis il y a le dandy. «Comme Brian Jones et Jimi Hendrix, il portait des châles et des écharpes, de la soie et du velours, des fringues très colorées» - It was a slightly dandified look, androgynous but never camp - Anthony Stern ajoute que Syd avait en plus une façon de marcher extraordinaire - ‘lolloping’ way of walking, comme s’il était un personnage tiré de Peter Rabbit - Et puis il y a les chansons. Du jamais vu. Robyn Hitchcock : «Barrett absorbait Dylan et Bo Diddley, Hilaire Belloc et Lewis Carroll et Dieu sait quoi pour en faire un style qui lui était propre. Il fit ça très jeune. Je trouve ça impressionnant, car il était parfait. C’était un miracle, il était si parfait et si développé, et puis plus rien. À 25 ans c’était fini.»

             Avant d’évoquer la chute de Syd, il est nécessaire de repasser par le Pink Flyod, épisode passionnant dans un premier temps, puis puant par la suite.

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             Joe Boyd et John Hopkins découvrent en 1966 un Irish ballroom situé sous une salle de cinéma, sur Tottenham Court Road. Ils vont en faire l’UFO, c’est-à-dire l’épicentre de la psychedelia. C’est là que le Pink Floyd devient célèbre - Between 23 December 1966 and its enforced closure at the end of September 1967, it hosted the revolution - On distribuait de l’acide à l’entrée - This was Syd’s creative zenith - Syd est sous acide, noyé dans le light show. Syd se livre à un «minimalist kinetic ballet où chaque geste et chaque génuflexion se transforme en une myriade de possibilités visuelles.» «The whole thing was a form of pop art», s’exclame Pete Brown en extase, et il ajoute : «Ils sont devenus des créatures qui existaient dans un environnement visuel. It was exciting to watch. Syd wasn’t just a rock star in the spotlight.» L’UFO, c’est le même plan que l’Exploding Plastic Inevitable d’Andy Warhol. Chapman en fait des pages historiques, aussi historiques que celles de Joe Boyd dans White Bicycles. C’est l’apogée du British Underground. En décembre 1966, Boyd et Hoppy organisent à la Roundhouse un événement baptisé Psychedelicamania, an all-night rave, avec les Who, les Move et Pink Floyd. À la différence des groupes de Ladbroke Grove, le Pink Floyd s’adresse à des gens qui aiment l’aventure et l’expérimentation, même si dans les deux cas, tout passe par les drogues. L’UFO joue le même rôle que la Cavern de Liverpool et le CBGB, à New York.

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             Syd écrit des chansons magiques. Pete Brown considère qu’«Arnold Layne», «Strawberry Fields Forever» et «Penny Lane» sont «les trois breakthrough British rock songs qui définissent l’Angleterre de manière sociale, poétique et historique.» Avec Pete Brown, Chapman a un fier allié. Ils croisent leurs regards et disent tout ce qu’il y a d’important à dire sur Syd et le rock anglais. Pour Chapman, «See Emily Play» est «le high point of English psychedelia, Pink Floyd’s perfect pop moment. As economical as a haiku, as enigmatic as a Zen koan.» - No other pop song of the period conveyed such crystalline clarity. No other pop song of the period said so much by saying so little - Le Pink Floyd, c’est essentiellement «Arnold Layne» et «See Emily Play», certainement pas la machine à fric que c’est devenu après l’éviction de Syd. C’est dingue que les gens ne l’aient pas compris. C’est «Arnold Layne», nous dit Chapman, qui sort le Pink Floyd «out of the security bubble of the London underground pour le propulser dans le mainstream.» On les envoie tourner en province et ils doivent souvent affronter des publics hostiles qui ne comprennent rien à la psychedelia. Avec «Arnold Layne» et «See Emily Play», ils sont devenus des stars, il naviguent dans la charts en compagnie de «Strange Brew» (Cream), «Paper Sun» (Traffic), «All You Need Is Love» et l’imparable «Whiter Shade Of Pale». 

             Puis ils enregistrent The Piper. Barry Miles pense que Joe Boyd qui avait produit «Arnold Layne» aurait dû produire l’album. Norman Smith en a fait un album de pop commerciale. Pour Barry Miles, «Arnold Layne» sonnait comme le Floyd - That’s exactly what they sounded like. There’s a certain sonic quality there that is not on the album - Joe Boyd avait fait des miracles. Pas Norman Smith.

             Et puis Syd commence à refuser de jouer le jeu. Pas question de singer pour Top Of The Pops. Andrew King : «That’s when he started to get diffucult.» Syd applique à la lettre l’enseignement d’Edward Lear, «to go my own way uncontrolled», refus des routines et des compromissions. Refus de rentrer dans le rang, Syd, nous dit Chapman, met en place son «système des 3 R of anti-stardom : reluctance, récalcitrance et refus, jusqu’au moment où Syd fut exclu, ou s’exclut de lui-même de son propre groupe.»

             Il met le paquet. Pendant la première tournée américaine, il monte sur scène au Fillmore West et ne fait rien. Il reste planté. Il attend. Lors d’un autre concert, il souffle dans un sifflet. On imagine la gueule de Roger Waters. Et celle de Nick Mason qui rêve d’acheter des Ferraris. Sur scène, Syd désaccorde sa guitare. À Londres, c’était toléré et même approuvé - Now it was seen as a symptom of madness. Pink Floyd were trying to break America and Syd was fucking up - Et Chapman pose enfin la bonne question : «Plutôt que de spéculer sur l’état de santé mentale de Syd pendant cette tournée américaine, il aurait mieux valu se poser cette question : what the fuck were Pink Floyd doing on the Pat Boone Show in the first place?». Et Chapman ajoute qu’en refusant de jouer le jeu, Syd était en avance sur son temps. Pas question de se plier aux règles du mainstream. Chapman cite des exemples de groupes qui dirent non au despotisme de la connerie, à commencer par Led Zep - No concession of any kind to these mainstream outlets - Ahead of his time, insiste Chapman, refus de mimer pour la télé, refus de répondre aux questions stupides des journalistes. Syd se transforme physiquement, «regard fixe (this thousand-yard stare), cernes noirs sous les yeux, silencieux, impossible to work with, et violent», dit Ian Moore. Et puis il y a l’épisode Cromwell Road où Syd vit un temps - A major burn-out joint. Definitely acid overload there, précise Mick Rock, le photographe qui signe la pochette de The Madcap Laughs, ainsi que celles de Raw Power et Transformer.  

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             Comme Syd fucks up, les autres font entrer David Gilmour pour le doubler sur scène à la guitare. Fin 1967, les jours de Syd dans le groupe sont comptés. Il aura tenu moins longtemps que Brian Jones, lui aussi viré de son propre groupe. Deux ans. Gilmour monte sur scène avec eux en janvier 1968. Ils vont jouer 4 dates à 5, puis un jour, ils oublient tout simplement de passer prendre Syd pour aller jouer à Southampton. En avril 1968, un communiqué annonce que Syd a quitté le groupe.

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             Quand plus tard on demande à Syd ce qu’il pense de l’évolution du Pink Floyd et «du contraste entre the song-based material and the Floyd’s lenghthy instrumentals» il répond ceci : «Leurs choix musicaux correspondaient à ce qu’ils pensaient en tant qu’étudiants en architecture. Rather unexciting people, I would have thought, primarly.» Chapman ajoute que derrière le sarcasme se planque une vérité fondamentale, dans la façon dont le Floyd a construit sa carrière après s’être débarrassé de son erratic and anarchic founder. «Alors que les albums solo de Syd allaient refléter his fine art philosophy and his pathological resistance to discipline. Waters, Mason, Wright and Gilmour (ça sonne comme le nom d’une firme, pas vrai ?) pratiquaient la prudence, la délibération, l’attention méticuleuse au détail, ils appliquaient des principes formels, suivaient une logique séquentielle, linéaire, alors que Syd cultivait l’immédiateté, la spontanéité, l’abstraction, la multiplicité des perspectives, et l’automatisme.» Eh oui, d’un côté tu as «Money» et de l’autre, tu as «Dominoes». Ça veut bien dire ce que ça veut dire. On est content que Chapman soit du côté de Syd. Car enfin, camarade, il faut choisir ton camp. Pareil, tu choisis entre Brian Jones et Mick Taylor. Le choix est vite fait. 

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             Syd viré. Que devient-il ? Chapman rencontre Alfie qui lui explique que Robert Wyatt a subi le même sort : viré de son propre groupe - Sa confiance en lui et son ‘sense of direction’ étaient tellement esquintés qu’il en a longtemps fait des cauchemars - Chapman aborde le chapitre des deux albums solo et qualifie l’excellent Madcap Laughs d’«épuré, méditatif, séduisant, austère, intime», avec cette photo de Mick Rock et cette gonzesse à poil derrière qui s’appelle Iggy the Eskimo Girl. L’enregistrement est bordélique. Chapman trouve dommage que Soft Machine n’ait pas joué sur tous les cuts. Ça aurait donné un résultat beaucoup plus explosif. Syd n’a que 22 ans quand il attaque sa «carrière solo», et il aura 24 ans quand il arrêtera définitivement d’enregistrer. Chapman dit que la tristesse s’est abattue sur Syd. C’est ce qu’il ressent à l’écoute des deux albums solo. Gilmour prend en mains le deuxième, Barrett, enregistré en 15 sessions, en 1970. L’album contient tous les chefs-d’œuvre que l’on sait, «Dominoes», «Gigolo Aunt», «Baby Lemonade», pas besoin de faire un dessin. C’est la suite directe de «Arnold Layne» et «See Emily Play», un style unique en Angleterre, une pop désinvolte et complètement géniale. Mais Chapman note une baisse chez Syd : «Le 21 juillet 1970, Syd se rendit au studio 3 d’Abbey Road pour enregistrer ses deux ultimes chansons.» Ça sent la fin des haricots. Ces pages sont d’une infinie tristesse.

             Syd commence alors à s’effacer. Pas d’annonce officielle, juste quelques pas en arrière pour se fondre dans l’ombre de l’anonymat. Il passe plus de temps à Cambridge. Chapman tente d’expliquer que le Mandrax lui a fait plus de mal que le LSD, mais on s’en fout. Robyn Hitchcok ramène sa fraise : «C’est toujours la même chose avec ces mecs-là : Les drogues ont démoli leur self-control. Ils sont tous devenus les victimes de leurs minds, which is what happens if you get stoned a lot.» En 1971, Syd s’installe définitivement dans le grenier de la maison de sa mère. Comme Dan Treacy, Chapman donne l’adresse : 183 Hills Road. C’est pas grave, puisque Syd a cassé sa pipe en bois - À 25 ans, Syd est coupé du monde, in retreat from everyone and everything. Il ne peint plus, il gratte du blues sur sa gratte et semble avoir perdu pour de bon son artistic, emotional and spiritual impulse - Et pouf, voilà que Jenny Spires se pointe pour l’épisode Stars. On en fait d’ailleurs un conte dans Cent Contes Rock. Jenny est une ancienne poule de Syd. Elle s’est mariée avec Jack Monck. Monck et Twink qui s’est lui aussi replié à Cambridge proposent à Syd de jammer avec eux. Stars va durer un mois, en janvier 1972. Ils jouent une première fois à Cambridge après Eddie Guitar Burns. Puis c’est le fameux concert au Corn Exchange après Skin Alley et le MC5. Syd & Stars montent sur scène après minuit, la salle est presque vide. Chapman y était, alors il peut en parler - Syd looked fantastic in velvet trousers and snakeskin boots - Syd s’est laissé pousser une barbe et repousser les cheveux. Ils démarrent avec «Octopus». Il ne reste plus que 30 personnes devant la scène et une cinquantaine dans le fond du hall. Chapman enfonce son clou : «Contrairement à ce qu’ont raconté pendant des années les gens qui n’y étaient pas, Syd n’avait aucun problème à se souvenir des paroles.» Il indique clairement que ça n’a plus rien à voir avec l’âge d’or des UFO days - This was Syd regressing into blues runs and insecurity. Enventually, Jack Monck’s bass amp packed up and the set fizzled out soon after - En 1972, Syd refait surface à Londres et traîne avec Steve Took à Ladbroke Grove. Took était venu jouer des congas sur Madcap. Tony Secunda tente de transformer Steve Peregrin Took en underground superstar, mais il y a trop de dope. Beaucoup trop.

             Et puis il y a cette interview extraordinaire qu’il accorde à Mick Rock, chez lui - Syd est en bonne forme, énigmatique (‘I’m full of dust and guitars’), laconique (‘The only work I’ve done the last two years is interviews. I’m very good at it’), mélancolique (‘Je n’ai pas toujours été introverti. Je pense que les jeunes gens doivent s’amuser. Il me semble pourtant que je ne me suis jamais amusé’), et défiant (‘J’ai toute ma tête. Je pense même que je devrais toujours l’avoir’).» C’est dans cet interview qu’il ramène le sous-titre du Chapman book : «I don’t think I’m easy to talk about. I’ve got a very irregular head. And I’m not anything you think I am anyway.» Syd a raison de dire que les gens se font des idées. C’est pour ça que le travail d’un mec comme Rob Chapman est essentiel. L’autre point clé de l’interview avec Mick Rock, c’est qu’il ne parle pas d’un troisième album. Il fait un dernier constat sur son échec : «Hendrix était un guitariste parfait. Gamin, c’est tout ce que je voulais faire, bien jouer de la gratte et sauter partout. Mais trop gens got in the way, trop de gens sont entrés dans la danse. Pour moi, les choses n’avançaient pas assez vite. Jouer. Le rythme des choses. Je veux dire que je vais très vite. I’m a fast sprinter. Le problème vient du fait qu’après avoir joué dans le groupe pendant quelques mois, je ne pouvais pas aller plus vite, I coundn’t reach that point.» Les paroles de Syd sont sacrées. Soudain on comprend tout. Les autres n’étaient pas à la hauteur. Pire encore : les autres n’ont absolument rien compris. Syd indique aussi qu’il a très bien connu Jimi Hendrix, ils ont tourné ensemble. Il raconte qu’Hendrix s’enfermait dans sa chambre with a TV et ne voulait pas en sortir. Mick Rock trouve ça drôle car Syd va faire exactement la même chose. Rock indique enfin que Syd n’a jamais plus eu de girlfriend - Or any kind of friend at all.

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             Quand Syd sort d’Abbey Road une dernière fois en août 1974 après une ultime tentative avortée d’enregistrement, he disappeared into myth. Chapman s’amuse avec les mythes : il y en a à la pelle : le mélange de Mandrax et de Brylcreem, et tous les autres qu’il cite à la queue-leu-leu. L’être Syd Barrett fut complètement éradiqué pour laisser place au mythe. Quand le Pink Floyd enregistre «Shine On You Crazy Diamond» en hommage à Syd, ils se vautrent car le cut est «overblown, overwrought, epic in scale and self-agrandising, c’est-à-dire tout ce que Syd n’est pas.» C’est tout de même dingue que des mecs se soient vautrés à ce point-là. Mais ce qui est pire, c’est qu’ils ont fait du blé sur le dos de Syd, un mec auquel ils doivent tout et qu’ils ont viré. Les Stones ont fait exactement la même chose en lâchant des papillons crevés à Hyde Park, lors de l’hommage à Brian Jones qu’ils avaient humilié de son vivant. Le seul qui réussit à rendre hommage à Syd, c’est Kevin Ayers avec «Oh Wot A Dream» - a song of beguiling simplicity and economy of style which encapsulated Syd’s spirit far better than Waters’ angst-ridden dirge ever could.

             Sa sœur Rosemary indique que Syd a fini par haïr ce surnom que lui avaient donné les scouts quand il était petit. Il ne voulait plus rien devoir à son passé de pop star et redevenir Roger Keith Barrett. Mais des gens se lancent à sa recherche, nous dit Chapman, notamment Bowie qui rêve de le sauver. Puis ce sont Brian Eno et Jimmy Page qui souhaitent le produire. En 1977, Jamie Reid organise un meeting pour proposer à Syd de produire l’album des Pistols. Chou blanc. Les Damned veulent aussi Syd comme producteur. Chou blanc : ils auront Nick Mason à la place. On a vu le résultat. L’un des plus gros fans de Syd sera Robyn Hitchcock au temps des Soft Boys. Il chante comme Syd.

             Fin des années 70, Syd entre dans sa lost-era. Chapman dresse un habile parallèle avec Peter Green qui lui aussi renonce à tout. La seule différence, c’est que Peter Green va revenir. Pas Syd. Quand Syd quitte Londres pour la dernière fois en 1982, il fait la route à pied jusqu’à Cambridge. Sa sœur indique qu’il est arrivé avec de grosses ampoules aux pieds.

             Puis tu as les deux mecs d’Actuel qui viennent l’emmerder chez lui à St Margaret’s Square pour faire leur petit scoop. Ils prennent comme prétexte de lui ramener un sac de linge sale de Londres pour entrer chez lui et l’interviewer. C’est la dernière fois que Syd parle à la presse. Il n’est pas très content. Puis des tas de gens vont venir l’importuner en stationnant devant chez lui dans l’espoir de faire des photos. Dylan parle de cette horreur dans Chronicles, l’horreur de l’intrusion et des gens qui ne respectent rien. Gilmour envoie promener les journalistes qui le questionnent sur Syd. Il conclut sèchement : «Now it’s over», en clair : dégagez.

             Pendant les vingt dernières de sa vie, les gens vont continuer de harceler Syd pour des photos. Souvent quotidiennement. Sa mère casse sa pipe en bois en 1991. Il n’assiste pas à l’enterrement. Il brûle régulièrement ses toiles et ses livres d’art, comme s’il ne voulait rien laisser aux charognards. Il vit de ses droits d’auteur, et il en vit plutôt bien. Chapman indique que Gilmour veille à ce qu’on lui verse ses droits. Syd qui est redevenu Roger Keith Barrett fait du vélo chaque jour, comme ses aïeux excentriques de Cambridge. Il se chope un petit cancer et casse sa pipe en bois chez lui en 2006.  

    Signé : Cazengler, barrette de shyd

    Rob Chapman. Syd Barrett - A Very Irregular Head. Faber & Faber 2020

     

     

    L’avenir du rock - La leçon de Tengo

    (Part Two)

     

             L’avenir du rock adore aller danser la java au Balajo. Toutes ces jolies femmes sont là pour ça. Mais qu’on ne se méprenne pas, l’avenir du rock n’est pas là pour draguer. Il veut surtout danser pour rendre hommage à Serge Reggiani et Simone Signoret qu’on voit tourner au bal musette de Casque D’Or. Il adore aussi danser le mambo du diable, en hommage au Playtime de Jacques Tati, ah comme c’est bon de tortiller du cul au milieu de toutes des jolies femmes qui perdent la boule ! Il aime aussi sautiller la java à la manière de Dutronc, dans le Van Gogh de Pialat. On l’a bien compris, tous les prétextes sont bons. D’ailleurs, la vie n’est rien d’autre qu’une longue série de prétextes à vivre. Respirer n’est qu’un prétexte à vivre, et danser la java un prétexte à s’amuser, et donc à respirer la vie. Virevolter, c’est aussi une façon d’oublier qu’on trouve n’importe quel prétexte pour continuer à vivre, c’est surtout une façon de s’abandonner en abonnant cette culpabilité à trouver des prétextes, alors on s’en va valser sous les lustres de Luchino Visconti pour qu’un vent du vertige s’engouffre par les yeux. L’oubli, rien que l’oubli, c’est probablement ce que doit penser cette jolie femme blottie dans ses bras, se dit l’avenir du rock, cette Viens Fifine en robe moulante de tissu moiré, ah comme le contact de son corps est agréable, comme c’est bon de sentir ce ventre doucement bombé et ces cuisses fermes, C’est si bon/ Ces petites sensations/ Ça vaut mieux qu’un million/ Tellement, tellement c’est bon, comme si le mouvement donnait l’absolution, comme si la vie n’était plus qu’un prétexte à danser, alors dansons, C’est si bon/ De jouer du piano/ Tout le long de son dos/ Tandis que nous dansons, et puis vient la fin de la chanson et l’avenir du rock s’excuse de devenir indiscret en lui demandant son prénom, alors elle rougit et dit qu’elle s’appelle Baby Love. L’avenir du rock n’en revient pas :

             — Oh mais je vous connais, vous aimez vous suicider au jour de l’an. M’accorderez-vous une autre danse ?

             — Avec plaisir...

             — Yo La Tengo ?

     

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             Comme Tav Falco et Pokey LaFarge, l’avenir du rock adore danser le Tengo. De toute éternité. From Hoboken to eternity, surenchérit Jason Anderson dans Uncut.

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    L’Anderson prend huit pages pour préparer les esprits à la parution de This Stupid World, le nouvel album du most enduring cult band, Yo La Tengo. Ira Kaplan est toujours avec Georgia Hubley, après quarante ans de vie commune. James McNew en est à sa 32e année de Tengo. En papotant avec l’Anderson, les Tengo avouent qu’ils ont tellement pris l’habitude de peaufiner leurs démos qu’ils ont fini par comprendre qu’ils n’avaient plus besoin d’aller ailleurs pour les mixer. Ils se contentent de leur special chemistry et cultivent ce qu’ils appellent des drone-based pieces. Et puis bien sûr l’Ira avoue un faible pour les loud guitars. D’ailleurs, une formule résume bien leur son : «Beautiful, simple melodies embedded in a glorious goo of loud guitars.» L’Anderson perce bien leur secret : «Hermetic creative process and self-effacing manner». Les Tengo ne la ramènent pas, c’est pour ça qu’on les vénère. Pour ça et pour les loud guitars de l’Ira. «We’re notoriously private», ajoute l’Ira. Le contraire du m’as-tu-vu. 

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             This Stupid World est leur 17e album. Ça fait tout de même quarante ans que dure leur cirque. Quarante ans qu’ils font une pop expérimentale enracinée dans le Velvet. Premier coup de semonce avec «Sinatra Drive Breakdown». Wild attack de savage Tengo. L’Ira ne s’est jamais autant énervé, il explose tout d’entrée de jeu au big fuzz out de no way back, il ressort les vieilles ficelles d’Electro-Pura, vazy Ira pique ta crise ! Il pousse des pointes, il fait jouir sa gratte, et derrière, tu as le meilleur hypno d’Hoboken. On retrouve le big Tengo. Inutile de dire qu’on est content d’être là. Les cinq premiers cuts de l’albums sont des monster hits. «Fallout» est encore plus dingoïde. L’Ira est un vieux punk qui te claque ça d’entrée de jeu, en pur amateur de mayhem, son cut pulvérise tous les records d’incendies urbains, Hoboken s’écroule dans la fumée, la vieille légende latente s’élève dans le ciel, là oui, Tengo forever. Ces trois-là te jouent l’un des rocks les plus puissants du XXIe siècle. Avec «Tonight’s Episode», ils passent à la folie pure, au radicalisme hypnotique. Tengo Mago ! Tu les suis et tu trembles. Ils marchent devant toi et te disent : «Suis nous !». L’Ira est un prodigieux sorcier du son, il extrapole la parabole de la gondole, il gère l’ingérence d’Hoboken, son visage apparaît et disparaît dans la violence des stroboscopes. Et puis voilà «Aselestine», une Beautiful Song éclairée par un solo lumineux, comme l’est «Pale Blue Eyes». Le festin se poursuit avec «Until It Happens». Tout ce que bidouille l’Ira est beau, même l’entre-deux. James McNew joue justement son bassmatic dans l’entre-deux. Le «Brain Capers» n’est pas celui de Mott. C’est du wild as fuck d’Hoboken. L’Ira en fait une sorte de mollusque punk. C’est à la limite du descriptible. D’où cette image. C’est le Capers de la fin du monde, doté d’une niaque dégueulasse et de dents pouries, et l’Ira passe un solo d’ultra-vinaigre, il ne respecte plus rien, il s’assoit sur les conventions, il laisse sa punkitude éclore au soleil noir de Satan. Ce solo est une horreur d’acid bottom, il n’existe rien de plus punk que ce Tengo, ils jouent largement au-dessus des moyens du punk. Et puis avec le morceau titre, ils tapent l’hypno du dernier Tengo à Paris, ils enfilent le drome du doom avec la motte de beurre. Ça te bat aux tempes. Ça te pulse au so far out. Sans doute a-t-on là l’une des dégelées du siècle. Va-t-en savoir.  

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             Yo La Tengo, c’est déjà de l’histoire ancienne. Après le Part One, on en était resté au groove subliminal de There’s A Riot Going On, paru en 2018. Si on aime le smooth de groove, c’est là, dès «Shades Of Blue». Ils savent encore créer de la chaleur intrinsèque, la qualité de ce groove défie toute concurrence. On va dire la même chose d’«Ashes» en B, oui ashes go away, c’est illustré musicalement par la plus langoureuse des intentions. On pourrait même croire l’Ashes hanté, car joué aux machines et chanté à l’Ira désincarné. «She May She Might» sonne comme une étrangeté divinatoire. N’oublions jamais que Yo La Tengo vient du Velvet, ils sont capables d’explorer les labyrinthes de la douceur de vivre, de fondre l’art comme d’autres fondent des statues pour fabriquer des canons. Ils vont doucement, au meilleur rythme, ça reste très Velvet dans l’esprit. Ils renouent avec les grandes heures d’Electro-Pura dans «For You Too». C’est dingue comme ils savent bien percer les secrets. Leur pop séduit dès les premières mesures, c’est à ça qu’on reconnaît les grandes chansons. Il règne dans «For You Too» une tension et une lumière magnifiques, ça se construit patiemment et ça s’élève par la grâce de Dieu Ira, ah ça Ira, il chante ça au dévoilé d’âme, à l’accord parfait. Comme l’album est double, Ira et ses amis peuvent se livrer à quelques expérimentations, mais bien sûr sans jamais créer d’ennui. Le «Shortwave» qui ouvre le bal de la C se veut quasiment biblique, avec des infra-sons qui remontent du fond des océans. Ils rêvent d’Afrique pour jouer «Above The Sound» dans un fouillis de percus tropicales. Ils donnent leur vision de la petite transe new-yorkaise. Chez eux tout est solide. Cette soft-pop intimiste qu’est «Let’s Do it Wrong» nous fait craquer, et avec ce «What Chance Have I Got» terriblement languide, on soupire d’aise : ces vieux cocos d’Hoboken reviennent aux sources du Velvet, avec tout le velouté de circonstance. On croit même entendre Nico. Et dans «Forever», on retrouve le she-wap she-wap des Flamingos. Sûrement un hommage.        

    Signé : Cazengler, Yo La Twingo

    Yo La Tengo. This Stupid World. Matador 2023

    Yo La Tengo. There’s A Riot Going On. Matador 2018

    Jason Anderson : From Hoboken To Eternity. Uncut # 310 - March 2023

     

     

    Inside the goldmine

    - Ridley n’a pas pris une ride

     

             Baby Share avait un certain charme : petite, brune, très jolis seins et une gouaille extraordinaire. Sa générosité lui valut le surnom de Baby Share. Elle partageait le peu qu’elle avait, son cul bien sûr, mais aussi sa spiritualité. Son premier cadeau fut un double de ses clés. Elle ne buvait que du champagne et fumait des Gauloises. Elle adorait dîner aux chandelles les seins à l’air. D’étranges scènes se déroulaient dans la pénombre du petit appartement qu’elle occupait rue Laugier. De confession bouddhiste, elle récitait le Nam-myoho-renge-kyo devant un petit autel fleuri. La pratique de ce culte consiste à répéter inlassablement le mantra pendant au moins une heure, et pour donner du caractère à ses incantations, elle se penchait légèrement pour donner libre accès au fondement de son corps. Selon elle, le culte passait aussi par le cul, c’est-à-dire la connexion avec l’organique, et une fois connectée, elle se mettait à parler d’une voix sourde dans des langues inconnues. Les gens croient que ce phénomène n’existe que dans l’Exorciste. Pas du tout, c’est une réalité ! Écartelée entre le spirituel et l’organique, Baby Share était possédée. Ni les Inquisiteurs, ni Huysmans au temps de sa passion pour la démonologie n’auraient imaginé une telle dépravation. Nous répétâmes l’expérience si souvent qu’il fallut bien se rendre à l’évidence : ce phénomène surnaturel n’était pas le fruit de l’imagination. Mais qui était Baby Share ? Le mystère s’épaississait et la fascination prit des allures d’envoûtement. Revenant un soir avec la bouteille de champagne quotidienne et une cartouche des Gauloises, je trouvai l’appartement vide. Pas un mot d’explication. Rien. L’attente dura toute la nuit. À l’aube, il fallut aller bosser. Rien non plus les jours suivants. C’est dans ces moments de vide sidéral qu’on mesure la grandeur d’un attachement. Les fleurs du petit autel étaient fanées. Quelques mois plus tard, repassant dans le quartier, je découvris qu’un nouveau locataire occupait l’appartement. La lumière ne se fit que bien des années plus tard. Nous dînions chez des amis aux Petites Écuries, et dans le fond de la pièce, une télé diffusait ses informations. Soudain, Baby Share apparut dans la télé. Il s’agissait d’un reportage sur les SDF. Baby Share vivait dans une bagnole. Elle accrochait ses fringues à des cintres. Elle répondait en rigolant aux questions des journalistes et leur expliquait que pour dormir l’hiver dans une bagnole, il fallait bien se couvrir. Elle avait réussi à dégringoler tous les échelons sociaux sans jamais demander d’aide.  

     

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             Baby Share et Sharon Ridley ont au moins deux points communs : petites et brunes, mais pour le reste, c’est-à-dire le cul du culte, on ne sait pas. Par contre, Sharon Ridley n’est pas une petite blanche mais une petite black, une petite Soul Sister complètement inconnue, et pour la trouver, il faut aller fouiller sous les jupes de certaines compiles. C’est sur The Sweetest Feeling (A Van McCoy Songbook 1962-1973), une compile Kent consacrée à Van McCoy, qu’on a croisé le chemin de l’excellente Sharon Ridley.

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    Un Van qui d’ailleurs produit son premier album, Stay A While With Me, un album qui semble devenu culte, paru sur Sussex, le label de Clarence Avant, sur lequel se trouvait aussi Rodriguez. Quand on l’écoute, on comprend pourquoi l’album est devenu culte. Pour chanter son morceau titre, elle tape dans l’écho. Elle est tentaculaire ! Elle se répand comme seule la Soul sait se répandre. On passe directement au hit séculaire avec «Where Did You Learn To Make Love The Way You Do». Ce hit qui rivalise de splendeur avec le firmament figure lui aussi sur une deuxième compile Kent, This Is It! (More From The Van McCoy Songbook 1962-1977). C’est la big Soul de Van, orchestrée au-delà de toute mesure, et la petite Shirley grimpe à l’Ararat de la Soul suprême. Van l’envoie exploser au firmament. Elle sonne comme Esther Phillips, les orchestrations frisent la démesure. Si tu veux qualifier la grandeur productiviste de Van, tu ne peux parler que de démesure. Là mon gars, tu goûtes à l’extrême. Elle tente de rééditer l’exploit avec «When A Woman Falls In Love» et il faut bien dire qu’elle a énormément de répondant, la petite mémère. En B, elle repart chercher sa mélodie très haut avec «Where Does That Leave Me», elle ne craint pas le vertige, elle grimpe aussi haut que Dionne la lionne, mais elle sait garder un petit côté sucré. Elle sait swinguer ses notes au sommet du chat perché. Elle est très aérodynamique, comme le montre encore «You Sold Me A One Way Ticket», un cut qui aurait encore tendance à s’envoler. La petite Sharon est merveilleusement à l’aise dans ces virevoltes. Elle ramène un power incommensurable, elle fait du Motown en infiniment plus raw. Elle termine avec le pathos d’«I Foud Him I Loved Him I Lost Him». Elle te brûle le cœur, elle est là, avec la présence d’une fantastique interprète, elle est parfaite de burn out, et les nappes de violons t’achèvent, c’est d’une poignante magnificence.

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             T’auras pas grand chose sur Sharon Ridley. Van McCoy a tout fait pour la lancer, mais ça n’a pas marché. Cette petite black basée à Washington a enregistré ensuite un second album, Full Moon, qui est tout de même un peu moins dense que le premier. Avec le morceau titre, elle jazze le swing. C’est une pure merveille. L’autre hit de l’album s’appelle «Changin’», une Soul des jours heureux, où rien ne compte plus que le bonheur. Car en fait, il ne s’agit que de ça : la quête du bonheur et Sharon incarne cette quête à la perfection. Elle va encore te percer le cœur avec «You Beat Me To The Punch». Quelle niaque de timbre, oh-oh yeah ! La Soul de good time, c’est son péché mignon. On note aussi une extrême proximité de sa féminité («Just You & Me (Walking Along Together»). C’est la Soul humide dont rêvent tous les hommes sensibles. Elle tartine bien son chant aux éclats de voix. Elle est des nôtres. Elle tape aussi une version d’«Ain’t That Peculiar», repris par des tas de gens, dont Marvin et Fanny, le groupe des sœurs Millington. Avec ce hit signé Smokey, elle entre dans le temple des dieux.

    Signé : Cazengler, Sharon ridé

    Sharon Ridley. Stay A While With Me. Sussex 1971

    Sharon Ridley. Full Moon. Tabu Records 1978

     

    *

    Je ne connaissais pas, les ai découvertes par une vidéo que Two Runner ont postée sur leur FB. L’envie d’en savoir plus. Cette chronique ne peut être qu’une première approche. Il n’y a pas de hasard, seulement des réseaux de sensibilités, je m’aperçois que sur leur premier EP elles ont repris Last Kind Words de Geeshie Wiley (voir livraison KR’TNT ! 571 du 20 / 10 / 2022).

    NARROW LINE

    MAMA’S BROKE

    ( Free Dirt Records / Mai 2022 )

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    Elles sont deux, elles sont belles, vous leur donnerez la joie de vivre sans confession, à ceci près, je vais dire un mensonge, qu’elles produisent une musique que je qualifierais de doom-folk. Pour le folk question instrumentation il est difficile de trouver mieux : Amy Lou Keller : vocal, banjo, guitare, violon / Lisa Maria : vocal, fiddle, guitar, mandolin, violoncelle, foot percussion, tap dance. 

    Proviennent de la Nouvelle Ecosse, cette île que vous situerez tout en bas de la côte-Est du Canada. Il semble que dans ce pays elles privilégient deux villes : Halifax et Montréal. Mais ce sont des voyageuses, elles se sont rencontrées en 2014 lors d’un voyage en voiture de dix-sept heures. A l’arrivée le groupe était né. Leurs enregistrements ont été remarqués, ils ont reçu des distinctions, les festivals les invitent… Elles sont déjà venues en Irlande et en Angleterre (elles y seront en tournée in the UK au mois de février 2024), on les a vues jusqu’en Indonésie, il existe partout des cercles d’amateurs de grassroots prêts à les accueillir. Leur musique est difficile à définir, un indéfinissable mélange de traditions européennes, de folk, de country, d’influences arabes, d’americana, de metal, il semble que celui qui les écoute identifie ce qu’il porte en lui. 

    Je ne suis pas le seul à noter la présence musquée de la noire épice doom dans leur musique, ne craignez rien, pas de grosses dérives électriques en leurs productions, c’est avec les paroles qu’elles filent une bonne leçon aux groupes de doom, leurs textes sont d’une noirceur sans équivalence. Elles ne convoquent pas la Grande Faucheuse toutes les cinq secondes, ni ne mettent en scène de sublimes épopées contre les forces du Mal, elles se contentent d’évoquer le vécu de la vie, excusez cette expression redondante, mais comment nommer ce sentiment que tout ce que vous traversez vous échappe et ne vaut pas la peine d’être rattrapé. En quelques mots, elles ont le pouvoir de vous saper le moral pour le reste de l’année qui vient de commencer.

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    La pochette vous donne un avant-goût de ce qui va suivre. Narrow Line, la ligne étroite, même pas une voie, une route, ou un chemin, l’idée d’un sentier rectiligne, le moindre pas en-dehors de ce tracé et c’est la catastrophe. Toutefois vous ne pouvez vous empêcher de penser que de toutes les manières c’est déjà la cata. Z’auraient pu élargir l’illustration à toute la pochette, l’espace est mangé par un cadre d’un vert sombre, vous comprenez d’instinct qu’ailleurs l’herbe ne saurait être plus sombre, par la porte étroite se dessine un paysage agreste, un champ ensemencé, pas vraiment la promesse d’une récole future, l’a plutôt l’aspect d’un désert stérile, les squelettes d’arbres dénudés et ce personnage au premier plan, attitude romantique désabusée, qui ne nous regarde pas, trop préoccupé par on ne sait quelle indicible mélancolie, cette scène inspire un indélébile sentiment de tristesse.

    Just pick one : cordes funèbres ne cesseront de tout le morceau, les deux voix jamais à l’unisson mais entremêlées comme ces deux arbres qui échangent leurs branches et ont uni leurs racines pour pousser côte à côte, quelques notes volatiles, escarboucles qui ne tardent pas à s’éteindre quelques traînées de violon  comme tapis resplendissant de feuilles mortes, même pas une plainte, un constat désabusé, rien ne vaut rien et tu ne sortiras jamais des ornières dans lesquelles tu as déjà marché, ainsi sont les relations humaines intimes, elles se répètent à l’infini, alors choisis-en une, elle ne sera ni meilleure ni pire que les précédentes, certains en seront jaloux, quelle importance, rien ne vaut rien… Oh sun / Pale night / Forgetting reel : une voix pure a capella se répète, non ce n’est pas un hymne gnostique au soleil, juste une prière, non une supplication, le violon s’élève et vous déchire les entrailles, l’intermède musical devient lyrique porteur d’espoir, il s’étend comme s’il refusait l’échec amoureux que l’on prévoit, mais lorsqu’il s’arrête, le morceau est fini, aucune voix ne s’élève, tout a déjà été dit, personne ne reviendra, d’ailleurs lui ou un autre n’est-ce pas la même chose. Le soleil brille sur vos illusions comme sur vos désillusions. Toujours le même film. Between the briar & the rose : motif arabisant, une chanson d’amour, sculptée à coups de cordes identiques à des entailles dans les chairs fraîches, les notes du banjo comme des coups de manche de poignard, pointillent les voiles de gaze du violon, tout va bien mais quelque chose cloche, la voix s’attarde et s’allonge, voudrait-elle retenir ces instants de feu qui ne dureront pas, entre la rose du bien-être et la bruyère de la mort, il est sûr qu’un jour tout sera délié. Constat sans appel. How it’s end : voix vindicatives, étrangement la musique vous a de ces aspects joyeux surprenants, insensiblement bientôt c’est la tristesse qui domine, non elle ne croyait pas à l’amour romantique, c’était le moins pire de tous ceux qui l’avaient précédé, le constat est sans appel, elle a fait semblant de ne pas s’apercevoir des manquements intolérables, elles chantent parfois a capella et leur voix s’enroule autour du cep du désir comme le serpent venimeux de la désillusion, bien sûr malgré les promesses non tenues il partira comme tous les autres avec qui elle aurait mieux fait d’aller. Cruelle amertume, celle que l’on retourne contre soi-même. Quel régal lorsque les voix prennent ce nasillement old style. Narrow line : une assez longue intro, puis la voix qui glace, notes de banjo verglacées accompagnent ce qu’il faut bien appeler un poème, qui ne déparerait en rien dans une anthologie de poésie anglaise, l’antithèse de I walk the line une boutade qui a rendu Johnny Cash célèbre,  ici les dires s’emmêlent à tel point que l’on n’est plus en mesure d’évoquer l’ampleur des thèmes visités, chacun devenant le symbole de tous les autres, des mots qui portent mais qui ne disent pas tout, prononcées à la manière de ces larmes que l’on retient, la voie est insuffisante, elle débouche dans la mort, mais il n’y en a pas d’autre. L’existe aussi une official video sur YT présentée par Free Dirt Records : ce n’est pas une illustration mais une interprétation d’Arash Akhgari un ovni graphique à mi-chemin des encres d’Henri  Michaux et des films d’animation, les images ne proviennent pas des mots mais s’engendrent les unes des autres, un peu comme les enfants sortent du corps de leurs mamans. October’s lament : la musique sonne à la manière d’un quatuor de violoncelles, elle s’arrête, l’une chante et l’autre module par-dessous, un texte noir, Amy raconte son addiction aux drogues et à l’alcool, le texte est très sombre car si une note nous avertit qu’elle s’en est sortie, la chanson est sans appel, c’est l’histoire d’une chute encore plus terrible (et magnifique) que celle du Paradis Perdu de John Milton. Le chant funèbre des pseudo-violoncelles reprend et clôt le morceau sur une note funérale. Il existe sur YT une vidéo présentée par Free Dirt Records, qui ne se commente pas, qui se regarde, une espèce de film d’animation poétique qui rappelle les vues oniriques produites par les lanternes magiques à la fin du dix-neuvième sièclePick the raisin from the paska : intermède instrument hélas trop court, un peu à l’imitation, le titre y invite, du folklore ukrainien, Amy et Maria sont des musiciennes exceptionnelles mais les sombres effluves du chant nous manquent. God’s little boy : nos féministes actuelles remettent en question le patriarcat, Mama’s Broke pousse l’analyse, les bonnes consciences diront le bouchon, un peu loin, jusqu’à Dieu le Père. Fait assez rare dans le bluegrass. Un banjo railleur et une voix sans concession, froide et saignante, les lyrics se résument en deux mots : le sexe et la mort. Je vous laisse seuls juges de l’interprétation du dernier vers du morceau. Ces filles ne respectent rien, elles sont sans pitié. The wreckag done : une balade mortelle, des voix claires et incisives, des cordes qui ont des langueurs d’accordéon et puis qui claquent comme des marteaux, les voix s’empourprent de haine pour les fournisseurs de poison, pour mieux s’apaiser dans une espèce de condamnation cynique contenue devant le corps étendu. Victimes et coupables sont tous coupables. The ones that I live : un art de vivre (et donc de mourir) une espèce de gospel a capella qui ne s’adresse pas à Dieu mais à soi. Elles ne regretteront rien. Ni pardon, ni excuses. Apprenez à assumer vos actes. Pas de regrets. Des voix si belles qu’aux premières auditions l’on ne s’aperçoit pas de l’absence des instruments. A mon goût le morceau le plus fort du disque. Windows : mystérieuse ballade, fragmences d’existences, parfois une voix se fait douce comme si elle était rongée par des regrets de la mélancolie, le rythme est lent comme de l’eau de la mer, toute les fenêtres ne donnent-elles pas sur la mort.  

             Un disque magnifique. Qui flirte ( de très près) avec la poésie.

    Damie Chad.

     

    *

    Je ne sais pas pourquoi, je suis indubitablement attiré par les groupes polonais, Wodorost de Varsovie a déjà sorti un album homonyme que je n’ai pas encore écouté en 2021, ils viennent d’en enregistrer un deuxième qui n’est pas au moment où j’écris ces mots paru, le 31 août ils ont posté en avant-première un des titre une vidéo sur YT qui a fait tilt.

    TEMPLE

    WODOROST

    ( Official Dream Video)

    Anna Zukorwska : percussions / Bartlomiej Glosinski : guitare / Jan Witusinski : guitare.

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    Quand j’aurai dit que Wodorost signifie Algue, que From the Depths est le titre de l’album à venir vous comprendrez que la photo du groupe présentée ci-dessus n’est pas due à une idée farfelue qui leur aurait traversé la tête. Ajoutons toutefois que Wodorost se définit comme un groupe de desert rock. N’oublions pas qu’autrefois nos déserts étaient le fond de nos océans !  

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    Dilemme faut-il regarder cette animation aquatique en entendant l’instrumentation ou carrément occulter les images pour écouter la bande-son. Le choix est difficile, je l’admets, dans les deux cas vous en ressortirez insatisfaits lorsque vous aurez tenté les deux expériences. Que serait un rêve sans image, vraisemblablement le même malaise qu’une vidéo-musicale sans son. Nous allons essayer de regarder et d’écouter en le même temps. Glauque et informe paysage, la guitare ne vient pas pour se faire admirer, point de solo héroïque, point de course de vitesse, elle glisse, des a-coups sonores de vagues qui se succèdent sur la grève, celle qui vient emportant le souvenir de la précédente, des algues en motifs de tapisseries elles ont l’air de rester immobiles, une lumière blafarde nous prouve que nous ne sommes pas loin de la surface, maintenant ce sont des rayons solaires qui plongent vers les grand-fonds et qui éclairent de gros récifs noirs posés sur le sable, des silhouettes monumentales apparaissent, bientôt elles cèdent la place à un étrange plongeur trop à l’aise en ses mouvements pour ne s’être encombré de grosses bouteilles d’air comprimé, il descend, est-ce la lourdeur de la basse qui s’arrime à la guitare qui le pousse vers le bas, un ballet de larges folioles aquatiques, ne sont-ce pas des raies d’un beau calibre, apparition de requins débonnaires qui nagent au-dessus de surprenants tombeaux cubiques, myriades de poissons, nombre infini de pierres sur le fonds marins, bastingage d’un navire coulé, et toujours notre plongeur sans masque aussi à l’aise qu’un jeune terrien s’amusant à courir une folle gymnastique sur le plancher des vaches, encore plus bas le long d’une paroi rocheuse, cette fois il n’y a plus de doute un chapiteau au-dessus d’un mur percé d’une porte se dessine, en quelques secondes nous pénétrons dans un temple, un paysage digne de 20 000 lieues sous les mers, nous ne sommes pas le Capitaine Nemo nous n’inscrirons pas le mot Atlantis sur un rocher, nous nous en doutions, Eternal Atlantis n’est-il pas le deuxième moreau de leur premier album, profitons de la visite parmi ces propylées de colonnes doriques pour remarquer que la musique devient plus forte, une espèce de forme conique recouverte de sédiments s’anamorphose durant deux ou trois secondes en un accessoire symbolique de batterie, qui pourrait   tout aussi bien évoquer la forme d’une soucoupe volante,  quelques secondes plus tard ce sera au tour d’un guitariste fantomatique en action sur sa guitare, est-ce cette vision qui nous ferait accroire que le son augmente de volume et accélère son rythme, la visite se poursuit parmi des bâtiments desquels  par le seul fait de les apercevoir quelques secondes nous devinons des édifices colossaux, lumière de spots clignotants, une silhouette féminine (large jupe ?) se profile à l’horizon, le plongeur est là toujours aussi à l’aise que vos mains dans le bac à vaisselle, nous ne sommes plus dans Atlantis mais aux alentours, le paysage d’enceintes sacrées au-dessus desquelles nous nous mouvons nous confirme que son apparence n’est pas naturelle, en une fraction de seconde un espadon se transforme en un étrange appareil d’observation sans doute piloté par des extra-terrestres, des images de ce qui doit être le temple principal d’Atlantis défilent à toute vitesse, étonnamment la trame sonore reste de marbre, sur le même rythme, sur la même épaisseur, est-ce une croix de pierre qui bouge ses bras ou un personnage vivant, tantôt à la surface, tantôt dans les profondeurs, retour du plongeur, les vues que nous avons déjà vues se télescopent en un patchwork formés d’éléments répétitifs, les images cachent plus qu’elles ne montrent, une grosse bulle d’eau semble contenir tout l’océan, le microcosme n’est-il pas identique au macrocosme, sans doute est-ce le temps de songer à Paul Le Cour et sa revue Atlantis dans laquelle il exposa sa théorie du verseau ( verse-eau nous y nageons en plein dedans ! ) à l’origine de bien des théories hippies américains, serions-nous maintenant dans l’étroit passage du double sous-aquatique des colonnes d’Hercule, remontons-nous par l’escalier qui ne mène nulle part, à moins que ce ne soit le stairway to heaven bien connu des fans de Led Zeppelin, ou alors vers cette lumière qui irradie d’un temple aux sculptures qui ne sont pas sans rappeler la statuaire hindou et surprise poussé sur le parvis cet arbre printanier aux feuilles verdissantes,

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    la caméra s’attarde dessus, son feuillage ondoie, retour sur le haut de la cymbale qui ressemble avec un minimum d’imagination à une soucoupe volante, ce qui est en haut n’est-il pas aussi ce qui est en bas, ces eaux glauques n’ont-elles pas la même couleur que la table smaragdine, ne vous prenez pas la tête, gardez vos idées claires et toute votre raison, avez-vous remarqué que la musique ne semble guère s’émouvoir, qu’elle reste imperturbable, nous revoici à l’intérieur du temple, serait-il détruit qu’il se reconstitue à grande vitesse, une nouvelle fois arpentons de vastes vestibules, il y a quelqu’un, non pas un être surnaturel, pas un Dieu, pas un super-héros, même si le temple se réédifie au fur et à mesure qu’il avance, l’eau bouillonne, des chœurs lointains se fondent dans l’élément liquide, il va se passer quelque chose, celui qui marche nous ressemble, un peu vêtu à l’ancienne, on lui donnera facilement la cinquantaine, est-ce un homme ou une femme, quelques secondes ils ont été deux, mais elle a continué  toute seule, les images se télescopent, elle est comme perdue à l’intérieur du temple, elle semble y disparaître à jamais, peut-être vaut-il mieux remonter, pas de problème accrochez-vous à ce fil rouge, il vous tirera à la surface, peut-être aurez-vous raison quand vous affirmerez à vos amis qu’il ressemblait au fil rouge en accordéon d’une guitare électrique.  A moins que ne soit le lien qui vous permette de voyager sans trop de risque dans l’astral !

    Sur Bandcamp Wodorost indique que chacun peut interpréter leur musique comme il veut. Ne vous privez pas de le faire. Si cela ne vous fera pas du bien, ça ne vous fera pas de mal non plus. Tentez l’expérience.

    Damie Chad.

     

    *

    J’avoue que je ne me lève que rarement en pleine nuit pour écouter un disque de guitare classique, sûr qu’il y a des gars balèzes toutefois entre nous soit dit, la plupart du temps le son me paraît bien maigrelet et monotone si l’on compare avec la gamme d’intensités vibratoires auxquelles les guitares électriques nous ont accoutumés. Mais là c’est différent.

    TENAYUCA SUITE

    RAUL GALVAN

     (YT / Vidéo : Alan Silva Nolasco

    Editée par Brian Espinoz Reyes)

    Les lecteurs assidus (je parle de ceux qui apprennent par cœur chaque livraison) se souviendront que dans notre épisode 553 du 05 / 05 /2022 nous avons déjà parlé de Raul Galvan, il interprétait à la guitare Snow Country une composition d’Eric Calassou. Ce dernier était le guitariste chanteur de Bill Crane un des groupes de la mouvance rockabilly française les plus originaux, un peu borderline diront les puristes, mais ô combien novateur et talentueux. Eric Calassou habite désormais en Thaïlande, peut-être qu’un jour il reviendra et reformera Bill Crane, l’important c’est qu’il soit heureux quel que soit l’endroit où il réside. Puisque dans son pays lointain il n’a plus Bill Crane, Eric est revenu à ses premières amours : la composition. Raoul Galvan, un ancien compagnon du Conservatoire lui a dernièrement demandé un morceau dédié à sa ville natale Tenayuca.

    Pour ceux qui l’auraient oublié Tenayuca se situe au Mexique, dans l’état de Mexico. Avant que les Espagnols n’arrivassent pour tout détruire, Tenayuca fut un site important de la civilisation précolombienne. On espère que les deux serpents de pierre qui gardent l’antique pyramide de Tenayuca se réveilleront un jour pour redonner leur fierté aux descendants du peuple de Teneyuca. Pour ceux qui veulent en savoir plus la lecture du roman Le Serpent à Plumes de D. H. Laurence s’impose.

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    Raoul Galvan est assis devant une cheminée de ce qui pourrait être une salle de séjour. Derrière lui deux gros tas de bûches soigneusement rangées attendent l’hiver. Photos de famille ( sur les murs ), sur le rebord de la cheminée un ensemble de figurines de terres cuites colorées assises à une longue table nous regardent, sans aucun doute une représentation de la Sainte Cène, ce qui me semble étrange quand on pense que le christianisme est la religion que les Espagnols inculquèrent aux peuples natifs afin de les déposséder de leur culture originelle… Cheveux poivre et sel, lunettes à monture noires, chemise fourmillements de petits motifs aux contours magenta,  Raul Galvan concentré semble regarder ses doigts s’affairer sur sa guitare de bois, mais sans doute joue-t-il le morceau avant tout dans sa tête pour être au plus près de l’esprit qu’il insuffle à son interprétation.

    Premier mouvement : Xolotl : ( nom du fondateur de la ville ) : c’est pourtant un roi voire un Dieu que Xohotl le fondateur, son pas n’est guère martial, il glisse doucement sur un matelas d’air, Raoul Galvan ne galvanise pas ses cordes, à peine les touche-t-il, a-t-il pour but de faire entendre le silence des courtes séquences qui ne se pressent pas au portillon de la modernité, tout est déjà joué, par deux fois des photos de la pyramide de Tenayuca apparaissent, à croire que le dessein d’Eric Calassou veut nous ramener en arrière, au moment originel, en ce matin d’aube du lever d’un peuple qui imprime sa marque sur la terre, d’autres photos de Raoul Galvan en un autre lieu, peut-être dans une interprétation de l’œuvre en public, soulignent que ce qui a été une fois quelque part, sera pour toujours en n’importe quel autre endroit du monde, d’ailleurs ces bruits de pas légers contre le bois de l’instrument ne sont-ils pas répétés pour signaler quelque d’immémorial qui ne fait que passer, bien plus grand que nous… Quelques notes, quelques caresses de doigts sur les cordes, suffisent pour susciter une démesure qui nous est étrangère mais que nous reconnaissons d’instinct, comme si nous attendions sa présence. Deuxième mouvement : Ahuehuete : village dans lequel Raul Galvan a passé son enfance et où réside encore toute une partie de sa famille. Ahuehuete est aussi le nom d’un arbre symbolique du Mexique aussi nommé Cyprès de Montezuma ) : apparemment il n’y a pas de hiatus entre les deux mouvements, l’on reconnaît des motifs similaires, lorsqu’une photo vue d’avion nous montre la vastitude de la pyramide, elle semble une poule mère entourée des poussins-maisons, encore une fois la grandeur passée pèse de tout son poids écrasant sur les fragiles demeures humaines actuelles, et même si ce deuxième mouvement est qualifié de ‘’lento’’ il est à entendre comme celui d’une grande dégradation, l’on descend les escaliers du monument pour retrouver le plancher humain, l’on a changé de niveau, le roi et le Dieu ne sont plus là, la dernière vue de la pyramide est celle de sa maquette, un artefact à notre échelle de modernes hominiens. Troisième mouvement : Lugar amurallado : ( ce lieu entouré de murailles n’est autre que Tenayuca au temps de sa splendeur antique ) : la musique se précipite, abondances de notes, nous sommes chez nous, même si nous ne voyons pas nos congénères, nous visitons – les photographies du musée local qui s’intercalent nous obligent à employer ce verbe – notre réalité, ces statues mises en évidence, ces schémas explicatifs placardés sur le mur, nous parlent, nous sommes dans notre dimension strictement humaine, maintenant on peut dire que la guitare jacasse parce qu’elle exprime nos émotions, maintenant on peut dire que la guitare fracasse nos rêves de grandeur pour les remplacer par une insidieuse nostalgie qui n’est que l’image de notre impuissance. Elle exhale une foultitude de sentiments incapacitants dans lesquels elle  nous enferme, elle se permet même d’émettre quelque minuscules pépiements admiratifs et la maquette devient une espèce de constructions colorées en Lego habitée par un peuple de play-mobils, nous ne sommes que des enfants turbulents naïvement enthousiasmés par un beau jouet, les notes s’espacent et se meurent, quelques tapotements sur le bois, sont-ce des points de suspension parce que parfois il vaut mieux ne pas dire ce que l’on pense… pour nous rappeler que les Rois et les Dieux mythiques se sont encore éloignés nous laissant seuls dans notre petitesse d’animalcules sans conséquence.

             Un chef-d’œuvre d’écriture d’ Eric Calassou, une interprétation de Raoul Galvan tout en finesse et subtilité. Tous deux me réconcilient avec la guitare classique.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 39 ( Misfit ) :

    203

    Contrairement à son habitude le Chef n’alluma pas un Coronado, il semblait perdu dans ses pensées, instantanément dans la voiture ce fut le silence. Si cela vous étonne c’est que ne vous êtes jamais trouvé en présence d’un GSH (génie supérieur de l’Humanité) en train de penser. Je n’avais pas encore démarré, tout le monde attendait, seuls Molossito et Molossa s’étaient permis de monter sur la lunette arrière pour rejoindre Alicia, la minette ne montra aucune peur et tous trois partageaient mille léchouilles…

    Au bout de dix minutes un sourire illumina la figure du Chef, et il sortit un Coronado de sa poche :

              _ Cette histoire est d’une simplicité désarmante, il suffit d’y réfléchir dix minutes pour tout comprendre.  Le dénouement est proche, je vous avertis que ce sera rock’n’roll, accrochez-vous aux petites branches, je suppute quelques morts et une extraordinaire tension mentale.

           _ Nous devrions tout de même prendre le temps de ramener Alice à la maison, c’est encore une fillette et…

            _ Papa je n’ai pas peur, je reste avec toi, en plus j’ai Alicia avec moi !

            _ Très bien parlé Alice, les parents modernes ont tendance à couver les enfants, une habitude déplorable, une fois notre génération partie, il n’y aura plus personne pour prendre notre place à la tête du SSR, nous devons dès maintenant préparer une relève de fer pour assurer la suite du combat. Alice vous resterez avec nous ! Ce n’est pas un conseil, c’est un ordre !

             _ Oui Chef !

    Gabriel voulut s’interposer mais un geste méprisant du Coronado que le Chef tenait dans sa main, lui cloua le bec.

               _ Passons aux choses sérieuses, Carlos veuillez tout de suite me ramener un cure-dent !

    204

    Carlos ne se le fit pas dire deux fois. Nous assistâmes à la scène d’assez loin. Juste le temps d’arrêter une camionnette de marbrerie qui sortait du cimetière, les trois gars à l’intérieur n’avaient pas l’air d’accord. La discussion fut vite terminée une petite rafale de Rafalos au travers du pare-brise, et les trois gus s’affaissèrent sur la banquette. Déjà Carlos ouvrait les deux portes-arrière et revint vers nous brandissant triomphalement une gigantesque barre à mine.

              _ Bien, nous avons fait le plus facile, j’allume un Coronado, agent Chad, démarrez immédiatement, arrêt au plus près de la tombe d’Oecila !

    205

    Nous y fûmes sans incident, hormis un gardien qui eut la triste idée de nous interdire l’entrée, je l’écrasai sans ménagement, et roulai sans plus d’anicroche vers la tombe d’Oecila. Déjà Carlos s’apprêtait à faire glisser la dalle lorsque Le Chef l’arrêta :

    _ Juste quelques secondes Carlos, voyez-vous Gabriel si la police n’a pas ramené le corps, c’est que personne ne l’a volé, nous allons le retrouver dans quelques instants. Carlos à vous de jouer.

    En moins d’une minute la dalle glissa sur le côté, le cercueil apparut, je me penchai pour aider à dévisser le couvercle.

              _ Terminé, plus une seule vis, Damie tu soulèves le haut et moi le bas, un coup sec, prêt, un, deux, trois, hop !

    Je poussai un hurlement. C’était elle, c’était Alice, le sourire avec lequel elle m’accueillait le matin, les yeux clos, je bafouillai, je ne savais pas quoi dire, je me penchai pour l’embrasser, mais mes bras me devancèrent, je la saisis à bras le corps et la sortis du cercueil, un genou à terre je tenais son buste contre ma poitrine, mon cœur battait prêt à exploser, en ces secondes j’étais l’homme le plus fort du monde, n’avais-je pas tenu ma promesse, n’avais-je pas tué la Mort comme je l’avais promis. La main du Chef effleura mon épaule :

              _ Agent Chad elle est inanimée…

    Juste un détail, s’il le fallait je la garderai avec moi, toute ma vie, contre moi, chaque nuit nous dormirions ensemble jusqu’au jour où je la rejoindrai, mais non j’allai la réveiller, tout de suite, la chaleur de mon corps la réveillerait, je fixai mes yeux sur son visage, et l’appelai à mi-voix : 

              _ Alice, c’est moi Damie, sors de ta torpeur, ouvre les yeux, le soleil brille, pour nous deux…

    Je poussai un second cri encore plus fort. C’était vrai, son visage bougeait, non elle n’avait pas encore ouvert les yeux, mais ses joues s’animaient, parcourues d’étranges frissons. C’était à faire peur, Le Chef n’avait-il pas jeté son Coronado et ses deux mains n’étaient-elles pas refermées sur la crosse de deux Rafalos, Carlos n’avait-il pas ressaisi sa barre à mine, je ne leur en voulais pas, nous étions au lieu d’épouvante de jonction de la vie et de la mort, Alice entrouvrit ces lèvres, non je ne rêvais pas, c’était son corps qui bougeait doucement sur le mien ! Je fermais les yeux pour m’enfermer dans la douceur paradisiaque de ce premier baiser, pour nous abstraire de tout ces témoins que je voulais bannir de notre intimité.

              _ Agent Chad, reprenez-vous, ce n’est que moi !

    La voix était glaçante, persiffleuse, elle reprit :

             _ Arrêtez de jouer au prince charmant, je ne suis pas la Belle au Bois Dorrmant.

    Je rouvris les yeux, je tenais la Mort entre mes bras !

    206

    La voix du Chef s’éleva :

              _ Agent Chad, passez derrière nous et reprenez vos esprits Vous vous êtes fait avoir comme un bleu, croyez-vous que Molossa et Molossito ne se seraient pas précipités si c’était vraiment Alice pour quémander un bocal de friandises !

    Machinalement j’obéis. Quelle ne fut pas ma surprise de réaliser qu’un cercle d’une centaine de personnes nous entouraient. Deux hommes discutaient à voix basse à vingt centimètres de moi :

               _ Magnifique, dommage que les caméras soient absentes !

              _ Sûrement une répétition, quel acteur, je ne le connais pas, un nouveau promis à une belle carrière !

              _ Encore plus vrai que dans la vraie ! Vous vous voyez auprès d’un cercueil à faire des mijaurées de cette manière !

              _ Surtout pas auprès du cercueil de ma femme !

              _ En tout cas ce n’est pas moi qui ramènerais la mienne à la vie !

    Ils éclatèrent de rire, de nombreux ‘’chut !’’ fusèrent de partout, le public entendait écouter la suite… La Mort faisait les cent pas et remuait les bras en guise d’assouplissement :

              _ Encore vous, ce maudit  SSR, à venir me déranger, c’est une manie chez vous, j’étais si bien dans mon caisson de décompression, en plus sans prendre de gant vous déboulonnez mon caisson et cet huluberlu d’Agent Chad qui m’arrache à ma couche et se livre à des attachements douteux sur mon corps, je pense que je vais dès demain porter plainte et informer les mouvements féministes !

    Des applaudissements, et des bravos lancées par de voix féminines s’élèvent de la foule. Hélas ces vertueuses approbations citoyennes sont vite oubliées, gommées par la virulente intervention de Gabriel !

              _ Vous avez un toupet monstre, vous faites rire aux dépens de l’Agent Chad auquel vous avez joué une sinistre comédie, j’aimerais plutôt savoir ce que vous faisiez dans ce cercueil qui je vous le rappelle est celui d’Oecila, la sœur de ma femme ! Par la même occasion où avez-vous mis le corps d’Oecila !

              _ Nulle part, ou plutôt à la même place où il était !

              _ Vous mentez, elle n’est plus en Russie ! C’est moi-même et ma femme qui avons emmené son corps en France, je détiens les papiers officiels signés du gouvernement français et des plus hautes autorités russes !

               _ Je l’admets, vous oubliez de mentionner le sceau de la Mafia russe sur un de vos parchemins !

    La foule est parcourue de mouvements divers, des cris indignés fusent. Des adjectifs peu aimables sont échangés, ils visent les présidents des deux pays, certains défendent l’un ou l’autre, la majorité les admoneste tous les deux vertement. La scène va-t-elle tourner au pugilat, non car une voix aigüe celle d’Alice, perce le brouhaha :

              _ Taisez-vous je veux entendre la suite !

     au prochain numéro !

  • CHRONIQUES DE POURPRE 611 : KR'TNT 611 : LOU REED / DANIEL ROMANO / LESTER CHAMBERS / CASH SAVAGE / JOE HICKS / THUMOS SPACESEER / X RAY CAT TRIO / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 611

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    14 / 09 / 2023

     

    LOU REED / DANIEL ROMANO

    LESTER CHAMBERS / CASH SAVAGE

    JOE HICKS / THUMOS / SPACESEER

    X RAY CAT TRIO

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 611

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Le grand méchant Lou - Part Two

     

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             Le grand méchant Lou renaît de ses cendres en 1972 avec un premier album solo, le tant décrié Lou Reed. Et pourtant quel album ! Enregistré à Londres avec un ramassis de mercenaires, dont deux mecs de Yes, Wakeman et Howe. C’est Richard Robinson qui pousse à la roue et qui a décroché le contrat chez RCA pour un Lou qui ne voulait plus trop sortir du bois. Lou y es-tu ? Grrrrr, répond le Lou, «I Can’t Stand It» ! Il te fait là du pur Velvet de pur genius, il faut bien appeler un Lou un Lou. Ça sonne comme un classique.

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    Il fait aussi de l’ultra-clairette de petit matin blême sur «Walk & Talk It» et boucle son balda avec le mélodiquement pur «Berlin» - You’re right/ And I’m wrong/ You know I’m gonna miss you/ When you’re gone - Et puis voilà qu’en B il réédite l’exploit de «Pale Blue Eyes» avec «I Love You», un chef-d’œuvre de délicatesse chanté à l’accent fêlé. Il passe ensuite au classic Lou avec «Wild Child», une rock-song à la Lou grattée aux accords majeurs, et toujours cette fantastique présence vocale. Toute la teigne est intacte. Encore une bonne surprise avec «Ride Into The Sun», fantastique balladif de la désaille, mais une désaille de haut de gamme, pas accessible à tous.

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             On a déjà chanté les louanges de Transformer. Rechantons-les ! Le son ! Bowie & Ronno, le summum de l’époque. «Vicious» - You do it every hour/ Oh baby you’re so vicious - Klaus ou Herbie on bass. Il existe aussi sur le marché une édition DVD de la série «Classic Albums» consacrée à Transformer. Indispensable, car le Lou sort du bois. Après une belle giclée de footage Velvet, il déclare : «I’ve always known we were the best. And I still doooo.» Il évoque aussi son premier album solo qui n’a pas marché : «The first record was a flop. So let’s do another one.» L’another one est donc Transformer. Back to London with David & Ronno. New stuff. Le Lou rappelle l’origine de «Vicious».

             Andy : «Je veux une chanson vicious».

             Lou : «What kind of vicious ?»

             Andy : «Vicious, you hit me with a flower.

             Lou : «Ahhhh. What a good idea.»

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             Sur Transformer, tu as aussi «Perfect Day» et sa texture parfaite, puis «Hangin’ Round», harsh rock gratté à l’anglaise, le big power du boogie anglais mêlé au Lou, ça donne un mélange divin. C’est Ken Scott qui enregistre. Et puis «Walk On The Wild Side», le groove définitif de New York City. Le mec qui fait le docu interviewe Joe Dalessandro, et Holly Woodlawn qui se plaint de se retrouver dans «Walk On The Wild Side», alors qu’elle ne connaît pas le Lou. Herbie Flowers raconte qu’il touchait 12 £ pour 3 heures, alors pour doubler son cachet, il a proposé de doubler sa piste de bassmatic. C’est de l’humour anglais. En attendant, on voit l’Herbie jouer la bassline à la stand-up - Upright first, with the guitar & the percussions. Puis j’ai demandé à Ken si je pouvais descendre d’une octave et enregistrer la basse électrique en intervalles de dix. Je voulais donner au cut a little bit more atmosphere of character - La classe de l’Herbie ! Ken Scott demande au batteur de jouer avec des balais. Voilà le travail. Le Lou a du mal à comprendre ce que lui dit Ronno : that Hull accent. Ronno apparaît aussi à l’écran, pour évoquer la guitare du Lou, way out of tune. Puis on voit le Lou rendre hommage au Bowie de Satellite - Very few people can do that - Il insiste beaucoup sur la note aiguë qui chante Bowie à la fin. On trouve aussi des chœurs déments sur «I’m So Free» : pur genius combinatoire de chœurs d’artichauts et de heavy chords. Dans le docu, le Lou reprend la parole pour bien situer les choses : «Je n’écris pas pour vous, j’écris pour moi. Et comme vous n’êtes pas si différent de moi, si ça me plait, alors ça peut vous plaire.» Et pouf, il gratte quelques bricoles à coups d’acou, «Waiting For The Man», «Sweet Jane», et il croasse : «It’s only 3 chords. If I can do that, you can do that.»

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              Pour Wally et beaucoup d’autres gens, Berlin «would both become his masterpiece and effectively end his carreer as a major recording star.» Berlin est effectivement a very depressing album - interesting but very depressing, déclare Aynsley Dunbar - I believe Lou was doing heroin, and what came out of it was depression - Dans «The Bed», Jim et Caroline se tranchent les veines dans leur lit. «Alors que Bowie enregistre des crowd-pleasers comme Aladdin Sane, Lou sabote délibérément sa carrière in the name of... what? Art? Arrogance? Disdain? That and more?». Comme d’usage, Wally pose les bonnes questions. Wally ajoute que Berlin fut l’album «le plus profond, au plan émotionnel, le plus challenging au plan musical, et le plus monumentally despised and misunderstood.» Lou devra attendre 20 ans avant de revoir un de ses albums entrer au hit-parade, car bien sûr, Berlin est un énorme flop. Dans Creem, nous dit Wally, Robert Christgrau refuse d’être choqué par Berlin, il disait simplement s’ennuyer. C’est vrai qu’on s’y ennuie. Le Lou y fait de la valse à trois temps à la manière de Jimbo/Kurt Weil («Lazy Day»). On entend le bassmatic pouet pouet de Jack Bruce sur «Caroline Says I» - She’s a German queen -  et Dick Wagner sature «How Do You Think It Feels» de guitare, comme il l’a toujours fait. Ce mec n’arrête jamais. En B, le Lou chante «The Bed» jusqu’à l’extrême délicatesse du feeling, ça donne une dentelle de Calais horriblement macabre. La meilleure chanson de cet album résolument anti-commercial est le «Sad Song» du bout de la B, cut mélodiquement puissant, chargé de tout le pâté du Lou. Il a des chœurs de cathédrale, de l’écho à gogo et le Wagner qui turbine son chocolat. 

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             Les gens ne supportent pas non plus Sally Can’t Dance. «The second-most reviled of his career», c’est-à-dire vilipendé, après Berlin. Lou est au sommet de sa «blond-nazi Lou mania», il y règle des comptes avec du «glam-rock-by-numbers trash». Sally Can’t Dance est, selon Wally, le plus gros hit record qu’il ait jamais eu en Amérique, home of the slave, as Lou saw it. Laugh? He never did more anyway. Avec Transformer, Lou pouvait devenir superstar, mais il en a décidé autrement, «he was out to become the world triple-champion of slamming the door on your own success. Et il allait le faire avec un style que ses fans les plus dévoués n’étaient plus capables d’encaisser.» Tu sauves un cut sur Sally : «Ennui», un très beau mélopif océanique. Donny Weis et Prakash John ramènent du son dans «Kill Your Son», son d’époque avec la basse qui pouette, comme celle de Jack Bruce et «Billy» sonne un peu comme «We’re Gonna Have A Good Time Together», même volonté d’entrain. Mais le Lou n’y est pas. 

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             Au yeux du Lou, Rock N Roll Animal «is still one of the best live recordings ever done». Pour une fois, nous ne sommes pas d’accord avec lui. On s’y ennuie. Les cuts sont tartinés et retartinés par Dick Wagner et Steve Hunter. Défaut d’époque, guitaristes trop bavards. Ils dénaturent l’esprit originel d’«Heroin». L’And I guess I just don’t know devient ennuyeux. On peut même parler de long délire ennuyeux suicidaire. Le Lou chante son «White Light White heat» au gut de vieux Lou de mer.

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              Le Lou Reed Live paru à la suite souffre des mêmes carences. Prakash John vole le show sur «Vicious» avec son bassmatic. Avec «Satellite Of Love», le Lou sonne exactement comme Bowie, même accent, même sens aigu de la décadence. Prakash reste mixé très haut dans le son. Puis ils s’en vont taper «Walk On The Wild Side». Sans Bowie, Ronno et l’Herbie, c’est risqué. Alors Prakash fait son Herbie et les autres font doo dodoo, mais ce n’est pas la même chose. En B, ils tapent «I’m Waiting For The Man», mais on perd complètement l’essence de la version originale. La voix, d’accord, mais pas le backing.

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             Metal Music Machine : pas de paroles, pas de chant, pas d’instruments - A shit-storm of feedback distorsion and high-frequency noise - Un mec d’RCA qualifie la bête de «torture music», mais le Lou reste impassible et indique qu’il y bosse depuis 5 ans. Wally : «Nothing to do with music, but everything to do with Lou Reed wanting to stick it to the man.» Le man c’est RCA et Dennis Katz. L’idée du Lou était qu’avec cet album personne ne puisse être heureux ni faire du blé. RCA retire l’album de la vente au bout de trois semaines, après que les disquaires se soient plaints de trop de «dissatisfied customers». Outragé par les réactions, le Lou piqua une crise, qualifiant Metal Music Machine de ‘giant fuck-you’ «to all those fucking assholes» qui venaient à ses concerts et qui réclamaient «Vicious» et «Walk On The Wild Side». Du pur grand méchant Lou. 

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             Bizarrement, RCA accepte de financer l’album suivant, Coney Island Baby, «the most-listener-friendly collection of post-Velvets songs since Transformer, mais sans les totemeic album touches of musical genius from Bowie and Ronson, of course.» Le Lou compose «Crazy Feeling» pour Rachel, the queen of the scene - And you/ You’re such a queen - Wally compare «Kicks» à «Sister Ray» - the dark, down-at-heel and dangerous to know «Kicks» - Wally a raison de s’extasier sur «Kicks», amené par le plus deepy deep des bassmatics. Le Lou entre en ville conquise. Il est capable de sombres miracles, ‘cause I need kicks ! Ça sort tout droit du Velvet. On retrouve la descente de couplet de «Walk On The Wild Side» et le même type de cha-la-la des coloured girls sur «Charley’s Girl». Le Lou se prend pour un cadeau dans l’«A Gift» - I’m just a gift/ To the women of the world - Puis il monte «Ooohhh Baby» sur les accords de «Sweet Jane». Toujours la même dynamique et la même autorité. Wally rappelle que Mick Rock, l’homme des pochettes iconiques (Transformer et Raw Power) signe la pochette de Coney Island Baby. On l’applaudit bien fort.    

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             En 1976, le Lou signe avec Clive Davis. Début de la période Arista avec Rock And Roll Heart. Bon album, avec la trogne du grand méchant Lou blueté en gros plan. Deux belles énormités sur cet Arista d’aristo : «Banging On My Drum» et «Follow The Leader». Le Banging est très Velvet dans l’esprit. Même son, fast and hard, et belle résonance. Le Leader est plus confus, mais agité par un sax free, c’est vraiment excellent, avec un bassmatic virtuose de Bruce Yaw et le beurre de Suchorsky. Avec «Ladies Pay», la magie du grand méchant Lou opère toujours - Night and day I’m a ladies’ pay - et ses musiciens assurent comme des bêtes de Gévaudan. Environnement idéal. Les lyrics sont fascinants, tiens par exemple ceux du morceau titre - I guess that I’m dumb/ Cause I know I ain’t smart/ But deep down inside/ I got a rock’n’roll heart - Tu ne bats pas ça à la course.  On retrouve l’élan vital du grand méchant Lou en B avec «Senselessly Cruel». Ça sonne comme un classique. Un de plus. Avec «Temporary Thing», on est bien obligé de parler de présence intensive. L’album est excellent. Pourquoi Wally ne l’aime pas ? Mystère et boules de gomme !  

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             Wally décrète que Street Hassle contient «some of the most audacious work for years» et il a raison. Le Lou enregistre les cuts live on stage, because it was more punk - Lou was talking fast again. This had better be good - Le Lou recrache du venin - They’d eat shit and say it tasted good/ If there was some money in it for them - Street Hassle est l’un de ses meilleurs albums, ça grouille de coups de génie, à commencer par «Gimme Some Good Times», heavy Lou System, gimme gimme gimme some good times, il écrase sa tartine à coups de power chords et te précipite dans l’absolu concomitant du pur rock genius. Wow ! C’est d’une rare puissance ! Il gorge son «Dirt» de grosse disto - You’re just dirt - Tu t’en goinfres comme un porc. Et il remet ça en B avec «Shooting Star», rien de plus heavy que ce «Shooting Star» noyé de disto, avec un grand méchant Lou qui navigue à la surface. Son «Real Good Time Together» renoue avec le Velvet, et après le break des chœurs de filles, le cut explose, embarqué par le beurre de Suchorsky. Le morceau titre est un mélopif attachant, aussi attachant que tout ce que peut faire le grand méchant Lou, c’est monté sur un thème insistant et porté par une section de cordes. Un véritable coup de maître. Et puis tu as aussi «I Wanna Be Black», plein comme un œuf, pur New York City Sound. Avec «Leave Me Alone», le grand méchant Lou reste dans l’épaisseur du riff raff métabolique, il te fait là un véritable coup de Jarnac : un stomp new-yorkais primitif doublé au sax. 

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             «Take No Prisoners was the live summation of everything the post-Velvets Lou Reed had been and become over the past near-decade». Lou y provoque le public. Il cite Yeats : «The best lack all conviction while the worst are filled with a passion and intensity. Now you figure out where I am.» Une vraie profession de foi. Il s’en prend nous dit Wally à «fucking Barbra Streisand pour avoir remercié all the little people lors de son discours aux Academy Awards.» Lou : «Fuck short people and tall people, man? I like middle people. People from Wyoming.» Take No Prisoners vaut sacrément le détour. Ça démarre sur les heavy chords de «Sweet Jane». Tu as tout de suite le Lou qui fait son cirque et des cons dans le public font «yeah !». Le Lou y va au fast talk. Tu chopes ce que tu peux. Son Sweet Jane est un prétexte au n’importe quoi. Il fait aussi un «Satellite Of Love», mais il vaut mieux écouter l’original sur Transformer. Bien sûr la voix, bien sûr l’accroche mélodique, mais on perd la magie. On perd la concision. Version pourrie de «Pale Blue Eyes». On perd la pureté. Michael Fonfara er Stuart Heinrich coulent le cut. Le backing est catastrophique. Le pauvre Lou se débat, il flingue sa poule aux œufs d’or, mais il sauve les meubles avec une version démente de «Berlin». Il recouvre les désastres précédents avec une belle couche de trash, il t’explose Berlin au chant du seigneur. Pas de plus beau seigneur de l’An Mil que le Lou. À travers Berlin, il rejoint le Moyen-Age et ses ténèbres. Il a ce pouvoir, il est capable de prodiges et de Sad Café, il remonte son fleuve à la force du chant et finit par devenir lumineux, il devient le temps de ce Berlin-là le plus grand chanteur d’Amérique, il doit être épuisé, un sax le suit comme un chien. L’autre merveille de cet album live est la version de «Coney Island Baby». C’est un orage. Le grand méchant Lou sait provoquer les foudres. Ses hits ne sont que des prétextes à défier les dieux. Il crée du climat à gogo, le Lou sort du bois une fois encore, c’est extravagant, monté en neige, le Lou s’implique à outrance. Il enchaîne avec un «Street Hassle» relentless, idéal pour un ténor du barreau. Il transforme tous ses cuts en grosses tartes à la crème et nous les balance en pleine gueule. Il refait six minutes de «Walk On The Wild Side». Il fait ce qu’il veut, alfter all. Il abuse cependant du street talking. Il attaque «Leave Me Alone» au drone de Velvet. C’est complètement apocalyptique. Il refait «Sister Ray», avec un sax in tow. Même énergie ! Sept minutes d’hot as hell. Bonne pioche. On est content de pouvoir écouter ça. Le Lou fait son Hiroshima Mon Amour.

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             Wally voit The Bells comme «a disjointed jazz-rock mix of songs», et Growing Up In Public comme un «open-hearted if musically underwhelming collaboration with Michael Fonfara». Lester Bangs voit The Bells comme «the only true jazz-rock fusion anybody’s come up with since Miles Davis’s On the Corner.» Deux belles merveilles sur The Bells : «I Want To Boogie With You» et «Families».  le Boogie sonne comme un heavy nonchalama de l’immense Lou de mer. C’est noyé de sax. Et de l’autre côté, tu as «Families» bien contrebalancé par une trompette lancinante et des chœurs de lads désabusés. Pur jus d’hypno, le Lou vise la vieille transe du Velvet. «Disco Mystic» sonne  comme le «Night Clubbing» d’Iggy, en plus lourd. Attention à l’«All Trought The Night» co-écrit avec Don Cherry. On l’entend même souffler dans sa trompette lancinante. Le Lou adore les trompettes lancinantes. Et nous aussi. Et puis tu as le morceau titre. Comme Django Reinhardt, le Lou vise l’absolu de la conservation organique.

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             Growing Up In Public est un album intéressant. Le Lou peut redevenir impérieux comme pas deux avec un cut comme «Keep Away» et il chante «Standing On Ceremony» du haut de sa superbe. C’est excellent, avec un côté Bowie indéniable, mais ce n’est pas un hit. Le hit se planque en B et s’appelle «Smiles». Envoûtement garanti à 100 %. Son Smile se faufile sous la peau. Son Smile est beau comme un Walk On The Wild Side. Il finit d’ailleurs avec une resucée de doo doobe doo doo. Il termine cet album qui-aurait-pu faire-mieux avec un gospel monté sur les accords de «Sweet Jane» : «Teach The Gifted Children» - Take me to the river/ And put me in the water - Le Lou tourne en rond. C’est son problème, pas le nôtre.

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             Un jour, Sylvia Reed emmène le Lou rencontrer Robert Quine, dont elle est l’amie. Robert dit à Lou qu’ils se sont déjà rencontrés à San Francisco, en 1969, au temps du Velvet. Robert Quine avait enregistré le Velvet, et depuis, les Quine Tapes ont été commercialisées. Le Lou et Robert commencent à jammer et ils vont enregistrer The Blue Mask ensemble. Wally estime que «The Blue Mask ranks in the upper echelon of Lou Reed’s greatest works.» Parfaitement d’accord avec Wally, The Blue Mask est une merveille absolue, pour au moins quatre raisons d’acier, à commencer par le morceau titre, une stupéfiante énormité hantée par le Quine, et tu as le Lou qui chante le Blue Mask à la colère rouge. Le Quine te claque encore  des heavy chords sur «Underneath The Bottle», ça devient tentaculaire - Ouuuh ouuuh wee/ Son of a bitch - On voit aussi Fernando Saunders voler sur show sur «My House» avec son bassmatic. Et le Quine carillonner dans «Women». C’est un enchantement de tous les instants. On entend encore le Quine saturer «The Gun» de dissonances, pendant que le grand méchant Lou chante à la menace sourde. Tu ne battras jamais ces deux mecs-là à la course. Encore du heavy Lou en B avec «Waves Of Fear». Le Quine joue comme un dieu, il s’en va inventer des atonalités de sulfure, il joue des vagues d’outer-space, et le Lou renoue enfin avec la grandeur avant-gardiste du Velvet. Il termine cet album génial avec «Heavenly Arms», un puissant balladif hanté par le jingle jangle du Quine. C’est du grand lard fumant.  

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             Sur Legendary Hearts, le Lou explore «the emotional terrain». On le voit avec cette moto dont il est très fier à l’époque, une Suzuque. D’ailleurs il chante ses louanges en B sur «Bottoming Out» - I’m cruising fast on a motorcycle/ Down this windy country road - Excellence du songwriting et du jeu en clair de transparence du Quine. La tension pop est à son maximum. On retrouve le Quine sur le morceau titre qui ouvre la balda. Gros son et grosse compo, tout est là. Les mêmes dynamiques resurgissent dans «Don’t Talk To Me About Work». La période Quine semble aussi féconde que celle du Velvet. Le Quine joue en cisaille de Strato et injecte du venin sonique dans le cul du cut. «Make Up Mind» est encore un exemple de mariage heureux. Le Quine joue en dégradé et le Lou fait le plein. En fait, le Quine multiplie les impertinences. Avec «Home Of The Brave», Bob Quine et Saunders tissent en dentelle infernale, ils s’entrelacent dans le Brave ciel du Lou. C’est d’une musicalité hallucinante.

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             Wally se marre avec New Sensations et son «almost hit single», «I Love You Suzanne», «grown-up Lou sounds like he’s actually faving FUN.» Effectivement, «I Love You Suzanne» te saute au paf. Fernando Saunders fait la pluie et le beau temps chez le Lou, bassmatic plus slap, il devient inexorable. Et puis comme toujours, la voix fait tout. «Turn To Me» a un léger parfum de Stonesy. Saunders entre au deuxième couplet. Que peut-on en dire de plus ? Rien. En B, «Doin’ The Things That We Want To» sonne comme une belle déclaration d’intention et le Lou vire un brin reggae avec «High In The City», soutenu par des jolis chœurs de femmes espiègles et une trompette mariachi, pour faire bonne mesure. 

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             Le Live In Italy est un big one, parce que le Quine y gratte ses poux. On sent que le Quine s’émerveille de gratter derrière son idole, il gratte «Sweet Jane» et «Waiting For The Man» aux accords purs. Il doit être au paradis. Sur «Martial Law», il bâtit un mur du son. Il faut entendre ce ramdam de random. «Satellite Of Love» reste une chanson parfaite, hantée par Fernando Saunders et les arpèges du Quine. En B, il faut entendre le Quine s’extraire de la mélasse de «Kill Your Sons» pour passer un solo mentalement retardé. Pour le Lou, le Quine est le guitariste idéal, aussitôt après Sterling Morrison. Il monte chaque fois un petit mur du son. Ils attaquent la C avec «White Light White Heat». Pour le Quine, c’est la suite du rêve. Tous les guitaristes rêvent ce jouer cet énorme classique. Le Quine gratte tout le Velvet qu’il peut. Ça donne une version explosive. Par contre, ils font un «Some Kinda Love/Sister Ray» un peu popotin. Soudain, le rythme s’emballe et tout bascule dans le chaos de Sister Ray. C’est Saunders qui fait l’Herbie sur «Walk On The Wild Side». Il en a les moyens. Et derrière, ça gratouille sec. 

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             Wally n’a rien à dire de spécial sur Mistrial. Un RCA de 1986, avec un Lou qui gratte ses poux. Il envoie une belle dégelée dans le morceau titre d’ouverture de balda et le Saunders n’est pas en reste. Le Lou est en forme, il fait maintenant des albums de big hard rock. Saunders est omniprésent dans le son. En plus, il produit, alors t’as qu’à voir ! Le Lou reste dans les structures simples du Velvet, mais il a perdu l’avant-garde de Calimero. Il fait du bon vieux story-telling avec «Video Violence». Saunders soigne le son. Pas de batteur, mais une boîte à rythme. Le Lou fait du rap de New York City avec «The Original Wrapper». Diction parfaite. Le Lou est avec Dylan le grand chanteur d’Amérique. Ambiance «Sweet Jane» pour «Mama’s Got A Lover». Le Lou a toujours le même swagger - The essence of urban decay - C’est excellent - I wish she was on the last page

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             C’est John Cale qui passe un coup de fil au Lou «out of the blue» en 1988, pour lui demander s’il veut bien prêter une «oreille critique to his now completed Andy Warhol memorial piece.» Et là Mick Wall exulte : «Lou was more than ready.» Alors il demande poliment à John Cale s’il peut ajouter quelques paroles ici et là. C’est au tour de Calimero d’être soulagé et ravi. Wally utilise le mot «delighted». Toute l’hostilité a disparu et Wally se lâche : «Ils ont de nouveau rassemblé leurs forces pour produire something meaningful.» On n’est pas loin du «something new and even dangerous» des débuts. Songs For Drella est un album prodigieusement littéraire. Calimero y joue ses valses à trois temps et le Lou fait son cirque. Premier coup de génie avec un «Open House» fascinant d’Open House, on y retrouve les pentes de «Walk On The Wild Side», quelques coups de gratte et les notes de piano de Calimero. Dans «Style It Takes», le Lou évoque the Velvet days - You do movie portraits out of the camera - c’est violonné, fantastiquement Velvetty - This is a rock group called The Velvet Underground - Hommage suprême à Andy. Nouvel hommage suprême avec «Trouble With Classiscists» - The trouble with a classicist/ He looks at a tree/ That’s all he sees/ He paints a tree - Même chose avec le sky. Le Lou et Calimero ont le diable au corps, ils indiquent la voie du monde moderne. Cut après cut, l’album devient fascinant. Le Lou attaque «Starlight» à la big disto. Si tu cherches un vrai punk, il est là, c’est le Lou. Lou y es-tu ? Il balaye tout du revers de la main, everybody’s a star. Ils marchent ensuite sur des œufs avec un «Faces & Names» admirable de retenue, et boom, ils te refont le coup du lapin Velvet avec «Images», bien gratté dans la plaie, c’est la spécialité du Lou, il gratte à la sévère, il ramène tout le Velvet dans le son, c’est plein d’accidents, de congestion et de Calimero. Le Lou fait gicler le pus et Calimero travaille sous la peau du son, c’est du Velvet pur, de l’hypno des temps modernes. Le Lou fait encore son vampire dans «It Wasn’t Me» et il s’enfonce dans la mort avec «A Dream». Calimero prend enfin le micro avec «Forever Changed». Il est encore plus exacerbé que le Lou. Cet album somptueux s’achève avec «Hello It’s Me» - I wished to talk to you when you were alive - Le Lou fait ses adieux - I really miss you - Il paraît sincère. Quelle oraison ! On peut parler d’album mythique.

             Alors qu’ils terminent leur messe pour Andy, le 18 juillet 1988, ils reçoivent un coup de fil macabre : Nico s’est cassée la gueule. Accident de vélo à Ibiza. Tombée sur un gros caillou. Kaput.

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             Le grand méchant Lou compose les chansons de New York à la suite de la disparition d’Andy. Il voulait que New York soit «the first big musical statement in years.» L’album reçoit nous dit Wally le même accueil triomphal que les ‘comeback’ albums de Bob Dylan. C’est tout simplement l’un de ses meilleurs albums. Il est déjà très Velvet avec «Romeo & Juliette» et il l’est encore plus avec le «Busload of Faith» qui ouvre le bal de la B des anges. C’est à peu près la même attaque que celle de «Sister Ray» - You can depend on your family/ You can depend on your friends = Doc and Sally inside/ They’re cooking for the down five - c’est exactement le même fabuleux entrain, et il amène son refrain avec un brio inégalable - You need a busload of faith to get by - Il continue de bien gratter ses poux avec «Good Evening Mr. Waldheim», le Lou est en forme, il recrée son vieil hypno tentaculaire. Avec «Sick Of You», il fait du Dylanex à l’état le plus pur. Back to the heavy rockalama avec «There is No Time» battu par Fred Maher. Ça ne rigole pas. Le Lou fait des ravages et il ramène la grosse stand-up de «Walk On The Wild Side» sur «The Last Great American Whale». Et tiens, encore un coup de génie : «Beginning Of A Great Adventure», jazzé à la stand-up. Le Lou te refait le coup du big New York City groove.

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             Avec le «beautiful» Magic And Loss, le Lou rend hommage à deux «dearly departed old friends» : Doc Pomus et Rotten Rita, «the opera-and-speed freak who was always known at the Factory as the Mayor.» Doc Pomus, ça remonte à l’enfance : Lou adorait ses hits. Plus tard, il le fréquentera assidûment, lui rendant visite dans la chambre qu’il occupe à l’hôtel. Le Lou dédie donc Magic And Loss à Doc. On y entend des cuts extraordinaires, à commencer par «Power & Glory» où chante Little Jimmy Scott, l’un des chouchous de Doc. Il y a un Part II de «Power & Glory» que le Lou chante en mode Velvet, c’est noyé de guitares et stupéfiant de grandeur totémique. Avec «Magician» il ramène sa présence inexorable - I want some magic to sweep me away - puis il atteint le cœur du dark avec «Dreamin’» - If I close my eyes I see your face - Il monte «Gassed & Stoked» au sommet du lard, il est probable que ce soit dédié à Doc - This is no longer a working number, baby - Le Lou parle de cendres dispersées sur la mer - You had your ashes scattered at sea - et puis bien sûr le morceau titre, le Lou y va. Lou y es-tu ?

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             Dans Set The Twilight Reeling, le Lou rend cette fois hommage à son vieil ami Sterling Morrison. Et Wally ajoute que l’album est assez gai, car le cœur du Lou bat pour Laurie Anderson. Wally parle carrément de love affair. Mais il doit d’abord divorcer de Sylvia. À 54 ans, le Lou semble avoir trouvé «the perfect-day relationship». Il se pourrait bien que Set The Twilight Reeling soit l’un des meilleurs albums du Lou et comme c’est dédié à Sterling, c’est vite noyé de disto, et ce dès l’affreusement beau «Egg Cream». Wild as Lou. C’est lui qui gratte. Le Lou devient le roi de la purée. Si tu aimes la belle disto, c’est là. Encore un coup fatal avec un «Trade In» complètement désespéré. Sa gratte surmonte le chant, l’idée est fantastique. L’autre coup de génie de l’album est le «Riptide» du bout de la nuit, le Lou plonge dans l’heavy downtown rock des seventies, il atteint un niveau d’intensité assez rare, il retient son cut par l’élastique du pantalon, c’est trop lourd, il éclate dans le rayonnement de ses accords, il grave son génie dans la falaise de marbre, il noie son Riptide dans la purée de disto, c’est très faramineux, le Lou sort du bois une fois encore, il enfonce tous ses clous à la fois, il s’en étrangle, in the riptide, il compte les secondes de son, les secondes de Soul, tu as la mélodie qui fond dans le gratté de poux, c’est quasi-hendrixien. Il rend aussi hommage à New York City avec «NYC Man» qu’il attaque à la Transformer - I’m a NYC man baby ! - La classe de la voix fait tout. Cet album bleu nuit est un so very big album. Le Lou n’en finit plus de faire autorité. Il tape «Sex With Your Parents (Motherfucker) Part II» à l’heavy groove provocateur. Il arrose ça de disto piss off, et ça donne un gros mix de Velvet d’antho à Toto et de NYC rap. Il descend ensuite au barbu avec «Hooky Wooky». Le Lou is on the run, spectacle fascinant. Il n’a pas l’air de s’affoler. Il joue de tous les effets. Sa gratte scintille under the wheels of a car. Il se place encore au-devant du chant avec «Adventurer». Il sonne comme une superstar. C’est l’apanage du Lou que d’être imparable.

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             Pour Wally, il n’y a rien d’étonnant à ce que l’album suivant s’appelle Ecstasy. L’happy Lou vit désormais sur son petit nuage et enregistre un «cool album». Pas moins de quatre coups de génie sur ce cool album, et ce dès «Paranoia Key Of E», énorme ramshackle, avec Fernando derrière. On croirait entendre Larry Graham au temps de Sly. Le Lou brille dans la nuit, Mick Rathke titille dans son coin et Fernando gronde comme le dragon des légendes obscures. Deuxième coup de semonce avec «Modern Dance», quasi-Dylanex dans le gratté de poux. Le Lou va au Van Gogh Museum d’Amsterdam et en fait une merveille - Doin’ a modern dance - Il te titille ça au mieux. Il ramène sa disto dans «Rock Mindset» et son chant du haut du crâne. Il rétablit la continuité avec le Velvet, il reste dans l’impertinence sonique, avec une prodigieuse gourmandise d’anti-conformisme, il noie son Mindset dans la graisse de disto - When you dance to the rock mindset - Et il enchaîne avec «Like A Possum», qu’il tape encore à la disto maximaliste et au chant noyé. C’est là que ça se passe : si tu veux comprendre quelque chose au Lou, alors écoute le Velvet et «Like A Possum». Ce cut est sans doute son testament, il te tient déjà en haleine depuis douze minutes avec de la disto et du chant d’hallali, ça donne l’un des moments rock les plus spectaculaires, tu n’entendras jamais une telle disto ailleurs. C’est du génie sonique à l’état pur. Tu crois que tu vas craquer à mi-chemin et le cut te berce, c’est infernal. Il règne sans partage sur toutes les régions de ta cervelle. Il revient toujours au chant, comme au temps du Velvet, cette fois sans Calimero, comme s’il voulait prouver que Calimero ne servait à rien. «Like A Possum» sonne comme l’extrême apanage du rock américain. Tu as le Lou en odeur de sainteté. En chair et en os. Tu renoues avec l’ampleur mirifique du Velvet. Au bout de 18 minutes, tu y es encore. Le Lou t’écrase sous sa prégnance indéfectible, et tu en voudrais toujours plus. Il descend du cut comme on descend d’un train dans un Western. On se régale encore de «Mystic Child», bien monté en neige. Leur parti-pris est le ramshakle. Rathke part en vrille et Fernando bassmatique au Love Supreme. Le Lou fait la part des choses dans «Tatters» - Some couples live in harmony/ Some do not - et il tape «Future Farmers Of America» au wild rockalama. Le Lou adore remonter au front. C’est sa raison d’être. Il chante sous un déluge de feu. Il déploie toute son envergure. Le Lou reste une artiste passionnant. Il sort une dernière fois du bois pour «Big Sky». Cut conventionnel, mais avec du power. Six minutes de Lou in the big sky. Tu n’apprends rien de plus que ce que te dit le Lou. Sa voix vibre de plaisir. Ce cut ordinaire dégage quelque chose de spécial. Ses amis lui sont très dévoués. Ils reviennent sans fin. C’est dingue ce qu’ils lui sont dévoués. 

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             Il ne reste pas cool très longtemps. Typical Lou. Il passe du septième ciel à Edgar Allan Poe avec The Raven. Un album dédié à Damie Chad - A series of extraordinary musical set-pieces inspirées des nouvelles et des poèmes de son vieux héros littéraire - Le Lou invite Ornette Coleman, David Bowie et bien sûr Laurie Anderson. Prends ton temps, car c’est un double CD. Il lit les poèmes d’Edgar Allan Poe. Il faut attendre «Prologue» pour commencer à claquer des dents. Le Lou descend dans l’émotion poétique - Oh pitiful soul - Il sort son meilleur baryton - The bed of death & the emotional corpses - La poésie de Poe rebondit dans la glotte du Lou. C’est très spectaculaire. Il passe en mode heavy boogie pour «Edgar Allan Poe». Le Lou semble brouiller les pistes, car Poe est tout le contraire du boogie. C’est comme si tu rendais hommage à Baudelaire avec de la diskö. Avec «The City In The Sea/Shadow», Willem Dafoe et Steve Buscemi font de la poésie cinématographique. Et voilà le coup de génie tant attendu : «A Thousand Departed Friends». C’est du Lou travaillé à la serpe, avec Paul Shapiro au sax, c’est à la fois demented et vénéneux, chargé des grattes du diable et tapé à la fanfare du village. Le Lou ramène tout son power et son gratté de poux inexorable. Puis ça devient purement littéraire avec «The Fall Of The Usher House» - And then I had a vision - On se croirait dans Les Tréteaux De La Nuit, tellement c’est bien foutu. Le Lou fait du théâtre, Poe est l’Hugo américain - Music is a projection of our inner self - Il reste au sommet du lard poétique avec «The Raven». Il crache méthodiquement ses syllabes. Tous les amateurs de poésie doivent écouter cet album.

             Le disk 2 est encore plus spectaculaire. C’est un pèlerinage interminable. Le Lou sort du bois avec «Burning Embers». Il choisit d’en faire un cut brutal et tribal. Il chante avec des glaires plein la glotte. Il bave du sang et des nurses volent à son secours. Il dialogue avec une goule dans «Imp Of The Perverse». On se croirait au Théâtre de la Cruauté. Tous les cuts sont longs, aventureux et intellectuels. On perd définitivement le Velvet mais on gagne un Lou qui prend ses distances avec son passé. Il fait de l’experiment littéraire avec «Vanishing Act», il barytonne pendant cinq bonnes minutes - Looking fort a kiss - Il recherche une certaine forme de pureté - With the young lady - Sa quête de modernité semble aboutir avec «Guilty». Ornette Coleman entre en scène et ça change la donne. Tu n’auras jamais mieux que «Guilty» avec Ornette. Il amène l’énergie du free dans le groove du Lou et ça tourne au miracle - Guilty what can I do - et Ornette pulse son free dans le call on my head. Le free fait bon ménage avec le Lou - Don’t do that - Puis le Lou continue de naviguer dans les mystères de la Boîte Oblongue avant de renouer avec l’éternité pour «I Wanna Know (The Pit & The Pendulum)», avec les Blind Boys Of Alabama qui te groovent le Gospel blues. Cette fois, le génie du Lou consiste à donner le micro aux Blind Boys. Puis il invite Bowie sur «Hop Frog» et ça donne en cut encore plus mythique, car c’est une sorte de réconciliation. Nouveau coup de génie avec «Who Am I? (The Tripitena’s Song)». Il plie son cut comme on plie un roseau. Nouveau shoot de Poe Power, le Lou donne toute sa mesure, l’orchestration démultiplie ses injonctions, il jette tout son poids de superstar dans la balance, il n’en finit plus d’écraser son champignon, il n’a jamais été aussi puissant - Who started this ? - Cet album faramineux s’achève avec «Guardian Angel», l’un des cuts les plus émouvants du Lou, un cut qu’il faut associer avec les magnifiques photos de l’album, l’épée, le Poe, le pacte.

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             S’il fallait résumer Animal Serenade en une seule phrase, ce serait : «Lou Reed est un magnifique artiste.» Magnifique dès «Tell It To Your Heart». Le Lou est capable de beauté intrinsèque. Il y va au Tell It. Avec le Lou, tu as la Chanson. Et la Voix. Avec des majuscules. Il t’en fait six minutes sans problème. Derrière, tu as Anthony et Fernando Saunders. Il enchaîne avec une magnifique mouture de «Men Of Good Fortune», puis son «How Do You Think It Feel» vire «Sister Ray», avec un vieux gratté de poux de Mike Rathke, le Lou ramène sa vieille niaque de Velvet craze. Pure émanation de «Sister Ray» ! Le Lou remonte au sommet de son lard fumant avec «Vanishing Act» - I hope you like it/ It must be nice to disappear/ To have a vanishing act - C’est poignant de beauté profonde. On se goinfre encore d’un «Ecstasy» claqué au Brazil du Lou et éclaté par un solo trash de Mike Rathke. Un Rathke qui refait des étincelles dans «Street Hassle», le Lou cite Tennesse Williams and maybe Raymond Chander. Mais quand Fernando Saunders chante («Reviens Cherie»), on perd tout. Le Lou boucle le bouclard du disk 1 avec l’indémodable «Venus In Furs». Profond et magnifique de shiny shiny boots of leather et ça retombe sur ses pattes d’I am tired et d’I could sleep for a thousand years, avec un solo étranglé d’agonie définitive, Anthony vient faire sa Nico, et le Lou claque son hit pour l’éternité. Le disk 2 est encore plus spectaculaire, car voilà «Sunday Morning» et «All Tomorrow’s Parties» qu’il chante à la glotte Velvet. Attaque sérieuse de bille en tête sur Tomorrow’s. On perd le violon de Calimero, c’est autre chose. Le Lou en fait un blast. Il annone plus loin «The Raven» - This is from the great American writer called Edgar Allan Poe and this is The Raven - Pur Poe sound. Groove morbide. Lecture du poème électrique - Some visitor intruding - Le Lou n’en finit plus de sortir du bois. Il attaque «Set The Twilight Reeling» au gratté victorieux, ça devient du big biz, pire encore, du big Lou. C’est Anthony qui chante «Candy Says», alors on perd le Lou. Il sort une dernière fois du bois pour «Heroin» - I - On sait tout de suite. C’est lui - Don’t know - Il revient faire son cirque - Just where I’m going - La foule chante avec lui - I’m gonna try/ For the kingdom/ If I can - Clameur populaire d’I just don’t know, c’est sans doute le hit du siècle dernier, le hit emblématique de toutes les dérives, avec «Like A Rolling Stone». Le Lou t’expédie ça dans l’enfer du paradis. Il connaît son bois par cœur. Il est le maître du guess I Just don’t know. Il joue de tous les climats d’I/ I wish that, il connaît tous les pourtours de l’excellence du when I’m rushing on my run et du when I put the spike into my vein, il combine toutes les dégelées d’Here/ Roin, il est le fabuleux Impersonator d’it’s my wife and it’s my life, il en fait un hit universel, il transcende tous les a-priori, il balaye tous les pères-la-morale, tous les rois de la petite semaine, le Lou sort du bois avec le plus bel art du monde, il est le full bloom de l’apologie des paradis artificiels et du my blood is in my head, le Lou est le Rimbaud du XXe siècle, il est à l’apogée du Just don’t know, à l’apogée d’une sorte de poésie définitive, la poésie rimbaldienne électrique.

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             Avec Hudson River Wind Meditations, Lou propose «an appealing collection of ambiant sound and noise.» Wally n’a encore rencontré personne qui ait réussi à méditer sur ces «collections d’ambiant sound & noise». Bon alors laisse tomber. Tu n’es pas obligé de tout écouter. Surtout pas ce machin-là.

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             Le dernier album du grand méchant Lou s’appelle Lulu, enregistré avec Metallica. Bon, là, il y a du boulot. Un sacré boulot. Pas seulement parce que c’est un double CD, mais parce que le mythe se mord la queue. On va essayer de dire pourquoi. Admettons que le premier soir, on écoute le disk 1. Ça commence bien ou ça commence mal, tout dépend comment on est luné et de ce qu’on s’est déjà mis dans le cornet. Avec «Brandenburg Gate», le Lou plonge dans l’insanité, ce n’est pas lui qui sort du bois, mais le son. Une énorme purée macabre, tu as un environnement funèbre balayé par des mauvaises odeurs - I would cut my leg and tits off/ Thinking of Boris Karloff and Kinski/ In the dark of the moon - Le Lou paraît à son avantage, il gueule par-dessus le chaos. On écoute son testament, il faut en rester conscient. Le Lou chante jusqu’à la dernière goutte de son. Dommage que ce soit avec ces mecs-là. «This View» ? Voilà pourquoi on ne voulait pas écouter cet album à sa parution. Le Lou est traîné dans la boue du metal. C’est la défaite d’un empereur. Commencer avec le Velvet et finir en compagnie de ces mecs atroces, quelle déconfiture ! Le Lou fait son biz, mais c’est trop metal, trop fucking metal, on n’est pas là pour ça - I am the table/ I am the view - Le vieux Lou de mer s’auto-détruit en explosant. «Pumping Blood» est une insulte à l’injury, ça devient blasphématoire. Ce disk 1 s’enfonce dans le metal. Le Lou renie ses racines, il brouille les pistes. Et soudain, alors qu’on commençait à perdre tout espoir, il revient aux trois accords avec «Iced Honey», bien gratté à la cocote malovelante. Derrière lui, les Metallica se prennent pour le Velvet. C’est assez comique. Le Lou mène le bal - If I can’t trap a butterfly or a bee/ If I can’t keep my heart/ When I want it to be - Il tartine son Iced Honey et réussit à domestiquer ces brutes horribles de Metallica. Avec «Cheat On Me», le Lou veut savoir - Why do you cheat on me ? - C’est normal - I have the loves of many men/ But I don’t love any of them - C’mon ! Et les Metallica s’autorisent à chanter, alors ça frôle la catastrophe.

             Curieusement, le disk 2 laisse une impression mille fois plus favorable. Les quatre cuts sont superbes ! «Frustration» et «Little Dog» sont dignes de Velvet. Le Lou t’enfonce son Frustration dans la gorge. La clameur metal vire Velvet, c’est très spectaculaire. Le Lou taille sa dernière route. Il la taille incroyablement. Il avance dans l’enfer de la ferveur. Il rétablit les équilibres anciens. Les Metallica fourbissent l’heavy redémarrage de la Frustration, ils fourbissent une authentique fournaise et du coup ça devient génial. Le Lou transforme le plomb du metal en or du Velvet. «Little Dog» est du pur Velvet. C’est travaillé dans un son pas violon électrique, mais c’est autre chose. Le Lou rôde encore. Le Lou travaille son mythe jusqu’au bout. Quand on écoute «Dragon», on comprend pourquoi le Lou a choisi Metallica : pour pouvoir plonger. Il avait besoin de replonger dans du son, comme au temps du Velvet. Le Lou est aux abois, c’est l’hallali du Lou, c’est ainsi qu’il faut l’entendre, il chante comme s’il allait mourir, il balance tout ce qu’il peut avant la fin - Ain’t it another way of dying ? - Solo de Metallica, purée surnaturelle, la purée rebondit ! La purée vit sa vie et le Lou revient dedans, le «Dragon» se noie dans le génie sonique. Ils ont réussi à dépasser les bornes, ça cogne dans les digues, c’est incroyable comme le Lou y revient, ça devient de l’immense intensité du Lou mythique, il chevrote à force de présence et de so rejected, c’est pulsé dans la purée des reins, du coup le Lou se retrouve avec une drôle de fière équipe derrière lui, what a flash et quelle leçon ! Aw my Gawd ! Le «Dragon» est tellement bon que tu le réécoutes dans la foulée. Puis il nous fait ses adieux avec «Junior Dad». Les Metallica travaillent bien les atmosphères, comme s’ils remettaient les compteurs du Velvet à zéro. Et là, tu as un son qui singe le violon de Calimero, c’est assez perturbant. Le Lou sort une dernière fois du bois. Sa voix prévaut dans tous les cas. Même avec Metallica. C’est d’autant Velvet que c’est Metallica. Difficile à expliquer, mais c’est ce qu’on ressent. On finit par comprendre que le Lou sait. Que le Lou fait. Et que ça devient sérieux. Because of Metallica. Pur genius. Tout le poids du Lou est là. Magie pure. 

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             Et pour finir en beauté, un petit coup d’Ace : What Goes On - The Songs Of Lou Reed, une compile parue en 2021 dans la prestigieuse collection ‘Songwriter Series’. Comme si la grandeur du grand méchant Lou ne suffisait pas, Ace te colle en plus la grandeur d’interprètes comme Alenjadro Escovedo, Iggy Pop ou encore les Swervedriver. Escovedo se tape «Pale Blue Eyes», il se risque sur le chemin du sometimes I feel so happy, il est pur, alors il s’y colle, il linger on pale blue eyes. Avec Swervedriver, tu as tout de suite du son. Leur mouture de «Jesus» est à tomber dans les pommes. Ils ont autant de profondeur que Yo La Tengo. Ce fabuleux crocodile qu’est Iggy se tape «We Are The People» - We are the people without land/ We are the people without traditions - Il swingue le poème du Lou - We are the people without rights/ Without a country/ A voice/ Or a mirror - Iggy rend hommage au peuple noir - Beyond emotion - Une sorte de poème définitif. Iggy : «The poem is a statement. Lou Reed’s statement.» C’est l’hommage final. «We Are The People» sort de l’album Free. La version de «Walk On the Wild Side» est celle des Dynamics, «reggae dub from France». Ils sont complètement à côté, mais c’est osé. Le choix d’Ace est judicieux. Ils ont tapé dans une cover aussi éloignée que possible de la perfection. Yo La Tengo a choisi «I’m Set Free». L’Ira sait y faire. Il gratte ça au mieux des possibilités. Il gratte au cœur du mythe, il va là où c’est bien. On retrouve aussi le «Rock’n’Roll» de Detroit, le groupe de Mitch Ryder. Ça baigne dans la graisse. Il rend un hommage greasy au grand méchant Lou. On le connaît par cœur. On a tellement écouté cet album dur comme fer. Mitch Ryder pousse on petit scream. Sacré Mitch. C’est à Beck que revient l’honneur d’ouvrir le bal de la compile avec «I’m Waiting For Thr Man». Écoute plutôt l’original. Laisse tomber le Beck dans l’eau. Bryan Ferry s’en sort mieux avec «What Goes On». Le Bryan sait allumer son Lou. Il sait s’affirmer. C’est dingue comme tous ces mecs à la mode ont pompé le Lou. Bon il y a pas mal de plantards (Lloyd Cole, Kristy McCall & Evan Dando, Tracey Horn, Rachel Sweet), même Nico se plante avec «Wrap Your Troubles In Dreams». Elle est sculpturale et pénible. La compile reprend du poil de la bête avec les Primitives et «I’ll Be Your Mirror». Pure merveille hommagière. Tu as enfin le vrai truc, parfait dosage d’ingénuité et de big sound. On savait les Primitives fameux, mais là, ils rayonnent. Quel shoot de Velveting ! Le «Run Run Run» d’Echo & The Bunnymen est assez balèze, car chanté à la niaque de Liverpool. Autre merveilleux hommage britannique : le «Train Round The Bend» des Soft Boys. Ils te l’aplatissent vite fait. Sans la voix mais avec l’esprit. Les Delmonas font une version délinquante de «Why Don’t You Smile Now». Classic Childism. Rien que du beau monde. 

    Signé : Lou Ridé

    Lou Reed. Lou Reed. RCA Victor 1972

    Lou Reed. Transformer. RCA Victor 1972

    Lou Reed. Berlin. RCA Victor 1973

    Lou Reed. Sally Can’t Dance. RCA Victor 1974

    Lou Reed. Rock N Roll Animal. RCA Victor 1974

    Lou Reed. Lou Reed Live. RCA Victor 1975

    Lou Reed. Coney Island Baby. RCA Victor 1975 

    Lou Reed. Rock And Roll Heart. Arista 1976

    Lou Reed. Take No Prisoners. Arista 1978

    Lou Reed. Street Hassle. Arista 1978

    Lou Reed. The Bells. Arista 1979      

    Lou Reed. Growing Up In Public. Arista 1980

    Lou Reed. The Blue Mask. RCA 1982

    Lou Reed. Legendary Hearts. RCA 1983

    Lou Reed. New Sensations. RCA 1984 

    Lou Reed. Live In Italy. RCA 1984

    Lou Reed. Mistrial. RCA 1986  

    Lou Reed. New York. Sire 1989

    Lou Reed/ John Cale. Songs For Drella. Sire 1990

    Lou Reed. Magic And Loss. Sire 1992

    Lou Reed. Set The Twilight Reeling. Warner Bros Records 1996

    Lou Reed. Ecstasy. Reprise Records 1998

    Lou Reed. The Raven. Sire 2003 

    Lou Reed. Animal Serenade. Sire 2004 

    Lou Reed. Hudson River Wind Meditations. Sounds True 2007

    Lou Reed & Metallica. Lulu. Warner Bros. Records 2011

    What Goes On. The Songs Of Lou Reed. Songwriter Series. Ace Records 2021

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    Mick Wall. Lou Reed: The Life. Orion 2014

    Lou Reed. Transformer. Classic Albums. DVD 2001

     

     

     Romano n’est pas un romanichel

     - Part One

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             Bon alors Daniel Romano devait installer sa roulotte dans le coin, et finalement, il n’est pas venu. Dommage. On peut se consoler avec une poignée d’albums, en attendant son retour.

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             Avec le petit Romano du Canada, on est dans la strong pop et la country d’adoption. Il s’est fait une tête d’Américain du XIXe siècle pour la pochette de Workin’ For The Music Man. Il est bon, il fait son petit storytelling. On se croirait à Nashville. Son «Losing Song» plane comme un coucher de soleil sur la plaine du Far West - It’s so easy to have a losing song - Il chante d’un très beau tranchant. Il y va doucement, alors on le suit. On est là pour ça. Il tourne un peu en rond sur cet album, mais on l’aime bien le petit Romano dans sa roulette. Il nous fait penser à Reda Kateb dans Django. Une ravissante petite gonzesse vient le retrouver dans «On The Night» avec sa petite glotte humide. Même chose dans «So Free», elle arrive comme une prune offerte, elle duette, c’est très sexuel cette affaire-là. Cette folle de sexe continue de duetter avec le petit Romano dans «She Was The World To Me». Ils n’en finissent plus de choquer le bourgeois. Sa complainte est belle comme une langue à la sauce piquante. Et puis soudain, le petit Romano passe au heavy drive avec «Poor Girls Of Ontario». La roulotte danse toute seule. Il a l’orgue de Bob Dylan derrière lui. Puis il va commencer à s’enfoncer dans la routine de la roulotte. Il tape son «Joseph Arthur» au tatapoum des Memphis Three de Cash. Il s’amuse bien le petit Romanao avec ses roots.

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             Rien qu’à voir la pochette de Come Cry With Me, on sait qu’on est dans un album de country pure. Le petit Romano s’est déguisé en cowboy d’opérette. L’album est insupportable de country, une vraie collection de clichés. Et pourtant le petit Romano chante d’une voix dévorante. Le cut Saint-Bernard sauveur d’album s’appelle «Chicken Bill», shoot de wild country, il y va au baryton de desperado. Sinon, le reste est à pleurer de country despair, pleurer dans sa bière, bien sûr. So please take my heart.  

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             Il s’est fait une tête de jeune Tom Waits pour la pochette d’If I’ve Only One Time Askin’. C’est encore un album country qu’il tape à l’accent tranchant. Comme il a une vraie voix, il tartine. Cette fois, il propose de la heavy country avec du son. Il impose son incroyable présence vocale. Il tente de passer en force, à la manière de Geno qui lui ne passait jamais en force. Le petit Romano ramasse ses suffrages à coups de présence vocale intense. Il attaque «Strange Faces» en mode wild country, et c’est passionnant, car très chanté. Il fait même de la country de rêve avec «All The Way Under The Hill». Il dispose d’un son épais et sec, à la Hazlewood. Mais ce type d’album est dur à driver, il s’enfonce de plus en plus dans sa routine country et s’enlise. Heureusement qu’il a du son et une vraie voix, car ça pourrait devenir pénible. Il bourre la heavy country sexuelle de «Learning To Do Without Me» de violons et de larmes de crocodile. Il fait son big Romano avec «Two Word Joe», encore un shoot de heavy country qui passe comme une lettre à la poste. Le petit Romano est bien trop pur. Il t’épuise avec sa country de Canadien mal embouché. Il est encore pire que Gram Parsons.

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             En 2016, il arrête les conneries et passe aux choses extrêmement sérieuses avec Mosey. Il se fait une tête de Dylan 65 et jette sa country aux orties pour passer à la fast pop de fast ride. D’ailleurs son «One Hundred Regrets Avenue» est du Dylanex pur jus, il chante du nez, avec la pince à linge, et s’accompagne au piano. Il est à l’aise, pas de problème. Il profite d’«I Had To Hide Your Poem In A Song» pour se fondre dans le groove avec une voix de crotale, le petit Romano devient un surdoué de la ténèbre. Il est un peu comme Lou Reed, il tartine dans l’underground. Il est intense et incroyablement underground. Il s’en va ensuite groover «Toulouse» au you got me smiling. C’est bardé de son et de swing. Le petit Romano sait driver une diligence, comme le montre encore «Hunger Is A Dream You Die In». Il chante ça au doux du menton, sa pop est monstrueusement bien en place, il chante tout en plein dans le mille. Chaque cut est spectaculairement bon. Encore une énormité avec «Mr. E. Me», cette pop âcre et belle te prend à la gorge. Quel cirque ! Il chante toujours à l’accent tranchant, comme au temps de ses albums country, mais désormais, il vise la cosmic Americana avec «I’m Alone Now». Il profite de «Sorrow (For Leonard Cohen And William)» pour descendre dans sa cave chercher des accents à la Cohen et rendre hommage à Leonard. Il bâtit une sorte de bonne petite mythologie, avec «(Gone Is) All but A Quarry Of Stone» : c’est le cabaret de la cosmic Americana au soleil couchant, juste derrière les cactus. Le petit Romano est un effarant caméléon, un génie du do it all. Il visite le haut de sa toile avec «The Collector», il adore se brûler les ailes. Ici, tout n’est que chant, grosse compo, essai, bon album, il en remplirait des tonnes, et il termine cet album indomptable avec un «Dead Medium» tapé aux heavy chords. Il sait très bien éclater un Sénégal, pas besoin de lui faire un dessin. Il chante toujours à la voix de nez et veille à ce que le son reste énorme. À l’intérieur du digi, on le voit en T-shirt avec les bras couverts de tatouages.         

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            Ça se corse encore avec Modern Pressure. Quel album ! Il revient au Dylanex pur jus avec le morceau titre et «Dancing With Ladies In The Moon». Il pousse le jeu de la pince à linge à fond. Avec «The Pride Of Queens», il tape une country pop de haut vol, bien portée par l’orgue Hammond. Il reste dans le même son pour «Sucking The Old World Dry». Que de son, my son ! Le petit Romano finit par devenir aussi puissant que Geno. C’est un bonheur que de l’écouter chanter son Sucking. Il tape «When I Learned Your Name» en mode fast boogie par-dessus la jambe. Le petit Romanao est un fier à bras. Il enfile les cuts comme des perles, tout est alerte et clean, sur cet album. Son «Ugly Woman Heart Pt 2» sonne sec et net, ce cut se faufile comme une couleuvre de printemps. Le petit Romano remonte le courant du country rock. D’ailleurs, il n’en finit plus de remonter le courant de son album, avec un talent mirobolant. Ce petit veinard a tout : la voix, la liberté, l’horizon, l’underground. Il finit avec une petite merveille de country dylanesque, «What’s Become Of The Meaning Of Love». Il t’en bouche encore un coin, car le cut est assez pur et dur, on peut même parler de Beautiful Country Song, c’est somptueux, enduit de son, gorgé d’excellence, très impressionnant. 

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             Tiens encore un big album : Finally Free. Le Romano n’a que des chansons. Cette fois il prend le parti de chanter d’une voix d’hermaphrodite ajourné, mais belle voix au demeurant, et son «Empty Husk» d’ouverture de bal finit en big schlouff d’exaction météorique. C’est important de le souligner. Cet album fonctionne comme un sortilège, car il propose une pop d’entre-deux, une sorte de Fairport romanichel à la crème anglaise, généreux et foisonnant. Le petit Romano a les coudées franches et les dents longues, il vise la Cosmic Americana avec «The Long Mirror Of Time». Il flirte dangereusement avec la perfection, comme le montre encore «Celestial Manis», il va chercher d’extraordinaires textures anatoliennes, il groove dans les racines du ciel. Son art paraît si ancien. C’est d’une certaine façon l’album des tourbillons inespérés. Avec «Between The Blades of Grass», Romano travaille des climats complètement magiques, il y va à la Lennon, il pose sa voix aux portes du paradis. Finally Free est un album fondateur. Les échos de Beatlemania sont superbes, il les tempère à la spatule. Il orchestre encore de sacrées dérives d’orientalisme psychédélique avec «Gleaming Sects Of Aniram», il tisse des climax richissimes, sa technique consiste à traîner dans la longueur.

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             Il attaque sa période Daniel Romano’s Outfit en 2021 avec Cobra Poems. Il va encore créer la surprise avec deux cuts glam, «Animals Above Our Town» et «Baby If We Stick It Out». L’Animals est même assez wild. Le petit Romano peur provoquer des dégâts considérables. Il passe un solo en roue libre et revient dans sa bonne bourre. Il tape son Stick It Out aux congas de Santana. Il sait ce qu’il fait. Il sait chauffer le cul d’un cut et c’est tellement bon que ça vire glam. Ce cut est une merveille d’évolution intrinsèque, il bascule dans le meilleur glam d’après la bataille. Tu vois très peu de gens capables d’un tel exploit sportif. Le petit Romano charge sa barque à la Méricourt. Il chante encore son «Still Dreaming» au sommet des seventies. Il a du génie, il faut le voir gratter sa fin de «Camera Varda» à la débine. Pur Grevious Angel, d’autant qu’il s’agit d’un hommage à l’Agnès de la rue Daguerre. Nouveau clin d’œil à Dylan avec «Tragic Head». Il s’y coule comme un camembert trop fait. Le petit Romano reste incroyablement véridique, c’est puissant, gorgé d’esprit, en plein Dylan 65. Encore du glam avec «Nocturne Child». Bel exercice de style glam. Après, s’il se fait traiter de caméléon, il l’aura bien cherché. Retour au heavy boogie blues avec «Holy Trumpeteer». Pur jus de seventies sound, quasi Stonesy. C’est Juliana Riolino qui chante «Tears Through A Sunrise». Elle y va la mémère, elle a du monde derrière, alors elle y va au la la la. Quelle belle dérive des continents.    

    Signé : Cazengler, romanichel

    Daniel Romano. Workin’ For The Music Man. You’ve Changed Records 2010

    Daniel Romano. Come Cry With Me. Normaltown Records 2013   

    Daniel Romano. If I’ve Only One Time Askin’. New West Records 2015 

    Daniel Romano. Mosey. New West Records 2016                  

    Daniel Romano. Modern Pressure. You’ve Changed Records 2017

    Daniel Romano. Finally Free. New West Records 2018

    Daniel Romano’s Outfit. Cobra Poems. You’ve Changed Records 2021 

     

     

    Wizards & True Stars –

     Musique de Chambers (Part Two)

     

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             À quoi tient la grandeur de l’histoire d’un groupe ? Parfois à bien peu de chose. Une poignée de souvenirs. Le meilleur exemple est l’histoire des Chambers Brothers qu’éclaire le modeste book que vient de faire paraître, quasiment à compte d’auteur, Lester Chambers, Time Has Come. Revelations Of A Mississippi Hippie. On chope l’info de cette parution dans Mojo qui fait un petit focus sur «Time Has Come Today», et en parcourant ces trois pages, on se pose tout naturellement la question : qui s’intéresse encore aujourd’hui aux Chambers Brothers ?

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             Et pourtant, le diable sait si les Chambers Brothers ont frappé les imaginations en 1968 avec «Time Has Come Today», ce single sorti sur CBS dans la fameuse collection Gemini et qu’on est tous allés barboter au Monoprix du quartier. Toute la réputation du groupe est bâtie sur ce hit superbe, réparti sur les deux faces du single, ponctué par la fameuse cowbell de Lester Chambers. Pour les petits culs blancs de France et de Navarre, les Chambers Brothers s’auréolaient de mystère, on les croyait puissants, primitifs et psychédéliques, ils naviguaient au même niveau que Jimi Hendrix et Sly & The Family Stone. Ils sont restés pendant plus de cinquante ans de mystérieuses superstars dont on ne savait pas grand-chose, et c’était bien comme ça. Dans l’expo consacrée au Velvet, New York Extravaganza, à la Villette, on pouvait voir un plan filmé complètement explosif : les Chambers Brothers sur scène chez Ondine’s. 

             Dans un Part One, quelque part en 2019, on a rendu hommage à George Chambers, l’aîné des Brothers, qui venait de casser sa pipe en bois. L’occasion était trop belle de dresser un autel de fortune pour saluer l’œuvre des Chambers Brothers. Leur discographie reste un don des dieux. Dans son book, Lester Chambers ne s’attarde pas trop sur les albums, il raconte quelques souvenirs, comme le font tous les vieux nègres au soir de leur vie, et ces souvenirs valent tout l’or du Rhin. Lester Chambers n’est pas n’importe qui. On le considère comme un sage. D’ailleurs, il suffit d’examiner la photo qui orne la couve. Lester semble rayonner de sagesse psychédélique.

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             Sa préface est un modèle du genre. Il commence par raconter qu’il a joué devant des centaines de milliers de personnes au festival d’Atlanta et au fameux Newport Folk Festival, histoire de rappeler que les Chambers Brothers étaient durant les sixties un groupe extrêmement populaire aux États-Unis. Il enchaîne aussi sec avec le biz : «J’ai reçu mon premier chèque de royalties en 1994, mais entre 1967 et 1994 : rien. Les music giants avec lesquels j’ai enregistré ne m’ont payé que pour 7 albums, je n’ai jamais reçu un penny pour les 10 autres.» Et il conclut le chapitre biz ainsi : «À 79 ans, j’essayais de vivre avec 1200 $ par mois. Un fond de soutien nommé Sweet Relief m’a donné de quoi vivre. Seulement 1% des artistes peuvent engager des poursuites. I am the 99%.»  

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             À l’origine, Lester, George, Joe et Willie Chambers sont un quatuor de gospel, mais ils sont capables de jouer du folk et surtout du rock, ce qui va les rendre inclassables et terriblement en avance sur leur époque - The Brothers had no home. Ils étaient too Rock for Folk, too secular for Gospel, and too raw, real and passionate for Rock - Robert Darden les classe dans les great Soul shouters, qui selon lui, inclut le plus grand d’entre eux, Archie Brownlee des Blind Boys Of Mississippi. Il ajoute que la musique des Chambers «still confronts listeners», au même titre que celle de Sly & The Family Stone et d’Andrae Crouch & the Disciples. Pete Sears voit Lester Chambers comme un pionnier : «Lester Chambers is the real deal. Il fait partie d’une élite d’artistes comme Otis Redding, Sam Cooke et Curtis Mayfield qui ont cassé le moule et inventé une musique nouvelle qu’on appelle la Soul Music.» 

             Au début était non pas le Verbe, mais une pauvre ferme de Carthage, in Echo Hills, Mississippi. La famille Chambers compte 13 enfants, 8 garçons et 5 filles. L’aîné s’appelle George, comme son père, puis viennent Willie, qui sera le guitariste du groupe, Lester et Joe. Le père George est sharecropper, c’est-à-dire métayer, pour le compte d’un patron blanc, Mr. Doug, qui est aussi Grand Dragon du KKK. Mais il protège ses nègres, car ils bossent pour lui. Comme dans toutes ces histoires-là, le patron blanc vient voir le chef de famille une fois l’an pour lui donner ce qu’il a gagné dans son année aux champs : 50 cents - That’s all you cleared this year, George. Mais réfléchis bien, ta famille a un toit sur la tête et tu sais que tu peux avoir tout ce que tu veux au magasin - Toujours la même histoire, Fred McDowell racontait exactement la même, une vie de travail aux champs pour rien. Endetté à vie. C’est le patron blanc qui s’enrichit et le nègre s’endette, car il doit acheter ses semences, ses engrais et tout le reste. Un jour, Daddy George va en ville faire deux trois courses et des gamins blancs commencent à l’embêter, du genre let’s have some fun with the nigger, mais Daddy George a du métier, il sort son couteau. Il rentre chez lui et dit à toute la famille de se planquer dans la pièce de fond, car les blancs vont rappliquer et ça va chauffer. Ils rappliquent le soir même avec des torches et une corde. Daddy George sort sur le perron avec son flingue et leur dit qu’il va y avoir des morts. Alors les blancs se barrent, car ils n’ont pas d’arme. Voilà en gros ce que Lester raconte de son enfance. Le Mississippi dans les années 40 est un endroit extrêmement dangereux pour les nègres. La vie d’un nègre ne vaut pas cher, sauf dans les champs pour bosser à l’œil.

             Le frère aîné George sera le premier à échapper à cet enfer en s’engageant dans l’armée. À sa démobilisation, il va directement s’installer en Californie. Pas question de revenir dans l’enfer raciste du Mississippi. Avec ses deux beaux-frères, il organise l’évasion de la famille. Les deux beaux-frères dont l’un s’appelle Arthur Lee, embarquent nuitamment Willie, Joe et Lester. Ils font gaffe, car Mr. Doug surveille la ferme. Les parents ne partent pas tout de suite. Daddy George préfère négocier son départ avec Mr. Doug. Comme tous les garçons sont partis, Mr. Doug va finir par lâcher prise. Il trouvera facilement une autre famille de nègres à exploiter dans les champs. En gros, Hound Dog Taylor a vécu la même chose et il est allé vers le Nord. Les Chambers vers l’Ouest.  

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             En Californie, les Chambers Brothers commencent à se produire sur scène et chantent du Gospel. Puis on leur demande d’électriser leur set, alors okay, fait Lester - We like Jimmy Reed. We like Hank Ballard. We like Lightnin’ Hopkins as well as Brownie and Sonny. Alors on a décidé de jouer those slow Blues, speed ‘em up and turn them into Blues rock. So, in my opinion, we invented the genre of Blues Rock and never got credit for it - Ils s’électrifient. Grâce à leur relation avec Barbara Dane qu’ils accompagnent en tournée, ils entrent en contact avec Pete Seeger et se retrouvent au Newport Folk Festival en 1965, devant 54 000 personnes, en remplacement de Josh White qui est malade. Ils font du Jimmy Reed with gospel harmonies. Dylan les voit. C’est l’année où il s’électrifie, lui aussi.

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             Eh oui, Dylan flashe sur les Chambers. Il les fait venir à New York car il les veut comme backing singers sur Highway 61 Revisited. Mais Columbia finit par virer les backing vocals, donc on n’entend pas les Chambers. Pour les entendre, il faut choper un bootleg d’Highway. Après la session, Dylan les emmène chez Ondine où il joue. C’est là qu’ils rencontrent Brian Keenan qui va devenir leur batteur et le «5th Chambers Brother». Puis les Chambers vont devenir pendant six mois the house band at Ondine’s - We became the in thing in New York - Berry Gordy vient les trouver pour leur proposer un deal, mais ils gagnent déjà plus que ce que propose Gordy. Il les fait cependant attendre dans la limousine et quand il ressort du club avec Diana Ross, elle ouvre la porte de la limousine et s’exclame : «Mais qui sont ces nègres in my car ?». Fin de l’épisode Gordy. Pendant qu’ils vivent à Greenwich Village, ils voient beaucoup Jimi Hendrix sur scène, et Jimi vient beaucoup les voir. Alors ils se mettent à papoter et deviennent super friends - We did a lot of hangin’ out, girl chasin’ and catchin’ you know? All that good stuff! - Pas mal, non, pour quatre blackos échappés de l’enfer du Mississippi ? Ils sont potes avec deux des plus grands artistes de leur époque : Dylan et Jimi Hendrix.

             C’est grâce à la Dylan connection qu’ils rencontrent John Hammond Sr. Hammond les signe sur Columbia, l’un de ses derniers «coups» avant la fin de son contrat d’A&R chez Columbia. Mais Lester découvre vite que ce contrat est une nouvelle forme de sharecropping. Columbia les exploite et ne leur verse rien : «On devait financer nos propres enregistrements et les musiciens qui jouaient avec nous.» Ils ont en plus le taux de royalties le plus bas, car on les considère comme des nègres des champs. En prime, ils font peur au staff de Columbia.

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    ( David Rubinson)

             Les Chambers connaissent leur âge d’or avec «Time Has Come Today» - Everything on Time Has Come Today was done in one take. Not the first take, mais une fois qu’on a démarré sur la bonne, on ne s’est plus arrêtés - L’idée de la chanson leur est venue en voyant des tas de jeunes faire du stop sans savoir où ils allaient - The times were very psychedelic. People were taking a lot of acid - C’est grâce à David Rubinson que le hit existe. Le boss de Columbia Clive Davis ne veut pas de «Time Has Come Today», c’est hors de question, alors Rubinson décide de l’enregistrer en cachette. Il propose de l’enregistrer live, pas d’overbud, pas de rien, direct. Clive Davis n’est pas au courant, et quand le single sort, il vire Rubinson qui a une femme et deux enfants. Lester dit aussi que Rubinson a battu le beurre pour eux quand Brian Kennan était malade. Profitons de cette belle parenthèse pour rappeler que David Rubinson aida Skip Spence à enregistrer Oar. C’est aussi lui qui produit les premiers albums légendaires de Taj Mahal, de Moby Grape et de Santana. On retrouve son nom au dos des pochettes d’un paquet d’albums de Taj Mahal et de quasiment tous ceux de Moby Grape. Plus The Voices of East Harlem. Enfin bref, avec des mecs comme lui, on n’en finirait plus.

             Les Chambers se produisent at Steve Paul’s Scene, le club le plus hip de New York, Lester fréquent tout le gratin dauphinois de l’époque - Tu pouvais voir John Lennon ou George Harrison. George Harrison was quite the cat. Not Ringo or Paul. They had a different mindset. Jimi Hendrix, the McCoys, the Winter Brothers, Johnny and Edgar, Tim Leary et Donovan traînaient at the Scene - Lester y découvre aussi l’acide - I believed in living life to the fullest - Il en parle merveilleusement bien - You could do everything you wanted to do. You had to see it at first. You could sit and visualize things - Il dit avoir tellement adoré ça qu’il a pris de l’acide chaque jour pendant trois ans et demi. Un soir, sur scène au Fillmore, il sent qu’il quitte son corps - Je me suis envolé, j’ai plané au-dessus du public et j’ai vu mon corps sur scène - Lester dit qu’il doit tout ça à God. Une nuit, son téléphone sonne. C’est l’une de ses copines du Connecticut. Elle lui demande où il se trouve. Il lui répond qu’il est à Los Angeles. Mais elle lui dit qu’il était là, avec elle - I think we were both astral traveling - Il dit avoir vécu ses plus beaux trips while having sex - It’s a great connection. I give God all the credit. I’m a living miracle - Il va loin : «Life can be extended. I’ve been granted an extension.» Il dit être l’un de hommes les plus heureux sur cette terre. C’est Owsley en personne qui lui donne de l’acide. Avec ses frères, ils organisent des parties et tout le monde est sous acide - It was just so peaceful - Chez Steve Paul, Lester rencontre Andy Warhol et Timothy Leary. Et soudain, la coke arrive - True hippies hated it - Il préfère rester sous acide.

             Puis ils font une expérience malheureuse avec Gamble & Huff - The chemistry wasn’t there - L’album ne sort pas. Et Willie Chambers accuse Gamble & Huff d’avoir pompé les Chambers pour alimenter les O’Jays. Et soudain, le monde des Chambers s’écroule : Columbia les lâche. Ils perdent tout : les bagnoles et les maisons. Ils se retrouvent à la rue.

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             Lester indique aussi que Johnny Otis l’a contacté à une époque pour lui demander de produire son fils Shuggie, mais Lester a décliné, «cuz Shoggie had a problem with taking direction at the time.» Lester dit ailleurs qu’il n’aime pas Wilson Pickett, parce qu’il maltraite ses musiciens. Et puis un soir, après un concert, Lester voit ses musiciens remballer et il leur demande où ils vont : Wicked Pickett «had stolen my whole band». Quand Jimi Hendrix casse sa pipe en bois, Lester n’en croit pas ses oreilles. Pour lui, ce n’est possible : «how could a man so well designed mistakenly take too much medication?». Il n’est pas si loin de la vérité. S’il lisait Two Riders Were Approaching, le book de Mick Wall, il serait effaré de voir à quel point il avait raison de se poser cette question. Lester rend plus loin hommage à Steve Cropper : «Steve Cropper is a genius.» Ils ont joué pas mal de fois ensemble - He plays hard and he lives hard - Lester ajoute que Cropper met le volume de son Twin Reverb à fond - He says that’s the only way he can play - Et hop; il passe à Miles et Betty Davis. Il rappelle qu’il a présenté Betty Malbry à Miles. Il fait une grande apologie de Betty, she was the deal - Un jour elle vient trouver les Chambers pour leur dire qu’elle a composé une chanson pour eux, «Uptown» - I just wrote this song for Lester cuz I know he can sing it - Then she started singing it, «I’m goin’ uptown to Harlem» - Miles la repère et demande à Lester de la lui présenter. «Oh man, I like her. That’s my kind of woman. Who does she belongs to?», et Lester lui répond qu’elle n’appartient à personne, «we’re just good friends.» Miles va l’épouser puis la répudier. Miles veut aussi enregistrer avec Lester. Il veut l’harmo de Lester sur «Red China Blues». Mais sur le crédit, il change le nom de Lester en Wally. Alors Lester lui demande pourquoi il a changé son nom. «Who is Wally?», et Miles lui dit que Wally n’existe pas. Qu’il est rien. Wally ain’t got nothing. Lester le prend mal et lui dit qu’il n’est qu’un cold-blood motherfucker. Il se lève et s’en va. Il ne reverra jamais Miles. Lester a compris beaucoup plus tard : Miles voulait que Lester quitte les Chambers Brothers pour partir en tournée avec lui. Il avait tenté de lui expliquer que ses frères n’étaient pas à son niveau - I need you with me - Mais Lester avait refusé son offre - I can’t do that to my brothers. I am a Chambers Brother - Miles a encore essayé de l’avoir avec un salaire de 50 000 $ par mois, mais ça n’a pas marché. Alors Miles l’a éradiqué. Wally Chambers. 

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             On trouve aussi dans le book une fabuleuse interview de Mike Wilhelm. Il remonte jusqu’en 1963, au temps où Brownie McGhee lui apprenait des licks, et où Sonny Terry enseignait des coups d’harp à Lester. Wilhelm apprend aussi des licks avec Mance Lipscomb qui vient du Texas. Pour lui, Lipscomb descend d’une lignée royale africaine - Amazing skin, I thought this guy’s gotta be descended from African royalty. He had that tremendous dignity about him, ya know? His manner was regal - Puis il indique que les Chambers se sont fait plumer - Well boy, nobody got messed over worse than the Chambers - Il fait bien sûr référence à «Time Has Come Today», the gigantic hit qu’on a mis à toutes les sauces. Et il ajoute pour conclure : «They’re friends of mine.»

             L’un des témoignages fondamentaux rassemblés dans ce book est celui de la superfan Janet Davis. Elle explique qu’elle a toujours eu beaucoup d’admiration pour les quatre frères, et surtout pour Lester. Elle a découvert une grande tolérance chez lui, notamment pour les blancs, une tolérance qui lui vient de son père, car dit-elle, c’est ainsi qu’il les a élevés - Peu importe la façon dont ils avaient été traités, ils savaient que ce n’était pas bien. Mais si vous étiez bons avec eux, alors ils étaient bons avec vous - Janet en veut un peu à Lester de ne pas l’avoir appelée à l’aide quand il avait des problèmes de blé - On l’aurait aidé. Ce qu’on a fait quand on a su - Leur manager les a complètement plumés, ajoute-t-elle.

             Un autre témoignage captivant, celui de Jewel Chambers, l’une des sœurs de Lester. Elle raconte que Daddy George avait du sang indien et qu’il savait soigner les gens avec des herbes. Lui et sa femme ont vécu très vieux, presque 100 ans. Elle dit que selon les registres, Daddy George serait né en 1885, mais il était peut être né avant. Elle raconte aussi qu’au temps de la ferme du Mississippi, la famille était très unie. En rentrant le soir des champs, tout le monde se lavait et mangeait ce qu’il y avait à manger, milk and cornbread, et après manger, toute la famille s’asseyait au coin du feu pour chanter - Sing and harmonize - Willie Chambers raconte qu’il a appris à gratter à l’âge de 4 ans - It’s a funny thang. I never had to learn how to play it. I could already - Il explique ça avec une extraordinaire simplicité. Pas besoin d’apprendre, je savais déjà jouer. Il explique que son frère George a appris à jouer de la basse with a washtub bass, et plus tard, sur une Dan Electro. 

             Lester a des enfants, mais il adopte aussi Andre, surnommé Dre. Dre se souvient qu’ado il marchait dans Manhattan avec Lester, et c’était «comme si la Mer Rouge s’ouvrait devant eux. He was such a big star.» Il décrit Lester portant un grand manteau et un chapeau en cuir noir, des bijoux en or et en turquoise, «et les gens s’inclinaient comme s’il était un dieu». Pour Dre, les Chambers Brothers ont vraiment marqué leur temps. Afin d’illustrer son propos, il rappelle qu’une semaine avant de casser sa pipe en bois, Prince est allé chez un disquaire de Minneapolis acheter ses six derniers albums : Talking Book de Stevie Wonder, Hejira de Joni Mitchell, The Best Of Missing Persons des Missing Persons, Santana IV, Inspirational Classics des Swan Silvertones et The Time Has Come des Chambers Brothers.

             Puis Dylan, le fils de Lester, rappelle que Yoko Ono a fait un don à Lester, via Sweet Relief, pour qu’il puisse payer ses factures d’hôpital. Elle lui a aussi avancé un an de loyer - Dad and John were really great friends back in the day - et Lester ajoute : «God bless you, Yoko.»

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             Dans Mojo, Lester conclut le jeu des questions croisées ainsi : «Il y a eu Arthur Lee & Love, Jimi Hendrix, Sly & The Family Stone, but we did it first.»

    Signé : Cazengler, Chambête comme ses pieds

    Lester Chambers With T. Watts. Time Has Come. Revelations Of A Mississippi Hippie. Amazon 2022

    Lois Wilson : Time Has Come Today. Mojo # 355 - June 2023

     

     

    L’avenir du rock –

    Cash est cash (Part One)

             L’avenir du rock a parfois la folie des grandeurs. Il se pointe dans un magasin et remplit son caddy : une pierre, deux maisons, trois ruines, quatre fossoyeurs, un jardin, des fleurs, un raton laveur, une douzaine d’huîtres, un citron, un pain, un rayon de soleil, une lame de fond, six musiciens, une porte avec son paillasson, un monsieur décoré de la légion d’honneur, un autre raton laveur, un sculpteur qui sculpte des napoléon, la fleur qu’on appelle souci, deux amoureux sur un grand lit, un receveur des contributions, une chaise, trois dindons, un ecclésiastique, un furoncle, une guêpe, un rein flottant, une écurie de courses, un fils indigne, deux frères dominicains, trois sauterelles, un strapontin, deux filles de joie, un oncle Cyprien, une Mater dolorosa, trois papas gâteau, deux chèvres de Monsieur Seguin, un talon Louis XV, un fauteuil Louis XVI, un buffet Henri II, deux buffets Henri III, trois buffets Henri IV, un tiroir dépareillé, une pelote de ficelle, deux épingles de sûreté, un monsieur âgé, une Victoire de Samothrace, un comptable, deux aides comptables, un homme du monde, deux chirurgiens, trois végétariens, un cannibale, une expédition coloniale, un cheval entier, une demi-pinte de bon sang, une mouche tsé-tsé, un homard à l’américaine, un jardin à la française, deux pommes à l’anglaise, un face-à-main, un valet de pied, un orphelin, un poumon d’acier, un jour de gloire, une semaine de bonté, un mois de marie, une année terrible, une minute de silence, une seconde d’inattention, et cinq ou six ratons laveurs, un petit garçon qui entre à l’école en pleurant, un petit garçon qui sort de l’école en riant, une fourmi, deux pierres à briquet, dix-sept éléphants, un juge d’instruction en vacances assis sur un pliant, un paysage avec beaucoup d’herbe verte dedans, une vache, un taureau, deux belles amours, trois grandes orgues, un veau marengo, un soleil d’Austerlitz, un siphon d’eau de Seltz, un vin blanc citron, un Petit Poucet, un grand pardon, un calvaire de pierre, une échelle de corde, deux sœurs latines, trois dimensions, douze apôtres, mille et une nuits, trente-deux positions, six parties du monde, cinq points cardinaux, dix ans de bons et loyaux services, sept péchés capitaux, deux doigts de la main, dix gouttes avant chaque repas, trente jours de prison dont quinze de cellule, cinq minutes d’entracte et plusieurs ratons laveurs.

             Voyant le caddy surchargé, la caissière acariâtre demande d’un ton sec:

             — Comment comptez-vous payer tout ça ?

             — Cash Savage !

     

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             Oh bien sûr, il n’est pas utile de chercher un lien entre Jacques Prévert et Cash Savage. Il n’en existe pas. Prévert sert uniquement de prétexte. Une occasion en or de saluer un vieil ami. L’adoration de Prévert et de son Inventaire remonte à la petite enfance, à peu près en même temps que Tintin & Milou : cadeau d’annive d’un grand-père génial qui vendait des livres d’occasion à la Bastille. Et puis il y a Drôle D’Immeuble. Et puis il y a Gildas qui lui aussi connaissait bien les ratons laveurs.

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             On voit Cash Savage trois jours de suite. Le premier soir, c’est un peu compliqué, car on cherche des gens dans la foule. Mais bon, on entend des échos favorables. Le deuxième jour, on les voit faire leur sound check et soudain, on comprend mieux ce qui fait la particularité de leur son : la violoniste amène une énergie considérable. Deux guitares et un clavier, oui, d’accord, mais c’est le crin-crin qui jette de l’huile sur le feu. On se moquait jadis du violon, jusqu’au jour où on entendit celui de John Cale. Pas de Velvet sans violon électrique. Pas de Cash Savage sans la violoniste sauvage.

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     Pendant le set, dans les temps forts, on la voit danser, comme emportée par le tourbillon, ces gens-là sont de gros cultivateurs de climax, ils donnent du temps au temps et leurs cuts finissent par engendrer une sorte de heavy transe australienne, c’est très particulier. Ils ont beaucoup de mérite, car ils doivent faire oublier la réputation bourre-et-bourre et ratatam du rock australien, surtout le rock des bars de Melbourne, un rock qu’on pourrait appeler le rock-aligot, bien bourratif. Quand tu y plonges ta fourchette, tu as du mal à la retirer. Avec le rock-aligot, tu colmates les fissures dans les murailles d’un donjon. Si tu avales bêtement du rock-aligot au repas de midi et qu’après tu vas te baigner, tu coules à pic, comme si on t’avait scellé les pieds dans une bassine de béton. Mais curieusement, les Cash font décoller le rock-aligot. Et ça marche. C’est un phénomène physique assez fascinant.

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    Et tu as la Cash qui drive tout ça en fixant la foule d’un air mauvais. Certains croient même que c’est un mec, avec ses cheveux courts et ses bras de docker. Rien de féminin chez Cash. Elle est là pour rocker la Bretagne. Alors elle te la rocke de plein fouet. Elle coule son corps dans le groove des Last Drinks. Le deuxième soir, Cash Savage se produit sur la grande scène. Et ça marche encore mieux. La foule les adore. Binic’s burning ! Les revoir une troisième fois ne pose aucun problème, d’autant qu’ils mettent un point d’honneur à proposer des sets différents. L’ambiance reste la même, les deux guitaristes cavalent dans la pampa, la rythmique-turbo-compresseur propulse tout ça entre tes reins et la petite violoniste superstar mène la gigue du rock-aligot, ça prend des proportions faramineuses, ils grimpent au sommet du lard fumant, comme s’ils étaient ivres de popularité. Cash Savage allume la gueule du Folk Blues Festival qui adore ça.    

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             Mais ce n’est pas fini. Jacques a entendu dire qu’il existait un book sur Cash au merch. Alors on s’y rend. Effectivement, ça se passe au fond d’un merch noir de monde. Il faut jouer des coudes pour s’y rendre. L’auteur propose quelques exemplaires d’un petit polar intitulé Dans Les Yeux De Cash Savage. Barbu, petit, Xavier Le Roux est en plus très sympathique. Il se fend de deux belles dédicaces pour les deux ex qu’on lui achète. Très belle dédicace : «Toi qui connaît la musique, on a dû te dire qu’elle adoucissait les mœurs. Vraiment ?». Il propose qu’on aille siffler une bière tous les trois le lendemain, mais on ne retrouvera pas sa trace. Dommage. Il reste le book. Il se lit d’un trait d’un seul. L’auteur réussit un petit coup de maître en situant l’intrigue à Binic, justement, et ce qu’il décrit correspond exactement à ce qui se passe quand on y séjourne et qu’on y fait la fête. La plage, l’alcool, la bonne ambiance et la musique. Le personnage principal s’appelle Niels, et il flashe sur Cash Savage qui se produit sur la grande scène, la Banche. Il s’approche de Cash pour la voir de plus près et retrouve dans son regard celui de sa sœur Paule disparue dans d’étranges circonstances 20 ans plus tôt. Le Roux parle en fait très peu de Cash Savage. Juste deux petites allusions. C’est un polar, pas un rock book. Niels mène l’enquête. Il veut savoir ce qui est arrivé à sa frangine 20 ans plus tôt, chez les punks de Saint-Brieuc. L’ambiance du polar est très punks à chiens, la bande son aussi. Le Roux écoute essentiellement du punk-rock. On n’apprendra rien de particulier sur Cash Savage. Peut-être n’y a-t-il rien de particulier à apprendre. Contentons-nous des concerts et des disks encore disponibles.

             Le dimanche, on cassait la graine sur le port et qui qu’on voit arriver ? Cash Savage. Alors on lui court après, on la rattrape et on la voit de près. Très beau regard. Fascinant personnage. Elle dédicace le book de Jacques. Moment extrêmement émouvant.

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             Le dernier album de Cash Savage & The Last Drinks s’appelle So This Is Love. Le graphiste a essayé de faire du faux enfantin pour décorer la pochette. Bon enfin bref, on ne va pas épiloguer sur le faux enfantin. Par contre, on va pouvoir épiloguer sur deux sacrés coups de génie : «Push» et «Keep Working At Your Job». C’est un peu comme à Binic, le premier coup, on se force un peu, et le troisième coup, on commence à adorer. Parce que c’est à Binic ? En tous les cas, le «Push» est wild as Cash, elle est dessus, avec une réelle compassion pour la désaille, elle te plonge son Push de Cash dans la bassine d’huile bouillante et en ressort un beignet d’une grandeur marmoréenne, c’est-à-dire démesurée - I’m not feeling too hot today ! Push ! - Elle pousse son Push à la roue. Les Last Drinks tapent dans un registre différent avec «Keep Working At Your Job». Il n’y a rien d’australien dans ce rock, ils se montrent très ambitieux, avec un côté anglais, très têtu. Mid-tempo hypnotique, très combinatoire, capable de conquérir des empires. C’est le genre de cut qu’on réécoute dans la foulée. Cette façon de poser les accords est très anglaise, très get it, très control, c’est chanté de biais, avec des notes frelatées introduites dans la vulve, ça s’envenime, I’m doing my best, ça éclate comme un fruit trop mûr, et là ils raccrochent les wagons et ça prend une tournure à la Méricourt du keep working at his job, il y a des nappes de crème anglaise et du heavy dub de dumb. Le cut percute. L’autre grosse surprise de l’album est un clin d’œil au Velvet : «Everyday Is The Same». Elle enflamme tous ses cuts avec entrain, et cette façon de poser les choses est très Velvet. Avec «So This Is Love», elle joue sur les effets. Ça met du temps à monter et ça monte au pulsatif, les Last Drinks sont les maîtres du pulsatif d’Ararat, rien ne peut entraver leur ascension, la Cash vise le summum du sommet, dans une fantastique clameur d’Elseneur. Tous ces musiciens ne sont pas là pour rien. Et comme le montre «Hold On», on voit tout de suite qu’elle sait descendre dans l’arène. Elle a vraiment un truc. Elle est précise et killeuse. Une vraie Russell Crowe. Elle transforme le big Cash System en fonds de commerce. Globalement, Cash Savage se confronte avec ses cuts. Elle y va et elle est bonne. Son heavy boogie ne laisse jamais indifférent. 

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             On se doutait qu’ils avaient un truc sur scène. Figure-toi que sur Good Citizen, Cash et ses amis ont un «Pack Animals» qui sonne comme un vieux cut des Modern Lovers, rien que ça. Voilà pourquoi ça marche sur scène, il suffit d’avoir les bonnes références. Ce Pack Animal est du pur hypno Velvet, via Pablo Picasso. En plein dedans ! - I’m not being too sensitive - pur Modern Lovers de dot dot dot exploiting me. Elle t’explose ça au everything gonna be right. On se souviendra de son not being too sensitive. L’autre point fort de l’album est l’«Human I Am» d’ouverture de bal. Elle y ramène toute sa morgue de docker. Ça manque de crin-crin mais que de son ! Par contre, la violoniste amène des relents de Velvet dans «Sunday», mais juste des relents, faut pas exagérer. Et Cash repart vite à l’assaut avec «Found You», c’est du gros Last Drinking. Des fois, elle fait un peu mal aux oreilles. Elle tente encore de faire du lard avec «Kings», elle rentre dans le chou du cut avec un voix vibrante et pleine d’avenir, et ça se noie dans de fabuleux éclats de poux. On croit entendre une dérive mal assurée. Elle chante au heavy glissando, devient vaguement maniérée et tape sans le vouloir dans une sorte d’extrême décadentisme. Elle termine cette belle affaire en nous prévenant : the collapse is coming. Elle fait son job, la petite Cash et se barre dans un beau délire de she don’t be afraid/ Dont be afraid of the violence.  

    Signé : Cazengler, coche sauvage

    Cash Savage & The Last Drinks. Binic Folk Blues Festival (22). 28/29/30 juillet 2023

    Cash Savage & The Last Drinks. Good Citizen. Milstetone 2018

    Cash Savage & The Last Drinks. So This Is Love. Glitterhouse Records 2023

    Xavier Le Roux. Dans Les yeux De CashSavage. La Geste 2022

     

     

    Inside the goldmine –

    Hicks Hicks Hourrah !

     

             Nix ne payait pas de mine. Le cheveu rare, le visage mal dessiné, la barbe mangée aux mites, des lunettes de pauvre rafistolées avec du sparadrap rose et un peu sale, il semblait collectionner toutes les avanies physiologiques. Pour un mec qui sortait tout juste de l’adolescence, il offrait le spectacle d’une désolation précoce. Sa maigreur n’arrangeait rien. Il était même déjà légèrement voûté. Il offrait toutes les apparences d’une proie idéale. Il incarnait parfaitement le souffre-douleur tel qu’il a existé dans toutes les écoles, dans toutes les colos, dans tous les collèges et certainement dans toutes les casernes. Quand les vannes commençaient à pleuvoir, Nix était le premier à se marrer. C’était l’occasion pour nous d’apercevoir ses dents pourries. On aurait dit qu’il en faisait exprès d’avoir tout faux. Et il rigolait de bon cœur. Même quand on le traitait de face de cul. Il attendait juste la suite. Il savait qu’après les mots venaient les gestes. La petite bourrade d’épaule, le petit coup de pied au cul. Il connaissait tout ça par cœur. Il alla s’asseoir au soleil sur un banc et posa son sac près de lui. Il en sortit une cannette de bière qu’il décapsula avec ses dernières dents, puis un paquet de tabac gris et un carnet de feuilles. Il commença à rouler sa clope. Il mit un temps infini à la rouler, il la voulait parfaite, il en tortilla l’extrémité avant de la coincer entre ses lèvres. Avant qu’il n’ait eu le temps de sortir son briquet, l’un des houspilleurs s’approcha et lui demanda s’il voulait du feu. Il avança la main et d’une pichenette, il délogea la clope des lèvres de Nix. Éclat de rire général ! Ah qu’il est con ce Nix ! Ah la tâche ! Alors Nix se leva, il retroussa les manches de son gros pull marin. Les rires cessèrent immédiatement. Nix portait sur chaque avant-bras un énorme tatouage. Celui qui couvrait son avant-bras gauche figurait un calvaire, semblable à ceux qu’on voit aux carrefours des routes, dans les campagnes. Autour du calvaire dansaient des crânes horribles et des inscriptions en caractères gothiques. Celui de l’avant-bras droit figurait un immense poignard. Deux serpents s’enlaçaient autour de la lame. Leurs yeux et le manche du poignard étaient colorés en rouge. Avant que les houspilleurs n’aient eu le temps de revenir de leur surprise, Nix leur était tombé dessus. Il commença par en choper un par le col et le frappa dix fois au visage, puis il lui brisa des os. Crack ! Crack ! Il en chopa un deuxième puis un troisième. Tout ça en un éclair ! Les autres s’enfuirent, terrorisés. Nix aurait pu défoncer la porte d’un coffre-fort d’un seul coup de poing. C’est à l’école de la vie qu’on apprend à ne pas se fier aux apparences.  

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             Nix ne paye pas de mine ? Il n’est pas le seul dans ce cas. Joe Hicks ne paye pas de mine non plus. Hicks a des faux airs de rasta et au dos de la pochette de son seul album, on le retrouve assis sous une véranda, avec, semble-t-il, des chaussettes bleues trouées. C’est tout ce qu’on a :  la pochette de cet album. On ne trouvera rien d’autre sur Joe Hicks. Il faut donc se contenter de ce portrait mal éclairé. Mais comme dans le cas de Nix, ce serait commettre une grave erreur que de ne pas prendre Joe Hicks au sérieux.

             Comment croise-t-on la piste de Joe Hicks ? Dans les parages de Sly Stone. Joe Hicks a enregistré un single sur l’éphémère label de Sly Stone, Sun Flower («Life & Death In G&A»), une petite merveille qu’on retrouve d’ailleurs sur l’une des compile qu’Ace consacre à l’early Sly, Listen To The Voices (Sly Stone In The Studio 1965-70), une sorte de passage obligé pour tout amateur de wizards et de true stars. C’est à l’aune de ces compiles qu’on mesure les hauteurs totémiques. On trouve aussi sur cette compile deux autres cuts de Joe Hicks, «I’m Going Home» et «Home Sweet Home».

             Aucun de ces trois cuts produits par Sly Stone ne figure sur le seul album de Joe Hicks, Mighty Joe Hicks, sorti en 1973 sur un sous-label de Stax, Enterprise. Les albums d’Isaac Hayes sont aussi parus Enterprise.

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             Quand on écoute Mighty Joe Hicks, on regrette qu’il n’y ait eu qu’un seul album, car l’Hicks vaut sacrément le déplacement. Dès «The Team», tu tombes sur une énormité rampante. Stax sound, bien sûr, mais on sent l’énorme influence de Sly. Hicks est une bête de Gévaudan. Planquez-vous ! Il tape ensuite «Nobody Knows You When You’re Down And Out» au heavy blues classique mais il sort un beau chat perché bien gras, et il n’hésite pas à pousser le bouchon. On sent chez une lui fantastique liberté d’expression. «Train Of Thought» sonne presque comme un hit, logique car co-écrit par Hicks et Freddy Stone. Jusqu’au bout de son balda, Hicks fait corps avec sa matière, il rentre dans le chou de l’interprétation, il s’en empare pour l’enrichir. Il chante au cœur de lion. En B, il s’en va bouffer le slow blues d’«Allin» tout cru, up and down, il groove exactement comme Stephen Stills dans «Season Of The Witch», même génie interprétatif. Le guitariste s’appelle Ken Khristian. Puis il chante «Water Water» en suspension et clôt l’affaire avec un «Ruby Dream» frelaté aux relents de reggae, ce qui paraît logique vu que Bob Marley et lui se ressemblent comme deux gouttes d’eau.  

    Signé : Cazengler, gros hic

    Joe Hicks. Mighty Joe Hicks. Enterprise 1973

     

    *

    Thumos nous semble un des groupes de post-métal les plus intéressants, une musique forte, une vision intellectuelle du monde, une démarche difficile et osée. Tout pour nous plaire. Voici les deux EP qu’ils ont sortis cet été.

    TYRANTS AT THE FORUM

    THUMOS / SPACESEER

    ( K7 / Bandcamp / 4 Juillet 2023 )

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    La pochette est sans appel. Une photo du forum romain des restes de la basilique Julia. Pour la petite histoire une basilique romaine n’était pas un bâtiment religieux. Ce sont les chrétiens en quête de lieux assez larges pour accueillir une vaste foule venue assister à la messe qui à la fin de l’Empire squattèrent ce genre d’édifice qui offrait de grandes salles dévolues à plusieurs types d’activités, très souvent c’est-là où se déroulaient les procès. La colonnade de la basilique Julia se retrouve dans les guides touristiques vantant la beauté de Rome. Ici c’est un peu raté, la photographie, largement sous-exposée, aux tons quasi-cadavériques, présente un aspect peu engageant.

    Le titre est sans équivoque. Les tyrans gouvernent la cité. Les noms se pressent à nos lèvres, Marius, Sylla, César, Caligula, Commode… Dénoncer les despotes disparus depuis plus de deux mille ans ne mange pas de pain, un passe-temps sans danger, il est des symboles qui ne trompent pas, ce n’est pas un hasard si Tyrants at the forum est sorti le quatre juillet, jour de fête nationale de l’Indépendance Américaine, non les dictateurs ne siègent pas au Sénat Romain, ils résident à la Maison-Blanche. Thumos sort un EP politique.

    Ce n’est pas la première fois. N’avait-il pas déjà le quatre juillet 2022, voici à peine un an, grâce à la sortie de The Course of Empire initié à partir d’une série de tableaux de Thomas Cole une longue réflexion sur le destin des empires de leur naissance à leur écroulement… (Voir notre chronique 562 du 07 / 07 / 2022). Certes l’on pensait à Rome, l’iconographie nous y poussait, aussi un peu aux Etats-Unis car le passé n’a d’importance que par son influence sur le présent, toutefois le propos pouvait être pris sur un plan beaucoup plus général, comme une méditation philosophique sur l’inéluctabilité de la fin de toute chose en ce bas-monde… Mais cette fois les notes de pochette s’avèrent des plus explicites : le déclin des USA se précise, peut-être même se précipite-t-il, la Cour Suprême a défait ou promulgué des lois qui protégeaient minorités marginalisées (LGBTQ), classes sociales inférieures, femmes, personnes racisées… Les divisions sociétales s’accentuent, l’ensemble tient encore   mais pas pour très longtemps si l’on n’y remédie point…  

    The Course of Empire avait été réalisé avec l’aide de Spaceseer. Très naturellement ce disque qui s’inscrit dans la continuation de l’opus regroupe les mêmes participants, cette fois ils ne mêlent pas leur action, chacun bénéficie de deux plages de ce split d’un nouveau genre car il s’agit d’écrire à deux mains des chapitres qui ne n’expriment qu’une seule et même idée.

    Spaceseer : Pseudonomas : le lecteur qui aura lu notre introduction risque d’être surpris, nous lui avons promis un drame et la musique de Spaceseer n’est en rien dramatique. Ceux qui connaissent Spaceseer ou qui auront lu chronique que nous lui avons consacrée (livraison 538 du 29 / 09 / 2022) le seront moins. Spaceseer évoque des univers fabuleux, cette œuvre évoque un conte merveilleux empli de rebondissements qui se déroulerait dans un monde féérique et de songe… Soyons logique, ce morceau se situe avant la catastrophe en gestation avancée. Une musique fluide, légère, allègre qui donne envie de danser, d’exulter, des synthétiseurs coule une eau pure, cristalline, euphorisante, un peu comme la pluie germinative qui tomba sur Woodstock porteuse de promesses non pas de liberté mais de libération, qui indique que le champ des possibles est en train de s’ouvrir… elle semble se transformer en torrent sonore mais la musique glougloute, ne reste plus maintenant que l’eau qui coule, qui ruisselle, porteuse d’espoir encore, mais qui se disperse, s’amenuise, se subdivise en minces filets invisibles, ils disparaissent goutte à goutte… absorbés par le sable de la réalité. Le rêve est terminé, éteint, mort.  Un conseil mettez le son très fort afin que vous puissiez entendre sur la fin les ultimes susurrements agoniques. Thumos : He spake thus : qui parle ? On s’en moque, d’autant plus que Thumos est un groupe instrumental, un tyran parle, ils disent tous la même chose, vous savez avant même qu’ils ouvrent la bouche. Les premières notes raviront ceux qui aiment les sagas grandioses et  les péplums tumultueux, cela vous a de la gueule, ça brille, vous vous calez dans votre fauteuil, vous voulez en prendre plein les oreilles, oui mais ça ne se passe pas comme vous le désirez, peu d’action, le rythme s’appesantit, c’est lourd, c’est noir, le son s’éternise, la batterie vous assomme avec la grâce d’un troupeau de pachydermes claudicants, refusent de disparaître, prennent un malin plaisir à tourner en rond autour de vous, vous comprenez que vous subissez les affres d’un ennui mortel, il tombe sur vous telle une chappe de plomb, mais vous ne saurez tenter de vous échapper, une grande menace plane sur vous et vous oblige à rester aux aguets, à vous méfier, à craindre, est-ce enfin la fin ce rebondissement et ce tintamarre qui vous strie les oreilles, silence, non le son revient, il tinte comme une berceuse funèbre, une nuit nauséeuse vous recouvre lentement. La structure finale de He spake thus est parallèle à celle de Pseudonomas, à une différence près : Spaceseer vous abandonne tout nu au milieu du désert, Thumos vous englue dans un cercueil de goudron. Thumos : Sophrosyne : une guitare davantage onctueuse, point du tout poisseuse, traversée de lumière mais des notes plus fortes viennent s’y greffer, pas destructrices, mais titillantes, inquiétantes, des éclairs, attention ils sont le signe de la foudre dévastatrice, avancez pas à pas, la sagesse n’est pas un acquis sous les lauriers de laquelle vous reposez, elle est une recherche, elle est une quête, une prudente avancée, danger les chausse-trappes et les coups tordus sont partout, surtout en vous-même,  la paix de l’esprit n’est pas pour vous, le voile de la vérité ne se nomme-t-il pas l’erreur,  vous ne triompherez de la grand menace incapacitante qui vous emprisonne que si vous parvenez à discerner ses faiblesses et à entrevoir la manière de la vaincre. N’espérez rien, contentez-vous de vous battre. La fin ressemble aux précédentes. La coupure n’est pas franche. L’entaille saigne. Vous n’êtes pas encore sorti de l’auberge. Ni de la caverne. Dans laquelle votre intelligence est engluée. Spaceseer : Hericium Hephaestus : Le titre peut paraître énigmatique. Il existe un ordre de champignons nommés Hericium. Au mois de janvier de cette année Spaceseer a sorti un opus dont la belle couve de Christopher Robert Andreasen représente un Héricium Crinière de Lion. Cet album numérique s’inscrit dans une suite dont les titres et les couves ne sont pas sans évoquer le monde des champignons : Pleurotos Djamora ( Pink Oyster Mushroom ), Pleurotos Ostreatos ( Blue Oyster Mushroom ), rajoutons Basileus Cerbensus, ces quatre albums content une étrange histoire, celle de deux peuples qui vivent en paix, mais cette entente osmosique résistera-t-elle au développement des mystérieux Colosses… le lecteur cartésien jugera ce récit un tantinet étrange, qu’il se souvienne des hallucinatoires vertus des champignons et qu’il se rende compte que ce conte cramoisi n’est pas sans rapport avec le thème de la désintégration des empires qui nous préoccupe.  A ma connaissance il n’existe pas dans le genre des Hericiaceae un Hericium Hephaestus. De même rien dans les légendes mythologiques consacrés à Héphaïstos ne me semble entretenir un rapport quelconque avec le monde des champignons. Puisque Hericium vient du latin hericius qui signifie qui porte des piquants, voir les formes des champignons qui appartiennent à cet ordre, notre Héphaïstos hérissé nous apparaîtra comme un Dieu contrefait d’autant plus redoutable qu’hérissé de pointes de feu. Intro hélicoïdale, grondements, souffles, un vent capable d’araser la terre, de balayer tout ce qui vit, tout ce qui existe, infiniment inextinguible, par en dessous peut-être une espèce d’écho indéfinissable, un moteur de désarticulation du monde agrémenté d’un sifflement si insidieux qu’il refuse de vous crisser les oreilles, un chaos sonore qui ne fait que passer, l’idée que vous ne pourrez rien bâtir sur cette base mouvante, elle semble maintenant si loin que le son faiblit, qu’elle vous a oublié, qu’elle ne se préoccupe pas de vous, une nuée d’orage, un aquilon insatiable qui vous a dédaigné, qui vous abandonne, qui vous laisse seul, terrible comme vous n’êtes qu’un grain de poussière pour des éléments déchaînés, si Héphaïstos est un habile artisan, la philosophie à coups de marteaux de Nietzsche n’en est pas moins redoutable. Ce n’est pas les dieux qui sont morts, c’est l’Empire qui a disparu emporté dans un tourbillon, identique à la tornade qui emmène Dorothy Gale au pays irréel du Magicien d’Oz. La musique s’arrête pour ne pas continuer indéfiniment. Ce morceau est bâti comme une traîne de queue de comète, à la manière de la coda des trois titres précédents. Des points de suspension qui laissent ouvert le domaine du possible…

    Notre interprétation est des plus pessimistes. Il n’est pas sûr que Thumos et Spaceseer partagent notre analyse. Les américains ne sont-ils pas un peuple fondamentalement optimiste.

     

    MUSICA UNIVERSALIS

    THUMOS

    Initiales grecques du prénom ou du nom des membres de Thumos : Δ ( delta) / Z ( zéta ) / M ( Mu) / Θ ( Théta).

    Quelle pochette disharmonieuse, qu’est-ce que cette cuvette de WC, quelle horreur, ne cédons pas à notre première répulsion, bien sûr tout le monde connaît ce truc innommable, ni plus ni moins qu’une représentation de notre deux pièces-cuisines que nous habitons, comprenez l’univers. Thumos nous surprendra toujours, après un EP politique, en voici un autre que nous qualifierons d’essai métaphysico-scientifico-musical. N’ont peur de rien, puisqu’ils se sont déjà attaqués (avec succès) à Platon pourquoi ne jetteraient-ils pas leur dévolu sur l’illustre astronome Johannes Kepler qui vécut à cheval sur les seizième et dix-septième siècles.

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    Attention il ne s’agit pas d’une biographie musicale, c’eût été facile, ce pauvre gamin rachitique peu aimé de ses parents, qui prétend devenir astronome alors que ses pauvres yeux ne voient pas très bien, c’était le succès assuré, pathétique bio musicale d’un handicapé persévérant qui réussit ce que les autres n’ont même pas pensé à faire, un sujet porteur comme l’on dit dans les rédactions,  non ils ont préféré se pencher sur la pensée de Kepler, ce n’est pas qu’elle n’est pas simple, c’est qu’elle est difficile. Rien que les illustrations de la pochette demandent de sérieuses connaissances pour prétendre la comprendre.  Thumos s’est seulement intéressé à seulement trois ouvrages de Kepler qui en a publié une quarantaine, oui mais les plus complexes.

    Mysterium cosmographycum : ( Le secret du monde, 1596: toute science procède des avancées qui l’ont précédée. Pour Kepler son prédécesseur est encore aujourd’hui célèbre il s’agit de Copernic qui lui-même n’a fait que confirmer par des calculs que oui Galilée avait raison la Terre tourne autour du Soleil et n’est donc plus au centre du monde… Reste à expliciter comment les planètes tournent autour du Soleil. Car apparemment ça ne tourne pas rond ! Kepler réfute la représentation du monde donnée par Ptolémée (deuxième siècle AP JC) basée sur le fait que la Terre était au centre du monde. Dans Le secret du Monde il avance une explication fausse qui ne demande qu’à être affinée… Comment et pourquoi se fait-il que toutes les planètes ne tournent pas sur une même orbite. Kepler ira chercher la réponse dans le Timée de Platon. Vraisemblablement son dialogue le plus difficile. Platon a établi une échelle de supériorité entre les différents solides le meilleur étant celui qui se rapproche le plus de la sphère conçue comme la forme parfaite d’où la gradation suivante : cube, tétraède, dodécaèdre, isocaèdre, octaèdre.

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    Ainsi s’explique l’image de la couverture que nous avons fort impertinemment décrit comme une cuvette de WC, chacun des polyèdres délimite les rapports de distances entre les orbes de deux planètes puisque ces polyèdres s’enchâssent les uns dans les autres. Ce qu’il faut retenir de cette sommaire présentation c’est que l’univers n’est pas soumis au hasard mais répond à des lois géométriques et arithmétiques. Son organisation est la preuve de la grandeur de Dieu… pour la plus grande gloire de l’Eglise catholique. A moins que vous n’y voyiez une preuve du génie de l’Homme capable d’ordonner mentalement l’univers. L’impression d’une équipe de constructeurs au travail, la batterie a ce mouvement incessant de charpentiers qui ne cessent une seconde de taper en cadence, avec derrière une onde majestueuse de recouvrement lent qui prend de plus en plus d’importance au fil du morceau, ruptures, un abattement qui ne dure que très peu de temps, et tout de suite s’établit un autre rythme, plus violent mais tout aussi ordonné, laissons-nous guider par l’image, l’on s’affaire à une étrange charpente, l’un après l’autre l’on s’attaque aux polyèdres de bois que l’on enchâsse dans le suivant, au fur et à mesure l’on tend la toile goudronnée de la voûte céleste que l’on a peinte par-dessus, évidemment ce n’est qu’une image qui représente le travail du cerveau humain qui fabrique et ajuste les concepts les uns aux autres, et exerce ainsi une mentale possession du monde. Musique un peu sèche, une espèce de taylorisme de neurones attelés à une tâche commune qui les obsède et les manipule. Astronomia nova : ( Astronomie nouvelle, 1609) : certes le monde est organisé et chaque planète possède son orbite mais cde quelle manièr au juste. Comment se fait-il qu’à l’observation les planètes semblent ne pas tourner totalement rondement autour du soleil. J’espère que vous êtes plus fort que moi en math pour comprendre comment Kepler formule sa première loi qui démontre que les planètes ne tournent pas en rond autour du Soleil mais qu’elles établissent leur rotation selon une trajectoire elliptique. L’en formule une deuxième : il prouve la régularité de ce mouvement elliptique. Non seulement ce n’est pas le hasard qui commande l’univers mais l’on peut désormais savoir et prévoir tout phénomène observable. Et même inobservable. Gazouillement printanier, qui n’est pas sans rappeler la Vita Nova de Dante, rythme allège, roulement incessant de battements, l’on a peine le temps de saisir l’allégresse triomphale de ce morceau qu’il est terminé, à peine plus d’une minute, pourquoi en rajouter, est-ce la peine, l’Homme grâce à son cerveau s’est donné les outils qui lui permettront de prendre mesure sur l’Univers. Harmonices mundi : ( Harmonie du Monde, 1619 ) : dans cet ouvrage Kepler expose sa troisième loi qui permet de comprendre pourquoi et comment les planètes ne tournent pas à la même vitesse. Pour lui ce n’est pas l’essentiel de son traité qui selon lui réside en cette constatation qu’il existe des similitudes entre ces calculs mathématiques et les lois de la musique. Il ne fait que reprendre le vieux concept de la musique des sphères établie par Pythagore selon lequel il existe une corrélation harmonique entre les intervalles qui séparent les planètes et l’intervalle de silence qui sépare les notes de musique. La silencieuse musique du cosmos que l’on n’entend pas, mais dont le sage est capable d’observer la partition en train de s’écrire dans le ciel, produite par le mouvement des planètes peut être nommée harmonie du monde. Ce concept d’harmonie du monde ne peut pas laisser insensible des musiciens. D’autant plus Thumos dont la musique instrumentale s’efforce de traduire et d’exprimer des pensées abstraites. Mais un tel projet demande un surpassement. Avec ce morceau Thumos nous donne la première véritable symphonie métallifère. Les impressions sont à leur maximum, il semble qu’il est impossible d’ajouter une seule note à ce morceau, tout l’espace sonore est occupée. C’est d’autant plus remarquable que nous sommes dans une espèce de connivence avec la musique spartiate de Mysterium Cosmosgraphycum. Seulement la sécheresse est ici remplacée par une profusion irrémédiable. Ce morceau a toutes les chances d’être écouté par les groupes qui voudront aller de l’avant. Anima Mundi : ce quatrième morceau ne se trouve pas sur l’EP présenté sur Bandcamp, il s’inscrit dans la suite logique de l’opus,  le concept d’âme du monde provient du Timée ( il n’y a pas de hasard ) pour employer un concept davantage moderne nous dirons que l’âme du monde est pour employer une notion chère à Gino Sandri l’égrégore, la force vitale dégagée par l’ensemble des éléments du monde réunis en une espèce de puissance agissante, indépendante du monde dont elle est l’émanation substantielle qui agit sur ce monde même. Fille du monde l’âme du monde est plus forte que le monde, Thumos se doit en quelque sorte obligé de surpasser l’occupation totalitaire de l’espace sonore exercé dans Harmonices Mundi. Imaginez un coureur qui vient de courir les cent mètres en zéro seconde et qui doit courir encore plus vite pour battre ce record insurpassable. Anima Mundi reprend la même amplitude sonore que Harmonices Mundi, mais il ménage dans l’intumescence maximale du flot sonore de brèves ruptures qui peuvent passer pour inaudibles. Ils donnent même au tout début l’impression de vouloir frapper plus fort, mais la problématique n’est pas là : si l’âme du monde est davantage que la totalité du monde, elle ne pourra être signifiée que par son absence, en d’autres termes il leur faut orchestrer la fin du morceau. Exercer sa décroissance, tout comme notre coureur se doit de courir en moins de zéro seconde, de sortir du temps pour battre son record. La gageure consiste maintenant à sortir de la totalité musicale en organisant une lente dégradation. Musique fragmentale qui prône la dissociation de la totalité. Peut-être l’équivalent de la dyade cette notion qui permettait à Platon de passer du Un au Deux. D’ouvrir les chemins du Multiple.

             Thumos vient de créer la musique metalphysique.

    Damie Chad.

     

    *

    Pire que le chat de Shrödringer qui peut être et ne pas être, une variante d’Hamlet que Shakespeare n’avait pas imaginé, celui-ci est bien vivant, il est vrai qu’il est anglais et que depuis les aventures d’Alice nous avons appris qu’il faut se méfier des britanniques matous, l’est apparu depuis près de trois ans, à première vue il semble inoffensif, ne cédez pas à la tentation de le caresser, un véritable réacteur nucléaire ambulant, l’irradiation des neurones que son miaulement provoque est irréversible.

    LIVE AT HOHM

    X RAY CAT TRIO

    ( Numérique Bandcamp / Vidéos YT  / Août 2023 )lou reed,daniel romano,lester chambers,joe hiks,thumos,spaseer,xray cat trio,rockambolesques

    Lied : Attention c’est du spartiate. Un studio, une prise, enregistrement direct sur K7, guitare + chant, basse, batterie. Filmé pour YT. Le trio du chat irradié ne donne pas pour cela dans le minimum syndical, vous les classerez en zone rouge entre garage et rockabilly, question lyrics ils aggravent leur cas, ne donnent pas dans le romantisme, ‘’quand je t’ai dit que je t’aimais j’ai menti’’, c’est le démenti éternel, carré, d’équerre, droit dans ses bottes. OK, la Gretch d’El Nico vous vlangue à la figure, une petite frappe, c’est Ric Howlin, ne perd pas son temps à faire des moulinets, frappe dur et sec, vous êtes déjà grimpé en haut des rideaux, c’est là que l’appartement se met à tanguer salement comme un bateau un jour de tempête, vous identifiez le fautif, Adam Richards, planté comme un if dans un cimetière il porte si haut le manche de sa basse sur son cœur que vous lui ouvrez illico les portes de l’enfer, de lui s’échappent de monstrueux rouleaux qui vous désossent la colonne vertébrale, sous sa moustache gauloise El Nico ne mâchonne pas son vocal, vous faudra réécouter le morceau plusieurs fois pour saisir toutes les subtilités soniques qu’ils vous assènent si rapidement que vous n’y voyez rien, heureusement que vos oreilles ont d’instinct reconnu que la bête malfaisante est aussi fascinante.  Sir Gawan and the Green Knight : aussi fort et violent que le précédent, mais changement d’ambiance. Un instrumental, notre chat triolique fut d’abord renommé pour être un groupe de surf, oui mais ce n’est pas une mince planche de polyuréthane qu’ils font glisser sur les vagues mais un char d’assaut qui crache du feu, lourd comme un cachalot et agile comme un dauphin, Nico a la dalle il vous bouffe Dick Dale tout cru, essayer aussi de choper la mince mimique de satisfaction d’Howlin lorsqu’il réalise sa rupture rythmique en catimini, pas vu pas pris, le pickpocket qui vient de vous chouraver votre portefeuille et qui vous sourit just for fun. Si vous avez déjà lu les aventures de Gauvain et du chevalier vert, dites-vous bien que cette version d’estoc et de taille est d’un vert particulièrement foncé. Morticia : Changement de braquet pour Adam Richards, jusqu’ à lors sa Big Mama était le seul objet du décor, mais rockabilly oblige ! Ne pas confondre avec Rawkabilly.  Ça sautille gentiment, c’est plus poppy que tout ce qui précède, Morticia nous rappelle Peggy Sue et Buddy Holly. Ne pas se fier aux apparences. L’on chantonne les paroles sans y prendre garde, pas tout à fait une bluette, du désir d’amour au désir de mort phonétiquement il n’y a pas une grande distance, c’est tout doux et tout enjoué mais notre Morticia est una noticia funebra. Certains acides qui ne bouillonnent pas sont aussi dangereux que le cyanure, vous avez la mort à vos côtés sur la photo, imitez-la, souriez. En plus avec les espèces d’hoquets ratés terminaux, vous avez l’impression que X Ray Cat Trio vous avertit du mauvais tour qu’ils vous ont joué.

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     Get a long gang :  vous remettent les pendules à l’heure, après la chanson d’amour vicieuse ils s’adonnent à ce qu’ils préfèrent : la chanson de haine, du genre je ne vous l’envoie pas dire, le rythme sautille aussi mais bien plus lourdement, chaque fois qu’ils touchent un instrument ( relativement souvent ) vous recevez une gifle, l’Howlin vous roule sur les pieds sans ménagement et vous enroule si fort  dans ses loopings battériaux  que vous commencez à croire qu’il a envie de casser ses baguettes de bois sur votre dos, vous n’êtes pas contre, à rock sado, fan maso. My mistake : Une reprise des Kingsbees,  l’est des fautes que l’on revendique tout fort, El Nico s’en charge très bien, vous aboie en pleine figure, c’est que, attention dans la vie, parfois les choix sont cruciaux, vous n’allez peut-être pas le croire, trouver la chose irréalisable, mais ils ont jeté leur dévolu sur le rock’n’roll et comptent s’y tenir, n’ont eu besoin de personne pour apprendre, ne regrettent rien et s’en donnent à cœur joie, Adam tape sur sa big mama comme s’il était le dernier des hommes à pouvoir le faire, Les éclats riffiques d’El Nico vous éblouissent et quand il essaie de filer un solo de derrière les fagots Ric prend un sacré plaisir à y taper dessus pour l’aiguiser afin qu’il vous perfore l’âme que vous n’avez pas.

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    Mad man on the loose : deuxième reprise, il me semble que les Flat Duo Jets sont moins mythiques que les Kingsbees ils ont pourtant lancé la vague des groupes à deux musiciens qui subsiste encore de nos jours. Très belle manière de terminer un disque. Profitez-en bien, le morceau ne dure pas deux minutes, c’est envoyé à fond les manettes, un El Nico apocalyptique qui répète les deux courtes lignes du vocal comme s’il récitait à gorge déployée un mantra réservé aux seuls serial-killers, et l’instrumentation qui sonne à la manière d’une batucada épileptique. Tout, tout de suite. Si vous n’aimez ni la défonce ni la déjante, abstenez-vous ce morceau n’est pas pour vous. Votre capacité intellectuelle n’aura jamais la puissance nécessaire pour l’appréhender à sa juste valeur.

    Que voulez-vous, it’s only rock ‘n’ roll !

    But we like it !

    Damie Chad.

    C’est la dernière parution du X Ray Cat Trio, ils en ont commis d’autres sur lesquelles nous reviendrons. N’oubliez pas que dans la nuit du monde tous les chats irradiés sont rock…

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 38 ( Paf-Pif ) :

    199

    Le Chef a déclaré qu’il allait fumer un Coronado car il avait besoin de méditer sur les mystérieuses intrications de cette préoccupante affaire.

              _ Agent Chad suivez mon exemple, prenez vos cabotos et promenez-les dans les rues adjacentes. Ces bêtes sont exceptionnellement intelligentes, capables de trouver un chaton abandonné en plein Paris, fiez-vous à leur flair, je suis sûr qu’elles découvriront une piste avant vous !

    Question rues adjacentes le Chef s’était trompé sur toute la ligne, z’ont posé le museau sur le bitume et les bestioles ont filé tout droit à toute vitesse. J’avais un mal fou à les suivre, apparemment elles tenaient une piste alors j’ai cavalé après elles sans trop me poser de question. Brutalement les cabotos se sont arrêtés, se sont assis sur leur derrière et m’ont regardé d’un air attentionné. Les sens en éveil j’ai jeté un regard circonspect autour de moi. L’endroit était des plus banals. Voitures stationnées, trottoir rectilignes, immeubles sans attraits. Etonnamment Molossa et Molossito ne prêtaient aucune attention à ce qui se passait autour d’eux. Leurs yeux restaient fixés sur moi avec obstination. Le danger serait-il derrière moi, je me suis retourné : rien de notable !

             _ Quéquya ?

    Ils n’ont pas répondu, Molossito a posé ses deux pattes sur la poche droite de mon jeans, à l’instant j’ai ressenti la vibration de mon portable, non de Zeus le Chef avait trouvé le chaînon manquant qui permettrait de débrouiller le mystère !

              _ Dix minutes que je vous appelle et vous ne répondez pas !

              _ Euh ! Oui…

              _ C’est moi c’est Alice !

              _ Alice !

              _ Venez me voir, 10 rue Championnet !

    Elle avait déjà raccroché ! Je n’eus pas le temps de vérifier où se trouvait la rue Championnet, les cabots filaient ventre à terre. Ils galopèrent sur deux cents mètres, et s’arrêtèrent inopinément à un croisement, je levais les yeux sur une plaque : Rue Championnet. Les chiens refusèrent d’y poser la patte. Je m’aventurai seul !

    Numéro 10, Tout pour le Matou ! Alice m’attendait à l’entrée de l’animalerie :

              _ Papa m’a donné deux billets de cinquante euros pour que j’achète une panière pour Alicia, c’est le nom du chaton, qui est une fille !

              _ Alice ton papa est un chic type !

              _ Il était trop content !

              _ D’Alicia !

              _ Non, du coup de fil qu’il a reçu ce matin, j’ai tout entendu, c’était la police, ils disaient qu’ils avaient retrouvé le corps de la sœur de Maman et qu’ils le replaceraient dans la tombe à 14 heures. Mais ce n’est pas tout, j’ai aussi entendu parler les employés !

              _ Du cimetière !

              _ Mais non, vous ne comprenez rien, de l’animalerie, ils disaient que hier soir quelqu’un leur a volé un chaton, de la même couleur qu’Alicia, ce serait marrant que ce soit elle ! En tout cas, vous pourriez m’offrir un coca !

    200

    J’ai hélé un taxi pour renter au local le plus vite. Quand le chauffeur a vu les chiens il a refusé de les prendre. Pas de temps à perdre pour discutailler. Je lui envoyé une balle de rafalos dans la tête, je sais ce n’est pas une balle juste, c’est juste une balle, juste pour lui apprendre à vivre, son cadavre éjecté sur la chaussée j’ai rejoint en toute hâte le Chef.

              _ Etrange !

    Le Chef ne partageait pas mon enthousiasme, il alluma un Coronado, puis un deuxième :

              _ Agent Chad, je n’y crois guère, téléphonez à Carlos qu’il passe nous prendre, bien sûr nous monterons la garde, mais croyez-en mon flair cela ne me dit rien qui vaille !

    201

             _ Agent Chad vous restez en faction dans la voiture à l’entrée du cimetière, que les chiens soient tapis à vos pieds, ils sont trop reconnaissables, vous nous prévenez par téléphone si vous remarquez quelque chose d’intéressant. Il n’est pas encore midi, Carlos et moi nous approcherons de l’objectif sans nous faire remarquer.

    Carlos et le Chef étaient méconnaissables. Le noir de leurs chapeaux de feutre jurait avec la blancheur de leur barbe et de leurs favoris, avec leur manteau sombre et le modique bouquet de roses qu’ils serraient contre leur cœur, ces deux petits veufs à la mine inconsolable ne pouvaient qu’arracher un sourire de pitié à quiconque les croiserait. Un par un ils rentrèrent dans le Père Lachaise et pas très loin de la tombe d’Oecila, ils s’abîmèrent dans la contemplation d’une pierre tombale… les rares personnes qui passèrent près d’eux respectant leur chagrin baissèrent la voix pour ne pas rompre leur méditation.

    Il était près de treize heures lorsque je les bipai par trois fois. Le père D’Alice entrait dans le cimetière. Les ordres sont les ordres, mais des ordres ne sont-ils pas aussi désordre, je suis sorti de la voiture et l’ai suivi de loin. Il paraissait nerveux et n’arrêta pas de faire les cent pas devant la pierre d’Oecila. A partir de treize heures trente, il ne manqua pas toutes les cinq minutes de sortir sa montre et de vérifier l’heure… 

    202

    A quatorze heures, il ne se passa rien. Gabriel tournoyait sur lui-même, se tordait le cou au moindre bruit dans l’espoir d’apercevoir un corbillard s’approcher. Quinze heures trente. Toujours rien. Tout dans son attitude trahissait l’incertitude. A plusieurs reprises il avait sorti son téléphone et tenté de rentrer en communication, en vain, ses gestes de dépit et son énervement croissant traduisaient son exaspération.

    Je pensais être invisible tapi entre deux gros tombeaux, il y eut comme de furtifs glissements pas très loin de moi, mon poing se referma sur la crosse de mon Rafalos, quelque chose déboula en silence dans mes jambes, je faillis pousser un cri de surprise : Molossa et Molossito ! Mais le pire ce fut cette main qui se posa sur mon épaule :

              _ N’ayez pas peur, c’est moi Alicia, je leur ai ouvert la porte de la voiture pour vous retrouver !

              _ Alicia, ce n’est pas la place d’une petite fille !

              _ Je n’ai pas peur moi, c’est Papa qui a peur d’Oecila, j’y vais !

    Avant que j’aie pu la retenir et elle courut vers son père :

              _ Papa, Papa, je suis là ! Tu ne crains plus rien maintenant !

    Gabriel se retourna et la saisit vivement dans ses bras :

              _ N’aie pas peur Alicia, il ne se passera plus rien maintenant !

              _ Mais je n’ai pas peur Papa, Maman m’a tout expliqué !

    Il voulut répondre mais il resta abasourdi, du monde qui l’entourait, moi, le Chef, Carlos – ils avaient retrouvé leur apparence habituelle - plus les aboiements sonores de Molossa et Molossito !

              _ C’est super tout le monde  est là, il ne manque plus qu’Alicia, je vais la chercher je l’ai laissée dans la voiture de Damie, j’avais trop peur qu’elle se perde dans le cimetière !

             _ Non Alice, je ne veux pas que tu me quittes, tu restes avec moi !

             _ Mais Papa elle va s’ennuyer si elle reste trop longtemps toute seule, c’est encore un bébé chat !

    Psychologue averti le Chef qui était en train d’allumer un Coronado prit la bonne décision :

             _ Ne vous chamaillez pas, vous avez raison tous les deux, nous partons tous ensemble à la voiture, plus vite nous y serons plus vite tu retrouveras ta minette, et plus vite nous pourrons enfin parler de choses intéressantes avec ton père !

    Toute heureuse Alice gambadait à une quinzaine de mètres devant nous, elle fit un bond pour ouvrir une portière mais elle poussa un cri et revint toute tremblante se jeter dans mes bras en hurlant :

              _ Il y a quelqu’un dans la voiture, à la place du chauffeur !

    Nous nous précipitâmes, il n’y avait personne à l’exception d’Alicia qui dormait sur la lunette arrière.

    A suivre…

  • CHRONIQUES DE POURPRE 610 : KR'TNT 610 : LINDA LEWIS / REVEREND PEYTON / HOUND DOG TAYLOR / EHPAD / JEAN KNIGHT / CRASHBIRDS / ASHEN / EVIL'S DOGS / IN DER WELT / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 610

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    07 / 09 / 2023

     

    LINDA LEWIS / REVEREND PEYTON

    HOUND DOG TAYLOR / EHPAD / JEAN KNIGHT

    CRASHBIRDS / ASHEN

    EVIL’S DOGS / IN DER WELT

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Shakin’ with Linda

    - Part Two

     

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             On peut se contenter d’écouter Funky Bubbles, cette délicieuse box pleine à ras bord de Linda Lewis, ou, plus simplement, se contenter de caresser son souvenir, une attention qui se révèle idéale lorsqu’on est un peu pingre ou gêné aux entournures. Mais on peut aussi plonger dans le vaste lagon d’argent de sa discographie. Ce serait dommage de se priver d’un tel plaisir. Remember, my friend, life is short !

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             Au commencement était non pas le verbe, mais The Ferris Wheel, un mixed race group comme on savait si bien les fabriquer en Angleterre. Et contrairement à ce qu’on croit tous, ce n’est pas Linda Lewis qui chante sur le premier album de Ferris Wheel, mais Diane Ferraz. Can’t Break The Habit est un très bon Pye de 1967, lesté de deux belles énormités : «Something Good (Is Going To Happen To You)» et «Number One Guy». Avec Diane, tu peux jerker sans crainte, d’autant que le Something Good est un cut d’Isaac. Avec «Number One Guy», les Ferris font du Motown in London town. Côté covers, ça ne chôme pas : ils retentent le coup du Vanilla Fudge avec «You Keep Me Hanging On». Ils la jouent heavy, mais ce n’est pas aussi assommant. Par contre, la cover du «B-A-B-Y» de Carla est fantastique, ils n’ont pas vraiment de son, c’est Diane qui fait tout le boulot. Il faut aussi saluer le duo d’enfer qui illumine «It’s Been A Long Way Home», le mec pousse Diane au top de cette Soul pop d’entre deux mers. Ça sonne comme une tentative désespérée. On dirait qu’ils vont se noyer.

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             Diane Ferraz quitte les Ferris pour élever ses deux gosses. Marsha Hunt la remplace, mais pas longtemps, et c’est Linda Lewis qui entre en lice pour le deuxième album sans titre, un Polydot de 1970. Ce Ferris est nettement moins dense que le premier. Il est surtout un peu proggy, un peu folky folkah, on s’attend à un bel album de Soul anglaise et pouf, c’est raté. Les sauveurs d’album se planquent en B, à commencer par «I Know You Well», belle pop ponctuée par le chat perché de Linda. On a un peu de Soul rock avec «Sunday Times» - Sunday times is on my mind - mais c’est avec «The Ugly Duckings» qu’on se régale, Michael Snow l’attaque, des vents d’orgue magique hantent le cut, et Linda entre à la fin pour le porter aux nues, à la note perlée de lumière, c’est là qu’elle devient notre héroïne.

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             Elle démarre sa belle carrière solo avec Say No More, un Reprise de 1971. Linda fait partie des artistes qu’on suit, comme on dit, au même titre que Joni Mitchell ou Laura Nyro, parce qu’il se passe des choses extraordinaires sur chaque album. Et pas seulement au niveau de l’interprétation. Linda Lewis compose et gratte ses poux. C’est une artiste complète qu’on est ravi de fréquenter une vie entière. Il y a du beau monde sur cet album : Chris Spedding, et Louis Cenamo, un bassman qu’on retrouve dans Renaissance avec Keith Relf, dans Colosseum et Steamhammer. L’ingé son n’est autre que le fameux Ken Scott qui est derrière Ziggy et Hunky. Cenamo groove «Come Along People» en profondeur, et Linda chante «The Same Song» au fil d’or fin. Elle est éclatante de bonté divine, quasi-évangélique. Quant à Sped, il rentre dans l’eau douce d’«Hampstead Way» avec un gros riff agressif qui lui permet de jouer sur les contrastes. La perle noire de l’album se planque en B : «I Dunno», elle y fait le petit train d’all my love/ I’m gonna give you all my love. Elle s’y connaît en magie, la coquine. 

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             Bel album que ce Lark, un Reprise de 1972. On y trouve deux de ses hits, «It’s The Frame» et «Rock A Doodle Do». On s’effare de la pureté de son fil mélodique, elle chante son Frame à la nubilité absolue, accompagnée par un arpège de cristal. C’est avec son Doodle qu’elle attaque la B et tu vas la voir éclater le Doodle. Globalement, elle tape dans le groove exubérant. Cet album est enregistré chez Apple (celui des Beatles) et produit par Jim Cregan. Elle conduit son lard au feeling pur dans «Feeling Feeling» et redore le blason du groove avec «Old Smokey» - I was born east of Old Smokey - Sa voix est à l’image de ses intentions : pure. Elle s’en va gratter «Waterbaby» sous le boisseau, à l’aquatique, et elle termine avec l’excellent «Little Indians».            

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                  Elle attaque son Fathoms Deep au «Fathoms Deep», c’est-à-dire au filet de voix pop et ça bascule aussi sec dans le groove de jazz. Pure merveille ! Elle groove toujours merveilleusement, dans la joie et la bonne humeur. En B, elle tape un «Guffer» à la Nick Drake, avec une stand-up, et puis voilà encore un hit : «On The Stage», elle attaque en poussant un petit cri de plaisir et pouf, un bassmatic exubérant l’embarque pour Cythère. Ce cut respire une fois encore la joie de vivre, elle est si magnifique quand elle fait exploser de joie.      

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             Et voilà, les albums vont se succéder, année après année. En 1974, elle débarque sur Arista avec Not A Little Girl Anymore. Elle est très sexy sur la pochette, et comme le veut la loi de l’époque, elle fait un peu de diskö, mais sa diskö n’est pas vulgaire, au contraire, «It’s In His Kiss» sonne comme de la diskö lumineuse. D’ailleurs, elle attaque l’album en mode pop lumineuse avec «(Remember The Days Of) The Old Schoolyard», elle groove sa pop au funky breaking down. On ne se lasse plus de son petit chat perché, il est si pointu sur «Rock And Roller Coaster». Elle attaque sa B avec un joli coup de génie, «Love Where Are You Now», soft groove infectueux. Elle reste fabuleusement douce et douée, elle s’en va éclater son chat perché au Sénégal. Encore de la pop enchantée avec «I Do My Best To Impress». Cet Arista d’aristo nage dans le bonheur. Linda te transforme en ville conquise. Alors merci Linda.

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             Si tu veux la voir à poil, sors la pochette de Woman Overbooard. Elle a des seins magnifiques. Attention, l’album est en partie produit par Allen Toussaint, alors fini de rigoler. Le hit se planque au bout du balda : «Dreamer Of Dreams», l’élégance suprême d’Allen Toussaint. Linda tape aussi dans un cut de Van McCoy, «Come Back And Finish What You Started», le dancing cut des jours heureux, comme toujours avec Van the man. En B, Linda signe ce hit fabuleux, «My Love Is Here To Stay». Elle a un sens aigu de la beauté, elle est virtuose en la matière, elle flirte avec Broadway, avec une fantastique assise de fantastique artiste. Elle termine cet album impressionnant avec «So Many Mysteries To Find». Linda reste la reine du soft groove sucré. Ses cuts n’en finissent plus de capter l’attention. Elle va et elle vient entre les reins de l’or du Rhin.    

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             Diable comme elle est belle, et ce des deux côtés de la pochette d’Hacienda View, un Ariola de 1979. Musicalement, elle s’y montre superbe de petite fraîcheur. Bon, c’est vrai, ce n’est pas un album indispensable, mais on l’écoute parce que Linda se casse le cul à composer des cuts, alors on lui doit un minimum de respect. Et quand on respecte un artiste, on l’écoute. Elle fait un petit dancing strut d’I’m so alone/ oh mama/ I’m comin’ home dans «109 Jamaica Highway» et elle groove son jazz dans «My Aphrodisiac Is You». Elle revient à Broadway en B avec «It Seemed Like A Good Idea At The Time», elle en a les moyens et les épaules, et elle tape un hommage à Doc Pomus avec une version up-tempo de «Save The Last Dance For Me». Bien vu, Linda ! Elle garde tout le jus de Doc. Et puis voilà qu’elle illumine la nuit avec «Sleeping Like A Baby», mais elle l’illumine au sucre pur. Linda est une fantastique petite souris noire, fluide et fluette, espiègle et sexy.        

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            Tu vas tomber sur une belle cover de «Take Me For A Little While», si d’aventure tu t’aventures sur A Tear And A Smile, un bel Epic de 1983. Ce «Take Me For A Little While» de l’excellent Trade Martin fut un hit pour Jackie Ross en 1965, puis repris par Evie Sands, puis par le Vanilla Fudge. Linda le tape avec de faux accents de Supreme, c’est dire si ça sent bon le Motown Sound. Elle redevient une divertisseuse de choc avec «Why Can’t I Be The Other Woman» et finit cette belle B en mode slow groove avec «I Can’t Get Enough».     

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             Le Second Nature de 1995  pourrait bien être l’un de ses meilleurs albums. C’est là qu’on trouve «Do Ya Know Dino», elle entre dans le Dino darling au prix d’un sexy groove. Son «Love Inside» est une merveille d’exotica, elle se prend pour Astrud Gilberto, elle a quelque chose d’inexorable dans sa façon d’approcher le Brazil. Elle tape ensuite son «Sideway Shuffle» au r’n’b d’hey now now, elle l’éclate vite fait, elle monte chercher le Soul Sister Summit dans le groove, il fallait y penser. Elle fait du wild groove avec «What’s All That About», elle y revient par derrière, à la voix grave, se hausse sur la pointe des pieds et revient au sucre magique. Ah comme on se sent bien en compagnie de Linda. Elle pourrait être une petite fiancée. Ou la mère de  l’univers, ce qui revient au même. Elle enchaîne avec un «Soon Come» assez puissant, très innervé, très intériorisé, et le finit en bouquet explosif. Fabuleuse artiste ! Chaque cut sonne comme une délicieuse aventure. Elle chante encore «Born Performer» au rentre-dedans. Il faut aussi la voir gratter ses coups d’acou dans «For Love Sake», à moitié renversée dans le groove - For love sake/ He touches me - Elle irradie le bonheur, il faut la voir au dos gratter son acou. Quelle image ! Encore une petite merveille avec «Love Plateau» - Take me to the left/ Take me to the right/ Take me to love plateau - Real deal de Brazil.

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             Elle sort deux double-albums en 1996, Whatever et On The Stage - Live In Japan. C’est l’occasion pour elle comme pour nous de réviser les leçons. Surtout sur le Live In Japan, car elle tape dans tous ses vieux hits, «My Love Is Here To Stay» (un vrai festival), «Old Smokey» (un enchantement), «Do Ya Know Dino» (coup de génie, elle chante la perfection du sucre subliminal - Dino darling/ You’re so charming), «On The Stage» (son entrain est très contagieux, elle sucre son groove de calypso), «Love Inside» (elle va loin, aussi loin que Joni Mitchell) et «Funky Chicken», qu’elle gratte toute seule et qu’elle groove à la Bobbie Gentry.

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             Whatever est aussi un double qui grouille de puces, suivant le même mode opératoire : groove, sucre de chat perché et douce exotica. Linda propose une belle petite pop tropicale qu’elle saupoudre de swing. Elle remplit ses quatre faces de groove coconut et de vibes exotiques. En C, elle groove sa chique à l’exotica humide avec «Doin’ The Right Thing», et elle passe au funk léger avec «Mr. Respectable». Son «Reach For The Truth» est fabuleusement groovy, drivé par un bassmatic têtu comme une mule. Il faut la voir l’emmener au sommet, en mode gospel batch ! Elle orne sa D d’une version calypso d’«He’s A Diamond» et tient son rang jusqu’au bout avec «Don’t Come Cryin’». Superbe, attachante, magique, elle a toutes les qualités.

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             La meilleure façon de refermer la marche est certainement de rapatrier deux beaux albums panoramiques, Live In Old Smokey et Hampstead Days (The BBC Recordings). Les deux albums sont des espèces de must-be musters. Live, Linda semble plus pétillante. Elle entre dans «For Love’s Sake» et «I Don’t Do Don’t» au petit sucre de prédilection. Elle monte son lard au plus pointu du chat perché. Elle est superbe, resplendissante d’ahhh yeah. Elle ne dit jamais non dans «Don’t Do Don’t». Plus loin, elle attaque «I Keep A Wish» au fil magique. Elle semble sortir d’Alice Au Pays des Merveilles, elle est terrifiante de candeur candy, une vraie juvenile d’under the pillow. Elle passe au Brazil avec «Love Plateau», elle ramène l’exotica des îles - Take me to the love/ To the love plateau - Elle groove dans l’ass des îles et elle enchaîne avec une autre merveille, «Do Ya Know Dino», ce soft groove d’élégance suprême qu’elle chantait déjà au Japon. Linda est une virtuose de la glotte humide et rose. Elle a 55 balais quand elle enregistre cet album chez Ronnie Scott. Elle annonce «Rock A Doodle Do» - This is a song I wrote back in the seventies. That was a hit - Ça sonne toujours comme un hit. Puis elle gratte «Grandaddy’s Calypso», elle charge bien sa barque de sucre, et pour finir, elle s’en va rejoindre les reines de Broadway avec «Can’t Help Lovin’ That Man Of Mine». Elle le power de Lisa, elle pousse sa romance assez loin, elle finit par éclater sa noix à force de génie vocal et de man of mine

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             Hampstead Days (The BBC Recordings) est un album d’une rare intensité. On y retrouve ses super-hits, «It’s The Frame» et «Rock A Doodle Doo», avec un Doo qui cette fois prend deux o. Elle entre dans sa magie avec une réelle ingénuité. Elle incarne ce qui est indivisible, par exemple la beauté. «More Than A Fool» est une grosse compo, elle éclate la rondelle du Sénégal, elle monte dans l’upper-class. Avec «Red Light Ladies», elle t’éclaire la lanterne, elle te rafraîchit à coups de lay lay, elle est fantastique de chlorophylle, elle gratte ses poux à la dure, elle est dans le Love Supreme, comme Coltrane, et s’en va tortiller son chant là-haut sur les remparts de Varsovie. Linda est franchement irréelle de beauté. Elle peut faire le show toute seule, avec sa gratte. «What Are You Asking Me For» est l’une des raisons pour lesquelles il faut écouter Linda : l’artiste fraîche et géniale par excellence. Elle monte directement au chat perché. Elle dégage une énergie considérable, elle est clairvoyante et écœurante de spirit, elle est pire qu’Alexandre le Grand, elle te prend pour l’Anatolie et te conquiert sans te demander ton avis. Linda est l’une des artistes les plus fondamentales de son époque, elle couvre tous les territoires, rien que par sa virtuosité vocale. «Lark» illustre parfaitement ce postulat. Elle attaque son «Funky Chicken» à coups d’acou et passe au fast groove congénital avec «On The Stage». Elle le prend littéralement à la pointe fine. Elle revient au Brazil avec «Gladly Give My Hand», et se bat pied à pied avec «What Are You Asking Me For», comme elle l’a toujours fait. Tout est beau sur cet album. Elle développe son «Waterbaby» à coups de développements subliminaux. Elle traîne dans la voie lactée avec «Not A Little Girl Anymore», elle sonne comme une Soul Sister perdue dans le jazz, elle a le power du Love Supreme, elle honore le job de Soul Sister. Elle repart fraîche et rose avec «I Do My Best To Impress». Cut sophistiqué, mais sa fraîcheur de ton l’impose. Linda superstar annonce «Love Where Are You Now» au petit sucre. Ah il faut la voir gueuler son love. Elle est au-dessus des lois et des toits. Elle part en mode fast groove pour «The Cordon Blues» - It’s about you, eatin’, drinkin’ or mixin’up together - fast groove de jazz, mais à un point qui te dépasse, elle le pointe au chant comme le fait Ella Fitzgerald, elle a ces réflexes d’un autre temps, dans un environnement de surdoués du jazz, elle tient bien la rampe et te swingue le Cordon Blues à la Méricourt, c’est effarant de power. Elle présente ses musiciens. Les applaudissements te pètent les oreilles. Elle termine avec «It’s In His Kiss», un vieux diskö hit qui date de Not A Little Girl Anymore, mais cette fois, elle explose le dancing beat, elle te tape ça au fast r’n’b, elle court elle court la Méricourt, elle fait les Ronettes sous amphètes, si tu ne veux pas mourir idiot, écoute cette mouture du Kiss, Linda est possédée par les démons, elles pousse des cris d’orfraie, ça patauge dans la déréliction, dans une Berezina d’endives trop cuites, ça part en pointe d’apoplexie, tu ne verras jamais rien de plus explosif que Linda avec un pétard dans le cul.

    Signé : Cazengler, Linda Levice

    The Ferris Wheel. Can’t Break The Habit. Pye Records 1967 

    The Ferris Wheel. Ferris Wheel. Polydor 1970  

    Linda Lewis. Say No More. Reprise Records 1971  

    Linda Lewis. Lark. Reprise Records 1972                

    Linda Lewis. Fathoms Deep. Raft Records 1973    

    Linda Lewis. Not A Little Girl Anymore. Arista 1974 

    Linda Lewis. Woman Overboard. Arista 1977    

    Linda Lewis. Hacienda View. Ariola 1979                

    Linda Lewis. A Tear And A Smile. Epic 1983    

    Linda Lewis. Second Nature. Turpin Records 1995  

    Linda Lewis. Whatever. Sony 1996                                                  

    Linda Lewis. On The Stage. Live In Japan. Turpin Records 1996

    Linda Lewis. Live In Old Smokey. Market Square 2005

    Linda Lewis. Hampstead Days (The BBC Recordings). Troubadour 2014

     

    Peyton c’est du beyton - Part Two

     

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             On ne se lasse plus d’écouter le Reverend Peyton. Voilà encore quatre albums absolument déterminants, deux albums de hard punk-blues et deux superbes albums de pure Americana.

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             Attaquons si vous le voulez bien par les deux bombes atomiques, The Whole Fam Damnily et Between The Ditches. Pochette graphique pour le premier, pochette photo-symbole pour le deuxième. Alors boom et même badaboom dès «Can’t Pay The Bill». Ah t’as voulu voir The Whole Fam Damnily, alors tu vas voir Vesoul, dans l’Indiana, tu ne peux pas résister à ça, le Rev te déloge d’une seule rafale de hard punk blues, le Rev, c’est Victor le Nettoyeur dans Nikita, il te déblaye tout, il fait du so far-out à la voix de gras double et au stomp des forges. Il sait déclencher l’enfer sur la terre avec deux fois rien, un beat tribal et son prodigieux présentiel apocalyptique. Sa voix résonne comme un tremblement de terre. Écho terrible ! Dis-toi bien une chose : le Rev ne débande pas, tout l’album est sur le même ton, hot as hell. Il t’explose les frites de «Mama’s Fried Potatoes» vite fait. Le Rev est un acteur de la révolution. Il convole en justes noces avec l’apocalypse. Il n’existe pas de pire punk que le Rev. En plus, il te claque du bottleneck à tire-larigot. Et ça continue avec «Worn Out Shoes» qu’il allume à coups d’harp. Là tu as un héros. Un vrai. Quand tu entends «DT’s Or The Devil», tu comprends que le Rev est un punk dans l’âme, mais enraciné dans le real deal du hard blues. Tout est wild as fuck sur cet album, «Your Cousin’s On Cops» te tombe dessus à bras raccourcis, le Rev ponctue l’enfer, mesure après mesure, c’est un délire de rage permanent, il s’oublie et ça n’en finit plus de basculer dans le génie. Il s’oublie à volonté. Il fait de la fast Americanana avec «The Creeks Are All Bad», c’est battu à la diable. Le Rev est le Nabuchodonosor du punk-blues. «Them Old Days Are Gone» prouve encore son écrasante supériorité. Oh la puissance du démarrage et du gratté, il chante ça à pleine gueule. Son pouvoir est considérable. Il attaque tout de front, il ne craint ni la mort ni le diable. Nouveau coup de génie avec «What’s Mine Is Yours», il est encore pire que Bukka White. Cet album est un chef d’œuvre de wild Americana, l’un des plus beaux hommages à la culture primitive du peuple noir.

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             On reste dans le même esprit avec Between The Ditches. Il te sonne les cloches dès «Devils Look Like Angels», il est déjà grimpé au sommet du genre, il tape au cœur du heavy punk blues, au heavy stomp des bois, avec une voix qui te coupe la chique, il actionne son heavy trash tout seul, on entend vaguement Breezy gratter derrière, mais le Rev bouffe toute la devanture. Ici, il devient Gargantua. Même topo avec «Something For Nothing», il t’explose tout ça vite fait à coups de bottleneck. Le Rev est l’un des mecs les plus violents du punk-blues. Il sait couver sous la cendre, il sait faire le nègre qui va se révolter, il sait faire monter la pression, c’est son cœur de métier. Encore un coup de génie avec «Shake ‘Em Off Like Fleas», il amène ça à la Fred McDowwell, au wild craze de Como, pur genius, il reprend toute la Méricourt des blacks à son compte, il monte tout au pire niveau d’alerte rouge, mais pour comprendre ce qui se passe, il faut l’écouter, et certainement pas sur un téléphone. Ce mec a du son, alors il faut du son. Il tape encore «The Money Goes» au heavy punk-blues et aux coups d’harp. S’il est un mec qu’il faut croire sur parole, c’est bien le Rev. Il te combine là une bonne séance de transe. Il réussit à calmer le jeu histoire de mieux exploser. C’est un modèle du genre. Il ramène le pulsatif du fleuve dans «Broke Down Everywhere». C’est cavalé à outrance. Il fait carrément du wild as Rev, avec toute l’énergie de l’Americana. Avec «Big Blue Chevy», il sonne comme Creedence, c’est presque trop rock’n’roll. Il rend hommage à Fog le héros. Il a aussi ce pouvoir. C’est d’une hauteur de vue indescriptible. Il faut le voir gratter la cocote de Creedence ! Son «Shut The Screen» sonne comme l’Americana du diable. Te voilà renseigné. 

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             Avec Peyton On Patton, le Rev rend hommage à Charlie Patton. Donc, on se retrouve en pleine Americana, du côté de Dockery, dans les années vingt. Le rev a même glissé un 78 tours, en plus du LP, dans la pochette, c’est dire s’il fait bien les choses. Dès «Jesus Is A Dying Bed Maker», tu sais où tu te trouves : aux racines du blues, mais le Rev a du génie, il te modernise les roots avec le fantastique balancement du chant, il joue à deux notes avec des libellules de bottleneck. Et ça repart de plus belle avec «Some Of These Days I’ll Be Gone». En B, il fait une version banjo de «Some Of These Days I’ll Be Gone». Il claque ça d’une grosse voix d’Indiana. Tout est beau sur cet album, si on aime le blues primitif. Le Rev chante à la vraie voix, avec une gourmandise non feinte. On sent que chez lui le blues est quelque chose de purement spirituel. Avec «A Spoonful Blues», il opère une magnifique descente au barbu. Le Rev n’a pas son pareil.   

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             Avec The Gospel Album, le Rev tape au cœur de l’Americana, celle du grand peuple noir.  Il tape une version énorme d’«I Shall Not Be Moved», il invente pour l’occasion le gospel trash-punk, il te blaste littéralement le gospel batch. C’est à la fois spectaculaire et fait maison. L’autre coup de Jarnac est sa cover de «Rock Island Line». Il te l’explose. Ne lui confie jamais ton Rock Island Line. Il gratte «Amazin Grace» à l’hawaïenne sur sa National, et prend «Let Your Light Shine» au chat perché de gros barbu. Il fait encore une version demented de «Glory Glory Hallelujah». Pas de chœurs, rien que de l’huile de coude. C’est battu à la diable. Le mec au beurre est un bon. Il tagadate le beat, et le Rev te chante ça à la revoyure extravagante. Il faut aussi saluer le «Blow That Horn» d’ouverture de bal. Typical Rev des enfers, voix grave, beat tribal, ça sort du plus profond des Amériques. On croit entendre le beat du «Fast Line Rider» de Johnny Winter. Petite cerise sur le gâtö : le label a packagé l’album dans une jolie petite boîte en fer. Tu as donc au total un bel objet, avec un contenu en cohérence avec le contenant. 

    Signé : Cazengler, Révérend Péteux

    Reverend Peyton’s Big Damn Band. The Gospel Album. Family Owned Records 2006 

    Reverend Peyton’s Big Damn Band. The Whole Fam Damnily. SideOne Dummy Records 2007

    Reverend Peyton’s Big Damn Band. Peyton On Patton. SideOne Dummy Records 2011

    Reverend Pyeton’s Big Damn Band. Between The Ditches. SideOne Dummy Records 2012

     

    Wizards & True Stars –

    My Hound Dog Taylor is rich

     

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             Sans Hound Dog Taylor, pas de Gories, pas d’Oblivians, pas de Cheater Slicks, pas de JSBX, pas de rien. C’est lui, Hound Dog, qui invente la formule gratte/gratte/beurre, le raw du raunch, le punk-blues - ferocious blues rock played on cheap guitars - Avec Goodnight Boogie - A Tale Of Guns Wolves & The Blues Of Hound Dog Taylor, Matt Rogers rend hommage à ce blackos qui avant d’inventer le power-trio à deux grattes, réussit l’exploit d’échapper aux cagoulards du Ku Klux Klan. Ça s’est passé dans le Mississippi, l’état le plus raciste d’Amérique, avec l’Alabama.

             Quand il a vu le jour en 1915, à Natchez, Mississippi, Hound Dog Taylor avait six doigts à chaque main. Sa mère passait son temps à recompter. Six et six ! Shit ! Ce genre de malformation est répertoriée, comme le sont les double bites ou les double têtes. Forcément, ça attire la curiosité. Tout le monde allait voir Hound Dog Taylor sur scène à Chicago pour recompter ses doigts. Nous en France, on examinait les pochettes de ses albums parus sur Alligator pour recompter ses doigts et effectivement, sur la pochette du troisième album posthume, Beware The Dog, on voit un sixième doigt à sa main gauche, celle qui tient la clope. Hound Dog a fini par en avoir tellement marre qu’un soir de cuite, il s’est coupé le sixième doigt de la main droite avec une lame de rasoir.

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             Hound Dog n’a pas eu la vie facile. En 1924, il a neuf ans et son beau-père met ses affaires  dans un sac en papier brun, sort un flingue de sa poche, le braque sur lui et lui dit de se tirer vite fait. Le gosse se barre avec sa sœur. Devenu adulte, Hound Dog fait comme les autres nègres, il bosse aux champs et ferme sa gueule. Il apprend à jouer du piano, puis il commande une gratte chez Sears Roebuck pour 3,25 $, nous dit Rogers qui est bien renseigné. Hound Dog a 20 ans, il admire Lonnie Johnson et Blind Lemon Jefferson. Il est haut et maigre. Il rencontre Elmore James dans le juke circuit. Hound Dog lui montre un cut qui vient de Robert Johnson, «Dust My Broom». C’est Elmore James qui deviendra célèbre avec «Dust My Broom», pas Hound Dog, qui le joue au bottleneck - Wasn’t no silver thing, just a broken off bottleneck. I was playing «Dust My Broom» in 1935. That’s my song. He (James) got the idea from me and put his own words to it. Everybody will say that I play like Elmore, but I don’t play like no damn Elmore. I taught myself everything I know. Started off playin’ slide. Listened to Blind Lemon, Lonnie Johnson, a whole bunch of cats - Et il termine son évocation d’Elmore ainsi : «Elmore was a nice guy, but in his younger days he was mean - just like I was mean - fight, shoot, do anything.»

             Au Mississippi, Hound Dog réussit à faire son petit bonhomme de chemin et à se faire connaître. En 1941, il est invité à jouer au King Biscuit Time, une émission diffusée par une station de radio située à Helena, en Arkansas, juste de l’autre côté de la frontière. L’émission est réputée, grâce à Sonny Boy Williamson II et Robert Lockwood. C’est là que B.B. King fera ses débuts. Hound Dog vit à Tchula, dans une ferme qui appartient à des blancs. Il conduit un tracteur, puis les patrons blancs lui proposent un job de chauffeur. Il doit conduire les gosses des patrons blancs aux surboums locales et les attendre dans la bagnole pour les ramener à la maison. Et bien sûr arrive ce qui doit arriver : une jeune blanche a envie d’une belle bite noire. Comme chacun sait, les relations inter-raciales sont punies de mort dans le coin. Une nuit, les mecs du KKK viennent planter une croix devant la cabane branlante d’Hound Dog et y mettent le feu. Il a juste le temps de se barrer par derrière et de se planquer dans les bois. Hound Dog sait que s’ils le chopent, ils le pendront. Strange fruit. Alors il prend la fuite vers le Nord - He ran like wolves had caught his scent.  

             Il prend un bus et débarque en 1942 chez sa sœur à Chicago. Il doit tout recommencer à zéro. Il a perdu le peu qu’il avait. Il doit trouver un job pour vivre. C’est là, à Chicago, que démarre la grande aventure musicale des HouseRockers, l’un des trios les plus wild de l’histoire musicale des Amériques.

             Rogers réussit l’exploit de nous transmettre avec son petit book toute l’énergie d’Hound Dog. Si le book est tellement spectaculaire, c’est bien sûr parce qu’Hound Dog Taylor est un homme spectaculaire, un homme qui joue une musique spectaculaire, mais aussi un homme traumatisé par la violence des racistes blancs, et qui sut, comme tous les grands artistes noirs, transcender cette terreur du blanc pour en faire de l’art. C’est une leçon qui mérite d’être méditée. Hound Dog invente littéralement le punk blues, il dépouille le blues de tout ce qui ne sert à rien pour ne conserver que le groove, le swing et le grit, il fait, nous dit Rogers, ce que les punks ont fait avec le rock’n’roll - He found ferocity in simplicity - et donc, il fallait inventer un nouveau son et une nouvelle façon de jouer. Kaboom !

             Hound Dog commence par prendre sa gratte et aller faire la manche à Maxwell. Rogers nous dépeint le Chicago des années 40, où tous les blackos jouent du blues au coin des rues pour quelques pièces de monnaie. Hound Dog se fait plus de blé qu’il n’en avait jamais vu - You know, you used to get out here on a good Sunday morning and pick you up a good spot, babe. Damnit, we’d make more money than I ever looked at - Il ajoute que tous les autres étaient là, «Muddy Waters was down there. Wolf was down there. Little Walter was down there. I’m over here. Jimmy Rogers too... And I had the biggest crowd.» Eh oui, Hound Dog n’est pas n’importe qui. Il sait gratter un gritty blues. Il picole, il adore le Canadian Club Rye Whisky, et il drague Freddie qui va devenir sa poule, enfin l’une de ses poules. Il propose de la ramener chez elle un soir - Miraculeusement he didn’t crash the car - Puis il se paye une gratte électrique - A hollow-body Harmony qu’il appelle «Old Mike» - et il devient un bluesman de Chicago.

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             Il devient pote avec Kid Thomas qui vient lui aussi du Mississippi et qui enregistre sur Federal. Mais ça ne se vend pas. Il demande à Hound Dog de jouer de la basse pour lui. En 1956, le groupe part jouer à Wichita, Kansas. À la fin de set, Thomas disparaît avec le blé du groupe. Baisé. Hound Dog appelle sa sœur Lucy à l’aide. Elle lui envoie les sous pour prendre un bus et rentrer à Chicago. Rogers nous apprend qu’un peu plus tard, Kid Thomas, réinstallé à Los Angeles, allait renverser accidentellement un gosse et le tuer. Quelques mois plus tard, le père du gosse allait choper Kid Thomas dans le parking du tribunal et lui coller une balle dans le crâne.   

             Robert Christgau qualifiait les HouseRockers de «Ramones of Chicago blues». On peut même parler de phénomène unique dans l’histoire du rock américain. Hound Dog, okay, mais aussi Brewer Phillips et Ted Harvey. Pendant des années, Hound Dog cherche des gens pour jouer avec lui. On lui balance le nom de Brewer. Il bosse dans le bâtiment. Il est costaud. Il a des grosses mains. Il joue sur une Tele, avec un son mordant - Sharp metallic edge and crunch - C’est exactement ce que recherche Hound Dog, «the perfect contrepoint to his fuzzy boogie.» Maintenant, il lui faut un beurre-man. C’est à l’enterrement d’Elmore James en 1963 qu’il le rencontre : Ted Harvey qui justement était le beurre-man d’Elmore. Harvey a 45 ans, un an plus jeune qu’Hound Dog. Comme son boss a cassé sa pipe en bois, Harvey est au chômage. Il file son numéro à Hound Dog. Mais il sait que son style trop jazzy ne colle pas avec le rocking blues style d’Hound Dog. Alors il demande conseil à Fred Below, the big-name blues drummer in Chicago (et accessoirement idole de Charlie Watts) : «Man you got to teach me the backbeat.» Below taught him well, ajoute Rogers. Hound Dog est fier de son nouveau beurre-man - He is about the best now - Il a évolué du «fast beat», the jazz drumming, vers le backbeat. Ce genre de détail n’a l’air de rien, comme ça, vu d’avion, mais quand on entend jouer Ted Harvey sur les trois albums des HouseRockers, on comprend mieux.

             Les HouseRockers vont casser la baraque pendant 10 ans à Chicago et ailleurs - Hey! Let’s have some fun! I’m wit’cha baby!», lance Hound Dog pour lancer le set. Une gorgée de Canadian Club, puis un cocktail, et une bière pas dessus et c’est parti ! - À force de fréquenter des génies, Matt Rogers devient un génie : «Taylor and the HoueRockers were big drinkers. They’d get loose, they’d get high, they’d get drunk, and they’d play.» En 1965, ça fait 23 ans qu’Hound Dog est à Chicago et ça fait 8 ans qu’il survit comme musicien pour une poignée de dollars chaque soir. Mais avec les HouseRockers, il devient le roi du monde. 

             La violence est omniprésente dans la vie d’Hound Dog. Parce que le KKK, et parce que Chicago, la ville la plus violente d’Amérique à l’époque où il y vit. On y dégomme des gens tous les jours. Il a toujours un flingue ou un rasoir sur lui. Tom Waits : «Dans le South Side of Chicago, au Cherckerboard Lounge, Hound Dog Taylor jouait pour un public chahuteur. Au premier rang, un poivrot l’asticotait, alors Hound Dog sortit un calibre 38 de sa poche, lui tira une balle dans le pied, remit le calibre dans sa poche et finit la chanson.» Rogers ajoute, tous mots bien pesés : «He was a troubled man in a troubled world.» L’autre plan classique : le patron de bar qui refuse de payer les musiciens. Rogers cite l’exemple d’Old Duke qui sort un flingue et qui leur dit : «You’re not getting any money.» En plus, il tient un chien méchant en laisse. Alors il ne reste plus qu’à partir. Rogers évoque aussi les shootes entre Hound Dog et son premier batteur, Levi Warren. Ils jouent à Florence’s et commencent par s’engueuler. C’est l’escalade verbale. Hound Dog prend sa gratte, Old Mike, et frappe Warren sur le crâne. Il frappe si fort qu’il casse Old Mike. Warren est sonné mais il réagit et file une rouste à Hound Dog. Brewer Phillips intervient et les séparer. Hound Dog est tellement furieux qu’il téléphone à Freddie pour lui dire d’amener son flingue. Pendant ce temps, Warren va dans sa bagnole chercher le sien. Heureusement, quelqu’un a appelé les flics. Rogers nous explique que ce type de soirée qui tourne mal est courante. Levi Warren quitte ensuite la ville pour aller accompagner Willie Mabon à Kansas City. Matt Rogers fait un excellent travail avec son book, il nous fait entrer dans le bar pour assister aux shootes entre Hound Dog et ses musiciens.

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             Chaque fois qu’Hound Dog et Brewer s’engueulent sur scène, ils posent leurs grattes et vont se battre dans la rue. Ils se crient dessus et frappent. Pour Iglauer, «c’était un mélange d’amour fraternel, de rivalité infantile et de Canadian Club.» Ils ne pouvaient pas s’empêcher de se battre. C’était leur façon d’être. Jusqu’au jour où Brewer quitte le groupe et là c’est la catastrophe, car personne ne peut le remplacer. Il reviendra, bien sûr. Il existe aussi des tensions entre Hound Dog et Iglauer, qui lui non plus, n’a pas de patience. Des ennuis aussi avec Big Mama Thornton qui sort un cran d’arrêt lorsqu’elle croise Brewer Phillips dans un sound check. Elle le confond avec Hubert Sumlin. Et puis un soir, dans une petite fête, Brewer balance des vannes, du genre, «j’ai vu ta femme faire la pute sur la 43e rue», alors Hound Dog sort de la pièce et revient avec un flingue. Hey Brewer ! Bam ! Une première balle dans la jambe. Brewer gueule : «Hound Dog what you shoot me for?», bam, une deuxième balle dans l’épaule, bam, une troisième. Le flingue s’enraye. Il y a de la fumée, du sang par terre, des gens choqués. L’ambulance et les flics arrivent. Hound Dog va au trou, Phillips à l’hosto. Brewer raconte la scène : «Hound Dog m’a tiré dessus trois fois. On commence par s’engueuler. Ça dégénère. And we go to war. Il sait que je peux lui casser la gueule. Si le flingue ne s’était pas enrayé, il m’aurait tué. Le premier coup de feu devait me faire peur. Mais ça ne m’a pas fait peur. Il voyait que je n’avais pas peur. Il m’a tiré dans la jambe. Juste là. La deuxième fois dans l’épaule. Et la troisième fois, dans le doigt.» En fait personne n’est surpris de cet incident. Ça faisait longtemps qu’Hound Dog menaçait de buter Brewer. Tout le monde le savait.

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             De tous les blackos de Chicago, le plus violent est sans doute Little Walter. En 1967, Hound Dog est invité à se joindre au American Folk Blues Festival qui tourne en Europe. Il est sixième sur l’affiche et tout seul sur scène. Puis il doit accompagner Little Walter et Koko Taylor, avec Odie Payne on beurre et Dillard Crume on bass. Mais ça se passe mal avec Little Walter. Toujours la même chose : alcool, dope, Little Walter est en plus irascible and quick to fight. Il a le visage couvert de cicatrices. Il porte une bague dont le diamant a la taille d’un glaçon. Little Walter se plaint d’Hound Dog à un journaliste : «Them damn country coons. What’s he doing with me? He ain’t no use at all... damn southern coon!». Quatre mois après la tournée, en février 1968, Little Walter casse sa pipe en bois, suite à une grosse shoote. Internal injuries. Il avait 37 balais. 

             Hound Dog et Brewer Phillips ont pour habitude de se battre. Ça revient constamment dans le récit. Un soir, Hound Dog tente de coller un coup de pied de micro à Brewer qui parvient miraculeusement à l’éviter. C’est le gros pied de micro rond en fonte qui pèse une tonne. Le pied nous dit Rogers fit un énorme trou dans le mur. Ils se tapent dessus, ils sortent les rasoirs, mais ils ne peuvent pas se priver l’un de l’autre sur scène. Ils savent qu’ensemble ils font des étincelles. Mais le succès tarde à venir. Ça fait 18 ans qu’Hound Dog est à Chicago quand il enregistre enfin son premier single «My Baby Is Coming Home»/«Take Five» sorti sur Bea & Baby, Hound Dog a déjà plus de quarante balais.

             Son surnom lui est donné par des potes qui le chambrent gentiment. Comme Hound Dog est toujours en train de draguer, les autres lui disent «You’re always on the hunt, like a hound dog.» Une autre version dit que c’est Magic Sam qui l’a surnommé Hound Dog. Il s’appelle en réalité Theodore Roosevelt Taylor.

             Freddie King est tellement impressionné par son «Taylor’s Boogie» qu’il va pomper le riff pour le recycler dans son «Hide Away» paru en 1961, et sur lequel les guitaristes de blues anglais vont se faire les dents. Hound Dog est plus déterminé que jamais à réussir : si Freddie King peut décrocher un hit with a Taylor tune, alors Taylor peut aussi.

             Hound Dog ne prend pas les blancs du blues au sérieux, ni Mike Bloomcield ni Paul Butterfield qui eux aussi écument les clubs de Chicago : «Can’t no white man sing the blues, and can’t no Negro sing no love song. He can play it. Oh hell yeah. I know some white cats who play some blues. It’ll make you stand up and look... but he can’t sing shit. He just can’t sing it.» Hound Dog nous dit Rogers a fière allure. Il porte toujours des pantalons trop grands, un petit chapeau de jazzman qu’on appelle the pork pie hat, et une chaîne autour du cou. Il fume des Pall Mall à la chaîne. Il enregistre un single avec Marshall Chess, mais ça n’est jamais sorti, car c’est le moment où Leonard le renard casse sa pipe en bois et où Chess disparaît.

             Bon les HouseRockers, c’est bien gentil, mais ça ne suffit pas. Pour faire de l’alchimie, il faut d’autres clavicules, mon petit Salomon. Alors deux blancs vont entrer dans l’athanor : Wesley Race et Bruce Iglauer, deux fans inconditionnels de blues, et surtout des HouseRockers. Race va même réussir à devenir l’ami d’Hound Dog. Race et Iglauer bossent tous les deux chez Delmark, le gros label de blues de Chicago.

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             Iglauer vient du Michigan et débarque à Chicago en 1969. Il est obsédé par le blues. Pourquoi débarque-t-il à Chicago ? Parce que dans un canard nommé Hoot, un mec dit que pour voir du vrai blues, il faut aller chez Jazz Record Mart et demander Bob Koester. C’est exactement ce que fait Iglauer. Koester et lui deviennent amis. Koester l’emmène dans les clubs. Et comme Koester est aussi boss de Delmark, il fait bosser Iglauer.

             Tout va bien jusqu’au jour où Iglauer voit Hound Dog sur scène at Florence’s - The sounds were so raw and distorded - Il est fasciné - He played fast shuffles, slow shuffles, and medium-tempo Jimmy Reed-style shuffles (known as lump-de-lumps), alternating with driving boogies, grinding stomps and romping up-tempo songs - C’est la fête au village ! Pour Iglauer, c’est «the happiest music I ever heard in my life. It was so infectuous, so rhythmic, it was so much fun. People were dancing in the aisles in front of the band. I fell in love with that band.» Un autre blanc vient assister à TOUS les concerts de HouseRockers, c’est Wesley Race. Hound Dog l’a repéré. Ils deviennent ami, et avec Freddie, Lucy (la sœur d’Hound Dog), la femme de Race, ils créent the HouseRockers Social Club. Il y a de la magie dans cette histoire.

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             Race et Iglauer papotent. Ils commencent à se dire qu’il faudrait enregistrer les HouseRockers. Et pas pour faire un petit single à la mormoile : non, ils rêvent d’un album. Ils soumettent le projet à Bob Koester qui les envoie sur les roses - It’s not going to happen - Alors que fait-on dans ces cas-là ? On casse sa tirelire et on crée un label. C’est exactement ce que vont faire ces deux petits culs blancs. Ils vont se saigner aux quatre veines. Il reste encore une étape importante : demander à Hound Dog s’il est d’accord pour enregistrer un album. Iglauer pose la question et Hound Dog répond cette phrase magique : «I’m wit’ you, baby, I’m wit’ you.» Iglauer amène les HouseRockers chez Sound Studios, sur Michigan Avenue. Il faut aussi trouver des titres pour les instros qui n’en ont pas. Matt Rogers sort le Grand Jeu : il donne tous les détails : Hound Dog gratte une Kingston guitar branchée sur un Sears Roebuck Silvertone amplifier, le même ampli que celui du grand Reverend Peyton. Brewer gratte sa vieille Tele et Ted Harvey bat son beurre sur son Slingerland drum set. L’ingé-son est un vétéran de toutes les guerres, un crack nommé Stu Black qui a bossé pour Chess et Delmark - I’ve done it all, from Howlin’ Wolf to Steppenwolf - Il presse le bouton «record» et bam, c’est parti ! Comme Hound Dog a besoin d’un public pour jouer, Race sort de la cabine de contrôle et prend une chaise, pour s’asseoir près de lui. Alors les HouseRockers se sont mis à jouer «like it was a wild Sunday». Merci Matt Rogers de nous amener dans le studio. En deux sessions, ils enregistrent 25 cuts.

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             Premier album absolument dément. Il sort en 1971. Il n’a coûté que 970 $. En plus, Iglauer verse 480 $ à Hound Dog pour les sessions (à quoi vont s’ajouter les royalties à venir) et 240 $ chacun, à Ted Harvey et Brewer. Après avoir payé les HouseRockers, il crée Alligator Records. Pour lui, le son d’Hound Dog est unique - Personne ne peut jouer comme lui, tous ces mecs peuvent jouer ses licks, mais pas sa musique. Car ils n’ont pas conduit un tracteur dans le Mississippi ou vu une croix en feu dans leur jardin ou dormi dans un fossé de drainage. Et je suis prêt à parier qu’aucun autre musicien ne peut jouer en buvant du Canadian Club du matin au soir - Toujours dans l’émerveillement, Iglauer ajoute : «Hound Dog était incroyablement fier. Le projet l’enchantait : enregistrer un album entier, avoir sa photo sur la pochette, voir des gens venir le trouver pour signer des autographes. He was sitting on top of the world. Il n’en revenait pas quand je lui ai versé les royalties.» Pour une fois, un petit cul blanc bosse proprement et ne prend pas les nègres pour des vaches à lait. C’est important de le signaler. Et c’est toute la différence avec les frères Chess qui ont d’abord pensé à leur gueule.

             Hound Dog Taylor And The HouseRockers est l’un des grands albums magiques de l’histoire du rock. À cause du contexte décrit ci-dessus, mais aussi et surtout à cause des cuts. Quelle pétaudière ! Iglauer est très fier d’en vendre 9 000 exemplaires la première année. Hound Dog nous met aussitôt à l’aise avec «She’s Gone», un boogie saturé joué à deux guitares. Ils rockent leur chique hard. Du vrai trash. Hound Dog pouvait jouer trois heures d’affilée sans s’arrêter. Ils tapent plus loin un heavy blues pleurnichard, «Held My Baby Last Night» et le plongent dans une friture de sature immature. C’est joué sur la corde basse et slidé crade. Mais vraiment crade. Ça sent bon l’Elmore. Hound Dog adore jouer hard and loud, selon son expression. Il adore aussi le Canadian Club, les armes et les femmes. On n’entend que ça dans sa musique. Il arrose «It’s Alright» de grosses giclées de trash guitar. Ils gorgent leur dirty boogie de dirty disto. Les solos sont concassés dans la structure. Hound Dog invente tout. Les rockers blancs n’ont fait qu’essayer de l’imiter, sans jamais y parvenir. Retour à l’Elmore avec «Wild About Baby», mais avec encore plus de panache. Hound Dog tape «I Just Can’t Make It» à la sauvette, il chante à la volée et on a bien le son des deux grattes vérolées. Puis il nous refait le coup du Heartbreaking Blues avec «It Hurts Me Too». Véritable apanage des alpages du heavy blues vinaigré à la disto. Ils te swinguent ensuite «44 Blues» à la Méricourt. Ted Harvey le bat si sec ! Perle rare. S’ensuit le gros classique d’Hound Dog, «Give Me Back My Wig», emmené à train d’enfer. Quel ramshakle ! Jamais vu un tel bordel ! Phillips passe un solo demented en morse. Ces trois blackos sont les vrais punks. 

             Hound Dog respecte tellement Iglauer qu’un soir, il lui dit : «Don’t spend your whole life hanging around with peopel like us.» Hound Dog pensait qu’Iglauer méritait de meilleures fréquentations que ce trio de trashers black incultes et alcooliques. Iglauer dit que ça lui a brisé le cœur qu’Hound Dog lui fasse un tel aveu. Matt Rogers dit qu’Hound Dog continue de faire des cauchemars, poursuivi par des loups et des chiens, alors il dort avec la télé allumée.  Il n’est bien que sur scène, avec les HouseRockers et un public venu faire la fête.

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             En tournée, c’est souvent Brewer qui conduit, car Hound Dog ne sait pas trop lire les panneaux. Et puis il est tout le temps en train de siffler son Canadian Club. Il ne bouffe rien. Brewer sait lire une carte. Ils roulent dans la Cadillac de Ted Harvey - They were doing it in style - Tous les trois, avec Iglauer. Direction la côte Est. C’est magnifiquement raconté. Matt Rogers donne une foule de détails tragi-comiques. On se croirait dans l’On The Road de Jack Kerouac. Des détails du genre : Hound Dog rentre de tournée et un gros paquet l’attend chez lui. C’est sa guitare Teisco qui lui avait été barbotée à Gary, dans l’Indiana, le mois précédent. Il y avait un petit mot dans le paquet qui disait que la guitare était too hard do play, so they were returning it.

             Hound Dog s’est forgé une réputation de bad ass guy. Quand il arrive en ville, les gens disent «Hound Dog’s coming». Les gens avaient un peu peur de lui. Même Wolf disait ça : «Hound Dog’s coming». Matt Rogers note aussi qu’il existe une connexion entre Hound Dog et Wolf. Wesley Race a une explication : «Wolf était traumatisé à l’armée, et on l’a laissé partir pour des raisons psychiatriques. Alors il se voyait comme une sorte de misfit. Et comme il voyait les deux mains à six doigts d’Hound Dog, ça créait un lien.» Wolf voyait Hound Dog comme un misfit. George Thorogood note que sur scène, Hound Dog et Brewer vont parfois jouer derrière leurs amplis. Il ne comprend pas. Il n’a encore jamais vu ça. Alors il leur demande pourquoi ils font ça et Hound Dog lui répond : «You don’t want to sit in front of the amplifier. It’s too fucking loud.» Thorogood dit aussi qu’il ne connaît personne qui puisse jouer sur scène avec autant d’alcool dans le sang. Lors d’un concert à Boston, Brewer est tellement rôti qu’Hound Dog demande à Thorogood de le remplacer. Pour Thorogood, c’est le moment le plus important de sa vie : taper avec Hound Dog et Ted Harvey une cover de «Boogie Chillen». Sur scène, Hound Dog adore présenter son groupe : «I want to introduce you to our drummer, Ted Harvey. And my guitar player, lead and bass, Mister Brewer Phillips. And honey, eveybody know the Hound!». La classe. L’épouvantable classe !  

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             Le deuxième HouseRockers s’appelle Natural Boogie. Les choses sont claires. On sait où on va. Robert Christgau dit d’Hound Dog qu’il est «a spiritual and cultural miracle». Ça commence à chauffer avec «See Me In The Evening». Les HouseRockers rockent the house, pas de problème. C’est une violente démonstration de swing, avec un côté cabane branlante dans le son. Hound Dog attaque son solo violemment, très bas. Chapeau, chaussettes, tout est là. Comme chez Wolf et John Lee Hooker, on ne voit que les chaussettes. Et dire qu’ils n’en portaient pas quand ils étaient gosses. Hound Dog est un fabuleux boogie man. Nouvel Heartbreaking Blues avec «Sitting At Home Alone», son de rêve, incroyablement sale. Un vrai cœur de métier. Ils redeviennent les rois de la désaille avec «One More Time». Nouveau shoot d’hysper-fast boogie en B avec «Roll Your Moneymaker», wild at heart, puis boogie déjanté avec «Buster’s Boogie». Il sait aussi faire le rampant, avec «Sadie» - I don’t love no one but you/ Dog cry I cry all night long - Il rend encore hommage à Elmore avec «Talk To My Baby», un look-alike de «Dust My Blues», mais ils ont une façon d’entrer dans le son qui vaut tout l’or du Rhin. Structure classique mais attaque géniale.

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             Avec ses trois coups de feu, Hound Dog envoie donc Brewer à l’hosto. Hound Dog sort du trou sous caution et veut continuer à jouer. Il demande à Iglauer de trouver un remplaçant. Iglauer propose à Magic Sam de remplacer Brewer, mais Magic Sam décline l’offre. Il a déjà son groupe. Mais c’est là qu’Hound Dog tombe malade. Il s’est chopé un petit cancer du poumon. La picole et les clopes. Ça va lui permettre d’échapper au tribunal pour homicide. Tous ses amis viennent le voir à l’hosto, Iglauer, Race, Harvey, et puis aussi Freddie et Lucy. Tout le monde sauf Brewer. Hound Dog insiste pour le voir, mais quand il était lui-même à l’hosto plus tôt dans l’année, Hound Dog n’est pas venu le voir. Alors Brewer fait pareil. Puis il finit par avoir pitié d’Hound Dog et il va le voir pour lui accorder son pardon.  

             — Nous ne sommes pas des chiens !, lance Brewer

             — Moi si !, répond Hound Dog.

             En le voyant dans cet état, Brewer comprend qu’Hound Dog ne sortira pas vivant de l’hosto. Hound Dog lui dit qu’il a une idée pour le groupe et lui demande de revenir avec Ted. Brewer lui dit qu’il revient avec Ted jeudi. Ils se serrent la main. Brewer dit :

             — I’ll see you, Jack. Hang in there.

             — Don’t worry. I’ll be around.

             Hound Dog ouvre les bras pour une accolade. Brewer se penche et le serre dans ses bras. Fantastique. La scène te fout par terre. Tu n’es plus dans le rock, tu es dans l’humain, dans ce qu’il y a de plus important au monde. Hound Dog a encore assez d’énergie pour serrer Brewer très fort contre lui. Brewer sent les ongles d’Hound Dog s’enfoncer dans son dos. Instinctivement, il comprend que c’est la dernière fois - It was the hug of a dying man - Matt Rogers fait là des pages spectaculaires, il tente de décrire les derniers instants d’Hound Dog qui voit défiler tout le chaos de sa vie - les loups, la croix du KKK, la violence urbaine de Chicago, la pauvreté, l’alcoolisme, la colère, le chaos, toujours le chaos, et il sombre dans le coma - Le 17 décembre 1975, Hound Dog s’en alla retrouver Kid Thomas et Little Walter et Elmore James et Robert Johnson et Peetie Wheastraw et Charley Patton - Et Rogers ajoute à la suite un autre symbole, celui qu’on entend sur Natural Boogie à la fin de «Goodnight Boogie», c’est-à-dire le dernier cut qu’il enregistra : on l’entend dire effectivement «Goodnight baby». Last words, of a kind.

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              Hound Dog : «When I die, don’t make a funeral. Have a party.» Alors, pour se remonter le moral, on peut écouter Beware The Dog. Hound Dog a cassé sa pipe en bois quand paraît Beware The Dog en 1976. C’est un album live. Boom ! «Give Me Back My Wig» ! Il faut entendre ce démon de Ted Harvey battre le beurre ! Hound Dog passe ensuite au big bad blues avec «The Sun Is Shining» et laisse son empreinte digitale dans le gamut spatio-temporel. Il sort une telle bouillie de son ampli crevé ! Il joue à la solace du grand Elmore. Attention avec «Kitchen Sink Boogie» ! Brewer joue lead. Il va partout, il rajoute des notes dans sa fluidité. Il en rajoute encore et encore. Une vraie plaie. Un jour sans fin. Une véritable incontinence. Un pluvieux, un déréglé, un pied dans la porte, celui-là ! Ils passent au country boogie blues avec «Comin’ Around The Mountain». Personne ne savait que ce genre existait. On trouve encore deux énormités en B. «Let’s Get Funky», proto-punk de Chicago, retentissant masterstroke, fabuleux de tension hypnotique, du Dog des enfers, joué à l’emporte-pièce. Hound Dog connaît forcément le North Mississippi Hill Country Blues pour jouer un truc comme ça. Il est tellement en avance sur son temps, il se marre - you alright ? Yeah ! - L’«It’s Alright» qui suit est une leçon de swing suprême donnée par le power-trio des origines du monde. C’est le boogie raw to the bone à deux grattes. Ted Harvey te bat ça souple. Les HouseRockers sont faramineux. Ils ne se connaissent pas de frontières. Pour eux, seul compte le son. Punk blues and attitude. On comprend qu’Iglauer se soit englué dans les HouseRockers. Et puis tu as les pochettes. Ça fait donc trois places réservées sur l’île déserte.

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             Les jusqu’au-boutistes d’Hound Dog iront aussi écouter la Deluxe Edition du premier album parue en 1999, pour se régaler du son remasterisé. C’est l’un des plus beaux disks qu’on puisse s’offrir. Puisque tout l’art du trio repose sur le son, le remastering donne des ailes aux vieux cuts d’Alligator. Il suffit simplement d’écouter «Wild About You Baby» pour tomber de sa chaise. Le son est sali à l’extrême. On retrouve la splendeur frelatée de «The Sun Is Shining» et «Roll Your Your Moneymaker» prend une allure de monstruosité cavalante. On retrouve aussi le swing outrancier de «Give Me Back My Wig» et «See Me In The Evening» est encore plus sournoisement beau que dans la version de 1974. On y goûte l’exemplarité de l’insidieux, le blues à ras la motte, très inspiré, contrôlé, humide et vibrant de pulsions animales. Leur version du «What’d I Say» de Ray Charles est rockée jusqu’à l’oss de l’ass. Avec «Rock Me», Hound Dog embarque tout le monde au foutoir. C’est un primitif qui sait rouler un heavy blues dans sa farine, voilà tout. Abominables giclées de slide dans «Take Five», puis boogie blues à la Hooky avec «She’s Gone» et enfin clin d’œil à Elmore avec «Ain’t Got Nobody». Hound Dog Taylor nous aura fait les quatre cents coups.

    Signé : Cazengler, Hound Dog t’aï l’heure ou t’aï pas l’heure ?

    Hound Dog Taylor & the House Rockers. ST. Alligator Records 1973

    Hound Dog Taylor & the House Rockers. Natural Boogie. Alligator Records 1974

    Hound Dog Taylor & the House Rockers. Beware of The Dog. Alligator Records 1976

    Hound Dog Taylor & the House Rockers. De Luxe Edition. Alligator Records 1999

     

     

    L’avenir du rock –

    EHPAD problème

     

             De temps en temps, l’avenir du rock se rend dans l’EHPAD du rock pour passer un moment avec quelques vieux copains. Ce sont toujours des moments joyeux. Pas de pathos. Rien que de l’énergie et des puits de connaissance. S’il t’accorde sa confiance, l’avenir du rock te dira que ces visites lui remontent le moral. Chaque fois, il a nettement l’impression d’entrer dans la cambuse d’une frégate de flibuste, ah il faut les voir, ces accidentés de la route du rock, ils ont les pattes qui flageolent un peu, le petit filet de bave aux lèvres, les mains qui bloblotent, mais côté ciboulot, ça turbine comme un réacteur de centrale nucléaire. Eh oui, ce carré d’as concentre un sacré morceau de la légende du rock : Dave Brock, Ian Hunter, David Thomas et Paul Simon savent encore se tenir. Ils savent qu’ils sont entrés dans la zone rouge, mais pas de problème, ils attaquent l’apéro au rhum et trinquent à la santé du Capitaine Flint. L’avenir du rock adore trinquer avec eux. Ils rigolent de bon cœur et racontent des souvenirs d’aventures tous plus extraordinaires les uns que les autres. Ils ont fait la légende du rock et le plus étonnant, c’est qu’ils continuent de l’alimenter. Chacun à sa façon. En bon débonnaire, l’avenir du rock leur dit qu’ils ont encore tout l’avenir devant eux. Puis il leur demande s’ils avancent sur de nouveaux projets, ce qui les fait bien marrer, car ils ne savent faire que ça, lancer des projets, alors ils remplissent les verres et charrient l’avenir du rock :

             — Ah ce que tu peux être con, avenir du rock ! T’as de ces questions !

             — Pas facile d’être au niveau de vieux crabes comme vous...

             — Mais non, t’as rien compris. Regarde-nous ! Est-ce qu’on la ramène ?

             L’avenir du rock comprend qu’il a encore perdu une occasion de fermer sa gueule. Il ne faut jamais faire semblant de s’inquiéter pour des gens qui n’ont pas besoin de ça. C’est une insulte à leur intelligence. Alors les quatre vieux crabes lèvent leurs verres et lancent à l’unisson :

             — EHPAD problème !

     

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             L’avenir du rock quitte l’EHPAD du rock sacrément ragaillardi. D’autant plus ragaillardi que ses quatre amis lui ont filé leurs derniers albums respectifs. Donc fauteuil, casque, rasade, écoute.

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             Comme chacun sait (ou ne sait pas), Ubu n’est jamais loin de Dada. Il en est même le Daddy. Boby (Lapointe) se serait bien amusé avec le Daddy de Dada, lui qui clamait haut et fort qu’avanie et framboise étaient les mamelles du destin. Ubu ramène son gros cul frippé et ses yeux pochés avec Trouble On Big Beat Street, du Dada pur et dur. Ubu travaille à l’artistique élastique exacerbée, l’apanage du Dada strut. Il travaille son argile au vinaigre. Il se veut âcre, le vieil empoté. Si tu n’es pas convaincu de la pureté de son dadaïsme, alors écoute «Nyah Nyah Nyah», qui est beaucoup plus grotesque. Ça a la forme d’un chou-fleur, avec un chant atroce. Oh mais ce n’est rien à côté de «Let’s Pretend», il croone comme un Bryan Ferry qui aurait un balai dans le cul, alors ça dépasse vite les capacités de ta sagacité. Encore plus weird : «Nothing But A Pimp» joué aux accords brutalement rabotés et ça continue de se déliter avec «From Adam», real deal de tourne-pas-rond. C’est pour ça qu’on est là, alors on ne va pas aller se plaindre. Globalement, Ubu règne encore en despote sur sa cavalerie de vieux crabes. Michele Temple est toujours là. Et les autres aussi. Ubu est tellement con qu’il s’imagine que le post-punk exacerbé intéresse encore les gens. Alors ça s’arrête et ça repart, comme à la pire époque. Mais mine de rien, tu plonges avec ravissement dans sa littérature frelatée d’hanging around. C’est malheureux à dire, mais ce gros escogriffe est essentiellement littéraire, comme le montre «Movie In My Head» - You see me coming/ You see me walking down the street - C’est très américain. Il rend hommage à Robert Johnson avec «Worried Man Blues», il chante à la pure Méricourt. Ubu, c’est toujours très spécial. Quand il plonge dans le satanisme sonique avec «Satan’s Hamster», ça fume. C’est plein de bad vibes à la Polanski. Pure hell ! Tu entends la voix du diable dans le chaos des enfers d’Ubu. Avec «Crazy Horses», il passe en mode heavy tagada Ubu, il chante d’une voix de vieux bouc dégoûtant, mais avec la force tranquille de François Mitterrand. Ah tu peux lui faire confiance, il te coule un bronze fumant quand il veut. 

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             Rien qu’à le voir sucrer les fraises, on ne le soupçonnerait jamais d’enregistrer encore à son âge d’aussi bons albums : Ian Hunter aura passé sa longue vie à édifier les édifices et à horrifier les orifices. D’où le titre de son nouvel album : Defiance Part 1. Un Part 1 qui en annonce un suivant, miam miam, et, petite cerise sur le gâtö, ça sort sur un label Sun ressuscité d’entre les morts. Avant de commencer à l’écouter, pince-toi pour être bien certain de ne pas rêver. L’Hunter-minable attaque son morceau titre en mode brillant fast rock. Le seul défaut, c’est qu’on y entend Slosh. Slosh, c’est encore pire que Stong ou Bonobo. Après, ça va mieux. L’Hunter-continental trempe dans le Dylanex avec «Bed Of Roses», comme au temps béni de Guy Stevens. Le vieux est braqué sur le passé, tare classique chez les vieux schnoques. Il invite Johnny Depp et Jeff Beck à jouer sur «No Hard Feeling». Le Beck tape son coup, il passe un solo de roi des îles, il sort le grand jeu, coups de wah et descente au barbu. L’Hunter de Milan bascule dans la magie. Il revient à Mott et à sa chère vieille Stonesy avec «Pavlov’s Dog». Guy Stevens voulait un cross Dylan/Stones et l’Hunter-national l’a incarné on peut dire à merveille. Et puis voilà Todd Rundgren sur «Don’t Tread On Me». Incroyable que Todd soit de la partie ! L’Hunter-marché allume bien au chant et Todd amène le surplus. Franchement, l’Hunter-cité sait composer. Tout est énorme sur cet album. Il y va le vieux crabe. L’«I Hate Hate» flirte avec le pur genius. Il invite Waddy Watchel à jouer sur «Angel». L’Hunter-mittent sait caler sa chique. Watchel joue les arpèges du paradis, ça s’élève largement au-dessus de la moyenne, même si, mélodiquement, c’est cousu de fil blanc. Voilà le hit de l’album : «Kiss N’ Make Up» avec Billy Gibbons. C’est tout suite allumé du Zizi. Ils vont bien ensemble, les vieux pépères. On assiste à l’alliance incertaine du British punter et du Texas rambler. Et là tu as le vrai son. Le Zizi enfonce son clou râpeux. L’Hunter-ligne finit en mode heavy boogie avec «This Is What I’m Here For», c’est son cœur de métier, le sel de sa terre, la prunelle de ses yeux globuleux, ah comme il est bon, il a toujours su chauffer le cul d’un cut, Guy Stevens l’avait bien compris.  

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             Il a l’air lui aussi complètement gâteux, le vieux Brock, mais si tu écoutes le dernier album d’Hawkwind, tu vas dresser l’oreille. The Furure Never Waits compte parmi les merveilles révélatoires de l’an 2023. Quel album ! Ça grouille de poux et d’outer-space, l’Hawk continue de fourbir son vieux bizz de buzz et pouf, voilà «The End», pur jus de Brock, ça gratte sec, Brock te refait le coup du big Hawk et ça vire proto, poto, t’en reviens pas ! Back to Notting Hill Gate 69, back to the wild as fuck des dopes et des domes, des ducks et des dudes, du doom et du moon, il faut voir l’Hawk plonger ses racines dans le vieux proto, ils connaissent par cœur l’équation magique : proto + punk = trente-six chandelles. C’est inespéré de pur genius d’Hawk sur le tard, ils descendent au barbu du meilleur rock anglais. Ces mecs vont vite en besogne, malgré leur âge avancé. Si tu te fais du souci pour l’avenir du rock, laisse tomber, tu as là du grand art de vieux briscards. Voilà qu’ils tapent le jazz-funk avec «They’re So Easily Distracted». Aucun problème d’articulation ni de circulation. Hawkwind reste aussi un groupe extrêmement sophistiqué. Ces mecs-là ne rigolent pas. Retour au proto avec «Rama (The Prophecy)», mais du proto de space rock, leur cœur de métier. Le vieux Brock reste dans l’esthétique Notting Hill Gate. Il reste un adepte de la prescience, alors à 80 balais, il y va de bon cœur. Prends exemple, amigo. C’est vite emballé et flanqué de tout le son du monde libre, tu ne battras jamais l’Hawk à la course. Ils finissent encore une fois par sonner comme des punks, ils grattent sans fin le ramalama d’Angleterre. Te voilà plongé dans le real deal. L’«USB1» rejoint les grands cuts de l’Hawk au paradis du space-rock et «Outside Of Time» explose littéralement sous tes yeux. Ils font du lard total, ça devient énorme, sidéral, avec des descentes spectaculaires, tu peux même écouter ça à jeun, tu voyages, c’est vertigineux, une authentique échappée belle, l’Hawk reste un groupe passionnant, aussi passionnant qu’au premier jour. C’est stupéfiant de grandeur marmoréenne, et quand on a dit ça, on n’a rien dit. Tu entres à nouveau sur le territoire de l’Hawk avec «I’m Learning To Live Today», c’est taillé dans une haie de riffs énormes, ça vibre de génie sonique, ils te fondent ça au mou dans l’œuf du serpent, back to Notting Hill, baby, mais avec de la grandeur apoplectique, ils t’envoient directement dans l’espace en perpétuant le riff ad vitam. Le vieux Brock termine cet album ahurissant avec «Trapped In This Modern Age» qu’il te claque en direct. Il n’en a plus rien à foutre. Il est entré dans la légende.

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             Et puis voilà l’autre asticot, Paul Simon. L’un des canards anglais a collé un 10/10 à son dernier album Seven Psalms, alors on est allé voir. Toujours la même voix et les grattés de poux sophistiqués. Il trace sa trace. Il attaque avec «The Lord» - The Lord is a virgin forest - Rien de plus que ce qu’on sait déjà. Pour la magie, il faudra repasser un autre jour. Il fait son petit biz. Ça peut durer une éternité, avec des mecs comme lui. Il enchaîne avec «Love Is Like A Bread» qu’il chante à l’agonie. On le sent aux abois. Mais aucune magie à l’horizon. Ça commence à sentir l’arnaque avariée. Avec les vieux, il faut faire gaffe. Ils peuvent te claquer dans les pattes. Tu veux zapper. Impossible. Ça reste sur le 1 ! T’es baisé. T’es obligé de tout écouter, même si ça ne te plaît pas. Tu maudis le journaliste anglais qui a collé 10/10 à ce tas de mormoille. Du coup on est obligé d’écouter toutes les conneries de cette vieille moute, et ça devient vite insupportable. Plus rien à voir avec «The Sound Od Silence» et «Homeward Bound». Il entre dans la forgiveness avec «Your Forgiveness», mais on ne lui fait pas confiance. Vieux pépère pitoyable, ridicule, avec sa vieille guitare. Rien que de la pipe en bois en devenir. On s’ennuie comme un rat mort. Popaul est d’un ennui mortel. Quelle arnaque intolérable ! Mine de rien, le label qui a tout mis sur la piste 1 a réussi à couler un Popaul en panne d’inspiration. Coulé, comme à la bataille navale.

    Signé : Cazengler, bon pour la casse

    Pere Ubu. Trouble On Big Beat Street. Cherry Red 2023

    Ian Hunter. Defiance Part 1. Sun 2023

    Hawkwind. The Furure Never Waits. Cherry Red 2023

    Paul Simon. Seven Psalms. Owl Records 2023

     

     

    Inside the goldmine

    - Strangers in the Knight

     

             Rendez-vous avait été fixé par elle sur la place d’un village perdu au fond de l’Essonne, quelque part au diable Vauvert. Comme il venait du grand Ouest francilien, le périple représentait plus d’une centaine de kilomètres. Il faillit bien arriver en retard. Il fit son entrée dans le village à grande vitesse et à l’heure dite. Il trouva sans mal la place de la mairie et aperçut au loin cette très jolie blonde négligemment adossée à sa voiture de sport. Ses yeux clairs dardaient. Son front lisse quasiment dépourvu de sourcils accentuait jusqu’au délire le côté extrêmement perçant de son regard. Elle avait un petit côté slave à la Marina Vlady. Elle dégoulinait tellement de sensualité qu’elle frisait l’image d’Épinal. Leur premier échange de regards fut celui de bêtes fauves. Ils se toisèrent longuement, à courte distance. Il s’en fallut de peu qu’ils n’allassent se flairer. Se dressait là une belle louve dans la pertinence de sa quarantaine. Ses cheveux blonds étaient tirés vers l’arrière et le manteau sombre qu’elle portait enveloppait son corps de mystère. Sans transition, il exprima le désir de boire un verre, car disait-il, la traversée de la Sierra Das Mortes avait été un enfer - J’ai le gosier aussi sec que le cul du diable ! - ce qui la fit sourire. Elle indiqua qu’à cette heure, la seule taverne des alentours avait fermé ses portes et donc, elle proposa d’aller boire un verre chez elle - J’habite à deux pas ! - Alors d’accord ! Les deux voitures prirent la direction du soleil couchant et allèrent s’échouer mollement devant une maison isolée qui ressemblait à celle d’un garde-barrière. Ils entrèrent et furent accueillis par une belle odeur de moisi. Les murs de l’entrée étaient littéralement rongés par une lèpre d’humidité. Les pas y résonnaient. Le salon se fit plus accueillant, tout en longueur, douillet, bien chaud. De grosses poutres anciennes en ornaient le plafond, campagne oblige, et une banquette cossue tendait ses bras de chêne verni. Impossible de lui résister. Elle proposa l’habituelle collection d’apéritifs en tous genres. Il opta pour le scotch. Elle prit place en vis-à-vis et la conversation roula gaiement sur les collines rebondies de sujets variés. Elle se trémoussait en jupe de cuir assez courte. Au troisième verre de scotch, il lui proposa de changer de côté pour venir s’installer à côté de lui sur la banquette. Elle ne se fit pas prier. Dix secondes plus tard, il indiqua qu’il crevait d’envie de lui rouler une pelle. Il mit tant de sincérité dans sa requête qu’elle accepta sans discuter. Puis les langues s’en mêlèrent. Il perçut en elle l’imminence d’un orage. Pour corser l’affaire, elle offrait le spectacle d’un décolleté vertigineux. Elle bomba même le torse pour faciliter les initiatives. En matière de  préliminaires, elle pulvérisait tous les records. Les deux libidos rissolaient dans leur jus. Il s’octroya une reconnaissance sous le cuir de la jupe. Elle desserra les cuisses et il glissa un doigt sous la dentelle d’une culotte minimale. Il s’arrêta immédiatement - Tu es rasée ? - Elle plongea son regard perçant dans le sien - Ben oui. T’aime pas ? - Il se versa un verre de scotch et le remplit à ras bord, avant de s’élancer dans un couplet alchimique sur le thème de la Toison d’Or - Hermès Trismégiste insiste beaucoup sur ce point dans ses Tables d’Émeraude ! - Elle ne comprenait rien. Il vida son verre, se leva et avant de quitter la pièce, lui dit : «Ce qui est en bas est comme ce qui est en haut, et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas. N’oublie jamais ça !»

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             Contrairement à ce qu’on pourrait croire, Jean Knight n’est pas un mec. Elle n’est pas non plus alchimiste, même si son nom la relie plus ou moins directement à la chevalerie et donc à l’âge d’or de la Toison d’Or.

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             La confusion vient de la pochette de Mr Big Stuff. Chaque fois qu’on croisait cet album dans un bac Soul/funk, on croyait que Jean Knight était le gros lard qui se pavane sur la pochette. Non, Jean Knight est une petite blackette originaire de la Nouvelle Orleans, découverte par Wardell Quezergue et lancée par les cocos de Malaco. «Mr Big Stuff» fut d’ailleurs l’un des premiers hits enregistrés chez Malaco, avec le «Groove Me» de King Floyd. La particularité de «Mr Big Stuff» est d’être monté sur les accords de «Walk On The Wild Side», même torpeur groovytale - Who do you think you are ? - La jeune Jean remet le gros lard en place. On trouve un petit coup de génie en fin de balda, «Take Him (You Can Have My Man)», heavy Soul de Malaco r’n’b claqué au riff vengeur. La jeune Jean flirte avec le génie du Black Power. On la voit aussi à l’œuvre sur «Don’t Talk About Jody». La jeune Jean est une bonne Soul Sister, une fière danseuse. On retrouve l’excellent Malaco r’n’b en B avec «Call Me Your Fool (If You Want To)», un r’n’b bien foutu et qui n’a pourtant rien à voir avec celui des voisins d’Hi ou de Stax. Il sonne différemment : la jeune Jean amène tout simplement une coloration New Orleans. On se régale aussi d’«One Way Ticket To Nowhere», ça reste de très haut niveau.

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              Malgré sa belle pochette, l’album de Jean Knight & Premium Keep It Comin’ est raté. Trop diskö pour les gueules à fuel. Il faut attendre «What Are We Waiting For» pour revenir au groove de la Nouvelle Orleans, mais ça vire atrocement diskö. Au vu de la pochette, on croit choper un bel album de Soul, mais pas du tout. On chope surtout une belle déconvenue. Le cut sauveur d’album se planque en B : «Anything You Can Do». C’est le funk qui sauvera le monde ! 

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             My Toot Toot paraît en 1985. Allen Toussaint est dans le coup, alors c’est du tout cuit. On a là un pur album New Orleans. Le morceau titre en est l’un des emblèmes - Dont mess with my toot toot - Fantastique beat cajun ! Elle retape son «Mr Big Stuff» au ah-ah yeah et les chœurs font ouuuh ! Ah il faut voir Jean rapper son fromage de who do you think you are. Puis elle rend hommage à Shirley & Lee avec une belle cover de «Let The Good Times Roll», d’autant plus somptueuse que jouée à l’accordéon. Si tu en pinces pour le beat Cajun, te voilà au paradis. 

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             Shaki De Boo-Tee ? On peut y aller les yeux fermés, même si avec «Bus Stop», ça démarre sur la diskö de la Nouvelle Orleans, mais c’est forcément bien foutu. Bien joué, Miss Jean ! Elle arrache son arrache au groove de heavy Bus Stop, elle est superbe, c’est même violemment bon. Elle tient la rampe de l’all nite long. Son «Bill» est un heavy slowah qui sent bon les origines de la racine. Mais c’est avec l’exotica du morceau titre qu’elle va rafler la mise. Schlooof ! Dans le genre, c’est assez puissant. Pur jus de New Orleans ! Elle passe au Cajun boogie avec «Rockin’ Good Way» et duette avec un sacré lascar. On ne sait pas comment il s’appelle, mais bon, c’est pas grave. Elle reste dans le Cajun avec «Lover Please», groove des enfers joué à l’accordéon, ça jerke chez les Cajuns, ne l’oublie jamais. Jean Knight ramène la fabuleuse persistance du groove Cajun. Nouveau temps fort de l’album avec «Who Is She (And What Is She To You)». Elle ramène du son à chaque cut, elle te groove ça à la Knight, tout l’album est bon, elle ne lâche rien, elle chante à la vie à la mort, elle gère sont «Don’t Break My Heart» au heavy groove de break my heart. On sent la black d’âge mur dans «Gonna Getcha Back», elle pèse ses mots - Out of my mind - et elle finit cette excellente virée avec deux enregistrements live, son vieux «Mr Big Stuff» qu’elle rappe, et «My Toot Toot» qu’elle tape en mode Cajun avec une énergie démesurée - Don’t mess with my Toot Toot !

    Signé : Cazengler, knight in white sauterne

    Jean Knight. Mr Big Stuff. Stax 1971   

    Jean Knight & Premium. Keep It Comin’. Cotillon 1981

    Jean Knight. My Toot Toot. Mairage 1985       

    Jean Knight. Shaki De Boo-Tee. Ichiban records 199

     

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    La première chronique de la rentrée ne sera ni longue ni joyeuse. L’annonce du concert du 27 juin dernier était le dernier des Crashbirds. Les cui-cui ne voleront plus ensemble. A la croisée des chemins Delphine Viane et Pierre Lehoulier ne suivent plus le même sentier. . Un coup au cœur, cela doit faire dix ans que nous les suivions, concerts, disques, vidéos, illustrations… Une image, un son, un concept : les trois clefs nécessaires à l’existence d’un grand groupe. Ils avaient tout, nous n’aurons plus rien. Certes un dernier album Unicorn devrait sortir… nous en avions déjà chroniqué les premiers morceaux… il nous reste un goût amer dans la bouche. Ce n’est pas la fin du monde, sûrement celle de la fin d’un monde, le nôtre puisque nous le partagions avec eux deux, leur talent, leurs sourires, leur ironie… Nous souhaitons à Delphine et à Pierre que leurs nouvelles vies soient douces.

    Damie Chad.

     

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    Deux formations françaises ont sorti en plein mois d’août une vidéo sur YT, deux sons différents, deux univers psychologiques divergents, deux groupes que nous aimons et suivons. Il est temps de regarder et d’écouter, Paul Claudel n’a-t-il pas décrété que l’œil écoute.

    ASHEN

    Reprenons le récit de l’histoire en train de se dérouler. Dans notre livraison 545 du 10 /03 / 2022 nous chroniquions quatre vidéos d’Ashen, : Sapiens, Hidden, Outler, le 18 / 05 / 2023 (in 595) c’était avec quelque retard au tour de Nowhere. Erreur fatale au mois de mai dernier nous avons fait l’impasse sur Angel.

    ANGEL

    ( Production : Ashen + Bastien Sablé )

    ( Official Music Video / 11 - 05 - 2023)

    Poully : bass / Tristan Broggeat : drums / Clem Richard : vocal : / Antoine Zimer : guitars / Niels Tozer : guitar, additional vocals / Thibaud.

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    Ne soyez pas déçus comme moi lorsque se profile les silhouettes noires du groupe après les quinze premières secondes cramoisies de l’intro, non ce n’était pas de la déception, mais de la peur, que ce cinquième opus d’Ashen ne soit pas au niveau des quatre précédents, après la foudre, après la chute de l’ange, après le foudroiement, un simple orchestre de rock, ils veulent rire, ce que l’on attend c’est du drame, de l’épopée, du grandiose. C’est exactement ce que nous offre Ashen. Attention, pas du pompier, pas du rutilant, pas du toc, non, du déchiré, du mythe, et pire que cela de l’amour. Donc un truc risible et cucul la praline, dans le texte anglais ils emploient un mot plus fort, non pas pour remplacer le mot love mais le mot armor qui signifie armure, désormais tout est dit. La vidéo peut se dérouler.

    Je ne crois pas que Bowie nous ait donné un clip aussi fort. La violence du rock’n’roll et la démesure humaine. L’ange n’est pas tombé bien loin, l’est enraciné dans la chair de Clem, avez-vous déjà entendu un mime hurler aussi fort. Superbe performance, l’ange est emmailloté dans le lange du corps de Clem, l’ange est folie, il est l’autre moitié de soi-même, celui qu’il faut tuer à moins que ce ne soit lui qui ne vous tue. Qui tient la flèche, qui tombe, n’est-ce pas vous qui forcez les portes du paradis dans lequel vous vous êtes enfermé ? Inversion des valeurs dirait Nietzsche. La métaphysique du désir psychique au tir à l’arc d’Apollon.

    Autrement dit dans le miroir où la démence furieuse se contemple vous n’apercevez que des éclats de beauté. Vous recevez la puissance du son et l’image, mouvante, d’une plénitude incertaine, des visions purpurales et des entailles d’engrammes… un montage d’une dextérité époustouflante, Bastien Sablé a su rendre l’impact sonore d’Ashen, chaque plan cisaille vos yeux et s’efface pour mieux s’incruster en vous comme une graine dont vous êtes incapable de prévoir à quels futurs excès elle vous conduira.

              Ashen est un groupe à part qui se distingue de tous les autres par une démarche créatrice originale d’une grande exigence formelle sans rien renier de l’essence libératoire du rock. Ashen témoigne d’une époque où les espaces de liberté collective s’amenuisent subrepticement, à tel point que l’individu surpris et désemparé se retrouve enfermé en une extrême solitude.  

    SMELLS LIKE TEEN SPIRIT

    ( Official Music Video / 04 - 08 – 2023 )

    ( Réalisation Alexis Fontaine)

    Dans la vie il faut s’attendre à tout, mais pas à ça. Sixième vidéo : Ashen se permet une reprise, pas un antique morceau de blues que seuls de par le monde douze ou quinze fanatiques connaissent et dont l’attribution est des plus incertaines.  Faut un culot certain pour s’attaquer au titre phare de Nirvana. C’est comme la porte du paradis vous pouvez cogner dessus de toutes vos forces sans qu’elle s’ouvre.  Aux âmes bien trempées dans le métal depuis leur plus tendre adolescence il n’est aucune formule d’orichalque qui ne soit interdite. Sur leur FB, dans un reels, Clem s’en explique en quelques mots vindicatifs : ‘’ Nirvana was the band that got me into rock music. So we decided to do a cover.’’ Rien à rajouter. Clair net et précis.

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             Une reprise ne saurait être une copie conforme. Une couve de Nirvana par Ashen doit d’abord avant tout ressembler au niveau sonore à du Ashen. Pas de déception le son est dans le droit fil des vidéos précédentes. Ashen ne singe pas et ne songe pas à se renier. Pour vous en convaincre regardez d’abord l’Official Music Video de Nirvana, celle avec les pom pom girls. Pour les images, Alexis Fontaine puise à la bonne source, celle de la dernière tournée d’Ashen avec While She Sleeps et Resolve, l’a réalisé l’irréalisable, une espèce de structure sonore dont l’arête des images s’estompe à peine apparues, un tourbillon tempétueux, il témoigne de sa présence par le fait même qu’elle s’absente         alors que la réalisation de Nirvana reste tributaire d’un art encore engoncé dans les représentations des tournages-télévisés. Ashen exhale un côté arty parfaitement assumé.

             Kurt crève l’écran, Clem le creuse. Question de personnalité, question d’époque. La rage désespérée de Kurt est encore un signe sinon d’espoir mais de rébellion, Clem est le reflet d’une génération qui n’y croit plus, les idéaux sont morts, il ne subsiste que des blessures, des trous béants dans lesquels l’individu se tapit et se réfugie dans une atonie de souffrance infinie. Les vers fourmillent généralement dans les cadavres, mais avant la mort l’on arrive à ce stade ultime où ils vous bouffent la tête du temps de votre vivant. Ce n’est pas que le futur n’existe plus, c’est que l’on traverse le vide de son absence. Et que l’on continue à vivre. Malgré tout. Malgré rien.

             Pas vraiment une adaptation. Une relecture éblouissante.

    Damie Chad.

     

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    Dans notre livraison 602, nous accueillions pour la première fois The Evil’s Dogs pour Havi destiné à être le titre d’ouverture de leur EP : Tales of the Ragnarock. Ils n’ont pas chômé cet été puisqu’ils présentent le deuxième titre :

    THUNDER

    THE EVIL’S DOGS

    ( Official Ia Music Video  / 13 - 08 – 2023)

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                 Des acharnés de la mythologie nordique – elle se prête à merveille aux grandes épopées sonore des groupes de hardrock - Havi était une ode de bruit et de fureur élevée à Odin le dieu des dieux, celui qui sacrifia un de ses yeux pour accéder à la connaissance, celle qui prédit la fin des Dieux lors du Ragnaröck, ultime combat qui opposera les Dieux, parmi tant d’autres monstres, à Fenrir le loup et aux ‘’chiens du mal’’…            

               Thunder est un chant élevé à la gloire de Thor, le dieu dont le marteau déclenche la foudre et le tonnerre dès qu’il le lance sur ses ennemis. Thor appelle tous les vikings morts à la guerre pour s’entraîner pour le dernier combat le Ragnaröck dont il annonce la venue. Au vu de la thématique l’on pressent que le morceau ne s’écoulera pas tel un long fleuve tranquille…

    Alex Lordwood : chant / Nico Petit : guitare / Agathe Bonford : basse / Michel Dutot : drums. Izo Diop : guest guitar ( From Trust ).

             Petite notification avant de commencer : peut-être aimez-vous le changement. Les douze premières secondes de la vidéo vous présentent la même image employée pour leur premier titre, patientez à la treizième fatidique vous changez d’univers. Peut-être pensez-vous que la mythologie scandinave c’est bien mais que depuis le monde a évolué. Vous ne pouvez trouver plus moderne. A la pointe de la technologie, utilisation de l’Intelligence artificielle pour illustrer le sujet. Trois sociétés ont apporté leur savoir-faire technologique. Les images produites me semblent procéder de deux sources différentes, des décors des premiers jeux-vidéo des années quatre-vingt-dix eux-mêmes issus des dessins pour livres documentaires historiques géographiques et animaliers destinés aux enfants in the seventies et de la peinture historique du dix-neuvième siècle que l’on qualifie hâtivement de pompière alors que son imagerie est aujourd’hui à la base de nos représentations imaginaires. L’influence filmique et de la BD ne sont pas non plus à dédaigner. Les tressautements infligés à ces images d’Epinal emmagasinés dans notre cerveau sont-ils à interpréter comme l’indication que nous avons affaire à des leurres qui ne reposent que sur des intuitions médiumniques ou d’hypothétiques réalisations humaines… Première vidéo rock de ce type que je visionne. Je suppose que ce ne sera pas la dernière.

             Par contre pour la musique il n’y a pas photo, trois coups de caisse claire et vous avez un nappé onctueux de guitare qui recouvre toute la plaine d’Asgard, le type d’intro dont vous rêvez, pour le coup vous ne faites plus gaffe aux images, une basse bourdonnante noyée dans un flot d’électricité, vous n’en demandez pas plus vous êtes comblé, vous avez simplement oublié qu’avec cette meute de chiennerie le mieux est toujours certain, trois nouveaux  petits coups de baguette magique, et hop vous réalisez qu’il manque un truc important, à la première syllabe prononcée Alex Lordwood vous envoûte, vous attendez un vocal enragé un tumulus de haine froide, une stridence sanguinaire, oui vous avez tout cela mais sans effusion de laryngite, sa voix détient tout cela comme la graine contient Yggdrasil, d’une amplitude extraordinaire elle se colle aux guitares comme l’écaille au serpent, mais cette chasse sauvage apporte en plus ce sentiment de la réversibilité des choses, cette nostalgie que ce qui est aujourd’hui, un jour, bientôt, ne sera plus, vous attendiez une brute sanguinaire, et c’est la sagesse d’un scalde qui s’impose,

    Encore trois petits tapotements du destin et la course frénétique reprend et flamboie, une guitare s’élève pointue comme la cime glacée d’un pic étincelant, que domine les derniers rayons d’un soleil déjà éteint de la voix lordwoodienne, surgit en final une apothéose de guitares  menée au triple galop sleipnirique d’une batterie qui depuis le début mène et scande la charge.

             Superbe. Si vous trouvez mieux passez moi un coup de fil. Electrique.

    Damie Chad.

     

    *

    Un mail de Lionel Beyet m’annonce la sortie d’un disque du groupe In Der Welt sur le label P.O.G.O. Records, In Der Welt, j’aurais certainement été au courant tout seul puisque je fais régulièrement un tour sur le site du label, le nom m’aurait interpellé, de l’allemand certes, ils sont français de Clermont Ferrand, mais pour les amateurs de philosophie, j’en suis un, la formule sonne aux oreilles, serait-ce un hasard, non puisque deux titres de l’album ne sont pas non plus sans résonnances heideggerriennes. 

    Heidegger n’est pas en odeur de sainteté parmi nos élites. Il est vrai qu’avant tout le monde il a clairement énoncé et annoncé l’arraisonnement de la pensée humaine et de la nature par la technologie. Il a aussi tracé une ligne de démarcation essentielle entre la pensée philosophique et la croyance (usez du terme ‘’pensée’’ si vous préférez) religieuse. C’est dans ce retour au fondement de la pensée philosophique dans l’originelle pensée grecque, comprenez une pensé a-chrétienne, qui lui a valu au début des années quatre-vingt une espèce de mise en accusation idéologique masquée sous des reproches politiques. J’ai pour ma part, en d’autres lieux, beaucoup écrit sur ce sujet. 

    Mais il est temps d’écouter In Der Welt.

    L’album est sorti en février 2023 sous forme d’une K7 (Les Disques Bleus). N’ayant pas laissé les amateurs indifférents la sortie en CD sur un label plus important s’est imposée.

    IN DER WELT

    ( Pogo 176 / Août 2023 )

    Thomas : guitare / Arno : voix / Aurélien : basse / Julien : batterie, artwork.

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    Persona : quel vocal, attendez-vous à être haché dans les mandibules d’un insecte géant, heureusement qu’à la fin une voix vous parle et vous réconforte en affirmant que vous êtes infini, de quoi vous redonner confiance  après ce déluge sonique qui vient  de s’abattre sur vous, post-metal hardcore si vous voulez, avec des instants de rémission, basse élastique, éboulements battériaux, lentes agonies, emphases atterrantes, ne portez aucun espoir en ces oasis, le sable du désert les a déjà ensevelies et la tempête reprend de plus belle, pas de panique votre avenir est certain, rien de bon ne peut vous arriver en ce monde. Ou dans le monde. Vous n’êtes personne, qu’un humain parmi des millions d’humains, vous portez tous le même masque, vous jouez tous le même rôle, interchangeables, le nihilisme serait donc l’essence de l’homme, la violence de ce premier morceau vous enjoint de répondre oui. Solace : ce n’est pas un morceau lent, disons qu’il se déplace lentement, une espèce de dinosaure freiné par son propre poids et qui se traîne en saccageant tout sur son passage, l’instrumentation s’en charge, pour vous aider à comprendre ils ont sorti une vidéo, non il n’y a pas de mastodonte antédiluvien, simplement un homme qui marche dans un désert sans fin, l’est étrangement accoudé sous son espèce de cape vampirique, ressemble au portrait caché du dernier des hommes nietzschéens revenu de tous ses accaparements, un peu comme vous quand la jeunesse s’effiloche, que tout fout le camp, que vous ne savez plus quoi devenir et que vous avancez vers vous ne savez quoi. Le morceau ne s’appelle pas Réconfort par hasard, notre dernier des survivant à lui-même trouve un cristal de roche, par réfraction il allumera un feu, qui le rassérènera, il s’incline vers la terre, il la salue, le monde lui insuffle son infinitude. Watchtower : il est devenu le gardien de la tour de guet, marche militaire quasi guillerette au début, vocal enragé, notre homme est prêt à bouffer le monde, à l’avaler d’un seul coup comme une pomme mal cuite, il semble qu’au bout de moment, il doute, la musique ralentit, mais il repart comme en quarante, l’est prêt à tous les combats, car vous ne vaincrez jamais si vous ne combattez pas, la musique devient assourdissante, elle froisse vos tympans, pourquoi tant de haine, d’appetite for the auto-destruction, une interview radiophonique vous apporte la solution, l’homme cède à sa propre pulsion de mort, il a besoin de mourir puisqu’il est une créature mortelle. Dans votre tour de guet le seul évènement notable qui apparaîtra sera la grande faucheuse qui se dirige vers vous… C’est-elle que vous attendiez. Dasein : terme ô combien Heideggerien, vous pourriez le traduire par existence, par votre manière d’être-là dans votre existence, en d’autres termes votre dasein est votre destin, In Der Welt n’a jamais joué aussi fort, aussi rapide, aussi percutant, voix et instruments pressés, atomisés, dans le mixer de la vie, tout passe trop vite, à la fin vous n’êtes plus là et la bobine biographique du film de votre vie tourne à vide. L’on n’échappe pas à ce que l’on est. Vous ne rajouterez rien de plus. Totem : un peu de répit dans ce monde de bruit et de fureur. Est-ce da la pluie revivifiante qui tombe, qui trombe, imaginez un théâtre d’ombre, un peu comme la caverne platonicienne, c’est vous qui agitez vos propres figurines, au début le jeu est plaisant, bientôt vous vous apercevez de l’inanité de votre occupation, même vos poupées totémiques deviennent harpies et se transforment en oiseaux de proie, qui vous attaquent, la musique fonce sur vous en piqué pour vous vous crever les yeux et vous défoncer la cabosse, n’oubliez pas ce qui vous tue est plus fort que vous, pas la peine de s’exciter. Certains jouets ne sont pas à mettre dans toutes les mains, non recommandés tant que vous n’êtes pas mort. Bye anxiety : cri libérateur, il est inutile de céder à l’angoisse heideggerienne qui étreint l’homme que la mort prive de son âme, hurlements orgasmiques, danse nietzschéenne, guitare, basse et batterie se détendent, elles atteignent à une plénitude encore jamais atteinte sur l’album, sûr une voix off nous prédit qu’après 2030 ce sera trop tard, et alors ? L’important n’est-il pas de vivre intensément tous les moments de notre vie, fussent-ils les derniers ou les avant-derniers. Well  done friends : feast of friends, acceptation nietzschéenne, amor fati, amour du destin qui nous est imparti, que nous nous sommes impartis, violence et grandiloquence, générique final de notre existence, une voix chuchote, que dit-elle, cela n’a pas d’importance, quelques bruits d’enfants de chiens peut-être… peut-être pas… il faut prendre ce qui est donné… Control : prendre le contrôle de sa vie, la voix ne hache plus, elle chante, joie et triomphe, intumescence backgroundale, ramdam total, le vent déferle, il emporte l’univers en une bourrasque vertigineuse, désormais vous êtes la guerre. Slow motion : changement de donne, et si tout cela n’était qu’illusion, n’est-il pas nécessaire de regarder le monde tel qu’il est, un désert de glace pétrifié, un antre obscur, aucune lumière dans la caverne de Platon, sursauts violents de vitalité, notes égrenées ambigües, tristes, nostalgiques, ironiques, la voix off est recouverte, engluée par le magma sonique, tout à la fin l’on n’entend qu’un seul mot. Vide. Le nihilisme n’aurait-t-il pas été surmonté. Serait-il insurmontable.

             De toute beauté, une musique noire, enfiévrée mais glaçante, un art qui se rapproche du dressage équin, qui exige maîtrise et dextérité, du post-metal hardcore philosophique. Une espèce rare, donc précieuse. Du grand art.

    Damie Chad.

     

    ROCKFLEXIONS ( 1 )

     

    Pour Madame Bellas,

    Les idées, quand elles ne sont pas platoniciennes, vont et viennent. Font trois petits tours dans notre cerveau, en règle générale, à part quelques unes qui nous sont chères, elles se tapissent dans un coin et se font oublier. Une pensée est le résultat d’un phénomène beaucoup plus élaboré. Elles naissent du télescopage de deux idées entre lesquelles nous n’avions jamais établi la moindre corrélation. Jusqu’au jour où se produit le déclic fatidique. La foudre qui surgit de l’entrechoc de deux gros nuages porteurs d’électricité statique n’agit pas autrement.

    Fin juillet dernier ( voir livraison 609 ) après la fin du concert de Juke Joints Blues nous discutions, quelle surprise,  de rock ‘n’roll avec Chris Papin… Une thématique connue : pourquoi notre génération avait-elle été à ce point traumatisée par cette musique. Vous connaissez la réponse : à l’époque il n’y avait rien d’autre. Et tous deux de raconter à preuve comment le soir dans notre lit, l’oreille sur le transistor nous attendions les fameuses séquences blues et rock de Pierre Lattès dans le Pop Club de José Arthur sur France Inter…

    Souvenirs, souvenirs. Oui, c’est quelques jours plus tard, alors que je ne pensais pas particulièrement à cette conversation qu’une évidence fulgurante s’est imposée à mon esprit. Alors que Chris et moi avions affirmé haut et fort qu’aucune autre génération avant nous n’avait faute de moyens technologiques appropriés pu expérimenter un tsunami musical aussi dévastateur, un démenti cinglant me fut infligé… par moi-même.

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    Comment depuis des lustres avais-je pu faire une telle impasse mentale alors que je n’ignorais rien d’un tel tohu-bohu intellectuel similaire qui s’était déroulé au dix-neuvième siècle notamment en France. La musique wagnérienne en fut la cause. Certes l’on ne pouvait écouter la musique de Richard Wagner à la radio ou acheter ses disques. Mais l’élite artistique européenne, peintres, musiciens, poëtes, comprirent que l’inouï venait de se produire. Je ne veux pas dire que l’on n’avait encore jamais entendu une musique si tonitruante, certes la rutilance des cuivres emplissait les oreilles, c’était autre chose qui était en jeu, de par sa magnificence l’écriture et le projet wagnériens imposaient un diktat existentiel aux auditeurs.

    Le monde n’en n’avait pas été changé, simplement désormais l’on ne pouvait plus continuer de vivre comme avant, votre vision du monde et votre attitude sous l’impulsion dévastatrice de cette entreprise musicale titanesque devenaient différentes, sur l’échiquier du vécu vous n’étiez plus un pion qui subissait votre destin, mais vous deveniez votre destin-même puisque vous vous imposiez l’obligeance de prendre en main la totalité des paramètres de votre existence. La vie devenait une suprême exigence.

    Ainsi le rock’n’roll.

    Damie Chad.

     

                                                                                                            

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 34 ( strombolif ) :

    192

    L’interphone de l’ascenseur grésille :

              _ Papa, sauve le petit chat, ne le laisse pas faire !

              _ Alice ne te mêle pas de ça, raccroche cet interphone et file au lit !

              _ Non Papa, je descends par les escaliers, je viens sauver le petit chat, essaie de te faire tuer avant le petit chat, je le récupèrerai !

               _ Ne vous donnez pas tant de mal, nous vous apportons tout de suite le chaton !

               _ Merci Monsieur, vous êtes trop gentil.

    193

    Quand nous entrons dans l’appartement, Alice arrache le chaton des mains de son père et s’enfuit dans sa chambre :

              _ Je m’occupe de lui, seuls Molossito et Molossa ont le droit de me suivre. Ce sont des héros ! Ce sont les copines qui vont être jalouses !

    La porte se referme vivement sur elle et les animaux.

    194

    Le père d’Alice assis sur un des canapés du salon a besoin de reprendre ses esprits. Tout sourire Carlos qui s’est adjugé le rôle de barman lui tend un grand verre de whisky empli à ras-bord :

              _ Buvez cela, vous avez besoin d’un petit remontant, excusez-moi pour la mise en scène mais sans cela vous n’auriez jamais voulu nous recevoir !

              _ J’avoue que les évènements se sont enchaînés si vite depuis que j’ai ramassé cette bestiole que je n’y comprends rien, si quelqu’un voulait bien m’expliquer !

             _ Avec plaisir Monsieur, le temps que j’allume un Coronado, je laisse l’agent Chad vous expliciter le coup du chat !

    195

    Je m’éclaircis la voix, je sens que ça va mal se passer, tant pis j’assume :

              _ C’est très simple, en début d’après-midi j’ai passé un coup de fil à votre fille ! Pour le numéro, celui de votre appartement est dans l’agenda interne du personnel de la Bibliothèque François Mitterrand, dont vous êtes le directeur, je me permets de vous le rappeler.

              _ Comment avez-vous osé, téléphoner à une enfant, c’est un scandale de quel droit, je me permets de préciser que si elle est en troisième, elle a deux ans d’avance, c’est une honte !

              _ Une enfant douée certes mais malheureuse, son rêve serait d’avoir un chat et vous ne vouliez pas, alors nous lui en avions procuré un !

              _ Je n’avais pas besoin de vous j’en ai trouvé un tout seul !

              _ Pas tout à fait Monsieur, j’ai chargé mes deux chiens de trouver un chaton abandonné et de le glisser derrière vous quand vous rentriez chez vous, ils ont magnifiquement rempli leur mission, vous pouvez les féliciter, sans eux votre fille serait malheureuse et pleurerait en cachette dans son lit comme tous les soirs comme elle me l’a confié au téléphone !

             _ Moi c’est la Brigade des Mineurs que je vais appeler, à l’instant !

    196

    Le Chef a manifestement terminé d’allumer son Coronado :

              _ Ne vous donnez pas cette peine, c’est inutile, le SSR, Service Secret du Rock ‘n’Roll, est hiérarchiquement au-dessus de tous les services de police et de gendarmerie du pays, seules les autorités suprêmes de l’Etat ont barre sur nous, laissons votre fillette en-dehors de cette affaire, peut-être voudrait-il mieux que vous parliez de sa mère !

    Le père d’Alice est devenu livide, il s’effondre sur son siège, Carlos se hâte de lui tendre une nouvelle médicamentation, il se tait un long moment, avant de se mettre à parler à voix basse :

              _ Quand je vous ai vu arriver en trombe dans la bibliothèque pour exiger le bouquin d’Oecila, j’ai compris que vous finiriez par tout savoir. J’ai essayé de me renseigner sur vous, c’est pour cela que nous avons fini par nous rencontrer sur le parking de Disney…

    Le chef emprunte une voix de psychanalyste éprouvé :

              _ Oui, oui, nous comprenons, mais votre épouse, parlez-nous d’elle, vous verrez, cela vous fera du bien !

              _ Quand je suis sorti premier de l’Ecole des Chartes, le ministère m’a proposé un stage à Moscou, j’ai accepté,  j’ai vite repéré dans le groupe d’étudiants à qui je donnais des cours de paléographie, une jolie étudiante, vive, intelligente, souriante, joyeuse… Ecila… j’en suis tombé amoureux, elle n’était pas insensible à mon charme, je le dis sans me vanter, mais au bout de deux ans si elle acceptait avec plaisir mes invitations, musées, spectacles, cinémas, promenades, nous étions toujours ensemble, mais je n’en étais pas plus avancé, pas le moindre baiser…

    Je sens que Carlos se prépare à intervenir, je lui fais signe de se taire, ce n’est pas le moment de nous expliquer que dans la Légion l’on tombe les filles comme l’on saute sur Kolwezy.

              _ Lors de mon départ elle m’a accompagné à l’aéroport, je m’apprêtais à lui faire la bise, elle n’a pas voulu, ses paroles m’ont suffoqué, figurez-vous qu’elle m’a dit : ‘’ j’espérais que vous m’auriez demandée en mariage et emmenée en France, je vois que c’est impossible, adieu Gabriel’’.

    Carlos lève les yeux au ciel, toutefois il s’abstient de tout commentaire. Après un moment répit Gabriel reprend son récit :

              _ Je ne suis pas parti, je l’ai demandé en mariage aussitôt, elle a souri puis elle a rajouté : j’accepte à condition que vous emmeniez ma sœur avec moi. C’est ce que j’ai fait. Nous avons été heureux, nous avons eu Alice, elle est morte voici deux ans. Voilà c’est tout.

    197

    Pour détendre l’atmosphère Carlos prépare une tournée apéritive. Le Chef fourrage dans sa poche pour en extirper un Coronado qu’il s’empresse d’allumer :

              _ Au nom du SSR Gabriel, je vous présente mes condoléances et celles de tout le service, je crois que vous avez besoin de repos, nous allons vous quitter au plus vite, mais avant une toute petite question, pas bien longue.

    Le Chef prend le temps d’exhaler un nuage de fumée :

              _ Et Oecila !

    Gabriel sursaute comme s’il avait été piqué par un serpent, ses yeux flamboient de colère, il se reprend :

    • Nous sommes allés la chercher… un voyage interminable… en train… nous avons traversé des forêts sans fin, si vous ne l’avez pas vue, il est impossible de se représenter l’immensité de la taïga russe. Nous avons débarqué dans un village perdu. Je pensai que le lendemain elle m’emmènerait visiter sa famille. Non, elle m’a emmené dans un cimetière, devant la tombe d’Oecila… Oui c’est étrange les deux sœurs avaient à peu près le même nom… Nous l’avons ramenée en France, un mal fou pour en avoir le droit, une chance le haut-fonctionnaire qui m’avait proposé le poste à Moscou était entre temps devenu conseiller du Président de la République…

    198

    Le Chef allume un cigare. Il est huit heures du matin et nous venons d’ouvrir le local. Tard dans la nuit, nous avons laissé Gabriel, manifestement brisé par sa confession. Il était inutile de continuer, il était incapable de rejouter le moindre mot. J’ai récupéré Molossa et Molossito pelotonnés contre Alice, le chaton endormi sur son épaule. Elle ne s’est pas réveillée quand les cabotos ont sauté du lit pour me rejoindre, nous sommes rentrés tous les trois chacun chez nous…  

              _ Agent Chad, je ne suis pas mécontent de notre dernière soirée. Les pièces du puzzle commencent à s’assembler.

             _ Un grand pas en avant Chef, je le concède, l’abîme de la perplexité reste toutefois grand ouvert devant nous. Prenons le cas de Gabriel par exemple.

             _ Agent Chad sans l’avoir consulté je suis sûr que Carlos classe ce type de bonhomme parmi les chifonnettes. Méfions-nous, il n’a pas tout dit, il serait bon que vous puissiez obtenir de sa fille quelques renseignements complémentaires.

             _ Oui, mais Carlos n’a pas tort, ce type n’est pas un rocker, nous sommes dans une drôle d’affaire, mais pas un seul mot de Gabriel ne laisse à penser en quoi cette histoire concerne le rock ‘n’ roll.

             _ Agent Chad je partage votre questionnement, je suis certain que nous allons bientôt finir par le savoir.

    A suivre…