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rockambolesques - Page 3

  • CHRONIQUES DE POURPRE 632: KR'TNT 632 : GYASI / STEVE WYNN + DREAM SYNDICATE / ALVIN ROBINSON / MEMPHIS BEAT / HIGH COMPILS / DARK QUARTERER / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 632

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    15 / 02 / 2024

     

    GYASI / STEVE WYNN + DREAM SYNDICATE

    ALVIN ROBINSON / MEMPHIS BEAT

     HIGH COMPILS / DARK QUARTERER

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 632

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Easy Gyasi

    - Part Two

     

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             On aurait pu intituler ce nouvel épisode des aventures de Gyasi : ‘Le glam au pays du camembert’, ou encore ‘Le glam aux pinces d’or’, en hommage à Hergé, ou bien encore, ‘Les Glammeurs’ en souvenir de notre chère Agnès Varda de la rue Daguerre. C’est vrai qu’on ne sait pas s’il faut prendre Gyasi très au sérieux, tellement domine en lui une dimension cartoonesque, comme on dit en Angleterre. Mais si tu y réfléchis bien, le cartoon est inhérent au glam, c’est le m’as-tu-vu poussé à l’extrême, le mon-truc-en-plume de Zizi Jeanmaire avec des GROSSES guitares électriques, une révolution de palais des glaces, un petit Krakatoa sonique qui entra en éruption en 1972, une vague sucrée qui nous replongea aussitôt dans l’adolescence, ce furent quelques années magiques, un petit tourbillon de poudre de perlimpinpin, Ziggy the Zig, Bolan mal an, Slade, Hector, Wizzard, Mud, Sweet ô my Sweet, une vague extraordinairement éphémère, qui ne pouvait être qu’anglaise, et voilà que cinquante après la bataille, un kid américain redonne vie au glam. Et il incarne magnifiquement cet art perdu, il croise des looks extrêmement seventies, celui de Ziggy pour la maigreur anorexique et celui de Jimmy Page pour le costard ouvert sur une poitrine glabre, les cheveux dans les yeux et un coup d’archet sur la Les Paul, histoire de donner à manger aux glaneurs d’images qui grouillent à ses pieds.

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    Gyasi a décidé qu’il serait rock star, et le voilà sur scène, en rockstar parfaite, immaculée, indiscutable, haut et fin, costard black d’épaules saillantes, haut minimal fermé par deux pattes galonnées d’or, d’une rare élégance, maquillé, lèvres peintes, grosses pattes d’eph sur platform boots en peau de panthère, il ramène aussi un peu de Dolls, et un peu de Ronson, via la Les Paul et la couleur de cheveux, dans sa fabuleuse expertise du mic-mac, il ramène tout ce qu’on aime dans le rock, le regardez-comme-je-suis-beau, qu’on appelle aussi le sex-appeal, l’essence même du rock, l’anti-ventripotage, l’anti-ragnagna-vais-pas-bien, tu vois ce corps parfait à l’œuvre sur une scène et tu te frottes les mains, car le rock a encore de beaux jours devant lui, même si ça se passe dans la petite salle.

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    Celles qui ne s’y trompent pas sont les admiratrices, Gyasi fait surtout craquer les gonzesses, quoi, comment est-ce possible, un mec aussi beau, elles rêvent bien sûr de le toucher, de la même façon que les gamines anglaises des seventies rêvaient de toucher Ziggy, juste toucher, tu ne peux pas espérer plus, Ziggy est un fantasme incarné, et Gyasi n’est pas loin du compte, il faudrait juste qu’il pousse vraiment le bouchon de glam.

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             Mais il est peut-être trop américain pour ça. Quand on l’a vu à Binic, un guitariste relativement glam l’accompagnait sur scène. Une petite gonzesse au look punk américain, c’est-à-dire en monokini de cuir noir, bas résille et tattoos en pagaille, le remplace. Elle est plutôt belle, mais trop punk. Elle met le paquet sur sa Gretsch solid body, mais elle sonne trop mainstream rock US, celui qu’on aime pas trop, elle fait parfois un peu trop son Slosh, et là on perd le glam. Dommage, car de sacrés relents de «Jean Genie» remontent dans «Snake City», et des sacrés relents de Bolan remontent aussi dans «Fast Love», une sorte d’évanescente resucée d’«Hot Love». Il est même en plein dedans, tu crois rêver, les accents sont exactement ceux de Bolan. Il aurait dû foncer dans cette direction, plutôt que de faire ce «Blues» qui n’apporte rien, et ce clin d’œil à Cabaret qui n’apporte rien non plus. Il reprend le mythe du Mime Marceau tel que le concevait Ziggy dans «Sword Fight», mais son Sword Fight passait mieux sur la grande scène de Binic, dans cette ambiance surréaliste et cette tempête de poussière jaune que lèvent chaque année les hordes de pogoteurs.

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             Gyasi essaye d’offrir un spectacle complet à son public et ce n’est pas si simple, car bon nombre de gens n’étaient pas nés au moment du glam, et s’il est un domaine pour lequel il faut des points de repère, c’est bien le glam. Sinon, c’est indécodable. Ça peut passer pour du rock maniéré, alors que c’est un rock spécifique et extrêmement sophistiqué qui a révolutionné l’Angleterre, et uniquement l’Angleterre. Les Européens ont suivi le mouvement on va dire à l’oreille, mais ils ne l’ont pas vécu comme l’ont vécu les kids anglais. Le décadentisme est inhérent à la culture anglaise. Un phénomène comme Ziggy Stardust n’est compréhensible qu’en Angleterre, un pays dont la vertu principale est la tolérance. Tu ne peux pas avoir ça ni en France ni en Allemagne. Et encore moins aux États-Unis. Excepté des Dolls et Andy Warhol, le décadentisme américain a pris une autre forme, celle de la disco et des bars gay. Mais un mec comme Jobriath n’a jamais marché, même s’il était sur Elektra. Le public américain n’en voulait pas et Jaz Holzman dit même avoir regretté son investissement. Ça ne pouvait pas marcher dans un pays qui est encore plus un pays de beaufs que la France. Pour «conquérir» l’Amérique, Bowie a dû laisser tomber le glam pour passer au discö-funk, perdant au passage une bonne partie de ses fans de la première heure, ceux qui vénéraient «Changes» et Hunky Dory, et qui exécraient la daube commerciale du Thin White Duke.

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             Espérons que Gyasi ne passera pas au discö-funk. On sent chez lui des dispositions au caméléonisme, et s’il tombe sur un manager qui a des dollars à la place des rétines, il est probable qu’un jour il opte pour la voie royale du big biz. Des gens disaient hier soir qu’on risquait de ne plus voir Gyasi sur une petite scène et qu’il jouerait bientôt au Zénith. Pas évident. Il doit de toute évidence réfléchir au destin de Bowie, un destin riche d’enseignements. Si tu veux rester fidèle à tes pulsions rock, tu rempliras des salles de 200 personnes. Si tu passes au gros son commercial, comme l’a fait Bowie, tu accéderas aux stades et tu t’achèteras des maisons à Tokyo, à Londres et en Suisse. Tu deviendras riche et célèbre. Et puis se rouler par terre avec sa guitare, ça ne dure qu’un temps. Viendra ensuite le jour où les fans qui ont vécu le glam dans les années 70 auront disparu, alors ce sera plus compliqué. Ou moins compliqué. Ça dépend. Le glam deviendrait alors un genre sorti de nulle part. Mon-truc-en-plume so far out. Tu l’as dit, bouffi. 

    Signé : Cazengler, jaseur

    Gyasi. Le 106. Rouen (76). 9 février 2024

     

     

    Wizards & True Stars

    - Syndicate d’initiatives

    (Part Six)

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             Si aujourd’hui encore on se prosterne jusqu’à terre devant Steve Wynn et son Dream Syndicate, ce n’est pas un hasard, mon petit Balthazar. Dans le début des années 80, Steve Wynn, Jeffrey Lee Pierce et John Doe ont sauvé le rock californien de la médiocrité qui le menaçait, et depuis, ils ont enregistré à eux trois près d’une centaine d’albums dont ils peuvent être fiers, et sur lesquels on s’est longuement étalé ici. Aux États-Unis, Steve Wynn, Jeffery Lee Pierce et John Doe ont joué à peu près le même rôle que Lou Reed, Frank Black, Robert Pollard et Todd Rundgren : en bâtissant une œuvre à l’échelle d’une vie, ils ont veillé scrupuleusement à maintenir un très haut niveau qualitatif. C’est d’ailleurs ce savant brouet à base de grosses compos, de modernité et d’énergie visionnaire qui fait les très grands disques. Et The Days Of Wine & Roses, paru en 1982, en fait partie. Alors comme on raffole des très grands disques, ça tombe bien : pour fêter le quarantième anniversaire de sa parution, Fire nous pond une belle box, The Days Of Wine And Roses/40th Anniversary Edition.  

             Les boxes, parlons-en. Il en pleut de partout. Les labels s’imaginent que tout le monde il est riche, il est gentil, alors c’est un vrai déluge. Des fois, tu t’en sors avec un billet de 50, comme c’est le cas avec le Syndicate, des fois il sortir un billet de 120 pour les boxes de Stax ou des Beach Boys, et là, on ne rigole plus. Le problème, ce n’est pas de les payer - tu peux finir le mois en bouffant des pâtes - mais de trouver le temps de les écouter. Tu as par exemple une box Del Shannon avec 12 disks. 12 ! Les bras t’en tombent et les oreilles aussi. Les 2 boxes de Stax c’est pareil, ty va ou ty vas pas ? Si ty vas pas, tu vas culpabiliser, tu vas te dire que tu passes à côté d’une montagne de coups de génie, de révélations extra-sensorielles, tu te racontes des tas d’histoires pour t’encourager à te jeter à l’eau, et tu parviens héroïquement à te calmer en reportant l’opération au lendemain. Mais si par malheur tu attends trop et que tu y reviens deux mois plus tard, tu vas voir le prix de ta box flamber : les revendeurs n’hésitent plus à doubler les prix, car ils savent que des gros malades crèvent d’envie de les avoir. Tout est là. Les avoir. Si on pouvait créer une internationale des gros malades et bloquer les commandes pendant un an, on ferait chuter les prix. C’est un peu le même plan que l’internationale des petits voyous : si tous les petits voyous du monde se tenaient la main pendant un an et cessaient de braquer des banques ou de voler des bagnoles, ils mettraient toute la faune de la répression au chômage, les flicards, les juges, les avocats et les matons. Allez hop ! Tout le monde chez Pôle Emploi ! Mais comme le temps des utopies s’est achevé au XVIIIe siècle avec la fin de la flibuste, il n’est plus permis de rêver, et l’internationale des gros malades n’existera jamais, alors les prix vont continuer de flamber et tu verras tes boxes de Stax dépasser les 200 euros avant la fin de l’année. Franchement le jeu n’en vaut pas la chandelle verte.

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             Par contre, la box du Syndicate vaut la chandelle. Et même doublement la chandelle. Non seulement tu ne perds pas ton temps à écouter les quatre disks qu’elle te propose, mais tu vas traverser de jolies phases d’excitation. Tu vas comprendre à quel point Steve Wynn et Karl Precoda s’enracinaient dans le Velvet. Sur le disk 1, tu as bien sûr l’album avec un son boosté qui te fend le crâne si tu l’écoutes au casque, mais tu as aussi le Down There EP sur lequel se trouve «Sure Thing», du pur jus de Velvet. Tu crois entendre «White Light White Heat», exactement le même power, le Wynner chante comme le Lou, exactement la même ambiance, avec le beat hypno imparable. Encore pire : «Some Kinda Itch», avec des chœurs qui battent la bretelle, c’est balayé à la wild craze du Velvet. Tu retrouves cette brûlante merveille sur le disk 3, une version live grattée à la Méricourt, et cette fois, le Wynner et son équipe s’embarquent dans le train fou du 13th Floor, fast and furious, et ça redevient vite Velvetien. Comme dans X, c’est le beurre qui tient tout. Le Wynner fait son Jean Gabin et conduit sa loco folle au firmament du rock le plus éblouissant. Apoplexie garantie. Le Wynner hurle comme un malade. On l’avait encore jamais vu dans cet état. Tu en retrouves une autre mouture live sur le disk 4. Ce qui est effarant, c’est que chaque version est différente, et c’est la raison pour laquelle elles sont toutes là. Le «Some Kinda Itch» enregistré à Tucson en 1982 est complètement 13th Floor. Même vitesse, même orgie de son, le Wynner et ses Syndicalistes n’en finissent plus d’outrepasser les conventions patronales. Le Preco devient fou, un vrai CGTiste, Some Kinda Itch sonne comme Son-of-a-bitch. Wild as fuck. Les versions live permettent de voir ce que le Syndicate a dans la culotte. C’est très instructif. Le Wynner : «‘Some Kind Itch’ was Roxy’s ‘Editions Of You’ kind of rewritten.» Le disk 3 propose une version live de «Sure Thing», et cette fois, ils renouent avec le chaos de «Sister Ray». C’est vraiment pas loin, bien dans l’angle, et live, le Sure Thing est encore plus vénéneux. Franchement, on est ravi de pouvoir entendre le Syndicate casser la baraque. Tiens, encore un «Sure Thing» live sur le disk 4, enregistré à Resada, Californie, en 1982. Le Wynner l’annonce ainsi : «This is San Francisco psychedelia, Quicksilver, Blue Cheer.» Faux ! C’est du pur Sister Ray. Boom badaboom !

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             Retour à l’album proprement dit. Il se met en branle avec «That’s What You Always Say». Le Wynner a déjà du power, il sonne comme un artiste complet, il est bien en place et le Preco vient envenimer les choses. Leur son n’a pas pris une seule ride en 40 ans. «That’s What You Always Say» est toujours aussi balancé et fondamentalement rock. Disons que c’est leur cut le plus classique. Live, il passe toujours comme une lettre à la poste. Comme sur tous les grands albums, on a ses chouchous. «When You Smile» en est un. Bizarrement, la version de l’EP est plus dense, comme noyée de disto. On en trouve une version live sur le disk 4 : Preco la noie de feedback, ah la brute ! C’est lui qui mène la sarabande, il rôde dans le son comme un fantôme. Et si Karl Precoda était l’un des plus grands guitaristes de rock américain ? On est vraiment tenté de le croire. L’autre chouchou, c’est bien sûr «Then She Remembers», fast and wild, pur jus de no way out. Le son est d’un raw qui dépasse les normes ! Les poux ont des dents. Preco dévore le rock, les dynamiques sont demented, ça splurge de partout, et le beurre fait foi, comme dans X. Fais gaffe, la version live qui se trouve sur le disk 3 va t’envoyer au tapis. Ils ont décidé de renverser le gouvernement, le Wynner te cisaille les colonnes du tempe vite fait et le Preco se contente de hanter les ruines, avec la malveillance d’un fantôme d’Écosse. Ambiance Sister Ray, une fois de plus. La version live du disk 4 est encore plus Punk’s not dead. Le Syndicate sait défiler ventre à terre et ne pas garder la tête froide.

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             Le grand chef-d’œuvre Syndicaliste, c’est «Halloween», écrasé par le poids terrible des accords, et le Wynner conduit sa manif vers la victoire à coups de descentes d’accords géniales. Elles sont même historiques. Tous ceux qui ont écouté «Halloween» à la parution de l’album ont henni de plaisir charnel. Cette descente au barbu est devenue l’emblème du Syndicate. Ils t’équarrissent le rock au grand jour. Sur le disk 4, tu as une version live d’«Halloween» complètement demented, car dévorée vivante par Precoda le prédateur, il crache le feu de Dieu, il plonge dans les abysses inconnues, il joue ce qu’il faut bien appeler un solo miribolant de pharaonisme et le Wynner chante à la Lou. Le temps d’un «Halloween», le Syndicate devient le maître du monde. Et puis bien sûr, le morceau titre, «The Days Of Wine & Roses», wild as fuck. Cette fois, ils sonnent comme les Saints, c’est explosif, faussement maîtrisé, visité par des vents de poux investigateurs et battu si sec ! Saluons Dennis Duck, le frère de Donald.

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             Un cut comme «Definitely Clean» se noie un peu dans la masse de l’album. Le Wynner le joue juste au dessus de la surface, à l’apanage des alpages, c’est monté au tapapoum et aux grattes cinglantes et tu les vois s’emballer dans la course, mais c’est la version live du disk 4 qui révèle la vraie nature de ce cut : pur power Syndicaliste. Le Wynner tape l’«Until Lately» au just show how wrong you can be et au bo bo bop bop, et derrière l’affreux Preco gratte sa slide. Ça se termine en pétarade de modernité arrosée d’harp et d’excelsior. La petite bassmatiqueuse Kendra Smith chante «Too Little Too Late». Dommage qu’elle ne soit pas à son avantage sur les photos.  

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             Le disk 2 propose des démos et des répètes. On voit qu’en répète, ils sont extrêmement précis. Kendra Smith chante son «Too Little Too Late» d’une voix grasse et humide. Ils ont énormément de son, comme le montre «Is It Rolling Bob?». Ils en abusent, pour le bien de nos oreilles. On a vraiment l’impression d’être dans la pièce avec eux. On croise bien sûr quelques inédits, comme «A Reason». Precoda est all over the sound et ils amènent ensuite «Like Mary» à un niveau immédiatement supérieur, ils savent créer du climax, c’est très impressionnant. Très Velvet dans l’esprit. Leur «Unknown Song With Lyrics» est encore du pur Velvet. Ce sont les accords de «Sweet Jane». Ils sont en plein dedans. Ils font aussi une version de «Some Kinda Itch» et Precoda explose un «Open Hour» demented, complètement saturé de poux, il joue dans tous les coins. L’«Open Hour» va devenir «John Coltrane Stereo Blues». Franchement, on va de surprise en surprise !

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             Et pour finir, quelques covers, dont un beau «Road Runner» live sur le disk 3 - Bip Bip ! - Bel hommage à Bo. Dennis Duck le bat sec et net. Sur le disk 4, ils tapent un «Folsom Prison Blues» cavalée ventre à terre, et ils terminent le disk 4 avec une version affreusement heavy de «Piece of My Heart», le hit de Jerry Ragovoy et Bert Berns, rendu célèbre par Janis, mais la version définitive est celle d’Ema Franklin. Le Wynner remonte sa pendule au c’mon c’mon.  

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             Dans ses liners, Pat Thomas indique que les Pixies et Nirvana sont nés des cendres du Syndicate. Il indique aussi qu’il en est à sa 39e année de love affair avec le Syndicate. Chris D. qui a produit The Days Of Wine & Roses indique qu’ils ont torché l’album vite fait en deux jours. Pat Thomas ajoute que cette prod est une non-prod à la Tom Wilson, qui avait enregistré Dylan et le Velvet - A very classic non-production style que vous enregistrez live dans le studio, which is kind of a lost art these days - Chris D. indique aussi que Pat Burnette, le fils de Dorsey, lui a donné un sacré coup de main. Chris D. et Pat Burnette ont aussi enregistré le Gravity Talks de Green On Red. Quand Green On Red, le Gun Club et les Syndicate ont quitté Slash, le label pour lequel bossait Chris D., ils ont perdu leur son. Qui va à la chasse perd sa place.

             This one is for my friend Jacques.

    Signé : Cazengler, Steve wine (cubi)

    Dream Syndicate. The Days Of Wine And Roses/40th Anniversary Edition. Fire Records 2023

     

     

    Inside the goldmine

     - Robinson Crusoé

             Alvo était plutôt beau gosse. Comme tous les beaux gosses, il avait tendance à en profiter. Ça se traduisait par un réel ascendant sur les gens. Et si tu veux profiter des gens, rien n’est plus indiqué que le business. Comme en plus d’être beau gosse, il était rusé comme un renard. Alvo aurait pu vendre un lave-linge à un dromadaire, si l’occasion s’en était présentée. Pas de spectacle plus réjouissant que de voir Alvo à l’œuvre. On le voyait approcher sa proie avec un grand sourire communicatif, s’ensuivaient une franche poignée de main, des formules significatives, puis il sortait un album de son sac, annonçait le prix et attendait la réaction de son «client». Si le «client» toussait, Alvo concédait un petit rabais symbolique. Mais dans la grande majorité des cas, son offre de prix passait comme une lettre à la poste, parce qu’il avait le cran de la soutenir avec un franc sourire. Comment un mec aussi sympa pouvait-il t’arnaquer ? Ça dépassait ton pauvre petit entendement. On a bien sûr entendu par la suite des «clients» se plaindre de «s’être fait rouler». «Mais ce n’est pas si grave», leur répondait-on, pour dédramatiser, «qu’est-ce qu’un billet de vingt comparé à l’univers ?». Ce qui avait le don d’aggraver les choses, car les gens qui se plaignaient d’Alvo n’avaient bien sûr aucun humour. Rares furent ceux qui voyaient comme un honneur le fait d’avoir alimenté le business d’Alvo. Indépendamment des questions d’amour-propre (personne n’aime se faire rouler), c’était une sorte de privilège que d’évoluer dans l’orbite de ce virtuose de la vente. Il fallait juste essayer de dépasser les a priori. C’est comme lorsqu’on franchit un col de montagne, on découvre ensuite une vallée. Et Alvo, c’était ça, une vallée. Chez beaucoup de gens, notamment chez les beaufs, la vallée n’existe pas. Chez Alvo, la vallée était luxuriante, elle s’étendait à l’infini, il suffisait juste de comprendre que son rapport aux gens passait par le biz, et puis une fois que tu avais compris ça, tu accédais à la vallée. Alvo a disparu, mais le souvenir de la vallée reste extrêmement présent.

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             Pendant qu’Alvo t’ouvrait le chemin de sa vallée, Alvin créait sa légende avec une poignée de singles. C’est exactement la même image. Le seul album d’Alvin Shine Robinson qu’on puisse se mettre sous la dent est une compile Charly qui s’appelle Shine On. C’est un album recherché, et pour cause : il est excellent, et au dos de la pochette, John Broven signe les liners. Broven nous rappelle qu’à la différence des autres stars de la Nouvelle Orleans, Robinson est allé faire carrière à New York et sur la West Coast. Ses premières amours sont le «hard, hard blues», Ray Charles et Jimmy Griffin, des Griffin Brothers. Quand il apprend à jouer de la guitare, il joue dans les orchestres de Joe Jones et Lee Dorsey.

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             C’est l’époque où deux grands producteurs de la Nouvelle Orleans se partagent le marché : d’un côté Allen Toussaint pour Minit, et de l’autre Dave Bartholomew pour Imperial. Bartholomew produit des hits à la chaîne pour Fatsy, Snook Eaglin, Frankie Ford, Earl King, Robert Parker, Huey Piano Smith, Shirley & Lee et Alvin Shine Robinson. 

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             Mais ça ne marche pas pour Robinson à la Nouvelle Orleans, alors il part avec Joe Jones à New York et enregistre des singles pour les trois labels de Leiber & Stoller, Tiger, Red Bird et Blue Cat. Joe Jones a passé un accord avec Leiber & Stoller et leur a amené les Dixie Cups et «Chapel Of Love». Robinson va décrocher un hit, avec une cover du «Something You Got» de Chris Kenner. Pour Leiber & Stoller, «Downhome Girl» est le meilleur single paru sur Red Bird. C’est en effet un heavy groove cuivré de frais. Le cut phare de la compile Charly est sans le moindre doute «Dedicated To Domino», un fantastique hommage, chanté d’un ton bonhomme et bienveillant - The fat man from the very first song - Alvin Shine Robinson est un universaliste : il couvre tout. Encore de la fantastique présence dans «How Can I Get Over You», un super slow groove que chante Robison au far out, so far out. Il ramène tout le power du heavy groove dans «Bottom Of My Soul». Alvin Shine blows it right ! Et voilà l’excellent «Let The Good Times Roll» d’Earl King. Il en fait une version mythique, bien heavy, à l’upper-cutting, quasi hendrixienne. Sur une petite photo au dos de la pochette, on le voit gratter une Strato. Mine de rien, cette compile est un gigantesque album de Soul. On l’entend sonner comme Ray Charles dans «Wake Up (And Face Reality)», puis il sonne comme Fatsy avec «They Said It Couldn’t Be Done». Tiens, voilà encore du pur jus de New Orleans avec «Baby Don’t Blame Me», c’est très black, chanté avec toute la générosité du grand peuple noir. Tout est bien sur cette compile. On voit avec «Pain In My Heart» qu’il aime le «hard, hard blues»

    Signé : Cazengler, pour qui robinsonne le glas

    Alvin Robinson. Shine On. Charly R&B 1988

     

    The Memphis Beat –

     Le mur d’Andria

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             Autre petit book hautement recommandable : Waking Up In Memphis, d’Andria Lisle et Mike Evans. Ils proposent, sous forme de chassé-croisé, un panorama de la Memphis scene, en partant des légendes du blues pour remonter jusqu’aux tenants et aboutissants de la scène garage contemporaine. Mike Evans nous rappelle que Rufus Thomas vient d’une autre époque, celle du fameux Rabbit Foot Minstrel Show itinérant qu’il rejoignit en 1927. Il était forcément vieux lors du fameux Wattstax qui eut lieu en août 1972 à Los Angeles. Puis Rufus commença à bâtir sa légende au weekly Amateur Night sur Beale Street au début des années 40. C’est là que des gens comme Rosco Gordon, Johnny Ace, Bobby Blue Bland et B.B. King firent leurs débuts. On payait Rufus 5 dollars pour faire le présentateur et il le fit pendant 11 ans. On l’a peut-être oublié, mais Charlie Musselwhite vient lui aussi de Memphis. Charlie rappelle qu’il est né dans un coin paumé - a smack dab - du Mississippi, à Kosciusko et qu’il a grandi à Memphis, avant d’aller à Chicago bosser comme les autres dans les usines. Dans son quartier, le jeunes blanc-becs bossaient pour percer, notamment Johnny et Dorsey Burnette qui vivaient sur Manhattan Avenue, et Cash qui vivait sur Tutwiler, a block north. Andria Lisle nous rappelle que la révolution se fit grâce aux radios qui échappaient à la ségrégation. Et l’un des pionniers fut bien sûr Dewey Phillips avec son Red Hot And Blue Radio Show. Et comme le dit si bien Dickinson dans ses mémoires, tous les blancs pauvres (Carl Perkins, Cash, Charlie Feathers et Jerry Lee) ont appris à jouer avec des nègres. Appelons ça la victoire de l’art sur les préjugés racistes.

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             Evans et Lisle reviennent bien sûr sur l’épouvantable fin de Stax, mis en banqueroute en 1975 par des petits fournisseurs. La même année, Al Jackson est abattu chez lui. Et quelques mois plus tard, l’Union Planters Bank fout Stax en l’air pour défaut de paiement et vend le studio 10 $ à une organisation religieuse qui va laisser pourrir le bâtiment. Quand Jim Jarmush tourne Mystery Train dans les années 80, on reconnaît le bâtiment à l’abandon. Et quand en 1989, le film sort sur les écrans, le bâtiment est rasé. C’est dire la haine de cette communauté de rednecks pour les blacks qui réussissent. Ils ne leur ont pas laissé la moindre chance. Al Bell craignait même pour sa vie, et Jim Stewart, coupable d’avoir pactisé avec le diable, c’est-à-dire les nègres, va finir sa vie complètement ruiné. On se croirait dans un roman de William Faulkner. La pathos est toujours plus tragique dans le Deep South.

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             Et puis voilà Hi, just down the street from Stax, au 1320 South Lauderdale. Avant de s’appeler Hi, le label s’appelait the House Of Instrumentals et Willie Mitchell y jouait de la trompette, accompagnant le Bill Black Combo, dont font partie Reggie Young et ‘Yaketty Sax’ Ace Cannon. Puis c’est l’époque des pionniers du Plantation Inn, un club de West Memphis, de l’autre côté du fleuve, et tous les jeunes blanc-becs de Memphis viennent s’y encanailler : Steve Cropper, Duck Dunn, Jim Dickinson et Packy Axton. Toujours les mêmes. Le groupe de Willie Mitchell est à leurs yeux the pinnacle of cool. Puis Willie bosse pour un label nommé House Of Blues avec les 5 Royales et Roy Brown. Il va ensuite bosser pour Ray Harris chez Hi et il monte son house-band, the Hi Rhythm Section, avec les frères Hodges. Il commence à développer un son et met la batterie au cœur des backing tracks. Et c’est parti : OV Wright, Bobby Blue Bland, et ça explose avec Ann Peebles, puis Al Green que Willie a découvert dans un club du Texas, épisode magique que relate minutieusement Al dans son autobio, Take Me To The River. Quand arrive l’incident du dos brûlé, Al Green passe plusieurs mois à l’hosto et se plonge dans la bible où il découvre qu’un homme ne peut pas servir deux maîtres, autrement dit, il doit choisir entre servir Dieu et servir Willie Mitchell. C’est là qu’il décide de se séparer de popa Willie. Un jour qu’il se balade sur l’Elvis Presley Boulevard, Dieu lui indique la direction de Whitehaven, une banlieue populaire. Il roule sur Hale Street et tombe sur une vieille église en bois abandonnée. C’est là, lui dit Dieu, que tu vas devoir fonder The Full Gospel Tabernacle et y prêcher la parole sacrée. Le Révérend Green y chante et y danse depuis des années. Quand la messe est dite et qu’il a salué les fans venus y assister, il remonte dans sa silver Rolls garée devant l’église. Le gospel est comme le blues, à l’origine de tout. Mike Evans rappelle que Sister Rosetta Tharpe et Aretha sont originaires de Memphis.

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             Tout aussi religieux, voici Uncle Sam, âgé de 79 ans, qui semble lui aussi prêcher la parole sacrée, parlant les bras en l’air : «I liked all the gutbucket stuff, the deep Mississippi hollers and hymns. Then Elvis came into the studio. I was looking for the common denominator, and he was it. I couldn’t classify him as black, or country, or pop and that fascinated me.» Puis le lève le poing au ciel : «The spirit of Elvis Presley will never go away.»

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             Billy Lee Riley se souvient d’avoir grandi avec ce qu’il appelle the old gutbucked blues. On n’entendait pas de blues à la radio, mais des vieux nègres le jouaient ici et là, au coin des rues. Billy Boy rencontre ensuite Slim Wallace et Jack Clement, deux bidouilleurs qui ont monté un studio dans le garage de Slim, sur Fernwood Street. Ils l’ont tout naturellement baptisé Fernwood studio. Comme ils montent un label (Fernwood Records), ils demandent à Billy Boy d’être leur premier client. Ils enregistrent deux cuts et Jack Clement amène les bandes chez Sun pour demander à Uncle Sam de lui fabriquer un acetate. Quand Uncle Sam entend «Trouble Bound», il propose un deal à Jack pour le sortir sur Sun. Mais il faut un cut rockab en B-side. Alors Billy Boy compose «Rock With Me Baby» et l’enregistre avec Roland Janes (guitare), JM Van Eaton (drums) et JB Bruner (slap). Ces gens-là vont ensuite devenir les Little Green Men, un nom qui sort du «Flyin’ Saucer Rock’n’Roll» que Billy Boy va composer et enregistrer avec eux. Accessoirement, ils vont devenir le house-band de Sun. Ils vont accompagner Roy Orbison, Cash, Charlie Rich, Bill Justis et d’autres gens moins connus.

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             C’est Alan Lomax qui découvre les traces de l’Afrique au bord du Mississippi. Dans The Land Where The Blues Began il dit avoir entendu a tune such as the African Pygmees have played from time immemorial. Eh oui, Otha Turner remonte aux temps immémoriaux. Alan Lomax et George Mitchell ont flashé sur ce bluesman de la première génération qui apprit à jouer du fifre dans les années 20. Otha dit que son père Ollie Evans avait les yeux bleus comme lui. Ollie était un sang mêlé, mi-Chickasaw ou Choctaw, il ne sait pas exactement. Puis il affirme qu’il était à moitié bouc, ce que confirme Jim Dickinson qui le voit en Dionysos.  

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             Mike Evans fait un grand bond en avant avec Big Star et le studio Ardent. Pour lui, Big Star est la Memphis’s answer aux Young Rascals de New York. C’est bien vu, car les deux niveaux culminent sec. Evans dit aussi que Big Star n’a pas vendu beaucoup d’albums, mais ce groupe a eu au moins autant d’influence que le Velvet qui n’en vendait pas beaucoup non plus. Pas de Big Star sans John Fry et son studio Ardent qui va devenir, comme Sun, Stax et Hi, une institution. Fry commence par enregistrer un teenage band nommé Lawson And Four More, assisté de Jim Dickinson. Terry Manning qui joue dans Lawson restera vingt ans durant l’un des fidèles assistants de John Fry.

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             L’autre institution locale, c’est bien sûr American. Chips Moman, qui a roulé sa bosse avec Gene Vincent et Johnny Burnette, finit par jeter l’ancre à Memphis. La grande force de Chips fut d’avoir tissé des liens commerciaux avec des gros labels comme Atlantic, Scepter ou MGM. En 1967, Jerry Wexler lui proposa d’enregistrer le nouvel album de Wilson Pickett. Puis Wexler lui envoie Dusty chérie. Dans leurs books respectifs, Ruben Jones et James Dickerson donnent tous les détails.

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             En remontant encore un peu dans le temps, on finit par tomber sur Tav Falco et les Panther Burns. Tav commença par partager ses concerts avec ses idoles : RL Burnside, Charlie Feathers, Cordell Jackson et Sonny Burgess, qui du coup reprirent tous du poil de la bête, commercialement parlant. Tav n’est pas avare de déclarations : «The Panther Burns are the missing link between the earlier forms of swamp blues’ unbridled howl and the psychological onslaught of the new millemnium. We are essentially the ditch diggers in American Music.» Et il ajoute après avoir salué la comedia del’arte : «The Panther Burns are the last steam engine train on the track that don’t do nothing but run and blow.» Luther Dickinson ajoute : «Si vous dessinez l’arbre généalogique du blues, du garage et du punk, vous revenez forcément aux Panther Burns, et si vous continuez, à Mud Boy & the Neutrons.» C’est selon lui la spécificité du Memphis beat, when you mix crazy hillbillies and crazy black guys together. On ne pourrait rêver d’une meilleure définition du Memhis beat. Luther : «Quand Bobby Ray Watson ramena RL Burnside au studio de Roland Janes, il avait un gros sac d’herbe locale - homegrown Mississippi reefer - et RL avait de l’alcool de maïs, it’s just a crazy combination !» Luther salue ensuite le label Fat Possum et le journaliste Robert Palmer qui surent remettre RL Burnside et Junior Kimbrough d’actualité. Luther Dickinson est un membre actif du Memphis beat contemporain avec les North Mississippi Allstars. Son frère Cody a appris à jouer de la batterie sur un kit que son père avait ramené de chez Stax. Le Zebra Ranch de Jim Dickinson est aujourd’hui devenu un endroit mythique. Luther dit aussi que ses parents lui ont épargné l’école quand il était petit. Sa mère leur apprenait l’orthographe et le calcul. Des artistes locaux comme Tom Foster et Jim Blake venaient leur donner des cours de dessin. Mike Evans salue ensuite la nouvelle vague de garagistes : Monsieur Jeffrey Evans, godfather of Memphis punk, puis Jack Yarber, membre des Oblivians, des Compulsive Gamblers, de Soul Filthy, des Cool Jerks, des Tearjerkers et producteur du premier et seul album des Porch Ghouls, un groupe que composaient Eldorado Del Ray (guitar/vocals), Slim Electro (guitar, ex-Grifters) et Duke Baltimore (drums, ex-68 Comeback). Ils qualifient leur son de ruckus, un terme de slang datant des années 20 qu’on utilisait pour qualifier la musique des Memphis jug bands. Mike Evans salue l’autre tête pensante des Oblivians, Greg Cartwright et son brillant Reigning Sound, dont l’explosive line-up mélange the spirit of Memphis Soul with a 60s pop dynamic and country-boogie edge.  Avec the Reigning Sound, Cartwright dit avoir cherché à évoluer sans perdre ses racines. Pas facile.

    Signé : Cazengler, le con le Lisle

    Andria Lisle & Mike Evans. Waking Up In Memphis. Sanctuary Publishing 2003

     

    L’avenir du rock

    - Deux compiles qui tombent pile

             L’autre jour, l’avenir du rock déambulait dans des halls. Il captait ça et là les bris de conversations qu’émettaient des grappes d’affairés chamarrés. Il s’émerveillait de ce qu’il entendait, ces ribambelles de surenchères et ces défis que certains lançaient à la salubrité mentale, ça affirmait et ça infirmait, ça corroborait et ça ravinait, ça amputait et ça ravaudait, ça pétaradait et ça palabrait, ça pérorait et ça paradait, alors, mu par l’envie d’en découdre, l’avenir du rock intervint pour glisser une strophe sibylline :

             — Non certes elle n’est pas bâtie sur le sable sa dynastie, une strophe à laquelle bien sûr les autres ne pigèrent que couic.

             — De quelle dynastie parlez-vous, avenir du rock ?

             — Mais du Shah d’Iran et ran et ran petit patacon...

             À quoi il ajouta :

             — Car il est possible au demeurant qu’on déloge le Shah d’Iran...

             Alors Raymond la science s’interposa, et, pointant vers la voûte du hall un index vibrillonnant, il s’exclama :

             — Au demeurant il est déjà délogé le Shah d’Iran !

             À quoi l’avenir du rock rétorqua sans délai :

             — Sans vouloir vous offenser, Raymond, votre répartie compte deux pieds de trop !

             Et voyant l’assistance interloquée, il ajouta aussi sec :

             — Qu’un jour on dise c’est fini au petit roi de Jordanie...

             Cette toutânkhamonnerie létale eut pour effet de sidérer les dernière lanternes au point de les éteindre, comme on mouchait autrefois les chandelles. Sentant que le moment était venu de les rallumer, il livra la clé de l’énigme :

             — Que sur un air de fandango on détrône le vieux Franco... Mais il y a peu de chance qu’on détrône le roi des cons !

             L’avenir du rock s’émerveilla. Cette vieille ritournelle de Georges Brassens restait d’une actualité brûlante. Pour rasséréner la troupe déconfite et meurtrie, il ajouta, goguenard, qu’auprès du roi des cons trônait son cousin le roi des compiles.

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             Comme les lecteurs de Vive Le Rock ont été sages, le Père Noël leur a offert une belle compile, Vive Le X-Mess 2023. Cette compile est capitale, car elle montre que la scène anglaise is alive and well, une formule qu’il est difficile de traduire sans la dénaturer, alors ne la dénaturons pas, elle saura se montrer assez explicite. Six coups de génie sur 14 titres, c’est un bon indicateur de tendance. Ce n’est pas qu’on ait besoin de se rassurer, mais de savoir que ça rocke encore à Londres remonte sacrément bien le moral. La révélation s’appelle Voodo Radio avec «Dog». Là tu y es ! I’m a bitch ! C’est le cœur battant du hard trash contemporain. Authentique du ciboulot, archi harsh - You’re a dog/ I’m a bitch - Dommage que les mini-albums soient inaccessibles. Retrouvailles de choc avec Cockney Rejects et «My Heart Ain’t In It», noyé dans le gratté de gras double de Mick Geggus, il a tout le son de London Town, c’est du power pur, il développe incroyablement et passe des solos de power pur. Geggus joue en fondu de génie. Grosse révélation encore avec Eryx London et «Blagger», une vraie voix dans ton cou, le mec chante doucement, il crée une  atmosphère palpable, et ça se développe avec fermeté, ça te rappelle le «Rose Giganta» de Chicano. À la suite, tu as les Smalltown Tigers et «Girl Can’t Help It», des Italiens, apparemment, avec un classic high energy rockalama. Le Tiger chante comme Gary Holton. Cette scène existe encore, ils tentent le coup de vrai truc avec un chanteur fou. Excellent et tellement d’actualité. Vive Le X-Mess est un modèle de résurgence. Les Priscillas font du sucre avarié avec «One Christmas Wish». Janus Stark est amené par Vive Le Rock comme The Next Big Thing, mais il faudra attendre encore un peu, solide c’est sûr, mais rien de plus que ce qu’on sait déjà. Alors voilà le heavy stuff : Larry Wallis et «Meatman (2023 Mix)». On tape ici dans l’extrême onction, le Meatman est le heavy rumble de Notting Hill Gate. Pur genius ! Tu as peu de mecs du calibre de feu Larry Wallis en Angleterre. C’est de l’expurgé, du vindicatif, de l’inénarrable. Ah tiens, voilà les Black Bombers et «The Price». Eux, on y va les yeux fermés. Pas la peine de discuter. Ils cultivent cette vieille énergie de London town, celle des incendies. Les Bombers sont grandioses. Plus power-poppy, voilà Reaction et «Closer Than Most». Power-poppy, oui, mais avec du punch. Extraordinaire démêlé !

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             Et si on parlait d’une compile trop wild ? Elle existe, aussi fou que cela puisse paraître. On la trouve chez Crypt, à Hambourg. Elle s’appelle Searching In The Wilderness, un Op Art de 1986, donc catalogué Mod craze. Mais comme toujours, les bonnes compiles Mod flirtent dangereusement avec le freakout le plus abject, ce que vient confirmer le «But I’m So Blue» des Namelosers. Ces Suédois étaient en 1965 au bord de l’apoplexie gaga-punk, celle dont s’entichaient les Pretties. Les Namelosers sont dans le même trip de dirty blasting, avec en prime un solo crade à souhait. Allez hop, on passe directement au Mod craze avec les Red Squares et «You Can Be My Baby», un hit de 1967, wild British beat chauffé à blanc avec un brin de Mod Craze - One of the most powerful Mod ravers of the sixties - Et pas qu’un brin ! Ils ont récupéré toute l’explosivité des Who et déclenchent des développements inespérés. Tout aussi brillant, voici Sean Buckley & The Breadcrumbs et «Everybody Knows». Une aubaine que d’entendre cette pulpeuse merveille ! On monte encore d’un cran avec The Boys Blue et «You Got What You Want» battu au tribal et wild as super-fuck, c’est littéralement effarant de power ! Jeff Elroy superstar ! Un seul single et puis basta. Terminé. An early incarnation of the Sorrows, nous dit le mec des liners. Encore du wild freakout d’aw aw avec The In Crowd et «The Things She Says», sabré à coups d’harp, c’est somptueux de classe délinquante, pur sonic trash. Pareil, une poignée de singles et à dégager - Roll over The In Crowd and tell Crawdaddy Simone the news ! - Les Outsiders de Willy Tax attaquent «Won’t You Listen» à la fuzz bien sourde. Arrghhh, quelle aventure, c’est sabré à coups d’harp et fuzzillé à ras la motte, avec un solo de génie délinquant. Nouveau coup de Jarnac avec A Passing Fancy et «I’m Losing Tonight», c’est claqué au définitif, à l’adventiste du beignet, c’est pulsé à la boutonnière, ça va chercher la prise de bec, ces mecs-là sont pires qu’Attila. Ce sont des garagistes canadiens. Le mec des liners les compare au MC5 de «Looking At You». On se régale aussi du hard groove fuzzy d’«It Came To Me» des Q-65. Ils s’enlacent comme des serpents autour de l’I’m in love. Et on assiste éberlué au superbe élan de wah-ahah des Golden Earrings dans «Chuck Of Steel». Leur wah-ahah n’est pas facile à expliquer, disons qu’ils traînent les syllabes dans la cavalcade. C’est brillant. Quant aux Snobs, ils shakent l’«Heartbreak Hotel» à la Méricourt, c’est un exploit qu’il faut saluer. Ces mecs portaient des perruques poudrées du XVIIIe siècle, et c’est probablement le guitariste qu’on voit sur une pochette de l’Annie Get Your Gnu de Wildebeests. L’«You’re Holding Your Own» de The Buzz est hallucinant de power ultraïque - logique car enregistré par Joe Meek - et le «Searching In The Wilderness» d’Alan Pounds Get Rich te coupe la chique. 

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             Il existe un album d’A Passing Fancy paru en 1968, qu’on peut aller écouter sur la foi d’«I’m Losing Tonight». On y retrouve bien sûr ce gratté à la menace sourde. Mais le reste du balda n’est pas aussi lourd de sens. Ils font une belle tentative d’envol avec «You’re Going Out Of My Mind» et c’est en B que se planque le reste de la viande : on se régale d’«Island», programmé pour l’obsolescence, suivi d’un «Your Trip» plus heavy, offensif et chaleureusement conseillé, monté sur des heavy chords de carcasses creuses. Ils restent dans la belle heavy pop avec «Little Boys For Little Girls», on s’en pourlèche, la confiance règne, ces Canadiens ont du poids. Ils sont encore terriblement à l’aise avec «Under The Bridge» et restent très polymorphes avec «Spread Out». Ils adhèrent à toutes les surfaces. Ils terminent cet album qu’il faut bien qualifier d’attachant avec «People In Me» et sa petite attaque de revienzy. Tiguili sixties pur et chant gros sabots. Ils auront tenté le coup. 

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             On retrouve aussi le «But I’m So Blue» des Namelosers sur une belle compile parue en 1989, Fabulous Sounds From Southern Sweden. Alors attention, la première série de cuts n’est pas terrible, ils font un choix de covers assez discutable («What’d I Say», «Money») et leur «Around & Around» sent trop l’entente cordiale. On les sent appliqués. La compile se réveille avec «But I’m So Blue», bien saqué du protozozo, battu au beat punk à casquette de Liverpool. Ils font un «Land Of 1000 Dances» bien dirty, ça rue dans les brancards de la fuzz, ils sont enfin réveillés, la fuzz te cisaille les guiboles, la fuzz buzze comme un essaim mortifère. Encore du son avec une cover de «Suzie Q», heavy dumb fuzz de dirt proto. Ils sont encore plus stoned que les Stones sur «Walking The Dog», ils lestent leur Dog de tout le plomb du monde. «Hoochie Coochie Man» est idéal pour des heavy proto-punkers comme les Losers. Ils sont dessus, comme l’aigle sur la musaraigne. Ils finissent en mode downhome protozazou avec un «That’s Alright» complètement fuzzé du ciboulot.

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             Comme les Red Squares nous intriguaient avec leur «You Can Be My Baby», on est allé voir sous les jupes des deux albums parus en 1966, l’album sans titre, et It’s Happening. Comme le succès les boudait, ces Anglais ont émigré au Danemark, et du coup, ils sont devenus des teenage idols en Scandinavie. Ils ont une grosse particularité : une passion immodérée pour les Four Seasons et les Beach Boys. Sur leur premier album, ils tapent une cover d’«I Get Around», mais aussi du «Rag Doll» des Four Seasons. Ces mecs chantent à deux voix, ils sont extrêmement pointus. Ils font une fantastique cover du «Stay» de Maurice Williams, et en B, ils tapent dans Burt avec «Wishing And Hoping». D’autres covers de prestige encore avec «Dancing In The Street» et le People Get Ready» de Curtis. Ce mec Geordie Garriock adore chanter là-haut sur la montagne. Ils terminent avec une superbe compo de Bob Crewe et Bob Gaudio, «Big Girls Don’t Cry», ils tapent en plein dans le mille des Four Seasons, les Red Squares sont des inconditionnels.

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             L’It’s Happening est nettement plus dense. Ils retapent dans le cru Crewe/Gaudio avec «Walk Like A Man», ils tapent dans le haut perché Four Seasons/Beach Boys/Association. D’ailleurs, ils bouclent la B des cochons avec une cover d’«Along Comes Mary», le hit le plus connu de The Association. Ils la tapent au slight return, avec un joli son de basse bien claqué à l’ongle sec. Ils tapent encore dans le cru Crewe/Gaudio avec «Silence Is Golden», ils vont chercher l’éclat de la jeunesse insouciante. Ils tapent aussi dans le «Mr Lonely» de Bobby Vinton qui deviendra «Quand Revient La Nuit» en France. Autre cover de prestige : le «Monday Monday» des Mamas & The Papas : tout l’esprit est là, fidèle au poste et exact au rendez-vous. En B, ils tapent dans le «When I Grow Up» de Brian Wilson, en plein dans l’énergie des Beach Boys. Mêmes démêlés avec la justesse. Ils sont encore plus irrésistibles avec «Kiss Her Good Bye», une compo à eux, et replongent dans le spirit du Smile des Beach Boys avec «Warmth Of The Sun». Tout amateur de grande pop peut y aller les yeux fermés. D’où l’intérêt des compiles qui tombent pile.

    Signé : Cazengler, compilou-pilou

    Vive Le X-Mess 2023. Compile Vive Le Rock 2023

    Searching In The Wilderness. Musiek Express 1986

    Namelosers. Fabulous Sounds From Southern Sweden. Got To Hurry 1989

    Red Squares. Red Squares. Columbia 1966 

    Red Squares. It’s Happening. Columbia 1966  

    A Passing Fancy. A Passing Fancy. Boo 1968

     

    *

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    Un verre c’est bien, trois ne suffisent pas, c’est comme pour les pochettes de disques, vous en regardez une qu’une autre se présente à vous. Cette fois je n’y suis pour rien, je peux nommer le coupable, Paolo Girardi, celui qui a peint la couverture de l’album Lone d’OAK, m’en suis allé illico presto subito expresso bongo admirer ses tableaux. Je vous en ai parlé dans la livraison 631, pas plus qu’Eve devant la pomme je n’ai pu céder à la tentation, j’ai même bouffé le serpent, animal very rock’n’roll, une vidéo de rien du tout, trente-cinq secondes, pas le temps de voir grand-chose surtout que Paolo vous bouche la vue car il se rapproche avec son pinceau pour une dernière petite touche, l’a la zique à fond et un super tatouage sur le dos, à part cela sur la toile c’est une pagaille incroyable, le fond est rouge sur l’extrême gauche un mec sur un navire, je le reconnais aussitôt, Pline l’Ancien, un vieil ami, plus jeune j’ai traduit quelques-uns des textes de son Histoire Naturelle, ses écrits sur la Peinture sont indispensables pour tout amateur d’art, bref nous sommes à Pompéi, et gâteau sous la cerise confite,  dessous il est mentionné : ‘’En train de peindre l’artwork destiné à l’album Pompéi de Dark Quarterer’’. Vous connaissez ma prédilection pour l’Antiquité…

    POMPEI

    DARK QUARTERER

    (Cruz del Sur Music / 2020)

              Des vieux de la vieille, ont commencé en 1974 sous le nom d’Omega R, changent leur dénomination en Dark Quarterer en 1980, enregistrent leur premier album éponyme en 1987 (réédité en 2012), en 1988 sort The Etruscan Prophecy (réédité en 2022), faudra attendre 1993 pour War Tears et 2002 pour Violence. Symbols verra le jour en 2008, Ithaca en 2015, Pompei voici trois ans. Groupe de Heavy-rock à leur début ils évoluent vers un metal progressif. Vous l’avez compris ils aiment les grandes fresques mythologiques… Je ne m’attarde pas, je pense que dans un futur proche si une éruption volcanique n’arrase pas la cité médiévale de Provins, j’en chroniquerais quelques-uns.

             Nous avons déjà évoqué Pompei dans notre livraison 561 du 30 / 06 / 2022 en chroniquant l’album An ear of grain in silence reaped du groupe grec Telesterion, nous interrogeant sur la signification des fresques de la Villa des Mystères de Pompéi. Le fait que la ville ait été ensevelie sous les cendres fut une véritable aubaine pour tous les amateurs de la civilisation romaine. Vision très égoïste qui relègue les trois mille victimes de la catastrophe dans la colonne des dommages collatéraux.

             Pompéi et sa voisine Herculanum furent détruites en trois jours automnaux de 79 au tout début du règne de l’empereur Titus qui succédait à son père Vespasien.  Certes au fil des siècles les pillards n’ont cessé de creuser des galeries pour récupérer quelques objets précieux, mais c’est sur la fin du dix-huitième siècle que commença à se former dans ce que l’on pourrait appeler l’imaginaire européen une vision romantique de la disparition de Pompéi. La nouvelle Arria Marcella (1852) de l’incomparable styliste que fut Théophile Gautier et le roman Les derniers jours de Pompéi (1834) de l’écrivain, passionné d’occultisme, Edward Bulwer-Lyton témoignent de cet engouement littéraire qui perdure encore de nos jours. Peinture, cinéma et musique se sont à leur tour emparés de Pompéi, pour revenir au rock nous ne citerons que le Live in Pompei (1971) de Pink Floyd…  L’album de Dark Quarterer s’inscrit dans une tout autre démarche, celle de nous plonger in vivo dans l’ardente fournaise…

    Gianni Nepi : chant, basse / Paolo Ninci : batterie / Francisco Sozzi : guitare /

    Francesco Longhi : claviers.

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    Vesuvio : d’entrée un coup de génie, Dark Quarterer donne la parole au principal protagoniste de la catastrophe, le Vésuve, un remarquable remake de when I awoke this morning, à part que ce n’est pas un pauvre diable qui parle mais un colosse élémental, une puissance dévastatrice, qui s’apprête à se libérer de son long endormissement en expectorant sous forme de lave brûlante, de nuées ardentes, de gaz délétères, l’excessive accumulation de sa force déchaînée. Avertissement sans frais à la fragile humanité. Une intro magnifique, Dark Quarterer, l’on est quelque part entre le rock’n’roll et la musique concrète, un bruit qui sourd telle une source maudite qui surgirait d’on ne sait où, qui grandit qui explose lorsque la voix de Gianni Nepi se fond avec cette espèce de grondement indescriptible d’un tonnerre souterrain qui maintenant se répand et envahit l’espace extérieur, c’est la colère d’un Dieu tellurien qui explose, le volcan parle, l’on entend dans sa voix la terreur des êtres humains soumis à cette intumescence sonore envahissante. Un capharnaüm sonore dont aucun groupe metal se soit à ma connaissance rendu capable, l’on est trimballé, balayé par des blocs cyclopéens, soumis à un effroyable maelström terrestre qui ne ramène rien à lui mais qui vous repousse, semble vouloir vous exiler hors des limites du cosmos. Prodigieux. Welcome to the day of death : il est des choses plus terribles qu’une éruption volcanique, ne pensez pas à une météorite géante qui viendrait percuter notre planète et procéder à notre l’extinction définitive des fragiles dinosaures humains que nous sommes, ce serait l’horreur absolue certes, mais encore rien comparé au tourbillon de la pensée humaine ployant sous la pensée de son propre destin, par ce morceau nous changeons de cercle, nous passons de la concrétude d’un cataclysme à ses abstraites répercussions idéennes par lesquelles nous l’appréhendons, certes nous sommes directement concernés, mais ne nous méprenons pas, ce n’est pas nous qui dominons le monde, c’est lui qui se manifeste à nous. Il se joue de nous, nous sommes descendus d’un cran, sur un cercle inférieur. Cataracte sonore. Ne croyez pas que ce soit grave. Exceptons vos oreilles passées dans un hachoir géant. Non c’est sardonique. Comme ces bandits sardes qui vous regardaient en souriant d’une façon un peu perverse en supputant le plaisir ou le désagrément des cris de porc égorgé que vous pousseriez s’il leur prenait envie de vous occire proprement. Voire salement. Dark Quarterer est gentil, vous laisse exactement huit minutes trente-six secondes pour vous confronter à vous-même.  C’est le Vésuve, cette brute volcanique, qui pose les questions essentielles, il y est pour quelque chose, cinquante pour cent, il l’admet, vous aussi, vous êtes obligés, ce n’est pas lui qui vous a demandé de passer une journée ou toute une vie près de lui, ne vous en prenez qu’à vous-même, le son imite ces bobines de film qui s’enroulent trop précipitamment et si vous ne prenez pas la bonne décision, la pellicule se rompra, c’est ce qui arrive, le gloubi-bulga sonore s’arrête, un couperet de guillotine. Vous sortez de cette écoute concassante, peu fier de vous, la conclusion est simple : ce n’est pas vous qui décidez. L’immortalité n’est pas une option. Panic : vous êtes allé jusqu’au bout de l’horreur de vous-même en vous-même, dans le monde infrangible de la pensée, vous étiez en un espace somme toute protégé, Dark Quarterer vous dévoile l’autre face de l’animal humain, espèce raisonnable et raisonnante, le voici plongé dans la vie, le récit in vivo, vous lance dans la situation, avec tous vos congénères. Le texte parfaitement documenté s’appuie sur les découvertes in situ analysées et reconstitués par les vulcanologues et les archéologues. Cris et hurlements, un immense bulldozer sonore vous court après, à toute vitesse, personne n’y échappera, remue-ménage infernal, un caterpillar monstrueux pousse vivants et cadavres dans les portes de l’enfer, nul n’y échappera, ni les riches, ni les pauvres, ni les avares, ni les malotrus, ni les vieux, ni les enfants, ni les femmes, nul ne sera épargné, le chant de Gianni Pepi se transforme en plaintes d’horreur infinie, il se tait les pierres tombent et s’entassent partout, quelques survivants ont encore la force de clamer leurs douleurs, pas d’échappatoire possible, l’horreur culmine dans un silence lourd et apaisé, un piano vous joue un adagio pour votre repos éternel. Le combat pour la vie a cessé faute de combattants.

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    Plinius the elder : jamais un 33 tours face A / face B n’a été aussi bien partagé. Les trois premiers morceaux vous ont peint la catastrophe du début au final, du réveil à la fin de la destruction totale de la ville et de ses habitants. Les trois derniers titres se penchent sur les destins individuels de trois personnes. Le nom de la première a traversé l’Histoire, Pline l’Ancien, écrivain renommé, mais il occupa de hautes fonctions militaires notamment en Gaule et en Germanie, au moment des faits il est le préfet (commandant) de la flotte de Misène située près de Naples, averti par des messages optiques, l’important panache de ‘’ fumée’’ et un message de secours de Rectina, une amie chère, qui habite près de la catastrophe, il se précipite avec un navire. Ne pouvant aller plus loin il se réfugie chez un ami aux abords d’Herculanum. Il mourra asphyxié par les nuées ardentes. Tous ses détails sont rapportés par son fils (adoptif) Pline le jeune. (Ne le cherchez pas sur la couve, il a été coupé, la faute au format trop large). Intro fracassante. Pline doit prendre des décisions. Tempo haletant, Dark Quarterer romantise à outrance la relation de Pline et Rectina, notre commandant vole à son secours, tumulte dans une conscience, risquer sa vie, lui le Chef de la flotte, ses proches le retiennent en vain. Arrêt brutal, Chopin l’amant de George Sand est au piano, les sentiments qui unissent les deux amants sont ainsi révélés, ce court espace de tendresse est vite dévoré par la pression instrumentale de l’orchestre et des évènements, Pline court à sa perte, musique martiale, mais se bat-on contre le destin, un dialogue d’âme à âme se crée entre les deux amants portés par la voix suraigüe de Gianni Nepi. Arrêt brutal. Roméo mort ne rejoindra pas sa Juliette. Pour la petite histoire Retina survivra à la catastrophe. Gladiator : n’y avait pas que des empereurs, des sénateurs, de célèbres généraux et de riches familles chez les romains. La foule des anonymes était nombreuse. Après Pline, Dark Quarter se penche sur une profession pour le moins ingrate, sur laquelle notre modernité a beaucoup phantasmé. A preuve Gladiator le film de Riddley Scott. Cliquetis d’épées et de tridents, brouhaha de foule déchaînée, pare les coups, en porte quelques autres, n’en pense pas moins dans sa tête, ça tourne et ça vacarme encore plus que dans l’arène, l’a la rage, non pas contre ses adversaires, contre lui-même, contre sa vie sans but, contre cette existence solitaire qui le mord tel un chien enragé envers lui, qui s’accroche, dont il ne peut se défaire, coups dans les combats, bleus dans son âme meurtrie. Malgré la tonitruance de son monde il rêve d’une vie simple et tranquille avec femmes et enfants, le bruit devient encore plus fort, plus violent, à croire qu’il ne vient pas de lui, il est en plein combat, des clameurs s’élèvent, l’on souhaite sa mort, il n’est plus là, son âme est un oiseau blanc qui monte au-dessus de la mêlée. L’œuf du monde ne délivre son prisonnier qu’une fois que de lui-même il ne se soit entrouvert et cassé. Forever : cette fois ils sont deux, le couple primordial et anonyme, cent millions de fois répliqués, ce que Pline et Retina n’ont pas réussi, le réussiront-ils ? : un monde de douceur, pianos et cordes vibrantes, la voix de Gianni Pepi se fait féminine, ils sont réunis, l’un contre l’autre, ils ne sont pas inconscients, ils ne sont pas dupes de la situation, ils en ont la prescience, la musique devient tonnerre, parfois elle s’alanguit pour aussitôt se métamorphoser en un torrent tsunamique auquel personne n’échappera, ils ont beau semblant de faire comme s’ils étaient sur un île magique hors du temps, ils savent qu’ils n’échapperont pas à leur sort, ce n’est pas qu’ils se  mentent, des chœurs s’élèvent, comme de géants pétales de fleurs protectrices qui se referment sur eux, et se taisent, quelques notes de piano cristallines et puis plus rien, malgré leurs cadavres ont-ils réussi à gagner l’Olympe des Dieux éthériens, Silence. Ont-ils vaincu ? Ont-ils été vaincus ?

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             Je n’ai cité que Gianni Nepi, mais sachez que tous, du début à la fin, n’ont cessé de produire ce bruit sourd et tumultueux de plaques tectoniques qui sous la fragile écorce terrestre de l’orange bleue sur laquelle nous vivons s’entrechoquent et qui un jour finiront par nous détruire. Prodigieux.

             Du coup je m’attaque à Ithaque :

    *

    ITHAQUE 

    Lorsque tu te mettras en route pour Ithaque

    Forme le vœu que se prolonge le voyage

    Fertile en aventure et riches en découvertes.

    Ne redoute ni les Lestrygons où les Cyclopes

    Et ni Poseidon le farouche.

                                                             Jamais

    Tu ne verras rien de pareil sur ton chemin

    Et tes pensées demeureront nobles, si ton corps

    Et ton esprit sont abimés de purs émois.

    Les Lestrygons et les Cyclopes, l’irascible

    Poseidon, tu ne les rencontreras point,

    Si dans ton cœur tu ne les as portés

    Et si ton cœur ne les suscite devant toi.

    Souhaite que la course soit lointaine

    Et que nombreux soient les matins d’été

    Où tu verras – avec joie et délices ! –

    Des ports de mer connus pour la première fois.

    Fais escale dans les comptoirs phéniciens

    Pour t’y fournir de marchandises précieuses :

    La nacre, le corail, l’ambre, l’ébène,

    Les arômes voluptueux de toute sorte,

    Le plus possible d’arômes voluptueux.

    Parcours maintes cités égyptiennes,

    Et va t’instruire, va t’instruire chez les sages.

    Garde toujours Ithaque en ta pensée :

    C’est là qu’est ton ultime rendez-vous.

    Mais surtout ne te hâte point dans ton voyage.

    Mieux vaut qu’il se prolonge des années

    Et que tu rentres en ton île en ton vieil âge

    Riche de ce que tu gagnes en chemin

    Sans espérer qu’Ithaque t’offre des richesses.

    Ithaque t’a fait don du beau voyage.

    Et tu ne te serais point mis en route sans elle.

    Ithaque n’a plus rien à te donner.

    Bien que pauvre jamais elle ne t’a déçu.

    Devenu plein d’expérience et de sagesse

    Tu sais enfin ce qu’une Ithaque signifie.

                                                             Constantin Cavafy

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    Constantin Cavafy (Cavafis selon une transcription plus moderne). Né en 1863 an Alexandrie, mort en 1933 en Alexandrie. Ce petit fonctionnaire sans histoire, est l’un des plus grands poëtes grecs. Lui qui n’a eu de cesse d’évoquer le présent au regard de l’historialité de la Grèce est le fondateur de la poésie moderne grecque et de sa langue poétique. Il n’a écrit qu’un seul recueil de poésie sobrement intitulé Poèmes. De son vivant il ne fit circuler que quelques rares feuillets de cette œuvre à laquelle il consacra toute son existence, elle fut seulement publiée après sa mort. Une centaine de pièces magnétiques, elles attirent et elles éblouissent, elles sont comme des diamants dont les cassures étincellent d’autant plus fort qu’elles éclairent le théâtre d’ombres de la grandeur perdue de la Grèce antique, de l’accommodation humaine à ses désirs et à ses faiblesses, du retrait des Dieux. Cette œuvre, si fascinée de sa propre beauté intérieure et par celle de la chair extérieure, n’en a pas moins une haute portée métapolitique que nos contemporains préfèrent ignorer. Il est sûr que son implication s’avère brûlante.

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    Pour moi, il est plus qu’un frère, une pierre angulaire, un compagnon de combat poétique.

    Ce poème de Cavafy, suivi de cette très courte présentation, n’est pas par hasard puisque Dark Qarterer revendique s’être inspiré de ce poème de Cavafy pour :

    ITHACA

    DARK QUARTERER

    (CD Metal On Metal Records / 2015)

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    The path of life : ce premier titre ne traite pas directement de la chaotique existence d’Ulysse à laquelle il n’est fait allusion à la fin du texte que par une métaphore marine. Profitons-en pour vanter la qualité des lyrics, le Sombre Equarisseur sait écrire, très peu d’approximation dans leurs couplets. Ce sentier de vie évoque la vie de chacun de nous, il est construit comme une œuvre à part entière, un véritable poème symphonique qui se suffit à lui-seul. L’on sent que par cette œuvre que le groupe atteint à une maturité dont peu de formations de black metal mélodique à vocation épique peuvent se vanter. Ici pas d’emballements de grosses caisses ni de cisaillements électriques, le morceau se présente comme un de ces tableaux qui s’imposent à la vue, il est nécessaire de le contempler longuement pour en détacher les détails et comprendre comment chacun s’inscrit et participe de l’affirmation de l’ensemble. Imaginez une toile monumentale qui représenterait la mer, rien que la mer, pas une île, pas un rocher, pas un navire, pas un être humain, seulement une cavalcade de vagues monstrueuses et de creux abyssaux, une image de fureur poseidonique qui court sur vous, qui vous obligerait presque à reculer tellement cette immobilité mouvante s’apprête à déferler sur vous et à vous emporter vous ne savez où. Amusez-vous à comparer avec Le poème de l’amour et de la mer d’Ernest Chausson, il évoquera une mer vue du rivage, ici vous comprenez ce que signifie cette expression grecque de mer amère, même si chacun empli d’une joyeuse impatience se hâte de porter à sa bouche ce liquide sacré au goût de crottin des chevaux de Neptune. La performance vocale de Gianni Nepi est à souligner. Night song : Pénélope endort son garçon, l’eau des rivages d’Ithaque clapote, le bébé pleure, elle déroule le destin de celui qui s’appelle Ulysse, tout en douceur, Nepi est prodigieux de tendresse maternelle, peu à peu c’est la fureur du monde qui s’invite dans cette berceuse qui se mue en une grandiose symphonie avec chœur, l’on assiste au miracle, non pas celui d’un enfant qui grandit et qui se jouera des éléments et des Dieux, mais d’un simple combo de rock dont on ne sait par quelle subtile alchimie il parvient à transformer son vil plomb en l’éclat d’un or orchestral. Mind torture : grognements cyclopéens, tu deviendras ce que tu auras tué, les Dieux te punissent d’être toi-même, la magie de Circé enveloppe Ulysse, elle le retient prisonnier par ses mirages charnels et son emprise mentale, l’orchestration se partage entre les lourdeurs des actes passés ou présents et la violence avec laquelle tu déchires les lourdes tentures  empesées qui emprisonnent ta pensée, tout se passe dans la tête, le vécu n’est qu’une projection, on le nomme réalité, mais il n’est que l’image de la caméra intérieure de tes désirs. Morceau lourd, emporté, torturé. Ne t’en prends qu’à toi-même. Tempête sous un crâne a dit Victor Hugo. Escape : fuir, là-bas fuir, une course folle, le combo à fond, Nepi qui s’arrache les cordes vocales, l’on ne s’évade que lorsque l’on est devenu soi-même évasion, s’arracher à soi-même, il faut d’abord s’extrader de soi-même pour revenir à soi, l’on est le seul qui puisse forger son destin, énergie nietzschéenne, se surpasser, se dépasser pour être soi explosion mentale, tourments infernaux, s’extraire de sa propre mort, se rendre compte que ce qui nous retient n’est que présence fantomatique sans consistance. Au déchaînement intérieur correspond  une explosion orchestrale libératoire. L’angoisse exprimée est si forte que l’on se demande si notre héros ne court pas à sa perte.

     

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    Nostalgie : n’est pas allé bien loin, est tombé de Charybde en Scylla, de Circé en Calypso, elle n’a pas eu besoin de magie, sa beauté a suffi, Ulysse toujours seul en lui-même, il pense, il médite, il combat contre lui-même et cette autre chose bien plus forte, bien plus immense, bien plus dangereuse que lui, tornade orchestrale, voyage au bout de la nuit intérieure, au loin se profile une éclaircie, celui qui dialogue avec lui-même parle aussi avec cette puissance incommensurable que sont les Dieux. Après les errements mentaux se profilent les sanglants combats avec l’au-dehors de la caverne platonicienne. Rage od Gods : combien lourd paraît le martellement des chevaux de Poseidon, l’Ebranleur de la Terre est en colère, son ire tourne au délire, un petit côté pompier dans ces vocaux, le Dieu de la mer sera vaincu, Ulysse ne peut s’en remettre qu’à sa protectrice Athéna, n’est-il pas crédité d’un esprit subtil, le morceau prend à cet instant une dimension épique phénoménale, ce n’est plus Ulysse qui lutte contre l’élément liquide mais les Dieux qui s’affrontent, le morceau s’achève par une longue suite instrumentale échevelée qui vous emporte loin très loin aux frontières proximales de la sphère éthéréenne où l’être humain ne saurait pénétrer. (Félicitations aux musicos). Last fight : l’on entre dans le corridor de ruses et de sang par lequel débute le retour d’Ulysse en Ithaque. Atmosphère sombre et violente, Ulysse le solitaire, Ulysse le démuni, Ulysse tel qu’en lui-même la colère le change, la rage des hommes égale celle des Dieux, l’orgue torturé de Francesco Longhi exprime à merveille ce désir de mort et de vengeance. Le dernier combat n’est pas celui que l’on croit, par-delà ses ennemis c’est à soi-même que l’on s’attaque. Silence. Piano touches enfoncées très fort, guitare toucher léger. Gianni Nepi récite les quatre derniers vers de Cavafy.

             Une œuvre monumentale. Très différente de Pompéi mais d’une beauté égale. Un des plus beaux hommages qui ait été rendu à Cavafy.

    Damie Chad.

    Nota Bene : Il existe sur FB une vidéo : Dark Quarterer Rising for the silence (Pompei : live at Metropolitan) concert enregistré durant la période Covid au bénéfice des Théâtres grecs fermés pour la satisfaction financière des laboratoires pharmaceutiques. Le groupe est sur scène, mais le théâtre est vide… ce qui est un peu frustrant… Se regarde toutefois avec intérêt.

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    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll ! 

    26

    J’arrête la voiture devant l’immeuble de Gisèle, d’un coup de Rafalos je fais sauter la serrure. Je m’y attendais, aucune trace d’occupation humaine. Une rapide enquête dans les étages m’apprend que tous les appartements sont vides, suprême ironie, les portes ne sont pas fermées à clef !

    Alors que je remonte dans ma voiture (volée) un homme se précipite vers moi :

             _ Vous êtes un employé de l’entreprise de démolition ?

    La conversation s’avère intéressante. Le bâtiment est inoccupé depuis trois ans. La police vire systématiquement tous les squatteurs, elle a raison : les gens qui s’approprient des biens qui ne leur appartiennent pas me révulsent. Je promets que les bulldozers ne vont pas tarder à arriver.

    27

    Le Chef fume paisiblement un Coronado, il m’accueille avec un sourire :

             _ Agent Chad je présume à votre air dépité que la belle donzelle Gisèle a pris ses ailes à ses aisselles, méfiez-vous des femmes cher Damie, ce sont de sacrées simulatrices, gare aux garces ! Essayons toutefois de résumer la situation. Plus j’y pense, moins il m’apparaît que le service en son entier soit visé. Vous allez au restaurant, le lendemain vous êtes accusé d’avoir assassiné le personnel, vous dormez chez vous paisiblement, vos chiens sont kidnappés, on vous les rend, preuve qu’on ne leur en veut pas, vous liquidez froidement Jean Thorieux et vous tombez dans les bras merveilleusement galbés mais perfides que sa ‘’sœur’’ Gisèle vous a ouverts. Piège fort agréable j’en conviens, méfiez-vous Damie cette façon d’agir est très pernicieuse. Ces gens-là ne veulent pas vous tuer directement, il est évident qu’ils visent à une déstabilisation psychologique de votre personne.  

    Le Chef s’arrête quelques instants pour allumer un nouvel Coronado :

             _ Oui c’est votre personne qui est visée. Pourquoi, nous n’en savons rien, mais vous devez bien le savoir au fond de vous, prenez le temps de réfléchir, toutefois n’oubliez pas que nous n’avons pas de temps à perdre, cette affaire ne me plaît guère, dessous se cache quelque chose d’une nature que je n’arrive pas à discerner, prenez cette après-midi pour méditer sur tout cela. Je vous attends demain matin à la première heure.

    J’avoue que les déductions du Chef m’ont plongé dans la stupeur. Sur le moment je n’ai rien à répondre à une telle analyse.  Je suis sonné. Je me lève en titubant, j’enfile mon perfecto, ce simple geste me ragaillardit, je siffle mes chiens, ils se rangent à mes côtés en aboyant de joie.

             _ Chef, je pars en balade pour réfléchir !

             _ Très bonne initiative, agent Chad, j’espère que vous emmenez votre Rafalos, j’ai bien peur que ce ne soit pas une promenade de santé. Vous êtes dans la ligne de mire !

    28

    Sur la ligne de mire ! Je dois me méfier. Le Chef n’a pas l’habitude de parler pour ne rien dire. Surtout quand il fume un Coronado. Les chiens ont compris, à peine suis-je dans la rue qu’ils disparaissent. Molossito est parti en trottinant devant moi. Au fur et à mesure que je marche Molossa s’est laissé couler derrière moi. Une vieille tactique militaire, protéger ses avants et surveiller ses arrières. Pour le moment je ne sais pas trop où aller, je me fie à mon intuition et au hasard. Et à Molossito qui folâtre à une cinquantaine devant moi. Pourquoi ne pas le suivre, lui au moins il connaît nos ennemis. Je m’aperçois qu’il se dirige vers le centre de Paris.

    Maintenant je m’adresse aux lecteurs qui s’imaginent que je suis totalement perdu. Vous ne connaissez pas les rockers, si vous croyez que ce sont des êtres démunis, déboussolés, au cerveau aussi creux que le gouffre de Padirac, vous oubliez que Rocker rime avec Joker. Toujours un as de pique pointu et acéré comme ces lances des spadassins qui arrêtaient les charges de cavalerie. Bien sûr j’en ai un dans ma manche. Un rocker ne s’en remet pas aux aléas des rencontres. Il va droit vers celui qui lui fournira l’indice dont il a besoin. Molossito a compris, les chiens sont des animaux pourvus d’une intelligence supérieure à la plupart de nos contemporains, il sait très bien qu’il vaut mieux s’en remettre à Dieu qu’à ses saints, au bout d’une heure de marche je comprends qu’il me mène tout droit vers lui.

    Cette fois-ci je m’adresse à mes lectrices qui croient avec émerveillement que Dieu s’apprête à descendre du ciel pour me donner en personne une audience privée, je ne voudrais pas abuser de leur naïve crédulité, certes je suis un super héros, non Dieu n’apparaîtra dans cet épisode de leur série préférée. Toutefois avec cette espèce de zèbre, sait-on jamais !

    De loin je reconnais sa silhouette, pas celle de Dieu celle de l’Eglise Notre-Dame. A peine ai-je posé un pied sur le chantier que trois gendarmes s’interposent. Devant ma carte d’agent secret ils me saluent, tiquent un peu quand mes chiens m’emboîtent le pas :

    _ Laissez, ils sont avec moi conduisez-moi à l’architecte en chef, faîtes vite je suis pressé.

    Les gendarmes m’ont emmené jusqu’ à l’algéco du bureau idoine, m’ont resalué avec déférence et ont tourné les talons.  Monsieur l’Architecte en Chef, n’a pas l’air d’apprécier ma venue. S’il croit m’intimider avec son air excédé et son ton rogue, moi les chefs qui ne sont pas en train de fumer un Coronado, s’il savait ce que j’en pense. Je lui plante ma carte sous les yeux, il blêmit, manifestement mal à l’aise.

             _ Sachez Monsieur l’Architecte en Chef, que hier soir je me promenais à Aulnay-sous-Bois. Je me dois de préciser pour la vérité historique que je n’avais pas emmené mes chiens avec moi.

    Le gars me jette un regard meurtrier.

    _ De braves bêtes, attentives et attachantes, vous pouvez les caresser et même prendre un selfie avec eux, si vous avez des enfants ils adoreront.

    _ Monsieur, je suis très occupé, si vous en veniez au but, s’il vous plaît je ne voudrais pas vous faire perdre votre temps.

    _ Donc je me promenais sans mes adorables toutous, lorsque j’ai rencontré un employé de la mairie qui m’a pris pour un responsable de l’entreprise Les Briseurs de Murailles, c’est lui qui m’a donné le nom, une grosse boîte a-t-il ajouté fièrement, il a même précisé qu’elle participait à la rénovation de Notre-Dame. Je me demandais si vous auriez quelques renseignements relatifs à cette entreprise.

    _ Ah, ce n’est que ça, excusez-moi je croyais que vous étiez un représentant, des Beaux-Arts, ne sont jamais contents. Vous peignez un mur en bleu-gris, il est trop gris, vous le refaites il est trop bleu ! Mais je m’égare, revenons à nos moutons, vous savez plus de trois cents entreprises sont passées sur le chantier, parfois uniquement deux ou trois artisans spécialisés dans des travaux ultra-pointus. Les Briseurs de Murailles, oui ils ont aidé à enlever les échafaudages, ah, oui aussi, trois aussi sont venus pour rafistoler le cadre de La Vierge Marie, que voulez-vous savoir au juste ?

    _ Je n’ai pas trouvé ni le site de leur entreprise, ni leur numéro de téléphone sur le net, si vous pouviez…

    _ Oui, c’est normal, Les Briseurs de Murailles c’est un slogan publicitaire qui leur colle à la peau, il faut chercher à Entreprise Thorieux. Attendez, toutes les boîtes me filent un lot de cartes, au cas où, je les ai dans ce tiroir.

    Le gars ouvre le tiroir de son bureau, j’aperçois un fouillis de bristols de toutes les couleurs, le gars touille durant deux minutes, son visage s’illumine !

             _ Le voilà !

    Et hop, il braque sur moi un revolver. Dans mon dos la porte s’ouvre, ce sont les trois gendarmes’ ils ont beaucoup moins amènes que tout à l’heure.

    • Qu’est-ce qu’on fait Chef ?
    • Un qui garde la porte, deux qui tuent les deux chiens, je me charge de ce fouille-merde !

    J’ai envie de lui demander de me présenter des excuses pour cette qualification infâmante. Je n’en ai pas le temps. Quatre coups de feu retentissent. Je dois être mort. Une voix connue me tire de ma sidération.

             _ Agent Chad, remettez-vous ! A votre air faraud que vous avez tenté de cacher ce matin quand vous êtes rentré au bureau, j’ai compris, vous pouvez faire des cachotteries à vos lecteurs et les promener à travers tout Paris, mais pas à moi. Je vous connais trop. J’ai tenté de vous mettre en garde, vous n’avez rien compris. Je me doutais que vous vous précipitiez dans un piège. Je vous ai suivi. Molossa a été soulagée de m’apercevoir de loin derrière elle. Bon, nous voici avec quatre cadavres sur le dos, dont trois déguisés en gendarmes et un en architecte, entassons-les derrière le bureau. Vite, après cet intermède sanglant jouissif je prendrai le temps d’allumer un Coronado et nous filerons.

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 631: KR'TNT 631 : WAYNE KRAMER / ROBERT FINLEY / LARRY COLLINS / MARK LANEGAN / JOHNNY ADAMS / BILL CRANE / OAK / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 631

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    08 / 02 / 2024

     

    WAYNE KRAMER / ROBERT FINLEY

    LARRY COLLINS / MARK LANEGAN

    JOHNNY ADAMS / BILL CRANE

    OAK / ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 631

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    Wizards & True Stars

     - Kramer tune

    (Part Three)

     

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             Stupéfiante nouvelle : Wayne Kramer vient tout juste de casser sa pipe en bois. Stupéfiant, parce que dans Mojo, il annonçait le grand retour du MC5 avec un album et une tournée. Il venait de composer 15 cuts et de monter un nouveau MC5 avec le chanteur Brad Brooks, le bassman Vicki Randle, le guitariste Stevie Salas et le beurreman Winston Watson Jr. - We’re gonna go everywhere. The MC5 is a show band, always was. We’re playing with matches - I want to go out there and burn some stages down - Le pauvre Wayne ne va rien cramer du tout.

             Pour honorer sa mémoire, nous allons désarchiver un texte jadis confié à Gildas pour Dig It!. Ce prétentieux panorama couvrait un vaste territoire : une autobio, la dernière apparition de Wayne Kramer sur scène à Paris en 2018 et quelques films lumineux.

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             À l’âge canonique de soixante-dix balais, Wayne Kramer opère un grand retour dans l’actualité : tournée mondiale d’un MC50 cm3 constitué pour célébrer le cinquantenaire de l’enregistrement du premier album du MC5, parution d’une pulpeuse autobio et tapis rouge dans Mojo avec ce fameux Mojo Interview habituellement réservé aux têtes de gondoles. Certains objecteront que le MC5 est aussi une tête de gondole, oui, mais une tête gondole underground, c’est-à-dire à la cave, avec tous les autres seigneurs des ténèbres. Ceux qu’on préfère. Et de loin.

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             Au temps jadis, personne ne pouvait rivaliser de ramalama fafafa avec le MC5. Wayne Kramer était en outre l’idole de Johnny Thunders et de pas mal de kids à travers le monde. Leur premier album avait pour double particularité de n’être pas double (comme l’étaient quasiment tous les albums live de l’époque, Doors, Cream, Steppenwolf and co) et de ne pas nous pomper l’air avec un solo de batterie. Il reste en outre, avec le Live At The Star-Club de Jerry Lee et No Sleep Till Hammersmith de Motörhead, l’un des plus grands disques live de tous les temps. Par grand, il faut entendre explosif. Le seul mec capable de réinventer une telle pétaudière aujourd’hui s’appelle Pat, l’inénarrable zébulon des Schizophonics. Tous les admirateurs de champignons atomiques connaissent Kick Out The Jams par cœur et se prosternent jusqu’à terre devant le zozo des Schizos, parce qu’il a su reprendre le flambeau avec brio. 

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             On piaffe tous d’impatience de revoir Wayne Kramer sur scène. C’est un peu comme de voir Ron Asheton en chair et en os, l’air de rien, ça redonne un peu de sens à la vie. Pour tromper l’attente, on peut lire le Mojo Interview. La double s’ouvre sur un fantastique portrait de Wayne Kramer : souriant, quasi-iconique, le regard pointé vers le ciel, le cheveu court, la barbe taillée, il offre l’image d’un homme bien dans sa peau, pas trop esquinté. Si on s’écoutait, on lui donnerait une petite cinquantaine. Une autre image le montre assis, tenant dans ses bras la fameuse Strato stars & stripes. Il semble rayonner. Ce mec n’a pas fini de nous surprendre. Il rayonne d’autant plus qu’il vient de se faire retaper : «On m’a installé un corset en uranium sur la colonne vertébrale, des implants dentaires et une prothèse auditive.» Refait à neuf - I’m like the bionic man over here - Brother Wayne vit à Hollywood, ça aide. Il nous explique tranquillement que l’absence du père créa dans sa vie un tel manque affectif qu’il ne réussit à le combler que d’une seule façon : en travaillant dur pour monter sur scène et faire en sorte que les mille personnes présentes dans la salle l’aiment. Il revient rapidement sur son adolescence de fauche et de fight, sur son goût prononcé pour la petite délinquance et sur sa colère qu’il ne contrôlait qu’avec de la dope - It was easier to get loaded than let my anger out - Et tout ça le conduit naturellement à Little Richard. Si Lee Allen fascinait tant Lou Reed, Brother Wayne en pinçait pour le beat d’Earl Palmer et pour la sheer exuberance de Little Richard. Il en pinçait aussi pour la vélocité guitaristique de chikah Chuck. Il enchaîne avec le TAMI show - James Brown and the Rolling Stones were something else - Il savait qu’il ne pourrait jamais devenir un James Brown, mais les Stones, oh yeah, c’était largement à sa portée. Tout cela le conduit naturellement aux rencontres : Rob & Fred. Brother Wayne explique là un truc capital : Rob & Fred étaient les seuls mecs qu’il pouvait fréquenter. On a tous connu ça dans la cour du lycée, l’époque des chapelles de Clochemerle, quand tout le monde se pointait avec des albums de Deep Purple et du Pink Floyd sous le bras. Jamais ceux des Stooges ou du MC5. Communication breakdown. En plus, Rob Tyner est un gosse intelligent et cultivé. Il dessine ses fringues et il sait chanter - Always a step ahead - Il n’y a pas de hasard, Balthazard. Pouf, c’est parti ! Brother Wayne forme Fred à la guitare. Tu joues la rythmique et moi la mélodie, rrright ? Ils bossent sur chickah Chuck comme tous les guitaristes le faisaient à l’époque, les fameux accords rock’n’roll qu’on joue en barré avec le petit doigt alternatif. Pas de guerre d’egos entre Wayne et Fred. Ils bossent leur Detroit Sound en toute impunité. Et comme la clairvoyance leur fait comprendre qu’ils ne sont pas des grands musiciens, ils en arrivent à la conclusion suivante : nous devons inventer quelque chose - That’s where the showmanship of the MC5 came from - Ils inventent le ramalama, c’est-à-dire une bombe atomique, mais une bombe atomique de rêve, celle qui ne ferait pas de mal à une mouche. Et quand cette bombe nous est tombée sur la gueule, on a vraiment a-do-ré ça.

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             D’ailleurs Brother Wayne se montre un peu chatouilleux sur la question de la reconnaissance. Quand un mec qui se croit malin le félicite pour son three-chords rock, ça ne passe pas. Le blast du MC5 va bien plus loin que ce qu’en disent les rois de l’étiquette : il suffit d’écouter la fin de «Starship» pour entendre l’importance du côté expérimental, voire insurrectionnel, the boundary-pushing side, comme l’appelle Wayne, la possibilité d’une île, oui, c’est exactement ce qu’on pouvait ressentir à l’époque, ce groupe ne souffrait pas d’être trop serré dans son jean, il savait s’exploser la braguette à coups de rafales de free. Kick Out The Jams sonnait comme une immense clameur de liberté, de la même façon que Fun House sonnait comme l’endroit qu’on rêvait d’habiter. 

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             Les Beatles et les Stones ? Okay, mais Brother Wayne n’y trouve pas son compte. Le coup du hit pop band ne le branche pas. Grâce à tous ces groupes anglais, il découvre qu’on peut écrire ses propres chansons et donner des concerts, plutôt que de jouer dans des clubs, comme c’est l’usage aux États-Unis. Mais à ses yeux, il manque dans ce phénomène de mode deux dimensions fondamentales : l’artistique et la politique. Il se sentait dans une impasse, à jouer les solos de chickah Chuck et à pousser son ampli dans les orties. C’est là qu’il découvre Sun Ra, Trane et Albert Ayler. Soudain tout s’éclaire. Brother Wayne entre alors dans un kinetic cosmic trip, il donne une forme sonique à ses pulsions politico-artistiques. Merci Brother John ! John Sinclair vient d’entrer dans la danse. Un Sinclair plus âgé et plus cultivé qui, comme Captain Beefheart le fit avec son Magic Band, entreprend de rééduquer ses ouailles, aux plans justement artistique et politique. Tout est dans son livre, le fameux Guitar Army. On peut d’ailleurs définir le Detroit Sound comme un rock d’avant-garde doté d’une conscience politique. Alors que la plupart des groupes étaient managés par des affairistes le plus souvent dénués de tout scrupule, le MC5 eut la chance d’être piloté par John Sinclair. Dans l’interview, Brother Wayne se dit fier d’avoir appartenu à cette génération qui s’est battue contre la guerre du Vietnam et pour les droits civiques du grand peuple noir. Par contre, il se dit inquiet pour l’avenir de son pays, car l’expression ‘conscience politique’ semble avoir disparu du dictionnaire, au profit d’on sait quoi. On ne va pas vous faire un dessin.

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             Mais quand on remet le nez dans les sermons politiques de John Sinclair, on bâille vite aux corneilles. S’il est une chose qui vieillit mal, c’est bien le discours politique enragé des années soixante-dix. Par contre, les actes restent, notamment ceux des branches armées des mouvements d’extrême gauche. Sinclair prônait justement la lutte armée, en fondant le White Panther Party, et il voulait que le MC5 soit la voix de cette révolution urbaine qu’il appelait de tous ses vœux. D’où sa vision d’une guitar army - a raggedy horde of holy barbarians marching into the future, pushed forward by a powerful blast of sound (une horde de barbares célestes entrant dans le futur, propulsée par un gros son) - Si le FBI n’était pas intervenu, nul doute que Sinclair aurait terminé sa carrière à la Maison Blanche. Dans le chapitre Roots qui introduit Guitar Army, Sinclair raconte comment ado il découvrit sa vocation via «Maybelline» et «Tutti Frutti» - There had never been any music like that on earth before - Tous ceux qui ont vécu ça à l’époque le savent : du jour au lendemain, ne comptait plus que le rock’n’roll. Excité comme un pou, Sinclair poursuit : «Tout à coup, on avait Screamin’ Jay Hawkins, Fidel Castro, Billy Riley and his Little Green men spreading the spectrum of possibilities all the way over», des gens qui ouvraient un nouveau champ du possible, un peu comme si Moïse était revenu ouvrir la Mer Rouge pour que tous les kids du monde échappent au joug des pharaons, c’est-à-dire les beaufs - Rock’n’roll was just that, a possibility, a whole new way to go and we jumped into it like there was nothing else for us to do - Oui, ça traçait bien la route - Daddio ! You dig ? We got Bill Haley & the Comets kickin’ out the jams and that’s all we need ! - Sinclair ajoute en outre qu’il ne pouvait y avoir aucun problème avec tous ces blackos de génie - Chuck, Fatsy, Bo Diddley et tous les autres - contrairement à ce que laissait entendre la société blanche bien-pensante qui puait la médisance et l’eau de Cologne - These black singers and magic music-makers were the real freedom riders of Amerika - Il y a de l’ironie dans le propos de Sinclair qui transforme les fils d’esclaves en chevaliers de la liberté. Grâce à John Sinclair, le MC5 entre alors dans la vraie mythologie du black power qui est celle de Trane et des géants du free.

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             Le MC5 devient vite intouchable. Aucun groupe américain ne peut rivaliser avec eux - There was no one that could touch us - Aucun groupe, qu’il soit de Frisco ou de New York, ne veut partager l’affiche avec le MC5 - ‘Cos we would kill them - Brother Wayne rappelle que les Stooges se sont développés dans l’ombre du MC5. Les deux groupes partageaient tout, les disques, les copines, les spliffs, les repas, les jams, absolument tout. Les Stooges sont le baby brother band. Wayne rappelle qu’Iggy avait alors une vision très claire de ce qu’il voulait faire, et les Stooges veillaient à rester strictement anti-intello. Chacun son territoire. Space is the Place pour le MC5, I’ve been dirt but I don’t care pour les Stooges.

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             Et puis tout s’écroule après les trois albums. Brother Wayne perd ce qu’il a de plus cher au monde : son groupe, c’est-à-dire la prunelle de ses yeux. Alors pour survivre, il se plonge corps et âme dans la dope - Just get loaded - Réflexe terriblement classique. Mais plutôt que de devenir un pauvre camé à la ramasse, Brother Wayne décide de devenir une star dans le milieu, un mix d’Arsène Lupin et de big dealer. Il en veut à la terre entière, au music-business, il voit le monde interlope des voyous comme le vrai monde. Il crache sur l’ancien, celui des gens normaux - What was good was for suckers - Il leur laisse leur fucking normalité et entre en clandestinité. Il développe même un cynisme à toute épreuve et trouve toutes les raisons de se féliciter quand il vide un appart ou un magasin. Kick out the jams motherfuckers ! Il ne croyait pas si bien dire, à l’époque où il gueulait ça sur scène, en chœur avec Brother Rob. Et petite cerise sur le gâteau, il se sent mille fois mieux depuis qu’il est passé à l’héro. Moins fatiguant que de monter un groupe et de répéter ! C’est d’ailleurs le problème de cette fucking dope - You can feel better automatically - Et quand il se fait poirer pour trafic de coke, on lui annonce le tarif : quinze piges. Fin de la rigolade. Mais comme il a oublié d’être con, il prend ça avec philosophie. Il sait qu’il a tout fait pour que ça finisse mal. Tu joues tu perds. C’est la règle. 

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             Rassurez-vous, il ne va tirer que deux piges. Au ballon, il feuillette des canards et voit des photos des Ramones. Ça le fait marrer, car les Ramones ressemblent tous les quatre à Fred Sonic Smith. Il retrouve la liberté en 1978 et décide de ne plus toucher aux drogues. Une bonne résolution qui ne tient pas longtemps, car la première chose qu’il fait est de monter Gang War avec Johnny Thunders. Il vient aussi jouer à Londres, invité par ses frères de la côte Mick Farren et Boss Goodman.

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             Après dix ans d’errance et de petits boulots, la mort de Brother Rob en 1991 le réveille brutalement. Brother Wayne se dit qu’il lui reste encore 20 ou 30 piges à vivre et qu’il vaut mieux essayer d’en faire quelque chose. Des disques, par exemple. Et en 1995, il démarre grâce à Brett Gurrewitz d’Epitaph l’enregistrement d’une série d’albums exceptionnels. Brother Wayne se sent en forme et il pense qu’il doit l’excellence de sa condition au fait d’être resté pauvre pendant vingt ans - Imagine que le MC5 ait continué et soit devenu le premier groupe de rock américain : il est certain qu’aujourd’hui je serais mort - Dans ce monde-là, le blé veut dire la dope. Mais quand Bob Mehr lui demande pourquoi il n’a pas choisi un mode de vie plus calme, Brother Wayne lui répond qu’il ne peut pas raisonner ainsi - That’s speculating on a level I can’t get to - C’est comme de demander à l’âne Aliboron ce qu’il pense du bleu de Prusse. Ou à Jésus ce qu’il pense des clous. Vous obtiendrez la réponse que vous méritez.

             Brother Wayne indique aussi que la reformation du DTK/MC5 avec Michael Davis et Dennis Machine Gun Thompson ne s’est pas bien passée, car de vieilles tensions sont remontées à la surface. Brother Wayne ajoute que grâce au web, le MC5 n’a jamais été aussi populaire. Incroyable ! Il est le premier à s’en émerveiller. Qui aurait pu penser ça en 1973, quand le groupe a explosé en plein vol ? Brother Wayne se réjouit de penser que les gens dans le monde entier vont venir le voir rejouer sur scène un album de cinquante ans d’âge.

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             L’autobio de Brother Wayne parue cet été ressemble à un passage obligé, un de plus. Comme dans le cas du Nolan book de Curt Weiss, on pourrait penser que la messe est dite depuis un bon bail, mais non, rien n’est jamais aussi déterminant que la parole des principaux intéressés. Ceux qui ont lu Total Chaos ont pu le remarquer : ce big fat book n’a de sens que parce qu’Iggy raconte lui-même son histoire. Les histoires des mecs fascinants sont comme chacun sait forcément fascinantes.

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             La première chose qu’on remarque, c’est le titre : The Hard Stuff - Dope, Crime, The MC5, And My Life Of Impossibililites. Pas mal, non ? Dans le Mojo Interview, Brother Wayne explique qu’avec son livre, il veut étendre le propos, sortir du rock, revenir à l’humain - a more human path - pour fuir les clichés et surtout transmettre quelque chose qui soit utile. Il laisse les clichés à ceux qui manquent tragiquement de moyens - I wanted to write a book that was broader than rock music - Mais rien n’est plus difficile que de revenir à l’humain. Pour ça, il faut s’appeler Houellebecq ou Cioran, et non Kramer. Le pauvre Brother Wayne confond l’humain avec son nombril. C’est dramatique, et tellement américain, en même temps. Il consacre deux bons tiers de son récit à raconter ses démêlés avec l’addiction. On se croirait dans le cabinet d’un psy. La detox ? J’y arrive ! Oh zut j’y arrive pas ! Mais pourquoi ? Pas de père ? Ah ça c’est embêtant ! Brother Wayne nous raconte dans le détail sa conso d’héro, de vodka, de coke, de malabars et de carambars. Un tout petit peu de sexe, mais pas trop, allons allons, nous ne sommes pas chez Steve Jones. Avec cette marée tourbillonnaire de regrets éternels, Brother Wayne nous emmène aux antipodes de la révolution et de John Coltrane. On espérait une sorte de grandeur, un souffle révolutionnaire et on tombe sur de l’humain, oui, mais pas n’importe lequel : du trop humain. Le PMU de la rue Saint-Hilaire grouille de Brothers Wayne. Et curieusement, c’est peut-être ce qui nous rapproche d’un brave mec comme lui. Le fait qu’il ne sache rien faire d’autre que de parler de lui. Et comme toujours, c’est lorsqu’il évoque les autres qu’il devient intéressant et qu’on commence à l’écouter attentivement. Le cœur de l’autobio, et probablement de sa vie, est sa rencontre avec un certain Red Rodney, derrière les barreaux du Club Med de Lexington, dans le Kentucky.

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             Brother Wayne prend soin de préciser qu’on enfermait essentiellement à Lexington les gens qui trempaient dans la dope, utilisateurs comme dealers. Il sait que de nombreux géants du jazz ont séjourné à Lexington, car il a vu des partitions écrites sur les murs de la petite pièce qui jouxte la scène, dans la salle de spectacle. Ses collègues lui annoncent un jour qu’un certain Red Rodney va arriver - The legendary jazz trumpeter Red Rodney - Qui ? Mickey Rooney ? Non Red Rodney, you dumb fuck ! Brother Wayne apprend que le Red en question a joué avec Benny Goodman, Gene Krupa, Woody Herman et des tas d’autres gens qu’on ne connaît pas. Red remplaça même Miles Davis dans le Charlie Parker Quintet. Brother Wayne s’attend donc à voir arriver un grand black charismatique aux bras couverts de trous de seringues, mais non, Red est un petit cul blanc, la cinquantaine, assez corpulent, presque rose, surmonté d’une touffe de cheveux rouges - Danish jew, he told me later - Brother Wayne a du mal à gagner sa confiance, même s’il se présente à lui comme guitariste. Red garde ses distances, en vieux renard du ballon. Alors Brother Wayne le prend pour un snob. Et puis un jour Red vient le trouver avec sa trompette sous le bras et un cahier à la main. Il lui demande :

             — Tu sais lire la musique ?

             — Euh oui...

             Red ouvre son cahier. Ce sont des partitions.

             — Okay then, let’s play this one. A one ! A two ! A three !

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    ( Charlie Parker _ Red Rodney )

             Brother Wayne accompagne Red en grattant les accords de la partoche. Il en bave des ronds de chapeau - The changes came fast and furious - Quatre accords dans la mesure, tempo enlevé, et Red joue la mélodie. Quand c’est fini, Red dit : «Good, you can play.» Brother Wayne est fier d’avoir réussi son examen. C’est là que débute leur amitié. Ils deviennent copains comme cochons. Alors Red commence à se confier et à raconter ses aventures de trompettiste de jazz à New York dans les années quarante et cinquante, les tournées avec Charlie Parker sur le fameux Chitlin’ Circuit. Bird le surnommait alors Chood et l’obligeait à chanter un blues chaque soir - And I ain’t no singer - Clint Eastwood demanda conseil à Red lors du tournage de Bird et lui demanda même de participer à l’enregistrement de la bande originale du film. Brother Wayne découvre que Red est une sorte de mémoire vivante de l’histoire culturelle et musicale américaine - He was hipper than hip, cooler than cool - Brother Wayne se met à l’admirer intensément, au point de lui consacrer un chapitre entier de son autobio. C’est le cœur battant du livre. Red refait l’éducation musicale de Brother Wayne, lui inculque des notions d’harmonie et de composition. Retour à l’école, mais cette fois avec un vrai maître. Ils montent un jazzband et jouent chaque dimanche à Lexington. Ils sont même autorisés à jouer à l’extérieur. Évidemment, la dope coule à flots à Lexington, comme dans toutes les taules du monde et un jour Red demande à Brother Wayne de l’aider à se shooter, car il n’a plus de veines - Red had no veins left - Comme la grande majorité des jazzmen, Red has a lifetime of shooting up. Eh oui, il a fait ça toute sa vie. Et quand Brother Wayne lui demande pourquoi il est revenu à Lexington, alors Red doit remonter dans le temps...

             Il vivait peinard au Danemark, marié à la responsable du Danish library system. Il recevait sa méthadone chez lui par courrier. La belle vie. Au début des années 70, George Wein les engagea lui et Dexter Gordon pour une tournée américaine. Pour être à l’aise et ne pas être obligé de se ravitailler en tournée, Red acheta deux kilos de raw morphine base à un copain qui était à la fois fan de jazz et gros dealer de la mafia. Red mit le paquet dans sa valise et en arrivant à JFK, les chiens le reniflèrent. Red était repéré. Filature. La brigade des stup défonça la porte de sa chambre d’hôtel au moment où il prenait son premier shoot new-yorkais. Son avocat plaida l’usage et non le deal, alors le juge compatit et colla trois piges dans la barbe de Red, alors qu’il risquait beaucoup plus gros. Mais pour Red, retourner au trou était au-dessus de ses forces. Comme il était libre sous caution, il prit l’avion et se tira vite fait au Danemark. Pendant quelques années, le gouvernement américain demanda son extradition, mais comme Red était danois, pas question. En plus il faut savoir que dans ce pays merveilleux qu’est le Danemark, on ne considère pas l’usage de dope comme un délit. Un jour que Red se trouvait tout seul chez lui, on sonna à la porte. Deux gorilles de l’ambassade américaine lui expliquèrent qu’une nouvelle loi venait de passer, qu’il n’était plus poursuivi et qu’il devait signer un document. Red flaira l’embrouille et demanda à aller chercher ses lunettes. En voulant s’enfuir par la porte de derrière, il tomba sur un troisième gorille qui le braquait avec un 9 mm.

             — Alors, mon gros, tu voulais te faire la belle ?

             Cette ordure tira deux fois, bahm, bahm, une balle dans chaque cuisse. Ils jetèrent Red dans un van et l’emmenèrent à l’American Air Force base. Puis un avion le transporta directement à New York. Ça s’appelle un enlèvement. Red baisse son pantalon et montre à Brother Wayne les deux grosses marques rouges sur ses cuisses : les trous de balles. Arrivé au Bellevue Hospital, Red dut attendre neuf heures avant de voir un médecin. Dans l’aile du Bellevue où il était enfermé, il vit des gens salement amochés, tous kidnappés par les agents du DEA partout dans le monde. Quand il repassa devant le juge, il prit six mois de plus pour délit de fuite. Mais son avocat Edward Bennett Williams se leva lentement et prit soin d’informer le juge que le gouvernement américain avait blessé et kidnappé un citoyen danois vivant au Danemark, en violation de toutes les lois internationales. Juridiquement, il s’agissait d’un cas indéfendable. Maître Edward Bennett Williams demanda donc au nom de son client Red dix millions de dollars de dommages et intérêts. Voilà toute l’histoire du retour à Lexington. Le procès intenté par Red et son avocat contre le gouvernement suivait alors son cours.

             Un an plus tard, alors qu’ils se promènent dans la cour, Red annonce à Brother Wayne qu’on lui propose la liberté immédiate s’il renonce à ses poursuites.

             — Qu’en penses-tu, Wayne ?

             — Appelle ton avocat.

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             Évidemment, l’avocat conseille la fermeté : tiens bon Red ! Six mois plus tard, Brother Wayne sort du trou. Puis il apprend que Red a été libéré un peu après lui. Installé à Manhattan, Brother Wayne appelle son vieux poto pour prendre de ses nouvelles - He was doin’ pretty well ! - En effet, Red s’était acheté un bateau, une maison en Floride et une autre dans le New Jersey. Il avait obtenu trois millions de dollars cash du gouvernement pour boucler le dossier et fermer sa gueule. Red pouvait donc rejouer du jazz, quand il voulait et avec qui il voulait. Red va mourir en 1994, d’un cancer du poumon, à l’âge de 66 ans - He was my mentor and a father figure for me. Le père que Brother Wayne n’a jamais eu. Il rend aussi hommage à Red dans «The Red Arrow», un fantastique blaster qu’on trouve sur l’album Adult World paru en 2002. Écoutez-le et vous verrez trente-six chandelles.

             Ce qui est extraordinaire, dans ce chapitre, comme d’ailleurs dans le reste du récit, c’est qu’on croit entendre cette voix qui nous est familière, si on connaît ses excellents albums solo : débit oral très longiligne, avec un timbre assez doux, presque le ton de la confidence. Des grandes chansons autobiographiques comme «Snatched Deafeat (From The Jaws Of Victory)» ou politiques comme «Something Broken In The Promised Land» font de Brother Wayne un conteur né, mais il semble plus doué à l’oral qu’à l’écrit. Il semble nettement plus à l’aise dans le format sec et net d’un couplet que dans l’enfilade au long cours d’un livre de 300 pages. La distance du livre lui permet toutefois de rappeler ses grandes passions, high-powered drag racing machines (les dragsters) and loud music, le nom du MC5 choisi parce qu’il sonnait comme le nom d’une pièce détachée (Gimme a 4-56 rear end, four shock absorbers and an MC5), le fameux TAMI Show qu’il va revoir plusieurs soirs de suite dans un drive-in et où il découvre les Stones et James Brown, Bobby Babbit, l’un des grands guitaristes de Motown auquel il achète sa première vraie guitare (une sunburst Gibson ES-335), Michael Davis qui l’initie aux drogues (He had lived in New York for a couple of years and knew all about drugs), l’Hendrix d’Are You Experienced, John Sinclair, bien sûr, avant la brouille, Danny Fields, qui soutient le MC5 au moment de la shoote avec Elektra et qui se fait virer comme un chien pour ça, et puis bien sûr les drogues dont il raffole et qu’on croise à toutes les pages, jusqu’au methadon maintenance program qui lui permet de quitter ce parcours du combattant qu’est la vie de junkie - Sick of needles, sick of being broke, sick of lying and hustling - Il ne supportait plus les seringues, la dèche permanente, le mensonge et l’arnaque. Il préfère les opiates du bon docteur. Brother Wayne revient aussi le temps d’un chapitre sur le second désastre de sa carrière (après celui du MC5), Gang War, pour rappeler que cet épisode n’avait pas de sens et que la musique was not much of a consideration. Il aime bien Johnny, mais bon, ce n’est pas si simple - Johnny was not an evil guy but he was also just not the kind of guy who was going to get clean and join a gym (oui, Johnny n’était pas le mauvais bougre, mais il n’était pas non plus du genre à se remettre en état pour aller faire du sport) - Un soir, Johnny choure la caisse d’un club où doit jouer Gang War. Comme le convict Kambes/Kramer sort du ballon et qu’il est encore sous contrôle judiciaire, il ne veut pas y retourner à cause des conneries de Johnny. Il ordonne donc à Johnny de rendre le blé avant que le patron n’appelle les flics. Fin de l’épisode Gang War. Brother Wayne arrête les frais. Dommage, on aurait pu avoir de très beaux albums dans nos étagères. Il faut se contenter de l’existant, qui est sorti sur Skydog. Ce n’est déjà pas si mal.

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             Ce livre grouille d’infos intéressantes sur le MC5, bien sûr, comme l’épisode du renommage. À l’instar de Captain Beefheart, Ricky Derminer rebaptisa tout le groupe, à commencer par lui : il devint Rob Tyner, en l’honneur de McCoy Tyner. Wayne Kambes devint Wayne Kramer, Fred Smith devint Fred Bartholomew Smith (Fred se rebaptisera Sonic plus tard), Dennis Toumich devint Dennis Machine Gun Thompson et Michael Davis Mick Davies, mais pour une minute.

             Entre sa sortie de Lexington et son retour aux affaires, Brother Wayne va rester une bonne dizaine d’années sans jouer. Il s’installe en Floride, puis à Nashville et devient charpentier. Il se marie avec une nommée Gloria et Mick Farren assiste à la cérémonie. Mais au fond, il n’est pas très heureux à construire des maisons pour ceux qu’il appelle des rich motherfuckers. Alors il boit comme un trou. En plus, il voit sur MTV tous ces groupes incroyablement inférieurs au MC5 et qui se goinfrent comme des porcs - The MC5 could have eaten them for breakfast - Et puis le jour où il apprend la mort de Rob Tyner, c’est le déclic. La mort de Rob, c’est la mort de son rêve de jeunesse, auquel il avait consacré la meilleure partie de sa vie. Il le croyait encore possible - Someday it will all turn right - Un jour viendra... Voilà enfin le grand Wayne Kramer, le kid de Detroit à vocation prophétique : «The MC5 would all be great friends again, and we’d rock this MTV generation into a new sonic dimension with the most advanced, hardest-rocking, most soulful music ever heard. We’d usher in a new movement of high-energy music, art, and politics that would break all the old restrictions and power us into the future. (Alors on serait à nouveaux des vrais potes dans le MC5 et on enverrait la génération MTV valser dans une nouvelle dimension avec le rock le plus inspiré et le plus insurrectionnel jamais imaginé, une nouvelle dimension faite de rock, d’art et de politique high-energy qui défoncerait tous les barrages moraux et qui nous projetterait tous dans le futur).» La vision de Brother Wayne fait bien sûr écho à celle de John Sinclair, mais on sent nettement la force de son désespoir : rien n’est pire que la mort d’un rêve. Alors Brother Wayne se reprend, et dans un éclair de lucidité, il comprend qu’on meurt deux fois : la seconde mort est la vraie, celle qui nous attend tous à un moment donné. La première mort est celle de sa jeunesse. Il accepte d’enterrer ses rêves et monte un plan : quitter Nashville pour s’installer à Los Angeles et redémarrer sa vie de rocker. Pourquoi Los Angeles ? C’est là que se fait le business. Brother Wayne veut faire ce pourquoi il est né : kicker les jams. Les albums Epitaph, tous sans exception, sont chaudement recommandés. C’est donc le retour du fils prodigue, qui comme Johnny Thunders et Iggy se voit régulièrement traiter de godfather of punk. Aujourd’hui, on devrait plutôt l’appeler the papy of punk, histoire de le charrier gentiment. Oh, il le prendra bien. Brother Wayne est un homme qui connaît la vie.

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             Pour cette gigantesque tournée mondiale (70 dates), Brother Wayne s’entoure de vétérans et pour ça, il tape dans le dur, c’est-à-dire le batteur de Fugazi, le guitariste de Soundgarden, le bassman de Faith No More et le chanteur de Zen Guerilla. Il nous rassure en affirmant que les musiciens qu’il sollicite pour cette tournée ont des accointances sérieuses avec le MC5. Arrive le grand soir. Il surgit pile à l’heure sur la scène d’un Élysée Montmartre pas très plein, sa guitare stars & stripes en main, sobrement vêtu d’une chemise bleu marine, d’un jean et de petites bottines noires. On sent surtout chez lui une grosse envie de jouer et c’est parti ! Son enthousiasme est non seulement resté intact, mais il se révèle contagieux. Les roadies lui ont aménagé un passage au long de la scène entre la fosse et les retours et il vient y cavaler de temps en temps. Un vrai gosse ! Il ramone son vieux «Ramblin’ Rose» à la glotte rauque et enchaîne avec un Kick Out qui ne fait pas un pli. Quelle vitalité pour un homme de 70 balais ! Il saute dans tous les coins. Mais le mec qui force encore plus l’admiration, c’est Marcus Durant. Cet extraordinaire chanteur de blues se jette à terre pour l’immense burning down de «Motor City’s Burning». Il frappe les planches du plat de la main pour en accentuer le pathos. Lui et Brother Wayne font bien la paire. La vieille énergie du MC5 réchauffe les cœurs flétris. Dans les premiers rangs, la moyenne d’âge est élevée, ce qui paraît logique. Et comme au concert de Martha Reeves, on voit des gens céder à l’émotion. Brother Wayne et ses amis jouent tout le premier album et complètent avec des choses tirées des deux autres albums, du style «Shaking Street» et «Call Me Animal». Évidemment, «Tonight» fait basculer le vieil Élysée dans le chaos et avant de souhaiter bonne nuit aux vieux pépères parisiens, ils leur balancent en pleine gueule la huitième merveille du monde, «Looking At You».

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             Pour les ceusses qui souhaiteraient pousser le bouchon, il existe une documentation très bien foutue sur le Grande Ballroom qui est le berceau du MC5 et du Detroit Sound : un petit livre de Leo Early intitulé The Grande Ballroom - Detroit’s Rock’n’Roll Palace et son pendant filmique, Louder Than Love : The Grande Ballroom Story. Richement illustré, le petit livre de Leo Early fourmille aussi d’énergie informative. L’Early est allé loin chercher ses infos, jusque dans l’histoire du grand-banditisme juif du Detroit des années vingt. Le mec qui est à l’origine du Grande s’appelle Weitzman. L’Early affirme qu’en comparaison de Weitzman et de son Purple Gang, Capone et son organisation n’étaient que des branleurs. Weitzman possédait déjà le Grande Riviera, d’où le nom du Grande Ballroom. Il aurait approché les architectes à succès d’alors, Agree, Strata et Davis pour la construction d’un ballroom qu’il voulait le plus grand du midwest. À cette époque, le business du divertissement était extrêmement juteux. Le Fox Theater de Detroit proposait 5.000 places assises. Faites le compte : 5.000 places à 1 euro tous les soirs. On parle même de building frenzy dans les années vingt. En 1929, la ville de Detroit ne comptait pas moins de 2.000 salles de cinéma, soit 200.000 places. La famille Weitzman lâcha le Grande en 1964 et un certain Gabriel Glantz le reprit. Mais c’est Russ Gibbs qui va en faire le berceau du Detroit Sound. Comme Sam Phillips, Gibbs commence par travailler à la radio, puis il s’intéresse à l’organisation des concerts. C’est sa came. Quand en 1966 il rencontre Bill Graham à San Francisco, il est fasciné par le savoir-faire du Californien et décide de reproduire le modèle du Fillmore à Detroit - I want to bring music to Detroit in the San Francisco style - Gibbs a surtout flashé sur le stroboscope qu’il ne connaissait pas. Il loue le Grande pour 700 $ par mois à Glantz et commence par recruter les groupes locaux, dont bien sûr le MC5. Mais comme il n’a pas un rond, Gibbs demande au MC5 de jouer à l’œil dans un premier temps. Le groupe installe donc son matériel au Grande et en fait sa salle de répète. Et c’est là que naît la fameuse scène de Detroit qui va révolutionner le monde. Eh oui, les groupes se forment pour venir jouer au Grande : les Chosen Few (avec Scott Richardson, James Williamson et Ron Asheton - après le split, ça donnera SRC et les Stooges), les Prime Movers (avec Ron Asheton à la basse et Iggy on drums), les Bossmen (avec Dick Wagner et Mark Farner - après le split, ça donnera Frost et Grand Funk), mais aussi SRC, les mighty Rationals de Scott Morgan et les Up des frères Rasmussen, trois groupes qui ont bien failli devenir énormes. N’oublions pas les plus connus, les Amboy Dukes, Frost et bien sûr les Psychedelic Stooges. C’est au Grande qu’Iggy invente le stage dive et le stage invasion. Oui, tout ça grâce à Russ Gibbs. L’Early revient aussi sur les fameuses émeutes de 1967 - Motor City’s burning baby - et raconte que Tim Buckley programmé au Grande était coincé à Detroit. La ville était tombée aux mains des émeutiers. En revenant dans le quartier, Gibbs fut épaté de voir qu’on avait épargné le Grande. Il vit passer un gang de kids et leur demanda pourquoi ils n’avaient pas fait cramer le Grande. Ils répondirent : «You got the music here man !» Même histoire que le studio Stax qui sera lui aussi épargné en 68 par les émeutiers après l’attentat qui va coûter la vie à Martin Luther King. Puis Gibbs monte d’un cran et vise les pointures anglaises de l’époque, du style Cream, Jeff Beck Group, Who et Bluesbreakers. Il passe un contrat avec un agent new-yorkais indépendant nommé Frank Barsalona. C’est lui qui organise les tournées des têtes de gondoles anglaises, Beatles, Stones, Who, Yardbirds. Barsalona travaille avec Bill Graham à Frisco et Don Law à Boston. Comme il ne dépend pas des maisons de disques, les profits générés par les tournées vont directement aux groupes. Barsalona ne prend que 10%. Russ Gibbs vient donc le rencontrer à New York et en entrant dans son bureau, il croit se retrouver dans une scène du Goodfellas de Scorsese - Barsalona was a heavy Italian dude - Il appartenait en effet au milieu mafieux new-yorkais qu’on appelle the mob. Russ Gibbs : «Oh yeah, that was the mob !» C’est à Don Was que revient le mot de la fin. Il parle du MC5 et des Stooges - Raw as it was, it always had a groove - Rien à voir avec les autres groupes de l’époque, ajoute-t-il - This stuff was always funky, always had an R&B undertone, number one, and number two, it was, it was always about the feel and not about the technique - Not about the perfection of the delivery - Don Was rappelle que les Stooges et le MC5 ne recherchaient pas la perfection, mais le feeling - It was always, always raw, but it always felt good - Et, conclut-il, «si tu avais ces deux choses, le groove et le feeling, tu étais sûr de ne pas te faire jeter. Si tu entends tellement de mauvais rock aujourd’hui, c’est parce qu’il manque soit le feeling, soit le groove.» 

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             Dans son docu consacré au Grande, Tony D’Annunzio raconte sensiblement la même histoire, mais comme toujours, les témoignages réactualisent le passé plus facilement. Russ Gibbs qui est devenu un vieux monsieur redit sa fascination pour l’endroit - The greatest hard-wood dancefloor in the country - et Brother Wayne rappelle qu’à Detroit, la musique était à l’image de la ville, a rough industrial city in the midwest - What you get is very honest - Et crac, on voit le MC5 sur scène et tout le monde se dit fasciné, Lemmy, Mark Farner. On voit aussi témoigner les autres géants, Dick Wagner, Ted Nugent, Alice Cooper, tout le gratin de la Detroit scene. Il y avait tellement de bons groupes que la barre était placée très haut, rappelle Dick Wagner. Les groupes qui perçaient à Detroit pouvaient partir à la conquête du monde sans aucun problème. Dans l’un des bouts d’interviews, Brother Wayne se souvient d’avoir flashé sur les Who - They had it ! - et il évoque la fantastique débauche qui régnait au Grande - An unbelievable amount of sex at the Grande - Brother Wayne et ses copains avaient installé deux matelas, un sous la scène, et un autre dans un grenier, au-dessus de la scène. Ils baisaient comme des lapins. Ce docu attachant se termine avec un dernier hommage au héros du Grande, Russ Gibbs, free spirit, generous guy.

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             Pas de MC5 non plus sans Danny Fields, évidemment. Tout aussi recommandable, le film de Brendan Toller, Danny Says, raconte l’histoire d’un mec fasciné par les crazy people. Danny a la chance de fréquenter la Factory à la grande époque et d’assister aux débuts du Velvet. Quand on commence comme ça, en général, on est foutu - Nico, Edie Sedgwick, Warhol, le Cafe Bizarre - Jac Holzman crée the publicity department chez Elektra pour Danny et le charge de s’occuper de Jim Morrison. Les fans des Doors trouveront des détails croustillants dans ce docu. Puis Danny découvre David Peel et réussit à convaincre Holzman de sortir l’album. Quand on s’intéresse au Velvet, on finit forcément par s’intéresser au MC5. Danny les voit à Detroit et les veut aussitôt. Brother Wayne lui dit qu’il existe un baby brother band, les Stooges. Danny les voit et les veut aussi. Alors il passe un coup de fil à son boss Jac.

             — Jac, j’ai deux groupes déments ! Le MC5, assez connu et les Stooges, pas encore connus ! Que dis-tu de ça ?

             — Okay, propose 20.000 $ au MC5 et 5.000 $ aux Stooges.

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             Tout est bouclé en 24 heures, les sous et les contrats. John Sinclair se retrouve avec 25.000 $, de quoi payer les dettes et acheter du matériel. On connaît la fin de l’histoire : le MC5 viré d’Elektra, puis les Stooges un peu plus tard. Danny se fait aussi virer d’Elektra. Il devient alors l’assistant de Steve Paul. C’est l’époque de Johnny & Edgar Winter. Comme on le considère comme un découvreur, on le branche aussi sur un groupe de Boston, Aerosmith, oui, bof, ben euh, pfffff... Il laisse ça à d’autres. Danny préfère - et de très très loin - les Modern Lovers.

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    Un peu plus tard, Lisa Robinson lui dit d’aller voir un groupe marrant au CBGB. Ils s’appellent les Ramones. Danny les voit et les veut aussitôt. C’est le coup de foudre. Il leur saute dessus dès qu’ils sortent de scène :

             — Je suis Danny Fields ! Voulez-vous de moi comme manager ?

             — One two three four, okay ! Mais tu nous files 3.000 $, okay ?

             Comme il n’a pas de blé, Danny descend voir sa mère en Floride pour lui emprunter les 3.000 $ et tout le monde connaît la suite de l’histoire - Danny says we gotta go/ Gotta go to Idaho.

    Signé : Cazengler, Wayne Kramerde

    Wayne Kramer. Disparu le 2 février 2024

    MC50. Élysée Montmartre. Paris XVIIIe. 14 novembre 2018

    John Sinclair. Guitar Army. Process 2007

    Wayne Kramer. The Hard Stuff - Dope, Crime, The MC5, And My Life Of Impossibilities. Faber & Faber 2018

    Leo Early. The Grande Ballroom - Detroit’s Rock’n’Roll Palace. History Press 2016

    Tony D’Annunzio. Louder Than Love : The Grande Ballroom Story. DVD 2015

    Brendan Toller. Danny Says. DVD 2017

    Bob Mehr : The Mojo Interview. Mojo #297 - August 2018

    Ian Harrison : Brother Wayne reconvenes the MC5. Mojo # 363 - February 2024

     

     

    L’avenir du rock

     - Finley le finaud

     (Part Two)

     

             Cette semaine, l’avenir du rock se penche sur un étrange paradoxe en forme de fleuve : le fleuve des connaissances. Ce fleuve traverse sa vie. Paradoxal, car comme tous les fleuves, celui-ci le nourrit et emporte tout. Conscience paradoxale d’autant plus aiguë que l’avenir du rock se sait conceptuel, donc surexposé. Autant l’avouer tout de suite : il se réserve la métaphore du fleuve pour les bons jours. Les mauvais jours, il se sent moins à l’aise avec l’idée d’être traversé, et se voit plutôt comme un tube digestif, avec toutes les séquelles habituelles : la brioche, l’anus en chou-fleur, la goutte au nez, le double menton et les poches sous les yeux. Comme il se sait conçu pour être traversé, il engloutit inconsidérément et passe du statut de chroniqueur à celui de coliqueur, du statut de concept à celui de conchieur, du statut de prout-prout cadet à celui d’à Dada-sur-le bidet. Le fleuve des connaissances charrie tellement de charivari que le traversé finit par en perdre la moitié de vue. Un exemple parmi tant d’autres : il visionne un docu sur Little Richard, une certaine Valerie June vient claquer sur scène le sublime standard de Sister Rosetta Tharpe, «Strange Things Happening Every Day» et interloqué, l’avenir du rock se demande d’où sort cette black prodigieuse, alors qu’il chantait ses louages dix ans auparavant sur tous les toits. Il s’oblitère à force d’engloutir, il s’annihile à force de pomper, sa boulimie détache le con du cept, il se raccroche désespérément au cept d’Ottokar, ce croyant raffiné, mais le con l’emporte jusqu’au fond des intestins et il va y stagner en compagnie des connaissances putréfiées qui s’accumulent avant l’expulsion bruyante et odorante. Car tout finit par s’expulser, surtout les fleuves de connaissances. Alors grisé par l’auto-défécation subliminale, l’avenir du rock quitte la position accroupie pour s’envoler comme Nosfératu par-dessus les rivages et jurer par tous les dieux qu’il chantera cent fois les louanges de Robert Finley pour enfin endiguer le fleuve de connaissances.

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             Robert Finley est de retour en ville. Dépêche-toi d’en profiter, car tu ne reverras pas un tel géant de sitôt. C’est même une sorte de responsabilité que d’entreprendre un petit bricolo sur un géant de cet acabit. Le soir du concert, tu vis tellement ça en direct que tu ne sais pas comment tu vas pouvoir t’en montrer digne.

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    Tu as devant toi un vieux black qui frise les 70 balais et qui te donne tout ce qu’il a, sans rien demander en échange. Il te le redit, comme il l’avait fait en 2020, I can feel your pain, et il y a un tel accent de sincérité dans le ton de sa voix que tu le crois sur parole. Mais il y a pire. Tu le vois groover sur scène avec une telle indécence qu’il sort non seulement du cadre de ton petit objectif, mais aussi du cadre de tes conceptions. Il y a du Gargantua en Robert Finley, il y a du Saturne et du Golem en lui... Mais non, c’est trop facile ! Les descendants d’esclaves n’ont même pas ces références, puisqu’on leur a tout pris, alors ils ont dû inventer leurs géants, leur culture et leur grandeur. C’est ainsi que Robert Finley prend la suite de Wolf, de Sly, de Miles, de Muddy, d’Hound Dog et d’Hooky, de Bo et de Chucky Chuckah, il est l’un des géants de cette terre et il crève littéralement l’écran.

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    À soixante-dix balais, il dégouline encore de sexe voodoo, il ondule des hanches et baise les déesses africaines de la fertilité, il collectionne les girlfriends et te régale d’histoires de gators dans les étangs, il te ramène toute la grandeur de la Louisiane dans ton époque numérique appauvrie et facebookée en peau-de-chagrin, my Gawd, si tu n’as pas vu Robert Finley sur scène, ça peut vouloir dire que t’as pas vu grand_chose. Mais tu le verras certainement, car comme les géants, il est invulnérable. Il nous survivra tous.

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             Il tourne son dernier album, Black Bayou. La grosse caisse est d’ailleurs décorée d’un visuel Black Bayou. Il y a un tel buzz autour de lui qu’il se retrouve sur la grande scène. Voilà qu’il rameute les foules ! Comme en 2022, sa fille Christy le guide sur scène et chante deux cuts, pas de problème, comme en 2022, l’«I’d Rather Go Blind» d’Etta James et le «Clean Up Woman» de Betty Wright, elle est fabuleusement douée. Comme on dit par ici, les quins font pas des quas. Robert Finley attaque au «Sharecropper’s Son» et embraye aussi sec sur l’infernal «Miss Kitty», pur jus de black power. Tu le vois s’approcher de toi et boucher tout ton champ de vision, il te remplit l’imaginaire à ras bord, tu as sous les yeux ce que le rock, la Soul et le blues combinés peuvent te proposer de mieux.

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    Il y a du Screamin’ Jay Hawkins en Robert Finley, du raw gut d’undergut, de l’Attila black, du griot aux yeux rouges et du sorcier voodoo aux dents branlantes, de l’Hooky et du look out, il rivalise de raunch pyromaniaque avec The Family Stone, il fout le feu au Black Bayou de la même façon que le MC5 foutait le feu à Motor City, Robert Finley ne descend jamais de cheval, car il n’y a pas de cheval chez les esclaves, juste de l’instinct de survie et la peur du patron blanc, il ne faut jamais perdre de vue ce truc-là : avant d’être la patrie du blues et des riches demeures de Gone With The Wind, le Deep South était pour le peuple noir l’enfer sur la terre. Ils ont réussi à transformer cet enfer en paradis pour les amateurs de musique. Mais à quel prix ! Et le vieux Robert enfile ses hits comme des perles en bois, «What Goes Around (Comes Around)», «Nobody Wants To Be Lonely» où il évoque les nursing homes et le commencement de ses problèmes d’old man, «Sneaking Around», et c’est là qu’il te broie le cœur avec «I Can Feel Your Pain». Il va finir avec le pur sexe d’«You Got It (And I Need It)» et «Get It While You Can» avant de revenir en rappel avec «Alligator Bait» et «Make Me Feel Alright». Prodigieux ! Robert Finley atteint le sommet du lard.

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             Cinq étoiles dans Mojo ! Les Anglais qui ont bon goût ne se sont pas trompés : le Black Bayou de Robert Finley est l’un des grands albums de l’an de grâce 2023.

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    Produit par l’Auerbach, mais on s’en fout, Robert Finley n’a jamais été aussi bon, aussi réel. C’est Kenny Brown, le fils (blanc) adoptif de R.L. Burnside qui joue sur l’album. Et il joue dans tous les coins. On se retrouve en plein cœur du Black Power avec un «Sneakin’ Around» explosif de Staxitude. Le vieux Robert chante son raw r’n’b à l’arrache. Encore énormément de son sur «Miss Kitty». Il chauffe tous ses cuts un par un. Robert Finley est un killah ! Encore du power all over avec «Waste of Time» - Standing on the corner/ Trying to lose my mind - Ça joue heavy derrière lui. Et on passe au demented avec «Nobody Wants To Be Lonely». Il chante ça à l’heavy arrache louisianaise, et ça fond dans les chœurs. Il monte encore d’un cran avec un «What Goes Around (Comes Around)» complètement génial de wait a minute, il faut le voir monter son goes around, il travaille sa Soul-rock au corps. Te voilà de nouveau confronté à l’impact d’une météorite légendaire. Robert Finley est un prodigieux artiste, un pur crack du Goes Around, il y va au what goes up, il est partout dans le son. Tu croises très peu d’albums de ce niveau, très peu de Soul Brothers de cet acabit. Encore un coup de génie avec «You Got It (And I Need It)», heavy groove de choc - And you need what I got - Il faut le voir poser son baby et monter au chat perché. Quel festival ! Tous ces mecs se baladent. Down in the bayou avec «Alligator Bait», il y va au we go for a ride, il sort sa meilleure voix d’alligator, il enfonce tous les vieux crabes, il chante au raw des marécages. 

             Oui, 5 étoiles dans Mojo, c’est rarissime. David Hutcheon emmène son lecteur down the 1-20 jusqu’à Monroe. Il dit qu’on peut y pêcher et y canoter, mais attention aux alligators - A lotta kids got ate that way - Hutcheon sort cette phrase macabre d’«Alligator Bait». Puis il s’en va se vautrer en citant les noms de Tom Waits et de Flannery O’Connor. Il tombe encore dans le panneau avec le fameux Southern Gothic. Robert Finley n’a strictement rien à voir avec le Southern Gothic qui est un truc de blancs tourmentés par la culpabilité et la frustration sexuelle, ravagés par les maladies mentales et vénériennes. Hutcheon essaye de nous faire croire que Black Bayou est du «Southern Gothic expressed through soul music.» Alors après s’être vautré dans son analyse, il ramène l’Auerbach. C’est devenu inévitable. Aussi inévitable que les terrines de Bono et de Costello dans les docus musicaux. Ces mecs-là ne se rendent plus compte qu’à force de citer les mauvais noms, ils gomment celui du principal intéressé. Entendu hier soir au moins vingt fois le nom d’Auerbach dans les conversations. Avant on parlait vaguement du mec des Black Keys. Maintenant, tout le monde connaît son nom. Il finira en couverture de Telerama, ça ne saurait tarder. Lorsqu’on cite trop son nom, le diable finit par paraître. Même chose en politique. Tout le monde cite les noms qui devraient être tus, ça rend les mauvais noms très populaires, et ça devient dangereux. Voilà que se pose un gros problème : on finirait par vouloir nous faire croire que sans l’Auerbach, pas de Robert Finley. Si tu crois ça, tu te fous le doigt dans l’œil jusqu’au coude ! Robert est sur scène et il n’a besoin de personne, surtout pas d’Auerbach, en Harley Davidson. Le géant, c’est-à-dire la superstar, c’est Robert Finley, pas l’autre asticot. Mais l’autre asticot a tellement d’ego qu’il ramène sa fraise partout. En 2022, en papotant au bar avec Robert, il fut bien sûr question de l’Auerbach. Lui disant qu’il y avait trop de guitares électriques dans le yellow album Sharecropper’s Son, il hocha la tête - son premier album Age Don’t Mean A Thing était beaucoup plus intéressant, plus Soul, plus Legal Mess. Cette Soul si particulière qui est celle de la Louisiane. Hutcheon cite aussi Tony Joe White, Booker T & The MGs, et Creedence, connu pour son Born On The Bayou. Dans le petit interview qui suit, Robert dit encore que «Nobody Wants To Be Lonely» est dédié aux vieux qu’on oublie dans les nursery homes, qu’on appelle ici les EHPAD.

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             Dans Soul Bag, le vieux Robert est à l’honneur. Images superbes, avec un portrait d’ouverture en noir et blanc qu’on dirait fait au Leica, ou mieux encore, signé Avedon. Quand on lui demande comment il voit choses quand il chante pour un public qui ne comprend pas les paroles, Robert Finley  dit que c’est une question d’énergie. Ça passe. En plus, il danse, il passe un bon moment, c’est l’essence de son message. Puis il finit par confier qu’il est fier de mettre le même chapeau chaque matin et de constater que malgré le succès, sa tête n’a pas grossi. Il essaye de rester aussi normal que possible. En ville, les gens l’appellent Slim - C’est juste ce bon vieux Slim - Il dit aussi construire un studio chez lui pour offrir aux gens du Nord de la Louisiane une chance de percer. Tim Duffy rappelle dans un petit encart comment il a découvert Robert Finley en 2015, alors qu’il jouait dans les rues d’Helena, en Arkansas. Mine de rien, c’est l’encart qui fait mouche, car Duffy a présenté Robert à Bruce Watson, le patron de Big Legal Mess et de Fat Possum, deux labels ultra-légendaires, et bien sûr Watson a tout de suite mis Jimbo Mathus sur le coup, et là, tu as le real deal : le premier album de Robert, Age Don’t Mean A Thing. La différence avec l’Auerbach, c’est que ni Jimbo Mathus ni Bruce Waltson ne la ramènent. Dans un autre encart, le fils adoptif de RL Burnside Kenny Brown avoue être à peu près du même âge que Robert et que comme lui, il était charpentier. Le mot de la fin revient à Christy Johnson, la fille de Robert, celle qui veille sur lui en tournée et qui n’aime pas trop le voir s’approcher du bord de la scène. Quand on lui demande si elle compte enregistrer un album, elle dit oui, bien sûr, mais pour l’instant, c’est impossible car elle veille sur son père qui vit son rêve, et c’est «beaucoup de travail». Oui, Robert Finley superstar.

    Signé : Cazengler, Robert Filasse

    Robert Finley. Nuits de l’Alligator. Le 106. Rouen (76). 27 janvier 2024

    Robert Finley. Black Bayou. Easy Eye Sound 2023

    Frederic Adrian. Bayou de jouvence. Soul Bag N°252 - Octobre Novembre Décembre 2023

    David Hutcheon : Later Alligator. Mojo # 361 - December 2023

     

     

     Rockabilly boogie

     - La raie de Larry

    (Part Two)

     

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             L’ancien marsupilami Larry Collins vient tout juste de casser sa pipe en bois. Il y a tout juste dix ans de cela, KRTNT lui rendait hommage en décrivant, autant que faire se peut, ses bonds sur scène au Town Hall Party. Il en existe trois volumes sur DVD, et certainement autant sur YouTube. Ça vaut vraiment le coup d’aller jeter un œil. Sous ses faux airs de Rusty (celui de Rintintin), ce petit délinquant en herbe passait des solos punk bien avant les punks. Larry Collins était à dix ans une superstar, il grattait comme un con et sautait partout. Un vrai modèle de jeu de jambe et il doublait son mad duck walk d’une ding-a-ling digne de Chucky Chuckah. Il ne fallait pas faire l’erreur de prendre son set pour un numéro de cirque. Larry Collins y croyait dur comme fer et déployait l’une des plus belles énergies rock de l’histoire du rock. À l’époque, on n’avait encore jamais vu ça. En l’examinant, on s’apercevait qu’il avait deux raies, une de chaque côté. Il n’arrêtait JAMAIS de sauter. Il était l’haricot mexicain du rock’n’roll. Il enfilait les duck walks et wild killer solos flash comme des perles. Quand il grattait sa double, il était le roi de la délinquance juvénile.   

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             On ne perd pas non plus son temps à écouter les albums des Collins Kids. Tiens, par exemple ce Town Hall Party paru en 1977. L’album vaut tous les Pistols et tous les Damned d’Angleterre, rien qu’avec l’«Hey Hey» d’ouverture de balda, wild as young fuck ! Ils y vont au til the day I die. Et ils enchaînent avec l’imparable «Whistle Bait», du pur proto-punk juvénile. Rien de plus sauvage en dessous de la ceinture. Avec «Beetle-Bug-Bop», ils font un duo d’enfer, au sens le plus noble de l’expression. Ils boppent comme des diables, avec la classe de Shirley & Lee. Plus loin, tu tombes sur «(Let’s Have A) Party» monté sur un beat rockab. Ils sont merveilleusement frais, ça dégouline de candeur juvénile, puis ils passent à la rockab madness avec «Hop Skip & Jump». Personne ne bat Larry Collins à la course. On aurait tendance à vouloir prendre les Collins Kids pour un gadget. C’est au contraire une affaire très sérieuse.

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             Bear Family fit paraître dans les années 80 deux volumes de Collins Craze, Rockin’ Rollin’ Collins Kids et Vol. 2. Ils devraient trôner dans toute discothèque digne de ce nom, car c’est là qu’éclate au grand jour le génie du teenage Larrry Collins. Tu veux du mad rockab juvénile ? Alors écoute «The Cuckoo Rock» et le «Beetle-Bug-Bop» pré-cité. Ça pulse, c’est frais comme un gardon rockab. Avec «Go Away Don’t Bother Me», ils tapent une grosse ambiance country, et le marsupilami allume sur sa double. Il allume autant que James Burton ! La viande est en B, dès «Shortin’ Bread Rock», un rock’n’roll tapé en mode rockab, c’est assez fulgurant, avec une fantastique pulsion du beat, et un slap qui règne sans partage. Encore du wild cat strut avec «Just Because», propulsé par le slap du diable, c’est même une vraie tourmente de delirium, le slap cavale ventre à terre et Larry te finger-pick tout ça vite fait. On t’aura prévenu : c’est un démon. Suite du festival de wild cat strut avec «Holy Hoy» et «Hot Rod». Ils n’en finissent plus de casser la baraque. Larry te gratte ça au heavy mood, à la Cochran. Pur genius.

             Au dos de la pochette, Larry indique que sa sœur Lorrie et lui sont originaires de Tulsa, Oklahoma - I played a double-necked guitar and they called it «rock-a-billy» - Il ajoute qu’Elvis  l’appelait «his little cat» et qu’Eddie Cochran était son ami - Joe Maphis was «king of the strings» and back-stage, I learned to finger-pick watching Merle Travis. Tex Ritter taught me about life and «Rye-whiskey». Johnny Bond inspired us to be real on stage and off - Il dit qu’à l’époque il avait 8 ans et Lorrie 10. Ça s’appelle une vie de rêve.

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             On retrouve le «Whistle Bait» en ouverture de balda du Vol. 2, cet incroyable chef-d’œuvre de protozozo juvénile. Larry fait sa petite bête de Gévaudan. En B, on retrouve aussi l’excellent «Hop Skip & Jump» slappé de frais et transpercé en plein cœur par un solo dément du démon. Il renoue avec deep rockab beat dans «Move A Little Closer». On l’a remarqué, Larry adore la country et sa version de «Walking The Floor Over You» laisse pantois. C’est gorgé de fraîcheur et de joie de vivre.

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             Pour compléter ce petit panorama, on peut aller écouter sans risque le Television Party paru en 1989. Au dos de la pochette, on voit Larry gratter la double de Joe Maphis. On l’entend faire un festival dans «Chicken Reel». C’est un virtuose, il gratte au hard picking. Il éclate le bluegrass au Sénégal avec «I Was Looking Back To See» et on retrouve à la suite l’infernal «Hot Rod» d’attaque frontale, toujours aussi wild as fuck. Larry fait tout ce qu’il veut, on l’entend gratter comme un démon derrière Lorrie dans «The Wildcat». En B, il s’en va swinguer le vieux «Shake Rattle & Roll». Son toucher de note est exceptionnel. Il drive «Kokomo» au wild guitar slinging et il allume la gueule du «Catfish Boogie» de Tennessee Ernie Ford au heavy rockab strut, une fois de plus. Larry monte sur tous les coups.

    Signé : Cazengler, Larry pot de collins

    Larry Collins. Disparu le 5 janvier 2024

    Collins Kids. Town Hall Party. Country Classics Library 1977

    Collins Kids. Rockin’ Rollin’ Collins Kids. Bear Family 1981

    Collins Kids. Vol. 2. Bear Family 1983

    Collins Kids. Television Party. TV Records 1989

     

     

    Lanegan à tous les coups

     - Part Seven

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             On avait cru pouvoir faire l’impasse sur les deux albums que Lanegan enregistra jadis avec les Soulsavers, un petit duo britannique traficoteur d’electro-gospel-rock, comme disent les étiqueteurs en mal d’étiquettes. Au fond, on se fout de ce que ces deux petits mecs traficotent. C’est Lanegan qui nous intéresse et voilà pourquoi.

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             Parce qu’il reste, même après son cassage de pipe en bois, le plus grand chanteur de rock américain. Tu en as 8 preuves irréfutables dans Broken, un Soulsavers de 2009. T’es sonné aussitôt «Death Bells». Lanegan fait battre le cœur du beat. On appelle ça du génie pulsatif. Lanegan y sonne le tocsin des enfers, il fout le feu et n’en finit plus de le rallumer. Il pleut du plomb sur l’or du Rhin. Lanegan passe au heavy groove de cimetière avec «Unbalanced Pieces», il chante avec l’éclat de la mort, avec l’impondérable. Il est déjà mort, semble-t-il, quand il chante ça, car c’est criant de véracité funèbre. C’est un éclat que tu ne peux comprendre que si tu es déjà mort. Avec «You Will Miss Me When I Burn», il arrive sur toi comme un suaire. La couverture de la mort, tu connais ? Il vibre dans les fibres de ton corps défait. Depuis Baudelaire, nul artiste n’est allé aussi loin dans l’art de la décomposition. Lanegan rend l’hommage suprême à Geno avec une cover de «Some Misunderstanding». Te voilà rendu au maximum de ce que peut t’offrir le rock, une star qui rend hommage à une autre star, et ça splasche all over, et ça repart dans la Méricourt avec la gratte de Rick Warren, cette combinaison des génies te fait suffoquer de bonheur, Lanegan sait ce qu’il fait en choisissant Geno parmi tant d’autres. Cette fois, au lieu de t’emmener au cimetière, il t’emmène dans la stratosphère. Et puis voilà «All The Way Down» qui restera certainement l’un des plus gros hits de Lanegan. Alors qu’il brûle en enfer, il chante la rédemption. Il grave encore un hit dans le marbre, il chante avec les dents dehors, il avance dans la nuit comme le loup des steppes, et ce n’est pas fini, car voilà «Shadows Fall», une nouvelle oraison, il travaille sa maille au corps, Lanegan est un homme du tonneau, il pèse son poids et chante à la voix de poitrine, il reste un fabuleux implicateur d’imprécations, il fond sur le cut comme l’aigle sur Tsi-Na-Pah, il screame son shadow moribond, il s’agit de Lanegan, after all, un homme capable de miracles sépulcraux. Cet album sonne comme une alarme, et pendant que tu te diriges vers la sortie, Lanegan rassemble ses shadows comme des stalactites, my love. Il se fond ensuite sous le boisseau ferroviaire de «Can’t Catch The Train». Il se plie à une évidence laneganienne : can’t catch the train, alors il envenime le groove. Lanegan est un atroce sorcier, il plonge ses mains dans les entrailles du groove, sa victime, et te lit les oracles. Aucun chanteur n’est allé aussi loin dans l’exploitation de la beauté formelle. «Rolling Sky» sonne comme le dernier souffle, aérien et moderne, le cut avance à pas d’éléphant, plus free, une chanteuse s’élance dans le grand foutoir carbonisé, c’est heavy as hell, Hell je ne veux qu’Hell, alors évidemment, Lanegan ramène sa morgue de corps bleu et sa voix vibre dans la mort.     

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             Il a enregistré un autre album avec les petits mecs de Soulsavers, l’inestimable It’s Not How Far You Fall It’s The Way You Land. Inestimable parce que «Ghosts Of You And Me». C’est lui qui fait danser le squelette, dans une ambiance glacée de vents technoïdes. Ah il faut le voir descendre au barbu du cut, en poussant de sourds ouhm ouhm ouhm. Il groove ensuite la messe de «Paper Momey» dans la cathédrale de la mort. Encore un cut épais et sans espoir. Ça explose en gerbes de sang impur, comme dans la chanson de Rouget de Lisle. Lanegan fait de la littérature, alors qu’on le croit chanteur de rock. Il crée encore l’événement littéraire de la rentrée avec «Spititual». Les deux petits mecs de l’electro-gospel machin lui fournissent tous les effets. La voix règne en maître sur cette terre désolée - Jesus Oh Jesus/ I don’t wanna die anymore - Puis il attaque «Kindom Of Rain» au croack de crocodile, il vibre jusque dans les profondeurs de tes chairs. Et il revient au suprême sommet du lard avec «Through My Sails». Il vient même te le chanter au creux du cou. Sa voix dans le bois de Boulogne... On sent encore son odeur dans «Jesus Of Nothing», il rôde dans l’ombre expressionniste d’entre chien et loup, il miaule d’une voix de génie poitrinaire. Il ne demandera jamais pardon pour ses péchés, ce qui fait sa grandeur. C’est tout ce qu’on aime dans le rock, le poids de la mort qui rôde, comme une évidence, alors autant en faire de l’art. Lanegan swingue le beat des squelettes, avec les faux airs malsains de Rosemary’s Baby, il chante d’une voix de Prince des Ténèbres, il est plus vrai que vrai dans ce rôle tant convoité, il reste l’homme au teint blafard qu’on admire encore plus depuis qu’il s’est vidé de son sang, depuis qu’il est enfin un vrai cadavre. Il termine cet album en forme de convoi funéraire avec «No Expectations», take me to the station, Lanegan répand sa magie comme un poison dans tes veines.

    Signé : Cazengler, Lanegland

    Soulsavers. It’s Not How Far You Fall It’s The Way You Land. V2 2007

    Soulsavers. Broken. V2 2009

     

     

    Inside the goldmine –

    Pomme d’Adams

    (Part One)

             Au début, on ne comprenait pas bien ce qu’il cherchait. Il disait s’appeler Adam et se disait originaire du Mali, issu d’une grande famille. Cet homme haut et sec au regard très noir et aux cheveux blancs dégageait une réelle prestance. Le seul hic, c’est qu’il portait la tenue de travail des balayeurs des rues, ce qu’il était effectivement, comme la plupart des Maliens établis à Paris. Il bossait du côté de Belleville et de Ménilmontant. Il disait apprécier notre revue d’art et proposait d’y contribuer. Nous lui offrîmes une bière qu’il refusa. Il voulait juste un accord. Il revint le lendemain avec un dossier de photos. Il étala quelques images sur la grande table. Adam ne disait rien. Les images montraient des fresques peintes sur d’immenses façades et des statues africaines monumentales. Un ensemble stupéfiant. Nous lui demandâmes s’il était l’auteur de toutes ces œuvres et il hocha la tête en signe d’approbation. Mais où se trouvent ces œuvres ? Il retournait les images. Il avait inscrit au dos quelques informations sommaires, un lieu, une date. Là où n’importe quel artiste aurait assommé son auditoire avec des commentaires à n’en plus finir, Adam ne disait absolument rien. On commençait à voir en lui une sorte de griot, ou d’être extrêmement exotique doté de pouvoirs surnaturels. Il gardait ses distances. Il voulait juste savoir si on acceptait de publier ses photos.

             — Mais Adam, il faut qu’on fasse une interview, on ne peut pas passer les photos telles quelles !

             Il fit non de la tête. Il pointa du doigt les légendes sommaires au dos.

             — Ça suffira.

             Il demanda ensuite une feuille de papier et y écrivit laborieusement une adresse au Mali. Il voulait juste qu’on envoie un numéro de la revue à cette adresse pour que sa famille soit informée de son art. Et quand on lui demanda comment titrer les pages qu’on lui consacrait, il répondit :

             — Adam, premier homme.

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             Il y a du Adam chez Johnny Adams : même stature, même mystère, même classe. On pourrait même ajouter ‘même voix’. La meilleure introduction à l’œuvre de Johnny Adams est une belle compile Ace parue en 2015, I Won’t Cry The Complete Ric & Ron Singles 1959-1964.

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             Tony Rounce n’est pas avare de compliments sur Johnny Adams. Il parle d’une carrière de 40 ans, ce qui n’est pas rien, et d’un «vocal range that spanned several octaves», ce qui n’est pas rien non plus. Johnny Adams est un petit black né à la Nouvelle Orleans au début des années trente, et l’aîné de dix enfants, ce qui n’est pas rien non plus. Et puis un jour, Dorothy La Bostrie sonne à sa porte. Elle passait dans la rue et a entendu le petit Johnny chanter. Comme elle cherche quelqu’un pour chanter les démos qu’elle doit présenter à Joe Ruffino, le boss et Ric & Ron Records, elle demande au petit Johnny s’il veut bien lui faire l’honneur de les chanter, ce qui n’est vraiment pas rien du tout. Le petit Johnny hésite, car il s’est voué à God et n’approche pas la secular music, alors Dorothy use de ses charmes pour le convaincre, et il enregistre la démo d’«I Won’t Cry». Quand il entend ça, Joe Ruffino craque et cale une session d’enregistrement chez devinez qui ? Cosimo, bien entendu. L’A&R Edgard Blanchard supervise la session. C’est l’«I Won’t Cry» qui ouvre le bal de la compile Ric & Ron et «the near 40-year solo carreer of the ‘Tan Canary’». Quand on écoute «I Won’t Cry», on est aussitôt frappé par la présence vocale de l’early Johnny, il chante du drain, il est surnaturel de volonté. Avec chaque cut, il veille à peser de tout son poids. Il propose un early r’n’b, mais avec une réelle ampleur.

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             Les singles sont bons, mais ne sont pas des hits nationaux. Peu importe, Ruffino y croit dur comme fer. Il envoie Johnny en studio tous les trois mois pour enregistrer un nouveau single. Go Johnny go ! Mac Rebennack entre dans la danse en tant qu’A&R pour Ruffino et co-écrit «Come On», le deuxième single de Johnny, un early r’n’b d’une réelle ampleur. C’est aussi le premier single de Johnny qui paraît en Angleterre, en 1959. Mac Rebennack compose «The Bells Are Ringing», le troisième single de Johnny, qui cette fois est supervisé par Harold Battiste. Nous voilà au cœur du mythe de la Nouvelle Orleans.   

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              Il faut attendre «Someone For Me» pour voir Johnny grimper des échelons. Il chante à outrance et tape un magnifique heavy groove. Il joue de sa voix comme d’un instrument. «You Can Make It If You Try» sonne comme un slowah océanique. Gene Vincent et Sly Stone l’ont tapé, y compris les Stones sur leur premier LP. Johnny y va au make it et accompagne tout ça au awww. Il renoue enfin avec le swing de la Nouvelle Orleans dans «Life Is Just A Struggle», un hit signé Chris Kenner, brièvement signé sur Ric & Ron, mais surtout connu comme compositeur de choc («I Like It Like That» et «Land Of 1000 Dances»). Superbe, rond et concassé, gras et jouissif. Johnny passe au heavy blues avec «Losing Battle», signé Mac Rebennack, un vrai heavy blues d’you know it’s hard, the most adventured record, nous dit Rounce.  Johnny est un scorcher hors compétition. Ruffino investit dans la promo du Losing Battle qui devient enfin un hit national. Mais le conte de fées s’arrête brutalement : en 1962, Joe Ruffino casse sa pipe en bois. Son cœur lâche. Ses fils Ric et Ron tentent de prendre la relève, mais ils n’ont pas le pâté de foi de leur père. Les deux labels vont vite couler à pic. Johnny se retrouve le bec dans l’eau : plus de label.

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             «Tra-La-La» est donc un single posthume. Johnny a des filles qui font tra-la-la, alors ça devient un petit chef d’œuvre de good time music. En 1963, un nommé Joe Assunto tente de ressusciter Ric & Ron, avec la série Ric 900. Johnny enregistre chez Cosimo, et Wardell Quezergue supervise. Alors voilà le coup de Jarnac : «Lonely Drifter» ! Il attaque ça au I’m drifting dans un climat d’excelsior demented, il explose dans la chaleur du four, il s’en va te screamer ça au plafond, le voilà englué dans une énorme purée de son et il n’en finit plus de screamer dans l’allégresse, c’est un hit supersonique, il creuse sa différence. Cette excellente brochette de hits inconnus s’achève avec «Walking The Floor Over You», une belle version primitive, très sauvage - Tell me one thing - ponctuée par un gratté de plonk plonk plonk.

             Après tout ça, Johnny partira à l’aventure, d’abord à Houston, enregistrer pour Huey P. Meaux. Puis il va vivre d’autres aventures palpitantes, en signant chez Atlantic, qui l’envoie enregistrer chez Malaco sous la direction d’un vieux copain, Wardell Quezergue, puis direction Miami où il enregistre au Criteria avec devinez qui ? Les Dixie Flyers. Et ce démon de Tony Rounce balance l’info fatale : «50% of the masters remain inissued.»

     

    Signé : Cazengler, Johnny Œdème

    Johnny Adams. I Won’t Cry The Complete Ric & Ron Singles 1959-1964. Ace Records 2015

     

    *

    L’éloignement fait-il du bien aux créateurs ? Pensons à Victor Hugo exilé sur l’île de Guernesey qui écrivit sur ce rocher (pas si lointain) quelques-uns des recueils les plus vertigineux de la grande lyrique française. Aucun gouvernement n’a envoyé Bill Crane en résidence surveillée en Thaïlande. Je ne sais si comme l’auteur de Solitudines Coeli il s’adonne aux tables tournantes et si la nuit noire par la fenêtre de son appartement il aperçoit la dame blanche se promener dans son jardin. Je m’en tiendrai aux faits : dans notre livraison 627 du 11 / 01 / 2024 je chroniquais : son album : Baby call my name. La semaine suivante le 18 / 01 / 2024 dans notre livraison 628, Love in vain un EP trois titres. Bill Crane s’est sans doute souvenu des anciens 45 tours français aux mirifiques pochettes colorées qui offraient quatre titres, je viens de m’apercevoir qu’il en a donc rajouté un quatrième à son brelan d’as le transformant ainsi en ce que je m’amuse à surnommer, non pas un four of a kind, mais un four of a king :

    GIMME BACK MY LOVE

    (Extrait de l’EP : LOVE IN VAIN)

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    Nostalgie du son et nostalgie de l’amour, l’on ne sait laquelle des deux l’emporte sur l’autre, longues lampées de guitare sixties, juste une vague lentement suivie par une autre, un mouvement qui nous semble infini tant notre désir aimerait que cela ne se termine jamais, en contrepartie le raffut de la machine rythmique qui marque le temps imperturbable qui s’écoule emportant tout sur son passage, et puis la voix d’une singulière pureté, d’autant plus étrange qu’elle s’adresse à un homme, sans beaucoup d’imagination l’on se croit dans un morceau de gospel, une prière qui s’élèverait vers un Dieu charnel. N’oublions pas, le gospel est une des racines du rock’n’roll. Lorsque l’on vise l’essence d’une chose on touche à ses origines car rien ne vient de rien. Ce morceau ajoute une touche abstraite à cet EP, qui agit sur nous comme une épine empoisonnée qui s’enfoncerait dans les existentielles représentations culturelles de la construction mentale de nos souvenances. 

    *

    L’enfer est décidément pavé de bonnes réalisations puisque, ce prolifique mois de janvier billcranien n’était pas terminé que déjà paraissait un deuxième album :

    HELL IS HERE

    (YT / Janvier 2024)

             Le rock’n’roll est une pâte molle, il se modèle à volonté. L’auditeur n’en est pas obligatoirement conscient, car on ne lui montre l’objet qu’une fois terminé, cuit, émaillé, sorti du four électrique et revêtu des riches couleurs dont on l’a doté. En jouant sur le titre de cet album l’on pourrait réunir les deux opus précédents sous l’appellation : Hell was here, même si le passé est si fortement implanté en nous qu’il résonne toujours. Un peu à la manière de ces moulins à prière tibétains qu’un mélancolique vent mauvais et verlainien met en mouvement.

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    You got it : si par maladresse vous avez enlevé le son et que vous ayez laissé défiler les paroles, vous êtes dans la continuité de ce qui précède, selon un aspect du rock’n’roll jusqu’ à lors occulté, celui de la joie du corps, de la dépense physique, de la danse très around the clock, shake it baby. Vous serrez les meubles du salon et vous poussez le son. Changement de ton. Première surprise, le rythme ne boppe pas, un peu pesant, même si le vocal vous donne l’illusion d’un certain entrain, faut dire que la musique vous englobe si bien que vous vous laissez porter par elle, les yeux fermés dans une boîte vous dansez dans la pénombre. Êtes-vous encore vous-même, qui êtes-vous, vous-même, votre propre ectoplasme, votre fantôme et où êtes-vous, il y a tant de morceaux de rock hot rails to hell, peut-être que cette fois-ci, vous êtes vraiment arrivés à destination… Vous aurez du mal à quitter les sombres tonalités de ce titre. Sans doute parce qu’elles émanent de vous. Monstrueux.

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    Do U love me : l’image qui accompagnait le titre précédent était rassurante, une fille qui danse, elle me rappelle un peu la pochette de Rock’n’roll animal de Lou Reed, celle-ci est des plus simples, un cercle, une ronde, around the clock, ou le schéma d’une tête dans laquelle les pensées tournent en rond, notes sombres qui résonnent, et la voix qui interroge, celle de l’adolescent éternel qui n’est jamais sûr d’être aimé pour lui-même ou pour son perfecto. Ce qui est sûr : dès que l’on tente de s’accrocher au monde extérieur l’on prend pied dans le monde des incertitudes. A peine plus de deux minutes, malgré la force maléfique de ce morceau ensorcelant vous êtes soulagés quand il s’arrête. Vous y revenez bien sûr. Comment s’évade-t-on d’un cercle ? 

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    Up & down : vous donne la réponse. Une rythmique, vous savez la même qu’utilisent les combos en concert pour faire durer le titre sur lequel le public a accroché, faisons l’impasse sur ses sonorités venues de nulle part et envoûtantes, ce coup-ci, suffit de suivre le mouvement, vous êtes sûr de votre coup, elle ne pourra pas vous échapper, la poiscaille est ferrée, sifflements d’admiration quand vous sortez pour votre petite affaire, dans la vie il y a des hauts et des bas, aujourd’hui c’est vous qui êtes sur le point culminant.

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    So funky : tout va bien, nous avons fait le tour du cercle, nous repartons donc pour un tour, elle sur la photo, les taches de couleur sur son corps ne sont que les projections de notre désir, la guitare résonne dur, elle imite le danseur perroquet qui prononce sans arrêt so funky, dans la série enfonce-toi bien ça dans la tête, vous ne pourrez faire mieux, le rythme est lancinant, obsédant, angoissant si l’on veut être franc.

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    Go dancing : paysage suggestif, l’a ce qu’il veut, tout dépend de la danse à laquelle on pense, tourner sans fin autour de la pendule ne suffit plus, les résonances explorent le terrain vierge, si vous vous voulez, durant l’orgasme il pousse des cris maniérés à la David Bowie, bientôt la musique prend toute la place, z’ont mieux à faire. 

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    Cool death : l’a pris une image noire pour illustrer cette musique clinquante qui fuse d’un peu partout, dont les points d’entrée délimitent un espace noir, mort fraîche, mort froide, mort molle, mort dure, dans ces résonances abstruses et funèbres, l’on ne danse plus, le rythme est trop lent, épars, des bruits de nulle part, la mort n’est-elle pas le dernier rendez-vous, celui que l’on ne peut éviter, une guitare mugit, une vache que l’on mène à l’abattoir. Long est le chemin. Avec soi-même.

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    Dark street blues : instrumental : ce n’est plus un titre, un totem que les légions romaines promenaient durant batailles et pérégrinations, derrière lequel le rock aime à se protéger, un blues plus profond que la mort, à la hauteur érigée de l’image impudique, l’alliance sans cesse renouvelée d’Eros et Thanatos, au fond de la rue tu n’iras jamais plus loin que la mort de ta chair ou de la chair de ta mort. 

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    My sweet machine : la demoiselle a l’aspect d’un lémure, shake, shake, shake, autant de fois que vous voulez, mais le tempo n’y incite guère, trop lent, peuplé de grincements peu affriolants, douce est la machine, puisqu’il le dit, nous ne le croyons pas, une mécanique qui n’en finit pas de tourner sur elle-même, peu avenante, inquiétante, don’t save for me the last dance baby !

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    The hell : enfin on y arrive, il y a longtemps que l’on y était, ce n’est pas grave, l’on nous distribue une image abstraite et écarlate comme ticket d’entrée, la guitare ne se retient plus, elle fuse, elle metallise à mort, Bill crâne à mort avec sa voix de profundis, danse funèbre, brrre !!! La barbaque est froide, l’on connaît déjà.

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    Waht’s that ? !!! : un peu couronne mortuaire, c’est un peu comme si vous bouffez les fleurs par la racine depuis dessous votre pierre tombale, tiens il y a du monde, y en a même un qui tousse, le cat Bill s’amuse à imiter les agonies et le cri des âmes torturées dans les feux de l’enfer. Les rockers ne peuvent jamais prendre les choses au sérieux. Rock parodie !

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    Rock-cola Cafe : dans les morceaux de blues l’on se réveille généralement le matin, dans les morceaux de rock aussi ( un tantinet plus tard) l’est temps d’enfiler son jean, l’est comme neuf, oublions cette meurtrissure, dans le dos, juste à la place du cœur, est-ce vraiment si important depuis qu’elle est morte comme une poupée gonflable, comme toutes les autres, ça résonne comme si l’on entendait la réverbe occasionnée par une voûte, tiens au niveau paroles c’est un peu comme un remake de The End, attention, il pousse la porte.

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    The walking dead : instrumental : dehors, on respire, la main aux ongles rouges est encore crispée mais la musique est alerte, que cela fait du bien de trouver de l’air frais. Sur la fin la guitare sonne sixties, ah ces jours heureux du rock, ce temps de l’innocence qui ne reviendra jamais. Puisqu’il est toujours là. Serial killer en quelque sorte.

             L’on ne s’y attendait pas. Bill Crane nous a offert un opéra rock, moins optimiste que le Tommy des Who, plus inquiétant que le Berlin de Lou Reed. Ecoutez-le et modelez le scénario à votre guise. Bill Crane a laissé des interstices. Exactement les mêmes qui séparent la vie de la mort.

             Une curiosité. Morbide ajouteront ceux qui n’aiment rien. Surtout pas le rock’n’roll.

    Damie Chad.

     

    *

             L’opus est sorti depuis un an, je n’ai tilté ni sur la pochette, elle n’est pas mal du tout, ni sur le sound pour la raison nécessaire et suffisante que je ne l’avais pas encore écouté, simplement sur le temps. Pas le soleil, ni la pluie, ni la neige, non les 44 minutes 38 secondes du morceau. Bonjour le cachalot ! L’on n’en pêche pas un de cet acabit tous les matins dans sa baignoire.

    DISINTEGRATE

    OAK

    (LP, CD via Bandcamp / Février 2023)

    Avant d’écouter o monstro, ces deux derniers mots ne sont pas victimes d’une malencontreuse faute de frappe ils sont issus de la langue portugaise, oui ils sont du pays de Camoens l’immortel auteur des Lusiades, livrons-nous à quelques travaux d’approche.

    Ne sont que deux à avoir commis cette abomination temporelle : Guilherme Henriques : vocals, guitars / Pedro Soares : drums.  Pas de frais metalleux du matin, présentent un pedigree groupique long comme le bras, sont membre du groupe Gaerea, c’est d’ailleurs Lucas Ferrand de Gaerea qui est venu tenir la basse.

    La couve est de Belial NecroArts, de Lisbonne, une visite de son FB s’impose pour tous les amateurs de Back Art, pour les autres aussi. J’ai failli ne pas écrire cette chronique, tant j’ai passé de temps à regarder ses œuvres. Beaucoup de noir (et de blanc) mais je me suis surtout attardé sur ses œuvres moins nombreuses qui usent aussi de la couleur. Disintegrate est peut-être la plus colorée. En le sens où la couleur engendre la forme et non pas la forme qui exige telle couleur. Que représente-t-elle, un trou noir, d’autant plus noir qu’il est une effulgence de feu orange, le gouffre que nous portons en nous, le bout du tunnel que l’on est censé traverser lors de la mort, le feu élémental héraclitéen, une revisitation du mythe de Phaéton, que chacun l’interprète à sa guise. Contrairement à ce j’ai dit, les artworks de Belial NecroArts ne sont pas à regarder, fonctionnent un peu à la façon d’arcanes du tarot ou de sigils, ces sceaux qui agissent sur vous, et de par vous sur le monde, dans la mesure ou la démesure, que vous sachiez y lire les chapitres de votre destin que vous y inscrivez.

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    Disintegrate : entendre une œuvre musicale demande peu d’efforts, savoir écouter avant même de tourner le bouton ou de libérer le bras de votre chaîne exige une tout autre préparation mentale. L’on n’écoute pas un opus musical comme l’on promène son chien, d’ailleurs le plus souvent c’est le chien qui commande son maître, preuve que l’on est davantage agi que nous n’ agissions. Le motif de Disintegrate, est bien le récit d’une désintégration, non pas l’effarante surprise d’un missile qui en quelques secondes disloque et détruit l’objet de sa cible, mais une lente dissolution consciente, car le phénomène qui n’est pas pensé ne saurait avoir été vécu. Disintegrate se situe davantage du côté de Platon que d’Aristote, plus près de la contemplation que de l’énergie. Un frais amateur de Metal pourra être surpris, il s’attend à des périodes d’accalmie espacées de-ci de-là, dans le seul but de rendre les grandes bourrasques phoniques encore plus tumultueuses, il n’en est rien. Juste un cheminement, une fonte solaire de l’être, l’esprit qui survit avant de s’atomiser encore quelques temps, des souvenirs épars comme ces épaves sans but qui flottent sur la mer, soumises aux caprices des courants, alors que la coque gît déjà au fond de l’abysse. Un cycle s’achève. Un autre commence, mais ceci est une autre histoire. Une note qui se répète, qui se prolonge selon ses harmoniques, la batterie qui a l’air de se noyer dans chacun de ses battements, l’on attend, l’on ne sait quoi, mais l’on attend, jusqu’au hurlement du loup, non pas le hululement de la bête vers la lune, la musique atteint le plus haut pied de son étiage, voici la voix humaine  déployée d’octaves, qui ploie sous le poids de son passé et de sa présence au monde, une gorge abyssale, peut-être ce larynx en flamme qu’illustre la pochette de Belial, une profondeur sans fin, le monde se dissout, survit le mirage de cette voix grandiose qui recouvre le monde, le background se met à sa hauteur, le feu tombe sur vous, il ne cause aucune souffrance, c’est l’âme intérieure qui brûle et se recroqueville tel un parchemin dont on veut se débarrasser.

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    L’escargot n'habite plus sa coquille, la batterie s’acharne sur ce mollusque visqueux qui refuse de mourir avant d’avoir transmis oralement au néant qui s’approche son ultime message, bouteille au feu que les flammes fondent et foudroient dans le cristal de son impuissance, cri primal de la fin, de la terminaison, de la clôture, ne subsistent plus que des fragments translucides que l’air brûlant disperse… juste quelques notes, ce n’est pas la fin, disparêtre n’est pas facile, n’être plus que des bouts de soi, sur lesquels la batterie tombe à bras raccourcis, ferraillent contre eux aussi les cymbales, tout doit disparaître, il est impossible que quelques brins d’un passé révolu survolent, notes agonisantes d’un requiem éternel, serait-ce l’apaisement, non l’on ne saurait se satisfaire de l’œuvre que l’on a à accomplir, le repos, le recueillement en soi-même ne saurait être une solution, déchaînement total, l’on ergotait sur la possibilité, toute la meute tournoie, babines retroussées, elle passe et repasse sur le disque usé de votre mémoire, elle piétine, elle mord à pleines gueules, la passion de la destruction n’est pas une création, seulement une autodestruction, sans passé, sans présent, sans futur, sans rien, que la brutale et cruelle évanescence de ce que l’on a été de ce  que l’on n’est déjà plus, mais une rythmique entame une folie mortifère, rafales battériales, il ne crie plus, il parle, il dicte l’ultime prophétie qui est en train de se réaliser au fur et à mesure qu’il l’énonce. Tout se précipite, l’on arrive à la dernière scène du dernier acte, le rideau est prêt à s’affaler et à emporter le théâtre de l’existence avec lui, résonances de gong, la matière musicale se plisse comme la croûte terrestre lors des tremblements de terre, fêtes et fastes, je rugis comme un lion, moi qui ai participé au festin des quatre empereurs, moi qui ai été Dieu, ô le souvenir de cette puissance infinie, de cette force qui ébranlait aussi bien les racines du ciel que de la terre, je dois abdiquer, me résoudre à délaisser ce sceptre que j’ai abandonné depuis si longtemps, final grandiose, l’on ne se surpasse jamais, l’on atteint jamais la dernière marche de l’escalier absent, qui apparaîtra une fois que l’on ne sera plus, ma dernière vision sera celle de ma pierre tombale, désespoir total, drame métaphysique, je ne suis plus que mon propre non-être. Superbement éprouvant. La musique se calme, il semblerait qu’elle ricane. Terrible.

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    Disintegrate I : (Official Music Video) : vidéo promotionnelle parue en 2022, extrait de 4 minutes : Enrique au chant et à la guitare, Pedro au beurre, pour reprendre une expression cazanglerienne, peu d’intérêt si ce n’est de les voir jouer alors que tombe la neige… / Disintegrate II : (Official Music Video) : vidéo promotionnelle parue en 2022, extrait de sept minutes et demie :  regardez celle-ci, ambiance beaucoup plus metal, ils ont remplacé la neige par des bougies, et un faisceau de torches. Les photos qui illustrent notre chronique en sont extraites.

    LONE

    OAK

    (LP, CD via Bandcamp / Février 2019)

             Grande envie m’a donné Disintegrate d’aller fouiner du côté de leur premier album.

    Pour la couve je me suis fait avoir comme un bleu, me suis demandé quel peintre romantique, voire symboliste aurait pu peindre cette toile, non un contemporain, Paolo Girardi, né en 1974, une vie dure, l’a commencé par la pratique de la lutte libre, athlète professionnel, puis l’est passé à la peinture. L’a appliqué la même méthode que pour la lutte : s’entraîner sans fin. Toile et huile de térébenthine. Je ne sais d’où il tire son inspiration, je ne le connais pas mais je l’entends me dire : ‘’ De moi-même. Je suis un lutteur et un rêveur.’’ Allez voir sur son FB, section photos, entre autres, les 286 Music Covers, un résumé de l’imagerie metal, par un grand peintre. Colossal !

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    Sculptures : le disque met en scène un géant, vous le découvrez sur la couve, qui est-il, on ne le saura pas, écoutez, l’on entend ses pas, ils n’ébranlent pas le monde, il le fracasse mais son empreinte sur la terre reste superficielle, peut-être n’est-il qu’une image de notre infatuation de nous-mêmes, certes il piétine les forêts qu’il traverse comme des fétus de paille, elles sont à l’intérieur de lui, il hurle comme King Kong, mais ce sont ces pensées que vous entendez, il s’apprête à descendre l’interminable escalier qui mène au tréfonds de lui-même, chacun de ses pas intérieurs est comme une chiquenaude qu’un sculpteur infligerait à la masse informe d’une glaise à qui il doit donner forme. La musique s’adoucit, sans doute caresse-t-il quelque rondeur qu’il a décelé au fond de son âme. Au tréfonds de lui une eau froide dans laquelle il se laisse glisser. Il flotte, il descend jusqu’au fond, l’empreinte de ses pas sur la silice vaseuse sculpte châteaux de sable et de rêve. La guitare chante et lisse, la batterie tapote, la voix triomphe, aucune victoire, seulement le contentement d’avoir donné la forme qu’il voulait à son âme. Il se tait, face à lui-même dans le silence il contemple sa réalisation, son œuvre qu’il a façonnée à partir de lui-même. Recueillement. L’artiste n’est-il pas l’œil limpide d’un univers qui ne le mérite pas. L’existe une vidéo Live at Stone Studio de l’interprétation de ce morceau. Idéale pour voir comment avec un minimum de moyen l’on peut produire un maximum d’effets. Mirror : même douceur, regarder le monde n’est-ce pas se regarder soi-même, méditation sans fin qui renvoie sans cesse de l’un à l’autre, notes égrenées, il suffit de traverser le miroir pour sortir de soi, tombe la pluie, sur moi, ou à l’intérieur de moi, les pas du géant s’alourdissent sous le faix des cymbales, introspection ou extrospection, où suis-je dans la nature ou dans les souvenirs qui inondent ma tête, perdu en soi, perdu dans le monde, gosier glaireux, il trimballe tant de débris, ne se trouve-t-il pas juste à la jointure de l’intérieur et de l’extérieur qui façonne l’autre, qui construit l’un, la batterie coupe des branches d’arbres celles qui dépassent, qui entrent dans ma tête, celles qui sortent et s’épanouissent dans le monde, moments de grandes incertitudes, le monde décline, mes forces aussi, mes démarches, la physique et la psychique deviennent moins affirmées, maintenant je me tiens aux arbres pour avancer, est-ce la fin, déjà s’élève le générique que j’ai préparé pour cet instant suprême et décisif, au sortir de ma tanière je veux hurler comme l’ours qui jaillit de sa grotte et pousse un grognement de soudard en guise de salutation au soleil, les rayons de l’astre se figent et le monde devient grisâtre, même couleur ma matière grise, voilé de brume comme s’il s’estompait de lui-même, les évènements se précipitent, c’est le moment de la séparation, mon cadavre d’un côté, mes rêves de l’autre. Fêlure séparative à la surface du miroir. 

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    Abomination : le mot est fort, l’intro fracassante, la bête est là, debout, elle hurle, elle n’y peut rien l’abomination monte comme l’eau au fond du puits. De plus en plus vite, rien ne l’arrêtera, elle noiera bientôt la terre émergée des années heureuses, de l’Arcadie première, d’où vient-elle, est-elle issue de la noirceur de mes cauchemars de ces processus d’affaiblissement insidieux, de ce désir de mort rampant qui grignote mes forces vives, suis-je programmé pour mourir et peut-être pire pour anéantir le monde après moi. Maze : je cours de tous les côtés, sans fin je me heurte au parois des galeries, je suis au-dedans de moi-même, enfermé depuis toujours, pour toujours, autant dire éternellement, mort ou vivant c’est la même chose, j’ai beau piquer des crises de folie, me démener, hurler, rien n’y fait, je suis une capsule éternelle de pensée, le dehors n’existe pas, je me projette le solipsisme de ma présence, en couleurs, sur grand écran, j’y crois, je n’y crois pas, j’invente tous les scénarios que je veux, il n’y a pas de dehors juste un cauchemar que j’entretiens pour ne pas me morfondre au-dedans de moi-même, je suis mon propre être et mon propre non-être, les deux à la fois, le monde est une projection et le projectionniste n’est pas dupe de cette fausse réalité. Pourquoi y a-t-il une chose qui pense et pas rien ? La musique s’autodévore.

             Splendeur métaphysique.

    Damie Chad.

    Nous reviendrons sur OAK, ils viennent de mettre en ligne un troisième album.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll ! 

    22

             Lorsque je poussai la porte du local, Molossa ferma ostensiblement les yeux et se coucha en rond comme un chat, je sentis comme un reproche dans son attitude réprobatrice.  Malebranche, mort en 1715, aurait-il donc tort en théorisant que les animaux, cartésiennes machines vivantes dépourvues d’âme, sont sans l’intervention directe de Dieu dans l’incapacité totale de faire semblant de simuler des sentiments. Nous devrions paisiblement discuter de cette proposition malebranchienne, hélas le temps nous manque ! Je me contenterai de spécifier que le Chef pourvu d’une âme et d’un Coronado m’adressa un franc sourire :

             _ Agent Chad, je sens que vous avez passé une bonne nuit, à votre mine détendue je subodore que vous avez lâchement abusé d’une veuve et de ses orphelins.

             _ Hélas non, Jean Thorieux a tenté de nous attendrir en évoquant sa femme et ses mioches…

             _ Agent Chad, n’oubliez jamais que la pitié est l’arme des faibles !

             _ C’est sa sœur Gisèle qui m’a reçu, elle m’a décrit son frère comme un individu un peu paumé qui depuis quelques semaines lui racontait des balivernes : à savoir qu’il était possible de traverser les murs.

             _ Or, cadavre en main si je peux employer cette métaphore, nous savons qu’il avait acquis cette curieuse faculté !

             _ Nous possédons même mieux Chef. Ce matin alors que Gisèle très éprouvée par les élucubrations de son frère a enfin trouvé le sommeil. J’en ai profité pour visiter l’appartement voisin de son frère. Pas grand-chose à voir. Une table, un lit, une télé, pas mal de bouteilles de bière et une collection complète du numéro 1 au numéro 297 de la revue Science et Paranormal. C’est tout.

             _ Parfait agent Chad, vous savez ce que vous avez à faire. Pour moi, je reste ici, fumer quelques Coronados m’aidera à réfléchir à cette affaire. Emmenez vos chiens avec vous, vous ne serez pas trop de trois, fiez-vous à mon intuition, nous sommes sur une sale embrouille !

    23

             Lunettes, blouson de daim, pantalons de tergal, et serviettes bourrées de documents, j’avais pris mon air de professeur d’université. La bibliothèque du quartier était déserte, à son bureau, l’hôtesse d’accueil m’accueillit avec empressement :

             _ Que puis-je pour vous Monsieur ?

             _ Est-ce que je pourrais consulter, si vous l’avez, la revue Science et Paranormal ?

             _ Bien sûr Monsieur, quel numéro voudriez-vous, vous trouverez le dernier le 297 sur le présentoir.

             _ J’aurais besoin de la collection entière depuis le numéro 1 ?

             _ La collection entière ?

             _ Oui, j’ai besoin de vérifier un point de détail, j’ai oublié de noter le numéro dans mes notes, c’est urgent, je pars dans trois jours pour un symposium à Chicago, je m’excuse de vous donner un tel travail mais…

             _ Asseyez-vous Monsieur, prenez place je m’occupe de vous.

    Je me suis retrouvé avec d’impressionnantes piles de magazines que Josiane, nous avions eu le temps de faire connaissance, m’apportait par paquets de vingt. Dans un premier temps je décidai d’éplucher le sommaire de chacun d’entre eux. Ce n’était pas aussi rapide que je le souhaitais, parfois il était vers le début, parfois vers la fin, toujours perdu au milieu de pages publicitaires. Un détail me troubla, contrairement aux us et coutumes, les sommaires étaient composés en lettres minuscules. Je m’efforçais donc de les éplucher avec attention. La salle se remplissait sans que j’y prenne vraiment garde.

             _ Pardon Monsieur, est-ce que par hasard vous auriez déjà regardé le dernier numéro, le 297 qui est sorti ce lundi matin ?

    Je relevai la tête, le gars avait une allure sympathique, aux nombreuses rides qui sillonnaient son visage il devait avoir autour de quatre-vingt ans. Je le lui tendis et n’eus aucun besoin d’engager la conversation :

    • C’est que voyez-vous j’adore lire ces élucubrations, bien entendu je n’en crois pas un mot, entre les extra-terrestres qui vivent parmi nous et les gens qui sont capables de mettre en mouvement par la pensée un train de quarante wagons, pensez-donc plus de trois mille tonnes ! En plus ces derniers mois, ils ont engagé un nouveau journaliste, un certain Jean Thorieux, le gars doit être frappé de la cafetière il vous propose des expériences de traversée des murs, il vous propose même de vous inscrire au Club des Briseurs de Murailles. Cela m’a semblé si stupide que j’ai rempli la semaine dernière le bon d’inscription, le pire ce matin en partant pour la bibliothèque, j’ai vérifié le courrier dans ma boîte à lettres, ils m’ont répondu, je n’ai pas ouvert, encore un truc pour vous soutirer de l’argent ! Mais j’arrête de radoter des balivernes ! Vous avez du travail à ce que je vois.

    Je m’apprêtais à me plonger dans la lecture des articles de ce Jean Thorieux, je n’en eus pas le temps, Josiane se dressa devant moi :

    • C’est marrant Damie, vous êtes le premier lecteur qui enlève ses lunettes pour lire !
    • Je les mets juste pour attirer l’attention des jolies filles Josiane, elles sont magiques, ce sont seulement les plus belles qui le remarquent !
    • En tout cas ce que je trouve magique, c’est votre serviette qui bouge toute seule !

    Je n’eus même pas le temps d'improvider une explication, la tête toute ébouriffée de Molissito qui avait réussi à bouger la fermeture éclair apparut !

             _ Oh ! mais il est ravissant, oh, un deuxième ! ils sont beaux tous les deux, vous les transportez tout le temps dans votre cartable, vous possédez une étrange personnalité Damie, j’adore les garçons drôles comme vous, si j’osais je vous inviterais au déjeuner, j’ai deux heures de pose !

    24

    C’était une excellente suggestion. Josiane me guida vers un petit restaurant qui se révéla excellent. Comme il y avait un petit hôtel tout près, et tout prêt à nous accueillir nous y fîmes une petite halte, après quoi nous revînmes à la bibliothèque. Josiane me photocopia les dix-sept articles que Jean Thorrieux avait rédigés ce qui prit pas mal de temps.

    C’est avec fierté que je poussai la porte du local. Le chef fumait un Coronado. Le cendrier était plein, le Chef avait dû longuement méditer.

             _ Agent Chad, enfin vous voici, j’e vous attendais avec impatience, j’espère que vous rapportez un début de piste prometteur !

             _ Plus qu’un début de piste Chef, un dossier, regardez il est assez épais une centaine de pages, j’ajoute pour les finances du service que grâce à mon entregent je n’ai eu aucun centime à verser.

             _ Votre souci économique vous honore agent Chad, si vous saviez ce que nous coûte un seul Coronado, vous seriez effaré, figurez-vous, vous n’en croirez pas vos oreilles, le ministère, il vient de me téléphoner, envisage de mettre une taxe carbone sur chacun des cigares que je fume ! Permettez-moi d’étudier ces documents, nous en reparlons dès ma lecture achevée.

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    Le Chef alluma un Coronada :

    • Agent Chad, à part le fait que ce fatras d’imbécillités soit signé de Jean Thorieux, le même nom que le zigue pâteux que nous avons retiré de sa gangue de béton dans le mur de notre appartement, ces documents ne présentent qu’un très modeste intérêt. Non n’intervenez pas, je sais bien que le Club des Briseurs de Murailles dont ces articles sont censés rendre compte des progrès de ses activités, ce Jean Thorieux journaliste ne nous renseigne en rien sur le Jean Thorieux que nous avons expédié ad patres. Par contre savez-vous la différence entre un ours blanc, un ours brun, un ours noir ?
    • Euh ! ce sont tous des plantigrades …
    • C’est bien cela, vous vous plantez magnifiquement, et votre fierté d’enquêteur va en prendre pour son grade ! En toute occasion il ne faut jamais se précipiter. Un cas particulier, le mien : après avoir fumé sept ou huit Coronados, j’ai effectué une rapide recherche sur le Net. En trois clics j’ai débouché sur le nom du propriétaire de Science et Paranormal, je me corrige aussitôt, de sa propriétaire, elle possède un nom charmant qui risque de vous dire quelque chose : Jeanne Thorieux.

    Je n’écoutais pas un mot de plus. Déjà je dévalais les escaliers mes chiens sur les talons, mon Rafalos en main.

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 630: KR'TNT 630 : SHANGRI-LAS / MARC BOLAN / NUDE PARTY / WHITEOUT / GIÖBIA / JEAN-FRANCOIS JACQ / KIVA / PIRATE HYMN / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 630

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    01 / 02 / 2024

     

    SHANGRI-LAS / MARC BOLAN

    NUDE PARTY / WHITEOUT / GIÖBIA

      JEAN-FRANCOIS JACQ / KIVA

    PIRATE HYMN / ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 630

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

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    Le chant gris des Shangri-Las

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             Curieuse histoire que celle des Shangri-Las, quatre petites gonzesses du Queens réunies dans un studio par un producteur fantôme. On surnommait George Morton « Shadow » parce qu’il lui arrivait de disparaître comme un fantôme. Il est là, et soudain, il n’est plus là. George ? Good Lord, George ! Arrête ton cirque ! Ça nous fait pas rire ! Mais où est-il passé ? C’est incroyable ! Ho George ! Tu pourrais au moins nous répondre, espèce d’abruti ! 

             Les Shangri-Las étaient ce qu’on appelait à l’époque un quatuor vocal, comme il en existait des milliers à New York. Mais celui-ci était particulier, car constitué de deux paires de sisters, Betty et Mary Weiss d’un côté, Mary Ann et Marge Ganser de l’autre, deux jumelles. L’autre élément qui les distinguait des autres girl-groups, c’était leur réputation de bad girls. Mary Weiss trimballait un calibre avec elle. Quand les flics du FBI lui demandaient pourquoi elle était armée, elle répondait que c’était réservé au premier bâtard qui allait essayer d’entrer dans sa chambre d’hôtel. Tu veux un dessin, flicard ?

             Et puisque Mary Weiss vient de casser sa pipe en bois, nous allons procéder à une modeste oraison funèbre, comme il est d’usage sur ce bloggy-bloggah béni des dieux du web. Ici nous célébrons la mémoire de nos idoles et leur sacrifions non pas des agneaux mais nos ferveurs.

             La légende des Shangri-Las repose sur deux mamelles déterminantes : la production géniale de Shadow Morton et la voix de Mary Weiss. Mais cette légende doit aussi énormément aux clins d’yeux de fans célèbres comme les Dolls qui reprenaient « Give Him A Great Big Kiss », ou encore les Damned qui démarraient « New Rose » - leur single historique - avec la première phrase de « Leader Of The Pack » : « Is she really goin’ out with him ? » Beaucoup de gens en 1977 ne savaient pas trop qui étaient les Shangri-Las, et puisque Dave Vanian les citait, alors les Shangri-Las sont apparues dans les bacs des disquaires cupides qui n’avaient plus qu’un seul mot à la bouche : mythique !

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             La discographie des Shangri-Las n’est pas très dodue : seulement deux albums et une poignée de singles. Leader Of The Pack est sorti en 1964, et encore, ce n’est qu’une moitié d’album, car les deux paires de sisters n’avaient alors enregistré que quelques singles. Le label a rempli la B avec des cuts live de mauvaise qualité. Cet album a donc souffert d’une réputation pour le moins surfaite. De là à dire que c’est une fabuleuse arnaque, c’est un pas qu’on franchit avec allégresse. Jackie DeShannon n’aurait jamais toléré une telle arnaque.

             Mais c’est vrai, souviens-toi, les Shangri-Las sont des bad girls. Pour aggraver les choses, elles sont tombées dans les pattes de gens peu scrupuleux qui ont fait du blé sur leur dos. La pratique était courante à l’époque. Ça foutait les deux paires de sisters en rogne de voir que leurs singles se vendaient à des millions d’exemplaires et qu’elles ne palpaient pas un seul bifton.

             Tous les hits des Shangri-Las se trouvent sur le balda de Leader Of The Pack. À commencer par un « Give Him A Great Big Kiss » sévèrement claqué aux clap-hands. Quand il entendait ça à la radio en 1965, le jeune Johnny Thunders tombait en pâmoison. Pour composer le morceau titre de l’album, Shadow Morton s’était acoquiné avec Ellie Greenwich. Et pour corser l’affaire, il a fait entrer des gros bikers tatoués - avec leurs motos - dans le studio. Il voulait le vrai son. Alors OK. Tu veux le gros son ? Écoute ça ! Les mecs débrayaient et mettaient les gaz, vroaaaaar, en direct, et les filles chantaient sans tousser, malgré toute la fumée. Mary Weiss miaulait ça très perché. On sentait dans la rythmique un groove gigantesque à la Sonny & Cher. Le génie d’Ellie Greenwich avait encore frappé. Vroarrrrr ! On comprend que Dave Vanian soit tombé dingue de ce morceau qui sortait de son petit transistor alors qu’il creusait une tombe sous la pluie. « Leader Of The Pack » est à la fois une pièce fabuleuse de profondeur et une chanson affreusement triste. C’est avec ça que Shadow Morton s’est taillé une réputation de producteur légendaire. Plus tard, les Dolls le voudront comme producteur et il acceptera de produire leur second album, Too Much Too Soon.

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             Son autre coup de maître fut de faire entrer des mouettes dans le studio pour « Remember (Waiting In The Sand) » une mélopée bien sirupeuse, comme on les aimait à l’époque. T’as déjà essayé de faire rentrer des mouettes chez toi ? Pas facile. Ces bestioles sont particulièrement bêtes, au moins autant que les poules, il faut presque les assommer pour en tirer quelque chose. Shadow Morton a réussi un véritable coup de maître. Malgré le son pourri, on trouve des reprises prometteuses en B et notamment une version live de « Twist And Shout » chantée très perché. Mary et les jumelles arrivaient à sortir des trucs incroyablement sexy et sucrés.

             Quand elles ont démarré, elles étaient encore adolescentes. Mary n’avait que 15 ans et les jumelles 16. Pour partir en tournée avec les Beatles, elles durent quitter l’école et renoncer à l’éducation, ce qui les arrangeait bien, car en bonnes bad girls qui se respectent, elles ne pouvaient pas encadrer leurs profs. Elles ont donc passé les plus belles années de leur vie à sillonner les États-Unis avec des blanc-becs comme les Rolling Stones, les Animals, Vanilla Fudge et les Sonics, puis elles ont débarqué en Angleterre pour tourner avec des branleurs encore plus boutonneux, du style Herman’s Hermits.

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             Leur deuxième album, Shangri-Las 65, est sorti dans la foulée. Il est beaucoup plus solide que le premier. Avec « Right Now And Not Later », on a un son de rêve, un shuffle exceptionnel, soutenu aux tambourins, chanté à fond de train. C’est d’une puissance infernale. On trouve sur cet album pas mal de compos d’Ellie Greenwich et notamment « Give Us Your Blessings », une belle pièce de pop élancée qui plonge ses racines dans le gospel et que Mary Weiss chante à la mode californienne. Stupéfiant ! Shadow Morton signe « Sophisticated Boom Boom » que reprend aujourd’hui Kid Congo sur scène. « I’m Blue » est carrément une reprise des fabuleuses Ikettes. C’est groovy en diable et monté sur une big bassline. L’un de leurs plus gros hits restera sans doute « The Train From Kansas City », une grosse compo signée Ellie Greenwich, une vraie merveille taillée dans l’harmonique. On sent le drive d’Ellie, the beast of the Brill. Ellie avait du génie. Il faut voir comme elle tortille son couplet pour le faire sonner comme un hit planétaire, en plein cœur des sixties qui sont déjà congestionnées par des milliers de hits planétaires. On reste dans la magie sixties avec « What’s A Girl Supposed To Do », chanté aux voix perchées. Mary Weiss y va de bon cœur - woo oh woo oh yeah - c’est l’époque qui veut ça.

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             Puis leur étoile s’éteint et elles replongent dans l’anonymat. Les deux jumelles vont casser leur pipe. Mary et Betty essaieront de revenir en 1977, aidées par Andy Paley, mais le projet d’album restera à l’état de projet. Il faudra attendre 2007 et l’aide de Billy Miller (Norton) pour qu’un album de Mary Weiss apparaisse chez les disquaires. Ce sera le fameux Dangerous Games. Fameux car salué par Shadow Morton qui était alors encore vivant, mastérisé chez Sundazed et doté d’une pochette signée Roberta Bayley - la photographe qui a fait la pochette du premier album des Ramones, et les portraits officiels de Richard Hell, des Dolls (devant Gem Spa) et des Heartbreakers, entre autres. Ce sont les Reigning Sound qui accompagnent Mary Weiss sur Dangerous Games. Ce gros coquin de Greg Cartwright est remonté au Nord pour se rapprocher des femmes fatales. On l’a vu sur scène avec Rachel Nagy et ce qui reste des Detroit Cobras. Voilà maintenant qu’il fricote avec Mary Weiss et qu’il lui compose des chansons, souvent très bien foutues. Et dans les chœurs on retrouve Miriam Linna, elle aussi bien pourvue, côté légende. Très vite, on tombe sous le charme de « Nobody Knows (But I Do) » une belle power-pop signée Greg Cartwright. Voilà une grosse pop à la mode new-yorkaise superbement travaillée et lumineuse, dynamique et entêtante. Mary Weiss chante désormais d’une voix de tête très mûre. On tombe ensuite sur une énormité qui s’appelle « Stop And Think It Over », une power-pop d’allure royale, embarquée au bassmatic aérodynamique et dotée d’une grâce presque typique des Oblivians. Mary Weiss montre qu’elle peut encore monter très haut, over the rainbow, si elle veut. Les compos des autres copains sont un peu plus faibles. Les seules qui tiennent la route sont celles de Greg Cartwright. On sent que l’animal veut s’inscrire dans la légende. Elle fait aussi une reprise des Real Kids, « Tell Me What You Want Me To Do », traitée en tressauté avec des nappes d’orgue à la Blondie. C’est un audacieux mélange de pop new-yorkaise monté sur le riff du « Venus » des Shocking Blue. D’autant plus surprenant que le solo est quasiment le même, note pour note. Sans doute un clin d’œil. Retour en force d’Ellie Greenwich avec « Heaven Only Knows », la vraie pop du Brill avec des chœurs agonisants. Lorsqu’Ellie traîne dans les parages, on ne craint pas l’ennui. S’ensuit un « I Don’t Care » qui reste dans la haute volée. Compo soignée, agitée aux tambourins, inspirée et dotée d’une jolie mélodie, comme dirait Robert Charlebois.

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             Et Shadow ? Mais où est-il passé ? Les gens d’Ace se sont occupés de lui en publiant en 2013 une rétrospective : Sophisticated Boom Boom! The Shadow Morton Story. On y entend les artistes que découvrit ou produisit Shadow Morton : les Shangri-Las, Janis Ian, Blues Project, Vanilla Fudge, Iron Butterfly, Mott The Hoople et les Dolls. Si on ne connaît pas Janis Ian, c’est l’occasion de la découvrir avec « Too Old To Go ‘Way Little Girl », grosse pièce de folk-rock psyché chantée à fond de train, complètement extravagante.

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             La vraie merveille qui se niche sur cette antho à Toto, ce sont les deux titres enregistrés par Ellie Greenwich. Et là, on entre dans la légende, comme si deux esprits supérieurs, Ellie et Shadow, nous conviaient à partager un moment de leur intimité artistique. « Baby » est un hit planétaire. Ellie, c’est la reine de New York, elle embarque son baby-baby et rentre dans le lard du retour de manivelle. Elle a le sens parfait du jerk - So close to my heart ! - C’est une merveille. Elle fait un autre titre moins spectaculaire, « You Don’t Know » qu’elle taille dans la mélodie.

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    Une fois qu’on a bien épluché l’antho, on peut se plonger dans le booklet de 40 pages qui l’accompagne et là, on trouve tout ce qu’on a besoin d’apprendre sur Shadow Morton. Mick Patrick avait entrepris une correspondance par mail avec Shadow et là attention, attachez vos ceintures, car on fonce droit dans la mythologie, la vraie. Shadow raconte ses souvenirs de gamin dans le gang des Red Devils, au sud de Flatbush Avenue, puis il raconte comment il a voulu entrer dans le show-biz en montant au neuvième étage du Brill Building pour proposer une chanson qu’il n’avait pas encore à Ellie Greenwich qui le reçoit bien, mais il y a ce con de Jeff Barry qui le snobbe. Ça ne plaît pas du tout à Morton qui vient de Brooklyn, qui est irlandais et alcoolique. Il ne faut pas trop lui courir sur l’haricot - You don’t take that attitude with me very long ! - Barry lui demande de quoi il vit, alors Shadow prend ça comme une insulte et lui répond avec morgue : 

             — La même chose que vous, j’écris des chansons !

             — Quel genre de chansons ? 

             — Des hits ! 

             — Alors ramenez-en un ! 

             Shadow sort du bureau aussi sec, il attend quelques secondes et il revient dans le bureau avec un grand sourire :

             — On a oublié de préciser une chose. Un hit rapide ou un hit lent ?

             Barry se marre et lui dit :

             — Kid, bring me a slow hit !

             Fantastique démarrage en trombe, complètement à l’esbrouffe. Shadow a rendez-vous le mardi suivant. Il connaît un nommé George Sterner qui connaît des musiciens. Il connaît aussi quatre filles du Queens, qui accepteraient d’enregistrer une démo dans un studio de bricolo. Il lui manque encore le plus important : la chanson. Il compose « Remember (Walkin In The Sand) » dans sa tête et pouf, c’est parti ! Ce qu’il fait plait beaucoup à Jerry Leiber qui l’engage comme compositeur et producteur. Quand il touche son premier chèque de royalties, Shadow s’achète une Harley. Et il replonge dans la mythologie de son adolescence, il se souvient de l’énorme gang de bikers au soda shop, et il compose « Leader Of The Pack » ! Petite cerise sur le gâteau, il fait mourir son héros biker. On lui dit que ça ne passera jamais à la radio. Les histoires de voyous en motocyclettes n’intéressent pas les gens. Shadow croit que sa dernière heure est arrivée et qu’il va se faire virer du Brill. Mais « Leader Of The Pack » devient un hit interplanétaire qui dégomme le « Baby Love » des Supremes de la tête des charts. Et pour les Shangri-Las, c’est la consécration.

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             C’est l’une des grandes histoires de rêve du rock américain. Ce petit mec de Brooklyn et ces trois filles du Queens ont réussi à monter une belle cabale à partir de rien. Jeff Barry admet que les Shangri-las étaient avant tout la vision de Shadow Morton - He was such a dramatic guy - Et comme « Leader Of The Pack » devient un hit énorme, Shadow offre une Harley à Jeff Barry. C’est certainement cette machine que Barry va piloter pour accompagner son pote Bert Berns en virée dans les Catskills Mountains, au Nord de New York. En fait, Shadow fabrique des petits opéras de quat’ sous avec des effets sonores, et ça plaira beaucoup au public, car les effets favorisent le travail de l’imagination. Fermez les yeux et vous verrez le biker foncer dans un mur.

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             C’est George Goldner, patron de Leiber & Stoller, qui surnomme George Morton ‘Shadow’, à cause de sa manie de la disparition - I did the bars on Long Island, shot some pool, made some bets, played some liar’s poker - Shadow disparaît dans les bars de Long Island, il joue au billard, fait des paris et joue au poker menteur. Ellie Greenwich trouvait les Shangri-Las à la fois dures et vulnérables. Elle trouve que Mary Weiss n’était pas une grande chanteuse, mais elle avait exactement ce qu’il fallait pour faire des disques intéressants - Her whole thing was her look and her sound - Et elle avait cette voix de nez et cette attitude de fille de la rue - The best of both worlds - Puis Shadow découvre Janis Ian, une petite prodige de 15 ans originaire de Manhattan. C’est un nommé Vigola qui ramène Janis un matin dans le bureau de Shadow. Vas-y chante un coup. Elle gratte sa guitare Ovation et chante son truc. Shadow lit un journal, le pieds croisés sur son bureau et marmonne des injures destinées à Vigola, du genre je vais te balancer par la fenêtre. Janis remet sa guitare dans l’étui, sort un briquet de sa poche, fout le feu à un papier qui dépasse du bureau et s’en va en claquant la porte. Jeff Barry la rattrape dans l’ascenseur et la ramène chez Shadow qui lui demande de rejouer sa chanson. Puis il appelle Ahmet Ertegun pour lui dire qu’il a une nouvelle artiste et qu’il veut l’enregistrer. Ahmet demande s’il peut l’entendre. Shadow lui dit non. Mais aucun label ne veut d’elle, pas même Atlantic qui fait la fine bouche. C’est MGM qui sort le premier disque de Janis Ian, en même temps qu’une autre énormité de l’époque, « Wedding Bell Blues » de Laura Nyro. Puis un jour, Shadow reçoit un coup de fil de Leonard Bernstein. Sa secrétaire croit que c’est un gag. Mais non, c’est bien le grand Leonard. Il veut rencontrer Janis. Et pouf, un nouveau mythe prend forme.

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             Atlantic se plaint à un moment de n’avoir que des noirs dans son cheptel. Ahmet demande à Shadow de lui trouver un white soul group. Atlantic perd de l’argent chez les blancs et il veut un groupe blanc pour reconquérir le marché. Pas de problème, Shadow a repéré les Young Rascals. Puis on lui présente les Pigeons. Shadow n’aime pas le nom du groupe. Mais quand il les voit jouer su scène, il est complètement fasciné par les quatre compères, Tim Bogert, Vinnie Martell, Mark Stein et Carmine Appice. Il fait une démo avec eux et la balance à Atlantic qui demande à les voir. Shadow dit non. Les Vanilla Fudge sont dans les pattes du producteur idéal. C’est lui qui lance ce groupe monstrueusement doué. Shadow balaie aussi les réticences d’Atlantic qui ne voyait pas de hit single dans le premier album. En 1968, Shadow participe aux sessions d’enregistrement d’Eli And The Testament Confession de Laura Nyro et d’Electric Ladyland de Jimi Hendrix  - I happened to be one of the two who ended up three days in the studio recording with him. We cut about seven or eight sides - Puis Ahmet Ertegun insiste pour que Shadow produise l’« In-A-Gadda-Da-Vida » d’Iron Butterfly. Ils voulaient le Long Island sound.

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             Dernier grand épisode de la saga Shadow : les New York Dolls. Ils voulaient Jerry Leiber et Mike Stoller comme producteurs, mais ceux-ci se désistèrent. Alors ce fut Shadow. À l’époque, Shadow est fatigué du business et la musique l’ennuie. Il accepte cependant de relever le défi des Dolls - The Dolls can certainly snap you out of boredom - Ils travaillent 24 heures sur 24 - They had an incredible amount of energy. God, I remember the scenes in the studio. The word intense is not intense enough - Il les laisse faire ce qu’ils font habituellement et se contente de les enregistrer - I try to capture what they, the artists, do - Le booklet est en plus bardé d’images fantastiques de Shadow. Sans les gens d’Ace, que serions-nous devenus ?   

    Signé : Cazengler, Shangri-gros lard

    Mary Weiss. Disparue le 19 janvier 2024

    Shangri-Las. Leader Of The Pack. Red Bird Records 1964

    Shangri-Las. Shangri-Las 65. Red Bird Records 1965

    Mary Weiss. Dangerous Game. Norton Records 2007

    Sophisticated Boom Boom! The Shadow Morton Story. Ace Records 2013

    De gauche à droite sur l’illustration : Marge Ganser, Mary Weiss et Mary Ann Ganser, ou Mary Ann Ganser, Mary Weiss et Marge Ganser, c’est comme on veut.

     

     

    Wizards & True Stars

     - Bolan mal an (Part One)

     

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             Marc Bolan revient dans l’actu via un beau tribute : Elemental Child - The Words And Music Of Marc Bolan. Cet Easy Action sort tout juste du four. Une façon comme une autre de nous rappeler que Marc Bolan fut une star aussi énorme qu’éphémère, principalement en Angleterre. Quelques souvenirs d’aventures romantiques restent imprégnés de «Get It On». À Londres, dans les early seventies, il fallait traîner dans certaines discothèques pour rencontrer des filles, et le glam faisait rage, surtout celui de Marc Bolan. Dans les boutiques de fringues, on entendait T. Rex et Slade. Plus tard, ce sera le «Star Sign» des Fannies. Et encore plus tard «Rock’n’Roll Star» d’Oasis. Tout cela est si terriblement anglais. Voilà comment dans la vie on se fait façonner.

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             Pour goûter aux délices de cette époque révolue, rien de tel qu’un bon tribute. Elemental Child est en soi un événement, même si les contributeurs ne sont pas les plus connus, exceptés Andy Ellison, Swervedriver et Rachel Stamp. Comme chacun sait, Andy Ellison et Marc Bolan ont à une époque navigué ensemble dans John’s Children, un groupe culte rival des Who.

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    Jet et les Radio Stars naîtront des cendres de John’s Children. Puis Boz Boorer, le mec des Polecats, remontera John’s Chidren dans les années 90. Il n’est donc pas surprenant de retrouver Andy Ellison et Boz Boorer sur deux des cuts du tribute, «The Third Degree» et «Menthol Dan». Belle tension Mod pop, bien contrebalancée, avec du big bass drum d’Andy, Oh Andy, l’une des rock stars britanniques les moins connues. Quel swagger ! Il ramène toute la vieille niaque de John’s Children. Quel bonheur encore que de retrouver Swervedriver. Ces mecs ont toujours navigué au-dessus de tout soupçon. Ils tapent «Chateau In Virginia Waters» avec tout le velouté de leur classe et leur génie liquide. Ils ont toujours su se répandre en douceur. Rachel Stamp se planque sur le disk 2 et tape une cover stoogienne de «Calling All Destroyers» - They change the key & add a few extra chords, nous dit le liner-man - Belle vison du monde magique de Marc Bolan. Les Polecats de Boz Boorer tapent une belle cover rockab de «Jeepster» : double wild craze, celle de Boz, et celle de la stand-up. C’est ce que Jack Rabbit Slim n’a pas compris : on peut claquer les sixties en mode rockab, et même y conserver l’esprit du glam. Et puis voilà le bataillon des inconnus qui nous offrent un festin de belles covers : Witchwood avec «Child Star» (ces mecs connaissent tous les secrets des vagues, ils reviennent inlassablement lécher la rive, et comme ils sont persuadés d’être des élus, ils visent le sommet de la Mad Psychedelia, avec de gros moyens, dont une flûte), Chris Connelly & The Liquid Gang avec «Cat Black (The Wizard Hat)» (Gorgé d’écho, inspiré, puissant et plongé), The Charms avec «Elemental Child» (produit par Jim Diamond, c’est le glam de Detroit, même veine que Timmy’s Organism, touillé dans le brasier au tison-solo). Et sur le disk 2, les Black Bombers avec «Raw Ramp» (tapé à la vie à la mort du petit cheval, puissant parfum glam dans le feu de l’action), Kelly Relly avec «Ballroom Of Stars» (elle découvre le glam à 11 ans, la voilà avec le top hat et c’est elle qui passe le solo), Mexican Dogs avec «Life’s A Gas» (tout le glam est dans le chant, ils tapent d’ailleurs leur glam à coups d’acou), et Burn It To The Ground avec l’imparable «Children Of The Revolution» : version hardcore, mais dans le feu de l’action, ils fourbissent bien le glam, c’mon ! Dans le mix du diable, ils parviennent à maintenir le refrain magique.

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             Tant qu’on y est, on peut feuilleter l’excellente bio de Mark Paytress, Bolan: The Rise And Fall Of A 20th Century Superstar. Comme le font la plupart des grands biographes, Paytress parvient à arracher son sujet au passé pour le recaler dans le présent, et accessoirement lui redonner vie, le temps d’une lecture. Et pour chasser toute ambiguïté, il propose dès les premières pages un rééchelonnage, affirmant que Bolan était une pop idol au même titre que Jimi Hendrix et Elvis - He was simply one of those characters that was a star almost by nature - Il ajoute que la gloire ne vint que plus tard, sous forme d’un by-product - Superstardom was his destiny - Son destin prend forme lorsqu’à 9 ans il découvre «the singing dancing demigod Elvis». Choc terrible en 1956 avec «Hound Dog». Il abandonne aussitôt ses héros d’enfance, Davy Crockett et Geronimo. Hail! Hail! Rock’n’roll

             Il s’appelle encore Mark Feld et devient Mod, l’un de ces obsessive stylists qui hantaient les London modern jazz clubs. Paytress entre alors dans le lagon d’argent de la culture Mod. Bolan devient Mod à 11 ans, il cultive ce style incarné par Frankie Laine, un mélange de modernité et de sophistication, de soin du détail et d’originalité. Il devient la «star of three streets in Hackney», il porte la cravate et collectionne les costards. Comme il est pauvre, il doit se débrouiller pour trouver des fringues pas chères et les faire retaper à la maison. Il possède 40 costards. Marc the Mod change de fringues quatre fois par jour. Il salue d’un hochement de tête les gens hip dans la rue. Mais il n’a pas d’amis. Et il a la trouille des scooters. Il déteste aller au bord de la mer. Pas à cause des crabes. Il ne veut pas que l’eau le décoiffe.

             Il se passionne pour Woodie Guthrie, puis pour Dylan, un solitaire, comme lui - the archetypal romantic rock artist - L’ex-Mod Bolan se conçoit désormais comme un mystère et devient poète. Le Mod devient un hippie, c’est-à-dire une extension du romantic rebel dont l’archétype est Bob Dylan. Bolan veille à rester cohérent. Il cultive un «Beatnick-inspired poverty chic» et reste obsédé par son image. Il flirte nous dit Paytress avec a kind of cerebral striptease. Il devient le fruit de son imagination et découvre grâce à Dylan que la musique peut aller sur un terrain jusque-là réservé à la littérature. Il apprend à gratter ses poux et à souffler des coups d’harp. Sous son romantisme couvent ses aspirations au superstardom. Paytress établit vite un autre parallèle fondamental avec Syd Barrett. Ils sont tous les deux bruns, bouclés, «and incredibly cute Aquarian pin-ups with suggestions of androginy who radiated airs of unblemished innocence.» Syd et Marc vont aussi avoir la même poule, June Child. Mais comme le dit si joliment Paytress, en quelques mois, les abus d’acides et de mandrax allaient «libérer Barrett de ses responsabilités de pop star.» Bolan ne l’oubliera pas : «One of the few people I’d actually call a genius. He inspired me beyond belief.» Pete Brown précise toutefois que Syd Barrett était beaucoup plus convainquan «car il était beaucoup moins préoccupé de son talent poétique.» Brown ajoute que Barrett avait fréquenté l’art school, ce qui le rendait beaucoup plus sophistiqué. Il dit aussi que la comparaison de Bolan avec Dylan est un peu exagérée : «Quand Dylan faisait du mysticisme, il tapait dans l’imagerie de la Bible, il était beaucoup plus pointu que le fut jamais Bolan.» Il ne supporte pas non plus le côté féerique, the Tolkien stuff, qu’ont exploité les hippies. Bullshit ! Combiné aux acides, ça a bousillé les gens - It sent people off to a kind of numbskull cloud cuckooland.

             Le producteur indépendant Jim Economides prend Bolan sous son aile et l’emmène pousser la chansonnette chez le Decca boss Dick Rowe qui lui offre un one-single record deal. Comme il s’appelle encore Mark Feld, il sent venir le moment de changer de nom. Il fréquente un acteur nommé James Bolam et il aime bien son nom - Mark liked the sound of it - Puis Mark devient Marc. Comme il a besoin d’un svengali, il va trouver en 1966 Simon Napier-Bell. Il sonne à sa porte, Napier ouvre - He liked what he saw - Napier voit Bolan comme un «Charles Dickens urchin». Bolan rentre avec sa gratte, s’assoit et gratte ses cuts - His guitar playing was appalling, but I just loved the voice - Bolan s’inspire de ses idoles, Dylan, Cliff Richard et même Sonny Bono et trouve un style vocal unique à l’époque. On a aussi comparé sa voix à celles de Bessie Smith et de Buffy Sainte-Marie, dont il s’était épris. Napier est aux anges. Il voit Bolan développer un style complètement innovant. Petite cerise sur le gâtö : il compose. Et ses compos impressionnent Napier qui est encore le manager des Yardbirds. Mais Napier en a marre du bordel interne des Yardbirds, il trouve Bolan plus reposant et «plus intéressant», «a nobody with a great face, a distinctive voice, a handful of good songs and bags of enthusiasm.» En plus Napier trouve les Yardbirds ringards - The boring old Yardbirds were the straightest, dullest bunch ever - Il explique qu’il est hédoniste, il cite l’exemple de Brian Epstein qui louchait sue les Beatles, alors il louche sur Bolan et John’s Children.

             À l’époque, Bolan couche avec tout le monde, y compris Napier. Lequel Napier rappelle que durant les sixties, «c’était impossible d’avoir des relations normales avec les gens. Elles ne pouvaient être que sexuelles. Mais les relations restaient ponctuelles. Pas d’engagement. Rien de plus que de fumer un joint ensemble. Je pense que Marc avait des relations avec des tas de gens qui n’étaient pas intimes, mais des nice, easy relationships.»   

             Paytresss qualifie John’s Children de «ramshackle bunch from Leatherhead». Napier ne jure que par eux. Il vire le guitariste Geoff McClelland et le remplace par Bolan. Le groupe rivalise de chaos avec les Who. Bolan frappe son ampli à coups de chaîne. Ils tournent en Allemagne avec les Who et finissent par se faire virer de la tournée. Irrité par leur «almost immature appetite for destruction», Townshend s’en débarrasse. Napier et les John’s vont rentrer à Londres la queue entre les jambes, avec 25 000 £ de dettes - and I’d wrecked my car, ajoute Napier - C’est la fin du groupe. Bolan ne jouera plus avec eux. Dommage, car en 1967, les John’s Children ont enregistré une douzaine de compos de Bolan. Paytress indique que si «Desdemona» avait décollé, les John’s Children seraient devenus «a very Bristish response to the Velvet Underground.» Il ajoute plus loin qu’avec «Hot Rod Mama», «John’s Children were Britain’s premier garageland rockers.» Quand paraît le single «Midsummer Night’s Scene», Bolan a quitté le groupe.

             Après l’épisode John’s Children, Bolan se réinvente. Il abandonne le pop world capricieux pour se repositionner dans l’underground. Il va travailler son image obsessivement, l’ex-Mod crée sa légende vestimentaire avec des jackets en patchwork, des «green girl shoes and a cascading crown of Pre-Raphaelite hair.» C’est l’avènement de Tyrannosaurus Rex, un nom trouvé dans une nouvelle de Ray Bradbury, A Sound Of Thunder. Baptême du feu avec le «Debora» de sinistre mémoire. Ah comme on a pu détester ce mauvais single et ces bêlements de chèvre.

             Bolan monte le duo avec Steve Peregrin Took, salué ici même en 2017, lorsque Luke la main froide lui rendit hommage dans sa column de Record Collector. C’est aussi le début d’une belle romance avec John Peel qui flashe sur la voix de Bolan. Ils partagent en outre une passion immodérée pour les «old Gene Vincent and Eddie Cochran 45s.» Joe Boyd voit Tyrannosaurus Rex sur scène. Bien qu’ils sonnent acoustiques, il trouve que les cuts de Marc sont toujours «rock oriented». C’est là que Tony Visconti entre en scène. Comme Peely, il flashe sur Bolan - Alors que Steve avait l’air d’un hippie, Marc ressemblait à un exotic gypsy with his curly hair - Comme Tony Visconti bosse pour Denny Cordell, il insiste pour les signer. Mais Cordell dit qu’il ne comprend rien à leur son. Mais il fait confiance à Visconti et les signe.

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             Il est indispensable de remettre le nez dans les albums qui précédent la T-Rexamania, à commencer par My People Were Fair And Had Sky In Their Hair... But Now They’re Content To Wear Stars On Their Brows paru en 1968. Bolan y ramène «Hot Rod Mama» et «Mustang Ford» qu’il jouait déjà dans John’s Chidren, le Mod-band mythique qui l’avait accueilli en 1967. À la fin du groupe, Marc dut restituer la Gibson SG et l’ampli. Pas grave ! Il ressortit aussi sec sa vieille acou Suzuki, se convertit au hippisme et engagea Took pour jouer des congas. Ils jouaient à deux, assis par terre sur des tapis. Avec «Hot Rod Mama», Bolan invente le rockab hippie et il se met à bêler comme la chèvre de Monsieur Seguin. C’est d’une extraordinaire vitalité hippie. Mais ça marche uniquement parce que Took y croit.

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    Ils se placent tous les deux sous le patronage de William Blake et John Peel les prend vraiment au sérieux. La version de «Mustang Ford» qui ouvre le bal de la B vaut largement le détour. Le parallèle avec le monde magique de Syd Barrett saute aux yeux, gentil monde d’étrangeté et d’innocence. Bolan devient le prince des poètes du paranormal. Paytress fait aussi un parallèle avec Donovan - un Donovan que Peely surnomme the prince of loveliness - Avec The Piper At The Gates Of Dawn et A Gift From A Flower To A Garden, le premier album de Tyrannosaurus Rex complète la trilogie du summer of love londonien. «Child Star» continuera de fasciner jusqu’à la fin des temps, car Bolan chante ça à la savate traînée, avec du child star craché dans l’écume des jours. C’est stupéfiant de présence et complètement licornique. On sent l’ombre de Took planer sur un «Strange Orchestras» gorgé de cette volonté de transe londonienne. On les sent tous les deux déterminés à vaincre. Ils se spécialisent dans les beaux mantras, comme on le constate à l’écoute de «Chateau In Virginia Waters». C’est fou ce qu’à l’époque leur truc pouvait accrocher. Avec Chateau, on comprend les raisons pour lesquelles un bon gars comme Peely a pu craquer. Bolan invente le «neo-pyschedelic pastoral» avec «Dwarfish Trumpet Blues», un fabuleux groove de drone hippie. En B, on tombe sur le fantastique «Knight», une transe épique et translucide. Voilà l’un des sons les plus intéressants du Londres d’alors, gorgé d’une énergie de bongos et de Took attitude. Ils étaient ce qu’on appelait alors des beautiful freaks, des créatures qu’on ne croisait que dans les rues de Londres, certainement pas à Paris. On tombe plus loin sur le joli freakout de «Weilder Of Words» et ils terminent avec un pur mantra, «Frowning Atahualpa», chargé de ces effluves orientales dont Londres raffolait à l’époque. On respirait tout ça chez Biba et au Kensington Market.  

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             Avec Prophets, Seers & Sages: The Angels Of The Ages, Bolan et Took s’affirment, Tony Visconti les produit, et dès «Stacey Grove», ils sortent un son plus sourd et ineffablement judicieux. On sent nettement que Bolan prend son envol, il chante à la corde sensible et bêle à l’occasion. L’amusant de cette histoire, c’est que ce hippie invétéré va devenir une glam-rock idol et même the Godfather Of Punk. Captain Sensible le vénère et les Damned partiront en tournée avec T. Rex. On tombe en B sur «Salamanda Palaganda», un parfait délire hippie que Paytress taxe de mesmerizing frenzy. C’est vrai qu’à deux ils parviennent à créer les conditions d’une espèce de transe. Quelque chose d’assez fascinant se dégage en permanence de ce concept sonore imaginé par Bolan. En même temps, on ne sait plus si on écoute ces vieux albums pour Bolan ou pour Took. Encore un coup de Jarnac hypno avec «Juniper Suction». Took y prend le contre-chant. Et c’est avec «Scenesof Dinasty» que se joue véritablement le destin de cet album. Ce long poème fleuve joué aux clap-hands est un authentique coup de génie. Bolan le chante si bien qu’on croirait presque entendre Dylan chez les hippies. Pur génie de la diction et du travail de souffle. S’il faut emmener un cut de Bolan sur l’île déserte, c’est forcément «Scenesof Dinasty». C’est là que Marc Bolan entre dans la légende.

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             Nouveau bond en avant avec Unicorn, paru en 1969. Il faut dire que les pochettes des trois albums sont particulièrement réussies : la première est une illustration féerique, la seconde nous montre Bolan et Took photographiés en noir et blanc dans un parc et la troisième nous les montre tous les deux cadrés en gros plan. Ce troisième album du duo est une véritable pépinière de hits, à commencer par l’excellent «Chariots Of Silk», solide, envoûtant, gorgé d’adrénaline hippie et déjà T. Rexy jusqu’à l’oss de l’ass. Ce cut sonne vraiment comme un hit, avec sa descente mélodique et ses tchoo-tchoo-tchoo à la Mary Chain. Bolan se paye une belle tranche de décadence dans «The Threat Of Winter», une pop-song d’une effarante élégance, pleine de légèreté et de mystery bliss. On monte encore d’un cran dans l’extase avec «Cat Black (The Wizard’s Hat)». Paytress rappelle que Bolan est une fervent admirateur de Dion’s Runaround Sue sort of songs. Bolan emmène sa mélodie au firmament, voilà un hit visité par la grâce préraphaélite et qui éclôt dans l’azur immaculé des sixties. Le génie de Marc Bolan s’y entend à l’infini. Par contre, la B est complètement ratée. On se consolera en rapatriant la réédition de l’album parue sur A&M en 2014. Il s’agit en effet d’un double album proposant sur le deuxième disque des choses qui ne figurent pas sur les albums officiels, comme par exemple le dernier single du duo Bolan/Took. N’ayons pas peur des mots : «King Of The Rumbling Spires» est pour le fan de base du duo un passage obligé : Bolan et Took s’électrifient. C’est du T. Rex avant la lettre, a riffy, mesmerizing gothic folly, avec Took on bass et Marc qui joue de la fuzzed-up reverberated guitar. C’est énorme et à l’époque, ça passa à l’as ! Voilà un hit qui sonne comme ceux des Move. Le Tyrannosaurus fait de l’œil au Brontosaurus à venir des mighty Move. Pure merveille ! La B-side du single s’appelle «Do You Remember», claustrophobique en diable. On trouve aussi sur ce disk de bonus l’une des ultimes démos du duo : «Once Upon The Seas Of Abyssinia». Mais attention, ce n’est pas fini. Il reste à écouter l’excellent «Ill Starred Man» qui sonne littéralement comme du Ray Davies. Stupéfiant ! Bolan se rapproche de la raie de Ray et préfigure Bowie. Il est le maillon manquant du décadentisme dont on se fera les gorges chaudes un peu plus tard. Le dernier cut de la B s’appelle «Blossom Wild Apple Girl», une fois encore absolument brillant et sevré de décadence. La voix de Bolan se pose comme une plume dans une lumière de printemps imaginée par Edward Burne-Jones. Ce hit solide, précieux et anglais jusqu’au bout des ongles corrobore les corridors. 

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             Keith Altham est surpris par l’évolution de l’ex-Mod, de l’ex-Beatnik et de l’ex-John’s Children dynamo : «I saw Tyrannosaurus Rex at the Albert Hall and they bored me to death.» Puis au retour d’une tournée américaine chaotique, Bolan se débarrasse de Took et le remplace par Mickey Finn, un gentil toutou qui dit oui à tout. Visconti : «Mickey was a breath of fresh air after Steve who was very heavy.» La relation avec Peely va aussi tourner court. Peely avoue qu’il n’était pas dupe, Bolan se servait de lui pour passer à la radio. Peely dit aussi que Bolan a quelque chose de dur en lui, et que généralement, le succès ne fait qu’empirer les choses. Quand plus tard, Peely refuse de passer «Get It On» dans son émission, car il estime que Bolan devenu superstar n’a plus besoin de son aide, Bolan le prend mal et lui tourne le dos. Peely : «Marc didn’t become a monster but he didn’t have to be Mr. Nice Guy any more.» Peely pense que Bolan l’associait avec le souvenir des jours difficiles et qu’il voulait fréquenter d’autres gens. Napier pense que c’est Mungo Jerry qui a aidé Bolan à décoller, à le sortir de l’ornière du circuit des universités. Quand il arrive sur Fly Records, un petit label monté par Kit Lambert, Bolan largue le Tyrannosaurus et passe à T. Rex. Il va décoller avec un 12-bar record, «Hot Love», en 1971, en même temps que deux autres 12-bars, «I Hear You Knocking» de Dave Edmunds et «Baby Jump» de Mungo Jerry. Bolan passe du statut de «cross-legged hippie troubadour» à celui de «swaggering pop idol».

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             Bon, pas la peine de tourner autour du pot : le premier album sans titre de T. Rex ne casse pas des briques. Dommage, car la pochette inspire confiance : Bolan et Mickey Finn ressemblent à des superstars. Par contre, quand on lit les notes de pochette, le nom de Finn n’apparaît nulle part. Il sert de faire-valoir. Bolan voulait juste un good-looking kid près de lui. Globalement, ce premier T. Rex sonne très Tyrannosaurus Rex, avec les tablas et la position de lotus. Bolan fait sa chèvre comme au temps de «Debora» dans «It Is Love», c’est encore très tablas sur «Summer Deep» mais avec un gratté de poux électrique. Avec «Root Of Star», Bolan impose un style vocal unique, très fruité. On sauve cependant deux cuts : «Jewel», joli de shoot de boogie, real deal de British Underground doté d’un fantastique développé. Bolan grimpe au sommet de son lard en devenir. L’autre cut s’appelle «Seagull Woman», très T-Rextasy, traversé par un fantastique filet de solo fin.

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             Bolan sent qu’il faut sortir les crocs et durcir le son. Il engage Steve Currie et Bill Legend. Visconti est aux manettes pour capter ce nouveau son raw and primitive. Ils enregistrent l’Electric Warrior live au Media Sound Studio de New York. Bolan : «We recorded like the early Sun records.» Avec sa pochette en forme de «first iconic image of the Seventies», Electric Warrior frappe les imaginations. Paytress dit qu’Electric Warrior est l’héritier du Plastic Ono Band de John Lennon paru juste avant : même simplicité, même immédiateté. no-frills rock’n’roll sound. On y trouve des perles rares du genre «Monolith», un fantastique balladif de charme que Bolan chante au tremblé de glotte. Quel enchanteur ! C’est aussi sur cet album que se trouve l’un des plus grands hits de l’ère glam, «Get It On», l’archétype de l’apanage des alpages. On peut dire la même chose de «Jeepster», monté sur un riff de boogie. Glam joyeux et digne de cette grande époque que fut l’adolescence, temps béni du libre arbitre et des métabolismes changeants. On comprend rapidement que Bolan crée son monde, comme va le faire Bowie. Autre hit glam : «Mambo Sun», doté d’une belle tension sexuelle. Avec «Girl», Bolan retrouve ses vieux accents charmants, Bolan mal an. C’est ici qu’il swingue la décadence, comme va le faire Bowie. Dans «The Motivator», Bolan laisse remonter des relents de «Deborah», à base de tablas et de groove intimiste. Il préfigure encore Bowie avec «Life’s A Gas», dans le chaud du ton. Bolan est aussi à l’aise sur les balladifs que sur les hits glam. Cet album attachant est bourré de son et de proximité. Album emblématique d’une rockstar anglaise.

    T-Rex explose en Angleterre. Electric Warrior déclenche la T-Rextasy, suite de la Beatlemania. C’est aussi l’avènement du glam. Tout repart à zéro, comme en 1956 et en 1964. Bolan devient le «20th century schizoid rock man», et Paytress indique que dans la presse il est victime d’une «overdose of hype». Devenu riche, Bolan se paye une AC sports car et une Rolls. En studio, il peaufine avec Visconti un T. Rex Sound à l’image du personnage - extravagant, magnificent, unmistakeable - Iggy qui est alors à Londres voit T. Rex sur scène et trouve le show «kinda Chipmunky». Il ne succombe pas au charme de Bolan. Mais pour tous les autres, «T. Rex are the new Beatles, the biggest pop sensation in years.» Avec «Telegram Sam», Bolan et Visconti veulent se démarquer du hit factory de Totor et du Motown Sound. Ils basent tout sur le fuzzed-up guitar riff, ils créent le concept de «pocket symphony». Bolan ne sortira plus de ce concept.

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    ( Marc Bolan + Mickey Finn)

             Visconti raconte un épisode étrange : «On est en route, dans la limo, je suis assis à l’arrière avec Marc, Mickey, Steve et Bill. Marc est bourré. Il boit du cognac au goulot. C’est le matin. Soudain, il attaque une chanson. ‘I’m an old boon dog from the boon docks.’ Il essaye de nous faire chanter avec lui. On a tous un peu la trouille. The leader is out of control. Je n’ai jamais eu peur de me confronter à lui, mais je savais que ce n’était pas le bon moment pour le faire. Il insiste : ‘C’mon everybody sing! C’mon Mickey you cunt!’. Il aboie comme un chien, il est complètement soûl. Pour faire baisser la tension, Mickey se met à chanter, et Marc passe son bras autour de son épaule. That’s how the Slider began.»   

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             Bolan se tape encore une pochette iconique pour The Slider. Tous les fans de glam chérissent cet album pour au moins deux raisons : «Metal Guru» et «Telegram Sam». C’est le glam dans toute sa splendeur conquérante. Bolan chante à la fantastique allure. Il préfigure tout le Ziggy à venir. Le «Telegram Sam» qui ouvre le bal de la B est l’autre mamelle du glam, un Telegram mené au allonzy d’alley hop. Superbe et ravageur - Purple pie Pete/ Your lips are like lightening girls melt in the heat - Imbattable. Mais le reste des cuts est moins flamboyant, même s’il chante «Mystic Lady» magnifiquement. Autre hit glam : le morceau titre qu’il chante à la coulée douce - And when I’m sad/ I slide - Et puis avec «Baby Strange», on voit bien qu’il tourne autour du pot de miel.

             Quand T. Rex repart en tournée américaine, ils prennent l’avion sans B.P. Fallon qui était l’attaché de presse de Bolan depuis deux ans. Alors B.P. paraphrase Dylan pour donner sa démission : «It’s Alright Marc, I’m only leaving.» Alors que Bolan devient millionnaire, Steve Currie et Bill Legend sont toujours payé 40 £ par semaine, plus 26,50 £ par session d’enregistrement, sur des albums qui rapportent quand même plusieurs millions de £. Dans la presse, Bolan se vante : «Today I’m not making £40 a week but £40 every second.» En Angleterre, des gens comme Vincent Crane d’Atomic Rooster le détestent : «I feel Marc Bolan is totally mediocre in every respect.» Dave Hill de Slade dit bien aimer ses chansons, mais il trouve que le groupe n’apporte rien. Don Powell qui bat le beurre de Slade raconte que Bolan leur a proposé d’alterner les parutions de singles, afin que chacun puisse accéder au sommet des charts à tour de rôle - Chas Chandler (Slade’s Manager)  told him to fuck off - Slade aura 6 number ones et Bolan 4. Bolan s’acoquine avec Tony Secunda. Ils montent ensemble The T. Rex Wax Co label et une publishing company qui vend les cuts sous licence à EMI. Bolan garde ainsi le contrôle de tout ce qu’il fait. En six mois, ils ramassent six millions de dollars «on worldwhile records deals alone», se vante Secunda qui est un négociateur hors pair. Puis Bolan se débarrasse d’un Secunda qui s’en sort pas si mal - Still I made a lot of money and I got a Ferrari out of it.

             Bolan tourne à la coke et au champagne - It was Marc and June’s poison - Les bouchons sautent pour la sortie en salle du film Born To Boogie, qui sera le dernier spasme de la T-Rextasy.

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             Ringo a filmé Bolan en 1972, à l’Empire Pool de Wembley. Merci Ringo, car plus qu’aucun autre docu tourné à l’époque, celui-ci montre à quel point Bolan était bon sur scène. Mais vraiment bon. Il avait fini par laisser tomber le côté gnangnan de Tyrannosaurus Rex pour aller sur un son plus rock. Il est bien sûr très bien accompagné (Mickey Finn, qui ne sert pas à grand-chose, Steve Currie au bassmatic, et surtout l’excellent Bill Legend au beurre), mais c’est Bolan qui vole son propre show. Il est la parfaite rockstar anglaise. Il a toutes les mamelles du destin : la voix, le look, le son et les poux, car il n’en finit plus de les gratter et d’épater la galerie. Si on veut prendre la mesure de Bolan, après avoir digéré une bonne bio, il faut voir et revoir Born To Boogie.

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             Petit, il est déjà fan d’Eddie Cochran, ça veut dire qu’il a déjà tout bon. Pas étonnant de le retrouver sur scène dix ans plus tard avec une Les Paul dans les pattes. The Les Paul power ! Bolan a fini par devenir le roi du gimmick, clack clack, yes you are, tel que le montre «Jeepster». Temps béni de l’Angleterre bénie des dieux, veste de satin blanc, You’re so sweet/ You’re so fine, aw my Gawd, il tape en plein dans le mille à coups d’I’m just a Jeepster for you love. Qui pouvait résister à ça ? Personne ! Et Ringo l’avait bien compris, puisqu’il était là avec ses caméras. Sur scène, tout est centré sur Bolan, les autres ne comptent que pour beurre. Le pauvre Mickey Finn bat ses bongos, et c’est pas le mec de Santana. Il n’est pas très bon. Bolan joue pas mal en La, il a son public, tout le monde saute en l’air dans les premiers rangs. Ringo filme les gamines maquillées. Big hard fan-base. Il alterne aussi les séquences de Wembley avec des plans filmés dans le studio d’Apple à Saville Road. Bolan tape un «Blue Suede Shoes» accompagné par Ringo au beurre et Elton John au piano. Puis il tape un «Chidren Of The Revolution» avec sa grosse gratte rouge et du rouge à lèvres.

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             Hélas, le côté Tyrannosaurus reprend le dessus à Wembley puisqu’on retrouve Bolan assis en lotus avec une acou. Il tape un «Cosmic Dancer» passé de mode. Disons que ça fait partie du jeu, mais on perd le rockalama qui a fait de lui une superstar. Tout revient dans l’ordre lorsqu’il annonce : «This song is called Telegram Sam !». Power chords all over the glam era ! C’est l’apanage de l’archétype, il cale des incursions intestines entre deux gimmicks de monster stroke, il maîtrise l’art des petits incendies, il peut même hendrixer dans le feu du glam, il est unique en Angleterre. Il joue clair et net, cartes sur table, il va et il vient entre les reins de l’or du Rhin, il va claquer ses beignets et revient au micro télégrammer Sam. Fantastique artiste ! Avec Bolan, le glam est beaucoup plus que le glam. C’est le gloom du glare.

             Ringo l’a aussi filmé dans le jardin de John Lennon, assis dans l’herbe, il y gratte ses hits glam à coups d’acou, «Jeepster», «Get It On». On est frappé par la simplicité de ses hits. Tout repose en fait sur son maniérisme vocal qui est vraiment du grand art. La richesse de sa voix et de ses intonations contrebalance l’apparente simplicité des carcasses. Ringo le filme coiffé de ce haut de forme en cuir brun qui d’une certaine façon est devenu son logo, un logo que reprendra le fan number one de Bolan, Nikki Sudden. Encore un cut fondateur du glam : «Hot Love» et «Get It On» qui va plus sur le raw glam, bien tenu en laisse, Bolan le module au petit chat perché perverti. Il gratte aussi une Strato blanche. Il est partout dans le son, il n’a vraiment besoin de personne en Harley Davidson. Bolan does it right, même le killer solo flash en bas du manche. Pour les kids, Bolan est la star parfaite : du son et si good-looking ! On le voit soloter pendant des plombes sur «Cadillac», il sort du glam pour rocker la bête, et puis voilà qu’il rend hommage à son point de départ : Eddie Cochran avec «Summertime Blues».

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             Comme Rolan Bolan est le fil de Bolan et de Gloria Jones, il est métis. Alors on le voit dans les bonus conduire quelques belles interviews de prestige. Il rappelle quand même qu’il n’avait que deux ans quand son dad a cassé sa pipe en bois, dans l’Austin que conduisait sa mère. Au micro de Rolan, Tony Visconti est égal à lui-même : il explique qu’il a tout fait. Il dit aussi : «Your dad was one of the icons.» On profite des bonus pour relever quelques petits détails qui ont leur importance. Ringo filme avec cinq caméras syncro - Crazy but under control, rappelle le technicien en chef - On voit aussi Rosco qui a pris un violent coup de vieux. C’est lui qui annonce Bolan sur scène à Wembley. Et Ringo qui a tant filmé le public rappelle un truc essentiel : «The audience is part of the show.» La morale de cette histoire selon Ringo est que la T-Rextasy est la suite logique de la Beatlemania.  

             Nick Kent ne trouve pas le film très bon. Il pense que Bolan s’est tiré une balle dans le pied en incluant une scène d’acou «where he strums the most blatantly out-of-tune guitar I’ve posibly ever heard and whines obnoxiously for over five minutes.» Paytress ajoute que Kent avait pour héros des gens comme Syd Barrett, Brian Wilson, Keith Richards et Iggy Pop, et, pour lui, Marc Bolan était loin de leur arriver à la cheville.

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             Encore deux hits glam sur Tanx : «Shock Rock» et «Born To Boogie». On ne va pas s’en plaindre, on est là pour ça. Bolan maîtrise l’art du glam et passe un petit solo à l’excédée. «Born To Boogie» est l’endroit exact où le glam sucre les fraises du boogie. Bolan couronne le tout d’un chant outrancier. On pourrait lui reprocher de se répéter, mais il s’arrange toujours pour que ça sonne comme du big Bolan. Avec «Tenement Lady», il shoote une jolie dose de glam dans le champ des possibles. On assiste aussi au retour de la chèvre dans le chant. On le voit un peu plus loin trousser les jupes du rock anglais avec «Country Honey». Belles guitares. On retrouve Bolan au sommet de son art pétillant avec un «Mad Donna» bien sonné des cloches, bardé d’accords, de chant, de piano, et de glam. Encore une belle opération de charme avec «Highway Knees». Il sait émoustiller les muqueuses. N’oublions jamais que Bolan est avant toute chose un fantastique chanteur de charme. Il boucle cet album superbe avec «Left Hand Luke», un heavy balladif joliment soutenu par des chœurs de filles, des violons et un solo au long cours. C’est excellent, gorgé de bonne énergie londonienne. On sent chez Bolan le pur plaisir de faire du rock, et il le fait à son idée, avec un style qu’il faut bien qualifier d’unique.

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             Paytress se fend d’un étrange parallèle entre Zinc Alloy et Exile In Main Street, parus en même temps et qui ont pour points commun le «rock’n’roll abandon with an urgency and directness mistaken at the time for vulgarity.» Et il ajoute ceci qui est déterminant : «The musical directors on both (Keith Richards and Marc) are out of control, the producers reduced to vitual bystanders.» Bolan se fait colorier les yeux en bleu pour la pochette de Zinc Alloy & The Hidden Riders Of Tomorrow. C’est de bonne guerre, on ne va pas le lui reprocher. Ceci dit, il continue d’honorer les dieux du glam avec «Interstellar Soul». Ça reste du grand art, du glam d’usage courant joué avec doigté et délicatesse. Le hit de l’album s’appelle «Teenage Dream», sans doute le plus décadent de ses hits. Sa magie opère, à base de violons et de guitare électrique. Le voici au sommet de la T-Rexmania - Silver surfer and the ragged kid/ Are all sad and rusted boy - Encore un superbe bouquet de glam avec «Venus Loon» et des paroles à l’avenant - Going to see my baby in the afternoon/ Going to take my baby on a Venus loon - Bolan est l’artiste idéal pour les ados affamés de glamour rock. Il fait aussi du slow glam avec «Explosive Mouth». Il revisite l’art rock anglais à sa façon, sans forcer. Il termine avec «The Leopards Featuring Gardenia & The Mighty Slug» et les filles font we’re the leopards. On l’a dit, Bolan est brillant sur les morceaux lents. Il peut même se montrer envoûtant.

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             L’album suivant s’appelle Light Of Love aux États-Unis et Bolan’s Zip Gun en Angleterre. Paytress ne jure que par «Think Zinc» - A mutant metal-techno refashioning of the vintage T. Rex sound, it opened on the footstomping manner of the Supremes’ «Where Did Our Love Go», then hit he manic button with a demonic, fuzzed up guitar riff, filth-honking horns and a pulsating backing track overlaid with vocals that sweated and swelled as Bolan repeated the title like an out of control monomaniac - On entend Gloria Jones dans «Think Zinc», c’est très bien foutu. Bolan maintient bien son cap. L’un dans l’autre, Zip Gun est un excellent album et même un classique du rock anglais des seventies. Nouveau hit glam avec «Zip Gun Boogie». Il sucre les fraises du glam. Mélange détonnant de boogie et de chant juvénile. C’est une véritable bénédiction glammaire. Mais c’est avec «Till Down» qu’il emporte la partie. Bolan est un chanteur de charme fou. Il se veut fin et décadent, au moins autant qu’Oscar Wilde. Nouvelle merveille constituante avec «Girl In The Thunderbolt Surf». Il chante à l’accent d’elfe, un rôle qui lui va à ravir. Il fait aussi du glam frileux avec «Light Of Love». Il passe en mode heavy blues pour «Token Of My Love», mais avec le charme de sa voix, ça passe très bien.

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             Fin 1974, Bolan se sépare de Mickey Finn, qui était une sorte de talisman - Now Bolan ne pouvait plus se permettre d’être sentimental - Il semble encore monter d’un cran avec Futuristic Dragon. Véritable coup de génie que ce «Casual Agent», avec sa copine de cheval Gloria Jones aux chœurs. Fantastique exercice de diction - Dejected like Delilah/ She sucked upon my peach - Il revient à sa chère décadence avec «Dawn Storm» et chante son times they are strange/ And I won’t rearrange à la dégoulinade. Back to the glam avec «Jupiter Liar». Bolan est un petit Merlin, il enchante son monde. Son would you lie to me se pose comme une pétale de fleur sur les lèvres de l’ange Gabriel. Nouveau shoot de décadence avec «All Alone». Il sait bêler à bon escient - Zeus never loose with his Grecian kiss/ His Grecian kiss - «New York City» sonne comme un petit boogie glammy bien documenté du cagibi : Bolan demande si on a vu une femme arriver de New York City avec une grenouille dans la main. En B, il veut qu’on l’emmène sur «Sensation Boulevard». Il veut absolument y aller, ahh tak me down to Sensation Boulevard. Joli solo de guitare et fantastique maestria. Il peut même se montrer assez coquin car dans «Ride My Wheels», il veut lubrifier sa poule toute la nuit - But lady I want to oil your engines all night - Futuristic Dragon est certainement son album le plus décadent. 

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             L’album du chant du cygne s’appelle Dandy In the Underworld et paraît l’année de tous les dangers, en 1977. Décadence et glam à tous les étages en montant chez Marc, à commencer par l’heavy glam du morceau titre d’ouverture de balda. Il chante ça au mieux des possibilités bolanesques. Quelle fantastique présence ! Glam toujours avec «Teen Riot Structure» en B, plus pop mais servi bien frais. Il est à la fin de son parcours mais au sommet de son petit art. Le Teen Riot lui va si bien. Il ne sait pas encore qu’il va mourir dans un accident de voiture. Il chante suprêmement «The Soul Of My Suit». Son vibré de glotte finit par faire merveille, I love you yeah yeah, un parfum de glam flatte les mannes de la vieille Angleterre. Il ramène sa cocote glam dans «Crimson Moon» - I wanna feel your heat/ Under the crimson moon - Joli coup de boogie glam, son de rêve, présence extrême - Hey little girl you move so fine/ I want to make you mine/ Under the moon - Mais il tourne un peu en rond avec son boogie, comme le montrent «Groove A Litle» ou «I Love To Boogie». C’est très Bolan dans l’esprit, ça n’a aucun intérêt, mais c’est ultra-chanté.

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             La même année, il se proclame «Godfather Of Punk». D’ailleurs Captain Sensible porte un T-shirt T. Rex, alors Bolan emmène les Damned en tournée, des Damned qui lui demandent d’enregistrer an album of really raw stuff. Captain raconte que Bolan et les Damned voyageaient à bord du même bus. Bolan ne fumait plus, ne buvait plus et ne touchait plus à la dope. L’épisode punk est fondamental pour bien comprendre Bolan : il pige l’air du temps. Pour lui, le Punk c’est «the early Sixties American girl group The Angels, maverik film director Federico Fellini, pop falsetto Frankie Valli and Hollywood outsider Orson Welles.» Il sait qu’il faut rejeter «the conventional icons» pour aller dans les marges. Dans la presse, Bolan pontifie : «I consider myself to be the elder statesman of punk. The Godfather Of Punk, if you like.» Il flashe aussi sur Siouxie & The Banshees et caresse le projet de les produire. Trois raisons à ce flash : «Siouxie’s ‘Dreamy Lady’ make-up, the band’s Bolan-like sense of drama and the inclusion of ‘20th Century Boy’ in their set.» Il a aussi une émission de télé, Marc, et pour présenter Generation X, il déclare face à la caméra : «They have a new singer called Billy Idol , who’s supposed to be as (takes a pink tose to his nose and sniffs it) pretty as me.»

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             Mais pas que le punk. Il tapait déjà dans la Soul avant Bowie et Lennon. Il produit l’album de Pat Hall, avec des reprises de «Keep On Truckin’» (Eddie Kendricks) et «Clean Up Woman» (Betty Wright) qui font partie de ses cuts favoris. Il adore aussi le «Money Honey» de Clyde McPhatters et l’«Ain’t That A Shame» de Fatsy. Il compose «High» et «Cry Baby» avec Gloria Jones, des cuts qu’on retrouve sur l’album solo de Gloria paru en 1976. Bolan s’entend bien avec le frère de Gloria, Richard Jones, qui est une sorte de Barry White. Il admire aussi Kenny Gamble, Leon Huff et Thom Bell, les architectes de la Philly Soul d’Harold Melvin & The Blue Notes et des O’Jays. La Soul règne sans partage dans la limo qui emmène Pat, Gloria et Marc à travers les rues américaines. C’est la facette qu’on connaît moins chez Bolan : le précurseur.

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             En 1974, Bolan s’est séparé de June et il tombe amoureux de Gloria Jones. Il l’a déjà rencontrée en 1969, lors de la première tournée américaine de Tyrannosaurus Rex. Bolan fut invité  à la party de Miss Mercy, l’une des GTO’s, et Gloria était là. Puis en 1972, Gloria faisait les chœurs sur scène à San Francisco pour T. Rex. Elle était aussi devenue «an in-house Tamla Motown songwriter». À ses débuts, dans les early sixties, il y avait déjà trop de stars chez Motown. Berry Gordy venait de signer Brenda Holloway. Les Supremes et Martha Reeves commençaient à décoller, il n’y avait donc pas de place pour Gloria, alors Hal Davis qui l’avait repérée l’a présentée à Ed Cobb, oui, l’Ed Cobb des Standells. Cobb a une petite compo pour Gloria : «Tainted Love». Puis on va entendre Gloria la backing-singer sur pas mal de gros coups, comme le Christmas Album de Totor, et sur le «Salt Of The Earth» des Stones - That was Merry Clayton, Brenda and Patrice Holloway and myself - Elle a aussi fait des baking-vocals pour Delaney & Bonnie, les Supremes et Ike & Tina Turner, avant de rejoindre Bolan. Gloria Jones est déjà une artiste complète lorsqu’elle entre dans la vie de Bolan.

             Oh et puis le glam ! Les gens qui sont arrivés à la suite de Bolan ont pompé ce qu’ils pouvaient pomper, nous dit Dave Thompson dans sa bible Gam Rock : «Gary Glitter took the primeval stomp, Slade took the terrace simplicity, The Sweet took the pre-pubescent awareness and David Bowie took the sex.» «And some of Marc’s audience», ajoute Paytress, goguenard. En 1973, le Melody Maker titrait : «Glam Rock is dead says Marc», mais c’était faux, car Roxy Music, Lou Reed, les Carpenters et Suzi Quatro déboulaient. Puis une nouvelle vague va heurter les rivages d’Angleterre en 1974 avec Showaddywaddy, les Rubettes, Alvin Stardust et les Bay City Rollers. On verra encore bien d’autres vagues par la suite, avec les Sirens, les 1990s à Glasgow, et, cette année, Gyasi en Amérique.

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             Paytress passe aussi pas mal de temps sur la relation Bowie/Bolan, qui fait par ailleurs l’objet d’un ouvrage complet sur lequel nous reviendrons (Mark Burrows : The London Boys: David Bowie, Marc Bolan and the 60s Teenage Dream). Visconti qui connaît les deux loustics depuis le début parle d’une rivalité et d’une admiration réciproque. Bowie et Bolan se croisent souvent sur Denmark Street alors qu’ils grenouillent à la recherche d’un contrat. Ils jamment pas mal ensemble, et leur principale préoccupation était «to get high and listen to Beach Boys and Phil Spector albums.» Ils préféraient Smiley Smile et Wild Honey à Pet Sounds. Ils jouaient «Vegetables» ensemble et se délectaient d’«Heroes & Villains». Ils sont ensemble en studio pour «The Prettiest Star», mais Bolan est jaloux du succès de Bowie avec «Space Oddity». Visconti précise un truc fondamental : Bowie admirait Marc. Il adorait sa compagnie - Bowie l’admirait ouvertement, il le respectait et le qualifiait de cosmic punk. Il a tout fait pour devenir l’ami de Marc qui, réciproquement l’admirait en secret - Bolan assiste au concert de The Hype, le pre-Glam infamy monté par Bowie avec Visconti à la basse : du glam avant le glam.

             Puis Bowie va prendre la place de Bolan à la une des canards. Il s’attire aussi les louanges des critiques et reçoit un accueil favorable aux États-Unis lors de sa première tournée, ce qui ne fut pas le cas pour Bolan - Lillan Boxon : a star is born - Mick Gray ajoute : «Marc was pissed off when David started to take off both at home and in the elusive USA. They had a love/hate relantionship, they were similar people, both control freaks out of control.» Puis en 1974, Bowie récupère Visconti pour Diamond Dogs - futuristic space-age soul epic - qui va cartonner, alors que le Zinc Alloy de Bolan patauge dans la marmelade. C’est l’époque où Bolan grossit. Paytress se marre : «Marc got fat. David got thin. Marc got soul. David got America.» Gloria Jones ajoute que Marc adorait la Soul, mais David est allé beaucoup plus loin, ce fut la clé de son succès aux États-Unis. La conversion de Bowie au R&B était totale. Bowie avait l’avantage sur Marc de savoir changer rapidement. Mickey Finn : «Marc had this hit formula but he never moved on.» Le parallèle est extrêmement intéressant : on en voit un qui avance et l’autre qui stagne. Bolan qui n’est pas dupe s’amuse de ce parallèle avec son vieux rival : «Bowie called his child Zowie so I thought I‘d call mine Rolan Bolan.» L’ironie de l’histoire, c’est que Bolan va entrer dans la légende en disparaissant brutalement, alors que Bowie va se griller auprès de ses fans de la première heure avec son délire de Thin White Duke. Les choses sont toujours beaucoup plus complexes qu’elles ne paraissent.

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    Marc and June

             Paytress finit par amorcer le chapitre du déclin de Bolan le magnifique. En 1972, Bolan se noie déjà dans un océan de coke et de champagne. Fortifié par the ego-swilling stimulants, il n’écoute plus les conseils de ses amis. Petit à petit, il va virer tous les gens qui l’ont aidé : B.P. Fallon, John Peel, Tony Secunda, Mickey Finn, June Bolan, Bill Legend & Steve Currie, la liste est longue. Il va même réussir à s’aliéner son public en Angleterre. En tournée américaine, il joue des solos trop longs, les gens s’ennuient. Même Visconti se lasse de ses excès d’égotisme et de substances. Bolan devient tout ce qu’il détestait chez Took. Le succès a transformé le «softly spoken child starlet with ascetic tendancies en V.I.P. ayant signé un pacte faustien le menaçant de perdre toute dignité.» Puis Marc qui sait tout engage le bras de fer avec Visconti. Ça chauffe dans la cabine. Bolan met l’autorité technique de Visconti à rude épreuve. Visconti finit par jeter l’éponge en 1973. June Bolan est persuadée que l’Amérique a détruit Bolan. Bolan va commencer à enfler, comme Elvis - Bolan was slipping into a Presley-like netherwold - La presse le traite de «Porky Pixie», et de «Glittering Chipolata Sausage». Bolan est devenu une sorte de Gary Glitter croisé avec Leslie West, and he didn’t give a damn. Rien à foutre. Alors que Bowie maigrit grâce à la coke, Bolan enfle comme une patate - Marc simply expanded.

             Il enregistre sur son magnéto, complètement défoncé, et le lendemain matin, il a toutes les peines du monde à se rappeler ce qu’il a foutu la veille. Il séjourne énormément sur la Côte d’Azur, mais Paytress rigole, car il ajoute que Marc ne voyait pas beaucoup la plage. Pas son truc, after all. Bolan boit comme un trou. Ted Dicks le voit descendre 16 bouteilles de rosé dans la journée. Le lendemain, il n’avait aucun souvenir de ce qu’il avait fait en studio. Ah comme les gens sont moqueurs. Puis EMI rechigne à sortir un nouvel album de T. Rex. Ça tombe bien, car Bolan rechigne, lui aussi. Sans doute usé par la routine du star-system, il était peut-être parvenu à se convaincre, de la même façon que Syd Barrett, qu’un exil volontaire pouvait favoriser l’éclosion de sa légende.

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             Et puis en septembre 1977, Gloria et Marc sortent au petit jour d’une fête bien arrosée. Gloria prend le volant de la purple Mini 1275 GT pour ramener Marc au bercail. Personne dans les rues, à cette heure, alors on peut foncer. Vroom vroom ! Rhhhaaa Vroom vroom ! Boom ! La gueule dans un platane. Aux obsèques, tu as Bowie, Rod The Mod, Steve Harley, Linda Lewis, les Damned, Alvin Stardust, et Visconti. Bolan mal an, ça s’est bien terminé : il est entré brutalement dans la légende. C’est tout ce qu’on attend du rock.  

    Signé : Cazengler, Bo-l’âne

    Tyrannosaurus Rex. My People Were Fair And Had Sky In Their Hair... But Now They’re Content To Wear Stars On Their Brows. Regal Zonophone 1968

    Tyrannosaurus Rex. Prophets, Seers & Sages: The Angels Of The Ages. Regal Zonophone 1968

    Tyrannosaurus Rex. Unicorn. Regal Zonophone 1969Rex. T. Rex. Fly Records 1970

    T-Rex. Electric Warrior. Fly records 1971

    T-Rex. The Slider. EMI 1972

    T-Rex. Tanx. EMI 1973

    T-Rex. Zinc Alloy & The Hidden Riders Of Tomorrow. EMI 1974

    T-Rex. Bolan’s Zip Gun. EMI 1975

    T-Rex. Futuristic Dragon. EMI 1976

    T-Rex. Dandy In the Underworld. EMI 1977

    Elemental Child. The Words And Music Of Marc Bolan. Easy Action 2023

    Mark Paytress. Bolan: The Rise And Fall Of A 20th Century Superstar. Omnibus Press 2006

    T-Rex : Born To Boogie. DVD 2005

     

     

    L’avenir du rock

    - Hey Nude

             L’avenir du rock ne porte pas les jeux de société en très haute estime. Il en est un qui trouve cependant grâce à ses yeux : le poker déshabillant. Il fut un temps où il adorait le pratiquer dans un petit cercle d’amis on va dire évolués, surtout les amies, car ce genre de divertissement demande des dispositions particulières. On ne s’effeuille pas devant n’importe qui, ni n’importe comment. À l’usage, l’avenir du rock découvrit que le fin du fin n’était pas de voir les amies à poil, mais de se retrouver soi-même à poil. La pratique de ce jeu requiert donc des aptitudes stratégiques. Bien sûr, il n’était pas le seul à se découvrir une passion pour l’exhibitionnisme. Il la détecta chez les autres, notamment chez ces fameuses amies qui étaient tellement fières de montrer leur cul qu’elles redoublaient de malignité pour perdre la main, osant même parfois tricher. «Oh zut, j’ai encore perdu... J’enlève le haut ?». Les règles de ce jeu infiniment social sont simples : chacun des participants, six idéalement, doit porter le même nombre de vêtements, abandonner tout a-priori, et bien sûr, savoir mesurer ses émotions. On peut s’arrêter au premier corps nu, ou continuer, les règles restent assez flexibles. Généralement l’ambiance est bonne, on ne plaint jamais le perdant ou la perdante, au contraire, on le ou on la félicite :

             — Ah quels jolis seins tu as, ma puce, on peut toucher ?

             — Bien sûr

             — Ah comme ils sont fermes, Pierre a bien de la chance !

             L’avenir du rock doit cependant rester prudent pour ne pas choquer la copine du moment. Elle participe bien sûr au jeu et rêve d’avoir des seins aussi fermes, mais comme le précise aimablement l’avenir du rock, «Elle n’a pas d’aussi jolis seins, mais elle a d’autres qualités.» Toutes ces raisons mêlées à de délicieux souvenirs font que l’avenir du rock adore The Nude Party. 

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             Il a raison l’avenir du rock. Comment ne pas en pincer pour The Nude Party, ce groupe basé en Caroline du Nord ? Six membres, un goût immodéré pour la débauche et déjà trois albums imbattables. C’est un peu comme si tout recommençait. Les Stones, le Velvet, les Kinks, tout ! Une façon comme une autre de dire que le rock est un éternel recommencement.

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             Une chronique extrêmement élogieuse dans Shindig! de leur troisième album nous mit récemment sur la piste de The Nude Party. Le mec disait en gros qu’on ne pouvait pas résister à la joie et à la bonne humeur qui règnent sur Rides On. On trouve rarement un tel enthousiasme dans une chronique. Alors on est allé voir et le mec a raison : les Nude Party réinventent la Stonesy, dès les deux premiers cuts, «Word Gets Around» et «Hard Times (All Around)». Oui, c’est de la Stonesy, hey hey, mais avec un entrain démesuré. Une Stonesy inespérée de power, une Stonesy encore meilleure que la Stonesy, plus royaliste que le roi. «Hard Times (All Around)» pourrait sortir de Let It Bleed, c’est claqué à la «Live With Me», ils descendent au barbu avec délectation.  Et puis il se met à pleuvoir des coups de génie : «Cherry Red Books» et «Somebody Tryin’ To Hoodoo Me». Avec le premier, ils tapent dans le big Californian Hook avec de l’écho, voilà un cut excellent, déviant et bien balancé, quasi Stonesy early 65, pur génie de genèse, la basse pouette et la gratte couine dans l’écho du temps, on croit entendre Brian Jones sur sa Gretsch vert pâle. Ils amènent le Hoodoo Me au heavy groove de Stylish Stills, ils sont dessus, sérieux et graves, ils sont infiniment crédibles, Patton Magee chante au tranchant, dans un hoodoo de rêve. Il attaque encore «Tell Em» au sévère et chante «Sold Out Of Love» comme un crack. Il sait chanter à l’accent cassé. Album fabuleux : tu as du son et de vrais riders on the storm. Les grattés de poux et l’énergie sont extraordinaires. Ils terminent Rides On avec «Red Rocket Ride», en se payant le luxe d’un balladif aussi immense que l’horizon. Ils y flirtent avec le Dylanex et ça groove à coups d’harp.

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             Leur premier album sans titre date de 2018. Esthétique sixties pour la pochette et nouveau shoot de Stonessy avec «Chevrolet Man». On entend la slide d’Exile et Patton Magee chante exactement comme le Jag. Il fait encore des siennes sur «Gringo Che». Cette fois, il opte pour l’exotica punk. Ce mec est vraiment bon - Viva el Gringo ! - Ça se termine en belle apocalypse et ça continue avec «Wild Coyote», dans un esprit western spaghetti. Patton Magee chante vraiment à la surface des choses. C’est un punk indubitable. On se régale aussi du «Water On Mars» d’ouverture, bien emmené au gratté de poux et aux nappes d’orgue. Vibe énorme ! Ils naviguent à très haut niveau. Avec «Feels Alright», ils vont plus sur le Lou Reed de Transformer, c’est heavy et beau, ils dégagent leur rock des convenances, ils tapent dans l’arrière-boutique de bon ton. «War Is Coming» sonne plus gaga sixties. Ils se permettent toutes les audaces. Ils drivent «Live Like Me» dans le heavy Nude. Il faut un talent fou pour réussir un coup pareil. Le coup de génie de l’album se trouve juste avant la fin : «Astral Man». Thème toxique, alors tu plonges. Ils réussissent chaque fois cet étonnant mélange d’élévation sonique et de chant punk. Ils développent d’extraordinaires rebondissements, ils te claquent le thème toxique à l’accord de réverb, alors t’es baisé.

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             Midnight Manor date de 2020. Attention, c’est une bête. Elle grouille de puces. Quatre coups de génie, pour commencer. «Lonely Heather» te met tout de suite au parfum : voilà un cut effroyable de wild rockalama. Ils te défoncent vite fait la rondelle des annales. On entend rarement des cuts aussi sauvages. «Pardon Me Satan» est encore plus terrific. C’est un balladif avec les castagnettes de Totor. Les Nude te swiguent le bas des reins. Fantastique allure, pleurésie de Stonesy, fabuleusement chantée à l’interne de punkster. Avec «Cure On You», ils te font une Stonesy de trash out so far out. Les Nude sont l’un des groupes les plus importants de cette époque. Chaque cut est noyé de son et chanté au sommet du lard. Sur «Easier Said Than Done», Patton Magee chante comme Peter Perrett. Il chante à l’under my skin. Ils adressent un gros clin d’œil aux Stones avec «Shine Your Light» et «What’s The Deal» sonne comme la Stonesy du paradis. Oh le Deal ! Ils font éclater les notes de clear guitar dans l’azur subterranean. Encore de la Stonesy à la Nude avec «Thirsty Drinking Blues». Nous voilà donc une fois de plus sur un album faramineux. Ils amènent «Times Moves On» à la désaille extrême, avec des castagnettes. Leur rock s’accroche comme la moule à son rocher. Et puis avec «Judith» ils reshootent tout le Nude power dans la Stonesy. Ces mecs savent dégringoler de très haut. Le son des Nude ? Un fracas permanent de good times Nudies.

    Signé : Cazengler, Nude Pâteux

    Nude Party. The Nude Party.  New West Records 2018

    Nude Party. Midnight Manor. New West Records 2020

    Nude Party. Rides On. New West Records 2023

     

     

    Inside the goldmine

     - Whiteout of my mind

             Dans cet hôtel pouilleux des bas-fonds, Wetoo occupait la chambre voisine. On se croisait parfois, tard le soir, et on échangeait quelques mots. Il disait venir du Zaïre. Il parlait dans un français très sommaire. La pauvre Wetoo ne payait pas de mine : ce black malingre ne devait pas manger souvent. Il avait des allures de chat pelé, il ne se coiffait jamais. Ses mèches de cheveux qui tire-bouchonnaient à la verticale semblaient électrisées. La peau de son visage étroit était comme grêlée de petites cicatrices et piquée de poils de barbe épars. Wetoo portait toujours la même veste à carreaux et le même pantalon feu de plancher, sans doute récupérés à l’Armée du Salut. Par contre, il portait des boots blanches à hauts talons de bois clair, ces talons qu’on appelle à Londres the Cuban heels.

             — Wetoo, je flashe sur tes boots. Tu les vendrais pas ? Combien t’en veux ?

             — Non. Pas possible.

             Plus tard, en pleine nuit, Wetoo était tellement affamé qu’il frappa à la porte :

             — Moi très faim. Toi donne à manger.

             — Non. Pas possible.

             Il retourna se coucher. À travers le mur trop fin, je l’entendis pleurer. Il était à bout. On se revit le lendemain, il avait les yeux gonflés et semblait avoir d’immenses difficultés à respirer. Pour cesser ce jeu stupide, je lui pris la main pour y fourrer un billet :

             — Paye-toi un casse-dalle !

             Il revint frapper à la porte de la chambre dix minutes plus tard. Il brandissait un énorme jambon-beurre.

             — Viens. Nous parler.

             Il me fit entrer dans sa chambre qui était l’exacte illustration du dénuement : à part le lit, la chaise et le lavabo, il n’y avait rien. Wetoo prit la chaise et me fit asseoir sur le lit. Et en grignotant à toutes petites bouchées son énorme casse-dalle, il commença le récit de sa vie de petit Zaïrois né dans un camp de mineurs réduits en esclavage par Mobutu. Ils sont des milliers à exploiter les mines de diamants pour le compte du tyran et peu ont réussi à s’évader. Wetoo fait partie de ces miraculés. Il a fait tout le chemin depuis l’Afrique jusqu’ici par les moyens habituels : sous des camions, dans des barcasses de fortune, il n’a pas de papiers. Puis, avec un drôle de sourire, il fit glisser la fermeture éclair de sa boot droite, la retourna et fit pivoter le talon : il transportait des diamants qu’il avait réussi à voler avant de s’enfuir. Il n’était bien sûr pas question de les vendre. Trophée ! 

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             De la même manière que Wetoo, Whiteout bat tous les records de la poisse. Paul Ritchie leur accorde six pages dans Shindig! et conclut son chapô ainsi : «Why Weren’t Whiteout huge?». Ils auraient pu et n’ont pas pu. Vu la qualité des chansons, c’est incompréhensible. Ces Écossais de Glasgow ne sont devenus énormes qu’au Japon. Pour le reste du monde, et notamment l’Angleterre : tintin. On les qualifiait pourtant de next big thing in the Face magazine. Ritchie les qualifie d’«as diminutive as the Small Faces, with the good times vibes of Rod Stewart and the Faces.»

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             Le chanteur s’appelle Andrew Caldwell et le guitariste Eric Lindsay. Whiteout démarre à peu près à la même époque que les Stone Roses et c’est en voyant les Stone Roses sur scène qu’Eric Lindsey pige tout : «I got a real sense of ‘anyone can do it’.» Il bosse pour 65 £ par semaine chez un comptable, et jouer le samedi soir sur scène rapporte 500 £, alors le choix est vite fait. Andrew Caldwell compose avec le bassman, Paul Carroll. Les Whiteout débarquent à Londres et découvrent avec ravissement la scène de Camden - This was pre-Britpop and Camden was fucking great - Puis on leur propose une première tournée avec Oasis. Le manager Andrew McDermid (McD) rappelle qu’Oasis et Whiteout étaient deux groupes très différents, Oasis, «quite conservative», alors que Whiteout développait des influences «soul, country and folk». Ils vont vivre leur pic de carrière au Japon, puis sortir Bite It.

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             On considère généralement Bite It comme un classique. L’album porte bien son nom : t’es mordu à la gorge dès «Thirty Eight». Eh oui, ils te tapent ça à la heavy psychedelia. C’est littéralement noyé de son. Psyché boom de Glasgow ! Ils rivalisent de power surge avec les Creation. Ça splouche par tous les pores. Ils ont le power des Fannies et des Beatles. Le «No Time» qui suit est tout aussi gorgé d’esprit et de son. Imparable. Ils incarnaient alors l’avenir du rock, avec un glamour de clameur excédentaire, ils proposaient sans doute l’une des meilleurs heavy pop d’Angleterre. Ils peuvent se montrer plus pubères («Jackie’s Racing»), mais ils restent bénis des dieux. C’est tout de même incroyable que ce groupe n’ait pas explosé à la face du monde ! Nouvelle merveille extraordinaire : «Shine On You», ça tombe du ciel une fois de plus, et là tu n’as plus que tes yeux pour pleurer, car oui, quelle pluie de lumière, c’est hallucinant de qualité, bardé de retours de manivelle, ils jouent aux guitares de cristal et ça explose sur le tard, mais de façon si maîtrisée ! Sur l’heavy pop de «U Drag Me», Andrew Caldwell sonne comme John Lennon. On sent clairement l’influence. Ils auraient sans doute pu devenir aussi énormes que les Beatles. S’ensuit un «Baby Don’t Give Up On Me Yet» encore plus bealtlemaniaque, même aplomb, même power, Eric Lindsay joue comme le roi George, il se fond dans le chant. Ils montrent aussi un goût prononcé pour les balladifs intensifs, comme le montre «You Left Me Seeing Stars», ils sont parfaitement capables de panavision en technicolor. «Everyday» révèle encore un répondant extraordinaire. Ils valent cent fois les autres prétendants au trône. Ils disposent de la meilleure des aubaines : le gros son fouillé aux grattes vengeresses, ils sont les rois de l’efficacité confondante. Franchement, Whiteout aurait dû régner sans partage.

             Ils commencent à enregistrer les démos du deuxième album quand Andrew Caldwell lâche sa bombe : il quitte le groupe. Ils auditionnent des chanteurs pour le remplacer, mais ne trouvent personne. Alors Eric Lindsay prend le chant. Pour aggraver encore les choses, leur label Silvertone les vire. En désespoir de cause, McD va sortir Big Wow sur son label YoYo ! Well done, McD !  

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             Paru en 1998, Big Wow s’ouvre sur un sacré coup de génie : «Kickout», le bien nommé. Voilà un cut bardé de poux, «Kickout» tombe du ciel ! Wow, comme ces mecs sont doués ! Ils te balayent tout le Brit rock d’un revers de main, ils t’explosent le subterranean à coups de sunshine et arrosent tout de coulées de lave, c’est d’un absolutisme total. Ils ont le power chevillé au corps. On ne peut pas faire autrement que de les comparer à Nazz. Ces surdoués montrent la voie. On peut qualifier leur son d’agent fabuleusement actif. Ils touillent le lard fumant avec une rare dextérité. Cet album est gorgé de son et de vie, à tous les niveaux de l’échelle boréale. Ils tapent un merveilleux shoot de power-pop avec «I Don’t Wanna Hear About It» et leur «Out On The Town» est bien déculotté, c’est même une vraie dégelée de printemps, ils tapent ça aux gros accords de surge, ces surdoués sont beaucoup trop doués, ils jouent une pop épaisse et revendicatrice. Encore de l’extrême ampleur avec «Take It With Ease», ils sont les harmonies vocales et l’élan vital, plus des riffs acides, ça sonne presque comme un hit. Fantastique énergie des oh-oh ! Tout est tellement enrichi sur cet album, tellement serti de pierreries, tout est si joyeusement envoyé, ces mecs ont toute la vie devant eux. Et ça se termine avec le big heavy sound de «Back Where I Used To Be». Là tu te prosternes, mon frère, c’est d’une classe infernale, ils sont même insolents, c’est bercé de notes languides, chanté au léché, on assiste au fantastique développement du Whiteout System. Un enchantement !

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             Il existe aussi une compile de Whiteout. Elle s’appelle Young Tribe Rule et date de 1995. Ils perpétuent leur tradition de heavy pop bien sous-tendue. Avec «Get Me Through (Outta Here)», ils sonnent même comme un groupe de rock psychédélique californien, c’est heavy et assez pulpeux. On s’en pourlèche les babines. Le «Cousin Jane» qui referme le balda n’est pas celui de Larry Page composé pour les Troggs. Celui de Whitout est un cut psyché axé sur «Norvegian Wood» et grouillant de tortillettes, extrêmement puissant et raffiné. Le coup de Jarnac de l’album, c’est leur cover du «Rocks Off» des Stones. Alors bravo à tous les repreneurs de Stonesy car chacun sait qu’on ne battra jamais les Stones à la course. Whiteout leur rend un bel hommage. Quel panache de bravado !

    Signé : Cazengler, white outre

    Whiteout. Bite It. Silvertone Records 1995 

    Whiteout. Young Tribe Rule. Silvertone Records 1995

    Whiteout. Big Wow. YOYO 1998

    Paul Ritchie : Whaterver happened to the likely lads. Shindig! # 135 - January 2023

     

     

    Jobi Giöbia

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             Ce soir-là, les Italiens de Giöbia devaient relever un sacré défi : monter sur scène après Fomies.

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    Les Italiens n’ont que deux atouts : leur réputation de groupe psyché avec une palanquée d’albums sur Heavy Psych Sounds, l’un des labels de pointe du genre, et un look de rock stars. Ils sont quatre, trois mecs et une petite gonzesse. Elle claviote, et les trois autres se répartissent les rôles habituels, poux, beurre et bassmatic. On apprendra plus tard que le bassman s’appelle Paolo et le blond qui gratte ses poux Stefano. C’est lui qui nous intéresse, car il a un charisme épouvantable. Cheveux longs, chemise à fleurs, taille basse noir et ceinturon clouté. Il est just perfect. Tu peux lui confier les clés.

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    Tu vois ces mecs sur scène et ça te remonte bien le moral, car ils y croient encore dur comme fer, le rock et sa légende ne disparaîtront pas tant que des petits mecs comme eux monteront sur scène pour vendre les albums qu’ils enregistrent. Ils jouent leur psyché pour de vrai, ils n’inventent pas la poudre, Sun Dial, Moon Duo/ Wooden Shjips, Vibravoid, The Heads, Loop, Doctors Of Space, Tame Impala et des tas d’autres sont déjà passés par là avec le brio que l’on sait, alors Giöbia se contente d’incarner cette essence souveraine et de lui donner du volume, le temps d’un concert sans prétention. Tu es là et tu es content d’être là. Ils jouent bien sûr dans les fumées, ce qui fait qu’on ne distingue pas grand-chose. Ils plantent leur décor et font décoller leur hydravion, pas de la même façon que Fomies, ils le font de façon plus classique, et ça marche, même si parfois, ça semble laborieux. Encore une fois, le bon psyché n’est pas une musique qui s’écoute à jeun. Elle est conçue pour les voyages, et non pour la simple observation. C’est une musique qui s’adresse directement à ta cervelle, elle ne flatte pas les bas instincts.

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    Stefano gratte principalement une belle bête à cornes, mais il a aussi un bouzouki et un sitar, histoire de décorer son hydravion d’effluves orientales. Ce qu’ils tentent de faire est héroïque : emmener un maigre public en voyage cosmique, car c’est ainsi qu’ils se situent, cosmic psychedelia, mais ils n’ont pas les reins d’Hawkwind, leur Space Ritual est différent, moins brutal, moins païen. Ils tentent le so far out, cut après cut, et ça finit par marcher, au point qu’on s’attriste de voir arriver la fin du set. Stefano est une authentique rockstar, comme tant d’autres, condamné à l’underground.  

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             Encore une fois, c’est important de voir ces mecs jouer, car ils perpétuent à leur façon une tradition vieille de cinquante ans. Ils sont les héritiers directs du Floyd de Syd Barrett et des grandes heures de la psychedelia californienne qu’incarnèrent brièvement les Byrds au temps de Geno.

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    On ramasse vite fait l’Acid Disorder au merch histoire de voir s’ils décollent plus facilement en studio. Belle pochette et bel album, c’est un pur album de Mad Psychedelia. Belle ambiance, presque familière, avec un synthé cosmique. Stefano reprend la main sur le tard de «Queens Of Wands» avec des plans nerveux de speed freak. Il ramène son sitar dans «The Sweetest Nightmare», et passe à l’heavyness à coups de bête à cornes. Les Italiens visent clairement l’horizon embrumé de la Mad Psychedelia, ils savent enquiller un cut jusqu’à l’oss de l’ass, et Stefano chante depuis le fond du maelström. Il attaque son «Conciousness Equals Energy» au triple galop. Ça rue bien dans les brancards, ils adorent raser la smala d’Abdelkader, ils chargent à l’Italienne, au tagada milano, c’est d’une efficacité souveraine, ils bourrent le mou du so far out, et comme si tout cela ne suffisait pas, ils envoient leur Conciousness glisser sur la peau de banane du real deal, alors on adhère au parti. Encore une belle explosion nucléaire avec «Screaming Souls». Ça vaut largement Kadavar. C’est excellent, bien tapé dans le mille, secoué à la tempête sonique, et même explosif. C’est avec ce «Screaming Souls» qu’ils prennent leur vitesse de croisière. Autre cut de premier choix : «Blood Is Gone», un brouillard sonique que Stefano traverse à la note fluorescente. Il joue comme une superstar du rock psychédélique, il faut voir la crise qu’il pique ! Il tire sa note jusqu’à plus soif. On voit cette note fusée mauve traverser l’univers orange en fusion. Pas besoin de sortir ta pipe à herbe. Ils tapent ensuite leur «In Line» au big time de réverb, une réverb qui chante dans le cosmos, avec ses notes en suspension, et cette fière équipée milanaise s’achève avec le morceau titre, qui s’inscrit naturellement dans la belle tradition planante. C’est même un cut extraordinaire d’aisance planétaire. Ils se prélassent chez Nabuchodonosor, dans leurs robes de pourpre, c’est très acclimaté, très fluvial, bien orné de grelots, épaissi de soupirs orientalisants, belle séance d’élévation, ils savent courtiser une muse. L’Acid Disorder porte bien son nom.

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             Bizarrement, on s’ennuie un peu sur Plasmatic Idol. Ils proposent des cuts très sculpturaux, tellement sidéraux qu’ils se paument. Aucune trace de mad psychedelia dans les premiers cuts. Ils embarquent à bord du vaisseau spatial «Hardwar» et se barrent très loin. Mais tu ne frémis pas vraiment. Ils planent, c’est sûr, mais ça ne plane que pour eux, comme dirait l’autre. Le power arrive enfin avec «The Escape», ils entrent dans le forum d’Herculanum, ça wahte bien sous les semelles d’Hermes, ils battent la chamade vite fait, puis ils reprennent leur routine. C’est un son trop synthé. Ça demande à voyager dans l’outrospace, mais il ne se passe pas grand chose. Beaucoup de bruit pour rien. Stefano chante comme il peu dans l’écho du temps qui passe.

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             En 2021, Giöbia sort un split avec The Cosmic Dead : The Intergalactic Connection Exploring The Sideral Remote Hyperspace. Bon, c’est pas l’album du siècle. On ne se régale que du «Canyon Moon» d’ouverture de bal. Comme c’est une invitation à voyager dans l’espace, tu y vas, c’est certain. Grand retour du big power de Space Ritual avec une basse voyageuse qui traverse tout le fourbi avec une élégance extrême. Stephano joue à mille années-lumière du rock, il est complètement barré ailleurs. Ses camarades et lui détiennent tous les tenants et les aboutissants de la mad psychedelia et ça repart inlassablement en voyage. C’est le genre de cut qui ne devrait jamais s’arrêter.

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             Gardons le meilleur pour la fin : Magnifier. Là oui, tu y vas les yeux fermés. Le joyau intersidéral de l’album s’appelle «Devil’s Howl», ils l’attaquent à la défiance de l’effarance, au beat pantelant, ils repoussent les limites du genre et atteignent enfin l’outrospace, avec un son d’écho terrible et distendu, ils pénètrent la vulve du son et enfantent un Howl puissant et vivifiant, d’une rare violence. Magnifier est un pur album de Mad Psychedelia, avec une mise en bouche superbe : «This World Was Being Watched Closely», les poux de Stefan tournoient au plafond, on sent un gigantesque appel d’air, une profondeur inconnue, c’est tellement bien claqué du beignet qu’on sent venir l’explosion, mais ils se contiennent, ils n’extrapolent pas encore, ils cultivent un son plein comme un œuf et sur le tard, se livrent à une fabuleuse envolée. Stefano ramone bien «The Stain» à coups d’SG. Il allume son sentier de la guerre à la main lourde et lente. Il connaît tous les secrets de l’ampleur, il joue sur tous les niveaux et vise clairement l’échappée belle. «The Stain» est un cut puissant visité par des lames de fond, chanté au plafond de verre et qui monte bien en température. S’ensuit un cut italien heavy as hell, «Lantamenta La Luce Svanirà». Cette fois, ils sortent les gros arguments, ils s’inscrivent dans le haut du panier, ils tapent à la bonne porte, ils tablent sur les émeraudes de Salomon, ils fouillent à l’italienne et se coulent comme des fluides luminescents dans l’écho du temps. Quelle superbe allure ! Pas de doute, Magnifier est leur plus bel album. Avec «Sun Spectre», ils se livrent à un nouveau voyage de flash intersidéral merveilleusement orchestré et aligné sur les planètes. C’est à la fois somptueux et so far out, quasi hypno, bien enfoncé du clou, tapé au big heartbeat. Ah quel beurre et quelles semelles de plomb !   

    Signé : Cazengler, Jobi Giobard

    Giöbia. Le Trois Pièces. Rouen (76). 13 décembre 2023

    Giöbia. Magnifier. Sulatron Records 2015

    Giöbia. Plasmatic Idol. Heavy Psych Sounds 2020

    Giöbia & The Cosmic Dead. The Intergalactic Connection Exploring The Sideral Remote Hyperspace. Heavy Psych Sounds 2021

    Giöbia. Acid Disorder. Heavy Psych Sounds 2023

     

    *

    Jean-François Jacq n’est pas un inconnu chez Kr’tnt, nous avons déjà chroniqué son Bijou. Vie et mort d’un groupe français et son Ian Dury & Sex & Drugs & Rock’n’roll. Normal ce sont des livres qui causent de rock’n’roll. And we like it.

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    Oui mais il y a un autre Jean-François Jacq (c’est exactement le même) qui écrit d’autres livres d’un autre registre. Dans notre livraison 252 du 12 / 10 / 2015, nous lisions Hémorragie à l’errance (Genèse) et Heurt-Limite (récit incantatoire), nous recensions Fragments d’un amour suprême dans notre livraison 273 du 17 /03 / 2016.

    Trois récits biographiques bouleversants, d’une qualité d’écriture sans égale, Jean-François n’est pas né avec une sugar spoonful dans le gosier, la vie lui a plutôt coulé du vinaigre cyanurisé dans la gorge. Il s’en est bien sorti, c’est notre version optimiste pour nos lecteurs sensibles qui confondraient monde-bleu et monde-blues. Ce dernier vous colle à la peau chaque matin quand vous vous awokez…

    Vient de paraître ce que l’on pourrait appeler le quatrième tome des Mémoires d’Outre-Tombe de Jean-François Jacq, non pas parce qu’elles auraient été destinées, comme celles de Chateaubriand, à paraître après sa mort, mais parce que parfois il faut d’abord s’extirper de la tombe dans laquelle on vous a enfermé pour commencer à vivre… Serez-vous surpris du titre de ce nouveau livre :

    IL FERA BON MOURIR UN JOUR

    JEAN-FRANCOIS JACQ

    (Ardavena Editions / 2023

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             Au cas où vous n’auriez pas compris, la couverture vous offre la reproduction d’une Vanité de N. L. Peschier, peintre franco-néernlandais mort en 1661. Le sujet n’est pas gai, je vous l’accorde, mais pour assurer une parfaite coalescence entre la couve et la teneur du récit, l’éditeur a occulté les parties les plus frivoles du tableau, ne restent que le crâne, le livre et une carte. Le sort qui vous incombe, l’illusoire immortalité de la littérature et la mort.

             Si vous aimez les raids de la mort, il n’y a que deux manières de placer la caméra. Sur le devant de la moto. Elle enregistre le paysage, les péripéties, les dangers, le sel de la vie en accéléré. Jean-François Jacq n’est pas un frimeur. Il place la caméra au plus près de son visage, son écriture est un véritable face à face avec la mort. Une course éperdue, sans pitié, sans tricherie, juste la peur, les angoisses, la détermination. Pour le spectacle, les rodomontades, les effets de manche, c’est raté. Par contre pour la véracité évènementielle réduite à son essencialité survenante et l’authenticité réactionnelle vous êtes aux premières loges. Vous n’assistez pas au spectacle du monde, vous voyez sa cruauté.

             Les premières années sont fondatrices, les psychologues nous l’assurent. Chacun fait comme il peut avec le paquet-cadeau familial que lui a décerné le sort. Jean-François Jacq n’a pas été gâté. Je vous rassure. Aucune jérémiade. Ne cherche pas à apitoyer le lecteur sur son enfance malheureuse. Ni sur sa jeunesse calamiteuse. Gardez vos larmes, il s’occupe du crocodile. L’a vite compris la première leçon de la vie. Tout est en vous, votre faiblesse et votre force. Le bureau des larmes est fermé. Ou alors le guichetier vous veut du mal.

             Ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort. Il a survécu. Il a étonné les médecins. Il n’a jamais hésité à s’affronter au taureau des circonstances les mains nues. S’est retrouvé à plusieurs reprises sur le sable des banderilles psychiques. Saignant de toute son âme. N’évoquons point son corps roué de souffrances. L’a été trahi. L’a été aidé. Un peu. Pas trop. Surtout par lui-même. De toutes les façons quand le monde entier se retire de vous, seule la solitude de votre hargne à vouloir vivre vous tendra la main. Il n’en tire aucune gloriole, il ne s’en cache pas il aurait préféré un chemin plus facile. Que voulez-vous, faute de grive vous êtes obligé de manger la merde existentielle qui vous colle à la peau.

             Je n’écris pas cette chronique pour vous énumérer une par une toutes les épreuves qu’il a traversées. Il les raconte bien mieux que moi. Mais ne lisez pas ce livre pour savoir ce que je ne vous détaille pas. Pour sûr vous trouverez difficilement pire, mais ne vous faites aucune illusion. En cherchant bien vous dénicherez autour de vous ce que vous cherchez.  Les voyageurs du bout de la nuit sont plus nombreux que vous ne le supposiez. Jean-François Jacq braque un projecteur cru sur cette déshérence sociale, affective, physique et psychique.

             Les trois récits évoqués dans notre chapeau introductifs nous avaient prévenus. Ils sont comme des épisodes détachés de la tourmentique saga de la vie de Jean-François Jacq. Mais cette fois-ci il a décidé de remonter à l’origine. De redescendre le torrent écumeux depuis sa source. Afin d’établir une perspective au plus près. Non pas de la vérité, mais de l’écriture. Voici quelques semaines de cela je lisais sur son Face Book une courte notule de notre auteur, faisant part de sa difficulté à mettre la dernière main à son récit. Je n’y ai pas cru, nous fait le coup de la vanité d’auteur, ai-je pensé, genre je n’y arriverai jamais et puis il va nous servir un book aussi bien écrit que les trois précédents.

             Ne mentait pas le bougre. De fait, aucune allusion à son écriture. L’était en train de passer à la dimension supérieure : celle du style. Cet instant ou la manière de dire s’identifie de si près à ce qui est dit qu’il s’établit un équilibre mystérieux entre le fond et la forme, ce moment où les morceaux de bois que l’on a longtemps frottés l’un contre l’autre donnent naissance au feu. Temps de fulgurance alchimique et rimbaldiennne où le témoignage devient littérature. Des livres de prisonniers qui racontent leurs années d’enfermement ne manquent pas, mais lorsque Jean Genet écrit Miracle de la Rose, c’est une rose littéraire qui s’épanouit. Attention, je ne dis pas que Jean-François Jacq imite Jean Genet, pas du tout, au contraire il est parvenu à écrire comme seul Jean-François Jacq sait et peut  le faire,  à ce niveau d’incandescence où l’on reconnaît la patte particulière d’un grand écrivain, dès les premières lignes, qui vous emportent, dans la grande confluence des mots qui charrient d’autant plus la beauté de la langue qu’ils sont inséminés par le sens personnel que leur impose l’auteur, ils sont venus à lui, barques vides portées par le courant du langage, et il nous les renvoie  ployant sur le faix de toutes les expériences existentielles et ruminations méditatives par lesquelles  il a construit sa vision de la réalité du monde vécu.

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             Dans un ouvrage tout élément doit concourir à sa fin. Nous l’avons déjà dit : dans ce livre Jean-François Jacq remonte à l’origine de son existence. Biographiquement il raconte chronologiquement sa vie depuis ses premières années jusqu’à sa rencontre avec Frida. Ne rêvez pas, ce n’est pas sa petite amie. L’a déroulé un bon morceau du serpent de sa vie. Maintenant les serpents ont tous une mauvaise habitude. Oui ils piquent. Mais ce n’est pas le plus grave, avec tout ce qu’il a déjà supporté… Non, ces maudits reptiles ont la mauvaise habitude de se mordre la queue. L’a voulu raconter l’histoire depuis le début, et maintenant qu’il a terminé, l’histoire le rattrape et le ramène au début. Retour. L’on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. C’est donc le début sans être le début. Vous êtes au-delà du bien et du mal. C’est pire. C’est la même chose. Peut-être même la chose-même.

             Sans concession. Glaçant. Brûlant.

             Un grand livre. Magnifique.

    Damie Chad.

     

    *

    Pour une fois, c’est la longueur du titre qui a attiré mon attention, surtout ce premier mot si rilkéen, j’ai voulu en savoir plus, tiens comme par hasard des grecs, redoublement de moins en moins hasardeux : je m’aperçois sur leur Instagram qu’ils sont suivis par Thumos. Décidément tos les chemins mènent à Athènes…

    AN ELEGY OF SCARS AND PAST REFLECTIONS

    KIVA

    (Album numérique / Bandcamp / Janvier 2024)

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    La couve interroge. Qu’est-ce : un miroir noir ? Une stèle ? Une fosse ? Ce qui est sûr c’est la bordure de pierres rugueuses. Pourquoi pas la porte des Enfers, ou une représentation du néant. N’oublions pas qu’en grec le mot ‘’élégie’’ selon l’étymologie signifiait avant tout : chant de deuil. L’on assure que l’animal sacrifié était un bouc, mais dans les tout premiers temps c’était un homme qui était sacrifié. Plus tard on se contenta de le chasser du territoire de la cité. Dans les deux cas il était retranché de la communauté humaine.

    Kiva désigne une pièce ronde souterraine et fermée dans lesquelles les indiens Pueblos s’adonnaient à leurs rituels. On y accédait par une étroite ouverture supérieure fermée par une trappe… Dans leur courte présentation Kivas se présente comme s’immergeant dans des rituels musicaux étonnants, destinés à se transformer en paysages musicaux dans l’esprit de celui qui les écoute en silence. Autrement dit le groupe essaie de susciter des visions intérieures…

    Le géométrique logo du groupe avec son octogone, dans lequel s’inscrivent deux carrés, tranché du K initial, symbolise-t-il le fer du sacrifice qui entaille la victime…

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    Dimitris : vocals / Antonis : guitar / George : bass / Stefanos : drums.

    In silence : question silence c’est un peu raté, beaucoup plus une impression de vide rempli par les hurlements sludgisés de Dimitris, il rugit comme un pauvre diable qui n’a aucune envie de se laisser maltraiter, ce n’est pas que la musique soit lente, même qu’à un moment il ne chante plus, il récite les lyrics comme un poème, c’est qu’elle ne se presse pas, elle se déploie à sa propre vitesse, elle prend son temps, elle est dans une autre direction, elle plonge, est-ce dans l’eau mémorielle ou dans le léthé infernal, revit-on sa propre mort qui n’a pas encore eu lieu, est-ce bêtement une histoire d’amour qui se termine mal au fond du canal le plus proche, l’on dit que la noyade est la plus douce des morts, que l’on revoit toute sa vie comme un film, que l’on emporte ses regrets avec soi, une manière comme une autre de rester en présence avec l’idée de son bonheur, c’est sans doute pour cela que cette musique est si consolante. Woe, is me : basse sombre, tapotements vitaux et guitare presque joyeuse, malheur c’est toujours moi, que je sois encore vivant, que je sois enfin moi, impossible de m’extraire de moi-même, énormément d’emphase dans le chant de Dimitris, il doit embrasser les tourments de la vie et la quiétude de la mort, à moins que ce ne soit le contraire, car peut-être que les morts vivent-ils, ils dansent dans leur immobilité, ils espèrent le retour, à la maison, ils ne sont jamais seuls puisqu’ils ont emporté avec eux les affres de leurs souffrances et la présence de ce qu’ils ont été, la musique est un nœud de contradictions, elle tire à hue et à dia, elle s’agite, on espère, pourtant jamais elle desserrera le nœud coulant de la vie et de la morts étroitement imbriquées. Explosion orchestrale finale. Dans les deux cas, ça se passera mal. Delusion : vocals : Victor Kaas : ce coup-ci les instrus frappent fort à la porte de votre âme, voix grave de Kaas, celui qui parle n’est plus d’ici, il est de l’autre côté déjà mort, encore être vivant pensant dans sa mort, il est ailleurs et en même temps à l’intérieur de lui-même, son corps existe toujours mais son esprit n’est plus que cendres, grand désarroi, la musique se précipite, elle concasse le néant, et il hurle beaucoup plus fortement qu’il n’a jamais eu l’occasion de le faire du temps de son vivant, il parle à toi qui es au-dessus dans le règne de l’existence, tu l’entends si fort parce que c’est lui que tu recherches, pourquoi ne lui réponds-tu pas, se pourrait-il qu’il se parle uniquement à lui-même. From the ego of our ancestors : notes translucides et perforantes, et si elles imitaient les pas lourds de ceux qui reviennent, car les morts reviennent puisque depuis toujours ils hantent les esprits des vivants, amplifications sonores, traverser la boule de feu et de lumière, chuchotements indistincts, désormais tout est inversé, les morts revivent et les vivants aspirent à la mort, la musique ébranle la terre des certitudes intellectuelles, la bouche d’ombre s’est collée à ton oreille, tu ne sais si les pensées qui t’agitent sont les tiennes ou celles de l’infra-monde, une statue de pierre chemine lourdement, les pas d’Orphée remontant vers la lumière avaient-ils cette force, il est trop tard pour prier, mais l’on ne peut s’empêcher de prier, des coups ébranlent la porte qui sépare la vie de la mort, qui frappe, de quel côté se trouve le cogneur fou, veut-il entrer, veut-il sortir, n’appartiennent-ils pas tous deux à la même famille. Est-ce vraiment important de savoir qui a engendré l’autre. Pourquoi voudriez-vous une réponse.

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    Voracious soul : la noirceur du monde s’estompe, l’on est sorti de la caverne platonicienne, l’on marche vers le soleil, on ne l’atteindra pas, l’on ne s’y brûlerait pas puisque nos cœurs ne sont que cendres froides, ce n’est pas nous qui mourons c’est le monde que nous habitons, que nous croyons habiter, car nous ne sommes que présence de notre présence, ne sommes-nous pas depuis le début présents au monde des vivants et au monde des morts, et ce sont ces deux mondes qui meurent à chaque instant pour pouvoir vivre de leur propre mort et de leur propre vie. Arrêt brutal. Tout a été. Comprenne qui pourra. Orphée monte vers le soleil mais son âme s’enfuit dans les corridors obscurs.

             Tout ceci n’est qu’une interprétation. Ce qui est certain c’est que Kiva s’adonne à un rituel musical. Ecoutez bien, vous comprendrez, que l’on appelle quelque chose, une forme, que l’on lui demande de venir. Elle ne se matérialise pas mais vous sentez sa présence. C’est déjà trop.

             Ce disque peut mette mal à l’aise. Phoniquement parlant il n’est en rien novateur. Kiva use de moyens éprouvés. Musicalement vous êtes en terrain connu. Le malaise est d’autant plus fort qu’il n’est jamais fait appel à des conjurations sonores extraordinaires, seulement la vie et la mort. Rien de plus. Rien de moins. Vous connaissez. Toutefois attention, Kiva vous emmène sur un drôle de chemin. Il se peut que vous n’en reveniez point. Mais vous ne le regretterez pas.

    Damie Chad.

     

    *

    Parfois l’envie vous prend de tout plaquer et d’aller voir si l’herbe des sargasses est plus verte que par ici. Quand j’ai vu la silhouette du brick se profiler sur le fond de l’image, mon cœur a fait un bond, mais lorsque s’est inscrit au premier plan la figure de ce capitaine pirate abordant le rivage d’une île maudite ou au trésor, j’ai tout de suite embarqué sans même savoir ce que c’était. Faut dire que c’était alléchant : independant pirate metal band. En plus un groupe polonais.

    EXPLORER

    PIRATE HYMN

    ( Album Numérique : Bandcamp / Janvier 2024)

    Le groupe a déjà trois albums et un EP a son actif.  Des instrumentaux, ce dernier est le seul à comporter des parties vocales. Tassos Lazaris est crédité aux parties vocales et Damian Gzajkowski : aux solos de guitare. N’empêche que le projet est l’œuvre d’un solitaire, un certain Jean-Michel – prénom à consonnance peu polonaise – qui revendique la composition des morceaux.  Non pas un one-man-band, plutôt un one-man-dream. J’adore ces individus, un peu monomaniaques, qui s’obstinent dans leurs passions.

    Jean-Michel a fait partie sous le nom de Jan Pawel jusqu’en 2019 de Blazon Stone groupe allemand dans lequel il tenait les claviers. Blazon Stone n’a jamais caché son admiration pour le groupe allemand Runnin’ Wild dont le titre du premier album : Under Jolly Roger est assez évocateur et se passe de tout commentaire. Pour ceux qui adorent les généalogies, n’oublions pas que la pensée généalogique fut par excellence une des méthodes d’analyse du réel de Nietzsche, Runnin’ Wild a pris pour oriflamme nominatif le titre d’un morceau de Judas Priest.

    Petit hors-d’œuvre : mon film de pirate préféré : L’île sanglante de Michael Ritchie. Ce n’est pas un bon film, mais c’est le plus bel hommage qui ait été rendu à la piraterie. Le film se déroule à notre époque (années 70). Vous n’y verrez pas de vrais pirates d’antan, mais le rêve de la piraterie incarnée. Parfois le rêve s’empare de la réalité et triomphe d’elle. Un film moral (très cucul la praline) puisque la réalité reprend en la dernière minute ses droits. Mais si vous y réfléchissez, ce film démontre que le désordre de l’impossible est inscrit dans les cadres du possible. Aux rêveurs, aux railleurs comme disait Villiers de L’isle ( sanglante) Adam.

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    Captain’s diary : instrumental : belle intro, des chœurs masculins s’élèvent, vous êtes propulsé en quelques secondes sur un rivage inconnu, une guitare chantonne les notes de l’avenir, le danger vous guette, tout peut survenir, et brutalement une guitare endiablée déboule sur vous, bonjour le metal, le solo charge sur vous à la baïonnette, les chœurs essaient de le surpasser, il leur tient la dragée haute et passe à côté de vous par miracle, et c’est fini. Vous n’auriez jamais dû entamer la lecture de ce journal de bord, vos passerez toute la nuit à le lire et le relire. Explorer : certes la rythmique folle est des plus metalliques, mais l’intro vous a scié, on se croirait en Irlande, va falloir s’y faire, moitié folk celtique, moitié metal, et le mélange est super bien fait, entre la guitare de Damian, mérite son prénom démoniaque, qui mange ses cordes tels ces requins affamés qui s’ouvrent le ventre pour dévorer leurs propres entrailles, la voix de Tassos qu’il est obligé de hausser jusqu’au nid de pie pour suivre le rythme, et les chœurs de l’équipage qui scandent et augmentent  la vitesse, vous ne savez plus où donner de la  tête, c’est le portrait de l’aventurier à la lunette, le Capitaine sur la dunette, seul face à l’océan et à  l’inconnu, homme libre toujours tu chériras la mer.  Dance of death : un peu d’accordéon pour le chant de l’équipage, ce n’est pas un menuet de salon, plutôt un remué d’os sauvages, la guitare fonce au travers des embruns sur une mer en colère, elle file droit quinze nœuds, un vaisseau fantôme, tiens les chœurs reviennent et vous enveloppent de leurs clameurs, l’on se demande comment Tassos respire, le romantisme possède deux visages, avec le morceau précédent c’était la face claire du Héros, seul contre le monde, maintenant c’est la face sombre, les squelettes, la mort, la damnation, une ronde infernale,  à chacun son lot, égalité des chances devant la camarde, une cloche sonne, la vision horrible s’évanouit.

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    Hoist the sails : Hissez les voiles, l’injonction suprême, plus fort, plus vite, l’équipage prend la mer, le Capitaine Rolf – hommage au captain singer De Running Wild – la batterie bat le rappel, elle a la cadence de ces lames infatigables qui cognent contre la coque. La course est le seul remède contre les ennuis terrestres. Le morceau vous secoue comme un ouragan, vont-ils survivre à sa force, tout autre que Tassos en ressortirait la voix brisée, mais non ils passent le cap des tempêtes comme si c’était une partie de plaisir. Pour ceux qui veulent en voir plus, une Lyric Video pour préparer la sortie de l’album est visible sur YT, pas exceptionnelle, les couleurs sont trop pâles, extraits de film de pirate et drapeau noir. Suffisant toutefois pour regretter de ne pas être né à cette époque. Volta do mar : retour de mer, instrumental, la guitare éclate comme une corne de brume, le soleil éclaire les chœurs, l’on pressent l’alcool des tavernes enfumées et l’on sent le corps des filles qui se pressent contre vous, des pièces d’or roulent sur la table. Jour de fête. Drunken Whales : ce serait le moment de se poser, l’on a bien bu, la nuit est tombée depuis longtemps, c’est l’heure de se taire et d’écouter la parole du vieux marin qui raconte la merveilleuse légende de la baleine ivre, eh bien non c’est une bacchanale sans fin, à croire qu’ils ont décidé que chaque morceau serait plus rapide et plus fou que le précédent. Les pirates ne connaissent pas le blues tout est prétexte, les chiens de mer chassent en meute que ce soit l’or ou les filles. Réjouissances faustiennes. Storm wind riders : tiens le bruit de la mer, une guitare acoustique, les plaisirs de la plage sont vite terminés, le drapeau noir est hissé, metal et celtic musics se tirent la bourre, l’on chevauche la tempête, un solo de guitare qui imite le cri des pétrels dans les nuées, le vent les porte vers de futurs combats, tout s’apaise, va-t-on terminer comme au début, le charivari reprend de plus belle, monstrueuse apothéose. L’on entend plus que les vagues et les mouettes.

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    Fancy : l’on finit par une fantaisie, la Fancy était un navire de guerre de 46 canons dont s’empara Every Long Ben, un des plus célèbres pirates anglais qui sévit dans l’Océan Indien et les Caraïbes, il s’empara notamment d’un navire transportant la fille du Grand Moghol (souverain de l’Inde) et l’équivalent de quatre-vingt millions d’euros de pierreries et de pièces d’or. Il ne fut jamais pris par la couronne d’Angleterre, l’on ne sait trop ce qu’il devenu, est-il mort pauvre comme le prétendent certains où a-t-il survécu rangé des affaires quelque part en Amérique du Sud. L’on pense au pirate français Jean Lafitte, paisible retraité de la New Orleans, qui devenu vieux voyagea en Europe et discuta avec Karl Marx… L’existe aussi une Lyric Video supérieure à celle de Hoist the sails, composée elle aussi à partir d’extraits de film. Ce dernier morceau est l’hymne définitif de la piraterie, brutal comme une bordée de canon, enlevé comme un abordage, rutilant comme une balafre de sabre sur un visage de vieux loup de mer. Tout ce que vous n’avez pas eu le courage de vivre, Pirate Hymn le chante.

             Toux ceux qui aiment les pirates aimeront cet album. Les autres ne le méritent pas.

    Damie Chad.

                       Un Ennui désolé par les cruels espoirs

                       Croit encore à l’adieu suprême des mouchoirs !

                       Et, peut-être, les mâts, invitant les orages,

                                  Sont-ils de ceux qu'un vent penche sur les naufrages

                       Perdus, sans mâts, sans mâts, ni fertiles îlots

                       Mais, ô mon coeur, entends le chant des matelots !

                                                                                        Stéphane Mallarmé.

     

     ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll ! 

    18

    Le Chel était d’une humeur exécrable :

             _ Agent Chad, filez au premier bureau de tabac venu et ramenez-moi douze boîtes de Coronados, au plus vite.

    Quand je suis revenu à ma grande surprise le Chef était tout sourire, planté devant le mur d’où suintaient les gouttes de sang que Molossa et Molossito continuaient à lécher en remuant la queue de contentement. Le Chef se saisit sans se presser du paquet que je lui ramenai.

             _ Merci Agent Chad, vous me sauvez la vie !

    Mais à la lenteur avec laquelle il ouvrit précautionneusement une première boîte, et entreprit de dévisser avec un soin extrême le capuchon du tube du métal, le temps qu’il prit à soupeser avec une scrupuleuse attention le cigare essayant de le maintenir en équilibre sur son index, et cette insistance à chercher une boîte d’allumettes dans tous les endroits où il ne les rangeait jamais, j’en conclus qu’il n’était pas mourant.

             _ Agent Chad, vous souvenez-vous de ces affiches de la Résistance : Les murs ont des oreilles ?

             _ Bien sûr Chef !

             _ En effet Agent Chad, d’une esthétique expressive particulièrement réussi, mais évitons de nous lancer dans une discussion artistique, j’ai une nouvelle surprenante à vous apprendre : non seulement les murs ont des oreilles mais en plus ils parlent. Collez votre esgourde gauche sur ce mur et écoutez.

    Ce n’était pas une plaisanterie. A peine eus-je posé mon appendice ouïstique que j’entendis :

             _ Par pitié, sortez-moi de là, je suis blessé, je n’ai plus assez de force pour m’extraire moi-même de ce béton, faites vite, je vous en prie !

    Le Chef n’était pas de cet avis :

             _ Cet individu est totalement fou, il déchiquète ma provision de Coronados et il s’imagine que l’on va le tirer du pétrin dans lequel il s’est mis au plus vite. Je pense qu’il doit encore souffrir un peu. Au minimum le temps de terminer les quatorze autres Coronados de la boîte que je viens d’entamer. Comme le temps passe vite, je suis déjà en train d’allumer mon deuxième ! Peut-être ouvrirais-je ensuite une nouvelle boîte !

    19

    Ce ne fut pas facile d’extraire notre quidam de sa gangue de métal. Je dus aller voler un marteau-piqueur et un compresseur sur un chantier. Après plusieurs heures d’efforts entrecoupées de poses coronadiques, il s’affala enfin sur le plancher, il ne tenait plus debout ayant reçu une balle de Rafalos dans chacune de ces deux cuisses. Le Chef se chargea de mener l’interrogatoire :

             _ Quel est ton nom ?

             _ Je ne sais pas !

             _ Je te préviens que l’Agent Chad est insensible à l’humour !

    Le gars put aussitôt vérifier que le Chef ne mentait pas. D’une balle de Rafalos je m’amusai à lui arracher le pouce de son pied gauche. Le gars poussa un rugissement de douleur.

             _ Arrête de crier comme une fillette, je te préviens que l’Agent Chad possède encore neuf balles dans son chargeur. Une pour chacun de tes orteils.

    Sur l’instant, afin de corroborer les dires du Chef je lui décanillai les quatre orteils qui lui restaient sur son pied gauche.

             _ Arrête de jouer au courageux, avec nous ça ne marche pas, ton pied n’est pas beau, veux-tu vraiment avoir un deuxième pied-bot ? Si oui l’Agent Chad avec sa gentillesse coutumière se chargera de te satisfaire.

    Le gars devait être un pied tendre. N’arrêta plus de parler. Pour le faire taire je dus lui envoyer un bastos dans le crâne puis me débarrasser de son cadavre dans le vide-ordure.

    20

             Le Chef alluma un Coronado.

             _ Agent Chad, pendant que je savoure ce cigare pourriez-vous résumer tout ce que ce gaillard nous a appris.

             _ Il s’appelait Jean Thorieux. L’était au chômage lorsque les Assédics lui ont proposé de faire un stage pour se remettre au niveau. Le premier jour il n’a rien remarqué de particulier. Avec une dizaine d’autres gars on lui a demandé de monter un mur de parpaings. C’était dans leurs cordes, z’étaient tous des travailleurs du bâtiment, et c’était un stage bâtiment.

             _ Agent Chad, attendez une minute dix-sept secondes que j’allume un Coronado, la suite est palpitante !

             _ Oui Chef, le deuxième jour ce n’était plus le même instructeur. Un grand mec avec une drôle de voix. Leur a dit, que niveau construction ils assuraient, que ce qui leur faisait défaut ce n’était pas les qualités professionnelles mais la force mentale. Le gus leur a dit de se poster devant le mur, et de penser qu’ils étaient capables de traverser le mur qu’ils avaient construit. Z’ont cru à une blague. Mais non ils ont dû rester sept heures devant le mur les yeux fermés. Sans pause-déjeuner et interdiction d’aller aux toilettes. Pire que du travail d’usine sur la chaîne.

             _ Remarquez agent Chad que ce genre d’exercice n’est pas nouveau. L’est directement inspiré des stages d’entreprise des années quatre-vingt, pour souder les équipes et leur inculquer l’idée de se surpasser on leur proposait de sauter à l’élastique depuis le haut d’un pont ou de marcher pieds nus sur un tapis de braises brûlantes. Au moins pendant ce temps le personnel ne pensait pas à demander des augmentations de salaires. Mais continuez Agent Chad, je vous en prie.

             _ Au soir du troisième jour, l’on a dit à l’un d’entre eux, qu’il ne faisait pas assez d’effort, qu’il était radié du stage et que puisqu’il y mettait de la mauvaise volonté, on allait lui sucrer ses allocations chômage. Ensuite chaque soir, un d’entre eux a été systématiquement licencié. Jean Thorieux s’est accroché, l’avait une femme et des enfants. Il ne voulait pas perdre ses indemnités. Ala fin il est resté tout seul. Il pensait être renvoyé le soir même, mais à sa grande surprise il s’est retrouvé de l’autre côté du mur sans trop y penser.

             _ Vous voyez Agent Chad, quand on veut un peu. Tenez, prenons un exemple au hasard : je veux allumer un Coronado, regardez j’allume un Coronado !

    21

    J’ai arrêté la bagnole devant le HLM d’une cité d’Aulnay-sous-bois. Suis directement monté au quatrième étage à la porte 401. J’ai sonné. J’ai entendu des pas à l’intérieur se dirigeant vers la porte d’entrée. Qui s’est ouverte. Une jeune femme avenante posa sur moi ses beaux yeux bleus.

             _ Monsieur, que puis-je pour vous ?

             _ Excusez-moi madame de vous déranger si tard, vous et vos enfants, il est huit heures et demie, je peux repasser dans une demi-heure, voire une heure si vous le désirez, il est important que les bambins puissent entendre une histoire avant de s’endormir.

             _ Je n’ai pas d’enfants Monsieur, que voulez-vous au juste, je ne vous connais pas.

             _ Je voulais parler à votre mari Jean Thorieux !

             _ Je ne suis pas mariée, Jean Thorieux est mon frère, je suis sa sœur Gisèle Thorieux, mais que lui voulez-vous au juste, j’espère qu’il ne lui est rien arrivé. Mais ne restez pas devant la porte, puisque vous connaissez Jean, entrez, vous prendrez bien un café ?

    Gisèle apporta deux tasses de café et prit place à mes côtés sur le canapé.  

             _ Non je n’attendais pas Jean ce soir, il n’habite pas avec moi, il loge au 402, sur l’appartement en face sur le palier. Je le vois peu, un gentil garçon, un instable, il ne dégage pas du tout l’air sérieux et posé qui émane de vous, à peine a-t-il trouvé un boulot qu’il se fait mettre à la porte pour en cherche un autre. Un insatisfait. Un exalté. Depuis trois semaines il s’est entiché de paranormal, il est sûr que nous possédons tous des pouvoirs, que nous les laissons dormir au fond de nous. Pas plus tard que la semaine dernière, il m’a bien fait rire, il m’affirmait   que si l’on voulait l’on serait capable de traverser les murs, qu’il était sûr que de par le monde il devait déjà exister une SBM, une Société des Briseurs de Murs. Il m’a bien fait rire, hi ! hi ! hi ! ne trouvez pas cela idiot vous aussi !

             _ Totalement Gisèle, je ne pense pas que l’Homme sera capable de passer les murs avant plusieurs siècles, avec l’aide de la Science bien sûr, aujourd’hui cela relève de la folie pure. Par contre je suis d’accord avec ses prolégomènes, il est sûr que nous possédons tous des pouvoirs d’une force considérable au fond de nous qui ne demandent qu’à être éveillés. Tenez prenons votre propre exemple Gisèle, quand je vous vois assise sur ce canapé tout près de moi, je dois avouer que quelque chose, une force inconnue m’attire contre vous, si je me retenais Gisèle, aussi vrai que je m’appelle Damie je vous assure que je me jetterais sur vous, et peut-être même dans quelques instants serais-je incapable de me contrôler, ah Gisèle !

             _ Damie je vous en prie, succombez à cet instinct qui vous jette vers moi, je consens à tout ce que voulez, et même à ce que je ne veux pas !

    A suivre…