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  • CHRONIQUES DE POURPRE 689 : KR'TNT ! 689 : ELVIS PRESLEY / DICTATORS / OVATIONS / DATSUNS / DEAN WAREHAM / JADE BRODIE / AORTES / REPTILIAN ARMS

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 689

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    08 / 05 / 2025

     

     

    EIVIS PRESLEY / DICTATORS

    OVATIONS / DATSUNS / DEAN WAREHAM

    JADE BRODIE / AORTES /  REPTILIAN ARMS

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 689

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

    Wizards & True Stars

     - Elvis & la vertu

     (Part Six)

     

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             Guralnick profite du départ d’Elvis à l’armée pour clore Last Train To Memphis -The Rise Of Elvis Presley et démarre Careless Love - The Unmaking Of Elvis Presley avec le retour triomphal du King démobilisé à Memphis. Et c’est là que le Colonel embraye sur le very very big business. Guralnick réussit l’exploit de montrer comment deux personnalités aussi opposées ont pu fonctionner ensemble : il confronte en permanence l’obsession du profit que cultive le Colonel, et l’extrême pureté comportementale d’Elvis. L’ombre et la lumière. Balzac n’aurait pas mieux fait. Guralnick nous propose ni plus ni moins qu’une Comédie Humaine des temps modernes. Dans la culture rock, peu d’écrivains sont capables d’un tel prodige. On peut citer les noms de Robert Gordon, Nick Kent, Nick Cohn, David Ritz et Richie Unterberger. Mais Guralnick travaille la psychologie de ses personnages plus en profondeur. Il cite d’ailleurs Kundera dans son beau texte d’introduction à Careless Love : «Suspendre le jugement moral, ce n’est pas l’immoralité du roman, c’est sa morale.» Oui, Guralnick pense que l’histoire d’Elvis est celle de la célébrité, et qu’elle est aussi une tragédie. Elle induit par conséquent une dimension morale qui ne peut être que celle de l’auteur. Pour Guralnick, le jugement moral est incompatible avec la démarche biographique. Il n’est pas là pour juger le Colonel que tout le monde voit comme une ordure, mais pour observer son rôle auprès d’Elvis. Il dit aussi qu’on connaît mal Elvis, pour les mêmes raisons : cette hâte qu’on met tous à porter un jugement. Elvis avouait lui-même qu’il éprouvait de grandes difficultés à rester à la hauteur d’Elvis. C’est la relation entre le Colonel et Elvis qui fascine tant Guralnick. Il dit ne pas connaître d’histoire plus triste que celle-ci.

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    ( Peter Guralnik)

             Les 700 pages de Careless Love sont un monument élevé à la pureté d’Elvis. Un Elvis qui pendant son séjour en Allemagne se goinfre d’amphétamines. Il adore ça car il se sent bien en permanence. Rien à voir avec les drogues. Elvis va se shooter aux amphètes toutes sa vie, mais il n’est pas un drogué, vous saisissez la nuance ? À Graceland il est fier de montrer sa chambre aux visiteurs. Sur sa table de chevet trônent deux livres, La Puissance De La Pensée Positive du bon Dr Peale et Comment Vivre 365 Jours Par An de John Schindler. Elvis est un être naturellement positif. Vernon et Gladys Presley l’ont élevé ainsi.

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             Elvis poursuit sa carrière à Hollywood. On lui fait jouer n’importe quoi. Millie Perkins qui le rencontre sur le tournage de Wild In The Country n’en revient pas : «The essence of Elvis was as fine a person as I’ve ever met. He treated me as well as anyone has ever treated me in this business.» Personne dans le monde du cinéma ne s’était aussi bien comporté avec elle. Elvis s’efforce pourtant de bien faire son job d’acteur, mais on lui confie des rôles ineptes - Silly posturings of trembling sensitivity - Ce sont les regards féminins qui percent le mieux le mystère d’Elvis. Ainsi, Annie Helm explique qu’Elvis a une patience infinie, qu’il reste toujours très poli, mais il veut que les choses se fassent d’une certaine manière. Annie Helm dit aussi qu’elle se goinfre de Dexedrine avec les boys. Party every night ! Il faut savoir aussi qu’Elvis ne porte pas de sous-vêtements. Une coquetterie qu’on retrouve chez les gens du MC5 et des Stooges. Chez les femmes, Elvis préfère les sous-vêtement blancs. All-white.

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    ( Elvis + Larry Geller)

             Voilà qu’Elvis rencontre Larry Geller, un homme féru de littérature ésotérique. C’est le commencement d’une relation intense. Elvis s’y abreuve. Larry réussit à assouvir cette soif incroyable de spiritualité. Elvis lui avoue à quel point il se sent vide. Il a besoin de donner un sens à sa vie. Il sent qu’une main le guide, il se dit qu’il doit y avoir une raison à tout cet incroyable succès. Pourquoi toute cette adulation ? Il veut savoir pourquoi il a été choisi pour être Elvis Presley. Touché par la candeur et l’honnêteté d’Elvis, Larry prend ces interrogations très au sérieux. Il alimente Elvis en lectures et malheureusement, ça crée des jalousies dans l’entourage. On ne peut pas vraiment parler d’un entourage intellectuel, if you see what I mean. Priscilla et les Memphis Boys détestent Larry Geller, et le Colonel encore plus. Il craint une dérive. C’est effectivement ce qui arrive. Elvis n’a pas dormi depuis deux jours et soudain, il a une hallucination. Il dit à Larry qu’il veut devenir moine ! Mais après une bonne nuit de sommeil, il revient à la réalité, d’autant que Larry lui rappelle qu’il doit faire face à ses responsabilités : il a reçu un don qu’il doit partager avec le monde entier. Donc pas question de disparaître. L’argument tape en plein dans le mille. Elvis est un mystique. Il ne considère pas le Colonel comme son mentor, mais comme un talisman. Il lui doit ce qu’il appelle sa good luck. Il en est profondément convaincu. Sur la recommandation de Larry, Elvis se rend en Californie auprès de Sri Daya Mata, l’héritière spirituelle d’un Yogi venu des Indes, Paramahansa Yogananda. Daya Mata qu’on appelle Ma a rencontré les hommes célèbres de son temps, Tagore et Gandhi, entre autres. Elle est aussitôt frappée par l’innocence d’Elvis. Elle voit en lui un esprit infantile en proie à l’adulation du monde entier. Non seulement il aime cette adulation, mais il parle d’un lien profond avec son public. Pas question pour lui de le décevoir. Elvis dit aussi devoir énormément au Colonel, mais se dit déçu de voir que le Colonel ignore sa soif de spiritualité. Allons allons, Elvis, ouvre un peu les yeux ! Business et spiritualité ne font pas bon ménage, c’est pourtant bien connu !

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    ( Sri Daya Mata)

             Un jour, Elvis vient voir Daya Mata pour lui dire : «Oh Daya Mata, I want you to know I love you !» C’est comme s’il parlait à sa mère qu’il adorait plus que tout. D’ailleurs, il y vient : «Ah si seulement vous aviez pu rencontrer ma mère !» et Daya Mata lui répond : «Oh Elvis, j’aurais beaucoup aimé la rencontrer...» Et là, on est tous foutus, car on touche au vrai Elvis, l’être le plus pur du monde. Mais le Colonel veille au grain et ne veut pas entendre parler de tout ce bazar. Il s’arrange pour couper les ponts. Elvis n’a plus personne à qui parler et le Colonel lui demande d’aller faire le pitre à la télé. Elvis enrage. Mais pas question de parler de ses sentiments, ni avec le Colonel et encore moins avec Vernon, son père. Elvis se retrouve incroyablement seul.

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             Quand au moment de préparer le ‘68 Comeback, le costumier Bill Belew fait des suggestions à Elvis, il est frappé par la gentillesse d’Elvis. Il note une absence totale d’ego, ce qui est rare chez une big star, dit-il. Steve Binder qui organise le ‘68 Comeback dit aussi la même chose. Quand il demande à Elvis s’il accepterait de chanter le «MacAthur Park» de Jimmy Webb rendu célèbre par Richard Harris, Elvis dit of couse - He liked MacArthur Park - Mais ça ne se fait pas pour une question de droits, hélas. Le choix des chansons reste la chasse gardée du Colonel, business oblige. D’ailleurs le Colonel réussit à virer Bones Howe du projet, le trouvant trop influent. Si Elvis écoute Bones, c’est mauvais pour les affaires du Colonel. Billy Strange qui travaille aussi avec Elvis n’en revient pas de le voir toujours poli, toujours respectueux des autres et tellement différents des gens du showbiz - Il avait la classe, je veux dire qu’à côté de tout le bazar du studio, je sentais que j’avais affaire à une vraie personne. C’était amusant de travailler avec lui, car il était tout le temps excité, il savait rester créatif - Elvis prenait aussi soin de rendre hommage aux géants qu’il vénérait, Jackie Wilson et Clyde McPhatter, entre autres. Et lorsqu’il décide de revenir à la scène, c’est bien sûr parce qu’il sent que c’est sa raison d’être sur terre. S’il est Elvis Presley, c’est parce qu’il a un public. C’est aussi la raison pour laquelle le mariage avec Priscilla ne tient pas : face à l’adoration des foules, la vie normale à laquelle aspire Priscilla ne peut pas rivaliser. Elvis n’est pas fait pour ça. Il a de son destin une idée très précise. Le chef d’orchestre Joe Guercio qui travaille pour Elvis à Vegas n’en revient pas de le voir sur scène - It was unreal ! - Il parle de charisme, d’un charisme qu’il n’a jamais vu chez aucune des autres grandes stars pour lesquelles il a dirigé - He was like a free spirit in the audience - Guercio va loin : «Vous croyez que c’est la discipline qui fait les stars sur scène ? Horseshit ! C’est le charisme qui fait la star !» et il ajoute qu’Elvis pouvait traverser la scène sans dire un mot et obtenir une ovation.

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             L’un des passages les plus stupéfiants de ce deuxième tome est celui de l’apparition. Ils sont sur la route, dans le désert du Nouveau Mexique et à la sortie de Flagstaff, Elvis fait : «Whoa !» Il voit un nuage à l’horizon et ce nuage prend l’apparence de Staline. Elvis demande à Larry s’il l’a vu. Oui. Indéniable. Pourquoi Staline ? Le visage d’Elvis est comme illuminé. Il semble si ouvert, si heureux, nous dit Larry. Pour Elvis, c’est Dieu. Il fait arrêter la bagnole et court dans le sable du désert avec les larmes aux yeux. Pour Elvis, c’était le visage de Dieu qui lui souriait.

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             Ce qu’Elvis craint plus que tout, c’est de perdre l’adoration de ses fans. Quand on évoque la possibilité devant lui, Elvis est choqué : «Mais comment pourrait-on me faire ça ?» Et il ajoute : «Je suis totalement innocent !» Il veut dire qu’il n’a jamais fait de mal à personne, alors pourquoi lui en ferait-on ? Oh et puis il y a le fabuleux épisode du ranch qu’Elvis finance à fonds perdus, ce qui inquiète Vernon et Priscilla, qui craignent la faillite et qui en parlent au Colonel. Ils convoquent Elvis. Les yeux ronds de stupeur, Elvis leur répond que c’est son blé, qu’il l’a gagné et qu’il peut le dépenser comme il veut. Même en offrant des Mercedes aux médecins compatissants. Lorsqu’il est reçu à la Maison Blanche par Richard Nixon, Elvis est fier, mais il insiste pour présenter à Nixon ses deux potes restés dans le couloir : «Mr. President, would you have a little time just to say hello to my two friends, Sonny West and Jerry Schilling ? It would mean a lot to them and to me.» Nixon sort dans le couloir serrer la pogne des deux Memphis boys. Eh oui, Elvis partage tout, même ses petits moments d’histoire.

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             Guralnick se concentre tellement sur les acteurs principaux de la saga qu’il néglige les personnages secondaires. Il bâcle la rencontre d’Elvis avec les Beatles. John et Paul se disent déçus et un attaché de presse laisse entendre qu’on traitait Elvis de boring old fart. En fait, ils n’ont rien à se dire. Elvis va plus vers des gens comme Jackie Wilson. Elvis le voit transpirer des litres d’eau sur scène et lui demande comment il fait. Jackie lui révèle son secret et lui montre des tablettes de sel qu’il avale avant de monter sur scène. Résultat garanti. Elvis s’entend bien aussi avec Billy Strange, un session man amateur comme lui de grosses motos. Autre personnage haut en couleurs : Jerry Reed, the Alabama wild man. Quand Elvis le voit arriver pour la première fois en studio, il s’exclame : «Lord have mercy !,What is that ?» C’est Jerry Reed qui amène «Guitar Man», et il est le seul à pouvoir le faire sonner, aussi Elvis le veut-il en studio avec lui. Mais ce que Jerry Reed ramène, c’est surtout le drive qu’aimait tant Elvis à ses débuts. Et quand les sbires du Colonel  coincent Jerry Reed dans un coin du studio pour lui faire signer une cession de droits sur «Guitar Man», Jerry Reed refuse, ce qui amuse énormément Scotty Moore qui assiste à la scène. Voilà enfin un mec qui résiste aux lois iniques du Colonel. En fait, personne n’avait encore osé tenir tête aux sbires du Colonel. Jerry Reed est l’un des héros de second plan de cette saga. L’autre héros de second plan est Jarvis Felton, qui se dit le plus gros fan d’Elvis. Felton est un producteur de Nashville très original. Il a pour animaux domestiques un tigre, puis un anaconda qu’il emmène nager dans sa piscine. Avant Elvis, il a fréquenté Lloyd Price et Fats Domino qui dans sa période nashvillaise l’appelait ‘Fel-tone, my man’. Dans le milieu musical, Felton se taille très vite la réputation d’un producteur excentrique, affable et imaginatif. Pour le compte de Chet Atkins, Felton travaille aussi avec Mickey Newbury, Willie Nelson et Cortelia Clark, un bluesman noir aveugle. Elvis adore Jarvis et parage son enthousiasme. Ils ont une relation basée sur le respect mutuel et Elvis le considère comme son producteur. Jarvis Felton est un rayon de soleil dans cette saga si sombre.

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             Côté cinéma, Elvis n’a pas de chance. À Hollywood, on lui fait tourner des ‘quick movies’. Kissin’ Cousins est tourné en 17 jours : profit maximum. Le Colonel veille au grain. Pas la peine de passer des mois sur un tournage, ça coûte cher. Heureusement qu’il a les films, car les ventes de disques commencent à chuter. Paru en 1962, «Return To Sender» est le dernier single qui atteint le million d’exemplaires vendus. Mais malgré tous ses films et tous les cachets mirobolants, Elvis ne sera jamais pris au sérieux en tant qu’acteur. Pire encore : Elvis finit par avoir honte de ses films et de ses disques. Même si l’argent coule à flots. Quand il revient sur le désastre de sa carrière hollywoodienne, il est extrêmement clair : «On ne me demandait pas mon avis sur les scripts. Je ne pouvais même pas dire que c’était mauvais. Mais je ne crois pas qu’on ait alors essayé de me faire du mal. C’est juste que l’image qu’avait de moi Hollywood était erronée, je le savais et je ne pouvais pas en parler, je ne pouvais strictement rien faire. Ça m’a rendu malade. Je devais arrêter ça. Ce que j’ai fait.» Elvis n’accuse personne, il ne cite pas de noms. C’est extraordinaire. C’est peut-être Marion Keisker qui le résume le mieux : «On trouvait en lui tout ce qu’on pouvait chercher. Il était incapable du moindre mensonge ou de la moindre malice. Il avait toute la complexité des gens très simples.» 

    elvis presley,dictators,ovations,datsuns,dean wareham,jade brodie,aortes,reptilian arms(Elvis and Barbara)

             Au lit, Elvis finit par éprouver certaines difficultés, nous dit Barbara Leigh. Il prend trop d’amphètes et ça finit par agir sur son système, dit-elle pudiquement - It was very hard for him to be a natural man - Mais bon, elle s’en accommode. Au lit avec Elvis, c’est tout de même un sacré privilège.

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    ( Lhomme qui résista au Colonel )

             Côté big money, les choses vont bien. Très vite le Colonel négocie des contrats de 200 000 $ par film avec Paramount puis un contrat de 500 000 $ par film avec la MGM, plus 50 % des recettes. Le Colonel prend 25 %, Elvis garde le reste. Chez RCA, ils récupèrent 320 000 $ d’avances sur royalties (240 000 pour Elvis et 80 000 pour le Colonel, plus une somme de 600 000 $ sur quatre ans à 50/50 entre Elvis et le Colonel). Puis le Colonel atteint le million de dollars par film à la MGM. En 1964, Elvis est l’acteur le mieux payé d’Hollywood. En 1968, Elvis s’assure sur trois ans un revenu de sept millions de dollars, rien qu’avec les films. Puis le Colonel négocie avec RCA le versement de 300 000 $ par an à Elvis, ce qui se traduit par une somme garantie de 2,1 millions de dollars sur sept ans, toujours à 75/25 avec le Colonel. C’est d’autant plus spectaculaire qu’Elvis vend de moins de moins de disques. RCA s’interroge même sur la nécessité de prolonger le contrat d’Elvis. Quand Elvis reprend les tournées à travers le pays, les profits s’élèvent à 800 000 $ répartis au nouveau taux d’un tiers deux tiers entre le Colonel et son client. Un taux qu’il va amener très vite à 50/50, se considérant comme un partenaire et non plus comme le prestataire d’Elvis. Quand le Colonel négocie avec l’Hilton de Las Vegas, il demande 175 000 $ de cachet par semaine, plus 50 000 $ de salaire pour ses efforts de promotion. Pour passer à la télé sur NBC, le Colonel demande un million de dollars, et pour les tournées prévues sur les quinze mois suivants, le Colonel envisage 4 millions de recettes. Tous ces chiffres donnent le vertige, mais il faut bien admettre qu’en matière de négociation, le Colonel est un expert.

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             Mine de rien, Guralnick en fait le personnage clé de cette saga. À saga hors normes, personnages hors normes. Très vite les règles sont claires : 25 % de tout ce que gagne Elvis disparaît dans les poches de ce vieux crabe, et Elvis ne discute pas. Si l’old man est content, alors tant mieux. Pour veiller sur celui qu’il appelle my boy, le Colonel pousse parfois le paternalisme un peu loin. Lorsqu’il décide d’écarter Larry Geller dont il juge l’influence néfaste pour le business, il invite Larry à déjeuner chez lui. Pendant ce temps, de mystérieux visiteurs pillent et vandalisent sa maison. Bien sûr, Larry n’a aucune preuve, mais il préfère prendre le large. Il en parle toutefois à Elvis qui s’exclame «Damn ! Damn !» et qui ajoute : «Lawrence, it’s a dangerous fuckin’ world !» En fait, le Colonel travaille surtout sur le côté de plus en plus imprévisible de son seul client. Il mise tout sur Elvis et il n’est pas question que ça vire en eau de boudin à cause des mauvaises influences ou des drogues. Et c’est parce que ce business devient très risqué qu’il réfléchit à une répartition plus égalitaire des profits, ce qu’il va appeler the partnership agreement et qu’Elvis va signer sans ciller. Dans son approche psychologique, Guralnick va loin, car il fait du Colonel une sorte de philosophe dont le thème de prédilection serait la raison du profit. Le Colonel menace en permanence d’écrire un livre dont le titre serait Combien Ça Coûte Si C’est Gratuit ?, ce qui veut dire que les choses n’ont de valeur jusqu’à partir du moment où on leur en attribue. Par conséquent, il estime que ses services valent bien 50 % de ce que gagne Elvis. C’est un raisonnement qui se tient. Professionnellement, le Colonel s’efforce de rester carré. Tout ce qu’il demande à son client, c’est show up and do the job. Une obligation sur laquelle il n’est pas en reste. Quand le Colonel vire des gens de l’entourage d’Elvis, il explique qu’il n’a rien de personnel contre eux. C’est juste du business. Elvis paye tous les gens qui l’entourent et le Colonel veille au grain. Quand il vire Larry Geller, il vire aussi les bouquins et la spiritualité. Et personne ne discute ses ordres. Le Colonel joue aussi un rôle de directeur artistique auprès de RCA. Il s’arrange pour que le son d’Elvis reste bien commercial. Quand le single «Big Boss Man» paraît, Elvis s’étonne : le son n’est pas celui qu’il a sur l’acétate RCA. Il dit à qui veut bien l’entendre que le Colonel s’en prend à sa musique, et là, ça ne va pas. Quand Elvis veut aller se produire en Europe, le Colonel s’y oppose. Il lui propose en échange des vacances aux Bahamas. Elvis accepte. En affaires, le Colonel est intraitable. Take it or leave it. Il n’y a pas de demi-mesure. Ça passe ou ça casse. Le responsable financier de RCA, Mel Ilberman, en bave tellement avec le Colonel qu’il envisage à un moment de rompre le contrat, rien que pour arracher ce vieux crabe qui s’accroche dans ses cheveux. Et puis vers la fin, le Colonel finit par envisager de vendre son contrat avec Elvis. Ça devient trop risqué à cause des drogues. Elvie grossit, il est en perte de vitesse. Sa santé bat de l’aile. Mais la vraie raison est plus prosaïque. On dit qu’il avait perdu des sommes colossales à la roulette du Hilton de Vegas : un million de dollars en un mois. À chacun son enfer. 

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    ( Elvis, Nixon, Red & Sonny West )

             Oh, n’oublions pas la Memphis Mafia, c’est-à-dire les amis d’Elvis, ceux qui l’accompagnent en permanence et qui vivent et travaillent pour lui à Graceland et à Vegas. Il préfère les down-home southern boys, Red West, Sonny West, Lamar Fike, Marty Lacker, Alan Fortas, Jerry Schilling, Charlie Hodge, George Klein. C’est parce qu’ils portent des lunettes noires et des costumes en mohair qu’on les appelle la Memphis Mafia. À Las Vegas, ils jouent à la roulette et vont voir Della Reese, Jackie Wilson ou Fats Domino se produire sur scène. Ils vivent tous sous amphètes. Joe dit qu’on ne dort que deux heures par nuit, dans l’entourage d’Elvis. Dans les hôtels où séjourne la bande, c’est l’endless party. Elvis casse des planches pour ses exercices de karaté et dans les couloirs, les Memphis boys se battent à coups de pistolets à eau. Ils s’amusent comme des gosses. Maintenant qu’Elvis est riche, tout devient accessible : les poules, les jeux, les bijoux et les amphètes. Ils s’amusent tellement à Vegas que Memphis leur paraît triste en comparaison. Ils louent des salles de cinéma et des manèges pour se distraire. Lots of pills and lots of parties. Darvon, Tuinal, Dexamyl, Placidyl, tout y passe. On s’amuse bien à la cour du roi. C’est exactement la vie d’une cour que nous raconte Guralnick, quasiment jour après jour. 

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    ( Elvis & Chips )

             La rencontre qui aurait pu être déterminante dans la carrière d’Elvis est celle de Chips Moman au studio American de Memphis. C’est Marty Lacker qui organise le coup, dans l’intérêt d’Elvis, bien sûr. Elvis a sacrément besoin de redémarrer sa carrière. Pour Chips, tout ce qui compte c’est l’enregistrement - making the record itself - Enregistrer chez lui à Memphis a porté chance à des gens comme Dionne Warwick, Dusty Springfield, Wilson Pickett et les Box Tops. Excusez du peu. Les proches d’Elvis espèrent que ça lui portera chance à lui aussi. Et Elvis se sent bien avec les Memphis Boys de Chips. Ils enregistrent la nuit, pendant deux semaines. C’est là qu’Elvis enregistre le «Suspicious Mind» de Mark James, l’un des songwriters appointés par Chips. Et quand les mecs du business coincent Chips dans un coin pour l’inciter à vendre ses droits de publication, ils tombent sur un os : Freddy Bienstock propose 25 000 $ à Chips qui lui dit : «Tiens tu vois, tu les prends et tu vas te les carrer dans le cul, t’as compris ?» C’est la fin de la relation avec l’équipe du Colonel et tous les gens de RCA qui grouillent dans le studio. Elvis ne reviendra hélas jamais enregistrer avec Chips qui avait pourtant réussi à le remettre en selle. Un autre producteur va aussi aider Elvis à se réhabiliter artistiquement : il s’agit bien sûr de Bob Finkel, le producteur de télévision qui réussit à monter le coup fumant du ‘68 Comeback, au nez et à la barbe du Colonel qui voulait des chansons de Noël. Finkel met Steve Binder sur le coup. Binder veut le King et il va l’avoir. Il demande à Elvis de changer. Pas question de voir l’Elvis d’Hollywood. Il veut du rock’n’roll. Pour Elvis, c’est une chance unique de revenir aux sources, de montrer qui il est en réalité. Il pige tout de suite. Et le miracle s’accomplit. Dans le film, on voit des choristes black à un moment : ce sont les Blossoms de Darlene Love, imposées par Elvis. Fantastique réussite, comme chacun sait - It’s 1955 and 1956 all over again ! - Elvis réinvente Elvis, et c’est exactement ce que le monde attendait.

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             Il faut aussi savoir qu’Elvis voulut enregistrer chez Stax, mais ce fut un désastre. Le matériel était dépassé et le choix de chansons mauvais. Elvis se pointe au studio avec cinq heures de retard et ça tourne en eau de boudin. Et quand on lui dit qu’on lui a piqué ses micros, Elvis sort du studio et ne revient pas.  Par contre, quand il met en place ses shows à Las Vegas, il impose les Sweet Inspirations dont il admire le travail qu’elles font derrière Aretha. Il veut aussi James Burton. Il veut que son orchestre rocke le boat et c’est ce qui se produit. 

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             Et puis avec l’arrivée des années soixante-dix, Elvis prend du poids. Il boit le Demerol au goulot. Quand le Dr. Sidney Boyer lui vient en aide, Elvis le remercie en lui offrant une Lincoln Continental blanche. Ah les cadeaux ! Guralnick nous en fait des pages entières ! Quand il offre des bijoux à ses musiciens, Elvis achète carrément la bijouterie. Il donne à chacune des Sweet Inspirations une bague de 5 000 $ pour les remercier. Il offre un avion au Colonel qui n’en veut pas : «Je n’ai pas besoin d’un avion et je peux m’en payer un !» Les gens finissent par suspecter la générosité d’Elvis. On est à deux doigts de l’accuser de vouloir acheter des sympathies. Mais Elvis est comme ça. Il a besoin de donner. Un autre jour, il dépense 70 000 $ de bagnoles-cadeaux dans la soirée : deux Mark IV, une Cadillac Seville pour un certain Ron Pietrefaso, et une Eldorado pour Linda. Il finit par dépenser tout ce qu’il gagne en bagnoles, en avions, en cadeaux, en armes, en bijoux, en fringues, des centaines de milliers de dollars. Vernon qui gère les comptes s’en rend malade. 

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             Linda qui devient sa compagne après le départ de Priscilla constate qu’il est drug-impaired, mais il réussit à transcender l’amour physique pour aller au cœur du sentiment. Et Linda avoue qu’elle l’aime comme une mère. C’est exactement ce qu’Elvis attend des femmes. Avec Sheila, c’est la même histoire : Elvis préfère les bisous et les papouilles à la baise. La nuit, il a besoin d’eau, de pills, de Jell-O, de lecture. Pour elle, Elvis est l’innocence même. Sheila va loin dans la confidence avouant qu’il préfère le pumping (la pipe) à la baise classique. Aucune perversité là-dedans - Adolescent innocence was what it was all about.

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    ( Dr Nichopoulos & Elvis )

             Et puis on arrive dans la période Fat Elvis. Il enfle, perd sa voix. Sur scène, ça tourne à la tragédie. Il déconne complètement : «Adios you motherfuckers, bye bye. papa too/ To hell with the whole Hilton Hotel, and screw the showroom too !» Quand Priscilla qui ne l’avait pas vu depuis longtemps le revoit enflé, elle est choquée. Le corps d’Elvis finit par mal réagir à l’absorption massive d’uppers et de downers. Un jour, le bon Dr Nichopoulos demande à Elvis ce qu’il a mis dans sa seringue, Elvis lui répond qu’il ne sait pas. En fait, il se shoote du Demerol tous les jours.

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    ( Jerry Schilling & Elvis )

             Quand Elvis fait du karaté avec Ed Parker, c’est compliqué, car le pauvre Elvis est stoned, ce qui rend la situation cocasse. En fait, il aura passé toute sa vie allumé aux amphètes. Les choses vont commencer à mal tourner. Un jour, dans une chambre d’hôtel à Vegas, Elvis mange une soupe au poulet. Linda va dans la salle de bain et quand elle revient dans la chambre, elle le trouve évanoui, la gueule dans la soupe, en train de suffoquer. Elle appelle le médecin qui le réanime avec un shoot de Ritalin. Elvis revient à lui et dit tout simplement : «J’ai fait un rêve.» Sur scène, il a des problèmes de locomotion et de mémoire. Il oublie les paroles. En le voyant dans cet état, John O’Grady s’inquiète, il pense qu’Elvis va mourir. Même Jerry Schilling, vieux compagnon de route, cède au désespoir : «Tout ce qu’il peut faire maintenant, c’est mourir.» Sa fin de carrière prend l’apparence d’une suite de concerts uniques, un cirque qui n’en finit plus. Elvis souffre de troubles respiratoires et de pertes d’orientation. Mais un bon docteur surgit toujours à point nommé pour lui administrer la piqûre miraculeuse.   

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             C’est la nouvelle fiancée Ginger qui découvre Elvis dans les gogues, écroulé par terre, la gueule dans le vomi et son pantalon de pyjama sur les chevilles. Pas très glorieux. Guralnick aurait pu nous épargne les détails. Ginger sent que c’est louche et elle alerte aussitôt la maisonnée. Joe essaye de le ranimer. Le visage d’Elvis est rouge, avec la langue pendante et les yeux injectés de sang, comme dans une mauvaise bande dessinée.

    Signé : Cazengler, El tournevis

    Peter Guralnick. Careless Love. The Unmaking Of Elvis Presley. Little, Brown 1999

     

     

    L’avenir du rock

     - Sous le joug des Dictators

     (Part Two)

             Chaque année, l’avenir du rock réunit ses vieux amis gauchistes pour une célébration de ce qu’ils appellent tous l’âge d’or de la lutte. Lionel, Arlette et Cécile ont tous pris un sacré coup de vieux, mais sous les touffes de cheveux blancs crépite encore un vieux reste d’enthousiasme révolutionnaire. Comme tout le monde a trop bu, la conversation déraille. Lionel lève son verre à l’avenir du passé :

             — Vive l’auto-émancipation de la clause vivrière et vive la démocratie directive !

             — Ouaiiiiis !

             Clameur générale, ovation. Ils rigolent tous comme des bossus. Arlette se lève d’un bond et déclare :

             — Cravailleuses, Cravailleurs !

             Tout le monde applaudit.

             — Ouaiiiiis !

             — Mais j’ai pas fini !

             — Ouaiiiiis !

             Cécile se lève, elle tangue, elle réussit miraculeusement à se stabiliser et lance d’une voix de vieille fouine pervertie :

             — L’État c’est pas la partie ! C’est la traction, la fonction mathématique, mirifique, politique, fatidique de la friterie !

             — Ouaiiiiis !

             Elle reprend, en tapant du poing sur la table :

             — Alors ouiiiiiii, je serai toujours et à jamais la patriote de toutes les pâtes à la sauce tomate !

             — Ouaiiiiis !

             L’avenir du rock se lève et la main sur le cœur déclare :

             — Je n’ai jamais osé vous l’avouer mes amis, mais aujourd’hui je peux enfin me libérer de ce poids : j’ai toujours eu un faible pour les Dictators...

             — Ouaiiiiis !

     

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             En 2024, ça ne viendrait à l’idée de personne d’écouter le nouvel album des Dictators. Sauf si tu écoutais «The Next Big Thing» en 1975. C’est le genre de cut qui te marquait à vie. Alors c’est bien naturel que tu te poses la question : quel sens ça a d’écouter tous ces vieux groupes aujourd’hui ? Par exemple les Damned, ou encore les Hollywood Stars ? Une partie de la réponse tient dans le fait que ces vieux groupes font encore de bons albums, souvent plus intéressants que ceux des contemporains qui font l’actu. D’autant que les kros des nouveautés sont souvent biaisées parce que trop favorables. Si tu te fies à ce que racontent les kronikeurs dans la presse anglaise, tu te fais souvent avoir comme un bleu. Tout est une question de racines, et celles des Dictators sont de bonnes racines. Alors tu tentes le coup.

             Il n’en reste plus que deux : Ross The Boss et Andy Shernoff. Scott Kempner a cassé sa pipe en bois l’an passé et nous lui avons rendu un petit hommage vite fait en passant. Au beurre, les Dictators ont récupéré l’Albert Bouchard de Blue Öyster Cult, et un certain Keith Roth fait office de nouveau chanteur. 

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             Dans Vive Le Rock, une petite interview permet de faire le point sur la Dictature. Une belle photo orne la double : Keith Roth a fière allure, massif, déterminé, regard bleu sous une casquette sixties, et grosse boucle de ceinturon. Les Dictators se sont reformés en 2019, mais lorsque Scott Top Ten Kempner a cassé sa pipe en bois, il a fallu le remplacer : l’heureux élu est donc Keith Roth, le chanteur de Frankenstein 3000, un mec du Bronx, dont le grand frère était un pote de Scott Kempner. C’est Andy Shernoff qui répond aux questions du canardeur. Ça commence mal car Vive Le Rock lui demande si c’est bien sérieux de redémarrer un groupe avec seulement deux survivants, Ross The Boss et lui. L’Andy rétorque qu’à part U2, il ne reste pas beaucoup de groupes d’origine complets. Et puis l’Andy rappelle que faire le Dictator, c’est son métier, il a commencé très jeune et il adore ça - Each day you make music is a good day - La question qu’il ne fallait pas poser arrive : Et Manitoba ? L’Andy répond sèchement que pas de nouvelles depuis 2009, «so bringing him back never crossed our minds.» L’Albert Bouchard, c’est pas pareil. Il s’agit d’un vieux poto. L’Andy rappelle aussi que les Blue Öyster Cult sont des kindred spirits. Les Dictators font d’ailleurs une cover  de «Transamaniacon MC» sur le nouvel album. Il y a aussi un hommage à Joey Ramone qui a toujours été un good buddy. L’Andy rappelle qu’il fréquentait Joey avant qu’il ne soit dans les Ramones et qu’il était assis près de lui quand il a rendu son dernier soupir à l’hosto. Ça se passe entre New-yorkais. Il rappelle aussi que les Beatles, les Stones, les Kinks et les Beach Boys sont ses influences et que leur album Go Girl Crazy est sorti un an avant celui des Ramones. Donc, oui, proto, poto !

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             Bon, c’est vrai, le nouvel album sans titre des Dictators n’est pas l’album du siècle. Mais on retrouve néanmoins le New York City Sound de base, et ce dès «Let’s Get Back Together» que chante Andy Shernoff. C’est du Dictators pur et dur, il y va au c’mon c’mon. Keith Roth prend le chant sur «My Imaginary Friend» et ce n’est pas la même voix. Il passe en force. On voit aussi que les Dictators n’ont jamais lâché la rampe. Ils opèrent un grand retour aux mamelles du destin avec «All About You». Ross the Boss is on fire ! C’est hot as hell, l’empire des heavy chords s’étend de nouveau à l’infini. On retrouve des gros paquets de riffs congestionnés dans «Wicked Cool Disguise». Avec Ross The Boss, ça devient lumineux. C’est un virtuose des bas-fonds. L’intro de «God Damn New York» annonce bien la couleur. Ce démon de Ross gratte sa cocote new-yorkaise. Une vraie brute ! Mais pour le reste, on est loin du Next Big Thing. Tout est bardé d’un max de barda, les cuts sont faibles et pourtant le son reste dense, comme s’il cachait la misère. Ils font du pur blast à l’ancienne avec «Thank You & Have A Nice Day» et voilà qu’ils rendent hommage à Joey Ramone avec «Sweet Joey». Ross gratte une cocote incroyablement sèche. Il ne mégote pas sur la marchandise. Que peux-tu dire de plus ?

    Signé : Cazengler, Dictatorve

    Dictators. The Dictators. DEKO 2024

    Profiled :  The Dictators. Vive Le Rock # 117 - 2024

     

     

    Inside the goldmine

     - Ovation pour les Ovations

             Jo-l’occasion aurait pu traîner avec des mecs bien, un groupe de projet pédagogique ou un club de badminton, par exemple, mais il préférait fréquenter notre gang de Pieds Nickelés.  On l’avait surnommé Jo-l’occasion parce qu’il était toujours partant. On pouvait lui proposer n’importe quoi, il ne discutait pas. Il ne cherchait pas à savoir le pourquoi du comment. C’est assez rare de voir des mecs aussi bien disposés, des mecs d’une si bonne nature. Par la force des choses, il illustrait à merveille ce vieil adage disant que l’occasion fait le larron. Alors on a fini par en faire un jeu. À l’apéro, on lui proposait un plan pour la soirée, comme le faisait Alex avec ses Droogs :

             — On va baiser la femme de Desbordes, pendant qu’il est au boulot, elle est super-chaude et elle est d’accord. Ça te branche ?

             — Pas de problème.

             Le lendemain soir, on lui proposait un plan un peu plus aventureux :

             — On va vider le semi-remorque d’un transporteur de champ’ sur l’aire de Plessis, pendant que le chauffeur bouffe au restoroute. Ça te branche ?

             — Pas de problème.

             Le jeu consistait de faire monter le niveau de craignosité, pour tester son élasticité. 

             Le soir suivant, on lui proposa d’aller tous les six au resto du Grec, de choisir les meilleurs plats et les meilleurs vins, puis, à la fin du repas, d’aller le trouver au comptoir pour lui annoncer qu’il allait s’asseoir sur l’addition. Pas de problème.

             Pour monter encore d’un cran, on lui présenta le coup de siècle.

             — Tiens, voilà un calibre. Demain matin, on va aller se garer devant la banque qui se trouve face à la sortie du métro, tu vois où c’est ? Toi tu entres, tu braques et nous on t’attend dans la bagnole. Dac ?

             On a entendu des coups de feu. Alors on a mis les bouts. Jo l’occasion s’est sûrement fait dessouder. Pousser le bouchon, c’est un métier, et il n’était pas fait pour ça. Quelle déception !

     

             Les Ovations sont aussi un gang, mais un gang plus paisible que celui qui tenta d’incorporer Jo-l’occasion.

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             Pour les ceusses qui ne les connaîtraient pas, les Ovations de Louis Williams sont une grosse équipe de Memphis. On devrait dire une très grosse équipe. Les Ovations méritent une ovation car ils sont les rois du groove sentimental. Ils ont démarré leur carrière sur le fameux label Goldwax de Quinton Claunch et sont passés ensuite sur Sounds Of Memphis, un studio/label distribué par MGM. Le trio se compose de Louis Williams et de deux ténors, Nathan Lewis (first tenor) et Billy Boy Young (second tenor). Martin Goggin qui signe les liners de Kent Soul tient beaucoup à ce détail. Les autres grands acteurs de la légende des Ovations sont Dan Greer, et Gene Lucchesi. Boss de Sounds Of Memphis, Lucchesi est devenu riche en 1965 avec «Wolly Bully». N’oublions jamais que Sam The Sham & The Pharaohs sont au cœur de la légende du Memphis Beat. C’est avec le blé de «Wolly Bully» que Lucchesi monte son studio en 1968. Lucchesi embauche Dan Greer pour remplacer Stan Kessler parti courir l’aventure ailleurs. Dan Greer est à la fois singer, songwriter et producer. Il commence par produire Lou Roberts, puis les Minits et Spencer Wiggins. Dans les parages de Lucchesi et de Stan Kessler, on retrouve aussi Willie Cobbs et son fameux «You Don’t Love Me». C’est Kessler qui monte les Memphis Boys de Chips Moman, puis les Dixie Flyers de Jim Dickinson. Dan Greer est à la recherche d’un gros nom, il vaut percer, alors il flashe sur les Ovations, a major vocal group in Memphis, un trio qui a tourné avec Otis et James Brown et qui s’est produit à l’Apollo de Harlem. Les Ovations ne sont pas des oies blanches. Et comme petite cerise sur le gâtö, Dan Greer va leur composer des hits sur-mesure. Il va aussi faire appel à son vieux partner George Jackson, avec lequel il duettait au temps de George & Greer, qu’on retrouve bien sûr une autre compile Ace. Comme backing band, Dan Greer louche sur The Hi Rhythm, mais ils sont trop occupés avec Willie Mitchell, alors Dan embauche un groupe de club local, The Trademarks. Et roule ma poule. Il faut considérer les albums des Ovations comme d’immenses classiques du Soul System.   

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             Hooked On A Feeling est un Sounds Of Memphis de 1972. T’en reviens pas ! Classic Soul, mais chantée à outrance. Louis Williams va chercher la dragée haute en permanence, avec de gros accents de Sam Cooke, il bourre le mou de son «Can’t Be Satisfied» à coups de when you touch me ! On imagine le travail. Tous les cuts montent bien, mais sans exploser. Pas de coït. Ces trois mecs sont brillants. Ils parfument «Were You There/Touch The Hem Of His Garment» au gospel pur. Louis Williams s’adresse à Gawd. Ils tapent dans des styles très différents, et derrière ça gratte des poux en creux. Memphis style !

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             Having A Party sort l’année suivante. Album nettement plus groovy, plus cooky, d’ailleurs ils commencent par saluer Sam Cooke avec «Having A Party» - Dedicatd to the grrrreat Sam Cooke - Les gens applaudissent. Dan Greer signe «Born On A Back Street», une belle pop de Soul, cool & collected, bien touffue. «My Nest Is Still Warm (My Bird Is Gone)» va plus sur le downhome de Beale Street, ils tapent là un authentique heavy boogie blues. Encore du Sam Cooke avec «You Send Me», le groove des jours heureux. Et même fantastiquement heureux ! La big Soul de Dan Greer reprend la main avec «I Can’t Believe It’s Over». En plein dans le Memphis Beat ! Et bien sûr, ils bouclent avec «A Change Is Gonna Come», la cover de rêve - I was born by the river - Tu l’as. C’est du pur Sam Cooke.         

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               Sur le Sweet Thing de 1981 se niche une belle perle noire : «You Gave Me The Best Performance». Cette Soul te flatte bien l’intellect. Louis Williams sort le grand jeu, il a tout le soft de la Soul. Louis II de Memphis porte bien son nom, un vrai Bavarois en black. L’autre coup de Jarnac de Sweet Thing est le «Till I Find Some Way» d’ouverture de bal. C’est en quelque sorte le groove de génie définitif. Ces mecs dansent dans l’air du temps, produits par Dan Greer, tu n’y peux rien, ils sont plus forts que toi, ils te rendent même heureux, sugar baby/ Ya drive me crazy. Leur Soul est même littéralement seigneuriale. Louis Williams amène son «Plumber» comme De Niro dans Brazil : «I’m/ I’m the plumber !». Nouveau shoot de fast heavy groove directif. Ils t’en mettent plein la vue. Ils tapent l’«I Can’t Believe It’s Over» à l’orgue d’église. Grosso modo, c’est une resucée de «When A Man Loves A Woman», mais heavy as hell. Et leur morceau titre dégouline tout simplement de bonheur : c’est la Soul des jours trop heureux. Ils terminent avec un shoot de Soul parfaite, «Pa Pa». Si tu cherches du real deal, alors écoute les Ovations.

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             Ces démons de Kent ont même réussi à rassembler les Goldwax Recordings. Alors attention, on attend des miracles de Goldwax, et parfois on attend longtemps. C’est une Soul gluante, un peu théâtrale. Les Blackos y versent des larmes de sang. Il faut attendre «Qualifications» pour les voir tous les trois faire du gros popotin de fast r’n’b d’all she had to do is give a little call. D’une certaine façon, les Ovations sont les rois inconnus du groove. Louis Williams te colle «Ride My Trouble And Blues Away» au plafond, et fait son Sam Cooke sur «Happiness». En règle générale, ils se la coulent douce. Tout est très black chez Goldwax. Ils tapent l’excellent «What Did I Do Wrong» à coups d’harp, choix étrange et bienvenu. Toujours ultra chargé, voici «I Need A Lot Of Loving». Louis Williams chauffe son «Peace Of Mind» à coups d’everything - I got something you ain’t got/ Peace of mind - On ovationne les Ovations. 

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             Merci Kent Soul pour ce One In A Million - The XL & Sounds Of Memphis plein comme un œuf. Louis Williams et ses deux amis sont le son et le power. La seule chose qui les intéresse dans la vie, c’est le groove de rêve («Touching Me»). Ils savent aussi tortiller du cul comme le montre «Don’t Break Your Promise», c’est plein de son et de listen to me. Ils tapent «You’ll Never Know» à l’extrême onction du doo-wop, pur jus de black genius. C’est d’un niveau hallucinant de véracité, Louis Williams te chante ça à la titube incoercible. Si tu veux du mythique, en voilà avec «Soul Train», l’hymne black par excellence. On reste dans la Memphis Soul avec «Having A Party», sacré clin d’œil à Sam Cooke. En fait, ces mecs n’arrêtent pas un seul instant, ils enfilent les hits comme des perles, ils tapent «I Can’t Believe It’s Over» au heavy groove de bassmatic et «Don’t Say You Love Me (If You Don’t Mean It)» au swing de jive. Ils sont à l’aise partout, ils éclatent les cuts les uns après les autres. Encore un cut énorme avec «I’m In Love», c’est de la Soul géniale, même chose avec «Pure Natural Love», signé Jackie De Shannon, tendu à se rompre, ils te réinventent la Soul, comme s’ils élevaient un nouveau sommet du lard. Ils sont même au-dessus de tout ce qu’on peut imaginer. Ils disposent de qualités harmoniques inégalées. Encore une Sainte-Barbe qui saute avec «Sweet Thing», véritable slab de wild Soul funk, signé George Jackson, et complètement allumé. Ils tapent plus loin leur «Hangin’ On» au beat de hangin’ on et ils terminent cette partie de rodéo avec «You’re My Little Girl», un heavy groove de Soul demented parfumée de calypso.

    Signé : Cazengler, Ovascié

    Ovations. Hooked On A Feeling. Sounds Of Memphis 1972

    Ovations. Having A Party. Sounds Of Memphis 1973     

    Ovations. Sweet Thing. Sounds Of Memphis 1981

    Ovations. Goldwax Recordings. Kent Soul 2005

    Ovations. One In A Million. The XL & Sounds Of Memphis. Kent Soul 2008

     

     

    Les Datsuns ne sont pas des voitures

    - Part Two

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             Les Datsuns ? Pas de problème. Pas de surprise. Pas d’entourloupe. Pas d’avenir. Pas de papa. Pas de maman. Juste un peu de passé (ils tournent et enregistrent depuis vingt ans), juste un peu de garage néo-zélandais, juste un joli brin de showmanship comme on dit dans la perfide Albion, mais rien de transcendant ni de tentaculaire. Tu prends ton billet et surtout, tu fermes ta gueule. Tu te mets là, tu regardes, t’écoutes un peu les paroles, mais pas trop, t’applaudis mollement, et tu conclus bêtement que l’un dans l’autre, t’as passé une bonne soirée. T’essaies de ne pas trop te souvenir de leur dernier show normand en 2014, car t’en gardes le souvenir d’un concert problématique, t’avais tout simplement assisté aux affres d’un groupe en panne d’inspiration, le genre de tuile qui ne pardonne pas et qui ruine une réputation. Ce sont des choses qui arrivent à beaucoup de groupes, au bout de 15 ou 20 ans.

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             Comme beaucoup de groupes, les Datsuns sont devenus une marque, et donc un fonds de commerce, alors ils continuent. Ils exploitent leur petite veine. Peut-être en vivent-ils. On ne sait pas. Mais la faune garage européenne les connaît. Toux ceux que tu croises ont un petit truc à raconter sur les Datsuns. Sept albums en 25 ans, c’est assez respectable, surtout que les deux premiers ont bien tapé dans le mille, à l’époque. Il fut un temps où Rudolf De Borst était à la une du NME, ce qui était une sorte de belle consécration.

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             Il est toujours là, le Borst, frétillant comme un gardon zélandais, sautillant comme un zébu sous speed, il cumule admirablement bien les fonctions, il chante et mouline un bassmatic polyvalent, il danse et il voyage, il fait voler ses cheveux et s’égosille comme un oisillon affamé, il revient et il repart, il n’a pas de voix, mais il compense par une extraordinaire débauche d’énergie et fatalement, il finit par s’imposer. Il joue bien le jeu de la rockstar. Il semble qu’il soit né pour ça. Il semble même que ce soit son destin, yo ! Il rafle fantastiquement la mise avec son excès de zèle zélandais. Il remporte ce qu’on appelle une victoire de haute lutte. Il jette chaque seconde de présence scénique dans la bataille et parvient à cacher la misère. De ce point de vue, il est admirable.

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             En plus, il est bien entouré. Ça gratte les poux qu’il faut et ça bat le beurre qu’il faut. Ces mecs connaissent toutes les ficelles, surtout celui de gauche qui s’appelle Christian Livingstone : c’est un clone de Jimmy Page. Ne manque que l’archet. Il gratte ses poux sur une Les Paul et n’est pas avare de poses héroïques. Il sait se pencher en arrière et faire de belles grimaces bien ridicules. Ça fait partie du jeu. Les gens adorent photographier ce genre de plan pourri pour aller poster l’image sur leur page machin. Les salles de concerts sont devenues de véritables centres de production numérique, t’en as même qui échangent des messages en direct. Ça devient un cirque, mais c’est pas grave, il ne faut pas s’en formaliser. Vazy Jimmy Page, fais ton cirque. On te paye pour ça. Avant on allait voir les singes savants et les éléphants au cirque. Maintenant on va voir les Datsuns au club. Si le cirque fait partie du jeu ? On ne se pose même plus la question. 

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             Pour muscler leur show, ils tapent dans leur premier album («Sittin’ Pretty», «Lady» et «Harmonic Generator»), et dans le deuxième avec «Girls Best Friend». Ils ouvrent et referment avec deux cuts tirés de Death Rattle Boogie, «Gods Are Bored» et «Gold Halo». Ils proposent une sorte de Best Of. C’est de bonne guerre.

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             Leur dernier album Eye To Eye est donc faiblement représenté. Tout au plus trois cuts dont l’excellentissime «Bite My Tongue», attaqué à la pure violence riffique, c’est même du big time qui ne veut pas lâcher la rampe et Jimmy Page passe bien sûr un killer solo flash d’antho à Toto. Et il récidive en fin de cut. Ils tapent aussi «Other People’s Eyes» sur scène, mais ils se perdent dans leur enfer, comme le font souvent les vieux pros. On entend aussi Jimmy Page partir en quenouille de vrille sur «Brain To Brain». C’est un vrai perceur de blindages. Dommage qu’ils n’aient pas joué «Dehumanise», car c’est noyé de disto zinzin zélandaise. Jimmy Page descend au barbu de la wah. «Dehumanise» est le cut idéal : vite en place et ça tourne au blast. Quand t’écoutes ça, tu te dis que t’as un big album dans les pattes. Ce que vient confirmer ce «Warped Signals» gorgé de power. Avec «Sweet Talk», ils passent au stomp des zazous zélandais. Ils sont à l’aise dans tous leurs domaines. Ils virent poppy popette avec «Moongazer», mais avec une belle voracité. Ils tiennent bien leurs promesses et flirtent même avec les Beatles, alors t’en reviens pas.

    Signé : Cazengler, daté

    Datsuns. Le 106. Rouen (76). 28 mars 2025

    Datsuns. Eye To Eye. Hellsquad Records 2021

     

     

    Wareham câline

     - Part Three

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             Le real Dean repart de plus belle avec sa copine Britta. Ils montent le duo Dean & Britta et se jettent dans l’aventure avec L’Avventura. C’est l’album des grands

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    mimétismes, à commencer par «I Deserve It» qui sonne comme du Gainsbarre. C’est pompé sur «Melody Nelson». Puis t’as «Moonshot» qui est du pur Lou Reed, même si c’est un cut de Buffy Sainte-Marie, le real Dean te le prend en mode intrinsèque, sa voix craque d’éclats intenses, c’est d’une ampleur considérable. Avec «Hear The Wind Blow», il refait «Pale Blue Eyes, et pourtant, c’est un cut d’Opal, c’est-à-dire Kendra Smith et David Roback. Son sometimes it seems n’est pas loin de linger on your pale blue eyes. Le real Dean jette tout son génie vocal dans la balance et croasse deux ou trois syllabes au passage, histoire de faire son Lou. Encore une cover, celle du «Random Rules» des Silver Jews. La classe mélancolique de David Berman lui va comme un gant. Il enchaîne avec une autre cover, l’«Indian Summer» des Doors, qu’il prend à la douce gentillette. Bel hommage à Jimbo. Le real Dean et Britta duettent comme des dieux sur «Ginger Snaps». Ils tapent dans leur meilleure veine. Le real Dean est le premier à le dire : «One of the best things I have ever done. Certains albums sont meilleurs que d’autres, et je voyais celui-là comme l’album que j’avais voulu faire toute ma vie, influencé par Glen Campbell et Bobbie Gentry, Lee Hazlewood et Nancy Sinatra, Madonna, Nina Simone et Mary Tyler Moore.»

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             Tu vas trouver trois très belles choses sur Black Numbers, à commencer par «Words You Used To Say», un gros clin d’œil à Lou Reed. Le real Dean chante au deepy deep. C’est un fieffé follower. Britta le rejoint un peu plus loin et elle sort sa meilleure voix éthérée. Tu tombes ensuite sur «Wait For Me», en plein dans la lignée de la pureté. Britta attaque ça au sucre candy. T’en reviens pas de tant de beauté. Le real Dean est avec Doug Mercer des Feelies l’un des derniers héritiers du Velvet. Mais il faut bien dire que Britta sait bien prendre les choses en mains («You Turned My Head Around»). Elle attaque encore «White Horses» au doux du candy. Elle a un candy très particulier, elle sonne comme une ingénue libertine. Quant au real Dean, il montre encore avec «Me & My Babies» qu’il est d’une insondable profondeur artistique. Il adore le sucre candy de «Say Goodnight», pas de doute. Il recrée encore une fois le son de Pale Blues Eyes dans «Crystal Blue RIP». Il n’a rien perdu de ses pouvoirs de mage.             

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             C’est l’Andy Warhol Museum et le Pittsburg Cultural Trust qui ont demandé au real Dean et à Britta d’enregistrer 13 Most Beautiful: Songs For Andy Warhol’s Screen Tests, pour accompagner 13 Screen Tests d’Andy Warhol. Le real Dean dit aussi que Warhol a tourné 470 screen tests. Dans les liners, il rentre bien dans le détail des personnages qu’il a choisis. Les liners sont beaucoup plus intéressants que les enregistrements. Le real Dean a lu énormément de books sur la Factory. On ne craque véritablement que sur trois des Songs For Andy Warhol’s Screen Tests : «I’ll Keep It With Mine» dédié à Nico, Britta s’y colle, elle s’y colle merveilleusement bien, elle dégage la puissante mélancolie urbaine de Nico. Sur «Not A Young Man Anymore» dédié à Lou Reed, le real Dean fait son Lou. L’illusion est parfaite. Et puis «Eyes In My Smoke», dédié à Ingrid Superstar, et qui tape en plein dans le smoke du Lou, la qualité du smooth est inégalable et t’as le solo liquide en prime. D’autre cuts accrochent un peu, comme par exemple «International Velvet Redux» dédié à Susan Bottomly, car le real Dean part en épais solo de désaille vinaigrée. Avec «Herringbone Tweed» dédié à Dennis Hopper, il part en mode heavy groove à la «Sister Ray», mais sans la folie sonique. «Knives From Bavaria» dédié à Jane Holzer sonne comme le «Bonnie & Clyde» de Gainsbarre.

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             Quarantine Tapes est un album de covers. On en retiendra trois : «Massasuchetts» des Bee Gees (le real Dean tape dans le sacré, il a le sucré de Robin, alors ça fonctionne et ça grimpe dans les harmonies vocales), «Most Of The Time» (Dylan, le real Dean réussit l’exploit de sonner comme le vieux Bob) et «Ride Into The Sun» (Velvet dans l’âme, gratté aux gros accords las). Le reste n’accroche pas. Ils démarrent l’album avec le «Neon Lights» de Kraftwerk qui rime si richement avec berk. Ils se vautrent sur une cover pourrie du «So Bored With The USA» des Clash. Avec le «Carnival Slow» des Seekers, on se croirait à l’Eurovision. Ils font du mou du genou sur le «23 Minutes In Brussels» qui date du temps de Luna, et on perd patience. Par contre, le real Dean donne de l’air à l’«Air» de Mike Heron et il y va à grands coups d’acou. 

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             La cerise sur le gâtö du duo, c’est leur collaboration avec Sonic Boom. D’abord un EP, Sonic Souvenirs, en 2003. Sonic te nappe ça bien. Il arrose tout de crème anglaise. Le real Dean refait son Lou sur «Hear The Wind Blow (Down Moonlight Mile)». Un vrai bijou de Velvet latent, gorgé d’écho. Plein son. On retrouve sa belle profondeur de timbre dans «Moonshot (Myths Of Heaven)». Ça craque sous la dent, ça cloque de densité. Dean & Britta duettent comme des cakes sur «Ginger Snaps (And Sugar Winks)», et font siffler les S de when the kitchen sinkS/ When the sugar winkS. Très pur. Merveilleuse association.

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             Puis l’an passé, Dean & Britta & Sonic Boom ont enregistré leur Christmas Album, A Peace Of Us. Franchement, ce serait une grosse connerie que de faire l’impasse sur cet album, car Sonic Boom y fait des merveilles. Le «Snow Is Falling In Manhattan» est très «Pale Blue Eyes». Nos trois amis restent dans la ligne du parti. Le real Dean adore sa vieille traînasse. Tout est très éthéré, très intéressant, très haut de gamme sur cet album. Britta chante «Do You Know How Christmas Trees Are Grown» d’une voix pure de crystal clear. Le real Dean prend ensuite son «Old Toy Trains» au doux du doux. Le «Silver Snowflakes» qu’on croise plus loin n’est autre que le «Greensleeves» de Jeff Beck, et le «Still Natch» est bien sûr le «Silent Night» bien connu des amateurs de réveillons. A Peace Of Us est en fait un Christmas album. Coup de tonnerre en B avec un hommage à Totor : «You’re All I Want For Christmas». T’as même les castagnettes et ça sonne comme un hit des Ronettes. Britta fait encore un carton avec «If We Make It Through December», elle est à l’aise avec la country de saloon, elle est même assez paradisiaque, très Nancy Sinatra, et t’as la prod de Sonic Boom. L’album se termine par un hommage à John Lennon, «Happy Xmas (War Is Over)». T’es tout de suite dans le cercle magique. Pas de meilleure aubaine. 

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             Oh mais c’est pas fini ! Le real Dean enregistre aussi des albums solo. Le dernier en date s’appelle I Have Nothing To Say To The Mayor Of LA. Tu vas te régaler de la belle pop enchanteresse de «Cashing In». Le real Dean sait emballer son fan. Il a vraiment un charme fou. Avec «Robin & Richard», il sonne comme le Lou, une fois de plus - My pleasures are plenty - C’est du pur Lou. Il termine en mode clairette phosphorescente, c’est un éclair de génie. Génie encore avec «Under Skys», tu le vois littéralement partir en solo sous les skys. Le real Dean est un fabuleux guitariste, il te fait tourner la tête, tu pourrais lui dire, sur un air de Piaf, «mon manège à moi c’est toi.» Nouveau coup de génie avec «Why Are We In Vietnam». Il se pose des questions existentielles. Il reste très new-yorkais dans son approche philologique et bien sûr, tu le vois se lancer dans l’un de ces finals élégiaques dont il a le secret. Il rivalise d’intelligence guitaristique avec Tom Verlaine, c’est une évidence.

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             Emanciped Hearts sonne comme une sorte de point bas dans l’œuvre qu’il faut bien qualifier de tentaculaire du real Dean. Il attaque avec «Love Is Colder Than Death», un big balladif entreprenant. Il a raison, le real Dean, l’amour est plus froid que la mort. Il prend son plus beau timbre de Lou pour attaquer son morceau titre. Il chante vraiment comme son idole. On assiste ici à une belle évolution du domaine de la lutte. Et puis après, ça se gâte. Il monte un coup très weirdy avec «The Longest Bridges In The World» et se plaint bien dans le demi-jour avec «The Ticking Is The Bomb».

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             Paru en 2014, Dean Wareham vaut le détour pour trois raisons majeures : «Beat The Devil» et «Happy & Free» (deux Beautiful Songs), et un authentique coup de génie nommé «Babes In The Wood» où il sonne comme le grand continuateur du Velvet. Ils travaille sa magie sibylline à coups de take care, il t’emporte comme le ferait un vent très voilent. Avec «Beat The Devil», il va droit sur l’excellence carabinée, il met en avant une façon de chanter très intrinsèque et tu tombes invariablement sous le charme. Il tape l’«Happy & Free» à l’aune de la Beautiful Song, avec des éclats pop en forme de réminiscence d’effervescence, il te soigne bien la cervelle, tu peux y aller les yeux fermés, le real Dean est un crack du doux, le plus bel héritier du Lou, il prolonge cet art unique au monde, cette vision de la pop nourrie à la fois de grandeur mélodique et de décadence.  Le real Dean est un fabuleux distillateur de jus pop, il chante avec cet accent d’entre-deux qui ne trompe guère. C’est un fin renard du désert, un admirable stratège velvétien.

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             Le real Dean monte encore un side project en 1997 : avec Cagney And Lacee et un seul album, Six Feet Of Chain. Lacee s’appelle en fait Claudia Silver. Avec «Lovin’ You», t’as l’impression de planer dans un rêve. Elle crée de la magie sur des nappes de violons étales. C’est très easy listening. Elle peut aussi chanter à la belle aventure de country girl («The Last Goodbye» et «By The Way»). Country, mais beau. Et puis tu t’extasies sur «Greyhound Going Somewhere», pur jus de Cosmic Americana, eh oui, le real Deal est capable de ça. Elle veut partir en Greyhound, n’importe où - I’m leavin’ ! - Elle finit ce bel album en mode pop chaude avec «I’m Not Sayin». Elle réchauffe la pop dans son giron. Le real Dean permet ce genre de petit miracle d’intimité tiède et réconfortante. 

             Signé : Cazengler, qui dort Dean

    Dean & Britta. L’Avventura. Jetset Records 2003      

    Dean & Britta. Black Numbers. Zoé Records 2007    

    Dean & Britta. 13 Most Beautiful: Songs For Andy Warhol’s Screen Tests. Double Feature Records 2010     

    Dean & Britta. Quarantine Tapes. Double Feature Records 2020

    Dean Wareham. Emanciped Hearts. Double Feature Records 2013 

    Dean Wareham. Dean Wareham. Double Feature Records 2014  

    Dean Wareham. I Have Nothing To Say To The Mayor Of LA. Double Feature Records 2021

    Dean & Britta. Sonic Souvenirs. Jetset Reords 2003

    Dean & Britta & Sonic Boom. A Peace Of Us. Carpark Records 2024

    Cagney And Lacee. Six Feet Of Chain. No. 6 Records 1997

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    Dean Wareham. Black Postcards: A Memoir. Penguin Publishing Group 2009

     

    *

             C’est une parution sur Western AF qui date un peu. Quatre ans déjà. Elle se démarque de toutes les autres. Soyons franc, difficile de faire mieux question western. Paysage désertique magnifique, une fille qui cause, lorsqu’elle apparaît sur l’écran vous comprenez que vous êtes dans un ranch, pour les prairie d’herbe bleue vous êtes gros jean comme devant, au fond des montagnes pelées jusqu’à l’os, le sol est fait de poussière, OK, nous ne sommes pas dans le Kentucky mais dans le Nevada, une question vous turlupine mais où donc font-ils paître leurs chevaux, j’ai oublié de préciser, elle a un cheval, isabelle comme celui de ma fille, et un chien sans canapé alors que les miens… l’on aperçoit quelques poules, j’ai envie d’être un renard, elle s’est assise devant l’entrée d’un bâtiment fait de bois et de tôle, vous réalisez que ses avant-bras sont posés sur une guitare tenue à plat sur son giron. Au plan suivant elle s’en est saisie, deux coups de gratouillis et elle commence à chanter.

    RAMBLIN’ MAN

    JADE BRODIE

    (Western AF / 2022)

                    La version la plus dépouillée de Ramblin Man que je n’ai jamais entendue, je la qualifierais de rudimentaire si je n’avais peur que vous compreniez mal ce mot, guitare minimale, vocal sans emphase, les couplets répétés, les yeux fermés, le visage plissé, toute la tristesse du monde vous tombe dessus, c’est quoi ce truc, même pas du country, même pas du folk, même pas du blues, l’on est aux racines, c’est ainsi que devaient chanter les songsters vers 1840 que l’on n’a jamais entendus.

             J’ai voulu en savoir plus. Première chose sur laquelle je tombe en ouvrant le site Western AF, un article Meredith Lawrence Premier détail pioché, née en Californie, elle a vécu à Santa Rosa, ville située au nord de San Francisco, ses parents s’intéressent à la musique, elle a dix-huit ans lorsque son ami et son disquaire lui offrent une guitare et un coffret de blues et de country féminins… Presque un conte de fées qui emprunte une voie typiquement américaine : le train. Elle sera réparatrice de locomotives. Existerait-il un moyen amerloque de se déplacer encore davantage mythique ? Oui, le cheval. Période de chômage, elle en profite pour dégoter un job dans un ranch. Certainement vous avez aussi les highways, n’ayez crainte elle coche toutes les cases : l’est en train de conduire lorsqu’elle refuse de bifurquer vers un nouveau stage de conductrice de locomotive, elle préfère les chevaux et passer sa vie à chanter et à composer…

    GETTING OUT OF HERE

    JADE BRODIE

    (Dusty Vaquero / 2024)

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             Dusty Vaquero est un site qui fonctionne  à la manière de Western AF, enregistrant live des artistes qui n’ont pas atteint une renommée internationale. Nous retrouvons Jade Brodie en direct. On ne la reconnaît plus. Elle porte un joli chemisier blanc à fleurs, un chapeau de cowboy, mais un jean, des guêtres et des boots plantées dans la terre, elle est assise sur un billot devant un bâtiment de bois, supposons une écurie… Des cheveux blonds mi-longs encadrent son visage. Elle  résume en quelques mots sa vie à travailler, son désir de trouver mieux. 

    Goodbye the ramblin’ songster man, this  is Brodie country, cowboy par excellence, yodle à la perfection et vous conte l’histoire de ces  hommes qui sont partout ailleurs mieux que chez eux. Plus un dernier couplet pour vous avertir qu’ils ont trouvé l’endroit qui les retient. Très différent au niveau du style de chant du précédent mais tout aussi charmeur.

    Sur bancamp seulement trois morceaux :

    SPLIT MY TOOTH

    (Mars 2020)

    Jade Brodie : chant, guitare acoustique, et paroles / John Courage : guitare solo / Kirk Fortin : violon / Francesco Echo : basse / Dan Ford : batterie.

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             Belle photo. On la croirait chez elle. Mais non dans le compartiment d’un train. Toute belle, le soleil la dore d’un de ses rayons. Ses cheveux de miel et l’angoisse sur son visage. Elle tend la main vers sa guitare comme si elle n’osait pas la saisir.

             Elle peut remercier ses musicos, lui font un accompagnement de rêve, mais son vocal magnifie cette balade d’une tristesse absolue. Une voix qui ne flanche pas, elle se pose sur la musique comme un poison qui coule dans vos veines et qui remonte dans votre cœur pour l’empêcher de battre. Trop de distance entre deux êtres. Dans une note de présentation elle avoue qu’elle a  bâti   cette chanson sur un vers d’un morceau Townes Van Zandt qu’elle avait chanté à son mari, le jour de leur mariage. Ne vous étonnez pas qu’ils aient divorcé quelques mois plus tard. Comment croire que l’être aimé restera si vous lui accordez la liberté de partir… L’existe une Official Vidéo. Quelques scènes nauséeuses de solitude et d’impuissance dans un bar, dans sa robe rouge, princesse déchue de son propre rêve elle caresse un alezan, ce n’est pas un film, juste des éclats d’âme brisée  comme un miroir intérieur qui n’a pas supporté d’avoir tant été regardé.

    MAKING HISTORY

    (Février 2021)

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    Photo de la même série que la précédente. Elle est encore plus belle gainée dans sa robe rouge. Princesse alanguie, le soleil amoureux caresse son visage. Encore inquiet, mais sa guitare est à ses côtés.

    Vous avez une Official Video. Rien d’exceptionnel. Un mélange de vie vécue et de vie rêvée. Pas tellement différentes. Même si l’une va d’avant et si l’autre n’a pas la force de retourner en arrière. Certes les musicos vous imposent le roulis monotone du train qui roule vers l’absurde shuffle d’une existence partagée en deux. Bosser au loin pour gagner sa vie équivaut à la perdre. Les paroles ressemblent à une de nos comptines enfantines, sans joie, sans exaltation, sans chocolat en récompense finale. Une voix aussi froide qu’une langue de serpent. Qui n’en finit pas de vous mordre. Quand l’un est là, l’autre est ailleurs. Existences effilochées. La grande Amérique broie l’existence de beaucoup.

    (Jae Nobody est au violon).

    OPEN ROAD

    (Février 2022)

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    Plus de soleil. Photo en blanc et noir. Ils n’ont pas dû le faire exprès mais son visage marqué d’ombre et d’angoisse évoque pour un français certains clichés expressionnistes d’Edith Piaf.

    Encore une vidéo. Crépusculaire. Le soleil se couche sur les paysages américains. Vous ressentez une inextinguible tristesse, celle de l’incomplétude de l’âme humaine qui peut contenir en elle toute la vastitude de la beauté du monde mais qui n’arrive point à intégrer le minuscule point de départ, la maison qui vous attend et dont vous vous rapprochez au fur et à mesure dont vous éloignez d’elle. Insatisfaction de vouloir être ce que l’on n’est pas et de ne pas vraiment être ce que l’on est. L’origine n’a pas de fin. Elle est une plaie qui suppure, un fruit partagé en deux dont il manquera toujours la moitié.

    Une voix qui touche à l’essence de la country. 

    Qui touche à la poésie.

    Merveilleuse Jade Brodie.

    Damie Chad.

     

    *

                Un groupe français. Pas mal le nom. Un truc gorgé de sang qui ne demande qu’à être versé. En supplément phonétique le mot vous emplit la bouche, avant même d’écouter mes oreilles saignent. J’avais raison comme toujours, l’écoute s’avère pénible. Pour une des rares fois de ma longue existence mon humilité me force à reconnaître que j’avais tort. Je vous rassure, je ne révise pas mon jugement auditif, mais non ils ne sont pas français. Viennent de Lithuanie. En plus ils l’écrivent avec un h, alors que depuis quelques années la France l’a supprimé lors d’une nouvelle transcription phonétique.

             J’adore ce pays. Coincé entre la Pologne, la Lettonie, et la Biélorussie. Je n’y suis jamais allé. Mais cette lointaine contrée nous a donné un de nos plus grands poëtes, lui qui savait le russe, l’anglais, le lithuanien, le yiddish, l’hébreu, l’allemand, a écrit toute son œuvre, vous la situerez entre Nerval et Rilke, en français, vous avez de la chance, pour d’obscures motivations politiques (guerre en Ukraine), comprenez urgences non poétiques, a paru dernièrement chez Gallimard, un Quarto qui regroupe en 1300 pages une bonne partie de ses œuvres. Normalement vous devriez cesser de lire cette kronic, et ne la reprendre une fois que vous auriez passé la moitié de votre vie à lire Oscar Vladislas de Lubicz Milosz ( 1877 – 1939), ce qui me laisse le temps  de la terminer en toute tranquillité.

    CARRION

    AORTES

    (CD / Banndcamp / Avril 2025)

             L e premier Ep d’Aortes est sorti en août 2012. Sous le nom d’Autism.

    L’on sent qu’ils aiment les mots qui battent comme un cerveau qui n’est plus irrigué… Chacun de leur titre possède ce privilège de vous faire flipper avant que vous ne les ayez écoutés. Au moins vous ne pouvez pas vous plaindre de ne pas avoir été prévenus. Ainsi leur dernier album dès son titre vous annonce que ça sent la charogne. Ont-ils une prédilection pour Baudelaire, je ne sais pas. Vous jugerez sur place de cette composition, pardon de leur décomposition musicale.

             Le groupe a renouvelé ses membres. La dernière formation que j’ai pu trouver est la suivante : Andrius Sinkunas : chant, clavier, synthétiseur / Tomas Danisevskis : guitare / Linas : basse / Dormantas Lekavicius : batterie.

             Si vous vous attendez à une histoire bizarre, détrompez-vous, en règle générale les morts ne bougent pas trop, ils ne se lèvent pas toutes les cinq minutes pour faire un petit tour sur la terre.

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             La couverture n’est guère accueillante. Elle n’est pas créditée, comme ils sont des adeptes du Dot It Yourself, elle doit être d’eux. Entre parenthèses, chaque fois que je lis Diy je pense à (to) Die. Noire et jaune, me revient en mémoire le titre du roman Le Soleil des Morts de Camille Mauclair, il met en scène Stéphane Mallarmé, c’est aussi celui du livre d’Ivan Chmeliov, voire au poème (issu du recueil Banquets et Prières) de Marceline Desbordes-Valmore dont Rimbaud appréciait fort la poésie, tout cela pour vous rappeler que la mort ne fascine pas que les amateurs de dark metal. En tout cas ce jaune n’est point illuminatif, tout au plus une lumière froide. Pour le noir passe encore le portrait je subodore de Tolstoï ou de Dostoïevsky, avec ses yeux fous de voyant fixés sur la bouche d’ombre, l’on retrouve au bas de la couve le regard de celui qui a vu ce que l’on ne doit pas voir, les trois mains centrales, une de plus, une de moins, qui se tendent et se cherchent sans se trouver, et tout en haut la grille des côtes déjà dépourvues de chair…

    Dying world : une espèce de tsunami implacable de guitare fonce sur nous, sans se hâter, vitesse lente, le monde s’effondre, c’est nous qui mourrons, tout notre décor existentiel dans lequel nous avons joué la comédie de la vie se démantibule dans notre regard intérieur, la batterie écrase tout ce qui voudrait résister, mais rien ne manifeste cette envie, comprenez ces cris d’horreur, ces appels au secours à soi-même, l’unique personne à qui nous pouvons les adresser, mais nous savons bien que nous n’avons aucun moyen, aucune chance d’arrêter ce raz-de-marée qui s’abat par pans entiers, une ambiance de film-catastrophe pas du tout cathartique, nous courrons de tous les côtés pour nous arracher à ce mal inexpugnable qui est en nous, en notre conscience, nous sommes allongé sur notre couche, au fond de notre cercueil, notre vie est en train de s’écrouler, de s’ébouler sur nous, tout ce que nous avons aimé nous tombe dessus, et nous ensevelit en nous-même. Carrion : feat Plié : ça y est nous sommes mort. Notre corps vit encore. A sa manière. Il entre en putréfaction. Tout bouge et reste sur place. On a l’impression qu’ils ont additionné pistes sur pistes, pour donner une impression de gluance sonore, le vocal en arrière-plan, la charognisation n’est pas un écoulement mais une brûlure, une carbonisation, une espèce d’auto-combustion qui brûle et s’auto-crame, notes lourdes de synthé pour marquer la désynthétisation des tissus, la voix parle, est-ce celle du mort, ou celle d’un spectateur qui médite, il semble que des mouches bourdonnent, vocal non pas des derniers secrets mais des ultimes révélations d’auto-consumation, est évoqué le fantôme d’Hérodote, le voyageur qui s’en est allé explorer toutes les routes et tous les pays qui entouraient la Grèce antique, notre corps brûlé n’est-il pas un ailleurs étranger par excellence, un autre état de notre matière, à moins que ce soit une sorte de folie charnelle, un dépassement de soi. To the worms: intensification musicale, qui pleure -là parmi les diamants extrêmes, est-ce la jeune Parque ou le poëte, l’amant ou l’amante séparée par un miroir à deux faces, ce qui est sûr c’est que celui des deux qui est  dehors est comme celui qui est dedans, une corde de basse rebondit comme une balle de pingpong comme le pendule endiamanté qui descend pour tailler le verre séparatif, l’un appelle, l’autre lui demande de traverser la paroi terreuse de sable vitrifiée, elle appelle, et lui se jette à terre, il essaie de pénétrer dans la terre, de devenir ver de terre pour se mêler aux vers en train de bouffer cette chair en putréfaction active. Black mold : instrumental, crépuscule des dieux, Siegfried ne passera pas la croûte de terre pour se coucher dans le cercle de feu de la Walkyrie, pas du tout une chevauchée, une marche funèbre, Roméo ne rejoindra pas Juliette, la mort comme la vie, la vie comme la mort, l’une sans l’autre, l’autre sans l’une, ne sont qu’une sale moisissure qui corrompt toute existence, qui annihile toute impossibilité de retrouvailles. Nous avons essayé. Nous avons échoué. Peut-être parce que la mort de l’un n’est que la mort de l’autre. Mais ceci est une autre histoire.

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      When we cease : changement de paradigme, un seul être vous manque et tout est dépeuplé disait Lamartine, Aortes ne l’entend pas ainsi, c’est le monde qui s’écroule, la catastrophe écologique,  tout ce que vous voulez, mais le survivant devient le reflet de celui qui a choisi la partenza, un éclair comme une bombe atomique qui viendrait vitrifier la terre, encore le miroir à deux faces, le monde qui s’éboule dans la tête de celui qui est sous terre et le monde qui est détruit autour de celui qui est resté à la surface du globe, le morceau est une terrible incandescence, une montée lente et incoercible, un vocal hurlé à la manière d’un appel au secours inutile, de toutes les façons quand tout sera terminé, rien ne se passera, nous ne serons plus rien, encore moins que maintenant où l’un survit encore dans la tête de l’autre. (Il existe une vidéo, mortifère, de vieilles croix de bois dans un cimetière, si nombreuses si serrées qu’elles paraissent avoir été mises au rebut, ornées de colliers, de rosaires, de scapulaires, de dessins, de crucifix… un terrible sentiment d’abandon et d’impuissance).  Lifeless :

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    plus personne, une cloche résonne, une seule solution, puisqu’il est évident autant conjurer un esprit, celui de celui ou de celle dont le cercueil va basculer dans la tombe, existe-t-il de l’autre côté une lumière, ressens-tu le soleil des morts, une espèce d’existence, différente, mais la mort ne serait-elle pas la continuation de la vie sous une autre forme, il empoigne le cadavre à pleine mains, il le secoue, il l’interroge, il crie, il frappe il supplie, musique écrasante totalement folle, sans vie, sans mort, rien, néant, les circuits de son cerveau se transforment en catacombes qui regorgent de squelettes sans âme, un seul être vous manque et le monde entier des hommes n’est plus, disparu, néantisé. (Il existe une vidéo, une maison de bois abandonnée, délabrée, désertée, la caméra s’attarde sur une espèce de totem informe qui cependant mérite l’adjectif christique, puis un paysage enneigé, un pont, une route, un fleuve, pas une âme vivante, retour au totem, des squelettes d’arbre, un nouveau totem carrément christique, des amas de planches, une maison écroulée, au loin une maison, une lumière le soleil qui se lève, tombes caressées par le soleil, une statue du Sauveur, l’impression que le monde se réchauffe.)   I’ve loved you all : this is the end, beautiful

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    friend, mais il n’y a pas de car bleu, il n’est même pas noir, il est transparent, un miroir à deux faces, il t’emmène, penché sur ton cercueil je me laisse aller, penché dans mon cercueil je te laisse partir, je ne peux pas te retenir, qui parle encore une dernière fois, celui qui reste ou celui qui descend, qui oubliera l’autre, ne reste plus que le désespoir, un dernier adieu, car l’on ne se reverra jamais. (Il existe une vidéo, paysages noyés de brumes, sentiment de solitude et de désolation, l’on parcourt les champs, la terre, les bois pour se retrouver devant de très vieilles tombes déformées, crevées, des images de mers déchaînées, de fleurs, d’insectes, la nature elle continue de vivre, elle n’a pas l’air de se soucier de l’humaine créature couchée en ses cimetières… un moment un œil vous scrute, serait-ce la mort qui vous attend… ou quelqu’un d’autre.).

             Si j’ai mis les trois vidéos en fin de recension des trois titres, c’est parce que je les ai visionnées avant d’avoir fini la totalité de mon écoute. Elles sont simples et belles. Une atmosphère toutefois déprimante. Peut-être incitent-elles à une autre compréhension, à qui s’adresse la personne sous la tombe, à un être humain ou la divinité… Serions-nous face à un groupe chrétien. Quel qu’il soit, cet album est magnifique, le texte est d’une grande subtilité et la musique d’une force irréfragable.

             L’ensemble est d’une force étonnante et vise à l’essentiel.

    Damie Chad.

     

    *

             Bien sûr avec vos bras reptiliens vous pouvez tenir, prenons un exemple au hasard, une jeune fille, l’enserrer dans vos muscles visqueux, avec la force d’un python réticulé, moi ce qui m’a plu c’est le titre de l’EP en latin, un groupe qui utilise la langue de Virgile et d’Ovide ne peut pas être entièrement mauvais, ensuite je me suis demandé, question oiseuse s’il existait des reptiles avec des bras, j’ai vérifié dans L’Histoire Naturelle de Buffon, apparemment il n’en a jamais entendu parler. D’où l’intérêt à regarder ce nid de serpents de près.

    EXTENSA FABULA

    REPTILIAN ARMS

    ( Bandcamp / Avril 2025)

    Chris Cassisi : basse / Josh Joesten : drums / Marcus Rzyborowski : guitares /Alex Santana : vocal.

    Sont de San José, ville d’un million d’habitants située à moins de soixante-dix kilomètres de San Francisco, considérée comme les centre de la Silicon Valley. N’ont pas l’air d’être des hippies attardés ni des chantres de la technologie moderne. Paraissent plutôt intéressés par les sciences maudites. La couve de l’EP vous convaincra.

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    Une toute jeune fille, sage et innocente, debout devant des buildings de cinquante étages. Essayez de ne pas regarder les têtes de morts qui remplacent le gazon. Ne quittez pas des yeux la lueur assassine des prunelles du lézard géant et cornu aplati sur les gratte-ciels, avant de vous porter au secours de l’enfant vérifiez les griffes démesurées de cet être sorti des entrailles de la terre. Cette image sombrement hémoglobinesque n’illustre pas une fable de notre bon vieux Jean de La Fontaine, permettons-nous une traduction peu correcte et un tantinet éloignée du titre de l’album. : extension du domaine de la lutte reptilienne.

    Zenosyne : comment interpréter ce titre, signifie-t-il que la mémoire des choses s’accélère induisant ainsi une accélération du temps, ne faites pas la fine bouche, il est inutile de déclarer que le concept zénosynien est légèrement flou, alors qu’il est évident qu’il n’a pas besoin d’aile pour progresser rapidement car il est intrinsèquement fou, non je suis pas atteint de folie car si l’aile de la folie s’envole, les haruspices se pencheront sur mon foie pour en tirer d’hâtives conclusions sur l’avenir. Si vous n’avez rien compris à ce qui précède, peut-être conviendrait-il de ne pas écouter cet EP, mais puisque vous vous obstinez dans votre curiosité malsaine, tant pis pour vous. Je vous vois venir avec votre gueule enfarinée, oui c’est rapide, ultra-speed, un trio infernal qui fonce, à San José la nuit tous les feux rouges sont verts, quant au vocal de Santana c’est vrai que ce n’est pas la guitare à notes rallongées de Carlos, l’a une voix bulldozer, quant au Josh il filoche sur sa drummerie pour prouver aux deux autres qu’il roule plus vite, alors Marcus et Chris accélèrent et le dépassent, bientôt sont tous les trois sur la même ligne, et Santana, déguisé en Ben Hur  les cingle, de ses hurlements il les propulsent au travers du mur du son. Vous avez adoré ce doom de cinglé, vos oreilles ont couru derrière comme des dératés mais vous avez raté l’embrouille du film en rembobinage, vous ressentez l’urgente nécessité que je vous refile quelques bribes de scénar. Voyez-vous certains aiment que la vengeance se dévore chaude-bouillante. L’un l’a laissé pour mort et l’autre pas mort s’empare de l’un et vous le dissèque en petits morceaux pour qu’il souffre un max. Une boucherie expiatoire. Maintenant vous comprenez pourquoi Carlos se dépêche  pour qu’il souffre au plus vite, prend même un malin plaisir à imiter les hurlements de sa victime. Shroom doom : ouf le rythme s’alentit, le Carlos en profite pour nous prouver qu’il peut à lui tout seul  chanter aussi fort qu’un chœur de quatre-vingt moines qui n’ont pas violé une bonne sœur depuis trois jours, il gueule, et puis il dégueule, la guitare de Marcus en profite pour dégringoler les cent quarante-quatre marches du clocher de l’église en feu, l’est sûr que quand le delirium tremens s’arrête vous êtes incapable de retrouver votre esprit qui vous a quitté et qui bat de l’aile sous la voûte de la sacristie, je vous en ai donné une version chrétienne parce que vous aurez davantage de mal avec la mythologie mexicaine, tout se passe aux derniers moments, lorsque vous êtes en train de succomber, que le méchant enserre votre cou de ses dix doigts et vous prive d’oxygène, vous comprenez que la partie d’échec de votre vie est définitivement perdue, que la Reine ne vous sauvera pas, que vous vous essoufflez sur la diagonale du fou, que l’œil cruel de Caïn est dans votre tombe et vous fixe, que le Serpent à Plumes, est-ce lui le Reptile, est-ce vous, est-ce l’autre, en tout cas, qui qu’il soit, il agonise sur le damier.  Non, ce n’est pas clair, mais nos champions ont pris des champignons. Prayed upon : le dégueulis sonore redémarre, avec en plus la batterie qui se permet d’imiter le vacarme des tortillards à crémaillères sur les sommets andins, aux décibels il y a du monde : toute l’Humanité. Les deux premiers morceaux ne seraient-ils qu’une métaphore. L’on vous aurait présenté quelqu’un en train de se faire assassiner pour que vous compreniez que l’assassin de soi-même n’est que soi-même. Que le monstre reptilien qui se jette sur vous ce n’est que vous, juste au moment où vous en prenez conscience le morceau s’écroule sur lui-même. Grand charivari, immense capharnaüm phonique et mental, la mort ce n’est pas le Monstre, c’est le désir qui vous pousse, vous et tous les autres, qui ne sont ni pires ni meilleurs que vous, vous êtes un monstre d’égoïsme, après vous le déluge, pourvu que vous puissiez bâffrer et jouir à volonté, vous mourez parce que vous mentez, vous volez, vous tuez. Les autres, cela n’a que peu d’importance- c’est vous que vous tuez parce que vous refusez de vivre. Après tout c’est votre choix. Vous ne voudriez quand même pas que l’on vous plaigne. En plus vous êtes déjà mort depuis longtemps en vous-même avant d’être mort. London dungeon : c’est la fête, entendons-nous bien, c’est difficile avec tout le bruit qu’ils font, sans compter les flonflons de cette voix qui joue à Monsieur Loyal. Quel grabuge, à quel jeu jouent-ils tous ensemble. C’est un peu comme à Donjon et Dragon, ils ont choisi London, pourquoi les américains opteraient-ils pour l’enfer anglais, je n’en sais fichtrement rien, peut-être parce que là-bas ou ailleurs c’est sans doute la même chose. Vous avez toute vie tout fait pour vous retrouver sur le quai du grand départ et  monter dans le train de l’enfer, alors une fois que vous y êtes, ce n’est pas la peine de réclamer sous prétexte que vous n’êtes pas dans le bon compartiment. Amusez-vous bien !

             Erreur d’interprétation de la couve : la petite fille n’est ni sage ni innocente. La bête immonde qui la guette n’est pas tapie sur les gratte-ciels de San José (ou d’ailleurs), elle n’est qu’une projection de son âme déjà sale, envieuse et vicieuse. Le monstre n’aura pas besoin de bondir dans sa caboche, elle y est déjà, c’est elle qui projette son insatisfaction congénitale, sa désastreuse avidité, sur le monde entier pour qu’il lui ramène tout ce qu’elle veut.

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             La musique de Reptilians Arms est sacrément venimeuse. Ses écailles sont fascinantes. A elle seule, elle  devrait être stigmatisée par un Parental Advisory. Elle est si chaotique qu’elle est capable, une unique écoute suffira, de pervertir nos têtes blondes, de fragiliser leur équilibre mental. C’est pour cette raison que les kr’tntreaders l’adoreront... Oui mais eux, il y a tellement longtemps qu’ils sont perdus, qu’un peu plus ou un peu moins n’influera en rien  leur triste destinée… Pourtant l’apposition de ce logo infâmant serait une erreur, tout compte-fait les paroles sont morales, les méchants vont en enfer, n’est-ce pas ce qu’ils méritent !

             Comme ce deuxième EP de nos reptiles nous a paru aussi délicieux qu’un gâteau aux trois chocolats empoisonnés, nu tour sur leur premier artefact s’impose.

    THE SET DEMO

    REPTILIAN ARMS

    (Bandcamp / Novembre 2023)

    La pochette n’est pas un must. Elle est réduite au plus simple. Juste le nom du groupe calligraphié dans ce type d’écriture illisible qu’affectionnent le groupes doomesques et métallifères. Vraisemblablement à l’époque des commencements de l’ère du Metal c’était une manière de se distinguer de l’esthétique punk, toutefois méfions-nous de la monotonie.

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    Slow kill : un truc tranquillou si l’on en croit le titre, je remarque que mon chien quitte la pièce, reconnaissons que c’est flippant cette voix de croque-mort sans appétit, et ce catafalque de guitares qui vous enveloppe sans vous avertir, lorsque le drummer commence à vous enfoncer les clous à travers les planches du cercueil pour que vous ne caltiez pas en douce, c’est moins rigolo, la petite fille va mourir, qu’elle ne panique pas, qu’elle prenne le temps de respirer, pourquoi se plaindrait-elle de quitter ce monde cruel. This is the end beautiful little girl. L’on se demande pourquoi à la fin, elle ne dit pas merci. Un morceau un peu funèbre qui pose une question essentielle : mais que voient les morts ? Proclamation of fire : le premier titre tentait de vous prendre par les sentiments, sur celui-ci on essaie de vous séduire intellectuellement. Une véritable discussion philosophique, ponctuée par la batterie, les guitares imitent le bruit d’un moteur de hors-bord lancé à toute vitesse sur le lac de la pensée. Le prof au vocal commence par vous asséner quelques reproches, vous avez essayé d’échapper à votre vie minable en éliminant toux ceux qui se trouvaient sur votre chemin. Vous joignez vos mains ensanglantées pour demander pardon à Dieu. De temps en temps d’un gosier inexorable il lâche quelques préceptes nietzschéens définitif  sur la nature profonde de l’animalus humanus : Dieu n’a aucune pitié, nous non plus ! Invaders advancement : quittons l’individu, intéressons-nous au collectif. La société réalise en grand ce que vous commettez à l’échelle minuscule tout seul dans votre coin, les cymbales tirent des coups de fusil, la batterie est un char d’assaut qui écrase tout ce qui se dresse devant elle, le combat, le vocal lance des ordres et des invectives, vous encourage, à la fin il doit être à la tête d’un commando-suicide. Un carnage. Un vrai gloubi-boulga. Vive la mort. Lie awoke : pour ceux qui n’ont pas compris. Vous avez une session de rattrapage : le vocal vous offre de sa voix le plus lugubre une histoire de l’humanité. Vous énonce toutes les catastrophes qui nous sont tombés sur le museau depuis l’aube des temps. Enfin dernière invitée : la peste. C’est pour ne pas nommer le Covid. Pas de panique, un médicament se profile à l’horizon. Ne dites pas que le vocal ressemble à un égout qui dégorge, peut-être ne l’avez-vous pas reconnue, mais c’est la voix de Dieu, qui se délecte de la mort de l’Homme, les guitares ne la ramènent pas, elles se la jouent profil bas et pissent du plomb fondu comme les gargouilles de Notre-Dame pendant l’incendie. J’ai comme l’impression que Dieu veut notre mort. Il grogne à la manière d’un verrat colérique dans sa soue. Lapidatus : on l’avait compris l’on se dirige à grande vitesse vers l’Apocalypse. D’ailleurs les guitares imitent le bruit d’un avion qui va s’écraser dans les minutes qui suivent. Il prend son temps, il tourne en rond pour que vous ayez le temps de comprendre ce qui va se passer. C’est la fin des temps. Oui il y aura quelque chose d’autre après, l’on a l’impression que la guitare imite Hendrix jouant l’hymne Américain à Woodstock, mais là ce ne sont pas de misérables bombinettes sur le confetti vietnamien, c’est une nouvelle ère qui commence, ne soyons pas déçu elle aussi a droit à sa propre fin des temps. Humains rayés de la planète, Dieu est un menteur.

             The Set Demo est peut-être musicalement moins fulgurant que l’Extensa Fabula mais la fable qu’elle raconte est beaucoup plus radicale. Un point bonus aux deux artefacts. Balle au centre, on attend l’EP numéro trois. Avec impatience.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 636: KR'TNT 636 : DICTATORS / WEIRD OMEN / BOB DYLAN / DAVE ANTRELL / JIM WILSON / RAWDOG / AVATAR / THUMOS / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 636

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    14 / 03 / 2024

     

    DICTATORS / WEIRD OMEN / BOB DYLAN

    DAVE ANTRELL / JIM WILSON

    RAWDOG / AVATAR / THUMOS  

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 636

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    Sous le joug des Dictators

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             C’est dans l’orbituary d’Uncut, en février dernier, qu’on est tombé sur quatre lignes annonçant la disparition de Scott Kempner. Qui ça ? Balancé comme ça, au débotté, c’est un nom qui ne parlera pas à tout le monde. Sauf aux fans des Dictators. Si tu retournes la pochette de Go Girl Crazy, tu verras Scott Top Ten Kempner allongé à poil sur son lit, même chose pour Stu Boy King. Par contre, Andy Shernoff et Ross The Boss FUNicello sont habillés. On parle toujours du premier album des Ramones, mais on oublie chaque fois de citer le Go Girl Crazy des Dictators paru un an avant, un album qui est le véritable précurseur de la scène punk new-yorkaise. «The Next Big Thing» est le premier hymne punk new-yorkais. Nous allons donc rendre hommage à ce groupe extraordinaire et à Scott Kempner. Pour info, Ross The Boss et Andy Shernoff continuent de tourner et d’enregistrer avec les Dictators, enfin, ce qu’il en reste, cinquante ans après.

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             Pas compliqué : les Dictators sont arrivés au bon moment. En 1972, les Beatles avaient jeté l’éponge et les Stones venaient d’enregistrer «Exile», leur dernier grand album. Les Who et les Kinks allaient entamer une sorte de déclin, mais aux États-Unis, ça bardait avec les Flamin’ Groovies, les Stooges et le MC5. Les Dictators s’inscrivirent dans cette mouvance. Andy Shernoff commença par publier un fanzine, Teenage Wasteland Gazzet, puis comme beaucoup de kids de sa génération, il se mit à la recherche d’autres kids pour monter un groupe. C’est aussi bête que ça. Des millions de kids ont tenté leur chance dans les années 60 et 70. Si Andy est aujourd’hui auréolé de légende, c’est tout simplement parce qu’il savait écrire des chansons et qu’il avait su dénicher les bons partenaires. Cette histoire ne vous rappelle rien ? John Lydon avait lui aussi déniché LE bon guitariste et LE bon batteur. En prime, il savait lui aussi écrire des chansons. On appelle ça l’alchimie d’un groupe. Ça tient souvent à très peu de choses.

             Comme les Pistols un peu plus tard, les Dictators eurent à affronter le mépris et parfois la haine d’un public qui ne comprenait par leur démarche. Ross The Boss s’en foutait et il jouait. À sa façon, il jouait les traits d’union entre la culture rock classique américaine et la modernité des Dictators. Andy Shernoff se réclamait à la fois du MC5 et de Brian Wilson, un modèle que reprendront aussi les Ramones. 

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             C’est aussi Ross qui trouva, pour un loyer de 200 $, la fameuse maison isolée de Kerhonkson où s’installa le groupe. Il n’y avait rien ni personne à dix kilomètres à la ronde. Comme ils n’avaient pas un rond, les Dictators allaient voler leur bouffe dans un super-marché. Richard Blum qui était un pote à eux travaillait à la Poste. Il venait le week-end faire la cuisine pour ses copains. Richard qui était un personnage haut en couleurs inspirait énormément Andy.  Jusqu’au jour où Richard devint Handsome Dick Manitoba, un nom inventé par Andy dans «Tits To You» - Manitoba était le surnom d’un détective dur à cuire, Handsome venait de Handsome Jimmy Valiant et Dick de Richard.

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             Et puis un jour leur copain Richard Meltzer ramena le fameux Sandy Pearlman à Kerhonkson pour lui faire écouter le groupe. Wow ! Sandy Pearlman qui était déjà le manager de Blue Oyster Cult allait par la suite devenir celui des Dictators.

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             Toute la genèse des Dictators est racontée par Scott Kempner à l’intérieur de la pochette d’Everyday Is Saturday, un double album rétrospectif édité par Norton en 2007. Comme toujours chez Norton, ce disk est incroyablement bien documenté. En effet, Scott Kempner - qui se faisait appeler Top Ten sur la pochette de leur premier album - y raconte dans le détail l’histoire du groupe. Il explique que Richard Blum était le living breathing manisfesto des chansons d’Andy Shernoff - There is only one Richard Blum - On retrouve sur Everyday Is Saturday tous ces hits qui vont faire la grandeur des Dictators, «Weekend» (avec son riff pompé chez Buddy Holly), «Master Race Rock» (jolie partie de campagne bien tartinée du foie et cornichonnée aux gimmicks), «California Sun» (qui date de 1973), «What It Is», «Stay With Me» (hit parfait poursuivi par un riff dévastateur) et un «I Just Want To Have Something To Do» très proche des Ramones. 

             Kempner rappelle aussi que pour leur premier concert, les Dictators jouèrent en première partie des Stooges et de Blue Oyster Cult dans un collège du Maryland, devant 7000 personnes.

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             Quand Go Girl Crazy est arrivé en France en 1975, on a fait chapeau bas. Car quel album ! «The Next Big Thing» qui fait l’ouverture est l’un des grands hits intemporels de l’histoire du rock - I used to shiver in the wings/ But then I was young/ I used to shiver in the wings/ Until I found my own tongue - Disons qu’on a chanté ça autant de fois que le maybe call mum on the telephone des Stooges ou l’And that man that comes on the radio with nothing to say des Stones, ou encore l’I’m a tip-top daddy and I’m gonna have my way de Charlie Feathers, ou encore l’I’m taking myself to the dirty part of town/Where all my troubles/ Can’t/ Be/ Found des Mary Chain. Oui, toutes ces flasheries mémorielles zèbrent la nuit des temps et ça court-jute dans la fricassée. Mais attention, sur la B de Go Girl Crazy, quatre énormes hits guettent le chercheur de truffes. Et pas des moindres. Les Dictators jouent «California Sun» à l’écho des duelling guitars - And I boogaloo - Et on assiste à une merveilleuse montée en puissance sur fond de beat tribal - When I’m having fun in the California sun - S’ensuit un «Two Tub Man» bien senti. Handsome Dick Manitoba fait une intro spectaculaire - The thunder of Manitoba ! - Si on cherche le punk new-yorkais, c’est là et surtout pas chez les Dead Boys. Autre bombe : «Weekend», pièce d’ultra-power pop noyée de guitares et bardée d’apothéoses de chœurs de la la la élégiaques. Ils bouclent ce disque mémorable avec le fameux «(I Live For) Cars And Girls» bien glammy dans l’esprit et trempé d’envolées dignes des Beach Boys. Les compos d’Andy Shernoff sont déjà classiques et supérieures à la fois.

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             Deux ans plus tard paraît Manifest Destiny, un album mal vu car en 1977 tout le monde veut du punk, et les Dictators font autre chose que du punk, comme d’ailleurs Television, Blondie et tous les autres. «Heartache» est une vraie pépite de power pop. Andy Shernoff a même pensé à rapatrier les pah pah pah des Who. Encore une fantastique tranche de pop palpitante à la Shernoff avec «Sleepin’ With The TV On». Ce mec a véritablement un don, il sait ficeler les beaux hits underground. Le «Disease» qui suit sonne comme un opéra des Kinks, avec un vieux parfum glammy. Ross The Boss ramène la dimension épique et prend un vieux solo à la Ritchie Blackmore. Alors le rythme s’emballe pour le meilleur et pour le pire. Mais il est bien certain que le public ne pouvait pas leur pardonner une telle incartade. Quoi ? Des Américains qui se prennent pour un groupe anglais des seventies ? On trouve en B une autre trace de cette tendance. En effet, «Stepping Out» sonne comme l’un des cuts du premier album de Sabbath. Les Dictators ont une légère tendance à flirter avec le heavy-prog anglais des Contes de Canterbury, avec des guitares qui jaillissent du fond du lac. Pour Ross, c’est du gâteau, il prend de beaux solos de prog en quinconce à la Buchanan de l’Essex et même du Middlesex. Il était évident que cet album n’allait pas plaire. Et pourtant, Ross the Boss jette tout son poids dans la balance. On le sent âpre au gain dans «Young Fast Fantastic» et ils finissent cet album troublant avec une reprise bien sentie de «Search And Destroy». On retrouve le son des Dictators, la turbo-machine du rock new-yorkais. C’est du pur jus de glu de détroitisation forestière. Les Dictators ont tout : les bras, les jambes et les cervelles en feu. Ross balaye le vieux standard d’Iggy au lance-flammes. Il est dix mille plus violent que Williamson.

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             L’un des plus gros hits des Dictators se niche sur Bloodbrothers, paru un an plus tard. Personne ne peut résister à l’appel de «Baby Let’s Twist». Pourquoi ? Parce que monté sur des accords de Next Big Thing, et la fantastique allure reste leur mesure. Les Dictators disposent d’une faculté assez rare : celle de savoir exploser au grand jour. Le grand art d’Andy Shernoff est de savoir composer des hits qui hittent le top. Même chose pour «The Minnesota Strip» embarqué au heavy gimmick funicellique d’ambiance universelle. Ross The Boss sait créer l’événement, il tape dans la violence de la pertinence, et c’est poundé à l’heavyness impénitente. On a encore un hit avec «Stay With Me», valeureuse envolée de pop rock typique des années de braise new-yorkaise. L’«I Stand Tall» qui ouvre le bal de la B des cochons somme glammy. Andy Shernoff nous le stompe à l’élégie de Pompée le pompeux. Ils bouclent l’album avec une fantastique reprise des Groovies, «Slow Death». Nos amis dictatoriaux savent groover un vieux classique incantatoire.

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             Il faudra attendre vingt ans avant de pouvoir se remettre un disque des Dictators sous la dent. Quand D.F.F.D parut en 2001, tout le monde croyait le groupe disparu. Eh non, la charogne bougeait encore. Et quelle charogne ! Cet album grouille de hits, à commencer par le fabuleux «Who Will Save Rock’n’Roll» - My generation is not on starvation - Voilà encore un hymne dictatorial d’envergure planétaire, n’ayons pas peur des grands mots. Même chose avec «What’s Up With That». En voilà encore un qui sonne comme un hit d’entrée de jeu. C’est joué au maximum des possibilités, avec ce mélange très spécial de pop et de sur-puissance qui n’appartient qu’aux Dictators. «It’s Alright» est aussi un cut visité par le requin Ross. Il sait entrer dans le lagon. Ross the Boss est l’un des plus grands guitaristes de l’histoire du rock américain, qu’on se le dise ! On retrouve en B un nouveau clin d’œil aux Anglais avec «Avenue A», car on y entend des petits chœurs à la Clash - oh-oooh-ooh - au coin de la rue. Pour Ross le démon, c’est du gâteau. Ils tapent ensuite dans le gaga sauvage avec «The Savage Beat», mais ils rajoutent une pointe de pop dans le refrain. Merveilleuse surprise que ce «Jim Gordon Blues» joué aux gros arpèges psychédéliques. Encore un coup de génie signé Andy Shernoff et Ross the Boss. On est bien obligé de parler ici de génie car tout est incroyablement mélodique. On a le gras de la guitare, l’élégance de la prestance, la persistance de la préséance et l’omniscience de l’évidence. 

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             Ce n’est pas compliqué : tout est bon sur Viva Dictators paru en 2005. On ne trouve malheureusement que des hits sur cet album. Les Dictators jouent live à New York City et ça fait quelques étincelles. Handsome Dick Manitoba essaye de chanter comme Johnny Rotten sur «New York New York», alors on rigole. C’est avec «Avenue A» qu’on voit à quel point les Dictators veulent sonner comme des punks anglais. Andy Shernoff embarque ça au gros drive de basse et les chœurs rappellent ceux des pauvres Clash. Heureusement, ils enchaînent avec «Baby Let’s Twist» claqué à l’accord d’intronisation. C’est digne du Really Got Me des Kinks, on a le même tarpouinage définitif, des accords qui te clouent la papillon à la lune ou le cœur du vampire au solstice d’été, baby let’s twist, c’est monstrueux de génie pop. Merci Andy ! Ce cut ronfle comme le moteur de la BMW que Tav conduit dans Uriana Descending ! Vroaaarrrrhhhh ! Même chose avec «Weekend». Ce cut est beaucoup trop puissant pour être honnête. Andy Shernoff signe encore ici un hit planétaire. Ross tape ça aux accords acidulés. C’est puissant comme la Rover de Roberte et ça claque comme l’étendard zoulou planté au sommet du Kilimandjaro. On tombe plus loin sur l’inénarrable «Next Big Thing», le hit ultime par excellence. Ross nous roule ça sous l’aisselle du chord, et Manitoba le bouffe tout cru, argfffhh ! Ça monte, ça monte et ça coule sur les doigts. Pareil pour ce beau «Minnesota Strip» amené par des riffs de messie, mais si. Quelle énergie ! Typical Shernoff ! Ils enfilent les hits comme des perles, puisque voici «Who Will Save Rock’n’roll», chanté au débrayage maximaliste. Ross fout le feu à la plaine entière. C’est encore la preuve de l’existence d’un dieu des dictateurs. Croyez-le bien, c’est un hit flamboyant, digne de toutes les grands heures du rock anglais. Puis ils nous claquent «What’s Up With That» à l’accord souverain - Eh oh oh oh ! - Ils savent taper dans les meilleurs power-chords de propulsion nucléaire. C’est la power-pop dont on rêve chaque jour que Dieu fait. Ross n’en finit plus de claquer ses beignets. «I Am Right» est un pur cut de batteur, c’est le royaume au grand Patterson, et Stay» tape au très haut niveau composital. C’est pris à la gorge du punk, mais c’est aussitôt étoilé par du gimmickage de power-pop. Alors bien sûr, Ross le génie explose au firmament des guitar gods. Ils finissent ce disque ahurissant avec deux vieux coucous tirés du premier album, «Two Tub Man», stomper des enfers de train fantôme, et «I Live For Cars And Girls», chanté au glammy gloom par Andy the beast. Ouhhh-ouuh-ouuh ! On se croirait chez les Beach Boys. C’est vraiment le meilleur compliment qu’on puisse leur adresser.

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             En 1981 est sorti sur ROIR un album live des Dictators élégamment intitulé Fuck ‘Em If They Can’t Take A Joke. On y retrouve les gros classiques comme «The Next Big Thing», «Weekend» et «Minnesota Strip», mais ce sont les deux belles reprises du Vevet et des Stooges qui font le charme de cet album. Ils tapent une fantastique reprise de «What Goes On». Andy chante et Ross se fend d’un solo somptueux. Dans «Search And Destroy», Ross n’a absolument aucun mal à faire son Williamson. D’autant qu’il est soutenu par une belle rythmique pulsative. Wow, quelle reprise ! Pas de meilleur hommage à Iggy & the Stooges.

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             Scott Kempner a enregistré deux albums solo. Le premier, Tenement Angel, date de 1992. Il a une tête de collégien sur la pochette. Il attaque au deep boogie rock de New York City avec «You Move Me», c’est excellent et on lui donne immédiatement l’absolution. Il enchaîne avec un «Bad Intent» du même acabit, mais en même temps, pas de surprise. Le Scott ne tient que grâce à sa réputation de Dictator. Et voilà le big bad rock d’«ICU» gratté à la cocote malade, au dirty groove urbain, ICU pour I See You. Ça accroche terriblement. Mais on sent qu’il s’épuise au fil des cuts, il ne parvient pas à maintenir l’attention de son auditoire, et il faut attendre «Lonesome Train» pour retrouver le grand Scott. Il coule un Bronx, et passe un solo lumineux comme pas deux. Puis il va continuer son petit bonhomme de chemin avec «Precious Thing» le bien senti et un «Livin’ With Her Livin’ With Me» très bon enfant, presque Moon-Martinesque. Rien de plus que ce que tu sais déjà. Il fait parfois son Springsteen («Do You Believe Me») et c’est pas terrible. Disons que c’est le mauvais côté du New York City Sound. On préfète - et de loin - le côté Dolls et Velvet. Son «(Just Like) Romeo & Juliet»  sonne comme du Southside Johnny, bien cuivré de frais. C’est très convenu, très bien foutu, si étrangement prévisible et si terriblement NYC. Il termine avec «I Wanna Be Yours», du classic stuff cousu de fil blanc. On perd le Dictator. C’est atroce. On se croirait à une fête de mariage.  

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             En 2008, il sortait Saving Grace, un album très new-yorkais, chargé de gros balladifs dictatoriaux et de power pop à propulsion nucléaire («Baby’s Room»). Le hit de l’album pourrait bien être «The Secret Everybody Knows», plutôt bien bombardé du beat, on sent le vieux Dictator chez Scott, il sait pondre un heavy rock superbement balancé, envenimé par un wild solo trash. C’est encore le solo qui enlumine «Blame Me», un balladif sauvage entrepris par un solo au long cours d’une belle intégrité de gras double. Le Scott est un merveilleux artiste. Il se croit au Brill avec «Love Out Of Time», il en a les épaules. «Stolen Kisses» est plus rocky road, avec une grosse intro en disto, le Scott y va, son claqué d’accords est typiquement new-yorkais. Retour au Brill avec «Heartbeat Of Time» assez puissant et romantique. Puis il passe au heavy Brill à la Dion avec «Here Come My Love», limite grosse compo. Le Scott a du répondant. S’ensuit la belle power pop bien propre sur elle de «Between A Memory & A Dream» et ses clairons de belles grattes dans l’écho urbain. Il boucle tout ça avec «Shadows Of Love». C’est un album qu’il faut saluer bien bas.  Scott Kempner vit son rêve, il gratte des poux d’une rare intensité, il casse du sucre sur le dos de la mélodie et lui sucre bien les fraises, il lui court bien sur l’haricot, c’est un potentat du pot aux roses, il savonne ses pentes, il sucre sa dragée haute, il n’en finit plus d’étinceler comme un sou neuf. Sacré Scott, il ne lâchera jamais sa rampe. 

             En 2015, on se faisait une joie d’aller voir jouer les Dictators au Trabendo, mais le destin qui sait parfois se montrer si cruel en décida autrement, puisque la date prévue faisait quasiment suite au désastre du Bataclan, et le concert fut purement et simplement annulé. Dans le même ordre d’idée, le concert du quarantième anniversaire de Motörhead au Zénith fut lui aussi interdit par les zautorités de la mormoille. Une sorte de chape maudite venait de s’abattre sur Paname. À travers les masses nuageuses d’un soir de novembre, on voyait se dresser dans le ciel la silhouette décharnée de la grande faucheuse. La seule vision de son sourire macabre et du muet claquement de ses haillons donnait déjà la chair de poule, mais l’éclat lugubre de sa lame de faux achevait de nous glacer les sangs.

    Signé : Cazengler, dictatorve

    Dictators. Go Girl Crazy. Epic 1975

    Dictators. Manifest Destiny. Asylum Records 1977

    Dictators. Bloodbrothers. Asylum Records 1978

    Dictators. Fuck ‘Em If They Can’t Take A Joke. ROIR 1981

    Dictators. D.F.F.D. Dictators Multimedia 2001

    Dictators. Viva Dictators. Dictators Multimedia 2005

    Dictators. Everyday Is Saturday. Norton Records 2007

    Scott Kempner. Tenement Angel. Razor & Tie 1992

    Scott Kempner. Saving Grace. 00.02.59 2008

     

     

    L’avenir du rock

     - Et spiritus sanctus, Omen

    (Part Two)

             Lorsqu’il était petit, l’avenir du rock vivait dans un bel immeuble construit en grandes pierres de couleur claire. L’abbé de l’église voisine y faisait du porte-à-porte, exhortant les ménagères en bigoudis à lui confier leurs rejetons pour des cours de catéchisme. Ces cours présentaient deux défauts aggravants : ils se déroulaient d’une part le jeudi-après midi et privaient donc l’avenir du rock de ces escapades dans les terrains vagues dont il était si friand, et d’autre part, la lecture d’épais chapitres de la Bible tuait dans l’œuf toute forme d’attention. Grâce à cette lecture, l’avenir du rock reçut sa première notion d’ennui mortel, ce qui par la suite allait lui rendre bien des services. Le sort des cours de catéchisme fut bientôt réglé et l’avenir du rock fit un retour triomphal dans les terrains vagues. Il continua d’y cultiver une passion naissante pour la trashitude. Mais l’abbé n’en resta pas là. Il devait être payé à la commission par le Vatican, car il revint à la charge et grimpa quatre à quatre les étages du bel immeuble construit en grandes pierres de couleur claire et exhorta de plus belle la ménagère en bigoudis. Cette fois, il abandonna la pédagogie biblique pour miser sur un sujet plus brûlant, l’enfer qui menaçait sa progéniture si elle ne se rendait pas chaque dimanche matin à la messe de dix heures. La situation présentait encore deux défauts aggravants : la messe coupait court à toute velléité de grasse matinée, et d’autre part, il fallait enfiler ces horribles «habits du dimanche» qui faisaient beaucoup rire les passants dans la rue. Cette disgrâce rendit bien service à l’avenir du rock, car c’est là qu’il reçut sa première notion de look. Il comprit clairement qu’il y avait look et look, surtout le look à éviter. Contraint et forcé, il se rendit donc à la messe dominicale. Il s’enfonça sous la voûte de pierre d’une vieille église penchée, trempa la main dans le bénitier et eût toutes les peines du monde à surmonter sa stupéfaction lorsqu’il atteignit la nef. Un spectacle ahurissant l’y attendait. Dressé derrière un autel, un chanoine barbu aux yeux jaunes palabrait dans un dialecte inconnu. Étendue sur l’autel se trouvait une femme nue très poilue, si trash que l’avenir du rock sentit poindre au fond de sa culotte du dimanche une petite érection pré-pubère. Le chanoine Docre célébrait sa messe dans un épais tourbillon de fumées noires, tout son aréopage d’enfants de cœur toussait, et lorsqu’il leva les bras au ciel, l’assemblée brailla comme un seul homme, et spiritus sanctus, Omen !

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             Rien de plus Weird que ce souvenir de messe noire. Weird Omen ! En plein dedans. Sur scène, leur messe atteint une dimension qu’il faut bien qualifier d’huysmansienne. Aussi vrai qu’Huysmans fut en son temps considéré comme l’avenir du genre littéraire, nul doute que Weird Omen incarne celui du rock. C’est une évidence qui crève les yeux.

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             Pourquoi ? Parce que. Parce que power trio sax/poux/beurre, parce qu’accès direct à la modernité sauvage, parce que tu as tout Roland Kirk et tout le Steve MacKay des Stooges de «1970» dans la menace sourde de «1250», parce qu’aussi des relentless relents du «Starship» de Sun Ra pulsé par le MC5 lors d’une nuit d’apocalypse au Grande Ballroom de Detroit en 1969, parce que ces bien belles attaques frontales tiennent la dragée haute à tes principes éculés par tant d’abus, parce que «Shake Shake» te shake l’hip et le cocotier en même temps,

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    parce que le nouveau batteur Dam-o-maD bat le beurre des enfers et chante un «Runaway» qui va te hanter des jours entiers comme une sorte de «Sister Ray» avec sa fin apocalyptique emmenée en mode wild roller coaster par Fred le bien nommé, parce qu’un Sister Ray en fute de cuir noir ne gratte pas de fuzz mais des poux de clairette tout en twistant d’une seule rotule, ce qui contrebalance la folie Méricourt d’un Fred Kirk tentaculaire,

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    parce que «Jungle Stomp» tressauté dans les charbons ardents et roté au Kirking d’assaut frontal, parce que tu ne trouveras jamais tout ça chez les autres, tu trouveras autre chose bien sûr, mais pas ce mic mac de mish mash épouvantablement jouissif, si merveilleusement en plein dans le mille, parce que l’Omen crée une mad frenzy qui dépasse le langage, parce que Sister Ray demande qu’on lui foute la paix avec «Leave Me Alone» et une insistance purement velvetienne,

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    parce que l’insistance est, comme l’hypno du Velvet, la clé du problème, l’accès aux nues, le Graal du sonic trash, parce qu’encore mille raisons, parce qu’il savent atteindre un au-delà des genres connus, parce qu’ils poussent grand-mère gaga-punk dans les orties, parce qu’ils sortent du rang et qu’on a toujours adoré voir des gens sortir du rang, parce qu’ils écrasent les clichés gaga au fond du cendrier, parce qu’ils ne respectent rien excepté le lard fumant, parce qu’ils sont incapables de tourner en rond, parce qu’ils prennent la suite des Stooges et du Velvet sans jamais les imiter, parce qu’ils voient le son comme une transe et rien d’autre, parce qu’il savent l’apprêter pour mieux l’imploser, parce qu’ils créent leur monde et c’est un monde où tu te sens en sécurité, parce que tu respires un air brûlant.

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             Leur dernier album sans titre est un festin pantagruélique de son, bim badaboum dès le «Lost Again» d’ouverture de balda, classic Omen, superbe développement, ils s’auto-montent en neige à grosses giclées de relentless. Ils visent clairement l’apocalypse.

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    On assiste ensuite à un curieux phénomène : «No Brainer» prend feu et le chant l’éteint provisoirement. Nous ne sommes pas au bout de nos surprises car voilà le brûlant «Shake Shake», une stoogerie intense jouée au fond de la chaudière. L’Omen ne fait rien comme les autres. Globalement, ils excellent en matière de tenue de route et de vents brûlants. Tout est monté sur le même tempo de relentless absolu, et en visant l’apocalypse, ils se propulsent tous les trois vers l’avenir. Le rock de l’Omen brûle comme un feu sacré, terriblement stoogy dans l’âme. On retrouve en B ce beat rebondi et la propulsion nucléaire dès «Frustration». Ils caressent l’absolu du doom avec «IXO» et le saxent jusqu’à l’oss de l’ass. Tous leurs départs sonnent comme des appels à l’émeute. Ils ne s’en lassent pas, et nous non plus. Ils terminent avec «Leave Me Alone», un heavy groove de baryton à tonton et ça gratte des poux à la pelle, ça ramène du punch à la tonne, l’Omen ne baisse jamais les bras et ça part en raw gut from the undergut.

    Signé : Cazengler, Weird hymen

    Weird Omen. Le Petit Bain. Paris XIIIe. 27 février 2024

    Weird Omen. Weird Omen. Get Hip Recordings 2023

     

     

    Wizards & True Stars

    - Dylan en dit long

    (Part Six)

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             Bob Dylan et Martin Scorsese sont maintenant des vieux crabes. Scorsese a 80 balais et Dylan 81. Mais ce sont eux qui créent l’événement avec la parution en 2019 de Rolling Thunder Revue: A Bob Dylan Story. Pour eux, créer l’événement n’a rien de nouveau : ils ont fait ça toute leur vie. Il n’existe pas beaucoup de gens qui pourraient prétendre en faire autant. Scorsese n’en finit plus de dire qu’avant d’être le réalisateur de génie que l’on sait, il est avant toute chose fan de rock. L’énergie de ses films, y compris ceux consacrés à la mafia new-yorkaise, vient du rock. Bon, ça lui arrive de se vautrer, par exemple avec The Last Waltz ou Shine A Light, mais personne d’autre à part lui n’aurait osé balancer l’«I Ain’t Superstitious» du Jeff Beck Group dans Casino ou «Jumping Jack Flash» et les Ronettes dans Mean Streets.

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             Le team Dylan/Scorsese n’en est pas à son coup d’essai. No Direction Home: Bob Dylan est un classique du cinéma rock. Dylan y raconte ses débuts à Greenwich Village. Avec Rolling Thunder Revue: A Bob Dylan Story, Scorsese tape dans une autre époque, 1975, date de la fameuse tournée, et il restaure pour les besoins de son film celui qu’a tourné à l’époque un certain Stefan Van Dorp. Scorsese l’interviewe dans le film. Comme tout le monde, Van Dorp a pris un sacré coup de vieux, et il a son franc parler. Il n’est pas forcément aimable. Mais on s’en fout, on n’est pas là pour les amabilités. On est là pour Dylan qui, à l’âge de 34 ans, a déjà tout vu, tout lu, tout vécu, mais il lui faut encore inventer, comme il le dit si bien, face à la caméra de Scorsese, en 2005 : «Life is about creating yourself. And creating things.» Dylan est sans doute la plus pure incarnation de cette vérité. Alors pour continuer d’avancer, il a l’idée d’une Revue, The Rolling Thunder Review, Allen Ginsberg parle d’un «medecine show of old». Dylan voit plus «a kind of jugband». Pouf, il rassemble des musiciens pour monter une tournée informelle qui bien sûr sera déficitaire, trop de monde dans les deux bus pour des petites salles, mais Dylan y croit, il va même jusqu’à se transformer physiquement : il se farde de visage de blanc, comme un personnage de la Comedia Dell’Arte et se coiffe d’un chapeau fleuri. Dans le fard, Scorsese voit plus le Baptiste des Enfants Du Paradis, dont il incruste une scène dans le film, la scène où Baptiste debout devant un miroir en pied barre d’une croix blanche son reflet. Scorsese sait cuisiner les mythes.

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             Dylan conduit l’un des deux bus. Il part à la découverte de l’Amérique insolite, on the road with non pas the Memphis Blues Again, mais with the Rolling Thunder Review. Et le Thunder qu’il transporte avec lui porte un nom : Mick Ronson. Dylan a chopé le thunder de Ziggy Stardust et sur scène, Ronno fait des étincelles. Tous les plans scéniques sont extraordinaires, à commencer par une version explosive d’«Isis» - Isis/ Oh Isis/ You’re a mystical child/ What drives me to you is what drives me insane - On retrouve le hellraiser, le Dylan punk d’Highway 61, croisé avec le grand glamster d’Angleterre - I still can remember the way that you smiled/ On the fifth day of May in the drizzlin’ rain - Alors bien sûr, ce n’est pas un hasard si «Isis» se retrouve dans la première partie du film. Le thème du film, c’est l’énergie. C’est tout ce qui intéresse Dylan. Quand quarante ans plus tard, Scorsese lui demande ce qu’il retient de cette tournée, Dylan qui vieillit magnifiquement bien lui répond qu’il ne sait pas - What all that Rolling Thunder is all about ? I don’t have a clue - Alors Scorsese lui demande comment ça tient, et Dylan lui répond : «Energy». Scorsese ajoute : «Isis, this is the power. This is how it works.»

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             Sur scène, Dylan a du monde : Roger McGuinn qu’on voit vers la fin, Joan Baez qui vient duetter, une violoniste, Scarlet Riviera, on voit aussi des plans magiques de Ramblin’ Jack Elliott qui, pour Dylan, est plus un sailor qu’un singer. Sam Shepard fait aussi partie de l’aventure, en tant qu’observateur, Dylan dit qu’il a «a special clue of the underground». Le groupe fait une version assez demented d’«It Takes A Lot To Laugh It Takes A Train To Cry». Dylan tape aussi une version fleuve d’«Hard Rain’s Gonna Fall», rien n’a changé depuis l’âge d’or de ces chansons, on voit Dylan extrêmement concentré et en même temps très expressif, le fard blanc et le khôl autour des yeux n’y changent rien. Entre deux plans de Van Dorp, Dylan brosse pour Scorsese des petits portraits de ses invités, tiens comme Ronnie Hawkins, ou encore Allen Ginsberg - Il avait déjà obtenu du succès en tant que poète - Dylan précise pour ceux qui ne le savent pas que devenir poète à succès n’est pas évident, surtout à notre époque - Dylan continue avec Ginsberg - «He said : «The best minds of my generation destroyed by madness.» Very few poets have done that. Robert Frost, maybe : «But I have promises to keep/ And miles to go before I sleep.» And Whitman said : «I’m large. I contain multitudes.» - Dylan aurait aussi pu nous aussi sortir le fameux «Rage rage against the dying of the light» de Dylan Thomas, d’où vient d’ailleurs son nom. Mais il n’a peut-être pas osé. Ou trouvé ça trop facile. Il ajoute dans la foulée que les temps ont bien changé, the times they are a changin’ - Les poètes d’aujourd’hui don’t reach into the public counciousness that way. Aujourd’hui, les gens se rappellent de paroles de chansons, «Your cheatin’ heart will make me weep.» - Et il cite encore deux ou trois exemples. Scorsese filme Dylan et Ginsberg sur la tombe de Jack Kerouac. Dylan : «On The Road... He was talking about the road of life.» Il rend plus loin un hommage suprême à Joan Baez : «Joan Baez could sing anything. By a matter of fact I could hear her voice while sleeping.»

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             Et puis on assiste à une autre scène magique : «The Lonesome Death Of Hattie Carroll» sur scène. Joan Baez lui dit que c’est sa plus belle chanson. Dylan est en colère quand il la chante. Hattie Carroll est une servante black battue à mort par un blanc qui ne fut condamné qu’à six mois de ballon, alors ça fout Dylan en rogne. Et puis tiens, encore une autre scène magique et là tu serres la pince de Scorsese car tous les artistes qu’il nous montre sont des artistes exceptionnels : Joni Mitchell, accompagnée par Dylan et McGuinn dans une version de «Coyote» - No regrets, coyote/ We just come from such different sets of circumstance - Elle attaque au jazz vocal pur et c’est envoûtant. Dylan reste impassible. Il gratte avec elle, et derrière McGuinn gratte lui aussi comme un con. Van Dorp fait même un gros plan sur les ongles sales de Joni Mitchell. 

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             Et puis l’an passé, Dylan publiait son deuxième book, The Philosophy Of Modern Song. Un book attendu comme le messie. Ah la gueule du messie ! Premier gros défaut : le book paraît au moment des fêtes de Noël. Dylan gros cadeau tombé au beau milieu des agapes de foie gras et d’huîtres de la beaufitude ? Magnifique mauvais plan. La pire des associations. Dylan objet de consommation. En proie à une forme extrême de dégoût, on attendra six mois pour rapatrier l’objet et chasser les odeurs. Deuxième gros défaut : il n’y a rien de Modern dans ta Philosophy, Horatio Dylan. On va dire pourquoi.

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             Dommage, car le book se présente comme un bon régal. Format quasi-carré, pagination bien dodue de 300 pages, un ensemble graphiquement parfait, doté d’une iconographie tellement riche qu’elle donne un peu le vertige, surtout quand on est du métier. Le graphiste a soigné toutes ses doubles, il obtient de chaque image le rendement maximum, et traite les pages de texte à l’ancienne, avec des éléments décoratifs typo classiques qui rappellent ceux qu’on utilisait autrefois dans le Rolling Stone américain, qui était alors un modèle du genre. Les graphistes américains avaient compris que rock et typo faisaient bon ménage. Le designer du Dylan book s’appelle Coco Shinomiya, par contre, les images ne sont pas légendées. Coco obtient de certaines images un rendement extraordinaire (Roy Orbison, Little Walter, par exemple) et fait glisser le Dylan book dans la cour des grands, celle des livres d’art. Il utilise en plus un couché mat qui n’est pas très propice aux effets puisqu’il les apaise, ce qui rend la performance d’autant plus fulgurante. Et cette fois, le book n’est pas imprimé en Chine mais à Glasgow. 

             Un book, c’est comme un disk : ça s’examine, contenu comme contenant. On passait jadis du temps sur les pochettes d’albums à en extirper le moindre détail, comme on passe encore du temps aujourd’hui à estimer le grammage d’un bouffant ou à identifier la fonte d’un corps de texte. Les différences entre un Garamond et un Times sont infimes, mais en même temps déterminantes, puisque le Times fut dessiné pour la presse et le Garamond pour l’édition classique. Gallimard n’utilise que du Garamond. Pour le Dylan book, Coco Machin utilise aussi le Garamond. C’est une fonte qui joue avec ton œil. Même une petite édition de poche Folio, ça s’examine, car tu as un graphiste qui a fait des choix typo et d’illustration de couve pour rendre ta lecture agréable, il veille à ce que la qualité du contenant soit à la hauteur de celle du contenu.

             Trêve de balivernes. Bon tu baves en attaquant la lecture du Dylan book et très vite, tu commences à renâcler. Dylan travaille une notion de la modernité qui est la sienne, et peut-être pas la tienne. Il plante son décor dans des temps très anciens, et conçoit la modernité comme le principe novateur qui a permis de décoincer l’Amérique des années 50. Pour illustrer son concept, il choisit tous les vieux imparables, Hank Williams, Little Richard, Little Walter, Dion, Jimmy Reed et d’autres, complètement inconnus et qui ne peuvent plus intéresser les gens d’aujourd’hui. Dylan fait de l’histoire, ce que Kim Fowley appelait l’archéologie du rock, alors c’est foutu, car ça ne peut plus intéresser les kids. Dylan est un vieux bonhomme, il ne voit même plus l’avenir du rock. Il s’appuie sur ses valeurs sûres. C’est toute la différence avec Gildas, qui au seuil de la mort, clamait haut et fort qu’il y aurait encore des groupes avec des guitares, et il citait des noms. Pas de problème, il avait tout compris : place aux jeunes. Chez Dylan, c’est plutôt place aux squelettes. Même pas envie d’aller écouter les trucs dont il vante laborieusement les mérites. Il précède quasiment chaque texte d’un délire qui n’accroche jamais, et on se demande ce que ça a pu donner en français : c’est déjà imbuvable dans la forme originelle, alors on imagine ce que ça donne, une fois passé par les fourches caudines de la traduction, qu’on appelle aussi ici les abattoirs. Chlack, allez hop, ch’t’en débite une épaule, ch’t’en taille une cuisse, t’es payé à la carcasse, alors tu débites. Enfin bref, Dylan a pris un coup de vieux, il s’enfonce dans les ténèbres, comme tous les érudits, une fois passé le cap des 80 balais. Dans la cervelle, ça fait flic floc, et c’est normal. The Philosophy Of Modern Song se situe aux antipodes de Chronicles, un chef-d’œuvre lu et relu, ce qui rend la déception d’autant plus criante.

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             On attendait de Dylan qu’il nous parle des gens, et non pas de ce qu’il ressent en écoutant leurs disks. Bon, on ne va pas trop charger la barcasse, car le vieux Bob a encore des éclairs de génie, surtout quand il rend hommage à Hank Williams. Il se permet un petit aparté sur les temps modernes : «C’est le problème avec un tas de truc aujourd’hui : maintenant tout est engorgé, on est tous gavés comme des oies. Toutes les chansons n’ont qu’un seul thème, il n’y a plus de nuance ou de mystère. Alors les chansons ne font plus rêver les gens, les rêves suffoquent dans cet environnement privé d’air.» Bien vu, Bob. Discours de vieux, mais bien senti. Il poursuit sur sa lancée. Attention, poussez-vous, le voilà qui arrive : «Et ce ne sont pas seulement les chansons - les films, les émissions de télé, même les fringues et la bouffe, tout est soigneusement marketé. Sur chaque ligne du menu, tu as douze adjectifs, chacun d’eux étudié pour taper dans le mille de ton sociopolitical-humanitarian-snobby-foodie consumer spot.» Il pique une méchante crise et il a raison, car c’est exactement ce qui se passe. On nous gave comme des oies en permanence, dès qu’on est «connecté». Big Brother is watching you. Et le vieux Bob repart sur l’Hank : «There’s really nobody that comes close to Hank Williams.» Le problème c’est qu’on le savait déjà. Mais dit par Dylan, c’est mieux - Si vous songez aux standards qu’il a enregistrés, et il n’y en a pas des tonnes, he made them his own - Il sait dire pourquoi l’Hank a du génie : «La simplicité de cette chanson (Your Cheatin’ Heart) est la clé. Mais c’est aussi la force tranquille d’un chanteur comme Hank. La chanson semble lente parce qu’Hank ne laisse pas l’orchestre le dominer. La tension qui existe entre le near-polka rhythm et la tristesse dans la voix d’Hank mène le bal.» Il profite du passage à l’Hank pour rendre hommage à Willie Nelson, «le seul qui pourrait être vu dans le voisinage d’Hank.»

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             Son hommage à Little Walter vaut aussi le déplacement : «Il est aussi connu comme étant l’«electric blues harmonica originator, the master craftman and the prime mover.» Le vieux Bob ajoute que Little Walter s’appropriait les idées des autres pour en faire les siennes, et il cite l’exemple de «My Babe» qui existe depuis longtemps sous la forme du gospel song «This Train» - Walter a changé les paroles and made a classic performance out of it - Le vieux Bob retrouve sa grandeur d’antan en développant : «‘Key To The Highway’ est un update d’une chanson de Big Bill Broonzy. The key to the highway is a key to the cosmos, et la chanson entre et sort de ce royaume. La clé est celle qui permet de sortir de la ville. Elle devient de plus en plus petite dans le rétroviseur, une cité que vous êtes content de quitter à jamais. Quand Walter chante ‘I’m going back to the border where I’m better known’, il y croit dur comme fer. Il en a assez de Michigan Avenue et de Lakeshore Drive et de the Sears Tower. Little Walter ne se faisait pas appeler the back Door Man et il ne s’intéressait pas aux gamines de 19 ans. De tous les artistes signés sur Chess, il a dû être le seul qui ait eu véritablement de la substance. He could make anybody sound great. Il était évident qu’il n’allait pas vivre vieux.» Et là, on retrouve le Dylan génial du Theme Time Radio Hour, lorsqu’il brossait les portraits tragiques des géants du blues et du rock.

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             Il revient aussi sur le «Feel So Good» de Sonny Burgess pour donner l’une de ces leçons de culture rock dont il a le secret : «C’est un disque extrême, plus black que black, plus white que white. Il n’existait pas de nom pour ça dans les fifties, aussi personne ne savait comme vendre ces trucs-là, jusqu’au moment où le disc jockey de Cleveland Alan Freed inventa le terme ‘rock and roll’, inspiré d’une poignée d‘earlier risqué records’. Black and white country boogie and rhythm and blues, des deux côtés de la barrière, utilisant le même terme en forme d’euphémisme à peine voilé pour la copulation. Inutile de dire qu’avec ce terme, la vente de cette musique en fut grandement facilitée.» Puis le vieux Bob fait entrer les drogues dans le rock and roll, il évoque les drogues légales qui ne répondaient plus à la demande - Si tu te demandes comment une nation peut s’écrouler, regarde les dealers. Drug dealers in every city with bull’s-eyes on their backs, daring anybody to shoot them - On perd le Sonny et il y revient heureusement à la page suivante - Savoir si Sonny Burgess a lui-même composé «Feel So Good», ou si Sam Phillips a recyclé un cut de Little Junior Parker, comme il l’avait fait pour Elvis avec «Mystery Train», c’est un point de détail qui a disparu dans les sables du temps (lost to the sands of time). Sonny Burgess avait derrière lui a sweaty, sinewy band qui jouait derrière un grillage de poulailler soir après soir dans une série d’off-the-highway bucket-of-blood joints - Et il ajoute, magnanime : «This is the sound that made America great.» Il dit ça, car ailleurs il explique pourquoi l’America n’est plus great du tout. Mais alors plus du tout. C’est peut-être ici qu’il refonde sa notion de modernité : quand tous ces artistes dont il parle ont émergé, ils ont déniaisé ce pays peuplé de blancs cupides et racistes. Le rock’n’roll et le blues étaient alors d’une effarante modernité, celle qui allait révolutionner le monde et les vies des gens de notre génération. En avançant dans la lecture du Dylan book, la lumière se fait.

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             Fantastique portrait de Jimmy Reed avec sa guitare blanche et son gros costard. Big Boss Man ! «Jimmy Reed, the essence of electric simplicity.» Au-dessus de cette phrase, Coco Machin met l’image de Don Corleone. Le vieux Bob tire l’overdrive : «Tu peux jouer des centaines de variations du twelve-bar blues et Jimmy Reed devait toutes les connaître. Aucune de ses chansons ne touchait le sol. Elles bougent en permanence. Il était le plus country des blues artists des fifties. Il était habile et laid-back. Pas de béton des villes sous les pieds. He’s all country.» Et il ajoute plus loin : «No Chicago blues, rien de sophistiqué, léger comme une plume, il vole dans l’air et roule sur le sol. Dans le rock ans roll, le roll appartient à Jimmy Reed.» Et pour dire encore à quel point Jimmy Reed est un cas unique, le vieux Bob ajoute : «Aussi grand qu’il soit, Little Walter serait complètement déplacé sur un disk de Jimmy Reed. Pareil pour Jimi Hendrix. Et ce serait encore plus dur pour Keith Richards d’y trouver un truc à faire.» 

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             On se doutait bien que Bob allait saluer Dion. Il résume son parcours en une belle formule et rappelle qu’il a enregistré ces derniers temps un album the blues, «réalisant un de ses plus vieux rêves en devenant some kind of elder legend, a bluesman from another delta.» Comme tous les fans de Dion, le vieux Bob est frappé par la qualité de sa voix, «a breathtaking bit of vocal harmony» - et quand la voix de Dion éclate dans le pont, elle capture un moment de shimmering persistence of memory avec un éclat tel que les mots ne sont plus d’aucun secours - Et c’est là où le vieux Bob enquille son registre philosophique avec un brio purement dylanesque : «La musique s’inscrit dans le temps, mais elle est aussi intemporelle. On en fait des souvenirs, mais elle incarne aussi la mémoire. Quelle que soit la façon dont on la voit, la musique se construit dans le temps comme une sculpture se construit dans l’espace. Lorsqu’on vit avec elle, la musique transcende le temps, de la même façon que la réincarnation transcende la vie, en la vivant encore et encore.» La résonance de ces cinq lignes est d’autant plus énorme que ce sont les dernières lignes d’un book qu’on aurait voulu plus explosif, plus définitif. On s’est tout bêtement gouré de modernité. Celle du vieux Bob est bien plus fine que la nôtre. On s’est bien mis le doigt dans l’œil. Pendant toute sa vie, le vieux Bob t’a un peu forcé à réfléchir. Tu n’allais pas jerker sur ses chansons, tu tendais l’oreille pour essayer d’entendre le message. Et ce book tellement détesté au premier abord finit par s’imposer à son tour. Interroge-toi sur la notion de modernité. Mieux que ça : questionne tes propres notions. Le vieux Bob t’enseigne un truc de plus : tu découvres que tes notions sont figées, et le plus souvent ringardes. T’es plus dans l’coup papa, t’es plus dans l’coup, comme le chantait si gaiement Richard Anthony. Ce n’est pas le vieux Bob qui est largué, c’est toi. Mais au moins, tu secoues ton cocotier.

             Alors tu y reviens. Tu vas piocher dans John Trudell et boom, tu tombes en plein dans la dimension tragique du vieux Bob - Dans un square de Mankato, Minnesota, on peut voir une plaque commémorative indiquant que 40 Santee Dakota Indians ont été pendus dans les années 1870 - Le vieux Bob sort cette histoire pour rappeler que John Trudell est un Santee Dakota Indian. Attends, c’est pas fini - À la fin des années soixante-dix, John a conduit un cortège de tribus indiennes sur les marches du Capitole. Le lendemain, la caravane dans laquelle il vivait on the Duck Valley Reservation du Nebraska a été incendiée. On avait mis un cadenas sur la porte. La femme de John qui était enceinte, ses trois enfants et sa belle-mère ont brûlé vifs. Ceux qui ont foutu le feu n’ont jamais été inquiétés. Ça vous donne une idée du gouffre dans lequel John allait puiser pour écrire ses chansons - Le vieux Bob conseille de creuser un peu sur John Trudell - Il le mérite. Et quand tu l’as fait, creuse dans sa musique. L’idéal est de commencer avec AKA Grafitti Man, rempli de direct performances de John accompagné par son Oklahoma Soul brother Jesse Ed Davis.

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             AKA Grafitti Man est un album de rock classique américain, magnifique de power sourd. Quand on écoute «Rockin’ The Res», on comprend que le vieux Bob ait craqué. John Trudell chante sous le boisseau, à l’intestine, comme un Lanegan apache. Il s’y connaît en termes de «Restless Situation». Sacré veux Bob, quand il évoque le Trud, il sait de quoi il parle. Jesse Ed Davis joue à l’indienne sur «Baby Boom Ché». Comme le Trud fait autorité, ses cuts s’imposent invariablement. Avec «Bombs Over Baghdad», le Trud te prévient du danger. Mais c’est avec «Rich Man’s War» qu’il rafle la mise. Fantastique heavy boogie blues déclamatoire ! Il entre en littérature. On le voit à la suite chanter «Somebody’s Kid» avec une réelle profondeur de champ. Il est très à l’aise dans tous les domaines, y compris le heavy blues de «Never Never Blues». Dans «Beauty In A Fade», il croise l’indien avec le blues et y tartine un talk-over de telling story man. Édifiant !

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             Bob recommande aussi Bone Days. L’album est un peu plus indien, le Trud fait chanter un Grand Sachem dès «Crazy Horse» - We hear what you say - Même combat que celui de Buffy Sainte-Marie - One earth/ One mother - Chanson politique, plaidoyer pour un retour aux valeurs indiennes - We are the savage generation - Il a raison, le Trud, the people lose their minds. Il ramène encore de l’indien dans le morceau titre, avec en plus des percus, c’est fin et terriblement indien, le Trud est fabuleux de prescience, il partage son boisseau avec toi et fait chanter un Grand Sachem. Sinon, il reprend son bâton de pèlerin d’US rocker mais il reste en permanence tenté par les chants indiens sur des mid-tempos. Il chante son «Undercurrent» avec la voix d’un homme épuisé par la vie et les injustices, et une petite gonzesse vient duetter avec lui. Il emmène le dirty boogie de «Carry The Stone» sur le sentier de la guerre, il joue gras et ramène son Grand Sachem dans le gras du bide, avec des vieux relents de Stonesy. Il attaque encore son «Lucky Motel» au chant indien, avec en plus un sitar. Quel mic mac ! Il a cette manie géniale de chanter dans le groove, en mode story-telling. Et le Grand Sachem revient une dernière fois hanter «Doesn’t Hurt Anymore».

             Pour conclure sur John Trudell, Bob se fend d’un petit paragraphe éclairant : «Si l’on y réfléchit bien, la seule chose qu’on a tous en commun, c’est la souffrance, et seulement la souffrance. On vit tous des deuils, qu’on soit riche ou pauvre. Il ne s’agit plus des biens ni des privilèges, il s’agit de l’âme et du cœur, mais il y a des gens qui n’ont ni âme ni cœur. Ils n’ont pas de repère sur le bord du fleuve, pour leur indiquer la vitesse à laquelle ils avancent et vers quoi ils se dirigent. Et l’aspect le plus triste de cette histoire, c’est qu’ils n’iront jamais écouter John Trudell.»

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             Bob n’est au fond pas si vieux que ça. Dans son hommage à Warren Zevon, il salue Ry Cooder, car c’est Ry qu’on entend sur «Dirty Life And Times» - Ry Cooder is a man with a mission. Il n’existait pas de carte quand il cherchait la connexion between Blind Lemon Jefferson and Blind Alfred Reed, the place where conjunto met the gutbucket blues, où même un béquillard peut faire le duck walk. Ry lived and breathed it, apprenant au pied des maîtres et transportant le savoir comme des graines de région en région. Il a amélioré chaque disk sur lequel il a joué et beaucoup de ceux sur lesquels il n’a pas joué - En lisant ces quelques lignes, Ry Cooder a dû être drôlement ému. Bob rend aussi un hommage extraordinaire au Dead, un groupe qu’on ne peut comprendre que si on est américain : «Puis il y a Bob Weir. Un rythmique pas du tout orthodoxe. Il a son propre style, pas si différent de celui de Joni Mitchell, mais dans un autre genre. Il joue d’étranges accords augmentés et des demi-accords à des intervalles imprévisibles qui s’accordent bien avec le jeu de Jerry Garcia, qui joue comme Charlie Christian et Doc Watson en même temps.» Bob situe les concerts du Dead «in Pirate Alley on the Barbary Coast, right there by the San Francisco Bay.»

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             Il s’entiche aussi des Fugs rappelant, et il n’a pas tort, qu’acheter les albums des Fugs «c’était comme d’acheter ceux de Sun Ra» : «You had no idea what you would get.» Certains albums nous dit Bob sonnaient bien, «avec des gens qui démarraient et qui s’arrêtaient en même temps», et sur un autre album, on aurait dit qu’ils étaient enregistrés «avec une boîte de tomates en conserve accrochée au bout d’un manche à balai.» Il ajoute que les liners étaient parfois en Esperanto, te mettant au défi d’y comprendre quoi que ce soit. Bob salue leur «CIA Man» - live and slick and weird and primitive - Il rappelle dans la foulée que les Fugs tirent leur nom du roman de Norman Mailer, The Naked And The Dead, paru en 1948. La censure obligea Mailer à remplacer le mot Fuck par Fug, et les Fugs viennent de là. Bob se marre car les Fugs voulaient s’appeler les Fucks, mais ils ont opté comme Mailer pour la voie de la raison.

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             L’écrivain Bob profite d’un hommage au «Poison Love» de Johnnie And Jack pour deviser sur l’amour : «‘Poison Love’ is illicit love. Contrairement à ce que pense la plupart des gens, payer pour le sexe, c’est la meilleure affaire qu’on puisse faire. Les relations complexes coûtent beaucoup plus cher. Il vaut mieux aller chez les putes, ce n’est pas l’amour parfait, mais il y a beaucoup moins de problèmes. Vous n’irez pas chanter ‘poison love’. En payant pour baiser, vous avez ce que vous cherchez (si vous avez de la chance) et vous repartez indemne. Rien ne vous atteindra. Comme ils disent an Australie, pas de soucis. Poison love, c’est ce qu’il y a de pire. Ça peut vous tuer. Des tas de gens ne peuvent pas vivre sans une dose quotidienne de poison love.»

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             Petit hommage à Sam Phillips via le «Take Me From The Garden Of Evil» de Jimmy Wages. Bob ne sait pas qui joue de la guitare, c’est peut-être Luther Perkins - This is a Sam Phillips record. Raw and fearless as anything Sam ever recorded - Et plus loin, Bob dit que «Take Me From The Garden Of Evil» «might be the first and only gospel rockabilly record. This is evil as the dictator, evil ruling the land, call it what you will. Jimmy sees the world for what it is. This is no peace in the valley.» Quand Bob s’enflamme, le book prend feu. Il n’existe de Jimmy Wages rien de plus qu’une poignée de singles, un sur Sun et deux sur Norton. Merci Bob !

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              Dans un hommage à Webb Pierce, il brosse un sacré portait de Nudie : «Puis Nuta devint Nudie et quitta New York pour s’installer à Hollywood, où il fabriqua des costumes de danseuses sertis de pierreries de pacotille, puis tailla pour les hillbilly stars des costards de lumière qui électrifièrent les fans de Nashville à Bakersfield. Il broda des wagons sur Porter Wagoner et des toiles d’araignées sur Webb Pierce. Il couvrit Hank Williams de notes de musique et Elvis Presley de lamé or.» Et voilà qu’arrive Gram Parsons - Vous n’imaginez pas à quel point Nudie fut ravi de voir arriver Gram Parson, stoned au cannabis et rigolard, le représentant d’une génération qui croyait avoir inventé l’usage des drogues. Gram commanda un Nudie suit à thème. Des gens qui se situaient à la droite d’«Okie from Muskogee» furent surpris que Nudie accepte de faire ce costard, mais il avait un côté pratique, et comme ses dollars étaient aussi verts que son cannabis, Gram eut son costard. Bob the story-teller a encore frappé. 

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             L’hommage à Ricky Nelson est particulièrement balèze - Rick was part of a generation that had Buddy Holly, Little Richard, Chuck Berry, Gene Vincent, Fats Domino, and others, that made people from all nations, including commie countries, fall in love with America - Et le plus impressionnant de tous les portraits est sans doute celui qu’il fait de Townes Van Zandt, un Texan maniaco-dépressif soigné à l’insuline et aux électrochocs - Les traitements ont détruit une partie de sa mémoire, ce qui donne certainement à ses chansons such a skeletal detached feel - Alors Bob fonce dans la nuit : « Les rêves d’Elvis Presley furent remplacés par une passion pour les chansons plus tristes d’Hank Williams. Il erra et il but. Le Texas grouillait de musiciens qu’il fallait voir. Guy Clark, Gatemouth Brown, Jerry Jeff Walker, Butch Hancock, Doc Watson, Lightnin’ Hopkins, Mickey Newbury, et Willie Nelson. Newbury l’amena à Nashville, où il le présenta à Cowboy Jack Clement, un homme qui connaissait les comportements extrêmes, puisqu’il avait produit Jerry Lee Lewis. C’est ainsi que débuta un prolifique, tumultueux et finalement désastreux chapitre dans le vie de Townes, qui s’acheva dans des procédures, des accusations et des bandes effacées. L’un des moyens de mesurer la grandeur d’un compositeur est de voir qui sont ses interprètes. Townes has some of the best - Neil Young, John Prine, Norah Jones, Gillian Welch, Robert Plant, Garth Brooks, Emmylou Harris, and hundreds of others.» Et bien sûr, comme tous les ouvrages en forme de galerie de portraits, celui-ci gagne à être lu et relu. 

    Signé : Cazengler, Bob Divan

    Bob Dylan. The Philosophy Of Modern Song. Simon & Schuster 2022

    Martin Scorsese. Rolling Thunder Review: A Bob Dylan Story. DVD

    John Trudell. AKA Grafitti Man. Rykodisc 1986

    John Trudell. Bone Days. Deamon Records 2001

     

     

    Inside the goldmine

     - Antrell du désir

             Pas facile de savoir ce que Nave avait au fond de crâne. Ceux qui le connaissaient un peu cédaient à la facilité en disant de lui qu’il battait le nave. Jolie manière de dire qu’ils ne savaient rien de celui qui ne savait rien, ou qui ne voulait rien savoir. Il n’existe pas de rôle plus difficile à jouer au quotidien. Ne rien vouloir savoir ni entendre et conserver en même temps un semblant de sociabilité ? Essayez et vous verrez bien. La réserve est le plus souvent une disposition naturelle. Quand on l’observe chez quelqu’un, on l’apprécie. On l’interprète même comme une forme d’intelligence. Elle nous repose du caractère extraverti des commères du village, qui sont le plus souvent des gens assommants et d’une bêtise hallucinante. C’est l’une des raisons pour lesquelles on recherchait la compagnie de Nave, il nous reposait du chaos environnant, même s’il restait une sorte de soupçon quant à l’automatisme psychique de sa réserve. Non seulement il ne voulait rien savoir mais le moindre début d’aveu le mettait mal à l’aise. Il s’empressait d’écourter, disant qu’il ne voulait pas entendre la suite, surtout si l’aveu se faisait sous le sceau du secret.

             — Mais Nave, tu as peur de quoi ?

             — Si je tombe dans les pattes de la Gestapo, je ne dirai rien, puisque je ne sais rien. Tu comprends ?

             — Mais Nave, si tu tombes dans leurs pattes, pauvre imbécile, tu vas quand même mourir...

             — Oui, je sais bien, mais au moins je vais mourir héroïquement, pas comme une balance.

             — Et si tu tombes dans les pattes du KGB ?

             — Je subirai l’épreuve du sérum de vérité et là, ils verront bien que je ne sais rien. Donc je ne risque rien.

             — Tu as tout prévu...

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             Pendant que Nave bat le nave, Dave bave. Dave rêve d’un avenir de popstar. Comme des millions de kids à travers le monde, en 1970. C’est sur une compile Garpax qu’on a découvert l’existence de Dave Antrell. Quand on le voit en gros plan sur la pochette de son unique album solo, il n’est pas jojo, avec sa petite moustache et son bouc miteux, mais on change d’avis quand on l’entend chanter «Lost A Dream».

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    Avec ses faux accents de Donovan, il aurait pu devenir énorme. En tous les cas, «Lost A Dream» sonne comme un hit obscur. On se régale aussi du beau climat de Beatlemania qui y règne. Ce cut catchy est en deux parties. Curieusement, les deux cuts figurant sur la compile Happy Lovin’ Time (Sunshine Pop From The Garpax Vaults) n’apparaissent pas sur l’album. Le «Straight From A Rainbow» qui ouvre le balda aurait pu lui aussi devenir un hit, car voilà de l’excellente pop californienne. On se croirait chez les Monkees. Tout le gratin du Gold Star est derrière lui : Hal Blaine (beurre), Carol Kaye et Joe Osborne (bass), Al Casey (guitar), avec en plus tous les cuivres et tous les violons dont peut rêver une popstar en devenir. C’est très upbeat, très enjoué. Beaucoup d’allure. Encore un album et un artiste qu’il faut arracher à l’oubli. Il repart à l’assaut des charts avec «Midnight Sunshine», une pop énergétique. Antrell du désir se donne les moyens, mais il restera inconnu au bataillon. Forcément, son album est sorti sur un label obscur : Amaret. Et puis au fil des cuts, on se heurte aux aléas du monde pop : parfois c’est bon, parfois ça ne l’est pas. Mais avec Antrell du désir, c’est toujours bien foutu. Il devient plus ambitieux en B avec «The Clock Strikes Twelve». Franchement, il navigue au même niveau que Jimmy Webb. Il va chercher des subtilités dans les harmonies vocales et veille à ce que tout soit judicieusement orchestré. Rappelons qu’il compose tous ses cuts. Encore de la belle pop d’élan vital avec «Children Of The Sun». Ce n’est pas celui des Misundestood. Antrell du désir s’élance du haut de la falaise pour bondir dans l’azur immaculé. C’est un vrai jaillisseur, digne de Wim Wenders. Il sait parfaitement bien jouer la carte de l’élévation, comme le montre encore «Sunser», mais il n’y a rien de révolutionnaire chez lui, juste de la grande ampleur. Il termine ce bel album avec «I’m Taking No Chances», très upbeat, straight to my nerves, il est bien décidé à jerker sa pop, il le fait avec l’exigence d’un grand compositeur. Dommage qu’il en soit resté là. Il aurait dû persévérer, même s’il n’a pas une tête de popstar.

    Signé : Cazengler, Dave Entrave (que dalle)

    Dave Antrell. Dave Antrell. Amaret 1970

     

    Wilson les cloches

    - Part Two

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             Pour bien prendre la mesure du génie sonique de Jim Wilson, il est essentiel d’aller fureter dans la ribambelle d’albums qu’il a enregistrés avec Mother Superior, puis avec Henry Rollins. On parle ici d’une œuvre, qu’il faut ramener au niveau des celles de Wayne Kramer/MC5 et des Pixies. Pendant dix ans, Jim Wilson fit des étincelles en mode power trio avec Mother Superior, puis en l’an 2000, il accepta d’entrer au service du capitaine de flibuste Henry Rollins : grand bien lui fit, car après nous avoir cassé les oreilles avec Black Flag, Henry Rollins revint à de meilleurs sentiments au contact de l’inflammable Jim Wilson. Les clameurs d’abordage du Rollins Band allaient éclairer les années 2000.

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             Retour en 1993, quand paraît le premier album de Mother Superior, Right In A Row. Le jeune Jim nous avertit dès «Shake This Fever» : il est déjà le roi de la heavyness, et ses deux bras droits, Marcus Black et Jason Mackenroth sont déjà très affûtés. Soutenu par une section rythmique prodigieusement alerte, le jeune Jim ramène toute la viande du monde. La photo du trio qu’on trouve dans la boîboîte nous les montre tous les trois, ados américains avec des jeans en lambeaux et des cheveux longs. À les voir, on ne croirait jamais qu’ils puissent sortir un son pareil. Le ton est donc donné avec «Shake This Fever» et le bal des surprises ne fait que débuter. Mother Superior est le power trio à l’état le plus pur, et en plus, le jeune Jim chante pour de vrai. Pendant qu’il tartine son gras double, ses deux bras droits jouent un squelette d’heavy blues. Ils sont MILLE fois meilleurs que Cream. Le jeune Jim attaque «Goin’ Up In Smoke» et dévore le Smoke aussi sec. Il gratte une disto dévastatrice, il remplit le spectre, il crée du vertige en permanence, il s’installe au sommet du smart, il bâtit un mur du son et prend feu lorsqu’il part en solo. Pur sonic genius ! Il tape ensuite «Body & Mind» en mode Season Of The Witch, c’est dire l’ampleur de sa vision conceptuelle, et enchaîne avec «Shitkicker» qu’il prend au chat perché. Il chante ça à bout de souffle et battrait presque les Zizi Top à la course. Le jeune Jim ne casse pas la baraque, il la fracasse. Le voilà parti en mode heavy balladif avec «Stop Putting Me Down». Il le pousse bien dans les orties, et sur le tard du cut, il part en maraude. C’est un pisteur apache, rien n’échappe à son tomahawk. Il faut aussi le voir attaquer «No Doubt (In My Mind)» à l’anglaise. On croit entendre Paul Rodgers. C’est exactement la même langue-tentacule qui entre dans la vulve du son. Heavy Soul de heavy rock. Et il repart en mode heavy blues avec «PW Blues» à la grosse entente cordiale - I got a woman yeah/ She’s never satisfied - Il traite le vieux thème en profondeur - She never do no good - Il se plaint d’elle et plonge dans les abysses du blues. Il n’en finit plus de plonger. Le spectacle qu’il offre est extraordinaire. Il termine cet album effarant de qualité avec un «Strange Combination» gratté à coups d’acou en mode Led Zep III. Puis il se fâche et lâche ses légions de démons, histoire de tailler le cut en pièces aux accords anguleux d’atonalité. Et pour finir, il te recrache comme un noyau. 

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             Avec sa pochette ratée, Kaleidoscope n’inspire pas confiance. Sauf que boum badaboum, il t’envoie vite fait au tapis. Jim Wilson positionne dès «Got To Move» son Kaleidoscope dans le heavy rock blues des seventies - Now dig this ! - Alors tu dig. Tu te dépêches pour ne pas rater la parole d’évangile. Jim Wilson joue son heavy blow off à la façon de Mountain. Il réunit tous les poncifs. C’est un champion du full blown. Le coup de génie se trouve à la fin : «You Think It’s A Challenge». Il y fait du heavy Jim, il saute sur les remparts, il te wash out tout le heavy blues rock, il ramène tout le gras double des seventies. Cette pure merveille devient aussi précieuse que la prunelle de tes yeux. Encore de la heavyness avec «Must Be A Curse». De toute façon, tu le suis partout. Avec son gotta move on down the line, il bascule dans sa chère heavyness et gueule à s’en arracher les ovaires. Son «When I’m Alone I Feel Like Cryin’» est quasi-hendrixien. Tu crois rêver. Avec «Girl On My Mind», il passe au petit gratté de slowah, mais il te fait un heavy slowah de force 10. Il excelle à exprimer ses sentiments. Il sait aussi cavaler ventre à terre comme le montre «Count Me Out». C’est l’apanage du Jim : il sait faire sonner un sugar lips. Il en a la bave aux lèvres, et en prime, il te passe un killer solo flash. Il s’amuse bien avec son rock’n’roll blast. Cet album est une véritable aventure.

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             Les ceusses qui ont chopé Deep à l’époque sont des gros veinards, car maintenant, l’album vaut la peau des fesses. Very big album, produit par Henry Rollins. Bienvenue au pays de l’heavyness, et ce dès «DTMMYFG?». Alors on se demande ce que veut dire ce mystérieux acronyme. Jim Wilson pose simplement la question : Did The Music Make You Feel Good? Depuis l’origine des temps, Jim Wilson a le génie de la mise en bouche. Il sait poser les conditions de l’heavyness électrique. Tout aussi heavy as hell, voilà «Superman». Il accompagne toutes ses descentes en enfer de fabuleux camaïeux de notes et s’en vient planter son solo dans le cœur du cut. Personne ne peut aller plus loin que Jim Wilson dans l’exercice de cette fonction. Il manie l’heavyness à merveille, c’est sa came. Le solo coule tellement de source qu’il semble sortir de lui. Mine de rien, tu te retrouves là dans l’un des meilleurs albums de cette époque. Puis il pique une crise de speed avec son morceau titre, sa barbichette prend feu, le cut fonce comme un train fantôme devenu fou, c’est exceptionnel de wild drive. Avec «Fascinated», il ne perd pas de temps : il descend aussi sec au barbu. Ce mec est un desperado, il a déjà le chapeau et la barbichette à moitié cramée. Puis ils va sortir sa triplette de Belleville, trois coups de génie enchaînés : «What I Heard Today», «Crawling Back» et «Crazy Love». Il plonge directement dans sa bassine d’huile bouillante pour What I Heard. Personne ne l’a poussé. Il adore faire le beignet. Il prend l’heavyness complètement à contre-emploi. Il en devient génial. Il fait de l’Hugo sonique face à l’océan. Voilà sa mesure. Comment se fait-il que si peu de gens aient vu qu’il avait autant de génie ? Son What I Heard balance dans le ressac, Jim Wilson titube dans les décombres, il abrase tout aux vents de sable, il chante à contre-courant du contre-courant, c’est très spécial, très Wilson, il est l’Hugo de l’heavy rock, dressé face aux tempêtes de Guernesey. Il repart à l’assaut des éléments avec «Crawling Back», non seulement tu t’agenouilles devant lui, mais tu dresses l’oreille pour ne pas en perdre une seule miette, il chante à la pointe du beat, c’est stupéfiant, il t’emballe ça à la violence subterranéenne du don’t. Et restes dans son jardin magique avec «Crazy Love». Mais le jardin prend feu, c’mon ! et ça monte en pression à mesure qu’il ramène tout le son du monde.

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             Encore une pochette ratée pour l’album sans titre, Mother Superior, paru en 2001 et produit par son boss Henry Rollins. Tu aimes le blast ? Alors écoute «Zero’s Back In Town». C’est bombardé de son, cadenassé dans l’hardcore de no way out. Ça joue à la vie à la mort, avec un petit côté démonstratif, il faut bien l’admettre. Mais ça reste violemment bon. Ils tapent dans l’extraordinairement bon avec «Pretty Girls». Jim Wilson paye ses dues à Sabbath et aux autres cakes de l’heavyness des seventies. Il allume la gueule du mythe. Le «Whore» d’ouverture de bal est une belle énormité. Jim Wilson embarque sa whore pour la Cythère des enfers, avec un killer solo flash à la clé. Wow, quelle dégelée ! Nouvelle dégelée avec «Worthless Thing». Jim Wilson a un sens aigu de l’invasion. Il t’envahit vite fait. Il parie sur le stomp et rafle la mise. Il mixe la cavalcade avec le killer solo d’arrêt mortel et le wild as fuck. Autant dire que ça mousse. Il faut aussi le voir claquer son «Fell For You Like A Child» sous le couvert d’un certain boisseau.

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             Côté pochettes, ça s’améliore brutalement avec celle de Sin. C’est le plan des fameuses pochettes rouges (Slade Alive et le Grand Funk de Grand Funk Railroad). Au plan musical, Sin est un tout petit peu moins dense que les albums précédents. On croise une «Jaded Little Princess» montée sur les accords du «Sweet Jane» de Lou Reed. C’est exactement la même ambiance, le même swagger de boulevard. L’autre morceau phare de Sin est un heavy blues, «Spinnin», une belle descente au barbu. Jim Wilson n’oublie pas la règle d’or de Clovis Trouille : sous la robe de bure palpite le plus pur des barbus. Jim Wilson transforme son heavy blues en chute du Niagara, c’est un vrai déluge de son. Il fait du Superior supérieur avec «Strange Change». Wayne Kramer traite Jim Wilson de «missing link between Little Richard and a 100 Watt Marshall Amp». «Strange Change» est de l’heavy jus de jouvence avec une wah en contrepoint. Sur cet album, tout est une fois de plus drivé à la gratte. Il joue encore sa carte de heavy dude avec «Ain’t Afraid Of Dying», il chauffe sa baraque aux éclats subliminaux et passe avec «Fool Around» au big balladif. Il arrose toute la stratosphère de son, il devient presque black à force de romantisme downhome. Jim Wilson a du génie. Globalement, tous ses cuts ont de la tenue. Il chante bien et il sait placer ses riffs. Il n’engendre que de la délectation. Il faut le voir dans «Rocks» exploiter des rythmiques de bon aloi ! Il n’en finit plus d’injecter de l’heavy load dans ses cuts. Il termine avec l’excellent «Fade Out Wounded Animal» - I’m a wounded animal/ I’ve a bleeding heart.

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             Wayne Kramer produit 13 Violets. Il faut donc s’attendre à un festin de son. Et à des coups de génie, comme par exemple «*****» joué aux power-chords de marche arrière, pas de pire marche arrière que celle-ci, et tu as un refrain de chœurs de renvois, un vrai piétinement de Bérézina, une hérésie du rock moderne. Ça continue avec «Queen Of The Dead» et là, ça cavale au sommet du genre, ce démon de  Jim Wilson te taille un hit sur mesure - She’s all I want/ Queen of the dead - Il te plaque ça avec une candeur démente, comme si de rien n’était. Encore une belle énormité avec le morceau titre, noyé de power, même la voix se noie dans le remugle, ça gouille de dynamiques, ils sont passés à autre chose. Si tu tends l’oreille, tu entendras aussi des accents de Cream. Et voilà la triplette de Belleville : «Turbulence», «Fuel The Fire» et «Did You See It». Tu prends la dégelée de «Turbulence» en pleine poire, avec Jim Wilson, ça ne rigole pas, il envoie la disto maximale en éclatant de rire, ha ha ha, puis il attaque son «Fuel The Fire» à l’anglaise classique et pose là-dessus un chant très anglais, en mode heavy blues rock, puis il dégomme son «Did You See It» à coups d’accords à contre-temps. Ce sont les accords des Creation. Tout est bardé de barda, pur sonic trash ! Jim Wilson a de l’envergure. Il sait aussi caresser la comète du groove de Soul, comme le montre «Everything Is Alright». Pour ce faire, il ramène des cuivres. Il est tellement surprenant qu’il échappe à tous les radars. Il construit son œuvre. On devrait le décorer pour ça. Il met ses idée en scène. Ses idées valent de l’or. Avec «Kicked Around», il vise la cavalcade par dessus l’horizon. Rien que ça.

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             Moanin’ est probablement le meilleur album de Mother Superior. Ils n’arrêtent pas. Tu as au moins trois coups de génie, là-dedans, et une Stoogerie. Tiens on va commencer par elle : «A Hole», tout un programme ! Lancé comme une attaque, mais avec les riffs des Stooges. Et Jim Wilson plonge dans le fleuve de lave, c’est du big Motha fondu dans les Stooges. Extraordinaire ! Il faut avoir entendu ça au moins une fois dans sa vie. Il fait à la fin de l’album une version démente de «Jack The Ripper». Quelle avalanche ! Tu n’as pas le temps de t’enfuir. Ça prend des allures folles à la Asheton. Jim Wilson est un génie du mal. Pas de pire fournaise. Coup de génie encore avec «This Song Remains Me Of You», Jim Wilson fout le feu dans l’intro, il t’explose cette belle love song en bouquet d’harmonies doublé d’un heavy shuffle de gaga demented. Alors il part en vrille et te démolit tout le jeu de quilles. Encore une fois, il te tombe dessus et tu n’as même pas le temps de dire Omen. Killer Jim Wilson ! Il finit en solo d’apocalypse et t’aplatit pour de bon avec un solo de wah qui n’en finit pas. Cette fois, tu te jures que tu n’y mettras plus les pieds. Mais trop tard, car voilà «Get That Girl», vite expédié en enfer, en mode Basement Five - Watch out ! - Il te dégueule dessus, ce power trio détient tous les tenants des aboutissants. Jim Wilson se situe à l’extrême limite de la saturation. Et voilà «Little Mother Sister» qui va annoncer la suite. Jim Wilson en profite pour lâcher une armée de démons sur la terre, avec un solo qui s’étrangle de rage. Son «Fork In The Road» est complètement dévastateur, et soudain, on réalise que Jim Wilson porte la barbichette du diable. Il passe au Punk’s Not Dead avec «So Over You». Listen ! Ils te fondent dessus comme des démons échappés d’un bréviaire, c’est plein de vie et de fantastique énergie, away sail away, il lui demande de dégager vite fait. Même sa cocote pue l’enfer, comme le montre «Erase Her». Il lâche des nuages de soufre, il concentre tous les maux de la terre, ses solos sont des modèles de tisonnage, Jim Wilson et une bête de l’Apocalypse, il pue à la fois la Stoogerie et la chair brûlée, et encore une fois, il claque un solo digne de ceux de Ron Asheton.

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             Three Headed Dog est un bon album, même s’il est un peu moins dense que la brute immonde qui le précède. Jim Wilson annonce la couleur d’entrée de jeu avec «(I’m) Obsessed». C’est comme qui dirait réglé d’avance : il va te chauffer la cambuse pour l’hiver. C’est un roi des fournaises. Il ne jure que par les pelletées de braise et ses descentes au barbu restent spectaculaires. Avec «False Again», il fait du Fast Eddie Clarke, il joue à la surface des flammes. Il amène «Shady Lady» comme une marée du siècle. Ses power-chords deviennent historiques. Il ralentit un peu le mouvement avec «Today That Day», il tape un heavy slowah comme le fait si bien Reigning Sound. Jim Wilson a tout le power du monde au creux de ses mains. Il redevient un démon pour «Panic Attack». Il fait de l’heavy punk de Motha, très buté, stop/start, et ils repartent au Goddamnit. Son seul vice est de vouloir t’emmener chaque fois en enfer. Mais c’est pour ton bien. Jim Wilson est aussi un chanteur puissant : il distille le poison de son power à petites doses dans le fond de sa gorge, comme le montre «Sleep». On se rend malade à force de fréquenter des artistes aussi doués. Il tape son «Left For Dead» à l’énormité prévalente, il le noie dans la purée. Spectacle dégoûtant. Il termine avec un «Standing Still» d’une déroutante qualité artistique.

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             Grande, le dernier album en date de Mother Superior, est paru en 2008 sur un petit label toulousain, Kicking Records. Grande bénéficie d’une très belle pochette, bien dans l’axe Mère Supérieure des surréalistes. Il s’agit d’une collection of Mother Superior songs old, new borrowed and blues, comme l’indique le dos de la pochette. Le coup de génie de l’album est la cover d’«Happiness Is A Warm Gun», chef-d’œuvre lennonien tiré du White Album. Jim Wilson cocote bien sa purée d’I need a fix/ Cause I’m going down. Il surgit comme un saumon dans le Mother Superior jumped the gun, puis il se fait sécher au soleil d’Happiness - And I feel my finger on your trigger/ I know nobody can do me no harm - C’est bien que des grands artistes comme Jim Wilson puissent rendre hommage à John Lennon - Well don’t you know that happiness is a warm gun momma ? - Ceci dit, on trouve pas mal de petites énormités sur cet album bien né, comme par exemple «Five Stars», puissant, joué en retenue, avec un riff alourdi qui affale au longeant par bâbord. «Brain Child» va plus sur l’heavy doom, un empire que Jim Wilson aime à bâtir, mais on n’en voit guère l’intérêt, comme dirait Martin Guerre. Le «Meltdown» qui ouvre le bon bal de B sent bon la Stonesy, mais aussi Free, dans l’idée du riff.

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             Et puis tu as toute la période Rollins Band, qui démarre en l’an 2000 avec l’épuisant Get Some Go Again. Tout n’est que blast, luxe et volupté sur cet album. Ça grouille de puces. Hommage stupéfiant aux Groovies de «Teenage Head» avec «Monster». Jim Wilson descend en mode heavy Leigh Stephens dans les Groovies de Roy Loney et ça donne un sommet un lard fumant. Rollins chante jusqu’au bout de ses forces et Jim Wislon cloue le cut au ciel lors d’un sacrifice d’une effroyable noirceur. De toute façon, tu comprends dès «Illumination» que le ciel va te tomber sur la tête. Rollins raconte qu’il traverse des yellow deserts et pose son yeah, c’est un féroce screamer, et bam !, Jim Wilson part en vrille de no way out. Bienvenue du paradis du sonic blast ! Ici tout prend feu sans qu’on sache pourquoi. Rollins scande son morceau titre - Get some/ Get some - et l’attaque de plein fouet. Il chante vraiment comme un capitaine de flibuste, ce n’est pas une vue de l’esprit. Il chante à l’abordage, il monte à l’assaut du rock, c’est très physique, et Jim Wilson lève des tempêtes. Ils tapent «Thinking Cap» au heavy beat tribal et ça ressemble très vite à une invasion, yeah, la menace est là, dans la voix de Rollins, il chevauche en tête, sur un petit cheval, c’est lui Attila, menton rouge de sang. Tant de power te fait rêver. Ah ah, Rollins se marre. Et tu vois «Change It Up» s’écrouler aux accords de trombose, ils tapent dans toutes les configurations - Life’s so Short ! - Nouvel assaut avec «I Go Day Glo», Rollins shoute tout à la force du poignet et enfonce ses Oh Yeah Oh Yeah comme des clous dans des paumes. S’ensuit un hommage cinglant à Lizzy avec une cover d’«Are You Ready». Et ça continue de brûler jusqu’à la fin, les accords de Jim Wilson éclosent comme des Fleurs du Mal dans «On The Day», «You Let Yourself Down» explose à coup d’all nite long, Jim Wilson noie «Brother Interior» dans les poux et Jason Mackenroth bat le beurre du diable dans «Hotter & Hotter». Il arrive un moment où ta cervelle jette l’éponge. Trop c’est trop.

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             Attention, il existe une version enhanced de Get Some Go Again : sur le CD2, tu as quatre killer cuts et des vidéos. Franchement, ça vaut le détour, même si on vient de faire une petite overdose avec le CD1. On se régale de la grosse cocote cra-cra de Jim Wilson sur «Side By Side». Il t’installe au cœur de la heavyness et part en sale vrille dégueulasse. Il refait le coup dans «100 Miles» avec un killer solo flash qui restera dans les annales. Et voilà le clou du spectacle : une version live de «What Have I Got», montée en épingle d’Ararat dans un déluge apocalyptique. En bon pirate tatoué et barbare, Rollins stone fait son monster basher - What Have I got?/ Nothing much at all.

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             Un autre double CD paraît 5 ans plus tard sur le label d’Henry le pirate, 2.13.61 Records : Get Some Go Again Sessions. Sur la pochette on peut lire : Henry Rollins & Mother Superior. On a pendant des années considéré ce double CD comme l’un des plus explosifs de l’histoire des explosions. On y retrouve bien sûr tous les hits de Get Some Go Again, mais bruts de décoffrage. On a l’impression d’écouter l’album de blast définitif. Il faut entendre Rollins stone attaque «Monster» au I’m a monster, entendre la chape de plomb d’un «Illumination» heavy as hell, avec un Rollins stone qui hurle tout ce qu’il peut, l’encore plus brutal «Thinking Cap», gratté dans le chaos d’une fournaise extrême, c’est gorgé de power avec un Jim Wilson qui rôde dans le chaos, et puis tu retrouves le «Change It Up» tapé au blast de funk, gratté aux accords de fer blanc, des accords qu’on n’entendra jamais ailleurs. Sur la version d’«Are You Ready», tu as Scott Gorham qui vient foutre le feu à Lizzy. C’est son métier. Et ça devient encore plus mythique avec «Hotter & Hotter» car Wayne Kramer entre dans la danse, il est l’œil du cyclone, ça en fait deux avec Jim Wilson, c’est battu à la Mother par ce fou de Jason Mackenroth. C’est lui le propulseur nucléaire. Et ça monte encore d’un cran avec «LA Money Train» - So Jason are you ready ? - Yeah ! Wayne Kramer reste dans la danse et Rollins stone lance son talking blues - All aboard - Ça gratte aux funky guitars. Pur genius d’Henry Rollins qui en fait est un spécialiste du talking blues. Ah il faut avoir écouté ça au moins une fois dans sa vie - Yeah I get so tired of all the drama - C’est un texte fleuve qu’il swingue à la force du poignet - Sometimes I think it’s all over/ No more Coltrane/ No more Duke/ No more Monk, Jimi, Otis, Aretha, Daisy, or Sly/ And no one seems to stop and wonder why/ And I turn on the radio and it makes me wanna cry/ Because I know it’s never gonna come around again/ And it makes me cry because I know that there’s so many people who’ll never get to hear Mahalia Jackson, Mississippi Fred McDowell, Lightning, Lemmon, Curtis, Marvin, and the Reverend Al Green - Il se plaint de la médiocrité qui s’est abattue sur la terre - The airways are clogged and it’s not looking good/ In fact it’s looking pretty mediocre out there/ But I digress - «LA Money Train» est l’un des très grands chefs-d’œuvre de l’histoire du rock américain, tous mots bien pesés. C’est la raison pour laquelle il faut choper les Get Some Go Again Sessions. Après, ça continue avec «Side By Side» et sa grosse cocote, cut palpitant de power occulte à la Sabbath, avec un Jim Wilson qui part en rase-motte délétère, suivi de «100 Miles» heavy as hell d’I want your blood. Impossible de faire plus heavy. Rollins stone étale son power dans la purée de Mother. Jim Wilson atteint encore à la démesure avec «Summer Nights», il reste ce guitar hero si prodigue de beauté et de violence. Ils attaquent le disk 2  avec «Yellow Blues», idéal pour ces Bêtes de l’Apocalypse que sont Rollins stone et Mother. Puis ils plongent «Don’t Let This Be» dans un bouillon d’heavyness. Ils sont au sommet du genre. Ils aplatissent tout le rock, le beat avance à pas d’éléphants. Plus heavy, ça n’existe pas. Rollins stone hurle dans la cave de l’Inquisition. Ça fout la trouille. Et tout se barre en sucette dans «Coma». C’est du grand art dégénéré. Rollins stone pousse les hurlements d’un loup qui serait devenu fou. Jim Wilson te tombe encore dessus avec «Hold On». Il continue de dérouler la pire heavyness d’Amérique - You must hold on/ Cold nights/ Long nights - On croise encore une version d’«Illumination», ce heavy groove urbain tailladé d’incursions massives, enfin bref, ça ne s’arrête pas. Ils bourrent le mou du rock jusqu’au bout.

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             Le Nice qui sort en 2001 est ce qu’on appelle ici une abomination. Un album explosé d’entrée de jeu avec un «One Shot» digne du MC5, avec en plus tout le poids de Rollins stone dans la balance - You take one shot - et Jim Wilson plonge aussitôt le cut vivant dans la bassine d’huile bouillante. Tu as là l’un des sommets du rock américain. Un de plus. Pas compliqué : tu as trois coups de génie enchaînés, «One Shot», «Up For It» et «Gone Into The Zero». Ah le power inexorable d’«Up For it», une vraie dégelée royale de stay up for it et ça se répand all over avec «Gone Inside The Zero», Rollins stone se jette dedans, c’est de plus en plus explosif, il n’existe rien de plus dense ici bas. Rollins stone installe encore la suprématie de l’heavyness avec un «Hello» qu’il scande, hello darkness ! Il passe au rap avec «Your Number Is One», il va chercher des vibes sous le boisseau, et soudain il surgit, one ! One !, et le saumon Jim Wilson gratte dans l’arc en ciel des légendes celtiques. Il faut aussi saluer les dynamiques acrobatiques de Marcus Blake et de Jason Mackenroth. Des lèpres d’heavyness ravagent «Stop Look Listen» et Maxayn Lewis vient faire des chœurs dans «I Want So Much More». Pur power de Rollins stone - I want get some ! - Trompette ! Demented ! Encore de l’heavyness maximaliste avec «Hangin’ Around», Rollins stone écrase bien le champignon d’oh yeah, il ramène tout l’oh yeah qu’il peut dans la soupe aux choux de la mère supérieure. Tu vois Jim Wilson se faufiler comme une couleuvre de printemps dans les moiteurs de l’épaisseur et soudain, ça prend feu ! Avec Wayne Kramer, il est le géant incontestable du wild sonic fire. Encore plus heavy, comme si c’était possible, voici «Going Out Strange», ça culmine jusqu’au vertige. Le vertige, c’est leur fonds de commerce. Ça cloue dans les paumes à coups redoublés. Et ça s’arrête enfin avec «Let That Devil Out» monté sur un groove de jazz bass de Marcus Blake. Furia del diablo. Blake te monte ça en épingle demented.

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             A Nicer Shade Of Red paraît aussi sur 2.13.61 Records, le label de Rollins stone. Ce sont des albums difficiles à trouver. Dans la distribution des rôles, Rollins n’est pas crédité vox mais throat. Départ en trombe avec «Too Much Rock & Roll». Jim Wilson te travaille ça au tison ardent et Rollins stone lance l’assaut à coup d’Oh yeah. C’est vite plié à coups de clameurs extravagantes. Retour aux affaires sérieuses avec «Marcus Has The Evil In Him». C’est l’enfer sur la terre, ils creusent des tunnels dans ta cervelle. Jim Wilson zèbre tout ça d’éclairs, comme Zorro. On reste dans les affaires sérieuses avec un «Nowhere To Be But Inside» battu à la vie à la mort. Rollins stone mène son bal à l’énergie pure et Jim Wilson en rajoute. «10X» est heavily evil ou evily heavy, c’est comme tu veux. Punks’ not dead avec «Always The Same» - You/ Dont/ Like me/ It’s always the same - Assaut magnifique de punkitude américaine, l’une des rares qui soit éligible, d’autant que Rollins stone te la monte en neige et que Jim Wilson te l’explose au killer solo flash. Qui saura dire la grandeur de Mother Superior ? «Raped» sonne un brin hardcoreux, à cause du titre, sans doute. Idéal pour la bande son d’Irréversible - Fuck you/ Fuck me - Le Rollins y met toute sa gomme de gommeux californien. Puis ils tapent une cover d’«Ain’t it Fun» des Dead Boys, Jim Wilson y fout le feu, c’est plus fort que lui. Puis il renoue avec sa dimension antique dans «You Lost Me», cris d’éléphants de combat et clameurs de boucherie, c’est lui Jim Wilson qui fait l’éléphant. Rendu fou par les centaines de flèches fichées dans sa peau, il piétine tout. On peut dire que Rollins stone a de la veine d’avoir ces trois mecs-là derrière lui. On retrouve l’excellent «Your Number Is One» en version longue. Les Mother sont très complets : Jason-beurre du diable, Marcus-God bassmatic et Jim Wilson-défi permanent aux dieux de l’Olympe. Ils tapent le cœur de cut aux percus et Rollins scande son one one the only one. Tu es vraiment content d’être là. C’est encore Marcus Blake qui claque l’intro de «Such A Drag» et Jim Wilson se farcit le shuffle d’orgue - Sometimes it’s such a drag - et ça vire talking blues de Rollins stone le héros. 

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             Encore un 2.13.61 Record qui vaut le détour : The Only Way To Know For Sure. Car ce sont des versions live de toutes abominations pré-citées. Tu retrouves «Up For It» que Jim Wilson lance au riff insistant et ça devient addictif. On se retrouve au sommet du genre, comme avec les Screaming Trees. Sur «What’s The Matter», Jason Mackenroth bat comme un démon abandonné du diable. Rollins stone annonce ensuite «Tearing» - This song is called Tearing Me Apart yeahhhhh ! - et il se jette à l’eau comme Tarzan sur Jane. Pour une raison X, «Illumination» n’atteint pas le niveau de la version studio et ça repart ventre à terre avec «Hotter & Hotter». Rollins stone ne parvient pas à créer sa magie, c’est Jim Wilson qui vole le show. Il flotte comme un vampire au dessus de la fournaise. S’ensuit la fantastique dégelée d’I’m A monster. Ça devient enfin très sexy. Puis ça explose avec «Stop Look Listen», ça joue dru, à la pluie de feu, ils te collent au mur. Ces mecs n’en finissent plus de gagner les régions supérieures de la fournaise intégrale. Encore un appel à l’émeute avec «All I Want», Rollins stone grimpe sur la barricade, please please ! Puis il rentre à coups d’hello dans le chou de son vieux «Hello». Nouvel assaut avec «One Shot», Rollins stone semble chanter avec une meute de loups, ça bombarde encore plus qu’au temps du Bomber de Motörhead. Explosif ! Et ça grimpe en apothéose avec «Going Out Strange». Rollins stone chevauche un dragon, avec toute la heavyness du monde derrière lui - I don’t care going out strange - Big man Rollins assomme ses cuts d’un coup de poing, comme l’ancêtre de Jerry Lee qui assommait un bœuf d’un seul coup de poing et que décrit Nick Tosches dans Hellfire. L’autre image qui saute aux yeux : Rollins stone jaillit des torrents comme un saumon pourri et tatoué. Puis Jim Wilson tape «Thinking Cap» aux accords des Stooges sous un boisseau de plomb - You’ve got soul/ If you don’t/ You wouldn’t be in there - Acclamations ! Rollins stone fait un prêche demented puis il tape sur la tête du beat de «Get Some Go Again». Il est probablement la pire brute d’Amérique. Riff raff de no way out et ce dingue de Jim Wilson refout de feu. Ils terminent cette virée infernale avec un «Your Number Is One» qu’annone Rollins stone et bien sûr, c’est claqué du beignet, on voit ce saumon géant tatoué tituber dans les fumées du groove. 

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             Alors attention, c’est encore un enhanced CD, et le disk 2 est encore pire que l’1. Rollins stone l’attaque avec «Gone Inside The Zero» - Shut your mouth now cause it’s gonna be a little bit introspective - C’est du hardcore, le pire, atrocement violent, puis ils embrayent le destroy oh boy de «Nowhere To Go But Inside», Jim Wilson is on fire et les deux fous derrière fourbissent le pilon des forges. Ils enchaînent deux covers fatales, l’«Are You Ready» de Lizzy et le «Do It» des Fairies. Rollins stone lâche sa meute. Il explose la rondelle de Lizzy en mille morceaux. Ah ces Américains, ils ne respectent rien ! Power demented pour Do It, ultime hommage apocalyptique. Ils bouffent les Fairies tout crus. Il n’existe pas de pire power que celui de «You Don’t Need». Les Mother sont les Demeter du rock, les mères de la terre, et avec le Rollins stone, ils règnent sans partage sur la terre comme au ciel. Rollins stone réclame encore du rab avec «I Want So Much More». Il est aux abois. On l’admire pour sa violence verbale. Cet album relève du surnaturel, le mélange des deux powers (Mother + Rollins) échappe aux normes. On frise encore l’overdose avec «Always The Same», tout flambe jusqu’à l’horizon, les villes et les plaines, puis «We Walk Alone» s’en va rôtir dans les flammes de l’enfer, Rollins stone se hisse au sommet du genre et tout finit par s’écrouler dans les flammes avec «Marcus Has The Evil With Him», trop heavy beaucoup heavy, les cocotes se mêlent et Rollins pousse. C’est atroce.  

    Signé : Cazengler, Mother Inferior

    Mother Superior. Right In A Row. Not On Label 1993

    Mother Superior. Kaleidoscope. Top Beat 1997

    Mother Superior. Deep. Top Beat 1998

    Mother Superior. Mother Superior. Triple X Records 2001

    Mother Superior. Sin. Muscle Tone Records Inc. 2002

    Mother Superior. 13 Violets. Top Beat 2004

    Mother Superior. Moanin’. Bad Reputation 2005

    Mother Superior. Three Headed Dog. Rosa Records 2007

    Mother Superior. Grande. Kicking Records 2008

    Rollins Band. Get Some Go Again. DreamWorks Records 2000 

    Rollins Band. A Nicer Shade Of Red. 2.13.61 Records 2001

    Rollins Band. Nice. Steamhammer 2001

    Rollins Band. The Only Way To Know For Sure. 2.13.61 Records 2002 

    Henry Rollins & Mother Superior. Get Some Go Again Sessions. 2.13.61 Records 2005

     

    *

             Y a des chiens plus méchants que d’autres, celui-ci jouit d’une étrange particularité, qui l’eût cru, il est cru. Les esprits rationnels affirmeront que tous les chiens sont crus à moins que vous ne les fassiez cuire. Oui mais j’insiste celui-ci est particulier, il possède deux têtes. Ne criez pas que je raconte n’importe quoi, c’est un chien dans l’air du temps, il respecte la mixité sociale, une tête féminine, une tête masculine. Si vous ne me croyez pas relisez la chronique 382 du 15 janvier 2019, pas en entier il suffit de se rapporter à celle qui s’intitule :

    RAWDOG

              Un concert à La Comedia, avant que l’ordre moral libéral – comme ces deux mots riment très bien ensemble - ne réussisse à faire fermer cet antre de liberté, bref z’étaient deux sur scène, une fille-un gars, j’avais beaucoup aimé, or ils viennent de sortir une vidéo, que voulez-vous quand la meute aboie, l’on se rameute pour voir :

    FILE MOI TON GUN

    (Vidéo Clip Officiel)

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             La zique balance sec. Les images sont vacancières. On joue au ping-pong. Non le tueur n’est pas loin, oui il est tout près. Dès qu’il se montre, on s’amuse comme des gosses. Balançoire et trampoline. Un véritable jardin d’enfants. La traque commence. Le jeu du chat et de la souris. Se prennent pour des agents secrets (doivent lire Rockambolesques toutes les semaines). Je vous laisse découvrir la fin. En plus il y en a deux. Soyons logique si Rawdog a deux têtes pourquoi n’aurait-il pas deux arrière-trains. La dernière est la plus marrante. Plus le générique est long, plus il est bon. La première est beaucoup plus subtile. Pose les questions embarrassantes, quand on joue n’est-ce pas pour de vrai ? D’ailleurs le vrai est-il exactement le contraire du faux, à moins que ce ne soit le faux qui ne soit que l’autre face du vrai. Les psychanalystes vous demanderont si le désir a besoin d’être assouvi pour être désir. Le désir de mort peut-il survivre ? Tiens, ils l’ont sorti le premier Mars. Le mois de la guerre. Les stratèges en chambre déclareront que ce clip pose les bonnes questions. Et que contrairement à eux ils apportent la bonne réponse.

             Un an et demi qu’ils n’avaient rien sorti. Par curiosité l’on est allé grapiller par-ci par-là d’autres vidéos.

    BLURRED

    (Vidéo Clip Officiel)

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             Attention changement d’ambiance, c’est le morceau qui a donné son titre à leur premier album sorti en 2014. Belle couve, m’évoque le texte   Sur le théâtre de marionnettes d’Heinrich Von Kleist, nous en reparlerons dans une future livraison dans laquelle on se penchera sur l’album. Le dico me propose de traduire Blurred par flou, le mieux serait de transformer cet adjectif en participe passé, Floué me semble rendre mieux l’atmosphère qui se dégage de cette vidéo. Normalement sur scène Audrey joue de la batterie et Mike de la guitare. Ceux qui auront aimé File moi ton gun risque d’être désorientés, certes c’est carré, bien ficelé, mais comparé à Blurred, c’est un peu comme si vous passez des Bijoux de la Castafiore d’Hergé à La Chartreuse de Parme de Stendhal. Déjà exit la couleur, elle cède la place au noir et au blanc. Il vaudrait mieux dire au rouge.

             Encore une fois c’est subtil. Mais pas de la même manière. Ici on ne s’amuse plus. En plein drame. Rien de pharamineux ou d’extraordinaire. Deux êtres qui se quittent. Rien de plus banal. Tout reste dans le non-dit. Faut se fixer sur les détails, une branche d’arbre qui gouttège, des bibelots enveloppés dans du verre ou du plastique, des poupées enfermés dans leur cages, et le piano qui résonne qui s’accapare l’espace sonore et mental, Audrey martèle les touches, voudrait-elle enterrer son mal qu’elle ne s’y prendrait pas autrement, c’est d’ailleurs ce qu’elle fera quand elle enfouira la hache de paix et de guerre symboliques dans le sol, ils sont encore deux mais ils suivent  des chemins parallèles qui ne se rencontreront plus jamais, qui s’écartent définitivement, lui effondré dans un fauteuil, l’atmosphère est lourde, il joue de la guitare comme d’un violoncelle, funèbre. Deux instruments, deux manières d’exprimer le désespoir.

             J’ai dit subtil et j’ai dit : non-dit. Prenez le temps de regarder cette vidéo. Toutes les cinq secondes arrêtez l’image et examinez attentivement. Faut remercier Elise Colette et Laura Icart pour la réalisation. Une merveille de minutie. De précision. Remerciez-moi pour cet intermède. J’espère que vous en avez profité pour écouter la voix d’Audrey. Elle doit ressembler à celle d’Eurydice. No happy end, il n’y aura pas d’Orphée. Même pas pour la retenir. On ne se bat pas contre l’inéluctable. Nous sommes dans l’attente. Elle viendra. Elle a toujours son apparence de tranchant de guillotine.

             Quatre minutes et vingt-cinq secondes, une fenêtre ouverte sur le bord de l’éternité.

             C’est aussi beau que certaines élégies de Nico.

    LES BRUTES

    (Clip Vidéo)

    (Enregistré et filmé en live le mardi 29 avril

    2018 A Mains d’œuvres Saint-Ouen 95)

             Le titre sortira sur leur EP Julia en mars 2019. Belle couve. Sont dos à dos. Le corps marqué de traces sanglantes. Un EP très politique. Niveau sociétal et mondial. Rien à voir la vidéo qui précède. De véritables caméléons, au bon sens du terme. Possèdent une large palette. D’inspiration et d’expression.

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             Plus noir que noir. Live ici ne signifie pas en public. Pas besoin de stopper l’image pour admirer les détails. Juste le minimum : Audrey à la batterie, Mike à la guitare. Superbe prise de vue, sont ensemble mais si vous le désirez, vous pouvez n’en regarder qu’un des deux.  Un vieux larsen des familles qui traîne et c’est parti. Audrey est époustouflante, elle frappe, elle cogne, le son tournoie comme une valse qui ne saurait plus s’arrêter. Remet une pièce dans le jukebox avant qu’il ne s’arrête, jette de l’essence sur l’incendie. Je suis surpris, j’ai commencé par lire les paroles données sur la vidéo, elles sont en français, m’étais dit un truc pour Audrey, un bidule sur les bonnes femmes maltraitées, crac, tant pis pour moi c’est Mike qui envoie les lyrics, ce n’est pas qu’il chante mal mais le meilleur est à venir, une fois qu’il envoyé le texte dans les cordes du ring, se donnent tous les deux à fond, ça caracole dans le rock’n’roll, ils ouraganent à mort avec ces demi-secondes d’arrêt, genre, ne faudrait pas croire que l’on ne maîtrise pas, un délice, l’on se croirait dans le jardin d’Octave Mirbeau, tellement ça fait du bien. Z’ont joué comme des brutes mais avec la finesse des ballerines.

             Faut remercier toute l’équipe qui a participé à cette splendeur.

    SUR LA ROUTE

    (Clip Officiel)

    Un titre issu de leur EP Riding The Monster, chevaucher le tigre aurait dit Julius Evola, sorti en novembre 2022. Une super belle couve. Très arty. Qui ressemble à presque rien. Remettez l’image dans le bon sens et vous aurez une bonne photo. Avec le clic pour l’incliner sur la droite, ce n’est plus la même chose. L’impression d’une chute irréversible. Le monster à monter n’est pas commode à maîtriser.

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    Se débrouillent pour toujours pour avoir ces clips originaux. Ce coup-ci ils ont trafiqué. Une paire de ciseaux et un vieux film, The carnival of souls, de Herk Harvey. Suffit de taper sur internet pour le voir en version intégrale et originale.

    Rien qu’au titre on sait qu’on est en Amérique. Rien à voir avec le roman de Kerouac. L’ambiance est beaucoup plus trouble. Les lyrics ne racontent pas le film. Z’ont pratiqué la technique des OGM, vous prenez une plante et vous lui transplanter des gènes adaptatifs particuliers d’un autre végétal qui la rendront plus solides.  Ici vous avez les images du film et la musique. A la limite une vulgaire bande-son chargée de faire passer le film d’une manière plus appétissante. Le ketchup dont vous arrosez le chou-fleur qui sans lui serait bien fade. Attention, il ne faudrait pas le chou-fleur vous rende le ketchup agréable. L’est vrai que les images sont magnifiques et qu’elles captent l’attention. C’est alors que Rawdog sort son arme secrète. Envoûtante. Elle se fond en vous, porter plainte pour manipulation mentale, vous pourriez le tenter, aux States, pas par chez nous. Vous êtes déjà sur le clip et vous n’avez rien remarqué, quels mauvais détectives vous feriez, le chien cru vous a roulé dans la farine, vous faut un moment pour que vous réalisiez, non ce n’est pas Audrey qui est responsable, c’est sa voix, vous voyez les images, mais maintenant elles ne correspondent plus à l’histoire originelle, elles vous guident, vous ne savez pas où, pourtant c’est infiniment simple, sur la route, vous la suivriez jusqu’au bout du monde, vous être prêts à vous taper  six allers retours sur la 666  rien que pour le plaisir d’entendre ce chant de sirène… Hélas, Rawdog interrompt votre enchantement, et ils vous refilent, ils vous l’écrivent en gros, ils débranchent la musique, une scène du film pour vous arracher à vos rêveries, elles auraient pu comme dans le chef d’œuvre de Herk Harvey vous faire passer de l’autre côté. Je ne crois pas que vous auriez aimé.

    Rawdog vaut le détour. Grunge, punk, pop, vous aurez du mal à les cataloguer. Un groupe différent des autres. Créatif.

    Damie Chad.

     

    *

                    La pochette m’a arraché la vue. Ce n’est pas une nouveauté, l’est mis en ligne en ce début de mois de mars 2024 par Symphonic Black Music Promotion. Un vieux groupe, plus de trente ans. Des Belges. Le metal regorge d’univers perdus, mais un groupe de metal oublié n’est-il pas aussi un univers perdu, une de ces anciennes lointaines planètes oubliées qui n’ont été qu’une étape ensevelie dans les légendes de la conquête des mondes des rêves nervaliens… aliens… aliens… aliens… répète l’écho des mémoires endormies…

    MEMORIAM DRACONIS

    AVATAR

    (Wood Nymph Records / 1996)

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    Vous ne l’avez jamais vu, vous ne le connaissez pas, vous voulez rire ou vous moquer du monde, il en a plus de deux cent cinquante à son actif, entre 1994 et 2024. Vous ne me croyez pas, faites un tour (attention ce sera long) sur son site ou sur discogs il suffit de taper son nom et bonjour le défilé de pochettes d’albums metallisés, rien qu’en parcourant rapidement j’en ai déjà repéré quelque unes qui étaient déjà passées sous mes yeux et dont je n’ai encore à ce jour jamais écouter les vinyles ou les CD qu’elles renferment. Kris Verwimp, une fois n’est pas coutume pour changer un peu, je vous refile une photo d’une de ses expos, j’aurais pu choisir un mur tapissé de ses artworks, j’ai privilégié le public, des amateurs d’art et de rock.

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    Pour la couve je vous laisse choisir entre les deux interprétations suivantes : l’image est une représentation de la chute de Rome, tout le monde sera d’accord là-dessus. Pour cadrer avec le sujet de l’opus, l’on veut bien croire que le Chef barbare muni d’une longue épée soit une représentation de Dracon, le problème ce sont ses guerriers. Faute de genre, ce sont des guerrières qui mettent à mal les derniers légionnaires qui tentent vainement de s’opposer… Nos ligues féministes ne manqueront pas de nous expliquer qu’en s’emparant de la capitale de l’Empire nos Amazones mettent fin des siècles de domination phallocratique symbolisé par le pouvoir romain.

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    Les adversaires de cette première thèse affirmeront au contraire que si Dracon puissance du Mal absolu est aidé dans ses conquêtes par des hordes féminines, c’est que rien de bon ne saurait arriver par la femme, qu’elles sont définitivement vouées de par leur nature intrinsèque à servir les forces du Mal…

    Hyberia : bass / Anjelen : guitar / Izaroth : synthétiseur / Azadaimon : percu / Occulta : vocals, guitar.

    …Memoriam draconis - Intro : notes claviériques, comme du vent soufflé sur les traces de pas de ce fameux Dracon qui ne serait plus qu’une ombre légendaire, un souvenir rongé par les dents usées du temps, est-ce pour l’effacer ou la ressusciter. Il semblerait que cette intro musicale se refuse à une vision grandiose, un peu comme le travail des archéologues qui travaillent sur un chantier de fouilles d’exhumation d’une civilisation anéantie en grattant précautionneusement le sol avec une petite cuillère. Par quel miracle pourrait-on faire tout un monde disparu dans une cuiller à dessert… Mists of evil : orages, pluie soutenue, guitare acoustique, sans préavis, le metal fond sur vous, soutenue par la voix djentée du Serpent, mais qui parle, ne serait-ce pas le Draco lui-même qui marcherait sur ses propres traces, par où passe-t-il, si l’Empereur Julien a pris le chemin des onagres,  Draco a choisi la voix nébuleuse des songes encartés dans les esprits humains, la route est incertaine, de larges pans de synthétiseur s’amusent à brouiller les pistes, un seul refuge pour Draco, rentrer en lui-même, en ses propres souvenirs, en sa propre existence qu’il a laissée derrière lui, n’est-il pas le Serpent à tête de loup qui ondoyait au-devant des troupes barbares qui combattirent Rome, et les légions ne s’emparèrent-elles pas de cet insigne, qu'elles arborèrent fièrement, Draco partout, Draco sur tous les versants, écoutez le basculement pirouettique de la batterie qui ne sait plus de quel côté se tourner, le synthé bat de l’aile frénétiquement, au plus profond de la plaie, arracher les moindres fibres de toute sollicitude humaine, il venait de la lumière élyséenne, la déesse du Ciel l’a trahi, il s’est débattu contre elle, contre lui-même il s’est libéré. A most excellent charm in solemn endurance : le Serpent connaît l’ancienne formule blasphématoire assyrienne du refus des biens terrestres, il crache son mépris, il s’inocule son propre venin, il récite la sentence définitive qui le coupe du monde, le synthé pleure, la batterie délire, les guitares sont en déroute, l’irrémédiable est accompli, pas de retour possible en arrière, il a franchi la ligne qui le sépare des hommes, l’est empli d’une autre plénitude. Petite musique de nuit. Profonde. The eternal nothingness : grondement de chœurs mortuaires, annonciation des âges noirs, la batterie lance l’assaut, le Serpent donne de la voix, il précède les armées conquérantes qui s’abattent sur l’humanité, le fléau du destin moissonne les hommes, épopée d’égorgements et de sang, rideaux de désespérances, les synthés tissent les linceuls du désespoir, la course se précipite, une cavalcade de plus et l’on tombera dans l’abîme, si vous êtes de la race humaine, vous avez du souci à vous faire, des envolées angéliques chantent le confiteor de votre malheur, l’ennemi pousse déjà ses chevaux sur le tapis de pourpre de vos cadavres, le serpent ondoie parmi les vents du carnage. Le malheur de tous fait le bonheur du Serpent. Il exulte. Il triomphe.

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    Seduced by necromancy : juste une imprécation, le monde est mort, mais des voyageurs traversent le désert de cendre, ils cherchent le pays situé de l’autre côté des étoiles, ce sont les thuriféraires en quête du royaume de Cthulthu. Peu d’appelés, encore moins d’élus. Seule la poésie par la voix du poème pouvait rendre compte de cette frontière. Emperors of the night : le Serpent exulte, il danse, il est entré dans le pays qu’il recherchait, il a obtenu réparation, il est devenu immortel, il est un empereur de la nuit, un dieu du mal, la batterie hache menu la tête des innocents, les claviers tissent des tentures rutilantes, joie tous azimuts, bal du masque de la mort rouge, la cruauté est le seul délice qu’il s’autorise, il ne parle plus, il ne déclame plus il vomit, grandes orgues des requiems éternels à épandre sur toute la surface du monde. Sands of scheol : tonnerre, le serpent crache, il prend l’un et il prend l’autre, car si l’un est : il est aussi l’autre, Draco se compare à lui comme un Serpent rampant dans la poussière de l’Enfer, la batterie totalement folle, les orgues derrière en renfort, plus un poème lu, une voix off, pour décrire l’intérieur et l’extérieur, le microcosme et le macrocosme, le créateur et la créature. Le moment du doute et du Dieu unique. Mais si le Dieu est un, il est aussi faiblesse et cela amoindrit sa puissance. Hymn to the ancient ones : notes grêles et graciles accompagnent les éructations du Serpent, avant le Dieu unique, il y en eu d’autres, les grands anciens, le Serpent les nomme, non ils ne sont pas lovecraftiens, ils résidaient en Mésopotamie, rappelons-nous que dans l’épopée de Gilgamesh c’est le Serpent qui mange la plante d’immortalité empêchant ainsi le héros de devenir immortel. Serait-ce la revanche du Serpent. D’ailleurs le Serpent n’est-il pas le fils de Tiamat la déesse du chaos originel. Reviendrions-nous au début de l’histoire, ne serait-ce pas elle qui aurait trahi Draco. Le Serpent se mord-il la queue… Star castle : le Serpent éructe, sont-ce ses derniers mots, parle-t-il de lui-même à la troisième personne, tant sa propre grandeur le dépasse, tonnerre processiorial, enfouissement au fond des profondeurs, le Serpent est mort et enterré, il parle encore, n’est-il pas devenu dieu en se trempant dans le bain maternel originel, naissance d’un nouveau culte, farandole musicale, la batterie batifole et les synthés font des boucles comme des enfants qui soufflent des bulles avec  leurs jouets, le Serpent ne parle plus, sa puissance n’a plus besoin de sa parole pour accéder à l’être. Il réclame le seul impôt qu’on lui doit, dévotion et adoration. Alors il frétille d’aise dans son tombeau. La batterie scelle les sceaux inviolables de son enfermement en lui-même. The mines of Moria – Outro : autant les deux minutes de l’intro furent courtes, autant l’outro instrumentale frise les dix-sept minutes. Avatar vous donne le temps de réfléchir et de méditer. Heure de gloire pour les synthés qui obscurcissent le ciel. Avatar a-t-il eu la prescience que ce serait leur premier et dernier album, des chœurs s’embrasent, ont-ils voulu tout mettre, tout dire, un sacré mélange mythologique, z’ont fourré tout le frigo dans le sandwich, histoire, littérature, rappelons que Moira est une cité tolkiénique de la Terre du Milieu qui deviendra l’apanage de Sauron, entremêlements de mythes primordiaux orientaux, grand espace de silence, n’arrêtez pas, ce n’est pas fini, ce n’est pas un blanc ou une erreur technique, ce coup-ci ils ont sorti les violons et l’on est en plein musique classique, z’ont soigné le générique, comme des notes de clarinettes, parodions Alfred de Vigny, rappelons-nous que le Serpent a une tête de loup, c’est pour cela qu’il est aussi un loup pour les hommes, seul le silence des Dieux est grand.

             Souvenez-vous du Serpent. Soyez sûrs qu’il ne vous oubliera pas.

    Avatar a enregistré un deuxième album Millenia qui ne fut jamais finalisé, le groupe se sépara en 2000.  Les bandes sont sorties en 2011. En 2004 est paru un EP (démo) quatre titres intitulé The Avatar, par le groupe The Avatar revendiquant une filiation avec notre Avatar. Réuni en 2000 The Avatar ne dura guère…

    Il est difficile de classer Avatar, pas vraiment heavy, pas du tout progressif. Le projet a vraisemblablement été monté trop vite, trop d’idées, pas assez de maîtrise. Dommage ce groupe promettait. Nous paraît comme une corne d’abondance, ouverte à tous et aujourd’hui négligée. Remercions Symphonic Black Music Promotion d’avoir attiré notre attention.

    Damie Chad.

     

    *

    SNOW WOLF Records vient d’éditer un disque titré : Salvation : a Fundraiser for ESMA and the animals of Egypt. ESMA est l’équivalent de notre Société Protectrice des Animaux. Tous les fonds récoltés seront intégralement versés à cette association égyptienne.

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    Trente groupes ont participé à cette bonne action. Parmi eux THUMOS.

    LACHES

    THUMOS

    (SWR / Bandcamp / 01-03 – 2024)

    Comme nous aimons les bêtes en général et Thumos en particulier nous avons voulu voir et écouter. C’est voir qui nous a posé le plus de problème, laches nous ne connaissons pas ce mot anglais, peut-être ont-ils emprunté un vocable français pour stigmatiser la lâcheté des gens qui abandonnent leur chiens ou leurs chats avant de partir en vacances. OK, mais pourquoi n’ont-ils pas posé l’accent circonflexe sur le ‘’a’’, n’ont pourtant pas l’air d’être idiots chez Thumos, doit y avoir anguille sous roche. Eureka, ai-je dit en sortant de ma baignoire dans laquelle j’étais entré afin de trouver la solution de cette insoluble énigme. La langue anglaise ne possède pas d’accent, suffit d’en rajouter un sur le ‘’e’’, je suis sûr qu’il y a du Platon dans cette embrouille. J’ai donc ressorti, je l’avais rangé après ma chronique sur Atlantis de Thumos mon volume des Œuvres Complètes de Platon sous la direction de Luc Brisson, pas de problème le Lachès œuvre de jeunesse de Platon n’attend que moi.

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             Au moins me dis-je, Platon et moi avons un lien commun, tous deux nous étions jeunes, lui quand il a écrit son dialogue et moi quand je l’ai lu. Justement, je n’ai aucun souvenir de ce que ce dialogue traitât de la cause animale… D’où relecture. Le moins que l’on puisse dire est que l’on ne s’appauvrit pas en lisant Platon. Socrate, Nicias et Lachès, ces deux derniers  sont des généraux athéniens renommés discutent d’éducation. Est-il bon que les jeunes garçons s’entraînent à la guerre. Assurément affirme Nicias. Lachès répond que les maîtres d’armes ne sont pas toujours les meilleurs sur le champ de bataille. Mais qu’est-ce que le courage ? C’est simplement tenir son rang dans la mêlée décrète fermement Lachès. Oui, mais la tactique militaire ne nous enseigne-telle pas que parfois il faut savoir reculer pour mieux contre-attaquer par la suite rétorque Socrate. Et cela ça s’apprend, ajoute-t-il, le tigre ou tout autre animal sauvage dangereux qui vous bondit dessus est-il courageux, ou simplement conscient de la supériorité de sa force ? En fait le tigre est téméraire car il ignore tout de vos armements. Le tigre est aussi naïf qu’un mioche de six ans qui croit pouvoir arrêter un soldat… L’on ne parle plus d’animaux dans la suite du dialogue. L’on y voit surtout Socrate se contredire pour le plaisir d’ébranler un adversaire qui se sert d’arguments qu’il tient d’une précédente rencontre avec… Socrate.

             Lachès : Ça tonitrue et ça fanfaronne quelque peu au début, ensuite l’on a l’impression d’une partie de quille chacun des protagonistes essayant de renverser à coups de boules bien placées celles qui appartiennent à ses contradicteurs. Arrêt. Lachès le valeureux repart bille en tête, l’exemple du parfait militaire pour qui les choses sont simples. Mais en face de lui Nicias sûr de lui ne rompt pas le combat, l’est certain qu’avec l’aile de la cavalerie socratique qui ne manquera pas de se porter à son secours l’ennemi se débandera, les chevaux de Socrate avancent à pas feutrés ça y est ils tombent sur les arrières de l’ennemi et commencent à fracasser quelques crânes qui n’ont pas fait preuve d’assez d’intelligence et de savoir…  Le sujet est sérieux, l’on y parle de guerre, mais Thumos et Platon s’amusent à cette joute oratoire, ce ne sont que paroles en l’air sans conséquence, la guerre c’est plus sérieux que ces jeux de rôles. Thumos a su exprimer l’intense jubilation de cette Grèce antique qui ne se payait pas de mots car consciente d’utiliser de la fausse monnaie.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

     

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    Un taxi m’a déposé au bas du local. J’ai essayé de faire la bise à Joséphine pour la remercier de cette attention, elle s’est dérobée, je n’ai fait que mon devoir s’est-elle défendue… Je l’eusse préféré moins professionnelle. Les filles sont des êtres incompréhensibles. Tout compte fait je préfère les chiens. J’ai raison, à peine le chauffeur s’est-il arrêté Molossa et Molossito ont bondi de joie, elles m’attendaient sur le trottoir. Je monte les escaliers entouré de leurs aboiements.

    Le Chef m’accueille avec un grand sourire :

             _ Agent Chad pour fêter votre retour, exceptionnellement j’allume un Coronado, asseyez-vous vite, une dure matinée nous attend. Faites taire ces chiens, je n’aurais pas dû les inviter hier soir au restaurant pour leurs efficaces interventions durant votre promenade. Ils se prennent pour des cadors, toutefois je dois reconnaître que notre deuxième vague d’assaut s’est comportée avec bravoure comme nous l’attendions. J’ai demandé à l’Elysée de les inscrire à la prochaine promotion du Mérite National. Nous ne sommes pas en odeur de sainteté apparemment en haut-lieu, l’on m’a répondu qu’ils aimeraient mieux les inscrire dans un chenil de la SPA ! Mais je cause, je cause, nous n’avons pas de temps à perdre, nous avons rendez-vous, allez me voler une voiture sur le champ.

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    Je conduis doucement, une question me taraude, l’accueil du Chef m’a paru étrange, l’a beaucoup parlé, comme s’il avait voulu m’empêcher de formuler une question, je la pose :

             _ Chef vous avez raison, les chiens se sont magnifiquement compotés, par contre la troisième vague d’assaut, je n’ose pas dire qu’elle a brillé par son absence, mais je ne vous ai pas beaucoup vu !

             _ Agent Chad, ne vous fiez pas aux apparences, je peux vous certifier que sans mon action vous seriez actuellement mort. Je vous le prouverai d’ici quelques minutes, tournez à gauche s’il vous plaît, au bout de l’avenue ce sera la troisième à droite. J’ai juste le temps d’allumer un Coronado !

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    Une rue étroite, aux façades grises. Le Chef m’ordonne de me garer près d’une vitrine poussiéreuse. Sur la porte d’entrée trois lettres gravées sur une plaque de marbre MIT. Nous suivons un couloir miteux. Les chiens reniflent avec inquiétude. Nous voici dans un bureau. Nous n’avons pas fait trois pas à l’intérieur que l’agent d’accueil se porte avec vivacité à notre rencontre.

             _ Messieurs, je suppose les membres du SSR, nous vous attendions avec impatience. Voulez-vous me suivre. Je vais vous conduire jusqu’au bureau du Professeur Longhair, il est actuellement en conversation téléphonique avec la Maison Blanche.

    De l’extérieur la maison ne payait pas de mine, maintenant elle paraît immense, plus nous progressons dans les nombreux couloirs, plus l’on avance je m’aperçois que l’impression de vétusté crasseuse de l’entrée cède la place à un luxe que je qualifierai d’insolent. Nous croisons beaucoup de monde, sont tous et toutes accrochés à leur portable dans lequel ils chuchotent avec circonspection. Drôle d’ambiance.

             _ Veuillez vous donner la peine d’entrée s’il vous plaît, non ne les empêchez pas de descendre de ces fauteuils, sur les quatre deux leur sont réservés. Ils l’ont bien mérité, je vous laisse le Professor Longhair arrive dans deux minutes.

    L’attente se prolonge un peu, le Chef en profite pour allumer un Coronado. Molossa et Molisso étendus de tout leur long dans les larges banquettes de cuir dorment profondément. Une porte face à nous s’entrouvre, le Professor Longhair entre engoncé dans une longue blouse blanche :

             _ Joséphine !

             _ Calmez-vous Agent Chad, ce n’est pas Joséphine, mais le professeur Longhair, du MIT, le Massachussetts Institute of Technologie, je précise qu’elle a l’oreille du Président des USA et de la CIA, c’est par l’entremise de cette dernière que j’ai réussi à la contacter, elle est reconnue par l’élite de la communauté scientifique du monde entier.

             _ Je ne comprends pas Chef, vous sous-entendez que lorsque je l’ai aperçue hier dans sa ravissante mini-jupe rouge, elle n’était pas là par hasard ?

             _ Non, cher Monsieur Chad, je vous attendais, plutôt nous vous attendions, moi bien sûr mais aussi les deux malabars sur le trottoir d’en face, bien sûr aussi le faux camion de pompiers, ah ! les agents de la CIA se sont amusés comme des fous à brûler les feux rouges grâce à leurs sirènes…

             _Vous voulez dire que c’était un coup monté, que vous êtes joué de moi pour je ne sais quelle raison stupide.

    Le Professor Longhair lève la main pour arrêter mon flot de paroles, elle me sourit, son sourire ressemble à sa mini-jupe rouge, mais son visage redevient sérieux.

             _ Cher Chef, allumez-donc un Coronado nous allons aborder les choses sérieuses.

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             _ Damie, vous permettez que je vous appelle Damie, vous êtes un homme exceptionnel, dans tout le territoire des Etats-Unis, sur trois-cent quarante millions d’habitants, je n’en connais que sept, huit en comptant très large, aussi doués que vous.

    Dans ma tête je me dis qu’un voyage aux States s’impose, un Rafalos dans chaque poche, je retrouverai ces sur-doués et les abattrai sur le champ, je ne suis pas d’un naturel jaloux mais je n’aime pas l’idée que Joséphine ait déjà remarqué ces huit individus, j’éliminerai tous ces rivaux potentiels sans pitié… Professor Longhair me voici !

             _ Voyez-vous Damie ce dont votre Chef nous a averti a suscité notre attention mais…

             _ Chef, je ne comprends rien, que leur avez-vous raconté ?

             _ Rien de bien inquiétant, Damie je vous rassure. Des gens victimes d’hallucinations il en existe plusieurs millions dans le monde. Peut-être sommes-nous tous, moi comprise, victimes de tels troubles à des degrés plus ou moins graves, tenez ceux qui vont systématiquement au cinéma tous les jours et qui se croient cinéphiles manifestent peut-être tout simplement le désir inconscient de devenir une star internationale du cinéma, comme vous Damie.

             _ Sachez que je déteste le cinéma et que je n’y vais jamais !

             _ Ce n’était qu’un exemple Damie, votre point faible, ce n’est pas le cinéma, vous avez encore un esprit jeune, presque enfantin, vous aimeriez avoir le pouvoir de traverser les murs, alors vous imaginez que des gens traversent les murs et comme vous êtes jaloux vous les accusez de tous les maux !

    Ulcéré, Je me tourne vers le Chef :

    _ Enfin Chef dites quelque chose, le gars que l’on a abattu dans le mur, l’on a bien retiré son cadavre de la muraille, et les meurtres du restaurant, et les bandits qui nous avaient pris en chasse, vous les avez bien trucidés, dites-le, témoignez en ma faveur !

    _ Justement Damie c’est ce qui fait de vous un cas exceptionnel, même nous dans la grande Amérique nous avons été incapables d’en dénicher un, nous avons dépensé des millions de dollars, épluché toutes les archives du FBI, quelques illuminés, quelques simulateurs oui, une personne intelligente comme vous, jamais !

    _ Chef, témoignez en ma faveur, j’en ai assez d’entendre les élucubrations du professor Longhair !

    Le Chef en profite pour allumer un Coronado :

             _ Agent Chad, je ne vous cache pas dans toutes nos aventures, depuis le début il est un détail qui m’a paru étrange : ce sont vos chiens que l’on a retrouvés sur le palier, pourquoi les Briseurs de Murailles, ne les ont-ils pas tués, au lieu de nous les rendre. J’ai longuement médité, j’ai mené ma propre enquête, en vain jusqu’à ce que je tombe dans la Revue Science sur un article du Professor Longhair, elle y développait d’étranges théories, j’ai pris contact avec elle, pour votre bien Damie !

             _ Oui Damie, j’ai émis dans cet article qu’un jour l’on devrait, si mes hypothèses étaient justes découvrir quelqu’un comme vous. Vos hallucinations, vos imaginations d’individus qui traversent les murs, je m’en moque, mais vous avez franchi une barrière, fait sauter un verrou spirituel, vous avez un tel désir de la possibilité de traverser les murs, que vous persuadez, des individus, que vous ne connaissez pas, dont vous ignorez jusqu’à leurs existences à monter une association de briseurs de murailles, et votre force mentale est si forte qu’ils deviennent capables de traverser les murs, cher Damie vous êtes ce que l’on pourrait appeler un Génie Supérieur de l’Humanité !

    A suivre…