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rockambolesques - Page 7

  • CHRONIQUES DE POURPRE 626 : KR'TNT 626 : KEITH MOON / NICK WATERHOUSE / SAM COOMES / BILLY BUTLER / HOLLY GOLIGHTLY / ASHEN / ERIC HOBSBAWM / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 626

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    04 / 01 / 2024

     

    KEITH MOON / NICK WATERHOUSE

    SAM COOMES / BILLY BUTLER

    HOLLY GOLIGHTLY / ASHEN / ERIC HOBSBAWM

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 626

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

    Wizards & True Stars

    - Fly me to the Moon

     

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             Le Moon The Loon qui traîne ici est une petite édition de poche fatiguée. Elle date de 1981. Elle a bien vécu sa vie de book et a sans doute fait rigoler sa palanquée de lecteurs. Keith Moon est généralement qualifié de lunatic dans la presse anglaise, mais le portrait qu’en fait Dougal Butler dans Moon the Loon: The Amazing Rock And Roll Life Of Keith Moon va bien au-delà du lunatic.

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    C’est l’équivalent littéraire de Las Vegas Parano, le trash-movie de Terry Gilliams : l’ouvrage nage en permanence dans les inondations de suites royales et des raz de marée d’outrages aux bonnes mœurs, dans des amas pharaoniques de giggles et dans du Monthy Pyton exponentiel. Contaminé par Moonie, Dougal devient un écrivain extrêmement drôle : il maîtrise l’art insensé de préparer le lecteur à l’imminence d’une catastrophe, celle qui germe dans le cerveau en surchauffe du prince des lunatics. Keith Moon et les Who ont incarné mieux que quiconque le mythe du rock’n’roll mayhem. S’ils ont su porter au pinacle l’esprit du sex and drugs and rock’n’roll mieux que tous les autres candidats au désastre, c’est parce qu’ils disposent d’un moteur que n’ont pas forcément les autres : l’humour. Mais un humour spécial, cet humour anglais dévastateur qui ne fait pas de quartier.

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             L’idéal pour accompagner cette lecture est de voir en parallèle le film de Jeff Stein, The Kids Are Alright. C’est une manière de combiner les plaisirs des sens, de joindre l’utile à l’agréable, de réunir le yin et le yang des Who, une manière de relancer le cœur battant du rock anglais, car les Who ne sont que ça. On redevient aussi dingue des Who qu’on l’était en 1965, quand passait à la radio «My Generation». Ça tombe bien, le film de Jeff Stein démarre sur «My Generation», bing bang ptoooff t’es baisé, Moonie tape au poignet cassé le haut du hit-hat, The ‘Hooo !, les rois du monde en jabots blancs, c’est ce que montre Stein dans son film, break de basse, roll over de Moonie, double grosse caisse, il bat déjà tout le freakout de London town et les ‘Hoooo cassent tout, bing bang ptooff ! Au bout de trois minutes, la messe du rock est dite. Les ‘Hoooo allaient déjà plus loin que tous les autres, et en matière de destroy, Townshend est un pionnier étincelant. Il était donc logique que Moonie développe sa propre succursale de destroy oh-boy. C’est ce que Dougal raconte.

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             À travers le bruit et la fureur du chaos prémédité, Dougal réussit à brosser un portrait de Moonie d’un réalisme sidérant. C’est tellement bien maîtrisé qu’on s’en effare au fil des pages. Pourquoi ? Bonne question ! Pourquoi accorderait-on le moindre crédit à ce mec qui détruit systématiquement ses chambres d’hôtels, ses vies de couple et ses voitures de luxe ? Dougal nous donne la réponse petit à petit : il fait remonter à la surface du tas de débris et de fumées un personnage incroyablement pur et drôle, juvénile et attachant, incapable de la moindre méchanceté, ni de la moindre vulgarité. Son camp, c’est Père Ubu et pas Hitler, son camp c’est Dada à la puissance 1000, c’est-à-dire Dada rock, il est le seul et unique fer de lance du Dada rock, avec Vivian Stanshall, qui, comme par hasard, sur le Pont des Arts, devient son copain et participe à quelques raids destroy, le plus connu étant l’épisode où, sanglés tous les deux dans des uniformes noirs de SS nazis, ils sont allés provoquer des vieux dans un asile. C’est la suite de Charlot, Moonie exploite exactement les mêmes travers, il fonce exactement dans le même tas. Il va mettre dix ans à se détruire et à casser sa pipe en bois, mais ces dix années comptent parmi les plus festives de l’histoire du rock. Ce sont ces dix années que raconte Dougal. Accroche ta ceinture.

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             Dougal est embauché par Moonie comme «chauffeur». Mais bien sûr, c’est du 24/24, il participe aux tournées, aux orgies et aux abus d’alcool et de dope. Et bien sûr à ce qu’il appelle les «jolly-ups». Il utilise tellement de slang dans son book qu’il donne à la fin trois pages de lexique. On est chez les ‘Hooo, et on parle le Shepherd Bush slang, dear boy. Et on joue le Shepherd Bush rock, comme l’indique Townshend dans le Stein movie : «Just musical sensationalism. We do something big on the stage. It’s just basic Shepherd Bush enjoyment.» Voilà sa définition des ‘Hooo sur scène. Et boom, «Can’t Explain», early ‘Hooo en noir et blanc, Moonie en cocarde, l’air ahuri, frappe sèche, wild rolls, il est précis et dingue à la fois, il décuple en permanence. L’art moderne, c’est Moonie. Tous les Dadaïstes savent ce que signifie précisément la notion d’art moderne. Tu réalises soudain que l’art moderne des ‘Hooo ne vieillira jamais.

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             Tiens, pour s’amuser un peu, on peut prendre un épisode au hasard : la tournée des Who avec The Herd en 1967. Le batteur des Herd est un vieux batteur qui joue avec un gong : «Le gong est là pour un effet dramatique, mais cet effet devient comique quand Moonie et Entwistle tirent sur les fils qu’ils ont attaché au gong au moment où le batteur gériatrique doit frapper dessus.» Dougal ajoute que lui, Moonie et Entwistle sont tellement pliés de rire qu’ils manquent de se casser la gueule du perchoir où ils sont postés pour tirer les fils. Ils n’en restent pas là. Pour le dernier concert de la tournée, ils installent des pétards avec des détonateurs électroniques sur l’orgue d’Andy Bown et son set ressemble, nous dit Dougal hilare, «plus à Pearl Harbour qu’à un Ava Gardner rock number.» C’est pas compliqué : tout le book est de ce niveau, avec une légère tendance à l’aggravation des dégâts. Dougal dit en gros que de 1967 à 1977, il a passé son temps à se fendre la gueule. Bien sûr, il parle aussi des autres ‘Hooo : «Quand il n’est pas en tournée, John Entwhistle se montre apte au calme, mais en tournée, stimulé par the magic ingredients, il peut sauter partout. Pete Townshend est plus enclin à la philosophie et peut communiquer avec des présences divines qui me restent invisibles, mais il est aussi capable de rivaliser avec Moonie pour le trône de King of Hotel Wreckers.»

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             Moonie fait tellement la fête qu’il est toujours en retard le matin quand il faut prendre l’avion pour le prochain concert. Le job de Dougal est de le rapatrier à temps. Il trouve Moonie à poil sur son lit - Je lui crie dessus, je le secoue, je le frappe, je le fais rouler, il finit par émerger. «Ah dear boy, what is the matter? What’s the time? Get me a brandy, there’s a good chap» - Moonie démarre le matin au cognac. Puis il réclame sa mallette à dope, exactement comme dans Las Vegas Parano. Il s’envoie une grosse poignée de pills dans le cornet puis il coiffe la toque avec les cornes de bison qu’il vient d’acheter chez Nudie’s, the western shop. Pas question d’aller nulle part sans les fucking buffalo horns - Las Vegas Parano suite - Aujourd’hui, Moonie démarre la journée ensommeillé et complètement à côté de ses pompes. Puis il se réveille et se conduit d’une façon étrange et même incohérente à ses propres yeux. Il parle par à-coups, il chante, il grogne. Il accélère soudain. Puis il retombe dans la stupeur. Finalement, le voilà plus ou moins habillé, coiffé de ses cornes de bison, on monte dans la limo et on fonce à l’aéroport - Bien sûr Moonie ne tient pas debout. Dougal le met dans un fauteuil roulant. Moonie pendouille d’un côté avec ses cornes de bison. Un mec lui lance  :

             — Hey Mr. Moon! How you’re doing man?

             — Ooooooooooarrrrrrhggggghhhh, replied Moonie.

             Dougal reproduit bien les répliques comateuses de Moonie. L’entrée dans cette salle de concert à San Francisco est extraordinairement drôle et destroy. Bien sûr, Moonie n’est pas en état de jouer. Sur scène, il ne joue pas à la bonne vitesse. Townshend se rapproche de lui et lance : «Play faster, you cunt. Faster!». Dougal sait qu’il doit trouver un toubib. Un mec accepte d’intervenir sur scène et de lui injecter une potion miracle dans les deux chevilles pendant qu’il joue. Okay, mais pendant l’injection, Moonie doit lâcher ses pédales de grosses caisses - Stop playing the fucking bass drums, lui crie Dougal qui s’est glissé à 4 pattes derrière la batterie. Le toubib et Dougal arrivent à faire les deux injections en même temps, et du coup Moonie repart de plus belle - He’s drumming such a storm that Townshend turns round and screams to him : ‘PLAY SLOWER, YOU CUNT, SLOWER! - À travers cette scène hilarante, on observe un détail qui n’est pas neutre : Dougal n’aime pas trop Townshend, d’ailleurs, il ajoute : «There’s no pleasing some people», ce qui peut vouloir dire : il y a des gens qui ne seront jamais contents.

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             Moonie est un fabuleux clown tragique, l’ultime clown tragique du rock. Il paye son art de sa vie. Son mode de fonctionnement est ce que les Anglais appellent the oblivion, une façon d’ignorer le réel en vivant à cent à l’heure. Alors Moonie vit l’oblivion à cent à l’heure.

             Dougal décrit une autre scène : Moonie réclame du liquide à une vieille dame qui tient un kiosque. Elle commence par lui lancer : «Êtes-vous le hooligan qui fait tout ce bruit dans les parages, jeune homme ?», et Moonie lui répond :

             — C’est moi, misérable vieille moutte ! Donne-moi some fucking money !» Et il sort son pistolet en plastique et le colle au nez de la vieille.

             — Arrrrrrgggggghhhhhh !, et elle tombe dans les pommes.

             Moonie, c’est ça en permanence, du délire au kilo-tonne, une pression de tous les instants dans un nuage d’alcool, de dope et d’inventivité à tout prix. Pour bien comprendre ce que ça signifie, le plus simple est de lire ce book. Moonie, c’est Dada rock à la puissance 1000.

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             Quand il veut un truc, il le lui faut tout de suite. On the spot, dit Dougal. Une Mercedes, une Rolls Corniche, une Lincoln Continental, un camion pour livrer le lait, et maintenant une Excalibur. Amusé, Dougal reconnaît à Moonie un réel manque de talent pour la conduite automobile. En plus, il a rarement son permis sur lui. Il collectionne bien sûr les crash, mais il s’en sort toujours sans dégâts corporels - But of couse, this is all part of Moonie’s practically miraculous ability to survive - Mais pour se payer l’Excalibur SS - une réplique of 1930’s Mercedes sports tourer, the kind of car, ajoute Dougal, that even Herman Goering would find a bit flash - Moonie doit sortir du cash, 40 000 $, chez un agent de change américain, Greenback & Schtum. Dougal accompagne Moonie dans l’immeuble de Greenback & Schtum. Une secrétaire dit que Greenback est en voyage, alors, Moonie cherche Schtum. Il cherche à sa façon, il ouvre toutes les portes des bureaux et aboie : «Schtum ?», jusqu’au moment où un mec lui répond «Yes ?». Et là, Moonie hurle : «Give me my fucking money !». Le mec essaye de lui expliquer qu’on ne peut pas sortir autant de cash sur le champ, alors Moonie monte en température : «Now, listen to me, you cunt. Je sais que toi et tes larbins en costards rayés avez 40 000 $ qui m’appartiennent, alors je suis venu les récupérer, va au coffre et file-moi mon blé, de préférence en billets bien neufs. Puis je partirai avant que tu aies pu dire : profits et pertes.» Ça tourne à l’apocalypse parce que le Schtum résiste encore, mais Moonie emploie les grands moyens, c’est du cirque dans la vie réelle et on se marre comme un bossu en lisant ces pages.

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             Bon, il achète l’Excalibur cash, mais elle ne dure pas longtemps, car il repère la légendaire Liberace Excalibur, encore plus flashy. Il se paye aussi l’AC Frua 428, une bombe dotée d’un moteur V8, mais comme Moonie roule dans les petites rues à 150 à l’heure, l’AC retourne vite au garage. Le plus souvent, c’est Dougal qui conduit, mais certains soirs, Moonie demande les clés, un moment que Dougal appréhende, car c’est un présage de «mechanised disaster». Et puis voilà l’épisode avec Ted et sa jambe de bois dans un local pub. Tout le monde picole au pub et Moonie propose à Ted de le ramener chez lui. Bien sûr, Ted refuse. Il préfère marcher. Mais on ne dit pas non à Moonie. Un Moonie, précise Dougal qui assiste à la scène, drunker than a skunk. Le véhicule cette fois est un Bucket T Street Rod, dont le moteur est encore plus gros que celui de l’AC 428. Tout est drôle dans ce book, même la démesure est drôle. Elle fait tellement partie du jeu. Alors Moonie met le contact. Vrooom vrroaaaaammm. Dougal dit que ça fait autant de bruit que le Concorde. Le moteur est en échappement libre. Ted est en alerte rouge. Dougal croit qu’il va sauter de la voiture, mais avant qu’il n’ait pu faire le moindre geste, Moonie enclenche le clutch - Le moteur est si puisant que la caisse se lève sur les roues arrière et vroaaaaaaarr, c’est parti à fond dans Chertsey High Street - Les hurlements du moteur sont à peine couverts par ceux de Ted - Dougal parle de banshee wailing, pour décrire les hurlements, ce qui n’est pas rien. Si Ted pousse des cris de banshee, c’est parce que sa jambe de bois s’est décrochée. Il la récupère au moment où Dougal s’aperçoit que Moonie roule du mauvais côté de la rue et qu’un camion arrive en face. On entend les crissements des freins du camion - Moonie of course is pissing himself with laughter et ne montre aucune intention de tourner le volant pour éviter la collision - Alors Ted frappe Moonie sur le crâne à coups de jambe de bois et Dougal décrit le bruit que ça fait : BOFF ! L’épisode est à hurler de rire. On ne se croirait pas dans un rock book, et pourtant si. Keith Moon, batteur des ‘Hooo.

             Retour au film. «Baba O’Riley», heavy beat, Townshend en mode power chords et l’extravagant rolling power de Moonie et ses coups de gong ! Et puis tu as les early ‘Hooo de «Shout & Shimmy», avec the Ox sur une Dan Electro, Moonie sur un drumkit simple - logo avec la flèche - et bien sûr, il bat le beurre de tous les diables.  

             Quand il est à Londres, Moonie traîne dans des clubs comme Tramp. Bien sûr, il se fout à poil juste avant d’entrer, et comme il s’appelle Keith Moon, on le laisse entrer à condition d’enfiler un calbut. Il l’enlève aussitôt entré, il repère Jagger à Bianca et file droit sur eux - «Hello my dears» - et comme la bite de Moonie traîne près des steaks, Jagger et Bianca se lèvent aussitôt et quittent la table. Dougal ajoute que la Bianca abreuve Moonie d’insultes. Il pense que Bianca is a very snotty lady, une morveuse, dirait-on par ici. En même temps, il reconnaît que ça ne doit pas être très agréable de voir traîner la bite de Moonie sur la table. Un appendice qu’il surnomme the Moon dong

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             «Young Man Blues», Townshend en combinaison blanche, heavy 70s, classic stuff, démembrement de Mose Allison - chant, puis gratte/Moonie, et voilà le «See Me Feel Me» emblématique, Townshed combi blanche et bête à cornes, et Moonie bouche ouverte. Puis la scène finale de Woodstock, lorsque Townshend jette sa bête à cornes pour l’offrir au public. The ‘Hooo.

             Dougal rappelle aussi un trait fondamental du caractère de Moonie : sa sympathie pour les clochards et les damnés de la terre. C’est même essentiel. Tiens, en voilà quatre dans la rue. Pas le droit d’entrer au pub voisin ? Pas de problème, les gars, suivez-moi. Droit au bar. Paf, Moonie sort l’oseille et commande une tournée of very large brandies. Quand le patron lui dit qu’après ça, il doit vider les lieux - I want you lot out, understand? - Dougal dit qu’il commet une TRÈS grave erreur - S’il avait su à qui il s’adressait, il aurait choisi de parler sur un autre ton - Moonie ne dit rien - Le pub est silencieux, et ça ressemble plus à une scène de western qu’une scène dans un pub anglais. Je vois soudain les yeux de Moonie briller. Il fixe le plateau où le patron place les verres qu’il va servir. Et quand le plateau est bien rempli de verres, Moonie le soulève et balance les verres dans le mur derrière le bar, les projectiles fracassent toutes les bouteilles et avec le plateau vide, Moonie frappe le patron sur le crâne, et ça fait DING ! - Instant chaos - Les clodos sautent et chantent. Le patron veut appeler les perdreaux. Moonie, c’est Robin des Bois.

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             Dans un hôtel, Moonie demande à Dougal de faire venir six masseuses pour faire la fête dans la chambre. Elles se foutent à poil, mais elles ne sont pas là pour baiser, Moonie veut faire la fête, alors il propose une bataille d’oreillers. Le champagne coule à flots, et Moonie essaye d’enfoncer les bouteilles vides dans le cul des masseuses, mais elles ne veulent pas. Alors Moonie propose un autre jeu. Il a un garde du corps nommé Isadore - Vous devez visualiser le contexte : il s’agit d’une chambre d’hôtel où tout est détruit, avec des plumes partout et des bouteilles de champagne vides. Le lit est écroulé, les rideaux sont en lambeaux, pas un seul meuble n’est entier, les filles sont à poil et couvertes de plumes, Moonie est aussi à poil mais sans plumes car rincé au champagne. C’est là que j’appelle Isadore dans sa chambre. ‘Isadore ?’ ‘Yeah? Dougal?’. ‘Écoute mec, tu devrais te lever et venir immédiatement. Moonie est hors de contrôle. Il est... Christ... Pour l’amour de Dieu, ramène-toi. Il a violé une femme de ménage. Je crois qu’elle est morte, man, il y a du sang qui coule de sa bouche. Et là, je commence à chialer, alors Isadore rapplique immédiatement. Il entre en trombe dans la chambre et découvre tout le bordel : la fille par terre, les jambes ouvertes, avec du ketchup plein la figure, Moonie recroquevillé dans un coin, se cognant la tête contre le mur et grognant, moi et cinq autres filles hystériques et en pleurs - Voilà le genre de coup que monte Moonie. Et chaque fois ça marche. 

             Dans un restau, Moonie fait venir 12 masseuses, leur demande d’enlever leurs knickers, de s’asseoir sur le comptoir et d’ouvrir les jambes. Alors il parle d’une voix de magicien au moment où il prépare son numéro : «Et maintenant pour votre délectation et votre plaisir, the one and only, the great, the astonishing, the astounding Moonio will perform his world famous multi-clitoral stimulation - before your very eyes and entirely without a safety net!». Puis il plonge dans la première beaver pie et titille le clito. Et il continue en allant de plus en plus vite. Les filles coopèrent in a most delightful manner

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             Jeff Stein mélange bien les époques. Après Woodstock, il revient au ramshakle d’«Anyway, Anyhow, Anywhere», Moonie en cocarde, freakout ! Puis «Substitute», dynamite !  et bien sûr c’est encore Moonie qui propulse le «Magic Bus». Et ça continue d’exploser au Rock Roll Circus avec «A Quick One While He’s Away», Moonie bombarde, the Ox bombarde, you are forgiven, Moonie bat à l’éperdue, il explose en gerbes de joie dionysiaque, il n’existe aucun batteur comparable à Moon the Loon. Absolument aucun.

             Moonie commence à faire du cinéma. Il est bon pour ça. C’est un acteur né. Le voilà sur le tournage de That’ll be The Day. Le réalisateur s’appelle Claude Whatham. Moonie joue le rôle du batteur des Stray Cats. Mais il trouve que l’ambiance est mauvaise sur le plateau. Alors il monte un coup. Il attend que Whatham demande le calme pour lancer sa première attaque. Soudain, dans la sono du plateau de tournage, une voix énorme annonce : «Les Allemands bombardent Neasden. Une bombe atomique va tomber sur Neasden. Courez immédiatement aux abris avec votre masque à gaz. Je répète...» Whatham hurle. Cut ! Cut ! Cut ! Il explose : «Find the loony ! Find the bastard !» Alors Moonie lance son deuxième raid : «N’essayez pas de me trouver. Je répète : N’essayez pas de me trouver. J’ai une mitraillette et je n’hésiterai pas à m’en servir. Je suis armé et très dangereux.» Whatham hurle de plus belle : «Trouvez-le ! Jesus-Christ, sortez-moi ce bâtard d’ici !». Alors Moonie envoie le troisième raid : «S’il y a des flics ici, sachez et que je fume un joint et que je me fais un shoot d’héro dans l’artère principale. Tous ceux qui jouent dans ce film ont la chtouille et des morpions. Chacun est prié de se rendre dans la clinique la plus proche. Toutes les filles de l’île de Wight sont des putes et elles vont enlever leurs knickers à la première occasion.» Whatham devient fou. Moonie continue : «Notez que Claude Whatham va être remplacé par un autre réalisateur. Un autre réalisateur est en route. On ne veut plus de Claude Whatham sur ce tournage parce qu’il encule le directeur de casting, ne niez pas, Claude, parce qu’on vous a vu. On vous a vu enculer le directeur de casting.» Quand on trouve enfin Moonie, tout ce qu’il trouve à dire, c’est qu’il a redonné vie à ce plateau de tournage.

             Sur le tournage de Stardust, Moonie refout le souk. La scène se déroule dans un restaurant, et soudain, il y a beaucoup d’animation. Stop the cameras !, crie le patron du restaurant. Car quelqu’un a modifié le menu affiché au mur sur la grande ardoise :

             — Fried Shit and Ships

             — Prunes and Piss

             — Bollocks on Toast

             «Inevitably, Moonie is absolutely convulsed with laughter and he can hardly stand up.»

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             Alors bien sûr, il faut voir ces deux films, That’ll Be The Day et Stardust, qui sont les deux parties d’une même histoire, celle de Jim MacLaine, interprété par David Essex. Le casting des deux films est somptueux, Ringo et Billy Fury jouent des rôles clés dans le premier, Adam Faith et Dave Edmunds dans le deuxième. Il existe une parenté entre ces deux films et Quadrophenia, car l’approche sociologique sonne juste : David Essex grandit dans un milieu working class (sa mère tient une petite épicerie et son père s’est fait la cerise). Il quitte l’école - Got enough of schooling school - pour aller zoner dans une station balnéaire - So I gave up, ran away and hitched to a roller-coaster ride in search of fish & chips & freedom - Il trouve une piaule - Two pounds ten in advance - et pour vivre, il loue des transats - I might finish up being the first British rock’n’roll deckchair selling millionaire tycoon - Il devient pote avec Ringo qui est effarant de justesse dans son rôle de Teddy boy. Et puis voici le moment de vérité : Whatman filme un groupe de rock dans une petite salle. Première apparition de Moonie au beurre derrière Stormy Tempest, interprété par l’effarant Billy Fury. On voit aussi Graham Bond au sax et certainement Manfred Mann aux keys. On voit aussi un concours de danse et Ringo fait un vrai numéro de cirque. Moonie aussi. La petite scène qu’il fait avec sa batterie vaut tout l’or du monde. Puis Jim MacLaine rentre chez sa mère, se marie et fait un gosse. Jusqu’au jour où, comme son père, il quitte sa femme, son fils et sa mère, qui n’est pas surprise. Il va s’acheter une guitare. C’est la fin du premier épisode. C’est bien de pouvoir revoir ce film, c’est l’un des grands classiques du ciné rock britannique.

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             L’idéal est de pouvoir enchaîner aussitôt avec Stardust. Jim McLaine a monté un groupe nommé Stray Cats (rien à voir avec les Stray Cats américains) avec Dave Edmunds, Moonie et deux autres mecs, et il demande à Mike Menary (l’excellent Adam Faith) de faire le road manager. Okay then, Adam Faith fait des prodiges : il finance un van plus confortable, il négocie un contrat avec un label boss interprété par Marty Wilde. Moonie fait des apparitions plus fréquentes, mais en tant que pitre, et il n’est pas aussi bon que Ringo. Il redevient le légendaire Moonie lorsqu’il bat le beurre de glam pour David Essex sur «You Kept Me Waiting» et là, on voit le beurreman physique extravagant. Magnifique plan rock. Puis on les voit en costards gris exploser la scène avec «Some Other Guy» et là tu vois Moonie battre les bras en l’air, les cheveux au vent, le groupe est #1 en Angleterre, alors Moonie bat le beurre du diable, il saute sur son tabouret, c’est un joli mélange Who/Beatles, et tout le film est monté sur le modèle de la Beatlemania, avec les girls qui hurlent et les poursuites dans la rue. Puis le groupe tombe dans les pattes d’un investisseur texan, Porter Lee Austin, et devient une grosse machine à fric. Adam Faith et le Texan misent tout sur David Essex, donc le groupe est viré. Il est arrivé la même chose à Elvis. David Essex va finir par s’isoler dans un spanish castle avec Adam Faith. Pour connaître la fin, il faut voir le film.

             Retour à Stein qui réussit à filmer les ‘Hooo en répète. Moonie chante «Barbara Ann» au chat perché, c’est un fan inconditionnel des Beach Boys et de Jan & Dean. Il porte la barbe taillée et un débardeur rayé rouge et blanc. Un journaliste lui demande de raconter la vérité. Moonie : «Tell the truth ? I can’t do that. You can’t afford me.»

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    ( Dougal  & Keith in 1977 )

             Dougal donne la clé de Moonie : «Observez bien ce mec. C’est une catastrophe ambulante. Il a un ego démesuré, complètement démesuré. Mais en plus de tout, ça, c’est un homme généreux qui a besoin d’un exutoire, et comme il ne trouve pas d’exutoire au sens conventionnel du terme, il explose all over the place into outrageous behaviour. Et dans la plupart des cas, je suis là pour ramasser les morceaux.» Voilà donc la clé de Moonie. Quand Dougal décide de quitter Moonie pour aller bosser avec Jeff Stein et devenir assistant réalisateur, ça se passe très mal. On arrive à la fin du book. Moonie commence par lui interdire de le quitter, puis il l’insulte et finit par le frapper. Dougal répond et envoie Moonie au tapis. Bing bang ptooof. Dougal parle d’un épisode traumatic. Sa décision est prise : il rentre à Londres avec Stein. Alors Moonie embauche Keith Allison pour le remplacer. Mais il reste attaché à Dougal. Peu de temps après, il envoie Keith Allison le chercher pour le faire monter dans la limo et tenter une dernière fois de le convaincre de rester à son service. Moonie commence par s’excuser. Puis, il lui propose 50 % de tout ce qu’il gagne, Dougal dit non. Alors Moonie chiale toutes les larmes de son corps. Te voilà très exactement au cœur de ce que Robert Wyatt appelait the rock bottom. La vulnérabilité.

             Moonie va casser sa pipe en bois un an plus tard. Bizarrement, les ‘Hooo vont continuer sans lui.

    Signé : Cazengler, Keith Mou

    Dougal Butler. Moon the Loon: The Amazing Rock And Roll Life Of Keith Moon. Star 1981

    Jeff Stein. The Kids Are Alright. DVD 2003

    Claude Whatham. That’ll Be The Day. DVD 2020

    Michael Apted. Stardust DVD 2019

     

    Bridge over troubled Waterhouse

     - Part Two

     

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             Sur la grande scène, l’an passé, Nick Waterhouse sortait le Grand Jeu : costard d’American corporate, section de cuivres, allure de Revue, un set taillé au cordeau, immensément pro, quasi-Daptone. Big showtime d’American showman. Par contre, dans cette petite salle havraise, il fait tout l’inverse : Nick tombe la veste, il se pointe en chemise blanche, petit fute de tergal et mocassins.

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    Et là, ça joue, sans doute plus qu’avec tout le bataclan de la grande scène. Il est fantastiquement accompagné, ça jazze sec et net au beurre, ça slappe au round midnite sur la stand-up, un petit gros keyboarde à babord, et un Texas guy gratte des contreforts à la Chet Atkins sur sa Gretsch.

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    Te voilà arrivé au royaume du groove, sans doute le meilleur groove blanc qui se puisse concevoir de nos jours. Le Nick te nique tout, il claque des gimmicks parcimonieux avec la sagesse d’un vieux blackos, il pose sa voix avec un talent surnaturel, ce mec bat tous les records du genre, il fait corps avec son groove, il se bat pied à pied avec toutes ses structures biscornues et coule au final un bronze magnifique, tu passes une grande heure au pied d’un artiste qu’il faut bien qualifier de parfait.

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             Nick Waterhouse est l’héritier direct de Roogalator, le groupe de Danny Adler qui fut l’un des groupes les plus excitants, à Londres, en 1976. Wow la gratte vert pailleté de Danny Adler ! Et l’héritier le plus direct de Nick est P.M. Warson qu’on eut la chance de voir dans la région l’été dernier, Warson dont l’idole n’est autre que James Hunter. Tous ces mecs ont des racines dans le funk et dans la mélodie, ils combinent un son qui n’est jamais putassier, ils maîtrisent la science exacte du groove black telle qu’on la trouve chez Leroy Hutson ou encore Al Green & the Hi Rhythm, un sens aigu du smooth et du rythme, eh oui, Nick Waterhouse cultive cette élégance. Il attaque son set avec «High Tiding», tiré d’Holly qui n’est pas son meilleur album, et boom il embraye sur «I Feel An Urge Coming On», groové sec dans les règles du lard fumé. Il tape dans tous ses albums, voilà qu’il tire ensuite «Santa Ana» de Promenade Blue, cet album qu’on avait trouvé si décevant.

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    Mais comme il tourne pour la promo de son petit dernier, il se montre assez insistant avec «(No) Commitment». Le cut qu’on a repéré sur The Fooler s’appelle «Late In The Garden», Nick le cale plus loin dans le set, on le repère immédiatement, car il le tape aux heavy chords de gaga angelino, c’est un heavy groove infesté de réverb et ce démon de Nick se met à sonner comme Thee Midnighters, un combo chicano quasi-mythique arraché jadis à l’oubli par Norton. Et là, tu réalises que tu as le vrai truc. L’autre gros cut du Fooler s’appelle «Hide & Seek», Nick le claque sur scène, il le prend en mode joli groove dansant, il fait la java bleue de Los Angeles et n’en finit plus de nous en boucher des coins. C’est dingue comme ce mec sait rebondir dans ses aventures.

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             Après l’affreux Promenade Blue, il revient en force avec l’excellentissime The Fooler.

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    Là, tu peux y aller les yeux fermés. On y retrouve ce cœur de set, «Late In The Garden», bien allumé aux heavy chords, c’est infesté de réverb, fantastique clin d’œil aux Midnighters - It’s a testament to all the grace & work - Pur genius. L’autre coup de maître s’appelle «Unreal Immaterial», attaqué en mode stomp. Incroyable rebondissement ! Les chœurs font «ships in bottles» et le sax chauffe ça hot. Ce genre de cut dépasse l’entendement. Wild as Nick ! Ça joue avec l’énergie du «Gloria» des Them, mais avec de la démesure. Le Nick rentre dans le chou du rap gaga and dry land lies. Il attaque ce bel album avec «Looking For A Place», un heavy groove de bonne fortune qu’il chante à la menace - You said/ You were looking fir a place - Et paf, il te passe le solo spatial de réverb dans la moiteur de la nuit. «Hide & Seek» fait partie du set, c’est un joli groove dansant, presque poppy poppah. Avec cette Beautiful Song, il fait la java bleue de Los Angeles. Il rehausse cette merveille de good time music d’espagnolades. Chez Nick tout n’est que luxe, calme et espagnolades. «Play To Win» fait aussi partie du set, encore un wild groove, du full blown Waterhousing. Ah il faut le voir groover son every gamble game ! Il y va au don’t you deal me a hand et ça swingue à coups de trompettes. Plus loin, on recroise l’excellent «It Was The Style», un heavy cha cha cha, il y ramène toute la prestance kitschy dont il est capable, il shake son ass off sur ce heavy groove de toréador. Il finit avec un «Plan For Leavin’» assez dylanex, très bizarre, très orienté, accompagné aux trompettes mariachi.

    Signé : Cazengler, Nick Water-closet

    Nick Waterhouse. Le Tétris. Le Havre (76). Le 15 novembre 2023

    Nick Waterhouse. The Fooler. Pres Records 2023

     

     

    L’avenir du rock

     - Sam Coomes is coming

     (Part One)

             Quand l’avenir du rock se fâche avec une copine, c’est qu’il a une idée derrière la tête. Il ne fait jamais rien gratuitement. S’il décide d’engager une embrouille, c’est à des fins très précises. Il faut bien le connaître pour comprendre. À ses yeux, la vie est un jeu qui peut s’apparenter à une partie d’échecs. S’il admire tant Marcel Duchamp, ce n’est pas un hasard. S’il admire tant l’adepte de Clausewitz que fut Guy Debord, ce n’est pas non plus un hasard. Dans un cas comme dans l’autre, les petites mécaniques mentales génèrent plus d’excitation que n’en générera jamais la pratique des vices. Tout joueur d’échecs sait cela. Tu n’avances pas tes pions impunément. Tu joues, tu perds, tu joues, tu gagnes, mais tu joues toujours, même si tu ne le sais pas. Prendre une décision, c’est une façon de déplacer un pion, c’est-à-dire un acte qui peut entraîner des conséquences. Mais les conséquences restent dans le jeu. La vie et la mort font partie du jeu. Tu nais, tu gagnes, tu meurs, tu perds, entre les deux, tu joues des coups, les coups que tu peux. On comprend qu’un être supérieurement intelligent comme le fut Marcel Duchamp ait pu être fasciné par les coups d’échecs. Au plus secret de sa vie intérieure, l’avenir du rock fomente de délicieux complots. Il voit très bien le moyen d’obtenir le mat en trois coups, il suffit de prendre le temps de le préparer. Premier coup : il boit l’apéro seul dans son coin avec le casque sur la tête. La copine s’énerve. «Tu te crois où ?». Deuxième coup : un peu plus tard dans la soirée, il sort et va passer la soirée en ville, sans donner aucune explication. La copine est sciée. Troisième coup : il rentre le matin à l’aube réveille brutalement toute la baraque en passant un album des Stooges, avec le volume de l’ampli à fond. La copine sort de la chambre, excédée. Elle ne lui demande même pas d’où il vient. Elle fait sa valise et annonce qu’elle se barre de cette baraque de dingue. Alors l’avenir du rock lui lance, avec un petit sourire en coin :

             — Baby Coomes back !

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             Il faut s’appeler l’avenir du rock pour oser des coups pareils. Et ça marche à tous les coups.  Sam Coomes serait ravi d’apprendre qu’il a servi les desseins de l’avenir du rock.

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             L’autre jour dans Mojo, Victoria Segal annonçait le grand retour de Quasi qui fut, t’en souvient-il, le fer de lance de la grande pop américaine des noughties avec les Guided et Yo La Tengo. Sam Coomes et Janet Weiss ont longtemps cassé la baraque avec des albums faramineux, et malgré tout ça, ils ne font toujours pas la une des magazines. Bon, une page dans Mojo, c’est mieux que rien, alors on ne va pas aller se plaindre.

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    ( Sleater Kinney )

             En dehors de Quasi, Sam Coomes accompagne maintenant Jon Spencer & The Hitmakers. Janet Weiss a battu le beurre dans Sleater Kinney jusqu’en 2019, et dans d’autres groupes encore plus underground. Ils ont tous les deux un parcours aventureux qui s’étend sur plus de 30 ans. Ils vivent tous les deux à Portland, Oregon, mais séparément. Ils savent qu’ils sont cultes, mais ils ne la ramènent pas. Sam Coomes : «A Lot of people escape our cult, or avoid it.» C’est sa façon d’en rigoler. Chaque fois qu’ils sortent un album, ils pensent qu’ils vont devenir énormes, mais heureusement, la gloire les épargne, ce qui permet à Sam Coomes de philosopher : «La musique tient plus de la quête spirituelle que du job ou de la carrière.» À la fin des années 80, au terme d’un concert de Donner Party, son premier groupe, Sam Coomes a rencontré Janet Weiss. Ils se sont mariés et installés à Portland, puis séparés en 1997. Mais ils ont su conserver le plus important : la musique, c’est-à-dire Quasi. Leur grandeur, nous dit la victorieuse Segal, est de savoir transformer «life’s bitterest twists into pop euphoria», devenant, ajoute-t-elle, «the cult band’s cult band». En plus de Sleater Kinney et de Quasi, Janet Weiss battait aussi le beurre dans Stephen Malkmus’s Jicks. Quasi accompagnait aussi Elliott Smith. Ils se sont toujours bien débrouillés pour rester au cœur d’une scène passionnante. Rien de plus intense qu’Elliott Smith et Stephen Malkmus ! Ils ont aussi accompagné, nous dit Segal, les Go-Betweens sur leur come-back album, The Friends Of Rachel Worth. Ça s’appelle un parcours prestigieux. 

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             Breaking The Balls Of History est donc le dixième album de Quasi. Au premier abord, l’album sonne un peu pop indé, mais comme Sam Coomes n’est pas avare de poudre de Perlimpinpin, il faut s’attendre à un bon régal. Première estocade avec «Queen Of Ears». Comme ce mec est bon, on lui lèche les bottes. Il ramène dans son Queen toute la modernité dont il est capable. En fait, la modernité est la botte secrète de Quasi. Puis l’album va commencer à grouiller de puces. Il te balaye la pop d’un revers de la main avec «Shitty Is Pretty», Sam Coomes fait la meilleure pop d’Amérique, une pop pleine de jus qui ne craint ni la mort ni le diable. Pur Coomes power ! Et ça repart de plus belle avec «Riots & Jokes». Janet Weiss lance cette horreur, les voilà au cul du bottom, c’est une pure décharge de printemps, Sam Coomes te travaille ça au shuffle explosif, personne n’est jamais allé aussi loin dans la prévalence de l’évanescence, les vagues de shuffle t’arrivent en pleine gueule comme des paquets de mer, et les descentes d’accords sont mirifiques ! Cette pop innervée flirte en permanence avec le génie. Et ça continue avec «Doomscrollers», heavy pop monumentale, drivée dans la fibre. Ah il faut les voir amener «Nowheresville» au petit pouet de Sam, avec le tatapoum de Janet juste derrière - Shoot-ouff-ouff/ Get it - Sam te roule ça dans sa farine. Cet album a une pêche qui donne à voir et qui donne surtout du fil aux rotors, quelle niaque, c’est du cosmic Coomes, et là tu as un killer solo flash à faire pâlir d’envie Jon Spencer. Ils tapent leur «Rotten Wrock» aux casseroles de la misère et bouclent avec «The Losers Win» qui élargit à l’extrême leur pop évangélique. Sam Coomes joue de l’orgue, mais ça prend une dimension universelle. Sam Coomes is coming ! Il veille à tout, il est bien plus puissant que Paul McCartney.    

             Signé : Cazengler, coomique

    Quasi. Breaking The Balls Of History. Sub Pop 2023

    Victoria Segal : Quasi fight back, again. Mojo # 352 - March 2023

     

    Inside the goldmine

     - Butler de rien

             Ballo venait d’un univers complètement différent, celui de la petite bourgeoisie de banlieue verte. On le sait, la banlieue verte et la banlieue rouge n’ont jamais fait bon ménage. Mais cette fois, il s’agissait de bosser ensemble. Comme on avait des clients en com ressources humaines dans les groupes bancaires, c’est Ballo qui allait au charbon pour assurer le suivi commercial. Fréquenter les DRH des groupes bancaires ne lui posait aucun problème : il venait exactement du même monde. Au café du lundi matin, Ballo racontait souvent qu’il avait passé le week-end dans un mariage de 200 personnes, et qu’il avait rempli un nouveau carnet d’adresses. Il ne fonctionnait que par réseautage et tous les gens qu’il fréquentait bossaient eux aussi dans le petit monde privilégié des tours de la Défense. Certainement pas à l’usine. À son expertise technico-commerciale, Ballo ajoutait celle des cravates. Il avait le visage très large, le cheveu coiffé et plaqué au gel, de grands yeux verts et une bouche pincée qui en disait plus sur son caractère que tout ce qu’il voulait bien nous confier. Ballo était en quelque sorte un modèle de conformisme et il ne ménageait pas ses efforts pour s’adapter aux rigueurs de notre fréquentation, on sentait en tous les cas que notre façon d’être ne le laissait pas indifférent. Il respectait surtout notre créativité, car elle était source de richesse. On le payait pour la vendre à des gens qu’on ne voulait pas fréquenter. Ballo en tirait un double avantage : d’une part, il éprouvait de la fierté à surprendre ses clients en les déroutant : le conformiste vendait de l’anticonformisme à des conformistes, et comme ça marchait à tous les coups, il en redemandait. Et d’autre part, il s’enrichissait rapidement, car il savait parfaitement bien gérer un effet boule de neige. En quelques années, cette relation extrêmement mal embouchée devint objet de fierté, car basée sur le respect mutuel, ce qui n’est pas si courant dans ce monde de brutes qu’est le monde des affaires.

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             Pendant que Ballo vendait du vent, Billy charmait sa muse à Chicago. Vu d’avion, c’est exactement le même travail de fourmi. Ballo et Billy méritent tous les deux qu’on leur consacre un peu de temps et qu’on leur rende hommage. On a découvert Billy Butler dans une extraordinaire compile Chicago Soul, The Class Of Mayfield High, le Mayfield en question était bien sûr Curtis Mayfield. Une compile Kent lui rend aussi hommage : The Right Tracks. The Complete Okeh Recordings 1963-1966. C’est bien sûr Tony Rounce qui prend Billy en charge.

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             Comme le faisait si justement remarquer Hank Williams Jr, ce n’est jamais facile de faire carrière dans l’ombre d’un very famous one. Billy Butler est le petit frère du Soul icon Jerry Butler. Billy nous dit Rounce avait la chance d’être un chanteur et un guitariste talentueux, et la malchance de vouloir entamer une carrière alors que son grand frère était à l’apogée de la sienne.  Rounce va loin lorsqu’il affirme que le petit Billy a fait some of the best Soul records ever, sous la haute autorité de géants comme Carl Davis, Curtis Mayfield et Gerald Sims. Comme chacun sait, Jerry Butler fit carrière avec The Impressions et Billy n’avait que 13 ans quand Jerry connut la gloire avec «For Your Precious Love». Carl Davis signe Billy & The Four Enchanters en 1963 sur OKeh. Pour leur première session, Billy et ses amis enregistrent «Does It Matter», un cut chouchouté par les fans de Northern Soul, mais Rounce a un faible pour «Found True Love», qui ouvre le bal de la compile. On a là une big Soul primitive avec des harmonies vocales de rêve. Globalement, Billy fait une Soul de doo-wop. Rounce prend de l’élan pour déclarer qu’avec «The Monkey Time» de Major Lance et l’«It’s All Right» des Impressions, «Found True Love» constitue le trio de choc du «Chicago Soul’s golden era». Puis, comme il fait habituellement, Rounce nous ennuie avec ses chipoti-chipotas de découvreur de bandes inédites, ce qui fait qu’on se retrouve avec des doublons («Found True Love», «Does It Matter» et «Lady Love»). Lors d’une deuxième session, Billy et ses amis enregistrent «Fighting A Losing Battle», un autre cut chouchouté par Rounce. Il n’empêche que le résultat n’est pas très probant : un an de contrat et toujours pas de hits. Carl Davis renouvelle quand même le contrat du jeune Billy qui repart à l’assaut du ciel avec une compo de Curtis Mayfield, «Gotta Get Away». En 1964, il enregistre une autre compo de Papa Curtis, «Nevertheless», un solide r’n’b de yeah yeah I love you, Billy arrose de ses chunky guitar chords, mais c’est encore un flop. Lors de la même session, il met en boîte «Tomorrow Is Another Day», la Soul de la miséricorde. Et c’est en 1965 que Billy enregistre ses deux plus grands hits, «Right Track» et «Boston Monkey» que Rounce qualifie de dance floor classics. Il a raison le Rounce, Billy devient the king of it all avec son «Right Track», pur genius d’I believe - I believe I’m on the right track - Même magie avec «Boston Monkey», the Major Lance’s compulsive dance workout. Impossible de rester assis. C’est Dave Godin et son Soul City label qui font connaître le fabuleux «Right Track» en Angleterre. Godin envisage de sortir l’album du même nom paru sur OKeh, mais son label coule. Carl Davis quitte OKeh et le contrat de Billy prend fin. Davis est nommé big boss de Brunswick à Chicago et remonte une nouvelle équipe. Billy le rejoint. Mais le temps de la belle Soul de doo-wop est révolu. Le pauvre Billy rentre dans le rang.  

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             En 1973 paraît un album de Billy Butler & Infinity, Hung On You. Big album - How should I start this conversation ? - Billy t’explose la conversation dès «I’m So Hung Up On You». C’est extrême, il pousse la Soul dans le dos pour qu’elle avance plus vite, il explose les cadences de sex on you. «I Don’t Want To Love You» tombe du ciel. Il fait de la heavy Soul de charme chaud. Billy est un Brother intense, il tartine la Soul à l’infini. Il a derrière lui des chœurs de folles, on les entend bien dans «Whatever’s Fair», puis il fait claquer l’orage dans «Storm», Billy l’attaque au heavy groove, comme dans «Season Of The Witch». C’est saturé de feeling, ça groove sous les éclairs. «Free Yourself» ? Wild as fuck. Tu comprends pourquoi Billy est recherché. Il éclate ensuite «Dip Dip I’ve Got My Hands Full» au Sénégal, c’est énorme car bien fondé - I’ve got my hands full/ Of you - Il groove le heavy r’n’b. Il va chercher les grosses orchestrations pour donner du poids à «Now You Know» et là il s’envole par-dessus les toits - I’m on your side - Billy est puissant, il peut aller très loin. Il t’allume encore la chaudière avec «You Can’t Always Tell», il est le crack des cracks, il te fait du pur jus de wild r’n’b.

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             Paru pourtant sur Curtom en 1977, Sugar Candy Lady n’est pas l’album du siècle. Billy y propose une Soul de satin jaune curtomisée. Dans «I Know The Feeling Well», des petites gonzesses chantent get yourself together en chœur. Billy se la coule douce et va danser un petit coup avec «Play My Music». Il sait gérer son destin. Il fait de la belle Soul («Feel The Magic»), mais sans magie. Pourtant tout est là : les violons, le beat, les chœurs, la wah. Encore du très beau satin jaune avec «Alone At Last (Pt1 & 2)», il est dans l’énergie de Marvin, avec de très beaux arrangements orchestraux. Il tente sa chance jusqu’au bout de la B avec «My Love For You Grows». Il a raison. Billy a du talent.

    Signé : Cazengler, chat botlé

    Billy Butler. Billy Butler & Infinity. Hung On You. Pride 1973 

    Billy Butler. Sugar Candy Lady. Curtom 1977

    Billy Butler. The Right Tracks. The Complete Okeh Recordings 1963-1966. Kent Soul 2007

     

     

    Holly ne met pas le hola

     - Part Two

     

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             Fraîchement émoulue de l’Institut Supérieur de Formation du Garage Britannique (Thee Headcoatees), Holly s’est lancée dans une carrière solo. Elle jouait sur du velours car deux labels prestigieux la soutenaient : Damaged Goods en Grande-Bretagne et Sympathy For The Record Industry aux États-Unis. Quand on a des atouts comme ceux-là en main, la partie est gagnée d’avance. D’autant qu’Holly a basé sa légende sur une autre légende, celle de Breakfast At Tiffany’s, l’extraordinaire nouvelle de Truman Capote porté à l’écran par Blake Edwards au début des sixties. Bon nombre de jeunes coqs tombèrent sous le charme d’Audrey Hepburn qui campe à merveille le rôle d’Holly. Ah, il faut voir Audrey chanter « Moon River » assise la nuit sur le rebord de sa fenêtre : pur moment de magie. Et tout l’art d’Holly l’Anglaise vient de là, de ce pur moment de bonheur cinématographique.

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             Elle entame sa carrière solo en 1995 avec The Good Things qui reste bien dans la lignée des prestigieux albums des Headcoatees. Ouverture de balda avec un « Virtually Happy » monté sur un beat tribal de Bruce Brand. Pure présence apostolique ! Le garage d’Holly reste à la fois très vinaigré et très Shangri-La. Elle enchaîne avec un « Listen » chanté du nez. On sent qu’elle brigue la couronne, et que chaque morceau est dûment réfléchi, pesé et soupesé. Belle énormité que ce « Comedy True » rampé sur le pavé. Fantastique car progressif dans la charge de trash-guitar. Ce cut fait partie des hauts lieux d’Holly. Elle frise le génie avec un « Without You » monté sur un riff très violent. Elle tape là l’un des gagas les plus explosifs d’Angleterre. Ça riffe à outrance, on se croirait presque chez les Troggs, les Kinks et tous les autres, c’est trash explosif à l’état le plus pur. Le guitar slinger s’appelle Ed Shadoogie. Le dernier big time de l’album s’appelle « Every Word », ambitieux et cavaleur, revisité par ce démon d’Ed Shadoogie. Et voilà le travail. Sur chacun des (nombreux) albums d’Holly vont se nicher systématiquement deux ou trois merveilles. Il n’est donc pas question d’en rater un, car quand on a commencé à goûter aux charmes de « Without You », on souhaite voir la suite. 

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             Un an plus tard paraît The Main Attraction. Comme prévu, deux bombes s’y nichent. À commencer par « So Far Up There », de type gaga insidieux. Voilà qu’Holly traîne dans les caniveaux. Il ne faut ni l’approcher ni lui faire confiance. Elle n’est rien d’autre qu’une traînée des faubourgs, l’une des pires, celle qui chante du nez, une sale petite garce vénéneuse. Elle sort là une pure merveille de malveillance. L’autre bombe s’appelle « King Of Everything », amené comme un hit des Walker Brothers. Holly coule là un fantastique bronze d’extrapolation du mythe sixties - You’re the king of everything and I belong to you - Tout est joué à la basse. On trouve deux autre cuts magistraux sur The Main Attraction, « I Thought Wrong » (qui sonne comme du Velvet, insistant et vénéneux) et « If I Should Ever Leave » (qu’elle chante comme un Dylan tombé dans la lessiveuse, tout est poussé dans les retranchements, même l’orchestration, et ça donne un cut étonnant de ferveur incongrue).

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             On trouve un joli duo d’antho à Toto sur Laugh It Up, paru en 1996 : il s’agit d’une reprise du « Sand » de Lee Hazlewood chanté en duo avec Brian Nevill. On sent bien qu’après le carnage des Headcoatees, Holly aspire à plus de charité chrétienne. Alors elle tape dans le boogie de Big Dix à deux reprises, d’abord avec « Mellow Down Easy », joué à la bonne insistance de Toe Rag et sablé comme chez Ike, et avec le cut final, « Hold Me Baby » dont certains passages de guitares renvoient aux early Stones. On se régale de « Don’t Lie To Me », véritablement hanté par un solo trash d’une effroyable saleté sonique. Elle tape dans Ike en B avec « Troubles On My Mind » qu’elle prend au douceâtre angélique et elle humilie un mec avec « You Ain’t No Big Thing Baby ». Les albums d’Holly sont tous passionnants.      

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             Elle enregistre Painted On l’année suivante. En plus de Bruce Brand, on aperçoit Brian Nevill et Dan Melchior dans le studio de Liam Watson. Elle attaque avec « Run Cold », un groove de suburb classique qui sent bon la négligence féminine, un fumet que Napoléon Bonaparte appréciait particulièrement. Mais on sent qu’Holly s’éparpille un peu au fil des cuts : elle va du bastringue de bord de fleuve au heavy balladif peu déterminant, en passant par la country de pacotille. Avec « A Lenght Of Pipe », elle danse devant son juke. Elle inaugure un genre nouveau, le beat des antiquaires avec « Snake Eyed » qui sonne comme un fracas de vieilles casseroles ternies et poussiéreuses, mais elle y trouve une sorte de dynamique ancienne.

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             Elle redresse un peu la barre avec Up The Empire l’année suivante. Dan Melchior et Brian Nevill l’accompagne sur la scène de l’Empire Ballroom, Bridgetown’s premier nightspot. Deux belles choses sur ce petit disque sans prétention : « Trouble On My Mind », merveilleux hit de juke, juste de ton, vrillé par un solo énorme, et « Believe Me », tapé à la ramasse par Brian Nevill et qui sonne comme un groove des bas-fonds londoniens. Il règne une très belle ambiance sur cette petite scène. On se régale aussi d’une belle version de « Big Boss Man », d’un « Look For Me Baby » bien chaud et bien ouvragé, et d’une reprise de « It’s All Over Now » bien senti. Concert de rock anglais classique des années 90. Avec cet album, on atteint le cœur de l’underground britannique le plus magique.

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             Holly semble atteindre une sorte de vitesse de croisière avec Serial Girlfriend. Elle démarre en trombe avec « I Can’t Be Twisted », pur gaga brut de Brit tiré de l’avant. Arrive un solo fatidique, du pur jus de modernité classique, furibard et dément, encore pire que le solo de « Bird Doggin’ ». On trouve un autre killer solo sur « Down Down Down », battu au fond du bois de Toe Rag par Brian Nevill et arrosé de sauce sixties. Holly adore ces ambiances moody des clubs de Soho finement parfumés dandysme. Et soudain le solo surgit ! Voilà le secret d’Holly, elle peut rameuter le pire killer solo flash de l’histoire du rock anglais. On ne sait pas qui de Dan Melchior, Bruce Brand, Ed Deegan ou George Sueret passe le killer solo, mais on s’en fout. Puis elle s’éparpille avec les autres titres, passant de la petite rumba cacochyme (« Want No Other ») au heavy blues (« Come The Day ») en passant par la BO d’anticipation merveilleusement cinéphilique (« Serial Girlfriend »). L’ultime gros cut de l’album est « Til I Get », violent, noyé de son, et demented. On s’en repaît, d’autant qu’Holly fait sa gothique à la marée montante.

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             Elle revient se jeter dans les bras de Wild Billy Childish pour enregistrer cet album fabuleux qu’est In Blood. Dans ses notes de pochette, Billy annonce : « This album uses one chord ! And it’s simple and dumb ! ». Pour lui, trois accords c’est beaucoup trop. On peut garer le gaga sur un seul accord, et il le prouve avec le stomp rural de « Step Out ». Ces deux-là taillent bien la route. Le rock anglais leur doit une fière chandelle. Le jeu de gratte de Billy compte parmi les plus radicaux de l’échiquier politique. C’est un bretteur exemplaire. Ils enchaînent avec un morceau titre bien secoué du cocotier. Dans ses notes, Billy donne une extraordinaire leçon de morale et il va même jusqu’à prophétiser : « The future belongs to the glorious amateur ! One chord, one song, one sound ! ». Ils ramonent la cheminée du rock. Attention à « Demolition Girl » : c’est un vieux beat turgescent à la Pretties, monstrueux d’allant et complètement dévastateur, une vraie saleté endémique. Billy s’énerve, il secoue la tête en jivant son tintouin, c’est d’autant plus violent que c’est cadencé - Demolition baby ! - Billy et Holly mériteraient de passer la nuit dans le grand lit royal du palais de Buckhingham. Il faut l’entendre tirer ses morves de solo. Encore du British Beat d’excelsior avec « You Move Me », puis Holly s’en va foutre le souk dans la médina avec « It’s Natural Fact ». Elle y fait sa Bessie Smith, et là, ça prend une tournure énorme, car elle glisse. Nous voilà plongés dans les conditions optimales du rock anglais, avec une Holly qui nasille sur un groove de jazz contrebalancé au riff-raff. Rock genius à l’état pur. Tout aussi terrifiant, voilà « I’m The Robber », monté sur un vieux beat connu comme le loup blanc - It’s a hold up ! Hold up your arms ! - Coups d’harp par dessus, ils sont complètement dingues. Et ils bouclent In Blood avec « Hold Me ». Coups d’harp et brandy brash au comptoir. Quelle leçon !

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             Holly s’est fait peindre le portrait pour God Don’t Like It paru en l’an 2000. C’est un album moyen. On y trouve deux beaux cuts d’antho à Toto, à commencer par « I Hear You », qui est amené au petit groove de fête foraine. Dan Melchior y joue de la guitare fantôme et crée une présence fantastique. Ça groove à la racine du mythe. Il faut ensuite attendre « Second Place » pour renouer avec le gaga gagnant et plombé de fuzz. Holly chante d’autorité et ça donne un nouveau joyau pour la couronne de l’Underground Britannique. Qui saura dire l’éclat interplanétaire d’Holly ? Puis elle fait exactement comme sur les autres albums, elle s’éparpille. Elle tape dans le tintouin bluesy avec « I Don’t Know » et ça nasille au fond du fond. Son « Nothing You Can Say » est un groove de nez pincé joué à la stand-up amateur. Elle boucle avec un petit coup d’excitation final, « Use Me », chanté en mode amateur, comme ces girl-groups qui ne savaient pas chanter, mais leur candeur finira par s’imposer sous les lampions de la postérité.

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             Elle enregistre Desperate Little Town en 2001 avec Dan Melchior. Attention, c’est bardé d’énormités. Ils attaquent avec « Directly From My Heart » dans une fantastique ambiance à la Little Richard, avec un claqué d’accords poussiéreux. Extraordinaire ! On sent le génie gaga galeux de Dan Melchior. Sur « I’ll Follow Her », Dan chante comme un démon. Il gratte son vieux débris de dobro. Il gratte un blues d’élégance suprême. Et ça continue avec « Why Don’t You Love Me », et un retour sur le sentier de la guerre. Sacré Dan, quel fouteur de souk ! Il peut raser une ville tout seul. On passe au gaga gavé avec « Lifering ». Dan Melchior a le diable au corps. La pauvre Holly suit en tirant la langue. Dan se livre à un fantastique battage d’accords et le double de tortillettes de slide. Écoutez Dan Melchior les gars, c’est lui le king of the kong, le grimpé du sommet, celui qui chope les biplans pour les broyer. Quel gaga God ! Dan revient sonner les cloches du gaga gold avec le morceau titre. Il sort toujours ces petits riffs dont on raffole. On sent bien que ce mec ne vit que pour ça. Il ne mégote pas. Il faut aussi écouter « Don’t Pass The Hat Around », un heavy blues tamisard. Toute la mud coule des doigts de Dan la bête. En plus, c’est signé Tony McPhee.

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             S’il ne fallait conserver qu’un seul album de ce personnage faramineux qu’est Holly, ce serait sans le moindre doute le Singles Round-Up paru en 2001. Sur les 24 titres compilés, on a 12 bombes. Elle attaque avec « Virtually Happy », amené comme une grosse purge de gaga grind. Elle tient bien son rang de gaga Queen et chante d’une voix incroyablement pointue, d’un pointu qui frise la délinquance. Ça sonne comme un hit sixties, mais avec le poids d’une voix en plus. « No Big Thing » est aussi un énorme hit garage - You ain’t no big thing baby ! - Pure perle rare de gaga galvaudé. Le festival se poursuit avec « My Own Sake » épais et groovy, si épais que ça devient irrespirablement génial. Elle prend aussi « Til I Get » à la violence des bas-fonds, c’est aussi furieusement embarqué qu’un vieux hit des Pretties. « Waiting Room » sonne comme le meilleur gaga gogol. Elle chante d’une voix de gras double et pèse sur ses accents avec mauvaiseté, puis elle se hisse au sommet des explosions. Tout est roulé dans une farine de fuzz. Encore un hit de juke avec « I Can Be Trusted », vrillé d’un wild killer solo flash. Sur cette compile, tout est bon, il n’y a rien à jeter. Encore un hit avec « No Hope Bar » qu’elle gère à la meilleure embardée qui soit. Tiens, encore une extravagance avec « In You », shootée de solos intraveineux, c’est dingue, et même affolant de son sale et de proto-souffle d’audace. Elle reste dans le hard beat avec « Believe #2 » chargé de son à ras-bord et vrillé par l’un des meilleurs killer solos de l’histoire du kill kill kill. Il s’appelle Ed Deegan, c’est un redoutable interventionniste. Elle ondule des hanches sur « Too Late Now » et chante d’une voix trempée comme l’acier, puis elle tape le « Sand » de Lee Hazlewood en duo avec Max Décharné. C’est Dan Melchior qui reprend l’« Your Love Is Mine » d’Ike avec elle. Ils forment un couple rempli de hargne atrocement malveillante. Dan Melchior prend le lead sur « Laughing To Keep From Crying ». Il peut chanter comme un bluesman borgne de cabane et Holly le rejoint à l’unisson du saucisson. Sacré Dan, il sait lui aussi rester en alerte rouge. On aurait aimé qu’Holly fasse ses Brokeoffs avec lui plutôt qu’avec Lawyer Dave. Puis elle duette avec son vieux compagnon de route Bruce Brand sur un « Listen » admirable de bassmatic. Le dernier cut de cette superbe compile est une reprise de Pavement, « Box Elder » qu’elle explose dans les règles du lard fumant. Ça lui va comme un gant. Elle règne sur son empire.

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             Truly She Is None Other est probablement l’album d’Holly le plus connu. C’est aussi à l’occasion de sa parution en 2003 qu’elle vint jouer à Paris, au Café de la Danse. Pas mal de très bons cuts sur cet album, à commencer par le fameux « Walk A Mile » - Walk a mile in my shoes - pur dandysme écarlate de cramoisi, comme sur la pochette. Holly brode ça à l’or fin. Elle enchaîne avec « All Around The Houses », un petit groove rantanplan qui tournicote autour des maisons. L’indomptable Sir Bald Diddley joue là-dessus et ça s’entend dans le secret des tornades. Quelle magnifique ambiance ! Joli coup de British Beat avec « Time Will Tell », bien tapé par l’ineffable Bruce Bash Brand. Voilà du bon garage anglais sur deux accords bien décidés. Holly adore se secouer le popotin sur du vieux jive de juke, en souvenir du temps béni des Headcoatees. Encore une pièce de choix avec « It’s All Me » groovité aux guitares lumineuses, d’une exemplarité sans pareil. On croise plus loin « You Have Yet To Win », un classique de twisted jukebox. Holly sait traiter la chose à l’ancienne. Il faut entendre ces claqués de guitare infectueux, ce violent solo et l’esbroufe des clap-hands. Et Sir Bald touille bien la braise. Ah le bougre ! 

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             Down Gina’s At 3 fait partie des très grands albums live de l’histoire du rock. Tout est bon là-dessus. Bruce Brand et deux membres des Greenhornes accompagnent Holly : Jack Lawrence et Eric Stein. Ça commence vraiment à chauffer avec « Lenght Of Pipe », drivé au bassmatic. Quand tu as un mec comme Jack Lawrence à la basse, ça s’entend. Il sait groover. Eric Stein passe un killer solo furibard. Elle tape ensuite dans le beau « Walk A Mile »  de l’album précédent. Plus loin, elle bascule dans l’heavy blues avec « Further On Up The Road » et on revient au gaga gut avec « Won’t You Got Out ». Jack Lawrence joue ça à la mortadelle du petit cheval, il nous swingue ça à la barbaresque. Voilà comment on joue le gaga gold : au swing, comme le jouaient les Groovies. Killer solo d’Eric le viking. On notera la violence de la montée dans « Nothing You Can Say », digne des pires tensions de la Guerre Froide. On tape là dans l’inexorable. Derrière Eric et Holly, Jack Lawrence et Bruce Brand veillent au grain du grind. Quel gang ! Ça explose d’un côté et Jack Lawrence reste de marbre. On revient aux Headcoatees avec « No Big Thing ». Admirable ! On se croirait dans un album de rêve. Et ça continue comme ça jusqu’au bout avec « Run Cold » gros gaga-mambo de Londres qu’ils font rissoler à coups de killer solos, et « Shot Down Explosion », dans une version définitive. Boom ! Ça explose.

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             Slowly But Surely est le dernier album qu’elle enregistre en tant qu’Holly. The Bongolian vient donner u petit coup de main au shuffle. Holly jazze « My Love » jusqu’à l’oss de l’ass. Elle bénéficie d’un joli son de stand-up, rond et profond, et même carrément vulvique - My love is a deep blue sea - Avec « Dear John » on comprend qu’Holly prend une direction plus rootsy. Elle s’intéresse aux racines de l’Americana, ce qui est parfaitement absurde, de la part d’une Anglaise aussi anglaise qu’elle. Elle revient heureusement au gaga guilleret avec « In Your Head », arrosé de piano gadget par le petit Nasser Bouzida. Holly retrouve ses marques dans le bon vieux gaga gig à la noix de coco, mais prise entre deux feux : le balancement des hanches et le solo trash. Elle renoue avec le succès et sauve un album assez mal embouché, mal foutu et mal pensé. Plus loin, elle chante « Through Sun & Wine » avec la voix de Vanessa Paradis. C’est horrible de candeur factice. C’est vrai qu’il faut faire l’effort d’entrer dans sa cuisine remplie de petites boîtes à sucre en fer, car ça permet de bien apprécier sa version d’« All Grown Up », d’autant que c’est bardé de solos joués à l’élastique. Encore une jolie pièce avec un « Won’t Come Between » noyé d’orgue. Holly ne fait pas n’importe quoi.

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             On trouve pas mal de hits de juke sur My First Holly Golightly Album, à commencer par « Wherever You Were » chanté au petit sucre. Holly est vénéneuse. Son cut est à la fois terrible de tenue et choquant d’irrévérence. On retrouve l’excellent « You Ain’t A Big thing ». Son « Won’t Go Out » sonne comme une vieux rumble de gaga grivois et une stand-up embarque « Nothing You Can Say ». On se régale de « Further Up The Road » joué au boogie insistant et de « Run Cold » dégoulinant de décadence. Elle tape plus loin un « My Love Is » superbe de stand-up motion et chanté d’une voix de rêve - My love for you is a mountain ride - On rêve tous d’avoir une poule qui nous dise des choses comme ça.

             On voit la suite dans un Part Three.

    Signé : Cazengler, Holy shit !

    Holly Golightly. The Good Things. Damaged Goods 1995

    Holly Golightly. The Main Attraction. Damaged Goods 1996

    Holly Golightly. Laugh It Up. Vinyl Japan 1996     

    Holly Golightly. Painted On. Sympathy For The Record Industry 1997

    Holly Golightly. Up The Empire. Sympathy For The Record Industry 1998

    Holly Golightly. Serial Girlfriend. Damaged Goods 1998

    Holly Golightly. In Blood. Wabana 1999

    Holly Golightly. God Don’t Like It. Damaged Goods 2000

    Holly Golightly. Desperate Little Town. Sympathy For The Record Industry 2001

    Holly Golightly. Singles Round-Up. Damaged Goods 2001

    Holly Golightly. Truly She Is None Other. Damaged Goods 2003

    Holly Golightly. Down Gina’s At 3. Sympathy For The Record Industry 2003

    Holly Golightly. Slowly but Surely. Damaged Goods 2004

    Holly Golightly. My First Holly Golightly Album 2005

     

    *

    Ashen nous semble un groupe de metalcore précieux. Non pas parce qu’il est français mais parce que sa production et son parcours empruntent un chemin original. Se contentent d’envoyer leurs vidéos sur les plates-formes de streaming musical, qu’elles soient payantes ou en accès libre. Le bouche à oreille suffit pour drainer les fans vers les concerts.

    Nous les suivons de près : ainsi dans notre livraison 545 du10 / 03 / 2002 nous avions chroniqué : Sapiens, Hidden, Outler. Nowhere dans la 595 du 6 juin 2023, Angel et Smells like teen spirit (reprise hommagiale à Nirvana), voici à peine trois mois, dans notre 610, le 07 septembre de cette année.

    Aux seuls titres de ces vidéos le lecteur aura compris que l’univers d’Ashen est un peu à part…

    CHIMERA

    ASHEN

    (Official Lyric Vidéo / 7 -12 – 2023)

    ( Production Out of Line Music)

    Directeur : Bastien Sablé / Effets spéciaux : Alban Lavaud / Maquillage : Jade Maret / Nails : @jessiculottes : sur son instagram Jess est aussi tatoueuse et vous intime l’ordre d’aller voir la vidéo Angel d’Ashen.

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    Clem Richard : vocal : / Antoine Zimer : guitars / Niels Tozer : guitar, additional vocals / Thibaud Poully :  bass / Tristan Broggeat : drums.

             Chimera, le titre est prometteur, instinctivement l’on pense à Gérard de Nerval, une fausse piste dès que l’on évoque le prince à la tour abolie, c’est plus complexe que cela. El desdichado souffre d’une absence, il est un trou béant, une étoile effondrée sur elle-même mais en dehors de lui. Ce que pleure Nerval c’est l’absence des Dieux, il aimerait en créer un autre, plus exactement une autre, une nouvelle, un impossible alliage qui réunirait la matière des Dieux des antiques mythologies et celle du christianisme, la Mère originelle et géologique, les vénus kallipyges préhistoriales à la diaphanéité de la Vierge catholique.

             Certains se demanderont pourquoi je présente pour évoquer cette vidéo d’Ashen une explication que je m’empresse de déclarer fausse. Pour deux raisons : la première parce que je tiens à démontrer la qualité intrinsèque de cette vidéo en la comparant à un des textes poétiques les plus brillants, en d’autres mots qui émet une lumière si vive que la nuit dans laquelle nous nous débattons paraît encore plus obscure. L’on ne peut comparer que des objets de même intensité.

             Le deuxième réside en cette constatation. Si le poème de Nerval évoque d’une manière toute nervalienne la mort des Dieux, Nietzsche aura la sienne, la Chimera d’Ashen est à regarder et à écouter comme la suite du poème de Nerval. Ne pas entendre le mot suite comme le deuxième épisode d’un récit dans lequel on retrouve plus ou moins les mêmes personnages, nos contemporains les plus immédiats parleront de Saison 1 et 2. Plutôt l’imaginer selon Aristote d’après qui toute cause engendre une conséquence.

             Les Dieux sont morts reste l’Homme. Si l’Homme ne peut plus parler aux Dieux, il ne peut s’adresser qu’à lui-même. Les âmes charitables affirmeront qu’il trouvera son bonheur à échanger avec ses semblables. Oui mais si les autres me ressemblent à quoi bon discuter le morceau de gras. Je connais déjà les réponses.  Mieux vaut s’adresser à Dieu qu’à ses saints ! Tout Homme qui se respecte ne parlera qu’à lui-même. Pas à un miroir. Pas à un clone.

             Evidemment la situation se complexifie. Relisez la troisième ligne de ce texte. Nous retombons sur nos pattes. Par la même occasion sur Nerval. Le doux Gérard en appelle aux Dieux extérieurs. L’Homme moderne ne peut susciter qu’un être qui soit non pas au-dehors de lui, mais en lui-même. L’Homme moderne engendre des monstres qui naissent et vivent au-dedans de lui. Les cliniciens nomment ce phénomène délire schizophrénique.

             Le mot délire est rassurant. Si vous délirez c’est que ce n’est pas vrai. Le problème c’est que ce délire vous coupe en deux, ou plutôt vous multiplie par deux. Coupé en deux vous êtes encore la moitié de vous deux, multiplié par deux vous n’êtes plus seul chez vous. La lutte commence. A mort. Êtes-vous sûr de la gagner.

             Après toute cette longue vidéo, vous demanderez-vous pourquoi l’on ne voit que Clem Richard ? Les quatre autres n’ont pas été retenus par le casting. Ne vous inquiétez pas dans les notes ils précisent que texte et musique sont bien l’œuvre commune de leurs cinq individualités créatrices.

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             Fond noir. Clem assis sur un tabouret. Vêtu de gris. La couleur la plus impersonnelle qui soit. Cheveux bleus. Rien à voir avec un coin de ciel bleu. Ses yeux sont dirigés vers vous. Il ne vous regarde pas. Sa voix dégobille une vomissure de sludge, quand elle redevient à peu près ( soyons gentil ) normale il chante pour lui-même, l’a l’air de réciter un mantra que lui seul peut comprendre, sa bouche se tord, l’est en pleine crise de folie, dure et pure, il hurle, ce pauvre gars dans sa cellule est à plaindre, vous aimeriez qu’on lui refile un calmant, vous vous apprêtez à téléphoner à une association anti-psychiatrique, reposez votre téléphone, c’est inutile, non il n’est pas mort la situation a changé, certes il est toujours aussi agité, mais le voici tel un empereur romain sur sa chaise curule, le plaid de pourpre qui l’enveloppe laisse entrevoir la blancheur d’un haut de toge, l’est assis sur le toit du monde, derrire lui une chaîne de montagne, des éclaire déchirent le ciel rouge sang, ce n’est plus un malade mental enfermé dans le cachot d’un asile mais le maître du monde qui hurle son mécontentement à la face du monde qui oserait lui résister, maintenant il vous regarde, évitez de regarder ses ongles effilés comme les serres d’un oiseau de proie, vous pensez à Caligula, oui c’est comme cela qu’il devait s’adresser au vil troupeau des êtres humains, il se calme sa main soutient sa tête qui s’incline, la caméra s’abaisse l’on aperçoit la plaque de marbre qui soutient son trône, horreur elle est jugée sur une pyramide de têtes de mort, un peu à la manière de Tamerlan le conquérant, (un poème d’Edgar Poe porte son nom), mais notre prince à la tour maboulie n’en veut pas à l’humanité entière, uniquement à lui-même, et plus exactement cette chimère qui l’habite, le visite de temps en temps et va jusqu’à prendre sa place, dans sa confusion il en appelle à Dieu, qui ne répond pas, à moins qu’il ne se prenne pour Dieu le taiseux, ne se prend-il pas lui-même pour Chimera, à moins que ce ne soit sa Chimera qui se prenne et pour lui et pour Dieu, trop de confusion, n’est-il qu’un gamin poignardé, égorgé par sa propre folie, ne s’est-il pas drapé dans la pourpre impériale et divine de son propre sang, qui est-il au juste, qui sera capable de le lui dire en prononçant juste son nom. Son nom juste.

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             De toutes les vidéos d’Ashen celle-ci est la plus belle, la plus violente, la plus puissante. Outre l’outrance de son vocal, Clem ne donne pas l’illusion de jouer, il est ce qu’il dit qu’il est. Il vocifère, on y croit dur comme du fer. L’on en oublie la musique, elle est là comme un fleuve de sang fertile, un sombre terreau dans lequel la voix démesurée de Clem trouve force er racine.

             Un clip de folie. Ô insensés qui croyez qu’elle n’exprime pas le plus intimement profond de ce que vous cachez en vous.

    Damie Chad.

     

     

    REBELLIONS

    ERIC HOBSBAWM

    (Editions Aden / 2011)

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    Un tel titre plaît d’emblée aux rockers. Qui risquent de déchanter. Nous ne parlerons pas de rock’n’roll mais de jazz. Pourquoi ? La réponse est à trouver dans la première partie du sous-titre :

    LA RESISTANCE DES GENS ORDINAIRES

    Attention ne pas confondre les gens ordinaires au sens où l’emploie Eric Hobsbawm avec ce que l’on nomme communément Monsieur Tout-le-Monde ou le citoyen lambda. Les gens ordinaires tels que les définit Hobsbawm ne sont pas des moutons. Ils possèdent une forte personnalité. Ils prennent fait et cause pour leurs propres goûts et leurs propres idées. A tel point qu’ils parviennent à fédérer autour de leurs jugements quelques personnes aux penchants similaires dont le rassemblement forme les embryons de ce que l’on a défini dans les années soixante-dix comme les minorités agissantes.

    Gardons-nous de tout romantisme. Les gens ordinaires ne font pas l’Histoire. Ils agissent dans les interstices. Eric Hobsbawm n’est pas un idéaliste, il est resté toute sa vie (1917-2012) un marxiste convaincu. Ce sont les lentes métamorphoses des rapports de production qui induisent les grandes ruptures historiales.

    Si Hobsbawn fut un historien respecté par les élites britanniques il ne cacha jamais ses sympathies actives pour le Parti Communiste Soviétique qu’il soutint jusqu’à l’intervention russe en Tchécoslovaquie. Par la suite il glissa progressivement à l’idée d’un communisme moins dictatorial et mena une réflexion qui posa les bases de l’élaboration des principes politiques de l’émergence de ce qui fut nommé tant aux USA qu’en Angleterre la deuxième gauche. L’on sait que cette nouvelle gauche fut le cheval de Troie de l’entrée de la pensée libérale dans les milieux politiques de gauche. Il resta toutefois jusqu’à la fin un penseur marxiste convaincu. En France on ne l’aime guère pour cela. D’autant plus que l’on peut relire son œuvre comme une pensée dans laquelle se retrouve l’ancienne coupure épistémologique fondationnelle des mouvements révolutionnaires partagés entre communisme et anarchisme.

    Ceci posé il est temps de s’intéresser à la deuxième partie du sous-titre :

    JAZZ, PAYSANS ET PROLETAIRES

             Notons que dans son livre de près de six cent pages, les chapitres dévolus au jazz ne viennent qu’en troisième position. Nous ne commenterons que ceux-ci :

    LE CARUSO DU JAZZ

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             Le titre perd son mystère quand l’on sait que Sidney Bechet (1897 - 1959) se vantait de s’être inspiré des enregistrements d’Enrico Caruso le célèbre ténor italien (1873-1921) pour mettre au point son célèbre falsetto qui fit beaucoup pour sa réputation. Hobsbwam se demande pourquoi et comment Sydney Bechet fut reconnu comme l’un des tout premiers jazzmen.

             Hobsbwam ne néglige pas les talents de Bechet, une voix reconnaissable entre mille et une maîtrise du saxophone soprano incontestable, ce ne sont pas ses qualités qui lui permirent d’être intégré dans la liste des incontournables fondateurs du jazz. L’avait un sacré défaut : son caractère, il n’était pas aimé de ceux qui ont joué avec lui. Il n’aimait pas musiciens talentueux, voulait être le maître de la formation, n’accordait pas à tout le monde son solo, son petit quart d’heure de gloire, faisait montre sur scène et en dehors d’un comportement égoïste peu plaisant… Les témoignages se recoupent, mais la jalousie n’est-elle pas aussi le premier ressort du ressentiment.

             Bechet est un créole de la New Orleans. Jusqu’à la fin de la guerre de Sécession, après laquelle ils furent remis au rang des noirs, les créoles formaient un milieu cultivé (très) relativement favorisé. Bechet a tout juste vingt ans lors de la fermeture en 1917 de Storyville le quartier sex, alcool, jeu and jazz de New Orleans. Comme la plupart des musiciens il émigrera vers le nord et l’est des Etats-Unis. C’est ainsi que le jazz devint une musique non plus régionale mais en quelque sorte nationale.

             La crise de vingt-neuf ne fut pas sans conséquence pour les musiciens de jazz. Les disques ne se vendent plus, le public se détourne du hot et porte ses préférences vers une musique moins rugueuse et davantage festive. Duke Ellington, Armstrong ne font que maigre recette. Bechet qui au début des années vingt est considéré comme un musicien de pointe ouvre un magasin de rafistolage de vêtements en 1933.

             Les petits blancs intellos jouèrent le rôle du Septième de Cavalerie pour sauver le soldat Bechet sinon perdu du moins oublié. Ces jeunes gens s’aperçurent à la fin des années trente qu’ils avaient raté les débuts du jazz. Devaient d’après eux se trouver entre Congo Square et Storyville, en plein cœur de la Nouvelle-Orléans.

             Ce mouvement antiquarianiste – de retour aux ‘’antiquités’’ du jazz toucha aussi bien les ricains que les européens. Une des figures les plus marquantes par chez nous fut Hugues Panassié. Nombreux furent les musiciens noirs qui dès les années 20 vinrent en Europe. Durant quatre ans Sydney Bechet partagea à Paris avec Joséphine Baker le succès (et même plus) de La Revue Nègre. Bechet qui s’était déjà fait expulser d’Angleterre subit le même sort par chez nous après une violente bagarre en 1928.

             En 1938 Sydney Bechet reçoit une sorte de reconnaissance américaine pour sa participation aux côtés de Count Basie, de Benny Goodman et ( bonjour le rock’n’roll) de Big Joe Turner, nous sommes dans le même mouvement de reconnaissance de l’apport de la musique noire à la culture du vingtième siècle, qui se matérialisa dans le retentissement du concert From gospel to swing organisé par John Hammond (Bob Dylan lui doit beaucoup) au Carnegie Hall in la Grosse Pomme.

             En 1949, Bechet s’installe en France, accompagné de groupes français, il devient le propagateur de ce renouveau du Jazz New Orleans, ce dixieland qui connut un énorme succès populaire qui perdure encore aujourd’hui. C’est une forme passéiste et ossifiée du jazz à l’écart de l’évolution de cette musique qui culmina dans l’explosion Be Bop et se désintégra dans la magnificence du free-jazz.

             A la fin de son article, Hobsbawm modère quelque peu les critiques virulentes par lesquelles il débuta sa présentation. L’on sent qu’il eût aimé un artiste qui soit resté tout le long de sa vie un défricheur novateur de formes sonores révolutionnaires. Idéologie et réalité ne concordent pas toujours.

    COUNT BASIE

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            Ça commence mal pour le jazz. Hobsbawm cite un extrait des mémoires de Count Basie qui s’aperçoit que les gamins qui viennent écouter le jazz n’accrochent plus, qu’ils sont en attente d’autre chose. Hobsman résume le phénomène : la musique populaire américaine vient de commettre un crime : le fils a tué le père. Le rock’n’roll a tué le jazz. Il se rattrape aux petites branches, l’article est publié en 1986, il reproche à Count ( 1904 -1984) que certes le rock a éclipsé le jazz mais que ce dernier a atteint son intronisation depuis la fin des années cinquante n’est-il pas devenu sans contestation possible la grande musique américaine classique. J’appellerais cela la consolation du pauvre. Démuni de ses biens.

             Hobsbawm reproche à Count d’être un peu frigide dans son Good Morning Blues. L’esquive un peu trop les réalités. A ses débuts le Big Band de Basie issu de Kansas City est une fabuleuse machine à rythmes, l’on joue à fond la caisse, sans partition, l’on baise à tous vents, l’on boit comme des trous, poker et whisky sont les deux mamelles du swing. Mais lors des années soixante des intellectuels s’emparent du jazz  en le qualifiant de musique révolutionnaire. Ce lumpen-prolétariat très mauvais genre est prié de ne plus porter des pantalons rapiécés, d’adopter des attitudes moins sauvages, ok pour le chic, ko pour le choc. Count débuta comme pianiste itinérant, naviguant à la petite semaine entre embauches dans un bar ou dans une tournée burlesque. Les noirs ne sont pas naturellement des accros du blues, z’aiment la danse, la baise, la bouffe, le chambard et autres saloperies du même acabit. Basie n’était même pas un grand pianiste. Tout ce qu’il savait faire c’était marquer le tempo, une fois la base établie, créait un riff (souvent inspiré d’un morceau connu) pour les sax, qui le refilaient aux trombones, qui le refilaient aux trompettes et vogue la galère, tout le monde se retrouvait, vent en poupe dans un tutti de tous les devils de l’enfer. Un baltringue qui vous foutait le feu au croupions des danseuses et des danseurs. Vingt ans plus tard, avec un super-big orchestra Basie s’est moderato, les copains lui refilent des arrangement tout faits, les musicos ont des partoches, ça rutile encore, mais ça ne brutalise plus. Le jazz s’est gauchisé, l’est devenu un objet culturel   d’intronisation. Une cause morale à défendre. Pourquoi d’après vous les rockers se sont-ils passionnés pour Rebel without a cause.

    DUKE ELLINGTON

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             Si l’on pouvait retrouver Count Basie ivre mort après un concert, ce n’était pas le cas du Duke. Certains le défendront en disant qu’il était d’une nature apollinienne et point dionysiaque. Les plus méchants assèneront qu’il ressemblait davantage à un cul-blanc qu’à un nègre. Duke issu de la petite-bourgeoisie noire fut un enfant gâté et en grandissant il se persuada qu’il était un être destiné à un destin supérieur.  Pas étonnant qu’il se considérât comme un artiste. Un compositeur, le mec hiérarchiquement situé un cran (voire plusieurs) au-dessus du chef d’orchestre.

             Entre nous soit dit, si à ses débuts il agissait en corsaire en signant les morceaux de ses musiciens il a par la suite endossé le rôle d’armateur.  Il se faisait aider par son directeur musical. Notons que ces pratiques étaient monnaie courante (et trébuchante) dans les milieux de la musique populaire américaine…

             Bizarrement sa façon de procéder, de mener son orchestre présente quelques analogies, me semble-t-il, avec James Brown, l’emmène un bout de mélodie, deux ou trois rythmes, qu’il joue au piano et les musiciens doivent se les approprier, chacun rajoute un peu, beaucoup, de soi mais en respectant le code initial imposé par le Maître. Evidemment on imagine mal Beethoven jouant son pom-pom-pom-pom au piano et demandant à son premier violon de proposer une suite… Ellington apportait une couleur inimitable qui poussait les musiciens à se dépasser. Il n’aimait guère garder les partitions, pour lui la musique se conservait par sa pratique. Dans la dernière partie de sa vie, la vogue du jazz étant dépassée, il n’hésita pas à reflouer les caisses de son very big bazar avec ses royalties.

             De fait l’orchestre d’Ellington était un peu onaniste, il jouait pour lui-même, les musiciens s’écoutaient et se répondaient. Dans la plupart du temps les danseurs se moquaient dukalement de la qualité de la musique. L’important était la danse.

             Plus tard lorsque l’orchestre visitait Europe, l’est même passé par Provins, Duke donnait aux auditeurs qui le vénéraient ce qu’ils attendaient, il l’avait spécialement un tuba qui vous sortait un son jungle à juguler un tigre mangeur d’hommes.

             L’est difficile d’inscrire Ellington dans une perspective révolutionnaire. Tant politiquement que musicalement. Sa musique serait à considérer plutôt une mise non pas en abyme mais en acmé de toutes les pratiques instrumentales noires qui l’ont précédée. Une marée d’équinoxe dont l’étale aurait atteint un niveau jusqu’à lui inégalé et insurpassable pour les nouvelles générations de musiciens jazz biberonnés à la musique classique européenne. Autre temps, autres mœurs.

    LE JAZZ ARRIVE EN EUROPE

             Le jazz a très tôt traversé l’Atlantique. Dès 1908 la comédie musicale Corindy : the origine of cakewalk est jouée à New York et à Londres. C’est son créateur Will Marion Cook qui fera venir Sidney Bechet in London. 1914 : le foxtrot fait son apparition aux States, en 1915, via la Grande-Bretagne il débarque en Belgique. En 1917 des premiers groupes de jazz font leur apparition en tant que tel sur notre continent. A la fin des années vingt des amateurs de la deuxième génération jazz commencent à développer une nostalgie des débuts du jazz qu’ils n’ont pas connus et qui engendrera un véritable revival dixieland. Au mois de novembre dernier la célèbre fête de la niflette de Provins (gâteau local) était animée par un groupe français de New Orleans.

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    ( Martial Solal + Jean Cocteau)

             Les premiers livres d’importance sur le jazz sont édités en 1926, mais l’avant-garde artistique de Jean Cocteau à David Milhaud s’intéresse à cette musique dès 1918. Le jazz fut aussi un outil émancipateur et quelque peu transgressif sous forme de danse pour l’aristocratie et la bourgeoisie anglaises. Il est vrai que dès 1900 des danses comme le boston avaient commencé à déverrouiller les attitudes guindées des corps. Les femmes en furent les premières bénéficiaires.

             En 1930 se constituent des groupes d’amateurs passionnés qui collectionnent les disques, et qui parfois se risquent à s’emparer d’un instrument. L’arrivée des disques de blues en Angleterre engendra… le rock anglais… qui ne tarda pas à déferler par un juste retour des choses aux States…

             Le jazz fut davantage accepté en Angleterre qu’en France. Accepté et joué. Certes l’impasse sur le Be bop se traduisit par le développement de groupe de jazz trad. En France, hormis une minorité de passionnés, le jazz hormis en ses débuts grâce à la danse, n’atteignit jamais à une grande popularité. Pays davantage marqué à gauche que nos voisins d’outre-Manche le blues et le jazz devinrent les musiques de minorités oppressées par l’ordre capitaliste. On les révéra, on les écouta, mais la pratique instrumentale ne suivit pas.

    LE SWING DU PEUPLE

             Ce chapitre bien plus intéressant que le précédent explore les rapports entretenus par le jazz, principalement les grands orchestres et la gauche durant les deux présidences de Roosevelt du New Deal à la fin de son deuxième mandat en 1941. Roosevelt décéda en 1945. Il y eut une alliance objective entre le jazz et la gauche américaine. Une alliance beaucoup plus culturelle que politique.  En le sens que si bien sûr les musiciens de jazz ne sont pas insensibles aux idées d’égalité raciale ils ne sont pas des militants encartés ni au Parti Démocrate, ni au Parti Communiste.  John Hammond s’avère être le symbole de cette période, il organise de nombreux concerts de jazz qui sont retransmis en direct dans tous les états et qui seront surtout écoutés par les jeunes et les étudiants. Hammond encourage la composition d’orchestres mixtes, sans trop de succès.

             De fait le jazz possède désormais pignon sur rue, mais le public ne se renouvelle pas. En 1946, sous la présidence de Truman se produit une espèce de cassure générationnelle. Par manque de public tous les grands orchestres s’arrêtent. Seul Ellington continuera sur ses propres deniers.  Le public en majorité blanc se reconnaît davantage dans cette musique qui est en train de devenir le country & western. Les grandes heures du jazz ont sonné.

    LE JAZZ DEPUIS 1960

             Ce n’est pas tout à fait vrai. Entre 1950 et 1960 le Be Bop connut une glorieuse décennie, vrai succès et fausse donne, le Be Bop est une musique métaphysique, elle parle au corps, elle parle à l’âme, elle parle de leurs misères et de leurs splendeurs, elle est la musique d’une génération née dans les années trente, un pied dans les années noires un pied sur le seuil des années heureuses. Hobsbawm consacre de nombreuses pages à la naissance du rock. Je n’insiste pas. Nous connaissons cela. Sixties et seventies seront des années économiquement opulentes.  Des millions d’adolescents sont maintenant en capacité d’acheter des disques. L’industrie du showbiz engrange des profits colossaux.

             Le public jazz se rétracte, il joue à la citadelle assiégée. Il refuse toute compromissions avec le rock. Il acceptera du bout de l’oreille Miles Davis lui reprochant sa fusion… Les artistes de jazz-rock à la Chick Correa ont beaucoup plus d’adeptes dans le public provenant du rock que des derniers résistants jazz.

             Les musiciens continuent le combat. Le Be Bop a démonté les structures du jazz, l’a mis le moteur en pièce détachées et a démontré avec brio ce que l’on pourrait attendre de chacune d’elle, il a désarticulé les structures de base du jazz, mais il n’a touché à rien. John Coltrane de son seul souffle a démantelé la tuyauterie. Ses successeurs ne la remonteront pas, ils la désintègrent, le free-jazz ne connaît plus de limite. Les nouveaux jazzmen flirtent avec la musique classique d’avant-garde, ils empruntent les sentiers du noise, ils vont loin, très loin… du public. Seule une infime minorité les suit, les autres réécoutent les disques du passé.

             Cet article est écrit en 1993, Eric Hobsbawm oublie de faire référence à son concept de rébellion. L’en oublie de citer les émeutes de Watts, les Black Panthers, l’espoir généré par la lutte et la défaite amère…

    BILLIE HOLLIDAY

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             Un court article hommagial qu’ Eric Hobsbawm écrivit à la demande de John Hammond en 1959 à la mort de Billie Holliday. Il rappelle en introduction que sur son lit de mort John Hammond lui avoue que la chose dont il est le plus fier de toute son existence fut d’avoir découvert Billie Holliday…

    *

              Ces chapitres sont intéressants, j’avoue que je m’attendais à mieux. Les trois premiers sont les mieux écrits. Trop étreint qui mal embrasse me contenterai-je d’ajouter pour les trois suivants. Trop généralistes pour que puisse s’y déployer une pensée cohérente.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

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     6

    A peine avions-nous passé les bandes plastiques rouges et blanches qui délimitaient une zone d’accès interdit le long du trottoir du Chat qui pêche un os à moelle un gros homme manifestement un commissaire de police s’interposa l’air furioso. A sa décharge je me dois de signaler la sympathique facétie du Chef qui s’était emparé du ruban et l’avait sectionné en s’aidant du clair baiser de feu de son Coronado.

             _ Messieurs reculez immédiatement, trois de mes hommes vont vous coffrer sur le champ en garde-à-vue, pour qui vous prenez vous ?

    Le visage du commissaire s’empourpra quand de son air le plus placide le Chef exhiba sa carte d’Agent Secret. Un sourire moqueur aux lèvres je lui tendis à mon tour mon sésame. A ma grande surprise il s’en saisit vivement, l’examina longuement et se tourna vers le Chef :

    _ Excusez-moi cher collègue, j’admets volontiers que mon interpellation ait été un peu rogue, je n’avais pas compris que vous m’emmeniez votre subalterne pour interrogatoire. En tant que simple policier je m’incline… que vous qui êtes d’un niveau et d’un grade bien plus élevé que le mien dans les services de sécurité de notre nation ne tente pas de soustraire des lois de notre République un de ses agents sous sa responsabilité dénote une rectitude professionnelle qui vous honore. Je vous prie de me suivre, j’ai le regret de vous avertir que les faits ne plaident pas en sa faveur.

    La scène n’était pas ragoûtante, le patron du Chat qui pêche un os à moelle était étendu nu au milieu de la salle. A ses côtés gisaient également déudés les cadavres du cuisinier et de la serveuse, c’était elle qui la veille nous avait servis, Molossa, Molossito (mon cœur se serra lorsque leurs noms surgirent dans ma pensée) et moi-même, nos entrecôtes garnies. Les assassins s’étaient amusés. Ils avaient éventré les trois malheureuses victimes. Leurs intestins avaient été prélevés ils étaient suspendus, un peu comme des guirlandes de Noël, au plafond. 

    Le commissaire se tourna vers moi :

    _ Pourriez-vous Monsieur Damie Chad, nous expliquer les motifs de cette abominable mise en scène, à toutes fins utiles je préciserai que l’équipe de rugby de la ville de Provins qui rentrait en autobus d’un entraînement nocturne vous ont vu quitter l’établissement d’un pas pressé. Pire ce matin vous êtes revenu sur les lieux de votre crime, trois témoins qui vous connaissent, Provins est une petite ville, vous ont aperçu sortir du restaurant pour vous engouffrer dans votre voiture à toute vitesse.

    Je n’eus pas le temps d’ouvrir la bouche. Le Chef me devança :

    _ Cher Commissaire, je ne peux que vous remercier pour la rapidité et les résultats de votre enquête. Nous ne sommes pas venus ici par hasard, j’ai le regret de vous apprendre que vous ne voyiez que la pointe de l’iceberg. J’ai reçu cette nuit une notification de l’Elysée qui m’enjoignait de leur amener au plus vite le sieur Damie Chad. Sachez qu’il aurait ce matin même trucidé un innocent automobiliste qui s’accrochait désespérément à son automobile que cet ignoble individu tentait de lui voler. Sous l’agent Chad se cache un des serial killers les plus monstrueux que la terre ait porté. Un être assoiffé de sang et de meurtres. Sachez que cette matinée, sur ordre, j’étais venu le chercher à Provins, en passant dans la rue il a manifesté l’envie de prendre un café dans cet établissement. Je comprends désormais ses raisons, il voulait revenir se repaître une nouvelle fois du spectacle de son triple crime. Mais ce n’est pas tout…

    Le Chef se rapproche du commissaire et lui souffle à l’oreille :

    _ Entre nous c’est encore plus grave, nous le tenons à l’œil depuis quelque temps… entre nous son rôle de tueur en série ne serait qu’une couverture… il est certainement à la tête d’une organisation terroriste ultra-secrète qui serait en train d’infiltrer nos services secrets mais aussi nos forces de police et de gendarmerie… un conseil vérifiez tous vos subordonnés, leur identité, leurs parcours leurs comportements pendant le travail et leurs fréquentations dans leur vie privée.

    Les yeux exorbités du commissaire trahissent sa sidération :

    _ Puis-je faire quelque chose pour vous aider ?  

    _ Si vos hommes pouvaient le menotter et l’attacher solidement à son siège dans ma voiture. Je le livre dans l’heure qui suit à la CIM, la Cellule d’Interrogatoire Musclé des sous-sols de l’Elysée. Soyez sûr qu’après une bonne séance nous en saurons davantage.  Pour ma part je m’empresserai de rapporter à notre Président, qui suit personnellement ce dossier, votre intervention décisive. Comme tout homme notre dirigeant n’est pas exempt de défauts, je vous l’accorde, mais il sait reconnaître, féliciter et récompenser et surtout ne jamais oublier tous ceux qui œuvrent à la sécurité de notre pays.

    7

    A peine avions nous dépassé de quelques kilomètres la ville de Provins, le Chef m’avait détaché et délivré de mon inconfortable situation. Je repris ma place de chauffeur et me hâtai de rejoindre Paris.

    Le Chef avait allumé un Coronado. Il ne disait rien, il réfléchissait. Moi aussi. Cette affaire s’annonçait mystérieuse. Un véritable guet-apens. Une machination. Il était sûr que j’avais été suivi. Par qui ? Pour quoi ? Dans quel but ? Il était fort improbable que mes chiens aient été visés pour eux-mêmes. Mais qui visait-on au juste ? Ma modeste personne, le Chef, le service, le rock’n’roll ! Par acquis de conscience je jetais un coup d’œil au rétro. Dix minutes plus tard ma conviction était faite, deux voitures à tour de rôle nous suivaient.

    La nuit était tombée. Le Chef alluma un Coronado.

    • Agent Chad c’est un peu bête, j’ai envie de faire pipi, une envie irrésistible, dès que vous apercevez un arbre solitaire au bord de la route, arrêtez-moi, je me dépêche, ne m’attendez pas, continuez votre route, revenez me prendre dans quelques minutes, j’ai mes pudeurs de jeune fille, je n’aime guère que l’on m’aperçoive faire pipi, même vous, c’est bête mais je n’y peux rien, ma mère se moquait de moi, je m’enfermais à clef dans les WC et je n’ouvrai ma braguette que lorsque je l’avais entendue descendre les escaliers. Croyez-vous que je devrais entamer une psychanalyse ?

    Nous papotâmes sur les bienfaits d’une analyse, le Chef était partisan de Lacan, personnellement je tenais pour Young, nous tombâmes d’accord pour médire de Freud…

    Je freinai brutalement pile devant un ormeau solitaire. Le Chef sortit prestement et alla se cacher derrière le tronc assez imposant de l’arbre. Je redémarrai d’un coup sec, puis insensiblement diminuai ma vitesse… De loin sur cette ligne droite j’apercevais le bout du cigare incandescent du Coronado. Une voiture vint me coller au cul, pardon au parechoc. Une autre s’arrêta juste en face de l’arbre derrière lequel urinait le Chef. Dans ma tête Je comptais à voix basse : un, deux, trois ! Les gars regretteront toute leur mort le fait d’avoir ouvert leurs portières, un trait de feu traversa le bas-côté de la route, une boule de feu explosa, le Chef avait lancé un Coronado 117 surnomme El dynamitero…

    J’accélérai à fond et effectuai sur place un demi-tour, la voiture en face à qui je venais de couper la route s’encastra instinctivement si j’ose écrire dans celle de mes poursuivants. Quelques instants plus tard le Chef traversait la route pour prendre place à mes côtés.

    • Agent Chad c’est terrible avec ces gaziers je n’ai même pas eu le temps de faire pipi !

    9

    Nous fîmes demi-tour et rentrâmes en devisant fièrement :

             _ Chef, l’on ne peut pas dire que votre envie de faire pipi a été un acte manqué !

             _ Agent Chad je suis assez fier de nous, nous avons éléminé nos ennemis, mais là n’est pas la question. Nous avons réussi à créer un nouveau concept psychanalytique qui parachève cette théorie : nous venons de créer le concept d’acte réussi. Une véritable réussite !

             _ Je garai la voiture au bas du local. A peine avions nous mis les pieds sur la première marche que des aboiements retentirent. Deux boules de poils sautèrent sur nous. Ils étaient fous de joie de nous retrouver. Nous échangeâmes mille caresses.

    Ce n’est qu’une fois en haut que nous trouvâmes l’inscription à la craie sur la porte du local

    1 à 1

    A CHARGE DE REVANCHE !

    Ces messieurs sont beaux joueurs s’exclama le Chef et il alluma un Coronado !

    A suivre…

     

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    BEVERLY GUITAR WATKINS / THE SIXTH CHAMBER  

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    LE JEUDI 04 JANVIER 2024

    JOYEUSES SATURNALES !

     

     

    GENE VINCENT

    ROCKABILLY GENERATION NEWS

    HORS-SERIE # 4 / JANVIER 2024

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             Ne dites pas ‘’ je l’ai déjà’’, l’est vrai que de (très) loin les deux couleurs de fond à quelques nuances près sont identiques surtout si vous les comparez non pas à la lumière naturelle mais électrique, presque quatre années se sont écoulées entre la parution du Hors-série # 1 Gene Vincent La légende du rock et ce Hors-série # 4 Gene Vincent La légende du Rock. Ajustez vos lorgnons si vous ne me croyez pas, sur le premier vous n’avez que le chef de Gene Vincent, sur ce quatrième il ne lui manque que les jambes.

             Ne dites pas, bon une réédition, z’ont juste changé la couverture. Pas du tout. L’équipe de Rockabilly Generation News a voulu réparer une injustice. Le premier H.S. du mensuel avait été une aventure, un pari sur l’avenir. Pari réussi, à plusieurs reprises il a dû être réimprimé pour satisfaire la demande. Dans son sillage nous avons eu à droit à un H.S.  # 2 Crazy Cavan et un H.S. # Vince Taylor. Deux H. S. qui ont profité des enseignements de l’élaboration du # 1 : pagination passée de 32 pages à 48, photos mieux travaillées (quand on connaît la qualité habituelle des photos de RGN l’on entrevoit le niveau d’exigence de Sergio Kazh), des articles davantage pointus… A l’aune de ces paramètres la réédition du H. S. # 1 s’imposait.

             Que voulez-vous, nous petits froggies, on n’est pas comme les ricains du Rock’n’roll Hall Fame fondé en 1983 qui ont attendu 1998 pour introniser la figure de Gene Vincent en son panthéon…

    *

             Enfin retiré dans sa gangue de plastique, l’est dans notre main, l’on hésite avant de l’ouvrir, pour commencer on se contentera de feuilleter uniquement pour les documents photographiques, nombreux mais si habilement distribués que la mise en page est des plus aérées, l’on soupire deux ou trois fois avant de se lancer dans la merveilleuse et triste histoire de Gene Vincent.

             Pourquoi une telle ferveur autour du personnage de Gene Vincent, n’existe-t-il pas des milliers d’autres chanteurs de rock. Une voix exceptionnelle, d’une finesse absolue, un jeu de scène d’autant plus incomparable que basé sur son infirmité, une discographie qui comporte nombre de chef-d ’œuvres… Une carrière qui commence comme un conte de fées, une poignée d’amateurs au sens noble de ce terme qui se trouvent propulsés au-devant de la scène en quelques semaines.

    Certes il y a mal donne. Dès le début. N’ont pas suivi le premier précepte du savoir-faire américain : The right man at the right place. Ce petit noyau de musiciens qui l’entourent ce sont bien les right men. Mais ils ne sont pas à la bonne place. Tony Marlow nous parle de Cliff Gallup. Un guitariste incomparable. Cliff n’est pas un rocker dans l’âme, il n’est pas un révolté,   mais il a su se mettre à la hauteur des aspirations de Gene, comment a-t-il eu l’intuition de savoir ce que Gene désirait, personne n’a su l’expliquer. Tony nous l’explique historialement, musicalement, techniquement,  moins doué que Tony je dirai que Cliff à la guitare si clivante est l’explorateur de la brisure, l’est comme un funambule qui court à toute vitesse sur son fil et brutalement le voici qui marche bien au-dessus de son cordon, n’en finit point d’escalader le ciel jusqu’au point de rupture d’équilibre, il dégringole comme une pierre qui rebondit d’escarpements en escarpements pour dévaler la montagne, il plonge dans l’abîme et… par un inouï redressement incompréhensible il revient galluper sur le fil avec l’élégance et la précision d’un hélicoptère qui se pose sur votre pelouse. En plus vous avez le bruit syncopant des pales tournoyantes et du rotor pétaradant qui vous bouscule les tympans.

    Avec un tel talent, Cliff aurait pu amasser des dizaines de milliers de dollars en tant que guitariste de studio. Préfèrera retourner chez lui et animer bals et spectacles des patelins du coin… Poussera l’abnégation jusqu’à presque mourir sur scène. Le père tranquillou qui se paie un destin à la Molière…

    Mais il n’est pas le seul. Un à un, le numéro vous les présente, tous les musiciens de Gene durant ses premières années américaines le quitteront pour voguer en des eaux plus calmes. Pas pour rien que son groupe se nomme les Blue Caps.

    Le pire c’est que Gene s’habitue à tous ses changements. Le vent souffle, il reste le rock dans la tempête. Il se débrouille, il improvise, il ne comprend pas, et Capitol ne lui en donne pas les moyens, qu’il aurait besoin d’un staff stabilisé pour servir d’interface entre sa carrière et sa maison de disques…

    En 1959 la carrière américaine de Gene est mal partie, elle renaît en Europe. L’Angleterre et la France l’accueillent. La revue s’attarde davantage sur ses différentes venues en notre pays, triomphales au début des années soixante, mais sa popularité s’étiole au fur et à mesure que la décennie s’écoule jusqu’à la dernière tournée portée à bout de bras par des fans qui ne disposent pas des moyens financiers suffisants…

    Gene est un homme blessé, l’alcool sera pour lui un moyen de combattre la douleur de sa jambe brisée, cette souffrance physique sera confortée par un sentiment de déclassement et d’abandon, voire de trahison. Tous ses efforts pour revenir au premier plan se heurteront à un plafond de verre d’indifférence de la part des médias et du showbiz, la deuxième moitié des années 60 se transformera en un long purgatoire pour la plupart des pionniers. Mais l’homme se battra jusqu’au bout.

    Jusqu’à l’effondrement. Si pathétique que ce soit, un aigle blessé restera toujours un aigle. Qui sait voler plus haut que la plupart.

    Gene aura eu une influence capitale sur le rock français, une empreinte morale affirmeront certains, je n’aime point ce mot, l’attitude exemplaire de son existence vouée au rock‘n’roll ont marqué bien des esprits. Un demi-siècle après sa disparition, ce Hors-Série # 4 intitulé Gene Vincent la légende du rock est la preuve de la ferveur persistante autour de son nom et de son œuvre.

    Remercions Pascale Clech, Yolande Gueret, Gilles Vignal, Maryse Lecoultre, Tony Marlow, Brayan Kahz, Serge Poulet et Sergio Kazh qui ont œuvré à la réalisation de cet ouvrage indispensable autant pour les fans que les néophytes es rock’n’roll.

    A regarder, à lire, à méditer.

    Action Rock‘n’roll !

    Damie Chad.

    Pour un numéro : 12 € + 4, 30 € = 16, 30 €

    Pour deux numéros : 24 € + 6, 30 € = 30, 30€                                               

    Paiement chèque bancaire : à l'ordre de Rockabilly Generation News, à Rockabilly / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois /

    Paiement Paypal : (cochez : Envoyer de l'argent à des proches) maryse.lecoutre@gmail.com.

    FB : Rockabilly Generation News.

     

    *

    Une bonne nouvelle emmène une autre bonne nouvelle. A peine l’enveloppe enfermant le H. S. 4 Gene Vincent récupérée dans la boîte à lettres qu’une deuxième arrive deux jours après, elle aussi porteuse d’une nouvelle revue :

    ROCKABILLY GENERATION NEWS N° 28

    JANVIER – FEVRIER – MARS ( 2024 )

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            Mais qu’est-ce donc que le rockabilly ? Sergio Kazh et sa démoniaque équipe ont décidé de répondre à cette question. Que le lecteur ne s’angoisse pas, ne se sont pas réunis durant trois mois en conclave pour rédiger un texte de quarante-huit pages en lettres minuscules afin de nous livrer tout ce que l’on voulait savoir et même tout ce que l’on ne voulait pas savoir sur le rockabilly. N’ont même pas pris la peine de synthétiser leur savoir en une courte phrase. Ont préféré adopter la méthode des plus grands maîtres Zen. Ce qui nous semble un étrange car le rockabilly ne nous est jamais apparue comme une musique particulièrement zen.

             Résumé de la méthode zen :

    1° : La question : Maître qu’est-ce que violence ?

    2 ° : La réponse : le Maître ne dit rien, il se contente d’envoyer un grand coup de pied sur la figure du disciple qui crache ses dents sur le tatami méditatif.

    3 ° : La conclusion : le Maître dit : Voilà c’est ça.

             Sont sympa chez Rockabilly Generation News : ils vous épargnent les phases 1 & 2. Passent directement à la troisième phase. En plus je vous aide à comprendre la phase 3 : Voilà le rockabilly c’est de la visite vivante.

             Et hop, et bop, dès la première séquence ils vous emmènent en tournée avec les Ghost Highway, vous les suivez partout : sur la route, à table, dans les coulisses, vous assistez aux répètes et aux concerts, et même, ils ne devraient pas, nous disent tout sur le prochain disque en préparation pour 2024.

             L’on a beaucoup suivi les Ghost avec Kr’tnt ! le blogue et le groupe sont nés à peu près en même temps. On les a accompagnés jusqu’à leur séparation en 2016. Ce qu’il y avait de fabuleux avec les Ghost c’est qu’ils avaient un nombre de followers qui les suivaient dans leurs déplacements. Une espèce de confrérie festive ambulante. Les heures chaudes du deuxième revival rockabilly. Une épopée comme peu de groupes français ont su en susciter… Quel plaisir de retrouver Phil, Jull et Arno en photo, sans oublier Brayan le petit nouveau au grand talent à la contrebasse, bref ils sont de retour ! Enfin !

              Musique vivante le rockabilly, pour vous en convaincre le deuxième chapitre nous parle de la renaissance du Festival Viva Pouligue’n’roll ! Trois longues années de dormition et les revoici, et ce n’est pas facile avec l’augmentation du prix des billets d’avion des musicos. Swamp Cats, Hudson Maker, Strike Band, The Jets. Oui ça en jette.

             Neuf pages (+ la couve) sur les T-Becker Trio, ce n’est pas un groupe qui monte, en deux ans sont déjà au sommet, Kr’tnt les a présentés deux fois en concert et ont chroniqué leurs deux CD’s. Racontent leurs parcours, Did, yes indeed, qui a joué avec le Blue Tears Trio, même que c’est le Cat Zengler de chez nous qui a dessiné une de leurs pochettes, l’a commencé par écouter les Chaussettes Noires puis l’a flashé sur les Stray Cats, l’est tombé dans la marmite du Rockabilly, n’en est plus jamais sorti. Tof, c’est pas du toc, l’est parti du néo-rockab vers les racines Hillbilly, Jump, ces vieilleries d’éternelle jeunesse, bourrées de dynamite. Je ne présente pas Axel, very well, un excellent contrebassiste mais quel exemple déplorable pour notre jeunesse, ne faisait pas ses devoirs à l’école, préférait   écouter ses disques de Jerry Lou et de Gene Vincent. Vous voyez où cela l’a mené... dans un des groupes les plus originaux et créatifs du pays…

             Musique ultra vivante le rockabilly, Notre Cat Zengler nous a déjà chroniqué plusieurs éditions de Béthune Rétro, ce coup-ci c’est l’appareil de Sergio qui vous le présente, l’on y retrouve entre autres :  Ghost Highway, Back Prints, Nelson Carrera… découvrez tous les autres par vous-même.

    La tête commence à vous tourner, trop de bruits, de rires, de danses de folie, je ne peux rien pour vous, Parmain, Kustom Festival & Tattoo vous accueille, T-Becker Trio, on se les arrache, groupes anglais, suédois, hongrois, parlent tous la même langue : l’idiome rockabilly !

    Rock’n’Roll in Pleugueneuc et Rocking Rhythm Party # 10, vous commencez à vous lasser, vous avez tort, vous commencez à penser que le rockabilly c’est de la mauvaise herbe, que ça pousse partout en folle France, vous avez raison, je ne citerai qu’un seul exemple Ervin Travis & His Band, le grand retour, au meilleur de sa forme, quel plaisir de retrouver Ervin, Nietzsche avait raison, ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort. 

    Heu, Damie tu n’as pas oublié quelqu’un. Pas du tout bande de brêles, j’ai gardé la meilleure pour la fin pour que vous voyiez au moins une fois dans votre vie la vie en rose. Dans sa précieuse rubrique Les Racines, Julien Bollinger présente The Maddox Brothers and Rose. Drôle de viandox survitaminé les Maddox, on en parle peu par chez nous, une espèce de Carter Family sous acide, rien ne leur a fait peur, même pas Elvis qui leur a rendu hommage, l’article est sous-titré ''Les raisins de la colère'', "les zinzins de la colère'' n’aurait pas été une erreur non plus. Certains ont créé le rock’n’roll. Cette tribu de déjantés avait déjà auparavant inventé la parodie du rock’n’roll.

    Imitons-les en parodiant Gene Vincent. Ce numéro 28 is A Rockin’ Date with Rockabilly Generation News.   Incontournable !

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly  Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois),  6 Euros + 4,30 de frais de port soit 10,30 E pour 1 numéro.  Abonnement 4 numéros : 38 Euros (Port Compris), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( Rajouter 1,10 € ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de tous les magazines... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents ! 

     

     

    Wizards & True Stars

    - Holiday in the sun

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             Croisons donc les regards que portent Lee Daniels et James Erskine sur Billie Holiday, akaka Lady Day. Avec Billie Holiday Une Affaire d’État, le premier opte pour la tragédie. Il passe le plus clair de son temps, c’est-à-dire deux heures, à noircir considérablement le tableau. Victime de ses choix scénaristiques, Daniels conduit son biopic dans l’impasse : la tragédie tue l’art. On est là pour entendre chanter Billie Holiday, pas pour tremper dans l’eau sale des destins tragiques revus et corrigés par l’industrie hollywoodienne. Avec Billie, James Erskine opte pour le docu, mais un docu très particulier. Il repart de l’enquête menée par une certaine Linda Lipnack Kuehl dans les années 70. Elle comptait bien écrire une vraie bio de Billie, et elle interviewait des tas de gens qui l’avaient connue. Linda n’a pas réussi à mener son projet à terme, car elle a cassé sa pipe en bois dans des circonstances mystérieuses : officiellement, elle s’est jetée par la fenêtre de sa chambre d’hôtel. Aux yeux de sa frangine, il est nettement plus probable qu’un mec l’ait balancée par la fenêtre. Erskine a miraculeusement réussi à retrouver les enregistrements de Linda et il base tout son docu dessus. On ne peut pas faire plus véracitaire. En plus, le docu fait la part belle à Billie qu’on entend chanter énormément, et chaque fois, le swing de sa voix te serre le cœur.

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            Les mecs qui font des biopics ont un gros défaut : ils en rajoutent. Ils mordent le trait. Ils chargent la barque. Ils n’ont qu’une seule obsession : faire pleurer dans les chaumières. Et pour faire pleurer dans les chaumières, il faut commencer par tuer l’art. Alors pour tuer l’art, il y va à la pelle, le Daniels, il charge la chaudière, il bombarde, il noircit, il aggrave, il envenime, il ne laisse aucune chance à la véracité, allez hop, la mère qui est pute et la Billie violée à onze ans, allez hop, les maris gigolpinces qui lui tapent dans la gueule et qui la finissent à coups de pompe, allez hop les racistes du FBI obsédés par une seule chanson, «Strange Fruit» et qui l’accusent d’anti-américanisme, d’où l’affaire d’État, le biopic va même filmer les fucking sénateurs, ils ne la lâchent, en plus, ils lui foutent des fioles d’héro dans sa poche et l’envoient au ballon, allez hop, on réduit toute l’histoire, il ne reste plus que la persécution, et le bouquet final, c’est le lit de mort à l’hosto, avec un dernier interrogatoire de la gestapo américaine et c’est là que le biopiqueur vient poser sa pauvre petite cerise sur le gâtö : le pied de la Billie clamsée menotté au barreau du petit lit blanc. Il ne manque plus que la chanson de Berthe Sylva, «Les Roses Blanches». Avec ça, les chaumiers qui habitent des chaumières sont baisés : tout le monde chiale devant la téloche. Daniels a gagné la partie.

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             C’est Lester Young qui baptise Billie ‘Lady Day’. Alors Billie baptise Lester ‘Prez’, c’est-à-dire Président. Dans son biopic, Daniels montre Prez, bien sûr, coiffé d’un petit chapeau noir à la Mo’ Better Blues, mais il ne précise pas qu’il s’agit du grand Lester Young. Heureusement, Erskine rattrape le coup. Il nous montre Lester Young en vrai. La légende de Billie, c’est aussi et surtout Lester Young. Quand elle swingue son sucre, Lester entre avec elle dans le cercle magique. Ils sont comme frère et sœur. Ils sont indissociables - Baby make up your mind - Et les voix enregistrées par la pauvre Linda défenestrée commencent à sortir du passé : «Billie ne chantait que la vérité. Elle ne connaissait que ça.» Alors les entorses à la réalité n’en deviennent que plus insupportables. C’est pour ça que Linda se battait : pour rétablir la vérité, et Erskine lui emboîte le pas. Oui, Billie adorait les jurons : «Suck my ass motherfucker !». C’est aussi ce qu’elle dit dans le biopic au fucking agent du FBI qui lui demande une dernière fois de renoncer à chanter «Strange Fruit» : «Suck my black ass». Une belle façon de l’envoyer se faire foutre. Erskine revient aussi sur une autre réalité : l’œil au beurre noir. Pour les blackettes de cette époque, c’était une preuve d’amour - My man loves me - Une façon comme une autre de tourner la réalité en dérision. On retrouve ça aussi dans l’autobio de Bettye LaVette qui explique que toutes les chanteuses black étaient maquées à des proxos. On retrouve ça aussi dans les histoires d’Aretha et de Nina Simone. À chaque fois, tu as le mari black qui ramasse tout le blé et qui leur tape sur la gueule. He’s my man.

             Le biopic fait bien sûr la part belle à l’héro. Le flicard du FBI veut coincer the bitch on the drugs. Alors on a droit à tout le cirque : la bougie, la cuillère, le garrot, le shoot, le kick, un vrai mode d’emploi. On voit souvent l’actrice à poil. Quand elle baise, elle se fait prendre par le cul. Un cliché de plus. L’actrice est extrêmement belle et s’appelle Andra Day. Mais elle n’a rien de l’animalité de Billie. On a eu le même problème avec le biopic consacré à la Môme Piaf. Le mec qui a tourné ça ne devait pas savoir que Piaf était kabyle. Dans le cas de Billie comme dans celui de Piaf, l’animalité est l’élément déterminant.

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             Erskine remonte aux sources : Harlem années 30, Billie fume de l’herbe, elle écoute Bessie Smith, Louis Armstrong et Billy Eckstine, John Hammond la découvre. On la voit chanter «The Blues Are Brewing» à la télé avec Louis Armstrong, elle chante dans l’orchestre de Count Basie, un Basie que la pauvre Linda a réussi à interviewer - Call me Bill - sans doute le passage le plus étrange du docu. Puis un jazzman blanc nommé Artie Shaw la prend comme chanteuse. Ça ne s’invente pas. Billie tourne dans le Deep South et un jour, alors qu’elle allait pisser dans un champ de maïs, elle tombe sur une scène pas terrible : une ferme brûlée, le black pendu et ses gamines terrorisées qui chialent toutes les larmes de leurs corps. Le biopic ose mettre en scène cette abomination. Hollywood n’est plus à ça près. On se souvient tous de la version hollywoodienne de Shoah, cette grosse arnaque intellectuelle intitulée La Liste de Schindler. Claude Lanzman avait démontré avec Shoah qu’on ne pouvait pas aller plus loin, que son film était à la fois l’aboutissement et la raison d’être du cinéma. Pour se faire un gros billet, les biopiqueurs hollywoodiens sont passés outre et ont «exploité» le filon des camps. La scène de la ferme brûlée tape dans le même genre de registre : on émeut à bon compte, sans trop se poser les questions de base, notamment celles qui touchent à la moralité. L’horreur, comme dirait le Colonel Kurtz.

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             Alors Erskine laisse Bille nous dire les choses à sa façon : elle chante «Strange Fruit». Son visage est pur, la scène colorisée. Elle a presque les larmes aux yeux. Elle est d’une beauté sidérante. Elle attaque très bas au «Southern trees/ Bear a strange fruit» et module son sucre pour faire vibrer le «Blood on the leaves/ And blood at the root», tu n’as même pas besoin de comprendre l’anglais pour savoir que c’est d’une extrême gravité, mais portée par des vers, donc te voilà au sommet du lard le plus intense qui se puisse imaginer ici- bas - Black bodies swinging/ In the southern breeze - Ce sont les mêmes pendus que décrit François Villon - De ci de là selon que le vent tourne/ Il ne cesse de nous ballotter à son gré - Et d’un profond accord avec Léo Ferré et Billie, Villon s’exclame : «Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !». Remplis de toute la miséricorde du monde, Billie et Villon saluent toutes les victimes de la barbarie. C’est le chant des sirènes que ne pouvait entendre le FBI - Strange fruit hanging/ from the poplar trees - Quand Bille chante ça dans les clubs, les blancs quittent la salle. À la fin du biopic, on nous dit que Time Magazine a sacré «Strange Fruit» chanson du siècle. Au moins le biopic aura servi à ça. On dit aussi que personne à part Billie n’a eu le cran de chanter ça. Si Billie ne chante pas «Strange Fruit», personne ne le fera. Eh oui. Car c’est une chanson d’une rare violence véracitaire, et cette violence véracitaire est l’essence même de Billie - Pastoral scene/ Of the gallant south/ The bulging eyes/ And the twisted mouth - elle tord bien la bouche pour imiter le twisted mouth du pendu. Fascinante artiste ! Villon décrit lui aussi la scène pastorale - Pies, corbeaux nous ont crevé les yeux/ Et arraché la barbe et les sourcils - Billie et Villon t’obligent à regarder et à sentir - Scent of magnolias/ Sweet and fresh - l’atroce réalité de l’enfer au paradis - Then the sudden smell/ Of burning flesh - KKK & nazis même combat. Dommage qu’elle n’ait pas ajouté un couplet pour dire ça. Ces gens-là utilisent les mêmes méthodes, the sudden smell/ Of burning flesh. Bon il y a encore un couplet après ça, mais le mieux, c’est encore d’écouter Billie le chanter. 

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             Billie aime la vie, elle aime les hommes et elle aime le swing - Billie she’s a sex machine. She just wanted to get high. Simple as that ! - Elle fait son année de placard et se tient à carreau. Quand elle sort en 1948, elle remplit le Carnegie Hall. Mais elle n’a pas de pot avec les bonshommes : son manager John Levy est un indic du FBI, et son dernier mari dont on a oublié le nom lui a pompé tout son blé, et pire encore, il hérite de ses biens après sa mort. Et pour couronner le tout, un médecin lui annonce qu’elle s’est chopé une belle cirrhose. Donc pour elle, c’est cuit aux patates. Direction l’hosto. Miam miam pour les biopiqueurs de malheur.

             Et puis après le pot aux roses de «Strange Fruit», tu tombes dans le docu sur un autre pot aux roses : l’hallucinant témoignage de Jo Jones, qui battait le beurre pour Billie : «Elle est morte à l’hosto un dimanche. Elle sait qu’elle va mourir. Ils sont venus l’arrêter sur son lit de mort. Arrêtée à l’hôpital pour détention d’héroïne ! Dieu aide les États-Unis d’Amérique. Personne n’avait autant innové qu’elle. Nobody ! Tout ce qu’elle voulait, c’était chanter. Elle n’emmerdait personne. Elle roulait en Cadillac, et portait un vison, so what ? What’s wrong with that ? Pas le droit d’avoir une Cadillac et un vison ? Elle n’avait pas le droit d’avoir des diamants ? Non tout ça, c’est pas pour toi. You’re a negro. Stay in your place. Un bol de fayots et du riz, t’as besoin de rien d’autre. Faut voir tout ce qu’on a dû traverser ! - et là Erskine ramène les images en noir & blanc des lynchages, et Jo Jones enfonce son clou - Aucune chanteuse n’a enduré ce qu’elle a enduré. Le plus grand pays du monde ? The most stupid, the most racist people - Erskine ramène des images du KKK et Jo Jones poursuit son accusation - Even to this day ! I’ll leave as soon as I can. Je ne veux pas me prêter à cette mascarade. Le 17 juillet, jour de sa mort. J’ai refermé le cercueil de Miss Holiday et posé deux fleurs dessus.» Jo Jones a dit tout ce qu’il y avait à dire.

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             Avec son docu, Erskine ramène l’art. Il termine avec le dernier album, Lady In Satin et on voit des images spectaculaires de Billie émaciée. Billie forever.

    Signé : Cazengler, Holiday on ice

    Lee Daniels. Billie Holiday Une Affaire d’État. DVD 2021

    James Erskine. Billie. DVD 2021

     

     

    Pour Kim sonne le glas

     - Part One

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             Les Sonic Youth ont bien fasciné les foules, à l’époque des grands concerts à l’Élysée Montmartre. On s’est tous goinfrés comme des porcs de Goo et de Dirty, ces deux grands albums de wild gaga new-yorkais devant l’Éternel. On s’est aussi prosternés jusqu’à terre devant The Year Punk Broke, ce movie rock qui était censé encenser Sonic Youth, mais l’impétueux J. Mascis leur vola la vedette d’un coup de Wagon. Bref tout ça nous ramène au passif des années antérieures qu’on a tous vécu à la va-comme-je-te-pousse, bon an mal an, et cahin-caha. Des années qu’on aimerait pas trop revivre. Pourquoi ? On ne sait pas trop. Il y planait un soupçon de malaise généralisé, mais aussi personnel. Trop de blé, trop de gonzesses, trop de n’importe quoi. Le retour à la pauvreté et à la vie monastique fut une espèce de répit inespéré.

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             Sans doute était-ce la faute d’un album trop expérimental, toujours est-il qu’à une époque on a décroché brutalement de Sonic Youth, qu’on avait suivi depuis le début. Oui, on les tenait en haute estime, sans doute grâce à Spin, qui faisait alors référence en matière d’alt-rock US. Mais avec un album dont on a oublié le nom, Sonic Youth commit l’irréparable : prendre les gens pour des cons. On apprit dans la foulée que Thurston Moore trompait Kim, laquelle Kim le prit très mal et le groupe splitta. Sonic Cuckold, ça ne sonnait pas très bien.

             Revenons à l’essentiel : on savait pour les avoir vus sur scène, et pour avoir écouté les albums, que l’âme du groupe était en réalité Kim Gordon. On ne trompe pas sa femme quand celle-ci est un parfait rock’n’roll animal comme Kim. Mauvaise pioche, mon pauvre Moore. Au passage, il a perdu tout ce qui lui restait de crédibilité. Bien sûr, nous ne sommes pas là pour porter des jugements, mais casser un groupe pour une histoire de cul, c’est un peu n’importe quoi. C’est encore pire que de casser un groupe pour une piscine. Encore une fois, le rock est un art trop sacré pour être confié à des betteraviers.

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             Puisqu’elle souhaitait éclairer nos lanternes, Kim a publié ses mémoires, un petit book sans prétention titré Girl In A Band. Le ‘sans prétention’ est important, car ce n’est pas le rock book du siècle, loin de là. Kim n’a ni la niaque de Miki Berenyi (Fingers Crossed: How Music Saved Me from Success), ni celle de Viv Albertine (Clothes Clothes Clothes Music Music Music Boys Boys Boys). Plutôt que de chercher à atteindre le sommet d’un Ararat littéraire, Kim tourne autour d’un gros pot-aux-roses : la trahison de Thurston Moore. Elle donne tout le détail de son traumatisme. Moore la trompe en cachette. Il ment comme un arracheur de dents. Elle fouille dans son ordi et dans son smartphone. Elle trouve des messages coquins. C’est d’une banalité atroce. Pas de quoi en faire un plat. Et pourtant, ça la fout en l’air. Au moins, elle a appris un truc essentiel pour une gonzesse : ne jamais faire confiance à un mec.  

             À la lumière de cette lecture qui n’a rien d’insolite, on peut se fendre de deux brillants constats. Un, ce qui arrive à Kim, c’est ce qui arrive généralement à tous les couples qui forment un team créatif. Tu bosses et tu baises avec ton ou ta partenaire, c’est du 24/24 pendant des années et au bout d’un moment, ça coince, car la baise devient mécanique et le job roule trop bien, ce qui n’est pas bon signe. Le team s’endort sur ses lauriers et la flamme s’éteint. Phénomène quasi automatique. On appelle ça la routine. C’est généralement dans cette zone de faux calme que retentit l’appel des sirènes, et de là à changer de crémerie, il n’y a qu’un pas qui se franchit sans état d’âme. Seuls les couples aux nerfs d’acier peuvent survivre à ce genre de mésaventure. Kim n’a pas supporté de voir son mec aller tremper son biscuit ailleurs. Elle n’avait pas la force de caractère ni peut être l’intelligence de Geneva Morganfield qui savait pertinemment que Muddy faisait des gosses à droite et à gauche. Geneva eut la grandeur d’âme de l’encaisser pour ne pas perdre son Muddy. Son exploit fut surtout de réussir à l’accepter tel qu’il était - C’est la clé de tout - Kim a préféré virer Moore. Pas question d’un ménage à trois.

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             Dans les premières pages du book, Kim nous dit que le groupe tourne encore dans le monde entier, mais elle et Moore ne s’adressent plus la parole. Leur mariage aura duré 27 ans. Dernier concert de Sonic Youth à São Paulo, en 2011, le groupe boucle le set avec «Teen Age Riot» que chante Kim - Un mariage est une longue conversation, a dit quelqu’un, et la vie d’un groupe l’est aussi. Quelques minutes plus tard, les deux étaient terminés - Elle décrit le vide qui s’ouvre sous les pieds lorsque tout s’arrête. Ceux qui l’ont vécu savent ce que ça veut dire. La mort, sans vraiment mourir. Vers la fin du book, elle rebouche le vide : «J’éprouvais de la compassion pour Thurston et j’en éprouve encore. Ça me désolait de le voir perdre son mariage, son groupe, sa fille, sa famille et notre vie conjugale - et lui-même. Mais éprouver de la compassion n’est pas la même chose que de pardonner.» Elle est dure en affaires. On le voit très bien sur les photos. C’est le genre à dire : «Me prends pas pour une conne.»

             Constat numéro deux, il apparaît que Sonic Youth doit sa grandeur tutélaire à Kim Gordon. Pour comprendre la réalité de ce constat, il faut peut-être commencer par la fin, c’est-à-dire la période solo de Kim, et foncer droit sur Free Kitten et Body/Head, car Kim s’y révèle extraordinairement bonne. Débarrassée de son mec et des turpitudes de la vie conjugale, elle éclate le Sénégal avec sa copine pas de cheval mais de Pussy Galore, Julie Cafritz. C’est là, à cet endroit précis de l’alignement des planètes que tu comprends tout. Kim Gordon superstar !   

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             Le Nice Ass de Free Kitten est un Wiija de 1994. Et même un sacré Wiija ! C’est un album qui s’enracine dans la cacophonie, qui monte doucement, qui ramone le Raincoat («Proper Band»), qui cherche des noises à la noise, qui bascule dans le weird ahuri et complètement arty («Kissing Well»), qui rentre dans le chou du lard («Call Back»), ah, elles s’y connaissent en Grosse Bertha, un album qui bat tous les records de weirdy weird avec une pop infestée de sax («Revlon Liberation Orchestra»), et qui finit par atteindre au génie trash avec «The Boasta», un shoot de weirdy weird merveilleusement exécuté, tout ici est gratté à la revoyure de la déglingue, en vertu des sacro-saints principes de l’underground new-yorkais, et puis elles culminent avec un «Royal Flush» qui s’inscrit dans la lignée de Pussy Galore. Brillantissime ! 

             Kim rappelle dans son book qu’elle et Julie étaient inspirées par the American alt-rock band Royal Trux, c’est-à-dire Neil Hagerty et Jennifer Herrema - Royal Trux was rock swagger perfected, with minimum effort, et même s’ils étaient completely on drugs the whole time, the effect was both amazing and mysterious.

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             Avec Inherit, Kim et Julie s’installent dans le weirdy weird. Elle grattent leurs poux toutes les deux, et raffolent d’atonalités. Te voilà au parfum. J. Mascis vient faire un petit tour dans «Surf’s Up» et il ramène du jus dans cette soupe du diable. Elles vont continuer d’exploiter le filon du Sonic Weird. Leur «Free Kitten On The Mountain» est comme on dit bien balancé. «Roughshod» renoue avec la légendaire énergie new-yorkaise du Galore et de Sonic Youth, et elles enchaînent avec un «Help Me» complètement détraqué. Elles font leurs punkettes de MJC new-yorkaise et c’est noyé dans l’agit-prop d’avant-garde. Tout ce que tu peux dire, c’est : Wow !  Et comme le montre «The Poet», on voit bien que Kim amène l’énergie dans Sonic Youth. Ça se confirme ici, dans cette dépravation quantique, dans ce bel exemple de sauvagerie urbaine. Kim est rock jusqu’au bout des ongles. Et puis on tombe comme par hasard sur un «Bananas» bien banané. Elles sont marrantes, car elles font gicler un pur jus de New York City sound, elles sortent la grosse disto et font n’importe quoi. Et ça vire encore plus experiment avec un «Monster Eye» noyé d’envergure pétrifiée, ça gratte dans les remugles, ça flattes les bas instincts, ça caracole dans les dérives abdominales.

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             Par contre, le Straight Up de 1992 est un peu plus compliqué à gérer, même si Don Flemming est dans le coup. Kim et Julie optent pour la modernité décousue de no way out. Ça donne des cuts irrités et irritants, elles grattent des poux très sourds dans «Smacx», et derrière, ça gueule dans une sorte de dodécaphonisme. Arnold Schönberg y perdrait son latin. Mis à part les followers, qui pouvait être assez cinglé à l’époque, non seulement pour acheter ça, mais aussi pour l’écouter ? Elles battent tous les records d’impertinence, plus c’est incongru et plus c’est Kitten. Elles dépassent les bornes. Elles attaquent «Oneness» au riff de stoner malingre. On voit bien qu’elles s’entendent comme larrons en foire. L’«Oneness» est monté sur un sacré drive de disto malovelante et ça donne une belle giclée de purée grasse. On sent la patte de Don Flemming. Elles délirent complètement dans «Dick» - His name is/ His name issss ? - et Julie demande : «What’s his name Kim ?», Kim dit que c’est Richard, alors elles délirent sur Little Richard, Richard Lloyd et Keef Richards. You dick !

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             En 2019, Kim enregistre No Home Record, un petit album qu’il faut bien qualifier d’extraordinaire. Elle expérimente dès «Air BnB», elle gratte des poux bien trash et expédie tout ça très vite en enfer. Kim Gordon superstar ! Superbe explosion d’Air BnB ! Elle récidive avec «Murdered Out» qu’elle attaque aux cornes de brume, elle attaque le rock dans la nuit, avec une fabuleuse violence new-yorkaise imprégnée d’hip-hop. Il n’existe pas de son plus urbain. Elle gratte des poux demented, c’est éclatant de tell me out. Et puis voilà le coup de génie, l’imparable «Hungry Baby», elle tape ça au big trash out de so far out. Kim a le power, elle est capable de merveilleuses dégelées, elle fait du wild gaga sixties noyé de trash, Sonic Youth, c’est elle, plus de doute possible, son «Hungry Baby» est un véritable modèle du genre, il y va au yeah yeah, c’est stupéfiant d’excelsior, elle n’en finit plus de grandir, elle a le génie du trash rock absolu 

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             Kim rappelle qu’à l’époque où Julie cherchait un beurreman pour Pussy Galore, elle lui a présenté Bob Bert qui avait fait un bref séjour dans Sonic Youth. Kim se dit d’ailleurs très impressionnée par le Pussy Galore d’alors - Julie and her bandmate Jon Spencer were slightly scary, I remember, all black clothes with tons of ‘tude - Dommage qu’elle n’évoque pas davantage tous ces groupes qui ont fait la grandeur de l’underground new-yorkais. Elle évoque vaguement Lydia Lunch, mais elle s’en méfiait comme de la peste, car elle était toujours, dit-elle, «en train d’essayer de séduire Thurston». Elle se dit fan de Teenage Jesus & The Jerks, mais pas pote avec Lydia, car elle n’a pas confiance en elle. Elle flashe aussi sur Black Flag - One of the best gigs I’d seen before or since - elle se gave de l’hardcore punk d’Henry Rollins - scary, surreal, intimate - L’un de ses meilleurs amis n’est autre que J. Mascis, à qui Kurt avait proposé de rejoindre Nirvana. Elle est aussi fascinée par Iggy - I give Iggy credit for deconstructing the very idea of entertainment. What is a star? Is stardom a kind of suspended adulthood? Est-ce que ça se situe par-delà le bien et le mal ? Est-ce qu’une star est une personne en laquelle on doit croire, ou un démon, un preneur de risques qui va au bord de la falaise sans jamais tomber ?

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             Grâce à Mike Watt, elle rencontre le fameux Raymond Pettibon qui va dessiner la pochette de Goo, et des pochettes pour SST. Elle flashe aussi sur Karen Carpenter et lui consacre une bonne page. Bon d’accord, elle admet que les Carpenters flirtent avec l’easy listening, mais c’est dit-elle le film de Todd Hayes qu’ils faut voir, Superstar. Kim est fascinée par Karen - Karen n’est-elle pas le personnage quintessentiel de notre culture, cherchant à satisfaire les autres de manière compulsive, pour atteindre ce degré ultime de perfection qui restera toujours hors de portée ? Pour elle, c’était plus simple de disparaître, de s’évader de son corps et de trouver la perfection dans la mort - Karen Carpenter a cassé sa pipe en bois à coups d’anémie.

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    ( Artwork : Mike Kelley )

             Kim évoque aussi son ami de longue date Mike Kelley qui dit avoir démarré Destroy All Monsters après avoir vu Kim sur scène au Ann Arbor Festival, lors du deuxième gig de Sonic Youth. Elle porte aussi sur New York un regard critique. Le New York qu’elle voit aujourd’hui est une ville de consommation et de fric - Wall Street drives the whole country, with the fashion industry as the icing -  et plus loin, elle enfonce son clou - New York City today is a city on steroids. Cette ville ressemble à un dessin animé. La ville a perdu son authenticité - Ses pages sur la No-Wave sont les plus belles du book - L’un des plus gros attraits des No Wave bands était le fait que leur musique semblait abandonnée et abstraite. C’était ce que j’avais entendu de plus pur, de plus libre, très différent du punk-rock des seventies et du jazz des sixties, c’était plus expressionniste et ça allait plus loin que tout le reste. En contraste, le punk-rock semblait ironique, avec des slogans du genre : «On va détruire le rock corporate». Les No Wavers y allaient plus franchement : «On détruit vraiment le rock». Cette liberté de ton m’impressionnait. Je me disais : «Je peux faire ça.» -  Kim rappelle que la No Wave brassait large, depuis le cinéma, l’art vidéo, jusqu’au rock underground, mais tout restait inclassable, hors de portée des classifications des médias - Basically it was anti-Wave, which is why strictly speaking No Wave can’t even properly be called a movement at all et ne devrait même pas porter de nom. C’est aussi une réponse directe à la New Wave, plus commerciale, mélodique, danceable punk - Blondie, The Police, Talking Heads - qui était vue par des tas de gens comme a lame sellout, c’est-à-dire une atroce putasserie - Bien vu Kim, car c’est exactement de cela dont il s’agit : a lame sellout : Oh je voudrais m’acheter une maison à la campagne, alors on va enregistrer un peu de diskö ! Pour illustrer son éloge de la No Wave, Kim cite quelques noms : «Glenn Branca of Theatrical Girls qui venait du théâtre, et le théoricien de la guitare Rhys Chatham qui avait étudié avec La Monte Young et Philip Glass.» Elle ajoute qu’on qualifiait Sonic Youth de No Wave, mais c’est selon elle une erreur - We didn’t sound No Wave. We just built something out of it.

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             Justement, Sonic Youth, parlons-en. Kim dit qu’à leurs débuts, Lee, Thurston, Bob Bert qui battait alors leur beurre, et elle se repassaient un book sur le Velvet - Pour un raison X, c’est ce book qui a fédéré le groupe. On était donc branchés sur la même longueur d’onde. On était branchés sur le Velvet, mais on a titré notre album Bad Moon Rising, d’après le cut de Creedence Clearwater Revival, c’était notre mode de fonctionnement : emprunter un truc à la culture pop et lui donner un autre sens. Creedence était un faux-Southern country band de la même façon que nous étions un faux-Velvet Undeground band. Plus, the title was badass - Elle redit plus loin que Sonic Youth a toujours cherché à tromper les attentes des gens. Puis elle rentre dans l’intimité du groupe : elle explique que Lee et Thurtson chantonnaient leurs idées de riffs, «et je chantais les trucs les plus barrés et les plus abstraits.» Elle et Moore s’entendaient bien sur les aspects esthétiques, et se mettaient toujours d’accord sur les pochettes. Kim rappelle aussi qu’ils sont arrivés avec Evol sur SST, qui était alors le label phare de la scène underground américaine. Black Flag, les Meat Puppets, Hüsker Dü et les Minutemen étaient sur SST.

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             Lors de sa première tournée anglaise avec Sonic Youth, les journalistes harcelaient Kim avec la même question : «What’s it like to be a girl in a band?». Kim va recycler cette question stupide et en faire le titre de son book. Elle n’a d’ailleurs pas une très bonne opinion des journalistes anglais (cowardly and nonconfrontational). Chaque fois que Sonic Youth enregistre un nouvel album, le groupe choisit un nouvel endroit pour répéter. Kim dit que le meilleur était un local appartenant à Michael Gira on Sixth Dtreet and Avenue B. C’est là qu’ils enregistrent en 1988 Daydream Nation, ce double album, qui à la grande surprise du groupe, remporte un succès d’estime. En 1990, le groupe a déjà dix ans d’âge. C’est là qu’ils cherchent un gros label, et ce sera Geffen. Avec l’avance qu’ils reçoivent, Thurston et Kim se payent un appart sur Lafayette Street. Puis ils choisissent le crobard de Pettibon pour la pochette de Goo, ce qui ne plait pas à l’A&R de Geffen qui aurait préféré une glamourous picture of the band

             Elle évoque aussi le public de Sonic Youth : «Même quand vous êtes dans le rond du projecteur, vous ne comprenez pas vraiment de quelle façon vous inter-agissez avec les gens. D’une certaine façon, Thurston et moi semblions inter-agir avec des late baby boomer urbains, qui voulaient que leurs enfants soient des rock’n’roll babies, et qui ne voulaient pas vieillir de la même façon que leurs parents. Avec leurs enfants, ils avaient la musique en commun. Même s’ils avaient 40 ou 50 ans, ils avaient encore la flamme en eux, le rictus et le doigt. Avec le temps, il m’a semblé que Thurston et moi incarnions cette tendance.» Elle décrit avec une précision remarquable la faune du rock indé, et c’est vrai que Sonic Youth en fut en quelque sorte l’emblème.

             Dans un nouvel élan de franchise, Kim rappelle qu’au démarrage de Sonic Youth, «I really made an effort to punk myself out, pour perdre tout lien avec mes origines middle-class West LA.» Elle revient plus loin sur son look, comme si elle avait besoin de se justifier - I was going for a punky look, sans jamais croire que j’en étais digne. Plus tard, j’ai évolué vers un look garçon manqué with a sexy François Hardy cool.

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             Kim flashe surtout sur Kurt. C’est la grande rencontre de sa vie. Elle est aux premières loges quand Nirvana sort de l’anonymat - Nirvana seemed part-hardcore, part-Stooges but with a cheesy chorus-pedal effect that was more New Wave than punk - Là elle se vautre, Kurt n’a rien à voir avec la New Wave - Kurt Cobain was both incredibly charismatic and extremely conflicted. Il jouait une belle mélodie et soudain, il bousillait tout le matos. Personnellement, j’aime bien voir les choses s’écrouler. That’s real entertainment, deconstructed - Un soir, Kurt coince Kim dans le backstage pour lui parler : «Je ne sais pas quoi faire. Courtney pense que Frances m’aime plus qu’elle.» Pour Kim c’est un grand moment de vérité : Kurt qui a besoin d’aide s’adresse à elle ! - J’y repense et je n’ose même pas imaginer ce que fut leur vie dans le chaos des drogues, et j’ai du mal à croire qu’ils ont pu rester deux ans ensemble - Quand on lui apprend que Kurt vient de se tirer une balle dans la tête, Kim se dit choquée, «mais pas surprise». Elle ajoute qu’il s’était produit un incident pas très clair à Rome, une petite overdose. En se maquant avec Courtney, il avait dit-elle «pris une voie plus sombre, et ce n’était plus qu’une question de temps avant la complète auto-destruction.» Pour Kim, Kurt reste un mec gentil, très vulnérable - L’élément principal de son auto-destruction fut de choisir Courtney, dans le but de faire le vide autour de lui, et ça a détruit la petite communauté à laquelle il appartenait - Bon tout ça c’est bien gentil, mais Kim veut que les choses soient claires : «Je n’ai jamais voulu exploiter l’amitié qui me liait à Kurt, et même dans sa mort, je voulais le protéger, c’est pourquoi je culpabilise à écrire ces quelques lignes. Mais comme je l’ai déjà dit, je pense souvent à Kurt. Avec les gens qui cassent leur pipe violemment et trop jeunes, il n’y a jamais de fin. Kurt still move along inside of me, and outside too, with his music.». Merveilleux paragraphe, merveilleux hommage et merveilleux témoignage d’amitié.

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             Mais c’est lorsqu’elle parle d’elle que Kim devient passionnante - Après avoir joué pendant trente ans dans un groupe, c’est assez stupide de dire : «Je ne suis pas musicienne.» Pourtant, je ne me suis jamais considérée comme une musicienne et je n’ai jamais pris de cours. Je me considère comme une rock-star de bas étage (a lowercase rock star). Oui, je crois que j’ai une bonne oreille et j’adore le frisson qu’on éprouve à être sur scène. Et même en tant qu’artiste conceptuelle, il y a toujours eu un côté performance dans ce que je faisais.» Voilà comment Kim se situe, avec toute la modestie dont elle est capable. Du coup, on la réécoute beaucoup plus attentivement.

             Elle revient sur elle-même pour cette fantastique confession : «Dans ma vie, je n’ai jamais choisi de faire ce qui était facile ou prévisible. Je n’avais aucune idée de l’image que je donnais de moi sur scène et dans le privé, je souhaitais simplement rester anonyme. Être consciente de soi, c’est la mort de la créativité. Je me sentais bien quand j’avais enregistré un truc qui m’avait plu, ou quand j’étais sur scène et que le son était tellement puissant que le temps s’arrêtait, et je sentais le public respirer dans le noir comme un seul être.» 

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             Elle approche dangereusement de la fin du book et se fend d’un brillant constat de plus : «L’autre jour, je réfléchissais à la façon dont la musique avait évolué. Les années soixante étaient tellement merveilleuses. Plus qu’aucune autre décennie, elles incarnaient le temps où l’individu pouvait trouver une identité dans le mouvement musical. Ce n’est pas la même chose que l’identité sexuelle qui relève plus des années cinquante, il s’agit plus d’un éveil collectif, qu’illustrent parfaitement les filles hystériques pleurant ensemble dans les concerts, quelque chose de contagieux et de spontané. Puis à la fin des sixties, la tendance hippie a commencé à se mélanger avec le goût de l’argent et c’est là que le rêve s’est évanoui.»

    Signé : Cazengler, Kim Gourdin

    Kim Gordon. Girl In A Band. Faber & Faber 2016

    Kim Gordon. No Home Record. Matador 2019  

    Free Kitten. Straight Up. Pearl Necklace 1992

    Free Kitten. Nice Ass. Wiija Records 1994  

    Free Kitten. Inherit. Ecstatic Peace 2008

     

     

    Holly ne met pas le hola

     - Part One

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             Mine de rien, on assiste au grand retour d’une légende vivante. En mai 2004, elle débarquait au Café de la Danse avec une fière équipe : un London greaser à la stand-up, et un grand zouave tout décharné qui portait, bien vissée sur son crâne de piaf, une casquette de marin-pêcheur : Bruce Brand ! Il devait bien friser la soixantaine, avec un visage taillé à la serpe. Il brancha rapidement une demi-caisse Guild sur un petit ampli Fender à lampes, sortit d’une valisette bordélique une pédale fuzz en forme de méduse et la raccorda sur la Guild avec un câble de fer à repasser gainé de tissu blanc et noir. Holly est arrivée à la suite, auréolée de la légende des Headcoatees - notamment leur version de «Come See Me» rebaptisée «I’m Your Man» - Holly n’était plus la brune incendiaire qui avait envoûté Wild Billy Childish. Après pas mal de problèmes techniques, Holly mit finalement le groupe en route. Ils jouaient avec un son minimaliste terriblement sixties. Elle emmenait son public dans une sorte d’hillbilly londonien, très belle ambiance, faite de chaude intimité et de joyeuse simplicité. Le greaser se cabrait sur sa contrebasse et couvait Holly du regard. Elle alternait les balladifs country et les rengaines douce-amères. Puis elle mit le feu aux poudres en démarrant un rock sixties caoutchouté au slap, et vrillé bien sûr par un vaillant solo de fuzz. Bruce Brand écrasait sa méduse avec un air gourmand. Son corps bougeait avec élégance, il était d’une certaine façon le Monsieur Hulot du rock anglais, et pour finir les cuts, Holly dansait d’un pied sur l’autre. Avec sa musique sans prétention et ses musiciens de bric et de broc, Holly ramenait une incroyable fraîcheur.

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             En vingt ans, rien n’a changé : Holly installe sur scène la même ambiance : Bruce Brand est toujours là, sous sa casquette de marin-pêcheur, mais il bat le beurre. Et quel beurre ! On le considère comme l’un des meilleurs batteurs anglais.

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    Un jeune coq nommé Bradley a pris sa place à la gratte et d’une certaine façon, il va contribuer à l’excellence des ambiances, avec un jeu très funky, cette parcimonie du jeu black qu’on retrouve chez des géants comme Mabon Teenie Hodges ou encore Freddie Stone.

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    Et de l’autre côté, le greaser est toujours là sur la stand-up, avec un petit coup de vieux. Holly a aussi pris un petit coup de vieux, bien sûr, mais son charme reste intact. Elle est toujours aussi ravie d’être sur scène. C’est vrai qu’il règne dans le petit théâtre une bonne ambiance. Elle attaque avec le vieux «Crow Jane Blues» de Sonny Terry et Brownie McGhee, et elle va enfiler d’autres vieux classiques comme le «Mule Skinner Blues» de Jimmie Rodgers, et le «Sally Go Round The Roses» des Jaynetts qui tapa si bien dans l’œil de Leiber & Stoller et de Tim Buckley. Elle cultive toujours sa nonchalance et ses grooves cha-cha, elle balance au gré des vagues, elle enfile ses perles avec une aisance assez magistrale, avec une fluidité de ton qui n’en finit plus d’alimenter sa légende, oh bien sûr, pas de hits, pas de coups de génie, simplement de la good time music, celle qu’elle propose depuis trente ans, depuis le temps des Headcoatees.

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    Ah comme le temps passe. Elle ne cherche plus trop à rocker le boat, elle se contente de nous bercer de langueurs monotones et visiblement, les gens aiment ça. On ne gardera pas le souvenir de cuts en particulier, seulement le souvenir d’une heure de set extrêmement agréable, une sorte de petite leçon de groove à l’anglaise. Pour finir en beauté, elle fait revenir sur scène Big Russ Wilkins pour une version catchy du «Mellow Down Easy» de Little Walter.

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             Holly Golightly fait partie des artistes qu’on suit au fil des décennies, album après album, comme on suit Al Green ou Johnnie Taylor, car on sait par expérience que ce sont toujours de bons albums, même au bout de trente ans. Rien n’est plus fascinant que de voir un artiste évoluer dans le temps. Il est essentiel de savoir que les grands artistes mettent un point d’honneur à ne pas se répéter, simplement par respect du public. Et c’est toute la difficulté : continuer à exister artistiquement aussi longtemps devient une gageure, et il faut voir avec quel brio les grands artistes relèvent ce défi. Holly ? Allez, environ 25 albums, mais aucun qui ne soit inintéressant.

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             Son dernier album solo en date s’appelle Do The Get Along. On y retrouve l’équipe scénique : Bradley Burgess, Bruce Brand et le greaser Matt Radford. Il faut l’entendre slapper le bout de gras dans «Hypnotized» et elle y va au one kiss from/ Your lips/ I’ll be satisfied. C’est slappé à ras des pâquerettes de London town. Do The Get Along est d’abord un album de groove, «Pretty Clean» est un classic Holly jive, ça Golighte in the tight, et Bradley s’en donne à cœur joie, fantastique shake d’hipper all the time. Pus jus de r’n’b avec «The Get Along». Elle y va à la douce et derrière, le Brad joue à la parcimonie. Belle ouverture de bal avec «Obstacles», ça groove mais avec des pointes de Méricourt, et le Brad passe un solo de vif argent. On retrouve cette grande jiveuse qu’est Holly dans «I Don’t Know», un soft groove de sucre pur, elle tape dans la white black de légende, avec une prestance qui n’en finit plus de se conforter dans l’éclat des lips. Le slap contribue à la grandeur du sucre. C’est un round midnite d’excelsior. Sur «I’m Your Loss», Bruce met le conga beat au carré, ça joue énormément et le Brad passe un solo dépenaillé. Ça groove encore très sec sur «Quicksand», Holly chante au sucre pur et Bruce te percute ça au jazz beat.

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             Le dernier album en date d’Holly Golightly & The Brokeoffs s’appelle Clippety Clop. À part les vieux fans, qui va aller rapatrier ça aujourd’hui ? Holly fut à la mode, comme on dit. L’est-elle encore ? Le Clippety Clop porte bien son nom, car c’est un album consacré aux chevaux. Douze cuts sur le thème du cheval, à commencer par «Mule Skinner», un vieux groove primitif qu’elle tape au beat tribal d’heartbeat, avec des intrications de banjo. Pur jus de modern Americana au petit sucre. Elle y reste avec «Two White Horses», elle fait même de la brocante d’Americana, Just in time. In the face ! Il règne sur cet album une belle ambiance d’enveloppe collégiale, elle rassemble autour d’elle comme le ferait un messie. Mais si. Elle passe à la rengaine de ragtime pour «Pinto Pony», elle a du son, du poids dans la légende, elle sait taper un shoot et caresser l’Americana dans le sens du poil. Elle fait du classic blues primitif au sucre avec «Black Horse Blues», elle est marrante, très juvénile. Elle passe au sucre de trad avec «Kill Grey Mule», un classic boogie blues. Chaque album d’Holly sonne comme un événement. Elle racle les fonds de tiroir de l’Americana et c’est très intéressant. Elle revient au primitif avec l’excellent «Stewball», ça duette dans la kitchen, elle a ce talent fou de savoir créer du primitif au débotté.

    Signé : Cazengler, Holy shit !

    Holly Golightly. Théâtre Municipal Berthelot. Montreuil (93). Le 17 novembre 2023

    Holly Golightly. Do The Get Along. Damaged Goods 2018

    Holly Golightly & The Brokeoffs. Clippety Clop. Transdreamers Records 2018

     

     

    L’avenir du rock

    - Shaking with the Shakes

             L’avenir du rock erre toujours dans le désert. Au début, c’était une manie, c’est devenu au fil des mois un art de vivre. Dommage qu’il ne soit pas filmé pour la télévision, car il pourrait servir d’exemple. Il passe ses journées à trotter d’un point à un autre. Il se dit «allons par là», alors il va par là. Il s’est forgé une détermination à toute épreuve. Un esprit défaitiste dirait en le voyant errer qu’il n’a pas le choix. Ça ferait bien marrer l’avenir du rock que d’entendre ça. D’ailleurs il en est arrivé au point où il rit d’un rien. S’il trouve un coquillage dans le désert, il explose de rire. S’il croise Lawrence d’Arabie, il doit se mordre les lèvres, même craquelées de sécheresse, pour garder son sérieux et sauver les apparences. Il ne se passe pas un jour sans qu’il ne fasse de rencontre inopportune. Il a vu passer Rimbaud transporté par quatre coureurs de fond éthiopiens, mais comme le poète se disait pressé, il ne s’est pas arrêté pour contrepéter. Il a aussi croisé Jeremiah Johnson qui cherchait la route du Colorado. Toujours les mêmes embrouilles, avec ce mec-là. Agacé, l’avenir du rock a fini par perdre patience :

             — Tu me fatigues avec tes jérémiades, Jeremiah. T’as qu’à te payer un GPS !

             Le lendemain, sur qui qu’il tombe ? Dersou Ouzala !

             — Chuis paumé, avenil du lock. Ché pal où la Taïga ?

             — Tu vas Ouzala-bas et tu tournes à droite après la dune. Dersouboujou pi des gommes !

             Les seuls gens sérieux dans le désert, ce sont encore les conducteurs de caravanes. Rien n’a changé depuis des millénaires, depuis le temps des Mille et Une Nuits. L’avenir du rock adore voir onduler les caravanes sous la lune. Il s’approche pour les saluer, le buste bombé comme le serait celui d’un Chevalier du Temple, et lance d’une voix qu’il veut noble, claire et chargée de tout le prestige de l’Occident chrétien :

             — Akbar Allahbama !

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             C’est pour l’avenir du rock une façon déguisée de rendre hommage aux Alabama Shakes et à leur grosse chanteuse géniale, Brittany Howard. On cherche aussitôt la connection avec la scène légendaire d’Alabama, mais le seul nom qui apparaît est celui de Patterson Hood, un Patterson qui alerte très tôt ses managers. C’est la raison pour laquelle les Alabama Shakes atterrissent sur ATO Records, le label des Drive-By Truckers et de St Paul & The Broken Bones. Sinon, pas de liaison particulière avec Muscle Shoals ni les autres cracks locaux. 

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             Patterson Hood a eu raison d’alerter ses managers. Alerte à bord dès l’«Hold On» qui ouvre le bal de Boys & Girls. Quel shoot de wild groove ! C’est gorgé de son et Brittany couine dans le feu de l’action. Elle chante à l’insistance patentée. Elle enchaîne les coups de génie comme des perles, elle te shoute toute la Soul du monde dans «I Found You», ça devient vite insupportable de grandeur tutélaire, elle te sert sur un plateau d’argent un balladif immense explosé par des chœurs d’artichauts. Avec «Hang Loose», elle procède au relookage d’Ike & Tina Turner, c’est plus poppy mais chanté à outrance. La grosse Brittany est la reine des outrances de Saba. Boom encore avec «Rise To The Sun». Elle s’y fond avec délice, elle est superbe, groovy, pulpeuse, fantastique, c’est explosé en tête-à-queue. Ça spurge à l’extrême, elle arrose le plafond, elle s’assoit sur le son pour le compresser. Elle profite d’«Heartbreaker» pour aller s’écrouler dans les braises d’une heavy waltz, elle gueule à bon entendeur salut, et boom, ça repart de plus belle avec «Be Mine», une heavy Soul de grattes électriques, avec une Brittany on the run, encore un cut superbe, fin et puissant à la fois, une rare combinaison de chant et de gratté de poux vite montée en neige. Elle explose ses fins de cut sans foi ni loi. 

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             Petit conseil d’ami : rapatrie la red «10 Year Anniversary Edition», car ATO a rajouté un live des Shakes et toutes les bombes de l’album sont rallumées sur scène. Re-boom badaboom d’«Hang Loose» - C’mon Los Angeles - Heavy process, c’est plein comme un œuf. Re-boom d’«I Found You» qu’elle tape au big atmospherix. Elle a les mêmes poumons d’acier que Carla Bozulich, la diablesse de Geraldine Fibbers. Remember «Dragon Lady» ? Re-boom de «Be Mine». La grosse Brittany est l’une des facettes les plus dodues de l’avenir du rock. Elle sonne comme un juke-box à roulettes. Elle aligne une succession phénoménale de hits. Tu peux y aller les yeux fermés. Elle impose sa classe épouvantable avec «Going To The Party». Elle swingue sa Soul à la pire Méricourt qui soit ici-bas. Ça monte brutalement en température avec «Hold On». Elle le prend d’en haut, histoire de lui tomber dessus à bras raccourcis. Elle est complètement folle, encore plus folle que la Carla. Tu as là la plus extrême Soul pop d’Alabama. L’«Always Alright» qui suit est noyé d’orgue princier, celui de Dylan 1965. Re-boom de «Rise To The Sun», elle fait cramer sa fin de cut au ah-oh-ah-oh - Los Angeles, we have a last song for you - Boom ! «Heavy Chevy» ! Brittany est une superstar. 

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             Le deuxième album des Shakes est un tout petit peu moins dense que le premier, on entend même des machines, mais ce n’est pas une raison pour aller cracher dans la soupe. Il faut attendre «Dunes» pour voir Sound & Color prendre des couleurs. Brittany plonge dans le son à coups de losing it. Direction Big Atmospherix encore avec «Future People» et «Gimme All Your Love». Pas facile, car on entend des machines, elle tisse sa toile à la surface de l’electro. Elle a perdu ses poux. Elle rentre dans le chou de «Gimme All Your Love» avec un sacré punch, elle s’en va s’éclater la rate sur l’Ararat qui s’dilate, elle a ce genre de power. Elle est aussi capable de finesse comme le montre «This Feeling», et pourtant, quand on la voit en photo, on n’imaginerait pas autant de finesse en elle. Elle est capable de finasser autant que Linda Lewis. Elle revient au vat-en-guerre  avec «The Greatest» - and the five six seven eight - elle explose de trash punk, c’est du shaking d’alabamed du ciboulot, fabuleuse élévation du domaine de la turlutte. Elle reste merveilleuse de wild rockalama avec «Shoegaze», plus de machines, ça redevient clair comme de l’eau de roche. Puis elle plonge comme un gros aigle sur «Miss You». Brittany a du génie, il faut bien le reconnaître, elle y va à bras raccourcis, elle fait du froti de confrontation, elle est explosive, fais gaffe à toi, fais gaffe où tu mets les doigts. Pour finir, elle plonge dans son lagon avec «Over My Head». La grosse est une pro du plongeon. Elle plouffe dans son lagon d’argent et c’est magnifique. Tout est extraverti sur cet album, c’est chanté/chauffé à blanc et noyé de machines, mais ça abat des tas de barrières.

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             En 2019, Brittany Howard enregistre un premier album solo, Jaime. Elle l’attaque en mode heavy funk. «History Repeats» t’explose à la gueule. Comme tu as l’habitude des bas-fonds, tu n’es plus à deux dents près - Push me push me - Mais elle noie son power dans un hip-hop saturé. Dommage. S’ensuit un «He Loves Me» télescopé par du hard raw. En fait, c’est un album d’hip hop et d’electro, très éloigné de l’univers des Alabama Shakes. Elle retrouve ses marques avec «Stay High», mais dans un climat sonore trop saturé. Dommage. Elle chante son «Short & Sweet» au Love Supreme de charme chaud, mais au final, ce n’est pas l’album qu’on espérait.

    Signé : Cazengler, Alababa-cool

    Alabama Shakes. Boys & Girls. ATO Records 2012

    Alabama Shakes. Sound & Color. ATO Records 2015

    Brittany Howard. Jaime. ATO Records 2019

     

     

    Inside the goldmine

    - Watkins the dog

     

             Difficile de se garer du côté de la place des Ternes. Baby Bav attend paisiblement devant l’entrée du restaurant. On ne se voit que pour manger ensemble. Bonne nature, au propre comme au figuré, elle adore manger au restaurant, surtout celui-ci, qui est décoré de grappes de casseroles en cuivre. Elle s’installe sur la banquette. Elle doit peser cent kilos et mesurer un bon mètre quatre-vingt. Elle a un physique de rugbyman. Elle porte les cheveux coupés courts et teintés par mèches, des lunettes aux montures fines. Et puis bien sûr, une énorme poitrine, celle d’une idole de l’Antiquité, la déesse de la fécondité. Le garçon ramène sa fraise : «Madame désire une entrée ?». «Certainement !». Sa bonne nature lui permet de ne reculer devant aucun excès. Ce qu’elle confirme en insinuant qu’il n’est pas de domaine où sa prodigalité n’enfreigne les lois de la mesure. «Un foie gras de canard poêlé aux coings et vin de noix». «Et monsieur ?». «Des ravioles !». Ensuite ? «Madame prendra les médaillons de veau français farcis de morilles sur une tombée de pousses d’épinards, mousse légère de châtaigne et jus de veau.» « Et monsieur ?». «Le pavé de loup ! Wooooouuhhh !». «Merci monsieur. Désirez-vous boire quelque chose ?». «Mettez-nous un Bourgogne !». «Le Chassagne Montrachet Ab.de Morgeot 1er cru Fleurot Larose est très bien. Je vous le recommande vivement». Ouf ! nous voilà enfin débarrassés de l’obséquieux larbin. Baby Bav installe son regard un peu torve dans le mien. Une sorte de familiarité s’installe. Elle ne dit pas non à la solide rasade de vin de Bourgogne. Dommage qu’elle ne porte pas sa blouse d’infirmière. Impossible de quitter des yeux les lèvres de Baby Bav dont l’éclat brillant est en mouvement perpétuel. Elle lit parfaitement dans mes pensées. Quel bonheur que de la voir se repaître de ses médaillons de veau, de la voir saucer son assiette et aspirer bruyamment le pain goutteux. Avec un aplomb sans pareil, elle accepte la promesse câline d’un dessert. Ce sera un moelleux chocolat accompagné de glace vanille bourbon gratiné. Ah il faut la voir fondre comme un aigle sur l’immense assiette que lui dépose l’obséquieux ! Elle pousse la vénalité jusqu’à se faire une petite moustache de gourmandise. Elle raffole de la crème. Avec tout ce qu’elle a avalé, choisir une occupation pour passer le reste de l’après-midi risque d’être compliqué. «Nous devons hélas redescendre au parking.» «Emmène-moi où tu voudras», répond-elle. Dans la voiture, elle adopte à nouveau cette position primitive, avec les jambes très écartées. C’est un véritable appel aux mains baladeuses. Nous filons vers la Porte Maillot à la recherche d’un lieu de promenade. «Connais-tu les jardins de Bagatelle ?». Elle les connaît par cœur, elle commente les parterres fleuris. Elle approche tout avec une sensualité sidérante. On est en plein Fragonard. Elle finit par dénicher un chemin qui se perd dans un petit labyrinthe. Le chemin monte doucement vers une sorte de kiosque minuscule. Elle propose de s’asseoir pour admirer tranquillement le panorama. L’endroit est désert. Le silence s’installe. Quelqu’un dirait «un ange passe !», et Cocteau ajouterait «qui l’encule ?». Les minutes s’écoulent. Rien ne vient troubler cette paix étrange. Elle marmonne quelques vérités en fouillant l’horizon du regard. «Il ne faut jamais résister à ses envies», fait-elle d’un ton grave.

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             Pour une fois, on ne trouvera aucun point commun entre Baby Bav et Bev, c’est-à-dire Beverly Guitar Watkins, une black géniale qu’on découvrit jadis grâce à Mike Vernon et son label Blue Horizon. Bizarrement, Beverly Guitar Watkins est restée complètement inconnue. Tim Duffy dit d’elle qu’elle a joué avec Piano Red, qu’elle a monté en groupe avec lui en 1958, The Meter Tones, qui est devenu par la suite Dr Feelgood & The Interns. Quand le groupe splitte en 1966, elle accompagne l’ex Ink Spot Eddie Tigner - She plays low-dow, hard stompin’, railroad-smokin’ blues - Duffy dit aussi qu’elle joue comme un homme. Une photo nous la montre sur scène : elle ressemble à s’y méprendre à l’early Jimi Hendrix, wild as fuck. Quand on lui demande si elle a le trac, Beverly répond : «Scared of what? I’m not scared at all. When I hit the stage, I’m action. It’s just a natural thing.» Elle ajoute que pour jouer le blues, il faut le vivre, ce qu’elle a fait toute sa vie, qu’elle soit montée sur scène, ou qu’elle ait joué dans le métro d’Atlanta. Pour vivre, elle bosse dans les car wash - I believe I worked at every car wash in Atlanta - Quand on lui demande si elle va se calmer, Bev se marre : «Mon baby a grandi et a maintenant des enfants. Je préfère être sur la route. On the road again. Jumpin’ with my goodtime friends. This is what it’s all about. Rock on. Keep on. Look good, play good, get paid good.»

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             Sur la pochette de Back In Business, Beverly Guitar Watkins joue dans le désert, au milieu des cactus. Tu ouvres le BOOKLET et tu tombes sur une photo de Bev avec la guitare derrière la tête, image purement hendrixienne. L’album est produit par Mike Vernon et ça démarre avec le fabuleux «Miz Dr Feelgood» - They call me Miz Dr Feelgood hey hey hey - Elle tape bien son hey hey hey, on sent immédiatement la prestance d’une légende vivante, ça ne trompe pas, c’est du pur génius de Miz Guitar Legend, elle drive son boogie au hey hey hey de guttural extrême, et en prime, elle part en vrille, et ça te donne au final le boogie de tes rêves. L’autre coup de génie s’appelle «Impeach Me Baby», elle s’implique à fond dans l’Impeach et ramène son fabuleux guttural. Elle gratte sa gratte sur «Red Mama Blues», c’est elle la boss, elle allume, elle a fait ça toute sa vie, elle joue à bonne arrache, elle gratte des notes terribles. On s’effare encore de la classe d’un blues comme «Two Many Times» qu’elle joue à la clairette sensible. Elle est tout simplement parfaite. On est heureux de pouvoir l’écouter jouer «Tell Me Daddy» - C’mon daddy/ We could have some fun - Son boogie est du pain béni. Elle a du métier, ça s’entend. Elle termine avec le morceau titre, elle descend encore une fois à la cave, elle ramène l’arrache du boogie de Business et quand elle part en vrille de solo, tu tombes amoureux d’elle. Elle est si pure et dure.

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             On voit bien qu’elle ne rigole pas, sur la pochette de Don’t Mess With Miss Watkins. On y retrouve quasiment tous les hits de son premier album, à commencer par l’excellentissime «Miz Dr Feelgood», tu retrouves le power de la légende : raw du chant + solo de rêve, let’s rock ! Elle enchaîne avec «Impeach Me Baby» qu’elle prend aussi au raw, elle pose ses conditions, c’est une superstar. On croise aussi son vieux «Back In Business», elle est bien enragée, I’m on the road again. «Too Many Times» et «Red Mama Blues» sont aussi tirés du premier album, elle groove dans le son avec des licks in tow, oh yes I will, et elle part en clairette de yes I will avec une incroyable fluidité. Elle joue tout ce qu’elle peut. Mais il y a aussi des nouveaux cuts comme cette excellente cover de «The Right String But The Wrong Yoyo», dont la version la plus connue est celle de Carl Perkins, mais c’est aussi un cut de Piano Red. Bev en fait une petite merveille de jump. Elle prend encore le heavy groove de «Get Out On The Floor» à l’arrache. Elle est vraiment la reine de l’arrache. Là tu as tout : la légende inconnue, la voix et la guitare. Elle rentre dans le lard de son «Late Bus Blues» à la heavyness de don’t care about nobody, elle devient magique, oh yeah, elle drive son Late Bus à la coule, elle réinvente le slow groove de blues. Elle tape son «Sugar Baby Swing» au slap. Fantastique allure. Ça ne pardonne pas. Elle vise le swing suprême, ça vire jazz et là tu obtiens le maximum des possibilités. Puis elle amène «Baghdad Blues» à la traînasse de Baghdad. Elle rentre si bien dans le lard du heavy groove et en prime, elle te passe un solo de punk. Elle finit cet album miraculeux avec un big shoot de gospel, «Jesus Walked The Water» - he’s alright with me !

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             Ça vaut vraiment le coup d’aller voir ce qui se passe sous les jupes de Dr. Feelgood & The Interns. Il existe une petite compile Edsel parue en 1983 : What’s Up Doc? On s’y régale au moins de deux cuts : le jumpy jumpah de «Blang Dong», solide et brillant, et le «Don’t Let Me Catch You Wrong» au bout du balda, joliment gratté dans les virages. C’est pour l’époque d’une incroyable modernité. Le morceau titre est un solide rumble et on savoure la fantastique énergie de «Let’s Have A Good Time Tonight». Le Dr Feelgood William Lee Perryman est un seigneur des annales.

    Signé : Cazengler, Berverly de la société

    Beverly Guitar Watkins. Back In Business. Music Maker Relief Foundation 1999

    Beverly Guitar Watkins. Don’t Mess With Miss Watkins. DixieFrog 2007

    Dr. Feelgood & The Interns. What’s Up Doc ? Edsel 1983

     

    *

    Amis rockers ne phantasmez pas, rien qu’au titre vous salivez, désolé de vous décevoir, vous ne connaîtrez pas les délices de Capoue en pénétrant dans cette sixième chambre. Interdite, ai-je besoin de le préciser. Cette pièce célèbre, bien connue des initiés, est une bibliothèque. Spéciale. Vous la trouverez facilement. Par contre la porte est fermée à clef. Elle gîte tout au fond de l’Enfer. Elle ne contient que des livres. Secrets. Leur lecture interdite vous rendra fous. Le problème c’est que si vous n’allez pas à la sixième pièce, la sixième vient à vous. Elle est là, tout près. Deux lignes après celle-ci…

    BEYOND THE NIGHT VEIL

    THE SIXTH CHAMBER

    ( / 15- 11 – 2023)

    Rahne Pistor : Vocals, Pistor / Bobby Parker : bass / Erik Peterson : drums / Allan St Jon : keyboards

             Travaillent titre par titre. Puis ils les assemblent en un opus récapitulatif quand ils ont le nombre désiré. Ainsi Mythos et Crippled Souls réunissent chacun douze morceaux. Le groupe existe depuis 2001. Sont de Los Angeles.

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    Penny dreadful : vous croyiez quoi, être admis à compulser des vieux grimoires centenaires détenteurs de terribles secrets, non la sixième chambre risque de vous décevoir, les étagères sont remplies de pulps ces magazines à un penny que les gamins d’Amérique s’arrachaient, s’échangeaient et lisaient en cachette la nuit dans leur lit avec une lampe de poche, les Cramps les adoraient, mais The Sixth Chamber ils ne lisaient qu’exclusivement des trucs d’horreur à base d’ésotérisme frelaté. Avouons que l’illustration de la couverture est réussie. Tellement toc qu’elle semble vraie. Pour la zique, sortent le grand jeu, des hurlements de loups des Carpathes sortis tout droit du chenil de Dracula, un riff grandiloquent qui vous tombe dessus comme une lame de guillotine qui ne parvient à vous trancher la tête qu’à la neuvième tentative, et des chœurs qu’au petit déjeuner rien que d’y penser en beurrant vos biscottes vous avez les chocottes. Soyez courageux, répétez tout haut le cri de ralliement des chevaliers teutoniques dans les bacs à sable : Même pas peur ! Vous n’aurez pas davantage la frousse mais la version enregistrée live at The Universal Bar at North Hollywood le 29 / 11 / 2022, malgré les capes noires dont ils sont affublés et les samplers, est davantage crédible. Red-death masquerade : ce coup-ci vous irez tout droit à l’official vidéo : quoi de plus horrible que le baiser au lépreux ? Le baiser au vampire ! Gore, very gore. Du beau monde, Dani Divine, star ombreuse, outrage burlesque, Rahne Pistor vous raconte tout cela en dansant dans un cimetière, pas n’importe lequel, celui du Quartier français de la Nouvelle Orléans, bien connu des adorateurs du vaudou et des lecteurs d’Anne Rice…

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    Entre parenthèses les paroles de la chanson évoquent davantage Ane Rice qu’Edgar Poe. Soyons impartial le morceau n’a pas besoin des images, se suffit amplement à lui-même. Rien de novateur, mais l’on sent qu’ils ont du métier et qu’ils connaissent toutes les ficelles les plus grosses comme celles aussi fines que des cheveux d’anges. Déchus, pour sûr. Ceux que vous préférez. Wallpurgis night : l’on pense à Faust et à Goethe, erreur l’héroïne sort tout droit du Dracula de Bram Stoker. De beaux lyrics, pas tout à fait des ciselures symbolistes, mais terriblement efficaces. L’on voit la scène et l’on pénètre dans l’âme du vampire. Musicalement c’est idem. L’orgue nous emporte en un galop fou le long de la piste sanglante. L’Official Lyric Vidéo n’a pas bénéficié des mêmes moyens financiers que la précédente, l’on se prend à guetter les rares et belles images qui viennent de temps en temps se substituer au fond rouge sang sur lequel s’inscrivent les paroles. Necropolis : kitch ferait mieux ? le Led Zeppelin du pauvre, le violon en arabesque et en grotesque. Superbe vocal, lyrics à double sens le véritable maître de l’Egypte n’est-il pas le gardien de la nécropole dans lequel sont enterrés les dieux morts. La New Music Vidéo, est aussi kitsch, mais n’oubliez pas que Flaubert lui-même use dans ses romans de l’esthétique kitch, vous avez tout ce qu’il vous faut, de belles images sur les pyramides, couchers de soleil éblouissant garantis, chevaux arabes, beau profil d’aventurier, hiéroglyphes mystérieux, sourire du sphinx. La panoplie photographique du parfait touriste. Sarcophagus : plouf, l’on tombe dans les catacombes, attention une mise garde, ne vous perdez pas dans les galeries, une prière débitée à toute allure, guitares glissantes, certainement il est déjà trop tard.

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    L’Official Lyrics Vidéo est à regarder. Toute simple, ton ocre, le visage peint en blanc, quel acteur ce Rahne Pistor, se contente de se balancer sur place, vous regarde dans les yeux, et c’est tout. Un petit frisson insidieux, reprenez-vous, songez que ce n’est qu’une vidéo. Mais qui se cache dans ces couloirs mortuaires… Hades : vous tiquez, vous tiltez : c’est de moins en moins rigolo, vous voyez ce que c’est que de mettre les pieds là où on vous a dit de ne pas vous rendre, carrément malsain cette acoustique et cette voix qui supplie, les fantasmagories qu’il chantait étaient des projections magiques, maintenant vous êtes au plus près, à l’intérieur de sa tête, ce n’est point que ce n’est pas beau à voir, c’est que c’est carrément inquiétant. L’existe une vidéo, une seule image, tous les trois, debout immobiles, rapprochés, ne semblent pas très rassurés. Fermez les yeux et focalisez-vous sur le son du luth que joue Rahne Pistor, fil d’Ariane qui vous permettra de ressortir vivant se vous-mêmes. Blood of the prophet : grandes orgues, rien de grandiloquent ici, l’on s’attendrait à des cris, des hurlements, des bruits, non juste cette mélodie qui assombrit le monde, cette voix légèrement doublée, ces chœurs effondrés, ces touffeurs de backing vocal, l’écho du malheur se répand sur le monde. L’on a versé le sang du prophète. Murmures indistincts. La Music Lyric Video est superbe, d’une force extraordinaire, elle traduit le tragique des lyrics et du chant du morceau. Avec très peu de moyens elle rend sensible cette impression émerveillante de toucher à une dimension sacrée.  Hollow autumn : un camelot qui baratine, un monsieur loyal qui se vante, ne serait-ce cette musique noire l’on aurait envie de rire, mais cette fois-ci nous sommes définitivement à l’intérieur, solo chaise électrique, au-dedans de soi confrontés à nos aspirations les plus folles, celle de renaître de notre présence morte au monde, celle de revenir de notre immortalité. La dernière enceinte. La tour qui s’effondre, le phénix qui vit de ses brûlures les plus intimes. Remettez-vous, regardez la vidéo (Flashback 2009) le groupe joue Hollow Atumn en public, c’est rassurant, un groupe d’heavy rock qui se donne à fond sur scène. Au Key Club, in West Hollywood, Sunset strip, au moins vous avez la confirmation que quelque part dans le monde il existe encore des espaces ensoleillés. Soyons superficiels. Jump into the flammes : constat amer et invitation à passer le pas. Quitter ce monde cruel, ne pas hésiter à pénétrer dans l’anneau de feu, toute ordalie est une geste intime. Musique lourde et lente, la voix est une prière qui vous pousse dans le dos, la batterie ne desserre pas ses dents de vos mollets, certes la décision vous appartient. Croyez-vous que ce soit un plaisir pour le phénix que de plonger dans son propre feu. L’existe une Belly Dance Video de ce morceau. Une jeune femme Arriahda Lopez, danse, vraisemblablement inspirée par la Loïe Fuller, dans les montagnes colombiennes, près des ruines d’un temple souterrain, longs cheveux noir, présence presque trop charnelle, elle agite des voiles rouge et noir, cendres et feu, mort et vie, sur les dernières secondes une forme se tord dans des flammes. Les vidéos de La sixième chambre sont toujours surprenantes. /   

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    Existe une autre vidéo d’une ancienne version de ce morceau, une seule image très belle. Fond rose sur laquelle se dessine le long corps d’une femme nue. L’anti poupée Barbie, je dis cela pour que vous ne vous mépreniez pas. Vous la retrouvez encore plus belle pour accompagner le morceau Divine vous le retrouverez sur l’album Mythos. C’est cette dernière que nous vous offrons. Oui nous sommes trop bons. Portail to the realm of abyss : directement à la vidéo : ce n’est pas une chanson mais un fragment de l’apocalypse de St Jean récité par Rahne Pistor, joue le rôle du prédicateur des temps derniers, chapeau rond et canne à la main, la musique gronde, derrière lui un cheval de désolation dont les naseaux laissent échapper une fumée blanche, l’image est mouvante comme si elle était filmée au travers des flammes de flambeaux funèbres. Ces vidéos reposent sur un équilibre précaire, elles oscillent sans cesse entre parodie et réalité se gardant bien de tomber d’un côté ou de l’autre. Entrance to the waste land : l’on n’est jamais là où l’on croit être, cette gaste contrée, on l’imaginait à la suite du morceau précédent être l’enfer chrétien, il n’en est rien, nous sommes au cœur du monde lovecraftien, à l’entrée de la cité inconnue de Kadath, nous longeons l’orée de la cité dans le monde des morts où croît l’herbe miraculeuse qu’il faudrait escalader à la manière de Jack et son haricot magique pour parvenir au monde des rêves. La voix puissante et la musique forte et furtive nous y conduisent… Pour une fois l’Official Music Vidéo n’est pas à la hauteur des lyrics, Arriadha Lopez semble de trop, les différents personnages le guerrier, le ‘’ moine fou’’, tous les autres et même la prêtresse font trop images d’Epinal, il aurait suffi de la prestation de Rahne  Pistor seul, masque blanc et bâton de berger sans ouailles à la main, s’inclinant à terre et vaticinant en lui-même. The hallowed chamber : musique pratiquement symphonique, résonnances d’une guitare étrangement sixties, une image fixe, nous sommes dans la chambre sacrée, un autel vide, derrière en trois grandes absides trois immenses statues de Dieux assyriens. Un semblant de rayon de lumière translucide se pose sur l’autel, apparition fantomatique d’une espèce de coffre en bois, l’arche aux livres secrets que vous ne lirez jamais.

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             J’avoue avoir été surpris, je m’attendais à feuilleter un amerloc comics  et j’ai déboulé dans un étrange recueil de poèmes, page de gauche le texte et le chant, page de droite le dessin-vidéo. Une version moderne et parallèle aux poétiques expériences et innocences des chants de William Blake.

             Il est évident que Rahne Pistor est à la tête d’un projet esthétique qui essaie de joindre la boursouflure américaine à la culture gothique européenne. Travaille le son et l’image dans le but de produire une œuvre totale  à la manière de Wagner. Il est regrettable qu’il n’ait pas trouvé son Louis II de Bavière ou un mirifique producteur hollywoodien pour permettre une éclosion épanouissante à grande échelle de cette démarche souveraine.

             Je me plais à délirer sur son nom : Rahne est le nom d’une de ces New Mutants créés par Marvel, sous le pelage du loup vous trouvez la licorne, à moins que sous la peau de la princesse ne gîte la bête obscure, dans les deux cas, il ne faut point se fier à l’apparence des choses.

    Exemple sous l’art pompier du dix-neuvième siècle se cachent quelques uns de nos grands peintres, il suffit de savoir regarder. Sous les tombes se trouvent les morts. Sur les tombes exulte la vie. Sachez inverser, ne serait-ce que par un salvateur réflexe de survie nietzschéenne, non pas vos valeurs, mais votre regard.

    Pistor se traduit par Pistolet. De pistolet à Sex Pistol le lien s’établit de lui-même. Je ne suppose en rien une dévotion particulière de notre héros avec la musique des Pistols. Peut-être oui. Peut-être non. Je n’en sais rien.  Mais je ne peux m’empêcher de penser à la manière dont l’apparition du groupe de Johnny Rotten et du mouvement punk a fracturé les représentations que l’idéologie dominante occidentale se faisait d’elle-même. Elle se croyait translucide comme la plus belle et la plus précieuse des perles. Les iroquoises pointues de la punkitude   lui ont rappelé qu’elle avait malheureusement la consistance rocailleuse de la coquille de l’huître. Quant à l’animal qui l’avait sécrétée leur divine merveille, tout comme la classe ouvrière produit les richesses dont elle ne profite guère, était-ce un hasard si elle offrait la même molle gluance  vitreuse et expectorale qu’un crachat…

    Le Bandcamp de The Sixth Chamber offrira au lecteur qui le désirerait de plus amples informations, ils y trouveront de roboratives nourritures. De nombreuses vidéos sur You Tube attendent les esprits curieux, sans doute serait-il préférable de les visionner dans l’ordre chronologique de leurs apparitions. Tâche peu aisée, j’en conviens. Ne pas dédaigner leur instagram non plus.

    Damie Chad.

     

    *

    Une couve entraperçue un millionième de seconde, j’ai marné pour la retrouver, la honte pour moi, un groupe français que je ne connais pas, moi qui vous chronique des formations de toute l’Europe de la Russie aux Etats-Unis, sur bandcamp je m’aperçois qu’ils ont déjà pas mal d’enregistrements à leur actif. En plus ils ont changé plusieurs fois d’équipages, ça tombe mal pour moi, avec cette semaine surchargée d’activités extra-rock’n’roll débilitantes et obligatoires, en écoutant par-ci par-là, je m’aperçois que c’est méchamment intéressant, musicalement parlant. Alors faites comme moi, sur French Metal Webzine les trois chroniques que Murderworks a consacrées à ce groupe vous aideront à y voir plus clair, pardoom plus sombre.

    Les Dieux s’acharnent contre moi, le disque que j’avais dans le collimateur… ne paraîtra que le 12 janvier 2024. Pas de panique, le deuxième morceau du vinyl blanc à venir est sorti depuis plusieurs semaines.

    BLUE PAIN

    MOURNING DAWN

    (Bandcamp ( piste numérique) -_15 / 11 / 2023)

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             Super artwork. Statue de sel surgie de l’écume de la mer. Rien à voir avec Vénus anadyomène ! Une espèce de figure de proue fossilisée juchée au tout devant de l’étrave d’une épave déjà engloutie par la mer. Figure du remords et du regret des jours qu’une main lasse égrène pour l’éternité.  

    Laurent Chaulet : guitar, vocals / Frédéric Pathé-Brassur ; guitars / Vincent Buisson : bass / Nicolas Joyeux : drums / Featuring : Déhà.

             Musique somptueuse, le morceau n’atteint pas les six minutes mais il semble durer une éternité comme s’ils avaient réussi à capturer le temps et à l’enfermer dans une bouteille… à la mer, une fois que vous vous y êtes entré vous n’en ressortirez plus. L’est bizarrement bâti comme une symphonie qui aurait pris pour parti de recycler le même thème sous trois mouvements. Vous entendez mais surtout vous voyez se former en vous l’impassible mouvement de vagues monstrueuses qui surviennent et se renouvellent sans cesse à tel point que la lenteur de la répétition vous plonge dans le lent tourbillon d’une immense violence. Il existe des ruptures dans ce titre qui agissent comme des courants contraires qui se conjuguent pour créer l’illusion d’un perpétuel renouvellement. Le vocal joue le rôle du vent dont chaque bourrasque alimente une tempête infinie qui ne semble s’apaiser que pour gagner en intensité. Une pure merveille.

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             Z’ont sorti une Official Vidéo, à l’image du morceau. N’ont pas fait le choix de la clinquance exceptionnelle. Filmé et mixé à bout portant. N’ont fait confiance qu’en eux-mêmes, qu’à la force de leur musique. Pas de prise d’ensemble. On serait tenté de dire qu’ils ont privilégié les instruments au dépend des musiciens, les mouvements des corps serrés au plus près aux brillances des attitudes, les doigts des musiciens et les bouches des vocalistes et surtout pas les personnes. Vous êtes dans la musique et non dans le groupe, vous voyez le morceau prendre forme sous vos yeux, se construire pour ainsi dire de lui-même. L’ensemble crée un effet hypnotique qui met en valeur la composition d’auto-engendrement de ce morceau qui renaît sans cesse de lui-même.

             Ne reste plus qu’à entendre la sortie de l’album The foam of despair  sur Aesthetic Death.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    (Services secrets du rock 'n' roll)

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    Death, Sex and Rock’n’roll !

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             Le Chef allumait un Coronado lorsque je déboulai dans le local. Il me regarda avec surprise, j’étais incapable de parler, j’avais monté les quatorze étages en courant, je m’affalai sur une chaise devant le bureau :

              _ Agent Chad, vous devriez arrêter de fumer, c’est mauvais pour la santé, vous rendez-vous compte qu’au doux temps de Sparte, le Sénat vous aurait admonesté en public, un guerrier du SSR se doit à chaque seconde de sa vie être en pleine forme pour combattre les ennemis du rock‘n’roll, j’espère que cette entrée éhontée ne se renouvellera pas de sitôt.

             _ Chef, c’est terrible !

             _ Remettez-vous, agent Chad, je fume un Coronado, le monde peut s’écrouler, tant que je tiens un Coronado au bout de mes lèvres toute situation ne saurait être jugée de critique ou d’inquiétante !

             _ Chef, le service est attaqué, nous venons de perdre nos deux meilleurs agents et…

             _ Du calme Agent Chad, vous me semblez affolé ce matin, laissez-moi le temps d’allumer un Coronado et je vous écoute de mes deux oreilles…

    2

             Le Chef soupira profondément :

             _ Agent Chad Je me permettrai de qualifier ce que vous venez de me raconter de bizarre. Je pense que nous devons agir méthodiquement, commençons par déblayer le terrain. Laissez-moi faire, pendant ce temps, reprenez votre sang-froid.

             Le Chef alluma un Coronado. Sa main hésita entre les deux téléphones, il se décida pour le rouge :

             _ Allo l’Elysée, mais non espèce de jean-foutre, passez-moi le Président au plus vite, ah c’est vous, est-ce que vous ne seriez pas en train de nous jouer un sale tour de votre façon, tout cela pour ne pas nous renouveler notre subvention, pour 2024.

             _ Ce serait avec plaisir, nous le regrettons mais avec toutes ces rock-stars qui en juillet prochain décideront de parader aux Jeux Olympique, nous avons hélas trop besoin de vous pour les recevoir.

             Le Chef reposa le combiné tout en saisissant dans son tiroir un nouvel Coronado :

             _ Voyez-vous Agent Chad j’aurais tendance à le croire, faudra que je me tienne à ses côtés, non Monsieur le Président ce n’est pas Keith Richards qui vient vous saluer, c’est Mick Jagger, maintenant Agent Chad soyez fort, le prochain appel risque de rendre inutile la poursuite de notre affaire.

             Mon cœur se serra, d’une main ferme le Chef s’empara du téléphone noir :

             _ Allo douce amie, comment allez-vous… arrêtez de minauder je suis sûr que vous êtes en pleine forme, je ne voudrais pas vous faire perdre votre temps si précieux, deux de nos agents les plus importants ont disparu, est-ce que vous ne les auriez pas occis par hasard.

             _ Je crains de vous décevoir, pardonnez mon humour noir, non je ne me suis nullement intéressé à vos agents depuis la fin de notre aventure précédente, excusez-moi en tant que bienfaitrice de l’Humanité j’ai encore à abréger les souffrances de sept ou huit agonisants, à l’Hôpital Américain. Je vous embrasse.

             Le Chef me regarda d’un air sombre.

             _ Agent Chad, nous ouvrons notre enquête, pourriez-vous répéter tout ce que m’aviez confié tout à l’heure, prenez votre temps, le moindre détail anodin peut se révéler important, je vous écoute le temps d’allumer un Coronado.

    3

             L’histoire était incroyable. J’avais quitté le service à dix-neuf heures mes deux chiens sur les talons. A vingt-heures trente, nous arrivions à Provins. Molossa et Molossito aboyèrent lorsque je passais devant Le chat qui pêche un os à moelle. Un nom étrange pour un restaurant. J’avais compris. Une demi-heure plus tard nous étions en train de dévorer une superbe côte de bœuf accompagnée de frites pour moi et d’une garniture de tripes à la mode de Caen pour mes deux animals, comme j’aime à les appeler.

             La journée à cavaler chez les derniers disquaires parisiens avait été rude. Nous ne nous attardâmes pas, notre troisième dessert avalé nous filâmes droit à la maison. Les chiens bondirent sur le lit. Je vérifiai la fermeture de toutes les ouvertures de la villa et tirai avec soin les trois verrous de la porte blindée de ma chambre. Un agent du SSR n’a pas le droit d’être surpris durant son sommeil. Avec mes deux cabotos je ne craignais aucune surprise intempestive. Un quart d’heure plus tard nous dormions tous les trois comme des bienheureux.

             Lorsque je m’éveillai, les chiens n’étaient plus à mes côtés. Je n’en fus pas surpris, quand ils avaient trop chaud ils avaient l’habitude de se prélasser sur la descente de lit. Un lion sauvage que j’avais tué en Afrique dans un grand magasin d’une seule balle entre les deux yeux. Ils n’y étaient pas ! Sous le lit non plus, et les verrous de la porte étaient encore tirés. Malgré tout j’ai fouillé toutes les autres pièces de la maison, puis en désespoir de cause le jardinet dont le portait était encore fermé à clef. J’ai crié leurs noms aux quatre vents, j’ai tourné en voiture dans Provins, sui revenu à la maison vérifier une nouvelle fois toutes les cachettes possibles et impossibles…

    4

             _ Voilà Chef vous connaissez la suite…

    Le Chef se taisait. Son Coronado se consumait entre ses doigts, il hésitait à parler :

             _ Agent Chad, ne le prenez pas mal, est-ce que vous n’auriez pas un peu exagéré sur le white spirit dans votre resto, vous savez ce whisky un peu raide dont de temps en temps vous êtes friand, peut-être avez-vous oublié vos chiens là-bas…

             _ J’y suis passé par acquis de conscience avant de prendre la route de Paris, j’ai même vérifié la malle arrière de la voiture, non Chef hier soir j’ai été aussi sobre que le chameau du désert.

             _ Si je me hasarde, juste une hypothèse d’école comme disent les Jésuites, à évoquer une quatrième présence dans votre chambre, féminine, qui se serait levée de grand-matin et qui serait repartie en emmenant les chiens, qui tout compte fait dans son esprit seraient plus intéressants que vous…

             _ Non Chef, jamais Molossa ne l’aurait suivie, trop contente d’en être débarrassée si vite…

             Le Chef paraissait soucieux. Il alluma un Coronado. Puis un autre, puis un autre. Pour ma part je gambergeais Mes pauvres toutous, que devenaient-ils, que personne ne leur fasse de mal. Je serrai les poings dans mes poches sur mes Rafalos. Le contact du métal froid, me rassénéra. D’abord agir ! D’abord tuer ! Réfléchir ensuite !

             La figure du Chef s’illumina, il alluma un Coronado :

             _ Agent Chad, je suis heureux de vous voir reprendre du poil de la bête. Je n’ai que deux mots à prononcer : Action immédiate !

    5

             Nous descendîmes les escaliers à toute vitesse. Je me précipitai au milieu de la route pour arrêter une voiture. Le pékin freina et m’abreuva d’injures par sa vitre ouverte, le Chef était déjà assis à ses côtés :

             _ Agent Chad, débarrassez-moi de ce paltoquet, dépêchez-vous, nous sommes pressés.

    J’attrapai le gars par le colbac, lui collai un pruneau (sans armagnac) dans la boîte crânienne, le rejetais sur le trottoir tout en prenant sa place au volant. Nous roulâmes comme des fous, vers la bonne ville de Provins, j’empruntai la voie de gauche, ainsi vous n’avez pas à perdre de temps à dépasser les lambins de service, ceux qui vous voient débouler face à eux s’écartent instinctivement d’eux-mêmes.

    Coronado à la main, le Chef philosophait :

    _ Voyez-vous Agent Chad à ma grande surprise je sens poindre en moi une âme d’animaliste, tout cela par la faute de Molossa et Molossito, s’il le faut je suis prêt pour les sauver à supprimer la moitié de l’humanité dont le changement climatique n’a pas encore réussi à nous débarrasser.

    J’eus du mal à trouver une place de stationnement devant Le chat qui pêche un os à moelle, la rue était encombrée de camions de pompiers et de fourgons de police.

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 613 : KR'TNT 613 : TEMPLES / BEACHWOOD SPARKS / JOE MEEK / THE LAISSEZ FAIRS / VICKY ANDERSON / WILD DEUCES / BIG DADDY'S BREAKFAST VOODOO / MANUEL MARTINEZ / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 613

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    28 / 09 / 2023

     

    TEMPLES / BEACHWOOD SPARKS

    JOE MEEK / THE LAISSEZ FAIRS

    VICKY ANDERSON / WILD DEUCES

    DADDY’S BREAKFAST VOODOO

    MANUEL MARTINEZ / ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Dans l’air du Temples

    - Part Two

     

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             Dans Shindig!, James Bagshaw papote avec Jon Mojo Mills, le redac chef. Le cœur de la discussion concerne Sean Lennon avec lequel Bagshaw s’entend à merveille. Les Temples sont allés finir Exotico chez Sean, in upstate New York - Exotico sounds like Temples, but Temples with a newfound confidence - Une nouvelle confiance... Mojo Mills y va de bon cœur : «Late 70s and early 80s synths meet heavy guitars, dreamy texture redolent of Steve Hillage creep in, proving that prog and psych still matter, and there’s a lot of sprightly pop.» 

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             Alors justement, Exotico, parlons-en ! Quelle arnaque ! On sent bien dès «Liquid Air» qu’il n’y a rien à en dire. Ce pauvre petit groove revisité par Sean Lennon sonne comme une belle perte de temps. Et comme si cela ne suffisait pas, voilà qu’ils ramènent les synthés dans «Gamma Rays». S’ils veulent couler leur réputation, c’est le meilleur moyen. En plus, la compo est toute pourrie. Bagshaw se prend pour un compositeur. On prend vite ces m’as-tu-vu en grippe. On attend d’eux des miracles, mais il faudra repasser un autre jour, les gars. Bagshaw chante son morceau titre comme une mijaurée, et du coup ça redevient intéressant. Mais le reste de l’album se traîne lamentablement. Ils ont perdu le psych. Ils font désormais de l’electro-pop diskoïdale à la mormoille. On aimerait bien retrouver la paix après toutes ces horreurs. Ils vont en Orient pour «Crystal Hall», mais ça ne peut pas fonctionner. Ça tourne à l’ignominie de faux psych, et pourtant tu les écoutes jusqu’au bout, en souvenir des grands albums. Ils renouent un tout petit peu avec le psych dans «Head In The Clouds», mais un tout petit, qu’on n’aille pas s’imaginer des choses. La suite est lamentable. Rien ne passe la rampe, le faux orientalisme d’«Inner Space» est malencontreux, puis ils renouent avec l’horreur diskoïdale dans «Meet Your Maker». Là tu peux aller cracher sur leur tombe. Les pauvres Temples n’ont même plus de Temple. Ils sont en pleine déroute, dans une Berezina de la mormoille, au moins celle de Napoléon avait de l’allure, mais pas celle des Temples. Qui va aller écouter cet album ? Et ça continue avec «Time Is A Light», monté sur un beat electro foutu d’avance. C’est douloureux de voir un groupe si prometteur se vautrer dans la daube. Bagshaw revient en traître avec la pop de «Fading Actor», mais le son est pourri. Ils tentent le coup de la pop sur un beat electro, décidément, toutes les idées sont pourries. Ils ont perdu leur psych légendaire de loud guitars. C’est une catastrophe nationale.

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    Tout de même, ça semble curieux qu’un mec aussi fin que Bagshaw ne se soit pas rendu compte que Sean Lennon lui coulait son album, et pire encore, qu’il aille se vanter de cette collaboration dans Shindig!, qui est pourtant un canard assez raffiné.

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             Bon, on décide quand même d’aller les voir en concert, même si on sait qu’ils tournent pour la promo d’Exotico-le-maudit. Avec un peu de chance, ils vont jouer quelques cuts du premier album, Sun Structures-le-mirifique. Tu l’as sans doute toi aussi remarqué : quand tu t’engages dans une mauvaise passe, tu comptes beaucoup sur la chance. C’est une façon de se donner le courage que l’on n’a pas. Bon enfin, bref, te voilà vautré sur la barrière pour deux ou trois heures.  C’est bien la barrière, tu peux t’appuyer. On pense à tout à rien en attendant le jour qui vient, comme le scandait si bien Aragon. Pour faire écho à leur campagne de presse, les Temples font installer des cocotiers en plastique derrière les amplis. Avec une lumière tamisée venue du sol, ça fait très Exotico.

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    Pouf, ils arrivent et ça ne rate pas, il tapent directement dans «Liquid Air», le cut d’ouverture d’Exotico-le-maudit. On le déteste tellement ce Liquid Air qu’on le reconnaît. Si tu veux torturer des gens soupçonnés de terrorisme pour les faire avouer, fais-leur écouter Liquid Air. Ils osent jouer sur scène cette petite pop dansante à la mormoille, et bien sûr, Adam Smith pianote sur son petit clavier d’electro-chochotte. Quel gâchis quand on voit ces deux belles guitares. Le pire c’est qu’ils s’imaginent que ça plaît aux gens, et le pire du pire, c’est que tu as des gonzesses qui te dansent dans le dos.

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             On reste dans l’horreur avec deux autres cuts tirés d’Exotico-le-maudit, et là on commence à envisager un décrochage pour aller siffler une mousse au bar. Ça s’arrange un peu avec l’«Holy Horses» échappé d’Hot Motion-l’excellent, ils rétablissent enfin les équilibres fondamentaux de l’ordre des Temples, ça joue à deux grattes bien tempérées et le set reprend vraiment du sens avec «Keep In The Dark», un hit glam tiré de Sun Structures-le-mirifique. Et là oui, c’est comme de voir Gyasi à Binic. Quand il est bien fait, un shoot de glam te réconcilie avec la vie. On voit Adam Smith gratter son mi sur sa Gibson Firebird bien mécaniquement. Un seul accord, avec en plus le stomp du batteur maquillé, là-bas au fond, penché comme un gigantesque vautour sur son kit. On n’avait pas vu un beurre-man aussi classieux depuis longtemps.

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    Et James Bagshaw fait illusion : avec sa crinière bouclée et son petite costard beige, il rend hommage à cette immense star que fut en Angleterre Marc Bolan. Fantastique pression du stomp, dommage qu’ils ne tapent pas dans les autres hits glam de Sun Structures-le-mirifique. Ils enchaînent avec le morceau titre d’Hot Motion-l’excellent, une pop d’une sidérante ambition, typique de celle de Todd Rundgren, montée sur d’extravagantes couches de gratté de poux. Il faut voir le cirque du petit bassman, Thomas Warmsley, un vrai bassman Tingueley, c’est-à-dire en mouvement perpétuel, il saute sur toutes les occasions pour s’arc-bouter et lever la patte comme une danseuse du Moulin Rouge. Il amène des dynamiques indispensables, car il faut bien dire que les deux autres, Smith et Bagshaw, sont un peu statiques, mais à la fin du set, James Bagshaw va piquer une belle crise, et pour ça, il doit retaper dans Sun Structures-le-mirifique : d’abord avec l’incompressible «Shelter Song» qui à l’époque nous avait bien estomaqué, ce cut sonnait comme une tempête sous le vent et leur bouquet garni de chœurs donnait le vertige. Ils en font une version héroïque et rejoignent ainsi les hauteurs shindigiennes qu’ils n’auraient jamais dû quitter. Sur l’album, «Shelter Song» est spectaculaire, mais sur scène, c’est bien pire. Tu ne regrettes plus d’être venu, bien au contraire. D’autant qu’en rappel, ils vont taper un autre pusher psyché tiré lui aussi de Sun Structures-le-mirifique : «Mesmerise». Sur l’album, ça sonne comme une petite pop entreprenante, mais sur scène, avec les cocotiers balayés par les stroboscopes et la puissance du son, ça prend une tournure à la Méricourt, d’autant que Bagshaw se met à cavaler dans tous les sens comme un poulet décapité.

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    Signé : Cazengler, carotte du Temple

    Temples. Le 106. Rouen (76). 16 septembre 2023

    Temples. Exotico. ATO Records 2023

    Jon Mojo Mills : Phantom Islands. Shindig! # 137 - March 2023

     

     

    Biche ô ma Beachwood

     

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             À leur façon, les Beachwood Sparks offrent une espèce de suite logique à la légende dorée de la scène californienne qui jadis berça nos cœurs de langueurs monotones, via les Byrds et Gram Parsons. Trois petits mecs constituent le noyau dur des Beachwood Sparks : Chris Gunst (guitare chant), Brent Rademaker (bass & boss du label Curation) et Farmer Dave Scher (lap steel maestro), et comme tous leurs prédécesseurs, ils proposent un bel historique de ramifications : on peut facilement s’y perdre, Brent Rademaker et son frère Darren ont joué dans Further tout au long des nineties, et Brent Rademaker sans son frère joue aujourd’hui dans GospelbeacH, les albums abondent et ça crée des tentations, car oui, la galaxie Beachwood, ce n’est pas de la tarte. 

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             Le premier album des Beachwood Sparks date de l’an 2000 et n’a pas de nom. Farmer Dave dit qu’il y a du sunlight dedans. Brent Rademaker parle de bubblegum country à propos de «Something I Don’t Recognize», mais Farmer Dave veille au psychedelic side.

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    Dans Shindig!, Phillipson établit un parallèle avec The Notorious Byrds Brothers. Brent Rademaker : «We wanted some of these psychedelic touches.» On les voit flirter avec le vieux mythe de la cosmic americana dans «Silver Morning After». Ils inspirent confiance avec cette country lumineuse et intrinsèque. Ils sortent le son dont rêvait Gram de coke. Ils proposent aussi une petite énormité nommée «Sister Rose». Ils développent la même attaque que Moby Grape. Le chant et les coups de slide sont lumineux, envenimés au rattlesnake d’écho purpurin. C’est avec «Sister Rose» qu’ils prennent position. Leur «Desert Sky» d’ouverture de bal  sonne comme un cut des Kinks à la sauce armoricaine, comme le homard. C’est très visité par la grâce, mais vraiment visité. Avec ces mecs-là, on se sent richement doté. En fait, tout se passe entre Farmer Dave Scher et Brent Rademaker. Ils font un peu de country d’huîtres chaudes avec «The Calming Seas» et créent une source de lumière avec «Something I Don’t Recognize». Ils dotent ce cut cousu de fil blanc comme neige d’un final explosif. Le plus marrant de toute cette histoire, c’est qu’ils s’amusent à exploser par endroits. Très bizarre. Et pour finir, on se croirait chez John Lennon avec « See Oh Three» tellement c’est fin et bien chanté.     

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             Leur deuxième album s’intitule Once We Were Tress et semble beaucoup plus solide. Ils l’enregistrent à l’home studio de J. Mascis. Mais la viande se concentre vers la fin, à partir de «The Hustler», chanté dans une clameur d’extrême onction et noyé d’orgue. Ils visent de toute évidence le coup d’éclat. Ce cut essentiel et généreux renvoie bien sûr à Teenage Fanclub. J. Mascis fait un numéro de cirque dans «Yer Selfish Ways». Quelle belle dégelée ! Il s’en donne à cœur joie. Mais il y a trop de son. Ça donne le tournis. Ils passent en mode blow out avec «Jugglers Revenge». Quelle folie ! C’est une vison de l’enfer du paradis. Hot stuff. On s’effare aussi du morceau titre qui referme la marche, cette petite pop fraîche paraît claquée au poney fringuant, ils créent du son-image très indien et ça s’excite tout seul. Il semble que tous les incendies de la country se soient donné rendez-vous dans ce cut. Magnifique illustration de ce qu’on appelle le retour de manivelle country. Avec ces guitares d’une grande clarté, ces mecs ramonent les cheminées du firmament. Ils semblent vouloir distiller de l’essence virginale et se jouer des éclairs délétères. Ils amènent «Let It Run» au heavy groove de space, ils prennent leur temps et ça devient assez grandiose. C’est vraiment à l’image du Grand Canyon, avec des coups d’harmo dans l’azur immaculé. Quand ils prennent le parti d’«Old Manatee», c’est pour te bercer l’âme de langueurs doolidoo. Ils font aussi du Mercury Rev avec «By Your Side». Ce mec chante comme un demi-dieu. Les Beachwood sont extrêmement doués et enregistrent avec parcimonie, ce qui est tout à leur honneur.

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             Et puis comme d’habitude, les tournées finissent par esquinter le groupe et le batteur Aaron Speske se barre. Ça bat de l’aile chez les Beachwood qui réussissent néanmoins à enregistrer l’excellent EP Make The Cowboy Robots Cry. Phillipson ne tarit plus déloges sur «Ponce De Leon Blues» - If anything in Beachwood Sparks’ catalogue is deserving of extra attention for me it has to be «Ponce De Leon Blues’ - C’est vrai qu’avec Ponce, ils sortent du nucléus, ils vont voir si la rose est éclose, c’est un son extrêmement drugged, ça titube dans le désert, les rosaces d’accords forcent l’admiration, mais à ce petite jeu incertain, Neil Young est bien meilleur. Quant au reste de l’EP, c’est encore plus incertain. Ils jouent du psyché au ralenti, c’est un peu liquide, ils mettent trop d’eau dans la soupe au chou de «Drinkswater», rrrrrrru, rrrrrrru, alors ça échappe aux critères. L’«Hibernation» qui suit est parfaitement inutile. Comme tout le reste d’ailleurs. C’est très mou du genou.

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             The Tarnished Gold paraît 11 ans plus tard, toujours sur Sub Pop. Ces mecs adorent le grand air, comme le montre «Water From The Well». Ils savent créer les conditions de leur son, c’est assez énorme, pas très loin de ce que faisait Mercury Rev à une autre époque, mais plus transparent. Même chose pour «The Orange Grass Special». Ils ne veulent surtout pas réinventer le fil à couper le beurre, ça ne servirait à rien. Ils cultivent un goût certain pour l’Americana. Avec «Earl Jean», ils tapent dans le folk-rock de flowers in your hair, ils mettent Les Enfants Du Paradis à la sauce californienne. Il faut attendre que les cuts décollent et donc n’oubliez pas leur donner leur chance. «Forget The Song» sent bon la pop confortable. Ces Californiens créent les conditions de leur confort, et donc du nôtre. Ils sont aussi accessibles que Fred Neil, bienveillants et dans le haut de gamme. Leur musicalité est à la fois bienvenue et à toute épreuve. Ils rassemblent toutes les conditions de la perfection. «Sparks Fly Again» fonctionne à l’énergie californienne pure. Quant à «Mollusk», voilà un cut qui s’illustre par une fantastique profondeur d’attaque de folk-rock. Ces mecs sont des bêtes, capables de redémarrer en côte, même dans une ornière. Ils passent à la country de feu de bois avec «Talk About Lonesome» et se prennent pour Doug Sahm avec «No Queremos Oro».

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             Mais c’est avec Desert Skies paru sur Alive en 2013 que la Beachwooderie prend tout son sens. Pas compliqué : sur cet album, tous les cuts sont bons, à commencer par le morceau titre, resucée du premier album. Quelle belle rasade d’arpèges éclairés ! Ils recréent le barrage de chant des Hollies et des Associations, ils affrontent la colère des dieux qui n’acceptent pas qu’on les défie. Et puis on a même un solo de rêve, alors t’as qu’à voir. Il n’existe pas grand-chose qui soit du niveau de ce «Desert Skies». Dans sa rétrospective, Ben Phillipson rappelle que «Desert Skies» est le premier single de Beachwood Sparks, paru à l’époque sur Bomp!. Les Beachwood  étaient alors au nombre de six : Brent Rademaker, Chris Gunst, Farmer Dave, Josh Schwartz, drummer Tom Sandorg et tambourine man Pete Kinne. Phillipson ajoute que les Beachwood étaient dans leur heavier guitar-based direction. Puis il indique que Pete Kinne et Josh Schawartz ont cassé leur pipe en bois et que Tom Sanford joue aujourd’hui dans GispelbeacH avec Brent Rademaker. Et le Desert Skies d’Alive repart de plus belle avec «Time», qui bénéficie d’une sorte d’élongation productiviste. Ces mecs visent l’avenir, rien d’autre, ils vont loin, vraiment loin. Pour «Watering Moonlight», ils visent la profondeur de champ, mais avec une sorte de retenue par l’élastique du pantalon. C’est un power cacochyme qui ne veut pas tousser, moonlight in the face, c’est un énorme mic-mac de stomp, de revienzy et de tiguili. Même les cuts plus ordinaires comme «This Is Like It Feels Like» passent comme des lettres à la poste. Ils s’offrent un final d’explosion nucléaire. Encore plus stupéfiant, voilà «Sweet July Ann» qui s’amène avec une allure de hit psyché chanté en travers de la gorge. C’est un chef-d’œuvre d’aménité bien amené qui se révèle très vite terrifiant de psycho power. Ça explose en contre-bas du contrefort, le son exulte littéralement, ils se prennent à leur propre jeu et deviennent insurmontables. Back to the cosmic Americana avec «Canyon Ride». Il ne manque plus que Gram de coke, mais c’est reculer pour mieux sauter, car voici le big biz de «Midsummer Daydream», avec un claqué d’accord qui restera un modèle du genre. C’est gorgé d’adrénaline, les accords éclatent comme des noix. Tout cet album sonne comme une aubaine. Si on en pince pour les harmonies vocales et le soleil rasant d’Arizona, c’est là qu’ils se trouvent. Cet album est complètement explosé de beauté sonique. À certains moments, on se croirait sur le Bandwagonesque de Teenage Fanclub, et les guitares hantent le son comme celle de Grasshopper, à l’âge d’or de Mercury Rev.

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             Ils ne sont pas si vieux et pourtant ils commencent déjà à taper dans leurs archives. En 2020 paraît un Beachwood Deluxe annoncé à grand renfort de tambours et trompettes. C’est le Beachwood des origines, lorsqu’ils sont 6. Autour de Josh Schwartz, on trouve Aaron Sperske, Pete Kinne et le futur noyau dur, Chris Gunst, Farmer Dave Scher et Brent Rademaker. Ils font leur petit boniment de country-rock au clinquant de guitares et au pah-pah-pah des Beatles. Ils sonnent un peu comme les rois de leur monde, ils n’ont aucun souci, les guitares comme des langues se délient délicieusement. Ils s’engagent résolument dans le vent du canyon. Leur psychedelia fait illusion pendant quelques cuts. Ils s’amusent bien avec les empty skies de «Canyon Ride», ils jouent dans les règles du lard séché, pas idéal pour les dents fragiles. Bon, au bout d’un moment, ça lasse un peu. Et puis ça devient intéressant avec «Windows ‘65», une espèce de heavy country-rock psychédélique, dans l’esprit des Byrds, bien sûr, mais avec des guitares prégnantes à la surface du son, ils jouent à l’arpège claironnant et surpasseraient presque les Byrds. Ces mecs ont tout en magasin. Ils jouent «Mid Summer Daydream» aux riffs acérés et d’une certaine façon foutent le feu à la Cosmic Americana. Le ciel s’éclaire. Ils allument le rock californien de la même façon qu’Oasis allumait le rock anglais, avec le même genre de gusto anthemic et les chorus qui prennent feu. Pour la première fois, on voit la Cosmic prendre feu ! La deuxième partie de l’album est un live et on découvre que sur scène, ils sont assez aléatoires. Leur petite soupe claire ne nourrit pas son homme. Mais comme c’est un public captif, ils en profitent. Ils finissent par cumuler les problèmes : mauvaises pioches et mollesse. Ils n’ont pas de jus, c’est assez catastrophique.

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             Brent Rademaker n’est pas du genre à se laisser abattre. Il monte vite fait GospelbeacH avec Neal Casal et des copains, et enregistre l’excellent Pacific Surf Line en 2015. C’est embarqué vite faite, au big Americancore de fast drive, ou si tu préfères, à la bonne franquette américaine. Trois guitares, une basse et un bon beat : l’idéal. Brent s’éclate bien au Sénégal. Toutes les guitares sont en alerte. L’air de rien, ces mecs disposent du real power. Leur son flirte avec l’Americana de canyon à la con, ils taillent leur route dans cette esthétique canyonesque qui date d’une autre époque et ça devient vite magique, les notes de slide rappellent des souvenirs enfouis. Ils naviguent à vue dans cet univers de coups d’acou et de notes fantômes. Brent Rademaker a un charme fou. Il amène son «Come Down» au mieux du come down - I know you so well - Ils flirtent avec l’osmose de la métempsychose et un solo motorpsycho vient affoler le feu du funk. Et Brent rattrape sa compo à la volée, hey hey. Il se passe des choses extraordinaires sur cet album, comme le montre encore «Southern Girl». Ils ramènent tellement de son que ça explose, surtout à la fin. Cet album rayonne comme une apparition de la Vierge. Même quand ils tapent dans la pop-rock d’«Out Of My Mind (On Cope And Reed)», ils sont bons, surtout qu’il y coule un solo liquide du meilleur effet. Leur fantastique aisance finit par frapper. «Alone» gagne directement les régions reculées du cerveau. Cette pop exceptionnelle est un vrai dream-come-true. Ils ont des réserves de son immenses et ça prend des proportions totémiques. Ils bouclent avec l’excellent «Damsel In Distress». On y sent flotter le spirit du Kaukonen de la première époque, c’est une merveille prodigieuse, sertie d’un solo d’eau claire. On ne croise ça qu’ici, chez GospelbeacH.

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             Fantastique album que cet Another Summer Of Love qui date de 2017. Un festin de son, dès l’«In the Desert». Comme s’il déposaient des offrandes aux pieds des dieux du rock californien. Un son beau, lumineux, précieux, électrique, tenu, bien vu, enfilé comme une perle, fils de, bleu comme l’azur. Avec en prime un solo fantôme. Et ça continue avec «Hanging On», même chose, power & lumière, bien drivé et chanté au soleil, c’est du rock qui respire bien. «California Fantasy» montre que ces mecs sont capables de tout, mais dans la joie et la bonne humeur, c’est joué au real power, celui du Calfornian hell, ils filent à dada à travers la plaine ensoleillée, «You’re Already Home» est une nouvelle merveille de fière allure. Alors forcément on craque. Nouvelle dégelée de son avec «Strange Days», c’est joué heavy on the rush, au power pur, strange days, baby, c’est inespéré, brillant, I know, avec des descentes d’accords et le départ en solo short mais wild, et il revient au chant, comme un dieu vivant. Les solos se brûlent les ailes au soleil de la fuzz. Nouveau coup de génie avec «Sad Country Boy», big heavy rock des familles, tout est puissant, ici, tu es sur Alive, ces mecs n’ont aucun problème, ils allument tous leurs cuts un par un, c’est du haut niveau d’un bout à l’autre de l’album. Brent Rademaker allume encore «I Don’t Wanna Lose You», il a le génie du son, il darde de mille feux - Don’t wanna lose you/ That’s all I know - et il termine vite fait bien fait avec «Runnin’ Blind», pur jus d’adrenalin-country rock de runnin’ blind.

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             Il ne faut pas prendre GospelbeacH pour des brêles. C’est en tous les cas ce que tendrait à monter l’Another Winter Alive paru en 2018. On s’y goinfre du merveilleux shaking de GospelbeacH. Dans le genre, on ne saurait espérer mieux. Ils nappent leur canyon folk-rock d’orgue et de bonnes intentions. On les voit tous les trois à l’intérieur du digi, Brent, Jonny Neiman et Jason Soda, avec leurs gueules de Quicksilver. Attention à cette triplette de Belleville : «Runnin’ Blind», «Change Of Heart» et «Dreamin’». Ils prennent un peu leurs distances avec le California dreamin’ de Beachwood Sparks, ce démon de Brent Rademaker vise le power, il saque bien son rock, il va vite en besogne. Ils frisent parfois le rock FM, mais le fond est bon. Belle section rythmique, en tous les cas. Ils s’enfoncent dans l’épaisseur de leur Dreamin’ et veillent à rester irréprochables. On les sent concernés. Voilà encore un album visité par la grâce. On entend un solo de lumière dans «Miller Lite» et ils terminent leur petit biz à la bonne franquette d’«You’re Already Home». On demande du rab.

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             Avec l’album Let It Burn, GospelbeacH bénéficie d’un buzz dans la presse anglaise, mais c’est encore une fois un buzz qui se mord la queue. Brent Rademaker fait une sorte de heavy pop-viens-par-là, à la fois bien tirée par les cheveux et poussée par de forts vents d’Ouest, une pop qui couine comme une vieille girouette, une sorte de veille good time music de coudes usés. Chez eux, le délire des guitares fait loi. Ces mecs rêvent tout simplement d’Americana. Leur «Dark Angel» est très bien organisé, mais avec ce beat en caoutchouc, ça frise un peu le rock MTV. C’est un son qu’on a déjà entendu mille fois. On aime bien ces mecs, mais il n’y a pas de miracle. Tout le monde n’est pas Drugdealer. Ils grattent leur «Fighter» à l’ancienne, avec un son qui date d’une époque sérieusement révolue. On capte de vieux échos de Stonesy et ça développe lentement. Mais bon. La belle pop de «Good Kid» peine à se déterminer. On note une belle puissance de revienzy dans «Nothing Ever Changes». Cut idéal quand on a envie de frémir. Ils font leur petit boogie. «Let It Burn» sonne comme de la grosse déveine de pop superbe. Ils travaillent leur côté passe-partout avec une abnégation qui impressionne. Avec ce genre de mecs, on n’en finirait plus de raconter des conneries. Chez eux, le problème est qu’ils travaillent tout au mieux des possibilités. Ils terminent avec le heavy boogie de «Hoarer». Ils sortent leur meilleur son pour finir. Dommage qu’ils ne l’aient pas sorti au départ. C’est spatial et épais à la fois, gosh, quelles belles rasades ! «Hoarer» est un cut sauveur d’album en désarroi.

    Signé : Cazengler, Beachwhore

    Beachwood Sparks. Beachwood Sparks. Sub Pop 2000  

    Beachwood Sparks. Once We Were Tress. Sub Pop 2001  

    Beachwood  Sparks. Make The Cowboy Robits Cry. Sub Pop 2002

    Beachwood Sparks. The Tarnished Gold. Sub Pop 2012

    Beachwood Sparks. Desert Skies. Alive Records 2013

    Beachwood  Sparks. Beachwood Deluxe. Curation Records 2020

    GospelbeacH. Pacific Surf Line. Alive Records 2015

    GospelbeacH. Another Summer Of Love. Alive Records 2017

    GospelbeacH. Another Winter Alive. Alive Naturalsound Records 2018

    GospelbeacH. Let It Burn. Alive Naturalsound Records 201

    Ben Phillipson : Ballad of the brotherhood. Shindig! # 110 - December 2020

     

     

    Wizards & True Stars –

    Meek mac

    (Part One)

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             En matière de mythologie avertie, Joe Meek reste pour beaucoup d’entre-nous l’œil du cyclone. Pas n’importe cyclone. Le cyclone du rock anglais. Peu de gens ont su créer un monde en si peu de temps, avec si peu de moyens : Holloway Road et une paire d’oreilles, c’est à peu près tout. Avec comme cerise sur le gâtö, une sacrée dose d’excentricité et de parano. Joe Meek est complètement dingue. S’il n’était pas complètement dingue, il ne serait pas Joe Meek. Alors c’est pas la peine d’aller couper les cheveux en quatre. Le grand chœur des pisse-froid prétend que folie et génie s’équivalent, mais Joe Meek leur pisse à la raie. Il n’a que son nom et se fout du qu’en-dira-t-on comme de l’an quarante. L’histoire du rock est seule juge. Elle retiendra son nom sur la foi de quelques enregistrements somptueux, à commencer par «Telstar» et jusqu’à «Crawdaddy Simone», en passant par une myriade d’autres merveilles que des compileurs fous ont réussi à exhumer. C’est en mettant le nez là-dedans qu’on pige tout ce qu’il y a à piger.

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             Il faut aussi mettre le nez dans l’excellente bio de John Repsch, The Legendary Joe Meek: The Telstar Man. Oui, car wow ! Dès la couve ! Tu vois tout de suite qu’il y a un problème. La gueule du Meeky Meek ! Il est complètement allumé. Les yeux fixes, il voit des trucs, et il pince son affreuse petite bouche d’extraverti. On comprend immédiatement que Meeky Meek s’adresse aux amateurs de sensations fortes. C’est toute son histoire. L’histoire d’un son. Une histoire unique en Angleterre.  

             John Repsch passe un temps fou à décrire le génie sonique de Meeky Meek qui en fait est un chercheur. Meeky Meek démarre en 1950 avec deux magnétos. Il overdubbe un son par dessus l’autre. Il peut répéter l’opération douze fois. Il utilise des limiteurs et des compresseurs qui lui donnent un signal sonore plus fort. Il est passionné d’électronique et teste des idées en permanence. Il est surtout fasciné par l’écho, alors il en rajoute dans ses prises de son, il sait installer un micro près d’un instrument et sait contrôler la prise de son. Il en joue comme le peintre joue des nuances. Il fait du lard à partir du lard. Il construit une mystérieuse chambre d’écho chez lui à Holloway Road. Il utilise aussi la salle de bain pour la qualité de l’écho. Mais sa passion pour le rock va beaucoup plus loin : il veut contrôler tous les aspects du biz : découvrir les artistes, composer les chansons, manager ses poulains, enregistrer et produire leurs disques, les distribuer sur son propre label et en prime, leur servir le thé et les biscuits. Il fait exactement ce que fait Totor aux États-Unis. L’un de ses premiers coups fumants est le «With This Kiss» de la jazzeuse Yolanda : tout est déjà là : «heavy beat, angelic choir, piano, strings and tons of echo.»

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             Meeky Meek ne se plaint que d’une chose : il n’atteint jamais la perfection qu’il recherche, mais chaque fois qu’il écoute l’un de ses disques pour la première fois, il ressent une grande excitation. John Repsch épingle un autre trait de caractère fondamental chez Meeky Meek : «Aussi étrange que ça puisse paraître, il a fini par se convaincre que le monde entier s’était ligué contre lui et que le seul moyen de survivre était de se battre et de montrer à quel point il était brillant et à quel point ses ennemis étaient stupides.» On appelle ça de la mégalomanie, mais dans le cas de Meeky Meek, c’est autre chose. On est dans le domaine de l’art, et ces énergies sont sacrées, car même si elles sont considérées comme des tares, elles alimentent un précieux moteur : la créativité. Si tu n’es pas complètement dingue, tu ne peux pas comprendre ce que ça signifie. Autrement dit, ça vaut le coup d’être complètement dingue. Pendant un temps, Meeky Meek réussit à canaliser cette prodigieuse énergie de la surchauffe. Par contre, c’est souvent compliqué pour les groupes qui viennent enregistrer à Holloway Road : comment va-t-il réagir ? Va-t-il plaisanter ou tout détruire en pleine session ? Meeky Meek se bagarre souvent avec ses branchements et il prend des coups de jus, ce qui fait rigoler les gens présents. 

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             Personne d’autre que Meeky Meek ne pouvait enregistrer «Night Of The Vampire» avec les Moontrekkers. Un hit bien sûr banni par la BBC - as unsuitable for people of a nervous disposition - Et c’est avec Screaming Lord Sutch que le génie de Meeky Meek va exploser à la face du monde. Lord Sutch, nous rappelle John Repsch, démarre en 1958, à l’époque où tous les beaux gosses d’Angleterre prennent comme modèles «Elvis, Buddy Holly and the fresh-faced wave of American idols», alors pour faire la différence, Lord Sutch a pris comme modèle «the American horror man Screamin’ Jay Hawkins», avec tout le saint-fruquin, le cercueil et le crâne - He was giving British audiences their first taste of rock’n’blood. It was the most macabre act Britain had seen and Joe loved it - Et bien sûr, Meeky Meek veut l’enregistrer. Boom ! «‘Til The Following Night», «a gruesome graveyard piece, totally outrageous for its day.» C’est la rencontre de deux génies, de deux visionnaires pareillement excentriques. John Repsch ajoute qu’à l’origine, le cut s’appelait  «My Big Black Coffin», mais les distributeurs grelottaient de peur, alors il a fallu revenir à un titre moins craignos. Avec Lord Sutch, on est au cœur du Meeky mythe. Il faut entendre l’intro de «Jack The Ripper». C’est du pur Meeky Meek, bruits de pas sur les pavés, la respiration d’une femme et soudain le cri et les rires de Jack. Comme Meeky Meek, Lord Sutch bouillonne d’idées, il fonde le National Teenage Party, qui demande le vote à 18 ans. S’il ne récupère que 208 voix, nous dit Repsch, c’est parce que les jeunes qu’il représente n’ont pas le droit de vote. Meeky Meek a une autre idée. Comme le Ministère de la Guerre vend les sous-marins qui ne servent plus à rien, Meeky Meek propose à Lord Sutch d’en acheter un, de remonter la Tamise «and treathen to blow up the House of Parliament» - It’ll get publicity, even if it sinks! - Le manque d’argent coule ce beau projet. Cette association d’excentriques n’est possible qu’en Angleterre. Meeky Meek hait profondément les gens conventionnels et c’est la raison pour laquelle il finit par se fâcher avec Dick Rowe, Major Banks, Robert Stigwood et Larry Parnes.

             Meeky Meek est fier de son studio. Il a le meilleur équipement - Mon studio était à l’origine une grande chambre dans laquelle j’ai enregistré beaucoup de hit records - Il est obligé d’expliquer ça car un gros malin critique dans la presse le principe du home recording : pas sérieux, comparé aux studios professionnels. Alors Meeky Meek indique que bon nombre de studios étaient à l’origine des caves ou des chambres dans des maisons - My studio is just that - Et comme il est en colère et qu’il ne supporte pas les cons, il ajoute : «J’enregistre des disques pour divertir le public, certainement pas pour des square connoisseurs, c’est-à-dire des beaufs, qui n’y connaissent rien.»

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             John Repsch revient longuement sur la genèse de «Telstar», «his gratest work», précise-t-il. Une nuit, Meeky Meek entend des sons venus de l’espace. Ça le réveille, alors il se lève et descend au studio à l’étage en dessous. Il la-la-la-la-late l’air qu’il a en tête et l’enregistre. Puis pendant une heure, il le triture dans un cathedral-like echo et le colle sur une mélodie qu’il avait commencé à travailler avec Geoff Goddard, loo-oo-la-da-dee-da-deedle-ah, John Repsch s’amuse bien, on est assis avec lui, juste à côté de Meekey Meek en pyjama, en train de bidouiller l’un des plus grands hits du siècle dernier. Comme l’air lui vient d’un satellite, il baptise le cut «The Theme Of Telstar». Au breakfast, il traduit son idée musicale à la clavioline. Puis c’est la séance d’enregistrement avec Clem Cattini. Pour lui donner plus de punch, Meeky Meek speede son enregistrement d’un demi-ton, puis il ajoute des effets de son invention pour interloquer l’auditeur. Il fait un acétate et va le faire écouter à l’un de ses clients distributeurs, Roy Berry, chez Ivy Music. Berry trouve que le titre est trop long. Il propose «Telstar» - Meeky Meek trouve que ce n’est pas une mauvaise idée. Puis il va faire écouter «Telstar» à Dick Rowe, chez Decca, qui adore. On connaît la suite de l’histoire - He had put together a classic which nowadays ranks as one of the finest pop records ever made - À 33 ans, Meeky Meek est un producteur et un ingé-son sans égal en Angleterre. Et il le sait, ajoute Repsch. Il le sait depuis des années - There was no one in Britain to touch him - Ce qui fait sa force, c’est qu’il peut créer un son immédiatement identifiable et original qui ne coûte rien  car enregistré dans un «dirty hole over a leather bag shop» - Comment pourraient-ils faire la même chose avec leurs studios coûteux ? Impossible, nous dit John Repsch. Meeky Meek a ses secrets - No rotten pig could thieve them off him - Il appelle ses ennemis les rotten pigs.

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             Puis Repsch fait un petit comparatif entre Totor et Meeky Meek : point commun, thick and meaty records, mais Totor utilise moins de compression, car il joue sur les contrastes entre le calme et la tempête. Meeky Meek place ses micros tout près alors que Totor éloigne les siens, ce qui lui donne, avec l’écho, un bigger sound. Totor prépare tout minutieusement, alors que Meeky Meek superpose les couches et n’en finit plus d’expérimenter ad infinitum. Il peut se le permettre, en tant qu’ingé-son, ce que n’est pas Totor. Deux autres points communs : leur complexe de persécution et le fait d’être un one-man-army : ils dénichent les talents, choisissent les cuts ou les composent, supervisent les arrangements, ils font de la direction d’artistes et supervisent tout le processus d’enregistrement. Pas besoin des gros labels. Ils sont autonomes. C’est leur vision du son qui va faire le succès des artistes qu’ils prennent tous les deux en charge. Pour Meeky Meek, comme pour Totor, les chanteurs et les chanteuses sont interchangeables. Ils savent tous les deux ce qu’ils veulent. Aux yeux de Meeky Meek, Totor est la réponse américaine à lui-même. Pour lui, le Wall of Sound de Totor n’est qu’une variation du sien. Il reconnaît les effets qu’utilise Totor. C’est pourquoi il éteint la radio chaque fois qu’il entend un Totor hit. Repsch poursuit le comparatif : en trois ans et demi, Totor a produit 24 singles sur son label, alors que pendant la même période, Meeky Meek a produit 141 singles, dont 25 British Top Forty hits. Vroom vroom !     

             La seule faute que commet Repsch est d’attaquer son book par la fin, c’est-à-dire le jour où Meeky Meek perd les pédales, tire un coup de fusil dans le dos de sa logeuse et se tire ensuite une balle dans la tête. Son assistant Patrick Pink assiste à la scène et décrit tout le tremblement. C’est un peu la même histoire que celle de la piscine de Brian Jones : on ne voit plus qu’elle et on oublie ce qui est important. On appelle ça une distorsion du réel.

             Un jour, alors qu’il cherche un endroit où s’installer, Meeky Meek flashe sur le 304 Holloway Road, a three floor flat au loyer modéré. Il installe son studio dans la pièce la plus grande, au deuxième étage. On y accède par un escalier étroit, pas l’idéal quand il faut monter une batterie. Au premier étage, c’est l’accueil, avec une kitchinette. Meeky Meek y reçoit ses invités et leur sert le thé. Le sol du studio est recouvert d’un fouillis inextricable de câbles. Meeky Meek est le seul à pouvoir s’y retrouver. Avec sa technologie dernier cri et sa passion pour l’ingénierie, il pense qu’il est «the best A&R man in the world» - That’ll show ‘em. I’m still the bloody governor! - Les gens bien informés savent qu’il est très en avance sur son temps. Il rêve cependant d’un endroit plus spacieux - J’aimerais bien avoir un grand studio en rez-de-chaussée, de sorte que les artistes ne soient pas obligés de monter et descendre des escaliers. But then again, I like it here. Meeky Meek enregistre chez lui et vend ses productions sous licence à des gros labels : d’abord Decca, puis Pye.

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             Il enregistre son premier hit «Bad Penny Blues» en 1956, «the first jazz record to hit the Top Twenty in Britain», nous dit Repsch. C’est la première fois qu’il utilise un compresseur. Il enregistre aussi le «Green Door» de Frankie Vaughan. Quand il s’installe à son compte à Holloway Road, il reçoit pas mal de petites vedettes : Petula Clark, Lonnie Donegan et Johnny Duncan & The Blues Grass Boys qui enregistrent l’excellent «Last Train To San Fernando». Dans une interview, Meeky Meek indique que ses artistes préférés sont «Judy Garland, Les Paul & Mary Ford, some of Ella’s work and modern jazz.»

             Meeky Meek est un homme très coquet. Il passe son temps à se repeigner et se rase au moins douze fois par jour pour garder la peau lisse. Et il se poudre le nez pour lui éviter de briller.  On le dit efféminé. C’est vrai qu’il a une drôle d’allure. Mais il s’agit de Meeky Meek, after all. Son trait de caractère le plus saillant est son manque de patience. Il pique des crises à tout bout de champ. Repsch en dévoile une belle collection. Si tu lui dis un truc qui ne lui plaît pas, Meeky Meek attrape le premier objet qui lui tombe la main et te le balance en pleine gueule. Le guitariste des Outlaws Bill Kuy vient lui réclamer des sous, alors Meeky Meek attrape des ciseaux et lui court après. La colère transfigure Meeky Meek, les yeux lui sortent de la tête, il écume de rage, les gens ont peur de lui. Il peut jeter un gros carton de bandes enregistrées à travers la pièce. La rage, nous dit Repsch, décuple ses forces. Cliff Bennet évoque lui aussi ses crises. Un jour, ils sont à Holloway Road pour une session et Meeky Meek leur chante un truc, dee-dee-dee-dee, mais il chante si bizarrement - that terrible strangulated way - que ça fait rigoler les Rebel Rousers. Vexé, Meeky Meek dit qu’il ne supportera pas longtemps ces rires stupides et quitte la pièce en claquant la porte. Il descend se faire un thé et remonte une demi-heure plus tard. Il demande aux Rebel Rousers s’ils sont calmés et leur rechante son dee-dee-dee-dee. Les Rousers font des efforts surhumains pour ne pas exploser de rire. Ils fixent le mur en tentant de penser à autre chose. Mais ils explosent de rire, de ce rire qui finit par faire mal au ventre. Angry Meek les observe. Et plus il est en colère, plus les Rousers se marrent. L’hilarant de l’histoire, c’est que Meeky Meek finit lui aussi par se marrer. Au bout de vingt minutes, ils retrouvent le calme, mais Meeky Meek annule la session : «You might as well go home now. You’re a real bunch of bastards.» Repsch évoque aussi une petite shoote avec Dave Dee, Dozy, Beaky, Mick & Tich. Meeky Meek ne supporte pas l’attitude rebelle de Tich et lui balance le plateau avec les tasses pleines dans la gueule, alors Dozy attrape un pied de micro et menace de lui péter les couilles, comme on dit en France chez les habitués du PMU, alors Meeky Meek sort de la pièce en claquant la porte, ce qui met fin à la session d’enregistrement. Il ne faut pas lui courir sur l’haricot.

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             L’un des grands talents de Meeky Meek est de savoir flairer des talents et fabriquer des artistes. Premier coup d’essai avec John Leyton, un acteur âgé de 21 ans. La voix compte, bien sûr, mais aussi et surtout le physique - Good looks - La voix, ça se travaille, Meeky Meek peut rajouter des effets dessus, si besoin est. Repsch indique que l’album The Two Sides Of John Leyton «is one of the best things Joe ever did.» John Leyton décroche un hit avec «Johnny Remember Me» - half a million sales - Bingo !  Il tente aussi de lancer Ricky Wayne, un futur Monsieur Monde qui fait du bodybuilding. Il conseille à ses poulains de porter des chaussures légères, des mocassins, des pantalons serrés, and no underwear - Joe was a punk, dit Ricky. Meeky Meek tente aussi de lancer Michael Cox, un protégé de Jack Good. Bonne voix, mais pas de chansons. Dans un Part Two, on reviendra sur tous ces artistes enregistrés par Meeky Meek. Il y a à boire et à manger. Pour lancer les Outlaws, il leur fait conduire une diligence dans Londres - Publicity stunt, the Western image -  Puis c’est «Night Of The Vampire» avec les Moontrekkers et Screaming Lord Sutch dans la foulée. Il commence à se méfier de Stigwood qui lui barbote ses artistes un par un, comme par exemple Billie Davis ou Mike Berry. Meeky Meek déteste cette fourbasse de Stigwood qui fait ses coups par derrière. À Holloway Road, il reçoit aussi Tom Jones et louche sur ses tight pants, lui fait des avances, mais le Gallois l’envoie se faire voir chez les Grecs, alors Meeky Meek sort un flingue et tire sur Tom Jones qui se croit mort. C’est un pistolet d’alarme ! Quand il commence à bosser avec Pye, Meeky Meek tente de lancer la nouvelle sensation, Tony Dangerfield. Il jouait de la basse dans le groupe de Lord Sutch, the Savages. Repsch en fait une belle tartine : «Impressionné par sa Black Country arrogance et ses fringues en cuir, ses cowboy boots et se cheveux teints avec des mèches vertes et roses, Joe started grooming him for the big time.» Puis il tente de lancer The Riot Squad, les Honeycombs, les Cryin’ Shames, tous ces groupes intéressants qu’on retrouve sur les volumes de The Joe Meek Story - The Pye Years. Meeky Meek a eu dans son studio des gens qui ont contribué largement à la légende du rock anglais : Chas Hodges, du «cockney singalong duo Chas & Dave», Clem Cattini, le batteur des Tornados, «one of Britain’s top session drummers», le pianiste Roger LaVern, et bien sûr, Richie Blackmore qui jouait avec Tony Dangerfield dans les Savages. 

             Les deux gros morceaux restent cependant Heinz et Billy Fury. Un Billy qu’on situe comme «the nearest thing to Elvis that Britain ever had». Billy est accompagné sur scène par les Tornados, dont le bassman n’est autre qu’Heinz. Le problème c’est que Meeky Meek est le boss des Tornados, et Larry Parnes celui de Billy Fury. Ils ont donc passé un accord. Meeky Meek espère récupérer Billy en studio. C’est la raison pour laquelle il a donné son accord à Parnes. Mais ils vont se fâcher, car Meeky Meek refuse de laisser partir ses Tornados en tournée américaine.

             Meeky Meek s’éprend d’Heinz. Il lui demande de se teindre en blond, en référence au Village Of The Damned et à ses douze enfants blonds. Meeky Meek en pince tellement pour lui qu’il tente de lancer sa carrière. Heinz se retrouve en tournée avec Jerry Lee Lewis et Gene Vincent. Il ne passe pas, il n’est pas assez rock’n’roll. Le public mâle le siffle. Des Teds veulent même lui casser la gueule. Par contre, Gene Vincent lui reconnaît un certain courage pour avoir osé monter sur scène : «You’ve got some bloody guts. I would have walked off after one number.» Un Gene Vincent qui d’ailleurs viendra enregistrer un cut chez Meeky Meek, «Temptation Baby». Mais Gene sera étonné de devoir enregistrer dans une maison au milieu d’un fouillis de câbles inextricable.

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             Meeky Meek tente désespérément de booster la carrière d’Heinz. Il le booke sur des tournées anglaises. Les disques d’Heinz ne se vendent pas. Meeky Meek sait qu’il peut vendre Heinz s’il chope la bonne chanson. Il veut faire d’Heinz une star. Ça tourne à l’obsession. Dommage que  Repsch n’évoque pas l’excellent Tribute To Eddie d’Heinz. Puis Meeky Meek envisage de faire teindre les cheveux d’Heinz en rouge et de le faire entrer sur scène en moto. Heinz finira par se barrer et par fréquenter des gonzesses.

             Côté cul, Meeky Meek aime bien les mecs, mais son infidélité chronique rend impossible toute relation sentimentale. Et puis un jour, il a l’idée de se marier avec l’une de ses pouliches, Glenda Collins. Glenda idolâtre Meeky Meek qui est triste de voir qu’après 8 singles, elle ne perce toujours pas - Sadly they were not in love.

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             L’un des personnages clés de la saga Meek est le compositeur Geoff Goddard. Il est nous dit Repsch très proche de Meeky Meek. Ils composent ensemble et vouent le même culte à Buddy Holly. Et là, on entre dans le cœur battant du mythy Meek. Un soir où il interroge les cartes du tarot, un ami nommé Faud écrit trois choses sur un bout de papier : une date, le 3 février, suivi du nom de Buddy et du mot «dies». La scène se déroule bien sûr un peu avant l’accident d’avion qui va emporter Buddy, Ritchie Valens et The Big Bopper. Buddy arrive en tournée en Angleterre et Meeky Meek réussit à lui dire de se méfier du 3 février. Mais Buddy casse sa pipe un 3 février, l’année suivante. Les cartes n’avaient pas menti. Alors Meeky Meek et Geoff tentent d’entrer en contact avec l’esprit de Buddy, leur idole. Geoff Goddard affirme que Buddy l’a directement inspiré pour composer «Johnny Remember Me». Puis il écrit «Tribute To Buddy Holly» et demande à l’esprit de Buddy ce qu’il en pense. L’esprit de Buddy le remercie de cet honneur et lui dit : «See you in the charts». Pendant les séances de spiritisme, il se produit des phénomènes étranges au 304 Holloway Road : un orgue qui joue tout seul à l’étage, une corde de guitare qui se met à tawnguer.

             Meeky Meek commet aussi la même erreur que Dick Rowe : il décline l’offre que lui fait Brian Epstein d’enregistrer les Beatles - Guitar groups are on the way out, Mr. Epstein - Le pauvre Meeky Meek se fout le doigt dans l’œil. Il n’est d’ailleurs pas le seul. Avec lui et Decca, Pye, Phillips, Columbia et HMV disent non aux Beatles. Néanmoins, Repsch imagine qu’étant donné les caractères de John Lennon et de Meeky Meek, il y aurait eu des étincelles au 304.

             Puis Meeky Meek commence à perdre sérieusement les pédales. Il se croit espionné en permanence, il croit qu’il y a des micros chez lui. Il dit un jour à son assistant Patrick Pink qu’il ne va plus être là très longtemps. Il ajoute qu’il va faire un testament. Patrick Pink se marre. Il ne comprend pas que Meeky Meek est en train de lâcher prise : trop de pression, le biz qui part en sucette. La pire déconvenue vient sans doute de Sir Joseph Lockwood qui pour remplacer George Martin chez EMI avait songé à Meeky Meek - Joe was the man to help fill it - Mais ça signifiait la fin de l’indépendance, et donc, ce n’était pas possible. La perte des pédales est un truc terrible, tu sais que tu ne vas pas t’en sortir, alors c’est une sorte de panique interne, mais il faut essayer de sauver les apparences, et c’est un peu comme si tu avais déjà cassé ta pipe en bois avant de la casser pour de vrai. L’impératif tambourine à la porte : il faut en finir.

             Dans les derniers jours, Meeky Meek n’a plus un rond. C’est Patrick Pink qui ramène de la bouffe qu’il carotte chez sa mère : «du pain, du beurre, des steaks et des tomates». Meeky Meek prend en plus des barbituriques, mais beaucoup trop. Il est obsédé, il croit qu’on l’épie et qu’il y a des micros partout. Il dit enfin à Patrick Pink «qu’il y a quelqu’un en lui et qu’il ne peut pas s’en débarrasser» - Parfois, je sens que je ne suis pas moi. I’m talking but it’s not my voice - Puis ses enregistrements sont rejetés par EMI. Il comptait là-dessus pour se renflouer. Il est baisé. Il craint en plus de se faire virer du 304. Évidemment, il choisit un 3 février pour en finir.

             Vers la fin, Repsch fait le compte des disparus : avec Meeky Meek sont partis tous ses proches, plus les mecs qu’il a croisé, Larry Parnes, Brian Epstein, Dick Rowe, Ivor Raymonde, Sir Joseph Lockwood et même Screaming Lord Sutch dont a pris la pendaison, nous dit Repsch, pour l’un de ses gags publicitaires de mauvais goût, mais en vérité, Lord Sutch n’avait pas surmonté la disparition de sa mère et il s’est pendu chez lui. Bon la mort rôde sur ce book, mais la modernité lui survit. L’incroyable modernité de Meeky Meek.

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             L’un de ses plus grands admirateurs est Liam Watson, le boss de Toe Rag Studios. Il utilise en gros le même matos que celui de Meeky Meek, amplis, speakers, cabinets et aussi «an Altec compressor». Watson joue dans les Bristols qu’il décrit comme «the most Joe Meek sounding band around». D’autres groupes nous dit Repsch revendiquent leur Meeky influence : Stereolab, Teenage Fanclub, St. Etienne et puis il y a pas mal de cuts en hommage à Joe Meek. Repsch en cite une petite palanquée.

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             Si tu entres dans Joe Meek Freakbeat (You’re Holding Me Down), tu n’auras pas froid cet hiver. C’est même l’une des pires compiles Freakbeat jamais imaginées, 30 Joe Meek records, à commencer par l’archétype du proto-punk, le «Crawdaddy Simone» des Syndicats de l’early Steve Howe, l’he’s got no friends, wild as fuck, chaos complet, en plein dans l’œil du cyclope, Meeky Meek all over the forever ! Tu veux encore te goinfrer de proto-punk ? Tiens, voilà David John & The Mood avec «Diggin’ For Gold», le Mood est le roi du proto-punk. David John & The Mood ? Trois singles entre 1964 et 1965, dont une version demented de «Bring It To Jerome», demented et même définitive, ces mecs te bouffent tout cru et Bo avec. Ils ont un troisième cut sur la compile, «I Love To See You Strut», encore du big heavy proto-punk protozoaire, tu as le son des Pretties avec une incarnation du diable, David John. Incroyable que ces mecs soient passés à l’as. L’autre grosse équipe, ce sont les Blues Rondos avec «Baby I Go For You», joué à la va-vite de wild London boys, ils sont bien wild dans leurs petits pantalons serrés et Roger Hall te passe vite fait un joli killer solo flash. On les retrouve plus loin avec «Little Baby», plus poppy, ils entrent en vainqueurs dans le Swingin’ London, ils ont tellement de son, oh merci Meeky Meek ! Quelle prod ! Leur «What Can I Do» vire plus Brill, c’est dire le génie de Meeky Meek ! The London Brill ! Les riffs mordent le trait. Plus connus, tu as les Cryin’ Shames avec un «What’s New Pussycat» dylanex, mais le beat reste heavy, quasi «Maggie’s Farm». Ils tapent aussi un «Let Me In» en mode heavy proto-punk. C’est d’une rare violence, grattée au somment du lard wild, hey hey hey ! On les retrouve une troisième fois dans la mouture Paul & Ritchie & The Cryin’ Shames avec «Come On Back», aussi effarant que tout ce qui précède, en plein dans le mille du freak, avec des voix paumées dans le you-oouuhh yeah. Encore une fois, c’est d’une violence peu banale. Et puis tu as tous les inconnus au bataillon, à commencer par les Puppets avec «Shake With Me», fast pop rock de c’mon joué aux fluorescences de c’mon, avec un guitariste génial en embuscade. Meeky Meek apporte de l’overall dans le son. Même choc tectonique avec The Buzz et «You’re Holding Me Down», extraordinaire giclée de wild frekbeat, mais avec de la profondeur de champ. Infortunate d’unbelievable, ça résonne dans l’écho du temps. Wild as Meek, juste un cran au dessus du wild as fuck. D’où sortent The Saxons ? De nulle part, et pourtant l’«I Ain’t Right» semble tomber du ciel, Meeky Meek le prend par dessus la jambe, il leur donne une énergie démesurée. Tiens voilà Jason Eddie & The Centremen avec «Come On Baby», encore de l’inexpected qui devient du hautement expected dans les pattes de Meeky Meek. C’est eux qui referment la marche avec un «Singing The Blues» bien incendiaire. Meeky Meek n’oublie pas son chouchou, Heinz qui, avec les Wild Boys et «Big Fat Spider», tente de créer la sensation. Pas facile d’être aussi flamboyant que les autres. Meeky met le paquet et tu as tout le son dont tu peux rêver. On retrouve aussi les Tornados 66 avec un «No More You & Me» balayé par le vent du Nord.

    Signé : Cazengler, Jo la mite

    Joe Meek Freakbeat (You’re Holding Me Down). Castle Music 2006

    John Repsch. The Legendary Joe Meek: The Telstar Man . Woodford House Publishing Ltd 1989

     

     

    L’avenir du rock –

     Le loup des Steppes

    (Part Two)

             Comme bon nombre d’adeptes de la paix de l’esprit, l’avenir du rock nourrit pour les débats le plus profond mépris. Il ne supporte tout simplement pas le spectacle d’imbéciles qui s’étripent pour avoir le dernier mot. De nature politique ou «d’idées», ces débats ont lieu pour la plupart dans les médias et nourrissent le limon fertile des cornichons rassemblés devant leurs récepteurs de télévision. L’avenir du rock s’honore de ne pas appartenir à cette catégorie sociale. Malgré toutes ses précautions, il est parfois rattrapé par la réalité. Il recevait l’autre jour Japee et son père, et lorsque le verre de trop eut atteint les cervelles, un bouillant débat enflamma l’atmosphère. Japee reprochait à son médiocre pédagogue de père ses errements catastrophiques et le traitait ouvertement de démon, ce qui faisait hennir le-dit père de rire, un rire dont les stridences perçaient les tympans. Ne pouvant en supporter davantage, l’avenir du rock prit appui sur l’ineffable semelle de sa sagesse et lança d’un ton qu’il voulait bienveillant :

             — Fallon Fallon les enfants, n’avez-vous pas honte de vous comporter ainsi ?

             Hébétés, ils se calmèrent aussitôt et redoublèrent d’efforts pour dissimuler leur honte.    Une autre fois, toujours à table, l’avenir du rock fut confronté à un débat de la pire engeance, le débat rock. Il pensa d’abord s’enfuir pour échapper à ça, mais la curiosité l’emporta sur le risque de vomir. Il assista plus que médusé à l’échange qui opposa Boule et Bill, deux vieux crabes déplumés, qui, comme bon nombre de vieux crabes déplumés, se prenaient pour des aristocrates du rock. Le verre de trop atteignit la cervelle de Boule qui lança à Bill :

             — Les groupes dont tu parles si doctement, les Purple, les Sabbath, tous ces groupes choochootent sur les rails de mon indifférence et s’arrêtent à la gare de mon mépris intersidéral.

             — Môsieur le pauvre con, faites-vous greffer une cervelle, ce qui vous permettra de comprendre qu’on ne fait pas l’impasse sur les architectes du rock britannique des seventies.

             — Ma main ne va pas faire l’impasse sur ta gueule.

             C’est le moment que choisit l’avenir du rock pour intervenir :

             — Fallon Fallon les enfants, croyez-vous que le jeu en vaille la chandelle verte ?

     

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             Bon, il faut bien que le nom de Fallon serve à quelque chose. Le voilà employé à bon escient. John Fallon est un esprit lumineux qui doit apprécier les petits contes immoraux. Qui oserait en douter ?

             Quand on voit le Fallon en photo, on le prendrait presque pour un débutant, avec ses lunettes à verres teintés. Pourtant, c’est un vétéran de toutes les guerres. Il enregistrait déjà des albums superbes dans les années 80 avec les Steppes, dont on a dit dans un Part One, quelque part en 2021, tout le bien qu’il fallait en penser. Après la fin des Steppes, il est passé au step suivant avec The Laissez Fairs, comme s’il suivait le chemin d’une évolution, mais il s’agit d’une évolution sidérale, une sorte d’accélération subsonique qui relève des phénomènes spatiaux inexpliqués. Comment, quarante ans après ses débuts, un homme peut-il développer de tels flash-booms énergétiques ?

             Cette affabulation s’appuie sur deux preuves matérielles : Curiosity Killed The Laissez Fairs? paru en 2021 et Singing In Your Head paru l’année suivante. Dans un cas comme dans l’autre, on peut parler de bingo. Signalons au passage que ces albums fantastiques sont affreusement mal distribués. Si tu veux les choper, lève-toi de bonne heure et compte sur la chance.

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             Quatre coups de semonce sur Curiosity Killed The Laissez Fairs?, à commencer par le terrific «Image», gorgé jusqu’à la nausée d’English freakbeat. Ça t’explose la cervelle en mille morceaux. Tu y entends des accords des early Who et toute la grandeur tentaculaire du freakbeat. Et ça continue avec un «Sunshine Tuff» d’une grandeur à peine croyable, c’est de l’update d’uptown, ça joue au-dessus de tes moyens, c’est tellement noyé de son que tu n’entends plus rien. Et John Fallon taille son solo dans le sucre. Les Laissez Fairs réinventent le son anglais, le son des Who et tout le reste. On ne va pas les énumérer. Et comme si tout cela ne suffisait pas, voilà le coup du lapin, «Tell You What It Means». John Fallon est un démon qui adore plonger dans les entrailles de l’enfer. En plus, il grouille de puces. Son énergie est un modèle du genre. Et tu as le solo en contrebas, explosif de retenue mal retenue. Comme sabré dans le dos. Quatrième coup du sort : «Drydenseek», un hit monumental éclaté au solo d’arpèges, dressé dans une clameur chatoyante d’ardeur suprématiste. Ça monte tellement que tu as du mal à redescendre. Et puis il reste des tas de choses passionnantes à découvrir sur cet album, la belle fête au village de «Somewhere Man», la fuzz et le chant fatal d’un «Sad Girl Of The High Country» bien claqué du portillon. Dans «Two Sides Of The Same Coin», on ne sait pas comment il fait, mais il y va. John Fallon est un coriace. Il revient au heavy Fallon avec «Everything (I Ever Wanted)». Sa voix chuinte un peu, mais pas sa vision du son. Que d’avenir, my friend, que d’avenir !

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             La pochette de Singing In Your Head ne laisse aucune chance au hasard : tu sais que tu es dans le futur, c’est-à-dire l’avenir du rock. Rien de plus spatial que ce visuel de pochette. D’ailleurs, «Real Good Time In 1969» te met aussitôt au parfum, avec tout le rebondi du heavy Mod craze. C’est pulsé à l’occiput. John Fallon voit les choses ainsi : pulser le beat, avec en embuscade, le solo broyeur de gorge. Il sait rester cohérent. Il en remet une couche avec «Kathleen Coffeine», un shoot de heavy psyché visité par des vents incertains, des grattés de poux demented, ah il faut entendre les entourloupes du loup des steppes, il est le roi des échappées belles, sa Kathleen se fond dans la clameur de Dieu, c’est un instant magique. On retrouve cette clameur insolente dans le dernier cut, «Laughing Boy». Avec «A Wildeforce», il sonne comme les Byrds, il est en plein dedans. Il rend un autre hommage, cette fois au Velvet, avec «Goodbye To Samantha». C’est plombé dans l’or. John Fallon caresse toutes les chimères su rock. Chaque fois, il tape en plein dans le mille. Il maîtrise aussi l’art de la Beautiful Song, comme le montre «Fields Of Yesterday». Il fabrique de la mythologie, il vise la pureté du son, il propose là une chanson parfaite, comme le fit en son temps Lou Reed avec «Pale Blue Eyes». John Fallon connaît toutes les ficelles de l’émotion. Il crée un univers de rêve. Puis il va regorger «Pretty Penny» de clameurs. Il est à la fois spongieux et supérieur. Drôle de mélange diront les sceptiques. Mais comme c’est du pur jus, tu tombes dans ses bas.

    Signé : Cazengler, le loup des stop.

    The Laissez Fairs. Curiosity Killed The Laissez Fairs? RUM BAR Records 2021

    The Laissez Fairs. Singing In Your Head. RUM BAR Records 2022

     

     

    Inside the goldmine

    Veni, vidi, Vicki

             Tout le monde louchait sur les seins de Baby Sof. Elle le savait. Elle arrivait en cours correctement vêtue, mais dès qu’il commençait à faire un peu chaud, elle se mettait à l’aise et se rendait bien compte que son décolleté captait tous les regards. La grande majorité des stagiaires étaient des mecs, alors forcément, Baby Sof en profitait. Il faut ajouter à son crédit qu’elle avait aussi une certaine classe. Elle ne cachait pas ses origines bourgeoises. Brune, lunettée, dans la trentaine, elle avait en outre une bouche qui appelait les baisers les moins platoniques. Dans la cervelle de tous les stagiaires présents dans la salle, elle incarnait certainement l’épouse idéale. Elle intervenait toujours de manière pertinente et bien sûr, lors de l’attribution des places pour ce stage pro qui allait durer un an, elle se retrouva à ma droite. Nous sympathisâmes. Nous eûmes vite fait de former une petite bande pour aller traîner le soir en ville après les cours, deux mecs et deux gonzesses, une sorte de formule idéale. Nous allions casser la croûte dans des restos exotiques de Montmartre. Baby Sof et sa copine eurent un jour l’idée d’un voyage à Amsterdam pour aller admirer La Ronde De Nuit au Musée Rembrandt. Et bien sûr, pour des raisons de budget, nous ne louâmes qu’une seule chambre à deux lits. Baby Sof dormait avec sa copine dans l’un des deux lits. Ce fut une nuit interminable, car bien sûr il ne se passa rien, hormis les chuchotements de Baby Sof et de sa copine jusqu’à l’aube. Une nuit que nous traînions tous les deux en ville, Baby Sof proposa l’hospitalité. L’heure du dernier RER venait de passer. Elle habitait un superbe appartement à Levallois, cadeau d’un précédent mari richissime. En voyant sa fille adolescente, il était facile de comprendre que le père était arabe, probablement originaire des Émirats. Comme sa fille apprenait à jouer de la guitare électrique, il fallut subir la corvée consistant à lui montrer quelques accords. Puis Baby Sof l’envoya se coucher et vint s’installer à ma droite sur le petit canapé. Elle portait un débardeur qui ne cachait plus grand chose de sa poitrine exubérante. La discussion s’éternisa, elle monologua pendant des heures, le jour se leva et un gigantesque ciel d’Île de France embrasa la baie vitrée. Alors que j’essayais de surmonter un mélange de fatigue et d’extrême frustration, Baby Sof m’apparut telle qu’elle était en réalité : elle cultivait le désir jusqu’au délire pour mieux le tuer dans l’œuf.  

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             Vicki Anderson cultive elle aussi le désir jusqu’au délire, mais pas de la même façon. Alors que Baby Sof joue de ses appâts, Vicki chaloupe des hanches et chante le funk. Enfin, il faudrait parler au passé, car elle vient tout juste de casser sa pipe en bois.

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             Autant l’avouer franchement : Hot Pants - I’m Coming Coming Coming de Bobby Byrd & Vicki Anderson est un gros foutoir de funk, mais pas du petit funk, du hard funk d’éjaculation, et ce dès le morceau titre. Fantastique élément perturbateur d’I’m comin’ ! Bobby jouit ! Et ça repart de plus belle avec «Keep On Doin’ What You’re Doin’», du pur jus de JeeBee, joué au squelette de funk. Hard funk toujours avec «I Need Help (I Can’t Do It)» - I need help ! Now ! - Bobby en rajoute, I need to feel it ! Il est encore assez magique avec «If You Got A Love (You Better Hold On To It)», bien gratté aux petites guitares funky métalliques, Bobby passe en force à chaque fois. Puis Vicki chope le micro et fait son show. Elle démarre avec «I’m Too Tough For Mr Big Stuff», elle tape elle aussi dans le heavy funk, elle funke littéralement sa Soul, petite Vicki deviendra grande. Puis elle tape dans l’un des plus beaux hits de l’univers, «In The Land Of Milk And Honey», elle crève le ciel comme d’autres crèvent l’écran, elle chante au pire perçant d’empire persan et puis elle prévient : «Don’t Throw Your Love In The Garbage Can», tout ce qu’elle fait est énorme, elle est supérieure en tout et elle nous fait le coup du duo d’enfer avec «You’re Welcome Stop On By», véritable coup de génie. N’oublions pas de nous prosterner devant «Once You Get Started», car Vicki y bat tous les records de classe.

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             Bien belle anthologie que ce Mother Popcorn (Vicki Anderson Anthology). Si tu aimes le heavy funk, c’est pour ta pomme, et ce dès «The Message From The Soul Sister (1&2)». Elle monte tout de suite au créneau, yeah eh eh, she shakes it hard, elle est dedans, aw my Gawd ! On reste dans le move avec «Super Good (Answer To The Super Bad)», encore du heavy hush, elle appuie là où il faut. On est dans le hard funk de James Brown, wait a minute, James Brown fait les retours d’Hold on, mais sous le boisseau. Undervover Genius avec the Big Funk Sister. Hallucinant ! S’ensuivent quatre coups de génie : «I’m Too Tough For Mr Big Stuff», «Answer To Mother Popcorn», «I Want To Be In The Land Of Milk And Honey» et «If You Don’t Give Me What I Want». Pur funky business. Vicki est une bonne, elle négocie le beat avec un tact unique, yeah open my door. C’est une authentique lady. Et ça continue avec «Answer To Mother Popcorn», back to the heavy groove du funk moite, the real deal, elle s’y love avec une voix de reine de Saba. Elle revient à l’univers magique de James Brown avec «I Want To Be In The Land Of Milk And Honey», power à l’état pur, soutenu par des tempêtes orchestrales. Elle tient bien son rang et shoute comme une folle. Il n’existe pas beaucoup de poules qui te sonnent aussi bien les cloches. Avec «If You Don’t Give Me What I Want», elle lève l’enfer sur la terre, yeah yeah, elle est dans l’excelsior définitif, elle monte son r’n’b au chat perché. Tout est bien sur cette antho, elle prend son «Baby Don’t You Know» sous le boisseau, elle tient le son par la barbichette, elle est exemplaire. Et voilà qu’elle duette avec James Brown sur «Think». Ça tourne à la magie. Il faut avoir entendu ça au moins une fois dans sa vie si on ne veut pas mourir idiot. Sur «Once You Get Started», elle est littéralement emportée par des vagues de heavy funk. Toutes les funky guitares sont là. C’est encore du funk genius à l’état pur. Elle explose le chant et s’en va screamer au sommet du lard. Elle reduette un coup sur «You’re So Welcome Stop On By», mais pas avec James Brown. Cette fois, elle duette avec Bobby Byrd. Top niveau, évidemment. Bobby monte le niveau très haut. On a là deux artistes exceptionnels avec une prod magique à la Marvin Gaye. Retour au froti avec «I’ll Work It Out» elle le travaille à la grosse arrache, peu de gonzesses s’éclatent autant au froti. Elle revient duetter avec son mentor James Brown sur «You’ve Got The Power». C’est lui qui ouvre la bal d’I need you darling, il pave le chemin de bonnes intentions - Ouuh-ouuh I want you to try me - Elle arrive, et comme elle s’appelle Vicki, elle le remet en place - Oh little darling you’ve got the power - Et ça prend des allures intemporelles - You’ve got the power in your hand/ You’ve got the power to make understand - Et James Brown : «Say it one more time !». C’est une œuvre d’art sexuelle. Elle termine son antho à Toto avec le «What The World Needs Now Is Love» de Burt, elle y va au now sweet love, c’est une combinaison suprême : Burt + Vicki, ça vaut bien le Burt + Dionne la Lionne, même si elle n’est pas aussi racée que Dionne la Lionne, mais Vicki y va avec tout le chien de sa petite chienne et elle t’éclate tout le Sénégal. Stupéfiante Vicki !

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             Avec Wide Awake In A Dream on tient entre les pattes l’un des albums les plus parfaits de l’histoire de la Soul. Vicki shake de toute évidence le meilleur r’n’b de son époque avec «I Love You», elle sait pousser à la roue, elle y revient à chaque couplet, Vicki est une vainqueuse, plus petit gabarit qu’Aretha mais même niveau de niaque. Son «Never Never Let You Go» développe une fantastique énergie, c’est même bien supérieur à Stax, elle est fabuleusement active dans la fournaise et pouf, gros solo de trompette ! T’es content du voyage ! Même quand on la croit calmée, elle pousse des pointes («I Won’t Be Back»). Elle chante ses slowahs à pleine gueule et fait ramper sa Soul quand il le faut («Nobody Cares»). Elle se planque dans l’énormité du son pour aligner «Don’t Mess With Bill», un vrai délire d’excelsior, elle ne connaît qu’une seule chose dans la vie : le power inexorable. Elle est la reine des insistances et un solo de sax vient la couronner de notes de diamant, c’est là où la Soul te monte au cerveau. Elle fait un gros clin d’œil à Martha Reeves avec une cover de «Nowhere To Run». Elle la prend de plein fouet. Vicki forever ! Et pouf, alors qu’on avait du mal à retrouver du souffle, elle duette avec James Brown sur une version de «Think», about the right thing, Vicki hurle tout ce qu’elle peut - Think baby about the right thing - Comme tu es tombé de ta chaise, tu dois vite te relever pour la suite. Elle plonge son «Tears Of Joy» dans le slowah de classe supérieure. Même les nappes de violons s’émancipent, ça violonne encore jusqu’à l’horizon avec «All In My Mind», pur genius, elle allume son cut avec le grain des violons. Bobby Byrd vient duetter avec elle sur «He’s My Everything». Elle redevient la shouteuse exceptionnelle que l’on sait avec «No More Heartaches No More Pain» et comme si tout cela ne suffisait pas, voilà qu’elle tape dans Burt avec «What The World Needs Now Is Love». Elle navigue exactement au même niveau que Dionne la lionne et Jackie De Shannon, elle est déterminante, belle dans sa grandeur et elle se bat là-haut sur la montagne avec les éléments. Elle est titanesque. Elle reduette avec JeeBee sur «Let It Be Me». JeeBee feule si bien qu’il féminise sa race. Ces deux fantastiques artistes font la paire, let it be me one more time, fait le Godfather, say it ! C’est de la haute voltige, JeeBe fout le feu. Elle revient au heavy groove de r’n’b avec «Don’t Play That Song». Vicki vaincra. Elle est très spectaculaire, une vraie gladiatore. Elle entre dans l’arène et se bat comme Russell Crowe. Mais ce n’est pas fini ! Voilà qu’elle tape une version d’«In The Land Of Milk & Honey», elle chante à l’éperdue infinitésimale, dans une fantastique débauche de moyens glottaux, elle jette ses ovaires par-dessus l’Ararat, alors t’as qu’à voir ! Même un mec blasé comme Moïse est scié. Vicki est la reine des outrances.

    Signé : Cazengler, venu, vidé, vaincu (aka le loser)

    Vicki Anderson. Disparue le 3 juillet 2023

    Bobby Byrd And Vicki Anderson. Hot Pants - I’m Coming Coming Coming. Polydor 1989  

    Vicki Anderson. Mother Popcorn (Vicki Anderson Anthology). Soul Brother Records 2004

    Vicki Anderson. Wide Awake In A Dream. BGP Records 2010

     

    *

    WILD DEUCES

    3 B

    (Troyes - 23 / 10 / 2023)

    Retour aux 3 B. Béatrice la patronne a décidé d’ouvrir un nouveau cycle de concerts rockabilly. Pas de chance pour moi, une avant-première le 7 juillet avec Jacke Calypso, un méga must, hélas de pressantes affaires familiales m’empêchent d’y assister, mais pour ce coup-ci, quitte à produire un milliard de tonnes de carbone j’ai promis que j’y serai. Qu’importe la planète, ne serait-ce pas un honneur pour cette bonne vieille terre de périr pour un concert un rockabilly !

             Une nouvelle formule, un Paf d’entrée de 5 €, et la possibilité de manger ( miam-miam la plancha charcutaille-fromageous ), surprise pour le dessert : The Wild Deuces, venus tout droit de Belgique.

    THE WILD DEUCES

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    Sont quatre, croyez-moi sur parole, la foule est si dense que je n’ai pu entrevoir que fugitivement, le bassman et le cou de girafe de sa big mama qui dépassait. Bart a profité du premier morceau très swing pour installer son velouté. Attention pas un truc tiédasse peu ragoûtant, une saveur onctueuse, un potage crémeux aussi épais qu’une moquette laineuse, aussi dense qu’un épéda multi-spire pour reprendre une ancienne publicité, mais aussi rapide et flexible que le tapis volant d’Aladin, z’avez l’impression d’être au volant d’une luxueuse berline de 400 chevaux montés sur coussins d’air. Pourtant ça vibre à foison, pire ça se colle au rockab le plus sauvage à la manière de vos pieds boueux qui n’arrivent pas à se dépêcher du paillasson à ventouses sur lequel vous avez marché par mégarde.

    Je pressens votre inquiétude, avec un tel turbo-réacteur à ses côtés que peut faire un batteur pour s’imposer ? Moi je donnerais ma démission. Mais là il accomplit sa mission périlleuse sans ciller. Un groupe de rockab sans batteur c’est comme la bataille de Valmy sans les canons. Faut avoir l’œil partout à la fois, tirer au moment précis, réduire sa cible en poussière, recommencer illico, pulvériser et fracasser les oreilles des auditeurs sans les effrayer. Du tact et de la force. Être dans le temps tout en donnant l’impression d’être toujours un tantinet en avance sur les évènements.

    L’est certain qu’avec une section rythmique de cet acabit vous pouvez vous reposer sur vos deux oreilles. Oui mais le Gretschman ne l’entend pas ainsi. Waouh ! Quel guitariste. Une précision redoutable. L’est totalement intégré à la section rythmique, à trois une véritable machine de guerre. Le rockab, c’est quoi ? C’est une musique qui s’arrête au millionième de seconde près, quinze secondes de boucan homérique, et hop plus rien du tout. Pas le temps de souffler qu’une dégelée de notes vous retombent dessus sans vous prévenir, pour dix secondes plus tard s’arrêter sans préavis et hop vous êtes assailli d’une mini-tornade de grêlons sonores gros comme des boulles de pétanque. Tout est dans le son de la guitare. Ou elle vous convainc de l’urgence de la situation ou elle se traîne péniblement dans ses pantoufles, Stevens ne vous laisse aucune chance. Vous tue sans rémission et vous refile la vie tout de suite, chaque fois qu’il touche ses cordes vous revivez, votre cœur bat à cent à l’heure et quand il arrête vous êtes en manque, irrémédiablement perdu pour la société, mais il vous regonfle à bloc aussitôt. J’ai passé le concert à le regarder.

    Maintenant vous oubliez tout. Eclipse totale, la lune occulte les trois soleils derrière elle. Elle : Manon. Dans un long fourreau noir.  Qui descend jusques aux pieds. Qui ne laisse voir que les tatoos de ses épaules. Un tiers blonde. Deux tiers rousse. Une présence indéniable. Elle attire. Elle focalise les regards. Sûre d’elle, tout sourire. Elégante et joueuse. Elle use et abuse de son charme et de sa facilité à établir le contact. Elle parle mal le français, tout le monde la comprend. La reine du show. Se poste devant le micro. C’est parti à l’arrache, un vocal qui bouscule tout sur son passage. Pas de quartier. Pas de pitié. Des morceaux courts qui vous jettent au tapis. Une aisance déconcertante. Comment une voix si rauque peut-elle sortir d’un corps si mince. Entre deux morceaux, elle s’amuse, elle minaude, fait applaudir ses musicos, semble penser à tout autre chose qu’au concert et elle démarre à fond les gamelles sans prévenir, derrière le trio la suit comme le bouchon épouse les caprices de l’onde qui le porte. Elle parle Flamand nous avertit-elle, est-ce l’influence espagnole sur les Flandres, mais voici qu’armée d’un éventail elle se réfugie par trois fois au fond de la scène pour laisser chanter son batteur. Ce dernier tout en continuant à battre frénétiquement le beurre dévoile sa belle voix, pas tout à fait rockab, pas tout à fait Sinatra dans la manière d’articuler mais il recueille un franc succès. Tout comme l’ensemble des Wild Deuces qui joueront leur deuxième set et leurs rappels sous les interjections et les clameurs de la foule dont certains membres malgré la presse n’hésitent pas à danser. Une belle soirée.

    Merci Béatrice.

    Damie Chad.

     

     

    GUMBO CARNIVAL EXTRAVAGANZA

    BIG DADDY’S BREAKFAST VOODOO

                                        (Piste Numérique / Août 2023Bandcamp)     

    Je voulais chroniquer voici longtemps leur album Snake Oil  paru en 2017, puis j’ai flashé sur le suivant Black Cat Bone Spell, sorti en 2020, je n’en ai rien fait alors je ne laisse pas passer le tout nouveau paru en août ! Le groupe s’est formé en 2010 à Amsterdam. La ville devrait m’offrir une rente à vie pour tous les paquets d’Amsterdamer que j’ai fumés, mais ceci est une autre histoire. Sont trois : Mick : guitar, vocal / Peter : bass / Bart : drums.

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    Au titre l’on pourrait se croire à la Nouvelle Orleans, y’a bien un alligator sur la pochette, et maintes allusions aux titres de l’opus que nous allons écouter. En fait la pochette ressemble à son contenu, un joyeux charivari, tout de suite l’on devine que ces trois lurons ne se posent pas de problèmes métaphysiques. Se définissent comme un groupe de blues, et revendiquent des influences stoner,  disons pour faire simple qu’ils ont le désert luxuriant et qu’ils ont exilé tout sentiment de tristesse de leurs racines bleues.

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    Reno : z’ont cassé l’anatole du coquetier et vous servent le jaune de l’œuf avec le croco qui nage dedans, Bart vous refile le rythme, ni exactement binaire, ni justement ternaire, tape entre les coups de queue précipités de la bestiole toute heureuse de voir enfin le monde.  S’y mettent tous les trois autour comme les pieds nikelés préparant un mauvais coup, Peter marche le frein à main de sa basse non enlevé, du coup le moulin de la guitare broute le riff et parfois sur le vocal il nous semble que Mick n’hésite pas à miauler. Soyons franc question paroles ce n’est pas le velouté de Verlaine, sacré tintouin terminal. Parked my car into the water : non ce n’est pas l’histoire de Keith Moon qui bazarde ses voitures dans la piscine, c’est pire, pour nous petit frenchies ça fait penser à J’ai jeté ma clef dans un tonneau de goudron de Mac Kac, pour l’esprit parce que musicalement vous les suivriez jusqu’au bout de la mer quitte à transformer votre chiotte en sous-marin nucléaire, d’ailleurs ça se finit en apocalypse nucléaire, le Bart vous a une voix de supporter de foot, vous conduit son équipe à la victoire les doigts dans le nez et quand c’est fini vous vous rendez compte que vous êtes planté au milieu de la pelouse, avec les vôtres dans le cul. Trip safari : encore une histoire de piscine avec des castors dedans, puis toute une ménagerie, une section rythmique qui vous fout le sbeul, une guitare qui découpe un cuissot d’éléphant avec le couteau électrique de sa grand-mère, un vocal qui pointe sa tête de girafe par-dessus le ramdam et des espèces de chœurs psalmodiés comme jamais vous n’en entendrez dans un disque de gospel. Non, ce n’est pas du prog. Entre nous c’est hyper chiadé. La guitare ronronne, vous avez un tigre royal mangeur d’hommes qui dort sur le canapé de votre salon. I am the broom : rythme insidieux, guitare menaçante, batterie coup de marteaux, fini la plaisanterie, l’on entre dans la sociologie moderne, pas du bon côté, le Bert en oublie presque de chanter, l’articule méchant va exploser, cette fois la guitare vous file une castagne dont vous vous souviendrez, la tension monte, sifflement dans vos oreilles, il explose, il ne se retient plus, il jacte comme un somnambule prêt à passer à l’acte. N’a pas tort, l’en a marre de faire le ménage, le drame se précise, le mec a le blues méchant, on le comprend, on le soutient. Vu la violence terminale on se doute que… Mount Jacobi Shack : en tout cas il ne le dit pas, l’enchaîne directement sur le morceau suivant, à toute blinde, la guitare de Mick pique un sprint, ça pue un peu la cabane du trappeur qui ne s’est pas lavé depuis six mois, jusque-là tout va bien mais le morceau déraille, une vague sauvage sous emporte, ne savent plus où ils sont, dans la chanson ou sur le Mont Jacobi, carburent au kérozène, sont dans un tel état qu’ils vont finir à l’asile. Au moins ils n’auront pas le loyer à payer. Doomed to fail :  la fêlure, ils ont craqué, la guitare pleure à chaudes larmes, l’irrémédiable réalité de leurs existences leur saute aux yeux, échec et mat, ils ont perdu. Sont accablés par le malheur de vivre. Oui mais ils mettent une telle énergie à le proclamer que vous comprenez qu’ils en ont encore sous le pied. Sous le désespoir la lave bouillonne, des gosses punis de récréation qui prendront leur revanche à la fin de la journée. L’instrumentation muselée est en train de broyer sa chaîne avec ses dents. Til the lights go out : que disait-on ! des enfants de chœur, ils agitent la clochette du sacristain, se foutent des paroissiens, vous ont adopté un rythme perversement candide, s’amusent, vont se masturber dans les coins sombres, jolie prouesse vocale de Mick, jamais je n’ai entendu une musique qui ment si sympathiquement, avec eux la nature reprend ses droits, en plus si l’on y réfléchit un peu sont en train de se foutre du blues lui-même, même pas la musique du diable, ni celle du bon dieu, dans les deux cas ce serait de l’hypocrisie heureuse. Netflix Lockdown : pas tout à fait un morceau sur l’addiction à Netflix, ne confondez pas la cause avec la conséquence, ce serait dommage, parfois faut savoir crier au loup pour égarer le chasseur, un régal, un trio parfaitement en place et en classe, une instrumentation équilibré à merveille, tous ensemble et pas un qui marche sur l’autre, un vocal omniprésent qui n’accapare pas la part du lion, une batterie si présente qu’on ne l’entend pas, une basse qui passe en courant d’air, et une guitare qui guette sur la crête. Suis resté bloqué longtemps sur ce Netflix. Black burned cupcake : pour le dernier morceau vous avez droit à un gâteau. Je ne suis pas pâtissier et je ne me prononcerai pas sur la recette, toutefois ce colorant rose me paraît peu écologique et ce mystérieux ingrédient X, c’est peut-être à cause de lui qu’ils jouent si speed. Sur la fin, ils sont carrément en manque, ils se disputeraient presque pour être servis en premier. Il ne faut pas exagérer non plus, à la maternelle au goûter jamais un de mes camarades n’a proclamé qu’il préférait les gâteaux au sexe. Enfin c’est du blues alors on pardonne.

    En tout cas je ne m’attendais pas à que ce soit si bon. Non pas le gâteau. Ni le sexe. Je parle du groupe. Cet opus est une splendeur.

    Damie Chad.

     

    *

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    A plusieurs reprises sur KR’TNT nous avons présenté le travail pictural de Manuel Martinez. L’annonce d’une exposition Avec la peinture et la sculpture à Ostrava, Orchard Gallery, in Tchéquie, du 13 / 09 / 2023 au 10 / 10 / 2023 nous a donné envie de nous pencher encore une fois sur son œuvre foisonnante. Si dans notre chronique Angels in Disguise du 02 / 20 / 2020 nous avions exploré l’aspect mythique de son chemin de peinture, cette fois-ci nous découvrons une autre face de cette œuvre, que nous nommerons :

    LES GENS D’AUJOURD’HUI

    1

    TRANSFERT

    Diptyque - Acryl / Toile 162 x 60 x 2 - ( Août 2023 )

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    La peinture nous regarde davantage que nous la regardons. Nous sommes souvent les derniers à nous en rendre compte. Nous avons été sympas, nous inspirant du titre de carnets graphiques de Manuel Martinez nous aurions pu intituler cet article Nos Contempourris, comme nous sommes les contemporains de nos contemporains, nous n’avons pas osé. Nul besoin de décrire la scène. Inutile de remonter au diptyque Adam et Eve d’Albert Dürer, contentons-nous de suivre les pointillés. Ils ne disent rien mais ils révèlent tout. Dans la vie tout est question de visée. Il suffit de savoir d’où part la flèche et de connaître la cible qu’elle désigne ou rate. Manuel Martinez est gentil, il trace la ligne mathématique (donc imaginaire, songez que ce mot est formé sur image) de son parcours. Remarquons que sur les vêtements aux couleurs uniformes, deux flèches partent en des directions opposées. Les anciens grecs nous expliqueraient qu’Apollon est un archer redoutable.

    2

    TIR TENDU

      Acrylique – toile 120 x 120 (Mars 2020)

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    Parfois la visée est si nette qu’elle se transforme en trajectoire. Si vous voulez un adjectif pour qualifier le jaune du gilet, je propose dramatique ou colérique. Si Transfert est un fait de société, Tir Tendu est un méfait gouvernemental. La peinture est aussi un acte politique. La flèche est tracée sur l’asphalte. Vous ne pouvez y échapper. Le sujet, ici grammaticalement parlant, celui qui subit l’action, ne touche plus le sol, il n’est pas touché en plein vol, c’est la balle qui l’envole, grâce à l’ombre tournoyante de ses bras il devient multiple. Ses bras font signe. II devient symbole. Une seule image suffit pour retracer un destin, collectif. La couleur pour transcrire une colère noire.

    3

    REGLE DE CINQ

    Acrylique – toile 120 x 120

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    Regarder les autres se faire tirer dessus comme des lapins ne veut pas dire que l’on est en-dehors du danger. Ici les pointillés sont évidents. Ils ont grossi, ils sont peinturlurés. Celui qui ne les reconnaît pas devrait se faire des soucis. Reste à expliciter cette mystérieuse règle de cinq, bien plus énigmatique à première vue que la fameuse règle de trois. Il suffit de regarder le tableau pour comprendre. Aucun besoin de connaissances ésotériques. Qui tire au juste ? Le peintre. Qui reçoit les balles ? Le tableau. Ce n’est pas un suicide, le peintre est toujours vivant, juste une projection (révisez vos leçons de sixième sur les couleurs primaires et complémentaires). Vous avez toujours le choix. Mais les conséquences. 

    4

    ULYSSE

      Acrylique – toile 120 x 120

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    Il y en a toujours qui se prennent pour celui qu’ils ne sont pas. Leur désir est si fort qu’il se solidifie, se transforme en lance, et maintenant avec leur costume cravate, leur chemise blanche sans tache, ils se prennent pour Ulysse – bien sûr ils ont la caution de Joyce – ils ne sont que des Tartarins de Tarascon (09), qu’importe ils ont vaincu et transpercé la diabolique tarasque, la bête infâme, la bête infemme pour emprunter la langue des oiseaux. Songez davantage à la langue qu’aux oiseaux. Notre héros l’a clouée sur place. Elle agonise. Petite mort. Elle = Peinture.

    5

    BRUNE EXTRALIGHT

    Acrylique – toile 70 x 70

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    Vous pourriez accuser Manuel Martinez, el picador de la pintura, d’exprimer le désir du mâle blanc de plus de cinquante ans. Tout à fait son portrait. L’est comme Apollon qui a plusieurs flèches dans son carquois, il a plusieurs pinceaux sur sa palette. Beaucoup de jeunes filles sur ses toiles. Des corps adorables, des postures attirantes, des attitudes énigmatiques, c’est oublier que tout se passe dans la tête. Pas nécessairement de celui qui est regardé mais dans le chef de celle qui regarde. Lors des sacrifices antiques la fumée qui montait vers le ciel était la part des Dieux, les chairs qui restaient étaient dévolues aux hommes… Si cette jeune fille fume trop elle n’en pense pas moins. Pour ceux ou celles qui préfèrent les blondes, se reporter dans la même série au tableau Virginia.

    6

    DISTANCIATION

     Acrylique– toile 80 x 80

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    Elle l’a vu. Elle le tient à distance. Peut-être est-ce cette distance qui le tient à elle. Que les pensées sont noires. Nous ne voyons que ses épaules recouvertes de nudité. Sommes-nous au plus près de l’intimité des rêves érotiques. Il n’est qu’une ombre, une marionnette accrochée à la paroi d’un sombre rocher. Peut-être en surgit-il et s’apprête-t-il à l’escalader, peut-être un simple coup d’œil précipitera sa chute. Il est dans le viseur. S’en doute-t-il seulement. Peu importe il n’a pas voix au chapitre.

    7

    MISE EN REGARD

     Acrylique– toile 50 x 50

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    La même scène. La pendule a tourné. C’était la nuit voici le jour. L’œil a accroché un œil à son hameçon oculaire. Souvenons-nos que dans la peinture tout est question de regard. Ici nous n’avons que le regard. Le sujet regardé est hors-champs. Est-il vraiment si important en lui-même. N’est-ce pas le désir qui prime. Son objet ne dépend-il pas de lui. Une autre flèche part en un sens opposé. N’existe-t-il pas une autre possibilité, et pourquoi pas un champ des possibles illimités. Œil de lynx et ruse de sioux, elle regarde de l’autre côté.

    8

    VA SAVOIR

     Acrylique– toile

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    Tout se passe dans la tête. Mais aussi dans un monde réel empli de gravité. Parfois il est difficile de choisir à quelle force de son propre désir on cèdera. La paume des mains levées vers le ciel, c’est ainsi que les grecs invoquaient les Dieux, ici on s’en remettra à la puissance du hasard. A l’aune du désir l’un ne vaut-il pas l’autre, toute chose étant égale, autant que la décision dépende des circonstances, la flèche monte haut vers les étoiles mais c’est à la base de sa trajectoire que tout se décidera. L’arc n’est-il pas aussi nécessaire que la flèche.

    9

    SIGNES

     Acrylique– toile ( 50 x 50)

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    Titre d’une ambiguïté parfaite. Toutefois elle est la cible désignée de la flèche. Le regard suffit-il ? Sous l’œil inquisiteur elle est déjà quelque peu dégrafée, la situation est claire, elle sait que si la flèche la transperce déjà c’est parce que son attitude de proie débusquée et consentante a attiré le regard. Qui a tiré le premier ? Les pensées moites du désir se bousculent dans sa tête. Tout est dit. En quelques virevoltes de pinceau. Les signes ne trompent personne. Même pas elle.

    10

    SUSPENSION

    Acrylique– toile ( 80 x 80)

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    Nous étions dans les états d’âmes, dans les états dames aussi. Dans les observations phénoménologiques quant à l’expression du désir féminin par Manuel Martinez. Nous assistons maintenant à l’irruption de la modernité technologique dans le sentiment amoureux. Encore une histoire de transfert. Le medium s’introduit dans l’histoire. Ne plus parler à l’objet du désir mais au désir de l’objet. Nous terminerons ce commentaire par des points de suspension…

    11

    QUAND ELLE DOUTE

    Acrylique– toile 60 x 50

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    Titre explicite. Ce n’est pas qu’elle doute de quelque chose ou de quelqu’un. Elle doute du doute. Quand la quadrature du cercle prend la tangente. Ceux qui hésitent entre ceci et cela se mentent à eux-mêmes. Tout comme quand vous doutez de vous-même. Le doute est le vecteur. Le doute est le média. Technologique en quelque sorte. La seule manière d’appréhender le monde qui soit à notre portée. La partition est simple. Ou l’on s’ouvre au monde, Ou l’on reste enfermé en soi-même.

    12

    DEVIANCE

    Acrylique– toile 70 x 100

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    Du regard sur le désir féminin, l’on passe au regard masculin. Peut-on entrevoir n’importe lequel de nos regards comme une déviance, vers quelque chose qui n’est pas nous, qui nous est totalement étranger, à tel point qu’il est loisible de penser que ce que nous regardons nous cannibalise, s’installe en nous, nous éjecte de nous-même. Le regard serait-il la matière noire de notre autodestruction. L’ailleurs nous tue-t-il ? Si notre esprit n’est plus d’équerre avec le monde, retournons-nous au stade animalier. Est-ce pour cela qu’une queue s’échappe de notre postérieur. N’avons-nous pas déclenché notre propre folie.

    13

    BLEU SYNCHRO

    Acrylique– toile 70 x 100

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    Merveilleuse toile. Retour à soi-même. Manuel Martinez est peintre. Il se retrouve en lui-même tel que la couleur l’institue. Désormais tout est synchro. Il hisse le grand-pavois bleu. La petite pastille océane des boîtes de peinture à l’eau de l’enfance. La bille de verre des récrés. Les deux pieds plantés sur sa propre terre. L’objectivité du regard intérieur s’équalise à l’extériorité du monde. Il est peintre. Retour à la peinture. Admirez la finesse des motifs du sweat-shirt.

    14

    Acrylique– toile 70 x 100

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    Retour au peintre. C’est de lui que tout est parti. Suivez les lignes, vous remonterez à l’origine, aux pointillés initiaux du pinceau. Le peintre tient son pinceau capable de recréer l’univers à sa propre image. Mentale. Tout dans le geste, tout dans la tête. C’est ainsi que Zeus détient la foudre et Pharaon son sceptre. Artifex.

    15

    A L’ATELIER

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    Manuel Martinez vit en Ariège. Peintre le jour, peintre la nuit ainsi se définit-il. Nous n’avons fait que peinturlurer quelques mots au bas de ses toiles. Pour ceux qui veulent en savoir plus, nous conseillons de passer par son FB : Manuel Martinez Peintre. (Surtout n’oubliez pas ‘’Peintre’’ sans quoi vous aurez l’impression que la moitié de la planète s’appelle Manuel Martinez). Vous aurez ainsi accès à plusieurs centaines de photos de ses œuvres. Nous reviendrons sur d’autres chemins parcourus en de futures livraisons. Manuel Martinez a aussi été chanteur du groupe de rock : Les Maîtres du Monde.

    Damie Chad.

    P. S. : Nous parlerons de Michèle Duchêne qui expose souvent avec Manuel Martinez dans une prochaine livraison.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 40 ( Administratif ) :

    207

    La suite ! La suite ! La suite !

    Sont maintenant plus de cinq cents personnes regroupées autour de nous. Elles se sont assises pour que chaque spectateur puisse voir. Une fois que la Mort a fait signe qu’elle va répondre, s’installe un silence qu’il me faut bien qualifier de mort. Elle est montée sur un tombeau un peu surélevé, il faut avouer qu’elle a une fière allure drapée dans les haillons de sa houppelande rapiécée, de sa main gauche lorsqu’elle a enfoncé sans effort le manche de sa longue faulx d’au moins vingt centimètres dans le granit de la dalle depuis laquelle elle domine le monde un frisson d’incrédulité et de méfiance a parcouru la foule.

              _ Mon enfant puisque tu veux tout savoir, tu sauras !

              _ Merci Madame !

              _ Gabriel, votre femme était ce que l’on appelle une mort vivante. Oecila est morte dans un accident de voiture quelques mois avant votre arrivée en Russie, elle était jeune et jolie, je l’ai prise en pitié, je l’ai laissée rejoindre le monde des vivants, sous le nom d’Ecila, elle vous a rencontré, elle vous a aimé, je l’ai laissée partir avec vous en France, voilà l’histoire est assez simple… Au bout de quelques années je l’ai rappelée sans quoi elle serait devenue immortelle en quelque sorte puisque les morts ne peuvent plus mourir.

               _ Mais cette tombe et ce cercueil dans lequel j’ai ramené la soi-disant dépouille de la sœur de ma femme ?

               _ Ce n’est pas votre femme qui était dans le cercueil mais moi, un moyen de transport très commode, encore plus confortable qu’une couchette de train de nuit. Songez que je dois être partout à la fois, aux quatre coins du monde, dans à peu tous les cimetières de cette planète j’ai un cercueil qui m’attend pour me reposer au moins quelques secondes, un travail de fou, sans aucune rétribution, je suis sûr que dans cette assistance personne ne lèverait la main pour prendre ma place !

    Les applaudissements crépitent. La camarade camarde a remporté un franc succès, d’un geste auguste elle donne congé à la foule :

              _ Je vous donne congé, je n’ai pas le temps de m’occuper de vous aujourd’hui, ce sera pour une autre fois, je vous souhaite une bonne fin de semaine. Au revoir et à bientôt !

    L’assemblée se disperse le sourire aux lèvres conquise par cette comédienne hors-pair et pressée d’aller raconter cette étrange scène à tous les amis qui voudront bien l’écouter. Gabriel et Alice serrés l’un contre l’autre les suivent à petits pas

              _ Tu sais papa ce n’est pas très grave que Maman ait été une mort vivante, regarde, nous avons Alicia et elle est vivante elle !

              _ Tu as raison, nous allons tout de suite lui acheter un collier rose avec son nom gravé dessus et un numéro de téléphone pour ne pas la perdre !

              _ Oui Papa, comme c’est une princesse un collier avec des diamants…

    208

    Le Chef allume un Coronado, Carlos et moi nous nous occupons à refermer le cercueil vide et à remettre la dalle en place. Molossa et Molossito assis côte à côte sages comme des images ne bougent pas, leurs yeux ne quittent pas la Mort comme s’ils ne voulaient pas la laisser partir.

              _ Ces braves chiens sont d’après moi les membres les plus intelligents du SSR, ils ne sont pas comme vous, ils attendent, je ne sais pas quoi, mais ils ne passent pas leur temps à se poser des questions sans réponse.

    Le Chef allume un nouveau cigare.

              _ Chère amie, ne vous méprenez pas, ici seuls les deux chiens et l’Agent Chad ont une dernière question, je vois à leur mine qu’ils n’osent pas, alors je le fais à leur place : l’Agent Chad retrouvera-t-il un jour cette jolie péronnelle qui répond au doux prénom d’Alice ?

              _ Jamais ! Maintenant je vous laisse, il y a tant de gens qui m’attendent pour mourir ! A croire qu’ils sont pressés ! Je vous dis à demain à 9 heures tapantes, j’aurai quelque chose à vous révéler.

    209

    Sur le bureau le Chef a installé une assiette de petits gâteaux pour ma part j’ai posé deux bouteilles de moonschine. Elle n’a même pas frappé, elle est apparue à neuf heures précises sur le fauteuil que j’avais avancé.

              _ Votre exactitude m’enchante Madame, je vois que vous n’avez pas la déplorable attitude de l’Agent Chad d’arriver en retard. J’ose espérer que vous avez passé une bonne nuit.

              _ Pas du tout il a fallu que j’aille mettre un peu d’ordre à Woodstock !

              _ A Woodstock ? Un festival ?

              _ Oui, les morts s’ennuient un peu, alors de temps en temps je leur permets de sortir, pas à tous. Je choisis. Mais là c’était mon chouchou, je lui passe tout ce qu’il veut, de son vivant Edgar Poe est l’être humain qui a le mieux compris le monde de la mort. Je lui en sais gré. Je lui ai permis de continuer à écrire, bref il a réuni près de trois millions d’admirateurs, des morts évidemment, venus l’écouter, il a lu sa dernière nouvelle Souvenirs du Monde des Vivants, une histoire horrible, les morts n’ont pas supporté le rappel des turpitudes qu’ils ont vécues, cela a déclenché une panique générale certains tentaient d’organiser un suicide collectif pour échapper à l’enfer du récit. Bref j’ai dû intervenir pour renvoyer tout le monde se coucher dans son cercueil. Je suis très fière d’avoir pu donner à Edgar Allan Poe dans le monde des morts le succès que le monde des vivants lui a refusé.

              _ Ah ! comme j’aurais aimé y être !

              _ Agent Chad arrêtez de dire des âneries, je pense que Madame est venue nous parler de géopolitique.

              _ En effet, je commencerai par corriger quelque peu ce que ce gros bêta de Gabriel a raconté hier, sa femme Ecila était une agente secrète russe retournée par les français. Les services français voulaient rapatrier des documents explosifs, de véritables bombes sur les agissements de leur gouvernement, ils m’ont demandé de les aider, vous comprenez la suite… Pour la petite histoire j’ajoute que les services russes ont au dernier moment rempli le cercueil d’annuaires téléphoniques… Ecila est restée en France mariée à ce gros benêt de Gabriel. Entre parenthèses sa fille tient de sa mère, à douze ans elle mène son père par le bout du nez, ce pauvre papa a de quoi s’inquiéter…

    Je voulus ajouter mon grain de ciel :

              _ Ainsi donc vous collaborez avec l’Etat français !

              _ Avec tous les états du monde. Les gouvernements sont de gros producteurs de morts, ils ont toujours une petite guerre à faire, je passe des accords avec eux, je trucide quelques opposants politiques, en échange ils activent un petit conflit à l’autre bout du monde. C’est du donnant-donnant, de la bonne politique.

    Le Chef alluma un Coronado, à son air je compris qu’il allait poser une question sensible :

              _ Et parmi les petits services entre amis, on vous a demandé de les débarrasser du SSR ?

              _ Oui, dans leur ensemble les présidents français n’aiment pas le rock’n’roll, ils voudraient même éradiquer le SSR qu’un de leurs lointains prédécesseurs a eu l’imprudence d’instituer pour s’attirer le vote des jeunes, ils jugent que c’est là un ferment d’anarchie et de déliquescence du pays, ils n’ont pas tout à fait tort, vous m’avez prise par surprise lorsque dans un épisode précédent de vos aventures vous avez envoyé un exocet sur la résidence de l’un d’entre eux, ce qui je vous le rappelle lui a ôté la vie. Méfiez-vous ils ne vous lâcheront pas. Voilà j’ai tout dit.

              _ Madame je vous remercie de vos informations, avant de nous quitter l’agent Chad aimerait vous offrir un verre de Moonshine.

    La fin de l’entrevue fut agréable. Nous parlâmes de tout et de rien, je dus rajouter deux bouteilles de Moonshine, la Mort tenait très bien l’alcool, ce whisky au venin de crotale de contrebande à quatre-vingt-quinze degrés, lui plut énormément. Alors qu’elle s’apprêtait à partir je lui en offris deux autres :

              _ Agent Chad je vous remercie de votre prévenance, en échange je vais vous faire un cadeau, non ne rêvez pas je ne vous rendrai pas votre Alice, juste une confidence. Je vous avoue que le rock ‘n’ roll est ma musique préférée, vos chanteurs sont toujours en train de convoquer la mort, ils portent des bagues à tête de mort, l’on en trouve sur pratiquement tous les pochettes. Voilà j’en ai trop dit.

    Elle s’apprêtait à se lever, le Chef ouvrit le tiroir de son bureau et prit la parole :

    • Madame, au nom du Rock’N’Roll je vous remercie, moi aussi Madame je tiens à vous offrir une babiole, je vous en prie restez assise quelques minutes et veuillez accepter ce cigare, un Mortalado N° 4, un délice, croyez-en un connaisseur.

    Et la Mort alluma un Coronado.

    Fin de l’épisode.