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  • CHRONIQUES DE POURPRE 638: KR'TNT 638 : BILL CALLAHAN / GRUFF RHIS / LEON WARE / DITZ /THE PEARLFISHERS / ROCKABILLY GENERATION NEWS / JEZEBEL ROCK / JOHN LANNY / PENITENCE ONIRIQUE / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 638

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    29 / 03 / 2024

     

    BILL CALLAHAN / GRUFF RHIS

    LEON WARE / DITZ / PEARLFISHERS

      ROCKABILLY GENERATION NEWS

    JEZEBEL ROCK / JOHN LANNY

    PRESENCE ONIRIQUE / ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 638

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

    L’avenir du rock

    - Smog on the water

    (Part One)

             L’avenir du rock n’en revient pas : ça fait la troisième fois en deux mois qu’il croise Jeremiah Johnson dans l’hiver rude du Colorado. Johnson arrête son cheval à dix mètres de distance. Toujours aussi peu avenant, la mine renfrognée, il lance, d’une voix qui résonne dans l’écho de la vallée :

             — Encore vous ? Vous vous croyez où ? Dans un western ? C’est pour éviter les pipelettes de votre espèce que je suis venu me réfugier dans ces montagnes ! Vous commencez à me briser le bollocking !

             — Oh cessez vos jérémiades, Jeremiah ! Je ne vais pas vous demander un autographe. Je suis simplement à la recherche de Buffalo Bill.

             — Ouais c’est ça, t’as raison... Buffalo du lac...

             Comme il n’a pas envie de poursuivre cette conversation débile, Jeremiah Johnson éperonne son cheval qui repart au pas. L’avenir du rock le salue d’un hochement de tête, mais lui dit, au moment où leurs chevaux se croisent :

             — Vous savez que vous avez un javelot planté dans le dos ?

             — Of course !

             — Voulez-vous que je vous aide à le retirer ?

             — Non, car les Crows, qui sont cons comme des bites, me croient mort, et comme ils sont encore plus radins que les fucking Cauchois, ils n’iront pas gaspiller un autre javelot. Sur ce, bonjour chez vous, Buffalo tous les râteliers !

             — Vous êtes drôlement Buffalo salé, Jeremiah, la solitude ne vous réussit pas. Vous avez du Buffalo dans le gaz !

             — Te fais pas de Buffalo Bill, pauvre dé-Bill !

             — Des Bill, des Bill, oui mais des Callahan !

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             L’avenir du rock est prêt à tout pour vanter les mérites de Bill Callahan, il peut même aller jusqu’à contrepéter avec Jeremiah Johnson au fond des montagnes du Colorado.

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             Se pourrait-il que le nouvel album du bon Bill Callahan soit l’un des plus beaux albums des temps modernes ? L’objet en question est une REALITY inversée qu’on lit YTILAER, avec le l’L, l’E et l’R à l’envers, enfin bref, le bon Bill s’est bien amusé avec son outil ‘miroir’. Les chansons de cet album sont quasiment toutes des merveilles, à l’image de «First Bird». Ce fabuleux chanteur sort un baryton plus profond encore que celui de Lanegan et s’en va taper dans sa lumière. Il swingue son chant dans des profondeurs mirifiques. Comme ses chansons sont longues, ça te laisse le temps d’entrer dedans. Et comme il gratte sa gratte à la dérive, son baryton dérive merveilleusement. Il rappelle que «Bowevil» vient du Texas et profite de cette occasion pour devenir insalubre. Il se débarrasse de toutes les règles - Looking for a/ Home - Il use et abuse des profondeurs abyssales de son baryton - Goddam Bowevil - Il fait du raga d’hypno avec «Partition», il va chercher un vieux groove de do what you do to qui semble dater du temps de Smog. Il aménage sa niche et c’est battu sec. Ils joue avec son baryton comme d’un instrument, il faut le voir swinguer «Naked Souls», il est magnifique et tranquille à la fois, il s’offre en prime une belle tempête de trompettes. Il montre une capacité extraordinaire à embarquer chaque cut aussi loin que possible. Ce bon Bill est le prince des horizons. Il amène «Coyotes» au classic drive de Smog, une belle merveille de yes I am/ Your lover man, il ondule dans sa romantica - As she grows older/ And older - Il crée des climats fouillés extravagants de modernité, il fouille sa voix dans des fouilles ambiancières d’une ferveur extrême. Il semble parvenu au sommet d’un lard unique, le lard Callahan. Pour lancer «Natural Information», il gratte les accords de Peter Green et ça part aussi sec en flèche dans l’Americana, Bill ne se bile pas, il fonce sur le meilleur chemin du monde, pas celui de Damas, mais le sien. Wow, quelle belle Information ! Il fouette le cul de l’Americana, laisse tomber les autres coqs de basse-cour, c’est le Bill qu’il te faut, c’est lui le cake - Talent + voice = Bill - Il est aussi bon que Jerry Lee et les trompettes reviennent embraser l’horizon. «Natural Information» est un véritable coup de génie. Avec «Planets», il t’emmène creuser dans sa mine du Kentucky, staring at the sky. Comme Bill est très profond, on l’écoute avec un immense respect.

             Bill Callahan, c’est aussi Smog. On voit tout ça dans le détail d’un bon Part Two.

    Signé : Cazengler, Bill Callagland 

    Bill Callahan. Reality. Drag City 2022

     

     

    Wizards & True Stars

    Dans les griffes de Gruff

    (Part One)

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             Il est marrant le Gruff : au lieu de publier une grosse autobio de 500 pages pour vanter les mérites de son génie pop, il se contente de lâcher dans la nature un petit graphic book intitulé Resist Phony Encores. Graphic car objet. Graphic car typo. Graphic car panneaux. Graphic car pictures. Objet énigmatique comme l’est parfois son lard Dada, que ce soit en solo à la Gruff Rhys ou dans la combine des Super Fury Animals, qui sont comme chacun sait, le secret pop le mieux gardé d’Angleterre. Les spécialistes te diront qu’il y a les Beatles puis les Super Furry Animals. Encore une fois, la pop anglaise est un art trop sacré pour être confié à des betteraviers. Rings Around The World est l’album que Brian Wilson rêvait d’enregistrer. On y reviendra.

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             Revenons à notre mouton. Comme le Gruff est un esprit libre, il ne foliote pas son graphic book. Tu te débrouilles avec on va dire une grosse centaine de pages libres comme l’air. Il explique rapidement qu’il éprouvait d’énormes difficultés à communiquer avec son public, alors il a trouvé l’idée des panneaux. Le titre du graphic book en est un. Quand tu l’ouvres à la première page, tu tombes sur un gros «FUCK OFF EVERYONE», avec écrit, en tout petit, en dessous : «Please don’t», à quoi il ajoute : «That’s just the name of my fisrt band, translated.» Rassuré, on reste, et on poursuit la lecture. Il ne faut jamais perdre de vue que le Gruff est un Dadaïste contemporain. Il faut donc s’attendre à de bonnes surprises.

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             Il donne à la suite quelques éléments autobiographiques, confiant par exemple qu’en 1986, il monte Ffa Coffi Pawb avec son pote Rhodi Puw. Il a 16 ans et en profite pour «quitter l’école», comme il dit. Ffa Coffi Pawb veut dire «Everyone’s coffee beans» et les paroles sont en Welsh, c’est-à-dire en gallois. Le Gruff dit aimer l’espace entre les langues, mais il ajoute aussitôt que ce book traite de l’espace entre les chansons. Comme il a une chanson qui s’appelle «Valium», on tombe sur un panneau qui dit : «VALIUM YUM YUM»

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             Il parle des années 80 comme d’un «dark time pour beaucoup de gens», mais lui s’en sort bien car il bénéficie du confort et fait de la musique. Il dit bien vite son admiration pour les Beatles : «Même si je ne vivais pas à la même époque que les Beatles, au moins, je partageais le même espace. Quand Lennon fut dégommé, j’avais dix ans et les jours suivants la télé rediffusait les films des Beatles, ce qui cimenta ma passion pour la composition de chansons mélodiques.» Puis il commence à franchir la frontière du Pays de Galles pour aller voir des groupes sur scène, «des groupes qui semblaient maintenir la tradition mélodique en la transcendant : Spacemen 3, My Bloody Valentine et The Jesus & The Mary Chain. Aucun de ces groupes ne communiquait avec le public, et je trouvais ça très rafraîchissant.» Il se raccroche à cette idée. Tout ce qu’il veut, c’est composer et chanter ses chansons. «Je n’étais pas très doué pour les relations sociales, je ne savais pas m’exprimer clairement ou regarder un public dans le blanc des yeux, et ça ne m’intéressait pas d’avoir à demander aux gens s’ils passaient un bon moment.»

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             Ffa Coffi Pawb splitte au bout de 7 ans et 3 albums, et le Gruff repart à l’aventure avec les Super Furry. Il embarque le beurreman de Ffa Coffi Pawb Dafydd Isuan, et ses copains de Cardiff Huw et Guto. Le Gruff se retrouve «fronting a rock band that had golden discs, le public était nombreux et je sentais que je devais trouver un moyen de lui transmettre les informations logistiques.» Lors du 4e show, il emprunte à Bruce Nauman le slogan suivant : «PAY ATTENTION MOTHERFUCKERS.» Mais il sent bien que le ton de sa voix n’est pas assez ferme. En 1995, les Super Furry se déguisent en pandas. Et petit à petit, le Gruff va développer sa tactique du panneau. On tombe sur une photo de Buf brandissant le panneau «RESIST PHONY ENCORES», inspiré d’un poster irlandais de lutte contre l’impérialisme britannique, «RESIST BRITISH RULES». Puis ça va dégénérer en «RESIST VONDA SHEPARD», «a MOR piano balladeer» qu’il soupçonne d’être la partie visible d’un iceberg des piano balladeers qui allaient détruire la musique. Une menace pour ce qu’il appelle la pop civilisation, mais il regrette d’avoir été aussi loin, alors il lève son verre à la santé de Vonda Shepard et à celle des «pataphysical studies students at the Normal College, I’m sorry, what the fuck was I thinking?». Et bien sûr, en face du texte, tu as la photo de la belle Vanda machin.

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             Quand il joue à Londres, il provoque des malaises avec le panneau «TAX THE RICH». Effectivement, une partie de son public fait partie des privilégiés. Il le brandit aussi sur scène un soir où il accompagne McCartney. Une photo montre la stupéfaction de McCartney. À l’occasion d’une collaboration au Brésil avec le hippie portugais Tony da Gatorra - a slow-burning artist - le Gruff aligne une série de panneaux sur le thème : «WHAT CORRUPS MY COUNTRY» : «VIOLENCE», «HYPOCRISY», «IMPUNITY», «EGOISM», «COWARDS», «TRAITORS», «CAPITALISTS». Et comme il joue de plus en plus à l’autre bout du monde, le Gruff est obligé de faire des panneaux en caractères chinois ou japonais. Il fait évoluer sa technique vers l’allemand, le français et d’autres langues européennes. Et comme au fond il n’a pas grand-chose à dire, il remplit la fin du book de doubles en forme de panneaux. Il a même un camion avec le panneau géant : «NO PROFIT IN PAIN». S’il veut une franche participation du public, il sort le panneau «WHOA!».    Et comme il perd ses panneaux d’un concert à l’autre, il fait refaire le «WHOA!» qui devient accidentellement «WOAH!». Il a même eu un «WOHA!» au Connecticut. Les panneaux vivent leur propre vie. Il termine avec un panneau «THANK YOU!», suivi à la page suivante d’un panneau «GOOD NIGHT!». On sort de ce book ravi. On n’en attendait pas moins d’un mec comme lui.

             Avant d’aller plonger dans le lagon magique des Super Furry, on peut s’arrêter un instant sur l’actu du Gruff. C’est une actu replète, qui se tient bien à table.

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             On ne s’ennuie pas un seul instant à écouter The Almond & The Seahorse (Original Soundtrack), un joli double album tout juste sorti des cuisses de Jupiter. Depuis le temps béni des Super Furry, on sait qu’il s’est spécialisé dans la petite pop entraînante. Il continue de gambader au long de son petit chemin de fortune poppy poppah, avec parfois une volonté d’hypno pas assez affirmée («People Are Pissed»). On peut qualifier son lard de petite pop métronomique, en tous les cas dans ce nouvel opus qui grouille de puces. Par contre, il tourne mal avec «Layer Upon Layer», car on croit entendre Etienne Daho. La honte ! On B, on va sauver la fast pop de «Sunshine & Laughter Ever After». Il est à l’aise dans tous les râteliers. C’est un brillant pique-assiette. Il drive sa fast pop au hard beat turgescent. Voilà la petite merveille tant convoitée : «Liberate Me From The Love Song». Il sonne comme les Tindersticks, c’est puissant et beau. Il repart de plus belle en C avec «I Want My Old Life Back». Il reste le magic man que l’on sait. Encore de la belle pop avec «Dance All Your Shadows To Death». C’est sa façon d’installer sa tente dans le pré-carré. Quant à la D, c’est de l’instro. Il pianote son «Toni’s Theme» au clair de la lune.

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             Le dernier bim-boom du Gruff vient de paraître. Il s’appelle Sadness Sets Me Free. On se précipite. On cherche les truffes du groin. Tiens en voilà presqu’une, le morceau titre d’ouverture de bal. Le Gruff y fait son crooner, il y va au «Dead Flowers» - C’mon set me free now/ My vain & selfish way - Il frise la Stonesy d’you can send me dead flowers for my wedding. On retrouve la griffe du Gruff qu’on aime bien. Puis il va continuer de faire du croon de Gruff, il sait envoûter une voûte, il propose une belle pop de petit mec confirmé. Maintenant il n’a plus rien à prouver. On aimerait simplement voir poindre un tout petit brin de magie Super Furry. Mais ça ne décolle pas. Il cherche à renouer avec le Super Furry, alors il groove à la surface des choses. On comprend soudain qu’on ne trouvera pas de truffes dans cet album. Quand ça stagne sur 5 cuts, c’est pas bon signe. Il fait une petite samba avec «They Sold My Home To Build A Skyscrapper». Plus entreprenant, ce mec a des assises, mais ça reste en plan. Son «Cover Up The Cover Up» est l’hit de l’alboom, mais ça ne griffe pas. Il redevient doux comme un agneau avec «I Tendered My Resignation», on le voit chercher à créer du climax mélodique, il frime un peu, il cherche des effets, mais il ne les a pas. Il est en perte de vitesse. Il reste dans une espèce de petite pop et chante d’un ton complice, mais il ne parvient pas à la transcender comme au temps des Super Furry. Sa pop est relativement agréable, mais loin d’être déterminante. C’est un peu comme s’il se mettait en retrait, comme s’il craignait de se brûler des ailes qu’il n’a plus. On s’ennuie à mourir de chagrin sur ce faux bel alboom. 

    Signé : Cazengler, Rhys orangis

    Gruff Rhys. The Almond & The Seahorse (Original Soundtrack). Rough Trade 2023

    Gruff Rhys. Sadness Sets Me Free. Rough Trade 2024

    Gruff Rhys. Resist Phony Encores. Hat & Beard, LLC 2020

     

     

    Inside the goldmine

     - Ware house

             Des quatre contremaîtres de maintenance, Monsieur Léon était le plus attachant. Pourquoi ? Sans doute à cause de son perpétuel air de bonhomie, cette bonté discrète qu’on croise si rarement dans le regard des hommes, surtout à notre époque. Monsieur Léon était un gros bonhomme ventripotent coiffé d’une casquette à carreaux, vêtu d’un bleu de travail rapiécé, qui se déplaçait lentement, un mégot toujours collé au coin des lèvres, allumé ou éteint. Et puis il y avait ce regard espiègle, toujours un peu en coin et ce sourire de petit garçon qui contrastait tellement avec son allure d’homme usé par le travail et le manque d’argent. On l’avait nommé contremaître car il savait conduire les chantiers de maintenance des turbines. Il les connaissait depuis leur naissance, il savait caler un rotor dans ses coussinets, il savait mesurer l’effort de serrage des boulons, il avait pour ce genre de mécanique des mains de magicien. Oh il fallait voir ces grosses mains ! Cœur battant de l’unité de production, la salle des turbines était aussi son domaine. Il ne semblait vivre que pour les arrêts. Il assistait à l’ouverture des carters qui pesaient plusieurs tonnes et avec un sourire encore plus appuyé qu’à l’ordinaire, il commençait l’inspection des zones d’usure. Les ingénieurs envoyés par le fabriquant écoutaient attentivement ses remarques. Ils savaient que Monsieur Léon avait une relation fusionnelle avec ces énormes machines et jamais, en quarante ans de carrière, il ne s’était trompé dans ses diagnostics. Son expertise en matière de maintenance avait dû rallonger considérablement la durée de vie de ces turbines. Et puis un jour, le directeur de production demanda un arrêt d’urgence. Ordre fut donné à tous d’intervenir dans un planning très serré, car les temps d’arrêt coûtaient une fortune. La première équipe devait intervenir de nuit. Arrêt des turbines, chute de la pression, puis ouverture de l’échangeur et pour finir ouverture des carters. Monsieur Léon attendait qu’on ait ouvert l’échangeur pour lancer le démontage des carters. Une équipe démontait les boulons de l’énorme échangeur horizontal, et au moment où tombaient les derniers boulons, le couvercle s’écrasa au sol, propulsé par un gigantesque geyser de vapeur brûlante, schlllooooffff, Monsieur Léon qui se trouvait là fut ébouillanté sur le coup, il avança en titubant vers la passerelle de sortie, bascula comme un gros sac par-dessus la rambarde et s’écrasa au sol six mètres plus bas, splllaaashhh ! Il gisait sur le dos, rouge comme une écrevisse ébouillantée, la peau du visage et des mains en lambeaux. Son sourire si prodigieux était devenu une grimace atroce.

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             De toute évidence, Leon Ware a eu plus de chance que Monsieur Léon. Ils n’ont de commun que trois petites choses, le nom, la bonhomie et d’une certaine façon, la légende. Sous son petit chapeau, Leon Ware était devenu une sorte de Monsieur Léon en black, pas en rouge.

             Légendaire, oui, car Leon est un petit black de Detroit qui a démarré avec Lamont Dozier dans les Romeos. Comme Doz, il a un peu fricoté chez Motown avant de voler de ses propres ailes pour aller fricoter avec d’autres géants, Ike & Tina Turner, Donny Hathaway, Minnie Riperton et des tas d’autres. Leon fut ce qu’on appelle un artiste complet, c’est-à-dire qu’il est à la fois auteur-compositeur, producteur et interprète, une sorte d’équivalent black de Tonton Leon, l’autre, le Russell. Inutile de préciser que tous les albums de Leon Ware sont chaudement recommandés.

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             Tiens, on va écouter le premier, l’album sans nom, Leon Ware, paru en 1972. Tu tombes sous sa coupe dès «The Spirit Never Dies», un fantastique groove de Soul, et là, t’es content du voyage. Groove sublime, Leon te roule dans sa farine de satin jaune pour une Beautiful Song de Soul. Puis il claque une fabuleuse Soul d’Able avec «Able Qualified & Ready». Quelle énergie ! Il te met les sens en alerte maximale, il a derrière lui les backings demented de Clydie King, Jessie Smith, Patrice Holloway, Julia Tillman et Maxine Willard. Leon est un fantastique artiste, il rôde bien dans la Soul, il chante son «Why Be Alone» à la cantonade. Il passe au heavy groove d’allure supérieure avec «Mr Evolution», il cultive son groove à la folie, il est dans l’excellence dès les premières mesures, et quand on écoute «Nothing’s Sweeter Than My Baby’s Love», on comprend qu’il ne vit que pour le smooth de sweeter, Leon est incroyablement attachant, on ne le quitte plus des yeux. Tiens, encore une clameur de groove supérieur avec «What’s Your World». Comme le fit Marvin, il arrose le monde, il navigue dans les mêmes eaux. D’ailleurs, Leon a produit l’I Want You de Marvin. Il attaque «It’s Just A Natural Thing» à la grandeur d’âme, avec les folles derrière. Elles te plombent ça vite fait et Leon charge la barcasse jusqu’à la fin. Il termine cet album faramineux avec «Tamed To Be Wild», il drive sa diskö-Soul sous le boisseau, il chante aux accents perçants de l’extrême blackitude et grimpe sur la barricade. C’est énorme !  

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             Dans Record Collector, Paul Bowler consacre la rubrique ‘Engine Room’ à Leon Ware. Il le sacre d’entrée de jeu «master of sensual Soul». Il le situe dans les parages du Marvin, et va d’ailleurs produire I Want You et en composer tous les titres. Bowler parle aussi d’erotically charged, silky-mouth brand of Soul qui allait inspirer Sade et la fameuse vague neo-Soul. En fait, Leon Ware lançait les carrières des autres, préférant rester dans le background. Un peu comme Allen Toussaint, Van McCoy ou encore Sam Dees. Et puis un jour, il voit son copain Lamont Dozier rouler en Cadillac, alors il se dit qu’il pourrait lui aussi en avoir une, after all.  

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             Bon alors, tant qu’on y est, on peut aller écouter Musical Massage, paru sur Gordy en  1976, la même année qu’I Want You. D’ailleurs, Bowler dit que si on veut entendre la version d’I Want Your par Leon Ware, c’est Musical Massage -Bedroom focused lyrics and slick Soul sonics - Quand Berry Gordy entend les maquettes de l’album, il demande à Leon de le filer à Marvin et Leon refuse. En guise de punition, l’album sort sans promo et Leon est dévasté de chagrin. Commençons si tu veux bien par les coups de génie, «Share Your Love» et «Phantom Lover». Ce sont des hits. Share your love, clame Leon en plein émoi, c’est fabuleusement profilé sous le boisseau d’un groove mirifique, les petites pointes de vitesse soulignent l’urgence du groove et au loin planent les nappes de violons. Leon aurait-il inventé groove liquide ? Comme d’habitude, la réponse est dans la question. «Phantom Lover» sonne encore comme l’un des meilleurs grooves de l’univers. La pureté groovytale de Leon te confond. Il ne te roule plus dans sa farine, mais dans la ouate. Globalement l’album sonne comme l’un des albums de Marvin à l’âge d’or : nappes de violons et percus. Leon délie «Learning How To Love You» au doux de menton. Sur «Instant Love», Minnie Riperton duette avec lui. Il muscle un peu son groove pour «Holiday», c’est excellent, chanté au lâcher de ballons, ça tourne au petit chef-d’œuvre de good time music. Avec «Journey Into You», tu entres dans le territoire de Leon. Il est soft au-delà de toute expectitude. Tu as l’impression de remonter le courant en sa compagnie. Son «French Waltz» renvoie aux films français, Les Choses De La Vie ou encore Un Homme Et Une Femme, et avec «Turn Out The Light», ce petit coquin de Leon veut éteindre la lumière. Aurait-il une idée derrière la tête ? 

             C’est après Musical Massage  que Leon quitte Motown.

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             Après un mauvais départ et une série de trois cuts ratés, Inside Is Love s’impose avec un coup de génie nommé non pas Wanda mais «Club Sashay». Leon amène ça comme un groove de Marvin et tu entres dans le vrai monde, celui du groove qui balance par-dessus les toits, et des chœurs de filles te pavent le chemin de bonnes intentions, it’s alrite, Leon tombe dans la démesure. Il est partout à la fois, dans le chant et dans le groove. Autre magic cut : «Small Café», big groove sentimental, typique de Leon, c’est un slow groove de rêve finement joué au violon tzigane, il te l’élève au bon niveau et ça finit par violonner à outrance. La troisième merveille de cet album s’appelle «On The Island», et Leon fonce dans le tas de l’exotica, il crée du rêve et des grands espaces, il fait du technicolor à l’état pur, il est capable d’ouvrir de grands espaces, c’est la raison pour laquelle on le suit à la trace, ici tout est knockouté à l’extrême de la Soul du bonheur, merci Leon de nous amener on The Island et de nous donner autant de joie.

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             Comme beaucoup d’autres grands artistes, Leon a connu sa petite période Elektra, oh pas longtemps, le temps de deux albums, Rockin’ You Eternally, en 1981 et un album sans titre l’année suivante. Tout ce qu’on peut dire, c’est que Leon a du génie. La preuve ? Elle est dans l’enchaînement de quatre cuts, «Sure Do Want You Now», «Our Time», «Rockin’ You Eternally» et «Got To Be Loved». Son fonds de commerce est le slow groove de Soul en forme d’entrelac de jouissance. Il ne chante pas, en réalité, il touille la magie. Avec «Our Time», il explore le Pôle Nord de la Soul, il affronte les vents, Leon tu le suis partout, même au Pôle Nord, il a de la Soul plein le Time. On prie sincèrement pour qu’il se calme, trop de génie tue le génie, c’est bien connu mais avec «Rockin’ You Eternally», il déploie de telles ailes d’ange qu’il en devient définitif, il te plonge dans un bouillon de Soul, Leon te retourne comme une saucisse dans sa friteuse de magie bouillonnante, il fait une Soul de sorcier, ça wave dans la Warehouse, ça explose littéralement de magie. Et ça continue avec «Got To Be Loved», il monte au chant supérieur de la Soul des temps modernes, il faut le voir prendre de l’élan, quel spectacle, I don’t care, il maîtrise bien la situation et il resurgit à coup d’I don’t care ! Il boucle cet album effarant avec «In Our Garden» et développe aussitôt une nouvelle vague de magie incommensurable, il te la travaille au mieux du Ware System, avec des coupes psychédéliques, mais il revient au chant pour t’exploser la conscience, au so far out, il est l’égal de Marvin Gaye et des plus beaux groovers d’Amérique. Jamais vu ça ! Quand tu écouteras l’«A Little Boogie (Never Hurt No One)», tu verras, tu seras accueilli par un déluge de son. Ça te tombe dessus. Leon ne plaisante pas. Il va très vite. C’est un fonceur. Son Little Boogie est plein comme un œuf, on n’y rentre rien d’autre.

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             Le deuxième Elektra est nettement moins dense. Le hit de cet album sans titre s’appelle «Why I Came To California» : ambiance diskö-pop avec un arty funk de bass dans le dos et des petites gonzesses aux backings et ça tourne vie au big biz, mais un big biz de super good time, et ça vire groove des jours heureux. Il faut suivre Leon pour ça, pour les jours heureux. Leon est un artiste fantastique, il est deeper than love comme le montre le cut du même titre, et puis avec «Cant I Touch You There», il veut la toucher, alors il entrelace sa colonne du temple à l’entrelac de la Soul grimpante. Il sait aussi te susurrer sa Soul de satin jaune dans le creux de l’oreille, comme le montre «Words Of Love». On le voit aussi se fondre dans un «Shelter» extraordinaire - She’s my shelter - et avec «Somewhere», il duette avec une poule qui est pas mal, car elle sait roucouler au sommet de la Tour Eiffel.

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             Paru en 1987, Undercover sonne comme un passage à vide. Le blue velvet de Leon est d’une douceur parfaite, mais un peu monotone. Il cultive une sorte de grande délicatesse sexy, il caresse le duvet de la peau de pêche et fait durer le plaisir. Leon est un orfèvre, toute sa glotte humide est impliquée. Avec son rythme, le graphisme de la pochette et tout le saint-frusquin, Undercover est un album typique des années 80

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             Taste The Love est un pur album de sexe. Leon te fourre la tête entre les cuisses de Jupiter dès «Come Live With Me Angel». Leon se polit bien le chinois, il adore le sexe. Sa musique suinte, elle goutte de scum. Mais du bon scum bien blanc de black God. Il va t’engrosser des juments, patron, oh oh, fais confiance à Leon, il a ça dans les reins. Encore du sexe avec «Feel Your Love», au doux du groove de feel your smile in your hands, et puis toujours plus de sexe avec «Can’t Stop Love», il descend de sa montagne, vêtu de rien, I see you, il administre ses sacrements, Leon est un dieu nuageux. Du sexe encore dans le «Taste Of Love» de fin de parcours, chanté à l’ouate de Marvin, time is right. C’est écrit au dos : «Every song is prepared with our main ingredient, LOVE. Bon appetit.» On le voit aussi aller et venir entre les reins du groove avec «Meltdown». Il ne fait que des cuts longs, jamais moins de 4 minutes. Avec «Cream Of Love», on s’attend au pire. Puis il vire légèrement Brazil avec «Telepathy». Un solo de sax vient lisser tout ça. Merci Leon pour cette embellie. Et puis il se produit un phénomène bizarre avec «Musical Massage» : le cut s’arrête quelque part au siècle d’avant, au milieu des terres, il chante parmi les patrons blancs, il suspend son chant.

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             Le pianiste Don Grusin accompagne Leon sur Candlelight. C’est donc un album de jazz.  Le piano jazz album de Leon. Il faut tout de suite se jeter sur «Red Top», car quelle effervescence ! Ça joue au piano jazz avec la stand-up. Fantastique ! Le stand-up man s’appelle Brian Brombey. Il fait son Charlie Mingus. Il joue le mystère du round midnite, il pulse bien le jazz d’after-hour et Leon revient au chant comme la vague sur la rive. L’autre temps fort de l’album s’appelle «How Insensitive». Le guitariste s’appelle Oscar Castro-Neves et il nous joue le groove du Brazil pur, logique puisque c’est signé Carlos Jobim. Belle exotica, Leon s’y fond. Ils tapent aussi une version de «My Funny Valetine». Rien de plus pur. Leon vise un absolu de pureté. On parlait du loup, le voici : «Round Midnight», fabuleux hommage à Monk, mais c’est trop jazz pour un groover comme Leon. En même temps, on sent bien dans ses autres albums qu’il est trop évolué pour la pop. Brombey revient groover «Misty» au heavy groove d’I get misty. Ça joue au fond du club, là-bas, dans la fumée bleue, ils tapent un «My Foolish Heart» assez éperdu, pas loin de Liza Minnelli, lorsqu’elle souffre dans New York New York. Ça ne tient qu’à un fil de piano pur. Et puis avec «Let Go», Leon fond comme le chocolat dans la casserole. 

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             Malgré sa pochette romantique, Love’s Drippin est un bon album. L’extrême qualité du groove de Leon te monte au cerveau dès «All Around The World». Leon gère son monde fabuleusement groovy. Il enchaîne avec «Underneath Your Sweetness», bon d’accord, il groove à la mode, mais Leon est un winner, alors il winne, et comme il va toujours chercher des noises à la noise, ça finit par le rendre génial. Il travaille son groove dans la matière de la Soul, et comme Marvin, il ouvre des horizons. Il laisse filer son groove céleste dans l’azur marmoréen. Il passe au sexe avec «Saveur», il déclenche des machines organiques et des dynamiques impavides, tout est bien foutu chez Leon. Il reste dans le sexe avec «Breathe On Me». On pourrait presque parler de groove direct, c’est aussi direct que de mettre la main au cul d’une allumeuse. D’ailleurs, dans «Is It Drippin’ On Yourself», il se demande si ça goutte sur elle, ooooh baby. Il file le parfait amour avec le charme chaud d’«I’m Ooin’ You Tonight» (sic). Leon est un expert sensoriel, il chante à la glotte de velours mauve. Si on l’écoute, c’est pour des raisons précises, il faut bien l’avouer. Parfois, ses cuts sont un peu gluants, enfin, il fait comme il veut, il est chez lui, inutile de l’embêter. Il attaque son «Finger Party» à la Marvin, mais c’est avec «Hands On My Heart» qu’il rafle définitivement la mise, et pire encore, il t’embobine. C’est violemment lourd de conséquences, on pourrait même parler de dérive abdominale d’éternité parallélépipédique, de boîte oblongue de groove de Poe, Leon travaille sa sauce à l’infini thaumaturge, son groove te caresse les côtes, voilà une Beautiful Song parfaite, le must de maître Leon.

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             Une chose est sûre : tu n’écoutes pas les albums de Leon en cinq minutes. Le meilleur exemple est sans doute Moon Ride. Tu ne prends pas l’album au sérieux à cause de la pochette. Quoi ? Une bagnole américaine ? Oui, mais attention, Leon ne fait jamais de tout-venant. Comme l’album sort sur Stax, ça démarre dans la Soul et un léger parfum de diskö-funk et il faut attendre «Just Take Your Time» pour voir Leon prendre sa mesure. Il susurre dans la chaleur de ton cou, relaxsssss, il te séduit au kisssing you baby, il a très bien compris que tout tournait autour de ça, relax your mind, et derrière tu as une guitare jazz qui groove entre tes reins. On le voit tâter de l’océanique avec «Loceans» et se battre avec la Soul dans «I Never Loved So Much», mais comme Russell Crowe dans Gladiator, il se bat pour la victoire. Il renoue avec Marvin dans «To Serve You (All My Love)», il le rejoint aux jardins suspendus du firmament, c’est extraordinairement bien chanté, Leon et Marvin, même combat ! Puis il amène «Soon» à l’espagnolade et redevient le temps d’un cut magique le puissant seigneur de l’ombre que l’on sait, le roi du groove d’exotica de jazz interlope. On le voit ensuite naviguer à la surface d’«A Whisper Away», un coconut groove jazzé au piano. C’est encore de la magie pure, il fluctue dans l’entre-deux, il est fabuleusement liquide, dans la lignée de Marvin, il tient son monde dans le creux de ses mains, un monde gorgé de finesses, de piano jazz, de percus et de stand-up, tout est porté au summum, comme béni des dieux. Il plonge encore une fois dans le lagon avec «From Inside». Au-dessus de Leon et de Marvin, il n’y a plus rien. Il finit cet album miraculeux avec «Urban Nights», il y ramène encore une jazz guitar et des chœurs de soubassement. Tout est surchargé de trésors sur cet album. 

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             Paru sur le tard, Rainbow Deux pourrait bien être l’album - le double album - de sa consécration. Leon l’attaque d’ailleurs avec l’heavy-oh-so-heavy «For The Rainbow», dominé par le bassmatic d’un nommé Stephen Bruner. Le festin se poursuit en B avec «The Darkest Night», deep dark groove de dark-oh-so-dark night, rien de plus deepy dark ici bas. Il passe à la sensualité avec «Surrender Now», d’ailleurs, à l’intérieur du gateford, il signe : «The Sensual Minister, aka Leon Ware». Puis il nous emmène au paradis de la good time music avec «Summer Is Her Name». Retour aux énormités en C avec «Are You Ready» et il passe au heavy groove de samba avec «Samba Dreams», il injecte carrément de la heavyness dans le lard de la samba et c’est énorme. Avant Leon, personne n’avait pensé à le faire. Cette course paradisiaque s’achève en D avec «Let’s Go Deep» (le courant file à travers lui, comme s’il était fait de cuivre, il vibre et il chauffe) et l’heavy-oh-so-hevy exotica de «Wishful Thinking». On croit entendre Marvin accompagné par les congas de Congo Square !

    Signé : Cazengler, Leon Whore

    Leon Ware. Leon Ware. United Artists 1972

    Leon Ware. Musical Massage. Gordy 1976 

    Leon Ware. Inside Is Love. Fabulous 1979

    Leon Ware. Rockin’ You Eternally. Elektra 1981

    Leon Ware. Leon Ware. Elektra 1982

    Leon Ware. Undercover. Sling Shot Records 1987

    Leon Ware. Taste The Love. Expansion 1995

    Leon Ware. Candlelight. Expansion 2001

    Leon Ware. Love’s Drippin. P-Vine 2003

    Leon Ware. Moon Ride. Stax 2008

    Leon Ware. Rainbow Deux. Be With Records 2019

    Paul Bowler : The Engine Room/ Leon Ware. Record Collector # 531 - May 2022

     

     

    Auto Ditz

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             Ditz ? Parlons-en. Contrairement à ce qu’indique le titre, Ditz n’a strictement rien d’automatique. L’auto Ditz n’est en réalité qu’un clin d’œil à Otto Dix. Mais tiens, le hasard fait bien les choses, car par le son, Ditz rejoint Dix. Dix se fout des perspectives et Ditz aussi. Dix concasse et provoque, Ditz aussi. Dix déforme, Ditz aussi, Dix sublime la laideur, Ditz aussi. Dix trempe ses pinceaux dans la putréfaction des tranchées, Ditz aussi. Dix catalyse la barbarie, Ditz aussi. C’est dire si Dix et Ditz vont bien ensemble.

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             Ditz ? Scène de Brighton. Vazy ! On en bouffe, du Brighton : Ciel, Squid, Wytches, il en pleut comme vache qui pisse, et maintenant Ditz, avec un son Dixien concassé et d’une ampleur considérable, même si ça rôde aux frontières de la Post. Alors on débarque au concert avec les oreilles vierges, histoire d’explorer une zone inconnue. On sait juste pour avoir vu une photo dans le programme qu’ils ne sont pas très beaux et qu’ils ont une chanteuse qui n’est pas sexy non plus. D’ailleurs, tiens, la voilà, elle débarque sur scène, une grande rouquine en petite robe noire, chaussée de bottes noire à très grosses semelles. Elle arpente la scène en attendant que les autres finissent d’accorder leurs grattes déjà accordées. Elle n’a pas l’air commode, elle marche un peu comme un docker du Havre, on voit son dos nu et ses cuisses musclées. Pas trop de tatouages, un de ci de là, derrière la cuisse et sur le bras. Elle est rousse, coiffée vite fait, pas de bijoux. Quand elle commence à chanter, elle le fait avec une voix de mec. Elle a même une voix superbe, bien grave, bien décadente, et elle mène le bal. On découvrira un peu plus tard qu’elle s’appelle Cal, diminutif de Callum. Cal mène un sacré bal des vampires, Ditz tape aux portes de la démesure, deux grattes, un gros bassman hyper-présent, un beurre du diable, et ça ira ça ira les aristocrates à la lanterne. Le guitariste du fond à droite n’a pas d’image, par contre celui qu’on sous le nez à gauche est un petit chétif avec de faux airs de Ian Curtis. Ces deux mecs bâtissent des décorums pharaoniques, un peu à la manière de Greg Ahee, l’artificier en chef de Protomartyr. Il faut bien dire que le début du set est un peu laborieux, mais au fil des cuts, la pression et la température montent, et ça finit par t’exploser la calebasse, avec un son dru d’emporium en flammes, dans une quête constante d’apocalypse selon Saint-Jean, ils rivalisent d’élan cathartique avec le Pandemonium de Killing Joke, et Cal s’en va marcher sur la foule, comme une sorte de trave christique sorti d’une toile mortifère d’Otto Dix. Tu vois la mort et la décadence marcher à la surface d’une petite foule, c’est un drôle de spectacle. Heureusement qu’il est allé de l’autre côté. Pas facile d’imposer un spectacle aussi ahurissant dans une région comme celle-ci. Les Normands n’ont pas pour habitude d’aller reluquer sous la jupe d’un trave.

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             Ce mec est un fantastique showman, qui, entre deux crises apoplectiques, s’adresse aux gens d’une voix délicieusement désabusée. Il se pourrait que Cal Davis soit une rockstar en devenir. Difficile, car il s’élève à la force du poignet, sans le secours d’aucune mélodie, il n’a qu’un son âpre et ingrat à nous mettre sous la dent, alors on doit s’en contenter. Ditz est un groupe qui n’aura jamais de hit, car leur rock vise trop l’aventure de la marge. Ils développent une énergie comparable à celles d’Idles et de Protomartyr. Leur ambition paraît évidente et démesurée, mais leur concept reste strictement anti-commercial. Et malgré tout ça, ils ont deux cuts qui tapent vraiment dans le mille : «Instinct», qu’ils jouent vers la fin du set, et l’explosif «No Thanks I’m Full» qui clôt à la fois le set et leur album The Great Regression, un titre qui, au passage, sonne très Dixien.

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             Cal te chante «Instinct» dans le creux du cou, l’haleine chaude et profonde, tu adores cette proximité et derrière, c’est fabuleusement orchestré, et tellement explosif que les immeubles s’écroulent, ils tapent dans l’apanage de la fin du monde, ils mettent un point d’honneur à battre tous les records d’apoplexie. Mais c’est avec «No Thanks I’m Full» qu’ils te laissent sur ta faim, avec une fin de set comme on en voit peu, ils optent pour une violente intro Post-hardcore et le Cal entre immédiatement dans le chou du lard, il pose sa voix dans l’enfer des tranchées d’Otto Ditz, c’est puissant, bien déroulé, gorgé de power, la version enregistrée est à la hauteur, tu peux y aller si tu aimes l’embrasement sonique, ils atteignent un niveau qu’on n’imagine pas, et ça se décuple, aussi bien sur scène qu’en studio, ils sont tellement dans le full blown que ça saute partout dans la cambuse du Docteur Mabuse, c’est drivé sec par le bassman et battu à la diable. Normalement, tu ne t’en remets pas. Ou alors très difficilement. Comme d’un méchant coup de poing dans l’estomac.

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             L’album s’appelle donc The Great Regression. Ils optent pour un visuel macabre, sous film plastique, qui rappelle The Thoughts Of Emerlist Davjack des Nice, à une autre époque.

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    Ils ont un son très anglais, très énervé, ils démarrent avec le gros ragnagna de la Post, «Clocks», et enchaînent avec un «Ded Wurst» amené à la grosse cocote de la Post. Ils visent le big atmo à Momo. On comprend que ce sont des cuts de chauffe, comme d’ailleurs lors du set. Un peu plus loin, on entend les chutes du Niagara de la Post dans «Three». Ils charpentent bien leur son, ces mecs ne mégotent pas sur la mortaise. Avec «The Warden», ils se font passer pour les maîtres de la dégelée Postale. Cal tient bien son rang d’égérie des annales. Il se prend ensuite pour Kate Moss dans «I Am Kate Moss», il joue beaucoup sur le calme après la tempête. Le Cal s’accroche au son comme la moule à son rocher. Ils ont des stridences d’attaques biseautées, comme dans «He He», mais ça devient riche avec ce chant de dark angel en robe noire. Tout est très chargé musicalement, le Kate Moss sonne comme une compression de layers, avec des trucs qui grattent dans le mix et des poussées de fièvre, et voilà qu’ils enchaînent à nouveau dans la douleur de la Post avec «Teeth», ils deviennent féroces et décuplent la violence de leurs crises. Ils finissent par rivaliser de démesure avec les Pixies. Ils développent un pouvoir totalitaire.    

    Signé : Cazengler, quoi qu’il en Ditz

    Ditz. Le 106. Rouen (76). 16 février 2024

    Ditz. The Great Regression. Alcopop! Records 2022

     

     

    Les Pearlfishers enfilent des perles

     

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             Pas la peine de tourner autour du pot : les Pearlfishers, c’est David Scott, un autre surdoué du rock anglais. Cet Écossais est aussi membre actif des BMX Bandits, l’une des grandes institutions écossaises. Pour mieux situer le Scott Scott, on peut le comparer à Paddy McAlloon : il cultive exactement la même perfection du lard fumant. Et c’est aussi la raison pour laquelle ses albums sont tous réussis. Le Scott Scott squatte le paradis depuis vingt ans.

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             Le premier album de Scott Pearlfisher s’appelle The Strange Underworld Of The Tall Poppies. Il date de 1997. Graphiquement, quasiment toutes les pochettes vont se caler sur la première : une simple image de la vie quotidienne cadrée sur un fond blanc. Ouverture de bal avec «Even On A Sunday Afternoon» et Scott met la main au Paddy. Même élan pop chatoyant. Une vraie merveille. Le Scott Scott condescend dans le cours du fleuve, it doesn’t matter. Il compose comme il respire, sans effort. Il remplit des albums entiers. Son «Banana Sandwich» éclate de fraîcheur, il est tellement plein d’élan vers l’avenir - Just feeling the sun in the snow - Encore plus puissant, voici «Waiting On The Flood», il swingue son floo-ooood et t’en explose la fin, fabuleuse fin d’explosivita en gerbes de génie prévalent. Encore de la heavy pop de Scott avec «Jelly Shoes». Il vise toujours l’horizon, avec la même ampleur que Paddy God, avec des montées en puissance herculéennes. Tous ses cuts sont puissants, il fait du ric et rac de Paddy Padirac, il ne lésine pas sur l’envergure, il s’adosse aux Everglades du forever et relance en permanence son relentless. Il ne se lasse plus d’élancer. Il joue son rôle de songsmith jusqu’au bout, il gratte les poux d’«Away From It All» avec du soleil plein la bouche, il est tellement convaincu d’avance !

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             The Young Picnickers pourrait bien être son album le plus affolant. À cause notamment de ce violent coup de génie, «Every Day I Read Your Stars» qu’il attaque au jingle jangle des Byrds. Là, tu affrontes le vent du rock extrême, le cut explose dans le ciel, tu n’en reviens pas, tu entends des clap hands et des contre-coups d’«Oh Happy Day», ça explose en gerbes, c’est sa spécialité, oui les retenues viennent d’Oh Happy Day, les tombées aussi, tu imagines un peu la grandeur de la cascade ? Et il monte encore au chant à coups d’I read your stars. Le Scott Scott est en passe de devenir l’un de tes meilleurs amis, avec Paddy Padirac et Brian Wilson. Alors attends, c’est pas fini. Écoute un peu «You Justify My Life». Ce ne sont pas des choses qu’on dit à la légère. Il enchante son Justify au chat perché, il yodelle dans le bonheur, il sonne comme une superstar, mais au sens fort du terme. Et puis tu as cette pop magique d’Écosse, «We’re Gonna Save The Summer», une pop impitoyable d’éclat mordoré, gorgée de références à Big Star et à Brian Wilson, en passant par Paddy Padirac et tous les anges du paradis pop, il te plug ça dans le Summer pur, ce mec explose de bonheur, c’est tout ce qu’on entend. Il trafique aussi «We’ll Get By» à la bonne mesure, ça prend vite de l’ampleur et ça devient stupéfiant d’excelsior parégorique. On écoute le Scott Scott avec un profond respect. Il déroule une œuvre d’une infinie délicatesse. Pour son morceau titre, il descend dans un groove à taille humaine. C’est très impressionnant, il dépote là un instro de fête foraine, il y a de la magie dans ses Young Picnickers. Quand il fait de la power pop («Once There Was A Man»), il sonne comme Martin Carr ou Paddy Padirac, c’est le même genre de gabarit impérieux. 

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             S’enfoncer dans le dédale des albums de David Scott, c’est une façon de se noyer dans l’excellence. Across The Milky Way est encore un album remarquable, dont le joyau s’appelle «We’ll Be The Summer». Bienvenue dans le domaine royal de David Scott. Il commence par te groover le bas des reins. Oh rien de sexuel là-dedans, il swingue sa pop avec panache et il emprunte les bah-bah-bah de Brian Wilson. «Steady With You» pourrait sortir d’un album de Paddy. Scottish Scott s’y livre à de prodigieuses accélérations. Sa pop peut être aussi évangélique et se montrer digne des Beatles (le morceau titre). Scottish Scott soigne sa droite. On attend que tombent les hits, comme au temps de Grandaddy. Tiens, en voilà un : «New Stars». Quand tu entends ça, tu sais où tu mets les pieds. Ses harmonies vocales éclatent au Sénégal d’Écosse. Il y a du Big Star là-dedans. Il attaque l’«I Was A Cowboy» à la Lennon et on s’effare de la qualité du sucre dans «Sweet William», mais aussi de la qualité de la prod, de la qualité de tout. Oui car tout sur cet album sent bon l’esprit. Il continue d’exploiter ses inépuisables réserves naturelles avec «Shine It Out». Il repart toujours à l’assaut, avec chaque fois la même grâce. Il rappelle parfois les grandes heures de Belle & Sebastian. Il tartine son «Where The Highway Ends» en contre-bas et il termine cet album idyllique avec un «Is It Any Wonder» salué aux trompettes urbaines. Il fait du pur Paddy, même voix, même sens aigu de la magie pop, celle qui filtre sous la toile du cirque. Te voilà donc avec un nouveau génie sur les bras. David Scott coule de source, comme Martin Carr, Brian Wilson ou encore Michael Head.

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             Continuons de voyager au paradis de la pop avec Sky Meadows. Il y rend un hommage qu’il faut bien qualifier de mythique à Todd of the pop : «Todd Is God». Ils sortent tous les deux de la même fontaine de jouvence. David Scott chante comme le Todd du temps de Something/Anything. Il démarre aussi l’album avec «Flora Belle» qu’il faut hélas qualifier une fois encore de coup de génie. Il l’attaque à la Paddy, il grimpe tout de suite à un très haut niveau d’intellect mélodique, te voilà conquis, amigo, inutile de résister, David Scott est un empereur génial, tu vas lui donner tout ce que tu possèdes, ta femme, les clés de ta bagnole, ta carte bleue, tes mots de passe sur internet, t’es content de lui donner tout ça en mains propres, tiens mon David, c’est pour toi, et en échange, il va te déverser des torrents de beauté dans les oreilles, alors tu peux te dire heureux d’avoir croisé son chemin. «Sky Meadows» est encore une fois du pur Paddy, David Scott suit la voix tracée par son maître. Même chose avec «My Dad The Weatherfan», ça tourne en pop de rêve à la McAlloon. David Scott s’amuse en permanence, il fait plaisir à voir. Avec «I Can’t Believe You Met Nancy», il te lèche les bottes, il t’abreuve dans le désert, il t’initie à l’harmonie d’un jour naissant. Il repart à la conquête de la perfection avec «Haricot Bean And Bill» qu’il arrose de big guitars et termine avec «Say Goodbye To The Fairground», qui semble aussi sortir du cerveau psychédélique de Paddy Padirac : même magie évanescente. C’est de l’extrême pureté pop, David Scott revient toujours à Paddy par la bande. 

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             Paru en 2004, A Sunflower At Christmas est un album heureusement beaucoup moins dense. Ça permet aux oreilles de se reposer. Le «Snowboardin’» d’ouverture de bal sonne comme une pop magique et automatique digne de celle de Brian Wilson : même élan vers l’éternité. Le Scott Scott monte bien ses éclats d’harmonies vocales. Et le «Winter Roads» qui suit est du pur Paddy. On se croirait sur Jordan: The Comeback. Même volonté de parcours initiatique. Et puis après ça se calme terriblement. Le Scott Scott tient néanmoins très bien sa maison. Ce n’est pas le genre de mec qu’on repasse à la pattemouille. C’est un maître de forge. Comme Totor, il fait son Christmas album.  

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             Par contre, ça chauffe terriblement avec Up With The Larks. Shindig! lui attribue 5 étoiles, ça les vaut largement. L’album grouille de puces, et ce dès le morceau titre, un shoot d’heavy power pop sur-déterminée. On se voit une fois encore contraint de parler de magie. Il s’agit là de sunshine pop révélatoire. Et ça continue avec «The Blue Bells», tu tombes dans le fleuve pour de vrai, tout est beau, les violons, le chant. David Scott, pur genius. Le Pearlfisher enfile les hits comme des perles, «Send Me A Letter» (heavy groove d’excelsior), «The Umbrellas Of Shibuya» (big Glasgow sound), «Womack & Womack» (il plonge dans la diskö de Womack & Womack, mais avec sa bravado de Glasgow, il met tout à sa main, comme le fait Martin Carr à Liverpool), «London’s In Love» (heavy balladif de sensation forte, il évoque les busy streets of London, c’est du si haut niveau ! Il éclate ça au chat perché, final explosif). Avec «Eco Schools», il va chercher la difficulté harmonique pour se l’approprier. David Scott est un effarant songsmith, il navigue au niveau des grands compositeurs américains de type Brian Wilson ou Jimmy Webb, mais avec le petit truc de Glasgow en plus. Il chante son «Blue Riders On The Rage» à la pointe de la glotte, au pur feeling. Cet mec est une authentique superstar. Il ne vit que pour l’échappée belle. Son «Ring The Bells For A Day» est heavy as hell, il monte ça aux harmonies vocales, tout est harponné là-haut. 

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             On retrouve de sacrés clins d’yeux à Paddy Padirac sur Open Up Your Coloring Book : «You Can’t Escape The Way You Feel» et «A Christmas Tree In A Hurricane». T’es baisé car te voilà obligé de te prosterner. Le Scott Scott règne sur la pop avec bienveillance. Rien de plus Padirac que le Christmas Tree, il chante ça avec le même grain de voix. Le hit de l’album s’appelle «Gone In The Winter». Il tombe le rideau. David Scott a une réelle autorité. Il est le roi de la grosse attraction. Il sait faire monter la sauce. Il sait aussi teinter sa pop de Soul comme le montre «Diamonds». Réflexe magique. Il fait sa fable de La Fontaine avec «A Peacock And A King». Il joue ça au piano et se montre une nouvelle fois délicieusement fondu de Paddy Padirac. Il travaille tout au corps sur cet album, tout est beau, sculpté dans le cristal. Scottish Scott est le Rodin du Paddy rock. Il semble naviguer dans l’inconscient collectif. Tous les cuts font six minutes. Il a besoin de temps pour se développer. Il poursuit la pop de ses attentions. Mais il ne se montre jamais pressant. Il est ardent, mais ne le montre pas. C’est un charmeur. Il sait qu’elle viendra à lui au bout de six minutes.

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             Son dernier album en date s’appelle Love & Other Hopeless Things. Il fait encore son Paddy au soleil d’Écosse avec «Could Be A Street Could Be A Street». Même power. Même imparabilité des choses. Même volonté d’épanouissement. All my life. Power pur ! Il passe en mode fast pop vampirique avec «You’ll Miss Her When She’ Gone», il survole le monde avec ses ailes de vampire génial à la Joann Sfar, il gratte ses poux avec passion. La passion, c’est ce qu’il faut retenir de ce mec. Magnifique encore, ce «You Can Take Me There» ponctué par des gonzesses intrusives. Il refait son Paddy avec «Once I Lived In London» et passe au heavy Pearl avec «One For The Bairns». Il se montre encore inlassable avec «I Couldn’t Stop The Tide». Du coup, tu t’en lasses plus.

    Signé : Cazengler, Pearl Harbour

    The Pearlfishers. The Strange Underworld Of The Tall Poppies. Marina Records 1997

    The Pearlfishers. The Young Picnickers. Marina Records 1999

    The Pearlfishers. Across The Milky Way. Marina Records 2001

    The Pearlfishers. Sky Meadows. Marina Records 2003

    The Pearlfishers. A Sunflower At Christmas. Marina Records 2004 

    The Pearlfishers. Up With The Larks. Marina Records 2007

    The Pearlfishers. Open Up Your Coloring Book. Marina Records 2014

    The Pearlfishers. Love & Other Hopeless Things. Marina Records 2019

     

    *

    Demain le printemps, tiens des oiseaux se sont installés dans la boîte à lettres. Approchons-nous doucement pour ne pas les effrayer. Brr ! ça croasse méchamment là-dedans, sûrement pas des mésanges, encore moins des anges !  Je n’ose pas ouvrir. Un rocker n’a jamais peur. Vivement je tire la porte ! Aucune bête à plumes, juste une épaisse enveloppe d’un blanc virginal !  Bien compris comme disait Vince Taylor, c’est le nouveau :

    ROCKABILLY GENERATION NEWS N° 29

    AVRIL  – MAI – JUIN ( 2024 )

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            Une fois n’est pas coutume, l’on saute pratiquement à la fin de la revue, la situation est grave, je vous rassure, pas pour nous (quoique si l’on y pense un peu…), pour un groupe que nous aimons bien. Nous les avons vus sur le blogue à plusieurs reprises en concert et ils étaient sur la couve du numéro 2 de Rockabilly Generation News, les WiseGuys, nos garçons avisés ont donné un nom anglais à leur formation, jusqu’ici rien d’original pour un groupe de rockabilly, oui mais ils sont ukrainiens… Nous avions reçu quelques nouvelles au tout début du conflit, mais depuis plus rien. C’est donc un plaisir de les savoir encore vivants. L’on espère pour longtemps, Saturnus le batteur : En marchant dans la rue il a été ‘’invité’’ par les recruteurs à rejoindre l’armée. Nous lui souhaitons bonne chance…

             Chris nous parle de l’ambiance, beaucoup d’alertes journalières, des bombes pleuvent un peu partout, la mort peut survenir à chaque instant, le moral n’est pas très bon, il lui semble que l’Ukraine est bien seule… elle reçoit de l’aide mais ce dont elle a le plus besoin, ce sont des armes… Le groupe réussit à donner quelques concerts, les bénéfices sont en très grande partie pour l’armée et des associations d’aide à la population… Chris n’est pas optimiste… On le sent désemparé, avec ce sentiment désagréable de ne pouvoir peser en aucune manière sur la suite des évènements…

             Je pense que la majorité de nos lecteurs sont au courant de la situation, mais l’entendre raconter avec ses mots à lui, par quelqu’un qui partage notre passion rock, avec qui l’on a vécu de festives soirées, les mots pèsent plus lourd. Oui la guerre est faite pour tuer les gens.

             Un beau portrait de Lavern Baker en page 2, la beauté des femmes nous fait oublier la laideur des hommes. Jean-Louis Rancurel nous offre des photos d’une époque beaucoup plus insouciante, celle de la naissance du rock français, focus sur Danny Boy et ses Pénitents, l’est vrai que des pionniers français du rock Danny reste l’un des plus oubliés. Moi-même j’avoue avoir fait l’impasse sur lui et sur ses premières apparitions discographiques sous le nom de Claude Piron, en tout cas l’article de Jean-LouisRancurel est savoureux à lire autant pour le photographe que pour le chanteur, un monde où tout semblait possible, même si le miroir du rêve s’est cassé assez vite… Les noirs et blancs de Rancurel sont magnifiques et surprenants d’authenticité…

             Sautons page 22 retrouver Lavern Baker, J. Bollinger réussit en deux pages, malgré la place prise par les documents d’époque à nous apprendre un tas de détails ignorés. Il est vrai que dès que surgit le nom de Lavern Baker dans notre tête résonne sa voix et l’on ne pense plus à rien… Elle est une des racines du rock certes mais aussi une de ses plus belles frondaisons.

             Whaow !!! de tous les posters publiés par Rockabilly c’est le plus fort, un coup de poing dans les yeux arrachés, le prince du rock’n’roll est-il marqué sur la couverture, un prince comme on les aime, wild and rock, quand j’aurais ajouté un émule de Jerry Lou, il a été adoubé par le Maître in person, l’interview de Lewis Jordan Brown est passionnante, une personnalité de rocker jusqu’au bout des doigts (de pieds aussi), mais qui se défend d’être puriste. Un être libre. Les photos de Sergio sont sublimes, sur  la toute dernière, l’on dirait un portrait d’Arsène Lupin, un parfait gentleman, pas cambrioleur, mais cabrioleur si l’on en juge de ses acrobaties sur son piano.

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    Info ultra-secrète : vous retrouvez le jeune prince en live à Quimper accompagné par les Starlights. Pas de répétition, et en avant non pas la musique, mais la folie. Y avait du monde à Quimper, en ce début de janvier pour fêter 2024, sur scène les Big Shots et les Evil Teds, en dehors des planches Marc et Rozenn les organisateurs, l’article est précis et chacun des protagonistes de cette soirée est assez longuement présenté, textes et photos.

    L’on arrive à la fin, pardon au début, au tout début d’une longue aventure, les grandes personnes ont souvent de mauvaises influences sur les enfants, prenons au hasard le grand-père de Tiloé qui l’a biberonné au rock’n’roll, les chats engendrent des cats c’est bien connu, du haut de ses neuf ans et demi il lit Rockabilly Generation, il apprend la guitare, il est imbattable sur Elvis. Un futur prince du rock’n’roll.

             Plein d’autres choses, les reports sur le dix-huitième Rockin’Gone, l’Atomic Rockin’ de décembre 2023, le Good Rockin’Tonight du 24 février dernier par exemple, vous aimeriez tout savoir sans payer, vous avez raison, mais c’est encore mieux de s’abonner !

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly  Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois),  6 Euros + 4,30 de frais de port soit 10,30 E pour 1 numéro.  Abonnement 4 numéros : 38 Euros (Port Compris), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( Rajouter 1,10 € ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de tous les magazines... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents ! 

     

    *

    Je les croisais souvent à Toulouse. A la fin des années 70. Faciles à reconnaître. Portaient toujours leurs instruments à la main ou sous le bras, avec une obstination que je qualifierai d’Egyptienne.  En tout cas ils ont édifié une des premières pyramides sonores du rockabilly français.

    En 1978, Jezebel Rock sort en 1978 un 45 tours sur le petit label toulousain de Gérard Vincent : Baccara International. Deux titres : Can you feel it et Peggy Sue. Plus tard en 1979 un nouveau 45 sur Oxygène un curieux label, un peu passé dans les oubliettes, qui s’était fait la spécialité d’enregistrer des groupes et chanteurs français de tous genres, ils publient un deuxième deux titres : Teenage queen et That’s all right. Le nom du groupe évoque Gene Vincent, c’est pourtant deux des titres les plus célèbres de Buddy Holly que l’on trouve sur ces deux disques.

    En 1979 rencontre avec Jacky Chalard en train de monter le légendaire label, made in France, Big Beat RecordJacky Chalard ex-bassiste de Dynastie Crisis groupe qui accompagna Dick Rivers sur Dick’n’Roll et Rock Machine enregistrés au studio Condorcet à Toulouse. Ces deux albums parus en 1971 et 1972 constitués en leurs majeures parties de classiques issus de répertoires des pionniers marquent le début de l’intérêt porté au rock’n’roll des origines, qui se concrétisera au début de la décennie suivante par la rockabillyenne explosion des Stray Cats…

    Mais nous n’en sommes pas encore là, Jezebel Rock est des un des tout premiers groupes issus de nos lointaines provinces françaises qui s’acharne à redécouvrir le legs américain originel, à l’époque au mieux ignoré, au pire décrié, dans le seul but de le remettre au goût du jour tout en y imprimant leur propre marque.

    Il n’était pas simple de trouver des disques old rock dans le Sud-Ouest de la France en ces époques de disette rock, heureusement qu’à Toulouse la boutique de Jacky Allen vous permettait d’acquérir pour 3 ou 6 francs bien des merveilles…

    ROUTES OF ROCK

    JEZEBEL ROCK

    (Big Beat Records / 0001

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    La photo (les deux premiers 45 n’en portent pas) et les notes de présentation sont d’Alain Mallaret, un infatigable activiste rock, auquel nous devons beaucoup, qui durant des années tint le blogue Roll Call, nous en avons parlé et encouragé nos lecteurs à écrire auprès de l’hébergeur lorsqu’il fut désactivé, il fut aussi le directeur de la revue, Big Beat Magazine, à l’origine sur papier puis numérique.  

    Jean-Jacques Moncet : guitare, chant / Denis Rebeillard : basse / Gérard Moncet : batterie.

    Hot doc boogie : dès l’intro l’on sait que le toubib nous a refilé le bon sirop, une guitare caramel à pointe d’asperge à l’arsenic, une basse qui joue à saute kangourou, et une batteuse qui décalque les tickets de métro à la perfection, que demander de plus, surtout qu’il y a cette voix qui a l’air d’échapper à l’attraction terrestre à chaque fin de ligne, deux minutes de perfection, c’est peu mais en notre monde de brutes l’on ne peut espérer davantage. La finesse de Buddy Holly mais sur un groove de bop. Le rockab parfait, rien de trop, rien de moins. Moonstruck : z’avez pas le temps de respirer que le vocal vous cueille comme une marguerite sur le bord du chemin, vous avez le moteur qui gronde en-dessous pas trop fort, juste assez pour vous inquiéter et la guitare qui s’amuse à imiter un jeu de bielles qui se déglingue, prennent leur temps, un soupçon de rhythm ‘n’ blues et c’est parti pour un balade sous la lune glauque, vous n’avez pas l’impression mademoiselle que peu à peu le chauffeur parle à l'astre sélénique comme un loup. Brand new lover : la légèreté entraînante du rockabilly, tout dans la voix, pour un peu vous vous laisseriez faire, attention, c’est aussi piégeux qu’un bayou, vos croyez avoir posé le pied sur une branche d’arbre, c’est un museau d’alligator, qui se pourlèche les babines. Caroline : le Jean-Jacques vous imite le timbre de Buddy à la perfection, ce côté innocent et candide qui vous pousserait à lui donner le bon dieu sans confession, le slow insidieux qui perdra le petit chaperon rouge. Crazy beat : rien à voir avec le Crazy beat de Gene Vincent, deux titres sur lesquels ils viennent de jouer les jolis cœurs, alors ce coup-ci ils sortent la grosse artillerie, ce Diddley Beat qui affleure dans les titres les plus rentre-dedans d’Holly, cette noirceur africaine de forêts primaires dont les fourmis vous rongeront les chairs jusqu’aux os. Le pire c’est que l’on adore.

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    Teenage queen : la voix de Jean-Jacques Moncet claudique gentiment, nous font le coup du charme, son frère Gérard donne le rythme mais essaie de ne pas faire trop de bruit. La basse de Denis caresse gentiment le bouton du plaisir des jeunes adolescentes en fleur. Boppin’ cat boogie : (slow version) : le rockab est pliable corvéable à merci, vous pouvez tout faire avec lui. Vous le voulez tout doux, voici une petite merveille, pour les enfants, un véritable dessin animé, une voix typiquement américaine, une basse qui joue au petit train, c’est mignon tout plein. Boppin’ cat boogie : (fast version) : attention, version pour les plus grands, une guitare qui pétille comme un feu de joie, une ambiance cow-boy en mode détente. Oui l’on danse, mais le colt toujours à la ceinture. Ne tirent pas, ils aiment toutefois le dégainer pour se faire respecter. Truckin’ babe : sucré comme une fraise tagada, un peu trop, un peu trop long aussi. S’amusent bien mais l’on s’ennuie un peu. Elle y met vraiment de la mauvaise volonté à ne pas revenir à la maison.  Mercy go round : un instrumental, davantage en place que bien des premiers groupes français des sixties, mais il manque l’audace de proposer quelque chose de neuf. Osons le mot : de moderne.

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             Avec ce premier 25 centimètres de compositions Jezebel Rock recherchait avant tout l’authenticité. Pour un jeune public aux oreilles façonnées par Deep Purple, Zeppelin et consorts, c’était un son nouveau venu de nulle part. Soit on (beaucoup) s’en moquait, soit on (beaucoup moins) adorait. Jezebel aurait attiré davantage s’ils avaient été fans d’Eddie Cochran et de sa guitare accrocheuse, mais non eux c’était Buddy Holly, sa finesse, sa légèreté, sa fluidité…

             Pour ceux qui connaissaient les originaux, ce fut un signe, on louait leur courage de se tenir au plus près d’une production des premiers rockers qui n’ont pas toujours été rock à fond de train dans leur discographie… on pressentait qu’ils rouvraient une route abandonnée depuis longtemps, et l’on attendait la suite… Qui finit par arriver. Un disque de pionnier en quelque sorte.  

    Damie Chad.

    Si Jacky Chalard vous raconte l’épopée de Big Beat Record ainsi que celle de sa vie dans un numéro de Rockabilly Generation News. Lequel. Vous n’avez qu’à tous les relire !

     

    *

    Avouez que lorsque vous êtes fan de Vince Taylor et que vous tombez sur l’inscription suivante comme titre d’une vidéo : ‘’Vince Taylor buvait beaucoup parce qu’il avait du temps à perdre’’, vous perdez votre respiration, vous suffoquez, vous frisez la crise cardiaque, une envie de meurtre vous saisit, bref vous cherchez à en savoir plus.

    JOHN LANNY

                    Au début vous ne le voyez même pas, vos yeux sont fixés sur l’écran TV géant, l’on y cause de Vince Taylor à Mâcon, une des parties les plus vertigineuses de sa vie,  lisez Vince Taylor- Le Perdant magnifique de Thierry Liesenfield, l’on explique que Vince Taylor buvait pour se sevrer de la drogue, mais le gars qui passe sans arrêt devant l’écran devient gênant, l’attire manifestement l’attention sur lui, je le reluque : n’arrête pas de se verser des verres ( à la relecture je m’aperçois que j’avais écrit des rêves) de vin rouge, manifeste ainsi sa solidarité avec l’ange noir, bientôt il éteint la télé et commence à parler. N’arrête pas durant vingt minutes. Non ce n’est pas un pochtron qui radote, l’est soul mais l’a toute son âme. L’avoue sans drame ni larme sa dépendance à l’alcool. Parfois les anges ont besoin d’une béquille pour voler. Pas une infirmité, il suffit de savoir lire les signes pour comprendre les manquements des êtres humains à leur imperfection.  Cause des gens qu’il aime, sur certains comme Yves Mourousi ou Laure Adler, je ne dirai rien, ils ne font pas partie de mon monde. Mais il cite aussi Elvis, Chucky Chucka (ainsi le nomme notre Cart Zengler), Jerry Lou, et le petit Richard, son quatuor gagnant. Plein d’autres aussi.

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             L’est émouvant, un fracassé du rock’n’roll, nous sommes tous des fracassés du rock’n’roll, chez certains ça se voit davantage, peut-être parce qu’ils se sont davantage brûlés que les autres… John Lanny est un être authentique puisqu’il ressemble à lui-même, à nous aussi.

             Sur son site YT vous trouverez des tas de vidéos. L’est aussi connu sous un autre pseudo, Sammy Ace. Chanteur. Fête ses cinquante ans en donnant un concert au Rio’s Banana Club à Golfe-Juan. ‘’Dans ma vie j’ai réussi à survivre sans argent mais je n’ai jamais réussi à survivre sans reconnaissance’’ déclare-t-il, alors allez faire un tour sur sa chaîne. Vous y rencontrez un être humain. C’est rare par ces temps qui courent. A leur perte.

    Damie Chad.

     

    *

    Sans être un masochiste invétéré vu le plaisir que j’ai pris à écouter l’album Nature Morte la semaine dernière, je m’impose de mon chef derechef une douce pénitence onirique en écoutant leur précédent album.

    VESTIGE

    PENITENCE ONIRIQUE

    (Les Acteurs de l’Ombre / Juillet 2019)

    Une phrase de Philippe Muray est pour ainsi dire mise en exergue de cet album : ‘’ Le monde est ce qui doit être subi de toute façon sans possibilité de le critiquer et encore moins de le combattre.’’ Cette citation ne permet pas de comprendre directement les textes de Vestige, en les lisant abruptement ils m’ont évoqué Les minutes de sable mémorial d’Alfred Jarry, par contre de mieux intuiter le sens du nom du groupe. Je rangerais Philippe Muray dans les nouveaux réactionnaires. Ces écrivains qui considèrent, notons qu’ils n’ont pas tort, la Modernité comme une catastrophe. Très logiquement l’on peut en conclure que vivre en nos âges délétères équivaut à une terrible pénitence. Selon Muray la modernité est une prison dont on ne peut physiquement s’échapper, la seule évasion reste donc le rêve.

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    La critique de Muray envers notre époque n’est pas sans fondement. Il fustige ce que j’appellerai le carcan métaphysique de la Morale érigée en dogme absolu qui condamne tout déviationisme normatif, à tel point que tout est permis à la condition expresse de ne pas sortir de cette notion de permissivité, l’individu se retrouve ainsi dans une solitude incapacitante prisonnier de sa propre individualité, puisqu’il lui est interdit de penser la globalité du monde. Un seul hiatus à cette vision de la modernité : Muray pense que son déploiement repose sur l’hégémonie d’une idéologie gauchisante. Il ne le dit pas expressément mais il le sous-entend si fort qu’il en oublie que toute critique d’une idéologie (quelle qu’elle soit) appartient elle-même à un discours idéologique. Toute critique idéologique est par essence idéologique. Souvent d’ailleurs, sous prétexte qu’il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis, nos idéologues naviguent selon le courant, très à gauche quand l’air du temps porte à gauche, très à droite quand l’air du temps s’incline à droite. Pensons au Foucault de Surveiller et punir et au Foucault du début des années quatre-vingt qui penche de plus en plus vers l’idéologie libérale. La mort l’empêchera de faire le grand saut. Le plus grand défaut des écrivains est de se prendre pour des penseurs.  Ce paragraphe critique relève évidemment de l’idéologie.

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    La couve est d’Aurore Lepheliponnat. (Voir notre chronique de Nature Morte dans notre livraison 637 du 21 / 03 / 2024). Un visage d’homme, assez âgé. Aucun détail ne peut nous aider à trouver son identité. Le portrait est posé sur un fond noir de toute opacité. Ce n’est pas quelqu’un de célèbre, mais sa mise en évidence péremptoire indique que ce n’est pas n’importe qui. Une seule solution s’impose, si cette tête ne nous dit rien, ce sont les morceaux de l’album qui vont nous révéler son identité, au sens large du terme. Un portrait intérieur en quelque sorte. Le titre de l’album nous aide à comprendre : Vestige, l’homme n’est pas un croulant, encore moins un écroulé de la vie, son visage porte les traces de ceux qui ont beaucoup vécu. Mais de tout ce qu’il a traversé, il ne reste rien, il ne reste que lui, les vestiges sont enfouis en lui, il peut les ressusciter en lui, dans sa pensée.

    Dimiourgos : basse / Noktürnos : guitare / Cathbad : drums / Bellovesos : guitar, sampler / Ebrietas : vocal / Vorace : guitare.

    Le corps gelé de Lise : comme des traits de neige qui tombent, je m’inspire de la vidéo, la musique vient jusqu’à former une épaisse couche tympanique qui glisse vers vous, et la voix qui sludge en allongé avec par derrière comme des bises froides et sifflantes, des chœurs s’en viennent et s’en vont preuve que l’on est en un endroit sanctifié où resonnent les échos du passé et du présent, il est beaucoup de reines qui portent le prénom de Lise (Elise, Elisabeth, Isabelle) en voici une statufiée, ciselée en une belle strophe ornée d’or, dans un lieu sacré et royal, le temps a passé, elle n’est plus qu’un objet touristique de curiosité, une foule renégate dont la seule présence est un blasphème à ce qui a été, ils l’entourent de leur haine et de leur rejet, mais un rayon de soleil illumine sa couronne et la désigne souveraine à ceux qui l’exècrent et ne voient en elle qu’un épisode historial honni, il faudra un jour futur les chasser. Ampleurs sonores comme rappel des lourdes tapisseries des châteaux en feu, ravagés par les forces révolutionnaires, qui se tordent sous le souffle dégagé par la violence de l’incendie, une clameur vengeresse qui pousse le passé devant la porte du présent. Haine contre haine. Tumulte oratorien. Pour le Roi ! l’on baise la lame, avant le duel final espéré. La Cité des larmes : grondements, il faut battre le fer tant qu’il est froid, la cité est en ruines mais qu’importe les murailles démantelées, là n’est pas le drame, il est une autre cité répliquée à l’infini dont la situation est beaucoup plus dramatique, ce sont les âmes égarées en elles-mêmes de nos contemporains, leurs esprits défaillants, une foule d’esclaves qui ne pensent qu’à se plaindre de leur situation désastreuse, alors qu’ils devraient s’atteler à relever les murailles  écroulées de leur citadelle intérieure,  que dire de plus, le vocal est pour ainsi dire intermittent, il faut déjà se débattre soi-même contre les sables stériles qui nous assiègent, la musique souffle en rafales infinies comme le vent porteur des miasmes de l’engloutissement, il ne tient qu’à nous, à chacun, à moi, de préserver le lointain souvenir de ce qui n’est plus, de ce qui a été, juste survivre au milieu de la délétère autoflagellation universelle, se battre jusqu’au bout, être soi-même le fer que rien ne pourra briser, qui résistera à la lèpre de la rouille. Les sirènes misérables : douces sonorités, des sirènes d’Ulysse émanait-il d’aussi suaves et captivantes mélodies, la mer  moutonne à l’infini, les sirènes d’aujourd’hui ne chantent pas au-dehors des hommes, leur île se trouve dans les têtes humaines, écoutez le chant qui s’allonge démesurément comme s’il racontait un étrange conte inouï et incroyable, transplantation cérébrale, nous voici au cœur de la manipulation mentale, les esclaves écoutent leurs propres voix intérieure qui se moquent d’eux, le chant se transforme en dénonciation guerrière, les esclaves ont élu des maîtres, sans quoi ils seraient des êtres libres,  leurs potentats se servent d’eux, ils croient se battre pour leur liberté, mais ils luttent contre leurs propres intérêts. Douce musique aux oreilles de leurs maîtres Hespéros : instrumental, lumière du soir, batterie lente et guitare processionnaire, toute chose s’enfuit vers son déclin, c’est ainsi que s’achèvent les rêves et le destin, nous sommes à la mitan de l’opus, nous dirigeons-nous au plus noir de la nuit... Extase exquise : non ce n’est pas la petite traîtrise pour laquelle il faut être deux pour l’accomplir, c’est la grande, car l’on n’est jamais trahi que par soi-même, la musique tisse des voiles funèbres, mais le vocal essaie d’arracher ce suaire dans lequel quiconque aimerait se rouler, abdiquer à tout jamais, se laisser emporter par la communion des esprits serviles, ne serait-ce pas la solution de fermer les yeux et de mourir à soi-même comme l’autruche qui se cache les yeux pour ne pas voir sa lâcheté, maintenant il hurle, il refuse de s’adonner à la sérénité du renoncement, il se dresse en lui-même, les dieux ne vivent que si on les pense, désormais l’énergie parcourt son corps, il triomphe de lui-même, des miasmes putrides, de ses peurs, et de ses découragements. Au bout de la nuit se profile l’aube. Souveraineté suprême : le background musical infuse l’énergie, tu as vaincu la peur, tu revois tous les obstacles mentaux qui t’ont assailli et maintenant tu rugis comme le lion face à la réalité du monde moderne, jamais tu n'as été aussi conscient de la situation mondiale, la batterie assène coup sur coup, la guitare n’a jamais été aussi cinglante, tu te lèves en toi-même, tu es ta propre volonté, ton propre dieu,  c’est ainsi que tu retrouves l’accès interdit au divin, tu éclates de joie et de certitude, tu as toujours condamné les esclaves, cela ne suffit pas, il faut d’abord ne plus revêtir cette carapace servile pour être un être libre. Libéré des autres et de soi-même. Tuer l’hydre de la modernité. Treizième travail herculéen. Vestige : un aigle funèbre fond sur toi, après l’exaltation la réalité refait surface, retrouvailles avec la même colère, la même exécration, une bataille remportée en soi n’est pas une victoire sur le monde qui s’obstine à persévérer dans son horreur tentaculaire, la catastrophe subsiste et refuse de disparaître, vestige est un vertige, pas de happy end, l’on ne dépasse pas le réel, toute ta hargne, toute ta rage ne sont pas parvenues à faire reculer le monstre, la batterie frappe d’estoc et de taille, toute pensée est réduite en poudre, l’homme est perdu, le souvenir du jardin d’éden aussi, il ne reste que la mort.

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              Il est temps de revenir à la pochette. L’Homme se souvient-il de ce qu’il fut vraiment. Les vestiges de ce qui a été affleure-t-il encore des sables de sa mémoire. Encore faut-il qu’il ait une mémoire ! Le vestige c’est lui, le sait-il seulement. Les pierres éparses de remparts écroulés gardent-elles le souvenir, ne serait-ce que le nom, du peuple qui les a édifiées et défendues… n’avons-nous pas oublié qu’autrefois nous portions l’immémorial nom d’Homme…  

             Opus noir. Celui d’une défaite annoncée. Qui a déjà eu lieu. Pénitence Onirique ne se paye pas de maux. Il dit vestige pour nous aider à comprendre qu’il n’y a plus rien à voir. Après le crépuscule wagnérien des Dieux Pénitence Onirique déclare le crépuscule des Hommes achevé. Un truc qui ne nous fait pas rêver.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

     

    50

    Le Chef allume un Coronado pendant que Jim Ferguson s’assied. Il n’y paraît pas mais il a jeté un regard circonspect sur la chaise que je lui ai apportée. Le gars n’est pas un perdreau de l’année, plutôt genre crotale qui fait semblant de sommeiller tapi dans l’herbe. Au deuxième regard je rectifie, un cobra royal sûr de sa force. A ne pas déranger pour des futilités. J’ai une intuition, le Chef me la confirmera en fin de soirée, non il n’est pas le directeur de la CIA pour la France, un gros calibre, il doit chapeauter tous les réseaux européens, qu’il se soit dérangé avec le micmac ukrainien actuel qu’il a sur les bras, ce doit être grave. J’apporte trois verres et une bouteille de Moonshine, il ne sourit pas quand il lit l’étiquette CUVEE JERRY LOU, CELLE QUI REND FOU ! S’en verse tout de même une grande lampée qu’il avale d’un coup, à croire qu’on lui tend un verre d’eau en plein Sahara. Il pose un mince porte-document noir sur le bureau dont il tire la fermeture éclair avec une précision. Attention me dis-je ce gars est un sniper, chaque fois qu’il s’intéresse à une cible il traite le sujet avec une efficacité maximale.

    Sans attendre il prend la parole.

             _ Chef, je vous remercie d’avoir pris contact avec nous. La mort du Professor Longhair ne nous étonne pas. Lors de mon entretien avec elle hier soir avant qu’elle ne retourne chez elle nous avions conclu que nous marchions sur un volcan… Nous ne nous trompions pas. Nous avions en lisant les rapports de notre Reconstutive Service rencontré une, comment dire, une… incongruité évènementielle dans les évènements auxquels nos deux services ont été mêlés, avec votre permission j’aimeras d’abord avoir un entretien avec l’agent Chad. Vous pouvez assister à cette conversation, toutefois je vous demanderais de ne pas y intervenir. C’est notre façon de procéder, une remarque adjacente et pertinente peut ouvrir de vastes perspectives mais un infime détail significatif qu’allait ajouter le témoin questionné sera passé sous silence puisque son esprit se tournera dans les réponses possibles à apporter à cette nouvelle injonction.

    Jim Ferguson déplie une feuille A3, je reconnais le tracé rectiligne de la rue Phillipe Daumier, deux croix rouges marquent l’endroit exact où les briseurs de murailles ont tenté de m’attirer à eux. Jim Ferguson me scrute longuement, il pose son index sur la première croix :

             _ Que s’est-il passé exactement ici ?

             _ Je marchais tranquillou, deux bras sont sortis de la muraille, mes deux chiens m’ont retenu !

             _ Ouah ! Ouah !

    Jim Ferguson ne tient aucun compte de la confirmation apportée par Molossa et Molossito.

              _ Disons que dans cette affaire c’est de l’ordre du plausible. Mais à cette deuxième croix ?

             _ Le briseur de murailles doit être vexé, il me fait un croc-en-jambe, les accompagnatrices au lieu de tenir les gamins m’assaillent à coups de parapluie, quelques gamins qui ont quitté les rangs se font écraser sur la chaussée et…

             _ Agent Chad nous ne sommes pas ici pour déblatérer sur les dégâts collatéraux… Pour ce deuxième cas nous dirons que nous sommes dans l’ordre du plausible.

    Jim Ferguson tire une deuxième feuille de son porte document, elle représente la rue Hector Marbreau elle est aussi marquée de deux croix rouges, il m’en désigne une :

             _ Là, je passe devant la vitrine d’une auto-école, cette fois ils sont deux à m’attirer, deux fortes et gaillardes commères m’arrachent à leurs étreintes.

             _ Vous les avez donc vus, une vitrine c’est transparent !

             _ Heu, je dirais oui, j’essayais de leur échapper, je suis incapable de les décrire, en toute logique je réponds oui !

             _ Hum, hum ! Passons à notre quatrième cas.

             _ Je passe devant une grille de fer forgée, je suis happée, ils me tiennent, je m’évanouis, heureusement que vos agents sont intervenus.

             _ Exactement, des agents chevronnés, issus de nos unités d’intervention les plus spécialisées. Leurs témoignages sont formels, il n’y avait personne de l’autre côté de la grille. D’après eux vous étiez comme pris d’une crise de folie, vous vous débattiez avec cette porte comme un forcené. Ils ont eu un mal fou à vous en décrocher. Dans ce dernier cas, cher Agent Chad, nous ne sommes plus dans l’ordre du plausible. Vous êtes simplement victime d’hallucination !

    Pour employer une expression populaire, je reste comme deux ronds de frites, ce satané amerloc m’a carrément traité de fou, je m’apprête à lui répondre vertement. Je n’en ai pas le temps, le Chef intervient :

             _ Cher ami, je m’étonne, je n’ignore rien du vaste travail qui vous incombe, c’est pourquoi je suis surpris que vous preniez le temps de vous interroger sur le cas d’un agent, nous le qualifierons de légèrement surmené, qui n’appartient même pas à un de vos services.

             _ Le SSR nous rend tous les jours de grands services à défendre la musique populaire de notre pays, cela mérite bien un petit renvoi d’ascenseur… toutefois je rajouterai avant de nous quitter, que l’affaire des briseurs de murailles nous intrigue vivement, évidemment l’aspect briseurs de murailles nous paraît, comment dire, des plus aléatoires. Mais je ne voudrais pas non plus abuser de votre temps. Messieurs au revoir et merci pour ce succulent Moonshine. Agent Chad, nous n’avons qu’une vie, prenez soin de votre santé.

    Deux shake-hands à vous briser l’épaule et Jim Ferguson s’éclipse en une mini-seconde.

    52

    Le Chef allume un Coronado :

             _ Voilà qui est clair comme de l'eau dr  roche, que dis-je comme de l’eau de rock !

             _ Chef vous vous rangez à son avis, tant que vous y êtes envoyez-moi à Charenton !

             _ Quelle idée bizarre, je vais finir un de ces jours par vous croire totalement madurle, filez-moi plutôt me faucher une voiture. Une grosse berline noire, vous viendrez me prendre ce soir au bas du local à 23 heures. Entre temps allez faire courir vos chiens au bois de Boulogne, qu’ils soient en forme pour cette nuit.

    53

    Sur la banquette arrière Molossa et Molossito font semblant de dormir. J’ai arrêté la voiture rue Marbreau, pas très loin de la grille où les briseurs de murailles ont tenté de me capturer. Je ne la quitte pas des yeux. A mes côtés le Chef fume paisiblement un Coronado.

             _ Chef, le bout incandescent de votre cigare trahit notre présence !

             _ J’espère bien, Agent Chad cessez d’admirer cette porte, vous êtes comme le fou qui regarde le doigt de celui qui lui montre la lune. 

    Je soupire, vexé je lève les yeux et fixe la maison qui se dresse derrière la grille. Dans la pénombre je la distingue mal, en tout cas, une superbe bâtisse, elle doit valoir quelques centaines de milliers d’Euros.

             _ Chef !

             _ Taisez-vous, contentez-vous de regarder.

    J’ouvre grand mes yeux, je ne vois rien. Les minutes s’égrènent lentement. Sur le siège arrière Molossa grogne en sourdine. Molossito ne tarde pas à l’imiter. What-is it ? Comment dire une parcelle de lumière un millionième de seconde sur la gauche de la façade. Non, un rayon de lune, ou l’éclairage public ! Et là maintenant le même phénomène sur la droite mais plus haut et encore le même phénomène sur le milieu, vers la porte d’entrée.

             _ Chef baissez-vous, dans le rétro une camionnette tous feux éteints !

             _ Oui, ils vont sortir, agent Chad ce n’est pas la peine de vous tapir sous le siège !

    La camionnette nous dépasse et s’arrête sur le trottoir juste à quelques mètres de la porte grillagée ! Je l’entends grincer. Je n’en crois pas mes yeux. Huit silhouettes se profilent, survêtement noir, cagoule noire, baskets noires, sans un bruit ils montent dans le véhicule qui s’éloigne. Je la suis des yeux jusqu’au bout de la rue. Elle ne tourne ni à gauche, ni à droite, elle opère un demi-tour et revient sur nous, feux toujours éteints, à petit vitesse.

             _ Agent Chad, plein-phare !

    J’obéis. Je perds pied. J’ai vraiment des hallucinations, la Camionnette est elle aussi passée en plein-phare, dans la seconde où j’ai braqué mes projecteurs sur elle, j’ai reconnu le chauffeur ! Jim Ferguson !

             _ Ah ces Ricains ils sont forts ! Ils ont les moyens, en plus ils sont sympathiques, ils nous ont fait signe, la voie est libre ! Agent Chad c’est à notre tour d’intervenir, ils ont nettoyé le chemin, mais l’on reste sur nos gardes, Molossa et Molossito devant, nous deux : Rafalos à la main !

    A suivre…

            

  • CHRONIQUES DE POURPRE 636: KR'TNT 636 : DICTATORS / WEIRD OMEN / BOB DYLAN / DAVE ANTRELL / JIM WILSON / RAWDOG / AVATAR / THUMOS / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 636

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    14 / 03 / 2024

     

    DICTATORS / WEIRD OMEN / BOB DYLAN

    DAVE ANTRELL / JIM WILSON

    RAWDOG / AVATAR / THUMOS  

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 636

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    Sous le joug des Dictators

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             C’est dans l’orbituary d’Uncut, en février dernier, qu’on est tombé sur quatre lignes annonçant la disparition de Scott Kempner. Qui ça ? Balancé comme ça, au débotté, c’est un nom qui ne parlera pas à tout le monde. Sauf aux fans des Dictators. Si tu retournes la pochette de Go Girl Crazy, tu verras Scott Top Ten Kempner allongé à poil sur son lit, même chose pour Stu Boy King. Par contre, Andy Shernoff et Ross The Boss FUNicello sont habillés. On parle toujours du premier album des Ramones, mais on oublie chaque fois de citer le Go Girl Crazy des Dictators paru un an avant, un album qui est le véritable précurseur de la scène punk new-yorkaise. «The Next Big Thing» est le premier hymne punk new-yorkais. Nous allons donc rendre hommage à ce groupe extraordinaire et à Scott Kempner. Pour info, Ross The Boss et Andy Shernoff continuent de tourner et d’enregistrer avec les Dictators, enfin, ce qu’il en reste, cinquante ans après.

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             Pas compliqué : les Dictators sont arrivés au bon moment. En 1972, les Beatles avaient jeté l’éponge et les Stones venaient d’enregistrer «Exile», leur dernier grand album. Les Who et les Kinks allaient entamer une sorte de déclin, mais aux États-Unis, ça bardait avec les Flamin’ Groovies, les Stooges et le MC5. Les Dictators s’inscrivirent dans cette mouvance. Andy Shernoff commença par publier un fanzine, Teenage Wasteland Gazzet, puis comme beaucoup de kids de sa génération, il se mit à la recherche d’autres kids pour monter un groupe. C’est aussi bête que ça. Des millions de kids ont tenté leur chance dans les années 60 et 70. Si Andy est aujourd’hui auréolé de légende, c’est tout simplement parce qu’il savait écrire des chansons et qu’il avait su dénicher les bons partenaires. Cette histoire ne vous rappelle rien ? John Lydon avait lui aussi déniché LE bon guitariste et LE bon batteur. En prime, il savait lui aussi écrire des chansons. On appelle ça l’alchimie d’un groupe. Ça tient souvent à très peu de choses.

             Comme les Pistols un peu plus tard, les Dictators eurent à affronter le mépris et parfois la haine d’un public qui ne comprenait par leur démarche. Ross The Boss s’en foutait et il jouait. À sa façon, il jouait les traits d’union entre la culture rock classique américaine et la modernité des Dictators. Andy Shernoff se réclamait à la fois du MC5 et de Brian Wilson, un modèle que reprendront aussi les Ramones. 

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             C’est aussi Ross qui trouva, pour un loyer de 200 $, la fameuse maison isolée de Kerhonkson où s’installa le groupe. Il n’y avait rien ni personne à dix kilomètres à la ronde. Comme ils n’avaient pas un rond, les Dictators allaient voler leur bouffe dans un super-marché. Richard Blum qui était un pote à eux travaillait à la Poste. Il venait le week-end faire la cuisine pour ses copains. Richard qui était un personnage haut en couleurs inspirait énormément Andy.  Jusqu’au jour où Richard devint Handsome Dick Manitoba, un nom inventé par Andy dans «Tits To You» - Manitoba était le surnom d’un détective dur à cuire, Handsome venait de Handsome Jimmy Valiant et Dick de Richard.

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             Et puis un jour leur copain Richard Meltzer ramena le fameux Sandy Pearlman à Kerhonkson pour lui faire écouter le groupe. Wow ! Sandy Pearlman qui était déjà le manager de Blue Oyster Cult allait par la suite devenir celui des Dictators.

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             Toute la genèse des Dictators est racontée par Scott Kempner à l’intérieur de la pochette d’Everyday Is Saturday, un double album rétrospectif édité par Norton en 2007. Comme toujours chez Norton, ce disk est incroyablement bien documenté. En effet, Scott Kempner - qui se faisait appeler Top Ten sur la pochette de leur premier album - y raconte dans le détail l’histoire du groupe. Il explique que Richard Blum était le living breathing manisfesto des chansons d’Andy Shernoff - There is only one Richard Blum - On retrouve sur Everyday Is Saturday tous ces hits qui vont faire la grandeur des Dictators, «Weekend» (avec son riff pompé chez Buddy Holly), «Master Race Rock» (jolie partie de campagne bien tartinée du foie et cornichonnée aux gimmicks), «California Sun» (qui date de 1973), «What It Is», «Stay With Me» (hit parfait poursuivi par un riff dévastateur) et un «I Just Want To Have Something To Do» très proche des Ramones. 

             Kempner rappelle aussi que pour leur premier concert, les Dictators jouèrent en première partie des Stooges et de Blue Oyster Cult dans un collège du Maryland, devant 7000 personnes.

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             Quand Go Girl Crazy est arrivé en France en 1975, on a fait chapeau bas. Car quel album ! «The Next Big Thing» qui fait l’ouverture est l’un des grands hits intemporels de l’histoire du rock - I used to shiver in the wings/ But then I was young/ I used to shiver in the wings/ Until I found my own tongue - Disons qu’on a chanté ça autant de fois que le maybe call mum on the telephone des Stooges ou l’And that man that comes on the radio with nothing to say des Stones, ou encore l’I’m a tip-top daddy and I’m gonna have my way de Charlie Feathers, ou encore l’I’m taking myself to the dirty part of town/Where all my troubles/ Can’t/ Be/ Found des Mary Chain. Oui, toutes ces flasheries mémorielles zèbrent la nuit des temps et ça court-jute dans la fricassée. Mais attention, sur la B de Go Girl Crazy, quatre énormes hits guettent le chercheur de truffes. Et pas des moindres. Les Dictators jouent «California Sun» à l’écho des duelling guitars - And I boogaloo - Et on assiste à une merveilleuse montée en puissance sur fond de beat tribal - When I’m having fun in the California sun - S’ensuit un «Two Tub Man» bien senti. Handsome Dick Manitoba fait une intro spectaculaire - The thunder of Manitoba ! - Si on cherche le punk new-yorkais, c’est là et surtout pas chez les Dead Boys. Autre bombe : «Weekend», pièce d’ultra-power pop noyée de guitares et bardée d’apothéoses de chœurs de la la la élégiaques. Ils bouclent ce disque mémorable avec le fameux «(I Live For) Cars And Girls» bien glammy dans l’esprit et trempé d’envolées dignes des Beach Boys. Les compos d’Andy Shernoff sont déjà classiques et supérieures à la fois.

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             Deux ans plus tard paraît Manifest Destiny, un album mal vu car en 1977 tout le monde veut du punk, et les Dictators font autre chose que du punk, comme d’ailleurs Television, Blondie et tous les autres. «Heartache» est une vraie pépite de power pop. Andy Shernoff a même pensé à rapatrier les pah pah pah des Who. Encore une fantastique tranche de pop palpitante à la Shernoff avec «Sleepin’ With The TV On». Ce mec a véritablement un don, il sait ficeler les beaux hits underground. Le «Disease» qui suit sonne comme un opéra des Kinks, avec un vieux parfum glammy. Ross The Boss ramène la dimension épique et prend un vieux solo à la Ritchie Blackmore. Alors le rythme s’emballe pour le meilleur et pour le pire. Mais il est bien certain que le public ne pouvait pas leur pardonner une telle incartade. Quoi ? Des Américains qui se prennent pour un groupe anglais des seventies ? On trouve en B une autre trace de cette tendance. En effet, «Stepping Out» sonne comme l’un des cuts du premier album de Sabbath. Les Dictators ont une légère tendance à flirter avec le heavy-prog anglais des Contes de Canterbury, avec des guitares qui jaillissent du fond du lac. Pour Ross, c’est du gâteau, il prend de beaux solos de prog en quinconce à la Buchanan de l’Essex et même du Middlesex. Il était évident que cet album n’allait pas plaire. Et pourtant, Ross the Boss jette tout son poids dans la balance. On le sent âpre au gain dans «Young Fast Fantastic» et ils finissent cet album troublant avec une reprise bien sentie de «Search And Destroy». On retrouve le son des Dictators, la turbo-machine du rock new-yorkais. C’est du pur jus de glu de détroitisation forestière. Les Dictators ont tout : les bras, les jambes et les cervelles en feu. Ross balaye le vieux standard d’Iggy au lance-flammes. Il est dix mille plus violent que Williamson.

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             L’un des plus gros hits des Dictators se niche sur Bloodbrothers, paru un an plus tard. Personne ne peut résister à l’appel de «Baby Let’s Twist». Pourquoi ? Parce que monté sur des accords de Next Big Thing, et la fantastique allure reste leur mesure. Les Dictators disposent d’une faculté assez rare : celle de savoir exploser au grand jour. Le grand art d’Andy Shernoff est de savoir composer des hits qui hittent le top. Même chose pour «The Minnesota Strip» embarqué au heavy gimmick funicellique d’ambiance universelle. Ross The Boss sait créer l’événement, il tape dans la violence de la pertinence, et c’est poundé à l’heavyness impénitente. On a encore un hit avec «Stay With Me», valeureuse envolée de pop rock typique des années de braise new-yorkaise. L’«I Stand Tall» qui ouvre le bal de la B des cochons somme glammy. Andy Shernoff nous le stompe à l’élégie de Pompée le pompeux. Ils bouclent l’album avec une fantastique reprise des Groovies, «Slow Death». Nos amis dictatoriaux savent groover un vieux classique incantatoire.

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             Il faudra attendre vingt ans avant de pouvoir se remettre un disque des Dictators sous la dent. Quand D.F.F.D parut en 2001, tout le monde croyait le groupe disparu. Eh non, la charogne bougeait encore. Et quelle charogne ! Cet album grouille de hits, à commencer par le fabuleux «Who Will Save Rock’n’Roll» - My generation is not on starvation - Voilà encore un hymne dictatorial d’envergure planétaire, n’ayons pas peur des grands mots. Même chose avec «What’s Up With That». En voilà encore un qui sonne comme un hit d’entrée de jeu. C’est joué au maximum des possibilités, avec ce mélange très spécial de pop et de sur-puissance qui n’appartient qu’aux Dictators. «It’s Alright» est aussi un cut visité par le requin Ross. Il sait entrer dans le lagon. Ross the Boss est l’un des plus grands guitaristes de l’histoire du rock américain, qu’on se le dise ! On retrouve en B un nouveau clin d’œil aux Anglais avec «Avenue A», car on y entend des petits chœurs à la Clash - oh-oooh-ooh - au coin de la rue. Pour Ross le démon, c’est du gâteau. Ils tapent ensuite dans le gaga sauvage avec «The Savage Beat», mais ils rajoutent une pointe de pop dans le refrain. Merveilleuse surprise que ce «Jim Gordon Blues» joué aux gros arpèges psychédéliques. Encore un coup de génie signé Andy Shernoff et Ross the Boss. On est bien obligé de parler ici de génie car tout est incroyablement mélodique. On a le gras de la guitare, l’élégance de la prestance, la persistance de la préséance et l’omniscience de l’évidence. 

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             Ce n’est pas compliqué : tout est bon sur Viva Dictators paru en 2005. On ne trouve malheureusement que des hits sur cet album. Les Dictators jouent live à New York City et ça fait quelques étincelles. Handsome Dick Manitoba essaye de chanter comme Johnny Rotten sur «New York New York», alors on rigole. C’est avec «Avenue A» qu’on voit à quel point les Dictators veulent sonner comme des punks anglais. Andy Shernoff embarque ça au gros drive de basse et les chœurs rappellent ceux des pauvres Clash. Heureusement, ils enchaînent avec «Baby Let’s Twist» claqué à l’accord d’intronisation. C’est digne du Really Got Me des Kinks, on a le même tarpouinage définitif, des accords qui te clouent la papillon à la lune ou le cœur du vampire au solstice d’été, baby let’s twist, c’est monstrueux de génie pop. Merci Andy ! Ce cut ronfle comme le moteur de la BMW que Tav conduit dans Uriana Descending ! Vroaaarrrrhhhh ! Même chose avec «Weekend». Ce cut est beaucoup trop puissant pour être honnête. Andy Shernoff signe encore ici un hit planétaire. Ross tape ça aux accords acidulés. C’est puissant comme la Rover de Roberte et ça claque comme l’étendard zoulou planté au sommet du Kilimandjaro. On tombe plus loin sur l’inénarrable «Next Big Thing», le hit ultime par excellence. Ross nous roule ça sous l’aisselle du chord, et Manitoba le bouffe tout cru, argfffhh ! Ça monte, ça monte et ça coule sur les doigts. Pareil pour ce beau «Minnesota Strip» amené par des riffs de messie, mais si. Quelle énergie ! Typical Shernoff ! Ils enfilent les hits comme des perles, puisque voici «Who Will Save Rock’n’roll», chanté au débrayage maximaliste. Ross fout le feu à la plaine entière. C’est encore la preuve de l’existence d’un dieu des dictateurs. Croyez-le bien, c’est un hit flamboyant, digne de toutes les grands heures du rock anglais. Puis ils nous claquent «What’s Up With That» à l’accord souverain - Eh oh oh oh ! - Ils savent taper dans les meilleurs power-chords de propulsion nucléaire. C’est la power-pop dont on rêve chaque jour que Dieu fait. Ross n’en finit plus de claquer ses beignets. «I Am Right» est un pur cut de batteur, c’est le royaume au grand Patterson, et Stay» tape au très haut niveau composital. C’est pris à la gorge du punk, mais c’est aussitôt étoilé par du gimmickage de power-pop. Alors bien sûr, Ross le génie explose au firmament des guitar gods. Ils finissent ce disque ahurissant avec deux vieux coucous tirés du premier album, «Two Tub Man», stomper des enfers de train fantôme, et «I Live For Cars And Girls», chanté au glammy gloom par Andy the beast. Ouhhh-ouuh-ouuh ! On se croirait chez les Beach Boys. C’est vraiment le meilleur compliment qu’on puisse leur adresser.

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             En 1981 est sorti sur ROIR un album live des Dictators élégamment intitulé Fuck ‘Em If They Can’t Take A Joke. On y retrouve les gros classiques comme «The Next Big Thing», «Weekend» et «Minnesota Strip», mais ce sont les deux belles reprises du Vevet et des Stooges qui font le charme de cet album. Ils tapent une fantastique reprise de «What Goes On». Andy chante et Ross se fend d’un solo somptueux. Dans «Search And Destroy», Ross n’a absolument aucun mal à faire son Williamson. D’autant qu’il est soutenu par une belle rythmique pulsative. Wow, quelle reprise ! Pas de meilleur hommage à Iggy & the Stooges.

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             Scott Kempner a enregistré deux albums solo. Le premier, Tenement Angel, date de 1992. Il a une tête de collégien sur la pochette. Il attaque au deep boogie rock de New York City avec «You Move Me», c’est excellent et on lui donne immédiatement l’absolution. Il enchaîne avec un «Bad Intent» du même acabit, mais en même temps, pas de surprise. Le Scott ne tient que grâce à sa réputation de Dictator. Et voilà le big bad rock d’«ICU» gratté à la cocote malade, au dirty groove urbain, ICU pour I See You. Ça accroche terriblement. Mais on sent qu’il s’épuise au fil des cuts, il ne parvient pas à maintenir l’attention de son auditoire, et il faut attendre «Lonesome Train» pour retrouver le grand Scott. Il coule un Bronx, et passe un solo lumineux comme pas deux. Puis il va continuer son petit bonhomme de chemin avec «Precious Thing» le bien senti et un «Livin’ With Her Livin’ With Me» très bon enfant, presque Moon-Martinesque. Rien de plus que ce que tu sais déjà. Il fait parfois son Springsteen («Do You Believe Me») et c’est pas terrible. Disons que c’est le mauvais côté du New York City Sound. On préfète - et de loin - le côté Dolls et Velvet. Son «(Just Like) Romeo & Juliet»  sonne comme du Southside Johnny, bien cuivré de frais. C’est très convenu, très bien foutu, si étrangement prévisible et si terriblement NYC. Il termine avec «I Wanna Be Yours», du classic stuff cousu de fil blanc. On perd le Dictator. C’est atroce. On se croirait à une fête de mariage.  

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             En 2008, il sortait Saving Grace, un album très new-yorkais, chargé de gros balladifs dictatoriaux et de power pop à propulsion nucléaire («Baby’s Room»). Le hit de l’album pourrait bien être «The Secret Everybody Knows», plutôt bien bombardé du beat, on sent le vieux Dictator chez Scott, il sait pondre un heavy rock superbement balancé, envenimé par un wild solo trash. C’est encore le solo qui enlumine «Blame Me», un balladif sauvage entrepris par un solo au long cours d’une belle intégrité de gras double. Le Scott est un merveilleux artiste. Il se croit au Brill avec «Love Out Of Time», il en a les épaules. «Stolen Kisses» est plus rocky road, avec une grosse intro en disto, le Scott y va, son claqué d’accords est typiquement new-yorkais. Retour au Brill avec «Heartbeat Of Time» assez puissant et romantique. Puis il passe au heavy Brill à la Dion avec «Here Come My Love», limite grosse compo. Le Scott a du répondant. S’ensuit la belle power pop bien propre sur elle de «Between A Memory & A Dream» et ses clairons de belles grattes dans l’écho urbain. Il boucle tout ça avec «Shadows Of Love». C’est un album qu’il faut saluer bien bas.  Scott Kempner vit son rêve, il gratte des poux d’une rare intensité, il casse du sucre sur le dos de la mélodie et lui sucre bien les fraises, il lui court bien sur l’haricot, c’est un potentat du pot aux roses, il savonne ses pentes, il sucre sa dragée haute, il n’en finit plus d’étinceler comme un sou neuf. Sacré Scott, il ne lâchera jamais sa rampe. 

             En 2015, on se faisait une joie d’aller voir jouer les Dictators au Trabendo, mais le destin qui sait parfois se montrer si cruel en décida autrement, puisque la date prévue faisait quasiment suite au désastre du Bataclan, et le concert fut purement et simplement annulé. Dans le même ordre d’idée, le concert du quarantième anniversaire de Motörhead au Zénith fut lui aussi interdit par les zautorités de la mormoille. Une sorte de chape maudite venait de s’abattre sur Paname. À travers les masses nuageuses d’un soir de novembre, on voyait se dresser dans le ciel la silhouette décharnée de la grande faucheuse. La seule vision de son sourire macabre et du muet claquement de ses haillons donnait déjà la chair de poule, mais l’éclat lugubre de sa lame de faux achevait de nous glacer les sangs.

    Signé : Cazengler, dictatorve

    Dictators. Go Girl Crazy. Epic 1975

    Dictators. Manifest Destiny. Asylum Records 1977

    Dictators. Bloodbrothers. Asylum Records 1978

    Dictators. Fuck ‘Em If They Can’t Take A Joke. ROIR 1981

    Dictators. D.F.F.D. Dictators Multimedia 2001

    Dictators. Viva Dictators. Dictators Multimedia 2005

    Dictators. Everyday Is Saturday. Norton Records 2007

    Scott Kempner. Tenement Angel. Razor & Tie 1992

    Scott Kempner. Saving Grace. 00.02.59 2008

     

     

    L’avenir du rock

     - Et spiritus sanctus, Omen

    (Part Two)

             Lorsqu’il était petit, l’avenir du rock vivait dans un bel immeuble construit en grandes pierres de couleur claire. L’abbé de l’église voisine y faisait du porte-à-porte, exhortant les ménagères en bigoudis à lui confier leurs rejetons pour des cours de catéchisme. Ces cours présentaient deux défauts aggravants : ils se déroulaient d’une part le jeudi-après midi et privaient donc l’avenir du rock de ces escapades dans les terrains vagues dont il était si friand, et d’autre part, la lecture d’épais chapitres de la Bible tuait dans l’œuf toute forme d’attention. Grâce à cette lecture, l’avenir du rock reçut sa première notion d’ennui mortel, ce qui par la suite allait lui rendre bien des services. Le sort des cours de catéchisme fut bientôt réglé et l’avenir du rock fit un retour triomphal dans les terrains vagues. Il continua d’y cultiver une passion naissante pour la trashitude. Mais l’abbé n’en resta pas là. Il devait être payé à la commission par le Vatican, car il revint à la charge et grimpa quatre à quatre les étages du bel immeuble construit en grandes pierres de couleur claire et exhorta de plus belle la ménagère en bigoudis. Cette fois, il abandonna la pédagogie biblique pour miser sur un sujet plus brûlant, l’enfer qui menaçait sa progéniture si elle ne se rendait pas chaque dimanche matin à la messe de dix heures. La situation présentait encore deux défauts aggravants : la messe coupait court à toute velléité de grasse matinée, et d’autre part, il fallait enfiler ces horribles «habits du dimanche» qui faisaient beaucoup rire les passants dans la rue. Cette disgrâce rendit bien service à l’avenir du rock, car c’est là qu’il reçut sa première notion de look. Il comprit clairement qu’il y avait look et look, surtout le look à éviter. Contraint et forcé, il se rendit donc à la messe dominicale. Il s’enfonça sous la voûte de pierre d’une vieille église penchée, trempa la main dans le bénitier et eût toutes les peines du monde à surmonter sa stupéfaction lorsqu’il atteignit la nef. Un spectacle ahurissant l’y attendait. Dressé derrière un autel, un chanoine barbu aux yeux jaunes palabrait dans un dialecte inconnu. Étendue sur l’autel se trouvait une femme nue très poilue, si trash que l’avenir du rock sentit poindre au fond de sa culotte du dimanche une petite érection pré-pubère. Le chanoine Docre célébrait sa messe dans un épais tourbillon de fumées noires, tout son aréopage d’enfants de cœur toussait, et lorsqu’il leva les bras au ciel, l’assemblée brailla comme un seul homme, et spiritus sanctus, Omen !

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             Rien de plus Weird que ce souvenir de messe noire. Weird Omen ! En plein dedans. Sur scène, leur messe atteint une dimension qu’il faut bien qualifier d’huysmansienne. Aussi vrai qu’Huysmans fut en son temps considéré comme l’avenir du genre littéraire, nul doute que Weird Omen incarne celui du rock. C’est une évidence qui crève les yeux.

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             Pourquoi ? Parce que. Parce que power trio sax/poux/beurre, parce qu’accès direct à la modernité sauvage, parce que tu as tout Roland Kirk et tout le Steve MacKay des Stooges de «1970» dans la menace sourde de «1250», parce qu’aussi des relentless relents du «Starship» de Sun Ra pulsé par le MC5 lors d’une nuit d’apocalypse au Grande Ballroom de Detroit en 1969, parce que ces bien belles attaques frontales tiennent la dragée haute à tes principes éculés par tant d’abus, parce que «Shake Shake» te shake l’hip et le cocotier en même temps,

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    parce que le nouveau batteur Dam-o-maD bat le beurre des enfers et chante un «Runaway» qui va te hanter des jours entiers comme une sorte de «Sister Ray» avec sa fin apocalyptique emmenée en mode wild roller coaster par Fred le bien nommé, parce qu’un Sister Ray en fute de cuir noir ne gratte pas de fuzz mais des poux de clairette tout en twistant d’une seule rotule, ce qui contrebalance la folie Méricourt d’un Fred Kirk tentaculaire,

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    parce que «Jungle Stomp» tressauté dans les charbons ardents et roté au Kirking d’assaut frontal, parce que tu ne trouveras jamais tout ça chez les autres, tu trouveras autre chose bien sûr, mais pas ce mic mac de mish mash épouvantablement jouissif, si merveilleusement en plein dans le mille, parce que l’Omen crée une mad frenzy qui dépasse le langage, parce que Sister Ray demande qu’on lui foute la paix avec «Leave Me Alone» et une insistance purement velvetienne,

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    parce que l’insistance est, comme l’hypno du Velvet, la clé du problème, l’accès aux nues, le Graal du sonic trash, parce qu’encore mille raisons, parce qu’il savent atteindre un au-delà des genres connus, parce qu’ils poussent grand-mère gaga-punk dans les orties, parce qu’ils sortent du rang et qu’on a toujours adoré voir des gens sortir du rang, parce qu’ils écrasent les clichés gaga au fond du cendrier, parce qu’ils ne respectent rien excepté le lard fumant, parce qu’ils sont incapables de tourner en rond, parce qu’ils prennent la suite des Stooges et du Velvet sans jamais les imiter, parce qu’ils voient le son comme une transe et rien d’autre, parce qu’il savent l’apprêter pour mieux l’imploser, parce qu’ils créent leur monde et c’est un monde où tu te sens en sécurité, parce que tu respires un air brûlant.

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             Leur dernier album sans titre est un festin pantagruélique de son, bim badaboum dès le «Lost Again» d’ouverture de balda, classic Omen, superbe développement, ils s’auto-montent en neige à grosses giclées de relentless. Ils visent clairement l’apocalypse.

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    On assiste ensuite à un curieux phénomène : «No Brainer» prend feu et le chant l’éteint provisoirement. Nous ne sommes pas au bout de nos surprises car voilà le brûlant «Shake Shake», une stoogerie intense jouée au fond de la chaudière. L’Omen ne fait rien comme les autres. Globalement, ils excellent en matière de tenue de route et de vents brûlants. Tout est monté sur le même tempo de relentless absolu, et en visant l’apocalypse, ils se propulsent tous les trois vers l’avenir. Le rock de l’Omen brûle comme un feu sacré, terriblement stoogy dans l’âme. On retrouve en B ce beat rebondi et la propulsion nucléaire dès «Frustration». Ils caressent l’absolu du doom avec «IXO» et le saxent jusqu’à l’oss de l’ass. Tous leurs départs sonnent comme des appels à l’émeute. Ils ne s’en lassent pas, et nous non plus. Ils terminent avec «Leave Me Alone», un heavy groove de baryton à tonton et ça gratte des poux à la pelle, ça ramène du punch à la tonne, l’Omen ne baisse jamais les bras et ça part en raw gut from the undergut.

    Signé : Cazengler, Weird hymen

    Weird Omen. Le Petit Bain. Paris XIIIe. 27 février 2024

    Weird Omen. Weird Omen. Get Hip Recordings 2023

     

     

    Wizards & True Stars

    - Dylan en dit long

    (Part Six)

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             Bob Dylan et Martin Scorsese sont maintenant des vieux crabes. Scorsese a 80 balais et Dylan 81. Mais ce sont eux qui créent l’événement avec la parution en 2019 de Rolling Thunder Revue: A Bob Dylan Story. Pour eux, créer l’événement n’a rien de nouveau : ils ont fait ça toute leur vie. Il n’existe pas beaucoup de gens qui pourraient prétendre en faire autant. Scorsese n’en finit plus de dire qu’avant d’être le réalisateur de génie que l’on sait, il est avant toute chose fan de rock. L’énergie de ses films, y compris ceux consacrés à la mafia new-yorkaise, vient du rock. Bon, ça lui arrive de se vautrer, par exemple avec The Last Waltz ou Shine A Light, mais personne d’autre à part lui n’aurait osé balancer l’«I Ain’t Superstitious» du Jeff Beck Group dans Casino ou «Jumping Jack Flash» et les Ronettes dans Mean Streets.

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             Le team Dylan/Scorsese n’en est pas à son coup d’essai. No Direction Home: Bob Dylan est un classique du cinéma rock. Dylan y raconte ses débuts à Greenwich Village. Avec Rolling Thunder Revue: A Bob Dylan Story, Scorsese tape dans une autre époque, 1975, date de la fameuse tournée, et il restaure pour les besoins de son film celui qu’a tourné à l’époque un certain Stefan Van Dorp. Scorsese l’interviewe dans le film. Comme tout le monde, Van Dorp a pris un sacré coup de vieux, et il a son franc parler. Il n’est pas forcément aimable. Mais on s’en fout, on n’est pas là pour les amabilités. On est là pour Dylan qui, à l’âge de 34 ans, a déjà tout vu, tout lu, tout vécu, mais il lui faut encore inventer, comme il le dit si bien, face à la caméra de Scorsese, en 2005 : «Life is about creating yourself. And creating things.» Dylan est sans doute la plus pure incarnation de cette vérité. Alors pour continuer d’avancer, il a l’idée d’une Revue, The Rolling Thunder Review, Allen Ginsberg parle d’un «medecine show of old». Dylan voit plus «a kind of jugband». Pouf, il rassemble des musiciens pour monter une tournée informelle qui bien sûr sera déficitaire, trop de monde dans les deux bus pour des petites salles, mais Dylan y croit, il va même jusqu’à se transformer physiquement : il se farde de visage de blanc, comme un personnage de la Comedia Dell’Arte et se coiffe d’un chapeau fleuri. Dans le fard, Scorsese voit plus le Baptiste des Enfants Du Paradis, dont il incruste une scène dans le film, la scène où Baptiste debout devant un miroir en pied barre d’une croix blanche son reflet. Scorsese sait cuisiner les mythes.

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             Dylan conduit l’un des deux bus. Il part à la découverte de l’Amérique insolite, on the road with non pas the Memphis Blues Again, mais with the Rolling Thunder Review. Et le Thunder qu’il transporte avec lui porte un nom : Mick Ronson. Dylan a chopé le thunder de Ziggy Stardust et sur scène, Ronno fait des étincelles. Tous les plans scéniques sont extraordinaires, à commencer par une version explosive d’«Isis» - Isis/ Oh Isis/ You’re a mystical child/ What drives me to you is what drives me insane - On retrouve le hellraiser, le Dylan punk d’Highway 61, croisé avec le grand glamster d’Angleterre - I still can remember the way that you smiled/ On the fifth day of May in the drizzlin’ rain - Alors bien sûr, ce n’est pas un hasard si «Isis» se retrouve dans la première partie du film. Le thème du film, c’est l’énergie. C’est tout ce qui intéresse Dylan. Quand quarante ans plus tard, Scorsese lui demande ce qu’il retient de cette tournée, Dylan qui vieillit magnifiquement bien lui répond qu’il ne sait pas - What all that Rolling Thunder is all about ? I don’t have a clue - Alors Scorsese lui demande comment ça tient, et Dylan lui répond : «Energy». Scorsese ajoute : «Isis, this is the power. This is how it works.»

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             Sur scène, Dylan a du monde : Roger McGuinn qu’on voit vers la fin, Joan Baez qui vient duetter, une violoniste, Scarlet Riviera, on voit aussi des plans magiques de Ramblin’ Jack Elliott qui, pour Dylan, est plus un sailor qu’un singer. Sam Shepard fait aussi partie de l’aventure, en tant qu’observateur, Dylan dit qu’il a «a special clue of the underground». Le groupe fait une version assez demented d’«It Takes A Lot To Laugh It Takes A Train To Cry». Dylan tape aussi une version fleuve d’«Hard Rain’s Gonna Fall», rien n’a changé depuis l’âge d’or de ces chansons, on voit Dylan extrêmement concentré et en même temps très expressif, le fard blanc et le khôl autour des yeux n’y changent rien. Entre deux plans de Van Dorp, Dylan brosse pour Scorsese des petits portraits de ses invités, tiens comme Ronnie Hawkins, ou encore Allen Ginsberg - Il avait déjà obtenu du succès en tant que poète - Dylan précise pour ceux qui ne le savent pas que devenir poète à succès n’est pas évident, surtout à notre époque - Dylan continue avec Ginsberg - «He said : «The best minds of my generation destroyed by madness.» Very few poets have done that. Robert Frost, maybe : «But I have promises to keep/ And miles to go before I sleep.» And Whitman said : «I’m large. I contain multitudes.» - Dylan aurait aussi pu nous aussi sortir le fameux «Rage rage against the dying of the light» de Dylan Thomas, d’où vient d’ailleurs son nom. Mais il n’a peut-être pas osé. Ou trouvé ça trop facile. Il ajoute dans la foulée que les temps ont bien changé, the times they are a changin’ - Les poètes d’aujourd’hui don’t reach into the public counciousness that way. Aujourd’hui, les gens se rappellent de paroles de chansons, «Your cheatin’ heart will make me weep.» - Et il cite encore deux ou trois exemples. Scorsese filme Dylan et Ginsberg sur la tombe de Jack Kerouac. Dylan : «On The Road... He was talking about the road of life.» Il rend plus loin un hommage suprême à Joan Baez : «Joan Baez could sing anything. By a matter of fact I could hear her voice while sleeping.»

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             Et puis on assiste à une autre scène magique : «The Lonesome Death Of Hattie Carroll» sur scène. Joan Baez lui dit que c’est sa plus belle chanson. Dylan est en colère quand il la chante. Hattie Carroll est une servante black battue à mort par un blanc qui ne fut condamné qu’à six mois de ballon, alors ça fout Dylan en rogne. Et puis tiens, encore une autre scène magique et là tu serres la pince de Scorsese car tous les artistes qu’il nous montre sont des artistes exceptionnels : Joni Mitchell, accompagnée par Dylan et McGuinn dans une version de «Coyote» - No regrets, coyote/ We just come from such different sets of circumstance - Elle attaque au jazz vocal pur et c’est envoûtant. Dylan reste impassible. Il gratte avec elle, et derrière McGuinn gratte lui aussi comme un con. Van Dorp fait même un gros plan sur les ongles sales de Joni Mitchell. 

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             Et puis l’an passé, Dylan publiait son deuxième book, The Philosophy Of Modern Song. Un book attendu comme le messie. Ah la gueule du messie ! Premier gros défaut : le book paraît au moment des fêtes de Noël. Dylan gros cadeau tombé au beau milieu des agapes de foie gras et d’huîtres de la beaufitude ? Magnifique mauvais plan. La pire des associations. Dylan objet de consommation. En proie à une forme extrême de dégoût, on attendra six mois pour rapatrier l’objet et chasser les odeurs. Deuxième gros défaut : il n’y a rien de Modern dans ta Philosophy, Horatio Dylan. On va dire pourquoi.

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             Dommage, car le book se présente comme un bon régal. Format quasi-carré, pagination bien dodue de 300 pages, un ensemble graphiquement parfait, doté d’une iconographie tellement riche qu’elle donne un peu le vertige, surtout quand on est du métier. Le graphiste a soigné toutes ses doubles, il obtient de chaque image le rendement maximum, et traite les pages de texte à l’ancienne, avec des éléments décoratifs typo classiques qui rappellent ceux qu’on utilisait autrefois dans le Rolling Stone américain, qui était alors un modèle du genre. Les graphistes américains avaient compris que rock et typo faisaient bon ménage. Le designer du Dylan book s’appelle Coco Shinomiya, par contre, les images ne sont pas légendées. Coco obtient de certaines images un rendement extraordinaire (Roy Orbison, Little Walter, par exemple) et fait glisser le Dylan book dans la cour des grands, celle des livres d’art. Il utilise en plus un couché mat qui n’est pas très propice aux effets puisqu’il les apaise, ce qui rend la performance d’autant plus fulgurante. Et cette fois, le book n’est pas imprimé en Chine mais à Glasgow. 

             Un book, c’est comme un disk : ça s’examine, contenu comme contenant. On passait jadis du temps sur les pochettes d’albums à en extirper le moindre détail, comme on passe encore du temps aujourd’hui à estimer le grammage d’un bouffant ou à identifier la fonte d’un corps de texte. Les différences entre un Garamond et un Times sont infimes, mais en même temps déterminantes, puisque le Times fut dessiné pour la presse et le Garamond pour l’édition classique. Gallimard n’utilise que du Garamond. Pour le Dylan book, Coco Machin utilise aussi le Garamond. C’est une fonte qui joue avec ton œil. Même une petite édition de poche Folio, ça s’examine, car tu as un graphiste qui a fait des choix typo et d’illustration de couve pour rendre ta lecture agréable, il veille à ce que la qualité du contenant soit à la hauteur de celle du contenu.

             Trêve de balivernes. Bon tu baves en attaquant la lecture du Dylan book et très vite, tu commences à renâcler. Dylan travaille une notion de la modernité qui est la sienne, et peut-être pas la tienne. Il plante son décor dans des temps très anciens, et conçoit la modernité comme le principe novateur qui a permis de décoincer l’Amérique des années 50. Pour illustrer son concept, il choisit tous les vieux imparables, Hank Williams, Little Richard, Little Walter, Dion, Jimmy Reed et d’autres, complètement inconnus et qui ne peuvent plus intéresser les gens d’aujourd’hui. Dylan fait de l’histoire, ce que Kim Fowley appelait l’archéologie du rock, alors c’est foutu, car ça ne peut plus intéresser les kids. Dylan est un vieux bonhomme, il ne voit même plus l’avenir du rock. Il s’appuie sur ses valeurs sûres. C’est toute la différence avec Gildas, qui au seuil de la mort, clamait haut et fort qu’il y aurait encore des groupes avec des guitares, et il citait des noms. Pas de problème, il avait tout compris : place aux jeunes. Chez Dylan, c’est plutôt place aux squelettes. Même pas envie d’aller écouter les trucs dont il vante laborieusement les mérites. Il précède quasiment chaque texte d’un délire qui n’accroche jamais, et on se demande ce que ça a pu donner en français : c’est déjà imbuvable dans la forme originelle, alors on imagine ce que ça donne, une fois passé par les fourches caudines de la traduction, qu’on appelle aussi ici les abattoirs. Chlack, allez hop, ch’t’en débite une épaule, ch’t’en taille une cuisse, t’es payé à la carcasse, alors tu débites. Enfin bref, Dylan a pris un coup de vieux, il s’enfonce dans les ténèbres, comme tous les érudits, une fois passé le cap des 80 balais. Dans la cervelle, ça fait flic floc, et c’est normal. The Philosophy Of Modern Song se situe aux antipodes de Chronicles, un chef-d’œuvre lu et relu, ce qui rend la déception d’autant plus criante.

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             On attendait de Dylan qu’il nous parle des gens, et non pas de ce qu’il ressent en écoutant leurs disks. Bon, on ne va pas trop charger la barcasse, car le vieux Bob a encore des éclairs de génie, surtout quand il rend hommage à Hank Williams. Il se permet un petit aparté sur les temps modernes : «C’est le problème avec un tas de truc aujourd’hui : maintenant tout est engorgé, on est tous gavés comme des oies. Toutes les chansons n’ont qu’un seul thème, il n’y a plus de nuance ou de mystère. Alors les chansons ne font plus rêver les gens, les rêves suffoquent dans cet environnement privé d’air.» Bien vu, Bob. Discours de vieux, mais bien senti. Il poursuit sur sa lancée. Attention, poussez-vous, le voilà qui arrive : «Et ce ne sont pas seulement les chansons - les films, les émissions de télé, même les fringues et la bouffe, tout est soigneusement marketé. Sur chaque ligne du menu, tu as douze adjectifs, chacun d’eux étudié pour taper dans le mille de ton sociopolitical-humanitarian-snobby-foodie consumer spot.» Il pique une méchante crise et il a raison, car c’est exactement ce qui se passe. On nous gave comme des oies en permanence, dès qu’on est «connecté». Big Brother is watching you. Et le vieux Bob repart sur l’Hank : «There’s really nobody that comes close to Hank Williams.» Le problème c’est qu’on le savait déjà. Mais dit par Dylan, c’est mieux - Si vous songez aux standards qu’il a enregistrés, et il n’y en a pas des tonnes, he made them his own - Il sait dire pourquoi l’Hank a du génie : «La simplicité de cette chanson (Your Cheatin’ Heart) est la clé. Mais c’est aussi la force tranquille d’un chanteur comme Hank. La chanson semble lente parce qu’Hank ne laisse pas l’orchestre le dominer. La tension qui existe entre le near-polka rhythm et la tristesse dans la voix d’Hank mène le bal.» Il profite du passage à l’Hank pour rendre hommage à Willie Nelson, «le seul qui pourrait être vu dans le voisinage d’Hank.»

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             Son hommage à Little Walter vaut aussi le déplacement : «Il est aussi connu comme étant l’«electric blues harmonica originator, the master craftman and the prime mover.» Le vieux Bob ajoute que Little Walter s’appropriait les idées des autres pour en faire les siennes, et il cite l’exemple de «My Babe» qui existe depuis longtemps sous la forme du gospel song «This Train» - Walter a changé les paroles and made a classic performance out of it - Le vieux Bob retrouve sa grandeur d’antan en développant : «‘Key To The Highway’ est un update d’une chanson de Big Bill Broonzy. The key to the highway is a key to the cosmos, et la chanson entre et sort de ce royaume. La clé est celle qui permet de sortir de la ville. Elle devient de plus en plus petite dans le rétroviseur, une cité que vous êtes content de quitter à jamais. Quand Walter chante ‘I’m going back to the border where I’m better known’, il y croit dur comme fer. Il en a assez de Michigan Avenue et de Lakeshore Drive et de the Sears Tower. Little Walter ne se faisait pas appeler the back Door Man et il ne s’intéressait pas aux gamines de 19 ans. De tous les artistes signés sur Chess, il a dû être le seul qui ait eu véritablement de la substance. He could make anybody sound great. Il était évident qu’il n’allait pas vivre vieux.» Et là, on retrouve le Dylan génial du Theme Time Radio Hour, lorsqu’il brossait les portraits tragiques des géants du blues et du rock.

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             Il revient aussi sur le «Feel So Good» de Sonny Burgess pour donner l’une de ces leçons de culture rock dont il a le secret : «C’est un disque extrême, plus black que black, plus white que white. Il n’existait pas de nom pour ça dans les fifties, aussi personne ne savait comme vendre ces trucs-là, jusqu’au moment où le disc jockey de Cleveland Alan Freed inventa le terme ‘rock and roll’, inspiré d’une poignée d‘earlier risqué records’. Black and white country boogie and rhythm and blues, des deux côtés de la barrière, utilisant le même terme en forme d’euphémisme à peine voilé pour la copulation. Inutile de dire qu’avec ce terme, la vente de cette musique en fut grandement facilitée.» Puis le vieux Bob fait entrer les drogues dans le rock and roll, il évoque les drogues légales qui ne répondaient plus à la demande - Si tu te demandes comment une nation peut s’écrouler, regarde les dealers. Drug dealers in every city with bull’s-eyes on their backs, daring anybody to shoot them - On perd le Sonny et il y revient heureusement à la page suivante - Savoir si Sonny Burgess a lui-même composé «Feel So Good», ou si Sam Phillips a recyclé un cut de Little Junior Parker, comme il l’avait fait pour Elvis avec «Mystery Train», c’est un point de détail qui a disparu dans les sables du temps (lost to the sands of time). Sonny Burgess avait derrière lui a sweaty, sinewy band qui jouait derrière un grillage de poulailler soir après soir dans une série d’off-the-highway bucket-of-blood joints - Et il ajoute, magnanime : «This is the sound that made America great.» Il dit ça, car ailleurs il explique pourquoi l’America n’est plus great du tout. Mais alors plus du tout. C’est peut-être ici qu’il refonde sa notion de modernité : quand tous ces artistes dont il parle ont émergé, ils ont déniaisé ce pays peuplé de blancs cupides et racistes. Le rock’n’roll et le blues étaient alors d’une effarante modernité, celle qui allait révolutionner le monde et les vies des gens de notre génération. En avançant dans la lecture du Dylan book, la lumière se fait.

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             Fantastique portrait de Jimmy Reed avec sa guitare blanche et son gros costard. Big Boss Man ! «Jimmy Reed, the essence of electric simplicity.» Au-dessus de cette phrase, Coco Machin met l’image de Don Corleone. Le vieux Bob tire l’overdrive : «Tu peux jouer des centaines de variations du twelve-bar blues et Jimmy Reed devait toutes les connaître. Aucune de ses chansons ne touchait le sol. Elles bougent en permanence. Il était le plus country des blues artists des fifties. Il était habile et laid-back. Pas de béton des villes sous les pieds. He’s all country.» Et il ajoute plus loin : «No Chicago blues, rien de sophistiqué, léger comme une plume, il vole dans l’air et roule sur le sol. Dans le rock ans roll, le roll appartient à Jimmy Reed.» Et pour dire encore à quel point Jimmy Reed est un cas unique, le vieux Bob ajoute : «Aussi grand qu’il soit, Little Walter serait complètement déplacé sur un disk de Jimmy Reed. Pareil pour Jimi Hendrix. Et ce serait encore plus dur pour Keith Richards d’y trouver un truc à faire.» 

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             On se doutait bien que Bob allait saluer Dion. Il résume son parcours en une belle formule et rappelle qu’il a enregistré ces derniers temps un album the blues, «réalisant un de ses plus vieux rêves en devenant some kind of elder legend, a bluesman from another delta.» Comme tous les fans de Dion, le vieux Bob est frappé par la qualité de sa voix, «a breathtaking bit of vocal harmony» - et quand la voix de Dion éclate dans le pont, elle capture un moment de shimmering persistence of memory avec un éclat tel que les mots ne sont plus d’aucun secours - Et c’est là où le vieux Bob enquille son registre philosophique avec un brio purement dylanesque : «La musique s’inscrit dans le temps, mais elle est aussi intemporelle. On en fait des souvenirs, mais elle incarne aussi la mémoire. Quelle que soit la façon dont on la voit, la musique se construit dans le temps comme une sculpture se construit dans l’espace. Lorsqu’on vit avec elle, la musique transcende le temps, de la même façon que la réincarnation transcende la vie, en la vivant encore et encore.» La résonance de ces cinq lignes est d’autant plus énorme que ce sont les dernières lignes d’un book qu’on aurait voulu plus explosif, plus définitif. On s’est tout bêtement gouré de modernité. Celle du vieux Bob est bien plus fine que la nôtre. On s’est bien mis le doigt dans l’œil. Pendant toute sa vie, le vieux Bob t’a un peu forcé à réfléchir. Tu n’allais pas jerker sur ses chansons, tu tendais l’oreille pour essayer d’entendre le message. Et ce book tellement détesté au premier abord finit par s’imposer à son tour. Interroge-toi sur la notion de modernité. Mieux que ça : questionne tes propres notions. Le vieux Bob t’enseigne un truc de plus : tu découvres que tes notions sont figées, et le plus souvent ringardes. T’es plus dans l’coup papa, t’es plus dans l’coup, comme le chantait si gaiement Richard Anthony. Ce n’est pas le vieux Bob qui est largué, c’est toi. Mais au moins, tu secoues ton cocotier.

             Alors tu y reviens. Tu vas piocher dans John Trudell et boom, tu tombes en plein dans la dimension tragique du vieux Bob - Dans un square de Mankato, Minnesota, on peut voir une plaque commémorative indiquant que 40 Santee Dakota Indians ont été pendus dans les années 1870 - Le vieux Bob sort cette histoire pour rappeler que John Trudell est un Santee Dakota Indian. Attends, c’est pas fini - À la fin des années soixante-dix, John a conduit un cortège de tribus indiennes sur les marches du Capitole. Le lendemain, la caravane dans laquelle il vivait on the Duck Valley Reservation du Nebraska a été incendiée. On avait mis un cadenas sur la porte. La femme de John qui était enceinte, ses trois enfants et sa belle-mère ont brûlé vifs. Ceux qui ont foutu le feu n’ont jamais été inquiétés. Ça vous donne une idée du gouffre dans lequel John allait puiser pour écrire ses chansons - Le vieux Bob conseille de creuser un peu sur John Trudell - Il le mérite. Et quand tu l’as fait, creuse dans sa musique. L’idéal est de commencer avec AKA Grafitti Man, rempli de direct performances de John accompagné par son Oklahoma Soul brother Jesse Ed Davis.

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             AKA Grafitti Man est un album de rock classique américain, magnifique de power sourd. Quand on écoute «Rockin’ The Res», on comprend que le vieux Bob ait craqué. John Trudell chante sous le boisseau, à l’intestine, comme un Lanegan apache. Il s’y connaît en termes de «Restless Situation». Sacré veux Bob, quand il évoque le Trud, il sait de quoi il parle. Jesse Ed Davis joue à l’indienne sur «Baby Boom Ché». Comme le Trud fait autorité, ses cuts s’imposent invariablement. Avec «Bombs Over Baghdad», le Trud te prévient du danger. Mais c’est avec «Rich Man’s War» qu’il rafle la mise. Fantastique heavy boogie blues déclamatoire ! Il entre en littérature. On le voit à la suite chanter «Somebody’s Kid» avec une réelle profondeur de champ. Il est très à l’aise dans tous les domaines, y compris le heavy blues de «Never Never Blues». Dans «Beauty In A Fade», il croise l’indien avec le blues et y tartine un talk-over de telling story man. Édifiant !

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             Bob recommande aussi Bone Days. L’album est un peu plus indien, le Trud fait chanter un Grand Sachem dès «Crazy Horse» - We hear what you say - Même combat que celui de Buffy Sainte-Marie - One earth/ One mother - Chanson politique, plaidoyer pour un retour aux valeurs indiennes - We are the savage generation - Il a raison, le Trud, the people lose their minds. Il ramène encore de l’indien dans le morceau titre, avec en plus des percus, c’est fin et terriblement indien, le Trud est fabuleux de prescience, il partage son boisseau avec toi et fait chanter un Grand Sachem. Sinon, il reprend son bâton de pèlerin d’US rocker mais il reste en permanence tenté par les chants indiens sur des mid-tempos. Il chante son «Undercurrent» avec la voix d’un homme épuisé par la vie et les injustices, et une petite gonzesse vient duetter avec lui. Il emmène le dirty boogie de «Carry The Stone» sur le sentier de la guerre, il joue gras et ramène son Grand Sachem dans le gras du bide, avec des vieux relents de Stonesy. Il attaque encore son «Lucky Motel» au chant indien, avec en plus un sitar. Quel mic mac ! Il a cette manie géniale de chanter dans le groove, en mode story-telling. Et le Grand Sachem revient une dernière fois hanter «Doesn’t Hurt Anymore».

             Pour conclure sur John Trudell, Bob se fend d’un petit paragraphe éclairant : «Si l’on y réfléchit bien, la seule chose qu’on a tous en commun, c’est la souffrance, et seulement la souffrance. On vit tous des deuils, qu’on soit riche ou pauvre. Il ne s’agit plus des biens ni des privilèges, il s’agit de l’âme et du cœur, mais il y a des gens qui n’ont ni âme ni cœur. Ils n’ont pas de repère sur le bord du fleuve, pour leur indiquer la vitesse à laquelle ils avancent et vers quoi ils se dirigent. Et l’aspect le plus triste de cette histoire, c’est qu’ils n’iront jamais écouter John Trudell.»

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             Bob n’est au fond pas si vieux que ça. Dans son hommage à Warren Zevon, il salue Ry Cooder, car c’est Ry qu’on entend sur «Dirty Life And Times» - Ry Cooder is a man with a mission. Il n’existait pas de carte quand il cherchait la connexion between Blind Lemon Jefferson and Blind Alfred Reed, the place where conjunto met the gutbucket blues, où même un béquillard peut faire le duck walk. Ry lived and breathed it, apprenant au pied des maîtres et transportant le savoir comme des graines de région en région. Il a amélioré chaque disk sur lequel il a joué et beaucoup de ceux sur lesquels il n’a pas joué - En lisant ces quelques lignes, Ry Cooder a dû être drôlement ému. Bob rend aussi un hommage extraordinaire au Dead, un groupe qu’on ne peut comprendre que si on est américain : «Puis il y a Bob Weir. Un rythmique pas du tout orthodoxe. Il a son propre style, pas si différent de celui de Joni Mitchell, mais dans un autre genre. Il joue d’étranges accords augmentés et des demi-accords à des intervalles imprévisibles qui s’accordent bien avec le jeu de Jerry Garcia, qui joue comme Charlie Christian et Doc Watson en même temps.» Bob situe les concerts du Dead «in Pirate Alley on the Barbary Coast, right there by the San Francisco Bay.»

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             Il s’entiche aussi des Fugs rappelant, et il n’a pas tort, qu’acheter les albums des Fugs «c’était comme d’acheter ceux de Sun Ra» : «You had no idea what you would get.» Certains albums nous dit Bob sonnaient bien, «avec des gens qui démarraient et qui s’arrêtaient en même temps», et sur un autre album, on aurait dit qu’ils étaient enregistrés «avec une boîte de tomates en conserve accrochée au bout d’un manche à balai.» Il ajoute que les liners étaient parfois en Esperanto, te mettant au défi d’y comprendre quoi que ce soit. Bob salue leur «CIA Man» - live and slick and weird and primitive - Il rappelle dans la foulée que les Fugs tirent leur nom du roman de Norman Mailer, The Naked And The Dead, paru en 1948. La censure obligea Mailer à remplacer le mot Fuck par Fug, et les Fugs viennent de là. Bob se marre car les Fugs voulaient s’appeler les Fucks, mais ils ont opté comme Mailer pour la voie de la raison.

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             L’écrivain Bob profite d’un hommage au «Poison Love» de Johnnie And Jack pour deviser sur l’amour : «‘Poison Love’ is illicit love. Contrairement à ce que pense la plupart des gens, payer pour le sexe, c’est la meilleure affaire qu’on puisse faire. Les relations complexes coûtent beaucoup plus cher. Il vaut mieux aller chez les putes, ce n’est pas l’amour parfait, mais il y a beaucoup moins de problèmes. Vous n’irez pas chanter ‘poison love’. En payant pour baiser, vous avez ce que vous cherchez (si vous avez de la chance) et vous repartez indemne. Rien ne vous atteindra. Comme ils disent an Australie, pas de soucis. Poison love, c’est ce qu’il y a de pire. Ça peut vous tuer. Des tas de gens ne peuvent pas vivre sans une dose quotidienne de poison love.»

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             Petit hommage à Sam Phillips via le «Take Me From The Garden Of Evil» de Jimmy Wages. Bob ne sait pas qui joue de la guitare, c’est peut-être Luther Perkins - This is a Sam Phillips record. Raw and fearless as anything Sam ever recorded - Et plus loin, Bob dit que «Take Me From The Garden Of Evil» «might be the first and only gospel rockabilly record. This is evil as the dictator, evil ruling the land, call it what you will. Jimmy sees the world for what it is. This is no peace in the valley.» Quand Bob s’enflamme, le book prend feu. Il n’existe de Jimmy Wages rien de plus qu’une poignée de singles, un sur Sun et deux sur Norton. Merci Bob !

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              Dans un hommage à Webb Pierce, il brosse un sacré portait de Nudie : «Puis Nuta devint Nudie et quitta New York pour s’installer à Hollywood, où il fabriqua des costumes de danseuses sertis de pierreries de pacotille, puis tailla pour les hillbilly stars des costards de lumière qui électrifièrent les fans de Nashville à Bakersfield. Il broda des wagons sur Porter Wagoner et des toiles d’araignées sur Webb Pierce. Il couvrit Hank Williams de notes de musique et Elvis Presley de lamé or.» Et voilà qu’arrive Gram Parsons - Vous n’imaginez pas à quel point Nudie fut ravi de voir arriver Gram Parson, stoned au cannabis et rigolard, le représentant d’une génération qui croyait avoir inventé l’usage des drogues. Gram commanda un Nudie suit à thème. Des gens qui se situaient à la droite d’«Okie from Muskogee» furent surpris que Nudie accepte de faire ce costard, mais il avait un côté pratique, et comme ses dollars étaient aussi verts que son cannabis, Gram eut son costard. Bob the story-teller a encore frappé. 

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             L’hommage à Ricky Nelson est particulièrement balèze - Rick was part of a generation that had Buddy Holly, Little Richard, Chuck Berry, Gene Vincent, Fats Domino, and others, that made people from all nations, including commie countries, fall in love with America - Et le plus impressionnant de tous les portraits est sans doute celui qu’il fait de Townes Van Zandt, un Texan maniaco-dépressif soigné à l’insuline et aux électrochocs - Les traitements ont détruit une partie de sa mémoire, ce qui donne certainement à ses chansons such a skeletal detached feel - Alors Bob fonce dans la nuit : « Les rêves d’Elvis Presley furent remplacés par une passion pour les chansons plus tristes d’Hank Williams. Il erra et il but. Le Texas grouillait de musiciens qu’il fallait voir. Guy Clark, Gatemouth Brown, Jerry Jeff Walker, Butch Hancock, Doc Watson, Lightnin’ Hopkins, Mickey Newbury, et Willie Nelson. Newbury l’amena à Nashville, où il le présenta à Cowboy Jack Clement, un homme qui connaissait les comportements extrêmes, puisqu’il avait produit Jerry Lee Lewis. C’est ainsi que débuta un prolifique, tumultueux et finalement désastreux chapitre dans le vie de Townes, qui s’acheva dans des procédures, des accusations et des bandes effacées. L’un des moyens de mesurer la grandeur d’un compositeur est de voir qui sont ses interprètes. Townes has some of the best - Neil Young, John Prine, Norah Jones, Gillian Welch, Robert Plant, Garth Brooks, Emmylou Harris, and hundreds of others.» Et bien sûr, comme tous les ouvrages en forme de galerie de portraits, celui-ci gagne à être lu et relu. 

    Signé : Cazengler, Bob Divan

    Bob Dylan. The Philosophy Of Modern Song. Simon & Schuster 2022

    Martin Scorsese. Rolling Thunder Review: A Bob Dylan Story. DVD

    John Trudell. AKA Grafitti Man. Rykodisc 1986

    John Trudell. Bone Days. Deamon Records 2001

     

     

    Inside the goldmine

     - Antrell du désir

             Pas facile de savoir ce que Nave avait au fond de crâne. Ceux qui le connaissaient un peu cédaient à la facilité en disant de lui qu’il battait le nave. Jolie manière de dire qu’ils ne savaient rien de celui qui ne savait rien, ou qui ne voulait rien savoir. Il n’existe pas de rôle plus difficile à jouer au quotidien. Ne rien vouloir savoir ni entendre et conserver en même temps un semblant de sociabilité ? Essayez et vous verrez bien. La réserve est le plus souvent une disposition naturelle. Quand on l’observe chez quelqu’un, on l’apprécie. On l’interprète même comme une forme d’intelligence. Elle nous repose du caractère extraverti des commères du village, qui sont le plus souvent des gens assommants et d’une bêtise hallucinante. C’est l’une des raisons pour lesquelles on recherchait la compagnie de Nave, il nous reposait du chaos environnant, même s’il restait une sorte de soupçon quant à l’automatisme psychique de sa réserve. Non seulement il ne voulait rien savoir mais le moindre début d’aveu le mettait mal à l’aise. Il s’empressait d’écourter, disant qu’il ne voulait pas entendre la suite, surtout si l’aveu se faisait sous le sceau du secret.

             — Mais Nave, tu as peur de quoi ?

             — Si je tombe dans les pattes de la Gestapo, je ne dirai rien, puisque je ne sais rien. Tu comprends ?

             — Mais Nave, si tu tombes dans leurs pattes, pauvre imbécile, tu vas quand même mourir...

             — Oui, je sais bien, mais au moins je vais mourir héroïquement, pas comme une balance.

             — Et si tu tombes dans les pattes du KGB ?

             — Je subirai l’épreuve du sérum de vérité et là, ils verront bien que je ne sais rien. Donc je ne risque rien.

             — Tu as tout prévu...

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             Pendant que Nave bat le nave, Dave bave. Dave rêve d’un avenir de popstar. Comme des millions de kids à travers le monde, en 1970. C’est sur une compile Garpax qu’on a découvert l’existence de Dave Antrell. Quand on le voit en gros plan sur la pochette de son unique album solo, il n’est pas jojo, avec sa petite moustache et son bouc miteux, mais on change d’avis quand on l’entend chanter «Lost A Dream».

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    Avec ses faux accents de Donovan, il aurait pu devenir énorme. En tous les cas, «Lost A Dream» sonne comme un hit obscur. On se régale aussi du beau climat de Beatlemania qui y règne. Ce cut catchy est en deux parties. Curieusement, les deux cuts figurant sur la compile Happy Lovin’ Time (Sunshine Pop From The Garpax Vaults) n’apparaissent pas sur l’album. Le «Straight From A Rainbow» qui ouvre le balda aurait pu lui aussi devenir un hit, car voilà de l’excellente pop californienne. On se croirait chez les Monkees. Tout le gratin du Gold Star est derrière lui : Hal Blaine (beurre), Carol Kaye et Joe Osborne (bass), Al Casey (guitar), avec en plus tous les cuivres et tous les violons dont peut rêver une popstar en devenir. C’est très upbeat, très enjoué. Beaucoup d’allure. Encore un album et un artiste qu’il faut arracher à l’oubli. Il repart à l’assaut des charts avec «Midnight Sunshine», une pop énergétique. Antrell du désir se donne les moyens, mais il restera inconnu au bataillon. Forcément, son album est sorti sur un label obscur : Amaret. Et puis au fil des cuts, on se heurte aux aléas du monde pop : parfois c’est bon, parfois ça ne l’est pas. Mais avec Antrell du désir, c’est toujours bien foutu. Il devient plus ambitieux en B avec «The Clock Strikes Twelve». Franchement, il navigue au même niveau que Jimmy Webb. Il va chercher des subtilités dans les harmonies vocales et veille à ce que tout soit judicieusement orchestré. Rappelons qu’il compose tous ses cuts. Encore de la belle pop d’élan vital avec «Children Of The Sun». Ce n’est pas celui des Misundestood. Antrell du désir s’élance du haut de la falaise pour bondir dans l’azur immaculé. C’est un vrai jaillisseur, digne de Wim Wenders. Il sait parfaitement bien jouer la carte de l’élévation, comme le montre encore «Sunser», mais il n’y a rien de révolutionnaire chez lui, juste de la grande ampleur. Il termine ce bel album avec «I’m Taking No Chances», très upbeat, straight to my nerves, il est bien décidé à jerker sa pop, il le fait avec l’exigence d’un grand compositeur. Dommage qu’il en soit resté là. Il aurait dû persévérer, même s’il n’a pas une tête de popstar.

    Signé : Cazengler, Dave Entrave (que dalle)

    Dave Antrell. Dave Antrell. Amaret 1970

     

    Wilson les cloches

    - Part Two

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             Pour bien prendre la mesure du génie sonique de Jim Wilson, il est essentiel d’aller fureter dans la ribambelle d’albums qu’il a enregistrés avec Mother Superior, puis avec Henry Rollins. On parle ici d’une œuvre, qu’il faut ramener au niveau des celles de Wayne Kramer/MC5 et des Pixies. Pendant dix ans, Jim Wilson fit des étincelles en mode power trio avec Mother Superior, puis en l’an 2000, il accepta d’entrer au service du capitaine de flibuste Henry Rollins : grand bien lui fit, car après nous avoir cassé les oreilles avec Black Flag, Henry Rollins revint à de meilleurs sentiments au contact de l’inflammable Jim Wilson. Les clameurs d’abordage du Rollins Band allaient éclairer les années 2000.

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             Retour en 1993, quand paraît le premier album de Mother Superior, Right In A Row. Le jeune Jim nous avertit dès «Shake This Fever» : il est déjà le roi de la heavyness, et ses deux bras droits, Marcus Black et Jason Mackenroth sont déjà très affûtés. Soutenu par une section rythmique prodigieusement alerte, le jeune Jim ramène toute la viande du monde. La photo du trio qu’on trouve dans la boîboîte nous les montre tous les trois, ados américains avec des jeans en lambeaux et des cheveux longs. À les voir, on ne croirait jamais qu’ils puissent sortir un son pareil. Le ton est donc donné avec «Shake This Fever» et le bal des surprises ne fait que débuter. Mother Superior est le power trio à l’état le plus pur, et en plus, le jeune Jim chante pour de vrai. Pendant qu’il tartine son gras double, ses deux bras droits jouent un squelette d’heavy blues. Ils sont MILLE fois meilleurs que Cream. Le jeune Jim attaque «Goin’ Up In Smoke» et dévore le Smoke aussi sec. Il gratte une disto dévastatrice, il remplit le spectre, il crée du vertige en permanence, il s’installe au sommet du smart, il bâtit un mur du son et prend feu lorsqu’il part en solo. Pur sonic genius ! Il tape ensuite «Body & Mind» en mode Season Of The Witch, c’est dire l’ampleur de sa vision conceptuelle, et enchaîne avec «Shitkicker» qu’il prend au chat perché. Il chante ça à bout de souffle et battrait presque les Zizi Top à la course. Le jeune Jim ne casse pas la baraque, il la fracasse. Le voilà parti en mode heavy balladif avec «Stop Putting Me Down». Il le pousse bien dans les orties, et sur le tard du cut, il part en maraude. C’est un pisteur apache, rien n’échappe à son tomahawk. Il faut aussi le voir attaquer «No Doubt (In My Mind)» à l’anglaise. On croit entendre Paul Rodgers. C’est exactement la même langue-tentacule qui entre dans la vulve du son. Heavy Soul de heavy rock. Et il repart en mode heavy blues avec «PW Blues» à la grosse entente cordiale - I got a woman yeah/ She’s never satisfied - Il traite le vieux thème en profondeur - She never do no good - Il se plaint d’elle et plonge dans les abysses du blues. Il n’en finit plus de plonger. Le spectacle qu’il offre est extraordinaire. Il termine cet album effarant de qualité avec un «Strange Combination» gratté à coups d’acou en mode Led Zep III. Puis il se fâche et lâche ses légions de démons, histoire de tailler le cut en pièces aux accords anguleux d’atonalité. Et pour finir, il te recrache comme un noyau. 

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             Avec sa pochette ratée, Kaleidoscope n’inspire pas confiance. Sauf que boum badaboum, il t’envoie vite fait au tapis. Jim Wilson positionne dès «Got To Move» son Kaleidoscope dans le heavy rock blues des seventies - Now dig this ! - Alors tu dig. Tu te dépêches pour ne pas rater la parole d’évangile. Jim Wilson joue son heavy blow off à la façon de Mountain. Il réunit tous les poncifs. C’est un champion du full blown. Le coup de génie se trouve à la fin : «You Think It’s A Challenge». Il y fait du heavy Jim, il saute sur les remparts, il te wash out tout le heavy blues rock, il ramène tout le gras double des seventies. Cette pure merveille devient aussi précieuse que la prunelle de tes yeux. Encore de la heavyness avec «Must Be A Curse». De toute façon, tu le suis partout. Avec son gotta move on down the line, il bascule dans sa chère heavyness et gueule à s’en arracher les ovaires. Son «When I’m Alone I Feel Like Cryin’» est quasi-hendrixien. Tu crois rêver. Avec «Girl On My Mind», il passe au petit gratté de slowah, mais il te fait un heavy slowah de force 10. Il excelle à exprimer ses sentiments. Il sait aussi cavaler ventre à terre comme le montre «Count Me Out». C’est l’apanage du Jim : il sait faire sonner un sugar lips. Il en a la bave aux lèvres, et en prime, il te passe un killer solo flash. Il s’amuse bien avec son rock’n’roll blast. Cet album est une véritable aventure.

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             Les ceusses qui ont chopé Deep à l’époque sont des gros veinards, car maintenant, l’album vaut la peau des fesses. Very big album, produit par Henry Rollins. Bienvenue au pays de l’heavyness, et ce dès «DTMMYFG?». Alors on se demande ce que veut dire ce mystérieux acronyme. Jim Wilson pose simplement la question : Did The Music Make You Feel Good? Depuis l’origine des temps, Jim Wilson a le génie de la mise en bouche. Il sait poser les conditions de l’heavyness électrique. Tout aussi heavy as hell, voilà «Superman». Il accompagne toutes ses descentes en enfer de fabuleux camaïeux de notes et s’en vient planter son solo dans le cœur du cut. Personne ne peut aller plus loin que Jim Wilson dans l’exercice de cette fonction. Il manie l’heavyness à merveille, c’est sa came. Le solo coule tellement de source qu’il semble sortir de lui. Mine de rien, tu te retrouves là dans l’un des meilleurs albums de cette époque. Puis il pique une crise de speed avec son morceau titre, sa barbichette prend feu, le cut fonce comme un train fantôme devenu fou, c’est exceptionnel de wild drive. Avec «Fascinated», il ne perd pas de temps : il descend aussi sec au barbu. Ce mec est un desperado, il a déjà le chapeau et la barbichette à moitié cramée. Puis ils va sortir sa triplette de Belleville, trois coups de génie enchaînés : «What I Heard Today», «Crawling Back» et «Crazy Love». Il plonge directement dans sa bassine d’huile bouillante pour What I Heard. Personne ne l’a poussé. Il adore faire le beignet. Il prend l’heavyness complètement à contre-emploi. Il en devient génial. Il fait de l’Hugo sonique face à l’océan. Voilà sa mesure. Comment se fait-il que si peu de gens aient vu qu’il avait autant de génie ? Son What I Heard balance dans le ressac, Jim Wilson titube dans les décombres, il abrase tout aux vents de sable, il chante à contre-courant du contre-courant, c’est très spécial, très Wilson, il est l’Hugo de l’heavy rock, dressé face aux tempêtes de Guernesey. Il repart à l’assaut des éléments avec «Crawling Back», non seulement tu t’agenouilles devant lui, mais tu dresses l’oreille pour ne pas en perdre une seule miette, il chante à la pointe du beat, c’est stupéfiant, il t’emballe ça à la violence subterranéenne du don’t. Et restes dans son jardin magique avec «Crazy Love». Mais le jardin prend feu, c’mon ! et ça monte en pression à mesure qu’il ramène tout le son du monde.

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             Encore une pochette ratée pour l’album sans titre, Mother Superior, paru en 2001 et produit par son boss Henry Rollins. Tu aimes le blast ? Alors écoute «Zero’s Back In Town». C’est bombardé de son, cadenassé dans l’hardcore de no way out. Ça joue à la vie à la mort, avec un petit côté démonstratif, il faut bien l’admettre. Mais ça reste violemment bon. Ils tapent dans l’extraordinairement bon avec «Pretty Girls». Jim Wilson paye ses dues à Sabbath et aux autres cakes de l’heavyness des seventies. Il allume la gueule du mythe. Le «Whore» d’ouverture de bal est une belle énormité. Jim Wilson embarque sa whore pour la Cythère des enfers, avec un killer solo flash à la clé. Wow, quelle dégelée ! Nouvelle dégelée avec «Worthless Thing». Jim Wilson a un sens aigu de l’invasion. Il t’envahit vite fait. Il parie sur le stomp et rafle la mise. Il mixe la cavalcade avec le killer solo d’arrêt mortel et le wild as fuck. Autant dire que ça mousse. Il faut aussi le voir claquer son «Fell For You Like A Child» sous le couvert d’un certain boisseau.

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             Côté pochettes, ça s’améliore brutalement avec celle de Sin. C’est le plan des fameuses pochettes rouges (Slade Alive et le Grand Funk de Grand Funk Railroad). Au plan musical, Sin est un tout petit peu moins dense que les albums précédents. On croise une «Jaded Little Princess» montée sur les accords du «Sweet Jane» de Lou Reed. C’est exactement la même ambiance, le même swagger de boulevard. L’autre morceau phare de Sin est un heavy blues, «Spinnin», une belle descente au barbu. Jim Wilson n’oublie pas la règle d’or de Clovis Trouille : sous la robe de bure palpite le plus pur des barbus. Jim Wilson transforme son heavy blues en chute du Niagara, c’est un vrai déluge de son. Il fait du Superior supérieur avec «Strange Change». Wayne Kramer traite Jim Wilson de «missing link between Little Richard and a 100 Watt Marshall Amp». «Strange Change» est de l’heavy jus de jouvence avec une wah en contrepoint. Sur cet album, tout est une fois de plus drivé à la gratte. Il joue encore sa carte de heavy dude avec «Ain’t Afraid Of Dying», il chauffe sa baraque aux éclats subliminaux et passe avec «Fool Around» au big balladif. Il arrose toute la stratosphère de son, il devient presque black à force de romantisme downhome. Jim Wilson a du génie. Globalement, tous ses cuts ont de la tenue. Il chante bien et il sait placer ses riffs. Il n’engendre que de la délectation. Il faut le voir dans «Rocks» exploiter des rythmiques de bon aloi ! Il n’en finit plus d’injecter de l’heavy load dans ses cuts. Il termine avec l’excellent «Fade Out Wounded Animal» - I’m a wounded animal/ I’ve a bleeding heart.

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             Wayne Kramer produit 13 Violets. Il faut donc s’attendre à un festin de son. Et à des coups de génie, comme par exemple «*****» joué aux power-chords de marche arrière, pas de pire marche arrière que celle-ci, et tu as un refrain de chœurs de renvois, un vrai piétinement de Bérézina, une hérésie du rock moderne. Ça continue avec «Queen Of The Dead» et là, ça cavale au sommet du genre, ce démon de  Jim Wilson te taille un hit sur mesure - She’s all I want/ Queen of the dead - Il te plaque ça avec une candeur démente, comme si de rien n’était. Encore une belle énormité avec le morceau titre, noyé de power, même la voix se noie dans le remugle, ça gouille de dynamiques, ils sont passés à autre chose. Si tu tends l’oreille, tu entendras aussi des accents de Cream. Et voilà la triplette de Belleville : «Turbulence», «Fuel The Fire» et «Did You See It». Tu prends la dégelée de «Turbulence» en pleine poire, avec Jim Wilson, ça ne rigole pas, il envoie la disto maximale en éclatant de rire, ha ha ha, puis il attaque son «Fuel The Fire» à l’anglaise classique et pose là-dessus un chant très anglais, en mode heavy blues rock, puis il dégomme son «Did You See It» à coups d’accords à contre-temps. Ce sont les accords des Creation. Tout est bardé de barda, pur sonic trash ! Jim Wilson a de l’envergure. Il sait aussi caresser la comète du groove de Soul, comme le montre «Everything Is Alright». Pour ce faire, il ramène des cuivres. Il est tellement surprenant qu’il échappe à tous les radars. Il construit son œuvre. On devrait le décorer pour ça. Il met ses idée en scène. Ses idées valent de l’or. Avec «Kicked Around», il vise la cavalcade par dessus l’horizon. Rien que ça.

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             Moanin’ est probablement le meilleur album de Mother Superior. Ils n’arrêtent pas. Tu as au moins trois coups de génie, là-dedans, et une Stoogerie. Tiens on va commencer par elle : «A Hole», tout un programme ! Lancé comme une attaque, mais avec les riffs des Stooges. Et Jim Wilson plonge dans le fleuve de lave, c’est du big Motha fondu dans les Stooges. Extraordinaire ! Il faut avoir entendu ça au moins une fois dans sa vie. Il fait à la fin de l’album une version démente de «Jack The Ripper». Quelle avalanche ! Tu n’as pas le temps de t’enfuir. Ça prend des allures folles à la Asheton. Jim Wilson est un génie du mal. Pas de pire fournaise. Coup de génie encore avec «This Song Remains Me Of You», Jim Wilson fout le feu dans l’intro, il t’explose cette belle love song en bouquet d’harmonies doublé d’un heavy shuffle de gaga demented. Alors il part en vrille et te démolit tout le jeu de quilles. Encore une fois, il te tombe dessus et tu n’as même pas le temps de dire Omen. Killer Jim Wilson ! Il finit en solo d’apocalypse et t’aplatit pour de bon avec un solo de wah qui n’en finit pas. Cette fois, tu te jures que tu n’y mettras plus les pieds. Mais trop tard, car voilà «Get That Girl», vite expédié en enfer, en mode Basement Five - Watch out ! - Il te dégueule dessus, ce power trio détient tous les tenants des aboutissants. Jim Wilson se situe à l’extrême limite de la saturation. Et voilà «Little Mother Sister» qui va annoncer la suite. Jim Wilson en profite pour lâcher une armée de démons sur la terre, avec un solo qui s’étrangle de rage. Son «Fork In The Road» est complètement dévastateur, et soudain, on réalise que Jim Wilson porte la barbichette du diable. Il passe au Punk’s Not Dead avec «So Over You». Listen ! Ils te fondent dessus comme des démons échappés d’un bréviaire, c’est plein de vie et de fantastique énergie, away sail away, il lui demande de dégager vite fait. Même sa cocote pue l’enfer, comme le montre «Erase Her». Il lâche des nuages de soufre, il concentre tous les maux de la terre, ses solos sont des modèles de tisonnage, Jim Wilson et une bête de l’Apocalypse, il pue à la fois la Stoogerie et la chair brûlée, et encore une fois, il claque un solo digne de ceux de Ron Asheton.

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             Three Headed Dog est un bon album, même s’il est un peu moins dense que la brute immonde qui le précède. Jim Wilson annonce la couleur d’entrée de jeu avec «(I’m) Obsessed». C’est comme qui dirait réglé d’avance : il va te chauffer la cambuse pour l’hiver. C’est un roi des fournaises. Il ne jure que par les pelletées de braise et ses descentes au barbu restent spectaculaires. Avec «False Again», il fait du Fast Eddie Clarke, il joue à la surface des flammes. Il amène «Shady Lady» comme une marée du siècle. Ses power-chords deviennent historiques. Il ralentit un peu le mouvement avec «Today That Day», il tape un heavy slowah comme le fait si bien Reigning Sound. Jim Wilson a tout le power du monde au creux de ses mains. Il redevient un démon pour «Panic Attack». Il fait de l’heavy punk de Motha, très buté, stop/start, et ils repartent au Goddamnit. Son seul vice est de vouloir t’emmener chaque fois en enfer. Mais c’est pour ton bien. Jim Wilson est aussi un chanteur puissant : il distille le poison de son power à petites doses dans le fond de sa gorge, comme le montre «Sleep». On se rend malade à force de fréquenter des artistes aussi doués. Il tape son «Left For Dead» à l’énormité prévalente, il le noie dans la purée. Spectacle dégoûtant. Il termine avec un «Standing Still» d’une déroutante qualité artistique.

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             Grande, le dernier album en date de Mother Superior, est paru en 2008 sur un petit label toulousain, Kicking Records. Grande bénéficie d’une très belle pochette, bien dans l’axe Mère Supérieure des surréalistes. Il s’agit d’une collection of Mother Superior songs old, new borrowed and blues, comme l’indique le dos de la pochette. Le coup de génie de l’album est la cover d’«Happiness Is A Warm Gun», chef-d’œuvre lennonien tiré du White Album. Jim Wilson cocote bien sa purée d’I need a fix/ Cause I’m going down. Il surgit comme un saumon dans le Mother Superior jumped the gun, puis il se fait sécher au soleil d’Happiness - And I feel my finger on your trigger/ I know nobody can do me no harm - C’est bien que des grands artistes comme Jim Wilson puissent rendre hommage à John Lennon - Well don’t you know that happiness is a warm gun momma ? - Ceci dit, on trouve pas mal de petites énormités sur cet album bien né, comme par exemple «Five Stars», puissant, joué en retenue, avec un riff alourdi qui affale au longeant par bâbord. «Brain Child» va plus sur l’heavy doom, un empire que Jim Wilson aime à bâtir, mais on n’en voit guère l’intérêt, comme dirait Martin Guerre. Le «Meltdown» qui ouvre le bon bal de B sent bon la Stonesy, mais aussi Free, dans l’idée du riff.

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             Et puis tu as toute la période Rollins Band, qui démarre en l’an 2000 avec l’épuisant Get Some Go Again. Tout n’est que blast, luxe et volupté sur cet album. Ça grouille de puces. Hommage stupéfiant aux Groovies de «Teenage Head» avec «Monster». Jim Wilson descend en mode heavy Leigh Stephens dans les Groovies de Roy Loney et ça donne un sommet un lard fumant. Rollins chante jusqu’au bout de ses forces et Jim Wislon cloue le cut au ciel lors d’un sacrifice d’une effroyable noirceur. De toute façon, tu comprends dès «Illumination» que le ciel va te tomber sur la tête. Rollins raconte qu’il traverse des yellow deserts et pose son yeah, c’est un féroce screamer, et bam !, Jim Wilson part en vrille de no way out. Bienvenue du paradis du sonic blast ! Ici tout prend feu sans qu’on sache pourquoi. Rollins scande son morceau titre - Get some/ Get some - et l’attaque de plein fouet. Il chante vraiment comme un capitaine de flibuste, ce n’est pas une vue de l’esprit. Il chante à l’abordage, il monte à l’assaut du rock, c’est très physique, et Jim Wilson lève des tempêtes. Ils tapent «Thinking Cap» au heavy beat tribal et ça ressemble très vite à une invasion, yeah, la menace est là, dans la voix de Rollins, il chevauche en tête, sur un petit cheval, c’est lui Attila, menton rouge de sang. Tant de power te fait rêver. Ah ah, Rollins se marre. Et tu vois «Change It Up» s’écrouler aux accords de trombose, ils tapent dans toutes les configurations - Life’s so Short ! - Nouvel assaut avec «I Go Day Glo», Rollins shoute tout à la force du poignet et enfonce ses Oh Yeah Oh Yeah comme des clous dans des paumes. S’ensuit un hommage cinglant à Lizzy avec une cover d’«Are You Ready». Et ça continue de brûler jusqu’à la fin, les accords de Jim Wilson éclosent comme des Fleurs du Mal dans «On The Day», «You Let Yourself Down» explose à coup d’all nite long, Jim Wilson noie «Brother Interior» dans les poux et Jason Mackenroth bat le beurre du diable dans «Hotter & Hotter». Il arrive un moment où ta cervelle jette l’éponge. Trop c’est trop.

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             Attention, il existe une version enhanced de Get Some Go Again : sur le CD2, tu as quatre killer cuts et des vidéos. Franchement, ça vaut le détour, même si on vient de faire une petite overdose avec le CD1. On se régale de la grosse cocote cra-cra de Jim Wilson sur «Side By Side». Il t’installe au cœur de la heavyness et part en sale vrille dégueulasse. Il refait le coup dans «100 Miles» avec un killer solo flash qui restera dans les annales. Et voilà le clou du spectacle : une version live de «What Have I Got», montée en épingle d’Ararat dans un déluge apocalyptique. En bon pirate tatoué et barbare, Rollins stone fait son monster basher - What Have I got?/ Nothing much at all.

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             Un autre double CD paraît 5 ans plus tard sur le label d’Henry le pirate, 2.13.61 Records : Get Some Go Again Sessions. Sur la pochette on peut lire : Henry Rollins & Mother Superior. On a pendant des années considéré ce double CD comme l’un des plus explosifs de l’histoire des explosions. On y retrouve bien sûr tous les hits de Get Some Go Again, mais bruts de décoffrage. On a l’impression d’écouter l’album de blast définitif. Il faut entendre Rollins stone attaque «Monster» au I’m a monster, entendre la chape de plomb d’un «Illumination» heavy as hell, avec un Rollins stone qui hurle tout ce qu’il peut, l’encore plus brutal «Thinking Cap», gratté dans le chaos d’une fournaise extrême, c’est gorgé de power avec un Jim Wilson qui rôde dans le chaos, et puis tu retrouves le «Change It Up» tapé au blast de funk, gratté aux accords de fer blanc, des accords qu’on n’entendra jamais ailleurs. Sur la version d’«Are You Ready», tu as Scott Gorham qui vient foutre le feu à Lizzy. C’est son métier. Et ça devient encore plus mythique avec «Hotter & Hotter» car Wayne Kramer entre dans la danse, il est l’œil du cyclone, ça en fait deux avec Jim Wilson, c’est battu à la Mother par ce fou de Jason Mackenroth. C’est lui le propulseur nucléaire. Et ça monte encore d’un cran avec «LA Money Train» - So Jason are you ready ? - Yeah ! Wayne Kramer reste dans la danse et Rollins stone lance son talking blues - All aboard - Ça gratte aux funky guitars. Pur genius d’Henry Rollins qui en fait est un spécialiste du talking blues. Ah il faut avoir écouté ça au moins une fois dans sa vie - Yeah I get so tired of all the drama - C’est un texte fleuve qu’il swingue à la force du poignet - Sometimes I think it’s all over/ No more Coltrane/ No more Duke/ No more Monk, Jimi, Otis, Aretha, Daisy, or Sly/ And no one seems to stop and wonder why/ And I turn on the radio and it makes me wanna cry/ Because I know it’s never gonna come around again/ And it makes me cry because I know that there’s so many people who’ll never get to hear Mahalia Jackson, Mississippi Fred McDowell, Lightning, Lemmon, Curtis, Marvin, and the Reverend Al Green - Il se plaint de la médiocrité qui s’est abattue sur la terre - The airways are clogged and it’s not looking good/ In fact it’s looking pretty mediocre out there/ But I digress - «LA Money Train» est l’un des très grands chefs-d’œuvre de l’histoire du rock américain, tous mots bien pesés. C’est la raison pour laquelle il faut choper les Get Some Go Again Sessions. Après, ça continue avec «Side By Side» et sa grosse cocote, cut palpitant de power occulte à la Sabbath, avec un Jim Wilson qui part en rase-motte délétère, suivi de «100 Miles» heavy as hell d’I want your blood. Impossible de faire plus heavy. Rollins stone étale son power dans la purée de Mother. Jim Wilson atteint encore à la démesure avec «Summer Nights», il reste ce guitar hero si prodigue de beauté et de violence. Ils attaquent le disk 2  avec «Yellow Blues», idéal pour ces Bêtes de l’Apocalypse que sont Rollins stone et Mother. Puis ils plongent «Don’t Let This Be» dans un bouillon d’heavyness. Ils sont au sommet du genre. Ils aplatissent tout le rock, le beat avance à pas d’éléphants. Plus heavy, ça n’existe pas. Rollins stone hurle dans la cave de l’Inquisition. Ça fout la trouille. Et tout se barre en sucette dans «Coma». C’est du grand art dégénéré. Rollins stone pousse les hurlements d’un loup qui serait devenu fou. Jim Wilson te tombe encore dessus avec «Hold On». Il continue de dérouler la pire heavyness d’Amérique - You must hold on/ Cold nights/ Long nights - On croise encore une version d’«Illumination», ce heavy groove urbain tailladé d’incursions massives, enfin bref, ça ne s’arrête pas. Ils bourrent le mou du rock jusqu’au bout.

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             Le Nice qui sort en 2001 est ce qu’on appelle ici une abomination. Un album explosé d’entrée de jeu avec un «One Shot» digne du MC5, avec en plus tout le poids de Rollins stone dans la balance - You take one shot - et Jim Wilson plonge aussitôt le cut vivant dans la bassine d’huile bouillante. Tu as là l’un des sommets du rock américain. Un de plus. Pas compliqué : tu as trois coups de génie enchaînés, «One Shot», «Up For It» et «Gone Into The Zero». Ah le power inexorable d’«Up For it», une vraie dégelée royale de stay up for it et ça se répand all over avec «Gone Inside The Zero», Rollins stone se jette dedans, c’est de plus en plus explosif, il n’existe rien de plus dense ici bas. Rollins stone installe encore la suprématie de l’heavyness avec un «Hello» qu’il scande, hello darkness ! Il passe au rap avec «Your Number Is One», il va chercher des vibes sous le boisseau, et soudain il surgit, one ! One !, et le saumon Jim Wilson gratte dans l’arc en ciel des légendes celtiques. Il faut aussi saluer les dynamiques acrobatiques de Marcus Blake et de Jason Mackenroth. Des lèpres d’heavyness ravagent «Stop Look Listen» et Maxayn Lewis vient faire des chœurs dans «I Want So Much More». Pur power de Rollins stone - I want get some ! - Trompette ! Demented ! Encore de l’heavyness maximaliste avec «Hangin’ Around», Rollins stone écrase bien le champignon d’oh yeah, il ramène tout l’oh yeah qu’il peut dans la soupe aux choux de la mère supérieure. Tu vois Jim Wilson se faufiler comme une couleuvre de printemps dans les moiteurs de l’épaisseur et soudain, ça prend feu ! Avec Wayne Kramer, il est le géant incontestable du wild sonic fire. Encore plus heavy, comme si c’était possible, voici «Going Out Strange», ça culmine jusqu’au vertige. Le vertige, c’est leur fonds de commerce. Ça cloue dans les paumes à coups redoublés. Et ça s’arrête enfin avec «Let That Devil Out» monté sur un groove de jazz bass de Marcus Blake. Furia del diablo. Blake te monte ça en épingle demented.

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             A Nicer Shade Of Red paraît aussi sur 2.13.61 Records, le label de Rollins stone. Ce sont des albums difficiles à trouver. Dans la distribution des rôles, Rollins n’est pas crédité vox mais throat. Départ en trombe avec «Too Much Rock & Roll». Jim Wilson te travaille ça au tison ardent et Rollins stone lance l’assaut à coup d’Oh yeah. C’est vite plié à coups de clameurs extravagantes. Retour aux affaires sérieuses avec «Marcus Has The Evil In Him». C’est l’enfer sur la terre, ils creusent des tunnels dans ta cervelle. Jim Wilson zèbre tout ça d’éclairs, comme Zorro. On reste dans les affaires sérieuses avec un «Nowhere To Be But Inside» battu à la vie à la mort. Rollins stone mène son bal à l’énergie pure et Jim Wilson en rajoute. «10X» est heavily evil ou evily heavy, c’est comme tu veux. Punks’ not dead avec «Always The Same» - You/ Dont/ Like me/ It’s always the same - Assaut magnifique de punkitude américaine, l’une des rares qui soit éligible, d’autant que Rollins stone te la monte en neige et que Jim Wilson te l’explose au killer solo flash. Qui saura dire la grandeur de Mother Superior ? «Raped» sonne un brin hardcoreux, à cause du titre, sans doute. Idéal pour la bande son d’Irréversible - Fuck you/ Fuck me - Le Rollins y met toute sa gomme de gommeux californien. Puis ils tapent une cover d’«Ain’t it Fun» des Dead Boys, Jim Wilson y fout le feu, c’est plus fort que lui. Puis il renoue avec sa dimension antique dans «You Lost Me», cris d’éléphants de combat et clameurs de boucherie, c’est lui Jim Wilson qui fait l’éléphant. Rendu fou par les centaines de flèches fichées dans sa peau, il piétine tout. On peut dire que Rollins stone a de la veine d’avoir ces trois mecs-là derrière lui. On retrouve l’excellent «Your Number Is One» en version longue. Les Mother sont très complets : Jason-beurre du diable, Marcus-God bassmatic et Jim Wilson-défi permanent aux dieux de l’Olympe. Ils tapent le cœur de cut aux percus et Rollins scande son one one the only one. Tu es vraiment content d’être là. C’est encore Marcus Blake qui claque l’intro de «Such A Drag» et Jim Wilson se farcit le shuffle d’orgue - Sometimes it’s such a drag - et ça vire talking blues de Rollins stone le héros. 

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             Encore un 2.13.61 Record qui vaut le détour : The Only Way To Know For Sure. Car ce sont des versions live de toutes abominations pré-citées. Tu retrouves «Up For It» que Jim Wilson lance au riff insistant et ça devient addictif. On se retrouve au sommet du genre, comme avec les Screaming Trees. Sur «What’s The Matter», Jason Mackenroth bat comme un démon abandonné du diable. Rollins stone annonce ensuite «Tearing» - This song is called Tearing Me Apart yeahhhhh ! - et il se jette à l’eau comme Tarzan sur Jane. Pour une raison X, «Illumination» n’atteint pas le niveau de la version studio et ça repart ventre à terre avec «Hotter & Hotter». Rollins stone ne parvient pas à créer sa magie, c’est Jim Wilson qui vole le show. Il flotte comme un vampire au dessus de la fournaise. S’ensuit la fantastique dégelée d’I’m A monster. Ça devient enfin très sexy. Puis ça explose avec «Stop Look Listen», ça joue dru, à la pluie de feu, ils te collent au mur. Ces mecs n’en finissent plus de gagner les régions supérieures de la fournaise intégrale. Encore un appel à l’émeute avec «All I Want», Rollins stone grimpe sur la barricade, please please ! Puis il rentre à coups d’hello dans le chou de son vieux «Hello». Nouvel assaut avec «One Shot», Rollins stone semble chanter avec une meute de loups, ça bombarde encore plus qu’au temps du Bomber de Motörhead. Explosif ! Et ça grimpe en apothéose avec «Going Out Strange». Rollins stone chevauche un dragon, avec toute la heavyness du monde derrière lui - I don’t care going out strange - Big man Rollins assomme ses cuts d’un coup de poing, comme l’ancêtre de Jerry Lee qui assommait un bœuf d’un seul coup de poing et que décrit Nick Tosches dans Hellfire. L’autre image qui saute aux yeux : Rollins stone jaillit des torrents comme un saumon pourri et tatoué. Puis Jim Wilson tape «Thinking Cap» aux accords des Stooges sous un boisseau de plomb - You’ve got soul/ If you don’t/ You wouldn’t be in there - Acclamations ! Rollins stone fait un prêche demented puis il tape sur la tête du beat de «Get Some Go Again». Il est probablement la pire brute d’Amérique. Riff raff de no way out et ce dingue de Jim Wilson refout de feu. Ils terminent cette virée infernale avec un «Your Number Is One» qu’annone Rollins stone et bien sûr, c’est claqué du beignet, on voit ce saumon géant tatoué tituber dans les fumées du groove. 

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             Alors attention, c’est encore un enhanced CD, et le disk 2 est encore pire que l’1. Rollins stone l’attaque avec «Gone Inside The Zero» - Shut your mouth now cause it’s gonna be a little bit introspective - C’est du hardcore, le pire, atrocement violent, puis ils embrayent le destroy oh boy de «Nowhere To Go But Inside», Jim Wilson is on fire et les deux fous derrière fourbissent le pilon des forges. Ils enchaînent deux covers fatales, l’«Are You Ready» de Lizzy et le «Do It» des Fairies. Rollins stone lâche sa meute. Il explose la rondelle de Lizzy en mille morceaux. Ah ces Américains, ils ne respectent rien ! Power demented pour Do It, ultime hommage apocalyptique. Ils bouffent les Fairies tout crus. Il n’existe pas de pire power que celui de «You Don’t Need». Les Mother sont les Demeter du rock, les mères de la terre, et avec le Rollins stone, ils règnent sans partage sur la terre comme au ciel. Rollins stone réclame encore du rab avec «I Want So Much More». Il est aux abois. On l’admire pour sa violence verbale. Cet album relève du surnaturel, le mélange des deux powers (Mother + Rollins) échappe aux normes. On frise encore l’overdose avec «Always The Same», tout flambe jusqu’à l’horizon, les villes et les plaines, puis «We Walk Alone» s’en va rôtir dans les flammes de l’enfer, Rollins stone se hisse au sommet du genre et tout finit par s’écrouler dans les flammes avec «Marcus Has The Evil With Him», trop heavy beaucoup heavy, les cocotes se mêlent et Rollins pousse. C’est atroce.  

    Signé : Cazengler, Mother Inferior

    Mother Superior. Right In A Row. Not On Label 1993

    Mother Superior. Kaleidoscope. Top Beat 1997

    Mother Superior. Deep. Top Beat 1998

    Mother Superior. Mother Superior. Triple X Records 2001

    Mother Superior. Sin. Muscle Tone Records Inc. 2002

    Mother Superior. 13 Violets. Top Beat 2004

    Mother Superior. Moanin’. Bad Reputation 2005

    Mother Superior. Three Headed Dog. Rosa Records 2007

    Mother Superior. Grande. Kicking Records 2008

    Rollins Band. Get Some Go Again. DreamWorks Records 2000 

    Rollins Band. A Nicer Shade Of Red. 2.13.61 Records 2001

    Rollins Band. Nice. Steamhammer 2001

    Rollins Band. The Only Way To Know For Sure. 2.13.61 Records 2002 

    Henry Rollins & Mother Superior. Get Some Go Again Sessions. 2.13.61 Records 2005

     

    *

             Y a des chiens plus méchants que d’autres, celui-ci jouit d’une étrange particularité, qui l’eût cru, il est cru. Les esprits rationnels affirmeront que tous les chiens sont crus à moins que vous ne les fassiez cuire. Oui mais j’insiste celui-ci est particulier, il possède deux têtes. Ne criez pas que je raconte n’importe quoi, c’est un chien dans l’air du temps, il respecte la mixité sociale, une tête féminine, une tête masculine. Si vous ne me croyez pas relisez la chronique 382 du 15 janvier 2019, pas en entier il suffit de se rapporter à celle qui s’intitule :

    RAWDOG

              Un concert à La Comedia, avant que l’ordre moral libéral – comme ces deux mots riment très bien ensemble - ne réussisse à faire fermer cet antre de liberté, bref z’étaient deux sur scène, une fille-un gars, j’avais beaucoup aimé, or ils viennent de sortir une vidéo, que voulez-vous quand la meute aboie, l’on se rameute pour voir :

    FILE MOI TON GUN

    (Vidéo Clip Officiel)

    z23436filegun.jpg

             La zique balance sec. Les images sont vacancières. On joue au ping-pong. Non le tueur n’est pas loin, oui il est tout près. Dès qu’il se montre, on s’amuse comme des gosses. Balançoire et trampoline. Un véritable jardin d’enfants. La traque commence. Le jeu du chat et de la souris. Se prennent pour des agents secrets (doivent lire Rockambolesques toutes les semaines). Je vous laisse découvrir la fin. En plus il y en a deux. Soyons logique si Rawdog a deux têtes pourquoi n’aurait-il pas deux arrière-trains. La dernière est la plus marrante. Plus le générique est long, plus il est bon. La première est beaucoup plus subtile. Pose les questions embarrassantes, quand on joue n’est-ce pas pour de vrai ? D’ailleurs le vrai est-il exactement le contraire du faux, à moins que ce ne soit le faux qui ne soit que l’autre face du vrai. Les psychanalystes vous demanderont si le désir a besoin d’être assouvi pour être désir. Le désir de mort peut-il survivre ? Tiens, ils l’ont sorti le premier Mars. Le mois de la guerre. Les stratèges en chambre déclareront que ce clip pose les bonnes questions. Et que contrairement à eux ils apportent la bonne réponse.

             Un an et demi qu’ils n’avaient rien sorti. Par curiosité l’on est allé grapiller par-ci par-là d’autres vidéos.

    BLURRED

    (Vidéo Clip Officiel)

    z23437blurred.jpg

             Attention changement d’ambiance, c’est le morceau qui a donné son titre à leur premier album sorti en 2014. Belle couve, m’évoque le texte   Sur le théâtre de marionnettes d’Heinrich Von Kleist, nous en reparlerons dans une future livraison dans laquelle on se penchera sur l’album. Le dico me propose de traduire Blurred par flou, le mieux serait de transformer cet adjectif en participe passé, Floué me semble rendre mieux l’atmosphère qui se dégage de cette vidéo. Normalement sur scène Audrey joue de la batterie et Mike de la guitare. Ceux qui auront aimé File moi ton gun risque d’être désorientés, certes c’est carré, bien ficelé, mais comparé à Blurred, c’est un peu comme si vous passez des Bijoux de la Castafiore d’Hergé à La Chartreuse de Parme de Stendhal. Déjà exit la couleur, elle cède la place au noir et au blanc. Il vaudrait mieux dire au rouge.

             Encore une fois c’est subtil. Mais pas de la même manière. Ici on ne s’amuse plus. En plein drame. Rien de pharamineux ou d’extraordinaire. Deux êtres qui se quittent. Rien de plus banal. Tout reste dans le non-dit. Faut se fixer sur les détails, une branche d’arbre qui gouttège, des bibelots enveloppés dans du verre ou du plastique, des poupées enfermés dans leur cages, et le piano qui résonne qui s’accapare l’espace sonore et mental, Audrey martèle les touches, voudrait-elle enterrer son mal qu’elle ne s’y prendrait pas autrement, c’est d’ailleurs ce qu’elle fera quand elle enfouira la hache de paix et de guerre symboliques dans le sol, ils sont encore deux mais ils suivent  des chemins parallèles qui ne se rencontreront plus jamais, qui s’écartent définitivement, lui effondré dans un fauteuil, l’atmosphère est lourde, il joue de la guitare comme d’un violoncelle, funèbre. Deux instruments, deux manières d’exprimer le désespoir.

             J’ai dit subtil et j’ai dit : non-dit. Prenez le temps de regarder cette vidéo. Toutes les cinq secondes arrêtez l’image et examinez attentivement. Faut remercier Elise Colette et Laura Icart pour la réalisation. Une merveille de minutie. De précision. Remerciez-moi pour cet intermède. J’espère que vous en avez profité pour écouter la voix d’Audrey. Elle doit ressembler à celle d’Eurydice. No happy end, il n’y aura pas d’Orphée. Même pas pour la retenir. On ne se bat pas contre l’inéluctable. Nous sommes dans l’attente. Elle viendra. Elle a toujours son apparence de tranchant de guillotine.

             Quatre minutes et vingt-cinq secondes, une fenêtre ouverte sur le bord de l’éternité.

             C’est aussi beau que certaines élégies de Nico.

    LES BRUTES

    (Clip Vidéo)

    (Enregistré et filmé en live le mardi 29 avril

    2018 A Mains d’œuvres Saint-Ouen 95)

             Le titre sortira sur leur EP Julia en mars 2019. Belle couve. Sont dos à dos. Le corps marqué de traces sanglantes. Un EP très politique. Niveau sociétal et mondial. Rien à voir la vidéo qui précède. De véritables caméléons, au bon sens du terme. Possèdent une large palette. D’inspiration et d’expression.

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             Plus noir que noir. Live ici ne signifie pas en public. Pas besoin de stopper l’image pour admirer les détails. Juste le minimum : Audrey à la batterie, Mike à la guitare. Superbe prise de vue, sont ensemble mais si vous le désirez, vous pouvez n’en regarder qu’un des deux.  Un vieux larsen des familles qui traîne et c’est parti. Audrey est époustouflante, elle frappe, elle cogne, le son tournoie comme une valse qui ne saurait plus s’arrêter. Remet une pièce dans le jukebox avant qu’il ne s’arrête, jette de l’essence sur l’incendie. Je suis surpris, j’ai commencé par lire les paroles données sur la vidéo, elles sont en français, m’étais dit un truc pour Audrey, un bidule sur les bonnes femmes maltraitées, crac, tant pis pour moi c’est Mike qui envoie les lyrics, ce n’est pas qu’il chante mal mais le meilleur est à venir, une fois qu’il envoyé le texte dans les cordes du ring, se donnent tous les deux à fond, ça caracole dans le rock’n’roll, ils ouraganent à mort avec ces demi-secondes d’arrêt, genre, ne faudrait pas croire que l’on ne maîtrise pas, un délice, l’on se croirait dans le jardin d’Octave Mirbeau, tellement ça fait du bien. Z’ont joué comme des brutes mais avec la finesse des ballerines.

             Faut remercier toute l’équipe qui a participé à cette splendeur.

    SUR LA ROUTE

    (Clip Officiel)

    Un titre issu de leur EP Riding The Monster, chevaucher le tigre aurait dit Julius Evola, sorti en novembre 2022. Une super belle couve. Très arty. Qui ressemble à presque rien. Remettez l’image dans le bon sens et vous aurez une bonne photo. Avec le clic pour l’incliner sur la droite, ce n’est plus la même chose. L’impression d’une chute irréversible. Le monster à monter n’est pas commode à maîtriser.

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    Se débrouillent pour toujours pour avoir ces clips originaux. Ce coup-ci ils ont trafiqué. Une paire de ciseaux et un vieux film, The carnival of souls, de Herk Harvey. Suffit de taper sur internet pour le voir en version intégrale et originale.

    Rien qu’au titre on sait qu’on est en Amérique. Rien à voir avec le roman de Kerouac. L’ambiance est beaucoup plus trouble. Les lyrics ne racontent pas le film. Z’ont pratiqué la technique des OGM, vous prenez une plante et vous lui transplanter des gènes adaptatifs particuliers d’un autre végétal qui la rendront plus solides.  Ici vous avez les images du film et la musique. A la limite une vulgaire bande-son chargée de faire passer le film d’une manière plus appétissante. Le ketchup dont vous arrosez le chou-fleur qui sans lui serait bien fade. Attention, il ne faudrait pas le chou-fleur vous rende le ketchup agréable. L’est vrai que les images sont magnifiques et qu’elles captent l’attention. C’est alors que Rawdog sort son arme secrète. Envoûtante. Elle se fond en vous, porter plainte pour manipulation mentale, vous pourriez le tenter, aux States, pas par chez nous. Vous êtes déjà sur le clip et vous n’avez rien remarqué, quels mauvais détectives vous feriez, le chien cru vous a roulé dans la farine, vous faut un moment pour que vous réalisiez, non ce n’est pas Audrey qui est responsable, c’est sa voix, vous voyez les images, mais maintenant elles ne correspondent plus à l’histoire originelle, elles vous guident, vous ne savez pas où, pourtant c’est infiniment simple, sur la route, vous la suivriez jusqu’au bout du monde, vous être prêts à vous taper  six allers retours sur la 666  rien que pour le plaisir d’entendre ce chant de sirène… Hélas, Rawdog interrompt votre enchantement, et ils vous refilent, ils vous l’écrivent en gros, ils débranchent la musique, une scène du film pour vous arracher à vos rêveries, elles auraient pu comme dans le chef d’œuvre de Herk Harvey vous faire passer de l’autre côté. Je ne crois pas que vous auriez aimé.

    Rawdog vaut le détour. Grunge, punk, pop, vous aurez du mal à les cataloguer. Un groupe différent des autres. Créatif.

    Damie Chad.

     

    *

                    La pochette m’a arraché la vue. Ce n’est pas une nouveauté, l’est mis en ligne en ce début de mois de mars 2024 par Symphonic Black Music Promotion. Un vieux groupe, plus de trente ans. Des Belges. Le metal regorge d’univers perdus, mais un groupe de metal oublié n’est-il pas aussi un univers perdu, une de ces anciennes lointaines planètes oubliées qui n’ont été qu’une étape ensevelie dans les légendes de la conquête des mondes des rêves nervaliens… aliens… aliens… aliens… répète l’écho des mémoires endormies…

    MEMORIAM DRACONIS

    AVATAR

    (Wood Nymph Records / 1996)

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    Vous ne l’avez jamais vu, vous ne le connaissez pas, vous voulez rire ou vous moquer du monde, il en a plus de deux cent cinquante à son actif, entre 1994 et 2024. Vous ne me croyez pas, faites un tour (attention ce sera long) sur son site ou sur discogs il suffit de taper son nom et bonjour le défilé de pochettes d’albums metallisés, rien qu’en parcourant rapidement j’en ai déjà repéré quelque unes qui étaient déjà passées sous mes yeux et dont je n’ai encore à ce jour jamais écouter les vinyles ou les CD qu’elles renferment. Kris Verwimp, une fois n’est pas coutume pour changer un peu, je vous refile une photo d’une de ses expos, j’aurais pu choisir un mur tapissé de ses artworks, j’ai privilégié le public, des amateurs d’art et de rock.

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    Pour la couve je vous laisse choisir entre les deux interprétations suivantes : l’image est une représentation de la chute de Rome, tout le monde sera d’accord là-dessus. Pour cadrer avec le sujet de l’opus, l’on veut bien croire que le Chef barbare muni d’une longue épée soit une représentation de Dracon, le problème ce sont ses guerriers. Faute de genre, ce sont des guerrières qui mettent à mal les derniers légionnaires qui tentent vainement de s’opposer… Nos ligues féministes ne manqueront pas de nous expliquer qu’en s’emparant de la capitale de l’Empire nos Amazones mettent fin des siècles de domination phallocratique symbolisé par le pouvoir romain.

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    Les adversaires de cette première thèse affirmeront au contraire que si Dracon puissance du Mal absolu est aidé dans ses conquêtes par des hordes féminines, c’est que rien de bon ne saurait arriver par la femme, qu’elles sont définitivement vouées de par leur nature intrinsèque à servir les forces du Mal…

    Hyberia : bass / Anjelen : guitar / Izaroth : synthétiseur / Azadaimon : percu / Occulta : vocals, guitar.

    …Memoriam draconis - Intro : notes claviériques, comme du vent soufflé sur les traces de pas de ce fameux Dracon qui ne serait plus qu’une ombre légendaire, un souvenir rongé par les dents usées du temps, est-ce pour l’effacer ou la ressusciter. Il semblerait que cette intro musicale se refuse à une vision grandiose, un peu comme le travail des archéologues qui travaillent sur un chantier de fouilles d’exhumation d’une civilisation anéantie en grattant précautionneusement le sol avec une petite cuillère. Par quel miracle pourrait-on faire tout un monde disparu dans une cuiller à dessert… Mists of evil : orages, pluie soutenue, guitare acoustique, sans préavis, le metal fond sur vous, soutenue par la voix djentée du Serpent, mais qui parle, ne serait-ce pas le Draco lui-même qui marcherait sur ses propres traces, par où passe-t-il, si l’Empereur Julien a pris le chemin des onagres,  Draco a choisi la voix nébuleuse des songes encartés dans les esprits humains, la route est incertaine, de larges pans de synthétiseur s’amusent à brouiller les pistes, un seul refuge pour Draco, rentrer en lui-même, en ses propres souvenirs, en sa propre existence qu’il a laissée derrière lui, n’est-il pas le Serpent à tête de loup qui ondoyait au-devant des troupes barbares qui combattirent Rome, et les légions ne s’emparèrent-elles pas de cet insigne, qu'elles arborèrent fièrement, Draco partout, Draco sur tous les versants, écoutez le basculement pirouettique de la batterie qui ne sait plus de quel côté se tourner, le synthé bat de l’aile frénétiquement, au plus profond de la plaie, arracher les moindres fibres de toute sollicitude humaine, il venait de la lumière élyséenne, la déesse du Ciel l’a trahi, il s’est débattu contre elle, contre lui-même il s’est libéré. A most excellent charm in solemn endurance : le Serpent connaît l’ancienne formule blasphématoire assyrienne du refus des biens terrestres, il crache son mépris, il s’inocule son propre venin, il récite la sentence définitive qui le coupe du monde, le synthé pleure, la batterie délire, les guitares sont en déroute, l’irrémédiable est accompli, pas de retour possible en arrière, il a franchi la ligne qui le sépare des hommes, l’est empli d’une autre plénitude. Petite musique de nuit. Profonde. The eternal nothingness : grondement de chœurs mortuaires, annonciation des âges noirs, la batterie lance l’assaut, le Serpent donne de la voix, il précède les armées conquérantes qui s’abattent sur l’humanité, le fléau du destin moissonne les hommes, épopée d’égorgements et de sang, rideaux de désespérances, les synthés tissent les linceuls du désespoir, la course se précipite, une cavalcade de plus et l’on tombera dans l’abîme, si vous êtes de la race humaine, vous avez du souci à vous faire, des envolées angéliques chantent le confiteor de votre malheur, l’ennemi pousse déjà ses chevaux sur le tapis de pourpre de vos cadavres, le serpent ondoie parmi les vents du carnage. Le malheur de tous fait le bonheur du Serpent. Il exulte. Il triomphe.

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    Seduced by necromancy : juste une imprécation, le monde est mort, mais des voyageurs traversent le désert de cendre, ils cherchent le pays situé de l’autre côté des étoiles, ce sont les thuriféraires en quête du royaume de Cthulthu. Peu d’appelés, encore moins d’élus. Seule la poésie par la voix du poème pouvait rendre compte de cette frontière. Emperors of the night : le Serpent exulte, il danse, il est entré dans le pays qu’il recherchait, il a obtenu réparation, il est devenu immortel, il est un empereur de la nuit, un dieu du mal, la batterie hache menu la tête des innocents, les claviers tissent des tentures rutilantes, joie tous azimuts, bal du masque de la mort rouge, la cruauté est le seul délice qu’il s’autorise, il ne parle plus, il ne déclame plus il vomit, grandes orgues des requiems éternels à épandre sur toute la surface du monde. Sands of scheol : tonnerre, le serpent crache, il prend l’un et il prend l’autre, car si l’un est : il est aussi l’autre, Draco se compare à lui comme un Serpent rampant dans la poussière de l’Enfer, la batterie totalement folle, les orgues derrière en renfort, plus un poème lu, une voix off, pour décrire l’intérieur et l’extérieur, le microcosme et le macrocosme, le créateur et la créature. Le moment du doute et du Dieu unique. Mais si le Dieu est un, il est aussi faiblesse et cela amoindrit sa puissance. Hymn to the ancient ones : notes grêles et graciles accompagnent les éructations du Serpent, avant le Dieu unique, il y en eu d’autres, les grands anciens, le Serpent les nomme, non ils ne sont pas lovecraftiens, ils résidaient en Mésopotamie, rappelons-nous que dans l’épopée de Gilgamesh c’est le Serpent qui mange la plante d’immortalité empêchant ainsi le héros de devenir immortel. Serait-ce la revanche du Serpent. D’ailleurs le Serpent n’est-il pas le fils de Tiamat la déesse du chaos originel. Reviendrions-nous au début de l’histoire, ne serait-ce pas elle qui aurait trahi Draco. Le Serpent se mord-il la queue… Star castle : le Serpent éructe, sont-ce ses derniers mots, parle-t-il de lui-même à la troisième personne, tant sa propre grandeur le dépasse, tonnerre processiorial, enfouissement au fond des profondeurs, le Serpent est mort et enterré, il parle encore, n’est-il pas devenu dieu en se trempant dans le bain maternel originel, naissance d’un nouveau culte, farandole musicale, la batterie batifole et les synthés font des boucles comme des enfants qui soufflent des bulles avec  leurs jouets, le Serpent ne parle plus, sa puissance n’a plus besoin de sa parole pour accéder à l’être. Il réclame le seul impôt qu’on lui doit, dévotion et adoration. Alors il frétille d’aise dans son tombeau. La batterie scelle les sceaux inviolables de son enfermement en lui-même. The mines of Moria – Outro : autant les deux minutes de l’intro furent courtes, autant l’outro instrumentale frise les dix-sept minutes. Avatar vous donne le temps de réfléchir et de méditer. Heure de gloire pour les synthés qui obscurcissent le ciel. Avatar a-t-il eu la prescience que ce serait leur premier et dernier album, des chœurs s’embrasent, ont-ils voulu tout mettre, tout dire, un sacré mélange mythologique, z’ont fourré tout le frigo dans le sandwich, histoire, littérature, rappelons que Moira est une cité tolkiénique de la Terre du Milieu qui deviendra l’apanage de Sauron, entremêlements de mythes primordiaux orientaux, grand espace de silence, n’arrêtez pas, ce n’est pas fini, ce n’est pas un blanc ou une erreur technique, ce coup-ci ils ont sorti les violons et l’on est en plein musique classique, z’ont soigné le générique, comme des notes de clarinettes, parodions Alfred de Vigny, rappelons-nous que le Serpent a une tête de loup, c’est pour cela qu’il est aussi un loup pour les hommes, seul le silence des Dieux est grand.

             Souvenez-vous du Serpent. Soyez sûrs qu’il ne vous oubliera pas.

    Avatar a enregistré un deuxième album Millenia qui ne fut jamais finalisé, le groupe se sépara en 2000.  Les bandes sont sorties en 2011. En 2004 est paru un EP (démo) quatre titres intitulé The Avatar, par le groupe The Avatar revendiquant une filiation avec notre Avatar. Réuni en 2000 The Avatar ne dura guère…

    Il est difficile de classer Avatar, pas vraiment heavy, pas du tout progressif. Le projet a vraisemblablement été monté trop vite, trop d’idées, pas assez de maîtrise. Dommage ce groupe promettait. Nous paraît comme une corne d’abondance, ouverte à tous et aujourd’hui négligée. Remercions Symphonic Black Music Promotion d’avoir attiré notre attention.

    Damie Chad.

     

    *

    SNOW WOLF Records vient d’éditer un disque titré : Salvation : a Fundraiser for ESMA and the animals of Egypt. ESMA est l’équivalent de notre Société Protectrice des Animaux. Tous les fonds récoltés seront intégralement versés à cette association égyptienne.

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    Trente groupes ont participé à cette bonne action. Parmi eux THUMOS.

    LACHES

    THUMOS

    (SWR / Bandcamp / 01-03 – 2024)

    Comme nous aimons les bêtes en général et Thumos en particulier nous avons voulu voir et écouter. C’est voir qui nous a posé le plus de problème, laches nous ne connaissons pas ce mot anglais, peut-être ont-ils emprunté un vocable français pour stigmatiser la lâcheté des gens qui abandonnent leur chiens ou leurs chats avant de partir en vacances. OK, mais pourquoi n’ont-ils pas posé l’accent circonflexe sur le ‘’a’’, n’ont pourtant pas l’air d’être idiots chez Thumos, doit y avoir anguille sous roche. Eureka, ai-je dit en sortant de ma baignoire dans laquelle j’étais entré afin de trouver la solution de cette insoluble énigme. La langue anglaise ne possède pas d’accent, suffit d’en rajouter un sur le ‘’e’’, je suis sûr qu’il y a du Platon dans cette embrouille. J’ai donc ressorti, je l’avais rangé après ma chronique sur Atlantis de Thumos mon volume des Œuvres Complètes de Platon sous la direction de Luc Brisson, pas de problème le Lachès œuvre de jeunesse de Platon n’attend que moi.

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             Au moins me dis-je, Platon et moi avons un lien commun, tous deux nous étions jeunes, lui quand il a écrit son dialogue et moi quand je l’ai lu. Justement, je n’ai aucun souvenir de ce que ce dialogue traitât de la cause animale… D’où relecture. Le moins que l’on puisse dire est que l’on ne s’appauvrit pas en lisant Platon. Socrate, Nicias et Lachès, ces deux derniers  sont des généraux athéniens renommés discutent d’éducation. Est-il bon que les jeunes garçons s’entraînent à la guerre. Assurément affirme Nicias. Lachès répond que les maîtres d’armes ne sont pas toujours les meilleurs sur le champ de bataille. Mais qu’est-ce que le courage ? C’est simplement tenir son rang dans la mêlée décrète fermement Lachès. Oui, mais la tactique militaire ne nous enseigne-telle pas que parfois il faut savoir reculer pour mieux contre-attaquer par la suite rétorque Socrate. Et cela ça s’apprend, ajoute-t-il, le tigre ou tout autre animal sauvage dangereux qui vous bondit dessus est-il courageux, ou simplement conscient de la supériorité de sa force ? En fait le tigre est téméraire car il ignore tout de vos armements. Le tigre est aussi naïf qu’un mioche de six ans qui croit pouvoir arrêter un soldat… L’on ne parle plus d’animaux dans la suite du dialogue. L’on y voit surtout Socrate se contredire pour le plaisir d’ébranler un adversaire qui se sert d’arguments qu’il tient d’une précédente rencontre avec… Socrate.

             Lachès : Ça tonitrue et ça fanfaronne quelque peu au début, ensuite l’on a l’impression d’une partie de quille chacun des protagonistes essayant de renverser à coups de boules bien placées celles qui appartiennent à ses contradicteurs. Arrêt. Lachès le valeureux repart bille en tête, l’exemple du parfait militaire pour qui les choses sont simples. Mais en face de lui Nicias sûr de lui ne rompt pas le combat, l’est certain qu’avec l’aile de la cavalerie socratique qui ne manquera pas de se porter à son secours l’ennemi se débandera, les chevaux de Socrate avancent à pas feutrés ça y est ils tombent sur les arrières de l’ennemi et commencent à fracasser quelques crânes qui n’ont pas fait preuve d’assez d’intelligence et de savoir…  Le sujet est sérieux, l’on y parle de guerre, mais Thumos et Platon s’amusent à cette joute oratoire, ce ne sont que paroles en l’air sans conséquence, la guerre c’est plus sérieux que ces jeux de rôles. Thumos a su exprimer l’intense jubilation de cette Grèce antique qui ne se payait pas de mots car consciente d’utiliser de la fausse monnaie.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

     

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    Un taxi m’a déposé au bas du local. J’ai essayé de faire la bise à Joséphine pour la remercier de cette attention, elle s’est dérobée, je n’ai fait que mon devoir s’est-elle défendue… Je l’eusse préféré moins professionnelle. Les filles sont des êtres incompréhensibles. Tout compte fait je préfère les chiens. J’ai raison, à peine le chauffeur s’est-il arrêté Molossa et Molossito ont bondi de joie, elles m’attendaient sur le trottoir. Je monte les escaliers entouré de leurs aboiements.

    Le Chef m’accueille avec un grand sourire :

             _ Agent Chad pour fêter votre retour, exceptionnellement j’allume un Coronado, asseyez-vous vite, une dure matinée nous attend. Faites taire ces chiens, je n’aurais pas dû les inviter hier soir au restaurant pour leurs efficaces interventions durant votre promenade. Ils se prennent pour des cadors, toutefois je dois reconnaître que notre deuxième vague d’assaut s’est comportée avec bravoure comme nous l’attendions. J’ai demandé à l’Elysée de les inscrire à la prochaine promotion du Mérite National. Nous ne sommes pas en odeur de sainteté apparemment en haut-lieu, l’on m’a répondu qu’ils aimeraient mieux les inscrire dans un chenil de la SPA ! Mais je cause, je cause, nous n’avons pas de temps à perdre, nous avons rendez-vous, allez me voler une voiture sur le champ.

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    Je conduis doucement, une question me taraude, l’accueil du Chef m’a paru étrange, l’a beaucoup parlé, comme s’il avait voulu m’empêcher de formuler une question, je la pose :

             _ Chef vous avez raison, les chiens se sont magnifiquement compotés, par contre la troisième vague d’assaut, je n’ose pas dire qu’elle a brillé par son absence, mais je ne vous ai pas beaucoup vu !

             _ Agent Chad, ne vous fiez pas aux apparences, je peux vous certifier que sans mon action vous seriez actuellement mort. Je vous le prouverai d’ici quelques minutes, tournez à gauche s’il vous plaît, au bout de l’avenue ce sera la troisième à droite. J’ai juste le temps d’allumer un Coronado !

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    Une rue étroite, aux façades grises. Le Chef m’ordonne de me garer près d’une vitrine poussiéreuse. Sur la porte d’entrée trois lettres gravées sur une plaque de marbre MIT. Nous suivons un couloir miteux. Les chiens reniflent avec inquiétude. Nous voici dans un bureau. Nous n’avons pas fait trois pas à l’intérieur que l’agent d’accueil se porte avec vivacité à notre rencontre.

             _ Messieurs, je suppose les membres du SSR, nous vous attendions avec impatience. Voulez-vous me suivre. Je vais vous conduire jusqu’au bureau du Professeur Longhair, il est actuellement en conversation téléphonique avec la Maison Blanche.

    De l’extérieur la maison ne payait pas de mine, maintenant elle paraît immense, plus nous progressons dans les nombreux couloirs, plus l’on avance je m’aperçois que l’impression de vétusté crasseuse de l’entrée cède la place à un luxe que je qualifierai d’insolent. Nous croisons beaucoup de monde, sont tous et toutes accrochés à leur portable dans lequel ils chuchotent avec circonspection. Drôle d’ambiance.

             _ Veuillez vous donner la peine d’entrée s’il vous plaît, non ne les empêchez pas de descendre de ces fauteuils, sur les quatre deux leur sont réservés. Ils l’ont bien mérité, je vous laisse le Professor Longhair arrive dans deux minutes.

    L’attente se prolonge un peu, le Chef en profite pour allumer un Coronado. Molossa et Molisso étendus de tout leur long dans les larges banquettes de cuir dorment profondément. Une porte face à nous s’entrouvre, le Professor Longhair entre engoncé dans une longue blouse blanche :

             _ Joséphine !

             _ Calmez-vous Agent Chad, ce n’est pas Joséphine, mais le professeur Longhair, du MIT, le Massachussetts Institute of Technologie, je précise qu’elle a l’oreille du Président des USA et de la CIA, c’est par l’entremise de cette dernière que j’ai réussi à la contacter, elle est reconnue par l’élite de la communauté scientifique du monde entier.

             _ Je ne comprends pas Chef, vous sous-entendez que lorsque je l’ai aperçue hier dans sa ravissante mini-jupe rouge, elle n’était pas là par hasard ?

             _ Non, cher Monsieur Chad, je vous attendais, plutôt nous vous attendions, moi bien sûr mais aussi les deux malabars sur le trottoir d’en face, bien sûr aussi le faux camion de pompiers, ah ! les agents de la CIA se sont amusés comme des fous à brûler les feux rouges grâce à leurs sirènes…

             _Vous voulez dire que c’était un coup monté, que vous êtes joué de moi pour je ne sais quelle raison stupide.

    Le Professor Longhair lève la main pour arrêter mon flot de paroles, elle me sourit, son sourire ressemble à sa mini-jupe rouge, mais son visage redevient sérieux.

             _ Cher Chef, allumez-donc un Coronado nous allons aborder les choses sérieuses.

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             _ Damie, vous permettez que je vous appelle Damie, vous êtes un homme exceptionnel, dans tout le territoire des Etats-Unis, sur trois-cent quarante millions d’habitants, je n’en connais que sept, huit en comptant très large, aussi doués que vous.

    Dans ma tête je me dis qu’un voyage aux States s’impose, un Rafalos dans chaque poche, je retrouverai ces sur-doués et les abattrai sur le champ, je ne suis pas d’un naturel jaloux mais je n’aime pas l’idée que Joséphine ait déjà remarqué ces huit individus, j’éliminerai tous ces rivaux potentiels sans pitié… Professor Longhair me voici !

             _ Voyez-vous Damie ce dont votre Chef nous a averti a suscité notre attention mais…

             _ Chef, je ne comprends rien, que leur avez-vous raconté ?

             _ Rien de bien inquiétant, Damie je vous rassure. Des gens victimes d’hallucinations il en existe plusieurs millions dans le monde. Peut-être sommes-nous tous, moi comprise, victimes de tels troubles à des degrés plus ou moins graves, tenez ceux qui vont systématiquement au cinéma tous les jours et qui se croient cinéphiles manifestent peut-être tout simplement le désir inconscient de devenir une star internationale du cinéma, comme vous Damie.

             _ Sachez que je déteste le cinéma et que je n’y vais jamais !

             _ Ce n’était qu’un exemple Damie, votre point faible, ce n’est pas le cinéma, vous avez encore un esprit jeune, presque enfantin, vous aimeriez avoir le pouvoir de traverser les murs, alors vous imaginez que des gens traversent les murs et comme vous êtes jaloux vous les accusez de tous les maux !

    Ulcéré, Je me tourne vers le Chef :

    _ Enfin Chef dites quelque chose, le gars que l’on a abattu dans le mur, l’on a bien retiré son cadavre de la muraille, et les meurtres du restaurant, et les bandits qui nous avaient pris en chasse, vous les avez bien trucidés, dites-le, témoignez en ma faveur !

    _ Justement Damie c’est ce qui fait de vous un cas exceptionnel, même nous dans la grande Amérique nous avons été incapables d’en dénicher un, nous avons dépensé des millions de dollars, épluché toutes les archives du FBI, quelques illuminés, quelques simulateurs oui, une personne intelligente comme vous, jamais !

    _ Chef, témoignez en ma faveur, j’en ai assez d’entendre les élucubrations du professor Longhair !

    Le Chef en profite pour allumer un Coronado :

             _ Agent Chad, je ne vous cache pas dans toutes nos aventures, depuis le début il est un détail qui m’a paru étrange : ce sont vos chiens que l’on a retrouvés sur le palier, pourquoi les Briseurs de Murailles, ne les ont-ils pas tués, au lieu de nous les rendre. J’ai longuement médité, j’ai mené ma propre enquête, en vain jusqu’à ce que je tombe dans la Revue Science sur un article du Professor Longhair, elle y développait d’étranges théories, j’ai pris contact avec elle, pour votre bien Damie !

             _ Oui Damie, j’ai émis dans cet article qu’un jour l’on devrait, si mes hypothèses étaient justes découvrir quelqu’un comme vous. Vos hallucinations, vos imaginations d’individus qui traversent les murs, je m’en moque, mais vous avez franchi une barrière, fait sauter un verrou spirituel, vous avez un tel désir de la possibilité de traverser les murs, que vous persuadez, des individus, que vous ne connaissez pas, dont vous ignorez jusqu’à leurs existences à monter une association de briseurs de murailles, et votre force mentale est si forte qu’ils deviennent capables de traverser les murs, cher Damie vous êtes ce que l’on pourrait appeler un Génie Supérieur de l’Humanité !

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 634: KR'TNT 634 : NEW YORK DOLLS / COURETTES / SUN RECORDS / McKINLEY MITCHELL / SLY STONE / MESSE / EIHWAR / JOHNNY HALLYDAY / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 634

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    29 / 02 / 2024

     

     NEW YORK DOLLS / COURETTES

    SUN RECORDS / McKINLEY MITCHELL

    SLY STONE / MESSE / EIHWAR

    JOHNNY HALLYDAY / ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 634

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - Dollse Vita

    (Part Two) 

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             Franchement, si tu es fan des New York Dolls, ou plus simplement du rock dans ce qu’il peut présenter de plus outrageous, vois et revois le docu de Bob Gruen & Nadya Beck, All Dolled Up - A New York Dolls Story. Gruen qui venait de se payer une caméra a filmé 40 heures de Dolls, et son docu montre à quel point les Dolls étaient à la fois bien ancrés dans leur temps et terriblement en avance sur tous les autres, notamment les Stones et les laborieux Aerosmith. En fait, ils reprenaient les éléments qui firent la grandeur des Stones pour les pousser à l’extrême, et ça passe à la fois par des bonnes chansons, la dope, un son et surtout un look. Et sur les quatre plans, les Dolls étaient imparables. Ils étaient même devenus les meilleurs. Aux États-Unis, les Dolls, les Groovies, le Velvet et les Stooges ont repoussé les frontières de l’empire du rock, un empire créé dix ans plus tôt par Elvis, Little Richard, Jerry Lee, Bo, Chucky Chuckah, Charlie Feathers, Gene Vincent et quelques autres. De tous ces candidats au désastre, les Dolls furent de toute évidence les plus exposés. Ils ne pouvaient pas faire autrement que de vivre la dollse vita, c’est-à-dire la version new-yorkaise du sex & drugs & rock’n’roll, une dollse vita qui a décimé le groupe, puisqu’aujourd’hui, seul David Johansen a survécu, comme chacun sait.

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             Le Gruen movie est un festin d’images, du double concentré de trash visuel en noir et blanc, un brouet gargantuesque de chevelures ébouriffées, de guitares électriques, de street slang, de platform boots, de lunettes noires extravagantes, de groupies défoncées, de backstages improbables, de torses post-adolescents, de lèvres peintes, de Mystery Girls, toute cette énergie et toute cette débauche qu’on a découvrit en 1973, via le premier album des Dolls, et qu’on adopta aussitôt adoptée pour la vénérer, une vénération qui a donc 50 ans d’âge. Et qui n’a jamais pâli.

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             Les gens n’ont pas bien percuté à l’époque : les Dolls, leur look, leur son, leur provoc, c’est exactement le même esprit que celui d’Evis en 1954, quand il twiste des rotules sur scène en pantalon rose. Même esprit que celui d’Eddie Cochran qui se farde les yeux au mascara et qui fume sa pipe à herbe. C’est le même langage visuel destiné à porter un message qui s’appelle le rock. «Mystery Train» et «Mystery Girls» même combat ! Pour Elvis et les Dolls, il ne s’agit pas tant de choquer le bourgeois que de rassembler les kindred spirits, comme on dit en Angleterre, c’est-à-dire les âmes sœurs. Dans l’histoire de l’humanité, et dans une histoire qui ne soit pas politique, peu de gens ont réussi cet exploit, c’est là où d’une certaine façon le rock flirte avec la spiritualité, en rassemblant les brebis égarées. John Lennon a eu raison d’affirmer que les Beatles étaient plus célèbres que le Christ. Les Dolls ont rassemblé beaucoup moins de gens qu’Elvis et les Beatles, mais les ceusses qui ont adhéré au parti du Trash won’t pick it up n’ont JAMAIS déchiré leur carte. 

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             Alors qu’Elvis allait être contraint de rentrer dans le rang, les Dolls ont explosé en plein vol, ce qui est à la fois une fin logique et ce qu’on appelle une tragédie des temps modernes. On pressentait déjà à l’époque qu’ils n’allaient pas tenir longtemps. Too Much Too Soon avait quelque chose de prémonitoire. En se sacrifiant sur l’autel des dieux du rock, les Dolls obéissaient à une pratique qui remontait à la nuit des temps, celle du sacrifice humain. Une pratique qui anticipait l’ère de la tragédie grecque, qui elle-même anticipait une époque qui est la nôtre, elle aussi tragique, mais pour d’autres raisons, disons plus condamnables.

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             Dans l’histoire du rock, peu de groupes ont «échoué» si près du but. Comprenez par-là que les Dolls auraient dû devenir aussi énormes que les Stones, Aerosmith et Kiss confondus, c’est exactement ce que montre le docu de Bob Gruen. On le savait à l’époque, leurs deux albums rivalisaient de classicisme avec les triplettes majeures que sont celles du Velvet, des Stooges, de l’Expérience et du MC5. Il faudra attendre 40 ans pour qu’un docu vienne conforter cette vieille conviction. Gruen fait éclater la génie des Dolls au grand jour. Heureusement qu’il est allé les filmer au Max’s Kansas City et à Kenny’s Castaway, on les voit taper «Jet Boy» sur scène avec un Johnny T torse nu, puis on se tape une petite lampée de «Personality Crisis» et là, on ajuste son propos : il est certain que les Dolls sont le groupe le plus outrageous de l’histoire du rock. Ils poussent l’extravagance des mises et des chevelures à l’extrême onction de la ponction, tu ne peux pas avoir plus de cheveux que les Dolls, et ils se bombent à coups de spray pour maintenir les geysers capillaires en l’air. Et là, sur scène, pas de cadeaux : big voice et deux guitares. «Subway Train» au Max’s, l’un des cuts des Dolls les plus difficiles à reprendre. Il n’y a qu’eux pour savoir jouer un cut aussi bringuebalant. Et boom voilà le trash won’t pick it up qui te faisait valser les neurones, à l’époque. Coup de génie de Gruen : il accompagne les Dolls en tournée ! C’est le fameux voyage en Californie. Tu vois Sylvain Sylvain en short et en bottes, délicieusement provoquant, et Johansen en costard noir avec un petit haut blanc et un chapeau de chochote. Les gens les matent dans le hall de l’aéroport. Ils jouent au Whisky A Go-Go, Gruen filme le sound-check, puis il nous emmène à l’English Disco de Rodney Bigenheimer et là on voit des gens improbables danser sur «I’m Waiting For The Man», les gonzesses font n’importe quoi, c’est l’époque où jerker devient difficile, car les cuts ne sont pas faits pour la danse, surtout pas ceux des Dolls. Ils vont ensuite jouer au Matrix, à San Francisco, Johnny T traîne avec une petite blondasse qui pourrait bien être Sable Starr. Sur scène, ils tapent une version demented de «Mystery Girls». Killer Kane est sur scène, mais il ne joue pas, sa main droite est dans un plâtre, cadeau de sa poule qui a essayé de lui scier le pouce pendant qu’il cuvait sa picole. Tony Machine le remplace au bassmatic. On voit aussi Jerry Nolan jouer la loco sur scène et Syl Sylvain gratter ses poux sur une Flying V. Johansen rend hommage à Willie Dixon - Willie got it. It’s called Hoochie Coochie Man - et ça embraye plus loin sur «The Great Big Kiss». Bob Gruen réussit aussi à filmer l’Hollywood TV Show et on assiste à la séance de maquillage. Spectaculaire ! Ces gens-là savent poser. Ils adoraient poser. Personality Crisis TV show, c’est d’ailleurs de ce show mythique que sort la photo de pochette de Too Much Too Soon. Encore un coup de génie documentariste : Gruen se pointe avec sa caméra à l’Halloween Party au Grand Ballroom du Waldorf Astoria. Rien de pouvait plus freiner l’ascension des Dolls, ils brûlaient toutes les étapes, ils incarnaient le mythe du rock mieux que tous les autres groupes, ils étaient flamboyants. De vraies superstars, avec un set qui tournait comme une grosse horloge. Puis sur la scène du Little Hippodrome, Johnny T chante «Pirate Love» qu’il reprendra avec les Heartbreakers. Il est torse nu, très carré d’épaules, Johansen lui cède le micro. 

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             Il existe un deuxième film de Bob Gruen : New York Dolls - Lookin’ Fine On Television. La matière filmique est la même, mais le film est monté différemment : Gruen part d’une liste de cuts et monte un millefeuille de séquences différentes sur chacun d’eux. Pour le fan des Dolls, c’est une nouvelle foire à la saucisse. Ça démarre en trombe avec «Looking For A Kiss» : Johnny Thunders bien campé sur ses jambes et riff brutal pointé un gros hochement de tête. S’il fallait résumer les Dolls en seul mot, ce serait ‘flamboyant’. David Jo annonce : «And it’s called Babylon/ C’mon boys !». Tout ce que filme Gruen, c’est les Dolls MK2 avec Jerry Nolan. Ah les chœurs de Babylon, c’est quelque chose ! Les Dolls ne le savent pas encore à l’époque, mais leur «Babylon» est devenu un classique, au même titre de «Wanna Be Your Dog» et «Venus In Furs». Encore de la fantastique énergie avec «Trash» et «Bad Detective», big atmo avec «Vietnamese Babies» et grosse ambiance révolutionnaire avec «Bad Girl». Quand Johnny Thunders chante «Chatterbox», il est déjà violemment dans les Heartbreakers. Power maximal. Encore un sonic assault au Waldorf avec «Human Being», Johnny T sur Flying V et chœurs d’artiche avec David Jo. Encore plus heavy, voici «Private World», suivi du fantastique emballement de «Subway Train» et ses cassures de rythme intrinsèques. L’apogée des Dolls : «Personality Crisis» qu’ils montent en chantilly. On s’effare de l’extraordinaire nombre de bons cuts. Pas un seul déchet. Voici donc l’épitome de chèvre du rock, «Who’s The Mystery Girl», et tout se termine avec un «Jet Boy» fondamental et un Johnny T qui mène le bal au riff.   

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             De tous, Martin Scorsese est sans doute le plus habilité à rendre hommage aux Dolls. Il le fait donc via un film paru l’an passé, Personality Crisis One Night Only, et qu’on peut choper sur DVD américain. Il faut donc le lire sur un ordi. Il n’existe pas d’artiste plus new-yorkais que David Johansen, c’est ce que Scorsese entend démontrer avec ce film extraordinaire. Scorsese et son équipe ont filmé un concert unique de David Jo au Café Carlyle en 2020. Il a 70 balais et pour son âge, il est extraordinairement bien conservé : pompadour assez haute, moustache taillée, taille de guêpe, rubis à la main droite, émeraude à la main gauche, funky but chic, verres teintés. Il est la rockstar par excellence. Scorsese n’en finit plus de cadrer en gros plan ce crooner faramineux. L’ambiance est celle d’un cabaret, public assis à des tables, petites lampes, comme dans les films, David Jo est souvent filmé de dos et d’en haut, ce qui donne une vision globale de l’ambiance, comme dans New York New York. Entre chaque cut, il raconte des anecdotes qui sont à son image, extraordinaires et souvent drôles. Il joue son personnage de Buster Poindexter et tape un répertoire élargi, qui va des ballades de crooner jusqu’au «Personality Crisis» des Dolls. Il attaque d’ailleurs avec «Funky But Chic», awite awite, il swingue à gogo. Puis il enchaîne avec I hear a melody in the street, il te groove ça à la new-yorkaise de round midnite, et comme le public est aussi là pour ça, il sort des vieux souvenirs des Dolls : c’est l’anecdote de la Newcastle Brown Ale, les Anglais leur disent drink it ! drink it, big cans, des super pintes, et puis on stage, the drummer throws up, il dégueule et joue dans son vomi, une éclaboussure arrive dans la bouche de David Jo qui dégueule à son tour, blaaaaarhggghhh, comme dirait Nick Kent, throw up, bass throws up, guitar throws up and that was the beginning of punk, the Dolls throwing up. Melody yeah yeah. Puis Scorsese commence à injecter des images d’archives des Dolls, et là ça devient vertigineux, «Stranded In The Jungle» - Meanwhile back in the States - Johnny Thunders torse nu en pantalon à franges, grandeur des Dolls sur scène. Puis paf, voilà la grande tronche de Morrisey - They were very violent, very witty, very intelligent - Il parle même de danger in pop - That was the turning point for me. Every single song is really a hit single. They look like male prostitutes - Moz n’en peut plus - The absolute answer to everything - À l’époque, David Jo explique la stratégie des Dolls : «Bring these walls down and have a party kinda thing.». Il se moque un peu de Morrisey - Have you heard of a fellow named Morrisey ? He was the teenage president of the New York Dolls fan club in England - Et ça embraye aussi sec sur le fameux Meltdown Festival de 2004, «Jet Boy», entrelardé avec du Johnny Thunders cuir noir/Teardrop blanche - Lucky was my baby - Le Jet Boy te hante encore, cinquante ans après.

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             Et pouf, il attaque l’un des hits planétaires du grand retour des Dolls (One Day It Will Please Us To Remember Even This), «Plenty Of Music» - There in a world gone mad/ Feelin’ sad/ I guess I’m sorry - et soudain, il s’élance sans s’élancer - I hear plenty of music/ I see superfluous beauty everywhere/ Why should I care/ What does it matter - Il chante ça au pâteux de vieux Doll, mais avec une classe qui subjugue. Scorsese continue d’entrelarder son film avec virtuosité : il ramène un plan des Harry Smith, on stage, David Jo avec Hubert Sumlin et Charlie Musselwhite, et le «Smokestack Lightning» de Wolf. Oui, David Jo a rencontré Harry Smith au Chelsea, l’Harry Smith qui a collecté les archives de l’American Folk Music.

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             David Jo enfile les hits comme des perles - It’s always raining here - présente Penny Arcade, une vieille de la vieille, puis il raconte comment un jour Killer Kane et Billy Murcia sont venus taper à sa porte, alors il imite la voix d’eunuque de Killer Kane - I understand you’re a singer - et boom, il embraye aussi sec sur «Lonely Planet Boy». Rien de plus Dollsy que cet épisode. Scorsese nous montre aussi le jeune Buster Poindexter, coiffé exactement comme le vieux David Jo - I can sing anything. Any inexpected kind of song - Voilà ce qui fait venir le public. Scorsese ne laisse rien au hasard. Il ratisse tout ce qui fait la grandeur de David Jo, à commencer par sa présence. Dans une interview, un mec dit à David Jo qu’Aerosmith et Kiss ont connu la gloire, mais pas les Dolls, auxquels ils ont tout pompé. David Jo répond à côté - The Dolls were a band’s band - Il cite l’exemple des Ramones qui eux aussi disaient : «We can do that.» Et boom, nouveau hit faramineux avec «Maimed Happiness», tiré aussi d’One Day It Will Please Us To Remember Even This. Maimed veut dire ‘estropié’, et David Jo ajoute : «Life is just maimed happiness.» Ils finissent avec «Personality Crisis» et Scorsese cadre Brian Koonin sur sa Tele, mais aussi Keith Cotton au piano, Richard Hammond au bassmatic et Ray Grappone au beurre. Méchante équipe !   

    Signé : Cazengler, New York Dumb

    Martin Scorsese. Personality Crisis One Night Only. DVD 2023

    Bob Gruen & Nadya Beck. All Dolled Up. A New York Dolls Story. DVD 2005

    Bob Gruen & Nadya Beck. New York Dolls. Lookin’ Fine On Television. DVD 2011

     

     

    L’avenir du rock

     - Elle court elle court la Courette

             L’avenir du rock marche dans le désert depuis des années. Il a fini par se lasser de la marche, comme on se lasse de tout. Alors pour se divertir, il s’est mis à courir. Disons qu’il galope, car n’étant pas un sportif, sa foulée n’a vraiment rien d’élégant. Et depuis qu’il court, il voit tout le monde courir. Un jour il croise à nouveau Rimbaud et ses quatre porteurs éthiopiens. L’avenir du rock interpelle Rimbaud. Tout le monde s’arrête.

             — Mais vous zêtes pas Rimbaud !

             — Ben non, vous voyez bien !

             — Alors qui vous zêtes ?

             — Sylvain Tintin !

             — Vous m’en direz tant ! Je vous croyais au Tibet à la recherche du Yéti des neiges. 

             — Non, je voyage sur les traces de Rimbaud pour célébrer sa mémoire dans mon prochain livre. J’écris sur ma civière, voyez-vous. Permettez-moi de vous présenter mes porteurs : Abebe Bikila qui s’entraîne pour le marathon olympique, son frère Abobo Bikila qui vient d’acheter un duplex dans le Marais, son autre frère Abubu Bikila qui est en sevrage après tant d’abus, et lui, c’est Abibi Bikila qu’on surnomme Fricotin, ne me demandez pas pourquoi. Vous pouvez profiter du voyage, si vous le désirez, c’est une civière à deux places...

             — Non merci, zêtes sympa, Sylvain Tintin, je dois affronter mon destin.

             L’avenir du rock reprend sa course. Quelques heures plus tard, il croise un couple exotique, un mec habillé en noir et coiffé d’une casquette court devant, suivi à vingt mètres de Ronnie Spector. Intrigué, l’avenir du rock les interpelle. Tout le monde s’arrête.

             — Mais vous zêtes pas Ronnie Spector !

             — Ben non, vous voyez bien !

             — Alors qui vous zêtes ?

             — Flavia Couri !

             — Vous m’en direz tant ! Pourquoi courez-vous ainsi ? 

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             — Parce que nous sommes les Courettes !

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             Franchement, on ne pouvait rêver meilleure introduction. Le désert a tout de même meilleure réputation que la banlieue d’elle-court-elle-court. Et d’ailleurs, elle court elle court aussi sur scène, la Courette, dans sa petite robe rouge et ses bottines en vinyle blanc. Set énergique d’un duo rompu à toutes les disciplines du power-gaga. Elle s’appelle Flavia et on peut dire qu’elle tient bien la rampe, elle remplit bien le spectre du chant et gratte des jolis poux de fuzz entre deux eaux. Leur petite machine tourne comme une horloge.

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    Côté beurre, le gros Martin ne chôme pas, sous sa casquette de Liverpool, il bat pour dix, se prend pour Pantagruel, il boom-boom-boom et badaboumme, c’est un vrai marteau pilon échappé des forges du Creusot. Il a pour sale manie de se remplir la bouche d’eau et de faire son Moby Dick, avec des jets de dix mètres de haut dans le ciel, et si tu te trouves au pied de sa batterie, tu en prends plein la gueule. Bon, une fois c’est marrant. Mais au bout de dix fois, ça ne l’est plus. Pour te consoler, tu peux te contenter de penser que c’est moins pire que la bière. On a tous été dans des concerts punk à la mormoille où il pleuvait de la bière comme vache qui pisse.

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    Donc Moby Dick fait la loco des forges, et pour Flavia c’est du gâtö, elle peut foncer dans la nuit. Elle est d’une fraîcheur incomparable, impressionnante de professionnalisme gaga. La plupart des cuts font boom, surtout «Boom Dynamite», et le magnifique «Trashcan Honey» hanté par des chœurs de rêve - Trashcan Honey ouuuh ouuuh - Ça explose comme une comète au printemps.

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    Ils démarrent le set avec un «Hoodoo Hop» gavé de fuzz comme oie, si gavé qu’il en devient classique. On a déjà tellement entendu ce son qu’on ne cille plus, et pourtant, ça reste d’une redoutable efficacité. Les deux Courettes ont le diable au corps. Flavia trépigne sur son «Shake», pourtant tellement classique, mais dans ce contexte, ça passe comme une lettre à la poste. Ils terminent avec l’«Hop The Twig» tiré de Back To Mono, et tenu par la barbichette d’un riff qu’on dirait sorti tout droit de la SG de Link Wray. Un son lourd de menace. Pas de meilleure façon de célébrer la magie enfuie des sixties.

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    Elle chante à l’accent fêlé et amplifie le sortilège. En rappel, ils tirent aussi le «Misfits & Freaks» de Back To Mono, c’est héroïque car la prod est tellement spectorienne qu’on n’imagine pas les voir jouer ça sur scène, mais elle y va de bon cœur, et Moby Dick continue de cracher des jets d’eau à gogo. Ils restent sur le Back To Mono pour conclure avec «Won’t Let You Go», belle power pop sixties tellement spectorienne qu’elle remplit le cœur d’aise. Moby Dick fait des jolis chœurs. Les Courettes ont découvert le secret des dynamiques infernales.

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             Avec Here Are The Courettes, pas de surprise : on reste dans le classic gaga sauvage avec ses solos de fuzz et ses wouahh juvéniles. Ils s’amusent même à monter «Money Blind» sur le beat de «Lust For Life», alors t’as qu’à voir. Ils y vont la fleur au fusil, à l’here we go ! Pas de problème. Admirable Flavia ! Elle dispense des flaveurs. Les deux bombes de l’album sont en B : «Shiver» et «We Are Gonna Die». Elle gratte son Shiver à l’ongle sec et Moby Dick le bat comme plâtre. Voilà l’hit ! Sec comme un olivier. Bien décharné. Une olive tous les huit ans. On se régale encore plus de la belle intro du Gonne Die. Big disto de bim badaboom, elle te riffe ça comme la reine des cakes.

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             We Are The Courettes est un album bien plus dodu que le précédent : 7 bombes sur 12 cuts. Pas mal pour un groupe de zone B. Flavia commence par noyer son «Time Is Ticking» de fuzz. Elle connaît toutes les ficelles du caleçon. C’est excellent, bourré d’écho et de climax tic tic.  En bout de B, elle tape le «Boom Dynamite» du set. Elle le pulse au riff surexcité. L’autre coup de génie est le «Voodoo Doll» traversé par un hallucinant solo de corne de brume. Voilà un cut d’une brutalité indescriptible. Même topo avec «All About You». Une pluie de silver sixties s’abat sur la terre des Courettes. Avec sa belle énergie d’absolute beginner, ses blasts opérationnels et ses jives définitifs, cet album bat tous les records de densité. Derrière Flavia, Moby Dick tape comme un sourd. Elle attaque «Nobody But You» aux accords de Dave Davies. C’est exactement le même freakout de wild gaga strut, et ça continue avec la Méricourt absolue de «TCHAU», c’est du sans pitié pour les canards boiteux. Si tu aimes la viande, te voilà bien servi. On les retrouve beaucoup trop énervés sur «The Teens Are Square». Elle monte sur tous les coups, et son talent finit par nous faire oublier les clichés.

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             Le Back In Mono paru en 2021 compte parmi les plus somptueux hommages à Totor. On se croirait au Gold Star en 1965. Flavia n’y va pas de main morte, elle est en plein dans Ronnie, et ce dès «Want You Like A Cigarette», porté par une prod démente saturée de Back in Mono, ça grince dans les poches, ça shake all over. Et ça continue avec «I Can Hardly Wait», c’est même du Totor à la puissance 10, l’«Hey Boy» qui suit est un copy-cat des Ronettes, «Night Time (The Boy Of Mine)» semble sortir tout droit d’un juke de 1964, c’est inespéré de Wall Of Sound, confus et puissant de yeah yeah yeah. Ils enfilent les pop blasters comme des perles, Flavia Spector a tous les réflexes du Brill. Ils explosent encore la rondelle des annales de Totor avec «Until You’re Mine» et «Trash Can Honey» déborde littéralement de niaque, ils forcent un peu la main du destin, et on voit «My One & Only Baby» se noyer dans la prod, elle se prend vraiment pour les Ronettes, même élan et même magie de juke. Et ça bombarde encore jusqu’à la fin, avec l’«Edge Of My Nerves» tapé à l’énergie de fast pop chantilly, ils sont les héritiers directs du génie pop de Totor.

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             Ce serait bête de faire l’impasse sur Back In Mono (B-Sides & Outtakes), car ce mini-album grouille de puces. Tu te grattes dès «Daydream» qui sent bon l’«Eve Of Destruction», mais plongé dans l’enfer de Totor. Trop beau pour être vrai ! Explosif ! Ils rassemblent toutes les conditions du stomp et de la fuzz pour allumer «Tough Like That», pur jus de petite pop trash produite dans l’esprit de non-retour. Flavia Spector gueule sa rage dans le chaos sonique et colle son cut au plafond. Nouvelle descente aux enfers du paradis avec «Talking About My Baby». Franchement, tu n’en reviens pas d’entendre un tel brouet d’excelsior, ils collectionnent les coups de génie, toutes les voiles sont bien gonflées, Totor aurait adoré Flavia, cette petite reine de la ritournelle du Brill. Avec «Only Happy When You’re Gone», elle passe au classic jive de Brill. Ils se jettent tous les deux à fond dans ce vieux mythe et bien sûr, ils n’oublient pas les castagnettes. Ils finissent en beauté avec «The Boy I Love», straight pop de right away, elle ramène son meilleur sucre, avec un petit côté France Gall, puis «So What», en plein cœur du gaga-punk et tapé avec une incroyable ferveur.

    Signé : Cazengler, court toujours

    The Courettes. Le 106. Rouen (76). 9 février 2024

    Courettes. Here Are The Courettes. Sounds Of Subterrania 2015

    Courettes. We Are The Courettes. Sounds Of Subterrania 2018

    Courettes. Back In Mono. Damaged Goods 2021

    Courettes. Back In Mono (B-Sides & Outtakes). Damaged Goods 2022

     

     

    The Memphis Beat

     - Flip Floyd and Fly

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             L’air de rien, John Floyd abat un sacré boulot dans son petit livrotin, Sun Records An Oral History : il donne la parole à un tas de monstres sacrés, Rosco Gordon, Roland Janes, Jack Clement, Billy Lee Riley, Little Milton Campbell, Jim Dickinson et des tas d’autres, mais c’est dans le spasme final d’un choix discographique qu’il s’affirme en tant que fan de tous les diables. Il fait l’une des meilleures apologies du rockabilly qu’on ait vue ici-bas et il choisit son camp : Jerry Lee et Carl Perkins, oui, la box de Gene Vincent chez Capitol, non. Et il dit pourquoi : «You could make an argument for Gene Vincent, I guess but I’ve heard the Capitol box and I’m not buying it - The box or the argument. (Tu peux essayer de me vendre Gene Vincent, mais j’ai écouté le coffret Capitol et je n’en veux pas. Ni de ton argument ni du coffret)» Il préfère la box de Carl Perkins, Classic, parue chez Bear : «Classic restitue l’homme tel qu’il fut, l’artiste de rockabilly le plus sauvagement doué, un mix de chanteur/compositeur/guitariste/leader qui ne fut jamais égalé.» Et il reprend juste après Gene Vincent : «Pendant quelques années dans le milieu des fifties, Carl Perkins incarna le rockabilly comme nul autre, de ce côté-ci d’Elvis. Il était aussi barré que le plus barré des rockabs («Her Love Rubbed Off») et il chantait avec la niaque d’un shouter de jump et un twang dans la voix aussi country qu’une bombonne d’alcool de maïs du Tennessee.» Voilà comment en quelques lignes, John Floyd brosse le portrait d’un géant et il a raison d’insister sur Carl Perkins, car il règne encore sur la terre comme au ciel. John Floyd sort à peu près le même genre de dithyrambe sur Jerry Lee. La box Bear Classic Jerry Lee est pour lui le summum du boxing : «Dire que ce coffret est le plus parfait coffret de Jerry Lee n’est pas exact. Il faudrait plutôt dire que c’est le meilleur coffret existant sur cette planète.» Et dans un dernier spasme d’exaltation, il clame : «But trust me, you need the box.»

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             Bien sûr, l’auteur aménage un bel espace pour Elvis dans sa discographie. Il recommande tout de suite The Complete 50’s Masters qui rassemble tout ce qui fut enregistré chez Sun, c’est-à-dire cinq singles. Il recommande aussi l’amazing docu Elvis  ‘56. Et il redit son admiration pour ce qu’Elvis, Bill, Scotty et Sam ont inventé dans cette petite pièce carrée du 706 : «Chaque fois que je réécoute ces singles, je m’émerveille de l’adresse, de la grâce et de la détermination avec lesquelles Elvis, Scotty et Bill ont approché le «Good Rocking Tonight» de Roy Brown et le «That’s Allright» d’Arthur Crudup, et de la façon dont ils ont transformé le médiocre «Baby Let’s Play House» d’Arthur Gunter en thundering culmination de tout ce qu’ils avaient réussi à faire lors de la première séance d’enregistrement.» Et il conclut son chapitre Elvis avec la plus rockab des chutes : «Rien de ce qui a pu être écrit à propos d’Elvis et des singles Sun ne peut dire la grandeur de cette musique et à quel point elle est bonne. Il faut juste l’écouter.» Alors évidemment, après le trio de tête Carl/Jerry Lee/Elvis, il est difficile de chauffer le brasier des recommandations. John Floyd regrette qu’il n’existe pas de box consacrée à Billy Lee Riley, le seul artiste Sun qui selon lui aurait pu continuer à porter le flambeau après le départ d’Elvis et avec, précise-t-il «more gusto, relish and determination than the killer.» C’est ce qu’il ressent en écoutant les manic rockers qui ont fait la légende de Billy Lee chez les fans de rockab. Il va loin car il affirme que Billy Lee est resté culte car il n’a jamais connu le succès et donc n’a jamais terni sa glorieuse obscurité. Il cite aussi la classe de Charlie Rich et recommande son dernier album, Pictures And Paintings («triomphant retour sur Sire en 1992»).

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             En aval, John Floyd remonte jusqu’au Box Sun Blues Years 1950-1956 qu’il tient non pas pour la plus belle collection de blues de Sam Phillips, mais pour le plus beau coffret de postwar blues. On y retrouve Wolf, Joe Hill Louis, Sleepy John Estes et tous les autres, BB King, Little Milton et Rufus Thomas. Et quand il pointe les volumes des Memphis Days de Wolf, il parle de «musique la plus abrasive, la plus poignante, la plus suffocante du panthéon de la musique américaine.» Floyd évoque une voix chargée de pathos et de terreur, et les schrapnels de la guitare de Willie Johnson. Sam Phillips disait de Wolf qu’il était le plus grand artiste qu’il ait jamais enregistré, plus grand qu’Elvis. Puisqu’on est dans Wolf, voilà Pat Hare que recommande Floyd. Il recommande aussi l’Hey Boss Man de Frank Frost, dernier bluesman enregistré par Sam Phillips. Et puis comme pour Billy Lee Riley, Floyd regrette qu’on n’ait pas de box pour Charlie Feathers. Il parle d’une vaste et fascinante carrière, mais dit-il en guise de consolation, il suffit d’amasser les disques existants pour comprendre la portée de son considerable cult following. Ce qu’ont fait tous les dedicated followers of the fashion.

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             Ce petit livre qui ne paye pas de mine dit tout ce qu’il faut dire du rockab, né en juillet 54 au 706 Union Avenue, Memphis Tennessee. Dans une petite pièce, quatre mecs, Scotty, Bill, Elvis et Sam surent brasser le blues, la country, le bluegrass et la pop pour en faire quelque chose d’autre. Le rockabilly, simple mélange de raw country sound, popping guitar, slapback bass, blues-soaked swing et d’echo pioneering allait devenir une spécialité régionale. Floyd rappelle que Johnny Burnette a raté son audition chez Sun et qu’il dut aller à Nashville enregistrer chez Coral, où enregistrait déjà Buddy Holly. Mais le meilleur rockabilly fut enregistré à Memphis. Floyd rappelle que Billy Lee Riley aurait dû devenir une star. Il dit aussi que la grandeur de Jerry Lee dépassait largement le rockab, et même le rock’n’roll et la country et que Carl Perkins reste le rockab quintessentiel, car il sut en maîtriser les thèmes et le concept. Il termine ces quelques pages enflammées en citant les héritiers du rockab : Ronnie Hawkins et son hoodoo boogie, Billy Swan et sa country-pop, et puis les Cramps.

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             Autant les pages consacrées à Charlie Feathers sont émouvantes, autant celles consacrées à Billy Lee Riley sont enflammées. Floyd voit Charlie Feathers comme un excentrique hot-tempered doté d’une voix qui va du chat perché au baryton, un homme qui affirme avoir inventé le rockab - et non Sam ou Elvis. Quinton Claunch qui fut chargé par Sam d’enregistrer Charlie aimait bien sa voix, mais il le trouvait un peu trop auto-centré, «to say the least», «il était son pire ennemi et ne faisait confiance à personne.» Charlie prétendait avoir appris à Elvis à chanter, mais Claunch pense qu’au fond Charlie en voulait à Elvis de le voir réussir en utilisant la même vision du son, et il ne pouvait tout simplement pas le supporter.

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             Et pour Floyd, Billy Lee Riley avait une voix de rêve, qui mêlait Elvis et Little Richard. Il avait aussi un style de guitare qui allait devenir un modèle du genre. Mais il ne s’entendait pas bien avec Sam - Sam and I didn’t really get along per se - Ils se respectaient mais s’engueulaient. Billy voulait faire un truc et Sam voulait qu’il en fasse en autre. Pour Billy, le vraie génie chez Sun n’est pas Sam, mais Jack Clement. C’est Jack qui a tout enregistré pour Billy chez Sun. Et comme à l’époque, Billy et Sam picolent pas mal, ça n’arrange pas les choses. Quand Billy découvre que Sam met Jerry Lee en avant chez Alan Freed, alors il explose et casse tout chez Sun - That was enough to make me mad - Il faut se rappeler que l’alcool coulait à flots chez Sun. Comme le rappelle Billy un peu plus loin, ils n’enregistraient jamais sans en avoir un coup dans la gueule. Pas du dope, juste de l’alcool - And by the time the session was over everybody was stoned - Billy est le seul qui ne soit pas condescendant avec Sam que tout le monde prend pour Dieu. «Tout le monde l’appelle Mr Phillips, except me.» Billy et Sam avaient des rapports plus directs, ils ne s’aimaient pas, mais comme le dit si bien Billy, «he knew what I had to offer and I knew that he was talented.» Billy Lee Riley et Charlies Feathers sont certainement deux des artistes les plus attachants de l’âge d’or. Et leurs disques ne déçoivent jamais.

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             On s’en doute, les coups de projecteur sur Sam grouillent dans cet opuscule boppy. C’est Malcom Yelvington qui raconte sa première rencontre au 706. Il dit à Sam : « I understand you’re putting records out !» et que lui répond Sam ? «Yeah, a few !» Puis il lui demande ce qu’il peut proposer et Yelvington annonce a real good country band. «Ça vous intéresse ?» Et Sam répond : «Je ne sais pas ce que je cherche. Je le sais quand je l’entends.» Voilà qui définit bien Sam Phillips. Il cherche autre chose. Something different. Quand plus tard Malcolm revient faire un tour chez Sun, Sam le chope et lui dit : «Vous vous rappelez de ce que je vous ait dit l’autre fois, à propos de ce que je cherchais ? Eh bien j’ai enfin entendu ce que je cherchais.» Elvis, bien sûr, le premier single sur Sun. Et Jack Clement ajoute : «Il y avait quelque chose en lui qui poussait les gens à jouer pour lui, parce que quand il appréciait un truc qu’il entendait, il entrait en adoration.» Roland Janes va beaucoup plus loin quand il dit que Sam savait dénicher les gens qui avaient quelque chose d’original pour en faire des stars. «Si Jerry Lee avait enregistré à Nashville, on lui aurait dit d’arrêter le piano et de gratter une guitare. Et personne n’aurait jamais enregistré Johnny Cash.» Pour Roland Janes, Cash est devenu l’artiste le plus distinctif, le plus unique de Sun. Rosco Gordon pense lui aussi beaucoup de bien d’uncle Sam qui lui disait, alors qu’il entrait en studio : «Ne cherchez pas à faire un tube, faites une bonne chanson.» Rosco n’en revenait pas de voir Sam faire tant de miracles avec une seule piste, all that rinky-dink recording stuff. Et quand toute cette magie se produisait, les gens avaient une moyenne d’âge de 20 ans et Sam que tout le monde appelait Mr Phillips, n’avait que 30 ans !

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             C’est Jack Clement qui appelle Roland Janes pour lui dire qu’il a en studio un petit mec originaire de Louisiane et qu’il est pretty good. Oui, il s’agit bien de Jerry Lee. Mais Billy Lee Riley le voit trop se vanter. Jerry Lee se dit le meilleur et personne ne pourrait lui dire le contraire. Billy n’est pas un vantard. Il n’a pas besoin de ça. «Jerry Lee non plus», ajoute-t-il, «il suffit de le voir jouer  pour savoir à quel point il est bon.» Roland Janes dit aussi qu’on croyait Jerry Lee jaloux d’Elvis. Oh pas du tout. Pourquoi ? Parce que Jerry Lee se savait bien meilleur qu’Elvis, et qui encore une fois allait pouvoir prétendre le contraire ? Mais Roland Janes a raison, au fond, comment pouvait-on les comparer ? Elvis était un romantique et Jerry Lee un knock-down drag-out, qu’on peut traduire par démolisseur. Le jour de l’enregistrement de «Great Balls Of Fire», Sam et Jerry Lee ont un échange explosif en studio. Ils s’accrochent sur le thème de la foi et Jerry Lee explose : «No no  no how can the devil save souls ? What are you talking about ? Man, I got the devil in me ! If I didn’t have, I’d be a Christian !» Tout Jerry Lee est là. Floyd en pince aussi pour Charlie Rich qui pendant sa période chez Hi Records en 1966-67, enregistra «some of the greatest blue-eyed Soul ever recorder - in Memphis, Muscle Shoals, anywhere.» 

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             Encore plus en aval, John Floyd donne la parole aux pionniers, Rufus Tomas, Little Milton et Rosco Gordon. Rufus dit son attachement à Memphis. Il ne voulut ni s’installer à New York ni à Chicago. Jeune, il commence par faire le tap dancer et apprend à capter l’attention du public. Rufus ne se vante pas quand il dit que personne ne sait aussi bien capter l’attention du public que lui. En 1930, il rejoint les fameux Rabbit Foot Minstrels dont parle aussi Charles Neville dans ses mémoires. Quand Rufus débarque chez Sun et plus tard chez Stax, il a déjà du métier. Il rappelle aussi que BB King venait jouer au concours amateur du mercredi soir sur Beale Street. Le gagnant remportait un dollar et BB avait besoin de ce dollar pour vivre - BB King was there to get that dollar - Et très vite, Rufus s’aperçoit qu’il a du gravier dans la voix et qu’il ne peut plus chanter de pop songs. Il ne sait pas encore que ce gravier va faire des miracles chez Stax. Rufus n’aime pas Sam. Problème de blé, encore une fois. Rufus le voit rouler en Bentley et lui demande avec quel blé il a pu se payer cette bagnole étrangère. Il ne récupère que 500 $ pour «Bear Cat» qui se vend énormément - He was an arrogant bastard. He is today - Little Milton rappelle que c’est Ike Turner qui le repère et qui l’emmène chez Sun. Sur «Beggin’ My Baby», son premier single Sun, Ike joue du piano.

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             Rosco Gordon explique qu’il ne chante que pour gagner de quoi s’acheter du pinard (wine money). Il n’est même pas nerveux en entrant en studio. Il enregistre «Booted» et à l’époque son chauffeur s’appelle Bobby Bland.

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             Tous ces gens donnent le tournis, mais celui qui bat tous les records de présence, c’est bien sûr Jim Dickinson. John Floyd a l’intelligence de lui tendre le micro. Pour Dickinson, Elvis était tout simplement superman. «Il y avait quelque chose dans sa façon d’entrer sur scène qui dépassait tout ce qu’on pouvait imaginer.» Et il ajoute : «J’ai vu les Beatles lors de leur première tournée, j’ai vu les Stones à toutes les époques, j’ai vu Dylan, mais je n’ai jamais rien vu d’aussi fort qu’Elvis. Juste le voir entrer sur scène. Il n’avait même pas besoin de chanter. On perd un peu ça de vue aujourd’hui, mais ce qu’il fit à cette époque était révolutionnaire, juste en secouant une jambe, il déclenchait une révolution sexuelle et il transformait la façon dont chaque homme se coiffait, marchait ou parlait. Encore aujourd’hui, il est le visage le plus connu dans toute l’histoire du genre humain.» John Floyd dit que Dickinson est parfaitement à sa place dans cette ville de brillants marginaux et de visionnaires excentriques qu’est Memphis. Floyd tient Dickinson pour un pur produit de la Memphis dementia, pire encore, comme l’héritier de Sam Phillips et de Dewey Phillips. Il pense aussi qu’il a largement contribué à façonner la légende de Memphis et à assurer à son avenir. Dickinson : «Dans ma famille, on est musiciens depuis cinq ou six générations, mais sans être professionnels. Ma mère avait reçu une solide éducation. Elle a joué du piano à l’église pendant toute sa vie.» Quand on tente de lui inculquer des connaissances de musique classique, le petit Dickinson se cabre. C’est le jardinier black Alec qui lui amène un jour Butterfly, un pianiste black. Butterfly explique au gamin que la musique est faite de codes. Alors ça plait au jeune Dickinson qui traduit ça dans son imagination en codes secrets. Bien sûr, Butterfly voulait dire chords, c’est-à-dire accords, mais le gosse comprend codes et ça l’intéresse. Tu prends un code avec la main droite et une octave avec la main gauche, tu joues ça en rythme et ça donne le rock’n’roll. Mais à l’époque où Dickinson veut jouer du rock’n’roll, au début des années soixante, c’est encore très mal vu. «La musique teenage n’était pas reconnue alors. Il a fallu attendre l’arrivée des Beatles et des Rolling Stones pour qu’elle soit acceptée. Les groupies n’existaient pas non plus. Le rock’n’roll n’était même pas cool. On nous considérait comme des délinquants (deviant behavior of some kind).» Et dans un paragraphe poignant, Dickinson rappelle qu’il doit tout, absolument tout, à Dewey Phillips. «My whole musical taste, what I do for a living came from listening to Phillips on the radio.» Car ce qu’il proposait était totalement différent, c’était l’idée clé, une idée qu’on va retrouver chez Sam Phillips, lui aussi en quête de something totally different. Dewey Phillips ne s’adressait ni aux black people, ni aux white people, il s’adressait aux good people. La couleur ne l’intéressait pas, pour lui «the colour was good and he was playing good music. It was Sister Rosetta Tharpe and then Hank Williams.» Dickinson écoute tellement Dewey Phillips qu’il le croit sur parole quand il dit que Billy Lee Riley est une star. Jusqu’au moment où il va faire ses études au Texas et découvre que personne ne connaît «Red Hot» au Texas. Red quoi ? Même chose pour Sonny Burgess. Sonny qui ? En dehors de Memphis, personne ne connaît Sonny Burgess. Mais Dickinson croit Dewey sur parole quand il dit que Sonny est une star. «Dewey said he was, you know ?»

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             Dickinson revient sur la grande spécificité de Memphis qui est de favoriser l’individu, et pas seulement la musique. Les réussites à Memphis sont toutes des réussites individuelles. C’est aussi lui qui va faire l’un des derniers singles Sun avec les Jesters, un groupe quasi-mythique dans lequel on trouve le fils cadet de Sam, Jerry Phillips à la guitare, et Teddy Paige. Dickinson chante et Knox, le fils aîné de Sam, enregistre. C’est le fameux «Cadillac Man». Il rappelle aussi que durant les années 70, Knox et lui ont tenté de monter un coup avec BB King. Ça paraissait évident que Sam allait accepter, car c’était un projet extrêmement significatif. Tout est prêt. Knox en parle à Sam qui dit non. Pourquoi ? Dickinson n’en revient pas. A-t-il donné une raison ? Et Knox dit oui. Sam lui aurait rétorqué : «On ne peut pas aller demander à Picasso de peindre une petite toile comme ça vite fait.» Selon Dickinson, Sam Phillips voyait les choses à sa façon, c’est-à-dire en grand.

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             «Il y a des gens qui me disent que la période de génie de Sam a duré dix ans, comme son alcoolisme qui a duré dix ans, et sa thérapie à base d’électrochocs a aussi duré dix ans.» Et ce fin renard rigolard ajoute : «Je sais qu’il était fasciné par le courant électrique.» Dickinson raconte qu’il a vu Sam mette un tournevis sur un contact et créer un éclair. C’était du 110 V ! Sam : «A little one-ten (110) doesn’t hurt you. You need two-twenty (220) every now and then to know you’re alive.» Dickinson conclut en affirmant que Sam n’est pas un être humain ordinaire.

    Signé : Cazengler, John Flop

    John Floyd. Sun Records : An Oral History. Devault-Graves Digital Editions 1998

     

     

    Inside the goldmine

     - McKinley dans la poche

             Comme il pouvait nous agacer ce Kiki avec sa petite moustache pré-pubère, ses grosses lèvres, son acné virulente et sa façon de se placer sous la protection d’un gros dur, avec cet air provocateur qu’ont les chats siamois. Et pour aggraver les choses, il était en plus le chouchou de sa mère. Il y avait certainement un vieux fond de jalousie parmi nous, les autres membres du groupe. Nous n’avions pas de famille ni personne pour nous protéger. L’idée était de lui apprendre à vivre. On ne supportait plus de le voir prendre ses poses alanguies en suçant les bonbons que lui faisait porter chaque jour sa mère. Nous guettâmes longtemps l’occasion, et le jour où son protecteur fut appelé par le directeur de la colo pour une raison x, nous passâmes à l’action. Viens par ici mon Kiki. Il sentit tout de suite que les choses allaient mal tourner et il se mit à chialer comme une gonzesse et à appeler sa mère. On s’empara de lui à quatre, chacun tenait une jambe et un bras et nous le transportâmes dans la salle de bain. Il tentait de se débattre. Nous approchâmes des chiottes immondes qui n’étaient jamais nettoyées. Kiki se mit à hurler, non ! non ! pas ça ! Et nous lui plongeâmes la tête dans l’eau, enfin si on pouvait encore appeler ça de l’eau. Il perdit connaissance. On l’installa assis au sol contre le mur et il revint à lui. Il nous regarda tous les quatre avec une tristesse infinie. Il y avait dans ce regard un tel désespoir que nous éprouvâmes tous de la honte. Nous fûmes alors traversés par un violent désir de réparer. «T’inquéquète donpas mon Kiki, on va te nettoyer.» On le lava, on le peignit, on lui fit même des bisous sur le front. On le ramena dans le réfectoire et on lui réchauffa un bol de chocolat chaud. Nous devînmes tous les quatre ses meilleurs amis de colo, mais jamais la tristesse ne s’effaça de son regard. Bien des années plus tard, je tombai par hasard sur Kiki dans la rue. «Savati mon Kiki ?». Il répondit que oui, «savabin», mais son regard disait exactement le contraire.

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             Le souvenir du pauvre Kiki nous ramène à un autre kiki, McKinley Mitchell, découvert dans une box et pas n’importe quelle box, la box Malaco, coco. Comme McKiki est un mec de Jackson, Mississippi, il paraît donc logique de le retrouver sur Malaco, le label local.

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             Il enregistre son premier album sans titre sur Chimneyville, l’ancêtre de Malaco, en 1978. Dès «Open House At My House», on réalise qu’il sonne exactement comme Bobby Blue Bland, et donc on devient potes, car ici, Bobby Blue Bland est un dieu. McKiki est un fabuleux groover, on se régale de sa fantastique allure. Il tape ensuite une cover de «You’re So Fine», ce vieux hit mondial des Falcons repris par Ike & Tina Turner. Il clôt son balda avec «You Know I’ve Tried», une belle Soul de power Soul Brother. Il secoue bien les colonnes du temple de Chimneyville. En B, il tape dans Bobby Darin avec «Dream Lover» et finit avec «Follow The Wind», une chanson de cowboy lancée au petit trot, c’est plein d’élan et bien ouvert sur l’horizon. McKiki adore chanter dans le vent de la plaine. On est vraiment content pour lui.

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             Il apparaît en gros plan avec ses baguouses sur la pochette d’I Won’t Be Back For More. Au dos, le mec du label Retta’s Records a écrit en gros : «This is a hit record !» On veut bien le croire, car McKiki est un sacré Soul Brother, il te groove son morceau titre au doux du velouté, il te groove ça au quart de poil, c’est un mec précis. Fantastique artiste ! L’album est enregistré dans un studio de Memphis avec une équipe de surdoués inconnus. On a là une sorte de petit son d’une grande qualité. Le bassman s’appelle Ray Griffin, c’est un bon. Il faut entendre son walking bass dans «I’ve Been Wrong». «I Got A Couple Of Years On You» est plus pop. On appelle ça la country Soul. Belles racines, en attendant. Bien dans l’esprit des chops de Chips. McKiki sait balancer sa plâtrée, comme le montre le «Watch Over Me» d’ouverture de bal de B. Puissant shouter. Il fait encore de la Soul pop avec une «Mariah» extrêmement bien apprêtée. McKiki opte pour le haut du panier. Il termine ce bel album avec «I Don’t Know Which Way To Turn». Il charge sa barcasse au when you look at me

    Signé : Cazengler, Mitchell ma belle

    McKinley Mitchell. McKinley Mitchell. Chimneyville Records 1978

    McKinley Mitchell. I Won’t Be Back For More. Retta’s Records 1984

     

     

    The Sly is the limit

    - Part Three

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             Au même titre que Phil Spector, Ike Turner et Brian Wilson, Sly Stone entre dans la caste des génies du son. The Family Stone n’est que le couronnement d’une carrière qui débute au début des années soixante, lorsqu’il travaille pour le compte du label californien Autumn Records. Ce sont deux blancs qui le dirigent, Tom Donahue et Bob Mitchell, mais ils ont pour particularité de priser la musique noire. Attention, n’allez pas croire que Sly est californien : comme la plupart des grands artistes blacks installés en Californie (Arthur Lee, les Chambers Brothers, Lowell Fulsom) Sly vient du Deep South et plus précisément de Dallas, au Texas. Sly montre très vite un penchant pour les fringues flashy : on le voit porter un costard Pierre Cardin en peau de serpent et peigner soigneusement sa pompadour. Parmi les groupes qu’il produit pour le compte de Big Daddy Donahue, il y a les Beau Brummels. Sly admire le style et les chansons de Sal Valentino - I like the way Sal sings ‘I’m a man’ on Underdog. Go on Sal ! - Il admire aussi Ray Charles et Dylan. Sly est un homme passionnant, il faut l’écouter rendre hommage à ses pairs - The intelligence in my music comes from Mr Froelich. I tried the stuff that he taught me and it worked, and will work forever. The basic physics of music, that’s all it is. Little things, like play an intro, not too long. If it’s got a lot of energy, don’t do it so fast, do it slower - Sly explique qu’il a travaillé à partir de ce que Monsieur Froelich lui a appris et ça a marché. Commence par jouer une intro, pas trop longue, et s’il y a trop d’énergie, ralentis un peu.

             C’est le flamboyant David Kapralik, A&R chez Columbia, qui signe Sly & The Family Stone en 1967. Il devient en même temps le manager du groupe. Va sortir sur le subsidiary Epic une belle ribambelle d’albums qu’il faut bien qualifier d’historiques.

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             Dès A Whole New Thing, on sent monter le souffle. Sly introduit «Underdog» à la bluette de Frère Jacques et il relaie ça au heavy groove de Soul et aux yeah yeahhh. La Family Stone qui joue sur ce premier album restera intacte jusqu’à la fin, car c’est une vraie family : Freddie est son frère, Rose sa sœur, Larry Graham son cousin, Jerry Martini est un vieux pote et il se trouve que Greg Errico est le cousin de Jerry. Avec «Turn Me Loose», Sly passe au wild r’n’b. Sly sait tourner les choses à son avantage. Voilà les prémisses du Sly sound, cette fabuleuse énergie qui explosera à Woodstock. Sly grimpe au sommet de l’Ararat pour jeter un slowah à la face de Dieu : «Let Me Hear It From You». En B, on tombe immédiatement sur un heavy groove écœurant de classe, «I Cannot Make It». Voilà encore du Sly qui fait dresser l’oreille du lapin blanc. Ploc ! «Trip To Your Heart» sonne comme une espèce de groove intermédiaire terriblement ancré dans la modernité. C’est l’autre caractéristique du génie de Sly Stone : il semble toujours en avance sur son époque. «Bad Risk» sonne comme un fabuleux coup de Soul rampante. Sly amène ça avec le finesse du renard et des mains de cordonnier. En 1967, la messe est dite.

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             Premier hit planétaire en 1968 avec «Dance To The Music» qu’on retrouve sur l’album du même nom. Ouch ! C’est l’un des plus grands hits du siècle passé. Le pulsif profond de Sly Stone semble monter des entrailles de la terre. Les breaks à vide sont tellement libres qu’ils semblent déréglés. On retrouve le thème de Dance dans «Dance To The Medley», bardé de départs de basse signés Larry, la bête de Gévaudan. Rose chante avec son frère et Larry fait tous les coups de ra-da-da-dam. Quelle pétaudière ! Rose sait elle aussi envoyer la purée. Le son de la Family Stone est unique au monde. L’autre énormité se niche en B : «Ride The Rhythm». Sly prend ça au chat perché et swingue le jazz du funk. On ressent l’admirable pulsation du feeling sauvage. Sly groove le boogaloo et derrière lui, Larry la bête fait rouler ses notes sous ses gros doigts boudinés. Quelle rigolade ! Ah il faut aussi écouter le beurre infernal que bat Greg Errico dans «Are You Ready». Larry vole à son secours. Ces mecs-là n’en finissent plus de groover la modernité. C’est leur apanage. Larry revient jouer une belle ligne de basse fougueuse dans «Don’t Burn Baby». Quand on l’entend, on pense à un étalon sauvage. Ses notes courent derrière le chant du Sly. Mine de rien, Sly et sa family déroulaient le tapis rouge à la modernité.

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             On reste dans l’âge d’or avec l’album Life, paru aussi en 1968. Dès «Dynamite», Larry remet ses vieux ra-da-da-dam en route. C’est infernal. D’ailleurs l’ensemble du groupe s’apparente plus à une machine infernale qu’à un orchestre de groove. On trouve deux merveilles sur cet album, à commencer par «Chicken», cot-cot-coté et swingué au meilleur funk de Sly. On se croirait dans la basse-cour du ghetto funky - Have you heard about me - L’autre merveille se niche en B : «I’m An Animal». Il s’agit là d’une pièce de ce groove intermédiaire dans lequel Sly va finir par se spécialiser. C’est orchestré à la trompette et joliment maintenu sous pression. Puis Sly attaque «M’Lady» au pom pom pom de prédilection. On s’en doute, Larry ramène sa fraise avec le ra-da-da-dam de Dance. C’est bien sûr une variante de leur vieux hit, mais quelle variante ! On retrouve d’ailleurs le thème de Dance dans «Love City», avec les coups de baryton de Brother Freddie et les relances de Sister Rose. Ils bouclent cet album solide avec «Jane Is A Groupee», un joli de coup de groove à la décontracte monté sur une bassline de rêve. Sacré Larry ! Il n’en finit plus de régaler la compagnie. Le hit de l’album est certainement «Plastic Jim», l’adaptation funky d’Eleanor Rigby - All the plastic people/ Where do they all come from - Voilà qu’éclate une fois de plus au grand jour la modernité de Sly Stone. On ne résiste pas non plus au charme d’«Harmony», petit chef-d’œuvre de good time music.

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             Le deuxième hit planétaire de Sly se trouve sur l’album Stand ! paru l’année suivante : «I Want To Take You Higher», cette monstruosité qui a révélé Sly au public rock, via le film tourné lors du festival de Woodstock. C’est le son de la fournaise, le vrai, celui que vomissent les entrailles de la terre. Larry Graham roule son riff et Cynthia souffle dans sa trompette. On ne se lasse pas de revoir Sly & The Family Stone sur scène à Woodstock. Avec «Don’t Call Me Nigger Whitey», Sly se paye un fier adressage aux blancs qui insultent la grandeur du peuple noir. Autre hit planétaire en B : «Everyday People», un fantastique appel à la tolérance - Oh sha sha we got to to live together - Fabuleux groove de la paix sur la terre - And so on and so on and scooby dody doo bee/ I am everyday people - Eh oui, Sly navigue exactement au même niveau que John Lennon et Bob Dylan. Il peut aussi fait de la hot soul à la James Brown, comme on le constate à l’écoute de «You Can Make It If You Try», mais c’est sly-stoné de frais.

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             Comme on l’a épluché dans le Part One, on ne va pas revenir sur ce chef-d’œuvre qu’est  There’s A Riot Goin’ On. On passe directement à Fresh, paru en 1973.

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    C’est un album qui porte bien son nom. Sly semble revitaliser l’univers musical. Il suffit d’écouter «If You Want Me To Stay» pour en avoir le cœur net. Comme toujours chez Sly, le cut est monté sur une bassline rêve, une basse carrément pouet-pouet de gros popotin. C’est softy à souhait et d’une classe épouvantable. On passe au concassage de funk avec «Frisky». Sly se situe encore à la pointe du progrès. On sent une immédiate modernité de ton, une incroyable énergie de progression latérale, une subtilité du funk qui n’existe pas ailleurs. Sly est aussi avant-gardiste que Miles Davis. On se régalera aussi de «Thankful N’ Thoughtful», un groove de funk zébré d’éclairs de scream. Pur coup de génie en B avec «Que Sera Sera», l’apogée du groove laid-back en cuir clouté, un summum d’excelsior. Il faut aussi écouter «I Don’t Know (Satisfaction)» si on apprécie le slow-groove, car il s’étend à l’infini, comme une mer étale, immense et visitée par des notes de basse-mouettes et des whawahtis impénitents. Les chœurs de filles relèvent de la pire sorcellerie qu’on ait vu ici bas depuis le XIIIe siècle. L’autre hit de l’album pourrait bien être le fantastique «Keep On Dancin’», une extraordinaire fiesta de good time music, un festin de roi, habilement rythmé et orchestré au groove coconut.

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             Avec Small Talk paru l’année suivante, Sly fusionne le r’n’b et la psychedelia, comme le font Black Merda et Rotary Connection à la même époque. On trouve en B «Loose Booty», un fabuleux groove de Soul moderne chanté par tous les membres de la famille - Get into some dancin’/ Do what it’s all about - Puis Sister Rose prend «Wishful Thinking» au chant avec Sly et ils tapent ensemble dans une belle démesure de groove stonien. On a là du lo-fi en suspension, une pure merveille perdue dans la nuit des temps. C’est indécent de classe. Le dernier cut de l’album est un autre pur chef d’œuvre : «This Is Love». Sly rend un hommage vibrant au doo-wop avec les chevap doo wap des Flamingos. On note au passage que Rusty Allen a remplacé Larry Graham à la basse. Rusty fait des siennes dans «Time For Livin’», joli cut d’heavy popotin saturé de basses. S’ensuit un admirable groove mélodique intitulé «Can’t Strain My Brain». Sly le travaille au corps avec une maestria de la déconstruction et des faux airs de dérive excessive.

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             Sur la pochette de Heard Ya Missed Me Well I’m Back, Sly se déguise en homme orchestre. Et au dos, il pose avec la Family au grand complet. On trouve pas mal de cuts très pertinents sur cet album passé un peu à l’as, à commencer par «What Was I Thinkin’ In My Head», un solide strut de Stone Funk aménagé avec des plages enjouées et chanté à la bonne franquette. Sly adore créer ces atmosphères festives qui renvoient aux Village People. Il passe au slow groove de charme avec «Nothing Less Than Happiness», en duo avec une certaine M’Lady Bianca. Quel fabuleux duo ! Il boucle l’A avec «Blessing In Disguise», une belle pop de Soul élégiaque extrêmement orchestrée et noyée de backing vocals féminins. L’empereur Sly règne sans partage sur l’univers. En B, on trouve «Let’s Be Together», un funk stonien de bonne constitution. Ces gens-là n’ont plus rien à prouver. Ils savent groover le funk en douceur et en profondeur. Quelle délectation ! Tout est amplement orchestré et bien lubrifié aux jointures.

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             Sly fait le playboy des deux côtés de la pochette de Back On The Right Track paru en 1979. Trois cuts sortent du rang, «Remember Who You Are», le morceau titre, et «If It’s Not Adding Up», qui sont en fait les trois premiers cuts de l’A. Pour Remember, Sly tape dans son vieux groove de funk à la Stone. Il joue ça sous le boisseau d’un groove de basse sourde. Franchement, ce mec a le génie du son. Avec Back, il renoue avec le pur funk d’énormité de la Family Stone, c’est-à-dire le beat des origines de la terre, tout cela dans une explosion de chœurs féminins et de cuivres. Il reste dans la funky motion pour Addin’ Up. En B, il va rester dans le funk pour emmener «Shine It On» au paradis et passe au funk désarticulé à la Stevie Wonder pour «It Takes All Kinds». Sacré Sly, il slamme le slum avec du pur sledge, et une basse pouet-pouet mène tout ça par le bout du nez. Quel album ! Il boucle avec «Sheer Energy», encore du groove de rang princier, joué jusqu’à l’os du genou et contrebalancé par des Soul Sisters infernales.

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             Voilà encore un album quasiment passé inaperçu en 1982 : Ain’t But One Way. On y trouve un coup de génie intitulé «Who In The Funk Do You Think You Are». Sly monte ça au stomp d’heavy funk. Il n’y a que lui qui puisse monter des coups pareils. Il ne fonctionne qu’à l’énergie pure. Il fait une cover extravagante du «You Really Got Me» des Kinks. Encore plus épouvantable, «We Can Do It», groove de Soul-jazz visité par la grâce. Il boucle cet album impeccable avec «High Y’All», une resucée de Wanna Take You Higher. Il ressort exactement la même énergie. On trouve aussi deux ou trois choses intéressantes en A comme par exemple «L.O.V.I.N.U», rappé au meilleur beat. C’est tellement dansant qu’on croit parfois entendre du diskö-funk. Joli coup de good time music avec «Ha Ha Hee Hee». Du son, rien que du son. Chez Sly, c’est le son qui compte. Il faut entendre ces fabuleuses nappes de cuivres derrière le doux du beat. Voilà un nouveau hit planétaire, complètement envoûtant. Tout l’album est bon, de toute façon.

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             En 1975, il attaque une carrière solo. Plus de Family sur les pochettes. Il saute en l’air pour High On You, comme il le faisait pour Fresh. Voilà encore un album qui grouille d’énormités, à commencer par «I Get High On You», où on retrouve la profondeur grondante du cosmic funk d’«I Want To Take You Higher». Sly stone son stomp. Quand on entre en terre de stone, on entre en terre sacrée. Tout y est hors du temps, hors des hommes et des dieux. The Sly is the limit, ne l’oublions pas. Retour au hard funk avec «Who Do You Love», spécialité stonienne, son des profondeurs et tourbillon de gargouillis, groove épais que rien ne presse. En B, Sly tape dans la Soul funk des profondeurs avec «Organize». Pur Sly System. On a là le meilleur son de basse de tous les temps, bien rebondi, gras et gros, presque infra. Il passe au joli softy softah avec «Le Lo Li», joué sous le boisseau d’une chape orchestrale psycho-funkoïdale, mais avec des angles arrondis. Il prend plus loin «So Good To Me» à la finesse tamisée pour mieux créer l’enchantement.   

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             L’album Ten Years Too Soon est un album de remix. On y retrouve les gros hits de Sly remixés par des New-Yorkais. C’est un peu absurde, surtout quand on a un cut comme «Dance To The Music» qui est déjà calibré pour le dance-floor. Ces gens-là se sont aussi amusés à remixer  «Sing A Simple Song» et «Everyday People». C’est comme si on shootait des produits dans un corps parfait. 

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             I’m Back ! Family And Friends sonne comme l’album du grand retour. Sly reprend son destin en main et redonne un coup de jeune à ses vieux hits, comme «Dance To The Music» qui devient de la pure folie. Ça dégouline littéralement de génie pur. Ray Manzarek joue de l’orgue là-dessus. Ann Wilson vient duetter avec Sly sur «Everyday People». Et paf, il tape dans «Family Affair». Classe suprême, voix de Soul chargée d’histoire. Hit de rêve. Sly se situe au même niveau qu’Aretha et Marvin. Ce sont des artistes hors du temps et des modes. Ils relèvent de l’inéluctabilité des choses, Nathaniel. Johnny Winter vient jouer sur «Thank You». Johnny joue avec le feu du funk, et il part en solo flash ! Wow ! Sly et lui s’entendent à merveille - Falletin Me Be Mice Elf Agin - On entend même Johnny doubler au guttural. Quelle fournaise, les amis ! En B, c’est Jeff Beck qui radine sa fraise pour jouer «(I Want To Take You) Higher». Sly remet en route la machine infernale de Woodstock. Jeff Beck l’épouse à la note grasse. Il cocote et part en petite vrille de wah casuistique. Encore du son, rien que du son dans «Plain Jane», funky motion glougloutée jusqu’à la moelle, et Sly revient au gospel mélodique avec «His Eye Is On The Sparrow», jadis repris par Sister Rosetta Tharpe et Mahalia Jackson, cut envoûtant qui s’étend jusqu’à l’horizon.

    Signé : Cazengler, Family Stome de chèvre

    Sly & the Family Stone. A Whole New Thing. Epic 1967

    Sly & the Family Stone. Dance To The Music. Epic 1968

    Sly & the Family Stone. Life. Epic 1968

    Sly & the Family Stone. Stand ! Epic 1969

    Sly & the Family Stone. There’s A Riot Goin’ On. Epic 1971

    Sly & the Family Stone. Fresh. Epic 1973

    Sly & the Family Stone. Small Talk. Epic 1974

    Sly & the Family Stone. Heard Ya Missed Me Well I’m Back. Epic 1976

    Sly & the Family Stone. Back On The Right Track. Warner Bros Records 1979

    Sly & the Family Stone. Ain’t But One Way. Warner Bros Records 1982

    Sly  Stone. High On You. Epic 1975 

    Sly  Stone. Ten Years Too Soon. Epic 1979 

    Sly  Stone. I’m Back ! Family And Friends. Cleopatra 2011

     

     

    *

    Tiens un groupe français. Qui chante en français. Etrange pour un groupe qui vient d’Allemagne. Erreur sous la ligne de flottaison. Si la bonne ville de Brunswick se situe en Germanie le New Brunswick est une province du Canada, côte atlantique, accolée à la Nouvelle-Ecosse dont dépend Oak Island, l’île au légendaire trésor introuvable depuis trois siècles… Viennent de Bathurst, la bourgade qui n’atteint pas les quinze mille habitants possèderait un des plus beaux sites touristiques du Canada. Nous demanderons à Marie Desjardins, notre canadienne préférée, de corroborer les dires de Wikipédia.

    J’ METTRAI LE FEU

    MESSE

    (Local pick up only  / Février 2024)

                    Drôle de nom pour un groupe. Seraient-ils chrétiens ? Ou ont-ils choisi ce mot pour exprimer l’idée de réunion festive que l’on peut associer à ce genre de cérémonie religieuse ? Cela demande réflexion, surtout si vous êtes comme moi et que vous pensez que par les temps qui courent le retour du religieux est une malédiction renaissante.

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             Comment interpréter cette couve. Un briquet, généralement on s’en sert pour mettre le feu au cordon d’un bâton de dynamites, ou ont-ils voulu moderniser le cierge ?

    Maxime Boudreau : vocal, guitare / Sam Newman : basse / Jacob Savoie : batterie.

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    Révolution : le morceau est sorti en avant-première au mois de janvier, agrémentée d’une image à peu près semblable à celle de la couve de l’EP, à cette différence près que le briquet ne brûle plus tout seul en solitaire dans son coin, une main d’activiste décidé se prépare-telle à mettre le feu au monde entier… : musicalement ce n’est pas très révolutionnaire, du heavy metal ni très lourd ni très métallique mais de l’allant et de la vivacité, beaucoup plus problématique la douce langue françoise, est-ce pour cela que les couplets sont si courts, un peu trop chantée, un peu trop allongée, trop mélodieuse, manque le hachis méchant des englishes qui vous mordent au visage chaque fois qu’ils ouvrent la bouche. Lyrics ambigus, lancer une révolution par la fenêtre, pour mettre le feu à toute la plaine ou pour s’en débarrasser, bon ils y mettent du cœur, du sang et de l’espoir, donnons-leur quitus. Les derniers poètes : attention influence blues, balancement rythmique sans histoire et de rigueur et la voix bien devant, normal puisque l’on donne la parole pour la dernière fois aux poètes. L’on est proche de la fin du monde, vision critique et acerbe de notre marasme actuel, on approuve, un seul truc qui nous fait dresser l’oreille, ces damnés poètes, ne pourrait-on pas les fusiller comme tout le monde, pourquoi les crucifier. Automne : bon l’on croyait que les poëtes étaient morts, ils ont décidé de les remplacer, musicalement nous sommes borderline avec la variété, cette voix blanche parlée n’est pas très, comment dire poétique, s’en sont rendus compte, la fin du morceau ne se prend plus pour une chanson d’automne verlainienne, alors ils asticotent leurs instruments, et là c’est vraiment bien. T. O. M. I. : z’ont compris, un bel instrumental qui tient debout, hélas trop court !

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    Gaz : sorti aussi en avant-première au mois de janvier, image parlante, selon la mythographie française l’on pense aux pétroleuses de la Commune qui mirent le feu à Paris pour retarder l’avancée des troupes versaillaises, genre de feu de joie qui vous met le cœur en fête : la musique à fond, enfin nos incendiaires s’apprêtent à passer à l’action directe, ben non, le chat ne retombe pas sur ses pattes, feront la révolution lorsque le gaz sera moins cher. Niveau activisme c’est un peu affligeant. L’est vrai que Dieu ne leur a envoyé aucun message de réconfort. Remarquez, dans la Bible il est dit que Dieu vomit les tièdes. Il a raison.

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             Vous avez plusieurs vidéos de Messe sur scène. Jouent leur musique avec fidélité, mais leurs accoutrements, leur tenue soignée, leurs cheveux peignés, tout indique qu’ils visent un public de jeunes adolescents qui ne sont jamais tombés tout seul dans la marmite du rock ‘n’ roll, doivent vivre cela comme une initiation. Voilà, la messe est dite.

    Damie Chad.

     

    *

    Les anciens Dieux ne sont pas rancuniers, ne m’en ont pas voulu d’avoir chroniqué Messe, Apollon Lyncée, l’Apollon-loup, l’Apollon Hyperboréen, m’a envoyé ses nordiques copains en renfort, je ne pensais nullement à eux quand mon œil a été attiré par une trace d’ours sur le net, une méchante, bien griffue, avec des taches de sang, alors j’ai suivi la piste sanglante, je n’ai pas été déçu :

    BERSERKR

    EIHWAR

    Suffit d’un mot entrevu un quart de seconde sur You Tube pour que je visionne une vidéo, lorsque les vikings voguaient sur les mers lointaines, parfois l’un des membres de l’équipage harassé de ramer durant des heures contre une mer mauvaise pétait les plombs, ainsi s’exprimerait avec la grossièreté ignorante qui le caractérise un homme moderne, nos hardis navigateurs proposaient une autre lecture du phénomène, s’agissait de ce qu’aujourd’hui nous attribuons aux pouvoirs de ce que nous appelons chamanisme. Etait-ce le guerrier qui appelait en renfort son animal totémique ou l’esprit de l’Ours qui entrait en lui ? Toujours est-il que pris d’une fureur sacrée il se saisissait de son épée, mordait à pleines dents son bouclier, et commençait à s’en prendre au drakkar, voire à se jeter sur ses camarades qui essayaient, avec plus ou moins de réussite, à le désarmer… J’ai cliqué et j’ai été si étonné par les images que je n’ai pas pensé une seconde à accorder ne serait-ce que la moitié du quart d’une oreille pour prêter une quelconque attention à la musique.

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    D’abord c’est beau, images esthétiques d’un gris bleuté qui tout de suite vous mettent dans l’ambiance, ce guerrier vêtu de noir, homme de fer, habits de cuir, assis par terre dégage une idée de puissance tranquille rehaussée par le hurlement de loups que l’on ne voit pas. Le deuxième personnage qui apparaît et qui semble se porter à la rencontre du chevalier noir n’est pas moins inquiétant, d’ailleurs tout de blanc vêtu, qui est-ce, une prêtresse, un homme, une femme ? J’ai hésité, certes les longs cheveux blonds dans son dos et ses espèces de fourrures au niveau des seins, tout indique une fille, mais le crâne d’ursidé qui cache son visage teinté de noir, ne serait-ce pas ce que les Grecs on appelait un bel éphèbe, mais la voici munie d’un grand tambour qui danse, au sommet d’un énorme rocher, son ventre ondule, l’on envie d’arracher sa ceintures d’où pendent des linges mouvants qui cachent son sexe, belle et bestiale en même temps, attirante et dangereuse,  accroupie, elle dessine un cercle de runes mystérieuses avec des bouts de branches, l’épée à l’épaule, au travers des bois sombres, il arrive, elle marche, elle mord son épée à pleines dents, elle l’appelle, il la voit, il s’avance, derrière lui se dresse un énorme Yggdrasil, elle s’élance, et leurs épées s’entrechoquent sous la sombre et splendide ramure de l’arbre du monde, qui va triompher, la scène du combat est entrecoupée d’images d’elle tambourinant tout en haut de son immense rocher, qui va gagner, qui va vaincre, déjà les féministes proclament leur championne, elles n’ont rien compris, le vainqueur, la vainqueuse, cela importe peu, les images s’arrêtent, sur le noir de l’écran s’inscrivent quelques vers,  Etreins la fureur sauvage au fond de toi, aucune limite, aucune peur, le sentier d’Odin que nous vénérons est cinglant comme l’éclair. Dernières images consacrées à la splendeur naturelle du lieu qui a eu l’honneur d’accueilli le combat.

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    Evidemment question musique vous supposez une espèce de choc de titans sonores. Des murs d’airains et des entrechoquements de bronze. Vous avez juste quarante ans de retard. Une part importante de groupes metal ou d’origine industrielle qui se sont entichés de mythologies scandinaves ont dès les années quatre-vingt emprunté le chemin de cet âge de fer, mais les clinquances mythologiques brinquebalantes ont peu à peu laissé place à une certaine lassitude, l’on a cherché à comprendre le sens de ces scénarios de plaies et de bosses, sous la chair sonnante et trébuchante l’on a essayé de retrouver une subtilité spirituelle, une spiritualité païenne.  Bref du heavy metal, un peu trop carton-pâte l’on en est arrivé à s’inscrire dans un mouvement néo-folk.

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    La première apparition d’Eihwar a ainsi eu lieu à Nantes, le 23 mai 2023, dans la salle de concert Les Ferrailleurs, lors de la Pagan Folk Night La Nuit des Sorcières. Nous invitons les lecteurs à visionner sur You Tube Eihwar Ragnarök Live, sous-titrée Wiking War Trance, qui nous montre un public subjugué par l’apparition de nos deux précédents héros dans leur accoutrement filmique, elle martelant sans cesse son tambour de guerre, l’entrecoupant toutefois de mélodiques mélopées tandis que notre chevalier noir s’escrimant sur son équipement électro laisse échapper de son gosier des gutturalités de mauvais augures. L’ensemble un tantinet monotone n’est pas pour autant ennuyeux.

    Ne gobez pas la première ligne de présentation de notre duo sur Bandcamp, non ils ne sortent pas de la forêt hercynienne, proviennent d’une contrée davantage civilisée, de Toulouse. Ayant longuement fréquenté durant ma jeunesse estudiantine cette capitale du Midi, je peux vous affirmer qu’elle n’est pas peuplée de tribus sauvages, certes les vikings ont bien assiégé la ville rose en 864, z’ont dû se comporter d’une manière fort peu courtoise avec les jeunes filles et femmes de nos campagnes garonnaises, ces antécédents historiaux sont-ils la cause de cette fièvre nordique qui s’est emparée de nos deux jeunes gens, une résurgence atavique de quelques gouttes de sang nordiques léguées à leurs corps défendants ( voire consentants ) par de lointaines ancêtres ont-elles humecté le filigrane de leurs consciences, de leurs rêves, de leurs désirs, et de leurs volontés. Peut-être. Nous aimerions souscrire à cette vision romantique des transmissions héréditaires… peut-être s’inscrivent-ils simplement dans cette mouvance pagano-scaldique dont se réclament au-travers de toute l’Europe de nombreux groupes de rock.

    Sont deux. Asrunn : chant, percussion traditionnelle / Mark : voix, drum pad, samples. Soupçonnons autour d’eux un clan amical qui les aura aidés dans la mise en place de leur projet. C’est en février 2023 qu’ils ont posté leur première vidéo sur You Tube. Le bouche à oreille a fonctionné à merveille. Z’ont atteint jusqu’à un million de vues. Sont programmés pour cette année 2024 dans de nombreux festival notamment au Hellfest. Viennent de sortir leur premier album, compilation de leurs vidéos sur Season of Mist.

    RAGNARÖK

    (Viking War Music)

    EIHWAR

    (Season Of Mist / Digital / Février 2024)

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    Eihwar est le nom de la rune qui représente la lettre E. Elle désigne la Mort. Notons que cette lettre E se retrouvait au fronton du temple de Delphes, le sanctuaire sacré de la Grèce antique. Qui se peut traduire par Être… Il n’existe pas de plus grand écart entre deux notions.

    Asrunn = Ours (origine finoise) / Mark = consacré à Mars dieu de la guerre (origine latine).

    Berserk : nous n’en dirons pas plus qu’au début de cette chronique. Nous ne nous répèterons pas. Ne montons-nous pas dans le train de l’existence alors qu’il déjà en marche depuis longtemps…

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    Fenrir : image fixe, Fenrir le loup vous regarde, ses yeux vous supplient-ils, il reste immobile, seuls bougent les flocons de neige qui tombent, point d’anthropomorphisme, Fenrir est la bête sauvage, porteuse de mort, il attend, et la musique n’est qu’un piétinement de pattes de loups sur une piste de glace interminable qu’il déroule interminablement à l’intérieur de son attente, la musique semble attendre, elle se fait douce, elle caresse, elle ne précipite pas le temps, car l’on attend l’accomplissement de la terrible prophétie de la fin du monde, Fenrir n’est plus que la longue patience des bêtes qui attendent la délivrance non pas de l’emprise des hommes, mais de ceux que Fenrir, seuls quelque uns de ces grognement le laissent entendre,  l’instant où ses chaînes tomberont, vers lesquels il se précipitera, non pas sur les hommes mais sur les Dieux pour les tuer, et hâter la venue d’un autre monde, la voix d’Asrunn qui chantonne comme une berceuse d’éveil, un relent de vengeance, l’on est au cœur de l’attente, la bête ne meurt jamais, comme la Mort. Très beau morceau qui rappelle la phrase d’Henri Bosco : ‘’ Que fait la neige lorsqu’elle est tombée. Elle attend.’’ Ragnar’s last Raid : vidéo de mer mouvante, l’on ne sait si Ragnar de Lodbrok fut le chef aux bras velus à qui la ville de Paris dut verser rançon pour ne pas être prise, on lui prête tellement d’exploits, que peut-être est-il plus qu’un héros valeureux, un personnage poétique qui serait la transcription de l’âme indomptable et pratiquement inhumaine (comprenez proche des Dieux) des peuples de la mer farouche. Eihwar nous étonne et entonne un poème, il ne conte ni le bruit ni la fureur, exprime seulement la nostalgie de cette existence dont il ne reste qu’un souvenir lointain, une espèce d’invocation, une lamentation à la brièveté de la vie si orgueilleuse fut-elle, la voix d’Asrunn splendide, telle l’écume légère qui flotte au-dessus des vagues et que la moindre brise disperse… Ragnarök : la fin du monde, les Dieux et les âmes des guerriers morts au combat vont s’affronter aux forces du mal représentées par les Géants. Nous ne sommes pas dans Le Seigneur des Anneaux, le dernier combat est perdu d’avance… Perdu et gagné, c’est ce que raconte la musique d’Eihmar, quelques cliquetis d’épées, une cadence qui s’accélère un moment, une sonorité de cornemuse vive comme une flûte, mais la musique dronique revient sur elle-même, une ronde tantôt funèbre, tantôt presque heureuse, c’est que l’essentiel a été sauvé, Odin a tué Fenrir, Fenrir a tué Odin, mais le monde est préservé, un cycle qui s’achève annonce le retour d’un nouveau cycle qui commence. Eternel Retour. Trompes mortuaires. Skajldmö : en français nous utilisons le mot Walkyrie pour désigner ces guerrières armées de boucliers et d’une épée qui combattaient à l’égal des hommes, un morceau pour Asrunn, c’est pourtant la voix sourde et marmonnante de Mark que l’on entend surtout, son grondement, ses grognements, en contrechant Asrunn manie l’épée de son chant et de son souffle, elle est au cœur de la mêlée, contre ou avec les hommes et les Dieux, c’est elle qui ranime la flamme lorsque l’intensité du combat baisse d’un cran, elle ouvre le bal de la mort. The feast of Thor : qu’est-ce que cette fête de Thor, ce ne peut être que la joie du combat, de la lutte, un loup hurle dans la nuit, est-ce Fenrir qui glapit sur ce qui ressemble à un tapis de vieille à roue, assez pour tirer Thor de son sommeil, Mark joue à merveille ce rôle de l’éveillé qui titube encore engoncé dans son somme, la voix d’Asrunn  résonne comme un appel, une incitation incessante à la guerre, Le marteau de Thor tapote gentiment, vindicative la voix d’Arsunn exiget qu’il écrase des crânes, c’est l’ombre de la mort qu’elle a réveillée, qui marche maintenant aux côtés du Dieu, le monde chuchote et retient son souffle, maintenant la peur le précède, mais il avance, grognements, ébrouements, ce coup-ci c’est parti, Asrunn appelle de plus belle, elle incite, elle instille l’idée du carnage, personne n’arrêtera le malheur qui fond, l’on entent le tonnerre tonner… The forge : il s’agit du premier morceau réalisé par Eihwar, le titre renvoie immédiatement à la légende de Siegfried de Wagner, elle-même formée à partir de la saga de Sigurd, un descendant d’Odin, l’on entend les bruits de la forge, le marteau qui cliquette sur l’enclume, afin de renouer l’épée qu’Odin a brisée, mais plus que cela par trop anecdotique c’est à la démarche du destin que nous assistons, elle n’est pas rapide, elle prend son temps, la voix d’Asrunn s’élève, comme des tentures de sang séché que l’on dresserait à chaque point focal et oblique d’une existence qui vous entraîne inéluctablement vers votre fin, n’oubliez pas qu’il n'y a que deux façons de mourir, par la ruse d’un Dieu, et plus ignominieuse par la traître main d’un proche. The new vikings : cornes de brume, tambourinades nettement plus directes, les anciens Dieux, les antiques héros, de la vieille histoire, même si les nouveaux vikings ont le même chat à fouetter à savoir la mort de notre monde, tout ce qui a précédé n’est qu’un rappel, les mêmes causes produisent les mêmes effets, la musique décroit pour laisser Asrunn approcher ses lèvres de votre oreille et doucement vous révéler le terrible secret, tout dépend de vous, réveillez-vous maintenant, Mark grogne plus fort, est-ce vraiment utile. Silence. A chacun de jouer. Valhalla : encore le hurlement de Fenrir, le Valhala, cette forteresse du domaine des Dieux dans laquelle les Walkyries ont ramené les corps et les âmes des guerriers les plus valeureux morts sur les champs de bataille, ils attendent là, buvant, chantant, s’entraînant au maniement des âmes le Ragnarök, vous n’entrez en ce glorieux lieu mirifique que   par la porte de Mort, vous n’en sortez que pour mourir. Le morceau alterne brûlures de joie, élans vitaux, et passages plus sombres, chaos se diluant dans le néant.

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    Yggdrasil’s Reneval : paysage verdoyant, racines moussues de l’arbre du monde, un voyage est achevé, un autre commence, Vita Nova dirait Dante, renaissance, musique printanière, la voix toute pure d’Asrunn s’élève, son tambourin magique scande la joie de vivre, Mark marque le rythme de la ronde nouvelle qui se forme, farandole, tarentelle, ô mon âme n’aspire pas à la vie immortelle, épuise les champs du possible. Epigraphe de Pindare mise en exergue par Paul Valéry à son Cimetière marin.

             Ce disque est une superbe réussite. Nous avons déposé le crottin sleipnirique de nos rêveries au bas de chacun de ces dix morceaux, mais il est préférable de l’écouter d’une seule traite, comme un oratorio ontique qui nous affirmerait que la Mort n’est qu’un aspect de l’Être. Transe infinie.

    Damie Chad.

     

    *

             Dans notre livraison 622 du 30 / 11 / 2023, rendant compte de la vidéo ‘’ Le Cri ’’ dernier présenté comme l’unique inédit de Johnny Hallyday je ricanais prophétisant que de nouveaux inédits ne tarderaient pas à apparaître. Evidemment la vie m’a donné raison.

             Philippe Labro est rentré dans ma vie grâce à Johnny. Un 45 tours deux titres, deux textes écrits par Philippe Labro. Le premier fit scandale. Mettait en cause un personnage qui quelques années auparavant avait fait vaciller la carrière des Beatles aux States. Jésus Christ. Faut avouer que pour l’époque, nous sommes pourtant après mai 1968, Labro avait fait fort. Un texte qu’il avait ramené des Etats-Unis, en plein dans la période hippie, bref on y racontait que Jésus fumait de la marie jeanne et qu’il aimait les filles aux seins nus. Les cathos coincés du soutien-gorge s’étaient émus, en avait appelé au Vatican, les radios avaient renâclé pour le passer, certains disquaires refusèrent de le vendre...

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             Comme toujours l’on s’était trompé de cible, suffisait d’ôter ses yeux de ces seins que l’on ne saurait voir, pour réaliser la virulence du deuxième titre. L’antithèse du premier. Labro n’y parlait plus de douceur, de paix et d’amour. On me recherche, écrit à la première personne, vous jetait dans la peau d’un mauvais garçon, d’un malfrat, d’un voyou en fuite et décidé à ne pas se laisser prendre et prêt à en découdre jusqu’au bout… Un texte violemment anarchiste, certains moralistes s’autoriseront à dire dans le mauvais sens du terme, sans concession, qui n’attira pas les foudres des censeurs… Aujourd’hui il serait taxé d’incitation au terrorisme !

             Labro écrivit pas moins de cinq textes pour Vie le treizième album de Johnny sorti en novembre 1970, dont le surprenant Poème sur la Septième.

    Pour le quatorzième album Flagrant Délit paru en juin 1971, Labro écrivit l’ensemble des dix textes.

             Ce 16 février 2024 est parue la réédition de Flagrant Délit augmenté de deux inédits. Ces bandes ont été retrouvées à l’Olympic Sound Studio de Londres référencées sous le nom de Lee Halliday.

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    Reste : pas vraiment un chef-d’œuvre, une démo, un texte gentillet, pas de quoi pavoiser. N’apporte pas grand-chose à notre rocker national.

    Waterloo : si Reste est le genre de chansonnette que n’importe qui pourrait écrire, Labro était conscient qu’un texte doit choquer, surprendre, fasciner son auditeur. Déjà rien que le titre vous interpelle. Toutefois si l’on pense que le Poème sur la 7 ième, était un texte lu sur un extrait de la Septième Symphonie de Beethoven, et si l’on se souvient que Beethoven avait dans un premier temps dédié sa Symphonie N° 3, L’Héroïque, à Napoléon Bonaparte, l’on comprend la logique mentale qui a présidé à la naissance de Waterloo. Le projet a été abandonné. Nous n’avons droit qu’à une démo. La prépondérance du piano nous assure que nous sommes aux tout premiers tâtonnements de la mise en place. Manque l’essentiel : un orchestre symphonique. C’était le Grand Orchestre de Jean-Claude Vannier qui présidait au Poème sur la Septième. Et puis, avouons-le le texte un peu trop pathos de Labro n’est pas la hauteur de l’épopée napoléonienne, prend le sujet par le petit bout de la lorgnette. Celui des soldats qui vont mourir pour une idée qui ne leur appartient pas. Et qui les dépasse. Dommage que Labro n’ait pas repris son projet. Peut-être aurait-il dû envisager Austerlitz ou Eylau.

             Napoléon est un sujet qui sent la poudre. De canon.

    Damie Chad.

            

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

     

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    Le Chef doit être en train d’allumer un Coronado. Nous cavalons. Josiane est à la traîne, je la tire par la main, je lui impose un rythme soutenu. Elle aurait envie de se plaindre, son souffle coupé lui interdit d’émettre le moindre mot. C’est le troisième hôtel dont nous sortons en courant. Sans aucune explication. La chambre à trois cent euros lui aurait parfaitement convenu, sans un mot, j’ai gagné la rue. Le sixième s’avèrera le bon. Au neuvième étage, tout en haut, ascenseur en panne. Je n’ai pas hésité une seconde, ai refilé sans rechigner au directeur les mille trois cent trente euros quarante-six centimes qu’il demandait. Affalée sur le lit Josiane ne m’adresse la parole qu’au bout de trente-cinq minutes.

             _ Damie c’est loin et c’est un peu cher !

             _ Ne t’inquiète pas, un agent du SSR se doit d’assurer un certain standing, c’est le Chef qui l’a dit.

             _ Et les chiens ils ne sont plus là !

             _ Je les ai renvoyés au local d’un signe de la main, ils sont intelligents, ils ont compris, j’avais envie de rester cette nuit avec toi seule.

             _ Je ne comprends pas pourquoi tu préfères cette chambre, c’est la plus chère et la moins intime. Elle est si grande que le lit paraît tout petit !

             _ Tu verras quand tu seras toute nue tout contre moi, question intimité tu ne trouveras pas mieux.

    Un argument décisif si j’en crois la hâte avec laquelle elle se déshabille. J’ai bien calculé mon coup. Je ne doute pas que les Briseurs de Murailles soient à nos trousses. Justement cette chambre ne possède pas de murs.  En guise de parois uniquement de larges baies vitrées. Même la porte est en verre blindé épais, insensible aux balles de kalachnikov, s’est vanté le Directeur.

             _ La chambre des amoureux, pour la Saint-Valentin je la loue à dix mille euros. Vous voyez tout Paris et personne ne peut vous voir, même si vous laissez la lumière allumée. Une merveille architecturale ! De par le monde, vous n’en trouverez qu’une comme elle, tout en haut de l’Empire State Building

    J’ai réfléchi, les briseurs de murailles traversent les murs, mais le verre peut-être pas ! Un matériau coupant ! Avec un peu de chance nous passerons une nuit tranquille, s’ils parviennent à entrer, mon Rafalos sous l’oreiller à portée de mains, je les attends de pied ferme…

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    Il est temps de s’occuper de Josiane, chérie j’ai eu très peur, j’ai besoin de beaucoup de câlins m’a-telle averti. Je la comprends. Elle n’a pas menti. Sept ou huit fois de suite, je n’ai pas compté, j’ai dû l’honorer de toute ma virilité pénétrante, maintenant rassérénée elle dort paisiblement entre mes bras. Un agent du SSR en mission ne dort jamais, vous le savez, la main refermée sur la crosse de mon Rafalos je reste aux aguets, l’oreille tendue, guettant le moindre frémissement…

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    Je n’ai rien entendu. Si ce n’est le coup de feu tiré à bout portant dans la tête de Josiane. Avant que j’aie eu le temps de réagir, une main ferme a tiré le cadavre de Josiane hors de mes bras et un corps de femme nue a pris sa place. Gisèle ! Je l’ai reconnue à la douceur inimitable de sa peau.

             _ Je déteste que l’homme que j’aime me fasse des cachoteries dès que j’ai le dos tourné, me souffle-telle à l’oreille, ce n’est rien, ajoute-t-elle, je te pardonne.

    Cette nuit-là du neuvième étage je suis passé au septième ciel…

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    Le Chef allume un Coronado. Dans le wagon du métro des voix s’élèvent :

             _ Monsieur il est interdit de fumer dans le métro !

    Le Chef tire son Rafalos de sa poche :

             _ Le dernier qui osé me dire cela est mort, si vous ne me croyez pas, allez vérifier, cimetière de Pantin, Allée G, tombe 647, un certain Jean Fenocle, tué par balle dans une rame du métro, mardi dernier.

    Une voix étranglée par l’émotion accapare l’attention :

             _ C’est vrai, j’en ai entendu parler à la radio !

             _ Nous vivons dans un monde d’assassin, vous avez vu ce matin dans le bulletin d’infos c’est inimaginable !

             _ Mon dieu ! que s’est-il encore passé, je pressens une horreur !

    Le Chef n’a pas le temps d’entendre. Le métro vient de s’arrêter dans la station où il descend.

             _Messieurs-dames, au revoir, tenez-vous le pour dit !

    Avant de descendre il lâche un gros nuage de son Coronados, un Espuantoso Somptuoso dont la fragrance provoque des vomissements intempestifs chez les deux femmes enceintes du wagon.

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    Le Chef n’est pas étonné de retrouver Molossa et Molossito qui l’attendent derrière la porte du local dans laquelle il les a enfermés la veille. L’Agent Chad n’est pas venu les chercher. Il pressent que la situation est grave. Très grave, confirme-t-il aux deux chiens qui le regardent d’un air interrogatif. Il prend le temps d’allumer un Coronado. Il donne les dernières consignes :

             _ Attention, Molossa et Molossito, faut y aller mollo !

    Les deux chiens ont compris. Le monde est peuplé de périls, la tâche s’avère difficile, pire que de marcher sur des œufs de crocodiles sur le point d’éclore. Comme un seul homme ils emboîtent le pas du Chef.

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    Les abords du Palais de Justice grouillent de monde. La fièvre des grands jours. Journalistes télé et radio se pressent vers la grande salle. Elle est remplie comme un œuf. Molossito se demande si c’est un œuf de crocodile. Un brouhaha indescriptible monte de la foule amassée. Un huissier survient. Il monte à la tribune et annonce d’une voix forte :

             _ Mesdames, Messieurs, silence, le procureur de la République vient vous parler.

    Le procureur s’est levé de bonne heure, l’a été arraché de son lit par un coup de téléphone intempestif du ministre de la police, il n’a pas eu le temps de se coiffer, le nœud de sa cravate est défait. Il prend son air sévère N° 4 et s’empare du micro.

             _ Je n’irai pas par quatre chemins, l’affaire qui nous préoccupe est un des féminicides les plus épouvantables du siècle. Non seulement l’assassin a lâchement tué son amie d’un coup de Rafalos dans la tête – des exclamations d’horreur fusent – un peu de silence s’il vous plaît, ceci n’est que le début du drame, je ne m’offusquerai pas si certaines âmes sensibles désireraient ne pas entendre la suite – personne ne sort – après quoi il a simplement jeté cette compagne hors de son lit – des oh ! de stupéfaction et de dégoût s’élèvent – excusez-moi de ce qui va suivre qui risque si j’utilise une expression tant soit peu populaire, vous couper l’appétit, il a refait l’amour dans les draps ensanglantés avec une deuxième femme. Qui n’était pas là lorsque la femme de chambre a ouvert pour apporter le déjeuner. Elle n’a trouvé que le cadavre de la première sur la descente de lit et l’assassin qui dormait comme un ange pour reprendre ses propres termes.

    Plusieurs doigts se lèvent dans l’assistance, le Procureur en désigne un au hasard au premier rang :

             _ Comment savez-vous qu’il y a eu une deuxième femme que personne n’a vue si nous avons bien compris ?

             _ Personne ne l’a vue, nous ignorons son identité mais les analyses biologiques sont formelles : le lit a été fréquenté par trois personnes : l’assassin, la jeune femme morte et une deuxième femme mystérieusement disparue… Voilà vous savez tout, nous vous reconvoquerons si nous avons du nouveau. Je vous remercie.

    Dans la salle c’est la bronca. Des groupes de féministes lèvent des pancartes, elles exigent la démission du Procureur et du Ministre. On leur cache quelque chose, elles veulent savoir le nom de l’assassin qui a tué au moins deux femmes. C’est le chahut, la chienlit. Personne ne s’aperçoit que le Chef a allumé un Coronado ! Le Procureur reprend la parole :

             _ Nous ne pouvons vous révéler le nom de l’assassin, la loi nous l’interdit.

    La phrase du procureur provoque la stupeur, une clameur s’élève de l’assistance :

             _ Tous complices, tous coupables, tous pourris, police partout, justice nulle part !

    Le Procureur fait signe qu’il veut parler :

             _ L’affaire est beaucoup plus grave que vous ne l’imaginez, nous ne pouvons révéler le nom de l’assassin car quelques heures auparavant on a remorqué sa présence sur les lieux de la Bibliothèque Municipale dans laquelle hier ont été dénombrés plus de quatre-vingt morts. Peut-être tenons-nous là le serial killer le plus prolifique que le monde ait connu jusqu’à aujourd’hui, oui chez nous, en France !

    La foule subjuguée et flattée par la dernière déclaration du Procureur crie trois fois Vive La France ! et entonne une vibrante Marseillaise…

    A suivre…