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rockambolesques - Page 8

  • CHRONIQUES DE POURPRE 606: KR'TNT 606 : CHIPS MOMAN / BETTYE LAVETTE / DOC POMUS / LOS PEPES / SIMON STOKES / ROCKABILLY GENERATION NEWS / ORDER OF THE BLACK JACKET / HEX ENGINE / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 606

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    22 / 06 / 2023

     

    CHIPS MOMAN / BETTYE LAVETTE

    DOC POMUS / LOS PEPES / SIMON STOKES

    ROCKABILLY GENERATION NEWS

    ORDER OF THE BLACK JACKET

     HEX ENGINE / ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 606

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

                                                                                                                                                                                                             

    Le Moman clé

    - Part Four

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    Chips aime bien Ronnie Milsap. D’ailleurs, il le reçoit chez American et Dan Penn produit son premier album sobrement titré Ronnie Milsap. Ça sort sur Warner Bros.

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    En 1971, sous une belle pochette. Ronnie y apparaît solarisé en gros plan. L’outstanding cut se trouve en B et s’appelle «Crying». Ronnie s’aventure sur les terres de Big O et rivalise d’excellence de chat perché avec lui. On note aussi l’excellence du «Sunday Rain» signé Mark James. Ronnie le prend en charge sans ciller. Ce mec chante comme un dieu et Dan orchestre à outrance. Vas-y Dan, tartine-nous ça ! Ronnie tape dans Dan et Spooner avec «Blue Skies Of Montana». Ça frise la carte postale, car Ronnie nous traite ça à l’épique du Tennessee. On note aussi la présence en B d’une belle compo de Jim Dickinson intitulée «Sanctified». Chez American, on ne mégote pas sur la marchandise.

             Dans le tas de grands artistes venus enregistrer chez Chips, on trouve aussi Petula Clark et Brenda Lee. Elles sont venues toutes les deux faire leur Memphis album. Le Memphis de Petula sort en 1970. En Europe, Petula traîne surtout une réputation d’artiste de variété, mais chez Chips, elle a tout de suite du son. Tous les copains sont là pour s’amuser avec elle, Reggie, Bobby et Gene.

             — Que fais-tu là Petula, si loin de l’Angleterre ?

             — Mais tu le chais Chips, j’enregistre my Memphis ellepie !

             — Ah oui, sorry j’étais dans la lune ! Que dirais-tu de reprendre «Neon Rainbow» ?

             — Chic idée, Chips !

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             Cette diablesse de Petula transforme la pop de Memphis en pop anglaise. Elle sait elle aussi gueuler par dessus les toits. Elle se montre aussi pétulante avec «Goodnight Sweet Dreams». Elle se jette admirablement bien dans la bataille. Il faut aussi entendre le délire psyché que bricole Reggie Young derrière elle dans «Right On». C’est d’ailleurs le seul intérêt du cut. Chips refourgue aussi à Petula une compo de Mark James, «When The World Was Round», on ne sait jamais, des fois que ça devienne un tube. Mais ce n’est quand même pas du Paddy McAloon. Elle termine avec un bel hommage à Curtis Mayfield en reprenant «People Get Ready», mais on peut en rester là.

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             Encore un coup dur pour Chips. L’album Blue Lady qu’il enregistre en 1975 avec Petula Clark ne sort pas. Le label ABC Records boude. Il finira par sortir vingt ans plus tard sous le titre Blue Lady - The Nashville Sessions. Bizarrement, Petula se vautre sur Burt («Don’t Make Me Over»), elle le chante au petit sucre d’Angleterre et pour Burt, elle est trop poppy, trop criarde. C’est avec «Pickin Berries» signé Toni Wine & Chips qu’elle explose les Nashville Sessions. Elle tape en plein cœur de l’excellence, elle amène ça au petit popping de cueillette et ça bascule dans la grosse énormité de pop américaine. C’est le nec plus ultra de la grande pop US et c’est l’occasion de rappeler que Chips avait du génie. C’est tartiné dans les grandes largeurs. L’autre coup de maître du producteur Chips, c’est le morceau titre. Il nous fait le coup de Bernard Hermann à Nashville, c’est-à-dire le coup du groove urbain, et Petula excelle dans la mélancolie bleue. Chips lui orchestre ça aux petits oignons. Elle chante magnifiquement «You’re The Last Love» et c’est la raison pour laquelle Chips la chouchoute. Elle se fond bien dans Chips avec «Charlie My Boy», elle truffe la compo de Chips de magic stuff, car elle chante d’une voix de rêve. Encore une panacée de Petula avec «If You Think You Know How To Love Me», elle en fait une petite énormité vite fait bien fait. Le reste n’est pas très bon, dommage.

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             L’album que Brenda Lee enregistre chez Chips l’année suivante est nettement plus passionnant. Il s’appelle Memphis Portrait. Elle démarre avec une reprise un peu ratée des frères Gibb, «Give A Hand Take A Hand» et s’en va ensuite musarder chez John Denver avec «Leaving On A Jet Plane». Elle très nasale. Chips lui propose le «Games People Play» de Joe South et on entre en terrain de connaissance. Oui, ce hit du vieux Joe est connu comme le loup blanc. Elle revient à Joe en B avec «Walk A Mile In My Shoes» qui vire très vite white Soul de qualité supérieure. Elle est extrêmement pugnace, comme Lulu, même genre de tempérament, vraiment far out. Avec «Too Heavy To Carry», elle tape dans l’extrême Memphis Soul, avec Mike Leech on bass. Quel son ! Les mecs d’American n’ont rien à envier aux MGs. Chips glisse à Brenda un balladif signé Reggie : «Hello Love». Bien vu, Chips ! Brenda fait aussi une cover irréprochable de «Proud Mary». Comme s’il n’y avait rien à en dire. Puis elle tape dans le saint des saints avec le fameux «Do Right Woman Do Right Man» que Chips et Dan Penn composèrent jadis pour Aretha. Cette fière shouteuse de Brenda finit bien sûr par l’exploser.  

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             Avec Bobby Womack, on entre dans la zone protégée des albums culte, à commencer par Fly Me To The Moon, paru sur Minit en 1968. C’est l’époque où Bobby vient traîner à Memphis et Chips l’adopte. Bobby intègre les Memphis Boys et profite des installations pour enregistrer deux albums. Le morceau titre de ce premier album est unE merveille tentaculaire. On a le big American Sound avec Bobby Emmons à l’orgue et Reggie sur sa gratte derrière Bobby. «Fly Me To The Moon» est un fantastique cut de Soul vertigineuse. Bobby screams his ass off et Reggie entre dans la Soul avec une patte de velours. C’est aussi sur cet album qu’on trouve l’imparable «I’m A Midnight Mover». Bobby y fait son wicked Pickett qui d’ailleurs est le co-auteur de ce hit de Deep Soul bien bassmatisqué par Mike Leech. Wow ! Bobby screams it off. Encore une combinaison gagnante : un Soul Brother avec le gratin dauphinois de Memphis. Ce dingue de Bobby chante aussi «What Is This» avec toute sa niaque et derrière les Memphis Boys chargent merveilleusement la barque du Memphis Sound. Les dynamiques sont superbes. Quel bel achèvement ! Cet album est si bon qu’il donne envie de se replonger dans tout Bobby. Il sait embarquer ses cuts dans les hautes sphères de l’exaction maximaliste. Tous les cuts flirtent avec l’énormité. En B, Bobby tape dans l’«I’m In Love» de wicked Pickett. Il chante ça à la pire arrache qui se puisse concevoir. Il monte tellement dans les tours de scream qu’il bat wicked Pickett à son propre jeu. Il groove ensuite de «California Dreamin’» de John Phillips. Quel beau numéro de Soul Brother ! Reggie brode de la dentelle de Calais dans la couenne du son et le groove progresse dans la chaleur de la nuit. Toute cette aventure se termine avec «Lillie Mae» et l’admirable rumble des Memphis Boys in full bloom. C’est heavily good, ils jouent ça à la merveilleuse évidence de la mouvance. C’est à la fois percutant et perfusant, perméable et perpétuel, plerclus de classe et pertinent, pervertisseur et perfecto.

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             Bobby enregistre My Prescription dans la foulée. L’album grouille de coups de génie, à commencer par «How I Missed You» qui sonne comme un hit de country Soul. Just perfect. Bobby chante avec la rigueur d’un Soul Brother débarqué à Memphis. Idéal pour les amateurs de mythes. C’est si bien nappé d’orgue qu’on en bave de plaisir. Et Gene Chrisman bat ça au nec plus ultra. Encore un coup de génie avec «I Left My Heart In San Francisco». Les Memphis Boys jouent ça au groove pressé de semi-acou paradisiaque. Voilà le genre de miracle dont sont capables Chips et ses chaps. Pur jus de Memphis Soul typecast, avec un Bobby qui part en goguette et qui screame sa crème. Encore un slow groove de Soul avec «More Than I Can Stand». Chips l’orchestre à gogo, il envoie des vagues de cuivres et de violons à l’assaut du ciel et Reggie Young brode sa dentelle de Calais dans un coin. En B, on retrouve l’inébranlable «Fly Me To The Moon». À la réécoute, ça sonne encore plus légendaire, faites l’expérience, vous verrez. Bobby a du génie, un sens aigu du hit qui fait mouche. Il screame à bon escient. On trouve deux autres merveilles productivistes en B, «Don’t Look Back» et «Tried And Convicted». Le premier vaut pour un beau brin de groove de Soul aérienne, bien vu, bien senti, ultra joué, orchestré avec goût, et doté de ces fantastiques descentes de bassmatic qui font la réputation d’American. On peut dire la même chose de «Tried And Convicted», violonné à la revoyure, c’est de la haute voltige. Chips voyait grand pour Bobby.

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             Elvis doit une sacrée fière chandelle à Chips, c’est en tous les cas ce que montre  Suspicious Minds The Memphis 1969 Anthology. Ce double CD est bourré de cuts miraculeux, à commencer le morceau titre. Pur Memphis Sound, big symbole, bien battu en brèche, avec le fantastique bassmatic d’American. Ici, Chips a tout bon, il fournit le beurre et l’argent du beurre à Elvis, le son et la compo. Il faut entendre ce redémarrage de bass/drums dément ! Autre coup de génie productiviste avec «Anyday Now», Chips envoie des chœurs superbes. Elvis entre dans le groove du fleuve avec «Stranger In My Own Town». On est au cœur du Memphis Beat. Puis avec «Without Love (There Is Nothin)», il vire gospel et donne libre cours à son génie vocal. Tout dans ces sessions est produit de main de maître. Elvis a tout ce qu’il peut désirer : l’orgue, les filles, Chips, il fait de la Soul avec «Only The Strong Survive». On assiste ici à un festin de son. Quand il tape un mélopif comme «I’ll Hold You In My Heart», il fait le show, qu’on aime ou qu’on n’aime pas. Retour à l’église en bois pour «Long Black Limousine». Il recrée le gospel power à la seule voix et ça devient énorme. Il n’a pas besoin des Edwin Hawkins Singers. Il chante même sa country comme un dieu, au vibré de glotte royale. Petit clin d’œil à Johnny Horton avec «I’m Moving On». Il chante ça au lowdown de Memphis et quand arrive «Gentle On My Mind», on tombe de sa chaise tellement c’est pur. Encore une équipe gagnante dans l’histoire des teams de rêve : Chips + Elvis. Quand on entend «After Loving You», on comprend que Reigning Sound soit allé chercher ce son-là. «In The Ghetto» sonne comme l’aboutissement de Chips. Encore un chef-d’œuvre absolu : «You’ll Think Of Me», balladif généreusement orchestré et les cuivres arrivent dans la folie des chœurs de gospel perchés dans le ciel. Sur le disk 2 se trouvent rassemblés les alternates. On n’apprendra rien de plus. Ça ne s’écoute que par pur plaisir. Elvis est le chanteur parfait et les mecs d’American le backing parfait. Les montées en température dans «I’m Moving On» sont des modèles du genre, surtout le bassmatic en folie. Pur merveille que ce «Power Of Love» joué au heavy Memphis groove. Elvis réussirait presque à nous faire oublier le Colonel. On trouve vers la fin une version d’«Hey Jude» extrêmement chantée, superbement orchestrée, cuivres, violons, chœurs, piano, il ne manque rien. Encore un coup de prod avec «Rubberneckin’» et des chœurs de rêve. On retrouve aussi un alternate de «Suspicious Minds» vers la fin - It’s the last take Chips ! - Magie pure, Reggie Young on fire, Gene Chrisman on the beat, Mike Leech on bass, ça s’écoute religieusement.

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             Donnie Fritts a longtemps écumé la frontière. Les bivouacs dans les montagnes ont éculé ses fringues. Une cartouchière lui barre la poitrine et ses bottes ont déjà vécu neuf vies. Assis sur un banc, il scrute l’horizon. C’est la pochette de Prone To Learn, paru en 1974. Très bel album, aussi solide que son poney apache. Il attaque avec un shoot d’’Alabama rock finement cuivré, «Three Hundred Pounds Of Hongry». Jimmy Johnson, Eddie Hinton, David Hood et Roger Hawkins font partie du gang, donc ca donne la fritte à Fritts. Tous les amigos sont là, y compris Rita Coolidge, Billy Swann, Dan Penn, Jerry Wexler, Kris Kristofferson. Grosse ambiance. S’ensuit un «Winner Take All» co-écrit avec Dan Penn. On sent la patte du Penn. «You’re Gonna Love Yourself» sonne comme le balladif idéal. Fritts joue la carte du soft Southern drawl, celui du petit matin. En B, Tony Joe White radine sa fraise sur «Sumpin’ Funky Going On». Tony Joe joue lead sur ce boogie funk vermoulu. Ils duettent à un certain moment, with a smile on my face. S’ensuit un heavy country funk d’Eddie Hinton, «Jesse Cawley Sings The Blues», bardé de steel guitar et de piano. Le morceau titre est un cut de Kris Kristofferson, un folk-rock typique de Muscle Shoals. Et toute cette belle aventure se termine évidemment avec «Rainbow Road», le hit de Dan & Donnie, the absolute beginners.

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             Album très impressionnant que ce Memphis Underground d’Herbie Mann paru sur Atlantic en 1969 et enregistré chez Chips. Au dos, on voit les musiciens enregistrer chez American : dans un coin, les deux guitaristes, Sonny Sharrock et Larry Coryel. On voit aussi Reggie Young et sa Tele avec la section rythmique, et dans un box, Herbie Mann torse nu avec sa flûte. C’est photographié de l’étage. Dès le morceau titre d’ouverture de bal d’A, on est en plein cœur du Memphis beat. Gene Chrisman bat le beurre de roule ma poule et Tommy Cogbill nous bassmatique tout ça au quart de poil. Ils tapent en fin de B une cover d’«Hold On I’m Coming». Miroslav Vitous prend la basse. Il sort un drive plus jazzy et c’est embarqué au shuffle d’American. Herbie Mann flotte à la surface du shuffle. Ces géants se payent une tranche sur le dos de Sam & Dave. Excellent ! Ils attaquent la B avec une cover de «Chain Of Fools». C’est encore un groove ventru, plein de son, avec Larry et Sonny qui croisent le fer avec le bassmatic demented de Tommy Cogbill. Et cette belle aventure se termine avec «Battle Hymn Of The Republic», fantastique numéro de shuffle de flûte, Herbie Mann n’est pas manchot, il joue très organique, il swingue le thème mélodique et ça ensorcelle les vermicelles.

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             Avec Neil Diamond, Chips applique les mêmes recettes qu’avec B.J. Thomas : a big handful of big covers. On en trouve quatre sur Touching You Touching Me paru en 1969, année érotique, à commencer par l’imparable «Everybody’s Talking» de Fred Neil, avec un petit coup d’up-tempo et un banjo. The Memphis way ! Neil Diamond le chante d’un ton ferme, sous l’horizon. Il enchaîne avec le fantastique «Mr Bojangles» de Jerry Jeff Walker, il le bouffe même tout cru, crouch crouch. Il est excellent dans ce rôle d’artiste American. Il déclenche de sacrées vagues de frissons. En B, il tape l’excellent «Both Sides Now» de Joni Mitchell, il descend dans la magie de Joni comme dans un lagon, il jette tout son poids de Diamond dans la balance de cristal pour honorer cette mélodie lumineuse. Il termine avec un superbe hommage à Buffy et cette reprise d’«Until It’s Time For You To Go», prodigieusement orchestrée, du pur jus d’American.

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             Grâce à Ace, on peut écouter les fameuses long lost 70 sessions de Carla Thomas enregistrées par Chips chez American : Sweet Sweetheart - The American Studio Sessions And More. Ce lost album devait s’appeler Sweet Sweetheart. C’est Al Bell qui a l’idée d’envoyer Carla chez Chips, en 1970. Ah c’est autre chose que ces albums Stax un peu soporifiques. Avec Chips, Carla fait de la country Soul et ça explose dès le «Country Road» de James Taylor. Quel répondant ! C’est une merveille. Merchi Chips ! Grâce à lui, Carla s’affirme. Elle fait aussi de la petite pop («I’m Getting Closer To You»), pas de problème, Carla fait tout ce qu’on lui demande. Elle est fabuleusement accompagnée. Elle ramène son sucre («Heaven Help The Non-Believer»). Elle adore plonger dans le sweet sweet («Sweet Sweetheart», signé Goffin & King), elle détache bien ses syllabes, elle se débat dans des cuts de romantica, mais sa voix est pure. Chips transforme ses cuts en œuvres d’art. Elle fait du gospel batch avec «Everything Is Beautiful». Mais l’album va rester coincé sur une étagère pendant quarante ans, jusqu’au moment où Roger Armstrong le découvrira. S’ensuit une série de cuts Stax enregistré entre 1964 et 1968, à commencer par l’imparable «B-A-B-Y» (take 1), bombardé au bassmatic. Tony Rounce qui fournit les liner notes se demande pourquoi Al Bell et Jim Stewart ont bloqué toutes ces merveilles. En voilà encore une avec «Love Sure Is Hard Sometimes», monté sur un groove de walking bass et un pianotis de prescience. Back to the Memphis beat avec «Don’t Feel Rained On», elle chante la main devant les yeux, yes I feel new. La fête se poursuit avec «He Picked Me», pur jus de Memphis r’n’b, sec et net.

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             Chips cède à son péché mignon, la country, en enregistrant le Cactus And A Rose de Gary Stewart. Attention, ce n’est pas de la gnognotte puisque ça sort sur RCA Victor en 1980. Mais l’album est trop country pour les gueules à fioul. Dommage, car Chips a ramené du beau monde en studio : Bonnie Bramlett et Gregg Allman. On entend aussi beaucoup Toni Wine, qui est alors la poule de Chips. «Staring Each Other Down» est un heavy balladif country lourdement orchestré, l’orgue ne faiblit pas et Toni chante dans l’écho du temps de Chips. Si on aime la heavy country de Nashville, alors on se régalera de «Ghost Train», ce démon de Gary Stewart chante ça au raw du guttural. Bonnie entre dans la danse en B sur «Roarin’». Ah ils savent enfoncer des clous, les Nashvillais. Ça se termine avec un «We Just Couldn’t Make It As Friends» signé Chips qui sonne comme un hit. Fantastique allure. En fait, Chips a ramené en studio ses copains de Memphis, mais le son n’est décidément pas le même. C’est un son cousin.

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             L’un des gros coups de Chips, c’est Highwayman, le super-groupe country, avec Kristofferson, Waylon Jennings, Willie Nelson et Cash. Un album sans titre paraît en 1984. C’est de la country classique et sans surprise. Chips adore ça. Les quatre vieux crabes se relayent au micro. On note une belle dominante de Cash, toujours plus profond que les autres. On sauvera «Big River», festival de Western swing, avec Reggie Young à la gratte et Gene Chrisman au tatapoum. Fantastique énergie ! Chips remet tout le paquet avec son house-band. Reggie régit tout. Les quatre vieux crabes tapent aussi une version de «Desperados Waiting For A Train», le chef-d’œuvre de Guy Clark, mais ça retombe comme un soufflé. La version de Jerry McGill est bien plus balèze. Et quand on écoute «Welfare Line», on s’effare de la qualité de la prod. On le sait, Chips ne mégote pas.

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             C’est lui qui monte l’opération Class Of ‘55, Memphis Rock & Roll Homecoming avec Carl Perkins, Jerry Lee, Roy Orbison et Cash. Il voyait ça comme un gros coup, mais ça n’a pas marché. Pourquoi ? Il suffit d’écouter l’album. Carl Perkins ouvre le bal avec «Birth Of Rock’n’Roll», il sait de quoi il parle, mais le solo country est parfait, trop parfait pour être honnête. Heureusement, Jerry Lee chope le mic pour chanter «Sixteen Candles» et il sauve les meubles. C’est lui le king du Memphis Beat. Il ne fait pas planer le doute, mais le génie. Dès qu’il arrive, tout reprend du sens. Ils tapent un peu plus loin une grosse claque de country groove intitulée «Waymore’s Blues» et chantent à tour de rôle : Cash, Orbison, Jerr et Carl. C’est assez hot. Avec «Coming Home», Roy Orbison taille sa petite bavette bien baveuse. Avec Roy, c’est toujours baveux, mais puissamment baveux. «Rock And Roll (Fais Do Do)» n’a strictement aucun intérêt, Chips s’égare et Jerr ramène le Class Of ‘55 dans le droit chemin avec «Keep My Motor Runnin’». Il est le sel de la terre. Memphis, c’est Jerry Lee. La ville de Memphis n’acceptera pas cet album en forme de pétard mouillé et cassera le contrat avec Chips.

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             L’un des derniers albums que Chips produit est le Womagic de son ami Bobby qui sort en 1986. Pas de hit sur cet album, mais de l’excellent slow groove de Memphis («When The Weekend Comes»). Bizarrement, l’album vire un peu diskö, comme le montrent «Can’ Cha Hear The Children Calling» ou encore cet «It Ain’t Me» embarqué à la basse funk et perturbé par des cassures rythmiques insolites. 

    Signé : Cazengler, chips à l’ancienne

    Ronnie Milsap. Ronnie Milsap. Warner Bros. Records 1971

    Petula Clark. Memphis. Warner Bros. Records 1970

    Petula Clark. Blue Lady. The Nashville Sessions. Varèse Sarabande 1996

    Brenda Lee. Memphis Portrait. Decca 1971

    Bobby Womack. Fly Me To The Moon. Minit 1968

    Bobby Womack. My Prescription. Minit 1970

    Elvis Presley. Suspicious Minds The Memphis 1969 Anthology. RCA 1999

    Donnie Fritts. Prone To Lean. Atlantic 1974

    Herbie Mann. Memphis Underground. Atlantic 1969

    Neil Diamond. Touching You Touching Me. UNI Records 1969

    Carla Thomas. Sweet Sweetheart. The American Studio Sessions And More. Ace Records 2013

    Gary Stewart. Cactus And A Rose. RCA Victor 1980

    Highwayman. Highwayman. Columbia 1984

    Carl Perkins/Jerry Lee Lewis/Roy Orbison/Johnny Cash. Class of ‘55. America Records 1986

    Bobby Womack. Womagic. MCA Records 1986

     

     

    Bettye n'est pas une lavette

     

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             Comme beaucoup d’énormes stars de la Soul (Martha Reeves, Little Willie John et sa sœur Mable, Sir Mack Rice, Joe et Levi Stubbs et combien d’autres !), Bettye LaVette est originaire de Detroit. Elle a aussi un point commun avec les Pretty Things : une poisse terrible. Bettye aura passé sa vie à attendre de pouvoir enregistrer un album.

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             Elle raconte son histoire (en collaboration avec David Ritz, le biographe de toutes les stars de la Soul) dans un petit livre passionnant : A Woman Like Me - A Memoir. Il s’agit là d’une contribution majeure à l’histoire de la Soul. Ce petit ouvrage se lit d’un trait, d’autant plus facilement que Bettye fréquente toutes les stars de l’âge d’or, à commencer par Jerry Wexler, Andre Williams, Otis, Aretha et sa sœur Erma, Esther Williams, Marvin, bien sûr, George Clinton, Jackie Wilson avec lequel elle passe une nuit, Dr John, Solomon Burke et combien d’autres ? C’est probablement l’un des meilleurs éclairages sur la scène de Detroit.

             Bettye a deux passions dans la vie : le sexe et chanter - We were essentially groupies who sang - Bettye baise avec des tas de mecs et principalement des macs - Those pimps loved to watch girls have sex - Ces macs aimaient bien voir des filles baiser ensemble. Elle affirme qu’elle a plus appris de ces gens-là que des prêtres - I’ve learned a helluva lot more from pimps than preachers - Bettye n’est pas avare de détails, elle a toujours aimé le cul et elle avoue qu’arrivée à la soixantaine, elle n’est plus aussi athlétique au lit.

             Son histoire démarre très fort, puisque ses parents sont alcooliques professionnels. Ils vendent de l’alcool et des sandwiches - I was born in a heavy-drinking family. Early on I became - and remain - a serious drinker - Et elle fréquente très jeune le Black Bottom, le quartier chaud de Detroit où les souteneurs en costards de soie vert pistache et en spit-polished alligator shoes la fascinent. Elle y croise Otis Williams et David Ruffin qui allaient former les Tempts, Smokey aux yeux verts et Mary Wells qui chantait les chansons de Smokey.

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             Bettye a seize ans lorsqu’elle enregistre « My Man ». Jerry Wexler repère le single et la veut sur Atlantic. Elle commence à tourner et baise avec Otis et Ben E King qui ont déjà pas mal de gonzesses dans leurs vies respectives. Bettye snobe Motown, fière d’être signée sur Atlantic, le label de Ray Charles, de Solomon Burke et des Drifters. Elle fréquente aussi Andre Williams qui a dix ans de plus qu’elle, et Ted White, le mari d’Aretha qui se dit pimp. Bettye affirme qu’Aretha est devenue une superstar grâce à Ted, et elle trace un parallèle avec Ike Turner - Without Ike, there would not be no Tina - Sans Ike, pas de Tina possible. Bettye raconte qu’elle passe l’après-midi à sniffer de la coke avec Ted et Aretha dans une suite d’hôtel - For years Aretha’s baby sister, Carolyn, and brother Cecil shared the same drug dealer with me - Elle et Carolyn s’approvisionnent chez le même dealer. Tout va bien pour Bettye jusqu’au jour où son manager Robert West se tire une balle dans la tête. Catastrophe ! La voilà obligée de tout reprendre à zéro.

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             C’est là qu’elle fait la connerie de sa vie : elle part s’installer à New York. Elle va trouver Wexler et pose ses conditions : elle veut travailler avec Leiber & Stoller, mais Wexler lui dit qu’ils ne sont plus chez Atlantic. En échange, il lui propose Burt Bacharach qui composait alors pour Dionne Warwick. Bettye fait la deuxième connerie de sa vie : elle refuse - I need gutsier writers like Leiber & Stoller - Elle voulait des gens plus dynamiques que Burt. Alors elle quitte Atlantic. Sans manager et sans label, t’es foutue, lui dit Wexler. Comme elle veut être libre, elle demande à Wexler de déchirer son contrat. Ce qu’il fait devant elle. Puis il lui file un chèque de 500 dollars - For what ? Demande-t-elle - Just because you’re going to need it - Wexler la prévient qu’elle va en baver.

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             Elle dit beaucoup de mal de James Brown qu’elle considère comme un être inculte - I saw him as an especially ignorant man - et de Doris Troy - She was bad - Et elle finit l’épisode new-yorkais à moitié à poil dans la rue, après qu’un mac ait menacé de la jeter du vingtième étage d’un immeuble. Retour à Detroit, où elle fréquente les gens de Motown. Bettye couche avec Clarence Paul, l’un des producteurs Motown qui n’est hélas pas dans les petits papiers de Berry Gordy. Elle raconte comment un soir sur scène, George Clinton commença à prendre de l’acide - If Jimi Hendrix could kiss the sky and burn up his guitar on stage, George wasn’t going to be left behind - Oui, il n’était pas question pour Clinton de prendre du retard sur Jimi Hendrix. Et elle fait bien sûr le parallèle avec ce qui se passait alors en Californie autour de Sly Stone. Et puis en 1972, Leland Roger, boss de Silver Fox Records, propose à Bettye d’aller enregistrer à Memphis - You heard of Jim Dickinson ? - C’est l’épisode du fameux album Child Of The Seventies jamais sorti. Bettye s’amuse bien avec Jim et les autres - These white boys liked popping the speed pills used by truck drivers. Weed was plentiful - Elle voit ces petits blancs prendre des amphètes de camionneurs et fumer de l’herbe à la pelle. Il fut ensuite question d’une tournée, Bettye reçut même ses billets d’avion et puis, sans aucune raison, un mec d’Atlantic l’appelle pour lui dire que tout est annulé, y compris l’album, et qu’elle doit renvoyer les billets. Elle fut tellement anéantie qu’elle passa des journées entières sous une table avec des bouteilles de vin - Muthafucka, comme dit Bettye en guise de chute à chaque chapitre.

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             On trouve sur cet album ressuscité un gospel rock d’envergure maximaliste, « All The Black And White Children ». Elle attaque ça au communautarisme ambivalent, bien soutenu par les violons du paradis. Mais le reste de l’album n’est pas très bon. Elle fait une reprise Soul d’« It Ain’t Easy » et fait de « Fortune Teller » un balladif invertébré. Sur « Soul Tambourine », elle sonne comme Mireille Mathieu. Elle finit par s’énerver sur « Ain’t Nothing Gonna Change Me », elle y arrache le shake du raunch. C’est Rhino qui a réédité ce disque raté en 2006. Par contre, on y trouve des bonus qui sont nettement meilleurs que les cuts de l’album original, à commencer par « Livin’ Life On A Shoestring », un vrai funk de fièvre mortelle des années soixante-dix. Bettye s’y fait reine du funk insidieux et elle chante au sucré d’allure. Elle vit bien sa vie sur le shoestring. Elle tape dans le « Heart Of Gold » de Neil Young puis dans « You’ll Wake Up Wiser », une belle pièce de groove raffiné qu’elle chante d’une voix de sucre aigu. Elle chante aussi « Here I Am » du haut de sa juvénilité cossue. Sacrée Bettye, elle sait chanter à pleine voix et se montrer attachante.

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             Comme Rhino, Sundazed fit en 2006 œuvre de charité en compilant les singles Silver Fox sur l’album Do Your Duty. Les Dixie Flyers accompagnent Bettye sur certains morceaux comme « Do Your Duty », un r’n’b de classe infernale, le r’n’b à l’état le plus pur, quasiment staxé. Normal, on est dans le Memphis sound. Bettye n’en finit plus de ruer dans les brancards. Elle tire son Soul train avec une belle opiniâtreté. C’est une battante. Elle ne lâche pas sa proie. Les Dixie sont aussi derrière elle pour « He Made A Woman Out Of Me ». Bettye sonne carrément comme Aretha. Même attaque, même classe. C’est encore une fois superbe de grandeur Soul et de maintien africain. Elle va plus sur la voix de nez mais elle bouillonne de feeling. Bettye est une féroce, une hot chick. Sur « My Train’s Coming In », elle feule, elle embarque son r’n’b avec une niaque des bas-fonds. On a là une véritable perle de juke. On découvre en elle une Soul Queen, au même titre qu’Aretha et Martha Reeves. Encore une bien belle énormité avec « At The Mercy Of A Man », pièce fumante de hot soul qu’elle travaille au corps. Rien que pour ces quatre hits, il faut se jeter sur l’album. Bettye s’y montre fabuleusement douée. 

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             Quand Motown se réinstalla à Los Angeles, Clarence Paul fit signe à Bettye. Elle vint y enregistrer au Bolic Sounds Studio d’Ike, et elle y fit la connaissance du real gangster of love, Johnny Guitar Watson - Like Ike, Johnny could snort more blow than a brand-new Hoover - Elle raconte qu’Ike et Johnny sniffaient la coke comme des aspirateurs. Elle tombe aussi dans les bras de Solomon Burke que Jerry Wexler considérait comme le plus grand chanteur de soul - with a borrowed rhythm section - Et quand la cousine Margaret demandait à Bettye comment on pouvait baiser avec un homme aussi énorme que Solomon, elle répondait - Simple. You sit on him - Tu t’assois dessus, répondait-elle. Elle se retrouve aussi au lit avec son idole Bobby Bland - We blow so much that we forgot about sex - Mis ils étaient trop défoncés pour penser à baiser. Et puis un beau jour de 1982, Lee Young de Motown passe un coup de fil à Bettye : « Motown needs a mature female vocalist and you’re it ! » Motown veut une chanteuse mûre.

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             On l’envoie enregistrer à Nashville. Tell Me A Lie est un disque étrange. On sent que Bettye résiste comme elle peut à la pression commerciale qui la pousse vers cette fucking disco qui se vend bien. « Right In The Middle » sonne comme une belle Soul de caractère. Bettye chante d’une voix d’accent tranchant, mais on sent la menace disco juste derrière. Ce son m’as-tu-vu a ruiné des quantités d’albums. On commence à écouter « You Seen One You Seen Em All » monté sur un petit beat pop de la Motown softy softah des clopinettes de la bézette des années 80 et on s’écroule en faisant Ach !, comme le fantassin de la Wermarth frappé en pleine poitrine par une roquette anti-char. Bettye sauve l’album avec une reprise magistrale d’« I Heard Throught The Grapevine ». Elle tape là dans l’immensité de l’immense classique de son copain Marvin, dans le cantique des cantiques de la Soul orthodoxe, dans le saint des saints du groove Tamla. Bettye tient bien la rampe d’un beat Soul qui soûle. Le seul morceau intéressant de la B, c’est « I Like It Like That », plus groovy et chanté à contre-courant d’un beau développé d’élégance de satin rouge. Elle s’y frotte avec une classe certaine. Mais quand l’album paraît et qu’elle voit la pochette, elle pousse un hurlement : ces connards de Tamla ont mis une blanche sur la pochette ! Et comme Motown ne fait aucune promotion, l’album fait un flop. C’est la deuxième fois que ses espoirs sont anéantis. Muthafuckas.

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             Puis un Anglais nommé Ian Levine vient s’installer à Detroit avec l’intention de redémarrer Motown. Il récupère tous les seconds couteaux que les Anglais amateurs de Northern Soul adorent, Bobby Taylor, Marv Johnson, Kim Weston, Dennis Edwards, Eddie Kendricks, Brenda Holloway, les Contours, les Marvelettes, les Four Tops, les Velvelettes et bien sûr Bettye, et il fonde le label Motorcity. Ian Levine avait du fric et il payait bien - He probably paid many of the old-time Motowners more than Berry Gordy ever had - mais l’album Not Gonna Happen Twice paru en 1991 sur Motorcity n’alla nulle part. Difficile à dénicher, mais on est bien récompensé quand on le chope. Elle attaque avec la diskö du morceau titre et la swingue avec un incroyable chat perché de Soul Sister qui a tout vécu. Elle frise l’Esther Phillips tellement elle est bonne. Elle fait jaillir cette énergie du diskö Soul de Detroit qui rend dingue. Elle chante avec des accents fêlés extravagants. Comme Rufus Thomas, elle sait tenir la rampe pendant huit minutes. Betty chante à la base du beat, elle suce le feeling du totemic, elle tripote sa diskö Soul jusqu’à l’aube. Puis avec « Have A Heart », elle laisse la diskö pour revenir au groove. Elle repart en maraude pour six minutes. Elle ramène tout son répondant. Elle règne sur la Nubie quand elle veut. Elle chante à la vie à la mort de la mortadelle. « Right Out Of Time » paraît plus plan-plan mais les filles ramènent de la chaleur. C’est une fois de plus bardé de génie diskö. Derrière Bettye, les filles sont folles, elles soulèvent leurs jupes pour évacuer la chaleur. Elle braillent comme des folles et elles basculent les jambes en l’air dans les descentes de groove. C’est hallucinant. Bettye revient à sa chère heavy Soul avec « Let Me Down Easy » et une niaque unique au monde. « Good Luck » est monté sur un violent diskö beat, Bettye saute au paf directement. Elle rivalise une fois de plus de classe avec Esther Phillips. Elle fait une version diskö de « Jimmy Mack ». Comment ose-t-elle ? Touche pas à ça malheureuse ! Mais Bettye chante comme Martha, elle respecte l’intégrité du son, elle retrouve le secret de la niaque des origines. Elle revient à la grande Soul de Detroit avec « Time Won’t Change This Love ». Elle l’explose avec tout le chien de sa chienne dont elle est capable. Pur génie Soul. Elle attaque « Danger Heartbreak Dead Ahead » à la manière d’Aretha. Attention, c’est très puissant, aussi capiteux qu’un grand hit d’Aretha. Fascinant ! C’est plein de jus inconnu. Bettye LaVette ramène toute la folie dans le Detoit Sound.

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             Grâce à un admirateur nommé Dennis Walker, elle parvient à enregistrer un nouvel album en 2003. Les LaVettistes voient A Woman Like Me comme l’album du redémarrage. Mais Bettye va donner libre cours à son gros défaut et compromettre sa crédibilité de Soul Sister : elle se prend un peu trop pour Tina, comme c’est le cas avec « Right Next Door ». Trop d’affectation et trop de maniérisme, trop d’accents de lionne blessée qui tournent au cliché et qui renvoient au cauchemar des années 80. Aux yeux de certains, ce côté Tina peut passer pour une force, mais aux yeux des autres, ça devient vite insupportable. Elle revient au blues avec « When The Blues Catch Up To You », une belle pièce de blues velouté et cousu de fil blanc. Mais elle retombe dans le maniérisme avec « Thinkin’ Bout You » et là elle tape carrément dans la surenchère de simagrées. Elle joue du fêlé de son timbre, mais Bettye n’est pas Tina et ça tourne vite au chichiteux. Elle se rattrape avec le morceau titre qu’elle embarque grâce à la science de la connaissance. C’est le hit de l’album et c’est sacrément joué à la guitare. Puis elle nous jazze « It Ain’t Worth It After A While » dans la fumée des clubs de Harlem. On se croirait dans un movie de Spike Lee. L’atmosphère se veut superbement languide et Bettye joue les jolies cavaleuses d’exaction morose du Comte de Lautréamont. Elle verse une larme d’opale qui roule dans la mystérieuse échancrure de la vallée du Nil. Elle revient ensuite au fier r’n’b avec « When A Woman’s Had Enough », doté de l’épine dorsale du beat de base et joué à la basse funk pouet-pouet. Quelle belle pièce sous le couvert ! C’est fin et audacieux, pulsé par le pouet-pouet empathique. C’est même captivant. On a là un cocktail explosif : Bettye, la basse et l’ambiance. Mais l’album ne marche pas - Another one of these triumphant debacles that characterize my career. The music was great but no one really heard it - Elle qualifie sa poisse de triomphante débâcle. Elle fait de bons disques que personne n’écoute.

             Puis elle finit par être repérée et lancée par un certain Mike Kappus, boss de l’agence de booking Rosebud. Elle tourne en Europe avec Etta James et Bobby Bland. La voilà sauvée, au plan matériel.

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             Mais elle ne parvient pas à corriger son gros défaut pour enregistrer l’album suivant, I’ve Got My Own Hell To Raise, un album de reprises de chansons écrites uniquement par des femmes. Dans « Do Not Wait What I Haven’t Got », elle se prend encore pour Tina et ça sent la dérive des vieilles blacks alcoolisées. Encore une fois, ça plaira à certains mais pour les autres, ce sera insupportable. Une reprise de Lucinda Williams, « Joy », passe aussi à la casserole, mais l’atmosphère du morceau sort vraiment de l’ordinaire. Elle tape dans Joan Armatrading avec « Down To Zero » puis dans Rosanna Cash avec « On The Surface » qu’elle transforme en heavy groove bien foutu - On the surface everything seems alright - Puis elle attaque une fantastique reprise de « Little Sparrow », signé Dolly Parton. C’est monté sur un énorme groove de basse. Elle fait sa Tina gospel et noie sa version dans la basse. Voilà ce qu’il faut bien appeler une monstrueuse approche du petit moineau. Le royaume de Bettye, c’est le groove, comme le prouve « How Am I Different ». On se retrouve là dans le son de la Nouvelle Orleans, dans ces grooves insidieux pleins de nuances expertes. Au fil des morceaux, cet album devient réellement extraordinaire et on monte encore d’un cran dans la stupéfaction avec « Only Time Will Tell Me » qu’elle tortille dans un groove paranormal, à la fois perverti et funky, et ça devient fabuleux. Bettye sait gérer l’éclat de l’excellence. Derrière, les autres jouent comme des diables. Elle termine avec une reprise de Fiona Apple, « Sleep To Dream », et elle bénéficie une fois de plus du climat de mystère entretenu par les bêtes de groove qui l’accompagnent. Ça devient énorme - I’ve got my own hell to raise - et Bettye redevient l’énorme Soul Sister de l’époque Silver Fox. 

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             The Scene Of The Crime pourrait bien être l’album mythique de Bettye, car les Drive-By Truckers l’accompagnent. Patterson Hood commence par lui proposer 60 chansons qu’elle rejette. Puis Bettye débarque à Muscle Shoals - I didn’t feel respected. Drive-By Truckers had written no arrangements. Nothing had been planned. They wanted to wing it. I wanted to kill them - Elle ne se sentait pas respectée, rien n’avait été préparé. Elle voulait les tuer. Elle ajoute qu’elle préfère enregistrer dans le Nord plutôt que dans le Sud. Cet album qui s’annonçait mal réserve d’énormes surprises. Il démarre en trombe avec « I Still Want To Be Your Baby ». Patterson Hood et ses copains veillent au grain, alors ça prend tout de suite très fière allure. Ils sortent un son extraordinaire d’extravagance et on se retrouve avec une sorte de morceau idéal : la voix frippée de Bettye et le son du meilleur groupe underground d’Amérique. Il faut voir comme ils savent faire monter la sauce. Le gimmick est joué dans l’écho des sous-bois de l’Alabama hantés par les fantômes des soldats confédérés. Mais Bettye revient faire son numéro de feuleuse et ruine le cut suivant. Mavis Staples ne serait jamais tombée dans un tel panneau. Ça recommence à chauffer avec « You Don’t Know Me At All », car les Drive balancent un groove énorme. Alors Bettye renaît de ses cendres. Derrière, ils jouent comme des vautours. Évidemment, avec Patterson dans les parages, ça prend une tournure énorme. Voilà donc un groove puissant et relancé au solo de guitare. Les Drive salent et poivrent à outrance. On reste dans la grosse ambiance avec « They Call It Love ». Bettye allume avec des effets de voix humide frappés par l’orage, mais elle frôle vite le ridicule. On croit que « The Last Time » est une reprise des Stones, mais non, c’est un groove à la Creedence. Pièce excellente, moite et digne du bayou. Patterson fait chauffer la lessiveuse. Il touille le brasier sous la cuve. Au moins, comme ça, le linge sera blanc.  

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             L’album suivant qui s’appelle Interpretations - The British Rock Songbook pose un sacré problème aux LaVettistes : comment une Soul Sister originaire de Detroit a-t-elle pu aller se fourrer dans un tel guêpier ? On sait que les Supremes et Aretha ont tapé dans les chansons de Lennon et McCartney, mais elles ont su s’en tirer avec les honneurs, car les mélodies tenaient la route. Bettye tape dans une chanson moins connue de Lennon/McCartney, « The Word », et ça ne marche pas. Elle refait sa Tina dans « No Time To Live » de Traffic et c’est horriblement prétentieux. « Don’t Let Me Be Misunderstood » lui va un peu mieux, mais elle refait sa Tina dans « Wish You Were Here » du Pink Floyd et elle réussit à massacrer le très beau « Baby I’m Amazed » de McCartney. Elle se prend cette fois pour Nina Simone, mais elle n’est pas Nina Simone. On ne retrouve même pas le fil mélodique de la chanson, pourtant si pur. Puis elle tape dans les Stones avec « Salt Of The Earth », mais ça ne marche pas non plus. Rien à faire. Il ne se passe rien dans sa version de « Nights In White Satin » et on retrouve enfin la Soul Sister dans « Why Does Love Got To Be So Bad » (Clapton) qui démarre comme le « Cannonball » des Breeders. Et là, elle swingue, et ça devient fabuleux, funky jusqu’à l’os du genou et transpercé par un solo fatal. La grande Bettye est enfin de retour. Ouf ! Il était temps.   

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             Tous les LaVettistes se sont prosternés devant Thankful N’ Thoughful paru en 2012. Pourtant, dans Soul Bag elle explique que c’est encore une idée des producteurs, pas la sienne - Je n’ai pas été associée à leur démarche - Et elle est directe : ce n’est pas son disque préféré ! En effet, l’album commençait mal, car dans « Everything Is Broken », elle refaisait sa Tina.

             — Bon dieu, Bettye, arrête de singer cette vieille mémère de Tina qui est devenue vraiment pénible !

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             Mais on lui a dit de singer Tina. Les mecs du business pensent que ça fait vendre. Alors la pauvre Bettye fait sa Tina en veillant à ne pas tomber dans la tinette, mais c’est tout juste. Elle redevient pénible de singerie. Dommage. Puis elle trafique « Dirty Old Town » et c’est atrocement mauvais. Les mecs du business ont réussi à faire de Bettye une vieille chanteuse à la mode. En plus, elle s’y croit. Elle traîne ses mots dans l’affectation et fait sa gospel queen de radiateur. Il faut attendre « I’m Tired » pour la voir enfin renaître. Elle se fâche pour de bon et elle accouche d’un vrai hit. Elle fait sa fêlée. Elle sort un pur jus de rock à Billy bop de cabane de bayou. Ça sonne comme un hit, elle emmène son truc à la voix chauffée, pulsée par un riff fatal. Wow Bettye ! Avec le morceau titre, elle tape dans le heartbeat du r’n’b et renoue avec la Soul magique. Bettye dégage le passage. Ne vous mettez pas en travers de son chemin - Thoughtful ! I’m thoughtful - C’est plombé à l’arpège dément. Elle mord dans son truc comme dans la pomme du diable - le son ! le son ! - Envoûtement garanti. Elle redevient la Bettye fascinante qu’on adore. Et elle y revient sans cesse, elle mord et remord au truc. Dans « Time Will Do The Talking », elle prend le taureau du groove par les cornes. Elle se libère enfin de ses chaînes. Elle attaque le groove dans la pente. Elle devient spectaculaire. Plus aucune affectation. Elle chante sous l’emprise du feeling et on retombe sur la réalité d’une star énorme. Elle plonge dans son cut avec gourmandise, elle en fait un truc puissant et inspiré. Elle chevauche son groove à l’ancienne, sans selle. Elle chante comme la reine de Nubie - Time ! Time ! - et elle finit par donner le vertige.

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             On trouve les deux premiers enregistrements de Bettye sur une compile intitulée The Original Sound Of Detroit, parue en 1967. Attention, c’est un très gros disque, puisqu’autour d’elle on trouve les noms des Corvells, des Falcons, de Mack Rice et de Joe Stubbs, qui était le frère de Levi Stubbs, l’un des quatre Four Tops. Sir Mack Rice fait un carton avec « My Baby » et son r’n’b popotin noyé de chœurs et de cuivres. Bettye a déjà une envergure de Soul Sister. Avec « Witchcraft In The Air », elle pulse comme une vétérante des guerres napoléoniennes. Mais le roi, c’est bien Sir Mack Rice qui revient à la charge avec « Baby I’m Coming Home ». Il sait trousser un hit et le rendre sympathique en le chargeant de clap-hands et de chœurs torrides. Le « Has It Happened To You Yet » des Falcons est une perle de juke d’un très haut niveau de groove de Soul, dentelé à la vocalise et chanté comme du Marvin, mais en plus élégiaque. Pure magie vocale.  

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             Worthy paraît en 2015 sur Cherry Red, un label anglais. Dans Soul Bag, Bettye se dit déçue par les Américains, et notamment par Don Was et Jack White - des gens de Detroit comme moi - qui ont des petits labels et qui ne s’intéressent pas à elle. Worthy est un bon disque. On y trouve une belle pièce de stonesy intitulée « Complicated ». Sa cover tient la route. Bettye sait jiver les Stones et elle fait de ce hit mineur des Stones un hit majeur - It’s kind of complicated aouuuhhh - Elle le groove sans pitié. Elle fait aussi une cover de Dylan, « Unbelievable ». Elle essaye d’y conserver son identité de vieille dame indigne, mais ce n’est pas facile car elle vire trop Tina. Elle fait tout à la glotte fêlée. Elle frime tellement qu’on finit par aller boire une bière au bar. Dommage que son chant soit si maniéré. Elle ne sait même plus de quelle école elle sort et sa reprise du « Bless Us All » de Mickey Newbury est un peu ratée. Elle reprend aussi un cut de Lucinda Williams, «Undamned», sa chouchoute - Quand nous nous voyons, nous nous asseyons pas terre pour boire du vin - Elle revient à ses chers Beatles avec une reprise de « Wait » et en fait une version sauveuse d’album.

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             Nouvelle apparition en 2018 avec un album de reprises de Dylan, Things Have Changed. Elle y cultive encore ce son de glotte fêlée à la Tina, comme si elle voulait revenir aux racines du mythe Ike & Tina. Elle tape dans les gros classiques de Bob comme « It Ain’t Me Babe » (traité au sweet heavy groove) et « The Times They Are A Changin’ », tapé au heavy sound. Elle sait travailler le Dylanex et emploie une curieuse méthode consistant à en transformer l’ambiance. Dylan sert de merveilleux prétexte, en fait. Elle le fait basculer dans la Soul et c’est admirable. Nouvel essai avec un « What Was It You Wanted » extrêmement groové. Elle fait autorité sur Dylan. Du coup, cette façon de groover en profondeur change tout. Elle en profite pour déballer tout son art de Soul Sister sur le retour. Quelle belle présence intensive ! Elle tape « Go Right To Me Baby (Go Unto Others) » au heavy romp et derrière, ça cocotte sec comme dans Led Zep. De grosses guitares volent à son secours, c’est édifiant. Quelle shouteuse ! Elle touille sa sauce de manière providentielle et occasionne une réelle délectation. Elle retraite « Going Going Gone » à sa sauce et ça finit par donner un grand disque de Soul très porteur, très stratosphérique. Elle remonte le courant de sa Soul comme un saumon d’Écosse, elle splashe des giclées argentées dans les rayons d’un soleil ardent, elle ramène des tonnes de pathos du fond de son ventre de Soul Sister. On entend Keef jouer un killer solo de gras anglais dans « Political World ». Il renoue avec l’éclair de génie du solo de « Sympathy For The Devil ». Avec ce cut, on perd une fois encore tout le Dylanex au profit d’un Bettysme très ambitieux. Elle tape un « Seeing The Real You At Last » plus musculeux. Un nommé Pino Palladino signe ce bassmatic qui roule bien sous la peau du groove. Elle transforme le Dylanex une fois de plus et le sublime en ramenant des tonnes de feeling dans son groove. En fait, elle annexe le Dylanex.

             À la fin de son livre, Bettye reçoit un trophée au Heroes and Legends Banquet de Berverly Hills. Elle monte sur scène et aperçoit les pontes de Motown dans l’assistance, dont Berry Gordy. L’occasion est trop belle de l’allumer : « And if I’m a legend at all, it’s because I know people in Detroit who Berry Gordy still owes fifty dollars to, from when they worked with him on the Chrysler line - Oui, Gordy doit encore du fric à des ouvriers de Chrysler, et elle ajoute, histoire de bien leur mettre le museau dans leur caca - I’d like to say that people in this room could help me to get me where I am, but they didn’t - Oui, aucune des personnes présentes dans cette salle ne l’a aidée. Et comme Lemmy, elle affirme qu’elle fumera de l’herbe et qu’elle picolera jusqu’à ce que le toubib lui dise qu’elle est foutue - And even then, I may well continue smoking marijuana and drinking champagne - Et même à l’article de la mort, elle continuera de fumer de l’herbe et de siffler du champagne.

    Signé : Cazengler, Lavette

    Bettye LaVette. Tell Me A Lie. Motown 1982

    Bettye LaVette. Not Gonna Happen Twice. Motorcity Records 1991

    Bettye LaVette. A Woman Like Me. Blues Express 2004

    Bettye LaVette. I’ve Got My Own Hell To Raise. Anti- 2005

    Bettye LaVette. Do Your Duty. Sundazed Music 2006

    Bettye LaVette. Child Of The Seventies. Rhino Handmade 2006

    Bettye LaVette. The Scene Of The Crime. Anti- 2007

    Bettye LaVette. Interpretations - The British Rock Songbook. Anti- 2010

    Bettye LaVette. Thankful N’ Thoughful. Anti- 2012

    The Original Sound Of Detroit. Speciality/Ember Records 1967

    Bettye LaVette. Worthy. Cherry Red Records 2015

    Bettye LaVette. Things Have Changed. Verve Records 2018

    Bettye LaVette. The 1972 Muscle Shoals Sessions. Run Out Groove 2018

    Bettye LaVette & David Ritz. A Woman Like Me - A Memoir. Plume Printing 2013

    Bettye LaVette. Reprise à Haute Tension. Soul Bag n°218. Avril-mai-juin 2015

     

     

    Wizards & True Stars

    - Le jeu de Pomus

     

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             La seule True Star en béquilles pourrait bien être Doc Pomus. Vieille école ? Autre époque ? Susurreur suranné ? Huberlu révolu ? Dévolu d’Honolulu ? Alibi d’hallali ? Non, Doc, c’est le Brill, au même titre que Totor et Ellie Greenwich, au même titre que Leiber & Stoller et Donnie Kirshner. Ce Brill qui fit briller la pop américaine au firmament, jusqu’au moment où sont arrivés les Beatles, en 1964.

             Petit, Doc s’est chopé la polio. Il a marché toute sa vie avec des béquilles, puis il est passé au fauteuil roulant quand il a pris trop de poids. Alors bien sûr, il reste associé à Mort Shuman, un mec qu’on n’aime pas trop, par ici, mais bon, faut faire avec. Ils constituaient un team, au même titre que Mann & Weil, Barry & Greenwich, Goffin & King, Boyce & Hart, Sedaka & Greenfield. Situé au 1619 Broadway, à Manhattan, le Brill était un immeuble transformé en usine à tubes. Kirshner et d’autres payaient les teams installés dans des bureaux pour pondre des hits chaque jour. Cot cot ! Ça pondait sec ! Des Anglais comme Don Arden, Mickie Most ou Andrew Loog Oldham venaient faire leurs courses au Brill. Combien la douzaine ? Cot cot ! Quand Elvis s’est lancé dans son aventure hollywoodienne, il a fallu augmenter la cadence, car à raison de quatre bandes originales de films par an, il fallait pondre à bras raccourcis et en continu. Cot cot cot cot ! Au début ça amusait Doc, car il s’en foutait plein les poches, mais au bout d’un moment, il a dit stop, car c’était n’importe quoi. Doc est un artiste, pas une poule en batterie.

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             On peut entrer dans sa vie par l’excellent book d’Alex Halberstadt, Lonely Avenue - The Unlikely Life And Times Of Doc Pomus, ou alors, par une compile Ace, The Pomus & Shuman Story (Double Trouble 1956-1967) parue en 2007. L’Ace est idéale car on a la musique. Le book est tout aussi idéal, car Halberstadt réussit l’exploit de nous faire entrer dans la mystérieuse chambre d’hôtel où il a vécu pratiquement toute sa vie et de restituer la dimension gargantuesque de cet infirme génial. Doc est un homme qu’on aurait adoré connaître. On y revient la semaine prochaine.

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             L’Ace réussit un autre exploit : présenter le parcours de Doc comme un fantastique résumé de la grande pop américaine, depuis Ray Charles jusqu’à Elvis, en passant par les Drifters de Ben E. King et LaVern Baker. Que cet homme soit associé à autant de très grands artistes est en soi une sorte de petit miracle. Doc est moins glamour que Mann & Weil, Goffin & King ou Barry & Greenwich, mais il occupe exactement le même rang. Il faut entendre Ray Charles chanter son «Lonely Avenue», qui d’ailleurs donne son titre au book d’Halberstadt. C’est du mythe à l’état pur, du mythe hanté d’oooh yes sir et Ray t’explose ça au feel so sad avec des chœurs de cathédrale. «Lonely Avenue» est d’autant plus mythique qu’il s’agit de la chanson autobiographique d’un infirme interprétée par un autre infirme. Ahmet Ertegun apprécie beaucoup Doc et lui demande de composer pour ses artistes, alors Doc y va : Clyde McPhatter, LaVern Baker, les Coasters, Bobby Darin, Mickey Baker, et Ruth Brown, rien que du gratin dauphinois. On croise plus loin l’«Hey Memphis» de LaVern Baker, adaptation de «Little Sister», fantastique rumble d’Hey Memphis won’t you, c’est même d’une rare violence. Il faut aussi saluer le «(Wake Up) Miss Rip Van Winkle» des Tibbs Brothers explosé au sax par King Curtis. Il est bon se rappeler que King Curtis et Mickey Baker font partie des session men favoris de Doc. Quand naît sa fille Sharon, Doc compose «I Ain’t Sharin’ Sharon» qu’on entend ici interprété par Bobby Darin.

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             Libéré de l’armée, Elvis enregistre «A Mess Of Blues» et Doc devient, nous dit Mick Patrick, l’un des compositeurs préférés du King. Eh oui, ses versions de «(Marie’s The Name) His Latest Flame» et «Little Sister» sont des hits demented. Sur l’Ace, Elvis nous chante «Double Trouble». On sent immédiatement la différence. Elvis a une façon unique de rentrer dans le chou du lard. Il va enregistrer 16 compos de Doc, et d’autres que Doc a pondues avec Leiber & Stoller. Mick Patrick indique qu’«His Lastest Flame» et «Little Sisters» étaient destinés à Bobby Vee qui n’en voulait pas ! Par contre, il chante un «All You Gotta Do Is Touch Me» au mieux de ses possibilités. Vee vit ça bien. Il sonne comme un lookalike de Buddy qui n’a jamais pu surmonter la catastrophe du plane crash. Sur l’Ace, c’est Del Shannon qui se tape «His Lastest Flame», mais Del n’a pas la voix, même si dans les early sixties, on le considère comme une star. Par contre, les deux qui ont des voix sont Marty Wilde et Fabian. Marty tape «It’s Been Nice» et ça bascule dans le génie interprétatif. Pareil pour Fabian avec «Turn Me Loose», fabuleux shake de pop US qu’il chante à l’exacerbée. Avec «Save The Last Dance For Me», les Drifters nous ramènent au cœur du New York City Sound. Dion & the Belmonts aussi, avec «A Teenager In Love», même si c’est plus sucré. On croise aussi Barrett Strong avec «Seven Sins», un petit bordel de juke parfaitement inutile. Doc est mêlé à pas mal d’horreurs, comme Ral Donner («So Close To Heaven») ou Andy Williams («Can’t Get Used To Losing You»). Par contre, Ben E. King tartine bien son «First Taste Of Love». Il bénéficie du traitement de choc orchestral. C’est Terry Stafford qui tape le «Suspicion» écarté par Elvis. Vraie voix. Admirable ! Gary US Bond tape le «Seven Day Weekend» que reprendront les Dolls. Ça permet tout de suite de situer le niveau. Rappelons aussi au passage que Doc était pote avec Lou Reed et Mac, c’est-à-dire Doctor John. On garde les meilleurs pour la fin ? Voilà Irma Thomas avec «I’m Gonna Cry Till My Tears Run Dry». Irma rentre dans la Soul de Doc au heavy groove de New Orleans. Elle va pleureur jusqu’à la dernière larme. Arrive aussitôt après elle l’immense Howard Tate avec «Stop». Il t’allume ça à n’en plus finir au stop it baby. Et pour refermer la marche, les McCoys embarquent «Say Those Magic Words» au mieux des possibilités de la pop explosive. Pur psyché de New York juke ! 

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             Avant de devenir auteur de renom, Doc chantait le blues dans les bars de New York. Son idole n’était autre que Big Joe Turner. En 2006, Rev-Ola eut l’extrême intelligence de faire paraître Blues In The Red. On y entend Doc chanter le blues dans les années 40 à Greenwich Village. Doc est un peu obligé de changer de nom, car il ne veut pas que ses parents sache qu’il chante le blues dans les clubs - White kids just didn’t sing blues with Negroes in the 1940s - Attention aux yeux, car le «Doc’s Boogie» d’ouverture de bal est du pur proto-punk. Doc devient une sorte de Mezz Mezzrow du out of it. Il nous ramène dans les racines du New York jive, les racines du blues urbain, qui est, à l’image de cette ville, bourré d’énergie. Tout sur cet album est joué à l’arrache. Doc arrive avec ses béquilles dans le jive de «Send For The Doctor» et l’explose. Le solo de sax fout le feu. On entend rarement un tel jive de jump. Son hit le plus connu est dans doute «Alley Alley Blues». Docky Doc est blanc, mais il reste dans la veine de Big Joe Turner. Il tape «My Good Pott» au big band brawl. On s’amuse bien avec Doc, il fonce dans le tas, comme Louis Jordan - I love my good pott/ All the time ! - Quelle énergie ! Il tape le heavy blues de «Traveling Doc» au come back no more et revient au heavy rumble de jump avec «Naggin’ Wife Blues». Doc est un dingue du r’n’b, il a récupéré tout le génie du genre : le power et la diction. Tout est cuivré de frais, cuit dans son jus, craquant comme un 78 tours. Il faut le voir se jeter avec ses béquilles dans le «Give It Up». Ça joue à Brooklyn ! Là, tu as les vrais mecs, il y va au give it up/ I’m real down. «Heartlessly» sonne comme un hit. Il adore le vieux groove de cœur brisé. On entend Mickey Baker dans «Bye Baby Bye» et Doc termine bien sûr avec un «Joe Turner Medley» en forme de heavy romp de fast rock’n’roll.

    Signé : Cazengler, Doc Paumé

    The Pomus & Shuman Story (Double Trouble 1956-1967). Ace Records 2007

    Doc Pomus. Blues In The Red. Rev-Ola 2006

     

     

    L’avenir du rock

    - Pas de pépètes pour Los Pepes

     

             Ce matin-là, l’avenir du rock promenait son cul non pas sur les remparts de Varsovie, mais plus prosaïquement sur le Pont des Arts. Il vit arriver à sa rencontre un homme qui pleurait.

             — Bouh-ouh ouh, bouh ouh-ouh...

             Il faut savoir que l’avenir du rock a un talon d’achille : le spectacle du chagrin lui broie généralement le cœur. Il s’arrêta à hauteur de l’homme et s’enquit des raisons de son malheur.

             — Que vous arrive-t-il, mon pauvre ami ? Comment puis-je vous aider ?

             — Bouh-ouh ouh, bouh ouh-ouh...

             L’homme sembla redoubler de chagrin.

             — Bouh-ouh ouh, bouh ouh-ouh... Bouh-ouh ouh, bouh ouh-ouh...

             — Eh bien, eh bien, calmons-nous... Venez donc prendre un petit café arrosé, je vous l’offre...

             — Bouh-ouh ouh, bouh ouh-ouh... Bouh-ouh ouh, bouh ouh-ouh...

             — Ah oui, je comprends, il vous faut quelque chose de plus corsé. Venez avec moi dans ce bar là-bas, nous irons ensemble aux toilettes et je vous ferai un petit rail de speed, vous allez retrouver le sourire, croyez-moi !

              — Bouh-ouh ouh, bouh ouh-ouh...

             — Bon, il semble que votre désespoir exige une thérapie plus radicale. Alors accompagnez-moi jusqu’au bas de la rue Saint-Denis, je connais une pute ravissante qui vous mettra du baume au cœur, je vous l’offre pour une heure, une nommée Pépète...

             L’homme s’arrêta de sangloter. Il fixa un instant l’avenir du rock et marmonna :

             — Pépète ?

             — Ben oui, Pépète ! Et alors ? C’est quoi le problème ?

             — Bouh-ouh ouh, bouh ouh-ouh... Pas de pépètes pour Los Pepes !   

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             Pas de première partie. Pas grand monde, allez, une bonne dizaine de personnes. En langage clair, ça veut dire que Los Pepes vont jouer pour des clopinettes. Mais comme ils sont pro, ils vont jouer quand même. Face à ce type de Bérézina, l’avenir du rock préfère coubertiner : l’essentiel est de participer dans Lactel.

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             Ultime réglage, monte la voix, up !, up !, et soudain boom, le ciel te tombe sur la tête : Los Pepes are on fire ! Depuis Motörhead, on n’avait plus entendu ce genre de blast. C’est même du double concentré de blast.

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    Deux guitares, deux Marshalls et boom kaboom badaboom, tu sais que tes oreilles vont siffler pendant trois jours. Quelle merveille que de voir ces quatre mecs jouer à la vie à la mort une espèce de hardcore gaga-punk complètement ancré dans le passé, mais cette musique reste vivante, ô combien ! Ils te font du pur wild as fuck de tight team, pulsé au beurre par une machine humaine, une vraie locomotive aux bras tatoués.

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    Dans Vive Le Rock, le seul canard à chroniquer Los Pepes, le mec disait qu’ils étaient the loudest band on earth. Rien de plus vrai. Louder, ça n’existe pas. Louder et beau, même si les rares instants mélodiques sont emportés par le déluge de feu.

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    Le mec qui bassmatique au centre de la scène est un Japonais à gueule de rock star, il joue en fluidité continue sur une basse en plexiglas et reste extrêmement concentré, il volerait presque le show. Il s’appelle Seisuke Nakagawa. Le mec au beurre derrière lui est un Polak, Kris Kowalski, il fait partie des batteurs inexorables, il monte sur tous les coups, il relance en permanence, son cœur balance entre la dynamique et la dynamite, rien qu’avec lui et son ami japonais, Los Pepes dispose de l’une des sections rythmiques les plus explosives dans le genre. On reste dans l’international avec le guitariste qui joue à droite. Il s’appelle Gui Rujao et vient du Brésil. Et puis voilà Ben Perrier, qui gratte ses poux sur une Mosrite et que les amateurs de gaga-punk britannique connaissent bien, car il fit des étincelles dans les années 2000 avec son duo gratte/beurre, Winnegabo Deal. Ben Perrier a lui aussi des allures de rock star, il joue un peu à l’ancienne, jambes écartées et voix perchée, mais quelle présence !

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             Deux albums de Los Pepes traînaient au merch, Positive Negative qui date de 2019, et The Happiness Program. Le premier est un strong album de tatapoum power-poppy, bourré à craquer de drives inflammatoires.

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    Ben Perrier reste fidèle à l’esthétique du blast des années 2000, une fournaise dans laquelle se fondent les influences de Fast Eddie Clarke, des Ramones et des groupes australiens de type New Christs. Notez bien qu’après le set, Ben Perrier portait un T-shirt Eternally Yours, l’un des plus beaux albums de blast seigneurial jamais enregistrés. On appelle ça une preuve de goût. Le morceau titre du Positive Negative est totalement dévoué à la cause, ils font du pas de pitié pour les canards boiteux, ils tapent dans l’esthétique d’Attila & the Huns, ça sent bon le roussi des vieilles équipes comme les Backyard Babies et les Hellacopters. Globalement le son est plein comme un œuf et le bassmatic rôde en permanence sous la surface. On ne s’ennuie pas un seul instant. Ils savent pousser à la roue, pas de problème. Ils ne rechignent pas à la dépense. Ces mecs savent jeter tout leur dévolu dans la balance. Leurs power-chords sont d’une générosité à toute épreuve. Ils savent caresser la clameur dans le sens du poil. Un seul hic, dans ce grandiose panégyrique : qui ira aller acheter les albums de Los Pepes ? Ceux qui les voient sur scène et quelques lecteurs de Vive Le Rock ? Los Pepes n’inventent rien. Ils se contentent d’exister, et c’est tout ce qui compte. En B, tu vas trouver des jolies choses : «Medication» et «Think Back», deux belles prouesses power-pop qu’on dirait illuminées de l’intérieur, et dignes de celles des géants du genre, Gigolo Aunts et Velvet Crush, pour n’en citer que deux. De cut en cut, le power se fait de plus en plus intact et compact.    

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             Leur dernier album qui s’appelle The Happiness Program est encore meilleur. Une vraie mine d’or pour l’amateur de power-pop. Ils jouent en formation serrée, il y a quelque chose de massif dans leur son, on retrouve aussitôt l’énergie de l’ouverture de set, cette espèce de bim bam boom immédiat qui met les sens en alerte. Ils sont massifs à l’ancienne, ils jouent vite et bien. Les coups de vrilles sont de purs hommages à Johnny Thunders. Et soudain, avec «Let Them Talk», ils se mettent à sonner comme les Buzzcocks. C’est extrêmement réussi. Ils semblent même avoir maîtrisé leur pétaudière, «Sick And Bored» sonne comme un hit power-poppy en diabolo. Ben Perrier emmène sa fière équipe à l’assaut du lard fumant. En B, tu tombes sur une autre merveille : «Anecdotes», une power-pop bien moulée dans sa gaine noire. Le bassmatic ramène des frissons sous la peau. Encore de l’énergie à gogo dans «I Remember You», superbe brouet d’éminente éloquence, ces mecs n’en finissent plus de battre la campagne, alors oui, on peut les suivre. Ils terminent en mode heavy classic rock avec «Born Into This». Ils tapent un rock franc du collier, un rock de meilleur ami. Avec eux, tu ne crains plus rien. Ils te grattent tout simplement le rock que tu as toujours aimé.

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             Les albums de Winnebago Deal sont excellents. Sur la pochette du deuxième Deal, tu vas trouver un tyrannosaure. Dead Gone est un fier album, un autel dressé au dieu Blast, et ça blaste dès «Breakdown», au drive de craze et de step aside. Ils bâtissent une fournaise à deux. Jack Endino veille au grain du son. Pendant que Ben Perrier turbine sa ramalama, l’autre Ben bat son beurre et n’arrête jamais. Avec «Cobra», ils se transforment en charge de Chevaliers Teutoniques sur le lac gelé. Aucun rempart ne peut résister à une telle charge. Ben Perrier allume ses racines, il exagère l’exercice de sa fonction. On a l’impression qu’il tente chaque fois le tout pour le tout, notamment dans «LS Fiction». Nouvel exercice de blast définitif avec «Did It Done It Doing It Again». Ils ne vivent que pour ça : allumer à la Méricourt. Encore du déballonné des enfers avec «Knife Chase». C’est même de l’hyper-bast. Ils battraient presque Motörhead à la course. Ben Perrier est fou, il joue comme Fast Eddie Clarke. Il va toujours plus loin dans l’extrémisme, comme le montre «Shank Fight». Il screame comme un dingue et gratte ses poux. La médecine ne peut rien pour lui. Pauvre Ben. Mais ça ne l’empêche pas d’exploser «Cargo Bull»  d’entrée de jeu. Pas de retour possible. Ce n’est pas le genre de mec à traîner en chemin. Il vise plutôt l’apoplexie. Tout chez lui se résume à une seule chose : renter dans le chou du gusto. Avec le morceau titre, Ben bombarde le front à coups d’orgues de Staline. C’est l’impression que laisse son riffing et l’ampleur du son, une vraie apocalypse sonique, un parti-pris de rougeoyance. Et tout s’écroule dans l’apocalypse du beurre des fous avec «NWO», le drive du Ben embarque l’autre Ben, ils bombardent Dresde à deux.

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             Attention à Flight Of The Raven : c’est du Jack Endino, donc du blast bien conditionné. Et boom badaboom dès «With Friends Like These». Ben Perrier est l’un des grands fous de l’histoire de la psychiatrie gaga-punk. On croit que c’est du blast, mais non, c’est du blast définitif. Ben & Ben te blastent dans le mur, ils te blastent over the rainbow, ils te dégagent du passage, ils sont incontrôlables, au-dessus de ce blast, il n’y a plus rien. Alors les voilà partis pour une série de 15 brûlots, dont le pire est dans doute le dernier, «Revenge», mais aussi «You Let Me Down», ils te plombent la soirée, ça te tombe sur la tête. C’est digne de Motörhead, mais en réalité, c’est du pur Ben Perrier. Ou encore «Target», les deux Ben se superposent dans le vent du blast, Ben & Ben sont les rois du pétrole, ils jouent aux charbons ardents et portent leur blast aux nues, c’est du très grand art, car ils ne sont que deux. Et puis tu as encore «Spider Bite», pur jus de no way out, Ben le cueille à la cocote sèche, ça t’explose en pleine poire, c’mon Ben ! Le coup de génie de l’album s’appelle «Going Home», ils créent l’événement, Ben & Ben n’arrêtent jamais, ils vont jusqu’au bout de leur délire, Ben délie son délire et Ben bat le beurre du diable. Avec «Fresco», ils plongent tous les deux dans l’insanité, c’est du hardcore punk anglais qui avance à marche forcée. Tout ce qui intéresse Ben & Ben, c’est l’enfer sur la terre. Ils jouent aussi avec l’incendiaire maximaliste dans «Venomized», le chant brille toujours dans la clameur des combats, il ramonent littéralement le no way out. Ils chargent la barque de l’ultimate.

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             Leur dernier album s’appelle Career Suicide. Il est du même niveau que le précédent, c’est du blast forever dès «Heart Attack In My Head», Ben & Ben y vont au débotté, ils font Motörhead à deux. Ben est dingue ! Enfermez-le ! Si tu aimes le blast, t’es servi comme un roi : «Nobody’s Fault But Mine» et «You Don’t Exist» te courent sur l’haricot, Ben Perrier te claque du JSBX des enfers, tu en prends plein la terrine, il est l’un des rois de la power pop inflammatoire. Il adore gratter ses poux dans la fournaise. C’est son vice et sa vertu. Diable comme ce mec est bon, il crée chaque fois les conditions du blast définitif. Ben & Ben abattent du chemin, énormément de chemin, comme le montre encore «I Want Your Blood». Tu entends rarement des mecs aussi énervés («Poison»). «Ain’t No Salvation» est trop punk’s not dead. Trop fast. Trop Deal. Trop Ben. Ce que les gens n’ont pas compris l’autre soir, c’est que Ben Perrier est une star du wild underground. Retour à l’insanité avec «Frost Biter», fast Méricourt, il devient fou devant toi. Et comme sur l’album précédent, le coup de génie se planque à la fin : «Can’t See Don’t Care Don’t Know». Terrific ! Il drive ça à la high energy, il hurle dans les nuages. Ben Perrier est un dieu inconnu.

    Signé : Cazengler, Los pépère

    Los Pepes. Le Trois Pièces. Rouen (76). 31 Mais 2023

    Los Pepes. Positive Negative. Wanda Records 2019

    Los Pepes. The Happiness Program. Snap!! Records 2022

    Winnebago Deal. Dead Gone. Double Dragon Music 2004

    Winnebago Deal. Flight Of The Raven. Fierce Panda 2006

    Winnebago Deal. Career Suicide. We Deliver The Guts 2010

     

     

    Inside the goldmine

    - Stokes option

     

             Stic ? Oh, il se voulait d’un abord facile, mais en réalité, il veillait à rester extrêmement impénétrable. On croise souvent ce type de comportement chez les enfants des familles recomposées, une façon passive de dire non à la nouvelle union. Il émanait de Stic ce curieux mélange de gentillesse et de froideur qui caractérise généralement les gosses extrêmement intelligents. Il savait plonger son regard dans celui des autres et personne n’aurait jamais pu dire ce qu’il pouvait ressentir. Dans une vie antérieure, il avait dû être empereur romain, ou peut-être éminence grise d’un parrain de la mafia. Par contre, sa sœur, férue d’au-delà et en contact avec les esprits, se savait la réincarnation d’un pilote de chasse allemand de la Première Guerre Mondiale. Stic veillait à ne pas créer de malaise, mais il jetait malgré tout un froid, lorsqu’il participait aux réunions de famille recomposée. Il fallut vite en tirer les conséquences, à savoir qu’il était inutile de vouloir tisser quelque lien que ce fût avec lui. Au moins les choses avaient le mérite d’être claires. On appelle ça un statu quo. Il fallait surtout veiller à rester sur le qui-vive et à bien réagir lorsque Stic envoyait une pique. Vous l’aurez sans doute remarqué, les piques des gens intelligents sont toujours bien acceptées. L’idéal est de pouvoir proposer une répartie, mais il faut en avoir le niveau. Stic en faisait un jeu. Ferraillait qui pouvait, mais ce qui pouvait passer pour une petite altercation était en fait pour lui un jeu d’esprit. À partir de là, on commençait à comprendre. Eh oui, on ne pouvait pas jauger Stic selon nos critères. Il fallait plutôt imaginer les siens. Alors ça devenait simple. Bien sûr, c’est une approche qui vaut pour tout type de relation, mais dans ce cas particulier, ce fut une révélation. Stic ne s’investissait pas vraiment dans les modes de relations traditionnelles, il s’intéressait surtout au théâtre d’avant-garde, il avait monté une petite troupe dans le but d’engager à la fois une pratique et une réflexion sur l’avant-garde. Barba ? Kantor ? Oui bien sûr, mais il aimait par-dessus tout tendre un filin très haut et y faire le funambule au péril de sa vie. Seul le plateau de départ était éclairé et le filin s’enfonçait dans les ténèbres. Ce soir-là, il s’est enfoncé dans l’inconnu les yeux bandés, et pendant un temps qui sembla durer une éternité, nous l’entendîmes clamer «L’homme avance !», jusqu’à ce que sa voix s’éteignît.

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             Stokes, c’est un peu la même chose que Stic : il avance en funambule dans les ténèbres et frappe les imaginations d’une manière extrêmement particulière. Pour Matthew Sweet, Simon Stokes est un phénomène. Sweet parle de Post-LSD Swamp Rock Vibrations et met Stokes au même niveau que Little Richard, le White Panther Party, Blue Cheer, les Groovies et Chuck Berry with a psychedelic lightshow. Sweet qualifie le style de Stokes de raving, screaming, funky, anti-social, il va même jusqu’à lâcher le mot-clé : rock’n’roll insanity. Stokes est un mec du Massachusets. Fan de Jack Kerouac, il s’est mis à drifter across the USA. C’est comme ça qu’il échoue fin des années 50 à Hollywood. Kim Fowley le rencontre entre 1959 et 1961 : «He was dressed in leather like Gene Vincent, half Jim Morrison, half John Fogerty, before the Doors or CCR existed. A wonderful guy. Smart, cynical, a forerunner of all that Louisiana swamp stuff. In the time of Bobby Vee, Simon Stokes was the most dangerous guy in Hollywood.» Pour Sweet, Stokes s’adresse aux fans de Captain Beefheart, de Kim Fowley, du Sensational Alex Harvey Band, des Deviants et de l’Edgar Broughton Band. Sweet cite aussi The Hampton Grease Band. Ride on brother !

             Un jour, Stokes et son copain guitariste Randall Keith vont trouver David Anderle, l’A&R d’Elektra à Hollywood. Anderle avait fait savoir qu’il était prêt à rencontrer tous ceux qui le souhaitaient. Stokes et Keith ressortent de son bureau avec un contrat de songwriters. Lonnie Mack tape l’une de leurs compos, «Too Much Trouble» sur Glad I’m In The Band.  

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             Stokes bricole pendant dix ans avant de pouvoir enregistrer en 1970 son premier album, l’extraordinaire Simon Stokes & The Nighthawks paru en 1970. Les guitaristes s’appellent Butch Senneville et Randall Keith, le beurreman Joe Yuele Jr. et le bassman Robert Ledger. Michael Lloyd produit, et Don Galluci qui enregistre Fun House au même moment fait les arrangements. Bienvenue au royaume du proto-punk. Deux classiques du genre : «Big City Blues» et «Sugar Ann». Absolute destroy oh boy, tu ne peux pas espérer mieux, Stokes va chercher l’ultra-gut d’undergut, il est extrême, il chante à la dégueulade d’envergure, tu as là toute la folie du monde, avec une guitare aigrelette jetée en pâture aux vautours. Il y a du Mac Rebennack, du Screamin’ Jay, du Bruce Joyner dans Stokes. Il s’en va screamer son swamp push à la lune. Il chante son «Sugar Ann» à la pure arrache de hot’n’greasy, il vise l’excès d’excellence, fantastique pulsatif, ce mec a le répondant de Stackwaddy, il y va au raunch de weahhhh, il est le screamer parfait. Coup de chapeau à Hank Williams avec une énorme version de «Jambalaya» et il tape «Which Way» au chant d’overdrive à la Screamin’ Jay. Il dispose du même pouvoir d’intensité dramatique. Il nous refait le coup du bayou en B avec «Voodoo Woman», real deal de swamp rock vibrations, story-telling de conte fantastique, puis il passe à la heavyness avec un «Rhode Island Red» joué dans les règles du lard fumant. C’est en gros l’ambiance de «Motor City’s Burning», avec le scream et le feu à la guitare. On le voit s’arc-bouter sur «Cajun Lil» et taper une terrible cover du «Down In Mexico» de Leiber & Stoller. C’est d’une rare violence, un véritable apanage du proto-punk. Il termine cet album faraminé de calamine avec un coup de génie intitulé «Ride On Angel», digne de Bo, mais en plus bas-fonds. Stokes a un don particulier pour rôder dans l’ombre. L’élan est très pur et la guitare plane au-dessus du son comme un vampire. Stokes groove en profondeur. Superbe walking bass ! 

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             Si tu en pinces pour le proto-punk, alors saute vite fait sur Simon Stokes & The Black Whip Thrill Band et plus particulièrement «Hot Simmer’s Night In The City». C’est l’histoire d’un baston entre les Thunderbirds et les Rebels, deux gangs ennemis - In the concrete jungle/ You live in fear/ Life is never certain/ Death always near - Il sait créer un climat de violence. Il fait aussi du pur Rebennack avec «She’s Got Voodoo». Il est bon pour le swamp rock hoodoo. Le morceau titre est aussi du gros boogaloo cousu de fil blanc - Did you hear the news girl ? - Il nous explique qu’il porte du black leather et il tape ça au heavy boogie de bastringue avec l’excellent Butch Senneville on guitar. On note aussi que Joe Petagno dessine le dos de la pochette. Stokes nous ressort l’excellent «Ride On Angel» de l’album précédent - Crank your bike/ Ride on/ Angel/ Ride on - Il nous raconte l’histoire d’une bagarre dans un bar et Angel finit sur la chaise électrique - The Bible says thou shall not kill - Il fait encore un heavy balladif tragique en B avec «Waltz For Jadded Lovers». il adore les ponts atmosphériques à la stood like a rock/ Tried not to talk/ Know life goes on.

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             Par contre, The Buzzard Of Love paru en 1977 n’est pas un très bon album. Stokes fait pas mal de story-telling. Il reste dans sa veine heavy boogaloo avec «I’ve Been Possessed» - Got that voodoo lovin’/ Got me cryin’ out for more - Le guitariste derrière Stokes s’appelle Peter Maunu. Stokes nous ressert son vieux «Big City Blues» en B et fait une belle cover d’«Endless Sleep», le vieux classique de Jody Reynolds. Stokes adore les climats lourds à la Screamin’ Jay, le voodoo de Mac et le Fire of Love de Jody. Hommage à Bolan avec «Chrome Rock» - Everybody’s doing the chrome rock baby - C’est excellent et Stokes refait son Screamin’ Jay avec «Air Conditioned Nightmare». Pur boogaloo - Death walked in the room/ And he wanted to dance with me.

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             Right To Fly et LSD sont le même album. Stokes y duette avec Timothy Leary, le pape de l’underground halluciné. C’est encore un very big album. Stokes l’attaque avec «No Regrets», un fantastique balladif d’élan suprême. Le coup de génie de l’album s’appelle «Drive-By Love», amené à l’urgence du heavy riffing. C’est même assez défenestrateur. Stokes aime bien le cocotage qui scie les tibias. Bienvenue dans les soubassements du heavy Stokes, drive it in/ drive it out, il sort ses meilleurs accents stoogiens et ça part en vrille de fuck out. Son «Seeing-Eye Man» est noyé de son, et du meilleur. Leary prend le premier couplet et cite Kerouac. Stokes hurle derrière. On patauge dans le wild genius. Stokes hurle tout ce qu’il peut, I’m the one that can ! «Slice It Dice It» se passe au ballon et Stokes renoue avec le génie sonique dans «Ripped Van Winkle», le gras double des guitares renvoie aux Stooges - There’s a killer loose outside my door - Pendant les ponts, Stokes rôde dans l’ombre, comme Iggy. Il harangue au heavy so I’m sittin’ here. Il ne vise qu’une chose avec «Rock’n’Roll Hollywood» : la pubescence de l’incendie - Old Happy doin’ the best he can/ He did two tours in Vietnam - Et on rebascule dans la génie Stokish avec une hallucinante drug-song, «100 Naked Kangaroos In Blue Canoes».

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    Stokes, c’est exactement la même chose que Third World War : une bombe à retardement. Il va chercher des noises au boogie avec son copain Timothy, un Timothy qui affirme qu’il a vu 100 naked kangaroos in blue canoes, too happy can’t sing these blues/ Much too happy can’t sing this blues. Encore du très écrit avec «Morality’s Ugly Head», le copain Timothy vient faire le refrain, il est marrant. Stokes arrache, mais Timothy chante à la diction du LSD. Quel album ! Ce démon de Stokes tape encore dans le rock tonite avec «Fugu Fish» et dans le rap avec «Psychorelic Rap». Il y fait du rap de blanc, il a des munitions et il bourre sa dinde de sitar. Il attaque «Global Village» à la Lou Reed. Ce mec a tous les pouvoirs. Il fait son grand méchant Lou au ditch the switch. Et tu as en prime le solo de rêve, c’est invraisemblable de rock quality, ces mecs sur-jouent jusqu’à la folie. S’il en est un sur cette terre qui sait enfoncer un clou, c’est bien Stokes.

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             Dans Ugly Things, Gray Newell nous rappelle qu’au moment de sa rencontre avec Stokes, Leary est dévoré par un cancer. L’album paraîtra quelques mois après sa mort. Newell ne s’arrête pas en si bon chemin : il évoque les super-fans de Stokes qui sont à l’époque Jello Biafra et Jeff Clayton d’Antiseen. Atteint par le virus Stokes, Clayton monte un Stokes tribute-band, Conquerer Worm. Bilan : deux albums. Un split avec Cocknoose et Ride On.

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             Le split date de 1993. On a un grand portrait de Stokes sur la pochette : barbe, lunettes noires et chapeau noir. Jeff Clayton s’arrache bien la glotte sur «Should Have Married Peggy Sue». Ils brûlent encore de fièvre sur «Ride On Angel», mais c’est avec «Good Times They Come» qu’ils montent en température et provoquent un gigantesque incendie. Ah quel hommage ! De l’autre côté, Cooknose fait du punk-rock solide et bien soutenu. Pas d’hommage à Stokes mais une reprise de G.G. Allin, «Dog Shit». Ils vont vite en besogne.

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             Ride On est plus sérieux. Quand tu ouvres la boiboîte, tu tombes sur la photo des trois Conquerers. Jeff Clayton ressemble à Dickie Peterson, le bassman Phil Irwin à un Hell’s Angel et Mike Schuppe à Mike Schuppe. C’est Clayton qui chante et ça démarre en trombe avec «Ride On Angel». Dans le petit texte d’accompagnement, Phil Irwin s’adresse à Stokes pour lui dire qu’ils n’ont pas réussi à le joindre pour l’informer de ce tribute. Ils ont pourtant contacté tout le monde : Cub Koda, Kim Fowley, Jello Biafra, Billy Miller, mais personne ne savait où se planquait Stokes. Avec le guttural de Clayton, les cuts de Stokes prennent une autre allure. Il chante «Hot Summet Night» à l’arrache maximale et Mike Schuppe ramène dans le son un solo liquide à la Blue Cheer. Ils sont merveilleux sur «Captain Howdy», Clayton éclate de rire, ah ah ah, et «Good Times They Come/Waltz For Jaded Lovers» titube au coin du bois. Ils savent rallumer le brasier de Stokes, pas de problème, ils déroulent même un sacré développement et ça devient du pur génie interprétatif, tout est dans les climats et les solos, alors chapeau bas ! Encore un bel hommage à Stokes avec «Voodoo Woman», ils en respectent merveilleusement l’esprit. Leur version d’«I Should Have Married Peggy Sue» est assez demented are go, et avec «Mama Tried», ils font du Motörhead, du fast punk de Worm. Avant d’aller coucher au panier, ils terminent avec un «Southern Girls» plein d’allant et de son, gras et heavy as hell. On ne saurait imaginer meilleur tribute à Simon Stokes. 

             Autre info de poids : Newell nous révèle que Stokes et Sky Saxon sont entrés ensemble en studio. Visiblement, les enregistrements moisissent dans un placard depuis que Sky a cassé sa pipe en bois en 2009. Il faudra sans doute poireauter un moment avant de voir l’album sortir.

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             Wayne Kramer joue sur quelques cuts d’Honky, paru en 2002, notamment sur «Jungle Music» - Oh oh let’s go to the Congo - Kramer joue dans la profondeur du mythe et Stokes chante à l’exaction définitive. Joli départ avec «Amazons & Coyotes», monté sur un heavy bassmatic. Stokes tombe sur son cut comme un gros vampire. Puissant et invulnérable. Encore du pur proto-punk et Kramer joue le lead. On retrouve Texas Terri et Lisa Kekaula dans les backings de «Laughter In The Sky». C’est incroyable que Stokes ait de si bons amis. Il passe à la country avec «Pissin’ In The Wind» et bien sûr Texas Terri chante faux. C’est même une insulte aux lois de l’harmonie. Stokes ressort son vieux «Ride On Angel» et tape dans le heavy slowah avec «Sleeping With The Enemy». Lisa Kekaula y fait des étincelles.

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             Stokes s’est écrit le mot Head sur le front pour la pochette de Head. Il attaque l’album avec le morceau titre, au fast barrelhouse cajun. Stokes pique des crises, il chante à la colérique et retombe dans le heavy trash de boogaloo avec «No One’s Goin’ Nowhere». Le cut s’enfonce dans le marécage, alors Stokes rampe. Il allume chaque cut avec son dirty raunch. Il rend hommage à Woody Guthrie avec une cover d’«Hard Travellin’». Il chante ça d’une voix de mineur silicosé. Ce mec est incapable de se calmer. Hello my name is Bob ! Il lance «Bob» à l’avanie, Bi-O-Bi, il tape cette fois dans le dada d’instro outrancier, Hellooooo ! Stokes demande : «Have you seen Bob ?» et les chœurs font «Bob !». Stokes revient à ses chères swamp vibrations avec «Long Black Veil». Un mec joue de l’accordéon dans le fond du studio, puis Stokes gratte son «Junior» à coups d’acou. Il est aussi âprement bon que Johnny Dowd. On retrouve la même profondeur de champ chez ces deux outsiders. Stokes gratte son «Apocalypse Girl» au wondering, il développe une sorte d’atroce démesure, il gratte dans l’underworld, dans un climat extrêmement tendu. Magnifique artiste, il éclate de round & round & round dans «Spin Your Wheels», puis il te souhaite le bonsoir avec «Goodnight Motherfuckers» et l’album s’achève sur un «Live Head», une belle flambée de Stokes qui file droit sous les étoiles en carton d’une cabane moisie du swamp. Sploush sploush.  

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             En 2012 est paru l’album de Simon Stokes & the Heathen Angels. Boom dès «Hey You», stomp d’hey you in the face. Absolute stormer ! Et surprise, il tape son vieux «Miniskirt Blues» repris par les Cramps, puis par El Cramped. Il en fait une version musclée, avec le gaga, le mojo et le riff de basse. Il fait pas mal de country avec le fiddle de barrelhouse («Infected») et du dark boogaloo avec «Down For Death». Il frise parfois le Tom Waits («Stranger Than Fiction»). Son wild country blues sonne parfois comme celui des Faces («The Boa Constrictor Ate My Wife Last Night») et «Hanging Out With Cretins» sonne comme un heavy balladif de raw Stokes option. Il sait aussi chanter le heavy blues à pleine gueule, comme le montre le «Moth And The Flame» des Seeds. Il peut égaler les géant du heavy oh so heavy. Mais son cœur penche pour la Nouvelle Orleans, comme le montre le heavy groove Bartholomien de «One Night Of Sin». Stokes sait aussi réchauffer une soupe, «Honky» tombe à pic pour nous le rappeler - Ready up man ! - Il chante sur des charbons ardents - You’re honky - et les chœurs font honk ! honk ! Stokes dévore le stax de rebop, il le bouffe à l’interne, you’re honky ! Honk ! Honk ! C’est la fête au village !

    Signé : Cazengler, Simmonde tout court

    Simon Stokes & The Nighthawks. MGM Records 1970

    Simon Stokes & The Black Whip Thrill Band. Spindizzy Records 1973

    Simon Stokes. The Buzzard Of Love. United Artists Records 1977

    Simon Stokes. Right To Fly. Psychedelic Records  1996

    Simon Stokes. Honky. Upper Cut Records 2002

    Simon Stokes. LSD. Leary Stokes Duets 2005

    Simon Stokes. Head. Simon Stokes 2008

    Simon Stokes & The Heathen Angels. Simon Stokes 2012

    Conquerer Worm/Cocknoose. Tear It Up Records 1993

    Conquerer Worm. Ride-On. Baloney Shrapnel 1996

    Gray Newell : Ride on ! The long strange trip of Simon Stokes. Ugly Things #46 - Winter 2017

     

     

    ROCKABILLY GENERATION NEWS N° 26

    JUILLET – AOÛT – SEPTEMBRE ( 2023 )

     

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    Le mois de Juin n’est pas terminé que déjà le numéro d’été de Rockabilly Generation News squatte la boîte aux lettres. Nous n’appellerons pas à l’application de la nouvelle loi anti-squatteurs qui vient d’être votée. Cette revue est toujours bien reçue par chez nous.

             Surtout qu’elle débute par huit pages de Greg et Sandy Cattez sur Johnny Cash, essayez par vous-même de résumer la vie de Cash en si peu de folios, surtout que les photographies occupent les 50 %, il et elle s’en tirent de main de maître ( et de maîtresse ). Je ne ferai pas à nos lecteurs l’affront de leur rappeler la bio de Cash, pour une fois je m’attarderai sur les photographies. Y a un truc hormis ses enregistrements qui m’a toujours fasciné chez Cash, ce sont ses yeux. Ce sont toujours les mêmes, amusez-vous à parcourir l’éventail des clichés, du tout jeune gamin au vieux Cash que vous  présente RGN, un étrange regard, même lorsqu’il est dans une attitude la plus sympathique et qu’il sourit gentiment Johnny Cash vous a un air inquiétant, celui d’un serial killer qui ne voit le monde qu’au travers de son obsession criminelle. C’est peut-être celle-ci qu’il a transcendée dans l’interprétation de ses morceaux, et sa voix de croque-mort qui lit une dernière prière au bord de votre tombe. Je comprends que June Carter n’ait pas pu résister.

             Un autre pionnier en fin de magazine. Encore vivant, tout près de ses quatre-vingt piges, pas un français, un voisin du pays de Verhaeren, relisez sa trilogie noire c’est encore plus fort et plus fou que Jim Morrison, bref un Belge. Cet été encore, chez un broc, non je ne vous donnerai pas l’adresse, écumant le rayon rock ‘n’roll français je suis resté abasourdi du nombre pharamineux de ses Volumes 1,2, 3… il me semble avoir tenu en main, le 24, consacrés aux classiques du rock… l’a fait beaucoup pour la propagation du rock en notre pays, l’a joué au Golf Drouot, accompagné Vince Taylor et Gene Vincent, Burt nous raconte sa vie, l’a commencé par la lettre A comme accordéon, puis G comme guitare, S comme Saxophone, l’est devenu entre autre musiciens de studio, a été truandé par son impresario ( je vous laisse découvrir son nom ) l’a remonté la pente, continue encore…

             Encore un pionnier présenté par Julien Bollinger, pas n’importe lequel, le représentant par excellence du country blues, à la base de tout, un précurseur né en 1893, mort à 36 ans comme Gene Vincent. Blind Lemon Jefferson reste pour les rockers le créateur de Matchbox Blues

             Place aux jeunes ! Sergio Kazh réussit un véritable toure de force en présentant, le 2023 Wild Weekender ( 2 ) qui s’est déroulé en Hollande, Wild  n’est pas un adjectif, mais le nom du label américain spécialisé dans le rockabilly sauvage. Sergio nous présente, textes et photos, les prestations scéniques des vingt groupes qui participent à ces deux longues nuitées rock’n’roll. Vingt groupes et pas une seconde de lassitude, ceux que l’on connaît et ceux dont on ignore l’existence, à chaque fois il nous donne l’envie d’écouter et d’approfondir.

    Suit un long article de Sergio Kazh sur l’étoile montante du rockabilly Dylan Kirk et ses deux groupes les Killers et les Starlights. Si Killers évoque pour vous un certain Jerry Lee Lewis, vous avez raison, très tôt Dylan est devenu un fan de rock’n’roll, s’est mis à la guitare mais une fois qu’il a entendu Crazy Arms par Jerry Lou l’est devenu fou, l’est devenu feu de cet instrument diabolique. Les Starlights composés de Bryan, Danny et Nico ouvrent le festival Rock ‘n’Roll in Pleugeuneuc avec Dylan Kirk et son piano maléfique, une seule répétition, ils font un tabac… Une légende en train de s’écrire… Un mec bien, sur la couve il fume un Coronado !

    Encore un festival, Blue Jean Bop Party à la Chapelle Serval où l’on retrouve deux groupes phares du french rockabilly : The King Baker’s Combo et Jim & The Beans, High Stepers, Johnny Bach And The Moonshine Boozers (Angleterre) et au final Dylan Kirk With The Starligths.

    Au cas où vous auriez deux trois millions de dollars en trop sur votre compte bancaire aux Iles Caïmans, et que vous aimiez Jerry Lee Lewis (ce dont nous ne doutons pas), rejoignez l’Association The Lewis Ranch, la demeure du Killer pour le préserver en le transformant en attraction touristique digne de qu’est devenu le Graceland d’Elvis Presley.

    Encore un numéro gagnant !

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly  Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois),  6 Euros + 4,00 de frais de port soit 10 E pour 1 numéro.  Abonnement 4 numéros : 40 Euros (Port Compris), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( cochez : Envoyer de l'argent à des proches ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de tous les magazines... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents !  

     

    *

    Si vous voulez me rendre heureux prononcez des mots qui me font rêver, par exemple au hasard Grèce ou Rock’n’roll. Ou du même acabit. Or mes yeux ne viennent-ils pas d’apercevoir deux groupes de mots appartenant au même champ sémantique réunis sur une pochette de disque, jugez-en par vous-mêmes, Order Of The Black Jacket et Hellenic Black Metal. Tout de suite je chronique !

    ORDER OF THE BLACK JACKET

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    Ordre de la veste noire, presque aussi beau que l’Ordre de la Toison d’Or, tout de suite l’on pense à Charles le Téméraire retrouvé mort après la bataille de Nancy le visage mangé par les loups…  Un destin très howlin’ wolf !

    Konstantinos Dedes : musique, lyrics, vocal / Lambis : guitare, production / Lerotheos Tampakos: drums, percussion / Panais Moustakas: basse.

    ICONOCLASM

     ( CD / Hellenic Black Metal / Bandcamp 2019 )

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    Très belle couve qui peut faire peur. La querelle des icones qui court du huitième au neuvième siècle durant l’Empire Byzantin risque de ne pas passionner les rockers.

    Historiquement il s’agit d’une querelle religieuse et politique qui consistait à bannir (interdire, détruire, abattre, brûler) les représentations imagées dans les églises et les chapelles de l’empire. Les raisons en sont multiples : n’était-ce pas une survivance larvée du paganisme dont les temples étaient ornés de statues et de fresques, vénérer une image ne serait-il pas un signe d’idolâtrie, n’est-ce pas une prétention démoniaque de vouloir représenter la nature de Dieu et des Saints par essence supérieure à notre simple humanité… C’était aussi un moyen pour les empereurs de détourner l’inquiétude et la colère du peuple apeuré du grignotage incessant des terres de l’empire par les conquêtes Arabes… Passionnant certes, avec davantage de corrélation avec notre époque qu’il n’y paraît.

    L’image est d’une violence inouïe, ce personnage auréolé, Empereur Saint, imaginons Dieu lui-même, voire l’Antechrist, qui tient dans sa main gauche un sabre crénelé et présente de sa dextre un livre dont les illustrations ont été effacées vous glace le sang… Toutefois l’icône est terriblement ambigüe, comment peut-on représenter par une image une figuration de l’’iconoclasme inspirée soi-disant par la vraie foi orthodoxale en pleine action alors que l’on dénonce le pouvoir malfaisant de toute représentation ayant trait au divin ? Quel nœud de contradictions ! L’Art se doit d’être plurivoque.

    Rockers dont les murs de vos chambres sont ornés de moult posters de vos idoles, ne craignez rien, cet album n’exige pas de vous que vous les déchiriez, il faut l’interpréter métaphoriquement, il s’agit pour Order of The Black Jacket, d’insuffler en votre esprit l’idée qu’il faut se battre contre toute ordonnance sociétale coercitive.

    L’artwok est de Gina Libe, voir son Instagram et son site au nom de Gina Liberiou. Peu d’œuvres exposées mais de styles très différents. Du dessin animalier à des effulgences abstraites, l’on aimerait en voir davantage, ce qui est sûr c’est que cette pochette est remarquable.

    Black Jacket Order :  l’on pourrait accroire à un hymne dévolu à un gang de bikers, peut-être serait-il plus facile de rester dans cette illusion, disons que c’est un Born to be wild, solitaire et intérieur, run, run, run, morrisonien,  le rocher catapulté suit sa trajectoire, violent et toutefois mélodique, avec des ruptures sonores presque beatlesiennes, malgré un rythme soutenu qui ne faiblit pas. Outtamanhead : batterie fragmenteuse, il s’agit de découper le puzzle des apparences, voix incisive et moqueuse, de désagréger à grands coups, de déchirer en confetti, jusqu’à ce que le voile de la réalité se dévoile et laisse surgir la noirceur universelle, se rendre compte que les morts sont les cariatides qui portent et soutiennent le monde sur leurs têtes. My way : toujours le même ramdam mélodique, avec cet hearbeat en sourdine percussif qui bientôt se déploie en un superbe volume guitarique, ces hauts et ces bas d’intensités sonores, une espèce de blues en le sens que dans le blues c’est le vocal qui mène l’attelage, les mêmes couplets interchangeables, c’est la violence phonique qui pulse le tout, se termine en une espèce de scalp sioux festif   qui se jette dans un delta acoustique mélodique. La mort n’est-elle pas un long fleuve tranquille. Rage to awake : rien de plus vivant et de plus tapageur qu’un mort, ne sommes pas nous tous morts à plusieurs reprises, guitares chamboule-tout, vocal de forcené qui soulève la terre des écorces mortes et des écailles anciennes dont il lui faut émerger pour renaître à sa vie, pour se mesurer une fois de plus à son destin, un trépan de guitare qui défore l’existence et rejette le cône excrémentiel de ses rêves dépassés. La vie est toujours devant. Il est nécessaire de savoir ouvrir les yeux.

    Du son et du sens. L’on a envie de dire : peu de moyens phoniques mais judicieusement et fougueusement utilisés. Un EP qui remue. Comme les vers dans le corps des morts.

    SPIRIT ROCK

     ( CD / Hellenic Black Metal / Bandcamp Janvier 2023 )

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    La couve interroge quand on la compare à la précédente. A l’oriflamme orangée succède une pochette grisâtre. Une silhouette stylisée de femme sans visage, est-ce pour cela que sur scène l’un des membres du groupe porte un masque blanc ? Reproduction d’une statue qui répond au nom de Morana de l’artiste serbe Jovan Petronijevic aussi Rod. Morana est la déesse slave de la mort. Petronijevic s’est beaucoup intéressé aux mythologies serbes. Je n’ai pas été capable de trouver sur le net des œuvres représentatives de cette partie de sa démarche. Ce qui m’a été accessible relève d’un travail lyrico-conceptuel qui ne m’agrée point mais de qualité. Je pense que le choix du public doit préférer cet aspect descriptif du chaos de notre modernité.

    Revenons à Morana puisqu’en fin de compte l’on revient toujours à la mort. Etrange, c’est-là qu’il convient de noter la continuité qui relie les deux pochettes, au premier abord, les seins et le ventre spiralés de Morana m’ont fait penser à la perpétuité de la vie engendrée au cours des générations par le corps des femmes, je ne savais pas alors ce que représentait Morana, l’ayant découvert j’en ai conclu que ces trois spirales étaient le symbole de l’infinitude de la mort, je me suis alors souvenu que le logo que Gina Liberiou a mis en tête de son Instagram et de son FB était… une spirale ! Quelle synchronicité ! Créativité de l’Art, créativité de la Femme et créativité de la Mort = même combat. Pour la Vie ou pour la Mort ?

    Affirmer que Spirit Rock est le nouvel opus d’ Qrder The Black Jacket ne me semble guère judicieux. De toute évidence c’est la suite du précédent. Pas le tome II d’un roman, même pas le deuxième chapitre d’un livre. Imaginez plutôt que vous avez arrêté la lecture d’un récit à la fin du deuxième paragraphe de la page quarante-quatre car interrompu par la visite impromptue d’un voisin, celui-ci parti vous reprenez la lecture au début du troisième paragraphe de la page quarante-quatre. Suite immédiate donc.

    Attention c’est un groupe grec. Ce n’est pas une indication géographique. Prenons un Grec au hasard, le fils de Laerte, Ulysse, il a beaucoup voyagé aux quatre coins de la Méditerranée, inutile de chercher un atlas, il est aussi descendu aux Enfers. C’est pour cela qu’à la fin de l’Odyssée Homère ne nous raconte pas sa mort. Ce serait redondant, une répétition oiseuse. La mort obsède les grecs, Dionysos et Perséphone sont des divinités fondatrices de la pensée grecque, relisez Virgile et Rilke pour vous en persuader. C’est dans ce sillon funéraire ( fun, fun, fun, sourions avec les Beach Boys ) que s’inscrit Order Of The Back Jacket.

    Digging deeper ( For Grace ) : sur You Tube la vidéo est agrémentée de l’effigie d’une mystérieuse jeune fille, morceau hommagial à une jeune morte. Une ballade enlevée qui met en valeur la voix de Constantinos, les instruments rassemblés comme un bouquet de fleurs mortuaires. Le texte est à creuser. Où sont les amants sur cette terre, une dessous et l’autre dessus, à moins que ce ne soit le contraire, ou peut-être tous les deux réunis dans la même tombe, à moins que tout ne se passe dans la tête de l’un ou de l’autre, ou dans les deux. Qui était mort à la fin du disque précédent. Est-ce vraiment si important. Un mort n’est-il pas toujours vivant tant que l’on pense à lui, à moins que ce soit nous qui sommes en vie tant qu’un mort pense encore à nous. Ce morceau est splendide. Blackgaze : regard noir sur le riff de de Sunshine of your love, c’est ce qui s’appelle avoir de de l’humour noir, basse et guitare s’en donnent à cœur-joie.  Nos amants continuent leur colloque sentimental. Ils se disputent aussi, celui ou celle qui est partie n’a-t-il pas n’a-t-elle pas trahi l’autre, à moins que ce ne soit quelque chose de plus charnel, car les vivants et les morts ne se désirent-ils et ne déchirent-ils pas autant que les vivants et les vivants et que les morts avec les morts. La réponse est aussi évidente que les questions. Wind : si le titre des Cream explose par un grand chambardement  c’est le vent qui souffle de toutes ses forces qui fait office du creamique  éclatement riffique terminal, autant en emporte le vent, et il souffle très fort dans ce troisième morceau, tout ne finira-t-il pas un jour, n’y aura-t-il pas un jour où les morts et les vivants ne seront plus différenciés, où tout sera égalisé, où rien n’aura plus d’importance, d’ailleurs où est la nuit et où est la lumière, la guitare claironne un nihilisme joyeux et la batterie accélère la ronde comme si elle voulait savoir la fin de l’histoire avant tous les autres. Skyblood : la ronde infernale continue, elle aimerait rompre le cercle répétitif, elle cherche à s’élever, lorsqu’il ne reste plus rien, reste encore le rien de la douleur qui retombe en pluie de sang mental sur celui qui devient le centre égotiste de l’univers, que tout le monde se réveille pour accéder à ce baptême sanglant, il est un point de l’univers où le haut et le bas s’égalisent où le rien devient tout. Danse endiablée. Même folie et raison ne sont qu’une seule et même chose. Never over : c’est un peu comme si depuis quatre titres c’était toujours le même morceau qu’ils rejoueraient, la différence ne résidant que dans les paroles, ici sans équivoque, ce ne sera jamais terminé, les contraires ne s’attirent que pour mieux se refouler, la basse vous trace de ces points de suspension qui en disent long sur ce never ending tour de danse macabre infinie. Au plus proche l’on est aussi au plus loin. Le savoir est le seul soulagement possible. Alone : une solution pour rompre le sortilège, couper la poire en deux et n’en garder qu’un, choisir la solitude du solipsisme, la voix se mélodramatise et l’instrumentation atteint une vitesse prodigieuse, la solitude de l’Unique métamorphose l’univers élémental l’eau devient pierre, étrange alchimie en quelque sorte négative, puisque l’un changeant de nature devient l’autre. Faithseeker : une voix forte mais mourante pour nous annoncer qu’il a perdu la foi, la musique s’épaissit, Constantinos crache les mots un par un comme l’on jette des fléchettes dans les yeux de ses proches, rupture, bourdonnements aumniques, déploiement musical étincelant, une montée certaine vers une fin grandiose, le guerrier est au faite de da décision. Tombé ou tombeau de rideau. Le chant tire la langue. Il a perdu la foi, d’accord, mais en quoi, en la mort ou en la vie, et que recherche-t-il la vie ou la mort. Ce dernier morceau d’une amplitude beaucoup plus orchestrale.

    Il s’agit d’une œuvre longuement méditée. Une espèce d’oratorio total en le sens wagnérien, la preuve nous en est apportée par une vidéo vieille de huit années intitulée Act qui regroupe trois morceaux : Rage to awake : Act I : Yamashiro ( sabre ) / Act II : Kisuke (personnage du manga bleach = eau de javel, allusion aux cheveux blonds du héros ?  / Faithseeker :  Act III : The burden = le fardeau. La musique est agrémentée de peintures et de dessins dus à Antonis Siganakis (voir son Instagram Antony Siganakis, style manga et portraits de filles). A découvrir. L’artwork effectué pour ces trois actes est remarquable. 

    De même nous invitons à regarder la mimic vidéo Never ever. Un personnage masqué, visage impossible, qui s’exprime par des gestes qu’il ne joint pas aux paroles qu’il ne prononce pas, la piste du morceau le fait pour lui. Surprenant mais pas convaincant. L’on se souvient que David Bowie a débuté par le mime.

    Cet essai nous conforte dans nos conclusions, idéologiquement parlant Order Of The Black Jacket n’a rien à voir avec un groupe comme Black Rebel Motorcycle Club, The Black Jacket s’inscrit dans une démarche diantrement plus artistique et métaphysique. Un projet longuement réfléchi et mûri. Le détour s’impose.

    Vous reste à méditer sur le titre de l’album : Esprit Rock !

    Damie Chad.

     

    *

    Beaucoup de groupes européens à balles doom-doom tirés au fond des déserts stonériens ces derniers temps sur le blogue, en voici un des USA, de la côte-est, plus exactement de Philadelphie, étymologiquement la cité fraternelle, bien que leur vue du monde contemporain semble s’écarter de l’idéal des fondateurs de cette vieille cité.

    OTHER PEOPLE

    HEX ENGINE

    Bob Malosky : drums / Drew Campbell : guitar, backing vocal / Christian johnson : bass / Ron Aton : lyrics, vocals.

    La couverture est explicite, des gens séparés les uns des autres par leur propre solitude, enfermés dans un désert de glace paranoïaque, ne cherchez pas les autres gens, vous les reconnaîtrez trop vite, ils vous ressemblent comme des gouttes gelées sur une vitre translucide, ce n’est pas qu’ils sont comme vous, c’est que vous êtes comme eux.

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    Monster : notes bousculées pressées les unes contre les autres, depuis Steppenwolf le monstre a changé de nature, ce n’est plus un système coercitif qui vous dépasse,  auquel vous participez à votre corps défendant, Aton hurle personne n’oserait l’accuser d’être atonique, vous crache les mots au visage pour être sûr que vous les entendez, un long pont de guitares glissantes et heavy, comme celui d’Avignon qui a précipité les beaux messieurs les belles dames interchangeables que nous étions dans les eaux glacées de l’individualisme atonal, vous êtes devenus des clones d’humanoïdes, des semblants d’humanité qui ne tiennent debout que par le miracle hypnotique d’un mensonge idéologique partagé. HEAVY les guitares, à croire qu’elles veulent acquérir la force persuasive du vieux cryptogramme du Dieu vengeur. Ce n’est plus une critique mais une malédiction sonore jetée à la face de la modernité. Mines de rien (mais à retardement direct) car les mots attendus ne sont pas employés et cet aspect de la problématique n’est jamais abordé, le propos est essentiellement politique. Parasites : Et religieux. Un petit côté antipathy for les

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    représentants sociétaux de Dieu sur cette terre, les guitares grondent, le drummin’ tabasse et Aton perche sa voix au-dessus de tous les clochers ecclésiaux. Message compris, on se concentre sur la musique, des guitares concassent cette manière très persuasive d’empiler des notes sur des notes comme des jeux de cubes, et arrive l’instant où la pile vacille, et le tout s’écroule en un grand bruit de haine assouvie, comme ils ne souviennent pas que Dieu est mort ils veulent l’ensevelir sous la tour de Babel de toutes ses hypocrisies, éboulements hendrixiens. Rat fink : ondées de basse menaçantes, un drummin éclatant et méthodique n’est pas là pour vous dire que tout va bien se passer, l’Aton passe à l’atomique, ne vous l’envoie pas dire, dit les choses comme il le pense, détache les syllabes pour vous décapsuler les tympans, les guitares balancent des ondées rythmiques, ah ! ces passages musicaux où le son prend le commandement, Aton reprend la parole comme l’on tire la nappe du banquet pour gâcher le repas des convives gorgés de l’hypocras des hypocrites. Arrêt brutal, heureusement qu’ils n’ont pas continué car on se demande ce qui aurait pu arriver. Excuses, excuses : générique de film de catastrophe, des pas de géants se rapprochent, attention le morceau dure près de dix minutes, l’on devine que la guerre ne fait que commencer, une voix dans le lointain, pour une fois Aton se laisse recouvrir par la marche militaire de l’accompagnement, de temps en temps des éclairs aigus brillent comme des lames de sabres qui dans la mêlée réfléchissent le soleil, pas besoin de hurler, l’emploie l’ironie, cette enclume cisaillante qui vous coupe en deux, c’est maintenant qu’il crie, profère des avertissements sans appel, les guitares en tremblent de peur, il n’y aura pas d’excuse, le châtiment se rapproche, ça cogne dru et ça tape dur, il existe une jouissance de la violence puisque l’on adore, pas de concession, pas de prisonnier, pas de pardon, tout doit disparaître même les rayons, la fin fabuleuse, l’impression d’une chose innommable qui rampe à terre, monte à hauteur de vos genoux et vous emporte dans un monde merveilleux. Meet your maker : vous croyiez qu’après la mort même les méchants iraient au paradis, c’était une blague, un faux et fol espoir, cette fois-ci c’est Dieu en personne qui se déplace, non il ne tonne ni ne crache, pas furieux pour un euro, l’avance doucement, un rythme appuyé et lent, une formule apaisante pour un batteur, attention ça se précise, un solo de six cordes grince un peu trop pour être honnête, vous Le pensiez juste, lamentable erreur, c’est un sadique, vient pour vous poignarder et enfiler le couteau avec lenteur pour que vous sentiez votre douleur, Aton vous imite à la perfection les cris de Dieu qui prend un plaisir à vous saigner comme un porc. Une véritable boucherie, les cymbales tintent comme l’heure du crime, ça se termine en apothéose, une catharsis dirait Aristote, l’orgasme du serial killer qui s’écoule en un flot de sperme tempétueux préciserait Damie Chad. Omens : reprenons nos esprits, est-ce Dieu qui parle ou un gars comme vous et moi dont les rêves ont pété plus haut que leur cul, à moins que ce ne soit la victime ou le couteau, un joyeux baltringue dans la tête du zigue, les instrus se bousculent au portillon, Aton leur monte dessus et sur cet escabeau volcanique il vitupère tout fort à ameuter l’univers. L’on ne sait pas s’il répond mais le groupe s’en donne à cœur joie, le sang excite les combattants c’est bien connu, d’ailleurs ce tranchant de guitare qui ressemble à un couperet de guillotine vous file les jetons, et pour terminer en beauté Aton vous crie à bâton rompu que quelque chose de terrible ne va pas tarder à nous tomber sur le coin du museau. Au moins la fin du monde. Something’s burning : je suis désolé mais ce vent mauvais qui souffle, cette guitare qui pue le mélodrame à plein nez, cette espèce de riff qui n’en finit pas, la situation est grave, Aton nous la joue à Ezéchiel, tous les malheurs du monde vont nous tomber dessus, courez, foutez-vous à l’abri, une espèce de rouleau compresseur vous confirme qu’il n’y a pas d’issue possible, quand je pense que certains répondent qu’ils feront crac-crac avec leur petite amie tranquillou chez eux quand l’apocalypse s’approchera, ils ne partagent pas la vision d’Hex Engine, un affolement général, la machine à axe hexagonal est en route et personne ne l’arrêtera, un bordel inimaginable, une folie envahissante, une catastrophe ambulante qui s’installe dans votre deux pièces cuisine et partout ailleurs, dans ce fatras d’immondices phoniques je me hâte de rassurer nos lecteurs, ce morceau est particulièrement beau, agréable et chatoyant pour des oreilles de rockers. Déjà’sku : Aton se tait, deux minutes d’interlude pour que vous puissiez prendre la mesure de ce qui vous attend. Pas la peine de pleurer sur vous-même et de regretter comme semble l’indiquer le début de court morceau car tout de suite ça s’accélère et ça devient ultra-violent, même Aton qui avait promis de se taire ne peut plus se retenir et vous pousse le même hurlement que lorsque l’armoire normande de Tante Noémie vous était tombée sur le pied. Fear the future : grondement lointain qui s’amplifie, ce coup-ci c’est sûr, ils arrivent, quelle cacophonie, qui sont-ils, vous craignez le pire, la musique n’imite-t-elle pas le bruit des anges de la destruction qui descendent sur terre, à moins que ce soit des extraterrestres pas du tout extra, n’oubliez jamais que si le pire est toujours certain, il ne ressemble pas à ce que l’on imaginait, les voici, on s’attendait à tout sauf à eux, Aton ne vous fait pas languir, il vous refile la solution, ces gros méchants qui viennent sont les… riches. L’a un peu pris son temps pour vous le dire, maintenant  vous savez qu’ils vont vous exterminer, qu’il n’ y aura pas de survivants parmi les pauvres et les esprits timorés qui ont toujours écouté et fait sagement tout ce que l’on leur disait, Bob Malowski qui n’a pas fini de vous malaxer depuis le début vous tire dessus à la kalachnikov, Drew Campbell embourbe un solo dantesque dans une échoïfication  démesurée, la basse de Christian Johnson bass-cule dans un trou de fond de fosse funéraire  et c’est parti pour la grande fête finale, l’apothéose de la bêtise et de la cruauté humaine, ça tourne comme le Boléro de Ravel et ça se transforme en locomotive asthmatique, gargouillement terminal. Tout est terminé. Ite.

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             Quel groupe ! Quels musiciens ! Question rock les ricains vous en bouchent toujours un coin.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 30 ( Naïf  ) :

    172

    Carlos s’est arrêté si vite que je n’ai pas eu le temps de visualiser la marque de son nouveau 4/4, l’avait l’air si pressé qu’il n’a même pas pris le temps de nous saluer, l’est resté rivé sur sa conduite comme si nous n’existions pas. Le Chef qui avait pris place à ses côtés en profita pour allumer un Coronado, au bout de quelques instants il entreprit d’engager la conversation :

              _ Seriez-vous fâché contre nous Carlos ?

              _ Non, contre ma nouvelle copine.

              _ Vous n’êtes donc plus avec Alice ?

              _ Terminé, de l’histoire ancienne, les filles c’est comme les cigarettes, ça se fume et ça se jette !

              _ Vous devriez-vous mettre au Coronado, vous connaîtrez l’extase et non les petites saveurs à date de péremption rapide, mais dites-moi, comment se prénomme la nouvelle venue ?

             _ Alice !

    Sur la banquette arrière Molossa et Molossito me regardent d’un air entendu. Je ne dis rien, je ne suis pas loin de penser comme eux, dans cette histoire il est tout de même étrange de voir que toutes les filles s’appellent Alice. J’aimerais bien méditer sur ces étranges coïncidences, l’explosion de la voix vindicative de Carlos ne m’en laisse pas le temps :

              _ Wow, l’est pas content cet abruti !!!

    Entre nous soit dit l’abruti en question n’a pas tout à fait tort, Carlos fonce comme un sauvage, il double une file de voitures stupidement arrêtées à un feu rouge, en roulant à toute blinde sur le trottoir. Le pauvre gars a juste le temps pour ne pas être écrasé de remonter dans sa camionnette stationnée les deux roues dans la rigole, s’il croit s’être tiré d’affaire, il se trompe, coup de frein brutal, le 4/4 recule jusqu’à ce que Carlos soit juste en face de la cabine. Le gars esquisse une bordée d’injures, il n’a pas le temps, une balle de Rafalos lui explose la tête.

              _ Quel crétin, en plus zieutez son panonceau, c’est un fleuriste, je hais les fleuristes !

               _ Cher ami je ne savais pas que la paisible race des fleuristes suscitait tant d’acrimonies de votre part, personnellement il m’est arrivé à plusieurs reprises d’abattre sans sommation quelques individus indésirables qui n’avaient manifestement jamais fumé un Coronado de toute leur vie. Juste pour leur apprendre à vivre dignement !

               _ Voyez-vous Chef, le gars n’y était pour rien, tout cela c’est à cause de ma nouvelle Alice.

    J’essayai de me glisser dans la conversation, les études à la Balzac sur la psychologie contemporaine m’ont toujours passionné :

              _ Votre Alice déteste les fleuristes, après tout il y a tant de gens qui détestent les araignées qu’une fille qui abhorre les fleuristes est sûrement un cas d’espèce intéressant.

              _ Damie tu fais fausse route, je pense qu’Alice tout comme moi n’éprouve aucune antipathie contre les fleuristes. Mais c’est tout de même un peu de leurs fautes.

    Le Chef nous fit signe de nous taire. Il profita du silence de l’habitacle pour procéder à l’allumage, geste d’une haute hiératie, d’un Coronado.

    _ Cher Carlos vous connaissant j’en ai tout de suite conclu que la mise à mort d’un fleuriste d’apparence innocent doit avoir quelque intérêt. Expliquez-vous, prenez votre temps, je vous en prie.

    _ Ben voilà, hier soir j’avais donné rendez-vous à vingt-et-une heures dans un restaurant à ma nouvelle Alice. En chemin, l’envie me vient d’entrer dans le resto avec une immense corbeille de roses que je déposerai sur la table devant elle, les filles aiment ce genre de simagrées, elles s’imaginent que nous sommes leurs chevaliers-servants, j’ai fait au moins dix fleuristes, tous étaient fermés. Bon ce n’était pas grave, les greluches aiment aussi les mauvais garçons, je me suis arrangé pour qu’elle aperçoive la crosse de mon rafalos, bref in the pocket comme disent les anglishes…

    Molossito pousse un ouaf interrogatif. Quelque chose lui échappe. A nous aussi. Mais Carlos a compris que Molossito n’a pas compris.

             _Ecoute-moi bien Molossito, quand on est un homme, c’est pareil pour un chien, il ne faut jamais renoncer à ses idées. Nous nous sommes séparés très tôt ce matin Alice et moi. Quand nous nous sommes quittés l’envie de lui offrir des roses pour l’entrevue de ce soir m’est revenue. Pas de chance, les fleuristes qui étaient fermés à neuf heures du soir, n’étaient pas plus ouverts à six heures du matin.

    Molossito vient de comprendre, il pousse un ouah ! exclamatif, Carlos se tait, il n’a pas besoin de poursuivre. La queue de Molossito frétille d’impatience. Le Chef allume un Coronado :

             _ Continuez Carlos, nous roulons comme des escargots depuis que nous sommes montés dans ce véhicule ! Plein gaz, nous allons arriver en retard.

    173

    Crissements de freins. Evidemment c’est encore trop tôt mais les camionnettes d’entreprise et les fourgons sont légion. Nous rentrons sans que personne ne nous jette un regard.

    _ Suivez-moi !

    Carlos nous guide, il avance à grandes enjambées dès que nous arrivons dans un coin paisible il démarre au sprint. Molossa et Molossito tout guillerets nous accompagnent. Ils se retiennent d’aboyer, ils savent que nous sommes en mission, sur le sentier de la guerre. Carlos lève la main, nous arrêtons et il désigne l’endroit. Le Chef prend la parole :

              _ Rendez-vous sur l’objectif, je le rallierai en venant du Sud, Carlos de l’Est, Agent Chad de l’Ouest, Molossa et Molossito du Nord. A la moindre présence ennemie, les chiens attaquent et nous, nous sortons les Rafalos.

    Nous nous sommes éloignés les uns des autres. Maintenant à chaque pas que nous faisons nous nous rapprochons. Encore une dizaine de mètres et nous parvenons à notre point de chute. Carlos passe le canon de son Rafalos dans sa ceinture :

              _ C’était déjà dans cet état quand je suis venu sur les six heures et demie, les fleuristes étaient fermés, j’ai réalisé que nous avions dormi dans un hôtel tout près du Père Lachaise, je m’étais dit que je trouverais des fleurs dans le cimetière, j’en ai récupéré une bonne brassée, avant de partir l’idée m’est venue de jeter un coup d’œil sur la tombe d’Ecila. En m’approchant j’ai entendu des bruits j’ai couru, je n’ai vu que l’arrière d’un gros fourgon bleu qui s’éloignait vers la sortie, il m’a vite semé, mais je suis prêt à parier que les grilles lui ont été ouvertes en grand car il n’a pas cessé d’accélérer.

    La dalle gisait sur le côté. Pas très loin du cercueil. Je soulevai le couvercle simplement posé par-dessus. Aucun corps n’y reposait. Ecila avait disparu. Il y eut un instant de silence. Le Chef alluma un Coronado

              _ Carlos, je suppose que le bleu du fourgon était un bleu soutenu ?

              _ Oui c’est bien cela, un bleu pas sombre mais voyant, comment dire un bleu, euh…

              _ Cobalt, ne cherchez plus, le bleu de la gendarmerie, la dimension nationale de notre aventure se confirme, nous ne savons pas à quoi notre président s’amuse ces derniers temps mais il fricote de drôles de manigances.

    174

    Molossa posa sa tête sur mon jarret. Je fermai les yeux. Le Chef et Carlos tenaient déjà leur rafalos en main. Des graviers crissaient sur ma gauche. Ils étaient là autour de nous. Nous leur tournions le dos. Le Chef donna des ordres à demi voix :

    • Attention il y aura plusieurs vagues d’assaut, ne pas se déconcentrer, chacun s’occupe de sa direction, moi le Sud, Carlos l’Est, Agent Chad l’Ouest, les moins à craindre seront ceux qui viendront du Nord, ils seront les moins dangereux, personne face à eux, ils ne se doutent pas que les chiens s’occuperont d’eux, à mon commandement, genou à terre feu !

    Pas très futés les malabars, croyaient nous surprendre. Ils furent courageux. Ils s’obstinèrent. Pas moins de quatre vagues d’assaut, au final je dénombrais seize cadavres. Les nordistes avaient rigolé quand ils avaient vu les deux chiens leur mordre les jambes. Une somptueuse rafale du Chef leur coupa définitivement l’envie de rire.

    L’algarade ne dura que quelques secondes. Vite fait, bien fait. Full metal jacket.

    Carlos désigna deux corps tombés sur une tombe :

    • Je les connais, je les ai déjà vu dans la Légion, quand ils ont été libérés ils ont trouvé du boulot dans la Maffia russe.

              _ Enchanté de l’apprendre, dit le Chef, Les pièces éparses du puzzle se mettent doucement en place, les unes à côté des autres.

    Et il alluma un Coronado.

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 605: KR'TNT 605: TONY Mc PHEE / BUFFALO KILLERS / JOHN PEELS / TODD RUNDGREN / DARROW FLETCHER / LUCKY 757 / HIGHSANITY / CAROLE EPINETTE / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 605

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    15 / 06 / 2023

     

    TONY McPHEE / BUFFALO KILLERS

    JOHN PEEL / TODD RUNDGREN

    DARROW FLETCHER / LUCKY 757

     HIGHSANITY / CAROLE EPINETTE  

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 605

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

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     McPhee-ling

     

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             Tous les fans de blues électrique vont devoir sortir leur mouchoir : Tony McPhee vient de casser sa vieille pipe en bois. S’il faut emmener un solo de guitare sur l’île déserte, c’est-à-dire au paradis, ce sera celui que prend McPhee sur «Split #2». Laisse tomber Clapton, c’est McPhee qu’il te faut.

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             Comme bon nombre de ses contemporains, Tony McPhee eut la chance de côtoyer et d’accompagner sur scène l’une de ses idoles, John Lee Hooker. Hooky débarqua seul en Angleterre pour une tournée et il fallut lui trouver un backing-band. Cela se passait en 1964. Don Arden organisait cette tournée. Il demanda  à John Mayall d’accompagner Hooky. Mais ça coinçait au niveau son, car Mayall avait un organiste dans son groupe. Scandalisé, Tony McPhee n’admettait pas qu’on pût transformer l’un des grands puristes du blues en artiste de r’n’b. Par chance, Mayall fit faux bond à Hooky peu avant la fin de la tournée. Don Arden chercha donc un groupe pour le remplacer. Il le voulait bien sûr le moins cher possible. Les Groundhogs firent une offre de service à ras des pâquerettes. Tope-là, mon gars ! Idéal en plus, car le nom du groupe était tiré d’un classique d’Hooky, « Groundhog Blues », qui se trouve sur l’album House Of The Blues. En prime, Tony connaissait des morceaux qu’Hooky avait oubliés, alors ça créait des liens. Et la cerise sur le gâtö, c’est que les Groundhogs connaissaient si bien les morceaux d’Hooky qu’ils étaient capables de le suivre dans toutes ses cassures de rythme. Ils étaient le backing-band idéal pour Hooky qui finit par devenir pote avec eux. Au point de refuser la voiture avec chauffeur que proposait Don Arden. Hooky préférait voyager avec ses potes les petites marmottes, dans leur van pourri.

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             Tony était tellement subjugué par son idole qu’il se mit à jouer comme lui, sans médiator, avec la bandoulière passée sur l’épaule droite. Tournée de rêve, comme on l’imagine. Tony vit qu’Hooky était illettré et très embêté quand on lui demandait de signer un autographe. Alors il lui apprit à signer son nom. Comme ils voyageaient ensemble dans le même van, ils devinrent très proches. Tony et ses amis durent s’habituer à voir Hooky alors âgé de 47 ans cracher partout pour s’éclaircir la voix, draguer toutes les petites poules blanches qui traînaient dans les parages et pisser contre des murs, à l’intérieur comme à l’extérieur.

             Puis on entre dans les années fastes du British Blues. Mayall se pointe chez Tony et lui propose quarante livres par semaine pour remplacer Clapton qui vient de quitter les Bluesbreakers. Tony a du pif, il se méfie de Mayall. Il décline l’offre. Alors Mayall embauche Peter Green qu’il vire aussitôt que Clapton veut réintégrer son poste dans les Bluesbreakers. Tony avait eu raison de se méfier du vieux crabe.

             Avec une série d’albums remarquables, les Groundhogs sont entrés dans la cour des grands du rock anglais. On ne leur trouvait qu’un seul défaut : les noms imprononçables des deux sidemen de Tony : Peter Cruickshank et Ken Pustelnik. Ce n’était pas du tout la même chose que Clapton, un nom dont tout le monde se souvenait, et que tout le monde citait avec un air de connaisseur. Par contre, Cruickshank et Pustelnik, c’était foutu d’avance. Pour simplifier, on se contentait de dire du trucs du genre : « T’as vu les lignes de basse de Pete dans Natchez ? ». Les conversations dans la cour du lycée étaient à 90 % consacrées aux disques de rock et au British Blues. Les 10 % restant devaient concerner les filles.

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             Leur premier album Scratching The Surface sort en 1968, année pré-érotique. L’harmoniciste Steve Rye complète le line-up. Andrew Lauder qui dirige United Artist a une idée géniale pour la pochette : il leur propose de poser dans un étang, histoire d’illustrer le titre de l’album qui parle de surface. Alors d’accord, ils vont à la campagne et le photographe leur trouve un étang avec de l’eau bien froide. Tony, Ken, Pete et leur copain harmo font de gros efforts pour ne pas claquer des dents. Au dos de la pochette, on les voit tous les quatre repartir à pieds avec leur pantalon à la main.

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    On démarre avec « Rocking Chair » qui sonne comme du Cream, ou pire, comme du jump-blues à la Mayall. Aucun intérêt. Ce ne sont pas les petits jump-blues qui font les grandes rivières, n’est-il pas vrai ? Et puis il faut savoir séparer le bon grain de l’ivraie. Par contre, « Early In The Morning » dégouline de bon heavy blues admirablement bien balancé et doté de tous les atours du swing émérite - Go cut go ! Énorme dextérité et son acide bien distinct, on sent venir le grand Tony. Le blues à la Muddy Waters fait son apparition dans « Married Man », solide et affreusement classique, pour ne pas dire conventionnel. Tony joue les efflanqués. On voit nos pauvres marmottes s’enliser dans l’ornière du blues. La production n’arrange rien, puisque le son de basse semble lointain et la batterie sonne comme une casserole. D’ailleurs, tous les batteurs s’ennuient quand ils jouent le blues, sauf John Bonham qui frappe tellement ses peaux qu’il joue sans micros. Tony pourrait casser la baraque, mais il est encore dans sa période inféodée. Les Groundhogs frisent la catastrophe avec deux ou trois cuts. Tony joue avec un style hésitant, Pete est tellement mal à l’aise qu’il joue en retrait, et Ken s’évertue à tenir le beat, mais il est complètement ridicule. Avec « Man Trouble », on a un beau brin de stomp à la Muddy doublé d’harmonica et Tony part en solo carnivore, déchiquetant toutes ses notes avec une violence indescriptible, puis il se replie dans la chaleur de la nuit. Mais l’album laissera un mauvais souvenir aux amateurs.

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             Ils se remonteront le moral avec l’album suivant, Blues Obituary, dans lequel se nichent deux ou trois merveilles. Par exemple, cette reprise de Wolf, « Natchez Burning », qui relate un exploit du Klu Klux Klan venu brûler une église à Natchez, Mississippi, le fief d’Elmo Williams et d’Hezekiah Early. Belle poudrière, classique épouvantable. Tony est dessus, il croise bien ses lignes avec celles de Ken. Ils ont un son bien désossé qui tient admirablement la route. Autre exemple flagrant : « Daze Of The Week », une approche du blues lestée d’un grand sens insulaire, Tony joue les myriades de notes, il se perd dans des dédales, il piaffe dans l’azur des arcanes, il va loin, aussi loin que le portent ses ailes, c’est un expert de l’évasion évanescente, un prêtre du prêche pêchu. Et c’est là qu’on découvre le géant Tony TS McPhee, merveilleux guitariste d’une incroyable modernité. « Times » a une jolie couleur de blues stompé, croisement de beat cherokee et d’anglicisme averti, excellente pièce ingénue d’une fraîcheur convaincante. Tony se montre riche comme Crésus, non pas d’argent, mais de ressources stompiques et de petites giclées bluesy. On reste dans cette veine avec « Mistreated » et là, Tony fait son Hooky. Il va chercher son chant dans la noirceur du blackisme, mais il décolle à sa façon. Le son de sa guitare en impose terriblement. Il monte par paliers et il atteint un niveau mélodique extraordinaire. Il fait ça quasiment seul, il joue au premier plan. C’est exceptionnellement puissant. Il revient coudre la fin de cut avec un solo d’une finesse exquise.

             Avec cet album, Tony et ses amis ont enterré le blues. Ils vont alors passer aux choses sérieuses avec Thank Christ For The Bomb, un album considéré à juste raison comme l’un des grands classiques du rock anglais.

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             Sur cet album se niche l’un des hits du groupe, « Eccentric Man », qui à l’époque nous transforma tous en dévots des Groundhogs. On chantait ça dans la cour du lycée - Call me an eccentric man/ I don’t believe I am - On ne jurait que par Tony le géant, le roi de la pétaudière, l’exploseur en tous genres, le monteur de température, le pourvoyeur de frissons, le manipulateur des tensions, l’artificier hargneux, la sale teigne du rock, l’accrocheur mortifère. Son riff nous prenait la trachée artère en enfilade, on sentait l’eccentric man naviguer dans l’ombilic des limbes, avec sa voix de cochon mouillé - Call me an eccentric man/ I don’t believe I am - et Tony la ramenait, il grattait le sol comme un taureau provoqué, et il chargeait en dégommant tout, c’était un choc abdominal, un véritable passe-droit, planté dans la poitrine du rock comme une flèche apache, et il balançait un solo mortel, aussi mortel qu’un black mamba de Tarentino, violent comme un éclair, Tony titillait ses petites cordes avec ses petits doigts pour aller chercher des petits effets hendrixiens nappés de spasmes, il allumait la chaudière des enfers, il jouait comme un soudard dessoudé à la moustache mouillée, mais quel fretin ! Captain Sensible explique quelque part qu’il ne comprend pas comment Tony s’y prenait pour ne pas casser ses cordes en jouant, tellement il leur tapait dessus. Il est bon de noter aussi que Jimi Hendrix eut sur lui le même genre d’influence qu’Hooky. Comme Hendrix, Tony cherchait un son qui s’enracinait dans le blues, mais qui tendait à la sauvagerie et à la transe shamanique, pour partir dans plusieurs directions à la fois.

             Bien sûr, on trouve d’autres morceaux intéressants sur Thank Christ For The Bomb, comme par exemple « Strange Town », un solide romp bien arqué sur ses rotules. On découvre en Tony un véritable génie vitriolique. Il introduit le morceau titre à la guitare acoustique, puis il éclate d’un grand rire sardonique et tout au long des sept minutes que dure le cut, on va le voir se mettre en transe et tenter de provoquer le chaos. Oh, il va presque y parvenir.

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             Split qui sort un an après est un album encore plus spectaculaire. Toujours enraciné dans le blues, bien sûr, mais bourré de titres fabuleux comme les quatre Split de l’A. Avec « Split Part One », on sent un Tony très inspiré et bien remonté. Que voulez-vous, c’est un battant, un winner du blues au doigt. Il part en vrille et Ken le suit. On se régale de ce son idéal où l’on entend bien distinctement tous les instruments, tout en ayant une très forte impression d’ensemble. Amazing, comme dirait le Prince de Galles. Tony revient au thème de Part One comme un petit chien, au pied de son maître, un bon coup de wha-wha par là-dessus et voilà le travail. « Split Part Two » est un vrai coup de génie. Après une belle entrée en matière, Tony part dans le thème. C’est le hit universel par excellence. Couplet fabuleux - I leap from bed in the middle of night/ Run up the stairs for three or four flights/ Run in a room turn on the light/ The dark is too dark but the light is too bright - Tony se réveille en pleine nuit et descend les marches quatre à quatre, il allume la lumière mais elle est trop vive, alors on attend le second couplet pour savoir ce qui va se passer - Reality is hard to find/ Like finding the moon if I was blind/ It’s there so stark so undefined/ I must get help before I lose my mind - Tony n’accepte pas la réalité, les choses le dépassent et il sent qu’il va devoir trouver de l’aide, sinon il va devenir fou, et là, les amis, il part en solo, il dégringole dans l’enfer de la fournaise, il s’en va au fond du studio et revient faire le con devant. Il redescend dans les tréfonds d’une éblouissante crise de génie guitaristique, il tire, il tire et il tient la note. C’est l’un des moments les plus excitants de l’histoire du rock anglais. Peu de guitaristes ont su atteindre ce niveau suprême de frénésie soloïque.

             Tony monte son « Split Part Four » sur les bases saines du boogie-blues à l’Anglaise. Il s’y connaît mieux que personne, dans ce domaine. Il va chercher des contre-chants mélodiques à la confrontation. Son boogie-blues est toujours passionnant, car derrière, ses amis Ken et Pete swinguent comme des diables de fête foraine. On trouve d’autres puissantes supercheries sur la B, comme ce « Cherry Red » favori des Anglais, un hit frappé sec dès l’intro. Ils ne perdent pas de temps. Ce sont de violents déterministes. On a là une vraie perle de rock cherry red. Tony chante ça d’une voix patraque de chat perché et part en solo comme un prince de la nuit, il va où il veut, il règne sur ce disque comme il règne sur la terre et la mer, il file comme un feu follet impénitent. Il revient à son petit riff et mine de rien, il installe un classique sur son piédestal. Il faut savoir le faire, comme ça, sans fournir le moindre effort. Ça en bouche un coin. On comprend que Captain Sensible se soit prosterné aux pieds de Tony PcPhee. Ils terminent ce disque éprouvant avec le « Groundhog » des origines, une cover si inspirée qu’on en pleurerait, sometimes.

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             Pas mal de bonnes choses sur Who Will Save The World. Avec « Earth Is Not Room Enough », on retrouve les belles compos étranges et graillées à l’arrière du son dont Tony s’est fait une spécialité. Il met toujours sa voix ingrate et bien décidée à l’avant. Comme dans tous les morceaux du groupe, quelque chose de déterminant se déroule. En écoutant Tony McPhee, on sent clairement l’artisan qui fabrique patiemment son univers tout seul, pièce à pièce. Et ça marche. « Wages Of Peace » est la parfaite illustration de cette théorie oiseuse. TS sonne comme le facteur Cheval du rock anglais, comme le Douanier Rousseau du British Blues, il fabrique une à une ses petites chansons incongrues et inclassables. C’est à la fois farfelu, classique, tendre et pointu, et toujours traversé par une espèce de solo admirable. Il ne faut surtout pas perdre ce mec de vue. C’est un aventurier moderne à l’ancienne. Il bricole des chansons dans son coin et fait le bonheur de ses fans depuis quarante ans. Il est à la fois très fort et très faible. « Body In Mind » est une petite compo à rebrousse-poil avec des tendances jazzy. Un solo intriguant entre dans l’espace comme un ludion écervelé qui va se tortiller au mieux, admirable de fantaisie. Tout est artistement élevé et frais chez Tony. Retour au couplet chant à rebrousse-poil avec une souplesse rutilante. Résultat : on se retrouve avec une chanson imbattable, judicieuse et allègre. « Death Of The Sun » est une pièce extrêmement ouvragée et enrichie au clavecin. Il balance aussi une version surprenante d’« Amazing Grace » qu’il traite avec une sorte de rage hendrixienne croisée à la cornemuse expérimentale. Ce mec a du génie car il arrache la barbe de dieu. Et voilà la vrai blues rock méchant des Groundhogs : « The Grey Maze ». Ils entrent sur le sentier de la guerre. C’est digne de « Split ». Véritable exploit de power trio. Et fabuleuse sortie de fin de cut. On retrouve le génie expurgé et démentoïde de Tony McPhee. Il titille son truc et ça part. Ça coule dans tous les coins, il fait gicler ses notes à la folie cavalière. Force est de constater qu’il appartient à la caste des géants du rock anglais. Il ne lâche pas sa carne. Il ré-attaque avec férocité. Un fauve, vous dis-je !

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             Hogwash est un album moins spectaculaire. « I Love Miss Ogyny » s’annonce en prog, mais la formule évolue, comme d’ailleurs toutes les formules. Et les choses prennent une sacrée tournure. Il faut attendre « 3744 James Road » (adresse d’un ami DJ Jon Scott à Memphis) pour renouer avec du beat primaire. La structure simplifiée à l’extrême plaide pour une bénédiction. Alors Tony sort la wah pour vomir son atavisme. Ken et Pete pulsent le thème avec une remarquable indécence. On se régale du bon heavy blues de « Sad Is The Hunter » et d’un joli solo fondu dans la masse. Mais pas la moindre trace de hit à l’horizon. Étonnant cut que ce « S’one Song » monté sur un riff spoutnik. Tony surprend toujours ses admirateurs. Il ne cherche pas le tube, mais plutôt le bon morceau inspiré. On a soudain un pont et un solo s’assoit sur une paire de cisailles, ce qui donne en gros un morceau encastré dans un autre morceau. Mais ce solo est limpide comme de l’eau de roche. Just perfect. Tony reste le guitar hero numéro un d’Angleterre. Élu parmi les élus. Le dernier morceau de cet album contrasté est un hommage superbe à Hooky : « Mr Hooker Sir John », qui sonne comme une raison d’être et c’est réellement terrifiant de véracité rampante.

             Cet album est mitigé, mais partout où il ira, Tony sera bien accueilli.

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             En 1973, il sort un premier album solo, The Two Sides Of. Ça ne lui réussit pas. Le disque est raté. Et dire qu’aujourd’hui des gens se l’arrachent à prix d’or, pour avoir le fameux gatefold poinçonné !

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             Avec Solid, on referme le chapitre de l’âge d’or des Groundhogs. Très bon album. Dès le premier cut, « Light My Light », on retrouve l’ongle du vieil artisan acerbe. C’est un mec qui sait travailler la note de l’accord, il sait aussi usiner le groove à la Hooky. Sa voix rauque ne fait que conforter le fan dans son choix. Tony travaille son blues-rock à l’ancienne, avec des outils qu’il façonne lui-même. Il taille des figures de style incroyables. Quel maître ! Évidemment, on l’attend au virage du solo. Va-t-il le traiter fleuve ? Oui, toujours bien fleuve et même fleuve furibard. Il met un point d’honneur à se distinguer en jouant avec les doigts ses solos dévastateurs. Tony n’utilise pas de médiator. « Free From All Alarm » est une belle pièce de boogie-blues. Il va dessus avec son ardeur habituelle. « Sins Of The Father » est monté sur une bassline voyageuse. Étonnant et terrible. Bourré d’énergie. Ça échappe à toutes les règles. Il finit par nous donner le vertige. Voilà encore un morceau superbe et élancé. Il place un solo infernal dans « Sad Go Round », un solo qui effare, bien marqué, unique. Encore une grosse compo avec « Plea Sing Plea Song ». On sent l’intelligence supérieure du songwriter préoccupé de chansons intéressantes. Il secoue les vagues de sa chanson. Il semble se battre contre les éléments tout en apportant une coloration simpliste, avec des attaques bluesy qui l’honorent. Tony McPhee est tellement frénétique dans son approche des choses qu’il ne suscite que de la passion. Il syncope à sa manière, au rythme du ressac et il continue de claquer des solos de fin admirables. Un bon conseil : écoutez les albums de Tony McPhee. Vous l’entendrez secouer un corbillard (« Snowstorm »), taper sur la tête d’un cut (« Joker’s Grave ») ou allumer une fournaise avec un simple battement d’accords (« Over Blue »).      

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             Tony McPhee s’entoure d’une nouvelle équipe et sort deux albums en 1976. L’époque du trio mythique TS-Ken-Pete est révolue. Black Diamond reste un album correct. On constate dès « Body Talk » qu’il se passe toujours quelque chose chez Tony. Il faut voir avec quelle rage il claque ses accords. Captain Sensible n’en revenait pas de le voir aussi énervé, sur scène. Avec « Country Blues », Tony revient aux sources. Il est dans son élément, avec ce joli boogie blues qu’il chante à la rude. Il se savate au rock. Tony est un dur. Puis il revient au calme pour balancer le solo tellement convoité. B très riche avec tout d’abord « Your Love Keeps me Alive » - I never needed another woman - Solo gratifiant pour l’humanité, il le joue contre toute attente. On a là une authentique merveille évanescente - Suspended in the air - puis il explose la fin de cut avec un solo digne de Poséidon. Il revient à la vieille technique des Groundhogs pour jouer « Friendzy ». C’est extraordinairement vivant, d’une rare diversité musicale. Sacré Tony ! Toujours sur la brèche. La texture du morceau est complexe, mais on garde l’oreille rivée aux enceintes. Le morceau titre de l’album est un solo romp à la TS et il balance un solo de fin de cut prodigieux.

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             Crosscut Saw est encore un très bon album. Il prend le morceau titre au guttural. Nouvelle pièce étrange avec « Promiscuity ». On ne voit pas bien l’intérêt du cut et soudain, il prend un solo d’une rare sauvagerie. Il joue avec une opiniâtreté unique en Angleterre. Il ne lâche pas sa viande. Évidemment, on ne trouvera jamais Tony McPhee dans le classement des 100 meilleurs guitaristes de rock. Il replace un solo infernal dans le cut suivant, « Boogie Withus ». C’est un fabuleux placeur de solos. Il les travaille dans la durée, il en explore les possibilités, il va chercher l’infinitude et le beau, il lie sa sauce au beat et il revient, admirable de présence. Tony McPhee est l’un des grands héros du rock anglais, il faut le dire et le redire. Il vient en droite ligne de John Lee Hooker. Il a su créer son monde. La B est renversante. « Live A Little Lady » est stompé d’intro. Il fait son petit numéro de virtuose lunaire en douceur. On sent la patte du maître. « Three Way Split » est amené comme un heavy romp joliment bâti, bien suivi au chant et doublé d’éclatantes décorations de thèmes aigus. Tout reste solide. Ouverture hendrixienne pour « Eleventh Hour ». Joli clin d’œil à l’ami Jimi qui le fascinait tant. Alors on plonge avec Poséidon dans l’extraordinaire aventure d’un groove hendrixien digne d’Electric Ladyland, avec des vagues très perceptibles et de la belle eau. Il repart en solo dans l’extrême pureté d’une aube perdue au beau milieu de nulle part. Les notes prennent de l’élan et le beat suit infailliblement. Tony McPhee redevient l’espace de quelques minutes le maître des océans et du rock anglais. Il tire son solo loin, si loin qu’on le voit disparaître dans le poudroiement azuréen d’abyssinies abyssales à la Turner, là-bas, par delà l’horizon.  

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             Nouvel album terrible en 1985 avec Razors Edge. TS devient fou sur le morceau titre. Son rock rougit, comme atteint d’apoplexie. L’animal ne respecte rien. Tony, c’est un sale punk. Il cultive la violence du concassage. Il en rajoute autant qu’il peut. Ça déborde. Ses virtuosités se croisent dans un ciel étoilé. Dans « I Confess », on retrouve la puissance rénale du beat. C’est un type très violent. Attention à « Born To Be With You ». Il le fracasse dès le riff d’intro. Quel démon ! Il tape dans tout ce qui bouge. Il joue le boogie du diable. Il explose tout à coups de riffs. Good Lord ! Écoutez Tony McPhee. C’est lui le vrai punk anglais. Puis il pond un solo de rêve. Il part loin, dans une purée de brouillard qu’il transperce et qu’il enflamme. C’est fulminant. Tony a du génie à revendre. Il revient dans le thème au prix de prouesses inadmissibles. Et la curée se poursuit avec « One More Chance » et du riff concassé. Tony dégage tous les obstacles. Son boogie blues explose la gueule des frontières du réel. C’est hargneux, au-delà du descriptible. Il joue le riff dans la graisse du jeu de gratte. Il fait la pluie et le beau temps, il pulvérise la pulvérulence. Et il envoie filer un solo de fou. Il tire ses notes, ah quelle ordure ! Quel killer solo ! Ses notes pleurent des larmes de sang. Il repart pour mieux nous terrasser les oreilles. Ce mec est increvable. Aucun soliste anglais ne peut rivaliser de démesure sublime avec Tony McPhee. Il faut se méfier avec ce genre de mec, car on finit toujours par entendre un solo génial. Toujours l’enfer avec « The Projector ». Il embarque son beat et l’arrose d’arpèges en feu. Il n’est pas avare de figures de proue. Nouveau solo de rêve, killer solo exterminator. Fluide carnassier. Il est effarant de grandeur. Personne ne peut lui arriver à la cheville. Même pas la peine d’essayer. « Superseded » devient rapidement une horreur. Il fait monter sa sauce. Il titille ses notes au petit doigt et son solo entre dans le cut comme un coup d’épée, il plonge son arme avec toute la bienveillance de la chrétienté et explose la panse du rock infidèle. C’est pas fini. Il reste encore deux horreurs sur cet album : « Moving Fast Standing Still » renoue avec le génie de « Split #2 ». Tony ressort ses vieilles ficelles. Il chevauche une walking bass infernale. Tony est le Seigneur des Annales et il lâche le bouillon d’un solo merveilleusement liquide. Il faut laisser jouer Tony McPhee ! C’est une question de survie pour l’intellect de l’Occident. Il finit avec un blues fantastique, « I Want You To Love Me », et il sort de son chapeau le plus gros son de l’histoire du rock anglais. Son solo s’élève comme un modèle définitif. Ses notes coulent comme la lave, du haut des flancs éventrés d’un Krakatoa. Tony ramone sa purée sans qu’on lui ait rien demandé.

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             Back Against The Wall semble bien être le dernier album en date des mighty Groundhogs. Et quel album ! A hell of a blast ! Rien qu’avec le morceau titre, la partie est gagnée. Tony est affolant de présence. Pire encore, « No To Submission », accroché aux croches, furieux car riffé et joué tout à la fois. C’est de la très haute industrie lourde et Tony balance son solo périphérique d’essence blafarde. On n’en finirait plus d’épiloguer sur la modernité de son jeu de guitare, sur son sens de l’attaque, sur la grandiloquence rustique de son son. Il saura toujours ficeler un cut intéressant. Il saura toujours se rendre indispensable. Il n’est pas concevable de vivre sa vie sans écouter les disques de Tony McPhee. Sans les Groundhogs, la vie aurait-elle un sens ? Bonne question, pas vrai ? On va encore s’extasier sur « Waiting In The Shadows », à cause de son attaque en crabe très particulière et de l’angle de sa vision. On parle ici de l’angle de la terre des Angles du grand Tony tout déplumé. Quel powerman versus Lola ! Il plastroque comme une bête de Gévaudan des Midlands. On ne saura jamais si c’est elle qui est allée faire un tour à Whitechapel, car enfin, la finesse des enquêteurs a ses limites. Il fait un festival de wah épouvantable sur la bassline de Dave Anderson. Tony ? Mais c’est le diable en personne ! On adore l’écouter. C’est toujours une fête. Il fait son truc pour de vrai. Avec lui, on ne connaîtra jamais l’avanie d’Annie. Pourvu qu’il vive encore longtemps ! Aux dernières nouvelles, il ne serait pas très frais. Il nous joue ensuite « Ain’t No Saver », un petit boogie blues et on se prosternera devant « In The Meantime », pure abstraction mélodique amenée à la guitare. Il met son Meantime en route et crée l’enchantement d’une voix éteinte. Pas mal. Il fallait y penser.

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             Tous les admirateurs de Tony ont chopé Hooker & The Hogs réédité en 1996. Pas de surprise, c’est du Hooky pur jus, et comme le dit Tony dans les liners, ce disque est la preuve qu’Hooky voulait enregistrer avec ses amis les marmottes. On retrouve Peter Cruikshank à la basse et Dave Boorman au beurre. Tony passe ses petits solos l’air de rien. Il ne la ramène pas. Belle version de « Little Dreamer » lancée par Tony. On sent bien à l’écoute de ce bel album qu’Hooky est au sommet de sa forme. Bonne voix, bonne prestance. Et il a la chance d’avoir un excellent backing. Tony joue bien sec. On voit qu’il est déjà à l’époque un guitariste accompli. Fantastique version d’« It’s A Crazy Mixed Up World ». Il faut entendre l’attaque du grand John Lee Hooker. Tony joue la bride bien tenue. Il réussit à placer un petit killer solo en note à note rudimentaire que vient croiser Hooky. 

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             Avec Hogs In Wolf Clothing, les marmottes se déguisent en loups. Tony McPhee s’attaque à l’Anapurna, c’est-à-dire à Wolf. Il se lance dans un album entier de reprises de Wolf, l’inconscient, 15 classiques imprenables. Personne avant lui n’a osé une telle expédition. Il faut s’appeler McPhee pour oser un tel exploit. Mais ce n’est pas sans risques. En écoutant « Smokestack Lightnin’ », on sent bien que c’est foutu d’avance. Tony va hurler à la lune, mais il n’a pas le raw de Wolf. Il n’a pas la viande au chant. Tout ce qu’il peut apporter, c’est le solotage. Il s’éloigne encore plus de l’esprit wolfien avec « Commit A Crime ». Il force son guttural, mais heureusement, il joue une partie de guitare dingoïde, toute en riffage de gimmickage et c’est stupéfiant. Il entre dans le lard du cut avec un sacré solo, il tartine sa partie dans le groove et ça redevient le grand TS qu’on admire, le TS du trapèze de haute voltige. « Fourty Four » est l’idéal pour lui, c’est le prototype du coupe-gorge guitaristique. Puis il plonge dans « No Place To Go » et le pulse à la pointe de l’épée, comme Zorro. Tony McPhee est l’un des meilleurs allumeurs de brasiers d’Angleterre, ne l’oublions pas. Dès qu’il repart en solo, les choses prennent une tournure exceptionnelle. Va-t-il battre Jeff Beck avec sa version d’« Ain’t Superstitious » ? Il attaque seul, sans l’aide de Rod The Mod. Il est gonflé. Sa version est moins colorée que celle du Jeff Beck Group, mais elle devient épique dès qu’il part en solo. Il attaque « Evil » à la note grasse, il joue dans le flanc, mais il manque de jus d’Evil, il sonne comme un petit foie blanc. Alors il compense par un solo de dingue, une pure saloperie visqueuse et pleine de pus. Il prend « My Life » au heavy blues de l’accord tombé et en fait une tambouille à la ouuuh-ouuuuh. Mais il ne remonte pas dans l’excellence du râcleux de Wolf. Pourquoi ? Parce que c’est impossible. « Sittin’ On Top Of The World » est le blues de la perfection et Tony l’exploite comme il peut. Il claque ses notes de solo et retrouve l’éclat de son génie. Il éclate ensuite le boogie de « Wang Dang Doodle » au gimmickage puis il jazze joliment « How Many More Years ». Il prend un solo limpide et bienheureux comme Alexandre, et ça vire et ça valse.

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             Tony McPhee revient au blues traditionnel avec deux albums, Me And The Devil et I Asked For Water réédités ensemble par BGO en 1998. On y entend Tony gratter dans sa cabane de jardin. Mais il lui manque l’essentiel : la rive du Mississippi. Il va chercher les vieux trucs de gratte bien joués à la sèche, ces vieux trucs qui épatent les copines autour du feu de camp. Mais comme on le voit avec « Death Letter », il est trop dans le trad. Il devient même inquiétant de traditionnalisme. Ça ne peut pas marcher. Pourquoi ? Parce qu’il a la peau blanche. Il continue à ramener les images d’Épinal avec « Make Me A Pallat », un piano blues sur lequel chante Jo-Ann Kelly. Sur « Heartstruck Sorrow », Tony fait claquer le nylon de ses cordes à l’ongle. Pour « You Better Mind », il sort toute sa maestria et vire bourrée des Appalaches. Atroce. On se croirait sur le bivouac d’une mine de cuivre des Appalaches, alors qu’on est en Angleterre. C’est affreux. Du coup, Tony risque de passer pour un prétentieux, et pourtant, ça n’a pas l’air d’être son genre. Dans « Hard Times Killing Floor Blues », ça se corse encore, car Tony se croit aux abattoirs de Chicago. Mais il ne connaît rien au cauchemar des abattoirs de Chicago, surtout ceux de l’époque dont parle Wolf dans sa chanson. Tony, tu devrais t’occuper de tes fesses ! Jo-Ann Kelly revient avec sa grosse voix de rombière de l’Alabama pousser une gueulante dans « Same Thing On My Head » et là tout à coup, on se retrouve dans une église pentecotiste du Deep South, en plein gospel choir.

             L’autre album est nettement plus inspiré. On sent moins les cartes postales. Avec « Factory Blues », Tony revient au stomp des origines. « Crazy With The Blues » est magnifique d’enthousiasme corporatif. Tous les instruments explosent vraiment autour du feu de camp. Avec « Gasoline », Tony se prend pour Wolf, et il essaie de faire déraper sa voix. Sa version de « Love In Vain » vaut largement celle des Stones. Tony se retrouve tout seul à la station avec la suitcase à la main. Il gratte péniblement son vieux truc et ressort du placard un vieux fond de hargne. Puis Jo-Ann Kelly et lui balancent une version monstrueuse de « Dust My Blues » et Tony revient à la puissance du swing avec « Built My Hopes Too High », mais il en altère judicieusement la structure en la jouant à l’envers.

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             Sur Foolish Pride, Tony revient aux sources et joue le blues à l’échappée belle. Sur le morceau titre, il joue comme le démon que l’on sait. C’est un meneur de ronde de nuit, comme dirait Rembrandt. Il y va de bon cœur. C’est même un festival. Si on n’a pas encore compris que Tony McPhee est avec Jeff Beck et Peter Green le plus grand guitariste d’Angleterre, alors on n’a rien compris. Il faut le voir repartir à contre-courant du thème. Il effare par sa vélocité acariâtre. Il peut même partir dans tous les sens, ça ne le gêne pas. Il va bien au-delà de ce qu’on peut encaisser. Il est beaucoup trop libre, beaucoup trop fort. Dès le démarrage d’« Every Minute », la guitare entre dans le lard du cut. Et le son qu’on a sur « Devil You Know » ! Toujours le son. Rien que le son. Il éclate tout du bout des doigts. Il sort vainqueur de tous les combats. Il fait couler des phrasés de guitare insalubres et il tripote le gras du son. « Time After Time » est un autre blues-rock angloïde. On y retrouve la vieille problématique des Groundhogs et on se sent le cul entre deux chaises : hit ou pas hit ? On va de surprise en surprise jusqu’à un merveilleux walking blues intitulé « Wathever It Takes ». Ça coule tout seul et derrière ça swingue. Il repart comme si de rien n’était avec « Been There Done That ». Il sait bien au fond que des gens vont l’écouter et apprécier ce dernier spasme. 

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             Bleachin’ The Blues est un disque de blues acoustique. Il gratte tout à l’ongle sec. C’est un fou. Il part en bon boogie sur « All You Women » et il se met à claquer ses notes. Il tape dans le limon du delta prosaïque. Sacré Tony, il parvient toujours à trouver des passages inconnus. Mais il faut voir avec quelle violence il claque ses notes dans « Many Times (I’ve Heard It Mentionned) ». Pauvre guitare. Tony est un tortionnaire, un affreux jojo. Avec « All Last Night (And The Night Before) », c’est de pire en pire. La pauvre guitare ne se plaint pas. Elle sait que c’est son destin et qu’il faut arriver à l’accepter. Mais quelle violence ! Dans « When You’re Walkin’ Down The Street », Tony se prend pour un vieux nègre du coin de Beale Street. Dommage qu’il morde le trait. Il fait ensuite tomber les accords de « Bleechin’ The Blues » et dessine un belle perspective historique. Comme il se sait héros, il explose la gueule du blues. Il lève alors une tempête de grattage intempestif. Plus loin, il tape dans le gros classique de Mississippi Fred McDowel, « Love In Vain ». Tony est courageux et ça paie. Sa version est dévastatrice. Il la gratte avec une rage qu’on ne lui connaissait pas et il place mille et une petites transitions fluides. On peut dire qu’il nous en aura fait voir de toutes les couleurs, l’animal. Il finit par vraiment s’énerver et il claque ses solos dans la fumée âcre de l’exacerbation maximale. C’est un épisode stupéfiant, je vous le garantis. Il termine cet album assez extraordinaire avec deux autres classiques énormes. D’abord « Terraplane Blues », l’un des plus gros classiques de tous les temps, il fait ses eh-iiiihhh comme il faut. Il en sort une version terrassante. C’est même le hit de l’album. Il faut voir comme il terrasse son Terraplane. Et puis il continue de rendre hommage à Wolf avec une version sensible de « Litlle Red Rooster ». Franchement, on ne pouvait pas rêver meilleur final.

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             Tony enregistre Blue And Lonesome en 2007 avec Billy Boy Arnold. Sur cet album sauvage, le boogie est roi. Ils démarrent avec « Dirty Mother F... », magnifique de violence énergétique. On sent immédiatement le très gros disque. On entend bien Tony gratter ses flashes éclairs. Il part comme à son habitude en solo sans prévenir. Il peut tout se permettre, surtout quand il joue le blues, baby. « 1-2-99 » est une étrange pièce de blues en résonance, une sorte de blues pop progressif entreprenant très bien épaulée par les épauleurs et finement sertie d’un pur solo McPheelien. Billy Boy Arnold est un chanteur extraordinaire. Il cloue toutes ses fins de phrases. Il faut l’entendre lancer « Christmas Tree » en chantant le riff - tatatata la la - et une grosse ambiance s’installe. Billy Boy tire tous les morceaux à l’énergie. Bien sûr, la plupart des carcasses sont connues comme le loup blanc des steppes, mais on se régale de l’interprétation. « Mary Bernice » est un chef-d’œuvre de niaque. Billy Boy attaque de plein fouet et descend dans ses intonations, aussitôt relayé par un solo faramineux de Tony. Encore de la niaque avec « Just A Dream ». Billy Boy sonne comme le chanteur idéal. Il sait très bien faire l’exacerbé incontrôlable. Le dernier morceau de cet album tonitruant n’est autre que « Catfish ». On  retrouve le vieux mythe de Muddy. Derrière, c’est battu sec par le Père Fouettard et Tony gratte comme un dingue. C’est l’un des très gros disques de boogie enregistrés sur le sol d’Angleterre.

    Signé : Cazengler, Tony McFiotte

    Tony McPhee. Disparu le 6 juin 2023

    Groundhogs. Scratching The Surface. Liberty Records 1968

    Groundhogs. Blues Obituary. Liberty Records 1969

    Groundhogs. Thank Christ For The Bomb. Liberty Records 1970

    Groundhogs. Split. Liberty Records 1971

    Groundhogs. Who Will Save The World. United Artists 1972

    Groundhogs. Hogwash. United Artists 1972

    Tony McPhee. Two Sides Of. Wa Wa Records 1973

    Groundhogs. Solid. Vertigo 1974

    Groundhogs. Crosscut Saw. United Artists 1976

    Groundhogs. Black Diamond. United Artists 1976

    Groundhogs. Razors Edge. Landslide Records 1985

    Groundhogs. Back Against The Wall. Demi Monde 1986

    Tony McPhee. Foolish Pride. Blue Glue 1993

    Groundhogs. Hooker & The Hogs. Indigo Recordings 1996

    Groundhogs. Hogs In Wolf Clothing. HDT Records 1998

    Tony McPhee & Friends. Me And The Devil/I Asked For Water. BGO records 1998

    Tony McPhee. Bleachin’ The Blues. HTD Records 1997

    Billy Boy Arnold & Tony PcPhee & The Groundhogs. Blue And Lonesome. Music Avenue 2007

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    Record Collector # 424. February 2014. « Groundhog Days » par Paul Freestone.

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    Martyn Hanson. Hoggin’ The Page. Groundhogs - The Classic Years. Northdown Publishing

     

     

    L’avenir du rock

    - Buffalo bile

     (Part One)

     

             N’allez surtout pas croire que l’avenir du rock soit l’un de ces élitistes réfugiés dans une tour d’ivoire. Au contraire, il adore se fondre dans la masse, en regardant par exemple les jeux télévisés. Huit candidats sont à l’écran pour le super-banco, tourné en direct devant des millions de téléspectateurs. Après le gong, l’animateur redresse son nœud pap et ânonne d’une voix solennelle :

             — Connaissez-vous le nom du groupe de rock américain des frères Gabbard ? La question étant un peu difficile, je vous donne trois indices qui j’en suis sûr vous mettront sur la piste : cornes, plaine, winchester. Bon, je vois à votre plumage que c’est le grand ramage, alors je vais vous aider : le nom que je vous demande est en deux mots, ça commence par BU et ça tagadate.

             Une grosse dame d’allure réactionnaire lève son gros bras :

             — Buralistes Couleur !

             — C’est pas mal, Madame Bignolle, mais ce n’est pas ça...

             — Burineurs Caleux !

             — Vous n’avez droit qu’à une seule réponse Madame Bignolle, vous enfreignez le règlement !

             — M’en fous de vot’ règlement, j’ai besoin des dix millions pour refaire ma salle de bains ! Alors le nom du groupe, c’est Burito Kilos !

             — Je vous en prie, Madame Bignolle, vous empêchez les autres candidats de tenter leur chance. Faites au moins preuve de civisme, si vous n’êtes pas capable de...

             — Ho, commence pas à m’insulter, sinon mon époux va v’nir te péter la gueule !

             Dans le public, un mec assez grand se lève, la caméra le cadre :

             — Bucolimilimilimilimilimilimili... blic !

             L’animateur se tourne alors vers la caméra :

             — Allo Cognac-Jay, nous avons un problème technique, je vous rends l’antenne ! 

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             L’avenir du rock éteint la télé. De voir des gens aussi cons le rend triste. Et ça le rend encore plus triste de n’avoir pas participé au jeu, car bien sûr il connaissait la réponse. Buffalo Killers. Il ne connaît pratiquement qu’eux. Attention aux frères Gabbard ! Ils font partie des ces hippies américains basés dans l’Ohio et capables de rivaliser avec les Beatles.

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             Leur premier album Buffalo Killers sort sur Alive Records en 2006, et dès «San Martine Des Morelles», ils sortent une heavyness de beatlemania digne du Lennon de «Cold Turkey». C’est admirable car bardé de son et sensé, orienté grand public de qualité. Les Killers tapent dans l’overdrive de défonce concomitante. Les accords sont ceux de «The Ballad Of John And Yoko», et ça joue fabuleusement bien. On a même un solo digne du roi George, mais avec le poids d’une certaine Amérique en plus. On retrouve le son des Beatles dans «Something Real», le dernier cut de l’album. Les Killers sont probablement le meilleur heavy band beatlemaniaque du monde. Ce cut est zébré d’éclairs de John et de George. Ils écrasent littéralement «Fit To Breathe» dans l’œuf du serpent. C’est chanté au guttural du midwest, et piqué au grain mauvais de distorse acariâtre. Quoi qu’ils jouent, quoi qu’ils disent, quoi qu’ils caguent, ils sont bons. Dans la fuzz du son, on croise le fantôme de John Lennon. Les Killers battent pas mal de records de heavyness avec ce bel album. Ils tapent «SS Nowhere» au heavy retardataire, c’est un bon choix. Admirable car bardé de tout ce qu’on aime dans le son, ce psyché allumé aux riffs de basse, et pour corser l’affaire, Andrew Gabbard passe un solo cool de cat à la clé qui vire acide sur l’after. On reste dans le modèle beatlemaniaque avec «Heavens You Are». Ils ont un si joli son qu’ils semblent jouer au-dessus de leurs moyens. Andrew Gabbart chante comme un con et ça retombe comme un soufflé. Avec «River Water», ils se positionnent dans une certaine ampleur de rock américain. Ils sortent un son chatoyant classique, on dirait du Little Feat assis sur des braises ardentes. On sent qu’ils cherchent à créer l’événement, comme par exemple avec «With Love», joué au bouquet d’harmonies soniques. C’est drôle, car on attend des miracles de ces mecs-là. On a raison d’attendre, car arrivent «Children Of War», tapé au heavy-rock et fondu dans une mélasse de rêve, puis l’excellent «Down In The Blue», pur jus d’heavynesess de Cincinnati, ils le grattent délicieusement en écrasent les syllabes comme des cafards. Oh yeah, un Killer sinon rien.

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             Deux ans plus tard paraît Let It Ride. Dès «Get Together Now Today», les frères Gabbard sortent un admirable son de heavyness télescopique. C’est littéralement bardé de son et d’idées de son. Ils captent immédiatement l’attention. Ils dérouillent la fine fleur du rock seventies au muddy bass sound et aux claqués de mains épisodiques - But hey everybody’s wrong/ Let’s get together now today - Ça s’amplifie encore avec le morceau titre, brouet de son d’une indescriptible prescience, digne du «Little Red Lights» de Todd Rundgren. Terrifiante coulée de bronze. Et ça joue au solo trompette. Andrew Cabbard chante à la petite arrache Blue-Cheery. Fabuleux brouet de trompette de solo fuzz et de chœurs de magie noire. Ça sonne comme un sortilège moyenâgeux, le solo éléphant charge les chasseurs dans la savane, ils ont le pouvoir de Cactus, il bousculent tout dans le fossé du temps. Les chœurs fondent comme du gruyère sur le croque. Demento ! Alors évidemment, après un coup pareil, on dresse l’oreille. «Leave The Sun Behind» sonne plus classique, mais hardi et bardé d’excellence. On se retrouve au cœur d’un son seventies, mais avec une modernité de ton providentielle. Des tas de groupes tentent d’y revenir, mais les Killers ont pigé le truc. Ils jouent à la jouissance gourmande du sucré, c’est le rock du Passage Démogé. Voilà «If I Get Myself Anywhere» tapé à la petite heavyness psyché classique. C’est travaillé dans la matière - I don’t care about the world/ Get my jelly roll honey/ Turn the lights low - Oui, il se fout du monde, c’est un groover, que de virtuosité dans son make you feel good, quelle incroyable vélocité psychédélique ! Ces mecs sont aussi bons que NRBQ. Avec «On The Prowl», ils sortent le même son et les pointes de vitesse stupéfient. Dans «It’s A Shame», leurs accords s’écroulent comme des falaises de marbre dans le lagon du Mordor. Ils tapent dans un registre infesté de requins. Ils naviguent à vue comme des fonctionnaires de la vieille école et tarabiscotent un peu trop. Ils sortent un petit groove intimidant avec «Heart In Your Hand» - Breaking my back for you darling - Étonnant et solide. S’ensuit un «Take Me Back Here» tapé à la petite énerverie patentée. Ils jouent la carte du funk foncier et s’amusent à pulser le push du puke, avec une très joli son de shuffle et un solo bien gras. Admirables Killers.

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             Ils renouent avec leur passion pour les Beatles dans 3 avec un cut intitulé «Time Was Shaping». On se croirait sur le White Album. Sans blague ! C’est le son de «Sexie Sadie», l’esprit, en tous les cas. Ils tapent leur psyché à la bonne franquette et ça devient fascinant. Andrew et Zach ont du répondant, ils nous claquent des harmonies vocales dans le fracas des armes. Les changements de beat resplendissent dans l’éclat du jour. On les soupçonnerait presque d’être plus anglais que les Beatles. Ils enchaînent ça avec «Move On», du psyché  de belle allonge. C’est bardé de bon son et chanté à la revoyure, avec en plus un solo dément. Ils vont ensuite sur une belle pop de grands connaisseurs avec «Everyone Knows It But You». Ils revisitent toute l’histoire de l’appropriation par les Américains du rock anglais. Ils terminent cet album fantastique avec «Could Never Be», bel exergue démergitus joué au pire groove de l’univers. Ils rendent aussi un fantastique hommage à Balzac avec «Lily Of The Valley». C’est bucolique en diable, ils fonctionnent vraiment comme les Beatles, avec une idée de son et une mélodie. Voilà encore un cut envoûtant, chanté en toute simplicité. Les frères Gabbard tapent vraiment dans le top des hits de pop. Avec «Jon Jacobs», ils reviennent au psyché d’avalanche magnifique, ils sonnent comme les meilleurs spécialistes du far-out d’Angleterre, ils jouent heavy et dégagent des radiations. Voilà le maître mot des Killers : la prescience psychédélique. Heavyness des radiations. Ils remontent en selle pour un «Take Your Place» noyé de son, c’est épais comme un bon aligot de bougnat d’à côté. Tout bouge. C’est l’apanage du psyché : tout bouge en même temps. Les deux cuts d’ouverture sonnent aussi comme des passages obligés, à commencer par «Huma Bird». Ils claquent ça aux cloches de la big mama du heavy rock. Ils se montrent très persuasifs, très entreprenants. Ils détiennent le pouvoir de l’universalisme confédérateur. Ils sonnent avec tout le poids de la concorde d’Amérique, ils se situent à l’échelle du continent. Et puis il y a ce «Circle Day» joué au beau fondu d’élégance nuptiale. Quelque chose règne sans partage sur cette musique. De l’ordre du goût de vivre à plein temps. Andrew Cabbard chante en rase-motte par dessus les toits d’Amérique. Il sonne comme un Verlaine psychédélique. Fabuleux barbu.

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             Encore un très bel album avec Dig. Sow. Love. Grow. qui date de 2012. Le cut beatlemaniaque de l’album s’appelle «Moon Daisy» et referme la marche. On se croirait à Liverpool, tellement ça sonne bien. Leur son rappelle aussi les Boo Radleys. Il se répand comme une rivière de miel dans la vallée des plaisirs. Le fantôme de John Lennon réapparaît. Quelle belle heavyness ! On pourrait appeler ça une fantastique échappée belle. C’est heavy et beau, chargé jusqu’à la gueule, comme un canon impérial. «These Days» sonne comme un hit de Big Star. Même sens de la harangue boutonneuse jouée dans une sorte de chaos philharmonique, ce serait presque du Big Star extraverti. Les frères Gabbard ne se refusent aucune descente au barbu. On y retrouve aussi le son de basse de «The Ballad Of John & Yoko». Ils sont aussi bons que les Beatles. Andrew Gabbard prend «Get It» d’une belle voix de glotte pincée, glissée à l’insidieuse dans le gras du tatapoum. Ils sont aussi très forts en matière d’insidious. Andrew passe un solo à la titube, dans la meilleure des traditions traditionnelles, claqué à la note persistante. Ses solos régalent toujours la compagnie. Ils plantent encore leurs crocs dans les Beatles avec «Hey Girl». Andrew y passe un solo magistral, les notes rebondissent dans l’air de la plaine. Les albums des Killers fonctionnent tous comme des voyages extraordinaires au pays des possibilités soniques. «Rolling Wheel» se veut plus sibyllin, toujours dans la veine beatlemaniaque, chanté à la harangue et fluet, joué dans les règles du plus bel art de power pop éclose au soleil d’été radieux. Andrew joue encore une fois des notes de titube à la George Harrison. Sa classe se bat pour la cause. «I Am Always Here» éclate à l’éventail des possibilités de l’arpège catégorique. Suprême velouté de poireaux psycho. Andrew Gabbard joue des arpèges des grands canyons et se fond dans l’écume des jours. Les Killers jouent la meilleure des cartes, celle du gras fatal. On n’en finit plus d’admirer ces Beatles des Amériques. Ils sont l’un des groupes contemporains le plus passionnants. Ils tapent «My Sin» aux gros accords de la concorde. Une sorte de Convention règne sur la pop des Killers. Robespierre serait très fier d’eux.

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             Les Killers quittent Alive le temps d’un album, Heavy Reverie. On y trouve un cut encore meilleur que les grands cuts des Beatles de l’âge d’or : «Grape Peel (How I Feel)». C’est le barrage conte le Pacifique de Revolver avec des pulsions motrices d’unisson. Pur jus de beatlemania ! Même le solo vaut tous les George du monde, ces mecs jivent leur Lennon à la vie à la mort. Souvenez-vous : pas de pire rockalama que Lennon en denim avec sa Gibson blanche. Ils touillent leur bleatlemania avec un son de rêve. Cet album décolle dès «Poisonberry Tide». Pas de pire heavyness de son, c’est le heavy rumble du sourd. Quel fabuleux juggernaut d’allant forcené ! Tout est combiné d’avance, là-dedans, à coups de pyché californien et de beat des enfers. Ils nous chantent cette splendide apocalypse au clair de lune américain, c’est bardé de toute l’énergie sonique dont on peut rêver. Pew ! So perwerful ! «Dig On In» reste dans l’invraisemblable déconfiture d’absalon. Ils tapent vraiment dans le dur du son, comme si les Beatles jouaient du hardcore de Liverpool salué à la guitare fuzz. Aw, let’s dig on in. S’ensuit un autre fabuleux shoot de power-pop avec «This Girl Has Grown». Tout est ramoné à la perfection, bardé de son, ultraïque et particulièrement beau. Andrew Cabbard claque un solo d’éclat majeur à la clé et ça relance au puissant shuffle de Buffalo. Ce groupe est l’un des plus importants de notre époque, soyons clairs là-dessus. La fête se poursuit avec un «Cousin Todd» bardé d’harmonies vocales et de big sound. Ils semblent recycler toutes les vieilles énergies du rock. Ils nous stompent «Sandbook» à la suite. Encore un cut absolument déterminant. Quoi qu’ils fassent, les Killers kill kill kill - Your body excites me - On sent des velléités de heavy drudgery psychout. Aucune rémission possible. Tiens, encore une extraordinaire tartine de heavyness avec «Louder Than Your Lips», joué à l’extrême jonction de l’extrême onction du heavy sound de nez pincé, à coups de sunday morning got together. Ils y vont à coup de boutoir, cette histoire est purement sexuelle. Quel beau spectacle. Ils finissent avec deux cuts à la Chilton, «Shake» et «January», ça sent bon le back of your car, mais ils ne peuvent s’empêcher de shooter un gros fix d’Americana dans ce petit balladif insouciant. On croit entendre les Boo Radleys. Ils se prennent pour des mecs de Liverpool, ma poule.

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             Leur dernier album est un live, Alive And Well In Ohio. On y retrouve toutes les accointances avec les Beatles, notamment dans «So Close In Your Mind». Sur scène, les Killers semblent encore plus spectaculaires qu’en studio. «Death Magic Cookie» s’impose en tant qu’heavy balladif chargé d’influences. C’est joué au mieux des possibilités et chanté au mieux du mieux. C’est tout simplement somptueux, fondu dans l’harmonie céleste. Andrew Gabbard chante comme un dieu. On peut dire exactement la même chose de «What A Waste», tellement ce balladif s’étend à l’infini. Le «Parachute» qui suit n’est pas celui des Pretties, mais Andrew Gabbard le chante à l’intoxication supérieure. Il prend ça au gras de glotte et se fond dans une source de psyché d’une puissance purement américaine. Les Killers échappent à toute l’actuelle vague figée. Ils sentent bon l’air frais. Le solo d’Andrew Gabbard entre là-dedans comme un démon baveux. «Eastern Tiger» aurait pu figurer sur le White Album, voilà pourquoi il faut prendre ces gens-là au sérieux. Encore plus virulent, voilà «Need A Changin’», joué à la bonne augure des seventies. Les Killers inspirent une sorte de confiance instinctive, d’autant que ça riffe dans le gras double et qu’un solo vient percuter l’occiput du cut. «Evil Thoughts» sonne comme une sorte de groove des jours heureux, celui qu’on passe sa vie entière à rechercher. C’est d’une amplitude sans précédent. Leur talent règne sur la terre comme au ciel. On retrouve encore le son des Beatles dans «Outta This Hotel», pur jus de White Album. Ils ont ce talent traînard, très présent et même omniprésent. Leur boogie-rock peut aussi frapper par sa classe, comme on le constate à l’écoute de «Rad Day»,  un cut shooté aux accents de country juteuse. Et voilà une pièce d’Americana définitive : «Applehead Creek». Ils vont loin dans l’au-delà du son et de la pop, ils jouent la carte de l’animal esprit. Leur cut voyage dans le temps. Les Killers sont le groupe américain qu’il faut suive à la trace. Ils se situent au-delà de toute expectative. Ils font même du proto-punk à la Edgar Broughton avec «On Out». C’est un album parfait qui peut faire partie du voyage sur l’île déserte.

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             Les frères Gabbard relancent leur petit business avec The Gabbard Brothers. Le portrait peint sur la pochette est signé Shannon, de Shannon & The Clams. On va trouver quatre belles énormités sur cet album, à commencer par «Yer A Rockstar», bel hommage à Dylan, nappé d’orgue Hammond, c’est très pur, hey babe, c’est même complètement allumé, driving in your car. Du son encore sur «Feel Better Love Better», ils tapent ça à deux voix, ça file vers l’horizon avec une fuzz au cul du cut. «Pockets Of Your Mind» est plus country, mais joué fast à travers la plaine, c’est excellent, ces mecs savent nourrir une portée. Les frères Gabbard ont une facilité à pondre des soft rocks orientés vers l’avenir. Ils sont encore très purs avec «Hazard Ky Bluegrass Grandma», le Hazard Kentucky chanté au petit sucre d’Americana supérieure, ils te déroulent le tapis rouge d’une Americana renouvelée avec un heavy gratté de poux. Ils ressortent encore des harmonies vocales magiques dans «Early Pages». Bienvenue au paradis ! On les voit tous les deux à l’intérieur du digi avec leurs barbes et leurs guitares, chacun dans un coin du studio. Ils font encore de la pop obsédante avec «Lovin’ Arms». Ça ne chôme pas chez les frères Gabbard. Ils jouent avec la heavyness dans «Gimme Some Of That» - Get out of my way - et sonnent comme les grands groupes californiens des années 80 dans «Easter’s Child». C’est plein d’une certaine allure, avec un soupçon de country rock in the fold.

                 Signé : Cazengler, Buffalo du lac 

    Buffalo Killers. Buffalo Killers. Alive Records 2006

    Buffalo Killers. Let It Ride. Alive Records 2008

    Buffalo Killers. 3. Alive Records 2011

    Buffalo Killers. Dig. Sow. Love. Grow. Alive Records 2012

    Buffalo Killers. Heavy Reverie. Sun Pedal Recordings 2014

    Buffalo Killers. Alive And Well In Ohio. Alive Records 2017

    The Gabbard Brothers. The Gabbard Brothers. Karma Chief Records 2022

     

    Wizards & True Stars

    - Peel ou face

    (Part One)

     

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             Plus qu’aucun autre modeleur, John Peel a façonné nos vies. Il n’était qu’une voix dans un poste de radio. Sans vraiment le connaître, on sentait qu’on pouvait se fier à lui. Après, pour le connaître, tu as des livres, dont la bio de Mick Wall qui s’appelle tout bêtement John Peel, et l’autobio, Margrave Of The Marshes. Mais à l’époque, il fallait se contenter d’écouter son émission sur BBC Radio One, qu’on chopait sur les ondes moyennes, du lundi au jeudi. L’arbitre des élégances, le maître du jeu, le maître étalon, le maître de Marguerite, le grand sachem, le Raymond la Science de l’underground, le guide spirituel, le Sartre du rock, le grand satrape du Cymbalum définitif, ce fut John Peel et son inimitable marmonnement. Quand il démarrait son émission, tu avais l’impression d’atteindre la terre ferme. Il existe encore quelque part dans les cartons un cahier dans lequel on notait religieusement chaque track-listing du John Peel Show, car ils faisaient référence. John Peel dessinait la vraie carte du rock. Il explorait pour nous les territoires inexplorés et nous formait à l’esprit de découverte. Il nous incitait à devenir curieux. C’est la force des bonnes émissions de radio : le mec vante son truc en trois mots et tu as tout de suite la preuve de ses racontars. Gildas opérait exactement de la même façon sur le Dig It! Radio Show : il ne programmait qu’à coup sûr. Il donnait peu d’infos, et préférait donner la priorité aux cuts. Du pur John Peel. Une façon de dire : «Tiens, écoute ça mon gars». Gildas et Peely avaient en commun cette fiabilité du goût et cette réserve naturelle, qui sont les deux mamelles de l’élégance. À aucun moment, il ne leur serait venu à l’idée de parler d’eux pour se faire mousser. Pas de moi-je chez ces mecs-là. De la musique avant toute chose, comme le disait jadis si joliment Paul Verlaine.

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             Pour faire connaissance avec l’homme que fut John Peel, le book idéal est celui de Mick Wall cité plus haut. Comme la plupart d’entre-nous, Wally est entré dans l’univers radiophonique de John Peel comme on entre en religion. Ce remarquable écrivain a réussi à brosser un portrait extrêmement sobre de Peely. Il commence par saluer le découvreur qui fut le premier à passer dans son radio show des gens aussi considérables que Country Joe & The Fish, P.J. Harvey, T.Rex et les Smiths. Wally insiste aussi beaucoup sur la notion de proximité qui est essentielle : «À la différence des autres DJs qui gueulaient dans leur micro, Peely donnait l’impression d’être avec toi dans la pièce.» D’où cette impression d’ami intime et fiable, incapable de te faire avaler une couleuvre. Impression renforcée par ses fréquents aveux en forme d’auto-dérision, surtout quand il qualifie son style professionnel de «simple dévouement au service public radiophonique, ou de manque d’ambition très choquant.» Il ajoute : «C’est un mélange des deux. Je ne fais jamais d’erreurs stupides. Seulement des erreurs very clever.» Ceux qui connaissaient Gildas le reconnaîtront aussi dans cette déclaration d’intention teintée d’humour anglais.

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             Mick Wall se souvient d’avoir flashé sur le radio show en découvrant le «Mandoline Wind» de Rod Stewart - Peely déclarait après la chanson : «Possibly the finest song I think young Roderick has ever witten.» Je me souviens qu’il sa soupiré profondément après avoir dit ça. Je pensais exactement la même chose. C’est là que j’ai craqué pour lui. This Peel bloke seemed to know what he was talking about - Peely fut aussi le premier à passer «les Ramones, les Damned, Clash, Jam et les Pistols singles», et aux yeux de Mick Wall, «the most marvellous of all, the first Television album, Marquee Moon.» Mais cette réputation de découvreur agaçait un peu Peely : «Just been doing my job. Des gens comme Captain Beefheart, David Bowie, les Smiths, New Order, Pulp et les White Stripes se sont découverts eux-mêmes.» L’un de ses exploits les plus connus est bien sûr la diffusion du home-produced «Teenage Kicks» des Undertones, qu’il passe deux fois de duite. Le groupe est signé par Sire dans la foulée. Et bien sûr, on retrouve «Teenage Kicks» en numéro deux de son All Time (Millenium) hit-parade, juste après «Atmosphere» de Joy Division. Peely adore tellement «Teenage Kicks» qu’il aimerait bien qu’on grave the opening line - Teenage dreams/ So hard to beat - sur sa pierre tombale. Feargal Sharkley : «I owe my life to John Peel.» Nous aussi d’une certaine façon. Sans John Peel, on ne sait pas ce qu’on serait devenu.

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             Très tôt, Peely affiche son anti-conformisme. Au lycée, il est déjà excentrique, il cultive déjà un goût «pour les disques inaudibles» et se plaît à écrire «des essais facétieux et interminables». Comme il affiche clairement son manque d’ambition, son père qui est homme d’affaires le présente comme l’idiot de la famille. Quand Peely lui dit qu’il rêve de devenir DJ à la BBC, son père lui répond que c’est impossible, «à moins d’être catholique ou homosexuel, ou les deux.» Peely ajoute, à propose de son père : «He had a rather distorded view of life, I think. Nice chap but funny views.» Dommage que Wally ne fasse pas référence à Dada, car on est en plein dedans. Son père envoie Peely au Texas pour étudier le marché du coton. Peely va rester sept ans aux États-Unis et rentrer à Londres auréolé de légende : il est devenu l’Englishman qui a conquis la radio américaine, c’est du jamais vu. Il ramène en outre une collection de disques rares, un accent étrange, et une épouse texane de 17 ans dont il aura du mal à se débarrasser. Il démarre à Radio London et John Ravenscroft devient John Peel. Puis il entre à BBC Radio One et y restera 37 ans. Comme il mise tout sur l’anticonformisme, il s’attend constamment à se faire virer, mais il tient bon. Pas question de vendre son cul. C’est pour ça qu’on le vénère. C’est aussi pour ça qu’il va devenir une institution. Sa première émission s’appelle The Perfumed Garden, puis il lance Top Gear, et programme la crème de la crème de l’underground, «King Crimson, Bolan, Bowie, Family, Fairport Convention, Jimi Hendrix, Arthur Brown, Soft Machine et Country Joe & The fish.» Il insiste pour passer les albums sans interruption, «avec un commentaire tordu mais savant». Il fait parfois des gags : «And tonight the Flying Creamshots in session», un nom qu’il a trouvé dans un «Dutch porn mag». Il reconnaît que son radio show est devenu fashionable dans les années 70 et en disant ça, il s’en excuse : «Je n’ai pas trop aimé cette expérience.» Pas de frivolité chez Peely. Seule compte la musique - He was an anomality: a music radio DJ preoccupied chiefly with, uh, music - Il est aussi connu pour sa dévotion envers certains groupes, comme bien sûr the Fall : 23 Peel Sessions avec The Fall, «one of the unloveliest, if unique, British bands in history.» Il adore aussi saisir le groupe à ses débuts, parce qu’une fois célèbres, la plupart des gens deviennent bizarres. Il se souvient particulièrement de son ami Marc Bolan, transformé par la célébrité, avec lequel il s’est fâché.

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             Peely est aussi connu pour écouter tout ce qu’on lui envoie, enfin jusqu’au moment où il n’y arrive plus : en 20 ans, il reçoit plus de 100 000 disques et cassettes, alors ce n’est plus possible. Quand il se marie avec Sheila, il achète une baraque à la campagne, près de Stowmarket, dans le Suffolk. C’est un petit domaine avec une piscine, un court de tennis, et un potager, domaine qu’il baptise Peel Acres. Mais il doit aller à Londres chaque jour pour son émission. Ça tombe bien, il adore conduire. Il adore surtout Sheila, qu’il surnomme the pig, à cause de sa façon de rigoler - Snorting laugh, which he heard often as, remarkably, Sheila always seemed to find John’s jokes even funnier than he did - Mais aussi pour, dit-il, sa façon «de dormir enlacée à lui, même lors des nuits les plus chaudes.»

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             Charles Shaar Murray dit que rencontrer Peely was a delight - He was just cool, wise, sardonic and self-depreciating, toujours de bonne humeur même quand mon chat non-castré lui a pissé sur les pieds - Peely bosse avec son boss John Walters, ils préparent les émissions ensemble dans leur bureau de la BBC qui est minuscule et envahi de disques et de cassettes. Peely se marre : «Notre relation est celle du joueur d’orgue de barbarie et de son singe. Chacun de nous croit que l’autre est le singe.» Une autre fois, il décrit leur relation comme celle d’un homme avec son chien «et chacun croit que l’autre est le chien.» Ouaf ouaf ! Quand Bernard Summer de Joy Division et New Order rencontre Peely pour la première fois, il se dit nerveux - We were nervous. We had to have a couple of drinks. Mais John Peel était aussi nerveux que nous, ce qui nous a stupéfaits - Peely est tellement fasciné par l’underground et les groupes obscurs qu’il a créé incidemment the «Norwich scene» en 1983, qui comprenait The Higsons, The Farmer’s Boys et Serious Drinking. Et il refuse les groupes à succès. Par question d’offrir des BBC Sessions à Police, U2 et Dire Straits. Non merci. Il aimait aussi les groupes purement orignaux qui n’avaient aucune attache avec ce qui était connu. Il citait Roxy Music comme exemple. Et les Smiths - You couldn’t tell what the Smiths were listening to.

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             La musique, toujours la musique, rien que la musique. Pour lui comme pour beaucoup d’entre nous, ça commence avec Elvis, «and two weeks later, Little Richard.» - I stared open-mouthed. Je n’avais jamais rien entendu d’aussi raw, d’aussi elemental. After which, my life changed, it really did. I don’t think I was quite the same person again. Tout a changé quand j’ai entendu Elvis. Là où il n’y avait rien, soudain il y avait quelque chose - À la découverte de Little Richard, il se décrit comme «Saul on the road to Damascus». Il découvre aussi Lonny Donegan, «celui qui irritait tant mon père que celui-ci tentait de m’irriter à mon tour en l’appelant ‘Lollie Dolligan’». Puis il voit des tas de gens sur scène, «Clyde McPhatter, Duane Eddy, Eddie Cochran and best of all, his beloved leather-clad Gene Vincent.»

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             En 1967, The Perfumed Garden est une émission d’avant-garde. Peely est le premier à passer Captain Beefheart et Zappa en Angleterre. Il passe aussi Hendrix et les Beatles, «or anyone else you’d dare to name». Il est aussi le premier à diffuser du glam, Bowie, Bolan, mais surtout le Roxy Music des deux premiers albums, que Peely voit comme «new and exciting». Et 1976, boom, avec «New Rose» des Damned qui, nous dit Wally, «lui redonne exactement the same feeling as the first time he ever heard Little Richard.» Eh oui, on a vécu exactement la même chose, à l’époque. Et donc en 1976, Peely fait glisser sa play-list «du Steve Miller Band vers Siouxie & The Banshees». Wally cite aussi les Pistols, Clash et il s’attarde un peu sur les Damned pour indiquer que la mère de Rat Scabies, qui s’appelle dans le civil Chris Miller, écrivit à Peely «a lovely letter, le remerciant sincèrement for ‘helping Christopher with his career.’»

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             Peely voulait faire une Peel Session avec les Pistols, mais son boss John Walters ne voulait pas. Peely ne va pas rester les mains dans les poches : il défie la censure imposée par la BBC en passant «God Save The Queen» dans son Radio Show. Pas mal pour un mec, nous dit Wally, qui fut menacé par Sid Vicious dans une salle de concert. Peely adore les singles punk, car il préfère de loin la musique de ceux qu’il appelle «the primitive artists, like the early Elvis and Gene Vincent.» Dans son Radio Show, il continue de croiser les genres, the Fall avec J.J. Cale ou Peter Hammill, Wire et Roy Harper, du reggae, Vivian Stanshall, Ivor Cutler, «a regular guest on the programme» - a sort of proto-punk storyteller, poet, surrealist, songsmith and comic raconteur - Deux de ses «top ten favourite sessions of all time» sont celles des Slits en 1977 et 1978, ainsi qu’une session de Pulp, et puis il y a aussi les 23 Peel Sessions de the Fall, comme déjà dit, mais on le redit. Voilà les noms qui reviennent dans le Radio Show : «Joy Division, the Cure, Orange Juice, the Teardrop Explodes and later, the Smiths et Madchester avec les Happy Mondays.» Au début des années 80, il passe Swell Maps, the Quads, the Jam, Philip Goodhand-Tait, XTC, Misty In Roots et une session de the Cure. Quand il reçoit le nouvel album de the Fall, il le passe entièrement. Par contre, la Britpop ne l’intéresse pas - because it didn’t sound as good as the stuff they were replicating - Pas d’Oasis en Peel Session. Il flashe plutôt sur Cornershop et Gorky’s Zygotic Mynci, puis plus tard sur les Strokes et les White Stripes.

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             L’un des fleurons de son environnement relationnel n’est autre que Captain Beefheart. En 1969, Peely fut son chauffeur pendant une tournée en Angleterre - At one point, the good Captain ordered him to stop the car. ‘John I want to hug a tree!’, he annonced. John duly obliged - Le bon Captain ne demandait pas à s’arrêter dans les bois pour faire caca, mais pour serrer un arbre dans ses bras. C’est toute la différence avec nous autres, pauvres pêcheurs. Captain Beefheart nous dit Wally allait rester en contact avec Peely, l’appelant au téléphone une fois par an, quelques semaines avant son anniversaire. Peely : «J’ai toujours la trouille quand il m’appelle, car je ne sais jamais quoi lui dire.» L’autre fleuron de son environnement relationnel est bien sûr Mark E. Smith : «J’ai seulement rencontré Mark E. Smith une fois ou deux, donc je ne pas dire qu’on soit amis. Quand je le rencontre, je ne sais pas non plus quoi lui dire, alors on se donne un petit coup de poing viril dans l’épaule et on repart chacun de son côté.»

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             En 1969, Peely et son business manager Clive Selwood démarrent un label underground, Dandelion, qu’ils veulent l’équivalent britannique d’Elektra. Peely s’intéresse bien sûr aux artistes invendables, Clifford T. Ward, Bridget St John, Tractor, Mike Hart et un down-at-heel Gene Vincent qui est sur les talons et qui n’a plus de contrat. C’est sur Dandelion que sort l’excellent I’m Back And I’m Proud. Mais les fleurons du label sont Stackwaddy et Medecine Head. «Stackwaddy were punks before there were punks», dit Peely. Il ajoute que le chanteur était un déserteur de l’armée américaine et quand le groupe est parti tourner aux États-Unis, le chanteur portait une perruque : «Lors du premier concert, il était tellement ivre qu’il se mit à pisser sur les gens du premier rang. Il fut arrêté et la tournée fut annulée.» Comme Peely n’a pas le droit de passer ses poulains dans son émission, le label fait vite faillite et disparaît en 1972. Dommage, car il envisageait de monter le projet des 101 Sharons, comprenant 101 chanteuses nommées Sharon. Il abandonna le projet au bout de 40 Sharons. 

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             Et puis, il y a le mythe du Festive Fifty, an annual tradition, qui commence 1976 et qui se termine en 2004. Wally les donne à lire en fin d’ouvrage. C’est une vraie cartographie de l’histoire du rock, filtrée par un esprit averti. En tête du Festive Fifty de 1976 : Led Zep avec «Stairway To Heaven». Mais en 1978, 1979, 1980, 1982, ce sont les Pistols qui caracolent en tête avec «Anarchy In The UK». Et en 2004, The Fall avec «Theme From Sparta FC Part 2». Dans l’All Time (Millenium), les Pistols sont #4 après deux Joy («Atmosphere» et «Love Will Tear Us Apart») et les Undertones.

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             Et puis, il y a la fameuse collection. Peely reçoit environ 2 000 CDs chaque semaine, plus une centaine de singles. Sa philosophie reste la même : «Peut-être y a-t-il something là-dedans qui va se révéler quite wonderful.» Pour le savoir, il faut écouter. C’est le job du découvreur. ll est obligé de faire construire des extensions dans son domaine pour stocker tout ça : une extension en bois pour abriter l’énorme collection de twelve-inch singles, c’est-à-dire les maxis. Une autre pour abriter la collection de seven-inch singles, et encore un autre pour la collection de LPs, estimée à 30 000 exemplaires. Il passe 6 à 8 heures par jour à écouter tous ces disques. Il tient à jour un index à l’ancienne qui date des sixties. Il sait nous dit Wally qu’il devrait transférer toutes ces données sur ordi, mais c’est beaucoup trop de boulot, «ça me prendrait tout le restant de mes jours.» Après sa disparition, on a estimé sa collection à 26 000 LPs, 40 000 CDs et 40 000 singles. On y trouve notamment des singles signés par les Stones et les Beatles. Un délire. Une vie de travail. L’empire de la passion.  

             En 2004, Peely part en vacances au Pérou avec Sheila et il casse sa pipe en bois en faisant une petite crise cardiaque. Drame national. On a tous gardé le numéro spécial du NME avec Peely en couverture. En guise d’oraison funèbre, Tim Wheeler d’Ash a déclaré : «No more Festive Fifties, no more Peel Sessions, no more records played at the wrong speed.»

    Signé : Cazengler, pile ou fesse

    Mick Wall. John Peel. Orion 2004

     

     

                                           Todd of the pop - Part Three

     

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             Et puis on finit par s’enfoncer dans l’univers extrêmement dense de cet artiste immense, qui prend soin d’enregistrer quasiment chaque année un nouvel album. 2nd Wind paraît en 1991, et sur la pochette se dresse une curieuse figurine : celle d’un moine au crâne défoncé par une hache. Pourquoi va-t-on écouter cet album ?

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    Pour «Who’s Sorry Now», nouveau shoot de pop mélodramatique bâtie sur des descentes de chant vertigineuses. Todd vieillit bien, il chante sa pop de Soul au mieux des possibilités du genre. Quel power et quel souffle ! - Who’s sorry now/ Sorrow spoken here/ Please take a bow - Ça se termine sur un final rundgrenien complètement explosif. L’autre gros coup de l’album s’appelle «Public Servant». Derrière, Prairie Prince bat le beat de la plaine. Todd ressort pour l’occasion son big heavy sound - Public servant/ Public slave - Il sait encore rocker la couenne d’un cut. Bel album, une fois de plus. Todd reste dans son monde de pop scintillante, il a des choses à dire, alors il les dit. Nous n’apprendrons rien de plus que ce qu’on sait déjà. Il faut juste savoir rester en éveil. Todd peut proposer du petit funk blanc, comme le montre «Love Science» et y amener des idées de son. Il peut aussi aller chercher les sommets de la grandiloquence et travailler sa matière au corps comme le fit Jacques Brel, c’est en tous les cas ce qu’inspire l’écoute d’«If I Love To Be Alone», joué à l’extrême des possibilités du système Rundgrenien. On sent bien qu’il bâtit une œuvre. Todd Rundgren est un mégalomane de génie. Il dispose de toutes les ambitions de Nabuchodonosor, c’est très dirigé, très orchestré, très chanté, très collet monté. Il termine avec un morceau titre embarqué au petit beat d’exotica. Todd prend son temps alors que le beat l’incite à foncer. Main non. C’est un vieux renard. Il chante maintenant d’une voix plus ferme, comme s’il avait perdu sa candeur, mais il ne perd rien de sa superbe, heureusement. Tout est joué au petit pulsé de percus. Il pose sa mélodie chant sur cet enfer pulsatif et dose bien ses efforts. Cet homme a déjà beaucoup navigué. 

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             Paru en 1993, No World Order n’est pas son meilleur album, loin de là, mais il s’y niche un coup de génie intitulé «World Made Flesh», une sorte de heavy rock olympique, avec du son par-dessus le son et il ramène dans cette histoire toute la niaque de Nazz. Il explose le rock et tout le reste quand il veut. Todd nous amène au bout d’un album qui ne provoque aucun émoi et soudain, il éclate «World Made Flesh» au Sénégal avec sa copine de cheval. Il monte des couches par-dessus les couches, c’est babylonien, une tornade enchantée. Quand il éclate, il éclate. Et le reste de l’album ? C’est une autre histoire. Disons par charité qu’on ne l’écoute que parce que c’est Todd. Il fait une sorte de mélange de rap et d’electro et alors qu’on ne s’y attend pas, il revient à la pop avec «Worldwide Epiphany». Il redevient l’espace d’une chanson le pop king of the world. Il fait aussi de l’expressionnisme avec «Day Job» et y illustre le cauchemar industriel, puis il revient à la raison pop avec «Property» qui sonne comme un soulagement. Mais on le voit ensuite bouffer à tous les râteliers et il perd un peu de son panache, surtout avec le rap. Laisse ça aux blackos, mon gars.  

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             On trouve deux belles énormités sur The Individualist : «Espresso (All Jacked Up)» et «Cast The First Stone». Espresso montre que Todd peut encore provoquer des commotions. Il tape ça au funk des temps modernes et navigue en surface. Chez lui, tout est toujours très physique, surtout les images qu’il suscite. Il entend les tendances du son et pige immédiatement. Voilà encore un cut bourré à craquer de son, comme s’il voulait exploser les carcans. Il groove son exotica avec une niaque qui remonte au temps de Nazz. Quel artiste ! Follow the leader ! Il nous emmène en enfer avec Cast et puis voilà qu’avec le morceau titre, il part en mode hip-hop. En fait, il fait de la Soul. C’est un cut exemplaire. Les chœurs font «You’re The Individualist» et Todd répond avec candeur «Yes I am». Il swingue son Yes I am, il ramène tous les clichés du genre, sur un beau drive de basse. Il sublime les effets de Yes I am, il les flûte à la flûte. Ça groove à n’en plus finir. Il démarre aussi cet album en mode deep drive d’electro-shock avec «Tables Will Turn». Il sait très bien ce qu’il fait, il navigue en père peinard sur la grand mare du Philly Soul, il passe où il veut, quand il veut. Alors on entre ou on n’entre pas. Mieux vaut entrer. On trouve aussi de la littérature dans cette pop. Le livret est bourré à craquer de littérature. Todd embarque son monde chez lui. Il n’a rien perdu de son sens aigu du drive. Il va secouer les colonnes d’un nouveau temple, celui du hip-hop et de l’electro, il fait ce qu’il a toujours fait : il visite de nouveaux territoires. Il va sur une pop de prog avec «Family Values» et conserve tous les vieux réflexes. Comment swinguer un cut dans le raw ? Il ramène des chœurs d’une intense modernité. Il travaille sa pop comme de l’argile, il en fait des archétypes intéressants et reste profondément convaincu de son art. Encore du big Todd avec «Temporary Sanity», mais il faut attendre un peu pour que ça paraisse. Il chante à l’unisson du saucisson Todd, c’est battu à la diable et ça monte comme un orgasme. Il termine avec un «Woman’s World» qui sonne comme une aventure, même quand on croit connaître la méthode Todd par cœur. Il développe une pop ultra puissante qui se déverse jusqu’au bout, et Todd boucle ça à coups d’accords garage. Quel démon !  

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             Attention, Up Against It est une comédie musicale, un rock opera, au meilleur sens du terme. Même le côté comedy act y est puissant. On éprouve d’ailleurs les pires difficultés à entrer dans cet album qui apparemment n’est paru qu’au Japon. Un peu âpres au premier abord, les cuts finissent par convaincre. Todd joue un jeu très dangereux et soudain, voilà que ça explose avec le morceau titre. Il revient aux basics, il chevauche son dragon et c’est excellent, power & beat, tout est over the rainbow, il va vite en besogne, il chante à la folie des dieux, il redevient le magicien que l’on sait. C’est complètement bouleversant d’explosivité, il chante à la va-vite, mais il y a une constante sous-tendue. Il revient ensuite au comedy act, ce qui nous permet de souffler un peu, car il faut bien dire que les coups de génie de Todd donnent le tournis. Il tente de nous refaire le coup du Zen Archer avec «Parallel Lines», et même si trop de power tue le power, il passe avec sa belle pop évadée dans l’avenir. On a parfois l’impression que Todd Rundgren cherche à sauver le monde avec de la beauté. Et de cut en cut, tout s’anime comme ce «Lili’s Address», un stupéfiant bouquet de chorale galactique. Todd y fait courir le furet, son rock opera rivalise de grandeur géniale avec celui des Who. Et ça continue de monter au cerveau avec «Love In Disguise». Ce mec est un cas à part. Qui à part lui ose se lancer dans ce type d’aventure ? Comme tous les grands compositeurs, il atteint des sommets connus de lui seul. C’est très tartiné, chanté à plusieurs voix d’opéra. Il va chercher des ambiances extrêmes comme le montre «Maybe I’m Better Off». Ça rend l’album fascinant. Todd tartine son comedy act d’élans de génie. Son «Maybe I’m Better Off» est une merveille de non-chaleur contagieuse. Il combine l’extrapolation avec le génie pop, c’est énorme et difficile à suivre. Trop avancé. Il sur-chante en permanence son comedy. Il crée l’événement à chaque cut, il jongle avec les ambiances de cabaret et fait sonner son synthé comme un accordéon. Il va chercher des logarythmes baroques, ceux des Cockney Rebels, c’est très weird, très toddy et son «We Understand Each Other» vire jazz band galactique, alors éclate à nouveau le génie productiviste de Todd Rundgren. Ça éclate si joliment. Personne ne mène les expéditions aussi loin. Il vire exotica de Broadway avec «Entropy» qu’il amène au sommet de tout comme un Phil Spector éperdu de beauté mirifique.

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             Dans With A Twist paru en 1997, Todd relance son vieux «I Saw The Light» en mode Brazil. Pas de problème - Cause I saw the light in your eyes - Ça n’a pas bougé et c’est même peut-être encore plus magique. Sacré parti-pris, mais en attendant, quel paradis ! Autre tranche de paradis : «It Wouldn’t Have Made Any Difference». Il se plonge dans un gratté de belles notes allégoriques, sur des couches de chœurs superbes, tout est construit là-dessus. Il fait la différence rien qu’avec la fraîcheur des chœurs. Retour au Brazil avec «I Want You». Il se prend pour les Étoiles, il fait de la Bossa Nova de chaleur intense, il va droit sur le Brazil et irradie, il développe une énergie exotique qu’on ne lui connaissait pas. Il devient Tox Rundgren. Il joue aussi «Influenza» au groove des alizés. Ses notes de guitare flottent dans le vent tiède. Fabuleuse énergie du paradis ! Il reste dans la Bossa Nova avec «Can We Still Be Friends» et en donne une vision idéale. Il est dedans, et un sax taille une croupière au groove des îles. Todd réinvente la relaxation. Il renoue incidemment avec le Zen Archer. Il continue de tailler sa route avec «Love Is The Answer». Il chante avec du sable dans le pantalon. C’est assez intense, rien à voir avec les coups de soleil. Et quand on écoute «Fidelity», on réalise à quel point Todd est un prince, car il reçoit les gens chez lui. Il revient encore au temps de Nazz avec «Hello It’s Me». Il s’en sort avec les honneurs. De la même façon que David Bowie, Todd Rundgren est un magicien.  

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             En l’an 2000 paraît One Long Year sous une pochette électronique. Mais qu’on ne se méprenne pas : Todd veille au grain de l’énormité et ce dès «I Hate My Frickin’ I.S.P.», une heavy pop carillonnée d’arpèges qui va dans le ciel toute seule. Ça carillonne comme au temps béni des Beatles. Todd nous refait le coup de l’énormité du quinconce avec cette belle dégelée de super-power pop. Décidément, ce mec n’en démord pas. Il sonne toujours aussi bien. L’autre coup de Jarnac de l’album s’appelle «Love Of The Common Man», une tranche de pop à la Runt. Todd gère ça de main de maître avec des éclats de voix désinvoltes et les pianotis d’un dandy de Dead End Street. Extraordinaire brassage de sons et de genres, il ramène de la Soul dans cette espèce de pot aux roses. Petite merveille aussi que ce «When Does The Time Go». En pur Philly guy, Todd se fend d’un nouveau shoot de pop de Soul. Il revient toujours à sa vieille magie intrinsèque d’antan, il enchante l’enchantement, il remonte les bretelles de la Philly Soul. Il la travaille toujours à la perfection. Il passe au rumble de fouillis electro avec «Jerk», c’est bien accueilli même si ça sonne très exotique. Mais Todd s’arrange toujours pour passer en force. C’est un forgeron, il travaille son rock à l’enclume. Sacrée partie de babaloo ! Il amène «Yer Fast (And I Feel Like)» au rock opera avec des climax incertains et si dodus. C’est terriblement fouetté de son. Il crée des mondes à n’en plus finir, le voilà livré aux apanages du hardcore move de beat fatal. Il termine avec «The Surf Talks», histoire de libérer des forces extraordinaires. Todd Rundgren agit en Terminator de la pop de rock tribal. Il ressort sa plus belle niaque pour l’occasion et relance à gogo. Ce mec dispose d’une énergie hors normes.       

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             Belle pochette que celle de Liars. Todd y porte des oreilles et un museau de lapin. Alors attention, car c’est un big album, pour des tas de raisons. «Sweet», par exemple, qui sonne comme une échappée belle - Sing & shout it/ Tell the world about it - Il prêche dans le désert, car les gens se moquent de la vérité. Todd ramène tout son bon dee bee doo, il navigue au sweet & true like my love for you. C’est digne de Marvin Gaye, les clameurs croisent celles de «What’s Going On», les chœurs sont ceux de Marvin et les retombées à l’octave aussi. Il passe au mambo de jerk avec «Soul Brother» - They mixed it at about but then they/ Forget to add a pinch of Soul - Todd jazze son groove à la Georgie Fame. Il adore faire le Soul Brother. C’est un expert en la matière. Retour au rêve de pop avec «Past» - I was so surprised/ When the teardrop came - Ce mec est capable de moments magiques. Il explique pourquoi il vit dans le Past. Les fans de Todd Rundgren le suivront jusqu’en enfer et ils auront raison. Car il se montre digne des Flamingos et des meilleurs groupes de doo-wop. Les rasades de chœurs sont terrifiantes de véracité divinatoire. Encore plus immense, voilà «Living», une power-pop stupéfiante de puissance. Il met tous les power-chords du monde à son service. «Godsaid» vaut pour un coup de génie, save me ! Save me ! C’est de la heavy psychedelia, et le morceau titre, c’est tout simplement Babylone, tellement ça devient apocalyptique. Il est encore capable de stupéfier, sa power-pop court sous l’horizon. On salue aussi «Truth», monté sur un beat lectro et animé de descentes d’organes vertigineuses. Force est d’admettre l’extrême puissance du Rundgren Sound System. Même avec de l’electro, il parvient à passer en force. C’est très impressionnant. Cette énergie n’appartient qu’à lui et à lui seul. Power ! L’absolu power d’Absalon ! Sweet bird of truth come to me ! Chaque nouvel album de Todd sonne comme une aventure épique. Il redevient heavy as hell avec «Mammon» - Your God is Mammon ! - C’est du big Todd avec un couplet final explosif. Il fait aussi de la Soul en montant chez Kate à tous étages avec «Wondering» et revient à un groove de pop electrotte avec «Flaw». Pas de danger qu’on s’ennuie chez Todd Rundgren. Il travaille toujours son heavy groove de motherfucker au  corps. Tiens encore une belle énormité : «Afterlife». il revient pour l’occasion à sa pop éthérée. Ce diable de Todd Rundgren nous balade chaque fois pendant une heure. On finit par s’habituer aux richesses de son palais.             

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             Encore un album génial avec Arena paru en 2008. Dès «Mad», Tod explose sa pop avec l’ardeur d’un white shooter de r’n’b - Now I’m mad/ This is more than upset - He means it ! Fabuleux Todd, fabuleuse montée en puissance, il n’en finit plus de fracasser la tirelire de son cut, il n’a aucun problème de punch, il chante au somment de son art qui est celui du heavy rock rundgrenien. Il accumule les coups de génie sur cet album, avec des choses comme «Gun» ou «Courage». Il sort un solide boogie rock de Gun - I like the noise and I like the smell - Todd Rundgren est un pur rock’n’roller - Hell I got a gun - Il y va - I pop my gun - Il embarque son «Courage» au vent d’Ouest, il crée de la magie en permanence - When I lost courage of my convictions/ And I live in a constant fear/ That I’ll never have you here - C’est encore une fois du big Todd. Il fond sa pop dans l’ardeur suprême. On peut dire la même chose de «Weakness». Il étend l’empire de son groove suspensif. Ça se barre en Soul de pop - The sun that shines a light on my soul - C’est du niveau d’A Wizard A True Star - Ahh my weakness/ You are my kryphonite - S’ensuit un «Strike» violent, riff dans l’os, bordé de son, hurlé dans le combat. Todd claque ça si sec. Ça dégouline de génie. Tout sur cette album dégouline de génie fumant. Avec «Pissin», il craouète le boogie sur du son rebondi. Il se permet n’importe quelle fantaisie et ça dégénère assez vite. Il nous bat ça en brèche, il revient au I think by now we know better gratté sec et ça prend de l’ampleur - We all recall with special zeit/ We saw a solo pissin constest - on aurait presque envie d’entendre Todd Rundgren chanter ad vitam eternam. Le heavy balladif de «Bardo» sonne si bien, c’est quasiment du heavy psych. Et puis avec «Mountaintop», il passe au glam bop - Well the old man called me on his dying bed - Il fait du glam explosif. Alors il emmène le vieux sur la montagne. C’est invraisemblable. il joue les accords de Marc Bolan, mais à la new-yorkaise, et ça illumine tout l’univers - One step higher - Pur jus - One step higher - Il boucle avec un «Manup» bien riffé et chante comme un chef de guerre. Todd est un roi barbare civilisé. On accueille aussi la heavyness d’«Afraid» à bras ouverts. Il n’existe rien d’aussi définitif dans l’esprit du son. Il va chercher ici le big atmosphérix et le son chevrote au passage. Avec chaque album de Todd Rundgren, il faut prendre le temps de bien s’installer, comme dans une salle de cinéma et s’attendre à éprouver des émotions fortes. Todd Rundgren ne laisse pas beaucoup de place aux autres.       

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               Pas facile à dénicher, ce brave Todd Rundgren’s Johnson qui date de 2011. Notre héros inter-galactique y revisite Robert Johnson. Dès «Dust My Broom», il y va. Inutile d’attendre de la pitié de cet homme qui believe ainsi son dust my blues, il fait couler l’or du blues, personne ne peut égaler cette façon de couler l’or, il est le grand couleur de coulis devant l’éternel. Ce qu’il fait de ce vieux standard relève du génie absolu. Il en rajoute des couches. Et ça continue avec «Stop Breaking Down», sur le mode coulée de heavy Todd. Il explore tout ce qu’il veut, la pop, le rock, la Soul, le blues, l’opéra, l’electro, tout, alors aplatissez-vous mes frères car voilà l’empereur de toutes les Asies, l’effarant Todd Rundgren qui shunte son blues au sommet de l’harmonie vocale et en plus, il l’électrocute vivante, il est de toute évidence le pire fucker de blues qui soit ici bas, il multiplie les killer solos flash et en plus, il chante. Il dicte sa loi au blues. Il faut dire que les boogie blues de Todd ne sont pas ceux de Chicago, il y a un petit quelque chose en plus. Il amène «Walking Blues» au heavy boogie, il taille sa route dans une jungle de son. Il ramène le suitcase in my hand de «Love In Vain», mais ce n’est pas celui des Stones. Il fait autre chose. Il continue de charger sa mule avec «Last Fair Deal Gone Sour». Il noie tout de gras double, pas compliqué. Il en rajoute tellement que ça devient beau. Il réinvente la heavyness. Même chose avec «Sweet Home Chicago». C’est même assez demented, il sait appuyer sur le champignon. Encore du big heavy Todd avec «They’re Red Hot». Il ne se refuse aucun luxe et passe des solos foudroyants. Tout sur cet album est gorgé du meilleur son. Il va chaque fois chercher le paradigme électrique pour exprimer ce qu’est le blues, comme dirait l’autre. Il fait un «Hellbound On My Trail» fantastique, et même fantasmagorique. Pour ça, il élève une sorte de mur du son, le cut est classique, mais dans les pattes de Todd ça devient quelque chose de baroque : les jardins suspendus du blues de Balylone. Il ramène tout son fourbi dans la fournaise. Il conquiert des empires à coups de licks obliques. Il va continuer de tartiner sa mélasse épouvantable jusqu’au bout, avec un «Travelling Riverside Blues» râblé, bas sur pattes et gorgé de fouillis d’apoplexie. Il ne laisse aucune chance au hasard, il multiplie les virulences, il se veut taillé pour la route éternelle. Fan-tas-tique artiste ! 

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             (re)Production fait aussi partie des albums indispensables de Todd. Pourquoi ? Parce qu’il y revisite tous les groupes qu’il a produits. Tiens commençons par les Dolls. Il tape dans «Personality Crisis» au heavy doom. Il aurait dû s’abstenir. Puis dans Hall & Oates avec «Is It A Star».Il revient à ses protégés avec une drôle d’abnégation. Il ne devrait pas toucher à ça. Mais comme il peut l’exploser, alors il l’explose. Il explose tout ce qu’il veut et transforme ce vieux cut en coup de génie. Un de plus. Il fait aussi un malheur avec le «Dancing Barefoot» de Patti Smith. On le sait depuis longtemps, il est capable de faire un hit avec des machines. Son Barefoot sonne comme un hit electro, mais ça reste du Rundgren, avant d’être du Patti Smith. C’est même tellement intéressant que ça devient inclassable. Il mise tout sur le power du beat electro. Todd en a compris les avantages. Il transforme aussi «Two Out Of Three Ain’t Bad» de Meat Loaf en hit diskö. Tout ce qu’il trafique fonctionne. Le voilà dans la pop diskoïde de charme infectueux. Il finit par devenir assommant. Même le «Prime Time» des Tubes se montre affolant de supériorité. C’est une horreur montée sur un gros beat electro, un remix dévasté de la pampa. Il envoie sa purée, ça bruisse aux oreilles. Il fruite le cut des Tubes aux synthés mais chante dans l’épaisseur du beat. On finit par écouter cet album de plus en plus attentivement. «Chasing Your Ghost» est un cut d’un groupe nommé What Is This. Il le tape à l’electro d’heavy metal kid. En fait il chante comme il a toujours chanté. Il revient à la pop magique de Runt pour le «Tell Me Your Dreams» de Jill Sobule. Merveille absolue, battue au dream demented. Et puis tiens, voilà Badfinger dont il reprend «Take It All». Il reste chez les géants de la pop avec une reprise du brillant «I Can’t Take It» de Cheap Trick. Il en fait du hot Todd, une power-pop de synthé, comme seul Todd Rundgren peut en faire. Il va aussi chercher le groove extrême pour tailler une croupière au «Dear God» d’Andy Partridge. C’est bien secoué de la paillasse, joué dans la profondeur, and the devil too. Pur jus de Todd - Cant believe it.../ Don’t believe it... - Il explose l’«Everything» de Rick Derringer, il en sort une version puissante et imparable, même avec de l’electro, c’est bon, sa voix passe partout. Et voilà enfin Grand Funk avec «Walk Like A Man», cette fois, Todd passe en mode electro-funk. Il vibre le son à l’extrême. N’oublions pas qu’il a produit tous ces géants. Il en fait l’un des pires cuts de glam de l’histoire du glam. Il n’en finira donc plus de régner ? Dans ses liners, Todd explique qu’il a vu ce projet comme une opportunité de revenir à une musique qui n’a pas été prise au sérieux en son temps mais qui présente l’avantage d’être bien meilleure que ce qu’on propose aujourd’hui.      

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             Paru en 2013, State vaut le détour pour deux bonnes raisons : «Imagination» et «Sir Reality». Todd attaque son Imagination dans les dimensions supérieures du Zen Archer - Everyday’s the same old day/ Go along and get along - Sa manière de traiter le same old situation est assez passionnante. Il sait rester très puissant et ramener de la modernité dans sa heavyness, comme il l’a toujours fait, mais cette fois, il le fait avec un petit côté Mercury Rev. Il garde ses réflexes de vieux rocker dans sa façon de remonter le courant du chant - Just a problem I can’t solve - Il faut le voir monter sur son same old situation, il en fait un spanish castle de cristal vibrant de power sound, il gronde comme un diable et joue sur sa SG ses vieux dégueulis congénitaux. Les réflexes sont intacts, il fait de son Imagination une énormité mouvante. Il devient prophète avec «Sir Reality» - No one ever lies/ No one really dies/ Money gives you joy/ Girls are girls and boys are boys - Il dit que la réalité peut déplaire, so you can call me Sir Reality. Il explose ça in the old Todd way. C’est un seigneur. Avec «Serious», il fait du diskö beat colérique, il mène ça d’une poigne de vieux rocker new-yorkais. Il utilise «Ping Me» pour aller dans une sorte de heavy pop pinguy - So ping me - Il envoie ses légions, une masse incessante, une apocalypse guerrière extraordinaire. Todd Rundgren bâtit encore des cathédrales de son. Avec lui, tu en as pour ton argent. Ne viens pas te plaindre. Sur cet album, il fait pas mal de diskö electro. Tout n’est pas bon, heureusement. Il lui arrive de faire n’importe quoi. On lui fait confiance, et puis voilà qu’il nous fait le coup des deux ronds de flanc avec «Party Liquor».    

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             Le coup de Jarnac de Global s’appelle «Earth Mother». Il retrouve son sens aigu du heavy  groove de r’n’b avec un brin de machines. Des chœurs de filles l’épaulent et Todd nous fait le coup du r’n’b des temps modernes. Quelle puissante abomination rundgrenienne ! Avec «Blind», il tape son heavy doom d’excellence patrimoniale. Il sait toujours chanter son gut off. Derrière, Bobby Strickland mène le bal au sax. Todd met son «Blind» au service de l’écologie. Pour le reste, il met le paquet sur l’electro. «Everybody» vire transe d’acid freakout, Todd charge bien sa barque. Il bâtit toujours des architectures technoïdes assez originales, il fait chanter des robots et demande à la foule de claquer des mains. Et ça continue avec «Flesh & Blood», nouvelle rasade de techno diskoïdale. Il bâtit son empire tout seul dans son coin et prend quelques risques en inventant des sons. Il continue d’explorer de nouvelles possibilités avec «Rise». Il sait qu’il doit évoluer, alors il évolue sous nos yeux globuleux. Il doit évoluer coûte que coûte - If we don’t rise then we will fall - Il sent que le temps passe et que la mort approche. «Holyland» sonne comme le début d’Aguirre, mais au lieu de descendre dans la jungle, on va danser sur la plage. Todd rend hommage à la terre, grass & sand. Dans «Terra Firma», il commence par saluer cette brute de Christophe Colomb et passe en mode diskö-electro. On ne l’écoute que parce qu’il est Todd et qu’il croit en la terre ferme. Il dit aussi dans «Fate» que tout est cuit aux patates - Our future is/ No longer ours - Il a raison. Si on continue de l’écouter, c’est parce qu’on attend des miracles. Mais soyons honnête : ils commencent à se faire rares.    

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             Enregistré avec Emil Nikolaisen et Hans-Peter Lindstrom, Runddans se présente comme un objet d’art collaboratif. On craint un délire de type Utopia et finalement l’album se révèle passionnant. Todd nous emmène dans un monde qui ne doit plus rien à celui de Nazz. Il fait de l’experiment lunaire. T’as voulu voir Vesoul et t’as vu Todd. «Opad Over Skyene» s’annonce comme une nappe de son éthéré, et Todd chante entre deux eaux. Il atteint le sommet du planétarium. Il chante comme s’il venait d’être abandonné sur une planète inconnue. Il chante juste, en plus. Et puis soudain, son génie se réveille avec «Put Your Arms Around Me». Il fait de la pop de synthèse. Il propose tout bêtement du LSD. Inutile d’aller acheter une dose. Le son devient vite énorme. Todd réactive brillamment le mythe de la mad psychedelia. Il barde ensuite son «Altar Of Kausian Six String» du pire son jamais envisagé. Il explose l’audimat psychédélique et passe sans transition à l’écho du temps avec «Out Of Our Head». Avec un mec comme Todd dans les parages, il faut rester sur ses gardes. Il fait tomber des gouttes de son dans l’éternité. Il roule dans «Rundt Rundt Rundt» à la suite. Rien de ce qui se passe sur cet album n’est étranger à la folie. Il charge tout de son comme au temps béni du Zen Archer. Les voix se perdent dans une dimension robotique, tout est dirigé vers la sortie. Il nous sort les grands accords de Genève avec «Wave Of Heavy Red», une sorte de concorde philharmonique, ambiance idéale pour un visionnaire comme lui, il sort du son à la folie, ça devient incommensurable. Avec Todd Rungren, ça peut aller très loin, il ne faut jamais l’oublier. Il plonge avec «The Golden Triangle» dans des profondeurs soniques insoupçonnées. Il redevient indispensable. Il nous refait le coup du bop urbain avec «Ravende Gal» et la pression monte très vite. On a du son à gogo et même des relents d’expérimentation, les violons deviennent fous et le beat horrible, quel shoot de son ! Il crée de l’apothéose, il nous emmène aux confins du génie humain, au-delà de toute mesure. Il propose un nouveau monde. Laisse tomber tes petites notions moites de garage et de pop, Todd Rundgren t’emmène ailleurs. On ne l’avait pas très bien compris au début : Todd Rundgren est un sculpteur. Il est le Rodin du rock, il se bat au corps à corps avec l’argile du son. Il la façonne à sa pogne, jusque dans l’espace. C’est ce que révèle «Ohr Um Am Amen».

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             Paru en 2017, White Knight est un album collaboratif qui tarde à se révéler. Mais comme toujours chez Todd Rundgren, ça se révèle gigantesque. Il fait «Tin Foil Hat» avec Donald Fagen et donc les voilà partis tous les deux en mode groove urbain comme au temps de Steely Dan. Superbe, bien monté au bassmatic. Todd refait son caméléon. Il revient à la heavy pop des origines avec «Let’s Do This» - I’ve got my mad skills honed/ And I’m ready to roll - Joe Walsh vient gratter sa gratte dans «Sleep» et Todd parvient à expurger sa pop de chat perché par-dessus les toits. Il renoue avec sa chère pop ambitieuse et montre qu’il n’a rien perdu de son allant. Il duette avec Bettye LaVette sur «Naked & Afraid», et cette diablesse de Bettye entre dans le lard du groove indus et le fracasse. C’est une géante et on la voit revenir encore une fois exploser le pauvre Naked de Todd. Il embarque ensuite Satriani et Prairie Prince dans «This Is Not A Drill» et ça devient vite dévastateur. Prairie bat ça sec et ça devient du killer tune dingoïde. Il bat à la vie à la mort, alors Todd explose. Buy my T ! Le début de l’album est moins spectaculaire, même si «I Got You Back» pique la curiosité avec ses gouttes de son. Todd n’a plus la même voix mais son ambition reste intacte. Il va chercher des vents qui n’existent pas sur cette terre. Il fait son Eole, il monte très haut, come with me. Il chante ses visions avec une puissance inquiétante, Todd the Wizard est un vieil homme qui peut imposer le respect d’un seul coup de marteau. Son come with me impressionne durablement. Il duette avec Darryl Hall sur «Chance For Us». Il faut faire confiance au vieux Todd tout ridé, car il chante avec abnégation. Lui et Hall font bien la paire. 

    Signé : Cazengler, Todd Rengaine

    Todd Rundgren. 2nd Wind. Warner Bros Records 1991  

    Todd Rundgren. No World Order. Rhino records 1993  

    Todd Rundgren. The Individualist. Digital Entertainment 1995  

    Todd Rundgren. Up Against It. Pony Canyon 1997

    Todd Rundgren. With A Twist. Gardian Records 1997 

    Todd Rundgren. One Long Year. Artemis 2000         

    Todd Rundgren. Liars. Sanctuary 2004               

    Todd Rundgren. Arena. Cooking Vinyl 2008        

    Todd Rundgren. Todd Rundgren’s Johnson. MPCA 2011

    Todd Rundgren. (re)Production. MRI 2011          

    Todd Rundgren. State. Esoteric Recordings 2013   

    Todd Rundgren. Global. Esoteric Antenna 2015    

    Todd Rundgren. Runddans. Smalltown Supersound 2015

    Todd Rundgren. White Knight. Cleopatra 2017

    Lois Wilson : Drugs worked for me. Record Collector # 491 - April 2019

     

     

    Inside the goldmine

    - Très cher Fletcher

     

             Haut comme trois pommes, il portait des baskets à semelles compensées. Il parlait d’une voix extrêmement grave et, pour un gars du Nord, il n’avait pas trop d’accent. Son visage semblait porter les stigmates d’une vie d’aventurier, joues creuses, rides profondes, dents abîmées, teint très pâle. Personne n’aurait pu dire de quelle couleur étaient ses yeux, il portait des lunettes noires en permanence, le jour comme la nuit. Ses cheveux s’écoulaient en longues cascades blondes sur ses épaules. Il portait toujours la même veste de cuir fauve. En gros, il avait l’allure d’un hippie, mais il naviguait à un niveau beaucoup intéressant. Notre rencontre remontait à plusieurs mois. Je sortais d’un studio de répète quand soudain, j’entendis à travers la porte du studio voisin le solo que joue James Gurley en intro de «Summertime», oui, la version de Janis. Magique, à la note près ! J’entrebâillai la porte pour voir qui était l’auteur de ce prodige. Fetch bien sûr. Il répétait en trio avec un bassiste et un batteur. Leur version de «Summertime» tenait bien la route. Puis Fetch attaqua le «Tush» des ZiZi Top. Enfin bref, ils tapaient un répertoire de belles covers. Nous engageâmes la conversation à la fin de la répète et Fetch me demanda si je savais jouer de la basse. Oui. Ça tombait bien, car son bassiste partait à l’armée. Nous prîmes nos habitudes. Fetch baptisa le trio Some Sweet Days. La set-list comprenait pas mal de blues, donc l’excellent «Fool For Your Stockings» des ZiZi, le «Summertime» déjà cité, une version heavy d’«I’m A King Bee» et pas mal de stormers/shakers comme «Around & Around», le «Baby Please Don’t Go» des Amboys Dukes et une reprise sauvage de «Blue Suede Shoes». Fetch vénérait Gene Vincent. Et puis un jour de répète, on attendit Fetch en vain. Une heure, deux heures. Ça n’était pas dans ses habitudes. Dan qui battait le beurre lâcha ceci, qui n’était pas de bonne augure : «Bon là, on a un gros problème.» Pour éclairer ma lanterne, Dan m’expliqua que Fetch était connu dans le milieu. On l’appelait le violoniste. Il trimballait un pistolet mitrailleur dans son étui et attaquait les banques en solitaire. Effectivement, le lendemain, Fetch fit la une des journaux. Il s’était fait descendre à la sortie de l’agence qu’il venait de braquer. 

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             Pendant que Fetch agonisait sous les balles des condés, Fletch fléchait son parcours à Detroit. Darrow Fletcher ? Celui qu’on pourrait appeler the King Of Rare Soul est originaire de Detroit, mais il a grandi à Chicago. Ady Croasdell rappelle que Fletch est un petit prodige : à l’adolescence, il chante déjà comme un cake, il bat le beurre et sait gratter une gratte. Il n’a que 14 ans quand il enregistre son premier hit «The Pain Gets A Little Deeper» sur l’un des petits labels de George Goldner. Beaucoup plus tard, c’est l’A&R de Ray Charles qui repère Fletch dans un club et qui le recommande au vieux Ray. Coup de flash pour Fletch ! Ray finance l’enregistrement d’«Hope For Love» à Los Angeles. Du coup, Fletch part en flèche et signe avec Crossover, le label de Ray, et s’installe à Los Angeles. Elle est pas belle la vie ? Le pauvre Fletch enregistre un album pour Crossover qui n’est jamais sorti. Heureusement, Kent/Ace veille au grain. En deux compiles, Kent a réussi à reconstituer l’ensemble de la carrière de Fletch. Alors qu’est-ce qu’on dit ? Merci Tonton Kent !

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             Dans le booklet de The Pain Gets A Little Deeper - The Complete Early Years 1965-1971, Robert Pruter commence par rappeler que si la culture Soul est restée vivante, c’est essentiellement grâce aux collectionneurs britanniques. Cette première compile concerne la période Chicago, alors que la deuxième concerne la période Los Angeles. Pruter ne se contente pas de remettre les pendules à l’heure, il nous raconte surtout une histoire extraordinaire : Fletch est encore à l’école et son beau-père Johnny Haygood, qui vient juste d’épouser sa mère, lui demande ce qu’il veut faire plus tard. Fletch lui répond : «Music !». Le beau-père qui est un type bien lui répond qu’il va lui trouver quelque chose - Find something he did - Eh oui, le beau-père Johnny Haygood lâche son boulot de vendeur de bagnoles pour monter une petite boîte de prod à Chicago, avec des vétérans de la scène doo-wop. Et comme Fletch est incroyablement doué, qu’il chante bien, qu’il joue de la guitare et de la batterie, et qu’il compose, hop ils enregistrent deux de ses meilleures chansons, «The Pain Gets A Little Deeper» et «Sitting There That Night». C’est justement Deeper qui ouvre le bal de cette compile de tous les diables. Fletch sonne comme un Little Stevie Wonder en plus dynamique, juvénile avec une voix de mineur affamé, il peut feuler entre deux eaux, on n’avait encore jamais vu un truc pareil ! Avec «Sitting There That Night», il tape dans le balladif de big inspi, il est crédible, bien au-delà du seuil de tolérance. Cette histoire ressemble donc à un conte de fées. Puis Johnny Haygood emmène Fletch faire la tournée des labels et Deeper sort en 1965 sur Groovy, l’un des labels de George Goldner, qui est alors le pape de la pop américaine sur la côte Est. Comme Deeper marche bien, Fletch part en tournée : Apollo de Harlem, Uptown à Philadephie, puis au Regal à Chicago, en 1966, «où il se retrouve à l’affiche avec B.B. King, les Elgins, Stevie Wonder, les Capitols, Lee Dorsey, Jimmy Ruffin, les Swan Silvertones, plus les Sharpees (Hello Jean-Yves) et Jo-Ann Garrett.» Pruter exulte, car c’est une affiche de rêve. On ne pourrait plus imaginer un tel événement aujourd’hui. Puis Fletch enregistre «My Young Misery», nouveau chef-d’œuvre de heavy Soul. Pour son troisième single Groovy, Fletch pond «Gotta Draw The Line», un énorme r’n’b, il rivalise de classe avec le Motown Sound des Supremes, on oserait presque dire qu’il les surpasse. C’est enregistré à Detroit par Ed Wingate qui justement fait appel à des musiciens de Motown. Pour le quatrième et dernier single Groovy, Fletch enregistre le wild r’n’b «That Certain Little Something» et le transverse «My Judgement Day». Johnny Haygood arrête les frais avec Groovy car il voit bien que les comptes ne sont pas bons, surtout que Deeper a été number one ici et là. Alors, où est le blé ? Il décide alors de changer de crémerie. Il fonde son label, Jacklyn, à partir du nom de l’une de ses filles et il vend ses disques dans son record shop, au 2200 East 75th Street, dans le South Side, nous dit Pruter. Fletch ré-enregistre «Sitting There That Night» pour sonner comme Curtis Mayfiled qu’il admire. Puis il sort «Infatuation». Fantastique présence ! On peut comparer Fletch à Shuggie Otis, en plus hard, oui, il faut le voir tortiller sa Soul, il a du répondant et de l’aboutissant. Sur «Little Girl», Fletch est déchirant de juvénilité, perçant de véracité. Le conte de fées se poursuit : un vétéran de toutes les guerres, Don Mancha, prend un jour sa bagnole et quitte Detroit pour aller à Chicago bosser avec Fletch. Johnny Haygood ne sait rien de lui, mais quand Mancha sort de sa manche «What Good Am I Without You», Haygoog percute ! Fletch en fait une mouture ultra-dévastatrice, ultra-chantée et ultra-orchestrée. Les dynamiques sont infernales ! L’Homme de la Mancha est arrivé ! Mais le petit label de Johnny Haygood en bave, pas de promo, ça floppe. Sans staff et sans blé, un petit label ne peut pas survivre. Alors Fletch signe chez MCA qui chapeaute des petits labels comme Revue, Congress et Uni. Le boss d’MCA Russ Regan veut des Soul Brothers de Chicago, alors il récupère Fletch et les Chi-Lites. Fletch fout le feu dans les charts en 1970 avec «When Love Calls», il devient vertigineux, même dans le heavy balladif, il groove dans le move - I know it’s gonna call - Il ne vit que pour la démesure. Encore un hit avec «Changing By The Minute», il est tellement bon qu’il s’essouffle en permanence. L’Homme de la Mancha refait surface avec «Dolly Baby», un heavy groove de génie pur, Fletch rentre dans le chou à la crème du lard, c’est un fantastique groover, pulsé par des chœurs d’oouh ooouh oouh. Pruter dit que Fletch sang his ass off. Mais MCA ne renouvelle pas le contrat et Johnny Haygood remonte un label, Genna, pour sortir ce coup de génie qu’est «Now Is The Time For Love», amené à la flûte bucolique, Fletch y fait son Marvin au yeah yeah yeah, c’est du seigneurial de time for love. Sur la compile, tu vas aussi croiser «What Is This», un autre coup de génie - Tell me what it is - Il fait danser la Soul. On se régale aussi de l’attaque de «What Have I Got Now», toutes ses attaques sont parfaites. Encore de l’approche fruitée avec «I’ve Gotta Know Why», ce big r’n’b emmené au chant d’exception. Tout est bow chez Darrow.    

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             Ady Croasdell et Dave Box se tapent le livret de la deuxième compile, Crossover Records 1975-79 Soul Sessions. Après l’intense période de ses débuts, Fletch connaît des années de vaches maigres. Il doit bosser pour bouffer. Il a cependant un contact avec Jerry Butler, via son copain d’enfance Zane Grey. Mais c’est l’A&R de Ray Charles Pat Bush qui relance Fletch. Elle le voit chanter au Regal et lui demande s’il a des bandes. Elle les fait écouter à Ray qui flashe. Il  propose à Fletch un contrat de 5 ans, (1974-1979) et envisage de le produire. Ray lui demande aussi de monter sur scène avec lui pour chanter «This Time (I’ll Be The Fool)», une Soul très sensible qui ne tient qu’à un fil. Fletch est fier d’être accompagné par Ray au piano. Son premier single pour Crossover est l’excellent «Try Something New», une Soul de heavy popotin caramel d’une incroyable modernité, là tu as tout, l’accordéon et le ouhh de bienvenue. Et comme la mode est aux albums, Ray envisage de sortir un album de Fletch. Son titre ? Why Don’t We Try Something Brand New. Pour des raisons mystérieuses, l’album n’est jamais sorti. Dommage, car Ray avait pondu une belle présentation, il voyait Fletch comme l’avenir de la Soul - In the future to be one of the stars in the industry - Qu’on se rassure, tous les cuts de l’album inédit sont sur la compile. Le cut d’ouverture de balda devait être «We Got To Get An Understanding», un hard-funk de r’n’b, et le hit prévu était «(Love Is My) Secret Weapon», un cut de Soul moderne d’une fantastique énergie, avec Fletch qui court sur l’haricot du groove. On le voit aussi se battre pied à pied avec la Soul d’«(And A) Love Song». Il redevient le seigneur que l’on sait avec «(What Are We Gonna Do About) This Mess», il shake son groove de what-we-gonna do en profondeur, il enfonce bien son clou. Croasdell évoque même l’éventualité d’un deuxième album, mais Crossover coule en 1976. Ray continue de veiller sur Fletch qui n’a encore que 25 ans. Fletch finit son ère Crossover avec deux covers de classiques, «Fever» et «Sunny». C’est tout de même incroyable qu’une flashing flèche comme Fletch ne soit pas devenu une star.  

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             Paru en 2020, My Young Misery est une espèce de petit Best Of bien tempéré qui démarre sur les deux vieux coups de génie, «The Pain Gets A Little Deeper» et «What Good Am I Without You». Le Deeper reste ce raw R&B enfantin fabuleusement troussé à la hussarde. Fletch sait maintenir la tension d’un beat rampant. Il ne fait que du real deal. Son What Good est un vrai modèle de rentre-dedans, plus orchestré, plus pressant, plus puissant, plus pinçant, quasi-Tempts. Il attaque sa B avec «Infatuation», encore un solide R&B sévèrement bassmatiqué qu’il chante avec des accents féminins. Il roule son infaaa/ tuation dans le caramel. S’ensuit la reine des énormités, «I’ve Gotta Know Why», il tape en plein cœur de l’excellence de son époque. Voilà un cut produit par Ted Daniel en 1966 alors que dit-on ? On dit «woow la classe !». Et puis voilà qu’avec «Gotta Draw The Line», il se rapproche dangereusement de l’élite Motown. C’est du très grand R&B de 1966. On voit ensuite le son évoluer avec «Now Is The Time For Love Pt1» et «Hope For Love», on est en 1970, c’est une Soul nettement plus ambitieuse, plus orchestrée et Fletch évolue comme un petit crack.

    Signé : Cazengler, vraiment pas une flèche

    Darrow Fletcher. The Pain Gets A Little Deeper. The Complete Early Years 1965-1971. Kent Soul 2013

    Darrow Fletcher. Crossover Records 1975-79 Soul Sessions. Kent Soul 2012

    Darrow Fletcher. My Young Misery.  Kent Soul 2020

     

    *

    Sur la pochette de leur dernier album, je concède que vous puissiez avoir un doute si vous n’avez jamais vu une couve des 33 tours Capitol de Gene Vincent, pour l’EP précédent intitulé Tribute To Gene Vincent and Eddie Cochran, si cela ne vous dit rien, je vous raye ad vitam aeternam de la liste de mes connaissances, les lecteurs fidèles comprennent que dès qu’il existe un soupçon d’influence Vincentale quelque part, je me penche sur la piste comme un entomologiste qui découvre un ciron sur son citron.

    ROCKABILLY REVIVAL

    LUCKY 7.5.7.

    ( Album Numérique / Janvier 2023 / Bandcamp) 

    Non le jeune homme chanceux qui vous sourit de toutes ses dents ne s’appelle pas Lucky, ne commettez pas non plus l’erreur de croire qu’il est un tueur en série adepte du Magnum 747, non Lucky n’est pas son nom mais celui du groupe. S’appelle comme son père : Dan Spivey : rythm guitar, bv / qui prénomma son fils : Cory ( Spivey ) : lead vocal & lead guitar / ils ont débuté à deux mais ont été rejoints par : Angel Lopez : drums , bv / Sam Haga : bass, bv.

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    Ne nous attardons pas sur la pochette voici celle du deuxième 33 tours de Gene Vincent and The Blue Caps paru en 1957. Il suffit de la regarder et de comparer.

    757, non ils n’ont pas été sponsorisés par Boeing, 757 n’est pas un modèle d’avion mais c’est ce que l’on appelle aux Etats-Unis l’Area Code autrement dit l’indicatif téléphonique régional de l’état de Virginie. Une manière de revendiquer leur appartenance géographique et leurs racines rock’n’roll, sont originaires de Portsmouth en Virginie, cela ne vous dit pas grand-chose, il est une autre manière de vous situer, cette cité portuaire se trouve juste en face de Norfolk, ville natale de… Gene Vincent !

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    Let’s get ready : z’avez intérêt à être prêts car le début ressemble à une départ de tremplin glacé de saut à ski, le rocker se sent comme chez lui avec ce morceau dédié à Gene et Eddie ( clin d’œil aux Stray cats ), auréolés d’une foultitude de titres de classiques et zébrés d’éclairs de guitare les plus attendus mais assénés avec un savoir faire jupitérien, la section rythmique vous a l’impassibilité d’une Pacific qui a décidé de ne respecter aucun arrêt dans les gares… Crazy legs : quand on parle du loup le petit chaperon rouge ne tarde pas à le rencontrer, le morceau idéal pour se souvenir de ce bop borderline et méphitique qui restera le grand apport original et originel de Dickie Harrel au rock’n’roll, le battement  d’Angel vous a des rondeurs angéliques de chat qui fait le gros dos et se frotte contre vos jambes pour vous rappeler qu’il est temps d’ouvrir une boîte. Se débrouillent bien, bel hommage au wild cat. Completely sweet : ici c’est le petit chaperon qui va se faire léchouiller comme un bonbon, une cover respectueuse mais novatrice, une guitare plus clinquante, une voix moins embrumée, ce n’est peut-être pas complètement rockabilly mais totalement sweet, oh, oui !  Memphis cats : du pur de chez pur, avec une batterie qui jappe doucement mais assez fort les guitares qui boppent par intermittence, la basse qui frétille et étincelle sous les eaux et Corey qui vous le sort du timbre du chanteur de country qui a beaucoup vécu mais qui a l’intention de vivre encore longtemps. Broken heart : depuis le Heartbreak hotel d’Elvis (  même avant mais il ne faut pas le dire ) les rockers adorent avoir le cœur brisé, en tout cas un des plus beaux morceaux de l’opus, le chanteur de country tout à l’heure vous a acquis une de ses pêches, melba à la guitare et au sirop velouté de voix teintée de cette ironie qui n’est pas loin des sous-entendus inflexifs de Bob Dylan. Glad all over : un vieux morceau de country blues repris par Carl Perkins, que Corey survole, une très belle interprétation, une leçon de chant pour les amateurs, les autres boys un tantinet en sourdine pour que l’on en prenne de la graine. L’aurait pu rajouter deux ou trois couplets pour notre satisfaction. It’s time I win : on continue dans le même style, une voix traînante beaucoup plus country et contrite que hoqueteuse, n’ayez pas peur la guitare et la base rythmique vous pulsent un peu l’impression désabusée du gars qui a déjà tout perdu. Johnny’s rockabilly boogie : le genre de catastrophe du Rock’n’roll Trio qui vous rend les burnes nettes, vous en homaginent une espèce de démarquage qui exige une étude minutieuse pour établir la proportion entre mixité de techniques guitariques rockab et surf rock, attention mélange instable et explosif, ne vous trompez pas dans les proportions. Hot diddley bop : encore un hommage à un pionnier, c’est trop bo ! Si vous croyez croiser des tigres sanguinaires dans la jungle, vous la font du côté hominien du temps où nos ancêtres sautaient sur leurs pattes-arrières pour voir devant eux, et hop, et bop, un exercice très agréable. I’m gonna miss her : avec l’entrain avec lequel il clame son malheur l’on comprend qu’elle ne va pas lui faire la miss-ère. Le morceau dégouline dans votre gosier comme une crêpe à la confiture de fraise, vite avalée, vite oubliée, oui mais il y a ce petit pic de clic de guitare qui se fichera dans votre cervelle comme une fléchette empoisonnée. Don’t know where I’ll end up : des guitares qui tintent et le gars qui vous interpelle pour vous rappeler ses faux malheurs, une attitude country pour par la suite vous faire frétiller un régal de cordes, du note à note, et des changements de tons qui font le bonheur des amateurs. You can’t always win : un peu le même style que le précédent, une voix qui joue à saute-moutons et des guitares qui festivalisent, une basse qui ricoche une batterie pile au rancart, le petit solo obligatoire réussi, peut-être un peu trop parfait. True love is hard to find : pour une fois les backing vocals passent devant et n’oublient pas de revenir pour relancer le dialogue, un petit côté gospel non négligeable, le solo de guitare se charge de l’aspect sacré du prêche pour vous mieux persuader. B-B-B-Baby : une petite perle rockab, de celles précieuses que l’on aime enfiler, avec une basse qui imite un saxophone à moins que ce ne soit le contraire, un chant un peu à la Hervé Loison, mille détails qui vous rendront heureux.

    Je ne sais pas si le titre Rockabilly Revival est bien choisi, peut-être country bop revival aurait mieux exprimé le sens de la démarche. Ce qui est sûr c’est qu’ils sont doués et que le disque ravira les fans, toutefois j’aimerais bien savoir ce qu’ils donnent sur scène, sur leur site ou sur YT vous trouverez des petites merveilles, j’en ai choisi deux :

    LIVE AT THE GOODE THEATRE

    Vous trouvez l’intégralité du concert sur le live (même titre) paru en septembre 2020, qui regroupe 21 morceaux.

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    Run with me : on les voit quitter le backstage sur une musique grandiloquente parfaite pour un péplum, le Google Theatre possède la taille d’un cinéma, elle n’est pas totalement remplie, si vous regardez la vidéo de fin de concert vous verrez que l’ambiance est chaude. Lunettes noire et cheveux mi-longs, pas la coiffure habituelle du rocker de base pour Cory, souriant et totalement à l’aise. Il est indubitable que le groupe a l’habitude de la scène. Zut, retour case départ, avec mini-déclarations et l’installation sur scène passée en accélérée à la manière des vieux films de Charlot, sympa mais pas primordial, les petits détails, les réglages, Dan parle de son fils, Angel se chauffe à la batterie, Sam tripote sa basse, les voici assis autour d’une table répétant en acoustique Run with me et les revoici sur scène. Angel debout botte le train de sa caisse claire. Retour aux interviews. Une vidéo parfaite pour présenter le groupe mais pas indispensable.

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    Mar Agitado – Link Wray Way : les passionnés de surf rock seront aux anges avec cette mer agitée, cette joie de jouer, de s’amuser sourire aux lèvres, cette complicité de vieux routiers qui s’attendent aux croisements pour mieux brûler les feux rouges ensemble. Un must. All Ineed is you : belle voix le Corey, vous aménagez deux pistes à vos deux oreilles, le son est si clair que l’on entend parfaitement les quatre instruments, le Sam à la basse vous envoie une présence inimitable, Dan tout fier de son fils se marre. Tired of runnin’after you : belles images, je vous refile les noms derrière les caméras Will Clarke et Shana Nichole car ils le méritent, ce qu’il y a de plus admirable c’est leur manque apparent de difficulté, ça coule de source, ils ouvrent le robinet et l’americana jaillit en flots limpides. Seek higher ground : là ça coule aussi naturellement que du Creedence Clearwater Revival, rien ne semble hasardeux, vous vous dîtes que si vous rajoutiez ou enleviez un quart de note ce serait totalement raté, le grand art donner l’illusion que tout ce que vous faites est nécessaire et suffisant. Link Wray Way :  le chaînon manquant, bel hommage, un vous attendez la guitare devant, non c’est la voix acclamative, la six-corde n’est là qu’en contrepoint, vous n’attendez qu’elle, mais elle se cache à peine est-elle apparue, le vaisseau spatial qui vous file un coup de klaxon alors que vous roulez à fond sur l’autoroute car ses occupants tiennent à vous signaler que les extra-terrestres existent vraiment mais que leurs apparitions sont aussi rares que les extra-guitaristes. Miserlou : vous vouliez de la guitare, en voici, le morceau fétiche, on regarde, on écoute, on se tait, on n’écrit pas non plus. C’est inutile. Splendeur boréale. Red Hot : rockabilly chaud bouillant de Billy Lee Riley, entrecoupé d’images de pompiers de Norfolk, normal le Goode Theatre est en feu. Ebouriffant.

    Rien à dire, sur ce coup-là on a été chanceux.

    Damie Chad.

     

    *

    Etrange depuis quelques semaines chaque fois qu’un artefact musical ou visuel m’accroche l’oreille ou l’œil, dès que je m’enquiers de la provenance du phénomène la réponse est souvent la même : de Pologne. Pur hasard ou se passe-t-il vraiment quelque chose d’important en l’ancien royaume du Père Ubu. Peut-être suis-je atteint d’un syndrome polonais philinoïaque, la folie me guette-t-elle, mais avec ce groupe-ci je ne m’inquiète pas, il possède un nom rassurant, HighSanity je vous le traduis tout de suite HauteSantéMentale. Quoique… le titre est tout de même un peu étrange : Half, seraient-ils à moitié malades.

    HALF

    HIGHSANITY

    ( Interstellar Smoke Records / Avril 2023)

    Janek Ostrowski : vocals / Maciej Zajac : guitar / Sebastian Maciaszkiewicz :  bass / Roch Gablankowski : bass, vocals / Jakub Bizon : guitar.

    Sur l’Instagram d’ ISR, je retrouve comme par hasard la couve du dernier album de Moonstone paru sur un label ami ( Voir notre livraison 601 du 18 / 05 / 2023 ), la pochette de HighSanity est d’un tout autre genre. 

    Vous la retrouverez sur l’Instagram de Lou Kidd, il possède un autre nom d’artiste Lukasz Maciaszkiewicz est-ce le frère ou un autre hétéronyme du bassiste du groupe ? Je l’ignore. Cette pochette - étincelles sur le bâton de dynamite chaque morceau de l’album est pourvue de son illustration – m’a séduit par sa simplicité qu’il faudrait qualifier comme toutes les autres productions de Lou Kidd d’expressionisme algébrique abstrait. Ce n’est rien, quelques stries sur un fond noir, pourtant déjà l’on peut se faire une idée de la musique qu’elles évoquent, des barrières psychologiques flottantes, un malaise existentiel incertain, une vision assez floue de la place que l’individu se doit de s’adjuger dans un monde borderline.

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    Shades : courte introduction, bruissements, bruits de conversations lointaines, des voix masculines imitent le bourdonnement d’une mouche. Serait-ce pour insinuer que la vie humaine tourne en rond ? Last whispers off the day : featuring : Katarzina Firek & Weronika Kesek : batterie pépère se dirigeant vers une supérette, plein d’attaques de guitares par-dessous, arrivent sans prévenir, des voix qui se voudraient harmoniques comme les Byrds mais un jour de grosses faignasseries et les guitares qui reviennent secouer le panier à salade de la vie, un peu trop insipide et menteuse, l’on espère la nuit peut-être parce qu’elle est plus cruelle, l’on y va à pas chaloupés et puis l’on glisse subrepticement vers une espèce kaos mélodique, une guitare s’étire comme un élastique qui cherche la cassure irréfutable, un éclat de rire désabusé mais heureux de l’être puisque la marche du monde lui donne raison. Deeply wrong : voix fatiguée, profondément dépressive, l’on y court tout doucement, pas besoin de se presser l’on sait déjà où l’on va et ce que l’on va rencontrer, un monde dépourvu d’embûches, les guitares bourdonnent un coup en haut, un coup en bas – entre nous l’on se dit que le monde n’est pas si mauvais cela puisqu’il nous offre un très beau solo – bizarrement cet ostrogoth d’Otrowski semble être le premier à ne pas s’en apercevoir, préfère rester enfermé dans sa cage mentale, serait-ce un titre d’inspiration sartrienne ? Ghosts : featuring : Katarzina Firek & Weronika Kezek : au fond du trou, le mec n’est pas près de s’en sortir, vous êtes enfermé en un dôme de résonnances neurasthéniques, elles vous prennent la tête d’une façon agréable, mais pas celle de notre héros au quinzième sous-sol, la batterie se démène pour le réveiller de sa torpeur, z’avez envie de le secouer ce n’est pas que sa comprenette est emplie de fantômes c’est qu’il est lui-même le fantôme, l’auditeur ne ressent aucune angoisse. Love & disease : une espèce de tourniquet asthmatique sur deux notes, serait-celui de la folie, déjà que les philosophes nous ont appris que l’amour était une erreur et la vie une maladie, le gars n’est pas encore sorti de l’auberge de lui-même et des autres, nous l’on est tout ouïe, c’est si doux que l’on espère qu’il ne s’en sortira pas de sitôt. On a de la chance dans son malheur, fait tous ses efforts pour rester du mauvais côté de la vitre. Solitude : basse fréquence des arpèges de la solitude, le gars n’a plus rien à dire alors il se répète, le disque du cerveau s’est enrayé, surtout la piste de la voix parce que les instruments en profitent pour prendre le commandement et montrer tout ce qu’ils savent dans les paliers ascensionnels et désagrégatifs. Terminent un peu comme dans les morceaux antiques par une apocalypse sonore. Insomnia : featuring : Katarzina Firek & Weronika Kezek : le titre ne présage rien de bon, mais il démarre sur les chapeaux de roue, insomnie chaotique donc, avec ses vents de guitares l’on serait presque tenté de dire karocktique, jusqu’à ce que notre naufragé reprenne la direction du bateau échoué, le plongeur remonte vers la surface et aperçoit les premières lueurs violentes du jour, n’est pas encore sorti de l’abysse mais l’est poussé en avant, hissé vers le haut par l’instrumentation, chants de triomphe lointains pour l’encourager, il passe les paliers de décompression, un par un, il sait que peut-être là-haut on l’attend. The very end of night (Prelude) : featuring Eliza Ratuznick : la voix du mec qui a vu l’horreur sur  deux guitares acoustiques, va vers la vie, certes mais lle timbrea voix reste valétudinaire, il a tout compris, vous pouvez rencontrer des tas de gens et passer de bons moments mais à la toute fin vous vous retrouvez seul pour mourir. Ce prélude est un peu comme celui de Tristanet Ysolde de Wagner que les enregistrements font souvent immédiatement suivre de La mort d’Yseult…

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    Non ce n’est pas vraiment gai, mais l’instrumentation, toute simple, que l’on pourrait en même temps qualifier de symphonique pour ses subtilités signifiantes, est géniale. Un superbe effort pour que la dichotomie lyrics-musique forme un tout organique rarement atteint par d’autres groupes.

    Damie Chad.

     

    *

    Sur le marché Denis m’a tendu un livre, sous emballage plastifié, c’est pour toi Damie, alors je l’ai pris, en grosses lettres rouges sur la couve c’est écrit ROCK, que voulez-vous quand on a une réputation de rocker il faut l’assurer.

    ROCK FICTIONS

    CAROLE EPINETTE

    ( Cherche Midi / 2018 )

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    A première vue (expression malheureuse) je ne la connais pas, pourtant la demoiselle porte le prénom féminin le plus rock’n’roll du monde Carole, Oh Carol don’t let him steal your heart away, après ça se gâte, Epinette : plouf ce mot sent la tisane et la vielle à roue en bois d’épinette du renouveau folk des french seventies. Remarquez ça lui correspond assez bien, côté cour elle court le monde et les backstages pour assurer son boulot de photographe, côté jardin, en Dordogne, chez elle, près des arbres, adepte des thérapies douces, elle aime à sarcler les plates-bandes, pratique l’hypnose et la Méditation… rockeuse et hippie, face claire, pile sombre, une riche personnalité.

    La plupart de nos lecteurs ont déjà vu ses photos, dans de multiples revues : Hard N’ Heavy, Rage, Best, Metal  Hammer, Rock Sound ( j’ai adoré ce zine), Guitar Part, Rolling Stone, Rock & Folk, Libération. En 2015, à la suite d’une exposition intitulée Rock is Dead, elle a réuni quelques-uns de ses clichés dans un livre à qui elle a donné le même titre. Entre parenthèses le contenu est la preuve absolue que non seulement le rock n’est pas mort mais qu’il est encore vivant. La photographie de la couve qui reprend celle de l’affiche de l’expo, un portrait iconique de Lemmy Kilmister, est devenue virale.

    Ce n’est pas qu’elle aurait été insatisfaite du bouquin, les photos c’est bien, toutefois elles souffrent d’un gros défaut, elles ne parlent pas. Oh bien sûr une bonne photo peut vous en dire davantage que la plus merveilleuse des chroniques, mais la puissance irradiante des mots n’est pas à négliger. Pour remédier à cet état de fait, elle prépare toute seule, comme une grande, grâce à une cagnotte Ulule (un truc chouette), le projet Rock Fictions. Sur le papier le principe est assez simple, demander à vingt et un adeptes du maniement de la plume d’oie ou du clavier d’ordinateur d’écrire un texte, d’émettre une vibration, de mettre en mots une résonnance scripturale à un de ses clichés qu’ils auront choisi.

    Pour les photos pas de problème, que des gros poissons, je ne vous donne que la liste des cinq premiers groupes même si parfois le texte ne s’adresse qu’à un seul de ses membres : Pixies, System of a Down, Jack White, The Pogues, Robert Smith… de toutes les manières nos concasseurs de vocables s’inspirent d’un des titres des artistes.

    Pour nos raconteurs l’on n’est pas au même niveau de célébrité, à part Amélie Nothomb qui se contente d’un texte sans relief de dix lignes, l’est nécessaire de chercher un minimum de renseignements sur le net pour en appréhender leur profil littéraire.

    L’exercice n’est pas facile. Premier écueil ne pas rester collé sur la photo, tous évitent l’obstacle descriptifs, ne tombent pas dans le piège. Deuxième étoc ne pas trop s’en éloigner, la photo n’est pas un prétexte. Déjà plus difficile, prenons le cas de Jérôme Attal, auteur confirmé, parolier et chanteur, l’a tout ce qu’il faut dans sa panoplie, il va nous parler de Pete Doherty, en fait il écrit une nouvelle, peut-être la meilleure de toutes, ce n’est pas qu’il n’évoque pas la fragilité de Peter Doherty, c’est qu’il cause d’un phénomène de société qui l’intéresse, qu’il a vraisemblablement expérimenté par lui-même, mais l’on se dit qu’il aurait pu choisir une photographie d’un autre artiste et qu’il aurait pu écrire un texte similaire aussi brillant avec une autre figure aussi pathétique. Se met en scène tout autant et même mieux que le leader des Libertines, dans son texte il perd la partie, il ne rafle pas la mise, il gagne notre sympathie.

    Je ne sais pas comment a été choisi l’ordre des textes, étrangement c’est le premier de Gilles Marchand qui nous semble coller le mieux à l’essence du projet. L’est le seul qui s’inspire de la photo, Frank Black des Pixies, lunettes noires levées vers un soleil intérieur, accroché au manche de sa basse aussi long qu’un cou de girafe. Ne nous dit rien de lui, ni des Pixies. Se contente de la poser sur une des marches de l’escalier d’un petit immeuble.  De banlieue, parisien, de province, de n’importe où. De temps en temps le gigantesque inconnu laisse échapper quelques mots sibyllins sans queue ni tête De fait c’est le gars de la photo qui se tient debout sur la marche, mais aucun des locataires et encore moins le narrateur ne sait qui il est. C’est un peu comme le monolithe de 2001 Odyssée de l’Espace, il ne bouge pas, mais sa présence n’est pas sans effet sur les messieurs-et-mesdames-tout-le-monde qui ont l’air de se civiliser chaque jour davantage… Très belle métaphore des effets malfaisants et bienfaisants de l’apparition du rock ‘n’ roll dans l’apathie générale.

    Certains se raccrochent aux petites branches. N’ont pas opté pour tel artiste au hasard. Ils connaissent. Ils ont même des choses à dire. Exercice périlleux à tout vouloir expliciter l’on devient ennuyeux et pire encore, pédagogique. Celui qui s’en sort le mieux dans ce genre d’exercice c’est Olivier Rogez, grand reporter, romancier le gars a roulé sa bosse notamment en Afrique. S’ attaque à un monument. James Brown. Dès la première phrase du narrateur l’on sait où l’on se trouve et l’on devine qu’à la fin il rencontrera James Brown. Facile peut-être mais il nous dit tout ce que James Brown a pu représenter pour des millions de noirs américains. Un soleil noir qui brillait et illuminait leur quotidien.

    La maquette est à mon goût un peu trop attrape l’œil, le volume se lit vite, et les photos sont belles. C’était juste pour vous donner envie de voir et de lire.

    Damie Chad.

     

    *

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 30 ( Restif  ) :

    169

    Le président est pâle comme un mort. Le Chef lui offre un cigare :

    _ Cher président, prenez donc un Coronado, je vous conseille un Electrochoco, trois bouffées et vous vous remettez de vos émotions en trente secondes, fortement déconseillé aux enfants de moins de treize ans, réellement efficace, je vous l’assure.

    Le président titube, son conseiller se précipite pour glisser une chaise sous son postérieur avant qu’il ne s’effondre terre, il tente de le rassurer

              _ Président ce n’est rien, nous ferons disparaître cet amoncellement de cadavres durant cette nuit. Au petit matin ils seront oubliés. N’oubliez pas que nous sommes les manitous de la presse, qu’elle soit écrite, radiodiffusée ou télévisée et que nous savons de main de maître orienter les réseaux sociaux.

              _ Crétinoïde de Conseiller, arrêtez de m’embêter avec des détails mineurs, ce qui m’inquiète c’est autre chose !

              _ Ce ne serait pas moi par hasard ?

    Nous avons tous entendu. Le président et son conseiller roulent des yeux effrayés, le Chef en profite pour allumer un Coronado. Saisi d’un doute je cherche des yeux Molossa et Molossito. Lecteurs, ne m’accusez point d’anthropomorphisme, mes chiens sont doués mais je ne les crois point capables de prendre la parole comme vous et moi. Par contre j’ai confiance en leur flair. Pour le moment ils sont en arrêt à peu près au milieu de la pièce, à leur attitude frémissante je déduis qu’ils grognent sans bruit comme s’ils ne voulaient pas qu’on fasse attention à eux. Je comprends qu’ils ont peur, mais ils restent stoïquement immobiles. Bientôt tous les yeux sont fixés sur eux. Il semble que l’air bouge, étrange sensation alors que la porte et les fenêtres sont fermées, l’espace devient pour ainsi dire plus dense, vaporeux en ses débuts, il s’obscurcit lentement, une silhouette se dessine, d’autant plus facilement que la fumée du Coronado du Chef se love autour d’elle tel un boa qui s’apprête à étouffer sa proie

              _ Oui c’est moi, si je ne m’abuse !

              _ rhrhré !

    Le président pousse un cri, un peu comme quand vous marchez sur la queue d’un cobra et que l’inoffensive bestiole pousse un râle de douleur

              _ Asseyez-vous Madame je vous en prie, Agent Chad laissez votre chaise à notre visiteuse, une amie chère qui nous fait le plaisir de nous rendre visite.

               _ Pas du tout cher Chef, ce n’est pas avec vous que je viens causer mais à ces deux ostrogoths que voilà !

    Les deux ostrogoths n’ont pas l’air ravis. Assise sur sa chaise, la Mort a sa tête des mauvais jours, sa main décharnée est crispée sur la hampe de sa faulx avec tant de cruelle majesté qu’elle ressemble à Ramses II sur son trône dans le palais de Louxor. Elle ne tarde pas à les apostropher durement :

              _ Helminthes élyséens si je me souviens bien vous avez signé un pacte avec moi !

    Tétanisés, les maîtres de la France, n’osent même pas répondre.

             _ Le contrat était simple, pour ma part je m’étais engagée à vous débarrasser en premier lieu de Monsieur Lechef et de cette tête mal faite d’Agent Chad, ensuite de mettre à mort tous les rockers de ce pays, à condition que vous acceptiez ma demande de rien du tout, une petite faribole de peu de prix !

    170

    Le conseiller prend courageusement la parole :

              _ Nous avons essayé, hélas ils n’ont pas voulu, nous n’avons pas réussi à les convaincre, malgré tous nos efforts…

              _ On ne se moque pas impunément de moi, tout comme la mauvaise fée des contes d’enfants j’ai envoyé d’un coup de baguette magique paître dans les champs d’asphodèles l’inutile escouade de vos sbires stationnée dans l’escalier pour vous prouver qu’aucune protection ne s’avèrera efficace contre moi.

               _ Malgré tous nos efforts nous…

              _ Regardez-moi, j’ai tenu mes premières promesses pour que vous soyez sûrs de mon engagement, premièrement alors que Monsieur Lechef s’était endormi en fumant un Coronado, je n’ai pas hésité à lui baiser le bout incandescent de son cigare, encore plus horrible que le bisou baveux du lépreux, pour lui insuffler dans ses pensées la menace de la mort du rock’n’roll, depuis ces deux imbéciles n’en finissent pas d’errer dans les cimetières à la recherche de ce dont ils ne savent rien… Quant à notre rédacteur des Mémoires d’un GSH, j’ai froidement abattu cette petite pécore stupide marchande de journaux dont il était stupidement amoureux. 

    Il y a beaucoup d’Alices en ce bas monde, mais pour moi il n’y en avait et il n’y en aura toujours qu’Une. Sans réfléchir je sors mon Rafalos de ma poche et je balance un chargeur entier sur la grande dame qui n’en paraît pas affectée. Elle ricane et balance sa faulx effilée vers moi, instinctivement je recule, la lame aiguisée est passée à moins d’un centimètre de ma gorge, je sais que la deuxième fois j’aurai moins de chance, mais je suis pas le seul à avoir aimé mon Alice, Molossa et Molossito n’ont jamais oublié les bocaux de carambars et de chamallows (surtout ceux à la pistache) qu’elle leur ouvrait… Eux aussi veulent venger Alice qui les adorait, n’écoutant que leur courage ils s’accrochent au long manteau de la Mort et tirent de toutes leurs forces, elle essaie de les étriper d’un coup de faulx, mais tenant en leurs gueule les pans de l’ignoble défroque les chiens agiles tournent autour d’elles à toute vitesse, le vieux tissu ne supporte pas leur rage, il se déchire brusquement d’un grand coup, la nudité squelettique de la reine des ombres apparaît, elle pousse un cri d’horreur  de jeune vierge effarouchée, d’un bras elle cache l’absence de ses seins, et de l’autre elle essaie de voiler le renflement charnel inexistant de son sexe. Je savais que le Chef était un grand fumeur de Coronado, après cette scène il m’apprit qu’il participait chaque année à La Havane au lancer de Coronado sur cible, le fait qu’il ait remporté à plusieurs reprises le premier prix de cette discipline ne m’étonne pas, vu qu’éberlué j’ai été j’ai été témoin du trait de feu qui traversa subitement la pièce, il y eut un cri d’horreur une espèce de hululement de vieille chouette déplumée lorsque subitement le crâne de La Mort s’illumina, durant quelques secondes elle eut l’aspect d’une rousse incendiaire, une broussaille flamboyante eut raison des quelques cheveux blancs qui restaient encore par miracle accrochés à son occiput. Courageusement elle prit la poudre d’escampette et disparut dans les escaliers. Intrépidement le président et son valet la suivirent.  

    171

    Il y eut encore un peu de bruit dans les escaliers durant quelques minutes, le temps que les services de l’Etat, vivement appelés, nous supposons par le Président, fassent le ménage, z’en ont rempli fissa plusieurs camions bennes munis d’un toit de toile qui démarraient à toute trombe emportant on ne sait vers quelle décharge publique leur chargement de héros morts pour défendre la patrie.

    Dès que ce fut finit le Chef alluma un nouveau Coronado :

    • Enfin pouvoir fumer dans le calme, ce monde moderne me rend fou, Agent Chad cette nuit agitée a été fort instructive.
    • Nous avons appris qu’aux origines de cette affaire nous retrouvons les plus hautes autorités de l’Etat, ce qui n’est guère étonnant, nous les avons souvent rencontrées sur notre chemin dans nos précédentes aventures. Ils ont déjà essayé de se débarrasser de nous.
    • Agent Chad cette fois, ils ont conclu un pacte héréditaire avec l’ennemie N° 1 de l’espèce humaine, pour une raison que nous ignorons encore, nous devons la trouver dans les heures qui suivent !
    • La tâche risque d’être ardue, je ne vois pas comment procéder !
    • Agent Chad, ne soyez pas défaitiste, laissez-moi allumer un Coronado et tout s’éclaircira.

    J’avoue que j’ai douté, la même faute que Moïse devant Canaan, je ne veux pas insinuer que le Chef est Dieu, toujours est-il que la sonnerie du téléphone retentit à peine le Chef eut-il soufflé sur son allumette.

              _ Décrochez, Agent Chad, vous voyez bien que je suis occupé !

    Je me saisis du combiné :

    • Allo Damie, c’est moi c’est Carlos, il y a du nouveau, j’arrive dans cinq minutes, attendez-moi au coin de la rue !

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 604: KR'TNT 604: TINA TURNER / JAMES BROWN / TONY JOE WHITE / JOHN REIS / ANITA WARD VERMILION WHISKEY / NATTY DREAD / PIPER GRANT / FRANCOIS RICHARD / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 604

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    08 / 06 / 2023

     

    TINA TURNER / JAMES BROWN

    TONY JOE WHITE / JOHN REIS / ANITA WARD

      VERMILION WHISKEY / NATTY DREAD

    PIPER GRANT / FRANCOIS RICHARD

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 604

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Spectorculaire

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             Tina Turner vient de casser sa pipe en bois, aussi allons-nous rendre hommage à l’early Tina, celle du temps de la Revue. Déifiée par Totor, elle fut l’héroïne de l’un des Cent Contes Rock. «River Deep Mountain High» reste l’un des plus beaux hits de tous les temps. Merci Tina et merci Totor de nous avoir fait rêver.

            

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             Pharaon fait son entrée dans le temple du son. Les talons de ses Chelsea boots claquent sur le marbre du sol. Haut comme trois pommes et maigre comme un clou, il porte une tiare en or, un pagne fraîchement repassé et des grosses lunettes noires. De longues rouflaquettes encadrent son visage. Sur la tiare en or est épinglé un badge «Back to Mono». Le temple domine la vallée des morts. Au fond de la vallée sont rassemblés quelques milliers de musiciens issus de toutes les peuplades de l’Empire. Ils attendent en silence, telle est la consigne. De part et d’autre de la vallée, des milliers d’esclaves motivés par le fouet élèvent un mur gigantesque. Ils font rouler des moellons de plusieurs tonnes sur de gros rondins de cèdre lubrifiés. Le mur doit s’élever jusqu’au ciel, car telle est la volonté de Pharaon. Il fait construire le Wall of Sound. Pharaon se prépare à entrer dans l’histoire. Il lance un défi aux dieux dont il se dit l’égal. Plutôt que de conquérir le bord du monde pour montrer sa puissance, Pharaon préfère écrire des chansons. Quand les dieux entendront «River Deep Mountain High», ils frémiront. Pharaon vient d’écrire «River Deep Mountain High» avec Jeff Barry et Ellie Greenwich. Extraordinairement cultivés, Jeff et Ellie sont ses scribes les plus précieux. Pharaon contemple longuement la vallée. Il éprouve de grandes difficultés à dominer son impatience. Il sait qu’il tient un tube éternel. Ses narines palpitent. Sous le pagne, il sent son membre divin se dresser lentement. Il fait signe aux prêtres du temple du son de lui lire les oracles. Les prêtres éventrent les bestiaux prévus à cet effet et accourent les mains pleines d’abats sanguinolents. Ils se bousculent pour offrir à Pharaon l’exclusivité des oracles.

             — Les conditions sont réunies, Pharaon ! Il ne pleuvra pas aujourd’hui !

             Agacé, Pharaon envoie un terrible coup de sa crosse en or sur le crâne du prêtre-météo qui s’agenouille, abasourdi de terreur.

             — Mais il ne pleut jamais dans la région, sombre crétin ! Qu’on le jette aux crocodiles sacrés !

             — Noooon pitié Pharaon ! Nooon !

             Les Turkmènes de la garde rapprochée emmènent le prêtre qui se débat.

             Pharaon commence toujours par caler ses orchestrations. Lorsqu’elles sont irréprochables, il demande à des interprètes soigneusement sélectionnés de venir s’y fondre. Pharaon vit dans l’obsession de l’osmose : le jour et la nuit, la folie et le génie, les cuivres et les cordes, le ciel et la mer, le chant et l’instrumentation, il mêle les extrêmes en permanence. Il se tourne vers l’horizon et lève les bras au ciel. Un immense murmure s’élève de la vallée. Les musiciens s’affairent. Ils vont bientôt devoir jouer selon les règles strictes édictées par Pharaon. Les partitions sont gravées dans des tablettes d’argile. Des milliers de scribes ont travaillé jour et nuit. Les musiciens n’ont que quelques minutes pour s’accorder sous le soleil de plomb. Quand Pharaon donnera le signal, ils devront être prêts à jouer.

             Pharaon donne ses dernières instructions :

             — Bassistes crétois, vous façonnerez l’épine dorsale d’une grosse bassline et vous fendrez le silence comme la proue d’un navire de guerre fend les vagues ! Quant à vous, guitaristes ibères, je vous demande de jouer le rythme basique ! Ne jouez rien d’autre, pas de flamenco, avez-vous bien compris ?

             Une immense clameur monte de la vallée :

             — Ouiiii Pharaon !

             Puis il s’adresse aux huit mille pianistes :

             — Je vous demande de jouer les octaves de la main droite ! J’exige de vous l’emphase dramaturgique !

             — Compriiiis, Pharaon !

             Pharaon passe sa main dans le dos et ramène le revolver qu’il garde toujours serré sous la ceinture. Il tire un coup en l’air. C’est le signal. Les basses crétoises roulent comme le tonnerre, agrémentées de tampanis congolais. L’immense orchestre joue une petite introduction en escalier. Pharaon lève les bras. Silence. Puis l’orchestre reprend, des vagues assourdissantes s’en vont se briser contre les murailles et se réverbèrent dans un chaos d’écho d’une grandeur incommensurable. Des nappes de piano s’envolent comme des nuées de sauterelles et s’en vont percuter les roulements des tambours que battent avec pesanteur des milliers de berbères. Pharaon fait jouer l’orchestre des jours durant. Il n’est jamais satisfait. Et puis un jour, son visage se détend. Les lèvres tremblantes, il murmure :

             — Oui, c’est ça ! C’est ça !

             La qualité de l’écho atteint la perfection.

             Pharaon lève les bras au ciel. Les musiciens arrêtent de jouer, mais les deux murailles géantes renvoient encore de l’écho pendant de longues minutes. Jusqu’à ce que le silence s’installe. L’orchestration est au point, le moment est venu de choisir l’interprète. Pharaon ordonne qu’on fasse venir les cages des candidats. Dix petites cages à roulettes sont installées en demi-cercle sur l’esplanade du temple. Pharaon les passe en revue. Dans la première s’agitent quatre sauvages à la peau blanche. Ils ont les cheveux longs et sales. Ils portent des blousons de cuir et des jeans déchirés. Pharaon s’adresse au plus grand :

             — Ton nom !

             — Joey Ramone !

             — Chante-moi quelque chose !

             Joey bombe le torse et chante «Baby I Love You» des Ronettes. Pharaon est agréablement surpris.

             — Hum...Tu as une bonne voix, mais tes amis ne me plaisent pas du tout... Ils ont l’air tellement stupides !

             Celui qui reste allongé dans la paille lance d’une voix rageuse :

             — Je m’appelle Dee Dee et je t’emmerde, Pharaon tête de con !

             Et Dee Dee crache au sol, juste entre les deux pieds de Pharaon. Silence de mort. Pharaon sort son revolver, tire une balle dans le ciel et hurle :

             — Aux crocodiles !

             Dans la deuxième cage se trouve un autre sauvage à la peau blanche. Il porte une barbe et les cheveux longs.

             — Ton nom ?

             — George Harrison !

             — Tu m’as l’air bien mystique... Chante !

             Le pauvre George n’est pas en très bonne santé. Il ravale sa salive et chante «My Sweet Lord».

             — Aux crocodiles !

             Pharaon passe à la cage suivante. Un autre sauvage à la peau blanche et une chinoise sont allongés nus dans la paille.

             — Ton nom !

             — John Lennon et elle, c’est Yoko !

             Pharaon admire les formes de la chinoise :

             — Vous n’êtes pas là pour forniquer mais pour chanter. Alors chantez !

             John Lennon se lève et entonne «Instant Karma». Yoko joue du tambourin en faisant un sourire qui ressemble à une grimace. Pharaon ne les envoie pas aux crocodiles. Il ne veut pas que ses crocodiles sacrés attrapent une indigestion. Dans la cage suivante se trouve encore un blanc.

             — Ton nom ?

             — Dion DiMucci !

             Pharaon ne lui demande même pas de chanter. Trop romantique. «River Deep Mountain High» a besoin de chair fraîche. Pharaon passe en revue cinq autres cages où sont enfermés les Crystals, les Righteous Brothers, Darlene Love, Leonard Cohen, Bobb B Soxx. Il se plante devant la dernière cage. Une esclave nubienne plonge son regard de feu dans celui de Pharaon. Elle porte une tunique déchirée qui ne cache plus rien de son anatomie pulpeuse. Ses cuisses luisent comme des colonnes d’albâtre.

             — Ton nom, femelle lascive !

             — Tina, Pharaon, pour te servir...

             Et elle fait glisser la pointe de sa langue sur le pourtour de sa bouche entrouverte. Près d’elle se tient un grand Nubien d’apparence teigneuse.

             — Ton nom !

             — Ike Turner ! Je suis son mari !

             — Faites-la sortir de la cage ! Pas lui ! Qu’il y reste et emmenez-le avec les autres ! Qu’ils disparaissent tous de ma vue ! Mon génie ne les a même pas aveuglés ! Ah les chiens galeux ! Que les descendants de ces immondes barbares soient maudits jusqu’à la septième génération !

             Tina est enchaînée. En marchant, elle râle comme une panthère. Pharaon la présente à l’immense orchestre installé jusqu’au fond de la vallée.

             — Musiciens ! Voici Tina ! Elle portera ma chanson aux nues !

             Un grondement d’acclamations roule dans la vallée. On installe un pupitre devant Tina. Les paroles de la chanson sont gravées sur une tablette d’argile. Pharaon lève les bras au ciel. Le silence se rétablit. Il tire un coup de feu en l’air. L’orchestre joue la petite intro en escalier. Break. Silence. Reprise. Tina ouvre une bouche qui ressemble à un four :

             — Quand j’étais une petite fille/ J’avais une poupée de chiffon/ La seule poupée que j’aie jamais eue/ Maintenant je t’aime comme j’aimais cette poupée de chiffon/ Mais maintenant mon amour a grandi !

             Tina chante comme une nymphomane. Elle roule les paroles entre ses muqueuses. Elle est poignante et magnifique. Le son qui monte de la vallée l’enveloppe. Des langues d’écho lèchent la peau luisante de ses cuisses. Les musiciens des premiers rangs voient son sexe béant palpiter. Alors Pharaon donne un violent coup de crosse sur le sol et le son explose. L’immense orchestre de la vallée bâtit des montagnes imaginaires, des ponts de cristal suspendus, des murailles de verre, des cavernes enchantées, des falaises de marbre, des gouffres abyssaux et des cascades de son s’écoulent dans des précipices wagnériens, des fumées blanches montent dans l’air saturé d’écho, une féerie grandiose éclate dans le tournoiement des masses d’air. Les tambours et les percussions se fondent dans les basses qui se fondent dans les guitares qui se fondent dans les pianos qui se fondent dans les violons soudanais qui se fondent dans les voix. En transcendant le principe même de l’osmose cosmique, Pharaon crée une fantastique pulsation qui remplit tout l’univers perceptible. Et au sommet de cette pulsation s’empale l’esclave Tina. Chaque molécule de son corps se dissout dans le souffle magique que renvoient les deux murailles géantes. Pharaon lève les bras au ciel. L’orchestre s’arrête brusquement. Quel choc ! Un silence vibrant d’écho s’installe. Les dieux ne pardonneront jamais à Pharaon de les avoir ainsi nargués. «River Deep Mountain High» n’aura pas le succès escompté. Profondément vexé, Pharaon fera construire une pyramide avec les moellons de son mur du son et s’y retirera pour l’éternité.

    Signé : Cazengler, Tinette

    Tina Turner. Disparue le 24 mai 2023

    Cent Contes Rock. Patrick Cazengler. Camion Blanc. 2011

     

    Brown sugar

    - Part Two

     

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             Dans Kill ‘Em & Leave - Searching For The Real James Brown, James McBride mène l’enquête. Il n’existe rien d’aussi parfait que ce travail d’investigation pour approcher la réalité de cette immense star que fut James Brown. Ce court roman fonctionne comme un traitement de choc. James McBride est black. Il rencontre des gens qui ont connu ou travaillé avec James Brown pour les interviewer, souvent dans des petits restaus blacks de la région d’Augusta, en Caroline du Sud. On est bien sûr aux antipodes du biopic hollywoodien, le fameux Get On Up, évoqué ici même la semaine dernière. McBride s’empresse de le démolir : la course poursuite avec les flics ? Faux. James Brown qui force un barrage de police au volant de son pick-up ? Faux. D’après le rapport d’enquête officiel du FBI, nous dit McBride, James Brown n’a jamais tiré dans le plafond de la salle de réunion, comme le montre le biopic. Charles Bobbit indique que Mr. Brown ne jurait jamais - I never heard Mr. Brown utter a curse - McBride explique que la course poursuite ne pouvait pas se produire, parce que James Brown était un black du Sud. He wasn’t stupid. En fait, ce sont les cops qui ont détruit son pick-up. Ils l’ont chopé après une «low-speed chase» et ont tiré 17 balles dans le pickup, dont deux sont allées dans le réservoir à essence, alors que James Brown était encore à l’intérieur - Brown was terrified - Quand il a été amené au poste, un flic en civil s’est approché de lui alors qu’il était encore menotté et lui a mis son poing dans la gueule, faisant sauter une dent. À ce moment-là, nous dit McBride, James Brown est dans une sale passe : «Sa vie s’était  écroulée, son groupe s’était désintégré, les impôts l’avaient mis sur la paille, à 55 ans il retombait dans une semi-obscurité», et il fumait du PCP en cachette pour supporter tout ça. Physiquement, il tombait en ruine, ses genoux le lâchaient, il souffrait d’arthrite et il endurait un supplice permanent à cause de ses dents. Quand il a vu qu’on était entré dans son bureau, à Augusta, il a cru qu’on l’avait une fois de plus cambriolé. Alors il a sorti son flingue, et c’est à cause de ça qu’il est allé moisir trois ans au trou. McBride ajoute que le biopic trafique la réalité. Et le fait qu’il soit vu par des millions de gens à travers le monde le rend triste, car il donne une idée complètement fausse de James Brown qui vivait, avec cet épisode, la pire des humiliations. McBride s’insurge aussi contre le portrait qui est fait de sa mère, une pute, et de son père, une brute. En réalité, James Brown, a réussi à réunir ses deux parents et McBride insiste pour dire que Daddy Brown était un homme gentil et drôle, qui adorait son fils. Zola-McBride accuse le biopic de Dreyfuser James Brown pour en faire «a complete wacko in a film that is roughly 40 percent fiction et qui ne montre aucun aspect de la vie des familles noires et de la culture dont il est issu.» Tout dans ce film est roulé dans la farine hollywoodienne des clichés : «la grosse tante black qui lance au jeune James ‘you special boy’, le bon et loyal manager blanc, les musiciens noirs qui ont aidé James Brown à créer l’une des formes d’art les plus importantes du XXe siècle et réduits par le script à l’état de crânes vides, avec notamment la scène où Pee Wee Ellis fait le clown, une scène que Pee Wee, pionnier et co-createur de la Soul music américaine, conteste, car elle n’a jamais eu lieu.» To add insult to injury, comme disent les Anglais, voilà qu’apparaît le nom de Jag. On le voit danser, à la fin du T.A.M.I. Show, comme the strawman in the Wizard Of Oz, nous dit McBride - It’s all on line. You can see it - Keith Richards déclara plus tard que les Stones commirent la pire erreur de leur carrière en voulant passer APRÈS James Brown. On voit d’ailleurs la version hollywoodienne du T.A.M.I. Show dans Get On Up. C’est aussi Jag qui co-produit le docu évoqué la semaine dernière, Mr. Dynamite - The Rise Of James Brown. McBride : «Aujourd’hui Jagger is rock royalty, James Brown is dead, et Inaudible Productions qui supervise le licensing du catalogue des Rolling Stones, administre aussi celui de James Brown.» Charles Bobbit conclut l’amer chapitre en affirmant que Mr. Brown n’aimait pas Jagger - He had no love for Mick Jagger.  

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             McBride n’en finit plus de rétablir la vérité. Il revient sur les premières années de ballon évoquées dans le biopic pour dire qu’en fait, James Brown a pris une peine de 8 à 16 ans pour vol de pièces sur une bagnole et qu’il est sorti, au bout de trois piges, d’une taule juvénile à Toccoa, en Georgie. On imagine le carnage qu’aurait fait Leon Bloy s’il avait pu voir ce film.

             Bon, tout ça c’est bien gentil, Mr. McBride. Et le génie de génie de James Brown ? C’est pour ça qu’on est là.

             Si un écrivain rend hommage à un artiste, son boulot consiste surtout à expliquer les raisons de son importance. McBride est un écrivain qui sait tenir son attelage : pas d’élans lyriques, mais une façon très spéciale d’encenser : «Ce qui met James Brown à part, en plus de la longévité d’une carrière menée dans un milieu artistique très dur, c’est qu’il a dominé et même éclipsé tous les grands artistes noirs des années 50, 60 et 70, une période où sont apparus les plus grands artistes américains, des artistes d’un niveau qu’on avait encore jamais vu et qu’on ne verra sans doute jamais plus : Little Richard, Ruth Brown, Hank Ballard & The Midnighters, Screamin’ Jay Hawkins, Little Willie John, Ray Charles, Jackie Wilson, Otis Redding, Aretha Frankin, Wilson Pickett, Joe Tex, Isaac Hayes, Earth Wind & Fire, Sly & The Family Stone et bien sûr les Motown heavy hitters of the seventies, to name just a few.» McBride détache ainsi James Brown du somptueux peloton de la Soul pour le situer higher, comme dirait Yves Adrien. C’est un préambule indispensable. Quand on l’écoute et ou quand on le voit dans un concert filmé, on ressent exactement ça : James Brown is higher. Stay on the scene !  McBride y revient plus loin : «Même Aretha avec toute sa Soul et sa puissante section rythmique ne pouvait pas égaler the burning fire et l’individualité du James Brown sound. They were different sounds. Different musicians. Different cities. Different blacks. But James Brown’s uniqueness stood him above them all.» Pour dire le rôle que joue James Brown dans la communauté noire, McBride va toujours plus loin : «Dans sa vie, chaque homme et chaque femme a une chanson. Vous la gardez en mémoire. La chanson de votre mariage, la chanson de votre premier amour, la chanson de votre enfance. Pour nous, Afro-Américains, la chanson de toute notre vie est incarnée by the life and times of  James Brown.» Et plus loin, il y revient : «James Brown was our soul. Il était indéniablement black. Indéniablement proud, c’est-à-dire fier. Indéniablement un homme.»

             Le moment est venu de parler chiffres : «Pendant les 45 ans de sa carrière, James Brown a vendu plus de 200 millions de disques, enregistré 321 albums, dont 16 furent des hits, il a écrit 832 chansons et obtenu 45 disques d’or. Il a révolutionné la musique américaine, il a été le premier à mixer le jazz et de funk, et le premier à sortir un album live qui fut numéro 1.» Des gens dans la presse ont bien tenté de le décrire - A super talent. A great dancer. A real show. A laugher. A drug addict, a troublemaker, all hair and teeth - The man simply defied description. McBride tente d’expliquer ça en rappelant que personne ne peut approcher la réalité de cet homme, «car il vient d’une région qu’aucun livre n’a pu expliquer, une région façonnée par l’esclavage, l’oppression et l’incompréhension, dont la nature sociale défie toute tentative d’explication. The South is simply a puzzle.» Autre élément de réflexion : McBride rapporte que Miles Davis et James Brown s’admiraient mutuellement,  mais à distance - hard men on the outside, but behind the looking glass, sensitive, kind, loyal, proud, troubled souls working to keep their pain out.

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             Dans un éclair de génie littéraire, McBride amène James Brown sur scène : «Son orchestre arrivait sur scène et cassait la baraque, knock ‘em down, pendant que Brown attendait dans la coulisse en fumant une Kool cigarette, il regardait le public et savait exactement à quel moment arriver sur scène, lorsque le public le réclamait. Alors il arrivait avec sa démarche de pigeon et plongeait le public dans le delirium. Ils les emmenait sur la lune, les assommait avec des blasts de soulful levity et quittait la scène. Après le concert, les notables et les autres stars s’empressaient de venir congratuler Brown, mais il les faisait attendre pendant trois heures, parce qu’il était sous son casque pour refaire sa pompadour, puis il s’éclipsait sans voir personne. Sharpton lui demandait pourquoi il s’en allait, alors que des gens importants voulaient le voir et Brown lui répondait : ‘Kill ‘em and leave, Rev. Kill ‘em and leave.’ C’est ce qu’il a fait pendant 50 ans. James Brown n’était pas un homme ordinaire. Il n’était pas facile de faire sa connaissance. James Brown gardait ses distances.»

             Pareil, il est au Zaïre pour le fameux combat Ali-George Foreman, toutes les grandes stars black ont fait le déplacement pour jouer dans le stade, Mobutu promet de distribuer des diamants après les concerts. Après avoir plongé 80 000 personnes dans l’extase, James Brown dit à Sharpton : «Pack Up. We’re leaving.» Sharpton insiste : «But Mr. Brown, on vient d’arriver.» «Kill ‘em and leave, Rev. Kill ‘em and leave.» Rien à foutre des diamants de Mobutu. James Brown insiste : «Trying to play big. Just be big.» À Charles Bobbit, James Brown dit la même chose, avec d’autres mots : «Mr. Bobbit, don’t ever stay nowhere for a long time. Don’t make yourself important. Come important and leave important.» Bobbit ajoute qu’on ne discutait pas avec Mr. Brown. On l’écoutait. Vouloir le convaincre de quelque chose, c’était perdre son temps. Bobbit ajoute que Brown n’était pas un bon businessman. Il le reconnaissait lui-même, se disant 60 % entertainer et 40 % businessman. Il ne voulait pas que les gens le connaissent. Il dit aussi à Bobbit que lorsqu’il va casser sa pipe en bois, ce sera un gros bordel, pour l’héritage. Ça prendra dix ans pour tirer tout ça au clair. Pourquoi ? «Parce qu’ils ne sauront pas comment faire.» Et pourquoi ne sauront-ils pas comment faire ? «Parce qu’ils ne connaissent pas Mr. Brown.» Alors McBride pose la question à Bobbit : «Qui est Mr. Brown ?». Bobbit répond qu’il ne voulait qu’on sache qui il était. Pourquoi ? Bobbit regarde ses mains et murmure : «Fear.» McBride : «Peur de quoi ?». Bobbit lâche le morceau : «The white man. He was Mr. Say It Loud, mais the white man owned the record business.»

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             Dans les années 60 et 70, James Brown se voyait en concurrence directe avec Motown, en tant que one-man hit machine, et les deux camps, nous dit McBride, étaient lancés à l’assaut  des radios blanches, là où se trouvait the giant money. Ça grouillant littéralement de stars, «James Brown était aussi en concurrence avec Jackie Wilson, Joe Tex, Little Willie John qu’il admirait, Isaac Hayes, Gamble & Huff, the O’Jays, the Spinners et Teddy Pendergrass, mais les deux poids lourds, les Ali et Frazier du record business étaient Motown et James Brown. They were the big horses. And both could run hard.» McBride développe sa métaphore en disant que Brown était Frazier, «the thundering dark-skinned heavy hunter out of the North Philly ghetto», et Motown était Muhammad Ali, «the light, right, sweet-talking kid from Louisville, Kentucky.» James Brown n’était pas très fan de Motown, même s’il respectait Berry Gordy, mais il lui reprochait d’être un peu trop à la botte des blancs. Brown venait du Chitlin’ circuit, ce n’était pas la même chose, McBride considère que tourner sur le Chitlin’, ça revient à gravir l’Everest, car la concurrence y est plus raide et les conditions plus difficiles.

             Sharpton met le doigt sur la particularité essentielle de James Brown : son charisme - Ça peut sembler dingue de parler ainsi, mais James Brown avait tellement de présence et de charisme qu’on pouvait presque le sentir quand il entrait quelque part. Il éclipsait n’importe qui. Je fais partie des quelques personnes qui l’ont accompagné à la Maison Blanche. Que ce soit avec Reagan ou Bush ou en cellule, ça ne changeait rien. Il avait confiance en lui. C’était son spirit. C’était son don. Il dominait.  

             Très tôt, James Brown comprend qu’il doit évoluer pour survivre et ne pas subir le destin de Cab Calloway, Jimmy Luceford et Billy Eckstine. McBride cite aussi les cas de Louis Jordan, Lionel Hampton et Africa Bambaataa qui ont disparu parce qu’ils n’ont pas su évoluer. Pendant toutes les années de Chitlin’, James Brown s’est battu pour évoluer. Alors il a entendu ce que McBride appelle le downbeat, a new groove et il devait trouver les meilleurs musiciens pour jouer ce groove et transformer ses «la-de-da grunts and commands into hits.»

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             Ce qui frappe le plus dans l’approche d’un personnage qui a tout fait pour qu’on ne puisse pas le connaître, c’est d’abord son rapport au langage que stigmatise McBride, et notamment cette façon que James Brown a de s’exprimer par phrases courtes et par injonctions chargées de sens («Come important, leave important»), puis ce rapport au «civisme» : on ne pouvait s’adresser à lui qu’en tant que Mr. Brown, et il s’adressait aux gens de la même façon, par exemple Mr. Bobbit, sauf s’ils étaient Révérends, comme Sharpton, qu’il appelait Rev, avec la même déférence.

             Penchons-nous sur la légendaire générosité de James Brown. Sharpton révèle à McBride qu’à la fin des années 70, quand Isaac a fait faillite, James Brown est allé le trouver chez lui à Atlanta pour lui filer 3 000 $ et lui dire : «Isaac, don’t tell nobody I helped you out.» James Brown ne veut pas qu’on sache qu’Isaac est dans le besoin. Voilà la grandeur de cet homme. Mais pour son malheur, il est entouré de gens qui n’en finissent plus de lui taper du blé. Lui veut une bagnole, elle des bijoux. Il paye. Ça ne s’est jamais arrêté, nous dit McBride. Il a laissé derrière lui une véritable fortune, estimée à 100 millions de $, mais rien pour sa famille, tout était destiné aux enfants pauvres de toutes les races, en Georgie et en Caroline du Sud. Qui n’ont bien sûr jamais vu un dollar, car la famille et les avocats ont tapé dans la caisse pendant dix ans. McBride : «That’s how modern day gangsters work. Ils ne vous collent plus un gun sur le museau. They paper you to death.» Quand Nixon le qualifie de «National Treasure», James Brown s’imagine qu’en tant que tel, il ne doit pas payer d’impôts. Mais le fisc ne le lâche pas. National treasure ? Ça ne les fait pas marrer. Alors comme ça ne marche pas, James Brown leur dit qu’il a du sang indien dans les veines et qu’il descend de Geronimo. Ça ne les fait pas marrer non plus. Alors, le fisc sort les griffes. Lors d’un show au Texas, ils barbotent la recette, et James Brown n’a plus de blé pour payer les musiciens. C’est là qu’il fait appel à David Cannon, un blanc qu’il surnomme the Money Man et qui devient son comptable. James Brown lui fait confiance et vient planquer des gros tas de billets dans son coffre-fort - Il y avait un million de $ dans mon coffre - Il alerte son client : «Mr. Brown, cet argent doit aller à la banque, je ne suis pas une banque». et James Brown lui répond : «No, Mr. Cannon. It’s fine right here.» Pourquoi cette confiance longue de 14 années ? Parce que Cannon et lui sont élevés avec les mêmes principes, le «proper», la politesse et la fierté des petites gens du Sud : pas question d’apparaître diminué ou ruiné. Il faut sauver les apparences. C’est pour ça que McBride rencontre David Cannon : il a compris mieux que personne qui était James Brown. Cannon l’aide à assainir ses comptes avec le fisc. James Brown a une manie : il planque du blé partout, au fond des jardins et dans des chambres d’hôtel. Cannon et Dallas le savent. Un jour où ils papotent tous les trois dans le bureau d’Augusta, Cannon, Dallas et James Brown, Dallas demande : «Mr. Brown, où devons-nous chercher, s’il vous arrive quelque chose ?». Assis derrière son bureau, James Brown écrivit un mot sur un post-it : «Dig.»

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             Et puis tu as les gonzesses. La plus importante, c’est Velma, sa première épouse et la mère de ses deux fils, Terry et Teddy. Mais James Brown a tout de suite trop de succès. Il est déjà en concurrence avec Little Richard, Otis Redding, Clyde McPhatter and the Drifters, the Five Royales, Hank Ballard & The Midnighter. Il est tout le temps en tournée. Velma le voit changer. Quand James Brown achète sa baraque dans le Queens en 1964, lui et Velma sont déjà séparés. Velma ne lui demande rien. Seulement de l’aider à élever ses deux fils. Alors James lui achète un terrain et fait construire une maison près de Prather Bridge Road, nous dit McBride, pour 150 000 $. Il lui file le titre de propriété. Ils divorcent en 1969, mais quand ça va mal, il monte dans sa Lincoln et descend voir Velma à Toccoa pour discuter avec elle, car ils sont restés profondément liés. Il l’appelle «my close friend». Quand Teddy meurt dans un accident de bagnole, James Brown surmonte sa douleur «with the true mantra of southern pride» et dit à son autre fils Terry : «Keep it right, Terry. Keep it proper. You gotta work. Smile. Show your best face.» James Brown fonctionne avec des mantras. Au Rev, il dit : «Never let them see you sweat. Come important. Leave important.» Pas question de montrer sa faiblesse.

             Après Velma, il se marie avec Dee Dee Jenkins et divorce. Sa troisième femme, Adrienne, est une drug addict, mais James Brown l’aime. Il l’appelle «my rat». Elle reste près de lui pendant ses trois années de placard. Elle casse sa pipe en bois lors d’une opération de liposuccion. Puis à 68 ans, il passe la bague au doigt de Toni Rae Hynie, 32 ans, un mariage qui tourne au désastre, jusqu’en 2006, quant à son tour il casse sa pipe en bois. Elle avait oublié de préciser qu’elle était déjà mariée.

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             McBride évoque aussi les chanteuses : Vicki Anderson, Marva Whitney, Beatrice Ford, Lyn Collins, Tammi Terrell et Martha High, toutes ont chanté longtemps avec James Brown ou ont enregistré sous sa direction. Elles sont, nous dit McBride, «parmi the greatest Soul singers America has ever seen and will ever see.»

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    ( Natfloyd Scott )

             McBride rencontre à Toccoa le dernier survivant des original Famous Flames, Natfloyd Scott. Scott est aveugle. Il montre une photo que décrit McBride : «Il y a Sylvester Keels, Nash Knox, Fred Pulliam, James Brown, Bobby Byrd and his younger brother Baby Root Scott. Tous sont morts sauf lui. Natfloyd Scoot est le seul qui tient une instrument, une guitare.» Pour McBride, Natfloyd Scott est un guitariste extraordinaire. C’est lui qui joue sur «Please Please Please». Après Scott, d’autres guitaristes extraordinaires sont venus jouer dans les Famous Flames : «Hearlon Cheese Martin, Alphonso Country Kellum and the incomparable legend Jimmy Nolen qui a crée le picking chicken-scratch.»  

             Natfloyd Scott évoque aussi les tournées sans fin sur le Chitilin’ circuit à travers des tas d’états, avec des bagnoles qui tombent en rade - They burned out another car - «One nighters are a killer,» he says -  Scott commence par jouer sur une Sears, puis une Gibson, et une Vox. Il peut jouer avec la guitare dans le dos ou entre ses jambes. Quand des membres des Famous Flames craquent et rentrent chez eux, c’est lui, Natfloyd Scott, qui doit trouver des remplaçants au pied levé et leur monter les cuts pour jouer le soir-même - On jouait tout en Sol et en Do mineur - Il rend bien sûr hommage au jeu de scène de James Brown - James was something - Toujours dans son travail d’investigation, McBride lui dit à un moment : «Vous essayez de me dire des good things à propos de James Brown» et Natfloyd lui répond : «James don’t need my protection.» L’excellent James McBride conclut le chapitre ‘The Last Flame’ ainsi : «Trois ans plus tard, le 15 août 2015, il mourait à l’âge de 80 ans, fauché. Pour l’enterrer, sa famille obtint l’aide d’un ami et du petit-fils de James Brown, William. Ainsi s’éteignit la dernière Flame, the last original Flame.»

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    ( Pee Wee Ellis)

             Un autre portrait spectaculaire : celui de Pee Wee Ellis. McBride commence par dire qu’il y eut environ 200 musiciens qui ont joué avec James Brown durant les cinquante ans de sa carrière. Parmi eux, dix ont contribué à l’élaboration du son - Aucun d’eux ne fut plus important, moins connu et moins crédité que le tromboniste Fred Westley, et celui qui lui a tout appris, Pee Wee Ellis - C’est bien que McBride remette les choses au carré. Il enfonce son clou : «Le James Brown’s band de 1965-69, dirigé par Pee Wee, fut, je dirais, le plus grand groupe de rhythm & blues jamais constitué.» Quand McBride le rencontre, Pee Wee dit qu’il doit aller répéter, car il doit aller à Paris jouer avec Yusef Lateef. McBride est scié : Pee Wee répéter ? Après 45 ans de pratique, après avoir co-écrit 26 hits avec James Brown ? Quand McBride lui demande de lui parler de James Brown, Pee Wee lui dit qu’il préférerait parler d’autre chose. Mais oui, c’est Pee Wee qui a façonné ce groupe extraordinaire. Il traduisait musicalement ce que voulait James Brown. Joe Davis : «Pee Wee was the one who put the sound together, in terms of locking it in, translating what James wanted. that was Pee Wee.» Pee Wee compose «Say It Loud» à 3 h du matin dans un studio de Los Angeles et Charles Bobbit ramène 30 gosses black pour chanter les chœurs. McBride précise aussi que «Cold Sweat» s’inspire directement du «So What» de Miles Davis. Pee Wee quitte le groupe en 1969.

             Quand James Brown se casse la gueule, dans les mid-eighties, il perd tout : plus un rond, plus de groupe, sa vie privée en ruines, ses trois stations de radio revendues, son avion privé saisi, plus de contrat et pas assez de cash pour payer des musiciens ou même payer ses factures. Pourtant fauché, il refuse de faire de la pub pour des marques de bière. «Children need education», dit-il à Buddy Dallas. «They don’t need snakers and beer». Quand en 1984, la diskö fout James Brown par terre, il passe du Madison Square Garden aux night-clubs, avec des cachets de 5 000 $. Les bureaux de The James Brown Organisation, à New York et à Augusta, ont disparu. Gold Platter, sa chaîne de soul food restaurant ? Kaput, nous dit McBride. Des mecs ont foutu le feu à son nightlcub Third World. Pas de coupables. Il doit 15 millions de $ au fisc qui a commencé à tout saisir : ses trente bagnoles, ses œuvres d’art, et sa maison - He was an oldie act with a terrible reputation - Il n’a plus de contrat et demande à Don King de le financer, mais Don King qui organise des combats de boxe décline, car il ne connaît pas le music biz. Par contre, il propose de filer 10 000 $ à James Brown qui refuse : «I ain’t asking for charity.» Mais c’est au plan physique que ça tourne mal : en plus de ses dents, de ses pieds et de ses genoux qui déconnent, James Brown se tape un petit cancer de la prostate qu’il dissimule, comme tout le reste. Alors pour surmonter tout ça, il fume du PCP en cachette. Le seul à s’en douter, c’est Leon Austin, il voit bien que James Brown est bizarre quand il a fumé. Le pire : tout son entourage s’est volatilisé : white managers, black managers, épouses, copines, black friends. Il ne reste plus que trois personnes près de lui : Charles Bobbit, Leon Austin et, of course, the Rev.  

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    ( Rev Charpton )

             The Rev ! Parlons-en ! Encore une rencontre stupéfiante : The Rev Sharpton, littéralement «fabriqué» par James Brown. Selon McBride, «The Rev is one of the most powerful black men in America.» Et il ajoute : «And a creation, in part, one of James Brown». The Rev est allé voir son mentor quand il était au trou et le voyait debout quand tout le monde le croyait fini. Et à table, en face de McBride, The Rev lance : «Everything I am today, a lot of it, is because of James Brown. The most important lessons I learned, I learned from him. He was like my father. He was the father I never had.» McBride entre bien dans l’histoire de cette relation, le chapitre ‘The Rev’ est l’un des cœurs battants de ce roman d’investigation extraordinaire. Pour restituer la grandeur de James Brown, McBride commence par restituer la grandeur de ses proches les plus proches. The Rev raconte qu’il allait voir Jackie Wilson et James Brown à l’Apollo et chaque fois, il croyait voir Dieu. Il raconte sa première conversation avec James Brown qui lui demande : «What do you want to be, son?». Sharpton répond : «Excuse me?». «What do you want to be ?». «Well I’m in civil rights.» «I’m gonna show you how to get the whole hog.» «Excuse me?». «Je vais te montrer comment décrocher la timbale. But you gotta think big like me. I’m gonna make you bigger than big. You got to do exactly what I say. Can you do that?». Et Al Sharpton fait exactement ce que lui dit de faire James Brown. Un peu plus tard, James Brown va voir prêcher le Rev. Il fait un tabac. James Brown va le trouver et lui dit : «You did everything I told you?». «Yes sir, Mr. Brown.» James Brown lui explique qu’il faut être soi-même, an original, pas essayer de devenir non pas «le prochain Jesse Jackson, mais le premier Al Sharpton.» Il lui demande de l’écouter et se plaint que ses propres fils ne l’écoutent pas - You’re a kid from Brooklyn, you got a heart. But you got to be different - James Brown lui dit de faire sa valise : «Pack your bag. We’re going to L.A.» Sharpton va y rester 15 ans et devenir the Rev, «one of the most powerful, charismaric, controversial and unique figures in African American history.» Et l’amitié qui lie les deux hommes va durer jusqu’à la mort de James Brown. McBride parle des grands teams américains et cite des exemples : Stephen Sondheim/Leonard Bernstein, le Miles Davis Quintet, avec John Coltrane et Cannonball Adderley, Miles/Gil Evans, «but there is nothing in American history like the collaborative mix of Al Sharpton and James Brown.»

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    ( Charles Bobbit )

             Quand James Brown engage Charles Bobbit comme personnal manager, c’est uniquement pour avoir son conseil sur certaines choses, oh pas les choses importantes comme les problèmes de blé, les petites décisions à prendre, du style aller au Japon ou pas. Il lui propose le job à vie : «I and you gonna be together till one of us dies.» «Oh yeah?». Bobbit accepte. Il rêvait de prendre l’avion et de descendre dans des grands hôtels. Il est même allé quatre fois à la Maison Blanche et serré la main de quatre Présidents. Mr. Bobbit s’occupe de tout, des armes et des drogues. Graisser la patte d’un radio DJ ? See Mr. Bobbit. McBride : «Il fait partie d’une race en voie de disparition : America’s Soul music wheelers and dealers. These guys - la plupart étaient des hommes, sauf Gladys Hampton, l’épouse de Lionel Hampton, qui était astucieuse et très intelligente - knew where the skeleton is buried. They know every secret. And they never tell.»

             Quand James Brown est transporté à l’hosto, il n’y a qu’une seule personne dans la chambre avec lui : Charles Bobbit. Conformément à sa prédiction. C’est la fin des haricots. Soudain James Brown se redresse dans son lit et s’écrie :

             — Mr. Bobbit. I’m on fire! I’m on fire!. My chest is burning up!».

             Then he lay back and died.

             Thank you sir, Mr. McBride

    Signé : Cazengler, Tête de broc

    James McBride. Kill ‘Em & Leave. Searching For The Real James Brown. Weidenfelfd & Nicolson 2017

     

     

    Wizards & True Stars

     - White Spirit (Part Three)

     

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             S’il fallait choisir au hasard un seul album de Tony Joe White pour l’emmener sur l’île déserte, ce serait sans nul doute The Beginning, paru une première fois en 2001 et récemment réédité. Car il s’agit d’un album parfait.

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             Enfin, parfait aux yeux des ceusses qui ont vécu on va dire toute leur vie avec Tony Joe White. Il faut remonter jusqu’en 1968, avec, non pas «Polk Salad Annie», mais «Soul Francisco», effarant single vendu sous pochette papier rose, et dans la foulée, l’aussi effarant premier album, Black And White, qui nous faisait de l’œil dans la vitrine, chez Buis. Et comme il n’était pas possible de choisir entre le Tony Joe et son voisin de vitrine Taj Mahal, alors on est allé braquer une banque pour pouvoir financer les deux achats. Grâce à cette double emplette, la voie de l’avenir était bien tracée. Tous ces fabuleux artistes découverts à cette époque nous immunisaient à vie contre la médiocrité. Comme on ne connaissait pas encore le rôle majeur que joue l’exigence, tout fonctionnait à l’instinct. Tu entendais «Soul Francisco» à la radio et tu savais que ça te correspondait. «Soul Francisco» pouvait te hanter, aussi puissamment qu’«Hey Joe» ou qu’«Ode To Billie Joe». Et pendant cinquante ans, Tony Joe White n’a jamais cessé de hanter les corridors lugubres et glacés de nos châteaux d’Écosse. Jusqu’à sa disparition, voici quatre ans. Nous avions alors dressé un autel géant sur KRTNT, car il s’agissait de rendre l’hommage à un artiste qu’on pouvait considérer comme un demi-dieu. Il échappait au commun des mortels par la seule perfection de son art.

             Quand on souhaite raisonner en termes d’esprit, ou plus exactement de spirit, alors on s’adresse à Tony Joe White. De tous les grands spécialistes du rock shamanique - on parle ici de Jeffrey Lee Pierce, de Lanegan, de Jimbo ou encore d’Anton Newcombe - Tony Joe White est certainement le plus organique. Quand il traite de la rébellion, cœur battant du mythe rock américain, il balance des lyrics qui sonnent comme des aphorismes, mais pas des aphorismes au sens où on l’entend avec Georges Perros, ou encore La Rochefoucauld, des aphorisme rock - Wear my sunshades even in the night time/ Ride my woman in a Coupe de Ville - Il nous refait le coup du «Sunglasses After Dark» de Dwight Pullen à sa façon, et rajoute sa touche - I might want to rock/ Play the blues all night long/ I’m in this thing for life/ I didn’t come here for just one song - On appelle ça une profession de foi. Avec son pâté de foi, Tony Joe se détache du continent - I won’t put my music in a small bag/ Gotta stay as free as I feel - Il insiste, pour le cas où on aurait la comprenette difficile. Il joue ça rubis sur l’ongle et bien sûr, tu le crois sur parole - Don’t want no one telling me I got to/ I move in my own time/ Play this guitar any way I want to/ Lightnin’ Hopkins was a friend of mine - Et tu as les notes d’acou qui tombent comme un verdict. C’est violemment bon. Tu chantes ça sous la douche tous les matins - Play this guitar any way I want to/ Lightnin’ Hopkins was a friend of mine. 

             Il gratte sa gratte, mais le principal instrument reste sa voix, chaude et lente. Absente et présente, comme si elle couvait sous la cendre. Il faut le voir rendre hommage à une petite poule black dans «Who You Gonna Hoodoo Now» - Coffee skin/ Little bit of cream/ Golden eyes/ With a touch of green/ High cheekbone/ Kinda tall/ You won’t think twice if you think at all - Il en fait un blues d’acou - Had a residence/ Down in Covington - te voilà au cœur du mythe, il t’y ramène à chaque instant, cette musique descriptive t’a passionné ta vie entière, mais elle prend avec lui une résonance encore plus spectaculaire - She would only make love at the break of dawn - Il donne à son story-telling une ampleur fascinante. Ses phrases sonnent comme des oracles, mais il ne prédit rien, il raconte ses histoires de vie. Il parle aussi bien d’amour que le fait Bob Dylan dans «Girl From The North Country» - Took me up so high I can’t look down/ Who you gonna hooooodoooooo now ? - Dans le couplet suivant, il retrouve sa trace à Saint Francisville - A little rehabilitation to cure your illness - alors il repose la question en frissonnant :  «Who you gonna hoooodooooo now ?». «Who You Gonna Hoodoo Now» figure aussi sur l’album Hoodoo, paru en 2013.

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             Il gratte encore ses poux de cabane avec l’indicible «Rich Woman Blues». Il lance d’une voix de fantôme défoncé son «Got a telephone call this morning/ My baby wrecked her Mercedes Benz», un nuage de vapeur humide s’échappe de sa bouche - I said As long as you’re alright/ Baby/ that’s all that matters - alors il faut le croire. Comme elle est riche et qu’elle a des puits de pétrole au Texas, elle file un peu de blé à Tony Joe qui crève la dalle et qui gratte ses poux, avec toujours le même retour d’accord en mi. Il chante vraiment dans un râle, il exhale son Rich Baby Blues de three-bedroom con-do-mi-nium, il malaxe son mi-nium, il est l’homme qui joue le blues Livin’ one step from the street. Chaque note et chaque syllabe jouent un rôle précis. Il reste dans l’extrême pureté du blues de cabane branlante avec «Raining On My Life» qu’il ouvrage à coups d’harp  dans l’humidité du swamp - And the rain was softly falling/ Falling softly on my life - Il y va doucement, au softly on my life, et te sort au passage une sorte du dicton vermoulu du bayou - But you know it’s a bad situation/ When you’re not allowed to speak your mind - Il passe sans transition au heavy groove avec «Ice Cream Man», il fonce dans le shoot de gun runner, il devient le temps d’un cut le roi du groove, accompagné par des serpents à sonnettes, il enfonce son pic à glace dans le crâne du mythe.

             Et puis voilà qu’avec «Going Back To Bed», il est tellement défoncé qu’il doit retourner se coucher. Mais ça ne l’empêche pas rester extrêmement descriptif - Dark clouds rolling and/ Little luck has come outta storm/ My baby’s still sleeping/ Keeping my place warm - il avoue qu’il fait un peu trop la fête, et de toute façon, personne ne peut l’obliger à se lever. Quand on s’appelle Tony Joe White, on a le droit de rester au lit avec sa muse. Il prend son «Down By The River» au meilleur souffle possible, à l’haleine rance de fantôme, accompagné par des accords juteux comme des charognes et friendly comme des faux amis. Puis il te claque vite fait un «Wonder Why I Feel So Bad» au wake up this morning, il tape du pied sur le bois spongieux, comme le fit Hooky en son temps. Il travaille son swamp moussu au chant qui n’amasse pas mousse - Lawd I feel so bad - Il envisage toutes les possibilités, comme on le fait tous quand ça va mal - I could reach for the whiskey/ Reach for the pills/ But I’d have to face the morning/ And the cheapness of the thrill - Oui, les petits matins de désaille ne pardonnent pas. Et puis voilà l’un de ses thèmes de prédilection, le story-telling de petite ville américaine, avec «Clovis Green», un homme riche qui cultive le sugar cane - He had spent his life working the land/ Just outside the town of New Orleans - Comme il est vraiment très riche, il envoie sa fille Angelina dans une bonne école privée et pouf, elle tombe en cloque, alors pour Clovis Green et sa tendre épouse, c’est un drame - A child was born in the fall/ But nobody ever mentioned the father/ When all the neighbors came to call/ They would say he looked just like his mother - une simple histoire de fille mère au pays des plantations. Tony Joe White n’a jamais ambitionné autre chose que de raconter des histoires.

    Signé : Cazengler, Tony Joe Ouate

    Tony Joe White. The Beginning. New West 2022

     

     

    L’avenir du rock

     - Reis with the Devil

    (Part One)

     

             Le Comité des Avenirs s’est réuni. Alignés comme autant de vautours, les membres siègent dans une grande salle qui ressemble à s’y méprendre à une salle de tribunal. Ils décident de l’avenir des avenirs et tranchent sur leur viabilité. Ambiance glaciale. Convié à défendre son bout de gras, l’avenir du rock se dresse face à eux, à la barre des témoins, bien décidé à leur tenir tête. L’arbitre des avenirs qui préside prend la parole et lance d’une voix d’outre-tombe :

             — Avenir du rock, jurez-vous de dire toute la vérité, rien que la vérité de votre réalité ?

             — Ooooh yeah ! Everything’s gonna be alright this morning !

             Et le public entonne le bam-bam-bam ba-ba ba-ba bam bam automatique des Shadows Of Knight.

             Le président donne un violent coup de marteau :

             — Cessez immédiatement ce ramshakle ou je fais évacuer la salle !

             Le publie hue le président. L’avenir du rock se joint au public en claquant des mains :

             — Ooh-Ooh ! Ooh-Ooh !

             Puis il attaque au mieux du gut de l’undergut :

             — Please allow me to introduce myself...

             Et le public reprend la suite du couplet :

             — Well I’m a man of wealth and taste !

             Les chœurs reprennent de plus belle. Ooh-Ooh ! Ooh-Ooh ! Les assesseurs qui ont eux aussi des marteaux font les percussions nigérianes. Quelle ambiance ! Jamais le Comité des Avenirs n’avait assisté à l’explosion d’un tel enthousiasme. Certains assesseurs se sont levés pour danser le twist avec l’avenir du rock qui secoue des maracas. Ooh-Ooh !

             — Fuck !, fait le président à la fin de cette dégelée de Stonesy, vous êtes toujours dans la course, avenir du rock !

             Torse nu, dégoulinant de sueur et complètement essoufflé, l’avenir du rock rétorque :

             — Tu l’as dit bouffi !

     

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             S’il en est un qui est dans la course, c’est bien John Reis, le légendaire head honcho des Rocket From The Ctypt et boss du prestigieux label Swami Records. Au temps des Rocket, John Reis était déjà tellement dans la course qu’on l’appelait Speedo. Reis with the Devil, oui, la même Race que celles de Gene Vincent et d’Adrian Gurvitz dans Gun. Il s’appelle désormais Swami John Reis. Uncut lui accorde royalement une page, alors qu’il mériterait la couve et un dossier de douze pages pour services rendus à la nation. Mais bon, Swami John Reis reste underground jusqu’au bout des ongles et c’est tant mieux. Il commence par dire à Keith Cameron qu’il se voyait cult hero depuis l’âge de cinq ans, une façon d’élever son prestige underground au rang d’auto-dérision. Cameron profite de l’occasion pour rappeler que Rocket From The Crypt était un groupe unique, «a bar-busting fusion of greaser punk and ‘50s rock’n’roll». Reis indique qu’après avoir flashé sur un trompettiste à la télé, il a appris à l’âge de 5 ans à jouer de la trompette, puis à 12 ans, ses parents lui ont payé une guitare électrique - Je voulais composer des chansons comiques, car j’ai toujours aimé faire rire les gens. Et quand le punk-rock est arrivé, je suis passé du statut de spectateur à celui d’acteur - Il se dit fan d’ELO et de Black Flag, «the guilty pleasures that weren’t so guilty», précise-t-il. Les Rocket vont connaître leur pic de popularité en 1996, avec «On A Rope» - I wanted rock’n’roll to be my passport to the world - Et puis il y a les side projects, Drive Like Jehu et Hot Snakes, dont on va reparler dans un Part Two. Il vient aussi de lancer les Plosivs et complète un prochain album des Hot Snakes.

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             En attendant, voici le nouvel album solo de Swami John Reis, Ride The Wild Night. Il a toujours le même son. Pourquoi voudrait-on qu’il en change ? Il continue d’exploiter sa vieille recette RFTC de chant au raw et de tempo sévère, et c’est extrêmement bienvenu, extrêmement bien soutenu et extrêmement gorgé de bonnes intentions. Il continue de cultiver l’hyper présence du chant, il verrouille bien ses structures, il les cadenasse à l’acier bleu. Rien n’a changé depuis les années 80. On pourrait dire la même chose de Jon Spencer ou encore de Robert Pollard. Chacun défend on bout de gras. La grosse viande est en B avec «I Hate My Neighbours In The Yellow House», il relance sa machine infernale de Speedo man, il redevient génial dès qu’il sort le marteau du pilon, il dégueule bien son yellow house, comme au bon vieux temps, il sait créer des énormités avec un seul riff. Il bascule plus loin dans le génie avec «Rip From The Bone». Il tape ça aux accords des Stooges. Résurgence du San Diego power, il n’a rien perdu de sa fabuleuse niaque d’antan. «Rip From The Bone» peut réveiller les morts ! Avec «We Broke The News», il se fait pesant et valeureux, il emmène ça au heavy beat de broke the news.

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             En 2015, Swami John Reis & The Blind Snake enregistraient cet album énorme qu’est  Modern Surf Classics. Pourquoi énorme ? Parce que «Hang 11», summum du garage-surf. Wild as fuck ! Violence extrême jouée dans le ventre du riffing. C’est le génie de John Reis. Ça goutte de pus. Rien d’aussi expéditif que cet Hang 11. On pourrait presque parler de révélation divine, mais pour ça il faut s’appeler Bernadette. Autre coup de semonce : «Kooks On The Face», attaqué au wild dérèglement de toutes les cordes, ça joue avec une sauvagerie incroyable, instro génial, gorgé de la barbarie des origines du monde, John Reis te claque ça à tours de bras. Il fait du surf avec «Wet Creek», le claque à la clairette fatidique, ils sont capables de tout, surtout de la pire Surf craze. Ils amènent «Beach Leech» au heavy tatapoum, Reis s’amuse comme un kid, mais le jouer de sax ne s’amuse pas. Sur cet album tout est joué à la big energy, vite embarqué sous le chapeau du turban, ils jouent jusqu’à plus soif, dans la meilleure tradition californienne. Tout est poussé dans les retranchements. Avec Reis il faut s’attendre à tout, surtout à de la grande envergure. Encore un fabuleux festin de son avec «Dry Suit» et ses accords en biseau. Ces mecs jouent comme des dieux, alors c’est la fête au village. On voit rarement des albums aussi jouissifs. Quelle énergie ! On s’en souviendra ! Ils lancent des clameurs extraordinaire dans «Zulu As Kono». Reis envoie toujours ses cuivres en renfort. On note partout une incroyable pureté d’intention. Cet album pourrait bien être l’un des meilleurs albums de la modernité. Ce démon de Reis croise dans le lagon du rock comme un requin en maraude. Il va te choper, tu peux en être sûr. Il est le requin le plus intelligent de l’océan. Il finira bien par t’avoir.

    Signé : Cazengler, John Rance

    Swami John Reis. Ride The Wild Night. Swami Records 2022

    Swami John Reis & The Blind Snake. Modern Surf Classics. Swami Records 2015

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    Keith Cameron. Swami John Reis goes it alone. Mojo # 343 -

     

     

    Inside the goldmine

    - Ward scenes inside the goldmine

     

             Anouchka ? On lui aurait donné le bon dieu sans confession. Embauchée comme assistante comptable intérimaire en remplacement d’une petite gazelle partie en congé de maternité, Anouchka se présenta un beau matin avec ses cheveux gris taillés court et sa poitrine exubérante. Qui aurait pu croire qu’avec elle, le loup entrait dans la bergerie ? Le seul indice était son regard fuyant, protégé par des lunettes à grosses montures noires. Elle fit copain copain très vite avec tout le monde, y compris avec Ernesto qui venait chaque matin faire le ménage avant l’ouverture, elle s’arrangeait pour arriver plus tôt et boire un café avec lui. Elle commença par imiter les signatures pour émettre des chèques et prit très vite l’initiative de passer des commandes de fournitures. Elle agissait finement, car elle ne cachait rien de ses actes. Elle savait pertinemment qu’on fermerait les yeux. C’est ce qu’on appelle une faille. Et les gens comme elle commencent toujours par chercher la faille pour s’y engouffrer. Anouchka prit bientôt l’initiative d’organiser des repas avec certains clients, disons les plus petits, elle n’avait pas accès aux gros qui payaient pour du conseil, elle se contentait de ceux qui cherchaient une forme de notoriété en travaillant avec nous. Elle se mettait en bout de table et pour faire rire tout le monde, elle faisait la boss, celle qui dirige les débats, et comme elle suivait les devis en cours, elle était au courant du moindre détail. Elle allait même jusqu’à proposer des remises sur certaines tranches d’opérations et bien sûr, on continuait de fermer les yeux, même si elle mordait ostensiblement le trait. Quand on a réalisé qu’elle testait nos limites, il était trop tard. Alliée avec un autre intérimaire, elle réussit à établir une sorte de pouvoir parallèle, non seulement elle gérait les bulletins de salaire, mais elle captait aussi les appels entrants, devenant au plan commercial la principale interlocutrice. Prétextant une charge de travail excessive, elle embaucha d’autres intérimaires, des femmes de sa connaissance, et commença à piéger méthodiquement les salariés en poste. Elle les virait pour faute lourde, sans indemnités. Trois mois plus tard, elle dirigeait l’agence et faisait construire un deuxième étage. C’est Ernesto qui la trouva un matin, pendue à l’une des poutres de l’atelier. Il s’agissait apparemment d’un suicide, et donc il n’y eut pas d’enquête. 

     

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             Si cette ganache d’Anouchka avait suivi la voie d’Anita, elle aurait sans doute vécu plus longtemps. Anita Ward est considérée comme une Diskö Queen, mais elle fait aussi partie de celles qui interprètent les hits de Sam Dees, et donc, c’est à ce titre qu’elle éveille véritablement l’attention. De là à aller écouter ses trois albums, il y un pas qu’on franchit avec allégresse. En prime, Anita Ward est une très jolie femme.

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             Son premier album s’appelle Sweet Surrender et date de 1979. Quand on aime la bonne diskö, on se régale de «Don’t Drop My Love». Elle chante très pointu. Mais c’est en B que se joue le destin de cet album, dès «Forever Green». Elle y jette tout son poids d’Anita, c’est une merveille, Anita s’y révèle superbe de petite grandeur, elle chante comme une petite souris magique. Elle recharge merveilleusement bien sa barque avec «I Go Crazy». Elle reprend sa petite voix charnue de petite souris. Elle est fabuleuse de présence intrinsèque avec «Forever Love You», elle est follement amoureuse, you got me jumping all the time !  

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             C’est sur Songs Of Love paru la même année qu’on trouve le «Spoiled By Your Love» de Sam Dees. Elle le feule comme une petite délinquante de satin jaune. Avec «Make Believe Lovers», elle fait de la diskö des jours heureux. Côté feeling et beauté du geste, elle n’est pas loin d’Esther Phillips. La belle Anita chante d’une voix très pure, un vrai filet translucide et comme le montre «If I Could Feel That Old Feeling Again», elle peut aller chanter all over the rainbow. C’est en B qu’on trouve son fameux hit diskö, «Ring My Bell». Elle en fera son fonds de commerce. Mais elle restera aussi une fantastique Soul Sisterette. 

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             Paru en 1990, Wherever There’s Love est l’album de trop, celui qui va laisser un mauvais souvenir le belle Anita. Dans la vie comme dans le business, une belle gueule ne suffit pas. Il faut autre chose. Un troisième bon album eût été bienvenu, mais elle y fait du diskö synthé au petit sucre, alors ça reste coincé en travers de la gorge. Elle titille bien la persistance de «Someone Like You» au petit sucre de charme, mais ça s’arrête là. On a envie de lui dire : «Bas les pattes». Elle sucre pourtant son «Ring My Bell» divinement, hélas, ça ne marche que dans le feu de l’action, dans ces vieilles discothèques où les femmes étaient belles et faciles.

                                          Signé : Cazengler, Ani gros tas.

    Anita Ward. Sweet Surrender. Juana 1979   

    Anita Ward. Songs Of Love. Juana 1979 

    Anita Ward. Wherever There’s Love. Phillips 1990

     

    *

    J’ai d’abord cru que c’était le nom du groupe, mais non c’était le titre de l’album, un peu étrange tout de même d’associer les noms de deux des groupes des plus emblématiques des early-seventies, certes il manque à chaque fois la moitié de l’appellation officielle, mais enfin à l’époque (et encore maintenant) on abrégeait King Crimson en Crimson et les Rolling Stones en Stones. Bref, me fallait aller voir.

    CRIMSON & STONE

    VERMILION WHISKEY

    ( LP Vinyl / Mai 2023)

    Vermilion Whiskey, je ne pense pas qu’ils tintent leur whisky avec de la grenadine, plutôt avec du sang d’alligator puisqu’ils se définissent comme un Hard Rocking Band from South Louisiana. Pas très loin de chez eux coule la Vermilion River, qui roule des eaux noires et puissantes comme leur rock’n’roll. Whisky ou Whiskey, toute une histoire étymologique… au final le dernier terme désignerait le whisky américain, s’en foutent un peu, eux ils consomment du Jack Daniels.  Déjà deux albums à leur actif : 10 South ( 2013 ) et Spirit of Tradition ( 2017).  

    Suis allé voir l’instagram de Steven Yoyadam, il a produit des dizaines de pochettes pour des groupes de stoner. A mon grand étonnement son personnage de vieillard à barbe blanche apparaît sur plusieurs pochettes récentes d’autres groupes. Parfois la barbe est teinte en rousse. Sans aucun doute une inspiration du personnage du Seigneur des Anneaux, Saruman, le sage qui pactisera avec Sauron. Faut-il y lire une métaphore du rock’n’roll dans la tête de Steven Yoyada ? Reconnaissons qu’il possède aussi une vaste gamme de motifs complètement différents.

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    Thaddeus Riordan : lyrics, lead vocal, guitar / Ross Brown : lead guitar / Jason Decou : bass, vocals. / Ne donnent pas le nom du batteur, en ont usé plusieurs au cours de l’enregistrement.

    M’étais demandé si Crimson & Stone était une allusion à la pierre rouge alchimique, ne donnent pas dans ces plans ésotériques, crimson (sans doute en relation avec Vermilion ) pour décrire l’aspect éruptif de leur rock’n’roll, et stone pour la touche stoner qu’ils ont ajoutée sur ce troisième album.

    Crimson intro : une intro à la Monsieur loyal américain, musique panoramique style entrée des gladiateurs dans l’arène du Colisée, déjà se profile le premier riff de Down on you : l’on comprend tout de suite que l’on n’est pas là pour couper les cordes de guitare dans le sens de la minceur, tout de suite dans l’océan du riff, et vous nagez pour survivre dans le ballet des orques affamés qui s’en viennent par-dessous vous mordiller les parties intimes, heureusement Thaddeus vous lance la bouée de sauvetage de son vocal, très réconfortant, tout compte fait vous vous sentez comme un poisson dans l’eau, certes ils n’inventent pas la poudre mais qu’est-ce qu’ils savent s’en servir, plutôt frégate d’attaque que pédalo de plage. The get down : Vous vous attendez au meilleur, ils vous le servent sur un plateau, un régal, tout est merveilleusement au point, Ross Brown n’est pas rosse, vous laisse pas marron, l’a une manière de vous refiler juste le riff que vous attendez et tout de suite après celui auquel vous n’avez pas pensé, et enfin celui auquel vous n’avez jamais espéré pouvoir imaginer, le vocal qui fait le pont de Tancarvile, une cow bell qui remue la queue, vous vous dites que vous êtes en train d’écouter une symphonie riffique inédite. Confidence : choix cornélien, vaut-il mieux écouter la piste toute seule ou regarder la vidéo, le mieux est de faire les deux, ce n’est pas que la vidéo soit follement originale mais elle est efficace, donne une idée de la puissance du groupe, Thaddeus tout devant, ses longs cheveux de jarl à la proue de son drakkar viking,  fonçant sur l’ennemi et ses hommes derrière lourdement armés, sans les images vous imaginez les catapultes d’une armée romaine en pleine action, à part qu’ils ne lancent pas des pierres mais une avalanche de riffs à la fois massif et tranchants, vous avez les murailles qui s’écroulent et les défenseurs coupés en tranches saignantes. Good lovin’ : N'oubliez pas le guide après la visite, nous avons beaucoup mis l’accent sur les guitares faisant preuve d’une grave injustice, l’est vrai que les gaziers   savent glisser des mains expertes dans le dentier de leur cordier et la batterie si joliment présente qu’on ne la remarque pas alors que comme Atlas qui soutenait la voûte du ciel  elle porte le groupe sur ses épaules, sans elle, privé de colonne vertébrale le groupe serait un peu paraplégique, mais Thaddeus chante si naturellement de sa voix de stentor qu’il n’a nul besoin de crier pour se faire entendre, vous pose des mots pleins de sève et de jus, règle ses comptes avec la vie sans chichi. Pas le genre de gars qui laisse les copines et les amis marcher sur les pieds de sa liberté, l’est si convaincant que vous ne pouvez que lui donner raison. Stone interlude : attention Face B, instrumental, le vent du désert, les guitares tristes, la basse qui avance à pas de fennec, un calme toutefois impitoyable, une voix off nous prédit-elle des jours malheureux, toujours est-il que le groupe se met en formation de guerre, des riffs aussi longs que des sarisses macédoniennes, l’on ne sait jamais. Dissonance : l’on avance prudemment, musique en mineur, le vocal davantage introspectif, l’ennemi est au-dedans de soi, la mort nous habite autant que la vie, c’est ainsi, il faut faire avec, est-ce à cause de cet état de fait que la basse prend tant d’ampleur, une lueur noire qui s’étend sur le monde et le monde s’accélère, la phalange presse le pas, en vain peut-être, n’est-on pas déjà habité par le spectre de la défaite intime, la batterie roule comme des larmes froides et coupantes, nous entrons dans un monde de ténèbres, de plus en plus denses, de plus en plus opaques. Un voile noir nous recouvre, les toms pétaradent pour lancer  Atrophy : retour de l’élan vital, le groupe se refait une santé, mais Thaddeus est malade, il est au fond du trou, il ne chante pas le blues, il demande de l’aide, il crie son désespoir, les guitares serrent les rangs et se regroupent en faisceau, au fond du trou peut-être mais avec l’énergie du désespoir, Antée ne reprend-t-il pas de la force chaque fois qu’il touche la terre noire, n’empêche que les eaux basses crépusculaire recouvrent le champ de bataille.  Hollow : splendeur funéraire, glacis de riffs, l’on ne tombe jamais plus bas que soi-même, c’est lorsque l’on est le dos au mur que l’on doit se battre contre soi-même, Thaddeus est au bout, le chant se charge de désarroi mais aussi de colère et d’envie de vivre, la cognée battériale abat les derniers arbres de l’espérance vaine, nous sommes au cœur de la tragédie, au fond du marasme existentiel, fin grandiose, sans concession, un jingle publicitaire vient vous sauver la mise. Essayez de le croire !

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             Pour une fois un disque qui finit mal, sans concession. Face A : tonitruance victorieuse. Face B : plus humiliante que la défaite, la débâcle ! Le désert de l’âme a blackboulé la luxuriance cramoisie de la vie. Méchante limonade mais excellent Vermilion Whiskey. Une saveur âpre que l’on n’oublie pas ! Hep garçon, remettez-moi ça, non laissez la bouteille sur la table.

    Damie Chad.

     

    *

    Tiens, on trouve de tout dans les boîtes à livres, je n’aime guère le reggae, faute de grives on mange des merles, je prends. En rentrant chez moi, c’est au détour d’un coup d’œil sur la banquette passager de la voiture où j’ai jeté la revue sur laquelle se prélassent les chiens que j’ai un coup au cœur, waahhh ! les gars ne sont pas sectaires, un article sur les films des rockers, mon devoir de rocker est de visionner cet ovni.

    NATTY DREAD

    ( N° 9 / Oct - Nov 2001 )

                    Jamais entendu parler de cette revue. Quelques recherches plus tard je sais qu’elle a été fondée en 1995 par des fans, qu’après 2000 elle subit une grande transformation, elle colle de plus près à l’actualité des parutions. L’est devenue un organe mi-officiel des milieux du métier.

             Sizzla est en couverture, enchanté d’apprendre qu’il existe, je lis la vaste interview qu’il consent à accorder au petit blanc de journaliste. Sizzla n’a pas la langue dans sa poche et des idées arrêtées. Il est noir, il n’aime pas les blancs. Il le dit dans ses textes. Partage le rêve de Marcus Garvey, le retour en Afrique. N’a qu’une chose à demander aux blancs, qu’ils filent des bateaux pour retraverser l’Atlantique dans le bon sens. N’a pas l’air de se demander comment ils vont être accueillis par les autochtones… Qu’il ait envie de quitter son île n’est pas étonnant, suffit de lire quelques lignes pour s’apercevoir que Kingston n’est pas un havre de paix, politique, clans, maffias, violence endémique…

             J’ai fait comme Alexandre Dumas, j’ai joué à vingt ans après, Sizzla a enregistré plus de cinquante disques, s’est fait remarquer en tenant des propos homophobes dont la conséquence aura été l’annulation de nombreux concerts en Europe. Il est revenu sur ses propos anti-gays. La notice wikipédia ne nous apprend rien sur ses propos politiques…  

             Quelques news, je repère la chro de La vie en Spirale d’Abassa Ndione parue dans Série Noire. Trafic de cannabis, corruption et superstitions… Rééditions ( lucratives ) de Bob Marley. Un article sur Penthouse Records. Je ne m’attarde pas sur l’interview de Style Scott ni sur celui de Ras Michael. Ce n’est pas qu’ils soient inintéressants, au contraire, mais je veux tout savoir sur les films (je suppose préférés) des rockers.

    C’est là que je m’aperçois du gouffre géant de mon inculture. La chronique Rockers n’aligne pas un mot sur les  rockers (j’avoue que ça m’étonnait) c’est le titre d’un film, tourné avant The Harder they come ( j’ai entendu parler ). Le papier donne la parole à Leroy Horsemouth Wallace, il tient le premier rôle de cette pellicule. Un docu-fiction, à l’écouter parler on a envie de voir le film. Vous êtes plongé dans un chaudron magique : fric-musique-politique, vous en apprenez en cinq pages sur les dessous et le dessus de Kingston et le reggae que tout ce que vous ont raconté les fans de cette musique que vous avez croisés durant votre vie. Horsemouth en rigole encore, pourtant les jalousies qu’ont suscitées la sortie du film ont à l’époque salement ralenti sa carrière. Depuis c’est devenu un film culte… Maintenant je n’ai pas compris le sens que l’on doit donner en Jamaïque au mot rockers.

    Après la chronique des sorties de disques, trois pages sur un petit jeune (dix ans de métier) qui monte, je ne suis pas Alexandre Dumas pas trouvé grand-chose à son sujet, le peu que j’ai vu n’incite pas à une joie débordante, lui qui déclarait voici vingt ans qu’il ne recherchait surtout pas la notoriété, a l’air de s’être trouvé la niche du beau mec qui vous roucoule des paroles de paix, d’harmonie, d’amour et de tranquillité… Tout fout le camp, même le reggae…

    En tout cas cette revue semblait bien faite, suivait les stars montantes sans jamais perdre de vue les racines…

    Damie Chad.

     

    *

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    ‘’Durant tout le séjour, je trouve Gene reposé, détendu, jamais alcoolisé. Il nous présente à sa famille, ses parents Louise et Kie, ses jeunes sœurs Tina et Donna. A l'époque, Donna enregistre chez Dunhill sous le nom de Piper Grant.’’ Ces paroles sont extraites d’un texte de George Collange relatant le séjour de trois semaines qu’il fit à Los Angeles en été 1969 auprès de Gene Vincent. De nombreuses photos illustrent cette visite, l’une d’elles se retrouve par exemple sur une réédition de Be Bop A Lula sur un single français. Je n’avais jamais entendu parler de Donna en tant que chanteuse. J’ai voulu en savoir plus.

    CRAZY MIXED-UP GIRL

    PIPER GRANT

    ( Dunhill Records / D 4201 / Juillet 1969)

    J’ai trouvé. Je ne crie pas victoire. Ce n’est pas un véritable disque, un test-pressing. Not for sale, comme disent les ricains. Il semble toutefois, sans que je puisse l’affirmer que le microsillon ait été sorti et distribué. Vraisemblablement une démo destinée à des chanteur ou des producteurs qui cherchent de nouveaux morceaux à enregistrer. Est-ce Donna sur la couve, je ne suis pas assez physionomiste pour me prononcer avec ces bottes (faites pour poser) elle n’est pas sans évoquer Nancy Sinatra. J’ai bien peur que la carrière de Donna ne se soit arrêtée-là…

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    N'empêche qu’elle est bien entourée (sur la jaquète) Jimmy Webb et Bones Howe. Le premier est l’immortel compositeur de Mc Arthur Park, créée en 1968 par Richard Harris, By the time I get to Phoenix créée par Johnny Rivers reprise par Glen Campbell qui interpréta aussi en premier Witchita Lineman. Tout le monde (pas moi) a repris des morceaux de Webb ( un vrai Webbmaster ) je n’en citerai qu’un Elvis Presley. Crazy Mixed-up Girl a été interprétée une bonne dizaine de fois notamment par Thelma Houston et par Dusty Springfield pour le plus grand plaisir de notre Cat Zengler.

    Le lecteur ne manquera pas de retrouver le Cat Zenler en compagnie de Glen Campbell dans notre livraison 337 du 31 / 08 / 2017 et en compagnie de Jimmy Webb dans nos livraisons 398 ET 400 du 20 / 12 / 2019 et du 10/ 01 2020.

    Bones Howe moins célèbre que Jimmy Webb, est un homme de l’ombre tapi derrière sa console d’enregistrement, s’est spécialisé dans la pop sucrée, attention, a été chargé du mixage des enregistrements d’Elvis et de Jerry Lee Lewis en 1956. Sera aussi derrière Johnny Rivers, Frank Sinatra et The Mamas & the Papas. L’est vrai qu’à l’époque il y avait du beau monde derrière les micros des studios.

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    Crazy mixed-up girl : Reste à écouter : une voix pas désagréable, un peu trop bridée dans ses envolées c’est joli, printanier, mignon tout plein, des musicos qui batifolent, un peu symphonie du pauvre mais rien de navrant. Gagne à être réécouté à plusieurs reprises. I wouldn’t change a thing : Pas été capable de trouver et donc d’écouter cette face B composée par Lanny Duncan, songwriter qui enregistra une poignée de simples entre 1960 et 1965. Une jolie chansonnette d’amour éternel, parfaite pour les duos, que l’on retrouve dans Camp Rock téléfilm diffusé un peu partout autour du monde par Disney Channel… Très grand public…

    C’était ma modeste contribution around Gene Vincent…

    Damie Chad.

     

    *

    Dans notre livraison 538 du 20 / 01 / 2022 nous chroniquions le tome I du roman de François Richard VIE, un livre mystérieux d’une écriture électrique. Si à la fin de ce premier volet nommé L’Aquastation de nombreuses questions obsédaient notre esprit quant au sens de cette Odyssée l’on était certain d’être en face d’un ovni littéraire de portée historiale. Nous nous sommes donc précipités sur le deuxième volume du pentaptyque qui vient de sortir. A work in progress comme disait Joyce.

     V  I  E

    Livre second : ÿcra percer à nuit le monde

    FRANCOIS RICHARD

                                                 ( Le Grand Souffle / Mai 2023 )      

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    Le roman ne commence pas au début. Mais dans le tome 1, normal puisqu’il en est la suite. Oui, mais il faut savoir faire la différence entre le début et l’origine. Le roman ne commence pas, il procède de son origine. Elle vous est révélée, elle porte un nom : Ribardy. Jamais on ne vous explique ce que c’est. C’est au lecteur de comprendre que ce qui est important ce n’est pas ce qui s’est passé à Ribardy mais que l’on vient de Ribardy, que l’on est sorti de Ribardy, que l’on est toujours en partance de Ribardy. Ribardy fait figure de Paradis, on n’en a peut-être pas été chassé, mais l’on est en éloignement constant de Ribardy. Même si l’on reste immobile.

    Il y a deux manières de rester immobile. La première est de s’arrêter en un lieu quelconque. Par exemple sur la Place Saint Michel à Paris. L’autre manière est de marcher toujours, sans jamais s’arrêter, mais de tourner en rond, de fait on circonscrit un lieu. René-Hans se charge de cette circonvolution infinie, en gros il marche le long de ce que l’on appelait la petite ceinture parisienne. Il chemine sur les traverses du chemin de fer entre les deux rails parallèles.

    Entre ceux qui se sont arrêtés, qui ont monté une espèce de village de toiles, de camping phantasmatique, de camps de réfugiés, et celui qui marche, la différence n’est pas bien grande, les uns sont au centre du lieu et l’autre marche sur le bord. De toutes les manières le centre et le bord ne sont-ils pas la même chose, le bord de l’univers n’est-il pas encore l’univers. Une fois que vous avez trouvé le lieu il reste encore à en calculer la formule.

    Bien sûr vous ne possédez ni calculatrice, ni sextant, ni appareil quelconque de mesures, vous ne pouvez compter que sur vous, pour faire bref vous ne pouvez compter que sur votre tête. En dehors de marcher que peut faire René-Hans, regarder ce qu’il voit, et puis surtout penser dans sa tête. A repasser infiniment par le même chemin, les décors perdent tout attrait, mieux vaut s’enfermer dans sa tête, c’est alors que des étincelles de souvenirs éclosent dans votre tête, des traces, des vestiges du passé sur lesquels vous revenez infiniment, des moments du passé qui reviennent toujours, qui plongent dans la présence de votre passé, puisque votre passé, si furtif soit-il, revient toujours, si peu d’importance que vous finissiez par lui accorder, vous finissez par parcourir ces mêmes chemins qui ne sont que vous, où que vous alliez, et même si vous vous arrêtez, vous n’allez jamais plus loin que vous-même, à tout moment vous renaissez de vous-même, pourquoi croyez-vous que René-Hans se prénomme René. Parce qu’il est né une nouvelle fois, parce qu’il naît encor et encore de lui-même.

    Cette partie du roman qui vous entraîne dans sa ronde infernale, grosso modo les cinquante premières pages, n’est en rien monotone. Vous assistez à une sempiternelle éclosion. C’est la source qui sourd, l’origine qui s’originise dans une espèce d’éternel printemps, vous n’êtes plus en Ribardy mais le fait d’en être en partance de Ribardy ne vous y ramène-t-il pas en quelque sorte.

    Et pourtant vous n’y êtes plus. Si Ribardy est un lieu, et si vous vous tenez loin dans un autre lieu que Ribardy, vous commencez à poser l’équation différentielle dans le bon ordre. Il ne vous reste plus qu’à résoudre cette contradiction qui consiste à être et à n’être pas dans un même lieu. Moins par plus, égale moins. Être par non-Être égale non-Être. Donc vous êtes égal à zéro. Vous êtes mort. La formule est sans appel. Et en plus il vous reste le lieu. Ne dit-on pas que quand on est mort on va au paradis ?

    Cher lecteur pas de panique. Les cent pages suivantes sont époustouflantes. Une fois mort vous retrouvez tous les morts qui sont morts, ou qui sont partis de Ribardy, puisque vous ne pouvez être plus loin de Ribazdy qu’une fois mort, puisque vous étiez vivant lorsque vous en êtes sorti. Vous en êtes au plus loin et en même temps vous en êtes au plus près, puisqu’il suffit d’en sortir, de faire un seul pas, pour être mort.

    Oui ÿcra percer à nuit le monde est un roman métaphysique. Dans les cent pages qui suivent les morts s’occupent comme les vivants, d’eux-mêmes et aussi des autres. Ils se rencontrent, ils échangent, ils apportent des nouvelles, des tensions, l’on a du mal à savoir ce qu’il en résultera, mais l’on se dit qu’ils n’ont rien perdu au change, la face des morts est aussi obscure et mystérieuse que leur face vivante, car l’être est ainsi tantôt vivant tantôt mort mais jamais éboulé dans le néant. Les pages se tournent à toute vitesse, on les dévore, on veut savoir, toute certitude est incertaine, l’on scrute le moindre détail, la même indication, on essaie d’identifier et de lire les signes.

    D’ailleurs les livres sont faits pour être lus. Tout comme le passage de la vie à la mort peut être considéré comme une transsubstantiation, il en est de même de la pensée. Il est des balises dans le livre qui vous y invitent. Des mots connus qui flamboient comme des phares, j’en cite quelques uns, pas obligatoirement ceux que l’on attendrait, Esope, Eluard, Virgile, Poe, Keats peut-être, des noms de poëtes, ils ne sont pas jetés au hasard, le lieu du roman se déplace sur les bords de la poésie. Une écriture au plus près de la poésie, qui raconte une histoire palpitante qui donne à réfléchir, qui donne à penser mais cela ne suffit pas, le roman doit changer de lieu, se jeter dans l’estuaire de la poésie comme en bout de course la source s’est transformée en fleuve, l’on a descendu ses méandres torrentueux et ses coulées torrentielles, puis le fleuve je jette dans la mer, dans l’océan de la poésie. Une écriture qui se veut au plus près du Dire.

    Avec en prime cette question : quelle est la langue de la poésie. Elle ne peut-être que celle de la poésie, mais ne serait-ce pas celle de la poésie française, à savoir pas tellement les mots, mais les aventures poétiques dont ils procèdent. Cette question est évoquée, la réponse est laissée en suspens, elle touche à quelque chose de si fondamental, faut un certain courage pour poser cette interrogation, elle touche à l’infiniment poétique, à l’infiniment politique et babellique, car elle propose, elle ne proprose que deux réponses, celle de Dieu ou celle des Dieux. Question politique, elle apparaît en de brefs moments sous forme d’une institution nommée la Hanse que l’on pressent coercitive, ce vocable ne signifie-t-il pas aussi bien troupe de soldats qu’association de marchands… Toute similitude avec des synchronicités de notre temps ne saurait être des hasards indépendants de toute volonté.

    Rendons à César ce qui est à la prose. Les vingt dernières pages ouvrent le passage. On le pressentait. René-Hans, rappelons que Hans signifie miséeicorde de Dieu, rencontre des êtres de plus en plus immatérialisés. Sont-ce les anges rilkéens sur les franges de l’Ouvert. Il est trop tôt pour le dire. Ils hésitent encore. Quand l’homme n’est plus vivant, quand il n’est plus mort, il ne lui reste qu’à revêtir les vêtements du divin. Pour le moment nous sommes dans l’expectative, se revêtira-t-il des sombres soutanes de la religion, la prose abandonnera-telle l’orbe de la poésie, ou au contraire franchira-telle le leurre du seuil. Il nous faut avec impatience attendre le tome 3 pour savoir ce que François Richard nous prépare. Si l’on décrypte le texte avec soin, l’on assiste à une partie de dés mallarméenne. C’est dire l’ampleur du projet Richardien.

    Non ce n’est pas un livre difficile, c’est un livre d’exigence intime.

    Un livre qui déjà fait date.

    Damie Chad.

     

     

    *

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 28 ( Admiratif  ) :

    166

    Le Président n’y tient plus, il se permet d’interrompre le discours du Chef des Services Secrets du Rock’n’roll, vous conviendrez que ce genre d’apostrophe tumultueuse ne reçoit pas l’agrément de Nadine de Rothschild dans son livre Le Bonheur de Séduire, l’Art de Réussir. Le Savoir-vivre du XXIe Siècle, indispensable ouvrage qui ne quitte pas, nous en sommes persuadés, la table de chevet de nos chers lecteurs :

              _ Allez-vous faire foutre, parce que vous croyez peut-être que nous daignerons vous fournir des explications complémentaires, les voici bande de barbares, elles sont simples : un bon rocker est un rocker mort, alors nous avons décidé de vous supprimer, vous et vos deux chiens !

    Les poils se dressent sur l’échine de Molossa et de Molossito, ce qui contraste avec le sourire mielleux que le conseiller adresse à son Président aimé :

              _ Monsieur le Président, je me permets d’expliciter votre formule un peu trop lapidaire pour la comprenette pas très étendue de nos interlocuteurs, donc Messieurs ce soir nous frappons un grand coup, notre opération porte le nom de code : Saint Barthélémy des Rockers, ce n’est pas vos deux misérables personnes et vos deux clébards puants que nous supprimons, mais tous les rockers du pays, d’un seul coup, alors qu’est-ce que vous en dites grand Chef d’un peuple appelé à disparaître à minuit tapante !

    Le Chef allume un nouvel Coronado, Molossa et Molossito m’interrogent du regard, veulent-ils dévorer le Président ?

             _ Agent Chad cessez de caresser votre Rafalos dans votre poche, l’heure est grave, mais il me semble que nos deux perdreaux de l’année – le Président et son conseiller blêmissent sous l’outrage, au contraire de René de Chateaubriand ont-ils l’intuition qu’un orage non désiré est prêt à se lever – n’ont pas pensé à tout, quant à vous Messieurs je vous remercie de vos confirmations, figurez-vous que depuis le commencement de cette affaire j’ai toujours soupçonné, l’agent Chad pourra témoigner, que c’était l’avenir du rock ‘n’roll en son entier qui était en jeu

              _ Chef quoi qu’il nous arrive je l’ai noté à plusieurs reprises dans les immortelles tables de granit que sont les pages sublimes de mes Mémoires d’un Génie Supérieur de l’Humanité. Je suis sûr qu’elles survivront des siècles et des siècles, qu’elles ensemenceront l’imagination des futurs lecteurs et que le rock’n’roll, tel le Phénix, renaîtra de ses cendres.

    Le Président me lance un sourire méprisant, je ne luis réponds pas mais je n’en pense pas moins, j’irai même jusqu’à dire que j’en pense plus. Le Chef rallume un Coronado :

               _ Agent Chad, ce n’est pas que je doute de la survie littéraire de votre chef-d’œuvre impérissable mais je pense que celui-ci ne nous sera dans la situation présente que peu nécessaire, nos deux amis ont oublié un petit détail dans leur plan machiavélique, c’est dommage, nous le regrettons, toutefois il est sûr que sur cette planète, à part les membres du Service Secret du Rock’n’roll, nul n’est parfait.

    Le conseiller reprend la parole :

               _ Messieurs taisez-vous maintenant, notre Président a à s’occuper de plus vastes projets que vos misérables personnes, toutefois même si vous nous trouvez un peu cruels à votre égard, nous n’en sommes point hommes pour autant, nous resterons avec vous jusqu’à minuit, non ne nous remerciez pas, c’est juste pour le plaisir de vous voir mourir devant nous à minuit tapante ! Vous ne pourriez pas nous faire une plus grande joie. Il ne vous reste que quelques heures à vivre, nous ne voulons plus vous entendre. Normalement on laisse une dernière cigarette aux condamnés à mort, nous ne sommes pas chiches, nous ne mégoterons pas, Grand Chef sioux déplumé vous avez le temps de fumer une ribambelle de Coronados, et vous l’agent Chad de rajouter un épilogue à vos mémoires dont nous nous torcherons le cul avec plaisir !

    167

    Les heures s’écoulent lentement. Nos deux bourreaux savourent leur triomphe. Le Chef imperturbable fume Coronado sur Coronado. A chaque fois il ferme les yeux comme si c’était le dernier. Je ne tiens pas écrire le mot fin à mes mémoires, j’ai pris Molossa et Molossito sur mes genoux et les caresse doucement. Sous mes mains je sens leurs muscles bandés, les braves bêtes ont compris la situation, ils sont prêts à intervenir à la moindre erreur de nos adversaires.

    Huit heures…

    Neuf heures…

    Dix heures…

    Onze heures…

    Onze heures et quart…

    Onze heure et demie…

    Minuit moins le quart…

    Minuit moins cinq… L’oreille droite de Molossa frémit, Molossito jette un regard sur sa mère adoptive qui d’un coup de langue rapide lui lèche le museau.

    168

    Ai-je bien entendu, trois coups légers à la porte, le Chef reste absorbé dans les saveurs de son ultime Coronado. Non, il en allume un autre.

    Toc ! Toc ! Toc !

    Cette fois c’est indéniable, l’on a frappé à la porte, des coups discrets certes, mais des coups de même. Je ne suis pas le seul à avoir entendu, le Président se lève si brutalement que sa chaise tombe, il se tourne vers la porte et vocifère :

    • J’ait dit que je ne voulais pas être dérangé avant minuit, je fais remarquer au paltoquet qui se permet d’enfreindre mes ordres qu’il est minuit moins deux et qu’il ne perd rien pour attendre…

    Sur le palier le pâle toqué doit hésiter, il n’ose pas insister, il ne sait pas, il n’a pas envie d’encourir la colère du Président, mais en bon fonctionnaire il décide qu’il a un message urgent à transmettre, devrait-il être renvoyé il pense que l’intérêt supérieur de la Nation prime sur le sien.

    Toc ! Toc ! Toc !

    Le Conseiller du Président se lève et va ouvrir. Il est minuit moins une… La cage d’escalier est plongée dans le noir. Il ne voit rien.

    • Personne !

    Le Conseiller referme violemment la porte.

    • Monsieur le Président, l’imbécile a enfin compris qu’il ne devait pas insister !
    • Ce n’est plus important, minuit moins vingt secondes c’est à moi d’ouvrir la porte comme convenu – il joint le geste à la parole – messieurs entrez, les condamnés vous attendent, faites-moi plaisir, faites vite…

    Personne ne rentre. Le Chef rallume un Coronado. Molossa et Molossito descendent de mes genoux.

               _ Dépêchez-vous !

    La voix du Président est chargée de colère. D’un geste vif il allume le commutateur du palier et pousse un cri d’horreur. Le Conseiller le rejoint, moi aussi. Le Chef tire une bouffée.

    Le spectacle est hallucinant. Les escaliers sont jonchés de cadavres d’hommes en treillis entassés sur les marches. Je calcule à la vitesse d’un ordinateur – à l’école j’étais le premier en calcul mental – si le président n’a pas menti, trois hommes sur chacune des trente marches de chacun des escaliers des quinze étages, cela fait mille trois cent cinquante membres du GIGN supprimés d’un coup, autant dire que le groupe d’élite n’existe plus, quel gâchis financier. Combien de millions et de temps pour le reconstituer !

    Le Président et son conseiller sont blancs comme ces housses en plastique dans lesquelles on enveloppe les morts. La voix du Chef, péremptoire et agacée s’élève :

             _ Refermez la porte, le courant d’air qu’elle suscite m’empêche de goûter la saveur de mon Coronado, venez vous asseoir avec moi, si j’en crois Molossa et Molossito nous avons une visite, vite, il doit être au moins minuit passé de cinq minutes !

    A suivre…