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rockambolesques - Page 2

  • CHRONIQUES DE POURPRE 646 : KR'TNT 646 : MAX DECHARNE / DOUM DOUM LOVERS / BOBBY TENCH / PETER GALLAGHER / ZOMBIES / TEXABILLY ROCKETS / CONQUERORS OF THE EMBER MOON / ARCANIST / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 646

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    23 / 05 / 2024

     

    MAX DECHARNé / DOUM DOUM LOVERS

    BOBBY TENCH / PETER GALLAGHER

    ZOMBIES / TEXABILLY ROCKETS

     CONQUERORS OF THE EMBER MOON / ARCANIST

    ROCKAMBOLESQUES  

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 646

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - Max le ferrailleur

     (Part One)

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             L’ex-Gallon Drunk et membre émérite des Flaming Stars Max Décharné publie son dixième book, Teddy Boys: Post-War Britain And The First Youth Revolution. Alors bien sûr, tous les fervents admirateurs d’A Rocket In My Pocket et de King’s Road: The Rise And Fall Of The Hippest Street In The World se sont jetés sur le Teddy book. Pas question de rater ce nouvel épisode d’une saga ethno-sociologique qui nous tient particulièrement à cœur, celle de London town.

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             Contrairement à ce qu’indique son nom, Max Décharné n’est pas à l’article de la mort. Au contraire, il est certainement l’hipster londonien le plus productif de son temps. Il a un wiki qui doit faire baver d’envie Ginger Wildheart, l’un des pires productivistes de l’histoire du rock anglais. Mais Max le bat à la course. Et de loin. Il sait tout faire, surtout écrire. Bon, on ne va pas pomper le wiki, on laisse ça aux kikis. Contentons-nous de lire deux ou trois bons livres et d’écouter quelques bons albums des Flaming Stars.

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             Max Décharné est aussi un grand spécialiste du slang londonien et du cinéma noir. Chacun de ses ouvrages s’adresse donc à des spécialistes. Exemple : A Rocket In My Pocket s’adresse aux spécialistes du rockab (on y reviendra dans un Part Two). Autre exemple : King’s Road: The Rise And Fall Of The Hippest Street In The World lui permet de fouiller dans l’histoire et de remonter jusqu’aux racines de la pop culture londonienne (on y reviendra dans un Part Three). Ses livres sont extraordinairement bien documentés. Son style pourrait bien être celui d’un hipster historien, d’un chercheur raffiné qui ne reculerait devant aucun excès pour mener à bien son investigation. Il cite à tours de bras. Max Décharné est une sorte de Rouletabille rock, d’hip Sherlock, de Jack the Rapper, il met au service de sa R&D une fantastique énergie de rocker underground, on sent battre le beat nocturne de Gallon Drunk dans sa prose. On parle ici d’une ambiance particulière faite d’élégance urbaine, de dandysme de trottoirs humides et de jazz-clubs informels. Ami lecteur, te voilà en de bonnes mains.

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             Alors attention, le Teddy Boys book n’est pas un rock book au sens où on l’entend généralement. Max Décharné n’évoque le rock qu’à titre indicatif. Il documente l’histoire d’un mouvement populaire typiquement londonien, à grands renforts de citations d’ouvrages déjà très documentés et de larges extraits puisés dans les quotidiens et les magazines de l’époque. C’est violemment documenté, à tous les sens du terme. Les Teddy Boys ont en leur temps alimenté les unes des journaux, comme le feront vingt ans après eux les punks. C’est exactement le même processus : les kids foutent la trouille, rien que par leur allure, alors les fouille-merde de la presse les collent à la une de leurs torchons. Max Décharné va aussi chercher des infos dans la littérature et le cinéma d’époque, c’est un vrai travail de bénédictin. Tu sors du book drôlement bien renseigné, même si les Teddy Boys ne représentent rien ou presque pour toi.

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             Mais il y a cette énergie dans le book. L’auteur fait bien la part des choses. Il évoque les Teddy Boys des années 50 qui étaient en fait des pionniers. Max campe bien le décor : le post-war est rude en Angleterre, pas d’eau courante, pas de confort, pas de rien. Et tout commence par le look, et là Max met le turbo, car c’est du vocabulaire choisi, il évoque les Teds comme s’il s’agissait d’une tribu - With their Edwardian drape jackets, velvet collars, elaborate waistcoats and drainpipe trousers, ils étaient non seulement l’un des mouvements de la jeunesse working-class la plus identifiable, mais ils étaient aussi les premiers - Bon alors les mots. Drapes, ça ne se traduit pas, ça reste drapes. On peut à la rigueur traduire ça par veste longue. Elle est généralement taillée dans un tissu bleu clair. Avec un col en velours noir. Les waistcoats sont les gilets, l’un des apanages du dandysme. Et les drainpipe trousers sont comme leur nom l’indique des futals moulants. Max Décharné reste dans la mode pour rappeler que dans That’ll Be The Day, Ringo est un Ted, et même un brillant Ted, et que McLaren vendait des drapes et des creepers à l’autre bout de King’s Road, une avenue que Max connaît bien. Avant de s’appeler Sex, le bouclard s’appelait Let It Rock. McLaren était un fan d’early rock’n’roll et de Billy Fury en particulier. Puis Max évoque les séquelles du mouvement Ted : Showaddywaddy, Mud, «and the finest of them all, Wizzard» - Wizzard avait réussi à combiner les cheveux longs et le maquillage with authentitc Ted gear et une fantastique musique d’inspiration fifties, comme turbo-charged avec le Wall of Sound de Phil Spector, de la même façon que les mecs de Roxy Music avaient réussi à intégrer des références fifties dans leurs chansons et leurs visuels, alors qu’ils semblaient évoluer dans le futur avec plusieurs décennies d’avance - Oui, il faut voir la dégaine de Roy Wood sur le pochette d’Eddie & The Falcons. À l’époque, on prenait tout ça très au sérieux. Mais il ne s’agissait que d’un revival.

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             Les drapes ne sont pas tombés du ciel. Max nous rappelle que leur origine remonte aux années 30, «a Savile Row fashion innovation» : «La veste tombait droit de larges épaules pour se resserrer à la taille, et les fameux zoot suit des années 40 allaient en exagérer la forme.» Et ces Teds que la presse et l’opinion publique vont transformer en loubards allaient chez des tailleurs pour s’habiller. Max nous cite l’exemple d’un jeune plombier originaire de Middlesbrough : en 1954, il a 18 ans et en allant chez le tailleur, il devient un «anti-social thug» - He ordered his own distinctly colourful version of a Teddy Boy suit: a red corduroy jacket with velvet patch pockets, powder blue drainpipe trousers, red corduroy shoes with twin buckles, white socks, two-tone brown and green shirt with a black shoelace tie - Même les punks ne sont pas allés aussi loin. Les fringues de McLaren coûtaient trop cher.

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             Les Teds s’appelaient au début The Edwardians, mais leurs girlfriends préféraient Teddy Boys. Et ça part vite - A dress code, some hairstyle tips, and a name for the new movement - Et pour bien fédérer tout ça, arrive en 1956 en Angleterre Blackboard Jungle. Ce vieux classique du ciné rock sert même de détonateur, car on y voit Bill Haley balancer «Rock Around The Clock». Ça n’a l’air de rien comme ça, mais en ce temps-là, on n’avait que «Rock Around The Clock» à se mettre sous la dent, même en France. Max situe la sortie du film en juin 1956. En mai de la même année, Elvis entre dans les UK charts avec «Heartbreak Hotel». Max parle d’un «double blow». Voilà donc l’origine d’une révolution, sans doute la plus importante des temps modernes : Bill Haley, Elvis et les Teds. Max cite aussi le schoolboy Keef qui a 12 ans au moment où le film sort en Angleterre. Pour lui c’est le point de départ. Max le cite : «La musique de Blackboard Jungle, ‘Rock Around The Clock’. Pas le movie, juste la musique. Les gens disaient : ‘Ah did you hear that music, man?’. En Angleterre on n’avait encore jamais rien entendu. Toujours la même chose : la BBC contrôle tout. Alors tout le monde s’est levé pour la musique. Je ne pensais pas à la jouer. Je voulais juste l’écouter. Il a fallu un ou deux ans en Angleterre avant que les gens ne se mettent à jouer cette musique.» Keef les voit, les Teds, dans les dance halls, il les craint, comme il le rappelle à Robert Greenfield en 1971 - I was just into Little Richard. Je me méfiais, je restais à distance des chaînes de moto et des rasoirs, dans ces dance halls. The English get crazy. Ils sont calmes, but they were really violent, those cats. Those suits cost them $150, which is a lot of money. Jackets down to here. Waistcoats. Leopardskin lapels... amazing. It was really ‘Don’t step on mah blue suede shoes.’ It was down to that - Keef résume bien les choses. Il sait imager son propos. Oui, car la violence est inhérente au mouvement Ted. Les Teds s’affrontent. Ils affûtent à la meule leurs chaînes de moto - a very nasty weapon - ils ont aussi des matraques lestées de plomb, des rasoirs et des poings américains. Max évoque les combats entre «East End and South London gangs, with mass fights in agreed locations.» Un mythe urbain que d’autres vont exploiter à gogo.

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             L’exploitation de la violence par la presse constitue le gros du book. Pas mal de Teds sont ramassés par les Bobbies, et se retrouvent au tribunal devant les perruqués. Max trouve aussi quelques cadavres dans la presse à scandale. Mais le plus dévastateur dans cette histoire, c’est son humour. Au détour de certaines pages, on se fend bien la gueule. Dans une double où il montre un élégant dandy Edwardien déambuler sur Savile Row, Max déclare : «The Edwardian high-fashion revival jouissait de ses dernières années de tranquillité, car les pantalons moulants, les cols en velours et les drapes allaient se trouver inextricablement liés à une autre clientèle.» Eh oui, les Teds allaient s’approprier ce phénomène de mode et le faire descendre de l’upper class jusqu’au working class. Et il ajoute deux pages plus loin ceci qui édifie les zygomatiques : «Il n’est pas surprenant que les commentateurs issus de backgrounds classiques aient pu voir les Teds et les Teddy Girls comme un alien phenomenon.» Plus loin, Max se régale de l’anecdote d’une Teddy Girl résistant à l’autorité : «Ayant tapé dans la gueule d’un deuxième flic et craché dans celle d’un troisième flic, elle menaça ensuite de se jeter hors du panier à salade qui l’emmenait au commissariat. Un officier de probation dit aux magistrats que sa cliente s’était déclarée a Teddy girl, puis elle fut envoyée chez un psychiatre.» Et là où Max se marre le plus, c’est quand il évoque le premier proto-Ted, Prince Philip, grand amateur de creepers : «A Royal Charity Premiere de Violent Playground fut donnée le 3 mars 1958 à l’Odeon de Marble Arch, et l’invité de prestige n’était autre que ce fameux aficionado de crêpe-soled creepers, Prince Philip, Duke of Edinburgh, mais il semble qu’il se soit abstenu de graver le bois de son siège avec un cran d’arrêt.»

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             En plus de Keef, Max, fait intervenir d’autres cakes, comme par exemple John Lennon et Ted Carroll. Il cite le biographe Hunter Davies : «Ils s’appelaient the Quarrymen, naturally enough. Ils portaient tous des fringues de Teddy Boys, et se coiffaient comme Elvis. John was the biggest Ted of all.» Ce que Max Décharné veut dire à travers tout ça, c’est que les Teds des early fifties étaient entrés en conflit avec la société, comme le feront 20 ans plus tard les punks. John Lennon était un rebelle notoire. À Dublin, le futur boss d’Ace Ted Carroll passe lui aussi dans le camp des Teds, et comme il se graisse les cheveux et qu’il a trafiqué son futal, on le surnomme Ted, alors qu’il s’appelle David - So that’s how I got the name Teddy boy, because I was a Ted for taking in my trousers.

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             Puis Max amorce le déclin du règne des Teds, à la fin des fifties. Ils passent de mode. Viendra 20 ans plus tard le temps des revivals, Max cite par exemple «the Buddy Holly Dance Contest en 1982 où Billy Fury fit une courte apparition et le sol trembla alors que plus d’un millier de Teds & de Teddy Girls jived and bopped to the sounds of Howlin’ Wolf’s 1962 stormer ‘You’ll Be Mine’.» Les Teds originaux nés pendant la Seconde Guerre Mondiale avaient pris un coup de vieux ou avaient disparu, et une dernière fois, Max resitue le contexte : «Ils ont grandi dans une époque de rationnement, quand peu de maisons avaient le chauffage central et dont la plupart des toilettes étaient à l’extérieur, la grande majorité des working class people n’avaient ni téléphone ni télévision. Les gosses qui n’avaient pas les moyens de financer une exemption devaient faire leur service militaire, la peine de mort existait encore et tout le monde devait se lever à la fin d’une projection de cinéma quand on jouait God Save The Queen. C’est à ça que ressemblait la société voici 70 ans. Les premiers Teddy boys and girls se sont dressés en réaction contre tout ça, et furent en même temps façonnés par tout ça. They will not pass this way again.» C’est la dernière phrase du book. Elle sonne comme une clameur.

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             On garde les meilleurs pour la fin ? Max Décharné rend deux hommages superbes, d’abord à Gene Vincent, qui débarque pour la énième fois en Angleterre, en 1969. Il est accueilli à Heathrow par une délégation de Teddy Boys in drapes and bootlace ties.

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    Puis Gene monte à bord d’une Rolls blanche et file vers Londres, accompagné d’une escorte de bikers. Et Max poursuit : «Deux de ses fans et ex-Teddy boys, John Lennon et George Harrison, vinrent assister à son packed London show au Speakeasy.»  

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             Mais la véritable star du Teddy book, c’est Bill Haley. Et là Max Décharché livre trois de ses plus belles pages. Le vieux Bill débarque en 1957 en Angleterre. C’est lui qui va inciter les kids britanniques à monter des groupes. Max rappelle qu’un canard anglais citait la tournée de Buddy Holly & The Cickets comme la première grande tournée déterminante - deux guitares/basse/batteries, compos originales, un message qu’allaient recevoir les groupes anglais, notamment les Beatles - mais pour lui, ce sont les Comets qui un an plus tôt ont ravagé l’Angleterre - They were unquestionably a rock band - one of the earliest and finest that ever hit the stage - Il a raison, le Max, Bill Haley & The Comets stormaient bien la baraque et swinguaient comme des démons. Ted Carroll les voit à Dublin. Il réussit à se payer un billet, au balcon. Sur le cul le Ted ! - Alors ils démarrent avec «Razzle Dazzle» : ‘on your marks, get set, ready’ et sur les deux ou trois premier accords, le rideau se lève doucement, on voyait leurs jambes sur scène and then ‘Ready steady go!’ up went the curtain, fuckin’ place erupted - C’est Ted Carroll qui dit ça, il sait de quoi il parle. Et il repart de plus belle, ah il faut lire ces pages de l’aube des temps du rock - It was amazing. You can imagine, because they were a fucking great band. Ils étaient fantastiques, si doués, ils avaient fière allure. Me souviens pas s’ils portaient leurs vestes en tartan et Bill Haley n’avait pas cette gueule de pépère. I mean, he was a great singer, had a big fuck-off guitar, he moved around. He wasn’t Elvis - nobody wanted Elvis - we wanted Bill Haley and the Comets who made the best rock’n’roll records which were great to dance to, the A and B sides were fantastic. The place went fucking wild - Il a même la trouille que le balcon ne s’écroule parce que tout le monde saute en l’air «and the excitment was just fuckin’ insane.» Ted ajoute que ça a continué dans la rue, après le concert. Pour lui, ce concert de Bill Haley reste un concert magique - I mean it was magical to be able to see that. J’étais tellement sonné que je ne suis pas allé à l’école le lendemain. J’ai vu le premier show des Beatles à Dublin, et puis les Stones, j’ai vu des concerts déments, Ike & Tina Turner au Royal Ballroom à Tottenham, mais celui de Bill Haley was just totally mind-blowing. J’avais 14 ans. You’d never seen anything lile it - Ce fantastique témoignage brille comme une perle noire au creux du bel écrin de ce Teddy book. 

             On se souvient d’avoir côtoyé des Teds au Rock On stall de Soho Market, dans les années 70. Tu venais acheter Wasa Wasa et à côté de toi, un Ted en veste bleue, jabot blanc, pompadour, doigts couverts de bagues et de tattoos, fouillait dans le bac des 45 tours et en sortait un single Sun en poussant un cri de victoire. C’est l’un des souvenirs les plus précis de cette époque. Les Teds formaient une petite bande et tu éprouvais une certaine fascination à les observer, car tu savais, au fond de toi, que tu ne serais jamais aussi rock’n’roll que ces mecs-là. Dangerous & exciting, comme le dit si bien Max Décharné. 

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             Pour rester dans le ton, sortons de l’étagère The Basement Bar At The Heartbreak Hotel, des Earls Of Suave. Album mystérieux, pochette mystérieuse, avec au chant un Marquis de Suave qui sonne comme Elvis sur «Stranger In My Own Home Town», et en B sur «Little Ole Wine Drinker Me». On croit rêver. Max Décharné sait aussi faire son Elvis, comme le montre «Really Gone This Time». Il a tout le doux et le rond du menton. Les Earls Of Suave sonnent aussi comme le Cramps sur «A Cheat» : en plein dans le boogaloo Crampsy/Gallon Drunk, mais aussi avec «She’s My Witch» bien chanté à la Lux. Le coup de génie de l’album est la reprise de l’«Ain’t That Lovin’ You Baby» de Jimmy Reed en ouverture de balda. Heavy groove de boogaloo de London town, très Elvis-proto-punk et chanté au grand méchant loup. Ils font aussi une cover du «Ring Of Fire» de Cash. 

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             On va retrouver la plupart des Earls Of Suave dans les Flaming Stars. On reviendra sur leur discographie magique dans un Part Two, mais pour donner un petit avant-goût, jetons un œil sur Sunset & Void, magnifique album paru en 2002. Magnifique oui car «Night Must Fall» que Max tape en chanteur de charme fou. Petit chef-d’œuvre de romantisme urbain. Et puis tu as ces deux cuts à l’entrée du balda, «A Little Bit Like You» et «Cash 22», solide rockalama travaillée sous le boisseau pour le premier, un brin Gun-Clubbish, et de faux accents à la Bowie era Heroes pour le deuxième. Même ampleur pop volontaire de classe supérieure. On entend un peu partout des échos de Gallon Drunk, c’est en gros la même ambiance. L’«House Of The Seting Sun» qui trône en B est écœurant de classe et de London Void. Dandysme et cut mélodiquement purs. L’exotica des Flaming Stars («Mexican Roulette») sonne comme un western en déliquescence et avec «The Waiting Game», ils visent l’urbain d’orbi. Saluons aussi l’ambiance pesante de «The Long Walk Home». Ils savent plomber la clavicule de Salomon.

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             En 2022, Max Décharné sortait New Shade Of Black, un choix de dix cuts composés jadis pour les Flaming Stars, enregistrés late at night sur un 4-track cassette-based recorder. Max explique qu’il enregistrait ainsi ses demos pour les présenter au groupe. Il ajoute qu’il chantait en sourdine pour ne pas réveiller ceux qui dormaient. Il est reparti des vieux 4-track surviving recordings et a refait les voix chez Ed Deegan, le mec qui enregistrait les Flaming Stars au temps de Toe Rag. A new album full of old songs. C’est un album à caractère intimiste. On y retrouve le très beau «3AM On The Bar Room Floor» tiré de Songs From The Bar Room Floor paru voici bientôt trente ans. C’est très beau, très mélancolique, très jusqu’au bout de la nuit. Max adore le bar room floor. Sur le «Maybe One Day» tiré de Pathway, il sonne comme le Lou d’«Heroin». Il joue de l’orgue et frise même le Nico dans une fantastique ambiance sépulcrale. Il re-capte la primeur de ses vieilles démos. «Lit Up Like A Christmas Tree» se trouve aussi sur Pathway. Cut lugubre et gorgé de réverb cadavérique, pas loin du Velvet, une pure Marychiennerie. «Cash 22» qu’on retrouve sur Sunset & Void est aussi très beau, dans sa forme originelle. Max sait capter l’attention. Il cultive le même sens mélodique que les Mary Chain. 

    Signé : Cazengler, Max la limace

    Max Décharné. Teddy Boys. Profile Books Ltd. 2024

    Earls Of Suave. The Basement Bar At The Heartbreak Hotel. Vinyl Japan 1994

    Flaming Stars. Sunset & Void. Vinyl Japan 2002

    Max Décharné. New Shade Of Black. Dangerhouse Skylab 2022

     

     

    L’avenir du rock

    - Doum Doum Doum Doum

             Pour divertir ses amis, l’avenir du rock organise des soirées magiques. Il revêt son bel habit de Mandrake, il loue les services d’un blackos de Saint-Denis pour faire le Lothar, et dispose trois rangées de chaises dans son salon qui devient une sorte de mini-cabaret pour happy few. Le Lothar fait entrer l’avenir du rock dans un grand sarcophage vertical, prononce une formule magique, fait patienter le public quelques secondes, puis ouvre à nouveau le sarcophage... Oooh fait la petite assistance médusée, alors que sort du sarcophage un Lemmy plus vrai que nature, arborant de splendides verrues et brandissant sa Ricken ! Il approche du premier rang et se met soudain à gratter sa Ricken tout en éructant «It’s a Bambi ! It’s a Bambi !», et au comble de la stupéfaction générale, un Bambi sort d’une caisse que vient d’ouvrir le Lothar de service ! Oooh fait la petite assistance re-médusée, alors le Lemmy plus vrai que nature attrape une mitraillette Thompson en tous points semblable à celle qu’on voit sur la pochette du mini-album St. Valentine’s Day Massacre et tatatatata, il dégomme Bambi en hurlant «It’s a Bambi ! It’s a Bambi !». Alors le Lothar coiffé d’une perruque McLaren s’écrie : «Who killed Bambi ?». Poilade générale. Certains en tombent même de leur chaise. Le Lemmy retourne dans le sarcophage et après la rituelle formule magique, c’est un Jimi Hendrix qui en sort, avec un gros flingue à la main et sa Strato en bandoulière qui joue toute seule. Le Lothar l’interpelle : «Hey Avenir Joe where you going with that gun in your hand?», alors le Jimi dit qu’il s’en va buter sa old lady parce qu’il l’a vue traîner en ville avec un autre mec. Et comme l’avenir de rock n’a pas d’old lady, il en choisit une au hasard dans la petite assistance et lui colle une balle dans la tête. Hilarité générale, même si certains trouvent qu’il exagère un peu. Déjà deux cadavres, et la soirée ne fait que commencer... Il retourne dans son fucking sarcophage et après l’abracadabra de service, le voilà qui revient en John Lee Hooker. Pareil, avec sa gratte et un gros flingot. Il s’assoit sur une chaise, tape du pied, gratte les plus beaux accords de l’histoire du rock et grommelle : «Doom Doom Doom Doom/ Gonn’ shoot you right down !». Et il tire dans le tas, comme Sid Vicious à la télé.

             L’avenir du rock ne lésine jamais sur les moyens pour rendre hommage, surtout quand il s’agit des Doom Doum Lovers.

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             Des couples rock, t’en as vu des tonnes depuis vingt ans, les White Stripes, les Kills, les Blood Red Shoes et tous ces machins-là. Ils sont souvent au bord de la faillite, car l’exercice est périlleux. Si elle bat le beurre, il faut qu’elle batte bien, et s’il gratte ses poux, il a intérêt à en gratter pour dix, parce qu’il est tout seul, avec en plus le chant à charge. Gros boulot. Faut des épaules pour ça. Et une voix. Et du punch. Et des compos. Tu vois vite à travers quand ça manque de viande. Les modèles de couples rock restent les Courettes, et puis bien sûr Stereo Total. Chapeau bas. Flavia Courette gratte tout ce qu’il faut et Moby Dick bat pour dix. Françoise Cactus battait la Stereo comme une bête et Brezel Göring grattait sa Bo guitar comme un Bo blanc.

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             C’est cette énergie du diable qu’on retrouve chez Jean-Jean et Kinou, the fabulous Doum Doum Lovers. Et quand t’as dit fabulous, t’as rien dit. Ils renouent avec la grande époque des concerts foutraques de Stereo Total, t’as des paroles en français, du riff raff gaga, de l’énergie atomique, un mec qui se balade avec sa gratte dans le public, comme s’il marchait sur la lune, en poussant des ouh !, il gratte tous ses cuts avec une technique d’une extraordinaire sobriété, sans jamais produire le moindre effort, pendant un heure il crée son monde, il va de cut en cut comme un poisson dans l’eau, et tu flashes en permanence, car c’est incroyablement bon, incroyablement frais, incroyablement juste, tu ne t’attendais pas à ça, et la surprise n’en est que plus belle.

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    Alors tu comprends que tu as sous les yeux un real deal de l’underground. Il ne la ramène pas, au contraire, il simplifie au maximum, mais sans jamais tomber dans le panneau friendly. Non, son truc serait plutôt : «Tu veux du rock ? Tiens en voilà !», mais sans prétention. Tout repose sur la qualité du show, des compos, et là, tu te régales, car c’est du très haut de gamme. Il te donne exactement ce que tu attends d’un concert de rock en 2024 : une heure de set solide dont tu vas te souvenir. Et puis cette classe ! Rien n’est plus rare que la classe naturelle, celle que tu n’as pas besoin de montrer.

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    Jean-Jean n’a pas besoin de déguisement, ni de santiags, ni de tatouages, il a des chansons fantastiques, de l’humour et une présence indiscutable. Il a même une chanson gaga-Dada, «Nus Sur La Banquise», et tout le monde fait Ding Dong avec Kinou - Pas de tenue requise - Gros clin d’œil au «Deux Sur la Banquette» de Marie & Les Garçons.

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    Tu le vois marcher sur la lune en poussant des ouh ! Et sur la version studio, il part en solo de trashobilly d’envergure intersidérale. Que de son, my son ! Il te gratte ça au relentless, et le cut se termine en bouquet de chœurs d’artichauts bien chauds. L’autre big time-cut des Doum Doum s’appelle «Le Tunnel», le fameux cut avec les ouh ouh. Alors attention, tu as deux versions : celle de l’album sans titre et celle de la démo 3 titres. Sur l’album, c’est Kinou qui prend le chant, et lui, il mène le bal du ramalama, où est la sortie du tunnel, c’est wild as fuck ! Il faut les voir foncer dans la nuit.

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    Mais si l’occasion se présente, chope la démo trois titres parue en 2021, elle ne coûte que trois euros, mais tu vas tomber de ta chaise car la version du «Tunnel» qui est dessus est encore plus wild que l’autre. Ça démarre avec la voix d’Arletty - Atmosphère ? Atmosphère ? Est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère ? - Et bam !, ça part en trombe, ça fonce dans le tunnel, hot as hell, ça monte en neige pour atteindre à la démesure d’où est la sortie du tunnel, Kinou mène la danse, et derrière Jean-Jean recrée le chaos sonique du Velvet. Eh oui, l’animal flirte avec le spirit de «Sister Ray». À la suite, tu tombes sur la démo de «Face To Face», un heavy boogie down d’hey face to face, il sait monter son boogie en neige et il te plonge vite fait en enfer, il connaît toutes des recettes maléfiques du wild gaga et cette façon qu’il a de riffer à sec ! Il finit avec un «Looking For The Banshee» bien lesté de plomb, il te trashe ça vite fait au riff raff de caballero, ça sent bon les coups de bottleneck, il nage dans l’écho du temps, il brûle les ailes de sa Banshee, et ça bottomme dans l’ersatz de l’apanage, et là t’es tanké.

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             Tu as d’autres merveilles sur l’album sans titre des mighty Doum Doum. Tu retrouves la Banshee. Il sait rocker sa casbah, pas de problème. Tout est construit sur des architectures soniques qui te captent bien l’attention, il ramène sa fuzz et lance «don’t trust me», mais si. On te truste ! Belle architecture d’anymore encore dans cet «Hope Gives Live» lourd de conséquences, lancé au wild abus dangereux et bien tenu en laisse. Par contre, il lâche la laisse de «Garde Un Chien D’Ta Chienne» et là, l’album décolle. Kinou l’amène au gros tatapoum et bam, ça part en rockalama périgourdin. Kinou fait des chœurs gaga de rêve. Te voilà au pied de mur. Tu crois entendre des clameurs de Detroit Sound. Tu te pinces. Dans «Secret», il joue avec la notion de ground underground, the other way round, belle ambiance Dead Moon, il siffle dans la nuit et joue les basses sur ses cordes graves. C’est un enchantement. Et voilà qu’il tape dans le mille du pire gaga de l’univers avec «Hurry Up». Terrific ! Sur scène, il t’explose ça à coups de gros barrés. On retrouve aussi l’excellent «Face To Face», cet heavy groove de blues qui te tient par la barbichette, et encore une fois, il te sonne bien les cloches. Tout est tellement en place, la gratte, la voix, l’énergie, le beurre, et en plus, il te claque un solo de disto qui te fait baver. Ils tapent «Un Pas Sur La Lune» au yodell périgourdin et bouclent ce délicieux bouclard avec «Outside The Box». Cet album est un vrai panier garni, gorgé de compos variées, comme chez Stereo Total, même énergie, même intégrité, même créativité, même joie de vivre et même résonance underground.

    Signé : Cazengler, Dumb Dumb Loser

    Doum Doum Lovers. Neuville-Sur-Authou (27). 9 mai 2024

    Doum Doum Lovers. Doum Doum Lovers. Some Produkt 2023

    Doum Doum Lovers. #1. Not On Label 2021

     

     

    Tench you very much

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             Curieux parcours que celui de Bobby Tench, un chanteur guitariste qu’on retrouve employé à bon escient dans le Jeff Beck Group, par exemple, et à mauvais escient dans les groupes de gens comme Van Morrison, Eric Burdon, Steve Ellis (Widowmaker), Stevie Marriott (Humble Pie) et Michael Chapman (Streetwalkers) qui ont déjà tout ce qui leur faut au niveau chant. Oui, le problème est que Bobby Tench chante prodigieusement bien, il peut parfois sonner comme Rod The Mod, alors évidemment, quand il se retrouve dans Humble Pie ou Widowmaker, il doit s’effacer et se contenter de gratter ses poux.

             Puisqu’il vient tout juste de casser sa pipe en bois, nous allons lui rendre hommage et tenter de donner une idée du talent de cet immense artiste. La liste des projets auxquels il a participé est vertigineuse. Tu la trouveras sur wiki. Par contre, si tu veux l’entendre chanter, alors faut écoute les albums de Gass et d’Hummingbird.

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             Le premier album de Gass paraît en 1970. Tombé dans les pattes des spéculateurs, cet album est devenu intouchable. Pour l’écouter, tu devras soit te le faire prêter, soit le télécharger. Attention, c’est un album extraordinaire, un peu prog mais extrêmement énergique. Tout est joué au fantastique appareillage de shuffle d’orgue et dès «Kulu Se Mama», on comprend que cet album soit devenu culte. Bobby Tench peut chanter au plus haut niveau de prestance, comme le montre «Holy Woman». S’il tient si bien la rampe, ça ne s’explique que par son talent. Bobby Tench et ses amis visent l’admirabilité des choses en matière de prog, c’est vrai, mais c’est inspiré, et pour une fois, la prog gagne en respectabilité. Ce mec est l’un des grands Soul Brothers d’Angleterre, et ça joue au bon délié de guitare. Ils sortent un son plein comme un œuf, ça sur-joue dans les effluves de l’une des meilleures progs d’Angleterre. Avec «Yes I Can», Bobby Tench joue la carte du profil bas, bien soutenu par un beau bassmatic à la Jamerson. On se régale de l’extrême puissance du Yes I Can. Et tout va exploser en B avec «Juju». Peter Green participe au festin de son. Fantastique swagger ! Bobby Tench ramène tout le power flamboyant du Juju anglais. Peter Green plonge dans le gras double et Bobby vient le hanter au pire raw du Tenching. Ils ramènent tout le power de Junior Walker et des géants de la heavy Soul. Ils font même du Sly pur. Bobby Tench se montre effarant de verdeur dans ce balladif bienvenu qu’est «Black Velvet», puis il refait son Soul Brother dans «House For Sale». Il faut l’entendre swinguer sa prog, il est effarant de mainmise. Ces mecs sont beaucoup trop puissants pour un petit pays comme l’Angleterre. Voilà une autre énormité : «Cold Light Of Day», amené au violon et repris au heavy groove, the darkest of it all. Stupéfiante présence calorifuge, ponts joués au big foutraque de Bobby Tench, ce mec aime tellement le groove qu’il le swingue dans l’âme. On tient là l’un des très grands albums de 1970. Ils terminent avec «Cool Me Down», un fantastique shoot de speed prog. Ces mecs jouent où ils veulent, quand ils veulent et comme ils veulent, ils passent par les breaks de Cellar Block et Bobby envoie sa shit fluctuer dans les sillons du Cool me down. Ça se termine par un véritable festival de white riot percus.

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             Catch My Soul est une comédie musicale parue en 1971 sur laquelle on retrouve Bobby Tench & The Gass. P.J. Proby et P.P. Arnold font aussi partie de l’aventure. C’est là que Bobby Tench commence à partager le micro avec d’autres très grands chanteurs. Dans «Ballad Of Catch My Soul», un fameux shouter annonce : «My name is Le Gault and I’m the devil as well.» C’est très orchestré, très américain. P.J. Proby se tape «Drunk». Il éclate tout, help me ! Save me ! Aw ! Lance Le Gault revient chanter «Cannikins». On se demande pourquoi cet album est attribué à Gass. Bobby Tench ouvre le bal de la B avec «Put Out The Light». Ce mec est déjà extrêmement en place. Quel shouter ! On entend P.P. Arnold et Proby faire la fête dans «Seven Days And Nights». P.P. shoute tout ce qu’elle peut et P.J. l’accompagne dans ses ébats. On les retrouve tous les trois avec Bobby pour le final, «Black On White». Bobby n’a pas à rougir, il s’élève aussi haut que les deux autres. Il sait lui aussi shouter par dessus les toits. P.P. Arnold est complètement folle, elle chante au pinacle de la Méricourt. 

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             C’est avec le Jeff Beck Group que Bobby Tench se fait connaître. Après Truth et Beck Ola, Jeff Beck cherche un chanteur du calibre de Rod The Mod et il opte pour Bobby Tench. Il monte même une espèce de super-groupe avec Max Middleton et Cozy Powell pour enregistrer Rough And Ready en 1971. Dès «Got The Feeling», on sent le souffle d’une belle pop de Soul que swingue Bobby Tench. Middleton pianote entre deux eaux, comme Nicky Hopkins. C’est très intriguant. Et ce diable de Clive Chaman envoie virevolter ses triplettes de bassmatic. Alors oui, c’est admirable. Avec «Situation», Jeff Beck va plus sur une ambiance jazz-rock. Il groove au long cours et Bobby file sous la bise. Il ramène tout son feeling dans la course folle. Mais c’est avec «Short Business» que Jeff Beck retrouve l’esprit flamboyant de Beck Ola. Il fait de la haute voltige et il traverse les rues de ses gammes sans regarder ni à droite ni à gauche. De l’autre côté, Bobby Tench se met vraiment à sonner comme Rod The Mod dans «I’ve Been Used». De toute évidence, Jeff Beck garde une nostalgie profonde de Beck Ola, car il parvient à générer le même genre d’ampleur catégorielle, au grand vent d’Ouest, avec des notes qui filent dans l’écho du temps. Puis on le voit casser les reins de l’envol dans «New Ways/Train Train». Bobby Tench lui prête main forte. C’est absolument régalatoire, surtout quand ils reviennent au train-train avec Train Train. Ces mecs tendent la musicalité jusqu’à la rompre. Jeff Beck glougloute de ci de là. C’est dingue comme il est polymorphe. Puis on voit Bobby Tench partir en roue livre avec «Jody», alors oui, quel chanteur !

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             L’année suivante, le groupe enregistre un deuxième album, le sobrement titré Jeff Beck Group. Après la pomme de Beck Ola, Jeff Beck propose une orange. Détail capital : c’est Steve Cropper qui produit cet album enregistré à Memphis. Ça se met à swinguer dès «Ice Cream Cakes». Clive Chaman joue une excellente bassline et Bobby Tench fait son Rod The Mod. C’est un excellent traîneur de syllabes. Jeff Beck rôde dans le groove et se fend de quelques prodiges. Il continue de travailler son obsession de Beck Ola. Toutes les conditions sont rassemblées pour que l’album sorte de l’ordinaire, mais quelques cuts restent en surface, comme cette reprise de Bob Dylan, «Tonight I’ll Be Staying Here With You». Steve Cropper co-signe «Sugar Cane» avec Jeff Beck - I/ I love you like/ Sugar cane - C’est du petit funk blanc que Bobby Tench chante d’une voix éteinte d’étain blanc. Superbe ! Jeff Beck boucle l’A en faisant du Ronno mélodique dans «I Can’t Give Back The Love I Feel For You». Ronno et Jeff Beck restent bel et bien les deux guitaristes les plus brillants de leur génération. C’est en B que se joue le destin de l’album avec cette version de «Going Down» si bien pianotée par Max Middleton. Jeff Beck accourt à la rescousse, c’est joué dans les règles de l’art supérieur. Bobby Tench traîne son down dans la poussière. Ils poussent si bien le bouchon qu’ils parviennent à renouer avec l’urgence de Beck Ola. Ils jouent ça à la tension maximaliste de Max la Menace. Bobby n’en finit plus descendre down down down. Wow, quel shouter ! Puis Jeff Beck s’en va jazzer dans l’angle l’«I Got To Have A Song» de Stevie Wonder. Il le concasse et Bobby fait des miracles au chant. Très haut niveau d’interprétation. Tout est parfait sur cet album, on sent le super-groupe au mieux de sa condition. Même un balladif comme «Highways» se contrebalance au petit bonheur la chance. Max jazze au gré d’un groove éparpillé. Très captivant.

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             Lorsqu’Humble Pie songe à se débarrasser de Steve Marriott, Shirley et Greg Ridley portent leur choix sur Bobby Tench, mais hélas pour eux, Bobby vient juste de monter Hummingbird et de signer un contrat. Il faut voir Hummingbird comme une suite au Jeff Beck Group. D’ailleurs, Jeff Beck viendra traîner en studio avec eux, mais rien ne se concrétise. Hummingbird va enregistrer trois albums, à commencer par le sobrement titré Hummingbird. C’est un excellent album plein de son et de chant. Bobby shake son tail feather avec «You Can Keep The Money», il chante avec les mêmes intonations que Rod The Mod, c’est dire s’il est bon. Linda Lewis duette avec lui sur «Such A Long Ways». Il semble qu’Hummingbird rencontre le même problème que Roogalator en Angleterre : trop brillant. Avec «I Don’t Know Why I Love You», Bobby propose un heavy blues de bonne facture. Bernie Holland y fait de belles étincelles sur sa guitare. Ils ouvrent le bal de la B avec «Maybe», un joli shout de rock de Soul. Les Hummingbird sont une équipe de surdoués. Ils proposent un beau mélange de Soul et de guitare fluide. Avec son bassmatic, Clive Chaman is the man sur «For The Children’s Sake». Globalement, c’est un excellent album.     

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             Avec We Can’t Go On Meeting Like This, Hummingbird jette l’ancre dans ce funk de Londres assez spécial, puisque tapé à la baguette magique par Bernard Purdie. Bobby le chante au carré du funk, comme on le voit dans «Fire & Brimstone» et Clive Chaman embobine le tout dans un bassmatic funky joué les deux doigts dans le nez. Encore une fois, ils sont trop brillants pour le public anglais. Pas de hits, mais du son, rien que du son. «Trouble Maker» vaut pour un fantastique shoot de funky motion. Bobby n’a de leçons à recevoir de personne, il dépote son ballot de funk avec une aisance qui vaut bien celle de George Clinton. Ils entrelardent la dinde de l’album avec des instros du jazz-rock de type «Scorpio», aussi ambitieux que le fut en son temps Lucien de Rubempré. On se croirait même parfois dans le Mahuvishnu Orchestra. Il faut bien dire que cet album sonne parfois comme une délectation. Ils démarrent leur B avec «The City Mouse», un bel instro des jours heureux. On les sent bien dans leur peau, Max Middleton pianote le plus suave des grooves de jazz-rock. Et Nanard tapote dans son coin en swinguant comme un démon. «A Friend Forever» sonne comme un hit de Stevie Wonder, Bobby le chante au chaud du ton et ils reviennent plus loin au heavy funk avec «Snake Snack». C’est tellement bien joué et bien battu qu’on dit amen et qu’on leur donne l’absolution. Vas-y, Bobby, jazze-nous jusqu’à l’oss de l’ass.

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             Le troisième et dernier album d’Hummingbird s’appelle Diamond Nights. Il paraît en 1977, mauvaise année pour tout ce qui n’est pas punk en Angleterre. Bobby préfère le funk comme le montre «Got My Led Boots On». Bernard Purdie bat un beurre saisonnier et Clive Chaman joue comme George Porter Jr des Meters. Max Middleton claque ses keys, tout est verrouillé à l’insolence prédestinée. Le «Spirit» qui suit vaut pour un slow groove d’excellence patentée. Bobby chante comme un dieu, alors ça devient très facile. Qui retrouve-t-on dans les backings ? Venetta Fields ! Eh oui ! On voit encore Bobby et ses amis regorger d’aisance dans «She Is My Lady». Ils rivalisent avec les géants de la Soul. En B on se régalera de «Madatcha», un heavy groove solide aussi indispensable à l’oreille que peut l’être l’air pur à la narine palpitante. Ils reviennent au solide swamp de funk avec «Losing Yoy (Ain’t No Doubt About It)». Il semblent s’enfermer dans les affres d’une Soul émerveillée.

             C’est Stevie Marriott qui fera appel à Bobby pour venir rembourrer un Humble Pie mal en point. En 1980, ils ne sont plus que deux, Shirley et Stevie. Anthony Sooty Jones vient compléter les effectifs à la basse pour enregistrer On To Victory.

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             Retourne la pochette d’On To Victory et tu verras Stevie prêt à en découdre, la clope au bec, le cheveu taillé court, le jean remonté aux bretelles comme chez les skins de l’East End.

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    Bobby Tench et Anthony Jones remplacent Clem et Greg Ridley. Ça démarre avec un «Fool For A Pretty Face» qui continue de faire toute la différence. Stevie vire de plus en plus cockney, comme si Dickens avait inventé de boogie rock. Stevie rayonne dans son personnage d’Artful Dodger. On reste dans le big heavy sound avec «Infatuation». Stevie scande bien son besoin de love et un beau solo de sax vient envenimer les choses. La fête continue avec «Take It From Here» encore plus heavy et même assez mystérieux. L’album se révèle admirable de heavyness. On croit même entendre la accords du «Number One Common Lowest Denominator» de Todd Rundgren. En B, Stevie propose l’un des hot takes de Soul blanche dont il a le secret avec «Baby Don’t You Do It». On se régale du bassmatic d’Anthony Jones, c’est joué dans les règles du lard fumant. Humble Pie ne faiblit pas. La voix, le son, les cuts sont là. C’est un album solide. Encore une merveille de Marriott swagger avec «Further Down The Road». Il faut le voir scander son gimme love gimme love

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             Il ne faut pas non plus prendre Go For The Throat à la légère, même si la pochette est complètement foireuse. On y retrouve l’équipe Bobby Tench/Anthony Jones/Jerry Shirley et ils tapent du big time d’«All Shook Up» ou de «Tin Soldier». Avec l’All Shook Up, ils tentent de singer le  Jeff Beck Group. Le «Tin Soldier» est bien noyé d’orgue, comme au bon vieux temps. Impressionnant aussi ce «Driver» blasté à l’harmo. On trouve en B un «Restless Blood» surchauffé. Marriott grimpe sur les barricades, il harangue le rock, il shoote tout ce qu’il peut. C’est un héros des temps modernes. Il nous sert aussi une version stupéfiante de «Lottie & The Charcoal Queen». Il y devient héroïque. Il chante sa Lottie à pleine puissance, c’est un hit énorme, un paradigme de l’heavyness. Il est le roi de toutes les insistances. Pour terminer, il fonce jusqu’au bout du bout avec «Chip Away», il ne relâche jamais son rumble, Marriott est un jusqu’au-boutiste faramineux, il chante comme un seigneur des annales, un screamer victorieux. Et Bobby Tench dans tout ça ? Oh il gratte ses poux, complètement éclipsé par ce démon de Steve Marriott.

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             Bobby Tench finit par remplacer Marriott sur Back On Track, enregistré en 2002, soit onze ans après sa mort. Du Pie d’origine ne restent que Jerry Shirley et Greg Ridley. C’est déjà pas mal. Big sound, c’est sûr, mais la gouaille d’Artful Dodger a disparu. «Dignified» et «The Red Thing» sonnent pourtant comme des cuts énormes. C’est Greg Ridley qui décroche la timbale en chantant «Still Got A Story To Tell». Il chante ça à la vieille arrache. On sent le vétéran d’Immediate. Ridley a tout vu. Il fait ses lignes de coke avec un Bowie knife planqué dans sa botte. Il reste au lead pour «All I Ever Need», un heavy groove d’excelsior. Zoot Money vient chanter «This Time». Zoot fout son nez dans les affaires du shuffle, il a bien raison. Magnifique association de légendes. Zoot can beat it ! Il en devient extravagant. Bobby revient chanter les vertus de la planche à pain avec «Flatbusted» et l’expédie droit en enfer. Ce mec chante comme un dieu, on le sait depuis longtemps, mais un album d’Humble Pie sans Stevie, c’est très bizarre. Greg Ridley reprend le lead sur «Ain’t No Big Thing». On laisse le mot de la fin à l’excellent Bobby Tench qui fait un carton avec «Stay On More Night». Il est parfaitement apte à faire la Pie.

    Signé : Cazengler, Bobby Tanche

    Bobby Tench. Disparu le 19 février 2024

    Gass. St. Polydor 1970

    Gass. Catch My Soul. Polydor 1971

    Jeff Beck Group. Rough And Ready. Epic 1971

    Jeff Beck Group. ST. Epic 1972

    Hummingbird. ST. A&M Records 1975        

    Hummingbird. We Can’t Go On Meeting Like This. A&M Records 1976

    Hummingbird. Diamond Nights. A&M Records 1977

    Widowmaker. Widowmaker. Jet 1976      

    Humble Pie. On To Victory. Atco Records 1980

    Humble Pie. Go For The Throat. Atco Records 1981

    Humble Pie. Back On Track. A&M 2002

     

     

    Inside the goldmine

     - Gallagher des boutons

             Un gamin dans le corps d’un vieil homme. C’était une façon de situer Galopin. Il incarnait en effet ce curieux mélange de naufrage (la vieillesse) et de candeur. En tant que vieil homme, il accumulait tous les travers du genre : radin, malveillant, auto-centré, radoteur, incapable d’écouter les autres, hygiène douteuse, il portait des fringues usées jusqu’à la corde et conduisait une bagnole qui était un danger public. Il préférait la bière quand on la lui offrait et cultivait une étrange obsession : ne jamais rentrer chez lui sans ramener des petites choses glanées ici ou là. Il vivait dans une baraque à son image. On ne se posait d’ailleurs pas la question de savoir dans quel état était l’intérieur puisqu’il n’invitait jamais personne à y entrer. Il devait être parvenu à ce qu’on appelle le point zéro de l’existence, lorsqu’on fait cette espèce de constat : à quoi sert de continuer à vivre ? À rien. Puisque rien n’a plus de sens, ni l’image qu’on a encore de soi, ni les raisons d’améliorer le quotidien, puisque ces raisons n’existent plus. Pour qui le ferait-on ? Pour soi ? Absurde. Le point zéro de l’existence distille des poisons qui tournent en circuit fermé dans la cervelle : pour les plus faibles, ce sera de l’auto-compassion, pour les plus résistants, ce sera une haine totale de soi. Alors évidemment, dans un tel contexte, les liens sociaux ne tiennent pas le choc. Les seuls qui approchent encore Galopin sont ceux qui ont perçu le gamin en lui. Lorsqu’on sait orienter une conversation, le gamin réapparaît miraculeusement et tout le reste disparaît. Galopin semble alors libéré d’un poids immense et ses yeux noirs brillent d’un bel éclat. On le voit presque revivre, ça ne dure que le temps de la conversation, mais ce temps vaut tout l’or du monde. Il retrouve une belle volubilité et alimente l’échange en puisant dans son érudition. Il faut alors le soigner et rester précautionneux, comme lorsqu’on arrose une plante qu’on croyait morte.

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             Ramener Galopin à la vie, c’est exactement la même chose que d’arracher Gallagher au néant. Dans un cas comme dans l’autre, ça ne tient qu’à un fil. Ce Gallagher n’est ni le Rory, ni le Noel, ni le Liam, il s’agit d’un Peter. D’où sort-il ? D’une compile, l’excellent Wrap it Up qu’Ace consacra en 2022 au prophète Isaac. Le cut d’Isaac s’appelle «I’ve Got To Love Somebody’s Baby». Cut qu’on retrouve sur le bien nommé 7 Days In Memphis, un album paru en 2005. Gallagher, qui est acteur à Hollywood, a une bonne bouille, un faux air de Tony Joe White juvénile. Il a joué dans une myriade de films qui ne sont pas forcément des chefs-d’œuvre. Il n’a pas la chance de Johnny Depp.

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             7 Days In Memphis est un album qui vaut le détour pour un tas de bonnes raisons, la première étant bien entendu l’«I’ve Got To Love Somebody’s Baby» épinglé juste au-dessus. Gallagher qui est un artiste consciencieux montre tout le respect possible au prophète Isaac. Il tape ça en mode heavy blues sensible, et c’est pianoté à la Méricourt. Il opte pour le full power et aw, ça devient spectaculaire, il le monte fantastiquement en neige, c’est du très haut niveau de full bloom. Tu sais que tiens là un album énorme, il enveloppe Isaac dans ses bras, il te claque son cut au sommet du lard, c’est un véritable coup de génie. Impossible d’échapper à cette emprise, à cette puissance noyée de pianotis. Il tape aussi dans Dan Penn avec «Don’t Give Up On Me». Il soigne le coulé de Dan Penn, il en fait une version pointue, il chante avec esprit, et le shuffle chauffe cette white Soul à feu doux. Quelle classe ! Il attaque l’album avec la reprise d’un «Still I Long For Your Kiss» signé Lucinda Williams. Gallag est assez hot sur ce coup-là. Steve Cropper est de la partie. Gallag retape dans Isaac avec «When Something Is Wrong With My Baby». Même chose qu’avec l’«I’ve Got To Love Somebody’s Baby», on sent le respect total pour l’œuvre du prophète, même si, d’une certaine façon, le petit cul blanc n’a guère d’épaisseur humaine, étant donné qu’il n’a jamais cueilli de coton sous les coups de fouet. Disons que ce genre d’album permet de régler des comptes. Car on a toujours pas fini de régler les comptes. Le pauvre Gallag se plie aux règle du groove avec un «Still Got The Blues» signé Gary Moore, mais sa voix manque cruellement de profondeur. Il bénéficie heureusement d’une énorme orchestration et finit par devenir intéressant, et même attachant. Il tape ensuite dans le «Then You Can Tell Me Goodbye» de John D. Loudermilk, un solide shoot de pop Soul extrêmement bien balancé. Le choix des covers est magistral, Gallag est un bec fin. Il tape aussi l’«Everytime It Rains» de Randy Newman, et tu t’y sens aussitôt en sécurité, comme si un real deal de blanc chantait une solide white Soul. Gallag revient encore à Isaac avec «When You Move You Lose». La petite gonzesse qu’on entend s’appelle Teressa James, une blanche un peu poussive. Gallag aurait tout de même pu choisir une blackette. Elle est même un peu ridicule, encore une folle qui se prend pour la reine du rodéo. Et puis voilà la cerise sur le gâtö : une cover d’«A Song For You» de Tonton Leon. Forcément, avec Tonton Leon, on atteint des cimes extravagantes. Cette cover est d’une rare puissance, Gallag en fait un chef-d’œuvre, forcément, c’est une chanson parfaite, au plan mélodique, mais Gallag l’interprète au plus haut niveau, il la chante à la déroute sentimentale extrême.

    Signé : Cazengler, Gallagare Saint-Lazare

    Peter Gallagher. 7 Days In Memphis. Epic 2005

     

     

    I walked with the Zombies last night

     - Part Two

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             Pas compliqué : les Zombies, tu y vas les yeux fermés. Ils n’ont pas des gueules de zombies, mais d’une certaine façon, ils ont atteint comme les Beatles un réel niveau de perfection pop.  Aux yeux des amateurs éclairés, les Zombies sont une sorte de petit miracle à dix pattes. Ils disposent de toutes les mamelles du destin : le chanteur parfait, les compos parfaites, le son parfait. Leur seul défaut serait d’être trop sages dans la vie privée. Pas d’overdoses, pas de voitures de sport et pas de grosses putes maquillées dans les parages.

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             Leur premier album Begin Here, paru en 1965, est ce qu’on appelle un album parfait. Il s’appelle Begin Here en Angleterre et The Zombies aux États-Unis : pochettes différentes et track-lists différents, comme c’est l’usage à l’époque.

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    Le Begin Here anglais est plus joli. 14 titres et pas de déchets. Ils démarrent sur un hommage à Bo Diddley, vroom vroom, «Road Runner» et enquillent aussi sec sur le «Summertime» de Gershwin. Blunst chante déjà comme un dieu, ce que va encore confirmer «I Can’t Make Up My Mind», poppy as hell, gorgé de que-de-son-my-son, and she wants me back, et Blunst fait de la pop de punk. Il est aussi bon que Paul Jones. Rien qu’avec ces trois cuts, te voilà tanké. Il continue de faire l’ange avec «The Way I Feel Inside», une vraie merveille de délicatesse, Blunst la porte à bouts de bras. On navigue rarement dans un balda aussi intensément bon. Ils enchaînent avec un wild instro assez monstrueux, «Work ‘N’ Play». Saturé d’harp et explosif en sous-jacence. Les Zombies sont des punks ! Puis il tapent une cover magique du hit de Smokey, «You’ve Really Got A Hold On Me». Pur jus de Motown Zombies, Blunst l’éclate au bring it back home/ Bring it home back to me. Ils terminent ce faramineux balda avec «She’s Not There» et là tu t’assois pour te recueillir, car les Zombies t’emmènent au cœur d’un mythe urbain, le Swinging London. Ils bourrent leur dinde avec du développé de shuffle d’orgue et de bassmatic. De toute évidence, les Zombies étaient en avance sur leur temps. Et ça repart de plus belle en B avec le pur British Beat de «Stick & Stones», suivi de «Can’t Nobody Love You». Tout est beau dans cette B des anges, tout est ultra-chanté, orchestré, inspiré, poignant. «I Remember When I Loved Her» incarne l’excelsior de la viande polymorphique, le cha cha féerique, le mambo du fandango. Avec «What More Can I Do», ils proposent le wild r’n’b de Soho. Extraordinaire santé des artères, c’est un shuffle d’orgue à se damner pour l’éternité, les départs en solo relèvent du vieux proto-punk. Pur sonic genius ! Ils terminent cet album imbattable avec un clin d’œil à Muddy : «I Got My Mojo Working», mais les Zombies le démolissent. Ils sont encore pire que les Pretties. Wild as fuck !

             Quand Repertoire a réédité cet album magique, ils n’y sont pas allés de main morte : 15 bonus. Alors forcément, quand on l’a vu chez Gibert, on s’est jeté dessus. Parce que «Tell Her No» (samba des Zombies, ils brillent comme le Brill), «She’s Coming Home» (ils battent le Brill à la course), «Kind Of Girl» (admirable de candeur pop), «Sometimes» (punch de pop, putsch de pop, ils prennent le pouvoir), «Whenever You’re Ready» (haut niveau d’escalade avec un solo de piano en syncope), «Is This The Dream» (pur Motown), «Don’t Go Away» et «Remember You» (pure Beatlemania), et puis voilà «Just Out Of Reach» et sa fabuleuse attaque, Blunst prend ça au plein chant, poussé dans le dos par un shuffle d’orgue, tu n’en finis plus de t’extasier, et «Indication» arrive un peu comme le coup du lapin. Quoi qu’ils fassent, c’est puissant, ils tapent dans le mille à chaque fois, avec des bouquets d’harmonies vocales extravagantes. Ça se termine avec «I’m Going Home», celui qu’Alvin Lee a consacré. Ils sont dans le même délire, mais Alvin est allé plus loin.   

             La scène se déroule en 1969, dans la cour du lycée :

             — Wouah, Yves, tu connais Odissey & Miracle ?

             — Quouahh ?

             — Le concept-alboum des Zombis ! Odissey & Miracle !

             Le pote Yves se fend bien la gueule :

             — Achète-toi une paire de binocles !

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             Intrigué, on rentre au bercail et on relit la pochette. L’avait raison l’Yves. Faut lire Odessey & Oracle. C’est pas la même chose. Ce genre de truc arrive souvent. On mémorise une image photographique de mots qu’on oublie parfois de lire attentivement. Le meilleur exemple est celui de Sanford Clark qu’on a pendant quarante ans prononcé et écrit ‘Sandford Clark’, jusqu’au jour ou un ange de miséricorde nommé Damie Chad releva l’erreur et la corrigea. Un autre exemple est celui de Specialty que les copains de lycée prononçaient Speciality. C’est pas la même chose.

             L’Odessey est un cas particulier : album culte, mais pas aussi ravageur que le Begin Here. Oh bien sûr, on tombe sous le charme dès «Care Of Cell 44», pur jus de Beatlemania, mais avec un caoutchouc onirique en plus, c’est même assez stupéfiant de qualité, une sorte de perfe montée en neige avec un Blunst déchirant de sincérité. Ah il faut entendre ce son de basse délicieux, ponctué dans l’azur. Puis ils entrent dans un monde de pop descriptive, assez fairy-tale et c’est avec «Brief Candles» que se mesure la hauteur des Zombies. Blunst emmène cette belle pop d’éclat surnaturel. Ils terminent leur balda avec un autre coup de génie pop, «Hang Up On A Dream». Blunst l’attaque de biais et ça vire magic trip, oui, ça décolle comme un zeppelin britannique dans un ciel d’azur marmoréen. Là, ils donnent tout ce qu’ils ont dans la culotte, tu goûtes à l’excelsior des Zombies. En B, tu vois le Blunst se glisser dans le groove d’«I Want Her She Wants Me». C’est, comme disent les gens qui ne savent plus quoi dire, d’un niveau à peine croyable, comme si on pouvait croire un niveau. Les Zombies tapent dans une efficacité doublée de simplicité, et ils empruntent les pah pah pah de Brian Wilson. On retrouve cette fantastique présence de la simplicité dans les mah mah mah de «This Will Be Our Year». Avec «Friends Of Mine», ils passent à la pop d’entente cordiale, le pop d’it feels so good to be/ So in love. Pour des Zombies, c’est d’une vitalité remarquable. Ils terminent avec un copy-cat de «She’s Not There», «Time Of The Season». Même ambiance. Alors, comment ne pas adhérer au parti ?

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             Repertoire fit en 2001 le même coup qu’avec Begin Here : une red avec 15 bonus faramineux, et qui éclipsent complètement l’Odissey, pardon, l’Odessey. Ça part en trombe avec l’extrême power pop magique de «I’ll Call You Mine». Les Zombies ont le power. On est effaré par la qualité des cuts stockés dans les vaults d’or. Par la qualité des compos. Par la qualité du punch. Par la qualité du chant de Blunst le héros, qui t’éclate encore le Sénégal avec «She Loves The Way They Love Her». Zombi Zombah ! C’est d’un niveau qu’on peine à mesurer. C’est réellement du niveau des Beatles. Avec «Imagine The Swan», tu rentres de plain-pied dans l’extraordinaire power du jus. C’est extravagant de classe et d’élégance. Même power que celui des Beatles à leur apogée, voix montées, mélodies imbattables, son d’en haut. Tu ravales ta bave car c’est pas fini. Ils restent dans la Beatlemania avec «If I Don’t Work Out», effarant d’I don’t know et le Blunst finit en mode Monkees de Clarksville. Big power encore avec «I Know She Will» et fast Beatlemania avec «Don’t Cry For Me». Blunst sait faire son Lennon énervé. Ces mecs se brûlent les ailes à voler si haut («Walking In The Sun»). C’est à ne pas croire. Tiens voilà «Conversation Off Floral Street», un très bel instro chargé de mystère et de shuffle. Merci Rod ! Encore de la heavy pop avec «Gotta Get A Hold Of Myself». Rien ne peut résister à cette équipe de Zombies, ils n’en finissent plus de taper dans le haut du panier. C’est un peu comme si on écoutait les bonus du White Album. C’est exactement du même acabit. Et tu as «Goin’ Out Of My Head» qui t’explose au nez et à la barbe, avec des coups d’harp extravagants, c’est bien meilleur qu’Odissey, pardon, Odessey, ils rivalisent de génie sonique avec Totor, ce «Goin’ Out Of My Head» est le cut le plus spectorien d’Angleterre. Fulgurant ! Alors après, dès que tu repères des reds des Zombies avec des bonus, tu y vas les yeux fermés. 

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             Bon, on va essayer de se calmer un peu. Pas facile avec ces mecs-là. Five Live Zombies - The BBC Sessions 1965-1967 ne fait que confirmer la réputation des BBC Sessions : rien que du nec plus ultra. C’est en place dès «Tell Her No». On voit le Blunst monter au créneau très vite et faire du fast Blunst sur «What More Can I Do». Un chef-d’œuvre de shuffle d’orgue. Si tu veux battre ces mecs-là à la course, tu devras te lever de bonne heure. Et tu as le solo de Paul Atkinson, il gratte sec et net. Motown débarque in London town avec «This Old Heart Of Mine». Ils le font pour de vrai, c’est du tout cru, du dur comme fer, ils parviennent à sublimer Motown. Il faut noter l’excellent jazz-bassmatic de Chris White sur «For You My Love», et on retrouve plus loin l’infernal «Goin’ Out Of My Head», avec son sens aigu d’un Brill spectorisé. C’est tout bêtement exceptionnel. Le Blunst tire tout ça vers le haut, over you ! Ils rendent deux hommages à Curtis Mayfield («You Must Believe Me» et «It’s Alright»), mais c’est avec «Soulsville» qu’il fracassent la baraque du wild r’n’b. Avec eux, c’est vite torché, et même quasi-protopunk. Ils savent groover sous la ceinture. Aw c’mon ! Le Blunst peut se monter agressif. Et ça se termine avec le fast rumble d’«I’m Goin’ Home», battu sec et net par Hugh Grundy

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             On trouve une sacrée beigne de génie sur The Return Of The Zombies, cet RCA paru en 1990 (et qui s’appelle aussi New World, sur Big Beat) : une cover d’un très beau hit de Paddy McAlloon, «When Love Breaks Down». Hey yesssss ! Ça se développe, Blunst part dans le Sprout, c’est gorgé de magie pop, il y va à la Paddy éperdue. Blunst colle bien au Paddy way. Heureusement qu’on a cette merveille, parce que le reste de l’album pue un peu la new wave. Le clavioteur qui remplace le Rod s’appelle Sebastian Santa Maria et c’est lui qui fout le souk dans la médina. Pourtant les compos de Chris White («Lula Lula»), ne demandent qu’à éclore comme la rose de Ronsard. Santa Maria y va de son petit coup de shuffle dans «Time Of The Season», un cut signé du Rod, mais le son est trop new wave. «Moonday Morning Dance» sonne comme une déclaration de guerre : les Zombies basculent dans la putasserie. Ils sonnent comme U2 sur «Blue». Santa Maria entraîne les Zombies dans une impasse, cette pop ne mène nulle part. Ils n’ont pas de compos. Horrible destin, pour un groupe qui fut jadis tellement brillant. Blunst essaye d’embarquer les Zombies pour Cythère avec «Losing You», mais ça ne marche pas. Si tu veux bâiller aux corneilles, écoute The Return Of The Zombies.

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             R.I.P. est le fameux Lost Album des Zombies. Et quel Lost Album ! Il s’agit là de leur meilleur album. Tu y entres par la grande porte, c’est-à-dire «She Loves The Way They Love Her», une clameur de pop digne de celle des Beatles avec des développés de voix à la Curt Boettcher et un entrain d’une rare qualité. Te voilà encore plus conquis que l’Asie Mineure. Et ça continue avec «Imagine The Swan», une somptueuse coulée de pop descendante, ça s’impose sur la lune, ça t’allume la tirelire. Tu entends un fantastique solo de piano du Rod dans «I Could Spend The Day» et le balda s’achève sur l’instro du diable, c’est-à-dire «Conversation Off Floral Street» qu’on retrouve dans les bonus de la red de Begin Here, un swing d’instro sous la pression des surdoués. Quatre bombes en B : «If It Don’t Work Out» est complètement Beatlemaniaque, bien dirigé vers la lumière, stupéfiant de don’t work out, suivi d’«I’ll Call You Mine», encore un shoot de pop hallucinante de qualité, irrévocable et magique, les superlatifs n’en peuvent plus. Ils tirent la langue. Et ça continue avec «I’ll Keep Trying», personne ne bat ça à la course, tu as encore le power intrinsèque d’une pop parfaite, bien calée dans l’angle de la Beatlemania, et enluminée d’un glacis d’harmonies vocales. La quatrième bombe s’appelle «I Know She Will», c’est travaillé à la beauté poignante d’une samba poppy. Te voilà au cœur de la Zombiemania.

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              Retour aux affaires en 2004 avec As Far As I Can See. Blunst et le Rod semblent rayonner de bonheur sur la pochette. On retrouve le grand shuffle d’orgue du Rod dès «In My Mind A Miracle». Ça te saute à la gorge. Nos deux compères refracassent la baraque du rock anglais, ils disposent sans le moindre doute des plus grosses ressources naturelles d’Angleterre. C’est puissant, fumant, et racé. Leur «Memphis» n’a rien à voir avec le «Memphis» de Chucky Chuckah. C’est du monté en neige extraordinaire - You know tonight/ Hey kiss in Memphis/ And trace the writing on the wall - Tout sur cet album se juche au plus haut niveau de l’expression. C’est de la grande pop anglaise pianotée par le Rod et ultra-orchestrée. Coup de génie encore avec «Time To Move», un wild r’n’b à l’anglaise. On se croirait chez Stax, avec un bassmatic demented - It’s time to roll - Il y a du feu dans les éclats de voix du Blunster. Il est capable d’allumer autant que Little Richard. Dans «I Don’t Believe In Miracles,» Blunst demande à sa poule de rentrer à la maison, mais il ne croit pas aux miracles. Colin Blunstone forever ! Encore une fabuleuse présence de let it shine dans «As far As I Can See» - There’s a slow train coming/ From the distance coming - Pure magie. Et ça continue avec «With You Not Here», Blunst lance sa pop là-bas au loin, il a cette générosité du geste, il aménage des espaces comme savait le faire Elvis - You’re gone away - Il chante son magnifique désespoir et ça part en mode boogie magique digne de Brian Wilson, alors t’as qu’à voir. Blunst refait son chanteur de charme dans la big rumba de «Together», et ça évolue très vite vers la grande pop qui embrasse l’univers. Blunst et le Rod bouclent cet album puissant avec «Look For A Better Way», énergie énorme à la Thunderclap Newman, le Blunster monte là-haut sur la montagne et balance une pop lourde de sens et de better way. C’est un peu comme s’il tartinait le firmament, il a le même genre d’ampleur que les Super Furry Animals et Mercury Rev, sa pop est une pop d’espace certain et ultime, te voilà grâce à lui au sommet des apanages.

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             Alors attention, voilà encore une grosse poisscaille : Breathe Out Breathe In. Ça date de 2011. Dès le morceau titre d’ouverture de bal, t’es tanké par la magnifique attaque zombique du grand Blunst - And here let the story begin - Tu as Blunst & Rod again dans l’excellence miraculeuse. Et c’est rien de le dire. Même quand ils font des petits balladifs classiques et ultra-chantés («Any Other Way»), ils te stupéfient, surtout Tom Toomey lorsqu’il se met à gratter ses espagnolades. Gros clin d’œil aux Beatles d’«Hey Bulldog» avec «Play It For Real». C’est la même intro ! Exactement le même punch. Blunst fait sonner ses eeel - When you feel/ How you feel/ There’s no deal to reveal/ You just play for real - Et on assiste effaré à une nouvelle éclosion du génie zombique avec «Shine On Sunshine». Ce mix de pureté purpurine, de profondeur indicible et d’éclat marmoréen te bourre ta dinde. S’ensuit un «Show Me The Way» qui n’est heureusement pas celui de l’autre pomme de terre. Ouf, on l’a échappé belle ! Retour à l’heavy pop des Zombahs avec un «Another Day» un peu épique, mais bien colégram. Et on replonge dans l’enfer du paradis avec «I Do Believe» et une fantastique communion des vocalises, couronnée par un solo d’orgue du Rod. Pur pop genius, ils atteignent à une ferveur pop quasi spirituelle. Ça nous dépasse. Sur «Let It Go», le Rod joue de l’orgue d’église, c’est faramineux de classe de d’alluring allure.

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             Et puis tu as ce brave petit Still Got The Hunger quasiment passé inaperçu en 2015. Eh oui, qui va aller écouter un groupe de vieux crabes comme les Zombies ? C’est justement ces mecs-là qu’il faut écouter, pour peu qu’on soit encore à la recherche d’une certaine qualité. On se demande même parfois si aujourd’hui la qualité intéresse encore les gens. Enfin bref, revenons aux choses sérieuses avec «Moving On» - Aw one two three ! - Blunst t’explose le rock anglais. Il est bon de rappeler que le Blunster est un vieux punk. Il a toutes les mamelles du destin : le souffle, l’ampleur, la voix, le son, la légende. Les Zombies sont toujours à part. L’autre coup de génie de l’album se trouve vers la fin : «Now I Know I’ll Get Over You». Les carillons du souriant Tom Tooney fracassent le son, il rayonne dans une solace particulièrement prégnante. Le lard des Zombies repose sur un joli tapis de braises. Le Blunster chante encore comme un dieu, il n’a fait que ça toute sa vie, et le Rod passe l’un de ces wild solos de piano dont il a le secret. Il placarde dans les escaliers. Quelle vélocité ! Dans «Maybe Tomorrow», on retrouve tout l’entrain de «Lady Madonna». Le Rod pianote comme un démon d’Uriage et Blunst chante avec le gusto de John Lennon. On se régale encore d’«Edge Of The Rainbow», fabuleux, inventif, ambitieux, monté là-haut par le Blunster, véritable Sisyphe du rock anglais. Il pousse son rainbow à la force du poignet. «New York» ? Chant plein de plain-chant de pop pleine de plain-pied, c’est-à-dire de la pop énorme. Il faut le voir monter sur la crête de «Want You Back Again». Il te vrille ça en hauteur, un peu comme Ian Gillian au temps de «Child In Time». Encore de la belle pop d’unisson du saucisson avec «And We Were Young Again». On sent les influences de Paddy McAlloon et de Steely Dan. Cette belle aventure s’achève avec l’incroyable poids de la démesure de «Beyond The Border Line». Ça te tombe littéralement dessus. Ces mecs n’ont jamais renoncé à la grandeur.     

             Après le split des Zombies en 1969, le Rod monte Argent. L’occasion est trop belle d’aller voir ce qui se passe sous les jupes d’Argent, car le Rod est forcément un mec intéressant. Par contre, il ne se casse pas trop la nénette pour trouver le nom du groupe :

             — Tiens, les gars, Argent, c’est pas mal comme nom, non ?

             — Ah ouais, Rod !

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             Leur premier album sans titre sort en 1969. Bon, alors, l’Argent ne casse pas des briques. Ils proposent un peu de boogie down très m’as-tu-vu/tu veux ma photo ?, mais si tu veux casser trois pattes à un canard, il faudra repasser un autre jour. Comme le Rod aime bien l’orgue, il ne mégote pas sur le shuffle d’orgue pour embarquer la petite pop sans avenir de «Be Free». On n’est pas chez les Zombies. Pas de Blunst, pas de chocolat. Ils tentent de recycler le climax des Zombies avec «Schoolgirl». S’ensuit un «Dance In The Smoke» classique et relativement beau, mais pas renversant. Le Rod essaye de maintenir un niveau puissant et raffiné, il essaye de rester dans la veine des Zombies. Franchement, on aurait fait des économies en n’achetant pas cet album à l’époque. Le seul cut qui emporte la bouche se trouve là-bas vers le fond de la B : «Freefall». Le Rod tente le diable avec une Soul pop agréable et on sent enfin le fluide magique, le gros solo d’orgue est excellent. Comme quoi, ça vaut parfois la peine d’attendre.

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             On va dire que leur meilleur album est le Ring Of Hands, un Epic de 1970. Pourquoi ? Parce que «Rejoice», un joli balladif au charme beatlemaniaque certain, très White Album dans l’esprit. Avec cette pure merveille, le Rod approche de la vérité. Autre surprise : «Sleep Won’t Help Me». Là, tu finis par les prendre très au sérieux, car on croit entendre chanter Jack Bruce dans Disraeli. Même ambiance, avec en plus un solo de piano magique. Et coincé entre les deux, tu as «Pleasure», un petit coup de génie car cette fois le Rod fait de l’early Sparks et explose en bouquet d’harmonies vocales géniales, avec du shuffle d’orgue à tort et à travers. Le Rod prend ses grands airs. On l’ovationne. Tu as aussi le «Sweet Mary» qui vire gospel batch avec des tas de blackettes derrière. Comme le Rod est un fabuleux shuffler, il sauve l’heavy prog de «Cast Your Spell Uranus». Bon, c’est vrai qu’on est en plein dans les seventies, donc c’est logique qu’on tombe sur Uranus, mais on préfère l’Uranus des Pink Fairies. Encore de la prog musclée avec «Lothorian», c’est d’un haut niveau liturgique, bien calé sur ses fondations. Le Rod continue d’impressionner avec «Chained», une pop un brin bluesy et tu as une disto dans l’oreille droite. Ses grooves de bonne essence finissent par porter leurs fruits. Le Rod est un mec balèze.  

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             L’All Together Now paru en 1972 est nettement moins dense que son prédécesseur. Tu ne te régales que de «Be My Love And Be My Friend», un fantastique heavy groove. Le reste de l’album est un peu trop proggy pour être honnête, avec de temps en temps, des petits éclairs de boogie qui ne servent à rien («Keep On Rolling», «He’s A Dynamo»). Le Rod termine l’album avec un «Pure Love» en quatre parties. On se croirait chez Keith Emerson. On fuyait tous ces mecs-là à l’époque et on les fuit encore.  

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             Le Rod remonte bien le niveau d’In Deep, paru l’année suivante. Il a recours à une belle énormité, un «It’s Only Money» en deux parties. C’est du bon vieux heavy rock, bien pulsé en interne au shuffle d’orgue. Là, oui, tu as de la viande. Ils en font même un hit. Encore plus impressionnant, voilà le solide et tentaculaire «Losing Hold». Le Rod tape dans l’océanique. Il fait de l’Argent en acier chromé. Puis il va proposer un day of Jesus intitulé «Christmas For The Free», très bealtlemaniaque dans l’esprit. On croit entendre chanter John Lennon.

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             Nexus serre aussi en son sein une belle énormité : «Thunder & Lightning». Wow, ça rocke à l’anglaise déterminée, un vrai paquet de viande avec du tonnerre et des éclairs. Le Rod sait rocker sa chique. Le reste de l’album est assez proggy, et même proggy as hell : shuffle d’orgue et structure tordue. Ça devient vite insupportable, l’«Infinite Wanderer» est conçu comme une bacchanale, et ça part dans le nowhere land, on se demande ce qu’on fout là. Le Rod règne sans partage sur son petit univers proggy. Quand c’est pas ta came, c’est pas ta came. Aussi décision est prise d’en rester là.

    Signé : Cazengler, zombite

    Zombies. Begin Here. Decca 1965

    Zombies. Odessey & Oracle. Repertoire records 2001

    Zombies. Five Live Zombies. The BBC Sessions 1965-1967. Razor Records 1989

    Zombies. The Return Of The Zombies. RCA 1990  

    Zombies. R.I.P.  Varese Vintage 2015

    Zombies. As Far As I Can See. Go! Entertainment 2004

    Zombies. Breathe Out Breathe In. Red House Records 2011

    Zombies. Still Got The Hunger. Cherry Red 2015

    Argent. Argent. CBS 1969

    Argent. Ring Of Hands. Epic 1970

    Argent. All Together Now. Epic 1972

    Argent. In Deep. Epic 1973

    Argent. Nexus. Epic 1974

     

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    Routes of Rock. Elles passent obligatoirement par la bonne ville de Troyes. Ne me demandez pas pourquoi. Parce que c’est comme ça, parce que le 3 B, parce que Béatrice la patronne. Remarquez ce soir, le 3 B n’est plus un bar, s’est transformé en une ère de lancements de fusées spatiales. Ne m’accusez pas d’avoir trop bu, je ne suis pas un zébu, j’ai même rencontré un équipage de cosmonautes, des portugais. Un jour cette soirée légendaire sera connue comme celle de la charge de l’abrigado légère. Enfin c’était plutôt de la cavalerie lourde.

    TROYES - 17 / 05 / 2024

    3B 

    TEXABILLY ROCKETS

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    Z’ont relégué Vincent tout au fond, c’est un peu le rôle des batteurs, mais là devant la porte de la cuisine faut tordre le cou pour l’apercevoir. Ne le plaignez pas, le Duarte ce n’est pas genre de gars à se laisser oublier. Les trois autres sont en ligne, n’ont pas laissé un interstice par lequel on pourrait tenter d’avoir la chance de l’apercevoir. Z’ont bien manigancé, le plus maigre au milieu et les deux serre-livres sur les côtés, un à droite, l’autre à gauche. Le Wildcat, le chat sauvage, au centre tout efflanqué, ils l’ont appuyé sur la big mama, tout de suite sa masse volumineuse a été multipliée par deux, puis ils ont fignolé, une casquette sur la tête et un micro posé devant lui, car on ne sait jamais. A bâbord Ruben attire les regards, avec la visière de sa casquette qui lui mange ses lunettes rondes, et ses larges anneaux de tringle à rideau qui  pendent de ses oreilles l’a un look improbable de boucanier qu’il réhausse de sa guitare qu’il tient très haut, pratiquement au ras du cou, mais le manche levé vers le ciel comme s’il visait les albatros baudelairiens qui se jouent des nuées. A tribord, Oscar Gomes, pas pour rien que dans sa vie civile il est un tatoueur chevronné, il sait accorder les couleurs, ainsi sa chemise hawaïenne à dominante bleue il l’a assortie à sa complémentaire, à l’orange cockranesque de sa Grestch. Jusqu’à l’avoir rencontré je croyais qu’il n’y avait que Lucky Luke qui tirait plus vite que son ombre.

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    Je vous aurais avertis. Ne venez pas vous plaindre si vous courez les voir en concert. Le Gomez quand il met la gomme, il ne chôme pas, sur trente morceaux, il a fait trente fois le coup, il tire plus vite que lui-même, vous le guettez et à chaque fois qu’il va envoyer le riff, le riff est déjà dans vos oreilles, vous savez ces gars qui passent leur tête dans le nœud coulant afin de savoir l’effet que ça fait d’être pendu haut et fort comme dans les westerns et plouf la chaise sur laquelle ils sont montés s’effondre et les voici pendus pour de bon. C’est bête pour eux, mais pour nous c’est très bon car quand le riff d’Oscar court sur vous, le monde se métamorphose en rutilante folie contagieuse.

    Premiers contaminés ses acolytes. Gomez a une électrique et Ruben une gratte. N’entend pas se laisser distancer, el Ruben, il gratte pour lui, il gratte pour vous.  Vous  soulève la guitara comme si elle l’était une danseuse étoile, lui plante les jambes dans les nuages puis lui triture sa tignasse cordique comme s’il voulait la scalper.

    L’on se demande pourquoi le Wildcat s’encombre de sa big mama. Il s’en fout et contrefout. De tous les trois sets il ne lui a pas jeté un seul coup d’œil. Mais il doit l’aimer. Car il la châtie bien. D’une main tout en haut il lui malaxe spasmodiquement la gorge, un peu comme s’il était en train d’étrangler un boa constrictor, sans perdre de temps de sa seconde menotte spasmodiquement il frappe sur son abdomen toujours sans lui prêter la moindre attention.  Ne le traitez pas de chat fainéant, si le Wifdcat ne se préoccupe pas de son instrument mastodontique c’est qu’il est concentré sur le vocal. Les amateurs de rockab commencent à comprendre, le riff, le tchac-tchac de la gratte suivi un quart de seconde plus tard du tchac-tchac de la contrebasse – c’est leur manière à eux de reproduire la reverbe de Sam Phillps – plus le vocal-mitraillette, vous croyez tout comprendre, vous vous dites même qu’à leur place vous auriez carrément remisé l’inutile batterie dans la cuisine en prenant soin de refermer la porte à double tour.

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    Le problème c’est que Vincent tient à se faire entendre. Il existe deux types de batteurs en ce bas monde, les rythmiques tout en subtile finesse et les grabugeurs qui tueraient sans regret père et mère pour que leurs parents en un dernier spasme auditif  se délectassent des tonitruances de leur rejeton préféré… Bref le Vincent, dans les Texabilly Rockets il joue le rôle des tuyères dispensatrices d’énergie. L’est le moteur rugissant qui précipite non seulement la vitesse mais aussi l’enivrante sensation de vitesse.

    Répétons-le les Texasbilly ne viennent pas du Texas mais du Portugal, n’empêche qu’Alain, à qui vous devez l’existence de ce blogue, avait une théorie sur les guitaristes texans, qu’ils soient rock ou blues, ils tapent plus fort que tous les autres ricains sur leurs guitares affirmait-il, toujours est-il que nos Rocketsbilly semblent souscrire à cette règle alinienne, sur les trois premiers titres ils ont fait la différence, d’abord ils vous tuent sans rémission, ensuite ils tirent des bastos à effraction mentale. N'avaient pas commencé depuis trente secondes que les regards pétillants échangés entre connaisseurs en disaient long, l’alligator vorace du rawckabilly était parmi nous.  

    Le Wildcat ne mâche pas son vocal, prononce peut-être l’anglais avec un accent portugais mais qu’est-ce qu’il le cause bien, vous détache les mots un à un comme s’il prenait un malin plaisir à distribuer des paires de gifles, vous claque salement le beignet et illico vous tendez l’autre joue, il accentue les angles et ne freine pas dans les courbes, course de crêtes en tête, montées et descentes à vitesse constante, pour les inflexions étrangement c’est la guitare d’Oscar qui s’en charge.  Plante le riff dans les nuées orageuses, un tonnerre jupitérien continu, Zeus tonne, lorsque vous vous y attendez le moins, c’est la grêle, des grêlons qui vous cisaillent la carrosserie et le visage, subito une dégelée de notes grêles vous transpercent le corps comme des flèches de Comanche sortis de leur réserve pour un raid meurtrier.

    Le rockab a aussi des racines noires. Ruben dépose sa guitare et sort son harmonica. Ruben El Pavoni souffle comme le paon déploie sa roue parsemée des cent yeux inquisiteurs d’Argus, il ne souffle pas, il siffle d’interminables piallements déchirants de locomotives à vapeur qui intiment aux bisons l’ordre d’aller pâturer hors des rails, les trois autres le rejoignent et l’on entend le vieux shuffle du blues, écailles rythmiques arrachées à la cuirasse  des crocos tapis dans les profondeurs troubles des bayous…  Parfois le rockab virevoltant trahit l’originelle noirceur prédatrice de nos âmes.

    Plus que tous les autres batteurs vus sur scène j’ai envie de dire que Vincent joue des pieds et des mains, l’a une extraordinaire manière de piaffer du talon tel un étalon colérique, pour perturber sa charleston, la secoue comme un prunier, la maltraite avec une énergie rancunière, avec lui c’est Brando dans Missouri Breaks à tout instant.

    Je n’insiste pas, si vous n’êtes pas totalement idiot vous avez compris que les Rockets nous ont précipité par trois fois en orbite haute autour du soleil. Trois sets de rêve, trois ouragans destructeurs dont personne n’est ressorti indemne. Les filles qui dansent, les gars qui s’accrochent au bar pour ne pas être emportés par la tourmente, les amateurs scotchés sur le groupe comme un poulpe sur son rocher. Une des grandes soirées du 3B, profitons de l’occasion pur faire coucou à Duduche, Billy, Christophe, Jean-François… et remercier encore une fois pour cette soirée explosive.

    Damie Chad.

     ( Deux images live empruntées à des vidéos de Rocka Billy )

    *

    Je viens d’apprendre quelque chose, moi qui croyais tout savoir, en anglais ‘’ember’’ ne signifie pas ‘’ambre’’ mais braise. Soyons franc, au moment où je m’en suis aperçu, braise ou ambre je n’en avais rien à faire, mon esprit était ailleurs subjugué par la pochette du deuxième EP du groupe  Conquerors of the Ember Moon à tel point que je me suis dépêché de regarder la couve de leur premier EP, qui n’avait rien à voir avec la seconde, étrange, très étrange, cela méritait enquête approfondie.

    Déjà, je dois signaler une erreur dans le paragraphe initial : Conquerors of the Ember Moon n’est pas le nom du groupe. Pour faire simple nos Conquérants (tout de suite l’on pense à José-Maria de Heredia et à son sublimissime recueil Les Trophées) sont une plateforme de musiciens, qui se regroupent ou pas, selon affinités, pour enregistrer une œuvre précise. Ne sont pas très diserts nos aventuriers musicaux, ne donnent aucun détail, ni leurs noms, ni leur origine. Se contentent de spécifier que de tous leurs enregistrements, si particuliers soient-ils, se dégagera une sinistre intensité. Brr ! On s’en doomtait !

    1. 1

    CONQUERORS OF THE EMBER MOON

    (Album numériqueBandcamp / Novembre 2023)

    Les titres ne nous aideront guère à cerner le projet, scrutons avec attention la pochette. Un paysage. Pas  une vallée verdoyante. Au dix-neuvième siècle l’on employait le mot ‘’romantique’’ pour désigner des paysages de montagne désolés.  Par la suite l’adjectif a été appliqué aux poëtes tourmentés… Une forêt de sapins dans  la tempête, des tronc brisés, des branches décharnées, un épais tapis de neige sur le sol, rien de bien avenant. L’on remarquera  la lettre gothique B estampillée dans un cercle dont la blancheur se confond avec la neige.

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    Intro : Le vent souffle, il emporte vos oreilles, c’est à peine si à certains instants l’on discerne d’incertains fracas d’arbres abattus, peut-être sont-ils seulement psychologiquement suggérés par le fond symphonique mélodramatique qui accompagne sans jamais se laisser ensevelir par le souffle tempétueux, l’on a envie de dire que cette modulation traumatique  nous fait entendre la plainte habituellement  inaudible de la nature qui souffre sans gémir sous les coups de bélier des éléments. I : discordance sonique à la première note de ce morceau, vos oreilles grincent, heureusement que la touffeur de la batterie s’en vient enrober cette nuisance, le vent souffle toujours mais nous ne sommes plus comme à l’abri  sous le souffle du vent mais au cœur de la tempête, nous chevauchons les chevaux de l’ouragan,  des chœurs de marins embrasent la violence, la batterie frappe sans arrêt, cataclysmismique le son reflue sur vous et vous enveloppe, des guerriers perdus dans l’hurricane chantent, les scaldes scandent le refus de l’acceptance, il faut faire front, le souffle des voix se mêle aux monstrueuses rafales apocalyptiques, le monde est devenu une infernale course cahotante, jusqu’au bout d’on ne sait trop quoi, vous ne vaincrez la tempête que si vous-même vous devenez tempête, mais le vent souffle encore plus fort, plus un bruit, si ce n’est cette pompe refoulante de l’air fou qui vous submerge et vous condamne au silence. II : encore plus fort, plus violent, plus d’espoir si ce n’est l’indomptable courage de vouloir survivre à tous prix, vous ne tenez plus debout, vous glissez, vous n’avancez pas, vous êtes poussé, ne sont-ce pas les voix des arbres qui hurlent pour se donner du courage, pour se soutenir, pour relever la tête, malgré tout, malgré rien, front contre front, deux taureaux qui se font face, l’élément intérieur qui ne veut pas céder et l’élément extérieur qui désire vous briser, vous pénétrer, en finir avec vous, avec tout, comme une rémission, un raidissement, et puis l’affaissement, le vent seul qui souffle et vous qui vous taisez, sans fin, parce que n’avez plus rien à dire. Le vent hennit sa victoire sur les crêtes des montagnes. III : tumulte de l’inéluctable, la bête grogne, la batterie avance imperturbablement, les ennemis vont s’affronter, tout se précipite, presque un rythme de danse, ça tohu-bohute, ça se catapulte l’un contre l’autre, combat de titans, l’un doit céder, mais si l’extérieur entre dans l’intérieur il deviendra lui-aussi intérieur, vision glissante de cauchemar comme des hordes d’avions bombardiers dans le ciel, c’est le split final, celui qui ne finira jamais, la guerre n’est que la continuation de la paix sous une autre forme, ça tangue dur, mais si l’intérieur sort de lui-même il sera métamorphosé en extérieur, quelle cacophonie, inutile de psalmodier la prière des morts devant les tombes qu’elles soient ouvertes ou fermées, vides ou pleines à ras-bord, tout ce qui est inutile est utile et vice-versa, le vent encore le vent, il siffle pareillement dans les oreilles des morts et des vivants, il est des symphonies qui sont des linceuls qui vous enveloppent plus chaleureusement que le sang chaud qui gicle de vos blessures, le vent ne souffle plus, la symphonie bruit, elle persiste, a-t-elle gagné contre le bruit, le vent ne souffle plus, il reprend son souffle, rien ne semble aller de soi à soi-même, il ne reste que des éclisses d’arbres, des décombres ou des semences, nous ne savons pas, nous ne savons rien, ce morceau n’en finit pas, certainement parce qu’il n’y a pas de fin possible à ce qui est et à ce qui n’est pas. A ce qui n’est plus.

             Superbe. Ils ont traduit une image en musique. Ils ont  expliqué comment le rêve d’une chose peut devenir le cauchemar d’une autre.

    2. 1

    CONQUERORS OF THE EMBER MOON

    (Album numériqueBandcamp / Novembre 2023)

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    Enfin la couve qui a suscité mon intérêt pour ces conquérants de la lune  de braise.  Une  glauque reprise sous forme d’un monochrome vert de L’apparition fameux tableau de Gustave Moreau (1826 - 1898) illustrant une des scènes les plus érotanathiques des Evangiles, Salomé fille d’Hérodiade l’épouse du roi Hérode danse nue devant son beau-père, en récompense elle demande la tête de (Saint) Jean Baptiste qui a insulté sa mère… Les picturales rêveries érotiques de Gustave Moreau se sont vraisemblablement abreuvées à la scène d’Hérodiade, poème majeur de Stéphane Mallarmé.

    Encore pratiquement invisible, la pochette offre une lettre gothique encerclée, cette fois un ‘’ S’’. La signification de ces monogrammes me pose question. Seraient-ce les initiales de Bismuth et Stibine noms des minéraux mercuriels et alchimiques...

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    I : facture sonore totalement différente de l’EP précédent qui pourrait être qualifié de symphonique, sur celui-ci nous sommes en présence d’une structure heavy metallique sans complexe :  sans doute vaut-il mieux se rapporter au tableau de Moreau que de se fier à l’interprétation de la pochette qui ne rend pas justice au sentiment de malaise hiératique que provoque la vision d’une telle image, l’introduction monumentale est à la hauteur écrasante de l’architecture prodigieuse dans laquelle se déroule l’apparition.  Il importe de prendre mesure de l’évènement, nous ne sommes pas dans un riche palais aux écrasantes dorures, mais ailleurs dans une image fantasmagorique de nos représentations les plus orgiaques, non pas dans un château royal, qui serait d’une aune par trop humaine, mais dans une demeure mythologique digne de l’Atlantide ou des Dieux. Qui n’a jamais habité ( comme moi ) dans une ville dont la vie était rythmée par le bruit assourdissant d’un marteau-pilon  qui vous baignait sans arrêt, jour et nuit,  dans l’assourdissance écrasante de sa palpitation outrancière, ne pourra jamais se faire une idée de la lourde et lente marche des géants qui peuplaient la terre il y a très longtemps, avant que Zeus ne les frappât de sa foudre et n’arrêtât l’inéluctable, d’ailleurs ce ne sont pas des paroles humaines que l’on entend mais des cris de chouettes prophétiques et des hurlements sans fin de foules anonymes écrasées sous des pieds géants, jusqu’à ce tintement des cordes de la joueuse de luth qui accompagne la danse d’Hérodiade et ce chuchotement des âmes exacerbées par la beauté de la nudité de la danseuse parée de joyaux opalins incapables de rivaliser avec la splendeur candide de sa peau… II : grincements, poulies, filins, musique en sourdine, il ne se passe plus rien, ou si peu, le corps de la danseuse boit et absorbe les regards qui se posent sur les dunes, sur les lunes, sur les runes,  sur les mouvances de son corps, l’on parle à mi-voix comme  l’on rêve les yeux à demi-fermés pour profiter et de la clarté de la beauté épandue dans le monde et de la pénombre inavouable des songes prédateurs. III : orage tumultueux au grand jour, hurlements de terreur, tout se mélange, non pas une apparition mais deux, celle de la beauté de la ballerine, et celle de cette tête sur le mur, l’une est soleil et l’autre est la lune, la lune désigne l’autre, regardez ceci est mon sang, non pas celui enfermé dans les canaux secrets de mes chairs, et l’autre urgescent, dégoulinant, giclant d’une façon dégoûtante, malgré cette voix de prêtre pontifiant qui essaie de retenir le scandale du monde, maintenant ici tout n’est que luxe, vacarme et volupté turgescente coupée au ras du col, la marche des géants reprend, une guitare se souvient qu’elle est dans un groupe de rock, chacun fait ce qu’il peut pour tenter de trouver une attitude qui soit conforme à cette projection intérieure du soleil du désir sur le mur de roches cyclopéennes, la bête est sortie de son antre, la vierge projette ses émois sur la paroi, l’insoutenable se résorbe dans les résonnances cordiques du luth, un temps en suspension, entre ce qui était celé et qui maintenant est révélé, la voix devient spasme aquatique des profondeurs conscientes, la musique se précipite, joue-t-elle au maçon qui essaie de recouvrir de sa truelle de mortier honteuse la face sanglante, la découpe du chef sur le mur, d’ailleurs qui parle et qu’elle est cette langue, celle de la mise à mort, ou celle bestiale qui s’affiche au vu et au su de tout le monde, tandis que la petite musicienne envoie quelques arpèges de son luth.

             L’ensemble est magnifique. Une page blanche ouverte à tous les verbiages bonimenteux de l’imaginaire.

             Ces conquérants m’ont conquis. Pleine lune !

    Damie Chad.

     

     

    *

    Ça sentait l’avoine. Depuis que je suis tout petit j’adore cette céréale. Exactement depuis le jour où j’ai découvert le mot avenière dans le vieux Larousse familial. C’est un mot que je qualifierais de verlainien. Vous le prononcez, il ouvre les portes du rêve. En plus une nouveauté recommandée par Mister Doom 666, avec lui vous ne savez jamais où vous mettez les pieds, souvent là où vous n’auriez jamais eu l’idée de les poser car ça grouille d’alligators affamés, en dédommagement et en règle générale vous n’êtes jamais au bout de vos surprises.

    AVEROIGNE

    ARCANIST

    (Yuggoth Records / Mai 2024)

    J’ai commis une erreur : j’ai cru qu’ils étaient américains puisqu’ils se réclamaient de Providence in Rhode Island. Mais non, c’est leur maison de disques qui niche là-bas dans cette cité providentielle qui abrita Edgar Poe et Lovecraft. Difficile de faire mieux. Difficile de faire pire. Selon vos appréhensions personnelles barrez la mention  qui ne vous convient pas. Par contre ils sont français, soyons fraternel écoutons-les. Toutefois ne nous embarquons point sans biscuits.

    Arcanist. Tout de suite l’on pense à Oscar Vladislas de Lubicz Milosz et à son recueil Les Arcanes. Arcaniste fleure bon l’ésotérisme et même l’alchimie. Plus exactement la pratique alchimiste. L’arcaniste est le personnage qui se tient entre le spagyriste paracelsique et le souffleur de verre, entre Bernard de Palissy et le raccommodeur de porcelaine, deux arts du feu, dont l’ignition soutenue et contenue, condense ou vaporise les divers états de la matière élémentale. L’arcaniste connaissait les secrets de la délicate cuisson des porcelaines, et d’autres encore, mais ceci est une autre histoire. Un opérateur. Pour employer un autre mot qui étymologiquement colle tout aussi bien à chef-d’œuvre qu’à grand-œuvre.

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             Averoigne, un mot qui avoisine l’avoine et l’Auvergne, bingo il s’agit du titre d’un livre Averoigne & Autres mondes, publié en 2019 dans la collection Helios des Editions Mnémos, éditeur d’imaginaires depuis 1996, spécialisé en SF, Fantasy, et Lovecraft.  Quel hasard démoniaque ! Serions-nous sur la Dagonale du fou ! d’autant plus que le nom de l’auteur Clark Ashton Smith (1893 – 1961) n’est pas inconnu chez les sectateurs de Cthulhu, il fut un proche du Maître de Providence. Smith était un admirateur de Baudelaire, qu’il traduisit, et d’Edgar Allan Poe.  Tout de suite ce goût pour la beauté de l’horreur vous classe parmi les individus supérieurs. Je dis cela uniquement parce que Baudelaire et Edgar Allan Poe sont pour moi de véritables phares émetteurs d’une lumière noire inaltérable.  Autodidacte, il se fait remarquer par un style luxuriant et coruscant, il fait partie de ces solitaires qui vivent à côté du monde marécageux, en ses limites extrêmes où rêve et réalité se confondent… Son imaginaire le transporte très loin dans l’espace et le temps. Les contes d’Averoigne se déroulent dans une Auvergne médiévale du douzième siècle, je recopie sans vergogne la présentation de l’éditeur que je vous invite à visiter : ‘’ Clark Ashton Smith imagine une contrée mystérieuse où monastères et cités aux murs crénelés ont émergé des antiques ruines romaines, où des légendes préchrétiennes prennent corps dans la vaste forêt centrale, où la cathédrale impressionnante de la cité de Vyones domine les esprits et où une famille noble voit ses pouvoirs disparaître, entre corruption et magie noire.’’.

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             Non ce n’est pas fini, les gloutons ne se jettent pas uniquement sur les gâteaux. Les galutres n’oublient jamais de dévorer l’emballage du paquet. Cette fois, nous sommes gâtés, à tel point que j’ai longuement hésité, allais-je consacrer cette kronic au disque d’Arcanist ou à l’œuvre de Matthew Jaffe. Quelle couve et quel artiste, la visite de son instagram est obligatoire. Cette couve ne se regarde pas, elle se médite. N’ouvrez pas vos yeux, ils sont vides. La force n’est pas en vous. C’est elle qui vous regarde. Sans vous voir.

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    Rendez-vous en Averoigne : chants d’oiseau, c’est pour l’ambiance, des gouttes d’eau de synthé tombent une à une bientôt relayées par d’amples froufrous mélodiques, ces notes décharnées introduisent-elles le soupçon d’une inquiétude, le ciel se voile, la brume mugit dans sa corne, le vent se lève, une voix commence à lire l’histoire d’Averoigne ‘’ c’était un endroit vide de toute vie et absolument désolé où les charognes auraient conté fleurette au démon, les cieux tant tristes gris que les cadavres semblaient n’avoir jamais connu le soleil’’, le récit n’ira pas plus avant, ce serait inutile, la musique se voile d’une infinie tristesse, de grandes orgues héroïques retentissent, l’on ne sait rien de ceux qui viennent, mais il n’est pas besoin de messager pour nous demander de nous écarter, il est des choses qui se comprennent avant de les savoir, la musique s’achève lentement comme ces linceuls que l’on ne finit pas de plier et replier sur eux-mêmes. The holliness of Azederac : les titres sont ceux de certaines des histoires qui forment le livre Averoigne. L’histoire d’un saint homme. Enfin c’est ce que l’on raconte. Dans son passé il n’a pas toujours suivi de près les enseignements des  Evangiles, ne médisons pas, quand est-ce que les choses ressemblent vraiment à ce qu’elles sont, le mensonge n’est-il pas un marqueur de vérité, je vous laisse réfléchir, concentrons-nous sur la musique. En tout cas, le carillon pétille de joie, l’on a envie de danser la bourrée, elle est bien auvergnate mais le rythme guilleret ne serait pas conciliable, accélération tintinnabulesque, la joie nous envahit, attention il se passe quelque chose, est-ce que la fantaisiste carmagnole tournerait au vinaigre, une ombre passe, serait-elle l’aile de l’Ange Déchu, tiens une éclaircie mais l’on a perdu de l’allant, quel est ce pas lourd et claudiquant qui résonne seul dans l’espace sonore, l’on se croirait à la fin de Don Juan de Molière, ce glas qui sonne vous transperce l’âme, pas de panique il s’égrène en notes apaisantes, l’on s'imaginerait au pied de sa dame à lui chanter des doux vers à la Tristan et Yseult, que voulez-vous l’amour n’est jamais simple, à croire que la fin est déjà programmée à peine débute-t-il, profitons de l’instant qui passe et trépasse en incertains échos de chanterelle et chantefable. A night in Mauneant : ce récit ne fait pas partie du recueil d’Averoigne mais Clark Ashton Smith l’a rédigé dans les jours qui ont suivi l’écriture de End of the Story.  Un bruit qui vient de loin, peut-être du néant à moins que ce ne soit le néant qui provienne du bruit, il faut bien remplir le vide d’une manière ou d’une autre, l’est sûr que l’on nous raconte une histoire qui est déjà terminée et dont on ne saura rien, torsades de faux-violons, et clavier non tempéré, l’on a cru à un crescendo infini, ce n’est pas tout à fait cela, l’on arrive après la bataille qui n’a jamais eu lieu. Des notes comme des hoquets de pianos assortis de sortilèges quasi orientaux, l’on meuble le silence d’une pièce vide, peut-on remplir le vide, n’est-il pas comme un trou noir qui dévore le monde non pas jusqu’au trognon mais jusqu’à la pensée du monde. La musique serait-elle un divertissement pascalien qui s’effiloche en longues notes qui ne veulent pas mourir, qui s’enlacent longuement à vous pour que vous les reteniez au minimum pour l’éternité. Une voix s’élève, est-ce celle de la statue de sel devant Sodome et Gomorrhe.

    End of the story : écoutez l’histoire sans fin qui a une fin, un beau conte de facture classique, celle de la tentation, par la plus belle des femmes qui tient somptueuse demeure dans les ruines d’un château maudit, on l’a prévenu, on l’a supplié, on l’a sauvé une fois, mais il est reparti, on ne l’a plus jamais revu. Mais que n’aurait-il pas fait pour retrouver la femme serpent, car la femme qui a été tentée par le serpent était le serpent lui-même. Ne pas confondre lamie et l’amie. L’histoire est cousue de fil noir, comme quelques notes d’un luth caressé par mégarde. Même pas quatre minutes. Cela ne vaut guère davantage. Chaque homme dans sa nuit, se dirige vers sa propre lumière. Souvent éteinte. Toute lumière n’est-elle pas aveuglante. The Colossus of Ylourgne : (Part I) : 1 : The flight and the Necromancer / 2 :The gathering of the dead  / 3 : The testimony of the monks  / 4 : The going forth of Gaspard du Nord : une musique venue d’ailleurs, aux relents sombres, sourire de flûtes, est-il nécessaire d’en rajouter, l’histoire du Nécromant se suffit à elle-même, voici les chœurs, les dies irae et les tentures noires de  l’orgue, c’est un maître, ses élèves se pressent autour de lui, que leur apprend-il, que retiennent-ils… oui il œuvre à sa survie, car tout homme est mortel, d’ailleurs le cimetière est rempli de morts, pourquoi certains d’entre eux font-ils éclater de l’intérieur le bois de leur cercueil, quelle force terrible les anime, quelle étrange énergie les habite, d’habitude les morts ne bougent pas, la musique ne les berce-t-elle pas, elle sait se faire si douce, les moines de l’abbaye voisine ont suivi le Nécromant et ses disciples, ils sont maintenant tous réunis dans la forteresse démantelée d’Ylourgne… l’élève préféré Gaspard du Nord n’a pas suivi le Maître, il subodore, au travers d’un miroir magique il essaie d’entrer dans les pensées du Maître, le visage du Maître apparaît mais demeure impénétrable. La musique éclate, le drame se précise. The Colossus of Ylourgne : (Part II) : 5 : The horror of Ylourgne  / 6 : The vaults of Ylourgne  / 7 : The coming of the Colossus / 8 : The lying of the Colossus : étranges bruits qui recouvrent de troubles affairements, non ils ne s’affairent pas à de vils agissements d’ordre inférieurs, les tâches subalternes ne sont pas pour eux, ils ne pétrissent pas un corps avec de la terre, ce genre de besogne trop facile ils la laissent à Dieu, eux ils se servent de matière vivante, avec la chair des morts qu’ils arrachent aux cadavres ils constituent un nouveau corps… Gaspard du Nord aimerait bien s’interposer, il accourt, tant pis pour lui, il sera enfermé en un sombre cachot, il l’explorera, il désespèrera mais finira par trouver une issue, la voix du conteur que l’on n’avait plus entendue depuis le premier morceau reprend la parole, il avertit quelque chose va survenir, plus terrible que la peste… la chose est là monstrueuse, un monstre, un colosse, aussi haut qu’une tour, une force qui va, une force qui écrase, pour le moment il ne prend pas garde aux humains qui fuient devant lui, l’en écrase deux sur un mur  sans trop penser à mal, la musique prend une ampleur insoupçonnable, que veut-il, et qui pourrait l’arrêter. La foule affolée se précipite dans la cathédrale, l’être satanique ne supporte pas la demeure de Dieu, il la détruira, l’édifice et les misérables chrétiens réfugiés à l’intérieur, qui l’arrêtera sinon Gaspard, il est monté tout en haut du clocher et quand le géant s’approche il lui jette au visage une poudre alchimique, la même qui a permis de lui donner vie et qui maintenant lui donnera la mort. Le colosse titube, il ne sait plus que faire, les cimetières sont trop petits pour lui, il finira par creuser sa propre tombe, s’y coucher et se couvrir lui-même de terre.

             Dark ambient, certes mais la musique est beaucoup plus ambient que dark. L’on imagine la rutilance de  l’orchestration qu’un groupe de heavy metal se serait permise sur une telle légende. L’électro synthétique est à mon goût un peu trop monocorde, trop monotone pour avoir droit à l’épithète  de prog. Dark metal si vous voulez, mais je qualifierais l’ensemble, tout de délicatesse et de nuance, de folk, ce qui ne saurait être un contresens puisque la musique transforme cette longue nouvelle en un conte merveilleux.

             Le lecteur aura remarqué dans Le Colosse d’Ylourgue des éléments empruntés au Frankenstein de Mary Shelley et au roman Le golem de Gustav Meyrink. Deux œuvres proches de l’univers de Matthew Jaffe. Son Instagram   sans faute !

             Peu de renseignements sur les membres d’Arcanist. Leur Instagram est bien chiche, le duo semble constitué d’une fille et d’un garçon. Ouf ! ils ont respecté la parité !

    Damie Chad

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

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    L’écran était parcouru de vives couleurs, pour le moment l’on ne discernait rien de précis mais au bout de deux minutes il apparut clairement que les couleurs se regroupaient en certaines zones en des taches de grandeurs variables, bientôt il devint évident qu’elles s’affinaient, qu’elles épousaient des formes encore peu reconnaissables, quelques minutes plus tard, il apparut que des silhouettes humaines commençaient à se dessiner, le plus étonnant c’était  qu’elles occupaient toute la surface disponible, pas un seul espace de vide, ne serait-ce que quelques centimètres carrés, les individus n’arrêtaient pas de bouger, de changer de place, sans s’interpénétrer, sans se bousculer !

    John Deere prit la parole :

             _ Cet appareil n’est qu’un prototype, dans quelques semaines nos laboratoires nous procureront  une machine qui fonctionnera en trois dimensions, celle-ci n’est pas plus performante qu’une simple feuille de dessin qui n’aurait pas encore appris les règles de la perspective. Ce ne sont pas des individus serrés comme des sardines dans leur boîte que nous voyons, mais une grande place remplie d’une foule immense.

    Le Chef alluma longuement un Coronado avant de déclarer :

             _ Je ne pense pas que vous nous ayez fait venir pour admirer un mauvais écran de télévision, à priori la vision d’une foule sur une place publique ne doit pas inquiéter une institution comme la CIA, d’autant plus que ces gens-là n’ont pas l’air de manifester, de demander la démission du Président des Etats-Unis, voire de brûler des drapeaux américains.

             _ Nous préfèrerions, au moins nous saurions comment réagir !

    Jim Ferguson avait l’air d’avoir vieilli de plus de dix ans.

             _ Au bas mot, selon nos spécialistes il doit y avoir là au moins cent mille personnes. Ce phénomène d’attroupement est assez courant dans nos sociétés modernes, le problème n’est pas là. Cet écran photonique est multi fonctionnel, il est capable de nous donner, à la façon d’un GPS, mais d’une manière ultraprécise, les coordonnées du lieu où se déroule ce rassemblement. Savez-vous où s'articule le spectacle que nous observons ?

    Ferguson ne nous laissa pas le temps de répondre :

             _ Dans une cloison de cette maison devant laquelle nous avons dû secourir l’agent Chad !

    84

    Le Chef avait pris la tête du groupe d’intervention, Molossa et Molossito devant, dûment chapitrés, truffes au vent, flairant l’air de toutes leurs forces, les deux courageuses bêtes étaient suivies par Doriane et Loriane, sous notre garde rapprochée, Jim Ferguson et John Deere nous talonnaient chacun d’eux commandant une file d’agents, rien qu’à les voir, l’on sentait des gars aguerris prêts à tuer leur mère pour gagner un demi-dollar.

    La pièce centrale était plongée dans le noir. Nuit sans lune, ciel nuageux sans étoiles, les équipes de la Cia étaient intervenues, tous les lampadaires de la rue étaient éteints. Le Chef appuya sur un interrupteur. Nous nous postâmes devant le plus grand des murs. Il n’y avait rien à voir. Molossito grogna faiblement.

    Nous attendîmes près d’un quart d’heure avant de percevoir un bruit très faible. D’abord des frôlements incessants, peu à peu ils se transformèrent en un léger tambourinement, il devint bientôt évident que des milliers de personnes étaient en train de marcher. Au centre du mur une tâche noire se forma. Lentement elle ne cessait de grandir.

    Maintenant elle recouvrait le mur, bientôt nous pûmes discerner les individus, visages inexpressifs, disposés en lignes, marchant à grand pas vers nous.

    Le Chef alluma un Coronado :

             _ Manifestement ces cocos ne viennent pas pour nous souhaiter la bonne année, pour ceux qui n’auraient pas compris, nous ne sommes pas en train de regarder un film, ils viennent pour nous tuer, que personne ne tire avant que je n’aie relâché un panache de fumée blanche !

    J’ignore comment le Chef s’y prit, mais une demi-heure plus tard, un large triangle blanc s’échappa du Coronado, il ressemblait à la calotte blanche des neiges éternelles qui coiffent le sommet du Kilimandjaro.

    Le premier rang était tout près de nous, quatre à cinq mètres, nous fîmes feu sans hésiter, ils tombèrent sous nos balles, phénomène étrange ils s’affalaient à terre et disparaissaient aussitôt remplacés par un nouveau rang, leurs corps s’évanouissaient oui, mais pas leur sang qui coulait sur le plancher de notre salle. Au bout d’une heure nous pataugions dans des ruisseaux de sang, Molossa et Molossito s’étaient régalés à laper ce sang frais et chaud, sans doute leur âme entrait-elle en communion avec le passé préhistorique des meutes de loups qui mordaient à pleines dents dans les chairs du dinosaure qu’ils avaient réussi à tuer… Sommes-nous aussi porteurs dans nos gènes de la mémoire de nos luttes archéolithiques que notre espèce avaient dû mener pour anéantir les araignées géantes dont nous étions les proies préférées…

    Faut avouer que question armement les ricains assuraient. Nos rafalos n’avaient pas le temps de devenir brûlants que déjà une unité logistique les remplaçait et nous fournissait munitions à foison. Par contre ils n’avaient pas pensé à tout, le sang nous montait aux genoux, des bottes fourrées nous auraient été fort utiles, Doriane et Loriane qui au début avaient pris les choses du bon côté, elles s’amusaient  à tremper leurs doigts dans le sang pour souligner d’un rouge à lèvre écarlate leurs lèvres pulpeuses, commençaient à fatiguer.

    Le combat ne cessa pas faute de combattant, le torrent de sang devint si haut et si puissant que nous dûmes refluer devant son écoulement…

    85

    Nous avions regagné le local. Doriane et Loriane exténuées par les émotions s’étaient endormies tenant Molossito et Molosa entre leurs bras. Le Chef avait allumé un Coronado, on aurait dit qu’il rêvassait. Moi qui le connaissais bien savait qu’il n’en était rien, je ne fus pas surpris lorsqu’il m’interpella vivement :

             _ Agent Chad nous n’avons jamais connu une situation aussi dramatique !

             _ Chef, que vient faire la CIA dans cette affaire ?

             _ Quelle affaire, Agent Chad ?

             _ Celle qui nous préoccupe !

             _ Laquelle ?

    Sur le moment je crus le Chef victime d’un coup de fatigue mais avant de répondre j’eus le bon réflexe, le Chef est infatigable sans quoi il ne serait pas le Chef, je tournai donc sept fois mon intelligence dans mon cerveau, je recommande d’ailleurs à nos lecteurs qui jugeraient cet épisode de nos aventures totalement loufoque d’agir de même, à condition qu’ils soient en possession des deux ingrédients nécessaires à cette opération, en effet la population terrestre ne se partage-t-elle en deux grands groupes majoritaires ceux qui possèdent une intelligence mais pas de cerveau et ceux qui ont un cerveau mais pas d’intelligence. Seule une minuscule minorité peut se vanter d’être pourvue de ces deux outils indispensables à toute réflexion… mais ne nous égarons pas, nous poursuivrons cette réflexion philosophique sur l’état mental de nos concitoyens une autre fois…

             _ Ainsi Chef vous pensez comme moi, vous pensez que nous courons pour parler comme Jean de La Fontaine, deux lièvres à la fois…

             _ Une évidence Agent Chad, je m’attendais à davantage de pertinence de votre part. Bien sûr d’un côté nos passeurs de murailles qui traversent les murs sans trop savoir pourquoi, si ce n’est pour se livrer à quelques cambriolages de haut-vol qu’ils n’ont même pas eu le temps d’entreprendre… nous les avons probablement tous éradiqués, leurs hommes de main et cette Cheffe que Loriane a prestement et proprement abattue. Comme si une femme pouvait accéder au grade de Chef !

    Le Chef haussa les épaules et alluma un Coronado :

             _ Non Agent Chad, vous connaissez mon instinct, il ne me trompe jamais, Jim Ferguson est certainement très sympathique mais j’ai l’impression qu’il essaie de nous mettre sur le dos l’affaire de cette étrange maison, plus j’y réfléchis, lorsque vous avez été happé par une force inconnue devant la grille d’entrée, tout votre chemin était coordonné par la CIA, le croc-en-jambe, les enfants de l’école et tout le reste n’a été qu’une manipulation de bout en bout, ils nous attendaient, une mise en scène pour nous refiler le bébé de la maison entre les pattes, Agent Chad, cette affaire sent mauvais, je ne présage rien de bon pour les jours qui viennent.

    Evidemment le Chef avait raison. L’avenir nous le prouva.

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 645: KR'TNT 645: THE JESUS AND MARY CHAIN / ZOMBIES / ELVIS PRESLEY + ROCKABILLY GENERATION / SPYDER TURNER / JEFF LESCENE / STUPÖR MENTIS / ERIC CALASSOU / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 645

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    16 / 05 / 2024

     

     JESUS AND MARY CHAIN / ZOMBIES

    ELVIS PRESLEY + ROCKABILLY GENERATION

    SPYDER TURNER / JEFF LESCENE

    STÜPOR MENTIS / ERIC CALASSOU

    ROCKAMBOLESQUES  

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 645

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

     

    Wizards & True Stars

    - The wind cries Mary Chain

    (Part Three)

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             Allez, on va dire que ça fait quarante ans qu’on guette l’actu des Mary Chain. Le premier à me parler des petits Jésus, ce fut Jean-Yves qui venait de découvrir Psychocandy. Il était complètement fasciné par ce son, par ce look, par cette morgue, par cette fuzz, par cette réinvention du rock anglais qui pompait tout ce qu’il y avait de mieux dans la pop mélodique américaine, c’est-à-dire les Beach Boys, Totor et le Velvet. Les Mary Chain ressemblaient à ces huîtres qui filtrent l’eau de mer pour n’en garder que l’essence et fabriquer des perles.

             Quarante après Psychocandy, les Mary Chain refont l’actu en beauté, avec un concert à l’Élysée Montmartre, avec un nouvel album, Glasgow Eyes, et donc un peu de presse, dont une belle interview dans Record Collector. C’est le genre d’actu qui nous gave comme des oies. Coin coin ou cui cui, c’est comme tu veux.

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             Ah si seulement le Vatican avait pris des petits Jésus comme ambassadeurs de la foi ! Rien que de les voir arriver sur scène, non seulement ça te remonte le moral, mais ça te remonte aussi les organes qui commencent à descendre. L’entrée sur scène est avec le final («I Hate Rock’n’Roll/Reverence») le moment le plus précieux d’un set extrêmement lourd de conséquences. Bim bam boum, on prend les mêmes et on recommence. Le rituel des petit Jésus n’a guère varié en quarante ans, si ce n’est qu’aujourd’hui Jim est gentil avec le public de Frenchies et William ne nous tourne plus le dos comme autrefois. Il vient même à la fin distribuer des set-lits et un médiator, avec un gros sourire de gamin au coin des lèvres, et là tu peux le dévorer des yeux, car c’est une vraie superstar, l’un des derniers rescapés de l’âge d’or de la civilisation.

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    Ah il faut le voir s’installer devant ses deux grosses enceintes marquées «Jesus» et surmontées de têtes Orange, il est comme d’habitude calé derrière ses deux retours et surmonté de sa tignasse exubérante de Professor Nimbus, lunettes sur le nez, baskets aux pieds, petit embonpoint et concentration de tous les instants, jamais un seul coup d’œil sur la salle, il gratte les barrés de ses Marychienneries sur sa grosse demi-caisse Gibson et déclenche de temps à autre l’enfer sur la terre («Head On», «Amputation», ah cet «Amputation» qu’on connaît si mal et qui est un vrai stormer), l’enfer, oui, car le son qu’ils sortent tous les cinq est celui d’une vraie machine de guerre moyenâgeuse, ces machines qu’on peut voir dans certains films de reconstitution historique, montées sur des grosses roues en bois et poussées par des nuées de soudards, le son des petits Jésus fait un peu cet effet-là, c’est du heavy power stormer, un phénomène qu’on croise rarement dans les salles de concert, phénomène d’autant plus alarmant qu’il est sur-saturé de légende. Ils naviguent exactement au même niveau que les Pixies, car leur set grouille de hits, ceux déjà cités, et puis tu as cette version magique de «Darklands» en début de rappel qui vient te knock-outer la tirelire à coups d’I’m going to the darklands/ To talk in rhyme/ With my chaotic soul, et là t’es fier de chanter en chœur avec le héros Jim, les lyrics sont une absolue merveille de perfection stylistique, Jim y va au God I get down on my knees/ And I feel like I could die/ By the river of disease, ce sens de la mélodie surnaturelle vient en droite ligne de Totor et de Brian Wilson, les frères Reid se sont hissés à ce niveau-là, qui est en matière d’art composital le plus haut, pareil avec la volée de bois vert d’«I Hate Rock’n’Roll», tu ne te lasses pas de cette violence visionnaire et de cette faramineuse irrévérence d’I love the BiBiCi/ I love it when they’re pissing on me/ And I love MTV/ I love it when they’re shitting on me, ils n’ont rien perdu de cette niaque écossaise qui est un peu le fondement de leur légende.

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    Et tu as cet enchaînement de quatre smashes qui te laisse complètement hagard : le «Cracking Up» tiré de Munki, suivi de «Some Candy Talking (inespéré), puis d’«In A Hole» et d’un «Sidewalking» qui te ramène à l’origine des temps, quand les petits Jésus régnaient sur la terre comme au ciel. Tu ne peux pas échapper à cette emprise, à cette autorité tutélaire, à ce pouvoir magique. Jim Reid a raison de rappeler que les Mary Chain sonnent comme les Mary Chain et aucun groupe ne sonne comme eux. On va aussi le voir duetter avec une certaine Faith sur «Sometimes Always» tiré de Stoned & Dethroned, puis sur «Just Like Honey», qui est un peu le cut prince de l’imparabilité des choses - I’ll be your plastic toy/ For you - L’ironie de toute cette histoire, c’est qu’ils prennent un malin plaisir à jouer TOUS les cuts ratés de Glasgow Eyes ! Aucune trace d’«American Born» ni de «Girl 71».

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    En guise de cadeau d’adieu, ils nous embarquent dans une version longue et bien psyché de «Reverence», avec un Jim qui nous refait le coup du crucifié - I wanna die on a sunny day/ I wanna die just like J.F.K./ I wanna die in the U.S.A. - Tout cela rimait à la fois magnifiquement et outrageusement. La magie est intacte. On dirait qu’ils n’ont pas vieilli. Nous si.

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             Si tu écoutes Glasgow Eyes à jeun, tu vas hurler. Tout le début de l’album ressemble à un gros foutage de gueule. Les frères Reid ont toujours eu un faible pour la provocation, et là ils se surpassent. Ils attaquent avec des machines. Si tu veux retrouver la folie sonique du «Write Record Release Blues», il te faudra repasser un autre jour. Par contre, la situation s’assainit avec «American Born». C’est un hit, une vraie Marychiennerie. Haut niveau d’homicide et de river side. Le «JAMCOD» qu’on croise plus loin est trop electro, mais chanté à la Mary Chain. Pur produit du terroir écossais, avec des éclairs de poux sauvages. On croise encore d’autres Marychienneries rampantes comme «Pure Poor» et bizarrement, William Reid est en retrait. Il gratte juste ce qu’il faut. Il faut attendre «The Eagles & The Beatles» pour renouer avec le big time. Hommage aux Stones, ils riment Brian Jones avec Rolling Stones. Mais ça redéconne avec ce «Silver Strings» trop electro-pop, ça ne va pas du tout, c’est de la mormoille à la mode. Alors ils se reprennent avec «Chemical Animal», une Marychiennerie écrasée de torpeur - To help production/ I don’t show - Et c’est vers la fin que les frères Reid se réveillent avec «Girl 71», monté sur des vieux accords de pop gaga. Retour aux sources ! Enfin ! Ce sont des accords connus avec du tut tut derrière. Classique, certes, mais le charme des frères Reid fait toute la différence. Et ils terminent cet album accueilli à bras ouverts avec «Hey Lou Reid», un heavy stash de stouch, il pleut de la Marychiennerie comme vache qui pisse, cette fois ça riffe au bassmatic de tronitrue, ça troue le cul du cut, ça t’expurge les fondations, ça te riffe bien le gras du bide. Gros pied de nez au rock moderne.

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             Jim Reid ne fait pas de déclarations fracassantes au micro de Johnnie Johnstone. Le chapô nous rappelle que les deux frères vivent séparés par un océan, Jim sur la côte anglaise et William en Arizona. Johnstone aime bien Glasgow Eyes qu’il qualifie de «ragged and glorious, filthy and beautiful, and as faithful as ever to the limitless potential of rock’n’roll». Il flashe lui aussi sur «American Born» qu’il qualifie de «bruised sludgfest» et sur «Hey Lou Reid» «which metamorphoses from a turgid Sister Ray pastiche into an ambiant blues hymn.» Et il conclut par cette phrase qui résume tout le paradoxe des petits Jésus : «It’s as vital as anything they’ve ever done.» Puis ceci qui dit à quel point il sonne juste dans son propos : «Over the last 40 years, perhaps only Spiritualized and The Brian Jonestown Massacre have shown a similar degree of imagination in recycling the same three chords.» Si c’est pas l’hommage suprême, alors qu’est-ce c’est ? Il dit même qu’un mauvais album des Mary Chain est impensable. Il les qualifie encore d’«evangelists of the new-cassicist rock’n’roll» et d’«indie arbitrers of good taste». Puis Jim Reid prend la parole et ça devient encore plus intéressant. Il situe bien les choses, rappelant que la musique dans les années 60 et 70 «était cohérente et avait du sens» - The blues. Chuck Berry. The Rolling Stones - Puis ça a déconné dans les années 80 - Suddenly we’ve got Kajagoogoo - Il parle aussi de la une du NME avec Kid Creole & The Coconuts. Alors William et lui se regardent et décident de réagir : «Right, enough’s enough.» Bien sûr le punk, mais Jim rappelle qu’en 1982, on ne pouvait pas écouter Radio 1 plus de 10 minutes sans gerber. Ils ont alors tous les deux la naïveté de croire qu’ils peuvent sauver le rock. Mais Jim dit aussi qu’à l’époque on commençait à enfermer le rock dans un petit ghetto, comme on l’avait avant avec le jazz. Puis il re-raconte l’histoire des Mary Chain, les 5 ans de préparations dans leur petite piaule d’East Kilbride, le chaos des premiers concerts à Londres, Bobby Gillespie et Allan McGee, puis les sets de 20 minutes max, le premier single, «Uspide Down» enregistré chez Pat Collier qui veut les faire sonner comme Dire Straits, heureusement, William remixe le single, ouf, ils l’ont échappé belle ! Puis pour éviter de faire Psychocandy II, ils enregistrent Darklands, le chouchou des fans. Ils ne voulaient pas devenir les Ramones qui selon Jim pondaient toujours le même album - a formula - Dans les années 80, Jim dit avoir aimé Felt, The Fall, les Bunnymen, My Bloody Valentine - The Cocteau Twins are one of the best bands ever. So influential - Il adore aussi Nirvana. Mais les Mary Chain veillaient à sonner comme les Mary Chain, and nobody else did. Puis la question porte sur Bobby Gillespie auquel les frères Reid on proposé le «full time job, but he politely declined.» Il voulait rester dans Primal Scream. Alors Johnstone branche Jim sur la dance music d’Automatic qui a suivi le départ de Bobby. Jim corrige le tir : la Soul et le funk oui, Aretha, Motown et Funkadelic, electronics, oui, Suicide, Kraftwerk, «but the rave or dance scene just didn’t do it for us.» Incompatible. Ils racontent aussi qu’au moment de l’enregistrement de Munki, William et lui ne se parlaient plus. Et pourtant, quel big album ! Johnstone le branche ensuite sur l’aspect financier des choses. Jim ne se plaint pas, il ne roule pas sur l’or et ne sait pas trop d’où vient le blé, mais il précise toutefois qu’il vient essentiellement de Psychocandy et de «Just Like Honey».

             Puis c’est l’encadré fatal : Jim salue ‘the Other classic rock debuts’, à commencer par The Velvet Underground & Nico - A blueprint for a type of music thant hadn’t been invented, and obviously a huge influence on the Mary Chain - Et il conclut en disant que le Velvet est aussi important que les Beatles et les Stones. Et crack, il enchaîne avec The Stooges - Ahead of its time - Et il ajoute, l’œil brillant : «It was punk rock before punk rock existed. It’s totally timeless. It would sound perfect in any decade.» Et crack New York Dolls - The punk rock Rolling Stones. The standard of songwriting is incredible. Every song could have been a single - Et crack Never Mind The Bollocks - There was no cooler person on the planet than Johnny Rotten in 1977. He was the role model. Every single song is great - Il cite aussi Suicide, The Smiths et il finit avec The Stone Roses, qui ne l’a pas convaincu à la première écoute, «because I thought it was really retro, so what’s the point?». Mais il préfère Secong Coming, «the production and John Squire’s Hendrix guitar.»

    Signé : Cazengler, Mary Chiant

    Jesus & Mary Chain. Élysée Montmartre. Paris XVIIIe. 13 avril 2024

    Jesus & Mary Chain. Glasgow Eyes. Fuzz Club 2024

    Johnnie Johnstone. You brought a weapon to our shows. Record Collector # 556 - April 2024

     

     

    L’avenir du rock

    - I walked with the Zombies last night

    (Part One)

             L’avenir du rock promenait son cul non pas sur les remparts de Varsovie, mais sur le Pont des Arts. Il fit halte à la vue d’un homme qui tournait en rond. Il faut savoir que l’avenir du rock ne supporte pas de voir les gens tourner en rond. Il part du principe que l’homme est conçu pour avancer, et non pour tourner en rond. L’immobilisme circulatoire incarne à ses yeux le comble de l’absurdité transcendantale, le summum de l’ignominie comportementale, la pointe extrême de l’abjection sinusoïdale. L’avenir du rock ne dispose pas d’assez d’épithètes pour qualifier ce contresens. Plus il y pense et plus il en frissonne de dégoût. Chaque fois qu’il tombe sur un homme - ou pire encore, une femme - qui tourne en rond, il tente de le remettre sur le droit chemin. Mais ce jour-là, il fut confronté à un cas beaucoup plus grave. L’homme tournait en rond avec le regard fixe. Il semblait redoubler de perdition, son errance circulatoire flirtait avec le fantastique. L’homme semblait donner du sens à sa perdition, il semblait sortir des pages de L’Écran Démoniaque, cette vieille bible de Lotte Eisner qu’on feuilletait autrefois en rêvant de se faire sucer par des goules casquées et frigides. S’imaginant pouvoir sauver le pauvre hère, l’avenir du rock s’approcha de lui et lui murmura d’une voix compatissante :

             — Voulez-vous que je vous indique le chemin de Damas ?

             Le sombre tournicoteur lança d’un ton sec :

             — Pierre qui roule Damas pas mousse !

             L’avenir du rock en fut interloqué :

             — Vous êtes moins demeuré qu’il n’y paraît ! Vous êtes encore capable de contrepéter. Mais enfin, me direz-vous pourquoi vous tournez en rond ?

             — Je m’appelle Jacques Tourneur !

             — Ah c’est vous ? Vous connaissez les Zombies, alors ?   

     

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             Ce ne sont pas les Zombies de Jacques Tourneur qui reviennent dans le rond de l’actu, mais les autres, les Zombies d’Angleterre. Les voilà de retour parmi les vivants avec un superbe album, Different Game. Pochette marrante : leur van tombé en panne sur la route est monté sur la plate-forme d’une dépanneuse, et ils sont tous là derrière, les Zombies, à regarder. Ils attaquent leur morceau titre d’ouverture de bal au shuffle d’orgue. On se croirait chez Procol. Rod rôde toujours dans le coin. En plus, Colin Blunstone chante vraiment comme Gary Brooker. C’est aussi explosif que du grand Procol avec en plus du chien de la chienne. Fantastique ambiance. Les Zombies ont de la légendarité à revendre. Blunstone te transcende tout ça au power pur. Quelle surprise ! On ne s’attendait pas à un tel ramdam, surtout quand on voit le portrait de Blunstone en ouverture du Mojo interview : il frise les 80 balais, ça se voit sur son visage, mais il a toujours cette magnifique tignasse de jeune coq. Jim Irvin qualifie cette tignasse de surprisingly luxuriant. On le sent même fasciné par Blunstone : «His voice youthfull and soft-spoken - is charming company.» 

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             Et ça continue avec «Dropped Reeling & Stupid», Rod Argent y groove le funk. On a là le meilleur groove de funk d’Angleterre depuis Georgie Fame et Graham Bond. Avec ça, tu as tout l’avenir du rock devant toi, la densité de ce groove est extrême et Blunstone chante au sommet d’un très vieux lard. Encore un coup de génie avec «Rediscover». Il faut se souvenir que les Zombies sont des magiciens, et ils n’ont pas perdu la main. «Rediscover» sonne comme un heavy balladif d’exception, ils montent le rock anglais à coups d’harmoniques et Blunstone t’éclate tout ça vite fait. Il te reste encore trois énormités à savourer : «Runaway», «Merry-Go-Round» et «Got To Move On». Les Zombies savent très bien casser la baraque. Ils déblaient tout sur leur passage et Blunstone n’en finit plus de chanter comme un cake. Rod te pianote le «Got To Move On» à la British-mania et ça vire Zombie dance ! Dans la kro qu’il fait de l’album pour Uncut, Nick Hasted compare les Zombies à Steely Dan, qui sont des chouchous de Blunstone et de Rod Argent. Blunstone : «There’s always been a jazz element in Zombies music.»

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             Jim Irvin rappelle que les Zombies étaient pre-Beatles et qu’ils sont montés pour la première fois sur scène en 1961. Puis ils ont trimballé leur look d’intellos, un peu comme Manfred Mann. Blunstone avoue qu’ils ont souffert de cette image, car les gens préféraient les groupes plus dangereux - Pirates and brigands - Blunstone raconte aussi l’extraordinaire histoire de l’enregistrement de «She’s Not There», leur premier hit, au studio Decca de West Hampstead. L’ingé-son est complètement ivre et tombe dans les pommes. C’est son assistant Gus Dudgeon qui prend le relais et qui entre dans la légende, en même temps que les Zombies. Blunstone raconte l’histoire des Zombies avec un luxe de détails extraordinaires. Il évoque par exemple les fameux package tours de l’époque avec les Searchers - Les gens ont tendance à l’oublier, mais les Searchers étaient à l’époque le deuxième grand groupe anglais - et puis les Isley brothers, Dionne Warwick - Que de magnifiques artistes à voir sur scène depuis les coulisses ! - Il parle d’un ton très juvénile, on se régale de l’écouter, il y a du Brian Wislon en lui - We were 18 and 19 years old from St Albans, on n’avait joué qu’au local Working Men’s Club et on se retrouvait à l’affiche avec ces merveilleux artistes - Oui, il a raison, Colin Blunstone, de s’extasier. «Ronnie Isley !», s’exclame Jim Irving. Alors Blunstone saute en l’air : «Probably my favourite singer of all.» Irvin rappelle aussi que Tito Burns était l’agent des Zombies - Yes, a very powerful figure - Irvin commence à tourner autour des histoires de blé. Blunstone botte en peu en touche. Il se contente de constater qu’au bout de trois ans de tournées et de hits, il n’avait pas un rond en poche. Les seuls qui avaient du blé étaient les deux compositeurs, Rod Argent et Chris White. Puis ils ont enregistré Odessey & Oracle, un album culte, mais pas très commercial. Alors les Zombies ont splitté. Financièrement, ça ne pouvait pas tenir. Rod et Chris sont allés monter Argent. En désespoir de cause, Blunstone va reprendre un job dans les assurances - Desperation. I just needed money - Et puis bien sûr la carrière solo. Blunstone commence à écrire des chansons, après tout pourquoi pas ? Il dit bien aimer son album One Year et pense qu’Ennismore et Journey auraient pu être meilleurs. Quand Irving lui dit qu’on qualifie sa voix d’«inherently sad», Blunstone répond : «It possibly is true.» Il ajoute en éclatant d’un rire de vieux pépère qu’il est connu comme étant un «romantic balladeer».  

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             On sort One Year de l’étagère. L’album date de 1971 et c’est là que se niche ce coup de génie qu’est «Caroline Goodbye». C’est une renversante merveille mélodique, un hit de murmure énamouré, digne des grandes heures de Brian Wilson. Blunstone chante avec la voix de Nick Drake, suivi par la guitare d’Alan Crosthwaite et une orchestration de rêve enveloppe le tout. Il chante un peu son «She Loves The Way They Love Her» d’ouverture de balda à la Motown. Rod Argent et Russ Ballard jouent aussi sur ce swing léger et subtil. Belle surprise, en tous les cas. «Misty Roses» sonne quasi Brazil, encore une petite merveille d’aisance, soutenue par Alan Crosthwaite à l’acou magique. Mais certains morceaux orchestrés aux cellos plongent l’album dans des ambiances plus lugubres («I Can’t Live Without You» et «Smokey Day»). Dommage car Colin Blunstone semble y perdre son âme. Il refait son Nick Drake sur «Let Me Come Closer To You». C’est assez frappant, car il chante avec le même timbre d’étain laiteux, avec la même eerie d’airy à la dérive. Il termine avec «Say You Don’t Mind», une belle pop d’allant orchestral. Comme il bénéficie d’un gros soutien moral, il peut donner libre cours à ses échappées belles. Colin Blunstone ? Un symphoné dans l’âme, un syphoniste d’élite, un sibyllique allaité, un simili Malher de symphonie inachevée.

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             Il revient aux affaires en 1972 avec Ennismore, toujours sur Epic. Très belle pochette, diable comme Colin était beau ! Par contre, le balda n’est pas jojo. Il annonce avec «I Don’t Believe In Miracles» qu’il ne croit pas aux miracles, ça tombe bien, nous non plus. Il tape cinq cuts de petite pop. Il ne prend jamais d’assaut, il se contente d’imposer gentiment sa présence. «I Want Some More» sonne comme une belle pop raffinée, mais c’est en B que se joue le destin de l’album, et ce dès «Pay Me Later», plus rockalama, quasi glam. Quel rebondissement ! On accueille son glam à bras ouverts. Il y a du son, logique, car c’est produit par Rod Argent. Et voilà le miracle tant attendu : «I’ve Always Had You», cut délicat et raffiné, à peine orchestré, Colin remplit l’espace d’une voix chaude. Ça n’a l’air de rien au premier tour, mais après le break instro, le thème revient et ça devient furtivement magique. Sur «Time’s Running Out», il sonne comme Nick Drake, intime et vert comme la mousse des bois. Même imposition. Il termine avec «How Could We Dare To Be Wrong», une pop terriblement envahissante, au sens du lierre. Il pratique l’art de l’universalisme, il vise une certaine forme de clameur chaleureuse, il ne fait qu’étendre son bel empire. 

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             Paru deux ans plus tard, Journey bascule facilement dans l’ennui. Blunstone refait son Nick Drake avec «Keep The Curtains Closed Today». On le voit ensuite muscler le son avec «Weak For You», mais c’est un cœur tendre. Comme tous les Anglais, il sait fort bien tempérer ses efforts. Sa pop reste une pop extrêmement soignée, sa voix porte bien. On sent quelque chose de bienveillant chez cet homme. Avec «This Is Your Captain Calling» en ouverture de bal de B, il va plus sur les Beatles, avec des petits élans de Sgt Pepper. Il revient à sa chère pop intimiste avec «Setting Yourself Up», une pop intimiste qu’on voudrait géniale et qui ne l’est pas. Honnête et avenante, oui, mais géniale, non.     

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             Dans Shindig!, Thomas Patterson lui consacre 5 pages d’interview. Pour évoquer les Zombies, bien sûr, mais surtout la période Epic de Blunstone solo. Patterson se dit troublé par le côté unusual du Zombies’ initial musical setting, alors Blunstone a cette très belle formule : «We were taking influences from classical music, modern jazz, R&B, the blues, rock’n’roll and pop, and that’s what made our music so different.» Patterson fait aussi remarquer à Blunstone que les Zombies étaient plus populaires aux États-Unis qu’en Angleterre. Ça fait bien marrer Blunstone qui rappelle qu’en 1967, au moment de splitter, les Zombies se croyaient unsuccessful. Et puis le fait de ne pas être populaire en Angleterre l’arrange bien : il peut aller faire ses courses au supermarché - I’m trying to think on the bright side! - Blunstone revient sur les raisons du split en 1967 : «It ended up with three non-writers, after three years of constant touring around the world with many hit records, having absolutely no money.» Il parle d’un «management company that was slightly questionable». Il fallait donc retourner bosser, we didn’t have a choice. Le producteur Mike Hust entre ensuite en contact avec Blunstone et l’incite à démarrer sa carrière solo. Il va enregistrer One Year avec Rod Argent et Chris White «at Abbey Road Studio Three. Peter Vince enginering. Exactly the same as Odessey & Oracle. Il felt really good recording in this situation again.»  

    Signé : Cazengler, Zombre crétin

    Zombies. Different Game. Cooking Vinyl 2022

    Colin Blunstone. One Year. Epic 1971

    Colin Blunstone. Ennismore. Epic 1972

    Colin Blunstone. Journey. Epic 1974

    Jim Irvin : the Mojo interview. Mojo # 356 - July 2023

    Thomas Patterson : The voice of reason. Shindig! # 123 - January 2022

     

     

    Talking ‘Bout My Generation

     - Part Eleven

             Oh bah dis donc ! Un spécial Elvis déboule dans la boîte aux lettres ! Un de plus ? On aime bien Elvis, mais bon, la messe est dite depuis les deux volumes de Peter Guralnick (Last Train To Memphis - The Rise Of Elvis Presley et Careless Love - The Unmaking Of Elvis Presley). Lus deux fois, en plus. Deux fois ? Oui, la trouille d’avoir raté un passage important ! C’est un mélange de trouille d’avoir raté des trucs et de plaisir à relire qui motive les relectures. Est-ce Léautaud qui dans le micro de Robert Mallet s’exclamait de son atroce voix de fausset : «Non môsieur, je ne lis pas, je relis !». Sais plus. Léautaud ou un autre, quelle importance, après tout ? On ira vérifier ça un autre jour. Revenons pour l’heure à ce Hors Série de Rockabilly Generation.

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             Il se lit d’un trait d’un seul. Cul sec. Julien Bollinger reprend toute la période 1955-1958, qui va de la signature du contrat RCA jusqu’au départ à l’armée. Après un chapô qui fout un peu la trouille car un peu pro-Parker, Bollinger emmène son récit ventre à terre et fait quasiment du Day By Day, comme l’a fait Richie Unterberger avec le Velvet : c’est extrêmement bien documenté et rondement mené, avec du souffle. Il rend hommage à cet artiste extraordinaire que fut Elvis, en ciblant bien les coups de chance et tout le travail de sape qu’a mené le Colonel pour faire d’Elvis une superstar cousue d’or tout en le castrant artistiquement. C’est sans doute la plus grande tragédie des temps modernes. Le parallèle que dresse Bollinger avec Robert Johnson est maladroit, car l’histoire du crossroad est une légende impossible à vérifier, mais surtout éculée par tant d’abus, alors que la faillite artistique d’Elvis n’est pas une légende. Elle est bien réelle. Tous les fans de la période Sun d’Elvis sont inconsolables depuis plus de soixante ans. 

             Pour illustrer le thème de la faillite artistique, on va suivre les recommandations que donne John Floyd à la fin de son brillant Sun Records : An Oral History : il dresse la liste des albums d’Elvis «indispensables». On appelait ça autrefois la liste des commissions. Rien à voir avec la période incriminée par Bollinger, mais ça donne une idée assez juste de ce qui va se passer après le retour de l’armée et l’entame de cette fameuse «carrière hollywoodienne». Alors on a pris un caddy et on est allé faire des courses. Étrange mélange de bonnes et de mauvaises surprises !

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             La liste des commissions commence avec ce qui est certainement l’un des meilleurs albums d’Elvis de la période post-Sun : Spinout, paru en 1966. On y trouve «I’ll Be Back», un groove digne de toutes les supériorités. Il faut voir Elvis groover son Back. Il n’est pas un King pour rien. Globalement, Spinout est un album de mid-rock extrêmement bien foutu, superbement orchestré et enrichi par les chœurs des Jordanaires. Un batteur extraordinaire joue en contre-bas d’«Adam & Evil» et de «Never Say Yes». Elvis s’amuse bien avec ses musiciens. Le Spinner King est à l’apogée de son âge d’or, semble-t-il, let’s spin it out ! Belle surprise aussi que ce «Smorgasbord» assez rock’n’roll. Elvis fait aussi du blues du delta avec «Tomorrow Is A Long Time». Il ultra-chante. On le voit aussi flirter avec le gospel dans «Down In The Alley». C’est infiniment respectable. 

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             From Elvis In Memphis est encore l’un des meilleurs albums d’Elvis de la période post-Sun. Il faut voir dans cette réussite la patte de Chips Moman. Dès «Wearin’ That Love On Look», on sent le Memphis beat sous les nappes de gospel d’orgue. On entend même Reggie Young. Elvis se tape une belle tranche de balladif avec «Long Black Cadillac». Aidé par des filles superbes, il porte sa Cadillac à bouts de bras. Il boucle son balda avec une version superbe d’«I’m Movin’ On» et Reggie Young gratte dans les entrelacs. C’est ultra-cuivré, joué au débotté d’American, avec la basse de Tommy Cogbill dans le solo. Elvis repart de plus belle en B avec «Power Of My Love», un heavy groove de Memphis et passe à la pop magique avec «Gentle On My Mind», un hit digne de Fred Neil. C’est là où il redevient le King. Dommage que ses autres albums RCA ne soient pas de ce niveau. C’est dingue comme il accroche bien son Gentle. Chips ramène une trompette sur le tard. Encore de la pop extrême d’American avec «Any Day Now». Il faut saluer cette prod d’orchestration très ambitieuse. Elvis termine avec «In The Ghetto» et voilà le team Elvis & Chips à son apogée. 

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             Enregistré à Vegas en 1970, On Stage permet de voir Elvis collectionner les covers, à commencer par un rutilant «See See Rider». Quelle machine ! On peut dire que ça rutile derrière Elvis. Il tape plus loin dans «Sweet Caroline». Bon c’est de la variété, mais Elvis chante si bien qu’il nous fend le cœur et qu’on lui pardonne. À Vegas, il fait en fait une sorte de best of de petite pop royale, avec «Runaway» et en B, «Polk Salad Annie», «Yesterday» et «Proud Mary». Il roule une belle pelle à McCartney avec «Yesterday» et on imagine que John Fogerty et Tony Joe devaient éprouver une sacrée fierté à voir Elvis chanter leurs compos respectives. 

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             Même si on adore ce chanteur parfait qu’est Elvis, la plupart des albums parus chez RCA flirtent beaucoup trop avec le mainstream américain.  On ne peut pas s’empêcher de penser à ce que serait devenue sa carrière si on lui avait confié des grandes chansons. Sur That’s The Way It Is, il tape par exemple une version magique de «You’ve Lost That Lovin’ Feelin’». Il la prend par en dessous pour ne pas être obligé de monter aussi haut que Bobby Hatfield. On l’entend aussi faire des merveilles avec «Stranger In The Crowd», un folk-rock digne des grandes heures de Fred Neil.

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             Paru en 1971, Elvis Country sort un peu du lot, notamment grâce à des cuts charmants comme «Little Cabin On The Hill», joli country-rock qui ne traîne pas en chemin, ou encore «Funny How Time Slips Away», véritable Beautiful Song. Il rocke son stock avec une belle version de «Whole Lotta Shakin’ Goin’ On», et en B, il revient à l’angélisme avec «It’s Your Baby You Rock It». Il fait encore des merveilles avec «Fadded Love», fantastique élan de soft-rock, puis il emmène «I Washed My Hands In Muddy Water» ventre à terre. C’est du big Elvis.

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             Il faut aussi écouter Elvis Now pour deux raisons : un, «Fools Rush In», car on y entend la voix de Dieu. Deux, «I Was Born About Ten Thousand Years Ago», car c’est du gospel batch avec tout le power qu’on peut imaginer. Il tape aussi une belle croupière à «Hey Jude» et règne sans partage sur «Put Your Hand In The Hand». Mais on voit des choses basculer dans l’opérette hollywoodienne, comme par exemple ce «We Can Make The Morning» grandiloquent. Elvis chante ça le torse bombé, face au ciel. Il parvient cependant à sauver «Early Morning Rain». La voix, rien que la voix.

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             Par contre, on ne sauve pas grand chose sur Good Times, paru deux ans plus tard. RCA a réussi à transformer Elvis en bonbon à la menthe. Il faut attendre «Talk About The Good Times» en bout de B pour trouver un peu de viande. Elvis boucle son pauvre Good Times avec un «Good Time Charlie’s Got The Blues» assez envoûtant.

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             La série des mauvais albums se poursuit avec Promised Land. On y trouve du croon de charme chaud («Help Me»), du balladif rococo («Mr. Songman») et de la heavy Soul («If You Talk In Your Sleep»). Elvis Today ne vaut guère mieux. On y trouve du mélopif inexorable («And I Love You So»), de romantisme meringué («Pieces Of My Life») et on comprend assez vite qu’il ne se passera rien de plus sur cet album. Il termine heureusement avec une version de «Green Green Grass Of Home» aussi envoûtante que celle de Jerry Lee.

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    On termine ce triste panorama avec Moody Blue paru en 1977, l’année de sa disparition. Il monte très haut chercher son «Unchained Melody» et revient au mambo de l’ère Spinout pour «Little Darling». Les Sweet Inspirations l’accompagnent mais on ne les entend pas beaucoup. Le mix les répudie à la cuisine. 

    Signé : Cazengler, Elvice dans la peau

    Talking ‘Bout My Generation - Part Eleven

    Elvis Presley. Spinout. RCA Victor 1966

    Elvis Presley. From Elvis In Memphis. RCA Victor 1969

    Elvis Presley. On Stage. RCA Victor 1970

    Elvis Presley. That’s The Way It Is. RCA Victor 1970

    Elvis Presley. Elvis Country. RCA Victor 1971

    Elvis Presley. Elvis Now. RCA Victor 1972

    Elvis Presley. Good Times. RCA Victor 1974

    Elvis Presley. Promised Land. RCA Victor 1975

    Elvis Presley. Elvis Today. RCA Victor 1975

    Elvis Presley. Moody Blue. RCA Victor 1977

    Rockabilly Generation Hors Série # 5 - Elvis Presley 2024 - Partie 2

     

     

    Inside the goldmine

    - Spyder Man

             Petit, brun, Charb offrait au regard le spectacle d’une physionomie enjouée, à peine voilée par un soupçon d’inquiétude permanente. Il louvoyait comme les autres dans ce monde ingrat, au mieux de ses possibilités. Son principal handicap était un état d’esprit atrocement conventionnel. Il mettait beaucoup trop de temps à prendre des décisions et s’insurgeait dès qu’on lui proposait d’enfreindre les lois. Dans un équipage, ce type de comportement peut vite poser des problèmes. Lorsque par gentillesse on lui conseillait de mettre un peu d’eau dans son vin et de nous faire confiance, il se hérissait, arguant qu’il n’accepterait jamais d’infléchir son propre code de moralité, et pour clore le débat, il rappelait à qui voulait bien entendre qu’il n’avait pas demandé à faire partie de cet équipage. C’est parce qu’on l’avait contraint et forcé à monter à bord qu’il redoublait d’obstination vertueuse. Il fallut bien lui trouver une occupation, puisqu’il refusait de participer aux expéditions. Il accepta le rôle de trésorier qu’on lui proposait. Au moins, cette honnêteté bornée servirait à quelque chose. Il s’appliqua à la tâche, comptant et recomptant le fruit de nos rapines. Il tenait ses livres et dormait avec pour être sûr que personne n’irait les trafiquer. Un jour, il osa défier le capitaine, arguant que la double part qu’il s’octroyait constituait une injustice, et en paiement de son plaidoyer, il reçut en pleine bouche un coup de barre à mine qui fit gicler toutes les dents de devant. On lui avait pourtant recommandé la prudence. Personne à bord n’était habilité à porter des jugements. Charb alla cacher sa honte dans la sous-pente qu’il occupait pour dormir et se tailla quelques dents en bois qu’il ajusta tant bien que mal. Comme son code de moralité lui interdisait de nous dénoncer aux autorités, Charb préféra se pendre pour laver un honneur dont l’absurdité l’avait conduit à l’impasse. On le trouva pendu dans les vergues, les yeux dévorés par des oiseaux de mer.

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             Ce fut un choc que de découvrir Spyder Turner sur la pochette de son premier album, Stand By Me. Charb et lui se ressemblent comme deux gouttes d’eau, même si Charb est blanc, alors que Spyder est black. Il se pourrait fort bien que Spyder Turner soit la réincarnation de Charb. Il n’y a d’ailleurs aucun doute dans l’esprit de ceux qui ont bien connu le pauvre Charb.

             Comme Yvonne Fair, Rose Royce et The Undisputed Truth, Spyder Turner est un protégé du grand Norman Whitfield. Après avoir quitté Motown, Norman Whitfield est allé monter son label, Whitfield Records. Les deux albums de Spyder Turner sont donc parus sur ce label, la même année, en 1978.

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             Le premier s’appelle Music Web et bénéficie d’une belle pochette illustrée. Crâne rasé, regard clair, anneau à l’oreille, torse nu, Spyder tient dans chaque main une comète en feu. Le hit de l’album se planque au fond de la B : «Reincarnation». Spyder flirte avec le génie funk. Superbe attaque rythmique, c’est d’une modernité à toute épreuve. Mais dès «Get Down», il est là. Fantastique présence ! Il sait aussi groover comme un cake («Is It Love You’re After») et flirter avec la heavy Soul des Tempts («I’ve Changed»). Il clôt son balda avec la belle Soul bien charpentée de «Stop». Il joue de la basse, il relance à la Tempts avec des attaques dignes de celles de Larry Graham. Il revient en B avec «I’ve Been Waitin’», une jolie prestation de power man. Tout est puissant sur cet album, bien monté aux gémonies. Ne manquent que les hits. 

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             S’ensuit Only Love, un album un peu plus ambitieux. On s’amourache vite fait d’«I Just Can’t Stop Loving You», une belle Soul élégante gorgée de dynamiques, dans l’esprit de Shaft. Ça aurait dû devenir un hit. Spyder prend parfois un air hautain qui lui va bien. Avec «Let’s Rock (Until We’re Satisfied)», il développe un power à la Edwin Starr. Mais c’est avec «There’s No Love (Without You)» qu’il déploie ses ailes : il mêle la classe au power poitrinaire et devient une sorte de Spyder de la guerre. Il finit par imposer un style en s’appuyant sur un diskö beat («You Cant Always Count On Me»), mais ça passe bien. Il boucle cette bien bonne B avec «You’re So Fine», une fast Soul bienvenue. Spyder connaît toutes les ficelles de caleçon, il sait jerker une Soul et Norman Whitfield veille bien au grain de la prod, il envoie les violons quand il faut. Quelle puissance ! Un Spyder + un Norman, ça donne de fort beaux disks. 

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             Avant d’enregistrer avec Norman Whitfield, Spyder Turner avait entamé une carrière solo, comme en témoigne Stand By Me, paru sur MGM en 1967. Ah il faut avoir entendu au moins une fois dans sa vie le morceau titre où il rend hommage à tous les géants de la Soul en imitant leurs voix, il enfile les exercices de style comme des perles, Ben E. King, Sam Cooke, Chuck Jackson, il yodelle comme Jackie Wilson, Spyder est un puissant seigneur - Smokey Robinson might say, the late Sam Cooke might say, Billy Stewart might say, David Ruffin of the Temptations might say, Eddie Kendricks of the Temptations might say, Melvin Franklin of the Temptations might say, James Brown might say wwwwooogghhhh I feel good ! - Il enquille ensuite une puissante cover d’«Hold On I’m Coming», il fait Sam & Dave à lui tout seul, Spyder est un battant, il chante «I Can’t Make It Anymore» pied à pied, puis il tape un «Moon River» de rêve, il swingue son huckleberry friend. Encore un chef-d’œuvre en B avec une cover du fantastique «I Can’t Wait To See My Baby’s Face» signé Chip Taylor et Jerry Ragovoy, déjà repris par Aretha, Baby Washington et Dusty chérie. Cet album de Spyder est somptueux. Il met encore le cap sur l’horizon de la Soul avec «Morning Morning». On comprend que Norman Whitfield ait louché sur lui. 

    Singé : Cazengler, Spyderogatoire

    Spyder Turner. Stand By Me. MGM Records 1967 

    Spyder Turner. Music Web. Whitfield Records 1978

    Spyder Turner. Only Love. Whitfield Records 1978

     

     

    Clic clac Kodak

             Dans un concert, tu as cinq catégories sociales : le groupe, les techs à la console, ceux qu’on appelle les bouncers en Angleterre, c’est-à-dire les mecs de la sécurité, le public, et les photographes. Comme les autres, les photographes font partie du show. Équipés de leurs gros téléos, ils hantent les fosses, se livrant à leur petit safari d’images. Tu en as qui mitraillent et d’autres plus tatillons qui vérifient d’un œil circonspect chaque image sur le petit écran de contrôle au dos du boîtier. Jusqu’à une certaine époque, dans les grandes salles, on leur autorisait l’accès à la fosse le temps des trois premier cuts, après ils devaient dégager, chassés par des bouncers bien musclés. À force de voir les mêmes photographes shooter des images dans tous ces concerts, on finit par les saluer, puis, si l’occasion se présente, on échange quelques mots, par exemple dans le long temps d’attente qui précède le coup d’envoi. On évoque des tas de concerts passés et on évoque ceux à venir. Les groupes qu’on aime bien et ceux qu’on déteste. On confronte des points de vue. On échange des infos. On cale des dates. Ah tiens, savais pas. Où ça ? Dans un bar ? Ah bon ! Ben dis donc ! Tiens file-moi ton numéro, j’t’envoie le lien. Et pouf, t’as une nouvelle date. T’es content, t’es pas venu pour rien.

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             Ceci dit, on ne se connaît pas plus que ça. Il a ses potes, tu as les tiens. On se contente de partager un joli point commun : cette passion dévorante pour les concerts de rock. Et puis au détour de la conversation, il annonce qu’il a un book. T’as un book ? Il le sort de son gros sac pour te le montrer. Un gros book. Celui-là n’est pas à vendre, c’est l’exemplaire de démo. Mais j’en ai d’autres dans la bagnole. Combien ? Okay. On voit ça après le concert.

             Ah les photo-books de rock ! Chaque bibliothèque normalement constituée en accueille. On ramassait à une époque ces fabuleux photo-books chez Smith, ils te tendaient les bras, alors tu ne pouvais pas résister. Et à peine installé dans le RER qui te ramenait dans ta banlieue pourrie, tu commençais à feuilleter ces gros ouvrages qui te procuraient des chocs esthétiques à répétition. Car c’est bien de cela dont il s’agit : de chocs esthétiques. Rien à voir avec les monographies consacrées à des peintres : le photo-book de rock te secoue aussi sûrement qu’une séance d’électrochocs. Ceux qui y sont passés savent de quoi il s’agit. La photo rock fait partie de ta culture de base, Elvis et Little Richard constituent les racines de ta culture visuelle, au même titre qu’Édouard Manet et Modigliani, au même titre qu’Orson Welles ou Johnny Strabler dans the Wild One. Les icônes ornent les corridors infinis de ton imaginaire. Parmi les grands classiques du photo-book, tu as ceux de Johan Kugelberg sur les Pistols et le Velvet, le Total Chaos de Jeff Gold, le Rockabilly The Illustrated History de Michael Dregni, The Blues A Visual History de Mike Evans, le Soul Memphis Original Sound de Thom Gilbert, auquel il faut associer l’imparable Iconography Of Chance de Tav Falco, et puis tu as aussi A life On Record de Marianne Faithfull, et l’un des plus anciens, The Photography Of Rock d’Abby Hirsh paru en 1973, avec Pete Townshend en devanture. Ça finit par faire des tonnes. Mais des bonnes tonnes. Tu peux y revenir à ta guise. Feuilleter. L’effet sera le même. Choc esthétique. En quelque sorte ta nourriture de base.

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             Le photographe s’appelle Jeff Lescene. Son photo-book de rock n’est pas imprimé en Chine, mais en Normandie. Bonne qualité. Couché brillant, donc aucun risque pour le rendu. Bons équilibres et bon piqué d’images, pur jus de numérique. Au dos, tu peux lire : «1986-2021. Trente cinq ans. Des centaines de groupes. Des milliers de kilomètres. Des dizaines de milliers de photos. Une vie de concerts.»  Ça te met immédiatement en confiance. Book de fan. Jeff propose une approche complètement différente des ouvrages cités en référence : une approche moins graphique, plus documentariste. Pas de foliotage, les artistes sont classés par ordre alphabétique, à raison de 6/7 images par double, en moyenne. Il s’agit en outre d’un photo-book essentiellement «local», car la grande majorité des shoots sont faits dans des salles normandes. Pas mal de Traverse, pas mal de 106, grosse dominante d’artistes de blues et de metal, un peu d’Hellfest, des choses qui remontent aux années 90, nettement moins graphiques. Tu as aussi un brin d’Armada, et puis tiens voilà du Rock’n’Risle avec And Also The Trees, des choses que t’irais jamais voir comme Beth Hart, et d’autres que t’irais toujours voir, comme les Buzzcoks, mais c’est dommage, car on ne voit pas bien notre héros Steve Diggles, tu as aussi Boss Hog au 106, mais sans Jon Spencer, Blues Pills sans Zack Anderson, au détour d’une page tu tombes sur un pur produit local, Pelot (gloups), puis sur un Calvin Russell qui ne date pas d’hier (1991), et ce sacré coco de Coco Montoya dont Bruce Iglauer vante si bien les mérites dans son autobio. Puis voilà un peu de Bâteau Ivre, mais aussi la prog improbable de Rock’n’Risle avec Civil Civic, Carton, Cosmonauts, on se demande vraiment d’où ça sort, de nulle part, pourrait-on dire, et encore du Hellfest à gogo, même si ce n’est définitivement pas ta came. Tu t’attendais un peu à les croiser, alors les voilà les Deep Puple et les Def Lepard, gloups. Pas-ta-came pas-ta-came pas-ta-came, comme un cheval au galop, mais tu poursuis ton feuilletage, tiens voilà Fu Manchu, mais que le beurre. Oh et puis l’horreur (Guns’n’Roses), et après l’horreur, l’image (Hot Stuff, plein pot, le mec ressemble vaguement à Paul Rogers), l’image encore avec Hop Slap, hélas en tout petit, Dédé et sa stand-up bleue, quelques grammes de finesse rockab dans un monde de brutes, et puis grand souvenir : Inmates, Barentin 1991, une fête de la musique où, ivres de bonheur, nous dansions la carmagnole avec Jean-Jean. Quand Jeff rend un hommage particulier, il réquisitionne une double entière : les Jee Bees, et plus loin Marienthal, avec Gilles, qui est sans le moindre doute le meilleur guitariste «local». Et puis des gens dont on entend dire si grand bien dans les files d’attente : Jon Cleary et Johnny Gallagher. On était dans la même salle que Jeff pour quelques concerts : James Leg, Buzzcocks, James Hunter, Monster Magnet, The Last Internationale et Kadavar. L’image : Lucky Peterson, portrait en noir et blanc. Fantastique. Plus loin, la grand-mère de Little Bob, et puis voilà Lemmy plein pot en 1991 : hot shot ! L’image encore : Lanegan, en petit, dommage, cette façon qu’il a de hocher la tête méritait un plein pot, comme Lemmy. Sacré clin d’œil aux Ramines, qu’on retrouve plus loin sous la forme des Vermines, et encore plus loin, une moitié de Damned référencés Scabies & James à Rock’n’Risle, avec Texas Terri qu’on surnommait la casserole, et puis Shemekia, la fille du grand Johnny Copeland, en 2014, à la Traverse, et produits locaux encore avec les excellents Oops, et avant de refermer, tu tombes sur Wayne Kramer shooté en 1995, à Évreux. Sacré mélange, mais ça tient rudement bien la route.

    Signé : Cazengler, Cot cot kodak

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    Jeff Lescene. Une Vie de Concerts. Apimuzik 2021

     

     

    *

    Les nouvelles ne sont pas toujours bonnes. Longtemps que je n’ai pas regardé ce que devenait Stüpor Mentis. Une notule sur leur FB me met au courant : ‘’L'heure est à l' involution pour STUPOR MENTIS. Après 7 ans de travail acharné, 6 albums et 2 E.P, quelques concerts ici et là ; nous vous tirons notre révérence, peut-être pas définitivement mais pour quelques années ... Nous avons tenté de vous faire rêver avec nous sous le clair de lune ; maintenant nous partons hurler avec les Loups.’’  Je n’ai reproduit que les premières lignes du texte. Dans les suivantes Erszebeth ne mâche pas ses mots, certes elle remercie les rares personnes et structures qui les ont aidés mais pousse une gueulante contre l’indifférence dont toute une partie de l’underground a fait preuve à leur encontre… Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle n’a pas tort…

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    Grand amateur de Shelley par trois fois nous avons abordé le Prometheus Unbound de Stupör Mentis leur adaptation de la pièce (en fait un poème) du prince de la poésie romantique anglaise, voir nos livraisons 478 (01 / 10 / 2020), 495 (28 / 01/ 2021), 506 ( 15 / 04 / 2021) et incidemment la 480 (12 / 10 / 2020) consacrée aux tableaux d’Erszebeth… Pour cette fois pour ne pas trop nous éloigner de Shelley nous écouterons le :

    DARKNESS

    STUPÖR MENTIS

    (Not On Label / Décembre 2022)

    Stüpor Mentis : Audrey Bucci  (Erszebeth) / Nicolas Lordi.

             Lord Byron publie Darkness (Ténèbres) en décembre 1816 dans Le Prisonnier de Chillon et Autres Poèmes. 1816 fut une année terrible. Incompréhensiblement terrible. Les européens ne pouvaient savoir que l’obscurité qui envahit le ciel du nord de l’Europe était due à la cendre rejetée par un volcan indonésien. En plein été, certains jours il fallut allumer les chandelles…

    Nous sommes en une époque où les racines chrétiennes sont encore très fortes même si elles commencent à vaciller, le doute s’installe dans les esprits éclairés, l’on collecte de nombreux fossiles dont la datation ne correspond pas exactement avec la Genèse, premier livre de la Bible, pour la petite histoire Darwin vient de naître en 1809, cinquante après sa naissance son livre L’Origine des Espèces portera un coup mortel aux croyances théologiques, mais nous n’en sommes pas encore là, en 1816 nous vivons l’âge d’or du romantisme anglais.

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    Shelley et Lord Byron ont senti que leurs écrits et leurs frasques existentielles, malgré leur niveau social élevé, sont très mal perçus par l’establishment britannique, ils sont devenus persona non grata. Ils préfèreront s’éloigner en Italie.  Deux des trois plus grands poëtes anglais sont en exil volontaire loin de leur patrie. Ils inviteront John Keats gravement malade à les rejoindre, il refusera, ce fils d’un modeste palefrenier ressent vraisemblablement cette généreuse invitation comme un acte charitable…

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    Venu à Rome soigner sa tuberculose Keats décèdera en 1821, Shelley périra noyé dans le golfe de Livourne en 1822, dans une des poches de sa dépouille l’on retrouvera un recueil de John Keats, Byron parti se battre pour libérer la Grèce de la férule turque succombera à une fièvre des marais à Missolonghi en 1824. Pour compléter ce macabre tableau rappelons que c’est lors d’un séjour à Genève en 1816 que Mary Shelley composera le début de Frankenstein, et Lord Byron Ténèbres…

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    Ténèbres est un poème qui n’atteint pas la centaine de vers. Il fut remarqué dès sa parution. Le sujet est facile à résumer : la fin du monde. A première lecture par ses nombreuses allusions au texte de l’Apocalypse le poème semble pour un esprit distrait s’inscrire dans le droit fil de la tradition chrétienne.  A part que Dieu, le Christ, et le Diable en sont absents… Le poème est présenté comme un rêve par un individu dont on ignore tout, ce qui permettra aux commentateurs épouvantés par les conclusions nihilistes que l’on pouvait tirer du texte de prouver qu’il reste tout de même un survivant et que tout n’est pas perdu pour Dieu, car tant qu’il subsiste un homme il aura toujours besoin de Dieu pour être sauvé… Le poème fit scandale, dire que le monde n’a pas besoin d’une intervention divine pour disparaître, équivaut à décréter que la matière se débrouille toute seule pour vivre ou périr.

    Il est une autre façon d’interpréter Ténèbres, le poème ne pourrait-il pas porter comme titre : Le triomphe de la mort et être qualifié d’œuvre gothique. Entre Stüpor Mentis et Stüpor Mortis la différence est-elle si grande... La fascination de la mort, l’autre face de l’immortalité, n’est-elle pas un des centres d’intérêt du groupe qui a choisi un tel nom et l’un des thèmes préférés du mouvement romantique…

    Stupör Mentis n’a pas mis en musique l’intégralité des quatre-vingt-deux vers du poème tout en respectant le déroulement du récit.      

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    Darkness I : basse sombre, une voix chuchote, comme s’il ne fallait rien ajouter au désastre de la disparition de la lumière, des bruits, des chênes qui tombent pour le bûcher d’Hercule qui ne sera pas élevé, des moires sonores s’agitent dans l’ombre, quelque part une cantatrice de la destruction pure vocalise, serait-ce pour que le fendillement du cristal entaille le filigrane de votre âme comme le diamant  découpe la transparence du verre noir.  Darkness Ii : entrée des hommes, la voix récite expressive, elle conte comment les hommes se comportèrent en ces  instants cruciaux, comment certains acceptèrent la mort, la voix se fait dramatique, tous savent qu’ils vivent leur derniers instants, berceuses mortelles, ils sont prêts à s’entretuer pour un dernier repas qu’ils ingurgitent sans voix. Même les bruits de la musique s’apaisent. En quoi seraient-ils utiles au malheur de l’humanité…Darkness III : comme un gong perpétuel, des pleurs et des gémissements s’élèvent, les hommes sont-ils prêts à dévorer des cadavres, ils sanglotent, le désespoir du cannibalisme les étreint, mur de lamentations sans fin, dans ce spectacle de lâcheté humaine seul un chien lèche la main du cadavre de son maître, affliction canine fidèle, qui ne répond pas, et la voix se déchire en un long cri inhumain. Pleure-telle le chien abandonné à la mort ou la fin de la faim de l’amour. Cette scène est-elle inspirée à Lord Byron par le chien d’Ulysse mourant qui, vingt ans aprèss est le seul à reconnaître son maître…Darkness IV : enfin de la vraie musique serait-on tenté de s’écrier, une belle intro avec des chœurs, mais bientôt le bruitisme reprend ses droits, un des derniers épisodes du désastre, deux ennemis qui se haïssent depuis toujours, deux survivants qui essaient de s’approprier de leurs mains avides encore une ultime fois les objets sacrés les plus inutiles, la musique devient plus ample, un véritable oratorio, lorsqu’ils meurent sans s’être reconnus, réduits à l’état squelettes ambulants, l’âme morte desséchée par la haine n’est pas plus utile que l’amour.  Darkness V : je ne sais pourquoi Stüpor  Mentis use comme texte d’une citation d’Alexander Pope, poëte du début  du dix-huitième siècle, elle s’insère bien dans le poème de Byron, mais cette insertion me semble inutile, de même sur la vidéo de You Tube qui accompagne ce morceau est repris par deux fois un extrait d’un vieux film muet que je n’ai pu identifier, qui d’après moi relate un épisode de la descente de Dante, accompagné par Virgile, aux Enfers. La scène qui se veut terrible donne envie de rire. Ces condamnés totalement nus qui grouillent à terre  sont-ils  en train de miner une espèce de parade nuptiale d’un nouveau genre, jamais Eros n’a été aussi proche de Thanatos… Heureusement la musique solennelle et larmoyante, tôles agitées, tubulures grondantes, voix d’homme chuchotantes, nous persuade du contraire, l’on a toutefois du mal à s’en convaincre. Darkness VI : final, profonde obscurité, le monde s’immobilise, vague sonore crépusculaire, la voix ose à peine parler, tout est mort, le monde n’a pas disparu, l’engeance humaine oui, plus un seul mouvement - rappelons-nous que selon Aristote s’il n’y a pas de mouvement il n’y a pas de moteur immobile que le christianisme s’est dépêché d’identifier à Dieu - la lumière est définitivement éteinte, les ténèbres ont pris la place de l’univers. Or comme Dieu est lumière, vous pouvez tirer de la seule présence de l’obscurité des conclusions attentatoires à la survie de Dieu.

             Si j’avais un conseil à donner à un auditeur, ce serait de se contenter d’écouter la bande-son de ce poème imaginée par Stüpor Mentis, et de ne lire dans un premier temps uniquement le titre du poème. Les Ténèbres se suffisent à elles seules. Le mot pour peu que l’on y réfléchisse trente secondes est porteur des peurs les plus noires. Les mots et les vers de Byron n’apportent rien de plus au récitatif musical et vocal.

             Ou vous lisez le poème, ou vous écoutez la transcription phonique. Poésie et Musique ne s’apportent rien. Elles se ne communiquent pas, elles restent dans leur quant-à-soi, dans leur solitude, dans leur impénétrable et inaltérable virginité. Toutes d’eux d’une intrinsèque et inégalable beauté. Parfois l’Unicité ne saurait être phagocytée par la Totalité.

    Damie Chad.

    *

    Le rock’n’roll est un poulpe vicieux.  Poulpe parce qu’il possède huit tentacules comme l’affirment les traités savants sur l’anatomie des animaux des fonds marins, vicieux parce qu’il ne s’en sert pas comme tout poulpe qui se respecte, par exemple celui qui attaque le Nautilius du Capitale Nemo dans Vingt mille lieues sous les mers de Jules Verne, une bestiole tout ce qu’il y a de plus honnête, elle vous enserre dans ses ventouses pour vous bouffer d’un seul coup, vous passez un mauvais quart d’heure, mais après c’est fini, et bien fini. Elle vous laisse tranquille.

             A priori le poulpe du rock’n’roll est plutôt amical. Sympathique même. Se sert de ses tentacules pour vous induire en erreur : tiens écoute ce truc, c’est super ! tu es au courant de ce bouquin ? et cette vidéo tu l’as visionnée, ? je te rappelle que tu n’as pas lue la dernière des Chroniques de Pourpre, tu devrais, et les derniers Hors-Séries  de Rockabilly Generation sur Elvis, tu ne les pas encore commandés… Bref quand vous entrez dans le rock’n’roll vous avez l’impression d’entrer dans les Ordres, mais là toutes les cinq minutes vous avez l’impression que Dieu vous attend…

             Le rock’n’roll s’empare de votre vie, pour toujours, vous aimeriez parfois y échapper, il vous rattrape illico, même pas la peine d’y penser. Devenir fan de rock’n’roll, c’est un peu comme si vous décidiez de planter votre tente de survie en enfer.

             Prenons un cas que vous commencez à connaître : Eric Calassou.  Alias Bill Crane. L’est parti en Thaïlande, il semble que le rock’n’roll l’ait perdu de vue, bien sûr ça n’a pas duré, Ces quatre derniers mois il vient de produire tout seul chez lui quatre albums. Nous en avons déjà chroniqué trois.

    Baby Call My Mame : c’est le premier, le titre c’est un peu comme si l’Avenir du Rock, ce personnage mythique qui hante les chroniques du Cat Zengler, lui avait filé un coup de fil : Bill Crane ! réveille-toi, le rock a besoin de toi !

    Hell ls Here : c’est le deuxième, l’interjection du Grand Patron Mythique avait précipité Bill Crane dans l’enfer du rock ‘n’roll, qui de fait est le paradis du rocker.

    Covers : c’est le troisième, le retour aux sources, les pionniers disparus du rock, c’est mieux que le paradis, c’est l’Atlantide du rocker.

    Voici le quatrième :

    MOONLIGHT

    BILL CRANE

    (Chaîne YT / Bill Crane)

    You Can’t Judge a Book by the Cover, certes Bo Diddley a raison, n’empêche que l’on ne peut regarder la couve d’un disque sans être dans l’état de surexcitation qui saisit les archéologues de la Vallée des Morts lorsqu’ils forcent la porte d’une sépulture, offrira-t-elle la dépouille convoitée d’un pharaon égyptien, ou juste une pièce vide…

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    Moonlight, pour un Clair de Lune l’image est plutôt sombre, serait-ce la lune noire horoscopique, voire la lune verdâtre qui flotte sur les eaux stagnantes des marécages… entre la semi-obscurité d’un croissant de lune romantique pour de doux ébats sur le siège arrière d’une Pink Thunderbird, et la face blême de l’astre sélénique qui dardait ses rayons maléfiques sur le carrefour où Robert Johnson rencontra son destin, la distance est immense. Pour trancher, écoutons :

    Rock the beat : balance le beat, chevauche le tigre, baise la bête, surtout ne baisse pas la tête, seul devant le monde entier, ce vocal qui mord, la guitare qui tinte comme la verroterie de la ménagerie de verre de Tennessee Williams, tout ce que la vie n’a pas donné, tout ce que tu as pris, tout ce que tu ne rendras jamais, ce rock qui t’écarquille les oreilles qui enquillent sec, une retenue de violence dans ce titre, une ouverture claudicante un pied sur le sable mouvant des tristesses de la vie, et l’autre sur le béton inaltérable des pistes cendrées des marathons intérieurs.  Moonlight : avez-vous déjà entendu une voix comme celle-là qui moane dans les mornes plaines de Waterloo, une guitare astringente qui pianote, un gong asiatique de monastère  tibétain, le gars perdu qui arpente les sentiers glacés de l’Himalaya à moins que ce soit la plainte solitaire du yéti dégoûté des hommes, la voix se perd, un voilier sur la mer lointaine sans capitaine, un Titannic sans iceberg, jusqu’au choc, le trou dans l’eau et le silence. Non ce n’est pas fini, attendez le coup de gong final pour vous apercevoir que vous erriez dans ce que l’on pourrait appeler un codicille désespéré au Blue Moon d’Elvis. Magnifique. Fallait oser. Bill Crane l’a réussi. Let’s go : lorsque vous entendez l’intro rythmique vous respirez, après les deux douches froides  comme des suaires qui ouvrent la porte du dancefloor, vous entrez dans la danse sans vous poser de question, rien que le titre qui fleure l’optimisme sixties, pour un peu vous danserez le twist, inutile de faire le cake, initiez-vous plutôt au cakewalk des culs-blancs, car voyez-vous dans ce monde, toutes les bonnes choses se perdent, all the good is gone, un titre bleu qui rit jaune, la guitare claque comme un dentier mal ajusté. Le rockab du pauvre qui vous casse la gueule quand vous lui faites la charité. A bon entendeur salut. Please be mine : c’est aussi beau que du Ben E King, le feulement du type qui a jeté son dévolu sur la gerce qui danse, vivement le samedi soir, à part qu’au bout d’un moment la comédie se change en la tragédie du dérisoire assumé, le gars s’est jeté sur la minette, il joue le jeu, connaît l’art de croquer les souris jusqu’au bout des griffes. Ronronne à la glotte perchée. Jubilatoire. The right time : avez-vous remarqué comme chaque titre est comme la moitié évocatoire d’un autre bien connu, une espèce de cut-up, en fait ici, il vaudrait mieux parler de Crud-up, l’Arthur qu’admirait Elvis, celui-ci peut être compris comme une parodie du précédent, au début Crane et sa guitare vous balancent  la purée en pleine poire, puis il endosse la posture de la désinvolture, Monsieur se désintéresse, il s’en fout, il sifflote, le gars qui s’éloigne allègrement dans la nuit sans même un regard en arrière. All around the world : la batterie accélère le pas, elle a intérêt à suivre, le mec l’est parti pour faire le tour du monde, du moins c’est qu’il dit, pardon c’est ce qu’il miaule, l’on a l’impression qu’il remue la queue de plaisir sur un toit de tôle brûlant, joue à la pierre qui roule, mythologies blues et rock obligent, il passe et n’a pas le temps de s’arrêter très longtemps. Avec lui c’est maintenant ou jamais. C’est sa philosophie, être ici et maintenant comme partout ailleurs. Le rock produit son propre narcissisme. Little less conversation : (les amateurs de Presley n’aiment pas ce titre, ce n’est pas qu’il soit mauvais, c’est qu’il laisse un goût amer dans la bouche, enregistré en 1968, et dernier numéro 1 du King après sa mort en 1977). Autant le titre de Presley est par ses paroles et sa diction un peu macho-phallo (j’emprunte le vocab des féministes pour me faire bien voir de ma députée) autant celui de Bill Crane joue sur la solitude marécageuse qui sépare les individus, une espèce de jungle beat asthmatique et un vocal titubant chargé de l’ennui de vivre et de la nécessité de donner l’apparence de vivre, d’être toujours en représentation devant les tiers, cette impossibilité de ne pas être soi, un tigre altéré du sang de ses contemporain.e.s. ( Essai exclusif d’écriture inclusive). Baby Blue : après Elvis, Gene Vincent, une promenade hommagiale sous la lune bleue de l’idole noire, la voix levés vers le ciel si pur et la glotte emmurée de terre et embrumée de pleurs… baby blues. Dylan, avait raison, après Baby blue il n’y avait plus rien à dire. It’s all over now, baby blue ! Always the sun : référence à l’hymne gnostique, c’est ainsi que le qualifie Pissier, des Stranglers … c’est que quand tout est fini, le soleil se lève au matin suivant, ne serait-ce que pour éclairer les désastres de la veille. Le problème c’est que les éclats carillonnant de guitare et la voix entreprenante suivent la courbe solaire, elle monte au début, elle plafonne à midi, chauffe un max, décroît insensiblement puis se fatigue et décline. Serait-ce une métaphore de l’histoire du blues et du rock… Highway blues : dans le rock quand tout est fini  il reste toujours la possibilité de partir plus loin, d’enfiler la Highway des espaces infinis du no future et d’aller voir si plus loin l’herbe bleue du Kentucky est encore plus verte… La voix de Bill Crane s’estompe et disparaît dans un nuage de poussière…

             Cet album est splendide, une véritable méditation lamartinienne sur les choses inanimées qui bougent encore. Bill Crane, à lui tout seul, one man band, nous donne à entendre  l’hyperbole crépusculaire du rock’n’roll.  Souvenez-vous tout de même que le mot crépuscule signifie tout aussi bien, le moment qui précède la nuit que celui d’où procède l’aube…

             Ne soyez pas nostalgique, Bill Crane vient de terminer un cinquième album… Rock’n’roll never dies…

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    (Services secrets du rock 'n' roll)

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    Death, Sex and Rock’n’roll !

    79

    J’ai arrêté la voiture devant le bâtiment de l’agence parisienne de la CIA. La

    porte s’ouvrit d’elle-même dès que nous nous en approchâmes. Une personne masquée nous attendait, elle nous fit signe de la suivre, nous montâmes jusqu’au troisième étage. Notre accompagnateur se saisit d’un combiné mural.

             _ Ils sont là !

    Il dut recevoir un ordre favorable car il appuya sur ce qui semblait être une légère protubérance anonyme sur le mur qui pivota sur lui-même dévoilant une vaste salle éclairée par une lueur diffuse qui semblait provenir d’une grande table autour de laquelle se tenaient une dizaine d’opérateurs qui ne relevèrent même pas la tête à notre arrivée. Jim Ferguson s’avança à notre rencontre, il jeta un rapide regard sur les jumelles impressionnées par la drôle d’atmosphère qui régnait dans cette pièce.

             _ Bienvenue dans notre centre décisionnel N°14, cher Chef vos deux nouvelles agentes me paraissent bien jeunes, pensez-vous qu’elles aient les capacités mentales et physiques de se joindre à nous.

    Le Chef alluma un Coronado :

             _ Ne craignez rien cher Jim Ferguson, chez nous en France aux âmes bien nées la valeur n’attend pas le nombre des années !

             _ Ah ! Ah ! vous en faites une affaire d’orgueil national, elles sont bien jolies, mais chez nous en Amérique aux tendres corneilles nous préférons le corbeau immémorial d’Edgar Poe ! Jeunes filles nous sommes ravis de vous accueillir, ne perdons pas de temps, la situation est plus que grave, elle est inquiétante. Venez voir.

    80

    Sympathique le Jim Ferguson, il n’y avait pas grand-chose à voir. Il me fallut quelque temps pour comprendre que la couleur changeante de la table n’était pas une œuvre d’art due au génie torturé d’un artiste moderne mais un grand écran ultraplat, même pas cinq millimètres d’épaisseur, d’une vingtaine de mètres carrés qui constituait, malgré sa minceur, le plateau de la table. Au risque de décevoir le lecteur il n’y avait rien d’affriolant à regarder. De temps en temps une vague lueur rouge semblait embraser l’écran, pour disparaître et laisser la place à une teinte évanescente d’un blanc plâtreux ou d’un gris indéfinissable. Le spectacle paraissait fasciner la dizaine d’opérateurs qui de leurs yeux attentifs ne quittaient pas, ne serait-ce d’un millionième de seconde ces reflets changeants peu pittoresques.

             _ Agent Chad, je suis sûr que vous reconnaissez l’endroit, c’est l’endroit où nous nous sommes rencontrés !

    Je cherchai en vain dans ma mémoire :

             _ Mais si l’endroit où nous avons dû vous arracher à la grille de l’entrée dans laquelle vous vous acharniez à vouloir passer à travers, je me dois de vous présenter les excuses du Président des Etats Unis, dans nos services nous avions cru que vous aviez l’esprit dérangé, sachez toutefois que nous n’abandonnons jamais une piste, si farfelue qu’elle puisse paraître… Nous savons reconnaître nos erreurs d’appréciation. Autour de cette table se trouve une des meilleures équipes d’analystes de toute la CIA. Permettez-moi de donner la parole à Mister John Deere !

    John Deere n’était pas un grand causeur, mais il expliquait très bien, il n’ouvrit pas la bouche mais il posa sa main sur l’écran qui s’éteignit. La pièce fut plongée dans l’obscurité, le Chef alluma un Coronado, pendant un long moment le bout rougeoyant du cigare fut le seul point de lumière visible dans le centre décisionnel N° 14 de la CIA parisienne…

    Ce n’est que lorsque le Chef ralluma un nouveau Coronado que John Deere prit la parole.

    81

             _ Jim Ferguson a raison, nous autres américains, fils de la plus grande démocratie du monde, nous refusons l’échec. Cela faisait un moment que nous tournions autour de cette maison dont la grille a failli vous happer. Depuis près de vingt ans nous nous intéressons à cette étrange secte des briseurs de murailles. D’étranges rapports sur des cambriolages sans effraction nous ont intrigués, pendant longtemps ce genre de phénomènes s’est exclusivement déroulé sur le territoire américain. Le FBI s’est donc chargé des enquêtes. Les journaux en ont profité pour augmenter leur tirage. Qui était ce mystérieux individu qui pénétrait dans n’importe quelle maison ou édifice sans se faire prendre, se jouant des systèmes d’alarme les plus sophistiqués, nous pensions avoir affaire à un individu hyperdoué, un as de l’informatique, un ingénieur en haute-serrurerie, nous avons essayé vainement de tracer son portrait-robot, son profil psychique, nous avons discrètement enquêté sur de nombreux ingénieurs de nos entreprises qui possédaient les connaissances nécessaires à ce type de pratiques, nous avons passé au crible les staffs de nos entreprises œuvrant dans les techniques secrètes de pointe, nous n’avons rien négligé, même pas les hauts-fonctionnaires de nos ministères, nous n’avons pas oublié de nous pencher sur le Pentagone, rien, nous n’avons rien trouvé, même pas un début de piste…

    Le Chef ralluma un cigare et prit la parole :

             _ Si je comprends bien la CIA cherche et la CIA ne trouve rien, pourquoi notre individu ne se trouverait-il pas dans la CIA, peut-être est-il même niché au cœur de la cellule d’intervention qui chapeaute toutes ses enquêtes.

    J’ai cru qu’un ange aux ailes cassés allait longuement traverser la pièce durant un long silence. A ma grande surprise il n’en fut rien. Un franc sourire s’épanouit sur les visages des opérateurs de John Deere et de Jim Ferguson, qui prit la parole :

             _ Les français sont un peuple frivole, ils ont, on ne sait pas trop pourquoi un Service Secret du Rock’n’roll, formé d’un Chef, d’un seul Agent, de deux jeunes filles post-pubères et de deux chiens vigilants présentement assoupis sur un canapé, SSR qui n’est pas très bien vu par les Présidents de la République successifs, et pourtant c’est cette bande de branquignoles qui fait preuve d’une remarquable intelligence d’intervention étonnante. Si nous avons pris la décision de collaborer avec vous ce n’est pas par hasard. Normalement, selon notre propre protocole nous aurions dû vous éliminer, mais l’Histoire avec un grand H, une hache thermidorienne pour user d’une métaphore emplie du bruit et du tumulte du génie politique de votre nation, nous avons dérogé au principe d’action de notre service, je laisse Mister John Deere vous expliquer le pourquoi de cette mansuétude opérative de notre part.

    John Deere se racla la gorge, le Chef en profita pour allumer un nouveau Coronado.

             _ Ces mystérieux et audacieux cambriolages ont cessé d’un seul coup voici deux ans. Les journaux se sont focalisés sur le changement climatique et la possibilité d’une guerre avec la Chine. Les peuples se doivent d’être amusés et divertis, cela leur évite de réfléchir. La presse n’en a jamais rien su, l’information en a été tenue secrète, mais nos ennemis se sont permis de nous narguer. Un coup de maître. Ils se sont introduits dans le saint des saints, dans la Maison Blanche, sont allés tout droit vers le bureau ovale du Président, ils n’ont laissé à leur habitude aucune trace, ils ont agi avec un professionnalisme sans défaut et une discrétion étonnante. Figurez-vous que le Président ne s’en est aperçu que par hasard. Un coup de chance, il s’est souvenu qu’il avait promis au Foreign Office de jeter un rapide coup d’œil à un dossier de moindre intérêt. L’était d’ailleurs rangé tout au fond de la pile, il ne l’a pas retrouvé, on l’a cherché partout, on ne impossible d’y mettre la main dessus, les investigations ont été longues, figurez-vous que le dossier tout en haut de la pile portait sur les nouvelles armes mises au point par le Pentagone, n’importe quelle puissance étrangère aurait donné des milliards pour l’avoir entre les mains, mais non, ce n’est pas celui-là qu’ils ont choisi, ils ont pris un dossier relatif à une puissance du quatrième ordre !

    Le Chef qui allumait un Coronado intervint avec placidité :

             _ Je suppose que vous parlez de la France ?

    _ Nous ne sommes pas là pour nous cacher la réalité. Oui, votre pays s’inquiétait de ce que les ménagères américaines n’usent plus de pinces à linge en bois pour étendre leur lessive, et que les pinces en plastique qu’elles utilisaient se retrouvaient au fond des océans. Nous comptions leur répondre que nous préservions la diversité de notre flore notamment de nos arbres, que nous refusons de couper nos forêts de séquoias pour les transformer en pinces à linge. Mais…

    A cet instant se produisit une fébrile animation autour de la table, les opérateurs tournaient autour d’elle visant de de temps en temps de leurs index des points qui devaient correspondre à des boutons.

    Au bout de quelques minutes l’un d’eux s’écria :

             _ That’s all right !

    Nous nous précipitâmes.

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 643: KR'TNT 643: ELVIS PRESLEY / PIXIES / SONIC BOOM / CORMAC McCARTHY - JEAN-FRANCOIS JACK - FLAUBERT / CHUCK BROOKS / CHIP TAYLOR / SCIONS / ERIC CALASSOU / MARIE DESJARDINS / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 643

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    02 / 05 / 2024

     

    ELVIS PRESLEY / PIXIES / SONIC BOOM

    CORMAC McCARTHY - JEAN-FRANCOIS JACQ  - FLAUBERT   

    CHUCK BROOKS / CHIP TAYLOR

    SCIONS / ERIC CALASSOU 

    MARIE DESJARDINS / ROCKAMBOLESQUES  

      

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 643

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

    *

    Je connais Sergio Kazh, un gars sympa, photographe et fondateur de la revue Rockabilly Generation News, l’est peut-être comme moi rempli de milliers de défauts, toutefois je peux témoigner à sa décharge qu’il lui en manque un, des plus importants, le mensonge : non Sergio Kazh n’est pas un menteur ! Figurez-vous que voici quinze jours il m’envoie un très court message surprenant : ‘’ Tu vas recevoir le Graal’’. Le Graal me suis-je demandé et pourquoi pas tant qu’il y est  le Ptyx mallarméen  en supplément, le Sergio il est gentil, mais il raconte un peu n’importe quoi.

    Ben non, quinze jours plus tard j’ouvre ma boite à lettres, juste une enveloppe blanche, un peu épaisse au toucher certes, mais pas le genre de colissimo à contenir le sacré graal tant recherché par les fameux chevaliers de la Table Ronde. J’étais un peu déçu, je m’étais dit que si c’était vrai je le revendrais aux enchères et que je pourrais me payer un petit resto pas cher avec mes deux chiens. J’ai ouvert l’enveloppe, j’ai été ébloui, non seulement le graal était dedans mais il y en avait deux !  

    ROCK’N’ROLL MAGAZINE

    ROCKABILLY GENERATION

    HORS-SERIE N° 5 – PARTIE 1

    ELVIS PRESLEY

    1935 – 1955

    L’ENFANT DIVIN

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             Z’ont peur de rien chez Rockabilly Generation, que reste-t-il à écrire sur Elvis, son histoire est connue de fond en comble, tout a déjà été dit. Mais là, ils sortent le grand jeu, non pas deux numéros à la suite, mais deux Hors-Série en même temps.

             Commençons par désigner les coupables, Sergio à la manœuvre et aux photos, Gilles Vignal  aide technique et support encyclopédique, Sylvie Monin, Yolande Gueret, Pascale Clech, petites mains indispensables sans lesquelles il n’y aurait pas de grands projets.

             Ce n’est pas tout. Depuis son apparition dans la revue, la rubrique Racines tenue par Julien Bollinger attire l’attention, il s’y connaît et il écrit bien, ce n’est donc pas étonnant d’apprendre que c’est lui qui a rédigé l’ensemble des textes des deux numéros. Je n’ose pas me demander combien de recherches, d’heures, de nuits et de jours lui ont été nécessaires… Des années car Julien Bollinger ne nous donne pas une énième biographie de l’enfant de Tupelo, il nous présente sa vision d’Elvis Presley, une défense et illustration de ce personnage insensé aujourd’hui ficelé dans une camisole dorée qui ne lui appartient plus, que notre auteur essaie de saisir tel qu’en lui-même la légende l’occulte.

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             L’enfant divin. Le titre peut poser question. Non Elvis n’est pas né de la cuisse de Jupier. Un gamin comme les autres. Pas tout à fait, pas venu au monde avec une golden spoonfull dans la bouche, mais aimé et protégé par ses parents. Qui tirent le diable par la queue, de parfaits représentants de cette white trash people, cette saloperie blanche, ces pauvres dont la frontière économique jouxte celle des nègres… nous sommes dans le Sud, pays de la ségrégation, l’on a envie de dire l’autre pays de la ségrégation, l’autre de cet autre n’étant que le Nord des Yankees.

             L’enfant divin, vit à l’abri du monde mais pas de la misère, dans un lieu mental protégé et solitaire, entre son père et sa mère. La musique l’attire, il l’apprivoisera petit à petit, jusqu’à ce jour où il en deviendra, sans le savoir, le maître. Comment cet enfant poli, timide, va-t-il accumuler en lui cette puissance charismatique qui le transformera en bombe humaine. Julien Bollinger ne le dit pas, qui d’ailleurs pourrait le dire à part Elvis lui-même, il ne le dit pas mais il le suggère. Il décrit minutieusement les circonstances et les rencontres  qui vont faire Presley, car l’on est souvent davantage construit que l’on ne se fait soi-même. Bollinger nous montre le chemin que Presley emprunte sans savoir où il le mènera mais qui lui permettra de devenir lui-même.

             Evidemment, pour reprendre le titre d’un film brésilien qui sera tourné en 1964, au cours de sa sulfureuse saga Elvis rencontrera le dieu noir et le diable blond. Le premier s’appelle Sam Phillips et le deuxième Tom Parker. Phillips révèlera Elvis à lui-même, Elvis a trouvé sans le savoir ce que Sam cherchait. C’est l’étincelle salvatrice, celle qui tire Elvis de son incertitude qui le met sur les rails. Il chante dans des bleds paumés, les jeunes du coin aiment son style. Une idole locale. Mais ce n’est pas avec cela que l’on conquiert l’Amérique.

             Elvis n’a pas les dents qui rayent le parquet, mais Parker le colonel a les idées longues, l’a aussi du savoir-faire, de l’expérience, de l’entregent et l’assurance qu’Elvis ne possède pas.

             Le magazine fourmille de renseignements, Julien Bollinger décrit les lieux, dessine le portrait des protagonistes, il montre, il dévoile, il révèle, il redonne vie à tout un monde aujourd’hui disparu, il nous captive, il nous retient prisonniers, il déroule un scénario dont nous ne sommes les héros que par procuration.

    ROCKABILLY GENERATION

    HORS-SERIE N° 5 – PARTIE 2

    ELVIS AARON PRESLEY

    1955 – 1958

    THE KING

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                    L’on ouvre le tome 2 avec regret, le tome 1 nous a emmenés si loin que l’on aimerait qu’il n’y ait pas de suite, que tout se soit arrêté-là… Julien Bollinger possède plusieurs as dans sa manche, le cœur et le pique. Nous avons vu grandir le gamin, mais Elvis n’est pas encore Presley. Certes les géniales et originelles sessions chez Sun ont été plus que prometteuses mais c’est en rentrant chez RCA qu’Elvis se révèle. N’y a plus Sam aux manettes, c’est Elvis qui commande, qui sait, qui impose son savoir-faire.

             Idem pour les concerts. Ne suffit pas de chanter. S’agit de créer le rock’n’roll, de le démarquer de toutes les musiques qui existent déjà. Elvis comprend que l’on ne chante pas avec sa voix, mais avec son corps. A son corps défendant. Mais il ne le sait pas. Ses manières de nègres et ses outrancières attitudes sexuelles par trop explicites ne plaisent pas à tout le monde. Que la jeunesse blanche se mette à l’écoute de la musique noire n’est guère admissible. Décadence et fin de la ségrégation en vue. Hommes politiques conservateurs, élites blanches et Klu-Klux Klan s’inquiètent.

             Parker a tracé les limites : petit tu t’occupes de la musique et moi du cash. Pour le cash Parker tiendra parole. Pour la musique aussi. A sa manière, l’air de rien, il fait le vide autour d’Elvis, avec des contreparties, des passages-télé, des films, mais toujours de petites suggestions d’améliorations… qui ne sont que des affadissements… L’on ne tue pas la poule aux œufs d’or, on la met en cage. Bollinger admet qu’il n’a pas de preuves, mais selon lui si Elvis s’est retrouvé à l’armée ce n’est pas parce que l’administration militaire… Lorsqu’Elvis comprendra, ce sera trop tard.

             L’on peut se demander pourquoi Elvis n’a pas rué dans les brancards, pourquoi il n’a pas renversé les tables de la loi du profit financier, simplement par honnêteté, le respect de la parole donnée, la peur de dégringoler aussi vite qu’il était monté sur le toit du monde, quel pacte faustien avait-il passé avec le Colonel, à moins que ce ne soit le Colonel lui-même qui ait été manipulé au vu de son trouble passé par des forces réactionnaires très puissantes…

    L’histoire d’Elvis est celle d’une défaite, Julien Bollinger la métamorphose en victoire, Elvis révolutionne la manière de faire la musique, il est en avance sur tous les autres mais surtout sur son temps, il dérègle l’ordre du monde, l’Amérique ne sera plus jamais pareille. Il perdra son royaume, mais il restera le King mythique pour toujours.

    Ceux qui aiment Elvis, ceux qui ne l’aiment pas, ceux qui s’en foutent, ont intérêt à lire ces deux graals, incidemment ils apprendront comment le rock’n’roll est né, et mieux que cela comment il a réveillé le monde en le révélant à lui-même. En lui faisant comprendre ses possibilités illimitées et ses tares intarissables.

    O

             Attention, ces deux numéros sont de splendides artefacts, elles donnent à lire la vie d’Elvis, mais elles la montrent aussi. Elvis a été l’homme le plus photographié du vingtième siècle, les documents d’époque ne manquent pas, encore faut-il faire le bon choix, les mettre en évidence, leur pertinence doit signifier et renforcer le texte. Leur force aussi, l’a fallu les  travailler, les éclairer, leur attribuer une nouvelle vie, nous permettre de les voir  pour la première fois, les rendre iconiques, nous retenir, nous hanter. Un seul exemple, même pas pris au hasard, tome 1 page 3, la première photo, avez-vous déjà vu un noir aussi intense, aussi mystérieusement presleysien, Sergio Kazh est un magicien. Il révèle, lui aussi il donne sa vision. Celle qui donne son sens à l’image.

             Damie Chad.

    Attention : vu la qualité de ces deux Hors-Séries d’emblée des collectors, passez commande au plus vite :

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    Wizards & True Stars

     - Have you seen the little Pixies crawling in the dirt?

    (Part Five)

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             Frank. Black. Franc. Bloc. Rock. Blue. Bât. Flanc. Big. Front. Free. Bad. Bossanova et Trompe Le Monde. Les Pixies font de nouveau trembler les colonnes du temple parisien, l’Olympia. Ils rejouent ces deux albums qui ont tétanisé pas mal de kids à travers le monde dans les années 90. Ah tu l’as dansée la Bossanova. Pas ton préféré des quat’ premiers, comme on dit, mais quand le gros descend «Down To The Well» pour lancer l’assaut à chaud, tu ravales ta morgue et ta morve, Down to the well/ Betty always knows, il éructe ça au gras du bide, il incarne le rock mieux que tous les autres rois du raw, et il plonge dans l’hystérie les milliers de brebis entassées dans la fosse à coups d’I can hardly wait baby/ I can hardly wait/ Til we go down to the well, il n’existe rien de plus pressant, de plus brutalement beau et puissant que cette injonction, il l’hurle à moitié, il chante hors du temps, il écrase le rock et l’idée qu’on s’en fait, on comprend une fois de plus que le rock n’est qu’affaire de puissance et de somptueuse brutalité. Tu veux faire du rock ? Apprends à enfoncer ton coin à coups d’I can hardly wait baby jusqu’au bout, jusqu’au Til we go down to the well, et le show à peine commencé, la masse de brebis ondule comme l’océan dans la tempête. Tout vole en éclat, les accastillages, les coques, les culs blancs, les conques, les cliques et les claques, c’est une communion dans la violence au paradis, ton être reçoit et diffuse, tu descends au puits avec le gros et tous ses fans, tu vis enfin dans l’instant, tu goûtes à l’éternité de l’instant, et ce downnnnnnnn to the well te résonnera dans les oreilles pendant des jours et des jours. En certaines occasions, le rock prend l’allure d’un accomplissement. Voilà, c’est là. Très exactement là. Merci le gros pour ces minutes de sable mémorial. Au moment où tu tapes ces mots, ces minutes sont derrière toi, mais tu refuses de les voir s’effacer, alors comme tu es un petit présomptueux, tu tapes qu’elles ne vont pas s’effacer. Elles ne vont pas s’effacer. Elles ne vont pas s’effacer. Pas s’effacer. Pas...

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             Le gros est ton meilleur ami. Tu sais pourquoi ? Parce qu’il te chante ton cut préféré des Pixies, «Letter To Memphis». Ah oui, on a les copains qu’on mérite. Et là, le gros ne fait pas dans la dentelle. Il t’introduit son The day since I met her/ I can’t believe it’s true dans la vulve, il t’honore comme tu honores ton épouse, mais en même temps, il honore le rock, pire encore, il le sanctifie, tout à coup, le rock du vieux devient religieux, purement religieux, c’est-à-dire mystique, I’m sending a letter/ I’ll send it right to you/ I’ll send it to Memphis, oh comme il appuie le phis de Memphis, il chante ça d’un air imperturbable, mais il est forcément dans le même état que toi, en vrac sensoriel, car ce Trying to get to you/ How I tried to get to you/ Trying to get to you te broie le cœur, te plonge dans l’extase mystique, le gros prend un ton de voix déphasé, brouillé comme un écran brouillé, cette voix crépite dans des inter-zones, tu en captes le moindre détail, tu pries le diable pour que le temps s’arrête, car voilà la félicité telle qu’on la décrit ailleurs, mais celle-là n’est pas la même, elle est rock, c’est la félicité de la Lettre à Memphis, rien à voir avec celle des fucking curetons. C’est dire si les fucking curetons n’ont rien compris à rien : s’ils chantaient «Letter To Memphis», ils rempliraient leurs églises comme des Olympias. Ce sont des évidences qui te fatiguent, comme toutes les évidences.  

             Tiens, quand le gros attaque «Head On», tu te dis que t’es pas sorti de l’auberge et c’est tant mieux. Une fois de plus, tu vas pouvoir chanter ça à tue-tête avec les milliers de brebis rassemblées dans la tempête, en même temps, tu vas revoir Jean-Jean attaquer comme le gros dans le virage l’As soon as I get my head around you/ I come around catching sparks off you et tu vas voir l’Head On monter en température comme un Krakatoa en colère décidé à rayer le genre humain de la surface de la terre à coups de Makes you wanna feel, makes you wanna try/ Makes you wanna blow the stars from the sky, eh oui, tu prends une fois de plus ce wanna blow the stars from the sky en pleine gueule et tu tends l’autre joue, tu fais ton Gandhi, t’en peux plus de faire le maso, il pleut des coups, le gros t’entraîne, il te plonge dans tes souvenirs de répètes et une fois encore dans l’éternité de l’instant, te voilà écartelé, te voilà Ravaillac Gandhique, te voilà gros-Jean-comme-devant, le rock décide de tout, le gros est ton maître, tu es sa brebis, vazy écartèle les cuisses, ça te rentre par tous les pores de la peau et tu te dépêches de chanter car la diligence revient dans le virage, Yeah the world could die in pain/ And I wouldn’t feel no shame, ah oui, le feel no shame te coule dessus comme une semence de félicité, tu savoures les miasmes à pleine bouche, tu chantes avec de la semence de félicité plein la gorge à t’en étrangler de jouissance, tu y vas de toutes tes forces, car tu n’as plus le choix, tu ne peux plus reculer, alors tu te jettes dans l’écume du jour à coups d’And I’m taking myself/ To a dirty part of town/ Where all my troubles/ Can’t/ Be/ Found en concordance exacte avec le gros et tu fusionnes avec son lard, avec son gras du bide, tu fusionnes avec le rock le plus cosmique de l’univers, tu te take to the dirty part of town une fois encore et c’est un peu comme si tu épousais le rock, veux-tu prendre le rock pour époux, oui, oui, oui, avec les poux de Joey Santiago, et comme d’habitude l’Head On finit en eau de boudin et s’encastre dans le platane d’un coup ralenti de makes you wanna blow the stars from/ The/ Sky, et te voilà veuf, inconsolable, seul au monde. Chaque fois c’est pareil : tu finis veuf. Baisé. Trahi par le destin. Seul. Maudit. Tout ce qu’il te reste à faire, c’est d’attendre la suite. Tu ne vis plus que par curiosité. Quelle autre forme de sentiment pourrait t’animer après un tel drame ?

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             Oh des drames il en pleut encore. «Velouria» te re-traumatise, trop vénitien, trop perverti, trop délicieusement fourbe, trop embué d’imbu, c’est un serpent sonique qui te rentre dans la gorge, c’est pas lui qui t’avale, c’est toi qui l’avales, c’est encore pire, tu veux pas mais t’es obligé, My Velouria/ My Velouria/ Even I’ll adore you/ My Velouria, tu veux dégueuler, mais tu peux pas, avale, de toute façon ton corps n’est qu’un passage, ça rentre et ça sort, alors avale, tu ne sers à rien d’autre qu’à avaler My Velouria, sacré serpent qui se tortille dans ta gorge à coups de We will wade in the shine of the ever, et si, pour te changer un peu les idées, tu veux creuser pour trouver du feu, alors creuse avec le gros, car «Dig For Fire» te transforme en Tchernobyl à deux pattes, ah les concerts du gros ne sont pas de tout repos. Et il te précipite une fois encore dans la centrale nucléaire, ça explose avec le subreptice And then he said qui entraîne fatalement l’I’m diggin’ for fire, car dans ces cas-là il faut savoir la suite, alors l’old woman/ She lives down the road ou l’old man who spent so much of his life sleeping te font, via le gros, cette réponse : I’m diggin’ for fire, dix fois I’m diggin’ for fire, au cas où t’aurais pas bien compris, oui dix fois, on les a comptées. Le gros n’en finit plus d’enfoncer le même vieux clou et ça marche à tous les coups. Tu vis son rock physiquement. C’est un rock qui d’une certaine façon te transforme, c’est un rock qui te manipule, qui te modèle, au sens de la pâte à modeler. Autant faire ça bien.

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             Alors tu crois t’en tirer à bon compte, mais non, tu reçois «Motorway To Roswell» sur le coin de la gueule, il arrive en fourbasse, beau mais boom car c’est la mélodie du bonheur avec la puissance des forges, le Motorway arrive au tagada de Last night he could not make it/ He tried hard but could not make it, et cette boule de pus, cette pomme d’amour t’allume à la subreptice en miaulant l’He started heading for the motorway la bouche en cœur, And he came right now, beau mais boom encore avec «Palace Of The Brine», l’insidieux Palace comme pas deux, cet air de rien qui s’enroule autour de toi comme un joli petit serpent vénéneux, A life that’s so sublime et ça dégringole dans le Palace of the brine, le gros te révèle tous ses secrets, chaque cut est un nouvel accès à son intimité intellectuelle, c’est un peu comme si tu te penchais sur son oreille et que tu voyais sa belle cervelle rose palpiter, elle palpite pour toi, le gros chante pour toi, et comme il est gentil, il chante aussi pour les autres, oh le boom de «Planet Of Sound», tu le connais par cœur, tu en connais tous les replis, les poils et les orifices, comme si tu avais passé ta vie à les examiner et à les tripoter, alors tu tripotes encore ton This ain’t the planet of sound, et une fois de plus tu réalises que tout Nirvana vient de ce refrain, car ce This ain’t the planet of sound n’est rien d’autre qu’une bombe atomique, l’une des plus violentes de l’histoire du rock. Même niveau qu’«Helter Skelter». Comme avec le gros ça n’arrête jamais, l’all nite long repart de plus belle avec une autre bombe atomique, «U-Mass» et sa ribambelle d’appels à l’émeute des sens, oh dance with me/ Oh don’t be shy/ Oh kiss me cunt/ And kiss me cock, le gros veut baiser, le gros provoque, il fait du Dada cul à coups d’oh kiss the world/ Oh kiss the sky/ Oh kiss my ass/ Oh let it rock, tu ajouterais presque while I kiss the sky, mais le kiss my ass du gros est plus performant, c’est sûr qu’on lui kiss l’ass, pas de problème, et il t’enfonce son clou dans la paume à coups redoublés d’it’s educational/ It’s educational. Comme s’il réinventait non seulement le rock, mais aussi la puissance et la modernité. Il n’existe pas d’artiste plus complet et plus fulgurant que ce magnifique gros lard.

             Et ça se termine d’un coup de «Caribou». Mais un «Caribou» demented qui crève les cieux car le gros va au bout du booo du Cariboo-ooo puis il plonge dans les entrailles de l’enfer pour aller chercher des graves de Repent qui te foutent à la fois la trouille et la peau en vrac à coups de frissons. Encore pire que Tannhäuser ! Ça te rabote à vif, ça te déplace de toi-même, ça t’emboîte dans Pandora, ça te déboîte la clavicule, tu peux retourner ça par tous les bouts du Cariboo, tu sors transformé du temple. T’es gavé comme une oie. Coin coin.

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    Signé : Cazengler, Picsou

    Pixies. Olympia. Paris IX. 26 mars 2024

     

     

    L’avenir du rock

    - Sonic Boom reducer

    (Part Two)

             L’avenir du rock a toujours aimé les pétards, surtout ceux qui font boom. Aussi loin qu’il se souvienne, il a toujours fait des farces. Le pétard dans la cigarette le fait généralement pleurer de rire. Tu veux du feu ? Boom ! C’est l’hallali de l’ha ha ha. Si l’avenir du rock ne se roule pas par terre, c’est uniquement parce qu’il ne veut pas salir le costume blanc que lui a offert John Cale en gage de reconnaissance pour services rendus à la cause du peuple. Mais à travers ses larmes de rire, l’avenir du rock voit la clope en peau de banane, et ça, dit-il, ça vaut tout l’or du Rhin. À une époque, il adorait accompagner Baby Small au Badaboum. On pouvait y traîner son spleen aviné jusqu’à quatre heures du matin, et le soir du 14 juillet, Baby Small allumait systématiquement un gros pétard rose qu’elle jetait aux pieds des mecs agglutinés au bar. Boom ! Passé l’effet de surprise, personne ne rigolait, sauf l’avenir du rock et Baby Small qui se faisaient virer. Les mecs du Badaboum n’avaient aucun humour ! Si l’avenir du rock est tellement fan de Charles Trenet, c’est bien sûr à cause du cœur qui fait boum, magnifique, Boum/ Quand notre cœur fait Boum, ah il faut le voir l’avenir du rock pogoter dans son salon, Tout avec lui dit Boum/ Et c’est l’amour qui s’éveille, eh oui, c’est la vie, et la vie sans boum n’a aucun sens. Boum encore avec les surboums d’antan, boom encore avec le temps béni des pétards dans la gueule des crapauds, et le rataboum-boum des mobylettes de banlieue et des petites gonzesses en chaleur, et celui-là, le vétéran des vieux souvenirs, le «Boom Boom» d’Hooky de gonna shoot you right down, entendu pour la première fois sur le gros poste de radio jaune qui trônait au sommet du frigo familial, right offa your feet, mais le fin du fin sera sûrement le «Sophisticated Boom Boom» des Shangri-Las repris par Kid Congo au temps des Knoxville Girls, et là, tu as la quadrature du cercle, sans oublier, insiste l’avenir du rock en pointant l’index vers le ciel, le Sonic Boom des Sonics dont Sonic Boom se fera la gorge chaude et des choux gras.

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             Après quarante ans de bons et loyaux service, l’explosif Sonic Boom refait surface avec une sorte d’album mirobolant, Reset. Bon, c’est présenté comme l’album du duo Panda Bear & Sonic Boom, mais rien à foutre de Panda Bear. T’es pas là pour ça. D’autant plus qu’on s’est fait baiser avec un buzz autour du dernier album tout pourri d’Animal Collective, qui est le groupe de Panda Bear, alors ça va, laisse tomber.

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             Avec Sonic Boom, c’est tout de suite dans la poche. Ça fait quarante ans qu’on fait le tour du propriétaire, avec les Spacemen 3, Spectrum, ce mec-là n’a jamais arrêté d’enregistrer des albums géniaux. Tant qu’il reste dans le circuit, l’avenir du rock peut dormir sur ses deux oreilles. Et nous aussi. Reset ? Oui boom dès «Everyday» qui sonne comme un heavy groove de Spacemen 3. C’est assez stupéfiant, quand même - I got something to tell you - Sonic Boom reste dans le vieil esprit demented d’everyday a little bit stronger, wow, c’est du vrai Spacemen stuff ! Il va en enchaîner trois autres comme celui là, il attaque «Edge Of The Edge» en mode Buddy Holly, avec des vents de la mort, c’est tout de suite d’un haut niveau cabalistique, terrifiant de qualité, no no no, avec les effets magiques des sixties, c’est-à-dire une qualité qui te fait dégorger comme un coquillage, qui t’arrête en pleine course, un vrai miracle productiviste, Sonic Boom atteint le sommet du lard, c’est d’une sixties quality invraisemblable, franchement digne de Brian Wilson. Tu es ravi d’écouter cet album, rien que pour «Edge Of The Edge», tu entends des no no no tapés au gras du baryton, c’est tout simplement l’expression du génie sonique de Sonic Boom.

             Avec «In My Body», il va chercher l’influence la plus pure, avec celle de Brian Wilson : Gary Usher. Il se situe dans cette zone d’influence sonique, il atteint à l’imputrescible, il s’en va taper très haut et semble négocier des parts de paradis avec les archanges. Puis il s’offre une belle descente au barbu avec «Whirlpool», le voilà dans la magie communale, avec des accents orientaux et des clap-hands, quelle dérive délirante ! Il faut le voir dériver en père peinard sur la grand-mare des braquemards. Oh mais ce n’est pas fini, car voilà que se pointe le bien dosé «Danger», joué aux castagnettes de Totor, avec une extraordinaire prestance de substance présentielle. Clin d’œil évident. Bravo Sonic Boom ! Ton cœur fait boom ! Il faut aussi saluer le «Gettin’ To The Point» d’ouverture de bal, car on voit cette wild rumba exploser en plein vol. Le beat est celui des reins, Sonic Boom s’y connaît en beat des reins. Il a fait ça toute sa vie. Quand il fait de la petite pop avec «Go On», il la drive fabuleusement, il y va aux clap-hands et au give it to me. Le petit  Panda Bear chante à la mode de la mormoille, mais Sonic Boom pèse de tout son poids.

             Comme toutes les belles histoires, celle-ci touche à sa fin. «Livin’ In The After» bénéficie d’une belle envolée orchestrale. On attend Dario Moreno et c’est Sonic Boom qui vient danser dans la télé, il est même fabuleux de contre-feux, il vient faire du Spacemen de kitsch exotica, avec tout le power de la prod. Sonic Boom concentre tellement de pouvoirs qu’il pourrait bien être le Zeus du rock.

    Signé : Cazengler, Sonic Bouse

    Panda Bear & Sonic Boom. Reset. Domino 2022

     

     

    La triplette de Belleville

     

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             Bien évidemment, Cormac McCarthy, Jean-François Jacq et Flaubert n’ont rien à voir avec Belleville. Il s’agit simplement d’une triplette voulue par le destin : dans le même laps de temps, trois amis te recommandent chacun un bon livre (Cormac McCarty/ Méridien De Sang, Régis Jauffret/ Dictionnaire Amoureux de Flaubert, et Jean-François Jacq/ Il Fera Bon Mourir Un Jour). Alors, pour les remercier de cet égard, tu les lis. C’est la moindre des choses. Viendra ensuite l’occasion d’en causer. Comme le disait si bien Raymond Roussel, il est toujours intéressant de confronter les Impressions d’Afrique.

             Et si cette triplette de Belleville surgit ici, sur ce bloggy bloggah, la raison en est simple : ces trois books sont extrêmement rock. De la même façon que Kerouac, Burroughs, Houellebecq et Céline sont des écrivains rock. 

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             Le McCarthy s’appelle en réalité Blood Meridian. Un traducteur nommé François Hirsh a dû bien batailler avec le texte originel, car sa réécriture du McCarthysme est globalement maladroite, parfois fanatisée, souvent taillée à l’emporte-pièce, bancale, décousue, le texte sent le roussi, la blessure mal soignée, la poudre, bien sûr, l’épuisement (450 pages), on le sent exténué, l’Hirsh, à genoux au bord du texte, il tire la langue, et pourtant il continue d’avancer, car en même temps, toute cette violence le titille et le galvanise. Comme le lecteur, il veut savoir ce que vont devenir ses personnages principaux. Comme toi, il espère secrètement que ces deux ordures, Glanton et le juge, vont se faire descendre. Et puis il faut bien que ces horreurs franchissent la barrière de corail du langage, alors l’Hirsh s’y colle, il pousse ses tombereaux de cadavres scalpés et mutilés, il te ramène ça sous le nez, il te met le museau dedans, ô brave lecteur français, il en tartine des pages entières, et parfois la trad s’emballe, c’est peut-être la prose délicate de McCarthy qui s’emballe, en tous les cas, les massacres s’étendent sur des pages et des pages, alors il épuise tout le stock de vocabulaire afférent. Quand ils sont tous morts, il n’y a plus de mots. Hélas, ou tant mieux, car il faut bien reprendre le fil du récit, la trad n’attend pas, les rotatives non plus, et puis des gens, il en existe encore des millions qu’on peut aller massacrer, des Indiens, des Mexicains, des Palestiniens, des Vietnamiens, des Irakiens, ça sert à ça les gens, alors on ne va pas aller s’apitoyer sur ces quelques villages indiens. Après tout, c’est bien fait pour leur gueule, ils n’avaient qu’à pas se trouver sur la route de cette horde sauvage de tueurs d’Indiens.

             McCarthy nous raconte l’histoire d’un gamin qu’il appelle le gamin. Dans sa forme originelle, il s’appelle forcément le kid. Ici le ‘gamin’ est un mot qui sonne faux, donc c’est mal barré. Aussi mal barré que le Pat Garrett de Peckinpah doublé en français. Cette histoire commence dans le Tennessee quelque part dans les années 1840. Et puisque c’est écrit sur la couverture, la mort commence à rôder à toutes les pages, tout le long du méridien, et même quand elle n’est pas là, elle est là quand même. Le gamin va quitter son trou à rats pour partir à l’aventure. Il va croiser le chemin d’une bande d’«irréguliers» qui sont des tueurs d’Indiens. C’est leur métier. Leur hobby. Leur passion. Alors attention, c’est autre chose que Peckinpah et Blueberry. Ce n’est pas non plus Hollywood ni Jeremiah Johnson, et encore moins le Danse Avec Les Loups de l’autre pomme de terre. McCarthy appelle cette horde sauvage «la compagnie», l’équivalent de ce qu’on imagine être les ‘routiers’ de la Guerre de Cent Ans, qu’on appelait aussi les Écorcheurs. Le gamin, Glanton (chef de la compagnie) et le juge constituent la triplette de Blood Belleville, et ils ne valent pas plus cher les uns que les autres. On est presque content quand un Yuma fend d’un coup de massue le crâne de Glanton «jusqu’à la trachée». Par contre, le juge qui est de la pire engeance sera là jusqu’à la dernière page, personne n’ayant réussi à descendre cette horrible crapule chauve. Pour une raison X, McCarthy protège ce monstre. Seule explication possible : le juge, c’est le diable. Bon donc, aventures, virées sans fin à travers un Mexique encore infesté d’Apaches, et où la vie ne tient qu’à un fil. McCarthy ne nous épargne pas non plus les descriptions de cadavres torturés par les Apaches. Si tu veux voyager au Mexique à cette époque, ça fait partie du jeu. McCarthy donne tout le détail des armes de cette époque, tout le détail des repas et des bêtes qu’on tue pour se nourrir, il décrit avec un soin maniaque les paysages, il y a du souffle, du réalisme poétique, il donne à voir ce qu’aucun d’entre-nous n’aurait jamais pu voir, car il faut chevaucher dans les montagnes et dans les déserts pour voir ce qu’il décrit. Et soudain, on réalise que ce récit n’est pas une ode à la violence, mais une ode à la liberté, cette liberté extrême qu’ont dû vivre ces gens-là, aussi bien «la compagnie», que les mineurs ou les «immigrants». C’est une région du monde où tout est permis. Et où rien ne se passe normalement, visiblement. La compagnie voyage pour tuer. C’est encore l’époque du commerce des scalps. Si quelques Indiens ont survécu, c’est un miracle. Les nazis ont employé exactement les mêmes méthodes. Search & Destroy. Tu sors de ce livre un peu hagard. Bouche ouverte avec un filet de bave. Et tu n’as plus aucun respect pour l’Américain moyen, issu de cette barbarie, et fier de son histoire. Il serait peut-être plus juste de dire qu’on est tous issus de la barbarie.

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             Allez, on va oser un petit parallèle, ça ne mange pas de pain : Jean-François Jacq, c’est Cormac McCarthy en France. Alors attention, on ne croise pas d’Indiens scalpés dans Il Fera Bon Mourir Un Jour. On croise juste les mots d’un homme aussi abîmé que le gamin de McCarthy, qui pendant 200 pages lutte pour survivre. Ce qu’il décrit est aussi inaccessible que ce que décrit McCarthy : Jacq passe les premières années de sa vie à prendre des coups dans la gueule, pim pam poum, puis il s’échappe, vivote et finit par se retrouver à la rue, et découvre pour finir, à l’âge de 22 ans, que sa mère et sa sœur sont atteintes de schizophrénie incurable, d’où l’explication des coups dans la gueule. Eh oui, amigo, les coups dans la gueule quand t’as 6 ans, c’est bien plus rock que de lire les Inrocks rue de la Roquette - Crochet du droit, que tu en prennes plein la vue. Enchaînement, crochet du gauche, que tu en prennes plein la gueule - Il en chie dans son froc. C’est lui qui le dit. Du coup, le lecteur en prend aussi plein la gueule. Damie Chad aussi, lui qui, en février dernier (livraison # 630), dans un texte frénétique, recommandait la lecture de ce livre - Ne cherche pas à apitoyer le lecteur sur son enfance malheureuse. Ni sur sa jeunesse calamiteuse. Gardez vos larmes, il s’occupe du crocodile - C’est donc une autobio qui halète dès l’intro, Jacq écrit le souffle court, il tente de décrire l’indescriptible. En intro de son chapitre 3, il sort d’ailleurs d’on ne sait où un exergue qui parle tout seul : «(...) Je me sens comme les anciens déportés des camps de concentration, car lorsque je témoigne, je me rends compte que mon auditeur ne peut pas réaliser la profondeur de ma souffrance et la gravité de mon vécu.» Et il signe ça «Anonyme. Récit d’un enfant de mère schizophrène», qui ne peut être que lui.

             Ce texte se lit le souffle court, comme il fut sans doute écrit. Jean-François Jacq réussit à transformer le plomb de sa vie de chien en or littéraire, et il n’en rajoute pas. Il s’applique à sonner juste, au plus près de ce qu’il a ressenti. Comme chez McCarthy, la mort rôde en permanence, dès le titre, et mille fois, il se demande pourquoi il continue à supporter tout ça. Il se retrouve même quasiment mort à l’hosto, et lorsqu’il décide de survivre, il survit. On la sent nettement dans son écriture, cette force de vie. Il est au-delà de malheur - au-delà du bien et du mal dit Damie - sa seule ressource, ce sont les mots. Il laisse cette impression constante de ne vivre que pour les mots. Il n’a rien. Si, une sœur ! Une sœur qu’il va essayer de sauver, car elle est elle aussi très mal barrée. Et puis il y a Frida, comme dans la chanson de Brel, une dame qui l’aide à quitter la rue, qui lui trouve une place dans un foyer «pour se reconstruire». Tu parles d’une reconstruction ! «Ce foyer, un miracle», dit l’auteur, et Frida lui «remet un sac de voyage, spécialement préparé pour toi», avec des petites affaires, Jean-François Jacq les décrit, c’est l’un des passages les plus émouvants du récit - À l’intérieur, un change propre. Radio-réveil, une cartouche de cigarettes. Diverses emplettes pour la toilette. Un petit mot d’encouragement. Plus un billet glissé affectueusement dans l’une de tes poches - Jacq décrit ce geste de charité chrétienne avec minutie, et te voilà avec lui saturé d’émotion. Tu recoupes ce passage avec le souvenir récent d’un homme qui avait hébergé chez lui un ami nommé Laurent pour les deux derniers mois de sa vie. En rencontrant cet homme pour la première fois, je compris qu’il pratiquait la charité chrétienne au sens où elle avait dû exister à l’aube des temps, avant l’établissement de l’Église. Frida et cet homme sont exactement le même type de personnages. Laurent va mourir et Jean-François Jacq va vivre, mais tous les deux auront connu la grâce de cette charité qui vient tout droit de l’enseignement du Christ, et qui n’est pas encore pervertie par les dogmes et par les bloody fucking prélats. Le catholicisme a tué la chrétienté, de la même façon que Staline a tué le marxisme. 

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             L’écrivain le plus rock des trois est sans doute Flaubert. Pas facile de transgresser les lois du temps, et de ramener un gaillard comme lui dans la réalité du rock. Ses textes sont tellement brillants qu’on pourrait pour rire négocier des équivalences. S’il écrivait hier Salammbô, il enregistrait aujourd’hui Electric Ladyland. Hier Bouvard & Pécuchet, aujourd’hui le White Album. Hier Madame Bovary, aujourd’hui The Rise & Fall Of Ziggy Stardust And The Spiders From Mars. Hier La Tentation De Saint-Antoine, aujourd’hui A Christmas Gift For You From Philles Records. Hier L’Éducation Sentimentale, aujourd’hui Pet Sounds. Hier Trois Contes. Aujourd’hui The Piper At The Gates Of Dawn. Bon, avec son Dictionnaire Amoureux de Flaubert, Régis Jauffret ne prend pas du tout ce chemin là. Il reste dans une approche plus traditionnelle. Une approche plus tactile, dirons-nous. Plus dionysiaque. Il se montre même très familier avec son «bon Gustave». Il ne nous cache rien de ses petits tracas de santé, ni de la syphilis supposément ramenée du fameux voyage en Orient, ni des dents pourries, ni des merveilleuses petites crises libidineuses, ni de son coup de fourchette - notamment le fameux gueuleton avec Maupassant que détaille Jauffret, huîtres, crevettes, poularde, saumon, trou normand, rôti de bœuf, fromages, fruits et pâtisseries, le tout arrosé de vieux bordeaux non carafés - il ne nous cache rien non plus de ses pipes en terre, de ses longs bains du matin, ni de ses crises d’épilepsie, ni des plumes d’oie qu’il taille lui-même, ni de ses goûts littéraires, ni de ses relations amicales et voire plus si affinités (Georges Charpentier), ni des éclats de ce style étincelant - la beauté tranquille d’un style si pur - L’Eros titille bien Flaubert et Jauffret ne rate pas une seule occasion d’illustrer ce penchant. Pas facile pour un écrivain de se pencher sur un autre écrivain, surtout sur un crack-boom-hue comme Flaubert. Il arrive à Jauffret de se vautrer en vantant par exemple les mérites de la connexion, est-ce de l’humour ? Doutons-en. Ailleurs, il fait monter les amis de Flaubert en partance pour Croisset à la gare d’Austerlitz. Mais bon, on lui pardonne, ça ne réfrène pas le plaisir de savourer ce Dictionnaire Amoureux, comme on goûtait autrefois les albums cités plus haut. La cervelle énervée par l’intense fréquentation de Flaubert, Jauffret cite des noms par rafales, Céline («l’enfant de Marcel et le petit-fils de Gustave»), Proust, Isodore Isou, puis Sollers, et ailleurs Balzac et Pierre Guyotat, il parle d’œuvres qui forment des cosmos, il donne un idée de l’infini, puis plonge dans les adaptations, notamment Emma/Isabelle Huppert et Charles/Jean-François Balmer, le plus décadent des acteurs français et grand amateur de Baudelaire, puis Jauffret rêve d’avoir 15 ans pour recommencer à lire pour la première fois cette obsédante Madame Bovary, un Dictionnaire Amoureux, ça sert à ça, à se replonger dans le souvenir des premières fois, il cite d’autres premières fois, La Recherche Du Temps Perdu et l’Oblomov d’Ivan Gontcharov, et puis voilà un Gustave «réactionnaire, hostile au progrès», comme le fut Léautaud au micro de Robert Mallet, et puis il y a cette relation magnifique de maître à élève entre Flaubert et Maupassant, qui rejaillit à plusieurs reprises dans les pages du Dictionnaire, Jauffret nous livre de larges tranches de souvenirs littéraires, des pages qui montent droit au cerveau, comme le ferait «1983... (A Merman I Should Turn To Be)», ou encore «Happiness Is A Warm Gun». Et puis voilà ces traits de caractère qu’épingle Jauffret et qui nous rendent Flaubert encore plus attachant - Un homme vitupérant, emporté, quelque peu pitre mais d’une étonnante bienveillance - Et George Sand d’ajouter : «Il était d’ailleurs sans fiel, sans fausses susceptibilités, facile à vivre, et ses brutalités, toutes de langage, tenaient moins à son tempérament sanguin qu’au plaisir d’étonner.» Et puis voilà Sade qui selon Jauffret reste «un auteur fondamental pour Gustave.» Il s’en explique : «Alors qu’à son époque, ce nom évoque la gaudriole, il trouve dans l’œuvre du marquis une profondeur, une philosophie matérialiste à laquelle il adhère absolument.» Il suffit de lire et de relire Français Encore Un Effort Si Vous Voulez Être Républicains : Manifeste Politique, qui est en fait Le Cinquième Dialogue De La Philosophie Dans Le Boudoir. Alors qu’on s’achemine vers la sortie du Dictionnaire, on tombe sur une sorte d’apothéose à la lettre S : le Style, ou plutôt la religion du style, selon Albert Thibaudet, que cite encore Jauffret. Un Jauffret fasciné par le style de son cher Gustave comme le fut en son temps Léautaud par celui de Stendhal - Comme chez Flaubert, de la pâte même de la phrase, de son humus se dégage la vérité de l’écriture - C’est un lièvre admirablement bien levé, et, incapable de se calmer, Jauffret bascule dans une sublime surenchère : «Les phrases sont pareilles à des processions de mots, comme au temps des corsaires les galions l’étaient d’or, remplis jusqu’à la gueule de sens, de beauté, de sublime.» Il tape en plein dans le mille. Il Salammbique ! Et non seulement il Salammbique, mais il jette encore un pont fatal, cette fois avec Les Caractères de La Bruyère qui, avec Flaubert, incarne pour lui la perfection du style. Eh oui, La Bruyère forevère ! Et Jauffret atteint à l’immanence apoplectique en chopant cette sortie de Flaubert dans sa correspondance : «On ne sait pas assez tout le mal que donne une phrase bien faite. Mais quelle joie quand tout y est ! c’est-à-dire, la couleur, le relief et l’harmonie.» Et Jauffret d’ajouter un corollaire impérieux : «Voilà le secret de la vie des artistes. Ce n’est pas la douleur, le sacrifice, l’immolation, c’est la joie.» Écrasant d’évidence ! Pachydermiquement vrai ! C’est aussi la même joie que tu retrouves dans Pet Sounds et dans Electric Ladyland. Nourris ta cervelle, amigo ! Flaubert, Hendrix et Brian Wilson même combat ! La lanterne rouge de ce fastueux Dictionnaire Amoureux est bien sûr Émile Zola, qui, dans un court extrait, se dit ahuri par Flaubert - Terrible gaillard, esprit paradoxal, romantique impénitent, qui m’étourdissait pendant des heures sous un déluge de théories stupéfiantes - Mais c’est surtout pour Jauffret une occasion en or de repositionner Zola en tant que visionnaire, en médecin penché sur les plaies de la société : «L’homme qui tuerait l’ivrognerie ferait plus pour la France que Charlemagne et Napoléon. J’ajouterai encore : Assainissez les faubourgs et augmentez les salaires.»

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             Or donc merci à tous les trois, Pat Caramba pour le McCarthy et ton chaleureux enthousiasme, Damie pour le Jean-François Jacq (ami tentateur, on aurait tendance à vouloir suivre toutes tes recommandations), et Jacques pour le Dictionnaire Amoureux De Flaubert dont tu m’avais si bien vanté les mérites à la terrasse ensoleillée d’un petit hôtel breton, l’an passé.

    Signé : Cazengler, la pipelette de Belleville

    Cormac McCarty. Méridien De Sang. Éditions de l’Olivier 1998

    Régis Jauffret. Dictionnaire Amoureux de Flaubert. Plon 2023

    Jean-François Jacq. Il Fera Bon Mourir Un Jour. ARDAVENA 2023

     

     

    Inside the goldmine

     - You can’t judge a Brooks by the cover

             Fréquenté Bracmard pendant quelques années. Il était l’ami d’enfance de ma poule d’époque, Baby Rich, donc il dînait couramment avec nous. Bracmard avait un petit côté Javier Bardem, grosse gueule, grosses mèches de cheveux, forte présence, voix forte. Il portait hiver comme été un trois-quart en cuir qui devait peser une tonne et qui datait de l’avant-guerre. Il y stockait des quantités impressionnantes de matos, ses clopes, ses briquets, ses téléphones, ses couteaux. Bracmard était ce qu’on appelle un homme de ressources, il pouvait te brancher sur n’importe quel type de lascar, en fonction de ton besoin ou de ton problème. Plombier ou voyou ? Pas de problème. Il nous recevait parfois dans sa bicoque du Blanc Mesnil. Il y vivait avec une poule qui chantait sur des péniches. Comme beaucoup de vieilles bicoques de banlieue, la sienne était arrivée en fin de vie, mais elle fonctionnait apparemment encore, on pouvait y manger et y dormir, même si de temps à autre, on voyait un gros cafard baguenauder sur le carrelage de la cuisine. Bracmard n’était pas seulement un mover-shaker de banlieue, il était aussi extraordinairement cultivé et disposait de l’atout majeur : une mémoire d’éléphant. Il profitait des grandes tablées du mois de juin pour croiser le fer avec des spécialistes de l’École de Paris. Comme il avait écumé toutes les galeries d’art de Saint-Germain-des-Prés, Bracmard évoquait Zao Wou-Ki ou Bernard Buffet, il jonglait avec les noms et les lieux avec une virtuosité qui fascinait l’auditoire. Bracmard appartenait à la caste des indestructibles. On le voyait vraiment ainsi. Jusqu’au jour où la main de Dieu s’abattit sur lui. Nous lui rendîmes visite une dernière fois. Il gisait au fond de sa bicoque du Blanc Mesnil, réduit à portion congrue, allongé sur son canapé pouilleux, toujours enveloppé de son énorme veste en cuir. Il n’était plus que l’ombre de lui-même. Il demanda à rester seul avec son amie Baby Rich. Une heure plus tard, alors que nous étions en route pour regagner nos pénates et que le silence régnait dans la bagnole, je ne pus m’empêcher de demander si le tête-à-tête s’était bien passé. «Oh très bien», fit Baby Rich, «il voulait juste une dernière pipe avant de casser sa pipe.»  

     

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             Pendant que Bracmard montait au paradis des mover-shakers, Chuck Brooks chantait la Soul des paradis artificiels, c’est-à-dire des paradis qui n’existent pas.

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             Chuck Brooks ? L’archétype de l’inconnu au bataillon. Un petit label anglais nommé Soulscape s’est retroussé les manches pour arracher les inconnus du bataillon à l’oubli, et leur Volume 1 titré Malaco Soul Brothers en présente trois, Chuck Brooks, Joe Wilson et George Soule. Et leurs trois histoires, même très brèves, sont passionnantes. On ne parle même pas des cuts qui sont, comme on dit en Angleterre, astonishing, c’est-à-dire qu’ils t’astonishent la quiche.

             Comme Geoge Soule est un petit privilégié et qu’il a son goldmining ailleurs, on va focuser sur Chuck Brooks et Joe Wilson. Rien qu’avec ces deux-là, on se sent comme une oie, bien gavé, mais au bon sens du terme. D’ailleurs, puisqu’on parle des oies, on se demande vraiment comment font les gens pour manger du foie gras, sachant dans quelles conditions cette sordide friandise est fabriquée. Mais bon, c’est vrai, on fait comme on peut. Tu as même des gens qui coupent les homards vivants dans le sens de la longueur parce qu’on leur a dit que cette «technique» rendait la chair meilleure. Le jour où les homards et les oies prendront le contrôle de la planète, on va bien se marrer. Bon bref, on n’est pas là pour ça.

             Pour retrouver Chuck Brooks, il faut remonter dans les années 70. Dans le booklet, John Ridley nous raconte que Chuck a commencé par bosser pour Ike & Tina Turner, puis il est allé à Memphis tenter sa chance. Il est à la fois chanteur et guitariste. Il est pote avec Homer Banks et il enregistre des bricoles pour Stax avec les musiciens d’American. Puis il descend à Jackson enregistrer chez Malaco. Dès «Loneliness (Is A Friend Of Mine)», on est frappé par la présence vocale de Chuck Books : il est coriacement bon. C’est un adepte du raw, il y va même au raw du raw. On retrouve le son classique de Malaco : ni Stax, ni Hi, ni Motown, ni Muscle Shoals, c’est encore autre chose. Avec «Behind Closed Doors», il sonne comme les Tempts, ça rampe sous le boisseau d’argent de Malaco, le vieux Chuck a de la ritournelle à revendre. Il tape dans la Soul de haut rang, il vise l’excès mélodique, c’est magnifique. Les orchestrations rappellent celles des early Bee Gees. Son «I Belive In Love» est assez puissant, mais puissant comme la marée, il y va au believe somebody, c’est du heavy froti, so good, so good. Il sauve son «What Would We Do Without Music» avec sa classe, il fait tout ce qu’il peut avec les moyens du bord de Malaco, il se bat seul sur le front de mer, face aux tempêtes. Et quand il s’en va twister le groove d’«Once Upon A Love Affair», on se lève pour danser avec lui. 

             Bon, malgré tous ces fantastiques singles, ça ne marche pas. Alors Chuck se maque avec son pote Homer et ils montent le label Sound Town à Memphis. Ils composent pour d’autres artistes, notamment Shirley Brown. Chuck joue sur Intimate Storm. Malheureusement, Homer et Chuck sont doués pour la musique, mais pas pour le biz et pouf, ils font faillite. À dégager.

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             Quant à Joe Wilson, c’est un mec de New Orleans qui a commencé par enregistrer sur le petit label éphémère de Cosimo Matassa. Puis Wardell Quezergue le prend sous son aile et l’emmène, avec Jean Knight et King Floyd, chez Malaco. Tommy Couch est le seul à croire en Joe Wilson qui est immensément doué. Les autres labels spécialisés (Stax et Atlantic) font la fine bouche.

             Joe Wilson est un chanteur jouissif, il chante au sensitif absolu, il presse ses syllabes comme des boutons de pus et ça gicle, notamment dans «Let A Broken Heart Come In». Il est très sensible, donc très fin. C’est extra, comme dirait Léo. Il passe au heavy r’n’b avec «Other Side Of Your Mind», c’est vraiment du gros popotin. Et voilà le coup de génie : «Our Love Is Strong». Oh la belle romantica ! Il a le pouvoir. Il évolue dans une ambiance extraordinaire signée Werdell Quezergue. Ce mec contre-attaque toujours à bon escient, comme le montre encore «Sour Love Bitter Sweet». Il est énorme, il monte toujours sur la barricade. Joe Wilson est un pur Soul Brother, il explose «Go On And Live». Il te groove encore «Walking Away From A True Love» en profondeur, aw comme il est bon !

    Signé : Cazengler, de bric et de brooks

    Chuck Brooks, Joe Wilson, George Soule. Malaco Soul Brothers. Soulscape 2006

     

     

    My Chip Taylor is rich

     - Part Two

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             Comme Chip Taylor est un auteur prolifique, ses albums se bousculent au portillon. Pour bien prendre la mesure de son importance, l’idéal serait peut-être de commencer par écouter Hit Man, car c’est une sorte de Best Of de rêve.

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    Il y reprend tous les hits qu’il a distribués à droite et à gauche, à commencer par l’«I Can Make It Without You» repris par Jackie DeShannon et les Pozo-Seco Singers. Heavy pop de génie ! Et ça continue avec l’«I Cant Let Go» qui fut un hit pour les Hollies. «Angel Of The Morning» fut un hit pour Merrilee Rush et P.P. Arnold. Chip Taylor est un bélier de la grosse compo. On tombe inévitablement sur «Wild Thing», qui permit aux Troggs, à X et à l’ami Jimi de se distinguer. Et combien d’autres ? La version du Chip est pure, bien grattée sous le boisseau. Il a des tiguilis en filigrane dans le son. Pure magie taylorienne. Et ça continue avec l’«Anyway That You Want Me» repris par les Troggs, mais surtout par Evie Sands et Walter Jackson - If it’s love you want/ Baby you’ve got it - C’est un hit mythique - From the depth of my soul - Il a aussi composé «Try (Just A Little Bit Harder)» pour Janis. Chip Taylor est un homme effarant de classe, mais dans tous les genres : pop, country et le voilà king of r’n’b. Il enchaîne avec le hit le plus imparable de tous, «Storybook Children», popularisé par Billy Vera et Judy Clay - We’ve got your words/ And I got mine/ And it’s a shame - Balladif magique. «Country Girl/City Man» est aussi repris par Billy & Judy, mais aussi par Ike & Tina, fabuleux exercice de nonchalance duetté en mode country. On tombe ensuite sur le «Welcome Home» repris par Walter Jackson. Il te le cueille au menton. Et sa maestria éclate encore au grand jour avec «Just A Little Bit Later On Down The Line».

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             L’autre conseil d’ami qu’on pourrait donner aux becs fins serait d’écouter les deux albums du premier groupe de Chip Taylor, Gorgoni Martin & Taylor, deux Buddah de 1971. Le premier s’appelle Gotta Get Back To Cisco. Ils ouvrent leur balda sur un authentique coup de génie, «Caroline Timber», c’est fabuleusement joué, gorgé de son, ils chantent à trois, cut magique de Chip, avec Trade Martin on lead vocals. On sent bien la puissance compositale de Chip Taylor et l’ampleur des arrangements sur «I Can’t Do It For You». C’est très Righteous Brothers. Ils chantent tous les trois à l’unisson du saucisson sur «Stick-A-Lee», comme le feront CS&N. C’est exactement la même approche, avec les mêmes coups d’acou. Ils adorent rentrer à San Francisco comme le montre «Cisco». Chippy chante ça au doux du menton et tape un final éblouissant. Nos trois larrons adorent la belle pop. Et puis tu as un «Got The Feeling Something Got Away» qui préfigure Guided By Voices. Même esprit.

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             Leur deuxième album n’a pas de titre. On y retrouve la belle pop de Chip («Fill In The Fast Line». Grosse compo. C’est du niveau de Mann & Weil. «I Can’t Let Go» est plus rocky. Ah ils savent rocker leur roll ! Cette belle pop écarlate contrebalance tout. On se régale encore de l’«I Can Make You Cry» monté sur un heavy beat chippy, sévèrement gratté à coups d’acou. Quelle énergie ! Franchement, ces deux albums valent le détour.            

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             Puis Chip Taylor va entamer une carrière solo et tourner avec une moyenne de deux hits par album. Gasoline est encore un Buddah de 1972. Il y recase son «Angel In The Morning». Ah il sait placer sa cerise sur le gâtö. Ça sonne presque comme du Righteous Brothers. Mélodie solide et orchestration du diable - Just call her angel in the morning - Et ça monte aux anges des Righteous Brothers. S’ensuit une Beautiful Song, «Home Again», une pop d’horizons lointains, stupéfiante d’immensité. Il gratte à la suite son «Lady Lisa» à sec, c’est du good time pas loin des Byrds, assez électrique, en vérité. Il passe à son cheval de bataille, la country, avec le morceau titre, un cut solide et bien intentionné. Chip Taylor est déterminant dans tous les domaines, surtout celui de la Gasoline country. Il ne s’intéresse qu’aux chansons, comme le montrent encore «Dirty Matthew» - Sometimes it don’t come easy - et «You Didn’t Get There Last Night». Puis on le voit poser sa voix de deep country man dans «Swear To God Your Honor». Une merveille, pas loin de la révélation, c’est du pur busy cryin’ in the beer.

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             Mine de rien, Chip Taylor’s Last Chance est un bel album. Belle pochette, on voit Chip à la table de jeu, avec des faux airs de Robert Redford en Sundance Kid. Il y va au soft country groove, easy baby. Chip est doux, excellent et inspiré. Dans «I Read It In Rolling Stone», on le voit swinguer ses vers à la folie - Where every brown eyed teased hair mare ran him of his stool - Il boucle ce fringuant balda avec «I Wasn’t Born In Tennessee», un fantastique swagger de country cat. En B, tu vas tomber sur «It’s Still The Same», l’une de ces Beautiful Songs dont est capable l’ami Chippy Chip, et puis avec «101 In Cashbox», il fait une sorte de «Success» à la Iggy - And it comes from the soul/ And it ain’t rock’n’roll - On se régalera encore de «Clean Your Own Tables», un belle country song où il raconte sa vie et celle de la barmaid qu’il épouse.

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             Pochette pépère pour Some Of Us, un Warner Bros de 1974. On est vite frappé par la qualité de la Chippy country. Avec «Early Sunday Morning», Chip chope le truc. Sa country est joyeuse. On se peut se fier à lui. Chip est un chic chap. On sent bien la poigne du songwriter. Grosse emprise encore avec «Something ‘Bout The Way This Story Ends». Chip sait tailler un costard, pas de problème. En B, ils évoque deux villes : Varsovie et Austin. Dans «If You’re Ever In Warsaw», il raconte l’histoire d’un mec qui apprend aux aveugles à voir. Et avec «If I Can’t Be In Austin», il propose un joli groove country. On le sent jubiler.  

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             This Side Of The Big River arrive en 1975 avec une belle pochette à l’américaine. Alors on se régale, même quand on n’est pas fan de country. Il attaque avec «Same Old Story», un joli tagada country, c’est même extrêmement agréable à écouter. Il oscille toujours entre la gorgeous country et le balladif intimiste crooné au coin de la glotte («Holding Me Together»). Très bel artiste, pas loin de Kristofferson. Disons qu’il propose une country de proximité, il avoisine le George Jones avec «Getting Older Lookin’ Back». Chip a un truc que d’autres n’ont pas : le talent. Tout ici est sans surprise mais beau. Il boucle son beau balda avec «Big River», plus rockalama. Solide claqué de chique, belle dégaine et big bass drum. Ces mecs ta cassent vite une baraque de clear blue sky. Ça flirte avec le rockab d’Elvis. Pas mal, non ? Dommage que la B soit si transparente. On y sauve «Sleepy Eyes» : heavy country et belle chaleur de ton.

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             Le Somebody Shoot Out The Jukebox de Chip Taylor With Ghost Train est un album résolument country. Il salue Atlanta dans «Hello Atlanta», it’s good to see you again, mais après, ça devient trop country pour une gueule à fuel. Le morceau titre est un gros boogie rock de saloon. La hit de l’album s’appelle «Still My Son». Chip ressort du moule country pour aller sur la belle pop violonnée. Il sait entraîner un cut au firmament, c’est très Brill dans l’esprit, il faut le voir monter sa clameur de Still my son en neige inexpected, c’est vraiment très impressionnant. Chip Taylor fait de la Beautiful Song quand ça lui chante. C’est un surdoué, au même titre que Burt ou Jimmy Webb, il est très porté sur l’orchestration et les sautes d’humeur vocales, son let me carry you home est suivi à la flûte devenue folle, on voit littéralement le songwriting s’envoler et aller  virevolter dans un azur immaculé. 

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             Saint Sebastien n’est pas son meilleur album. Il l’attaque à la petite pop pépère de «Mary Ann». Chip compose à profusion, il n’est donc pas gêné aux entournures. Il songwrite à gogo. Pas de hit sur cet album martyrisé, du sans surprise, mais du beau sans surprise. Il sonne comme Fred Neil sur «He Ain’t Makin’ Music Anymore», même velouté de poireaux dans le coulé de voix. Avec le morceau titre, il fait bien le tour du balladif, Chip est un inconditionnel de l’intimisme velouté. Il ne peut pas s’empêcher d’enregistrer des albums intimistes. Si l’intimisme ne te plaît pas, t’es baisé.

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             Deux jolis choses sur The Living Room Tapes : Something About Losing It All» et «Grandma’s White LeBaron». Il gratte dans sa cuisine, c’est un intimiste, alors il établit le contact et parfume son balladif de flavor country. Il sait se montrer profond et sincère, alors on l’écoute attentivement. Il chante sa Grandma d’un ton grave et lance un manège enchanté. Il faut saluer son fabuleux entrain country. Petite merveille encore avec «Good Love Last Night». C’est là qu’il convainc, dans l’intimisme - And I took her in my arms last night - Quelle puissance d’évocation - I said girl I like the way you kiss - On n’en saura pas davantage. Son «Shut You Down» est assez pur de shut you down my old friend.

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             Tu vas trouver deux duos d’enfer sur Seven Days In May. A Love Story : «If You Don’t Know Love» où il duette avec Lucinda Williams, et «One Hell Of A Guy» où il duette avec Guy Clark. Comme Lucinda est bien languide, ça donne un duo à la ramasse de la rascasse, ce qui n’est pas déplaisant. L’Hell Of A Guy est le fin du fin du duo country. Mais ailleurs, on s’ennuie un peu. Trop de country, ou pas assez de magie ? Il nous a trop habitués aux cuts magiques. Dans «Florence The Baby & Me», il fait la plus belle des déclarations : «You’re the most beautiful I ever did see.» Une autre merveille se niche plus loin : «Alexander» - You look so beautiful - Joli confessionnal, c’est une Beautiful Song contrebalancée à coups d’accordéon. Le plus drôle avec Chip, c’est que t’as chaque fois l’impression d’écouter la même chanson, et tu tombes sous le charme.

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             Curieusement, on trouve pas mal de belles énormités sur Black & Blue America. À commencer par «The Ship», un duo avec une Lucinda Williams qui a l’air complètement dans les vapes. La grosse compo du jour s’appelle «In Your Weakness», il faut voir comme il l’éclate, c’est le grand Chip qu’on préfère. Il fait un brin de good time music avec «Stroke City Girls». C’est assez magique, il faut bien l’avouer. Il combine la grande pop avec ses affinités country. C’est effarant de stories just behind. La cerise country sur le gâtö pourrait bien être «You Left Me Here». Chip est tellement à l’aise. C’est le plus à l’aise de tous. Avec le morceau titre, il se morfond sur le destin de l’Amérique - Back in 1966, the answer is blowing in the wind - Et il passe du petit boogie fier comme Artaban («It Don’t Get Better Than This») au heavy balladif country («Sometimes I Act Just Like A Fool»). Il dit aussi avoir besoin d’open space et de chevaux. Son «Blind At The Midnight Hour» est magnifico - If you need a place to hide/ Come to my home/ And take some comfort here - Il attaque son «Way Of It» à la Lou Reed. Ce mec Chip est un magicien, il fait de chacun de ses cuts une aventure passionnante. On le comprend mieux sur la durée. Il est certainement plus intéressant que Cash. Chip duette avec P.P. Arnold sur «Temptation», un vieux gospel de fin de partie. Il y va au I did run. Il a des blackettes derrière et ça prend des proportions insoupçonnables, d’autant que P.P. Arnorld te l’explose en plein vol. Quel mélange extraordinaire que ce country king et cette ex-Ikette. Quel accomplissement et quelle apothéose ! Il monte avec elle mais il peine à la suivre. La reine, c’est P.P. 

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             Unglorious Hallelujahs est un double Train Wreck de 2005. Un bel album de country, où il surpasse Cash sur «Hallelujah Boys» et «Jacknife». Il fait exactement le même bazar - I don’t wanna kill nobody - On se croirait sur «I Hung Myself». Il rend un hommage émouvant à Townes Van Zandt dans «What Would Townes Say About That». Il raconte ses souvenirs de Townes dans un motel à Reno. Retour de la clameur country magique dans «Christmas In jail». Et il revient à son cher intimisme d’I don’t know about that avec «Michael’s Song». Sur le disk 2 se niche une pure merveille : «Red Red Rose» où il duette avec Carrie Rodriguez. Pur country genius. Elle vole le show. Il tape plus loin un heavy slowah de très haut niveau, «If I Stop Loving You». Encore une grosse compo ! Ça vaut vraiment le coup de le suivre. On se s’ennuie pas en compagnie du vieux Chip. Encore deux balladifs étoilés avec «Magic Girl» et «It’s Different Now», et il salue cette bonne ville de Santa Cruz avec «Santa Cruz» - There’s still mountains we have to climb - Magnifico.

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             Rien de plus country que New Songs Of Freedom. Avec «Former American Soldier», il rend hommage à des soldats du Vietnam. L’horreur. Son apologie des GIs donne un peu la gerbe. On sauve un cut sur l’album : «Dance With Jesus», un fantastique shoot de country. Tu as là tout l’éclat de la meilleure country américaine.  

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             Très bel album que ce Rock & Roll Joe. Pour deux raisons éminentes : «Monica» et «I Can’t Let Go». «Monica» est inspiré d’un riff trouvé pour Van Morrison et joué sur un vieux beat appuyé. Le hit c’est bien sûr «I Can’t Let Go», lancé en mode heavy rock de saloon, c’est excellent, ça carillonne au big day out et Kendel Carson duette dans cette affaire. On se régale aussi du «Sugar Sugaree» basé sur le «Try A Little Bit Harder» co-écrit par Chip et Jerry Ragovoy. Un violon vient crin-crinter l’«Hot Rod Carson» et Karen Carson tient encore la bavette à Chip dans «Measurin’». Et comme le montre «The Union Song», le Chip sait rocker une baraque ! Et puis dans «R&R Joe Reprise», Chip cite les unsung heroes, Paul Griffin et d’autres. Il raconte des souvenirs de sessions avec des great guys, dont John Paul Jones et des tas d’autres complètement inconnus au bataillon.

    Signé : Cazengler, Chip à l’ancienne

    Gorgoni Martin & Taylor. Gotta Get Back To Cisco. Buddah Records 1971

    Gorgoni Martin & Taylor. Gorgoni Martin & Taylor. Buddah Records 1971                          

    Chip Taylor. Gasoline. Buddah Records 1972 

    Chip Taylor. Chip Taylor’s Last Chance. Warner Bros. Records 1973

    Chip Taylor. Some Of Us. Warner Bros. Records 1974

    Chip Taylor. This Side Of The Big River. Warner Bros. Records 1975

    Chip Taylor With Ghost Train. Somebody Shoot Out The Jukebox. Warner Bros. Records 1976

    Chip Taylor. Saint Sebastian. EMI 1979 

    Chip Taylor. Hit Man. Train Wreck Records 1997 

    Chip Taylor. Living Room Tapes. Train Wreck Records 1997

    Chip Taylor. Seven Days In May. A Love Story. Train Wreck Records 1999

    Chip Taylor. Black & Blue America. Train Wreck Records 2001    

    Chip Taylor. Unglorious Hallelujahs. Train Wreck Records 2005

    Chip Taylor. New Songs Of Freedom. Train Wreck Records 2008 

    Chip Taylor. Rock & Roll Joe. Train Wreck Records 2011

     

    *

    Il est des disques mystérieux, celui-ci est carrément obscur. Imaginez un poème d’Edgar Poe dont on aurait effacé les paroles, dont il ne resterait que l’ambiance, le corbeau s’est envolé, mais le lieu qu’il a quitté est la seule empreinte qu’il nous ait laissée. Vous aussi quand vous ne serez plus là, ne survivront de vous que les lieux par où vous aurez passé. Vous êtes-vous demandé pour combien de temps…

    SCIONS

    O

    (Digital Album / Bandcamp / Mars 2024)

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    Ne comptez pas sur la pochette pour vous aider. Elle est toute noire. Bien sûr je vois bien qu’il y a du blanc, qui n’ajoute que de la noirceur à cet étrange artefact. Sur You Tube, ils sont gentils, ils précisent qu’ils sont quatre, de Sydney en Australie. L’on s’en doutait en regardant le bandcamp. Je vous expliquerai pourquoi plus loin. Le nom du groupe est peu commun. Ne soyez pas idiots, rien à voir avec le présent de l’indicatif ou de l’impératif du verbe français ‘’scier ‘’. Quoique si l’on y réfléchit le hasard linguistique s’avère  parfois malicieux. Scion est un terme botanique, ils le rappellent aussi sur YouTube, en terme beaucoup plus commun un scion est une greffe. Attention, le mot scion désigne aussi bien la greffe que l’on insère dans un tout jeune arbre que le rameau qui naîtra de cette greffe qui portera un composite des gènes de l’arbre greffé et du greffon.

             Un scion est donc le rejeton issu de deux essences d’arbre. Par extension le mot scion désigne aussi un enfant de grande famille tant soit peu dévoyé. Le mot scion s’accorde comme tous les noms communs : un scion, des scions. Nous savons donc ce que signifie le nom du groupe. Nous avons beau scruter la pochette cela ne nous aide guère.

             Comment lire le titre de l’album : est-ce la lettre o, est-ce le zéro, est-ce le dessin d’un cercle ou d’un anneau. Ce qui est certain c’est que ce signe est à décrypter symboliquement. Choisir l’un de ces quatre termes ne mène à rien, ce qu’il faut, quel que soit le signe que l’on élit, c’est en trouver la signifiance.

             Eliminons toutefois trois grossières fausses pistes : Scions n’a rien à voir avec Sion, que ce soit la Jérusalem céleste, la colline inspirée de Maurice Barrès, ou le Prieuré de Sion de Pierre Plantard.    

             Toutefois on ne s’embarque pas sans biscuit : sur bandcamp le groupe se présente d’une étrange manière, un court texte que certains jugeront énigmatique :   ‘’ Ô porteurs de la Malédiction, vous qui êtes morts mais vivez encore. Faites un pèlerinage à travers le Vide jusqu’au pied du grand Arbre et laissez votre destin se révéler. Au début il n’y avait que le Vide. Puis vint le Feu… et avec le Feu vinrent les germes de la disparité : la chaleur et le froid, la vie et la mort, la lumière et l’obscurité. Mais rien n’est éternel  et pourtant rien n’est perdu…’’

             Considérons la mystérieuse circonférence du titre comme le boîtier d’une boussole et le texte comme les indications directionnelles et l’aiguille qui nous guidera.

    0 : l’on n’entend rien, ce n’est pas que le disque n’ait pas encore démarré c’est qu’il n’y a rien, juste rien, mais il faut attendre ou pousser les potards à onze pour que se manifeste une espèce de montée en impuissance, écoutez la version du Ring de Wagner, juste le tout début de L’Or du Rhin mais sous la houlette de Wilhelm Furtwängler, car il est le seul qui ait compris l’importance des toutes premières notes de la Tétralogie et il fait si fort résonner l’insignifiance de leur apparence qu’il vous explose la tête, pour ceux qui seraient choqués, employons une expression emplie de plénitude, qu’il vous ouvre les chakras, cela vient doucement, heureusement qu’il y a cette espèce de klaxon comme une corne de brume pour attirer votre attention, et puis cette voix solennelle qui vous parle mais que vous ne comprenez pas…  Alpha and Omega : vos êtes passé au morceau suivant sans vous en rendre compte, dès lors vous réalisez que le petit o du titre, c’était le zéro absolu, le rien, le néant et que maintenant vous êtes dans le o-riginel, au tout début, à l’alpha du commencement, mais aussi dans l’o-mega de la fin, pourquoi si près du début  atteint-on si vite la fin, et pourquoi cette musicalité fondationnelle semble-t-elle battre de l’aile comme un oiseau qui ne parvient pas à s’envoler, ouf la batterie entre dans le jeu, elle marque la lenteur du rythme mais elle entraîne la basse et tout le bataclan, elle se permet même quelques roulements, la basse joue au vrombissement de l’élastique qui se prend pour un moustique géant qui veut atteindre le haut du ciel, tambour tribal et presque joyeux, fin brutale comme si la bête s’était cognée le nez contre le mur de la fin.  Comme dans le titre précédent  vous réalisez ce que veut dire le morceau qui vient de se terminer. Vous avez parcouru le cycle du début à la fin et vous voici Gros-Jean comme devant, groggy de vous retrouver à l’endroit dont vous êtes parti. Bizarre tout de même. Qu’est-ce que cela signifie ? Thy Master Calls Across Countless Aeon : un bourdonnement qui vient de loin, de très loin, il met des siècles à te parvenir, tu es perdu et l’aide te parvient, tu ne sais pas qui t’appelle, tu le reconnais, tu étais seul, il se soucie de toi, il t’appelle, sa voix traverse des siècles et des siècles, une flèche rapide qui a tant de distance à parcourir pour celui qui l’attend qu’elle a l’air de traverser l’éternité du temps, de faire le tour du monde, avant d’arriver et de se ficher en toi, rien ne bouge si ce ne sont les plumes de son empennage encore vibrantes de leur course, le maître t’appelle et te délivre son message. Seek the River of Fire : cherche la rivière de feu, ne t’inquiète pas tu brûles, la musique a l’air de s’amuser, tout juste si elle ne te chantonne pas un air allègre pour se moquer de toi, quel vacarme, quel boucan, tu brûles, pas besoin de chercher bien loin, elle n’est pas au bout du monde tu y es juste dessus, en plein dedans, tu t’y baignes, passe à l’étape supérieure, souviens-toi d’Héraclite, la notion grecque du sec et de l’humide t’y mène tout droit,  l’on dirait que les musicos s’amusent à imiter un orchestre oriental, oui tu y es, un charmeur de serpent, le cycle du feu qui brûle, qui s’éteint qui se rallume, qui brûle, qui s’éteint, oui tu as deviné, le grand serpent, l’ouroboros, calme-toi, oui c’est grave, médite un peu, essaie de saisir le concept philosophique de l’Eternel Retour, de comprendre ce qu’il veut dire… On wings of steel and chrome : oui les âges métalliques se succèdent, quelle ferblanterie de l’âge d’or à l’âge de fer, tout dégénère, les hommes vivent en paix et puis se disputent, c’est ainsi tu n’y peux rien, c’est le destin collectif de l’Humanité de courir à sa perte, un jour obligatoirement, indubitablement l’énergie du feu régénérateur faiblira, s’épuisera et s’éteindra. Escape Thy Fate : regarde l’autre côté de cette pièce de monnaie ronde que l’on enfourne dans la bouche des morts avant de les porter au bûcher, une face pour tous, une autre uniquement pour toi seul, échappe à ton destin de mort-vivant, puisque quand tu vis éternellement, tu meurs aussi éternellement, pense à toi, échappe à ton destin, rien n’est perdu puisque tout est perdu. Ecoute comme la musique se fait belle et luxuriante, elle est la vie, l’on ne te demande pas de jouer à pile ou face, mais de trouver le lieu de ta fuite qui te sauvera de ce piège sans retour. Through the Valley of Silence : dans la vallée du silence près de l’arbre de vie, de l’Yggdrasil du monde, étrangement le morceau est plein de bruits, de tintements, comme le marteau de Siegfried qui forge l’épée qui tuera le dragon, la vallée est dite silencieuse car entre les coups survivalistes du marteau l’on entend le silence de la mort qui ne veut pas mourir. May the Winds Deliver Thee : l’on entend le vent siffler dans les branches de l’arbre, est-ce celui de l’espoir, du surpassement, peut-être pas pour cette fois-ci, peut-être qu’au prochain tour, au prochain retour, l’on trouvera le moyen de s’échapper du serpent sans qu’il ne te rattrape au dernier moment. Fom the Calamity : trop tard, beaucoup de bruit pour rien puisque le cataclysme final te mènera au rien, sonnailles de troupeaux de moutons destinés à l’abattoir métaphysique, un rouleau concasseur qui passe et pousse, des chœurs processionnels qui tremblent de frousse. Le chemin est long, il tourne sur lui-même, il s’enroule, décrit-il un cercle ou une spirale qui s’écarte et s’enfuit de son centre…

             Chacun en jugera selon son optimisme ou son pessimisme…

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             Mais comment interpréter le titre de cet album. De quelle greffe parle-t-il ? Peut-être faut-il la chercher dans l’espèce de blason symbolique qui leur sert à présenter le groupe. Un cercle, d’or. Selon le diamètre vertical s’épanouit un arbre, l’Yggdrasil mythique, sous sa ramure se tiennent debout une nouvelle race d’hommes d’or et de turquoise.  Sur le FB du groupe, pratiquement vide, seulement deux images, celle de la couve du disque, une deuxième qui nous révèle l’entièreté de l’artwork dont elle n’est que la partie centrale. Un paysage désertique comme vitrifié par une bombe atomique. Comment interpréter cette rivière orange qui serpente depuis les soubassements de l’Arbre, le feu s’est-il changé en eau de feu… Aucune feuille sur l’Arbre réduit à sa structure exo-squelettique, d’ailleurs les nouveaux rejetons qui nous tournent le dos ne possèdent-ils pas un exo-squelette, sont-ils les fils de l’Arbre, sommes-nous à la fin du Ring, à la scène finale de l’anneau wagnérien, entrons-nous non plus en le cycle mais en une nouvelle ère, avec ce nouveau type d’êtres humains alchimisé par l’opérativité cataclysmique de l’anneau brisé… La greffe a-t-elle consisté à introduire le greffon des mythes nordiques dans le mythe de l’Eternel Retour ?

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             Ce qui est sûr c’est que nous retournerons écouter les nouvelles sorties de Scions. Ne serait-ce que pour leur montrer de quel bois nous nous chauffons.

    Damie Chad.

     

    *

    Life like poetry. Généralement les rockers se comportent comme des rockers. Prenons un exemple au hasard, quand Eric Calassou résidait en France il possédait un groupe de rock Bill Crane. Il a donné quelques concerts, nous en avons chroniqué quelques-uns, il a produit des disques, nous les avons chroniqués. Jusque-là nous restons dans le registre de la normalité. L’est parti en Thaïlande, dernièrement il a sorti deux disques, l'un très rock, le dernier constitué de reprises des pionniers du rock. Une vie de rocker parfaitement calibrée.

    0ui, toutefois il y a eu des signes avant-coureurs. S’est mis à faire des photos. Pas tout à fait comme tout le monde. Pas le mec normal qui photographie son chien, sa femme et la Tour Eiffel. Ce n’est pas qu’il se désintéresse du monde, loin de là, il le regarde de près. De trop près. Relisez Le Sphinx d’Edgar Poe. Le héros qui se réveille d’une bonne sieste, ouvre et ses yeux et s’aperçoit qu’un monstre monumentalement horrible s’apprête à le mâchouiller comme un vulgaire chewing-gum, heureusement qu’il n’avait pas son portable, les pompiers et la police se seraient bien moqués de lui en lui montrant que son monstre n’était qu’un inoffensif papillon posé sur la vitre près de laquelle il s’était endormi dans son fauteuil. Calassou s’est amusé à ce petit jeu : photographiez dix-centimètre-carrés de bitume et vous apercevrez ce que vous n’avez jamais vu.

    Dernièrement nous avons chroniqué un album de ses photos. Là il aggrave son cas. A première vue des formes informes et colorées. Des couleurs plutôt sombres. A la réflexion l’on se demande s’il ne s’efforce pas à donner une idée d’un quelque chose que personne n’a jamais vu et dont on peut douter de l’existence, alors que des calculs de haute mathématique   inclinent les scientifiques à supposer sa présence. Il s’agirait donc d’une espèce d’alchimie photographique destinée à produire des représentations de cette matière noire invisible que les physiciens traquent depuis un demi-siècle.

    Je laisse votre cerveau infuser. Revenons à des choses moins abstruses. Non seulement Eric Calassou joue, chante et enregistre de la musique, mais il compose. J’entends vos réactions, qu’un artiste de rock compose des morceaux de rock, cher Damie, rien de plus normal, certainement mais il compose des morceaux de musique classique qu’interprètent des musiciens classiques. Je ne veux pas crier à la trahison, nous en avons chroniqué, et la cloison entre musique classique et rock’n’roll n’est pas si étanche que l’on veut bien l’accroire. Simplement vous prévenir, que nous allons rendre compte de quelques morceaux tirés de la chaine You Tube Bill Crane, et qu’à traverser les cloison étanches l’on se retrouve à pénétrer dans des zone-limites.

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    Danse médiévale : un truc tout doux, parfaitement calibré, facile à suivre, juste une guitare, deux minutes et une demi-poignée de secondes, une belle image de danseurs que je qualifierai de turcs certainement à tort, mes connaissances ethnologiques étant des plus faibles. Ce n’est pas du rock, c’est beau. Tout simplement. Musique pure.

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    Ding dang dong : faut se fier aux titres. Ce truc est totalement dingue. L’image est à la ressemblance de notre monde, une toile de jute ou une natte d’osier sur laquelle sont entassée cinq à six récipients en plastique, bouteilles et bidons. Serait-ce un clin d’œil pour nous dire dans le creux de l’oreille que c’est bidong. Osons le pas, entrons dedang. Un truc à devenir fou, un labyrinthe sonore, une boite à rythmes et une voix qui se prend pour une balle de ping-pong devenue  foutraque, elle rebondit de plus en plus vite, squash vocal, est-ce un crétinoïde dont la voix tintinnabule, ou la bande-son Ferrari qui finit par dérailler, meuglement de vache, z’avez l’impression que sa langue vous lèche la figure, exercice de style à la Queneau, un trente-trois des Double-six passé en 78, peut-être que ça se termine parce que des infirmiers sont venus lui passer une camisole de force pour l’emmener sous une douche froide, sur la fin vous êtes sauvé, une effulgence de guitare électrique vous tire de cette embuscade. Morale de cette aventure : par rapport à la vidéo-précédente vous avez changé d’univers.

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    Message from Mars : que disions-nous !  Tout à l’heure la voix déblatérait, elle ne communiquait pas, juste du bruit buccal, dans cette troisième vidéo, nous recevons un message. Pas de n’importe qui, des fameux petits hommes verts, la musique est inquiétante mais les structures de la langue martienne nous sont incompréhensibles, le pire c’est que  côté élocution nous sommes en avance sur eux de quelques millénaires. En sont au stage du bégaiement. Nous qui attendions des extra-terrestres qu’ils viennent améliorer notre situation, seraient-ils un peuple de sous-doués. Sans doute nous demandent-ils des conseils, ils ont besoin de notre expertise, ils ne possèdent pas un langage aussi élaboré que le nôtre. Très décevants.

    Ne nous demandons pas : que veulent dire les martiens, mais que veut dire la réalisation de ce morceau : qu’un solo de guitare électrique est une agonie sans fin, que la musique instrumentale produit le son mais pas le sens. Que le langage non évolué n’est qu’un ensemble de borborygmes inconsistants. Qu’il est comme l’image qui l’accompagne, un puits avec fond, un puits bouché, qui empêche l’accès à une source de connaissance totale.

             Notre chronique des trois vidéos suivantes éclairera les trois premiers mots de l’ouverture de cette chronique : life like poetry. Que nous empruntons à Lefty Frizzel. Aperçu théorique : Mallarmé fut artistiquement subjugué par l’entreprise d’Art-Total théorisé et mis en pratique par Wagner. Selon Wagner l’opéra était un art total : il mêlait : musique, chant, danse, poésie (les livrets), théâtre (mise en scène) peinture, sculpture (pour les décors) architecture (l’édifice du théâtre de Bayreuth conçu selon les représentations…) jusqu’à l’art équestre avec introduction de véritables chevaux sur scène… Maintenant si vous dites Wagner : tout le monde répondra : musique et si vous dites Mallarmé la réponse unanime sera : poésie.

    Conclusion mallarméenne : la poésie se devait ‘’de reprendre son droit’’ à la musique. Entendez par là qu’étant la voix profonde du monde, (l’expression est d’Edouard Dujardin fondateur et directeur de La Revue Wagnérienne) : c’est en elle que devait s’inscrire la pensée actante de la globalité du monde. En d’autres termes la poésie était à elle seule l’art-total dont le monde avait nécessité pour être exprimé et par là même supprimé. Dans ses esquisses du Livre, dans Le coup de dés, dans Les Noces d’Hérodiade, Mallarmé s’est adonné à cette tâche…

    Eric Calassou écrit de la poésie. Nous n’avons jusqu’à maintenant chroniqué aucun de ses recueils. Donc musicien et poëte. Penchons-nous sur trois vidéos dans lesquelles ii a mis en voix et en musique trois de ses textes.

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    Dans la nuit : (extrait du recueil Les anges de l’enfer) : la couve comme une tenture épaisse, pas aussi noire que l’on s’y attendrait, bleu sombre et reflets d’or : une basse à pas lents, une guitare qui crisse et se plaint, comme du verre sur lequel on marche, le morceau n’est pas très long mais si l’on en croit la longue énumération la nuit est longue, la voix n’est pas blanche, elle joue ses émotions, la nuit est porteuse de peur et de rêves inaccomplis durant les jours. La fin est surprenante, elle pose davantage de questions qu’elle n’en résout. Dans la nuit on ne fuit pas la noirceur du monde mais soi-même.

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    Nuit blanche : couve : soleil noir, ou araignée noire écrasée sur la matière blanche de votre cerveau. Cette nuit est plus éprouvante que la précédente, la boîte à rythmes boitille imperturbablement, le poëte nous la joue tragique, le drame n’est que l’expression de la comédie de la solitude que l’on se donne à soi-même, la guitare grésille, elle est comme ses yeux qui sont les derniers s’éteindre dans le poème de Tennessee Williams, le poëte est-il rattrapé par ses fantômes qu’il tente de fuir, l’on entend ses râles, petite ou grande mort, là est la question… Toujours est-il qu’il ne prononce plus une parole.

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    Ciel éclair : visage brouillé, derrière une vitre pluvieuse : la guitare aigüe telle une lame égoïne qui scie votre boîte crânienne pour savoir si Dieu s’est caché à l’intérieur, la double postulation baudelairienne, pluie de crachats, révolte et soulagement, des trois textes c’est le plus réussi, le mieux mis en bouche, la poésie est parfois comme un bonbon acidulé dont il est difficile de se débarrasser. Midnight rambler arpente le miroir de son âme…

             Grâce à Eric Calassou et ces six vidéos nous avons fait un long voyage. De la musique à la poésie. De la musique en poésie. N’oubliez pas, un autre chemin, life like poetry.

    Damie Chad.  

     

    NEWS FROM MARIE DESJARDIN

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             Ce n’est pas poli de suivre les filles, c’est vrai mais chez Kr’tnt ! on suit Marie Desjardins, avec assiduité, l’on ne peut s’en empêcher, en tout bien tout honneur, d’autant plus qu’elle réside au Canada, en plus c’est de sa faute, comment ne pas la remarquer, même de si loin, elle écrit de bons livres et d’excellents articles, en plus elle nous provoque, elle s’intéresse au rock’n’roll, comment voulez-vous que l’on ferme les yeux, c’est notre devoir de chroniqueur.

             Attention elle est maline, elle vient de m’apprendre quelque chose sur le rock que je ne connaissais pas, de surcroît sur un groupe que je connais bien. Que j’ai suivi disque par disque durant des années. Deuxième honte de ma vie, c’est un article qui est paru en août 2023 sur La Métropole, un magazine culturel  québécois que vous trouverez sur le net. J’avoue que si l’article n’avait pas été signé par Marie Desjardins je n’y aurais accordé aucune attention.  Je n’aime point trop Jésus Christ, encore moins lorsque à son nom est accolée la mention rock star, oui mais voilà c’est de Marie Desjardins, alors je lis. Et puis il y a le sous-titre Dans l’ombre ou la lumière. Déjà je choisis l’ombre.

             Tiens un vieux truc, cinquante ans d’âge, un film. J’ai des excuses de ne pas l’avoir vu, je ne vais jamais au cinéma. Donc un film sur Jésus Christ, un opéra-rock, déjà que j’ai trouvé les paroles de Tommy des Who, un peu gnangnan, oui mais il y avait les Who. C’est-là que je pousse un rugissement, j’ai bien lu, ce n’est pas un trouble visuel ce pourpre profond qui  empourpre mon cerveau, j’ai bien déchiffré, Deep Purple, ils auraient enregistré un disque sur Jésus Christ, non ce ne sont pas eux, c’est Ian Gillan le chanteur qui fut contacté pour les parties vocales, si vous voulez savoir la suite lisez l’article.

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             Vous y arriverez en passant par le FB Marie Desjardins Portraits Rock.

    Pas très loin vous avez un lien sur le nouveau site d’Offenbach, non pas Jacques qui composa des bouffonneries, l’autre : le plus grand groupe de rock du Canada (1970 – 1985 ). Ne comptez pas sur moi pour vous raconter la saga de ce groupe, vous trouverez le lien pour atterrir sur le site, une longue bio rédigée par Louis de Bonneville, Marguerite Desjardins l’a un peu aidé. Pour la remercier Louis Bonneville a construit un site consacré à Marie Desjardins. Ecrivain.

             Un petit conseil, n’oubliez pas de cliquer sur l’onglet ‘’nouvelles’’ vous n’avez pas que les titres, les textes sont à votre disposition… Nous en avons déjà chroniqué quelques-uns sur Kr’nnt !  Vous ferez des découvertes, je viens d’en faire deux, je vous en reparlerai bientôt.

             Ce site est vraiment bien fait, clair net et précis. Il permet d’embrasser le parcours de notre écrivain. Il n’y a pas que le rock’n’roll qui l’intéresse, ce qui est sûr c’est que désormais vous vous intéresserez à Marie Desjardins.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll ! 

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    Repli stratégique avait dit le Chef. Nous cavalions comme des fous vers l’Esplanade du Trocadéro. Nous ne savions pas pourquoi, mais le Chef le savait et cela suffisait. Il est des êtres qui sont comme des phares dans la tempête. Leur Intelligence salvatrice rougeoie dans la nuit noire comme la braise réconfortante d’un Coronado. Cette dernière comparaison ne tient pas la route, je m’en excuse auprès des lecteurs, je devrai l’améliorer quand je  relirai une dernière fois Les Mémoires d’un GSH avant de le confier à un éditeur impatient de lancer l’impression de ce chef-d’œuvre absolu, ce splendide cadeau jeté en pâture à l’’Humanité qui ne le mérite pas. Parfois dans des moments de doute je déraisonne en pensant que personne n’aurait assez d’intelligence pour en saisir le sens profond, que ce magnifique manuel de survie n’empêcherait pas l’espèce des hominidés de courir à sa perte.

    Les filles pensaient que pendant que nous contemplerions la tour Eiffel nous reprendrions notre souffle appuyés sur la rambarde. Il n’en fut rien, il fallut descendre au triple galop les escaliers et nous ne nous arrêtâmes que lorsque le Chef eut choisi sur la vaste pelouse un assez large espace éloigné de tout touriste avachi… J’intimai à Molossa et Molossito l’ordre de monter une garde vigilante autour de notre réunion impromptue.

    Avant tout le Chef alluma un Coronado :

             _ La situation est grave !

    Loriane lui coupa la parole :

             _ Parce que nous sommes partis du café sans payer ?

    Doriane lui répondit :

             _ Mais non, si le garçon nous avait poursuivis, le Chef l’aurait abattu immédiatement d’un coup de Rafalos, c’est un homme lui !

    Le Chef lui adressa un merveilleux sourire :

             _ Vous avez raison charmante enfant, sachez que nous sommes poursuivis par une terrible bande de malfrats, capables de traverser les murs, d’où la nécessité de tenir cette assemblée générale dans un lieu dépourvu de murs. Nous vous aurions invités avec plaisir dans les locaux Des Services Secrets du Rock’n’roll mais l’ennemi a déjà tenté de pénétrer dans cette forteresse invincible, nous les avons repoussés mais maintenant que vous êtes avec nous je ne veux pas que couriez le moindre danger. Ne vous affolez pas, si nous ne trouvions aucun abri sûr d’ici ce soir nous trouverons refuge dans les locaux de la CIA, ils nous accueilleraient avec joie, je pense qu’ils aimeraient devenir propriétaires du secret de la méthode qui permet de traverser les murs, cela les aiderait beaucoup à s’emparer des secrets des chinois qui rêvent de devenir la puissance mondiale numéro 1 et de s’emparer des Etats-Unis.

    Les yeux des jumelles brillèrent de mille feux. Il y a quelques heures encore elles n’étaient que deux lycéennes sages et elles se retrouvaient projetées pratiquement par un coup de baguette magique au cœur des affaires secrètes du monde.

             _ Chef, peut-être pourrions-nous nous mettre à l’abri dans la maison devant laquelle j’ai failli être enlevé par les passeurs de murailles.

    Les filles me regardèrent avec respect, n’étais-je pas un héros invincible qui au dernier moment se tire de tous les dangers. 

             _ Agent Chad, l’idée n’est pas mauvaise, je préfèrerais tout de même une autre solution, certes s’installer dans une demeure connue de nos ennemis est un merveilleux coup d’audace et de poker mais…

    Le Chef ne put terminer sa phrase. Non, ni Molossa, ni Molissito ne donnèrent l’alarme, ce fut Loriane qui proposa une solution miraculeuse :

             _ Vous n’avez qu’à venir à la maison !

             _ En plus papa possède une importante collection de disques de rock !

             _ Et il fume des Coronados !

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    Le lecteur m’excusera de ne pas fournir l’adresse exacte de ce petit havre de paix, de ce paradis terrestre qu’était la maison des parents de Doriane et Loriane. Une petite villa dans une rue perdue du seizième arrondissement  entourée des quatre côtés par une large pelouse impeccablement tondue. Du vaste salon central de larges fenêtres permettaient une surveillance quasi panoramique du moindre brin d’herbe.

    Le Chef puisa sans ménagement dans la large provision de Coronados du géniteur de nos deux héroïnes préférées. Molossa et Molossito remarquèrent très vite qu’en sautant de canapés en fauteuils ils pouvaient effectuer le tour de la pièce sans poser une patte sur le plancher ciré. Ils s’amusèrent comme des fous à faire la course sur ce parcours improvisé. Ils ne s’arrêtèrent que lorsque Loriane les appela pour leur offrir deux grosses tranches de pâté de sanglier aux truffes qu’ils dévorèrent en un clin d’œil… Après quoi ils s’allongèrent sur une table basse depuis laquelle ils avaient vue sur l’ensemble du jardin et décidèrent qu’au lieu de monter une garde éreintante et inutile, ils feraient mieux de prendre des forces pour être prêts à affronter les nouvelles péripéties que la suite de nos aventures ne manqueraient pas de leur procurer.

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    Le Chef alluma un Coronado, il avait décidé de tenir un conseil de guerre, la situation est grave et dangereuse avait-il  déclaré en préambule.

    • Agent Chad, je n’ignore pas vos connaissances en mathématiques sont plutôt médiocres mais en toute vérité sans vouloir vous faire mousser auprès de nos charmantes hôtesses, combien avez-vous abattu de gardes qui entouraient Géraldine Loup, prenez le temps de réfléchir pendant que je nous verse une lampée de ce merveilleux whisky de vingt ans d’âge.

    Après avoir froncé les sourcils, signes d’intenses réflexions et compté à plusieurs reprises sur mes doigts :

             _ C’est étrange Chef, j’aurais cru en avoir abattu davantage, toutefois en revisualisant mentalement la scène, je me dois de reconnaître que je n’en ai mis hors de combat que le ridicule chiffre de huit.

             _ C’est à peu près ce que j’escomptais, pour ma part je n’ai guère fait mieux, à peine neuf !

    Les filles poussèrent des exclamations de joie et nous applaudirent mais le Chef doucha leur exubérance :

              _ Or j’ai compté et recompté les cadavres, vingt-quatre en tout. Si je ne m’abuse huit plus neuf égalent :

             _ dix-sept !

    _ Exactement, jeunes filles, nous avons donc sept cadavres de trop !

    _ Ne seraient-ce Chef pas quelques agents de la CIA qui nous auraient filé un coup de main en douce.

    Le Chef prit le temps d’allumer un Coronado, d’aspirer longuement puis d’expirer un long panache de fumée digne d’une locomotive à vapeur :

             _ J’y ai pensé, mais non, les ricains aiment bien se faire voir, ils se seraient débrouillés d’une manière ou d’une autre pour nous faire signe. En plus un léger détail m’oblige à penser que ce ne sont pas eux, figurez-vous que sur les sept cadavres six ont reçu une balle entre les deux omoplates, je n’ai pas eu l’occasion de mesurer mais je jurerais que c’est au juste au centre, pour ainsi dire au millimètre près.

             _ Chef, la CIA n’a pas la réputation d’embaucher des manchots !

    Les filles m’approuvèrent et citèrent une vingtaine de films d’espionnage américains. Le Chef les écouta avec magnanimité mais reprit la parole.

             _ Franchement j’aurais préféré être confronté à des tireurs d’élite américain qu’à l’individu qui s’en est pris à nous ! Ne nous trompons pas, aussi étonnant que cela puisse paraître, il n’est pas venu pour nous défendre, au contraire il était déterminé à se débarrasser de ces empotés qui l’empêchaient de viser l’Agent Chad ! Voyez-vous Agent Chad la mort marchait vraiment à vos côtés.

             _ Il y en a pourtant un, Chef, qui m’avait subrepticement délesté de mon revolver, ils étaient-là aussi pour moi.

             _ Oui mais pas pour vous tuer, vous empêcher de vous défendre oui, vous étiez un gibier de choix réservé !

    Loriane se serra tout contre moi.

             _ Lorsque j’ai déglingué votre voleur, tous les autres se sont jetés sur vous, ils ont paniqué, ils ont voulu vous abattre, ce n’était pas prévu dans le plan, vous étiez la seule cible qui importait, ils ont payé de leur vie leur affolement. 

             _ Donc d’après vous…

             _ D’après moi Géraldine Loup n’était pas la cible prioritaire, peut-être même n’a-t-elle été  plus tard qu’une victime collatérale, faute de grive on abat une merlette ! C’était vous qui étiez LE numéro 1 sur la liste !

             _ Donc le tueur…

             _Agent Chad, n’avez-vous jamais entendu parler de la théorie du genre, c’est très à la mode par les temps qui courent !

    A suivre…