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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 100

  • CHRONIQUES DE POURPRE 249 : KRTNT ! 369 : TONY MARLOW / SUBWAY COWBOYS / CRYSTAL & RUNNIN' WILD / NOËL DESCHAMPS / HOT CHICKENS / JAMES BALDWIN / SEBASTIEN QUAGEBEUR

     KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 369

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    12 / 04 / 2018

    TONY MARLOW / SUBWAY COWBOYS

    CRYSTAL & RUNNIN' WILD

    NOËL DESCHAMPS / HOT CHICKENS

    JAMES BALDWIN / SEBASTIEN QUAGEBEUR

     

    Marlow le marlou

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    Qu’est-ce qui rend un personnage comme Tony Marlow si attachant ? Sa passion pour le rock’n’roll et le rockab ? Sa gentillesse naturelle ? Son côté vieille France franco-belge ? Et s’il s’agissait d’un subtil mélange des trois ? Tony Marlow fait partie de ceux qu’on pourrait appeler les survivants passionnants. Il vient d’une époque qui paraît s’éloigner un peu plus vite chaque jour, mais s’il joue sur scène c’est justement pour lui redonner vie. Il rallume la flamme, mais à sa façon, légère, souriante, extrêmement artistique. On sent un côté music-hall chez Tony Marlow. D’ailleurs, s’il tape dans la môme Piaf avec «L’Homme A La Moto», ce n’est pas un hasard, Balthazar. Oui, on sent chez lui l’enfant de la balle, au sens fort. Si l’une de ses chansons s’appelle «Rockabilly Troubadour», ce n’est pas non plus un hasard. Il porte une chemise western noire et un pantalon de cuir noir, il joue sur une Gibson SG, mais ce qui frappe le plus, c’est la finesse de ses traits et l’éclat de son sourire.

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    Tony Marlow appartient à cette caste d’artistes vieille France, à cette aristocratie artistique issue des faubourgs et des vieilles vagues d’immigration, celles qui firent de Paris la capitale culturelle du monde, les vagues d’Italiens, d’Espagnols, de Russes et puis bien sûr les Pieds Noirs. Un soupçon de guerre d’Algérie, une pincée de jazz, quelques grammes de bases militaires américaines, et la radio : cette époque va disparaître avec ses témoins, mais pour l’heure, elle reste bien vivante. Quand on voit Tony Marlow, on pense bien sûr à Marc Zermati, car ils ont en commun une forte présence physique et cette passion pour le rock qui relève du meilleur instinct. Et toute la poésie, la légèreté, l’entrain et le talent qui émanent de Tony Marlow renvoient bien sûr à Charles Trénet. Rockabilly troubadour ! Oui, il se situe à ce niveau d’excellence. Dans les rades de banlieue, on appelait ce genre de mec un aristo-chat. En qui, disait Baudelaire, tout est comme en un ange aussi subtil qu’harmonieux.

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    Entre chaque chanson, il éclaire les lanternes, il rappelle par exemple qu’il a commencé comme batteur dans les Rockin’ Rebels, sur Skydog, avec Marc Zermati comme producteur. Et pouf, il propose le tout premier titre qu’il ait enregistré, «Western». Il nous replonge dans le sacré d’un son ancien. Oh, il était de bon ton de cracher sur les Rockin’ Rebels, mais on le sait, les cracheurs ne sont pas les écouteurs. En 1982, les Rockin’ Rebels enregistrèrent 1, 2, 3... Jump, un album de swing phénoménal. Dès «Loli Lola», JP Joannes drivait le bop sur sa stand-up. On sentait un côté très Boris Vian et un fort parfum de jazz hot dans «Hoodoo». Ce dingue de Joannes swinguait son beat sans vergogne. Un cut comme «Bleu Comme Jean» incroyablement groovy et mal chanté pouvait interloquer, c’est vrai, mais les Rebels maintenaient le cap droit sur l’étoile polaire, c’est-à-dire la solidité du romp. Ils donnaient une belle leçon de swing avec «A Kiss From New Orleans». JP Joannes et JJ Bonnet constituaient une section rythmique de rêve. Dans «Gallupin’», ce démon de Joannes gamifiait ses gammes à outrance. Et ça repartait de plus belle en B avec un «Hey Bon Temps» mal chanté mais swingué jusqu’à l’os. «Cinq Chats de Gouttière» sonnait très Chaussettes Noires, mais comme ça slappait oh boy ! Ils nous shootaient du New Orleans barrelhouse dans «Bim Bam Ring A Leavio» et redoublaient de jivin’ juicy jive dans «Preacher Ring The Bell». Et jusqu’au bout de la B, ils swinguaient à la vie à la mort, avec des merveilles comme «Dansez Dansez» et «Bop Jump And Run».

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    Pendant son set, Tony Marlow rend aussi hommage à Victor Leed avec «Le Swing Du Tennessee», puis à Chuck Berry, avec une édifiante reprise de «Rock At The Philarmonic». Pur jus de swing ! D’autant plus pur qu’Amine le slappeur fou fait un véritable numéro de cirque sur sa stand-up. Depuis le début du set, on voit bien qu’il laboure à tort et à travers et qu’il piaffe. Par moments, il joue tellement de dédoublements de doublettes dédoublées qu’il semble à côté, comme s’il fonçait à l’aventure, tel un poulet décapité. Il fait des petits bonds d’exacerbation congénitale et bam-balamme littéralement ses cordes de coups de paume.

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    On n’avait encore jamais vu ça ! Autant Tony Marlow joue la double carte du délié byzantin et de la précision, autant Amin rue et piaffe comme un étalon sauvage que personne ne saura jamais dompter, même pas Zorro. Ce slappeur fou ne regarde jamais où il met les mains, il joue à deux cent à l’heure en fixant des gens dans le public. Le contraste des deux styles fait l’incroyable force du set. Autre reprise de choix : «My Baby Left Me» qu’Amine introduit à sa façon, en vraie bête de Gévaudan. Et quand il rend hommage aux Blue Caps, on voit bien que Tony Marlow a travaillé les gammes du vieux galopeur Gallopin’. Musicalement, il est irréprochable. Joli travail d’artisto-chat.

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    L’autre album de Tony Marlow qu’on pourrait recommander s’appelle Knock Out, sorti lui aussi sur Skydog. Tony Marlow y propose une A rockab et une B rock’n’roll. Il attaque sa face rockab avec un «Action Baby» bien boppé de la bobinette. Il atchoume son action - Don’t stand hangin’ on the line - Et ça repart de plus belle avec «Just The Talk Of The Town» qu’il chante d’une voix de mineur cancéreux, c’en est presque boogaloo, mais quelle santé pulsative ! Encore une belle pièce de jive pantelante avec «Swamp Sinner». Tony y sort son meilleur boogaloo et derrière lui, il a du beau monde. Quel son ! Il finit l’A avec un «Get Crazy» amené au petit riff d’attentisme carabinant. Pure rockab attack - Get crazy ! - très beau son de dos rond et puissances des ténèbres en filigrane. Fatalement, la B accroche moins, car le rock’n’roll vire assez vite au cousu de fil blanc comme neige. Il faut attendre «My Search» pour frémir. Tony le prend à l’insidieuse sur un gros son sourd et il termine avec deux reprises de choix, «Jezebel» et «Fought The Law».

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    En première partie jouaient les Subway Cowboys. Pas facile de monter sur scène après des mecs aussi brillants. Aux qualités de Tony Marlow, il faut ajouter le courage. Et pas n’importe quel courage : celui de l’intelligence. Grâce à Tony, les Subway Cowboys ont du monde. Pendant le premier cut, ils font illusion : on pourrait les prendre pour des mecs de Nashville, tellement c’est en place, bien chanté, bien slappé, bien battu et bien télécasté. Mais non, ce sont des banlieusards. Une sorte de James Burton en herbe joue en lead. Tout ce qu’il joue relève du plus haut niveau, d’où le référentiel. Il dispose de cette facilité à égaler les plus grands, chacune de ses interventions est un miracle d’élégance jivy, il tire ses accents country dans un rumble d’Americana qui lui semble propre. Il joue avec ce qu’on pourrait appeler une précision inspiratoire. C’est d’autant plus stupéfiant qu’il parvient à rocker tous ces cuts d’Honky Tonk et à leur donner vie. On le sait, le Honky Tonk est un genre difficile, situé à la lisière du fleuve et de la country, et pour tenir une heure, il faut l’étincelle. Les Subway l’ont. Et quelle étincelle ! Il faut voir ce batteur jouer à l’économie, avec souvent des balais pour fouetter le cul rebondi du beat, et ce slappeur qui bat ses cordes comme s’il jouait des congas à Congo Square. Rien qu’avec une telle section rythmique, la partie est gagnée d’avance. Ils tapent une belle version de Folsom et terminent avec un vieux coup d’Hank Williams. Mais curieusement, ce sont leurs compos qui accrochent vraiment. Le James Burton en herbe s’appelle Fabien et le chanteur du groupe vaut tous les géants d’Amérique : posture, allure, galure, césure, il a tout, et cette façon de battre les accords à la syncope de cyclope. Fantastique équipe !

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    Signé : Cazengler, Tony Barjow

     

    Tony Marlow. Le 106. Rouen (76). 23 février 2018

    Rockin Rebels. 1, 2, 3... Jump ! Underdog 1982

    Tony Marlow. Knock Out. Skydog 2009

    TROYES07 / 04 / 2018

    3B

    CRYSTAL & RUNNIN' WILD

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    Je conduis comme une brute. Je brûle les feux rouges, j'écrase les grands-mères sur les passages piétons. La teuf-teuf laisse une trace sanguinolente derrière elle. Je suis pressé. Que voulez-vous un problème de conscience me taraude et me rend insensible à toute souffrance humaine.

    Je suis un tricheur, un voleur, un meurtrier, un assassin, je ne trouve pas un mot qui puisse exprimer toute mon ignominie, il ne doit pas en exister dans la noble langue françoise. Ce n'est pas de ma faute. Je n'y suis pour rien, un malheureux clic sur internet et en un milliardième de seconde j'ai piétiné mes principes les plus sacrés. Je m'explique, lorsque je file au 3 B, je suis toujours la même règle de fer que je ma suis prescrite. Lorsque je vais voir un groupe que je ne connais pas, je m'interdis de chercher à en savoir plus. Je ne surfe pas sur You Tube pour trouver des vidéos, je ne visite ni son FB, ni son site. J'entends juger le gibier sur place et sur pièce, en direct et en public, je me méfie des jugements hâtifs – des miens comme des autres – j'entends appréhender l'objet de ma curiosité insatiable de rocker incorruptible, hors de toute prévention, qu'elle soit positive ou mauvaise.

    Z'oui mais voilà voici huit jours, par la plus grande inadvertance, sans même le vouloir j'ai enfoncé la touche de Rhythm Bomb Records, voulais vérifier je ne sais plus quoi et plouf je tombe sur une vidéo de démonstration, un montage de groupes, qui se suivent sur scène, je zieute d'un œil distrait, entre parenthèses je suis obligé de reconnaître qu'ils n'envoient pas la purée au compte goutte, lorsque tout à coup je reste tétanisé, la plus grande catastrophe depuis l'extinction des dinosaures me tombe sur le coin de l'oreille, un truc à vous casser les éléphants en deux, mais qui sont ces sauvages, de quel endroit reculé du Tennessee sortent-ils, de quel bayou de la plus profonde Louisiane émerge-t-il ? Lorsque le nom s'inscrit sur l'écran, je sursaute, je les connais, non je n'ai pas la berlue, Berlot Béatrice la patronne nous a prévenus qu'elle les avait programmés, oui Cristal & Runnin' Wild passent dans une semaine au 3 B !

    Confronter le rêve entrevu à la plate réalité n'est-ce pas courir au-devant de la plus amère déception ? Ce soir en pénétrant dans le 3B j'ai l'impression de marcher sur des œufs de brontosaure. Coquille pleines ou vides. Même pas quitte ou double. Plutôt meurs de déréliction ou crève d'enthousiasme.

    CRYSTAL & RUNNIN' WILD

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    Il y a des secondes qui vous réconcilient avec le bonheur. L'est pourtant tout seul. Les trois autres lui laissent tout le boulot d'intro. Pas grand-chose, quinze secondes, pas une de plus, mais pas une de moins. Solitaire, yeux bleus, chemisette rose, cheveux tirés en arrière, s'appelle Jack O Roonnie, ne donne pas stupidement le la sur sa contrebasse, vous refile la pulsation originelle, les poètes vous parleront de la première vibration universelle dont les échos se solidifiant donneront naissance à notre monde. Les esprits cartésiens – ils sont légions – n'iront pas chercher midi à quatorze heures, arrêtez de bavasser les gars, c'est juste du jazz. Ils n'ont pas tort non plus. Même que l'autre escogriffe avec sa queue de cheval et son chapeau de cowboy, pique des deux sur la grosse caisse, et vous met en branle la charleston, va vous la faire fonctionner à toute vapeur durant les trois sets, une véritable soupape pulsatrice d'induction rythmique. Johnny Trash est son nom. Je vous conseille de ne pas le quitter des yeux. L'est comme la dynamite sur le feu, sourit à pleines dents, en recherche perpétuelle de la bêtise à ne pas faire. L'a la banane méchante, les cheveux qui pointent par-devant à la manière des rostres des navires de combats de la marine romaine. Si on ne le connaissait pas, on aurait peur, mais on l'a reconnu, à sa guitare, Patrick Ouchene qui officiait dans les Bop A-Tones aux côtés de Michel Texier alias Mike Phantom – résumé de cet épisode homérique dans la livraison 358 du 28 / 01 / 2018 – vous remet en trois coups de strings, le bop dans le bon sens.

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    Là, vous vous dites, pas mal les Runnin' Wild. Vous n'aurez pas tort. Mais il vous manque un peu de lucidité dans le cristallin, car s'il est vrai que les Runnin' vont être plus sauvages que vous ne l'espériez, vous n'avez encore rien vu et surtout rien entendu. Sur le premier morceau vous aviez des excuses, le cowboy qui vous fait des chœurs foutraques d'opéra, et puis il y a sûrement un truc qui ne va pas à la sono, Fab s'est trompé, lui a mis le micro trop fort et n'a pas assez poussé sur les musicos. Mais non Fab ne se trompe jamais. C'est qu'elle est là, vos perceptions auditives et visuelles en sont chamboulées, toute belle, toute simple, cheveux blonds et lèvres rouges, pudique foulard blanc qui cache la naissance de sa gorge, Crystal, elle l'annonce un morceau de Patsy Cline. Pastis fortement alcoolisé. Sans eau. Quelle voix, quelle beauté, quelle aisance ! Une manière d'écraser la première syllabe d'attaque – me fait immédiatement penser aux tout premiers enregistrements de June Carter – que voulez-vous l'on est doué de naissance ou on ne l'est pas – et de monter très haut en puissance. Même pas une technique mais l'instinct divin et le feeling diabolique – le père Noël a dû lui vider sa hotte entière dans ses chaussures au premier jour de sa naissance. A maudire vos parents pour le peu qu'ils vous ont transmis. D'ailleurs son Dad à elle est à ses côtés. Patrick Ouchene, guitare en bandoulière, les doigts en perpétuelle recherche. Mais attention l'esprit veille et commande. Adore l'audace, un riff est un bon riff, certes mais l'a intérêt à ne pas se répéter, faut qu'il sache se déstructurer pour apparaître sous une autre forme, ce soir notre guitar-héros est d'inspiration cubiste, comme ces portraits de Picasso qui vous mélangent tous les détails d'un visage avec les objets du décor pour qu'il en sorte encore plus étrangement ressemblant.

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    Voyage au travers de cent cinquante ans de musique populaire américaines escale dans tous les genres, blues, country, jazz, hillbilly, rockabilly, rawkabilly, psychobilly, doo wop, surfin', arrêt à tous les étages du rock'n'roll. Quatre fous amoureux du rock'n'roll. Jack le taiseux, laisse parler sa big mama pour lui, heureusement que de temps en temps les autres s'arrêtent de jouer pour qu'on puisse se rappeler que sans sa brasse généreuse, tout le quatuor coulerait au fond de l'eau comme un fer à repasser. Encore un irremplaçable, mais d'un tout autre genre, Johnny Trash – la voix caverneuse de Johnny Cash, mais pas le tempérament. Trop exubérant pour cela. Pourrais difficilement décrire son style à la batterie, tout ce que je peux affirmer, c'est qu'il tape, fort, juste et à bon escient. Mais il semble toujours être en train de faire autre chose, viendra par exemple nous jouer de sa guitare customisée avec cordier en fil de fer, l'a dû avoir une nostalgie de banjo au montage car il a piqué le hublot de la machine à laver, et cela s'entrechoque en produisant le son caractéristique d'une washboard entre blues et jazz. Frappe aussi sur ses tambours avec ses maracas manière de glisser des petits cailloux dans les souliers du rythme.

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    Sont trois à accompagner Crystal, et Crystal sait s'écarter et les laisser s'éclater ensemble. Plus de Crystal, de l'instrumental. Un splendide Link Wray, Patrick Ouchene en maître symphonique, la guitare qui rumble à mort, maîtrise la secousse sismique, agite des mains en sorcier indien qui appelle les orages, guide la tornade droit sur vous et la renvoie au loin au dernier moment, vous emporte dans des imprécations tonitruantes, vous fait chevaucher la foudre et la tempête, et tout s'arrête aussi brutalement que cela avait débuté. Vous laisse abasourdis, privés de sens et de son.

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    Oui mais Crystal. Sidérante. Déconcertante. Quel que soit le rythme, quelle que soit la tonalité, et parfois les entames des morceaux sont d'une trame si resserrée qu'il vous paraît impossible que quiconque puisse y placer sa voix, mais elle la pose naturellement, vous facture la porte, en douceur, s'installe, l'est chez elle, se promène dans l'appartement, s'allonge sur le sofa, ouvre le frigo, ou alors elle vous bazarde les meubles par la fenêtre parce qu'elle a envie de changer la tapisserie. Princesse de sang royal, qui ne se permet jamais un caprice qui ne vous semblerait l'évidence d'une nécessité absolue. Un Etta James à vous mettre dans tous vos états, un Jezebel ricochant entre la version de Gene Vincent et celle d'Edith Piaf, mais ce n'est pas tout, nous n'avons pas encore quitté le rayon des classiques, un sentier somme toute assez bien délimité, une petite acrobatie jazz sans filet, les trois musicos s'enfuyant grand-est alors que toute seule elle file vers l'abîme en surfant sur la cime des vagues géantes. Un peu de sport, juste pour se mettre en forme.

    Il est temps d'ouvrir les portes de la folie pure. Surprise, c'est le chat qui entre. Pas celui des Stray Cats, le greffier de Crystal. Toute la salle en profite pour se mettre à miauler. Notre chance de tous finir en camisole de force à Charenton. Une seule consolation c'est qu'on embarquera en priorité le combo. Sans come back. Crystal s'amuse comme une possédée. L'on ne saura jamais exactement ce qui est arrivée à cette maudite bestiole porteuse de malheur, et peut-être vaut-il mieux ainsi. Séance films d'horreur. La pure jeune fille et les quarante zombies, que voulez-vous qu'elle fît devant un tel défi ? Lui courent après, alors elle crie comme si sa dernière heure était arrivée. Doit y prendre un plaisir pervers, car maintenant elle screame comme si elle découvrait une grosse araignée noire et velue dans sa chambre. Elle en a les yeux qui pétillent de malice et la voix qui vous percerait le plafond. D'autant plus que les Runnin' Wheels n'en perdent pas une pour nous construire une séquence bruitage, jusqu'à Jack qui vous pousse un glapissement de renard à vous glacer le sang.

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    C'est fini. Ovation et sidération. Les disques et les T-shirts sont pris d'assaut. Une soirée exceptionnelle. Crystal toute belle, toute fraîche, jambes fuselées, franges blanches au bout de sa robe, anneaux de gitanes et yeux de biche, toute simple, une grande chanteuse. Merveilleuse.

    Damie Chad.

    ( Photos : FB  : Béatrice Berlot /

    FB : DjRockin Cats with Fab )

    PARIS / 24 – 02 - 2018

    JAZZ CLUB MERIDIEN ETOILE

    NOËL DESCHAMPS

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    Nous avons tous nos petites manies innocentes même si nous préférons nos travers les plus nocifs, pour moi c'est tout simple une fois par mois je pars en maraude. Pas très loin, sur You Tube. Je vais voir au cas où. Peut-être quelqu'un aura eu l'idée de rajouter une vidéo de Noël Deschamps. J'avoue que je rentre très très souvent totalement bredouille. Me console en visionnant la majorité de celles qui y sont déjà. Mais ce coup-ci, je ferre le gros poisson, trente-neuf minutes de Noël Deschamps sur scène. Pas très loin à Paris au Jazz Club du Méridien Etoile – rappelez-vous le Cat Zengler nous avait emmené y voir Vigon ( voir Kr'tnt ! 161 du 30 / 10 / 2013 ) - voici pas très longtemps, le 24 février 2018, le genre de truc que je n'aurais pas manqué pour deux empires et qui a malheureusement échappé à mon flair de rocker, vraisemblablement un coup tordu de la CIA.

    Les apparitions de Noël Deschamps sont rares. Il fut pourtant un de nos plus valeureux et originaux pionniers. De 1964 à 1968 il fut un des rares à porter le flambeau du rock français. Fut malheureusement oublié après Mai 1968, la nouvelle vague de jeunes chevelus qui découvrirent le rock, en leur an de révélation 1969, fit totale impasse sur tout ce qui s'était passé de par chez nous, les années précédentes. Fit partie de la toute première génération, celle du Golf-Drouot, l'est né en 1942 – Johnny en 43 – ce n'est donc pas un dernier-né qui gesticule sur scène. Vous laisse faire le calcul vous mêmes.

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    L'a la classe Noël dans sa chemise blanche, le cheveu blanc, le gestes souples et sûrs, bouge comme un jeune homme. Une chose qui ne choquera pas les nouveaux venus, l'a gardé son timbre de voix si particulier, intact. Ce que je trouve de fabuleux chez Noël Deschamps c'est qu'il est le seul français à chanter le rock sans chercher comme tous les autres à imiter le phrasé anglais ou américain. L'a un organe particulier, l'on disait que sa voix courait sur trois octaves, moi j'ajouterai qu'elle se faufile dans l'herbe tendre de la mélodie pour brusquement se lever comme une tête de cobra royal, et vous êtes déjà mort que vous n'avez pas encore compris ce qui vous arrive. L'a dans son larynx un grain de démesure qui n'appartient qu'à lui, un soupçon voilée et d'une clarté extraordinaire.

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    Nous interprète neuf de ses titres les plus connus : Tout ira très bien, une tambourinade échevelée d'une précision extrême, Je n'ai à t'offrir que mon amour, belle cover de Don't Let be me Misunderstood des Animals, Bye Bye Monsieur une composition qui à l'époque ( 1967 ) témoignait que Gérard Hugé son producteur connaissait les Memphis Horns mais refusait de copier platement, une très belle version de Lonely Avenue sur laquelle il joue aussi de l'harmonica, sa superbe adaptation du Bird Doggin de Gene Vincent réécrite en art de vire rock'n'roll, Oh la hey ! compo originale de Bashung des mieux enlevées, Noir mon frère, un titre de son album de 1984 chez Big Beat, et Te Voilà le tube de Rob Argent des Zombies sur lequel Pussy Cat – elle fut l'égérie de Gérard Hugé - lui donne la réplique.

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    La vidéo donne des extraits des deux sets de la journée. Certains morceaux seront donc donnés deux fois. Ce qui ne fait que doubler notre plaisir. Nous avons même en prime une interprétation de Jusqu'à Minuit de Johnny – la voix de Noël fatigue un peu, mais l'énergie est là. Deux guitares, synthé, basse, batterie et un très bon saxophone. Pussy Cat pour les choeurs.

    Une de mes idoles. De toujours.

    Damie Chad.

    *

    L'exemple idéal de ce qu'il ne faut pas faire. Vous rentrez tout fier de concert, vous déposez religieusement le CD que vous en ramenez sur la pile des disques à écouter en urgence absolue. Vous connaissez la suite autant que moi : les nécessités cruelles de la vie, les aléas imprévisibles de l'existence qui se mettent en travers de vos décisions les plus péremptoires. Lendemain soir 21 heures, vous vous apprêtez à glisser la rondelle fabuleuse dans l'appareil quand fort inopportunément le téléphone sonne :

     

    - Allo Damie !

    - Salut Noémie !

    - Ecoute-moi bien Damie, c'est très grave ! J'avais décidé de passer chez toi pour te faire un bonjour surprise, je suis dans le métro et horreur je m'aperçois que j'ai oublié mon pyjama à la maison !

    - C'est terrible Noémie, je ne te l'ai jamais dit, mais je dors tout nu, depuis le jour où ma maman m'a jeté dans ce monde sans pitié !

    - Oh! Damie c'est affreux, comment allons-nous faire ?

     

    Exactement les genres de vicissitudes qui n'arrêtent pas d'empoisonner la vie du rocker de base. Comment voudriez-vous que le lendemain matin après une nuit sans sommeil à tenter de résoudre ce douloureux problème vous pensiez encore à votre disque ? Bref deux ans plus tard grâce à l'écroulement de la fatidique pile vous vous apercevez qu'il serait quand même temps de tenir vos engagements prioritaires. En plus, c'est du lourd :

     

     

    HOT CHICKENS

    OFFICIAL BOOTLEG

    Live @ Gedinne / August 24 th 2013

    ( Chikens Records )

    Hervé Loison : Vocal, Contrebasse, harmonica, guitare rythmique / Christopher Gillet : guitare / Thierry Sellier : batterie.

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    Keep a knocking : me souviens encore de l'avertissement du grand Jake quand j'ai choisi le CD «  Ah ! Tu sais, c'est pratiquement du garage ». Comme je n'ai nulle prévention envers le garage et ses huiles de vidange qui sentent le cocktail molotov je n'ai pas hésité une seconde et le monstre est sur l'appareil. J'avoue que ça commence mal, le bruit d'un démarrage de 2 Chevaux au starter ( je vous parle d'un monde que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître ) puis il y a ce ronflement hargneux de sanglier que vous venez de réveiller dans sa bauge et la bogue de châtaigne richardienne qui vous arrache le visage. Et c'est parti pour un fuckin'time de rock'n'roll, préfèrerais ne pas vous parler de Thierry Sellier qui tapote sur le tambour la marche militaire qui accompagna les grenadiers de l'Empire lorsqu'ils se mirent en marche vers le soleil d'Austerlitz, mais ça se transforme rapido en chasse à courre et Christophe Gillet qui vous dépose des riffs explosifs à la nitroglycérine juste pour vous rappeler que c'était comme ça au bon vieux temps du rock'n'roll. Et c'est sur ce background que Loison joue à la diva d'opéra, un rôle qui lui va à merveille, quant elle est en colère parce que l'on a reproché à son chiwahwa, une perle, d'avoir pissé au pied du micro et que la star souffle le ramdam sa grosse voix et son immense caprice pour que le directeur en personne vienne présenter ses excuses à l'adorable et innocente peluche. Bref vous l'avez compris, ça chauffe. Rockabilly boogie : hurlement d'entrée pour saluer Johnny Burnette, une espèce d'avalanche rocailleuse avec Thierry qui fend les rocks avec sa baguette Durandal et Christophe qui vous poinçonne les notes à la visseuse ultra-rapide. Quand à Loison quelqu'un a dû rayer un de ses trente-trois tours d'Elvis, car franchement il est d'une humeur massacrante. Tronçonnante même. Jeannie Jeannie Jeannie : petit Richard mais grand shouter, Christophe vous envoie la valse à forte amplitude, Thierry vous beurre la tartine des deux côtés au venin d'aspic et Loison vous rappelle la petite Jeannie d'une façon si autoritaire, l'en nasille de colère, que si une ligue féministe en vient à écouter le skud, il terminera sa vie en prison. My baby runs away : n'en fait pas mystère, le clame à haute voix, deux morceaux tirés de son ancien groupe Mystery Train, je ne sais pas si vous l'avez remarqué mais les rockers n'aiment pas que leurs poupées se cassent, l'en fait tout un roquefort affiné le Jake, et les deux autres en profitent pour se laisser aller aux plaisirs d'un background coupable, le poussent un peu dans ses retranchements, le Loison dans une colère de fou, il éructe à la manière d'un dromadaire à qui l'on vient d'interdire de boire. Motorcycle girl : éloignez les enfants, Jake pète trois durites d'un coup, ne chante plus, il crie, il hurle, imite le bruit d'une moto, un truc horrible même Thierry et Christophe ont la frousse de leur vie, vous hâtent la cadence à 323 kilomètres heure, sont pressés de finir le morceau, veulent rentrer vivants chez eux, mais pas de chance Loison les rattrape sur la bretelle de l'autoroute. Les carottes sont cuites et les chickens are very hot. The devil and me : ça ne pouvait que mal tourner, voici que le diable s'en mêle, Loison chante comme l'on ricane en bécane, et les deux acolytes vous tressent une tenture musicale de toute beauté, si vous n'en étiez pas convaincu maintenant vous l'admettez, rien n'est plus beau que le rock and roll, un solo de guitare à vous faire entrer dans les ordres, bon Loison vous scalpe un peu avec son vocal de chevrolet aux ailes carbonisées et Christophe rajoute une deuxième couche de coups de fourche. Don't touch what you can't afford : le titre en lui-même est un avertissement, l'interprétation une menace atomique, et la musique un accomplissement. Destructif. Quand Loison vous dicte les dix commandements du rocker vous avez intérêt à filer doux car la maison ne fait pas de crédit. Just reelin' & rockin' : un petit côté country, mais le bonheur est de courte durée sur cette planète, un serpent sous chaque motte de terre et un colt dans chaque saloon, en plus Christophe et Thierry déclenchent une bagarre générale et Hervé vous pousse des piolets de joie sur les décombres fumants. Cruel Lou : Loison s'en prend au public, un truc classique quand une fille vous a fait du mal vous cherchez du réconfort auprès des copains et c'est parti pour un chant indien, vous savez ceux que l'on entonne juste avant d'enfourcher les poneys sur le sentier de la guerre, le combo vous joue en sourdine l'attaque du fort, le moment idéal pour se plaindre de la jolie Lou, Thierry en massacre sa batterie, Christophe tire sur ses cordes comme sur les viscère d'un chat et c'est parti pour le grand pow-wow, miaulements d'horreur et tout le bataclan, la suite est déplorable, Hervé Loison est devenu fou, parle tout seul, vaticine comme s'il annonçait la venue du messie, Thierry essaie de le faire taire en lui enfonçant la tête à coups de baguettes-marteaux, mais la bête parvient à s'échapper, grognasse comme un ours blanc privé de banquise que vous venez d'expulser de votre frigidaire, chants d'indiens dans le lointain, charivari monstrueux qui se termine abruptement, l'on ne sait pas pourquoi. Miss Froggie : maintenant l'on sait : pour jouer un petit morceau de rock'n'roll ! Et Miss Froggie arrive en trombe, Christophe imite le froufrou de sa robe tournoyante, à chaque battement de sa baguette Thierry lui descend sa culotte, ne cherchez plus loin à comprendre pourquoi le rythme s'accélère soudain, elle est toute nue et Loison en claque sa langue de bonheur. La fin du morceau n'est pas morale. Folie collective. Lovin'up a storm : rien de tel qu'un gros orage pour électriser l'atmosphère qui n'en a pas besoin mais ça peut toujours servir surtout quand on appelle Saint Jerry Lou, le diable en personne, à la rescousse, Gillet martyrise sa pumpin' guitar et l'on subodore que Loison s'en va voler avec les anges portés à bout de bras par un public survolté. L'en revient tout excité, vous expédie le vocal au lance-pierre. Fait mouche et caïman à chaque fois. Ne vous reste que vos jambes cisaillées pour danser. Plus qu'il n'en faut pour être heureux. Shake your hips : Jake a sorti son harmonica comme l'on dégainait son colt dans les bouges de Chicago. L'est vrai que ça bouge salement. Le blues ne fait pas de pitié. Vous bouscule le rock'n'roll comme une vulgaire serpillère et vous l'accule dans ses derniers retranchements. Deux sacrés fils de pute qui déchargent sperme et balle dum-dum à foison. Le combo virevolte comme un groupe de derviches tourneurs. Et quand la machine s'arrête, vous repartez aussitôt en marche arrière. Stompe mais ne stoppe jamais. L'harmo siffle comme une locomotive et la batterie boogie-boogise à mort, le chauffeur Loison court sur les toits des wagons, ne sait plus où il a mis sa pelle à charbon alors il hurle à la lune et à tous les soleils intergalactiques, aussitôt imité par le public toujours prompt à s'embarquer dans le premier delirium tremens qui passe et trépasse. Unchained melody : après la tornade, un slow, six secondes, ne faut jamais abuser des bonnes choses, la suite ressemble à une catastrophe ambulante qui fonce sur vous et qui vous emporte au pays des exagérations putrides. L'on en pleurerait presque et la musique vous englobe comme une cloche à fromages charançonnés. Si vous aviez cru entourer de vos bras câlins votre voisine, c'est raté, il y longtemps qu'elle a dépassé l'extase clitoridienne dans cette tempête tonitruante. Vous n'existez plus. Pour elle. Pour vous, non plus. Surfin bird : Loison sort son petit oiseau de la cage. Un aigle royal qui déplie ses ailes et n'entend pas renoncer à sa liberté. Maintenant Jake aboie comme un chien en colère, transforme sa voix en bande-son de dessin animé désarticulé et c'est parti pour l'ultime ouragan de 1887 qui dévasta l'Oregon. Aucun survivant. Misirlou : Christophe prend le devant de la scène, surfe sur sa guitare comme Dick Dale sur sa planche à voile, et le public joue les jolis chœurs. Liesse collective, l'avion se pose en bout de piste et vous écrase consciencieusement. Tout le monde s'en fout, c'est trop bon. Bony Moronie : un dernier bal avec la petite Bonnie qui tournoie comme une toupie folle, le classique de Larry Williams, l'est mort d'une balle dans la tête le pauvre Larry mais ce n'est point grave, l'était immortel depuis qu'il avait gravé sa bombe humaine, que ce soir les Hot Chickens ont décidé de faire exploser une fois pour toutes ( une voix pour toutes selon Loison ), vous secouent la marionnette Moronie de bien belle manière. Délectable. Save your soul : une dernière prière avant le boogie du soir, Loison cet ami qui nous veut du mal a décidé de sauver nos âmes. Le problème c'est que nous ne savons plus où nous l'avons mise, c'est que l'on ressort d'un disque des Hot Chikens totalement chamboulés, Christophe Gillet a beau vous caresser de ses riffs pointus et Thierry Sellier faire baguette de velours, vous savez que le pire est à venir. Ne vous fiez pas à Hervé Loison lorsqu'il prend sa voix de clergyman, vous savez que le fléau est programmé et que rien ne l'arrêtera. Et en effet rien ne l'arrêta.

    Pour une raison bien simple. C'est que le disque terminé vous appuyez une nouvelle fois sur la touche on. Une parfaite introduction pour ceux qui n'ont jamais participé à un concert des Hot Chickens.

    Des malheureux.

    Qui ne connaissent rien du monde.

    Méritent-ils même de vivre ?

    Je préfère ne pas répondre.

    Damie Chad.

     

    15 / 03 / 2018 – PARIS

    AU 100 RUE DE CHARENTON

    THE PRICE OF THE TICKET

    KAREN THORSEN

    ( 1989 )

    Voici plusieurs années que nous présentons régulièrement dans KR'TNT ! des livres de James Baldwin, figure indissociable de la lutte des noirs aux Etats-Unis. James Baldwin est mort en France le 01 décembre 1987. Le Comité James Baldwin ne laisse pas passer une si belle occasion de sortir de l'oubli la haute figure de l'écrivain laissée quelque peu en déshérence depuis pratiquement deux décennies en notre pays. La réédition d'une dizaine de ses ouvrages et l'attribution du César du Documentaire 2018 au I'm Not Your Negro de Raoul Peck a suscité un nouvel élan autour de l'auteur de Si Beale Street Pouvait Parler.

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    Mais ce soir le Comité James Baldwin convie les amateurs de Baldwin à visionner une rareté, le film The Price of the Ticket de Karen Thorsen. Cette œuvre n'aurait jamais dû voir le jour. A l'origine Karen Thorsen devait suivre Baldwin en train d'écrire son dernier roman. Mais la mort s'est glissée au milieu du jeu avant même que la partie proprement dite commençât, et a rendu le projet caduc. Mais les producteurs ne renoncèrent pas, une nouvelle règle fut établie : le film se ferait tout de même, il existait, autant en France qu'aux Etats-Unis, de nombreuses archives d' interviewes du romancier et les témoins de son existence ne demandaient qu'à témoigner... Il était établi que la réalisatrice ne rajouterait aucun mot de son cru sur la bande son. Le film commence sur les obsèques de Baldwin – ce qui donnera à tous les rockers d'entrevoir quelques bribes de Rosetta Tharpe, rappelons que son jeu de guitare n'est pas étranger à la manière d'envisager l'emploi de cet instrument dans le rock'n'roll, en train de chanter... Et puis la narration adopte un cours chronologique des plus classiques.

    L'on suit Baldwin pas à pas, l'importance de son beau-père prêcheur intransigeant, la prise de conscience du gamin et de l'adolescent de la chape de misère qui l'emprisonne, lui, sa famille, et toute la nation noire. Baldwin cumule les difficultés, non content de n'être qu'un nègre il est aussi homosexuel et désire devenir écrivain. Comme beaucoup d'artistes noirs il fuira à Paris. Vivra dans la rue, connaîtra la solidarité des milieux les plus pauvres – les maghrébins parisiens qui subissent de la part des français un ostracisme racial qui étrangement l'épargne en tant que noir... Ce sont des années de formation éprouvantes mais c'est dans ce creuset qu'il écrit Va Dire à la Montagne – dynamitage du puritanisme religieux noir - et La Chambre de Giovanni – dynamitage du puritanisme sexuel blanc - qui lui apportent la gloire.

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    En 1957, il rentre aux Etats-Unis, il pense pouvoir aider à faire progresser la problématique noire. L'espoir soulevé par la Présidence de John Kenedy ne sera qu'un feu de paille. Baldwin est de tous les combats mais après les assassinats de Malcom X et de Martin Luther King, il se doute qu'il est le suivant sur la liste de la CIA... Il retourne en France, continuant la lutte par ses écrits et se faisant un devoir de payer les avocats qui défendent les militants et les dirigeants des Black Panthers. Ses écrits sur la cause noire comme La Prochaine Fois, le Feu se révélant malheureusement prophétiques...

    La projection sera suivie d''un débat entre la salle pleine et Eléonore Bassop et Samuel Légitimus qui apportent une quantité impressionnante de précisions sur la vie, l'activisme politique et la réception des écrits de James Baldwin. La discussion s'engage beaucoup plus vivement dès qu'il s'agit de porter un jugement sur l'action politique de Barack Obama en faveur des noirs aux Etats-Unis...

    Dans le même ordre d'idée, le fait que l'on ait proposé à Christiane Taubira d'écrire la préface de la réédition chez Folio de La Prochaine fois, le feu me fait doucement rigoler. Quand on a été ministre de la justice d'un gouvernement d'obédience libérale qui s'est comporté fort honteusement et moult ignominieusement quant à l'accueil des immigrés africains et que l'on n'a pas eu le courage de démissionner, il vaudrait mieux avoir la pudeur de se taire et le courage d'assumer la politique à laquelle on a souscrit durant des années.

     

    Dans une pièce attenante se tenait une exposition d'œuvres picturales et graphiques en relation avec les combats de James Baldwin et la possibilité de tenir en main et de feuilleter une belle collection d'éditions américaines de l'écrivain, présentée par Sébastien Quagebeur.

    Damie Chad.

    AU PAYS DES FUGUES

    SEBASTIEN QUAGEBEUR

    ( Editions Unicité / 2016 )

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    C'était un livre un peu à part sur la table d'exposition des éditions américaines de James Baldwin. L'est de Sébastien Quagebeur qui présente les ouvrages et qui appartient au Comité James Baldwin. Partant du principe qu'un individu qui parle si bien de Baldwin et si laudativement de Langston Hughes ne peut-être tout-à-fait mauvais, je prends d'office, j'aime les gens passionnés.

    Un livre de poésie. Peu de mots. Beaucoup de déchirures. A l'image de notre monde. Qui vole en éclats. Si dispersés qu'il est difficile de se voir en son miroir brisé. Alors on se rattrape aux petites branches, celle des vocables arrachés aux journaux et à des lambeaux de photos de magazines. L'art du collage tient autant du test de Rorschach que des bâtonnets du Yi-King. Vous jetez le sperme du hasard et vous retrouvez la structure de votre ADN. Tout est question de projection. Les bouts de papier dans le chapeau mou de Dada, et la flamboyance expressionniste des motifs de papiers peints isolés.

    N'empêche que chez Sébastien Quagebeur le texte prédomine. Vous saute au visage dès que vous ouvrez le livre, à n'importe quel endroit. La parole vous happe, les flashs iconiques sont derrière, comme un fond de poubelles renversées. Peut-être une manière d'indiquer que la fleur de la poésie pousse sur le fumier de l'univers. S'agit aussi de dresser des barricades de papier face à la fureur du monde. Lorsque tout est détruit, ne reste que l'appel à l'émergence de la révolte. La critique acerbe ne suffit plus. Ne reste plus que le nom des poètes, Prévert, Césaire, et tous les autres qui ne sont pas nommés, à brandir comme des boucliers dérisoires qui se révèleront un jour être têtes de Gorgone protectrices. Car la poésie est l'ultime rempart.

    Le livre fonctionne à la manière d'un kaléidoscope. Vous êtes le périscope qui de loin en loin reconnaît une image, amie ou ennemie, mais il suffit de tourner rapidement les pages pour que la confusion gouverne votre esprit. C'est alors que vous vous raccrochez aux mots comme le naufragé à une épave. Sans doute avez-vous tort, ne tentez pas de mettre de l'ordre dans le désordre. Les poèmes visuels ne sont pas des messages, juste des contre-ordres à la marche du monde. Sébastien Quagebeur les a éparpillés comme rochers affleurants, et vous zigzaguez sautant de l'un à l'autre, sans vous doutez qu'à chaque fois vous enjambez l'abîme du non-sens. Vous traversez le brasier en vous réfugiant dans le feu d'artifice qui étincelle comme un bombardement de neutrons.

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    Parfois il vous en met plein les yeux. Fini le blanc et noir de la reproduction économique, Quagebur vous initie à la magie des couleurs. Existe-t-il une chromancie qui reflèterait d'une manière plus subtile l'interprétation de l'âme du poète ? Rimbaud et ses voyelles colorées viendront-il à votre secours ? Dans ce monde n'espérez que l'espoir.

    Le lecteur curieux – il en existe encore, peu je vous l'accorde – qui aime en venir droit au but demandera – c'est bien connu, les plus curieux sont les plus naïfs qui croient au sens caché des choses – mais de quoi parle ce livre en fin de compte ? Elémentaire cher Watson, pour le savoir contentez-vous de vous pencher par la fenêtre. Cela ne vous en dira pas plus que ce que vous voyez. Il est sûr qu'il n'y a pas pire aveugle que celui qui se cache les yeux. Alors je vais vous répondre : il parle de la nature de la poésie. Un animal difficile à saisir. C'est pour cela qu'il a ajouté des images aux mots. Parfois un dessin vaut mieux qu'un long discours.

    Ça volette de tous les côtés dans cet imagier pour adultes. Vous avez vraisemblablement entendu parler des battements d'ailes du papillon et de la théorie des catastrophes.

    Devrais-je en conclure que le monde court à la catastrophe ?

    Pas exactement, la catastrophe c'est vous. Voilà, maintenant vous savez, dites merci à Sébastien Quagebeur, car un lecteur averti en vaut deux.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 248 : KR'TNT ! 368 : MIKE HARRISON / KATHY AND THE FIREBRANDS / TONY MARLOW / ALICIA FIORUCCI / ORRYELLE DEFENESTRATE

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 368

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    05 / 03 / 2018

    MIKE HARRISON ( + SPOOKY TOOTH )

    KATHY AND THE FIREBRANDS  

    TONY MARLOW / ALICIA FIORUCCI

    NEW NOISE / ORRYELLE DEFENESTRATE

    Harrison comme un nègre

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    Spooky Tooth se déplume : après Greg Ridley et Mike Kellie, voilà que Mike Harrison se fait la cerise. Le souvenir de la Dent Fantôme s’enfonce lentement dans l’océan. Bientôt il ne restera plus à la surface de la terre que des algues et des mollusques.

    Quand ils montent les V.I.P.s dans les early sixties, Mike Harrison et Arf ‘Greg’ Ridley ne sont encore que des chtio quinquins amateurs de skiffle. Ils vivent en effet à Carlisle, dernière ville d’Angleterre avant la frontière écossaise. Ils comprennent rapidement que pour percer, il faut descende à la capitâle. Mike dit à sa jeune épouse :

    — I’m going down to London. I’ll be leaving on Tuesday and we’re going there to make it !

    — Tu seras parti combien de temps, chéri ?

    — Oh ça ne prendra que trois semaines !

    Mike Harrison commet la même erreur que Lucien de Rumbempré : il croit tellement en lui qu’il pense devenir célèbre en un rien de temps. Les trois semaines commencent par se transformer en trois mois de dèche intensive, puis le séjour va s’étendre à sept ans, avec des épisodes intéressants.

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    Le premier à mettre le grappin sur nos chtio quinquins sera Larry Page, le temps d’un premier single, puis ce sera au tour de Mike Jeffery, qui est alors le manager des Animals. En 1965, nos chtio quinquins se retrouvent au Star Club de Hambourg. Ils deviennent les chouchous du public allemand - Most popular band after the Beatles - Puis Chris Blackwell qui manage le Spencer Davis Group leur met le grappin dessus. Les V.I.P.s sont le premier groupe blanc signé sur Island. Et c’est là que la connexion se fait avec le protégé de Blackwell, Guy Stevens, plus connu sous le nom d’Œil de Lynx. On lui doit en effet de sacrées découvertes : V.I.P.s qu’il va transformer en Spooky Tooth, Paramounts (futurs Procol Harum), Mott The Hoople, Free et Mighty Baby. Stevens est en outre un bec fin en matière de Soul, il est à l’époque le DJ le plus réputé de Londres.

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    Il propose aux chtio quinquins d’enregistrer un hit de Joe Tex, le fameux «I Wanna Be Free». C’est là que Mike Harrison entre dans la légende. Si on ne possède pas cet EP magique des V.I.P.s, il faut alors se jeter sur The Complete V.I.P.s, une compile éditée par Repertoire en 2007 :

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    on y retrouve tous les singles de ce groupe monumental et, sur une deuxième rondelle, des cuts live du groupe enregistrés en 1966, en Allemagne. C’est de la dynamite. À commencer par «I Wanna Be Free» qui n’a pas pris un seule ride en cinquante ans : c’est resté le hit garage suprême de la perfide Albion. Tout y est : le son, le groove, la voix et l’explosion. Mike Harrison a du génie, comme Van Morrison. Il dégage une sorte d’ampleur carnassière, comme Chris Farlowe. Il ouvre des horizons, comme Reg King. «I Wanna Be Free» est le Graal du rock anglais. Avec «Smokestack Lightning», il fait encore plus de ravages, car c’est amené au heavy stomp d’harmo et on a là l’un des plus beaux hommages à Wolf qui se puisse imaginer ici bas. Qualifions ça d’absolument définitif, si vous voulez bien. Mike Harrison chante avec une voix des cavernes, hear me cry, ses shining like gold sont d’une crédibilité invraisemblable. Sur cette compile bénie des dieux, on trouve aussi le tout premier single des V.I.P.s qui date de l’époque Larry Page : «Don’t Keep Shouting At Me/She’s So Good» : attention, c’est du heavy romp de british beat à la Pretty Things, emmené à folle allure. Mike Harrison est déjà dessus, comme l’aigle sur la belette. Si on se reconnaît un faible pour le british beat originel, alors on se régale. On tombe plus loin sur «Anyone», fantasmatique cut de raw Soul britannique. Eh oui, Mike Harrison peut sonner comme Ray Charles, il shoote à la glotte ardente, c’est un fervent buisson, il explose sa Soul de chtio quinquin. Et ça n’en finit plus de monter en température avec «Straight Down To The Bottom», un groove extraordinairement toxique. On y assiste à l’envolée de Mike Harrison, accompagné de filles terribles qui font des chœurs torrides. Comme le disait familièrement James Joyce, what a blow, Bloom ! On a là l’une de ces grandes émulsions prévaricatrices capables de nous réconcilier avec la vie. C’est en plus d’une rare modernité. Il chante aussi «Every Girl I See» à la bonne arrache duch’ Nord. Mike Harrison dispose d’extraordinaires réserves de ressources naturelles. Il est ce que les géologues du rock appellent un gisement prometteur. Sa version de «Stagger Lee» est un nouveau blow de Bloom, de même que «Rosemarie», claqué au beat avec des chœurs sur le quatrième temps. Explosif ! Mike Harrison chante ça à la Ray d’Angleterre au beurre noir, pur jus d’un Genius que Mike Harraisonne ! L’affaire se corse encore avec le disk 2 et notamment une version live de l’intouchable «You Don’t Know Like I Know» : Mike Harrison ose y toucher et réussit le prodige de sonner exactement comme Sam & Dave, mais il fait tout, et le Sam et le Dave. James Henshaw y coule un bronze de hot stunning heavy blast. Les V.I.P.s sont alors aussi puissants que le Spencer Davis Group et les Undertakers de Jackie Lomax. Sur scène, Mike Harrison donne les pleins pouvoirs à «Stagger Lee» et ce hit définitif qu’est «I Wanna Be Free». On tombe plus loin sur un romp superbe, «Talk About My Babe», emmené par un riff opiniâtre. James Henshaw y refait des siennes avec un solo entreprenant. Ça éclate dans une shoote de notes délétères - Baby won’t you please come home - Et ce diable de Mike Harrison sings his ass off, comme le disent si élégamment les Anglais. Encore une petite chose : si tu aimes vraiment le son des V.I.P.s, alors un petit conseil : chope l’I Wanne Be Free paru sur Beat Club International : le mix y est différent. On y entend la basse de Greg Ridley labourer «Stagger Lee» en profondeur et dans les deux sens. Non seulement la version est incendiaire, mais la bassline féroce de Ridley jette encore de l’huile sur le feu. Même chose avec «Rosemarie» : ces mecs avaient le diable dans le corps, il faut entendre gronder cette basse démente. Le seul qui savait aussi faire monter la basse dans le mix au bon moment, c’était Dickinson.

    Grâce à Blackwell, les V.I.P.s décrochent une residency au Scotch Of St James, et c’est là qu’un beau jour de septembre 1966 débarque Jimi Hendrix. (Jimi passa bien sa première soirée à Londres au Scotch Of St James, et non au Speakeasy, comme l’affirme l’auteur des Cent Contes Rock). Jimi entre dans le club et n’en revient pas d’entendre ce son. Les V.I.P.s sont sur scène et Jimi demande à jammer avec eux. Il est tellement impressionné par la qualité du groupe qu’il leur demande quelques jours plus tard de devenir son backing-band, mais le groupe refuse poliment. En effet, qu’allaient devenir Mike Harrison et James Henshaw dans cette affaire ?

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    En 1967, nos chtio quinquins duch’ Nord changent de nom et deviennent Art - Looking for a hipper name - Luther Grosvenor vient juste de remplacer James Henshaw. Ils enregistrent l’album Supernatural Fairy Tales que produit Guy Stevens. Au dos de la pochette de cet album devenu mythique, on voit les quinquins photographiés dans un appartement typiquement londonien. L’image rappelle celles des Small Faces (et inspirera plus tard la pochette du premier album d’Oasis) : Mike Harrison est assis dans un fauteuil et les trois autres par terre, sur un parquet à la Madcap Laughs, avec les grosses lattes vernies. Ils portent des foulards noués autour du cou, des chemises bouffantes en tissu imprimé et des blazers en velours. Greg Ridley se trouve au premier rang, le regard noyé d’ombre, Grosvenor affiche un look à la Jeff Beck, Mike Kellie ressemble à Bill Wyman, et derrière, Guy Stevens apparaît en transparence, comme un fantôme. C’est un disque hanté, enregistré juste avant que Guy Stevens ne ramène dans le groupe un keyboardist américain nommé Gary Wright. Avec Supernatural Fairy Tales, Art invente the Spooky Sound, grâce à des morceaux puissants de type «What’s That Sound». Ils tapent aussi le fameux «For What It’s Worth» du Buffalo Springfield que ce nègre blanc de Mike Harrison embarque au firmament des reprises. Luther Grosvenor rôde dans les parages en tortillant des gros licks bien grassouillets, tout est déjà là, sous l’everybody looks what’s going down : nous voilà très précisément au sommet du rock anglais des late sixties. La fête se poursuit avec «African Thing», un fabuleux festival de percussions embarqué par ce batteur génial que fut Mike Kellie. Ça sent bon l’Afrique, la savane, le sang des zébus, la violence des guerres tribales, les sagaies rouillées, la grâce des guerriers Massaï aux bras chargés de bracelets, les tambours primitifs et le beat de la transe hypnotique, tout est là. Derrière un bow window de Londres, Art joue le jungle beat, mais pas n’importe quel jungle beat, un jungle beat démesuré, interminable, troué de cris. Puis avec le morceau titre, ils passent au rock supersonique, mais dans le fog londonien. Ça donne une sorte de Silver Machine qui file dans la nuit. Tiens, voilà un hit planétaire : «Love Is Real» ! Mike Harrison chante comme un dieu, il est aussi brillant que Rod Stewart ou Chris Farlowe, il chante avec une classe effarante et les autres envoient des chœurs de rêve. Tout le monde connaît «Love Is Real», mais personne ne sait que c’est une œuvre d’Art.

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    Sous l’impulsion de Guy Stevens, il changent encore une fois de nom et deviennent les Stooky Tooth. Un premier album intitulé It’s All About sort en 1968. Sur la pochette, ils se planquent dans les buissons. Ils portent des casques de cheveux crêpés et des foulards. Grosvenor et Mike Kellie portent des tuniques rouges, Mike Harrison, une cape noire par dessus une chemise à jabot blanc. Et sur le côté, Gary Wright porte lui aussi un jabot blanc et des cheveux plus courts. Jimmy Miller les produit, donc le son change. Pas en bien. On a l’impression que l’arrivée de Gary Wright a calmé l’ardeur des anciens V.I.P.s. Les cuts deviennent terriblement ambitieux, à commencer par «Sunshine Help Me». C’est bourré de son et de grosses nappes d’orgue. Grosvenor rajoute du gras-double avec sa guitare. Mais le cœur battant de cet album, c’est la reprise du classique de J.D. Loudermilk, rendu célèbre par les Blues Magoos : «Tobacco Road». Grosvenor vrille tout le vieux pathos de ce classique binaire avec une rage indescriptible. Et pour un shooter comme Mike Harrison, c’est du gâteau que d’enquiller la version longue d’un tel classique.

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    Paru un an plus tard, Spooky Two compte parmi les grands albums classiques du rock anglais. Mike Harrison et Gary Wright chantent à deux sur «Waiting For The World», un heavy groove fantasmatique lancé par Mike Kellie. On tombe plus loin sur le cut qui à l’époque installa Spooky Tooth dans l’inconscient collectif : «Evil Woman». Après quelques belles nappes d’orgue, Mike Harrison entre dans la danse et soudain, Gary Wright vient le percuter au chant d’un violent coup de falsetto. Alors ces deux géants s’en vont fondre leurs voix dans une hallucinante tourmente de nappes d’orgue. Pour corser l’affaire, Luther Grosvenor entre dans le lard du cut avec un solo en suspension et tire-bouchonne à l’infini. Eh oui, avec ce duo de screamers, on a là l’une des plus grosses fournaises de l’histoire du rock - digne de l’âge d’or des Righteous Brothers - Mine de rien, on assiste ici à la naissance du heavy rock. Gary Wright monopolise la B avec ses compos. Il recherche l’océanique épique hugolien, celui de l’esprit qui défie les éléments. Et soudain éclate l’écho divin d’un mid-tempo visité par la grâce : «That Was Only Yesterday» ! Mike Harrison l’emporte au firmament. Il joue avec la beauté comme le chat joue avec la souris. Il semble dégager de la joie dionysiaque. Mike Harrison et ses amis entrent à cet instant précis dans l’aristocratie du rock anglais.

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    Quand paraît The Last Puff , Gary Wright et Greg Ridley ont quitté le groupe. Mike Harrison et Grosvenor continuent d’alimenter la légende de Spooky Tooth. C’est là, chez Spooky Tooth, que se trouve la magie du Seventies Sound ! On trouve sur cet album sous-estimé une merveilleuse reprise d’«I’m The Walrus», sertie d’un solo de notes alanguies. Luther Grosvenor bricole aussi un truc bien convulsif dans «The Wrong Time». Ce mec-là aura su façonner le son de son époque. Tout le heavy rock des seventies est là, dans le gras de la voix de Mike Harrison et dans le jeu haut en couleurs de Luther Grosvenor.

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    Sur l’album suivant, You Broke My Heart, il ne reste plus que Mike Harrison. Tous les autres ont quitté la navire, même Mike Kellie. Devenu Ariel Bender, Luther Grosvenor remplace Mick Ralph dans Mott The Hoople. You Broke My Heart est presque un album solo de Mike Harrison. Le son reste bien épais, bien gras. Le nouveau guitariste s’appelle Mick Jones. Album extraordinairement dense, ce qui peut paraître logique quand il s’agit de l’album d’un grand chanteur. «Wildfire», passe comme une lettre à la poste. On admirait tellement Mike Harrison à l’époque qu’on le disait incapable d’enregistrer une mauvaise chanson !

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    Mike Kellie et Gary Wright rentrent au bercail pour l’album Witness. Une pyramide orne la pochette. Il y règne un sortilège, celui des grands albums de Spooky Tooth : grosses atmosphères plombées par les nappes d’orgue dans des cuts comme «Don’t Ever Stay Away» ou «Sunlight Of My Mind». Mick Jones joue bien, c’est vrai, mais on n’ose même pas imaginer ce qu’aurait amené ce diable de Grosvenor ! On retrouve sur Witness tout le big Spooky Sound. Dans «Things Change», Mike Harrison sonne les cloches à la volée. Il dégage une ardeur secrète. On retrouve une fois de plus tout le son dont on peut rêver, celui d’un groupe anglais enraciné dans la légende. Même si c’est difficile, on arrive même à accepter le fait que Luther Grosvenor soit remplacé par un autre guitariste. Pur jus de Spooky Sound que ce «Dream Me A Mountain». Mike Harrison y négocie bien ses wo-ooh-oooh, il connaît toutes les ficelles !

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    Le dernier album des Spooky Tooth paru dans les seventies s’appelle The Mirror. La pochette pompe goulûment Magritte. Ce disque pue l’arnaque, car le seul Spook qui reste, c’est Gary Wright. Tous les autres sont partis, y compris Mike Harrison. Mike Patto le remplace. Un bon chanteur, c’est vrai, mais plus rien à voir avec Mike Harrison. Il n’a pas la même profondeur.

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    Nos chtio quinquins refont surface en 1999 avec Cross Purpose. Fabuleux album ! Les quatre membres originaux apparaissent sur la pochette, Greg Ridley, Luther Grosvenor, Mike Harrison et Mike Kellie. Le plus vieux, c’est Mike Harrison, il a déjà les cheveux blancs. Nos quinquins reprennent «That Was Only Yesterday», le hit interplanétaire qui se trouvait sur Spooky Two. Version magique. Greg Ridley y joue un beau drive de basse. Ils sont encore meilleurs qu’à leurs débuts ! Luther Grosvenor fait de beaux ravages ! Oh ils reprennent aussi «Love Is Real», tiré de Supernatural Fairy Tales, la crème de la crème, la pop anglaise à son apogée, hit monstrueux, ils jouent ça dans l’écho du temps, dans l’éclat d’un matin de Carlisle - Real love has no time for lies/ Love is real - Luther Grosvenor joue ses arpèges préraphaélites et Mike Harrison nous berce de langueurs monotones. Grosvenor claque un solo sec, furieusement sec, et il revient exploser la fin du morceau. Jamais un Anglais n’a joué avec une telle violence. C’est comme s’il donnait des coups de hache ! Il fait aussi des miracles dans «How». Oui, Grosvenor a du génie. C’est lui le grand guitar hero méconnu de l’histoire du rock anglais, il joue à l’ongle cassé et presse ses notes pour que le gras dégueule bien, il dévore le morceau de l’intérieur. Autre merveille : «Kiss It Better», hommage aux Stones, pur jus d’heavy boogie, fantastique black-out de sharp stonesy.

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    Le dernier album de Spooky Tooth s’appelle Nomad Poets. On y retrouve Mike Harrison, Mike Kellie et Gary Wright ! Trois sur cinq, c’est déjà ça. Ils tapent tous leurs vieux hits, «That Was Only Yesterday», «Wildfire» et même «Tobacco Road», mais avec un sacré panache ! Avec «That Was Only Yesterday», on voit le jour se lever sur le génie des Spooky Tooth, alors qu’ils sont au crépuscule de leur vie. Mike Harrison se dresse au sommet de la falaise, le visage tourné vers l’horizon. Cet homme a quelque chose de grandiose en lui. Son groove est resté pur, quasiment virginal. Ils renouent avec leur légendaire heavyness dans «Wildfire». Le son explose, voilà de quoi sont capables les Anglais ! À cet instant précis, le petit Mike Harrison semble régner sur le monde du rock. Et la version de «Tobacco Road» passe comme une lettre à la poste, même si le fougueux Guv’nor Grosvenor n’est plus là. Gary Wright et Mike Harrison nous refont le coup du duo des enfers. Ils sont complètement dingues, tous les deux, ils montent leur Tobacco à l’incandescence. Ils sont beaucoup trop puissants. Ils ne s’arrêtent pas en si bon chemin, car ils relancent cette machine infernale qu’est «Evil Woman». Belle façon de boucler la boucle - Evil woman, when I saw you comin’ - Comme si notre vie n’avait duré que le temps d’une chanson.

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    Resté fidèle à Chris Blackwell et à son label Island, Mike Harrison entreprend une carrière solo en 1971 et enregistre un premier album intitulé Mike Harrison. Il ne s’est pas foulé pour le titre. Attention, l’album peut heurter les âmes sensibles. On s’y ennuie, et c’est un euphémisme que de dire ça. Il faut attendre «Hard Head Woman» pour trouver enfin un cut ambiancier. Mike Harrison s’y bat avec le thème, ça reste courtois, très Island d’époque, puis ça finit par évoluer pour devenir un beau groove océanique. Une jolie échappée de free vient enluminer cette Sargasse de son. Cat Stevens signe cette compo attachante. Mais le reste de l’album refuse obstinément de décoller. Il reste au moins une règle d’or en ce bas monde : il faut savoir confier de bonnes chansons aux grands interprètes, sinon, les disques ne servent à rien.

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    Notre chtio quinquin préféré enregistre Smokestack Lightning un an plus tard à Muscle Shoals, et là, on ne rigole plus. Toute l’équipe est là : David Hood, Jimmy Johnson, Pete Carr, Roger Hawkins. Dès «Tears» on retrouve l’ultra-orchestration qui caractérise le son si particulier de ce studio. Mike Harrison n’a aucun problème à sonner comme ces nègres dont sont si friands ces blancs de l’Alabama. «Paid My Dues» reste très anglais dans le chant, comme si Mike Harrison ramenait quelque chose de Penny Lane dans le brouet des rednecks. Avec «What A Price», on entre de plein fouet dans la Deep Soul et notre chtio quinquin s’en sort avec les honneurs. L’ineffable Pete Carr joue des tortillettes éplorées et au final, on se retrouve avec un fantastique classique de white-niggahrisme éclairé, éloquent et bien mis. Pour boucler le bal de l’A, Mike Harrison reprend son vieux Wanna Be Free. Il rallume la chaudière du mythe. Étrange qu’il soit aller retaper dans la fourmilière, si loin de l’Angleterre, comme le disait si bien Petula. On note au passage que les rednecks sont contents de chanter les wanna-bi-friii/ wanna-bi-friii derrière l’immense Mike Harrison. Quel drôle de parti-pris ! Puis les choses reprennent tranquillement leur cours en B avec «Turning Over». Heavy groove idéal pour un walking-bassman de la trempe d’Hood. Tout est en place et sans histoires. Franchement, on se demande pourquoi Mike Harrison est allé jusqu’en Alabama pour enregistrer ça. Il termine sa B avec une interminable version de «Smokestack Lightning». Il nous refait le coup du Tobacco à rallonges du premier Spooky. Avec le temps, il devenu expert en petites wolferies, ses ah-ooooh valent le détour. David Hood joue son bon groove pépère et Roger le bat sec et net. La fête dure douze bonnes minutes - Aw tell me baby - Mike Harrison y croit dur comme fer, du coup, nous aussi, et on assiste à une relance extraordinaire, comme emmenée au combat, prolifique et glorieuse, incapable de tomber de cheval, c’est une merveilleuse bénédiction, voilà ce dont est capable l’immense Harrison of a bitch.

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    Voilà-t-y pas qu’il récidive en 1975 avec Rainbow Rider. Attention, c’est un très bel album, chaudement recommandé aux amateurs de gros son anglais. Ne serait-ce que pour ce «Like A Road (Leading Home)» signé Dan Penn et Don Nix, une authentique merveille. On sent la patte du grand Dan Penn dès l’intro. Mike Harrison ultra-chante cet extatique slowah, il le monte au pinacle des possibilités. Et derrière, Wayne Jackson et les Memphis Horns en rajoutent à qui mieux-mieux. Mike Harrison fait comme Moloch, il tape à bras raccourcis dans les compos de Don Nix. Voilà donc «Maverick Woman Blues». Don Nix n’a rien d’un auteur révolutionnaire, mais on se retrouve en tous les cas avec un son énorme. The big heavy seventies Sound. Sans pitié pour les canards boiteux. On reste dans le Southern rock avec «You And Me». Quel son ! Cet album est bien plus vivace que les deux précédents. Mike Harrison tape ensuite dans Dylan avec «I’ll Keep It With Mine». C’est monté aux chœurs de gospel. Mais quand il tape dans les Beatles avec «We Can Work It Out», ça ne marche pas. Retour des Memphis Horns en B sur «Okay Lay Lady Lay», cut idéal pour un groover aussi judicieux que Mike Harrison. C’est plein de son et infernalement bon. Encore un cut qui ne courbe pas l’échine. Ce diable d’Harrison n’est pas du genre à renoncer.

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    Paru en 2006, Late Starter redonne confiance en l’avenir de l’humanité. Quel album ! Mike Harrison finit son parcours de shouter en beauté avec un ensemble de reprises toutes plus somptueuses les unes que les autres. À commencer par le «Come Back Baby» de Ray Charles. Le génie tape dans le Genius. Mike Harrison trépigne et chuinte comme Ray, voilà la white Soul à son apogée ! Quel incroyable shoot de grandeur aveugle ! Ce démon de Mike Harrison colle au train du cut, il le prend dans ses bras - Come back/ Aw yeah/ Let’s take it over one more time - C’est aussi désespéré que le Brel de «Ne Me Quitte Pas». Nouveau coup de Trafalgar avec «Night Time», tapé au vieux boogie blues, cousu de fil blanc comme neige, mais les basses vibrent, Mike Harrison s’y sent comme un fish in the clear blue sky, c’est stupéfiant de baby baby et les chœurs font night & day baby, alors oui, cent fois oui, the night time is the right time. Au soir de sa vie, Mike Harrison est encore capable de fracasser les colonnes du temple. On le voit aussi taper dans «Tony Joe White avec «Out Of The Rain» (version hantée par l’harmo), dans le «Your Good Thing Is About To End» d’Isaac Hayes et David Porter (on tombe dans l’escarcelle de Stax, slowah torride joué aux accords obliques), dans «Sinners Prayer» de Lowell Fulsom (heavy blues écœurant de feeling, Lord have mercy if you please). Il faut aussi l’entendre chanter «Jealous Kind» à l’angle atone de la glotte fêlée. Comme ce mec peut être bon ! Il faut l’entendre prendre son envol en fin de cut. Il y a quelque chose qui tient de l’aigle royal dans sa démesure. Il transforme aussi «Don’t Touch Me» en aventure - Don’t touch me if you don’t love me - Quelle histoire ! C’est joué à outrance. Il faut l’entendre chanter my falling tears are running wild dans «Drown In My Own Tears». Il est encore plus royaliste que le roi des Soul Brothers. On se retrouve là dans les affres de l’interprétation définitive. Et ce n’est pas un hasard s’il termine cet album d’adieu avec Otis et «I’ve Got A Dream To Remember». Au temps de Mike Harrison, nous pouvions encore jouir d’un immense privilège : celui d’être reçu chez les géants.

    Signé : Cazengler, Mike Harrassant

    Mike Harrison. Disparu le 25 mars 2018

    V.I.P.s. I Wanne Be Free. Beat Club International

    V.I.P.s. The Complete V.I.P.s. Repertoire Records 2007

    Art. Supernatural Fairy Tales. Island Records 1967

    Spooky Tooth. It’s All About. Island Records 1968

    Spooky Tooth. Spooky Two. Island Records 1969

    Spooky Tooth. The Last Puff. Island Records 1970

    Spooky Tooth. You Broke My Heart So... I Busted Your Jaw. Island Records 1973

    Spooky Tooth. Witness. Island Records 1973

    Spooky Tooth. The Mirror. Goodear Records 1974

    Spooky Tooth. Cross Purpose. Ruf Records 1999

    Spooky Tooth. Nomad Poets. Live In Germany 2004. Evangeline Records 2007

    Mike Harrison. Mike Harrison. Island Records 1971

    Mike Harrison. Smokestack Lightning. Island Records 1972

    Mike Harrison. Rainbow Rider. Island Records 1975

    Mike Harrison. Late Starter. Halo Records 2006

     

    CONNANTRE / 31 - 03 - 2018

    KATHY AND THE FIREBRANDS

    TONY MARLOW / ALICIA FIORUCCI

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    Connaître Connantre ! Facile, vous vous emmanchez sur la RN 4 et vous filez tout droit vers l'Est. La fin du trajet est la plus difficile. Nous nous plaçons ici à un pur niveau psychologique. Traversons le village de Moeurs en trombe sans trop nous attarder mentalement sur cette injonction vindicative. En avons-nous vraiment envie ? Lorsque vous passez Broyes vous regrettez de ne pas avoir suivi le pèlerinage de Lourdes que vous avait recommandé tante Agathe, trop tard il ne vous reste plus que les yeux pour pleurer. Ça tombe bien, vous voici à Pleurs. La route se perd dans un no man's land de rase-campagne, champs d'herbe rare à perte de vue, déchetterie à droite, sucrerie à gauche, enfin la pancarte Connantre.

    En règle générale une ville comporte plusieurs rues, Connantre n'en compte qu'une, d'une seule traite, longue, interminable. Parfois entre deux maisons les phares de la teuf-teuf se perdent dans l'horizon d'une immensité désertique, z'auraient pu disposer la ville en carré, en pentagramme, en rectangle, en losange, en triangle, en parallélépipède irrégulier, mais non à Connantre ils sont persuadés que la ligne droite est le plus court chemin. Pour aller où ?

    Toute question mérite réponse. La voici donc. Connantre possède un centre ville. Très circonférique puisqu'il s'agit d'un rond-point. Pas très large. Mais c'est là, à cet instant précis que la mégalomanie connantraise vous arrache les yeux. Sur votre droite une pharmacie, aussi spacieuse qu'un hôpital. Sur votre gauche un parking d'aéroport, au fond des bâtiments commerciaux qui épousent la forme ondulée et la longueur des colonnades de la place Saint-Pierre à Rome. Tiens un truc à dimension humaine sur notre gauche, une vitrine éclairée avec des gens qui se pressent entre des tables. L'on essaie de pousser la large baie qui s'obstine à rester fermée, l'on nous adresse de grands gestes, nous traduisons, continuez sur votre droite.

    On aurait dû s'en douter, mais la rencontre sur le pas de la porte en haut des escaliers de Billy du 3 B tourne à l'effusion sentimentale, l'on n'accorde même pas une seconde d'attention à la salle d'entrée, juste un sourire goguenard à l'espace vestiaire – quel fou se vanterait d'avoir rencontré un rocker capable de se délester de son perfecto – tout sourire nous poussons la porte.

    Tromperie sur la marchandise ! Salle des fêtes qu'ils avaient marqué sur le flyer, n'en ai jamais vu de cette taille, une cathédrale géante, que dis-je un hall de montage pour les gros porteurs d'Airbus, vous y casez au minimum au moins trois A 380, rien que le plafond bizarroïde, des espèces de flanc de navires tarabiscotés qui se couchent sur la mer pour couler, traduit l'imagination éléphantesque d'un architecte fou, jaloux des pyramides, à qui le conseil municipal a donné les pleins pouvoirs et crédit illimité.

    Sont comme ça à Connantre, quand ils ont un projet ils ne salopègent pas le boulot. Z'ont la maniaquerie du détail, jamais vu une telle organisation, des foutraques du détail, des fignoleurs de la mise en scène, c'est simple vous n'êtes pas dans une salle de concert mais dans :

     

    LE PARADIS DES ROCKERS

    L'espace scénique d'abord, car un concert sans scène ressemble à bateau-mouche privé de Seine. Au milieu s'éparpille le matos des deux groupes, leur restait de la place, ni une ni deux, question ambiance rock'n'roll on ne mégote pas, à droite l'on a stationné une antique Motobécane, modèle des années cinquante, n'est plus en état de marche, mais l'on ne sait jamais, à tout hasard l'on a placé à ses côtés une ancienne pompe à essence Shell – z'ont dû partir la chercher aux States – évidemment de l'autre côté il y avait comme un vide, z'ont embauché Elvis Presley. En réplique de plastique, grandeur nature, costume noir guitare plaquée sur le cœur.

    Devant le vide : de quoi permettre à trois cent personnes de danser, et au fond de part et d'autre de l'allée centrale dans laquelle un char d'assaut évoluerait à l'aise les longues travées de tables, un panonceau vous révèle le nom de chacune : table Chuck Berry, table Jerry Lee Lewis, table Eddie Cochran... pour le bonheur des enfants l'on a disposé des modèles de grosses voitures américaines en carton, au bout du bout, le bar, pompe à bière et collection de gâteaux, plus stands d'exposition, tous ces objets inutiles de première nécessité...

     

    KATHY AND THE FIREBRANDS

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    Normalement tout groupe qui se respecte et qui possède une jolie fille, la propulse devant, en produit d'appel, pour parler comme un DRH de grand-magasin. Les Firebrands eux, adoptent la technique des auto-stoppeurs un brin machistes, la posent sur le bord de la route et quand vous vous arrêtez, vous avez quatre gros malandrins poilus et moustachus qui squattent les sièges après avoir remisé la mignonnette dans la malle avec le chien et les sacs-à-dos.

    Vous l'avez compris les gars sont devant. Ne savent pas quoi faire pour se faire remarquer. Yannick ne compte ni sur son costume à cravate multicolore ni sur son étrange banane à moitié pelée sur la tête, possède son miroir aux alouettes, une superbe contrebasse, un peu à l'épate italienne, verte à liserets blancs et à motifs divers, vous le regardez et vous ne voyez qu'elle, Cyril a misé les valeurs sûres, indétrônables chez les rockers, Gretch à la Cochran et même coupe de cheveux que l'effigie de cire d'Elvis. Bref ils font les beaux.

    Mais dans la vie, ça ne se passe jamais comme vous le voulez. Kathy est au loin, derrière sa batterie, et je peux vous certifier que les deux oiseaux vont marcher à la baguette. Toute mince, toute fluette, sourire directif aux lèvres, chapeau de cowboy et longue queue de cheval, toute de noir vêtue mais la tunique recouverte de longues franges blanches à la David Crockett, elle chante, elle bat la mesure et surtout ce mouvement du bras qui se tend en hauteur à chaque fin de séquence rythmique, un truc à vous couper l'herbe sous les pieds du cheval d'Attila, parce que les boys ils ont compris qu'ils ont intérêt à ne pas chômer, et le combo turbine à mort.

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    Rien à dire, Kathy n'a pas pris des cas désespérés pour l'accompagner, s'est servi chez les cadors, ce n'est pas parce qu'ils connaissent leur métier sur le bout des doigts, c'est qu'ils forment une mécanique de haute précision. Vous devriez les visualiser tous les trois ensemble, mais vous n'y parvenez pas. Chacun nécessite votre attention à part entière. Poussent le vice à adopter une vitesse d'exécution des plus surprenantes, à peine entamé le morceau est déjà fini. Pas bâclé ! Chacun se débrouille pour y porter ses bibelots les plus précieux. Tous ensemble et chacun à leur tour. Sans casse sur les étagères. Ces petits rien qui font la différence, ces deux notes de guitare jetée entre deux frappes de caisse claire ou cet entremêlement de slap en plein-milieu du contre-temps, des arrangements d'une subtilité arachnéenne, des interventions héliportées qui renforcent le point d'attaque à point nommé, en plus vous avez l'impression qu'ils s'attendent, qu'ils savent d'instinct ce que les deux autres vont faire, au dixième de seconde près. Pas d'erreur, pas de cafouillage, ça pulse et ça s'emboîte à merveille.

    Infatigables, increvables, connaissent tous les classiques et vous les interprètent avec une méticulosité surprenante, mais à leur manière, et cette joie de jouer, de donner toute la gomme, d'envoyer valser l'énergie aux quatre coins du monde. Cyril et Kathy alternent le vocal, Kathy plus nerveuse, plus incisive, Cyril avec une emphase country très légèrement plus modulée, une alternance des plus heureuses.

     

    TONY MARLOW

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    Gibson rouge et chemise noire à têtes squelettiques, l'en impose Tony, la classe naturelle du pirate. Fred Kolinski sur les drums la tête nimbée de ses longs cheveux blancs, Amine Leroy à la contrebasse aussi noire que ses cheveux frisés. Une courte introduction musicale, juste le temps de réveiller le serpent de la kundalini dans votre moelle épinière, la faire virer au rouge, les doigts de Tony courent sur sa guitare, l'art de choisir les notes qui se plantent en vous telle des piqûres d'abeille, Amine dévale un travelling pulsique nettement jazz, l'halètement sauvage du chien qui s'apprête à mordre, et Fred repousse les limites en douce, l'air de ne pas y toucher à chaque break il vous rapproche du gouffre béant du rock'n'roll, avec ce sourire angélique du garnement qui vous a crevé les quatre pneus de la bagnole et qui attend le dérapage incontrôlé.

    Terminé. L'intro n'a pas duré longtemps mais le public s'est massé au pied de l'estrade. Pas besoin de sortir d'Harvard pour intuiter que ce soir la braise sera brûlante. Tony se hâte de parfaire la prophétie. Annonce la couleur, Rock'n'roll troubadour et Chuck Berry. Tradition française et inscription américaine. Grand écart assumé entre les deux continents. Le rock de chez nous et le rock des racines, indissolublement mêlés. Exaltation et exultation. Un Tony en grande forme et deux musiciens en pointe. Que voulez-vous de plus ? Rien, alors Tony va nous sortir la totale.

    Des tranches de vie, ainsi présente-t-il des bijoux comme Le Garage de la Voisine, et Le Cuir et le Baston. Balzac les aurait inscrites dans ses Scènes de la vie des Rockers, jeunesse séminale et tapageuse, jeux coquins et jeux de vilains, le tout est une question de mise en scène, la voix d'abord qui narre – entre velours nostalgie et bagarre vocale – et la musique entre espièglerie cordique et rebondissements drumique. Un festival, Fred hilare qui casse les breaks et Amine qui soufflette sa big mama pour lui signifier que le duel à mort va commencer. Tony module sa voix et ses sourires entendus, la guitare frémit d'aise et gémit sous les pincées. La grande comédie rock'n'roll met en scène ses propres représentations. Une qualité d'écriture qui n'est pas sans évoquer les petits bijoux de paroles que sont les titres de Chuck Berry.

    Que serait le rock sans guitare ? Ressemblerait sans aucun doute à la Grèce antique sans Alexandre le Grand. L'instrument pyromane par excellence. Encore faut-il qu'il soit entre les mains d'un expert es boute-feux. Lorsque Tony vous lance l'intro de Johnny Be Goode, c'est votre âme qui prend feu. Dans la salle ça tangue comme un bateau en perdition mais sur scène c'est l'Amiral Nelson aux commandes du Victory. Ce Johnny tout le monde vous le massacre, Tony lui refile la couleur, il ne le joue pas en tenant les riffs comme les toutous des grands-mères en laisse qui compissent tristement dans le les roues des voitures arrêtées le long des trottoirs, vous les fait crépiter comme une traînée de poudre noire qui se dirige tout droit vers la soute à munition. Amine ne se retient plus, slappe comme un sanguinaire, court sur place comme un dératé aux côtés de sa contrebasse comme s'il participait à un cent-dix mètres haies, et Fred vous file de ces chiquenaudes à ses tambours à les faire rentrer sous terre, en plus il agit vicieusement, il frappe au moment où vous vous y attendiez le moins, par surprise, en traître, mais à la seconde idéale qui vous fait rebondir le morceau en une gerbe d'étincelles. Avec ces fous furieux à ses côtés, Marlow ne se retient plus, fait le marlou, vous traverse la scène de long en large, manière de faire voir du pays à sa guitare endiablée, et puis il vous imite la marche du caneton sauvage poursuivi par le mâtin de la basse-cour décidé à lui déplumer le croupion, une course à la mort pour l'honneur du rock'n'roll. En plus le triomino dément nous remettra le couvert avec Rock'n'Roll Music, un truc démoniaque, que plus personne en France ne sait jouer, c'est un bijou qui demande autant de doigté et de précision que la pesée de l'âme dans la mythologie égyptienne, d'un côté la guitare mais attention elle doit savoir se taire une fois sur deux pour laisser la rythmique vous plonger lourdement son couteau dans les reins, et Fred et Amine se complaisent à merveille à ce pas traînant de spadassin sans pitié.

    ALICIA FIORUCCI

    Entre nous soit dit un troubadour sans Dame n'est qu'un pauvre ménestrel sans âme, alors sous prétexte de reposer sa voix, Tony appelle Alicia Fiorucci sur scène. Jusqu'à lors elle tenait sagement le stand de disques mais elle s'empare du micro aussi à l'aise qu'une mouette rieuse sur la falaise, Alicia venue spécialement pour nous du pays des merveilles du rock, la prestance et l'aisance, Mélusine serpentaire au sourire ambigu de glace et de feu. Nos trois musicos se mettent immédiatement à son service, tissent une gangue protectrice pour ce diamant noir. Uniquement deux morceaux mais intuitivement interprétés en leur unicité, le premier beaucoup plus hard et éruptif et le second ce You Never Can Tell, z'avez l'impression de revivre la scène au bureau quand le chef de bureau vient vous réprimander pour vos retards répétés, vous tirez brutalement la moquette sous ses pieds, il perd l'équilibre et se fracasse la mâchoire sur la machine à café, ne pourra plus prononcer une parle durant deux ans. Cette malignité goguenarde du rock Alicia Fiorucci vous la restitue avec une terrible justesse. Retourne à son stand sous une nuée d'applaudissements.

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    Quant à Tony ne lui faites plus jamais confiance, lui à la voix soi-disant défaillante nous finit le set avec un Down on the Corner de Creedence, un shouting démentiel à la Little Richard, un vocal-storming la Jailhouse Rock, une dévastation épileptique, une calamité publique, une réplique sismique de force mille qui vous tarabuste, vous culbute et vous azimute ad vitam aeternam !

    KATHY AND THE FIREBRANDS

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    Non ce n'est pas une erreur. Deuxième set de la soirée. Pas tout à fait, plutôt un deuxième show. L'on prend les mêmes et l'on ne recommence pas. Beaucoup plus de compositions personnelles. La fois précédente, j'avais beaucoup apprécié Yannick, son jeu de contrebasse, une rêcheté veloutée, une pulsion octavienne, pas une seconde de répit, premier de cordées, mais ce coup-ci c'est Cyril qui prend la tête, guitare en fête, s'agit juste de faire dépasser la rondeur des graves un gramme plus lourd que la contrebasse, cela vous change toute l'orchestration, le même film en noir et blanc mais ce coup-ci en couleur, aucune des versions n'est supérieure à l'autre, mais le vocal prend un peu moins d'importance, joue en quelque sorte le bourdon, c'est le côté instrumental qui prédomine, un set pratiquement plus expérimental. Prennent leur temps, épuisent le répertoire, y a de ces fricotis de pizzicato à vous hacher la cervelle, et ne croyez pas que pendant ce temps Kathy tape comme une sourde que l'on a oubliée dans le coffre de la voiture. Elle envoie, grave et méchant, plus vite et plus pointilleuse. Les guys ont intérêt à s'accrocher, car elle ne leur laisse pas le temps de réfléchir à la course des planètes. En plus elle charge Cyril - dans la série qui peut le plus peut le mieux - de davantage de morceaux à chanter, elle en profite pour se livrer à quelques acrobaties rythmiques des plus sophistiquées, et lorsqu'elle s'occupe du vocal elle s'amuse à dissocier les deux actions, l'on dirait qu'elle frappe à gauche et qu'elle pose sa voix à droite, une espèce de subtile délatéralisation structurelle du meilleur effet. Yannick s'en vient conforter son camarade qui descend dans le parterre parmi le public remuant. Sont partis pour ne plus jamais s'arrêter, continueraient bien toute la nuit, mais il est déjà deux heures du matin... Z'ont mis le feu, mais ne l'ont pas éteint.

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    TONY MARLOW

    Tony revient. Encore plus rock que toujours. Débute par un Proud Mary hallucinant de force et de justesse. Ne restent plus que les purs amateurs – la section du 3 B au grand complet – et c'est reparti pour un tour de folie. Tous trois en grande forme. Fred en propulseur irremplaçable et son imparable technique du n'ayez-pas-peur-je-vous-pousse-au-dernier-moment-au-fond-du-précipice-mais-vous-aimez-ça, Amine qui piaffe autour de sa contrebasse tel un bronco sauvage décidé à faire mordre la poussière à son cavalier d'infortune et Tony survolté, prêt à nous montrer tout ce que l'on peut faire sur une guitare, choisit les morceaux ultra connus Summertime Blues ou Train Kept a rollin' juste pour y imprimer sa patte à lui et démontrer que son jeu n'est jamais pâle copie ou vulgaire imitation, mais recréation personnelle tout en manifestant un profond respect aux originaux. Une voie étroite mais royale pour ceux qui peuvent s'y aventurer.

    Dans le même ordre d'idée Alicia Fiorucci est appelée sous les acclamations à revenir au micro, Trois morceaux qui se terminent par un somptueux Le Diable en Personne la reprise de Shakin'All Over par les Fantômes que Tony avait exhumée sur son premier disque hommagial à Johnny Kidd. Alicia nous en offre une version éruptive et sensuelle à vous précipiter dans une perdition perpétuelle.

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    C'est d'ailleurs ce qui se passe. Kathy est la première atteinte elle danse comme une folle parmi le dernier carré, Yannick s'offre un tour de motobécane tandis que le triomino diabolique nous entraîne sur L'Homme et la Moto, Cyril aide Tony à se munir de sa Fender, la Gibson en panne sèche et définitivement hors-jeu, ce n'est plus un set c'est un jukebox, le public criant ses titres préférés, Tony se délassant les index sur le torride Les Guitares Jouent de Johnny et nous faisant l'offrande de Toute la Musique que j'aime, Duduche, impérial, le héros du 3 b, saute sur scène et dynamite le morceau au micro sous une monstrueuse ovation.

     

    C'est le plus triste, le moment des adieux, tempéré par la promesse de se revoir au même endroit, avec la team organisatrice de Connantre qui concocte une soirée spéciale pour le premier septembre.

    Damie Chad.

     ( Photos : Alicia Fiorucci )

    NEW NOISE

    N° 43 / Mars -Avril 2018

    mike harrison + spooky thooth,tony marlow,alicia fiorucci,orryelle defenestrate,kathy and the firebrands

    Magazine papier. De la musique qui déchire. Exemple, ce mois-ci je l'ai pris pour l'interview de Pogo Car Crash Control. Une première constatation qui saute aux yeux attentifs aux divergences signifiantes. C'est beau comme un jardin français. Tiré à quatre épingles et au cordeau. Une mise en page qui ne correspond guère avec l'esthétique attendue des fanzines bruiteux. C'est rangé comme la boîte à couture de Tante Agathe. Pas question que ça dépasse, encore moins que ça rue dans les brancards de la typographie. Les colonnes se suivent et se ressemblent. Les photos ne vous crèvent pas le globe oculaire, couleurs mates, du blanc et du noir. Nulle fantaisie. Elégance glacée post-Bauhaus. Une impression de sérieux désolante. Pour les articles, z'ont adopté la fatigante méthode des magazines de métal, une demi-page de présentation voire de relation des circonstances et interview des groupes. Chroniques disques et livres. Bien fichu, bon boulot, intellectuellement honnête, l'ai acheté, me suis jeté sur la kro de l'album des Pogo, lu l'interview, feuilleté le reste, et reposé sans le lire. Remarquez, je soupçonne beaucoup de lecteurs de Kr'tnt ! d'agir de même avec le blogue... Plaisir égotiste de faire, refus de l'ère de la communication, le rock est-il en train de devenir un art autiste ? Les dents de l'alligator seraient donc élimées ? Do It Yourself or Enjoy Yourself ?

    Peut-être qu'il n'y a plus rien à mordre.

    Damie Chad.

    ORRYELLE DEFENESTRATE

    Non, il ne passe pas son temps à défenestrer les gens. Ou plutôt si. Mais alors uniquement de la fenêtre de leurs appartements. Précisément de celles de leur intérieur. Car très souvent elles sont fermées. Renforcées par d'épais contrevents qui ne laissent filtrer aucune lumière. Pas celle du jour. Car pour celle-là, les baies sont grand-ouvertes. Même que la commune humanité adore et s'y dore. Mais il existe des soleils noirs plus subtils. Pas besoin d'aller chercher les bouches d'accès, elles sont en vous, employons une image poétique un peu éculée que tout le monde comprendra, dans la maison de l'âme. House of the holly. Un terrier puant, mais depuis le temps qu'on y habite, l'on s'y sent bien, dans nos propres remugles, dans nos vomis psychiques. Si bien que l'on n'a aucune envie d'en sortir. L'on a même oublié, pire l'on ignore depuis toujours, que comme toute habitation à loyer modéré, elle possède des issues de secours. C'est la Loi. Non pas celle du procureur de la République. L'autre. Alors si vous ne comprenez pas, Orryelle vous aide à faire la grande bascule. N'ouvre pas les portes à la manières de Jim Morrison, préfère forcer les fenêtres tenues fermées par votre ignorance. Et votre peur aussi. Are you ready ? C'est comme le saut à l'élastique, sauf qu'il n'y a pas d'élastique.

    mike harrison + spooky thooth,tony marlow,alicia fiorucci,orryelle defenestrate,kathy and the firebrands

    Vous connaissez tous Rock around the clock de Bill Haley ? Très bien. Alors vous êtes prêt pour Rock around the chaos. Pour la pendule, ne vous inquiétez pas, vous pourrez en récupérer facilement un modèle sur le FB d'Orryelle Defenestrate, farfouillez un peu, suivez les liens, comment croyez-vous que Christophe Colomb ait découvert l'Amérique ? En allant y voir. Pour les indécis, vous ai rédigé ci-dessous, deux prospectus incitateurs. Comme vous aurez été sages, vous en rajouterai deux, un peu comme ces images impieuses que l'on offre aux enfants après une messe luciférienne.

     

    Doucement, avant la dernière gigue autour de l'horloge, vous ai aménagé un sas intermédiaire d'entrée. Nous sommes encore en pays connu. Enfin presque.

    DIONYSOSSS

    ( Vidéo )

    Remarquez ces trois SSS serpentaires et terminaux qui sifflent sur votre tête. Mais n'anticipons pas, je cite seulement le nom des musicos :

    Orryelle : violon, voix, percussions, harpe, flûte de pan / Evan Flux : synthétiseur / Les acteurs : chœurs

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    Soyez sans crainte, mais faites attention, ceci n'est pas une simple vidéo mais un rituel orphique. Matez le chien qui passe en arrière-plan comme par hasard. Vous conseille un vestibule si vous êtes hésitant. L'Après-midi d'un Faune de Stéphane Mallarmé et de Claude Debussy dansé par Nijinsky, Orryelle dispose son corps d'une manière qui n'est pas sans évoquer la lascive gestuelle de l'étoile russe. Lyre d'Orphée stylisée dès les premières images, le trident de l'ébranleur dionysiaque des sens, entourée de lierre sempervirens pour signifier l'éternité des ondulations. Celles de la lumière comme celles des plus extrêmes focalisations que sont les corps humains. Il s'agit bien d'une danse sacrée. La musique glisse, le son dérape, ce n'est pas un truc de montage, mais l'imitation des méandres reptatives du corps du serpent sur les sables de la terre. Mais c'est le chant profond qui vous assaille, celui qui vient des tréfonds des viscères, ces serpents digestivores qui nichent au fond de nos entrailles. Pour ceux qui ne comprennent pas le reptile se meut en surimpression sur les images. Car toute image n'est qu'une représentation d'une réalité non pas surréelle mais sousréelle. Récitatif, hymne orphique. Blancheur des cuisses des jeunes nymphes à peine entrevues, car seuls les dieux ont droit au regard limpide de l'Artiste schopenhaurien, nous sommes à mi-chemin d'un groupe de carnaval et d'une menace plus sombre d'exultation. Blancheur des linges nausicaaens et corps qui se tordent et se roulent en un lent exorcisme néolithique. Rondes joyeuses et folles tarentelles, jusqu'à l'apparition du serpent de feu dans la fournaise de sa propre mythographie. Le son s'arrête, pleurs et désolations, le masque de Dionysos apparaît. Ici et maintenant et toujours. Au cœur de la nature immémorielle comme dans les rues d'une ville de Belgique. Partout le dieu dans l'immensité du monde. Et le drame de la présence se mue en rires, éclats burlesques, éclosions grotesqueS. Reprise finale scandée du nom de Dionysos, la musique s'accélère, un peu comme ces cataclysmes instrumentaux qui terminaient les représentations antiques. Ne cherchez pas plus loin l'origine de l'accord final discordant de la neuvième de Beethoven. Il est étrange de s'apercevoir que cette musique qui s'inscrit tout naturellement dans un catalogue rock ( dans l'écume de In the wake of Poseidon de King Crimson ) émarge tout aussi bien à la discothèque classique, le traitement insistant du violon n'est pas sans rappeler cette espèce de clinquance incendiaire du vibrato des cordes que l'on entend dans certains enregistrements des Quatuors de Bartok. Pas de tous, car beaucoup d'interprètes issus des conservatoires ont les oreilles bouchées, ils n'entendent pas lorsque le dieu leur parle.

    CHAOS CLOCK

    ( Vidéo )

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    Poussez les hauts-parleurs à fond. La musique aidera à faire passer les images. Mélodies du diable. S'agit d'une expérience dangereuse. Qui dit violon ne dit pas Paganini. Certains visent à plus dangereux. Nous avons déjà évoqué en kr'tnt ! ce mystérieux roman d'Hervé Picart ( qui officia dans Best ) tiré de la non moins singulière série de l'Arcamonde, La Pendule Endormie, dans laquelle le héros se livre à une étrange tentative d'arrêt du temps. Dans CHAOS CLOCK Orryelle s'adonne à une expérience similaire. Dans la série arrêt sur l'image, il a bien son violon en main, mais pas toujours sa tête. L'est remplacée par un cadran d'horloge. Tout ce qu'il y a de plus honnête, avec ses douze chiffres. Notons que chez Picart, il n'y en avait que onze. Mais là parfois, il y en a treize. C'est l'unité première qui a disparu. Nerval nous a avertis, la treizième revient, et son corps a fini par se balancer à un lampadaire de la rue de la Vielle-Lanterne comme un balancier d'horloge. Musique métaphysique. Être et Temps nous a prévenu Heidegger. Qui commence par le commencement. Orryelle remonte son violon comme tout un chacun sa montre avant l'apparition des cadrans électroniques. Mais les projets d'Orryelle sont d'une essence moins égotiste, ne s'occupe pas de son seul oignon.

    Le maître de cérémonie est prêt. Suivez de tous vos yeux. Il est en même temps, et le maître, et la cérémonie. Balancements d'archet. Scrupuleusement à haute voix il énonce le compte – à moins que ce ne soit un décompte – les chiffres se suivent et ne se ressemblent pas, finissent par s'entremêler les aiguilles. Avez vous vu la discrétion des pentagrammes, et l'étoile ninja des flèches qui tournent sur elles-même, votre tête vacille, c'est que la musique s'accélère, images tournoyantes, mais le but n'est pas d'aller trop vite, l'on risquerait de dépasser le temps et l'on serait trop loin, dans l'impossibilité de le maîtriser. Le rythme se ralentit, battements lourds du cœur humain, les passions intérieures stagnent et deviennent hypnotiques, des corps traversent la pièce, le violon donne l'heure à l'instar de la tour du beffroi dressé comme un sexe psychanalytique, mais la chair se cristallise, les yeux se diamantisent et les dents ne sont plus que verre de perles pilé. Il se passe quelque chose. Deux serpents en surimpression, deux Ouroboros qui se mordent la queue, nous sommes dans un conte d'Hoffmann, le papillon bleu a une aile cassée.

    Tout cela ne serait rien si la puissance n'était là. Se manifeste sous le signe du pouvoir. Le baladin passe en toute innocence – reconnaissez-lui le sourire énigmatique du meneur de rats de la bonne ville d'Hamelin. Porte sagement son violon dans son étui. Les beaux messieurs dans leurs costumes de banquier le regardent d'un mauvais œil. Mais c'est lui qui entre dans le temple de la bourse. Time is money et ses yeux sont pièces d'euros scintillantes. Se lasse vite de ces enfantillages. L'est sur la place publique, les gens passent derrière lui, son violon les transforme en pantins, vite, vite, vite, la calèche du maître est avancée, revient du temps d'avant, la calèche du maître est reculée, un film que l'on rembobine à l'envers, le temps devient rosace de cathédrale, l'esprit est atteint, les gens ne sont plus que les figurines de l'horloge qui défilent. La calèche repart dans le bon sens. Mais c'est trop tard. La folie s'est emparée de la population. Le baladin est maître du temps et des âmes.

    Chaos Clock le chaos éclot.

    Prenez le temps de le voir. Ne jurez pas que vous n'avez pas le temps. Ne dure que huit minutes. Enfin, c'est ce qui est écrit. Peut-être plus longtemps. Quant à la musique. Pas de problème. Certification démoniaque.

    METAPHYSICAL CHESS

    A Metamorphic Ritual Theater Production

    Female Vocals : Meg Mightjar / Violon : Orryelle.

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    Très beau. Pour vous en convaincre écoutez d'abord simplement la bande-son. Sombre et médiévale. Un véritable poème de Swinburne. Une lady Godiva auditive. Mais Valéry l'a souventes fois répété, en poésie le son et le sens se doivent d'être indissolubles. Nous nous attarderons surtout à décrypter la beauté des images.

    Un jeu d'échecs. Rien de plus innocent. Rien de plus absolu. Mais ici le combat ne consiste pas à tuer l'autre. Ne pas fondre sur l'ennemi, se fondre en lui. Stratégie d'alliance subtile. Les figurines de verre sont de Cas Davey. Les spagyristes furent cousins des alchimistes. Cornues et serpentins d'alambic ne trompent guère, l'opération qui se déroule ici est une figure du grand-œuvre. Des doigts invisibles ou des mains qui sortent de blanches mousselines poussent pièces et pions. Ceux-ci sont fiole de folie. La caméra se déplace par soubresauts. Les symboles secrets sont dévoilés mais resteront indéchiffrables pour les esprits grossiers. Deux figurines attirent les regards. Encolures d'oiseaux issus d'une représentation du cercle de l'alliance des contraires du Yin et du yang. La peinture archétypale en sera projetée plus tard. Cygne blanc et signe noir. Identiques en leurs différences. Oie blanche et corbeau noir aux sombres desseins.

    La mariée est en blanc et le chevalier vermeil joue du violon. Chacun se projette dans la fureur solennelle du jeu. Phantasmes éclatés de la richesse du monde. Le Roi se transmue en Hercule grec et la Reine en tour d'ivoire aux mille mamelles. La force du mâle, la profusion de la femelle. Le dieu paon bleu se glisse sur l'échiquier. Rouge des menstrues et blanc de sperme. La musique souveraine gicle en souveraines saccades. La caméra tournoie et le monde s'écroule.

    Une voix caverneuse annonce l'hymen hiérogamique de l'aigle blanc et du lion rouge. Les pièces sont face à face. Des dessins symboliques apparaissent. Le serpent s'enroule autour de l'œuf primordial. Les deux souverains ont la couleur de la terre glaise, une pâte qui s'entremêle et ne forme plus qu'un œuf terminal qui disparaît de l'échiquier déserté de toute sa population. Focus sur la case noire, mal peinte, parsemée de taches laissées en blanc, voie lactée spermatique sur la béance noire de l'univers. L'œuf revient tel un ovaire de poule qui se métamorphose en terre et se sépare pour reprendre la forme du couple primordial. Images en blanc et noir, gueule de lion anamorphosée en vulve de femmes, petites lèvres représentant les jumeaux alchimique, le couple se sépare, bruit d'un tronc d'arbre qui s'ouvre en deux. Le serpent de la genèse qui se mord la queue entoure les deux corps. Générique de fin. Coagulation infinie. Naissance de l'homme et de la femme. Serait-ce ce que l'on appelle l'échec partitif du désir ?

    DIVINE

    THE CHRUSHING OF THE KING

    La suite de l'antérieur. Mais sur l'anneau de l'éternel retour il est difficile de savoir exactement où se trouve le précédent et le successif. Quoi qu'il en soit, nous admettrons que la scène se passe juste après la vidéo des échecs métaphysiques. Même atelier d'alchimiste et même plateau échiquéenne de symbolisation actionnelle. Le Roi est jeté dans le creuset et réduit en miettes à coups de pilon. Orryelle est au travail mais il prend son violon, nous voici dans la première vidéo, dans la nature, Orphée en tunique blanche en train de danser. Mais ce sont plus de douces nymphes qui l'accompagnent, se sont transformées en ménades. Musique chaotique, l'entremêlement des corps devient spasmodique, Orphée essaie d'échapper à la fureur jalouse des prêtresses qui ne peuvent le ligoter dans les rets de leurs désirs. Le mettent nu et à mort.

    mike harrison + spooky thooth,tony marlow,alicia fiorucci,orryelle defenestrate,kathy and the firebrands

    Pour mieux comprendre les production d'Orryelle Defenestrate et sa démarche nous invitons nos lecteurs à lire Les Hymnes Homériques ( Collection Budé ) et surtout à se pencher sur les oeuvres d'Aleister Crowley ( livraison 162 du 14 / 11 / 2013 ) et d'Austin Osman Spare ( livraison 330 du 25 / 05 / 2017 ) déjà succinctement présentées dans KR'TNT ! par l'entremise des traductions de Philippe Pissier, espion-Sebek.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 247 : KR'TNT ! 367 : MARK LANEGAN / HUDSON MAKER / VINCE ROGERS / THE RIDE

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 367

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    29/ 03 / 2018

    MARK LANEGAN / HUDSON MAKER 

    VINCE ROGERS / THE RIDE

    Lanegan à tous les coups - Part One

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    Même si vous traînez la nuit dans des cimetières, vous ne croiserez jamais un être aussi délicieusement macabre que Mark Lanegan. Dans les westerns les plus trash, comme ceux de Sam Peckinpah, vous ne croiserez jamais un être aussi puissamment tragique que Mark Lanegan. Le désespoir et la désolation qu’il exprime à travers ses chansons relèvent d’un autre univers, celui des contes macabres d’Edgar Allan Poe, ou pire encore, des contes immoraux de Pétrus Borel. Mark Lanegan n’appartient pas au petit monde de la pop amazonée des fnacochères aux yeux humides d’incompétence, non, ce personnage tient à la fois du loup-garou, du mountain man et du poète maudit. Son monde est celui des esprits et son odeur celle de la terre humide des tombes fraîchement creusées. Il n’en finit plus d’alimenter sa mythologie, il chante comme s’il creusait sa propre tombe, en quête d’une grandeur qui ne ressemble pas à celle qu’on imagine habituellement. L’univers de Lanegan se situe dans les profondeurs dignes de celles dessinées jadis par Piranese, celle de ces interminables enchevêtrements de caves et de soubassements qui décrivent mieux que ne le feront jamais les mots l’horreur de la nature humaine. Lanegan chante le péché originel, il chante la rédemption impossible, il chante la chute de l’ange, il transforme toute sa compassion luciférienne en démesure artistique. Il est l’un des artistes les plus intensément cruciaux des temps modernes. Et ce depuis le temps béni des Screaming Trees, c’est-à-dire depuis trente ans.

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    Chaque fois qu’on le revoit sur scène, que ce soit avec le Mark Lanegan Band, avec Isobel Campbell ou encore Greg Dulli dans les Twilight Singers, la magie opère. Ce n’est pas un hasard si le Café de la Danse affiche complet, ce soir de novembre dernier. Il arrive en boitant sur scène. Il porte des lunettes de vue. Et dès qu’il pose l’emplâtre de «Death’s Head Tattoo», il installe son ambiance, il diffuse ce capiteux mélange de drame et de beauté. Quelque chose de très baudelairien émane de Lanegan, mais baudelairien au sens de la modernité, cette modernité dont Baudelaire se prévalait en son temps. Puisqu’on parlait de tombe, voilà justement qu’il attaque «Graveddiger’s Song» - Tout est noir mon amour/ Tout est blanc/ Je t’aime mon amour/ Comme j’aime la nuit - Oui, ce diable d’homme nous fait l’honneur de chanter en français.

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    Puis il rocke le Café avec «Hit The City» tiré du vaillant Bubblegum. Pas de pire hellraiser que Lanegan. Quand il prend une ville, c’est pour la raser. Quand il prend une âme, c’est pour la dévorer - Il porte un joli nom, Saturne/ Mais c’est un dieu très inquiétant, nous disait Brassens. Saturne, c’est Lanegan. Il va aussi tirer de Bubblegum le très sexuel «Come To Me» et l’effarant «One Hundred Days» qui à force de beauté déchirée atteint à des horizons chimériques. Lanegan semble fonctionner par séquences, car il enchaîne quatre titres tirés de son dernier album, le sombrissime Gargoyle. Avec «Sister», il prouve bien qu’il est le seul à savoir twister sur des râles d’agonie. Il chante «Emperor» avec de faux accents de Bowie et lance «Nocturne» au heavy beat - That lonely drug is in my vein/ Blood stained - C’est encore une chanson d’amour, une rengaine de do you miss me, miss me darling et le diable sait si elle lui manque.

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    Et puis il refait exploser les canons de la beauté glacée avec «Beehive», une powerhouse digne du temps des Screaming Trees - Honey just gets me stoned / Just gets me stoned - Lanegan nous entraîne comme un courant, impossible de résister à une telle ampleur. Puis il enchaîne une séquence de cuts tirés de Blues Funeral, l’album aux roses, qui doit être l’un de ses meilleurs recueils d’élégies, à commencer par l’infernal «Bleeding Muddy Water», une ode à la destruction qui se révèle fatale - Muddy water/ Drowning in the rain / Now the rain done come - Et je vous prie de croire que le rain done come tombe comme une sentence, et pire encore, comme un couperet. Il monte encore d’un cran dans l’édification des édifices avec «Harborview Hospital» - Oh sister of mercy / I’ve been down too far to say / And all around this place I was a sad disgrace - De le voir donner vie sur scène à ces chansons qu’on connaît par cœur rend l’instant vécu particulièrement précieux. Il enchaîne deux stormers implacables, «Ode To Sad Disco» et «Riot In My House», surtout Riot qui blaste les colonnes du temple - Chaos is blossomming/ Run and hide little mouse - et cette brute fait rimer amputation avec strangulation. Lanegan ne fait pas dans la dentelle. Il fait aussi rimer medication avec levitation. Il réclame plusieurs fois l’extinction des projecteurs de voûte, et quand au contraire le régisseur les allume tous, Lanegan le menace violemment. Devant tout le monde.

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    La discographie de Lanegan s’étend comme un empire, sur plusieurs périodes : celle des Screaming Trees qui dure dix ans (de 1986 à 1996), puis celle des albums solo qui chevauche la troisième période, celle des collaborations avec Greg Dulli, Isobel Campbell et d’autres gens. On trouve dans chacune d’elles de quoi nourrir un régiment. L’homme se veut prolixe, dense, profond et le plus souvent insondable. On en a pour son argent, croyez-le bien.

    La période Screaming Trees valait largement le détour, car le groupe dégageait une forte odeur de mad psychedelia, certainement l’une des plus sauvages d’Amérique. Le mélange Lanegan-débutant/Gary Lee Conner parvint au terme de sept albums à se montrer explosif. Il fallut en effet six albums aux Trees pour accéder à Dust qui reste l’un des meilleurs albums de rock américain jamais enregistrés.

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    Leur premier album Claivoyance voit le jour en 1986 et ça kick-asse dès «Orange Airplane», avec la basse dévorante de Van Conner. Ses notes ravageuses vrillent littéralement la moelle de l’épinière. Quelle fabuleuse cavalcade ! Ach ! comme dirait le fantassin que vient de traverser un obus de mortier. Sur l’une des photos de pochette, Gary Lee Conner porte les cheveux décolorés et mi-longs : il ressemble à Jeffrey Lee Pierce. De Gary Lee à Jeffrey Lee, il n’y a qu’un pas, dit-on dans certaines régions du cerveau. Welcome in the Trees land, baby. Ils restent dans les dynamiques du diable avec «You Tell Me All These Things» et on ne s’en lasse pas. Le gros Conner commence à faire le con dans la cave. Les Trees sont déjà extrêmement puissants. Avec «Forever», ils passent à l’uptempo mal intentionné, soutenu par la basse pouet-pouet de Van Conner. Ces mecs n’en finissent plus de sur-jouer leur rock de cave, un rock fantastique car si déterminé. Lanegan envoie ses Forever voltiger dans les essaims et ça devient fascinant. Ignorer cet album serait une grosse erreur. «Seeing And Believing», c’est encore une bonne raison de suivre les Trees à la trace. Ça sonne comme un stomp de bricoleurs du dimanche, sauf que les bricoleurs ont du talent à revendre. D’ailleurs, ils virent poppy et Lanegan tente de se faire passer pour un gentil mec. Arf Arf, comme dirait le label australien. Et en B, ça revoltige de plus belle avec «I See Stars», eh oui, on voit trente-six chandelles, les Trees préfigurent toutes les figures, toute la mad psyché à venir, tout le bad mad doom de Dust, c’est un peu comme si tout s’embryonnait. Et dans «Lonely Girl», on voit le gros Conner cisailler la branche sur laquelle les Trees sont assis, oui le gros Conner tâte de la cocote de cisaille acide, la pire qui soit ici bas. «Turning» sonne comme un violent turn-over et le gros Conner ressort sa meilleure cocote, alors que font les Trees ? Ils s’envolent ! Ils apprennent à exister dans des paysages, mais il leur faudra plusieurs albums pour imposer leur génie psycho-psyché de psychout so far out. Ils bouclent cet album engageant avec le morceau titre joué à la pire heavyness de cave. On dirait presque un rock réservé aux hommes. Les Trees shakent leur shook de cave et expédient les choses ad patres avec une vélocité qui laisserait coi le con du coin. Et le gros Conner coule sur les ruines du rock un joli bronze psychédélique. Belle façon de créer un monde, n’est-ce pas ?

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    On l’a oublié, mais SST fut dans les années 80 le grand label underground sur lequel tous les groupes rêvaient d’atterrir. Lanegan et les frères Conner eurent cette chance et d’une certaine façon Even If And Especially When les fit entrer dans la légende. Dès «Transfiguration», on sent le souffle, comme dirait Claude Nougaro, le souffle du fast heavy rock a bit grungy et d’essence maladive, une sorte de 13th Floor poussé dans le dos, un incroyable brouet de mauvais blast. Voilà de quoi devenir acro. Ils sont venimeux comme la patoutou et bons comme le sable chaud du désert. Le gros Conner tape déjà des descentes aux enfers sur le manche de sa guitare et ce démon de Lanegan les rattrape au vol, rien qu’en chantant avec âpreté. Il faut voit ce cirque ! On a là un brouet qui ne traîne pas en chemin. Et le gros Conner n’en finit plus de fourrer sa dinde par derrière. Ach ! fait la dinde, tu me fais mal, mon amour ! Et ça continue avec l’infernal «Straight Out To Any Place», une sorte de garage punk dévasté de l’intérieur. On se croirait à la MJC d’Hérouville, c’est sans aucun espoir, les Trees jouent comme des dieux pour six lycéens boutonneux. Ah quel panache ! Ils percutent le firmament en pleine gueule et sanglé dans son blouson minable, Lanegan continue comme si de rien n’était, en parfait roukmoute aux mains tatouées. Baisé d’avance. Le pire dans cette histoire, c’est qu’ils démultiplient les exploits comme on le voit avec l’arrivée de «World Painted». Tout repose sur une sorte d’énergie du désespoir et les idées de son du gros Conner. Ce groupe est plein de germes, comme une bite pas lavée. Ça grouille, ça cloporte de mad psychedelia de MJC et ça pue le col en mouton. Le pauvre Lanegan chante comme il peut avec sa voix d’homme qui a mué trop tôt. Ça joue fabuleusement. Ils enchaînent avec un «Don’t Look Down» qui sent le brûlé. Quel fabuleux coup d’orientalisme à deux balles ! Le gros Conner se montre expert dans ce genre de subterfuge. Comme il n’existe pas de littérature sur les Trees, il faut se contenter de la musique. Et quelle musique ! Vivante et ultra-jouée. Tout le son est déjà là, en couches supersoniques et le gros Conner part sans prévenir dans des pointes de vrille. Il est un peu le Brian Jones des Trees, l’homme à idées. Ils jouent «Flying» au trépidant du tepid. C’est à la fois terrible, intéressant et dramatiquement original, d’autant que le gros Conner entre en transe ultraïque. Même chose dans «Cold Rain», le gros se fond dans la masse du lard avec un chef-d’œuvre de solo vrillard. Toutes les prémisses de Dust sont déjà là. On croit même entendre «Dying Days» ! On reste dans la puissance inexorable avec «Other Days And Different Planets». Les Trees n’en finissent plus de bâtir l’empire du rock psychédélique. Lanegan menait déjà sa barque vers le néant du rock, vers la fin des temps qui est l’aboutissement de toute chose sur terre. Mais il le fait avec un panache exemplaire. Peu de groupes ont su se lancer dans la gueule du loup avec autant de génie. Les Trees devaient savoir à l’époque que se trouvait parmi eux le meilleur chanteur américain. Ils finissent ce brillant album avec «In The Forest». Le gros Conner nous le claque d’entrée de jeu. Ils groovent leur garage avec des chœurs géniaux, on sent les moyens du bord - In the forest baby - Leur garage pue merveilleusement des pieds.

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    Tiens, encore une galette de Pont-Aven : Invisible Lantern, un SST des 1988, devant lequel on se prosterne jusqu’à terre, pour au moins quatre raisons, à commencer par «Ivy», pure énormité que vient challenger le gros Conner. C’est ultra sonné des cloches - Ivy on the wall - Et le gros part en vadrouille dans les strawberry fields forever de la fever noire, ah quel soudard épouvantable ! C’est bardé de son, psyché jusqu’à l’os et chanté à la force du poignet. L’amateur de psyché va se goinfrer de «Lines & Circles». Comme ce cut fume ! Ça frise la sorcellerie. Van Conner ramone sa cheminée, ses lignes de basse roulent comme des dragons sous la surface de la terre et le gros Conner envoie sa giclée de mad psyché tâcher le plafond. Et puis en B, ça repart de plus belle avec «Smokerings». On s’effare de la maturité de leur son. Chaque cut imprime sa marque. Si un groupe doit détenir le record d’effervescence de mad psyché, c’est bien les Trees. Ils sont même dans l’omniscience de la patapsyché et le gros Conner n’en finit plus de tartiner sa confiture et de wha-wahter dans sa choucroute, il reprend à son compte toute la sauvagerie du freakbeat britannique, telle qu’elle existe dans les solos de Bryn Hayworth ou de John Du Cann. Ça continue de mousser avec le morceau-titre. Ce chanteur phénoménal qu’est Lanegan plonge dans le son connerien, ça wha-whate à tous vents et Lanegan décrit sa réalité altérée - So I took my illumination into the street/ Just a flash of confusion when we meet - Il y a quelque d’irrémédiablement anglais dans leur attaque. Tiens, encore une énormité fatidique avec «Direction Of The Sun», pur classique garage, et le gros Conner entre dans le lard du cut avec la hargne d’un spadassin, mais un spadassin de Seattle. Ce gros lard est certainement l’un des plus grands guitaristes américains. Et l’album se termine avec «Night Comes Creeping», et on peut dire que ça reste excellent jusqu’à la dernière goutte de son. Ils précursent le cursif.

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    Le mini-album Other Worlds manque un peu de viande. Ils démarrent avec «Like I Said», une sorte de petite pop merdique qui à l’extrême limite pourrait rappeler le 13th Floor ou les Seeds. Ils sonnent comme des freluquets. On y entend même des pointes de vitesse. Ça sent la cave : l’écho du son est pourri. «Pictures In My Mind» sonne comme du garage de cul entre deux chaises. La pauvre Lanegan essaye de sauver les mauvais cuts et on entend même un mec jouer de l’orgue sur «The Turning». Le morceau titre va plus vers le garage, mais on passe à travers. Il faut attendre «Barriers» pour trouver un peu de viande. On les sent plus ramassés. Le gros Conner joue bien liquide alors ça redevient intéressant. Voilà d’où sort le potentiel : un son, une voix et un guitar-hero. Avec «Now Your Mind Is Next To Mine», on peut parler de garage d’arbre. Le gros Conner y voyage intensément et Lanegan survole tout ça, tel une chauve-souris à tête humaine. Fascinant !

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    On trouve un véritable coup de génie sur Buzz Factory : «When The Twain Shall Meet», amené à l’aune d’une énorme bassline de gras-double. Les Trees passent directement au maximum overdrive, le gros Conner fout la pression et Lanegan hante tout ça en filigrane avec une sorte d’abjecte abnégation. On croit entendre le rock des pendus de François Villon, l’ultime rock des délinquants du Pacific Northwest. Une merveille. Ce sont les effluves toxiques du meilleur never know which one stays, basse fuzz, gros Conner et démon Lanegan en glissade de which one stays. L’autre poids lourd de l’album s’appelle «Wish Bringer», pur jus de heavy rock, puissant et wha-whaté à outrance. Avec «Windows», ils retombent dans le power-rock privé d’avenir, ça pue la poste restante, ils vont vite, mais nulle part, même si le gros Conner s’épuise à jouer comme un cake. Il surjoue aussi «Black Sun Mornings». Il est en hyperventilation permanente de wha-wha. Lanegan gueule dans le néant de l’underground foutu d’avance. Quand le gros Conner repart en solo, plus personne n’écoute. Ils terminent avec «End Of The Universe», un vrai shake de Trees.

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    Retour aux choses très sérieuses avec Uncle Anesthesia. Ils viennent de signer sur Epic et dès «Beyond This Horizon», on voit trente-six chandelles. On sent qu’ils prennent du poil de la bête, la voix de Lanegan est plus posée et ça redevient vraiment très psychédélique. Ça prend même de l’ampleur, au sens vampirique du terme. Ils se dévergondent, comme si cela était encore possible. Nous voilà donc au cœur de la mad psychedelia, celle dont on rêve toutes les nuits. Ce cut dévale des pentes à toute blinde dans de grandes gerbes d’étincelles. Et ça repart de plus belle avec «Bed Of Roses». Lanegan se pose d’entrée de jeu et le groupe se montre terrifiant de présence cosmique. Ils se situent au très haut niveau, le niveau des inégalables. La voix porte si bien qu’elle enchante ce heavy balladif. Le géant Lanegan mène désormais le bal, le gros Conner lui livre les cuts clés en mains. Alors Lanegan shake le shook du morceau titre à coups d’awite et derrière, le gros Conner grouille littéralement de son. Ils tapent «Caught Between» au pire heavy groove qui se puisse imaginer ici bas. Lanegan entre dans la danse comme une étoile du Bolchoï chaussé de bottes de fantassin russe. Quel fantastique shoot de Trees ! Tous les germes de Dust sont là. C’est littéralement bardé d’accords et joué à outrance. «Lay Your Head Down» sonne plus pop, mais Lanegan ensorcelle. Il dispose de pouvoirs surnaturels. La grande âpreté de son timbre crée une ambiance unique au monde. Il colle aussi à la réalité du mythe Pacific Northwest avec «Something About Today». Il épouse les courbes de la psychedelia organisée, et le gros Conner monte tout ça en température à coups d’accords secs et nets. L’une de leurs spécialités est la plongée dans les abysses, et si on aime ça, alors il faut écouter «Alice Said». On sent bien que c’est le jeu favori de Lanegan, plonger dans les gouffres. Le gros Conner en crée les conditions à coups de tourbillons relentless et on assiste à une fin de cut séculaire, ils atteignent le paradigme du rock, de l’autre côté de l’univers. On ne se méfie pas de «Time For Light» et de son intro à la Led Zep acou. Ils basculent soudain en mode heavy sludge et Lanegan s’en vient exploser tous les contextes du cortex. De toute évidence, il n’existe rien de plus épais que cette purée. Avec «Ocean Of Confusion», ils passent tout simplement au déflagratoire. Lanegan chante comme s’il balançait de l’huile bouillante du haut des remparts. C’est joué au vertige pur.

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    Sweet Oblivion monte encore d’un cran dans l’excellence, d’autant que Don Flemming produit l’album. On retrouve leur effarante puissance dès «Shadow Of The Season». Toutes les puissances des ténèbres s’engouffrent dans la faille. Le gros Conner déverse des tonnes de psych-out et Lanegan lisse la surface de l’océan d’un simple revers de main. Il se dresse comme Neptune face à l’horizon alors que croise à ses pieds une monstrueuse bassline. Le hit de l’album s’appelle «Dollar Bill», un puissant balladif qui préfigure le Lanegan solo à venir. Cet homme incarne toute la mélancolie des loners de cabanes, les mountain men qui vivaient à la frontière et qui tuaient les ours pour se nourrir. S’il s’élève dans la mélodie, c’est à la dure, il est livré à lui-même, sans autre secours moral que celui d’une vieille bible - Goodbye mama -Et cette façon qu’il a de remonter son I’m gonna tell ya à contre-courant dans le groove - Torn like an old dollar bill - Fantastique descente aux enfers du paradis - Goodbye mama/ We’ve taken it too far - Rien qu’aussi puissant que ce «Dollar Bill». «Nearly Lost You» fume jusqu’au ciel, ça crache et ça tousse dans des remugles de basse. Ils renouent avec la tension maximaliste dans «Butterfly». Le «Winter Song» qui se niche en B vaut aussi le détour. Les Trees y cherchent un passage vers un nouveau monde. Ils sont puissants, gorgés de son. Ils enquillent le promontoire qui conduit à la meilleure pop du monde, in your heart. Avec ce hit à rebondissements, Lanegan mène bien la danse. On peut aussi se goinfrer de «Troubled Times», car voilà un fantastique battage d’accords, ces gens décollent comme des fusées en crachant la foudre. Voilà ce que sont les Trees, des diables bien profilés. Ils terminent ce bel album avec «Julie Paradise». Le gros Conner le plonge dans sa débauche habituelle, alors Lanegan n’a plus qu’à tailler et sabrer dans la densité, il chante à la pire niaque de l’Oregon et ça donne une invraisemblable dégelée de bersek balistique.

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    Et là, avec Dust, on entre dans la cour des grands, car il s’agit de l’un des plus beaux albums de rock de tous les temps. C’est du niveau de Blonde On Blonde, d’Hunky Dory ou encore du White Album, pour n’en citer que trois. Dès «Halo Of Flies», on est littéralement happé par une fantastique envolée psyché, une sorte de dream come true. C’est d’une puissance vitale qui dynamite toute idée préconçue. De soudaines envolées captent l’attention et quand Lanegan plonge dans le tourbillon, les frères Conner l’accompagnent. Le gros Conner joue du sitar de bonne franquette, comme Reggie Young au temps des Box Tops. C’est un modèle de mad psyché absolument définitif. Chaque fois qu’on réécoute cet album, on y découvre de nouvelles splendeurs, de nouveaux puits de lumière, de nouveaux ciels. On s’effare tout autant de cet «All I Know» joué au barrage d’accords contre le Pacific, et Lanegan monte sur ses grands chevaux de Tarquinia, c’est un rock d’une élégance invraisemblable. Lanegan sonne tellement anglais, il croasse son rock comme un vieux lord désabusé et rincé par les excès. Il vibre ses unissons dans une mélasse sonique qui relève de la magie blanche. Dès l’attaque de «Look At You», on sent le hit intemporel. Cette beautiful song fout des frissons partout - When I look at you/ I get a second chance - Impossible de résister à ça et le solo atteint des sommets aphrodisiaques. Et ça continue avec «Dying Days» - All those dying days/ I walk the ghost town/ Used to be my city - Puissances des ténèbres ! Et ce riff qui descend pour se fondre dans le génie vocal de Lanegan ! Il faut avoir vu ça dans sa vie au moins une fois. C’est atrocement bon - Can you ease my mind - Lanegan atteint au suprême, il chante comme un dieu de l’Olympe alors qu’autour de lui craquent des éclairs de génie psyché - All these dying days/ Aaaah yeahhh - S’ouvre alors un gouffre de vertige et avec Lanegan on cherche de l’air pour respirer. «Make My Mind» reste dans la veine du filon d’or et ce démon de Lanegan le reprend au pied levé, il chante ça au pire débotté qu’on puisse imaginer. Il reste encore une face à explorer. Cet album est une montagne, c’est sûr, car voilà «Sworn And Broken». Un solo d’orgue explose au paradis et Lanegan nous refout des frissons car il vibre son baryton jusqu’à la limite du supportable. Il chante ensuite «Witness» à la grande insistance et ils font du kashmir grungey avec «Dime Western». On est content quand ça s’arrête. Un album aussi bon n’a rien d’humain.

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    Puis le groupe s’est désintégré. Dommage. En 2011, le batteur Barrett Martin fit paraître ce qui devait être le dernier album des Trees, Last Words. Oh c’est sûr, on y trouve quelques belles énormités, mais ça n’est tout de même pas du niveau de Dust. «Black Rose Way» ravira les fans des Trees car c’est joué au riff mal intentionné. Voilà encore un cut terrifiant de présence et même spongieux. Ce gros Conner de pyromane joue avec le feu en permanence. Il semble ne s’intéresser qu’à la démence. Le son est en expansion. Tout aussi énorme, voici «Low Life». Imbattable car joué au psyché psycho puissant et bien développé, avec des guitares qui se chevauchent et ça vire rapidement à l’orgie de croisées. Ils sont tellement épais dans leur barn d’Oregon qu’ils en deviennent ganaches, c’est complètement bombardé du beat, le gros Conner pousse tout dans le corner. Encore une splendeur héroïque avec «Last Words», complètement écrasé de connerisation, ça coule de partout, voilà le son des Trees qui crient. Grands dieux, il pleut du sonic hell ! On trouve aussi du heavy sound à la pelle dans «Ash Gray Sunday», Lanegan y fond comme beurre en broche et le gros Conner joue le Grand Jeu de la mad psyché à la Daumal assurance. Les frères Conner chargent bien la barque de «Revelator», encore du très grand Trees car battu aux quatre vents. On a aussi un «Crawl Space» allumé d’avance. C’est d’une rare démence à cause de ce chanteur qui n’en finit plus de jeter ses mégots dans le sable pétrolifère de la mad psychedelia. Avec «Tomorrow Changes», Lanegan renoue avec quelques accents de «Sworn And Broken», il chante au divin des Appalaches et va chercher des accents inusités qui brillent dans la nuit comme des perles noires.

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    Toujours la même histoire, une bonne compile peut parfois rendre service et faire gagner de la place dans les étagères. Anthology. SST Years 1985-1989 passe en revue toute l’époque SST et c’est l’occasion rêvée de se refaire un petit shoot de «Transfiguration». On y retrouve le gros Conner qui fout le paquet. Et ce «Don’t Look Down» qu’on dirait joué par des sauvages ! C’est absolument terrifiant de présence trash et à l’époque, c’est le gros Conner qui mène le bal des vampires. On retombe aussi sur l’effarant «In The Forest» et le gros continue de faire le show dans «Other Days & Different Planets». On trouve ensuite quelques horreurs tirées d’Invisible Lantern. C’est là où la voix de Lanegan commence à se creuser. Le gros Conner bourre «Smokerings» de dégoulinades et Lanegan chante comme un guerrier apache. «Ivy» sonne comme une énormité infernale, une de plus. Tout ce qu’on aime dans le rock est chez les Trees. Ils sont certainement les maîtres de la mad psychedelia. En tous les cas, ils sont bien meilleurs que les autres à ce petit jeu. «Subtle Poison» sort de Buzz Factory et le gros Conner cherche à l’éclairer, mais on l’a vu, Buzz n’est pas leur meilleur album, même si des cuts comme «Windows» et «Black Sun Morning» bouillonnent d’énergie, surtout Black Sun que le gros Conner joue à la mésaventure de la Mesa du Cheval Mort. Quelle leçon de maximum overdrive ! Et puis bien sûr on retrouve en fin de compile ce coup de génie intitulé «Where The Twain Shall Meet», idéal avec un mec comme Lanegan derrière le micro. Et cet enfoiré de gros Conner joue tout son truc sous le boisseau. Arrghhh, comme dirait le sergent Speer, à l’instant même où une flèche lui traverse l’épaule.

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    Au rayon des collaborations, les trois albums que Lanegan enregistra avec Isobel Campbell valent autant le détour que ceux de Lee Hazlewood & Nancy Sinatra. C’est même aussi bon que tout ce que Gainsbarre enregistra jadis avec Jane. Le premier album du duo s’appelle Ballad Of The Broken Seas. Il date de 2006. «Black Montain» provoque un certain trouble car Isobel Campbell s’approprie sans doute inconsciemment la mélodie de «Scarborough Fair». Ce sont des choses qui arrivent. Le hit de l’album s’appelle «Honey Child What Can I Do». C’est là que ce joue le destin de l’album. Ça sent si bon le Brill, on assiste à une véritable élévation, elle avec sa voix lumineuse, lui avec son pesant d’or. Ah comme ils sont déments ! C’est orchestré comme au temps du Brill avec des guitares qui descendent du gratte-ciel et des nappes de violons rattrapées au vol par la voix d’ange d’Isobel. Il est évident que Lanegan frissonne de bonheur en chantant ça. Il vit dans l’instant le génie du Brill tel que décrit par Michel Butor. Par contre, le morceau titre sonne comme une vielle rengaine de taverne. Même chose avec «Rambling Man» : Lanegan adore ces vieilles ambiances qui puent le hareng fumé au tonneau. Isobel propose de la belle pop de Belle avec «Saturday’s Gone». Elle veille bien à son petit grain d’Ouest. Elle chante si divinement. C’est à Lanegan que revient l’honneur de refermer la marche avec «The Circus Is Leaving Town». Il se transforme pour l’occasion en Zampano alors qu’au loin aboient les chiens errants.

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    Deux ans plus tard paraît Sunday At Devil Dirt, un album attendu comme le messie. Lanegan et Isobel nous font ce qu’on appelle un joli duo d’enfer avec «Who Built The Road». C’est un enchantement. Elle ramène tout son attirail d’ingénue libertine dans la brise tiède des violons et ça donne une magnifique ambiance à la Gainsbarre - Dark and within the everlasting fire - C’est la pop du paradis. Nouveau coup de génie avec «Come On Over (Turn Me On)». C’est joué à la meilleure pop et orchestré à la diable. On sent nettement les vieux restes de Belle & Sebastian. C’est même digne des grandes heures de Phil Spector et des mélodistes en titre du Brill - Tell me baby / Tell me pretty lies - C’est attaqué à deux voix et ça reste chaud et profond. L’orchestration embarque tout, comme chez Gainsbarre, et ça bascule dans d’insondables abîmes de pureté évangélique - Is it any wonder how we lay awake all night - Et un certain Jim McCulloch part en solo, alors les choses rebasculent dans l’outrance de la prestance - Like a blind man driving at the wheel / Like a hound dog scratching out a meal - Lanegan ramène toute la beauté de sa violence. Pendant que défile «Something To Believe» et son mocking bird, on regarde les photos d’Isobel dans le livret et on s’exclame : «Diable comme elle est belle !» Et tout rebascule une fois encore dans le génie avec «Trouble». C’est chanté à deux voix comme dans un rêve. Lanegan et Isobel constituent l’une des meilleures combinaisons possibles - Down the line I will remind you / Listen how I love you - On croit entendre les accords de «Walk On The Wild Side», c’est dire si c’est bon. L’album fut curieusement réédité avec cinq bonus, et bien sûr, il n’est pas question de rater ça, surtout le «Rambling Rose Clinging Wine» que chante Lanegan sur fond de coups d’acou. C’est admirable de dépouillement - Don’t fret forever darling / Ain’t worth it - Puis Isobel chante «Hang On» comme une sainte. Elle finit par sonner comme une petite dévergondée. C’est tout simplement sublime - With you I stand on solid ground - On ne saura jamais si c’est un message destiné à Lanegan.

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    On retrouve encore un sacré clin d’œil au Brill sur Hawk paru en 2010 : il s’agit bien sûr de «Time Of The Season». On a des violons et du Hazlewood dans l’air doux. Lanegan et Isobel ne chantent pas, ils murmurent - And pair me with the circus clown/ At this time of the season - Le morceau titre est un instro tellement foutraque qu’il semble sortir tout croit de chez Cosimo. Ils chantent encore «Eyes Of Green» à deux voix et chaque fois, c’est une réussite. Lanegan ne rate pas l’occasion de glisser un petit blues funéraire avec «You Won’t Let Me Down Again». Quatre guitaristes l’accompagnent. Puis avec «Snake Song» joué à l’acou et au stomp, Lanegan revient à l’une de ses obsessions : moderniser le blues funeral. Il faut aussi l’entendre swinguer «Get Behind Me» à la vie à la mort. C’est incroyablement solide. Et puis avant de refermer cette page d’histoire, on notera que «To Hell & Back Again» sonne comme du Hope Sandoval. Même son, même voile de mystère.

    Quand Isobel Campbell et Mark Lanegan ont commencé à se produire ensemble, la presse s’est vite emparée du phénomène. On voyait des « La belle et la Bête » un peu partout, mais l’analogie n’était pas très heureuse, puisque Mark Lanegan n’a rien d’un Jean Marais, et Isobel Campbell rien d’une Josette Day. L’ambiance rouge de leur concert de 2008 au Trabendo n’avait pas non plus de lien avec la lumière si particulière d’Henri Alekan. On se trouvait aux antipodes du monde de Cocteau. Les comparaisons hâtives sont monnaie courante dans le microcosme de la critique musicale et les tâcherons souffrent le plus souvent d’une embarrassante carence culturelle.

    C’est vrai que le couple présentait un aspect magique, mais ils le devaient essentiellement à leurs pedigrees respectifs. Isobel avait participé à l’envol de Belle & Sebastian et Mark Lanegan avait déjà atteint le statut de légende vivante. Lanegan est sans doute le pire démon de l’histoire du rock. Les prêtres le craignent. Ils redoutent surtout son petit regard jaune, souvent posé de biais.

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    Ils donnaient ce concert au Trabendo pour promouvoir Sunday At Devil Dirt. Ils formaient un couple très particulier. Mark Lanegan restait comme à son habitude arrimé à son pied de micro et mal éclairé, mais on savait que c’était voulu.

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    Isobel Campbell semblait coupée en deux : très jolie blonde en haut et gros problème de poids en bas. Un cul de femme obèse. Pour aggraver les choses, elle portait un pantalon noir très moulant. C’était le seul défaut esthétique du spectacle, mais il était de nature à tout compromettre. Il y avait même quelque chose de choquant dans cette disgrâce : si on en revenait à l’analogie cocteauïque, elle pouvait inverser les rôles. Ils firent comme si de rien n’était. Isobel chantait d’une voix sucrée et très pop, Lanegan d’une voix très gave et très mélodique, et l’union des deux créait des ambiances de toute beauté capables de bouleverser les sens. Ce qui ne manqua pas de se produire.

    L’autre très grand chapitre participatif de l’œuvre de Lanegan, c’est le duo qu’il constitua en 2008 avec Greg Dulli, les Gutter Twins, pour enregistrer Saturnalia.

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    Lors du concert parisien des Gutter Twins en février 2008, j’eus clairement l’impression d’assister à un show extra-ordinaire. Greg Dulli et Mark Lanegan semblaient recréer l’illusion des dieux antiques. Plongés dans une fournaise de lumière rouge et littéralement effervescents, ils déversaient sur un public complètement fasciné des hymnes élégiaques, et cela avec une sorte de grâce fatale qui n’en finissait plus de les rapprocher du divin.

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    L’éléphantesque Greg Dulli et le fantomatique Mark Lanegan constituaient à l’époque une équipe de rêve. Les seuls auxquels on pouvait les comparer étaient les Righteous Brothers. Physiquement, Greg Dulli pourrait faire penser à Apollinaire, mais sans la bonhomie, car il émane du personnage et de ses récits une certaine violence. Il avoue avoir frôlé la mort à plusieurs reprises. Il se souvient d’avoir quitté un bar une hache à la main, avec le crâne ouvert comme une noix. 56 points de suture. Il ventripote allègrement et il ne porte que du noir, mais pas du petit noir à la mormoille. Greg Dulli est homme à s’habiller chez un tailleur. Depuis l’époque des Afghan Whigs, il a doublé de volume. On voit bien qu’il mène la grande vie : jolis poules, cigares et alcools chers. Il mange certainement comme dix et fume à la chaîne. Le voir fumer sur scène dans un pays où il est interdit de fumer en dit assez long sur son tempérament de fucker génial. Il faut le voir sur scène. Il y déplace énormément d’air. Il bouge constamment et fait parfois des pas de danse disco. Il plaque sur sa grosse Gibson noire de sacrées bordées d’accords. C’est un entertainer de premier ordre et un sacré cabochard. Il s’assoit parfois au piano pour placer des compos riches en teneur minérale. Greg Dulli est un songwriter complet, ample, épique au sens de Brel, et extrêmement envahissant. C’est un conquistadore de l’impossible, un fracasseur d’étoiles filantes. Les albums qu’il enregistre avec les Twilight Singers sont tout bêtement d’inépuisables mines d’or mélodique. Certains morceaux des Gutter Twins montent en drone, sur des atmosphères lourdement chargées d’orientalisme pervers. 

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    Ils jouèrent aussi ce soir-là les douze titres de Saturnalia, album fatidique. On y trouve «God’s Children», un morceau traversé par un véritable vent de folie. Ils vont croiser leurs voix au chat perché et c’est repris au mitoyen de l’unisson des géants. Voilà bien ce qu’il faut appeler une terrifiante merveille. Peu de gens savent croiser les chants d’une manière aussi fascinante. Avec «All Misery/Flowers», on retrouve toute la noire mélancolie de Lanegan. Il pose sa voix sur un beat à l’agonie - Oh Lord ! Oh Lord ! - Ce cut pue la mort. On retrouve son génie vocal dans «Idle Hands», un cut dégingandé de chien de piste. On assiste une fois de plus à une fantastique élévation, car voilà un cut hanté par les envols de guitare, puissants et si drus. C’est à s’en démettre de ses fonctions. Le timbre coloré de Lanegan donne à ce cut toute sa valeur aurifère. C’est un nouveau chef-d’œuvre interprétatif, un de plus. Lanegan pétrifie le rock dans des environnements de guitares extraordinaire. Comme Mick Farren, il sait sublimer ses chansons par le son. Encore une admirable prestation avec «We Will Lead Us». Il chante comme s’il agonisait à l’issue de la bataille de Gettysburg. Il est stupéfiant d’angélisme mortifère. Greg Dulli a beaucoup de chance de côtoyer un mec comme Lanegan. Dulli revient à ses chères embrouilles sentimentales avec «I Was In Love With You» et trouve facilement le chemin des ampleurs catégoriques.

    Il reste à explorer le troisième volet du Lanegan world, le volet solo, certainement le plus vaste et le plus déshérité des trois. Il fait l’objet d’un Lanegan Part Two.

    Signé : Cazengler, Lanegland

    Mark Lanegan. Café de la Danse. Paris XIe. 25 novembre 2017

    Screaming Trees. Clairvoyance. Velvetone Records 1986

    Screaming Trees. Even If And Especially When. SST Records 1987

    Screaming Trees. Invisible Lantern. SST Records 1988

    Screaming Trees. Other Worlds. SST Records 1988

    Screaming Trees. Buzz Factory. SST Records 1989

    Screaming Trees. Uncle Anesthesia. Epic 1991

    Screaming Trees. Sweet Oblivion. Epic 1992

    Screaming Trees. Dust. Epic 1996

    Screaming Trees. Last Words. The Final Recordings. Sunyata Records 2011

    Screaming Trees. Anthology. SST Years 1985-1989. SST Records 1991

    Isobel Campbell & Mark Lanegan. Ballad Of The Broken Seas. V2 2006

    Isobel Campbell & Mark Lanegan. Sunday At Devil Dirt. V2 2008

    Isobel Campbell & Mark Lanegan. Hawk. V2 2010

    Gutter Twins. Saturnalia. Sub Pop 2008

    TROYES / 24 – 03 – 2018

    3 B

    HUDSON MAKER

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    Vite, my pony, my riffle and my 3 B, suis en manque, plus d'un mois que je n'ai pas mis les pieds au 3 B, nécessité urgente de ma dose de rockabilly et d'amitié, la teuf-teuf dévore les kilomètres à la manière d'un xénarthre vermilingua myrmécophage – un fourmilier pour ceux qui ne sont pas naturalistes – qui se goinfre d'apocritas holometabolas acuelatas neopteras si vous voyez ce que je veux dire. Pas le temps de vous expliquer, Fabien est à la console et les Huson Maker sont déjà sur scène.

     

    HUDSON MAKER

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    Pas un de plus, pas un de moins. Trois. Vu l'ampleur sonore qu'ils dégagent cela suffit amplement. N'ai jamais compris comment l'on peut être un faiseur d'Hudson, mais pour le rockabilly, sont des spécialistes. Avec un son très particulier qui n'appartient qu'à eux. Sur sa batterie Franky vous envoie sa camelote ( premier choix ) franchement. Diapason haut. Si vous êtes devant, vous ne pouvez pas rester insensible à cette abondante mixture. Franky l'est un partisan du mouvement. Vous répand la mayonnaise en giclée continue. Devant une telle avalanche ou vous vous faites tout petit et vous disparaissez à jamais ou vous rajoutez vos grains de sel. Faut tout de même qu'ils soient gros comme des menhirs. Cela tombe bien, Alban en a toute une collection dont il ne sait que faire, vous les sort des cartons et vous les aligne par centaines sur deux files. Le genre de gars à qui il ne faut pas trop en promettre, s'occupe de tout, l'est partout, en cuisine derrière le gril, en salle à servir la purée.

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    Spécialiste du riff tranchant, pas le tomahawk qui vous assomme bêtement et qui vous estourbit si fort que vous n'entendez plus rien, non l'est un adepte du tranchant aiguisé, s'enfonce en vous de la tête au sexe, vous sépare en deux, puis il amincit les deux moitiés encore en deux, traitement de faveur, vous pouvez appréhender, en fait c'est incompréhensiblement revigorant, l'assistance se lance dans des danses des scalps de lindy hop endiablés, mais ce n'est pas tout. Alban n'est pas bien grand, sous sa barbichette, sa casquette et ses grosses lunettes, possède une seconde arme pour les combats rapprochés. Une rapière meurtrière, un rasoir démoniaque, une voix-laser qui vous découpe en tranches. Une lanière de fouet avec ce soupçon d'accent traînant pur-Appalache qui fait toute la différence. L'est comme Franky, doit avoir le rapide pour Yuma à prendre, pas du genre à parlementer, tirent d'abord et ne prennent même pas le temps de compter les morts. Le problème c'est que le troisième tueur est du même acabit. S'appelle Tof, l'a l'étoffe des grands. Cul de contrebasse à gros fessier, hanches marquées rehaussée d'un bustier affriolant, tient sa compagne très haut comme s'il lui serrait le cou. Peux vous affirmer que la gerce ne se permet aucune désobéissance. Ronronne comme un hélicoptère de combat, avec sa taille de géant et ses slaps de commando Tof n'a aucune pitié, du coup sous les coups elle chante comme si sa vie en dépendait, y met toute sa voix, ce n'est même plus les cordes qui claquent c'est le bois qui vibre de toutes ses fibres. L'a de l'énergie à revendre Tof, alors tout en continuant à faire subir un vibro-massage des plus éprouvant à sa big mama, il prête main-forte à Alban, se charge des chœurs, indispensables pour la rythmique rockab, z'avez l'impression d'enclumes d'une précision inouïe qui volètent parmi vous sans même vous effleurer, mais ce n'est pas tout, l'a encore une spécialité, le scream, un truc effroyable, vous voici transportés sur le Titanic au moment où l'iceberg s'en vient fracasser la coque, en plus il est sympa Tof, au cas où vous n'auriez pas entendu vous le refait rien que pour vous, version Andromède nue, ligotée sur son rocher, alors que le kraken lui épile à vif le sexe d'un coup de langue, toujours ce cri de terreur résonnera dans votre tête. Si vous croyez en avoir terminé avec Tof, ce n'est pas fini.

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    Ses copains ne lui octroient qu'un seul morceau. C'est dommage mais compréhensible. Il est strictement interdit de laisser les fauves en liberté. Tof ne chante pas. Il ouraganise, il démantibulalise, rawckabilly puissance mille, jamais entendu un truck si jouissif, un bulldozer qui passe sur la maison de votre ennemi. Qui arrache les plaques de béton et lui écrase dix-sept fois la tête à coup de godets. Et vous criez, encore, encore !!!

    Attention, j'ai peur de me faire mal comprendre. A me lire vous allez les prendre pour de sombres brutes sans foi ni loi. Ce serait un tort. Beaucoup de finesse. Excursionnent dans le rockabilly avec la doigté de l'entomologiste qui fait le relevé des espèces rares, savent aussi ce que c'est que le bluegrass – Alban profite de l'occasion pour faire sonner sa guitare comme un banjo - et toutes les nuances du country, je n'ai pas dit qu'ils vous égrenaient des balades sentimentales à vous faire pleurer dans votre mouchoir, ce n'est pas le genre de la maison, ils ont le crocodile mais pas les larmes, font plutôt dans les chevauchées d'outlaws et les descentes de rapides, vous ne vous ennuyez jamais avec eux, que ce soit sur les reprises des classiques ou sur leurs propres morceaux, ils veillent particulièrement à la finition de la construction, z'ont un style et un doigté qui n'appartiennent qu'à eux, certes les titres déboulent avec la soudaineté des grandes glaciations néolithiques, mais dedans c'est agencé au millimètre, c'est du réfléchi, du pensé, du pesé, le brut de décoffrage mais servi avec la pureté inventive des lignes dans le détail de l'ameublement. Livraisons expéditives mais avec soins scrupuleux. Hudson Maker, le plaisir du rocker !

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    Encore une chaude soirée au 3 B ! Merci Béatrice Berlot !

    Damie Chad

    ( Photos : FB : Béatrice Berlot )

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    Ouvrir chaque matin sa boite à lettres est la dernière aventure qui puise arriver à l'homme moderne. Que sera-ce aujourd'hui ? L'enveloppe rose parfumée d'une admiratrice en manque de tendresses, une lettre d'excuse du percepteur me signalant que pour les services rendus à la Nation par mon blogue KR'TNT ! je suis exempté à vie de toute imposition ? Voyons voir, je tire doucement le couvercle, glisse un œil et pousse un rugissement de colère à effrayer tous les lions de Tanzanie. Il y a tout de même des gens qui ne se gênent pas, si je tiens le mec qui a garé son hydravion dans ma boîte à surprises, va y avoir de la chair fraîche sur les murs. Un truc qui pèse au minimum deux tonnes et demi, à y regarder à deux fois ça ressemble plutôt à un engin explosif déposé par les services secrets, soyons circonspect, inspectons cet étrange objet aux flancs légèrement bombés, peut-être un de ces cercueils que la Maffia sicilienne envoie en guise d'avertissement à ses futures victimes, hum ! hum ! Prudence est la mère de la sécurité, j'ouvre précautionneusement la grosse enveloppe rembourrée de papier kraft et me saisit de l'objet que j'extrais doucement de sa gangue protectrice... Je ne m'y attendais pas, je suis désolé pour tous les chercheurs du trésor de Rennes-le-Château, le Graal est là, entre mes mains, si vous ne me croyez pas, vous n'avez qu'à lire l'étiquette :

    THE REAL ROCKIN' MOVE PROJECT

    UN FILM

    DE

    VINCE ROGERS

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    La mine d'or de l'allemand perdu enfin trouvée. Sur ce coup j'ai devancé Blueberry, just call me Damie Chad, Babe, trente ans que tout le monde en cherche un exemplaire, et l'est là modestement posé sur ma table. Ça ressemble à un canon de DCA livré en pièces détachées par IKEA, même pas besoin d'une notice de montage tout juste la nécessité d'un ordinateur et éventuellement d'une paire de lunettes pour les myopes Je suis bon prince, vais vous décrire toutes les pièces une par une, ne me remerciez pas, c'est pour votre édification morale.

    NEW ROCKIN' IN NICE N° 2

    30 Ans de Rock sur la Côte

    Un petit mot tout d'abord sur Vince Rogers. Facile à présenter, un activiste rock'n'roll. Ce n'est pas de sa faute, tombé tout jeunot dans la marmite, ne s'est jamais remis de la morsure de l'Alligator. Les docteurs disent qu'il n'existe pas d'antidote et que le poison circule en toute liberté dans vos veines jusqu'à votre mort. Et que même après... mais ceci est une autre histoire. En plus n'a pas eu de chance, le bouillon véhiculait un autre virus, celui du cinéma, pas le septième art, la pire des souches, celles des séries qui commencent après la lettre Z, les innommables, les cradingues resplendissantes, celles dont la bienséance se détourne en se bouchant le nez. Demoiselles méfiez-vous si Vince Rogers vous invite chez lui, ses estampes japonaises ce sont les couvertures de fort mauvais goût des romans policiers et d'horreur des années cinquante, ne dites pas que je ne vous avais pas averties. Evidemment possède un dernier vice Vince, dont il ne se cache même pas, l'écriture. D'ailleurs ce New Rockin' In Nice n'est autre que la réédition d'une infâme brochure parue en l'an de disgrâce 1987. Récidiviste trente ans après. On ne peut pas vraiment lui reprocher de manquer de constance dans le funeste entêtement rock'n'rollien.

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    Sans en avoir lu la moindre ligne vous aimez déjà. Un fanzine comme l'on n'en fait plus. Encre juteuse, photos si noires qu'elles retrouvent la splendeur des bois d'un Félix Valloton, slappé à la machine à écrire. Maquette drumée comme un solo de sax. Pas tout à fait les Riches Heures du Duc de Berry, plutôt Nice, baie des devils' in disguise.

    Normal, Vince Rogers l'est de Nice – arrêtez de criailler les filles, voici son adresse – DERRY SCIARRA / 7 Place Garibaldi / 06 300 Nice – en plus s'il vous refuse, il vous refile un lot de consolation, pour 38 Euros vous emportez une réplique de la big box.

    Je ne m'étends pas – vous comprendrez pourquoi en poursuivant votre lecture - sur le contenu de l'opuscule pourtant à vous faire péter les opercules, l'histoire du rock'n'roll à Nice, entendons-nous sur le vocabulaire, le premier rock'n'roll, celui que Vince Rogers surnomme the real rock'n'roll, n'a duré que trop peu de temps, de la toute fin des années cinquante au surgeon des années soixante, raconte l'histoire, les débuts fabuleux d'innocence autour de la Coupe du Monde de Rock'n'roll de Juan-Les-Pins, qui révéla Vince Taylor, un profond traumatisme, une secousse sismique, qui précipita le prurit rock sur la Côte d'Azur et hâta l'émergence d'un mouvement rock sur la région de Nice. Pour les contemporains ce ne ne fut qu'un feu de paille mais une explosion atomique pour toute une génération. Le showbiz se dépêcha de poser les barrières anti-radiations, communément appelés les Yé-Yé, mais la contamination n'en continua pas moins de pervertir certains esprits. Toutefois question rock entre 1968 et 1977 le rock azurien perd sa belle couleur, Vince Rogers reste totalement réfractaire au rock planant et progressif... Le real réveil arrivera avec les Punks et leur retour à un rock primaire et batailleur, qui se conjuguant avec la mode revival suscita le sursaut rockabilly des années 80... Vince Roger cite un peu trop rapidement les Bachwards, les Sherry Ice, les Boppers, les Jumpin' Cadors, les Blue Suede Shoes, les Ducky Boys... tous éclos dans la zone niçoise...

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    A tout seigneur tout honneur, Dick Rivers et les Chats Sauvages ont leur parcours et leur discographie traités beaucoup plus longuement, mais ils ne sont pas les seuls, Vince Rogers détaille aussi la carrière des Loups Garous, contemporains des premiers efforts d'Hervé Forneri ( aka Dick Rivers ), qui se firent doubler en quelque sorte par les Chats Sauvages... rappelle aussi les origines niçoises : de Claude Ciari guitariste des Champions qui fit carrière au Japon, José Salcy – nous retiendrons son J'en Parlerai à mon Cheval – les Fingers groupe musical à la Shadows, tout amateur de rock se doit de posséder Special Blue-Jean dans sa discothèque, de Mark Robson et Le Poing ( avec Jojo Dumoutier qui druma derrière Gene Vincent et Maxime Scmitt dont parmi les futurs hauts-faits de gloire nous recommandons la lecture de la BD Vince Taylor N'existe Pas ) et enfin the last but not the least, Vince Rogers himself.

    Bref un document de 80 pages, un collector indispensable, écrit par un témoin et un propagandiste de l'époque. Un véritable stalker qui nous guide sur les chemins interdits des zones irradiées.

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    Nous passons rapidement sur les formats A5 couleur – notamment le magnifique poster VINCE ROGERS and THE BLACK VAMPIRES, et la série de photos sur les Studios de la Victorine – le temps d'apprendre que si le fils est devenu rockeur, le père était cascadeur – car nous n'en sommes qu'au tout début du REAL ROCKIN'MOVE PROJECT reste encore les quarante-huit séquences du film réparties sur trois DVD à visionner.

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    DVD 1 :

    FROM NICE TO ATTIGNAT :

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    En route sur mythique la nationale 7, photographies, scènes filmées et séquences INA s'entremêlent, nous n'allons pas à Paris mais à Attignat, bourgade de l'Aisne qui serait restée dans l'anonymat le plus complet s'il ne s'y déroulait pas depuis une trentaine d'années le festival de rockabilly le plus important de France. Ne soyez pas pressés, l'on se balade au rythme chaloupé du blues, l'on visite le musée des vieux tacots, l'on a droit à Charles Trenet interprétant son hymne légendaire à la gloire de la fameuse artère des vacances au soleil, l'on traverse les vieux goudrons de la vieille France d'antan et provinciale, déclassés par les rubans autoroutiers, la caméra s'attarde sur le passé révolu, si loin et si près pour reprendre le titre de Dick Rivers, à croire que l'on court sur les sentiers d'une jeunesse perdue. Pompes à essence rétro-sixties, Amérique phantasmée, la nuit tombe sur un sax langoureux, le matin se réveille aux congas, fantômes de baigneuses bikini et garages en déshérence fermés à tout jamais. Carcasses de vieilles voitures, tous les êtres vivants vous manquent, l'on n'attend plus que l'impossible résurrection. La voici au bout de la route, l'affiche jaune annonçant le Festival Good Rockin' To-night d'Attignat. Si le passé ne peut pas venir à toi, c'est toi qui iras à sa rencontre.

    Rock Aroud the Clock pour réveiller les ombres, les fameux mobil-homes d'Attignat et les hommes mobiles qui se pressent sous le marabout des marchands du temple du rock. Plans fixes sur des two-tones shoes et de minuscules extraits de shows, Vince Rogers ne recopie pas, fait apparaître un peuple de zombies rassemblées en une étrange nuit du Walpurgis. Robes à motifs et mollets tatoués. Dehors au soleil, carrosseries américaines rutilantes, gros bonbons de toutes les couleurs chouchoutés, cela suffit-il pour que le passé renaisse de ses cendres ?

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    THE FRENCH RIVIERA IN THE GOLDEN FIFTIES

    ANDD THE EARLY SIXTIES

    Ouverture en bande-annonce hitchcockienne avec Gary Grant et Grace Kelly au générique, action on the french Rieviera, sure ! Très logiquement sur la Croisette de Canne apparaissent starlettes de cartes postales aux seins dénudés. It was a good time ! Film appâts à touristes américains, photos en blanc et noir, colorées, et en couleurs de Juan-Les-Pins, en toile de fond l'orchestre typique de Bob Azzam ( pas de quoi se défenestrer de plaisir ), attention sous la variétoche de pacotille se profile le twist du générique du gendarme de Saint-Tropez, l'ultime – Vince a pitié de nous, glisse quelques photos de Brigitte Bardot - pente à gravir avant le ROCK !

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    Documents télé avec la grande parade de la Coupe du Rock de Juan-Les-Pins, le temps d'apercevoir dans ( ou sur ) leur décapotables Danny Boy et ses Pénitents, Les Chaussettes Noires, Les Chats Sauvages, et quelques bout de séquence live de Rocky Volcano, d'Hallyday ( matez l'inénarrable batteur jazz derrière ) qui vous conseille de laisser tomber les filles et Dick Rivers ( ses Wild Matous au profil beaucoup plus rock ) et enfin Jenny Rock, si vous ne la connaissez pas, ne regrettez rien.

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    Pochettes de disques et extraits de morceaux, les Loups Garous, z'ont le bon son, celui des Chaussettes Noires et le chanteur qui fait sa grosse voix à la Eddy Mitchell de l'époque, Les Champions qui accompagnèrent Gene Vincent, Claude Ciari à la guitare mais l'on préfèrera celles plus bourdonnantes des Milords qui ronflent presque à la Link Wray, dommage qu'ils y mêlent ces passages par trop sucrés destinés à capter les oreilles du grand public, les Monégasques réussissent mieux à imiter le vol psychotique du moustique... Tous ces quarante-cinq tours de groupes à guitares des early sixties sont à réécouter, trop souvent dédaignés de nos jours.

    Saut dans le temps et la qualité, Chuck Berry est sur scène, taisez-vous et écoutez. Dieu le père est devant vous, les anges maudits du rockabilly ne tarderont pas à suivre. Les Jumpin'Cadors trio à pertinente dégaine, le son encore près des groupes soixante mais un chant au phrasé plus authentiquement américain, les Sherry Ice davantage au point mais qui oublient un peu trop le poing de la hargne.

    Dick Rivers et sa baie des Anges, pas vraiment ce qu'il a fait de mieux, les Daisy Ducks groupe féminin qui vous interprètent une version d'Hoochie Coochie Man qui ne renforcera pas vos convictions féministes, heureusement que le frangin Willy Eckert et les Nighthawks sont là pour relever le niveau familial. Un bon blues rock qui secoue dans le sens du vent. La séquence se termine avec les Playboys grimés en black faces qui effectuent le chemin inverse délaissent le blues électrique pour se tourner vers un mélange de rag-time-hillbilly des plus originaux. Et l'on se retrouve au début des années 2000 avec les Swamp cats trio rockabilly, caisse claire, slappin' contrebasse, guitare bien électrique, ainsi se termine ce voyage dans le rock niçois qui résume assez bien quarante ans de real rock français.

    CINE A NICE ET SUR LA CÔTE

    ACTEURS ET CASCADEURS

    Je passe plus rapidement. Je ne suis pas un grand amateur de cinéma. M'attarde juste sur le personnage d'Eddie Constantine qui fut un peu le James Dean ( moins de fureur, davantage de bonne humeur ) du rock français. Acteur et chanteur à l'humour qui inspira beaucoup un certain Eddy Mitchell qui lui doit beaucoup. Son hit Cigarettes Whisky et P'tites Pépées avait un esprit beaucoup plus rock que les pitreries de Boris Vian...

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    Une belle séquence dédiée à Laurent Sciarra le père de Vince, pour tous ceux qui aiment les cascades et les voitures tamponneuses avec Gil-Delamarre et Jean Marais. Emotions et tôles froissées garanties.

    DVD 2

    LES FIGURES EMBLEMATIQUES DU ROCK / DU CINé

    DU VINTAGE / DE LA CÔTE

    VINCE ROGERS

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    Vince Rogers le chanteur. Toute une carrière. Vince Rogers and The Losers, Vince Rogers and The Rebels. Vince Rogers Rockin' around the Cave, Vince Rogers Real Rockin' Rock, Hommage à Vince Taylor, Vince Rogers présente New Rockin' in Nice, Vince Rogers of the Haunted Train, Définitivement Real Rock Vince Rogers, Vince Rogers and The Squeletons, Frankeistein Be Bop, Vince Rogers and The Black Vampires, Gene Vincent the Legend, MP3 and Video-Stations, Wild rock Fifties and Wild Rockabilly, succession de photos et flyers d'annonces de concerts, de clips, esthétique post-apocalyptique, tous aussi beaux que des poèmes graphiques, la forme qu'aurait dû donner Arthur Rimbaud aux textes d'Une Saison en Enfer. Je ne vous recommande pas la bande-son, Vince est au micro, vous auriez peur, du lourd, du poison, du visqueux, de la vidange de lavabo, tout ce que les Cramps n'ont jamais osé faire, ce que devait psamoldier Sreamin' Jay Hawkins dans son cercueil, de l'infra Race with the Devil de Gene Vincent, du ugly comme écrivait Edgar Poe pour caractériser la Chute de la Maison Usher.

    Une version live de Twenty Flight Rock transgressée en trente septième étage avec mal aux pieds assuré. Batterie lourde, Vince prêt à bouffer le cromi, humour de croque-mort au bord de la tombe, rythmique qui sautille allègrement comme un squelette dans les allées du cimetière, une version à ne pas en croire vos oreilles peu habituée à la musique des catacombes.

    Rockabilly King, pas d'images filmées cette fois-ci, juste des photos d'un noir épais et de gris blafard, encore plus flippantes, directement chanté depuis le fond d'un égout, une guitare rayon de soleil et une voix qui s'obstine à ne pas sortir des Enfers comme l'Eurydice perdue d'Orphée. La bête grogne au fond de son terrier. Je vous en prie n'allez pas la voir, vous n'en reviendriez pas. Un grand moment de rock'n'roll. Peu compatible avec ce qui existe en ce bas-monde.

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    Teddy Boys Boggie. Vince ne porte pas de drape-jacket, n'empêche que vous êtes dans de beaux draps. Toujours cette voix de mort qui be-boppe très grave, à vous faire grignoter les pissenlits par la racine et vous régaler des vers de terre... suivi d'un salmigondis d'extraits du répertoire de Vince Rogers, jetez les deux oreilles sur la french version déjantée de Johnny Be Goode, belles images en papier calque des musicos qui assurent, plus loin l'on sent des relents de Johnny et d'Eddy dans la voix, Vince est un amoureux de rock français, c'est bien ces extraits, mais aussi très frustrant, l'on aurait préféré un récital entier. Un jalon important du french rock'n'roll.

    Autres facettes de Vince, les bouquins. Sa revue Rockin' In Nice, les couvertures défilent, beaucoup consacrées au cinéma, films d'horreur de préférence, fantastique aussi, des sommaires laissent entrevoir des richesses insoupçonnées de Monsieur Tout le Monde et des curiosités déviantes. Un fanzine fabuleux, de mauvais genres, tout douteux-goûteux, que les enfants lisent en cachette. Juste pour y apprendre la vie. Et ses débordements.

    Tiens ce n'est pas Vince Rogers. Enlevez vos mains, petits saligauds, c'est Miss Domi, la copine à Vince. Connaît le prix de l'or Mister Rogers, la montre un peu mais pas trop. Par contre question objets, l'a le goût foireux ( mon préféré ), vous entraîne sur son stand de brocante brock'n'roll, le genre d'endroit où vous jurez de ne pas même y jeter un coup d'œil et vous restez deux heures à admirer, je vous recommande la poupée de collection à vingt euros pour votre belle-mère...

    CINEMA AVEC ERIC ESCOFFIER

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    Un ami de Vince aussi frappé que lui, un spécialiste des films Vampire et Loup-Garou du cinéma anglais, des affiches qui se fichent dans votre cerveau et qui refusent d'en sortir, âmes sensibles s'abstenir. Des visages de filles si hallucinés de terreur que jamais vous n'en embrasserez une autre de tout le restant de votre vie, des couleurs à vous arracher les yeux, la belle voix grave de Vince qui s'y connaît autant que qu'Eric Escoffier, trouve la juste formule : un art baroque.

    FANTAXTIQUE BD

    Séquence BD avec Fantax l'invincible... premier super-héros à la française ( presque un Frantax ), qui après-guerre eut un immense succès populaire et du coup fut inquiété par les autorités pour sa violence...

    Deux trop courtes séquences finale, l'une sur Stephan Cannas et son rêve customisé américain, l'autre sur Miss Dey and the Residents, de Nice bien sûr, qui chante dans le style female Rock fifty... z'auraient nécessité un peu plus d'explications.

    DVD 3

    LES FIGURES EMBLEMATIQUES DU ROCK / DU CINé

    DU VINTAGE / DE LA CÔTE

    Revue des personnages qui ont contribué, à leur manière, à la poursuite de l'inaccessible rêve du Real Rockin' Roll de Vince Rogers... Ce troisième DVD est à regarder comme les pièces d'un puzzle en vrac dans une boîte mais dont l'assemblage donne un réel aperçu des différentes passions qui peuvent habiter l'esprit des rockers.

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    Le restau-musée de Luca dédié à Elvis dans la bonne ville de Menton, présentation de Matty - doit avoir cinq ans en costume blanc qui imite Presley - me méfie toujours un peu de ces enfants qui sont les clones des rêves de leurs parents... Phill Rizza interprétant une version peu originale de Blue Suede Shoes, vues éparses du festival Drap'n'Rock organisé par Philippe Teboul, extraits similaires d'une réunion du Rockin'Club de Patrick Mambo, Christelle Di Lorenzo beau brin de pin-up, quelques pas de danse, visite de Crazy Rhythm la dernière boutique vinyl-rock de Nice, présentation hommagiale de Ritchie, Teddy Boy de toujours, sur fond d'Alabama Motorcycle et Club Harley, Chris Rebel affine et confirme sa banane de Teddy Boy, explique son passage rock fifties ( Gene Vincent, Vince Taylor ) au Teddy boy rhythm de Crazy Cavan dont Vince importa les premiers disques à Nice, belles carrosseries et film poursuite de voiture vintage réalisé par Vince, images floues et flashantes, danse avec la mort et la lumière des phares dans la nuit, Franck remonte son buggy vintage, le recrée à partir de rien... à ce qu'il paraît le dieu de la bible en aurait fait autant pour l'univers, mais on n'est pas obligé de le croire, Frank si. Images à l'appui. Idem pour Vince Rogers qui dans les deux dernières minutes se présente en train de monter son chef d'œuvre que vous achevez de visionner.

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    Paul Valéry a laissé dans ses papiers un précieux tapuscrit intitulé Manuscrit trouvé dans une cervelle. Vince Rogers nous fait le même coup, nous fait cadeau du Film trouvé dans la cervelle d'un rocker. Evidemment si vous n'êtes pas un adepte du real rock'n'roll, vous risquez d'être décontenancé. Rassurez-vous cette splendide magic big-box n'a pas été conçue pour vous. Only to the Happy few. The real rockin' thing !

    Damie Chad.

    Pour les amateurs : dépêchez-vous, tirage en cours d'épuisement !

    THE RIDE

    STEPHANIE GILLARD

    ( 2018 )

     

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    Ce n'est pas un western ou alors très terne, un documentaire, une longue chevauchée de quatre cent cinquante kilomètres au travers du Dakota pour commémorer le massacre de Wounded Knee du 29 décembre 1890. Qui marqua la fin des guerres indiennes... Attention dès les premières images la mythologie en prend un sacré coup, nos indiens, accoutrés comme nous, dans leurs gros 4 / 4 ressemblent étrangement aux cowboys modernes d'aujourd'hui. Vaudrait mieux en rester là et ne pas s'aventurer plus loin. Dès que l'œil s'accroche aux détails la sordide réalité vous saute à la gorge. La misère.

    Le synopsis du film est très simple : suivre une trentaine de gamins sur leurs poneys qui vont refaire le trajet effectué par les Lakotas qui s'enfuient à pieds de la réserve dans laquelle Sitting Bull vient d'être assassiné pour rejoindre les chefs Big Foot et Red Cloud... Le septième de Cavalerie les rattrapera à quelques dizaines de kilomètres de leur but, et une fois désarmés, en abattra à la mitrailleuse trois cent cinquante, femmes et enfant compris... aujourd'hui les bonnes âmes qualifieraient cela de crime de guerre...

    Mais aujourd'hui en fait tout le monde s'en fout. Un film glaçant. Pas parce qu'il se déroule en plein hiver de neige et de vent dans des paysages d'herbe jaune désertique, par la réalité qu'il montre. Les indiens n'ont pas seulement perdu la guerre, ils y ont laissé leur âme. L'est sûr qu'un bon indien est un indien mort, d'ailleurs dans le film ils sont tous morts. N'en reste plus. A part un petit groupe d'adultes qui organisent la cavalcade annuelle, sont à la recherche de leur fierté, essaient de transmettre l'héritage ancestral à la nouvelle génération. Des gamins, pas beaux du tout, pour beaucoup bouffis de mal-bouffe, engoncés dans la chape de plomb de leur acculturation. Certains regards s'allument devant les portraits de Sitting Bull et de Red Cloud mais d'autres s'embrument de larmes lorsque la console ne marche plus. Des pauvres sans avenir et sans passé. Sont à l'image de leurs accompagnateurs, qui tentent de s'accrocher à leur rêve de grande nation. Les plus vieux ont fait le Vietnam, les plus jeunes l'Afghanistan... Terrible partition intérieure que ceux qui n'ont d'autres solutions économiques que de servir dans l'armée qui a anéanti leur peuple...

    Ne sont pas sur le sentier de la guerre, ni sur les chemins d'une renaissance spirituelle, juste sur la dernière piste de la survie. Terrible solitude, à chaque étape l'accueil est des plus maigrelets, point de festivités préparées, tout juste si l'on n'a pas mis la clef des salles de fête sous une pierre à côté de la porte, parfois l'on a même oublié de mettre le chauffage en marche... Remarquez que souvent il vaut mieux être seul que mal accompagné, le Père Noël qui offre des cadeaux de plastique aux enfants en parlant du bon dieu chrétien devrait plutôt être attaché au poteau de torture, mais vous savez dans la vie faute de merle l'on a la merde, et l'on avale les couleuvres toute crues...

    Adultes nostalgiques qui faute de mieux devant les voies sans issues du présent essaient sans trop y croire de revenir sur les herbages sacrés du passé, enfants entre deux mondes, l'un qui n'est plus et l'autre qui n'est pas pour eux, seuls les poneys indomptables sont restés fidèles à eux-mêmes, vous mangent dans la main dès que les tambours de guerre battent en sourdine... modernité, désillusion et déshérence, le visage d'un gamin s'illumine et un homme à la prestance de chef de guerre passe silencieux parmi les siens... les feux du retour ne s'éteignent jamais tout à fait dans le cœur des vaincus.

    Tant qu'il y a de la mort, il y a de l'espoir.

    Damie Chad.