Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

CHRONIQUES DE POURPRE - Page 100

  • CHRONIQUES DE POURPRE 380 : KR'TNT ! 400 : JIMMY WEBB / SYNDRO - SYS / PUNISH YOURSELF / JOHN LENNON / NEW THING / BIG UP GIRLS

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 400

    A ROCKLIT PRODUCTIOn

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    03 / 01 / 2019

     

    JIMMY WEBB / SYNDRO-SYS / PUNISH YOURSELF

    JOHN LENNON / NEW THING / BIG UP GIRLS

     

    Webb master - Part Two

    z5912dessinwebb.gif

    Le gros pendant du body of work de Jimmy Webb est l’ensemble des collaborations. Cela va de la crème de la crème (Thelma Houston et Richard Harris) à des choses moins convaincantes (Glen Campbell ou Art Garfunkel). Mais dans tous les cas, Jimmy Webb tire à merveille l’or de son épingle du jeu.

    z5913sunshower.jpg

    Quand il découvre Thelma Houston en 1969, il ne tarit plus d’éloges sur elle : «The most prodigious talent I ever encoutered.» Eh oui, Thelma peut grimper, comme on peut le constater à l’écoute du morceau titre de Sunshower. Elle grimpe là-haut sur la montagne, elle épouse à merveille les hauteurs sculpturales de Jimmy Webb. Elle va même s’exploser la glotte au sommet de sa dernière octave. What a grimpeuse ! Et ce n’est qu’un hors-d’œuvre car voici «Everybody Get To Go To The Moon», plus pop mais Thelma se met à sonner comme Liza Minelli. Elle shoote tout le chien de sa chienne et ça tourne vite à l’universalisme, comme chez Burt. Elle enchaîne avec «To Make It Easier On You», transportée par l’ampleur orchestrale du grand Jimmy Webb. Elle renoue ici avec les ambiances magistrales de «MacArthur Park». Elle descend dans ce qu’il existe de plus profondément beau ici bas et touche à la perfection. Elle termine avec un final explosif à la Aretha. L’autre hit de l’A s’appelle «Mixed Up Girl», cut terriblement pop et d’une telle élégance, dear, tiré au cordeau sur nappes de violons et battu si sec par Hal Blaine. Pure magie ! C’est un exercice de tension orchestrale hors du commun, porté par la voix puissante de cette petite femme. Elle attaque sa B bille en tête avec une curieuse version de «Jumping Jack Flash». Elle passe après Merry Clayton et shake bien le shook de Jack. Elle le bouffe même tout cru ! Elle retourne ensuite au firmament avec «This Is When I Came In». Elle prend son temps et son élan, épouse les sinusoïdales et ramène systématiquement du shooting de Soul Sister à chaque fin de cut. Sans doute Thelma est-elle à Jimmy Webb ce que Dionne est à Burt : l’interprète idéale, the perfect voice of an art. Elle atteint à la clameur parabolique, elle chante à l’échelle du temps et investit l’espace. Elle illustre au chant une certaine idée de l’infini, esquissé par Jimmy Webb à travers des compos comme «This Is Your Life». Elle passe au r’n’b pour «Cheap Lovin’», mais le tire sur le territoire orchestral des classes supérieures. Elle le swingue à la Aretha. Même aisance à swinguer l’apogée, elle va très loin dans l’excellence. Shoot Sister Shoot !

    z5914water.jpg

    Elle recollabore dix ans plus tard avec Jimmy Webb, pour l’album Breakwater Cat. Cette fois, elle fait un peu de diskö, car tout le monde à cette époque doit passer à la casserole. Le hit diskö de l’album s’appelle «Before There Could Be Me», mais c’est d’une élégance qui renvoie à Esther Phillips. Et ça vire délicieusement jazz rock. Thelma maîtrise bien la situation. On sent sa poigne. L’autre haut fait de l’album se trouve en fin de B : «Something We May Never Know». Elle chante ça au clair de la lune, d’une voix un peu blanche à la Liza. Elle sait pareillement créer de la magie balladive et elle nous montre comment elle voit l’excellence de la comédie musicale. Elle chante avec l’ampleur et la résonance des géantes de Broadway. Quand on écoute le morceau titre qui fait l’ouverture du bal, on réalise clairement que de toutes les Soul Sisters, Thelma est celle qui se rapproche le plus d’Aretha. Même pulpeux octavique, même fruité de timbre, même élan glorieux et même facilité à l’élongation. Et quelle assise ! C’est d’ailleurs ce qui la rend passionnante. Forcément, cet album est très difficile à approcher, à cause de sa pochette trop typique de l’époque : la piscine, la coiffure, le maquillage, la robe, ça pue la pression commerciale. Mais on est bien récompensé quand on met le nez dedans. D’ailleurs, Thelma retrouve l’univers baroque et généreux de Jimmy Webb avec «Gone». Elle s’y enfonce dans la beauté formelle d’une vision musicale immensément déployée. Et elle s’y épanouit. Elle fait même une version diskoïdale du «Suspicious Mind» d’Elvis.

    z5915upaway.jpg

    Avec les Fifth Dimension, Jimmy Webb jouait aussi sur du velours. Paru en 1967, Up Up And Away vaut vraiment le déplacement. C’est Jimmy Webb, encore inconnu à l’époque, qui signe le morceau titre, pur jus de sunshine pop, digne de Burt, d’une lumière éclatante. Ce hit va propulser les Fifth Dimension dans les charts. C’est du grand Webb aérien, ça colle merveilleusement à l’esprit de la pochette, cette musique s’élève dans l’azur immaculé. Jimmy Webb signe aussi «Pattern People», qui sonne comme un hit des Mamas & the Papas, chanté au développé d’excellence concordante, hanté par des pah pah pah d’époque, ça enchante et ça virevolte. Mais curieusement, c’est Willie Hutch qui vole le show avec «California My Way» et «Learn How To Fly». Dans California, Florence LaRue et Marylin McCoo s’échangent le lead et Fly fonctionne comme un bel élan vers le ciel. Ces gens-là savent shooter de l’énergie dans les bronches d’un hit. Ça sent bon la liberté et l’insoutenable légèreté de l’être. On note aussi la présence de «Rosecrans Boulevard» sur cet album, mais la version ne fonctionne pas. Problème de prod ?

    z5916garden.jpg

    Comme ils savent que Jimmy Webb est la poule aux œufs d’or, les Fifth Dimension collaborent de nouveau avec lui pour l’album The Magic Garden, un chef d’œuvre de pop californienne paru en 1967. En fait c’est Johnny Rivers qui a signé les Dimension et comme il paye Jimmy Webb pour composer des hits, alors la voie est toute tracée. Le morceau titre y frise le Disneyland, tellement c’est sunshiny. Par contre, «Summer’s Daughter» est le hit absolu. On croirait entendre du Burt. Tout y explosé de lumière, éclaté de splendeur arrangée. Ça grouille d’instrumentations bariolées, les chœurs semblent rayonner dans l’azur immaculé. Et ça n’en finit plus de grimper dans les degrés de la perfection. C’est non seulement digne de Burt, mais aussi de Brian Wilson. «Carpet Man» sonne comme de la heavy pop et cette version est autrement plus éclatante que celle de Johnny Rivers. Ces diables de Lamonte McLemore et de Marylin McCoo cavalent leur pop ventre à terre et c’est littéralement explosé aux harmonies vocales. Ils battent tous les records d’unisson du saucisson. Ça réjouit le cœur d’entendre des cuts aussi explosivement bons. Qui pourrait se lasser d’une telle merveille ? C’est en tous les cas un don du ciel. Jimmy Webb et les Dimension sont imparables. Le Carpet Man nous met carpette. Même les clap-hands ont de l’écho et on a un solo de sitar à la fin. Franchement, que peut-on attendre de plus d’un hit pop ? Lamonte McLemore se taille la part du lion dans «Requiem 8:20 Latham» et on repart au pays de la pop enchantée avec «The Girl’s Song». Du très grand art, encore une fois. Marylin McCoo does it well. C’est poppé jusqu’à l’os du genou. Ils savent malaxer un bulbe rachidien. Leur art bascule dans quelque chose d’infiniment spirituel. En tous les cas, c’est une pop qui incite à la rêverie et qui rend heureux. S’ensuit un «The Worst That Could Happen» chanté au sommet du Broadway Sound System. Lamonte McLemore chante de toutes ses forces. Il est le seigneur des anneaux, il explose tout, grâce à Jimmy Webb. Les violons ne font que l’exciter et il ah-ouhte au sommet de son art. Tiens, encore un heavy hit pop avec «Paper Cup». Rien d’aussi frais et rose que cette pop. Ils terminent sur un final dément. Évidemment, il faut considérer cet album comme l’un des grands disques de Soul de pop d’Amérique.

    z5917earth.jpg

    Huit ans plus tard, Jimmy Webb produit un autre album des Fifth Dimension, Earthbound. On y trouve une belle version du «Moonlight Mile» des Stones. On peut parler de petit miracle alchimique : comment faire basculer la Stonesy dans l’océanique webby ? Demandez aux Fifth Dimension, ils savent. Avec «Don’t Stop For Nothing», ils se recentrent sur le funky r’n’b. Ils tapent aussi dans les Beatles avec une reprise d’«I’ve Got A Feeling». C’est chanté à la force du poignet et très Soul. Ils restent dans l’excellence de la Soul avec «Magic In My Life» et le grand art mélodique de Jimmy Webb éclate une fois de plus au grand jour. Encore de la belle Soul d’élan vital en B avec «Lean On Me Always», monté sur un merveilleux contrefort d’harmonies vocales. Ces gens-là ne rencontrent pas le moindre obstacle, ils savent vraiment naviguer dans l’azur marmoréen. S’ensuit une autre pièce de Soul aérienne intitulée «Speaking With My Heart». Ils règnent sur l’empire des sens, vous savez, celui qui s’étend jusqu’à l’horizon.

    z5918rivers.jpg

    À ses débuts, Jimmy Webb travaillait avec Johnny Rivers, un artiste alors très en vogue aux États-Unis. Dans Rewind, sorti sur Imperial en 1967, on trouve quelques compos du jeune prodige en herbe, comme «Carpet Man», savamment orchestré, enrichi aux harmonies vocales, une spécialité californienne. Belle pop, mais ça ne marche pas à tous les coups, Jimmy. Trop bubblegum. Encore de la belle pop de développement évolutif avec «Tunesmith». Johnny Rivers chante d’une façon très intéressante, très pop dans l’esprit. Tout est très orchestré, très chanté, très soigné sur cet album, mais on passe un peu à travers. Comme Jackie DeShannon, Johnny Rivers tape dans Motown pour rester dans l’air du temps. Il choisit «Baby I Need Your Lovin’» et le jerke jusqu’à la mortadelle. Tiens, voilà «Rosecrans Boulevard» ! Jimmy Webb adore déambuler dans les villes. Rosecrans et MacArthur, c’est en gros le même délire urbain d’ambiances et de climats changeants. Et Johnny qui est un grand artiste réussit à se l’approprier.

    z5919tramp.jpg

    L’autre très grand interprète des œuvres de Jimmy Webb, c’est bien sûr Un Homme Nommé Cheval, c’est-à-dire Richard Harris. Paru en 1968, A Tramp Shining est un album indispensable à tout amateur d’art. C’est bien sûr là que se trouve «MacArthur Park», joyau du surréalisme rock. Dès les premiers accords de piano, on sent qu’on entre dans une page d’histoire. C’est le secret de la vie. On tombe parfois si bas qu’on sait qu’on ne se relèvera pas. Jimmy Webb prétend le contraire. On se relève, mais dans une drôle de lumière, sans connaître la recette du gâteau. Avec «River Deep Mountain High», c’est sans doute la chanson la plus symbiotique de toute l’histoire du rock, et naturellement, the park is melting in the dark. Cet aristocrate définitif qu’est Richard Harris s’inquiète pour le gâteau, cos’ it took so long to bake it, ça peut prendre une vie entière, il faut parfois une vie entière pour cuire le gâteau d’une vie, et comment fait-on pour tout recommencer ? Richard et Jimmy nous l’expliquent : en regardant le ciel. Mais c’est impossible ! Et pourtant si, comme dans la chanson, on commence par narrer les choses dans des repas ineptes de fausse connivence, but the park is melting in the dark et on sait à cet instant précis qu’on n’aura jamais the recipe again. Again ! Again !!! La vie est passée, c’est fini et Richard Harris louvoie dans des lumières tremblantes, ça melte in the dark, c’est la seule chanson qui permette de revisiter une histoire de vie, et l’aube revient, there will be another one for me, ce diable de Richard renaît, il se lève de son banc et ce diable de Jimmy Webb remet un peu de vie dans cette mort, il réanime Richard symphoniquement et le voilà qui clame son thinking of you, c’est stupéfiant, les batteurs battent le beat des enfers sur la terre et Richard n’en finit plus de revenir sur le gâteau qui a mis tant de temps à cuire, alors que Jimmy Webb instaure la splendeur sur la terre - And I think I can’t take it/ Cos it took so long to bake it - et il fait monter ses oh-no si haut qu’on les perd de vue. On trouve d’autres chefs-d’œuvre sur cet album comme par exemple «Didn’t We». Quel fantastique chanteur ! Il se plie à toutes les subtilités du grand art. Il se fond dans la masse mélodique d’une voix rauque. Il chante en cinémascope - Didn’t we almost make it this time ? - Encore un hit d’une incomparable qualité mélodique avec «Name Of My Sorrow». Richard l’Indien chante de toute son âme et comme il chante de la pop magique, il devient the Very Big One, the Interpreter par excellence. On reste dans la veine de la veine avec «Love Such As I» qui se pose comme un papillon sur la branche de l’eucalyptus. Ce diable d’Irlandais se fond dans le miel du bonheur mélodique. On a là le même genre d’osmose que Dionne avec Burt. Jimmy Webb hisse toute sa pop au niveau symphonique. Avec le morceau titre qui referme la marche, on retombe dans l’extase mélodique. Diable, comme cet homme chante bien. Il fait sonner sa voix au clair de la lune. Cette pop chargée de violons évoque la nonchalance d’une splendeur antique, celle des jardins suspendus de Babylone et c’est là que tout se passe, dans le giron de Richard Harris, l’homme qui se voulait hors normes.

    z5920yard.jpg

    Paraissait la même année The Yard Went On Forever, bourré à craquer de compos de Jimmy Webb. Tout est terriblement épique sur cet album et certainement pas pop, au sens où on l’entendait à l’époque. On y trouve cependant un chef-d’œuvre absolu, «The First Hymn For Grand Terrace», pop de rock folky à la Fred Neil - There was a DJ in LA./ We used to tune him at night/ To hear our favorite song - On note à la fin de «Water Mark» une belle envolée. Richard Harris la pulse à la glotte enjolivée, even as I see the sun, mais on échappe définitivement à la pop. Et ce disque n’en finit plus d’échapper aux genres, peut-être se veut-il trop symphonique. Trop écrit. Pas assez MacArthur. Quand on réécoute «Gayla», on comprend mieux pourquoi ça ne pouvait pas marcher à l’époque : trop beau, trop puissant, trop dense, pour une époque où régnait la frivolité.

    z5921boy.jpg

    Sur ses deux albums suivants (My Boy et The Richard Harris Love Album), Richard Harris chante encore des œuvres de Jimmy Webb : «One Of The Nicer Things» sur le Love Album et quatre titre sur My Boy : «Beth» (assez pur, bien profilé sur l’horizon), «Sidewalk Song» (très symphonique, mais difficile de rééditer l’exploit de MacArthur), «Requiem» (et là on comprend que cet album ne pouvait pas se vendre, les compos dégoulinent beaucoup trop) et enfin «This Is Where I Came In», emmené au groove de basse et suivi par les longues langues râpeuses de l’orchestration.

    z5922lovealbum.jpg

    Et ça explose. On retrouve le grand Jimmy Webb à l’œuvre. Il ne se prive d’aucun luxe explosif. Ce diable de Richard Harris a beaucoup de chance. Les hits de JimmyWebb, comme il dit, sont d’absolues merveilles.

    z5923supremes.jpg

    En 1972, Jimmy Webb collabora avec Motown, le temps de produire un album des Supremes post-Ross, The Supremes Produced and Arranged By Jimmy Webb. Il s’y niche deux belles choses, à commencer par «Il Voce Of Silenzio» : c’est un festin extraordinaire d’harmonies vocales sublimé par les orchestrations. «Cheap Lovin’» referme la marche de la B d’une manière assez glorieuse. Oui, c’est un fantastique shoot de big olé r’n’b. Elles héritent de tout le Motown Sound, enfin plutôt de l’esprit du Motown Sound, car ce ne sont pas les Funk Brothers qui jouent. D’autres belles choses guettent l’amateur d’art, comme par exemple ce «5.3, Plane» signé Jimmy Webb, joli cut de pop évangélique, chargé de toute l’ampleur de la propension. Jean Terrell qui remplace la Ross et l’ex Bluebelle Cindy Birdsong chante très sucré, mais on l’admire pour son ampleur casuistique. Elles tapent dans une autre compo de Jimmy Webb, «Beyond Myself», mais on y voit aussi les limites du système. Les filles parviennent difficilement à monter dans les octaves supérieures, comme le fait Thelma Houston. Elles aimeraient bien, mais c’est compliqué. En B, elles tapent une reprise du «All I Want» de Joni Mitchell. C’est assez bien foutu, d’autant que les filles ne lésinent pas sur la crème au beurre. Jimmy Webb chante le deuxième couplet de «Once In The Morning», mais c’est une pop trop blanche pour des filles de Detroit comme les Supremes. Elles s’attaquent aussi à l’énorme «I Keep It Hid». Les filles parviennent tant bien que mal à tartiner l’océanique de Jimmy Webb. On trouve à la suite une autre reprise de choc, le «Paradise» d’Harry Nilsson. C’est battu en neige de Kilimanjaro. Admirable giclée de pop romantique et même paradisiaque ! Cette folle équipe s’y amourache des éthers d’éternité. On a là une superbe pièce montée dégoulinante d’extase vocale. Jean Terrell et Mary Wilson peuvent dire un grand merci au petit patron blanc, Mister Webb.

    z5924reunion.jpg

    On a vu dans le Part One que Glen Campbell est devenu célèbre grâce aux compos de Jimmy Webb. Il existe trois albums collaboratifs des deux hommes, et le premier s’appelle Reunion. The Songs Of Jimmy Webb, paru en 1974. On les voit sourire bêtement sur la pochette. Mais vraiment bêtement. Surtout Glen Campbell. On note la présence d’une Beautiful Song sur l’album : «Wishing Now». La guitare de Campbell entre dans le foisonnement orchestral et semble prendre une sorte d’envol. C’est très spécial, la partie de guitare est tout simplement somptueuse, grattée à la jouissance pure. Curieusement, ils démarrent l’album avec un hommage à Lowell George, «Roll Me Easy». Puis Campbell attaque une série de compos de Jimmy Webb. Il apporte une touche country aux riches heures du duc de Webb. Il finit par remonter dans les estimes, car il se plie volontiers aux rigueurs de l’échappée belle according to Jimmy Webb, comme on le voit dans «You Might As Well Smile». La touche country qu’il continue d’apporter dans cette prodigieuse clarté mélodique passe plutôt bien. Encore de l’extrêmement gratté/chanté/orchestré dans «Ocean In His Eyes». Pas une seule seconde de vide sur cet album. Campbell a beaucoup de chance : on lui donne du beau grain à moudre. Comme par exemple «I Keep It Hid», d’une incroyable ampleur mélodique - I still love you like I did - Campbell est obligé de monter, alors il monte. Il ne peut pas grimper aussi haut que Thelma, mais disons qu’il s’en sort avec les honneurs, ce qui n’est déjà pas si mal. On trouve encore la grosse pop ambitieuse en fin de parcours, notamment avec «Adoration». Rien n’est plus parfait que cette association de voix blanche et de grande composition. Campbell termine avec «It’s A Sin», admirable de good time flavour. Une fois de plus, ce diable de Jimmy Webb semble faire le tour du monde.

    z5925lightyears.jpg

    Nouvelle collaboration Campbell/Webb quatorze ans plus tard avec l’album Light Years. Disons que c’est un disque sympa qui ne fait pas d’histoires. Ce gentil balladif bien propre sur lui qu’est «If These Walls Could Take» ne mange pas de pain et ne fait pas de vagues. Campbell enchaîne une série de chansons privées de relief. Rien de semble vouloir accrocher. Tout est très tartiné. C’est peut-être sa voix qui pose un problème. Glen glande. En tous les cas, on passe à travers la B comme on est passé à travers l’A. Les compos de Jimmy Webb sont comme banalisées.

    z5926session.jpg

    Le troisième album collaboratif de Glen Campbell & Jimmy Webb s’appelle In Session. Très intéressant car doublé d’un bon vieux DVD des familles. Dès «Light Years», on voit que Campbell peine à ramener du volume au chant. Richard Harris a mille fois plus d’envergure. Avec Campbell, ça ne marche pas. Et ça se voit sur sa figure. Limité, pas d’ouverture. Le pauvre Campbell reste un piètre interprète. Comment faire confiance à une tronche de cake ? Dans «Galveston», il se prend pour un grand chanteur, mais il ne peut pas monter comme monte Bobby Hatfield. On a l’impression de voir un plouc s’acheter une allure à bon compte. Il chante mal et reste bien rigide, pendant que Jimmy Webb fait pleuvoir des pluies de diamants noirs dans «Where’s The Playground Susie». On tombe ensuite sur MacArthur et on se frotte les mains, car Campbell va se vautrer. Dès l’intro, il sonne faux. Il appréhende mal les virages. Il chante comme un porc, là où Richard Harris fait de miracles. Campbell sort son baryton d’occase. Il chante comme un slip. Il fait mal aux oreilles. Mais comment Jimmy Webb a-t-il pu tolérer une chose pareille ? Campbell sonne comme une boîte de soupe Campbell. Tout ceci ne tient que par la qualité mélodique de la chanson. Campbell n’a pas les moyens de chanter un tel chef-d’œuvre. On ne comprend pas que Jimmy Webb ait pu choisir un interprète aussi médiocre, surtout quand on sait qu’il a travaillé avec Thelma Houston et The Fifth Dimension. Par contre Campbell joue comme un diable sur le pont central. On le voit battre tous les records de virtuosité sur une guitare électrique. Entre chaque cut, Campbell fait des commentaires. Il indique par exemple qu’«If These Walls Could Speak» fut composé pour Waylon Jennings qui n’en voulut pas. Alors il dit l’avoir récupéré pour son album Light Years qui est comme on l’a vu assez catastrophique. Mais ici, le cut prend un relief particulier. Le mélange piano/acou est une merveille. Il faut bien admettre que Campbell joue comme un dieu. Sa technique de picking effare. Jimmy Webb raconte aussi que la première fois qu’il entendit son «Galveston» à la radio, il le trouva a bit too fast, but I’couldn’t complain, it was top ten. Avec le temps, il est revenu au bon tempo. Campbell en fait une version country et c’est du très grand art, le grand confort. On le voit aussi jouer le thème central de Wichita sur l’acou. Quel fantastique guitar-picker ! Campbell, il faut engager comme session man, pas comme chanteur. Et on le voit jouer une mirifique version de «Sunshower» en arpèges ! Effarant guitar man ! Franchement, ce document vaut le détour.

    z5927watermack.jpg

    Comme il l’indique dans son livre, Jimmy Webb travaille aussi à une époque avec Art Garfunkel dont il admire la voix. Un premier album de collaboration paraît en 1977 : Watermark. Alors faut-il écouter Watermark ? Oui, pour une raison qui s’appelle «Crying In My Sleep». C’est une pop de Jimmy Webb d’une extraordinaire pureté mélodique. Idéale pour une voix comme celle d’Art. On y assiste à de fantastiques développements. Art n’a fait qu’un mauvais rêve, mais il fallait qu’il le chante. Quelle énergie là-dedans ! Si on aime la pop préraphaélite jouée aux petits arpèges alertes et bienveillants, alors il faut écouter le morceau titre. Art le chante avec tout le miel du monde. Il ne semble vivre que pour le miel. Retour à la pop anguleuse pour «Saturday Suit». Un enchantement, doté d’un trou dans le ciel pour l’échappée belle. Encore de la pop de rêve, direz-vous, oui, mais c’est d’une finesse inaltérable, si tant est qu’on puisse altérer son altesse. Art chante «All My Love’s Laughter» au vibré de beauté. Il s’en étrangle. Il fait monter la pop de Jimmy Webb en neige du Kilimandjaro. Il enchaîne avec une reprise du «Wonderful World» du vieux Louis. C’est joué au beat des îles et joliment mou du genou, une façon comme une autre de dire que c’est raté.

    z5928animals.jpg

    Garfunkel et Jimmy Webb se retrouvent dix ans plus tard pour enregistrer des chansons de Noël. L’album s’appelle The Animals Christmas. Bon, on peut s’en passer. On s’y ennuie royalement. C’est un peu le même problème qu’avec The Yard Went On Forever : on échappe complètement à la pop. Le seul cut qui capte l’attention s’appelle «Words From An Old Spanish Carol»/»Carol Of The Birds» : des chœurs enfantins apportent une fraîcheur inédite et ça prend de l’élan, comme dans un gospel choir. Une nommée Amy Grant entre en scène et swingue le carol. Soudain, c’est relancé au tatapoum philharmonique, les chœurs explosent sous la voûte étoilée et Amy Grant revient, sidérante de grandeur charismatique, des vagues de chœurs déferlent et tout explose ! Tout ! C’est digne des Edwin Hawkins Singers et Jimmy Webb signe ce prodige qui du coup sauve l’album.

    z5929film.jpg

    Jimmy Weeb s’acoquina avec une autre artiste mainstream à la fin de siècle dernier : Carly Simon. Il ne viendrait à l’idée de personne d’aller écouter Carly Simon si Jimmy Webb ne traînait pas dans les parages. Dans Film Noir, on entend la belle Carly chanter Jimmy Webb d’une voix de diva hollywoodienne, avec une charge sexuelle si forte que ça peut mettre le caoutchouc en état d’alerte. Mais ce genre d’exotica baroque reste purement hollywoodien. On voit bien qu’elle fait des efforts désespérés pour devenir légendaire. Elle tape même une version de «Lili Marlene», accompagnée au piano allemand. Elle entre dans un domaine qui n’est pas à sa portée. Son vibré de glotte n’a pas traîné dans le dépravé fassbinderien de l’entre-deux guerres. Pour tout dire, on s’ennuie un peu dans ce disque qui voudrait tant paraître parfait. Elle fait un duo avec Jimmy Webb dans «Spring Will Be A Little Late». On ne l’écoute que parce que Jimmy Webb y participe, mais on est loin de MacArthur, même si Jimmy Webb imprègne bien le règne de la duègne. Le morceau titre est co-écrit par Carly & Jimmy. Elle chante ça d’une voix d’homme et la chose accroche, car on y retrouve les falbalas de Jimmy Webb et tout le tonnerre orchestral fait de marches qui montent au ciel. Dès que Jimmy Webb compose, ça change du tout au tout. C’est d’une puissance dramatique exceptionnelle. Carly s’enclipse dans le pathos orchestral. Tiens voilà Arif Mardin ! Il dirige l’orchestre qui accompagne Carly sur «Laura». Cette femme chante d’une voix profonde et peut finir par fachiner le chinois, mais avec une sorte de froide sensualité hollywoodienne de type Faye Dunaway dans Chinatown, et ça vire sax de Taxi Driver à la Bernard Hermann. Terrifiant ! Avec «I’m A Fool To Want You», Carly Sinatra marche sur les traces d’Ute Lemper. Elle va loin dans la germanisation des choses de la vie. Elle fait du gothique berlinois hollywoodien, elle hollywoodise l’Hanna Schygulla fassbinderienne. Son «Fools Coda» dramatiquement nappé de violons est beau comme une pierre en toc, c’est-à-dire puissamment kitsch. Plus loin elle tape dans Smokey avec «Don’t Smoke In Bed» et Van Dyke Parks dirige l’orchestre. Elle chante vraiment comme Amanda Lear. Et Jimmy Webb reprend la sarabande en mains pour le «Somewhere In The Night» final. Ça redevient humain. Avec ce genre de bonne femme, il faut bien border le lit. Alors Jimmy Webb borde puissamment, à la mode hollywoodienne.

    z5930kind.jpg

    Jimmy Webb participe à un autre album de Carly Simon, This Kind Of Love. Dès le morceau titre, Jimmy Webb sort le grand jeu en orchestrant un outro Brazil exceptionnel. On le retrouve ensuite dans «People Say A Lot». Il y joue de la basse au long cours, mais il joue comme un black du ghetto, il sort un son d’infra-basses ultra-saturées. Ce mec ne fait jamais les choses à moitié. Il sait jouer les contretemps de syncope, cheville ouvrière du funk aléatoire. Il joue carrément comme Larry Graham, à la décharge funkoïdo-sidérale. On a là un vrai hit urbain. Il barbote le beat dans les effluves d’Amanda Lear. Quel cocktail dévastateur ! On retrouve Jimmy Webb au synthé sur «Island», une bluette d’arpeggio de lettre morte. Rebondissement spectaculaire avec «Hola Soleil», brazil en diable, gorgé d’énergie jusqu’au vertige. C’est un délire de beat caraïbe insufflé par ce croque-mitaine de Jimmy Webb. On le retrouve à l’œuvre dans «The Last Samba» - Lost on the beach on this trance/ They’re playing the last samba/ Shall we dance - On s’émerveille de cette invitation à danser la samba - Shall we dance ?

    Signé : Cazengler, Jimmy wesh

    Thelma Houston. Sunshower. Pathé Marconi 1969

    Thelma Houston. Breakwater Cat. RCA Victor 1980

    Fifth Dimension. Up Up And Away. Soul City 1967

    Fifth Dimension. The Magic Garden. Soul City 1967

    Fifth Dimension. Earthbound. ABC Records 1975

    Johnny Rivers. Rewind. Imperial 1967

    Richard Harris. A Tramp Shining. RCA Victor 1968

    Richard Harris. The Yard Went On Forever. Dunhill 1968

    Richard Harris. My Boy. ABC/Dunhill 1971

    Richard Harris. The Richard Harris Love Album. ABC/Dunhill 1972

    The Supremes Produced and Arranged By Jimmy Webb. Tamla 1972

    Glen Campbell. Reunion. The Songs Of Jimmy Webb. Capitol Records 1974

    Glen Campbell. Light Years. MCA Records 1988

    Glen Campbell & Jimmy Webb. In Session. Fantasy 2012

    Art Garfunkel. Watermark. Columbia 1977

    Art Garfunkel. The Animals Christmas. Columbia 1986

    Carly Simon. Film Noir. Arista 1997

    Carly Simon. This Kind Of Love. Hear Music 2008

     

    LE MEE-SUR-SEINE / 21 – 12 – 2018

    LE CHAUDRON

    SYNDRO-SYS / PUNISH YOURSELF

    z5941affiche.jpg

    Dernier concert de l'année. Je vous emmène dans un lieu connu – Le Chaudron – mais pour une tambouille nouvelle. D'habitude nous y assistons à des concerts de Metal. De nombreux participants à la dernière programmation avaient promis qu'ils seraient là pour Punish Yourself. Z'ont manifestement eu affaire pressante ailleurs, nous n'avons aperçu aucune tête connue...

    SYNDRO-SYS

    z5940logosyndro.png

    Jessy Christ capte tous les regards. Engoncée dans un épais manteau qui se surajoute à sa large silhouette. Elle ne bouge pratiquement pas sinon pour esquisser de légers pas de danse mécanique. Emane d'elle une froideur que je qualifierai de japonaise. Rien à voir avec les éclats d'une fièvre mangaïque. Plutôt l'inquiétante retenue d'une cérémonie zen d'un thé létal glacé. Ecrans derrière elle et sur les côtés. Défilent des images grises et des symboles orange et noirs d'un monde médicalisé à l'extrême. Peu hospitalier, même si à la fin du premier morceau elle nous souhaite '' Bienvenue dans la Communauté''.

    z5931syndro.jpg

    Deux guitaristes, à sa droite et à sa gauche, font office d'infirmiers bourreaux. Un batteur au fond. Ne font que surajouter de la musique à celle produite par les appareils qui encombrent le bloc opératoire scénique. Produisent une ambiance noire. Il serait faux de parler de tintamarre, les mots de raffut assourdissant sembleraient mieux appropriés. Une tourmente tournante qui revient machinalement sur elle-même, un bourdonnement d'une pale géante d'hélicoptère. B. e .s baise ses drums impitoyablement, ne baisse ni le ton ni les toms. Accompagne, ponctue, survigilance tapatoire assourdissante. Adam et x.]S.T[x sont promus aux dégelées agglutinantes de guitares. Plaquent un accord et vous injectent du son sans se lasser dans votre cortex d'une manière un peu rudimentaire, destinée à accentuer la rudesse de l'attaque. Volume violent. Jessy crie dans l'orang-outangerie déchaînée. Voix de fer qui surmonte ce pandémonium sonore. Vous envoûte. Donne des ordres. Commandante, pour ne pas dire kommandatur. Etrangement le public est tout sourire. Groupe local, l'on devine que les amis sont là. Un peu bobos, un peu intellos. Prêt à suivre tout conseil de mauvaise vie. Tout compte fait, lorsque quelqu'un se charge de vous indiquer le chemin, ce n'est pas plus mal. Les titres ne vous promettent pourtant pas le paradis : Cobaye, Piors Company, System of Lies, Reign, Demons... ne craignez rien la cheftaine suprême est devant vous pour vous mener au camp du bonheur. Le groupe possède son logo répété à l'envi. De quoi vous faire froid dans le dos. Syndro-Sys nous prophétise des lendemains sous calmants. Le public conquis ondule gentiment. Assentiment généralisé. Un set froid comme une peau de reptile. Esthétique blanche. White Ghost. Post Coïtal. Manifeste de la déception pure.

    z5942syndro.png

    PUNISH YOURSELF

    z5939hikikomori.jpg

    Nous avons eu l'ambiance du futur frigoririque, voici la chaleur tropicale. Avec un tel nom, l'on s'attendait à une grande séquence de flagellation masochiste. Après le noir et ses blancheurs cadavériques, l'arc-en-ciel aux mille couleurs. Toute une floppée sur scène. Sept, et pas des nains. Violaine Viollence joue le rôle de Blanche-Neige, mais en beaucoup plus délurée. Punish Yourself sont des organisateurs de vacarme.

    z5937batteur.jpg

    Z'ont Xa Mesa à la batterie, mais l'est comme Vulcain dans sa forge, l'a ses aides.

    z5933araignée.jpg

    Michaël Chany module les synthés, ne vous méprenez pas sur ce verbe à consonnante murmurale, disons qu'il mordhurle, dès qu'il touche un bouton de l'espèce de la choucroute ébouriffée de fils électriques de toutes les couleurs posée devant lui, il vous trépane d'un rythme abracadabrant qui vous tortille salement la moelle épinière. Doivent penser que le mal est l'ennemi du pire car sur la droite Vx est confiné à l'atelier. Possède un établi métallique pour lui tout seul.

    z5932atelier.jpg

    C'est un abonné aux fréquences frénétiques, faut qu'il agite ( violemment ) quelque chose, n'importe quoi fera l'affaire, pourvu que ce soit bronzophone on mégatonnant, laisse tomber des plaques de fer, frappe à coups de tringles sur des bidons, agite une chaîne de fer monumentale qui cliquette comme le cou écailleux des brontosaures, bref, il est à lui tout seul le marteau de Thor, l'enclume d'Héphaïstos et le tonnerre de Zeus.

    z5938guitarrose.jpg

    Vous rajoutez Xav et Pierlox à la guitare, tous deux chargés d'un objectif ultra simple : augmentation surmultiplieuse du vacarme. Des gars qui n'ont jamais entendu parler d'unplugged. Produisent des tonitruances de moteurs de hors-bords géants, des trombonophones d'armada d'aspirateurs capables d'avaler le monde. Attention, ne font pas que du bruit, produisent aussi le beat. A tel point qu'au début j'ai eu peur. J'avons cru que nous allions déraper vers un metal-rap de mauvais aloi, mais non sont gaillardement restés fidèles à une ligne de conduite sonore que l'on pourrait qualifier de doom-indus-speed-noise.

    z5935pierlox.jpg

    Je suppose que vous en avez plein les oreilles, alors maintenant je vous injecte les mirettes. Sont peinturlurés comme des peaux-rouges sur le sentier de la guerre de couleurs huper-flashy, rose carnivore et vert cru pour l'un, jaune ripolin et mauve sépulchral pour un autre, de la tête aux pieds. Cela leur octroie l'apparence de squelettes en goguette dans un cimetière mexicain, fortement démantibulés par un vent de force 10. Eros suit et même précède Thanatos. Voici Violaine. Pas très sage, ce n'est vraiment pas La jeune Fille Violaine chère à Paul Claudel. Arbore de longues tresses de fillette pétillante. Qui se serait épouvantablement recouverte de peinture jaune durant le cours de dessin. N'épiloguons point sur ses bas retenus par des porte-jarretelles qui laissent le hautde ses cuisses dénudées. Je vous rassure, son T-shirt noir est des plus corrects. C'est pour cela qu'elle ne tardera pas à l'enlever dévoilant le galbe chaleureux de deux seins teints de jaune. Un bonheur n'arrivant jamais seul, vu l'ambiance de fou qui règne dans la salle et sur scène, l'élévation de la température fera fondre la calotte de gouache jaune laissant vos yeux de voyant accéder au pur dévoilement du saint des saints.

    z5934sophie.jpg

    Violaine, timbre d'elfe bondissant de l'alpha cristallitoire à l'omégaphone du barrissement d'un éléphant en colère. Elle rugit comme la lionne à qui vous venez de tuer son petit, sa voix transperce l'onde de choc mettallifère que déverse le big orchestra sur la foule en transe. Les Viollences de Violaine n'ont peur de rien, elle se lance à corps perdu dans la fosse tumultueuse, et des bras empressés se tendent, et elle tombe telle la rosée matutinale sur les corolles ondoyantes des paumes qui s'ouvrent pour recueillir la plus précieuse des ondées miraculeuses. Jeux de mains ne signifient pas obligatoirement jeux de vilains, pas un doigt des gentlemen porteurs de ce graal charnel n'ose s'égarer sur un des dômes dénudés, Violaine ceinte d'admirateurs qui la transporteraient jusqu'au bout du monde si sa place n'était sur la scène...

    z5936chanteur.jpg

    Vous n'avez encore rien vu. Punish Yourself possède aussi un chanteur. Un enragé. Vous boufferait le le micro tout cru que ce ne serait pas grave. Offre un sacré coffre de résonnance. Faut le voir penché sur la foule, la hampe du cromi levée tel le trident de Neptune, il aboie et mène la tourmente de la tempête qui déferle sans fin. Vous croyez que le groupe se contente de faire du bruit et de noyer l'univers sous une bourrasque sonore infinie, il détient une vox dei qui ordonne le kaos, dès qu'elle s'éructe du gosier z'avez l'impression que la folie phonique se transforme en quatuor à cordes de musique de chambre. Et en même temps, l'est le loup hurleur qui mène la horde à l'assaut d'un tyranosaurus épileptique, dix foix fois, cent fois, mille fois, il revient vous mordre, infatiguable, indestructible, la salle n'est plus qu'un maelstrom en furie, vous voici explorateur imprudent plongé dans les gros bouillons du chaudron au milieu d'une tribu de canibales en délire... Rien ne pourra vous calmer. Rallongeront le set tant qu'ils pourront. S'arrêteront épuisés. Seront punis par là où ils ont péché. La bronca déchaînée les oblige à revenir. Le dernier quart d'heure sera meurtrier. Overdose de glucose sonore pour tout le monde.

    Damie Chad.

    P. S. : pour les photos visitez le FB de Douche Froide Photographie. Dans la tourmente sonore je ne jurerais pas que je ne me suis pas mélangé les pinceaux dans la nomenclature des artistes. Qui viennent de Toulouse, ultima thulée de ma jeunesse...

    JOHN LENNON

    LE BEATLE ASSASSINE

    JEAN-PAUL BOURRE

    ( Editions Dualpha / 2000 )

    z5786bookbourre.jpg

    Nombreux sont les livres sur les Beatles et sur John Lennon. Mais celui-ci se détache du lot. Contrairement à ce que l’on pourrait croire ce n’est pas par la thèse proposée par son titre. Que le FBI ou la CIA aient été derrière David Chapman reste une hypothèse plausible, police et services secrets ne s’embarrassent guère de scrupules, éliminer les gêneurs fait partie de leurs attributions semi-officielles. Certes Jean-Paul Bourre n’oublie pas de mentionner les agissements des agents chargés d’infiltrer ( mission peu difficile à accomplir ) les mouvements contestataires américains et de réunir les éléments compromettants dans d’épais dossiers… mais ce n’est que dans l’ultime page du livre que la question est posée dans sa crudité : Qui a tué John Lennon ? Et fort prudemment Jean-Paul Bourre botte en touche, les assassins ne sont pas si loin de nous que nous pourrions l’accroire, peut-être même sont-ils au-dedans de nous, dans nos cauchemars les plus intimes. Bourre nous renvoie à nos lâchetés les plus honteuses, celle que nous refoulons, celle que nous évacuons par la mise sur orbite adulatoire de quelques pauvres gars et garces auxquels nous faisons endosser la responsabilité symbolique de nos colères rentrées que nous n’osons affronter et assumer en les laissant éclore et éclater au grand jour. Les idoles ne sont-elles pas des substituts, des marionnettes que nous manipulons dans le seul but de masquer nos propres démissions… Les champions générationnels se battent pour nous dans l’arène, depuis les gradins nous ne manquons point de les encourager, c’est facile et sans danger. De quoi se plaindraient-ils, s’ils prennent des coups - parfois mortels - nous leur offrons l’argent, la célébrité, le sexe, la gloire, et pour les moins chanceux ou les plus fragiles, nous tissons de fils d’or le plus pur le linceul de leur légende.

    z5788lenonjeune.jpg

    Ceux qui liront ce bouquin en pensant feuilleter une biographie de Lennon se trompent. Erreur sur toute la ligne. Nous n’en voulons pour preuves que les brutales accélérations qui émaillent le récit. Les universitaires se plaindront de ces ellipses temporelles qui sabrent la vie de Lennon. Jean-Paul Bourre ne prétend à aucune exhaustivité, il est des moments d’une vie qui ne sont guère significatifs. Les torrents tumultueux génèrent eux aussi des zones de calme embourbement. Bourre fait confiance à son lecteur pour combler les vides. L’histoire de Lennon est connue et rabattue. Poussons le cynisme un peu plus loin : les néophytes qui n’ont pas connu cette époque auront ainsi la chance de découvrir des détails nouveaux - qui du moins le leur paraîtront - en farfouillant dans diverses publications annexes. Lorsque les carottes sont cuites vous n’avez pas la chance de les bouffer toute crues avec la terre qui colle encore à leurs radicelles.

    C’est à un véritable roman que nous convie Jean-Paul Bourre. Sait écrire le bougre. Donnez-lui le plomb saturnien du vécu vous le transforme en l’or du Rhin radieux. Sous sa plume Lennon devient un héros balzacien, le Rastignac du rock et mieux que cela le Louis Lambert de sa génération. Vous le dépouille de tous ses oripeaux, vous en dresse un portrait à nu, et à l’encre forte. Vous le trépane et vous introduit dans son cerveau. Pas beau à voir, un véritable chaos, un cloaque aussi. Vous la joue à la Sigmund Freud, le mineau de dix ans relégué depuis sa naissance chez sa tante si raisonnable par sa mère qu’il adore et qui a la mauvaise idée de se faire stupidement écraser par une voiture, voilà de quoi vous aider à briser en mille morceaux le fameux complexe d’Oedipe. En attendant c’est le rock and roll qui débarque dans sa vie, Elvis Presley, Gene Vincent, Little Richard, le rock donne accès à une cinquième dimension, celle d’une vie rêvée qu’il entend saisir à pleines mains et réaliser. Ne sera pas un suiveur, mais un fonceur. Un leader. Lennon contre le monde entier. Les copains comme les pièces de playmobil que l’on garde soigneusement si elles s’adaptent à la maquette de la fusée spatiale en construction, et que l’on jette et remplace tout aussi facilement, dès que l’on en aperçoit une meilleure. Lennon n’a pas de pitié, l’est trop pressé pour cela, à Hambourg, dans son cuir de rocker il jette sa gourme et sa hargne sans compter. Ne barjote pas à se demander pas si les coups qui ne vous tuent pas vous rendent plus fort, il rocke avec ses compagnons de galère amirale, à coups de marteau, juste pour se forger un destin à sa démesure. Il y réussit parfaitement.

    z5750monterey.jpg

    L’Angleterre devient rapidement trop petite. L’Amérique l’attend. Mais ici tout est plus grand. Avec les Beatles, les USA redécouvrent le rock, mais c’est surtout Lennon qui s’aperçoit que l’on ne l’a pas attendu pour prôner un changement radical du modus vivendi. L’hostilité à la guerre du Vietnam a été un détonateur. La jeunesse ne veut plus la guerre, prend l’autre option : la paix. Ne suffit pas que les boys rentrent à la maison et que tout continue comme avant. L’existe une arme miracle, qui repousse les cloisons intérieures, le LSD vous révèle que l’on peut franchir les frontières mentales. Drogue, sexe et rock and roll, la jeunesse possède sa sainte trinité, de quoi révulser le citoyen moyen qui bosse comme un bœuf sans se poser de questions. Le gouvernement s’inquiète de ces indociles, chevelus et mal lavés qui crachent sur l’American Way of life, Lennon se trouve à son aise dans ce maelstrom, il est vite catalogué par les autorités comme une figure de proue d’autant plus dangereuse qu’il est aimé par des millions de gens qui achètent ses disques par millions, le Christ lui-même n’avait jamais envisagé une aussi grosse multiplication pour ses petits pains ( sans barre chocolatée ).

    z5789yoko.jpg

    Tempête médiatique dans un verre d’eau dont le bizness alimente les feux, récupération marchande, ou révolution en marche ? Le système en a digéré d’autres… Bourre nous décrit tout cela avec brio, mais n’oublie pas que l’essentiel se joue ailleurs. Dans la tête de Lennon qui explose. Trop de pression, trop de fric, trop de produits, la désagréable impression que l’on croit chevaucher le tigre alors qu’il vous tient fermement par le bras et qu’il est en train de vous dévorer l‘omoplate. L’a trouvé le port dans la tempête. Une femme. Yoko Ono. Quelque part aussi givrée que lui. Mais d’une autre trempe. Le Prolétaire convole en justes noces avec l’Artiste. A qui profite la promotion sociale ! Perso j’ai plus d’estime pour l’art pompier du dix-neuvième siècle que pour l’art conceptuel du vingtième, si vous voyez ce que je veux dire. N’empêche que je ne partage pas la haine que beaucoup de lennonâtres vouent à Yoko. La préface de Nicolas Raletz en est un parfait exemple. Dans un couple, vous trouvez obligatoirement deux couplables. Les maîtres ( et les maîtresses ) sont aussi dépendants des esclaves que vice-versa.

    z5787chapman.jpg

    Bourre nous présente l’enregistrement de Rock and roll par Lennon comme un retour aux sources. Le compteur remis à zéro, l’extraballe qui permet un nouveau départ. Une deuxième tentative pour mieux voir où tout a foiré. Afin de corriger le tir, d’effectuer un parcours sans fautes. Prendre conscience de ses erreurs ou de celles des autres. David Chapman se charge du tilt final. Nous ne saurons jamais.

    Le héros meurt à la fin du livre. L’on ne peut même pas blâmer l’auteur, c’est trop bien écrit. De main de maître.

    Damie Chad.

     

    LES CAHIERS DU JAZZ

    SPECIAL NEW THING

    N° 16 - 17 / 4° Trim. 1968

    DANIEL BERGER / JEAN CLOUZET / JEAN-LOUIS COMOLLI / ALAIN GERBER / ROGER GUERIN / DON HECKMAN / JACQUES B. HESS / ANDRE HODEIR / HENRI HUBERT / MICHEL-CLAUDE JALARD / GUY KOPEL / LUCIEN MALSON / JEAN-ROBERT MASSON / JEAN-CLAUDE MONTEL / PAUL-LOUIS ROSSI.

    z5777lescahiersdujazz.jpg

    Le lecteur jazzverti aura reconnu les grands noms de la critique française, ceux qui accueillirent à bras ouverts la révolution parkerienne et qui se trouvèrent fort démunis lorsque la bise de la New Thing apparut. Le temps est impitoyable. Vous vieillit en dix ans d’une génération. Pensez aux rockers made in 56 confrontés à la vague hippie de 1966. Parfois faut s’accrocher aux petites branches pour surnager. D’autant plus que nos cadors sont conscients de leur valeur. L’éditorial de Lucien Malson est sans équivoque, revendique le jazz en tant que mouvement culturel de première importance. Les saillies contre les universitaires sont nombreuses, pensez que la revue paraît quelques mois après Mai 68, même si les entretiens ont d’après moi été enregistrés avant le mois fatidique puisqu’il est spécifié qu’ils se présentent sous forme d’une transcription sténographique qui a dû demander quelque temps. Les soixante premières pages - plein-texte et petits caractères - de la revue retracent en effet neuf conversations qui tournent autour du free-jazz.

    z5779coleman.jpg

    Face à un phénomène nouveau, le premier réflexe est d’estomper son impressionnante et inadmissible nouveauté en rappelant qu’il en existe d’autres sinon du même acabit du moins fortement similaires, la New Thing a bousculé les schémas habituels du jazz mais quand on y pense Godard et la Nouvelle Vague ont agi de même vis-à-vis du cinéma et Robbe-Grillet, Michel Butor et le Nouveau Roman ont mis la littérature en coupe réglée. Plus loin Dada sera évoqué… Toutefois méfiance, ce recours aux rideaux froissés de la vieille culture européenne ne serait-il pas un réflexe colonialiste de mauvais aloi ? L’on commencera donc par l’évocation de la situation du peuple noir aux Etats-Unis et spécifiquement même à Harlem, même si le jazz s’est déplacé et si les novateurs ont élu résidence à l’est de New-York. Les noirs n’acceptent plus leurs conditions. Ils veulent tout et maintenant. Black power, Black Panthers, New Thing, même combat. Les musiciens de jazz entendent se réapproprier le jazz en délaissant les patterns jusqu’ à lors admis. Tout est remis en question. L’on débouche aussi sur n’importe quoi. Albert Ayler et son frère se font tailler de magnifiques costumes. Mais ils ne sont pas les seuls coupables. L’on désigne les responsables. Deux noms s’imposent : John Coltrane et Ornette Coleman. Celui-ci surtout. L’on dissèque son jeu, l’a bouleversé beaucoup de choses pour terminer par se rabattre sur la musique modale. John Coltrane avec son Love Suprême s’était déjà enferré dans cette vieille route. Mais rien ne sert de leur lancer des pierres. La musique classique a connu les mêmes impasses, au bout de l’atonalité, du dodécaphonisme, les musiciens sont revenus à l’increvable modalité. La musique moderne tourne en rond…

    z5780lovesupreme.jpg

    Il y aurait bien un sentier esquissé dès avant Coltrane dans le jazz, les sifflets, le slap, le borborygme, en gros tout ce qui se rapporte au bruit. Mais cette voie est déclarée naturellement sans issue. Ôtez ce sein acoustique que tout mélomane ne saurait entendre. Faudra attendre les musiques industrielles et le Noise pour aiguiser les oreilles. Mais là nous outrepassons les limites naturelles du jazz que le free a déjà abattue. De fait, quel crime odieux les Archie Schepp et les Sony Rollins ont-ils perpétré ? Z'ont tué le swing, avant eux, sous toutes ces formes le jazz a swingué sans défaillance. Le swing c’était le tombeau de l’Anatole du blues, le truc qui a permis de s’évader du blues terreux, de créer cette nouvelle musique qui balançait un max. Et voici que les aventuriers de la New Thing vous jetait le bébé du swing avec l’eau du jazz par la fenêtre… Un seul défaut à nos novateurs, neuf ans qu’ils ont renversé les murs mais ils n’ont pas encore produit un seul chef d’œuvre incontestable. Restons prudent, peut-être parce que nos oreilles ne sont pas assez taillées en pointe pour être capables de l’entendre. Pourquoi dans vingt ans, la New Thing ne serait-elle pas autant admise que le Be Bop ou le New Orléans aujourd’hui ? Son apport révolutionnaire rentré dans les mœurs, accepté par tout le monde, déjà dépassé par un nouveau mouvement ?

    z5781archieshepp.jpg

    A moins que. Ce ne soit la queue de la comète. L’exploration finale d’une forme musicale qui arrive à expiration. La profusion décadentiste qui afflige tous les arts vieillants. La New Thing ne serait-elle pas le signe annonciateur de la mort du jazz. Le jazz aussi obsolète que la musique baroque. Z’avaient du flair, certes les musiciens de jazz courent de nos jours les festivals qui font salle comble, mais rien de nouveau ne se dresse sous le soleil de Satan. Le jazz d’aujourd’hui se mord la queue, ou alors il se marie avec un tas d’autres musiques venues d’ailleurs… à plusieurs reprises notre quarteron de généraux poussés à la retraite ( car les combats finissent toujours faute de combattants ) lorgnent sur le rhythm and blues, musique populaire et simpliste qu’ils affirment trop répétitive. Inimaginative.

    z5783sonnyrollins.jpg

    Le kr’tnt-reader ne manquera de faire l’analogie avec la survie du rock. En quoi cette musique se renouvelle-t-elle ? Insidieuse question à laquelle nous ne tenterons même pas de répondre, c’est que ce numéro des Cahiers du Jazz est loin d’être terminé, reste encore les articles individuels à lire.

    z7584pistoms.jpg

    Quand on y regarde de plus près l’on est obligé de constater que l’apparition de la New Thing a causé plus d’interrogation chez les élites du jazz des années 60 que la survenue du punk in the seventies dans l’intelligentzia des journalistes rock. La cause fut très vite entendue, pas de drame cornélien, une tranquille assurance partout, ceux qui firent comme s’il s’agissait d’un micro-courant comme le rock en compte tant, une musique de chapelle un peu plus tonitruante que les autres qui ne les intéressa guère et ceux qui adhérèrent tout de suite et en devinrent de fervents supporters. Certains remarquèrent que c'était moins la réouverture de la querelle des Anciens et des Modernes que l’expression larvée du conflit générationnel, les jeunes contre les vieux, de plus de trente ans, peu enclins à ce que l‘on resservît le couvert, et à revivre une deuxième fois les fièvres de leur adolescence sur lesquelles ils avaient bâti les murailles de leurs certitudes contre-culturelles.

    z5778ghost.jpg

    Peut-être aussi qu’en 1977 les carottes étaient-elles cuites et archi-cuites. La New Thing était sacrilège en le sens où elle s’attaquait à une tradition culturelle établie depuis des siècles, le punk arrive, après le passage du bulldozer l'on dresse le constat que tout le monde faisait en catimini dans sa tête sans oser le crier trop fort : il n’y a plus rien, nil n'ignore qu’il marche sur un monde décombres et non de semence. Montée du nihilisme nietzschéen.

    z5782freejazz.jpg

    Les contributions des articles rédigés en solo rendent compte de la stupeur intellectuelle apportée par la New Thing, l’on assiste au recul ( pas à pas ) des vieux schémas d’analyse qu’ils soient d’origine platonico-hégelienne - l’on discute encore d’esthétique : la mort du Beau entraîne-t-elle obligatoirement celle du Juste - ou de profusion marxiste : l’on essaie de jauger le taux d’alcoolémie révolutionnaire qui se fait jour dans les revendications noires et l’on pressent déjà ce qui deviendra la tarte à la crème de la modernité actuelle : la mauvaise conscience colonialiste blanche prise entre le marteau de la morale auto-culpabilisante et la faucille vindicatrice de l’égoïsme de l’avancée de la réalité capitalistique des choses qui se moque de votre acquiescement individuel. Le théâtre et l’attitude revancharde vis-à-vis des blancs de Leroy Jones - l’auteur de Le Peuple du Blues - servant de pierre d’angle à la discussion.

    z5785peupledublues.jpg

    Le livre établit une longue discographie de la New Thing et le recensement des nouveautés jazz américaines. Nous retiendrons surtout les longues et intelligentes chroniques de disques d’Alain Gerber. Vieille d’un demi-siècle la revue donne encore à réfléchir. Ce qui prouve sa qualité intrinsèque.

    Damie Chad.

    BIG UP GIRLS

    # 4 / Novembre 2016

    Z5775BIGUPGIRLS.jpg

    Je sais que ça ne se fait pas de faire attendre les dames mais je n’ai même pas deux années entières de retard. J’ai découvert la revue à Toulouse sur l’étagère à bouquins de Vicious une boutique à vinyls comme il devrait s’en créer dans le moindre des villages. Les gars soyez discrets, rasez la moquette et essuyez-vous les pieds sur le paillasson avant d’entrer, c’est écrit sur le flyer de la Release Party à l’occasion de la sortie du numéro précédent : Ni Dieu, Ni Mec.

    Meilleure nouvelle : c’est rempli de filles, Manon, Camille, Fanny, Lucie, Marine, Bonny, Jenny, Julie et Laure, toutes différentes mais toutes sévissent dans un groupe ( pas obligatoirement non-mixte ) de punk hardcore. Racontent leurs parcours, leurs difficultés à se faire accepter dans ce milieu de machos en puissance dans lequel elles s’imposent tout compte fait avec facilité. A croire que tous ces garçons ne sont pas des prédateurs sexuels en manque de chair fraîche. Des tranches de vie, bien mises en page, qui se révèlent intéressantes voire fascinantes. Ces demoiselles ne manquent ni d’expérience ni de réflexion. Vous avez même droit au compte-rendu de la journée d’études du 16 octobre 2016 au centre musical Barbary Fleury in Paris intitulée ‘’La Scène Punk en France - Questions de Genre’’ qui sent un peu trop la grille de lecture universitaire à mon goût de mâle blanc dominant, plus un témoignage sur un Queer Rock Camp aux Etats-Unis.

    z5774vicious circle.jpg

    La revue ( à prix libre, et produite par Way Out Asso ) est très symptomatique de la dernière mouvance générationnelle punk, qui partie de rien, a fortement bouleversé et influencé les modes d’existence et d’attitude de millions d’individus de par le monde. Tous ces gens qui essaient de vivre dans les marges aux confins de la rébellion brute et de l’affirmation stirnérienne de leur individualité forcément déviante par rapport aux normes que le système essaie de nous imposer.

    Les kr’tnts-readers qui auront établi un parallèle avec le public qui fréquente La Comedia de Montreuil, auront fait preuve d’un flair infaillible.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 379 : KR'TNT ! 399 : RACHID TAHA / MARTY BALIN / OVEREND WATTS / LEON RUSSEL / TONY MARLOW / ALICIA FIORUCCI / GREIL MARCUS / JOHN KINC

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 399

    A ROCKLIT PRODUCTIOn

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    27 / 12 / 2018

     

    RACHID TAHA / MARTY BALIN /

    OVEREND WATTS / LEON RUSSEL

    TONY MARLOW / ALICIA FIORUCCI

    GREIL MARCUS / JOHN KING

     

    Taha pas de pot, Balin pas de bol

    z5770rachid.gif

    On allait quand même pas finir l’année sans dire adieu à Rachid Taha, l’une des stars de ce qu’il faut bien appeler le rock méditerranéen. Il vient de partir au casse-pipe. Ce fantastique petit bonhomme aura su rocker bien des salles au cours de sa courte vie, et il n’était pas rare, au temps des grands shows de l’Élysée Montmartre, de le voir finir son set au sol, vidé, rincé, aussi lessivé qu’on peut l’être quand on a jeté tout son être dans la bataille. Rachid Taha était une bête de scène, au même titre qu’Iggy Pop ou Lux Interior et quand le bouzouki attaquait «Bent Sahra», alors tout explosait, les tambours du désert battaient la mesure, une houle soulevait le public, on vibrait tous au beat des tambours berbères, on s’offrait au vent du désert, ce souffle nous ramenait aux origines de la vie, aux origines du rock, car c’est bien de cela dont il s’agissait. Il n’existait rien de plus primitif, au sens sacré du terme et quand les filles chantaient par dessus le beat des tambours, alors Rachid et son groupe atteignaient les limbes du génie. Comme dans une espèce de grand raccourci, l’évidence flashait le lien direct entre l’état primitif et l’accomplissement du génie. C’est là où se situait Rachid Taha et il ne fallait surtout pas s’étonner de voir des sommités comme Steve Hillage et Eno l’accompagner sur scène. «Ya Rayah» sonnait aussi comme un chant de ralliement, sa prodigieuse beauté mélodique remontait à la nuit des temps, le groupe dégageait ces parfums d’Arabie qui firent jadis rêver les aventuriers, massive extase d’élan sublime, tu y aurais dansé jusqu’au bout de la nuit célinienne, cette musique dégageait quelque chose d’à la fois victorieux et de très humble, un mélange que tu ne trouveras évidemment pas dans le rock, car cette musicalité existait bien avant l’Occident. D’où sa grandeur séculaire. D’où les ondes tutélaires. Rachid Taha tirait toute sa force de l’Afrique, celle qui fit tant peur aux blancs, à cause de son animalité. Mais ce que les blancs colonialistes n’avaient pas compris, c’est que cette musique était joyeuse, bien au-delà de toute expectative. Cette musique était tout simplement à l’image de la vie, colorée, sexuelle, libre et sacrée. Rachid Taha dansait avec la vie plutôt que de danser avec les loups, il se comportait sur scène comme un amuseur de foire, du type de ceux qu’on croise sur le marché aux chameaux de Ouarzazate, et soudain, des clameurs antiques entraient dans ce tourbillon de vie. On croyait entendre sonner les trompettes des armées de l’antiquité, des clameurs d’écrasante supériorité jaillissaient au loin comme portées par l’écho du temps, cet expressionnisme musical semblait ouvrir une porte sur la démesure du désert. Diable, comme ces clameurs pouvaient être capiteuses. Elles foulaient les frontières dessinées par des géographes ignorants et repoussaient les colonnes infernales de l’envahisseur. Avec deux fois rien, c’est-à-dire des instruments berbères, Rachid Taha parvenait à fabriquer du Technicolor pour chasser les ombres. Il mêlait sa fabuleuse énergie aux chœurs de femmes et aux nappes de violons, son exotisme coupait le souffle par la seule vertu de sa beauté canonique. Rachid Taha chantait comme un prince mauresque, avec une grandeur sauvage qui échappait à la compréhension de l’occidental, il s’inspirait de la beauté des songes, il puisait dans l’entre-deux mondes scintillant d’une culture infiniment plus raffinée que la nôtre. Et tellement plus musicale que ne le fut jamais celle des autres coins du monde. Ces gens avaient le beat du désert et des montagnes dans le sang. L’origine de toute vie.

    En réinventant la grandeur du souffle des tribus, Rachid Taha atteignait à une sorte d’universalisme, le même que celui de Monk, le même que celui de Jimmy Webb, le même que celui d’Erik Satie. Avec seulement un tambour berbère et un bouzouki, il élevait l’art au degré supérieur. Il fallait voir à quel point il aimait la vie. Il en faisait une profession de foi. Dans ces beaux albums que sont Diwan et Tékitoi, des clameurs fantasmagoriques remontaient du passé. Certains cuts relevaient de la puissance fondamentale, de la vraie profondeur de ton. Rachid Taha nous parlait d’éternité féerique. Il tournoyait au son des instruments d’un dieu miséricordieux. Il nous emmenait sur les marchés, dans les villages pour y entendre cette musique qui fascina tant Paul Bowles et Brian Jones.

    z57t1balin.gif

    Quant à Marty Balin, c’est une autre histoire. Celle d’un loser complet. Il vient en plus de casser sa pipe en bois, quinze jours après Rachid Taha. Le Jefferson Airplane ? Oui, c’est son groupe, il composait et chantait en lead, mais ça n’a pas duré longtemps. Le temps de deux albums, Takes Off et Surrealistic Pillow.

    Takes Off décolle en 1966. Les morceaux sont pour la plupart un peu faiblards. Heureusement Jack Casady s’en vient fracasser «Run Around» au bassmatic. Le seul autre intérêt de l’album, c’est le jeu de batterie de Skip Spence qui allait quitter le groupe pour fonder Moby Grape. Avec la faiblesse des morceaux, l’autre gros défaut de l’album est le mix : la pauvre Jorma Kaukonen est mixé très loin derrière. Il fut vraiment gentil d’accepter un tel traitement. L’Airplane parvient à passer aux choses sérieuses avec «Chauffeur Blues». On a là un heavy boogie blues monté sur un beat assez dément. Pauvre Marty, le premier album de son groupe avait des faux airs de pétard mouillé.

    Surrealistic Pillow sort en 1967. Cet album est aujourd’hui encore considéré comme un classique du rock californien. Grace Slick vient tout juste d’arriver dans le groupe. Elle amène «Somebody To Love» qui sonne comme une embellie. La chose est travaillée à la planance latérale. Marty et Paul Kantner viennent épauler Grace dans les refrains. On sent chez elle la poigne d’une femme ferme. Elle ne lâche pas prise. Derrière, ça joue à la vie à la mort. Jack Casady bassmatique comme un démon dans le fond du studio. Son drive sonne comme un pouls. Avec l’excellent «3/5 Of A Mile In 10 Seconds» que compose Marty, l’Airplane passe au pur garage californien. Spencer Dryden qui a remplacé Skip Spence bat ça si sec. L’Airplane s’énerve. Ça lui va bien. Marty, Grace et Paul Kantner chantent à l’unisson du saucisson révolutionnaire. Ça nous donne ce Frisco sound, clair et limpide, qui va devenir leur marque. Avec «Embryonic Journey», Jorma tape dans le dur du blues. C’est à cette occasion que le monde découvre un virtuose hallucinant, l’un des plus grands guitaristes américains. Grace compose un autre hit, le fameux «White Rabbit» qui se veut psyché en diable. Elle monte en première ligne, redescend les marches de la cave puis remonte déployer ses ailes. On pourrait qualifier «White Rabbit» de garage psyché évolutif avec un faux-air de marche militaire. Sacrée Grace, elle peut monter toujours plus haut dans les altitudes. Elle restera pour beaucoup la passionaria du Frisco Sound. Puis Marty nous sort de sa manche l’ultra-classique «Plastic Fantastic Lover», the real deal, du pur jus de Frisco band, comme dirait Mike Wilhelm. C’est puissant car suivi au riff par Jorma et joué en sourdine par Jack.

    Mais la fête ne dure pas longtemps, car sur le troisième album, After Bathing At Baxter’s, Marty se met en retrait et ne co-écrit qu’un seul titre, l’ineffable «Young Girl Sunday Blues» monté sur un groove impeccable. Il ne composera plus rien pour l’Airplane et se limitera à chanter en chœur et à rester dans l’ombre. Grace Slick et Paul Kantner ont pris le pouvoir dans le groupe. D’ailleurs, Marty ne s’entendait pas très bien avec Grace Slick. Il régnait entre eux une sorte de tension. Dans ses mémoires parues en 1999 (Somebody To Love. A Rock’n’Roll Memoir), Grace Slick avoue avoir baisé tous les mecs de l’Airplane sauf Marty, un Marty qui disait-il n’aurait jamais accepté de dormir avec elle, même si elle avait insisté.

    L’autre épisode qui illustre bien la carrière de ce loser patenté est Monterey Pop, le film de DA Pennebaker : on y voit Grace Slick mimer les paroles de «Surrealistic Pillow». En réalité, c’est Marty qui chante, mais on ne le voit pas à l’écran - I was really hurt. I was young and was like awwwwwww - Marty vécut l’épisode très mal. Le pire est à venir avec Altamont, le concert gratuit organisé par les Stones en 1969 : c’est Marty qui prend un tas dans le gueule sur scène en voulant tenir tête aux Hells Angels chargés de la «sécurité». Bahhhm ! En pleine gueule. K.O direct. Au tapis. Des choses comme ça n’arrivent qu’à Marty. Ça ne serait jamais arrivé à Keef, par exemple. Le pire est que Marty s’appelait Buchenwald à l’état civil. Avec un blaze comme celui-là, c’était foutu d’avance. Mais «Plastic Fantastic Lover» va rester accroché au firmament du rock américain.

    Signé : Cazengler, complètement tahé et pas très balin

    Rachid Taha. Disparu le 12 septembre 2018

    Marty Balin. Disparu le 27 septembre 2018

     

    Overend is over - Part Three

     

    Même si vous prenez soin d’éviter les disques des charognards, dans le cas d’Overend Watts, vous allez être obligé de faire une exception. Angel Air sort un excellent album posthume intitulé He’s Real Gone, ce qui ne manque pas d’humour. On sent le répondant dès le morceau titre, mais c’est avec «The Dinosaw Market» que ça explose. Overend joue tous les instruments sur cet album, il programme, alors forcément, le son peut paraître spécial, mais il a autant d’idées qu’en 1972. Il chante son cut en cockney. C’est d’une classe pour le moins effarante. On souhaite ça à tous les débutants. Il profite de l’occasion pour s’y tailler un passage au solo trash. Voilà, c’est tout lui. Il tape un «He’d Be A Diamond» digne du Bevis Frond, il joue à la fantastique attaque de pop-rock, but he wants to let you know. Il joue ça à la régalade épouvantable, il pulse dans le giron du grand rock anglais. Il ramène les grosses guitares de proto-punk dans «Belle Of The Boot» - Every sunday morning - Superbe, violent, bien envoyé - She’s a belle of the boot - Overend sait composer des hits d’une rare puissance. Et il nous refait le coup du départ en solo trash. Puis il se déguise en géant de la power pop pour «Endless Night». Ce démon est parfaitement à l’aise, il nous sort l’un des meilleurs crus de power pop qui soit ici bas. Il le distille avec un art consommé. Overend reste frais et vivace comme une carpe. Il gratte son «Magic Garden» au banjo. Le héron et le king fisher sont ses seules compagnies. Étonnant mélange des genres. Il tape un vieux groove à l’Anglaise avec «Rise Up». Il l’allume au refrain, c’est de bonne guerre, après tout, et il libère un bouquet de chant et d’harmonies à la Beach Boys. Attention, ce disk est une œuvre d’art, car voilà qu’avec «Search», il fait du John Lennon. Avec «The Legend Of Redmire Pool», il s’inscrit dans la veine Cockney Rebels qu’il affectionnait tant au temps de Mott et des British Lions. Il évoque Mad Shadows et stompe joliment sa proggy motion. En fait, Pete Overend Watts est aussi passionnant que John Entwistle : leurs albums sont des mines d’or à ciel ouvert. Il tape «Prawn Fire On Uncle Sheep Funnel» à la slide de Camaret et en soi, c’est assez admirable. Il se lance dans la petite prog de basse terre, mais on lui donne l’absolution. Il file droit sur le couchant, le théâtral, le petit gothique de back street, comme sur le dernier album de Mott. Dans «Miss Kingston», il tape dans la nostalgie, avec autant de brio que Nikki Sudden dans «Green Shield Stamps» - I used to go shopping at the high street/ The prices were the best - Il chante la nostalgie du temps d’avant, comme jadis Mouloudji et d’autres poètes chantaient le Paris de leur jeunesse. Tout ce qu’Overend fait touche une corde sensible, notamment dans la région de l’affect. Et tous les fans d’Overend vont ADORER le petit cadeau d’Angel Air : la démo de «Born Late ‘58». Il s’agit là de l’un des hits fondamentaux du mythe Mott. Buffin le bat au drumbeat de démon et Watts le cisaille au riffing londonien. Il chante mieux que l’Hunter, il shoote son leader et son see her. Overend Watts est l’âme de Mott, de la même façon que Plonk Lane était l’âme des Small Faces, puis des Faces. Overend part en killer solo, une vraie expédition punitive ! Morgan pianote dans son coin. Ils font Mott à tous les trois. Voilà la morale de cette histoire. Quelle démo ! Elle sonne comme une preuve par 9. Overend Watts est le riffeur supremo de toute cette histoire. Que de jus, Jim !

    Signé : Cazengler, Overond comme une pelle

    Overend Watts. He’s Real Gone. Angel Air 2017

    z5772disc overerd.jpg

     

    Russell et poivre - Part Two

    z5768leonrussel.gif

    Comme dans le cas d’Overend Watts, on va faire exception à une règle voulant qu’on ne touche pas aux disks des charognards : cette fois, il s’agit de l’album posthume de Leon Russell, On A Distant Shore. Impossible d’ignorer une telle merveille. Comme dans les cas de David Crosby, de Johnny Cash ou de Ray Davies, ces vieux de la vieille s’améliorent à l’approche de la mort. Tonton Leon s’est fait la cerise, mais il avait eu le temps d’enregistrer cet ultime chef-d’œuvre. Et ça prend une ampleur irréelle dès le morceau titre, orchestré aux trompettes de la renommée. Tonton Leon groove comme un dieu. Pas la peine d’aller perdre ton temps à écouter les chanteurs à la mode, écoute le vieux ! Il connaît tous les secrets, comme Fred Neil et Jimmy Webb, il sait comment on décolle pour aller flotter dans l’azur prométhéen, il sait fabriquer de la magie. Cette chanson est le message d’un homme arrivé au paradis avant sa mort. Il a même l’air de nous dire qu’on ira tous au paradis. Il faut l’entendre crooner «Here Without You», il règne sur la terre comme au ciel. Voilà Tonton Leon dans toute sa splendeur magnanime. Il tape à la suite dans son vieux hit, «The Masquerade», il sort le Grand jeu daumalien, il fait dans l’océanique et s’étend à perte de vue, l’orchestration en dit long sur sa grandeur d’âme, c’est tout simplement à tomber de sa chaise. Il swingue le bien-être de profundis, à l’élégance d’Oscar Wilde. «Love This Way» vaut aussi le déplacement, Tonton Leon y va tranquillement, il tire les oreilles de ses mots, il reprend tout à zéro, comme s’il en avait encore le temps, mais la seule chose qui l’intéresse, au terme d’une vie si bien remplie, c’est le grand art, l’alchimie sonique, alors il swingue comme un vieux pirate et donne une belle leçon de maintien tardif. Une petite leçon de boogie ? Alors écoute «Black And Blue», Tonton Leon s’y remet sur son trente-et-un, il y sort son plus beau shuffle et chante au guttural. Un nommé Ray Goren y joue un solo d’antho à Toto. Plus Tonton Leon vieillit et plus il devient nègre et il reprend ses prérogatives de vieux desperado ookie avec «Just Leaves And Grass». Il chante de toutes ses forces à l’admirabilité des choses de la vie et de la mort. Il développe là toute sa puissance séculaire et devient spectaculaire, au moins autant que Johnny Cash dans The Man Comes Around. Pour l’occasion, Tonton Leon sort un son muddy et ultra orchestré. Il n’en finit plus d’étaler son règne comme du beurre sur la miche, puisqu’il enchaîne avec «On The Waterfront» qui sonne comme une mission divine. Oui, cette chanson relève de la beauté pure. Le problème est que tout est très beau sur cet album. Ce polisson de Tonton Leon passe au mambo de casino avec «Easy To Love». On sent que cet homme a toujours été là, dans l’ombre du rock américain. Sans doute est-ce à force de côtoyer les géants qu’il est lui-même devenu un géant, on est obligé de raisonner ainsi en l’écoutant. Il se situe au firmament d’un son, il se montre digne de Louis Armstrong et de Cole Porter. Il reste dans l’élégance suprême avec «Hummingbird» et va plus sur le music-hall. Les trompettes de la renommée sont de retour. On sent Tonton Leon intarissable, épris de beauté, haletant de jusqu’au-boutisme éthéré. On sent qu’il chante «Where Do You Come From» au dentier, mais ça sonne merveilleusement bien, sa façon de dire I just don’t know a quelque chose de profondément troublant. Il faut écouter «A Song For You» attentivement, car c’est sa dernière chanson. Après ça, tu n’auras plus que tes yeux pour pleurer. Tonton Leon aura définitivement disparu. Alors écoute-le bien temporiser ses effets, c’est Dieu qui chante comme un nègre. Avec sa barbe blanche et ses dents branlantes, il rétablit la justice sur cette terre, il recrache dans un ultime spasme gorgonien toutes les couleuvres avalées.

    Signé : Cazengler, Léon Recel

    Leon Russell. On A Distant Shore. Palmetto 2017

    z5772disrussel.jpg

    PARIS – 20 / 12 / 2018

    ATS BASTILLE

    SORTIE FULL PATCH

    TONY MARLOW / ALICIA FIORUCCI

    Z5803AFFICHE.jpg

    JEAN-WILLIAM THOURY

    Z5801FULLPATCH.jpg

    JEAN-WILLIAM THOURY

    Les kr'tntreaders vont dire : tiens, on prend les mêmes et on recommence. Certes l'on ne change pas une équipe qui gagne, mais ce n'est pas tout-à-fait la même chose. D'abord il n'y a pas les Crashbirds. Ensuite ce soir c'est Jean-William Thoury qui est à la fête. Et le monde des motards aussi. Sont venus par centaines. Le pauvre William n'a pas eu une seconde à lui. Une queue monstre devant lui. Non, demoiselles, ne vous méprenez pas. L'a dû user au moins deux stylos à dédicacer Full Patch, son dernier ouvrage. N'était pas seul, Filo Loco de Serious Publishing a passé la soirée à déchirer les enveloppes plastiques du bouquin. Je ne vous parlerai pas dans cette kronic, de Full Patch, La Bibliothèque du Motard Sauvage, il sera kroniqué dans la livraison 400 au début de janvier. Attention, 400 pages beau papier, illustrations couleur, plus de 300 livres minutieusement analysés, cinq ans de travail acharné, un monstre d'acier chromé et graisseux à vous faire offrir d'urgence, le complément indispensable à Bikers, que vous possédez déjà, sans quoi vous pouvez vous demander la raison de votre venue en cette vallée de larmes.

    Z5802WILLIAM.jpg

    Le local plein comme un œuf dur avec mayonnaise injectée à l'intérieur, pour une fois vous reconnaissez plein de monde à côté des Harley Davidson exposées... Très parisien aussi, rien à voir avec les clubs des fin-fonds perdus des campagnes briardes, dans lesquels nous vous emmenons parfois, moins de sophistication, davantage d'authenticité...

    SET ONE WITH GREGOIRE

    Quelques notes s'échappent de la guitare de Tony et Fred file de temps en temps un coup sur un tom, l'on n'attend pas Godot, mais Amine. Pris dans un embouteillage monstre à l'entrée de la capitale. Pas très grave, l'attention est focalisée sur les bières généreusement offertes et Jean-William Thoury, sans parler des discussions sur le large trottoir du boulevard. Mais le rock se sert chaud et brûlant, Grégoire des Jones est réquisitionné par Tony, pas de contrebasse pour ce premier set, mais une fender électrique.

    z5796trosgrégoire.jpg

    L'on démarre doucement par un blues promenade in the country, façon de se mettre à l'unisson. Et l'on plonge tout de suite dans deux classiques, rien de tel pour pousser la puissance des moteurs qu'un Say Mama – la foule qui s'égosille sans fin sur le oh-oh-oh – et un petit Sumertime Blues juste avant de plonger dans l'hiver. Tony hausse le vibrato et du doigt il vibrionne la corde du haut et vous voici empégué dans un des riffs les plus célèbres du rock, cela paraît si simple, mais le nectar d'or sonore qui en ressort demande une science propulsive des plus précises, faites confiance à Tony pour l'impact auditif.

    z5799gégoire+.jpg

    Pas de déboire avec Grégoire aussi à l'aise qu'un gilet Jones sur son giratoire, l'a la prestance rock, revêtu de la sobre élégance de la fausse simplicité du style anglais, l'est prêt à suivre Tony et Fred pour une course échevelée vers l'Ace Cafe, la guitare de Tony glisse sur des toboggans et Fred pousse la pression. L'impression que ça pulse plus vite et plus fort – même si la sage cohue devant le bureau de Jean-William assourdit un peu le son. Maintenant la voix de Tony enchaîne les titres, douce et mordante, incisive et fondante, elle sculpte le texte, l'arrondit et le brutalise, glisse un zeste d'ironie et une goutte d'arsenic, accroît à tout instant l'intelligence du propos, connaît toutes les arcanes du phrasé rock qui ajoute du son au mot et en démultiplie le sens. L'on ne s'en lasserait pas, mais en parfait gentleman Tony laisse la place à Alicia Fiorucci.

    z5797tony+fred.jpg

    ALICIA FIORUCCI

    z5805alicia.jpg

    Le retour de la diva. Froissé de cuir sur les épaules, pantalon rockabillynx, décolleté avec colombes au balcon, Alicia nous offre en sa version française un shoking all ovaire d'une sensualité affolante. Voix friponne et furibarde, c'est son corps qui chante, ses bras rampent sur sa chair comme les serpents du désir, sa main se referme sur son sein, pour que vous mieux pensiez – comme dans le poème de Mallarmé – à l'autre, de chair nacrée, et la voix langoureuse se love dans le ricanement diabolique de Tony au micro partagé comme le fruit du péché. Sur I need a Man les doigts désignent sans complexe le nid du sexe comme le ver s'immisce dans le gouffre génital de la pomme des framboiseries fructueuses. Il faudrait un clip, mais déjà elle s'éclipse, emmenant avec elle les feux follets de vos rêves.

    z5807main.jpg

    LES PISTOLEROS

    z5804guiony.jpg

    Les filles ce n'est pas mal du tout. Mais les mecs savent y faire aussi. Moins de grâce persuasive, Tony, Fred et Grégoire l'admettent, mais comme tous les gars ils sont OK pour une bonne bagarre dans le corral, et hop en hommage à Marc Zermati présent dans la salle, nous voici dans un Western démentiel, une interprétation à la Josey Wales Hors-la-Loi, à La Horde Sauvage, nos trois pistoleros nous enrôlent sans rémission à partager toutes les infâmes exactions de la colonne infernale de Quantrill... Ce n'est pas fini, nos trois gaziers font exploser le pipe-line avec un certain Jumpin Jack Flash, l'on se serait bien défenestrer rien que pour le plaisir, mais comme nous étions au rez-de-chaussée, l'on n'a pas pu. C'eût été un super gus !

    DEUXIEME SET

    z5795fred+fred+ami,e.jpg

    Petit entracte le temps de laisser Amine installer sa big mama. De dos elle est tatouée d'auto-collants multicolores, sur le flanc droit elle porte une espèce de peace-maker électrique d'où s'échappent de nombreux fils, et de face on dirait qu'elle est en service de réanimation avec des tuyaux qui sortent de partout. En tout cas la grand-mère pète la forme, et Amine vous la talonne de près comme s'il débourrait un cheval rétif, avec Fred qui vous avalanche à tout instant an another break in lhe walll of sound, vous êtes servi. Bikers oblige, Tony entonne l'hymne de naissance sauvage transnational, et tous trois glapissent comme le loup des steppes traqué par une meute de cosaques en furie. Trop bien au zoo. Après l'animal cher à Alfred de Vigny, nous avons droit aux chats-tigres de NY, Tony et ses sbires nous offrent une version bien plus dure et exacerbée que l'originale des créateurs. Une dénonciation à la SPA s'impose, les pauvres bêtes n'avaient pas été nourries depuis au moins quinze jours. Couraient et explosaient de partout. Que voulez-vous quand les maîtres sont là, la souris chante. Vous n'attendez qu'elle.

    ALICIA FIORUCCI

    z5806méchante.jpg

    Souvent femme varie, bien fol qui s'y fie. Vous avez eu la sulfurueuse, voici l'Amazone. La guerrière impitoyable. La voluptueuse s'est transformée en tueuse. Une prédatrice. Cet air méchant sur Breathless, une condamnation à mort, ses yeux verts lancent des éclairs de haine pure. Rock is fire. Cruel et dévastateur. Un tsunami qui s'avance sur vous et qui s'apprête à détruire le monde entier. Elle s'est débarrassée de sa fine pelure de cuir, la voici bras nus d'archère et tatoués, une combattante à mains nues, son gosier recrache les boom-boom d'Imelda et de Johnny, vous tombent dessus comme l'injustice sur l'innocence, et Amine vous sort le slap de sa vie afin de se maintenir à la hauteur de cette fureur dévastatrice. I Fougth the Law et Alicia vous dresse un doigt long comme un cierge de messe noire, un doigt d'honneur vers les cieux comme si elle défiait Dieu, et l'assistance emportée par une fureur barbare l'imite, et c'est un tournoiement infini, les phalanges digitales exhaussées vers le haut, secouées avec rage, telles des paratonnerres pris de folie qui s'agiteraient pour appeler la foudre. Et la petite fille se perd dans le public, emportant avec elle le mystère de la féminité.

     

    z5805béranger2.jpg

    FIN DE PARTY

    z5794marlowtijuana.jpg

    Ne restent plus que deux livres – un pour Alicia, un pour moi - sur la table de William, z'ont éclusé la moitié du stock. Il est temps de partir. Tony nous assure que bientôt nous ne pourrons encercler de nos bras musclés cette soirée qui ne sera plus qu'un souvenir aussi fantomatique que Johnny Thunders... avant de nous quitter le band revêt les masques du serpent à plumes cher à Lawrence et nous emprisonne une dernière fois dans la magie instrumentale des fêtes de la mort et de la vie. Viva el rock'n'roll !

    Damie Chad.

     

    ( Photos : noir et blanc : FB : PHILIPPE BERANGER

    Photos couleur : FB : COSTA DAVID )

     

    GREIL MARCUS

    THREE SONGS / THREE SINGERS / THREE NATIONS

    ( Editions Allia / 2018 )

    Z5751BOOKMARCUS.jpg

    Etrange bouquin. Rêverie phantasmatique sur le rock and roll. Titre énigmatique. Ni les trois songs, ni les trois singers ne posent problèmes, par contre pour les trois nations, vous vous léverez de bonne heure, tout au plus vous en dénicherez deux dans les notes, pour la troisième je donne ma langue au chat.

    Z5752DISCDYLAN.jpg

    Ballad of Hollis Brown, vous connaissez c’est de Dylan. Vous la trouverez facilement dans n’importe quelle Fnac ( exactement là où vous ne l'achèterez pas ), vous l’aimerez - je vous fais confiance - mais pas au point de Greil Marcus, l’en est tout chamboulé, totalement traumatisé. Mais c’est le lot de tous les rockers, un morceau qui vous tombe un jour plus au moins par hasard dans l’oreille et qui prend des proportions inimaginables dans votre imaginaires. Un virus qui s’installe en vous et vous devient congénitalement idiosyncrasique. Bonjour les dégâts. Le folk a toujours existé, l’est le terreau de la musique populaire américaine. N’appartient à personne, les mélodies initiales viennent d’Angleterre, pour les paroles l’on a méchamment brodé sur les originales qui d’ailleurs étaient loin d’être fixées. Ces morceaux sont passés de bouche en bouche, chacun les arrangeant à sa manière, vous en trouverez différentes versions, l’important c’est de retenir que cette musique vient du peuple, que le folk n’a jamais séduit les classes possédantes et que sous les années noires du maccarthisme, il suffisait de chanter ces hymnes contestataires pour être inscrit dans les listes noires, interdit de radio et de concert. Politiquement le folk était marqué à gauche, l’avait accompagné les grèves et les intellectuels du Parti Communiste Américain s’en prévalaient, lui a fallu faire le gros dos, s’est fait tout petit pour laisser passer l’orage, s’est calfeutré dans les bars fréquentés par la jeunesse estudiantine, jusqu’à ce qu’au début des années soixante il connût un renouveau explosif. Bob Dylan en cause très bien dans ses Chroniques. Ne fut pas le premier, ne fut qu’un maillon de la chaîne, pendant longtemps il ne fut qu’un continuateur, les témoins de ses premières années, bien avant que la gloire ne survienne, racontent qu’il connaissait plus de trois cents morceaux traditionnels. Les rockers qui ont souvent une dent contre les folkleux préciseront qu’il assista à l’avant-dernier concert de Buddy Holly et qu’il accompagna Bobby Vee sur scène. Et puis Dylan se mit à composer ses propres chansons et parmi les toutes premières la fameuse Ballad de Hollis Brown. Une histoire simple : acculé par la misère Hollis Brown règle le problème d’une manière des plus radicales, une balle dans la tête de ses cinq enfants, une autre dans celle de sa femme et la dernière pour lui. Pas très marrant. Maximum d’effets pour un minimum d’écriture. Dylan suggère plus qu’il ne raconte. Une dénonciation de la misère qui se moque des analyses politiques. Des faits, rien que des faits. Même s’ils sont inventés, même si les journaux ont relaté quelques évènements jusqu’au-boutistes similaires. Bien sûr en plus il y a le talent et la voix de Dylan.

    Z5753DISCHOLLYBROWN.jpg

    L’écriture de Dylan par ses mutismes, ses décrochages, et ses ellipses touchent à l’intemporel. N’en traduit pas moins le bouillonnement germinal de la formation de la nation américaine déjà à l’œuvre dans les Feuillets d’herbe de walt Whitman. Ce qui importe le plus à Greil Marcus c’est qu’avec ce morceau Dylan atteint la force des vieux morceaux du répertoire folk. Se lance dans une étude des plus poussées des lyrics. N’est pas pour rien un professeur d’université, cela sent un peu le cours de fac.

    z5757disgeeshee.jpg

    Mais ce n’est rien comparé à sa présentation de Last Kind Words Blues de Geeshie Wiley. Cette dernière nettement moins célèbre que Dylan. L’a repéré le morceau sur une compilation de 1994. Les deux demoiselles car elle est accompagnée à la guitare par Elvie Thomas ont disparu. Six faces enregistrées pour Paramount et puis bye-bye…

    Z5754GEESHE.jpg

    Les amateurs et les musicologues n’ont pas trouvé grand-chose, quelques dates et une photographie probable des jeunes femmes liées par des amours lesbiennes. Mais il reste ce morceau : Last Kind Words Blues, un titre étrange, difficile à saisir, certes les grésillements des trois exemplaires originaux retrouvés mais surtout cette façon noire de prononcer les words qui parfois peuvent être entendus de différentes manières. A tel point que l’histoire racontée est des plus incertaines. Ce qui est sûr c’est que la dame a tué son amant. S’adresse à lui, le rejoint-elle dans la mort, ou se contente-t-elle de le héler depuis l’autre rive, ce qui est certain c’est qu’il y a comme une indétermination que l’on pourrait qualifier de métaphysique entre les morts et les vivants.

    Z5755ELVIETHOMAS.jpg

     ( Elvie Thomas )

    Depuis sa réédition le morceau est régulièrement repris, mais le fantôme de Geeshie Wiley ne cesse de hanter Greil Marcus, met le morceau en relation avec Stagger Lee et Frankie and Johnny, deux traditionnels fondés sur des assassinats véridiques à la New Orléans à la fin du dix-neuvième siècle, et puis il se lâche, nous offre une biograpphie imaginaire de Geeshie lui faisant rencontrer Elvis Presley et Jimi Hendrix. Pas de quoi s’alarmer, le Woodoo blues nous a tous rendus un jour ou l’autre maboul.

    z5758lamar.jpg

    Dernier volet du triptyque : I Whish I was a Mole in the Ground un traditionnel enregistré en 1928 par Bascom Lamar Lunsford. Un chanteur dont l’historiographie' né en 1882, mort en 1973, peut vous révéler l’historialité de sa traçabilité en toute quiétude. Apparemment une scie, une chanson idiote, qui ressemble un peu à une comptine enfantine. Que ne feriez-vous pas si vous étiez une taupe ! Dans la chanson vous renverseriez une montagne, puis le sens se perd en une évocation grivoise et celle d’un cheminot brutal… que comprendre : qu’avec un peu plus d’argent dans votre poche votre petite amie n’aurait pas eu besoin de se prostituer à un cheminot pour acquérir le châle que vous vous n’avez pas pu lui offrir, ah si vous aviez pu être un lézard au printemps.

    z5759lamar.jpg

    La chanson n’a cessé d’être reprise. Les paroles se prêtent à toute forme d’adaptation, chacun s’en sert pour exprimer ses critiques ou ses attaques envers la société qui l’entoure, Marcus nous en cite quelques unes, mais préfère s’attarder sur les différentes interprétations données au cours du siècle dernier, l’arrive même à trouver un indice qui prove qu’elle date au moins du temps de la révolution ( américaine ), mais cette partie est moins réussie que les que les deux précédentes, le morceau ne possède pas la force évocatoire des deux précédents. L’ouvrage n’excède pas les cent cinquante pages, bourrées de références qui proposent autant de solution qu’elles multiplient les interrogations. A lire absolument pour tous les chercheurs et amoureux des origines et de l’histoire de la musique populaire américaine. La deuxième partie est une des plus belles méditations poétiques sur l’essence du blues que je n’ai jamais lue.

    z5760lamarvieux.JPG

    Damie Chad.

    P.S. : Vous reparlerai de Geeshie Wiley et d'Elvie Thomas d'ici peu.

     

    ENGLAND AWAY

    JOHN KING

    ( Au Diable Vauvert / 2016 )

    z5761bookfrench.jpg

    Une mission salutaire : enlever la merde qui vous encombre. Je ne parle point de celle qui s’empile à satiété dans votre intestin et qui se précipite quotidiennement toute seule vers votre sortie anale. Non mais celle que vous malaxez et tripatouillez à pleines mains dans vos méninges. Salutaire entreprise de salubrité publique dont se charge John King dans cet England Away.

    Troisième fois que nous chroniquons cet auteur dans Kr’tnt, et pourtant à part une dizaine de noms de groupes ( Oïl, Skin, Punk ) cités dans le bouquin la moisson rock and roll est des plus maigres. Pour ne pas dire inexistante. Disons une musique de fond, que l’on n’entend pas, car trop de bruit par-devant et par-dedans. Tout se passe à l’intérieur, mais attention les amateurs des analyses introspectives seront déçus. John King nous conte ce qui se passe dans la tête des hooligans britanniques. Des concepts d’une simplicité absolue, biture, baston, baise, ballfoot. Le dernier de ces quatre mousquetaires joue d’ailleurs un peu l’arlésienne, le football est le grand absent de cette partie carrée tumultueuse, le livre s’achève avant que la partie ne commence. L’important est ailleurs.

    z5762englishbook.jpg

    Un livre d’action, qui répond à une question essentielle : pourquoi les couches populaires sont-elles attirées par les valeurs politiques conservatrices ? Prenez le cas des hooligans, de prime abord l’on aurait tendance à classer ces jeunes prolétaires, qui n’hésitent pas à affronter les forces de l’ordre et qui cassent avec délectation les vitrines des commerces, un peu à droite des black blocks, mais pas très loin, ne leur manquerait qu’un peu de finesse politique qui leur permettrait de ne pas perdre leur temps et leur énergie à se cogner lors des rencontres sportives avec les supporters de l’équipe qui se mesure avec celle de leur club. Retour de la balle à l’envoyeur, l’extrême-gauche les considère avec commisération, les traite ( au mieux ) de crypto-fachistes, et s’en tient au vieux schéma marxiste qui opère une subtile mais efficiente division entre le prolétariat conscient de la lutte des classes et le lumpen-prolétariat colérique et infantile, manipulable à souhait…

    John King n’évoque même pas une seconde cette vue de l’esprit. Se livre à une radioscopie des cerveaux du hooligan moyen. Nous voici embarqués sur le ferry avec lequel nous traverserons la Manche. Nous sommes en partance, via les Pays-bas, vers Berlin, où doit se dérouler le match Angleterre-Allemagne. En compagnie d’un groupe de copains décidés à profiter un maximum de cette ballade sur le Continent. Ne sont pas seuls, deux à trois mille congénères convergent vers le lieu des festivités. L’heure est grave, l’honneur de l’Angleterre est en jeu, les dissensions et les vieilles haines entre les clubs n’existent plus, union ( jack ) sacrée. Ne partent pas pour applaudir sagement sur les gradins mais pour prouver à l’Europe entière que l’Angleterre ne s’en laissera pas conter, et que personne ne pourra entraver leur marche victorieuse vers le stade, ni la police, ni leurs homologues allemands, qui les attendent de pied ferme. Une question de fierté nationale.

    z5763bookengland.jpg

    Nationalisme, le grand mot est lâché. Une véritable boule puante, inutile de se voiler la face. Hitler s’est lui aussi réclamé de cette doctrine, et ce voyage en Allemagne est pour nos jeunes anglais, et encore plus pour John King, l’occasion de mettre les points sur le i, de clarifier les choses, de séparer le bon grain de l’ivraie. Nos héros ne sont pas des enfants de chœur, imbibés de bière à longueur de journée, guettant la moindre occasion de se vider les couilles pour pas cher, prêts à vous filer un coup de boule à la moindre embrouille, mais il ne faut jamais s’attarder aux apparences et se méfier de juger la vague de fond à l’écume bouillonnante que sa crête arbore.

    Ne s’agit pas de vider l’abcès mais d’en explorer les tréfonds. Ni de traiter les hooligans d’idiots utiles, voire de compagnons de route de tous les gouvernements conservateurs et libéraux du Royaume-Uni. Ne sont pas dupes, possèdent non pas tant une analyse mais plutôt une expérience qui vient de loin. L’existe plusieurs générations de hooligans. Par le jeu des fréquentation de pub nous remontons jusqu’au début du siècle. Jusqu’en 1914 s’il vous faut une date écrite au feutre rouge-sang pour mieux comprendre. L’horreur des tranchées ce ne sont pas les classes possédantes pénardos dans les états-majors qui se les sont fadées. Mais les ouvriers et les paysans qui se sont fait massacrer pour des enjeux qui ne les concernaient guère. Ne se sont pas défilés, z’ont fait le sale boulot, z’en ont pris plein la tronche pour pas un penny, et paix revenue z’ont encore morflé, les gosses sans père, qui se sont construits leurs modèles paternels de substitution, les oncles réchappés du massacre qui n‘en parlent pas, mais qui n’en portent pas moins des stigmates qui se transmettent intuitivement, liens de classe et de sang. English blood. N’en ont pas pour autant été gâtés, l’Histoire leur réserva le gros lot, les cinquante-cinq millions de morts de la deuxième guerre mondiale. Z’ont remis le couvert. Dunkerque, l’Angleterre seule face à l’Allemagne, la bataille d’Angleterre, Proud English Blood, le débarquement, la marche vers la Germanie, violence des combats, la mort, le sang, les blessures physiques et celles plus graves dans la tête, l’ennemi à qui l’on a explosé le crâne alors qu’on aurait dû le faire prisonnier, les classes possédantes s’adjugent la victoire et les anciens soldats aux pensions sans cesse diminuées gardent leurs traumatismes et leurs remords… Un seul réconfort, z’ont accompli le job, z’ont sauvé la nation… Pour la toute dernière génération c’est encore pire, en Afghanistan ils ont bombardé des villages, tué des centaines de gens, de loin, de haut, combat déloyal qui de retour à la maison se termine souvent par le suicide, la honte de ne pas avoir combattu l’ennemi à visage découvert, d’avoir été engagés dans un conflit qui ne les concernait en rien, et ces innocents écrasés sous les bombardements, rien à voir avec la lutte contre les affreux nazis et leurs camps de concentration où périrent des milliers de femmes et d’enfants… Une limite que le prolo anglais de base s’abstiendra toujours de franchir. L’on se tape allègrement, pour un oui, pour un non, entre mecs, mais l’on ne lève pas la main sur les vieux, ni sur les gosses, ni sur les meufs.

    z5764troslivres.jpg

    Ne sont pourtant pas des féministes convaincus. Sexistes, phallocrates, machistes, tout ce que vous voulez. Chacun à sa place. A chacun son dû. Quand les occases se font rares, l’on se rabat sur les prostituées. Sans états d’âme. Mais sans mépris. Dans la jungle pourrie de la société capitaliste exploitatrice les filles ne peuvent offrir que ce qu’elles ont. Pour beaucoup leur cul. Pas plus déshonorant que de bosser à l’usine. Une manière de survivre comme une autre. Certaines y trouvent leurs comptes, elles envoient du fric à la famille restée en Thaïlhande, ne se plaignent pas, à l’aune de leurs pays leur sort est enviable… Faut savoir serrer les dents sur la bite qui s’installe dans votre bouche. Tout est question de dignité.

    Enoncé comme cela, l’on en pleurerait. Dans la réalité ils sont les dindons de la farce à laquelle ils sont mangés. Votent pour le redressement moral tatchérien, et Maggie s’empresse d’offrir le pays aux gros capitalos. Tout est à vendre, prenez ce que vous voulez, le bas-peuple paiera l’addition. Se font avoir à tous les coups, la haine du communisme les empêche de réfléchir. N’aiment pas les nazis mais nos sympathiques héros se laissent embringuer par un groupe d‘extrême-droite pour casser du gaucho, du bolcho, et de l’anarcho dans Berlin-Est de l’Allemagne réunifiée. Abandonneront le coup foireux au dernier moment, en un ultime sursaut de lucidité…

    z5765hooligans.jpg

    Happy end, nos hooligans chéris viendront à bout de leurs homologues teutons et échapperont aux manœuvres de la police, tout est bien qui finit bien, le match peut commencer, ils ont déjà gagné la partie. Un livre empli de bruit et de fureur, d’alcool et de sexe - blood, sweat and no tears - John King n’a pas son pareil pour vous immiscer dans la tête de ses personnages, le livre passe sans arrêt de la troisième à la première personne, très berkeleyen, le monde n’existe pas en dehors de ma propre représentation, vous ingurgitez plus de bière que votre capacité stomacale vous le permet, vous dégueulez un peu partout dans les coins de pages, un peu d’air frais et un petit baston vous remettent sur pied et c’est reparti, comme en quatorze, pour des réflexions philosophico-sentimentalistes, l’expression d’une espèce de sagesse cynique et écœurée, l’énonciation souveraine d’un stoïcisme du pauvre, eux qui se prélassent dans leur révolte rentrée tels des pourceaux jouissifs d‘Epicure, autour d’une pinte de blonde bien fraîche ou d‘une ale bien raide, la belle vie quoi. Dès la première page vous êtes emporté en un tourbillon dantesque, John King vous dresse un portrait de la l’Angleterre contemporaine au vitriol. Tout juste s’il ne nous présente pas les hooligans britanniques comme les derniers chevaliers de l’Europe au bord de l’effondrement.

    Mais à y réfléchir nos preux de la dernière heure sont davantage les victimes que les pourfendeurs d’un système contre lequel ils s’arqueboutent en un dernier sursaut de fierté et d’orgueil mal dirigés… Essaient de survivre et d’éviter les têtes rampantes de l’hydre mais ne tentent rien pour trancher le monstre au ras du cou.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 378 :KR'TNT ! 398 : HOT SLAP / ALLY & THE GATORS / JIMMY WEBB / CRASHBIRDS / TONY MARLOW / ALICIA FIORUCCI / HOWLIN' JAWS / HI-TOMS / AMY WINEHOUSE ROCKAMBOLESQUES (12 )

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

    LIVRAISON 398

    A ROCKLIT PRODUCTIOn

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    20 / 12 / 2018

     

    ALLY & THE GATORS / HOT SLAP / JIMMY WEBB

    CRASHBIRDS / TONY MARLOW/ ALICIA FIORUCCI

    AMY WINEHOUSE / HOWLIN' JAWS / HI-TOMBS

    ROCKAMBOLESQUES ( 12 )

     

    DEAR KR'TNTREADERS !

    UNE SEMAINE FASTE SE PROFILE A L'HORIZON DES PROCHAINES SATURNALES : NON SEULEMENT CETTE LIVRAISON 398 VOUS EST SERVIE AVEC UN JOUR D'AVANCE, MAIS LA 399 SERA DEPOSEE SOUS LE SAPIN DE NOËL DèS LE SAMEDI 22 DECEMBRE ! POUR LA LIVRAISON 400 NOUS VOUS DONNONS RENDEZ-VOUS DANS LES PREMIERS JOURS DU MILLESIME 2019 !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME !

     

    Rumble in Rouen - Part Two

    amy winhouse,howlin' jaws,hi-tombs,molossa ( 12 ),crashbirds,tony marlow

    Back to the basics avec une soirée rockab à la cave. Hot Slap en première partie et Ally & The Gators à la suite. Soirée hot as hell dans la bonded cave, du monde en veux-tu en voilà et du big bad beat avec the fast rising Hot Slap. Un Hot Slap taillé pour la route avec sous le capot un démonic Dédé stranded on the stand-up. Il est vite torse nu, cool as fuck, il court il court le furet, avec un rockabilly tatoué en arc de cercle sur toute la largeur du dos. S’il est un mec qui incarne le pur esprit rockab en Normandie, c’est bien lui.

    amy winhouse,howlin' jaws,hi-tombs,molossa ( 12 ),crashbirds,tony marlow

    Il faut le voir faire corps avec sa stand-up, il la travaille au manche avec une ferveur qui vaut bien celle du mineur d’antan, la gueule noire qui creusait jadis sa veine à la pioche et qu’on payait une misère au wagonnet, il démolit ses drive avec tout le shake, tout le rattle et tout le roll du monde, il fond James Kirkland et Lee Rocker dans le même moule à la crème de la crème, il cavalcade ses drives comme un dératé, il dépote ses mesures à la démesure, il palpite le beat et l’envoie roulé boulé down the alley, il a tout pigé, il sait forcer le destin du beat comme un forçat, il cadence ses gammes comme un rameur, vogue la prodigieuse galère, ça culbute sous le cache, ça carbure dans les durites, ça crache à la gueule du carter, le voilà penché sur l’avenir du rockab qui n’a jamais été en d’aussi bonnes mains. Le Long Blond Hair de Johnny Powers n’a qu’à bien se tenir. La cave est à l’image de la forge, car penché sur l’enclume de sa stand-up, Dédé bat son fer comme Vulcain, au fond des enfers. À l’organique du diable. Au Mystery Train fumant des origines du rock. Il astique son slap à l’huile de coude, il est du genre à cracher dans ses mains avant d’empoigner le manche de pioche, il jette tout en vrac dans la balance et ça rock hard, Gone Gone Gone with the cat clothes on. En le voyant créer de l’étuve au cœur de l’étuve, on repensait au slappeur des Mad Sin, ce fabuleux gamin qui jouait sur une stand-up décorée de lampions et à l’époque, on comprenait en le voyant jouer que toute sa vie se résumait au groupe. On ressent la même chose en voyant jouer Dédé : il ne vit que pour ça, l’énergie primitive du rockab, dans ce qu’elle peut avoir de plus rawdical.

    amy winhouse,howlin' jaws,hi-tombs,molossa ( 12 ),crashbirds,tony marlow

    Si on rate les Hot Slap sur scène, il existe un moyen de se rattraper pour savourer leur excellent ramdam. Il s’agit bien sûr de leur deuxième album, Lookin’ For The Good Thing. Dès «Sometimes», c’est dans la poche. Le chanteur s’appelle Martin. Il déploie à l’infini, sans jamais forcer sa voix, mais les choses prennent une tournure extravagante lors du départ en solo, véritable killer attack que vient télescoper de plein fouet Dédé avec un fulgurant tacatac de stand-up psychotique. Ils explosent tous les deux le cut en free-wheeling et redonnent au rockab son vieux parfum de sauvagerie. Ils rééditent cet exploit avec «Down The Road», compo bien ficelée, on ne se méfie pas, et soudain Dédé s’en vient croiser le solo avec l’ardeur d’un damné. Ils jouent tous les deux à l’extrême puissance du rockabilly beat et génèrent de la folie douce. Ils proposent un bon choix de reprises, à commencer par le «Mojo Boogie» de JB Lenoir embarqué au pur jus de rumble. Ça ne traîne pas. Dédé le sabre au pire slap de l’univers. C’est lui qui mène la danse dans ce bal du beat. Ils tentent aussi de taper dans Elvis avec «Mystery Train». Taper dans l’intapable ne réussit pas à tout le monde. C’est le solo qui sauve la mise du cut, ce mec joue des rivières de perles sur sa guitare. On voit aussi Dédé bombarder la paillasse du vieux «Long Blond Hair» de Johnny Powers. Il est le gardien du temple, le hot slappeur par excellence. Bel hommage à Carl Perkins avec «Gone Gone Gone». On voit une fois de plus le guitariste partir en solo flash et croiser la mitraille du hot Dédé on the slump. C’est très spectaculaire, le slap fait le show, comme au temps de James Kirkland. D’autres cuts comme «It’s All Over For Me» et «I Was Your Man» sont aussi slappés à la vie à la mort. Sans cette énergie du slap, ce genre de cut ne marcherait pas. Rien à faire.

    amy winhouse,howlin' jaws,hi-tombs,molossa ( 12 ),crashbirds,tony marlow

    Avec Ally & the Gators, on a autre chose, disons quelque chose de plus féminin, de moins damné de la terre. Elle tape dans un registre plus ouvert, mais elle dégage elle aussi quelque chose de très puissant, dans sa façon de taper ses cuts au guttural en secouant des maracas. Elle frémit, elle tressaute et shake son shook au big bad feeling pur. Elle passe en puissance, là où Gizzelle ne passait pas, sur la grande scène du Beetoon Rétro, oui, Ally passe comme une lettre à la poste, avec un set plus concentré, une énergie mieux canalisée et une envie d’en découdre qui laisse un brin coi.

    amy winhouse,howlin' jaws,hi-tombs,molossa ( 12 ),crashbirds,tony marlow

    Elle fujiyamate la mama d’All Of Me et pulse une version confondante du western de Reno, tu sais quand Johnny Cash jouait avec le feu de Folsom. Version déliée et inspirée par les trous de nez. Elle baby please don’t gotte à la revoyure et propose à Dédé de monter à bord du Train Kept a Rolling pour une partie de ride effrénée.

    amy winhouse,howlin' jaws,hi-tombs,molossa ( 12 ),crashbirds,tony marlow

    Alors c’est la foire à la stand-up, ils doublent tous les instruments et choo-choo, c’est parti pour un hommage à l’un des plus grands d’entre tous, Johnny Burnette. Pas de meilleur saint pour une foire aux auspices, pas de meilleur pain quotidien, pas de meilleur hommage à la Bête Humaine des deux Jean, le Renoir comme le Gabin, et cette machine qui fonce à travers les tunnels en sifflant mille fois sur la ligne du Havre - I hear the train a comin’/ It’s rolling round the bend - L’énergie du rockab reste aussi précieuse que l’air qu’on respire ou que le verre de rhum qu’on lève chaque jour en hommage à la mémoire du Capitaine Flint.

    amy winhouse,howlin' jaws,hi-tombs,molossa ( 12 ),crashbirds,tony marlow

    Signé : Cazengler, pas Gator mais Gâteux

    Hot Slap. Ally & The Gators. Le Trois Pièces. Rouen (76). 8 Décembre 2018

    Hot Slap. Lookin’ For The Good Thing. Rock Paradise Records 2018

     

    Webb master - Part One

    amy winhouse,howlin' jaws,hi-tombs,molossa ( 12 ),crashbirds,tony marlow

    Jimmy Webb fait partie des auteurs-compositeurs les plus célèbres de l’histoire du rock. Son hit le plus connu, «MacArthur Park», fut repris plus de 80 fois, c’est en tous les cas ce que nous raconte Bill Kopp dans Record Collector.

    amy winhouse,howlin' jaws,hi-tombs,molossa ( 12 ),crashbirds,tony marlow

    Mais avant d’être l’auteur à succès que l’on sait, Jimmy Webb fit partie de cette ‘out-of-control coterie’ de musiciens qui terrorisèrent la scène musicale de Los Angeles dans les années soixante-dix. Cette sulfureuse coterie rassemblait John Lennon, Harry Nilsson, Keith Moon et Alice Cooper. Jimmy Webb rappelle qu’ils prenaient à l’époque énormément de drogues. Un jour, Harry Nilsson versa le contenu d’une petite fiole de poudre sur le dos de sa main - it’s a new product ! - il sniffa tout ce qu’il put et fit sniffer le reste à Jimmy. Ils tombèrent tous les deux dans un coma qui dura 24 heures. Ils venaient de sniffer du PCP et ne le savaient pas - It really almost killed us both - Et il ajoute plus loin : it was that bad.

    amy winhouse,howlin' jaws,hi-tombs,molossa ( 12 ),crashbirds,tony marlow

    Jimmy Webb adore raconter des petites histoires drôles. Quand il composa «By The Time I Get To Phoenix» pour Glen Campbell, celui-ci dit à Jimmy qu’il avait besoin d’un follow-up and can you make it geographical ? Jimmy acquiesça et pondit «Wichita Lineman» qui est aussi un hit géographique. C’est d’ailleurs Glen Campbell qui fut sa première idole. Jimmy conduisait un tracteur en Oklahoma quand il entendit «Turn Around Look At Me» sur l’autoradio et il emprunta des sous à son père pour aller acheter le disque de Glen Campbell à Beaver. Chaque nuit, il se mettait à genoux pour prier Dieu : «Please Lord let me write a song for Glen Campbell !»

    Sa prière fut exaucée quatre ans plus tard, quand en roulant dans Hollywood, il entendit Campbell chanter Phoenix sur son autoradio.

    À ses débuts, il savait qu’il travaillait comme Burt, se limitant à composer. Il ne cherchait pas à interpréter. Puis, sous l’impulsion de David Geffen, il se mit à enregistrer ses propres chansons et à sortir des albums.

    En 1967, the Fifth Dimension enregistra 16 compos de Jimmy Webb réparties sur deux albums. Richard Harris enregistra lui aussi deux albums bourrés à craquer de compos de Jimmy Webb. Même chose pour Thelma Houston, avec Sunshower. Puis les Supremes, Glen Campbell, Art Garfunkel, Cass Elliot, Scott Walker et des tas d’autres gens se mirent à taper dans le répertoire du jeune prodige Jimmy Webb.

    amy winhouse,howlin' jaws,hi-tombs,molossa ( 12 ),crashbirds,tony marlow

    Dave Dimartino y va lui aussi de sa petite interview dans Mojo. Jimmy Webb rappelle qu’il vénérait les gens du Brill et qu’il eut du mal à prendre les Beatles au sérieux, jusqu’à ce que sortent deux bombes intitulées Revolver et Rubber Soul. Il reconnaît aussi devoir énormément à Motown et à Johnny Rivers qui fut son mentor. Lui et Johnny Rivers jouèrent à Monterey avec le Wrecking Crew, mais on ne les voit pas dans le film. Jimmy rappelle aussi que très peu de gens savaient jouer dans les sixties. Quand il parle de gens qui savaient jouer, il cite les noms de Glen Campbell, de Jim Messina et de David Crosby.

    amy winhouse,howlin' jaws,hi-tombs,molossa ( 12 ),crashbirds,tony marlow

    Son premier album s’appelle Jim Webb Sings Jim Webb et paraît en 1968 sous une pochette illustrée. En fait c’est un album illégitime. Comme Jimmy commençait à avoir du succès, le propriétaire du studio dans lequel il avait travaillé fit paraître un album de Jimmy Webb sans lui demander son autorisation. Un mec crayonna le portrait de Jimmy rebaptisé Jim, ce qui est insultant. Dans ses mémoires, Jimmy se dit furieux : «Mixed with the Rolling Stones soundalike knockoff tracks and my out-of-tune vocal song demos from 1965 and engineered by one of the B-string talents of the technical world, the results sounded like a collision between Royal Albert Hall and a tour bus full of Dreadheads.» (cet ensemble de pseudo-cuts à la Rolling Stones sur lesquels je chante faux et qui est enregistré par un bricoleur du dimanche sonne comme la collision du Royal Albert Hall et d’un bus plein de rastas) - I called Bob and told him it was in no way acceptable - Jimmy lui proposa d’enregistrer un album entier et de payer pour l’enregistrement s’il acceptait de retirer cet album qui risquait de lui ruiner sa carrière - He was immovable - Rien à faire. Ce Bob était convaincu que l’album was a work of genius. Difficile à avaler. L’album peine en effet à convaincre. Trop pop, sauf peut-être «I Keep It Hid», qui ouvre le bal. Jimmy y joue les grands vizirs de la vision - Baby what you’ve been doing - Ça préfigure tout le grand webbisme à venir. Il s’y trouve un phrasé qu’on retrouvera plus tard sans «MacArthur Park». Et de jolis coups de trompettes. On sent même un léger côté Burt. Avec «Life Is Hard», il propose une sorte de jazz ethnique de petit chapeau sicilien, assez proche du Georgie Fame Sound. Même chose pour «I Need You», joué au petit shuffle d’orgue. En B, Jimmy patauge dans la pop d’époque, ultra-commerciale, très américaine, à la fois soft et frénétique, et forcément ça se noie dans la masse des Grapefuit et autres Brummells du Midwest. Jimmy est bien meilleur dans le mélopif, comme on le constate à l’écoute de «Then». C’est son pré carré. Il y va franco de port, sans crainte ni remords, libre de ses mouvements. Il termine cet album désarmant avec une sorte de mambo intitulé «Run Run Run», qui sonne encore une fois comme du Georgie Fame. Encore un cut dont on ne gardera aucun souvenir. Jimmy clôt l’épisode en indiquant que cet album fut envoyé dans toutes les stations de radio américaines et qu’il fut mal reçu partout. Jamais aucun cut de ce disque n’est passé à la radio. Dans son cercle rapproché, il était interdit d’en parler. Jimmy avait honte. Il avait l’impression d’être un sixteen-year-old kid screaming and carrying on in a cheap imitation of Mick.

    amy winhouse,howlin' jaws,hi-tombs,molossa ( 12 ),crashbirds,tony marlow

    L’éclairage qu’apporte The Cake And The Run est déterminant. Ce recueil de mémoires couvre la première partie de sa vie jusqu’en 1973. Il entretient avec un père pasteur une relation très spéciale. Cet homme qui s’est battu trois ans dans le Pacifique contre les Japonais fait régner l’ordre dans la maisonnée. Quand il dérouille sa marmaille à coups de ceinture, Jimmy se met à le craindre et à le haïr, mais il ne sait pas s’il le hait plus qu’il ne le craint. Le père ne supporte pas de voir Jimmy composer des chansons. Il fait des efforts surhumains pour garder la tête froide quand il entend Jimmy «composer». Autre élément fondamental : tous les deux ans, le père change de paroisse. Les gosses perdent chaque fois leurs repères et surtout leurs copains. La famille part s’installer en Californie quand Jimmy est ado. Nouvel environnement et nouvelles opportunités. Jimmy s’est inscrit dans une fac de San Bernardino. Quand un beau jour le père décide de renter à la maison, c’est-à-dire en Oklahoma, Jimmy refuse de quitter la Californie. Cette page est sans doute la plus belle du livre. Son père lui donne rendez-vous devant le Sunset Palms Motel. Jimmy voit arriver le camion qui contient tout ce que possède la famille, le piano de sa mère, les fringues, ses frères et ses sœurs. Son père descend du camion :

    — Où sont tes affaires ? Je t’ai laissé de la place là-haut.

    Jimmy ne répondit pas tout de suite. Il regardait son père.

    — Dad, je ne pars pas avec vous.

    — Ne dis pas de conneries, fils. Bien sûr que tu viens avec moi.

    — Dad, je suis installé pour de vrai. Je veux écrire des chansons. C’est ici, en Californie, que les gens écrivent des chansons.

    — Cette histoire de chansons va te broyer le cœur, fils.

    Ils restèrent là un moment à se regarder, sans bouger.

    — Jimmy, ce que tu me demandes là, c’est la chose la plus dure de toute ma vie.

    Il fouilla dans sa poche et en sortit un vieux portefeuille usé. Il tendit à Jimmy deux billets de vingt.

    — C’est tout ce que j’ai, fils. J’aurais bien voulu faire mieux.

    Il tourna les talons et se dirigea vers le camion. Jimmy avait gagné. Son père le regarda encore une fois et mit le moteur en route.

    Ne vous inquiétez pas, Jimmy va revoir son père et même l’aider et lui faire découvrir la vraie vie lorsqu’il deviendra riche grâce à ses chansons. Cette scène de séparation est une authentique merveille littéraire. Eh oui, monsieur Webb est aussi un écrivain. Ce livre pullule de formules incroyablement poétiques. Il rencontre par exemple une Anglaise nommée Evie, mais elle n’est pas libre. Jimmy la veut. Don’t be silly lui répond-elle. Il insiste. Alors elle lui dit d’appeler le lendemain, Richard has my number. «La Mercedes fila dans un grand whooshing. Il ne restait d’elle que son parfum français dans l’air. Il n’y avait rien d’aussi délicieux sur cette terre que le son de sa voix. C’était comme le vent sur l’eau - It was like wind on the water.»

    Comme chez tous les mémorialistes dignes de ce nom, on trouve aussi une éblouissante galerie de portraits, à commencer par celui de David Geffen : «Il m’accueillit sur le perron. Il était assez maigre, avec des cheveux noirs bouclés. Son sourire hollywoodien était intentionné, et ce n’est pas lui manquer de respect que de dire ça. Il semblait parfaitement en adéquation avec son environnement. Il vous fixait d’un œil brillant, comme s’il savait exactement ce que vous alliez dire et qu’il mesurait votre intelligence. Comme il s’occupait des carrières de Joni Mitchell et de Laura Nyro, j’étais conquis d’avance.» Oui, il faut savoir que Laura Nyro fut huée à Monterey. On vit même voler des boîtes de bière, ce que ne montre pas le film. Il ne montre pas non plus Laura qui sort de scène en pleurs et David Geffen qui la prend dans ses bras : «Elle passa devant moi en pleurant, alors que j’étais dans les coulisses et se jeta dans les bras d’un homme. On m’indiqua qu’il s’agissait de David Geffen. Il allait ensuite l’aider à se reconstruire.»

    amy winhouse,howlin' jaws,hi-tombs,molossa ( 12 ),crashbirds,tony marlow

    Jimmy rencontre Lou Adler au moment où s’organise Monterey Pop : «Lou Adler se grattait la barbe pensivement. Sa technique méticuleuse d’overdubs d’harmonies vocales à quatre voix était le secret de sa réussite. Il avait passé tellement de temps à scruter des vu-mètres dans des studios qu’il affichait en permanence une mine chagrinée.» Jimmy rappelle que Johnny Rivers, le Wrecking Crew et lui sont allés jouer à Monterey Pop et que leur séquence a disparu au moment où Lou Adler et John Phillips ont fait le montage final : «S’il s’agissait de peace and love, alors on s’est bien fourré le doigt dans l’œil. On n’aurait jamais voulu fricoter avec des gens aussi intolérants.»

    amy winhouse,howlin' jaws,hi-tombs,molossa ( 12 ),crashbirds,tony marlow

    Jimmy revient longuement sur l’épisode Monterey Pop pour saluer Otis, the most nuclear-powered forty-five minutes in the history of rock’n’roll - «Le plus drôle, c’est qu’après tous les costumes, après que les Who aient fait sauter la scène, après que Janis se soit déchiré la voix, après Springfield, Canned Heat, Quicksilver et Steve Miller, celui dont tout le monde parlait n’était autre qu’un modeste chanteur originaire de Dawson en Georgie. Toute la foule dansait et battait des mains pendant le set d’Otis. Mais la fin du festival était réservée aux Mamas and the Papas. Juste avant leur triomphe annoncé, un guitariste relativement peu connu était programmé, avec son «Experience». Jimi incarnait soit le pire cauchemar, soit le plus beau rêve de la ménagère, ainsi couvert de plumes, de bracelets, de couleurs, de colliers, il se dressait seul comme un guerrier poétique devant une montagne de Mashalls et il joua comme un démon. Comment une seule personne pouvait générer un tel son ? J’en restai coi.»

    Par contre, Jimmy ne supporte pas le cra-cra du Fillmore West - This was a darker vibe - Et il ajoute - You could smell the sweat of addiction - Jimmy et Johnny Rivers se frayent un chemin dans la foule, poussant ici et là des gens qui ont perdu la tête - Occasionnaly pushing off somebody who was temporarily missing from their body - Il va voir chanter Janis et Big Brother - Sa voix était comme une lame de rasoir qui tranchait la fumée et l’ennui. The band was sloppier than hell and I don’t mean their state of dress.

    amy winhouse,howlin' jaws,hi-tombs,molossa ( 12 ),crashbirds,tony marlow

    Et puis bien sûr, les drogues. C’est Larry Coryell qui lui fait découvrir la coke : «Ça va changer ta vie !» Il ne croyait pas si bien dire. Johnny Rivers et Jimmy découvrent ensuite Sgt Peppers sous acide. Jimmy parle d’un album héroïque. Il partage sa passion des drogues avec Harry Nilsson qui devient son ami. Quand Harry sniffe, c’est des deux narines à la fois et il en fout partout, sur sa barbe, sur sa chemise. Il est comme disent les Anglais, larger than life. Il sniffe toujours sur le dos de sa main. Jimmy et lui passent leur temps à sniffer, à siffler du brandy et à fumer du hash. Puis ils entrent au studio où on les attend. Après un concert de Jimmy à Londres, Harry cherche un dealer pour organiser la party d’after-concert. Il veut some decent coke caus’ George is coming. Il parle bien sûr de George Harrison. Plus tard, à Hollywood, Harry lui amène John Lennon. Lennon a frappé une photographe et Harry demande à Jimmy de faire un faux témoignage pour tirer Lennon de cette sale affaire. Jimmy reverra Lennon à l’occasion d’un fabuleux épisode de débauche qui se déroule dans un appartement d’Hollywood : une Japonaise à poil est assise sur le bord d’une table, les jambes écartées et Lennon lui fait glisser un billet roulé dans la moule. Jimmy ajoute qu’elle adore ça. Cet épisode de la vie de Lennon s’appelle the Lost Weekend. Il venait de se séparer de Yoko Ono. Aussi entendait-il se schtroumpher à outrance. On n’a qu’une vie.

    Jimmy revient brièvement sur le projet Lennon/Nilsson/Spector pour dire qu’une nuit, Harry arriva chez lui mal en point et alla cracher du sang dans l’évier de sa cuisine - I was shocked - Il rappelle aussi que Phil Spector avait saisi David Geffen à la gorge et l’avait collé au mur avec un flingue chargé sur le front. Geffen avait commis l’erreur de vouloir empêcher Spector de superviser une session d’enregistrement de Joni Mitchell. Ce sont des choses qui ne se font pas.

    amy winhouse,howlin' jaws,hi-tombs,molossa ( 12 ),crashbirds,tony marlow

    Words And Music est un album difficile. On est tout de suite agacé par la petite pop étriquée de «Sleeping In The Daytime». On sent un manque de moyens. Jimmy chante comme un con. Il cherche des moyens de s’échapper. On le sent dévoré par l’ambition. Puis il rend hommage à son vieux pote PF Sloan avec «PF Sloan». C’est poppy et intronisé, étonnant et tellement présent - No no no don’t sing that song/ It belongs to PF Sloan - On trouve plus loin un joli «Careless Weed» amené à la chopinade. Jimmy force un peu sa voix. Dommage. C’est trop ambitieux. Il faut du contexte pour que ça prenne du sens. Et les choses vont se dégrader en B, avec «Songseller». Jimmy a du mal à se stabiliser, il fait tout et n’importe quoi. On entend les accords des Who. Et ça repart en shuffle avec «Dorothy Chandler Blues», on ne sait pas pourquoi. Son «Jerusalem» est insupportable d’inutilité. Il trafique aussi Gilbert Bécaud dans «Let It Be Me». On ressort de cet album épouvanté. On ne se souviendra que de «PF Sloan».

    amy winhouse,howlin' jaws,hi-tombs,molossa ( 12 ),crashbirds,tony marlow

    And So On sort un an plus tard, en 1971. Jimmy rappelle dans son livre que cet album fut couronné album of the year dans Stereo Review magazine. Sur les albums des grands compositeurs, le premier cut est souvent déterminant. «Met Her On A Plane» sonne comme une belle pop aérienne et là, okay, on entre dans le vrai monde de Jimmy Webb, la magie pop compositale. Ce sacré Jimmy plante son décors. C’est orchestré à outrance. Chez lui, rien n’est gratuit. Mais avec «All Night Show» et «All My Love’s Daughter», ça bascule dans la putasserie et le mal chanté. Et ça continue de se dégrader avec «Highpockets», cut prétentieux et tellement maladroit. C’est avec un certain désespoir qu’on se jette sur la B. Arrggh ! «Laspitch» se révèle inintéressant au possible. Voilà ce qu’il faut bien appeler de l’atroce pop d’inutilité publique. On tombe enfin sur «One Lady», un cut mélodique joué au riff pianistique, mal chanté mais honorable. C’est la force de Jimmy Webb : ramener sa fraise avec des mélodies imparables. Il semble que Larry Corryell joue sur ce cut. Encore une compo ambitieuse avec «See You Then». Il faut lui laisser une chance.

    De temps à autre, Jimmy Webb cite ses goûts, ce qui permet de mieux le situer. Il évoque par exemple les blancs qui peuvent chanter «soulfully» : the Righteous Brothers, les Walker Brothers, Joe Cocker, Tom Jones, Felix Caveliere et Janis Joplin. Jolie brochette. Autre hommage de poids : «Au début de l’année (1969) parut l’un des disques les plus importants de l’époque. Simon & Garfunkel venaient d’enregistrer ‘The Boxer’. Cette chanson allait beaucoup plus loin que le Spector Wall of Sound. C’était aussi puissant mais plus clair. Les paroles étaient plus allusives qu’explicites. Écouter cette chanson, c’était comme d’entrer dans un film et s’asseoir quelque part au milieu. Je veux faire des disques comme celui-là.»

    amy winhouse,howlin' jaws,hi-tombs,molossa ( 12 ),crashbirds,tony marlow

    On trouve l’un de ses grands hits sur Letters : «Galveston» - When I clean my gun/ I dream of Galveston - Jolie rime. Quand on écoute «Campo De Encino», on sent le pianiste chevronné. Jimmy nous tape là une belle pièce d’exotica, pas loin du tex-mex. En fait c’est un hommage à Harry Nilsson. Mais on passe à travers tout le reste de l’album. Avec «Smile» qu’il écrit à propos de Joni Mitchell, il s’enfonce dans un système à la James Taylor et on bâille tellement qu’on s’en décroche la mâchoire. Il se passerait presque quelque chose dans «Hurt Me Well» : le fleuve symphonique charrie des instants de grâce et d’élévation subordonnée. D’exquises vermicelles de violoncelles s’effilochent dans l’azur immaculé. En B, le seul truc écoutable est un balladif violonné à l’infini, «When Can Brown Begin». C’est vrai que l’orchestration reste le grand dada de Webb.

    amy winhouse,howlin' jaws,hi-tombs,molossa ( 12 ),crashbirds,tony marlow

    The Naked Ape paru en 1973 est la BO d’un film. Jimmy signe tout et ne chante que deux cuts : «Saturday Suit» et «Fingerpainting». Qu’en dire ? On reste dans l’excellence pop-arty longitudinale. Mélodiquement parlant, c’est en place et même plus qu’en place. Mais on s’ennuie comme un rat mort avec le reste de l’album.

    amy winhouse,howlin' jaws,hi-tombs,molossa ( 12 ),crashbirds,tony marlow

    Sur la pochette de Land’s End, Jimmy plane au dessus des montagnes neigeuses. Henry Diltz signe la photo - He was the master of the big picture, that perfect shot that captures the essence of the music inside the cover - Dans l’un des derniers paragraphes de The Cake And The Rain, Jimmy raconte que lors de cette session photo, il perdit le contrôle de l’avion. C’est un miracle que Diltz et lui ne soient pas morts après que l’avion ait percuté un sapin. Sur cette pochette fatidique, Jimmy porte une horrible casquette bouffante bleue et des lunettes. Mais on n’est pas là pour ça. Si on sort ce disque de l’étagère, c’est pour s’envoyer un petit shoot de Beautiful Songs, et on en trouve deux et pas des moindres sur cet album aérien, à commencer par «Just This One Time», une pure envolée, un chef-d’œuvre superbement atmosphérique. Jimmy sait créer les conditions de l’envol. C’est d’une puissance qui ravira les amateurs de chevaux fiscaux. L’autre perle impérative s’appelle «Land’s End/Asleep On The World». Voilà ce qu’il faut bien appeler un tour de force symphonique. En guise d’intro, Jimmy se pose sur le vent pour aller planer, il croise des contre-vents dignes de MacArthur Park. C’est tout simplement vertigineux de beauté. À l’instar de Burt, Jimmy pourrait bien être l’un des rois du Beautiful Song System. Ce cut est franchement exceptionnel de grandeur épique. Il faut aussi écouter «Lady Fits Her Blue Jeans», un cut si sensible qu’il paraît anglais. Jimmy adore faire trembler sa petite glotte. Sacré Jimmy ! On attend qu’il revienne faire un saut à MacArthur Park. C’est là qu’on l’aime. On the way to Phoenix aussi. «Crying In My Sleep» vaut pour une belle pop attachante, teintée de vieux relents de «Mandoline Wind». Qui y a pensé le premier ? Jimmy ou Rod The Mod ? Il semblerait que ce soit Rod. Encore de la petite pop exemplaire avec «It’s A Sin». On y note la présence d’une réelle puissance, le pathos y pèse une tonne. Jimmy ne lâche rien, surtout pas la rampe. Et quand on écoute «Alyce Blue Gown», on réalise que cette pop reste vivante de bout en bout, aussi animée, joyeuse et fourmillante qu’une rue commerçante un jour de printemps. Jimmy travaille sa viande avec la pugnacité d’un artiste classique de la Renaissance.

    amy winhouse,howlin' jaws,hi-tombs,molossa ( 12 ),crashbirds,tony marlow

    On retrouve le fantastique «PF Sloan» sur El Mirage paru en 1977 - I’ve been seeking PF Sloan/ But no one knows where he has gone - C’est très inspiré, en tous les cas, l’hommage palpite de magie pure - The last time I saw PF Sloan/ He was summer burned and winter blow/ He turned the corner all alone/ But he continued singing - L’autre gros cut de l’album s’appelle «The Highwayman». Jimmy raconte l’histoire d’un mec qui travaillait sur un barrage du Colorado, mais il a glissé dans le béton qui l’a englouti, mais il est still around - But I will remain/ And I’ll be back again - Jimmy retrouve la trace du highwayman dans le couplet suivant : il a été pendu en 25 - But I’m still alive - Oui, c’est l’histoire d’un esprit survivant. Fantastique ! Son «Mixed-up Guy» se veut poppy mais aussi très entraînant. C’est un brin diskö, mais à la Webb, limite good time music. On pourrait même parler de musique des jours heureux, hélas révolus. On a aussi un cut qui monte comme la marée de la Rance : «Moment In A Shadow» - I lived and died agian/ Then I saw you - Sacré pâté de pathos ! En B, Jimmy nous projette dans son errance platonique avec «When The Universes Are». Il va de bar en bar, to the next whisky bar. Et on retrouve un brin de puissance orchestrale dans «The Moon Is A Harsh Mistress».

    amy winhouse,howlin' jaws,hi-tombs,molossa ( 12 ),crashbirds,tony marlow

    Paru en 1982, Angel Heart se situe à un très haut niveau composital. Le hit de l’album s’appelle «In Cars». Il flotte dans l’air chaud de Californie - Restaurant mobile/ Two behind the wheel - C’est un hymne à l’automobile digne de ceux imaginés par Chuck Berry - Everything was warm/ What a perfect form/ Underneath the stars - Magie pure. Le morceau qui ouvre le bal de l’A sonne comme un hit pop parfait. S’ensuit un «God’s Gift» de dimension océanique, très pianoté et chanté au soupir angélique. Si Jimmy n’avait pas la tête d’un ange, on le soupçonnerait d’être un démon. Dans «One Of The Few», il rend un superbe hommage à une femme, honest, courageous and true - Et il en profite pour dire tout le mal qu’il pense des hommes - You know about man/ His own jailor/ Selfish and so unkind/ Trapped in his frightened mind/ Blind he heads the blind (tu connais les hommes, qui s’enferment dans leurs propres prisons, qui ne pensent qu’à leur gueule, qui sont des aveugles parmi les aveugles) - Dans «Work For A Dollar», il se souvient de ce que lui disait sa mère - You gotta work for a dollar/ To earn a dime, Jimmy - C’est sombre et basé sur l’expérience de la vie. Et donc captivant. L’«His World» qui ouvre le bal de la B rend hommage à un rocker, qui, on ne sait pas, c’est assez rock FM, mais on sent la patte de Jimmy Webb. Il faut aussi écouter le «Old Wing Mouth» de fin de B car Jimmy y balance des choses intéressantes, du style The devil will be leased upon the earth again/ Material possessions are the road to hell - Il y dénonce tout simplement le fléau des temps modernes, le matérialisme.

    amy winhouse,howlin' jaws,hi-tombs,molossa ( 12 ),crashbirds,tony marlow

    C’est Linda Ronstadt qui produit Suspending Disbelief. Jimmy considère cet album comme l’un de ses meilleurs. C’est là qu’on trouve l’excellent «Elvis And Me». Il y raconte sa rencontre avec Elvis dans un hôtel de Vegas. Elvis l’appelle par son nom, alors Jimmy Webb se sent devenu important. Lors du show, Elvis lui glisse un mot : «Come backstage». Quelle épopée ! Jimmy Webb en fait un chef-d’œuvre - Me & El/ It was just like this - L’autre hit du disk s’appelle «I Will Arise», un essai de gospel batch qu’il transforme en batch explosif. On l’entend jouer du piano dans la ferveur. Lui seul est capable de lever un tel levain. Quel envol ! On l’entend chanter «I Don’t Know How To Love You Anymore» au profond du menton comme Richard Harris, mais il ne dispose pas de la même ampleur. Mais on note que l’indéniable emprise de Jimmy Webb tiendra jusqu’à la fin des temps. Sur pas mal de cuts, on bâille aux corneilles et «Friends To Burn» nous fait douter de son intégrité. Mais comme il est okie, il ne renonce jamais. Il pianote sa voie à travers la pop. Regain d’espoir avec «Postcard From Paris», joliment articulé par des chœurs féminins. Il voit les amoureux marcher sur les Champs Elysées et il pense à sa poule qui n’est pas venue. Jimmy Webb est un incurable romantique. Ce cut est tellement gorgé de romantisme qu’il en deviendrait presque beau. Au fond lui, Jimmy Webb ne se console pas de l’absence de cette pute.

    amy winhouse,howlin' jaws,hi-tombs,molossa ( 12 ),crashbirds,tony marlow

    Sur Ten Easy Pieces paru en 1996, il pianote tous ses grands hits, à commencer par «Galveston». Il s’adore le nombril et il a raison. Il pianote aussi «Highway Man» à outrance. Il ne chante que par décret. Il se fend d’une belle intro pour «Wichita Lineman» - I am a lineman for the country - Il chante à l’octave de son Americana, alors c’est fatalement bon. Une guitare nylon le challenge et on bascule très vite dans la beauté pure. Sa version de Phoenix ne vaut pas celle d’Isaac, bien sûr, il opte pour l’attaque mélodique exceptionnelle de caus’ I left that girl too many times before. Quelle belle évanescence ! Il crie son truc et revient miraculeusement à la raison. Il amène «Didn’t We» aux notes de piano superbes et passe au rêve chaviré. Il semble se prélasser dans sa légende, il parvient parfois à chanter avec autant de gusto que Richard Harris. Ce cut est d’une indéniable perfection. Et il va bien sûr finir avec «MacArthur Park». Dès qu’il pianote l’intro, on sait qu’on y est. C’est l’une des aventures symphoniques les plus importantes du siècle passé. Jimmy Webb chante au mou du genou et monte son again oh no comme il peut. Il joue la carte de la sobriété. Il grimpe tout à la seule force du piano, il faut voir le travail. Ça melte in the dark et il s’en va exploser son again oh no. Même s’il réussit à en faire une stupéfiante interprétation, celle de Richard Harris reste nettement supérieure.

    amy winhouse,howlin' jaws,hi-tombs,molossa ( 12 ),crashbirds,tony marlow

    Paru en 2005, Twilight Of The Renegades est la Bande Originale d’un film. On y trouve un fantastique hommage à Paul Gauguin, «Paul Gauguin In The South Seas» - So he took the train down to Marseilles/ And went searching for PARADISE - Et comme chacun le sait, ça se termine aux desolate Marquisas. Ce bel hommage devient mythique, comme par défaut. Son «Class Clown» sonne comme du Randy Newman, avec d’infinis développements. Il raconte l’histoire extraordinairement vivace d’un homme qui finit homeless, forcément. S’ensuit un «Spanish Radio» pianoté et chanté sur place, extrêmement orchestré et chargé de pointes de vitesse inespérées. Jimmy Webb sait créer l’événement. Il sait déclencher les foudres de barbarie. Mais sur d’autres cuts, on s’emmerde comme un rat mort, comme le disait si joliment le Professeur Choron. Il finit avec un «Driftwood» puissant, poussé par des vagues orchestrales surchargées qui finissent par convaincre le con vaincu.

    amy winhouse,howlin' jaws,hi-tombs,molossa ( 12 ),crashbirds,tony marlow

    Jimmy Webb rameute les Webb Brothers pour enregistrer Cottonwood Farm en 2009. Il se niche sur ce brillant album un chef-d’œuvre imprescriptible intitulé «Mercury’s In Retrograde». Jimmy Webb ramène la pop à la dimension du spectacle. Il a compris l’importance primordiale de l’ampleur. Alors chez lui, ça explose au coin du bois - Went drinking on a sunday/ Get out of bed on wednesaday - Quel shoot de pop grandiose ! Une fois encore, il parvient à se hisser au dessus de tout. Il tape aussi dans son vieux «Highwayman», belle pop d’Americana, cette histoire de barrage de Boulder, Colorado, but I’m still around - On note l’excellence de la grande ampleur atmosphérique. D’autant plus adaptée qu’il s’agit d’une histoire de fantôme. Le morceau titre sonne comme un balladif à la dérive insidieuse qui semble s’étendre à l’infini. Douze minutes, c’est le temps qu’il faut à Jimmy Webb pour s’étendre à l’infini. Il passe à la pop de ricochet avec «Bad Things Happen To Good People». Ce gros brouet de banjos et de cuivres est d’une vivacité hors normes. Si vous cherchez la grande pop, elle est là. Jimmy Webb a pompé les trompettes chez les Beatles. C’est de la pop de cinémascope. Spectaculaire, voilà bien le mot. Il revient au vieux «If These Walls Could Speak», hit intimiste et imprenable, joué sur place, à coups de petites volutes enveloppantes. Jimmy Webb se vautre dans le confort familial. C’est atroce et grandiose à la fois.

    amy winhouse,howlin' jaws,hi-tombs,molossa ( 12 ),crashbirds,tony marlow

    Nouvel exercice de style avec Just Across The River paru en 2010 : c’est l’album des duos. Il reprend tous ses hits en duo avec des personnalités. Le plus spectaculaire est la version de «Galveston» avec Lucinda Williams. Pur jus d’Americana, elle ramène là-dedans toute sa féminité magique. C’est Billy Joel qui se tape «Wichita Lineman» d’une belle voix sensitive et Jackson Browne se tape «PF Sloan». Évidemment, Glen Campbell ramène sa fraise pour Phoenix et en comparaison d’Isaac, il fait un peu petite bite. Le hit du disk se trouve vers la fin : «Do What You Gotta Do». C’est un enchantement. Il fait ses relances à coups de You just do what you gotta do et il termine sur un acte de générosité : See me when you can.

    amy winhouse,howlin' jaws,hi-tombs,molossa ( 12 ),crashbirds,tony marlow

    On retrouve des duos sur Still Within The Sound Of My Voice paru en 2013, à commencer par le morceau titre qu’il chante avec Rumer. Assez paradisiaque car porté par un souffle orchestral. Ce duo sensible semble s’étendre à l’infini d’un éternel symphonique. Rumer chante merveilleusement bien. Quand on entre dans l’univers de Jimmy Webb, il faut s’armer d’adjectifs. Rumer se veut sourde et profonde. On entend David Crosby et Graham Nash dans «If These Walls Could Speak» et Joe Cocker dans «The Moon’s Harsh Mistress». Difficile de rivaliser avec le géant de Sheffield. Quel shooter ! Jimmy Webb tape «Elvis & Me» avec les Jordanaires, évidemment. Ils nous smoothent bien l’affaire. Ils font les vents d’Ouest derrière le petit Jimmy. Et soudain, ils lâchent des clameurs dignes des Beach Boys. On note d’étranges participations comme celles de Carly Simon, d’America et de Kris Kristofferson (sur «Honey Come Back», ce vieux Kris qui a survécu dans Gates Of Heaven, aw Lord, ces rats d’éleveurs n’ont pas réussi à avoir sa peau). Par contre, le soufflé de «MacArthur Park» retombe un peu, car l’invité de marque Brian Wilson n’y fait que des chœurs trop discrets. L’again oh no ne monte pas. Il ne veut pas monter. Rien à faire. Brian Wilson se contente de faire des petits oooh-oooh. Le pont orchestral de la version originale est joué à coups d’acou. Dommage que le pauvre Jimmy Webb ne puisse pas monter son again oh no là-haut sur la montagne.

    Signé : Cazengler, Jimmy wesch

    Jimmy Webb. Jim Webb Sings Jim Web. Epic 1968

    Jimmy Webb. Words And Music. Reprise Records 1970

    Jimmy Webb. And So On. Reprise Records 1971

    Jimmy Webb. Letters. Reprise Records 1972

    Jimmy Webb. The Naked Ape. Playboy Records 1973

    Jimmy Webb. Land’s End. Asylum Records 1974

    Jimmy Webb. El Mirage. Atlantic 1977

    Jimmy Webb. Angel Heart. Columbia 1982

    Jimmy Webb. Suspending Disbelief. Elektra 1993

    Jimmy Webb. Ten Easy Pieces. EMI 1996

    Jimmy Webb. Twilight Of The Renegades. Sanctuary Records 2005

    Jimmy Webb & the Webb Brothers. Cottonwood Farm. Proper Records 2009

    Jimmy Webb. Just Across The River. Victor 2010

    Jimmy Webb. Still Within The Sound Of My Voice. eOne 2013

    Bill Kopp. Do What You Gotta Do. Record Collector #468 - July 2017

    Dave Dimartino. The Mojo Interview. Mojo #287 - October 2017

    Jimmy Webb. The Cake And The Rain. St Martin Press 2017

     

    14 / 12 / 2018MONTREUIL

    LA COMEDIA

    CRASHBIRDS / TONY MARLOW

    ALICIA FIORUCCI

    amy winhouse,howlin' jaws,hi-tombs,molossa ( 12 ),crashbirds,tony marlow

    La Comedia renaît de ses cendres peu à peu, les premiers travaux ont commencé, l'insonorisation des sas se précise, et les concerts redémarrent, doucement mais sûrement, déjà deux gigues festives ( vendredi et samedi ) pour terminer cette semaine, ce soir du beau monde les cui-cui qui ont déserté leur nid pour nous donner aubade et Tony le matou marlou à la guitare qui miaule, une affiche de rêve. Que voudriez-vous de plus ? Arsenic dans le champagne, Alicia la panthère revenue exprès pour nous du pays des merveilles et des démons.

    CRASHBIRDS

    Ah ! Cette cloche de vache qui tape sans fin afin de rappeler au troupeau qu'il est temps de quitter les paisibles pâturages pour les abattoirs sanglants, c'est tout les Crashbirds !

    amy winhouse,howlin' jaws,hi-tombs,molossa ( 12 ),crashbirds,tony marlow

    Ce qu'il y a de terrible avec les Crashbirds c'est que vous ne pouvez pas vous en déprendre, vous emportent avec eux dès la première note, vous ne vous méfiez pas, ne sont que deux, semblent tout doux, tout tranquillous, occupés de leurs guitares, Pierre Lehoulier qui martèle consciencieusement le rythme du pied droit sur ses crashboxes artisanales, Delphine toute belle dans la pluie rousse de sa chevelure au micro. Vous leur donneriez le petit Jésus en personne, d'ailleurs ils commencent avec My Personnal Jesus, semblent vous donner raison, mais à la troisième mesure vous vous apercevez que ça ne sonne pas très catholique, vous vous êtes faits avoir, vous voici dans le deep south, à manipuler les crotales et à réciter les patenôtres de l'évangile du serpent. Ici l'on ne communie pas avec le sang vivifiant du christ mais avec le venin des reptiles. Se hâtent de vous confirmer cette impression cauchemardesque avec Rollin' To The South, trop tard, le vieux blues and roll cradingue vous emprisonne dans les mailles de son filet mortel.

    amy winhouse,howlin' jaws,hi-tombs,molossa ( 12 ),crashbirds,tony marlow

    L'on n'écoute pas les Crashbirds, on les suit, subjugués. Pierre est à l'entrée du labyrinthe infernal. L'est assis sur son tabouret comme la pythie de Delphes sur son trépied, les émanations délétères émanent de sa guitare, rien de plus simple que le couloir du blues, file tout droit dans des méandres marécageux peuplés d'alligators affamés, au bout de trois circonvolutions reptiliennes, vous ne savez plus où vous êtes, mais la rythmique cadencée des crashboxes vous pousse en avant. C'est sur ce balancement infini que se greffe la trame hypnotique de la guitare, Lehoulier ne sacrifie jamais le coq voodooïque d'un seul coup tranchant de coutelas, préfère lui arracher, un par un des lambeaux de carne, car tant qu'il y a de la vie, palpite encore et encore la communion de la souffrance, la mort n'est qu'un repos immérité. Les Crashbirds sont des vautours qui se nourrissent du cadavre des vivants zombiiques que nous sommes. Faut voir ces remontées de manche de Pierre, le pousse en avant, comme s'il voulait s'en défaire, l'arracher de sa chair, et la note finale se prolonge telle la hampe vibrante de la flèche plantée en cœur de cible. Et le public atteint en son être crie, trépide et trépigne de joie sous ce coup de poinçon infernal.

    amy winhouse,howlin' jaws,hi-tombs,molossa ( 12 ),crashbirds,tony marlow

    Mais ce n'est pas tout. C'est comme le poème de Parménide, les Crashbirds offrent deux chemins, l'un qui grimpe vers l'extase et l'autre qui descend dans le royaume des ombres. Delphine Viane, souriante et sereine, mais sa voix scalpe et tranche la lumière. Toute droite, vestale sacrée qui entretient les cendres des autels du blues. Un timbre implacable, d'une clarté absolue, qui s'abat en lame de guillotine sur vos dernières illusions. Enonciation des prophéties du désastre assuré. Aucune pitié, aucune rémission, aucune consolation. Crudité et nudité des sentences. Stupidity and Week End Lobotomy au programme. Sa guitare ajoute des éclairs d'airains incisifs et des éclats de bronze primitifs aux litanies tumultueuses du blues.

    amy winhouse,howlin' jaws,hi-tombs,molossa ( 12 ),crashbirds,tony marlow

    Vous reprendrez bien un peu de sucre du désespoir dans votre rage, insinue-t-elle par son seul sourire. Et les Crashbirds vous emmènent en procession dans un monde ou le bleu d'outremort se confond avec le noir serpentaire originel. La musique des Crashbirds sonne comme une liturgie païenne désespérée dans les culs-de-sacs de notre modernité. Un set de toute beauté, qui vous prend à la gorge, nœud d'angoisse et catharsis souveraine. Un groupe essentiel. Qui a tout compris. Diamant noir. Diamant blues. Ode sonique et péan funèbre aux Europeans Slaves. La lave ravageuse de l'énergie qui bouillonne sous la croûte noircie des illusions perdues. L'incandescence écarlate de la révolte en gestation. Applaudissements nourris d'un public conquis...

    ( Photo 1 : FB : Pierre Saint-Sauveur )

    TONY MARLOW

    amy winhouse,howlin' jaws,hi-tombs,molossa ( 12 ),crashbirds,tony marlow

    Avez-vous déjà entendu la plainte en contre-rut des matous énamourés en pleine nuit sous la pâleur insidieuse de la lune ? Cela vous remplit l'espace nocturne à des kilomètres à la ronde. Stridences faméliques et rugissements somptuaires se succèdent. Une symphonie catacombique qui agit comme un détergent sur votre âme. Ne sont que trois, mais ils vous alignent toutes les cartes biseautées du rock'n'roll en moins de deux. Tout de suite, Tony vous boulonne le guidon au plus haut, chopper à la runnin'death, et c'est parti pour un Rendez-vous d' amour et de haine à l'Ace Cafe. Un instrumental, rien de pire pour vous faire vrombir une guitare. D'autant plus que Fred et Amine n'ont aucune envie de voyager sur la selle arrière. Fred vous file trois coups de semonce à vous brûler les sangs. Z'avez l'impression qu'il cogne sur votre peau, vous ne vous y attendiez pas, trompe bien son monde avec ses yeux clairs et son auréole de cheveux blancs, l'allure d'un sage, une frappe de voyou, qui court au baston, une bate de base-ball dans chaque main. J'ai le regret de vous l'annoncer Amine ne vaut guère mieux, un enragé, l'a dû se tromper de soir, l'a cru que c'était son jour d'entraînement de boxe, je vous raconte pas ce qu'elle a pris la big mama, elle a tonné toute la soirée, en plus parfois il s'énervait grave, vous aviez presque envie de la lui retirer des mains, elle a barri comme un troupeau d'éléphants de mer. Vous dîtes que le Marlow, un demi-siècle à bastonner sur toutes les scènes d'Europe, il leur a conseillé d'y aller tout doux, mollo sur le chamarlow qu'il leur a crié, point du tout, un incendiaire, un jusqu'auboutiste, un sicaire du rock'n'roll, sa guitare a carillonné à toute blinde sans repos. Un son monstrueux, genre symphonie fantastique ou concerto tonitruant à elle toute seule. Une épaisseur sonique confondante, avec les deux autres mousquetaires qui vous filaient des coups de bélier à effondrer les murs les plus épais des citadelles les plus inaccessibles, je vous parle pas du ramdam et la folie collective qui s'est emparée de la foule.

    amy winhouse,howlin' jaws,hi-tombs,molossa ( 12 ),crashbirds,tony marlow

    En plus Tony, il a l'aisance et l'innocence diabolique du chat qui vient d'avaler tout cru le canari, les plumes dépassent encore de sa bouche, il s'en vient ronronner sur vos genoux. L'est tout juste sorti d'un riff monstrueux, qu'il se tourne vers vous et que d'un doigts fragile comme un pétale de coquelicot il vous isole une toute petite note toute mignonnette et gentillette, alors qu'il est en train de préparer une explosion nucléaire de son autre main, et les deux acolytes qui s'étaient arrêtés afin que vous puissiez vous extasier sur la corolle tremblotante de la première perce-neige du printemps vous font illico déferler une tempête d'équinoxe dans les oreilles.

    amy winhouse,howlin' jaws,hi-tombs,molossa ( 12 ),crashbirds,tony marlow

    Le grand jeu. Tony revisite son répertoire. Nous emmène bricoler dans le garage de la voisine, mais quoi qu'il en dise, l'est beaucoup plus vicieusement rock'n'roll que sainte n'y touche troubadour. Chante en français, velours du timbre et griffe acérée du cachet faisant foi de veau sanguinolent. Qui a dit que le rock'n'roll français se chantait en français ? Tony, nous en administre la preuve avec, in his original language, Jumpin' Jack Flash. Une version démente à la démonte-pneu, et l'Amine qui mine de rien vous fait oublier qu'il joue sur une contrebasse, vous imaginez la parade, s'est branché dans sa tête sur le balancement de guingois et primal de Charlie Watts, et tangue la galère, Fred qui cloque et disloque les œufs à la coque, ça cogne à bâbord. Mais le trio infernal nous ménagera en cours du set encore quelques surprises. Un Born to be Wild, empli de hargne et de fureur, et la big mama qui se met au heavy metal comme si elle avait été fabriquée spécialement pour ce genre de music. Le coup de grâce viendra de l'injun fender, le Purple Haze d'Hendrix, la guitare claire de Tony se gorge de sang noir et sauvage. Et à certaines découpes du morceau, z'avez l'impression d'entendre Cream jouer. Tout ça, avec un trio de base rockabilly, Tony et ses sbires nous esbrouffent.

    amy winhouse,howlin' jaws,hi-tombs,molossa ( 12 ),crashbirds,tony marlow

    ( Photo : FB : Hélène Desaegler )

    Mais cela ce n'est rien. Tony est en grande forme, il a la guitare qui flambe, nous strombolise d'une manière des plus éruptives un Stumble démoniaque et nous restituera sur le final, The Missing Link que les savants du monde entier recherchent au travers de toute la planète alors qu'il se trouve dans la guitare de Tony Marlow. La salle est en ébullition, mais Tony ouvre la cage aux fauves...

    ALICIA FIORUCCI

    amy winhouse,howlin' jaws,hi-tombs,molossa ( 12 ),crashbirds,tony marlow

    T-shirt noir, pantalon léopard, cheveux bruns mi-longs, corps gracile de gamine perverse, Alicia Fiorucci, est sur scène, telle le désir qui court en votre sang et mène le monde en sa perdition, même pas le temps, souffle coupé d'une telle présence, d'appréhender sa silhouette en votre regard qu'elle entonne Breathless. A la crazy jerry louve affamée, une version ardente et enfiévrée, mines obliques et poses osées, la flamboyance rock'n'roll dans toute sa splendeur, cette manière de s'arrêter deux doigts d'innocence de pétroleuse au bas du pubis, qui font signe, délicieusement fille, offrande et refus, les guys derrière qui brûlent la rythmique et la guitare de Tony qui ponctue le chaos. Pas de temps à perdre, Alicia vous envoie les uppercuts de Johnny Got a Boom-Boom, à fond la caisse pour Fred, au fond de la mine d'or des dérapages incontrôlées pour Amine, la guitare de Tony en apnée sauvage. Termine sur I Fought the Law repris en chœur par l'assistance en délire, le micro obséquieux s'égare dans l'entrecuisse et tous les rêves du rock'n'roll s'envolent comme nuées d'oiseaux prédateurs des cerveaux en ébullition des gals and boys sous pression qui tanguent vertigineusement. Trois versions à l'arrache-sexe, que du bonheur !

    amy winhouse,howlin' jaws,hi-tombs,molossa ( 12 ),crashbirds,tony marlow

    Elle reviendra pour le rappel, la diablesse en personne d'abord, une mignardise vicieuse comme vous n'en avez jamais imaginé, avec les trémolos de guitare de Tony qui s'enfoncent comme les épingles dans les seins de la servante aux premières lignes de l'Aphrodite de Pierre Louÿs, et puis sur I Need A Man, un fanatique enthousiasmé n'hésitera pas à se prosterner pour que la lanière de la ceinture de Maîtresse Alicia ne fouette pas l'air en vain et trouve consentement fulgurant. Alicia la délicieuse, Alicia la délictueuse, descend de scène en toute simplicité, heureux ceux qui ont aperçu l'éclair de satisfaction illuminer fugitivement ses yeux verts de panthère.Rock'n'roll Princess for ever !

    amy winhouse,howlin' jaws,hi-tombs,molossa ( 12 ),crashbirds,tony marlow

    DERNIERS K.O.

    amy winhouse,howlin' jaws,hi-tombs,molossa ( 12 ),crashbirds,tony marlow

    Mais ce n'est qu'un début, continuons le combat. Tony nous profile deux morceaux des Stray Cats, en ombre chinoise, sur les pentes glissantes des toits enneigés, puis en hommage à Johnny Thunders, l'inimitable, You Can't Put Your Arms Around A Memory, parce que les rockers n'oublient jamais, et l'on plonge tout droit dans une transe collective, Tony couché par terre, avec rappels en rallonge, deux Creedence, Delphine Viane menant la charge royale sur Proud Mary, une dernière attaque du train de Johnny Burnette, l'on pense qu'il n'y aura pas de survivant, mais Tony nous offre un premier cadeau de Noël, rien de moins que Le Cuir et le Baston, toute une partie de la jeunesse éternelle du rock'n'roll.

    amy winhouse,howlin' jaws,hi-tombs,molossa ( 12 ),crashbirds,tony marlow

    Pleuvent les mercis et les embrassades. Tony Marlow félicité et courtisé comme la Duchesse de Guermantes dans la Recherche du Rock'n'roll perdu, enfin retrouvé.

    Une soirée de rêve. Viva La Comedia !

    Salut spécial à Mimile Rock et David Costa.

    Damie Chad.

    ( Toutes les autres photos sauf indication contraire : FB  : David Costa )

    BLACK

    BUSTY

    ( Naïve / 2012 )

     

    J'aime Busty. Evidemment c'est un fantôme. Dans la vie courante, pas du tout intéressante, elle se nomme Laure Catherine, elle est romancière. Mais Busty c'est une autre dimension. Elles est journaliste à Rock & Folk, l'a beaucoup écrit sur Peter Doherty, personnage un peu trop pathétique à mon goût, et surtout Groupies paru chez Scali en 2007, du coup je la considère en notre pays comme la Simone Beauvoir du rock. A cette nuance près, qu'elle écrit mieux et qu'elle raconte des profils de femme moins nœud-nœud que la Simone Bavoir comme l'appelait Céline.

    Z5691BLACKBOOK.jpeg

    Belle couverture – concept graphique de Marianne Ratier - mais qui trahit quelque peu l'obscure noirceur du titre. Je ne vous apprendrai donc rien en vous disant que l'héroïne du bouquin s'appelle Amy Winehouse. Pas une biographie. Plutôt une intro-spectographie. Busty a sorti le grand jeu. S'est immiscée à l'intérieur du sujet. Le rock et le vaudou ont toujours fait bon ménage. Dans quelques temps, la science-no-fiction nous aura concocté un mini-appareil que l'on transportera au fond de notre poche et qui nous permettra de saisir les pensées des individus qui passeront dans notre champ de vision. Bonsoir l'intimité ! Busty a donc décidé de remplacer cette future invention, de se glisser dans la peau ( ici très tatouée ) d'Amy, de s'installer dans la chambre forte de son cerveau – un véritable cerviol – et d'en prendre les commandes. Est-ce Amy qui cauchemarde devant nous, ou Busty qui rêve qu'elle est Amy. Quoi qu'il en soit dans la série faisons Amy-Amy, vous ne trouverez pas mieux.

    Une sacrée gageure d'écrivain. Quatre cents pages, et vous ne vous ennuyez pas une seconde. Perso, je répugne à me pencher sur moi-même. Au début l'on se prend pour Victor Hugo à l'écoute de la bouche d'ombre. L'on est sûr que le gouffre est peuplé de monstres effroyables. La psychanalyse vous promet des monts et merveilles. Les gogos y laissent au minimum une centaine d'euros par semaines. Payent pour scruter au fond d'eux-mêmes la fripouille métaphysique qu'ils espèrent être. Vous désirez voir le léviathan et vous n'apercevez que trois ou quatre têtards qui barbotent dans un marigot en voie avancée d'assèchement. Vous voudriez être sûrs qu'au fond de vous-mêmes vous avez l'étoffe d'un serial-killer alors que vous n'avez même pas réussi à tuer votre père ni même à violer votre mère. Vous espériez du grandiose, une super production, du Lawrence d'Arabie à la puissance 1000, et vous n'avez droit qu'à un scénario insipide d'un couple qui se déchire dans un deux-pièces-cuisine.

    z5699gamine.jpg

    Quand on est déçu par soi-même, l'on cherche à se remonter le moral, certains – par exemple Amy Winehouse – sortent du lot, elle chante à merveille, elle exprime trop bien et trop justement notre insatisfaction, pour ne pas posséder une sensibilité extraordinaire et une personnalité hors du commun. Busty dégonfle la mandragore. Un gros problème, l'Amy, un truc qu'elle ne parviendra pas à surmonter. Très simple, très commun. Ordinaire. Pas de quoi en faire une montagne. Alors elle en creuse un grand trou pour s'y enterrer tout au fond. Le divorce de ses parents. A peine une craquelure, une fissure. Un effondrement pour Amy. L'enfant ne l'admettra jamais. Marquée au fer rouge. Ferait mieux de remballer au fond de sa poche et le mouchoir par-dessus. Bien enfoncé. Mais non la brisure est là, se transformera en faille. Et il faut vivre faille que faille !

    z5697peterdoherty.jpg

    ( Amy + Peter Doherty )

    Le psy de service vous parlera de souffrance, de douleur. Vous conseillera de faire votre deuil. Le leurre du deuil, il est de Bonnefoy, ne l'écoutez pas, il n'est pas poëte. Mais non, le pire pour Amy c'est que ça ne fait pas mal, pas tant que cela, qu'elle a survécu, ce n'est pas allo-maman-bobo mais hello-papa-je-m'emmerde. La vie a perdu son relief. Waterloo morne plaine. Morne peine. Heureusement qu'il y a des dérivatifs, l'adolescence, l'alcool, le sexe, la musique. Le plus excitant des ces quatre chevaliers de l'apocalypse c'est le premier. L'ado en a plein le dos, mais au moins, on découvre, on essaie, on teste, on tente. Les résultats ne sont pas souvent au-rendez-vous mais tant qu'il y a de l'espoir il y a de la vie. Le plus terrible c'est que ça passe. En règle générale on rentre dans la grisaille de la vie.

    z5692blacktoblack.jpg

    Gros problème pour Amy. C'est la vie en rose qui s'offre à elle. Elle enregistre un disque, l'est parvenue à faire ce qui lui plaît, ce pour quoi elle se sentait la mieux douée, l'en est toute fière, mais le banco sera la deuxième galette. Un raz-d-marée. Qui ravit tout le monde. Le populo et le peuple du rock. Peut enfin vivre comme elle l'aime, des chignons plus haut que la tour Eiffel, des tatouages plus voyants qu'une exposition de Picasso. Un véritable conte de fées. Et en plus, l'incroyable arrive. Le prince charmant en personne. Au moyen-âge on l'aurait identifié tout de suite comme le félon, le prince noir, facile son nom est un véritable panneau publicitaire : Blake.

    z5698blake.jpg

    Blake, le grand amour, celui qui lui fait le mieux l'amour. Avec lui, Amy se sent bien. L'ennui s'est enfui et avec lui ce qui succède à l'ennui : l'angoisse. Pas tout à fait. Mais pour le moment Amy n'y fait pas gaffe. L'est tout beau, le tout nouveau. L'aime rire, s'amuser et les excitants. Un merveilleux programme. Un menu uniquement composé de desserts. Et de désert, parce que c'est comme dans la chanson de Téléphone, il s'en va avec la belle au bois dormant. Une blondinette toute mignonnette. L'Amy l'est une brunette un peu maigriotte et les goûts et les couleurs ne se discutent pas.

    z5693amycouchée.jpg

    L'as de cœur s'est fait la belle et Amy réagit mal. L'est devenue addict : alcool, crack, héro... de la camelote. Ce n'est pas le plus grave. Amy est avant tout addict de Blake. L'a dans la peau, ne peut pas se le sortir de la tête. Est incapable d'extirper la bête. Un alien au sourire enjôleur. N'est pas naïve non plus. Connaît tous ses défauts. L'est un menteur, ne suit que ses envies. Quand il ira en prison, elle jouera le rôle de veuve éplorée, quand ils se marieront elle saura que l'embellie sera passagère, quand il reviendra elle ne sera pas dupe de son prochain départ, il la trompe, pour lui la vie est ainsi, il l'aime bien mais point trop n'en faut. S'expulsera tout seul de sa vie mais jamais de ses pensées. A part que l'on vit ce que l'on pense...

    z5694robenoire.jpg

    S'il n'y avait que Blake ! Les autres pullulent, sa maison de disque qui couve sa poulette aux œufs d'or qui manifeste une sacrée tendance à refuser le poulailler, son père qui la surveille de près, qui s'inquiète de son état dépressif et addictif qui va croissant, les fans et les inconnus qui lui demandent des autographes dès qu'elle a le nez dehors, les paparazzis qui montent la garde devant sa porte... La gloire et l'argent apportent aussi quelques désagréments, le sentiment de perdre sa liberté, d'être prise dans un faisceau d'obligations de plus en plus contraignantes, et contradictoirement la facilité de faire ce que l'on veut, de se procurer sans danger tout produit illicite, et surtout de semer le scandale à chaque apparition publique, on lui pardonne tout parce qu'elle est Amy, on lui reproche tout parce qu'elle est Amy, allez vous dépatouiller avec ces nœuds coulants.

    z5695bellephoto.jpg

    Le coup de grâce viendra de Blake, fera un enfant avec une autre. Elle qui avait tant rêvé de la petite maison, du petit mari et de l'élevage de gamins, une midinette au fond du cœur, pour un peu on pleurerait, mais non, c'est cette vie de cloportes qu'elle a fuie, pas assez excitante. Ennuyeuse, angoissante. Et le cycle de l'impossibilité tourne en boucles. Et vous suivez Busty comme le chien court après son os. En plus vous connaissez la fin, tant pis vous irez jusqu'au bout de l'enfer. A part que les fournaises du diable ne vous réchauffent guère, Amy tourne en rond, et Busty vous mène rondement l'affaire. Les vingt-sept années de déréliction d'Amy sont beaucoup plus jouissives que les vingt-quatre heures de l'Ulysse de Joyce – le projet d'écriture en est très voisin – l'autoroute se termine en cul-de-sac, le voyage au bout de la nuit finit en rase campagne dans le grand nulle part. Même pas mal. La petite fille s'endort au fond de son lit. Au fond d'elle-même. C'est toujours là qu'on est le mieux.

    Damie Chad.

     

    BURNING HOUSE : HOWLIN' JAWS

    CLIP / LEO SCHREPEL

    z5700howlin.jpg

    Encore une fois l'on mord à l'hameçon des Howlin Jaws. Viennent de sortir un nouveau clip sur le deuxième morceau de leur Ep : Burning House. Ne faites pas les blasés, un clip de plus ou de moins dans la flopée myriadique qui sort chaque jour, pas de quoi révolutionner le monde. Sûr, mais les Howlin' ils les peaufinent leurs clips, nous en avons déjà kroniqués quelques uns, mais là ils ont passé la main à Leo Schreppel. Un pro. C'est simple : z'ont tapé dans l'esthétique. Le truc où vous n'avez droit qu'à la réussite. Toutefois rappelons avant que vous ne vous précipitiez dessus que Burning House malgré son titre qui vous promet la maison dévorée de flammes aussi hautes que la tour Eiffel, c'est plutôt le feu qui couve sous la braise, le snake sans fin qui rampe en prenant son temps.

    Voilà j'ai tout dit. A vous de voir. En fait il n'y a rien à voir. Schrepel ne se vous tombe dessus comme un schrapnel, vous vous attendez à un clip-catastrophe, style NYC in flames, et à part une cigarette allumée, pas de quoi déranger les pompiers. Ne joue pas au pyromane le Schrepel, n'utilise pas les grands moyens. Même les Howlin adorés, c'est à peine si leurs fantômes d'images vous sautent aux yeux, à peine entrevus, hop ils sont déjà partis. Manipulations d'icônes ou engrammes spermicieux, je vous laisse choisir. J'ai oublié de préciser, l'a blacklisté la couleur notre réalisateur. Oui c'est du noir et blanc. Peu porteur, peu commercial, pour les paillettes vous repasserez. Oui, mais c'est beau et mystérieux comme du F. J. Ossang. L'on fait confiance aux regardeurs pour comprendre le scénario. Essayez d'être attentifs aux signes. A vous de construire l'histoire. Pour qu'elle ne soit pas trop moche, évitez qu'elle ne vous ressemble. Ça c'était pour le noir. Pour le blanc. Suivez la femme-fantôme, en l'occurrence Marie Colomb, avec elle vous découvrez l'Amérique, toute blanche, toute blonde, mystérieuse et pulpeuse comme une fille-phantasme, peut-être vous accordera-t-elle un sourire dans la dentelle du lit qui s'abolit dans le poème de Mallarmé. De toutes les manières vous avez mieux à faire qu'à vous livrer à vos turpitudes masturbatoires. Regarder le clip une nouvelle fois par exemple. Faites gaffe le rock'n'roll rampe sur le plancher. Le serpent jawique du rock peut encore tuer. Morsure mortelle.

    Damie Chad.

     

    TREAT ME RIGHT / HI-TOMBS

    ( Hi-Tombs2014 )

    Junior Marvel : lead vocal + rhythm guitar / Mike v Lierop : lead vocal + double bass / Fredo Minic : lead vocal + backing vocal / Henk v Lieshout : drums + backing vocal

    Pochette minimaliste. Noir et blanc. Quatre hommes. Quatre musiciens, dans une pièce, devant le van pourrave, quatre silhouettes qui se profilent dans le haut d'un escalier. Sans concession, le rock dans sa force brute.

    z5601cdhitombs.jpg

    Lovin' man : Une voix rêche et un batterie qui bat le rappel, un solo de guitare qui éparpille les jonquilles, Marvin qui vous sourit du gosier, la guitare qui remet cela et la voix de Marvin qui cligne de l'oeil. Attention demoiselle. Pesée et emballée. Cela suffit. Rock rock : il y avait un soupçon d'ironique tendresse dans le titre précédent, mais maintenant c'est beaucoup plus méchant. Date on the corner : ce petit parfum de country, le gars s'approche de la fille, descend tout droit de la campagne, il sent un peu la vache, mais aussi beaucoup le sauvage. L'affaire est conclue en moins de trois minutes. Blue fire : les feux les plus dévastateurs sont souvent les plus sympathiques quand ils commencent, de jolies petites flammes bleues toutes tendres comme l'amour, nos rockers font les cacous, ne cédez pas à leur indolence, ils sont irrémédiablement des charmeurs dangereux. Gonna love you : une poussée de fièvre est signe de bonne santé. Vous troussent le jupon joliment, vous avez de ces émissions spermatiques de guitares des mieux envoyées, et derrière la basse bat la mesure comme la queue du chat qui s'apprête à bondir sur la souris. Prend son temps. C'est encore meilleur. Treat me right : un petit classique, c'est comme une fournée de jack derrière la glotte pour nettoyer les amygdales, les Hi-Tombs vous le font en compressé, ne vous laissent pas respirer une seconde. Vous barrent le chemin et vous forcent à les suivre. Fin brutale. Rock with me baby : un vieux bop des familles qui vous ramone la cheminée à la manière d'un hérisson géant. Beau travail syncopique de caisse claire et saupoudrage mortel de dégelées de guitare. Shake it up and move : un peu plus d'électricité n'a jamais tué personne, l'on resserre les écrous et la visseuse vous solidifie les os du crâne, y a quand même ce tambour qui tape sur votre tête et la voix qui vous démantibule les mandibules à vouloir l'imiter. Rock pretty mama : toujours aussi vite, mais encore plus dur, la pretty mama est maneuvrée à la barre à mine, ne s'en plaint pas si l'on en croit l'emballement jouissif des guys. Love crazy baby : rien à dire, l'amour les rend madurle, ils en rajoutent, un balancement des mieux venus, grande houle et force 10. As my heart is to you : petit tapotement joyeux au début mais la voix en urgence absolue comme si elle voulait bouffer le micro et la guitare qui vous hache le parmentier ne vous laisse jamais de doute. Du Buddy Holly survitaminé. You don't love me : mauvaise nouvelle, pas grave un des meilleurs morceaux du scud, pas de quoi se jeter par la fenêtre ou alors pour le plaisir de faire des loopings et aller se poser sur le toit du monde, manière de titiller l'ironie des situations les mieux venues. Green back dollar : qui résisterait à cette belle couleur verte. Derrière ils font des choeurs comme dans les années soixante mais bientôt vous avez l'impression que la guitare est en train de commettre un hod-up dans la banque d'à-côté. Ça a l'air de les émoustiller. Une véritable appropriation collective. Flat black cadillac : maintenant qu'ils se sont procurés le fric, ils ont la cadillac. Z'auraient pu tout de même apprendre à conduire, car ils roulent sur tout ce qui passe à leur portée. Un cruisin' dévastateur. Le summum du disque. Les oeufs cassés de l'omelette atomique. Crazy baby : suffit d'une fille pour mettre le feu aux poudres. Plus elles allument, plus le bâton de dynamite entre en turgescence. Une véritable profession de foi. Comme vous aimez vous le faire confirmer, vous remettez le disque au début.

    z5602hi-tombs.jpg

    Un rock sec et dur sans concession. Esprits mièvres s'abstenir. Une merveille. Supplément d'âme en fin de parcours, ils vous remettent un petit Treat Me Right, le même, mais en plus sauvage.

    Damie Chad.

    ROCKAMBOLESQUES

    FEUILLETON HEBDOMADAIRE

    ( … le lecteur y découvrira les héros des précédentes Chroniques Vulveuses

    prêts à tout afin d'assurer la survie du rock'n'roll

    en butte à de sombres menaces... )

    z4768molossa.jpg

    EPISODE 12 : THE END

    ( finalo majestuoso )

     

    Le président sortit une feuille de papier de sa poche et s'éclaircit la voix :

      • Hum, hum, voici la lettre que les parents des deux petites filles retenues en otage par les terrockristes nous demandent de lire : '' Aujourd'hui la France vit des heures terribles. Un groupe de terrockristes qui refusent de se rendre nous obligent à faire don à notre pays de nos deux petites filles, c'est l'âme déchirée que nous demandons à notre cher Président bien-aimé de faire feu sur ce nid de frelons et de félons. Nos deux petites filles sont perdues, leurs bourreaux les font boire et fumer, d'ici quelques heures nous n'osons pas penser à quoi ces brigands voudront les initier, nous les préférons mortes que vives et impures. Nous sommes sûrs que Dieu exige de nous cet ultime sacrifice. Lorsque celui-ci sera consumé, nous saurons que nos enfants chéris auront rejoint leur grande sœur, elle aussi assassinée en d'atroces circonstances, auprès de la Sainte Vierge. Pour nous, nous faisons vœu de nous retirer jusqu'au jour où notre bienfaiteur nous aura définitivement tous réunis, tout là-haut en la Sainte Demeure du Paradis, dans un monastère et de finir notre vie dans la prière et le silence. Au revoir et à bientôt mes chéries.''

    A peine eut-il fini la lecture que la mine grave du Président s'éclaira d'un sourire jovial.

      • Voilà, c'est fini, encore quelques secondes et toute l'affaire sera terminée. Je compte jusqu'à trois et feu à volonté. Un... Deux... Deux et demi... Deux trois-quarts... tant pis pour eux, c'est bien fait pour vous... trois !

    Rien, pas seul militaire ne pressa sur une quelconque gâchette. Manifestement la troupe refusait d'occire les têtes blondes. Le Président piqua une grosse colère. Une vraie, une ire de névropathe.

      • C'est bon puisque vous ne voulez pas, j'y vais tout seul.

    Une demi-douzaine de gendarmes lui emboîta le pas, fusil-mitrailleur au poing. Mais dès qu'il fut à trois mètres' il se retourna et leur intima l'ordre de l'attendre jusqu'à ce qu'il revienne.

     

    UNE VISITE ABRACADABRANTE

    Nous l'attendions tous sereinement. Tout au fond dans l'arrière-cuisine les quatre Eric entreprenaient la confection de pizzas sous les avis rébarbatifs de Cruchette qui entendaient que les hommes mettent désormais la main à la pâte. Marie-Ange et Marie-Sophie assises à une table dessinaient avec application Molossa qui faisait la belle enchantée de leur servir de modèle. Alfred dictait à sa secrétaire qui le tapait frénétiquement sur son portable le contenu de son prochain article. Pour ma part je continuais la rédaction de mes Mémoires pendant que par-dessus mon épaule Claudine vérifiait mes fautes d'orthographe. Darky s'était paisiblement allongée sur le comptoir derrière lequel Popol, les deux mains sur les hanches, le sourire carnassier du petit commerçant sur les lèvres semblait attendre le client. Le Chef tirait sur son Coronado...

      • Agent Chad, ouvrez la porte s'il vous plaît, un visiteur de marque nous arrive !

      • Ah ! Ah ! Je vois que l'on commence à me marquer du respect l'on m'ouvre le portillon lorsque je veux rentrer ! Trop tard, vous allez tous mourir. Ma garde personnelle de gendarmes m'a promis de m'être fidèles jusqu'à la mort même si j'appuyais sur la bombe atomique. Ils n'espèrent que mon ordre pour tirer. Toutefois, avant de leur donner ce plaisir je tiens à boire un verre de ce fameux Moonshine Polonais, dont tous mes collaborateurs me vantent le mérite. En tant que président je ne pouvais décemment tremper mes lèvres dans un alcool de contrebande, mais comme personne ne le saura, tavernier, versez-moi un verre de Moonshine et plus vite que cela.

      • Hélas, Monsieur le Président ces bois-sans-soif ont tout éclusé. Toutefois en cherchant bien, il me semble qu'il devrait en rester une bouteille dans la cave. La trappe sur votre gauche, Monsieur le Président ! Je vais vous la chercher !

      • Mais non, mais non, un peu d'exercice ne me fera pas de mal, j'y vais... Je suis sûr que vous tentez de m'embobiner, vous allez revenir avec du pipi de chat, je m'en charge !

    Le Président releva la trappe, appuya sur le commutateur et entreprit de descendre les escaliers... l'on entendit ses pas décroître, une espèce de frôlement et puis plus rien... Le Président avait-il succombé à la tentation, ou dévoré par une soif ardente têtait-il goulument au goulot son litre de Moonshine... Sans doute avait-il un peu exagéré et avait-il l'alcool triste car des pleurs se firent entendre...

      • Beuh ! Beuh ! Beuh !

      • Quelle femmelette ! grogna Cruchette

      • Mais non c'est Nestor, Cruchette passe-moi le Nabuchonodosor, dans le placard de droite.

    Nous étions tellement tenaillés par la curiosité que Cruchette en oublia de lui faire remarquer que si la femme est l'avenir de l'homme elle n'en est pas pour autant l'esclave. Popol nous conseilla de ne pas descendre avec lui, il s'assit tout en bas sur la deuxième marche et tout doucement comme l'on parle à un bébé de huit mois :

      • Totor, mon petit Totor, viens ici, je sais que tu as soif... une monstrueuse gueule noirâtre se posa sur les genoux de Popol, oh ! Le gros vilain, il a soif, il lui faut son biberon de Moonshine après son repas... durant cinq minutes l'on entendit le glouglou du nabuchonodosor qui se vidait... c'est Totor, l'alligator du cirque ZAVATIPAS, me l'ont refilé tout petit, d'abord je l'ai mis dans ma baignoire, puis à la cave c'est qu'il mesure sept mètres de long maintenant, il m'adore, et l'endroit lui plaît, ça y est c'est fini, laissons-le tranquille, il a sommeil.

    Au bout de deux heures un gendarme vint frapper à la porte.

      • On ne voudrait pas déranger Monsieur le Président, mais ça fait cent quarante-sept minutes qu'il est avec vous ! Monsieur le Président ?

      • Vous savez dit Popol, il est sorti par derrière. Il y a une porte secrète qui donne dans une rue parallèle. Mais je vous en prie visitez la maison, regardez partout, n'oubliez pas la cave, je vous éclaire...

    Les six pandores fouillèrent partout. Ils ne trouvèrent rien. Devant le café l'on commençait à trouver le temps long. Bientôt un escadron de gendarmerie inspecta la maison centimètre par centimètre. Ils allèrent jusqu'à retourner les pizzas... En vain. Les conseillers du Président couraient partout, dans le tumulte le Chef savourait un sourire énigmatique et ses Coronados... Sa sphinxitude finit par agacer les conseillers. Mais le Chef ne voulut révéler qu'aux caméras du Journal Télévisé ce qu'il savait :

    - Notre Président bien-aimé est bien rentré chez Popol. Nous avons longuement discuté avec lui. Nous lui avons démontré que ses Services Secrets suivaient une fausse piste. Nos arguments furent si probatifs qu'il en conçut un grand dépit. Il a compris notre innocence, mais malade de honte de s'être laissé berner par des conseillers incapables, il nous a déclaré qu'il ne se sentait plus digne de gouverner notre pays. Pensez qu'il a été jusqu'à tuer une jeune artiste de grand talent pour récupérer une K7 qu'il avait prévu de faire écouter au grand public au JT afin que le pays se rende compte de l'inanité décadente des paroles. Il a reconnu que son geste était odieux. Que d'autres plus capables que moi prennent la relève, ce fut son dernier message, il m'a serré la main une dernière fois, s'est excusé de tous les divers déboires dont le Service Secret du Rock'n'roll avait eu par sa faute à pâtir et est sorti par la porte secrète de la rue de derrière, celle si bien camouflée en mur de ciment dont aucun voisin ne s'est jamais rendu compte de l'existence. Voilà, nous sommes face à une crise institutionnelle d'un genre nouveau qui mérite calme et méditation. Mes chers concitoyens prenez soin de vous, évitez le cancer, fumez des Coronados.

     

    DERNIERES NOUVELLES

    Les Swarts sont repartis, ils ont emmené Cruchette avec eux. Aux dernières nouvelles après avoir tenté de percer dans le punk hardcore, elle s'est reconvertie dans la restauration. Elle tient la plus grande pizzeria d'Oslo, une nouvelle formule, des pizzas de deux mètres de diamètres sont servies sur de grandes tables autour desquelles la clientèle s'assoit et papote gaiement. Le plus grand site de rencontres norvégien. Une unique boisson : le Moonshine Polonais, livrée directement par la Sarl ( Société à Responsabilité - très - Limitée ) Popol and Cie, qui exporte du Moonshine dans le monde entier et qui vient de rentrer au CAC 40. Les parents de Maie-Ange et de Marie-Sophie ont récupéré leurs filles à la condition expresse que Molossa soit invitée tous les dimanches. Faut reconnaître qu'ils ont fait des efforts, se sont mis à la page, le père fume des Coronados et la mère a remplacé les calmants par le Moonshine depuis elle voit la vie en rose bonbon et pourrit les gamines qui n'ont jamais été aussi heureuses. Claudine est retournée à ses études de médecine, elle ne veut plus de moi, elle dit que le soir je passe davantage de temps à rédiger mes Mémoires qu'à m'occuper d'elle. Bon prince, avant de la laisser tomber je lui ai expliqué pourquoi la douane et la gendarmerie n'avaient jamais attrapé Nestor.

      • Très simple, ma Claudinette, sous l'escalier tu trouveras un trou étroit qui n'a l'air de rien. C'est le passage de Nestor, s'y sent bien, il chasse les rats, tu sais sous la bonne ville de Provins, il existe des centaines de caves qui communiquent entre elles, de temps en temps par des soupiraux tu peux avoir accès à la Voulzie qui traverse la ville, plus des nappes phréatiques souterraines, la ville est bâtie sur des piliers de bois enfoncé dans un marécage. Un paradis pour un alligator, à côté les bayous de la Nouvelle Orleans c'est de la gnognote, un réseau inextricable de galeries, pour la petite histoire, la dernière trace du trésor des Templiers a été localisée sur Provins, depuis mystère, si tu veux chercher, l'on a recensé des ouvertures de certains boyaux plus ou moins effondrés à quarante kilomètres de la Cité....

    Alfred est devenu rédacteur en chef. Le plus marrant c'est l'article qu'il avait rédigé lors de la mystérieuse disparition du Président. Sur les ronds-points et dans les grandes villes des millions de manifestants ont défilé en scandant : Lechef président ! Lechef président !

    Quand je pense que j'ai failli devenir premier ministre et Molossa présidente de la SPA, mais le Chef est un sage, il a refusé quand il a appris que l'on ne pouvait pas fumer à l'Elysée. L'a toutefois été obligé de donner une nouvelle allocution officielle, dont je vous retranscris le début :

    Chers Coronadoriens, Chères Coronadoriennes,

    Je n'ignore pas que de partout des voix s'élèvent et m'engagent à prendre les rênes du pays. Je vous remercie, mais je ne suis qu'un soldat du Rock'n'roll. Tout ce que je peux vous promettre, c'est que vous pouvez dormir sur vos deux oreilles, car à la tête du Service Secret du rock'n'roll, je veille. Tant que je serai vivant...

     

    La déception populaire fut immense, il y eut des suicides collectifs, mais Le Chef tint bon, et bientôt tout se calma. Tiens je m'aperçois que pour une fois je ne parle pas de moi. Que suis-je devenu ? Je suis toujours l'agent Chad irremplaçable. Car si le Chef pense, moi j'agis telle la foudre. Il est vrai qu'après tout ces temps troublés la situation est devenue léthargique. Molossa dort sur mes pieds, je profite de ce calme – qui précède la tempête – pour recopier le premier chapitre de mes Mémoires. Je ne peux résister à vous en dévoiler la première page :

    PREAMBULE O

    ( Scherzo Moderato )

    CHEZ POPOL

    Six heures du matin. Molossa trottine à mes côtés. Lecteurs ne soyez pas étonnés de cette heure matinale, les rockers ne dorment jamais. Je me dirige vers chez Popol, le seul café digne de ce nom sur Provins. Pensez que le verre de Jack est à deux euros et que Popol ne mégote pas sur la quantité, vous en verse des godets de 33 cl sans ciller. Vous connaissez mon désintéressement légendaire, je ne saurais m'attarder à de matérielles considérations si bassement économiques. D'ailleurs chez Popol, pour moi, tout est gratuit, ce serait insulter Popol que j'osasse lui tendre un centime.

    ( … )

    Damie Chad.