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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 102

  • CHRONIQUES DE POURPRE 243 : KR'TNT ! 363 : CHUCK PROPHET / PATTY VAREN / SISTER MOON /KIRIN DOSHA / JAY JAXSON / BLACK PEARL / / FOUR ACES / JOHNNY HALLYDAY

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 363

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    01 / 03 / 2018

    CHUCK PROPHET / PATTY VAREN

    SISTER MOON / KIRIN DOSHA / JAY JAXSON

    BLACK PEARL / FOUR ACES / JOHNNY HALLYDAY

     Prophet en son pays - Part Two

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    Green On Red s’arrêta en 1987. Chuck Prophet allait ensuite entamer une carrière solo absolument passionnante, pour le seul bonheur de nos chères petites oreilles.

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    Baptême de l’air en 1990 avec Brother Aldo. Chuck Prophet s’impose aussitôt, comme le ferait une star. Il en a le physique et le talent. Il place dans «Rage And Storm» un solo d’une conception architecturale originale et nous régale d’une embellie finale. Tout sur ce disque est infiniment supérieur à la moyenne. Avec «Scarecrow», il tape dans une ambiance à la Lanegan. S’il réhausse ce festival hallucinant, c’est bien sûr avec solo d’un classicisme échevelé - son clair et paquets de notes clairvoyantes - Il fait la moitié du morceau en roue libre. La fière allure et la hauteur de vue pourraient bien être les deux mamelles du Prophet. Il chante le morceau titre à la Lou Reed, très laid-back. À l’instar d’André Malraux, Chuck Prophet pourrait déclarer : «Le classicisme sera brillant ou ne sera pas.» Et il n’en finit plus de placer d’élégants solos qu’il dote d’un son clair comme de l’eau de roche. Sa copine Stephanie Finch double sa voix sur la plupart des morceaux. Il aménage dans «Stop Right This Way» de jolies montées vers les cieux éternels et nous sertit ça d’un solo d’une extrême rareté. L’album est si bon que tous les morceaux finissent par sonner comme des classiques et notamment «Face To The Wall», avec un ring that bell qui évoque Chuck, mais l’autre, le grand, le Berry. Si vous cherchez un guitariste prophétique, il est là. C’est Chuck Prophet. Il tape aussi dans la country avec «Tune Of An Evening». Il y saccade ses admirables passations de pouvoir.

    Brother Aldo en traumatisa plus d’un. Le jeu allait donc consister à guetter la parution de chaque nouvel du Prophet.

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    Paru en 1993, Balinese Dancer est un album beaucoup moins dense que son prédécesseur. «Savannah» sonne comme le werewolf of London. Chuck Prophet cajunise subtilement son morceau titre en lui shootant une belle dose d’accordéon. Il nous claque des accords beaux comme des dieux dans «One Last Dance» et nous plonge dans une espèce de romantisme fin de siècle - Of course I am - très sophistiqué. Avec «Angel», il emmène la Stonesy très loin au large et ça donne un cut éclatant de vérité. Il saupoudre sa voix gerbeuse d’une belle pincée d’accordéon et tire une fois de plus l’ensemble vers les ineffables régions de l’expertise sensorielle.

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    Et crac, Feast Of Hearts sort deux ans plus tard. Sur la pochette, Chuck Prophet rivalise de classe Wizard avec Todd ‘A true Star’ Rundgren. Voilà ce qu’il faut bien appeler un album d’anthologie. Lorsqu’il chante «What It Takes», Chuck Prophet dispose d’assez de souffle et d’ampleur pour rivaliser avec Bob Dylan. Il profite d’«Hungry Town» pour non seulement nous régaler du meilleur boogie-rock d’Amérique, mais aussi pour défenestrer son solo. S’il allume un brasier, c’est bien sûr avec une classe qui coupe le souffle. Il a cette désinvolture propre aux seigneurs qui s’ignorent. Et il balance un solo sur le tard, comme ça, sans prévenir. Quelle débine ! Il faut aussi le voir riffer «Break The Seal» à l’anglaise. C’est de la Stonesy à l’état pur - Oh I like to be moved/ And I love to sway/ And watch as the morning/ Turns into day (Oh, j’adore les sensations fortes, j’adore tanguer et voir le jour se lever) - Il gère ça en bon maître de céans, wow ! - Break the seal of the bottle - S’ensuit une fin de morceau aventureuse, percluse d’accordéon et vibrillonnée par une basse démente. Ah, il faut le voir pour le croire. Il revient au Very Big Atmospherix avec «Too Tired To Come» - You conquered my resistance/ I’m too tired to come (Tu m’as épuisé, je suis trop fatigué pour jouir) - Il élève un pont princier et fait monter la sauce. Comme Jackie Lomax, Chuck Prophet tape dans le trop haut de gamme. «Once Removed» nous cueille au menton et nous plonge une fois de plus dans la meilleure Stonesy. Il suit ses mots à la guitare. Épique, furieux, affluant, terrible et perspicace, il fait claquer toutes ses notes, il y croit dur comme fer et se rapproche de Big Star. Encore plus stupéfiant : «Oh Mary» qu’il attaque d’une voix de super star. Écrasant de classe. Son style romantique relève du génie pur - Oh Mary can I give you what you need ? (Puis-je te donner ce dont tu as besoin ?) - Qui penserait à formuler les choses ainsi ? Personne à part Chuck Prophet. On nage dans l’eau bleue d’un mythe rock - Something about you baby has got me hypnotized (Il y a quelque chose en toi qui m’a hypnotisé) - Il déroule à l’infini la pureté de ses intentions - I wanna kiss your mouth until the world is gone (Je voudrais te prendre la bouche jusqu’à la fin du monde) - Et sa musique sert un texte digne des géants de la prose. Comme Mark Lanegan, Chuck Prophet entre doucement dans la peau d’une rock star littéraire.

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    C’est en tremblant qu’on sort deux ans plus tard Homemade Blood de sa pochette. Et pouf, il part en mode Stonesy avec «Credit». Il aimerait bien aller passer un petit week-end à Paris mais on lui a bloqué son compte - They cut me off/ I want some CREDIT ! - Funny et grandiose, avec les chœurs de Stephanie Finch. Il revient au velouté de rêve avec «You Been Gone». Il chante d’une vraie voix, profonde et irisée, ambrée et chaude. Il continue de proposer des atmosphères solidement instrumentalisées et pimentées d’élégants petits chops de guitare. Il attaque «Inside Track» à la manière de Lou Reed et crée vite fait un univers complet dans lequel rien ne manque - Call it what you want to/ It makes perfect sense to me ! - Et ainsi de suite, tout au long de cet album une fois de plus flamboyant. Il whawhate son «22 Fillmore» de façon spectaculaire - Go on take a picture/ Take the whole fucking roll ! - Il finit par nous soûler avec son classicisme hennissant et son port altier de haut rang séculaire. Il tape aussi dans un joyeux son type Pogues avec «Whole Lot More». Il chante ça d’une vraie voix. Il méduse tout le monde avec ce coup-là. Il enfile les hits comme des perles. À part écouter, tout ce qu’on peut faire c’est regarder les hits s’enfiler. Spectacle d’autant plus intéressant qu’il n’est plus si courant. Fabuleux morceau que ce «Textbook Case» - He was a textbook case/ But he couldn’t read at all - Il enroule ça au chant, fait bien monter la sauce sur une énorme bassline, nous riffe ça sec et derrière, ça fait des ye-oooh ! - He was a textbook case/ There was no doctor in the house/ When his aunt said leave/ He quit as quiet as a mouse/ He robbed from the poor/ He gave to himself/ Looked in the glass/ And raised a toast to his health (C’était un cas classique, il n’y avait pas de médecin dans le coin. Quand sa tante lui a dit de se tirer, il a filé aussi discrètement qu’une souris. Il a volé les pauvres. Il s’est rendu à la police, il s’est regardé dans la glace et a levé son verre à sa santé) - Chuck Prophet rocke la littérature et rolle la prosodie. Dans «Til You Came Along», il redonne une petite leçon de puissance festive puis - ah-ahhh - il balance un solo liquide d’antho à Toto.

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    Deux ans plus tard, on repère The Hurting Business. On le sort du bac d’une main moite et tremblante. Sur la pochette, Chuck Prophet porte un seyant costume à carreaux et ressemble au plus cool des playboys. Il chante «Apology» d’une voix fatiguée, très laid-back et s’en prend à El Vez : si Elvis était là, il ferait payer ce sucker. Il tatapoume ensuite «Diamond Jim» à outrance et livre une belle carcasse de rock fumant. C’est en réalité un fantastique hommage à Jim Morrison. Chuck Prophet apporte son écot au moulin rouge de la postérité. Il chante «It Won’t Be Long» d’une voix lente bien intentionnée et enchaîne avec «Lucky» - Who’s gonna get lucky - Cette énorme pièce grise par son extravagance poppy mais elle a des reins d’acier. Monstrueux : il n’existe pas d’autre mot pour qualifier «I Couldn’t Be Happier». C’est monstrueux à tous les niveaux : couplets rimés et refrain honky-tonk. Chuck Prophet nous en fait voir des vertes et des pas mûres. Dans «Dyin’ All Young», il va même chercher le blues rap élégant à la Boz Scaggs.

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    Au fil du temps, notre héros semble conserver toute sa fraîcheur de ton et toute son aisance. Il sort en 2002 No Other Love, un album une fois de plus riche en rebondissements. Il alterne les heavy blues et les balladifs superbes. Il revient à son admiration pour Bob Dylan avec «Run Primo Run». Édifiant. Beau beat. Chuck Prophet sait asséner des couplets fatals avec la gestuelle dylanesque. On se dit : quel puissant seigneur... Dans «Storm Across The Sea», il raconte qu’il vit avec une folle - Hear me laughing with nothing up my sleeve - Il fait monter une sauce terrible dans «No Other Love». Voilà un nouveau coup de génie : «Elouise», fabuleux track-back monté sur une diction du diable - Take off thoses glasses girl/ I wanna feel your pain (Enlève tes lunettes, je veux te voir souffrir) - C’est une véritable énormité cavalante. Il y balance un killer solo flash de trois secondes. Sa fabuleuse énergie revient au grand galop dans cet élégant mid-tempo intitulé «That’s How Much I Need Your Love» - If I was a Cadillac/ You’de be my drivin’ wheel - Et il nous wha-whate un solo de deux secondes. Signé non pas Furax, mais Prophet. Puis il nous fait le plus beau des cadeaux avec un hymne à l’été : «Summertime Thing». Franchement, c’est digne du «Summer Nights» d’Allen Toussaint. Il y raconte une histoire de voisinage - Put the Beach Boys wanna hear Help Me Rhonda/ Roll Down the sides we’ll drive to the Delta, yeah ! - Pur moment de magie. Chuck Prophet ne vous lâchera jamais la grappe.

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    Age Of Miracles paraît en 2004. Rebelote. Il ouvre son bal du samedi soir avec un heavy blues nommé «Automatic Blues». Chuck Prophet traumatise ses power chords. Un invité de marque sur cet album : Eric Drew Feldman, vieux crabe du Magic Band, période Doc At The Radar Station. Drew joue du moog. Il règne sur ce morceau une ambiance mastodontique digne de «Cold Turkey», avec un riff arraché. Chuck Prophet renoue avec la classe céleste en attaquant «Just To See You Smile». Ce cut paraît aussi immense que l’océan - Ah baby just to see you smile - On assiste à une explosion de joie électrique portée par un chant éclatant et secoué d’énergie carbonique. Avec Mark Lanegan, Chuck Prophet est sans doute le dernier grand chanteur américain vivant. On passe ensuite à une autre merveille qui s’appelle «West Memphis Moon». Notre héros envoie sa bordée en fin de premier couplet et secoue son vibrato au moment du break. Voilà encore un rock bien charpenté chanté à la revoyure. Jerry Flowers joue de la basse et Drew du moog. On se retrouve face à une énormité stupéfiante. Stephanie Finch revient au micro dans «You’ve Got Me When You Want Me». Cette jolie pièce ruisselle littéralement d’inspiration. Madame la basse porte bien le heavy rock de «Pin A Rose On Me» et on tombe ensuite sur un stomp ahurissant, «Heavy Duty», doté encore une fois d’un texte sublime - If you want to be a better cook/ But you better be careful with the stuff/ You better be careful with this stuff - S’ensuit une montée fatale qu’il sabre d’un solo clair à la Big Star. Là, on s’enfuit dans la rue, hagard. On croise une connaissance :

    — Que vous arrive-t-il, vous n’avez pas l’air bien...

    — Ah mais si, tout va bien, seulement je viens d’écouter une terrible chanson...

    — C’est une chanson qui vous met dans un état pareil ?

    — Elle s’appelle «Heavy Duty» !

    — Oh, je comprends... Et comment s’appelle le chanteur ?

    — Chuck Prophet !

    — Chuck qui ?

    — Excusez-moi, je dois rentrer chez moi, il ne fait pas chaud !

    Notons qu’à la fin d’Age Of Miracles, Chuck Prophet rend hommage à Keef avec un bel exercice de style intitulé «Solid Gold». Il joue les accords de «You Got The Silver» (qu’on trouve sur Let It Bleed), fait entrer les nappes de violons circulaires de «Walk On The Wild Side» et couaque un énorme solo. Voilà comment le dandy Chuck salue ses héros.

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    Soap And Water ? Nouveau coup de Trafalgar. L’un des pires disques de l’histoire du rock, n’ayons pas peur des grands mots. Un disque dont il faudrait graver le titre dans les falaises de marbre. Un disque qu’on peut écouter à jeun ou pété, ça ne change pas grand chose. Démarrage en trombe avec «Freckie Song», shoot de belle pop drumbeatée à gogo. Il chante toujours ses formules fatales - I just can’t stand myself - d’une voix profonde et chaude et passe des solos d’un classicisme écœurant. Il lâche un couplet dément sur Elvis dans «Would You Love Me». On pourrait qualifier ça de balladif déroutant ou encore de belle claquouille chaperonnée. Final surnaturel. Alors franchement, que demande le peuple ? «Soap And Water» est un joli boogie à l’anglaise - Hot legs cold cash - Même si c’est cousu de fil blanc, Chuck Prophet pompe le dard du mythe, il captive en permanence - Sand mellow/ Oscar Wilde/ Blood Pudding/ Pink ties/ Sweet nothing/ Bitter tears/ Cracked Lips/ Bathroom mirrors - Il riffe «Small Town Girl» sur sa Telecaster et sa copine Stephanie Finch reprend la flambeau. Ce morceau est absolument dément de laid-back. C’est un défi aux dieux de la classe. Attention à ce truc qui s’appelle «A Woman’s Voice» : c’est un blues de juke. Chuck Prophet gratte dans un coin, il est rôti, il passe des notes vaseuses, il emprunte un tempo à Muddy - You start out down the middle - et les violons de Walk reviennent doucement, par petites nappes insignifiantes. Soudain, ça bascule dans le trash du blues électrique perdu sans collier. Stupéfiant ! On le sait, le passe-temps favori du Prophet, c’est d’effarer le petit peuple. On ne répétera jamais assez : ce mec est brillant. Il fait partie des très grands artistes américains qu’il faut suivre à la trace. «A Woman’s Voice» sonne comme une pure giclée de génie - Oh ! Sweet darling !/ Yes a woman’s voice can drug you - Il y bat tous les records d’élégance catchy. Avec sa grosse intro rattrapée à la course, «I Can Feel Your Heartbeat» nous emmène directement au paradis. Ce mec est beaucoup trop fort. On devrait se méfier. Comme le disait Javert à Robert Macaire, les gens brillants peuvent mettre la société en danger. «Naked Ray» rivalise de beauté pure avec le «Pale Blue Eyes» du Velvet. Même niveau d’élévation byzantine et d’inspiration pulsative. Il sort sa voix de Willy the Pimp pour chanter «Downtime». «Happy Ending» referme la marche et cet enfoiré nous démarre un stomp en plein balladif. Il passe du fabuleux à l’étourdissant - It’s too late in the game to start again - Il fait des Ah ! et des Aw ! écœurants de classe déterminante et il finit en déchirant le ciel pour libérer tous les démons de l’apocalypse. C’mon ! Qualifier ça de dément serait livrer un pâle reflet de la réalité objective.

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    Sort en 2012 Temple Beautiful, un nouvel album aventureux. Chuck Prophet affirme toujours plus sa stature de dandy américain - c’est vrai que ces deux mots ne se marient guère, mais on fera une exception pour ce Prophet en son pays. «Castro Halloween» relève du pur dandysme à la Kinks, des petits guitar licks filent dans l’azur d’une pop à la MGMT et comme on s’y attend, Chuck Prophet place un solo d’une incomparable limpidité. Il faut voir comme il embarque son monde. On parle ici de majesté. Le morceau titre se veut beaucoup plus musclé. Roy Loney vient y chanter des chœurs très perchés. Chuck Prophet sait choisir ses amis : près Drew et Dickinson, voilà qu’il fricote avec LE chanteur des Groovies. C’est une façon comme une autre d’alimenter la mythologie du rock américain. Comme Mark E. Smith à Manchester, Chuck Prophet ne s’intéresse qu’aux vrais artistes. Il reprend son rôle de séducteur pour chanter «Museum Of Broken Hearts» et nous refait le coup du hit fatal avec «Willie Mays Is Up At Bat», une histoire de virée nocturne alcoolisée - It’s three on two out under the lights/ Nobody knows who’ll make it home tonight - refrain magistral et bardé de chœurs chancelants. Si tu essaies de trouver ça ailleurs, tu risques de devoir chercher longtemps. Un tel dandysme ne court pas les rues, sauf en Angleterre. Syd Barrett, Kevin Ayers, Peter Perrett ou encore Viv Stanshall ont su cultiver l’héritage de George Brummel. Mais aux États-Unis, c’est plus difficile. Chuck Prophet reste dans le balladif soigné avec «The Left Hand Is The Right Hand». Il nous livre là une nouvelle pièce incroyablement inspirée, tant dans la diction que dans le jeu de guitare. Il profite de «Who Shot John» pour faire l’hendrixien. Il nous chante ça d’un ton ferme, on ne saura jamais qui a tué John, mais on s’en fout, parce qu’il joue comme un dieu.

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    Et puis voilà que paraît Let Freedom Ring qu’il enregistre à Mexico. Il se fait photographier en compagnie d’affiches cruelles. On voit par exemple l’aigle fondre sur le lièvre. Au dos de la pochette, dans un petit texte élégant, Chuck Prophet nous souhaite à tous de prendre autant de plaisir à l’écoute qu’il en a eu à enregistrer cet album. Ça part avec «Sonny Liston’s Blues» qui sonne comme un hit des Doors. Il y place l’un de ces solos en perdition dont il a le secret. Vous aimez le country-rock ? Alors «What Can A Mother Do ?» vous plaira. C’est en effet l’une de ces belles pièces désabusées et violonnées, d’une rare élégance et dignes de Gram Parsons. Puis il revient au riff sec et sauvage avec un «Where The Hell Is Henry» particulièrement morbide. Henry a disparu. Retour à la Stonesy avec le morceau titre, et solo de bottleneck sur deux notes. On a là une compo dépenaillée d’une redoutable efficacité et si profondément américaine, au sens où l’entendent les Drive-By Truckers - Let there be darkness/ Let there be light/ As the hawk criplples the dove (ici, l’aigle chope la colombe) - d’où l’affiche cruelle. Le morceau suivant qui s’appelle «You And Me Baby (Holding On)» devrait se retrouver en tête de tous les charts, ne serait-ce que pour la qualité du couplet - I went to see the doctor/ He said you should be dead/ I said I was doc but now I’m back/ I’m holding on/ yes I am ! (J’ai été voir le médecin qui m’a dit que je devrais être mort, j’ai dit que je l’avais été, mais que j’étais revenu et que je m’accrochais) - Pur panache ! Autre morceau spectaculaire : «American Boy». Nouveau shoot de Stonesy. Chuck Prophet fréquente les bars américains et en ramène des couplets rockants - In the Georgetown bars/ With the prozac kids/ And the Oliver Stones/ And the tabloid smiles - En B, on tombe sur un nouveau balladif inspiré, «Barely Exist» - When you barely exist/ Who’s gonna miss you when you’re gone ? (Quand vous existez à peine, vous manquerez à qui en mourant ?) - C’est une fois de plus très proche de ce que fit Dylan à une époque. Dans «Good Time Crowd», Chuck Prophet se moque des gens qui prennent du bon temps en tirant des coups de flingue dans le plafond, qui vont balancer des motos volées du haut des falaises, ou qui vous envoient des cartes postales de Crète. Il a raison. En plus, ça lui donne une superbe matière pour ses couplets. Il boucle sa puissante affaire avec un rock hautement atmosphérique : «Leave The Window Open». Il réussit à nous bricoler une montée sur des explosions d’accords. Mais ce n’est pas tout ! Il grimpe aussi dans les octaves au moment où il demande à l’autre d’ouvrir la fenêtre. Et là, on ne sait plus quoi dire.

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    Night Surfer ? Arrrghhhhh quel album ! Et dire que dans la presse musicale, des gens se plaignent qu’il ne se passe plus rien ! Il revient à sa chère Stonesy avec «Countryfied Inner City Technological Man». Il nous amène directement à l’effarance des niveaux supérieurs. Quelle énergie ! Ça sonne comme «Live With Me», rien de moins - Give me a holler cause we never close Oh - Oui, crie un coup, mon gars et pendant ce temps Prairie Prince bat le beurre. Et avec «Wish Me Luck», il ouvre les fenêtres et respire l’air à pleins poumons - And I shout look out all you losers/ here I come ! - Il envoie ça avec un fantastique allant décadent. Chez lui, les mélodies et les textes sont d’un niveau tellement soigné qu’il est recommandé de ne pas en perdre une seule miette. On monte encore d’un cran dans la stupéfaction avec «Guilty As A Saint» - My face a little longer, my mind on repeeeeeat - Ce mec ne finira plus de capter l’attention. Il passe au stade de la fantastique élévation avec «They Don’t Know About Me And You». Il y retrouve le chemin du pur génie. On a là du Prophet de la rock-song d’ambition démesurée - Oh baby come on you could be my savior - Encore de l’élan avec «Lonely Desolation» - Come on that’s gonna be hard to arrange - Il lâche ça avec une vieille rage dylanesque. On passe à «Laughing On The Inside» et l’incroyable de la chose, c’est que ça continue de monter en qualité - When you took off your dress/ I couldn’t believe my good fortune - C’est grandiose et élégant à la fois. Tout est absolument superbe sur cet album. Nouveau coup de Jarnac en B avec «Ford Econoline» et ce refrain dément - She pulled over said climb on in/ I did what she said/ She turned the music up real loud - Le problème, c’est qu’ils écoutent Talking Heads dans la bagnole, mais ce n’est pas grave, seule compte la classe mortelle de Chuck Prophet. Ça stompe sec et il balance cette métaphore lugubre de fin de cut - All these memories like dirty plates/ Stacked up in the sink of time - Oui, ces souvenirs qui ressemblent à des assiettes sales entassées dans l’évier du temps. Il revient ensuite à la Stonesy avec «Felony Glamour» et enchaîne avec une fabuleuse leçon de diction, «Tell Me Anything (Turn To Gold)». Il sort des syllabes pour les tordre délicieusement. Il retrouve l’art perdu de Bob Dylan. Il reste dans cette belle veine dylanesque pour «Truth Will Out (Ballad of Melissa And Remy)» qu’il chante à la notule gourmande. Et il finit avec une sorte de glam riffé comme «The Jean Genie». Non seulement c’est l’un des albums de l’île déserte, mais on pourrait aussi très bien apprendre les paroles de certaines chansons par cœur, comme on le faisait jadis avec «Lost In Mobile With The Memphis Blues Again» ou «All Along The Watchtower».

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    En ce qui concerne Chuck Prophet, il n’existe pas beaucoup de littérature. Aussi faut-il en profiter quand on tombe sur un article qui lui est consacré. Surtout s’il paraît dans Vive le Rock qui reste le plus sérieux des canards britanniques. Joe Whyte démarre son article ainsi : Si vous ne savez pas qui est Chuck Prophet, VRL seriously recommands you find out.

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    L’article salue la parution du nouvel album du Prophet, Bobby Fuller Died For Your Sins - Absolute corker, affirme Whyte. Il fait un petit retour en arrière pour rappeler que Green On Red fut le greatest bar band d’Amérique, avec des racines dans Dylan, the 70’s Stones, Gram Parsons et le punk rock des Dead Kennedys qui les mit en route. Il rappelle aussi que Chuck Prophet fit le session-man pour pas mal de gens intéressants : Warren Zevon, Lucinda Williams, Aimee Mann et Alejandro Escovedo.

    Pour qualifier son nouvel album, Chuck Prophet parle de California Noir, the dark underbelly of the Golden State - Doomed love, inconsolable loneliness, fast-paced violence - et il cite Jim Thompson - There’s a million ways to tell a story, but there is only one story to tell - Things are never what they seem - Oui, le choses ne sont jamais celles qu’on croit. Il évoque aussi The Mission Express, son touring-band dans lequel sa femme Stephanie joue des claviers. Pour Chuck, prendre la route après le parcours du combattant que constitue l’enregistrement d’un album, c’est un peu comme prendre des vacances. Joe Whyte trouve que l’album est très Americana and roots rock, à quoi Chuck répond : Sure, it’s all in there, I guess. American rock’n’roll, a little folky, a little greasy. It’s psychedelic ballroom rock’n’roll with a nod to Dylan, The Byrds, The Groovies and Motown, the British Invasion and Bobby Fuller. Chuck dit que pendant l’enregistrement de l’album, le fantôme de Bobby Fuller se penchait par dessus son épaule pour voir ce qu’il écrivait et pour lui rappeler qu’on pouvait faire énormément de choses avec trois accords.

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    Il brosse ensuite un portrait épatant du pauvre Bobby retrouvé mort dans sa bagnole. Dans les années cinquante, ce clone de Buddy Holly avait le plus grand teen dance band d’El Paso. Il enregistrait ses disques chez lui, dans le salon de ses parents. Quand il débarqua à Los Angeles, il se sentit complètement largué : les gens écoutaient les Beatles et portaient des Beatles boots. Il n’avait que 23 ans quand on le retrouva mort dans sa bagnole, avec du pétrole dans les poumons. Suicide ou exécution ? Personne ne sait. Pour Chuck, Bobby is the ultimate rock’n’roll Babylon feel-bad story. Et il ajoute que le mystère de sa mort veut rester un mystère. Il rend aussi hommage à sa hometown, San Francisco. Selon lui, chacun s’y rend à la poursuite d’un rêve - San Francisco is where I invented myself, it has been my education, in the arts and culture, politics and the sexes - Chuck rend aussi des hommages appuyés à Townes Van Zandt, aux Drive-By Truckers et quand Joe Whyte évoque la fameuse rumeur d’un Prophet pressenti à une époque pour jouer dans les Stones, il la chasse d’un geste de la main, comme si c’était une mouche : The Rolling Stones seem like pretty cool guys to me.

    On ne trouve pas moins de quatre coups de génie sur Bobby Fuller Died For Your Sins. À commencer par «Coming Out In Code», pure littérature - Like a bull in a China shop/ My heart beats in my chest - Un hit de plus, Chuck ! - They call me Willie Wonka Boys/ You tell me what it means - Il faut voir avec quelle bravado il lâche ses répliques. Chuck Prophet est le Pierre Brasseur des Enfants Perdus de la Garance. Encore du génie à l’état le plus pur avec «Jesus Was A Social Drinker» qui ouvre le bal de la B - He never drank alone - Forcément et le refrain tombe du ciel - So tell me where it hurts/ And I’ll tell what to feel - Okay, comme dirait Mick Farren, yes I will et il passe un solo arizonien d’une beauté surnaturelle. Les hits de Chuck Prophet sont en fait des historiettes mirobolantes. Encore un coup de bambou avec «Post War Cinematic Dead Man Blues» - I got the post war cinematic dead man blues - Forcément, avec ce côté dylanesque, ça sonne comme un hit planétaire, car en plus, ça chevauche aux clap-hands et ça pulse aux chœurs de ouh-ouh-ouh. Et comme si ça ne suffisait pas, il passe un solo flash fourvoyé. Encore une merveille avec «If I Was Connie Britton» - Man I tell you what to do/ I’d brush my hair every morning/ On the weekend too - Pure boogie motion - Leathers pants in the summertime/ Hot pants in the cold - Tout est taillé sur mesure, dans ce disque épouvantablement bon. Il dédie «In The Mausoleum» à Alan Vega et reprend le beat de Jukebox Baby sur sa guitare. Il fait bien son Vega et shoote au passage une jolie dose de sauvagerie. L’autre hommage qu’il rend est celui du morceau titre, c’est-à-dire à Bobby Fuller - Cruising through El Paso/ Carrying a heavy load - Il rend aussi un dernier hommage à Bowie dans «Bad Year For Rock’n’Roll». Il sort encore une fois sa fantastique élégance de mid-tempo catégoriel. Il prend «Your Skin» au fin garage US infesté de fuzz. Son garage se fête comme le retour du héros. Chuck Prophet passe des solos si délicats et tellement intrinsèques qu’il ne reste plus qu’à se pâmer. Et puis, il ne faut surtout pas oublier d’écouter «Killing Machine», car il entre dans les stores avec un gun, alors ça ne rigole plus.

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    Et comme une bonne nouvelle n’arrive jamais seule : la parution du nouvel album s’accompagne d’une tournée mondiale et voilà Chuck Prophet & The Mission Express sur scène à la Boule Noire. C’est inespéré ! Il surgit sur scène ultra athlétique, frais comme un gardon, jumping all over, il faut le voir pour le croire. Voilà un homme ravi de jouer. Il n’en finit plus d’exprimer son bonheur. Pour être tout à fait franc, on s’attendait à une prestation moins extravertie. Dans l’inconscient collectif, Chuck Prophet est un dandy, pas un zébulon qui saute partout. En outre, il commet sans doute une petite faute de goût en portant ces horribles chaussures montantes à guêtres, mais son enthousiasme l’emporte et devient vite communicatif.

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    Bien sûr, il voit lui aussi que la salle est loin d’être pleine, mais il met les bouchées doubles. Il prend soin de présenter tous ses cuts, rappelle que cette année fut a Bad Year For Rock’n’Roll : Bowie, Alan Vega sont morts, et ajoute-t-il, democracy in the USA ! Il reviendra saluer Alan Vega et illustrer mythe du cut monté sur un accord en jouant le Jukebox Baby d’«In The Mausoleum». Il salue aussi Jesus avec l’effarant «Jesus Was A Social Drinker» et n’en finit plus de passer des solos surnaturels qu’on ne trouve pas sur les albums.

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    Il tâte même du twin guitar attack à la Gorham/Robertson avec son guitariste James DePrato. Lorsqu’il revient pour le rappel, il commence par raconter une histoire : en plein mouvement punk, lui et ses copains ados déboulèrent dans un club de San Francisco pour voir jouer des groupes. Il se souvient des horribles Mentals. Puis un groupe de chevelus s’installa sur scène et la salle se vida. Sauf Chuck. Le son des chevelus lui plaisait. Il raconte qu’il vissa littéralement son regard dans celui du guitariste. Et là, il commence à gratter les accords d’intro de «Shake Some Action». Chuck Prophet évoquait les Groovies et il leur rend un hommage flamboyant.

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    Bien sûr, il réapparaît après la fin du set pour signer quelques autographes. Il porte un chapeau de dandy à plumeau et un T-shirt. Il déambule nonchalamment dans la salle et échange quelques mots ici et là. Ce mec tient plus de l’écrivain que de la rock star, on sent qu’il adore le contact. Il va naturellement vers les gens.

    — Thank you for the Dickinson days, Chuck !

    — Oh, it was just perfect.

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    Signé : Cazengler, prophêtard

     

    Chuck Prophet. La Boule Noire. Paris XVIIIe. 21 novembre 2017

    Chuck Prophet. Brother Aldo. Fire records 1990

    Chuck Prophet. Balinese Dancer. China Records 1993

    Chuck Prophet. Feast Of Hearts. China Records 1995

    Chuck Prophet. Homemade Blood. Cooking Vinyl Records 1997

    Chuck Prophet. The Hurting Business. Cooking Vinyl 1999

    Chuck Prophet. No Other Love. New West Records 2002

    Chuck Prophet. Age Of Miracles. New West records 2004

    Chuck Prophet. Soap And Water. Yep Roc Records 2007

    Chuck Prophet. Temple Beautiful. Yep Roc Records 2012

    Chuck Prophet. Let Freedom Ring. Yep Roc Records 2013

    Chuck Prophet. Night Surfer. Yep Rock Records 2014

    Chuck Prophet. Bobby Fuller Died For Your Sins. Yep Rock Records 2017

    Joe Whyte : Heavy Duty. Vive le Rock #44

     

    JOUARRE / 24 – 02 – 2018

    LOCAL SIGVALD'S MC SEINE & MARNE

    PATTY VAREN

    40 BIRTHDAY PARTY

    PATTY VAREN + GUESTS

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    Patty Varen fête son anniversaire. Quarante printemps. Les Rolling Stones ont beau nous avoir appris que le time était on our side, ce n'est jamais marrant de voir les jours filer, alors le mieux est encore d'inviter les amis et de montrer que l'on est encore vivant pour faire la nique au destin et arborer la vie, voiles déployées et pavillon haut.

    Les Sigvald's sont les pros de l'accueil chaleureux et cordial. Du monde partout, dehors, dedans, dans le hall, autour du camion à pizza, sur les banquettes, auprès du bar, beaucoup d'enfants occupés à des pliages, un maximum de bikers représentatifs de tous les moto-clubs des environs, les supporters attitrés des bands, de simples amateurs de rock'n'roll, bref le local est comme un verre de jack rempli à ras-bord, qui déborde de gaieté et de bonne humeur.

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    Vaudrait mieux ne pas parler de la scène. Un entassement innombrable de guitares, d'étuis hétéroclites et d'entrelacs tubulaires, un entrepôt d'usine, un capharnaüm sans nom, dans lequel les musicos s'essaient à retrouver leur matos... c'est que la soirée est spéciale, pas une queue-leu-leu de groupes en brochettes, Patty Varen en superstar, avec ses boyz, et une phalange d'amis et d'amies qui vont venir jouer quelques morceaux, sans compter les incessantes permutations de personnel. Pas tout à fait un concert, une soirée spéciale, une rencontre, des découvertes, beaucoup d'éclats de rire et d'amitiés, chacune des prestations comme un cadeau offert, à Patty, et par Patty, à tous ceux qui sont venus, partager cette festivité rock !

    PATTY VAREN

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    ( Photo : Didier Cattieuw )

    Yeux pétillants, cheveux blonds mi-longs, micro en main, tout sourire, échancrure qui dévoile la naissance des seins, aussi sereine que Jean Bart s'apprêtant à mener, sus à l'anglois, son équipage corsaire à l'abordage, véritable maîtresse de cérémonie, rameute ses boyz comme des enfants en retard, gentiment mais avec ce zeste invisible d'autorité naturelle qui fait toute la différence. Vient du Nord comme elle s'en vantera, mais ne le perdra pas de la toute la soirée. De toutes les manières quand elle sourit, vous ne pouvez qu'acquiescer à ses moindres demandes.

    AND HIS GUYZ

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    Sont quatre. Deux guitares, basse, batterie. Un peu mous du genou sur les trois premiers morceaux, question de réglage, c'est Boris de Kirin Dosha appelé à la batterie pour un morceau qui accomplit la soudure nécessaire. Vous black oute l'énergie en moins de trente secondes. Quand il sera parti, l'osmose se fera et la fête commencera. Deux guitaristes, Bruno le grooveur, une facilité déconcertante pour balancer le riff, Eryck spécialiste des sonorités craquelantes, surtout au moment où on ne l'attend pas. A la batterie Phil joue le rôle de l'homme orchestre, donne de l'ampleur au son, repousse les cloisons, distribue du champ et c'est cet espace qu'Alex inonde de la profondeur de sa basse. Jouent un style que j'appelle du hard mélodique, une musique qui demande énormément de puissance sonore, qui ne déploie parfaitement sa majesté que dans des salles bien plus spacieuses que le local des Sigvald's. S'en tirent bien, l'équilibre de leur jeu pallie ce manque d'étendue volumique. Et puis il y a Patty. Pose sa voix crescendo, rien ne la rebute, passe les obstacles comme si de rien n'était. Monte haut sans jamais se perdre et dérailler dans les aigus, les garz la suivent et la soutiennent, n'oublient pas d'en rajouter, s'amusent entre eux tout en restant à ses petits soins. Patty les soude et les emmène où elle veut, mais voici qu'elle laisse la place à :

    SISTER MOON

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    Z'ont gardé Phil à la batterie. Mano, guitare en main, se plante au micro et c'est parti pour trois – uniquement trois ! - morceaux. Ne mettent pas de temps à faire chauffer la colle. Mano apostrophe l'assistance- Hey ! Hey ! Hey ! - desserre la clef à molette et c'est parti pour le rock and roll. L'a fallu un peu de temps pour installer le synthé sur l'estrade, mais on ne regrette pas, un sauvage dessus, s'appelle Rit, joue comme s'il était en rut, une gueule de caraque ébouriffée, l'a les cheveux pétardés qui partent dans tous les sens, un look à la Mink de Ville, vous martyrise une touche, une seule, juste pour que vous sentiez que votre cerveau en frétille d'angoisse, plus tard prendra son harmonica à s'en démantibuler les gencives, à la basse R-One vous pousse des flots noirs aussi impétueux que le Rhône à la fonte des neiges, Mano aboie et vous galope de ces riffs à la vitesse d'un troupeau d'antilopes. Sister Moon vous file un shoot d'adrénaline à structures zépliniennes qui vous expédie dans la lune en dix minutes. C'est là que vous vous apercevez que, contrairement à ce que soutiennent les scientifiques, les fameux cratères sont en éruption continue. Personne n'a envie de redescendre. Hélas, trois morceaux !

    KIRIN DOSHA

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    Eux aussi sont soumis à la loi d'airain de l'infernale trinité. L'on se dit qu'avec le coup de speed asséné par Sister Moon ils n'ont pas intérêt à compter les moutons. Boris Massonnier nous rassure tout de suite. L'a préalablement scalpé la batterie de la moitié de ses toms. N'a gardé que l'essentiel : la force de frappe. Un plaisir de le regarder, l'a les bras qui bougent comme ceux d'une danseuse étoile, z'avez l'impression d'un tutu qui virevolte en apesanteur. A toute vitesse. Ce qui est surprenant parce que Kirin Dosha ne produit pas un rock'n'roll des plus rapides. Sont beaucoup plus complexes et subtils que cela. Ne cherchent pas à faire la course en tête. Possèdent un chanteur, Laurent Baup, une voix particulière, une tessiture inaccoutumée qui induit une musicalité différente. Dès qu'il ouvre la bouche, vous avez l'impression d'une chrysalide qui libère un papillon. Mikko Anquetil à la guitare et Kevin Corrie à la basse, sont comme plaqués aux nuances colorées de ses ailes chatoyantes qui prennent leur envol. Et décrivent d'étranges arabesques. Esquissent des structures inacooutumées, dessinent un monde inhabituel que vous aimeriez visiter un peu plus longtemps, mais, sont déjà en train de remballer le matos. Dura lex, sed lex.

    PATTY

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    Patty Raven et ses boyz ont repris la piste. Mine de rien le répertoire change, davantage appuyé, l'on quitte le hard technicolor pour des morceaux plus rythmés et incisifs. Patty encore plus à l'aise, captivant l'auditoire par cette espèce de désinvolture de ces grandes dames des salons du dix-neuvième siècle qui monopolisaient par leur parole ailée l'attention de tous les beaux esprits, mais sachant mettre en valeur et prêter main-forte aux nouveaux venus. Nous présente – étaient présents dans son premier groupe à son arrivée à Paris - Chouchou – batteur gaucher de son état, ce qui nécessite une inversion des fûts - et Valérie, de noir vêtue, style mystérieuse égérie, irradiant de cette fausse élégance discrète qui attire les regards... Toutes deux nous interprètent un titre de Noir Désir, obscur à souhait, tandis que Chouchou fait preuve d'une frappe franche et sans défaut qui accentue la pointe de perversité du vocal partagé.

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    JAY JAXSON

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    ( Photo : Didier Cattieuw )

    Patty appelle Jay Jaxson. Pour un duo. Dos à dos. La blonde et la brune. Jay pétille de joie et de simplicité. De ces filles que l'on ne peut s'empêcher de trouver sympathiques avant même qu'elles aient ouvert la bouche. Oui mais dès qu'elle ouvre, vous filez tout doux et vous vous précipitez droit sur l'évier pour faire la vaisselle, une voix de rock et de braise, parfaite pour la ballade à grand spectacle qu'elles nous offrent et Patty qui lui donne la réplique sans effort. Un grand moment. Cherche à s'éclipser, mais non, reste seule avec – ce doit être Bruno, mais ma mémoire fatiguée ne peut l'affirmer, à l'acoustique – et c'est parti pour un blues enlevé à la coyote, rythmique répétitive précédée d'une foudre d'harmonica aux piquants de porc-épic soufflée par Jay avant qu'elle n'enchaîne, un vocal aussi cinglant que des coups de fouets. Suivront deux morceaux, Jay toute seule, s'accompagnant à la guitare, deux brûlures au fer rouge, appliquées avec un savoir-faire de bourreau cruel, d'ailleurs elle s'échappe en éclatant de rire, nous laissant sur notre faim, dans notre incomplétude. Une révélation, qui nous vient d'Australie, en Europe depuis quelques années... La grande classe. La grande claque.

    BLACK PEARL

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    ( Photo : Black Pearl )

    Black Pearl - Rock Covers Band, l'autre groupe de Patty, l'en manque un, le batteur, no problem, ce n'est pas ce qui manque et la fête continue, à fond les ballons, de Born To Be wild de Steppenwolf à Highway to Hell d'AC / DC, du gros rouge classique qui tâche et qui ramone sérieusement, et Patty qui mène le bal des ardences... attention, gâteau d'anniversaire, bougies soufflées, applaudissements, bises spéciales aux Sigvald's qui ont agencé la fête et Patty demande si elle peut encore se permettre un petit morceau avec ses perles noires qui ont déjà ceint leurs guitares. Permission accordée, après tout c'est son anniversaire !

    Damie Chad.

    ( Sauf indications contraires, photos : FB : Sigvald's MC Seine et Marne )

     

    WONDERLAND / KIRIN DOSHA

    Laurent Baup : lead vocals, guitars / Mikko Anquetil : lead guitars, vocals / Kevin Corre : bass, keyboards, vocals / Boris Moissonnier : drums.

    Enregistrement, mixage, mastering : Sébastien Langle.

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    Bel artwork by Jo Design. Oeil rouge et cornes noires d'un kirin blanc – espèce de licorne chinoise à écailles dégageant une énergie ( dosha ) bienfaitrice – en lisière de pochette, comme posté à l'orée de notre monde d'une froideur bleutée mortelle. A moins qu'il ne soit au bord de l'univers merveilleux du vide accompli en sa perfection. Pochette ambigüe qui laisse à penser que dans le monde des hommes, celui qui peut se revendiquer d'une nature kirinique est d'une rareté yinique exemplaire. Quoi qu'il en soit, le message induit est à décrypter en tant qu'annonce d'un rock'n'roll qui ne brûle pas ses vaisseaux dans les flammes sans cesse renaissantes de sa propre énergie. Kirin Dosha fait partie – c'est ainsi que je le classe selon mes propres catégories qui ne sont pas celles communément admises - de ces groupes néo-progressifs qui ouvrent le livre mystérieux des légendes prophétiques du présent. Cela peut-être pour noter que le groupe que nous avons vu sur scène à la Patty Varen Party était résolument beaucoup plus primairement rock que celui donné à entendre sur ce CD.

     

    Command and control : tout de suite la différence, l'utilisation dominante des claviers qui classicise la musique. Pas vraiment une symphonisation mais une ampleur sonore quelque peu majestueuse qui donne profondeur et ouvre les perspectives. Ensuite tout repose sur la disjonction de la rythmique et de la voix. La batterie droit devant et le vocal sur une ligne faussement parallèle qui s'écarte insensiblement de cette direction, le reste de l'orchestration ménageant pauses et étapes qui vous envoûtent et vous empêchent de vous apercevoir de cette partition germinative. Evil Twin : la mauvaise part, le reflet de l'unicité qui se donne en tant qu'annihilation de son origine, très belle prestation vocale, barde qui vaticine les grêlons de l'existence, la musique comme fission éruptive et brutale. Surrender : les chants de la déshérence, une longue mélopée interminablement échevelée, jamais finie, toujours reprise, un galop sans fin auquel vous vous abandonnez, emporté, bercé, enlevé, kidnappé, s'entrouvrent les portes d'un ailleurs inconnu, il est trop tard pour reculer, vous n'en avez aucune envie. Sentenza : plus enlevé, dans le vif du sujet, rythmique accélérée, vocal auto-comminatoire, et ces touches cristallines qui laissent présager l'accueil d'un adieu, la voix qui rampe, s'évanouit et enfle comme poche de fiel ou de ciel crevés. Choeurs éloignatifs. Blessed : la voix étirée tel un drame, tout le reste comme accompagnement qui essaie de recouvrir plaintes, paroles et espoirs, plus que le piétinement de la batterie qui s'éteint et qui renaît identique au début du premier morceau. Le cercle se referme sur lui-même de la même manière qu'il s'ouvre...

     

    Kirin Dosha a su créer une atmosphère rockmantique qui n'appartient qu'à eux. Un beau disque pour ceux qui aiment les contes d'orichalque et de licorne unicorne.

    Damie Chad.

     

    WHEN YOU'RE GONE / THE FOUR ACES

    Rock Paradise Records / RPRLP 106

    ( 2012 )

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    Faut farfouiller chez soi. C'est la semaine dernière en cherchant ce que j'avais sur les Four Aces, que je suis tombé sur ce vingt-cinq centimètres tout neuf, encore emballé dans son plastique. Religieusement classé sur l'étagère idoine et oublié là depuis cela doit faire plus de quatre ans. Plus vraiment d'actualité mais le rockabilly étant une musique éternelle, l'on s'en moque. Et puis l'occasion de faire un signe d'adieu aux Four Aces qui ont donné leur dernier concert la semaine dernière ( voir Kr'tnt ! 362 ). Avec en prime quelques photos de cette ultime prestation dues à l'œil aiguisé de Serge Viennet.

    Laurent : vocal & rhythm vocal / Marc : lead guitar / Thierry : upright bass / Carlos : drum.

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    Won't You Stop : voix explosive et la contrebasse qui cliquette comme une crécelle de lépreux. Tout le rockabilly en cette entrée fracassante et toute la suite, la batterie qui grogne en chien méchant qui n'aime pas que l'on s'approche de sa gamelle, un solo de guitare à vous faire tirer dessus par un sniper, pourvu que ça n'arrête pas. Hélas si ! Goin' Strong : pour reprendre aussitôt. Guitare grondante, voix menaçante, batterie hébétante et contrebasse rebondissante. Laurent hausse et ralentit le débit de sa voix comme l'on négocie un virage mortel juste pour que la passagère se serre encore plus près de vous. Chaleur animale. My Baby's Gone : l'a dû avoir trop peur, à la fin de la croisière elle a claqué la portière et s'est tirée de la tire. Pour le blues vous repasserez, juste l'occasion d'être encore plus épileptique que sur les morceaux précédents, les Four Aces quand ça pique ils n'ont pas de coeur. Vous laissent sur le carreau mais c'est beau comme un trèfle à quatre feuilles. Tell Me Baby : avec les filles faut mettre les points sur les I, Marco vous poinçonne le boulot sur sa guitare de main de maître. Quant à Laurent il vous la briffe direct pendant que Thierry et Carlito en rajoutent par derrière. Envoyé de mains de maîtres.

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    I'm Out : atones les Four Aces ? Vous voulez rire, n'ont jamais été aussi in. Un festival instrumental, et Laurent vous remue la salade vocale d'une bien belle manière. When You're Gone : quand la souris est partie, les chats dansent. Pour la dépression, disons que le mental est au plus haut, vous avez Marco qui bouscule les meubles, Laurent qui s'accroche au lustre, Thierry qui tambourine sur la porte et Carlito qui vous siffle les verres de jack à tire larigot. Une espèce de tourbillon à la derviche tourneur, mais frénétique. What Can I Do : l'interrogation métaphysique. Savent très bien ce qu'il y a à faire. Du rockabilly explosif avec des trombes de contrebasse des éclairs de guitare, des hachis de drum et des persillades de vocaux au vitriol.

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    You'll never stop : ces gars-là ne sont pas partis pour s'arrêter, le proclament bien fort, et chacun y va de son bâton de dynamite pour vous en persuader. Y réussissent très bien. Avec une facilité déconcertante. Leaving On My Mind : le côté moqueur rockab, Laurent nasille et les trois autres frétillent du hillbilly, l'on étire le solo de guitare, la upright dodeline de la tête, et Carlito vous sautille le rythme, genre canasson qui clopine pour regagner l'écurie après avoir sailli trois juments dans le pré. Good Show no Go :

    Bon rockab ne saurait mentir, les cats n'engendrent pas des demi-portions, se régalent de jouer les méchants, vous le font à l'intimidation, pour un peu vous auriez peur, mais non sont trop bons pour les coups tordus. Emportent la décision comme le corbeau le fromage. Vous laissent tout penauds quand ils arrêtent les frais ( après avoir été si chauds ! ). Une seule solution remettre le disque !

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    Une petite merveille ce mini trente-trois se révèle être un grand album. Que du rockab, mais jamais d'ennui, vous le déclinent comme les milk-shake, à tous les parfums. A chacun sa saveur. Et vous vous sentez obligé de les goûter tous.

    Damie Chad.

    ( Photos : FB : Serge Viennet )

    JOHNNY HALLYDAY

    Rock & Folk / Hors-Série N° 36 / Janvier 2018

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    Rock & Folk, la revue, n'avait offert que quelques photographies inédites pour rendre hommage à Johnny, dans sa livraison de janvier. Peu, si l'on compare au tsunami de numéros spéciaux consacrés à l'artiste par des canards ( souvent boiteux ) pas spécialement célébrés pour l'intérêt qu'ils portent habituellement à la musique en général, et au rock'n'roll en particulier... On nous avait prévenus, l'on mettrait les petits plats dans les grands un peu plus tard. C'est à la mi-février que le festin a été livré dans les kiosques. Service minimum. Pas de branle-bas généralisé dans la cambuse. L'on n'a désigné qu'un grand-chef. Pas n'importe lequel, le maître-queue spécialiste du old style. Jean-William Thoury. Difficile de trouver mieux. Y a bien dû y avoir une armée de marmitons – les petites cuillères - qui ont disposé les photos sur la maquette et veillé à lisser les titres, mais c'est tout. N'a pas eu le temps de jouer les touristes, Thoury, idem pour les grandes réflexions et les mises en perspectives. L'est parti du principe qu'un chien écrasé n'était qu'un chien écrasé. Tant pis pour ceux qui aimeraient connaître sa race, sa taille, sa couleur, son pédigrée, le nom du conducteur, la marque de la voiture, et qui s'interrogent sur si l'acte était prémédité, intentionnel, la bête est-elle morte sur le coup, a-t-elle souffert, on s'en fout, idem pour le chagrin de la petite fille sur le trottoir devant la marre de sang. Non, les faits bruts, dans leur sécheresse. Un chien écrasé. Point. Passons au suivant.

    Ce qu'il y a du bien avec Hallyday, c'est que les clébards crevés au bord de la route, l'en a laissé des tonnes. Jean-William il écrit un numéro spécial, pas La Recherche du Temps Perdu. Pas une minute à s'attarder. L'a tordu le cou au lyrisme. Style télégraphique. C'est que Johnny, l'a pas roupillé ses journées dans sa chaise-longue à feuilleter des magazines, l'était pas du genre à passer trois jours sur sa pelouse à chercher des trèfles à quatre feuilles. L'a chanté, aimé, baisé, bu, descendu les rivières en radeau, s'est battu, a voyagé un peu partout, tourné des films, fait de la moto et du théâtre, disputé des rallyes automobiles, donné des concerts, enregistré des disques, vaudrait mieux lister tout ce à quoi il n'a pas touché, ce serait moins long. Jugez-en par vous-mêmes, tout compris, textes, photographies, gros titres, Jean-William Toury est arrivé à remplir cent pages. Gros boulot. Belle compilation.

    N'empêche que l'on reste sur sa faim. On attendait au minimum une beau cuissot d'éléphant, un pantagruélique plat de résistance, sept ou huit desserts plus les îles flottantes et leurs océans de crème au beurre, et l'on n'a eu à becqueter que les petits fours de l'apéro. En gros, expression mal venue, l'on a eu la madeleine, mais les rallonges de Proust elles sont restées dans l'encrier.

    Pourtant ce ne sont pas les facettes qui manquent, Johnny vous pouvez l'aborder par tous les côtés... l'on dirait que Rock & Folk a évité les sujets qui fâchent. Les faits, rien que les faits, permettent de ne pas prendre position. Prudence avant tout ! Surtout ne pas décevoir une partie de nos lecteurs, difficile d'établir un consensus entre les fans inconditionnels de Johnny et ceux qui ne le calculent même pas. Adoration ou mépris, ne pas choisir. L'on eût aimé autre chose. D'un peu plus rock'n'roll !

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 242 : KR'TNT ! 362 : Mr AIRPLANE MAN / THE GOON MAT & LORD BENARDO / VELLOCET / THE ATOMICS / THE FOUR ACES / AMHELL & THE CRACK-UPS / JALLIES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 362

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    22 / 02 / 2018

    Mr AIRPLANE MAN / THE GOON MAT & LORD BENARDO

    VELLOCET / THE ATOMICS / THE FOUR ACES /

    AMHELL & THE CRACK-UPS / JALLIES

    Hey Mr Airplane Man play a song for me - Part Two

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    Rien qu’avec un nom de groupe comme celui-là, la partie est gagnée d’avance : Mr Airplane Man, en l’honneur de Wolf. D’ailleurs, dès qu’on prononce le nom de Wolf, Margaret jette les bras au ciel et fait Ahhh ! Margeret et Tara ont eu le bon goût ce choisir le bon nom, comme le fit jadis Brian Jones pour les Rolling Stones, en hommage à l’autre géant du coin, Muddy. Et la partie est encore plus gagnée d’avance dès lors qu’elles tapent quasiment en début de set dans The Unapproachable Pathos Burns d’«Asked For Water».

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    Elles féminisent l’inféminisable, elles brassent le brut, elles oum-kalsoument le loup, elles rawent dans les brancards, elles rallument d’antiques brasiers, elles jouent avec le feu, oui, c’est exactement ça, elles fuckent le fake, elles charment le souvenir du vieux dieu noir et l’ancrent dans notre pauvre actualité deux-mille-dix-huitarde, elles shootent le blues dans le cul d’un temps qui n’en finit plus de rendre gorge, Margaret le chante de tout l’interior de son Luxe de fan, elle l’ondule du genou, elle le fouette en demi-teintes de demi-caisse, elle le plaint et le geint à la bonne mesure, elle ahoooooote sans la ramener, elle fâche deux ou trois accents, mais se prélasse dans le groove d’un blues magique et Tara le bat si soft, si mesuré, si juste qu’on s’en effare à chaque mesure, il faut la voir compter le temps du blues avec les épaules, elle offre un spectacle fascinant à elle toute seule, elle tient le beat de Wolf en laisse, elle chaloupe plus qu’elle ne bat, elle incarne le cœur du blues comme seuls des cracks de la trempe de Sam Lay ou Ted Harvey savaient le faire, et quand Margaret se rapproche de Tara pour communier, alors elles mangent le corps du blues.

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    Elles transmutent le plomb de la Gasoline en galantine d’organdi. Et lorsqu’elles tapent dans un registre plus architectural, elles poppisent l’ambiance, «Not Living At All» relève d’une certaine admirabilité des choses, Margaret le chauffe d’une voix chargée de sortilèges, elle pose son regard clair sur le monde et gratte doucement sa grosse guitare noire. Elle s’échappe par des petites pointes d’aho-ahooo, et Tara la soutient dans les affres de la plus fine complicité.

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    Et comme si réveiller le fantôme de Wolf ne suffisait pas, voilà qu’elles réveillent celui d’Hooky avec «Up In Her Room», aw yeah, Margaret ramène la transe du deep ole niggah dans le champ des blancs, une vibe qui remonte à la nuit des temps et que l’électricité modernise à outrance, c’est le son le plus rock qui se puisse imaginer, un seul accord et des petits riffs insalubres, pas la peine d’aller chercher midi à quatorze heures, tout est là, et cette diablesse de Margaret envoie quelques giclées de bottleneck, histoire de rouler le raw dans la farine, shake it to the one, elle chante à pleine voix et sa langue chuinte dans la croyance primitive. Elles n’en finissent plus d’y croire dur comme fer. Elles hantent si bien leur «Let It Go» qu’on se croirait dans une cabane du bayou encerclée par les alligators au yeux fluorescents.

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    Ou pour aller chercher une image un peu moins tintinesque, on pourrait dire qu’on se croirait dans le juke-joint de Junior Kimbrough, car c’est exactement la même lancinance, celle qui monte au cerveau et qui retourne les yeux au fil de la transe. Elles ressortent le vieux «Black Cat Bone» histoire d’envoyer une nouvelle giclée de jus dans l’œil du cyclone. Bienvenue dans l’enfer du paradis de la slide impavide, Margaret y va de bon cœur, elle n’est pas avare comme le sont les Cauchois, elle rajoute des tournées de sliding à gogo et comme Cochise elle décoche dans la caucherie tout le chaud des champs, cette violence qui date d’un temps où on forçait les nègres à travailler de l’aube jusqu’à la nuit. Alors, sors ton black cat bone, niggah, et maudis le patron blanc. Quand on écoute ça, on comprend que la colère, la seule qui compte et qui consiste à s’élever contre l’injustice, a enfanté des merveilles : le blues d’un côté et l’Internationale de l’autre. Personne ne peut rester insensible au charme des deux, pas même un porc. Elles repartent en mode North Mississippi Hill Country Blues avec «I’m In Love» monté sur un beau riff enroulé et Margaret l’emmène directement au firmament de la rockalama de Rocamadour, ça ne fait pas un pli, Tara nous bat ça des épaules, avec cette espèce de puissance contrôlée qui fait d’elle une batteuse de rêve. C’est si bon que Margaret glousse, on patauge dans l’excellence, hank you so much, elles n’en finissent plus de remercier le public, il règne dans la salle une stupéfiante ambiance de connivence et elles terminent leur set avec un «Travelin’» signé Greg Cartwright, the Memphis connection, histoire de boucler la boucle. Tara bat ça au tambourin, Margaret l’harangue à la volée, ça balance à la java, elles jivent le contexte du travlin’, muent leurs voix en une seule feinte, tous les beats du monde sont dans l’air, Margaret et Tara atteignent à l’universalité.

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    Comme le nouvel album tarde à paraître, on doit se contenter de l’existant, mais quel existant, baby ! Tiens, par exemple The Lost Tapes, un album mis en circulation voici trois ans et qui propose une cassette perdue et retrouvée par Margaret dans sa cave. Cette cassette remonte à leurs débuts.

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    En vraies fans de blues, elles tapent dans le vieux Fred McDowell avec «Sun Sinkin’ Low». Elles enchaînent avec Wolf et «Commit A Crime» qu’on retrouvera sur l’album Moanin’ paru en 2002. Le texte de Tara fait tout le charme de ce disque, car elle raconte les circonstances de leur rencontre avec Matthew Johnson, le boss de Fat Possum : le soir de leur arrivée, il leur fit un petit plan hitchcockien. Il les fit asseoir devant son bureau et il se mit à nettoyer son flingue devant elles. Tara raconte aussi une nuit d’aventures à la Nouvelle Orleans et la rencontre d’un trafiquant d’alcool qui leur vendit une bouteille d’absinthe. Sur cet album, elles tapent aussi dans le Gun Club avec «Love Of Ivy». Margaret s’en sort avec les honneurs, car elle cherche en permanence l’effet de bottleneck enragé. Alors elle gratte comme une folle et secoue ses genoux, comme si elle twistait à Saint-Tropez. La bombe se trouve en fin de B : «Hanging On A Thread», du pur garage avec Bruce Watson aux maracas. C’est enregistré dans son trailer, comme le précise Tara, et dans des conditions extrêmes, puisqu’ils viennent de siffler la fameuse bouteille d’absinthe - C’mon C’mon ! - C’est solide et bardé de viande, ça ferraille dans la déglingue. Elles shootent dans leur boogie du diable toute l’hypno de bastringue du North Mississippi Hill Country Blues, sans doute la meilleur du monde avec celui des Soufis du Riff marocain. Elles ont ça dans la peau. Bruce Watson joue le thème à l’orgue, à la vie à la mort. Rien d’aussi demented.

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    L’autre petite merveille disponible se trouve sur le bandcamp des filles. Cadeau du Professor. Ça s’appelle Bits And Pieces, une collection d’outakes de leurs albums parus sur Sympathy. Dès «Foxtrot», on sent le souffle, celui du riff de notes binaires. Margaret joue ses vagues de trash, mais à volonté. Même principe qu’un buffet de restaurant chinois. On pourrait appeler ça un instro Salvadeur de Salvador. Allende, bien sûr ! Elles tapent dans le vieux «Lil’ Red Riding Hood» de Sam The Sham, idole considérable chez les connaisseurs d’Amérique et elles en font du gluant de petite vertu, un vrai régurgitage de mini-jupe. Et paf, voilà «Over That Hill», tiré d’une session avec Greg Cartwright, un heavy blues explosif chanté à l’ingénue libertine, complètement dyslexé au trash de distorse, on vendrait son père et sa mère pour un son pareil. Rien d’aussi énorme sur cette pauvre terre. Elles tapent ensuite dans le «Blue Lite» de Mazzy Star, Margaret fait sa Hope et ça sandovale à gogo, mais c’est «Back To The Room» qui emporte la bouche et tous les suffrages, oui, car voilà le boogie du raw to the bone, clair à en pleurer, impérissable et magistral. Terminus avec «Slippering», un heavy blues de rock démentoïde. Margaret chante à peine au dessus du bordel, c’est tellement plein de son que le spectacle devient visuel. Le cut se noie dans le trash, help ! et une voix répond Yeah ah ooow, ça paraît con, écrit comme ça, mais c’est exactement ce qui se passe sous nos yeux globuleux. Margaret y va tant qu’elle peut, comme si elle jouait son ultime va-tout, son raout de la fin des haricots, burn baby burn alors oui, elle burn.

    Signé : Cazengler, Mr Planplan Man

    Mr. Airplane Man. Les Nuits de l’Alligator. Le 106. Rouen (76). 8 février 2018

    Mr Airplane Man. The Lost Tapes. Moaning Records 2015

    Mr Airplane Man. Bits & Pieces. Bandcamp delights

     

    Goon Mat the Hoople

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    Aussitôt après le set, the Goon Mat installait son mersch. Comme il parlait français, ça fluidifiait les échanges.

    — On vous a entendu à la radio !

    — Ah bon ?

    — Au Dig It Radio Show !

    Il ne connaissait pas.

    — Le morceau s’appelait «Little Girl», je crois...

    — Non, c’est pas «Little Girl», c’est «Lil’ Girl»

    La conversation prenait une tournure bizarre.

    — D’où venez-vous ?

    — De Liège, en Belgique.

    Le savoir belge, ça détendit aussitôt l’atmosphère.

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    Sur scène, ce mec jouait le blues comme un dieu. Le privilège de l’âge renforçait encore son imposante stature, comme si le fait de porter une belle barbe blanche conférait une sorte d’autorité divine. Comme son mentor Beat-Man, ce vétéran de toutes les guerres jouait de la guitare assis derrière un bass-drum. Il dégageait tellement d’énergie qu’il aurait pu chauffer tout un immeuble. Il jouait ses riffs sur des guitares vintage, réunissait toutes les conditions du régularisme gras et swinguait le beat des deux jambes. Ce blues-rock dude sortait tout droit d’un monde magique, celui du North Mississippi Hill Country Blues. Il avait ce qu’on met parfois une vie à chercher : un son. Cet authentique fan de blues voyageait de ville en ville pour porter la bonne parole, comme jadis les troubadours. Et diable, comme cette parole pouvait se révéler vitale, en ces temps de peste et de médiocrité rampante. Il ne forçait jamais, le blues hypnotique de Rural Burnside et de John Lee Hooker coulait de lui comme de source.

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    — Tu le vends combien l’album ?

    — Vingt !

    — Oh, il est sur Voudou Rythme !

    — Oui, on est sur Voodoo Ryzem !

    S’ensuivit un interminable hommage à tous les géants ressuscités par Fat Possum, T-Model Ford, Rural Burnside, puis the Goon Mat indiqua que Beat-Man l’avait dirigé sur Jim Diamond, d’où le son de l’album, et quel album !

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    Il s’appelle Take Off Your Clothes. Attention, ça mord dès «Because Of You» : sens du beat parfait, voix nichée dans le meilleur écho du temps, ce mec a tout bon. Lord Benardo chevauche side by side, il accumule toutes les virulences, à la meilleure mode d’alerte rouge, il nous refait la pétaudière à Walter Daniels qui refaisait déjà la pétaudière du grand Little Walter Jacobs. On sent le son de la meilleure désaille et dans un genre aussi difficile, ça devient un véritable exploit.

    C’est exactement ce qui se passait sur scène : Lord Benardo instillait des crises de demented harp dans l’hypno tentaculaire du Goon Mat. Quel ballet ! Lord Benardo se transformait en une sorte de tempête à deux pattes pendant que the Goon Mat se dressait comme un phare dans la nuit. Extraordinaire complémentarité. Un ying et un yang d’électrons libres. Tout le bien qu’on peut vous souhaiter est de pouvoir choper ces deux mecs sur scène.

    The Goon Mat cite The Legendary Tiger Man parmi ses chouchous, mais curieusement, il ne connaît pas Chicken Diamond.

    — Pourtant, il a trois albums sur Beast !

    — ...

    — Mais si, un mec de Thionville !

    — ...

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    C’est en lisant la track-list au dos de la pochette que la lumière se fit : le cut entendu à la radio s’appelle «Lille Girl» et non «Lil’ Girl». Ce n’est tout de même pas la même chose. On a là une véritable pépite de trash-punk blues pulsée de l’intérieur du menton et activée à coups de yeah avec une magnanime relance de beat au deuxième couplet. Ce mec a un talent fou. Il sonne si juste qu’on peine à le croire blanc. S’ensuit un «Babe» joué à l’heavyness prévalente. The Goon Mat harangue le petit peuple pendant que Lord Benardo aligne de savantes tortillettes d’harp no more. C’est absolument troublant de justesse.

    The Goon Mat indique qu’il va évoluer sur un son plus «actuel», avec des samples. C’est d’ailleurs ce qu’avait réussi à faire Rural Burnside en son temps, il avait réussi à ramener des machines dans son groove d’hypno pur jus et ça marchait. Au fond, chacun sait que la vraie modernité vient de gens comme Fred McDowell et Rural Burnside, comme elle vient de Miles Davis, de Monk et de Coltrane.

    Toute l’A de Take Off Your Clothes est somptueuse. Avec «Get Down With You», ils restent au niveau d’alerte symptomatique, c’est-à-dire éminent et incendiaire, avec une parfaite aisance et un choix d’angle parafait. De cut en cut, l’album devient passionnant. C’est tellement rare qu’il faut le dire quand ça arrive. Ils se livrent à une petite confession bon enfant avec «Conception Of The Blues». The Goon Mat monte ça sur un vieux riff d’Hooky et le chante à l’accent roulant des festifs liégeois - Oh the bluez - On assiste à de jolies montées en température, bien vibrillonnées par ce diable de Benardo. Comme Sisyphe, ils montent leurs bluez jusqu’en haut de la montagne. Heureusement certains cuts sont un peu moins intenses, ce qui permet au lapin blanc de reprendre son souffle dans la lande.

    Sur scène, the Goon Mat relança son grand beat à deux jambes pour embarquer le morceau titre de l’album au paradis. Il sonnait comme un big band de harp blues à lui tout seul, tout en affichant une sorte de calme olympien. Pas de rivière de smokin’ sweat comme chez Beat-Man, tout l’art du Goon Mat reposait sur un contrôle subtil des éléments. Chacun de ses départs de beat n’en finissait plus d’épater, on le voyait tenir le cap du beat droit sur l’horizon et filer les nœuds comme le plus léger des brigantins.

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    D’autres merveilles guettent l’amateur de blues en B, notamment «Dance With Me», bien hypno, un honey dance witte me en hommage à Rural Burnside, d’une justesse de ton imparable. Ces deux mecs ont repris le flambeau, avec une sorte de classe qui en dit long sur leur passion. Avec Cedric Burnside, Left Lane Cruiser, the North Mississippi Allstars et les deux Liégeois, la relève est assurée.

    Signé : Cazengler, the good mite

    The Goon Mat & Lord Benardo. Les Nuits de l’Alligator. Le 106. Rouen (76). 31 janvier 2018

    The Goon Mat & Lord Benardo. Take Off Your Clothes. Voodoo Rhythm 2018

    BEHIND THE BLACK DOOR

    A ROCK'N'ROLL SESSION

    VELLOCET

    Le rock'n'roll tel qu'en lui-même. Réduit à l'essentiel. Quatre gars, un groupe : Eric Colère ( chant ), Christian Verrechia ( basse ), Hervé Gusmini ( batterie ), Bruno Labbe ( guitare ). Enregistré et mixé en deux jours à la maison. Pas encore artefacté, seulement disponible sur plate-formes, demandez le lien à emarechal9@yahoo.com. Au final un album splendide. Envoûtant. Une musique qui se colle à vous et dont vous ne pouvez vous défaire. Noire et brillante. Sans effet particulier. Si ce n'est cette éblouissance qu'apporte une formation qui joue ensemble, chacun se fondant dans le son collectivisé. Pas d'esbroufe, mais une présence instrumentale indéniable. J'ai écouté trois fois le ''disque'' rien que pour la frappe goûteuse Gusmini sur ses cymbales, des éclats de soleil noir qui trouent la nuit, et ce travail de basse de Verrechia, une menace sourde omni-présente, à vous faire regarder sous le lit et entre les draps le soir avant de vous coucher. Fleur du mal empoisonnée. Quant à Labbe l'a la guitare ensorcelante, pas véritablement de riffs, une longue phrase d'une flexibilité étonnante, faites gaffe, du genre à vous passer le nœud du coulant autour du coup sans que vous vous en aperceviez. Colère, en anglais et en français. Timbre expressif. Vous fout le coup de tampon nécessaire à l'envol des morceaux. Vol de corbeaux sur les toiles de Gauguin. Indispensable.

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    La haine : un serpent noir glisse sur le plancher, ayez peur, l'est-là pour vous, se love sur vos genoux, vous apporte le plus merveilleux des cadeaux celui qui exclut tous les autres : la mort. Un des titres les plus vénéneux du rock français. Rythmique lourde, guitare ensorcelante, vous emmène jusqu'au bout du tunnel. La voix métaphysique d'Eric pose la question essentielle, celle de la finitude humaine. N'oubliez pas qu'il est des interrogations qui sont des réponses. Musique noire, visqueuse, tâche de cambouis excédentaire, marée noire sur votre âme. Cette lèpre insidieuse rigidifie votre cadavre. Vous n'auriez jamais dû passer le seuil de cette porte. Loosing you : vous croyiez avoir traversé l'épreuve suprême, ce qui vous attend est encore plus inquiétant. Cette guitare vous démantibule morceau par morceau. Délitement. Pire que la mort qui est une totalité, le manque, la perte de l'intégrité essentielle, une batterie aussi lourde et solennelle que le Crépuscule des Dieux à elle toute seule, et ce que je n'avais jamais entendu encore, la voix d'Eric qui grogne s'enroule sur elle-même et vous tient le rôle du solo de guitare, les autres autour comme les flammes de l'enfer qui jouent aux papillotes avec la douleur du corps qui se tord sur le bûcher de la souffrance intérieure. Des caillots de basse comme une procession funéraire, et ces coups de cymbales qui vous tailladent la chair sans rémission. Au nom de Dieu : seule la colère, la rage et la révolte permettent de vivre. Vellocet à fond la caisse. Un trait de feu. L'homme ne sera libre qu'une fois qu'il aura égorgé les dieux. Ouragan revendicataire, tout emporter, tout bazarder, bélier de bronze contre les contraintes carcérales des croyances. Coup de pied dans la fourmilière des idées fausses. Vellocet nettoie votre cerveau. Karcher monstrueux dans vos synapses. Si vous l'avez oublié, Vellocet vous le rappelle : le rock'n'roll est une musique violente. Alerte noire : Zone Dangereuse. Au-delà de cette tornade, vous serez livré à vous-même. Monday morning blues : blues vicieusement vitaminé, ça tangue comme une mer qui furieuse précipite la coquille de noix de votre individualité sur les récifs, pas le temps de réfléchir, le mouvement s'accélère, guitare tranchante, basse de fond, batterie implacable, le vocal d'Eric clame la catastrophe annoncée, l'est comme l'écume blanche qui indique le lieu du naufrage. Bloody Monday. Mona Lisa : une basse qui sonne comme les ondes du désir fou qui court sous la peau des hommes. Une batterie qui hache la chair, la guitare klaxonne pour vous avertir du danger. La beauté tue plus sûrement qu'une balle qui vous traverse la tête. Faut entendre Eric répéter le nom de Mona Lisa, l'on dirait qu'il mâche le chewing gum du rut. Le morceau se termine par un rugissement collectif de fureur. Femme, ultime épreuve. De satiété. Sex and rock'n'roll valent autant qu'amour et poésie. Shotgun House : le combo rebondit comme une balle de squash sur le mur des prisons internes. Sept balles dans votre cœur de cible. Un morceau sans pitié. Deux minutes vingt sept secondes de malheur. Et de foudre. Aurions-nous supporter une seconde de plus ? Sniper définitif. Macho : le reptile du mentir-vrai s'insinue vers elle, Vellocet plus visqueux que jamais, sédition de la séduction, Vellocet déroule des anneaux de promesse de stupre paradisiaque, consentement et contentement sont chacun d'un côté de la barrière des relations humaines, la musique s'alourdit et s'arrondit, elle épouse les courbes de la perfide tentation de la voix du Serpent qui tendit la pomme à Eve. Refus ou acceptation. Inutile de se plaindre après. Laisse-moi : plénitude du rêve et sentiment de déperdition. Homme partagé. Blues et idéal aurait dit Baudelaire. Déchirements intimes. La musique de Vellocet embrase la douceur majestueuse des fleuves qui roulent des flots d'une puissance extraordinaire.

     

    Un chef d'œuvre absolu.

    Damie Chad.

    17 / 02 / 18TOURNAN-EN-BRIE

    LE 101 . FERME DU PLATEAU

    RIP IT UP / Party 3

    THE FOUR ACES / AMHELL & THE CRACK-UPS

    THE ATOMICS

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    Préfère ne pas compter les années depuis que je n'ai pas mis les pieds à la Ferme du Plateau. Ce doit être depuis le Rip It Up. Party 2. Ne suis pas le seul à entendre les exclamations qui fusent «  Ah, oui, je reconnais la salle ! » … L'on retrouve les murs et bien mieux encore des têtes que l'on n'avait pas vues depuis longtemps. Accueil sympathique, coiffeur spécialisé es-bananes, et disc-jockey pour les amateurs de danse. Pas mon cas.

    THE FOUR ACES

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    Les quatre as. Le grand jeu. A tous les coups vous êtes sûrs de remporter la mise. Le rockab, tel que vous en rêvez la nuit. Le jour aussi. Entre chiens et loups, encore plus. La foi, le feu, la foudre. C'est juste du rock'n'roll, combien tristes ceux qui n'aiment pas ça ! Honey Bun pour commencer la partie. The party. Un régal. Faut voir Laurent. Droit dans sa veste. Guitare en travers. Jeu d'épaule à la Cochran et c'est parti pour cueillir les marguerites au vibromasseur. Le jeu du fou, le sourire du renard, la hargne du chacal qui s'acharne sur les vieux os brisés et inusables du rock'n'roll. Numérotez vos abattis, Thierry Gazel est à la basse bourdonnante. L'a fait japper tant qu'elle peut, n'arrêtera pas de tout le set, se pend à vos frasques et ne lâche plus le morceau. Carlos est au drumin'. D'une seule main. Temps, contre-temps et tout le tintouin, fin sourire aux lèvres et maracas mexicaine dans sa dextre. Vous donne la mesure exacte, celle qui vous permet de comprendre le sentiment de démesure que porte en lui le rockabilly. Marco est à la lead et à la chemise tahitienne. Vous plante les banderilles à l'instant fatal. C'est cela le rockab, l'art fugace de l'instant, vous avez dix secondes de célébrité dans un morceau mais c'est amplement suffisant pour sortir vos griffes. Si vous ne le croyez pas, rentrez dans la cage aux tigres du rockab, et revenez nous donner vos impressions.

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    Laurent est à la fête. Vous sort les mimiques et les simagrées du rockab. Un art plus difficile que le trapèze. Un clin d'œil trop appuyé, un sourire trop épanoui, c'est raté. Totalement râpé. Un art du mime qui ne s'apprend pas. Cela s'acquiert d'instinct, même pas besoin de voir une vidéo ou des photos. La musique seule vous dicte les attitudes. Et Laurent excelle en cette pantomime. Faut aussi la voix. Sans laquelle vous passez par la case sortie de route. Un timbre et des intonations. Et puis se laisser guider, savoir saisir cet instant magique où l'on cesse d'être en représentation pour se laisser aller, se laisser porter et emporter par cette graine de folie qui pousse dans l'herbe folle du rockab.

    Laurent et sa gueule de corsaire. Verbe haut qui contient toutes les balafres, toutes les gerçures de la vie, et cette fureur joyeuse de vivre malgré tout envers et contre tout. Les titres défilent, I'm Crazy About You, When You're Gone, Baby Take Me Back, I'm Commin' Home, drames, comédies et tragédies. Les mettre en scène, de la voix, du geste, d'un mouvement brusque du corps, d'un regard ombrageux ou complice, ne s'agit pas de chanter, mais de créer l'émotion foudroyante à partir de lyrics d'une écriture assez simple, d'atteindre à l'universel des situations existentielles archétypales. Le rockab n'a qu'une cible, le cœur.

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    Et ce soir The Four Aces ont été impériaux. Pas un gramme de graisse en trop. Les nerfs et les tendons tendus à l'extrême. Et pourtant c'était leur dernière danse. Leur dernière prestation. La dernière date. Le dernier rencart avec leur public. Le dernier baiser de feu. Et pas une once de tristesse. Pas une once de nostalgie. Pas de pleurs. Pas de trémolos. La joie pure. Only rockabilly.

    Merci, les Four Aces !

    AMHELL & THE CRACK- UPS

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    Pour une fois je commencerai par la fin. Après le set. Deux écoles se font face. Celle qui n'a entendu qu'Amhell Barefoot, celle qui n'a vu que Pascal Hammann. Pour le batteur, David Giudicci, pas de problème, tout le monde est d'accord. Faut le dire. A part deux ou trois initiés, personne ne connaissait le groupe. Je ne compte pas les tricheurs qui sont allés glanés sur le net. Dans ces cas-là on craint le pire. L'on a eu le meilleur. Un groupe qui sort du lot. Pas tout à fait comme les autres. Des franco-suisses. Pas spécialement pur rockab mais pleinement dedans. Les deux mecs sont spécialement énervants. Réglons son cas à David. Indubitablement vient du jazz. L'est assis modestement devant ses caisses. Pas le genre de gars qui voue la joue à l'épate, aucune fanfaronnade, entre deux battements il donne l'impression de s'ennuyer, de n'avoir plus rien à faire, vous aimeriez l'engueuler, lui dire de se mettre au boulot fissa, mais non, l'a fait son job, l'air de rien, l'a même balayé et passé la serpillère. Irréprochable. Et sa manie de glisser ses bras comme des serpents nonchalants qui ne sont pas pressés de se mettre à l'ombre, un coup d'œil vers Pascal, ça c'est pour toi, une œillade vers Amhell, ne t'inquiète pas, pas de retard dans la livraison, voici ton dû. Pour lui, rien, David accompagne, déroule le tapis pour les copains, l'aplatit et arrange les franges au mieux pour les deux autres, c'est son trip, vous voulez un batteur, en voici un, attention je ne suis pas un bateleur. Bosse pour vous, mais pour ma promo personnelle, je fais confiance à la qualité de mes prestations, pub inutile, et il vous sourit et vient vers vous dans son costume impeccable ( même pas élimé aux manches ).

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    ( Photo FB : Amhell & the Crack-ups )

    Au début j'ai zieuté Amhell – rocker et Amhell sont des mots qui vont très bien ensemble – mais au quatrième morceau, m'a forcé à m'occuper de son cas. Avec sa guitare jazzy aussi épaisse qu'un dictionnaire je l'avais un peu snobé, mais au cinquième titre j'ai dû dire amen à Ammann. Le mec irritant. Enervant. C'est simple, il peut tout faire. Tout. L'a les doigts clef à molettes, vous accroche les cordes à l'endroit idoinement exact et leur fait rendre la note parfaite. Celle dont vous avez besoin. Celle-là et pas une autre. N'imaginez pas un quart de ton au-dessus ou au-dessous, ou un accord davantage ceci et un peu moins que cela. Une facilité déconcertante. Le mec qui court un marathon sans une goutte de sueur, sans un grain de poussière, sans un cheveu déplacé. Le gars qui survole son sujet. Pouvez passer commande, du jazz ; en voici du pas naze, du country : celui-ci n'est pas contrit, du blues : vous offre le choix du roi, du rhythm'n'blues : en rythme et de toutes les couleurs, pour le rock : c'est choc, pour le hillbilly : c'est pas riquiqui, pour le rockab, toujours du rab. Quand il a sorti un solo à la Sonny Cedrone, j'ai déclaré forfait, trop c'est trop. Trop fort.

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    M'en suis allé pleurer dans les jupes de maman Amhell. Bien trop jeune pour être ma mère, mais elle m'a consolé. De sa voix. Je vous épargne les distinguos des copains, ceux qui affirmaient qu'elle avait une attaque plus forte que Wanda Jackson et ceux qui reconnaissaient des réminiscences de Janis Martin. D'abord elle se distingue de ces deux reines car si elle chante, c'est en se jouant de sa contrebasse. Big Mama et True Fine Mama côte à côte, la première en justaucorps de bois vernis et la deuxième dans sa robe blanche ornée de grosses clefs de sol, une magnifique rose tatouée sur son mollet, d'autres qui dépassent un peu partout, vous aimeriez bien cueillir le bouquet entier, mais non les rockers ne sont pas des sagouins. Tout le monde écoute sagement un sourire béat sur les lèvres. L'a la voix ronde comme les notes qu'elle tire de son instrument, perles que les deux guys enchâssent d'un tapis de percale. C'est le trio des facilités. Elle chante comme l'oiseau sur la branche, avec une aisance naturelle, qui vous rend malade de jalousie. Rire roucoulant et chant de gorge comme gouttes de pluie ruisselante. Ondée bienfaisante. Âme plutôt édénique qu'infernale !

    Grosse impression sur le public qui acclame et applaudit à tout rompre.

    THE ATOMICS

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    Flegmatiques, tous les trois. Un, deux, trois, c'est parti ! Le rockab dans sa nudité électrique. Renaud à la contrebasse, Pascal à la batterie, Raph au chant et à la guitare. Raph à la guitare. Une démonstration éblouissante. Nous avons déjà eu le premier de la classe. Mais là, l'on change de catégorie, l'on passe dans la hors-classe. Jusqu'au bout du rock'n'roll. Eblouissant. Fulgurant. Seuls sont les indomptés. Un mur de glace vertigineux, à escalader à mains nues. Six cordes et dix doigts. Derrière, ça suit.

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    Renaud, le grand Renaud, taciturne, légèrement voûté sur sa contrebasse, sourira à peine lorsque Raph signalera que tel ou tel morceau ont été composés par lui. Pascal, au fond, en pointe inversée du triangle, attentif, pas une seule fois pris au dépourvu par les raccourcis chromatiques de Raph. Appelez Renaud et Pascal, une section rythmique si vous le désirez, moi me font l'effet de cette digue jetée dans la mer par les soldats d'Alexandre pour parvenir à prendre pied sur les remparts de Tyr. Une espèce de rouleau compresseur monstrueux qui s'avance sur vous pour vous apporter la mort et pire encore, ce sentiment de la défaite annoncée, ce goût d'amertume de savoir que l'ennemi vous est infiniment supérieur. Un serpent de feu dont rien n'arrêtera l'avancée. Si évident qu'il faut parfois leur prêter une oreille plus qu'attentive pour saisir cette pulsation continue qu'ils insufflent sans cesse, un speedground infini, une trajectoire idéale, droit devant, sans arrêt, sans reprise, sans étape.

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    Un Raph survolté. Rien qu'à sa manière d'entonner les premiers vocaux, vous comprenez qu'il est venu pour cracher toute la hargne du rock'n'roll. Et cette guitare. Une folie. Une tuerie. Aucune recherche d'effets, ne gambade pas, ne batifole pas après les belles sonorités avenantes qui vous sourient, pour les égards et les jeux de séduction, ce sera la grande déception. Raph joue de la guitare, il refuse de s'abaisser aux courbettes et aux politesses démonstratives. La ligne droite est le plus court chemin du rock'n'roll. Ce n'est pas qu'il joue vite, c'est qu'il a éliminé toutes les courbes qui vous éloignent du sujet, même si c'est pour mieux y revenir, directly in the fire, au cœur du brasier, au centre de la fournaise, l'a trouvé la formule algébrique qui fait que les cordes parallèles d'une guitare se rencontrent toujours selon les points les plus chauds de l'incendie intérieur qui embrasent votre pulsion de vie. Le rock'n'roll n'est pas une musique. Mais un art de vivre plus intensément.

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    Les Atomics ne font pas de quartier. Combo hot-rod. Tout et tout de suite. Dans la salle l'on passe de la jouissance pure à la sidération. Jusqu'où iront-ils ? Comment s'arrêteront-ils ? L'aiguille est dans le rouge. Nous avons dépassé le stade de l'extase et un brouhaha de folie s'amplifie, l'on n'arrête pas une fusée comme l'on descend d'une bicyclette, le set est terminé, mais c'est une fausse nouvelle, un fake, une intox, ne parlez même pas de rappel, une exigence partagée par le groupe et le public, les Atomics galvanisés continuent sur leur lancée, poursuivent leur chemin jusqu'au bout du rock'n'roll. Une prestation hallucinante. Le genre d'expérience dont on ne sort pas intact. Un de ces moments-limite qui permet de prendre conscience que nous sommes constitués de la même semence de feu que les étoiles et les Dieux.

    Les Atomics ont tout donné. On a tout pris.

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    Damie Chad.

    (Sauf indication contraire : Photos : Sergio Kazh : Rockabilly Generation News )

    L'EXTRAORDINAIRE AVENTURE

    ( featuring the Jallies )

    Parfois l'Histoire de l'Humanité se précipite. En quelques heures la science effectue de considérables sauts épistémologiques. Au moment où l'on s'y attend le moins. D'improbables conjonctions aléatoires d'évènements sans relations causales produisent dans les cerveaux des plus grands chercheurs des déclics de compréhension foudroyants qui révolutionnent le monde et hâtent la marche du progrès.

    L'on ne voyait que lui. Un géant. Deux mètres quarante. Cent quatre-vingt kilos. Avec sa tignasse rousse il attirait tous les regards. N'empêche qu'il ne la ramenait pas. L'avait un escadron de quinze flics, pistolets aux poings qui le talonnaient. Plus une quarantaine d'autres qui l'attendaient au bout du trottoir. L'était pris au piège. La souricière se refermait sur lui. Vous connaissez les rockers, toujours prêts à aider la veuve et l'orphelin. Je passais par hasard au volant de la teuf-teuf, j'ai pilé, monte ai-je crié, pas eu besoin de le répéter, s'est engouffré par la porte arrière, et j'ai foncé comme un malade sur le macadam.

    Ogeid a passé deux jours chez moi. Le temps que ses acolytes de la Mafia russe viennent le récupérer. Un mec très sympa. A part qu'il a sifflé en quelques heures ma provision annuelle de Jack. M'a serré sur son cœur lorsque l'on s'est quittés. «  Toi Damie sauver moi. Ogeid oublie jamais ami. Envoyer de Russie, cadeau qui te fera grand plaisir ! ».

    Les mois ont passé. Je n'y pensais plus lorsque voici huit jours le facteur sonne à la porte. Monsieur Damie, un colis pour vous, je récupèrerais avec plaisir les timbres pour la collection de ma petite-fille, ceux qui arrivent de Russie sont rares. Les lui ai refilés et j'ai ouvert le paquet. Douze bouteille de vodka, avec un papier scotché dessus : De la bonne ! Un stick de sucre en poudre marqué de l'inscription QUVIR ! en grosses lettres majuscules tracées d'une main énergique au feutre rouge, et un tube de mayonnaise que j'ai séance tenante enfourné dans le frigo, sans prêter attention à la feuille de papier dont il était entouré. Et ma vie a suivi son cours.

     

    C'est que j'avais mieux à faire. Mon cerveau roulait de vastes pensées. J'avais beau relire le tome 38 de L'Encyclopédie de la Reproduction Naturelle du Lézard, et le Frankeinstein de Mary Shelley, je savais que je brûlais, mais il me manquait encore l'intuition fulgurante qui permet d'unifier les données du savoir théorique avec l'expérience conclusive de la preuve indubitable. Des nuits et des nuits de travail, ardu, fastidieux, passionnant... Il devait être six heures du soir lorsque le téléphone sonna.

     

    • Allo Damie, c'est moi Giroflée, tu as oublié la date !

    • Pas du tout, Giroflette, vendredi seize février 2018, ce soir concert des JALLIES, au Younell's Pub à MONTEREAU !

    • Pas celle d'aujourd'hui ! Celle d'avant hier ! Le 14 ! La Saint Valentin, j'attendais un bouquet de fleurs et une invitation au restaurant, mais non rien, alors ce soir j'ai décidé de forcer le destin, dans une demi-heure, je suis chez toi décidé à t'offrir le plus merveilleux des cadeaux.

    • Excuse-moi, Giroflette, mais je travaille, j'en ai encore pour deux heures et après je file au concert, auquel d'ailleurs, je te le rappelle, je ne t'ai pas invitée.

    • Damie, tu n'as pas besoin de t'excuser, je t'aime et ce soir notre amour va se concrétiser d'une manière exceptionnelle ! J'arrive, prépare-nous un festin d'amoureux !

     

    La porte s'est ouverte, et Giroflée est entrée. Une petite moue de dépit est apparue sur son visage quand elle a aperçu le paquet de chips entamé et les deux saucisses de Strasbourg dans l'assiette pas très propre. C'est tout Damie semblait-elle dire. Ah ! oui ai-je pensé, le tube de mayonnaise russe. Me l'a arraché des mains, l'a examiné scrupuleusement, déchiffré longuement la feuille de papier qui l'enveloppait et alors que je m'attendais à une bordée d'insultes, m'a adressé un sourire radieux, m'a vivement posé deux bises sur les joues et s'est exclamée :

     

      • Damie tu es un véritable gentleman, je passe dans la salle de bain, je reviens dans dix minutes...

     

    J'ai récupéré le papelard dactylographié qu'elle avait abandonné sur la table et j'ai lu.

     

    '' Le lézard de Sibérie résiste à des conditions extrêmes, se promène en toute quiétude sur les lacs gelés par moins de soixante degrés centigrades. C'est l'animal le plus résistant de la planète. Les populations autochtones n'ont pas manqué depuis des siècles d'admirer l'extraordinaire vitalité de ce saurien d'une si belle couleur verte. Le soir de leur mariage, les jeunes filles ont coutume de s'enduire le corps d'une crème de sperme de Lézardus Septentrionus, l'on dit que cette onction irise leur peau de reflets verts qui s'accorde à merveille avec leur blonde chevelure. Mais cette crème lézardienne décuple aussi leur vigueur sexuelle et les rend irrésistibles. Jamais l'amant qui aura connu un tel bonheur ne sera infidèle à sa bien-aimée, assure la légende.

    Pour une Saint Valentine réussie

    Rien ne vaut le lézard de Sibérie !

     

    Se conserve au frigidaire. Ne pas dépasser la dose prescrite. Mise en tube par la société Lezardov. Yakoust. Made in République de Sakha''

     

    Logiquement, devrait s'ensuivre une graveleuse partie de jambes en l'air. Je préviens le lecteur. Un incident apparemment insignifiant modifia la prévisibilité du futur, la petite culotte que Giroflée lança par la porte entrouverte de la salle de bain traversa la pièce pour retomber à mes pieds. Sur le moment je n'y fis pas cas, j'entendais Giroflée chantonner, je ne m'y attendais pas, mais en toute modestie je dois le reconnaître, ce linge intime déposé sur le carrelage devant mes innocentes santiags occasionna en moi le même effet que la pomme qui se détacha de l'arbre sur le cerveau de Newton... Comment n'y avais-je pas pensé plus tôt, je possédais tous les éléments pour faire faire à la science moderne un grand pas en avant ! Une véritable révolution copernicienne, digne d'Einstein. Fallait jouer serré. L'occasion ne se représenterait peut-être pas de sitôt.

     

      • Chérie, prends ton temps, je te prépare un petit cocktail, pour que tu sois en pleine forme.

      • Comme c'est gentil Damie, passe-le-moi par la porte, mais ne regarde pas, je veux te faire une surprise.

      • Promis chérie, je ne suis pas un poète voyeur comme Arthur Rimbaud, moi.

      • Hmmm ! C'est bon, mais c'est fort, accorde-moi deux minutes que je le sirote, c'est ultra sucré, c'est savoureux, c'est quoi ?

      • De la vodka avec du quvir !

      • Je ne sais pas ce que c'est, mais c'est délicieux !

      • Ah oui, ils ne le disent pas sur la notice, mais si tu introduis de la mayonnaise dans ton vagin, c'est un parfait lubrifiant.

      • Mon intuition féminine y a déjà pensé, ne t'inquiète pas,

     

    Ogeid m'avait expliqué la nature du quvir. Mis au point dans les laboratoires secrets de l'armée russe. Un APP, un simple accélérateur de particules physiologiques, aux propriétés énergétiques sans précédent. La mafia le revend sous le nom de Drogue des Ecoliers. Donnez-en à un gamin de dix ans qui a du mal à apprendre sa table de multiplication par trois, en quelques minutes il devient capable de faire un cours de science quantique à des étudiants en master 2. Ogeid m'avait prévenu, c'est du quvir pur que je t'enverrai, pour les gamins on y va mollo, on divise la prise par mille, édulcoration totale qui permet de réussir son interro écrite de math sans ouvrir son bouquin à la maison, mais pour toi cadeau, non coupé. AGPPP, Accélérateur Gigantesque de Particules Physiologiques Pur !

     

    Une tornade m'a subitement submergé, le corps nu de Giroflée s'est collée à moi, je l'entendais gémir Damie, Oh Damie, ses lèvres me dévoraient le visage mais toute mon attention se focalisa sur son ventre qui me semblait se gonfler d'une proéminence excessive, j'y posais la main, foutredieu, elle était enceinte, dans sa démence sensuelle elle ne s'en apercevait pas jusqu'au moment où elle porta ses doigts au bas de son sexe , oh ! J'ai mal, et quelque chose de la taille d'un bébé humain tomba sur le plancher. Elle le ramassa vivement,

     

      • Oh Damie, c'est super, l'on a déjà un beau bébé !

     

    Beau peut-être mais d'une couleur un tantinet verdâtre. D'une apparence un peu bizarre, moitié-homme, moitié-lézard. Se mit à vagir d'une façon désagréable,

     

      • Regarde, le pauvre il a faim, il veut téter, et elle lui tendit son sein.

     

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    Ogeid n'avait pas menti, un terrible accélérateur physiologique. Le bébé glouton assécha les deux mamelles en deux minutes, il me semblait avoir grandi, sauta des bras de sa génitrice, engouffra les deux saucisses de Strasbourg et se mit à ronger la table ! Mesurait déjà deux mètres, il pleurait et hurlait en renversant les meubles, commençait à nous regarder d'un œil vorace, et sa langue n'arrêtait pas d'entrer et de sortir de sa gueule dévoilant une énorme denture de caïman. Je saisis Girofllée par la main et nous dévalâmes l'escalier en courant. Girofllée regimba quelque peu, mais Damie, je suis toute nue ! Nous parvînmes à monter dans la teuf-teuf et à nous enfuir. La bestiole nous courut après. De temps à temps elle remontait à notre hauteur et tambourinait de ses bras sur le toit de la voiture. J'accélérais comme un fou... L'aiguille frôlait les deux cents kilomètres-heure et le monstre suivait sans faiblir.

     

      • Plus vite Damie, il mesure au moins cinq mètres de haut maintenant ! Il y a des clignotants jaunes et bleus derrière lui !

      • Sans doute la police et les pompiers, accroche-toi on entre dans Montereau, ça va tanguer !

     

    La teuf-teuf déboula sur la place du Marché Au Blé, à peine étais-je passé qu'un cordon de tireurs d'élite de la police nationale occupa la chaussée et commença à tirer. Droit au cœur, la bête s'arrêta, elle resta debout un long, très long moment, immobile... J'avais garé la teuf-teuf, nous nous sommes approchés, le monstre qui mesurait maintenant près de huit mètres, vacilla, des larmes coulaient de ses yeux. Plus tard plusieurs témoins affirmèrent qu'ils l'avaient entendu distinctement crier Maman en tendant les bras vers Giroflée. Il y eut une seconde rafale, et l'animal s'effondra inanimé sur le goudron. Une scène très émouvante se produisit, la télé n'en perdit pas une miette et diffusa les images en direct. Je tenais Giroflée par la main, mais brusquement elle fendit la foule et se jeta sur le cadavre de la bête en hurlant : Mon Bébé ! Mon Bébé ! Un cri si déchirant que la France entière en fut émue. Un policier compatissant, jeta une couverture sur sa nudité, et deux infirmiers l'entraînèrent vers une ambulance. Au micro de BFM, un expert-psychiatre expliquait : Nous la conduisons à l'asile, un choc terrible, la peur, la panique, un trauma exceptionnel, je peux déjà dire qu'elle y restera toute sa vie.

     

    Peuh ! Pas de quoi faire rater un concert des Jallies à un rocker, et d'un pas décidé je pénétrai dans le Younell's Pub.

    MONTEREAU / 16 – 02 – 2018

    YOUNELL'S PUB

    THE JALLIES

    Beau bar. Ceci n'est pas un bobard. Comptoir tout au fond, espace Dj dans un coin, bel espace scénique carré pour les groupes, visible de tout le monde, un assemblage hétéroclite et néanmoins harmonieux de sièges et de tables de toutes formes et de toutes dimensions, jusqu'à une grosse barrique, malgré poufs et fauteuils le patron est obligé de sortir les chaises de sa réserve pour juguler l'afflux des clients. Connaissances, bises et exclamations de tous côtés, les Jallies grignotent placidement une pizza, interrompus à chaque bouchée par de nouveaux arrivants qui viennent les saluer... Sont ici dans leur fief.

    JALLIES

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    Sont toutes belles, les tourterelles juchées sur leurs talons hauts, jacassent comme des pies voleuses – ce sont nos âmes qu'elles vont ravir – verres de rouge à leurs pieds, les boys frôlent d'un doigt patient leurs cordages, attendant que les oiselles soient prêtes. Et c'est l'envol subit, sans préavis. Phénix au zénith. Sont-ce là nos Jallies habituelles ? Pas possible, on nous les a changées ! Même caisse claire, même acoustique, même tambourin, même contrebasse, même guitare électrique, mêmes gosiers, mais un son nouveau. A n'y rien comprendre. Z'ont bouleversé l'ordre du répertoire, mais c'est une fausse incidence, faut entendre cette ampleur sonore, qui vous fond dessus telles des bolas de gauchos argentins qui s'enroulent autour des pattes des autruches et vous les renversent à terre sans rémission. Sûr que derrière, les oisons ne sont pas oisifs. Kross sort le grand jeu, virevolte sa grande big mama dans tous les sens, la tourne à toute vitesse sur elle-même, z'avez l'impression de la robe de soirée de la Grande-Duchesse qui tournoyait enivrée de valse folle au grand bal de l'Empereur d'Autriche, mais ce n'est rien, parfois il vous la bloque sec, la ploie en arrière comme une danseuse de tango, l'est penché sur elle, le visage à hauteur du sexe fendu des ouïes et là vous entendez ce vous n'avez jamais ouï dans un groupe de rockabilly, le slap. L'a éliminé toute rondeur, toute vibration, toute harmonique, ne reste que le bruit de la corde raide tendue comme le corps d'un pendu qui rebondit sur la hampe. Un cliquettement phénoménal, un tic-a-tac monstrueux, deux morceaux de bois cognés l'un contre l'autre, la musique réduite au bruit primordial originel, les écailles de deux varans qui s'entremêlent dans la tempête cadencée de l'accouplement, Kross acclamé à chacune de ses interventions. Tom n'a jamais été en reste pour faire vrombir sa six-cordes, une Gitane Testi, vous la pilote à la texane, agrémentée d'une quadruple rangée de mégaphones, à réveiller les morts dans les cimetières, les soirs de pleine lune, mais cela c'est de l'histoire ancienne, l'a remplacée par la machinerie d'un trépan à cônes de quinze tonnes qui s'attaque à de la roche dure. Un bruit d'enfer, une espèce d'obus sonore qui a décidé de pulvériser le magma terrestre afin d'éclater le noyau solide interne et faire exploser la planète, une bonne fois pour toute. Deux galopins qui ont décidé de jouer du tambour jusqu'à quatre heures du matin pour le plaisir d'embêter les voisines du dessus.

    Si vous croyez que ça les dérange... au contraire, nos trois hirondelles ont décidé de caqueter bien plus fort que ces deux coqs de basse-cour de bas étage. Sûr que leur ramage se rapporte à la beauté de leur plumage, elles passent au-dessus de ce brouhaha garçonniers avec le mépris souverain du condor qui d'un seul coup d'aile franchit les neigeux entassements escarpés des Andes, Céline, Vanessa, Leslie, le chœur ensorceleur des anges de l'enfer que Satan nous a envoyés exprès pour nous perdre définitivement. Sans rémission. Pas le temps de respirer. Plus vite et plus fort. Elles ont rockabyllisé leur morceaux à dominante swing et métamorphosé leurs rocks en blessures outrancières, plaies purulentes de plaisir, et hémorragie magiques d'extases, n'ont qu'à ouvrir la bouche pour qu'il vous semble boire l'eau moultement tumultueuse de la fontaine de Barenton. Leslie, sourire canaille et voix de rêve évasif nous envoûte avec son Funnel of Love – et ce vicieux de Tom qui vous prolonge les notes en dards monstrueux d'abeilles qui s'enfoncent sans fin dans les parties les plus secrètes de votre corps – Vanessa met tant d'allant sur la caisse claire qu'elle sème à tous vents les soies de son balai de sorcière, éclate de rire comme Scarbo, le gnome diabolique des poèmes d'Alosyus Bertrand, répandait les louis d'or sur les badauds éblouis, alors pour se venger elle nous éparpille tout azimut un petit Gene Vincent de derrière les fagots en feu. Vous ici, je vous croyais au kazoo psalmodie Céline, et c'est parti pour un Touka au bazooka à ensorceler les toucans dans les volières de la ménagerie du Diable.

    Souvent, elles mêlent leur voix, à deux, à trois, – même que Kross leur prête une ou deux fois son plein-chant funèbre pour les vocalises d'appui et de répulsion – et c'est parti pour des feux d'artifices d'éclaboussures de swing et des copeaux de rock. La salle trépigne, s'hippopotamise d'applaudissements et rhinocérise de joie. C'est la grande exultation. L'énorme tribulation du vendredi soir.

    Hélas, deux sets. Les édiles municipaux ont décidé qu'après minuit-dix le carrosse de nos trois cendrillons se transformait en citrouille silencieuse. Féérie pour une autre fois. Disait Céline.

    Damie Chad.

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    Quand je suis ressorti, il était près de minuit, et des camions-grues se hâtaient d'enlever au plus vite le bébé mort-né de Giroflée. Je ne lui ai même pas jeté un regard. J'avais mieux à faire. J'avais enfin réussi à créer un hybride mi-humain, mi-lézard, je connaissais le processus et étais prêt à le dupliquer de façon industrielle. J'étais le maître du monde. Bientôt avec mes légions d'hommes-lézards je dominerai la planète entière. Peut-être même à leur tête envahirais-je les étoiles lointaines...

    Moi Damie Chad, Empereur Suprême.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 241 : KR'TNT ! 361 : FAST EDDIE CLARKE / EDDIE AND THE HEAD-STARTS / TOM ROISIN / MICHEL EMBARECK / BOB DYLAN / JOHNNY CASH /DANIEL GIRAUD

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 361

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    15 / 02 / 2018

     

    FAST EDDIE CLARKE

    EDDIE AND THE HEAD-STARTS / TOM ROISIN

    MICHEL EMBARECK / BOB DYLAN / JOHNNY CASH

    DANIEL GIRAUD

     

    Fast Eddie fastes

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    En février 1976, Lemmy décida qu’il y aurait en plus de Larry Wallis un second guitariste dans Motörhead. Alors, Philthy lui présenta l’un de ses potes, Eddie Clarke. Eddie et lui travaillaient ensemble à la rénovation d’une vieille péniche. Une date fut prévue pour l’audition d’Eddie. Il devait juste épauler Larry. Mais Larry prit mal le fait de devoir jouer avec un autre guitariste et il quitta le groupe pour rejoindre les Pink Fairies. Eddie se retrouva dans un trio. Le départ de Larry scia Lemmy qui grommela : «Grumble... Grumble... Le plus drôle de l’histoire, autant que je me souvienne, c’est que c’était l’idée de Larry d’embaucher un second guitariste.»

    Le nouveau trio fonctionnait à merveille. Même s’il s’appelait Fast Eddie, Eddie était le mec tranquille du trio. Il avait de chaque côté de lui deux personnalités agitées, Lemmy et Philthy. S’il avait été aussi incontrôlable que les deux autres, le trio n’aurait certainement pas fait long feu. Par chance, Eddie Clarke connaissait bien la vie de groupe. Il avait commencé à 15 ans. Il fut le guitariste de Zeus, un groupe qui accompagnait l’Américain Curtis Knight. Il avait même composé pour lui, comme on le constate en inspectant la pochette de The Second Coming.

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    Paru en 1974, The Second Coming est un album pour le moins surprenant. Curtis Knight et Zeus ouvrent le bal avec «Zeus» et filent ventre à terre dans la bonne jachère des seventies. Fast Eddie part aussitôt en solo, mais il ne joue pas n’importe quoi, uniquement des solos inflammatoires. Il déblaye tout ! Quelle énergie ! Les petits blancs en marcels qui accompagnent ce diable de Curtis Knight jouent à l’hendrixienne et multiplient les retours de manivelle. La grande force de Curtis Knight a toujours été le son. La fréquentation de Jimi Hendrix a laissé des traces. Avec «Mysterious Lady», Curtis et Zeus passent au heavy garage absolutiste. Par contre, «Road Song» se joue au boogie-rock speed et au solo démonstratif. Ce démon de Curtis Knight fait presque du glam black. Avec «People Places And Things», il n’en finit plus de piétiner les plate-bandes du rock blanc. Il sort son meilleur seventies sound avec «Cloud», groové à la vie à la mort par le déjà immense Fast Eddie. Eh oui, Curtis Knight ne voulait que les meilleurs, alors après Jimi Hendrix, ça ne pouvait être que Fast Eddie. Nouveau festival avec «End Of A Child». Eddie fait pleuvoir de véritables déluges, il allume tout au ciboulot des ciboulettes, il fait la pluie et le beau temps. Encore un joli slab de heavy rock avec «The Confesssion». Pour Fast Eddie, cet album est un champ d’expérimentation. Il fait exactement ce qu’il a envie de faire. On tombe une fois de plus sur un loup : c’est l’album de Fast Eddie Clarke, pas de doute. Le pauvre Curtis Knight sert de caution à tous ces héros que sont Jimi et Eddie. Eddie rôde encore dans le rainbow rock d’«Oh Rainbow» et il donne le coup de grâce avec «The Devil Made Me Do It», un fantastique groove knightien, heavy et funky en diable. Curtis Knight chante ça à l’arrache des clubs miteux. Il y va de bon cœur et Fast Eddie rentre là-dedans comme dans du beurre, alors ça gicle dans tous les coins. Quelle énergie !

    Eddie quitta Zeus pour former Continuous Performance avec Charlie Tumahai, le bassiste de Be-Bop Deluxe, puis Blue Goose. Ces groupes ne durèrent que le temps de premiers albums qui sombrèrent dans l’oubli aussitôt après leur parution. Alors Eddie arrêta de jouer. D’où son job de restaurateur de péniches.

    Eddie Clarke pense que le succès de Motörhead reposait sur la façon dont lui et Lemmy se comprenaient : «Quand j’étais jeune, j’ai vu les Yardbirds, John Mayall, Cream et Jimi Hendrix. Ce sont des groupes qui frappent l’imagination. Je pense que c’est rentré pour une bonne part dans l’alchimie de Motörhead. Lemmy et moi on aimait la même musique, et ça a compté énormément dans le succès du groupe.» Et comme Eddie devait jouer de la rythmique, il ne s’attendait pas à monter aussi vite en grade : «Quand on s’est retrouvés à trois, le son de Lemmy a tout changé. Il jouait sur un ampli Marshall et une Rickenbacker, il foutait les aigus à fond, il coupait les basses, alors tu peux imaginer le son ! C’était plus une guitare rythmique qu’une basse !» Comme Lemmy montait un mur du son avec sa basse, Eddie Clarke avait une latitude considérable pour jouer à la fois en solo et en rythmique, mais c’était tellement nouveau qu’il devait tout reconsidérer. «Quand j’ai commencé à jouer dans Motörhead, j’ai dû me débarrasser de tout ce que je savais. Je devais complètement réapprendre à jouer de la guitare. C’était la même chose pour Phil. Motörhead, c’était comme trois îles à l’intérieur du groupe. Au début, on avait un mal fou à jouer ensemble, à se caler. C’était comme jouer dans un groupe sans basse, alors quand je partais en solo, je me calais sur la grosse caisse, tu vois ce que je veux dire ?»

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    C’est parti ! Motörhead sort sur Chiswick en 1977. Lemmy doit une fière chandelle à Ted Carroll et à Marc Zermati. Le morceau titre ouvre le bal des vampires. C’est du pur jus d’Hawkwind, bien emmené au pumping et Fast Eddie place un solo d’antho à Toto. C’est là, avec ce cut qu’ils fondent le mythe. Mick Farren co-écrit «Lost Johnny» avec Lemmy, un cut solide comme l’enfer et riffé par cette brute infecte de Fast Eddie. On sent au fil des morceaux qu’il déploie des ailes de grand guitariste. En B, il plante un décor de grosse cocote pour un «Keepers On The Road» signé Mick Farren.

    Fast Eddie se marre : «Au départ, c’était juste une question d’attitude. Si t’aimes pas Motörhead, dégage ! On a eu pas mal d’ennuis avec les gens du business. On leur foutait les foies. Ces cons crevaient de trouille. Mais les fans appréciaient notre droiture et se fiaient à notre attitude. On était exactement comme eux. Sans nos fans, on serait allés nulle part. Pour tous les Anglais, les années soixante-dix ont été une sale période. Tous les groupes s’étaient barrés aux États-Unis. En Angleterre, il ne restait plus que les groupes punk et Motörhead. Partout dans le pays, les kids étaient contents d’avoir un groupe auquel ils pouvaient se fier. Heureusement, on s’entendait bien tous les trois.Les problèmes venaient surtout de l’extérieur, mais on tenait bon. Les planètes devaient nous être favorables et on a fini par avoir un peu de chance. Mais c’est toi qui te fabriques ta chance. On se l’est fabriquée en restant groupés tous les trois et en bouffant de la vache maigre. Et tu peux me croire, on en a bouffé.»

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    Et pouf, Bomber tombe du ciel. Voilà certainement l’un des meilleurs albums studio de Motörhead, en tous les cas, il incarne bien l’âge d’or du groupe car on y entend Fast Eddie faire pas mal de ravages. À commencer par «Stone Dead Forever» qui démarre comme le «Love Song» des Damned. Fantastique prestation ! Rien qu’avec ça, Fast Eddie restera l’un des plus grands guitaristes de rock anglais. Les cuts qui font la force de cet album sont les prodigieux heavy-blues de type «Lawman». Difficile de faire mieux dans le genre. «Sweet Revenge» est encore plus heavy, comme si cela était encore possible. Dans Motörhad, on retrouve tout ce qu’on aime : le cacochyme, les grosses guitares de Fast Eddie, la foi et le pâté de foie, le jusqu’au-boutisme des tournées, la pure incarnation du rock’n’roll, la provocation nazillarde, le fun trash, les pipes à la chaîne, le m’as-tu-vu des rues - street tough - et l’héroïsme des briques rouges. C’est magnifique. On peut écouter les vingt-deux albums studio de Motörhead sans jamais s’ennuyer une seule seconde. Incroyable mais vrai ! Retour au blues-rock des enfers avec «Step Down». On y retrouve Fast Eddie le génie, le roi du festival, l’heavy Eddie God sans personne au-dessus. Eddie prend le cut au chant et fait wooow ! C’est à se prosterner, tellement il en impose. Et bien sûr le morceau titre vaut tout l’or du monde, car on a là du punk pur digne des Damned et du MC5, monté sur un fabuleux riff d’Eddie. On pourrait même parler d’une forme de génie apocalyptique. Le riffage de Fast Eddie fonctionne comme le velours de l’estomac, c’est une bénédiction. Sans Fast Eddie, Motörhead ne pouvait pas décoller. En tous les cas, ça ne fonctionnait pas avec Larry Wallis.

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    La même année sort Overkill. Le groupe a trouvé son son. Ils attaquent avec le sur-puissant morceau titre, idéal et extrême à la fois, digne du MC5, doté de la même énergie, tendu à se rompre, puissant et noble. Voilà ce qu’il faut bien appeler du rock de cartouchière. C’est chanté à la limite de l’épuisement. Fast Eddie joue comme un héros. Il sort des riffs soniqués du ciboulot et les pousse à l’extrême olympien. Ils sont dans l’orgie et restent imbattables à la course. Ils sont chromés et impérieux. Ils se payent le luxe de deux faux départs. Hallucinant ! C’est sur cet album que se niche l’immense «Capricorn», une pièce de trash rock d’épouvante, saturée d’humidité. On écrit ça un peu à la manière d’Henri Michaux, fasciné par les effets, affamé d’incongruité, perdu dans les limbes des équinoxes. Ce fringuant power-trio nous sort là un véritable fumet d’outre-tombe, et c’est à tomber. Lemmy mâche sa morve et il crache des horreurs. «No Class» est aussi monté sur un riff du MC5. Fast Eddie joue le rock de Detroit. Lemmy hurle comme le petit dernier de la famille des damnés de la terre. Ses verrues tremblent. La sueur ruisselle dans son sillon velu. Et Fast Eddie arrose tout au napalm. S’ensuit l’heavy romp de «Damage Case», un vrai stomp poivré au pilonnage intensif. C’est à la fois fabuleux, pointu et pompé. Ils ont vraiment de la puissance à revendre. Aucune chance de s’endormir en écoutant ça. Retour au big heavy sound des enfers avec «Metropolis». Voilà encore un monument de heavyness, suivi d’un autre classique hirsute, «Limb From Limb» ou Fast Eddie joue une fois de plus comme un dieu radieux.

    Eddie est intarissable : «À cette époque, on jouait très fort parce que c’était la classe.Mais ce n’est pas douloureux, ça te donne juste un coup dans la poitrine. Un soir, au Marquee, on avait joué vraiment très très fort. Je suis rentré chez moi et j’ai mis Blow By Blow de Jeff Beck sur la platine. Je n’entendais pas la guitare. J’entendais uniquement la basse et la batterie, et pas les aigus !»

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    Ace Of Spades paraît en 1980. Ils attaquent avec un morceau échevelé, monté sur un riff d’Eddie le pyromane. Lemmy en profite pour avancer son meilleur guttural. Mais c’est Eddie qui fait le show, une fois de plus. Il est partout. Absolument partout. On admire ce qu’il fait dans «Love Me Like A Reptile». Il nous barde ça de riffs de toutes les couleurs, de petits retours retors, de tortillettes infectueuses. Il n’a que deux bras et pourtant il joue comme dix. Il fait aussi des siennes dans cette fabuleuse tranche de heavy blues qu’est «Shoot You In The Back». lls finissent l’A avec un fantastique hommage à Vulcain, le dieu des enclumes : «(We Are) The Road Crew». C’est stompé à la vie à la mort. De l’autre côté, nos trois amis développent la puissance d’une division de Panzers avec «Fire Fire». Motörhead invente là le son de l’avance inexorable, du mur de flammes, de l’enfoncement de la ligne Maginot et Eddie danse dans les flammes, il claque ses riffs fatals - Big black smoke/ Ain’t no joke ! - Autre merveille de heavyness, «The Chase Is Better Than The Catch». Ils stompent comme des brutes et ils bouclent avec «The Hammer» qui sonne comme «Ace Of Spades». Lemmy dérape dans le gras de sa voix chargée et relance des dynamiques épouvantables.

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    N’ayons pas peur des mots : No Sleep Till Hammersmith est probablement l’un des plus grands albums live de l’histoire du rock. Dès «Ace Of Spades», c’est l’enfer sur la terre. Littéralement. On entend arriver la cavalerie de la mort barbare, avec Fast Eddie en tête. Dire qu’on adore Motörhead n’a rien d’exagéré. Ces gens-là ont une simili-dimension divine, ne serait-ce que par l’insolence de leur puissance magnanime. Sur cet album, tout est spectaculairement bon. «Metropolis» est heavy à souhait. Même chose pour «The Hammer», monté sur un beat enfonceur de portes ouvertes. Lemmy s’y arrache la glotte au sang. Quelle dégelée, ça claque et ça fouette, ça pète et ça pisse en montant chez Kate, ça dégage et ça dégueule, ça pétarade et ça bombaste, ça tout ce qu’on veut. Ça casse la baraque, ça fout le feu aux poudres et ça défonce des mâchoires. Ça ne recule devant rien, ça déblaie les barricades et ça débouche les chiottes. Ça écroule les immeubles et ça tue les cloportes. Même chose avec «Iron Horse», une chanson en hommage aux Hell’s Angels - It’s called iron horse/ Born to lose - Puis on retrouve le fameux «No Class» et son riff du MC5. Cavalcade effrénée. On tombe avec grand-mère dans les orties. C’est hallucinant de véracité ergonomique. Et pouf, ils enchaînent avec «Overkill», qui est une véritable abomination. Rien au-dessus de ça. Rien. Voilà le cut intense, carbonisé et tendu à mort par excellence. Insurpassable. Aucun power-trio ne peut rivaliser avec Motörhead. Ils sont foncièrement déstructurants. Ils cognent les neurones comme des boules de billard. Ils tournent à l’énergie rock ultime. Toi la limace, ne viens pas baver sur Motörhead. On trouve à la suite d’autres monstruosités du type «(We Are) The Road Crew», un cut hanté par les hurlements de Lautréamont, version dévastatrice et belle tranche de génie britannique. Ils enchaînent avec «Capricorn» et voilà «Bomber», gros tas d’accords brûlés, ultime et désarçonnant, une chose qui file à toute blinde et qui rougit comme la braise sur laquelle on souffle.

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    Iron Fist se présente comme un album sans surprise, rempli de grosses cavalcades, de guttural et de coups de suspensif signés Fast Eddie. Avec «Heart Of Stone», on a un pur blast de fournaise - Leave me alone/ Get off the phone/ I’ve got a heart of stone - Lemmy dédie «Go To Hell» à ceux qui le dénigrent et il en rajoute avec «Loser» - I’m a loser/ That’s what they said - Lemmy adore régler ses comptes avec les cons - Now I got their women in my bed - On a là un classique du rock anglais. De l’autre côté, il évoque ses souvenirs du Canada et de cristal meth dans «America» - Lemmy et Mick Farren ont ça en commun : ils se sont fait virer de leurs groupes respectifs, Hawkwind et les Deviants, à la frontière du Canada - Et Fast Eddie continue d’enluminer les morceaux de lueurs incendiaires, comme c’est le cas dans «Shut It Down».

    La relation entre Lemmy et Fast Eddie avait commencé à se détériorer. Eddie ne supportait plus les frasques d’un Lemmy qui s’évanouissait sur scène. Eddie : «Il est resté éveillé pendant trois jours et trois nuits en buvant de la vodka. Les groupies l’ont sucé toute la journée. Et puis on est monté sur scène. Il y avait 12.000 gosses entassés là-dedans pour nous voir. Toute la journée, des mecs m’ont proposé des lignes de coke et tout un tas de trucs et je n’ai bu qu’une putain de Heineken, parce que je voulais garder la tête froide. On jouait depuis quarante-cinq minutes, et paf, Lemmy s’est évanoui. Phil et moi on était furieux. On a gueulé et il nous a dit : ‘Ça n’a rien à voir avec le fait que je suis debout depuis trois jours et trois nuits !’ Il nous prenait vraiment pour des cons : pas dormir pendant 72 heures et se faire tailler des pipes à longueur de journée, ça n’a rien à voir avec l’évanouissement, bien sûr que non !»

    Le coup de grâce survint lorsque Lemmy accepta d’enregistrer «Stand By Your Man» de de Tammy Wynette avec Wendy Williams & the Plasmatics. Tout le monde se souvient que la pauvre Wendy avait des beaux nibards, mais elle chantait comme une casserole. Lemmy demanda à Eddie Clarke de jouer sur le single. Il refusa et quitta le groupe. Lemmy : «C’était juste pour rigoler, mais ça s’est transformé en galère à cause d’Eddie... Eddie et ses problèmes... C’est impossible d’être bien avec tout le monde. De toute façon, les choses devenaient compliquées. Il y avait toujours quelque chose qui n’allait pas. Ce n’était pas uniquement ce single. Eddie n’est pas un mec joyeux et ça devait mal finir. On pensait qu’il allait jouer sur le single, puis tout à coup, il a voulu le produire et il s’est barré. C’était bizarre. Il aurait pu partir à un moment plus favorable, avant ou après la tournée. On avait fait les deux premiers concerts de cette tournée, et il se barre. C’est dur, hein ?» Il ajoute : «Tous les trois mois, Eddie quittait le groupe. Ça a duré tout le temps qu’il était dans le groupe. Il menaçait tout le temps de se barrer et cette fois, Phil et moi on lui a dit : ‘Dégage connard, on ne te parle plus !’ Et il est parti.» Comme dans toute séparation, on a des sons de cloches différents. Voici celui de Philthy : «On savait tous que ‘Stand By Your Man’ était un single pour la rigolade.On avait enregistré les parties instrumentales, et dès que Wendy a commencé à chanter, Eddie s’est levé et a dit : ‘Je sors pour aller manger un morceau !’ Et il n’est jamais revenu. Il a dit : ‘Si ce putain de single sort, je ne veux pas que mon nom y soit associé !’» Eh oui, Fast Eddie avait bien raison de ne pas vouloir être associé à cette fumisterie.

    Vingt ans plus tard, Eddie revenait sur la cause de son départ : «Je suis parti pour sauver ma peau. Lemmy est un putain de surhomme, franchement. Il n’arrête jamais de travailler, sauf quand il s’écroule et doit récupérer. Il atteint la cinquantaine, à présent, et il ne s’est jamais arrêté. Moi, je suis cuit, et j’ai fait un break ! Lemmy a toujours continué au même rythme. Chaque fois que je le vois, j’éprouve un certain bonheur à le voir en bonne santé.»

    Lorsqu’il monte Fastway, Eddie constate qu’avec Motörhead, il a régressé en tant que musicien : «Quand j’ai commencé à répéter avec Pete Way, le bassiste d’UFO, je me suis dit : ‘Putain, ma guitare sonne vraiment bien !’ C’est parce qu’il y avait une basse derrière. En jouant avec lui, j’ai compris que le son dépendait des autres. Si tu joues avec un beau son de basse, tu peux jouer plus léger sur ta guitare. Avec le son de Motörhead, tu ne peux pas te détendre. Tu restes en alerte et tu fonces. Je pense que les drogues entraient en ligne de compte, mais je ne suis pas sûr. Je ne veux pas entrer dans un délire philosophique.Il faut voir dans quel état on était à l’époque !»

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    Fastway paraît en 1983, soit un an après Iron Fist. Pete Way n’est pas resté dans le groupe. Topper Headon devait y battre le bon beurre, mais c’est l’ex-Humble Pie Jerry Shirley qui récupère le job. Avec son nouveau groupe, Fast Eddie change complètement de son : Dave King, le chanteur qu’il a embauché, sonne exactement comme Robert Plant. On ne trouve pas vraiment de hits sur ce premier album de Fastway. Fast Eddie joue la carte du son pulpeux et le groupe flirte avec le glam dans «Easy Livin’» puis revient au boogie-blues avec «Feel Me Touch Me». Mais avec «All I Need Is Your Love», tout devient clair : c’est du pur Led Zep. Fast Eddie joue la carte du rock anglais, mais de façon admirable et volontaire. «All I Need Is Your Love» pourrait très bien figurer sur le mighty Led Zep 1. Ils restent dans ce son avec «Another Day». Eddie rôde bien dans les parages, pas de demi-mesure, need somebody, Dave King chante ça avec une parfaite abnégation, il fait l’apprenti Plant bien intentionné. Ces gens-là savent vraiment se déterminer et Fast Eddie multiplie les incursions intestines, alors tout va bien, il lutte dans le gras du glas qui sonne pour qui sonne le glas, il titille ses petites notes féroces qui s’en vont se perdre dans la nuit comme des feux follets. «Heft» s’inscrit dans la meilleure tradition du heavy rock blues anglais, Dave King est dessus. Fast Eddie savait très bien ce qu’il faisait en l’embauchant. Et il ne rate pas une seule occasion d’aller briller au firmament des guitar slingers, il joue tout ce qu’il peut dans «Say What You Will». Il adore partir en vrille. Il assure la victoire avec «You Got Me Runnin’», il multiplie les vrilles judicieuses, il soigne ses intestines et redore le blason du cursif exacerbé. Fabuleux bretteur.

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    L’année suivante paraît All Fired Up. On y trouve deux très belles énormités : «Misunderstood» et «Station». Fast Eddie attaque le premier au riff tordu et Planty King fonce dans le tas. Ah il faut entendre ce guitariste génial placer ses riffs alarmistes et ses dégringolades de gammes. Quand il part en solo flash, c’est superbe. Il semble arroser toute la planète. Back to the heavy sludge avec «Station». Admirable car gratté aux millions de notes fast-eddiques fatidiques. Il en rajoute encore à chaque tour. Il part en solo comme dans un rêve et joue même tout le cut au long. Nouveau festival avec «Hurtin’ Me», idéal pour un géant du heavy blues comme Eddie. Il le joue même au suspensif. Dave King continue de faire son Plant et il est plutôt bon à ce petit jeu. Eddie joue le heavy blues en filigrane dans «Tell Me» et passe au heavy glam avec «Hung Up On Love». On est dans le meilleur du rock anglais des seventies, ils mélangent Led Zep et les Stones. On sent bien que ces quatre mecs en veulent. Sur cet album, tout est joué au maximum overdrive de Fast Eddie. Il amène une énergie spéciale et travaille tous ses cuts en sape. Il réserve ses meilleurs heavy chords pour «Telephone». Planty King se positionne face au vent, et ça part en mode heavy blues à la Free, mais attention, Eddie rôde comme un vautour dans les parages. C’est un sacré vénéneux.

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    Avec Waiting For The Roar, les choses commencent à se gâter. Fast Eddie et ses amis vont sur une sorte de hard-rock symphonique à la vieille mormoille purulente, ce hard dégénéré et atrocement commercial qui fit tant de dégâts dans les années quatre-vingt. Dave King chante de plus en plus mal. Il a perdu le plan du Plant. En entendant ça, Lemmy devait bien rigoler. Au moins, Motörhead n’est jamais tombé dans ce panneau. Fastway fait une cover du «Move Over» de Janis, mais bon, allez plutôt écouter Janis. Ils tentent un retour à Led Zep en B avec «Rock On» et Fast Eddie y fait son numéro de cirque à la Jimmy Page. On le sent fasciné par le vieux son du premier Led Zep de 68. Mais ça déraille assez vite, car ils se mettent à sonner comme Queen. Ils font un stomp à la petite semaine dans le morceau titre et ça redevient horriblement putassier. Ils devaient avoir pour consigne de faire rentrer les sous. Ils terminent avec un «Back Door Man» qui n’est ni celui de Wolf, ni celui des Doors. Ne rêvons pas.

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    Nouveau changement de personnel pour les deux albums suivants, On Target et Bad Bad Girls. Fast Eddie est le seul membre originel. Le voilà entouré d’une véritable caricature de groupe. Les pauvres, on les voit s’enfoncer dans le bad taste et la mauvaise hurlette. On ne parle même pas de la qualité des compos. Alors forcément, on pense à Lemmy qui en écoutant ça a dû tomber de sa chaise pour se gondoler de rire. Il a même dû s’en coincer la mâchoire, comme quand on bâille trop fort.

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    Dix ans après, Fast Eddie retrouve la raison et reworke ses cuts dans On Target Reworked. L’album vaut le détour, rien que pour l’extraordinaire dégelée de furiosa del sol d’«Easy Livin’», un cut tiré du premier album et parfaitement digne du Led Zep 1. S’ensuit un heavy «Show Some Emotion» qu’Eddie joue en profondeur et on se retrouve une fois encore avec une incroyable dégelée de bonne prestance. Fast Eddie embarque «Say What You Will» au heavy beat et renoue d’une certaine façon avec Motörhead. Même genre de fournaise, c’est battu comme plâtre. Toute la fantastique énergie d’Eddie accourt au rendez-vous. Sur cet album, on trouve aussi le fameux «Trick Or Treat» tiré d’une bande-son. C’est du beau rock anglais joué à la Fast. Ce démon d’Eddie adore les grands accords triangulaires. Très british, très stompé du stamp. Eddie revient à son cher cocotage dans «The Answer Is You». Heavy Fastway baby. Il joue sur le pourtour des accords, il voyage bien dans ses gammes, il agit en sonic-boomer patenté. Sorti du blasting de Motörhead, il semble respirer à pleins poumons. Encore plus colossal, voici «These Dreams». L’intérêt d’un guitariste comme Fast Eddie, c’est qu’il joue tout ce qu’il peut, alors on tend l’oreille. On retrouve aussi le fameux «Station» tiré du deuxième album et voilà «Change Of Heart», certainement la plus grosse rockalama du disk. C’est excellent car visité de part en part. «Two Hearts» regorge aussi de puissance. Eddie n’en finit plus d’allumer la gueule de ses cuts, il les remplit de son à ras-bord. Ça reste excellent, même avec un son daté. Eddie est à la fête, il voltige dans ses cuts et bat tous les records de présence. Encore un extraordinaire déploiement de forces dans «She Is Danger», et puis voilà.

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    Fast Eddie enregistre un dernier album en 2011 : Eat Dog Eat. C’est un gros pépère bourré de son. «Lovin’ Fool» emporte tous les suffrages : incroyablement bien structuré, plutôt seyant, pur farniente, Eddie fait ses adieux au rock en beauté et part en vrille de Master Faster. L’autre gros coup, c’est «Love I Need» - I’ve been riding/ Riding for so long - Eddie est un géant, alors il s’amuse avec les petites choses de la terre. Il joue tout en filigrane, fastin’ it all, à sa manière, inventive et haletée, volubile et volage, et il finit par s’écrouler dans le brasier d’un empire en flammes. Le «Deliver Me» d’intro sonne comme un heavy sludge chanté au heavy slab de Sabbath. Back to the old British pathos, babe. Les Anglais adorent ce son pourléché et bien plombé. Fast Eddie semble survoler son cut comme un vampire. On le voit aussi claquer ses accords dans l’écho du temps avec «Fade Out». C’est tellement bourré de son que le commentaire devient inutile. Dommage que le chanteur Toby Jepson ne soit pas si bon. Il fait ce qu’il peut, mais au fond ce n’est pas si grave, car on est là pour Eddie. D’ailleurs, il remet les bouchées doubles avec «Leave The Light On». Oui Eddie joue comme un crack, il wha-whate ses vieilles dégoulinades de génie. On le voit aussi attaquer «Sick As A Dog» au riff demented. Pas de porte de sortie, c’est du riff pur, Eddie nous embarque dans son sick sick sick et profite de l’occasion pour placer un solo en flammes. On est là pour ça, ne l’oublions pas. Quand on aime les solos en flammes, c’est lui ou Wayne Kramer qu’il faut aller voir. Avec «Who Do You Believe», Eddie veille au grain. Heavy as hell. Le seventies sound, c’est leur domaine. Believe est probablement le hit du disk, ne serait-ce que pour le petit coup de vrille en back door man. Il boucle l’album avec «On And On», joué au vieux tombé d’accords seventies. Quelle incroyable sévérité de la fidélité ! - I’m sorry/ There is nothing more - The Fast of it all, ce démon d’Eddie n’en finit plus d’entrer dans le lard du cut à coups de solos répétitifs et allumés.

    Et voilà qu’on apprend sa disparition. Motörhead et les Ramones ont un joli point commun : plus de survivants. On craint surtout que la démesure disparaisse avec tous ces géants. Le grand livre du rock n’en finit plus de se refermer. Bientôt l’âge d’or du rock ne sera plus qu’un pâle souvenir.

     

    Signé : Cazengler, Fesse Eddie tête à Clarkes

    Fast Eddie Clarke. Disparu le 10 janvier 2018

    Curtis Knight Zeus. The Second Coming. Dawn 1974

    Motörhead. Motörhead. Chiswick Records 1977

    Motörhead. Bomber. Bronze Records 1979

    Motörhead. Overkill. Bronze Records 1979

    Motörhead. On Parole. United Artists Records 1979

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    ( sans la participation d'Eddie Clarke )

    Motörhead. Ace Of Spades. Bronze Records 1980

    Motörhead. No Sleep Till Hammersmith. Bronze Records 1981

    Motörhead. Iron Fist. Bronze Records 1982

    Fastway. Fastway. CBS 1983

    Fastway. All Fired Up. Columbia 1984

    Fastway. Waiting For The Roar. Columbia 1985

    Fastway. On Target. GWR Records 1988

    Fastway. Bad Bad Girls. Enigma Records 1990

    Fastway. On Target Reworked. Receiver Records Limited 1998

    Fastway. Eat Dog Eat. Steamhammer 2011

    *

    Quelle était la couleur de la couleur tombée du ciel ? Ne voudrais pas avoir l'air de me vanter mais à moi tout seul j'ai résolu la grand mystère littéraire du vingtième siècle. Beaucoup se sont cassés les dents sur cette énigme posée par la nouvelle de Lovecraft. Je sens que certains vont en être verts de rage, rouges de honte, bleus de stupeur, noirs de colère, z'auront beau rire jaune en prétendant qu'ils le savaient mais que seule leur modestie les a empêchés de proclamer la vérité. Bernique ! Nique ! Nique ! Nique ! Vive les seins de Sainte Dominique !

    La solution m'est apparue le matin en ouvrant la fenêtre. Un paysage apocalyptique. Sibérien. Méconnaissable. Le truc qu'on gère pas. Cette couleur maléfique lovecraftienne, ourdie par les sombres agissements de Cthuhlu pour étendre sa domination sur le monde entier, n'est autre que celle du fameux cheval d'Henri IV, le blanc, si blanc que pour un peu vous le prendriez pour de la neige. D'une nocivité extraordinaire, une espèce de poulpe poudreux qui s'attachait aux roues de la Teut-Teuf et l'immobilisait ad vitam aeternam. Même pas pu aller à la Comédia à Montreuil vendredi soir. Aux grands maux les grands remèdes. Samedi matin, ne me suis pas dégonflé, suis sorti en pyjama sur le bord de route, la traduction par Phillipe Pissier de Magick en mains, et ai prononcé le Rituel Sacré de la Toute Puissance d'Aleister Crowley, et vous pouvez m'en croire, le soir même la route de Troyes était complètement dégagée, libre de toute teinte cthulhuéenne, j'en hulule encore de joie.

    Connaîtriez-vous une force maléfique capable d'empêcher irrémédiablement un rocker d'assister à un concert !

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    10 / 02 / 2018TROYES

    LE 3B

    EDDIE AND THE HEAD-STARTS

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    ( Journaliste avec lunettes )

    D'autant plus que ce soir nous avons atteint l'immortalité. Enfin presque. Programmée pour 2019 – 2020. La radio es là. Venue explorer le monde turbulent des rockers. Journaliste sympathique – je ne voudrais pas donner dans l'identitaire départemental mais nous partageons la même origine ariégeoise - qui ouvre son micro et nous interviewe à tour de rôle – l'a du courage, la sono de Fab, la meute des assoiffés qui se pressent autour du bar et se compressent dans les coins, mais l'est tout content, l'enregistre tout ce qu'il lui faut, tout le rock'n'roll en vrac, du rockabilly au métal, des tatouages aux blousons, des voitures à la rebelle attitude, Hank Williams, Gene Vincent, Kr'tnt, Jean-Jacques, Alec, Billy, Christophe, l'a tout en lambeaux, ne lui reste plus qu'à remettre en ordre, n'a même pas oublié d'enregistrer Eddie and The Head-Start. Les voici.

     

    EDDIE AND THE HEAD-STARTS

    ( SANS EUX )

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    N'ont pas casé le batteur tout au fond comme tous les autres groupes. Ce n'est pas qu'ils cherchent l'originalité. Eux ce serait plutôt l'authenticité. Pour la simple et bonne raison qu'ils n'en ont pas. A Troyes – et partout ailleurs - ne sont que trois. Guit acous, contrebasse, lead électrique. Pas plus, ni moins. Ne faites pas l'étonné, rappelez-vous qu'en ses débuts Elvis ne possédait pas de batteur. L'a ajouté quand le monde a commencé à affluer aux concerts et qu'il fallait un certain volume pour se démarquer du bruit de l'assistance. C'était du temps où il a gagné son surnom d'Hillbilly Cat. Le puma des Ardennes en français approximatif. Le Hillbilly est un genre à part en soi. L'art des garçons de ferme. Les rustauds qui ne peuvent voir une meule de foin sans y coucher la première fille qui passe sur le chemin, pas des intellos, des ploucs à la comprenette dure. Méfiez-vous sont plus malins qu'il n'y paraît, l'esprit des coyotes habite l'âme des chats efflanqués des collines. Le hillbilly ça sent le bal du samedi soir, le purin, et le bousin de long horn. Bouchez-vous le nez mais ouvrez vos narines toute grandes. Se métamorphosent lorsque l'exode rural les pousse à la ville. Se payent de belles chemises, roulent en mécaniques rutilantes, et bye-bye les aigres-douces chansons nostalgiques, donnez leur un micro, s'en servent comme d'un cocktail molotov, le hillbilly s'enflamme et devient rockabilly. Une mutation. Si Darwin avait vécu assez longtemps, s'en serait servi pour expliquer les sauts qualicatifs qui ont présidé la longue marche des espèces qui depuis la disparition des dinosaures a permis à l'homme de s'améliorer sans fin. Certains mêmes affirment que le hillbilly man et le rockabilly man sont les stades suprêmes de l'évolution humaine, que depuis la race hominienne régresse, dégénère, et court à sa perte. Mais quittons ces vues philosophiques pour regarder :

     

    EDDIE AND THE HEAD-STARTS

    ( AVEC EUX )

    Eddie Gazel. Fils ne vous gardez point à droite, le reître Thibaud Choppin s'en charge. Fils ne vous inquiétez pas de gauche, le soudard Stéphane Beaussart y veille. Le vrai père, Thierry Gazel, n'est pas loin, viendra plus tard ramoner la big mama de Thibaud, mais n'anticipons pas. Avec de tels arrières latéraux, l'est tranquille Eddie, guitare en main et bouche au micro. A trois défendent le pont-levis du hillbilly. Si vous voulez forcer le passage, passez devant. Qui s'y frotte s'y pique. Ça n'a l'air de rien mais il faut les qualités requises indispensables, du swing percutant, du contrapuntique contraignant, et un vocal de crotale.

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    Pour le swing, vous avez Thibaud Choppin. Posté de guingois, à l'affût derrière sa big mama, vous lance un regard de chef-indien là-haut sur son piton rocheux qui examine le convoi des charriots qui s'approche du défilé de la mort certaine. Qui dit swing ne dit pas jazz. Pensez à pulsation. Agonique et précipité. Le Choppin quand il vous choppe sa contrebasse ce n'est pas pour éplucher le bulletin météo. Avec lui, c'est tempête et tremblement de terre force huit. Ne descend jamais au-dessous. Crève le plafond de temps en temps. Joue un peu à la manière de Jessie James quand il rackettait les banques. Mais avec le sourire en coin et l'ironie mordante qui fuse de ses lèvres dès qu'il peut en lâche une. S'amuse, avec une main, avec deux, avec trois, avec quatre, pas le temps de vous demander d'où il les sort, et même sans aucune.

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    A Stéphane Beaussart échoit la tâche la plus difficile. Le hillbilly ressemble davantage à trois coups de poings bien appliqués qu'à une stratégie à la Napoléon. Un seul mot d'ordre. Vite fait et bien fait. Le nez en sang et l'on passe au suivant. Beaucoup plus jumpin' que gallupin'. Pas la possibilité de se livrer à de grandes galopées. Pour les envolées lyriques vous repasserez. Faut être présent à tous les instants, plantez le clou au millimètre près. Juste entre deux hennissement de la big mama et conclure juste après la voix, un jeu, un question-réponse, un dialogue à trois, ni oui ni non, mais un mot chacun, monosyllabique, placé le plus vite possible sans empiéter sur celui qui vous précède et en laissant le moins d'espace possible à celui qui prend la suite. De la haute école. Exercice collectif des plus difficiles. S'en tirent comme des rois avec l'impertinence des bouffons. S'amusent comme des fous, complicité souriante, émulation rieuse.

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    Je vous refile les dates – en comptant très large, 52 – 57. L'ère du déploiement du hillbilly, certains compressent entre 54 – 56, l'instant de la pliure, du passage du hillbilly au rockabilly en s'abstenant de franchir le col du rock'n'roll. Certes nos trois cavaliers reprennent du Little Richard et du Gene Vincent, mais ce que moqueusement l'on nommera les slows, le Send Me Some Lovin du petit Richard qui sent encore la vase du bayou et le clapotis des alligators, et le Peg O' My Heart de l'idole noire, de la chanson populaire parce que pour embarquer les gerces c'est quant même plus voluptueux qu'une course en hot-rod avec le diable. De toutes les manières, ce qui compte, c'est l'art et la manière de présenter la bagatelle. Faut savoir être tendre sans passer pour un benêt, le hillbilly est une musique perverse. Tenez-vous le pour dit.

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    Eddie Gazel parfait dans le rôle. L'a tout pour lui. La jeunesse et la beauté. L'oeil de velours et le regard assassin. Et puis la voix. Flexible comme un queue de crocodile. Capable de se lamenter sans nous faire pleurer. Malmène sa guitare comme un chien gratte ses puces. Force rythmique d'appoint et d'assaut. Siffle comme un serpent dérangé dans sa sieste, l'a tous les articles en magasin, à l'aise dans tous les registres : nostalgie country, rupestre campagnard, boogie électrique, un répertoire qui court de la ruralité cajunique d'Al Ferrier au baryton épineux de l'Elvis de chez Sun, du pizzicato de Johnny Burnette à la ballade pseudo-romantique. Lève la guitare vers le ciel et profile un jeu de hanche des plus terrestrement lascifs.

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    Trois sets, le premier à dominante hillbilly, le deuxième davantage rockabilly, le troisième pas rock'n'roll mais presque. Beaucoup d'aisance et de facilité. Thibaud Choppin délaisse sa big mama pour se mettre l'assistance dans sa poche avec sa belle voix grave, Stéphane Beaussard se permettant un instrumental très surfin' manière de montrer que sa monture pâture aussi en d'autres lieux, son voilier tatoué sur son avant-bras comme signe de recherche et d'aventure. Eddie en meneur de jeu. Sait instaurer une communication des plus directes et des plus primesautières avec le public qui adore. Faut un sacré tallent à Eddie pour que dès le premier morceau tout le monde se masse devant les Head-Starts et adhèrent à cette musique chargée d'anciennes rurales fragrances qui ne correspondent plus à notre monde urbanisé. Une musique moins chargée d'impédence électrique que le groupe a su rendre sans effort, actuelle. Rarement – et pourtant les Dieux savent combien le public du Bar de Béatrice Berlot est chaud et réceptif – un groupe aura reçu une telle écoute et suscité une telle ferveur.

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    TOM ROISIN

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    ( Trouvez Tom ! )

    Entre deux sets, Tom Roisin nous interprète trois titres d'Hank Williams, Jambalaya, Honky-Tonky, I Saw the Light et un dernier Folsom Prison Blues de Johnny Cash. Belle allure sous son stetson immaculé et dans son costume impeccable. Autodidacte et passionné de country Tom Roisin, persévère. S'accroche à son rêve et commence à tenir le chat du diable par la queue. A suivre. Bon Gumbo.

    Damie Chad.

    ( Photos : FB : Béatrice Berlot )

     

    MY NAME IS EDDIE

    EDDIE AND THE HEAD-STARTS

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    Rhythm Bomb Records. RBR 45 – 29.

     

    My name is Eddie : racatement de basse, le jeune Eddie vous prend la voix traînante d'un vieux vacher des Appalaches, Beaussart pointille comme un pic-vert, Choppin tamponne comme un wagon, dépaysement garanti. Pas le temps de voir passer, que déjà ils expédient la fin dans les règles de l'art, ça tressaute comme un cul à cru sur un cheval bondissant. Blues stop knocking : croisements d'autoroutes, celle de la ballade country avec la séminalité sous-terraine du country blues. Sur le refrain l'ensemble s'envole vers les grands espaces, mais sur le solo Beaussart tire du côté d'Arthur Crudup, Eddie vous emprunte les échangeurs sans jamais se tromper, goudronnage et tenue de route assurée par la maison Choppin. Playmate : Beaussart et Choppin vous mènent un quadrille d'enfer, et la gazelle Eddie vous fait de ces piqués de voix à vous faire voir des éléphants roses. I wanna make love : tout ce qu'il faut faire, je parle de l'union physique de l'instrumental avec le vocal. Chacun à son tour par-dessus et puis par dessous. Plus les petites spécialités individuelles. Bref ça balance et roule vers le rock'n'roll de bien jolie façon. S'éclatent comme des bêtes vicieuses. Un prix d'originalité sera décerné à Stéphane Beaussart pour son solo.

     

    Old style never dies !

     

    Damie Chad.

     

    BOB DYLAN ET LE RÔDEUR DE MINUIT

    MICHEL EMBARECK

    ( L'Archipel / 2018 )

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    Roman. C'est écrit sur la couverture. Déduction logique : tout ce qui est écrit est faux, sorti tout droit de l'imagination fertile de Michel Embareck. A part que tout ce qu'il raconte est totalement vrai. Même si vous n'avez jamais porté la moindre créance au concept de vérité – pure et intangible – du sieur Platon. N'avez qu'à lire pour vous en être persuadés. Très simple, cet embrouilleur d'Embareck nous fait le coup du bonneteau littéraire. Z'êtes sûr que sous le godet du milieu se trouve un roman, erreur sur toutes les lignes, c'est votre vie qui est mise en scène en deux cent cinquante pages. La vôtre, la nôtre, la mienne. Inutile de bomber le torse, l'est retors l'Embareck, non, ce n'est pas le roman dont vous êtes le héros. Pas de place pour vous. N'en a déjà mis que deux sur le titre, Dylan et le Rôdeur de minuit, mais c'est un fusil à trois coups, le troisième est habillé tout en noir. Pas besoin de pousser la description plus loin, quel faquin ne reconnaîtrait pas Johnny Cash, the man in black, en cette sombre silhouette ?

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    Pas de problème l'histoire vous connaissez : la bio ( et de broc ) de Dylan et de Johnny Cash. Pourriez la réciter par cœur, l'est finaud l'Embarech, ne fait pas dans le détail, la révélation minuscule que personne ne connaît. En gros, vous n'apprendrez rien. De toutes les manières tout est faux. Etabli sur des faits certifiés conformes, rien de plus facile pour vérifier : presse d'époque, témoignages assermentés, vidéos, livres, disques. Ne manque pas un biscuit dans la cambuse. D'ailleurs l'Embareck se dépêche de les refiler aux rats, lui le maitre-coq vaudou, il travaille avec le vent qui bouscule la mâture. Blowin' in the wind, comme dirait l'autre.

    Commençons par nous débarrasser de l'assassin. N'ayez pas peur, pour un criminel, il n'est pas dangereux, le gars qui ne tue même pas une mouche de tout le roman. C'est peut-être pour cela qu'il vous ressemble. Un mec plutôt sympathique. Toutefois, tout ce qu'il a fait de bien dans sa vie, ce n'est pas de sa faute. Aucune médaille à lui décerner. L'Ici et Maintenant des philosophes. Hasard et circonstances. Son seul mérite c'est d'être sorti du ventre de sa maman au bon moment. Pile-poil à l'heure pour devenir disc-jockey au début des années soixante à Shrevreport. En Louisiane, l'état marécageux des States où les alligators dans leur barbote ont inventé des horreurs sans nom qui ont pour nom : jazz, blues, rhythm'n'blues, rock'n'roll. Bref notre animateur radiophonique l'a tout vu et tout entendu. Les Beatles, les Stones et, ce qui tombe super pour le bouquin, rencontré Dylan et Cash. Evidemment sur une carte de visite, ça en impose. De quoi être jaloux. D'ailleurs à la fin du film de sa vie, l'Université – avec un grand U comme Urinoir - vient l'interviewer. Si cela vous arrive, dites-vous que votre cercueil se rapproche de vous, vitesse grand V. Pas Victoire, genre Vanité des Vanités...

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    Je sens votre impatience. Le lectorat kr'tntique n'a qu'un mot à la bouche : Cash ! Cash : Cash ! Etrange de voir comment le country man a été adopté par les rockers depuis une vingtaine d'années par chez nous, encore plus que Jerry Lee Lewis – le grand absent de ce livre d'ailleurs, mais peut-être qu'Embareck se réserve-t-il le Killer pour parfaire une trilogie commencée avec Jim Morrison et Le Diable Boîteux . Donc Cash. Honneur à la dame de cœur. Très beau portrait de June Carter. June, le trublion de la Carter Family. La fofolle de service. La gamine irrésistible. Instinct et joie de vivre. Tout ce que Johnny n'est pas. In his mind. Un coincé de la tête. Parce que selon son corps, c'est davantage borderline. Z'oui mais la pieuvre du puritanisme, pouvez lui couper les tentacules par centaines elles repoussent toujours. C'est cela la malédiction d'être né pauvre. Non seulement vous n'avez pas d'argent et vous bouffez tout juste ( vraiment juste ) à votre faim, mais pour la largesse d'esprit c'est vache maigre et chambre d'étudiant au dix-huitième étage sans escaliers et les chiottes sur le pallier. Tout le reste est squatté par la peur des sept péchés capiteux et l'observance des dix commandements. Mes très chères sœurs et mes très chers frères, nous avons le regret d'avoir à condamner notre idole, Johnny trompe sa femme, boit comme un trou et gobe les pilules comme certains les patenôtres. Nous lui pardonnerons, son métier, la fatigue, la route, les tournées, les filles qui s'offrent, le diable a mille perversités dans son escarcelle...

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    Voici Dylan. Une autre problématique. Lui le danger n'est pas dans sa cabosse. Vient de l'extérieur. Des autres. Bien entendu de ceux qui l'aiment le plus. Le public, les fans. Au début le Bobby, faut pas grand chose pour le rendre heureux, une guitare, une gratte, une sèche, une acoustique, un harmo pourrave, et le répertoire folk qu'il a emmagasiné dans sa tête. Encore un qui arrive comme la soupe sous le cheveu. Ne pouvait pas mieux tomber avec sa voix de chat écorché. En plein dans la vague contestataire. Combat pour les droits civiques et contre la guerre au Vietnam. Bien sûr qu'il partage ces idéaux, par contre ne se sent pas très à l'aise dans la bonne ouate de gauche, l'impression de se faire manipuler, d'entrer dans de nouveaux carcans, idéologiques. L'autre face de la bonne conscience se nomme nouvelle morale. Alors il commet l'outrage suprême. L'ignoble trahison. Il électrifie le folk. S'en va enregistrer chez les ploucs de Nashville. S'éloigne de sa vie de star, se marie, fait des enfants. Devient un bon père de famille. Bref à partager la vie de tout le monde, il finit par faire comme tout le monde, il s'ennuie. Le Diable possède une tentation adaptée à chacun.

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    Dylan reprend la route que Cash n'a jamais quittée. L'un pour s'éloigner du peuple de gauche et l'autre pour se rapprocher du peuple de droite. Les rebelles ne sont pas de purs chevaliers blancs irréprochables, ne sont jamais là où on voudrait les voir. Y en a tout un tas qui croupissent en prison. Cash prend son bâton de pèlerin et s'en va chanter à Folsom. Du côté de la mauvaise graine. Des voyous, des tueurs, des violeurs, de la sale engeance. Même Jésus Christ n'avait pas osé y penser. Avec les réprouvés de la société. Les enfants perdus de la misère. Sans illusion, car s'il n'avait pas eu son baryton de croque-mort il aurait peut-être fini là, lui aussi. Poussera même la roue un peu plus loin. Ira chanter pour les boys. Au Vietnam. Est viscéralement contre la guerre, mais il se doit de réconforter les guys dans le bourbier. Chante pour eux et visite les hôpitaux de campagne. Voie étroite et récupérable que Dylan ne lui pardonnera pas. Notons que Joan Baez, son ancienne compagne se rendra au Vietnam, elle aussi, mais de l'autre côté, au Nord, sous les bombes américaines...

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    Dylan et Cash, deux facettes de l'Amérique. Encore aujourd'hui beaucoup de ceux qui écoutent Johnny Cash ne prêtent qu'une médiocre attention à Dylan. La réciproque est un peu moins vraie, les méandres de sa carrière ont quelque peu altéré l'admiration béate que lui a longtemps portée son public, et le vieux Cash a bénéficié de sa longue fidélité à son propre style, n'a jamais donné l'impression de s'être renié. Embareck balaie tout cela d'un trait de plume. Cash, Dylan, même combat, tous deux chantres de l'Amérique populaire. Pas celle du massacre des indiens, du capitalisme triomphant, de la ségrégation, des mentalités de beauf en boîte, mais celle de ceux qui essaient de survivre tant bien que mal, de tracer ou d'imaginer d'autres routes. Des outlaws modernes. Une Amérique qui vient de loin, dont Cash et Dylan, Embareck nous les présentent en frères d'armes, ont tenu à garder intacte la mémoire. Se sont sentis obligés de perpétuer au travers de leurs répertoires le souvenir et la présence de ces millions d'existences anonymes, les vaincus, les misérables, les laissés-pour-compte, n'en reste rien aujourd'hui si ce n'est quelques os épars au fond des cimetières.

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    Lecteurs, je vous sens un déçus, vous avais affirmé dans le premier paragraphe que l'Embareck parlait de vous. Nous y arrivons. Vous a filé un surnom. L'a piqué aux Stones. Le Midnight Rambler, c'est vous. Vous espère un peu moins décatis que lui, parce qu'à la fin du livre il a dépassé ses quatre-vingt printemps. L'est rentré dans l'hiver. Fait un dernier point. Avant de débarrasser le plancher. Place aux jeunes. Ne s'apitoie guère sur lui-même. Comme vous, comme moi. Des hauts et des bas. Des erreurs. Je n'insiste pas. Lui non plus. Parle avant tout des autres, de l'état du monde. Le même constat que vous. Un minimum de mieux. Un maximum de pire. Ne s'est pas amélioré depuis le siècle dernier.

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    Rusé l'Embarek, s'y entend pour filer le sucre qui fait remuer la queue des chiens. Dylan, Cash, - bonjour les attrape-nigauds, pour ceux qui hésitent il rajoute Alice Cooper et Merle Kilgore, et spécialement pour moi Gene Vincent – et puis il vous balance la boule de strychnine. Des artistes comme Dylan et Cash, vous en raffolez, vous les adorez. Mais soyez justes, ils n'ont pas changé le monde. Et derrière eux c'est la faillite de toute génération qui se profile. Pardon, qui déboule. L'arrache le voile des illusions l'Embareck, devrait être condamné pour cruauté mentale, vous laisse plus nus que la vérité, et ne croyez pas que vous vous en tirerez en vous fondant dans le nombre, pousse l'ignominie jusqu'au bout – page 245 – dresse la liste de tous les noms, n'oublie personne, j'ai vérifié vous y êtes. Pourrait accomplir sa délation en utilisant une écriture neutre, mais non, l'a du brio, du brillant, de l'entourloupe, dès la première ligne vous êtes pris, ferrés jusqu'au bout. Ça bouge, ça cogne, ça vit. Vous n'y faites pas gaffe, vous distille le poison de l'échec. Triple dose, au début ça vous file un pêchon extraordinaire, mieux que l'héroïne, et puis c'est votre déchéance spirituelle qui vous azimute. Sans lot de consolation. Une bourrasque d'Embareck et toutes vos fausses raisons de vivre tombent à l'eau. Regardez-vous et enfuyez-vous en courant.

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    En fait – j'ai oublié de le préciser – le rôdeur de minuit finit bien par tuer quelqu'un. Mais quel est donc ce couteau planté dans votre dos ?

    Le rock m'a tuer.

    Damie Chad.

     

    BOB DYLAN

    Le personnage / Sa musique / Son guide

    NIGEL WILLIAMSON

    ( Editions de Tournon : Rough Guides / 2009 )

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    A parler de Bob Dylan autant descendre au garage voir ce que j'ai sur lui. J'en remonte avec ce beau format quasi-carré, pas très grand mais de 325 pages composées en tout petits caractères. Le livre s'arrête au moment où paraît le premier tome de ses mémoires Chroniques ( I ). Près de dix ans se sont écoulées depuis et voici deux années Dylan s'est vu remettre le Prix Nobel. Le book m'apprend dans un petit entrefilet rose qu'en 1996, un groupe d'intellectuels et d'admirateurs avaient officiellement bataillé pour la candidature du chanteur à ce prix. L'attribution du Nobel de Littérature à Bob Dylan en 2016 n'a pas été une divine surprise comme les médias l'ont présentée. Mais le fruit d'une longue et obstinée candidature sur laquelle Dylan, selon son habitude, ne s'est apparemment jamais exprimé.

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    Nigel Williamson emploie la technique dite des tirs-croisés ou des labourages quadrillés. Revient plusieurs fois sur le même sujet. La moitié du bouquin purement biographique nous raconte la vie de Bob Dylan. Assez fouillée, non exempte de réflexions critiques, tenant compte de tous les aspects de l'existence du chanteur : familiale, privée, sociale, publique, et bien entendu musicale et artistique. Le livre pourrait s'arrêter-là, mais non, Nigel est un maniaque, ou alors peut-être prend-il ses lecteurs pour des cerveaux lents, car il passe une deuxième couche : passage en revue en long et en large de tous les albums – disco officielle et survol des pirates – rajoute un troisième glacis protecteur : analyse des cinquante meilleures chansons, sans oublier de fignoler les finitions : les films, les livres, les fans, les continuateurs...

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    N'empêche que l'ensemble est agréable à lire et peu répétitif. Fourmille d'anecdotes surprenantes : je ne vous en cite qu'une, marrante, celle de A. J. Weberman qui avait pris l'habitude de fouiller les poubelles de Dylan, afin d'en retirer la substantifique moelle documentaire qui l'aidait à conforter ses vues personnelles sur la personnalité du chanteur. Le début de l'histoire du fondateur de la nouvelle science qu'il baptisa déchétologie est connue. J'en ignorais la fin. Weberman eut ses adeptes. Pas ceux qu'il aurait souhaités. Les agents du FBI mirent le nez dans ses propres poubelles. Après avoir retrouvé de suspects sachets ( vides ), ils en conclurent que Weberman était à la tête d'un trafic de livraison de marijuana à domicile et, à vous dégoûter de rendre service à vos concitoyens, l'envoyèrent séjourner en prison...

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    Une autre pour mon plaisir personnel : y avais toujours cru mais n'en avais aucune preuve : Dylan l'a confirmé lui-même : a bien pensé ( pas uniquement ) à Baby Blue de Gene Vincent pour l'écriture d'It's All Over Now, Baby Blue.

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    N'ai jamais été un fan transi de Dylan. Attention, durant dix ans le bonhomme a fait ses preuves. Prolifiquement doué. Vous tortillait une galette de vinyl comme une grand-mère bretonne une crêpe au sarrasin. L'avait la qualité essentielle du rocker : devenait méchant dès qu'il apercevait un micro dans un studio. Ne se forçait pas, arrivait les mains dans les poches, se saisissait d'une feuille de papier et il vous dégorgeait du venin comme une vipère qui n'a rien eu à se mettre sous le crochet depuis trois ans. Parfois, l'improvisait directement et les ingénieurs couraient vers la cabine pour mettre le bouton sur le ''on''. Mauvais caractère en plus, tête de lard et de cochon. Ne filait pas d'indications aux musicos. Ou ils pigeaient illico, ou ils retournaient à la maison. Un génie !

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    Reconnu comme tel. Porté par la vague des fans. Du jour au lendemain, la figure de proue du mouvement contestataire. Exactement le contraire des New Yok Dolls qui eurent trop peu pour si peu de temps, le Bobby lui ce fut trop beaucoup immédiatement. Dépassé en quelques mois par l'enchaînement et le déchaînement du succès. S'en est sorti. Parce qu'il était un cabochard. Par la petite porte. N'aimait pas qu'on lui dicte le chemin. Suze sa muse ne l'amuse plus depuis qu'il baez avec Joan de laquelle il baisse dans l'estime depuis qu'il s'en va avec Sara ça ira, pareil avec les copains, beaucoup de jaloux et lui qui ne sait pas mettre les formes pour se tirer du guêpier. Le piège ne s'est pas refermé sur lui, mais par la suite, ce ne sera plus jamais pareil.

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    L'était une idole adulée, devient une rockstar acidulée sur le tard. Vit sur son aura, sur sa réputation. S'ennuie un peu avec lui-même. L'a encore ses moments de génie, mais ils s'amenuiseront petit à petit. Il s'en fout et il en crève. Pousse le vice de la contradiction et le vide des contrariétés à se déclarer chrétien, pur beauf born again, détenteur de la vérité et sermoneur de service. Les fans de la première heure le renient, il vend ses morceaux les plus symboliques pour des pubs, ses ventes de disques s'effondrent, son divorce le met sur la paille ( relative ) alors il met au point le Never Ending Tour, une moyenne d'un concert tous les trois jours depuis vingt ans, catastrophiques ou géniaux, c'est selon.

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    Je décris, je ne juge pas. Facile de badigeonner la moraline lorsque vous n'êtes pas dans le caca. Même si l'étron est de vous. L'a transformé le rock'n'roll, l'a fait descendre de la banquette arrière des Cadillacs, et vous l'a planté au milieu de la route sous la pluie. Bye bye baby et bonjour tristesse, les ennuis commencent. Depuis il a pris ses cliques et beaucoup de claques...

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    Dylan contestataire : non. Dylan roi du folk-rock : non. Dylan rocker : encore non. Le classerai plutôt dans le country blues. N'est pas né dans le delta, n'est pas un nègre. Mais il chante et compose des chroniques sur son quotidien et celui de l'Amérique. L'a simplement élargi l'orbe des bluettes. Pour bien s'en rendre compte il suffit de comparer l'autre '' grande voix'' de l'Amérique : Bruce Springteen, sympathique mais un peu boy-scout. Lui manque le cynisme, la cruauté, la méchanceté, trop de bons sentiments. La face noire du rock'n'roll.

    Damie Chad.

     

    OUAILLE !

    DANIEL GIRAUD

    ( Clapas / 2012 )

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    De Daniel Giraud nous avons déjà chroniqué disques et différents recueils de poèmes. En voici un autre édité aux Editions Clapas. Même pas un petit éditeur, un groupe d'activistes fous qui ont durant plus de dix ans donné la parole à plus de deux cents poëtes, faites un tour sur leur site ( clapassos.pageperso-orange.fr ), semblent en sommeil depuis quelques années, mais si les ours parviennent à sortir de leur hibernation...

    Joli petit format qui s'étire et se pelotonne entre vos mains, couverture chromo, et même un dos carré pour un ensemble de 24 pages. C'est dedans que ça se gâte. Un seul poème aussi long et mince qu'une queue de marsupilami bleu. De cette couleur vous n'en trouvez pas chez Franquin. Ailleurs non plus. Foutre le Ouaï ! Attardez-vous sur le titre. Parce qu'après c'est toute la misère humaine qui se colle à vous. Pas la noire. Non celle-là, c'est facile de la chasser, ouvrez les infos et un spécialiste viendra vous expliquez que tout va bien, qu'il faut se méfier de vos ressentis. Non la bleue, la bleu-blême, celle qui se colle à votre âme et vous la teint jusqu'au jour de votre enterrement. Daniel Giraud vous raconte sa vie. Je vous rassure, aussi moche que la vôtre. Quelques pépites, mais des tonnes de scories. En plus le Giraud l'habite dans la cambrousse, à 15 kilomètres non carrossables, porte le ravitaillement dans le sac-à-dos, surtout que des fois il revient de loin, des States ou du Maroc, alors les souvenirs déboulent et s'entremêlent. L'esprit on the road again et l'âge qui encroûte les artères. Derrière la porte, c'est quitte ou double, la copine qui s'est tirée ou les copains qui attendent avec les guitares pour taper le blues, fumer et boire. Et puis les chats qui viennent vous aider à vivre et qui s'en vont à la mort. Version inaccoutumée de la théorie du ruissellement. Le malheur du monde tombe sur le poëte, super-chouette, l'occasion rêvée de se transformer en samouraï-philosophe. Vous sépare l'être du néant, la pelure de la réalité de l'orange creuse du vide, vous envoie valser dans le nirvana pour mieux vous catapulter dans les emmerdements du quotidien. '' Sans avoir de présent / comment avoir un avenir'' demande-t-il comme il vient de nous affirmer que le passé n'est plus ce qu'il était, vous voyez ce qu'il vous reste à vivre. Philosophie hippie et nihilisme punk se rejoignent en un étonnant optimisme désespéré. Mélange détonnant. Ça pète et vous éclatez. De rire. Ni humour noir, ni humour jaune. Humour-blues. Parfois à la terrasse d'un café, Daniel Giraud sort sa guitare de son étui et un recueil de sa poche et vogue la galère c'est parti pour une heure de blues-métaphysique, et les passants s'attroupent autour de lui, comme les mouches sur la merde – plus poli Cendrars employait l'expression la moitié de la face de Dieu pour désigner cette matière si fécale - comme les avares sur leur or. Les deux postulations humaines, ceux qui aiment ce qui leur ressemble et ceux qui s'accroupissent devant leur propre petitesse. Le blues, ça vous décape jusqu'à l'os.

    Damie Chad.