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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 97

  • CHRONIQUES DE POURPRE 258 : KR'TNT ! 378 :OBLIVIANS / SPUNYBOYS / UNBELIEVERZ / CRASHBIRDS / JOKOKO / LOOSER DISCS

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

    LIVRAISON 378

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    14 / 06 / 2018

    OBLIVIANS / SPUNYBOYS /UNBELIEVERZ /

    CRASHBIRDS / JOKOKO / LOOSER-DISCS

    Obliviande - Part Two

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    Revoir les Oblivians sur scène, c’est toujours intéressant, même s’il n’y a rien à en dire.

    — T’as vu, c’était super !

    Oui, la messe est dite depuis belle lurette. En gros, depuis 1998, quand Tim Warren s’extasiait à coups d’Holy fuck ! et d’Oooh Yasss ! dans son Big Daddy Catalog. Ce gros document fonctionnait comme une bible. On le consultait dès le réveil avec la première clope et une dernière fois le soir, avant d’éteindre la lumière. Tim Warren ne tarissait plus d’éloges sur les Oblivians, les Gories et toute la smala de gangs qu’il avait signé sur Crypt, mais il vantait aussi les mérites de l’exotica, du rockab, du cajun, de l’early r’n’b qu’on appelait le jump et d’une ribambelle de curiosités underground. Comme Lux Interior, il creusait inlassablement cette mine d’or qu’on appelle aussi la poubelle de l’industrie musicale américaine. Tous les deux parvenaient à déterrer des merveilles qui allaient en quelque sorte sauver le rock menacé de beaufisation par les services de marketing de l’industrie musicale. Le meilleur exemple de cette réaction à l’aplatissement généralisé, c’est l’arrivée d’Azil Hadkins dans les bacs des disquaires européens. Invendable, mais génial. Merci Lux ! Tim Warren et Lux Interior étaient convaincus d’une chose : le pur esprit rock reposait sur un principe de sauvagerie. À leurs yeux, le rock ne pouvait être ni dompté ni corrompu ni civilisé. Go fuck yourself ! Pour eux, le rock ne vend pas son cul. C’est dire si Lux et Tim avaient du courage pour oser exister face à un système aussi écrasant que le monde corporate. Un système qui avait réussi à désamorcer la bombe du rock’n’roll des fifties (Elvis envoyé faire son service en Allemagne, Jerry Lee coulé par des charognards de la presse anglaise, Little Richard rentré dans les ordres, Buddy Holly et Eddie Cochran enterrés, Chuck aussi, mais vivant, au trou, il ne restait plus que des mecs comme Bo et Fats qui ne représentaient aucun danger pour l’establishment). Ce même système réussira vingt ans plus tard à récupérer la vague punk anglaise pour en faire un commerce d’accessoires de mode, piétinant ostensiblement la valeur artistique d’un mouvement spontané. En gros, Steve Jones, Pete Shelley et Brian James subirent le même sort qu’Elvis, Chuck et Jerry Lee. Trop sauvages, trop beaux, trop libres pour être honnêtes. Il fallait que ça cesse d’une manière ou d’autre autre. Mais cette vague punk fit des petits comme elle put, de la même façon que la première vague de pionniers enfanta des revivals plus ou moins crédibles. Quel que soit le domaine musical, les kids font preuve d’une patience et d’une curiosité infinies. Et c’est précisément là où des gens comme Lux et Tim sont vitaux, car étant eux-mêmes acteurs dans leurs domaines respectifs, ils font autorité en matière de cap à suivre. Ils devinrent en quelque sorte les arbitres des élégances, dans un univers labyrinthique où il était facile de se perdre, tant sur le plan financier que culturel.

    À une époque, lorsqu’on s’intéressait aux auteurs du XIXe, on écoutait religieusement les voix de Pascal Pia et d’Hubert Juin. Ils s’exprimaient comme des oracles, et montraient le chemin conduisant à certains trésors enfouis de la littérature de l’avant-siècle. En matière de culture rock, les journalistes du NME - Mick Farren et Nick Kent en particulier - ont longtemps occupé les postes d’oracles, jusqu’à l’arrivée des ouvrages (trop) richement documentés de Peter Guralnick (deux tomes définitifs sur Elvis, mais aussi des choses captivantes sur la Soul, la country et le blues, l’ouvrage le plus récent étant un pavé indispensable de mille pages sur Sam Phillips). Tous ces gens n’en finissaient plus d’indiquer la seule direction possible : l’underground. La caverne d’Ali-Baba, l’anti-téléramisme, le paradis des affamés d’oxygène, en clair, un vivier de centaines d’artistes passionnants à découvrir et très vite le sentiment qu’une vie ne peut suffire à tout explorer. Arghh !

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    Et quand les Oblivians débarquent sur scène, c’est toute cette culture qui remonte immédiatement à la surface. Ces trois mecs de Memphis incarnent la grandeur de l’underground américain à la perfection : pas de roadies, pas de costumes de scène, pas de rien. Deux guitares et une batterie. Greg Cartwright arrive le premier sur scène. Il a perdu un peu de poids. Il semble assez tendu et jette un coup d’œil furtif sur les trognes pétries d’admiration alignées au premier rang. Il branche sa guitare et une vieille pédale wha-wha. Rien d’autre. Pas de rack de pédales d’effets comme en ont les musiciens à la mode. Cartwright porte une chemise ouverte sur un T-shirt, et des mocassins basiques. Les moins chers du magasin. Quand plus tard, un mec du public lui dira «I love your shoes !», Cartwright répondra sèchement : «Comfortable stage wear !» Greg Cartwright n’est pas un communiquant. De l’autre côté, Eric Oblivian branche sa guitare et on voit enfin arriver l’une des plus grandes stars de l’underground américain, Jack Yarber, habillé lui aussi à la ville comme à la scène, casquette, polo et pantalon de survet de couleurs improbables, dans des tons grisâtres, comme s’il ne voulait pas qu’on le remarque.

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    L’anti-rock star par excellence. Il s’installe à la batterie et va faire pendant la première partie de set ce qu’il fait depuis vingt ans : battre sec et net cette collection de hits trash-punk qui n’ont pas pris une seule ride. Et pouf, les trois vétérans de la scène garage de Memphis envoient leur vieille purée : «Feel Real Good» suivi de «Shut My Mouth». Très vite, Greg Cartwright monte sur ses grands chevaux et s’exacerbe, au point qu’on s’inquiète pour son équilibre physiologique. Dans les poussées de fièvre, il frise littéralement l’apoplexie, son cou se gonfle et il devient rouge comme une tomate, il faut le voir hurler ses vieux hits colériques. Il croit qu’il a toujours vingt ans et qu’il peut piquer des crises psychotiques comme au bon vieux temps. Mais il le fait avec une telle véracité épidermique qu’on ne peut que se prosterner devant l’expression d’une rage aussi exemplaire. Sa technique de guitare n’en finit plus d’impressionner, il double sa rythmique frénétique d’échappées belles, de petites tortillettes d’imprécations cavaleuses. Il joue tout à la stricte arrache, sans pitié pour les canards boiteux. Eric Oblivian et lui offrent un beau spectacle bien rôdé de deux bretteurs qui ferraillent au mieux des possibilités du genre. Ils sont vraiment les rois des ferrailleurs. Ils taillent leur son ventre à terre, dans une sorte d’osmose rouillée de carcasse abandonnée. Le plus drôle de toute cette histoire, c’est qu’Eric Oblivian et lui ont des allures de profs. Ils ressemblent plus à des profs d’histoire-géo qu’à des rockers. Ils sont parfaitement anti-punk et anti-déguisement. Tout leur crédo passe par le son. Par le raw du son. Pas plus raw to the bone que l’Oblivian Sound System. Vingt ans après leurs débuts, leur punch reste intact. Ils sortent un ramdam qui forcément ne peut pas plaire aux âmes sensibles, mais c’est fait pour ça. S’il est bien un groupe intègre sur cette terre, c’est les Oblivians. Ils partagent cet apanage avec leurs collègues les Gories. They don’t give a shit, comme le disent si élégamment les Anglo-saxons, ce qu’on pourrait traduire par : si ça ne te plaît pas, va voir ailleurs ! Mais leur raw a du style. Difficile d’expliquer la grandeur du garage-punk quand il est bon. Le garage-punk bien foutu est une sorte de synthèse cataclysmique.

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    Les Oblivians fonctionnent comme des éponges qui régurgitent : ils ont pompé toute la légende de Memphis, depuis Meteor et Sun jusqu’aux Jesters et Mud Boy & The Neutrons, et ça ressort sous forme de giclées fumantes. Ils ont assez de talent pour calibrer ces poussées de fièvre et assez d’énergie pour les personnaliser. Eric, Greg et Jack puisent exactement au même endroit que Lux et Tim et ça ressort sous la forme de «Woke Up In A Police Car» et «Big Black Hole». Explosif. Emmené à train d’enfer, au tempo de la métempsychose du Memphis Psychosis with the Memphase Blues again. On pourrait penser que Memphis donne du crédit aux Oblivians, mais il faut raisonner à l’envers, quand on les voit jouer sur scène, ce sont les Oblivians qui donnent du crédit à Memphis, surtout quand Jack Yarber arrive au micro coiffé de sa casquette grise : il enveloppe sa SG bordeaux de tout son corps et se penche vers le micro pour emmener la deuxième partie du set dans l’un des plus fascinants firmaments de tous les temps.

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    Il est l’une des dernières grandes incarnations du rock américain. Ce mec pue la classe à dix mille kilomètres à la ronde. Il chante et joue «Strong Come On» avec une élégance naturelle qui devrait servir de modèle à tous les apprentis sorciers. Il semble se fondre dans son oblivianité, il joue son rôle de chef de meute avec un flegme fascinant. Chaque seconde de ce spectacle nous conforte dans l’idée que le rock n’est pas une vue de l’esprit, mais une réalité bruyante et vivante, l’expression d’une forme de vie intelligente. Les Oblivians n’en finissent plus de labourer les terres de leur légende pour que germent des éclairs à n’en plus finir, pour que leur lumière éclaire encore un peu les ténèbres de notre vaste médiocrité. Rien n’est plus spectaculaire qu’un groupe sûr de lui. Oh bien sûr, les Oblivians ne rempliront jamais les stades, mais ils le savent depuis vingt ans et sans doute s’en félicitent-ils, car au fond à quoi sert de remplir un stade, sinon à devenir riche ? Et une fois qu’on est riche, à quoi sert d’acheter des voitures et des maisons ? Car une fois qu’on a acheté les voitures et les maisons, que fait-on ? On achète des œuvres d’art et on fait des voyages ? On se paye des putes de luxe ? Et après ? On fait quoi ?

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    Signé : Cazengler, Obladi, Oblah-blah

    Oblivians. Le Petit Bain. Paris XIIIe. 28 mai 2018

    FONTAINEBLEAU / 07 – 06 – 2018

    LE GLASGOW

    SPUNYBOYS

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    J'ai détruit la moitié de l'appartement – et l'autre ne valait pas mieux – le mois dernier quand j'ai appris que les Spuny étaient passés la veille au Glasgow sans que je le susse comme disait Colette en évoquant un individu qui se vantait d'avoir été son amant. Grâce à Sergio Kahz qui m'a prévenu, au lieu de passer le bulldozer sur les restes de ma malheureuse bicoque je puis en toute sérénité ce matin écrire ma kronic tout en me faisant cuire un œuf à la coque. Au hasard Balthazar, quelles sont les premières personnes que je rencontre dans l'antre à bière mousseuse ? Je vous le laisse deviner en mille et une nuits : Sergio Kazh – à qui vous écrirez une belle lettre de remerciement sans faute d'orthographe, si possible, pour les photos - Bryan Kazh sans sa contrebasse mais en la charmante compagnie de Daytona, et Maryse Lecoultre, vous avez reconnu la cellule germinative de la revue Rockabilly Generation – j'ai eu droit à la primeur de la couve du numéro 6, pas vous, mais le monde est rempli d'injustices. Terminons les élucubrations de Damie, voici les Spuny !

    SPUNYBOYS

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    Beaucoup de monde. D'abord c'est les Spuny. Ensuite, le Glasgow ils l'écument régulièrement, le lieu où nous avons joué le plus de fois, se vantera Rémi. Enfin pas besoin d'établir des statistiques ni de se livrer à une enquête ministérielle, un scandale épouvantable, la sacro-sainte parité n'est pas respectée, ça crève les yeux, une majorité de filles qui squattent les premières places et n'en finissent d'onduler, telles les pommes tentatrices de l'éden qui se balançaient sur l'arbre de la connaissance du désir sous la brise que le Devil in person soufflait diaboliquement sur ces fruits merveilleusement juteux. C'est que Rémi vous a un de ces sourires ravageurs... Pour la musique je ferai vite : imaginez une tornade qui oscille entre la force 10 du Bop et la force 11 du ted-sound, avec fragrances hillibilly et saveurs jazz sur les soli de contrebasse, le tout agrémenté de pépites vocales à virulentes envolées Richardiennes, the man you could see on the sea, the man you could see on the sky.

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    Pour monter si haut dans les cieux, Rémi triche un peu, l'a sa béquille. Sonore. C'est comme les oiseaux, l'en existent de plusieurs sortes, les migrateurs, les cuculiformes, les passereaux, lui fait partie des échassiers. L'a dû – ceci n'est qu'une hypothèse de travail hautement scientifique - être traumatisé dans son jeune âge par la lecture de le Baron Perché, d'Italo Calvino, qui refuse de descendre de son arbre, Rémi lui s'obstine à se percher à la moindre occasion sur sa big mama. S'y trouve bien, c'est son nirvana, son nanan de grand garçon, quand il ne se retient plus de faire un malheur il ne résiste pas, il grimpe dessus, s'installe aussi à l'aise sur ce perchoir instable que sur les larges banquettes-arrière des Cadillac, n'a pas le fromage du corbeau dans son bec, par contre l'en possède le ramage, un organe flexible et puissant, qu'il entrecoupe par de longs cris de dinosaurus erectus, dans le seul but nous assurent les paléontologues de paralyser leur proie, et peut-être même leur femelle – parfois il en descend, la prend sous son bras et s'en va se promener. La jette à terre, et entreprend de faire des pompes sur le plancher, une note, une pompe, une pompe une note, au niveau respiratoire la note devrait être salée, mais non continue de chanter comme si de rien n'était, se juche sur les tonneaux ( qui servent de table ) en jonglant entre les verres, et poussera même le vice suprême à jouer à la pyramide sucrière, un je monte la big sur sur la barrique, deux je monte sur la mama, trois miséricorde ! j'ai beau tirer sur les cordes et essayer de poursuivre mon ascension ma tête époussette déjà les toiles d'araignée du plafond. Vous l'avez compris un Rémi en pleine forme, qui vous pousse des hurlements de sauvages toutes les trois minutes, vous descend tout le répertoire rockab à la mitraillette lourde, sa banane, désormais méthanière, pointant comme le rocheux éperon de l'île d'Oléron.

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    Evidemment s'il peut se permettre ce genre d'acrobatie, c'est qu'à ses côtés ça assure grave. Guillaume, encore un excité. Pas du même genre. Dire qu'il fait ses coups en douce serait un mensonge, une contre-vérité historique, car il cogne ses peaux avec la force démesurée des sapeurs qui enfonçaient les pieux qui permirent de construire le pont salvateur dans l'eau glacée de la Bérézina. L'a d'ailleurs un peu le rôle de Napoléon dans le combo fou. C'est lui qui décide. Vous fracasse les œufs durs d'alligator à coups de masse sans préavis et les deux autres ont intérêt à s'aligner illico les coquelicots. Son truc à lui, c'est le coup qui tue. Un seul suffit. S'il en faut douze pour allumer le kaos, vous en compte douze, pas un de plus, pas un de moins, les bons comptes font les bons amis, et un bon ami est un ami mort. Pas le temps de ramasser les cadavres, sans préavis vous cingle une cymbale, à la manière d'un hussard qui taillade la croupe de sa monture afin de lancer la charge, mais ce que je préfère, c'est son air impérial lorsqu'il arrête tout brutalement – car chez Guillaume même le silence est brutal – j'adore le voir immobile, la baguette arrêtée net au milieu du tambour, me rappelle Tante Agathe quand elle plongeait sa cuillère de bois d'une façon définitive dans la casserole du civet, l'air de dire mes enfants je vous assure que ce sera bon, et ma foi je l'avoue le chat du voisin n'avait jamais meilleur goût. Et ploum, il relance la tambouirlle comme jamais. Déconstruit des murs de breaks, un furet de fureur, insaisissable, vous emplafonne l'ouïe par ici, et vous défonce l'Eustache déjà par là.

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    Eddie est à la guitare ce qu'est la catastrophe lorsqu'à l'autre bout du monde un innocent papillon bat doucement de l'aile, la gauche. L'a son style à lui. Pas le genre à vous pondre de longues phrases à la Damie Chad que personne n'y comprend plus rien au bout de trois lignes. S'il entrait chez les scouts – en fait je le verrais mieux chez les Comanches - ce serait facile de lui donner son surnom, ce serait vitriol incisif. C'est toujours celui qui en fait le moins qui produit le plus d'effets quand il se fout au boulot. Ce genre d'ouvriers de la onzième heure sont le cauchemar des DRH. Bref Eddie – et cet adverbe n'a jamais été précisé avec autant d'à-propos sémantique – il ne joue pas de la guitare. Il intervient. Style commandos qui vous détruisent les canons de Navarone avec de détonnantes charges de plastic. Son truc à lui, ce n'est pas la plume chatouilleuse. L'est du genre grande glaciation subite. Vous égrène une dégelée de notes, comme çà, par surprise, juste pour le fun de vous faire souffrir, point trop n'en faut, dose minimale, sept secondes maximum, et vite il se pousse sur le côté, en arrière, car oui, il est comme ça, un gamin vicieux qui sait qu'il fait mal, qu'il ne devrait pas, mais plus fort que lui, animé par le démon du rock'n'roll faut qu'il s'avance, qu'il fanfaronne, que l'on ne voie que lui, une minuscule période temporelle, et puis le gars modeste qui se retire désespéré de vous avoir dérangé. Vous pensez qu'il regrette qu'il va vous rédiger un mot d'excuse, pas du tout le matou, un m'a tout vu qui remet le couvert, nouvelle fricassée de banderilles, vous laisse pantelant dans l'arène, ne vous inquiétez pas il reviendra. Chemise rose de tueur de la maffia, l'a la gâchette facile sur son stradivariock. Un virtuose.

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    Noche muy caliente, hay senoritas ! hablo el langage de Don Quijote tambien, trente-cinq degré quatre dizièmes, sûr que vous pouvez poursuivre vos étuves au Glasgow, z'ont la camisole trempée de sueur et leur grimpant en guenilles qui leur colle aux parties, pas de quoi arrêter des rockers, pas de pitié, exunt les trois sets réglementaires, ce soir tout le monde l'aime chaud, quarante titres d'affilée, sans halte, ni étape. Rappels sur rappels. Tout le monde en veut encore, nos trois escogriffes et particulièrement tout le public féminin qui n'arrête pas de s'agiter, un pourcentage d'agglutination si hallucinant que vous en ressortez massé de partout, sérieuses concurrence pour les massages thaïlandais, peuvent aller se rhabiller, le Rockabilly Generation N° 4 s'écoule comme des doses de crack à la Porte-de-la-Chapelle, les Spunys sont en couverture, l'impression toutefois que la gent féminine préfère les boys en os et surtout en chair. Little Richard, prédicateur devant l'Eternel à ses heures perdues nous l'a répété à mainte reprises, dans ses heurts retrouvés, le rock'n'roll est un péché véniel. Que le Diable nous entende. Ite missa est.

    Damie Chad.

    ( Photos : FB : Sergio Kazh )

    08 / 06 / 2018MONTREUIL

    L'ARMONY

    UNBELIEVERS / CRASHBIRDS

    Rendez-vous à L'Armony, wouah ! Le café fait peau neuve, le mur de la scène repeint à vif, rouge sang d'un côté, noir anthracite de l'autre, et la paroi de gauche recouverte d'une tapisserie matelassée de trois centimètres d'épaisseur, de quoi empêcher le bruit d'un rotor d'hélicoptère de franchir la cloison, la classe ! Quand j'arrive les Unbelieverz sont en train d'installer le matos, un spectacle en soi. Normalement faudrait traduire par ''non-croyants'', mais ''les incroyables'' correspondrait mieux. Pas des stressés de la touffe, le prennent à la cool, no speed, Delphine – she 's the one in her red bluejeans – aide de son mieux ces grands enfants qui s'amusent comme des gosses et qui n'en font qu'à leurs têtes. Sont avant tout intéressés par la découverte du nouveau millénaire, ces porte-verres ( de bière ) qui se fixent sur la tige du micro... ne les prenez pas non plus pour des shadocks, à eux cinq leurs parcours individuels résument l'histoire du rock français, Spermicide – virus extrêmement dangereux – Bad Losers, The Jones, Shitbones, The Sarah Connors, Pat Kebra qui permet par les lois de la sainte généalogie de remonter jusqu'à Oberkampf, des gars qui ont déjà pas mal d'heures de vol à leur compas.

    THE UNBELIEVERZ

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    A peine ont-ils enfourché les premières mesures de Pipeline, que le public se masse devant la scène, le combo joue sec et chaloupé, ce balancement primal issu du vieux blues qui depuis et durant trois-quarts de siècle a irrigué la veine cave du rock'n'roll des bas-fonds. La danse furibarde de l'éléphant qui écrase la tête des serpents venimeux qui lui barrent passage.

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    La grande gueule devant, sous sa casquette et au micro, c'est Jex Spector, l'a laissé son harmonica à la maison, et l'air de rien la tête complaisamment appuyée sur son coude, personne ne s' apercevrait qu'il déchiffre les paroles des morceaux s'il n'avait pas les textes étalés sur le lutrin paroissial devant lui. L'envoie sans efforts de sa belle voix solide, sans se prendre au sérieux, distribuant quelques coups de pieds amicaux dans le derrière des guitaristes au moment des soli. On ne le voit pas, caché par ses camarades, mais il n'arrête pas de japper, le chacal du désert qui dénonce la caravane par ses rafales d'aboiements incessants. Rascal est à la batterie, une frappe qui ne s'alourdit jamais, rebondit sans cesse, l'éternelle jeunesse du battement primordial, fuite éperdue d'un tempo en accélération, se renouvelle sans cesse, refuse les conclusions épisodiques des breaks qui s'achèvent en fanfare grandiloquente, préfère mener la coure en tête, une pétarade crépitante incessante.

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    Tir nourri de guitares par devant, JC Vivron (- nous jusqu'à demain, sans doute puisqu'il existe encore du rock'n'roll au bout de la nuit ), en retrait, discret mais une extraordinaire présence, les doigts qui crawlent sur le manche à croire qu'ils traversent le Channel poursuivis par un banc de requins affamés, un orfèvre, rapide mais d'une précision extrême, l'aime ça, cela se sent à la manière dont il assaille son instrument, l'a un pari à gagner contre lui-même à chaque minute, et il remporte la mise à chaque fois. Sera éblouissant sur les deux derniers titres I Wanna Be Free et I Got a Right des Stooges. Le rock sans malaise n'est qu'un cobra sans venin, manque l'essentiel, un côté sombre et malsain – face Lux folie douce et pile Interior névrose tourmentée – l'on a de la chance, z'en z'ont deux dans Unbelieverz, Thierry Jones à la guitare – le côté Brian des Stones – davantage enfermé en lui-même, joue en solitaire pour lui-même et Stephen Bacon, vous le sert en tranches sombres et empoisonnées, amer, sur une autre planète, peu paradisiaque, White Heat White Light et Strychnine pour ceux qui veulent empoisonner le chien du voisin.

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    Neuf titres – pas très neufs puisque ce sont des reprises – mais bourrés d'énergie. De l'amphétamine rock sans reproche, sans surprise mais si bellement expédiés que le public en redemanderait, faudra se contenter des souvenirs de Up & Down et She Does It Right. Eux aussi. Le font encore mieux.

    CRASHBIRDS

    A ) Théoria :

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    Les cui-cui sont de retour à l'Armony, sacrée nichée. Pierre Lehoulier en corbeau noir, Delphine Viane en corps beau rouge. Les Bonnie and Clyde du dirty rock'n'blues. Tirent à vue sur tout ce qui bouge, et sur tout ce qui ne bouge pas, dans le seul but de n'oublier personne. Des bienfaiteurs de l'Humanité, qui ne les mérite pas. Mais sans doute est-il temps de méditer sur le premier terme de cette sainte trinité, de cette maudite trilogie. Dirty, parce que le monde est sale. Beaucoup ne s'en aperçoivent pas. Parce que when they awoke in the morning, ils prennent garde de fermer les yeux. Ne veulent pas voir les pensées qui grouillent en leurs têtes, que le petit déjeuner avalé ils se mettront en quête de Someone To Hate, qu'ils ont une déclaration de mort à faire leur meilleur ami, I Want To Kill You, qu'ils seront sans pitié, No Mercy. Le problème c'est que s'ils jetaient un regard au-dehors, ce serait encore pire, une vie désagréable les attend, Hard Job, dans lequel ils are Boring To Death, et s'ils essaient d'analyser froidement la situation, le constat est simple : ne sont ni plus ni moins que des European Slaves. Fatale vision. Ne vous reste qu'à prendre une corde et à vous pendre au premier réverbère qui passe dans la rue. Triste destin. Déjà vous strangulez , vous pendouillez sans force et l'agonie vous tressaute. Tenez bon, ils arrivent, Mister Blues et Miss Rock. Sont plus forts que vous, elle et lui se sont chacun munis de six cordes et alors que vous sentez le néant s'infiltrer en vous, ils vont vous requinquer fissa. Vous ne savez pas comment, toute l'histoire vous est contée par le menu ( apéro et café compris ) dans le paragraphe suivant.

    B ) Praxis :

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    Pour voler à votre secours Pierre a chaussé ses bottes de sept lieues, nous ne sommes pas dans un conte de fées, aussi nous efforcerons-nous à une description plus réaliste, disons des charentaises phoniques, une espèce de pantoufle géante en bois qu'il piétine du pied droit sans s'arrêter. Martèle le rythme du blues, une espèce de menuet dessalé qui n'est pas sans évoquer en même temps la marche pesante et solennelle de la statue du Commandeur qui s'en vient vous prendre par la main pour vous emmener en enfer. Frappe du talon et vous met en communication directe avec la marche funèbre de votre futur enterrement. Beaucoup plus ensorcelant qu'il n'y paraît. Une cantate hypnagogique ensorcelante, les yeux fascinants de l'Alligator qui vous regardent longtemps, longtemps, avant de... Suspense intolérable, nous interrompons cette narration, pour vous laisser le temps de respirer.

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    Car l'antidote de cet instinct de mort est juste à côté. Delphine, le rock incarné au féminin. Sourire narquois et joie de vivre. Trille dans le micro. Vous réconcilie avec la vie dès qu'elle ouvre la bouche. Vous raconte des horreurs sans nom qui à peine sorties de ses lèvres se métamorphosent en tentations irrésistibles. Avec ses cheveux roux, sa salopette rouge, l'est une flamme vivace qui pétille de mille feux. Vous débite des tombereaux de cauchemars, d'une voix tranchante comme un sabre d'abordage, elle conte le carnage de vos illusions et vous buvez le sang qui gicle comme du petit lait sorti tout droit de la mamelle sacrée de la Grande Déesse. Une comédienne, lorsque Pierre annonce un nouveau morceau Stupidity et qu'il embraye une intro sautillante et goguenarde à souhait, elle sourit si bêtement que vous ne pouvez pas penser à l'incipit épigraphique du roman de Jean-Paul Toulet : ''Quelle est cette jeune personne, qui s'avance vers nous et dont les traits n'annoncent pas une vive intelligence ?''. Mais la voici de nouveau altière comme une déesse.

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    Ne riez pas. Regardez Pierre, ferme les yeux, ses doigts courent sur sa Gibson, l'est loin de nous, l'atteint à une espèce de transe extatique qui l'emmène on ne sait où, au plus profond des eaux saumâtres du bayou. Sa barbe pointue lui confère l'attitude d'un sage du désert près d'atteindre le nirvana. Sa guitare psalmodie une étrange mélopée venue d'ailleurs. Delphine scande un texte qui vous prend l'ampleur d'une épopée viking, vous ne vous appartenez plus, subjugués par une rythmique bourgeonnante d'inventions, vous êtes en partance, et tout s'arrête brusquement. Pierre se talque les mains et saupoudre le manche de sa guitare, Delphine change d'électro-acoustique, et Monsieur Lehoulier se vante de ne pas savoir jouer le morceau suivant. S'en tire comme un chef de guerre. Personne n'en avait douté un quart de seconde.

    Miss Rock and Mister Blues, ce n'est pas Le Rose et le Vert de Stendhal, c'est le rouge et le noir de la double hélice de l'ADN de notre musique. Dès qu'elle se met en mouvement, elle réveille les monstres qui dorment au fond de nous. Les Crashbirds, ne sont que deux, formation à minima. Mais ils touchent à l'essentiel, à la rage et au désespoir, au tranchant de l'épée, au fil du rasoir, remontent vers la lumière du jour, mais le couple orphique se tourne l'un vers l'autre, ils se regardent et reviennent sur leurs pas, ils préfèrent nous emporter avec eux dans les souterrains stygiens, car les antres du dirty rock'n'blues sont notre demeure.

    SURPRISE DU CHEF

    Ne reste plus qu'à rentrer à la maison. Pas du tout, Farid de l'Armony tient à prolonger la soirée. Dedans rien de nouveau, mais dehors, au frais, sur le trottoir-terrasse la surprise nous attend, Farid régale son monde - assiettes, fourchettes, couteaux, serviettes papier – n'y a plus qu'à déguster un mirifique couscous – semoule, légume, sauce, poulet, une splendeur gastronomique, aussi délicieux qu'un troisième groupe de rock'n'roll. Merci Farid !

    Damie Chad.

    ( Photos : FB : Pomarel Line )

    KRONIK ( 1 )

    Mais ce n'est pas tout. Pierre Lehoulier n'a pas qu'un seul fibrome à son cerveau. La guitare, lobe droit – je n'insiste pas – mais aussi le dessin, lobe gauche. C'est lui qui crée les pochettes et les affiches de Crashbirds ( voir KR'TNT ! 351 du 07 / 12 / 2017 ) participe aussi au comic Kronik, ce qui explique durant le concert la présence d'un stand de la revue, tenu par Jojoko. Vous présenterai dans la prochaine livraison quelques numéros de Kronic, mais ce coup-ci ce sera deux fascicules signés de Jokoko.

     

    JOKOKO

    LE PETIT CHOKING VICTIM ILLUSTRé # 1

    made by satan

    ( dIy prod. / 2016 )

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    Jokoko, un sale coco à éviter. Cette phrase pour détourner et protéger les âmes sensibles. Jokoko, le joker, dans votre poche, l'ultime carte, celle que vous sortez en dernier ressort lorsque la Mort vous a embringué dans une belote au comptoir et que c'est mal parti pour vos abattis. Pas de panique. Avec Jokoko l'activiste post-punk-destroy, vous êtes pénardos, vous vous en tirez frais comme une rose. Fanée, certes, mais l'on n'a rien sans rien. C'est que Jokoko, l'a de la matière noire graphiteuse dans le cerveau, ne vous dessine que des horreurs à pousser au suicide le proprio qui vient réclamer ses deux années de loyers impayés, et dont les yeux ont croisé au hasard cette mince plaquette nonchalamment ouverte sur la table.

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    Franc-jeu dès l'intro. Crayonné au théâtre disait Mallarmé, Jokoko, c'est direct sabordé dans le métro brinquebalant, difficile de trouver pire. L'artiste doit savoir se mettre en relation convulsive avec son sujet, imaginez le résultat quand vous partez d'une idée tangentielle. Evidemment ça craque. Dans les année 90, Choking Victim est déjà un joyeux mélange explosif instable à lui tout seul. Groupe post-punk de New York, des squatteurs fous, des ska-teurs pas doux, des violents durs au core à core, iconoclastes, tapant du pied dans la fourmilière du Dieu et du Diable, z'avaient déjà du mal à se supporter eux-mêmes, se sont atomisés le premier jour de l'enregistrement de leur premier album, No Gods / No Managers. Des anarchistes acharnés.

    Pour ceux qui ne comprennent pas l'anglais et pour ceux qui l'intuitent, Jokoko vous fait l'explication de texte, pas de vains discours, un vers, une vignette – de celles qui ne sont pas remboursées par la Sécurité Sociale – un dessin en blanc et noir – Pour Balzac c'était Splendeur et Misère des Courtisanes, pour Jokoko, c'est bienfaits et méfaits du Krak. Un comic qui donne dans le comique, toutefois une comédie dans le style du théâtre de la Cruauté. Vous dégustez et tout de suite après, vous craquez, vous téléphonez à votre dealer. Ce n'est pas que Jokoko vous peint l'avenir en rose, c'est qu'il vaut tout de même mieux rire en enfer que vous ennuyer au paradis des existences aseptisées. Illustre ainsi : 500 Channels, Fuck Reality et In My grave. Ça tombe bien et c'est très grave.

    Damie Chad.

    JOKOKO

    GLUBURP !

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    Entendu le titre on comprend que l'artiste dessine en yaourt. En yoglourt barbare. S'attaque à une représentation sacrée, celle du portrait de ses contemporains. Il se pourrait que son monde ne soit pas le vôtre. Ou alors c'est qu'il ne voit pas son environnement comme vous. Plus sûrement, vous avez oublié d'ajuster vos lorgnons. Commence par les trois fléaux de l'Humanité, l'alcool, le tabac et la merde – Antonin Artaud disait qu'il y en avait partout dès qu'il y avait de l'être vivant. Chez Jokoko, c'est plutôt les survivants. L'essaie de ne pas vous démoraliser, vous enveloppe la crotte dans un beau jeu de mots, on sent qu'il se donne du mal, mais non, l'a une vision très sombre. C'est peut-être pour cela qu'il emploie beaucoup de feutre écarlate. Alchimie égalitaire, l'œuvre au rouge terminal n'a guère engendré de notables améliorations quand on la compare à l'initiale œuvre au noir du départ. Une préférence nette pour les yeux globuleux qui sortent de la tête et les gueules ouvertes. Vous tend des messages subliminaux comme Le Brun avec ses portraits de Louis XIV sur fond de fleurs de lys, modernise un tantinet, seringues, os, zizi, molaires, préservatifs, que voulez-vous, il vit dans son siècle. Qui est aussi le vôtre. C'est fou d'ailleurs comme je vous reconnais. Un véritable moraliste Jokoko, vous peint à merveille, ne tournez pas les talons, vous ai identifiés. Tous. Vous n'avez pas dû le payer bien cher, car il n'a pas fait d'effort pour améliorer votre catastrophique laideur. Une typologie des plus précises de l'Homme Moderne. La bêtise satisfaite d'elle-même. Le repu qui pue. Le mieux ce sont les portraits de groupe, vous avez une chance de passer inaperçu, mais attention, plus vous vous agglutinez avec vos semblables, plus l'insipide et stupide obstination de l'espèce humaine à persister dans sa médiocrité vous saute aux yeux. Pas un pour sauver l'autre. L'équipe des bras cassés au complet. Jokoko n'a oublié personne. Jokoko est un créateur, l'a fondé le dégoûtart, celui qui vous sied à merveille. Ce sera mon dernier mot, it's just a joke ! It's just a Jokoko...

    Damie Chad.

    L'ANTIDISCOTHEQUE IDEALE

    100 CHEFS D'OEUVRES

    AUXQUELS VOUS AVEZ ECHAPPE

    CHRISTOPHE CONTE

    ( GM Editions / 2015 )

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    Le style d'ouvrages difficiles à présenter par excellence. J'en lis souvent et ne me résous à ne les choniquer que rarement. L'exercice est difficile, regorgent d'informations qu'il est difficile de synthétiser. Et autant en emporte le vent. Une belle introduction de Bernard Lenoir ( France-Inter et les Inrockuptibles, autant dire deux fausses-pistes ) et c'est parti pour cent galettes étalées entre 1967 et 2015 qui n'ont pas rencontré le succès auquel leurs qualités intrinsèques les destinaient. La vie est parfois cruelle et injuste. Et le bureau des réclamations introuvable. Inutile de vous lamenter.

    Le livre commence bien avec Johnny Rivers, aujourd'hui bien oublié mais qui fut un des grands inspirateurs du jeune Johnny Hallyday. C'est ensuite que le malaise s'installe. Pas pour tout le monde, j'en conviens, certains boiront du petit lait, mais en mon immodeste personne de rocker le doute s'installe. Christophe Conte aurait-il des goûts déplorables ? Il faut bien répondre oui. Remarquez c'est son droit. Il adule le rock mais il n'adore pas le roll. Mais le rock'n'roll c'est comme le poulet vaudou, ça ne se mange ni à moitié-cru ni à moitié cuit, simplement vivant, faut qu'il batte encore des ailes quand il vous passe dans l'œsophage.

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    Christophe Conte m'a irrésistiblement fait penser à ces ados qui dans les années 70 trouvaient pour seul argument à opposer à leurs parents et à leurs professeurs d'aimer le Pink Floyd parce que ça ressemblait à de la musique classique. Christophe Conte est trop intelligent pour se divertir d'une telle platitude, mais au fur et à mesure que vous avancez dans le bouquin, vous visualisez assez bien les lignes de force. L'est groupie des belles orchestrations, l'a l'âme de couteau émoussé profondément pop, pas rock. Le genre de gars qui préfère les Beatles aux Rolling Stones, la new wawe au punk, je ne parle pas de musique mais d'esprit. On pourrait le qualifier d'amateur prog-folk. J'ai enfin compris pourquoi je m'ennuyais tant quand par hasard lorsque je roulais de nuit mon auto-radio tombait sur son émission de France-Inter.

    Deux moments forts dans le bouquin. Sa chronique de Ram, de Paul & Linda McCartney – pas tout à fait un génie méconnu – huit colonnes, double page centrale du couple apparemment pour lui primordial, repro grand format du disque, et attention nous refait le coup des pages roses du petit Larousse – l'a malheureusement choisi un gris pisseux – pour la reproduction d'une interview de 2001 – par un certain Christophe Conte – du second couteau des Fab Four qui revient sur ses états d'âme lors de l'enregistrement et de la sortie du trente-trois tours. Cela fait un peu ennuis de riche accablé par l'existence, j'aime beaucoup John mais qu'est-ce qu'il a été méchant avec moi...

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    Christophe Conte, qui porte des cols Daho, cite à tout bout de pages le génie merveilleux de Brian Wilson, une référence suprême pour lui, nous surprend donc lorsque pour évoquer les Beach Boys il consacre son plus long article à Dennis Wilson, profite de son évocation de Pacific Ocean Blue paru en 1977 pour nous raconter la saga de la famille Wilson avec un père pygmalion et terrible - preuve que Michael Jackson n'a pas tout inventé – un Brian un brin dérangé du brain et un Dennis qui finira par se suicider en se jetant dans son élément liquide préféré. C'est le meilleur morceau du bouquin.

    Surtout que l'on arrive vers la fin et que l'on aborde la décennie 80, pas la plus prodigieuse du rock, et puis que voulez-vous, plus l'on se rapproche de notre présent, plus les artistes nous sont connus moins ils sont entourés de cette aura que confère tout passé mythique, les noms tournent encore dans les têtes que ce soit Specials, XTC, Columna Durruti, Ultravox, et P. J. Harvey dont je vous invite à admirer cette curieuse photographie pleine page sur laquelle elle ressemble à une étonnante Patti Glamour Smith...

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    Un livre oubliable. Même si Christophe Conte n'est pas exempt de traits de plume assassins et de formule qui font mouche. Pas tsé-tsé du tout. S'est tout de même rendu compte, Christophe que l'ensemble sonnait un peu maigre, alors vous fait un cadeau pour se faire pardonner, le CD de Dennis Wilson, le chef-d'œuvre auquel vous n'échapperez pas. Hélas ! Comme j'ai tout lu, j'ai tout écouté. Cet océan n'est pas ma tasse de thé. Cela vous a un insupportable côté Beatles. Certains assureront que c'est idéal pour caresser sa baby sur la plage. Comme ma fenêtre ne donne pas sur le Pacifique, j'ai essayé dans le bac à sable du jardin municipal. Mais elle n'a pas aimé. Moi non plus.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 257 : KR'TNT ! 377 : NEVILLE BROTHERS / VINCE TAYLOR / U-BILAM / NAKHT / WILD MIGHTY FREAKS / 2SISTERS / JAZZ MAGAZINE

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 377

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    07 / 06 / 2018

    NEVILLE BROTHERS / VINCE TAYLOR

    U-BILAM / NAKHT / WILD MIGHTY FREAKS

    2SISTERS / JAZZ MAGAZINE & CO

    Neville sainte - Part One

     

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    L’admirable Charles Neville vient tout juste de casser sa pipe en bois, au terme de soixante-dix ans d’une vie bien remplie : drogues, femmes, jazz et funk. Tous les amateurs de funk et de New Orleans Sound n’ont plus que leurs yeux pour pleurer, mais ce n’est pas leur genre. On le sait, ce que les gens de la Nouvelle Orleans appellent des Funerals sont d’abord des fêtes. On y chante et on y danse.

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    Charles est le premier des quatre Neville Brothers à s’en aller : Cyril, Art et Aaron lui survivent. Ces quatre brothers et leur oncle Big Chief Jolly jouent un rôle capital dans la légende de la Nouvelle Orleans. L’oncle Jolly paradait en tête des Wild Tchoupitoulas, Art monta les Meters dans les années quatre-vingt et Aaron a passé sa vie à chanter comme l’ange de miséricorde que filma jadis Wim Wenders. Quant à ce fantastique joueur de sax que fut Charles, il a préféré cultiver sa passion pour les drogues et la délinquance, ce qui lui a permis de visiter les ‘pens’ de l’époque, c’est-à-dire les pénitenciers, dont Angola, le plus terrifiant de tous. David Ritz consacre un livre aux Neville Brothers, mais il a l’intelligence de s’effacer, car ce que les quatre frères ont à raconter édifierait n’importe quel édifice. On observe un décalage vertigineux entre la saga des Neville et l’histoire de gens qui ont tenté de se faire passer pour des voyous, les Stones, par exemple. Tout au long de ce livre extrêmement dense, Art, Charles, Aaron et Cyril nous rappellent qu’un noir risquait encore sa peau pendant les années soixante et soixante-dix dans les rues de la Nouvelle Orleans - The cops were out for blood - et que tout le monde prenait des drogues dès l’adolescence.

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    Le principe de ce livre est simple : après quelques pages d’intro signées David Ritz, les quatre brothers racontent à tour de rôle leur histoire, c’est-à-dire l’histoire de leur quartier (Valence Street), de leur famille (leurs parents, leurs femmes et leurs innombrables enfants), de leurs amis (Larry Williams, Dr John et combien d’autres) et leurs aventures musicales, aussi bien sur la route qu’à la Nouvelle Orléans. Des quatre, celui qui crée la plus belle proximité, c’est Charles, l’intellectuel de la famille, fan de Charlie Parker et de Monk, car il raconte son histoire avec une poignante honnêteté. Il développe ses épisodes assez longuement et termine généralement sur une chute brutale en forme d’apothéose, comme s’il jouait un cut de Trane.

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    Quand il est gosse, son père l’emmène voir Charlie Parker, mais c’est complet. Charles reste à côté de la porte et écoute. Ce qu’il entend, pour lui, c’est la musique du futur - Bird was flying high - Il voit son père tendre l’oreille - My father had ears - Charles dit aussi que petit, il avait peur des blancs, surtout des paddy rollers qui patrouillaient la nuit pour terroriser les communautés noires. Charles a vu une bagnole de paddy rollers traîner un nègre attaché au pare-choc arrière. Petit, il a vu les night riders du Klan chevaucher et brûler des croix - Scary sights for a kid - Il évoque aussi les étudiants en médecine de Tulane, the gown men, qui rôdaient la nuit au volant de camionnettes blanches, en quête de corps pour leurs études. Une piqûre et puis pouf, terminé, plus jamais de nouvelles de vous - You’d never be heard from again -

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    Mais sur le chapitre du racisme, Cyril est le plus enragé des quatre : quand son frère fut envoyé cinq ans à Angola pour deux joints, Cyril considérait son frère comme un prisonnier politique, car pour lui, la guerre régnait à la Nouvelle Orléans. À ses yeux, les cops locaux se comportaient comme les unités spéciales de marines américains dans les villages du Vietnam - Search and destroy - Une nuit, Cyril et Aaron sont arrêtés par une patrouille. Aaron voit les flics frapper son frère, et comme il ne supporte pas ce spectacle, il réussit à choper l’arme d’un flic et annonce la couleur : «We all gonna die in this alley if you motherfuckers don’t back off.» Il met les flics en joue. Les cops reculent. Cyril dit à la page suivante que cette nuit-là, son frère lui a sauvé la vie. En gros, Aaron et Cyril expliquent que les cops avaient le droit de descendre des nègres dans la rue. Rien n’avait changé dans le Deep South depuis l’abolition de l’esclavage. Et quand on écoute ce qu’on appelle de la black (Soul, blues, r’n’b, funk, jazz, gospel ou doo-wop), il est essentiel de prendre ces éléments en considération. Dans les rues de leur ville, les Neville Brothers risquaient tout simplement leur peau parce qu’ils étaient noirs. Mais comme le rappelle Cyril, les gens de sa communauté parviennent quand même à célébrer la vie à travers la musique, quel que soit le genre, et ça fait toute leur force, pour ne pas dire leur supériorité. Des quatre frères, Cyril est le plus jeune et le plus enragé, politiquement. La guerre du Vietnam l’obsède parce qu’il ne comprend pas qu’on aille détruire des gens pour rien - Made no sense - Et ça le fout en pétard, exactement de la même façon que Mohammed Ali qui refusa d’aller se battre contre des gens qui ne lui avaient rien fait. Pour Cyril, les Vietnamiens subissent le même sort que les Indiens d’Amérique et les nègres. La conscience politique poussée à son extrême peut empêcher de vivre. That anger nearly cost my life.

    À l’âge de seize ans, Charles prend la route et débarque à Tampa en Floride. On est en 1953 et il accompagne un certain Gene Franklin qui chante comme B.B. King et qui se fait passer pour lui, ce qui est facile, car à l’époque, les gens ne savent pas à quoi peut ressembler B.B. King. Voilà Charles installé au Blue Room, un club qui est aussi une maison de passe. Il y voit des artistes extraordinaires, comme Iron Jaw, Mâchoire d’Acier, qui rappelle The Bullet, l’homme tronc hurleur que décrit Dickinson dans son recueil de souvenirs paru l’an dernier : Iron Jaw pouvait lever une table en la tenant entre ses dents. Il pouvait encore la lever si une fille s’asseyait dessus. Il croquait et avalait des bouteilles de coca, des ampoules, des punaises, mêmes des lames de rasoir. Puis il avalait du feu. Charles séjourne aussi à Memphis, au fameux Mitchell’s Hotel. Il y fume beaucoup d’herbe et jamme avec le ferocious bopper George Coleman qui ira un peu plus tard jouer avec Miles Davis. Charles se laisse porter par l’air du temps comme un fétu dans le courant. Il joue du sax en pur autodidacte, il s’envoie en l’air chaque jour, et quand il peut, il touche au fruit défendu, c’est-à-dire la femme blanche. Charles est beau, extrêmement beau : les putes blanches lui tombent dans les bras.

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    Aaron explique que tout commence à l’école : «On appelait l’herbe ‘muggles’ et peu de temps après, j’ai attaqué l’héro. Dans note coin, uptown, c’était vraiment facile d’en trouver. Charles avait commencé avant moi. Uncle Jolly vendait de l’herbe, mais il recommandait de ne pas y toucher. Charles disait la même chose. Mais je ne les écoutais pas. The first time I shot smak, I was in love.» Comme Charles et Cyril, Aaron va rester sa vie entière accro - Hooked to the boy who make slaves out of men - le boy étant le surnom de l’héro. Et comme Charles, Cyril, Dr John et d’autres, il réussira à décrocher au moment où il trouvera de quoi remplacer cette fausse plénitude. Comme chacun sait, le substitut ne peut être que d’ordre spirituel.

    En matière de sex and drugs and rock’n’roll, la part du lion revient à Charles. Il ne cache rien. Il s’installe à une époque avec Bobbie, une black savvy and superhip, qui vit la nuit et qui détient l’arme fatale : le contact avec Stalebread, le meilleur dealer de la Nouvelle Orleans. «Dans la hiérarchie de l’underground de la Nouvelle Orleans, les dealers se trouvaient au sommet.» Charles explique qu’on les respectait parce qu’ils reversaient leur blé dans la communauté - He was known as a bad dude who did good - Avec Bobbie, Charles découvre ce qu’il appelle the thrills, c’est-à-dire les sensations fortes - Aller de thrill en thrill devint my new way of life. Ce fut son moyen d’ignorer la peur.

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    Comme il ne travaille pas et que son sax ne lui permet pas de vivre, Charles cambriole des magasins. Il se fait poirer en sortant des télés d’une boutique et se retrouve au parish ‘pen’ de la Nouvelle Orleans. Six mois. Il y voit the Zuzu man, c’est-à-dire Dr John, vendre des crayons et des bougies. C’est là dans cette vieille taule que Charles devient ami avec Dr John - For life - Quand il sort, Charles et Bobbie décident d’aller faire un break à Memphis. Fin des années cinquante, Beale Street had that great music, that fast life and especially that cheap dope.

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    Charles fait pas mal d’allers et retours au trou, jusqu’au moment où ça tourne mal, puisqu’un juge l’envoie cinq ans à Angola pour deux joints - Considered a class-A narcotic as illegal as heroin - Les pages ‘Angola’ constituent le cœur de ce livre. C’est un véritable séjour en enfer. Le jour de la sentence, Charles voit son ami Melvin condamné à vie pour vente d’héro - Everyone was scared of Angola - Pour Cyril, Angola était ce qui pouvait arriver de pire dans la vie d’un nègre, the worst-case scenario : «The big, bad, dark state penitentiary stuck out there in north central Louisiana, where racism ran wild and convicts lost their minds and guards just for the hell of it tortured and killed» (ce pénitencier maudit installé au nord de la Louisiane, où régnait le racisme, où les condamnés perdaient la boule et où les gardes tuaient pour le plaisir). Ça, c’est la vue de l’extérieur. Charles donne une vue de l’intérieur. Angola était à son époque l’équivalent de ce qu’allaient être les camps nazis. Mais Charles commence par vivre ça avec philosophie : il savait qu’à force de jouer au con, ça allait mal tourner. Et comme il avait commencé à traîner un peu en enfer, il se disait : autant aller jusqu’au fond de l’enfer. So be it. Il s’y trouvait. Très vite, il apprend des règles de survie. Les gardes lui disent : «Si on te chope avec une lame en ta possession, tu prends deux ans de plus.» Et à côté, un vieux black lui dit : «Tiens prends cette lame. Il vaut mieux que ces bâtards de blancs te chopent avec plutôt qu’un prédateur te chope sans.» Charles écoute le conseil du vieux et prend la lame qu’on appelle black diamond. Il explique très vite que le danger vient souvent des autres condamnés, surtout ceux qui sont condamnés plusieurs fois à vie. Ils deviennent des prédateurs sexuels. Ils sont prêts à baiser n’importe quoi, surtout ceux qui ne savent pas se défendre. Charles sait que pour protéger son intégrité, il va devoir frapper le premier. Alors il frappe. Petit à petit il découvre le système d’Angola, particulièrement retors. L’ingéniosité de l’homme dans ce domaine n’a pas de limite, on le sait. Angola est en fait une très grosse ferme non subventionnée par l’État. Plusieurs kilomètres carrés. Les ressources proviennent des récoltes. Coton, canne à sucre. Ce sont des blancs qui gèrent ça, à cheval et armés, appelés the Free People, mais ils ne sont pas assez nombreux. Alors, ils nomment des blacks parmi les plus sanguinaires pour faire le boulot de ‘gardes’. Ils ont le droit de vie et de mort sur les condamnés qui travaillent. Les nazis vont utiliser le même procédé dans les camps. Le procédé remonte à Mathusalem.

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    Charles apprend vite à craindre the Free People, basically the descendants of slave owners, descendants des esclavagistes - Ils nous traitaient comme du bétail, et ils devaient même traiter leur bétail mieux que nous - Quand aux ‘gardes’, ils avaient l’autorisation de vous tuer si vous approchiez à moins de deux mètres d’eux - six feet - Et croyez-moi, personne ne disposait d’un mètre pour mesurer ça. You were at the mercy of mercyless men. Puis Charles raconte l’une des histoires les plus drôles de ce séjour en enfer : un beau jour, on l’amène avec toute une équipe sur un champ de coton. Le boss blanc sur son cheval blanc a deux sacoches : une pour son fusil et l’autre pour son manche de pioche. «On nous met en ligne, le boss donne un coup de sifflet et chacun avance dans son rang pour cueillir le coton. Sauf moi. Je n’ai jamais cueilli de coton, donc je ne sais pas comment faire. I don’t know shit. J’arrache des feuilles et soudain... WHACK ! Le boss me fend presque le crâne d’un coup de manche de pioche. Je tombe à genoux. ‘Dis-donc, négro’, me lance-t-il du haut de son cheval, t’as jamais cueilli de coton ?’ ‘No Boss, je n’ai jamais vu de putain de coton de toute ma vie.’ Je ne savais pas si j’allais avoir le temps d’apprendre avant que le boss ne me fende le crâne pour de bon. Un autre condamné me montra comment faire et pendant quatre-vingt dix jours horribles, j’ai cueilli le coton. J’entends encore la work song qu’on chantait dans les champs. À Angola, on appelait le travail ‘rolling’ - Early in the morning by the light of the moon/ I eat my breakfasyt with a rusty spoon/ Out to the cane field with the rising sun/ Just roll on, buddy, till the day is done/ Well I don’t mind rollin’ but, O Lord, we gotta roll so long/ Make me wish I was a baby in my mother’s arms» - C’est d’une beauté mélancolique hors normes.

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    Charles sort vivant d’Angola. C’était son seul objectif, sortir vivant. Il est interdit de séjour à la Nouvelle Orleans, mais on lui donne l’autorisation de revoir sa mère. En arrivant dans son quartier, il croise Stagger Stack Lee. Et avant d’aller revoir sa mère, il cède à sa vieille tentation - Went down the road and shot up with Stack - Il renoue avec sa chère héro. Une semaine après, il file à New York, où l’attend son agent de probation. Charles ne pense qu’à une seule chose : dreaming of thet potent heroin they sell in Harlem. Il vient de passer des années en enfer, mais la tentation est trop forte. Et comme le disait si justement Oscar Wilde, le meilleur moyen de résister à une tentation est d’y céder.

    Et c’est la révélation : dans Central Park, il tombe sur des hippies qui lui offrent des tas de trucs - À Angola, les conflits conduisaient droit à la mort, et à Central Park, c’est la générosité des hippies qui me tuait. Je sortais d’un monde de violence, d’uniformes et d’humiliations et découvrais un univers coloré, psychédélique et vibrant de liberté - C’est un choc et Charles le dit mieux que personne. Il essaie les nouvelles drogues qu’il ne connaît pas et notamment le LSD - No wonder I became a tripper - Mais ce n’est pas pour ça qu’il arrête l’héro : «Harlem était le paradis des junkies, ou plutôt, comme j’allais le découvrir, leur enfer. Je n’avais jamais vu autant d’héro de ma vie. En arrivant à New York, j’hésitais à acheter de la dope dans la rue. À la Nouvelle Orleans, on connaissait bien les fournisseurs. On savait ce qu’on achetait.» Et il n’en finit plus de resituer les choses par rapport à la peur, qui, grâce aux patrons blancs dégénérés, est entrée dans la peau des nègres depuis plusieurs siècles : «Alors qu’à la Nouvelle Orleans, la peur ne me quittait jamais, je me sentais chez moi à Harlem. Harlem comprenait mon obsession, Harlem me permettait d’être défoncé tous les jours et d’être bien, l’approvisionnement était inépuisable et on se sentait loin, mais vraiment très loin du monde réel.»

    Bien sûr, Charles ne perd jamais de vue la musique. Il accompagne à une époque Joe Tex, de passage à New York. Et qui joue du piano dans son groupe ? James Booker, l’une des légendes de la Nouvelle Orleans - who, like me, came to New York in search of better dope - Mais après de nouveaux ennuis avec la loi, l’agent de probation propose un choix à Charles : soit retourner au trou, soit décrocher. Il opte pour le décrochage. Il doit suivre un programme de méthadone. C’est un moyen de retrouver une vie normale, car calé sur la dose du matin, qu’il faut aller retirer dans une agence. À l’époque où il s’inscrit, ce programme est encore expérimental. On lui verse 800 $ par mois pour l’aider. Comme le gouvernement n’est pas sûr que ça marche, les candidats sont aidés financièrement. James Booker s’inscrit en même temps que Charles. Mais James est un virtuose de l’arnaque, et il s’inscrit dans trois centres en même temps. Il récupère donc trois chèques de 800 $ chaque mois. Et bien sûr, Charles en fait autant. Mais le programme de méthadone présente un gros défaut : si pour une raison ou une autre, on ne trouve pas de clinique ou d’agence quand on est en déplacement et qu’on rate sa dose, c’est l’enfer - The suffering is unimaginable - Et pour Charles, le résultat est le même : c’est une addiction. Il comprend qu’il faut passer à autre chose. Ça va lui prendre beaucoup de temps.

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    Le sauveur s’appelle Art, l’aîné des Neville Brothers. Des quatre, le plus discret. À l’origine des Meters. Un jour sa mère descend d’un bus et un camion qui ne l’a pas vu lui roule dessus. Art accourt à son chevet à l’hôpital, mais elle est explosée de l’intérieur. On ne peut rien faire pour la sauver. This is it, dit-elle. Puis elle ajoute avant de passer l’arme à gauche : «Keep them boys together.» Veille sur tes frères. C’est exactement ce que va faire Art : monter les Neville Brothers pour veiller sur eux.

    Au moment où Art parle dans le micro de David Ritz, les Neville Brothers existent depuis vingt-trois ans. Depuis leur premier concert au Bijou Theater de Dallas, en 1977. Et comme on le verra dans Neville sainte - Part Two, ils ont à leur actif une belle ribambelle d’albums extraordinaires.

    Signé : Cazengler, vil brother

    Charles Neville. Disparu le 26 avril 2018

    David Ritz, Charles, Aaron, Cyril, Art Neville. The Brothers. Da Capo Press 2000

     

    Neville sainte - Part Two

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    Grâce à Art qui depuis l’âge d’or des Meters a gardé des contacts dans le business, les Neville Brothers enregistrent leur premier album chez Capitol en 1978. Jack Nitzsche produit cet album sobrement intitulé The Neville Brothers. Dès «Dancing Jones», les Bros nous servent cette pop-funk de belle facture dont ils vont se faire une spécialité. Art, Charles, Cyril et Aaron chantent ensemble. On sent une tendance disköidale, mais l’ensemble se veut globalement pacifique. Ils jouent pas mal de cuts passe-partout, que Charles essaye de sauver en soufflant comme un dératé dans son sax. Il chaloupe les cuts à la manière de King Curtis. Les amateurs de grands horizons se régaleront d’«Audience For My Pain», un balladif qui s’étend bien au-delà du delta. On tombe en B sur «If It Takes All Night» et on reconnaît bien la patte d’Aaron, cet imparable séducteur. Un peu de New Orleans Sound avec «Vieux Carré Rouge», soulevé à la trompette de charmeur de serpent et puis «Ariane» sonne exactement comme la «Suzanne» du vieux Leonard qui lui aussi a cassé sa pipe en bois. Mais l’album ne marche pas.

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    C’est bette Middler qui crie au loup, après les avoir vu jouer au Tipitina. Elle réussit à convaincre Jerry Moss, le boss d’A&M Records. Il confie à Joel Dorn le soin de produire leur deuxième album, Fiyo On The Bayou, enregistré à New York. Le titre s’inspire d’un cut qu’Art jouaient déjà avec les Meters. Sur la pochette, un gator en flammes sort du marais. Et pouf, ils attaquent avec «Hey Pocky Way», un groove swampy bien cuivré. Il s’agit là d’un groove unique au monde, chargé d’une musicalité extraordinaire, le symbole de la foison à gogo, un groove organique visité par les esprits. Leo Noncentelli gratte le funk sur sa guitare de Meter. On retrouve Cissy Houston et sa fille Whitney dans «Fire On The Bayou». Elles font le background, mais avec toute la clameur du gospel batch. L’impitoyable Fathead Newman prend des solos de sax à tous les coins de rue. Il remplace Charles, car Joel Dorn voulait des session-men accomplis pour cet album. En B, Dr John vient donner un coup de main sur «Brother John/Iko Iko», un joli groove battu aux gros tambours de Congo Square. Fabuleux, car squelettique et inspiré. Voilà une jolie pièce d’exotica. Mac est aux percus. Mais on le retrouve au piano sur «Run Joe», un groove joyeux de la Nouvelle Orleans. Quelle fantastique ambiance ! Ça saxe le jive de juke, pas de doute. Une fois de plus, nous voici rendus au cœur du meilleur groove d’Amérique, moelleux et moite, subtil et doux. C’est presque aussi capiteux qu’un groove des Caraïbes.

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    Keef déclara dans le magazine Rolling Stone que Fiyo On The Bayou était le meilleur album de l’année. Mais l’album ne se vend pas plus que le premier. De 1981 à 1987, les Neville Brothers n’ont pas de contrat. Personne ne veut miser sur eux. Trop inclassables. Ce sont les Stones et le Grateful Dead qui vont les aider en les faisant jouer et en partageant leur public - The Stones helped us a lot - Les Neville Brothers sont aux anges, car les Stones et le Dead nagent dans un océan de dope - The big turning point was the Dead. We did a New Year’s show with them that rocked the planet.

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    Premier album live avec Neville-ization paru en 1984. Aaron tape un «Woman’s Gotta Have It» au feeling maximaliste. Quelle voix ! Ce mec sait groover la moelle du chant. Il reprend plus loin son vieux hit miraculeux, «Tell It Like It Is», l’un des fleurons de l’âge d’or, romantique et duveteux comme une peau d’adolescente. Encore du groove de charme épouvantable avec «Why You Wanna Hurt My Heart». On entend rarement des grooves aussi décontractés. En B, ils font une fantastique version de «Caravan», le classique de la Nubie antique. Charles joue le solo de sax et derrière lui, ça fourmille de percus extraordinaires. Ils enchaînent avec un hommage à Big Chief Jolly Landry, leur oncle, dont on voit la canne dans les mains des quatre frères.

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    Deuxième album live en 1992 avec Live At Tipitina’s II. Ils tapent dans un gros classique de la Nouvelle Orleans, «Rockin’ Pneumonia & The Bugie Way Flu» de Huey Piano Smith, dans «My Girl» de Smokey, et font un petit coup de gospel batch avec «Riverside». Aaron enfile son costume d’ange pour interpréter «All Over Again» et «Wildflower», mais cet album cède un peu trop aux sirènes des années quatre-vingt.

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    Ce live est ressorti sous le titre Volume Two, avec une set-list différente. Les Neville démarrent avec «Hey Pocky Way» monté sur le légendaire drumbeat que l’on sait, puisque c’est une cover des Meters. On sent la grosse machine à groover à l’œuvre. Les Neville sont comme des poissons dans l’eau du bayou, ils circulent entre les gators et Tony Joe White. Admirable pièce de jive. On trouve à la suite tous les vieux coucous, «Wishin’», «Rock’n’Roll Medley», «All Over Again» et un joli «Doo Wop Medley». L’empire des Neville s’étend aussi loin que porte le regard sur l’horizon du doo wop, hey hey hey. C’est une pure merveille. On peut faire confiance à l’ange Aaron. Les chœurs le suivent en enfer, ce chanteur est un don de Dieu. Avec «Wildflower», il descend dans le cercle magique du chant de rêve.

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    Alors n’ayons pas peur des mots, l’Uptown de 1992 est un album complètement foiré. On y entend du reggae à la mormoille et du synthé. On trouve un peu de good time music diskoïde dans «Shekanana» qui ouvre le bal de la B et par miracle, Aaron y ramène sa fraise d’ange de miséricorde. Ils reprennent un peu de poil de la bête avec «Old Habits Die Hard», un joli mid-tempo de charme, puis avec «Midnight Key», joué à l’énergie de la Nouvelle Orleans. La basse ronfle bien, mais les percus ont hélas un léger parfum diskoïde. Charles déteste cet album : «It was pretty fucking flat.» Il dit que le son de boîte a rythme et de synthé utilisé pour l’album était à ce moment-là déjà complètement dépassé.

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    Avec Yellow Moon paru en 1989, les pochettes commencent à virer au vaudou haïtien. Cette fois, le producteur s’appelle Daniel Lanois. Grâce à lui, ils reviennent aux sources, c’est-à-dire à l’Afrique, avec «My Blood» - Mother Africa - Ce groove des racines sonne comme une vraie bénédiction et s’orientalise même un petit peu. Lanois comprend parfaitement l’esprit musical des Neville Brothers. Ils jouent le groove des origines de l’humanité. Ils reviennent au calypso avec le morceau titre, un cut profond et comme visité par des sons libres comme l’air. Ils flirtent avec le vrai reggae, c’est-à-dire le reggae sourd. Ils tapent dans Link avec «Fire & Brimstone» et groovent le Wray de Wray en profondeur, sur un festival de basse signé Tony Hall. S’ensuit un hommage fabuleux à Sam Cooke avec «A Change Is Gonna Come». Aaron le chante de sa voix d’ange de miséricorde, et la magie s’installe pour quelques minutes. Ce chanteur extraordinaire peut aller swinguer des syllabes à l’octave. Ils finissent l’A en beauté avec une reprise de «With God On Our Side» du grand Bob. C’est d’une pureté inégalable. Le filet de voix d’Aaron scintille au firmament. Voilà pourquoi les Neville sont des géants. Ils créent de la magie. La B est hélas beaucoup moins dense. Ils l’attaquent avec «Wake Up», un groove qui file entre les genres et les époques. Au fond, on voit bien qu’ils n’appartiennent à aucune époque ni à aucune mode. Ils reviennent à Dylan avec «The Ballad Of Hollis Brown» et opèrent un merveilleux croisement des cultures. Quelle grande leçon de feeling !

    Cet album fut celui de la consécration puisque disque d’or - The motherfucker is still selling today, nous dit Charles. Art apprécie surtout le respect que leur témoignent Jerry Moss, Herb Alpert et Al Cafaro, après trente ans de bricolage avec des labels locaux clochardisés.

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    Pochette vaudou pour Brother’s Keeper paru l’année suivante. Il s’agit là de leur meilleur album, ne serait-ce que pour «Bird On A Wire», un nouveau moment de magie pure. Aaron y fait vibrer ses notes perchées. L’autre coup de génie de l’album est le morceau titre. Aaron part en voyage dans un infini de beauté pure et ça vire à la merveille mélodique chantée à l’unisson du saucisson. Encore un coup de génie avec «Sons & Daughters», une sorte de victoire de l’esprit sur la barbarie, c’est-à-dire de l’esprit noir sur la barbarie blanche - You can’t stop runnin’ water/ You can’t kill the fire that burns inside/ Don’t ignore our flesh and blood/ Don’t forsake our sons and daughters - Eh oui, ils ont raison, on ne peut pas empêcher l’eau de couler ni éteindre le feu qui brûle à l’intérieur de chacun, alors il faut bien prendre en considération la chair et le sang des noirs d’Amérique qui n’ont jamais demandé à traverser l’océan. C’est une chanson éminemment politique, bien sûr. Aaron y décrit en trois lignes la vie d’un jeune black condamné à 352 ans de prison pour un crime qu’il n’a pas commis, la taule d’Angola, les nuits sans sommeil, les champs de coton et de canne à sucre - Young man lands in jail for some crime he did not commit/ 352 years hard labor in Angola prison/ 352 years at hard labor/ Sleepless nights between sugar cane and cotton - Ils tapent aussi dans Link Wray en A avec «Fallin’ Rain» et se mettent au groove des Caraïbes avec «Steer Mr Right». On se pelotonne au creux du coude du fleuve. Aaron refait des étincelles de lumière avec «Fearless», il tape dans l’infiniment beau, c’est son dada. On ne se lasse pas de l’entendre chanter. On trouve aussi sur cet album visité par la grâce une belle reprise de «Mystery Train» traitée au groove de basse. Il s’agit là d’élégance à l’état le plus pur.

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    Fabuleuse pochette que celle de Family Groove : les photos des Brothers semblent dater du XIXe siècle. Ils attaquent avec une reprise du «Fly Like An Eagle» de Steve Miller, tapé en mode diskö-funk mais chanté avec le meilleur feeling d’Amérique. On passe aux choses sérieuses avec «Day To Day Thing», the real funk of New Orleans. Admirable, car chanté en duo avec des renvois. On sent le pouls du funk sous le vent, c’est tout le contraire du funk urbain, celui-ci se veut fruité, subtilement soutenu aux percus, à peine teinté de doo-wop et relevé par du xylo voodoo. Aaron prend «Take Me To Heart» de sa voix d’ange. C’est aussi pur qu’une balade océanique de Fred Neil. En B, on tombe sur le morceau titre, un groove funky admirable car joué au riffing réfractaire. Comme le cut refuse d’avancer, il se joue dans l’instant T du funk de base et ses veines se gonflent. Retour d’Aaron dans «True Love» pour une nouvelle échappée dans l’azur immaculé.

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    Tiens, encore un live avec Live On Planet Earth qui date de 1994. Quand on voit la pochette, on comprend que les Neville sont devenus une grosse machine. Dès «Shake Your Tambourine», on est saisi par l’énormité du son. Ils groovent à la vie à la mort, ça hurle et ça tambourine, on sent qu’on est arrivé à la Nouvelle Orleans. S’ensuit un fantastique «Voodoo» shaké aux congas de Cyril. Cet enfoiré sait créer un climat délétère. On est dans le meilleur groove du monde, n’ayons pas peur des mots. Charles souffle dans son sax. Aw my God, si vous parlez de groove, par pitié, mentionnez au moins le nom des Neville. Ils sont tout simplement fabuleux. Certainement l’un des meilleurs groupes de tous les temps. Encore du groove de rêve avec «The Dealer» et puis «Junk Man» arrive, monté sur une bassline de rêve, on croirait entendre des heavy dudes. Solo de sax signé Charles, le jazzman du gang. Cyril et Charles reviennent hanter «Brother Jake» et ils rappent un hommage aux femmes avec «Sister Rosa» - To my mother, my sister and strong women everywhere - Tony Hall, bassman de choc, emmène «Yellow Moon» au paradis du groove et on tombe un peu plus loin sur «Congo Square» - A place where American music was born, a place called Congo Square - Ils tapent ensuite dans Stephen Stills avec «Love The One You’re With» et enchaînent avec une autre reprise, «You Can’t Always Get What You Want». C’est assez réussi. Aaron chante aussi «Amazing Grace». Il règne dans sa version une émotion unique au monde - You’ve got the blessing - Sa voix se perd dans un halo de réverb boréale.

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    On retrouve tout le son de la Nouvelle Orleans dans Mitakuye Oyasin Oyasin/ All My Relations, paru en 1996 sous une belle pochette africaine. Ils attaquent avec «Love Spoken Here», bien sanglé au stomp des années 80, mais chanté par l’ange Aaron. C’est à la fois bon et cousu de fil blanc comme neige. «Holy Spirit» sonne comme un groove magique noyé d’orgue et de clap-hands. On voit le fleuve traverser la ville, c’est chanté au maximum des possibilités de la Soul, avec une puissance hors normes. Ils noient ensuite «Soul To Soul» dans le gospel batch. Ils sont puissants mais jamais ne se comporteront en seigneurs. «Whatever You Do» est trop syncopé pour être honnête. Ils visent le funk de l’être, avec les congratulations du style. Aaron revient sur le devant avec «Saved By The Grace Of Your Love» et tout redevient magique. Il éclate ses syllabes juste pour la beauté du geste. Il crée de la magie. Dès qu’il chante, le monde se met à vibrer. Charles part en solo de sax sur «Ain’t No Sunshine». Et bien sûr, Aaron éclate tout le cut au feeling pur.

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    On trouve deux véritables coups de génie sur Valence Street, mystérieux album paru en 1999. «Little Piece Of Heaven» sonne comme un calypso magique, vu qu’Aaron le chante. Fin, tremblé et diaphane. Trop beau pour être vrai. Cet homme fait des miracles, il peut transformer la pop en vin et le son en pain. L’autre coup de génie est la reprise d’«If I Had A Hammer», le vieux cut de Peter Seeger popularisé par Trini. Aaron explose le Trini, il en fait une merveille d’anticipation de Congo Square. Il transfigure complètement ce hit connu comme le loup blanc des steppes pour en faire un chef-d’œuvre complètement libre, il chante tout à l’éclate de syllabes rondes et mouillées. Il liquéfie le groove. Avec «Real Funk», ils passent au vrai funk de la Nouvelle Orleans. Funk it up, baby ! Funk it off, funk it down in the neighborhood, c’est extraordinaire de stand it up, ils développent leur funk à coups de wha-wha. Aaron revient éclairer le monde avec «Give Me A Reason». On ne peut pas se lasser de son tremblé de glotte. On parle ici de préraphaélisme, il navigue dans les lumières voilées d’Edward Burne-Jones. Notons aussi le retour des grandes énergies de la Nouvelle Orleans dans «Over Africa», pourtant joué aux violents accords blancs.

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    Le dernier album studio en date des Neville Brothers s’appelle Walkin’ In The Shadow Of Life. Joli titre, typique du coin. Le morceau titre sonne comme un hit funk, c’est une vraie partie de rentre-dedans. Ces gens-là savent se confronter aux réalités. Quel shook de shake ! Pas de meilleurs funksters que les Neville Brothers. Ils enchaînent deux autres cuts de funk, «Poppa Funk» et «Can’t Stop The Funk» et tapent dans les Tempts avec «Ball Of Confusion». Les brothers Neville se mesurent à la royauté, mais Aaron mène la meute, alors ça se passe bien. On peut même parler de prise de pouvoir. Quelle version, and the beat goes on ! Ils sont dessus et ramènent du son. Ils passent au heavy sound avec «Streets Are Callin’» - It’s your business - Aaron s’y colle à la voix fêlée. Quelle rigolade ! - It’s your business/ better holler holler - «Carry The Torch» sonne comme un énorme hit de diskö-funk joué à la descendante - This young man he ain’t no plans/ Skulls and bones is all he knows - Aaron et ses frères donnent des conseils - And carry the torch of love in your heart - Fantastique ! Aaron chante «Brothers» en contrepoint et jette à nouveau toute sa lumière sur le monde - Come and walk with me/ We’re in this crazy world together - On le suivrait jusqu’en enfer.

    Le monde enchanté d’Aaron solo fera donc l’objet d’une troisième partie en forme d’aller simple pour le paradis.

    Signé : Cazengler, vil Brother.

    Neville Brothers. The Neville Brothers. Capitol Records 1978

    Neville Brothers. Fiyo On The Bayou. A&M Records 1981

    Neville Brothers. Neville-ization. Back To Top Records 1984

    Neville Brothers. Nevillization II - Live At Tipitina’s. Essential 1987

    Neville Brothers. Uptown. EMI America 1987

    Neville Brothers. Yellow Moon. A&M Records 1989

    Neville Brothers. Brother’s Keeper. A&M Records 1990

    Neville Brothers. Family Groove. A&M Records 1992

    Neville Brothers. Live At Tipitina’s II. Stoney Plain 1992

    Neville Brothers. Live On Planet Earth. A&M Records 1994

    Neville Brothers. Mitakuye Oyasin Oyasin/ All My Relations. A&M Records 1996

    Neville Brothers. Valence Street. Columbia 1999

    Neville Brothers. Walkin’ In The Shadow Of Life. EMI 2004

    Sur l'illusse de gauche à droite : Art, Charles, Aaron et Cyril

     

    VINCE TAYLOR

    L'ANGE NOIR

    ARNAUD LE GOUËFFLEC / MARC MALèS

    GLENAT EDITIONS / MAI 2018

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    RAPPEL

    Le dernier come-back de Vince Taylor de Jean-Michel Esperet ( in Kr'tnt !142 : 02 / 05 / 2013 ),

    Vie et mort de Vince Taylor de Fabrice Gaignault ( in Kr'tnt 188 : 08 / 05 / 2014 ),

    Vince Taylor n'existe pas de Maxime Schmitt et Giacomo Nanni ( in Kr'tnt ! : 25 /09 / 2014 ),

    Vince Taylor, Le perdant magnifique de Thierry Liesenfeld ( in Kr'tnt ! 246 : 11 / 09 / 2015 ),

    L'Être et le Néon de Jean-Michel Esperet ( in Kr'tnt ! 301 : 03 / 11 / 2016 )

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    Vince Taylor n'en finit pas d'interroger notre modernité. Etrange de voir comment ce personnage si scandaleux et si vilipendé en son temps suscite encore fascination et émerveillements un quart de siècle après sa disparition. En son époque il fut stigmatisé comme le chanteur des blousons noirs, autant dire le rebut glaireux de notre société, ces rebelles qui n'avaient pour étendard que l'étamine de leur cuir noir, animés d'une colère que l'on définissait d'incompréhensible, alors qu'elle n'était que la manifestation de l'éternelle renaissance de la hargne des bagaudes et des partageux de tous les siècles, des dépossédés de toujours, à qui en cette aube des sixties l'on se préparait à tendre le plus odieux des pièges, celui de la renonciation de vos potentialités en échange de l'acquisition de dérisoires brimborions, manufacturés par le soin diligent de votre labeur. Le serpent qui ne crache plus son venin, se mord la queue. De poisson. De poison. Consommation, mon amour. Pour le désir vous repasserez, nous ne l'avons plus en rayon. Pour longtemps. Rock'n'roll, musique de cette frustration.

    UNE BANDE DESSINEE

    Deuxième bande dessinée consacrée à Vince Taylor, en noir et blanc. Une esthétique qui semble s'imposer d'elle-même. Mais un noir trop mat, indistinct en quelque sorte, qui donne à mon goût trop de valeur à la viduité d'un blanc clinique. Peut-être Marc Malès a-t-il voulu davantage signifier la cruauté entomologique de l'insecte sur la table de dissection que désigner le clinquant hétéroclite des sixties. Je préfère de loin la glaucité torve des gris de Giacomo Nanni du Vince Taylor n'Existe Pas. Mais ceci n'engage que moi, même si les goûts et les couleurs se discutent très bien.

    ANTECEDENTS

    Romancier, scénariste Arnaud Le Gouellec est aussi un amateur de rock. Ce qui ne l'a pas empêché de s'intéresser dans l'album Le Chanteur Sans Nom, illustré par Olivier Balez, à la vie de Roland Saville chanteur de charme masqué qui fut proche d'Edith Piaf – nous ne sommes pas loin de Vince. Tous deux ont récidivé dans le J'aurai Ta Peau, Dominique A, le lien avec Vince me semblant des plus fragiles...

    BIO NON DEGRADABLE

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    La documentation sur Vince Taylor ( disques, photographies, films, articles de journaux, témoignages ) ne manque pas. A lire les premières pages, il semblerait qu'Arnaud Le Gouëllec ait fait le choix du récit chronologique, le bambin Brian s'amuse dans la cuisine près de maman. Ce qui est en même temps totalement vrai et complètement faux. Peut-être le problème s'est-il posé autrement dans la tête du scénariste, le long fleuve tranquille d'une vie mouvementée peut-il vraiment rendre compte de l'existence chaotique et tourbillonnante de Vince Taylor ! N'était-ce pas se confronter à un double déséquilibre, celui d'un début peu fulgurant, et d'une fin par trop triste, même si l'épisode acméen de bruit et de fureur au centre du bouquin ne manquerait pas de passionner le lecteur. Racine qui s'y connaissait quelque peu dans l'élaboration des tragédies n'a pas manqué de conclure son Andromaque par un épisode de folie dévastatrice...

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    Autre difficulté. Raconter équivaut à mentir. Puisque nous ne savons jamais ce qui se passe dans la tête des gens. Arnaud Gouëllec n'a pas hésité, entre par effraction dans le crâne de Vince. Arnaud tend le micro à Vince et le laisse déblatérer. A sa guise. Le premier mot de Vince est bien l'affirmation du '' Je''. A partir duquel le jeu de la vie peut commencer. Mais c'est comme sur le divan du psychanalyste, les idées se bousculent, les images se superposent, les souvenirs arrivent en rafales, tout s'emmêle et se mélange. Le petit Holden écoute religieusement son grand-frère qui raconte ses missions de pilote durant le Blitz à Londres que déjà Vince est dans sa légendaire tenue de cuir noir, sur scène, en France... Vous ne savez pas mais le rock, c'est comme quand le rêve s'entrechoque dans les électrochocs du réel.

    Les dieux de la Grèce antique nous l'ont appris, il ne saurait y avoir de cosmos apaisé sans l'antécédence d'un kaos génital. Les propos de Vince épousent un semblant d'ordre, le lecteur reconnaîtra les différences séquences, Londres sous la guerre, le départ pour l'Eldorado des States, les débuts anglais, la furia française, le long dérapage vers la mort. La Suisse finale hors de jeu tout de même.

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    Et le rock dans tout cela. L'est donné en prime. Décor essentiel et subsidiaire, si le rock c'est ça, le ça ( groddeckique ) n'est autre que la folie fragmentatrice et dichoatomique de se vouloir être ce que l'on n'est pas, et même ce que l'on est. Question de va-et-vient entre soi et les autres. Erotisme sauvage et à l'arrache. Arnaud Le Gouëllec recherche les causes premières. Le rock en tant que seul bruit qui puisse recouvrir la peur panique du petit Holden terrorisé sous les bombardements londoniens. Le petit Holden ne réussira pas son brevet de pilote, mais il deviendra le hérock de sa génération. Plus il se traîne sur les plancher de la scène, plus il vole haut dans sa tête. Sa gestuelle féline, un démarquage des acrobaties aériennes. Loopings et piqués du pauvre !

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    Sexe. Il serait difficile d'inscrire Vince Taylor parmi les précurseurs du féminisme. Pratique une sexualité brute. Revancharde nous explique Le Gouëllec, ces saletés de gamines qui se sont moqués de son peu de courage à sauter du plongeoir, n'en finiront pas de payer. Pas du genre à amadouer longuement la chatte des admiratrices avant de les pénétrer sans ménagement. Satisfaction primale du mâle. Vite fait, bien fait. Mal satisfaites. Un goût de goujat. Délicatesse porcine à balancer !

    Drugs. Sans insister. Des médicaments d'inconfort qui vous confirment dans vos addictions. A votre vie. Car tout est là. Certains s'accrochent davantage que d'autres. Toutes les dérives tayloriennes, toutes les traboules vincenales, proviennent d'un fétus germinatif niché dans la cervelle, une espèce de cancer qui n'arrête pas de grossir. L a certitude d'être un être exceptionnel, d'avoir un destin – le dernier mot du livre – suffit de savoir lire les signes, in hoc signo vinces, et de se laisser porter par les évènements.

    Un enthousiasme communicatif, une confiance absolue n'empêchent pas la peur. Vous prend et vous pend aux tripes. Comme la merde à l'anus. L'or noir du désir de l'envol conquérant vous pollue inexorablement l'existence. Vous vouliez soleil et vous appréhendez de n'être qu'une étoile filante. Vous vous mythifiez en ange noir du rock'n'roll et vous n'êtes que la chute d'Icare. Peter Brueghel l'Ancien vous avait averti, vous n'êtes que l'anti-pantomime exaltée et dérisoire de la médiocrité humaine.

    Vince Taylor, vous n'êtes qu'une image fracassée de la démesure hominienne à vouloir égaler la puissance des Dieux, c'est pour cela que je vous révère. Rock'n'roll !

    Damie Chad.

    01 / 06 / 2018 / SAVIGNY-LE-TEMPLE

    L'EMPREINTE

    DOWNLOAD PROJECT # 3

    U-BILAM / NAKHT

    WILD MIGHTY FREAKS

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    15 / 16 / 17 / 18 Juin 2018, la fièvre monte dans les milieux métal, hard-core et assimilés, le Download Paris Festival ouvre ses portes à Brétigny-sur-Orge avec Ozzy Osbourne, Marilyn Manson, Foo Fighters et Guns N' Roses en tête d'affiche et plus de soixante groupes derrière, dont Laura Cox Band et Pogo Car Crash Control pour n'en citer que deux que Kr'tnt ! aime bien . En attendant ont été programmées trois soirées Donwload Project gratuites destinées à présenter la scène locale, à rameuter les fans et à faire monter la pression... le 06 avril au Rack'am de Brétigny , le 6 mai au Plan de Ris-Orangis, et ce 01 juin à l'Empreinte, trois lieux de concerts qui depuis des années accueillent et produisent ces formations extrêmement bruyantes... Beaucoup de monde donc, ce soir, plus de trois cents personnes, attirées aussi par le tirage au sort de pass pour assister au festival...

    U-BILAM

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    Bulldozer. Rouleau compresseur. Sans concession. Impitoyable. Le metal dans toute sa lourdeur. Rythmique infernale. Un seul havre de paix dans ce tonnerre, un coup de caisse claire qui sonne comme un suicide, une fraction de seconde sauvée de l'écrasement du monde, mais ce n'est qu'une ruse machiavélique pour relancer la machine à détruire. Délire de triples croches comme grappins accrochés à la coque du dernier navire pour l'attirer au fond l'engloutir à tout jamais. Bilan très négatif quant à notre hypothétique survie terrestre quand vous entendez U-Bilam. La batterie comme un moteur à étouffements convulsifs. Propulse des ratées, des tassements, des entassements, des pulvérisations intermittentes de décombres, mais ce n'est pas le pire, comparé à ce qui suit c'est presque le bonheur. Les cymbales n'en finissent pas de tinter le froid de la mort, un glas cadavérique qui vous kriogénise avant que vous ayez eu le temps de respirer.

    Basse et guitare de chaque côté de la scène comme zombies d'outre-tombe pour vous attendre à la porte du cimetière. La première perpétue l'agonie primale, la deuxième la l'accentue, toutes les deux ensemble tuent. Eclairs froids et découpages glacés, pas la moindre mélodie, pas la moindre harmonisation, des notes qui s'abattent comme des couperets de guillotine, des arbres qui craquent, qui tombent, qui s'entassent sans préavis et s'empilent sans fin. L'acoustique du néant vous abasourdit. Tornades de nuages de cendres à l'horizon immédiat. U-Bilam ne lambine pas pour vous apporter le spectre de la désolation.

    C'est toujours dans les cas désespérés que certains en profitent pour faire pire que les autres. Une bête devant – ce n'est plus un homme – une force qui mugit. L'est le seul que l'avalanche sonore excite, se nourrit de catastrophes et il le clame sous les décombres. Hurle à la mort des étoiles qui s'éteignent une à une, entame une danse sauvage et frénétique, dans laquelle les deux cordistes le rejoignent, sautent de joie et piétinent allègrement vos dernières illusions. L'on entend les grognements et puis les grondements approbateurs de la foule dans la fosse aux lions sauvages qui commencent à se jeter les uns sur les autres. Car U-Bilam délivre une musique carnivore, qui pousse à la dévoration cannibalique, plus un gramme de chair, plus de nerf, juste l'empilement de squelettes de léviathans qui s'entrechoquent en un déluge vertébrique, pour signifier que plus rien n'existe si ce n'est le clapotement de l'univers qui se referme sur sa béance.

    Trente minutes, montre en main, ont suffi à nos quatre cavaliers de l'apocalypse, aidé en cette sombre tâche par de simples samples, pour assommer le monde comme un goret à l'abattoir. Anéantissement terminal. Brutal.

    NAKHT

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    Vous pensiez qu'il ne restait plus rien. Nakht est comme les pyramides d'Egypte. Immuable. Même l'éternité n'a pas de prise sur Nakht. Nakht a survécu. Pas pour rien qu'ils ont affiché le scarabée symbole d'immortalité comme logo en fond de scène. En rajoutent même deux moitiés en étendard flottant de chaque côté de la batterie derrière laquelle veille Damien qui tient ses baguettes croisées sur sa poitrine comme les insignes sacrés de pharaon. Silence sépulcral. Ce qui n'empêche pas la légion des damnés dans les abysses de s'agiter déjà. L'air se fait plus dense, lorsque le sample de l'intro s'élève majestueux tel la tête du cobra de l'uraeus gonflée de venin.

    Christopher et Pierre, nouveau guitariste, ont droit à leur piédestal sur lequel ils se juchent, prêts à déclencher la foudre. Brusquement le néant se fissure et le monde devient plus noir, la cataracte Nakht s'envole, en tournoiements de vautours, et Danny bondit sur scène. Encapuchonné dans une espèce de sombre pèlerine médiévale qui lui donne l'aspect de la Mort, sans sa faux, mais armé d'un micro ravageur.

    Est encore plus grand que d'habitude. Immense et gesticulateur, sa voix chargée de colère et de tonnerre. Ne cessera de hurler de tout le set. Dominateur et vindicatif. Incarnation magique de Seth l'épouvantable. Il apporte la couronne noire de la rage, la suffocation du dernier souffle et la gueule béante d'Apophis le bestial prêt à avaler le monde.

    Damien démonise sa batterie, il est le soufflet de la forge et le battement intarissable du volcan cracheur de feu. Nakht est un bain de flammes lustrales qui carbonisent les volontés de ses fidèles, transformés en pantins mus par les commandements de Danny qui se ruent à sa guise les uns contre les autres, s'emmêlent et s'entremêlent, s'affrontent, s'éparpillent et tourbillonnent. Certains saisis par une transe collective sont jetés ou hissés sur la scène, Danny leur tend un bras secourable, ils dansent autour de lui, et puis ne supportant plus la présence irradiante du Messager se laissent happer par l'ombre marchante de leur destinée et plongent du haut de l'estrade dans la foule mouvante de laquelle ils refusent toute aide, car ceux qui ont approché la fournaise de Nakht n'ont désormais besoin de personne.

    Des motifs orientaux se glissent tels des glapissements de chacals affamés dans les colonnes tumultueuses de la musique déferlante de Nakht. Toute supplique qu'on leur lancera ils l'avaleront, ne sont plus qu'un vestibule de désirs insatiables, descendront dans les abysses de votre âme et resteront à jamais enfermés dans la prison de votre esprit.

    Ce soir Nakht a-t-il été divin ou dément ? Nous ne le saurons jamais. S'est répandu comme une nuée sanglante de soufre noir. Une pluie d'émotions et de beauté. Une brisure haletante sans défaut. Un grand groupe. Splendide.

    WILD MIGHTY FREAKS

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    Après les deux tornades précédentes les Wild Mighty Freaks avaient intérêt à assurer. L'ont fait à leur manière. Troisième fois que je les vois, et trois apparitions différentes. Ne peuvent pas faire comme tout le monde. Commencent par rester dans les coulisses, dans le noir un grand écran blanc descend doucement et le clip de la tribu des monstres apparaît, un scénario improbable, mais ça remue salement, et la musique et les images. Une espèce de thriller incompréhensible, végétal et surréaliste,qui vous éclate le cerveau aussi sûrement qu'une capsule de LSD. Les cinq minutes de délire sont terminées. Noir total. Peut-être se passe-t-il quelque chose sur l'extrême-droite de la scène, mais je suis à l'extrême-gauche, maintenant l'est sûr qu'il y a une espèce de larve visqueuse qui rampe sur le plancher, la musique très forte, enfle, enfle, enfle, jusqu'à ce que dessus se greffe une voix splendide, moitié velours, moitié cactus, nous laissent encore dans l'expectative trois minutes et Crazy Joe entre enfin en scène micro en main. Une voix de maestro-caruso, un grain inimitable, Flex est à la guitare, Tonton à la batterie. La larve s'est enfin mise debout, s'occupe des samples. Juste le temps d'appuyer sur un bouton ou de pousser un curseur, prend le micro de temps en temps, l'est même douée mais ça ne dure pas trop longtemps. Comme s'il n'était pas du genre à abuser des bonnes choses. Le reste du temps que fait-elle ? Rien, elle déambule comme le balancier de la pendule. Le mec payé à ne rien faire. Mais il faut reconnaître qu'il le fait bien. Un cador. Une présence magistrale. Un look invraisemblable d'efféminé à queue de cheval qui ne se sépare jamais de son sac-à-dos, l'apparence d'un trans en partance pour on ne sait où, méfiez-vous, lorsqu'il tombera sa chemise il révèlera une musculature remarquable, toute l'ambiguïté provient de ce qu'il donne l'impression qu'il endosse son propre rôle qu'il est en train de se mimer lui-même, en fait c'est le seul musicos que je connaisse qui n'a pas besoin de jouer d'instrument, l'est son propre instrument, son corps lui suffit, il ne marche pas, il évolue, il ne se déplace pas, il danse sans prendre la peine d'esquisser un seul mouvement. Le gars qui marque des buts sans quitter le banc de touche.

    Avec un tel zozo-zèbre surdoué les trois autres n'ont pas le temps à jouer les batraciens qui se dorent la pilule sur une feuille de nénuphar. Déjà ne sont que deux musiciens. Magnifiquement secondés par des samples certes, qui apportent au son une ampleur négligeable, mais question metal-music vous avez intérêt à aligner l'argenterie. Flex s'y emploie avec brio. N'est pas là pour assumer la rythmique. Son truc à lui, c'est l'apparition grandiose de Zeus tonnant sur son nuage, aux moments essentiels de l'action, vous envoie des riffs monumentaux, mortels comme les flèches d'Apollon qui anéantirent le redoutable Python. Autant le Yao se faufile l'air de rien sur la scène, lui fait tout pour qu'on le remarque, se campe au beau milieu, lève haut sa guitare, attend une semi-seconde de trop, genre attention les gars ça va tomber et il vous lâche une ondée dévastatrice à vous arracher les synapses. Saute aussi un peu partout, mouline comme un dératé, bref vous ne pouvez pas l'oublier.

    Tonton – mais qui a pu donner un surnom aussi débonnaire à ce batteur à la frappe aussi dévastatrice ! L'est rivé à ses fûts, ne peut pas se permettre de grandes gesticulations, mais l'est le géant qui joue à la pétanque avec des icebergs. Tonitrue ample. Une frappe politique de celles qui bousculent l'establishment comme l'on dit. N'y est pas obligé mais apparemment ne sait pas faire autrement, éprouve la nécessité de couler un ou deux Titanic à chaque coup de heurtoir.

    Vous entrevoyez le topo. Le boy qui se tortille comme une torpille au ralenti d'un côté, les deux forcenés qui vous catapultent si fort direct dans les oreilles que votre cervelle se retourne comme une crêpe dans sa poêle, ne vous inquiétez pas Crazy Joe va vous la saupoudrez au venin de mamba noir, et hop vous n'avez plus qu'à l'avaler tout chaud, tout brûlant. Excusez-moi dans mon émotion, j'ai oublié la moitié du mot, ne lisez pas hop mais hip-hop. Car non ce dingue de Joe ne djente ni ne growle comme un métalleux de base payé au smic sans prime de risque. Il hip-hope au delà de tous les espoirs de la hype. Attention pas un blaireau de rappeur qui vous découpe les syllabes une par une pour vous les présenter à la façon des tranches de mortadelle sous cellophane. Toute la différence entre un qui chante et beaucoup d'autres qui ânonnent comme à la maternelle. A gorge déployée. L'a des cordages vocaux en bronze, des filins d'acier flexibles et tenaces avec lesquels il vous ligote sans préavis. L'est et le serpent et le charmeur. L'empoche la salle dans sa poche en un tour de langue.

    Les Wild Mighty Freaks font un triomphe. Plus que mérité. Une originalité certaine, metal tumultueux, hip-hop brillant, burlesque insidieux, z'ont plus plus d'une corde à l'arc de leur dé-lyre sonique. Superbe.

    Damie Chad.

    EVOLUTIONS OF MIND

    U-BILAM

    Z'ont apposé un sticker d'avertissement sur le plastique d'emballage, For fans of : Emmure – Attila – Whitechappel – Urbancore, vous voilà prévenus, si vous adorez Mozart et les petites musiques de nuit dites-vous que les légions des âges obscurs transbahutent une teinte de dark bien plus sombre.

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    Très belle pochette cartonnée, avec livret à l'intérieur est due à Etienne Hetzel et Océane Beci. Au dos un mur qui n'est pas sans rappeler celui du Pink Floyd ( curieuse référence ), mais d'un rouge pourpre, rideau de sang intérieur. Beau contraste avec la le bleu-nuit profonde du paysage de urbain dévasté qu'offre la couverture initiale. Belle image intérieure, feu de survie dans une ruelle déglinguée à l'image de notre monde.

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    Introduction : non précisée, mais qui servira de fil conducteur à cette évolution de l'esprit dont chaque morceau décrit une station. Une espèce de ritournelle grinçante qui vous met d'entrée mal à l'aise. Denied : La musique est beaucoup moins violente que le live. Pas mélodique mais lourdement obsédante. Mise un peu en arrière presque comme un contre-chant aux paroles, la primauté est donnée aux voix, des souffles d'ours inquiétants comme une menace mais qui ne sont que l'expression d'une profonde déréliction. Dialogue avec soi-même. Craintes et questions qui supposent dialogue intime et réponses. Guitares et batteries en sourdines prégnantes, le marécage des irrésolutions vous submerge. Une flambée de guitare sur la fin comme un fandango de désespoir. Anger : retour du motif en cavalcade cynique, la batterie écrase vos dernières espérances, une orchestration pesante qui ne couvre pas la voix qui crie, et le monde s'appesantit sur vous à la manière d'une camisole dont vous ne parviendrez jamais à vous dépêtrer. Un chuintement à l'oreille vous susurre que tout est fini, le leitmotiv se moque de vous, la voix grasseye de colère. Peine perdue. Se débattre tout de même. Expression : intro musicale obsédante à la manière des films expressionnistes allemands, les voix se rejoignent, celle vindicative qui dénonce et celle plus grave qui écrase tout. Se termine par un hachis final où chacun essaie de se reconstituer. Depression : beau comme une symphonie nihiliste, une prière métallique qui se subsume en cris de haine, un delirium vocal sans précédent, et une apothéose instrumentale crépusculaire, avec en dernier écho le rire cristallin et moqueur du motif introductif. Acceptance : le moment de l'acceptation. Souvent dans les scénarios des albums de metal l'on essaie d'offrir une fin sinon heureuse du moins empreinte d'une certaine sérénité. U-Bilam n'échappe pas à cette tentation. La modèrent toutefois par la puissance de la musique et la force du chant. Se méfient, ne sont pas naïfs.

    Tous ces morceaux n'en forment qu'un. Forment une composition, aux thèmes savamment entremêlés. Le groupe fait preuve d'une finesse que le fort impact de sa prestation scénique ne laissait pas présager. Deux belles découvertes pour un seul groupe.

    Damie Chad.

    GUNS N'COOKIES

    WILD MIGHTY FREAKS

    Pochette ouvrante et cartonnée qui permettent de se faire une idées des tenues de scène arbordées par Wild Mighty Freaks. Indication d'importance le groupe est en train d'enregistrer un album.

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    The last time : rien à voir avec le titre des Stones, aucun morceau de l'EP n'est une reprise. Le son est assagi par rapport à la prestation live. Guitare et batterie ne rugissent pas autant et la voix de Crazy Joe et celle de Yao sont certes aussi belles mais il leur manque cette sauvagerie qui les porte et les propulse si haut sur scène. Freaks : grognements de gorets en début, et ensuite un flow assez délirant en lui-même, et Yao qui pousse la mémée du hip-hop dans les orties ulcérantes des refrains de la chanson populaire à vocation faussement mélodramatique, beaucoup d'humour et d'ironie, Crazy Joe vous enroule les R comme vous n'oserez jamais. Des monstres qui ne font pas peur, mais rire. Ce qui est parfois plus déstabilisant. Empty skies : démarrage en douceur, tout repose sur l'articulation plastico-phonique de Crazy Joe. Yao vous dessinent des arcs-en-ciel aussi veloutés que des dessins d'enfants, mais Crazy nous indique que la montée n'est pas aussi paradisiaque que cela. La pente s'avère plus abrupte que prévue et un brin décevante. Derrière les musicos ne vous tapissent pas le décor en rose bonbon. High : des arpèges de piano et montée progressive. Avec des paliers pour reprendre sa respiration, aïe; aïe, high ! Crazy Joe laisse la place à des chœurs emphatiques, mille violons électriques derrière, silence. Plus un bruit. Jungle : comme des cancannements de canards dans le tissu instrumental, erreur d'interprétation, Crazy Joe est perdu dans la jungle. L'on a l'impression vu sa colère qu'il se heurte davantage aux hommes policés qu'aux animaux sauvages. Des envolées instrumentales qui ne sont pas sans évoquer les Carmina Burana de Carl Orff, pour mieux faire ressentir la solitude et la lamentation du héros solitaire égaré dans la forêt carnassière de ses contemporains aux dents longues. Get out my way : six minutes de folie freakienne, tout le monde s'en donne à coeur joie. L'auberge espagnole du défoulement. Le meilleur de chacun, le morceau est bâtie en patchwork de montagnes russes. Vous permet d'entrevoir ce qui se joue dans les Wild Mighty Freaks sur scène, la musique qui fronce des vagues de colère, la voix qui aboie et s'éépanouit, d'incessants retours au calme pour mieux préparer la tempête.

    Damie Chad.

    RUN BABY RUN

    2SISTERS

    Désolé mais ce n'est pas un groupe de lesbiennes énamourées. Le disque ne conviendra pas non plus à Tante Agathe. Vous le comprendrez aisément à l'écoute, la fenêtre de réception du tir est étroite. 2Sisters c'est du bruit. Je n'ai pas dit du noise, que votre tympan sache faire la différence. Du bruit en barre. Directement importé de la ville aux moteurs qui flambent. MC 5 et Stoges dans le rétro et en ligne de mire. Des sauvageons prêt à monter sur le trottoir pour vous écraser, parce que sur les passages piétons ce n'est pas marrant.

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    Down : une voix féminine empreinte de douceur et caressante et mignonne en introduction. Profitez-en bien, parce que c'est la dernière que vous entendrez avant longtemps. Porte bien son titre, vous le descendent à bout portant, ne prennent même pas le temps de lui faire signer le chèque pour qu'il s'acquitte de la TVA des cartouches. Une tuerie de guitares au vibromasseur dans les oreilles et une voix enragée qui ne se la laisse pas conter, un pont instrumental explosé une ultime tuerie et c'est fini. Heureusement, vous n'auriez pas survécu davantage. Remember : souviens-toi de ce riff, z'ont peur que vous ayez la comprenette dure alors ils vous le répètent à foison et sans complaisance. Vous hurlent dessus et vous torturent avec le pique feu d'une guitare qui larsenne à mort et qui vous troue le cœur. Autre endroit aussi, si vous préférez. C'mon and dance / What have u done to me : commencent par le cri primal que l'on pousse généralement le jour de sa mort lorsque vous pénétrez par erreur dans la cage aux tigres. Vous n'êtes plus de ce monde et à la sarabande qu'ils mènent autour de votre cadavre il vous semble qu'ils vous le reprochent et qu'ils en sont tout de même heureux. Don't go : quelques voix de harpies, vous auriez bien envie de mettre les voiles, mais les 2Sisters s'acharnent à vous retenir. L'est sûr qu'ils ont des arguments contondants et que vous vous attarderiez bien mais vous savez qu'il ne faut jamais abuser des vilaines choses. Qui sont les meilleures. Zombie girl : méfiez-vous des filles, d'où qu'elles viennent elles provoquent de ces montées d'adrénaline que vous ne parviendrez pas à vous arrêter de crier et que si vous continuez les guitares y laisseront deux à trois cordes. Run baby ! Run : la vengeance des mecs, prenez une gerce et poursuivez-là de riffs monstrueux et de ricanements insidieux. Parfait pendant qu'elle hurle et piaille vous pouvez vous livrer à votre instrumental favori, un peu à la Link Wray, mais attention aux cramps sur les doigts. So fine : si bon, que l'on ne ne se retient plus, à fond les ballons dans les ouragans, le rock à la orang-outan dégoûtant, n'y a rien de mieux. Imaginez les Ramones, mais en beaucoup mieux. Johnny : tiens pour une fois la voix est mise en avant, c'est comme le choléra, ça ne dure jamais assez longtemps, alors les guitares vous pondent un solo aussi long qu'un œuf de ptérodactyle. Let me go : jungle-beat en folie, crème empoisonnée de guitare, vocaux urgentés, personne ne sait où ils vont, mais sont plus que pressés. Vous donnerez une image au batteur. L'a été particulièrement teigneux. I wanna be me : proclamation philosophique, les slogans les plus courts et les riffs les plus compressés sont les meilleurs. Quelqu'un au fond du studio a dû marcher sur la patte d'une guitare parce qu'elle s'est plaint violemment. Joker : le riff qui tue. 49 secondes un véritable serpent minute. En plus il y a un inconscient qui rit bêtement sans mettre se rendre compte qu'il ne luis reste plus que onze secondes à vivre. Baby wants some R'N'R : les vérités élémentaires doivent être inculquées avec force et brutalité. C'est la seule manière pour que l'humanité comprenne que sans le rock'n'roll elle est perdue. Les 2Sisters excellent en cette saine pédagogie. Leave me be : tiens le morceau le plus long du disque. L'est difficile de déterminer entre la voix et la guitare celle qui crie le plus. Relancent le concours. Ex-aequrock toutes les deux. Un accessit à la cymbale du batteur qui frétille comme une rabote. Wake up : s'il y a encore un gars qu'il est besoin de réveiller après cette tornade, vous me permettrez de douter de l'humanité.

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    Si vous aimez le rock, ce disque est indispensable. Dans le cas contraire allez vous faire foutre !

    Damie Chad.

    JAZZ MAGAZINE & CO

    N° 705 / MAI 2018

    neville brothers + david ritz,vince taylor,u-bilam,nakht,wild mighty freaks,jazz magazine & co

    Le titre m'a attiré : 1958 – 1968 De la folie du hard-bop à la révolte free, cela tombait bien, j'avais envie de lire quelque chose sur le free. J'ai déchanté à la maison. Z'avaient oublié de préciser le lieu : Paris. Zut moi qui croyais me retrouver à New York ! Remarquez ce n'est pas inintéressant, même marrant, les gars qui racontent leur rencontre avec le jazz et leurs premiers concerts in the capitaloso parisiano. Leurs difficultés à se procurer des informations, les galères de galettes introuvables, les rares émissions radio qui passaient leur musique préférée, tout à l'identique des rockers de l'époque, souvent branchés sur les mêmes stations, mais pas aux mêmes heures... un petit détour aux States avec Archie Shepp et ses visites à John Coltrane, et tout de suite après, l'on passe la frontière, dans le monde connu du rock, une double page sur l'année 1968 et la naissance de la Pop, et ensuite les chroniques de disques habituelles dans une revue musicale. De toutes les manières, ce n'est pas de cela dont je voulais parler.

    Elle pèse la revue me suis-je dit en la retirant du rayonnage et instinctivement je retourne le package, péril jaune en la demeure, les Rolling Stones me tirent la langue. A moi qui ne leur ai rien fait. Je reconnais l'arme du crime. L'avais eu entre les mains en ce dernier octobre de l'automne 17, le numéro Spécial Rolling Stones de Jazz Magazine, m'étais dit qu'ils devaient avoir des problèmes de trésorerie pour qu'une revue de jazz se permette un fascicule de 100 pages sur the greatest band of rock'n'roll on the earth. N'ont pas tout vendu apparemment, vous le refilent en prime pour deux euros de plus avec leur 705...

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    Le numéro a été conçu par l'équipe de Muziq – rappelons que cette revue fut créée à l'instigation de Frédéric Goaty qui est secrétaire de la rédaction de Jazz Magazine. Mensuel apparu en 1954 et qui fusionna et absorba en son sein la revue Jazzman née 1992 en tant que supplément du Monde de la Musique émanation en l'an grâce 1978, du journal Le Monde et de l'hebdomadaire Télérama. Continuons à ouvrir les tiroirs, Télérama appartient aujourd'hui au groupe Le Monde après avoir longtemps fait partie de La Vie Catholique. Des gens qui a priori n'éprouvent aucune sympathie for the devil. Le groupe Le Monde qui a pris le contrôle des publications de La vie Catholique est détenu par Xavier Niel ( Free ) et Mathieu Pigasse ( Banque Lazard, Les inrockruptibles, Radio-Nova … )... Je vous laisse découvrir les ramifications de l'iceberg... Quand je pense que nous, pauvre vermisseau Kr'tnt, n'avons même pas un actionnaire et que nous sommes dans la main de notre hébergeur Talkspirit comme la mouche accrochée à sa toile d'araignée, et que Talkspirit provient de l'initiative de Philippe Pinault directeur financier de Natifix, je me dis que rien n'échappe aux tentacules de la pieuvre...

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 256 : KR'TNT ! 376 : ( YOUNG ) RASCALS / LES MARGOUYOTS / BONELESS / NOISE MUSIC / JEAN-MICHEL ESPERET

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 376

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    31 / 05 / 2018

    ( YOUNG ) RASCALS

    LEs MARGOUYOTS / BONELESS /

    NOISE / JEAN-MICHEL ESPERET

    Bloody Rascals

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    Blueberry a raison de jurer ainsi. C’est compliqué avec les Rascals.

    Leurs beaux albums Atlantic faisaient la fierté des kids qui les dénichaient dans les boutiques d’occase de Londres. Ils furent ensuite virés des étagères pour faire place à des choses plus radicales. Mais les Rascals laissaient le souvenir de gens plutôt doués. Et puis au hasard des pioches ici et là, on a fini par reconstituer la série, ne serait-ce que par respect pour Arif Mardin qui avait si bien su veiller sur le destin du groupe. Lorsqu’on se fie aux grands producteurs de l’époque, on est rarement déçu par les disques qu’ils ont chaperonné. Bert Berns, Jerry Ragovoy, Shel Talmy et Jack Nitzsche sont des exemples assez bavards sur la question. On comprend que Roger Armstrong et Ted Carroll aient fini par leur consacrer des séries hautement capiteuses.

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    Apparemment, Iain Lee est lui aussi un vieux fan des Rascals. Comme tout le monde à l’époque, il adora «Groovin’», le premier hit du groupe qui s’appelait encore les Young Rascals et qui allait donner son titre à leur deuxième album. Mais le hit qui rentrait vraiment sous la peau s’appelait «How Can I Be Sure». Felix Cavaliere commençait à y déployer son immense talent de maître chanteur-compositeur. Et Iian moqueur ajoute - And everyone knows those two tunes, don’t they ? - Pourtant, les Rascals ne furent jamais aussi énormes en Europe qu’ils le furent aux États-Unis. Malgré les quelques hits qu’on entendait à la radio, on est tous passés à côté des Turtles, de Paul Revere & The Raiders et de Tommy James & the Shondells. Iain entre dans l’histoire des Rascals en rappelant que Felix le chat apprenait le piano au conservatoire et comme beaucoup de gosses de son âge, il tourna mal lorsqu’il découvrit le rock’n’roll à la radio. Il préféra très vite Fats Domino er Ray Charles à Chopin et Beethoven. L’information pèse de tout son poids, car cette formation classique va devenir le terreau d’un groove de blue-eyed soul assez exceptionnel. N’oublions pas qu’avant de faire Gainsbarre, Gainsbourg jouait Chopin au piano. Et comme pour Felix le chat, son sens de la mélodie vient directement de sa formation classique. Il va donc entrer dans le tempo de son époque, sweet and soulful, but hot. Lorsqu’il tourne en Europe avec un cover-band, il croise les Beatles qui n’ont pas encore traversé l’Atlantique et s’extasie de la qualité de leurs chansons. C’est là qu’il comprend qu’il est vraiment fait pour ça : composer et chanter du rock. Il s’acoquine avec le tambourine wizard Eddie Brigati et le guitariste Gene Cornish. Un batteur à tête d’ange nommé Dino Danelli vient compléter les effectifs - And it was that simple - Vous n’avez idée comme c’est simple de monter un groupe quand on a la chance de tomber sur les bonnes personnes.

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    Ils furent le premier groupe de blancs signés sur Atlantic. Sans doute était-ce la raison pour laquelle on recherchait alors leurs albums. Sur la pochette du premier, The Young Rascals, ils portent de ridicules chemises à cols ronds - the weirdest collars ever seen in any photography ever - Comme la plupart des groupes américains de l’époque, ils se font les dents sur un tas de reprises : «Like A Rolling Stone», «Midnight Hour» et «Mustang Sally». Et c’est là qu’on découvre la voix d’un chanteur extraordinaire : Felix le chat. Il attaque avec le «Slow Down» de Larry Williams et envoie un fabuleux shoot d’orgue. Mais on trouve à la suite pas mal de chansons frelatées. Felix refait un carton avec «Do You Feel It» en fin d’A. Il pulse son r’n’b au vrai shuffle d’orgue et frise la white-niggarisation des choses. Grâce à ses nappes, les Young Rascals se calent bien sur «Like A Rolling Stone», et Gene Cornish se pince bien le nez pour imiter Dylan. Ils sortent là une espèce de copie conforme. Par contre, ils ralentissent le tempo de «Mustang Sally» et cette version escargot ne passe pas très bien.

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    Iain Lee suit le fil des albums et s’émerveille tout particulièrement du deuxième album, Collections, qu’il qualifie de disque de la maturité - Collections displays a growing maturity, a sophistication even, an indicator that the Young Rascals had staying power - Pour Felix le chat, le studio était l’endroit qui rendait tout possible. Dès la belle pop ambitieuse de «What A Reason», on les sent intéressés par le degré d’excellence. Tom Dowd et Arif Mardin supervisent. S’ensuit un très beau balladif new-yorkais nappé d’orgue, «Since I Fell For You». Mais c’est en B que se joue de destin de cet album, et dès «Come On Up», on passe aux choses sérieuses avec un jerk noyé d’orgue. Felix est un fieffé chauffeur de piste. Ils tapent ensuite dans le Tamla Sound avec «Too Many Fish In The Sea». Puis ils passent directement au garage avec «Ninetiteen Fifty Six». Gene Cornish imite la voix de Little Richard. Encore du Soul shuffle avec «Love Is A Beautiful Thing». Felix le chat le galvanise. Et ils terminent cette belle B avec une cover de «Land Of 1000 Dances». Franchement, ces gens-là savent taper dans la bonne black et l’allumer aux gigantesques nappes d’orgue. En la matière, Felix le chat se montre particulièrement prodigue. Cette version est une merveille bien intentionnée - Stomp your feet - Eddie chante et white-niggarise à fond de train, il awite bien le gros shuffle.

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    C’est avec Groovin’ que le groupe explose - the breakthrough - C’est là qu’on trouve leurs deux plus grands hits, le morceau titre et l’immense «How Can I Be Sure» - Perfect pop moments - Arif Mardin y ramène de l’accordéon et c’est sans doute ce qui fait l’inexorable charme de ce classique. On entend là le son des sixties dans ce qu’il a de plus charmant et éternel. Avec cet album, on voit bien que la petite industrie Cavaliere/Brigati tourne à plein régime. «A Girl Like You» qui ouvre le bal de l’A sonne comme de la pop du Brill, étonnamment bien produite et orchestrée. On croise aussi pas mal de cuts pop d’un bon rapport qualité/prix, mais sans avenir. La surprise vient surtout de «You Better Run» qui se niche en B. Voilà en effet un hit garage complètement inattendu. Ils riffent ça comme des charbonniers et prennent le refrain aux chœurs d’unisson. On se régale aussi de «A Place In The Sun», petit chef-d’œuvre de good time music chanté par Eddie.

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    Quand paraît Once Upon A Dream, les Young Rascals ont abandonné le Young. Ils ont aussi écouté Sergent Pepper’s, comme beaucoup de monde, à l’époque. Mais justement, le parfum de psychédélisme que dégage ce disque ne semble pas vraiment leur convenir. Iain Lee se dit peu convaincu. - It just doesn’t sound very convincing - Il va même plus loin : «Je vais être honnête. Cet album ne me plait pas. Les épisodes de narration, les bruits enregistrés dans la nature, les trucages sonores, tout cela me semble cousu de fil blanc.» Il n’a pas complètement tort : on s’ennuie comme un rat mort à l’écoute de ce disque. Eddie et Felix ont beau cultiver l’art des harmonies vocales, ça ne passe pas, même un cut comme «Rainy Day» qu’Eddie chante divinement. «It’s Wonderful» sonne comme du psych folk-rock soul de jingle new-yorkais, rehaussé d’harmonies vocales extraordinaires, mais l’étincelle fait défaut. Tout est produit jusqu’à l’os du genou, «I’m Gonna Love You» est cuivré à outrance et scintillant de coups de cymbales, mais rien n’y fait. Dans «Silly Girl», ils font rigoler une silly girl alors qu’Eddie chante par dessus les toits avec toute l’énergie d’un Broadway brat.

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    Le groupe retrouve grâce aux yeux de Iain Lee avec le double album Freedom Suite - It’s a real mixed bag, but the highs are magnificient - Il a raison. On les voit tous les quatre sur la pochette : ils sont aussi rayonnants que les Beatles de l’âge d’or, et ce n’est pas peu dire. Dès l’ouverture du bal de l’A, ils s’en prennent à l’American Dream avec «America The Beautiful». Felix chante les louanges du land of the free (oui, mais pour les blancs). Great rocker que ce «Me And My Friends» - Fat backing vocals, funky bass and just the sexiest brass caught on vinyl - Gene Cornish chante sa compo qui sonne comme un petit chef d’œuvre de good time music, monté sur un bassmatic bien dodu. Comme on voit le nom de Chuck Rainey dans les crédits, on ne s’étonne plus de rien. Ils enchaînent toute une série de hits de pop rascalienne, «Any Dance’ll Do», «Look Around» où Felix groove comme un beau diable, oui, ce mec a le don de l’excellence, «A Ray Of Hope», encore un hit puissant de groovitude céleste, Felix sait donner de la voile, et en B, ça repart de plus belle avec «Island Of Love», compo d’Eddie qui chante, encore un vrai hit de pop pleine de vitalité et de chlorophylle, légère à souhait. Ces gens-là respirent vraiment la joie et la bonne humeur. Ce sacré Felix est une usine à tubes car voilà «Of Course», il groove son r’n’b à la new-yorkaise, of course am I et King Curtis blows his sax. Ces mecs sont atrocement doués : Eddie, Gene et Felix ne composent que des hits, tiens en voilà encore un, «Love Was Easy To Give» et la grâce divine vient aussi visiter «People Got To Be Free». Felix pond un nouveau hit de Soul qui s’appelle «Baby I’m Blue». Il le fait avec de gros moyens, ceux d’un barbu élégant et bien de sa personne. C’est monté en neige aux extraordinaires harmonies vocales. Felix fournit encore un hit Soul fantastiquement orchestré et joué à fond de train : «Heaven» - white punk from New York, yet it could easily be Wilson Pickett or Sam Cooke - Cet album aurait dû être the real masterpiece of 1969, mais Iain Lee a raison, le second disque est complètement foireux - It’s a mess. Absolutely awful - Un solo de batterie de Dino fait une face entière. Argghhh !

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    See paraît la même année avec La Grande Famille de Magritte sur la pochette. Chuck Rainey bassmatique derrière cette équipe de surdoués de la ‘blue-eyed Soul’ (les journalistes anglais adorent cette expression). On retrouve dès le morceau titre qui ouvre le bal de l’A le big Atlantic sound d’Arif Mardin (que Jim Dickinson surnomme the Lord of Darkness, à cause de sa voix grave). La magie des Rascals remonte comme la marée avec «I’d Like To Take You Home», fabuleux cut good-timey. «Temptations Bout To Get Me» emporte aussi tous les suffrages, car ça sonne comme un groove de Soul rascalien, mais c’est en B qu’une fois encore les choses se corsent avec des merveilles du type «Nubia», pièce d’exotica élégante en diable, pas si éloignée d’un universalisme africano-braziliano. Ou encore «Carry Me Back», jolie cut de pop américaine des seventies noyée de cuivres, de joie et de bonne humeur, véritable festin de good vives. Gene Cornish amène une belle tranche de pop psyché, «Away Away», puis retour fracassant de l’exceptionnelle pop de Soul rascalienne avec «Real Thing» : Felix le chat va là où l’attend son destin. «Hold On» referme la marche à grands coups de rock-blues funkoïde new-yorkais. Ces aimables Rascals se montrent dignes de toutes les louanges. Quel album ! Dire qu’à l’époque, on fit la fine bouche...

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    Search And Nearness est le dernier album enregistré par la formation originale des Rascals. Dommage, car ils s’amélioraient d’album en album. Il semble pourtant d’Eddie ait déjà quitté le groupe, car si on ouvre le gatefold, on voit Gene Cornish passer le bras par dessus l’épaule d’un fantôme. On trouve sur cet album une énormité nommée «You Don’t Know», signée Gene Cornish. Il tape dans le rock élégant, que soutient un bassman nommé Ron Blanco. C’est extraordinairement bien tenu et accrocheur. Ne prenez surtout pas les Rascals à la légère, ce serait une grave erreur ! Ils font aussi une reprise solide de «The Letter» des Box Tops, avec le ticket for an aeroplane. Ils en font un truc lourd de sens et amplement tartiné d’orgue et de feeling. Comme Bonaparte, Felix s’auto-couronne empereur du groove. Oh mais on trouve aussi d’autres merveilles, à commencer par «I Believe», solide pop de rock good-timey, on sent les new-yorkais dans la force de l’âge. On note la belle santé compositale de Felix, il propose une pop oxygénée et bien vivace, toujours orchestrée par Arif Mardin. Oui une pop radieuse, à l’image du sourire de Felix. S’ensuit «Thank You Baby», une pop de Soul extrêmement bien ventilée. En vrai seigneur des annales, Felix shuffle son swing selon son humeur, avec bonheur et magnanimité. On se régalera aussi de «Nama», instro d’anticipation motrice. Si on aime tout particulièrement la belle pop swingy, alors on se goinfrera d’«Almost Home». Felix multiplie les exploits softah. Il navigue dans un monde de courtoisie et de classe jazzy. «Ready For Love» se veut chaud et doux comme le vent d’été. On entend ici un groupe parvenu à maturité. Cet album est d’une qualité exceptionnelle. Bizarrement, Iain Lee n’en parle pas dans son panorama rascalien. Gene Cornish boucle l’épisode avec «Glory Glory». Il joue des petits riffs sous-jacents et ça part en mode gospel batch, avec la participation des collectivités locales. On se souviendra de cette foison new-yorkaise, de cette richesse de jus.

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    Puis Eddie Brigati et Gene Cornish quittent le groupe. Felix et Dino décident de poursuivre l’aventure en gauguinant paisiblement. Le double album s’appelle Peaceful World et s’orne de l’une des toiles que Gauguin peignit lors de son séjour à la Martinique. C’est là qu’il découvrit la lumière et les tons directs, ceux qu’il n’allait plus quitter. Felix va sur un son plus jazzy, donc plus aventureux, ce qui colle assez bien au ton de la pochette. Mais sa pop passe souvent à l’as. Il ne peut pas gagner à tous les coups, ce serait trop facile. Le seul cut vraiment bandant de l’A s’appelle «Love Me». Chuck Rainey joue dans cette pièce sacrément pantelante. Une nommée Molly Holt duette avec Felix le chat et pour l’époque, c’est de très haut niveau. En B, une certaine Ann Sutton vient duetter avec Felix sur «Mother Nature Land» et on se laisse bercer par ce beau groove d’atmosphère flûtée. Felix revient à la charge avec «Icy Water», une pop de Soul insistante et sacrément attachante. Chuck Rainey s’en vient faire des loopings de bassmatic sur «Happy Song». Felix chauffe sa Soul en vrai groover intercontinental. Tout cet album sent bon le groove de dégaine suprême. En C, Felix orchestre le vol de la mouette dans «Little Dove», il la suit sur l’océan hugolien, là-bas, si loin et c’est orchestré en technicolor. Tout est bien sur ce disque, à condition bien sûr d’aimer le paradis.

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    L’ultime album des Rascals s’appelle The Island Of Real. Une toile bucolique de Dino Danelli orne la pochette. Alors, bon album, mauvais album ? Excellent album ! Et ce dès «Lucky Day», petit joyau de good time music à la Felix, avec les chœurs de rêves d’Ann Sutton et de Molly Holt. On note aussi la présence d’un fabuleux bassman en la personne de Robert Popwell, il faut l’entendre jouer ses contre-attaques ultraïques de jazz-bass éhontée. Sautez directement sur «Jungle Walk», car voilà du funk new-yorkais qui n’a pas à rougir. Felix y va de bon cœur et les filles renvoient bien l’ascenseur. Juste avant, on peut quand même se payer un petit coup de «Be On The Real Side», car Felix y fait son Marvin, et ça vaut le détour. Il boucle l’A avec le morceau titre, une sorte de groove océanique qui comme son nom l’indique s’étend à perte de vue. Félix y fait son Croz, il se laisse partir à la dérive. En B, les merveilles pullulent, à commencer par «Hummin’ Song», véritable groove d’un Gauguin des temps modernes. On s’émerveille d’une telle allure et d’une telle allonge. Molly Holt chante «Echoes», un balladif paradisiaque qui sent bon le vent des îles. Molly peut aller chercher des grimpettes à la Aretha, cette petite poulette a du répondant. Robert Popwell fait encore des ravages dans «Time Will Tell». Il remonte son manche en pouet-pouettant des triplettes de belleville diminuées, pendant que Felix duette avec Ann Sutton. Le Popwell revient à la charge dans «Lament». Il n’en finit plus de monter et descendre des gammes dans l’immensité d’un groove océanique.

    Si on en pince pour Felix le chat, le détour par ses albums solo se révèle indispensable.

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    Il enregistre son premier album solo avec Todd Rundgren en 1974. Sobrement titré Felix Cavaliere et orné d’un portait de Felix brossé au fusain, l’album offre toutes les caractéristiques de la consistance. Felix tape dans le pur jus de r’n’b avec l’excellent «I’m A Glamblin’ Man». On peut lui faire confiance pour ça : depuis l’âge d’or des Rascals, il n’a plus rien à prouver. Son «Everlasting Love» n’est pas celui des Love Affair, mais sa pop de soul relève de la meilleure élévation. Felix le chat tient bien son rang. Il passe ensuite au groove des Caraïbes avec «Summer In El Barrio» et finit l’A avec «Long Times Gone», un balladif de rêve joyeusement orchestré et inspiré à plein nez. On retrouve son groove adroit en B avec «Future Train», une good time music d’éclat majeur, fabuleusement coulée sous le boisseau d’une guitare limpide. Puis il jazze son «Mountain Man» to the mountain top et passe à la crème du fandango avec «Been A Long Time», un cut admirable de kitschy kitschy petit bikini et porté par les violons de Johan Strauss. Il faut avoir entendu ça au moins une fois dans sa vie. Et puis en fin de B, on tombe sur un véritable coup de génie intitulé «I’m Free» : Todd y fait de l’hendrixien carabiné, il flambe ça aux petit oignons, comme dans «Little Red Lights», c’est complètement dévastateur, typique de l’âge d’or toddien.

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    Nouveau coup de maître avec Destiny, paru l’année suivante. Quel album ! Il attaque avec deux coups de diskö capables de dérouter les cargos. On compatit en arguant que Felix creuse sa veine blue-eyed soul, comme on dit chez les marchands de montures. Puis il passe à la Soul dansante avec «Never Felt Love Before». On voit que ce mec adore danser dans la discothèque avec une jolie poulette. Il adore les belles fringues et les cocktails givrés au sucre glace. Ah comme la vie est belle, ouh ouh, le voilà amoureux pour la première fois de sa vie. Et puis en fin d’A, on tombe sur «Light Of My Life», une fabuleuse giclée de Soul, bien emmenée vers la lumière. Felix l’enlève, il redevient l’espace de quelques minutes le grand maître de la Soul blanche saxée de frais. On se croirait presque chez Junior Walker, les gars. Attention à la B, c’est une horreur, tous les cuts tapent en plein dans le mille, à commencer par «Can’t Stop Loving You», nouvel exemplaire de Soul blanche visité par la grâce. Felix raffine bien son pétrole, tout est extrêmement musicologique chez lui, oui, car le solo de sax renvoie directement à ce démon d’Herbie Hancock. Nouvelle tartine dégoulinante de Soul pop avec «Try To Believe». Cette fois, Leslie West mène la bal des Quat’ Zarts. Puis Felix déclenche l’émeute des sens dans «You Came And Set Me Free», véritable chef-d’œuvre de good time music enrichi par les voix de filles énamourées. Voilà un festival de tout premier ordre. On retrouve Laura Nyro dans les chœurs de «Love Care», un nouveau chef-d’œuvre irréversible de Soul blanche, les filles derrière Felix sont magnifiques et incroyablement prolifiques. Elles créent tout simplement de la magie. Ouf, il est temps que cet album se termine. Leslie revient jouer sur «Hit And Run», pur jus de blues-rock à l’Américaine. C’est joué et chanté à outrance. De là à dire que Destiny partira pour l’île déserte, c’est un pas qu’on franchit allègrement.

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    Avec Castles In The Air, le soufflé retombe un peu. Il démarre pourtant avec une belle pop de Soul intitulée «Good To Have Love back». Felix propose une certaine idée de la good time music, et il le fait d’autant plus plaisamment qu’il voit revenir l’amour. Il enchaîne avec «Only A Lonely Heart Sees», un balladif sensible et charmant, outrageusement bien chanté. Les mauvaises langues trouveront Felix un brin putassier, mais force est d’admettre que ce balladif paisible s’ancre dans la beauté. Le problème est qu’on trouve sur cet album quelques cuts parfaitement ridicules, des choses qui resteront sans conséquence sur l’avenir du genre humain. Felix tente de sauver son album avec «Outside Your Window». Il essaye désespérément de renouer avec la grâce rascalienne, mais c’est difficile. C’est comme s’il visait une pop plus commerciale, et il faut attendre «Don’t Hold Back Your Love» pour retrouver la terre ferme. Felix revient enfin à ce groove paradisiaque de bonne augure dont il se fit le spécialiste, au temps des Rascals. La bonne Soul lui va vraiment comme un gant, même s’il semble parfois flirter avec la pop des putes.

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    Felix Cavaliere Interchords n’est pas vraiment un album, au sens premier du terme. Felix le chat propose un choix rétrospectif de cuts et les présente un par un sur le ton de la confidence. C’est un curieux mélange qui s’ouvre sur la diskö d’«All Or Nothing» et qui s’achève sur le vieux «Groovin’». Felix raconte qu’il jouait des congas sur «Groovin’». C’est l’époque où, dit-il, on pouvait encore expérimenter en studio. Ils avaient cette crédibilité qui leur permettait de tester des sons en studio - Today, you can’t do it anymore. You’d better have your own studio - Il présente aussi cette belle pièce de blue-eyed soul qu’est «Girl Like You», une pop enchanteresse à laquelle sont rompus tous les vieux fans des Rascals. Et puis voilà l’énorme «People Got To Be Free» tiré de Freedom Suite. Diable, comme Felix peut être bon ! Ce cut est bardé du meilleur son d’Amérique. L’enchantement se poursuit avec «Only A Lonely Heart Sees» qui sort de Castles In The Air et pour présenter «Good Lovin’», Felix rappelle qu’il avait the hard voice dans les Rascals et que dans les clubs, les gens voulaient du rock - That’s what «Good Lovin’» is all about - Et pour «Good To Have You Back» tiré lui aussi de Castles In The Air, il rappelle qu’il avait avec lui some of the best musiciens he’d ever heard.

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    Don Was produit Dreams in Motion paru en 1994. Dès «Trust Your Heart», on comprend que si Felix le chat continue, c’est uniquement parce qu’il aime groover avec des musiciens. C’est parce qu’il aime le vent des îles, parce qu’il aime que la vie soit douce. Felix le chat pratique le blue-eyed hedonism - You’re just a gift for dreams - Il frise le putassier, mais il caresse depuis trop longtemps la courbe oblongue d’une vision qualitative, comme d’ailleurs Ronald Isley. Avec «Stay In Love», il nous propose un petit balladif incoercible de cœur de cible. Felix cherche toujours le point G d’une faille. Il sait s’enfoncer avec douceur dans la moindre entaille harmonique. Il cherche toujours la voie du slowah définitif, mais il lui arrive aussi de s’engluer dans la boue des resucées, comme on le voit avec «If Not For You». Quand l’inspiration lui fait défaut, il lance un pont de cristal par dessus les toits. «Look Who’s Alone Tonight» regorge d’une volonté de plaire. Mais le son verse trop dans la profondeur U2ique, avec toutes les résonances putassières que cela implique. Le morceau titre vaut pour de la belle pop, mais on ne sait plus trop quoi penser. Il semble que notre ami Felix tente le tout pour le tout, alors il swingue un énorme groove, et ça vire au hit, quel fabuleux groover ! Il tâte de la Soul de charme emblématique avec «Big Surprise» et il retrouve sa veine magique avec «Me For You», pure pépite de Soul blanche, soutenue par une prod exceptionnelle. Felix emprunte ses chemins à flanc de coteau, voilà un Soul man qui n’a pas froid à ses blue-eyed Soul eyes. Sa Soul emplit l’auditorium comme la marée du siècle à Saint-Glinglin. Voilà de la Soul inventive, bien coffrée et oblique en diable.

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    Felix a enregistré deux albums avec un autre roi de la Soul blanche : Steve Cropper. Le premier s’appelle Nudge It Up A Notch. On peut voir un antique tourne-disque sur la pochette. Nos deux héros démarrent avec un r’n’b insistant et têtu comme une bourrique, «One Of These Days», joliment inspiré par les trous de nez. Quelle incroyable énergie ! Ils naviguent tous les deux à un très haut niveau qualitatif. Steve prend un très beau solo staxy gorgé de cette vieille verve apostolique. Cela paraît incroyable que ces deux vieux crabes soient encore capables de faire danser les mémères. Avec «If It Wasn’t For Loving You», ils proposent un fabuleux slow d’exaction parabolique. Ces gens-là savent de quoi ils parlent, ne vous en faites pas pour eux. Et Steve sort sa vieille distorse, histoire de montrer qu’il bande encore. Ils proposent plus loin un fiévreux insto d’antho à Toto intitulé «Full Moon Tonight». Steve met la main à la pâte et balance l’un de ces grooves rampants dont il a le secret. Il fait ça depuis cinquante ans, ne l’oublions pas. On reste dans le groove têtu comme une mule avec «To Make It Right». Tout est solide et bien orchestré sur cet album. Steve fait un festival dans «Cuttin’ It Close». Quel guitariste ! Quel pourvoyeur de notes salées ! Il sonne vraiment comme un punk.

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    Mais c’est avec Midnight Flyer que le duo explose. Ce disque sonne tout simplement comme un classique Stax, et ce dès «You Give Me All I Need». Felix y creuse sa faille et shoote de la Soul dans le prévisible. Alors on se prosterne, car c’est du très haut niveau. Felix perce son tunnel et débouche dans un paradis d’ozone supra-naturel. Quel miracle ! Il tient bien son disque en main, well well, et se comporte en génie insistant. Steve et Felix explosent littéralement. S’ensuit le morceau titre. Felix y retente le diable. Ah il faut voir le boulot que ces deux vieux crabes abattent ! Felix ne lâche jamais un groove, il chante de l’intérieur des chœurs, c’est tisonné au timon dans la démence d’un groove précipité, ça pulse dans les mystères du Nil et il pleut du miel de Soul blanche sur la terre. Quand Felix traîne dans les parages, il faut rester sur le qui-vive. Cet homme fait des miracles. Il prend «I Can’t Stand It» au groove de r’n’b. C’est l’un des trucs les plus excitants qu’on ait entendu depuis des lustres. Aria Cavaliere duette avec Felix. On reste dans une extraordinaire ambiance avec «Chance With Me», et tout bascule dans la magie - You can groove with me - Des courants de groove traversent le cut en diagonale et Steve passe un solo liquide de génie pur. C’est d’un niveau dont on n’a pas idée tant qu’on ne l’entend pas. Et Felix part en radeau sur l’Amazone, il Aguirre la bleusaille alors que Steve gratte son petit funk par derrière. On retrouve la fantastique énergie du groove de reins dans «Sexy Lady», et ce renard de Steve croppe son funk derrière en continu. Tout son art vient de Curtis Mayfield, ne l’oublions pas. Ils tapent aussi une version d’«I Can’t Stand The Rain», ce vieux standard cousu, mais Felix le chante au pire feeling de l’univers. Attention, Felix le chat n’est pas n’importe qui, c’est un Soul brother blanc comme neige, mais comme Eddie Hinton, il est encore plus black que les blacks. Il faut aussi entendre l’attaque punkoïde de Steve dans «Do It Like This». Il ressort toute sa niaque de Stax. Instro magnifique et plein d’allant. On adore ces deux vieux routiers de la légende américaine, ils savent combiner le riffing et le shuffle d’orgue, alors on s’en met plein la lampe, d’autant que Steve part en solo

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    Iain Lee enchaîne avec la captivante interview d’un Felix le chat toujours alerte. Il prépare un nouvel album et donne pas mal de concerts aux États-Unis. Felix raconte ses souvenirs de Syracuse University - Lou Reed was there too - Bine sûr, Felix se souvient des gens qui l’ont épaté, surtout Curtis Mayfiled - It’s just ridiculous how good these people were - Et les gens qui l’attirent se trouvent essentiellement in the R&B world. Il rappelle que les Rascals enregistrèrent «Mustang Sally» avant Wilson Pickett. Ils reprirent aussi le «Good Lovin’» des Olympics pour en faire un hit. Felix rappelle en outre qu’il adorait tellement les Beatles qu’il composa «How Can I Be Sure» à cause de «Michelle» et de «Yesterday» - They opened the door for us - Et il en rajoute une petite louche avec Sergent Pepper’s - I really felt that was a big door - Et quand Iain commence à le flatter en vantant les mérites de Freedom Suite, Felix se lâche un peu en expliquant qu’il espère bien voir sa musique lui survivre dans les siècles à venir, comme c’est le cas pour Mozart et Beethoven. Oh, ce genre de propos ne relève pas de la fatuité, c’est le point de vue d’un auteur-compositeur assez haut de gamme, et en tant que tel, infiniment crédible. Quand Iain Lee lui demande pourquoi les Rascals ne sont jamais devenus énormes en Europe, Felix connaît la réponse : Atlantic n’était alors qu’un petit label indépendant, à la différence de Columbia qui distribuait ses disques partout dans le monde - Atlantic was still a fairly small label - C’est d’ailleurs au moment où le groupe a quitté Atlantic pour passer chez Columbia que les Rascals ont explosé. And why did the Rascals split ? - Ha ha ha, Felix se marre. Il rappelle qu’il existe un adage aux États-Unis disant : You can’t fix stupid (on ne peut rien faire contre la connerie) - Eddie ne voulait plus continuer - He didn’t want to do it anymore - Il est rentré à la maison. Ça m’a scié - It was mind-boggling - Depuis, les Rascals se sont reformés pour aller au Rock&Roll Hall of Fame et Felix s’est installé à Nashville pour pouvoir rester créatif et jouer toutes les semaines. Et quand Iain lui demande comment il voit l’avenir, Felix se lance dans l’azur - In our time we didn’t have the internet. We didn’t have facebook. We didn’t have the iPhone. Music was our generation’s Bond - Notre lien - On s’adressait aux gens partout ailleurs à travers notre musique. Et il termine en racontant qu’il est allé voir jouer McCartney sur scène et qu’il était content d’être à nouveau un Beatles fan et de faire partie de cette communauté. L’air de rien, Felix le chat rappelle quelques jolies vérités fondamentales. Que serions-nous devenus sans la musique ? Y avez-vous pensé ?

    Signé : Cazengler, Old Rascal

    Young Rascals. The Young Rascals. Atlantic 1966

    Young Rascals. Collections. Atlantic 1967

    Young Rascals. Groovin’. Atlantic 1967

    Rascals. Once Upon A Dream. Atlantic 1968

    Rascals. Freedom Suite. Atlantic 1969

    Rascals. See. Atlantic 1969

    Rascals. Search And Nearness. Atlantic 1971

    Rascals. Peaceful World. Columbia 1971

    Rascals. The Island Of Real. Columbia 1972

    Felix Cavaliere. ST. Bearsville 1974

    Felix Cavaliere. Destiny. Bearsville 1975

    Felix Cavaliere. Castles In The Air. Epic 1979

    Felix Cavaliere. Felix Cavaliere Interchords. Epic 1980

    Felix Cavaliere. Dreams in Motion. MCA Records 1994

    Felix Cavaliere & Steve Cropper. Nudge It Up A Notch. Stax 2008

    Felix Cavaliere & Steve Cropper. Midnight Flyer. Stax 2010

    Iain Lee : Got To Be Free. Record Collector #463 - Februrary 2017

    23 / 05 / 2018 – PARIS

    LE QUARTIER GENERAL

    LES MARGOUYOTS / BONELESS

    L'annonce m'est tombée un peu par hasard ( objectif ) sous les yeux, c'était marqué Rockabilly et puis ce nom étrange venu d'ailleurs, les Margouyots, curiosité aiguisée par ce nom qui fleure bon la margoulinerie, fallait voir cela au plus vite, la teuf-teuf nous emmène illico à Paris au Quartier Général.

    LES MARGOUYOTS

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    21 h 07 quand nous pénétrons dans le Quartier Général pour le concert indiqué à 21 H. Quatre sur scène plus une cadillac rouge et une moustache noire nous accueillent – première fois qu'un concert commence à l'heure au QG – et le groupe filoche déjà à cent cinquante kilomètres heure sur chemin vicinal. Du rockab qui ne s'embarrasse pas avec la tradition, électrifié à mort par une guitare omniprésente. A vous arracher les opercules des oreilles. Faut vite se rendre à l'évidence, de sacrés musicos, doivent avoir bourlingué dans pas mal de swing rafiots pirates pour monter à l'abordage de si belle manière. Jerémy Perrin ne vous laisse pas une seconde de répit, à voir la manière dont ses doigts courent sur les cordes l'on en arrive à penser qu'il les a transformées en ligne à haute tension. Ne peut plus s'en détacher, un cas étrange d'auto-envoûtement, une possession vaudou qui nous rappelle que Memphis n'est pas si loin que cela de la New-Orleans, l'est comme le chien qui s'accapare les os du red rooster, n'en laisse pas un gramme pour les autres.

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    Quand J. J. Folgoni porte son harmo à la bouche, lui fait signe, pas encore, l'a encore à se débarrasser de deux ou trois licks époustouflants, mais le Folgoni fulgore de son côté, s'installe dans les interstices, la fenêtre de tir est exigüe mais il applique la tactique du tireur d'élite, balle par balle, mouche à chaque fois. Un peu en retrait Jean-Pierre Domont cause avec sa big mama. Et elle jacte sans arrêt la grosse noirâtre, swingue à mort, vous en tire des rafales de vols de corbeaux qui passent par dessous le son de la guitare dans le seul but de l'étoffer et de lui donner un relief monumental. L'est comme le chameau qui porte la caravane sur son dos. Predrag Sojic joue debout. Ne se contente pas d'une caisse claire et d'une cymbale, un véritable pregdateur de grosse caisse en souplesse, et rien que pour le break de Hound Dog, le bon Dieu a dû lui réserver une place à sa droite, à moins que ce ne soit le devil in person qui s'occupera de lui, car le chien sauvage je l'ai peut-être déjà entendu aboyer plus de trois cents fois en divers concerts, mais jamais avec une telle force, une telle justesse. Ah, cette dégringolade d'escalier roulant de D. J. Fontana dans laquelle vous vous cassez une par une mais toutes en même temps vos précieuses vertèbres, Sojic vous la refait à l'identique, une fois sur le dos, et une fois sur le ventre.

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    Jouent les classiques, Elvis, Billy Lee Riley, Warren Smith, Little Richard, sans oublier les Stray Cats, mais m'ont scotché avec leur Rock-A-Beatin' Boogie de Bill Haley, une idée de fou – du Bill Haley avec un harmonica pour remplacer le saxophone, au départ cela sent le plan foireux sur la comète – une interprétation idéale - genre ouragan sur le rockab - qui sera recouverte par les applaudissements enthousiastes du public. Précision d'importance, Jérémy se charge du chant, du même style que son jeu de guitare, rentre-dedans, jamais en défaut, terriblement efficace. Sur le medley final J.J. Fulgoni fait monter Jérôme sur le bateau déchaîné et nous avons droit à beau solo d'harmonica blues avec les mains qui volètent comme ailes d'oiseau paniqué autour de la bouche et J. J. qui y va de son côté au fleuret moucheté. Et empoisonné. Car mourir de mort lente n'est pas toujours plus désagréable que rapide.

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    Les Margouyots nous ont séduits. Un rockab à l'arrache et hyper-maîtrisé, l'énergie et le savoir-faire, ont emballé le public, dans la poche, et pas besoin de rajouter le mouchoir dessus pour l'empêcher de ressortir. A revoir.

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     ( Photos : Bruno Charavet - https://www.flickr.com/photos/lechatrave/albums )

    BONELESS

    Boneless, premier concert sous ce nom. Groupe de reprises mais qui possède ses supporters. Ardents. Partent avec un guitariste sur béquilles obligé de rester assis ce qui ne doit pas être commode et amoindrir votre influx nerveux. Un bon chanteur et une bonne rythmique. C'est-là où ça coince. Interprètent une musique qui ne leur correspond pas. Leur manque ce gramme de sauvagerie initiale qui fait toute la différence. Foo Fighter, Oasis, AC / DC, Kings of Leon, Guns and Roses arrachent quelque peu nous semble-t-il, nous en offrent des versions trop propres sur elles, peut-être l'apprécieront-ils en tant que compliment mais m'ont irrésistiblement fait penser à U2, et sa boursouflure creuse. J'ai tenu jusqu'au bout mais je me suis forcé sur leur version essoufflée de Fortunate Song. Selon moi, ils auraient plutôt l'étoffe d'un groupe de hard mélodique mais je ne crois pas que ce soit leur culture originelle. En tout cas ils y prennent du plaisir et le font partager à leurs fans de tous âges. Suivent un sentier qui n'est pas le nôtre. Car pour nous, secteur-sectaire rock, c'est rock un jour, rock toujours. Bonne chance à Boneless.

    TROISIEME GROUPE

    Pas vu, ni connu. Car nous étions partis guerroyer ailleurs. Les fans attendaient que Shyva's Vibration prenne place, massés devant la porte. Un subtil mélange de punk, de reggae, et de ska, nous ont-ils assuré. Diantre ! la programmation du Quartier Général était méchamment éclectique ce soir-là. Pas grave, on était venu pour les Margouyots, flair de rocker.

    Damie Chad.

    NOISE MUSIC [ ncïz 'mju:zïk]

     

    Coupez votre téléphone, fermez votre porte à double-tour, installez-vous confortablement... bien merci, avalez douze cachets d'aspirine 1000 et trois tubes de cogitum, pas de panique, je suis sûr que vous êtes capable de comprendre. Certes vous n'êtes pas plus intelligent qu'un autre, mais pas moins bête non plus, tous les espoirs vous sont donc permis. Evitez toute précipitation, ne faites pas comme moi, chouette ai-je dit sans trop regarder, une revue sur le Noise, superbe, deux euros, belle couverture jaune d'œuf de marsupilami, pas cher, tout beau, le gars avait l'air surpris et estomaqué lorsque je lui ai refilé la pièce.

    C'est après que j'ai compris ma douleur. Un truc chiadé à mort par des intellectuels de haut-niveau masturbatoire n'oserai-je ajouter. Mais chez Kr'tnt ! La direction ne recule devant aucun sacrifice pour satisfaire la curiosité des fans. Me suis donc attelé avec courage et abnégation à la tâche.

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    Pour être précis c'est le numéro 28 de la revue MULTITUDES paru au printemps 2007, je préfère les laisser se présenter à leur manière :

    «  Son objectif est d’intervenir de façon créative dans le champ intellectuel politique, philosophique et artistique contemporain, diffractant l’héritage de l’opéraïsme italien à travers un faisceau de catalyseurs intellectuels, comprenant des grands noms (Spinoza, Deleuze, Negri) ainsi que des penseurs à redécouvrir (Gabriel Tarde, Gilbert Simondon). Tous sont sollicités pour développer des problématisations incisives qui ouvrent des perspectives de luttes et d’espoirs en rupture avec les lamentations et les complaisances dominantes. » Vous trouvez cela et plus si affinité sur multitudes.net.

    Ce numéro 28 s'intitule : l'extradisciplinaire : critique des institutions artistiques : l'est divisé en diverses sous-parties hors de nos champs de compétence, et nous intéresserons uniquement aux six articles de l'intitulé Noise.

    YVES CITTON

    Le Percept noise comme registre du sensible

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    Nous ne citons pas Yves Citton, nous en extrayons la moelle quintessenciée. Se penche d'abord ( très pericoloso ) sur l'historicité du noise. Dada, futurisme italien – trouve le moyen de ne pas nommer Luigi Russolo, son manifeste L'Art des Bruit, et ses bruiteurs qu'il avait construits de ses propres mains en prévision de futur concerts – plus près de nous John Cage, Edouard Varèse et chers au coeur des rockers Pixies, Sonic Youth, Jesus Lizard... mais son interrogation porte surtout sur la définition du bruit. Raisonnement simple, le bruit est tout ce que nous ne reconnaissons pas comme musique. Mais le bruit doit être d'obédience trotskiste, tendance taupe rouge. A peine un musicien en introduit-il dans un concert ou un enregistrement, que bientôt notre oreille s'y habitue. L'a beau faire du bruit, on ne l'identifie plus en tant que tapage nocturne en plein jour. D'où la nécessité pour l'artiste qui veut attirer votre ouïe d'en augmenter le volume pour qu'il soit reconnu en tant qu'apport désagréable. Le bruit agit en musique comme ces migrants qui s'installent chez nous au grand dam de la population autochtone et qui finissent par se confondre avec le peuplement natif. Incroyable mais votre perception du bruit est une construction culturelle en éternel mouvement.

    Concrètement parlant le noise est une musique qui remplace le rythme, la mélodie l'harmonie, par des variations sonoléthales, qui privilégie l'épaisseur sonore ou le timbre phonique, la dissonance par rapport à l'harmonie.

    YOSHIHIKO ICHIDA

    Le Blues, cette chanson si bruyante

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    Avec Yves Citton nous étions dans une définition très intellectuelle du bruit, issue du mode d'appréhension du monde selon un modèle grec de construction amphionesque et cosmosique qui a présidé à la maturation de la musique classique. Le bruit est conçu comme un parasite, même si la trompette du jazzman s'amuse à dialoguer et à inclure dans sa prestation le bruit de la mouche qui se promène sur le micro, l'intervention inopinée de l'insecte n'est pas coordonnée à la notion d'aléatoire. Le noise échapperait-il à la beauté poétique du cadavre exquis ?

    Prudemment Yoshihikido Ichida nous ramène en pays connu en la terre arable du blues. Le blues serait d'abord accompagnement rythmique du travail collectif des esclaves occupés à ramasser le coton. Il n'est que moutonnement infini destiné à imposer une certaine vitesse – dans les usines l'on parle de cadence de la chaîne – un bruit de fond qui vous empêche de couler plus bas.

    Ce son de base n'était pas qu'assujettissement imposé, vous donnait conscience d'être collective et par ricochet individuelle. L'individu pousse son propre cri, le holler, l'appel qui implique une réponse sans laquelle vous n'avez aucune preuve de votre existence personnelle, et le miracle se produit lorsque votre question existentielle reçoit sa réponse de la collectivité, c'est dans ce moment d'incertitude et d'attente, en ce silence angoissé que se manifeste le hiatus du bruit, cette subtile dissonance entre deux fragments de temps qu'éclot la note bleue, c'est en cette distorsion primitive et originelle qui contient en germe toute la dimension noisique du rock'n'roll que les nouvelles technologies permettront de mettre à jour. Les pédales wah-wah d'Hendrix ne sont pas des nouveautés, seulement des outils qui aideront à retourner aux origines. Tout cela déjà perceptible chez Charley Patton et que l'on retrouve en une longue chaîne de passation du bâton merdeux chez Muddy Waters, Howlin' Wolf, Frank Zappa, Captain Beefheart, dans le Metal Machine Music du grand méchant Lou. Reed et le second Velvet qui nous permet par sa saturation sonique déstructurante de faire le lien avec le rameau classique Stockahausen, Xénakis, Stravinsky, Boulez, Cage, La Monte Young...

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    Autant le blues peut être entendu comme une montée incessante du volume sonore, une opiniâtre intumescence instrumentale, autant la musique classique aura au contraire après s'être épuisé en une gymnastique rythmique incessante été dépouillée de tous ses affects timbristes pour se dégonfler en baudruche minimaliste... les deux courants se tiennent par la queue l'un commençant là ou l'autre finit et vice-versa, les deux chemins mènent au même endroit, au drone, une vibration monocorde basse et profonde infinie, le bruit de base du noise.

    Suis gentil vous ai épargné l'analyse de la ritournelle par Deleuze et Guattari.

    BOYAN MANCHEV

    Noise : l'organologie désorganisée

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    Après le blues, le rock. Le déploiement des articles a été finement pensé ! Sous sa forme brute, l'instrument. Pas question d'en jouer. Le détruire est une autre manière de le laisser s'exprimer. Bye-bye l'artiste, l'est inutile, pensez à Jerry Lou mettant le feu à son piano, ou Pete Townshend écrasant sa guitare sur scène. L'instrument n'en finit d'émettre des sons, jusqu'à ce que mort s'en suive. Nous sommes-là dans la métaphysique du noise. Que vous jouassiez un prélude de Bach sur votre violon ou que vous sciassiez votre stradivarius en petits morceaux, votre crincrin n'en continue pas moins de produire du bruit. Leibniz vous dirait que les monades se désagrègent mais restent monades puisqu'elles se contentent de rejoindre le flux éternel des monades. Le noise transgresse la mort, elle est une musique qui certes désorganise les formes du vivant, les conduit à leur désagrégation finale, tout en restant vivantes. Le noise est un marteau sans maître, une énergie sans but, une force qui va ajouterait Victor Hugo. Traversée et expression des états divers de la matière. Boyan Manchev ne se mouche pas avec la manche, ose le grand saut, le noise en tant qu'impensé du politique en butte aux attaques répétées du capitalisme. Une façon de dire qu'il reste de l'espoir puisque tout se transforme et rien ne meurt. Même pas la prise de conscience du politique. La prochaine fois que vous fracasserez le vase en cristal de Tante Agathe contre le mur, juste pour le plaisir d'entendre son tintement désorganisateur et destructif, je vous laisse lui expliquer la nécessité de faire surgir l'impérieuse immanence de l'impensé politique en ce bas-monde.

    RAY BRASSIER

    L'obsolescence du genre

    Le noise est un assemblage capharnaümiques de tous genres. De la musique industrielle des années 70, au post-punk et au free jazz vous pouvez décliner des dizaines de noises différents qui n'ont pas grand chose à voir entre eux. Trop de noise tue le noise. Bref le noise n'est pas un genre, le fait que l'on puisse dire que le noise est un genre est déjà la condamnation du noise en tant que genre et plus grave du noise en tant que noise. Réfléchissez un petit peu : si le noise consiste à choquer le public ou les âmes en introduisant un maximum de bruit dans la musique, l'arrive un jour ou la non-introduction de bruit – non pas dans la musique car en cela la musique resterait musique – mais dans le noise lui-même devient l'outrage supérieur et majeur.

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    Ray Brassier nous donne deux exemples : To Live and Shave in LA qui produit des morceaux - fabriqués à partir de bribes de multiples musiques différentes minutieusement amalgamés – d'une vaste ampleur sonique pas du tout cacophonique, et qui ressemble plutôt à de tristes mélopées... Quant à Eb.er et Dave Philips ils s'adonnent à des espèces de performances d'un surréalisme outré ( et daté ). Je ne saurais résister à vous recopier quelques passages du descriptif de l'une d'entre elles : « Eb.er et son complice Dave Philips se claquent répétitivement le visage dans des assiettes de spaghettis munies de micro-contacts. Eb.er gazouille dans un piano qu'il martèle ne s'interrompant que pour faire feu à répétition sur le public à l'aide d'un fusil ( dont ledit public ignore qu'il est chargé à blanc ). Une femme hurle sa souffrance, un tube enfoncé dans l'anus, tandis qu'Er.er souffle à l'intérieur avec des accents de mélodies élégiaques pour cordes. Eb.er lutte pour tirer des sons du poisson mort équipé d'un micro-contact qui repose sur la table. Trois femmes ingurgitent des liquides selon un ordre de couleur strictement déterminé, avant d'aller vomir dans des saladiers selon une séquence elle aussi savamment orchestrée. » Je vous laisse méditer. Je me permets toutefois de vous rappeler que toute pensée philosophique qui ne se confronte pas avec la réalité expérimentale s'avèrera nulle.

    ALEXANDRE PIERREPONT

    Petit-traité de savoir-bruire

    Avec un tel titre l'on s'attend au bréviaire de la noise-attitude d'une nouvelle génération, ben non, Alexandre n'est point grand et la pierre qu'il apporte au pont du noise est un tout petit caillou. Une révélation bouleversante, la matière du noise n'est pas la musique, mais, attention suspense... le son ! Tu l'as dit bouffi, j'en profite pour vous refiler l'incroyable secret de la recette des nouilles au beurre, très simple, munissez vous d'un paquet de pâtes et d'une tablette de beurre, voilà c'est tout, il n'y a plus rien à dire.

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    Pierrepont lui-même s'aperçoit que c'est un peu court alors il cite des exemples : Afternoon of a Georgia Faun de Marion Brown qui tente de vous faire entendre les bruits suspects des esprits en goguette dans les paysages naturels, The Wimme Years ( 1970- 1973 ) de Faust, une experience soundique communautaire, le Daily Bread de Charlie Gayle saxophoniste qui reprend le vieux rêve depuis Coltrane de tous les souffleurs de jazz qui rêvent de produire un disque sans une seule note, E. E. Cummings parle à son sujet du «  grincement somptueux de la simplicité » faites-lui confiance c'est en nos temps de détresse, un des plus grands poètes américains, et quelques autres dont Sonic Youth et le Cathode d' Otorno Yoshihide qui essaie de déstabiliser le partenariat locuteur-récepteur en interférant sur la modalité du message transmis, une approche dérivée de la linguistique.

    Mais le meilleur reste encore la citation de Ishmael Reed qui dans son bouquin Mumbo Jumbo paru en 1972 s'emploie à définir le Jes'Grew, c'est ce désir inopiné qui pousse, depuis l'Afrique, les chanteurs noirs à trouver le om originel de la volonté à être à se manifester selon une interjective manière de passer à l'acte, une force que l'on retrouve autant chez les danseurs de Congo Square que chez Charlie Parker.

    WUNDERLITZER

    Multiplicité + saturation

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    Quand vous voyez la disposition du texte, vous réservez une chambre à Lourdes, mais quand vous vous plongez dedans, vous êtes étonné de voir qu'il faut quatre pages au collectif Wunderlirlitzer pour signifier quelque chose qui tient en quatre lignes. Ne suffit pas d'empiler bêtement des échantillons de sons les uns sur les autres sur une seule piste, faut savoir saisir le moment de la mutation, celui où l'empilement se métamorphose en distorsion. Suis allé sur Youtube. J'en suis ressorti peu convaincu, le bruit que fait l'aiguille du tourne-disques quand par inadvertance et maladresse coupable vous la posez à côté du 45 Tours sur le plateau qui tourne... pas étonnant que la vidéo White Tiger ne soit créditée que de 243 vues.

     

    C'est ainsi que se termine sans préavis le dossier Noise. Je vous laisse découvrir ce continent mais je suis sûr que beaucoup d'entre vous ont déjà commencé l'exploration.

    Damie Chad.

    P. S. : ceci n'a rien à voir avec ce qui précède. Suis simplement étonné qu'une revue qui se définit en tant que combat politique contre l'Empire ( tel que l'a défini Toni Negri – confondant d'après moi le concept d'Empire avec celui du Royaume ) soit financée dans le cadre du programme Culture 2000 par l'Union Européenne. Le Capital a toujours aimé s'offrir ses danseuses. Y aurait beaucoup à écrire sur la prostitution ( pas du tout sacrée ) des intellectuels !

    DISSIDENCES

    APHORISMES ET DIVERSIONS

    JEAN-MICHEL ESPERET

    ( Editions SOCIALINFO / 2018 )

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    Troisième livre de Jean-Michel Esperet que nous chroniquons dans Kr'tnt ! Le Dernier Come-back de Vince Taylor ( aux Editions de L'Ecarlate ) dans notre livraison 142 du 02 / 05 / 2013, et L'Être et le Néon ( toujours aux Editions de l'Ecarlate ) dans la livraison 301 du 03 / 11 / 2016. Un curieux ouvrage qui détonne dans la bibliographie consacrée à l'ange noir du rock'n'roll. Pensez que Jean-Michel Esperet opérait de sentencieuses collusions entre Jean-Paul Sartre et Vince Taylor ! Rencontres de l'existentialisme théorique et de l'existentialisme pragmatique !

    Dans ces Dissidences, Vince Taylor n'est plus là, Jean-Michel Esperet prend la parole en son propre nom. L'aurait pu nous promener dans les images d'Epinal de sa vie de rocker - il a enregistré sous son propre nom - mais non, l'a décidé d'aller au plus profond, de quitter l'écume évènementielle pour nous faire part de sa weltanschauung, sa vision du monde pour parler en bon français, mais si j'emploie le terme philosophique allemand ce n'est pas par hasard, mais selon la référence épigraphique et explicite à Georg Christoph Litchenberg, cet inventeur littéraire du couteau ( nous préciserons suisse puisque le livre est édité à Lausanne ) sans manche à qui il manque la lame.

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    Marcel Proust s'était rendu compte que les choses et la vie ne valent que par l'endroit – du côté de... pour reprendre son expression - d'où on les regarde, l'en a noirci des milliers de feuilles, Jean-Michel Esperet s'est voulu plus expéditif, l'a choisi l'aphorisme. Genre philosophico-littéraire à deux têtes, l'une qui tient de la foudre lorsqu'il est manié avec tonitruance, l'autre des points de suspension lorsque l'on veut suggérer plus que l'on ne dit. A notre humble avis – et au contraire de ce que proclame Jean-François Duval dans sa savante introduction - Nietzsche, adepte de la première morsure, est bien plus opératif que Cioran qui vise à la décomposition insidieuse et non à la destruction à coups de marteaux.

    Les anciens grecs partageaient la vie en deux tronçons, l'initial qui monte vers l'acmé, le point culminant de l'existence, et le déclinal qui nous transbahute vers notre amphore cinéraire. Jean-Michel Esperet nous parle près du terme final, ne s'en cache pas, garde son humour, suggère à la standardiste de l'hôpital de lui réserver une chambre froide pour son repos post-opératoire... L'a déjà ingurgité une bonne dose de vie Jean-Michel Esperet, l'en tire des conclusions, qui lui appartiennent.

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    Surtout ne les prenez pas pour des leçons. L'a ses idées, ses jugements, ses répulsions, ses références, ses préférences, mais il ne ne les érige pas en vérités éternelles. S'élève d'ailleurs très logiquement et très longuement contre toute prétention religieuse à détenir la Vérité. Les religions révélées en prennent pour leur grade. Judaïsme, christianisme et islamisme sont tour à tour durement malmenés. Fait même une petite parenthèse spéciale – Suisse oblige - pour le calvinisme. Il déteste les dogmes, les prêtres et la bêtise des croyants. De toutes obédiences.

    N'a point une trop bonne opinion des hommes non plus. Ne le crie pas sur le toit de ses aphorismes. Mais cela s'entend cruellement : « L'idiot du village se sentirait moins seul en ville.  » ou «  Autrui me décourage de tromper ma solitude.  ». L'aime bien, avec ce soupçon d'injustice expéditive des plus réjouissifs, être cruel : «  Ce sont les rondeurs des mères qui poussent leurs filles à l'anorexie. » Taille dans le vif des préventions et des idées toutes faites. Part du principe qu'il vaut mieux en rire qu'en pleurer.

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    N'aime guère les jérémiades. Dénonce vertement les intellectuels de gauche. Ne cherche pas d'excuses aux comportement humains. C'est en ces instants que l'on peut faire à Jean-Michel Esperet le reproche d'un glissement de pensée du politique vers l'idéologie, cette dernière se contentant de dénoncer les faits – c'est-à-dire les effets - sans s'attaquer aux causes qui les engendrent. La critique du productivisme capitaliste n'est jamais pris en compte dans ces Dissidences. C'est dommage, il faut aussi bien se garder à droite qu'à gauche. Sans quoi l'on passe de la dissidence à l'expression de son opinion. Car toute dissidence se doit de se porter aussi bien envers les autres qu'envers soi-même. Même le couteau de Lichtenberg doit être retourné contre soi.

    Reste les Diversions. Petites anecdotes insérées dans la trame des aphorismes. Empruntées à sa vie personnelle ou à diverses publications. Il est étrange de voir comment notre personnalité se bâtit selon certains mini-évènements, que nous élisons hautement significatifs, ou sur de courtes informations diverses qui nous semblent des plus emblématiques. Trois fois rien, si l'on y songe. Mais à force d'additionner les riens, l'on atteint au nihilisme. L'on y accède par le chemin d'épines de la vieillesse pour se retrouver face à face avec le rire squelettique de la mort. Désagréable situation à laquelle Jean-Michel Esperet a la délicatesse de répondre par un sourire. Sardonique. Rien ne vaut une cuillerée aphoristique pour faire passer l'amertume de la potion.

    Que voulez-vous Jean-Michel Esperet préfère hurler avec le Howlin' Wolf que pleurnicher avec cette chienne de vie !

    Damie Chad.