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  • CHRONIQUES DE POURPRE 394 : KR'TNT ! 414 : JOHN PAUL KEITH / REVEREND JOHN WILKINS / CHUCK BERRY / HAPPY ACCIDENTS / RADIOACTIVE / CHAMBLAS RÊVEIL

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 414

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    11 / 04 / 2019

     

    JOHN PAUL KEITH / REVEREND JOHN WILKINS

    CHUCK BERRY / HAPPY ACCIDENTS / RADIOACTIVE

    CHAMBLAS RÊVEIL

     

    John Paul Keith et les autres

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    On ne se bouscule pas au portillon pour venir voir jouer John Paul Keith qui est pourtant l’une des figures de proue de l’actuelle underground Memphis scene. Bon, c’est vrai, il faut bien reconnaître que l’underground n’intéresse plus grand monde. Quant à Memphis, c’est encore pire. Dans l’inconscient collectif, ça renvoie à des vieux trucs un peu kitsch et un peu jaunis qui remontent au temps d’Elvis. Autant parler d’objets de musée. Et pourtant, le Memphis beat n’a jamais été aussi vivant ni aussi bien représenté.

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    À lui tout seul, ce petit binoclard nommé John Paul Keith réussit à redonner vie au Memphis beat, le temps d’un concert. Il le fait avec un mélange de brio et d’abnégation qui en bouche un coin. Il joue son rock en formation légère, accompagné d’une section rythmique basse/batterie extrêmement jeune, mais on sent le métier. JPK propose un mélange idéal de country et de rock, avec cette énergie particulière qu’on retrouve chez tous les musiciens basés à Memphis. Il faut se souvenir de ce que disait Dan Penn à propos du décalage qui existe entre Memphis et Nashville : «They (in Nashville) cut in all that ol’ stupid thin country music. No funk, I always liked a little funk.» (À Nashville, ils enregistrent cette country inepte et vieillotte. Pas de funk. J’aime bien qu’il y ait un peu de funk). Oui, JPK ramène dans son son ce que Dan Penn appelle le funk, cette manière tellement subtile de swinguer le rock’n’roll.

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    Il joue clair et net sur Telecaster et parvient à faire danser la maigre assistance. Plus tard, JPK dira qu’il vit bien de sa musique, à Memphis - I make a living out of it - Il fait bien sûr la promo de son dernier album, Heart Shaped Shadow, mais propose aussi des cuts tirés de son nouvel EP avec les Motel Mirrors. John Paul Keith est un petit homme d’âge indéfinissable au visage dévoré par cette grosse paire de lunettes qui renvoie immédiatement à Buddy Holly. On est confronté au même problème qu’avec Buddy à l’époque où paraissaient ses disques : un mal fou à s’habituer à cette esthétique du binoclard, mais un curieux mélange d’ingénuité et de talent finissait par le rendre indispensable. Il devenait aussi précieux qu’Elvis ou Jerry Lee, alors qu’il n’avait absolument aucune chance de plaire aux filles, ce qui en matière de pionneering, était quand même le truc de base. John Paul Keith passe par les mêmes fourches caudines. Si on le juge sur son physique, c’est cuit aux patates. Mais si on l’écoute et, mieux encore, si on le voit jouer, il balaye tous les a-priori. JPK rocks it up ! Il joue son rôle d’ambassadeur du Memphis Sound à merveille.

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    C’est exactement du même niveau que le fabuleux set du grand Harlan T. Bobo qui eut lieu au même endroit voici quelques années. Eh oui, ces Memphis guys ont le petit quelque chose en plus. Robert Gordon dit que le Memphis beat est dans l’air de la ville. Dickinson dira que c’est dans les gens - We’re a bunch of rednecks and field hands playing unpopular music - Ce n’est quand même pas un hasard si deux des plus grands écrivains rock d’Amérique (Dickinson & Gordon) sont de vieux Memphis guys. D’ailleurs JPK dit avoir failli travailler avec Dickinson : le projet s’appelait Snakes Eyes et comprenait des gens de Regning Sound - But nothing came out of it.

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    John Paul Keith fait donc partie de la brillante scène underground de Memphis. En 2009, il est lead guitar sur The Disco Outlaw de Jack-O & the Tennessee Tearjerkers. On ne saurait concevoir une formation plus légendaire que ces Tearjerkers rassemblés par Jack Yarber. Il attaque son Disco Outlaw avec «Ditch Road», un fantastique cut de pop rock du Tennessee. Jack Yarber est un auteur classique qui sait monter des coups fumants. Voilà un cut imparable, éclairé par le jeu de John Paul Keith et soutenu par la belle bassline d’Harlan T. Bobo. Tous les morceaux de cet album sont fouillés, chargés de son, bien construits. On savoure la succulence de l’effarance à l’écoute d’un «Against The Wall» qui sonne comme un classique hanté par des vieux relents de «Drop Out Boogie». «Make Your Mind Up» sonne comme un hit pop planétaire. Voilà de quoi Jack Yarber se montre capable. C’est digne des meilleurs jukes et troussé à la rude. Il prend ensuite «Sweet Thang» à l’hypno de Memphis, et ça trépide, avec une grâce infernale. Quelle énergie et quelle puissance dévastatrice ! En B, John Paul Keith embarque «Scratchy» dans la clameur d’un solo incendiaire. Ils nous explosent ce vieux classique des sixties. Et ça va se terminer avec «Stop Stalling» bien soutenu à l’orgue, suivi d’un nouvel hymne pop, «Walk Of Shame». Jack Yarber n’enregistre que des disques condamnés à l’île déserte.

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    On retrouve John Paul Keith sur un autre album de Jack Yarber, l’excellent Rat City paru en 2011 sur Fat Possum. C’est pas compliqué, on y trouve deux hits, à commencer par celui qui donne son titre à l’album, qui est lancé comme une locomotive et Jack-O se montre une fois de plus imparable et lumineux. Quand on voyait ce mec traîner à l’espace B le jour du concert des Cool Jerks, on n’était pas loin de penser qu’il avait au pire une allure de rock star et au mieux le charisme d’un messie. John Paul Keith joue lead dans «Mass Confusion», monté sur un beau beat funky. Ça pulse comme au temps de l’âge d’or du swamp funk. L’autre hit du disque c’est bien sûr «Kidnapper», sur lequel JPK joue aussi : cut doté d’un fort parfum de country rock et finement nappé d’orgue. On y retrouve tout l’allant du rock du Tennessee.

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    John Paul Keith apporte régulièrement sa modeste contribution au Memphis Sound en ficelant de bons albums. Paru en 2008, Spills And Thrills s’impose par un son sec. On sent le rocker accompli, rompu à toutes les tâches. Il joue tout son fourbi à l’emporte-pièce, avec une authentique intensité. Tout est ultra joué, très américain. Memphis Soul typecast. Avec «Cookie Bones», il propose un violent instro d’interaction chauffé au shuffle d’orgue. Ça ne vous rappelle rien ? Mais les MGs, bien sûr ! Nous voilà dans les rues de la ville, à l’âge d’or. Bel hommage aux racines du Memphis Sound. S’ensuit un «Let’s Get Gone» tapé à la folie rockab, Memphis style, here we go ! Affolant ! JPK peut se montrer affoling. Le buisson Ardent n’a aucun secret pour lui. On voit bien qu’il tente de recréer la folie du rumble de 56. Il sort le Telecaster Sound le plus âpre qui soit. Il joue au surplus de guitares. Et voilà qu’avec «If I Were You», il tape un coup de Jarnac à la Tearjerkers. C’est le hit du disk. Absolute beginner ! Il trousse ça serré au beat avec des chœurs de rêve et une énergie power pop. Ça sent bon le Yarber. JPK termine son humble album de rumble avec une petite montée de fièvre qui s’intitule «Doin’ The Devil’s Work», typique des clubs de Memphis avec tout le bazar de la Samaritaine.

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    L’impétueux JPK récidive avec un Memphis Circa 3 AM auréolé de légende, puisqu’enregistré par Roland Jane. On a donc du pur electrifying Memphis Sound, classique et tendu, sec et net et sans bavure. On va mettre un peu de temps à rentrer dans l’album, car JPK multiplie les incartades en allant vers la country ou le balladif romantico. On a même parfois l’impression qu’il s’enterre dans la tradition. C’est un cœur tendre, mais comme dirait Blueberry, il vaut mieux avoir le cœur tendre que le pied tendre, surtout lorsqu’on est poursuivi par une horde de Mescaleros. Et soudain, on se réveille avec «New Years Eve», un cut qui sonne tout bêtement comme un hit. JPK est capable de petits miracles. Ce genre de révélation efface pendant quelques minutes le spectre des soucis quotidiens. Oui, elle surprend d’autant qu’elle est totalement imprévisible. Notre fringant binoclard repasse en mode hit galatic avec «If You Catch Me Staring». Cette nouvelle ouverture de pop a de quoi édifier les édifices. Il joue bien son rock à l’enfilade et maintient l’éclat d’un son Télé très convaincu d’avance.

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    On sent encore une très nette évolution avec son dernier album, Heart Shaped Shadow, paru l’an passé sur un label de Little Rock, Arkansas, nommé Last Chance Records. On y trouve pas moins de quatre hits, à commencer par l’excellent «Something So Wrong» d’ouverture de bal d’A. Pur joyau de Southern Soul, généreusement cuivré et monté sur un beat rondement mené. Good time music à tous les étages en montant chez Kate. L’incroyable tonus du cut vaut pour modèle. Avec «Ain’t No Denyin’», il nous plonge dans un groove de jazz. C’est monté sur un shuffle d’orgue superbe et JPK vient croiser son solo avec le shuffle. Musicalité superbe, fantastique allure. En B, il revient au slow groove avec «All I Want Is All Of You», il chante ça à l’étonnée, avec une voix chargée d’un certain mystère. Ce mec dispose d’un charme vocal indéniable et un solo de sax couvre ses arrières. Il tape «Throw It On Me Baby» au beat de rockab. Joli clin d’œil à la tradition. Il sait swinguer ce type de beat, pas de problème. JPK est un rocker polyvalent, il peut aller partout et taper dans tous les styles avec un égal bonheur. Jamais passe-partout ni m’as-tu-vu. Il termine l’album avec «Pink Sunsets», un nouveau groove de jazz, délicat et colorié. Oh, il faut l’entendre passer un solo de bluegrass en escalier dans «Leave Them Girls Alone». JPK devait être un guerrier apache dans une vie antérieure, car il a plusieurs cordes à son arc.

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    D’ailleurs, ça n’étonnera personne, JPK est homme à brasser les side projects. En voici un bel exemplaire, the Motel Mirrors, dans lequel on retrouve une certaine Amy LaVere. Comme par hasard, JPK proposait l’album In The Meantime au mersh, après le concert. Sachez bien que cet enfoiré vend un disk sans dire que c’est de la dynamite. Résultat, on rentre à la maison, on écoute ça et paf, on tombe de sa chaise. Un cut comme «I Wouldn’t Dream Of It» saute littéralement à la gueule. Le power du beat se révèle dévastateur. C’est un étonnant mélange de country flavor et de power rock. JPK chante au suave sur le pire beat rockab qu’on ait vu à Memphis depuis le temps des cerises. Par contre, attention aux cuts que chante Amy LaVere : elle sort une voix nubile qui peut vite agacer. «Things I Learned» flirte avec la délinquance juvénile, c’est un hit, de toute évidence, et même un hit effarant, mais quand elle revient plus loin avec «Dead Of Winter Blues», elle fait du Vanessa Paradis à la mormoille et ça donne un mélange extrêmement dérangeant de country et de délinquance juvénile larvaire. Par contre JPK rend deux fabuleux hommages à Buddy Holly, avec «Paper Doll» - Ain’t gonna be your paper doll at all - et «Remember When You Gave A Damn», pur Fort Worth Sound, merveilleuse cavalcade en hommage au génie de Buddy Holly. C’est criant de véracité instinctive. JPK prend «Do With Me What You Want» de très haut, avec des accords de Chickah Chuck. Il déroule au Memphis Beat, on sent le poids de la légende dans le son - Please please don’t be so cool - What a maîtrise !

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    The V-Roys ? Oh yeah, JPK est à l’origine du projet, mais il n’apparaît sur aucun de ces trois albums qui valent le détour. Oui et même largement le détour. Ces quatre Memphis rockers sont affreusement doués. Avec Just Add Ice, ils proposent une belle éclate de power-rock de Knoxville, très proche dans l’esprit de ce que font les mighty Drive-By Truckers. Notez que Steve Earle produit ce premier album des V-Roys. On vendrait son père et sa mère pour un cut comme «Sooner Or Later», solide slab de pop-rock soutenu aux éclats de guitares et chanté à deux voix. Leur «Wind Down» est fusillé dans l’élan, c’est admirablement racé. Avec «Cry», ils deviennent les rois de la cavalcade. On les sent gonflés d’énergie, comme des bites printanières. C’est très beau à voir. Ils passent au balladif classique avec «Kick Me Around», et un killer solo vient chasser les nuages. Ces mecs savent trancher un nœud gordien.

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    Un deuxième album intitulé All About Town paraît en 1998. Il s’y niche deux Beautiful Songs, «Arianne» et «Sorry Sue». Excellent «Arianne», chanté aux sous-voix dans les renvois et Scott Miller laisse sa voix fuiter sur les retours. Ils recréent l’événement plus loin avec «Sorry Sue». Scott Miller entre dans le lard du cut avec tout l’impact de la cruauté - Sorry Sue/ I’m not in love with you - Il sait gérer son charme et créer les conditions du pouvoir. Et voilà une autre merveille : «Strange». Ces mecs balancent du son et des idées de son et ça continue avec «Hold On To Me». Scott Miller prend les choses en main et c’est bête à dire, mais il a plus de présence que JPK. Comme ce mec est brillant, du coup l’album prend du relief. En fait, les V-Roys se situent à la croisée des chemins, entre rock et country. Parfois la country prévaut et les cuts nous échappent.

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    Leur troisième album est un album live, le bien nommé Are You Through Yet ? On y retrouve l’excellent «Wind Down» du premier album. C’est explosif, joué à la bassline inversée. On entend cette bassline remonter le courant du son comme un saumon d’Écosse. Autre merveille : «Out Of This World», heavy balladif de Loundon Wainwright chanté à pleine gueule, pur jus d’Americana. Les deux guitares semblent littéralement resplendir dans ce bouquet démentoïde d’Americana parsonnienne. Ils jouent dans l’œil du typhon. Ils font aussi une reprise du fameux «There She Goes» des La’s. Quel courage ! Ils y tapent un magnifique brouet d’arpèges. Du coup l’album prend un sacré relief. En fait on se sait jamais qui de Mic Harrison ou de Scott Miller chante, mais ce n’est pas grave, car comme chez les Drive-By Truckers, les deux sont également doués. Avec «I Want My Money», ils proposent un vieux boogie infesté de requins. On les sent très motivés à nager vite. Et voilà «Window Song», heavy rock co-écrit avec Steve Earle. Encore une énormité lumineuse jouée aux splendeurs guitaristiques. Quelle ampleur ! La version live est mille fois supérieure à la version studio, car les guitares scintillent dans l’incendie du crépuscule. Ils repartent de plus belle avec «Guess I Know I’m Right», un folk-rock solide. On suivrait ces mecs jusqu’en enfer, ils développent les meilleures dynamiques de folk-rock qu’on ait vu ici bas. On assiste à de fabuleux duels de guitares acérées. Ils sur-jouent à la vie à la mort. On retrouve aussi «Sooner Or Later» bien cogné du Cognac-Jay et allumé par des incursions à la Johnny Thunders. Ces mecs ont le diable au corps, voilà pourquoi cet album est bon. Et même excellent, bien rocké du Rocamadour. Ils jouent comme des dieux et ourdissent des complots finaux flamboyants. Ils reprennent aussi le «IOU» de Paul Westerberg. Admirable choix, les accords rock’n’roll roulent dans les collines et on voit la bassline cavaler dans la nature, comme une folle échappée d’un couvent.

    Signé : Cazengler, Jean Pauv Kon

    John Paul Keith. Le Trois Pièces. Rouen (76). 26 mars 2019

    Jack-O & the Tennessee Tearjerkers. The Disco Outlaw. Goner Records 2009

    Jack Oblivian. Rat City. Big Legal Mess Records 2011

    John Paul Keith & The One Four Fives. Spills And Thrills. Big Legal Mess Records 2008

    John Paul Keith. Memphis Circa 3 AM. Big Legal Mess Records 2013

    John Paul Keith. Heart Shaped Shadow. Last Chance Records 2018

    Motel Mirrors. In The Meantime. Last Chance Records 2017

    V-Roys. Just Add Ice. E-Squared 1996

    V-Roys. All About Town. E-Squared 1998

    V-Roys. Are You Through Yet ? Live. E-Squared 1998

     

     

    Walking with Wilkins

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    L’arme secrète du bon Révérend John Wilkins n’est pas celle qu’on croit : sa foi en Dieu tout puissant ? Sa technique de picking ? Son physique de vieux black bien conservé ? Son autorité eucharistique ? Non, même s’il est un mélange de tout ça. Son arme secrète, ce sont ses trois filles qui chantent le gospel sur scène avec lui, alignées en rang d’oignon. Et elles shootent le gospel batch plus qu’elles ne le chantent. Encore une fois, il y plus d’énergie primitive dans le gospel batch que n’en peut rêver ta philosophie, Horatio.

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    Bon, quand il arrive sur scène avec son stetson et son sourire de beau black bien conservé, on ne se méfie pas. Il attaque avec un «Trouble» bien rythmé et les filles commencent à foutre le souk dans la médina. La plus petite est aussi la plus grosse. Disons qu’elle gère mal un problème de poids, mais c’est elle la shouteuse du groupe. Le Révérend et ses trois filles sont accompagnés par trois blancs qui trimbalent des allures de vétérans de toutes les guerres et qui restent en retrait. Et quand le bon Révérend attrape sa guitare pour jouer «You Got To Move», alors on réalise qu’il n’est pas né de la dernière pluie. Il joue avec une technique de battement en picking qui en dit long sur ses antécédents. Eh oui, Big Legal Mess nous rappelle qu’il a accompagné O.V. Wright et qu’il recevait dans son église, Hunter’s Chapel Church, des éminences comme Mississippi Fred McDowell, Otha Turner et Napoleon Strickland. Nous sommes dans le North Mississippi Hill Country, parmi les gens du Tate county. Jim Dickinson : «Le comté de Tate commence aux abords de Senatobia. Vous allez rouler sur des routes à moitié goudronnées et vous allez entrer dans le territoire d’Otha Turner, père spirituel du hill country blues. Quand Lomax est venu dans le Sud pour archiver la musique les vieux bluesmen, Otha et Fred McDowell étaient voisins. Ces artistes sont restés trop longtemps confinés dans les archives du folklore officiel universitaire.»

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    Sur scène, ça shake de plus belle avec «God Is Able» puis «Jesus Will Fix It». Tout l’art du gospel consiste à faire tanguer une église avec un minimum de moyens et un maximum de feu sacré. Le set du bon Révérend John Wilkins et de ses trois filles rocke plus la kasbah que dix groupes de garage réunis. On le dit à chaque fois, mais c’est vrai. Ces gens-là font appel à ce qui constitue la racine même du rock, le rythme et ce que certains appelaient autrefois le feu de Dieu, c’est-à-dire une énergie primitive qui n’appartient qu’aux Africains. Un James Brown blanc ? C’est inconcevable. Un Révérend John Wilkins blanc est encore plus inconcevable. Le beat appartient définitivement aux blacks. Ces trois filles qui dansent sur un beat du Gospel batch, c’est sans doute le plus beau spectacle qu’on ait pu voir depuis le temps de Vandellas, ou plus récemment, les Como Mamas. Elles dansent en rythme d’un pied sur l’autre, font des petits gestes avec les bras, et shootent le bamalama du Seigneur tout puissant qui du coup devient un héros rock’n’roll bien plus infernal que ce pauvre diable cornu qu’on laisse aux Stones. Mieux vaut aller rocker aux pieds de l’autel de God almighty dans une église en bois que d’aller à Longchamp voir des Stones fanés jouer «Sympathy For The Devil» et finir de perdre toute leur crédibilité. On ne joue pas avec le diable, par contre on peut jouer avec God. God adore ça, il est même le premier à danser. On comprend ça dans l’instant, dans l’éclair d’un instant, lorsque la petite grosse perd le contrôle d’elle-même et jette une serviette dans la foule, alors qu’elle shoote ses chœurs à s’en faire péter les ovaires. Wow, elle ramène tout Aretha, tout le jus sacré du raw gospel, toute la magie explosive d’un monde qu’on connaît très mal.

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    Dans sa deuxième bio d’Aretha, David Ritz rappelle que l’univers du gospel, au temps où officiait le pasteur Franklin, était un fabuleux baisodrome. La foi et le sexe ont toujours fait bon ménage. Les femmes tombaient comme des mouches sous le charme du pasteur Franklin, père d’Aretha. Pasteur et homme à femmes. Fantastique dragueur. Il faut situer ça dans les années quarante et cinquante. Il existait un véritable circuit du gospel et un business florissant. Les prêcheurs de gospel les plus célèbres tournaient dans toute l’Amérique et rassemblaient dans les églises des milliers et des milliers de fidèles. On sait pour l’avoir vu dans certains docus que la messe pouvait tourner à l’hystérie collective. Certains pasteurs jouent sur des guitares électriques. Tout le monde danse, sans exception. Mais Ritz ajoute qu’après le prêche tout le monde baisait sous le tabernacle. Tout le monde, les jeunes comme les vieux ! C’est là qu’Aretha s’est mise à aimer les hommes. Johnny Guitar Watson dit d’elle qu’elle rôdait dans les fêtes, affamée de queue. Elle a douze ans quand elle est enceinte de Clarence. Deux ans après, elle met au monde Edward. Puis elle épouse Ted White, qui est un mac. Aretha est du cul, mais elle ne veut pas qu’on le dise. Comme toutes les bigotes qui ont le feu au cul, elle tente de protéger sa réputation. C’est la raison pour laquelle il existe deux bio d’Aretha avec David Ritz, celle d’Aretha et celle de Ritz, où tout est dit, surtout ce qui ne doit pas être dit. Et ça renforce le prestige sulfureux de cette femme qui sur scène devient une reine. Une vraie reine de droit divin. Un volcan à deux pattes. Et Aretha n’en finit pas de rappeler que toute la Soul vient directement du gospel.

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    Le bon Révérend fait un petit break, le temps de rappeler que son père Robert Wilkins a composé «Prodigal Son» et il profite de l’occasion pour rappeler aussi que les Rolling Stones ont rendu cette chanson célèbre. Il joue son Son seul, assis sur un tabouret, accompagné par le tap tap du batteur. Fantastique guitariste, il descend son thème à deux doigts glissants et pince des cordes du pouce et de l’intérieur des doigts ramenés en crochet. Il joue en accord ouvert, ce que les Anglais appellent l’open D et sort un son de rêve sur sa guitare, un son très pur de country-blues. Il enchaîne avec un «Walk With Me» joué seul. L’interlude mirobolant s’achève avec le retour des filles qui viennent donner l’assaut final.

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    Ah tu voulais voir Venise et tu vois «Wade In The Water», classique indestructible porté par toute la foi du pâté de foie. Ah tu voulais voir Vesoul et t’as pas vu Vierzon parce que t’as vu «Storm And Rain», eh oui, le bon Révérend demande à un public qui ne comprend pas l’Anglais s’il connaît les storms, et c’est sa femme, installée dans le coin sous l’enceinte qui fait Yeahhhh, d’ailleurs elle n’en finit pas de faire yeahhhh tout au long du set, comme à la Chapel Church, oui car le gospel est avant toute chose un art inter-actif, le pasteur dit un truc, et les gens font yeahhhh, mais on nous demandait fermer nos gueules à la messe, alors les petits blancs dégénérés ne savent pas faire yeahhhh. Bon c’est pas grave, le Révérend et ses trois filles continuent de rocker la salle qui se met à tanguer comme le baleinier du capitaine Achab sous les coup de boutoir de Moby Dick, et bim et bam, prend ça dans le foie, le gut d’undergut d’un «Get Right Chuch» à faire tomber la flèche en bronze d’une cathédrale, celle de ton choix.

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    L’album du bon Révérend est sorti en 2010 sur le big label Big Legal Mess, filiale honorifique de Fat Possum qui vénèrent les amateurs de blues primitif. You Can’t Hurry God vaut le détour pour au moins deux raisons : Jésus et «You Got To Move». On retrouve Jésus dans «Jesus Will Fix It». Le bon Révérend envoie son gospel rocker le Memphis Sound. Admirable. Il tape dans le brother de Yes sir et ça vire au all nite long. On n’avait encore jamais entendu gospel batch aussi insistant. Avec «You Got To Move», il tape dans le heavy blues rock. Le bon révérend est un caméléon, il tape ici dans la fantastique exaction parabolique, il drive le blues rock à coups de She got to move. Il tape plus loin son «Thank You Sir» au deep rootsy blues. Il sait aussi le jouer, il bouffe à tous les râteliers et c’est bien, de la part d’un mec comme lui. «On The Battlefield» est presque joyeux. C’est du gros gospel d’orgue et d’église en fête, alors on en profite. On l’admire tant et plus, oh my lord. C’est la fête à l’église du village. Dommage qu’on n’ait pas ça en France. Il faut aussi écouter attentivement le morceau titre d’ouverture de bal, car on y note une fabuleuse présence de can’t hurry. Il raconte son histoire, avec sa mama who told me when I was young. C’est de l’excellent gospel blues. On retrouve cette présence dans «Sinner’s Prayer». On n’a pas idée, tant qu’on a pas écouté ça. C’est extrêmement joué. On a là une sorte de Soul rock qui colle bien au temps présent. On retrouve aussi le fameux «Prodigal Son» : il passe au country shuffle d’église, c’est tellement rootsy qu’on s’en émeut profondément. Le bon Révérend remonte le courant comme un saumon du Mississippi. Quel fabuleux take de country blues ! Trop expert pour être honnête. C’est d’un niveau beaucoup trop élevé. Dans «I Want You To Help Me», des femmes lui viennent en aide. Ce qui frappe le plus dans ce genre de cut, c’est bien sûr l’incroyable énergie du son prodigue, my Prodigal Son.

    Signé : Cazengler, Irrévérend

    Reverend John Wilkins. Le 106. Rouen (76). 5 avril 2019

    Reverend John Wilkins. You Can’t Hurry God. Big Legal Mess Records 2010

    CHUCK BERRY

    JON BREWER

    ( 2019 )

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    Diffusé sur Arte, mais ceux qui comme moi ne possèdent pas cette boîte à décérébration populaire chez eux peuvent le visionner en replay du 04 / 04 / 2019 au 03 / 07 / 2019. A voir, certes ce n'est pas fantastique, depuis A Film About Jimi Hendrix en 1973, c'est toujours la même formule, un montage d'interviews de proches et d'artistes mêlés à des documents d'époque et d'extraits de films. J'ai l'air de critiquer mais je serais dans l'incapacité d'imaginer plus original. Laura Brewer la scénariste a toutefois eu l'idée de mettre en scène quelques épisodes de la vie de la vie de Chuck sous forme de clips phanstasmatiques qui clignent de l'œil vers l'esthétique de la BD, à mon avis pas vraiment convaincant.

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    Oui, mais c'est Chuck Berry, alors on s'en fout, on en prend plein les mirettes pour pas un sou, on regarde, on écoute, et on se tait. Chuck, c'est sacré, Chuck Berry in London mon premier album rock fut mon cadeau de Noël en 1965, c'était arriver dix ans après la sortie de Maybelline, mais à l'époque en France on n'était pas des milliers à suivre... Deux ans plus tard il y avait eu le Golden Hits avec sa pochette désastreuse mais au dos ces notes qui nous ouvraient tant de perspectives passionnantes avec ces références de matos et d'amplis qui vous tournaient la tête. L'on découvrait que le rock reposait sur toute une science sonologique qui nous laissait rêveurs. Mais je m'égare.

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    Jon Brewer retrace la carrière de Chuck, dans l'ordre chronologique mais il évite une dispersion fragmentaire en s'attachant à quelques idées forces, à trois thèmes centraux qui reviennent régulièrement.

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    Chuck Berry, l'inventeur du rock'n'roll. Certes il vient du blues mais il fut le premier à jouer plus fort et plus rapide que tous les autres. Possédait de longs doigts qui lui permettaient de courir le long du manche avec une facilité déconcertante. L'avait aussi une autre particularité, celle d'inclure dans le ploum-ploum-blues habituel des plans country. Métaphoriquement l'on peut dire qu'il a eu cette intuition géniale de remplacer les trémolos déclinants de la blue-note par l'attaque incisive de ce ces white-notes stridentes, ces espèces de jappements de chien, par lesquels les petits blancs arrachaient leur morceaux. Lui Chuck, l'attendait un peu pour les faire apparaître, ne vous les sortait que lorsque l'anatole bluesy se cassait la gueule, au moment où le cercueil bascule dans la fosse, vous fichait dans la moelle épinière trois cris de coq d'une stridence ravageuse à vous réveiller le mort qui se levait illico et se transformait en zombie fou pour se lancer dans une sarabande effrénée. C'était cela le secret du rock'n'roll, ne jamais laisser retomber le soufflet, un coup de barre et c'est reparti pour une giboulée de Mars, dieu de la guerre et du chaos.

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    Chuck Berry un guitariste fabuleux. Qui chantait aussi. N'avait pas une voix extraordinaire. Un peu trop nasillarde à mon humble avis. Mais par contre il savait s'en servir à merveille. Le premier imbécile est capable de l'ouvrir et de chanter plus ou moins bien, mais dans le rock'n'roll, chanter n'est pas jouer. Tout se passe dans l'inflexion. Le blues module, le rock modélise, si vous dites Baby I love you so, faut que vous donniez l'impression que vous êtes en train d'interpréter le rôle d'un type qui dit Baby I love you so, c'est ce léger décalage, cette espèce d'innocence assumée d'une rouerie confirmée qui fait tout le charme du phrasé rock. L'irocknie est le secret du chant rock'n'roll.

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    L'avait une autre corde vocale, le Chuck, composait ses paroles, l'a été le premier – bien avant Dylan – à avoir reçu une prestigieuse récompense littéraire pour ses lyrics – n'empruntait pas le texte à autrui, donnait sa propre vision du monde, n'avait pas besoin de s'approprier le contenu, c'était lui tout craché, décrivait les boys et les girls tels qu'il les voyait et les comprenait. Lorsqu'il écrivait il ne mâchouillait pas ses mots, quand il les chantait il les articulait divinement, vous racontait sa petite histoire, un conte acidulé pour grands enfants. L'était un fan de Bing Crosby mais l'avait adopté une méthode similaire à celle de Sinatra, concevoir l'interprétation d'un morceau comme une scène de film, un scénario qui retient votre attention et vous tient en haleine jusqu'au dénouement. Un poète.

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    Beaucoup d'atouts dans son jeu. Ajoutez à cela qu'il avait un sourire délicieusement craquant et que sa musique invitait à la danse. Vous filait la danse de sainte-guytare au premier accord. Personne n'y résistait, ni les blancs, ni les noirs. Et cette musique du diable vous invitait à franchir le fil rouge de la transgression. C'est dans ces concerts que jeunes blancs et adolescents noirs se mirent à enfreindre une règle intangible : dansèrent ensemble... Une révolution, qui ne plut pas à tout le monde. Berry avait du succès, mais dans le Sud des Etats-Unis qu'un noir gagne trop d'argent n'était pas bien vu. Surtout qu'il eut l'outrecuidance de sortir avec des femmes de couleur blanche. L'on n'était plus au bon vieux temps où l'on pouvait vous brancher un négro au haut d'un arbre en toute tranquillité, l'on usa de stratagèmes bien plus pernicieux. A croire qu'à cette époque aux Etats-Unis, c'était déjà comme en la France d'aujourd'hui, que la police était partout et la justice nulle part, flics et procureurs s'entendirent comme larrons en foire pour lui créer des ennuis, lui firent fermer son parc d'attraction, l'accusèrent de ne pas payer ses impôts, de transporter de la drogue dans son étui de guitare, parvinrent à l'enfermer à plusieurs reprises en prison. Les témoins sont formels, un blanc n'aurait jamais été maltraité de la sorte...

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    L'on comprendra qu'après de tels traitements le caractère s'aigrisse. Berry se méfia des blancs. Les prit en grippe, que dis-je, en cancer de l'anus avancé. Les tint pour peu de chose : des vaches à lait. Ne fit plus de cadeaux. D'abord les dollars, ensuite la musique. Tous les musiciens blancs qui ont joué avec Berry en gardent de mauvais souvenirs, sans renier le moins du monde leur admiration, repassez-vous sept ou huit fois la séquence de Hail Hail Rock'n'Roll ! dans laquelle Chuck arrête Keith Richards en pleine intro pour lui signifier qu'il faut poser les doigts un peu plus bas, ces éclats de haine rentrée dans les yeux de Keith valent leur pesant d'or, ravale son orgueil et son chapeau, le Keith, fallait-il qu'il respecte le vieux briscard pour passer sur cette humiliation publique...

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    Du beau monde dans le film, Steve Van Zandt, Gene Simmons, Alice Cooper, Joe Perry, Nils Lofgren; Nile Rodgers, George Thorogood, Joe Bonamassa, Marshall Chess, juste un truc qui me gêne, ces gars-là nous les avons admirés, haïs, dédaignés, font partie peu ou prou, de près ou de loin, de notre story-stelling, mais z'ont pris un sacré coup de vieux. Ce n'est guère rassurant pour nous. Certes un Joe Perry a encore une belle dégaine mais l'Alice Cooper ( que j'estime ) l'est beau comme un paillasson. Enlevez-moi ces miroirs. Mais ce n'est pas le plus grave, z'ont des airs de grand-pères, mais où sont les petits-enfants ! Ne sont rien d'autres que des momies de l'ancien temps, Jon Brewer agit un peu comme cette chaîne de télé américaine qui vous ouvre un sarcophage de l'ancienne Egypte en direct. L'aurait pu chercher quelques jeunes guitaristes qui œuvrent dans le metal par exemple, l'a peut-être eu peur du fossé générationnel, de la coupure transmissive...

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    Question subsidiaire : Chuck Berry fut-il un rocker ? Réponse musique sans nul doute. L'a fait son job, sûr, mais ne pas confondre Charles avec Chuck. L'homme public s'arrêtait devant la porte de sa maison. Chez lui, n'était plus qu'un époux aimant, qu'un père attentif, sa femme et ses enfants en témoignent avec dignité et émotion. Chuck a eu la force de se préserver, l'a survécu, ne lui manquait qu'une dizaine d'années pour finir centenaire, l'est mort comblé, célébré, révéré, institutionnalisé, un beau parcours, lui manque toutefois un petit grain de folie...

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    Les rockers regarderont ce film avec plaisir - attention pour les thuriféraires de Presley, le film insiste : Elvis a popularisé le rock, Chuck l'a inventé - en plus vous avez quelques images de Jerry Lou et de Bo Diddley, l'est vrai qu'il nous manque Little Richard. Arrêtons de chercher la petite bête et la grande folle ! Hail ! Hail ! Rock'n'roll !

    Damie Chad.

    P. S. : pour ceux qui veulent un beau portrait de Chuck Berry la lecture de la chronique de notre Cat Zengler parue dans la livraison 323 du 06 /04 / 2017 s'impose. Pas un must, un devoir éthique.

     

    Chuck chose en son temps

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    Chuck Berry fait partie des gens qui meurent mais qui ne disparaîtront jamais. Sa musique est partout depuis soixante-cinq ans. Elle est à l’image d’une vie, à la fois trop longue et trop brève. Il fut un temps où on se plaignait de trop l’entendre, l’époque où les Stones jouaient «Carol» et «Little Queenie», mais depuis deux jours, c’est un peu comme s’il nous manquait. Comme si sa longue histoire n’avait duré que le temps d’une chanson.

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    Si tu veux te payer une petite overdose de Chuck, fais-toi offrir à Noël le coffret Bear paru en 2014, Rock And Roll Music/ Any Old Way You Choose It. Bear qui ne fait pas les choses à moitié propose avec ce coffret tout Chuck gravé sur seize rondelles, c’est-à-dire TOUS les cuts enregistrés entre 1954 et 1979, et du live à la pelle, environ quatre-vingt titres regroupés sur les quatre dernières rondelles. Tout ça s’écoute avec autant de plaisir que les albums originaux sur Chess, mais attention, ce sont les deux livres emboîtés dans le coffret qui vont t’envoyer directement au tapis. À commencer par le Harry Davis Photos book. Un nommé Bill Greensmith est allé fouiner dans le grenier d’Harry Davis, un cousin photographe de Chuck. On a là quatre-vingt dix pages d’images fan-tas-tiques, celles du Chuck d’avant Chess, déjà prodigieusement photogénique. L’une des images les plus connues est celle d’un Chuck engoncé dans un costard blanc mal taillé et grattant une belle pelle noire. Il sourit comme un ange de miséricorde, la bouche surlignée d’une moustache taillée à la cordelette. On ne trouve pas moins de sept poses de cette image, dont une agenouillée. Ce qui frappe le plus sur ces images magiques, c’est la taille des mains de Chuck. C’est là qu’un parallèle avec Jimi Hendrix s’interpose : les deux hommes avaient énormément de choses en commun, hormis la taille des mains : ils avaient tous les deux du sang indien dans les veines, un appétit sexuel démesuré et l’équipement qui leur permettait de l’assouvir, et le génie qui leur permit à deux époques différentes de façonner le rock à leur image. On tombe aussi dans le Harry Davis Photos book sur des images romantiques de Chuck avec des belles poules noires. En 1948, Chuck n’a que 22 ans et il est aux noirs ce qu’Elvis fut aux blancs à la même époque : une perfection à deux pattes. On tombe à la page suivante sur sa photo de mariage avec Themetta, qui doit elle aussi avoir du sang indien dans les veines, tellement l’aspect sauvage de sa beauté fascine. Harry Davis shoota aussi pas mal d’images dans les clubs de Saint-Louis où se produisait son cousin Chuck. On le voit gratter une Les Paul noire au Cosmopolitan Club en 1954. Et devant lui dansent des couples de blacks. On se dit : Oh les veinards ! Le cousin Harry en profita aussi pour shooter Johnnie Johnson assis devant son piano et le batteur Ebby Hardy fouettant le beat avec ses balais. Ce book fatidique se termine avec quelques images en couleurs. Chuck pose avec sa Gibson crème et tortille un peu les pattes : image après image, il crée sa légende. Ses chansons lui serviront de bande son.

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    L’autre livre donne le vertige, car il résume en images toute l’histoire de Chuck Berry. On a beau se dire qu’on connaît tout ça par cœur, depuis Disco-Revue et tous ces canards qu’on a eu dans les pattes, cette imagerie frénétique impressionne de plus belle. Toutes ces images sont graphiquement parfaites. Quelle que fut l’époque, Chuck Berry s’est toujours débrouillé pour rester un pur rock’n’roll animal. Il a toujours su se donner les moyens de sa légende. Certains personnages ont cette faculté de pouvoir rester conformes à l’image qu’on se fait d’eux. Dylan et Lemmy illustrent eux aussi ce principe de longévité vampirique. D’ailleurs, quand on ouvre ce deuxième volume, on tombe dès la page 4 sur Chuck le vampire ! Il ne prend même pas la peine de dissimuler ses deux crocs. Et le phénomène tourbillonnaire se reproduit : année après année, Chuck pose guitare en main avec la même élégance, le même filiformisme congénital, le visage toujours expressif d’un showman vétéran de toutes les guerres, et puis il multiplie les figures de styles, le duck-walk en costume blanc et le grand écart en pantalon rouge. Photos extraordinaires que celles d’un Chuck en béret au Star Club de Hambourg en 1964, puis les images incroyables de la tournée américaine de 1964 avec les Animals, puis on passe en 1967 avec des images de plus en plus acrobatiques shootées à Manchester, et même quand il commence à se laisser pousser les cheveux en 1972, il incarne le rock’n’roll mieux que quiconque sur cette planète. Il a ce côté gyspsy qu’avait Jimi Hendrix en débarquant à Londres. Souvenez-vous : subjugués par son apparition, les journalistes anglais crurent que Jimi sortait des bois de Bornéo.

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    Tous les fans de Chuck Berry entassent des tonnes de souvenirs de concert. Celui qui fut sans doute le plus spectaculaire fut le fameux concert-émeute de la Fête de l’Huma en 1973. Chuck arriva sur scène en pantalon rouge avec sa Gibson ES355 rouge et quelques heures de retard. La section rythmique d’Osibisa l’accompagnait. Tout se passa bien pendant un cut, puis un barbu en Stetson et lunettes noires débarqua sur scène pour dégager le batteur black et prendre sa place. La rumeur courut aussitôt : c’est Jerry Lee ! Et au lieu d’accompagner son vieux rival nègre, Jerry Lee lança ses baguettes en l’air et ruina brutalement le set de Chuck qui posa sa guitare pour quitter la scène. C’est là que la fête bascula dans le chaos. On vit un ciel noir de projectiles et un gang de bikers chargea la foule en brandissant des armes blanches. Panique générale ! Sauve qui peut les rats ! Les gens se levèrent par vagues. Même pas le temps de ramasser les sacs ! On marchait sur ceux qui n’étaient plus en état de se lever. Quelle rigolade ! On ne remerciera jamais assez Jerry Lee d’avoir créé un si beau chaos.

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    D’autres rendez-vous encore, comme ce concert fantastique de Chuck aux Banlieues Bleues à Saint-Denis et ce poto qui n’en finissait plus de glousser : «Gad’ le saucisson !». Chuck portait un pantalon rouge très moulant et on voyait bien qu’il était monté comme un âne. Un Marseillais dirait que sa bite descendait jusqu’au genou. Mais ce qui frappait le plus, c’était sa carrure. On comprenait mieux comment il avait réussi à sortir indemne des taules des blancs : Chuck Berry est bâti comme un géant. C’est ce que Steve Jones appelle la «structure osseuse», et il insiste beaucoup là-dessus dans Lonely Boy, son recueil de souvenirs.

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    Alors justement, Steve Jones n’arrive pas là par hasard. Chuck et lui ont quelque chose en commun, un goût prononcé pour la délinquance et le sexe. Comment pourrait-on imaginer les Sex Pistols ou Chuck Berry sans sexe et sans une petite pointe de délinquance ? L’ado Chuck et l’ado Steve débutent leurs carrières d’obsédés sexuels très tôt. Ça titille d’autant plus Chuck que son cousin Harry Davis shoote déjà des pin-ups et arrondit ses fins de mois avec des photos porno. Quand Chuck commence à tripoter les petites gonzesses du voisinage, son père l’apprend et lui colle une belle rouste. L’erreur à ne pas faire ! Alors l’ado entre en rébellion et décide de fuguer avec ses copains Lawrence Hutchinson et James Williams. Ils se carapatent tous les trois à bord d’une vieille Oldsmobile. Direction la Californie. Ils font cinquante bornes et s’arrêtent pour casser une croûte dans un patelin nommé Wentzville (là où Chuck installera plus tard son fameux Berry Park). Comme ils sont noirs, le porc blanc du restau leur dit d’aller chercher leur bouffe derrière, à la fenêtre de la cuisine. En 1944, les noirs n’ont pas le droit d’entrer dans les gastos des blancs. C’est là que l’ado Chuck fait la connaissance de Jim Crow, le fantôme ségrégationniste qui plane sur tout le Deep South. Quand ils arrivent à Kansas City, ils n’ont plus un flèche en poche. Alors Chuck sort son calibre 22 et ils braquent des commerçants. Envoie l’oseille, whitey ! En l’espace de cinq jours, ils en braquent trois, dont un coiffeur. Ça tourne au sac d’embrouilles, aussi décident-ils de rentrer à Saint-Louis. Hélas, la vieille Oldsmobile tombe en carafe à mi-chemin, juste à la sortie de Columbia. Ils font signe aux bagnoles qui passent. Un mec s’arrête. Plutôt que de lui demander gentiment son aide, cette crapule de Chuck lui met son calibre 22 sous le nez et lui dit de calter vite fait. Ils repartent en poussant l’Oldsmobile jusqu’à ce qu’un flic suspicieux les voie passer et les poire. Ils se retrouvent tous les trois au Boone County jail et un juge leur en colle pour dix piges dans la barbe. On est dans le Missouri et à cette époque, on mène la vie dure aux nègres qui sortent du droit chemin, aux antisociaux comme Chuck qui chient sur la règle d’or, le fameux ferme-ta-gueule-et-travaille-pour-le-patron-blanc. Chuck va tirer trois piges à Algoa.

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    Quand on le vit arriver sur scène à l’Olympia en 2005, on n’en revenait pas ! Cet homme de quatre-vingt ans déboulait sur scène en rigolant, vêtu d’une chemise bleue pailletée d’or. Et pendant plus d’une heure, il allait aligner la plus belle série de golden hits de tous les temps. En fait, ce qui frappait le plus dans son style, c’était l’économie de moyens. Il jouait une sorte de stripped down rock’n’roll, il ramenait tout à l’essentiel qui était la mélodie chant - Roll over Beetho/ ven/ And tell Tchaikov/ ski/ the news - D’ailleurs, il nous fit ce soir-là le coup de la panne, plus de son dans la guitare, alors il prit la basse pour s’accompagner et continua de chanter son cut comme si de rien n’était. Pour éclairer la lanterne du public, il expliqua qu’il jouait avec un émetteur, et que la pile du relais d’antenne était morte. Puis il éclata de rire : «Avant, on avait des câbles, and it never failed !». Et là-dessus, il embraya directement sur «Carol». Tout ceci pour montrer qu’au fond il n’a jamais eu besoin d’orchestre. Son principal instrument est sa voix. Il n’empêche qu’on se régalait quand même de le voir jouer ses plans de swing sur la Gibson rouge. Personne ne jouait de la guitare avec autant d’élégance. Il pliait les genoux et plaquait tranquillement ses accords dissonants sur son manche. The birth of cool ! Et puis ses textes sont tellement bien écrits qu’ils swinguent naturellement. Ça fait trente ans qu’on entend tous les coqs de basse-cour répéter à qui mieux-mieux que Chuck est le plus grand poète américain. Quelle aberration ! Quand on voit ce vieux pépère hilare sur scène, on comprend qu’il a inventé son rock’n’roll sans le faire exprès. Chez Chuck, la moindre phrase est simplement prétexte à rock. Ce concert de l’Olympia en 2005 fut un exemple parmi tant d’autres. Chuck savait doser ses effets et créer de violentes montées en température. On le vit soudain passer aux choses sérieuses avec «Memphis Tennessee», le fameux Long distance information, l’un des cuts les plus mythiques de l’histoire du rock, et là, à cet instant précis, on sut que Chuck régnait sur la terre comme au ciel. Il jouait des accords si épais qu’ils semblaient charrier des grumeaux de distorse. Il envoyait sa purée avec une sorte de bonhomie du delta. Puis il raconta l’histoire du country boy, un nommé Johnny qui savait jouer de la guitare comme on sonne à la porte. Évidemment, ça a l’air con, dit comme ça, mais le truc est là : il suffit simplement de raconter l’histoire d’un mec qui gratte sa guitare pour créer du mythe.

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    On le vit pour la dernière fois à Paris en 2008 en tête d’affiche au Zénith, après Linda Gail et Jerry Lee. Pas mal pour une vieux pépère de 82 ans. Comme Bobby Bland, il portait une casquette blanche d’officier de marine et son fils beefait le son sur une deuxième guitare. Du coup, le groupe sortait un son fabuleusement heavy, qui déroutait un peu, mais des hits comme «Around & Around» filaient comme des torpilles jusqu’à nos cervelles. Baaam ! On sentit ce soir-là qu’une page d’histoire se tournait. La critique s’empressa de massacrer le concert, histoire de redorer le blason de son incurie. Comment peut-on reprocher à Chuck Berry de jouer quelques plans foireux ?

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    La meilleure approche de Chuck Berry se trouve sans doute dans le film de Taylor Hackford, l’excellent Hail Hail Rock’n’Roll financé par Universal en 1986 pour le soixantième anniversaire de notre héros. C’est un film à deux facettes, et si on veut voir les deux, il faut se procurer l’édition spéciale du film parue en 2006 : le disk 1 propose la version originale du film et le disk 2 les interviews des principaux protagonistes, dont la productrice Stephanie Bennett et Taylor Hackford. Pour eux, ce tournage fut un épouvantable cauchemar, ce que ne montre pas du tout le film. Stephanie Bennett explique que Chuck Berry profitait de la moindre occasion pour renégocier son contrat. Si on ne lui apportait pas le blé en cash dans une enveloppe, il restait chez lui. Chaque fois, Stephanie Bennett lui demandait : «Combien ?». Et il fixait la somme. Quand ça tombait sur un samedi ou un dimanche et que les banques étaient fermées, elle devait se débrouiller pour trouver du cash. En plein tournage, Chuck prenait aussi des engagements pour jouer ailleurs. Si Taylor lui disait que ce n’était pas prévu et qu’une journée de tournage coûtait une fortune, Chuck lui répondait qu’il ne pouvait pas cracher sur un cachet de 25 000 $. Stephanie Bennett affirme que Chuck Berry est obsédé par le blé. Elle explique qu’il y avait deux concerts prévus au Fox Theater pour la fin du film et Chuck refusait de jouer le deuxième qui n’était pas prévu dans le contrat si on ne lui versait pas un complément. «Combien ?». Elle trouva le cash et lui balança l’enveloppe en pleine gueule. Elle n’en pouvait plus. Alors combien au total ? Le premier jour, Chuck empocha 25 000 $ en cash, et au final, elle estime qu’il aurait empoché 800 000 $. Chuck Berry a eu bien raison d’étriller ces blancs qui de toute façon allaient encore se faire du blé sur son dos, comme ils l’ont fait au temps de Leonard Chess et de tous les autres qui ont suivi. Dans une séquence du film, on voit Chuck discuter avec Bo Diddley et Little Richard. Bo explique qu’au temps de Chess, on leur donnait un demi-cent par disque vendu. Chuck rappelle qu’un disque se vendait 49 cents et il demande : où sont passés les 48 autres cents ? Mais dans la poche de ces porcs blancs, bien sûr ! On tente de faire passer Chuck pour un sale mec dans ces interviews et dans la presse, mais les sales mecs, c’est ni Chuck, ni Bo, ni Little Richard. On se fourre le doigt dans l’œil jusqu’au coude ! Les sales mecs sont tous ces gros porcs blancs qui ont bâti des fortunes sur le dos des nègres, exactement comme à l’âge d’or de l’esclavage et des plantations. Oh les belles demeures de caractère ! Et tous ces pauvres nègres qui ont bossé toute leur vie là-dedans pour des nèfles ? Non mais vous rigolez ou quoi ? Chuck Berry un sale mec ? Chuck, c’est Zorro ! Il leur fait cracher tout leur blé, à ces fils de putes. Il a plus de courage que les autres qui n’osaient pas, ceux de Chicago élevés dans la terreur du patron blanc. Dans le film, on voit Chuck entrer au Fox Theater et raconter qu’il y était venu étant gosse pour y voir un film. Comment l’accueillit la gentille caissière ? Dégage, sale nègre ! Bien sûr, Chuck mettra un point d’honneur à revenir jouer en tête d’affiche dans cette salle où on l’a humilié quand il était petit, mais il profite surtout de cette séquence pour rappeler au monde entier qu’on a vendu ses ascendants à quelques blocs d’ici, sur les marches du tribunal. Sold ! répète-t-il d’une voix sourde. Et il ajoute, avec un drôle de sourire en coin : depuis, les choses ont bien changé, n’est-ce pas ? Autre anecdote croustillante : quand il enregistre «Maybelene», le hit qui va le rendre célèbre dans tout le pays, il voit trois noms crédités sur la rondelle du single : Chuck Berry, Russ Freto et Alan Freed. Chuck demande : «Qui est Russ Freto ?» Pas de réponse. Il découvre un peu plus tard que Russ Freto est un employé de Leonard Chess, ‘est-à-dire un homme de paille. Chuck a beau être délinquant, il découvre que les frères Chess sont bien plus balèzes que lui en matière de délinquance. Ils méritaient d’aller faire un stage dans la taule d’Algoa.

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    Alors bien sûr, si on regarde le film, on a l’autre pendant de cette histoire, avec toute la crème de la crème, Keith Richards, Clapton, Robert Cray, c’est à qui va frimer le plus, avec des solos à la mormoille. On voit aussi Jerry Lee rendre hommage à son vieux rival et ses rares apparitions dans le film remontent bien le moral. On revoit aussi avec un bonheur incommensurable la fameuse scène où Chuck fait rejouer trois fois l’intro de «Carol» au vieux Keef. Il dit à Keef : «Si tu veux le faire, il faut le faire bien !». C’est sa façon de régler ses comptes, car les Stones et les Beatles lui ont tout pompé. Chuck Berry n’est jamais devenu aussi énorme que les Beatles et les Stones. On peut comprendre qu’il puise en éprouver une certaine forme de ressentiment. Tiens, encore un coup de charme fatal : il rappelle qu’au temps de sa jeunesse, on n’entendait que des artistes blancs dans les quartiers blancs de Saint-Louis, des gens comme Sinatra ou Pat Booooooone, mais jamais Elmore James, ni Muddy Waters, ni Howlin’ Wolf. Alors il se dit : Pourquoi ne pas écrire de la sweeeeeet music pour entrer chez les white people ? «Alors j’ai écrit «School Days» et ça a marché !» Il faut voir le sourie de Chuck à ce moment-là.

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    L’autre gros avantage du disque de bonus, c’est qu’on y voit Etta James chanter une version démente d’«Hoochie Coochie Gal», le pendant féminin du fameux «Hoochie Coochie Man». Taylor Hackford rappelle que Chuck ne voulait pas d’Etta dans son film mais Keef réussit à l’imposer. À la fin de la chanson, visiblement ému, Chuck vient serrer Etta dans ses bras. Il dit ne pas la connaître, mais elle lui rappelle qu’au temps de ses débuts chez Chess, elle a fait les backings vocals pour lui sur quatre titres, en compagnie d’Harvey Fuqua des Moonglows et de Minnie Ripperton qui était alors réceptionniste chez Chess. L’autre sommet du bonus disk est l’épisode d’Algoa State County Jail, où Chuck séjourna de 18 à 21 ans. Taylor raconte qu’ils sont entrés dans la taule comme dans un moulin, car Chuck y est un héros. Pas besoin de papelards ! Un petit groupe accompagne Chuck et dans ce petit groupe se trouvent des femmes, dont la fameuse Stephanie Bennett. Ça flippe un peu dans le groupe de visiteurs, car ils doivent traverser la cour à pieds et des centaines de taulards arrivent pour les accompagner. Certains commencent même à mettre la main au panier de Stephanie Bennett pour la mettre à l’aise. My crutch ! Ça fait marrer Chuck ! Hilare, il rappelle que les taulards sont privés de pussy pendant looooongtemps. Puis il donne un concert gratuit pour ses copains taulards. GRATUIT ! Eh oui, tout arrive. Quelle rigolade ! Mais on ne voit hélas pas les images, car Chuck les a confisquées. À la suite de cette séquence pour le moins insolite, Taylor Hackford rappelle que Chuck fit trois séjours au ballon : pendant le premier, il apprit la poésie, pendant le second (suite au Mann Act, une vieille loi raciste qui interdit aux nègres de traverser des frontières d’états en compagnie d’une mineure blanche), il termina ses études, et pendant le troisième (poursuivi par le fisc pour non-déclaration de revenus), il obtint un diplôme de compta, histoire de dire : vous ne me baiserez plus. And he could play guitar like a-ringing a bell. Fabuleux personnage.

    Signé : Cazengler, le chuck des mots, le poids des faux taux

     

    Chuck Berry. Disparu le 18 mars 2017

    Rock And Roll Music/ Any Old Way You Choose It. Bear Family 2014

    Taylor Hackford. Hail hail Rock’n’Roll. DVD 2006

    ELECTRIC LANDSCAPES

    HAPPY ACCIDENTS

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    Nathan Mozes : guitare, chant / JC Viron : guitare / Fred Dee : basse / Rascal : batterie.

     

    Nous les avions vus au Supersonic, nous avaient plu et intrigué, voir notre livraison 401 du 10 / 01 / 2019, et les voici qui sortent leur deuxième opus, ce six avril 2019, le premier éponymement intitulé Happy Accidents avait paru en juin 2018.

    Mersea : paysages pour les oreilles et le rêve. Inutile de vous laisser emporter, cela ne dépend plus de vous, dés les premières notes vous êtes propulsé en un autre monde, en des landes familières totalement inconnues. Une seule référence, la vitesse. Alliée à la puissance. Sûr que vous n'êtes plus maître de rien du tout. Vous avez ouvert une porte et le seuil vous a happé. Vous êtes à mercy. Mais vous ne savez pas de quoi au juste. N'y a plus qu'à suivre et à tenter de comprendre cette houle symphonique, dont vous n'êtes qu'un électron prisonnier. Ne cédez pas à la beauté sonore, elle n'a d'autre but que de vous enfermer en une tour d'ivoire qui vous retiendra à jamais. Essayez de comprendre comment le sortilège fonctionne, des ajouts successifs, des chevauchements infinis de vagues qui s'entassent les unes sur les autres, jamais une seconde de répit, une surimpression sonologique irrémédiable, la batterie qui bat et les guitares qui rabattent, tout s'acharne à s'amplifier, des murs s'exhaussent autour de vous, et vous donnent l'impression de vous soulever vers votre destin. The Beast : the beat is the beast. A vous de l'affronter. Le monstre beugle et fonce sur vous à une allure indéfinissable. Tempo de fou, la grande menace se dirige vers vous, les guitares hululent, la folie cogne à votre tête et submerge votre cerveau, vous n'êtes plus que bruissement d'intumescence effractée en vous, le sang gicle de vos tympans et étoile les vitres qui vous isolent du monde, maintenant le monstre paisible virevolte autour de vous, s'éloigne de toute sa grandeur, le pire est arrivé, vous aimez ce funeste accident, la rage incoercible vous habite, vous êtes lui en vous et il martèle de sa queue effarante le peu d'intelligence humaine qui vous restait. L'héautontimorouménos, l'homme qui se châtie lui-même, disait Baudelaire. Spanish mood : changement de mode. Valse espagnole. Ça ne tourne plus rond en vous. Vous êtes la victime d'une farce énorme. D'ailleurs le tournoiement définitif gagne en puissance, vous essayez de vous échapper et la musique descend d'effroyables escaliers, les guitares grincent à la manière des salles de torture, la douleur vous calme, les tourments deviennent votre manière d'être, des cris s'évaporent, la batterie s'accoude sur vous et c'est reparti pour un tour. Cela ne finira donc jamais, quelques coups de marteaux sur vos rotules et sur vos synapses et vous voici cloué dans un grand galop final que plus rien n'arrêtera. Bruit de tire-bouchon final. L'on vient de vous ôter le cerveau comme l'on arrache le bouchon moisi d'un champagne calamiteux. Heavy : plus fort, plus lourd, plus rock, plus heavy, la musique ne fait plus de quartier. C'est l'instant du grand concassage. Du sublime étrillage, une guitare couine et les autres instruments fusillent à vue les fusibles de la déraison, massacre dans les abattoirs, tronçonneuses sanglantes, le rêve devient embouteillage cauchemardesque, il ne sera fait aucun prisonnier, heureusement cela s'arrête brutalement avant qu'il ne vous arrive un accident fatal. Self destruct : tout s'assombrit, le rotor est en marche, ses pales gigantesques déchirent le monde et vous comprenez enfin que c'est vous qui pilotez cet hélicoptère géant de destruction massive, vous êtes à l'intérieur de vous, et ça déchire, vous êtes le scalpel et vous êtes l'intelligence martyrisée, ne vous plaignez pas, la musique s'engouffre dans un gigantesque ricanement, un entonnoir trombique de haines rentrées déferlent sur vous, vous êtes à l'intérieur de vous et vous prenez encore de l'altitude. A croire que l'univers n'a pas de limites. Enemies : de loin, très loin, venue d'ailleurs la menace se précise. La bête n'est pas morte, elle s'est multipliée elle fonce vers vous, les godillots de ses gros bataillons courent sur vos membres à la manière des larves qui grouillent sur les cadavres, c'est le dernier combat, vous n'avez pas le droit de vous laisser submerger par les innommables légions de l'astral, vous vous battez avec la rage du désespoir, furie noire, furie blanche, furie rouge. Fin de partie. Les ennemis gisent à terre. Tout s'écroule. Vide absolu. Alone : quel silence, quelle ironique douceur, vous n'êtes plus que vous-même, vous vous remémorez le film, maintenant vous avez le temps, vous avez déjà la nostalgie de vos paysages électriques intérieurs. Vous préférez les cauchemars à la solitude, chafouinements cordiques, la batterie tire les rideaux rouges de sang séché, vous comprenez qu'il vaut mieux être mal accompagné par soi-même que seul dans la splendeur du monde. Générique de fin, les paysages électriques que vous avez cru visiter sont à votre image. Dans le lointain Maldoror ricane.

    Superbe suite instrumentale. Puissant et original. A écouter sans fin. Electricité poétique.

    ( Disponible sur Bandcamp. Voir aussi FB : Happy Accidents )..

     

    SELF CONTROL

    THE RADIOACTIVE

    ( 2014 / Attila Attack Records )

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    Cinq ans d'âge. Zétaient à la Comedia ce 30 mars 2019 pour la sortie de leur nouveau mini-album A Matter of Time, la teuf-teuf étant en salle de réanimation, suis resté bêtement à Provins... En lot de consolation, j'avais récupéré à la Comedia ce premier EP, oui mais après écoute je n'en ai que plus de regrets.

    Groupe d'origine lycéenne ayant connu changement de noms et de membres, Oscar et Bastien sont aux guitares et au vocal, Arthur Dubois à la basse et Neil à la batterie.

    Self Control : saisi dès les premières notes, le son est bon, la guitare fuzze et l'urgence d'une voix déclenche l'avalanche, une batterie très AC / DC en complément vitaminé et un double comprimé chorique parsème le titre jusqu'à un solo cataleptique, la voix miaule et c'est parti pour l'attaque à la baïonnette. Méchamment bien foutu. Ils en rigolent. Get Stoned : en plus appuyé, un peu à la Titanic, plus près de toi mon dieu, oui mais là on ne se perd pas en patenôtres, ça balance terrible, des ritournelles incessantes de batterie et des échardes de guitares qui s'enfoncent profond, mais le meilleur c'est encore le vocal qui vous emporte au fond de l'enfer et qui se permet de minauder devant les fournaises du diable. Death Song : carrément un bon chanteur, l'a tout compris le gazier, alors z'ont intuité qu'il fallait l'enkister dans un coffre-fort blindé. Fricassées de batterie, émincés de guitares, saupoudrage de chœur, vous m'en direz des nouvelles. Welcome to the Morgue : trois bons titres, la maison ne fait pas de cadeau, vous en refile aussitôt un quatrième pour que vous compreniez qu'ici ce n'est pas de la daube en tube, vocal et guitares furax, la batterie qui vous emballe le tout à coups de pelles. Y a même un loup qui hurle et grogne au milieu de la sarabande. Un truc à vous faire réserver une place à la morgue. Un titre sans concession de cimetière pourtant. Revitaliseur. 8 O' Clock : la voix qui déchire en avant, la guitare qui jumpe et retombe en vous coupant les jambes comme si l'on vous passait à la guillotine par le mauvais bout, se foutent de votre gueule sur le refrain des nanalalère de cours de récréation qui vous monte la température au-dessus de la fonte de la banquise, la guitare vous en pique une colère homérique. Sûr que c'est l'heure fatidique. En tout cas ça vous tombe sur le coin du museau comme un étron de bonheur.

     

    Superbe. Un gros défaut : trop court, manque sept ou huit morceaux, va falloir se mettre en quête de A Matter of Time. Ce ne saurait être qu'une question de temps.

    Damie Chad.

     

    LE VENT SE LEVE

    CHAMBLAS RÊVEIL

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    Chamblas Rêveil : guitare, chant, harmonica / Florent Sepchat : accordéon, orgue, piano / François Collombon : percussions / Océane Halpert : choeurs, piano / Flora Chevalier : violoncelle, choeur / Mathieu Torsat : contrebasse, guitare / Yoann Loustalot : trompette.

    Le CD était vendu, à prix libre, pour aider les personnes blessées par la police ( que tout le monde déteste ) lors des dernières manifestations à Tours, je l'ai pris quoique à mon avis je subodorasse – le fameux flair du rocker - plutôt un album style chanson française, ce qui n'est pas du tout ma tasse de thé adorée. Je l'ai quand même écouté, et ma fois j'ai été agréablement surpris, et puis peut-être que certains kr'tntreaders aimeront à penser qu'il y a un peu trop d'éborgnés en notre pays ces derniers mois.

    Patrick Chamblas, alias Chamblas Rêveil, fait partie de cette génération d'artistes qui s'en viennent chez vous interpréter dans votre salon - dans lequel vous avez réunis amis et voisins - chansons, musique, pièces de théâtre, lectures diverses, une manière différente de rencontrer le public en des lieux intimes. Si vous n'allez pas à l'art, l'art viendra chez vous pour vous rentrer dans le lard !

    Le vent se lève : chanson titre du CD, la plus courte et la moins originale. De larges alexandrins à la prosodie un tantinet relâchée, le genre de licences qui auraient conduit Théodore de Banville au suicide, mais l'est vrai que Chamblas Rêveil a ici plutôt visé la pompe hugolienne que les pirouettes de l'auteur des Odes Funambulesques. L'a toutefois une voix un peu trop fluette à la Angelo Branduardi, faudrait une symphonie vocale, nous offre une strette trop maigrelette. Le violoncelle qui ne bat pas de l'aile sauve le morceau. Rock'n'Flash-Ball : le seul morceau rock'n'roll du disque, un peu trop simili, pas vraiment cuir épais de rhinocérock qui fonce à la manière d'un bulldrockzer. Par contre niveau parole il assure grave méchant, vous lance les mots au flash-ball, l'écorne et l'éborgne les autorités fachisantes. Nous terminerons par ce prockverbe éclatant : ''au royaume des borgnes le CRS est roi''. J'm'en fous : intro très jazz, z'ensuite ça balance gentiment, le thème de la chanson est simpliste, tout va mal, ''il n'y a plus qu'au cimetière qu'on sera pépère'', l'auditeur s'en fout, l'a mieux à faire, depuis un moment l'a son oreille en alerte, c'est quoi, c'est qui, cet olybrius qui joue de la trompette, suit la mélodie sans trop forcer, mais quel toucher, quelle douceur, ce mec est à l'aise, Yoann Loustalot, c'est écrit sur la pochette, pris d'un doute j'ai cherché sur sur le net et j'ai trouvé, c'est bien lui, radio teuf-teuf allumée en route pour un concert et cette émission qui passait des morceaux en forme de... et cet extrait de Pièces en Forme de Flocons, en concert, nom de Zeus, cette frôleur, comme quand vous gratouillez la base des oreilles de votre chaton et qu'il en ronronne de bonheur, une féline béatitude. La lacrymo : retour à notre monde de brutes, soyons justes, le plus brutal c'est le Chamblas, tape dur, lance de véritables grenades de désencerclement, tire tous azimuts, le CRS de base, la hiérarchie cachée derrière les lambris, le populo qui regarde BFM, et une petite dernière pour Renaud qui embrasse les flics. Une écriture et un phrasé à la Maxime Forestier avec les cordes de la guitare qui chuintent, mais l'accordéon de Florent Sepchat se taille la part du lion. J'emmerde le peuple : tous coupables, tous responsables, que personne n'oublie que ce sont les travailleurs qui fabriquent les armes qui vous retombent sur la gueule, une rythmique guillerette, qui se termine en gospel bien balancé. Vous ferez une bise à Océane Halpert et Flora Chevalier, chantent en chœur et enrobent le morceau d'une tendre ironie, elles ne vous emmerdent pas, elles vous tuent direct à petits coups d'épingles empoisonnées. Tout sur rien : une longue comptine sautillante, les filles à la voix suave entrent dans la ronde, c'est mignon tout plein, un peu fleur-bleue contre la violence du monde, une ballade à la Paul Fort, entre nous, c'est ravissant, bien gentil, mais l'on n'y croit guère. Non-lieu : retour au dur constat de la réalité. Vous avez reçu une grenade sur la tempe, c'est la faute à personne, le petit Rémi n'aura pas le temps d'atteindre l'âge ou Parkinson l'aurait aidé à sucrer les fraisses... et tout continue comme avant. Entendez bien ! L'accordéon pleure tout ce qu'il faut. Ta gueule : une belle charge contre les adolescents modernes, ça balance joliment jazz, le père règle ses comptes avec son fiston, une belle occasion pour Yoann Loustalot dont la trompette attise les tisons, et puis le chanteur joue au scorpion, retourne le dard contre lui-même. Tous pareils ! Epoque de faux-semblants. Nous sommes tous des artifices ambulatoires. Songe : la chanson du rien du tout, ni aventurier, ni guerrier, ni amant, ni poète, juste une vaine brassée de songes sur lesquels l'on se bâtit ses propres mythifications auxquelles l'on est le premier à ne pas croire, ni national, ni international, juste ma petitesse, et l'accordéon mène la valse. Brel n'est pas loin. Je bêle avec les moutons : tiens, un harmonica qui traîne comme dans le premier 33 tours d'Antoine et les Problèmes. Titre d'auto-contrition souchonienne. Je ne fais pas mieux que les autres, pas pire, surtout pas meilleur, toutes les excuses sont bonnes pour suivre le troupeau.

    Disque de colère en ses débuts qui tourne à l'auto-dérision. L'une n'exclut pas l'autre. La force de l'ennemi n'est que la résultante de nos faiblesses. Attention, si ce CD était une K7, l'on dirait qu'elle est auto-reverse, que l'auto-dérision n'exclut pas la rage.

    Chanson française de son temps, sous les lacrymos.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 381 : KR'TNT ! 401 : MICK RONSON / HAPPY ACCIDENTS / THETRUEFAITH / KURT BAKER COMBO / FULL PATCH / ERIC CLAPTON / IGNEUS

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 401

    A ROCKLIT PRODUCTIOn

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    10 / 01 / 2019

     

    MICK RONSON / HAPPY ACCIDENTS / THETRUEFAITH

    KURT BAKER COMBO / FULL PATCH /

    ERIC CLAPTON / IGNEUS

     

    Ronson toujours deux fois - Part One

     

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    En 2009, Weird and Gilli (Ziggy played guitar, jamming good with Weird and Gilly) proposaient une bio de Mick Ronson intitulée The Spider With Platinum Hair. Cet ouvrage manque cruellement de teneur. Dommage. Les auteurs ont un petit côté oies blanches qui dérange. Ils s’attardent par exemple trop longuement sur l’épisode du concert mémorial organisé après la disparition de Ronno, en 1993.

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    Weird and Gilli parviennent toutefois à mettre l’accent sur le caractère bien trempé de Ronno. Il s’agit en effet d’un chti gars du Nord, élevé à l’ancienne par un père rigide. Quand pour des raisons médiatico-stratégiques, Bowie lui demande de déclarer à la presse qu’il est gay, Ronno l’envoie sur les roses : «No fuckin’ way’ !» Et quand Bowie lui demande de porter le costume doré, Ronno fait sa valise et file à la gare pour rentrer chez lui. Bowie envoie Woody Woodmansey le récupérer. Ronno est indispensable. Pas de Ronno, pas de Ziggy. Mick Rock : «Without Ronno, Ziggy would never have braved the heat of the attention he inspired.» Bien sûr, Ronno finit par porter le costume doré. En 1975, il revenait dans Circus sur l’image bisexuelle de Bowie : «J’ai pris ça au sérieux, car il ne plaisantait pas. Je n’ai pas aimé ça au début, mais on finit par s’habituer à tout. Des tas de gens autour de nous sont bisexuels et on finit par trouver ça normal. Mais au début, j’étais choqué. Je me demandais ce que les gens allaient dire !»

    Autre point capital : Ronno est fan de Jeff Beck. Chrissie Hynde surenchérit, et elle a raison. Non seulement elle trouve que Ronno est l’un des mecs les plus distingués qu’elle ait rencontré, mais il était aussi capable de jouer comme le meilleur de tous, Jeff Beck : «Mick was one of the nicest men I’ve ever met. Certainly one of the best-looking and one of the great guitar players. It was a pretty devastating combination (...) Mick was the only player that I think could actually sound like Jeff Beck who was also unrivalled technically, stylistically and everything.» Alors, si ça n’est pas un hommage suprême, qu’est-ce donc ?

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    Ronno adorait tout particulièrement l’album Truth du Jeff Beck Group. Il en apprit tous les guitar licks, sauf un, celui de Beck’s Boogie, qu’il n’arrivait pas à reproduire et ça l’énervait. En 1968, Ronno coinça Jeff Beck au Cat Ballou à Grantham et lui demanda de lui montrer le riff d’intro. Et Ronno apprit le riff.

    Dans les dernières pages du livre de Weird and Gilli sont rassemblés des extraits d’interviews de Ronno (Mick Ronson in his own words). C’est classé par thèmes. À la rubrique «Mick’s Spiders From Mars equipment», Ronno donne tout le détail et indique de quelle façon il travaille : «Le conseil que je peux donner à ceux qui veulent jouer de la lead guitar, c’est de faire comme je fis à mes débuts : écouter soigneusement ses guitaristes préférés, aussi bien sur scène que sur les disques. J’allais voir jouer Jefff Beck, Jimi Hendrix, Keith Richards et George Harrsion et je regardais où ils mettaient leurs doigts et comment ils obtenaient leur son. Je rentrais à la maison et m’entraînais jusqu’à ce que j’obtienne le même résultat.»

    Le nom de Ronno reste à jamais lié à celui de Ziggy. Ils firent ensemble six albums qui figurent parmi la crème de la crème du gratin dauphinois d’Angleterre. À part les Stones, les Kinks et les Pretties, on ne voit personne qui ait su proposer une suite d’albums aussi magistraux : The Man Who Sold The World, Hunky Dory, The Rise And Fall Of Ziggy Stardust And The Spiders From Mars, Aladdin Sane et Pin Ups. Tout ça en deux ans, de 1972 à 1973 ! Non seulement ces disques ne prennent pas une ride, mais ils restent d’une brûlante actualité. Ziggy régnera à jamais sur l’empire du glam.

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    The Man Who Sold The World fit un flop. Tony Visconti : «It was just too early. It was just two freaky.» Il se peut que la photo de pochette (Bowie en robe se prélassant dans un sofa) ait choqué les gens. Et pourtant, quel album ! Et quel son ! Ronno donne le ton dès «The Width Of A Circle», il riffe du gras à la grosse cocote et bâtit l’archétype du glam britannique. Tony Visconti fait ronfler sa basse. Lui et Ronno jouent en solo, chacun dans son coin, c’est d’une brûlante actualité déliquescente et complètement ravagé par les contreforts. Nous voilà plongés dans le mythe Bowie : puissance et beauté, luxe, calme et volupté, grandeur et décadence. Ronno recharge sans répit. Avec «All The Madmen», on reste dans la heavyness mirifique - Don’t set me free/ I’m heavy as I can be - et il revient toujours caus’ I’d rather stay with all the madmen, Ronno enveloppe tout ceci d’un son divin, zane zane zane, ouvre le chien. «Black Country Rock» s’inscrit dans la même lignée. Ronno invente un son qui n’existait pas, le glam-rock, il y met du souffle et une attitude de Jack the Lad. En B, «Saviour Machine» nous fait entrer dans l’extrême tension bénéfique, un monde chargé de tout le psychodrame shakespearien de la vieille Angleterre. Bowie semble laisser filer ses vers au fil des siècles et Ronno aménage quelques descentes vertigineuses. Nouveau chef-d’œuvre avec «She Shook Me Cold» - Mother she blew my brain - Et Ronno revient à contre-courant du drive de basse. Pure démence de la latence !

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    The Mayor of the Sunset Strip Rodney Bingenheimer assistait aux sessions d’enregistrement d’Hunky Dory, l’un des grands albums classiques du rock anglais. Il flasha sur Ronno et lui conseilla d’aller aux États-Unis - I kept telling him he should come to America and he should be a star. He laughed and said ‘oh yeah sure !’ - Rodney avait en effet de quoi flasher, car il faut entendre Ronno jouer de l’acou royale sur «Andy Warhol». Il y déploie une somptueuse espagnolade galvanique. Les hits pullulent sur cet album magique, à commencer par «Life On Mars». C’est là que s’étend l’empire du glam spatial, un glam lumineux et infini. Avec ça, Bowie invente un monde et Ronno entre dans la danse avec une élégance à peine concevable. C’est aussi beau et pur que «Strawberry Fields Forever» ou «Waterloo Sunset». Bowie s’y élève dans les airs. «Changes» reste l’une des plus belles pop-songs de l’histoire du rock et avec «Oh You Pretty Thing», Bowie donne au glam ses lettres de noblesse. «Kooks» et «Quicksand» figurent aussi parmi les grands classiques de la pop anglaise, dans ce qu’elle peut présenter de plus subtil et suave, toxique et éternel. Ronno entre dans le lard de «Queen Bitch» à sa façon, en claquant des beignets d’allers et retours. Il fait un travail d’orfèvre avec du petit solotage en sous-main. Bowie avait alors le son, et donc le pouvoir de régner sans partage. Il termine cet album historique avec «The Bewlay Brothers», une ode au néant qui luit comme un fanal dans la brume. Pour l’éternité.

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    Et là, Bowie et Ronno accèdent à la gloire. C’est le Rise de Ziggy et la parution du troisième album classique, The Rise And Fall Of Ziggy Stardust And The Spiders From Mars. Tout est bon sur cet album, rien à jeter. Si on n’écoute que Ronno, on se substante largement. C’est fou ce qu’il joue juste dans «Soul Love». Il se montre persuasif dans le ton et virulent dans l’insistance. C’est dans «Moonage Daydream» que Bowie se dit alligator et c’est aussi là que Ronno prend l’un de ses solos les plus spectaculaires. «Starman» et «It Ain’t Easy» restent des hits imparables. Ronno revient riffer «Hang On To Yourself» et on le voit partir en balade sur la bassline de Trev. Dans «Ziggy Stardust», on assiste aux épousailles du gras double de Ronno. Et s’il est une cocote qui compte sur cette terre, c’est bien celle de Ronno dans «Suffragette City» - Hey man/ She’s a total blam blam !

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    Rien ne pouvait plus arrêter les Spiders et Ziggy. Bowie composa les chansons d’Aladdin Sane pendant la première tournée américaine. Il subissait alors une pression terrifiante et pour tenir, il n’eut qu’une solution, la coke. Cet album est certainement le sacre du tandem Bowie/Ronno, car ça grouille de hits et de son. Ronno sort le grand jeu dès «Watch That Man», superbe slab de glam d’époque. Ronno y joue un solo en apesanteur. Bowie et Ronno étaient alors les rois du rock anglais, et donc les rois du monde. C’est Mike Garson qui fait le show dans le morceau titre, il y pianote des chopinades dignes de Debussy, des contre-temps charmants et délicats, des rivières de perles de lumière, oooh who’ll love a lad insane - On a tous vénéré cette chute à l’époque. Ronno ramène sa grosse cocote pour «Panic In Detroit». Il y donne le meilleur de lui-même, du bon gras de Les Paul. Il joue ses phrasés de biais, il est l’archange du saindoux sonique. En B, il ramène du glam joyeux dans «The Prettiest Star». Avec cet cut charmant, Bowie et Ronno sont au pinacle de l’âge d’or, dans un genre qu’ils sont inventé. Ronno ne semble vivre que pour un absolu de pureté. Ils font une belle cover de «Let’s Spend The Night Together» et Ronno emmène «The Jean Genie» au paradis - New York a gogo and everything tastes nice.

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    Fin de l’aventure avec Pin Ups. Cet album de reprises est enregistré au Château d’Hérouville, sans Woods qui vient de se faire virer comme un chien par Defries. Pour Ronno, c’est l’occasion de se frotter à ses idoles, comme par exemple les Yardbirds et «Wish You Well». Joli choix aussi que «See Emily Play», et même idéal pour un magicien de la pop comme Bowie. Ils en font une version encore plus psychédélique, comme si c’était possible. Ils tapent «I Can’t Explain» à la heavyness et Ronno s’en donne à cœur joie, car on l’a vu, c’est un spécialiste. On ne le savait pas, mais «Friday On My Mind» sonne comme un cut de glam pur. La pop suprême des Easybeats se fond dans l’excellence du glam de Ziggy. Et Ronno se jette à corps perdu dans l’aventure. Il tire aussi de jolies notes dans la version de «Don’t Bring Me Down» et Bowie devient héroïque dans «Shapes Of Things». On voit Ziggy renouer avec la baravado des Who dans «Anyway Anywhere Anywho» et Ronno écrase bien ses power-chords dans «Where Have All The Good Times Gone». Il y ramène tout le gras-double du monde. Quel fabuleux cocoteur ! Derrière Bowie, il fait des miracles.

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    Même si on connaît par chœur chacun de ces cinq albums et qu’on croit avoir fait le tour du phénomène, il est impossible de faire l’impasse sur le fameux Live Santa Monica ‘72 paru en 2008. Il s’agit là d’une sorte de preuve par neuf du génie des Spiders. Et dès «Hang On To Yourself», Ronno est dessus ! Il mouline sa moutarde et démultiplie les petites vrilles à l’infini. Trevor Bolder fait des ravages sur sa basse. Force est d’admettre qu’il fait tout le boulot ! Attention, non seulement ce live est un best of, mais le son vaut celui des meilleurs albums live de l’histoire du rock. Ronno y sculpte son son dans le dos de Bowie, mais Bolder sculpte aussi, il joue en mélodie et boufferait presque Ronno tout cru, un Ronno qui claque des accords de cristal et qui les égrène à Grenelle. On se demande ce que les Californiens pouvaient comprendre au glam. Oui, car le glam de Ziggy est si pur qu’il semble incongru sous le soleil de Californie. Mais Ziggy fonce et attaque «Changes», un pur hit de la légende des siècles. Il chante comme un dieu, ça on le savait, mais l’I’m much too fast to take that taste sonne si bien sur scène ! Et Bowie plonge la Californie dans une sorte de fascination. Peu de performers pouvaient prétendre à une telle aura. Ronno taille «Life On Mars» sur mesure. Il faut l’entendre profiler le filet. Et Bowie chante «Five Years» à l’excès de génie. Il faut bien dire que sur ce coup-là, Ronno n’a que très peu de valeur ajoutée. On entre ensuite dans un «Space Oddity» sacrement ambiancier et gratté à coups d’acou. Bowie appelle Grand Control et il n’y a plus rien à ajouter : Bowie crée son monde et se dirige vers le néant. Fantastique artiste ! Coup de chapeau à Warhol avec l’«Andy Warhol» tiré d’Hunky Dory et back to the heavyness avec «The Width Of A Circle», au cœur de l’empire de Ronno qui nous fout aussi sec le souk dans la médina : il part en vrille de gras double et a semble-t-il un mal fou à se calmer pour attaquer «Queen Bitch» qu’il riffe à la Lou Reed et pouf, il repart dans un nouveau numéro de cirque. Avec «Moonage Daydream», on entre dans le glam céleste et ça continue dans l’irréalité des choses avec «John I’m Only Dancing», Ronno gratte ses dernières notes au bord d’un précipice, tout sur ce disque pue la démesure. Ils s’embarquent dans une version dévastatrice de «Waiting For The Man» - And that’s Mick Ronson on the guitaaahh - Fabuleuse version, Ronno la joue au clair de la lune et ça embraye sur l’apothéose de «The Jean Genie», rock’n’roll Ronno blaste sa petite affaire - New York a gogo hoo hoo - Fantastique et mortelle randonnée et ça monte encore d’un cran comme on peut l’imaginer avec «Suffagette City», Hey man, oui, oui, avec Ronno qui riffe et qui raffe comme un démon, Wahm bam thank you man, Ronno fait gicler toute sa purée, you can’t afford a ticket, no no. On donne sa langue au chat. Et ça se termine comme ça doit se terminer, par une version mirobolante de «Rock’n’Roll Suicide». Fin d’une époque magique. Tous ceux qui ont vécu ça en direct ne s’en sont jamais remis.

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    C’est la raison pour laquelle il faut voir le film de DA Pennebaker, Ziggy Stardust And The Spiders From Mars : on y assiste en direct au dernier concert de Ziggy, filmé le 3 juillet 1973 à l’Hammersmith Odeon. Pennebaker filme Bowie dans la loge et il réussit l’exploit d’en faire un monstre. Il le cadre serré et le vaste regard glaçant de Bowie fout un peu la trouille. Mais sur scène, c’est une autre histoire. Ronno attaque «Hang On To Yourself» au riffing sur sa Les Paul en or. Il est ce soir là le roi du rock et il le sait. Ziggy revient en kimono pour chanter Ziggy played guitar/ With Weird and Gilli et il exhibe ses très belles cuisses, aw yeahh ! Puis Ronno joue la loco dans «Watch That Man». Dans la fosse, les kids deviennent dingues ! Mais le pire est encore à venir. Ronno se tape une fantastique échappée belle dans «Moonage Daydream», et après un changement de costume, Ziggy revient chanter l’énorme «Changes». Il gratte sa douze, il faut le voir swinguer son mid-tempo, c’est là qu’on réalise à quel point ce mec est une star. Il n’est que grâce et élégance suprêmes, mais cela, tout le monde le sait. Il enchaîne avec le grand control de Major Tom, le croon du néant et les gamines pleurent dans la fosse. L’émotion est à son comble. Ils tapent aussi une fantastique version de «Cracked Actor», mais Bowie est faux à l’harmo. Ronno tente de cacher la misère et ils embrayent sur un autre monster hit, «The Width Of A Circle». Trev joue aussi en solo. Pour Ronno, c’est la quart d’heure de vérité. Dommage qu’il fasse autant de grimaces. Et elles ne sont pas belles. Trev joue comme un diable dans les strobes et ce bon Woods shuffle ses cymbales. Puis ils enchaînent des stormers, à commencer par un version up-tempo de «Let’s Spend Together» («This is for Mick», grommelle Ziggy), et avec Suffragette, ils rockent littéralement le monde. Au micro, Ronno fait d’admirables chœurs d’Hull - Hey maaaaan - et c’est la fin du set. Pour le rappel, Ziggy passe un haut transparent noir et claque un coup de «WhiteLight/White Heat». On sait comment ça se termine : le suicide de Ziggy et «Rock’n’Roll Suicide». Just perfect.

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    On note aussi qu’en 1973, Bowie et Ronno sont allés jouer deux cuts sur l’excellent album de Dana Gillespie, Weren’t Born A Man : une reprise d’«Andy Warhol» et «Mother Don’t Be Frightened». On entend Ronno rôder dans cette merveille qu’est «Andy Wharhol Superstar», il joue en sous-main, à la soudoyarde. Terrific ! Sur Mother, il change de son devient plus ambiancier, et même trop moyenâgeux - But there’s nothing you can do - On profite de la parenthèse pour conseiller l’écoute de cet album. D’autant qu’elle démarre sur une cover extrêmement intéressante de Third World War, «Stardom Road Parts I & II». Elle fait le Part One en mode gothique, c’est assez fascinant, d’une féminité profonde et sombre, puis elle tape le Part Two en mode no highway code on stardom road, et là, on est content d’avoir croisé son chemin. Avec «Dizzy Heights», elle propose une jolie pièce de rockalama. Elle se rapproche du son de Delaney & Bonnie, un son fouillé bardé de chœurs de folles, c’est admirable. On retrouve ce son en B dans «All Cut Up On You». Wow ! On se croirait à Muscle Shoals. Elle chante du haut de son registre avec une autorité qui fait foi. Tenue impeccable et très haut niveau productiviste. Elle va même groover «Weren’t Born A Man» à la Bobbie Gentry. C’est saxé de frais et ambiancier à souhait.

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    Dans l’article qu’il écrit pour Classic Rock (The Rise And Fall Of Mick Ronson) Max Bell va dix mille fois plus loin que Weird And Gilli. Bell explique que les Spiders finissaient par ennuyer Bowie terriblement - Hurt my ears - mais avec le temps, il admet qu’avec Ronno, ils touchaient au but - As a rock duo, I thought we were as good as Mick and Keith - Bell rappelle aussi que Ronno était avant toute chose un homme galant et doux. Angie Bowie : «He was a sweet-talking Romeo (...) he was handsome and so divine.» Il était toujours le premier à offrir un verre à une dame.

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    Le fan de Ronno devrait aller aussi mettre le nez dans Bowie At The Beeb, car on y entend ses tout premiers pas dans le monde du rock. En 1968, ce sont des gens comme John McLaughin et Herbie Flowers qui accompagnent un Bowie prometteur. Le jeune Dave adorait les guitares opiniâtres et le pathos d’«Amsterdam». Bowie joue relentless, il gratte son acou à l’infini. Ronno joue pour la toute première fois sur «The Width Of A Circle». Il entre dans la danse à sa manière, louvoyante et vénéneuse. Tony Visconti bat le nave sur la basse. Tout est très joué. On est à Londres en 1968 et ces mecs ne plaisantent pas. Dans l’ouvrage de Weird and Gilli, Mick déclare qu’il rencontra Bowie pour la première fois dans le studio et qu’il ne connaissait pas les morceaux : «I just sat and watched David’s fingers. I didn’t know what I was doing but I suppose it came across well.» Dans Bowie At The Beeb, on entend aussi une session de The Hype, ce super-groupe qui fit un bide. Bowie cherchait alors à percer. Il chantait déjà comme un dieu ce «Wild Eyed Boy From Freecloud». Pour «Bombers», Peely introduit la bite de Dave dans la cuisse de Jupiter. Ronno se fourvoie dans des salives. Ça fructifie et ça déborde de coulures. Ronno joue la carte du gras double sur «Looking For A Friend» et Trevor Bolder fait des miracles sur la reprise du «Almost Grown» de Chuck. Et puis évidemment, ça monte en puissance alors qu’on remonte dans le temps, car voilà les Spiders avec les hits classiques, Hang On, Ziggy Stardust, tout de suite les grands moyens, avec un Bolder devant dans le mix et un Ronno qui joue comme l’archange Gabriel. Ils deviennent des surdoués avec «Queen Bitch» et explosent une fois encore le pauvre «Waiting For The Man» qui ne demandait rien à personne. La version de «White Light White Heat» enregistrée pour la BBC sent bon les puissances des ténèbres. Ronno y suture des fréquences pendant que Bolder se promène dans la pampa. Ronno hante ce chef-d’œuvre comme une ombre. Ce ne sont plus que hits intemporels et virulences plénières. Bowie et ses Spiders deviennent trop gros pour la BBC. Il faut se souvenir qu’à l’époque, Bowie était aussi gros, en termes d’aura, de génie, de chiffre d’affaires et de popularité, qu’Elvis et les Beatles. Par son seul génie visionnaire, Bowie aura autant marqué l’Angleterre que les Beatles.

    Pour la petite histoire, Trev et Woods tentèrent de redémarrer les Spiders avec le chanteur Pete McDonald et le guitariste Dave Black. Ils n’enregistrèrent qu’un album sur Pye en 1976. Ronno fit partie de l’aventure et enregistra des bricoles qui, comme beaucoup d’autres choses, sont restées inédites. L’album rouge des Spiders disparut sans laisser de traces. Les fans de glam n’y retrouvèrent pas leur compte, puisque les Spiders ne proposaient en tout et pour tout qu’un seul cut glam, le «Sad Eyes» d’ouverture de bal. On y entendait Dave Black faire de belles vrilles. Mais Pete McDonald emmenait le groupe dans une autre direction, celle d’une pop groovy, pas vilaine, certes, mais embarrassante, dès lors qu’on s’appelle les Spiders et qu’on sort d’une aventure faramineuse. On entendait par exemple en B un cut intitulé «(I Don’t Wanna Do No) Limbo» très pop et digne des grandes heures de Love Affair. «Stranger To My Door» sonnait comme de la pop trop sensible et en composant «Good Day America», Woods espérait revenir vers quelque chose de plus rock’n’roll. Avec son côté good time music enchantée, «Rainbow» avait une allure de cut sauveur d’album, d’autant que Woods le battait sec et doux. Mais bon, des disques comme celui-là, il en existe des millions.

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    On en rêvait, et Ronno le fit : l’album solo. Mais bizarrement Slaughter On 10th Avenue nous laissa sur notre faim. Ce n’est pas que l’album fut mauvais, non, mais il n’était pas au niveau de ceux qu’il avait enregistrés avec Bowie. La reprise de «Love Me Tender» n’accrochait pas. Difficile de moderniser un tel monument de kitsch. Il fallait attendre «Only After Dark» co-écrit avec Scott Richardson de SRC pour retrouver le grand Ronno, le plantureux riff-master. On avait là un hit glam ponctué à a cloche de bois et bardé de chœurs décadents, de ahh hah ahh énamourés, le pur glam de Hull, the hell of it all, la perfection, la suite de Ziggy, la magie du son anglais. Il reprenait aussi «I’m The One» d’Anette Peacock, mais le tarabiscotage provoquait une sorte de désenchantement. Et puis on allait de cut en cut, à travers la morne plaine, jusqu’au morceau titre, composé par Richard Rogers. Ce cut redorait le blason de Ronno. Il jouait en effet le thème mélodique au gras double de guitare. On avait là un cut profondément inspiré et puis, comme un gosse qui casse ses jouets, il partait à l’aventure et ruinait tout.

    En travaillant avec Scott Richardson, Ronno eut l’idée de monter avec lui, Trevor et Aynsley Dunbar les Fallen Angels. Ils enregistrèrent des choses restées coincées dans les archives.

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    Paru l’année suivante, son deuxième album solo s’appelait Play Don’t Worry. On y trouvait une fastueuse reprise de «White Light/White Heat» amenée au piano jazz. Ronno s’y prenait pour Lou Reed. Il y allait de bon cœur. Il entrait dans le clan des cover-boys de bon aloi. Et pour l’occasion, il pulvérisait son jeu de guitare - Euh euh white heat ! - Le spectacle de ces Anglais qui essayent de sonner comme des Américains paraissait pour le moins grandiose. Ronno passait en prime un solo trash. Que pouvait-on dire du reste ? Ronno tentait de chanter comme Bowie sur «Billy Porter», une sorte de petit glam cocasse à la Cockney Rebel joué au pouet pouet de tuba. Mais Ronno n’est pas Bowie. Hélas. Il enchaînait avec un slowah ridicule intitulé «Angel No 9». Il allait en fait accumuler ce genre d’erreurs, avec notamment ce morceau titre qui sonnait comme de la mauvaise pop. On ne comprend pas qu’à l’époque des gens aient pu accepter d’orchestrer une horreur telle que «Empty Bed». Et ça empirait encore avec «Woman».

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    Paru en 1994, soit un an après sa mort, Heaven And Hull avait plus d’allure, et ce pour quatre raisons principales. Un, le «Don’t Look Back» d’ouverture de bal, un cut dévasté du bigorneau, avec un Ronno qui saute à pieds joints dans la soupe. Il redevient le guitariste incisif qu’on adore, il joue de belles lampées chromatiques et nous gibsonise bien les oreilles. Il ouvre des portes sur l’infini et crée son monde. Voilà ce qu’on attend des artistes : qu’ils créent leur monde. Il enchaîne avec une très belle cover de «Like A Rolling Stone». Bowie chante, c’est admirable car géré à l’up-tempo. Ça vire au céleste. Bowie chante à l’excédée, tel un seigneur de l’An Mil importuné par des barons. Version monstrueuse ! Ronno gratte comme un beau diable. C’est à la fois échevelé, grandiose et anglicisé. Les Lords avalent Dylan! Troisième raison : «Trouble With Me» avec une Chrissie Hynde qui entre dans la danse et ça tourne au duo d’enfer. Ah quel régal ! - You can be so strong if you need to - Voilà un groove impliqué. Et quatre, la version live d’«All The Young Dudes» avec Ian Hunter et Bowie. L’Hunter fait le cake. On se demande comment Bowie a pu supporter un m’as-tu-vu comme l’Hunter. Les chœurs sont un chef-d’œuvre de fondue bourguignonne. Et le reste ? John Mellecamp vient faire le zouave sur «Life’s A River». Ronno y claque de sacrés paquets d’accords, mais il lâche une mayo trop liquide. Même s’il joue comme un beau diable. Quant à «Colour Me», ça sonne un peu trop rock FM. Il faut se méfier, Ronno pourrait montrer des tendances à la putasserie, il faut le surveiller, d’autant qu’il a pris la sale habitude de tortiller du cul. Ça ne plaisait pas à Trevor Boulder qui détestait les tantes. Bon, c’est battu sec, mais ça flirte avec le rock FM. Ronno nous chante ça en loucedé.

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    Puisqu’on est dans les albums posthumes, on peut encore en citer trois, et pas des moindres : Just Like This et Showtime (parus en 1999), puis la BO du film Indian Summer parue un an plus tard. «Just Like This» est un vieux standard de T. Bone Walker que Ronno tape au Diddley beat revanchard. On a là du grand Ronno pop avec toute l’énormité de son à laquelle il nous habitue depuis le début. On note même la présence de vieux relents de «Jean Genie». On trouve d’autres merveilles sur Just Like This, notamment «Is That Anyway», pur jus de glammy power surge. Quand il claque, il claque , il ne fait pas semblant. Il renoue avec son extraordinaire savoir-faire d’artisan de glam d’Hull. Il rentre dans le gras du glam comme personne. Tiens, encore une merveille avec «Roll Like A River». Il joue son heavy blues au gras double. Big Ronno game. C’est même assez affolant. On peut même aller jusqu’à qualifier son son de terriblement distinctif. Il joue à la dégoulinade de notes. C’est d’une véracité à toute épreuve. Il fait exploser sa niaque de son et il part sans prévenir en mode boogie blast. On retrouve aussi sur cet album le fameux «April No 9» de Pure Prairie League, un groupe qui l’avait sollicité à une époque. Ronno adore les échappées belles vers la frontière. Il se répand. Comme il se sait particulièrement doué, il s’accorde le droit de faire ce qu’il veut, alors il explose le pauvre cut. Ça va même très loin, car il crée les conditions d’un monde pur. Si on aime la grande électricité, c’est lui qu’il faut écouter. «Taking A Train» vaut aussi le détour. Avec ses amis de Bearsville, il crée de l’enchantement. Il va chercher les meilleurs climats guitaristiques. Il va à l’exaction comme d’autres vont aux putes, c’est aussi simple que cela. Encore un extraordinaire shoot de pop glammy avec «Hard Life». C’est d’un niveau si haut qu’on en chope le torticolis. Il faut se rappeler que Ronno est un génie de l’impulse sonique. Il ne joue pas ses notes, il les suspend, comme on suspendait les jardins à Babylone. Il joue en prime tous les accords intermédiaires. Dans le move, il claque des gimmicks de Ziggy. Il tape «Craey Love» à la note tropicana. Voilà un fabuleux shoot de pop atmosphérique - Crazy love/ Is haunting me - Ronno n’en finit plus e bâtir l’empire du son épique. C’est lui et nul autre au monde qui définit les règles. Tiens, voilà une reprise du fameux «Hey Grandma» de Moby Grape. Le gang de Ronno fonctionne comme une horloge. Quelle fabuleuse énergie ! Ronno transforme tout en brasero. Même le boogie ultra cousu d’«Hard Headed Woman» passe comme une lettre à la poste. Pur Ronno drive. Il nous barde ça de couenne de son. Avec Ronno, pas de problème, on a tout ce qu’il faut.

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    On reste au même niveau avec Showtime qui est en fait le titre de l’album enregistré avec Mott et jamais sorti. On a là du live, et même du gros live américain. Le Ronno band se compose de Mick Barakan (guitar), Jay Davis (bass), Bobby Chen (drums). Ils jouent tous les hits de l’album précédent, à commencer par «Just Like This», véritable assaut riffé à la vie à la mort - Gonna rock my baby/ Just like this - Ronne déborde de jus, il rocke son rock à coups de power-chords, c’est bardé de son à l’extrême. Belle version d’«Hey Grandma» pulsative à souhait. Quelle santé interprétative ! Ils courent comme des furets à travers l’immense pétaudière. Ronno dynamite tout ce qu’il touche. On retrouve aussi le heavy blues de «Taking A Train». Ronno taraude son son à la clé de sol entreprenante. Il darde de mille feux. Il est certainement l’un des guitaristes les plus expansifs du siècle passé. Avec «Junkie», il propose une extraordinaire pantalonnade d’accords décortiqués - Baby I can’t let you down/ I’m just a junkie about your love - Sur sa basse, Jay Davis fait un véritable festival. L’un des péchés mignons de Ronno est le romantico-mélodico : bel exemple avec «I’d Give Anything To See You». Là, il déploie ses ailes. Il s’élève dans le ciel et passe un solo élégiaque, il va chercher des féeries de notes au bas du manche. Quel Guitar Lord ! Puis il enchaîne avec un «Hard Life» poppy joué à la force du poignet sonique. Ronno nous noie tout ça dans le meilleur son, comme on peut bien l’imaginer. Il fait autorité dans tous les domaines. Quel seigneur des annales ! Il tape aussi une version solide de «White Light Whit Heat». C’est la pétaudière d’office. De toute manière, avec ce genre de cut, il est difficile de faire autrement. Impossible d’échapper au mode dévastateur. Ronno joue le pur sonic trash. Et ça se termine avec le brillant «Slaughter On 10th Avenue», l’hymne ronnique par excellence.

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    Ultime contribution de Ronno au monde du rock, la BO composée pour un film jamais sorti, Indian Summer. On s’en doute, le morceau titre renoue avec la veine élégiaque et montée du collet. Ronno joue ça au panoramique. Il faut attendre «Get On With It» pour trouver un peu de viande. On a là un fabuleux shake de rockalama joué au claqué d’accords secs. Tout est très carré, très gorgé de son. «Blue Velvet Skirt» sonne comme un slowah enragé, comme figé dans le sucre glace, mais au fond assez imparable. Une sorte de perfection se dégage en permanence de Ronno. On sent qu’il ne fait jamais rien au hasard. Il ouvrage le western spaghetti de «Satellite 1» comme un orfèvre et la blue velvet skirt fait son retour, mais cette fois pour tomber au sol. Il termine en grattant «I’d Give Anything To See You» en solitaire. C’est un vétéran du you’re not alone, ne l’oublions pas. Il sait tortiller ses coups de Jarnac d’electric mud. Quel fantastique artiste ! De toute évidence, Ziggy n’aurait jamais pu exister sans lui. Même chose pour Ian Hunter.

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    La période Hunter est aussi consistante que la période Spiders. Même quand on n’aime pas trop l’Hunter, force est de reconnaître que ses albums s’imposent, notamment son premier album solo sobrement intitulé Ian Hunter, et paru en 1975. Il attaque avec l’un des hits les plus fantasmatiques de l’époque, «Once Bitten Twice Shy», pure zone d’émerveillement latéral. Ronno y gratte sa bonne cocote. Avec ça, on se retrouve dans le giron du meilleur rock anglais, celui du son à guitares des seventies. Il faut le voir, ce diable de Ronno, partir en vrille de solo flash académique. On est en plein dans le Mott Sound System. Ronno et l’Hunter enchaînent avec un extraordinaire brouet de glam intitulé «Who Do You Love», claqué au son de la perfection, cousu de fil d’or par un Ronno ultra-présent, hyper-actif et gracieux. C’est dingue comme l’Hunter pouvait singer Bowie. Il a cette puissance corporelle qui lui permet d’arquer au grand large, et Ronno aménage le meilleur sonic round-about d’Angleterre. Toute la magie du glam est là. Et ça continue avec «Lounge Lizard», un cut prévu pour Mott, trop beau pour être vrai, bardé de son, c’mon c’mon, c’est trop dense, trop riche. Ronno y tourbillonne à l’infini. Avec «Boy» ils tapent en plein dans le ziggy mille. L’Hunter singe à bras raccourcis, mais il fait quelque chose de stunning - You’re the guy/ You’re the number one - Quelle aventure ! Voilà un cut poignant et furieusement inspiré. L’Hunter sait glammer son monde et donner du volume. Il peut monter en puissance. Il sait worker son mojo. En B, Ronno ramène une belle louche d’heavyness dans «The Truth The Whole Truth», Free-cum-Zep Lennon’s style transmuté par un Ronno virulent. Il fait le show, il tire ses notes comme Jeff Beck et revient à contre-courant du move. En fait, ce cut n’a aucun intérêt, si ce n’est le travail de sape de Ronno. Il pique encore une crise avec «I Get So Excited». Pour l’Hunter, c’est facile, avec un cisailleur de Les Paul comme Ronno dans les parages qui fait tout le boulot. Mais on retiendra de cet album qu’il est entièrement calqué sur ceux de Bowie. Le tandem Hunter/Ronno fonctionne aussi bien que le tandem Bowie/Ronno. Bowie n’aurait jamais dû se séparer d’un type aussi brillant que Ronno. Il faut dire que l’Hunter charge bien sa barque. C’est un prodigieux outsider. Il sait balayer les obstacles, oui, il a cette puissance de caractère. Il mord dans le rock à pleines dents. Guy Stevens l’avait bien compris lorsqu’il le recruta pour prendre le leadership de Mott.

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    Paru quatre ans plus tard, You’re Never Alone With A Schizophrenic est nettement moins bon. L’Hunter campe dans le Mott Sound avec «Just Another Night». C’est chanté à la force du poignet, et avec «Wild East», l’Hunter replonge dans Bowie. Retour à Mott avec «Cleveland Rocks», c’est toujours le même son. L’Hunter-médiaire n’est jamais sortie de son système. Il continue de faire du Mott sans Mott. Quand s’ouvre la B avec «Life Afeter Death», on croit entendre Bowie. Sans Bowie, l’Hunter est paumé. Et Ronno veille au grain : il bâtit des ponts merveilleux. Il faut dire que les balladifs de l’Hunter finissent toujours pas fonctionner, c’est en tous les cas ce que prouve une fois de plus «Standing In The Light». Ronno gratte bien le groove de «Bastard», on l’entend cocoter de bout en bout, mais pour une fois, il ne part pas à l’aventure.

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    Welcome To The Club est sans doute l’un des grands albums live de l’histoire du rock. Si on affectionne les grand doubles live (Doors, Steppenwolf, Humble Pie, Hawkwind), celui-ci relève aussi du passage obligé. On pourrait appeler ça un best of qui ne vous lâche plus la grappe. Et ce dès «Once Bitten Twice Shy» qui sur scène prend une dimension irréelle. Après deux couplets à sec, la machine se met en route et Ronno joue la carte du gros graillon d’accords. L’Hunter, pourtant si peu sexy, y développe sa puissance. C’est l’un des hits du siècle. Ronno fait sa crème au beurre et le cut explose à l’infini. Voilà un live qui s’annonce drapé d’or. Ces démons enchaînent avec une version altière et bardée de bon son d’«Angeline». Ronno est un précieux allié. L’Hunter savait ce qu’il faisait en s’acoquinant avec ce silver boy, ce golden God of rock guitar, cet archange sonique. Qui dira la santé de son son ? On se sent soudain installé au cœur du mythe. Ronno joue des ortolans de son, il produit des jardins suspendus. L’Hunter annonce an old song from Sonny Bono, «Laugh At Me» et que fait Ronno ? Il le joue serré, à la candeur de l’ampleur, c’est un son ronnique des temps anciens, oui, ça vient d’un temps où le monde du rock semblait si beau, si pur. Tout bascule dans l’incommensurable avec «All The Way From Memphis». Ronno joue comme un dingue et l’Hunter fait son Bowie, il stoppe les troupes dans leur élan pour mieux les relancer à l’assaut du ciel. Ronno fait un véritable carnage, la défraye la gueule de la chronique, il troue le cul du ciel, creuse sa route des Indes. Il est à son pinacle d’intelligence guitaristique. Il attaque la B avec le vieux «I Wish I Was Your Mother» qu’il mythifie vivant. Ronno adore les petites conneries romantiques, ah pour ça on peut lui faire confiance. Il fait sonner sa gratte comme une mandoline. Et en bonne bête de somme, l’Hunter entre dans le cut sans ménagement, comme s’il enfonçait son pieu noueux dans le vagin délicat d’une petite princesse pudibonde et tremblante. L’Hunter ne fait pas dans la dentelle. C’est un soudard. Il abuse de ses vieux accents glam pour chanter «Irene Wilde». Il donne vie au rêve working-class. C’est atrocement beau. Voilà un balladif taillé sur mesure pour l’Hunter. Back to the heavy motion avec «Just Anoteher Night». Ronno sait claquer de l’accord anglais. Il explose tous les encarts, il travaille sous terre, il sape le moral, il manigance des petites montées de fièvre, et quand ça s’emballe, il écrase ses propres riffs. C’est le vieux boogie-rock à l’Anglaise jadis initié par les Stones. On reste dans les pires excès avec «Cleveland Rocks». Ces mecs-là étaient beaucoup trop puissants pour leur temps. Ah les gens en avaient pour leur pognon ! Tout cet album est visité par la grâce de Ronno. Un Ronno qui se montre tout simplement admirable de bout en bout. Le disk 2 vaut lui aussi tout l’or du monde, d’autant qu’on y retrouve «Walking With A Mountain/Rock’n’Roll Queen», un énorme slab de Stonesy. Pour Ronno, c’est du gâteau. Il joue comme un dieu du stade à la peau dorée d’ange d’Hull. Il joue clair derrière le chant et multiplie les intrusions organiques. Il faut l’entendre claquer ses petits riffs au débotté et couler un bronze éclair, avant de partir en vrille de Red Baron. Il construit une cathédrale de son haletante. Le public attend les Young Dudes au virage, et l’Hunter fait «louder !» Merci David ! Ronno réussit à placer son petit «Slaughter On 10th Avenue», si mélodiquement attirant et il s’amuse à l’exploser au firmament. On assiste là à un phénomène musicologique palpitant. Back to the hot glam avec «One Of The Boys» qui prend ici des proportions spectaculaires. Ronno n’en finit plus de claquer sa Stonesy et de filocher des zigouigouis qui collent et qui chuintent, il joue les grandes manœuvres et secoue d’immenses carcasses d’accords. Il génère une monstrueuse pétaudière et file au vent mauvais vers la gueule béante des enfers. On trouve aussi en D une version superbe de «Man O War». Ronno et l’Hunter tapent encore dans la Stonesy et soudain, l’Hunter part en chasse, ils sont dans ce move, sans peur et sans reproche. Ils rendent hommage à Keef et joue leur Stonesy dans les règles de l’art. C’est là où le glam épouse la Stonesy. On est au cœur du rock anglais le plus précieux.

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    L’Hunter s’est fait couper les cheveux, d’où le titre de l’album Short Back ‘n’ Sides, qui paraît l’année de l’élection de François Miterrand. Ronno et Mick Jones se partagent la prod. Dès «Central Park West», on sent la pop, mais avec une certaine profondeur de champ, c’est déjà ça. Mais les choses empirent assez rapidement avec «Lisa Likes Rock’n’Roll», un cut poppy et putassier infesté de relents de reggae. C’est très années quatre-vingt. Heureusement, Todd Rungren vient sauver l’album en jouant de la basse sur «I Need Your Love». C’est poppy et bien soutenu aux chœurs et on entend même un solo de sax. On assiste à une incroyable conjonction d’esprits supérieurs. L’Hunter fait du Bowie-funk dans «Noises», et en B, «Rain» passe bien, car monté comme «Walk On The Wild Side». Mais le reste de l’album bascule dans l’horreur putassière. Ronno joue du reggae et se discrédite.

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    On retrouve Ronno sur un autre album de l’Hunter, All The Good Ones Are Taken. Ronno ne joue que sur «Death ‘n’ Glory Boys» qui sonne comme un cut de Ziggy. Ronno tisse sa toile et ça devient vite épique, voire grandiose. Pour le reste, l’Hunter fait du Bowie dans «Fun» et du Mott avec «That Girl Is Rock’n’Roll» - She dresses in leather/ She isn’t too together - et plus loin il ajoute qu’elle adore mouiller - She likes to get wet - ce qui en dit long sur le personnage.

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    Avec YUI Orta (the Three Stooges catch-phrase) Ronno existe enfin. C’est un album Hunter/Ronson, alors qu’auparavant, l’Hunter paradait tout seul sur les pochettes. Ils opèrent un retour à l’énormité avec «The Loner» que Ronno traite aux heavy chords de bonne aubaine - Ouh ouh I’m a loner - Derrière, la basse titube. Autre coup de génie avec «Beg A Little Love». On voit bien que l’Hunter utilise Ronno pour pallier à son manque de véracité et effectivement Ronno développe une tangible évanescence de génie impromptu. On a là un hot hit monté aux chœurs de filles et un Ronno qui encore une fois joue comme un beau diable. C’est battu au beat énervé et Ronno overwhelme son cut qui sort des nomes. Il l’enflamme littéralement ! Une fois de plus, l’Hunter s’impose avec ses balladifs, à commencer par «American Music», terriblement mélodique et imparable. L’Hunter n’invente jamais la poudre. Il campe sur ses positions et avec «Women Intuition», il tape dans son vieux boogie rock à la Mott. Il adore rouler dans ses vieilles ornières. Et Ronno n’a aucun scrupule à taper dans les riffs de Marc Bolan pour «Tell It Like It Is». Retour au Bowie Sound avec «Livin’ In A Heart», mais l’Hunter ensorcelle. Avec «Cool», Ronno wah-wahte à l’Hendrixienne, mais ça tourne au ridicule et l’Hunter se prend pour Queen. Ah il faut le voir pour le croire. En fait, ce disk présente un gros défaut : l’Hunter bouffe à tous les râteliers. Il va taper dans la new wave et le groove à la mormoille. «Sons ’N’ Lovers» et «Pain» frisent le calamiteux. Ronno surgit comme Zorro pour sauver «How Much More Can I Take». Il s’y conduit en super-productiviste, directement du producteur au consommateur et il boucle avec «Sweet Dreamer», l’un de ces instros ultra-mélodiques et comme suspendus dans le temps dont il a le secret.

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    Pour clore l’épisode Hunter/Ronson, il est chaudement recommandé de voir le concert filmé au Rockpalast en avril 1980. Il est en ligne. Autant Ronno passe bien, autant l’Hunter-minable passe mal : trop confiance en lui, trop de cheveux, trop de bigger than life. En prime, il porte un costard, une cravate et des boots blanches. Trop c’est trop. Il gratte ses accords rock’n’roll avec une belle arrogance, c’est sûr. Sur scène, Ronno et l’Hunter de Milan sont bien entourés. Ronno fait moins de grimaces qu’à l’époque des Spiders. Il semble plus stoïque, plus appliqué et il joue avec une fluidité exceptionnelle. Sous le micro de l’Hunter-continental, on voit une série de médiators qui pendouillent comme autant des paires de couilles, collés à un bande de gaffeur. L’Hunter sort son harmo pour «Angeline» et n’en finit plus d’assurer comme une bête. On ne peut que constater l’imparabilité de sa présence scénique. C’est un bonheur que de voir Ronno partir en solo. Il s’y montre expansivement intangible. L’Hunter-communal annonce «Laught At Me» - A song written in 1965 by a guy called Sonny Bono - Puis Ronno joue de la mandoline sur «I Wish I Was Your Mother». Fantastiquement cousu et pourtant, ça marche à tous les coups. Mais l’Hunter accapare trop le lead. Ce n’est pas lui qu’on vient voir, mais Ronno. Avec «All The Way From Memphis», on reste dans du grand Mott puis Ronno sculpte la matière dans Dudes. Il y grave son gras dans le marbre du glam et Ronno boucle le set avec son magic Slaughter.

    Signé : Cazengler, Mick Ronron

    David Bowie. The Man Who Sold The World. RCA Victor 1972

    David Bowie. Hunky Dory. RCA Victor 1971

    David Bowie. The Rise And Fall Of Ziggy Stardust And The Spiders From Mars. RCA Victor 1972

    David Bowie. Aladdin Sane. RCA Victor 1973

    David Bowie. Pin Ups. RCA Victor 1973

    David Bowie. Live Santa Monica ‘72. EMI 2008

    Mick Ronson. Slaughter On 10th Avenue. RCA Victor 1974

    Mick Ronson. Play Don’t Worry. RCA Victor 1975

    Dana Gillespie. Weren’t Born A Man. RCA 1973

    Ian Hunter. Ian Hunter. CBS 1975

    Ian Hunter. You’re Never Alone With A Schizophrenic. Chrysalis 1979

    Ian Hunter. Welcome To The Club. Chrysalis 1979

    Ian Hunter. Short Back ‘n’ Sides. Chrysalis 1981

    Ian Hunter. All The Good Ones Are Taken. CBS 1983

    Ian Hunter/Mick Ronson. YUI Orta. Mercury 1989

    Mick Ronson. Heaven And Hull. Epic 1994

    Mick Ronson. Just Like This. New Millenium Communications 1999

    Mick Ronson. Showtime. New Millenium Communications 1999

    Mick Ronson. Indian Summer. Burning Airlines 2000

    David Bowie. Bowie At The Beeb. Parlophone 2016

    Weird And Gilli. Mick Ronson - The Spider With Platinum Hair. Independant Music Press 2009

    Max Bell. The Rise And Fall of Mick Ronson. Classic Rock #236 - June 2017

    D.A. Pennebacker. Ziggy Stardust And The Spiders From Mars. DVD 2007

    Ian Hunter Band Feat. Mick Ronson. Live At Rockpalast. DVD 2011

    08 / 01 / 2019 / PARIS

    SUPERSONIC

    HAPPY ACCIDENTS / THETRUEFAITH

    KURT BAKER COMBO

     

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    Premier concert de l'année, un peu à l'arrache, déniche l'info de Kurt Baker Combo par hasard en trente secondes, inconnu au bataillon, j'y cours, j'y vole à l'aveuglette. Il ne sera pas dit que cette 401° livraison n'aura pas été auréolée de son concert. Surprise en arrivant, n'y a pas que le baker qui pétrira son pain ce soir, deux autres marmiton les précèderont au fournil, quel merveilleux hasard, que dis-je quel heureux accident. !

    HAPPY ACCIDENTS

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    Quatre grands gaillards sur scène. Au troisième morceau, Metal Dance, il faut se faire une raison, groupe musical, pas de chanteur. Je vous interdis tout fourvoiement : ce n'est ni du metal ( dommage ! ), ni de la dance ( ouf ! ). Difficile à caractériser. Au début ça ressemble un groupe de surfin qui aurait oublié toutes ses racines rock'n'roll, drôle d'oiseau sans ailes. Ce qui est sûr c'est que les deux guitares et la basse tirent la loco. Rascal à la batterie joue le rôle du tender qui procure la pression. Une frappe sans interstice, rapide, sans temps mort, une galopade serrée et interminable, autant dire que les deux guitaristes devant ils n'ont aucune seconde de libre, aucun break pour articuler leurs émissions, à eux de se débrouiller pour occuper tout l'espace. Ils ne s'en privent pas, et vous devez changer le fusil d'épaule, l'ensemble est beaucoup plus complexe qu'il n'y paraîtrait au premier abord. Vous font de ces friselis cordiques qui s'entremêlent joliment. Et bruyamment. Drone Attack le confirme, nous filons vers une modernité beaucoup plus immédiate, nous revoyons notre blind-test, nous disions surfin, cette fois-ci nous cocherons the progressive case. Le public adhère, les applaudissements sont de plus en plus nourris à chaque fin de morceau, vous y percevez cette satisfaction respectueuse qui s'empare des esprits lorsque l'on se rend compte que le conférencier compte sur l'intelligence des auditeurs pour comprendre de quoi il s'agit. Belle musique, ronflante et chamarrée, mais qui étrangement n'est pas sans évoquer le vide de notre époque, friches intellectuelles en berne et pauvretés économiques en érection. Ruiner, I Dreamed and I Died, pas besoin de beaucoup de mots pour effectuer des constats définitifs, les titres suffisent. Surprise, ils chantent aussi. Si l'on peut appeler cela chanter ! Disons qu'un gosier émet du son. El cantaor gêné par sa planche à pédales à effets multiples, se voûte sur le micro, l'a la colonne d'air aussi penchée que la tour de Pise les jours de grand vent. Ce n'est pas gênant, vu le propos, personne ne s'attendait à ce qu'il récite un poème. Sans doute n'y a t-il plus rien à dire en ce bas-monde. Les paroles du dernier morceau sont prophétiquement symboliques, se résument à trois mots-clefs La-La-La, que vaticiner de plus, les guitares vrombissent et vous sculptent votre malheur. A croire que l'accident final ne sera pas heureux. En tout cas, ce qui est certain, c'est durant trois quarts-d'heure nous n'avons pas été malheureux. Essayez de faire mieux.

     

    Les groupes se suivent et ne se ressemblent pas. Après un quatuor expérimental qui aimerait bien s'éloigner des racines sacrées du rock'n'roll mais qui n'ose pas non plus plonger dans de savants dodécaphonismes noisiquement aventureux, voici la vieille garde du rock'n'roll, celle que l'on engage dans les moments critiques, lorsque tout semble perdu.

    THETRUEFAITH

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    Ne sont plus très jeunes. Mais ils portent beau. La classe et le style. En quinze secondes, ils vous redressent la situation, un seul étendard, le rock'n'roll. Z'ont admis un petit jeune dans le groupe des grognards, l'est chargé de la batterie, un bon choix, n'arrête pas de décharger un fricot de fracassées abrasives. Une frappe lourde, multiple, ample et sans repos. Devant les guitares balancent. Normalement ce devrait être au drummer de balancer, mais là ce sont les guitaros. Car le drummer, je le rappelle aux esprits distraits, il cascade la casse sur ses caisses. Question guitares, pas du genre à tailler la mortadelle congelée en tranches superfines de Prisunic. Au fond du grabuge vous avez le vieux son des Stones, mais revu et corrigé par les Ricains, ne se sont pas fatigués les amerloques, ont repris les mêmes plans, mais en plus rapides, la même impression mortelle que mon chien et moi lorsque nous avons été pris dans un essaim de milliers d'abeilles en transhumance, un bourdonnement de partout qui fuse de nulle part et de tous côtés. Un danger grisant. En plus Thetruefaith ils ont un chanteur. Un vrai. Pas au four et au moulin. Au micro. Une belle voix, et plus le set avancera, elle se chargera de mille lampées de beuverie au fond de bouge sordides au bord des bayous infestés d'alligators. Un régal. En prime les poses qu'ose le torero devant les cornes, et les mimiques en coin de figure qui déchirent. Et puis les guitares, elles glissent, du pur jus de cambouis, vous passent les riffs comme les bandes de mitrailleuse dans Le Jour le Plus Long. Vous font de ces loopings de rêves et de ces toboggans d'enfer à courir allumer un cierge à sainte-Thérèse pour les remercier. Vaut quand même mieux rester sagement – en fait le public commence à tanguer et à se réchauffer – à les écouter car ils procurent Fire et Methadone à volonté. Brûlant et en concentré. Nos chouchous ont le show chaud. Z'appliquent la vieille recette de l'ébullition constante en augmentation obligatoire. Un truc qui défie les lois de la physique mais pas celle du rock'n'roll. Last Chance Googbye, Now It's Time, You'll Never Die – remarquez comme ces trois titres résument à eux seuls le mode outrancier de vie rock'n'roll - sont des bijoux brûlants, des diamants gros comme le Ritz aurait dit Scott Fitzgerald, l'épure et l'essence du rock'n'roll, inusable, immortel, la seule drogue à accoutumance éternelle. Merci Thetruefaith de nous l'avoir rappelé. Même si nous le savions déjà.

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    KURT BAKER COMBO

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    European tour 2019. Ce soir à Paris, demain en Allemagne. Kurt Baker provient de Portland mais s'est installé depuis plusieurs années en Espagne. Ne vous étonnez pas si ça sonne américain. Un drôle de mélange tout de même. De l'afterpunk mais beaucoup plus after que punk. De ce dernier ils on gardé l'énergie mais ont expulsé la méchanceté. After et même Before. Des racines lointaines qui remontent jusqu'aux Beach Boys. Dans la grande partition, ils ont choisi le côté Beatles, et non la blue darkness stonienne. Pas gentillets certes, mais tout de même un côté festif. Le public a adoré. Moi aussi. Surtout la musique. Plus réservé au niveau de la voix, trop coulée dans le foisonnement des guitares. Je ne sais si à la sono cela aurait pu vraiment être amélioré, au finish je pense que cela relève d'un choix esthétique.

    Un hurlement d'asile aliéné pour lancer le set. Provient du batteur, à croire qu'un utahraptor s'est introduit dans la salle. On ne l'entendra plus de tout le set. Du moins au micro, car question drummin il effectue un travail de dingue, tâte un max, pas qu'il tâtonnerait, non une frappe puissante et d'une rapidité inouïe, always on the break, un continuum de brisures effrénées, le gars ne vous laisse jamais l'oreille en repos, doit avoir un cœur d'engoulevent capable de rester plusieurs mois en l'air sans se poser. Si les sbires de Diapason l'avait entendu, ils n'auraient jamais osé décerner un Diapason d'or aux Percussions de Strasbourgs.

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    Ce qu'il y a de miraculeusement terrible c'est qu'on ne l'entend pratiquement pas, pour être plus juste on ne le discerne pas plus que cela dans la profusion de l'ensemble. Un mur de lave qui descend d'un cône volcanique charrie bien de débris et de scories mais vous ne voyez qu'une immense langue de feu qui dévaste irrémédiablement la contrée. N'ont pas recruté un manchot à la guitare, certes Kurt à la rythmique l'aide bien mais Jorge est un bretteur imparable. Donne l'impression d'une foultitude de rubans d'or qui s'échappent de son appareil à combustion. Un laminoir à langue de tamanoir. Le son s'infiltre partout, vous submerge sans que vous en preniez conscience. S'amusent comme des petits fous. Les départs et les fins de morceaux sont de véritables films d'animations. Jettent un riff pratiquement au hasard et à chacun de se dépatouiller comme il peut, attention il faut que ça se termine ou que ça commence avec l'ampleur d'une ouverture ou d'un finale de symphonie à la Beethoven. Trapèze volant sans filets et je te pousse en plein déséquilibre, le bassiste particulièrement fort pour louer à la voiture balai en ces ultimes moments. J'en ai eu les oreilles toute batifolantes durant une heure en regagnant la teuf-teuf à l'autre bout de Paris. Rien à dire, flair infaillible de rocker, ce soir fallait être au SuperSonic. Ëtre ou ne pas être. That is the question ! Super Sonique !

    Damie Chad.

    FULL PATCH

    LA BIBLIOTHEQUE DU MOTARD SAUVAGE

    JEAN-WILLIAM THOURY

    ( Serious Publishing / 4° trim. 2018 )

     

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    Une ultime gorgée de café et dans cinq minutes je serai en train de kroniquer le dernier ouvrage de Jean-William Thoury. J'ai failli m'étrangler. L'on cause de Harley-Davidson aux infos. L'on situe l'endroit. Le point géodésique exact, in Paris, où la semaine dernière Jean-William Thoury dédicaçait son livre, je rappelle aux lecteurs à courte mémoire la kro 399 du 27 /12 / 2018, qu'en compagnie d' Alicia Fiorucci, Tony Marlow y faisait son show... Inimaginable nouvelle ! Le monde est en train de changer de base ! D'ici peu sera commercialisée la nouvelle Harley. Electrique ! Preuve à l'appui, le reporter nous fait entendre le ronronnement du nouvel appareil. Ressemble à s'y méprendre au bruit de l'engin à double balayettes qui nettoie les caniveaux devant mon domicile. Pour ceux qui n'ont jamais eu la chance d'ouïr le besogneux engin municipal provinois, il leur suffira de brancher leur robotique râpe à carottes pour en reproduire l'équivalent. Bye-bye les motards sauvages. Au siècle suivant l'on affirmera que le book de Jean-William Thoury aura été écrit juste avant l'extinction des dinosaures mécaniques.

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    Laissons-là ces lendemains qui déchantent. Un coffre à merveilles de quatre cents pages, papier glacé nous attend. Jean-William Thoury a lu plus de trois cents bouquins – genre de sport pratiqué par les érudits de la Renaissance - consacrés aux clubs de bikers. Nous les présente un par un. Production francographe et de langue anglaise. Une aubaine car parfois la langue de Shakespeare s'avère aussi incompréhensible aux natifs de douce France que l'écriture cunéiforme. Thoury s'est chargé du bruit et de la fureur, Serious Publishing de l'esthétique. Repros couleurs à chaque page. Une véritable exposition de tableaux. Il se pourrait qu'une majorité d'esthètes jugeassent ces couvertures cheap and kitch. Mais tous ceux qui adorent les bielles mécaniques et les pulpeuses créatures apprécieront ces rutilances phantasmatiques. Pour ma part j'oserai le concept de d'héraldique romantique. Toutefois ne cédez point aux miracles de l'imagerie, certes les pleines-pages photograpphiques abondent, mais le texte n'est point maigrelet. Policé en petits caractères extrêmement lisibles. Des heures de lecture. Jean-William Thoury n'a pas boudé le travail. Une Bible, mais cette fois vue du côté des anges de l'enfer. Les livres sont présentés dans l'ordre chronologique de leur parution. Si les années soixante occupent cent cinquante pages, la fin du siècle et le début du nôtre accaparent le restant de l'espace, cette inflation témoigne à elle seule de l'importance acquise par le phénomène biker en quatre-vingt ans, les sociologues ne manqueront pas de brandir le concept des minorités actives.

    Full Patch oscille sempiternellement entre objectivité et subjectivité, ce qui est la meilleure manière de bafouer la lâche neutralité des universitaires. Jean-William Thoury résume le contenu des ouvrages qu'il présente. Pour les ouvrages d'imagination à suspense il se garde bien de nous révéler la toute fin de l'intrigue selon l'adage que l'incitation au désir procure davantage de jouissance que la satisfaction du plaisir. Le lecteur alléché n'hésitera pas à se reporter au bouquin idoine ou à se livrer à mille délices hypothétiquement imaginatives.

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    Full Patch possède ses parti-pris assumés. J.-W. Thoury est sensible à la force talismanique des mots. N'oublions pas qu'il lima en d'autres temps les chatoyances verbales du groupe Bijou. Ainsi il ne culbute jamais devant une longue liste de Motors-Clubs pas plus qu'il ne résiste à égrener les noms des principaux membres d'un club. Ces interminables nomenclatures évoquent des vocables aussi éclatants que les rimes flamboyantes des alexandrins d'Edmond Rostand. Ces mots portent en eux la force des présences qu'ils poétisent. Ils ne sont ni verbiage, ni remplissage, ils sont verbe agissant qui scandent le texte en lui permettant d'atteindre, grâce à une espèce de transe rythmique, à une profonde exaltation hypnagogique à l'instar de mantras matriciels. Leur nomenclature forme un arbre généalogique aux innombrables ramures. Vous croiriez facilement que vous êtes en train d'éplucher l'ancien armorial de la noblesse européenne... Un labyrinthe sans fin dans lequel vous seriez perdus si J.-W. Thoury ne nous venait en aide. Prend le rôle de Virgile qui guide complaisamment Dante dans les sept cercles infernaux de la Divine Comédie, encore que nous soyons carrément dans la Diabolique Tragédie dont le parcours, comme toute initiation, nécessite épreuves et persévérance.

    Même si le premier Motor-Club date de 1903, l'histoire mythique des Bikers débute en 1947 avec les troubles d'Hollister popularisés en Europe par L'Equipée Sauvage en 1953. Incidemment, questions films, le lecteur se rapportera à Bikers, Les Motards Sauvages de Jean-William Thoury paru en 2013.

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    Jean-William Thoury en pince ( à vélo, excusez-moi ) pour les Hells Angels. N'en oublie pas pour autant les autres grandes confédérations, Bandidos, Pagan's, Outlaws, mais les Hells Angels remportent la palme. Ce sont eux qui ont en quelque sorte clarifié les tables de la loi. Il est aussi difficile d'évoquer les bikers sans faire référence aux Hells Angels que de parler de chevalerie sans faire allusion aux chevaliers du Graal. Reste que dans l'imaginaire populaire les Hells Angels n'ont pas une réputation d'agneaux innocents. Sont souvent présentés comme de sombres brutes mal dégrossies prêtes à vous trucider si vous vous approchez d'un peu trop près de leur moto.

    Pour sa part la police n'y va pas de main morte. Elle assimile les Motor-Clubs à des gangs, autrement dit à de simples organisations criminelles coupables de toutes les exactions : viols, crimes, trafic divers : drogues, armes, prostitution... Jean-William Thoury remet les pendules à l'heure. Les M. C. ne sont pas responsables des actes commis par ses membres, à leurs initiatives personnelles, entrepris hors des activités du club programmées dans son statut. Ainsi le club de tennis que vous fréquentez n'est pas plus responsable des exactions diverses qu'à titre individuel vous exercez à vos risques et périls dans le restant de votre existence... Reste que toute institution légale peut aussi servir de paravent...

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    Qu'est-ce qu'un biker sauvage ? Outre le fait qu'il chevauche une moto ( de préférence une Harley customisée ), il est avant tout un être libre. Qui refuse de mener une vie d'esclave. A choisi une existence qui ne soit pas asservie par des horaires par trop contraignants, et à la merci de petits chefs emplis de suffisance et de médiocrité. Notons que de tels principes peuvent déboucher aussi bien sur une vision seigneuriale des plus éthiquement aristocratiques que donner lieu à des idéologies les plus troubles. Le biker est un anarchiste individualiste qui ne reconnaît qu'une seule association, celle de son moto-club...

    Par la force des choses le biker conséquent avec ses principes se doit d'assumer sa propre subsistance. Il compte sur l'entraide de ses pairs, mais pas sur la charité des copains. Se débrouille. Se livre à de petits trafics : ce n'est pas tout à fait la même chose de de vendre cinquante grammes d'héroïne qu'un kilogramme. Nombreux sont ceux qui montent de petites entreprises : bars, tatouages, garage-motos...

    Documentaires, romans, biographies et autobiographies sont les quatre types genres d'écrits que J. W. Thoury passe au crible de sa lecture. Ne sont pas tous de valeur égale. Trop de romans écrits à la chaîne regorgent de scènes de sexe et de violence, les auteurs ( et les éditeurs ) caressent les appétits les plus bas de leur lecteurs... C'est de bonne guerre. L'on ne lit que les livres que l'on mérite. Les documentaires se répètent souvent, quand ils deviennent intéressants et mettent la focale sur tel ou tel personnage l'on s'aperçoit qu'ils reprennent des éléments donnés dans les bios et les autobios des acteurs qui en ont été les principaux instigateurs.

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    L'histoire des M. C. n'est pas de tout repos. Ils se livrent à de terribles luttes d'influence tant au niveau local que régional, national et même international. Parfois l'on brûle l'étape du baston pour sortir les fusils. Le Canada et l'Australie furent le théâtre de véritables guerres. Problème récurrent de toute organisation qui acquiert trop de puissance qui dès lors se concrétise sous forme de visées hégémoniques. Parallèlement à cette situation partagée par l'immense majorité des groupes humains, surgit la problématique des individualités. Désir de domination, jalousie, et ressentiment sont les moteurs ( non-exclusifs ) du comportement humain. L'on a un peu l'impression de lire des études du zoologiste Konrad Lorenz sur l'agressivité des oies cendrées.

    Nous l'avons vu : en tant que personne morale le M. C. se refuse à toute violence et à tout trafic, mais il n'en est pas de même pour les individus qui le composent. Les trafics individuels génèrent argent, richesse et pouvoir. Autant de motifs de guerres intestines – la vie d'un M. C. n'est pas obligatoirement un long fleuve tranquille – et inter-claniques. De nombreux bikers finissent en prison. Les gouvernements n'aiment guère que des groupes auto-gérés échappent à son contrôle et instituent des zones de vie autonomes. L'Etat se défend : la police est chargée de surveiller et de réprimer ces ferments anarchiques. Les M. C. sont des structures fermées. Il est difficile à un policier de les infiltrer. Mais la parade fut facilement trouvée par le FBI. A un biker menacé de passer plusieurs années en prison il est facile de proposer de changer de camp, de rentrer dans un M. C. et de pousser certains de ses membres à quelques actions ou trafics illicites. Ce petit jeu peut durer plusieurs années, jusqu'à ce que l'on ait collationné un nombre suffisant de preuves, et lorsque le fruit semble prêt à tomber, le jour J, à l'heure H, sur différents points du territoire, parfois très éloignés, un ballet de perquisitions généralisées est déclenché... La récolte peut être juteuse, comme très maigre.

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    Mais le jeu est dangereux. Ne parlons pas maintenant des traîtres – nous les laissons avec leur conscience – mais de véritables et volontaires agents de l'Etat immergés durant des mois et des mois à l'intérieur d'un M. C. Des liens, sinon d'amitié, du moins d'estime, se nouent... Certains policiers infiltrés en arrivent à d'étonnantes conclusions : les gredins qu'ils espionnent leur paraissent plus honnêtes que leurs supérieurs hiérarchiques et politiques. Ils sont les premiers à dénoncer l'incompétence de leurs propres services... Hommage de la vertu au vice !

    L'ensemble de l'ouvrage se donne à lire comme un roman historial. De volume en volume, Jean-Willam Thoury peint une épopée tumultueuse. Palpitante, car elle ne remonte pas aux temps anciens. Ses héros de chair et de sang bouillonnants sont nos contemporains. Ils ont choisi de vivre en marge d'une société dont nous-mêmes subissons toutes les coercitions et toutes les avanies. Ils ne sont pas meilleurs que nous, mais font preuve d'un peu plus de courage... Encore que... les temps changent... les anciens bikers d'âge respectables sont les premiers à dénoncer les changements survenus dans les M. C. victimes d'une certaine institutionnalisation. Les conditions de vie et les mentalités se sont modifiées. Les temps ne sont plus les mêmes. Le M. C. n'est pas encore un loisir de Monsieur tout le monde mais même les policiers ont leurs motos-clubs... Est-ce la rage originaire des laissés-pour-compte qui s'émousse, ou le Système qui parvient à récupérer tout ce qui s'oppose à lui … Il existe toujours et encore des motards, mais le biker sauvage est une denrée plus rare... Jean-William Thoury nous rassure, les vieux rêves sont comme les couteaux usés, ils ont besoin d'être aiguisés, et Full Patch est une merveilleuse pierre à fusil.

    Damie Chad.

    ERIC CLAPTON

    PHILIPPE MARGOTIN

    ( Chroniques Editions / Novembre 2015 )

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    Je ne suis pas fan d'Eric Clapton, même si je dois reconnaître qu'il joue mieux de la guitare que moi. Quoique si je possédais sa dextérité j'en userais bien plus sauvagement rock'n'roll ! Comme il n'y avait rien d'autre sur l'étalage du camion Gibus, et qu'il est de bonne guerre de supporter son bouquiniste local qui se débrouille toujours pour offrir quelques vinyles à pochettes affriolantes, je m'en suis emparé, un peu dépité. Car je n'aime guère non plus, ces albums à grand format mis sur les étalages des grandes surfaces aux mois brumeux de novembre, afin de déclencher chez vos proches le réflexe pavlovien du cadeau de Noël... Me suis fait avoir parce que j'ai jeté un coup d'œil sur les premières pages. La préhistoire du british blues est aussi attirante et mystérieuse que la disparition de l'empire Hittite au douzième siècle avant le petit Jésus. Heureusement que je n'ai pas ouvert au milieu du bouquin. Clapton et moi c'est une histoire à éclipses, après 1974, j'ai laissé un peu tomber, de temps en temps un coup d'oreille, un peu comme quand vous présentez vos vœux à une antique copine...

    Ne s'est pas trop fatigué Margotin, et les éditions Chroniques ne nous en fait pas voir de toutes les couleurs. Du blanc, du noir et des fonds de page mordorés. Des repros de pochettes de disques pas plus gros que deux timbres-postes sous lesquelles se trouve un commentaire des plus succincts, titres, musiciens + quelques phrases rapides pour situer le le style, et puis basta ! Les photos artistiquement découpées sont présentées comme ces vastes assiettes de hors-d'œuvres de la Nouvelle Cuisine en lesquelles se perd une asperge unique entourée de fines de lamelles de radis... Si vous êtes adeptes des révélations fracassantes, achetez de préférence l'autobiographie de Clapton, je ne l'ai pas lue, mais les seuls propos intéressants du livre y ont été empruntés par un Margotin visiblement en panne d'inspiration... questions réflexions personnelles et analyses pertinentes, Margotin ne s'est point moultement pressé le cérébral citron.

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    Un petit effort toutefois pour le début de la carrière de maître Eric. Un peu de grain à moudre pour le public actuel de Clapton qui n'aurait jamais entendu parler de Blind Faith, de Cream, des Yarbirds, des Blusbreakers et de toute l'antique panoplie, Margotin s'est fendu de quelques explications agrémentées d'encarts plus ou moins étendus pour les seconds couteaux de la légende, même si Alexis Corner, John Mayall, Peter Green, et Stevie Winwood ne méritent pas cette qualification infamante. Mais le margoulin en dit si peu sur Clapton que cela vous a un air de remplissage décevant...

    La deuxième moitié du bouquin est franchement plus désagréable. Margotin se contente de noter les disques enregistrés par Dieu, chichement suivis de quelques commentaires sur la tournée promotionnelle qui suit. L'est vrai que Clapton ne l'aide en rien. Se contente de peu. Le mec gentil et serviable prêt à pousser un solo de guitare sur une des pistes de n'importe quel artiste qui l'invite. C'est simple, l'a joué avec tout le monde, sur scud comme sur scène. Les lecteurs pressés se reporteront en fin de volume aux quatre pages de la discographie. Bien présentée, claire, nette, précise, d'une lecture aisée.

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    Et Clapton ? On le capte peu. Pas un mot sur sa personnalité. Margotin est le mec discret par excellence. L'évocation des amours d'Eric avec Pattie Harrison ne donnent lieu à aucune surenchère érotique. L'addiction à l'héroïne et plus tard à l'alcool est notée sans insistance, pas question de s'interroger par quels manques ou par quels déséquilibres ils sont causés... L'est vrai qu'il est un peu distant notre guitariste, quand la Reine le décore il déclare que plus jeune, dans sa période rebelle, il aurait refusé, mais là à soixante balais ( il y en a des coups qui se perdent ) il a réfléchi, l'ajoute même '' que c'est une chose importante que de pouvoir être un exemple''. Sans doute pour la jeunesse dégénérée qui écoute du rock'n'roll !

    Passons au plus important : la musique. Avis aux amateurs de guitare, rien ne vous sera dévoilé. Je n'ose pas dire que je résume, j'enlève à peine quelques mots : en ses débuts Clapton jouait du blues. L'était même un puriste du country-blues. Après l'a mis de l'eau dans son vin bleu, pardon du rock'n'roll dans son blues - les Rolling Stones aussi – ensuite ce l'est joué laid-back. C'est à dire virtuose, surfin. Habileté maximale... qui coule comme de l'eau de source lustrale. C'est beau mais pas aussi fort qu'une rasade de moonshine au venin de crotale. Une nuit au camping idéale, sans moustiques, pour les adeptes du naturisme. N'empêche que l'on aurait apprécié quelques aperçus sur l'influence de Duane Allman et de J. J. Cale sur son style.

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    Le livre n'a pas que des mauvais côtés. Chacun rencontrera une figure mythique qu'il affectionne particulièrement – pour moi, par exemple Jim Cappaldi – mais la fidélité de Clapton au blues est patente. Quel plaisir de voir défiler tous les noms légendaires du Delta et du Chicago électrique, Clapton se débrouille toujours pour en caser au minimum un ou deux titres - classique ou exhumés de l'oubli, il s'y connaît le bougre - sur chacun de ses albums. Un néophyte tant soit peu curieux trouvera facilement dans ce livre bien des portes qui lui permettront d'entrer de plain-pied dans le territoire de la musique du Diable.

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    Quant à Clapton rescapé de l'explosion rock, auto-transformé en mercenaire de la guitare, j'avoue ne pas trop comprendre. Peut-être qu'un jour Dieu m'aidera. En attendant je cours me repasser Disraeli Gears et Layla pour dissiper mes idées noires et mes incertitudes bleues.

    Damie Chad.

    IGNEUS

    PATRICK S. VAST

    ( Editions Fleur Sauvage / Novembre 2015 )

     

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    Jamais entendu parler de Patrick S. Vast ni des éditions Fleur Sauvage. Marcel Proust aurait dû y penser, A L'Ombre des Jeunes Filles en Fleurs Sauvages, ce n'est pas mal non plus. La couverture orange et surtout ce microsillon en flammes ont attiré mon regard. Rock'n'roll et satanisme au dos de la couverture, une petite lecture avant la nuit me procurera peut-être de splendides cauchemars ai-je pensé. Ben, non j'ai dormi comme un loir du Loir-et-Cher. Par contre une agréable lecture. Rock'n'roll, yes un peu. Période Led Zeppelin et Deep Purple. Et metal actuel. Ce qui nous vaut quelques scènes de répétitions en cave enfumée bien venues. Ce n'est pas le principal sujet du livre. Avant de l'aborder je vous délivre le Diable de sa fosse, z'oui un peu de satanisme, juste ce qu'il faut, comme quand vous vous préparez un kilo de piments habanero pour accompagner la cuisson d'un petit pois. Soyez un peu plus finauds, ce n'est pas parce que l'on ajoute un piment rouge devant vous qu'il faut foncer droit dessus. Non ce n'est pas ce qui doit aiguillonner votre désirs, peu de taureaux survivent dans l'arène. Les lecteurs de Kr'tnt auront toutefois cœur à réparer la description un peu trop caricaturale d'Anton LaVey.

    Avant tout un roman policier. Avec un bon début et une meilleure fin. Patrick S. Vast vous fait le coup de ces groupes de rock qui terminent leur set en vous souhaitant un bon retour. Et qui cinq minutes plus tard reviennent pour un rappel que vous n'attendiez pas, qui se révèle plus surprenant que le set en lui-même. Et vous refont le même coup, avec un second rappel encore plus éblouissant. L'ultime baisser de rideau de Monsieur Vast est spécialement dévastateur. Tel est pris qui croyait prendre. Et le dindon de la farce c'est vous. Tant mieux pour vous.

    Incidemment, mais il est des incidents qui soulèvent plus de questions que les énigmes que l'on vous offre pour détourner votre attention, Igneus jette ( à peine ) quelques pâles lueurs sur le sujet des combustions spontanées. Je sens que vous brûlez d'en savoir plus, alors je vous promets qu'une de ces livraisons je vous chroniquerais le roman de Jean-Pierre Roques sur ces consummations cendriques.

    Igneus est avant tout, me semble-t-il, un livre sur le pouvoir. Politique, cela va sans dire, car c'est le seul pouvoir qui compte. Ses ramifications occultes, nécessairement, car pour agir en toute impunité, il est impératif de vivre secrètement. De quoi exercer vos vigilances citoyennes. Avant de courir aux armes. Ainsi que le propose la bonne chanson.

    Damie Chad.