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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 98

  • CHRONIQUES DE POURPRE 386 : KR'TNT ! 406 : EDDIE C. CAMPBELL / REVEREND BEAT-MAN / RÂOULEX KING TRIO / BILL CRANE / MOTOR KIDS / FOLSOM / WEALTHY HOBOS / PARIS IS BURNING

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 406

    A ROCKLIT PRODUCTIOn

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    14 / 02 / 2019

     

    EDDIE C. CAMPBELL / REVEREND BEAT-MAN

    RÂOULEX KING TRIO / BILL CRANE /

    MOTOR KIDS / FOLSOM / WEALTHY HOBOS

    PARIS IS BURNING

     

    Campbell s’est fait la belle

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    Eddie C. Campbell est littéralement sorti du bois en 1977 avec l’extraordinaire album King Of The Jungle. Quel disque ! Pour la pochette, Eddie se fit photographier à Brooklfield Zoo. Les mecs qui l’accompagnent sont ceux de l’orchestre de Muddy Waters. On est embarqué sans ménagement dès «Santa’s Messing With The Kid». C’est du blues de punk. Eddie ne rigole pas. Il va au boogie comme d’autres vont au combat. Il fait du boogie solide et râblé qui ne s’embarrasse pas des canards boiteux.

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    Eddie joue comme un gros dur des Batignolles. Quel son ! On se croirait presque chez Lazy Lester ! Attention à «Still A Fool» - Well I wash/ I wash a cat fish - Il plonge dans le deep blue sea avec les woman fishing after me. Il a tous les automatismes du heavy blues - Well sure nuff I - alors ça repasse à l’harmo du crépuscule et ça joue aux notes de la menace. Il passe ensuite au boogie jazz de haut rang avec «Cheaper To Keep Her». C’est du pur killer blues de cannibale. Il joue ça dans l’épaisseur d’un groove carnassier. C’est tout simplement effarant de mauvaiseté. Tiens, encore une magnifique cavalcade avec «Poison Ivy». Il sort aussi un «Red Rooster» heavy et dépenaillé et revient au beat de boogie infernal avec «Smokin’ Potatoes». On voit rarement passer de tels trains d’enfer. Il nous swingue «King Of The Jungle» au meilleur jive de boogie et revient au heavy blues de cro-magnon avec «She’s Nineteen Years Old». Il joue un vieux solo au ricochet de notes bardé de reviens-y. S’ensuit «Look Watcha Done», un boogie rock énorme et même monstrueux. On tombe rarement sur des sons aussi caverneux. Ça goutte de jus. On l’entend l’harmo des cavernes, là-dedans. Quel son dément. Pur génie ! Il revient au boogie blues avec «Weary Blues» - I’ve been searchin but I can’t find - avec le retour de guitare - I don’t care about my pride/ Oooh babe you know I try - Franchement énorme.

    Eddie n’est pas n’importe qui. Comme les autres grands nègres de sa génération, il s’est initié au diddley bow et il est arrivé à Chicago pour jouer dans des orchestres de blues. Il a douze ans quand Muddy Waters le fait jouer dans son orchestre au 1125 Club. Il imite Magic Sam qui habite au-dessus de chez lui et pendant quatre ans, il accompagne Jimmy Reed. Il aurait bien voulu accompagner Wolf, mais son jeu ne lui plaisait pas - he was a rough man to play with !

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    Sur Let’s Pick It, Eddie tape une superbe reprise du «Red Light» de Jimmy Reed. Il la joue à la sourde et sort un son fabuleux. Ça sent la cave, avec un joli fumet de sauvagerie. Il tape aussi dans Big Albert avec «Don’t Throw Your Love On Me So Strong», mais c’est difficile, car tout ce que fait Big Albert est intouchable. Alors il se rattrape avec «All My Whole Life», un boogie blues racé et bien sanglé qu’Eddie emmène au galop. Sacré Eddie, il adore ça. Il peut être rapide comme l’éclair !

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    Un an plus tard, il revient ruer dans les brancards avec The Baddest Cat On The Block. Belle pochette en noir et blanc avec un Eddie qui semble screamer comme Buddy Guy. Il revient sur Albert King avec le même résultat et toute l’A passe un peu à l’As. Par contre, en B ça chauffe dès «Early In The Morning», salement trépidé, monté sur un joli beat. Ça pianote à la surface. Il amène ensuite «Same Thing» aux vrais accords de heavy blues, ceux de Stan Webb, dans Chicken Shack. Joli coup aussi ce «Cheaper To Keep Her» à fort parfum de jazz. Eddie a vraiment de la chance d’avoir derrière lui des mecs comme Wayne Elliott à la basse et John Drummer aux drums. On sent le beat in progress.

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    Si on de la chance, on peut encore trouver une copie de Mind Trouble, un double album paru en 1986 et enregistré à Amsterdam, avec pas mal de musiciens blancs. Pour Eddie, c’est cool as fuck, Amsterdam est une ville où on se sent bien. Il n’a rien perdu de sa belle aisance guitaristique et le seul reproche qu’on pourrait faire à ce disque serait son manque d’originalité. Eddie C. Campbell n’est plus cet homme des bois qui nous fit tant baver. Ça se réveille un peu en B avec «Life Is Like A Game», un heavy blues bien gluant d’harmonica - Life is like a game/ And is sharp like a razor - C’est digne des grandes heures d’Elmore James - You got dangles in your eyes/ And I’m sorry I ain’t the same - Il revient plus loin avec un autre heavy blues à la Elmore James, «Vibrations In The Air». C’est sa came. Attention, la C et la D se jouent en 45 tours. C’est là qu’on tombe sur une sacrée merveille, «Devil’s Walk», un groove jazzé par Tom Mad Jones. C’est de très haut niveau, assez anglais dans l’approche du son, my son. Cuivré de frais et ambiancier au possible. Puis avec «Loneliness And Me», il passe, grâce à l’approche délibérée des intrications, au slow blues hendrixien.

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    On trouve encore un joli coup de génie sur That’s When I Know paru en 1994 : «Been Thinkin’», un boogie primitif. C’est tout l’art d’Eddie. Il peut swinguer comme un bad black punk. Il invente l’empire du punk black avec le background de la pire sourdine de l’univers. C’est complètement démento à gogo. Voilà les bases du rock, baby, la souche du punk des blancs. Il faut l’entendre jouer de la guitare sur le cut d’ouverture, «Sister Taught Me Guitar». Il travaille à l’ongle sec. Eddie sait nous mettre l’oreille en éveil. Il crée un climat direct au blues d’attaque, le meilleur des blues, sur un beat remonté comme un ressort, ah quelle claque de classe épouvantable, c’est joué aux accords coincés et forcés, ces accords de mi-manche en mi-fonction. Ah la vache, il pince ses notes comme un sadique et ça dégouline de classe. Il tape plus loin dans le vieux boogie pour le morceau titre. Il revient aux notes claires entre deux couplets. Il est même un peu pop sur ce coup-là. Il réussit toutefois à virer voodoo. Il est dessus, toujours aussi inspiré. Ce mec a vraiment quelque chose de spécial. Il tape «You Make Me Feel All Right» au petit riff retardataire. Il fait son John Lee Hooker - I like the way you talk - Joli clin d’œil à Hooky. Il refait même son bad black punk. Il boucle cet album fatidique avec «Devil’s Talk», bien fouetté du beat. On retrouve sa puissance rythmique. C’est sa contribution au monde moderne. Il passe un solo impeccable. What a bluesman !

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    Sacré disque que cet Hopes And Dreams paru en l’an 2000. Il s’y niche des chefs-d’œuvre absolus. L’un est hypnotique, l’autre mélodique. «Geese In The Ninny Bow» relève du coup de génie, avec son stomp brisé au riff sec à la Jeff Beck. Incroyable ! - Geese is alrite hey hey - C’est bardé de coups de trompettes, explosé au funk. Quant à «You Worry Me», c’est un heavy blues de rêve, monté sur une bassline descendante qui tourne comme un requin autour du naufragé blessé à la jambe. On entend des coups de guitare inopinés et un piano en perdition. Eddie est un diable. On trouvera d’autres énormités sur cet album comme par exemple «Did I Hurt You» qui ouvre. C’est aussitôt un très gros son. On est habitué, oui mais quand même. Il exagère. Quelle brute ! Son boogie dégage les dents de devant. Eddie a un son de guitare lumineux et vif argent. Le morceau titre de l’album est un vieux coup de boogie down. Il tape dans le meilleur jus et fait ça au feeling pur. Quelle présence ! C’est bien gratté, sérieux, quasiment portugais, mais Eddie gratte ses notes avec la rage d’un punk. C’est atrocement bon, plein de son, secoué du cocotier. Plus loin, il passe au canard de beat avec «Cool Cool Mama», encore un boogie impitoyablement pulsé. Il faut voir avec quel courage Eddie entre dans le groove. Il attaque un solo comme on déclare une guerre, sans préavis. Et derrière, l’insolente rythmique pouette comme ce n’est pas permis. Et ça continue ainsi jusqu’au bout du bout. On voit rarement des attaques de boogie comme celle de «Spend». Eddie y éclate encore un solo à la réverb de clarté suprême. Il finit l’album avec «Cougar» et une intro énervé. C’est d’un chien qui dépasse toute la chienne de l’univers.

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    En 2009, Eddie débarque sur Delmark pour enregistrer un premier album, Tear This World Up. Il nous refait le plan habituel du premier cut en forme de boogie explosif. «Makin’ Popcorn» sonne comme le boogie ultime. Eddie démarre toujours en force, mais là il bat tous les records. Il sort là l’un des boogies les plus énergiques de l’histoire du boogie. Il rivalise de grandeur avec Jerry Boogie McCain et Lazy Lester. Eddie part en vrille, il gratte à la raclette avec un son de casserole et il se met à beugler comme une bête des bois. Autre merveille : «Easy Baby». On dirait qu’il joue son heavy blues au fond de la cave - Magic Sam was my best friend - Et il annonce qu’il aime bien jouer à son idée, it goes like this, easy babe ! Avec «Tie Your Love», il revient au boogie monstrueux et c’est avec «It’s So Easy» que tout explose. C’est claqué aux mains et joué au meilleur beat fantasmatique. Il y dans ce cut tout le ruckus du boogie. Eddie crée une vraie atmosphère sur un beat d’enfer. Il faut aussi écouter «Bluesman» qui est l’histoire de sa vie - I played with everyone from A to zzzzzzzzzzzzz, Muddy, Wolf, Percy Mayfield, Litlle Walter, Magic Sam, James Brown, Lowell Fulson, Memphis Slim, Paul Butterfield, Otis Rush, I mean everyone - From A to Zzzzzzzzzzzzzzzz !

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    Eddie a 72 ans quand il enregistre Spider Eating Preacher. Sa femme Barbara qui est aveugle joue de la basse et leur fils David joue un peu de violon. Il pose avec sa fameuse Jazzmaster pourpre. Attention, c’est un album FANTASTIQUE qui démarre (comme les autres) avec l’infernal boogie «I Do». Dès l’intro, Eddie et son orchestre déploient des trésors de vélocité. Quelle énergie ! Le bassman, le sax, tout frise la folie, le sur-dimensionnement de la démesure apoplectique, mais avec Eddie, on le sait depuis le départ, il faut s’attendre à tout, surtout à ça, au sur-dimensionnement de la démesure apoplectique. Il balance un solo d’entre-deux mers qui défonce la rondelle des annales. La fête continue avec le morceau titre de l’album - The devil in disguise ! - Eddie part en solo de réverb démento à gogo de dingoïde mongoloïde ! Plus personne n’ose joue comme ça aujourd’hui. C’est un fou ! T’as déjà vu un mec jouer comme ça ? Non ? Ben non ! Eddie cuit le boogie dans un jus de mélodie - Under my rocking chair - Il joue avec un entrain inconsidéré et revient à son fantôme de solo. Dans «Call Me Mama» Eddie fait son Wolf. Il puise dans le secret des dieux et pique des notes à la pétaudière. C’est épais et travaillé à la note éparse. Quelle ambiance infernale ! On tombe plus loin sur «Soup Bone», une pure exaction de heavy blues - I got a soup bone and I’m hungry - On peut lui faire confiance. S’ensuit «I Don’t Understand This Woman», il y fait le con, wow wow wow et il taille dans le marbre. Eddie est le roi du boogie, il partage sa couronne avec Hooky. Il fait le clown à la démesure du wow wow wow et s’appuie sur un effarant pounding. Il n’en finit plus de nous en boucher des coins car voilà «Boogmerang», toujours dans le haut vol et traversé par un solo d’orgue. Retour au r’n’b infernal avec «Skin Tight». Eddie est un bon, il peut rauncher comme Clarence Carter. Il revient au beat des enfers avec «My Friend (For Jim O’Neal)» et il fait du Bo, avec un son énorme et l’énergie maximale. Il se paye aussi le luxe d’un «Brownout» à la James Brown. En fait, cet album n’est que l’incessante démonstration de force d’Eddie le vainqueur, mais pas tant vainqueur que ça, car la grande faucheuse vient de lui charcler les deux pattes. Adieu Eddie et merci pour tous ces blasters de bad black punk.

    Signé : Cazengler, l’Eddie qui bêle

    Eddie C. Campbell. Disparu le 20 novembre 2018

    Eddie C Campbell. King Of The Jungle. Mr. Blues 1977

    Eddie C Campbell. Let’s Pick It. Black Magick Records 1984

    Eddie C Campbell. The Baddest Cat On The Block. JSP Records 1985

    Eddie C Campbell. Mind Trouble. Double Trouble Records 1986

    Eddie C Campbell. That’s When I Know. Blind Pig Recordings 1994

    Eddie C Campbell. Hopes And Dreams. Rooster Blues Records 2000

    Eddie C Campbell. Tear This World Up. Delmark Records 2009

    Eddie C Campbell. Spider Eating Preacher. Delmark Records 2012

     

    Monsters Class - Part Two - The Beat-Man Way

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    Tout l’art du Reverend Beat-Man consiste à mettre en scène sa fantaisie. Il joue du Trash Blues à 185%, mais il pourrait aussi danser le Gambuh balinais selon Eugenio Barba ou mimer ses rêves sur scène comme le fit Rufus à une époque au petit théâtre La Bruyère. Et comme tous les grands artistes de l’avant-garde théâtrale, le Révérend Beat-Man offre un spectacle complet en donnant tout simplement de sa personne. Il est LE spectacle, il est le cerveau du temps, le spectacle n’est qu’une simple représentation de sa vision. Il ne s’agit pas que de musique comme on serait tenté de le croire, l’art de Beat-Man va beaucoup plus loin. Sa passion des vieux objets de type Emmaüs renvoie forcément à Kantor. La scène devient un décor, une grosse valise noire datant de l’exode porte la mention 185% Trash Blues peinte en grosses lettres blanches. Il installe des petites lampes de chevet de bric et de broc au pied de son vieux bass-drum. Tout date, chez lui, comme s’il s’agissait d’ancrer véritablement les choses. Cette démarche n’a rien de prétentieux. Au contraire, elle renforce le sentiment du sacré, dès lors qu’on considère le spectacle de rock comme un rituel. Les exemples abondent : la fête païenne des Stooges au Zénith, ou encore ce parallèle qu’établit Tav Falco entre les Cramps et le Théâtre de la Cruauté selon Artaud - As envisioned by Antonin Artaud, the French dramaturgist, The Cramps were the apotheosis of a post-modern rockabilly band that embodied the Theather of Cruelty - Le bon Reverend Beat-Man se situe très exactement dans cette optique : redonner au rock son caractère sacré.

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    Avant de commencer à jouer, Beat-Man passe un colleret blanc sous son col de chemise. Et puis une Carmélite assez jeune vient poser son cul sur un tabouret à côté de lui. Elle sort tout droit de chez Clovis Trouille. Elle se cale derrière une caisse claire. Elle dispose aussi d’un petit clavier. Elle ne sourit pas. Elle pose sur la salle un regard d’une intense gravité. Ses lèvres peintes en noir accentuent considérablement l’austérité de son expression. Une sorte de religiosité de bas étage s’installe. Et lorsque le cantique baroque d’introduction s’achève, nos deux serviteurs de Dieu se mettent lourdement en branle. Ils singent la bible et créent l’enfer sur la terre ! La carmélite saute littéralement sur son tabouret et frappe comme une dingue, alors que Beat-Man gratte sa gratte comme un dératé. Il s’ébroue comme un poney apache, la bouche en cul de poule. En comparaison, l’Apocalypse selon Saint-Jean n’est plus que de la roupie de sansonnet.

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    Voilà en quoi consiste l’art théâtral de Beat-Man : il entre dans le sujet comme dans du beurre. Lui et Sœur Tape-Dur défoncent la rondelle des annales pour que passe la caravane du ramalama. Ils transforment le beat en montagne pelée pour que toussent les îles, ils knockent down the heaven’s door, ils serrent la vis de Clovis et lui Trouillent la bouille, ils battent tous les records d’excellence combinatoire. L’ignoble morve trash de Beat-Man qu’on connaît par cœur se mélange aux fièvres de Sœur Tape-Dur, ils montent ça en neige du Kilimandjaro, avec une sorte de perversité casuistique. Du coup, ils dématérialisent le concept du duo pour le recréer selon the Beat-Man Way. C’est un tour de passe-passe hallucinant. Beat-Man crée son monde à partir de rien, il part de triple zéro, comme lorsqu’il racontait l’histoire de son enfance au temps du Beat-Man Way. Voilà qu’il nous narre à présent sa saga. Il remonte loin dans le temps, très loin, plusieurs millions d’années en arrière, lorsqu’il arriva sur terre et qu’il vit se former les océans et qu’il vit pousser les arbres et qu’il vit des poissons sortir de l’eau pour devenir des bestioles qui allaient se redresser pour commencer à marcher, oui à marcher !

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    Mais tout cela n’était rien en comparaison de ce qui allait suivre, car il vit les bêtes commencer à s’entre-dévorer, et les choses allaient encore se détériorer avec l’apparition des hommes qui allaient rapidement se multiplier et qui allaient commencer à construire des maisons, yes build houses, de plus en plus de maisons, et qui allaient construire des villes, yes big towns ! Puis il vit des gens se foutre sur la gueule, killing each other ! Raping each other ! Stealing from each other, il n’en revenait pas de voir tout ce bordel, toute cette mauvaiseté, toute cette violence, il vit même des hommes en détrousser d’autres qui n’avaient presque rien, et comme si cela ne suffisait pas, il les vit détruire tout ce que possédaient les autres, yes they destroy everything the other has ! Il les vit violer des femmes dans les villages et les même les animaux ! Tout cela n’était plus qu’un endless hell fire, un enfer sur la terre, alors il craqua et décida de fuir cette planète de malheur et toute la décrépitude du genre humain ! I decided to fly away from this planet of hate ! Puis il est revenu en 2018 pour tenter de sauver le genre humain en implantant des puces dans tous les cerveaux, des milliards de puces - I’m in your brain ! - Et c’est tant mieux. Il vaut mieux être contrôlé par Beat-Man que par les mecs de Google.

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    Tout est là. The Beat-Man Way ! Il prêche sur scène pour enfoncer ses clous. Sœur Tape-Dur et Beat-Man réinventent complètement le concept du duo éculé par tant d’essais, des White Stipes aux Black Keys en passant par les Kills et les Kulls. En fait, ce n’est pas qu’ils le réinventent, ils le beat-manisent, c’est complètement autre chose. On imagine pas à quel point un duo peut devenir explosif, en tous les cas on ne l’aurait jamais imaginé sans Beat-Man et Sœur Tape-Dur. Pour éviter la surchauffe, ils sont même souvent contraints de revenir à des choses plus calmes. Dans la vie, il faut parfois essayer de calmer le jeu. Et chaque fois qu’ils relancent leur pilon des forges, Sœur Izobel saute sur son tabouret. Elle frappe à bras raccourcis, mais avec un objectif : suivre the Beat-Man Way. Bien sûr, on sait Beat-Man doué, mais on ne l’imaginait pas doué à ce point-là. But Beat-Man doesn’t give a FUCK !

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    On retrouve toute cette folie dans l’album qui vient ENFIN de paraître. Ça fait six mois qu’on est là comme des cons à l’attendre, depuis les concerts au Petit Bain en première partie des Oblivians et au Rush sur la presqu’île. Six mois, non seulement c’est inhumain, mais ce n’est pas sympa. Le prêche évangélique dans lequel Beat-Man couvre la terre de honte se trouve en fin de B et s’appelle «My Name Reverend Beat-Man». C’est un document hystérique capable de galvaniser des foules en manque d’insurrection. Ah si seulement Beat-Man pouvait passer dans les émissions de télé aux heures de grande écoute ! Il battrait tous les records d’audience, c’est évident. L’autre gros coup de Jarnac de cet album qui s’appelle Baile Bruja Muerto, c’est bien sûr l’effarant «Pero Te Amo» qui démarre dans l’exotica de basse extraction pour se transformer en stormer du désert. On y voit ce filou de Beat-Man entrer au but I love you et ça bascule dans le chaos éruptif, c’est même l’une des pires exactions dingoïdes qu’on ait vu ici bas depuis le temps de Peter Aaron et des Chrome Cranks. On voit Sœur Tape-Dur sauter sur son tabouret dans «Come Back Lord», just keep on walking/ Walking in the streets, pur jus de beatmania, stompé au one-banditisme - Just keep on walking/ keep on talking - Ils nous plongent dans les basses œuvres d’une fosse de vidange de rêve. Ces démons enchaînent avec un «I Never Told You» drivé à la purée de fuzz. Sœur Tape-Dur pose ses conditions - I can’t satisfy you baby - Et elle ajoute avec une moue extrêmement désagréable : «I won’t be thinking about you/ When I hit the road !» Oh la la, Beat-Man joue son solo sur une seule note. On a l’impression que l’immeuble va s’écrouler, tellement la terre tremble. Par contre, il se vautre un peu avec sa version du «Love Me Two Times» des Doors. Il tente le coup du heavy doom des catacombes, il tente de transcender la lizarderie et d’enfiler le mythe à la hussarde. Il ne fait que couler un bronze gras et tiède. Ce démon ne respecte rien. Il est vrai que Jimbo aurait adoré ça.

    Signé : Cazengler, con comme une bite, man !

    Reverend Beat-Man & Nicole Izobel Garcia. Le Petit Bain. Paris XIIIe. 28 mai 2018

    Reverend Beat-Man & Nicole Izobel Garcia. Baile Bruja Muerto. Voodoo Rhythm 2018

    07 / 02 / 2019 – PARIS

    BLACK STAR

    RÂOULEX KING TRIO / BILL CRANE

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    L'on avait choisi les filles de Shewolf pour ce soir, mais les louves ne sont pas entrées dans Paris, pas de panique - porte close comme bouton de rose sous la bise n'est pas mortelle tuberculose sur la banquise - ne pas confondre un rocker privé de concert avec le pacha du Titanic qui partit jouer aux saute-glaçons sans prévoir les canots de sauvetage pour les soirs de naufrage. Les regards se tournent vers moi, mais c'est dans la tourmente que l'on reconnaît les grands capitaines. Bien sûr que j'ai un plan B, j'en ai même deux, le premier ce sont les Boys Spunyques à Fontainebleau, mais vu l'heure et la distance voici un pari hors de Paris dont la victoire reste aléatoire, la deuxième solution B prime : Bill Crane à l'Etoile Noire ( Black Star ) du côté de la Bastille. C'est celle-ci qu'il faut prendre !

    RÂOULEX KING TRIO

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    On arrive juste à temps pour le début de Râoulex King Trio, sûr qu'il y a une guitare qui sonne joliment country, l'est dans les mains d'Alexis Dupont, casquette et lunettes lui confèrent l'air de monsieur tout le monde, mais attention un personnage, le français au-dessus de la moyenne qui roule en solex et qui râle comme pas un. Une voix, un ton, qui attisent la sympathie. A sa gauche au fond de Lo, Azelo à la basse, et si j'osais José à la batterie. Formation réduite, mais tout terrain. A la manière de ces usines chinoises qui s'adaptent à la demande, le lundi vous fabriquent des casseroles, le mardi vous sortent des bicyclettes et le mercredi des feux d'artifice. Le King Trio c'est le couscous royal, mille épices différentes du curry ska au piment rock, et salmigondis de viandes doctement faisandées, fricassées de textes d'esprit apache et d'ironie faubourienne, hachis de hits tangentiels qui frisent le délire poétique, empruntés à Bashung, Thiéfaine, et Dutronc... Le Râoulex King Trio brinqueballe mais parvient toujours à bon port. Vous refilent de la bonne came en poudre d'or et de perlimpinpin, un subtil alliage qui mêle auto-dérision et rentre-dedans. Les titres défilent à la manière d'une manifestation festive aux banderoles colorées de paroles vertes et noires. Un peu de rouge saignant avec Sitting Bull. De temps en temps Alexis nous donne une régalade d'harmonica qui lui donne un faux air de Dylan, puisque en authentique adéquation avec lui-même. José nous offre un de ces petits soli de batterie comme l'en faisait dans les années soixante, pas trop long mais grondant à souhait. A Lo de le seconder pour ces rythmiques skaïques sautillantes, sur lesquelles la voix d'Alexis s'entremêle avec la vigueur d'une liane rampante qui passe d'arbre en arbre en se jouant des intervalles. Sur les deux morceaux, au débotté Patrice s'en vient adjoindre son saxophone, s'insère adroitement dans le tempo, comme chez lui, aussi à l'aise qu'un poisson rouge dans la Mer Rouge. Pas la foule des grands soirs pour cette soirée, mais un vif succès pour le Trio fortement encouragé par un quarteron d'admirateurs enthousiastes.

    BILL CRANE

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    Changement de programme. Bill Crane n'a jamais résonné aussi fort. Jamais aussi new-yorkais, une espèce de garage avant-gardiste sans concession. Un ordre de bataille d'une efficacité extrême. Sur les côtés, deux ailes de cavalerie lourde. Pour les premiers morceaux Bobo aura un jeu de cymbales particulièrement bruitiste, clinque et clanque de partout, produit une espèce de métallifération sonore diffuse qui s'insinue et tintinnabulise l'atmosphère, un ensorcèlement incantatoire vaudouïque destiné à dézinguer votre stabilité mentale, vous coupe de vos repères sensoriels, vous désarçonne, loa de boa cataphractaire. Si Bobo a choisi de vous ensevelir dans un ouragan de sable désertifiant, Patrice adopte une tactique différente. Celle du sax oriflamme, du buccin de la victoire, s'est planté au milieu de la mêlée et n'en démordra pas, saxophone et sax assomme, incessantes cuivrées assénées et assassines. Patrice souffle sans interruption et sans fin, il faut espérer que le jour où l'engeance humaine disparaîtra il restera un ultime souffleur de cette espèce pour perpétuer au-travers l'espace intersidéral infini l'écho exacerbé de notre extinction dinosaurienne. Mais tout cela ne serait rien, s'il n'y avait entre les deux cadors les phalanges cordiques.

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    Eric et sa guitare, elle porte d'étranges tatouages, elle ressemble à une feuille de journal trop longtemps abandonnée dans une flaque d'eau sale. Les colonnes détrempées se sont déplacées et entremêlées, la lecture en est devenue floue. Alors Eric se charge d'énoncer le dernier message, ces mauvaises nouvelles d'un monde en perdition. Il brise les riffs, les triture, les désarticule, les rature, les torture, les transforme en d'innommables raclures censées envenimer les gerçures de vos âmes perdues. Mais c'est le rock qu'il est en train de tuer, arrêtez-le dans son geste impie et impitoyable ! N'en faites rien, laissez-faire, car s'il ne meurt, il sera incapable de renaître. Ne chante pas, il proclame et vaticine, sa voix est menace, à peine montée qu'elle sombre, à peine au fond qu'elle fond sur vous à la vitesse de l'exocet. Suit une ligne amélodique qui oscille entre imprécation et distanciation. Comprenne qui ne pourra pas. Entend qui ne pourrit pas. A ses côtés Gwen le silencieux. Souvent en attente, en alerte. Lorsque le bateau penche trop, c'est alors qu'il le soutient et le tire avec le filin de ces lignes de basse, remet à flots la barcasse à moitié échouée sur les récifs, déporte le courant pour qu'elle ne s'enquille pas définitivement sur les brisants acérés, contre les dents cariées de la mer. Gwen est le phare dans la tempête. Les trois autres crapahutent et tarabustent. Gwen construit la hutte de survie sur la bute de basalte noir que la montée des colères océaniennes n'engloutira pas.

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    Quelques titres, l'initial She's My Baby, la revendication primale et primaire du rock'n'roll, l'urgence sexique que rien ne comble, ni sa plénitude, ni sa finitude, Eric en éjacule les lyrics comme jus empoisonné de mangue entrouverte, Travelin' Man, l'errance de la solitude à la poursuite de sa propre fierté, Darkness un orage noir de gouffre aux senteurs de soufre, faut entendre Bobo, quitte les hauteurs stratégiques des cymbales pour le galop des toms, se prend au jeu, sa frappe devient puissance, orchestre fou, cataclysme qui ne sait s'arrêter, et de l'autre côté Patrice fait chorus avec lui, nous offrent un duel sax-tambour, deux taureaux furieux qui s'affrontent de toute la force de leur musculature, l'un qui souffle du feu par les naseaux et l'autre qui donne des coups de front à vous casser les bucranes. Danse sacrée des joutes néolithiques. A laquelle succèdera l'étrange ballet saxofaunique d'Eric et de Patrice, la guitare qui morsure tout azimut et le sax qui ouvre sa gueule maintenant de crocodile, et le caïman dément se métamorphose en félin géant à la crinière impérieuse. Parfois le rock électrique parvient à évoquer la brutalité innocente de ces outre-temps antédiluviens. Retourne à une sauvagerie enfouie et endormie depuis si longtemps dans nos zones d'ombres charnelles et nos abîmes mentaux que nous les avons oubliés, que nous nous croyons supérieurement civilisés alors que nous ne sommes que l'ombre squelettique de nos désirs émoussés. Alors il est bon qu'un groupe tel que Bill Crane vienne nous tirer des marécages de nos léthargies, nous réveiller de nous-mêmes, nous rappeler que nous sommes des mines d'or que nous avons laissées en déshérence... il se fait tard, un dernier rappel que Bobo culmine en un requiem fracassant, une onde de choc pyramidale. Cris et applaudissements fusent, des mains émues se tendent pour remercier. Passage et échange de l'énergie du rock'n'roll !

    Damie Chad.

     

    08 / 02 / 2019 – MONTREUIL

    LA COMEDIA

    MOTOR KIDS / FOLSOM

    THE WEALTHY HOBOS

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    A peine pénétré dans la Comédia la truffe chaude de Whisky se pose sur ma jambe. C'est sa manière à lui de dire bonjour pendant que Personne, son maître, s'affaire à la sono. De toute la faune réunie ici, Whisky est vraisemblablement celui qui possède la meilleure ouïe, et peut-être entend-il des fréquences rock'n'roll inaudibles à nos misérables esgourdes. N'a que quatre pattes, mais peut-être est-il plus savant que nous tous réunis. Anubis stellaire.

    MOTOR KIDS

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    Pas vraiment des kids mais très loin du troisième âge. Coupe afro à la Hendrix ou à la Clapton version Cream pour Kejji à la basse et Alim Elborki à la lead. Un premier morceau qui me fige la raison et me laisse mi-figue mi raisin, pas de direction évidente, impossible de dire à quoi ils veulent en venir. Hurlement de Léo Flank à la batterie, à vous fouetter les sangs de tout rocker jusqu'à lors indécis - disons-le à la manière des sceptiques grecs qui suspendaient prudemment leur jugement avant de porter un jugement définitif – nom de Zeus, voilà que ça se met à trotter allègrement, se sont apparemment réchauffés les doigts et décidé à mettre le turbo à la turbine. Toutefois faudra attendre le troisième morceau pour piger vers quel objectif lune ils ont jeté leur dévolu. Jusque là, Alim Elborki avait caché son jeu de guitare. S'était contenté de ronronner collé à la rythmique comme le chaton au ventre de sa mère. Premier envol, et ils ne sont pas prêts à tourner rond, misérablement en orbite stationnaire autour du plancher des vaches sages. Un seul mot d'ordre, vers le plus haut du haut. Autant de morceaux, autant de montées souveraines, en de longs soli en partance pour les étoiles. L'est suivi comme une ombre par Kejji, fidèle écuyer qui suit son chevalier du zodiaque dans les altitudes les plus vertigineuses, les espaces les plus raréfiés. Sûr qu'Alim a écouté Hendrix, pas expressément celui de l'Expérience, celui de la dernière période, ne compresse pas les notes, les étire, les épure, rappelle un peu la fluidité des Allman, en davantage détaché de la terre du blues, plus près des poussières cosmiques. Le berger du ciel rassemble la foule autour de la scène, tout le monde est d'accord pour suivre ce vaisseau qui fonce dans la viduité intergalactique.

    Nos trois gaminos motorisés au properpol se partagent le chant, plus rauque pour Léo, plus souple pour Kejji, plus éthéré pour Alim. Parfois l'on passe des zones de turbulence, d'énormes forces invisibles rejettent l'engin spatial vers le bas, il a touché à quelques plafonds de verre, quelques champs de gravitation infranchissables, mais non malgré ces agrégations d'orages de particules néfastes, il en ressort vainqueur, la guitare monte en vrille et transperce ces cuirasses de boucliers atomiques, alors Alim Elborki nous allume et nous lime un bouquet de soli incandescents qui vous arrachent des gutturalités extatiques de satisfaction. On les aurait suivis encore durant quelques années-lumières, mais ils n'ont pas eu le temps de percer la coque de la temporalité universelle. L'heure c'est l'heure... la descente est rapide, juste au moment où se profilait la courbe d'un astre mystérieux sur lequel nous ne poserons pas le pied ce soir...

    FOLSOM

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    Z'ont pris un nom pour dérouter les fans de rockabilly. Folsom, l'on se voyait déjà s'évader du pénitencier et rattraper le temps perdu en pillant une quinzaine de banques ou en attaquant le train qui transportait la paye des terrassiers de la mine de l'allemand perdu... Même en rock, il ne faut pas se fier aux étiquettes, nous nous sommes trompés de film, de bout en bout. Changement de décor et d'ambiance.

    Léo Flank est resté aux drums. L'a le boulot le plus difficile. Ne le plaignez pas. Il aime ça. N'arrête pas une seconde. L'est la cheville ouvrière essentielle et articulatoire de la formation. Flank vous flanque le funk comme volées assourdissantes de tôles méthodiquement agitées. L'est incapable d'émettre un rythme quelconque sans avoir envie – en enfant surdoué et sardonique – de casser illico la loco de son beat. Frappe sèche et a-rythmique. Le gars qui vous abat un arbre à chaque coup mais en biseau picassien. Professe une aversion pathologique pour tout ce qui est droit et régulier. Déteste les chemins les plus courts, n'aime que les lignes brisées, réussit à vous tracer des zig-zags sonores de traviole qui vous entrent dans l'oreille droite et ressortent par le pied gauche. Vous prend le cerveau à contre-sens.

    N'est pas le seul de la bande, l'a réuni des garnements de sa trempe. Florian ne joue pas de la guitare. Il pointille, il abrutille, il contrapuncte, il contrafunke, il enfonce des pitons dans le dos des antilopes riffiques, les pauvres bêtes ne peuvent plus courir, agitent leurs membres brisés spasmodiquement, s'affalent et tombent lourdement, l'est férocement secondé par Théo Defranaix, s'est spécialisé dans les défenestrations mutilantes, l'a la basse qui klaxonne pour vous conseiller sagement de rester sur le bord de la route et poum, un trucker balourd s'en vient vous écraser, juste pour vous apprendre à mourir.

    J'ai toujours pensé que malgré l'amour que je porte à James Brown que le funk n'est pas franc, que le groove peut devenir grave énervant au possible. En cela il n'est pas si éloigné qu'il y paraît du jazz. En moins intello, en plus prolo. Là où le jazz suggère, le funk fonce. En plus l'Histoire nous a appris que c'est un art qui dégénère facilement en musique de boite discoïdale.

    Dès qu'ils ont commencé à jouer, j'ai pensé, attention danger, chaussée glissante. Oui mais Folsom dans leur genre ils sont gâtés. Et pas petitement. Z'ont un as qui pique dur et fort, pas du tout caché dans leur manche. Peter Gattet, n'est pas comme ses collègues. L'a résisté à la tentation de prendre un instrument et de le transformer en percussion. Rien entre les mains. Des cordes d'airain dans le gosier. L'a la voix qui envoie. Grasse et collante, un corps de boa brûlant qui s'enroule autour de vous et vous enlace dans ces anneaux écailleux. Vous porte à ébullition au creux d'une cocotte minute explosive. Qui n'explose pas, c'est là le secret du funk, mais qui vous secoue salement, vous remue-ménage dans tous les sens, vous transporte dans ces manèges forains qui simulent le décollage d'une navette spatiale, sans que jamais vous n'atteigniez les étoiles, mais quel plaisir de sentir ses os s'entrechoquer. Le public s'envole dans un ersatz de pogo punk, une pantomime grotesque qui n'est pas sans esthétique d'ailleurs, une danse de pantins maladroits et énamourés qui s'approchent sans se se toucher, qui s'invitent en s'évitant, qui dessinent de leurs bras hécatonchiriens les silhouettes des partenaires de cette ronde mimétique.

    Folsom n'a aucune honte – et ils ont raison – Peter se lance dès le deuxième titre dans un hachis rappique destructeur dans lequel il excelle. Vers la fin il nous assènera un disc(o)-funk, en ses débuts martelé comme un lancer de marteau, mais en sa deuxième moitié, filant droit devant, tel une éjaculation de javelot. Le set s'est déroulé entre les deux extrémités de ce spectre fatal, abordera toutes les couleurs d'un heavy groove funky, calotté à fond de caisses embarquées sur un porte-containers salement engoncé dans une tempête de force 9.

     

    THE WEALTHY HOBOS

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    The last, but not the least. Enfin du rock. Qui brûle et renaît de ses cendres automatiquement à la manière du fabuleux phénix. Slim Terrorizer a ceint ses longs cheveux noirs d'un turban apache. L'est assis devant son kit drumique tel un guerrier de Geronimo qui prépare sa monture pour un raid meurtrier sur un village mexicain. N'a pas un vocabulaire limité mais il ne connaît pas le mot pitié. L'est né pour terroriser le monde et ce dernier ne moufte pas, n'a aucune envie d'attirer l'attention sur lui. C'est que Slim possède une frappe à deux coups. Un premier à la manière des batteurs chevronnés, galonnés et médaillés, le coup indubitable qui fait poum, qui tombe comme l'œuf de l'autruche, et au revoir les amis, je passe au suivant. Non ce genre de simplicité ne lui suffit pas. Vous file un surplus, un deuxième qui suit le premier comme l'ombre le soleil, de si près qu'il semble un écho renvoyé par les murs d'un canyon, au début, ce coup fantôme, ce coup zombie, vous surprend, lorsque vous recevez une balle dans le corps qui vous traverse le poumon, d'abord vous entendez le cri de souffrance que vous ne manquez pas de pousser et tout de suite après la détonation vous parvient – si vous êtes encore en vie – aux oreilles – un coup, deux bruits – est-ce un contre-coup envoyé en douce par la grosse caisse, je ne sais pas, ce qui est certain c'est que très vite vous croyez être au centre d'une chambre d'échos, et – j'ai oublié de le préciser, les Wealthy Hobos ignorent totalement le mot lenteur. Sont pressés de vivre.

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    Cette double percussion propulsive, ce n'est pas rien, mais ce n'est pas tout. Les Wealthy, jamais quitte, toujours double. Sacha B adopte la même tactique de la terre brûlée deux fois. Mais au chant. Un peu plus difficile peut-être. Un lointain souvenir de la réverbération Sun, je ne sais. Ce qui est sûr c'est qu'il possède une étrange technique, une corde vocale tendue comme d'un arc qui vous envoie la flèche mortelle, et une deuxième résonnante comme celle d'une lyre qui raquelle le requiem funèbre de votre entrée au paradis des braves. Cette seconde onde sonore semble plus amortie, le claquement bref d'une torpille-ventouse qui s'en vient se fixer sous la ligne de flottaison de la coque d'un tanker empli de pétrole. Pour la mise à feu, vous n'attendez pas des heures, quasi illico presto. Un titre comme Bloom, ça fait boum à la puissance mille, ça vous déplume la superstructure en moins de deux secondes, et Clutch enclenche et réveille en vous le réflexe pavlovien, fatal et passionnel, de votre appétence pour le goût immodéré de la destruction-rock.

    Les premières rafales de ce quatuor sont tellement ouraganiennes qu'au début l'assistance reste un peu en retrait. Le rock serait-il une musique dangereuse ? Oui bien sûr, c'est-là sa vocation, et bientôt le public de la Comedia en proie à une brutale remémoration platonicienne se souvient que c'est pour cet appel de la forêt sauvage, ce call of the wild, qu'il est friand de ces esclandres soniques, il se livre alors à un tohu-bohu barbare et pogoïque du meilleur effet.

    Leo B joue le lion solitaire. Non, il ne boude pas son plaisir. Vous griffe les oreilles, vous arrache la gueule de ces soli déjantés. S'échappent de sa guitare comme horde de vikings en rut. Toutefois rien de désordonné dans ces assauts redoutables. Agit en vrai stratège. Trouve le passage de la dérive entrevue au nord, entre la double flotte d'icebergs s'entrechoquant que sont les émissions échoïfiés de Sacha et de Slim, sa guitare serpente et se glisse en traits de feu entre ces castagnettes diaboliques, se joue de la difficulté, mais finit par sortir de ces pièges redoutables, et alors elle éclate en clameur d'épouvante.

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    Que serait le rock sans blues ? Inutile de barjoter à chercher la réponse. Sacha vous l'apporte, quand il ne chante pas, quand il ne soutient pas sa voix de ses riffs, il se saisit de son harmonica, prend soin de ne pas retomber dans les pesanteurs embourbées de la lancinante rythmique deltaïque, bye-bye les bayous et les alligators qui s'accrochent à vos jambes, en use et en carbure pour accélérer le mouvement, car à quoi bon ajouter un moteur d'appoint si ce n'est pour brûler les étapes et faire en sorte que l'ascenseur troue le toit de l'immeuble et vous propulse au septième ciel infernal.

    Nash Goldfinger – he loves bass, only bass – n'est pas en reste. N'est pas venu pour regarder pousser la bruyère sur sa tombe. L'a fort à faire. The Wealthy Hobos est bâti comme ces cuirassés à double tourelles de tir. Bosse selon deux angles d'attaque. Soutient dans le même temps la batterie de Slim et la guitare de Sacha, triangulation acrobatique, dédoublement à engendrer un vacillement d'identité, à vous perdre hors de vous-même, à vous engouffrer dans un voyage en astral sans retour, mais garde son sang-froid, l'est comme l'aiguille de la boussole folle qui retrouve toujours l'étoile polaire dans sa ligne de mire. Nash bass cash. Si Sacha porte si haut le flamboiement de sa voix c'est que Nash vous tisse, au plus près de ces altitudes, l'exhaustif filet de ces lignes de basse coulées d'or.

    Nos hobos sont riches. Répandent le rock'n'roll dispendieusement, à la manière de Zeus se métamorphosant en cette pluie d'or qui s'engouffra dans le sexe de Danaé afin d'engendrer les épopées pré-homériques et l'émerveillement des simples mortels. Mais le plus beau de la soirée, ce fut sans doute cette expression de contentement sur leur visage lorsqu'ils ont quitté la scène. Nous étions certains qu'il savaient qu'ils avaient rallumé le flambeau du rock'n'roll dans nos âmes inassouvies.

    Damie Chad.

    PARIS IS BURNING

    ( 2018 / Paris is burning )

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    La photo de couve ne laisse planer aucun doute sur le message molotov de ces groupes. Motor City Is Burning du MC 5 n'en finit pas d'irradier les révoltes populaires. Comme quoi une étincelle rock peut mettre le feu à toute la plaine. C'est que quand la coupe est pleine, elle se transforme en cratère volcanique. Les manifestations contre la loi Travail en 2017, et les rassemblements des Gilets Jaunes en 2018, s'inscrivent dans ces feux d'artifice dont la France, qui peut s'en enorgueillir à juste titre, est coutumière. Dans un souci constant d'amélioration de notre balance des paiements nous souhaitons qu'elles deviennent notre marchandise d'exportation la plus prisée dans notre monde mis en coupe réglée par les banques, les entreprises, les élites libérales et les Etats de moins en moins protecteurs, de plus en plus policiers. Tous unis et tous coupables dans cet accaparement des richesses et dans cette spoliation sans fin dont les dépossédés sont les principales victimes. En attendant leur anéantissements, voici quelques vingt cris de haine, de révolte et d'accusation proférés par dix groupes de rock en surchauffe. Ce Paris Is Burning est l'expression de ce feu qui couve.

    Les numéros correspondent à l'ordre de succession sur le CD.

    BREAKOUT : from Paris : punk as fuck, since 2013 ( ? ).

    1 : No master race : giclée de sons, dégoulinades de guitares, la batterie embraye, et c'est parti pour un cri de haine contre la haine bête. Un titre qui gronde comme une bête blessée et d'autant plus dangereuse. Ne plus se laisser faire. Riposter. 18 : Spitting : montée en puissance, un vocal dévastateur et un background rouleau-compresseur à qui rien ne résiste. Parfois le morceau ralentit comme un fleuve qui se calme pour mieux accumuler la force du courant. Finit par briser toutes les digues.

    ROCK'N'BONES : from Ile de France, riot punk, since 2005.

    2 : Marching dead : les morts marchent sans fin, un torrent de putréfaction hante les rues, les guitares dévalent le pavé et grondent de colère. Machine mortelle. Ne s'arrête jamais. 15 : Antifa rockers : marche militante au pas de course. Invincible et fiers d'être ce qu'ils sont. Z'auraient pu l'agrémenter de whahou ! féroces et menaçant, juste pour la couleur locale et la douleur policière.

    LOUIS LINGG & THE BOMBS : from Paris, punk rock, anarchism, revolution, annoying people, since 2006.

    3 : Grindstone : capharnaüm de bruits flottants, une voix féminine surnage et mène le train. Maintenant sont une chiée plus une à épandre le bordel dans le monde entier. La bonde excrémentielle est lâchée. Rien ne sera plus comme avant. Optimisme forcené. 13 : Rave and steal : une espèce de dessin animé musical dévoyé. La dépouille et la débrouille, l'on peut toujours s'en sortir, suffit de courir plus vite que le vieux monde. Une musique qui sortait autrefois des transistors. Méfiez-vous les temps changent plus vite que vous.

    KIDZ CET DOWN : from Paris, punk parifornien, since 2015.

    4 : Sweat, farn, buy and die : un flot de colère condamnifère qui emporte tout. Nul trou de souris où se cacher. Les guitares dévalent la chaussée du destin. Le band a décidé d'écraser tous vos espoirs. Une voix d'outre-tombe et un salmigondis de guitares sans pitié. Le pire est à venir. Un des meilleurs titres de la compil. 17 : Enjoy it all : porte bien son titre, une voix sympathique qui s'adresse à vous, une invitation festive, très différent du morceau précédent. Surprenant.

    THE MERCENARIES : from Paris, punk, since 2014.

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    5 : Night Call : presque joyeux, rythme entraînant qui s'amuse à casser les trois pattes d'un canard. La cruauté de l'ironie ne connaît pas de limites. Intermèdes sautillants mais les voix vous rappellent que votre devoir de révolte vous appelle. Sortez de vous-mêmes ! Dansez jusqu'au bout de la nuit. Lumineux et ingénieux. 16 : Rocky Road : des voix qui claquent et l'on est embarqué dans une espèce de comptine punk, un orgue s'amuse à bousculer les ellipses temporelles, tout le monde reprend en chœur brisé.

    UNION JACK : from Paris, punk rock, since 1997.

    6 : Blackout : Une voix qui festonne par-dessus une purée de sons indescriptibles. A toute vitesse. L'on dirait que la batterie vous tire la langue très fort. L'impertinence du désespoir. Et puis chacun s'exprime bien loud and lourd et toutes ces vitupérations sont nids de vipères heureuses de posséder leur venin mortel. 20 : The Glore : un dernier pour la route et la gloire des causes perdues qui triompheront toujours. Voix goguenardes, musiques sautillantes. Attention sous la plage les pavés ne demandent qu'à voler comme merles moqueurs au temps des cerises mûres.

    HUMAN DOG FOOD : from Mantes-la-Jolie, punk, since 2005.

    7 : Nothing has changed : urgence, il serait temps de perdre ses illusions et d'envoyer tout balader, la comédie a trop duré, l'on aimerait tant qu'elle tourne enfin au drame sanglant. Briser le cercueil des jours immobiles, tel est le mot d'ordre. 11 : Sometimes : encore plus fort, encore plus violent, encore plus rapide, plus de temps à perdre, la batterie reprend souffle et les guitares vous tombent dessus comme pluie de pavés sur les CRS. Il est temps de mettre le feu. Sirènes clignotantes dans le lointain arriveront trop tard.

    HARASSMENT : From Paris, weirdo punk for hipsters making business, since 2015.

    8 : Just don't : Une corde de pendu qui se balance dans un cliquètement de cymbales, des guitares musicales par dessous et une voix comminatoire qui précipite le hachis final. Malgré les éructations vocales, le morceau possède un fort avant et arrière-goût instrumental. Superbe orchestration. 14 : Concrete walk : voix caverneuse qui s'enfonce au milieu de la terre. Des éclats métalliques de guitares éparpillées et un galop de batterie qui fonce la tête la première contre les murs. Une immense cavalcade défile sous vos yeux ébahis.

    ALL THIS MESS : from Paris, playing a loud blaring punk rock, since 2015.

    9 : Screen head : brouillard dans votre tête, l'est occupée par des ondes étrangères qui la colonisent, une voix féminine bat le rappel de vos neurones, la batterie claque comme une marche guerrière, délivrez-vous, Suivez la grande prêtresse, elle vous emmènera où elle veut. Et vous serez heureux. Un must. Au-dessus du lot. 19 : The way they go : Alicia bien sûr, qui chevauche une rythmique de fous furieux. Chevauchez le tigre, le serpent et l'éléphant, c'est ainsi que vous vous accomplirez. Les autres laissez-les, vous n'en avez plus besoin. Démentiel.

    STATELESS : from Mantes-la-Jolie, street punk, hard punk, since 2015.

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    10 : 1986 : Une voix de rage qui déferle , des tumulus de stimuli de guitares s'effondrent sous les butées rageuse d'une batterie infatigable. Rien à perdre. L'on pense à certaines pages de Moravagine de Cendrars. 12 : Pollution : un flot d'ordures vous submerge. La voix surnage parmi les débris. Vous avertit que bientôt il sera trop tard. Elle s'étrangle de haine. Ce qui vous attend est déjà là. Tant pis pour vous.

     

    Un CD qui n'a pas été primé aux Césars de la Musique. L'on se demande pourquoi. A croire que le monde est injuste. Mériterait tout de même le sticker Parental Advisory Explicits Content. Mais que fait la police ?

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 385 : KR'TNT ! 405 :JP BIMENI & THE BLACK BELTS / STEVE WYNN / NAUSEA BOMB / ANTI-CLOCKWISE/ ALL THIS MESS / BLUE VOID / UNDERVOID / PSYCHOÏD

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 405

    A ROCKLIT PRODUCTIOn

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    07 / 02 / 2019

     

    JP BIMENI & THE BLACK BELTS / STEVE WYNN

    NAUSEA BOMB / ANTI-CLOCKWISE

    ALL THIS MESS / BLUE VOID

    UNDERVOID / PSYCHOÏD

    The Bimeni beat

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    La légende du programmateur raconte que JP Bimemi vient du Burundi. C’est bien, parce que ça rime. Voici deux ans, Mudibu officiait au sein de l’Otis Show, un groupe de reprises d’Otis basé à Londres. Aujourd’hui, il devient JP Bimemi et se glisse dans les Nuits de l’Alligator accompagné de Black Belts espagnols. JP Bimeni est l’un de ces showmen capables de redonner à la Soul une vie nouvelle, l’un des Soul Brothers capables de réchauffer le petit peuple en hiver, il danse sa Soul avec une grâce infinie, comme s’il jerkait avec des pieds ailés, si l’on se réfère aux mythologies de la Grèce antique.

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    Contrairement à Charles Bradley et Lee Fields, JP Bimeni est encore assez jeune, mais il semble disposer de tous les apanages de la vétérance de toutes les guerres, il shoote et bamalate exactement comme Otis, avec une insistance dégoulinante de cette sueur qui fit jadis étinceler des rivières de gouttes sous les projecteurs des plus grandes salles du monde, oui, JP Bimeni dispose de cette bravado qui lui permet de shaker le Shake de Sam et de Cooker le cake de Soul, de fouler le Pitiful au sol de la Soul et d’imposer le vieux Respect de l’Otisserie de la Reine Pédauque.

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    Il nous fafafate et nous Turn You Loose comme des crêpes, il fait des kilomètres sur scène et nourrit une relation gourmande avec un public conquis d’avance. Il faut le voir nous dévorer des yeux. Cet homme ne résiste pas à l’envie de montrer son bonheur d’être sur scène pour chanter sa Soul, et forcément, sa Soul est bien meilleure sur scène que sur l’album qu’on trouve dans le commerce, Free Me. Et même mille fois meilleure. C’est comme de comparer le costume en vitrine et le costume porté. Rien à voir. JP Bimeni incarne son art avec une élégance qui laisse coi, mais qui fait bouger les hanches.

     

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    Il a cette chance extraordinaire d’être accompagné par un backing-band irréprochable, on voit bien que ces mecs ne vivent que pour ça, car ils swinguent, mais pas aussi spectaculairement que les Anglais qu’on avait vu au Vintage Weekender de Roubaix. Ils swinguent d’une autre façon, disons pour faire simple plus groovy. Les latins ont cet avantage sur les Anglo-saxons qu’ils savent aller et venir entre tes reins. Le mec qui joue de la basse est un modèle de statisme décontracté. Sur le manche, sa main gauche ne bouge quasiment pas et il joue toutes les grosses gammes de la Soul avec une fabuleuse précision. Il ne bouge que ses jambes, et les nôtres avec.

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    La grande différence entre les Anglais et les spanish Black Belts, c’est l’orgue. L’Anglais jouait sur un orgue Hammond et pulsait ce son qui depuis Jimmy Smith est l’incarnation du groove. Le keyboard man des Black Belts joue sur un petit piano électrique, mais God, il faut le voir jouer ! Ce petit mec à lunettes swingue comme Georgie Fame et joue quasiment avec tout son corps. Il est d’autant plus exposé en vitrine qu’il est installé au devant de la scène, à deux pas du public entassé au pied de la scène.

     

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    JP Bimeni n’en finit plus de virevolter d’Est en Ouest, il improvise des pas de danse, il nijinskitte sa Soul, il lui donne des allures de grandeur, sa chemise blanche et ses bretelles noires le renvoient incidemment à Montand, JP Bimeni fait sa bête de scène avec tact, il ne bascule jamais dans la démesure, l’homme sait rester léger et prodigieusement accessible. Ce contact permanent avec le public le rend décidément humain, trop humain. C’est l’avantage qu’ont les Soul Brothers sur les groupes de rock, ils savent transformer un show en une espèce de communion, oh pas celle des églises, celle qui remonte au temps d’avant les dogmes à la mormoille et qui établissait des liens invisibles entre les esprits. Comme on ne savait pas comment interpréter ce phénomène, on qualifiait ça de magie. JP Bimeni n’a même pas besoin de hits pour chauffer sa Soul aux vermicelles, il lui suffit d’établir le contact avec les gens, à la fois par l’esprit et par les hanches. Il fait une seule reprise, le «Keep On Running» du Spencer Davis Group qui n’est même pas sur l’album. Belle version espagnole, mais pas forcément bien adaptée à ce genre de contexte. On sent trop le rock de blancs, même si Stevie Winwood chantait comme un noir en culottes courtes.

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    Comme sur l’album, c’est le morceau titre qui tape vraiment dans le mille, ce n’est pas qu’il sonne comme un hit, mais il s’impose, grâce à son petit shuffle d’orgue relancé aux cuivres - Forget what I say - JP Bimeni veut la liberté absolue, c’est le vieux rêve du grand peuple noir. Il tape son Free Me à l’insistance considérable. Il fait aussi pas mal de balladifs éplorés, comme ce «Moonset», un peu passe partout, mais ce type de slowah va combler la grande majorité des amateurs de Soul moderne, car tout y est : le collant, les mains baladeuses, la grandeur d’âme qui va avec, la connaissance par les gouffres et l’art de la Soul qui n’appartient qu’au seul peuple noir. Joli coup d’épée dans l’eau traversé par une bassline de rêve. Alors, oui, bien sûr, tous ceux qui n’auront pas la chance de voir JP Bimeni sur scène vont pouvoir essayer de se consoler avec l’album, dont la pochette vraiment réussie donne envie. Le seul canard qui l’a chroniqué, c’est Shinding. Ailleurs, que dalle. Le pauvre JP Bimeni va devoir tourner pour se faire connaître. D’autant que la Soul semble intéresser beaucoup moins de monde que le metal ou l’electro. Ainsi vont les choses. Il ne faut guère s’étonner de ces mutations. Les temps modernes n’ont absolument rien de moderne.

    JP Bimeni attaque l’album avec «Honesty Is A Luxury» et une authentique ferveur de Soul motion. Il chanterait presque avec la voix éteinte d’un vieux requin. Que ne fait-on pas comme miracles en studio de nos jours ! On sent chez lui une réelle pureté d’intention. Comme Sharon Jones, il cherche à rallumer le brasier de la Soul sixties, et «Same Man» en fournit la preuve. Il faut le voir ramoner la cheminée de sa Soul, on se croirait au temps béni de Stax et de Hi, quand la Soul hantait toutes les radios du monde. Même s’il est encore difficile d’écouter JP Bimeni après Sam & Dave et Syl Johnson, sa pugnacité l’impose. Mais pour être tout à fait franc, l’album semble souffrir d’un petit problème de production. C’est toute la différence avec ce qui sort sur Daptone. La Soul produite en Espagne refuse obstinément d’exploser. On a le même problème avec les trois albums des Excitments. La Soul espagnole n’est pas Mustang Sally, elle serait plutôt Rossinante. Même si tous ces mecs jouent comme des cracks, la prod fait salement défaut.

    Sur «Don’t Fade Away», ça groove adroitement, mais ça n’emporte pas la décision. JP Bimeni travaille sa Soul à l’insistance caractérielle et se livre à un admirable travail de sape. Il enchaîne les slowahs comme d’autres enfilent les perles, «Stupid» et «I Miss You» valent pour des cuts de Soul classiques et sans défaut. En lisant la pochette, on voit qu’ils sont composés par les Espagnols, et c’est toute la différence avec la Soul du team Isaac Hayes/David Porter. Avec «Better Place», ils passent au heavy groove de Soul et ça donne un cut beaucoup plus aérien. On voit JP Bimeni naviguer à la surface. Bon, c’est vrai, on a là une Soul un peu âpre qui refuse de décliner son identité, et c’est peut-être avec ce type d’écart que JP Bimeni peut faire la différence. Comme d’ailleurs dans le «Madelaine» qui suit, joué au gratté paradisiaque de la Jamaïque. JP Bimeni va sur les îles et il a bien raison.

    Signé : Cazengler, Bimenu

    JP Bimeni & The Black Belts. Nuits de l’Alligator. Le 106. Rouen (76). 2 février 2019

    JP Bimeni & The Black Belts. Free Me. Tucxone Records 2018

     

    Syndicate d’initiatives - 
Part Four

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    C’est avec Static Transmission paru en 2003 qu’arrive Jason Victor, plus connu sous le nom de Jason le démon. Quand on commence à écouter cet album, on ne se méfie pas. «What Comes After» sonne comme un petit balladif. Le problème, c’est que ça sonne vite comme un hit. Steve le Wynner gagne à tous les coups. Avec un nom comme le sien, c’est facile.

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    La fête se poursuit avec «Candy Machine». Ce heavy rock sonne comme un coup de génie et Jason le démon commence à tripoter sa wha-wha - Check out Candy Machine - Pur jus de rock boy oh boy. Au moins, avec «The Ambassador of Soul», les intentions sont claires. Steve Wynn descend ses paliers à coups de yeah. Il fait du rock éclairé de l’intérieur - Yeah I know/ So many things bring you down - C’est spectaculairement bon. Il chante du coin de la bouche - You want it so bad/ You can almost taste it - C’est très palpable. Quel fuckin’ genius et Jason le démon passe un fabuleux solo de flamenco, mais à contre-courant. Tout cela dépasse largement les bornes de l’intensité. Et ça repart de plus belle avec «Keep It Clean». Ah il faut voir comme il fait claquer son keep it clean. C’est balayé par des vents de guitare. Hallucinant ! Et il revient au chant comme si de rien n’était. Ce mec a véritablement du génie, il est bon de le rappeler - I’m doing my best to keep it clean - et ça monte, gloup gloup, ah quel entremetteur ! Dommage que ça s’arrête car ça méritait une resucée. On croit qu’il va se calmer. Non, car voilà un «Amphetamine» ravagé dès l’intro par des guitares vinaigrées. C’est joué à l’agressivité optimale. Steve Wynn jette tout son freak-out dans la balance, l’acide des guitares dévore l’acier de la morale. Tout cela relève soit de la démonologie, soit de la physique nucléaire. Il faut suivre Steve Wynn à la trace, car il fait partie des géants du rock américain. Les solos déments de Jason le démon valent bien ceux du Velvet, c’est intense et carbonisé dans la matière même du white heat. Jason le démon claque des arpèges des enfers et lance de fantastiques aventures. Il part et repart dans les vétilles de la véracité punkoïde de non retour. C’est à la fois violent et délicieux. On peut dire de ce cut qu’il est monté au pire beat de l’univers. Steve Wynn revient au chant comme le faisait Lou Reed au temps du Velvet, avec une mâle assurance - You gotta watch your step/ Or you’re gonna lose your way - Steve Wynn nous prévient, oh yeah ! - I’m gonna live/ Until the day I die - et tout bascule dans une fin d’apocalypse. Rien d’aussi dément sur cette terre que cette fin-ci - Until the day I die - Ni Polnareff (Lorsque sonnera l’heure de ma mort), ni John Brannon des Laughing Hyenas («Each Dawn I Die») n’ont jamais atteint ce degré d’exaction. Encore un coup de génie avec «California Style» qui voudrait sonner comme de la pop modèle mais on sent tout de suite le retour des ambiances suprêmes. Les chœurs suivent en cortège et font «California style». C’est la preuve de l’existence d’un dieu des chœurs. Tout est incroyablement judicieux sur cet album. S’ensuit un «One Less Shining Star» claqué aux vieux accords de heavy balladif légendaire. Arrivé à ce stade, il ne faut plus s’étonner de rien. C’est Steve Wynn qu’on doit suivre, alors on le suit. Il a les meilleurs plans. Il chante dans un brouet d’accords en trémolo et se hisse au sommet de la rock culture. C’est d’une démence qui nous dépasse - The environment had to connect - C’est bardé de son, mais au-delà des espérances du Cap de Bonne Espérance. Jason le démon envoie des véritables giclées de son. On se croirait dans une tempête, une fois de plus, avec des paquets de mer soniques - Fading from the public eye/ One less shining star in the sky - Pure démence de la partance ! Ouf, ça se calme avec «Maybe Tomorrow» et on prie pour le maintien du calme quand arrive «Hollywood». Il y sonne comme Iggy et Jason le démon balance des solos d’invective. Au moins, le message est clair. Fin de non-recevoir avec «A Fond Farewell». Ambiance à la Velvet - So I wish you a fond/ Farewell - et les filles sont ouh ouh. Steve Wynn chante ça sous son bon vieux boisseau. C’est fascinant. Il aménage dans un cut un fantastique espace de chœurs de ouh ouh. Cet enfoiré en profite bien - So I wish you a fond/ Farewell - Quel admirable héros ! Il y a un disque de bonus, mais c’est l’overdose garantie. Ne l’approchez pas.

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    Un piment orne la pochette de Tick Tick Tick paru en 2005. Dès «Wired», on comprend ce que ça signifie : Steve Wynn descend ses aw de rock’n’roll à l’admirabilité des choses - Wired this way - Tout est violemment claqué du bigorneau et pulsé au beat de Linda Pitmon. On se régalera aussi de «Freak Star», mid-tempo très électrique, emmené au timbre chaud. Et paf, l’affaire se corse avec «Killing Me», fabuleux déballage de rockalama fa fa fa. Ils y vont de bon cœur et visent la démesure apocalyptique. Oh ils en ont les moyens. Steve Wynn enfile les hits comme des perles, et «Turning The Tide» n’échappe pas à la règle, puisque visité par les vents d’Ouest, une pure diablerie ! C’est géré à la mélodie écarlate et vrillé à la wah-wah. Rien d’aussi catégorique. Voilà un cut de power-pop du haut Nil, «Bruises», avec une fin qui part encore une fois en vrille. On savourera aussi «Your Secret», groove de classe zébré de délices planants et on assiste impuissant au retour de la violence avec «Wild Mercury», une stoogerie zébrée d’éclairs. Steve Wynn fait son Iggy. Il jette toute sa passion stoogy dans la balance qui s’écroule. Il reste encore un gros cut sur cet album : «All The Squares Go Home». C’est du claqué d’arrière-boutique. Jason le démon solote à l’édentée pharaonique et Steve Wynn chante si sale que c’en est douloureusement bon.

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    Allez, tiens, encore un énorme album des Miracle 3 : Northern Aggression. Au point où on en est ! Là-dessus, le coup de génie s’appelle «Colored Lights». C’est joué à foison et c’est là que ça se passe. Cette power-pop fonctionne à la pulsion pulmonaire. Encore une fois, c’est noyé de son et brillant. On dirait du psyché tremblé à l’or fin, mais avec de l’épais répondant - I don’t know why - Steve Wynn maîtrise l’art des retombées. Autre cut spectaculaire : «On The Mend», attaqué aux accords sévères et joué à l’avenant du big sound. Steve Wynn entre au chant sur le tard et déclenche des dynamiques d’apocalypse. C’est visité par la rage du rock. Steve Wynn pousse toujours son bouchon très loin. On retrouve ce fabuleux chanteur dans «Ribbons And Chains». Tout est bien, chez lui. Il fait des hits quand il veut. Avec le «Resolution» d’ouverture de bal, il tape dans l’hypno de Can. C’est visité et visiteur à la fois - When I fly/ I fly - On le croit sur parole. Il chante sale, mais à la bonne franquette. Il a du son, c’est bien claqué au bassmatic, poussé dans les orties, salutaire et démâteur à la fois. Même les cuts plus banals comme «No One Ever Drowns» passent bien car la voix de Steve Wynn porte au loin. Il cherche sa voie et son timbre d’étain déteint dans l’étang. Il use et abuse de son accent tranchant dans «Consider The Source». Ce bel oiseau sait jouer de la traînarderie. Jason le démon passe un solo de petite concasserie invétérée. Nous voilà encore avec un heavy balladif de tradition sourde. Pas mal aussi cet «Other Side» amené aux accords de clairvoyance. Sous son chapeau étoilé, Merlin Wynn enchante la pop. C’est balayé aux accords de psyché parabolique. Et puis tant qu’on y est, on peut aussi écouter la belle power-pop de «Cloud Splitter». Il bat littéralement tous les records d’intentionnalité. Sa pop n’en finit plus de s’éclairer de l’intérieur.

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    Pas question de faire l’impasse sur Live At Big Mama. Ce serait du masochisme. Steve Wynn et ses Miracle 3 y font des ravages avec notamment une énorme reprise d’«Halloween». Linda Pitmon bat ça si sec ! Et Jason le démon rôde tout de suite dans les parages, il grimpe déjà dans les accords intermédiaires. Voilà une version pour le moins explosive ! Ils biaisent tous les climats et nous plongent dans les affres d’une mad psyché secouée de violents retours harmoniques. Quel gang ! Alors que les vagues submergent la terre, Steve Wynn se dresse pour chanter de plus belle. Ils nous claquent ensuite un «Something To Remember Me By» au sing-along de mad psyché itinérante. Jason le démon joue tout à la virulence, il surcharge le son de vibrillons d’exacerbation invétérée. On le voit aussi soloter dans le pâté de foie de «Good And Bad». Il est libre, il va où il veut. On le voit aussi truffer «Smash Myself To Bits» de vagues orientalistes de la pire espèce. Voilà un vertige psyché-psycho qui vaut largement celui de «White Light White Heat», oui, car puissant et battu comme plâtre. Jason le démon joue ça jusqu’au vertige. En fin de cut, Steve Wynn le présente au public italien : «On guitar, the king of Queens !» Oui, car Jason vit dans le Queens. Nouvelle flambée de violence avec «Whatered And Torn». Ces gens-là ne font pas dans la dentelle, comme on dit à Calais. C’est ultra-joué, ultra-chanté et porté à bouts de bras. Encore du heavy beat des familles avec «Southern California Line». Ces gens-là ne s’embarrassent pas avec les détails, il stompent à gogo comme des gagas et Jason le démon ne rate pas une seule occasion d’exploser tous les records. Cette folle de Linda emmène «Crawling Misanthropic Blues» ventre à terre. Eh oui, Steve Wynn a réussi l’exploit de s’acoquiner avec une batteuse extraordinaire. Il faut la voir déployer des trésors de relances à l’infini. Et ça n’en finit plus de monter en température avec «Death Valley Rain», cette folle stompe le beat indie, dommage qu’il soit si typé. Jason déploie ses ailes mais le beat l’enraye. Elle tatapoume, c’est dommage. Le Cacavas nous nappe «There Will Come A Day» d’orgue. Il se prend pour Al Kooper au temps de Dylan. Et ils terminent avec le cut fatal, «The Days Of Wine And Roses». Jason le prend à l’alerte rouge et cette folle de Linda psychote le beat, il sont dessus et ça prend une tournure absolument effarante, c’est un hit de tension maximaliste qui ne prend pas une seule ride. Jason le démon arrose l’oriflamme de fiel fumant, il joue du note à note inflammatoire, comme au concert du FGO Barbara. Ces gens sont tout simplement incommensurables.

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    Nouveau side-project avec Gutterball. Steve Wynn monte l’opération avec Bryan Harvey et Johnny Hott. Un premier album sobrement titré Gutterball sort en 1993. Ça n’a l’air de rien, comme ça au premier abord, mais un side-project de Steve Wynn ne peut réserver que des bonnes surprises. Ce que vient immédiatement confirmer «Trial Separation Blues». Ça sonne toujours aussi bien. Steve Wynn reste très dylanesque dans le nasal, dans la classe et dans cette façon de passer des tas d’accords rock’n’roll. Quel condottière ! Il fait claquer un riff en l’air et un mec part en glou-glou de wah-wah, alors ça prend vite de sacrées tournures, mon cher Tournesol. D’autant que Steve Wynn se prend vraiment pour Dylan. Il reste dans le Dylanex avec «Top Of The Hill». Forcément bien vu. Il sait doser ses effets. Par contre, il tape «Lester Young» au rock indie. C’est sa façon de rendre hommage au vieux Lester. On assiste en direct à l’adaptation d’un mythe black par des petits blancs. Retour du brouet d’accords cinglants avec «When You Make Up Your Mind». C’est véritablement joué à la foison d’accords psyché et claqué au Dylanex. Steve Wynn se veut seigneurial, tout est joué aux glissandos de moutarde, au bouquet suprême. On tombe plus loin sur l’effarant «Falling From The Sky», garage pop de haut vol, énorme et insistant. Ça sonne comme un hit. Un de plus. Voilà encore une merveille Wynnique : «The Preacher And The Prostitute», oui car c’est joué aux accords magnifiques. Voilà du psyché de mec qui s’y connaît en arpèges du diable. Et il chante si bien. Il n’existe rien d’aussi définitif qu’une bonne chanson de Steve Wynn. Il faut voir comme il y va, c’est effarant. Il sort même des trucs dignes des Beatles. Steve Wynn joue au clair de l’éclair avec un génie de la descente et tout résonne au firmament. Il s’agit là de l’un des hits du siècle. C’est ramoné à la basse et chargé de chœurs de dingues. Et ça continue avec «Patent Leather Shoes». Le problème avec Steve Wynn, c’est qu’il est bon de A à Z. Inutile de le soumettre aux tests. Il est superbe. Il explose tout ce qu’il entreprend.

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    Un deuxième album intitulé Weasel sort deux ans plus tard, avec un chien rigolo sur la pochette. Une fois de plus, c’est un album énorme. On serait presque tenté d’ajouter hélas. On trouve au bas mot trois coups de génie là-dessus, à commencer par «Transparency». Anyway, ce mec est dingue. Tout est irrémédiablement claqué aux accords de rock US. On voit même des marées de son se chevaucher et il revient chanter au timbre revanchard de transparancy. Quel incroyable phénomène ! Pure fantasia de sonic hell dylanesque ! Tout aussi puissant, voici «Hesitation», avec sa belle explosion d’oh yeah. Cette pop reste un modèle du genre - So many ways to leave before dawn/ It only takes one if you feel you can’t go on - Le redémarrage de fin de couplet est une merveille d’anticipation dynamique. Ce mec a du génie, il faut le rappeler, il sait envoyer ses giclées et revient calmer le jeu d’une voix caverneuse. On se régale aussi du heavy riffing de petite incidence de «Maria». Steve Wynn chante dans la profondeur épidermique. C’est une voix de proximité. Les guitares s’entrecroisent et fabriquent du heavy drone psychédélique et un killer solo n’en finit plus d’agoniser - I said Maria/ When are you coming back - Il se situe en amont de l’excellence, avec des killer solos de desperado. Son «Angelene» est tout aussi déterminant. C’est même une vraie bénédiction. Et voilà «Everything» infesté de guitares intestines. Quel festin de roi ! Avec Steve Wynn, on est servi comme des princes, alors qu’on vient du petit peuple. Il règne en maître sur l’empire du psyché définitif. Les solos coulent comme l’or des mines du roi Salomon et on frise l’extase collatérale. S’ensuit un «Over 40» tellement intense que les bras nous en tombent. Steve Wynn reste dans le move du heavy rock jusqu’au bout du bout. On peine à suivre une telle force de la nature. «Your Best Friends» vaut aussi pour un rock balayé par les vents d’Ouest. Il semble expédier les affaires courantes. Il percute l’occiput du rock bien né. Il refait du Dylanex avec «Is There Something I Should Know». Il s’y croit et il a raison de s’y croire, il éclot dans d’extraordinaires bouquets d’accords et avant qu’elle ne parte, il demande s’il y a quelque chose qu’il devrait savoir, il se fond dans l’osmose du cosmos dylanesque, ça fait illusion, en tous les cas. C’est tout simplement stupéfiant. Encore une merveille avec «Sugarfix», joué à la fantastique énergie de pop-rock psychédélique dans une immense clameur.

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    N’allez pas croire que Turnyor Hedinkov échappe à la règle : au minimum deux violentes énormités sur chaque album enregistré par Steve Wynn. Ici, elles s’appellent «Turn Down The Heat» et «Jimmy The Weasel». Heat vaut tous les plus beaux heavy boogies du monde. Le sien est même ravagé par des ouragans soniques de guitares émulsives. Heavy as hell ! Quand à Weasel, ce n’est pas «Little Johnny Jewel» mais c’est tout comme - Give my best of the family - Même genre de groove, joué au beat invariable, ce diable de Wynner joue la carte du groove délétère, hey Johnny, bye bye. Il prend «The Fire That Burns Both Ways» au demeurant de bas de voix et c’est absolument bardé de son. Il nous replonge une fois encore dans la réalité de son rock et ça tourne à la mad psyché. Même un balladif de circonstance comme «Cheaper By The Pound» sonne comme un hit incommensurable. L’empire du Wynner s’étend à l’infini. Il fait sonner le moindre cut comme un chart-topper. Chez lui, tout bascule dans l’excès de qualité. Ce mec est un surdoué du song-writing. Il profite de «Top Of The Hill» pour venir se plaindre - All alone at the top of the hill/ Ain’t got no dollar bill - et pouf voilà de vieux coups de guitare d’écho mortel, comme s’il y avait un bayou au sommet de la colline, ce qui semble pour le moins incongru.

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    Nouveau side-project, cette fois en forme de super-groupe, avec The Baseball Project. Peter Buck fait partie de l’aventure, ainsi que Linda Pitmon, transfuge des Miracle 3, et Scott McCaughey, qui a joué dans les Longshots de Roy Loney. Question contenu, ces disques nous échappent un peu car Steve Wynn et ses amis racontent des histoires de joueurs de baseball, mais musicalement, ces trois volumes sont des bombes.

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    Vol 1. Frozen Ropes And Dying Quails paraît en 2008. Trois énormités s’y nichent, à commencer par «Jackie’s Lament». C’est explosivement bon, certainement l’un des plus beaux mid-tempos de tous les temps. Le génie du Wynner éclate une fois de plus au grand jour. On peut dire la même chose de «The Death Of Big Ed Delahanty». C’est tapé au vieux shuffle d’underground de white heat et gratté aux accords dévorants, comme du hot garage californien. Il faut aussi écouter «The Closer» car c’est un cut littéralement infesté de guitares contrevenantes. La vision de Steve Wynn est celle d’un rock supra-énergétique unique en Amérique. Il n’existe pas de pire énormité qu’un cut comme the Closer. Tout l’album est bon, d’ailleurs on est fixé dès le «Past Time» d’ouverture du bal, car voilà une belle dégelée de power-pop cristalline chantée à l’insistance bavaroise. C’est stupéfiant de mise en place et de verdeur maximaliste. Et avec «Ted Fucking Williams», ils passent au heavy glam. Ils s’autorisent toutes sortes de flagorneries. Dans «Gratitude» règne une grosse ambiance de chœurs évangéliques. C’est très envoûtant. Steve Wynn plaque bien ses accords. Ces gens-là sont des maniaques de la qualité. On sait que Steve Wynn adore Bob, alors personne ne sera surpris d’entendre «Satchel Paige Said». C’est chanté à la pince à linge, avec de grands coups d’harmo par derrière.

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    Vol 2. High And Inside s’inscrit dans le même registre hautement qualitatif. Steve Wynn et ses amis attaquent avec «1976», un balladif d’une classe épouvantable. Ce mec atteint à une dimension classique infernale, comme le fit jadis Frank Black. Son rock résonne dans les couloirs de l’intellect. La classe parle toujours. Voilà encore un hit : «Don’t Call Them Twinkies». C’est puissant car balayé à la wah-wah. Le génie balladif de Steve Wynn vaut bien celui de Dylan. Il a vraiment de l’aplomb. On a là un cut d’une puissance ravageuse. Chez le Wynner, il y a toujours du son. Il chante «Chin Music» au Dylanex des bas-fonds. Il tape dans une espèce d’Americana chargée d’orgue de barbarie et hantée de chœurs déments. Il faut vraiment écouter cet album. Tiens voilà encore un hit : «Tony (Boston’s Chosen Son)». Steve Wynn chante ça avec fermeté, au gras du timbre. Il émane de ce cut un vieux relent à la Kurt Weil. Encore une énormité avec «Twilight Of My Career». Steve Wynn croasse au sommet de son art. C’est encore une fois un balladif imparable.

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    Impossible de faire l’impasse sur The Broadside Ballads, un album paru sur Yep Rock Records en 2011. Pourquoi ? À cause d’un cut nommé «The Way It’s Gonna Be», un cut extrêmement énervé, that’s the way, emmené à l’énergie psychotique, ils sont complètement dingues, Steve Wynn embarque ça au speed-talking de wall of sound. «All Future And No past» sonne comme un hit dylanesque. Steve Wynn n’en finit plus d’enfoncer son clou. Il passe à la fantastique pop de cake avec «Clubs 2010». Ça tient si bien la route qu’il n’est pas utile de tenir le volant. Ah qui saura dire l’extraordinaire aisance du Project ? Steve Wynn traite «30 Dec» au petit trot, il ne traîne pas en chemin, oh yeah, il se conduit en vrai maître chanteur capable de speeder le talking blues comme son mentor Bob. Ses oh yeah tombent comme des cascades de bonheur dans la vallée enchantée. Oh il faut entendre ce «(Do The) Triple Crown» joué au heavy shuffle de juke. Ces mecs sont incapables de se calmer. Bizarre que personne n’ait pensé à faire interner ce fou génial de Steve Wynn. Il nous fait le coup du Triple Crown au coin du juke, lalala et c’est trashé jusqu’à l’os du fion par un solo délétère, évidemment. On se régale aussi de l’excellent «The Grants Win The Prennants», un heavy balladif of it all. Ce Wynner de tous les diables gère la heavyness avec tout le tact et la délicatesse d’un véritable entrepreneur.

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    Paru en 2014, 3rd est le meilleur des trois volumes. On se demande vraiment comment fait Steve Wynn pour monter chaque fois d’un cran. Ça grimpe en température dès «Slats» et ça explose avec «From Nails To Thumbtacks». Voilà un son qui dégage le ciel. Quel souffle d’hydratation événementielle ! On retrouve dans ce cut toutes les composantes du meilleur power-poppisme. Et ça continue avec «Hola America», slab de rock américain complètement dévastateur. Steve Wynn lâche des not around dignes des Stooges. Les dynamiques sont spectaculaires et c’est monté au beat ultra-balancé. Nouvelle énormité avec «The Day Dock Went Hunting Heads» : ça frise le glam de rockalama. Le son est si beau qu’il semble organique. Steve Wynn fait son Ziggy. Il crée le même genre de magie. On retrouve là tout le karma du glam, avec de l’émotion et une histoire bien racontée. Dommage qu’ils parlent de baseball. On aurait préféré Weird and Gilli. Ils restent dans le haut de gamme power-poppy avec un «To The Veteran Committee» saturé d’incursions intestines et joué à la pure décoxion guitaristique. Le problème avec Steve Wynn, c’est que toutes ses chansons sont bonnes. Tout est inspiré par les trous de nez. Ce mec est doué au-delà du raisonnable. «They Don’t Know Henry» sonne comme de la vieille pop intentionnelle et «The Babe» se montre d’une tenue exemplaire. Steve Wynn baigne son balladif d’une grande aura boréale. On y assiste à un retour en force de la beauté. Quel album ! Chaque cut compte. Chaque cut claque. Un solo d’anticipation transversale transperce «They Are The Oakland A’s» de part en part. Tout est joué à l’extrême onction. Nouvelle énormité avec «Pascual On The Perimeter». Steve Wynn survole l’univers du rock avec une grâce certaine. Ce serait une erreur que de le considérer comme un rocker indie sur le retour. On trouve dans ses cuts des départs en solo foudroyants et des licks de psyché irradiants. Cet album est une véritable foire à la saucisse. «The Baseball Card Song» sonne comme une bénédiction, un refuge pour les pauvres. Les voilà barrés en mode country. Ils renouent avec le solide romp dans «A Boy Named Cy», et un solo de guitare fantôme vient hanter les coursives. Back to the big Americana avec «They Played Baseball». Ce diable de Steve Wynn bat Lou Reed à plates coutures. Il dynamise son heavy rock d’harmo à gogo. Voilà encore un cut incroyablement présent, vrai chef d’œuvre de boogie-rock entreprenant. Ils finissent ce brillant album avec «Take Me Out To The Ball Game», un cut effarant monté au tatapoum de fin de non-recevoir. La bassline y ronfle comme un moteur débridé. Et c’est peu dire.

    Signé : Cazengler, Steve ouin ouin

    Steve Wynn & Miracle 3. Live At Big Mama. Mucchio Extra 2002

    Steve Wynn & Miracle 3. Static Transmission. Blue Rose Records 2003

    Steve Wynn & Miracle 3. Tick Tick Tick. Blue Rose Records 2005

    Steve Wynn & Miracle 3. Northern Aggression. Blue Rose Records 2010

    Gutterball. Gutterball. Brake Out Records 1993

    Gutterball. Weasel. Brake Out Records 1995

    Gutterball. Turnyor Hedinkov. Return To Sender 1995

    Baseball Project. Vol 1. Frozen Ropes And Dying Quails. Yep Rock Records 2008

    Baseball Project. Vol 2. High And Inside. Yep Rock Records 2011

    Baseball Project. The Broadside Ballads. Yep Rock Records 2011

    Baseball Project. 3rd. Yep Rock Records 2014

    28 - 01 – 2019 / MONTREUIL

    LA COMEDIA

    NAUSEA BOMB / ANTI-CLOCKWISE

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    Entrée libre et petite fleur dessinée sur le poignet, à la Comedia on cultive l'humour, la programmation louche plutôt côté punk que hippie. En plus, Tony Marlow accoudé au comptoir, je m'y attendais ( je ne l'ai jamais dit, mais je possède un cerveau qui me permet de visualiser l'avenir ) puisque Amine Leroy qui officie dans Nausea Bomb tient aussi la contrebasse dans son combo, l'on parle ( au hasard ) de rock'n'roll, de rock'n'roll français notamment des Variations ( kronic du bouquin de Julien Deléglise dans la livraison 404 ), Tony ado les a vus à l'époque en Corse, du coup il est devenu chanteur de rock. Faudra penser à inculper les Variations pour avoir corrompu la saine jeunesse française. Ce crime ne saurait être pardonné. Quand on pense à l'influence dégradante du rock'n'roll sur les esprits encore aujourd'hui. Je n'exagère rien, en voici deux parfaits exemples.

    NAUSEA BOMB

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    Une bombe ce n'est dangereux qu'au moment précis où elle explose. Pendant que la mèche brûle, tout va bien. Pendant que le cordon peu ombilical se consume vous pouvez échanger de doctes impressions avec vos voisins. Pour être tout à fait franc durant les dix premières secondes personne ne s'attendait à ce que Nausea Bomb soit un ensemble de musique de chambre. Je vous rassure, ce ne fut pas le cas. Mais ils nous ont pris par surprise. Ne faut jamais s'arrêter aux images : batterie, une guitare très électrique, et une contrebasse, 99, 99999999% de chance que ce soit un groupe de punkabilly foutraque de plus. En plus ils ont Marion. Même pas sur la scène. Se pavane devant en toute innocence. Ressemble à une gamine qui se casse en lousdé du collège pour faire l'école buissonnière. L'a le look de l'élève de sixième qui s'en va vérifier, la mine épanouie, si le monde ressemble à ce qui est écrit dans son livre de lecture. A s'y tromper, avec sa sa queue de cheval, son T-shirt sage et ses collants noirs, elle a douze ans montés en graine. Un seul détail qui cloche, sa jupe droite bien trop courte, qui remonte bien trop haut, en pleine crise de croissance, ses parents n'ont pas eu le temps ( ou l'argent ) pour lui refaire sa garde-robe. Non, non, pas du tout, notre grande jeune fille a déjà dépassé la terminale. L'habite son personnage naturel avec aisance, l'air émerveillé, sourire faussement béat, et esprit futé. Entre deux morceaux, elle se saisit de la set-list, jette un coup d'œil, suivi d'une moue irrésistible, chipote, oui, non, pas celui-ci, vous croyez, et bien ce sera, elle remue la feuille, vous vous croyez chez Mac-plein-le dos à choisir voluptueusement entre le big au steack charolais charançonné ou la salade aux limaces special-vegan, -et hop elle pique au hasard le premier titre qui lui tombe sous les yeux. Je vous laisse méditer sur le contenu idéologique de quelques textes : Jardin Charnier, Procrastination, Pussy Cat Vampire, Burqa Poil... Les guys derrière, bien sûr au souhait de leur écolière, ils obtempèrent. Dare-dare. Ce n'est pas qu'ils obéissent, c'est qu'ils tissent des sons qui anéantissent. Sans préavis.

    Attention beau tissage. Haute-lisse. Démarrent au quart de tour, et c'est parti. Pour l'incroyable. Un sprint punk, tous ensemble, groupés, vous commencez à avoir des doutes au premier, puis au second, puis au troisième obstacle, bye-bye la piste cendrée toute droite, nous voici dans un parcours de steeple-chase équin, avec des murs de trois mètres de haut, et hop ils vous enjambent les parpaings avec une facilité déconcertante, lèvent tous la jambe au même moment et hop, on fonce vers le suivant, la musique ressemble à une tôle ondulée, rainure, montée, rainure, montée, rainure, ne s'appellent pas Nauséa pour rien, avec sa Nausée Jean-Paul Sartre peut aller se rhabiller, z'avez l'estomac au bord des lèvres et puis qui pendouille sur votre torse au bout de l'œsophage. Ce n'est que le début, ils continuent le combat. Ont décidé de vous donner tort à tout moment. La grande glisse, vous pensez que ça va tourner à gauche, pas de chance virage à droite et à angle droit, vous font le coup à chaque fois, en plus ils accélèrent. C'est à cet instant que vous réalisez que ce n'est pas le pire. Rattrapez-vous aux petites branches, des groupes qui speedent vous avez déjà connus, mais là une fois la vitesse de la lumière atteinte, ils rajoutent un petit truc à eux, très simple, ils complexifient, vous en perdez le latin ( et le grec ) que votre misérable caboche n'a jamais pu retenir, vous êtes bien devant un groupe de krockabilly, oui certes, et même qu'il cartonne méchamment et joliment, oui mais sans le savoir le don d'ubiquité lui a été octroyé, punkabilly à tête de mort pirate sur votre gauche, et sur votre droite tout ce que le dodécaphonisme et ses dérivés situationnistes ont inventé depuis quatre-vingt ans. La Bomb des Nausea j'essaie de vous la définir : ils ont mis au point la structure flottante, le cadre éparpillé, le pattern incontrôlable, l'a fallu dépenser des milliards et réunir des milliers de savants pour construire le synchrotron dans le seul but d'observer le parcours d'une particule élémentaire, que d'argent public sottement dépensé, un gaspillage insensé, les Nausea Bomb, eux ils connaissent, le parcours capricieux et illimité d'un atome entre l'Être du vide et le Néant de la présence, ils contrôlent. Vous le récitent par cœur comme la table de multiplication de 2. D'ailleurs à chaque morceau, ils rajoutent quelques chiffres, 2 multiplié par 2 = 4, mais dites-moi 13598276 multiplié par 13598276, en deux secondes combien ça fait ? Et in abrupto ils vous refilent le résultat sonore et l'évidence de la preuve par neuf vous tombe sous le sens. Nous ont sidérés, une assemblée de punks la bouche ouverte d'admiration, et à chaque fin de morceau des ovations d'applaudissements fervents. Dans l'inter-set Tony évoquera la nécessité d'un nouveau genre : le punkabilly-prog, la folie et la virtuosité réunies en un serpent à deux têtes. Sa blessure est doublement mortelle mais vous ne savez jamais par quel angle sa reptation bifide l'emmènera à vous infliger la terrible blessure scrofuleuse dont on ne guérit jamais. Même une fois mort. L'extase funèbre. C'est sur cela que Marion rajoute ses ritournelles de cour de récréation. Dépose ses joyeuses comptines sur cette musique métaphysique sans complexe. Nausea Bomb c'est un peu le Grand-Verre de Duchamp, dans la réalisation duquel le hasard aurait été radié. A moins que ce ne soit irradié.

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    Pour Nausea Adrien guitar-hero joue à saute-alligator, totalement speedé, inutile de s'acharner à le suivre, est irrémédiablement devant, et vous benoîtement stupides à le regarder s'évanouir dans le lointain. Question Bomb, la section ( d'assaut ) rythmique, je n'insiste pas sur les excès de vitesse, Amine ne joue pas de la big mama, l'est tellement penché sur elle qu'il semble être entré dedans, à fond la caisse de bois, lui arrache sauvagement les boyaux qui comme le foie de Prométhée, sous le bec du vautour, renaissent instantanément. Et la big mama mugit les tripes à l'air sur le champ de bataille. A ses côtés Xav. Ecoutez l'incroyable histoire, doit être doué d'un cerveau à synapses rotatives, vient d'arriver dans le groupe, troisième concert – ce soir sans répétition – l'a déjà en mémoire la trame complexe de cette musique folle, qui flamboie avec la violence d'un incendie de forêt californienne. Un prodige. Ce n'est pas que la musique repose sur lui, c'est qu'il est le vecteur de cette ébullition éruptive.

    Nausea a bien fait éclater sa Bomb. Etrangement, vu l'empressement admiratif personne n'a eu la nausée, tout le monde était d'accord pour dire que c'était de la bombe. A neutrons indociles.

    ANTI-CLOCKWISE

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    Mini-balance, expédiée de main de maître, rien qu'à entendre ces cris gorgonesques de Gordon, comme dans les années cinquante quand le voisin de gauche tuait sa femme et que celui de droite violait le cochon, l'on a compris qu'avec Anti-Clockwise la pendule du rock serait encore une fois ( mais depuis Bill Haley on en a l'habitude ) un peu déréglée. Avant de s'écouter Anti-Clockwise se regarde. Votre cœur se serre. Une mésange bleue s'est posée par mégarde dans un nœud de serpents, un ange blond égarée au milieu d'un équipage de forbans. Pas de panique, Paola n'a pas besoin de vous, l'a sa basse avec elle, et cela lui suffit amplement, non pas pour se défendre mais pour prendre vos esgourdes à l'abordage. De fait c'est elle qui tient la barre, sans faiblir d'une seconde, maintient le cap sur l'ennemi tandis que le reste de l'équipage mitraille à tout berzingue. Lorsqu'ils reprennent souffle, vous entendez le vrombissement de ses lignes de basse imperturbables qui filent à la vitesse de torpilles enragées. C'est sa voix qui dévoile Paola, se charge aussi des chœurs – elle y met du cœur – un organe de bronze, une chienne plutonienne, chaque fois qu'elle s'approche du micro, il vous semble qu'on vous ramone les intestins avec un hérisson de fil de fer barbelé, Mary Read devait produire un semblable grondement lorsqu'elle ordonnait de pendre, sans rémission, haut et court - une vingtaines de pleutres à la grande vergue. Voilà c'était notre instant de douceur blondinette et de tendresse féminine. Il y a déjà une vingtaine de minutes que le devant de la scène s'est transformé en piste d'auto-scooters, un pogo d'enfer, avec en prime la possibilité de vous faire promener dans toute la Comedia à bout de bras pagailleux et biceps incertains, lorsque Fred, el cantaor, annonce qu'il est temps de passer à des morceaux qui remuent tout de même un peu. A cette bonne nouvelle – la meilleure depuis J. C. - une clameur de joie ébranle les murs et, n'y tenant plus, un volontaire tente à lui tout seul un suicide collectif, au saut de l'ange sans élastique, depuis le haut du comptoir, l'est rattrapé in extrémis par un géant indulgent qui le fourre sous son bras avec le geste auguste et débonnaire du nageur qui saisit sa serviette de bain pour rejoindre le bassin de la piscine municipale. N'en quittez pas pour autant Fred du regard, à sa place vous auriez envoyé votre lettre de démission. C'est qu'Anti-Clockwise, ils ont un peu cette mentalité des blousons noirs qui adaptaient des mégaphones, des bruitophones pétaradeurs, sur leur Gitane Testi dans le seul but ( regrettable ) de se faire remarquer. Bref dans l'onde sonore produite par le groupe, un vol de canards sauvages ne trouverait pas l'interstice qui lui permettrait de passer au travers afin de poursuivre sa migration hivernale. Le Fred, ne se fatigue pas, passe carrément au-dessus, il serait faux de dire que l'on n'entend que lui, mais sa voix plane au-dessus comme l'aigle au-dessus des nuées ( de grêles ). Un chanteur ( de bel, pardon) moche-canto, le timbre oblitéré d'enrouements de suppliciés et d'éructations hallebardiques, chargé de remugles anarchiques. Possèdent deux guitaristes. Profondément antithétiques. Un vicieux, et un franco-de-port. Evidemment c'est le vicelard qui est le plus jeune et le plus beau. Des cheveux mi-longs lui donnent cet air romantique qui plaît aux demoiselles. Ne s'en préoccupe pas. Une seule chose compte pour lui. L'est penché sur sa guitare, à croire qu'elle est en or. L'en extrait de l'ordure, de ces espèces de mélopées de chats longuement écorchés qui vous traversent à la manière des baïonnettes que l'on vous enfonce dans le dos, en prenant bien soin d'opérer le mouvement de zig-zag cruellique qui métamorphose toute blessure fatale en mortelle agonie interminable. Pour les dames friandes d'émotion fortes, un vieux grenadier, pas un pelut sur le caillou, mais le crâne tatoué – ce doit être la carte au trésor du Capitaine Flint, en tout cas il y a des traces de sang dignes d'un trépané - des anneaux et des cicatrices partout, une tête brûlée qui n'est heureuse que lorsqu'elle charge en première ligne, ne sait plus où donner de la tête et du riff, une véritable machine à tuer. Ne peut plus s'arrêter. Quand c'est terminé, alors que les autres quittent leurs instruments, il en jette quelques uns, incendiaires qui raniment la flamme, grâce à lui on aura trois rappels. Si on l'avait écouté, on y serait encore. Ne raccrochez pas, il en reste un, un bel éphèbe torse nu qui pilonne la batterie. Le piston qui fait marcher la machine infernale. Un tel enchevêtrement musical de voix et de guitares que vous n'y feriez pas gaffe, mais l'est un peu comme le moteur atomique qui meut le sous-marin d'attaque dont la photo ne trahit que la silhouette menaçante. Vous casse les atomes sur les toms, car il sûr que l'on ne fait pas une omelette rock sans détruire les ovaires frémissants de la lâcheté humaine qui ne demandaient qu'à vivre. Maintenant n'allez pas croire qu'Anti-Clockwise sont de sombres brutes bas du cerveau, professent une saine philosophie dont leurs morceaux sont les professions de foi, ne faites que ce que vous voulez, ne vous laissez pas faire, brisez toutes les barrières, vivez vos désirs, ne soyez dupes de personne, pas même de vous. Qui dit mieux ? Je ne sais pas. Qui le dit aussi rock'n'punk ! Nous attendrons vos réponses. Le cachet de la poste prouvera que vous les aurez envoyés juste après la fin du monde. Sinon s'abstenir.

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    Damie Chad.

    Une déception toutefois dans cette soirée, ne me suis pas précipité à temps vers la table pour le 33 de Nausea Bomb, la prochaine fois je n'y manquerai pas, j'allais me faire hara-kiri de désespoir, lorsque Xavier a brusquement surgi une boîte parallélépipédique entre ses mains. Ce n'était pas les disques de Nausea, mais ceux de son autre groupe, avec un tel batteur j'ai pris d'office. Belle pochette de SuperToto and Yan, esthétique un peu métallifère, mais le verso ne trompe guère, l'on est bien dans du punk-rock ultraïque. Vous qui croyez que le wonderland est le pays où l'on n'arrive jamais, Alicia la merveilleuse est là. Une grrrl comme l'on n'en fera plus jamais. Nous en avions tenté dans la livraison 360 du 08 / 02 / 2018 lors d'un concert à la Comedia avec Blue Void, une description, pâle reflet de la réalité astartique, suprême incarnation du désir déchiré.

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    La photo est de Sue Rynski, pour saisir l'incandescente apparence d'une de ces princesses d'ivoire et d'ivresse, chères à Jean Lorrain – relisez les redoutables pâmoisons empoisonnées de ses Pall-Mall - il ne fallait pas moins que la pupille féline de la photographe du punk et de Destroy All Monsters...

    ATM

    ALL THIS MESS

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    Lead Vocal : Alicia / Guitars : Jérôme / Bass : Yan / Drums : Xavier.

    Phobia : murs de schiste gris, les guitares construisent le labyrinthe de la folie interminable, la voix d'Alice se débat dans les entrelacs des serpent paranoïaques de l'angoisse du monde. La batterie enfonce les clous des piloris de la perte de soi, Alicia vous pousse de ces piaillements d'idiote, vous devenez poussin d'innocence autistiques pris dans le faisceau fascinant des yeux de la vipère intérieure qui niche dans les méandres de notre cerveau. Urgence et reptation, vous sortirez vivant du cercueil de la mort. Juste pour rentrer dans un nouveau cercle de l'enfer. Prayer : prière espagnole murmurée à Santa Maria sous les sirènes d'alarme des guitares, explosion musicale, Jérôme joue les inquisiteurs en backin vocal, mais Alicia ne se rend pas, n'aime ni dieu ni église, hurle qu'elle n'a peur de personne même pas du diable que l'existence heureuse est la vallée du péché librement consenti, le background musical se fait grandiose et auguste, et puis menace de feu brûlant infernal, mais la flamme vocale de la vie libre n'en continue pas moins son chemin dans dans le brasier inextinguible de la bêtise humaine. Bruises : musique pogoïque forte et violente, des rafales de guitares vous arrivent comme grêlons d'horions et la batterie défonce les chairs, revendications féminines, les filles ont droit au pogo, que les garçons arrêtent de se prendre sur un ring de catch. Vous apprécierez au début ces modulations de sirènes insinuants, et puis la voix d'Alicia claque comme baffes distribuées à l'orgueil des mâles qui font mal. Gender Weirdness : tambourinade suivi d'un ouragan de guitares, deuxième revendication féministe, celle du genre, dénonciation des mots trop étroits qui vous enferment dans les carcans sociaux de la chair monotypée, la masse sonore glisse comme si elle hésitait entre deux chemins trop étroits. Alicia crache son mépris des idées toutes faites à la gueule des rétrogrades, le combo en rajoute une couche. L'ensemble fait mouche entre les jambes. Lives to blow : déclaration de guerre, la musique roule sur vous à la manière d'une division blindée, haïssez cet enrôlement dans la violence du monde, les guitares lancent des scuds et l'herbe de la vie repousse partout où la voix d'Alicia déclare la guerre à la guerre. Tant pis : les temps sont à la confusion intérieure, la musique gronde mais la voix d'Alicia est devant, comme s'il n'y avait rien de plus important que de se tirer des ses propres contradictions, le ton monte telle une sonnette d'alarme que l'on tire en vain. Morceau bien trop court. Tant pire pour vous. Tant pis pour moi. Tant pisse pour le monde entier. Brièveté roborative. Screen head : Pluie de guitare, voix endeuillée, comme de l'ouate entre vous et vous, cela ne durera pas, Alicia devient vindicative, dénonce la pomme pourrie dans les cerveaux, manipulation des écrans, nous ne sommes plus nous, mais les figurines d'un jeu généralisé qu'elle se refuse à jouer. La voix hache comme ces haches d'abordage qui s'abattent sur les écrans de surveillance extérieure et d'auto-régulalion intérieure. Elle n'est qu'une fille de chair et de sang. Peut-être le plus beau morceau de l'album, mais comment choisir dans ce collier de perles noires. Come on, Ellen : l'histoire de son propre miroir que l'on tend aux autres mais qui ne révèle qu'une fausse image. Réflexion sur le statut iconique d'Alice en belle et cruelle Ellen distante de ses propres pièges. La musique survient de partout comme éclats de miroir brisé. Suis-je moi ou l'autre que je ne suis pas, que je ne sais pas. Il n'est de couteau plus cruel que celui qui déchire des images de papier. All This Mess appuie et cumule là où la plaie purule. Mess : vivre vite, musique de fête qui déboule dans la traboule de l'existence, toute la vie devant soi et tous les regrets assumés de n'avoir pas pris un autre chemin, tout et maintenant, le combo flonflonne et court après la jeunesse du monde. La joie déborde des toilettes de la vie. La chasse d'eau n'arrête pas de couler. The way they go : le même binz, en moins coloré, en plus dramatique, the thrill is gone, Alicia crie devant le cadavre de sa jeunesse comme les pleureuses s'arrachaient les cheveux, belle cavalcade de Xavier, froncements tuméfiants de guitares, la voix décolle comme ces chatons à qui vous arrachez la queue. Mais où allons-nous ?

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    Un beau disque. Disponible sur bandcamp mais préférez le vinyl, mieux approprié. Les deux faces vous font ressortir les deux aspects de l'album, la première de rage vindicative, la seconde qui s'infléchit telle la courbe d'un yatagan introspectif, un retournement de chemin heideggerien qui vous mène au plus près de l'Être. Pour une fois que nous avons un disque de rock avec des textes incisifs qui refusent de signifier le consensus mou des idées toute faites et des poses attractives attendues, ne vous en privez pas. Une musique à la netteté de ces entailles souveraines d'onyx noir dans lequel s'inscrit la voix de diamant pur d'Alicia. Un grondement de tonnerre, les boules de feux des orages cataclysmiques et les diatribes glacées de la déesse qui vous annoncent que l'avenir aura désormais la noirceur des anarchies intérieures. Ne pleurez pas, ne vous lamentez pas. C'est inutile. Vous ne pouvez que vous en prendre à vous. Puisque vous êtes responsables de vos propres malheurs. N'est-ce pas vous qui avez barré – par une sotte inadvertance – le sentier qui mène à l'Île des Bienheureux.

    Damie Chad.

    Du coup je n'ai pas résisté à vous remettre la kro du concert de Blue Void ( + celle de leur disque ) du concert du 04 / 02 / 2018 à La Comedia.

    BLUE VOID

    L'ai remarquée dès que je suis entré. Mais je ne savais pas. N'étaient que trois garçons sur la scène à installer le matos et à peaufiner les derniers réglages. Et quand à la sono, le signal de départ a été donné, j'ai été tout surpris de la voir sauter sur l'estrade et se saisir du micro. Les gars ont embrayé tout de suite. Pas des charlots, parfaitement en place à la première seconde, vous ont concocté un de ces backgrounds de rêve, un de ces profilés de braise pour les soirs d'ordalie, et encore je les soupçonne de savoir faire mieux, car là ils ne jouaient pas pour eux, mais pour elle. Aux petits soins, aux petits oignons. De ceux qui vous font pleurer des larmes de joie. Ensuite ce fut le pays des merveilles. Le pays d'Alice. Toute mince, les jambes fuselées en futal noir négligemment ouvert aux genoux, une taille de guêpe, toute longue, surmontée d'un brouillard de blondeur, les bras nus, un bustier à rendre jalouse Astarté, le haut du sein gauche scotché d'une croix noire, le bras droit tatouage-maori, et puis la voix qui gomme tout ce qui précède. Haute et claire. Derrière ils affutent le raffut, mais elle plane au-dessus. Une facilité déconcertante. Une aisance à vous transformer en malade mental. L'a débuté par un avertissement un tantinet mensonger : «  L'on fait du post-punk mélodique », post-punk, je n'ose pas contrarier mais pour la mélodie, elle est envoyée à la fronde. Ou alors ce qu'elle appelle mélodie c'est sa facilité à surfer sur les octaves. This Bomb is Mine décrète-t-elle d'entrée, vous le martèle d'une voix claire comme de l'eau de roche et haute comme la tour Eiffel, mais trois morceaux plus tard sur Junk set elle growle comme une mécréante. Mais ce n'est pas tout. Car non seulement elle envoie sec, mais elle nuance à la mitraillette, elle cisèle à la hache d'abordage, elle époussette au marteau-pilon. Les guys la suivent, lui cueillent des jonquilles, lui ramassent des violettes et lui coupent des roses, à toute vitesse, Marc ne passe pas les riffs, il n'en a qu'un par morceau mais vous le fait miroiter, étinceler et chatoyer, sous tous les côtés vous l'allonge et vous le rétrécit à volonté, idem pour Julo qui élastise sa basse, jamais au-dessus, jamais au-dessous du ton de la demoiselle et quant à Léonard devint marteau à laminer l'électricité cordique il racate à la hâte. You and the Hole, Volcano Girl, Waste Virgin Clothes – titres aux lyrics prometteurs mais pour le moment on n'écoute que cette voix de démone imprécative. C'est du dur vocal, du pur palatal, du sûr apical, de l'envoûtement subliminal, de la folie animale. L'a mis le feu à la salle, les filles dansent devant elle comme sorcières au soir de grand sabbat. La salle acclame, brame de joie et clame sa ferveur. Un set mené sans interruption, un incendie qui brûle tout sur son passage. Seront obligés de refaire This Bomb is mine en rappel parce que le rock'n'roll est une musique qui ne supporte pas la frustration.

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    ( Polaroids :  Ana Hyena )

    THIS BOMB IS MINE / BLUE VOID

    ( BV02 )

    Guitare : Marc / Voix : Alice / Bass : Julo / Drums : Léo.

    This Bomb is mine : affirmation féminine, la voix minaude toute seule haut perchée mais les guitares et la batterie la poussent dans ses retranchements et c'est la grande explication, celle qui déchire, transperce les tympans, attise la colère, s'hystérise, ne s'arrête plus jusqu'à la fin brutale comme un couperet. Nom de Zeus quelle chanteuse ! Overlead : on a compris, n'y a plus qu'à se laisser entraîner, emporter par la fougue de la demoiselle. Les gars entament une partie de tennis à trois et la balle n'en finit pas de rebondir jusqu'au bout du rock'n'roll. Elle, elle continue comme si de rien n'était. L'en a la voix qui miaule et puis qui s'enfonce dans votre cerveau comme la lame d'une serial killer. Volcano Girl : les boys partent en douceur vibrionnante, aucune inquiétude, la zamzelle vous développe une éruption grandeur nature, chaque fois qu'elle dit '' Oh'' vous perdez votre raison. Vous en ressortez sous une pluie de cendres. Pompéi girl ! Chichek : c'est la reine lézarde qui run, run, run après sa liberté. Ne vous inquiétez pas les boys accélèrent le mouvement, c'est que l'on appelle une cause gagnée.

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    Cette trombe is mine. Blue Void passe le balai sur les araignées qui encombrent le rock muséal. Un son à eux, une voix à elle, un groupe soudé comme les quatre éléments qui composent l'univers du rock : le feu de l'arrogance, le vent des colères, l'eau des désirs, les terres brûlées. Si vous tenez à laisser un témoignage de vos égarements à vos petits enfants, ce disque est pour vous.

    Damie Chad.

    MONTREUIL / 02 – 02 – 2019

    LA COMEDIA

    UNDERVOID / PSYCHOÏD

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    La Teuf-teuf broute les kilomètres à la vitesse lumière de l'Etalon Noir de Walter Farley, le rond ronronnement régulier du moteur me conduit, je ne saurais dire pourquoi, à la radieuse souvenance de ma lecture de Les Béatitudes Bestiales de Balthazar B que Donleavy fit paraître en 1968 – ah ! ces douces années tumultueuses – mais me voici déjà devant l'entrée de La Comedia qui s'entrouvre tel un chaud cocon protecteur, douce chaleur prémonitoire de l'incandescence des deux groupes au programme.

    UNDERVOID

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    Quatre sur scène. Trio plus chanteur. La formation idéale, à chacun son job, pas de d'embardée possible dans le champ du voisin. Evidemment faut une certaine virtuosité – pour ne pas dire une virtuosité certaine – surtout lorsque comme Undervoid, l'on décide de pratiquer la musique éruptive de la fournaise du Diable. Rock'n'roll et rien d'autre. Coupe pleine d'un vin épais et sans eau pour la libation suprême. Vite pigé. La première dégringolade des baguettes d'Alexandre Paris sur les peaux suffit à vous mettre dans l'ambiance, une impression de digue crevée et une masse d'eau qui emporte les poids-lourds de l'autoroute comme des balles de ping-pong. Plombées, font des ricochets sur l'assistance qui a l'air d'apprécier ce traitement brutal mais terriblement efficace. Avec un tel déluge, il est impératif de posséder un guitariste qui ne se contente pas d'arroser les petits pois une fois par semaine. Justement vous avez un gretschiste sur votre gauche. Marc Berg a dû sortir du ventre de sa mère les doigts coincés dans le cordier de l'orangeade, l'affûte sec, l'en rajoute toutes les trois secondes, n'a pas son pareil pour la parélie riffique, incapable de jouer un riff sans le tordre de mille manières, n'est jamais satisfait de lui, alors il file un petit coup de bigsby, style je rajoute un kilogramme de poudre à canon dans la cheminée pour donner du tonus à la flamme. Un artiste, vous étire les notes à l'infini si vite que vous n'avez pas le temps de les entendre passer. Avec ces deux-là, vous avez votre ration pour la semaine. Mais c'est loin d'être fini. Bill Otomo est à la basse comme d'autres vont au bassthon, vous la saisit entre ses deux paluches, lorsqu'il joue, une main en haut du manche et l'autre qui dégringole tout en bas en des profondeurs inexplorées, il vous semble qu'il cherche à la rallonger, lui écrase les cordes de ses gros doigts et vous l'entendez feuler sourdement d'aise, telle une panthère qui descend de son arbre en quête de meurtre et de gibier innocent. L'air de tout, il avance invincible et invisible, pose les poutres maîtresses, le plancher fabuleux sur lequel les deux autres bâtissent leur empire sonore, ce n'est que lorsqu'il il sololisera que l'on comprendra à sa juste valeur l'ampleur élastique de son jeu. Les travailleurs de l'ombre sont les plus infatigables.

    Devant ce mur de son cyclopéen, Arnaud est tout seul. Espèce de catogan par derrière et micro par devant. Personne n'aimerait être à sa place. Pas du tout intimidé. Il ose tout. Sait se faire entendre. Et pour mieux se faire comprendre, ne se planque pas dans un pot de faux yaourt anglais. Chante en français. Attention cela ne signifie pas uniquement que les paroles sont écrites en langue voltairienne, les profère en une diction qui ne cherche point à imiter les intonations d'outre-Manche, ne les monosyllabilise pas, ne les jacte pas à l'arrache, suit les inflexions naturelles, rallonge les nasales, ne scalpe pas les fins de mots, ne les crache pas, les restitue dans leur fluidité naturelle. De la belle ouvrage au service des textes. Qui véhiculent la dure réalité spongieuse de notre époque. Le Noir se Fait, Perdu pour Perdu, Alea Jacta Est, La Machine, Un Dernier Geste, rien qu'à l'énumération des titres vous intuitez en filigrane ces appels à se lever contre la noirceur de plus en plus profonde de notre monde et l'urgence de se lever et de faire face au monstre qui cherche à nous broyer dans son immense gueule. Un rock de rage rouge et de révolte noire. Un rock qui ne batifole pas dans les prairies de l'insouciance mais qui bâtit follement les nécessités des combats à venir. Le public se sent des fourmis carnassières ( rouges et noires ) dans les jambes, chacun se brinqueballe vers l'autre, des silex qui se cognent pour faire jaillir le feu sacré des communions intempestives, le combo-étincelle roule comme un feu de prairie inextinguible... Grosse impression, grosse commotion.

    ( Viennent de Strasbourg. Ci-dessous chronique d'un de leur quatre EP ).

    OX / UNDERVOID

    EP / 2018 / Prix libre

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    Perdu pour perdu : fond de train, la batterie qui court après son ombre, les guitares cisaillent et piaillent, les paroles sont sans appel, le dos au mur c'est là qu'on est le mieux pour cracher ses actes à la face du monde. Uppercut, un seul suffit. Se termine très vite. Tout est dit. Inutile d'épiloguer. On part au loin : ruissellement de notes et soudain le vieux monde klaxonne après toi, l'échappée belle, tout est bon pour s'enfuir des affres de la vie, les petits bonheurs et les lobotomies cervicales, la musique écrase vos petits arrangements, ailleurs ce n'est guère mieux mais l'on s'arrache quand même, long tunnel de guitares qui poinçonnent et arraisonnent, toujours cette batterie en apnée et la flamme infinie d'un solo de guitare, pour repartir encore une fois, mais tu t'avances dans l'écroulement des choses qui viennent et t'enseveliront. A ta santé : un tire-langue musical à la bretonne, narquois leitmotive qui te poursuit de sa ronde infernale, ce n'est plus un chant mais une diatribe qui te lapide sur place, prends garde à l'ironie des postures, situations biaisées ne te sauveront ni de la vie ni de toi-même. Si tu ne le crois pas, écoute la musique qui tape et se moque de toi. Ricanement insidieux final. Qu'à cela ne tienne : blues soutenu, tempo lent mais musique en cavalcade lancinante, le riff zepplinien avance telle une vague et se fracasse sur le rivage de l'existence. Eclats de guitares, flammes qui courent et la batterie qui remballe la marchandise, la voix se traîne et jette du sel sur toutes les blessures, pas de problème, tous tes échecs n'ont aucune importance, nihilisme absolu. A tes dépens : pistons de guitares, voix instrumentalisée mène le bal, constat sans appel, hurlement et guitares rhinocériques, le combo te passe au tabac des réalités, le rat bloqué dans le labyrinthe, quoi que tu fasses tu es la cible touchée en plein cœur. Tant pis pour toi.

     

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    Belle pochette intérieure. Image éclatée, dominante rouge de sang de bœuf conduit à l'abattoir. Le zéro sur lequel on mettra bientôt une croix dessus. On regrette l'absence d'un feuillet pour les textes. Sont totalement constitutifs de la matière brutale qui se greffe autour. Un disque chaud de braise qui exige écoute et réécoute. Undervoid cloue les mots au pilori des guitares et la batterie les roue de coups. En sortent plus vindicatifs, car ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort. Violent et intelligent.

    Damie Chad.

    PSYCHOÏD

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    Rien qu'à la découpe des guitares l'on n'est pas assailli par un doute pyrrhonien sur le style musical du quatuor. D'ailleurs ils le proclament haut et fort, psychoïdes certes, mais trash metal et nous ajouterons trash cash, pour le metal, ils revendiquent plutôt le fuselage des supersoniques de combat que la lourdeur de titane absorbande et obérante. N'avez pas le temps de les visualiser, sinon la guitare de Thomas, un zig-zag d'éclair jaune qui foudroie le regard, que la machine est lancée. Ne s'arrêtera plus. Une trombe. Pas le temps de s'attarder. Même les morceaux sont courts, à croire qu'ils sont pressés de terminer le suivant. Avalanche sonique, rien ne leur résiste. Le public comédique s'est tout de suite senti à l'aise, transe collective, ça remue comme des pois sauteurs atteints de la tournante du mouton enragé. L'est manifeste que Psychoïd est de ces groupes qui ont inventé la poudre et qu'ils savent la faire détonner. Une recette simple, ce sont les meilleures, Thomas respire deux fois ( pas une de plus ) très fort, fait mine de toucher son engin mirifique, trop tard, Amaury tape à mort sur ses tom, vous catapulte sur la grosse caisse, et la tornade vous emporte à l'autre bout du rock'n'roll. Rémi joue le gros nounours à la basse, tout sourire, interjection goguenarde, vous aimeriez presque qu'il vienne vous border le soir dans votre lit pour vous souhaiter une bonne nuit avec rêve doré. De fait dès qu'il touche son instrument vous comprenez qu'il est habité par la force impavide du guerrier berserk et qu'il est hanté par la fureur de l'ours polaire affamé sur la banquise dépeuplée. Ne s'appesantit pas, ses lignes de basse filent à la vitesse des drakkars qui glissent dans la tempête sur la houle déchaînée. Kiko ne desserre pas les dents, par contre il serre de près sa guitare, lui fait cracher tout ce qu'elle sait faire, l'on a même l'impression qu'elle étale aussi tout ce qu'elle rêverait de réaliser, et ma foi, elle y réussit parfaitement. Kiko nous permet de comprendre pourquoi un kiko de plomb pèse davantage qu'un kiko de plumes de sinornitosaurus s'il est riffé à la vitesse de la lumière. Derrière ces deux ostrogoths, Amaury redouble d'intensité activiste. Etrange ce que je veux dire, c'est la première fois qu'il me semble qu'un batteur se sert de ses deux bras, tellement il les manipule et les gesticule, pas de virgule entre les plans, et pas de renoncule pour vous conter fleurette. Thomas tire le premier, lâche le riff comme l'on tend les cordes d'un ring pour le combat du siècle. Se charge ( de cavalerie ) du vocal, cheval fou qui hennit follement et se rue dans une course sans fin. Se cabre brutalement en un cri qui tue à vous fendre l'âme que vous avez perdue depuis longtemps. Et tout s'arrête, tiens donc il existe un truc bizarre que dans d'autres civilisations l'on appelait le silence ! Vous désireriez vérifier l'existence de cet incroyable phénomène dans une encyclopédie, trop tard, sont déjà à la moitié du morceau suivant. Veulent nous quitter sur l'hymne des Corsaires qu'ils ont composé pour l'équipe de hockey de Nantes, une démence remplie d'abordages et de galions bourrés d'or enlevés haut la main aux plus cruels des pirates. Une excuse pour s'adonner à leur sport favori, le rock trash à trois cents kilomètres heures. Z'aimeraient nous abandonner sur une île déserte pour voguer à leur guise vers d'autres ouragans, mais non, nous ne les laisserons partir qu'après deux rappels apocalyptiques. Sans doute avons nous été trop bons, on aurait dû en exiger une douzaine. La prochaine fois, on n'oubliera pas.

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    Viennent de Melun. N'ont pas le melon. Nous ont montré la lune.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 384 : KR'TNT ! 404 : DURAND JONES / CANNIBALS / VARIATIONS / LUCILLE BOGAN / DEAD GROLL / MURCIA TROPIKAL

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 404

    A ROCKLIT PRODUCTIOn

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    31 / 01 / 2019

    DURAND JONES / CANNIBALS

    VARIATIONS / LUCILLE BOGAN

    DEAD GROLL / MURCIA TROPIKAL

    Le péril Jones

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    Curieusement, Durand Jones ne fait qu’une seule date en France. Étrange, car depuis la disparition de Sharon Jones et de Charles Bradley, il bénéficie d’un big buzz. Il règne dans l’air comme une immense soif de Soul, aussi s’est-on mis à compter sur Durand Jones et son collègue Lee Fields.

    Oui, on compte sur lui comme on compte sur l’arrivée des renforts du septième de cavalerie, alors que les Mescaleros nous encerclent dans un canyon du Nouveau Mexique. On compte sur lui comme on compte sur l’arrivée des secours quand le paquebot vient de couler en mer du Nord et qu’on grelotte à s’en briser les dents dans l’eau glacée. On compte sur lui comme on compte sur la providence quand le petit avion qui nous emmenait à Saül vient de s’écraser et qu’on se retrouve seul au cœur de la jungle guyanaise. Et chacun sait qu’il ne faut jamais compter sur la providence. Ce serait trop facile.

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    On s’attend donc à un set énorme, d’autant que la Maroquiqui est pleine comme un œuf de tortue. Et pourquoi le set de Durand Jones serait-il énorme ? Parce que l’album est excellent. Si on prend le soin de l’écouter avant le concert, on s’attend forcément à un gros set de Soul, comme il en existait encore du temps de Sharon Jones, the tiny voodoo queen. Il démarre son album avec un fabuleux shout de Soul évangélique intitulé «Make A Change». Il colle bien à l’esprit des profondeurs de la deep Soul - You/ Got/ To/ Make/ A change - oui, il lui demande de changer et ça vire en vrille de solo de sax, avec toute la bravado rythmique qu’on puisse espérer. La plupart des cuts de l’album sont des balladifs énamourés, et soudain, réveil en fanfare avec un «Groovy Babe» tapé au heavy groove de guitare. Durand Jones fait Sam & Dave à lui tout seul, il renoue avec le Stax Sound, mais en pire. C’est d’une rare puissance. Il tape aussi son «Tuck N’ Roll» de fin de course au gros beat. Mais le chef-d’œuvre de l’album pourrait bien être «Giving Up». Durand Jones y conduit sa Soul comme une messe, à la manière d’Al Green. Il se fond dans le lit de la river. Il devient alors un Soul Brother liquide d’exception, il fait de la Soul nuptiale, un pur jus de déréliction rampante nappée d’orgue. Ah tu veux danser, baby ? Alors voilà «Smile» - Ask me what you want to do - Ce diable de Durand swingue sa Soul avec un tact de tacticien, dans toute l’épaisseur du coming back. C’est une abomination fabuleuse, on a là un pur chef-d’œuvre de heavy Soul. Durand Jones swingue son art avec une infinie délicatesse.

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    Bizarrement, le set n’est pas au niveau de l’album. Première contrariété : les musiciens qui accompagnent Durand Jones sont des blancs. Le bassiste aurait pu jouer dans Genesis ou Deep Purple, il en a le look. Durand Jones arrive dans une chemisette à grands carreaux bleus et blancs et attaque avec l’excellent «Make A Change» - Tell me baby what’s going on - Il bouge sur scène avec une belle sensualité languide, mais un petit quelque chose dans son look tranche nettement avec le fort parfum de deep Soul que dégage son album. Le son semble plus commercial, plus à la surface des choses. Sans doute est-ce sa façon de danser qui intrigue. On se croirait dans l’une de ces discothèques où régnaient au temps d’avant les rois de la sape zaïrois venus draguer des blondes. Puis Durand Jones bascule dans une sorte de calypso - What am I supposed to do - En fait, on le voit essayer de faire du Marvin, mais ça ne marche pas, car le backing est un peu trop insipide. L’absence de cuivres ne pardonne pas, now I just can’t let you go, clame-t-il dans la plus parfaite indifférence. Sa Soul scénique paraît même parfois laborieuse. Il chante des morceaux du prochain album, notamment un «Strange Circles» assez transparent. Il tente désespérément le cross-over sur Marvin, oooh baby, mais le groove refuse absolument d’obtempérer. On souffre de le voir ainsi souffrir, de la même manière qu’on devait souffrir voici deux siècles de voir le Christ cloué sur sa croix, ruinant ainsi l’avenir de la chrétienté, comme le rappelle Houellebecq dans son apologie de l’Islam. Tout ça pour dire que le pauvre Durand Jones inspire par endroits un mysticisme de carton-pâte. Puis on découvre au fil du set qu’il ne chante pas l’un des meilleurs titres de son album, «Is It Any Wonder». L’effet est assez désastreux. On entend une voix de Soul brother et Durand Jones ne chante pas ! Mais alors qui chante ? Un ange ? Non, il s’agit du batteur, un certain Aaron Frazer. On peut aller jusqu’à dire que ce jeune blanc-bec est assez doué, il dispose d’un beau petit chat perché, mais un chat perché de blanc. Par contre son jeu de batterie contrarie énormément : il frappe un peu fort. Oh il y croit, c’est évident, mais on rêve d’un drumbeat à la Al Jackson, quelque chose d’un peu plus distingué, à la fois dans l’être et dans le paraître. C’est d’ailleurs lui qui présente cette chanson politique, «Morning In America», qui décrit le politic mess des États-Unis et qui évoque les 70% d’Américains qui vivent du paycheck au paycheck, quasiment au jour le jour.

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    Et puis à un moment et de façon assez inespérée, ça se met à chauffer avec un gros solo de wah-wah. Durand Jones se met à danser comme un soufi, il tournoie et valdingue, et il enchaîne avec un groove à la Sam & Dave, le fameux «Groovy Babe» et là la Soul reprend des couleurs, Durand Jones jerke sa Soul avec une classe carnassière, il se fait félin de service, il tombe à genoux, il jette toute la foi du pâté de foie dans la balance et ça devient enfin sérieux. Il se met à danser comme un guerrier zoulou d’un pied sur l’autre et screame comme James Brown. Excellent ! Il sauve son set. Il enchaîne avec l’excellent «Can’t Keep My Cool», un fantastique slow groove enchanté de l’intérieur, qu’il interrompt avec des moments de silence que le public est incapable de respecter - And I don’t know what I’m supposed to do - Une merveille. Il finit au sol, comme terrassé par la beauté qu’il génère. On imagine cette merveille dans un contexte musical plus adapté, comme celui de l’album, notamment. C’est sans doute avec «Don’t You Know» qu’on songe à décrocher, car cette Soul refuse d’obtempérer, trop co-chantée avec cet excellent blanc-bec d’Aaron. C’est d’une préciosité qui ne convient pas à un Durand Jones qu’on sait capable de miracles. On passe complètement à travers «Long Way Home» et «True Love». Ça groove sans groover, ça excède autant que le spectacle d’un volcan éteint. On préfère voir les volcans en éruption. En concert, les longs passages à vide ne pardonnent pas. Comme si après le Christ Durand Jones voulait rater sa conquête spirituelle du monde.

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    Il finit cependant avec son très beau «Smile» - Try to give up/ Just for a while - chanté dans la joie et la bonne humeur contagieuse - Hang on my smile - «Smile» sonne comme un morceau fétiche, un morceau sauveur d’humanité. Il finit toujours avec. Et c’est là où commence la vie de l’âme, ce qu’on appelle la Soul.

    Signé : Cazengler, Duranci Jaune

    Durand Jones & The Indications. La Maroquinerie. Paris XXe. 23 janvier 2019

    Durand Jones & The Indications. Coleman Records 2016

     

    Le festin des Cannibals

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    L’âme des Cannibals porte un nom : Mike Spenser. Un expat, comme on dit là-bas. L’un de ces Américains de Brooklyn débarqués en Angleterre au début des années soixane-dix pour y porter la bonne parole.

    Il entre gamin dans le rock par la grande porte, grâce aux Stones et Chuck Berry, Jimmy Reed et Bo Diddley, Otis et les Temptations. En 1966, le jour de ses 19 ans, il la chance de voir les Stones à Forest Hill. Et comme la guerre du Vietnam fait rage à cette époque, Mike Spenser est baisé. On l’appelle sous les drapeaux. What ? Aller se battre dans cette guerre qui ne sert à rien ? Il s’embarque à bord d’un bateau en partance pour les Indes, mais il rentre au bercail pour finir ses études. Au début des années soixante-dix, il traîne avec les Miamis, un groupe qu’on retrouve sur la compile du CBGB. Comme les Miamis sont des copains des Dolls, Mike Spenser finit par faire le roadie pour les Dolls. Il fréquente aussi les Stilettos qui vont devenir Blondie. Et comme il lit le Melody Maker, l’idée germe dans son esprit d’aller s’installer à Londres. C’est aussi bête que ça.

    Le groupe qui l’intéresse dans le Melody Maker, c’est Dr Feelgood. Il va traîner au Soho Square Market, derrière the Leceister Square tube station, où Roger Armstrong tient le Rock On Stall. Quand il entend «Confessin’ The Blues» des Stones, Mike Spenser sort son harmo et jour sur le cut. Roger Armstrong lui demande s’il joue dans un groupe, et voilà, c’est parti. Mike Spenser se retrouve sur Chiswick avec les Count Bishops. C’est là que paraît Speedball. McLaren repère Spenser sur scène avec les Count Bishop sur scène, mais Roger Armstrong lui dit de dégager, vu que Spenser est signé sur Chiswick. Au fond, Mike Spenser n’aime pas le punk. Il ne supporte pas ce son privé de mélodie et de substance. Par contre, il adore les Undertones et bien sûr les Heartbreakers, deux groupes qui, on le sait, n’ont rien à voir avec le punk-rock.

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    Le B-side de son premier single avec les Cannibals qui s’appelle «Nothing Takes The Place Of You» figure parmi les all-time faves de John Peel, cette fameuse box de single avec lequel il est enterré. Quand avec ces copains cannibales, ils essaient de définir leur son, ils conviennent qu’ils ne sont pas plus punk que rock - So let’s call ourselves a trash band and start a trash movement (On va s’appeler un trash band et on va démarrer un mouvement) - Voilà comment naît une réputation dans l’underground.

    Il rencontre Greg Shaw en 1980 et ils deviennent amis au point que Greg vient s’installer chez Mike. Six mois à Brixton ! Mike est très organisé : il gère un club où viennent jouer les groupes de tous les genres. Il dispose aussi d’un atelier d’imprimerie et de pressage de disques et c’est là qu’il commence à fabriquer avec Greg Shaw la suite des Pebbles. C’est le fameux Pebbles Box Set, suivi de trois volumes de Best Of Pebbles. En plus, Greg ramène le meilleur acide et les meilleures sulphates d’amphétamines du monde, alors, Mike s’amuse bien. Et quand il faut évoquer l’avenir du rock, Mike Spenser saute de joie : il le voit dans les Cavemen, King Salami, Daddy Longlegs, les Parkinsons et des groupes assez inconnus par ici comme Oh Gunquit. Pour lui, ce qui est important, c’est que l’étique DIY existe encore - The DIY ethos is still alive and kicking.

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    On trouve un paquet de bonnes choses sur Bone To Pick paru en 1982, notamment un cut très Dollsy dans l’esprit intitulé «To The Rage». Ça n’est pas surprenant, vu que Mike Spenser traînait avec la bande à Johnny Thunders, lorsqu’il vivait encore à New York - Here come Charlie Brown/ Walking down the street - Admirable, avec une ambiance digne des Coasters. Le hit du disk pourrait bien être «The Dreaded Lurgy», chef-d’œuvre de weirdness joué à la cocotte suprême. Mike Spenser y ramène toute la démesure du boogaloo new-yorkais. Avec «Superstar», il rend hommage à Bo Diddley. Globalement, on note la bonne santé du son des Cannibals. Ils jouent en mode alerte vive et font un stupéfiant déballage d’accords vitaux dans «I’m Not Stupid». Avec «Mumbo Jumbo», ils vont plus vers le garage, avec un fort parfum d’américanité. Mike Spenser ramène toute son énergie dans le son canibalistique. Nouvelle sensation en B avec un «Screaming Abdabs» emmené sabre au clair. Quelle énergie ! Et pour corser l’affaire, on entend un solo déconstruit joué au dodécaphonisme de Kentish Town. Ce n’est pas compliqué, tout est bien foutu sur cet album. Mike Spenser prend «Big Fat Mama» à l’énergie cavalante. Le solo killer flash qui traverse le cut vaut aussi pour modèle. «Kiss & Tell» va plus sur la petite pop et «Taking The Piss» renoue avec le pub-rock cher aux Count Bishops.

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    Un certain Bal a dessiné la pochette de Please Do Not Feed The Cannibals à la main. Il semble s’être inspiré des œuvres de Rudi Protrudi. Au moins, les intentions sont claires : les Cannibals sont là pour bouffer du garage. Ils bouffent le «Psycho» des Sonics tout cru et Mike Spenser trashe la dépouille fumante d’un joli coup de killer solo. L’autre grande reprise de l’album est celle du «Barracuda» des Standells. Ah quel clin d’œil ! C’est beuglé à la Dodd et c’est le moins qu’ils puissent faire, en tous les cas - I need ya babe ! - Voilà une cover inspirée, portée par les meilleurs chœurs d’anthropophages. Les Cannibals ne tirent pas seulement leur force de leurs mâchoires. Ils la tirent surtout de leur son et d’un sens aigu de l’écho. Ils tapent un «Can’t Get Away from You» digne des Seeds. Ils y shootent une belle dose d’acid freak-out et passent au boogaloo avec «Rumble In The Jungle». Ils frisent le cliché, mais le font d’une manière infiniment crédible. Ils tapent aussi une reprise de «Too Much To Dream» des Prunes, mais pour des prunes. L’autre point fort de l’album est cette version de «Good Times» ultra-chargée de freak-out. On sent chez eux une sorte de niaque bon enfant. Quand ils chantent à l’énergie délétère, on les sent affamés de chair humaine.

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    Encore une pochette dessinée à la main pour Hot Stuff. On y trouve l’une des plus belles reprises du «Garbage Man» des Cramps. Les Cannibals y font démarrer une mobylette puis un gros drumbeat. Autre cover crampsy avec «Primitive». Ce vieux coucou leur va comme un gant. Cousu, mais joué avec une authentique ferveur. Jolie bassline. Ces deux hommages aux Cramps sont de pures merveilles. Ils rendent aussi hommage aux Moving Sidewalk avec «99th Floor», mais ils sonnent trop garage bon chic bon genre. Leur version d’«Action Woman» tient sacrément bien la route et Mike Spenser y claque un solo d’échappatoire sous le tapis de son. Mais c’est avec «Sour Grapes» qu’ils décrochent la timbale. Garage sixties en plein, mais avec une petite niaque de bon aloi. On note l’excellent struggling de guitare garage. Mike Spenser sait de quoi il parle. Encore une compo de Spenser : «Human Race». Ce sont ses cuts qui comptent et qui captent. Ce mec se révèle extrêmement talentueux. On le retrouve à l’œuvre dans «Going All The Way». Il continue d’y édifier les édifices. Il ne démord pas de sa proie. Il est dans l’essor fatal, dans l’énergie du timbre, dans la couleur du ton. Il est d’une incroyable justesse de bon ton. Il va encore créer l’événement avec un «You Drive Me Mental» ultra joué sur le riff de «You Really Got Me». Il sort pour l’occasion un fabuleux son de trash boom-hue-hue. Ça joue à la fuzz en sous-main, Spenser s’en donne à cœur joie.

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    Sur Trash For Cash, on retrouve pas mal de cuts de Hot Stuff, notamment «Garbage Man», «Skelettons In The Closet», «You Drive Me Mental» et l’excellent «Going All The Way» des Squires. À quoi s’ajoutent d’autres reprises exceptionnelles comme «Sticks & Stones», classique garage imparable. Les Cannibals font figure de modèles. Ils sont impressionnants d’aisance et de véracité carnivore. On trouve en B un excellent «Monkey See Monkey Do» joué à l’insistance bourrue. Wow, ils montent ça sur un beat haletant, un tempo altier qui permet toutes les indélicatesses. Et puis voilà qu’ils tapent dans le Chocolat avec une reprise stupéfiante de «Let’s Talk Abou Girls», l’une des plus belles versions du hit chocolaté. Ils sont dessus, parce que le chanteur est américain. Spenser ultra-chante et s’en sort avec les honneurs.

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    Attention, le dernier album des Cannibals est une sorte de passage obligé. And The Lord Said Let There Be Trash vaut vraiment son pesant de côtelettes. On y trouve au minimum trois hits sur chaque face, à commencer par «City Of People», fantastique slab de garage fuzz. Ces bons vieux Cannibals savent tenir un garage en laisse, yeah yeah. Ils gueulent à la revoyure, baby don’t mess with me - Et ça continue avec «Your Sister», hit garage hanté par un voile d’orgue et Mike Spenser s’amuse avec your beautiful sister. Tous les cuts sont bardés de son et ultra-joués, ça fuzze dans la meilleure des traditions. Encore de la heavyness riffique avec «Paralytic Confusion», c’est quasiment hendrixien, dans l’esprit de «Who Knows». Et ils fracassent leur fin d’A avec «We’re Pretty Sick». Hey doctor ! Ils développent ici une rare puissance, ils envoient des oh yeah qui sonnent comme des modèles du genre. Ça joue ventre à terre, c’est flamboyant, on croirait parfois entendre des Shadows of Knight amphétaminés. La B est encore pire, avec «Your Selfish Ways», tapé au mid-tempo amélioré, un brin hanté par une belle distorse. Mike Spenser occupe bien le devant de la scène. Il chante comme l’Ig de l’âge d’or dans «I Want Trash», voilà encore du très gros fretin, les Cannibals semblent incapables de fourbir un mauvais album. Encore du garage haut de gamme avec «Not Wanted Here», extrêmement alerte et vif, joué ventre à terre, ouh come there/ Not wanted here/ Not wanted here - Mike Spenser tape ensuite dans le dark bahm boom pour imposer «Animal Love». Les Cannibals ne font pas de cadeaux, ils ne prennent pas de gants. Pas de chichis chez ches mecs-là, ils trashent leur garage avec un appétit démesuré. On trouve un cut surprise en fin de B, un superbe rave-up de Bristish Beat surchauffé à l’harmo, digne des early Stones ou des Pretties, mais en plus raw, Ron.

    Signé : Cazengler, Canniballetringue

    Cannibals. Bone To Pick. Hit Records 1982

    Cannibals. Trash For Cash. Hit Records 1985

    Cannibals. Please Do Not Feed The Cannibals. Scarface 1987

    Cannibals. Hot Stuff. Hit Records 1987

    Cannibals. And The Lord Said Let There Be Trash. Hit Records 1991

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    Jon Mojo Mills : It’s Trash. Shindig #76 - February 2018

     

    LA FASCINANTE HISTOIRE DES VARIATIONS

    MARC TOBALY & JULIEN DELéGLISE

    ( Camon Blanc / Septembre 2018 )

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    Scène bucolico-country. Je pousse doucettement la balançoire de la petite sœur du copain allongé sur la pelouse devant la maison, le transistor à ses côtés. Le monde est presque parfait, nous sommes en 1969. L'éternité est devant nous. Et brusquement la nuisance absolue s'abat sur nous comme l'épervier plonge sur sa proie. Come Along nous traverse à la manière de la foudre sur le héros dans le chapitre de Que Ma Joie Demeure que Giono n'a pas osé rajouter à la fin de son roman. Pas le temps de reprendre nos esprits que le speaker prononce la bourde de sa vie. Les Variations, avec le copain, on rigole, l'a besoin de réviser son anglais, un élève de sixième aurait correctement ânonné The Va-rii-ac-chions, l'on a dû entendre nos cruelles moqueries sur Europe 1, car la précision qui tue déboule sur nous, '' un groupe français''. Le répète deux fois, pas d'erreur possible, ce sont des français. Ce n'est pas que nous soyons particulièrement chauvins ou nationalistes, mais une évidence s'impose : la France entre dans une nouvelle ère. L'on possède enfin un groupe qui sonne à égalité avec ce qui nous vient de l'autre côté de la Manche.

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    Une consolation en ouvrant ce livre. N'avons pas été les seuls à subir cette commotion et à prétendre à cette révélation. Et à partager une identique incompréhension finale. Un demi-siècle plus tard les Variations ont disparu de la mémoire collective. Même ceux qui n'ont jamais entendu un seul des morceaux des Chaussettes Noires les situent dans l'histoire du rock des grenouilles sans hésitation, mais pour les Variations, c'est le gros blanc, l'ignorance complète. Les quoi ? Les qui ? Et pourtant les Variations ont été les premiers. Pas chronologiquement bien sûr, mais ils ne font pas non plus exactement partie de la deuxième génération. En sont les précurseurs. Et entre parenthèses sont d'une autre trempe que ces tristes clowns de Martin Circus ( qui se sont écrasés au Sénégal ) et de Triangle dont les trois angles ne sont jamais parvenus à atteindre les 180 degrés réglementaires. Les Variations eux ont le son. The sound. The true and veridic and magic sound. Anglais. Le vrai, le seul, l'inimitable. N'ont pas la guitare maigrelette comme tous les autres. Et derrière ça gronde comme un ouragan.

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    Longtemps que les fans attendaient ce livre. Certes l'on pouvait reconstituer l'épopée fragment par fragment en fouinant sur Internet et les sites spécialisés et en relisant les anciennes revues, mais là tout a été réuni et propose en une seule fois une vue d'ensemble sur une carrière qui n'a pas été sans brisures. En plus Julien Deléglise a bénéficié de l'apport de Marc Tobaly qui fut à l'origine du groupe et a contribué à tirer les leçons de l'échec final. N'élude aucunement la responsabilité du groupe mais n'en oblitère pas pour autant les obstacles qu'il rencontra. Pour sa part Julien Deléglise ne cache jamais son admiration pour le groupe et la plupart des lecteurs risquent d'être surpris par la place majeure qu'il accorde à ce combo aujourd'hui pratiquement oublié dans l'histoire constitutionnelle du heavy-rock. Les Variations n'ont pas démérité. Ont fait preuve d'intuitions fulgurantes, l'on rêve de ce qu'ils auraient pu faire s'ils avaient eu la chance de bénéficier d'un appui logistique et musical qui était monnaie courante en Angleterre. Si mal reçus en France qu'ils trouvèrent refuge et compréhension aux States. Un comble pour un groupe français !

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    Une histoire qui débute au Maroc, Marc Tobaly y naît en 1950, une dizaine d'années plus tard l'odeur des Chaussettes sales s'insinue jusquà Fès et avec deux camarades du collège les frères Costa, ils s'essaient à reproduire Dactylo Rock et Wha'd I Say de Ray Charles. Forment les P'tits Loups, tournent un peu partout à Casablanca Marc rencontre un certain Jo Philippe Leb avec lequel dans le garage du père il tape le bœuf sur les morceaux des Roling Stones. Toujours à Casablanca – décidément une mine d'or il croise le batteur des Jets qui assurent la première partie des Shadows, un certain Jacky Bitton...

    En 1966, Marc et son frère Alain jouent les Rastignac du rock. A Paris, comme il se doit, ce qui ne les empêche pas de traverser le Chanel pour humer l'air anglais, en ébullition. Alain s'inscrit à la fac, et Marc découvre qu'à part Hallyday, Long Chris et Ronnie Bird, la scène française apathique offre peu de débouchés comparée pour quelqu'un qui a vu ( et entendu ) de près les merveilles du rock'n'graal britannique... Trouve tout de même un guitariste – Jacques Micheli – et un bassiste – Guy de Baer – et puis le destin s'en mêle par un pur hasard objectif il rencontre coup sur coup Jacky Bitton et Jo Leb. Doit y avoir une bonne étoile car si Jacques et Guy un peu déroutés par la fougue des trois amis quittent le navire, survient, encore un coup de dés du sort, le quatrième cavalier de l'apocalypse : le bassiste Jacques Grande passé à la notoriété sous le sobriquet de Petit Pois. Ne vous méprenez c'était un poids lourd. Y aura même un cinquième appelé, qui fera un petit tour et puis s'en ira mettre le feu chez Johnny, Rolling ! Avec qui Hallyday enregistrera ses plus belles faces. Mais ceci est une autre histoire.

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    Les Variations ne tardent pas à mettre le ramdam dans les boîtes où ils passent. A tel point qu'ils sont connus de tout le monde, z'ont la réputation d'un combo de tueurs mais le métier s'en fiche, et comme Paris et sa banlieue ne sont pas plus gros qu'un microcosme, le groupe a l'impression de tourner en rond. Ce sera le premier exil, décidé par Alain qui tient le rôle de manager, Allemagne, Danemark, Suisse, passent au Star Club, rencontrent les Small Faces, Hendrix, Vanilla Fudge, des grosses pointures, certes ils admirent mais ils reçoivent en contre-partie le respect. Enregistrent un simple : Spicks and Specks / Mustang Sally sur le label Triola à Copenhague.

    C'est bien beau, mais la campagne de France n'est pas gagnée, tournent en province, soulèvent l'enthousiasme partout où ils passent, les fans sont là, mais le showbiz les ignore. Ce coup-ci ce n'est pas le hasard qui s'en mêle, mais le destin. La date elle-même est fatidique. La télé prépare une soirée spéciale, Fleetwood Mac, Small Faces, Jeff Beck Group, et les Who sont au programme. Pas les Variations, s'y rendent tout de même au cas où, et les voici sommés de remplacer Traffic qui a des ennuis avec la douane, avec un tel nom on provoque un peu les soupçons... Lorsque l'émission est diffusée les Who et les Small Faces ont droit à un titre, les Variations à sept.

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    Tout de suite c'est l'engrenage. Signent chez Pathé-Marconi. Deux singles sortent la même année et début 1970 le premier album : Nador. Il faut comprendre que les Variations ne sont pas des suiveurs qui arrivent après la bataille. Durant leur virée hors-hexagone, ils ont côtoyé les groupes anglais et vécu dans le creuset de braise où le british-blues est en train de magnifier le vieux blues américain en monstre incandescent. Nador en quelque sorte improvisé, le groupe se débrouille seul en studio et les boys qui se contentaient de jouer des reprises sue scène se mettent à composer, se révèle être le fils parfait et l'enfant sauvage de son époque gorgée de fureur et d'énergie. Me suis amusé à me rafraîchir la mémoire en parcourant les 123 Albums essentiels du rock français ( présenté par Philippe Manœuvre paru en 2010 ), oui il y a de la bonne came, de la super bonne variété, mais d'aussi rock'n'roll que Nador, pas plus de cinq...

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    L'histoire des Variations jusqu'à maintenant s'est déroulée comme un rêve de môme, ils sont jeunes, ils sont beaux, en osmose parfaite avec leur époque, arborent des tenues à faire pâlir  Eudeline, vivent en communauté ( rien à voir avec les sinistres co-locs sous-économiques d'aujourd'hui ), jouent comme des Dieux, ont du flouze, et ramassent les plus belles filles. De quoi exciter les envieux de tout bords. Ce n'est pas le cauchemar qui déboule, plutôt des insomnies qui empêchent le songe d'étendre ses ailes cristallines.

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    La presse se déchaîne, on leur reproche tout et n'importe quoi, le set raté devant Steppenwolf, de ne pas chanter en français et puis ces années 70 sont marquées par l'apparition d'un public petit-bourgeois qui se pique de rock'n'roll, à condition qu'il ne soit pas trop violent et sale. Trop populaire, pour prononcer le mot non honteux qui hante le cerveau des snobinards, pas assez culturel – lisez progressif. C'est l'époque où il est de bon ton de se gausser de tout ce qui est français, il ne faut jamais oublier qu'entre 1970 et 1975, l'on achète par chez nous surtout des disques du Pink Floyd, de Yes, d'Emerson Lake & Palmer, de Genesis...

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    Mais si l'on est souvent trahi par les autres, les plus grandes trahisons viennent de vous-même. En septembre 1971, Jo Leb annonce par voie de presse qu'il quitte les Variations. Parfois le fromage vous monte à la tête plus sûrement que la fièvre à El Paso. N'est-il pas un merveilleux showman, une bête de scène extravagante, ne mérite-t-il pas les ponts d'or qui ne manqueront pas... L'est déjà de retour en février 1972. David Chevalier qui le remplaçait depuis octobre 71 lui laisse la place sans problème, les Variations étaient trop rock'n'roll pour lui... Mais le groupe est en roue libre.

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    Appliquera la solution qui avait si bien marché en 1967, l'exil. Attention pas le Danemark, les States, rien de moins, le pays où naquit le rock'n'roll. Le pire, c'est que ça marche. Le groupe tourne et s'attire les bonnes critiques. Rend raison à l'adage selon lequel nul n'est prophète en son pays. L'est qualifié de High Energy Group. De retour en France, les flagorneries de circonstances ne font point défaut. Ils sont une nouvelle fois les rois de la fête. Ils en profitent pour sortir le simple Je Suis Juste Un Rock'n'Roller - Enregistré aux Etats-Unis, marqué en gros sur la pochette.

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    Retour aux Etats-Unis pour enregistrer sous la houlette de Don Nix – notamment chez Stax – en avril 1973, leur deuxième album, Take It, Or Leave It. Nador embaumait le rock anglais, Take It sonne résolument américain. Quelle différence demanderont les esprits curieux. Les amerloques prennent le rock beaucoup plus naturellement que les Rosbeef. C'est un truc qui sort de chez eux. Un peu comme le bal musette de par chez nous. Ou le camembert si vous préférez. Les englishes dès qu'ils y touchent ( je parle du rock pas du claquos ), ils en rajoutent, un bidule qui se remarque tout de suite, du genre hé ! les bouseux, les soit-disant spécialistes vous n'y avez pas pensé... certes vous avez les mines de glaise les plus qualiteuses, mais les plus beaux vases c'est nous qui les façonnons de nos petites mains fragiles et expertes, tout juste s'ils ne rajoutent pas, de génies surdoués. Moins agressif que Nador, l'on trouve dans Take it, une assurance et une maturité que le premier album ne connaissait pas. Paru sur Buddah l'album auréolé de louangeuses chroniques ne se vendra que très mollement. Les Variations sont repartis aux USA, ils rencontrent notamment les New York Dolls in the Big Apple, mais auraient mieux fait de tourner en France pour pousser les ventes...

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    Les Variations repartent aux States dés le début 74, ils tournent avec Aerosmith, Kiss, Peter Frampton, quelques sessions à Atlanta mais le gros du troisième album sera enregistré à Paris. La perfide Albion avait inspiré le premier, et le pays de Tom Saywers le deuxième, pour le numéro trois, le groupe se replie sur ses racines. Not the french touch, le Maroc. Morocan Roll surprend les fans français. Du rock'n'roll certes mais mâtiné d'arabesques venues d'ailleurs. Led Zeppelin lui aussi ira chercher de nouvelles sonorités, mais si l'on pardonnera tout au Dirigeable, l'on fait la moue devant ces petits français qui collent trop bien à leur époque. D'ailleurs, le disque précipitera le départ de Jo Leb qui ne se reconnaît pas dans ces labyrinthes orientalisants... les Variations étaient un peu trop en avance.

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    Jo Leb sera remplacé par Robert Fitoussi ( qui deviendra célèbre sous le nom de FR David ). Le groupe enchaîne sur son quatrième album. Café de Paris, ce n'est plus du rock pur et dur, l'on frôle le fusion-funk , encore une fois Variations regarde plus loin que ceux qui ont le nez dans le guidon du boogie. Voit aussi plus loin que lui-même. Le départ de Jo Leb tourne la page et termine le livre. Ça doit tanguer salement à l'intérieur du combo, le 25 mai 1975, alors qu'il passe en première partie d'Aerosmith, c'est le split final...

    Ce qui suivra offre peu d'intérêt. Reportez-vous au bouquin. Marc Tobaly nous offre la consolation du pauvre. Tout compte fait, ce n'est pas si mal que cela, l'a pu se retrouver, fonder et s'occuper de sa famille, se recueillir sur sa foi... redevenir un homme simple, le succès, la réussite, une vie de rock star pourrie de dope et de fric l'auraient écarté des vrais valeurs...

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    Les Variations sont venus trop tôt. Ou plutôt à la bonne heure, mais dans un monde de froggies qui n'était pas préparé pour les recevoir. Rien n'était prêt, ni le circuit de tournage, ni la presse, ni le public. Sont passés comme des météorites. Une traînée de feu étincelante, suivie d'une désintégration finale. Quant à leur évolution musicale, elle me semble éclairer et préfigurer les diverses mutations des groupes metal. Mais celles-ci se sont déroulées sur quatre décennies. L'on se prend à rêver à ce qu'ils auraient pu devenir s'ils avaient bénéficié d'un véritable management. Mais avec des Si l'on mettrait Café de Paris en bouteille...

    Les Variations sont nos Rolling Stones à nous. A la française, certes. Mais du toupet et du panache. Julien Deléglise nous dit que sans eux il n'y aurait jamais eu de Trust et de Téléphone. Perso, je préfère les mettre à côté de Magma. En tout cas le livre s'ouvre sur le plus bel hommage jamais adressé à un groupe de rock. De Nono de Trust. S'il est un groupe qui pourrait prétendre au titre du deuxième album des New York Dolls, In Too Much Too Soon, ce sont les Variations. Et nul autre.

    Un livre à lire et à méditer. Très rock'n'roll !

    Damie Chad.

     

    BLUES, FEMINISME ET SOCIETE

    LE CAS LUCILLE BOGAN

    CHRISTIAN BETHUNE

    ( Camion Blanc / Septembre 2018 )

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    Nous ne savons rien de Lucille Bogan. Née en 1897, ayant vécu à Birmigham. Morte à Los Angeles où elle résidait depuis deux mois à l'âge de cinquante et un ans. Son fils interviewé à la fin des années soixante n'est guère disert. C'est le moins que l'on puisse dire. Se contente de nous révéler qu'elle fut chanteuse de blues, et qu'elle travaillait l'écriture de ses morceaux à la maison. Circulez, vous n'en saurez pas une once de plus. Cherche-t-il à cacher quelque secret de famille ou simplement exprime-t-il le mépris d'un musicien de jazz pour cette forme musicale rudimentaire qu'est le blues ? Nous ne connaissons d'elle qu'une soixantaine d'enregistrements – une quarantaine semblent être définitivement perdus. Christian Béthune parvient tout de même à rédiger un volume de trois cents cinquante pages sur cette mystérieuse figure.

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    L'on a l'habitude de diviser l'histoire du blues américain en trois grandes étapes. Le blues féminin, le blues rural du Delta, le blues électrifié de Chicago. Laissons de côté ce dernier, amplement documenté. Intéressons-nous aux deux précédents. L'on a longtemps admis que le vrai blues, the real blues, le blues authentique fut celui du Sud profond. Le blues féminin serait une forme édulcorée et bâtarde du blues, un produit hybride, un infect mélange de chansons issues des minstrels et du vaudeville, lancé par les compagnies de disques du Nord. Un blues de seconde zone qui durant longtemps aurait occulté le véritable blues qui par miracle se serait perpétué durant des décennies dans l'enclave territoriale mississippienne. Et ce depuis un temps mythique indéterminé. Lorsque Alan Lomax dans les années trente s'enquiert de ce blues perdu et oublié, il n'enregistrera que des hommes.

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    Objection votre honneur ! L'idée que le blues fut le patrimoine sacré des anciens esclaves miraculeusement préservé par un confinement géographique va en prendre un sacré coup dans ce paragraphe. Première remarque, le mot blues pour désigner un style musical n'apparaît qu'après 1910, faut se faire une raison, avant cette date le blues n'existe pas. Deuxième démarque : le Sud et le Nord des Etats-Unis sont reliés par un dense réseau de chemins de fer. Certes les noirs n'ont pas l'argent qui leur permettrait de faire du tourisme. Mais les casquettes rouges ne s'en privent pas, y sont même obligés. Ces couvre-chefs rutilants sont ceux des employés noirs qui travaillent sur les trains. Se livrent à d'innocents trafics pour augmenter leur misérable salaire : achètent pour pratiquement rien des disques dans le Nord pour les revendre dans le Sud. La musique circule plus qu'il n'y paraît. Dans le Delta comme ailleurs. Les vieux bluesmen de nos images d'Epinal qui gratouillent leurs guitares sur la terrasse de leurs baraquements en connaissent beaucoup plus qu'ils n'y paraissent. Très étrangement lorsque les Compagnies viendront les enregistrer in-situ, ils alignent tous des morceaux ( de blues ) qui n'excèdent pas les trois minutes réglementaires que pouvait contenir la face d'un 78 tours.

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    Si les Compagnies se déplacent ce n'est pas qu'elles aient subitement reçu une révélation ethnographique et qu'elles aient décidé de sauver un genre musical en perdition. Juste des considérations économiques : le prix de revient d'un enregistrement effectué dans une chambre d'hôtel est des plus bas. Pas besoin de monopoliser un studio et des musiciens. Et encore mieux, pas de droit de suite. Les péquins sont heureux comme des papes d'avoir pu enregistrer quelques morceaux, ne négocient pas des contrats juteux, ignorent jusqu'à l'existence des royalties. Rien à voir avec ces poulettes du nord qui font monter ( très relativement ) les enchères...

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    Ne suffit pas d'avoir un enregistrement, faut le vendre et pour cela le transformer en produit. Certes la demande fait le marché mais l'offre peut aussi l'orienter. Pour ces chanteurs l'on crée un nouveau style, sera étiqueté blues. Qu'on se le dise, on recherche des chanteurs de blues, pas d'autres choses. Les témoignages concordent, nos chanteurs de blues patentés et révérés, comme Charley Patton par exemple, ne chantaient pas que du blues, connaissaient des tas d'autres styles, chansons, airs de vaudeville, et notamment se défendaient très bien en hillbilly. Vous leur ouvriez un micro, ils vous auraient chanté tous les styles, écoute coco, l'on veut du blues, que du blues, rien que de blues, si tu veux tes dix dollars t'a intérêt à sortir tes meilleurs lapis-lazuli... Système à double détente. Le blues était réservé aux noirs, et l'on spécialisait le hillbilly pour les blancs. Deux étiquettes, deux publics, deux marchés. En plus la musique se pliait aux patterns ségrégatifs de la société américaine.

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    Lucille Bogan est une des premières chanteuses de blues. Elle n'atteindra jamais à la célébrité de Bessie Smith, ou de Ma Rainey, ou même d'Ida Cox, mais il semblerait que c'était-là le moindre de ses soucis. Aucun document n'atteste qu'elle ait chanté en public. Certes elle a enregistré pour Okeh ( 1923 ), pour Paramount ( 1927 ), pour Brunswick ( 1928 – 1930 ), pour ARC ( 1933 – 1935 ), s'étant déplacée pour cela à Chcago et New York, mais tout laisse supposer qu'elle travaillait chez elle, demandant à quelque pianiste de blues de Birmingham de venir l'aider à répéter ses morceaux. Christian Béthune les analyse un par un. Un peu musicalement – faisant notamment appel à un musicologue qui lui refile des analyses difficilement compréhensibles pour quelqu'un qui ne sait pas lire la musique – s'intéresse avant tout aux lyrics. Lucille Bogan les écrivait elle-même, son fils témoigne qu'elle en fignolait l'écriture longuement. Aujourd'hui les compositeurs-interprètes sont monnaie courante, au début du vingtième siècle qu'une femme noire issue du peuple écrivît ses propres textes et les interprétât est une denrée rare. Bessie Smith et plus tard Billie Holiday subirent d'énormes pressions de leurs maisons de disques quant aux choix de leurs morceaux...

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    Mais ce n'est pas tout. Lucille Bogan soignait ses textes, certes mais elle ne les expurgeait pas. Très symboliquement elle est la première à enregistrer un morceau comportant le mot '' fuck''. Pensez aux critiques qui assaillirent Michel Polnareff en 1966 lorsque en notre pays, pourtant réputé pour sa gauloiserie légendaire, parut son titre Je veux Faire l'Amour Avec Toi... Alors imaginez une femme dans les années vingt qui proclame d'une manière des plus explicites qu'elle veut se faire baiser par-devant et enculer par derrière, vous jugerez de la catastrophe. La tartufferie de la société aussi. Pour juguler la crise de 29, l'on pouvait trouver les mêmes morceaux sur des disques vendus à 20 cents et sur d'autres à 1 dollar. Sans doute existait-il encore un circuit parallèle à très bas prix pour les œuvres salaces et grivoises... Deux de ces morceaux survécurent miraculeusement et furent accessibles dans les années 70. Christian Béthune nous présente Lucille Bogan comme une précurseuse des rappers modernes qui usent d'un vocabulaire fleuri et bourgeonnant, une modernité dans la droite ligne de la tradition des dirty dozens que l'on se lançait à la figure entre voisins dans les quartiers noirs.

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    Réjouissons-nous, à l'époque ces morceaux ne furent pas édités, la morale est sauve, ce qui ne règle en rien le problème Bogan, car sur l'ensemble de ses textes, la petite Lucille ne mâche pas ses mots. L'appelle un chat un chat et une chatte une chatte. Mais ce n'est pas le pire. Ce sont les histoires qu'elle raconte qui vous hérissent les poils du pubis. Rien de bien extraordinaire, un mec quitte sa nana ou la nana quitte le mec. Jusqu'ici, vous connaissez. Mais elle a des façons de décrire ces situations communes avec des mots qui n'emberlifigotent point la réalité. C'est du cul crû. Pas du tout cucul la fleurette. La réalité à ras les draps sales. Lucille fait preuve d'une sereine impudeur. Dévoile tout, ne cache rien. Christian Béthune se sent obligé de se munir du bouclier de la pensée d'Aristote pour faire passer le message. Non seulement Lucille Bogan aime le sexe et l'alcool, mais elle aime la dépendance au sexe et à l'alcool. Comme si ça ne suffisait pas elle ramène un troisième larron. Non ce n'est pas le rock'n'roll, n'existait pas encore à l'époque, même pas le blues, le blues c'est ce qu'elle fuit, et pour cela elle ne connaît dans cette vie de merde du prolétariat noir que l'alcool, le sexe et le fric. Et oui, the money, cette crotte de Dieu disent les hindous. Et le fric et le sexe s'interpénètrent tellement dans les textes de Lucille Bogan que l'amour, le désir et la prostitution copulent joyeusement entre eux.

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    Lucille Bogan n'a ni lu Marx ni poursuivi des études poussées dans une prestigieuse université américaine, mais elle avait tout compris du fonctionnement capitalisme et de l'entregent libertarien, les rapports humains sont dominés par les rapports économiques, dans notre société vous ne pouvez vivre que de l'échange de ce que vous avez – votre corps – contre ce que vous n'avez pas – le fric. C'est ainsi, vous pouvez dire que c'est bien ou que c'est mal, ce genre de problématique ne devait probablement pas effleurer l'esprit de Lucille Bogan. Pour elle c'était un bon deal, la transaction était agréable, en prime elle procurait le plaisir. Que voulez-vous le sexe rend l'âme juteuse.

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    Et en plus, cet agréable commerce, produisait à la femme noire un avantage collatéral des plus jouissifs. Ne dépendait plus des hommes, devenait indépendante, n'était plus obligée de s'embaucher comme domestique, menait sa vie – avec ses hauts et ses bas – comme elle voulait. Elle assumait. N'était plus l'inférieure de l'homme, adieu le patriarcat, devenait son égale. Tout cela Lucille Bogan ne le théorise pas, elle l'irradie. Un message qui n'est pas tombé dans l'oreille des sourdes. Si Lucille Bogan devient à la mode, c'est que le féminisme s'est emparé de son personnage. Elle s'y prête, chants lesbiens et revendication de son corps chocolat noir à grosses fesses et ventre bouffi. Angela Davis l'évoque dans son livre Blues et Féminisme ( paru en 2017 aux Editions Libertalia, kro-niqué dans notre recension 346 du 02 / 11 / 2017 ), dans son introduction Christian Béthune précise que son livre était déjà terminé à la parution de l'opus d'Angela Davis. De surcroît son ouvrage possède un immense avantage, il ne se sent pas obligé de répéter à toutes les pages que la femme noire pauvre est asservie en tant que femme, en tant que noire, et en tant que pauvre. Et que de toute manière, quelle que soit sa classe sociale la femme est asservie en tant que femme. Ce genre de sempiternelle antienne ( mêlée au catéchisme revendicatif de la théorie du genre) alourdit la lecture du book d'Angela Davis. Dépourvus de cette gangue de discours idéologique, les textes de Lucille Bogan n'en paraissent que plus percutants.

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    Entre ce vous écrivez et ce que vous êtes, parfois la différence est énorme. Certains biographes n'ont pas hésité à conclure que Lucille Bogan exerça la noble profession de péripatéticienne. Une pute alcoolique c'est beaucoup plus vendeur qu'une épouse ménagère. Rien ne le prouve, et le peu que nous savons d'elle nous la présente doté d'un caractère casanier. Ses blues participent-ils d'une expression lyrique d'expériences personnelles ? Christian Béthune se contente de rappeler que dans le blues, l'emploi du pronom personnel '' je'' n'implique pas obligatoirement le vécu de l'auteur. Sert plutôt à rendre plus accessible, à faire partager beaucoup plus émotionnellement, le thème que l'on a choisi de traiter. Un '' je'' impersonnel à vocation universelle.

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    Toutefois si l'on veut pressurer les textes pour en tirer quelques éléments en relation avec l'existence de son auteur, rien ne l'interdit. Attention, les blues sont remplis de trains qui partent. La country music aussi. Au début du vingtième siècle, le train était pour les humbles le seul moyen de locomotion accessible quand on avait de longues distances à parcourir. Que l'on paye son billet ou que l'on joue le passager clandestin... Or il se trouve que le mari de Lucille Bogan occupait un emploi dans une société de chemin de fer de Birmingham. Peut-être est-ce la principale raison qui attacha Lucille à cette ville. C'est avec son second mari – plus jeune qu'elle de vingt ans – ne vous privez pas de méditer sur ce détail - qu'elle partit pour la Californie. Profitons-en pour noter que Birmimgham, surnommée par les autorités municipale, The Magic City – était un nœud ferroviaire et un centre industriel qui attira de nombreux jeunes hommes noirs à la recherche d'un travail. Ce qui provoqua la venue de milliers de prostituées chassées des zones portuaires où les ligues vertu obtenaient la fermeture des quartiers chauds. Pourtant située en Alabama, Birmimgham n'était pas très attirante, elle était la ville la plus ségrégée des States et la moyenne des salaires -ouvriers étaient de vingt pour cent moins élevé que partout ailleurs... Très logiquement Christian Béthune analyse donc les six blues de Lucille Bogan qui évoquent le train ainsi que quelques notations adjacentes dans d'autres textes. Son étude – il y consacre un chapitre entier – n'apporte rien de plus au sens général des paroles, par contre il démontre que Lucille Bogan s'y connaissait un maximum question railroad. Ne fait pas d'erreurs, ni sur les lignes, ni sur les types de locomotives. A partir de quelques mots à signification peu ferroviaire, mais replacés dans leur époque, il se livre à des déductions qui raviront les abonnés de La Vie du Rail ( créée en 1938 ). Cela n'a l'air de rien, mais l'on connaît si peu de la vie de Lucille Bogan, que nous souhaitons qu'un jour des chercheurs obstinés parviennent à partir d'un détail anodin à nous révéler des pans entiers de son existence.

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    Ce livre est indispensable à tous les amateurs de blues. Les points d'attaque de Christian Béthune sont très personnels ( jazz, rap, philosophie ) donc très précieux car il est de ceux qui ne passent pas leur temps à répéter ses devanciers. Un véritable chercheur.

    Damie Chad.

    N. B. : une deuxième cronik sera consacrée aux enregistrements parus sous son nom et le pseudonyme de Bessie Jackson.

     

    DEAD GROLL # 8

    ( Février 2018 )

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    Fanzine. Papier. A prix libre. L'ai trouvé cet été dans la boutique toulousaine Croc Vinyl. Attention 60 pages, du texte et des photos en noir et blanc. Mise en page tout ce qu'il y a de plus classique à part le dernier topo de Franky Stein sur la saga des Outcasts qui utilise une police ( tout le monde la déteste ) un peu plus torturée. Des sudistes, l'ère d'action de cette ultra-sympathique revue s'étend de Périgueux à Toulouse. Beaucoup d'interviews de groupes : The Curse, The Devil Bishop, Not Right, Crumble Factory, Neue Kinder Von Damas – dans celle-ci nous retrouvons un dessin de Sylvain Cnude – vous l'avez compris chez Dead Groll l'on aime le rock qui remue, mais l'on n'est pas dépourvu d'oreilles puisque la dernière est consacré à un groupe de jazz érotico expérimental In Love With. Mais il n'y a pas que des groupes de rock dans la vie, sont aussi passés à la moulinette à questions : le Blog qui organise concerts et évènements à Toulouse et Iggy Stoner Booking parce que voyez-vous les groupes qui n'ont pas de concerts... En tout cas, ces interviews sont passionnantes, connaissent leur sujet et ne posent pas des questions bateaux touchés-coulés. Des chroniques de disques évidemment, notamment Johnny Thunders et Sex Pistols, et puis surprise cette petite kro sur Heartbreaker des Badass Mother Fuzzers, une petite musique qui teinte à mes oreilles, non pas celle des BAMF, celle d'une écriture, que dis-je d'un style, qui ne m'est pas inconnu, en plus c'est signé Loser, notre Cat Zengler à nous ! Quand je vous disais que c'était une bonne revue...

    Damie Chad.

    PS : la revue posède son FB : Dead Groll

    MURCIA TROPIKAL # 3

    ( Juin 2018 )

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    Non, il ne s'agit pas d'un disque de Nino de Murcia mais d'un fanzine ramassé sur la table de La Comedia. Une revue qui donne la parole aux adeptes du DIY dans la bonne ville de Murcia, la huerta de Espana, le jardin de l'Espagne. Evidemment c'est écrit en espagnol mais Kr'tnt ! ne recule devant rien pour satisfaire l'insatiable curiosité de ses lecteurs. Une interview d'Irena créatrice du fanzine Vulva Estelar ( Vulve Etoilée ) revue féministe, participante à un club de lecture féministe, et réalisatrice de podcasts féministes sur la radio Ruda FM. Semble y avoir un lot d'activistes multi-cartes en Murcia, voici Victor qui lui aussi produit son émission de radio Timpanos y Luciérnagas ( Tympans et Lucioles ) qui présente des groupes aux noms évocateurs : Sudores de Muerte ( Sueurs de Mort ), Crudo Pimento ( Piment cru ), Alien Tango ou Galleta Piluda, je laisse votre imagination effectuer ces deux dernières traductions, l'est aussi à l'origine du label Grabaciones a Montones ( enregistrements à foison ), qui produit des EP pour des groupes peu connus. Enfin Santini qui sur son blog Piso 28 ( appartement 28 ), rend gonzoaïquement compte de la vie musicale de la région, il est aussi l'auteur du livre Sabado De Despirorre En La Ciudad ( Samedi matin à la gueule de bois ), passe de la musique dans son émission El Plan sur la radio murciane Rom et joue de la guitare dans le duo Llueve, Capullo ! ( il pleut, crapule ) ... Enfin Mati, qui a fondé Casa Chiribiri un atelier de création artistique, la foire aux fanzines Fritanca y Fosquitos, célèbre pour sa carte de la ville, ne s'agit pas d'un simple plan de la ciudad, les rues sont rehaussées d'illustrations de toutes sortes ( édifices, voitures, passages cloutées... ). Pour avoir paru voici une vingtaine d'années huit jours dans cette cité qui m'avait semblé passablement endormie et hors du temps, je ne peux que me réjouir de cette cocotte minute culturelle underground !

    Damie Chad .

    PS : la revue possède son FB : Murcia Tropikal