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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 98

  • CHRONIQUES DE POURPRE 255 : KR'TNT ! 375 :TAV FALCO / THE FLUG / BILL CRANE / SILLY WALK / KIERON McDONALD / HANK'S JALOPY DEMONS

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 375

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    24 / 05 / 2018

    TAV FALCO

    THE FLUG / BILL CRANE / SILLY WALK

    KIERON McDONALD / HANK'S JALOPY DEMONS

    Tav & ses octaves - 
Part Three

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    Vient de paraître un livre de photos consacré à Tav Falco : This Could Go On Forever. On The Road With Tav Falco & Panther Burns. Une certaine Gina Lee signe les images. L’ouvrage sort chez un éditeur autrichien. La bonne nouvelle, c’est qu’il ne coûte que 38 euros. La mauvaise concerne le choix de papier. L’ouvrage est imprimé sur une sorte de mauvais papier offset, l’un de ces papiers instables tellement sensibles à l’humidité et qui n’ont pas la main d’un couché ou d’un bouffant. Dans un projet éditorial, le choix de papier est aussi crucial que la qualité d’impression et les choix typographiques. L’objet doit être aussi agréable à l’œil qu’au toucher. C’est en plus un papier très blanc, très acide, qui ne rend pas forcément service aux images. Et on ne parle même pas de la qualité des images. On ne peut pas parler véritablement d’un livre de photos, au sens où on l’entend généralement. L’ouvrage reste graphiquement muet. Les tailles d’images uniformes et les cadres privés de perspective renvoient plutôt à ces images qu’on fait sans réfléchir pour documenter une page facebook. On est plus proche de l’album de souvenirs de voyage que du livre d’art. Aujourd’hui, avec un smartphone et un éditeur sur le web, n’importe quel touriste peut financer l’édition d’un livre de photos. C’est dire si.

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    Ceci dit, on est toujours content de voir des photos de notre vampire préféré. Quoi ? Vous ne saviez pas que Tav Falco était un vampire ? Pourtant ça se voit comme le nez au milieu de la figure. Bizarre que Jim Jarmush n’ait pas pensé à lui pour le rôle principal d’Only Lovers Left Alive. Et le fait que Tav Falco vive à Vienne ne fait que renforcer cette évidence. Tous les vampires reviennent un jour s’établir à Vienne, cette capitale d’empire qui fut voici plusieurs siècles le berceau du fantastique. Toutes les images proposées dans ce livre ne font qu’enfoncer le clou : cet homme échappe aux modes et au temps. Ça n’en finit plus d’alimenter son prestige et d’épaissir son mystère. Quoi, un vampire qui se pavane au soleil des Baléares ? Oui, il faut le voir pour le croire.

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    Une première image nous montre un Tav Falco en costume bleu clair, photographié dans le backstage d’une festival allemand. Il sourit. Il porte des lunettes noires et brandit sa guitare Höfner. Le voilà frais comme un gardon. Allez, on lui donne vingt-cinq ans maximum. Petit, léger. L’inaltérable modernité du vampire. Mais là où Tav Falco subjugue, c’est qu’il offre l’apparence d’un vampire heureux. Qui aurait cru ça possible ? Ça frise le contresens.

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    Un peu plus loin, on le voit photographié à Lisbonne, près de la statue de Fernando Pessoa. Il porte un blazer brun clair et semble perdu dans ses pensées. Le velouté de son teint d’adolescent a de quoi édifier les édifices.Plus loin, une image le surprend de dos remontant une rue de Palma de Majorque. Il s’éloigne. On entend ses pas se perdre dans l’écho du temps. Rien n’est plus symbolique - au plan fantastique - que ce type d’image. Toujours à Palma, il pose en haut d’un escalier, coiffé d’une casquette de parieur hippique, sans doute un cadeau de Jean Gabin dans les années trente. Tav Falco semble redoubler de prestance. Personne d’autre que lui n’oserait porter ce pantalon moulant à grosses rayures bleues et blanches : les couleurs d’un pyjama !

    Au fond, ce livre fonctionne comme l’antithèse de la fatalité. Les pages des magazines de rock anglais n’en finissent plus de nous montrer des Stones et des Who vieillissants, comme s’il fallait s’habituer à l’idée d’un rock entré dans son déclin. Tav Falco inverse carrément la tendance. Vieillir ? Laissez-le rire ! Page 19, une image nous le montre souriant, comme si Antonioni le filmait à Rimini en 1952 : sourire à la Delon et lumière chaude. Par contre, les photos de scène sont souvent aléatoires. Rien n’est plus difficile que de réussir un vrai shoot de scène. Et voilà notre héros parfaitement à son aise au Cabaret Voltaire de Zurich, oui, dans le berceau du dadaïsme. Il porte son imper blanc et pose devant le portrait d’Hugo Ball, photographié en pied dans son accoutrement satrapique d’as de pic cintré. Toujours en imper blanc et en casquette de titi parisien, voici Tav Falco photographié à l’angle de la rue de la Lune, une image qui illustre parfaitement l’excellent «Ballad Of The Rue De La Lune» qui ouvre le bal des vampires de Conjurations - Séance For Deranged Lovers, paru en 2010.

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    Et puis voilà ces fabuleuses images du Penalty : on y voit Tav Falco en gilet brodé se coiffer à deux mains dans l’éclat éblouissant d’une lumière de printemps. Pur rockabilly shoot ! Le fantastiques images en noir et blanc parues jadis dans R&F proviennent de cette séance. Elles sont de François Grivelet qu’on voit d’ailleurs ici de dos, assis face à Tav Falco. L’air de rien, ce livre grouille d’informations underground. Il n’est pas surprenant de retrouver notre héros attablé à la Nouvelle Orleans, qui est, comme chacun le sait, le berceau du vampirisme sur le nouveau continent. Et en vis-à-vis, Tav Falco se livre à l’un de ses jeux de scène favoris : il se roule par terre avec sa guitare. Avec Carl, son fils Barny et Chris Bird des Wise Guyz, ils sont les derniers à perpétuer le wild rockab roullé-boullé des frères Burnette. Et le voilà au sol, tombé du ciel comme l’ange déchu, photographié d’en haut, mais s’il chute, c’est en chaussures deux tons. Une autre image permet de voir qu’il porte des chaussettes décorées de têtes de mort. Dommage qu’on ne puisse voir un gros plan des boutons de manchette streamline train dont il faisait jadis l’apologie. Il pose aussi devant la vitrine d’un chapelier milanais. La boutique s’appelle Borsalino et bien sûr, Tav Falco ne déroge pas aux lois séculaires du dandysme. D’ailleurs, cet ouvrage pourrait bien être le pendant moderne de l’essai jadis publié par Barbey d’Aurevilly, Du dandysme Et De George Brummel, dans lequel Barbey explique avec brio l’art de se distinguer sans le montrer. Tout repose sur une maîtrise parfaite de la discrétion et de la mesure. Un art que Tav Falco maîtrise puisqu’il s’efface le plus souvent des pages pour laisser vivre ses compagnons de voyage. L’anti m’as-tu-vu par excellence. Et la plus belle image du livre n’est-elle pas celle d’un vampire qui se baigne en Italie, coiffé de son petit chapeau napolitain ? Cet homme n’en finira donc jamais de piquer la curiosité et d’exciter les muqueuses.

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    Il existe un autre livre de photos, paru voici deux ans chez le même éditeur : An Iconography Of Chance. 99 Photographs Of The Evanescent South. Les photos noir et blanc que propose l’ouvrage sont cette fois signées Tav Falco. À l’instar de son maître Bill Eggleston, Tav Falco y défend une théorie de l’image : the veracity of the unmolested photographic image is undeniable. Il parle ici de l’image virginale et de sa magistrale véracité. Comme Eggleston, il se dit influencé par Henri Cartier-Bresson, l’un des esprits les plus libres du XXe siècle. Nos amis américains auraient aussi pu citer d’autres grands chasseurs d’images comme Robert Doisneau, richement imprégné de la réalité urbaine des faubourgs, ou encore Brassaï, l’âme errante des nuits de Paris.

    Tav Falco revient sur Bill Eggleston pour préciser qu’il ne voit pas les mêmes choses que lui. Eggleston fait des images «concrètes», très directes. Celles de Tav Falco relèvent d’un regard nettement plus poétique, voire fantastique - il suffit de voir la couverture de son livre et ce couple hallucinant dansant le rock au bal des fantômes de la rue Morgue, une sorte d’hommage photographique à Edgar Poe. Alors qu’Eggleston - avec lequel Tav a appris le métier de photographe - claque son flash dans un plafond laqué rouge (l’image orne la pochette de Radio City, second album de Big Star). Eggleston semble vouloir mettre la réalité à nu. Ses images nous la livrent toute crue, sans fard.

    Les images de Tav Falco dégagent un charme d’autant plus capiteux qu’il les commente. Ce prodigieux écrivain cultive aussi l’art des formules épiques. Sa prose les charrie comme un fleuve amérindien charrie les sables alluvionnaires : à la tonne. Bel exemple avec la première photo, celle de la Saint Francis River, à l’Est de l’Arkansas. Tav suggère que dans l’ombre des bois qui bordent le fleuve, les esprits courroucés des Indiens marchent encore silencieusement en file, chaussés de mocassins. Voilà ce que voit Tav Falco dans cette image d’apparence si banale.

    Les livres de photographes sont parfois très denses, et cette densité génère une sorte de tension intellectuelle. Lorsqu’on feuillette La Main de l’Homme de Salgado, on est immédiatement tétanisé par la violence graphique des images. Encore plus fascinant et plus difficile à feuilleter : le recueil de portraits de Richard Avedon, grand spécialiste du grain de peau et des yeux qui parlent. Même Cartier-Bresson semble trop graphique, bon nombre de ses images relèvent d’une forme de génie du cadre, beaucoup plus que du fameux «moment décisif» auquel Tav Falco fait référence. La photographe dont Tav Falco se rapproche le plus est certainement Diane Arbus.

    Les premières images de ce livre sont des détails de paysages, sans personnages. On s’y sent tout de suite bien, comme chez Diane Arbus qui toute sa vie a photographié les gens ordinaires. La troisième image est celle d’un wagon abandonné en pleine cambrousse - These rail cars are long forsaken and consigned to perpetual oxidation - Sur le wagon, on peut lire Rock Island et bien sûr on pense à Leadbelly et à «Rock Island Line». Une autre image nous montre une sorte de taverne misérable dont les deux fenêtres sont protégées par les barreaux. Idéal pour l’imagination galopante de Tav Falco - The bistro is open from dusk to dawn and what goes on behind its barred windows defies the most feral imagination in the every act known to man is possible here - L’auteur nous indique que derrières les barreaux de ces fenêtres, tout ce qui relève de l’imagination la plus fertile est possible. Pour lui, les trains ne laissent derrière eux «que de la poussière, du chagrin et de la suie», alors que les entrepôts ont vu défiler «de sombres cargaisons et de ténébreuses émotions». Au fil des images, Tav Falco parvient à européaniser le néant de l’Amérique profonde. C’est un exploit poétique assez prodigieux qui mérite d’être souligné.

    Les petites cabanes du Deep South qu’il photographie renvoient évidemment à Walker Evans. Mais Tav Falco est moins cru, son regard est beaucoup moins ethnologique. Il préfère choper deux gosses qui partent à la pêche à Okatoma Creek pour ramener à la maison a mess of fresh perch for mama to fry in a blackened iron skillet. Tout ça sur un air chantant de Charles Trenet.

    Le premier portrait arrive assez tard dans la pagination. Il s’agit bien sûr d’un «perennial rockabilly Ho-daddy» sortant de l’agence locale de la compagnie de téléphone. Tav Falco sait qu’on croisera ce mec plus tard dans la soirée «au Bad Bob’s Vapors Club». Il photographie aussi une statue du soldat inconnu en Arkansas, et profite de l’occasion pour ironiser sur le compte de la cause perdue - The War of Rebellion and the valiant troops who fought to the death for the lost cause may never it seems be dismissed from memory - C’est vrai que l’idée de la cause perdue présente quelque chose de chevaleresque, comme avait essayé de le montrer D.W. Griffith dans The Birth Of A Nation. Et puis soudain, on tombe sur une image montrant Rural Burnside jouant dans un club. Des blacks dansent devant lui. Tav Falco note que la vie de travailleur des champs ne laisse pas beaucoup de temps pour repasser son pantalon.

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    On tombe un peu plus loin sur un autre portrait, stupéfiant, celui d’un vieux docker noir sur son trente-et-un, le regard noyé dans l’ombre d’une immense casquette de gavroche. Tav Falco profite du portrait d’un camarade d’université, David Grünewald, pour évoquer ses souvenirs de jeunesse à l’University of Arkansas, «rebutting the dialectics of Heidegger, Barthes, Derida and the dérive de Guy Debord.» Il n’est pas surprenant de retrouver le nom de Guy Debord sous la plume de Tav Falco. Ces deux-là ont su chacun à leur manière incarner l’idée pure de l’avant-garde, doublée d’un mépris psychorigide pour les concessions. Tav Falco livre aussi un beau portrait de sa mère, Rita, dont les parents arrivèrent d’Italie du Sud. Il ajoute que la voix de sa mère était si claire qu’elle fut engagée comme speakerine dans une radio d’Arkansas. Portrait spectaculaire du fils de Sleepy John Estes lors de l’enterrement de son père. Allez, tiens, encore un autre portrait spectaculaire, celui de Van Zula Hunt, l’une des chanteuses noires qui, comme Jessie Mae Hemphill, fascinait tant Tav Falco.

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    On tombe un peu plus loin sur Jerry Lee et sur Sun Ra, photographiés sur scène. Fantastiques évocations de ces méga-stars dont on s’est tous nourris.

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    La photo la plus connue de Tav Falco est sans aucun doute celle de Charlie Feathers occupé à démarrer une Harley - a 1934 Harly-Davidson VLD just like the one he once rode on loan from his older brother - C’est un hommage fantastique à celui qui fut, avec Jim Dickinson, son mentor - The immortal Charlie Feathers was one of the handfuls of innovators who created the inchoate genre of rockabilly in American vernacular music - Deux pages plus loin, on tombe sur un Dickinson assoupi au Huey’s Bar, à côté de Stanley Booth - acrimonious and sulphurous author of Rythm Oil and other tales, who deigned to suck the cock of arrogance - Joli shoots de Phineas Newborn, pianiste de jazz qui accompagna Charlie Mingus, puis page suivante de Furry Lewis, le bluesman de Memphis qui fut aussi le mentor de Sid Selvidge (et de Don Nix). Tav Falco raconte que Furry balaya les rues de Memphis toute sa vie, ce qui lui permit de chanter le blues en descendant une bouteille de whisky par jour. On trouve aussi deux photos des Cramps, la première shootée au Arcade Café across from Memphis Central Train Station - Tav Falco profite de l’occasion pour rappeler que les Cramps incarnèrent le rockabilly post-moderne et le Théâtre de la Cruauté selon Artaud - As envisioned by Antonin Artaud, the French dramaturgist, The Cramps were the apotheosis of a post-modern rockabilly band that embodied the Theather of Cruelty -

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    Les deux dernières images du livre comptent parmi les plus spectaculaires, tant au plan graphique qu’au plan évocatif. Portrait de James Caar devant le pont qui franchit le Mississippi - while the onus of the delta sun reigns like an inexorable demon - une lumière grise enveloppe le grand James Carr plongé dans ses pensées - Some mysteries the restless light of day can nerver reveal - Eh oui, la lumière du jour ne livre pas tous ses secrets. Et la dernière image est celle d’un crépuscule «over Majik Market», image qui servit à illustrer la couverture de son livre, Ghosts Behind The Sun: Splendor, Enigma & Death - Mondo Memphis. Tav Falco conclut : Potato chips and magic potions are no comfort and no protection against the tornado brewing in the distance. Eh, oui, qui va nous protéger de l’ouragan qui se prépare ?

    On sort de ce livre épuisé, comme au sortir d’une partouze, au petit matin. Tav Falco est un homme dangereux : à le fréquenter, on risque en permanence l’overdose de sèves salvatrices.

    Signé : Cazengler, Falconard

    Tav Falco. An Iconography Of Chance. 99 Photographs Of The Evanescent South. Elsinore Press 2015

    Gina Lee. This Could Go No Forever. On The Road With Tav Falco & Panther Burns. Elsinore Press 2017

     

    17 - 05 - 2018 / MONTREUIL

    LA COMEDIA

    BILL CRANE / THE FLUG / SILLY WALK

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    On ne change pas une formule qui gagne, toutefois pour désorienter quelque peu le lecteur, cette fois au contraire de la semaine dernière, nous serons, dans le seul but de tenir les kr'tnter readers en haleine et de brouiller les pistes, le premier soir à la Comedia et le second au 3B.

    Alerte noire dès l'entrée dans la Comedia. Panne d'électricité, Rachid et deux aides debout sur le comptoir essaient de démêler des fils savamment embrouillés. Pas de déception, les Dieux du rock sont avec nous, la scène est restée miraculeusement alimentée, encore une fois notre planète échappe à une irrémissible catastrophe... Ampoule cerisée sur le gâteau, la salle bénéficiera aussi au bout d'une heure de tripatouillages éclairés d'une lumière décente. Tout est bien dans le meilleur des mondes.

    Quoique.

    UNE BALANCE MOUVEMENTEE

    D'habitude la mise en place des groupes n'attire l'attention que de deux ou trois obsédés des effets soniques. Mais cette fois, joyeuse cohue devant l'estrade. Je peux vous la faire à la Larmartine, Un seul objet vous manque et le rock est dépeuplé. Grosse absence remarquée : pas de batterie sur le plateau. Mais ce n'est pas le pire, l'émoi est provoqué par un ustensile de la taille d'un cahier d'écolier pas plus épais que le cerveau rabougris d'un énarque ( 2, 5 cm ). Rien de plus qu'un artefact rythmique. Pas de quoi fouetter un dinosaure, et pourtant des mains multiples se tendent pour s'en emparer, des doigts facétieux appuient à tout hasard sur les touches, on la débranche, on la rebranche, une dizaine de lascars à crêtes multicolores particulièrement en verve s'agitent autour du boîtier magique. Croire qu'il s'agit de geeks obsédés d'électronique serait une funeste erreur. De fait ils n'en ont rien à faire de cette malheureuse boîte à bruit. Elle n'est qu'un prétexte. Un psychologue vous apprendrait en son jargon qu'elle tient lieu d'objet transactionnel. En d'autres termes qu'elle permet d'entrer en communication.

    Car rien ne sert de courir après l'effet, mieux vaut identifier la cause, disait Aristote. L'avait raison. Délaissons cette beat-box aguicheuse, et intéressons-nous à ses abords immédiats. A thing of beauty is a joy for ever nous a susurré John Keats en un de ses immortels poèmes, les faits lui donnent doublement raison, car elles sont deux. Deux filles. Deux aimants, vous attirent les guys comme la paratonnerre la foudre. Sourires enjôleurs et réparties fuselées, des girls style riot grande, peur de rien et qui rient de tout. Chouettes divas athéniennes que rien n'effraie. Se jouent des boys, impertinentes et provocatrices, des calamités sur pattes, mais les voir c'est déjà les absoudre. De multiples défauts, mais une grande qualité : font partie de The Flug.

    THE FLUG

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    Un garçon relégué dans le coin au fond. Quantité négligeable. Fait tout le bruit qu'il faut sur sa guitare, vous la fait vrombir comme une attaque de spitfires en piqué, dégomme dur et décalque sec. Oui mais un gars qui s'exhibe avec trois filles sur scène pour lui tout seul n'est-il pas qu'un sombre égoïste ? Remarquez la vie ne doit pas être drôle tous les jours pour lui. La plus grande est à la basse. De visu elle semble être de bonne famille, bien élevée et toute gentille. On lui a sûrement appris à ne pas ouvrir la bouche pour n'importe quoi. Mais ses lèvres dessinent un sourire fin et ironique qui en dit long. De toutes les manières se trahit toute seule, vous émet une onde de choc prolongée, une espèce d'attaque noisy burn out qui vous déblaie le chemin au lance-flammes. A tous les deux nos musicopathes vous tissent ce que dans les ouvrages de science-fiction l'on nomme le rayon de la mort. Inutile de courir. Vous ne ne lui échapperez pas.

    Surgissent de chaque côté du fétiche syncopal, micro en main. La Blonde et la Brune. Donnent de la voix l'une après l'autre. Possèdent un timbre identique, fermez les yeux – ce serait fort dommageable - et vous ne saurez pas discerner celle qui entonne le chant de guerre. Elles éructent à la sauvage, elles ne s'embarrassent pas de lyrics raffinés, flug par ci, flug par là, flug au monde entier, flug à l'univers, flug you and flug me, flug à tout ce qui est, et flug à tout ce qui n'est pas, la hargne et la haine, à toutes deux elles sont la hyène et le chacal, le chien courant et la meute, ne respirent plus, ne sont que déversoir de rage, souffle d'huile sur le feu, chant tintamarre qui dégoise et ratiboise, métal hurlant. Et les pals deviennent fous quand elles descendent de l'estrade et se mêlent à eux, ils ondulent, s'entrechoquent et grouillent autour d'elles comme les serpents autour de la tête de la Gorgone, hypnotisés par ces deux prêtresses en combinaison de travail qui prêchent le vacarme, le marasme, et l'anéantissement de la raison humaine. Extremist hurlent-elles et la musique semble s'écrouler sur elle-même, elles sont les sœurs jumelles de la déraison et de la colère, la vouivre à deux têtes gonflées de poison et de venin, elles sont passion et destruction, elles sont l'incendie et la cendre, le tapis de bombes et la fulgurance de l'explosion.

    C'est fini. Elles redeviennent des filles comme les autres. Pas tout à fait. A voir le cortège des boys qui ne cesseront de papillonner autour d'elles, comme les phalènes autour du bout incandescent de la mèche du bâton de dynamite. Flug le désir !

    BILL CRANE

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    Une entité. Sortie du crâne d'Eric Calassou. Avec cette particularité que de temps en temps, le créateur se confond avec sa créature. L'on ne sait pas laquelle de ces deux composantes s'incarne en l'autre mais ce dont on est certain c'est qu'à chaque avatar nous sommes au plus près du rock. Trois sur scène ce soir. Ne resteront pas longtemps car il se fait tard. Dommage, mais nous aurons eu l'essentiel. Huit titres issus de leur dernier CD.

    D'abord la guitare d'Eric. Avant de l'entendre, il faut la voir. Donne l'impression de la désolation. Le pan de mur d'une maison abandonnée. Le plâtre et des inscriptions effacées par le temps. Comme une remontée à l'ère des origines. Lorsque le rock'n'roll n'était qu'une fissure dans le vertige du monde. La lézarde fongicide et irrémédiable qui en précipiterait la ruine. Eric joue comme s'il était en survie. Funambule sur ses cordes. Trapéziste qui se fraye un chemin dans le dédale emmêlé des agrès d'un cirque dont le chapiteau aurait été emporté par une tempête dévastatrice. Un jeu de brisures, de glissements, de reprises, de reptations, de rétablissements, au-dessus de l'abîme, au-dessus de la cime, mais en progression. Une avancée chaotique, le chat sur le toit fulminant, le danger est partout, en instabilité permanente. Move It pour ouvrir le set. Bouge ça et surtout bouge-toi car la mort te grignote les talons, le rock est un exercice de survie, un riff, un simple riff n'est qu'une pente verglacée, une balade à trous multiples, faut savoir s'y jeter dedans et avoir l'instinct de remonter l'entonnoir engloutisseur. Le riff est une aventure métariffique. L'on joue du rock pour brûler sa vie. Roulette russe le pistolet au bout du cran.

    Gwen le seconde magnifiquement. L'a compris qu'il n'est pas là pour pêcher à la ligne de basse. Pousse des brandons sous la marmite infernale. L'est présent pour en accélérer la chauffe, la faire exploser au moment idoine, telle une pivoine rouge dans un poème japonais. Sa basse cliquette vicieusement comme le clic de sûreté qui empêche la crémaillère du train de céder à la pesanteur vertigineuse de la renonciation à surmonter les sommets aux glaciers transparents. L'est des fausses routes qui peuvent se transformer en déroute, lorsque Eric semble s'être aventuré sur un carrefour sans issue, Gwen déneige au chalumeau, il ouvre une voie qui permet de franchir l'obstacle.

    Ce soir Bobo a décidé de manier le bulldozer. L'écrase les toms avec une joie sans égale. Le jazzman mange son pain blanc, alors les rockers vous voulez du rock, et il vous abat les quintes flush comme s'il en avait une armée en réserve dans ses bras de chemise. Pas de pitié, pas de quartier, pas de prisonnier, en avant toute, balayez les doutes et foncez droit devant. Comme l'on dit vulgairement pousse au cul, et les deux zèbres ne renâclent point à la tâche, galopent et dropent à toute vitesse. Un set à train d'enfer qui suscitera de forts applaudissements approbateurs chez les connaisseurs, notamment sur ce Travellin' Man qui fonce et vous défonce les cartilages du cerveau.

    Le set se termine bien trop vite, mais Bill Crane a trépané tous les amateurs. Zombies qui n'attendent plus que le retour du maître.

    SILLY WALK

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    Dans la teuf-teuf qui me conduisait à la Comédia je m'interrogeais sur le sens caché du nom de ce groupe dont j'ignorais tout. Cette marche stupide évoquait-elle les Monty Python ou the duckwalk, la fameuse marche du canard de Chuck Berry ? Je n'en savais rien, et n'en sais pas plus aujourd'hui, mais lorsqu'ils m'ont confirmé qu'ils venaient de Toulouse – ô lou pais de ma folle jeunesse – je me disais qu'ils ne pouvaient pas être totalement mauvais, non seulement mon intuition était bonne mais ils furent sacrément meilleurs. Et pourtant, ils inauguraient une ère nouvelle puisque leur chanteuse venait de les quitter. Souvent femme varie, Bien fol est qui s'y fie !

    Silly Walk a le rock sauvage. Ils n'y peuvent rien, ce n'est pas de leur faute, c'est naturel chez eux. Ne sont sont pas du genre à faire beaucoup de bruit pour rien. Déménagent. Vous emportent les meubles, les portes et les fenêtres. N'oublient même pas les murs. Vous cassent la baraque. Dès le premier morceau. Power rock trio.

    Marco martèle. Contrairement à ce qu'ils prétendent les Silly Walk ne procèdent pas d'une démarche idiote. Z'ont assez écouté les poupées de N. Y. et les Coeurs Brisés pour avoir compris que dans le rock la batterie est comme le crachat de Dieu. Elle ne se pose ni devant, ni derrière. Encore moins à côté. Elle se doit d'être partout à la fois et en même temps. Attention, pas un mur de briques qui arrête toute velléité subsidiaire. Non, tornade de feu en constant déplacement. Des pâles d'hélicoptères folles, si vous possédez un guitariste et un bassiste capables de s'enfourner dans la fournaise du rotor fou, vous êtes sauvé. Comme par hasard Silly Walk détient en son cheptel ces brebis rares. Des ovins carnivores, aussi agiles que des tigres affamés. Raoul est à la guitare au chant. A l'étincelle et à la plaine incendiée en même temps. Pas le temps de s'ennuyer avec lui, vous file l'impression qu'il a engagé un duel au riff avec lui-même. Là où un autre vous en refilerait un, lui il vous en entortille deux l'un dans l'autre, un bruit d'enfer, le genre choc de titans en colère ou combat de rhinocéros en furie. Alex à la basse n'est pas le gars contrariant, question grabuge il sait poser son grain de sel. L'a la basse sourde et crépitante. Les deux à la fois. Pourquoi rechercher le silence quand l'on a trouvé le secret de la tonitruance. Un véritable pousse-au-crime. Ne s'embête pas avec les remords. Vite fait, bien fait. Lui faut une autre victime. Immédiatement.

    Silly Walk c'est franc et direct. Pourriez aussi bien dire vicieux et traître. Tous les coups sont permis. Le rock est un sport de combat, full contact. A consommer sans modération. Même quand Raoul chante que My Baby is gone with my Telephone, il se range franco plutôt du côté des dents du crocodile que de ses larmes. Silly Walk est partisan du rock qui mord. Heureusement qu'ils nous ont indiqué que Parachutiste était de Leforestier, parce que personne ne l'aurait reconnu. Radio Béton et Titanic Reaction, les titres parlent d'eux-même. Apothéosent sur un Runaway et un Fingers up apocalyptiques.

    Groupe idéal pour finir un concert. ( Pour le commencer aussi d'ailleurs ). Vous bousculent les tympans de manière fort agréable. Débranchent les appareils sous la clameur du public rassasié.

    Damie Chad.

     

    MOVE IT

    BILL CRANE

    Bill : guitare, chant / Pat : sax baryton / Gwen : basse / Bobo : batterie.

    MyZikind / Sound cloud / Bill Crane Official

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    Move it : le rock'n'roll à l'état pur, un sax qui dérape sans fin, une rythmique qui bat de l'aile et des guitares qui couinent comme si l'on était en train de les égorger, la voix qui force le destin, tous les ingrédients de la vie déjantée réunis. She's my baby : tintamarre de poubelles dans le petit matin, l'on se console comme on peut, la vie est une maladie, ce que l'on préfère ce sont les poussées de fièvre. Lonely : à tout instant le sax sera méchant, la plainte sempiternellement colérique des abandonnés fiers de l'être, car il vaut mieux être seul que mal accompagné, la musique appuie là où ça fait mal. Normal, sans quoi ce ne serait pas du rock'n'roll. Lovely face : bruits inquiétants, la voix titube, la guitare grince, la batterie se réfugie dans le triangle des Bermudes, le chant comme une incantation à la lune noire. Ne jamais regarder le soleil en face. Ce qui est visqueux est vital. Le sax en robinet d'eau sale qui fuit. Sans fin. SM dream : une rythmique revigorante, un vrai coup de fouet. Une ambiance maladive à la Lou Reed, la voix qui mord et ordonne en maître, satin de guitare froissée. Surf rider : une cloche qui sonne pour endormir les mort-vivants, des riffs maladifs, une basse répulsive, une batterie qui cogne sans espoir à la porte noire qui ne s'ouvrira pas. Instrumental de cristal carboné. Brisé et incassable. Une matière inconnue. I love her : impulsion de guitare et la voix qui éclate, de la réverbe tous azimuts, la basse dégringole des escaliers, à croire que tout se perd en ce bas-monde, les temps de l'imploration sont arrivés. On s'arrête doucement sans faire de bruit. Loverman : insistances, le vocal décisif, et la musique mortuaire qui n'en finit pas d'enterrer vos dernières illusions. Cela ressemble à une invocation satanique, mais sans illusion. Travelin'man : ( to Mousique & Big Joe ) : cavalcade de sax, affirmation de soi, respect aux grands ancêtres, dès qu'il touche à sa propre légende le rock'n'roll reprend vie. Chant de triomphe. Haillons royaux. I can't help it : ( to Chuck Berry ) : le bon vieux groove des familles. La guitare sonne, le boxeur se lève et retourne sur l'adversaire. Vous le met en K.O. D'un direct au foie meurtrier. Le rock c'est ça : définitif.

     

    Enregistré dans les conditions du direct live. No overdub. Juste le son de la crudité de la vie. Pochette minimaliste.

    Si vous aimez le rock agonique et désespéré des serpents qui rampent sur votre descente de lit, vous n'écouterez que ce disque. L'esprit rock. Le cloaque intérieur. Plus qu'un chef d'œuvre, un acte poétique.

    Great.

    Damie Chad.

     

    SILLY WALK

    Léo Ladysioux : lead vocal / Raoul Bertache : guitars, vocals / Alex : bass, vocals / Marcacide : drums.

    SW001/ Eté 2016.

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    L'allure d'un 33 tours, mais à faire tournoyer en 45 tours. La première de couve étrangement similaire à celle du CD de Bill Crane. Platon avait raison, les idées ne nous appartiennent pas. Ce sont elles qui nous visitent. Regardez le dos de la pochette pour apercevoir l'héroïne, elle a la voix qui pique comme une pustule, mais qui refuserait d'être embrassée par cette langue de vipère rock'n'roll !

    Nobody Knows : un coup de guitare à vous trancher la tête. Des cymbales qui vous roulent dans la sciure. Ladysioux se lance sur le sentier de la guerre. Une voix vindicative qui n'admet que l'obéissance absolue. Et la tribu des trois gars la suivent au galop en essayant de la dépasser, se font rappeler à l'ordre des prérogatives, la cheftaine devant, s'éloignent dans un torrents de poussières et des hurlements de guitare. La horde disparaît bien trop tôt au premier tournant. Barcelona : les Ramblas à fond de train. Un prétexte pour foncer à toute vitesse, brûler les feux rouges et vous faire de ces coups de freins à vous décoller le dentier et la rétine. Imaginez la Ladysioux debout avec le buste qui dépasse du toit ouvrant et qui vous insulte les passants juste pour le plaisir. Avant de les écraser. Et les boys au moteur qui conduisent, comme un marteau sans maître pour Marcacide aux drums, et à la scie égoïne pour les cordiers. Runaway : une tragique histoire d'amour. Rien de sérieux. Juste un prétexte pour vous vous amuser. La Lady vous sort sa voix de mijaurée, et les gars miaulent comme des chats à la mi-août. Juste de le plaisir de se jeter le non-dit des rapports psychanalytiques en pleine face. En n'importe quelle circonstance le rock est une musique de jouissance. Wild : Un titre qui ne vous prend pas par surprise. Silly Walk isn't sweet. Une batterie qui résonne comme un tambour de guerre et Lady Sioux qui décolle et caracole, une véritable peste triomphatrice, genre je ramène ma fraise tagada à l'arsenic, les guitares filent rapide, et les musicos qui ne demandent pas leur reste, elle vous les cisaille de sa voix, ne doit plus en rester grand-chose. My babe is gone with my telephone : il est parti avec le téléphone, les trois boys font la course pour le lui ramener ce maudit clavier qu'apparemment elle préfère à son boyfriend. L'on compatit avec lui, à sa place on en aurait fait autant. Insupportable la miss, mais si craquante. I want more : encore un caprice. Pouvez lui apporter le monde sur un plateau, elle s'en fout, lui faut encore plus. Pourtant lui tissent une de ses robes d'organdi dont toutes les rockeuses rêvent, s'en moque, vous la déchire et vous la piétine sans rémission.

    Damie Chad.

     

    18 / 05 / 2018TROYES

    3 B

    KIERON McDONALD

    HANK'S JALOPY DEMONS

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    A vue d'œil sur la mappemonde l'Australie c'est loin. En prime me faudrait de gros pneus – assurent une meilleure flottaison – pour la teuf-teuf, et une paire de rames car on ne sait jamais. Peut-être pourrais-je louer un pédalo, mais non, après renseignement cette option est hors de prix. Je ne suis pas anéanti, un rocker possède toujours un plan B, à trois étoiles, communément appelé plan 3 B. Quand vous ne pouvez aller à la montagne, laissez la cordillère venir à vous. D'ailleurs la voici, elle n'est pas loin, à Troyes, en plus elle s'est pointée fissa et pas radine, avec deux sommets. Deux pitons volcaniques. En activité selon la terminologie des spécialistes, chance, nous aurons droit à deux éruptions.

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    Je ne suis pas le seul, en plus du vieux fond traditionnel des rockers, le bouche à oreilles doit dans la bonne ville de Troyes fonctionner à merveille, de nouvelles têtes apparaissent en nombre, pas spécialement des gens attirés par le rockabilly mais l'on commence à s'apercevoir aux alentours que dans ce modeste bar, passent régulièrement de super musiciens...

    HANK'S JALOPY DEMONS

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    Ne jamais se fier à ce que l'on voit. Toujours à ce que l'on entend. I'm Goin Straight et là c'est du pur rockab, sans une once de graisse, sans produits mortifères ajoutés. La beauté minéralogique du désert. Cactus solitaires aux épines meurtrières, colonies de crotales se prélassant sur le sable sec et brûlant, solitudes spectrales, un rockab décharné jusqu'aux os blanchis sous le soleil. Une épure essentielle. Reste à savoir comment ils parviennent à produire cette merveille. Au premier abord, sont simplement en train de jouer et de chanter, comme tout le monde serait-on tenté de dire. Simplement, sans effort, sans effet de manche, sans pose théâtrale, cette dramaturgie réduite au minimum exige une étude et une observation poussée. Prenez Andrew Lindsay, à la batterie, pépère débonnaire à grosse casquette qui remue la choucroute sans forcer sur sa caisse claire.

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    J'ai mis du temps à débusquer le lézard. Pratiquement invisible. Fais ses coups en douce, le Lindsay. Toujours du même côté. Le gauche. Mériterait d'être surnommé Lefty Lindsay ! De la droite il sert les hors d'œuvres, mais de la gauche – c'est à peine s'il la remue – vous abat le gros gibier entre les deux yeux. Jusqu'à ce jour je ne savais pas que l'on pouvait frapper aussi fort, juste en remuant tout petit peu le poignet. Commence à comprendre comment le combo fonce droit dans la vallée de la mort sans perdre son haleine. Surtout n'allez pas croire que nous avons affaire à un hémiplégique parce que du côté droit, il turbine salement right, le Lindsay et à tous les niveaux. Un principe de base, au-dessus de la ceinture travaille pour la guitare et au-dessous il bosse pour la contrebasse.

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    Encore un qui à l'air d'attendre le train sur le quai de la gare. Le mec placide, Til Snappy Vex, balance sa poigne sur le cordier sans avoir l'air d'y penser. L'est tout souriant, le gus content de lui et heureux de vivre sans savoir pourquoi. Vous fait la pompe à bras sur sa big mama sans y réfléchir. La main calleuse qui slappe sans effort, l'a dû faire ça toute sa vie. Pour un peu vous le traiterez de fonctionnaire de la double bass. Il n'est de pire sourd que celui qui ne veut pas entendre, sont deux à jouer ensemble, Til and Andrew, les towers twins de la rythmique, pas de celles qui s'écroulent, de celles qui restent stables durant les ouragans. Pire ce sont eux qui provoquent les tempêtes de sable qui vous engloutissent une civilisation en trois heures. Andrew du pied lui envoie la balle par le tunnel de la grosse caisse et le Snappy vous la réceptionne illico. Et tout de suite ils recommencent. Stompent à la kangourou – ne viennent pas d'Australie pour rien - le rythme avance par rebonds, à intervalles calculés au millimètre près, bref le combo carbure sans bromure.

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    Mais revenons du côté de Lefty sound. Sa baguette droite, s'en sert de temps en temps pour taper sur la cymbale. Un coup, ça suffit. Juste un signal. N'en faut pas plus à Dave Cantrell pour vous offrir une démonstration de guitare. Ne monopolise pas l'attention, pendant trois jours, vous refile quatre notes à la rapidité de l'éclair. Vous éblouissent. Quatre pichenettes qui vous illuminent l'âme, du cristal le plus pur, extase sonique, vous en reprendrez bien, cela tombe bien, il n'est pas avare, suit bientôt une deuxième démonstration, puis une troisième et infiniment ad libitum. Mais ne sort jamais du cercle proposé par la base rythmique, ne marche pas sur les salades des copains, et ceux-ci n'oublient jamais de lui laisser une ranger pour planter ses laitues.

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    Pour le moment nous avons droit à une de ces reproductions à l'identique de l'american rockab, tel qu'il en explosait de temps en temps entre 1954 et 1956, et pourtant malgré tout, tout cela ne sent pas l'imitation ou la copie conforme. Non, ça ne sonne pas faux, plutôt résolument moderne. Une rythmique légèrement plus rock, un peu plus rentre-dedans, je veux bien l'admettre, mais il y a autre chose.

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    Et surtout quelqu'un d'autre. Hank Ferguson – c'est à cause de lui que l'on ne reconnaît plus personne – porte haut sa guitare rythmique tout près du cœur et vous a une voix des plus martiales, chante comme un dieu, un timbre qui vous cloue sur place. L'a tous les tics du chanteur rockab. Mais il ajoute un plus. L'occupe toute la place, ne laisse aucun espace à ses acolytes, ce n'est pas par égoïsme, sont tellement doués et surs de leur fait qu'on les entend sans problème. Le chant de Hank écrase tout mais n'occulte personne. L'est partout à la fois, infatigable, increvable, irremplaçable. Dig You Baby, High Voltage, Wig Flip Bop, vous refile du lait d'alligator survitaminé, du grand art, le gars qui vous fait les vingt-quatre heurs du Mans en tête du début à la fin de la course, sans même s'arrêter pour faire le plein. L'a de l'énergie à revendre.

    Dans l'interset, pendant que disques, CD et T-shirts s'arrachent, ça papote dur chez les amateurs, une merveille. Une chance extraordinaire que Béatrice la patronne ait pu les arrêter sur Troyes lors de leur tournée européenne, l'a des antennes de sorcière.

    KIERON McDONALD

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    Pas de crainte, pas un hamburger avarié. Un mec avisé. L'a gardé les mêmes musiciens. Hank Ferguson est dans la foule, Khieron McDonald a pris sa place devant le micro. Pour Til Snappy Vex et Andrew Lindsay, rien ne change, nous resserviront la même gelée royale. Désormais nous refuserons de toucher à un autre condiment auditif. Mais pour Dave Cantrell la charge de travail s'alourdit.

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    L'a une sacrée classe Kieron McDonald, il ouvre la bouche et hop c'est emballé, pesé. Des facilités, une aisance extraordinaire. Vous ne le quittez plus de l'oreille. L' a plusieurs registres. Le premier à l'ancienne, Little Girl, I don't Love You Anymore, I Don't Wana, vous croyez entendre Hank – pas Ferguson, Williams – vous a la voix qui nasille et cet accent traînant du vieux Sud qui vous tope aux tripes, et bien sûr il prend le temps de respirer, vous glisse des silences, entre deux couplets, au milieu d'un vers, en prosodie on dirait qu'il respecte la coupe à l'hémistiche, et puis ces arrêts stoppin' en plein milieu du stompin, évidemment c'est à Cantrell à marquer le coup, dès que la voix s'estompe, c'est la guitare qui klaxonne, vous savez ces dégelées de notes, comme quand l'étagère des pots à confiture de tante Agathe cède sous le poids des bocaux et vous les précipite sur le carrelage, ces tintements délicieux de verres cassés, fracassés, fricassés... et la voix qui reprend comme s'il ne s'était rien passé, jusqu'à la prochaine catastrophe qui ne saurait manquer.

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    Mais ce n'est pas tout. Cadeau maison McDonald, Kieron lui laisse le temps de se lancer dans de véritables soli rockab, pas un égrenage de quatre notes, une plaine infinie de quinze secondes, le must du guitariste rockab, toute l'âme résumée en un tour de main, une torsade de passe-passe dont les musiciens de jazz ne comprendront jamais l'urgence absolue, l'en a les yeux, encore plus bleus que sa chemise, qui lui sortent de la tête le Dave, y prend un plaisir fou, se surpasse à chaque fois. Ne nous ressort jamais le même. Invente sans cesse.

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    Mais McDonald n'est pas un Kieron qui se repose sur une seule patte à l'ombre des palétuviers. Fifties à mort, mais aussi sixties à vie. Le rockab campagnard avec ses galops de bronco certes, mais surtout ne pas oublier le white rock des garages et des châssis surbaissés. Un boulevard, une piste d'Indianapolis pour un guitariste, Cantrell hot-rode sans capot avec les flammes qui jaillissent de partout.

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    Hank et Kieron se partageront le dernier set. Une dernière démonstration. Nos cinq rockabillymen auront marqué les esprits. Les corps aussi car si toute une partie du public les a mangés des oreilles, l'en est une autre qui bouge à se damner. Applaudissements mérités et triomphe assuré. Mieux que cela, ils ont suscité le respect. Des prestations impeccables et admirables, à vous laisser muets. Avis aux amateurs, ne feront qu'une seconde date au Balajo, ce mercredi 23 mai à Paris. Sinon seront un peu plus loin, Belgique, Hollande, Suisse, Allemagne, Croatie...

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    Plus le temps passe, plus il se passe de choses extraordinaires au 3 B !

    Damie Chad.

    P. S. : Un gros merci à l'ingé du son Fab et à Béatrice Berlot dont la programmation pour la saison suivante s'annonce affriolante...

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    ( Photos : FB : Béatrice Berlot / Fabien Hubert DjRockin Cats )

  • CHRONIQUES DE POURPRE 254 : KR'TNT ! 374 : JAMES HUNTER / DEVIL'S CUT COMBO / MATOS DE MERDE / CHEPA / SUBSELF / L'ARAIGNEE AU PLAFOND /GRADY MARTIN

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 374

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    18 / 05 / 2018

     

    JAMES HUNTER / THE DEVIL'S CUT COMBO

    CHEPA / MATOS DE MERDE / SUBSELF /

    L'ARAIGNEE AU PLAFOND / GRADY MARTIN

    They call me the Hunter

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    Ce Hunter-ci n’a rien à voir ni avec Albert King ni avec Free - Ain’t no use to hide, ain’t no use to run/ Cause I’ve got you in the sights of my love gun - Oui, ça fait une bonne dizaine d’années que James Hunter fait son petit bonhomme de chemin, et depuis qu’un fabriquant de mythes à deux pattes nommé Daptone l’épaule, ce vétéran de la Soul anglaise est entré en vainqueur non pas dans Rome mais dans l’inconscient collectif des amateurs de Soul.

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    Enfin, pas tout à fait. Il n’attire pas encore les foules. À la Traverse, la salle était à moitié pleine. Ou à moitié vide, comme vous préférez. Tant pis pour ceux qui ont raté ça. Il faut dire que l’excellence était au rendez-vous.

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    Sacré showman que ce petit bonhomme. Éminemment sympathique au premier abord, avec un faux air d’early Robert Hirsch, vivace, prompt à la rigolade, terriblement expressif, pas avare de grimaces, usant de sa physionomie mobile comme d’un instrument, il embarque son public dès le premier cut, l’excellent «If That Don’t Tell You» tiré de l’album Hold On. James Hunter propose un numéro de cirque assez fascinant, directement inspiré de ceux des grands artistes noirs qui ont émerveillé l’Amérique pendant cinquante ans : il chante la Soul, le blues et le calypso avec une voix de Soul Brother à la Gary US Bonds, il joue de la guitare comme un manouche de Chicago et danse des pieds comme James Brown.

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    D’ailleurs sa petite corpulence et sa façon de stabiliser son corps dans le feu de l’action évoquent immanquablement James Brown. Il porte le même genre de petit costume anthracite boutonné et s’il esquisse des pas de danse, c’est pour rigoler. On voit bien qu’il adore la poilade. Il n’arrête pas de placer des mimiques entre deux solos killer flash. Il joue le jazz de Soul avec des mains de cordonnier, les doigts de ses deux mains enroulent les notes et semblent malaxer une pâte. Technique extrêmement sensuelle. On dirait qu’il joue à l’instinct et qu’il caresse le corps d’une femme offerte.

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    Sur scène, cinq vétérans de toutes les guerres l’accompagnent, claviers, stand-up, beurre et deux pépères affreusement doués aux saxophones. James Hunter s’étonne que la salle ne réagisse pas - On se croirait dans une librairie ! - Et pouf il balance une reprise des Five Royales, «Baby Don’t Do It», les deux pépères aux saxophones esquissent eux aussi des pas de danse concertés en snappy-snappant le tempo, tout ça prend une tournure affolante qui donne forcément envie de se replonger dans le monde magique des Five Royales, la salle tangue et James Hunter embarque son cut au firmament. Performer hors pair, il exécute aussi un petit numéro de virtuose avec sa Gibson jaune posée debout sur le pied, et quand il tape dans le r’n’b, il vaut largement tous les Staxers de l’âge d’or. Il fait ce qu’il veut de sa voix. Il croone comme un cake et screame comme un stroumph. Il chante sa Soul avec un tel déterminisme qu’il entre dans la caste des grands white niggahs contemporains, c’est-à-dire les géants des temps modernes, devenus tellement vitaux en ces temps de pénurie mythologique.

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    Les albums de James Hunter ne bénéficient pas de l’immédiateté de ceux de Lee Fields ou de Charles Bradley. James Hunter va vers un son plus calypso, de type early Gary US Bonds, c’est en tous les cas ce qu’inspire «If That Don’t Tell You», le cut d’ouverture de bal de l’album Hold On.

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    On a là quelque chose de très fin, à la lisière du mambo des îles. James Hunter peut chanter à l’accent fêlé, il sait crooner au clair de lune. Ses cuts dansants sont idéaux pour chalouper des hanches sur Coconut Beach, baby. Il se montre très coloré sur les slowahs de salon de thé de type «Something’s Calling». Il donne sa version du mambo ambiancier et revient toujours au good timey avec des cuts judicieusement orchestrés de type «A Truer Heart». James Hunter finit par captiver, car il ne force jamais la main du lapin blanc. Il calypsotte la calypsette, alors forcément, ça plaît énormément. Oh il peut aussi danser le jerk, comme le prouve ce beau «Free Your Mind» d’ouverture de bal de B. Mais au fond, il préfère les cuts d’allure intermédiaire de type «Light Of My Life», nettement plus ambianciers. Sa came reste bel et bien le swing des îles, épicé d’un soupçon de beat popotin. Avec «Stranded», il revient au jerk solide et bien senti. Ce diable de James Hunter connaît toutes les ficelles de caleçon. On a là un joli slab d’old school r’n’b. On peut dire que ça swingue comme au temps de Sam Cooke. Il boucle cet album bien rond avec un «In The Dark» bourré de feeling et chanté à la glotte fébrile, la seule qui vaille. Petite cerise sur le gâteau, c’est soutenu à la stand-up. Quel son my son !

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    Dans Shindig, Paul Ritchie affirme que le nouvel album de James Hunter, Whatever It Takes va ravir les fans d’old school rhythm ‘n’ blues. Et pouf, Paul cite les noms de Sam Cooke et de Ray Charles, comme ça, au débotté. Il parle aussi d’une stripped down production. Il va même jusqu’à insinuer que cet album devrait combler le vide laissé par les disparitions de Charles Bradley et Sharon Jones. En tous les cas, l’album est passionnant.

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    James Hunter dit s’être inspiré d’une obscure B-side de Barbara Lewis pour «I Don’t Wanna Be Without You», de Bobby Womack pour «I Got Eyes», de Johnny Guitar Watson, de Gatemouth Brown pour l’instro «Blisters» et d’Allen Toussaint pour «Show Her» - He’s a friend of our’s. Musically he was a mentor - C’est vrai, «I Don’t Wanna Be Without You» vaut le détour. James Hunter y groove littéralement le mambo. Il chante ça jusqu’à l’os du genou, cette merveille interprétative passe le Cap de Bonne Espérance. Il chante à la glotte fêlée, ça chaloupe sur la plage ensoleillée et les arrangements de cuivres intrinsèques apportent une touche de magie pure à l’ensemble. Il faut voir ces cuivres entrer dans le rond du projecteur et induire le génie mambique. Avec «Whatever It Takes», James Hunter va plus sur le blue beat. C’est tellement chanté qu’on frise l’overdose d’excellence. Ce mec pourrait bien devenir aussi énorme que Ronald Isley. Il possède tous les pouvoirs. On assiste à un nouveau Birth of Cool. James Hunter embobine aussi bien que Johnnie Taylor. Il semble agir en magicien sans même savoir qu’il est magicien. C’est l’apanage des cracks. S’ensuit une autre merveille intitulée «I Got Eyes», amenée à la vitesse du groove urbain. James Hunter y gratte des notes exacerbées. Voilà encore un cut stupéfiant de fluidité inspirée. On assiste au retour des arrangements de cuivres magiques dans «It Was Gonna Be You». James Hunter se fond dans le groove comme Zorro dans la nuit. Il chante à la glotte abandonnée. Il est sans doute le dernier grand chanteur magique de l’histoire de l’humanité. Tout est bon sur cet album. On pourrait aussi évoquer «Blisters» claqué au blisting de Gibson. Ce cat sait claquer une quenotte. Il sait même faire son Guitar Slim, aucun problème. Retour au mambo des îles avec «I Should’ve Spoke Up». Admirable velouté. On voit Major Lance danser plus loin sur la plage, avec Gary US Bonds, the calypso bad guy. Mais qui va aller écouter ça aujourd’hui ? Les albums de James Hunter sont beaucoup trop purs pour cette époque. Les accords de cuivres n’en finissent plus d’émerveiller.

    James Hunter est assez fier d’avoir joué avec la plupart de ses héros, mais il dit rester un fan avant tout - It’s good to keep a bit of that innocence. If you get too knowing, you do lose that spontaneity - Et pouf, il cite les noms de Chuck Jackon, Lou Johnson et Jerry Butler, ses idoles. Il bat tous les records de modestie en disant qu’il aimerait pouvoir sonner comme Ronald Isley - I can’t help feeling Jackie Wilson must have shit himself when he heard him - On sent qu’il est resté fan jusqu’au bout des ongles.

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    Son premier album sur Daptone s’appelle Minute By Minute. Il ouvre le bal de l’A avec «Chicken Switch», un doux rumble de calpypso, mais il chante ça façon Deep Soul. James Hunter frise son chant, c’est assez stupéfiant. On retrouve ses superbes arrangements de cuivres dans le morceau titre, un cut outrageusement coloré, dans des tons inusités. Ce mec cultive la finesse comme d’autres cultivent les betteraves. Il chante «Drop On Me» de l’intérieur du menton, comme s’il chantait de l’âme de glotte. Il pousse tellement loin le jeu de la subtilité qu’il frise la sud-américanisation des choses. Comme Dan Penn, il mange, respire, boit, vit la blackitude. Encore un cut imparable avec «Gold Mine». Voilà un shuffle pressé et jouissif, une véritable bénédiction. En B, il sonne un peu comme Ray Charles dans «Let The Monkey Ride», mais veille à rester dans l’ambiance enchantée d’une Soul des îles. «So They Say» sonne comme un hit de groove urbain signé Bert Berns. Les cuivres rehaussent le drapé d’or - They say life is short/ Love is blind - Encore un album digne des étagères de l’amateur éclairé.

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    Apparemment, James Hunter en a bavé. Paul Ritchie évoque en effet les petits boulots et le busking, c’est-à-dire chanter dans la rue pour faire la manche. Jusqu’à une rencontre avec Van Morrison qui lui aurait changé la vie. On entend en effet Van Morrison sur Believe What I Say. Ils se tapent un duo d’enfer, comme dit Dante : «Turn On Your Love Light». Extraordinaire charge émotionnelle ! Shine on me ! Ce diable de Van vampe sa Soul comme nul autre au monde. Ah les deux font la paire ! Arrive sans prévenir un extraordinaire shuffle de sax à la clé de sol et Van revient à la charge avec toute sa niaque irlandaise. Ils font tous les deux du Sam & Dave, c’est terriblement bon, joué dans les règles de l’art et ultra cuivré. On pourrait appeler ça la huitième merveille d’un monde ambivalent. James Hunter tape un autre duo avec Doris Troy : «Hear Me Calling». Pus jus de gospel batch. Doris entre dans la danse, elle attaque à la pointe de la Troymania. On dirait qu’elle a fait ça toute sa vie. S’ensuit un autre duo avec Van Morrison, «Ain’t Nothing You Can Do». James Hunter le prend en main, mais il n’a pas la grosse glotte de Van. On sent la différence quand l’Irlandais entre dans la danse. Avec «Out Of Sight», James Hunter va plus sur le r’n’b, il twiste le juke de Stax, c’est exactement l’esprit de ce vieux son sacré. Les coups de cuivres imitent la vieille Staxy fever à merveille. Nouveau coup de Jarnac avec «Don’t Stop On It». C’est un peu comme l’ombre décollée d’un profil, on se dit qu’il y a un truc. Mais comment un blanc peut-il être aussi doué ? Une fois encore, cet album atteint des sommets d’excellence. Ne cherchez pas de mauvais cuts sur cet album, il n’y en a pas. «Way Down Inside» sonne beaucoup trop américain pour un Anglais. Il swingue tellement qu’il démâte tout a-priori. Il passe du swing balladif («The Very Thought Of You») au mambo du clair de la lune («It Ain’t Funny») et revient au shuffle d’anticipation à la Ray Charles («Let Me Know»). Avec «I Wanna Get Old With You», il chante le rêve de tous les mecs : vieillir avec la fille qu’on aime bien. James Hunter fait sa cour sur fond de mambo des îles. Il rend ensuite un hommage direct à son héros Ray avec «Hallelujah I Love Her So». Il en a les moyens. Il recrée la frénésie du vieux Ray.

    James Hunter a une façon extraordinaire d’illustrer son art : «We seem to be getting the knack of turning out posher songs and at the same time they’re more in your face.» (Il semble qu’on aille plus sur des chanson chicos, mais en même temps, elles sont plus percutantes).

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    En 1986, il enregistrait sous le nom d’Howlin Wilf & the Vee-Jays. Sa botte secrète était une guitariste blonde nommé Dot. Il suffit d’écouter Cry Wilf! pour réaliser à quel point cette gonzesse était bonne. Il faut l’entendre partir en solo dans ce «Get A Thing For You» qui sonne comme un hit de James Brown. Dot est une acérée, une fervente, une précise. Quel son ! Dot claque sa dote de notes dans «Same Old Nuthin’». Elle atteint à une sorte de classe jazzy. Le problème c’est qu’à partir de là on n’écoute plus qu’elle. James Hunter revient à sa chère Barbara Lewis avec «Hello Stranger». Il adore le wap-doo-wap. Quel admirable crooner de clair de lune ! Il shoo-wappe son art au delà de tout ce qu’on peut imaginer. Avec «Get It Over Baby», il tape dans Ike. Ideal pour une killer-zoomeuse comme Dot. Elle intervient à la Ike, de façon incroyablement juste et claquante. Elle vole le show. S’ensuit un cut de guitar-slinger intitulé «Wilf’s Wobble». Dot gratte ses gammes à la régalade. Bel hommage au grand Little Walter avec «Boom Boom (Out Go The Lights)». Chicago hot sound ! James Hunter souffle comme un possédé dans son harp. Puis il nous fait le coup de Gershwin avec «Summertime», mais il le tape au caplypso. Il peut se permettre toutes les facéties. Il dispose de ce feeling vocal qui n’appartient qu’aux noirs. Encore un hommage de choc avec le «Further Up The Road» de Bobby Bland. On note la présence de cette brute de Don Robey dans les crédits. James Hunter chante comme un dieu, mais Dot se taille la part du lion. On reste dans les hommages de choc avec le «Mellow Down Easy» de Big Dix. Ainsi va la vie

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    On peut prendre n’importe quel album de James Hunter, on y trouvera toujours de bonnes raisons de s’émerveiller. Tiens, par exemple Kick It Around, paru en 1999 et produit par Boz Boorer, l’homme qui veille à présent sur le destin musical de Morrissey et qui fut un temps l’âme du rockab britannique avec les Polecats. On trouve sur cet album une merveille intitulée «Mollena», une sorte de balladif visité par la grâce, avec des chœurs d’hommes qui fondent comme du beurre dans les accords de cuivres. Ou encore «It’s Easy To Say», une sorte de mambo de rêve. James Hunter en épouse les courbes à la perfection. Il joue à l’apogée du style. Les joueurs de saxophone coulent de l’or dans sa voix colorée. D’ailleurs, c’est exactement ce qu’on vit sur scène à la Traverse : le sax ténor et le sax baryton transformaient le plomb du son en or des alchimistes. James Hunter chante son morceau titre avec le timbre de Johnny Gee, c’est-à-dire Johnny Guitar Watson. Et chaque fois qu’il tape dans le r’n’b, il fait des heureux. La preuve ? «Better Back Next Time». C’est du très haut de gamme à l’Anglaise. Ses goodbye baby sont des modèles du genre. Il peut flirter avec le Blue Beat comme on le constate à l’écoute de «Dearest». Il n’en finit plus d’affoler les lapins blancs. «Believe Me Baby» somme comme l’un des plus gros classiques de blues de Soul de tous les temps et «Night Bus» comme un hit des MGs.

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    On voit bien qu’en 2006, James Hunter essayait de percer. On le traitait de buried treasure, de trésor caché. C’est en tous les cas ce qu’indique le sticker collé sur la pochette de People Gonna Talk. L’album est d’autant plus précieux qu’il est enregistré au Toe Rag Studio de Liam Watson. Ça démarre avec le morceau titre qui sonne comme un rêve de calypso finement teinté de blue beat. On peut même parler ici d’assise fondamentale. Et avec «No Smoke Without Fire», il nous fait le coup du funky stuff à la Famous Flames, pas moins. Il renoue avec l’extase du blue beat dans «You Can’t Win». James Hunter fait penser au porteur de flamme de la préhistoire, tel que le montre Jean-Jacques Annaud dans La guerre Du Feu. Il passe ensuite au swing de jazz avec «Riot In My Heart» - Baby don’t you know - Il swingue comme tous ces vieux big bands de Los Angeles, on a là un cut hyper joué, cuivré de frais et James Hunter joue goulûment sur sa Gibson jaune. Il surchante son jive à un point inimaginable. Le voilà parti chez Benny Goodman. On le voit aussi claquer des breaks de guitar-slinger dans «Kick It Around». Il fait de l’art en permanence. On pourrait qualifier «Don’t Come Back» de groove hunterien et «It’s Easy To Say» de bluette tortillée du cul. Les racines calypso remontent au devant du mix. On a là une fois de plus une merveille de délicatesse. Il termine avec un vieux shoot de heavy blues intitulé «All Through Cryin’».

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    Sur la pochette de The Hard Way, on le voit justement gratter sa Gibson jaune. Dès le morceau titre, il flûte son chant de glotte fêlée. Il semble s’améliorer avec l’âge. On a là une superbe pièce de pop ultra-conservatrice et petite cerise sur le gâteau, Allen Toussaint fait le guest. James Hunter cultive l’à veau l’eau du doux. On note aussi l’extraordinaire succulence de sa prestance dans «Tell Her». On reste dans l’enchaînement magique avec «Don’t Do Me No Favours», un cut jivy et juicy à la fois. Tout ce qu’il fait tape dans le mille. Il sort un son plein de vie, frétillant, digne du printemps, totalement sélectif, nah nah nah et vlan, paf ! Il repart en solo sec de picking, il joue la carte de l’âcreté et un solo d’orgue vient le chapeauter. Quelle décoction ! Il revient au mambo avec «Carina». C’est son terrain de prédilection. Il aime ça, oh Carina ! Les accords de sax viennent saluer les canons de la beauté pure. Il passe au shuffle d’anticipation londonienne avec «She’s Got Away». Il renoue avec le style de Georgie Fame, mais jette toute sa niaque dans la balance. C’est jivé à l’orgue. Il se situe ici dans l’essence du early British Beat, celui du Ronnie Scott Club. Il revient jazzer le groove dans «Ain’t Got Nowhere». Malheur aux oreilles incultes ! James Hunter repart en tagada de mauvaise gamme et claque ses notes à la volée. Il termine avec un «Stange But True» excessivement brillant. Il crée la sensation à la seule force du poignet. Rien qu’en jouant de la guitare, il est écœurant d’excellence.

    Signé : Cazengler, Hunter-minable

    James Hunter Six. L’Escale. Cléon (76). 10 mars 2018

    Howlin Wilf & the Vee-Jays, Cry Wilf! Big Beat Records 1986

    James Hunter. Believe What I Say. Ace 1996

    James Hunter. Kick It Around. Ruf Records 1999

    James Hunter. People Gonna Talk. Rounder Records 2006

    James Hunter. The Hard Way. Hear Music 2008

    James Hunter Six. Minute By Minute. Daptone Records 2013

    James Hunter Six. Hold On. Daptone Records 2016

    James Hunter Six. Whatever It Takes. Daptone Records 2018

    Paul Ritchie : Heavy Hitter. Shindig #75 - January 2018

     

    11 / 05 / 2018 / TROYES

    3B

    THE DEVIL'S cUT COMBO

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    Trois semaines sans voir un concert – c'est qu'en Ariège le rock'n'roll ne court pas les rues – suis prêt à donner mon corps à la science ( d'une jolie and expert country gal ), voire à signer un pacte faustien avec le diable, justement le grand cornu l'a délégué un de ces combos au 3B. La teuf-teuf y court, y vole et y plonge. Nous voici déjà devant le troquet, le quai pas de trop, où ce soir fait escale un rafiot venu tout droit d'Angleterre. Du Kent, pour ceux qui sont friands de précisions géographiques.

     

    THE DEVIL'S CUT COMBO

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    Le diable vous prend toujours par surprise. Vous croyez que pour concocter une de ces mixtures empoisonnées dont il détient le secret il vous convoquera dans les antres obscurs de ses cuisines infernales, erreur sur toute la ligne. Souffle coupé, je ne reconnais plus le 3 B. On me l'a changé. Métamorphosé. Jugez-en par vous même. L'on se croirait dans le décor d'une pièce d'Alfred de Musset. Piano droit sur la droite, avec lampe de chevet, escarpin effilé,  fiasque ambrée,  posés religieusement sur le plateau supérieur, une austère contrebasse sur la gauche, mais c'est au fond qu'il faut chercher l'erreur, caisse claire, cymbale et chalerston, l'incongruité est posée juste à côté, un magnifique abat-jour de salon à motif fleuri suranné, plus les franges comme on n'en fait plus depuis Louis XVI, campé fièrement sur son pied torsadé, exhibé tel le labarum sacré d'une légion romaine en marche.

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    En tout cas nos légionnaires ne portent pas le cimier réglementaire, tout au plus une large casquette qui leur mange le haut du crâne, pantalon-pro-zazou à larges bretelles, chemises blanches rehaussées de cravates fauves parsemées de teintes rouges, z'ont le look et l'allure classieuse des fils de bonne famille des années vingt décidés à s'amuser. Follement.

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    Bill Renwick égrène les premières notes de Hot Porc, tout de suite ça remue salement, boogise à mort, mais la surprise ne vient pas de là, la batterie bat le rappel et Paul touche à sa big mama. Un doigt, deux doigts, z'avez l'impression qu'un orchestre de quarante musicos vient de démarrer, une épaisseur de son délirante, jamais entendu cela de toute ma vie, un volume sonore jamais égalé, et le bat-man comment fait-il pour taper si fort sur sa clairette, ça tonne comme une grosse caisse ! Invisible cylindre pourtant. Ruse anglaise ! Croyais que la caisse posée négligemment devant était juste un élément du décor servant à placarder une affiche old-age, ben non, c'est un gros caisson à pédale trafiqué qui sert de grosse Bertha. Comprends un peu mieux le mystère de cette intumescence, chaque fois que Paul tire sur une corde, la royal navy derrière vous lâche en douce un exocet sous la ligne de flottaison, cela demande une précision diabolique, mais vous pondent le bébé automatiquement sans même y penser. Bill possède un micro qui lui surgit d'entre les jambes, un périscope de sous-marin qui observe la côte ennemie, mais il ne s'en sert que pour les chœurs, le vocal est assuré par Robert Hiller, infatigable, l'on ne saura jamais comment au bout de trois sets ses cordes vocales ne se sont pas cisaillées toute seules, même pas éraillées d'un demi-dixième de ton, y met tant de cœur et de vaillance que pour un peu on en oublierait la grosse guitare jazz qu'il tient entre ses mains.

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    L'a l'art de passer les accords comme vous négociez les doubles zigzag dans une course de côtes, à tous moments vous vous dites qu'il n'y parviendra pas, qu'il va y avoir de la tôle froissée et du sang sur le pare-brise, vous verriez la maestria avec laquelle il se faufile dans les épingles à cheveux, les deux roues à vide sur le précipice mais le moteur en reprise qui vous pousse un glapissement de renard écorché vif et déjà les quatre pneus vous dégomment l'asphalte à toute vitesse.

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    Je me répète Bill est au piano, non c'est un mensonge, c'est un synthé(atti)seur qu'ils ont encastré dans le vieux meuble, s'il n'y avait pas le voyant vert allumé vous n'y verriez que du feu. Les deux mains de chaque côté du clavier – oui docteur, c'est grave et le mal est aigu – mirez bien les touches, vous les caresse à la façon d'un kleptomane, l'a ses trucs, la senestre qui pompe à mort un tangage de feu roulant comme pour un massage cardiaque et la dextre qui insiste plus de trente fois sur la même note, z'avez l'impression d'un fa-dièse épileptique secoué de commotion cérébrale, ne parlons même pas de ces tranchants de karaté – uniquement de la main gauche – mais ce que je préfère c'est quand il réunit ses deux battoirs – assez larges pour y découper la dinde de Noël - qu'il écarte les doigts, laisse le tout retomber, un dessin animé de deux pattes de canard qui claudiquent gravement vers la marre salvatrice et en même temps l'allure d'un prêtre qui s'en vient à toutes jambes vous refiler l'onction finale.

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    Le guy avec ses baguettes sur sa chaise c'est George Chessman. L'est blond comme un anglais et vous a la distinction british au dernier degré. Visage en lame de couteau et sourire enjôleur. Le gars qui ne peut se retenir de s'incliner pour faire un baise-main à la première demoiselle qui passe et qui vous envoie un direct mortel au foie du garçon-coiffeur qui l'accompagne. Genre amiral Nelson sur le Victory, n'arrête pas par en dessous de faire tonner son plus gros canon de marine, et par dessus il peaufine, un battement de charley par-ci ou par-là, l'a l'air de réfléchir profondément avant de vous tapoter un rythme sur la caisse claire, un coup de cymbale par hasard, en fait un feu de mousqueterie, une grêle de balles meurtrières qui vous tombent dessus sans crier gare, rigolard qui tape dans le lard et hilare dare-dare, le train entre en gare et vous roule dessus.

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    Paul Kish l'a kitché sa casquette sur la hampe de la big-mama. S'en sert comme d'un porte-manteau. De temps en temps il condescend à toucher une corde. C'est comme pour les verres, avec trois doigts c'est bonjour les dégâts. Un chasseur à l'affût. Un tireur d'élite. Touche la cible à chaque fois. Souvenez-vous que c'est vous. Entre les deux yeux. Vous n'y voyez que du bleu. Marron à tous les coups. Le pire c'est qu'il engendre le son le plus sinueux que je n'ai jamais entendu. De ses gros fingers boudinés à peine a-t-il frôlé une corde qu'une symphonie d'harmoniques s'échappent des esses de sa big mama comme un essaim d'abeilles dont vous venez de renverser la ruche. Des venimeuses, des colériques, non ça ne bruisse pas comme un rideau de soie froufrouté par une légère brise, ça vous aboie dessus comme un saxophone atteint de delirium tremens.

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    Je vous préviens, ces quatre gars sont dangereux. Seuls, pris un par un, vous avez une chance sur mille de les abattre, hélas, ils sont toujours tous les quatre au taquet. Jouent ensemble comme un seul homme. S'arrêtent de temps en temps pour se servir un   gobelet de whisky. Un rituel que l'on sent profondément ancré, qui leur sert de grigri. De grizzli plutôt. Jugez-en par les titres : Pass the Bottle to Me, Botton Shelf Bourbon Meldown, Monkey Shoulder, apparemment ne sont pas des fans du retour de la prohibition. Convenons que pour l'énergie qu'ils dégagent, z'ont besoin d'un carburant hyper vitaminé. N'ont pas arrêté de stomper comme des fous furieux. Les titres parlent d'eux-mêmes, Stomp the boogie, Shake that Boogie Baby, en plus vous trompent sur la marchandise, Be Cool, Quiet Bay, furent des espèces de tornades endiablées, à vous déraciner les gratte-ciels de Manhattan. Trois sets, bien sûr puisque 3 B, le premier avec un arrière-goût de pulsion jazz-swing, le deuxième qui vous a stompé le public à mort, et le troisième, carrément rock'n'roll, cite Bill Haley mais sans ajout cuivré, pour la simple raison qu'ils vous démolissent le bastringue avec une telle force que vous n'en ressentez pas le besoin.

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    Peu de monde – il faut l'avouer – sur les trois premiers morceaux et puis la déferlante, la salle n'a pas débourré – sometimes words have two meanings – d'un iota, un embrasement total, une frénésie innombrable, une chienlit  aurait proclamé le fameux Général, des danseurs fous dans la foule agglutinée. Des cris, des applaudissements, des rires, des corps contorsionnés. Un tabac monstre, que dis-je un bar-tabac avec PMU et brasserie, une soirée de folie. Un orchestre swing nous avait annoncé Béatrice la patronne – que nos englishes n'ont cessé d'appeler Misstress, le surnom lui restera-t-il ? - l'aurait dû préciser des fous furieux de la pulsation, des acharnés du jump, des rockers. Ni plus, ni moins.

    Une mention spéciale à Fab pour le son et à Laura qui du haut de ses dix ans lors du deuxième interset a su établir un dialogue des plus enlevés avec nos musiciens d'outre-Manche, manifestement ravis.

    Damie Chad.

    ( Photos : FB : Béatrice Berlot / Fabien Hubert )

    12 / 05 / 2018

    LA COMEDIA / MONTREUIL

    95ALLSTAR PUNK' EVENT

    CHEPA / MATOS DE MERDE / SUBSELF

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    Toujours en manque de concerts. Direction immédiate ce dimanche soir vers La Comedia. J'y trouverais bien un os à ronger. Pas de panique, y en avait trois. Avec beaucoup de viande autour. Du premier choix. Bien saignante. La Comedia, ce n'est pas la galerie des Glaces de Versailles. C'est beaucoup mieux, au petit matin vous pouvez vous regarder sans rougir dans le miroir. Avec son entrée à prix libre, son décor déglingué, sa faune rock, son cordial Rachid, et sa programmation sans concession, l'est un des bars les plus rock'n'roll du pays. L'est à parier que dans deux quarts de siècle, les promoteurs avisés vous en feront une reproduction à l'identique pour les touristes. Aseptisés et sans futur. Sans présent aussi, ce qui est beaucoup plus triste.

    MATOS DE MERDE

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    Un poème punk en trois mots. Ne prenez pas Matos de Merde pour un groupe misérabiliste. Juste un ras-le-bol enragé. Dés-esthétisé, ce qui est déjà un parti-pris esthétique de grande virulence. Cinq sur scène. Deux chanteurs, le grand luxe en quelque sorte. Des paroles en français, inutile de tricher viennent du 91, des alentours de Juvisy. Paddy est aux drums. L'est la base. Il drume comme les nageurs crawlent. A force de bras. Vous martèle la chanson du début à la fin, sans queue ni tête, parce que cela ne s'arrête jamais. Et qu'il n'y a jamais eu de commencement à la rage de vivre. Et de mourir. Le punch rabique est inné. Vous l'avez. Ou pas. Inutile de venir vous plaindre si vous nêtes pas touché par la foudre. Z'avez sûrement dû rater quelque chose dans le ventre de votre mère. Donc ce roulement et puis à intervalles réguliers cette volée de bois vert asséné sur la caisse. Un galvaniseur d'énergie. Lorsque vous avez en magasin cette ruée vers l'or noir de la colère, ne vous reste plus qu'à plaquer les riffs de guitare. Le bruit pour se faire entendre. L'un qui vient de clouer le cercueil et les deux autres qui vous le brisent de breaks incandescents. Mrick qui arrose et vous froisse les oreilles de délicieux orages torrentiels et Aladin qui vous colmate les brèches par en-dessous. Deux mauvais larrons en foire qui s'entendent à casser les merveilles. Un rock dur et violent, super bien en place. Kefran crête échevelée et vocal mordant. Vous plante les mots comme des crocs de requins, la vindicte l'habite, l'a la classe, basse hargneuse en bandoulière, laisse souvent le vocal à Flo, qui assène les scènes chocs, chante et danse de l'ours, dommage que le chant n'ait été plus en avant de la pâte sonore. C'est sûr que cette manière de mêler voix et musique fait partie de l'éthique égalitariste punk mais des paroles comme La Rage Dedans, J'envoie tout Chier et TPTG auraient à gagner à être davantage perçues. Un set mené de main de maîtres. Un seul bémol à mon goût l'Everybody final qui sonnait trop ska, le mauvais côté du Clash. Mais un parcours sans faute.

    SUBSELF

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    Une set-list aussi longue qu'un marathon. L'on va vite comprendre pourquoi. N'auront qu'à jouer dix secondes pour nous en persuader. Subself, est un comprimé d'énergie pure. La décharge d'une pile atomique au radium. Dès la première note, l'on sait que ça déchire. Barrez tout de suite le ça, déchire tout court. Une déchirure, point à la ligne. Formation minimale, batterie, guitare, basse. Plus un chanteur. N'a pas le temps de vous envoûter de trémolos raciniens. L'est à l'unisson des trois autres barbares. Vous décharge interdite, tout et tout de suite. Un break de drum, une guitare en agonie, un appuyé de noir profond à la basse et un dégueuli de vocal gerbé qui vous éclabousse de haut en bas, de l'âme jusqu'aux pieds.

    Moins de trois minutes pour vaincre. Se moquent de vous convaincre. Préfèrent vous tuer sur place. Inutile de venir se plaindre. N'ont pas de temps à perdre. Vous envoient le splash en pleine gueule. Eux-mêmes sont exsangues à la fin de chaque morceau. Ont besoin de reprendre leur souffle. C'est d'ailleurs là la seule faiblesse de leur prestation sauvage. Pas bien longtemps, un maxi-maximum de vingt secondes, mais mal placées, donnent l'impression de ne plus rien maîtriser, y a comme un vide, un espace de trop, une coupure dans le film, une page sautée dans le roman, une béance, l'on aimerait – non pas qu'ils reprennent leur marche tout de suite car vu la décharge physique cela paraît impossible – mais que ces trous dans le gruyère sonore soient davantage pris en compte dans la scénographie existentielle de l'artefact rock'n'rollesque. Ne rien laisser au hasard. Penser à Mallarmé qui assurait que le blanc des marges et inter-strophique était l'élément le plus important d'un poème. Ou alors compter sur l'exaltation de l'assistance. Savoir magnifier la montée d'adrénaline suscitée par le vomito pantagruellique de l'orgie sonore. Ce qui demande vraisemblablement un public plus nombreux. Ce qui ce soir n'est pas le cas.

    N'empêche que Subself subjugue. Chaque morceau s'inscrit dans l'éjection d'une parabole parfaite. Des titres qui claquent comme des drapeaux de haine sur des barricades : Vermin, Consumerist Fever, Collective Will, I shot the Devil, Mister K, I Deal with God... de la bonne avoine additionnée de bourbon pour les chevaux fourbus d'une population encalminée dans les eaux plates de l'inaction. Subself vous remue salement de fond en comble. Ne vous ménage pas. Vous coagule la mayonnaise du cerveau en moins de trois. Musique radicale. Tout ce que nous aimons.

    CHEPA

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    Chépa qui c'est, mais vais vite finir par le savoir. Z'ont un batteur. Rien qu'à voir la précision maniaque avec laquelle il a monté ses fûts, l'on devina que c'était le genre de gars qui a dû à lui tout seul réinventer la machine à baratter le beurre à l'âge de cinq ans. Quand il s'est mis derrière les toms, l'on a su qu'on ne s'était pas trompé. Torse nu, teint glabre et cet air de batracien fou, une tête d'affolé, le mec qui vous fait un break d'enfer et dans sa tête il se dit qu'il aurait peut-être dû rajouter un coup de baguette de plus sur la cymbale, l'obéit à une règle simple, jamais moins que le maximum, toujours plus que l'impossible, en quête de la perfection absolue, donne tout ce qu'il a et rajoute en prime ce qu'il n'a pas, l'on ne chépa, ça peut toujours servir. Avec un tel roulement à billes c'est du tout cuit pour les autres. N'ont qu'à se laisser porter par le vent.

    Mais leur orgueil le leur interdit. Vous pagaient de toutes leurs forces pour se maintenir à niveau. Guitares tintamarre à gogo et basse qui file à quinze nœuds coulants. Z'ont un chanteur aussi. Le mettent devant. Imposant comme une tour de château fort. L'a du coffre, chante sans effort mais quand la musique devient trop forte il s'emporte et se met à growler comme dans un combo métallique. Pas très longtemps. Punk is not dead. Ne bouge que très peu, ne se perd pas en gestes emphatiques ou mélodramatiques. N'en dégage pas moins une charismatique présence. Paroles violentes, Fuck, Je Crache, Politique, Le Boucher, Chépa ne fait pas dans la dentelle.

    Chépa c'est comme une pierre qui roule depuis le sommet de la montagne. Au début, pas de pitié, vous écrase tout sur son passage, les femmes et les enfants d'abord, l'on en redemande, mais pente après pente le cailloux prend de la vitesse, l'est catapulté par son propre poids et son allure croissante, l'en arrive à ne plus toucher terre et à glisser sur le coussin d'air que son déplacement suscite. A tel point que parfois le son perd de son âpreté punkéosidale et se transforme en chant de liesse alternative. En tout cas, ça plaît aux garçons, s'entrechoquent comme des boules de billards sur le tatami. Moins gracieux que les filles qui se refusent – une fois n'est pas coutume à la Comedia - à entrer dans ces danses d'ours débonnaires.

    Chépa festif remporte la mise. Rafle les cœurs et la sympathie.

     

    Une bonne soirée, revigorante à souhait. Un monde éclectique, un guitariste qui entend pour la première fois parler de Bo Diddley, un vieux rocker qui ne tarit pas d'éloges sur le jeu d'Eddie Cochran, et un lycéen venu de Brest pour passer une soirée sympa avec les copains... les strates du rock'n'roll, le millefeuille explosif.

    Damie Chad

    L'ARAIGNEE AU PLAFOND

    Mildred : chant, flûte / Eva : choeurs, percussions / Guillaume : choeurs, percussions / Phil-Lou : batterie / Enil : piano, synthé / Typhaine : clarinette / Ruben : saxophone alto et ténor / Bob : guitare / Kim basse

    Enregistrement et mixage par Stéphane Bachelet à : Le Studio d'à Côté / Jouy-Le-Châtel 77 970 /

    Spider Circus Production / 2018 / SCAAP01 /

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    Franchement qui parviendrait à caser une telle smala sur une pochette ! Pour une fois la folle aragne a fait preuve de sagesse, s'est elle-même reléguée en quatrième de couverture, en réunion de famille mafieuse, z'ont refilé le bébé à Bérénice Dautry, une voisine qui a honoré le contrat en vraie pro. Pour le baby, pas de panique, l'ont emmailloté en momie égyptienne et vogue la galère, s'en sont débarrassé en le jetant à l'eau, à la nevermind. Lui ont offert tout de go le nirvana, bref un malheureux de moins sur terre. Ne soyez pas hypocrites, ne faites pas semblant d'être indignés, ne les accusez pas de cruauté, c'est spécifié sur la pochette, ils l'avaient loué. N'empêche que la découpe de ce clodo-hobo-saxo-solo qui pète le feu exprime merveilleusement la rock'n'roll attitude dèche rebelle. A contempler.

     

    Alcoholize yer name : toute la fanfare qui déboule en trombe, et hop comme par miracle, l'attaque foudroyante se transforme en collier de perles. Et puis en écrin pour le diamant le plus pur, la voix de Midred aux facettes coupantes. Une maîtrise stupéfiante, un squash vocal d'une perfection absolue, et la tribu derrière qui se permet d'étonnantes virevoltes au trapèze volant, mais Mildred n'en rebondit que plus follement dans les étoiles. Facilité déconcertante. Shoes : chaussent leurs chaussures de luxe. Une longue cavalcade musicale, un point de poussière à l'horizon qui grossit, grossit, grossit jusqu'à ce que Mildred se lance dans ce qu'il faut se résoudre à appeler un étonnant solo vocal – pratiquement voscat – des chœurs et des cuivres qui vous allongent la sauce au poivre, tandis que la voix coupante de Mildred caracole sur les hauteurs. Nothing else matters : reprise de Metallica, la ballade qui tue, une montée graduelle vers l'extase, avec station agonique sur le chemin de croix, le combo processionne emphatiquement et Mildred énonce les stations des saisons en enfer intérieures. Ne l'écoutez pas, sans quoi sa voix sera votre perdition. Judas : un truc à vous rendre gaga, des cuivres qui tirebouchonnent et la voix de Mildred impérieuse comme une trahison. Musique de cirque et les éléphants qui jouent au ping-pong avec la ballerine qu'ils envoient valser en l'air sans qu'elle perde son sang-froid et son souffle. Chase halt : ( + Alain Guillard à la flûte ) : dans la lignée du précédent, une espèce de duo à un seul partenaire, Mildred en meneuse de revue, un brin de Broadway, Mildred tambour battant, l'orchestre qui se faufile derrière la flûte, c'est si bon qu'ils remettent le compteur à zéro à plusieurs reprises et que l'on ne s'en lasse pas. Lonely boy : pointillés de guitare en tintements de clefs, et ouverture cuivrée, et l'orchestre qui se presse derrière, c'est un peu le morceau des musiciens, une belle parade, s'en donnent à cœur joie, les interventions de Mildred leur permettant de montrer leur virtuosité à coller à sa voix qui joue aux montagnes russes. Fortunate son : retour au rock'n'roll, Mildred en pointe, la voix en haut, et l'orchestre qui se permet d'audacieux ralentis, un saxo à la Clarence Clemons, et des choeurs à la devil Stones dans le barnum final. Papa Bob est un sacré arrangeur. Kingdom of a secondhand mind : ( + Stéphane Bachelet dans les chœurs ) : troisième morceau original ( avec le premier et Chase Halt ) de Mister Bob et pas de seconde main : Enlil au clavier, flots lents et majestueux, la voix de Mildred comme une caresse sur une blessure qui refuse de cicatriser, douceur des chœurs, Mildred parcourt les solitudes glacées du dedans, cuivres funèbres, le morceau s'arrête comme la vie au moment de la mort.

     

    Ce premier disque de L'Araignée au Plafond est une surprenante réussite. Le groupe a su canaliser sa fougue scénique et réaliser un huit titres étonnant qui marque bien la maturité précédemment acquise. Nous l'évoquions dans notre chronique 366 du 22 / 03 / 2018. A su progresser sans se renier. Mildred se joue des difficultés, impose une modernité du chant qui s'intègre magnifiquement dans une esthétique de saltimbanques. Bizarrement, malgré tout ce qui l'en sépare, ce disque renoue avec le capharnaüm américain des années vingt lorsque la musique noire explosait dans toutes les directions. Le mouvement rock s'est focalisé au plus près de ses racines sur le blues rural et urbain, tout en oubliant les joyeuses fanfares entertainementesques de la New Orleans. Par quel mystère, quelles influences l'Araignée au Plafond rejoint-elle cette veine exubérante et mélodramatique du music-hall noir, nous n'en savons rien, ce qui est sûr c'est qu'il n'y a pas sur le marché français actuellement de tels artefacts qui atteignent à cette qualité.

    Damie Chad

    JUKEBOX N° 377

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    Jukebox 377 – Kr'tnt ! 374. Le score s'amenuise. Nous les dépasserons au mois de juin ! Trêve d'enfantillages ! Passons aux choses sérieuses. Eddy Mitchell en couverture. Avec interview. De 1972 ! Chez Jukebox l'on repasse les plats de l'avant-avant-veille ! En plus je l'avais lue à l'époque ! Du temps où Schmall pédalait dans la choucroute et s'éloignait à tire d'ailes du rock'n'roll. En plus se pose un peu en monsieur-qui-sait-tout et en insupportable donneur de leçon. N'avait pourtant pas de quoi pavaner alors qu'il venait de sortir des horreurs comme L'arc-en-ciel et Le Vieil Arbre. En plus se permet de critiquer les Who et d'admettre du bout des lèvres la validité de Cream... Heureusement, à la même époque Dick Rivers se lançait dans l'aventure du retour aux sources. Faudra encore attendre deux ans pour qu'Eddy s'envole vers Memphis... Bref pour les nouveautés, lire la rubrique Actualités de Jean-William Thoury et ses chroniques de disques. Dans la revue Livres ne ratez pas la kro d'Alicia Fiorucci sur la bio de Bon Scott et celle sur Jimmy Page de Tony Marlow.

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    C'est d'ailleurs pour Tony Marlow que j'ai acheté la revue. Marlou le récidiviste. Nous avait enchanté avec ses articles consacrés aux guitaristes des pionniers, et voici qu'il recommence. Nous prophétisons un tome II au Jukebox spécial Rock'n'roll Guitare Heros ( de Scotty More à Brian Setzer ), recollection de papiers égrenés sur plusieurs années, paru en 2017, car Tony entame la nouvelle série avec Grady Martin, un peu le Big Jim Sullivan des pionniers, qui n'apparaît nulle part mais que l'on retrouve partout, derrière ( adverbe mal choisi ) en première ligne avec Johnny Horton, Johnny Carrol, Johnny Burnette et Johnny Hallyday. Devait aimer le prénom ! Mais aussi aux séances de Brenda Lee, de Janis Martin, de Roy Orbison, de Willie Nelson et d'Elvis Presley bien sûr ! Ne cherchez pas, dès que ça sonne bien sur un disque des années 50 - 60 vous avez toutes les chances de retrouver sa signature dans les crédits. Fut avant tout un guitariste de studio, mais si son nom n'a pas dépassé les frontières des amateurs c'est vraisemblablement à cause de cette aisance intuitive à coller systématiquement au morceau qu'il accompagnait. Grady Martin est le guitariste caméléon par excellence, le gars qui vous pose le solo d'une telle perfection qu'il s'impose avec une telle évidence qu'il semble avoir été créé de toute éternité pour être mis sur ce titre précis. N'oubliez jamais que la couleur sable du serpent du désert participe de son attaque foudroyante. Ni vu, ni deviné, invisible et mortel. L'est le maître du solo camouflé qui se révèle être un camouflet pour tous les autres guitaristes.

    Chez Kr'tnt ! L'on évite de prononcer le nom de Grady Martin ( et du mythique Studio B ) devant Mister B, notre spécialiste guitare, devient fou ( de joie ) à chaque fois.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 253 : KR'TNT ! 373 :BETTY DAVIS / ROCKABILLY GENERATION 5 / FRED ALPI / ROLLING STONES / JUKE JOINTS BAND

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 373

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    11 / 05 / 2018

    BETTY DAVIS / ROCKABILLY GENERATION N° 5

      ROLLING STONES / FRED ALPI

    JUKE JOINTS BAND

    Betty Boot

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    Au clair de la lune, mon ami Pierrot me dit que le docu de Phil Cox sur Betty Davis est en ligne sur le site d’Arte. Alors faut-il voir Betty - They Say I’m Different, l’histoire de cette petite black qui fit du hot funk dans les années soixante-dix ? Oui et non.

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    Non, car Betty Davis est aujourd’hui une très vieille dame. Phil Cox réussit à la filmer dans sa chambre, mais bon, c’est pas terrible, d’ailleurs il la suggère plus qu’il ne la filme. Les funksters vieillissent encore plus mal que les punks anglais. Dans le cas de Betty, c’est d’autant plus insupportable que les pochettes de ses trois albums parus dans les seventies nous montrent une véritable bombe sexuelle, du même genre que Marsha Hunt, Margie Joseph ou encore Minnie Riperton (au temps de The Rotary Connection). Pas de mélange plus explosif que le booty de Betty (cul parfait), ses longues jambes (souvent grandes ouvertes), le funk new-yorkais et, grosse cerise sur le gâteau, son mariage avec Miles Davis. Betty fut l’hot sex girl du funk et elle semblait parfaitement à l’aise dans cette image.

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    Par contre, les âmes sensible se régaleront de ce docu. Phil Cox travaille sur la métaphore du corbeau que semble avoir développé Betty dans le journal intime qu’elle a tenu toute sa vie. D’ailleurs, on la voit écrire quelques phrases à la main. Le corbeau noir sert donc de fil rouge à cette histoire elliptique - Le corbeau, je l’ai rencontré sur la montagne - Elle quitte Pittsburgh à 17 ans pour aller faire ses études à New York - Le corbeau était le battement de mon cœur - Elle étudie au Fashion Institute et devient mannequin. Elle vit beaucoup la nuit. Elle rencontre Jimi Hendrix à Greenwich Village.

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    L’une des grandes qualités du film est la pudeur, alors que le propos de Betty était le sexe. Étrange paradoxe. C’est même un tour de passe-passe assez réussi. Ça frôle parfois l’histoire à l’eau de rose, mais Phil Cox restaure l’équilibre en proposant ici et là des extraits de concert. Sur scène, Betty porte un short blanc et un petit haut minimaliste. En fait, elle ne cache pas grand-chose de son corps de rêve. À sa façon, elle shoote dans le booty du funk une dose massive de sex-appeal. On comprend qu’elle soit devenue iconique. On la surnommait the Queen of Jazz Fusion. Il paraît que des gens étaient horrifiés, tellement son set puait le sexe. Phil Cox a raison de souligner que Betty se situait aux antipodes des Supremes et des Temptations qui proposaient une image lisse et formatée pour le public blanc. Cox passe rapidement aux choses sérieuses avec Greg Errico. Ce nom ne vous rappelle rien ? Mais oui ! Greg Errico fut le batteur de Sly & the Family Stone. Il apparaît dans ce docu car il produisit à l’époque la première chanson de Betty Davis, «Walking Up The Road», ainsi que son premier album, Betty Davis. Précision capitale : Betty écrit ses chansons. Elle en écrit aussi pour les autres, comme par exemple «Uptown To Harlem» pour les Chambers Brothers qu’elle rencontre aussi à New York.

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    Un soir, elle va traîner son petit cul au Blue Note et voit sur scène un trompettiste de jazz très sérieux. Miles Davis, bien sûr - Ses chaussures elles me plaisaient, je lui ai dit tout de suite - Cool grey suede shoes - Cet épisode représente le cœur de sa vie - Miles et moi on s’est mariés en 1968. Il m’a acheté une limousine et j’ai balancé tous ses costumes à la poubelle - Betty devient sa muse. À quarante ans, Miles est déjà obsédé par la peur de vieillir et la peur d’être dépassé. Alors fini les costards italiens, il passe aux franges, au cuir, aux couleurs vives, aux grosses lunettes, aux guitares et aux basses électriques, au backbeat de batterie - Miles était une boule d’énergie. Chaque joue de notre mariage, j’ai dû mériter le nom de Davis - Elle ne tarit plus d’éloges - Il m’a fait découvrir Rachmaninov, Stravinsky - C’est Miles qui l’incite à monter sur scène et à chanter. Le conte de fées ne dure pas longtemps. Betty reste d’une infinie discrétion sur la fin de son union - J’ai quitté Miles. Je n’ai dit à personne que Miles était violent - Puis elle se fait jeter par l’industrie du disque, car elle ne voulait pas entrer dans le moule qu’on lui imposait - Le corbeau et moi on s’est retrouvés seuls - Elle voyage, Londres, Japon. Lorsque son père meurt, elle rentre précipitamment. C’est là qu’elle perd la musique - Le battement de mon cœur a changé. Je n’entendais plus le corbeau - Alors elle disparaît physiquement - Le corbeau et moi on n’avait plus rien à dire.

    Aujourd’hui je suis une vieille dame et j’ai l’impression d’être au sommet de la montagne - Elle voit tout le chemin parcouru. C’est là que Phil Cox sort sa botte de Nevers : il retrouve les quatre musiciens de Betty, Funk House. Les pépères sont toujours en forme et toujours actifs. Ils ont le numéro de Betty, alors ils l’appellent, après 19 ans de silence. Le portable est posé devant eux, sur la table. Elle décroche. Elle est contente d’entendre ses vieux amis, mais quand Larry propose de venir enregistrer chez elle, alors elle change de conversation. Il arrive un moment où il faut savoir s’arrêter.

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    Dans Shindig #59, Kris Needs brosse un portrait autrement plus truculent de Betty, qu’il juge too hot pour son époque et aussi spectaculaire qu’Angela Davis avec sa mitraillette. Needs salue la parution inespérée des démos enregistrées par Betty en 1969 avec son mari Miles : the Holy Grail !

    En parfait journaliste d’investigation, Kris Needs brosse un portrait beaucoup plus vivant et détaillé que celui brossé par Phil Cox. On apprend dans l’article qu’Hugh Masekela (récemment décédé) est à l’époque le boyfriend de Betty. Un autre spécialiste nommé Oliver Wang précise que Betty l’a rencontré lors d’un séjour à Hollywood et qu’elle revint vers Miles après sa rupture avec Masekela.

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    Selon Needs, c’est Betty qui oriente Miles sur la nouvelle vague de 1967, Sly & the Family Stone, Otis Redding et son ami Jimi, qu’elle a rencontré grâce à sa copine super-groupie Devon Wilson. Betty et ses copines forment un cercle d’influence appelé the cosmic ladies et attirent autour d’elles des gens comme Sly, Jimi, Carlos Santana et Miles. Selon Santana, l’album Bitches Brew est un hommage aux cosmic ladies. Pour Miles, Betty se situait alors dans l’avant-garde et c’est là où ça devient très intéressant. Le mariage ne dure qu’un an, mais Betty se retrouve sur la pochette des Filles Du Kilimandjaro.

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    Needs revient longuement sur le mythe des sessions Miles Davis/Jimi Hendrix. Ils devaient en effet enregistrer tous les deux accompagnés par Tony Williams, mais Miles demanda 50.000 dollars avant d’entrer en studio, ce qui fit capoter le projet. Jimi et lui comptaient inventer a new kind of jazz. Betty précise toutefois que Miles et Jimi ne se sont jamais rencontrés. Il n’auraient eu qu’une longue conversation téléphonique.

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    Revenons aux fameuses sessions du Holy Grail, enregistrées en 1969 et parues sous le titre The Columbia Years 1968-1969. Pour l’occasion, Miles assemble un super-groupe : Mitch Mitchell, Billy Cox, Harvey Brooks, Wayne Shorter et Herbie Hancock accompagnent Betty. Ils enregistrent des compos de Betty et deux reprises : «Politician» de Jack Bruce et «Born On The Bayou» de Creedence. Miles voulait décrocher un contrat chez Columbia pour Betty - But he met a brick wall - Et les bandes restèrent à la cave - Buried in the Columbia vaults - Selon Harvey Brooks, Columbia ne faisait pas beaucoup de r’n’b à l’époque et donc Betty ne les intéressait pas. Brooks rappelle aussi que Columbia n’avait rien su faire d’Aretha. Betty a une autre version : elle pense que Miles ne voulait pas que l’album sorte, de crainte qu’elle ne devienne populaire et qu’elle ne le quitte. Si on peut écouter cette session mythique, c’est grâce à Light In The Attic, qui d’ailleurs réédite tous les albums de Betty. On est tout se suite embarqué par la vitalité cosmique du groove d’«Hangin’ Out». On y entend Harvey Brooks circuler librement sur le manche de sa basse. Puis ils tapent dans le «Politician» de Cream, avec une sorte de puissance virale, cette équipe de surdoués développe un groove organique que Betty épouse à merveille. On reste dans le pur Jarnac avec un «Down Home Girl» hanté par une basse sourde et Betty s’amuse avec le vieux cut de Creedence, «Born On The Bayou». On tombe plus loin sur trois morceaux enregistrés à Hollywood avec Hugh Masekela, dont un «Live Love Learn» très arrangé et de très haut niveau. Quand elle parle de cet album shelved avec Oliver Wang, Betty n’a pas de regret. Elle ne voulait pas devenir célèbre uniquement parce qu’elle était la femme de Miles.

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    Ce n’est qu’après sa rupture avec Miles qu’elle file à San Francisco enregistrer son premier album, Betty Davis, paru en 1973 sur le label de Michael Lang, Just Sunshine Records (un label sur lequel on trouve aussi l’immortelle Karen Dalton). Greg Errico le produit et y bat le beurre. Dans le studio, il a rassemblé une nouvelle équipe de surdoués autour de Neal Schon, le guitariste de Santana, et de Larry Graham - Arguably the greatest funk bassist in the area - Betty y enregistre deux cuts qu’elle avait composé pour les Commodores, «Walking Up The Road» et «Game Is My Middle Name». Elle tape le premier à la dégueulade, c’est ultra-provoquant, mais derrière, ça swingue le heavy groove. Et elle crée l’événement avec le deuxième - Do me in/ If you can do it now - Elle nous chauffe ça à la provoc patentée, elle monte bien dans les ponts et s’en va chercher des zones de pureté harmonique dans l’extase d’une hurlette de Hurlevent spectaculaire. Alors, oui Betty. Mille fois oui. Cent mille fois oui. Et puis on entend ce prodigieux démon de Larry Graham ramoner l’«If I’m In Luck I Might Be Picked Up» d’ouverture de bal d’A. Betty chante ça à la tripe fumante, comme si elle n’avait pas de voix. On se régale aussi de «Your Man My Man», monté sur un groove de syncope cataclysmique. Neal Schon s’y montre admirable de présence seigneuriale. Betty susurre et suce la goutte du swing qui perle au gland du beat et des chœurs fantastiques viennent parfaire le tableau. L’«Ooh yeah» qui ouvre le bal de la B vaut aussi son pesant d’or, voilà le meilleur des funky struts rampants, c’est franchement digne de Sly Stone. Et puis Betty nous mixe le rock et le funk dans «Steppin In Her I. Miller Shoes», mais elle fait ça avec une rage imprescriptible, c’est embrasé par la guitare de Neal Schon et la puissance du cut nous emporte, comme le ferait un fleuve en crue. Pur jus de rock de Soul. On l’a bien compris, c’est un très grand album.

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    Elle file à Londres pour essayer de décrocher un contrat, aidée par Marc Bolan. Puis elle retourne sur la West Coast pour enregistrer They Say I’m Different, un album que Kris Needs qualifie de spectacular - A steamy new form of blues-driven funk rock - Cette fois, Larry Johnson, cousin de Betty, remplace Larry Graham. Buddy Miles viens jouer de la wha-wha sur un morceau, «Shoo B Doop And Cop Him». Wow, Betty est tellement parfaite dans son rôle de grooveuse ! Mais la grosse différence avec le premier album, c’est que cette fois Betty veut produire. C’est d’ailleurs ce que lui dit Miles qui a entendu le premier album : «Tu n’as besoin de personne en Harley Davidson.» Le «Shoo B Doop And Cop Him» sur lequel wha-whate Buddy Miles est un joli groove de funk bien rampant et on passe à l’énormité funk avec «He Was A Big Freak», véritable funk d’avant-garde joué à la syncope fatale. Rien d’aussi black et de somptueusement sexuel que ce hit de boot. Ça monte encore d’un cran dans le shootisme avec «Don’t Call Her No Tramp». Betty va de hit funk en hit funk grâce aux dégelées de bassmatic du grand Larry Johnson. Il doublotte ses triplettes au nez et à la barbe des conventions. On entend rarement des blackos bassmatiquer avec une telle arrogance. On retrouve de l’excellent funk en B, notamment dans le morceau titre, véritable funk de jazz fusion, on est au cœur des seventies, à l’apogée du son. Puis avec «70’s Blues», elle chante la grandeur du woke up this morning et de l’everyday I get the blues. Fantastique hommage - I got a man !

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    Elle retourne à Londres et grâce à Robert Palmer, elle entre en contact avec Chris Blackwell. Nasty Gal sort sur Island en 1975 - Her stance as a defiantly liberated black woman terrified the press, her record label and often audiences - Kris Needs ajoute qu’elle fut aussi déterminante que George Clinton en mixant le funk au rock’n’roll. On retrouve Funk House sur cet album et notamment Fred Mills qui renvoie bien les chœurs sur le morceau titre. L’immense Larry Johnson y ramone les annales du bassmatic et Carlos Morales jouxte le funky strut de guitare épisodique. C’est excellent de get down et chanté aux énergies black. Le coup de génie de l’album s’appelle «Talkin’ Trash». Fred chante avec Betty - I’ll make your nights long - Elle lui promet de le rendre heureux, de bien lui polir le chinois, et on assiste au déploiement d’une extraordinaire dynamique de duo. C’est une énergie à la James Brown, ni plus ni moins. Même genre de génie funk. En B, elle tape «FUNK» au heavy funk de rock très entreprenant, dance to the music, on ne fait que ça et elle cite des noms en pagaille, Stevie Wonder, Tina Turner, Al Green, Ann Peebles, elle rend aussi hommage à Isaac, Barry White et les O’Jays. Sans oublier Jimi Hendrix. Et ça se termine avec Aretha, Chaka Kahn et Funkadelic. Il ne manque quasiment personne. Autre coup de génie avec «This Is it», hyper-claqué au funk de petite teigne. Cette chipie de Betty n’en finit plus de gueuler son funk sous le boisseau du boot. Larry et Carlos ultra-jouent, ils poussent le funk au maximum des possibilités.

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    Elle enregistre son quatrième album en 1976, à Bogalusa, un bled situé un peu au-dessus de la Nouvelle Orleans. L’album ne paraîtra que 33 ans plus tard. Il devait s’appeler Crashin’ From Passion, mais il est devenu Is It Love Or Desire. D’ailleurs on trouve «Crashing For Passion» sur l’album, authentique chef-d’œuvre funk. Fred Mills chante avec Betty sur «Whorey Angel». Le problème, c’est que quasiment tous les cuts de l’A sonnent comme des hits. Elle attaque sa B avec «Bottom Of The Barrell», énorme dégelée de funky strut - You smell like a greasy fish - Ça grouille littéralement de tortillettes funk et de guitares à la Stevie Wonder. Et pouf, elle passe au heavy blues avec «Let’s Get Personal». Elle tape carrément dans le riff d’«I’m A Man». Carlos Morales fait des pieds et des mains sur sa guitare. On sent les cadors du blues et du funk à l’œuvre. Et avec «Bar Hoppin’», ces démons se mettent à jazzer. Ils disposent de tous les pouvoirs inhérents à leur charge. Et la cerise sur le gâteau s’appelle Gate. Eh oui, Clarence Gatemouth Brown vient jouer du violon sur «For My Man» et là attention, on entre dans la mythologie louisianaise. Pourtant habitués aux rigueurs campagnardes, les quatre mecs de Funk House furent impressionnés par l’environnement - It was swamp territory down there - Ça grouillait de bestioles. La nuit, Larry craignait de trouver un serpent dans sa chambre. Carlos rappelle que Bugalusa fut l’un des pires coins en matière de Ku Klux Klanneries. Betty se souvient qu’un jour de balade en bagnole avec le groupe, ils furent pourchassés par un poids lourd qui essayait de les pousser dans le fossé - It was really scary - Oliver Wang indique que si l’album n’est pas sorti, c’est parce qu’une shoote éclata entre Betty et Chris Blackwell, le boss d’Island qui avait financé la location du Studio In The Country de Bogalusa. Un mois entier ! Pour les mecs de Funk House, that was the best album she ever put togther. Selon eux, Is It Love Or Desire aurait pu hitter les charts.

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    Son cinquième et dernier album s’appelle Crashin’ From Passion. Mais il ne sort que très tardivement, vingt ans après son enregistrement, dans des conditions mystérieuses. Pour le trouver, il faut non seulement se lever de bonne heure, mais aussi avoir beaucoup de chance. On note une fois de plus qu’avec Betty, on va de surprise en surprise. Belle énormité que ce morceau titre. Énorme patate funk. Comme on ne trouve aucune information sur la pochette, on en déduit que Funk House accompagne Betty. Elle roule sur le groove de basse. On se retrouve une fois de plus ballotté par le grand funk des seventies. Ça frôle le génie des Isleys. Elle crashe bien all over the passion. C’est un cut long et chaud qui ne débande pas. Avec «Hanging Out In Hollywood», elle passe au groove de jazz quintessentiel. On s’y enivre. Elle déraille à la Sly sur du lullaby et derrière, ses amis funksters groovent comme des diables. Back to the heavy groove avec «I Need A Whole Lot Of Love». Voilà encore du funk, et du meilleur, puisqu’il s’agit du funk de Betty. C’est un hit, une vraie dégelée d’excellence funkoïde hyper-jouée, chantée au chaud de la justesse de ton. «No Good At Falling In Love» sonne comme un funk acidulé mais aussi insistant, c’est-à-dire têtu comme une bourrique, big boot of bits, pur jus de Davis funk, ultra-instrumentalisé, quasi-gourmand. On adore tellement Betty que tous ses cuts passent comme des lettres à la poste, même les plus pop comme «You Take Me For Granted». Elle pourrait chanter jusqu’à la fin des temps, on resterait à ses pieds. Elle passe au diskö beat de Coconut Beach avec «I’ve Danced This Dance Before». Elle chante ça avec toute l’ingénuité du monde magique de Walt Disney et elle termine cet incroyable album avec «She’s A Woman», vieux groove sexuel qu’elle travaille derrière un rideau d’ombres chinoises. Elle en rajoute. Ah pour ça, on peut lui faire confiance. Bon c’est vrai, on finit par atteindre les limites du genre, mais Betty, she does it right, comme dirait Wilco.

    C’est là qu’elle se retire du music business pour vivre recluse en Pennsylvanie - I just lost interest.

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    Si on veut aller vite, on peut se rabattre sur This Is It, une compile Vampi Soul qui aligne sur quatre faces tous les hits de Betty. On y retrouve l’effarant «Your Man My Man», les I.Miller Shoes, le Big Freak, le «Don’t Call Her No Tramp» ultra-joué à la basse et des tas d’autres merveilles. C’est du pur jus. Ça coule entre les doigts.

    Signé : Cazengler, Bêta Davis

    Betty Davis. Betty Davis. Just Sunshine Records 1973

    Betty Davis. They Say I’m Different. Just Sunshine Records 1974

    Betty Davis. Nasty Gal. Island Records 1975

    Betty Davis. Crashin’ From Passion. P-Vine Records 1995

    Betty Davis. Is It Love Or Desire. Just Sunshine Records 2009

    Betty Davis. The Columbia Years 1968-1969. Light In The Attic 2016

    Betty Davis. This Is It. Vampi Soul 2005

    Kris Needs. The Electric Lady. Shindig #59 - September 2016

    Phil Cox. Betty - They Say I’m Different. 2017

     

    ROCKABILLY GENERATION N° 5

    ( Avril / Mai / Juin / 2018 )

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    Cinquième bougie. De plus en plus épaisse. Quarante pages désormais. Trois escogriffes que nous aimons bien en couverture. Un pionnier pour ouvrir le bal des ardents. Pas n'importe lequel : Eddie Cochran. Une belle évocation de Greg Cattez. Pour l'iconographie pas de surprise, vous les connaissez toutes, mais de belles repros sur papier glacé, ça change la mire et puis les deux pleines pages sont des must. L'est sûr qu'avec des Si le rock aurait débordé de sa bouteille. Que serait devenu Eddie sans ce malheureux et fatidique taxi aux portes de Londres ? Aurait-il détrôné le King se demande Greg Gattez ? Ou n'aurait-il pas été obligé de mettre à l'instar d'Elvis de l'eau dans son rock ? Nous n'en saurons jamais rien. Heureux, comme l'affirmait le poëte grec Callimaque, celui à qui les Dieux ôtent la vie en pleine jeunesse. Cela vous dispense des grandes désillusions.

    De l'histoire ancienne. Le problème c'est que la plus récente s'enfonce déjà dans le passé. Ce 10 mars 2018, Eight O'Clock Jump tirait son trente-et-unième et dernier feu d'artifice. Tonio de l'Association Fishes and Swallows tire les leçons de cette grande aventure. Ne cache pas son amertume. Le milieu rockabilly est tout compte fait comme tous les milieux, un petit milieu... rancœurs, jalousies, trahisons, humain trop humain dirait Nietzsche. Tonio tourne la page, avec le temps elle lui paraîtra beaucoup plus belle qu'il n'y a jamais cru.

    La transition est habilement cousue de fil blanc. Les Spunyboys firent partie de l'ultime session des Eight O' Clock Jump. Les voici interviewés, manière de faire le point, plus de mille et un concerts, tournée au Japon et aux States. Souffrent d'un terrible syndrome : sympathiques, gentils, souriants dans la vie courante, un gang de sauvages dès qu'ils sont sur scène, les médecins n'ont heureusement pas encore trouvé l'antidote à ces crises de démence suraigüe, Sergio Kazh en profite pour quelques superbes photos virevoltantes.

    Moitié de la revue et déjà trois générations de rockabillymen, le chemin est trop bon, voici donc la quatrième : les jeunes qui montent, The Hillbillies, ne les ai encore jamais vus, lisez l'article et vous serez comme moi, dévoréspar l'envie irrépressible de ne pas les rater dès qu'ils passeront à portée.

    Retour dans le passé ( 1984 ) avec The Wild Ones qui eux font un retour dans le présent. Avec un peu de chance seront là dans le futur. Honneur aux vétérans qui n'ont pas dételé, Lyndon Needs – le guitariste de Crazy Cavan and the Rhythm Rockers, le genre de passeport qui vous ouvre les portes du paradis. Ne faites pas les cakes, le Marshall fait des dégâts. Enfin Nelson Carrera – une des plus belles voix ( portugaise ) du rockabilly national - qui fête ses quarante ans de carrière, présenté et interviewé par Brayan Kazh qui pour l'occasion a abandonné sa contrebasse.

    Ce coup-ci, vous croyez en avoir fini après la sélection de disques, ben non, avant l'agenda des concerts, il y a encore un bazooka sur la pizza royale, Dale Rocka & The Volcanoes, venus d'Italie en partance pour Las Vegas.

    Un numéro méchamment bien intuité, l'histoire du rockabilly exemplifié en quarante pages. La revue n'en finit pas de se bonifier. Devraient changer le titre : remplacer Rockabilly Generation par Rockabilly Generations. Un objet de beauté fait par des passionnés pour les passionnés.

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly Generation News ( 7 hameau Saint-Eloi / 35 290 Saint-Méen-Le Grand ), 4 Euros + 3, 60 de frais de port pour 1 ou 2 numéros, offre abonnement 4 numéros : 26, 40 Euros ( Port Compris ), chèque à Lecoultre Maryse 1A Avenue du Canal 91 700 Ste Geneviève-des-bois ou paiement Paypal maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de toutes les revues... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents. Attention N° 1 et N° 2 épuisés.

    STONED

    ROLLING STONES

    20 ANS DE CONFIDENCES

    PHILIPPE MANOEUVRE

    ( Albin Michel / 1995 )

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    Un vieux bouquin. Un peu rigolo. Non, ce n'est pas comique. Mais près de vingt-cinq plus tard la problématique n'a pas changé. Que voulez-vous les Stones resteront toujours les Rolling Stones. Malgré les reniements, les palinodies, les apostasies... Un groupe mythique ? Non, LE groupe mythique. Par excellence. Pouvez en préférer des milliers d'autres. Mais si vous dites rock, vous entendez Stones.

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    Manœuvre nous en met plein les yeux dès la première page. S'envole vers Los Angeles pour assister au concert des Rolling. Nous sommes en octobre 1994, tournée Voodoo Lounge. Invité de marque Manœuvre, enfin de sous-marque. Les Stones sont des pros, pensent à tout. Même à un rédacteur en chef de la plus importante revue de rock française. Mais l'on se dit qu'ils doivent attendre le retour. Pas celui de l'ascenseur, disons celui de l'escalier de service. Pas fou le Manœuvre. De toutes les manières il est fan des Stones. Depuis leur premier disque. S'est bien fait engueuler une fois par la famille Richards pour un article dans un numéro spécial-Stones. Mais pas de danger. L'est comme la souris fasciné par le serpent, l'est prêt à avaler la couleuvre en entier, et à la recracher ensuite.

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    Je vous sens impatient. Vous tenez à voir le concert. Attention 80 000 personnes autour de vous. Si vous êtes au fond, regardez les écrans géants. En plus avec les effets pyrotechniques , vous en prenez plein les yeux. Les Stones eux se contentent de vous piquer le pognon. Vous font même payer le parking. Il n'y a pas de petits profits. Pour la musique l'on ne sent pas le grand Philochard convaincu. Joue un peu le blasé. Les a déjà vus tant de fois. Et puis pour comprendre le rock, c'est facile. A votre gauche vous mettez Elvis, un petit gars du Sud bien élevé, sur votre droite vous posez le colonel Parker. Un super pro, l'a de l'expérience et des techniques éprouvées. Rock'n'roll circus. Une intuition de génie. De l'esbroufe à gogo. Voir les Stones et mourir.

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    Mais les Stones il y a longtemps qu'ils ont viré leur colonel. C'est Jagger qui s'est nommé général en chef. Grand chef. Indien, pirate et homme d'affaires. Le troisième terme est le plus important. Bien sûr le désastre d'Altamont mais surtout le divorce d'avec Bianca qui lui bouffera aux alentours de 14 millions, la moitié de sa fortune. Ne pleurez pas, s'est magnifiquement refait depuis.

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    Pour vous en convaincre, le chapitre suivant dirige la focale sur Mick et les débuts du groupe. Aussi sympathique que le Diable, Mister Jagger. Au début il n'est que chanteur. Ce n'est pas lui la tête d'affiche. C'est le guitariste. Le grand blond aux boots noires. Brian Jones. Un garçon brillant. Depuis tout petit. Encore plus Stones à lui tout seul que les autres réunis. Pas un petit chef, un grand seigneur. Vous lui filez un instrument entre les mains et trois heures après il en joue comme s'il était né avec. L'est beau comme un ange. Les filles en sont folles. Lui en use et en abuse. N'était pas encore avec les Stones que déjà il en avait encloqué quelques unes. Bye-bye baby, débrouille-toi et ne viens plus me casser les... Ouille, oui ça fait mal et avec tes yeux au beurre noir tu n'es plus très jolie. Aujourd'hui, serait envoyé illico en prison, mais en ces temps-là d'insouciance, ce n'était pas pareil.

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    N'empêche qu'ils sont trois et qu'il n'y a qu'une place de chef. Struggle for life. Le moteur à explosion des Stones. Au début Mick et Keith ne mouftent pas, mais avec le succès qui déboule, les choses vont se compliquer pour Brian. Notre blond ténébreux se campe dans sa supériorité, se doit d'être ailleurs, higher, plus haut que ses commensaux, dans une réalité autre. Une dimension supérieure. Que les produits lui procurent. S'enferme en lui-même, en sa tour d'ivoire. De moins en moins présent, de plus en plus loin, en son château-fort intérieur. Jusqu'au jour où le groupe le vire. Pris à son propre piège.

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    Tragédie humaine, musicale et économique. Brian c'est le blues à lui tout seul, l'a toujours l'idée qui fait mouche, des connaissances comme personne, le plus créatif en studio. Mais l'on ne peut pas bâtir une carrière sur des disques de reprise. D'ailleurs à côté la concurrence devient féroce. L'est nécessaire d'écrire ses propres morceaux, Brian est un musicien, pas un compositeur. Du moins il ne fait pas part de ses compositions à ses pairs. Il semble que son père ait fait brûler tous ses papiers à sa mort... Mick et Keith s'emparent des commandes. Au début tout marche comme sur des roulettes électriques. Mais il ne faut pas se faire d'illusion. Au sommet, il n'y a de place que pour un.

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    C'est Keith qui renoncera au trône. Tombe dans la drogue pour parler vulgairement. L'affaire est beaucoup plus complexe. L'on adore évoquer la trahison de Mick avec Anita, mais le malaise vient de plus loin. De la pression, du public, de la police. Le succès est délétère. Vous fait perdre le centre de vous-même. Keith, lui aussi, mais pour d'autres raisons, se réfugie dans un autre monde. Auto-protectif. N'en mourra pas. Ne s'en relèvera jamais tout à fait. Héroïne, alcool, cocaïne et toute la pharmacopée existante. Keith traversera tout. Ce n'est pas qu'il est indestructible, c'est que les produits lui tiennent lieu de carapace. N'oubliez pas que vos faiblesses ne sont que l'autre face de votre force. Keith dans un autre monde mais jamais dupe, sait très bien où il est, l'est revenu de tout mais n'est jamais loin. Les cordes de sa guitare seront les fils qui le rattachent à l'existence.

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    L'est tout seul. S'appelle Mick Jagger. Un félin sur scène, un carnassier dans la vie. L'est intelligent et cultivé. Entre dans toutes les cavernes qui s'offrent à lui, mais l'est un précautionneux, l'a une lampe de poche dans la poche arrière de son pantalon, et l'a pris soin de flécher le parcours pour revenir sur ses pas. Sauve les Stones. Son secret est simple. Ne jamais regarder en arrière. Aller toujours de l'avant. Le meilleur des disques des Stones c'est celui dont il en train de se fader la promotion. N'est pas un passéiste. Ni un archéo-futuriste. Jouit de l'instant présent. L'âge d'or des Stones, c'est celui qui lui aura rapporté le plus d'argent.

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    Le quatrième homme : Charlie Watts. Se contente de battre le fer quand il devient chaud. Vous le martèle comme pas un. Mais ne se met pas martel en tête pour si peu. Fait le job. N'en n'est pas mécontent. Son truc à lui, ce n'est pas vraiment les Stones, plutôt le jazz. Un gentleman, pas un voyou de rocker. La classe inconditionnelle. Pas le genre de gars à embrouilles, les choses sont ce qu'elles sont. Parfois tristes. Parfois heureuses. Pas la peine de pleurer. Ni de s'esclaffer. Laisse faire Jagger, n'aimerait pas vraiment être à sa place. Ni critiques, ni récriminations. Encore un qui est ailleurs, mais à sa manière à lui. Ni touché à la Keith. Ni coulé à la Brian.

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    Bill Wyman. Le prolo de service. En 1994, l'est déjà parti. S'est retiré des affaires comme l'on dit dans le milieu. La guerre des trois, l'a tout vu, sait tout, ne croit pas comme Rousseau à la bonté naturelle de l'homme. N'en pense pas moins. L'a pris les choses du bon côté. L'a tiré un maximum de filles et puis il s'est tiré. Le titre de son autobiographie en dit long : So Alone. Commentaire fulgurant sur la nef des fous.

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    Ian «  Stu » Stewart, ce n'est pas le sixième Stone, c'est le premier fan des Stones, a tout sacrifié pour eux, l'est descendu de scène pour être leur roadie, puisque c'était-là qu'il semblait le plus utile. Une des plus belles figures du rock'n'roll.

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    De tous les autres comparses – Manoeuvre les passe en revue un par un, nous ne retiendrons que Bobby Keys. Il est le trait d'union, le lien direct du rockin' blues des Stones au rock des pionniers. Le lecteur se précipitera pour lire son histoire dans le portrait qu'en a dressé notre Cat Zengler dans notre livraison 220 du 29 / 01 / 2015. L'a joué avec Buddy Holly et tenu durant dix ans son saxophone chez les Stones. Si vous avez fait mieux, contactez-nous. Sans quoi, taisez-vous et inclinez-vous. Ce fut un grand parmi les grands.

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    Vous croyez avoir tout compris, le cygne royal Brian qui régressera petit canard souffreteux, le grand méchant Mick qui ne deviendra pas doux et gentil à la fin de l'histoire, et le fier chevalier blanc Keith qui est le héros des fans. Ce n'est pas si simple. Un Stone tout seul n'est qu'une variable d'ajustement. Un stone ne vaut qu'en tant que Stones. Un caillou ne fait pas le tas. Et là, ce sont les trois mousquetaires, tous pour un et un pour tous. Car pour les Stones rien n'est plus beau que les Stones. Les autres n'existent pas. Par définition : ne leur arrivent pas à la cheville. Des sous-merdes. Employons les mots qui fâchent à dessein. Rien n'est plus méchant qu'un Stone qui sent un danger. Prenons le cas de Keith par exemple. Citez un guitariste dont il ait un jour dit du bien. A part Chuck Berry évidemment, mais là c'est normal, l'a tellement proclamé haut et fort qu'il lui a tout pompé qu'il ne peut pas décemment revenir en arrière.

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    C'est que les Stones c'est avant tout un concentré de haine, d'arrogance, de menterie, de tromperie, d'insolence, de jalousie, de grossièreté et d'outrecuidance. Vous trouverez sans doute mieux ailleurs, mais jamais pire. Et c'est exactement cela qui fait bander. Vous disent qu'ils vont vous le mettre profond, et vous écartez fissa les cuisses. Ou les fesses selon votre anatomie. Les Stones, c'est le mauvais côté des choses, la face obscure de la force, le cheval noir de l'attelage platonicien.

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    La fin de la chronique se faufile et nous n'avons pas encore parlé musique. Les gens me font rire, certains leur préfèrent les Beatles, perso ce serait plutôt les Animals et les Yardbirds mais les Stones c'est autre chose. Z'ont commotionné une génération. Z'ont gravé les tables des la loi du rock. Mais cela, c'est encore de la petite bière. Les Stones je les définirais comme la cristallisation d'une nouvelle culture. N'ont rien inventé mais ont tout convoqué. Le seul équivalent que je connaisse c'est celui de l'apparition de Richard ( encore un ) Wagner. S'inscrit dans la suite logique d'immenses compositeurs qui l'ont précédé. Et plus tard, qui le suivront. Mais ce n'est pas le plus important. Le problème n'est pas de savoir lequel est le meilleur. Le phénomène à observer c'est le bouleversement que la musique de Wagner occasionnera dans la génération symboliste. Chamboule tout. Suscite un engouement sans précédent. S'empare des esprits. Ce n'est pas une nouveauté, mais la révélation d'une façon de vivre plus intensément. Il a existé une folie Wagner comme il a existé une folie Stones. Excitation maximale. Certes, it's only rock'n'roll, but we like it.

    Damie Chad.

    CINQ ANS DE METRO

    FRED ALPI

    ( Editions Libertalia / Avril 2018 )

     

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    Tiens le bouquin de Fred Alpi, kr'tnteurs assidus ne faites pas les ignorants, je rappelle que Fred Alpi est le chanteur des Angry Cats – groupe rockabilly présent sur la compilation Rockers Kulture initiée par Tony Marlow - et que nous avons parlé de lui dans notre livraison 239 du 11 / 06 / 2015, c'était dans les locaux de la CNT de Paris, lors de la présentation du livre sur Joe Hill, le Freddy redonnait vie à quelques morceaux du célèbre baladin américain. Innocent du crime dont on l'accusait, injustement condamné à mort, incidemment exécuté. L'avait un peu cherché, était un militant des IWW, syndicat que les grosses compagnies fruitières haïssaient particulièrement. Allez savoir pourquoi.

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    Bref le bouquin il est là sur le stand des éditions Libertalia. Jusque-là tout va bien. C'est après que ça se gâte. Grave. Comme dans un disque du MC 5. Je précise la date et le lieu. Premier Mai et Paris. L'est vrai que ça tangue un peu aux alentours. Les forces de l'ordre ont décidé de semer le désordre à profusion. Vous gaspillent vos impôts à coups de bombes lacrymogènes, l'on voit bien qu'ils ne les payent pas ! Un gâchis monstrueux. Mais pourquoi tant de haine ? Tout cela pour un Macdo brûlé ! Un distributeur de mal-bouffe en moins, le ministre de la Santé Publique devrait rédiger un communiqué de félicitation. Ben non c'est tout le contraire. Ce sont des hordes de CRS qui déferlent, l'en sort de partout, rien à voir avec une phalange macédonienne dans les plaines de Gaugamèles, se planquent soigneusement derrière les gros camions, et avancent prudemment. Sur les médias l'on vous cause sans cesse de notre merveilleuse démocratie garante de la libre-circulation des personnes et des marchandises. Très souvent on oublie de rajouter la fin de la phrase – et des capitaux. L'est sûr que dans le défilé ceux qui portent des valises de billets de 500 Euros remplies à ras-bord sont plutôt rares, quant aux marchandises à part quelques banderoles rudimentaires et deux ou trois cocktails molotov en goguette n'y a pas grand chose, par contre des individus il n'en manque pas. Cinquante mille. A peine croyable : soudainement la République oublie ses grands principes, ce n'est plus l'habituel circulez, il n'y a rien à voir, mais stop, vous n'irez pas plus loin. On ne doit pas être sages. Privés de manifestation. Que voulez-vous tout se perd dans notre beau pays, jusqu'à l'art des barricades comme en 1830 et 1968... Ne vous étonnez pas si après, tout le monde déteste la police, et si vous sentez poindre et croître en vous une terrible fibre anticapitaliste. M'en retourne à la maison en sifflotant I'm goin' black bloc home. C'est des Stones, si je ne ma trompe pas.

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    Bref arrivé chez moi, me suis mis à mon aise, vérifié si par hasard un CRS ne s'était pas caché sous mon lit – on n'est jamais trop prudent – et ai plongé in my happy Alpi book.

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    Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les chanteurs du métro sans savoir à qui le demander. Tenait la basse dans un groupe punk allemand in Berlin ( by the wall ) lorsque Fred débarque à Paris. Fuit les huissiers et un chagrin d'amour, beaucoup pour un seul homme. Dans de telles circonstances vous ne pouvez que prendre les mauvaises décisions. Fred cherche du boulot et malheur pour lui il en trouve. Dans une entreprise. Vous savez ces modernes églises dans lequel le travailleur est appelé à baisser les yeux devant le patron divin et à travailler sans ouvrir la bouche au seul profit de cette majesté exploitante et tutélaire. Bref l'a en a tellement marre qu'il décide d'aller fredonner dans le métro. N'a qu'un seul problème c'est qu'il ne sait pas chanter et qu'il ne sait pas jouer de la guitare. C'est-là qu'il nous déçoit, choisit la facilité celle de caresser le public dans le sens des poils qui lui sortent des oreilles : la chanson française ! Commence par Paris s'éveille de Jacques Dutronc. Continuera par Jacques Brel, George Brassens, Edith Piaf, et Boris Vian. Perso j'appelle ça des trucs de vieux, de parents et de profs, tout ce que mon adolescence a rejeté en bloc, black de colère.

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    Soyons un tantinet économiste marxiste : tout travail mérite salaire, Fred bosse deux heures et demie par jour pour récolter 400 francs ( nous sommes en 1991 ), net d'impôts, et pas de chefaillon pour vous gueuler dessus. Un rapport qualité-prix qui satisfait pleinement notre impétrant. Mais évidemment ce n'est pas le plus important. Ce qui se passe dans sa tête et autour de lui est bien plus attrayant. C'est que voyez-vous le microcosme rend parfaitement compte du macrocosme. Le monde est vaste et infini. Mais si vous arrivez à en comprendre parfaitement les rouages d'une petit partie vous accédez à la compréhension globale du grand tout.

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    Idem pour le métro, le monde du dessous n'est que la miniature du monde du dessus. En plus toute l'humanité se presse dans les couloirs et les wagons. Suffit de regarder. Entre la bourgeoise du seizième et le prolo du petit matin, vous avez de quoi écrire un livre de sociologie, une somme universitaire pondérée. Le Freddy serait plutôt partisan de la critique sociale virulente. L'a remisé les œillères de l'objectivité du savoir dans sa poche. Prend soin de nous avertir, son livre est un roman - autobiographique certes – mais pas un compte-rendu de souvenirs hasardeux. Toute la différence qui existe entre un caillou sur le bord du chemin et celui que vous avez amoureusement égalisé afin qu'aucune aspérité ne puisse dévier sa trajectoire et que la parabole initiée par la fronde de votre colère le mène droit au cœur de la cible que vous avez choisie.

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    Le métro est un véritable bassin de décantation. Les éléments les plus lourds d'un mélange quelconque se retrouvent systématiquement au fond du récipient. Les plus graves aussi. Pire que la misère noire. Les individus qui n'ont plus rien à perdre puisqu'ils se sont déjà perdus eux-mêmes. Sont au bout du tunnel de la vie. Déjantés d'alcool, de crack, de crasse. Misères physiques et spirituelles. Alpi ne nous fait pas le coup de la charité chrétienne faussement égalitariste, dans le lot, il y a des victimes et des ordures. Certains sont poursuivis par leurs propres fantômes, ce sont peut-être ceux qui ont le plus de lucidité et de haine contre eux-mêmes, envers les autres et le monde entier. Se rendent compte qu'à trop obéir ils se sont reniés eux-mêmes. Les exécuteurs des basse-œuvres sont vite oubliés par les donneurs d'ordre. Lorsque l'on n'a pas su se révolter au bon moment, il n'y a plus qu'à s'en prendre à soi-même. L'auto-destruction comme dernier signe, inutile puisque indécodable par le plus grand nombre, de révolte rentrée.

    Ne s'attarde guère sur le gros troupeau. Qui ne fait que passer, tête basse, aussi peu pressés que des bœufs menés à l'abattoir mais poussés par la nécessité de retrouver son taf salvateur. Et destructeur. Qu'en dire de plus ? Personne ne brisera leur chaîne sinon eux-mêmes. Le monde appartient à ceux qui se révoltent tôt. Ceux qui restent sur les sentiers de la servitude volontaire sont des égarés.

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    Si vous ne faîtes pas de politique, d'autres la font pour vous. Peut-être pas au mieux de vos intérêts. Certains ont compris que l'on n'est jamais trop prudent. Qu'il vaut mieux prévoir que guérir. Alpi bosse dans le métro, mais n'en reste pas moins à l'écoute de ce qui se passe en haut. Que voulez-vous cent cinquante minutes de trepalium chantant par jour ce n'est pas assez, cela vous laisse le temps de réfléchir. Et dehors, les choses ne s'améliorent pas, le fascisme rampe mais gagne du terrain. La société devient de plus en plus dure – pas pour les nantis, je vous rassure – et cela se traduit dans les couloirs du métro. La RATP veille à la sécurité de ses passagers, elle embauche des supplétifs aux piquets de police traditionnelles, des espèces de groupes paramilitaires recrutés dans les milices d'extrême-droite, font des rondes. Se sentent forts et soutenus par la hiérarchie. Expulsent les sans-abris sans ménagement, font la chasse aux artistes qui n'ont pas d'autorisation... Les pauvres c'est comme les décharges sauvages dans les paysages, ça fait fuir les touristes et il faut bien passer un coup de balai sur les saletés. Quant aux saltimbanques véhiculent trop souvent des textes provocatifs et des musiques peu orthodoxes...

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    De ses collègues de travail Fred parle peu. Font partie des intervenants qui interviennent en solitaire. Pas possible de pousser la goualante à deux dans un même wagon. L'un sort quand l'autre rentre. On se rencontre entre deux rames sur les quais, on se refile des renseignements, on éprouve de la sympathie pour quelques uns, de l'estime et de l'admiration pour les numéros de certains, mais l'on se croise plus que l'on n'échange.

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    Cinq ans dans le métro, c'est beaucoup. Pour Fred cela ne saurait être une fin en soi. L'a d'autres faims. L'a beaucoup appris. Sait maintenant jouer de la guitare et placer sa voix. Commence à composer, pige qu'il lui faut passer à la vitesse supérieure. L'a fait ses classes et ses gammes. L'a été heureux dans le métro, s'est senti libre, a eu l'impression de décider de sa vie, n'est le maître que d'un modeste royaume mais il n'appartient qu'à lui. L'unique et sa propriété pour parler comme Stirner. L'a creusé sa singularité et l'a découvert sa solitude. Cette monade constitutive de la postulation humaine. Ne nous fait pas le coup du retour de manivelle du christianisme, ne manque pas d'amour, mais de proximités, sait qu'il y a beaucoup à gagner à se frotter aux autres, au sexe des femmes et à l'entraide de tous. L'a franchi une étape importante, celle de l'autonomie, celle de la non-dépendance, promet de nous raconter la suite de ces aventure dans un autre livre. On attend.

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    Musicalement pas ma tasse de thé, je préfère l'Alpi Fred des Chats Colériques, mais cette tranche de vie saignante à la sauce poivre mâtinée des mauvaises herbes de l'anarchie embaumera votre deux-pièces cuisine. A consommer sans modération.

    Damie Chad.

     

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    Ne me demandez pas comment je suis rentré en possession de ce document, je serais obligé de mentir. Sachez toutefois que chez Kr'tnt ! on est prêt à tout pour satisfaire les curiosités rock'n'rollesques de nos lecteurs. J'ai hypothéqué la moitié de la maison du voisin ( ne vous affolez pas, il ne le sait pas, du moins pas encore ), et cédé aux exigences charnelles d'une envoûtante et pulpeuse espionne russe. Bref le CD est là, anonyme, dépourvu de toute inscription nominative, prêt à être disséqué. Vous trouverez ci-dessous les résultats de nos premières analyses. Document strictement confidentiel. Inutile de le préciser. Nous comptons sur votre discrétion pour répandre la nouvelle.

     

    JUKE JOINTS BAND

    ( AVANT-PREMIERE )

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    Pour le moment ce n'est qu'un CD anonyme. L'a été enregistré en public à La Lune Rouge de Verfeil-sur-scène en juin 2017. Ne sont que Ben et Chris sur les deux premiers morceaux mais pour les suivants Damien est à la basse et je ne sais qui est le batteur. 1 / Arrondis de Ben à la guitare en introduction, et la voix de Chris comme des galops de rats dans les cordes vocales, évitez les morsures, vous transmettrons la peste et le typhus. Trop tard vous êtes perdu. Le Ben fait de la voltige sur les parallèles de ses cordes. 2 / On a cru que l'on rentrait à la maison mais non l'on est parti pour un méchant voyage dans le blues, Chris roll et tumble dans le micro la voix en force alors Ben se déchaîne dans le solo, on ne le savait pas si méchant, z'ont décidé de croquer la lune ce soir, et accessoirement d'épuiser la cave à whisky de Muddy Waters et de tous les bluesmen de la terre. 3 / Les voici qui déboulent sur le It' All Over Now de Bobby Womack, ne respectent nullement les limitations de vitesse, le Ben vous atchoule une marmelade en état d'ébriété avancée, et Chris vous réalise une de ces embardées sauvages dont il a le secret pour vous arrêter la voiture au bord de la mangrove, la roue droite dans dans la gueule d'un alligator. 4 / Ils ont réduit l'allure, le fond de l'air est poisseux et pesant, sont en train de remonter la Lonely Avenue de Ray Charles et Ben vous extrémitise un solo long comme un jour sans sexe. 5 / Pas de mystère pour le train qui arrive, à part que Ben vous arrache le solo hors des rails, à la basse et la batterie ça shuffle comme des diables et Chris vous rugit son incantation ferroviaire à croire que tous les démons du voodoo sont à ses trousses. Arrivent à stopper à la station du désastre l'on ne sait comment, mais la batterie vous fauche la guérite sur le bord de la voie.

    6 / Ben chicote et chicore les chicanes à la guitare, que voulez-vous que fasse de plus Chris si ce n'est crier son désir fou comme l'on fait une déclaration de guerre, électrique en diable, la voix qui s'accroche comme une tique à un chien, la batterie à coups de trique, et tout s'imbrique car la dialectique du blues peut casser les briques. 7 / Ploum, l'on repart dans un générique de film ( une vineuse production de Tom Waits ), avant la scène d'action, les gars patibulaires dans la voiture qui caressent leur revolver, le Chris vous raconte, vocal et  musique ralentissent et suintent pour que que vous compreniez  que dans les minutes qui suivent, ça va camphrer, et le Ben à l'électrique qui n'en finit pas d'égrener les coups de la cloche lente du destin, le temps en suspension, vous étire les accords à l'infini et Chris reprend la contine du marasme annoncé, une de ces longues jouissances qui précèdent les apocalypses finales. 8 / Un petit fricotis pour se réchauffer les doigts déjà brûlants, un peu de relaxation, chacun se fait plaisir dans son coin pour finir par une espèce d'orgie sonore collective. Stand it up qu'il hurle le Chris, invocation fortement décommandé dans les bréviaires des premières communions. 9 / Vous connaissez le chat qui niaque la chair au plus près de l'os, l'est ainsi le Chris, vous glapit le vocal et les autres lui taillent des morceaux de tigre dans le blanc du coq qui vient d'être égorgé, et le Chris vous bouffe la bestiole à lui tout seul car l'on n'est jamais mieux servi que par soi-même.

    Ce n'était qu'un petit avant-goût avant la sortie du disque. Pour les alléchés, vous allez sur le FB de Juke Joints Blues et vous aurez non seulement le son mais aussi l'image. Certes ce n'est que du blues. Mais une injection de ce venin de crotale est fortement recommandé à tous les rockers qui ont le sang bleu. Magnifique.

    Damie Chad.