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  • CHRONIQUES DE POURPRE 387 : KR'TNT ! 407 : MUDDY GURDY / JETHRO TULL / BRITCHES / AMAIN ARMé / THETRUEFAITH / LESTER YOUNG

     

    KR'TNT

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 407

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    21 / 02 / 2019

     

    MUDDY GURDY / JETHRO TULL

    BRITCHES / AMAIN ARME

    THETRUEFAITH / LESTER YOUNG

     

    Muddy Gurdy manne

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    Quand on entre dans la salle, on ne se méfie pas. Une brune en robe longue coiffée d’un chapeau chante le hoodoo blues avec une gravité de ton qui ne court pas les rues. Aussi douée et aussi belle, elle ne peut être qu’Américaine. Elle pue la véracité du hoodoo blues à dix kilomètres à la ronde. On n’avait pas vu une blanche chanter le blues aussi bien depuis une éternité. En plus, elle bouge juste ce qu’il faut pour compléter le sortilège. C’est tout simplement une révélation. Le cut dure une éternité, mais tant mieux, car ça groove jusqu’à l’os. Raw to the bone. Elle a autant de classe que Chrissie Hynde, c’est le même genre de brune fatale, celle qu’on ne croise qu’une fois dans sa vie et qui nous fait préférer les brunes aux blondes. Définitivement. Elle détient le power. Étonnant de voir jouer une femme aussi brillante dans une première partie.

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    Alors quand le batteur prend la parole et qu’il s’exprime en français, le charme retombe, mais pas trop, en fin de compte. On surmonte vite la micro-déception car elle se met à jouer un riff de blues en picking sur sa Gibson grise. Elle utilise une technique assez rare, conjuguant le jeu du pouce à l’onglet et les quatre doigts dessous en support de contrefort de gling-gling, ça fait des tas de notes et un blues qui rocke la panse du beat. Elle s’appelle Tia Gouttebel et elle sonne tout simplement comme une star du blues. Elle a tout : la silhouette, la technique de picking et la voix. Le groupe s’appelait à l’origine Hypnotics Wheels, mais il s’annonce en tant que Muddy Gurdy, qui est aussi le titre de leur album tout frais sorti des presses. L’autre grande particularité du trio est le joueur de vielle, cet instrument ancien qu’on appelle Hurdy Gurdy en anglais, oui le fameux Hurdy Gurdy man de Donovan, c’est le joueur de vielle, un instrument moyenageux qu’on joue en tournant une manivelle et qui couine. Quand le batteur présente le groupe au public, il explique qu’ils sont tous les trois auvergnats et qu’ils sont allés faire un tour dans le nord du Mississippi pour enregistrer avec la crème de la crème du gratin dauphinois local, les héritiers du North Mississippi Hill Country Blues, c’est-à-dire Cedric Burnside, le petit-fils de RL, Shardé Thomas, la petite fille d’Otha Turner et Cameron Kimbrough, le petit-fils de Junior Kimbrough. On retrouve d’ailleurs tous ces gens sur l’extraordinaire Muddy Gurdy. Autant parler d’un monde de rêve. La renaissance d’un art vivant qui ne voulait pas disparaître.

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    Alors évidemment, pour Tia c’est du gâteau : elle tape dans R.L. Burnside, dans J.B. Lenoir, dans Fred McDowell, oui elle ose aller sur l’intouchable «Shake Em On Down», elle tape bien sûr dans Jessie Mae Hemphill, elle tape dans toute cette magie qui jadis fascina tant Jim Dickinson et Tav Falco. Par chance, le batteur est bon, d’une régularité infaillible. On les sent tous les trois passionnés par ce son terriblement primitif. Quoi de plus africain que le blues de Junior Kimbrough ? Ils se situent très exactement au cœur de la véracité du son et l’Auvergnat qui bat le beurre pousse le bouchon encore plus loin en expliquant qu’il existe un lien entre la bourrée auvergnate et le blues, entre le Hurdy Gurdy et le North Mississippi Hill Country Blues. Bon, ça n’engage que lui. On peut s’amuser à trouver des liens partout, ce qui compte, c’est le son, et Tia peut le sortir. Sur scène, elle rayonne de classe et de talent, cette classe du blues si particulière qui fascina tant les guitaristes anglais des sixties, cette lancinance du son qui s’adresse plus à l’épiderme qu’à l’intellect. Il y a un peu de Mr Airplane Man en elle, Tia et Margaret Garrett cultivent forcément les mêmes passions, même si Tia va plus sur Como où sont installés tous les descendants alors que Margaret va plus sur Wolf.

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    Tia sait recréer l’ambiance de «Goin’ Down South» sur scène, avec une aisance qui effare, et la vielle apporte un étrange contrepoint, on croit même à un moment entendre un autre instrument, mais non, c’est la combinaison des deux instruments qui génère cette incroyable musicalité. Il faut la voir multiplier les riffs incendiaires dans «Rollin’ And Trumblin’», elle sort toute la collection et s’amuse à cumuler les fonctions, elle solote dans sa rythmique comme peu de gens savent le faire. Quand on la voit jouer en picking, on songe évidemment à John Cipollina, à James Gurley et à Roger McGuinn qu’on voit jouer tour à tour en picking dans le film de Pennebacker sur Monterey, ce qui à l’époque fut pour la plupart des guitaristes une révélation. On comprenait enfin d’où provenait cette richesse du son. Tia a bien compris ça et elle se balade dans le son.

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    Pour les fans de North Mississippi Hill Country Blues, l’album Muddy Gurdy est une aubaine et même une considérable aubaine. Il n’y manque que les fils Dickinson. Cedric Burnside ouvre le bal avec quatre classiques, à commencer par le «Goin’ Down South» de son grand-père. C’mon ! Tia intervient sur le tard du cut et ramène sa sourde sensualité. On entend le Hurdy Gurdy de Gilles Chabenat. Quel fantastique shoot de musicalité ! C’est enregistré à Como, man ! Ils tape ensuite un «That Girl Is Bad» à la transe de vielle et enchaîne avec l’effarant «See My Jumper Hanging On The Line». Cedric se paye une belle élancée, il joue au têtu de note, il va chercher la note bourrique et c’est battu si sec, oh boy ! La vielle vient lécher le beat turgescent, Cedric relance son see my jumper, Lawd, hanging on the line. Sur scène, Tia expliquait aux gens que lorsqu’une femme mettait son jumper à sécher sur la corde à linge, c’était pour indiquer à son amant qu’il pouvait venir la sauter car le mari était sorti. Cette version est encore plus hypno que celle des vieux blackos à cause de la vielle. Tia envoie ses fantastiques shoots de gimmicks along the way. Cedric rend ensuite hommage à Muddy Waters avec une version bringuebalante de «Rollin’ And Tumblin’» jouée à la pointe du meilleur picking down here in the South. C’est joué à la transe manifeste, avec une énergie considérable. L’art de Muddy n’a aucun secret pour Cedric. S’ensuivent trois cuts chantés par Shardé Thomas, la petite fille d’Otha le Grand, personnage dionysiaque jadis louangé par Dickinson. Elle attaque avec le «Station Blues» d’Otha, monté sur le beat du fife and drums, ce beat syncopé et si africain qu’on retrouve dans le «Fast Line Rider» de Johnny Winter. Cette fabuleuse poulette rallume les vieux brasiers et passe un solo de fifre. Elle souffle encore dedans pour un coup de «Glory Glory Hallelujah» et ça se met rudement en route, comme au temps d’Otha, sur fond de bass drum tribal, auquel vient se mêler la transe moyenâgeuse de la vielle. Cameron Kimbrough prend ensuite deux cuts à l’uppercut, «Leave Her Alone» et «Gonna Love You». Il ressort le son de Junior, à la Moon Hollow farm de Como. Absolument superbe, ils sont dans le pur jus de racine de blues. C’est même convaincu d’avance, car monté sur le plus hypno des beats. La surprise vient de Pat Thomas et de son «Dream». La vielle se marie à l’édentée du vieux Pat. On note l’extraordinaire qualité de la mélancolie. Le vieux Pat chante avec une infinie tristesse. Il faut attendre la fin de l’album pour retrouver Tia Gouttebel au chant, accompagnée par ses deux Auvergnats. Le «She Wolf» de Jessie Mae Hemphill qu’on entend là est aussi beau que celui qu’elle chante sur scène. Elle développe une sorte de génie interprétatif, elle chante à l’accent ferme et chaloupe si doucement, ooooh-oooh, qu’elle frise le Wolf. Elle parvient même à le transcender et chante au plus bas de l’instinct du blues. Puis elle tape dans «Shake ‘Em On Down» du grand Mississippi Fred McDowell, elle joue les riffs comme une vétérante de toutes les guerres, elle chante à la vieille malveillance de juke-joint, elle claque ses clics à la volée, et shake les ‘Em on down comme une reine. Elle aime ça, on le voit bien, elle envoie ses coups de bottleneck comme si elle avait fait ça toute sa vie. Quelle chance elle a d’avoir le vieil Auvergnat qui tape sec et net derrière. Il s’appelle Marco Glomeau. Elle termine avec un «Help The Poor» qu’elle prend du bas du menton, c’est une meneuse d’hommes, on sent chez elle de sacrées dispositions à lancer des assauts.

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    Tia n’en est pas à son coup d’essai. Avec un peu de chance, on trouvera dans le commerce un bel album de Tia and the Patient Wolves intitulé Travellin’ With My Guitar. La pochette est un beau clin d’œil à Bo Diddley et à cette pochette où on le voit chevaucher son scooter rouge rectangulaire. Tia pose dans la rue, appuyé contre un mur de briques, elle tient sa Gibson ES-335 dans les mains et devant elle se trouve garé un scooter rouge, mais pas rectangulaire. L’hommage à Bo ne s’arrête pas là car elle tape une version spectaculaire de ce «Pretty Thing» écrit par Big Dix pour Bo. Tia nous ramène au cœur de la mythologie Chess et dans l’écho du temps. Elle est dessus elle ressuscite tout le trémolo de Bo et même tout l’harmo. Elle revient aux couplets avec une ferveur qui en dit long sur ses dispositions. Sans doute est-ce là la meilleure version qu’on ait entendue depuis celle des Pretties. Phil May en tomberait de sa chaise. Autre coup de génie avec «I Came On The Moon» lancé à l’Africaine. Elle a tout compris. Le son est là, elle shake son blues comme une reine du delta. Tout est là, dans cette façon de lancer le beat du blues, à la Junior Kimbrough, avec ce sentiment de retard imperceptible dans le tempo. Elle passe au heavy blues avec «It’s Your Own Fault» ultra saturé de trémolo. Elle fait son numéro de blues girl, elle sait gueuler son blues, elle le vit bien et peut le surjouer à gogo. Elle tape ensuite dans Otis Rush avec «Keep On Loving Me Baby», en mode vieille attaque. Elle se jette à corps perdu dans le boogie d’Otis - I need you to kiss me - Elle veut qu’il lui roule une pelle, elle sait s’y prendre. Elle reste dans le boogie endiablé pour «Livin’ Together». Cette babe de blues est dessus, une fois encore, elle joue au pur jus de véracité, on sent qu’elle ne vit que pour ça, you should understand, c’est à la fois enfariné par l’harmo et visité par l’esprit. On la voit faire des siennes dans «Eight Men Four Women». Elle chante son ass off, dirait un cocher anglais. Elle tape aussi dans la Soul de blues avec une aisance déconcertante, comme on le voit avec «Volcano Girl», l’une de ses compos. On se croirait à Muscle Shoals ! Il faut attendre ses départs en solo, et là on est bien servi. Elle funke son blues comme Eddie Hinton. Elle se fond aussi dans le groove de Soul de «Something You Got» avec une classe impressionnante. Peu de blanches savent swinguer comme ça et elle termine avec une cover courageuse du «I’ll Go Crazy» de James Brown. Eh oui, elle ose ! S’il la quitte, elle va devenir crazy, mais elle n’atteint pas la fournaise de James Brown ni même celle des early Moody Blues. Cependant elle s’accroche et finit par imposer sa féminité de petite reine du blues auvergnat. Elle passe un solo plutôt acerbe et bienvenu.

    Quelques jours plus tard, les Rival Sons montaient sur scène au même endroit, mais dans la grande salle. Une grande salle tellement pleine qu’il était difficile d’y entrer. Bon, les Rival Sons sont maintenant bien rodés, ils dépotent du Led Zep Sound et font le show, pas de problème, mais c’est beaucoup trop parfait et d’une pénible prévisibilité. On décroche assez rapidement, car ils font un rock qu’on qualifie aujourd’hui d’arena-rock, du rock de masse fait pour conquérir le monde. Du radio-friendly, comme les Living End ou encore les Struts dont la cote grimpe rapidement en Angleterre. Alors c’est autre chose. Pas de place dans ce rock pourtant bien foutu pour l’émotion et encore moins la fantaisie. C’est là où des artistes comme Tia Gouttebel et le Reverend Beat-Man jouent un rôle essentiel.

    Signé : Cazengler, maudit gourbi

    Muddy Gurdy. Nuits de l’Alligator. Le 106. Rouen (76). 2 février 2019

    Muddy Gurdy. Vizztone Label Group 2018

    Tia And The Patient Wolves. Travellin’ With My Guitar. Tiablues 2011

     

    Never a Tull moment

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    Alors qu’en 1968 tous les rockers britanniques rivalisaient de jeunisme et affichaient des looks qui faisaient baver d’envie les ados français, Jethro Tull fit sensation en prenant le parti inverse : avec leurs allures de centenaires irascibles, ils semblaient sortir d’un conte macabre de Petrus Borel. Mais attention, leur entrée en lice ne se limitait pas au choix d’un look pour le moins incongru. Ils s’accordaient en plus le privilège de sonner comme un Magic Band magique. En tous les cas, leur première apparition dans une émission de télé en noir et blanc provoqua un choc réel, d’autant plus réel que les chocs n’en finissaient plus de se succéder cette année-là : on passait du White Album à Electric Ladyland, en passant par The Village Green Preservation Society et Ogden’s Nut Gone Flake, il en pleuvait de partout, mais «A Song For Jeffrey» suscita au moins autant d’excitation vénéneuse que le Safe As Milk de Captain Beefheart paru l’année précédente : on avait dans «A Song For Jeffrey» le même shuffle d’explosivité carabinée que dans l’infernal «Sure ‘Nuff ‘N Yes I Do». Tull et Beefheart même combat ! Eh oui, même singularité de son, et puis il y a cette belle intro de flûte cacochyme, et soudain le beat faramineux du Magic Band magique d’Angleterre déchire le voile de mystère : Clive Bunker et Glenn Cornick s’agitent aux cuisines, fantastique section rythmique et l’Anderson d’Aqualung envoie son chant perçant percer les limbes - Oh see see see where I’m going to/ I don’t want tooo - Même sens du puissant dépenaillement. Si on voit à l’intérieur du gatefold l’Anderson porter une redingote verte, ce n’est pas un hasard, Balthazard.

    Dans un article assez rigolo de Shindig, Ian Anderson raconte dans quelles conditions ses amis et lui enregistrèrent leur premier album, the mighty This Was.

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    En 1967, Ian Anderson et ses copains de Manchester s’appellent the John Evans Band et Derek Lawrence qui enregistre leur album à Londres trouve leur son tellement arty-farty qu’il les rebaptise Candy Coloured Rain. En 1967, le tandem Chris Wright/Terry Ellis cherche à monter une écurie de blues bands en Angleterre et ils proposent un rendez-vous à Ian Anderson. Celui-ci arrive au rendez-vous dans la tenue qui va le rendre célèbre : celle d’un SDF. Dans un sac de super-marché, il trimballe tout ce qu’il possède. Wright lui explique que pour percer, le groupe doit s’installer à Londres et jouer du blues. Oh, et puis encore une chose : trouver un guitariste qui va créer la sensation. Wright : «Voulez-vous rencontrer un fellow nommé Mick Abrahams ?»

    Le groupe se réinstalle donc à Luton, près de Londres, où vit Mick Abrahams. Ils n’ont pas un rond, car bien sûr l’ancien manager du John Evans Group a gardé tout le blé. Ian et ses amis crèvent la dalle. Ils piquent des boîtes de haricots blancs pour survivre. Ce mode de vie ne plaît pas à l’organiste John Evans. Il quitte le groupe qui doit alors trouver un autre nom. Ils hésitent entre Bag O’ Blues et revenir à Candy Coloured Rain. Comme ils jouent du blues, Mick Abrahams devient la vedette du groupe. Bag O’ Blues décroche une residency au Marquee qui est à l’époque l’endroit où tous les groupes débutants viennent tenter leur chance. Le groupe devient Jethro Tull et Ian Anderson joue de la flûte, ce qui lui attire pas mal d’ennuis : un mec du management veut le virer, car la flûte na plait pas. L’un des Ten Years After rajoute même son grain de sel : «The flute is no part of the blues scene !» On suggère à Ian de passer au piano, de jouer au fond de la scène et de laisser Mick Abrahams chanter et jouer devant. Quoi ? Pas question ! Ian se dépêche de composer des chansons pour garder le lead.

    Mais au fait qui est Jethro Tull ? C’est l’inventeur du semoir. Plus drôle encore : sur la rondelle du premier single «Sunshine Day», le groupe est orthographié Jethro Toe, car la transmission d’info s’est faite par téléphone et comme Derek Lawrence ne savait pas ce qu’était un semoir et encore moins le nom de son inventeur, Jethro Tull s’est transformé en Jethro Toe. Attention, ce genre de délire burlesque est très anglais.

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    Il faut vite passer à l’étape suivante, l’album. Chris Wright et Terry Ellis viennent de vivre un épisode compliqué avec le premier album de Ten Years After, qui malgré d’indéniables qualités, n’a pas marché : ils ont en effet découvert la dramatique incompétence de Decca, qui est pourtant le label de Rolling Stones. Mais, expliquent-ils, Decca a signé les Stones uniquement parce qu’ils ont raté les Beatles que leur proposait Brian Epstein ! Et si les Stones marchent bien commercialement, ce n’est pas grâce à Decca, mais grâce à Andrew Loog Oldham qui leur mâche tout le boulot. Alors Wright et Ellis ne veulent pas reprendre le risque de planter le groupe, aussi décident-ils de financer eux-mêmes l’enregistrement du premier album de l’inventeur du semoir. Ils commencent par louer quatre heures de studio et parviennent à mettre en boîte quatre cuts. Ils sont ravis du résultat et décident de continuer. Mais the Ellis-Wright Agency n’a plus un rond. Alors Terry Ellis fait comme Damie et prend sa petite teuf-teuf pour aller trouver son banquier chez lui, un soir, avec une bouteille de son scotch favori. Après avoir éclusé quelques verres, le banquier accepte de prêter l’argent. Avec 1 000 livres, l’inventeur du semoir enregistre son premier album au Sound Technique Studio à Chelsea. Sans producteur. Ian Anderson et Terry Ellis se débrouillent avec les moyens du bord. Le process est très primitif. Ils enregistrent sur un quatre pistes et c’est mixé en mono. Chris Wright et Terry Ellis n’ont plus qu’à proposer l’album à un label. Ce sera Island Records.

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    On en finirait plus de chanter les louages de cet album grouillant de merveilles, à commencer par «My Sunday Feeling» qui dégage un fort parfum de British Blues, mais avec deux particularité présentielles : la voix perçante de Ian Anderson et les rumeurs de flûte au coin du bois. On voit tout de suite que ces mecs savent swinguer la paillasse d’un cut, comme savaient aussi le faire Ten Years After, Savoy Brown et beaucoup d’autres prétendants au trône. Le Tull dégageait un son magnifique et Mick Abrahams ramenait sa fraise avec un solo d’une décontraction magistrale. Ces mecs jouaient joliment leur va-tout et les deux particularités présentielles faisaient vraiment la différence. L’autre point fort de l’album est l’instro de fin d’A: «Serenade To A Cuckoo». Ils nous le jazzent sur un air de flûte. On sent l’aisance du quartette, ils développent de superbes compétences internes et initient des interférences modernistes d’avant-rock londonien. C’est là que Mick Abrahams s’en vient jazzer brillamment le groove du team Clive Bunker/Glenn Cornick. Pour «Some Day This Sun Won’t Shine For You», ils tapent dans le Delta de la Tamise. Ils pompent goulûment le blues des vieux pépères de l’autre Delta, celui du Mississippi. Ian Anderson troque sa flûte pour l’harp qui va si bien avec ses hardes. Il chante «Move On Alone» à l’américaine. Quelle présence ! Et derrière lui, ça swingue férocement. Le festin de son se poursuit en B avec l’étrange «Dharma For One», un nouveau coup de shuffle. Ces mecs sonnent comme les quatre doigts d’une même main, la cohésion du son est spectaculaire. La flûte amène un bel aspect tribal, quelque chose qui relève à la fois des mystères de l’antiquité et de la genèse du potlatch. Mais un gros solo de batterie l’abîme. Ils passent au heavy blues d’époque avec «It’s Breaking Me Up». Ils sonnent divinement bien et se prêtent voluptueusement à l’orthodoxie. Ils font aussi une version de «Cat’s Squirrel» un peu plus riche que celle de Cream. L’énergie du Tull dévore l’écran tout cru. Mais Mick Abrahams passe un solo à rallonges qui détruit un peu la céramique de la dynamique. Et puis on retrouve évidemment «A Song For Jeffrey», l’une des perles noires de la couronne d’Angleterre.

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    Signé : Cazengler, Jethrou de balle

    Jethro Tull. This Was. Island Records 1968

    Gary Parker. Bring Back My Sunshine Day. Shindig #85 - November 2018

     

    15 / 02 / 2019 – MONTREUIL

    LA COMEDIA

    BRITCHES / AMAIN ARMé

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    • Tu as vu, Damie, la semaine dernière, Whisky, eh bien maintenant il y en a deux !

      • Tu as encore trop bu, tu vois double, je te jure jeune Jacquou le Croquant, qu'il n'y a en qu'un !

      • Damie, pas d'embrouille, on vient juste de s'accouder au bar et l'on n'a même pas commandé. J'ai vu deux Whisky, je n'ai pas bu deux Whisky, même pas un !

      • Alors mon Jacquou c'est que ton cas est grave, tu es atteint par le fameux syndrome artémisien, tu devrais consulter dès demain matin et peut-être même laisser le concert et filer aux urgences, il faut te soigner au plus vite, my guy !

      • C'est quoi ton truc, tu insinues que je suis tombé dans un puits artésien !

      • Artémisien, pas artésien, c'est expliqué dans tous les dictionnaires de médecine et psychiatrique. Me voici obligé de parfaire ton éducation médicale ! La semaine dernière tu as vu Whisky, ce vendredi deux, prochain concert quatre, la fois suivante seize, jusque-là tu arriveras à donner le change, mais c'est mathématiquement exponentiel, après ça passe à deux-cinquante-six Whisky et...

      • Arrête de délirer Damie, tu imagines deux cent cinquante-six clébards dans le local de la Comedia, on ne pourrait même plus entrer !

      • C'est pour cela qu'ils te chasseront et te poursuivront dans toute la ville ! Une fois que que tu nous auras quitté, tranquillous comme Baptistou, on regardera les groupes, mais toi tu cavaleras au travers du bas et du haut Montreuil, en pure perte, car ils finiront par te rattraper et te dévorer ! En fait des passants stupéfaits te retrouveront nu et tout tremblant, souvent en proie à une crise d'épilepsie ( 72, 4 % des cas ), le corps couvert d'innombrables morsures, auréolé de bave de canidés, avec profondes marques de crocs évidentes, par contre les chiens, disparus, personne ne les auras vus passer, même pas une marque de pipi sur un lampadaire. Généralement, les victimes finissent par mourir en deux jours, maximum...

      • Damie, espèce de fou, tu as lu ces billevesées dans la Psychanalyse pour les Nuls !

      • Pas du tout, c'est expliqué aux pages 335-443 de La Psychologie de l'Inconscient de Carl Jung ! Je résume puisque tu ne sais rien. Le symptôme Artemisien, remonte à plus haute antiquité, c'est Actéon qui avait voulu voir Diane, Artémis en grec, en train de prendre son bain, la déesse n'a pas été contente de cet attentat à la pudeur, devait être un peu féministe sur les bords, de colère elle a lancé la meute des ses hound dogs sur le pauvre Actéon, l'ont bouffé tout cru, n'ont même pas laissé un os !

      • Franchement Damie, je ne vois pas le rapport, je n'ai jamais rencontré Artémis !

      • Bien sûr, triple buse, mais hier soir dans tes draps moites tu as dû rêver de la nudité d'une jeune fille de ton entourage, au réveil ton désir s'est métamorphosé en sentiment de culpabilité, un coup de l'inconscient collectif de l'arrière-fond christologique de la société européenne, et maintenant tu aperçois un chien qui n'existe pas, ce n'est que le début du processus, dans un mois et demi tu ne seras plus de ce monde, la déesse est sans pitié !

      • Oh Damie retourne-toi, ce soir ce sont les filles qui se sont multipliées, pas les chiens, regarde un peu ! Tu vois Artémis n'est pas si cruelle que tu le prétends !

    BRITCHES

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    Ce n'est pas une invasion, une véritable colonie en villégiature qui squatte sur plusieurs rangs le pourtour de la scène, quelques garçons, beaucoup de filles, un ensemble bariolé et hétéroclite, au moins trois continents de la planète représenté – comme quoi le monde sait aussi être beau – cela ressemble à une cohorte d'étudiants Erasmus en goguette, pas besoin de chercher les coupables à l'exercice de cette implantation étrangère en terre comediane : les quatre membres de Britches, groupe sans frontière qui regroupe un guitariste irlandais, un bassiste russe, un chanteur canadien. Certes le batteur vient de Normandie, mais c'est son dernier concert. Est-ce pour cela qu'il reste les bras croisés, les baguettes sur sa poitrine pendant le début du premier morceau ?

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    C'est notre trappeur venu du pays des Hurons qui se colle au turbin, gratte un peu sa guitare, se penche sur le micro et vous sort une étrange mélopée du dix-neuvième sous-sol, un truc bizarre difficilement identifiable entre requiem de messe pour les morts et chant bruitiste, qui vous capte l'attention comme la flamme de la bougie attire le moustique pour le brûler, c'est lorsqu'il a fini que derrière Lucas, l'a un sacré abattis sur ses fûts, vous impulse la capsule auditive fortement, l'est tout de suite rejoint dans sa mauvaise action par la guitare de l'Irlandais – vous êtes sûrs qu'avec les habitants de l'île verte ça ira toujours – et la basse russe se fait brutalement goudouvienne et vous engloutit illico. Ils assurent, mais de tout le set, ils n'ouvriront pas la bouche, à peine un sourire, le second laisse agir le charme slave et le premier se fie au halo impénétrable de la poésie hermétique de Yeats. Rien n'est plus excitant que le mystère. De jeunes demoiselles crient leurs prénoms.

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    Par contre le natif d'outre-atlantique, il ne tient pas en place, toutes les trois secondes il descend de scène pour visiter les fans comblés, heureusement qu'il est retenu par le cordon de sa guitare sans quoi on ne le reverrait plus, et qu'en plus il doit assurer au micro, alors il revient en courant, l'est beau gosse, doué d'un entrain survolté, et d'un organe à damner les sirènes. C'est un grand communiquant. Mais oui, nous sommes tous contents de notre sort et d'être là ce soir, et puis tous ces gens remerciés, c'est un peu long, pas la peine de réécrire les douze chants de l'Enéide à chaque fois, surtout que nous ce qui nous intéresse c'est l'envol des oies cendrées. Les morceaux possèdent tous leurs moments de calme, le lac miroitant et immobile dans la pénombre, alors on guette et on attend le cœur palpitant plein d'angoisse, le premier coup de cymbale du soleil de l'aube, l'épanouissement du sol invictus sur les eaux glacées, l'on ne tarde pas à être solidement récompensés, c'est le sang viking de Lucas qui ressort, du temps où ses ancêtres naviguaient sur la mer sauvage et ne s'arrêtaient que pour détruire et mettre le feu à un paisible village qui ne demandait pas tant d'honneur, pas tant d'horreur. Ce n'est pas une surprise mais quand il cogne, vous ressentez une grande commotion, vous avez l'impression que l'on vous ébranche la colonne vertébrale, avec les trois acolytes qui s'y connaissent aussi pour mettre le feu vous êtes servis. Les titres se suivent, Right Things Coming – à le déguster tel qu'il nous le fouette au visage pour un peu on y croirait à cette promesse des jours heureux et futurs – une poudrière qui répond au nom explosif de Belfast ( beau et rapide ), Friday Nights, Supergirls – non on a rien contre les jolies filles, mais nous le répétons, dans un western ce l'on aime ce sont les coups de feu, les hold up, les meurtres, les attaques de diligence, les massacres, alors par pitié ne pas les interrompre par trop de discours.

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    Un set agréable, dynamique, le public bruit d'émotion, The Britches nous ont servi un plateau petit déjeuner de qualité. Quoique seulement de huit morceaux. Z'auraient dû en rajouter, les morphalous comme nous ne sont jamais rassasiés. Même s'il n'est jamais aussi beau que quand il dresse des barricades, Marie-Antoinette avait raison, le peuple doit avoir aussi le droit de temps en temps de se goinfrer de brioches. Les rockers aussi.

    AMAIN ARMé

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    Avant qu'ils ne commencent des murmures flatteurs s'élèvent quant à leur T-shirt, un double A anarchiste mis en perspective pointue sur un cercle en viseur de cible, l'impression d'une flèche qui file dans le lointain. Ce n'est pas à main armée mais ce n'est pas amen armé non plus. L'art d'en dire plus en brouillant les pistes ? Quoi qu'il en soit, nos malfrats ne sont que deux. Vaut mieux savoir compter sur son complice que sur une armée de ventres mous. Se sont faits la belle de Moslyve, un groupe pop rock à double voix féminine, c'est bien sympa, mais pour les mauvais coups en douce, les deux mecs se sont échappés pour jouer du rock dur. Hercule au rouet d'Omphale, c'est mignon tout plein, mais parfois les plaies d'Egypte et les bosses des méharis de combat de Lawrence d'Arabie, c'est plus romantique.

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    Bref ils sont deux, guitares et batterie. Sans concession. Ne sont pas là pour sourire au public. Sylvain est à la guitare. Reliée à une impressionnante collection de boîtes soniques. Le son n'a qu'à bien se tenir. N'est pas là pour se la couler douce, l'est salement trituré et torturé, l'important c'est qu'il arrive sous forme de gros paquets d'influx nerveux, un peu comme ces jets de sang qui jaillissent des cous guillotinés. Sylvain vous arrose de riffs qui ressemblent à des rafales de lames du bon vieil engin du docteur Guillotin. Inutile de reculer, ce n'est pas vous qu'il vise, l'a juste un compte à régler avec Amaury, lui assène ses riffs dans le style, écrase-toi moucheron ou essaie de faire mieux, plus fort et plus méchant. Et l'Amaury il vous relève le défi de deux manières. Celle de monsieur-tout-le-monde, je frappe comme une brute et je t'enfouis sous les décombres. Un peu facile. Suffit d'appuyer sur le champignon de la grosse caisse. Ne s'en prive guère, parce qu'à la guerre comme à la guerre. Vous dites, à sa place j'en ferais autant. Oui mais il n'est pas à votre place. L'a aussi une deuxième manière. Attention, là il faut tendre l'oreille. Ce n'est pas qu'il vous fait ses coups en douce, non c'est qu'il faut suivre. C'est un peu plus vicieux, le riff qui cingle il s'y assoit dessus, et une fois qu'il l'a abasourdi, il vous le découpe en tranches. Pas comme le rôti méthodique des ennuyeux dimanches de tante Adèle, vous pond des découpes artistiques, des friselis, des arabesques, vous perd, vous retrouve, vous sème des gros cailloux et puis s'enfuit dans des ribambelles de croisements labyrinthiques à vous priver de vos perspectives auditives, vous dérègle l'oreille interne, vous ne savez plus où vous êtes, alors bon prince Sylvain vous salve une nouvelle pluie diluvienne des plus crissantes, un hachis performatif qui réveille les serpents endormis sur la terre chaude qui de colère se mettent à siffler et à gicler leur venin. Et l'Amaury, maintenant en sous-main il tisse de la dentelle, il vous écrase les gouttes d'eau, une par une, s'amuse à tracer des figures géométriques bizarroïdes, cherche la petite bête, ferme la porte des cloportes, tripote des rythmes de gavottes, puis badaboum-boum-poum, vous troue l'ouïe pour vous réjouir.

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    A tous deux, sont des adeptes du raffut intellectuel. Vous assomment pour mieux vous faire réfléchir, vous noient sous un imbroglio phonique pour mieux vous apprendre à nager. Vous trucident pour que vous preniez goût à la vie. Amain Armé n'est pas adepte des médecines douces. Soigne le mal par le mal. Vous cherchent le noise en grand jusqu'à Noisy-le-Grand, me faudra trois morceaux pour saisir que Sylvain chante en français, Crêpe Humaine, Liberté, Singularité, Etoile Noire, doit y avoir du sens dans ces textes, mais le langage est englobé dans la masse sonore et il est difficile de percevoir le message. Quand le patapouf s'arrête on pousse un ouf de soulagement, mais tout de suite après l'on se rend compte qu'il manque peu de chose, un soupçon de complicité envers l'assistance et une once d'auto-ironie envers la main qui tient l'arme, pour que l'on en soit totalement ouf.

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    Damie Chad.

     ( Photos : FB : Melisa / Shoots and Drafts )

    THETRUEFAITH

    CHRIST WAS HERE

     

    Sergio Trooff : guitars & back vocals / Arno Trooff : bass & back vocals/ Phil Trooff : lead vocals / Bernardo Trooff : guitars & back vocals / Jeff Trooff : drums / Yan Quellien : drums / Jérome Pons : keyboards / Iza Voice : backing vocals / C@t : backing vocals / Franck Adrian : harp.

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    Belle pochette qui n'est pas sans rappeler celle que les Stones avaient prévu pour The Beggars Banquet mais au genre crade TheTrueFaitf rajoute le blasphème sous-entendant que le Christ des pissotières est passé par là, encore pire que l'urinoir de Duchamp. A moins que le doux Jésus ne soit assimilé à une araignée qui tisse sa toile dans votre cerveau dont la cuvette de WC ne serait que le moule idéal...

    Et nous qui n'avions pas encore trouvé le temps de chroniquer ce CD acheté lors de leur concert au Supersonic ( voir KR'TNT 401 du 10 / 01 / 2019 ).

    Spider in the loo : trois coups d'acoustique pour chasser les moustiques et ensuite la famille Trooff au grand complet ( z'ont même rameuté quelques friends ) vous ramonent le râble sérieusement. Pas du genre à vous prendre la tête, vous branchent directement les doigts de pieds – ou autre chose si vous préférez - dans la prise, et vous n'avez plus qu'à suivre le mouvement, c'est parti pour une heure de bonheur. Burn out : z'avez intérêt à balancer du troufignon, car les rockers, c'est comme ça, vous leur filez deux amplis et ils vous les emplissent d'une marmelade délectable, z'ont construit le morceau comme vous empilez les couches de beurre sur la tartine, les riffs se superposent jusqu'à ce qu'ils s'y jettent tous dessus la bouche ouverte. Un régal ! Tout y passe, cela finit en bagarre générale avec les bols brisés sur les murs; Outta control : ça devait arriver lorsque les gosses commencent par déconner au petit déjeuner personne ne s'étonne qu'ils soient hors contrôle tout le reste de la journée. Les guitares grondent une ronde infernale, et Phil Trooth mène la guerre de son vocal de lion rugissant en même temps qu'il mord dans le corps pantelant du rock'n'roll. Petite remarque subsidiaire : TheTrueFaith ne mégotent pas sur la longueur des morceaux. Vous laissent le temps de tomber du cent dixième étage. Heanven 'n hell : sont comme cela, avec eux, c'est fromage et dessert, paradis et enfer. Sont pas le dieu jaloux qui vous impose un choix cornélien, eux ils distribuent tout et tout de suite. Pas des pingres, partagent, font une journée portes ouvertes, rien que pour vous, un conseil visez en premier l'amoncellement des chœurs d'anges déchus et en même temps ces poinçons de guitare qui ressemblent à un concert de pics à glace s'enfonçant dans le crâne de Léon Trotsky. Oui ça ne fait pas du bien, mais un peu de masochisme ça ne peut pas faire de mal. Cross the universe : carrément sur la voie lactée du désir, avec les TheTrueFaith, vous n'êtes jamais déçus, descente de guitares-canoë, miaulement insidieux d'harmonica grizzli sur les berges et batterie qui s'actionne comme une battée d'or aux mille pépites. Le genre de morceau dont vous ressortez plus riches que vous n'y êtes entrés. International business motherfuckers : attention les grandes orgues, l'on déroule la tapis rouge pour la grande parade des enculeurs de première. N'ayez crainte, ce déploiement d'honneur était un piège, maintenant qu'ils sont tous réunis sur la moquette sanglante le band leur tire dessus comme vous cassiez les pipes en terre à la fête foraine. Now it's time : le petit ball-trap précédent les a mis en forme, ce titre est encore plus rock'n'roll que les six pépites antérieures Pulse comme les Stones au temps de leurs meilleurs jours. Connaissent tous les plans, on est gentil, oui vous avez le droit de le remettre dix-sept fois de suite. C'est vrai que la fin est encore meilleure que le début. Krawill el Carmen : ne suis pas en mesure de ne vous donner une fiche d'identification de ce Krawill, mais quelle batterie, le gars doit avoir sniffé six kilos de cocaïne pour tenir la rythmique, et puis cette voix dans les reprises, c'est ainsi que Dieu a dû s'adresser à Abraham pour lui demander de sacrifier son fils, et cet imbécile n'a pas obéi ! Methadone : s'y mettent tous en chœur festif pour vanter les mérites du produit. A déconseiller fortement à notre saine jeunesse. Vaudrait mieux qu'ils lisent un livre qui mette en scène une belle héroïne. Mais une fois méthadoné c'est méthadonné et personne ne cherchera à se défiler. Enjoy it's coke : le monde n'est pas si méchant qu'on le pense, d'abord les TheTrueFaith vous offrent une binarité exemplaire et lancinante, un truc qui vous ébouriffe la bourriche en bourrique, et en plus notre société de surconsommation a toujours le produit miracle à vous vendre. Il suffit de ne pas se tromper. Norton commando : une randonnée sur le bitume d'une highway à la poursuite du loup des steppes. File méchamment vite, mais nos rockers cartonnent un max sur leur Norton, c'est ainsi que l'on apprend à naître pour devenir sauvage. Last chance goodbye : si vous aviez parié qu'ils allaient ralentir vous avez perdu. Z'ont les potentiomètres à treize, le chiffre qui porte malheur, normal c'est une chanson d'amour, cela ne peut que finir mal, et ces voyous qui ne respectent rien préfèrent en rire qu'en pleurer. Des chœurs dignes d'un site de rencontres frappé de folie sexuelle. You'll never die : faut toujours mettre les choses au point au moment de se séparer. Très simple, si vous écoutez les TheTrueFaith sans interruption, en boucle, en anneau de Möbius, une chose est sûre vous transfuseront tant d'énergie que la faux tranchante de la Grande Faucheuse glissera sur vous comme l'eau de pluie sur les plumes d'un canard. Ne criez pas au miracle, que vous venez de découvrir le remède universel, c'est tout simplement du rock'n'roll. Et les TheTrueFaith ils aiment ça.

    Damie Chad.

    LE PRESIDENT ETAIT-IL FOU ?

    ALAIN GERBER

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    Il y a déjà la moitié des kr'tntreaders qui a répondu '' Oui ! Bien sûr'' et les cinquante pour cent restants qui se rengorgent en s'exclamant '' Evidemment, je l'ai toujours dit''. Désolé, jeunes LGBT et autres turpitudeurs patentés, hélas, nous ne parlons pas du même président. Perso, pendant des années j'ai écouté Lester Young – oui c'est de lui dont il s'agit, le Prez comme le surnommait son entourage - sans me poser de questions. Son saxophone me suffisait. Une mélancolique douceur cuivrée qui vous retourne l'âme en deux notes. Mais voici qu'un jour lisant une biographie de Billie Holiday, qui fut son amie et qu'il accompagna souvent, je m'étonnais de la description du bizarre comportement du saxophoniste embourbé et figé en un étrange silence. De quoi s'agissait-il au juste ? De quoi souffrait cet homme ? Quelles étaient les causes de cet emmurement en lui-même ? La question me trotta dans la tête jusqu'à ce que je découvris cet étrange titre sur la couverture du numéro 15 de la revue Les Cahiers du Jazz paru au début de l'année 1967.

    Le lecteur curieux se rapportera à notre présentation du numéro 16-17 chroniqué dans notre livraison 400 du 03 / 01 / 2019. La revue fondée en 1959 mourut en cette années 1967. On retrouve dans son sommaire tous les grands noms de la critique jazz française. Elle permit à un public un peu déboussolé par la dernière grande métamorphose du jazz de comprendre l'évolution logique du passage du Be Bop à l'explosion Free. La revue réapparut en 1994 pour s'achever au bout de onze numéro en 1997. Dure à cuire, elle renaquit une nouvelle fois en 2004, il ne me semble pas qu'elle se continue encore aujourd'hui, je n'ai retrouvé que la trace d'un dixième numéro en 2012.

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    Quoi qu'il en soit la première série ne visait pas le grand public. Ecrite par des intellectuels pour des intellectuels. La preuve nous en est apportée par les vingt-trois pages pleines – sans aucun document iconographiques – sur la folie de Lester Young. Le titre est des plus aguicheurs, mais celui qui s'y précipitera pour y cueillir des informations croustillantes en ressortira effaré.

    Pour vous permettre de comprendre ce que j'insinue je n'hésite pas à recopier quelques lignes prises au hasard : '' Certes, les psychiatres savent qu'une hystérie peut déterminer une pseudo-cataconie ( dont l'hypotonie du saxophoniste serait un rejet ) et que maniérisme et absurdité peuvent en être symptomatiques mais la prolongation de ces troubles dénonce plus sûrement le syndrome de Ganser. Certes ils savent que la simulation peut déboucher sur l'hystérie mais le fait de l'auto-destruction fait obstacle au verdict de pithiatisme, le métasimulateur se nourrit et dort normalement de même que l'hystérique sort toujours indemne des crises comitiales... '' . Pas de conseil à vous donner mais si vous vous reconnaissez dans cette description, passez tout de même un coup de fil à votre médecin de famille. Si vous tenez à poursuivre la lecture munissez-vous d'un dictionnaire de psychiatrie et d'un second de psychanalyse, auquel vous ajouterez deux volumes sur l'histoire de ces deux disciplines. L'article est bourré de termes médicaux et renvoie sans arrêt à d'éminents professeurs dont nous nous garderons bien de mettre en doute la justesse de leurs analyses. Vous ne pourrez pas reprocher à Alain Gerber de ne pas avoir fait des recherches avant d'écrire son article. S'est documenté. J'ai même été vérifier sur wikipédia s'il n'aurait pas par hasard été poursuivi par ses études de médecine avant de gagner la course et de devenir, pour le bien du jazz et le plus grand plaisir de ses lecteurs, chroniqueur, essayiste, et romancier.

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    L'a bâti son article comme une enquête, remonte la piste, prend toutes les maladies mentales possibles et essaie de voir si elles cadrent avec le comportement du Prez. Etait-il névrosé, psychosé, autiste, psychotique, psychasthénique, hystérique, schizoïde ? L'embêtant avec le Prez c'est qu'il participe de toutes ces affections, souffre au minimum d'un, de deux, ou de trois des symptômes qui serviraient à le cataloguer dans une de ces catégories, mais il lui en manque toujours un ou deux indispensables. Une seule chose sûre, son mal ne semble pas héréditaire. Ouf nous sommes rassurés !

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    Lester Young avait une personnalité bivalente. Pour certain il était l'homme le plus gentil et ouvert qui existât sur cette planète. Le gars tout sourire qui vous pardonnait tous. Pour d'autres un jean-foutre agressif, à la convivialité difficilement supportable. Mais ces différentes manières de se donner aux autres, qu'elles soient débonnaires ou anguleuses n'étaient que des stratégies équivalentes d'évitement. L'avait même développé une langue personnelle, inventant des mots, ou donnant à un vocable le sens d'un autre, un langage de non-communication, de tour d'ivoire. L'était surtout un solitaire, un homme de l'intérieur, enfermé en lui-même, incapable de se plier à des injonctions qui ne soient pas venues de sa propre personne. Se suffisait à lui-même, l'était comme un ver dans son cocon de soie qui refuserait d'en sortir. Toute contrainte sociale lui pesait. N'avait envie de rien d'autre que de rester en lui-même. Préférence difficilement tenable pour un artiste qui doit sourire, se plier aux règles imparties par les patrons des clubs, honorer les contrats signés par son impresario... Et même donner des concerts, ce qui est un peu le comble quand on est musicien de jazz professionnel. C'est peut-être cet individualisme outrancier qui lui a permis de développer son style. Ses collègues installaient une atmosphère, marquaient un rythme, donnaient le tempo, et lui s'en foutait royalement, marchait à sa propre mesure, totalement indifférent à ce qui précédait, le gars qui arpente avec des pataugas boueux le plancher que sa femme vient de cirer avec soin et amour, mais les musicos ne disaient rien, ce n'était pas de la saleté puante qui giclait de son sax, mais de la poussière d'or pur et d'étoile lointaine... Le pire c'est qu'il était le seul à ne pas être content du son qu'il avait, le trouvait trop moelleux, trop ample, s'efforçait de l'affiner, de le rendre plus maigrelet, passait son temps à tailler et retailler ses hanches pour atteindre à la pâleur sonore dont il rêvait... L'en était profondément insatisfait. L'en avait honte. S'enfermait dans ses chambres d'hôtel, refusait d'en sortir, buvait comme un trou, l'alcool lui permettant d'oublier son incomplétude artistique. Tout cela ne valait pas la peine. Remettait toujours au lendemain ce qu'il devait faire le jour même que ce soit concert ou enregistrement... On le disait paresseux, l'était à sa manière, d'une paresse métaphysique, à quoi bon faire ce que l'on ne réalisera qu'à une hauteur bien moins moindre que celle rêvée... Tout le reste n'avait pas d'importance pour lui. Dans son autobiographie Billie Holiday essaiera de faire comprendre que le retranchement en lui-même de son ami, son grand ami, n'était que la fêlure intériorisée de l'âme noire irrémédiablement infériorisée par les blancs. Nul doute qu'elle savait de quoi elle parlait. Mais Gérard de Nerval aussi :

    '' Je suis le Ténébreux, le Veuf, l'Inconsolé, ''

    car la folie n'est-elle pas une porte de corne et d'ivoire qui donne accès à un rêve trop grand...

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 381 : KR'TNT ! 401 : MICK RONSON / HAPPY ACCIDENTS / THETRUEFAITH / KURT BAKER COMBO / FULL PATCH / ERIC CLAPTON / IGNEUS

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 401

    A ROCKLIT PRODUCTIOn

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    10 / 01 / 2019

     

    MICK RONSON / HAPPY ACCIDENTS / THETRUEFAITH

    KURT BAKER COMBO / FULL PATCH /

    ERIC CLAPTON / IGNEUS

     

    Ronson toujours deux fois - Part One

     

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    En 2009, Weird and Gilli (Ziggy played guitar, jamming good with Weird and Gilly) proposaient une bio de Mick Ronson intitulée The Spider With Platinum Hair. Cet ouvrage manque cruellement de teneur. Dommage. Les auteurs ont un petit côté oies blanches qui dérange. Ils s’attardent par exemple trop longuement sur l’épisode du concert mémorial organisé après la disparition de Ronno, en 1993.

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    Weird and Gilli parviennent toutefois à mettre l’accent sur le caractère bien trempé de Ronno. Il s’agit en effet d’un chti gars du Nord, élevé à l’ancienne par un père rigide. Quand pour des raisons médiatico-stratégiques, Bowie lui demande de déclarer à la presse qu’il est gay, Ronno l’envoie sur les roses : «No fuckin’ way’ !» Et quand Bowie lui demande de porter le costume doré, Ronno fait sa valise et file à la gare pour rentrer chez lui. Bowie envoie Woody Woodmansey le récupérer. Ronno est indispensable. Pas de Ronno, pas de Ziggy. Mick Rock : «Without Ronno, Ziggy would never have braved the heat of the attention he inspired.» Bien sûr, Ronno finit par porter le costume doré. En 1975, il revenait dans Circus sur l’image bisexuelle de Bowie : «J’ai pris ça au sérieux, car il ne plaisantait pas. Je n’ai pas aimé ça au début, mais on finit par s’habituer à tout. Des tas de gens autour de nous sont bisexuels et on finit par trouver ça normal. Mais au début, j’étais choqué. Je me demandais ce que les gens allaient dire !»

    Autre point capital : Ronno est fan de Jeff Beck. Chrissie Hynde surenchérit, et elle a raison. Non seulement elle trouve que Ronno est l’un des mecs les plus distingués qu’elle ait rencontré, mais il était aussi capable de jouer comme le meilleur de tous, Jeff Beck : «Mick was one of the nicest men I’ve ever met. Certainly one of the best-looking and one of the great guitar players. It was a pretty devastating combination (...) Mick was the only player that I think could actually sound like Jeff Beck who was also unrivalled technically, stylistically and everything.» Alors, si ça n’est pas un hommage suprême, qu’est-ce donc ?

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    Ronno adorait tout particulièrement l’album Truth du Jeff Beck Group. Il en apprit tous les guitar licks, sauf un, celui de Beck’s Boogie, qu’il n’arrivait pas à reproduire et ça l’énervait. En 1968, Ronno coinça Jeff Beck au Cat Ballou à Grantham et lui demanda de lui montrer le riff d’intro. Et Ronno apprit le riff.

    Dans les dernières pages du livre de Weird and Gilli sont rassemblés des extraits d’interviews de Ronno (Mick Ronson in his own words). C’est classé par thèmes. À la rubrique «Mick’s Spiders From Mars equipment», Ronno donne tout le détail et indique de quelle façon il travaille : «Le conseil que je peux donner à ceux qui veulent jouer de la lead guitar, c’est de faire comme je fis à mes débuts : écouter soigneusement ses guitaristes préférés, aussi bien sur scène que sur les disques. J’allais voir jouer Jefff Beck, Jimi Hendrix, Keith Richards et George Harrsion et je regardais où ils mettaient leurs doigts et comment ils obtenaient leur son. Je rentrais à la maison et m’entraînais jusqu’à ce que j’obtienne le même résultat.»

    Le nom de Ronno reste à jamais lié à celui de Ziggy. Ils firent ensemble six albums qui figurent parmi la crème de la crème du gratin dauphinois d’Angleterre. À part les Stones, les Kinks et les Pretties, on ne voit personne qui ait su proposer une suite d’albums aussi magistraux : The Man Who Sold The World, Hunky Dory, The Rise And Fall Of Ziggy Stardust And The Spiders From Mars, Aladdin Sane et Pin Ups. Tout ça en deux ans, de 1972 à 1973 ! Non seulement ces disques ne prennent pas une ride, mais ils restent d’une brûlante actualité. Ziggy régnera à jamais sur l’empire du glam.

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    The Man Who Sold The World fit un flop. Tony Visconti : «It was just too early. It was just two freaky.» Il se peut que la photo de pochette (Bowie en robe se prélassant dans un sofa) ait choqué les gens. Et pourtant, quel album ! Et quel son ! Ronno donne le ton dès «The Width Of A Circle», il riffe du gras à la grosse cocote et bâtit l’archétype du glam britannique. Tony Visconti fait ronfler sa basse. Lui et Ronno jouent en solo, chacun dans son coin, c’est d’une brûlante actualité déliquescente et complètement ravagé par les contreforts. Nous voilà plongés dans le mythe Bowie : puissance et beauté, luxe, calme et volupté, grandeur et décadence. Ronno recharge sans répit. Avec «All The Madmen», on reste dans la heavyness mirifique - Don’t set me free/ I’m heavy as I can be - et il revient toujours caus’ I’d rather stay with all the madmen, Ronno enveloppe tout ceci d’un son divin, zane zane zane, ouvre le chien. «Black Country Rock» s’inscrit dans la même lignée. Ronno invente un son qui n’existait pas, le glam-rock, il y met du souffle et une attitude de Jack the Lad. En B, «Saviour Machine» nous fait entrer dans l’extrême tension bénéfique, un monde chargé de tout le psychodrame shakespearien de la vieille Angleterre. Bowie semble laisser filer ses vers au fil des siècles et Ronno aménage quelques descentes vertigineuses. Nouveau chef-d’œuvre avec «She Shook Me Cold» - Mother she blew my brain - Et Ronno revient à contre-courant du drive de basse. Pure démence de la latence !

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    The Mayor of the Sunset Strip Rodney Bingenheimer assistait aux sessions d’enregistrement d’Hunky Dory, l’un des grands albums classiques du rock anglais. Il flasha sur Ronno et lui conseilla d’aller aux États-Unis - I kept telling him he should come to America and he should be a star. He laughed and said ‘oh yeah sure !’ - Rodney avait en effet de quoi flasher, car il faut entendre Ronno jouer de l’acou royale sur «Andy Warhol». Il y déploie une somptueuse espagnolade galvanique. Les hits pullulent sur cet album magique, à commencer par «Life On Mars». C’est là que s’étend l’empire du glam spatial, un glam lumineux et infini. Avec ça, Bowie invente un monde et Ronno entre dans la danse avec une élégance à peine concevable. C’est aussi beau et pur que «Strawberry Fields Forever» ou «Waterloo Sunset». Bowie s’y élève dans les airs. «Changes» reste l’une des plus belles pop-songs de l’histoire du rock et avec «Oh You Pretty Thing», Bowie donne au glam ses lettres de noblesse. «Kooks» et «Quicksand» figurent aussi parmi les grands classiques de la pop anglaise, dans ce qu’elle peut présenter de plus subtil et suave, toxique et éternel. Ronno entre dans le lard de «Queen Bitch» à sa façon, en claquant des beignets d’allers et retours. Il fait un travail d’orfèvre avec du petit solotage en sous-main. Bowie avait alors le son, et donc le pouvoir de régner sans partage. Il termine cet album historique avec «The Bewlay Brothers», une ode au néant qui luit comme un fanal dans la brume. Pour l’éternité.

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    Et là, Bowie et Ronno accèdent à la gloire. C’est le Rise de Ziggy et la parution du troisième album classique, The Rise And Fall Of Ziggy Stardust And The Spiders From Mars. Tout est bon sur cet album, rien à jeter. Si on n’écoute que Ronno, on se substante largement. C’est fou ce qu’il joue juste dans «Soul Love». Il se montre persuasif dans le ton et virulent dans l’insistance. C’est dans «Moonage Daydream» que Bowie se dit alligator et c’est aussi là que Ronno prend l’un de ses solos les plus spectaculaires. «Starman» et «It Ain’t Easy» restent des hits imparables. Ronno revient riffer «Hang On To Yourself» et on le voit partir en balade sur la bassline de Trev. Dans «Ziggy Stardust», on assiste aux épousailles du gras double de Ronno. Et s’il est une cocote qui compte sur cette terre, c’est bien celle de Ronno dans «Suffragette City» - Hey man/ She’s a total blam blam !

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    Rien ne pouvait plus arrêter les Spiders et Ziggy. Bowie composa les chansons d’Aladdin Sane pendant la première tournée américaine. Il subissait alors une pression terrifiante et pour tenir, il n’eut qu’une solution, la coke. Cet album est certainement le sacre du tandem Bowie/Ronno, car ça grouille de hits et de son. Ronno sort le grand jeu dès «Watch That Man», superbe slab de glam d’époque. Ronno y joue un solo en apesanteur. Bowie et Ronno étaient alors les rois du rock anglais, et donc les rois du monde. C’est Mike Garson qui fait le show dans le morceau titre, il y pianote des chopinades dignes de Debussy, des contre-temps charmants et délicats, des rivières de perles de lumière, oooh who’ll love a lad insane - On a tous vénéré cette chute à l’époque. Ronno ramène sa grosse cocote pour «Panic In Detroit». Il y donne le meilleur de lui-même, du bon gras de Les Paul. Il joue ses phrasés de biais, il est l’archange du saindoux sonique. En B, il ramène du glam joyeux dans «The Prettiest Star». Avec cet cut charmant, Bowie et Ronno sont au pinacle de l’âge d’or, dans un genre qu’ils sont inventé. Ronno ne semble vivre que pour un absolu de pureté. Ils font une belle cover de «Let’s Spend The Night Together» et Ronno emmène «The Jean Genie» au paradis - New York a gogo and everything tastes nice.

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    Fin de l’aventure avec Pin Ups. Cet album de reprises est enregistré au Château d’Hérouville, sans Woods qui vient de se faire virer comme un chien par Defries. Pour Ronno, c’est l’occasion de se frotter à ses idoles, comme par exemple les Yardbirds et «Wish You Well». Joli choix aussi que «See Emily Play», et même idéal pour un magicien de la pop comme Bowie. Ils en font une version encore plus psychédélique, comme si c’était possible. Ils tapent «I Can’t Explain» à la heavyness et Ronno s’en donne à cœur joie, car on l’a vu, c’est un spécialiste. On ne le savait pas, mais «Friday On My Mind» sonne comme un cut de glam pur. La pop suprême des Easybeats se fond dans l’excellence du glam de Ziggy. Et Ronno se jette à corps perdu dans l’aventure. Il tire aussi de jolies notes dans la version de «Don’t Bring Me Down» et Bowie devient héroïque dans «Shapes Of Things». On voit Ziggy renouer avec la baravado des Who dans «Anyway Anywhere Anywho» et Ronno écrase bien ses power-chords dans «Where Have All The Good Times Gone». Il y ramène tout le gras-double du monde. Quel fabuleux cocoteur ! Derrière Bowie, il fait des miracles.

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    Même si on connaît par chœur chacun de ces cinq albums et qu’on croit avoir fait le tour du phénomène, il est impossible de faire l’impasse sur le fameux Live Santa Monica ‘72 paru en 2008. Il s’agit là d’une sorte de preuve par neuf du génie des Spiders. Et dès «Hang On To Yourself», Ronno est dessus ! Il mouline sa moutarde et démultiplie les petites vrilles à l’infini. Trevor Bolder fait des ravages sur sa basse. Force est d’admettre qu’il fait tout le boulot ! Attention, non seulement ce live est un best of, mais le son vaut celui des meilleurs albums live de l’histoire du rock. Ronno y sculpte son son dans le dos de Bowie, mais Bolder sculpte aussi, il joue en mélodie et boufferait presque Ronno tout cru, un Ronno qui claque des accords de cristal et qui les égrène à Grenelle. On se demande ce que les Californiens pouvaient comprendre au glam. Oui, car le glam de Ziggy est si pur qu’il semble incongru sous le soleil de Californie. Mais Ziggy fonce et attaque «Changes», un pur hit de la légende des siècles. Il chante comme un dieu, ça on le savait, mais l’I’m much too fast to take that taste sonne si bien sur scène ! Et Bowie plonge la Californie dans une sorte de fascination. Peu de performers pouvaient prétendre à une telle aura. Ronno taille «Life On Mars» sur mesure. Il faut l’entendre profiler le filet. Et Bowie chante «Five Years» à l’excès de génie. Il faut bien dire que sur ce coup-là, Ronno n’a que très peu de valeur ajoutée. On entre ensuite dans un «Space Oddity» sacrement ambiancier et gratté à coups d’acou. Bowie appelle Grand Control et il n’y a plus rien à ajouter : Bowie crée son monde et se dirige vers le néant. Fantastique artiste ! Coup de chapeau à Warhol avec l’«Andy Warhol» tiré d’Hunky Dory et back to the heavyness avec «The Width Of A Circle», au cœur de l’empire de Ronno qui nous fout aussi sec le souk dans la médina : il part en vrille de gras double et a semble-t-il un mal fou à se calmer pour attaquer «Queen Bitch» qu’il riffe à la Lou Reed et pouf, il repart dans un nouveau numéro de cirque. Avec «Moonage Daydream», on entre dans le glam céleste et ça continue dans l’irréalité des choses avec «John I’m Only Dancing», Ronno gratte ses dernières notes au bord d’un précipice, tout sur ce disque pue la démesure. Ils s’embarquent dans une version dévastatrice de «Waiting For The Man» - And that’s Mick Ronson on the guitaaahh - Fabuleuse version, Ronno la joue au clair de la lune et ça embraye sur l’apothéose de «The Jean Genie», rock’n’roll Ronno blaste sa petite affaire - New York a gogo hoo hoo - Fantastique et mortelle randonnée et ça monte encore d’un cran comme on peut l’imaginer avec «Suffagette City», Hey man, oui, oui, avec Ronno qui riffe et qui raffe comme un démon, Wahm bam thank you man, Ronno fait gicler toute sa purée, you can’t afford a ticket, no no. On donne sa langue au chat. Et ça se termine comme ça doit se terminer, par une version mirobolante de «Rock’n’Roll Suicide». Fin d’une époque magique. Tous ceux qui ont vécu ça en direct ne s’en sont jamais remis.

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    C’est la raison pour laquelle il faut voir le film de DA Pennebaker, Ziggy Stardust And The Spiders From Mars : on y assiste en direct au dernier concert de Ziggy, filmé le 3 juillet 1973 à l’Hammersmith Odeon. Pennebaker filme Bowie dans la loge et il réussit l’exploit d’en faire un monstre. Il le cadre serré et le vaste regard glaçant de Bowie fout un peu la trouille. Mais sur scène, c’est une autre histoire. Ronno attaque «Hang On To Yourself» au riffing sur sa Les Paul en or. Il est ce soir là le roi du rock et il le sait. Ziggy revient en kimono pour chanter Ziggy played guitar/ With Weird and Gilli et il exhibe ses très belles cuisses, aw yeahh ! Puis Ronno joue la loco dans «Watch That Man». Dans la fosse, les kids deviennent dingues ! Mais le pire est encore à venir. Ronno se tape une fantastique échappée belle dans «Moonage Daydream», et après un changement de costume, Ziggy revient chanter l’énorme «Changes». Il gratte sa douze, il faut le voir swinguer son mid-tempo, c’est là qu’on réalise à quel point ce mec est une star. Il n’est que grâce et élégance suprêmes, mais cela, tout le monde le sait. Il enchaîne avec le grand control de Major Tom, le croon du néant et les gamines pleurent dans la fosse. L’émotion est à son comble. Ils tapent aussi une fantastique version de «Cracked Actor», mais Bowie est faux à l’harmo. Ronno tente de cacher la misère et ils embrayent sur un autre monster hit, «The Width Of A Circle». Trev joue aussi en solo. Pour Ronno, c’est la quart d’heure de vérité. Dommage qu’il fasse autant de grimaces. Et elles ne sont pas belles. Trev joue comme un diable dans les strobes et ce bon Woods shuffle ses cymbales. Puis ils enchaînent des stormers, à commencer par un version up-tempo de «Let’s Spend Together» («This is for Mick», grommelle Ziggy), et avec Suffragette, ils rockent littéralement le monde. Au micro, Ronno fait d’admirables chœurs d’Hull - Hey maaaaan - et c’est la fin du set. Pour le rappel, Ziggy passe un haut transparent noir et claque un coup de «WhiteLight/White Heat». On sait comment ça se termine : le suicide de Ziggy et «Rock’n’Roll Suicide». Just perfect.

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    On note aussi qu’en 1973, Bowie et Ronno sont allés jouer deux cuts sur l’excellent album de Dana Gillespie, Weren’t Born A Man : une reprise d’«Andy Warhol» et «Mother Don’t Be Frightened». On entend Ronno rôder dans cette merveille qu’est «Andy Wharhol Superstar», il joue en sous-main, à la soudoyarde. Terrific ! Sur Mother, il change de son devient plus ambiancier, et même trop moyenâgeux - But there’s nothing you can do - On profite de la parenthèse pour conseiller l’écoute de cet album. D’autant qu’elle démarre sur une cover extrêmement intéressante de Third World War, «Stardom Road Parts I & II». Elle fait le Part One en mode gothique, c’est assez fascinant, d’une féminité profonde et sombre, puis elle tape le Part Two en mode no highway code on stardom road, et là, on est content d’avoir croisé son chemin. Avec «Dizzy Heights», elle propose une jolie pièce de rockalama. Elle se rapproche du son de Delaney & Bonnie, un son fouillé bardé de chœurs de folles, c’est admirable. On retrouve ce son en B dans «All Cut Up On You». Wow ! On se croirait à Muscle Shoals. Elle chante du haut de son registre avec une autorité qui fait foi. Tenue impeccable et très haut niveau productiviste. Elle va même groover «Weren’t Born A Man» à la Bobbie Gentry. C’est saxé de frais et ambiancier à souhait.

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    Dans l’article qu’il écrit pour Classic Rock (The Rise And Fall Of Mick Ronson) Max Bell va dix mille fois plus loin que Weird And Gilli. Bell explique que les Spiders finissaient par ennuyer Bowie terriblement - Hurt my ears - mais avec le temps, il admet qu’avec Ronno, ils touchaient au but - As a rock duo, I thought we were as good as Mick and Keith - Bell rappelle aussi que Ronno était avant toute chose un homme galant et doux. Angie Bowie : «He was a sweet-talking Romeo (...) he was handsome and so divine.» Il était toujours le premier à offrir un verre à une dame.

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    Le fan de Ronno devrait aller aussi mettre le nez dans Bowie At The Beeb, car on y entend ses tout premiers pas dans le monde du rock. En 1968, ce sont des gens comme John McLaughin et Herbie Flowers qui accompagnent un Bowie prometteur. Le jeune Dave adorait les guitares opiniâtres et le pathos d’«Amsterdam». Bowie joue relentless, il gratte son acou à l’infini. Ronno joue pour la toute première fois sur «The Width Of A Circle». Il entre dans la danse à sa manière, louvoyante et vénéneuse. Tony Visconti bat le nave sur la basse. Tout est très joué. On est à Londres en 1968 et ces mecs ne plaisantent pas. Dans l’ouvrage de Weird and Gilli, Mick déclare qu’il rencontra Bowie pour la première fois dans le studio et qu’il ne connaissait pas les morceaux : «I just sat and watched David’s fingers. I didn’t know what I was doing but I suppose it came across well.» Dans Bowie At The Beeb, on entend aussi une session de The Hype, ce super-groupe qui fit un bide. Bowie cherchait alors à percer. Il chantait déjà comme un dieu ce «Wild Eyed Boy From Freecloud». Pour «Bombers», Peely introduit la bite de Dave dans la cuisse de Jupiter. Ronno se fourvoie dans des salives. Ça fructifie et ça déborde de coulures. Ronno joue la carte du gras double sur «Looking For A Friend» et Trevor Bolder fait des miracles sur la reprise du «Almost Grown» de Chuck. Et puis évidemment, ça monte en puissance alors qu’on remonte dans le temps, car voilà les Spiders avec les hits classiques, Hang On, Ziggy Stardust, tout de suite les grands moyens, avec un Bolder devant dans le mix et un Ronno qui joue comme l’archange Gabriel. Ils deviennent des surdoués avec «Queen Bitch» et explosent une fois encore le pauvre «Waiting For The Man» qui ne demandait rien à personne. La version de «White Light White Heat» enregistrée pour la BBC sent bon les puissances des ténèbres. Ronno y suture des fréquences pendant que Bolder se promène dans la pampa. Ronno hante ce chef-d’œuvre comme une ombre. Ce ne sont plus que hits intemporels et virulences plénières. Bowie et ses Spiders deviennent trop gros pour la BBC. Il faut se souvenir qu’à l’époque, Bowie était aussi gros, en termes d’aura, de génie, de chiffre d’affaires et de popularité, qu’Elvis et les Beatles. Par son seul génie visionnaire, Bowie aura autant marqué l’Angleterre que les Beatles.

    Pour la petite histoire, Trev et Woods tentèrent de redémarrer les Spiders avec le chanteur Pete McDonald et le guitariste Dave Black. Ils n’enregistrèrent qu’un album sur Pye en 1976. Ronno fit partie de l’aventure et enregistra des bricoles qui, comme beaucoup d’autres choses, sont restées inédites. L’album rouge des Spiders disparut sans laisser de traces. Les fans de glam n’y retrouvèrent pas leur compte, puisque les Spiders ne proposaient en tout et pour tout qu’un seul cut glam, le «Sad Eyes» d’ouverture de bal. On y entendait Dave Black faire de belles vrilles. Mais Pete McDonald emmenait le groupe dans une autre direction, celle d’une pop groovy, pas vilaine, certes, mais embarrassante, dès lors qu’on s’appelle les Spiders et qu’on sort d’une aventure faramineuse. On entendait par exemple en B un cut intitulé «(I Don’t Wanna Do No) Limbo» très pop et digne des grandes heures de Love Affair. «Stranger To My Door» sonnait comme de la pop trop sensible et en composant «Good Day America», Woods espérait revenir vers quelque chose de plus rock’n’roll. Avec son côté good time music enchantée, «Rainbow» avait une allure de cut sauveur d’album, d’autant que Woods le battait sec et doux. Mais bon, des disques comme celui-là, il en existe des millions.

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    On en rêvait, et Ronno le fit : l’album solo. Mais bizarrement Slaughter On 10th Avenue nous laissa sur notre faim. Ce n’est pas que l’album fut mauvais, non, mais il n’était pas au niveau de ceux qu’il avait enregistrés avec Bowie. La reprise de «Love Me Tender» n’accrochait pas. Difficile de moderniser un tel monument de kitsch. Il fallait attendre «Only After Dark» co-écrit avec Scott Richardson de SRC pour retrouver le grand Ronno, le plantureux riff-master. On avait là un hit glam ponctué à a cloche de bois et bardé de chœurs décadents, de ahh hah ahh énamourés, le pur glam de Hull, the hell of it all, la perfection, la suite de Ziggy, la magie du son anglais. Il reprenait aussi «I’m The One» d’Anette Peacock, mais le tarabiscotage provoquait une sorte de désenchantement. Et puis on allait de cut en cut, à travers la morne plaine, jusqu’au morceau titre, composé par Richard Rogers. Ce cut redorait le blason de Ronno. Il jouait en effet le thème mélodique au gras double de guitare. On avait là un cut profondément inspiré et puis, comme un gosse qui casse ses jouets, il partait à l’aventure et ruinait tout.

    En travaillant avec Scott Richardson, Ronno eut l’idée de monter avec lui, Trevor et Aynsley Dunbar les Fallen Angels. Ils enregistrèrent des choses restées coincées dans les archives.

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    Paru l’année suivante, son deuxième album solo s’appelait Play Don’t Worry. On y trouvait une fastueuse reprise de «White Light/White Heat» amenée au piano jazz. Ronno s’y prenait pour Lou Reed. Il y allait de bon cœur. Il entrait dans le clan des cover-boys de bon aloi. Et pour l’occasion, il pulvérisait son jeu de guitare - Euh euh white heat ! - Le spectacle de ces Anglais qui essayent de sonner comme des Américains paraissait pour le moins grandiose. Ronno passait en prime un solo trash. Que pouvait-on dire du reste ? Ronno tentait de chanter comme Bowie sur «Billy Porter», une sorte de petit glam cocasse à la Cockney Rebel joué au pouet pouet de tuba. Mais Ronno n’est pas Bowie. Hélas. Il enchaînait avec un slowah ridicule intitulé «Angel No 9». Il allait en fait accumuler ce genre d’erreurs, avec notamment ce morceau titre qui sonnait comme de la mauvaise pop. On ne comprend pas qu’à l’époque des gens aient pu accepter d’orchestrer une horreur telle que «Empty Bed». Et ça empirait encore avec «Woman».

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    Paru en 1994, soit un an après sa mort, Heaven And Hull avait plus d’allure, et ce pour quatre raisons principales. Un, le «Don’t Look Back» d’ouverture de bal, un cut dévasté du bigorneau, avec un Ronno qui saute à pieds joints dans la soupe. Il redevient le guitariste incisif qu’on adore, il joue de belles lampées chromatiques et nous gibsonise bien les oreilles. Il ouvre des portes sur l’infini et crée son monde. Voilà ce qu’on attend des artistes : qu’ils créent leur monde. Il enchaîne avec une très belle cover de «Like A Rolling Stone». Bowie chante, c’est admirable car géré à l’up-tempo. Ça vire au céleste. Bowie chante à l’excédée, tel un seigneur de l’An Mil importuné par des barons. Version monstrueuse ! Ronno gratte comme un beau diable. C’est à la fois échevelé, grandiose et anglicisé. Les Lords avalent Dylan! Troisième raison : «Trouble With Me» avec une Chrissie Hynde qui entre dans la danse et ça tourne au duo d’enfer. Ah quel régal ! - You can be so strong if you need to - Voilà un groove impliqué. Et quatre, la version live d’«All The Young Dudes» avec Ian Hunter et Bowie. L’Hunter fait le cake. On se demande comment Bowie a pu supporter un m’as-tu-vu comme l’Hunter. Les chœurs sont un chef-d’œuvre de fondue bourguignonne. Et le reste ? John Mellecamp vient faire le zouave sur «Life’s A River». Ronno y claque de sacrés paquets d’accords, mais il lâche une mayo trop liquide. Même s’il joue comme un beau diable. Quant à «Colour Me», ça sonne un peu trop rock FM. Il faut se méfier, Ronno pourrait montrer des tendances à la putasserie, il faut le surveiller, d’autant qu’il a pris la sale habitude de tortiller du cul. Ça ne plaisait pas à Trevor Boulder qui détestait les tantes. Bon, c’est battu sec, mais ça flirte avec le rock FM. Ronno nous chante ça en loucedé.

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    Puisqu’on est dans les albums posthumes, on peut encore en citer trois, et pas des moindres : Just Like This et Showtime (parus en 1999), puis la BO du film Indian Summer parue un an plus tard. «Just Like This» est un vieux standard de T. Bone Walker que Ronno tape au Diddley beat revanchard. On a là du grand Ronno pop avec toute l’énormité de son à laquelle il nous habitue depuis le début. On note même la présence de vieux relents de «Jean Genie». On trouve d’autres merveilles sur Just Like This, notamment «Is That Anyway», pur jus de glammy power surge. Quand il claque, il claque , il ne fait pas semblant. Il renoue avec son extraordinaire savoir-faire d’artisan de glam d’Hull. Il rentre dans le gras du glam comme personne. Tiens, encore une merveille avec «Roll Like A River». Il joue son heavy blues au gras double. Big Ronno game. C’est même assez affolant. On peut même aller jusqu’à qualifier son son de terriblement distinctif. Il joue à la dégoulinade de notes. C’est d’une véracité à toute épreuve. Il fait exploser sa niaque de son et il part sans prévenir en mode boogie blast. On retrouve aussi sur cet album le fameux «April No 9» de Pure Prairie League, un groupe qui l’avait sollicité à une époque. Ronno adore les échappées belles vers la frontière. Il se répand. Comme il se sait particulièrement doué, il s’accorde le droit de faire ce qu’il veut, alors il explose le pauvre cut. Ça va même très loin, car il crée les conditions d’un monde pur. Si on aime la grande électricité, c’est lui qu’il faut écouter. «Taking A Train» vaut aussi le détour. Avec ses amis de Bearsville, il crée de l’enchantement. Il va chercher les meilleurs climats guitaristiques. Il va à l’exaction comme d’autres vont aux putes, c’est aussi simple que cela. Encore un extraordinaire shoot de pop glammy avec «Hard Life». C’est d’un niveau si haut qu’on en chope le torticolis. Il faut se rappeler que Ronno est un génie de l’impulse sonique. Il ne joue pas ses notes, il les suspend, comme on suspendait les jardins à Babylone. Il joue en prime tous les accords intermédiaires. Dans le move, il claque des gimmicks de Ziggy. Il tape «Craey Love» à la note tropicana. Voilà un fabuleux shoot de pop atmosphérique - Crazy love/ Is haunting me - Ronno n’en finit plus e bâtir l’empire du son épique. C’est lui et nul autre au monde qui définit les règles. Tiens, voilà une reprise du fameux «Hey Grandma» de Moby Grape. Le gang de Ronno fonctionne comme une horloge. Quelle fabuleuse énergie ! Ronno transforme tout en brasero. Même le boogie ultra cousu d’«Hard Headed Woman» passe comme une lettre à la poste. Pur Ronno drive. Il nous barde ça de couenne de son. Avec Ronno, pas de problème, on a tout ce qu’il faut.

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    On reste au même niveau avec Showtime qui est en fait le titre de l’album enregistré avec Mott et jamais sorti. On a là du live, et même du gros live américain. Le Ronno band se compose de Mick Barakan (guitar), Jay Davis (bass), Bobby Chen (drums). Ils jouent tous les hits de l’album précédent, à commencer par «Just Like This», véritable assaut riffé à la vie à la mort - Gonna rock my baby/ Just like this - Ronne déborde de jus, il rocke son rock à coups de power-chords, c’est bardé de son à l’extrême. Belle version d’«Hey Grandma» pulsative à souhait. Quelle santé interprétative ! Ils courent comme des furets à travers l’immense pétaudière. Ronno dynamite tout ce qu’il touche. On retrouve aussi le heavy blues de «Taking A Train». Ronno taraude son son à la clé de sol entreprenante. Il darde de mille feux. Il est certainement l’un des guitaristes les plus expansifs du siècle passé. Avec «Junkie», il propose une extraordinaire pantalonnade d’accords décortiqués - Baby I can’t let you down/ I’m just a junkie about your love - Sur sa basse, Jay Davis fait un véritable festival. L’un des péchés mignons de Ronno est le romantico-mélodico : bel exemple avec «I’d Give Anything To See You». Là, il déploie ses ailes. Il s’élève dans le ciel et passe un solo élégiaque, il va chercher des féeries de notes au bas du manche. Quel Guitar Lord ! Puis il enchaîne avec un «Hard Life» poppy joué à la force du poignet sonique. Ronno nous noie tout ça dans le meilleur son, comme on peut bien l’imaginer. Il fait autorité dans tous les domaines. Quel seigneur des annales ! Il tape aussi une version solide de «White Light Whit Heat». C’est la pétaudière d’office. De toute manière, avec ce genre de cut, il est difficile de faire autrement. Impossible d’échapper au mode dévastateur. Ronno joue le pur sonic trash. Et ça se termine avec le brillant «Slaughter On 10th Avenue», l’hymne ronnique par excellence.

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    Ultime contribution de Ronno au monde du rock, la BO composée pour un film jamais sorti, Indian Summer. On s’en doute, le morceau titre renoue avec la veine élégiaque et montée du collet. Ronno joue ça au panoramique. Il faut attendre «Get On With It» pour trouver un peu de viande. On a là un fabuleux shake de rockalama joué au claqué d’accords secs. Tout est très carré, très gorgé de son. «Blue Velvet Skirt» sonne comme un slowah enragé, comme figé dans le sucre glace, mais au fond assez imparable. Une sorte de perfection se dégage en permanence de Ronno. On sent qu’il ne fait jamais rien au hasard. Il ouvrage le western spaghetti de «Satellite 1» comme un orfèvre et la blue velvet skirt fait son retour, mais cette fois pour tomber au sol. Il termine en grattant «I’d Give Anything To See You» en solitaire. C’est un vétéran du you’re not alone, ne l’oublions pas. Il sait tortiller ses coups de Jarnac d’electric mud. Quel fantastique artiste ! De toute évidence, Ziggy n’aurait jamais pu exister sans lui. Même chose pour Ian Hunter.

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    La période Hunter est aussi consistante que la période Spiders. Même quand on n’aime pas trop l’Hunter, force est de reconnaître que ses albums s’imposent, notamment son premier album solo sobrement intitulé Ian Hunter, et paru en 1975. Il attaque avec l’un des hits les plus fantasmatiques de l’époque, «Once Bitten Twice Shy», pure zone d’émerveillement latéral. Ronno y gratte sa bonne cocote. Avec ça, on se retrouve dans le giron du meilleur rock anglais, celui du son à guitares des seventies. Il faut le voir, ce diable de Ronno, partir en vrille de solo flash académique. On est en plein dans le Mott Sound System. Ronno et l’Hunter enchaînent avec un extraordinaire brouet de glam intitulé «Who Do You Love», claqué au son de la perfection, cousu de fil d’or par un Ronno ultra-présent, hyper-actif et gracieux. C’est dingue comme l’Hunter pouvait singer Bowie. Il a cette puissance corporelle qui lui permet d’arquer au grand large, et Ronno aménage le meilleur sonic round-about d’Angleterre. Toute la magie du glam est là. Et ça continue avec «Lounge Lizard», un cut prévu pour Mott, trop beau pour être vrai, bardé de son, c’mon c’mon, c’est trop dense, trop riche. Ronno y tourbillonne à l’infini. Avec «Boy» ils tapent en plein dans le ziggy mille. L’Hunter singe à bras raccourcis, mais il fait quelque chose de stunning - You’re the guy/ You’re the number one - Quelle aventure ! Voilà un cut poignant et furieusement inspiré. L’Hunter sait glammer son monde et donner du volume. Il peut monter en puissance. Il sait worker son mojo. En B, Ronno ramène une belle louche d’heavyness dans «The Truth The Whole Truth», Free-cum-Zep Lennon’s style transmuté par un Ronno virulent. Il fait le show, il tire ses notes comme Jeff Beck et revient à contre-courant du move. En fait, ce cut n’a aucun intérêt, si ce n’est le travail de sape de Ronno. Il pique encore une crise avec «I Get So Excited». Pour l’Hunter, c’est facile, avec un cisailleur de Les Paul comme Ronno dans les parages qui fait tout le boulot. Mais on retiendra de cet album qu’il est entièrement calqué sur ceux de Bowie. Le tandem Hunter/Ronno fonctionne aussi bien que le tandem Bowie/Ronno. Bowie n’aurait jamais dû se séparer d’un type aussi brillant que Ronno. Il faut dire que l’Hunter charge bien sa barque. C’est un prodigieux outsider. Il sait balayer les obstacles, oui, il a cette puissance de caractère. Il mord dans le rock à pleines dents. Guy Stevens l’avait bien compris lorsqu’il le recruta pour prendre le leadership de Mott.

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    Paru quatre ans plus tard, You’re Never Alone With A Schizophrenic est nettement moins bon. L’Hunter campe dans le Mott Sound avec «Just Another Night». C’est chanté à la force du poignet, et avec «Wild East», l’Hunter replonge dans Bowie. Retour à Mott avec «Cleveland Rocks», c’est toujours le même son. L’Hunter-médiaire n’est jamais sortie de son système. Il continue de faire du Mott sans Mott. Quand s’ouvre la B avec «Life Afeter Death», on croit entendre Bowie. Sans Bowie, l’Hunter est paumé. Et Ronno veille au grain : il bâtit des ponts merveilleux. Il faut dire que les balladifs de l’Hunter finissent toujours pas fonctionner, c’est en tous les cas ce que prouve une fois de plus «Standing In The Light». Ronno gratte bien le groove de «Bastard», on l’entend cocoter de bout en bout, mais pour une fois, il ne part pas à l’aventure.

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    Welcome To The Club est sans doute l’un des grands albums live de l’histoire du rock. Si on affectionne les grand doubles live (Doors, Steppenwolf, Humble Pie, Hawkwind), celui-ci relève aussi du passage obligé. On pourrait appeler ça un best of qui ne vous lâche plus la grappe. Et ce dès «Once Bitten Twice Shy» qui sur scène prend une dimension irréelle. Après deux couplets à sec, la machine se met en route et Ronno joue la carte du gros graillon d’accords. L’Hunter, pourtant si peu sexy, y développe sa puissance. C’est l’un des hits du siècle. Ronno fait sa crème au beurre et le cut explose à l’infini. Voilà un live qui s’annonce drapé d’or. Ces démons enchaînent avec une version altière et bardée de bon son d’«Angeline». Ronno est un précieux allié. L’Hunter savait ce qu’il faisait en s’acoquinant avec ce silver boy, ce golden God of rock guitar, cet archange sonique. Qui dira la santé de son son ? On se sent soudain installé au cœur du mythe. Ronno joue des ortolans de son, il produit des jardins suspendus. L’Hunter annonce an old song from Sonny Bono, «Laugh At Me» et que fait Ronno ? Il le joue serré, à la candeur de l’ampleur, c’est un son ronnique des temps anciens, oui, ça vient d’un temps où le monde du rock semblait si beau, si pur. Tout bascule dans l’incommensurable avec «All The Way From Memphis». Ronno joue comme un dingue et l’Hunter fait son Bowie, il stoppe les troupes dans leur élan pour mieux les relancer à l’assaut du ciel. Ronno fait un véritable carnage, la défraye la gueule de la chronique, il troue le cul du ciel, creuse sa route des Indes. Il est à son pinacle d’intelligence guitaristique. Il attaque la B avec le vieux «I Wish I Was Your Mother» qu’il mythifie vivant. Ronno adore les petites conneries romantiques, ah pour ça on peut lui faire confiance. Il fait sonner sa gratte comme une mandoline. Et en bonne bête de somme, l’Hunter entre dans le cut sans ménagement, comme s’il enfonçait son pieu noueux dans le vagin délicat d’une petite princesse pudibonde et tremblante. L’Hunter ne fait pas dans la dentelle. C’est un soudard. Il abuse de ses vieux accents glam pour chanter «Irene Wilde». Il donne vie au rêve working-class. C’est atrocement beau. Voilà un balladif taillé sur mesure pour l’Hunter. Back to the heavy motion avec «Just Anoteher Night». Ronno sait claquer de l’accord anglais. Il explose tous les encarts, il travaille sous terre, il sape le moral, il manigance des petites montées de fièvre, et quand ça s’emballe, il écrase ses propres riffs. C’est le vieux boogie-rock à l’Anglaise jadis initié par les Stones. On reste dans les pires excès avec «Cleveland Rocks». Ces mecs-là étaient beaucoup trop puissants pour leur temps. Ah les gens en avaient pour leur pognon ! Tout cet album est visité par la grâce de Ronno. Un Ronno qui se montre tout simplement admirable de bout en bout. Le disk 2 vaut lui aussi tout l’or du monde, d’autant qu’on y retrouve «Walking With A Mountain/Rock’n’Roll Queen», un énorme slab de Stonesy. Pour Ronno, c’est du gâteau. Il joue comme un dieu du stade à la peau dorée d’ange d’Hull. Il joue clair derrière le chant et multiplie les intrusions organiques. Il faut l’entendre claquer ses petits riffs au débotté et couler un bronze éclair, avant de partir en vrille de Red Baron. Il construit une cathédrale de son haletante. Le public attend les Young Dudes au virage, et l’Hunter fait «louder !» Merci David ! Ronno réussit à placer son petit «Slaughter On 10th Avenue», si mélodiquement attirant et il s’amuse à l’exploser au firmament. On assiste là à un phénomène musicologique palpitant. Back to the hot glam avec «One Of The Boys» qui prend ici des proportions spectaculaires. Ronno n’en finit plus de claquer sa Stonesy et de filocher des zigouigouis qui collent et qui chuintent, il joue les grandes manœuvres et secoue d’immenses carcasses d’accords. Il génère une monstrueuse pétaudière et file au vent mauvais vers la gueule béante des enfers. On trouve aussi en D une version superbe de «Man O War». Ronno et l’Hunter tapent encore dans la Stonesy et soudain, l’Hunter part en chasse, ils sont dans ce move, sans peur et sans reproche. Ils rendent hommage à Keef et joue leur Stonesy dans les règles de l’art. C’est là où le glam épouse la Stonesy. On est au cœur du rock anglais le plus précieux.

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    L’Hunter s’est fait couper les cheveux, d’où le titre de l’album Short Back ‘n’ Sides, qui paraît l’année de l’élection de François Miterrand. Ronno et Mick Jones se partagent la prod. Dès «Central Park West», on sent la pop, mais avec une certaine profondeur de champ, c’est déjà ça. Mais les choses empirent assez rapidement avec «Lisa Likes Rock’n’Roll», un cut poppy et putassier infesté de relents de reggae. C’est très années quatre-vingt. Heureusement, Todd Rungren vient sauver l’album en jouant de la basse sur «I Need Your Love». C’est poppy et bien soutenu aux chœurs et on entend même un solo de sax. On assiste à une incroyable conjonction d’esprits supérieurs. L’Hunter fait du Bowie-funk dans «Noises», et en B, «Rain» passe bien, car monté comme «Walk On The Wild Side». Mais le reste de l’album bascule dans l’horreur putassière. Ronno joue du reggae et se discrédite.

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    On retrouve Ronno sur un autre album de l’Hunter, All The Good Ones Are Taken. Ronno ne joue que sur «Death ‘n’ Glory Boys» qui sonne comme un cut de Ziggy. Ronno tisse sa toile et ça devient vite épique, voire grandiose. Pour le reste, l’Hunter fait du Bowie dans «Fun» et du Mott avec «That Girl Is Rock’n’Roll» - She dresses in leather/ She isn’t too together - et plus loin il ajoute qu’elle adore mouiller - She likes to get wet - ce qui en dit long sur le personnage.

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    Avec YUI Orta (the Three Stooges catch-phrase) Ronno existe enfin. C’est un album Hunter/Ronson, alors qu’auparavant, l’Hunter paradait tout seul sur les pochettes. Ils opèrent un retour à l’énormité avec «The Loner» que Ronno traite aux heavy chords de bonne aubaine - Ouh ouh I’m a loner - Derrière, la basse titube. Autre coup de génie avec «Beg A Little Love». On voit bien que l’Hunter utilise Ronno pour pallier à son manque de véracité et effectivement Ronno développe une tangible évanescence de génie impromptu. On a là un hot hit monté aux chœurs de filles et un Ronno qui encore une fois joue comme un beau diable. C’est battu au beat énervé et Ronno overwhelme son cut qui sort des nomes. Il l’enflamme littéralement ! Une fois de plus, l’Hunter s’impose avec ses balladifs, à commencer par «American Music», terriblement mélodique et imparable. L’Hunter n’invente jamais la poudre. Il campe sur ses positions et avec «Women Intuition», il tape dans son vieux boogie rock à la Mott. Il adore rouler dans ses vieilles ornières. Et Ronno n’a aucun scrupule à taper dans les riffs de Marc Bolan pour «Tell It Like It Is». Retour au Bowie Sound avec «Livin’ In A Heart», mais l’Hunter ensorcelle. Avec «Cool», Ronno wah-wahte à l’Hendrixienne, mais ça tourne au ridicule et l’Hunter se prend pour Queen. Ah il faut le voir pour le croire. En fait, ce disk présente un gros défaut : l’Hunter bouffe à tous les râteliers. Il va taper dans la new wave et le groove à la mormoille. «Sons ’N’ Lovers» et «Pain» frisent le calamiteux. Ronno surgit comme Zorro pour sauver «How Much More Can I Take». Il s’y conduit en super-productiviste, directement du producteur au consommateur et il boucle avec «Sweet Dreamer», l’un de ces instros ultra-mélodiques et comme suspendus dans le temps dont il a le secret.

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    Pour clore l’épisode Hunter/Ronson, il est chaudement recommandé de voir le concert filmé au Rockpalast en avril 1980. Il est en ligne. Autant Ronno passe bien, autant l’Hunter-minable passe mal : trop confiance en lui, trop de cheveux, trop de bigger than life. En prime, il porte un costard, une cravate et des boots blanches. Trop c’est trop. Il gratte ses accords rock’n’roll avec une belle arrogance, c’est sûr. Sur scène, Ronno et l’Hunter de Milan sont bien entourés. Ronno fait moins de grimaces qu’à l’époque des Spiders. Il semble plus stoïque, plus appliqué et il joue avec une fluidité exceptionnelle. Sous le micro de l’Hunter-continental, on voit une série de médiators qui pendouillent comme autant des paires de couilles, collés à un bande de gaffeur. L’Hunter sort son harmo pour «Angeline» et n’en finit plus d’assurer comme une bête. On ne peut que constater l’imparabilité de sa présence scénique. C’est un bonheur que de voir Ronno partir en solo. Il s’y montre expansivement intangible. L’Hunter-communal annonce «Laught At Me» - A song written in 1965 by a guy called Sonny Bono - Puis Ronno joue de la mandoline sur «I Wish I Was Your Mother». Fantastiquement cousu et pourtant, ça marche à tous les coups. Mais l’Hunter accapare trop le lead. Ce n’est pas lui qu’on vient voir, mais Ronno. Avec «All The Way From Memphis», on reste dans du grand Mott puis Ronno sculpte la matière dans Dudes. Il y grave son gras dans le marbre du glam et Ronno boucle le set avec son magic Slaughter.

    Signé : Cazengler, Mick Ronron

    David Bowie. The Man Who Sold The World. RCA Victor 1972

    David Bowie. Hunky Dory. RCA Victor 1971

    David Bowie. The Rise And Fall Of Ziggy Stardust And The Spiders From Mars. RCA Victor 1972

    David Bowie. Aladdin Sane. RCA Victor 1973

    David Bowie. Pin Ups. RCA Victor 1973

    David Bowie. Live Santa Monica ‘72. EMI 2008

    Mick Ronson. Slaughter On 10th Avenue. RCA Victor 1974

    Mick Ronson. Play Don’t Worry. RCA Victor 1975

    Dana Gillespie. Weren’t Born A Man. RCA 1973

    Ian Hunter. Ian Hunter. CBS 1975

    Ian Hunter. You’re Never Alone With A Schizophrenic. Chrysalis 1979

    Ian Hunter. Welcome To The Club. Chrysalis 1979

    Ian Hunter. Short Back ‘n’ Sides. Chrysalis 1981

    Ian Hunter. All The Good Ones Are Taken. CBS 1983

    Ian Hunter/Mick Ronson. YUI Orta. Mercury 1989

    Mick Ronson. Heaven And Hull. Epic 1994

    Mick Ronson. Just Like This. New Millenium Communications 1999

    Mick Ronson. Showtime. New Millenium Communications 1999

    Mick Ronson. Indian Summer. Burning Airlines 2000

    David Bowie. Bowie At The Beeb. Parlophone 2016

    Weird And Gilli. Mick Ronson - The Spider With Platinum Hair. Independant Music Press 2009

    Max Bell. The Rise And Fall of Mick Ronson. Classic Rock #236 - June 2017

    D.A. Pennebacker. Ziggy Stardust And The Spiders From Mars. DVD 2007

    Ian Hunter Band Feat. Mick Ronson. Live At Rockpalast. DVD 2011

    08 / 01 / 2019 / PARIS

    SUPERSONIC

    HAPPY ACCIDENTS / THETRUEFAITH

    KURT BAKER COMBO

     

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    Premier concert de l'année, un peu à l'arrache, déniche l'info de Kurt Baker Combo par hasard en trente secondes, inconnu au bataillon, j'y cours, j'y vole à l'aveuglette. Il ne sera pas dit que cette 401° livraison n'aura pas été auréolée de son concert. Surprise en arrivant, n'y a pas que le baker qui pétrira son pain ce soir, deux autres marmiton les précèderont au fournil, quel merveilleux hasard, que dis-je quel heureux accident. !

    HAPPY ACCIDENTS

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    Quatre grands gaillards sur scène. Au troisième morceau, Metal Dance, il faut se faire une raison, groupe musical, pas de chanteur. Je vous interdis tout fourvoiement : ce n'est ni du metal ( dommage ! ), ni de la dance ( ouf ! ). Difficile à caractériser. Au début ça ressemble un groupe de surfin qui aurait oublié toutes ses racines rock'n'roll, drôle d'oiseau sans ailes. Ce qui est sûr c'est que les deux guitares et la basse tirent la loco. Rascal à la batterie joue le rôle du tender qui procure la pression. Une frappe sans interstice, rapide, sans temps mort, une galopade serrée et interminable, autant dire que les deux guitaristes devant ils n'ont aucune seconde de libre, aucun break pour articuler leurs émissions, à eux de se débrouiller pour occuper tout l'espace. Ils ne s'en privent pas, et vous devez changer le fusil d'épaule, l'ensemble est beaucoup plus complexe qu'il n'y paraîtrait au premier abord. Vous font de ces friselis cordiques qui s'entremêlent joliment. Et bruyamment. Drone Attack le confirme, nous filons vers une modernité beaucoup plus immédiate, nous revoyons notre blind-test, nous disions surfin, cette fois-ci nous cocherons the progressive case. Le public adhère, les applaudissements sont de plus en plus nourris à chaque fin de morceau, vous y percevez cette satisfaction respectueuse qui s'empare des esprits lorsque l'on se rend compte que le conférencier compte sur l'intelligence des auditeurs pour comprendre de quoi il s'agit. Belle musique, ronflante et chamarrée, mais qui étrangement n'est pas sans évoquer le vide de notre époque, friches intellectuelles en berne et pauvretés économiques en érection. Ruiner, I Dreamed and I Died, pas besoin de beaucoup de mots pour effectuer des constats définitifs, les titres suffisent. Surprise, ils chantent aussi. Si l'on peut appeler cela chanter ! Disons qu'un gosier émet du son. El cantaor gêné par sa planche à pédales à effets multiples, se voûte sur le micro, l'a la colonne d'air aussi penchée que la tour de Pise les jours de grand vent. Ce n'est pas gênant, vu le propos, personne ne s'attendait à ce qu'il récite un poème. Sans doute n'y a t-il plus rien à dire en ce bas-monde. Les paroles du dernier morceau sont prophétiquement symboliques, se résument à trois mots-clefs La-La-La, que vaticiner de plus, les guitares vrombissent et vous sculptent votre malheur. A croire que l'accident final ne sera pas heureux. En tout cas, ce qui est certain, c'est durant trois quarts-d'heure nous n'avons pas été malheureux. Essayez de faire mieux.

     

    Les groupes se suivent et ne se ressemblent pas. Après un quatuor expérimental qui aimerait bien s'éloigner des racines sacrées du rock'n'roll mais qui n'ose pas non plus plonger dans de savants dodécaphonismes noisiquement aventureux, voici la vieille garde du rock'n'roll, celle que l'on engage dans les moments critiques, lorsque tout semble perdu.

    THETRUEFAITH

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    Ne sont plus très jeunes. Mais ils portent beau. La classe et le style. En quinze secondes, ils vous redressent la situation, un seul étendard, le rock'n'roll. Z'ont admis un petit jeune dans le groupe des grognards, l'est chargé de la batterie, un bon choix, n'arrête pas de décharger un fricot de fracassées abrasives. Une frappe lourde, multiple, ample et sans repos. Devant les guitares balancent. Normalement ce devrait être au drummer de balancer, mais là ce sont les guitaros. Car le drummer, je le rappelle aux esprits distraits, il cascade la casse sur ses caisses. Question guitares, pas du genre à tailler la mortadelle congelée en tranches superfines de Prisunic. Au fond du grabuge vous avez le vieux son des Stones, mais revu et corrigé par les Ricains, ne se sont pas fatigués les amerloques, ont repris les mêmes plans, mais en plus rapides, la même impression mortelle que mon chien et moi lorsque nous avons été pris dans un essaim de milliers d'abeilles en transhumance, un bourdonnement de partout qui fuse de nulle part et de tous côtés. Un danger grisant. En plus Thetruefaith ils ont un chanteur. Un vrai. Pas au four et au moulin. Au micro. Une belle voix, et plus le set avancera, elle se chargera de mille lampées de beuverie au fond de bouge sordides au bord des bayous infestés d'alligators. Un régal. En prime les poses qu'ose le torero devant les cornes, et les mimiques en coin de figure qui déchirent. Et puis les guitares, elles glissent, du pur jus de cambouis, vous passent les riffs comme les bandes de mitrailleuse dans Le Jour le Plus Long. Vous font de ces loopings de rêves et de ces toboggans d'enfer à courir allumer un cierge à sainte-Thérèse pour les remercier. Vaut quand même mieux rester sagement – en fait le public commence à tanguer et à se réchauffer – à les écouter car ils procurent Fire et Methadone à volonté. Brûlant et en concentré. Nos chouchous ont le show chaud. Z'appliquent la vieille recette de l'ébullition constante en augmentation obligatoire. Un truc qui défie les lois de la physique mais pas celle du rock'n'roll. Last Chance Googbye, Now It's Time, You'll Never Die – remarquez comme ces trois titres résument à eux seuls le mode outrancier de vie rock'n'roll - sont des bijoux brûlants, des diamants gros comme le Ritz aurait dit Scott Fitzgerald, l'épure et l'essence du rock'n'roll, inusable, immortel, la seule drogue à accoutumance éternelle. Merci Thetruefaith de nous l'avoir rappelé. Même si nous le savions déjà.

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    KURT BAKER COMBO

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    European tour 2019. Ce soir à Paris, demain en Allemagne. Kurt Baker provient de Portland mais s'est installé depuis plusieurs années en Espagne. Ne vous étonnez pas si ça sonne américain. Un drôle de mélange tout de même. De l'afterpunk mais beaucoup plus after que punk. De ce dernier ils on gardé l'énergie mais ont expulsé la méchanceté. After et même Before. Des racines lointaines qui remontent jusqu'aux Beach Boys. Dans la grande partition, ils ont choisi le côté Beatles, et non la blue darkness stonienne. Pas gentillets certes, mais tout de même un côté festif. Le public a adoré. Moi aussi. Surtout la musique. Plus réservé au niveau de la voix, trop coulée dans le foisonnement des guitares. Je ne sais si à la sono cela aurait pu vraiment être amélioré, au finish je pense que cela relève d'un choix esthétique.

    Un hurlement d'asile aliéné pour lancer le set. Provient du batteur, à croire qu'un utahraptor s'est introduit dans la salle. On ne l'entendra plus de tout le set. Du moins au micro, car question drummin il effectue un travail de dingue, tâte un max, pas qu'il tâtonnerait, non une frappe puissante et d'une rapidité inouïe, always on the break, un continuum de brisures effrénées, le gars ne vous laisse jamais l'oreille en repos, doit avoir un cœur d'engoulevent capable de rester plusieurs mois en l'air sans se poser. Si les sbires de Diapason l'avait entendu, ils n'auraient jamais osé décerner un Diapason d'or aux Percussions de Strasbourgs.

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    Ce qu'il y a de miraculeusement terrible c'est qu'on ne l'entend pratiquement pas, pour être plus juste on ne le discerne pas plus que cela dans la profusion de l'ensemble. Un mur de lave qui descend d'un cône volcanique charrie bien de débris et de scories mais vous ne voyez qu'une immense langue de feu qui dévaste irrémédiablement la contrée. N'ont pas recruté un manchot à la guitare, certes Kurt à la rythmique l'aide bien mais Jorge est un bretteur imparable. Donne l'impression d'une foultitude de rubans d'or qui s'échappent de son appareil à combustion. Un laminoir à langue de tamanoir. Le son s'infiltre partout, vous submerge sans que vous en preniez conscience. S'amusent comme des petits fous. Les départs et les fins de morceaux sont de véritables films d'animations. Jettent un riff pratiquement au hasard et à chacun de se dépatouiller comme il peut, attention il faut que ça se termine ou que ça commence avec l'ampleur d'une ouverture ou d'un finale de symphonie à la Beethoven. Trapèze volant sans filets et je te pousse en plein déséquilibre, le bassiste particulièrement fort pour louer à la voiture balai en ces ultimes moments. J'en ai eu les oreilles toute batifolantes durant une heure en regagnant la teuf-teuf à l'autre bout de Paris. Rien à dire, flair infaillible de rocker, ce soir fallait être au SuperSonic. Ëtre ou ne pas être. That is the question ! Super Sonique !

    Damie Chad.

    FULL PATCH

    LA BIBLIOTHEQUE DU MOTARD SAUVAGE

    JEAN-WILLIAM THOURY

    ( Serious Publishing / 4° trim. 2018 )

     

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    Une ultime gorgée de café et dans cinq minutes je serai en train de kroniquer le dernier ouvrage de Jean-William Thoury. J'ai failli m'étrangler. L'on cause de Harley-Davidson aux infos. L'on situe l'endroit. Le point géodésique exact, in Paris, où la semaine dernière Jean-William Thoury dédicaçait son livre, je rappelle aux lecteurs à courte mémoire la kro 399 du 27 /12 / 2018, qu'en compagnie d' Alicia Fiorucci, Tony Marlow y faisait son show... Inimaginable nouvelle ! Le monde est en train de changer de base ! D'ici peu sera commercialisée la nouvelle Harley. Electrique ! Preuve à l'appui, le reporter nous fait entendre le ronronnement du nouvel appareil. Ressemble à s'y méprendre au bruit de l'engin à double balayettes qui nettoie les caniveaux devant mon domicile. Pour ceux qui n'ont jamais eu la chance d'ouïr le besogneux engin municipal provinois, il leur suffira de brancher leur robotique râpe à carottes pour en reproduire l'équivalent. Bye-bye les motards sauvages. Au siècle suivant l'on affirmera que le book de Jean-William Thoury aura été écrit juste avant l'extinction des dinosaures mécaniques.

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    Laissons-là ces lendemains qui déchantent. Un coffre à merveilles de quatre cents pages, papier glacé nous attend. Jean-William Thoury a lu plus de trois cents bouquins – genre de sport pratiqué par les érudits de la Renaissance - consacrés aux clubs de bikers. Nous les présente un par un. Production francographe et de langue anglaise. Une aubaine car parfois la langue de Shakespeare s'avère aussi incompréhensible aux natifs de douce France que l'écriture cunéiforme. Thoury s'est chargé du bruit et de la fureur, Serious Publishing de l'esthétique. Repros couleurs à chaque page. Une véritable exposition de tableaux. Il se pourrait qu'une majorité d'esthètes jugeassent ces couvertures cheap and kitch. Mais tous ceux qui adorent les bielles mécaniques et les pulpeuses créatures apprécieront ces rutilances phantasmatiques. Pour ma part j'oserai le concept de d'héraldique romantique. Toutefois ne cédez point aux miracles de l'imagerie, certes les pleines-pages photograpphiques abondent, mais le texte n'est point maigrelet. Policé en petits caractères extrêmement lisibles. Des heures de lecture. Jean-William Thoury n'a pas boudé le travail. Une Bible, mais cette fois vue du côté des anges de l'enfer. Les livres sont présentés dans l'ordre chronologique de leur parution. Si les années soixante occupent cent cinquante pages, la fin du siècle et le début du nôtre accaparent le restant de l'espace, cette inflation témoigne à elle seule de l'importance acquise par le phénomène biker en quatre-vingt ans, les sociologues ne manqueront pas de brandir le concept des minorités actives.

    Full Patch oscille sempiternellement entre objectivité et subjectivité, ce qui est la meilleure manière de bafouer la lâche neutralité des universitaires. Jean-William Thoury résume le contenu des ouvrages qu'il présente. Pour les ouvrages d'imagination à suspense il se garde bien de nous révéler la toute fin de l'intrigue selon l'adage que l'incitation au désir procure davantage de jouissance que la satisfaction du plaisir. Le lecteur alléché n'hésitera pas à se reporter au bouquin idoine ou à se livrer à mille délices hypothétiquement imaginatives.

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    Full Patch possède ses parti-pris assumés. J.-W. Thoury est sensible à la force talismanique des mots. N'oublions pas qu'il lima en d'autres temps les chatoyances verbales du groupe Bijou. Ainsi il ne culbute jamais devant une longue liste de Motors-Clubs pas plus qu'il ne résiste à égrener les noms des principaux membres d'un club. Ces interminables nomenclatures évoquent des vocables aussi éclatants que les rimes flamboyantes des alexandrins d'Edmond Rostand. Ces mots portent en eux la force des présences qu'ils poétisent. Ils ne sont ni verbiage, ni remplissage, ils sont verbe agissant qui scandent le texte en lui permettant d'atteindre, grâce à une espèce de transe rythmique, à une profonde exaltation hypnagogique à l'instar de mantras matriciels. Leur nomenclature forme un arbre généalogique aux innombrables ramures. Vous croiriez facilement que vous êtes en train d'éplucher l'ancien armorial de la noblesse européenne... Un labyrinthe sans fin dans lequel vous seriez perdus si J.-W. Thoury ne nous venait en aide. Prend le rôle de Virgile qui guide complaisamment Dante dans les sept cercles infernaux de la Divine Comédie, encore que nous soyons carrément dans la Diabolique Tragédie dont le parcours, comme toute initiation, nécessite épreuves et persévérance.

    Même si le premier Motor-Club date de 1903, l'histoire mythique des Bikers débute en 1947 avec les troubles d'Hollister popularisés en Europe par L'Equipée Sauvage en 1953. Incidemment, questions films, le lecteur se rapportera à Bikers, Les Motards Sauvages de Jean-William Thoury paru en 2013.

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    Jean-William Thoury en pince ( à vélo, excusez-moi ) pour les Hells Angels. N'en oublie pas pour autant les autres grandes confédérations, Bandidos, Pagan's, Outlaws, mais les Hells Angels remportent la palme. Ce sont eux qui ont en quelque sorte clarifié les tables de la loi. Il est aussi difficile d'évoquer les bikers sans faire référence aux Hells Angels que de parler de chevalerie sans faire allusion aux chevaliers du Graal. Reste que dans l'imaginaire populaire les Hells Angels n'ont pas une réputation d'agneaux innocents. Sont souvent présentés comme de sombres brutes mal dégrossies prêtes à vous trucider si vous vous approchez d'un peu trop près de leur moto.

    Pour sa part la police n'y va pas de main morte. Elle assimile les Motor-Clubs à des gangs, autrement dit à de simples organisations criminelles coupables de toutes les exactions : viols, crimes, trafic divers : drogues, armes, prostitution... Jean-William Thoury remet les pendules à l'heure. Les M. C. ne sont pas responsables des actes commis par ses membres, à leurs initiatives personnelles, entrepris hors des activités du club programmées dans son statut. Ainsi le club de tennis que vous fréquentez n'est pas plus responsable des exactions diverses qu'à titre individuel vous exercez à vos risques et périls dans le restant de votre existence... Reste que toute institution légale peut aussi servir de paravent...

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    Qu'est-ce qu'un biker sauvage ? Outre le fait qu'il chevauche une moto ( de préférence une Harley customisée ), il est avant tout un être libre. Qui refuse de mener une vie d'esclave. A choisi une existence qui ne soit pas asservie par des horaires par trop contraignants, et à la merci de petits chefs emplis de suffisance et de médiocrité. Notons que de tels principes peuvent déboucher aussi bien sur une vision seigneuriale des plus éthiquement aristocratiques que donner lieu à des idéologies les plus troubles. Le biker est un anarchiste individualiste qui ne reconnaît qu'une seule association, celle de son moto-club...

    Par la force des choses le biker conséquent avec ses principes se doit d'assumer sa propre subsistance. Il compte sur l'entraide de ses pairs, mais pas sur la charité des copains. Se débrouille. Se livre à de petits trafics : ce n'est pas tout à fait la même chose de de vendre cinquante grammes d'héroïne qu'un kilogramme. Nombreux sont ceux qui montent de petites entreprises : bars, tatouages, garage-motos...

    Documentaires, romans, biographies et autobiographies sont les quatre types genres d'écrits que J. W. Thoury passe au crible de sa lecture. Ne sont pas tous de valeur égale. Trop de romans écrits à la chaîne regorgent de scènes de sexe et de violence, les auteurs ( et les éditeurs ) caressent les appétits les plus bas de leur lecteurs... C'est de bonne guerre. L'on ne lit que les livres que l'on mérite. Les documentaires se répètent souvent, quand ils deviennent intéressants et mettent la focale sur tel ou tel personnage l'on s'aperçoit qu'ils reprennent des éléments donnés dans les bios et les autobios des acteurs qui en ont été les principaux instigateurs.

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    L'histoire des M. C. n'est pas de tout repos. Ils se livrent à de terribles luttes d'influence tant au niveau local que régional, national et même international. Parfois l'on brûle l'étape du baston pour sortir les fusils. Le Canada et l'Australie furent le théâtre de véritables guerres. Problème récurrent de toute organisation qui acquiert trop de puissance qui dès lors se concrétise sous forme de visées hégémoniques. Parallèlement à cette situation partagée par l'immense majorité des groupes humains, surgit la problématique des individualités. Désir de domination, jalousie, et ressentiment sont les moteurs ( non-exclusifs ) du comportement humain. L'on a un peu l'impression de lire des études du zoologiste Konrad Lorenz sur l'agressivité des oies cendrées.

    Nous l'avons vu : en tant que personne morale le M. C. se refuse à toute violence et à tout trafic, mais il n'en est pas de même pour les individus qui le composent. Les trafics individuels génèrent argent, richesse et pouvoir. Autant de motifs de guerres intestines – la vie d'un M. C. n'est pas obligatoirement un long fleuve tranquille – et inter-claniques. De nombreux bikers finissent en prison. Les gouvernements n'aiment guère que des groupes auto-gérés échappent à son contrôle et instituent des zones de vie autonomes. L'Etat se défend : la police est chargée de surveiller et de réprimer ces ferments anarchiques. Les M. C. sont des structures fermées. Il est difficile à un policier de les infiltrer. Mais la parade fut facilement trouvée par le FBI. A un biker menacé de passer plusieurs années en prison il est facile de proposer de changer de camp, de rentrer dans un M. C. et de pousser certains de ses membres à quelques actions ou trafics illicites. Ce petit jeu peut durer plusieurs années, jusqu'à ce que l'on ait collationné un nombre suffisant de preuves, et lorsque le fruit semble prêt à tomber, le jour J, à l'heure H, sur différents points du territoire, parfois très éloignés, un ballet de perquisitions généralisées est déclenché... La récolte peut être juteuse, comme très maigre.

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    Mais le jeu est dangereux. Ne parlons pas maintenant des traîtres – nous les laissons avec leur conscience – mais de véritables et volontaires agents de l'Etat immergés durant des mois et des mois à l'intérieur d'un M. C. Des liens, sinon d'amitié, du moins d'estime, se nouent... Certains policiers infiltrés en arrivent à d'étonnantes conclusions : les gredins qu'ils espionnent leur paraissent plus honnêtes que leurs supérieurs hiérarchiques et politiques. Ils sont les premiers à dénoncer l'incompétence de leurs propres services... Hommage de la vertu au vice !

    L'ensemble de l'ouvrage se donne à lire comme un roman historial. De volume en volume, Jean-Willam Thoury peint une épopée tumultueuse. Palpitante, car elle ne remonte pas aux temps anciens. Ses héros de chair et de sang bouillonnants sont nos contemporains. Ils ont choisi de vivre en marge d'une société dont nous-mêmes subissons toutes les coercitions et toutes les avanies. Ils ne sont pas meilleurs que nous, mais font preuve d'un peu plus de courage... Encore que... les temps changent... les anciens bikers d'âge respectables sont les premiers à dénoncer les changements survenus dans les M. C. victimes d'une certaine institutionnalisation. Les conditions de vie et les mentalités se sont modifiées. Les temps ne sont plus les mêmes. Le M. C. n'est pas encore un loisir de Monsieur tout le monde mais même les policiers ont leurs motos-clubs... Est-ce la rage originaire des laissés-pour-compte qui s'émousse, ou le Système qui parvient à récupérer tout ce qui s'oppose à lui … Il existe toujours et encore des motards, mais le biker sauvage est une denrée plus rare... Jean-William Thoury nous rassure, les vieux rêves sont comme les couteaux usés, ils ont besoin d'être aiguisés, et Full Patch est une merveilleuse pierre à fusil.

    Damie Chad.

    ERIC CLAPTON

    PHILIPPE MARGOTIN

    ( Chroniques Editions / Novembre 2015 )

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    Je ne suis pas fan d'Eric Clapton, même si je dois reconnaître qu'il joue mieux de la guitare que moi. Quoique si je possédais sa dextérité j'en userais bien plus sauvagement rock'n'roll ! Comme il n'y avait rien d'autre sur l'étalage du camion Gibus, et qu'il est de bonne guerre de supporter son bouquiniste local qui se débrouille toujours pour offrir quelques vinyles à pochettes affriolantes, je m'en suis emparé, un peu dépité. Car je n'aime guère non plus, ces albums à grand format mis sur les étalages des grandes surfaces aux mois brumeux de novembre, afin de déclencher chez vos proches le réflexe pavlovien du cadeau de Noël... Me suis fait avoir parce que j'ai jeté un coup d'œil sur les premières pages. La préhistoire du british blues est aussi attirante et mystérieuse que la disparition de l'empire Hittite au douzième siècle avant le petit Jésus. Heureusement que je n'ai pas ouvert au milieu du bouquin. Clapton et moi c'est une histoire à éclipses, après 1974, j'ai laissé un peu tomber, de temps en temps un coup d'oreille, un peu comme quand vous présentez vos vœux à une antique copine...

    Ne s'est pas trop fatigué Margotin, et les éditions Chroniques ne nous en fait pas voir de toutes les couleurs. Du blanc, du noir et des fonds de page mordorés. Des repros de pochettes de disques pas plus gros que deux timbres-postes sous lesquelles se trouve un commentaire des plus succincts, titres, musiciens + quelques phrases rapides pour situer le le style, et puis basta ! Les photos artistiquement découpées sont présentées comme ces vastes assiettes de hors-d'œuvres de la Nouvelle Cuisine en lesquelles se perd une asperge unique entourée de fines de lamelles de radis... Si vous êtes adeptes des révélations fracassantes, achetez de préférence l'autobiographie de Clapton, je ne l'ai pas lue, mais les seuls propos intéressants du livre y ont été empruntés par un Margotin visiblement en panne d'inspiration... questions réflexions personnelles et analyses pertinentes, Margotin ne s'est point moultement pressé le cérébral citron.

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    Un petit effort toutefois pour le début de la carrière de maître Eric. Un peu de grain à moudre pour le public actuel de Clapton qui n'aurait jamais entendu parler de Blind Faith, de Cream, des Yarbirds, des Blusbreakers et de toute l'antique panoplie, Margotin s'est fendu de quelques explications agrémentées d'encarts plus ou moins étendus pour les seconds couteaux de la légende, même si Alexis Corner, John Mayall, Peter Green, et Stevie Winwood ne méritent pas cette qualification infamante. Mais le margoulin en dit si peu sur Clapton que cela vous a un air de remplissage décevant...

    La deuxième moitié du bouquin est franchement plus désagréable. Margotin se contente de noter les disques enregistrés par Dieu, chichement suivis de quelques commentaires sur la tournée promotionnelle qui suit. L'est vrai que Clapton ne l'aide en rien. Se contente de peu. Le mec gentil et serviable prêt à pousser un solo de guitare sur une des pistes de n'importe quel artiste qui l'invite. C'est simple, l'a joué avec tout le monde, sur scud comme sur scène. Les lecteurs pressés se reporteront en fin de volume aux quatre pages de la discographie. Bien présentée, claire, nette, précise, d'une lecture aisée.

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    Et Clapton ? On le capte peu. Pas un mot sur sa personnalité. Margotin est le mec discret par excellence. L'évocation des amours d'Eric avec Pattie Harrison ne donnent lieu à aucune surenchère érotique. L'addiction à l'héroïne et plus tard à l'alcool est notée sans insistance, pas question de s'interroger par quels manques ou par quels déséquilibres ils sont causés... L'est vrai qu'il est un peu distant notre guitariste, quand la Reine le décore il déclare que plus jeune, dans sa période rebelle, il aurait refusé, mais là à soixante balais ( il y en a des coups qui se perdent ) il a réfléchi, l'ajoute même '' que c'est une chose importante que de pouvoir être un exemple''. Sans doute pour la jeunesse dégénérée qui écoute du rock'n'roll !

    Passons au plus important : la musique. Avis aux amateurs de guitare, rien ne vous sera dévoilé. Je n'ose pas dire que je résume, j'enlève à peine quelques mots : en ses débuts Clapton jouait du blues. L'était même un puriste du country-blues. Après l'a mis de l'eau dans son vin bleu, pardon du rock'n'roll dans son blues - les Rolling Stones aussi – ensuite ce l'est joué laid-back. C'est à dire virtuose, surfin. Habileté maximale... qui coule comme de l'eau de source lustrale. C'est beau mais pas aussi fort qu'une rasade de moonshine au venin de crotale. Une nuit au camping idéale, sans moustiques, pour les adeptes du naturisme. N'empêche que l'on aurait apprécié quelques aperçus sur l'influence de Duane Allman et de J. J. Cale sur son style.

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    Le livre n'a pas que des mauvais côtés. Chacun rencontrera une figure mythique qu'il affectionne particulièrement – pour moi, par exemple Jim Cappaldi – mais la fidélité de Clapton au blues est patente. Quel plaisir de voir défiler tous les noms légendaires du Delta et du Chicago électrique, Clapton se débrouille toujours pour en caser au minimum un ou deux titres - classique ou exhumés de l'oubli, il s'y connaît le bougre - sur chacun de ses albums. Un néophyte tant soit peu curieux trouvera facilement dans ce livre bien des portes qui lui permettront d'entrer de plain-pied dans le territoire de la musique du Diable.

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    Quant à Clapton rescapé de l'explosion rock, auto-transformé en mercenaire de la guitare, j'avoue ne pas trop comprendre. Peut-être qu'un jour Dieu m'aidera. En attendant je cours me repasser Disraeli Gears et Layla pour dissiper mes idées noires et mes incertitudes bleues.

    Damie Chad.

    IGNEUS

    PATRICK S. VAST

    ( Editions Fleur Sauvage / Novembre 2015 )

     

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    Jamais entendu parler de Patrick S. Vast ni des éditions Fleur Sauvage. Marcel Proust aurait dû y penser, A L'Ombre des Jeunes Filles en Fleurs Sauvages, ce n'est pas mal non plus. La couverture orange et surtout ce microsillon en flammes ont attiré mon regard. Rock'n'roll et satanisme au dos de la couverture, une petite lecture avant la nuit me procurera peut-être de splendides cauchemars ai-je pensé. Ben, non j'ai dormi comme un loir du Loir-et-Cher. Par contre une agréable lecture. Rock'n'roll, yes un peu. Période Led Zeppelin et Deep Purple. Et metal actuel. Ce qui nous vaut quelques scènes de répétitions en cave enfumée bien venues. Ce n'est pas le principal sujet du livre. Avant de l'aborder je vous délivre le Diable de sa fosse, z'oui un peu de satanisme, juste ce qu'il faut, comme quand vous vous préparez un kilo de piments habanero pour accompagner la cuisson d'un petit pois. Soyez un peu plus finauds, ce n'est pas parce que l'on ajoute un piment rouge devant vous qu'il faut foncer droit dessus. Non ce n'est pas ce qui doit aiguillonner votre désirs, peu de taureaux survivent dans l'arène. Les lecteurs de Kr'tnt auront toutefois cœur à réparer la description un peu trop caricaturale d'Anton LaVey.

    Avant tout un roman policier. Avec un bon début et une meilleure fin. Patrick S. Vast vous fait le coup de ces groupes de rock qui terminent leur set en vous souhaitant un bon retour. Et qui cinq minutes plus tard reviennent pour un rappel que vous n'attendiez pas, qui se révèle plus surprenant que le set en lui-même. Et vous refont le même coup, avec un second rappel encore plus éblouissant. L'ultime baisser de rideau de Monsieur Vast est spécialement dévastateur. Tel est pris qui croyait prendre. Et le dindon de la farce c'est vous. Tant mieux pour vous.

    Incidemment, mais il est des incidents qui soulèvent plus de questions que les énigmes que l'on vous offre pour détourner votre attention, Igneus jette ( à peine ) quelques pâles lueurs sur le sujet des combustions spontanées. Je sens que vous brûlez d'en savoir plus, alors je vous promets qu'une de ces livraisons je vous chroniquerais le roman de Jean-Pierre Roques sur ces consummations cendriques.

    Igneus est avant tout, me semble-t-il, un livre sur le pouvoir. Politique, cela va sans dire, car c'est le seul pouvoir qui compte. Ses ramifications occultes, nécessairement, car pour agir en toute impunité, il est impératif de vivre secrètement. De quoi exercer vos vigilances citoyennes. Avant de courir aux armes. Ainsi que le propose la bonne chanson.

    Damie Chad.