Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

CHRONIQUES DE POURPRE - Page 103

  • CHRONIQUES DE POURPRE 240 : KR'TNT ! 360 :CHUCK PROPHET / BLUE VOID / CRUCIFIED PINGUINS / TABULA RAZA / KOMTWA / SOCIAL CRASH / SONNY BOY WILLIAMSON ( I )/ MAGMA / JOHNNY HALLYDAY

     KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 360

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    08 / 02 / 2018

     CHUCK PROPHET / BLUE VOID / TABULA RAZA

    CRUCIFIED PINGUINS / KOMTWA / SOCIAL CRASH

    SONNY BOY WILLIAMSON

    MAGMA / JOHNNY HALLYDAY

     

    Prophet en son pays - Part One

    z3213dessinprophet.gif

    Dans les années quatre-vingt, pas mal de gens appréciaient Green On Red. Comme tous les groupes de cette époque, Green On Red avait les défauts de ses qualités : le chanteur Dan Stuart pouvait parfois se montrer très surfait, presque insupportable, alors qu’à l’opposé, Chuck Prophet redoublait de finesse guitaristique. Il allait d’ailleurs montrer par la suite qu’il était bien meilleur au chant que le pauvre Dan Stuart.

    Le duo devait surtout sa réputation à Jim Dickinson, l’homme qui transformait le plomb en or. Enfin, en or, façon de parler, puisque les albums devenus cultes de Big Star et des Panthers Burns ne se vendaient pas. Dan et Chuck ne roulaient pas non plus sur l’or, avec leurs deux albums enregistrés à Memphis. Mais Dickinson qui avait du flair vit en Chuck Prophet l’un de ces guitaristes exceptionnels qui pouvait rivaliser d’aisance avec Charlie Freeman.

    z3216insideme.jpg

    Enregistré au studio Ardent de Memphis, The Killer Inside Me date de 1987, ce qui ne nous rajeunit pas. Dès «Clarksville», Chuck Prophet fait des siennes en balançant un solo de Télé-stromboli bien tortillé. Le problème c’est que Dan Stuart chante d’une voix trop affectée et massacre pas mal de morceaux. On ne s’habitue pas à sa voix trop ingrate. Dans «Jamie», il tente de faire du Neil Young en jouant la carte de l’affect, mais non, ça ne marche pas. Chuck Prophet passe un solo acide au clair de la lune dans «WhisperingWind» et s’installe dans une sorte de halo supérieur. Ils basculent enfin dans le Memphis Sound avec un «Ghost Hand» embarqué à la guitare et pulsé à la stand-up. Dickinson y concocte un son fouillé, légèrement apoplectique et sature la batterie d’écho. Il joue aussi sur «Sorry Noami», sous le nom d’East Memphis Slim. Dan Stuart réapparaît en B pour patauger tragiquement dans l’Americana de carte postale. On note aussi une certaine faiblesse compositale, ce qui n’arrange rien. Chuck Prophet tente de sauver l’album en prodiguant vite fait des soins au morceau titre, sous la forme d’un space solo déterminant, et hop, terminus. Tout le monde descend.

    z3224snakescd.jpg

    Un an plus tard, ils reviennent à Memphis enregistrer Here Come The Snakes avec Dickinson et Roland Janes. Cette fois ils vont plus sur la Stonesy, avec un cut comme «Keith Can’t Read». Le pauvre Dan Stuart se prend pour Jagger, mais heureusement, Chuck Prophet claque ses chords avec classe - cling-a-clong - Il connaît le coup des allers et retours, c’est même affolant de keeferie contenue et du coup, on comprend que la star dans cette histoire, c’est Chuckeef et sa chuggling guitar. On entend Rene Coman jouer une belle ligne de basse sur «Rock’n’Roll Disease», et comme Dickinson produit, elle remonte bien dans le mix. Bienvenue dans le boogie des marais avec «Zombie For Love», un truc épais et admirable de grandeur vermoulue. Chuck Prophet fait le show en attaquant le thème en vrai Télé-boy. On a là le heavy Memphis groove avec Dickinson à la batterie. Quelle purée ! Chuck Prophet joue «Change» à outrance, comme le jouerait Steve Cropper. Encore un cut qu’on accueille à bras ouverts. Si on aime bien Dickinson, alors il faut écouter cet album attentivement. Retour au heavy groove de Memphis avec «Tenderloin» et dans «DT Blues», si mal chanté mais saturé de son. Ils font là le «Signed DC» de Love et diable comme Chuck Prophet joue bien, il explose la saturation, il va loin, bien au-delà de ce qu’on imagine. On trouve un disk entier de bonus dans la réédition de 2005, et c’est comme dans les coffrets de Big Star, ça grouille de surprises. Ouverture du bal avec «Fuzzy Mama». Chuck Prophet y sort le grand jeu, il joue de l’acid-rock et Télète à outrance. On tombe plus loin sur un «Yellow House» psyché et bardé de reverb - See the yellow house - que vient fracasser Chuck Prophet avec un solo de cirque en dérapage contrôlé. Il tape dans plusieurs registres à la fois, mais en un éclair. Il faut d’ailleurs réécouter ce truc plusieurs fois pour comprendre ce qui se passe. Retour au heavy rock avec «Five Til Five». Chuck Prophet y claque ses beignets d’accords au grand jour et ça se termine en apothéose. Nouvelle version de «Change». Chuck Prophet la joue à la pire violence riffique du continent. Il faudra s’en souvenir. Green On Red ne tient par le jeu de ce guitariste surdoué. Dickinson joue du piano sur «That’s The Way That The World Goes Round», mais Dan Stuart vient ruiner le projet avec sa voix surfaite.

    Même si Dickinson n’est plus dans les parages, les autres albums de Green On Red valent aussi le détour, ne serait-ce que pour savourer le travail de l’orfèvre Prophet.

    z3214logging.jpg

    Gas Food Lodging est un album qui sent bon la Stonesy et en particulier «This I Know». Chuck Prophet s’y fait très présent et joue son admirable shoot les deux doigts dans le nez. Curieusement, on finit par s’habituer à la voix de Dan Stuart. On se régalera aussi du vieux groove de «That’s What Dreams Were Made For», mid-tempo chargé de Télécast. Chucky Chuckah y télécaste coast to coast at any coast. Hélas, la voix de Dan Stuart se fait trop perçante. C’est même insupportable. De son côté, Chuck Prophet n’en finit plus d’élaborer un univers sonique incroyablement complexe, il glisse des accords inconnus dans ses architectures et comme Syd Barrett, il privilégie le crystal blue. En réalité, les albums de Green On Red sont ceux de Chuck Prophet. Il joue énormément, il joue à l’excès et tisse inlassablement des trames de son clair. Il remplit même les espaces intermédiaires. Dan Stuart massacre «Black River» et Chuck Prophet refait le show dans «Hair Of The Dog». C’est joué ultra-sec. Le solo qu’il passe vaut pour modèle, au moins autant que ceux de Jeff Beck dans Beck Ola. On a encore un brin de Stonesy dans «Easy Way Out». C’est un admirable balladif d’Americana avec de faux accents de «Beautiful World» - And I said to myslef - S’ensuit un autre balladif ensorcelant, «Sixteen Ways», terriblement joué et chanté à la Stuart. On finit par se laisser convaincre. D’autant que Télé-boy finit toujours par l’emporter. Il tente de sauver «The Drifter» trop mal chanté. Il part en solo d’aventure à la Neil Young, celui du temps béni de Weld. Justement, voilà Cortez the killer dans un «Sea Of Cortez» joué aux guitares entreprenantes et qui pourrait presque nous renvoyer à Zuma. Chuck Prophet est dans ce son. Ah il faut l’entendre partir en solo ! C’est beau, bien tiré et digne de la postérité.

    z3215lunch.jpg

    Pas mal de son sur No Free Lunch, qui date de 1985. C’est très joué d’intro, dès «Time Ain’t Nothing». Dan Stuart pose très vite sa petite voix de nez et on a une belle compo de belle allure, un joli mid-tempo alerte et fier, bien nappé d’orgue par Cacavas. Que peut-on souhaiter de plus ? C’est excellent, très intentionnel et fermement orienté vers l’avenir. Chucky Chuckah y passe un solo de country rock d’une dépouille exemplaire. Il claque «Ballad Of Guy Fawkes» à coups d’acou puis s’en vient délayer quelques tortillettes à la suite. S’il joue un solo, ici, ce sera un solo vautour perdu dans le désert. En B, il vient hanter «(Gee Ain’t It Funny How) Time Sleeps Away)», en pur filigraneur. Il joue tout au bon vouloir de la note claire et le pauvre Dan Stuart redevient insupportable dans «Jimmy Boy», avec sa voix qui ne se pose pas, ni du côté de Neil Young, ni du côté de Dylan. Son nasillard perçant le rend profondément antipathique. On irait même jusqu’à croire que c’est délibéré. Encore un joli mid-tempo d’allure martiale avec «Keep On Moving». C’est là où ce groupe bizarre redevient irrésistible. D’autant que Chucky Chuckah joue avec une authentique distinction. Il balance l’un de ces solos lumineux dont il a le secret. On ne se lasse pas de ce guitar slinger.

    z3218timesaround.jpg

    Belle pochette pour This Time Around : un mec montre son tatouage de cave de HLM sur l’intérieur de l’avant-bras : «Born to lose». Joli programme. Le dos de pochette nous indique que les cuts sont enregistrés live in London. L’info importante c’est que Rene Coman joue de la stand-up, et pour un architecte de génie comme Chuck Prophet, c’est une aubaine que d’avoir ce mec derrière lui. Mais l’album n’est pas très spectaculaire. On y trouve un vieux coup de boogie, «Rev Luther», you know what I’m talking about, mais on passe à travers toute l’A et même à travers toute la B. Dommage, car Chucky Chuckah fait des merveilles dans son coin, il joue des solos étincelants, mais il est à l’arrière du mix, ce qui constitue une très grave erreur. On note aussi sur cet album la présence de Spooner Oldham. Mais globalement, This Time Around ne vaut pas tripette. On peut donc passer son chemin.

    z3219scapegoats.jpg

    Al Kooper produit Scapegoats. On y entend donc beaucoup d’orgue Hammond, notamment dans cette beautiful song qu’est «Hector’s Soul». C’est tout simplement bardé d’horizons. - Dreaming is for losers who just can’t make it work/ Hector’s out of prison/ He’s gone bersek - et ce diable de Chuck Prophet fait tout basculer dans le vertige. Il n’existe rien d’aussi déterminant sur cette terre - Death by suffocation/ Get close everyday - L’autre merveille de cet album s’appelle «Shed A Tear». Nous voilà à Nogales, du côté de chez Sahm. Quel fabuleux strutting ! Ça sonne comme la meilleure Americana du midwest. Chuck Prophet joue comme un cowboy déluré - So I’ll buy you a beer/ And we’ll shed a tear for the lonesome - L’«A Guy Like Me» d’ouverture sonne très dylanesque avec ses nappes d’orgue. Chuck Prophet en profite pour faire claquer ses notes au grand jour. Quelle délectation ! Tout l’album baigne dans une ambiance d’Americana exceptionnelle. Chuck Prophet gratte tout en picking des Appalaches et Dan Stuart promène son cul sur les remparts de Varsovie. On a aussi un «Cold In The Graveyard» claqué aux accords de rock anglais - I ain’t here for the money honey - Chuck Prophet y bat tous les records d’élégance. Et quand il part en solo, ça devient très sérieux. Il taille dans le lard d’une grande envolée. Avec «Blowfly», ils s’offrent tous les luxes du Deep South, notamment les cuivres. Puis Dan Stuart joue lead sur «Sun Goes Down». On sent le laborieux. D’ailleurs, toute la magie de Chuck Prophet y brille par son absence. Quand on écoute «Baby Loves Her Gun», on entend le tempo de la mort qui approche. On n’imagine pas à quel point la mort peut approcher lentement - Baby not so fast/ She likes to take it slow.

    z3220fun.jpg

    Paru en 1992, Too Much Fun est le dernier album de Green On Red. Sacré son, et ce dès «She’s All Mine». Ça Télécaste aussitôt sous la mèche. Quel curieux mélange de chant mitigé et d’élégance guitaristique ! Mais ça passe comme une lettre à la poste, d’autant que derrière on a un joli beat et une belle basse. Les gros trucs se trouvent en fin d’album. Chuck joue «Man Needs Woman» à la réverb, c’est plein de sides of heaven et de crystal clear. Puis il se fâche un peu avec «Sweetest Thing», gros heavy rock de Télé. Chuck nous gratte de très bons accords, on peut lui faire confiance pour ça. C’est du solide. Il sait parfaitement provoquer la venue des choses. On ne résiste pas au charme de son boogie. Pure merveille que ce «Hands And Knees», un balladif qui semble cousu au premier abord et que Chuck Télécaste. Il y met toute sa grandeur d’âme et gratte le thème à la manière d’un génie bienveillant. Oui, il veille sur le destin de Green On Red. Et puis on tombe sur une incroyable surprise : avec «Rainy Days & Mondays», Dan Stuart se prend pour John Lennon. Voilà qu’ils se fondent tous les deux dans les Beatles. Ou encore dans Mercury Rev ou Gram Parsons, c’est comme on veut. En tous les cas, ils se fondent dans quelque chose d’extrêmement puissant. Oh il faut aussi écouter «Love Is Insane», car Chuck y wha-whate le groove et un solo de trompette free vient clore ce débat qui porte sur l’insanité de l’amour. Ils basculent aussi dans la pop avec «The Getaway». Ils le font au mieux des possibilités, d’autant que le Prophet vient miraculer l’ambiance et que Dan Stuart lâche des hey hey hey parfaitement languides. On croirait entendre George Harrison.

    z3221bbc.jpg

    Si on aime entendre jouer ce Télé-boy surdoué qu’est Chuck Prophet, alors il faut se jeter sur les BBC Sessions. Tout y est joué, Télécasté, enrichi, fouillé de bout en bout. C’est un son très américain. Chuck Prophet sort le grand jeu dans «DT Blues», sosie-blues du fameux «Signed DC» de Love. On peut même dire qu’il joue le blues comme un dieu. Ah ces mecs savent monter un coup. «Fading Away» est là pour le prouver. Quel souffle ! Ce beau diable de Chuck allume toutes les figures de style une à une. Ils tapent ensuite dans la good-time music d’Amérique avec «Reverend Luther». Voilà, c’est toute la différence avec les Anglais, ils savent swinguer un shuffle de petite motion picture et Chuck joue les interventionnistes. On tombe plus loin sur une puissante version d’«Hair Of The Dog». Chuck y fait un festival. Il faut entendre son solo spatial ! On retrouve aussi le fameux «Zombie For Love» monté sur un vieux beat de type Mungo Jerry. Et derrière, ce démon de Chuck joue au clair de la lune. Chaque fois, quelque soit le style du cut, il taille des petits solos circonspects qui forcent l’admiration. Ce mec a tellement de talent qu’il peut varier les genres, comme sait si bien le faire Dick Taylor. Par contre, Dan Stuart ne rate pas une seule occasion de ruiner les cuts, comme c’est le cas avec «Sun Goes Down». Il ruine le blues. Il chante si mal que c’en est insultant. Heureusement, Télé-boy veille au grain. Il fait aussi son petit bonhomme de chemin dans «Frozen In The Headlights» et chucky chuckate l’effarant «Too Much Fun». On a chaque fois l’impression que Chucky-chuckah aménage un lit pour Dan Stuart. Qu’il lui met des draps propres pour qu’il s’y sente bien. Ils terminent avec une belle version de «Man Needs Woman». On ne se lassera jamais d’entendre ce Télé-boy. On l’entend remonter dans le son comme un saumon, il claque du Télé cast coast to coast et le pauvre Dan chante comme il peut. Sans Chuck, il est cuit. Dans le petit texte d’accompagnement, Dan Stuart indique que la rencontre avec John Peel ne s’est pas bien passée - I told him that if he did a session with us I would go down on him. What followed was a look of total horror (Je lui ai dit que s’il faisait une session avec nous je lui taillerais une pipe. Il m’a jeté un regard horrifié) - Ce manque de respect pour John Peel choque un peu, d’autant que Stuart conclut sur une note parfaitement méprisante : il traite Peely de hamster dans sa cage à vinyles.

    z3222raisins.jpg

    Chuck Prophet enregistre deux albums avec Dickinson : Raisins In The Sun et Thousand Footprints In The Sand. Le premier paraît sur Rounder en 2001 et il vaut sacrément le détour, ne serait-ce que pour l’infernale version de «Stingbean». Voilà du pur jus d’Hooky boogie boogah scandé au c’mon c’mon c’mon et joué au heavy beat musculeux. Dickinson et Chuck Prophet chantent ensemble - Hey my heart concedes - Harvey Brooks est de la partie, d’où le son. Avec cet album, on se retrouve dans les meilleures conditions du Memphis Beat. Chuck Prophet fait le show dans «Old Times Again» et Dickinson joue comme Chopin sur son piano. Ils passent au r’n’b avec «Candy From A Stranger» et Harvey Brooks cuts it sharp. Nous voilà chez Stax et ce diable de Chuck Prophet chante à gorge déployée. Dickinson envoie des chœurs pas très catholiques. Il fait même le aw aw aw de l’alligator. Avec «Post Apocalyptic Observation», ils passent au garage, mais pas n’importe quel garage, celui de Memphis. Pure énormité - I won’t be carrying another/ Load - Wow ! Ils parviennent tout juste à se calmer avec «You Can Let Go Now». Chuck Prophet chante à la traînarderie et ramène des phrasés de guitare retardataires incroyablement juteux. C’est pour ça qu’il faut l’écouter. Il n’en finit plus de surprendre. Retour au boogie de Memphis avec «Chicken Fried». Ils sont tout simplement effarants de classe. Avec Brooks on bass, ça ne peut que ruer dans le rumble. Puis Dickinson chante l’un de ces balladifs dont il a le secret, «Nobody Loses» et ajoute ainsi un pierre blanche à la légende.

    z3223dickinson.jpg

    Thousand Footprints In The Sand est sorti sur Curdoroy, puis sur Last Call en 1997. Le groupe s’appelle Jim Dickinson And The Creatures Of Habit. Il est important de rappeler que sans Patrick Mathé et New Rose, nous n’aurions pas la possibilité d’écouter les disques exceptionnels de Jim Dickinson et d’autres figures de proue de la Memphis scene. Attention, ce n’est pas à proprement parler un album de rock. Dickinson adore taper dans les chants traditionnels. Au dos du pressage Curdoroy, Stanley Booth dresse une belle apologie de Dickinson. Il le compare à Dylan. Les deux hommes ont en commun le souci du contenu. Il est vrai qu’on ne va pas loin sans contenu. On s’en doute, Chuck Prophet joue comme un dieu sur cet album live qui s’ouvre sur une belle version de «Money Talks», un hit signé Sir Mac Rice. Dickinson chante au pur guttural. Il enchaîne avec un vieux standard de J.B. Lenoir, «Down In Mississippi». Il rend hommage à Furry Lewis, l’âme du blues de Memphis, puis à Dan Penn, avec «Pain And Stain», une chanson tiré de l’album ‘which never came out’, nous dit Dickinson, le fameux Emmet The Singing Ranger Live In The Woods. Il ajoute : «Ry Cooder said it was the best Dan Penn record.» Et dans l’un de ces grands moments d’humilité qui le caractérise, il lance : «I can’t sing like Dan Penn but use your imagination.» La B se veut radicalement country et on tombe sur une belle pièce de chevauchée sauvage, «Wildwood Boys» dans laquelle il raconte comment les gars du Missouri sont allés se battre contre l’Union pendant la guerre de Sécession - High-riding rebs from Missouri/ We rode for the great Quantrill/ Caught up by the battle and fury/ Back when just livin’ was hell - et qui après la guerre continuent de faire ce qu’ils savaient faire, c’est-à-dire chevaucher en bande et vivre dans les bois. Ils se mettent donc à attaquer des trains et des banques. C’est chanté avec une morgue extraordinaire et Jim Dickinson sort ses petites leçons de morale - The victory it goes to the strongest/ And only the strong will survive/ Survival is living the longest/ But nobody gets out alive - oui, les plus forts survivent, mais la moralité est sauve puisque tout le monde finit par casser sa pipe. Il clôt ce bel album avec une reprise spectaculaire du «Rocking Daddy» d’Eddy Bond, popularisé par Sonny Fisher - Well I’m rocking down in Tennessee - C’est swingué avec une rare sévérité.

    Signé : Cazengler, prophêtard

    Green On Red. Gas Food Lodging. Enigma Records 1985

    Green On Red. No Free Lunch. Mercury 1985

    Green On Red. The Killer Inside Me. Phonogram 1987

    Green On Red. Here Come The Snakes. 2CD set. Interstate Records 2005

    Green On Red. This Time Around. Off-Beat Records 1989

    Green On Red. Scapegoats. China Records 1991

    Green On Red. Too Much Fun. China Records 1992

    Green On Red. BBC Sessions. Cooking Vinyl 2007

    Raisins In The Sun. Evangeline 2001

    Jim Dickinson and the Creatures of Habit. Thousand Footprints in the Sand. Curdoroy 1992

    04 / 02 / 2018MONTREUIL

    LA COMEDIA

    RELEASE PARTY BLUE VOID et TCP

    ORGANISE PAR SOCIAL CRASH

    KOMTWA / TABULA RAZA

    CRUCIFIED PINGUINS / BLUE VOID

    z3212chiencomedia.jpg

    Direction La Comedia plein d'appréhension. Dimanche soir, pourvu que ne se répète pas le coup du punk basque, annonce du concert annulé pendant que la teuf-teuf volait sur la route, et un Montreuil quasi-désertique... Mais non, tout est bien qui commence bien. Comedia toute chaude et accueillante...

    KOMTWA

    z3327komtwa.jpg

    Ne pas confondre avec une pendule comtoise. Beaucoup plus méchant et éruptif. Du punk brut, sans décoffrage. Pouvez vous resservir des planches pour votre cercueil. Parce que Kwontat, ils n'en ont rien à foutre. C'est leur hymne, leur slogan préféré celui qu'ils feront incruster en lettres d'or dans la cuvette de leur WC. Massacre sans tronçonneuse mais à la batterie. Celui qui a passé les deux baguettes à ses doigts c'est le Mat, on ne lui jamais appris qu'il n'était pas en train de conduire une débroussailleuse, et c'est tant mieux. Car c'est un régal pour vos tympans. Ne fait pas les demi-toms ni dans la caisse trop claire, donne plutôt dans le style avalanche grondeuse et pales d'hélicoptères en furie. Un tournoiement sans fin. L'emporte tout dans son mouvement. Le Gal gratte et le Guzz gaze à la basse. Rien à faire sont emportés par le courant aspirant. Se démènent sur le marche-pied mais ils n'y peuvent rien, la musique est la proie d'une bactterie tueuse qui fonce vers les murs et les traverse sans s'en apercevoir. Cyclônotron infernal. A peine croyable, mais ils possèdent un chanteur. Vous vous demandez comment il parviendra à placer sa voix dans le capharnaüm sonore. Dans un premier temps vous remarquez qu'il s'est affublé d'un kilt à motifs vert et noir, vous tombez dans les réflexions machistes, les gars qui passent à trois cents à l'heure, ils vont freiner sec pour lui faire une place sur la banquette arrière. Le coup de l'auto-stoppeuse. Ben, non, le Gui s'adjuge la première place, au volant, dès qu'il ouvre la bouche. Peuvent rouler les potards sur le 124 les copains, lui il rugit plus fort. L'en a rien à foutre, mais à la manière dont il le déclare urbi et orbi vous êtes obligés de le croire sur parole. Ce n'est plus de la provocation mais de la profession philosophique. Une weltanschauung – comme l'écrivent les allemands – une vision cosmique, la proclamation de l'entéléchie punkoséïdale. Remarquez que le message passe mal, parce que vous, l'auditeur innocent, vous n'en avez pas rien à foudre du set de Komtwa. Le genre d'apéritif au cube des plus énergétiques. En plus la pendule komtwaque vous n'avez pas besoin de la remonter. Les voisins seront obligés de la détruire à coups de hache s'ils veulent dormir la nuit.

    TABULA RAZA

    Du passé faisons Tabula Raza. Moins de bruit, davantage de speed. Triangle de base – basse, batterie, guitare – affûté. Quelque part plus près de Steve Jones que de Sid Vicious. Refus du nihilisme dadaïste. Des politiques qui privilégient le sens et l'action directe. Des titres qui ne laissent aucune place au doute rongeur. En las Calles, Rapport de Force, Nouvelles Barricades. Ne donnent pas dans le consensus mou. Orientés à l'étamine noire. Drapé dans son perfecto, le chanteur n'hésite pas à lancer fièrement l'adage kropotkinien, A chacun selon ses nécessités, de chacun selon ses possibilités, un principe d'entraide de production et de consommation qui ne s'apprend pas sur les bancs de l'ENA. Musique fuselée et concepts bulldozers. Faut de tout pour détruire le vieux monde. Qui non seulement n'en finit pas de mourir mais qui de surcroît se porte comme un charme. Tabula Raza pousse à la roue. Rock torride et colère déployée. Ne confondent pas la communication avec le message. Des mots explosifs qui vous réduisent en poudre. Noire.

    CRUCIFIED PINGUINS

    z3328pinguins.jpg

    Durant la mise en place, z'avaient tout pour se faire aimer. La guitare de Clément froufroutant dans le blues, une autre, celle de Grégoire, difficile à tenir en laisse mais jappant comme un mâtin furieux qui s'en prend à votre postérieur, une batterie météorique, que demander de plus, qu'ils commencent au plus vite. Promettaient beaucoup mais choisirent les sentes de l'humour. Pas noir, l'absurde. Clément perdant un temps infini entre deux morceaux à des vannes vaseuses qui cassèrent le rythme du set. Je l'avoue les Pinguins m'ont un peu crucified. Veux bien entendre les phénomènes de distanciation, épiloguer sur l'auto-dérision – pratique toujours un peu démago - censée empêcher l'admiration béate de l'Artiste par le fan de base, mais le rock'n'roll me semble porteur d'une urgence indispensable. Dois reconnaître que j'ai été plus mauvais public que la moyenne de l'assistance.

    BLUE VOID

    z3225hyena.jpg

    L'ai remarquée dès que je suis entré. Mais je ne savais pas. N'étaient que trois garçons sur la scène à installer le matos et à peaufiner les derniers réglages. Et quand à la sono, le signal de départ a été donné, j'ai été tout surpris de la voir sauter sur l'estrade et se saisir du micro. Les gars ont embrayé tout de suite. Pas des charlots, parfaitement en place à la première seconde, vous ont concocté un de ces backgrounds de rêve, un de ces profilés de braise pour les soirs d'ordalie, et encore je les soupçonne de savoir faire mieux, car là ils ne jouaient pas pour eux, mais pour elle. Aux petits soins, aux petits oignons. De ceux qui vous font pleurer des larmes de joie. Ensuite ce fut le pays des merveilles. Le pays d'Alice. Toute mince, les jambes fuselées en futal noir négligemment ouvert aux genoux, une taille de guêpe, toute longue, surmontée d'un brouillard de blondeur, les bras nus, un bustier à rendre jalouse Astarté, le haut du sein gauche scotché d'une croix noire, le bras droit tatouage-maori, et puis la voix qui gomme tout ce qui précède. Haute et claire. Derrière ils affutent le raffut, mais elle plane au-dessus. Une facilité déconcertante. Une aisance à vous transformer en malade mental. L'a débuté par un avertissement un tantinet mensonger : «  L'on fait du post-punk mélodique », post-punk, je n'ose pas contrarier mais pour la mélodie, elle est envoyée à la fronde. Ou alors ce qu'elle appelle mélodie c'est sa facilité à surfer sur les octaves. This Bomb is Mine décrète-t-elle d'entrée, vous le martèle d'une voix claire comme de l'eau de roche et haute comme la tour Eiffel, mais trois morceaux plus tard sur Junk set elle growle comme une mécréante. Mais ce n'est pas tout. Car non seulement elle envoie sec, mais elle nuance à la mitraillette, elle cisèle à la hache d'abordage, elle époussette au marteau-pilon. Les guys la suivent, lui cueillent des jonquilles, lui ramassent des violettes et lui coupent des roses, à toute vitesse, Marc ne passe pas les riffs, il n'en a qu'un par morceau mais vous le fait miroiter, étinceler et chatoyer, sous tous les côtés vous l'allonge et vous le rétrécit à volonté, idem pour Julo qui élastise sa basse, jamais au-dessus, jamais au-dessous du ton de la demoiselle et quant à Léonard devint marteau à laminer l'électricité cordique il racate à la hâte. You and the Hole, Volcano Girl, Waste Virgin Clothes – titres aux lyrics prometteurs mais pour le moment on écoute que cette voix de démone imprécative. C'est du dur vocal, du pur palatal, du sûr apical, de l'envoûtement subliminal, de la folie animale. L'a mis le feu à la salle, les filles dansent devant elle comme sorcières au soir de grand sabbat. La salle acclame, brame de joie et clame sa ferveur. Un set mené sans interruption, un incendie qui brûle tout sur son passage. Seront obligés de refaire This Bomb is mine en rappel parce que le rock'n'roll est une musique qui ne supporte pas la frustration.

    ( Polaroids : Ana Hyena )

     

    SOCIAL CRASH

    Z333.jpg

    Quatre groupes et pas l'ombre de Social Crash ! Normal Social Crash est une association à but non lucratif – percevoir en cette particularité une revendication de ne pas entrer dans le circuit de la capitalisation marchande - qui regroupe une douzaine de groupes de musiques turbulentes et de collectifs d'actions existentielles dissidentes, et édite un fanzine dont nous présentons ici le Numéro 2 paru en avril 2017. C'est Social Crash qui organisait la soirée de ce dimanche 4 février.

    Diy or dye. Principe vital de survie. Les dernières pages exposent avec schémas à l'appui tout ce dont vous avez besoin de savoir pour maîtriser un minimum de technique sonore indispensable pour que la musique que vous produisez atteigne les oreilles de vos auditeurs. Indispensable si vous montez votre groupe, mais nous nous pencherons davantage sur les textes de réflexion.

    Visuellement classieux mais le déchiffrement de la police ( pas celle que personne n'aime, l'autre de caractère ) nécessite un peu d'accroche, le Futur n'a pas d'Avenir – est une réflexion de la plus grande pertinence sur l'état de décomposition des mouvances anticapitalistes dites de ''gauche''. Nous ne prendrons qu'un seul exemple parmi tous ceux passés en revue : ces discours anti-racistes qui de glissements sémantiques en approximations théoriques en arrivent à épouser des causes qui vont à l'encontre de tout effort libératoire des individus. En plein dans le collimateur ces discours racisialistes de toute une partie de l'extrême-gauche actuelle qui présentent les identités religieuses les plus conservatrices comme des actes de résistance culturelle anticapitaliste alors qu'il vaudrait mieux les considérer pour ce qu'elles sont : la perpétuation d'une acceptation de soumission à des principes de dominations politiques et économiques en totale opposition à toute volonté de libération anticapitaliste... Cinq pages de la plus grande clairvoyance, un constat amer d'un punk ( peut-être à chien ) qui se permet d'appeler un chat, un chat.

    Un article sur la nécessité de l'abstention aux élections, un autre sur les liens entre artistes et mouvements sociaux, et une présentation de Tank Girl, l'héroïne d'Alan Martin et de Jamie Hewlett qui fut l'incarnation dessinée au début des années 90 d'une figure de femme libre dans sa tête et dans son corps, aux antipodes des normatives et habituelles représentations doucereuses de la féminité, dans ces mêmes temps de naissance du mouvement Riot Grrr...l aux Etats-Unis.

    Une revue punk qui en quelques pages se révèle bien plus pertinente que les discours à l'étouffoir que nous dispensent l'ensemble de nos tristes médias culturels officiels qui se piquent d'objectivité, cet art de ne jamais aborder par le bon bout les problématiques qui fâchent.

    Damie Chad.

     

    THIS BOMB IS MINE / BLUE VOID

    ( BV02 )

    z3230disc.jpg

    Guitare : Marc / Voix : Alice / Bass : Julo / Drums : Léo.

    This Bomb is mine : affirmation féminine, la voix minaude toute seule haut perchée mais les guitares et la batterie la poussent dans ses retranchements et c'est la grande explication, celle qui déchire, transperce les tympans, attise la colère, s'hystérise, ne s'arrête plus jusqu'à la fin brutale comme un couperet. Nom de Zeus quelle chanteuse ! Overlead : on a compris, n'y a plus qu'à se laisser entraîner, emporter par la fougue de la demoiselle. Les gars entament une partie de tennis à trois et la balle n'en finit pas de rebondir jusqu'au bout du rock 'n'roll. Elle, elle continue comme si de rien n'était. L'en a la voix qui miaule et puis qui s'enfonce dans votre cerveau comme la lame d'une serial killer. Volcano Girl : les boys partent en douceur vibrionnante, aucune inquiétude, la zamzelle vous développe une éruption grandeur nature, chaque fois qu'elle dit '' Oh'' vous perdez votre raison. Vous en ressortez sous une pluie de cendres. Pompei girl ! Chichek : c'est la reine lézarde qui run, run, run après sa liberté. Ne vous inquiétez pas les boys accélèrent le mouvement, c'est que l'on appelle une cause gagnée.

     

    Cette trombe is mine. Blue Void passe le balai sur les araignées qui encombrent le rock museal. Un son à eux, une voix à elle, un groupe soudé comme les quatre éléments qui composent l'univers du rock : le feu de l'arrogance, le vent des colères, l'eau des désirs, les terres brûlées. Si vous tenez à laisser un témoignage de vos égarements à vos petits enfants, ce disque est pour vous.

    Damie Chad.

     

    JOHNNY LEE WILLIAMSON

    ( Blues Archive / 222068-306 / 2004 )

    THE STORY OF THE BLUES

    ( Chapter 12 )

     

    Z3190ARCHIVE.jpg

    Petit coffret de deux CD's consacré à Sonny Boy Williamson ( I ) – John Lee - que vous ne confondrez pas avec Sonny Boy Williamson ( II ) – Rice Miller... Les deux harmonicistes sont de la même génération et peut-être de la même année, 1914. Toutefois John Lee meurt assassiné en juin 1948 alors que Rice Miller n'effectue son premier enregistrement qu'en 1951. Rice Miller qui participa à l'American Folk Blues festival reste en Europe beaucoup plus connu de par ce fait. Les amateurs de british blues ont dans leur discothèque les enregistrements effectués avec les Yarbirds et les Animals.

    Chapitre 12, ce n'est pas pour rien que la série de vingt est intitulée The Story of the blues, le livret ne se contente pas de présenter la carrière de Sonny Lee, sont aussi largement évoqués les musiciens qu'il croisa ou qui participèrent à ses enregistrements comme Big Bill Broonzy, Yank Rachell ou Muddy Waters.

    z3193sonny+orchestre.jpg

    Worried Me Blues : ( Aurora, 11 janvier 1937 : Sonny Boy Williamson : vocal, harmonica / Henry Townsend & Robert Lee McCoy (? ) : guitare ) : guitares minimalistes et harmonica déchirant. Nous sommes encore près du blues rural – ado dans années vingt Sonny n'a pas écouté l'harmoniciste Hammie Nixon ( qui accompagna Sleepy John Estes ) pour rien... bizarrement c'est sa voix qui passe en force qui nous montre que le blues est en train de s'affranchir d'une certaine rusticité au profit d'une accentuation instrumentale. Black Gal Blues : ( idem ) : le blues à l'état pur, Sonny qui se met en scène, et qui fanfaronne, en parle presque, le tout entrecoupé d'éclats d'harmo qui se plantent en vous comme des échardes de bois. Frigidaire Blues : ( idem ) : fait froid dans le dos. Les cordes s'affolent et un long solo d'harmo vous ferait presque oublier les attaques vocales de Sonny Lee d'une violence rare. On se rappellera que ces morceaux sont enregistrés dans une chambre d'hôtel en des conditions rudimentaires. Suzanna Blues : ( idem ) : un déboulé d'orgue à bouche à vous faire flipper, plus loin dans le morceau Johnny vous le fera bougonner d'une bien belle façon. Toute la violence du rock est déjà là. Early in the Morning : ( idem ) : l'heure du blues par excellence, celle des petits matins blêmes, ni la voix, ni l'harmonica ne triomphent, les guitares ahanent, vous vous êtes levé du pied gauche et vous avez marché en plein sur la merde du chien. Sachez en rire pour ne pas pleurer.

    z3092sonny+bigjoewilliams.jpg

    Sugar Mama Blues : ( Aurora, 5 mai 1937 : Sonny Boy Williamson / Robert Lee Mc Coy & Big Joe Williams : guitares ) : La voix qui gueule pour mieux implorer, les guitares qui pleurent, et l'harmo qui vous a de ces sanglots à vous hérisser les poils du cul. Tout ça pour une fille, oui mais l'occasion de faire un beau boucan. Skinny Woman : ( idem ) : plus léger, les instruments comme en sourdine, même l'harmo qui picore tout doucement, pour être un harmoniciste de génie, Sonny Lee n'en reste pas moins un grand chanteur. Rien qu'aux intonations vous comprenez ce qu'il conte. My Little Cornelius : ( Aurora, 3 mars 1938 Sonny Boy Williamson / Yank Rachell : mandoline, guitar / Big Joe Williams : guitare ) : la mandoline apporte un son nouveau. Aigrelet, comme ces petits vents qui vous cueillent le matin dès que vous mettez le nez dehors. L'harmo vient y mettre son gros paquet de sel iodé. Remettez le disque vous en avez oublié d'écouter la voix. Decoration Blues : ( idem ) : peut-être pour cela que Sonny Lee hausse le chant, les instrus sont là pour le bruit de fond, ils accompagnent. Mais c'est comme dans les films d'action si vous enlevez la musique, les scènes perdent les trois-quarts de leur intérêt. You Can Lead Me : ( idem ) : les cordes qui tressautent mais la voix devant mène le train, l'harmonica sert d'épice mais à la fin tout le paquet tombe dans la marmite et ça vous brûle la gorge à vous transformer en cracheur de feu. Miss Louisa Blues : ( idem ) la voix se prolonge infiniment sur des cordes qui rampent bas dans la poussière, l'harmonica ponctue fortement puis lui aussi se met à se traîner lamentablement malgré des velléités de colère. Sunnyland : ( idem ) : bienvenue au pays de Sunny qui vous fait la réclame dans la pure tradition des medicine shows. Un dialogue s'installe, l'orchestration est là pour vous convaincre, l'harmonica en perd ses dents, puisque l'on vous affirme que vous ne trouverez rien de mieux que la poisse du blues ! I'm Tired Tucking My Blues Away : ( idem ) : rythme guilleret, pas étonnant qu'aux States ils emploient le terme de terme de country-blues, car ici vous vous croiriez dans une cour de ferme des Appalaches. Un harmo qui n'a pas toutefois la nostalgie cowboy des grands espaces. L'est aussi coloré qu'un zoot suit acheté dans Beale Street. Beauty Parlor : ( idem ) : un blues davantage dans les normes, électrifiez-moi ça vous aurez un boogie d'enfer. Presque trop bien calibré pour emporter une parfaite adhésion.

    z3195sony1938.jpg

    My Babe I've Been Your Slave : ( Aurora, 17 juin 1938 : Sony Boy Williamson / Walter Davis : guitare / Yank Rachell : speech, guitar / Big Joe Williams : guitare ) : le blues dans toute sa splendeur. Un monument. Déclamation, proclamation, les guitares qui pleurent, et Yank Rachell qui ironise par en dessous. L'harmonica se fond dans le paysage. Doggin'My Love Around : ( Chicago, 21 juillet 1939, Sony Boy Williamson / Walter Davis : piano / Big Bill Bronzy : guitare ) : un piano qui jazze en bleu par dessous, l'harmonica qui miaule, le clavier qui goutte à goutte un peu à la Memphis Slim, et toujours ces départs de voix qui claquent comme des coups de feu. Et puis qui se transforment en oraison funèbre de clergyman devant la tombe ouverte. Little Low Woman Blues : ( idem ) : l'harmo qui piaille dans des aigus à vous fendre les oreilles, le piano répand la tristesse de son baume. Il existe différente manière de vous écorcher le cœur, la voix définitive n'en est pas la moindre. Sugar Mama Blues N° 2 : ( idem ) / un peu de sucre ? Vous voulez rire, l'harmonica supplie et la voix ne la ramène pas trop, le Sonny il vous éparpille des pincées de blues à vous faire chialer des larmes indigo. Heureusement qu'il y a le beat élastique par-dessous qui vous souffle de ne pas trop le prendre au sérieux. Sachez rester flegmatique. Good Gal Blues : ( idem ) : l'accent du sud traînant ronronne et câline. La guitare s'insinue, le piano joue à l'édredon et la voix vous essaie le coup du charme. Ça doit réussir car l'harmo en rajoute un max dans les rotondités. I'm not Pleasing You : ( idem ) : apparemment ça ne marche pas à tous les coups, Walter Davis accumule les notes à se faire passer pour Chopin, la guitare trémolise doucement et le chant se fait grave, l'harmo juste pour appesantir l'atmosphère pas joyeuse. Honey Bee Blues : ( idem ) : parfait, ne manque que les Rolling Stones pour nous l'interpréter avec un poil de plus d'arrogance. L'harmo aboie comme un chien, puis il miaule comme un chat, le piano se surpasse, il imite les bosses des dromadaires, la guitare broute comme un onagre du désert et le vocal est là-dedans aussi à l'aise qu'un dompteur dans la cage aux tigres.

    z3195bluebird.jpg

    She Wass A Dreamer : ( Chicago, 2 juillet 1941 / Sonny Boy Williamson / Blind John Davis : piano : Ransom Knowling : basse ) : piano et vocal enjoués, quelques coups d'harmo, un peu de ragtime et c'est part pour un petit trot d'amour cadencé. Fougu, pêchu et bien foutu. Vous donne envie de danser. Decoration Day Blues N° 2 : ( Chicago 17 mai 1940, Joshua Althemer : piano / Fred Williams : drums ) : plus pesant, la batterie impose le pas lourd de chevaux de labour, l'harmonica enfonce sa charrue, le piano s'éparpille en mottes de terre, la voix guide l'attelage.

    z3196wesretnunionmab.jpg

    Western Union Man : ( Chicago, 4 avril 1941 : Sonny Boy Williamson / Blind John Davis : piano / Big Bill Broonzy : Guitar / William Mitchell ( ? ) : didley ) : blues classique, le frère jumeau du précédent, tellement puissant que je n'arrive pas trouver les mots même à la dixième écoute. Springtime Blues : ( idem ) : l'harmo cui-cuite tel un oiseau, le piano vous emmène en promenade, attention pas trop vite. La voix plus grave et l'harmo plus aigu. War Time Blues : ( Chicago 17 mai 1940 : Joshua Althemer : piano / Fred Williams : drum ) : scansion jazzistique, voix élastique, piano flegmatique, en contrepartie vous avez l'harmo éraillé qui semble dérailler à chaque intervention. Shoppy Drunk Blues : ( Chicago 2 juillet 1941 : Sonny Boy Williamson / Blind John Davis : piano / Ranson Knowling : basse ) : chanson gaie d'ivrogne sautillant, semble siffler les verres aussi vite qu'il souffle. Autant vous dire tout le monde est content. Nous aussi. Qui a dit que l'alcool était un fléau ! Shotgun Blues : ( Chicago, 4 avril 1941 : Sonny Boy Williamson / Blind John Davis : piano / Big Bill Broonzy : Guitar / William Mitchell ( ? ) : didley ) : en pleine forme, baston blues, pas de temps à perdre. Le genre échauffourée qui vous met en forme, vous fait circuler le sang, avec en prime l'harmo qui devient fou. New Early In The Morning : ( Chicago 17 mai 1940, Sonny Boy Williamson / Joshua Altheimer : piano / Fred Williams : drum ) : les matins se suivent et ne se ressemblent pas; pète la forme, un gai-luron qui aime la vie, vous mène un train d'enfer. You Got To Step Back : ( Chicago 02 juillet 1941, Sonny Boy Williamson / Blind John Davis : piano / Ranson Knowling : basse ) : Johnny Lee fait un concours : essaie de chanter plus rapidement que son harmonica. Sur la ligne d'arrivée faudrait une photo pour départager. Avec une guitare électrique en plus, vous seriez transportés dans les plus beaux moments du studio Sun. Un must. Drink On Little Girl : ( Chicago, 4 avril 1941 : Sonny Boy Williamson / Blind John Davis : piano / Big Bill Broonzy : Guitar / William Mitchell ( ? ) : didley ) : calmons-nous, le serpent du blues déplie ses anneaux lentement, cela permet à Big Bill de nous montrer ce qu'il sait faire en trois secondes entre deux coups d'harmonica. Blind John Davis prend sa revanche dans le second tiers du morceau. My Baby Made A Change : ( idem ) : elle est partie, pas de quoi en faire un drame non plus, fait tout ce qu'il peut pour faire pleurer son harmo, mais le piano derrière est si entraînant que personne n'y croit même lorsqu'il récite ses poèmes bien fort dans le micro. Million Years Blues : ( Chicago 02 juillet 1941, Sonny Boy Williamson / Blind John Davis : piano / Ranson Knowling : basse ) : devait avoir envie de chanter ce jour-là Sonny Lee, occupe toute l'amplitude sonore, on porte moins attention au background musical même lorsqu'il se tait, l'a raison l'a une belle voix. S'il n'avait pas été harmoniciste l'aurait quand même laissé un nom .I Been Dealing With The Devil : ( Chicago 17 mai 1940 : Sonny Boy Williamson Joshua Althemer : piano / Fred Williams : drum ) : avec le piano l'on a l'impression qu'il a plutôt dealé avec le jazz qu'avec le diable. A la réflexion, ils y mettent tant de coeur qu'on ne leur en veut pas.

    z3194broken heartblues.jpg

    Broken Heart Blues : ( Chicago 11 décembre 1941 : Sonny Boy Williamson /Blind John Davis : piano / Charlie McCoy : guitare / Alfred Elkins : imitation basse / Washboard Sam ) : ou le studio était défectueux ou ils ont essayé de traduire le son des vieux jug-bands, l'on se croirait dans les années vingt. A s'y tromper. She Don't Love Me That Way : ( idem ) : la même session, cake-walk et dance-party. Excellent pour se remuer le popotin dans le sens du vent. C'est qu'il souffle fort le Sonny ! Coal And Ice Man Blues : ( Chicago, 4 avril 1941 : Sonny Boy Williamson / Blind John Davis : piano / Big Bill Bronzy & Charlie McCoy: Guitare ) : l'a beau appuyé sur le champignon de l'harmo Williamson, les deux autres n'entendent pas jouer les utilités, Big bill et son acolyte ramènent leur fraise l'air de rien, tout en douceur mais terriblement efficace. Springtime Blues : ( idem ) : pourquoi l'ont-ils remise une deuxième fois ?

    z3195gonnacatchyou.jpg

    I'm Gonna Catch You Soon : ( Chicago 02 juillet 1941, Sonny Boy Williamson / Blind John Davis : piano / Ranson Knowling : basse ) : va vous l'attraper, c'est sûr, l'en est tout joyeux, tout dans la voix coquine et les instrus à l'unisson. Genre Titi et Gros-Minet. Ça claudique des plus gentiment. Blues That Made Me Drunk : ( Chicago, 30 juillet 1942 : Sonny Boy Williamson / Blind John Davis : piano / Big Bill Broonzy : guitare / Alfred Elkins : bo ) : à la vôtre, les verres se suivent et s'entrechoquent, rythme impitoyable, l'alcool le rend bavard, élocution rapide. Tournée générale ! Come On Baby And Take A walk : ( idem ) : peut-être pas sur le wild side mais sûrement jusqu'au prochain juke-joint. Tournée des grands ducs. Moonshine pour tout le monde. Chauffent encore plus qu'un alambic sur le point d'exploser. Mellow Chick Swing : ( Chicago, 28 mars 1947 : Sonny Boy Williamson / Blind John Davis : piano / Big Bill Broonzy : guitare / Willie Dixon : basse / Charles Chick Sanders : drums ) : la jonction, vous remarquez la présence de Willie Dixon un des meneurs de jeu de Chess, c'est peut-être pour cela que Broonzy nous offre son plus beau solo : hommage de la ruralité à l'urbanité ? Williamson se retient, joue du bout des dents, harmonica écornifleur.

    z3191tombe.jpg

    Un jalon important sur la route du rock'n'roll !

    Damie Chad.

     

    ROCK FRANCAIS

    in Eléments N° 170

    z3334magma.jpg

    Rock is snake. Se glisse partout. Là où on ne l'attendrait pas. Pleine page sur Magma dans le dernier numéro ( 170 / Février-Mars 2018 ) d'Elements, le magazine des idées, pour la civilisation européenne. Bel hommage d'Armand Grabois au groupe le plus original du rock français. Armand Grabois est un amateur de jazz, cela se sent. Il est vrai que Christian Vander provient du jazz, mais il eut l'intelligence de réfléchir à la puissance dégagée sur scène par les groupes américains et anglais. Il ne suffisait plus d'être bon musicien, et dès la fin des années soixante, le rock parachevait sa mue la plus importante, la dextérité musicale devenait une composante – pas nécessairement essentielle – de l'impact sonore. L'une des caractéristiques les plus singulières de Magma fut le refus de s'inféoder aux patterns du blues-rock américain. A l'époque c'était un crime de lèse-majesté. Remarquons toutefois que déjà les Stooges louchaient sur le verbatim orchestral jusqu'au-boutiste de Coltrane et que King Crimson ne restait pas insensible à l'agencement structurel de la musique de chambre... Magma revendiqua l'héritage de la musique classique européenne, organisa la fusion entre jazz et expressionnisme allemand. Au jazz Magma emprunta le décrochement rythmique incessant, à Malher et quelques autres une tonitruance monumentale et lyrique. Sur scène, dès la seconde mouture du groupe, les soli de Didier Lockwood mimaient de près les attitudes et les interventions des grands instrumentistes rock. Dès le début Magma attira à lui une partie du public rock français. Faut bien avouer que face aux pitreries de Martin Circus, le choix s'imposait...

    Magma fut plus qu'un groupe. Une aventure. Intellectuelle et spirituelle. Qui dure encore aujourd'hui. Mais Armand Grabois évoque avant tout le Magma des années soixante-dix. Magma sut créer sa propre mythologie, et Magma sut être - ce à quoi très peu de groupes réussissent – fascinant. Plus près du cobra royal que du serpent minute pour gens pressés et foules ignorantes. Si le rock relève d'une culture populaire, Magma se classa d'autorité dans une orbe de haute culture, en évitant tout pédantisme. Pourtant Magma ne mâchait ni sa musique ni ses mots. S'adressait au monde – notez que je n'ai pas écrit à son public - d'une manière comminatoire et, comble de l'arrogance, finit par ne plus édicter, vaticiner et prophétiser qu'en kobaïen un étrange langage forgé dans l'atelier des titans. Magma savait se rendre odieux. C'est ainsi que les fans vous reconnaissent. Un des grands secrets de l'intolérance rock'n'roll.

    En sa présentation Armand Grabois n'est pas exempt d'un parti-pris somptuairement élitiste – d'ailleurs de plain-pied avec l'univers du groupe – mais qui gomme quelque peu les rebelles aspects de l'habitus rock.

    z3231hallyday.jpeg

    Changement de programme dans la rubrique cinéma. De Magma l'on passe à Johnny Hallyday. Pas le chanteur, l'acteur. Ludovic Malbreil nous épargne la filmographie complète. S'attarde sur les gros plans. Ceux qui nous montrent Johnny Hallyday de si près que le masque de l'acteur s'efface au profit de la gueule de l'homme. Cinématographiquement Johnny a tourné beaucoup de navets, pas mal de films ratés et deux ou trois pellicules culte. Je vous laisse établir vos listes personnelles. Ludovic Malbreil s'attarde sur les moments révélateurs de la lanterne magique. Ceux où l'acteur approximatif devient l'incarnation animale de notre modernité. Cinéma-Frankenstein se joue de ses acteurs, parfois la créature refuse de se laisser manipuler. Cela ne dure pas longtemps mais ces plans de quelques secondes nous servent de miroir éternels. Un bel hommage rendu à Johnny, très différent de ce vous trouvez dans les autres magazines.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 239 : KR'TNT ! 359 : MARK E. SMITH / RICK HALL / ELI D'ESTALE / ARTIFEX / NAKHT / VELLOCET / DOPPELÄNGER / MAURICE ZYTNICKI

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 359

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    01 / 02 / 2018

     

    MARK E. SMITH / RICK HALL

    NAKHT / ELI D'ESTALE / ARTIFEX /

    VELLOCET / DOPPELGÄNGER /

    MAURICE ZYTNICKI

    Fall de toi

    z3291zig.gif

    Ah, quelle histoire ! Il faut remonter aux années 2000. Je venais de m’inscrire à l’université de Salford, située à trois kilomètres à l’Ouest de Manchester. Je comptais y suivre un cursus de design et surtout parfaire mon Anglais. Lorsqu’on sort du campus pour aller faire un tour en ville, on tombe rapidement sous le charme des vieux quartiers de Salford, notamment le quartier des docks. 

    Par un beau matin d’automne, j’aperçus pour la première fois le tonneau de Mark E. Smith. Je flânais justement sur les docks. Un homme assis devant un gros tonneau installé comme une niche grignotait des chips. Je m’approchai de lui. Il devait avoir une bonne quarantaine d’années. Une mèche de cheveux blonds lui balayait le front. Il avait le visage sec. Ses grands yeux cernés semblaient excentrés. Le personnage ne laissait pas indifférent. Il se dégageait de lui cette sorte d’élégance saccagée qu’on trouve aux aristocrates déchus et aux aventuriers recrachés par les mers du Sud. J’étais loin de me douter que cet homme comptait parmi les légendes vivantes du rock anglais. Me voyant stationner à proximité, il leva la tête. Il attendait que je parle. Ce que je fis :

    — Bonjour, monsieur. Puis-je vous aider ?

    — Oui, mec. Pousse-toi, tu vois bien que tu me caches le soleil.

    Il baissa la tête et plongea la main dans son paquet de chips. Je fouillai dans ma poche et en tirai un billet chiffonné. Je le lui tendis :

    — Tenez, monsieur, voilà de quoi vous offrir un repas décent...

    — Thanx, poto, mais je ne fais pas la manche.

    Je lui souhaitai une bonne journée et m’éloignai rapidement.

    Les jours suivants, je pris des renseignements. On m’indiqua que le Diogène des docks s’appelait en réalité Mark E. Smith, qu’il était le leader de The Fall depuis trente ans, qu’il refusait toute compromission et qu’il passait aux yeux de tous pour un irréductible doublé d’un amateur de chaos. Aiguillonné, je pris aussitôt un bus pour le centre-ville de Manchester et fonçai droit chez Piccadilly Records. Je fus effaré par le nombre d’albums de The Fall qu’on trouvait à la lettre F. Je fis une sélection rapide et regagnai ma chambre, au foyer universitaire. Je commençai par This Nation’s Saving Grace, enregistré par The Fall en 1988.

    mark e. smith,rick hall,nakht,artifix,eli d'estale,vellocet,doppelänger,maurice  zytnicki

    Après la douche froide de «Mansion», un instrumental visiblement destiné à éloigner les curieux, une basse ouvrait «Bombast», un morceau épais comme un pudding ranci et truffé de groove. «Bombast» semblait avancer sur place et n’avoir aucun sens, hormis servir de prétexte aux déblatérations d’un Mark E. Smith qui flagornait et croassait comme le corbeau d’Ice Cream For Crow. Le cut roulait bien et s’arrêtait soudain au bord d’un break pharaonique. La basse glissait en travers, produisait un son qui tenait à la fois du vomissement et de la chute d’un train dans un ravin, et se remettait dans le circuit trois secondes plus tard, comme si de rien n’était. C’était si gonflé, si nouveau, si imprévisible qu’il me fallut écouter «Bombast» plusieurs fois de suite pour prendre la mesure de l’événement. Un morceau intitulé «What You Need» partait en se dandinant, comme si le Magic Band accompagnait Mark E. Smith. Un petit riff vaudou avançait comme un crabe sur le sable rose de mes fantasmes. Mark E. Smith geignait et hululait. Un peu plus loin, une nommée Brix attaquait «Vixen» en feulant tragiquement, jusqu’au moment où Mark E. Smith entrait en scène, plaçant son timbre et les intentions de son timbre en-dessous de la ceinture. Ils recréaient tous les deux une ambiance sacrément belle et digne des heures chaudes du Velvet. J’allai de merveille en merveille, effaré par la maîtrise du groupe, et tombai sur «Cruiser’s Creek», un classique magic-banditisé à souhait, estourbeur, bien posé, cisaillé par les guitares, couiné, grincé, pulsé par ce géant de la désaille qu’était Mark E. Smith l’édenté. Je compris soudain que The Fall comptait parmi les meilleurs groupes anglais.

    mark e. smith,rick hall,nakht,artifix,eli d'estale,vellocet,doppelänger,maurice  zytnicki

    Complètement sidéré, je glissai dans le lecteur le dernier album en date, Fall Heads Roll. «Ride Away» s’envolait sur un sale beat balloche, et une certaine Elena Poulou donnait la réplique à l’édenté. Les couplets de Mark E. Smith traînaient la savate, soutenus par un gros son de basse. Sur chaque morceau, notre homme s’entourait de prodigieuses rythmiques. «What About Us» sonnait comme une horreur rampante. Mark E. Smith y balançait des bah-bah-bah dignes des Troggs et des Oh Yeah à la Iggy Pop, sur un tempo très musclé. C’était à la fois stoogien, impartial et monstrueux. La basse relançait sans cesse. Mark E. Smith chantait le rock des enfers, druggzee !, malaxant ses stances, ouvrant une orgie de ruckus stoogien qui plongeait ses racines dans l’hypno de Can. Il générait plus de bonheur, plus de vérité, plus d’élégance, plus de hargne, plus de soul-shaking que n’en généra jamais Mick Jagger. Mark E. Smith était le vrai rocker anglais, celui qui savait faire ronfler les basses comme des dragons. J’arrivai enfin à la reprise de l’album : «I Can Hear The Grass Grow» des Move. Une véritable horreur ! La voix tombait comme un couperet. Mark E. Smith transformait ce vieux classique des sixties en hit planétaire. Un peu plus loin, «Ya Wanner» arrivait comme une nouvelle abomination au beat carré. Mark E. Smith dépassait vraiment les bornes, il allait plus loin que les Damned ou le Roxy Music d’«Editions Of You». Cet homme chantait comme une bête, une carne, un irascible, un impérissable, un prince méprisant, un violent contradicteur. 

    Dès le lendemain, je retournai le voir. Il rongeait un os de poulet et buvait une Guiness au goulot.

    — Salut, Mark, j’ai écouté deux de vos disques hier, et je suis sous le choc...

    — Si tu veux qu’on cause, fucking mate, ramène un fucking pack de fucking ‘ness.

    Un quart d’heure plus tard, j’étais de retour avec deux packs de Guiness.

    — J’espère que t’es pas un fucking journaliste...

    — Non, je suis français, inscrit à l’université.

    — Aw aw aw, un fucking Frenchie, hein ? À la tienne, alors.

    — Pourquoi vous vivez dans un tonneau ?

    — À part des fucking touristes comme toi, personne me fait chier. J’ai une paix royale. J’ai fait le tour du fucking problème, poto, je peux plus blairer les fucking journalistes, les fucking maisons de disques et tous les fucking bâtards de rock city. J’ai une sainte horreur de la bêtise. Les cons me donnent des boutons. Quand t’auras fait le tour du fucking problème, tu feras comme moi, tu habiteras dans un tonneau et tu chercheras les humains en plein jour avec ta lanterne, aw aw aw ! On vit une époque terrible, frenchie. Aussi terrible que celle des fucking années soixante-dix, quand t’avais les Elton John et les Clapton. T’as remarqué ? Ils sont toujours là, toujours aussi vénérés. Même le premier ministre dit qu’il aurait aimé être l’un deux. C’est révélateur de l’époque où nous vivons aujourd’hui. Je ne lis même plus les fucking papers. Trop triste. Tous ces journalistes lèchent les bottes du premier ministre. C’est embarrassant. Je ne veux plus perdre mon temps. Je préfère écrire des fucking chansons. T’es sur terre pour produire. Carlyle a dit ça. Produis, produis. C’est pour ça que t’es sur terre ! Écris des chansons, fais ton truc, suis ton instinct. Tous ces fucking journalistes n’ont jamais rien compris à The Fall. L’honnêteté, ils sont incapables de comprendre ce que c’est. En écrivant n’importe quoi sur The Fall, ils se sont grillés. Comme le fucking Réplicant de Blade Runner, j’ai vu trop de choses, poto. J’ai vu parader ces pâles bâtards de Spandau Ballet et de Costello au sommet des fucking charts. J’ai fait la première partie des Clash pendant leur tournée américaine et je les ai vus agir comme ceux qu’ils condamnaient, à traiter le public comme du bétail. Je hais les groupes qui se prélassent dans la dépression, les Echo et compagnie. J’ai toujours fait des disques pour ceux qui ne veulent pas se faire enculer, tu vois ce que je veux dire, ceux qui veulent encore se battre.  

    — Mais pourquoi vous vivez dans un tonneau ?

    — Je viens de te l’expliquer. J’écris des chansons. Avant, j’étais trop bien installé. Avec le confort, on finit par trouver des excuses pour ne plus écrire.

    Mark vida sa canette. Il en ouvrit une autre avec son briquet.

    — J’aime bien votre reprise d’«I Can Hear The Grass Grow» des Move. Vous êtes le seul qui ayez osé remettre ce hit au goût du jour...

    — Fucking brillant ! J’adorais les Move. J’aimais bien aussi ces fucking groupes de Liverpool, les Searchers et les La’s, ils écrivaient des chansons solides. Les seuls qui comptent vraiment à mes yeux sont les gens authentiques. Des mecs comme Jerry Lee, Johnny Cash, Bo Diddley et Link Wray. Ils tirent leur art de leur expérience. C’est autre chose que les Franz Ferdinand qui vont se tortiller le cul devant des caméras de télé toutes les cinq minutes, tu crois pas ? Tiens, je vais te donner quelques disques.

    Il entra dans le tonneau et alla fouiller dans un carton.

    — Écoute ça et reviens me voir quand tu veux. Maintenant, laisse-moi tranquille, j’ai trop parlé. J’ai besoin d’être seul.

    mark e. smith,rick hall,nakht,artifix,eli d'estale,vellocet,doppelänger,maurice  zytnicki

    En rentrant, je mis The Real New Fall LP dans le lecteur. Dès le premier morceau, «Green Eyed Loco Man», je me retrouvai plongé dans l’univers déjanté de Mark E. Smith. Il était à la fois le suborneur de la racaillerie électrique et l’orfèvre du crouni. Sa musique rêche me grattait la couenne. On aurait dit un tuberculeux qui cracherait ses poumons rien que pour déconner. Il me faisait penser à une Marguerite Duras chantant par la trappe qu’on a ouvert dans sa gorge et tirant sur une Gitane maïs rien que pour emmerder les cancérologues. Dans «Mountain Energei», il cassait des mots en deux, étirait les syllabes de fin, tirant sur les s pour qu’ils sonnent comme des serpents à sonnettes. Avec «Last Command From Xyralothep Via M.E.S», petit chef-d’œuvre d’ingéniosité hypnotique, Mark se transformait en Léon Zitrône, nous commentant une virée intergalactique larsenée de guitares, ballottée par des riffs de basse, charcutée par des coups de synthé. La reprise de l’album était un morceau de Lee Hazlewood, «Loop41 Houston», qu’il tirebouchonnait pour en faire une fallerie titubante absolument somptueuse.

    Je poursuivis mon enquête sur le campus. La plupart des Mancuniens considéraient The Fall comme un phénomène post-punk sans grande importance. Ils attachaient plus de prix aux Buzzcocks, aux Smiths et aux Stone Roses. Quand je demandais s’ils écoutaient les disques de The Fall, ils me répondaient évasivement. The Fall semblait dériver dans une mer d’indifférence. J’étais sidéré. La nausée me gagnait. Je finis par résilier mon inscription à la fac et m’en fus investir mes dernières économies dans un gros tonneau à bière que je fis livrer sur les quais, à côté de celui qu’occupait Mark. Il commença par protester, disant qu’il voulait rester seul. Devant mon obstination, il finit par céder.

    — À ta guise, fucking frenchie... Je te préviens, tu vas te les cailler, cet hiver.

    — Je préfère affronter l’hiver près de vous plutôt que de supporter la stupidité des gens d’ici. Et puis j’ai ramené mon balladeur. Il marche avec des piles. Comme ça, j’aurai le temps d’écouter tous vos disques.

    — Tu peux me tutoyer, fucking mate.

    La première nuit, j’eus le privilège d’entendre Mark ronfler. Avec la caisse de résonance du tonneau, j’avais l’impression que tout le quartier en profitait. Le matin, il se leva et pissa contre mon tonneau. Par chance, le tonneau que j’avais acheté à prix d’or était bien hermétique. Il passa ensuite un grand manteau par dessus son jumper Armani et m’emmena faire les courses. Il vola quelques canettes de Guiness et nous regagnâmes nos quartiers.

    — Breakfast, poto.

    Nous descendîmes quelques Guiness et rotâmes de bon cœur. Puis il alla farfouiller dans son carton et revînt avec du papier et un stylo. Il écrivit quelques paroles de chansons. 

    Comme j’écoutais tous ses disques, un par un, j’en arrivais chaque fois à la même conclusion : comment pouvait-on écouter autre chose après The Fall ?

    — Aw fuck ! J’ai encore une dent qui brêle !

    Mark plongea les doigts dans sa bouche, agita fiévreusement la dent branlante, l’arracha et cracha juste devant mes pieds. Même un molard de Mark E. Smith avait quelque chose de spectaculaire. Et puis un jour, les musiciens américains qu’il venait d’engager vinrent lui rendre une petite visite. Mark fit les présentations. Il prévoyait d’enregistrer un nouvel album. Il allait donc s’absenter une bonne semaine. Il me demanda de rester sur place pour éviter que des clochards ne vinssent s’installer dans les tonneaux. Il les disait trop durs à déloger. 

    mark e. smith,rick hall,nakht,artifix,eli d'estale,vellocet,doppelänger,maurice  zytnicki

    La neige commença à tomber. Je fis un raid sur les chantiers voisins pour récupérer des bouts de bois et faire du feu. J’écoutais Post TLC Reformation, l’un de ses albums les plus récents. On y retrouvait tout le bastringue habituel, le rejeté décadent, la distance hautaine, la grain tellurique, le lâcher de syllabes acrobatiques, la gouaille des bas-fonds, le rocailleux d’une glotte imprégnée de mauvaise bière, la hargne working-class, la lutte contre la bêtise établie, le haro sur le rock, la culture des influences manifestes qui vont de Can à Captain Beefheart, en passant par Public Image et Desmond Decker. Il torturait sa syntaxe, il avançait de travers, sur des rythmiques sublimes de bassmatic. Il chantait dans sa salive, renouant avec les chinoiseries du Spotlight Kid. Reformation tapait directement dans Can. Mark s’y connaissait en canneries, il savait dérouler l’écheveau, sur un riff de basse incommensurable - Black river ! Ford Motel ! - Il clamait des atrocités en bambou - Go flesh go ! - La reprise de l’album était «White Line Fever» de Merle Haggard. Mark en faisait une merveilleuse gabegie, soulignée à la basse pouet pouet. Il traitait Merle Haggard à la traînarde. Dans le cut suivant, «Insult Song», Mark réinjectait de la black river, du all over and over again, du Ford motel, de la white line fever, il singeait Beefheart à la perfection, faisait du bababa et des breaks vocaux à la Jim Morrison, il travaillait son jerk blues, accompagné par une guitare fantôme. «Systematic Abuse», dernier titre de cet album dément, était du pur Fall, rond et têtu, traîné à la voix. Genoux raclés dans la caillasse. Ardeur et dureté. Swing du néant. Cancer et boules de gomme. Pas d’amour heureux à Manchester. Ses refrains puaient la tripe. Le rythme était gris comme un couloir d’hôpital. Les mots fumaient légèrement. Il les avait aspergés de pisse. Il badigeonnait ses émotions à la nicotine. Je voyais nettement son sourire d’ange aux dents pourries.

    mark e. smith,rick hall,nakht,artifix,eli d'estale,vellocet,doppelänger,maurice  zytnicki

    Une nuit, je m’endormis, mais ne me réveillai pas. Quelques jours plus tard, Mark me trouva allongé dans le tonneau, le casque du balladeur sur les oreilles. Il vit tout de suite que j’étais raide comme un glaçon. Il me traita de fucking frenchie et retourna s’asseoir à l’entrée de son tonneau. Son nouvel album allait sortir. Quelques critiques allaient probablement le saluer. Mark se mit aussitôt à écrire de nouvelles chansons. Il scrutait le ciel. L’inspiration coulait en lui comme un torrent. 

    Signé : Cazengler, Fall du régiment

    Mark E. Smith. Disparu le 24 janvier 2018.

    Mark E. Smith. Renegade - The Lives And Tales Of Mark E. Smith. Viking Penguin 2009

     

    Hall right now

    z3292rick.gif

    L’étoile d’une légende du Deep Southern Soul vient de s’éteindre. Rick Hall est parti rejoindre ses vieux copains au paradis, à commencer par Sam Phillips, originaire comme lui de Florence, Alabama.

    Dans la cour du lycée, on disait aux autres : sans Sam Phillips, pas d’Elvis, pas de Jerry Lee, pas de Wolf, pas de Carl ni de Cash, pas de rien. On peut dire exactement la même chose de Rick Hall : sans Rick, pas de FAME, pas de Clarence Carter et donc de Candi Staton, pas d’Arthur Alexander, pas de rien.

    L’occasion est trop belle de ressortir ce texte déjà bloggotisé sur le mighty KRTNT, histoire de faire gicler une fois de plus tout le jus qui se trouve dans le recueil de souvenirs de Rick Hall, ce redneck qui aimait tellement la musique noire qu’il décida dans les early sixties de monter un studio pour enregistrer des disques. Et pas n’importe quels disques, ceux des sales nègres, en plein cœur du coin le plus raciste du Sud des États-Unis, l’Alabama. Son recueil de souvenirs s’appelle The Man From Muscle Shoals. Le nom tinte bien à l’oreille des fans de Soul : Muscle Shoals se situe au bord de la Tennessee river et c’est là que Rick Hall installa dans les sixties son studio/label FAME, un label qui par la force des choses devint aussi légendaire que Stax, Tamla ou Atlantic.

    mark e. smith,rick hall,nakht,artifix,eli d'estale,vellocet,doppelänger,maurice  zytnicki

    Généreux, l’éditeur offre avec le livre le DVD du film qui raconte la fascinante histoire de Muscle Shoals. Alors, comme le dit Aznavour dans sa chanson, ils sont venus, ils sont tous là : Keith Richards, Percy Sledge, Wilson Pickett, Candi Staton, on assiste dans ce film à un incroyable défilé de stars, y compris les dispensables comme ce Bono qui a pris la détestable habitude de ramener sa fraise quand on ne l’a pas sonné. Et puis bien sûr, le film donne la priorité à Rick Hall qui raconte son histoire, mais avec tout le pathos du Deep South. Les rednecks ont toujours des histoires épouvantables à nous raconter. Le meilleur exemple reste bien sûr Erskine Caldwell. On se souvient aussi de Roy Orbison qui vit sa maison brûler avec ses gosses à l’intérieur. Eh bien, la vie de Rick Hall, c’est à peu près la même chose. S’il se plante devant la caméra pour raconter ses déboires, c’est avec une voix d’outre-tombe et le souffle dramatique d’un William Faulkner. Un vrai pâté de pathos ! Ça commence quand il est jeune marié et qu’il perd le contrôle de sa bagnole. Bim, bam, plusieurs tonneaux. Il survit aux tonneaux, mais pas sa poule. Il raconte aussi son enfance très pauvre à la cambrousse, et l’histoire de son petit frère, tombé dans le bac à lessive quand l’eau était en train de bouillir. Il entre bien dans les détails, nous raconte l’hôpital, et les médecins qui retirent les vêtements et la peau qui vient avec. Et trois jours plus tard, plus de petit frère. La mère en veut au père qui n’était pas là et le père en veut à la mère qui ne surveillait pas les enfants. Alors la mère abandonne sa famille et s’en va faire la pute en ville. Red district ! L’œil humide, Rick indique qu’il ne reverra plus sa mère. Oh mais attendez, ce n’est pas fini ! Il raconte plus loin que son père était un paysan tellement pauvre qu’il n’avait jamais pu se payer un tracteur. Alors son fils Rick lui en paye un. Et puis un jour, sa belle-mère voit par la fenêtre les roues du tracteur, mais en l’air. Elle se dit à juste titre que ça ne présage rien de bon. Évidemment, le père est sous le tracteur. Comme les auteurs grecs de l’Antiquité, les rednecks ont un sens de la tragédie qui flirte avec le génie. Et ce sont des blancs ! Alors vous imaginez bien que lorsqu’un nègre du coin raconte sa vie, comme le fit T-Model Ford, c’est mille fois plus violent. Il suffit de lire les mémoires d’Ike Turner dont le père mit trois ans à mourir, suite à un passage à tabac gracieusement offert par le KKK. En ce temps là, on ne soignait pas les nègres. On leur installait une tente dans le jardin et on leur laissait le choix entre deux options : survivre ou mourir.

    mark e. smith,rick hall,nakht,artifix,eli d'estale,vellocet,doppelänger,maurice  zytnicki

    Quand Keef dit que Rick Hall est un type dur (tough guy), il ne croit pas si bien dire. Rick Hall rappelle en effet qu’il a grandi «comme un animal», dans cette cabane au fond des bois, sans eau ni électricité ni plancher ni lit. Il dormait sur un tas de paille et se lavait à la rivière, hiver comme été. C’est peut-être cet endurcissement précoce qui va lui permettre de survivre à tous ses déboires, et pas seulement les pré-cités, il y a aussi ceux de sa vie professionnelle : les gens du business ne l’ont pas ménagé, à commencer par ses deux associés des débuts qui l’ont viré parce qu’ils l’accusaient de bosser comme un dingue - I licked my wounds and drowned my sorrows in moonshine whiskey (il lécha ses plaies et noya son chagrin dans de l’alcool artisanal) - Rick Hall va ensuite zoner pendant cinq ans puis il décide de monter son studio et de tout reprendre à zéro. Il démarre FAME avec un hit de Jimmy Hugues («Steal Away») puis il lance Arthur Alexander, avec un premier hit planétaire, «You Better Move On» que vont s’empresser de reprendre les Stones. Pouf ! Rick est lancé ! Il devient un producteur de renom. Il monte son house-band avec Roger Hawkins (drums), David Hood (bass) et Jimmy Johnson (guitar), des gens qui vont devenir célèbres, eux aussi. Dans les parages traînent aussi Spooner Oldham et Dan Penn, compositeurs et musiciens de génie underground.

    mark e. smith,rick hall,nakht,artifix,eli d'estale,vellocet,doppelänger,maurice  zytnicki

    L’histoire de Rick Hall, c’est aussi la valse des anecdotes extraordinaires. Un jour, un petit black vient faire un bout d’essai dans son studio, mais Rick Hall n’accroche pas. Oh, le petit black ne se décourage pas ! Il va trouver un autre patron blanc, Quin Ivy, qui a monté un studio à Sheffield, toujours en Alabama. Ah au fait, un détail qui a son importance : le petit black s’appelle Percy Sledge. Il travaille à l’hôpital local. Très peu de temps après, Quin Ivy demande à voir Rick. Il veut lui faire écouter la démo qu’il vient d’enregistrer avec Percy Sledge. Le cut s’appelle «When A Man Loves A Woman». Quin n’a absolument aucune idée de ce que ça vaut. Rick l’écoute une fois et demande à la ré-écouter. Il dit à Quin que c’est un smash. Quin tombe des nues :

    — Ha bon ?

    Il ravale sa salive et demande :

    — Qui pourrait publier ce smash ?

    Rick sait. Il répond :

    — Jerry Wexler !

    Quin ne sait pas qui est Wexler. Alors Rick appelle Wexler un dimanche après-midi.

    — Qu’est-ce tu veux, baby ?

    Wexler lui dit qu’il a du monde chez lui et qu’il n’a pas de temps à perdre. Rick insiste :

    — J’ai un smash, un vrai smash !

    Wexler lui dit :

    — Envoie-moi ça par la poste, baby, j’ai des saucisses sur le barboque. See ya !

    Quand il reçoit la démo chez lui, Wexler n’est pas sûr que ce soit un smash. Il rappelle Rick :

    — T’es sûr que c’est un smash, baby ?

    Rick est scié. Il insiste :

    — Mais oui ! C’est un No. 1 record worldwide !

    Et il ne se trompe pas. Quel flair de cocker ! On peut dire que Percy Sledge lui doit une fière chandelle.

    mark e. smith,rick hall,nakht,artifix,eli d'estale,vellocet,doppelänger,maurice  zytnicki

    C’est là que démarre une relation professionnelle avec Jerry Wexler (co-directeur d’Atlantic) qui va durer dix ans - The heads of Atlantic records, I later learned, were looking for a way out of their rut (j’appris plus tard que les patrons d’Atlantic cherchaient à sortir de leur ornière) - Wexler flashe complètement sur Muscle Shoals et sur la qualité du house-band de Rick. Il découvre en effet que les musiciens travaillent sans partition, alors qu’à New York, chez Atlantic, tous les musiciens jouent sur partitions. Cette décontraction fascine Wexler qui décide alors d’envoyer ses stars en stage chez Rick Hall. Il commence par envoyer Wilson Pickett qui n’en revient pas de voir un studio de patrons blancs installé en plein cœur des champs de coton où travaillent encore des nègres.

    mark e. smith,rick hall,nakht,artifix,eli d'estale,vellocet,doppelänger,maurice  zytnicki

    C’est là, dans cet endroit pour le moins insolite que Wilson Pickett enregistre ses plus gros hits, «Mustang Sally», «Land Of 1000 Dances», «Funky Broadway» et même «Hey Jude», suite à une suggestion de Duane Allman. Puis Wexler lui amène Aretha qu’il vient de signer sur Atlantic. La première journée de session se passe merveilleusement bien, avec l’enregistrement d’«I Never Loved A Man», lancé au pur feeling sur les accords de Spooner. Puis une shoote éclate entre l’époux d’Aretha, Ted White, et un joueur de trompette du house-band. Ted White qui a trop bu accuse le trompettiste de draguer sa femme. Puis il accuse ensuite un saxophoniste de la même chose. Chaque fois, il ordonne à Rick de les virer. Compliqué, car ce sont des amis. Rick demande conseil à Wexler assis à côté de lui. Wexler ne fait pas de chichis : Fire them ! Vire-les ! Mais ça ne suffit pas. L’ambiance est explosive. Aretha et Ted quittent le studio en claquant la porte et rentrent à l’hôtel. Rick veut aller les voir pour tenter de calmer le jeu, car plusieurs journées de sessions sont prévues. Wexler lui interdit formellement d’y aller. Rick reboit un gros coup de vodka et y va quand même. Les rednecks sont têtus comme des bourriques. Il tape à la porte de la chambre. Ted White ouvre et l’insulte, alors une bagarre éclate. Le lendemain, première heure, Aretha et son mari reprennent l’avion pour New York. Devant ce désastre, Wexler est fou de rage. Il annonce à Rick qu’il va l’anéantir - I’ll burry your ass ! - Mais on ne parle pas comme ça à un dur à cuire comme Rick - No, you won’t burry me, you old fart ! I’m a lot younger than you, and I’ll be around long after you’re gone ! - Et c’est exactement ce qui va se passer, Rick va survivre à Wexler qui à l’époque est déjà assez âgé. Mais du coup, Rick perd son principal client. C’est cuit ? Non ! Il contacte Leonard Chess à Chicago qui lui propose d’envoyer Etta James.

    mark e. smith,rick hall,nakht,artifix,eli d'estale,vellocet,doppelänger,maurice  zytnicki

    Rick est ravi car c’est la chick qu’il préfère - My favorite chick of all time - Elle enregistre cet incroyable album qu’est Tell Mama à Muscle Shoals et du coup elle relance sa carrière. Mais Rick est mauvais après Chess qui ne lui paye pas son travail de producteur. Pas un cent, rien ! Mais grâce à ce disque, il redore son blason de producteur. C’est un véritable soulagement - Every record, my life depended on it - Et il ajoute que si tu n’as pas de hit en tant que producteur, on ne te rappelle pas. Puis Duane Allman propose de ramener les Allman Brothers à Muscle Shoals, mais le rock blanc n’intéresse pas Rick. Il passe à côté de la fortune, mais tant pis. Il préfère la musique noire. Rick Hall est un exemple assez rare d’intégrité artistique.

    Il est en train de relancer la machine FAME lorsque soudain se produit une nouvelle catastrophe : cette ordure revancharde de Wexler lui pique son house-band. Il le soudoie en douce et l’installe à ses frais à l’autre bout de la ville. Roger Hawkins, David Hood et Jimmy Johnson abandonnent lâchement le mec auquel ils doivent tout. Absolument tout. Rick Hall tombe des nues. Bhaaaam ! Quand il raconte cet épisode, trente ans plus tard, sa voix chevrote encore. C’est vrai qu’un coup pareil ferait débander un âne. Les traîtres sont rebaptisés Swampers par Denny Cordell et Leon Russell.

    mark e. smith,rick hall,nakht,artifix,eli d'estale,vellocet,doppelänger,maurice  zytnicki

    Une fois de plus, le pauvre Rick mord la poussière. Par contre, les Swampers croulent sous les commandes : Wexler leur envoie tout le gratin du rock des seventies. Même les Stones débarquent à Muscle Shoals. Pas chez Rick Hall mais chez les Swampers. C’est là qu’ils enregistrent «You Gotta Move», «Brown Sugar» et «Wild Horses» qu’on retrouve sur Sticky Fingers. La session est filmée : on voit les vieilles boots en peau de serpent de Keef et, à côté de lui, Jim Dickinson. De l’autre côté de la ville, complètement ratatiné, le pauvre Rick réussit à redémarrer avec une petite chanteuse black que lui présente Clarence Carter. Elle s’appelle Candi Staton. Puis après avoir passé un accord avec Capitol, Rick commence à recevoir dans son studio des stars énormes comme Bobbie Gentry, Joe Tex, King Curtis et surtout les Osmond Brothers qui lui feront gagner pas mal de blé. Il décroche aussi la timbale avec Patches, ce bel album de Clarence Carter. À l’époque, tout le monde veut aller jouer à Muscle Shoals, alors tout le monde débarque soit chez Rick, soit chez les Swampers qui tournent au rythme de quarante albums par an.

    mark e. smith,rick hall,nakht,artifix,eli d'estale,vellocet,doppelänger,maurice  zytnicki

    L’épisode de la rencontre avec Bobbie Gentry vaut son pesant d’or. Elle veut enregistrer une chanson qui s’intitule «Fancy». Sachant pourtant qu’il s’agit d’un hit, Rick s’y refuse, d’abord parce que la chanson traite d’infidélité et d’inceste et ensuite parce qu’elle dure douze minutes :

    — Ça ne passera jamais à la radio, my godness girl.

    Bobbie insiste, alors Rick lui répond :

    My goodness girl, if we record that, these Southern townspeople will ride us both out of town on a rail» (ma puce, si on enregistre ça, on risque les pires ennuis avec les gens du coin).

    Rick a du génie, alors il adapte la chanson et en fait un hit planétaire. Il se dit complètement fasciné par cette femme qui chante avec une «dark sexy voice» et qui s’accompagne d’une «little gut-string Martin guitar» aussi grande qu’un ukulélé - C’était une femme de contact qui savait ce qu’elle voulait et comment l’obtenir. - Et pour qualifier son style, il déploie sa plus belle prose : «She was telling the dark and mysterious story of her life with those Mississippi Delta strings playing back-porch blues guitar riffs like I had never heard before.» (Elle racontait la sombre et mystérieuse histoire de sa vie en grattant des accords de back-porch blues comme j’en avais jamais entendu).

    mark e. smith,rick hall,nakht,artifix,eli d'estale,vellocet,doppelänger,maurice  zytnicki

    Rick Hall écrit dans une langue très rock’n’roll. Quand il évoque ses souvenirs de dragueur, il sonne littéralement comme Roy Orbison dans «Domino» : «Terry and I were a couple of semi-cool dudes on the prowl who wanted to dress in black tuxes, cumbernurns, cut our hair in flat tops with duck tails, play some hipper music, make some cash and meet a fresh crop of much prettier girls.» Rick sait swinguer sa langue et ramener toute l’imagerie du kid américain des early sixties qui savait se coiffer en pompadour, se tailler des rouflaquettes, jouer de la bonne musique, faire un peu de blé et draguer des petites gonzesses. Les fils spirituels de Michel Audiard se régaleront aussi des formules de Rick, comme lorsqu’il dit : «Hansel and I were happy as two dead pigs in the sunshine». En France, on dirait heureux comme deux cochons en foire. Rick voit plutôt des cochons crevés au soleil. En fait, il s’exprime dans cette vieille langue redneck si imagée et si différente de l’Anglais qu’on pratique habituellement. Il sonne exactement comme Sam Phillips. Il règne dans leur façon de s’exprimer une sorte de conviction, un sens du martèlement poétique, leur phraséologie relève même du langage biblique. Quand il parle des difficultés qu’il rencontre à produire des nègres dans son coin, il s’exprimer exactement comme Sam Phillips qui fut confronté au même problème : «I was earning the reputation as ‘that redneck white boy in Muscle Shoals who is cutting all those hit records on black artists’.» (Je me taillais la réputation du petit blanc qui enregistrait des hits d’artistes nègres). C’est la même musique linguistique. Quand il fait le portrait de Bill Lowery, il swingue ses mots : «He was a white-haired, 250-pound, Big Daddy-looking guy with an appreciation for good music, good food and good liquor.» Il fait aussi un portrait savoureux de Don Robey, le label-boss de Duke Records, sur lequel ont démarré Clarence Carter et Bobby Bland : «On racontait que Robey frappait les gens qui osaient l’affronter avec son flingue. Certains des artistes signés sur son label le suspectaient de détourner les royalties, mais ils le craignaient tellement qu’ils évitaient de faire des vagues.»

    mark e. smith,rick hall,nakht,artifix,eli d'estale,vellocet,doppelänger,maurice  zytnicki

    Parmi les portraits fabuleux que brosse Rick Hall, on trouve celui de Dan Penn, qui admirait Bobby Bland et Ray Charles, et qui avait, nous dit l’auteur, une voix aussi belle que celle de Ben E. King - Dan used to say ‘I’m white but I’m alright’ (Fabuleux Dan Penn qui avait pour habitude de se moquer des racistes en disant : c’est vrai, je suis blanc, mais je suis correct) - Rick raconte qu’en chantant, Dan était si intense qu’il rougissait comme une tomate. Il rappelle aussi que Dan fut son meilleur ami, son confident et qu’ils composaient ensemble. Chaque fois que Rick a été trahi ou jeté par les autres, Dan lui est resté fidèle - Dan is a warm, caring and loyal man with an abundance of music savvy - et il ajoute que son précieux ami a les meilleures oreilles «in the whole wide world of music». C’est Dan qui a l’idée de lancer le label FAME pour presser 2 000 exemplaires de «Steal Away», le hit de Jimmy Hugues qu’ils viennent d’enregistrer, et d’aller faire la tournée de toutes les stations de radio noires du Deep South pour le refiler aux DJs. Rick n’a pas les moyens de leur glisser un billet, aussi leur propose-t-il à la place une bouteille de vodka.

    mark e. smith,rick hall,nakht,artifix,eli d'estale,vellocet,doppelänger,maurice  zytnicki

    Et Dan dira : «Je ne me suis jamais autant marré que lors de ce voyage à travers le Deep South, quand avec Rick on distribuait ‘Steal Away’ dans toutes ces stations de radio noires.» Rick raconte aussi qu’une nuit, Dan est arrivé dans le studio avec un pack de bière, trois paquets de cigarettes, sa précieuse guitare et accompagné d’un jeune mec nommé Spooner Oldham. Ils se sont assis à même le sol, ils ont éteint les lumières et ont composé «Let’s Do It Over» qui allait être le prochain hit de Joe Tex. C’est à cette occasion que débuta leur longue et prolifique collaboration.

    Si on aime les portraits de personnages légendaires, il faut lire ce recueil de mémoires. Rick fut le seul à croire en Arthur Alexander. Il se fit jeter par tous les labels locaux et quand «You Beter Move On» commença à marcher, un certain Tom Stafford emmena Arthur à Nashville, privant ainsi Rick du bonheur d’enregistrer le premier album. Rick apprendra plus tard par la fille d’Arthur que son père était fier du premier single FAME qu’ils avaient enregistré ensemble.

    mark e. smith,rick hall,nakht,artifix,eli d'estale,vellocet,doppelänger,maurice  zytnicki

    L’autre géant que défendait Rick fut bien sûr Clarence Carter auquel il consacre des pages émouvantes. C’est même l’histoire d’une amitié profonde, basée sur le respect mutuel et la qualité artistique. Rick se souvient des débuts de Clarence Carter, qui était à l’époque aussi pauvre que lui. Quand il entrait en studio, Clarence Carter était parfaitement au point, parce qu’il misait tout sur la musique qui était, comme pour Rick, sa seule planche de salut. Clarence jouait alors en duo avec son pote organiste Calvin sous le nom de Clarence & Calvin - Clarence and Calvin were both natural-born clowns who laughed and cut up in the studio, but were as serious as a bleeding ulcer about their music (ces mecs savaient se marrer, mais ils étaient sérieux comme des papes dès qu’il s’agissait de jouer). Rick conclut ce chapitre avec un petit épilogue en forme d’hommage définitif : «Je reste convaincu que Clarence Carter aurait pur être aussi énorme, voire plus énorme, que Ray Charles s’il avait bénéficié du même type de support financier, ou s’il n’avait pas eu le malheur de mener sa carrière en même temps que celle de Ray. Ils étaient tous les deux aveugles, noirs, ils venaient tous les deux du Sud et étaient tous deux des génies. Leur son est un mélange de Soul et de country unique au monde. Clarence est resté mon ami et il utilise encore mon studio pour enregistrer ses albums.»

    Oh et puis ce portrait de Wilson Pickett. Rick le dit précédé par sa mauvaise réputation et il ne peut pas résister à l’envie de lui demander si l’histoire du flingue sur la tempe du label-boss est vraie. Et Wilson lui répond : «J’ai pris l’ascenseur pour monter au bureau du patron, je suis entré, je lui ai mis mon bras autour du cou et un calibre 45 sur la tempe et je lui ai demandé de me rendre mon contrat, alors il a ouvert un tiroir et me l’a donné sans discuter.» En fait Rick explique que Jerry Wexler misait sur le fait que Wilson et lui, tous deux nés en Alabama dans la plus grande pauvreté, allaient bien s’entendre et que Rick allait pouvoir gérer les soirées alcoolisées et les tensions des séances d’enregistrement. «Jerry pensait que j’étais le seul mec capable de gérer Wilson Pickett et j’étais bien décidé à lui montrer qu’il ne se fourrait pas le doigt dans l’œil.» Quand Rick voit Wilson pour la première fois, il le compare à une panthère noire à la peau luisante. Cette rencontre est hilarante, car Rick qui ne connaît pas Wilson s’attend à voir débarquer du DC3 un gros black du genre Solomon Burke, et Wilson est horrifié de voir que le mec de Muscle Shoals est un blanc. En fait, ce qui horrifie le plus Wilson, c’est de découvrir que les champs de coton existent encore et que la situation des noirs n’a guère évolué depuis que sa famille est remontée au Nord, lorsqu’il avait seize ans. C’est Chips Moman qui va jouer de la guitare sur les fameuses sessions d’enregistrement de Wilson Pickett. C’est aussi Chips qui sort le double-octave riff d’intro de «Mustang Sally». Et tout le reste n’est que littérature.

    mark e. smith,rick hall,nakht,artifix,eli d'estale,vellocet,doppelänger,maurice  zytnicki

    Signé : Cazengler, un Rick hard sinon rien

    Rick Hall. Disparu le 2 janvier 2018.

    Rick Hall. The Man From Muscle Shoals. My Journey From Shame To Fame. Heritage Builders 2015

     

    Moissy-cramayel / 26 – 01 – 2018

    les dix-huit marches

    ELI D'ESTALE / ARTIFEX / NAKHT

     

    FEU FALLEN EIGHT

    C'est aux 18 Marches que nous avions rencontré pour la première fois Fallen Eight – le 02/ 10 / 2015 pour être précis - un des groupes phare de la jeune génération Seine & Marnaise dont nous avons suivi régulièrement les aventures dans nos colonnes. Nous attendions le prochain album. Mais le 12 janvier dernier la nouvelle est tombée, en préambule d'un long communiqué. Chute du huit. Fallen Eight se sépare. Divergences musicales qui n'annulent point l'amitié qui les unit... Le rock'n'roll use ses groupes bien plus rapidement que l'océan ses galets. Après Klaustrophobia, Beast, Scores, Fallen Eight n'est plus qu'une coque rouillée – dont la légendaire épopée ne tardera pas à se former - dans la darse des souvenances et des regrets. Nous restent les disques, les photos, les chroniques et les rencontres suscitées par leurs tumultueuses apparitions. La vie est ainsi, une vague se retire pour laisser place à une autre. Dans tous les sens du terme le rock'n'roll est une musique mortelle.

    ELI D'ESTALE

    mark e. smith,rick hall,nakht,artifix,eli d'estale,vellocet,doppelänger,maurice  zytnicki

    Nouvelle formule d'Eli d'Estale. Je dirais presque mathématique. Rien à voir avec le groupe qui growlait tant à mort que l'on avait avait l'impression que le son brouillait l'image qu'ils voulaient imposer ( Voir KR'TNT du 27 / 10 / 2016 ). Ont réduit la voilure, ont profilé l'étrave. Ont jeté par-dessus bord tout ce qui n'était pas indispensable. Sont parvenus à une esthétique racée, corsaire. N'offrent que le minimum. Mais vital. Aussi létal. A l'image de la guitare – Boden Original 7 - de Rémi Goetz dont on se dit qu'un fauve affamé a dû croquer un morceau. Un son réduit à l'essentiel, d'une rècheté désertique, sec comme un arbre mort, sans une goutte de lyrisme. La piqûre du serpent sans la consolation de l'antidote. Rien de trop. Rien de moins aussi, pas de flamme mais le feu, pas d'emphase mais la netteté du claquement d'une culasse de sniper. Alexis Godefroy est à la basse, jamais instrument n'a porté aussi bien son nom, un son sans rotondité, la dureté d'une écaille d'arapaima, totalement imité par Paul Alexandre Dournel à la guitare, la colère mais froide, la rage mais contenue, style classique qui évite les adjectifs ronflants et les figures de style à la-m'as-tu-vu. Musique sans complaisance envers elle-même. Et le public. Toutefois Eli d'Estale possède une quatrième cartouche de dynamite. Gilles Romain, debout sur son caisson tel un orateur antique sur la tribune des rostres. Démultiplie l'impact sonore de ses acolytes. Une gestuelle sobre mais théâtrale, la voix qui djente et les mouvements maniérés des mains autour de son visage qui en renforcnte les effets. Froideur passionnée. L'attire les regards. Invective et convainc. Accusateur public et couperet de guillotine. Enfermé en lui-même, isolé en sa propre représentation, et par ce fait-même totalement fascinant. Le groupe donne l'impression de résoudre une équation qui permet de tracer une droite brisée d'un genre nouveau que l'espace des courbes se voit contraint d'admettre et d'accepter, une espèce de zig-zag à angles morts porteur d'une foudre capable de déstructurer tous les champs magnétiques de la pensée humaine. Ce qui ne manque pas de se produire, les esprits captifs de l'assistance, entièrement phagocytés par cette musique, un composé d'essentiel et d'énergie, leur font un triomphe.

    mark e. smith,rick hall,nakht,artifix,eli d'estale,vellocet,doppelänger,maurice  zytnicki

    ARTIFEX

    mark e. smith,rick hall,nakht,artifix,eli d'estale,vellocet,doppelänger,maurice  zytnicki

    Artifex sera la révélation de la soirée. Entre une statuette du Buddha et le micro. Entre vide et silence. Faudra attendre le déroulement du second morceau pour saisir l'originalité intrinsèque du groupe. Nombreux sont les combos qui débutent par un instrumental. Dark Forest avec ses ramures sombres et ses sentes obscures avaient séduit l'auditoire. L'on attendait que Brendan à la basse et en position centrale s'emparât du chant, mais il n'en fit rien. Ni cris, ni chuchotements, ni hurlements, ni growl, ni djent. Artifex redéfinit le genre. Trash exclusivement instrumental. De l'instrumentrash. Cela change la donne. Eveille l'esprit et vous oblige à écouter autrement. D'autant plus que l'évidence s'impose très vite. Le chant ne manque pas. Son absence n'est pas perçu comme un défaut. Sa présence serait même de trop. La musique se suffit à elle-même. Le fruit de l'arbre ne nécessite aucune adjonction.

    mark e. smith,rick hall,nakht,artifix,eli d'estale,vellocet,doppelänger,maurice  zytnicki

    Pahaad Ke Raaja, que la répétition des A ne vous égare point. Artifex n'est pas adepte des musiques répétitives, ces boucles qui se superposent inlassablement, qui ne changent que d'un écart de dixième de ton à chaque tour et qui finissent par vous endormir. Mickaël est assis aux drums, avec ses longs cheveux blonds l'a le look solide d'un jarl à la poupe d'un drakkar qui dirige ses berserkers à l'assaut des tempêtes. Frappe lourde et puissante. Roulements de toms et tintamarre de cymbales, infléchit par son jeu la course des guitares. Thomas et Victor se partagent les bordées. Thomas est l'adepte des vagues déferlantes et tumultueuses qui vous secouent salement, ses riffs grondants sont des coups de boutoirs, ne durent jamais très longtemps mais sont suffisants pour vous faire craindre tous les naufrages. Victor tout au contraire joue dans l'écume déferlante. Ne se repose jamais, pétrel dans la tempête, au ras des lames, aux ailes infatigables. Ses doigts courent d'accord en accord sans jamais se lasser. Une longue jam lui permettra – non pas une démonstration car il possède une retenue individuelle qui lui interdit de se mettre en avant – de donner, et de partager, toute cette habileté cordique qui le pousse dans ses propres retranchements. Une note ne saurait être gratuite, elle se doit d'être prolongée par une seconde qui reprend l'héritage et le fait fructifier, tant au niveau de sa limpidité harmonique que de sa coloration phonique. La troisième ainsi de suite, tout morceau possédant ainsi sa part d'improvisation vivante. Avec en plus ces moments où les deux guitaristes ne jouent pas l'un à côté de l'autre, mais ensemble tous deux en complément de l'autre, chacun devenant tour à tour et le tuteur et la plante grimpante qui s'enroule autour du bâton propitiatoire. Brendan à la basse n'a pas le rôle le plus facile, ou appuyant les basculements de son drummer ou devant s'immiscer en finesse entre les interstices des deux guitares. S'en sort magnifiquement, le rôle ingrat du passeur qui vous aide à traverser les rivières les plus dangereuses mais qui ne peut vous suivre car déjà sa présence est nécessaire sur l'autre rive. L'intercesseur par excellence. Une fonction qui lui revient aussi dès qu'il faut entre deux morceaux établir le contact avec le public conquis. Les trois derniers titres, précédés d'un court sample où une guitare dépose des gouttes de rosée sur l'herbe de l'aurore, seront plus brutaux – Thomas s'en donne à coeur-joie vous pétarade les riffs à la moto-cross tandis que Victor se réserve les pointes de vitesse – Mickaël poussant la mécanique dans ses derniers soubresauts. Metastasis et The One & Only terminent le set en beauté, ovationnés par l'assistance ravie...

    mark e. smith,rick hall,nakht,artifix,eli d'estale,vellocet,doppelänger,maurice  zytnicki

    ( Photos de KARINE SOHIER )

    NAKHT

    mark e. smith,rick hall,nakht,artifix,eli d'estale,vellocet,doppelänger,maurice  zytnicki

    Les deux groupes précédents ont mis la barre haute. Nakht contre-attaque séance tonnante. Danny, le grand Danny, juché sur son trône de fer, spot rouge en dessous dont le faisceau montant ruisselle sur tout son corps, mène l'assaut. L'a sa voix des mauvais jours. Celle du grizzly qui growle à mort. Une voix qui contient le monde entier, des meutes de milliers de chiens sauvages qui courent et aboient derrière le grand charroi de la mort, des grouillements de soudards incendiaires qui s'attaquent au pont levis malgré l'huile bouillante et les rochers qui leur tombent dessus, les clameurs des momies qui subitement se lèvent dans les musées, arrachent leurs bandelettes et de leur museaux musqués, le visage rongé par la pourriture et la vermine et s'en viennent réclamer aux vivants épouvantés le culte que ces impies ne leur ont pas rendu.

    Nakht déboule sur vous. Une boule de feu pétrifiante. Saccage tout sur son passage. Vitrifie les ruines et transforme les vivants en statue de sel que les vents érodent déjà. Nakht la puissance implacable. Nakht, une puanteur d'éternité. Trois guitaristes qui s'agitent tels des pantins monstrueux, marionnettes folles de la colère de Seth, vous découpent des riffs aussi tranchants que des arrêtes de pyramide. Et Damien qui au fond de sa batterie pilonne des blocs de pierre taillées aussi hautes que des immeubles de trois étages.

    mark e. smith,rick hall,nakht,artifix,eli d'estale,vellocet,doppelänger,maurice  zytnicki

    Nakht n'akhrrête jamais. Pas une seule seconde de calme, Artefact, Apophis, Walking Shade, les titres titanesques se suivent et se ressemblent, de monstrueux scarabées piétinent les cités en flammes et les esprits qui agonisent au-dessus des flaques de cervelles écrabouillées. Vous avez voulu Nakht. Vous avez espéré Nakht. Vous avez attendu Nakht. Le voici dans la splendeur immémoriale de sa dureté. De sa cruauté. Grabuge dans la salle. Tourmente dans les âmes. Nakht passe comme les ouragans de sable dans le désert. Nakht engloutit. Nakht efface. Nakht écrase. Nakht vous efface de la surface de la terre.

    mark e. smith,rick hall,nakht,artifix,eli d'estale,vellocet,doppelänger,maurice  zytnicki

    Nakht s'éloigne. Et les voix des survivants interrogent : quand est-ce que reviendra Nakht, que les temps de désolation et de destruction se hâtent, ils sont nos seules raisons de vivre.

    Ce soir-là Nackht fut éblouissance.

    Damie Chad.

    JOUARRE / 27 – 01 – 2018

    SIGVALD'S MOTOR CLUB SEINE & MARNE

    VELLOCET / DOPPELGÄNGER

     

    La nouvelle est tombée sans prévenir. L'était prévu de se rendre à l'anniversaire de Johnny au nouveau local des Sigvald's – nous avions trop aimé la fête du Dixième Anniversaire du Motor Club ( voir KR'TNT ! 329 du 18 / 05 / 2017 ) - d'autant plus qu'était prévue la venue de Doppelgänger, lorsque l'annonce de la participation de Vellocet a éclaté comme une grenade au champagne. Vellocet, nous les avions admirés plusieurs fois chez les Rednecks de Provins, nous leur avions consacré le numéro 16 de KR'TNT ! Du 08 / 07 / 2010, version papier, et les revoici qui paraissent sans crier gare...

    z321

    La teuf-teuf sait où trouver les locaux de bikers, là où on peut faire du bruit sans déranger d'éventuels voisins abrutis de télé, s'engouffre dans la zone industrielle et la rue de la Grange Gruyère – une crème de nom délicieux - ne tarde pas à se présenter. Nombreuses voitures sur les trottoirs. Les motos sont parqués à l'intérieur de l'enceinte d'un vaste bâtiment dont les Sigvald's occupent une grande pièce précédée d'un large auvent. Camion-pizza à l'extérieur, bar à l'intérieur. Le paradis doit ressembler à cela. Des bikers de partout, l'en arrivera sans arrêt toute la soirée – cuirs souriants, serrement de pognes, embrassades fraternelles – l'ambiance est chaleureuse à souhait.

     

    VELLOCET

    z3209eric+++.jpg

    Le gang est à son poste. Eric Colère attend le retour de Johnny au premier rang pour lancer la machine à amphétamine rock. S'étire comme un fauve qui s'apprête à partir en chasse, s'arque-boute contre le micro, balaie l'air de sa longue crinière qui retombe dans son dos. Départ en trombe, le combo en place comme jamais, Hervé Gusmini carbure derrière sa batterie, Bruno Labbe profile les riffs et Christian Verrecchia verrouille les fondements du background des grondements de sa basse. Musique noire, sourde et explosive. Vellocet, ascenseur vers l'extase, la brûlure et la jouissance. Tous sont les vecteurs du vocal d'Eric. Totalement amalgamé à l'incandescence du son, ne faisant qu'un avec l'urgence turbo-réactrice du groupe et en même temps propulsé en avant, tel le missile sorti des soutes à munitions pour être envoyé sur la cible projetée.

    z3204guitariste.jpg

    Une majorité de morceaux issus du dernier album en français. Aux Miroirs, A l'Ombre des Latrines, Gethsémani, les titres parlent d'eux-mêmes, encore faut-il les expectorer avec la violence nécessaire. Eric y excelle, les crache de toute sa colère qui n'est que la fureur rock, les prononce deux fois, une fois les profère, les hache, les tord, les mord, hors de sa bouche, et une seconde fois par la pantomime de son corps désarticulé qui les met en scène, les campe comme des blasphèmes, les habille de menaces, les sculpte au scalpel de la haine. L'on ne peut parler de chant proprement dit mais de lutte avec la matière des mots, desquels il extrait le venin et le non-dit, les serre à la gorge, les étrangle, les étripe, les réduit en charpie, pour se jeter au plus vite sur les suivants qui affluent sans fin, armée de larves dont il convient d'assumer le possible de toutes les métamorphoses.

    z3208batteur.jpg

    Derrière lui, on n'effeuille pas les marguerites, le moteur se permet des changements de régime hallucinant, il y a de ces tutoiements de paliers infernaux, des brisures qui vous font craindre l'arrêt définitif ou des emballements qui prophétisent l'explosion, mais tout est contrôlé de main de maîtres, des plongeons de toms , des loopings de basse et des glissades verglacées de guitare à vous déchausser les dents, et dans le public l'on en avale pas moins les couleuvres écarlates de ces trous noirs de concentré d'énergie rythmique, le souffle coupé, la bouche béante d'admiration.

    z3205basse.jpg

    Deux titres en anglais, Monday Morning Blues et Shotgun House, juste le temps pour Eric de montrer qu'il connaît les canonnades trafalgariennes sur le bout de la langue, entrelardés de Que la Nuit l'Emporte et en final Au Nom de Dieu, dernier outrage, ultime splendeur sombre comme la main de la mort. Mais il est hors de question qu'ils s'arrêtent si tôt. Nous lâchent leur grand classique Mona Lisa et terminent sur Assis.

    z3206eric.jpg

    Presque huit ans que je n'avais entendu Vellocet en live. C'est encore meilleur qu'avant. Un set auquel on ne reprochera que sa brièveté, mais époustouflant. Méfiez-vous, Vellocet a repris la route. Se confirme qu'il est un des groupes kérozène du rock'n'roll français. Maillon fort.

     

    REFLEXIONS PHILOSOPHICO-EXISTENTIELLES

    Publicité mensongère. Ne faut pas toujours croire ce qui est écrit. Remarquez j'avais un doute. Je cite leur présentation : ''Le calme n'est rien sans la violence, la lumière n'existe pas sans l'obscurité. C'est sur ce principe que le groupe puise sa force, la musique est exutoire''. Désolé pour ceux qui aiment les moments de calme et de quiétude, les promenades au clair de lune et les soirées à rêvasser au coin de la cheminée. Je ne saurais expliquer pourquoi mais dès que vous rencontrez un doppelänger dans votre vie, ce n'est jamais la face douce et sympathique du personnage. Toujours, le côté obscur de la force. Ce sont ses côtés les plus pervers et maléfiques qu'il tourne vers vous. Peut-être parce que, au fond de nous-mêmes ce sont ces aspérités que nous préférons. J'avoue que si Doppelgänger s'était révélé être un groupe de folk acoustique à tendance papillons roses et petites fleurs bleues, j'aurais été déçu. De toutes les manières ce genre de nuisibles ne courent pas les rues chez les Bikers.

    ( Photos : Enagrom sur FB : Sigvald's MC Seine et Marne )

    DOPPELGÄNGER

    Un sound-check prometteur. De ces bourdonnements de guitares qui laissent présager que bientôt vous allez vous retrouver entouré de l'essaim furieux au grand complet, et Cyrco qui essaie des growlements à vous faire croire qu'il crache des poumons sanguinolents de tuberculeux à chaque fois.

    mark e. smith,rick hall,nakht,artifix,eli d'estale,vellocet,doppelänger,maurice  zytnicki

    Ils ont collé Loule tout au fond contre le mur, l'on se demande comment il arrive à respirer. Doit avoir l'habitude car dès qu'il démarre, la houle de Loule se déchaîne, des cymbales partout, une grosse caisse disposée selon un angle inhabituel, fait des ricochets sur les toms, et vous décoche des plots soniques à vous fracturer les tympans, à vous déchirer les lobes. C'est l'ouragan de fond. La plage idyllique aux cocotiers de cartes postale est définitivement ravagée par un tsunami mortel. Un temps idéal pour les crocodiles qui n'ont jamais eu autant de cadavres à mastiquer en toute impunité. Vous avez réveillé le doppelgänger autant dire que vous avez dopé le danger.

    Devant cette toile de fond une diagonale de folie. Deux guitaristes à chaque bout, le chanteur au milieu. Qui par un étrange effet de géométrie désorientée se retrouve au plus près du public. Sacré boulot pour Thydo et Nicba, z'ont à devancer l'avalanche drumique de neige noire qui fond sur eux, vitesse et précipitation sont leur seul mot d'ordre, plus la lourdeur du son carbonique, un Doppelgänger en action ne marche pas sur la pointe des pieds, il ébranle le sol et fissure les murs. Se propulse à toute vitesse aiguillonné par la force du mal et la volonté de nuire.

    Dans cette nuisance généralisée Cyrco ne possède que sa voix à ajouter au désastre, il se doit d'en exprimer la quintessence nauséeuse, hurlements de loup solitaire qui conjure la lune noire des cauchemars, des serpents nichent dans son œsophage ils soufflent sur les tisons de la haine et du désespoir, dans ses cordes vocales retentissent les échos perdus des ruts brutaux des dinosaurus disparus, le cri des suppliciés et les suffocations des fous dans les asiles ajoutent leurs notes discordantes à ces éboulements tectoniques de blocs de vocaux de pyramides écroulées.

    mark e. smith,rick hall,nakht,artifix,eli d'estale,vellocet,doppelänger,maurice  zytnicki

    Sur le côté droit, troisième angle à la base de deux triangles inversés – si vous voulez suivre les doppelänger à la trace il est nécessaire de vous représenter les patterns idéens algorithmiques qui président à leur déplacement, car leur disposition épouse ce que les alchimistes appelaient la structure maudite mais opératoire du quinconce exalté - la haute silhouette de Sebvi. Le seul qui puisse vous rappeler que le doppelänger est aussi un homme qui vous ressemble. Le sourire aux dents carnivores et la basse constructive. Là où les autres propulsent il creuse les fondations sur lesquelles reposent les catapultes de la déraison.

    Doppelänger, un set de cauchemars irréprochables, mettent en scène les archétypes fondamentaux de votre imaginaire – voir le second Faust de Goethe – les font apparaître en résurgences mentales ataviques, encore faut-il avoir le courage de les identifier. Métallurgie imaginale. La force au service des empreintes psychiques. Décollement intérieur des rétines du troisième œil. Rock'n'roll perforatif. Un grand groupe.

    mark e. smith,rick hall,nakht,artifix,eli d'estale,vellocet,doppelänger,maurice  zytnicki

    Damie Chad.

    DELOK / ARTIFEX

     

    AS I LEAVE / DARK FOREST / METASTASIS / PAHAAD KE RAAJA / CONTEMPLATION / SCENERY / SABHIATA / POST SCRIPTUM.

    z3211disc.png

    L'album Délok paru le 11 novembre 2017 a été précédé d'un premier album intitulé The One & Only, la pochette ne laisse aucun doute sur l'identité du seul et unique : Buddah. Et pas un autre. Ce qui nous permet d'identifier sans coup férir la moitié du visage qui figure sur le noir recto du CD. L'Illuminé en personne.

    L'ont peut avoir quelques doutes de la sérénité dont se prévaut Artifex. Délok est manifestement traversé de bruit et de fureur. Apparemment la délocalisation spirituelle n'est pas une affaire de tout repos. A moins que le chemin du trash ne soit qu'une voie étroite, celle de la main gauche, dite aussi du serpent. La matière n'est qu'un fleuve de feu nous avertissait Héraclite. L'on n'aime guère s'y retremper par deux fois, mais Artifex n'hésite pas à retenter l'expérience.

    Nous pourrions aussi nous interroger sur cette notion d'Artifex. Il est tentant de rapporter le terme à la figure de l'Eveillé. C'est ainsi que d'après nous l'a pensé le groupe. L'Artifex suprême, seul capable d'arrêter la roue du temps et de l'illusion. Mais tout symbole est réversible. Loin de la sagesse indienne, dans notre culture occidentale, c'est par ce mot qu'au moment d'expirer Néron se définit. Qualis Artifex Pereo ! s'exclama l'empereur de la toute puissance dissolue avant de sombrer dans le dernier sommeil. Sans doute la musique d'Artifex est-elle actée par cette contradiction qui réunit la recherche de la plénitude du néant avec le vide pascalien des divertissements humains auxquels s'adonna sans ennui l'Imperator Suprême.

    mark e. smith,rick hall,nakht,artifix,eli d'estale,vellocet,doppelänger,maurice  zytnicki

    As I leave : pureté extrême d'un chant féminin qui s'élève tandis que batterie et guitares s'introduisent en catimini par en-dessous. S'emparent petit à petit de tout l'espace phonique, d'abord assez sagement, édifiant comme des fondements de basalte, mais bientôt c'est la cavalcade avec apparition de motifs orientaux suivis d'accélérations constantes. Un druming qui pousse et des guitares qui tirent, atterrissage final en douceur. Dark forest : résolument rock, guitare et batterie qui se relancent sans arrêt, avec ces battements d'ailes spasmodiques qui semblent annoncer une descente mais préfigurent une montée victorieuse. Reprise du leitmotiv oriental en plus rapide, passé à la moulinette d'un rotor d'hélicoptère. Réapparaît à plusieurs moments, qu'il soit égrené lentement ou vaporisé rapidement, il n'est que prélude à de nouveaux galops insatiables. Metastasis : un rythme syncopé de base plus rock, du coup les guitares n'en bourdonnent que plus fort un son davantage saturé, ruptures cymbaliques et réassort sauvage dans les secondes qui suivent. La guitare miaule et déchire le motif initial, nous sommes dans une véritable oeuvre musicale continue, avec ses bruissements telluriques et ses enclumes siegfrédiques. Pahaad Raaja : guitare partout, omni-présente, s'adjuge toute l'ampleur du son, mais la batterie ne lâche pas le combat, reprend le dessus, s'adjuge les meilleurs coups, tout cela se résout par un envol éthéré. Deux géants qui se combattus à mort, leur âme plane sur leur corps mais n'en continuent pas moins à se poursuivre dans les dimensions éthériques. Contemplation : calme et zénitude, l'on croirait entendre des orgues mâtinés de trompes tibétaines, la guitare s'égrène et s'ouvre comme fleur du lotus. Ce n'était qu'une étape, la course insensée reprend et la batterie appuie beaucoup plus rageusement selon un contretemps outrancier, chant des guitares qui jaillit comme flèche sans cible qui n'en finissent plus de parcourir la rotondité parfaite du monde. Hachis de tambour et retour au prologue matutinal. Scenery : excitation de toms et menace de guitares, grand opéra orchestral, exclamations tribales, envolées gitanes, scènes de danse. Fin brutale. Sabhiata : levée d'orages et de tempêtes. Cris de guitares, exaltation de batterie, galops insensés, ballet de feu et gigantesque coups de balais qui relèguent au loin les miasmes putrides des pesanteurs terrestres. Post-Scriptum : matin du monde, chant d'oiseaux et cris inquiets d'animaux, les nuages s'amoncellent, la foudre s'accumulent, et la pluie tombe. Vient-elle pour laver le monde ou l'engloutir ? Les dernières mesures semblent se nuancer d'une grande tristesse. Un accomplissement spirituel n'est-il pas toujours corrodé du souvenir de la précédente incarnation ?

    Une oeuvre à écouter et à réécouter. Finement composée et détentrice d'une savante architecture. Un véritable oratorio. Violence et méditation.

    Damie Chad.

    *

    z3200afficherelais.jpg

    Y a des gens qui ont du courage. Ouvrir une librairie dans un village ariégeois relève de l'héroïsme. Oui mais certains ont aussi de l'imagination. Le Relais de Poche sis 2 rue de la République 09 340 Verniolle à Verniolles est aussi une Tartinerie. Avec plusieurs couches de beurres et quelques strates de confitures. Dégustation pour tous les goûts. Des livres – coin enfants, espace polars, présentoir poésie, pool critique politique, étagères d'occasions. Vous n'y trouvez pas toutes les dernières publications. L'on essaie d'y présenter celles qui font sens. Quelques tables pour déguster des produits du terroirs, et une salle de spectacles pour causeries, concerts, discussions... Accueil chaleureux. J'en suis ressorti avec un recueil de Serge Pey et :

    LETAL ROCK

    MAURICE ZYTNICKI

    ( Editions Loubatières / 2010 )

    z3198letalrockbook.jpg

    N'ai pas choisi au hasard. Rock, nécessairement. Se passe aussi à Toulouse. Où j'ai beaucoup vécu. Un avantage sur la plupart des lecteurs, un nom de rue et je visualise aussitôt. Bien que cela n'aide en rien à la réception de l'intrigue. Donc Rock avec juste ce qu'il faut de drogue et pas mal de sexe. Par contre question rock, serais plutôt enclin à parler de variété. Ou alors vous faites comme Rock & Folk et vous déclarez que Fauve c'est du rock. C'est que Zytnicky nous nique un peu. Difficile de se faire une idée du style du groupe Track Sys. Des jeunes gens modernes, imaginez-les tout de même plus près d'Etienne Daho ou de Taxi Girl que des Stooges. Deux garçons, une fille. Se sont rencontrés au lycée, ont passé leur bac ( d'abord ) et ont décidé de fonder un groupe. Et le succès qui leur tombe dessus. Pas toujours facile à gérer. Argent, dope, dépression. Mais pas la peine d'épiloguer, surtout que les boys ne vont pas tarder à se faire assassiner. C'est ici qu'entre en jeu la police. Que voulez-vous, tout le monde ne la déteste pas puisque le Capitaine Leïla Hilmi est l'héroïne du livre. Quoique Lorraine la rescapée chanteuse du trio en soit la star. Pas de chance pour les rockers elle réoriente sa carrière vers la dance pour midinettes 12-15 ans... Et l'on assiste à l'enquête. Je ne vous donnerai pas le nom de l'assassin. Ni son motif. Cette partie du livre nous éloigne du rock'n'roll. Est plutôt bien traitée, relève davantage de l'analyse psychologique du polar-gore bien crade.

    Un polar qui n'a pas pour but de nous relater le crime parfait, il vaut mieux le lire en tant qu'enquête sociologique sur les métamorphoses et les dérives de la société française. Permissivités, reconnaissance ( à défaut de lutte ) de classes, féminités affirmées, masculinités déglinguées, générations issues de l'immigration, jeunesse déboussolée, attrape-nigauds spirituels, manipulation médiatique des masses... Un potage peu appétissant, mais un constat factuel asse proche de la réalité. Zytnicki est un malin. Ne dénonce pas. Ne critique pas. Montre les contradictions. Un miroir. Chacun s'y reconnaîtra. S'il en a le courage.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 238 : KR'TNT ! 358 : WAYNE COCHRAN / LYSISTRATA / POGO CAR CRASH CONTROL / MIKE FANTOM AND THE BOP A-TONES / ROCKABILLY GENERATION NEWS 4 / THOUSAND WATT BURN

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 358

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    25 / 01 / 2018

     

    WAYNE COCHRAN

    LYSISTRATA / POGO CAR CRASH CONTOL

    MIKE FANTOM AND THE BOP A-TONES

    ROCKABILLY GENERATION NEWS

    THOUSAND WATT BURN

    Non, Cochran ne crâne pas

    Z3158WAYBECOCHRAN.gif

    L’un des géants du r’n’b américain vient de casser sa pipe. C’est l’occasion rêvée de lui rendre hommage. Wayne Cochran faisait marrer certains disquaires qui le prenaient pour un clown. Sans doute à cause de son côté kitsch : sur les pochettes d’albums, on le voyait en effet conduire des motos et porter une grande pompadour blanche.

    Z3188RICHARD.jpg

    Les moqueurs ne comprenaient pas que le kitsch est l’une des composantes essentielles du statut de shouter américain. Les exemples d’Esquerita, de Little Richard et d’Howard Tate n’en finiront plus de le rappeler. Qui plus est, Wayne Cochran naviguait au même niveau de raunch que les pré-cités. Il était probablement le seul blanc à pouvoir chanter le r’n’b aussi bien qu’Otis ou James Brown. Quand Alec Palao évoque le personnage, il parle de mesmerizing performer, et les disques sont là pour le prouver. On l’a aussi surnommé the White Knight of Soul, ou encore the Blue Eyed Soul Brother. Excepté l’album d’instros High And Ridin’, tous ses disques sont des pétaudières indispensables, à condition bien sûr d’aimer le raw gutbucked rhythm & blues.

    Comme beaucoup d’Américains de sa génération, Wayne Cochran fut un country boy tombé très jeune amoureux du rhythm & blues. Comme il vivait en Georgie, pas loin de Macon, ça facilita grandement les choses, car James Brown qui fut son idole y vivait aussi. Précisons à toutes fins utiles qu’Otis et Little Richard grandirent eux aussi à Macon.

    N’allez surtout pas prendre les gens de Macon pour des cons.

    Wayne Cochran se lança donc à corps perdu dans une carrière de Soul Brother. Il réussit l’exploit spectaculaire de se faire accepter par les géants du genre, Jackie Wilson, James Brown et Otis. Comme le dit Alec Palao, Wayne Cochran was the real deal.

    Nous voilà en 1962. Le jeune Wayne commence par devenir pote avec Otis qui enregistre ses premières démos chez un certain Bobby Smith. À l’époque, Otis chante pour Johnny Jenkins & the Pinetoppers dans des clubs locaux. Puis Wayne va monter son premier groupe et commencer à tourner dans les clubs. C’est l’époque du Cochran Circuit qui va devenir le CC des CC Riders, le nom de sa Soul revue.

    Z3187BROWN.jpg

    Il devient ensuite pote avec James Brown qui se balade dans Macon en Cadillac. Wayne Cochran est dingue de Mr Dynamite - The great thing about James Brown was that he was totally, absolutely original - Cochran explique que James Brown a inventé le funk, il ne faisait pas de r’n’b - The way he performed, the songs he wrote, the band arrangements, he created all that: JB was JB - Oui, JB a tout inventé. Et Wayne Cochran se mit à porter les fringues les plus voyantes, il étudia tous les pas de James Brown, et comme il sentait qu’il lui manquait encore un truc pour attirer l’attention, il opta pour la pompadour platinum. L’idée lui vint lorsqu’il vit les frères Winter jouer dans un club de Shreveport en 1965 : avec les jeux de lumière, les cheveux des deux albinos changeaient de couleur. Wayne décida donc de se teindre les cheveux en platinum et copia la pompadour de James Brown. Voilà, c’est aussi simple que ça. On l’a déjà dit : dans le processus de gestation d’un mythe, le moindre détail revêt une importance considérable.

    z3164miami.jpg

    Wayne Cochran établit sa crédibilité en jouant dans les fameux black theaters : l’Apollo de Harlem, le Regal de Chicago, l’Uptown à Philadelphie. Partout on l’accepte et on l’ovationne. Sa version d’«Harlem Shuffle» démultiplie l’énergie de la version originale de Bob & Earl. Il fait aussi une version fracassante du fameux «Get Down With It» de Bobby Marchan. Pour se faire une idée de ce que représentent ces pétaudières, il suffit de mettre le grappin sur Goin’ Back To Miami, une compile éditée par Ace. Wayne Cochran fait en effet d’«Harlem Shuffle» une version endiablée, chauffée à coups de c’mon baby. Ah il faut l’entendre hurler dans le feu de l’action ! Il chante «Get DownWith It» à la pire effervescence de la Soul. Il screame dans tous les coins, c’est une horreur. Il relance en permanence. Il propose un traitement différent de celui de Slade mais c’est tout aussi inflammatoire, on a là une sorte de cross over dévastateur qui tient à la fois de James Brown et du rock’n’roll. Et sur cette compile, tout est littéralement chauffé à blanc. Tiens, par exemple, le morceau titre : on a l’impression qu’il est joué aux chaudières, c’est plein de sax et de renvois de chœurs frénétiques, de relances de batterie et de hard beat. Tous les cuts s’enchaînent à un rythme infernal, Wayne fait son Otis dans «Which One Should I Chose» et son James Brown dans «When My Baby Cries». Ce mec est brillant, profondément hanté par la Soul. Quand démarre sa reprise de «Get Ready», on tombe de sa chaise. Ce diable de Wayne est dessus, avec du trémolo de white niggah dans le fond du gosier - Look out baby here I come - Encore plus défenestrateur, voilà «You Got It From Me». Il avance à marche forcée, quelle démesure ! Il avance au gros popotin staxy, il ramone au moins autant que Wilson Pickett et c’est peu dire. Il fait un break de voix éteinte. On croit entendre Nathaniel Meyer ! Il refait son James Brown dans «Think». Il interfère exactement de la même façon que son mentor. Et sa version de «You Can’t Judge A Book By Its Cover» explose littéralement. Cet enfoiré est dessus, il est bien meilleur que ses pairs, ah c’mon ! Il prend ça au meilleur heavy groove de Soul de la planète. Il gueule en amont et en aval, il y revient inlassablement. Il retape dans le popotin staxy avec «The Peak Of Love», il est bon sur tous les coups, il est invraisemblable, cette compile sonne comme un rêve de hot Soul. Il emmène «I’m In Trouble» à la force du poignet et gueule comme un con. Il retrouve les accents fêlés de James Brown pour minauder dans «Little Bitty Pretty One». On croit entendre les retours d’accords de Steve Cropper. Il attaque «Somebody Please» à la pire fournaise qui soit ici bas. Il fait du pur Mr Dynamite ! Quel incroyable rebondissement ! Il roule aussi «Hoochie Coochie Man» dans sa farine. Il en fait une mouture spectaculaire, il y va au gros guttural, il ravage des montagnes et déraille dans le raunch. Ce mec n’en finit plus d’épater la galerie des glaces. Même avec le romantico, il brille au firmament : «Up In My Mind» sonne comme un hit intemporel, allumé par des guitares et des échos de «My Girl». «If I Don’t Fit Don’t Force It» vaut aussi pour un joli blast de good-timey Soul de juke. On s’en étourdit. Il fait monter sa sauce avec un brio incomparable. En lui brûle le feu sacré. Il faut prendre ce mec très au sérieux, car il dispense de très belles apothéoses. Nouveau coup de génie avec «My Machine» : c’est noyé de cuivres et embarqué au drive de jazz. Chez Wayne Cochran, tout et bon. Rien à jeter.

    Il devient vite un phénomène au Barn de Miami où il décroche une residency - He tore up the joint night after night - Eh oui, on comprend ce qui pouvait se passer au Barn quand on écoute le fameux live jamais sorti et que propose Ace sur le dik 2 de la compile pré-citée. Il attaque avec une reprise de «Dance To The Music». Quelle fanfare ! Les CC Riders s’amusent comme des gosses. Wayne fait son Sly, mais trop guttural. On frise à chaque instant l’overdose de Soul. D’autant qu’il enchaîne avec une version surchauffée de «Soul Man». Quelle audace ! Il ose taper dans Sam & Dave. C’est pulsé à outrance. Wayne Cochran fait partie des géants de cette terre. On l’attend au virage pour «Try A Little Tenderness» : il l’attaque avec un courage exceptionnel. Il le prend avec toute sa poigne et en fait une version intensément vécue de l’intérieur. Il devient encore plus viscéral qu’Otis, il déploie des trésors de puissance et de no no no et il arrache tout, absolument tout, il fait basculer le cut dans la folie, yeah yeah yeah, il s’en explose la rate et s’en dilate le fion. Il enchaîne avec une cover de «Can’t Turn You Loose» toute aussi explosive. Ce mec est un diable ! Il faut aussi entendre sa version dévastatrice d’«Hold On I’m Comin’». Avec lui, il faut se méfier, il peut exploser Sam & Dave sans prévenir. C’est trop hot ! Mais comment fait-il pour rebondir de manière aussi superbe ? On se posera la question jusqu’à la fin des temps.

    z3166raven.jpg

    Puisqu’on est dans les compiles de burning hell, Raven a sorti en 2005 un 24 titres intitulé Get Down With It qui fait un peu double emploi avec la compile Ace, mais on y trouve des titres comme «Last Kiss» ou «The Coo» qui ne figurent pas sur Miami. On ne se lasse pas de «Last Kiss», cool as fuck, ni de «The Coo», groové jusqu’à l’os. On retrouve donc cette ribambelle de reprises superbes, «Harlem Shuffle», «Get Down With It» et l’infernal «Going Back To Miami» chanté avec toute la bravado d’un pur fan de Soul. On retrouve aussi l’excellent «Some A-Your Sweet Love» chanté à la démesure des enfers et screamé à outrance. On tombe aussi sur une jolie version de «Boom Boom» et son «Peak Of Love» vaut tout Wilson Pickett. «Up In My Mind» sonne comme un hit de Phil Spector. Il faut aussi l’entendre chauffer «Sleepless Nights» à blanc. Non seulement c’est admirablement chanté, mais c’est en plus très inspiré. Wayne Cochran chante comme un dieu. Dans «Sitting In A World Of Snow» et «We’re Gonna Make It», il sonne exactement comme Otis. Il se prélasse dans le lit du fleuve. Son «CC Rider» est terrifiant de santé et derrière, on entend des chœurs de filles soumises. Quelle démence ! Ce mec est increvable. Il ne baissera jamais sa garde. Il charge sa chaudière jusqu’au bout de la nuit. Quel fabuleux shoot de r’n’b américain ! Rien d’aussi parfait sur cette terre ingrate.

    z3159chesss.jpg

    S’il débarque en 1967 à Muscle Shoals pour enregistrer l’album Wayne Cochran, c’est parce qu’il vient de virer tous ses musiciens. Ils devenaient trop gourmands, alors Wayne fut contraint de s’en débarrasser. L’album va sortir sur Chess sous une belle pochette noire, mais Wayne n’apprécie pas le choix du producteur Abner Spector qui selon lui ne connaît rien au r’n’b. C’est là, sur cet album, que se trouvent ses plus gros coups : «Get Ready», «Boom Boom» (l’idée de ramener du raw de r’n’b dans Hooky est géniale), «The Peak Of Love» (il fait Sam & Dave à lui tout seul), «You Don’t Know Like I Know» (toujours du Sam & Dave). Wayne Cochran ne jure que par la grosse efficacité. Tout est bon sur cet album. En B, on tombe sur sa reprise de «You Can’t Judge A Book By Its Cover», puis sur le «Big City Woman» d’Eddie Hinton, et il ramène toute la hargne de Georgie dans «Hoochie Coochie Man». Quand on écoute «Get Down With it», on voit bien que l’album souffre d’une mauvaise prod. C’est pourquoi la compile Ace vaut le détour. Notons enfin que les photos du dos et de l’intérieur de la pochette sont prises au Barn de Miami.

    z3168ccriders.jpg

    Wayne Cochran raconte qu’il tournait toute l’année, sept jours sur sept. Il avait quatorze musiciens dans les CC Riders, plus trois choristes, un roadie et un chauffeur de bus. Un vrai business - You gotta make that payroll whether you’re working or not - Et quand il s’installe à Vegas, il crée la sensation - Taking the place with a distinctly southern fried soul revue. Vegas was agog - Oui, Vegas tombe sur le cul. Elvis vient le voir et Wayne lui offre ses deux costumes taillés chez Nudie. Puis c’est la consécration : Wayne ouvre pour Elvis à L’International Lounge de Las Vegas. Et pour couronner le tout, la Soul Revue d’Ike & Tina Turner accompagne Wayne sur scène.

    z3162ride.jpg

    En 1970, paraît High And Ridin’, un album d’instros. C’est l’époque où Wayne découvre la moto. Les quinze CC Riders posent avec lui sur la pochette, chevauchant des Triumph. Inutile d’aller cavaler après l’album, il ne propose que des versions instrumentales des grands hits de l’époque, «Ode To Billy Joe», «Satisfaction», «Hey Jude». On note cependant que les CC Riders savent jouer, car tout est embarqué au groove de jazz, surtout «Better Get It On Your Soul». Et au dos de la pochette, Wayne pilote la Harley d’Easy Rider, avec le réservoir décoré et stars and stripes. Pourtant, Wayne s’en défend. Il ne voulait pas devenir un hippie outlaw - He was an entertainer, the lounges were his true environment and R&B was his bag - Pour lui, le phénomène hippie n’avait pas d’identité, pas de rien. Il préférait mille fois Sly.

    z 3163alive.jpg

    La même année paraît Alive And Well, produit par John Wagner. Belle pochette : on y retrouve Wayne sur une bécane. Au verso, on le voit de dos, torse nu, foncer sur une route du Nevada. On entend des motos partout sur cet album. C’est là-dessus que se niche l’énorme «My Machine». Les CC Riders règnent sur l’empire du shuffle américain, au moins autant que le mighty Electric Flag. Et c’est d’autant plus vrai que le bassman qui doit être Artie Glenn joue aussi bien qu’Harvey Brooks. Wayne propose un très joli «Sunday Driver» (il y rappelle qu’il n’est pas un motard du dimanche) et derrière lui roule l’un des meilleurs backing-bands d’Amérique. En B, on tombe sur un spectaculaire et interminable «Let Me Come With You», joué au bassmatic intensif. Cet Artie-là épate vraiment la galerie et on entend pas mal de belles motos dans le voisinage. Ils enchaînent avec l’excellent «CC Rider». C’est un modèle de shuffle et certainement l’une des meilleures versions avec celle d’Eric Burdon. Ils bouclent cet album étonnant avec «Chopper 70», l’un de ces beaux instros dont ils ont le secret, bardé de son, de swing, de shuffle et de cuivres.

    z3165epic.jpg

    En 1972 paraît sur Epic son dernier album avec les CC Riders, Cochran. Si on ouvre le gatefold, on tombe sur une photo de Wayne et de ses quinze CC Riders. Spectaculaire image ! Il attaque avec un hommage à Sly Stone intitulé «Do You Like The Sound Of The Music». Il chauffe son funk avec toute l’abnégation du monde, ça grouille de wha-wha et d’escalades de nappes de cuivres. Fantastique ! On se régale aussi de «Somebody’s Been Cuttin’ In On My Groove», admirable groove de good time music, chanté à la force du poignet. Il revient au Staxy Sound System avec l’excellent «Sleepless Nights». Il y rend hommage à Otis à coups de gotta-gotta. Et il boucle l’A avec l’un de ces coups de Trafalgar dont il a le secret : «Boogie», un jive de funk de congestion à la JB, monté au bassmatic de Georgie. Stupéfiant ! Il retire un coup de chapeau à Otis en B avec «Circles» et dans «Sitting In A World Of Snow», il chante ses teardrops à la puissance des bubbles. Il ravage toutes les contrées. Ce mec ne jure que par la puissance intensive. Il fait son Marvin avec «I Will», accompagné à la flûte. Ça a l’air con, comme ça, mais c’est admirable de présence. Et voilà, l’heure de se quitter approche et il finit en beauté avec «We’re Gonna Make It», un slowah à la Otis. Irréprochable. Mais Epic ne l’aide pas. Découragé, Wayne rappelle qu’il doit tourner constamment pour payer ses musiciens. Aucun label ne lui a jamais donné les moyens d’enregistrer. Alors il arrête net sa carrière discographique et reprend la route. Au moins, là il sait qu’il ne dépend de personne en Harley Dacidson.

    Z3189ELVIS.jpg

    Quand épuisé par quarante années de route, il finit par jeter l’éponge, il fait ce que font ses mentors blacks : il devient pasteur. Amen.

    Signé : Cazengler, Wyane Cocrade

    Wayne Cochran. Disparu le 21 novembre 2017

    Wayne Cochran. Wayne Cochran. Chess 1967

    Wayne Cochran. High And Ridin. Bethlehem Records 1970

    Wayne Cochran. Alive And Well. King Records 1970

    Wayne Cochran. Cochran. Epic 1972

    Wayne Cochran. Get Down With It. Raven Records 2005

    Wayne Cochran. Goin’ Back To Miami. Ace Records 2014

    MAGNY-LE-HONGRE / 19 – 01 – 2018

    FILE 7

    LYSISTRATA / POGO CAR CRASH CONTROL

     

    C'est râlant, mais il y a des soirs où vous ne pouvez pas vous en prendre à la terre entière. Une route déserte, la Teuf-teuf qui vous dégotte un itinéraire ultra-rapide, ultra-simple, et une place de stationnement capable d'accueillir un terrain de foot-ball. Même pas une goutte de pluie alors qu'il est tombé des averses dantesques en fin d'après-midi. En fait quand tout va bien dans votre vie, c'est peut-être encore pire que quand tout va mal. Si l'on vous enlève la possibilité de fulminer contre le monde et les Dieux, l'on vous supprime les trois-quarts de votre déraison de vivre. Et comme un malheur ne vient jamais seul, les Pogo Car Crash Control – sublimation rock – passent au File 7. Le bonheur est une idée neuve dixit Saint-Just, s'est trompé, c'est surtout une idée insupportable.

    LYSISTRATA

    z3182lysistous.jpg

    Trois gars qui ont pris un nom de fille. Pas n'importe laquelle, l'égérie aristophanesque de la grève du sexe. Diable si l'on supprime le premier élément de la sainte trinité du rock 'n' roll que reste-t-il de viable en ce bas monde ? La réponse ne se fera pas attendre : Lysistrata. Ne sont que trois. Font du bruit pour trente. Ont même tout un tas de gadgets électroniques pour en rajouter quelque peu, au cas où. Manifestement ne sont pas venus pour passer inaperçus. Commencent par vous asséner trois monstruosités rythmiques. Le genre de babioles qui réconcilient avec le marteau de Thor et le galop de Sleipnir. Ben Amos Cooper trône derrière sa batterie installée sur piédestal. Tape fort et mitraille vite. Puissance de frappe de cataphracte infatigable. A ses pieds sont deux. Face à face. Séparés par deux vastes plateaux, déposés à leurs pieds, surchargés d'effets soniques clignotants, ressemblent à deux champions qui vont s'affronter pour la place de chef de la harde.

    z3186basse.jpg

    Max est le Roy de la basse. Pas question d'accompagnement monocorde, l'est un fervent de l'orchestration tonitruante, à jeu égal avec la batterie, lui vole, une fois sur deux, les breaks échevelés – ceux qui poussent les bricks sur les écueils – ou vous relance la course en pleine mer selon de monstrueuses vagues dévastatrices. Montagnes d'eau forte qui s'écroulent sur les spectateurs ravis.

     

    z3183guitar.jpg

    Théo Guéneau oscille entre violence et préciosité. Avec ses lunettes et sa coupe blonde au bol, comparé à ses deux grands gaillards de compagnons qui agitent en tout sens de noires chevelures broussailleuses l'a un peu l'air de l'intellectuel du groupe. Question hurlevent, course de côtes et chasse à courre, ne faut pas lui en promettre, tient avantageusement sa place. Mais Lysistrata sont des adeptes des climax. Zones anticycloniques, et aires de dépression. Furiosités et curiosités. Théo sololise. Batterie et basse en appoint, en réserve lorsqu'il enregistre ses propres boucles de guitare et y parsème notes creuses comme gouttes échappées d'un robinet d'eau tiède. Un peu long, parfois. Lui manque une virtuosité blues qui serait comme un fil conducteur avec les grands moments des fureurs métalliques. L'on comprend le nom de Lysistrata, guerre et grève. Guerre napolénonienne et paix tolstoïenne. Cannonades et prairies de brumes ensoleillées. Faut reconnaître que les interventions de Théo ravissent le public goûteux. Perso je préfère les grandes chevauchées de conquérants affamés de splendeurs spadassines. Trop grande disparité entre les différents moments, Lysistrata use d'une alternance trop simpliste, c'est au cœur des plus grands tumultes que devraient s'élever les passages d'accalmie, la rupture n'en serait que forte puisqu'ils bénéficieraient de l'élan vital des frénésies enchâssantes.

    z3185batteri.jpg

    A chaque fois que Lysistrata revient au cœur de la tourmente, c'est un régal. Rare. Sacré boulot de Ben qui insuffle un groove échevelé, qui ne vous laisse pas un seul instant de repos. Tam-tam sur les toms, bousculade sur les cymbales, Ben remballe grave, tient le groupe sur le bout de ses baguettes. Délimite le champ de l'affrontement cordique fraternel. Max nous fait le coup de la grande menace sur sa basse, vous refile de grands coups de pied en l'air à chaque fois qu'il envoie un riff, la larsène contre l'ampli, finira par un grand pandémonium, descendu dans la foule il en frotte le manche contre le rebord de la scène, l'en tire un grondement apocalyptique du meilleur aloi. Théo est à genoux, tripote les boutons à la manière d'un fakir qui affute les pointes de sa planche à clous. Se lève s'en va taper sur un tambour de guerre, récupère une baguette pour jouer une espèce de slide bâtonné de dynamite qui vous explose le bulbe rachidien. Jettent leurs instrument et s'en vont comme ils étaient venus dans le bruit et la fureur.

    INTERMEDE

    Les Lysistrata nous ont bien maltraités. Juste comme on aime. Ça s'affaire salement pour dégager le plateau. Jamais vu autant de roadies. Vous rembobinent des kilomètres de fil en un tour de main, vous transportent le matos comme les malfrats vous entassent les valises bourrées de billet dans le coffre de leur voiture, vous installent les retours au centimètre près, effectuent un ultime check-point quasi-silencieux pour la sono, tout est prêt ne manquent plus que les Pogo qui se font attendre...

    POGO CAR CRASH CONTROL

    z3179tous+.jpg

    We want the rock, and we want it now ! Les Pogo ont tout compris. Nous donnent tout, et tout de suite. D'entrée. Et de sortie. Question Grèce antique, ils se sont contentés de piquer deux concepts à Aristote. Pas les moindres. Les deux principaux. Celui du départ et celui de l'arrivée. Energeia et catharsis. Tout le reste n'est que du blabla littéraire. L'énergie et l'extase. Le fouet et la jouissance. Si vous voulez davantage c'est que vous n'êtes pas morts à Eleusis. Relisez Le Puits et le Pendule d'Edgar Poe. Mais après cette introduction théorique, passons à la praxis.

    z3180fille.jpg

    D'abord – faites attention parce qu'il n'y a pas d'après – le son. Une terreur phonique qui s'abat sur vous, une onde cataclysmique qui vous étreint et vous tord dans tous les sens. Pogo joue depuis une seconde et déjà ils ont tout donné. Du condensé. Vous n'en n'aurez jamais plus. Vous n'en aurez jamais moins. Atome initial et terminal. Entre temps, trou noir et vortex maléfique. La terre n'existe plus, les Pogo l'ont annihilée. Le temps de vous rendre compte qu'ils ne sont que quatre. Lola Frichet, the only gal. Toute seule, l'ouvre de grands yeux étonnés de petite fille à qui l'on refuse un dix-septième sucre dans son café-au-lait matinal, et qui vient brutalement de comprendre que l'on ne pactise pas avec le monde, qu'il faut le détruire, irrémédiablement. Surtout pas pour le remplacer par un autre. Alors elle se permet de hâter le processus, frappe du poing sur sa basse et l'on a l'impression que tout en bas Cerbère aboie de toutes ses forces de ses trois gueules sanguinolentes. Avertissements sans frais qui fait chaud au cœur. Parfois elle se plante devant Louis Pernot, le provoque, pour qu'il batte plus vite, pour que la fournaise rougeoyante qu'il dégage se transforme en éruption volcanique.

    z3177batteur.jpg

    L'a les bras qui batifolent dans tous les sens Louis, une pile au radium, torse nu et musclé comme un éphèbe grec, un hoplite spartiate dans toute la splendeur dangereuse de sa beauté, une machine à tuer, un massacreur transphonique, il est la force irradiante des Pogo, la forge des épées fatidiques. Ces épingles cruelles que l'Aphrodite de Pierre Louÿs enfonçaient dans le sein de sa servante. Simon Péchinot n'hésite pas à se hisser sur la grosse caisse de Louis, en statue du Commandeur qui s'en vient ramoner nos âmes. Sinon Simon officie à sa guitare. Etoffe le son.

    z3176simon.jpg

    Pousse la sourdine dans le rouge. Glisse de la tonitruance. La fosse aux serpents à lui tout seul. Partisan du riff dangereux, la longue dague qui s'enfonce en vous, vous traverse de part en part sans même que vous vous en soyez aperçu. S'infiltre dans la forteresse par le conduit des égouts. Ne déboule pas en ami qui vous veut du bien. A peine est-il entré en scène qu'Olivier Pernot se débarrasse d'un fort coup de tête de son bonnet Be Ambitious. L'a dépassé cette étape. Mission accomplie. Boule de feu hirsute, surgie des espaces stellaires, secouée des spasmes de rage et de de colère, venue pour les chants de la désolation et de la rancœur revendiquée. Il ne chante pas, il vitupère, comme la couronne de vipères qui nimbe la trogne menaçante de la Gorgonne, il hurle les stances haineuses de Royaume de la Douleur, Hypothèse Mort, Crève, Déprime Hostile, le constat de la faillite de toute une civilisation.

    z3179olivier+++.jpg

    Dans la salle c'est la chienlit, une sarabande folle emporte les corps et les esprits. Rien ne sert de pleurer. Joie nietzschéenne sans égal. Sans égards pour la tristesse d'un monde qu'il convient de fouler aux pieds, de piétiner, de réduire en néant dans une suprême exaltation sauvage. La musique des Pogo est un ouragan qui balaie les miasmes délétères des angoisses modernes. Elle est un cyclone festif qui souffle sans à-coups. Un tournoiement sans fin, l'on se cogne sans agressivité, les corps se cherchent et se trouvent comme ces nuages d'orages qui se rencontrent afin que la foudre puisse signifier le monde d'un éclair vengeur. Les Pogo sont venus, les Pogo sont partis. Un barrouf de ouf. Le rock'n'roll a triomphé.

    z3178tous.jpg

    Damie Chad.

    ( Photos : FB :  LUCA LIGUORI PHOTOGRAPHIE )

    TROYES / 20 01 – 2018

    3B

    BAR BEATRICE BERLOT

    MIKE FANTOM AND THE BOP A-TONES

    z3150affiche.jpg

    Fume c'est du Belge. C'est le programme du 3 B, ce soir. Une importation. Du grand Nord. Z'étaient déjà venus l'année dernière, z'avaient fait un tabac, alors dans la série un tiens vaut mieux que deux tu l'auras, ils reviennent. Béatrice Berlot n'est pas écossaise, mais question fantôme elle sait reconnaître les esprits frappeurs.

    MIKE FANTOM

    AND THE BOP-A-TONES

    z3155mike++.jpg

    Un fantôme ? Inutile de crier au secours. Rien à voir avec une mystérieuse tache sanglante qui apparaît sur le mur de votre salle de bain, un géant, un vrai, bien en chair, visage éclairé d'un franc sourire, pour le moment il se cache, l'a beau s'être enroulé dans le rideau, il dépasse un peu. N'a pas de souci à se faire. Les Bop A-Tones assurent sans lui. Un de ces instrus – titré Fantomas Rock - qui vous trouent la peau encore plus sûrement que trois bastos de colt.

    z3144ouchene.jpg

    Un sacré tireur à la guitare. Un impitoyable. Le genre de maniaque qui n'utilise que les munitions les plus précieuses. Sa marque de fabrique. Un bienfaiteur de l'humanité, vous truffe la cervelle avec des balles d'or fin – cela enrichit vos idées - du vingt-huit carats ciselé. Un artiste. Vous met au diapason tout de suite. Un roi de la gâchette. Précision et beauté du son. Velouté sixty et aileron white-rock de requin affamé. Additionné de surfin' sauvagement raffiné. Se nomme Patrick Ouchene, le genre de gars qui vous tient tout le plaisir du monde entre ses six cordes.

    z3151batteur+++.jpg

    N'est pas seul, derrière lui Pascal Lunari, barbichette satanique, regard de renard malicieux, le suit comme son ombre. Quand la guitare explose, il vous fracasse l'étrave d'un brise-glace sur la banquise, quand elle s'envole dans la brise matutinale il vous l'accompagne d'un rythme printanier pour mieux galoper à la tête d'une horde mongole, et sur le côté Bart Crauwels, armoire à glace débonnaire qui surplombe sa contrebasse comme un python des Rocheuses s'enroule autour d'un buffle, une pin-up fuselée tatouée sur son avant-bras, bastonne à tout rompre sans avoir l'air d'y penser.

    z3154mike.jpg

    Mais voilà Michel Texier qui s'avance cérémonieusement, se plante sur le micro et tout de suite il nous fusille d'un Too Hot To Bop de la mort qui vous entraîne au pays magique du rockabilly. Sont comme cela, trois sets de quinze morceaux, du meilleur tonneau, de grande cuvée. Avec une facilité déconcertante, une évidence désespérante.

    z3146ouchenes'accorde.jpg

    J'ai oublié de le dire mais Patrick Ouchene, est un teigneux. L'a le rock à fleur de peau. Le gars le plus gentil du monde entre deux morceaux, se repeigne, plaisante, rit, imite Dalida ou David Bowie, mais deux secondes plus tard, c'est la mue, la métamorphose, changement de registre, le rock'n'roll est une affaire trop sérieuse pour être laissé aux demi-sels, vous balance tout de suite du son de haute précision, aussi racé qu'une calandre de Cadillac, aussi griffu qu'une patte d'ours blanc que vous venez de déranger dans sa sieste sur son glaçon. En plus il chante, l'a tout ce qu'il faut l'urgence dans la voix, la fièvre au corps et cette plasticité émotionnelle qui vous transforme le moindre lyric en témoignage existentiel.

    z3148bart.jpg

    Crauwels a les crocs. Ne le montre pas. Mais ça s'entend. Vous refile le swing sans rien dire, par en-dessous, la scansion et la vitesse à train d'enfer, parfois il se contente de slapper avec deux doigts, le gars qui vous frappe avec les deux bois du nunchaku pour mieux vous enchaîner par la suite, quand il arrête vous avez l'impression qu'il vous étrangle. Pendant ce temps je certifie que Lunari ne reste pas dans la lune, bosse comme un dromadaire et vous drosse comme un cachalot, l'a le beat insatiable, genre pendule que vous remontez une fois par siècle mais qui se permet tous les caprices du monde, hache le temps menu, ou vous le dilate à l'extrême. Applique la théorie du Big Band, une explosion initiale et toute la suite n'est que la résolution mathématique de ce grand tapage, l'a l'air de jouer tout seul, le copain qui ne vous refile jamais le ballon au foot, mais non au dernier moment il fait la passe à Ouchène qui vous riffe dans la lucarne, en plus ils en ricanent de plaisir de toutes leurs dents. Nos deux véroles connaissent leur rôle.

    z3145troisimmobiles.jpg

    Je reviens sur Mike. Je vous ai fait attendre. Je n'y peux rien mais il m'énerve. L'est trop bon. Je suis jaloux. Avec lui tout paraît facile. Commence par vous expliquer l'origine du morceau – un max de compositions originales – et puis il se lance. Un peu obligé, parce que Patrick aime bien rentrer dans le vif du sujet pour voir si ses potes sont au taquet, et le Mike vous saisit le trapèze au vol sans même y prendre garde. Ensuite c'est la série des flip-flap arrière, des toboggan de la mort, des sauts de l'ange exterminateur, tout ce qui demande une attention vocale ultime, une précision au millionième de micron, il vous l'exécute avec l'indolence tranquille du gars qui jette une épluchure de banane dans la poubelle, I Bopped the Blues with Mary Lou, il lui en fait de toutes les couleurs, des vertes et des pas mûres, ou alors la petite Justine vaut mieux que je ne vous raconte pas tout ce qu'elle subit. Evidemment l'assistance n'en perd pas une miette auditive, tout le monde se trémousse comme dans une cabine collective de peep show stéréophonique. En plus il ne prend pas toute la galette et la fève pour lui tout seul, en distribue de gros morceaux à ses coéquipiers, des instrumentaux à la tord-boyaux, un Chicken Run brûlant, un Rawhide tout cru, un Jack The Ripper meurtrier, on un dernier Rumble de derrière les pavés, l'appelle Pascal au charbon, lui pique sa place à la batterie, et armé d'une électro-acoustique Pascal nous assène un The Rhythm Of The Train, un Molly Brown et en final un Pick A Bale of Cotton une scie musicale, particulièrement aiguisée et tranchante, qui nous emporte dans le Sud Profond, et qui plonge aux racines les plus traditionnelles du hillbilly. Guitar Breaker et Real Wild Child sont l'occasion parfaite pour Patrick pour vous donner une leçon de guitare inoubliable : sauvage contrôle et éreintement décapsulatoire. Ce mec là est capable de tout, de mener un train riffique d'enfer tout en prenant le temps de s'accorder longuement. Doit avoir cinq ou six doigts en plus que les autres. Termineront sur le Chicken Walk d'Hasil Adkins, vous plument le poulet jusqu'au trognon. Tout le monde aurait bien aimé en reprendre un morceau de plus, mais il faut savoir ne pas exagérer. Nous ont gavés de bonheur. Par les temps qui courent, est plutôt rare. Merci à eux.

    Et à Fabien z3149fab.jpgqui a assuré une sono impeccable, pas de la tarte de calibrer la claironnante guitare de Pascal Ouchene dans le 3 B ! Et à Béatrice qui nous annonce que le 7 avril 2018 nous aurons Crystal & Runnin' Wild, la fille d'un certain Ouchene Pascal. Bon sang ne saurait mentir.

    Damie Chad

    P. S. : trois groupes en deux jours. Lysistrata qui folâtre ( foalâtre serait plus explicatif ) dans l'envergure sonore, Pogo Car Crash Control qui cherche noise au rock'n'roll et Mike Fantom and the Bop A-Tones ( pas du tout atones ) mais qui se cantonnent dans un style que d'aucuns jugeraient dépassé. Les premiers sculptent l'ampleur du son, les deuxièmes expriment une rage et une hargne juvéniles qui sont au fondement du rock, et les troisièmes sont focalisés sur le rock d'avant. Merveilleuse amplitude du rock français si vous me permettez d'annexer la Belgique. After-pionniers, after-punk, after-metal-prog pour faire vite. Et cette constatation que le rockabilly n'apparaît pas comme les parents pauvres du rock. Sans doute faudrait-il oser le concept de la définition du rock'n'roll en tant que bruit subtil chacun se plaçant sur l'un des deux versants... Aussi escarpés des deux côtés.

    Damie Chad.

    ( Photos : FB : Nathalie Metry & Béatrice Berlot )

    ROCKABILLY GENERATION NEWS N° 4

    JANVIER – FEVRIER – MARS 2018

    z3169rgn.jpg

    Superbe photographie de Crazy Cavan en couverture. Rockabilly Generation News prend sa vitesse de croisière trimestrielle. Le numéro 5 sortira au mois d'avril. S'affine et s'améliore à chaque parution. Cette livraison établit une parfait équilibre entre passé et présent, remémoration et actualité. Le rock'n'roll a la vie dure, cela fait septante piges que ça dure. Hommage au pionnier Fats Domino, qui dans les fifties et les sixties vendit plus de disques que nos légendes bien aimées, à l'exception d'Elvis, roi en toutes choses. Pour ceux qui savent écouter, il existe une filiation entre le phrasé décontracté du gros Fats et l'évidente facilité monstrueuse avec laquelle le King s'appropriait tout morceau qu'il daignait se mettre en bouche. Malheureuse actualité oblige la revue se termine sur un autre disparu : Johnny. Sous-titre, bien choisi : Un Phénomène Rock. Qui ne fait pas l'unanimité parmi les rockers. Mais à l'origine de l'implantation du rock'n'roll en notre pays, bien plus que les sinistres pantalonnades du trio Vian-Salvador-Legrand. Mais il est temps d'entrer dans le coeur de la livraison. Les Teddy Boys dont un article retrace la naissance du mouvement en Angleterre. Ceux qui ignorent leur Histoire se coupent de leur futur. Le rock'n'roll et le rockabilly doivent une fière chandelle aux Teddies, ont préservé cette musique, l'ont portée à bout de bras, l'ont transmise et se sont même permises de la faire évoluer. Certes il existe aussi un revival américain, beaucoup plus dispersé et dont on parle moins, mais en Europe ce sont bien les Teddies qui en furent le fer de lance, les Rockers restant obnubilés par les grands pionniers. Parler des Teddies sans évoquer Crazy Cavan relèverait de l'incongruité. Rockabilly Generation News nous offre la totale, présentation de la carrière du maître, interview inédite collationnée ( merci Bryan Kazh ) lors du concert de Toury, le 18 / 11 / 2017, chronique impartiale du concert, et présentation des Old Teds l'association qui organise les festivités rock'n'roll tourystiques. Profitons-en pour adresser notre salut à Texas, activiste émérite du mouvement Ted Hexagonal.

    La terre arable du passé n'a de valeur que par les jeunes pousses qu'elle favorise : trois pages sont consacrées à Eddie Gazel qui se raconte, son premier groupe les Ol' Bry avec la présence tutélaire de Thierry Gazel ( que vous retrouvez tous les lundis à 18 h. 30 dans Try Rock & Roll sur www.radiolezart.fr ) son père et surtout Eddie and the Head Starts – prochainement de passage au 3 B, le 10 / 02 / 2018 – le nouveau combo qui marque les esprits partout où il passe. Reste encore les chroniques sur le festival Rock'n'Roll in Pleugueneuc et le Rockers Revival de Londres où les Spunyboys se permirent d'atomiser les anglais, juste avant Crazy Cavan and The Rhythm Rockers, impérial !

    Rubriques disques, concerts, courrier dans lequel Vince Rogers nous fait part de la proximale sortie documentaire vidéo : The Real Rockin'Move Project, une hydre tentaculaire ( CD-romique et papier ) qui nous conte l'arrivée et le déploiement du rock'n'roll sur la côte d'Azur...

    Un max de photos d'époques et de superbes photographies de Sergio Kazh, le tout sur papier glacé, pour quatre malheureux euros. Un collector dès sa sortie.

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly Generation News ( 7 hameau Saint-Eloi / 35 290 Saint-Méen-Le Grand ), 36 pages, 4 Euros + 3, 60 de frais de port pour 1 ou 2 numéros, offre abonnement 4 numéros : 20, 60 Euros, chèque à Lecoultre Maryse 1A Avenue du Canal 91 700 Ste Geneviève-des-bois ou paiement Paypal maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de toutes les revues... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro.

     

    THOUSAND WATT BURN

    ( EP 1 * )

    On les a vus sur stage voici un peu moins d'une quinzaine – vous savez ces concerts qui vous grignotent l'âme comme un cancer – nous ne tenons pas toujours nos promesses – les Dieux non plus – mais cette fois-ci c'est fissa !

    z3106disc1000.jpg

    My Darling : puissance, emphase et la voix qui explose, un volcan qui s'envole dans les airs, jet de lave brûlante, orchestration de foudre, et puis plus lointaine derrière un rideau de cendres avant le retour encore plus violent, susurre maintenant tandis que la guitare s'alanguit, mais bouffée d'orgueil tout de suite, et ce désir murmuré tout bas mais avec une franchise charnelle étonnante et tempête finale genre citron pressé à la Led Zeppe. Come to Me : orchestration tumultueuse, vocal en rush, l'on n'est pas loin du Dirigeable III, la voix se fond au background ce qui ne l'empêche pas de briser les verres sur la table. Finit par miauler comme une panthère, la batterie écrase tout et la guitare balaie les débris rageusement. She loves a girl : elle murmure mais vous avez l'impression qu'elle hurle, c'est d'ailleurs ce qu'elle se dépêche de faire, cavale lâchée en liberté après un mois d'écurie. Cymbales baffées, ponctuation rapide, guitare bolide, désir femelle envahit le monde. Panthères en folie. Fin brutale. Assouvissement terminal. Listen : l'on repart dans l'ampleur, la voix en écho et les boys qui ramonent dur. Veulent aussi leur part du gâteau. Alors ils enfournent sec, mais la diva ne se laisse pas distancer, les tient sous le chapiteau de sa robe, ils en sonnent les cloches tandis qu'elle psalmodie la fureur de vivre, renversent les riffs à grands coups de coeur rageurs mais elle vaticine comme le démon des fins ultimes. Ne lâchent pas le morceau? en rajoutent pour la submerger une bonne fois pour toute, la guitare avale le monde, la batterie le digère de coups reptatifs, croient-ils triompher l'avoir fait taire définitivement, non elle surgit comme une torpille et vous détruit le porte-avions en cinq secondes. Mortelles.

    Superbe. L'enregistrement ne déçoit. Moins de réverbe sur la voix qu'en public. Z'ont chassé le hasard. Morceaux finement pensés, équilibre subtil entre la foudre instrumentale et l'épanouissement gravitationnel du vocal. Un groupe à suivre.

    Damie Chad.

    * Cet EP ne se présente pas sous la forme d'un artefact qui dans trois millénaires enchantera les archéologues. Pour écouter : cliquez sur thousandwattburn.bandcamp.com