Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

alicia fiorucci

  • CHRONIQUES DE POURPRE 470 : KR'TNT ! 470 : ROCKABILLY GENERATION / BETTY WRIGHT / BOB BERT / TONY MARLOW TRIO / ALICIA FIORUCCI

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 470

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    25 / 06 / 20

     

    ROCKABILLY GENERATION / BETTY WRIGHT

    BOB BERT / TONY MARLOW TRIO

    ALICIA FIORUCCI

     

    Talking ‘bout my Generation

    z9809dessinrockabilly.gif

    Rockabilly Generation ne parle pas des Who, mais au fond, le propos est le même : la passion - People try to put us d-d-d-down/ Talking ‘bout my generation - un put us down qui se transforme en Talking ‘bout my Rockabilly Generation, c’est-à-dire un canard qui jump in the letter-box et qui boppe page après page en hommage au ramage d’un rockab de plus en plus vivace.

    Un canard n’a jamais aussi bien porté son nom : il nous parle d’un rockab qui se transmet de génération en génération avec la même ferveur, le même élan, le même souci de crédibilité, le même sens de l’allure, le même soin du détail, le même souci de l’anti-frime. À la minute même où on voit Marcel Riesco en couverture, on sait qu’il est plus vrai que nature, qu’il se coiffe des deux mains comme le faisait comme Elvis en 1954 et qu’il sait gratter les poux de sa gratte. On le constate chaque année à Béthune, la scène rockab n’a jamais été aussi vivante, aussi surprenante, aussi increvable, avec des groupes carrés et autrement plus doués que ne le seront jamais les groupes de la scène garage. Rien n’est plus difficile à jouer que le rockab, cet étrange mélange de frenzy, de précision et de purisme.

    Comme le Retro, Rockabilly Generation mise sur l’avenir. Marcel Riesco, Barny, les Wise Guyz et les Spunyboys réinjectent un énorme shoot de modernité dans le cul fripé de Mathusalem, ils sont là pour bopper le beat comme le firent en leur temps les frères Perkins dans leurs salopettes. Bop it Carl !, et Sam claquait des doigts. Tous les gens qui croient que le rockab est un truc de vieux se fourrent le doigt dans l’œil jusqu’au coude. Le rockab et mille fois punk que ne le sera jamais le punk, qui soit dit en passant, n’a duré qu’un an. Le rockab est un art et le punk fut une mode, c’est toute la différence. Si les Cramps s’enracinent dans le rockab, ce n’est pas par hasard.

    Bon c’est vrai, on voit aussi pas mal de vieux pépères en couverture de Rockabilly Generation, mais ce sont des survivants et ils ont plutôt meilleure allure que les punks vieillissants : comparez Graham Fenton ou Johnny Fox aux Stranglers ou à Paul Cook et vous verrez qui sont ceux qui ont la banane. Et puisqu’on parle de couvertures, espérons qu’un jour on y verra parader Jake Calypso, les Hot Slap ou encore Don Cavalli. Comme ce canard a les moyens de faire de belles couves en quadri, alors autant en profiter pour rêver un peu.

    Z9830JERRYLOU.jpg

    C’est d’ailleurs la grande force de ce canard : la qualité de l’icono. Tous les fans de rockab le savent depuis 50 ans : rien de tel qu’une belle photo de Vince Taylor ou d’Elvis, c’est une sorte de nec plus ultra de la photogénie, et côté photogénie, Rockabilly Generation gâte bien son lecteur. Rien qu’avec les images, on a son shoot. Même pas la peine de lire les textes, Lucky Will trône en ouverture de bal avec son perfecto et sa casquette, Marcel Riesco récupère la double centrale qu’on peut détacher pour la punaiser au mur, comme au temps des Playmates de Playboy, et puis il y a une multitude de petites images de concert, toutes bien soignées et bien colorées, qui donnent une idée assez juste de ce à quoi peut ressembler un concert rockab. Et puis si on veut lire, on peut. L’interview de Marcel Riesco laisse un peu sur sa faim, dommage qu’il ne parle pas plus de Roy Orbison. Celui de Lucky Will est plus complet, car il raconte toute son histoire dans le détail et petite cerise sur la gâteau, on voit Jerry Lee brandir l’album de lucky Lucky. L’interview la plus passionnante est sans doute celle de Michel Petit, l’organisateur de Rockin’ Gone Party, un festival qui se tient chaque année au sud de Lyon. Avec une modestie de vieux pépère qui l’honore, Michel Petit rappelle que l’organisation d’un festival n’est pas de la tarte et demande quelques mois de travail acharné. Et si on continue de s’enfoncer dans les pages, on tombe un peu plus loin sur la rubrique ‘Backstage’ qui permet souvent de retrouver de vieilles connaissances. Par exemple les Blue Tears Trio qui firent trembler la Normandie voici quelques années. Petite image aussi de Jake Calypso qui laisse un peu l’amateur sur sa faim. Trop riquiqui pour un mec de cette stature. Et puis en face, petit clin d’œil à Wild qui pour tous les fans de rockab n’en finit plus d’incarner le boppin’ boom de cette nouvelle rockabilly génération, à coups de gangs chicanos aux cheveux graisseux. Remember the Desperados ?

    Signé : Cazengler, rockaka

    Rockabilly Generation. N°13 - Avril-mai-juin 2020

     

    She does it Wright

    z9810soulsisrer.gif

    Le reine de Miami Betty Wright vient de casser sa pipe en bois. Elle eut cette chance incroyable de naître dans une famille nombreuse où tout le monde chantait. «Mama said sing !, and we sang.» Ils sont sept gosses, tous doués pour la musique : son frère Phillip jouera de la guitare avec Jr Walker et sa sœur Jeanette chantera dans KC &The Sunshine Band. Clarence Reid la repère et Betty se retrouve vite fait sur Alston, le label d’Henry Stone qui est aussi le boss de TK Records, une énorme machine à hits qui gère KC & The Sunshine Band, Timmy Thomas et George McCrae. Il est bon de savoir qu’à ses débuts, Betty flashe sur la péruvienne Yma Sumac et sur Minnie Riperton. Wow ! Betty does it Wright !

    z9828mojo.jpg

    En 2019, Geoff Brown la rencontre à Londres. Betty a 65 balais et elle chante au Barbican arts complex. Brown sent que Betty est une battante. Fin limier, il détecte les gospel roots sous la surface, comme chez Aretha et Mavis. Elle a en effet démarré très tôt dans les églises de Miami, les gens venaient de loin pour entendre Motha Wright and her kids. Clarence Reid la repère un peu plus tard chez un disquaire de Miami et lui enseigne le B-A BA du métier : l’interprétation - Le plus important, ce sont les paroles. Si la chanson est mauvaise, c’est juste un beat - Elle enregistre un premier single à l’âge de 13 ans. Puis quand Henry Stone monte TK Records, il engage Clarence Reid et Willie Clarke. Betty suit le mouvement.

    z9812firsttime.jpg

    Elle n’a que 14 ans quand elle enregistre My First Time Around. Elle pose en pin-up sur la pochette. On voit tout de suite que Betty sait poser sa voix, pas encore au tranchant d’Aretha, mais elle s’affirme et montre du caractère dans le velouté. C’est elle qui compose l’excellent «Circle Of Heartbreak». Comme Denise LaSalle, Betty sait shaker son swing et chanter à l’accent tranchant. Elle super-chante l’ultra Soul et derrière, on peut bien dire que ça mambotte sous les cocotiers. Elle boucle l’A avec une fantastique cover de «Cry Like A Baby». Elle va même jusqu’à l’exploser. Quelle niaque de son ! On la voit enflammer le cœur d’un slowah nommé «I Can’t Stop My Heart» en B et un superbe solo de jazz finit le travail. Elle boucle cet album de débutante avec une reprise du «Just You» de Sonny Bono. Producteur de renom, Brad Shapiro lui fournit un vrai mur du son. Sacrée Betty, on ne peut rien lui refuser. C’est l’époque où Shapiro travaille pour Atlantic. Il y produira Wilson Pickett, Sam & Dave et Bettye Lavette puis il s’occupera des fesses de Millie Jackson. D’où son surnom, Shapiro the Shaperon.

    z9813theway.jpg

    C’est avec I Love The Way You Love que Betty attaque son bout de chemin avec Alston Records, filiale de TK Records, comme déjà dit. Ça va durer 7 ans, le temps de faire 7 albums. Pas folles les guêpes TK, elles ont bien compris que Betty pouvait rivaliser avec Aretha. Encore faut-il avoir les compos. Tiens justement, en voilà une : «Clean Up Woman». C’est le hit de Betty, celui qu’on croise sur toutes les bonnes compiles funk. Ça sonne comme un hit Stax. Little Beaver fait désormais partie de l’équipe, avec Clarence Reid. L’autre stand-out track est un extraordinaire shoot de Soul évolutive intitulé «I’ll Love You Forever Heart & Soul». Nous voilà au cœur du Reid System avec la voix de la reine de Saba. Elle travaille chaque cut de l’A au corps, elle les chante tous pied à pied avec une niaque qui pourrait servir de modèle. La B est un peu plus faible. Seuls deux cuts sortent la tête, le vieux hit de Bill Withers, «Ain’t No Sunshine», joué au bassmatic prévalent, et un slowah sans histoire, «Don’t Let It End This Way». On note que la B est la face lente, comme au temps des Formidable Rhythm & Blues d’Atlantic.

    Malgré la qualité de ses deux albums, Betty ne parvient pas à décoller. Elle a une explication : «People are statisfied with the mediocre because they don’t hear the pure.» Avec ça, elle n’est pas très charitable avec Henry Stone : «Il était à la fois le meilleur et le pire des mecs. Le meilleur, car il était comme un père pour moi, et le pire, parce qu’il me volait mon blé. J’ai été très loyale avec lui, mais quand je venais demander mon blé, il l’avait dépensé pour la promo d’autres artistes.»

    z9814hard.jpg

    La voici en vraie reine de Saba sur la pochette de Hard To Stop. Quelle pochette ! Le contenu se révèle à la hauteur du contenant. On est en 1973 et c’est un sacrément bon album. Elle opte pour le groove de Soul, dès «Street Wonder», bien soutenue par des chœurs de rêve. Ici tout est joué à la perfection. C’est l’album de la good time music, on note l’excellence de la prestance de «We The Two Of Us». Betty s’appuie sur le plus parfait des sons de Miami, solide et fruité. Avec «Gimme Back My Man» en B, elle groove littéralement sous le vent. Quelle classe dans l’attaque ! Elle veut qu’on lui rende son mec, alors ? Sa fantastique fluidité de ton rappelle celle d’Aretha. Encore un hit phénoménal avec «The Babysitter», solide Miami Soul quasi latino dans l’attaque. S’il fallait illustrer musicalement le bonheur de vivre, on pourrait choisir ce cut. Elle termine avec une heavy groove, «It’s Hard To Stop (Doing Something When It’s Good To You)». Betty l’ultra-chante jusqu’à plus-soif. Elle fait partie des géantes du Soul System.

    z9815danger.jpg

    Sur la pochette de Danger. High Voltage, elle ressemble terriblement à Candi Staton, avec sa belle afro. D’ailleurs, elle fait exactement ce que fait Candi à la même époque, elle défend son bout de gras, d’abord avec «Everybody Was Rockin’», un solide jerk de Soul, puis avec «Love Don’t Grow On A Love Tree». Encore un heavy jerk de Soul avec «Come On Up». Même jus qu’Aretha. Betty chante ce hit de Felix Caveliere à la meilleure niaque de Floride, come on up/ Have a good time ! Elle a raison, il faut en profiter pendant qu’on est jeune. Elle tombe ensuite dans les bras d’Allen Toussaint avec «Shoorah Shoorah» qu’elle tape au bon claqué de langue, avec tout le petit chien de sa chienne. Une énormité se planque en B : «Where Is The Love». Heavy Soul de funk gorgée de niaque, dégoulinante de cuivres. Ah comme elle est bonne, cette petite Betty ! Elle chauffe son cut jusqu’à la dernière mesure, jusqu’à la dernière goutte de son, avec une rare sauvagerie. Elle est dessus, cela va sans dire.

    z9816explosion.jpg

    On prétend qu’Explosion est le meilleur album de Betty. C’est un peu exagéré. On tombe pourtant très vite sous le charme d’«Open The Door To Your Heart» et de cette fantastique présence. Cette grande Sistah mène sa Soul de main de maître. Grosse énergie du chant et du son. Sur cette album au titre explosif, Betty privilégie le slow groove. C’est peut-être ça qui nous déroute. Elle pratique pourtant son slow groove avec une infinie délicatesse, mais ce n’est pas l’Explosion annoncée par le titre. Elle boucle l’A avec «Don’t Forget To Say I Love You Today», une belle Soul des jours heureux. Cette good time music sent bon les îles. La B est beaucoup plus faible. On n’y sauve que deux cuts, «Keep Feelin’» (mid-tempo des jours heureux) et «Life». On la sent de bonne humeur. Betty ne demande rien d’autre que du soleil, de la liberté et du bon temps. Elle s’en fait l’apôtre.

    z9817forreal.jpg

    Sur la pochette de This Time For Real paru l’année suivante, elle porte une belle robe à motifs géométriques. Les marchands de l’époque ont collé un gros sticker ‘Disco’ sur la pochette, mais Betty reste fidèle à sa passion pour la good time music comme le montre «That Man Of Mine». Sa musique sent bon le sunshine et l’envie de danser avec une jolie femme quand on est un mec, et inversement quand on est une femme. On savoure une fois encore l’excellence de Betty. Elle reste dans le good timing en B avec «Brick Grits», une jolie chanson d’amour. Elle enchante sa Soul avec une incomparable fraîcheur. Elle est à sa façon la reine du groove léger et de l’enchantement. S’ensuit un autre groove de Soul, «Sweet», qui se faufile sous la peau. Ça joue au bas du manche de basse dans un climat d’enchantement. Il faut aussi saluer «If You Abuse My Love», une Soul plus classique signée Clarence Reid. Betty va toujours sur le côté swing de la Soul. Sans doute est-ce le côté Miami - If you abuse my love/ You’e gonna lose my love - Elle prévient gentiment. Elle termine l’album avec «Room At The Top», un nouveau shoot de Soul joyeuse. C’est son truc, son mojo.

    z9818live.jpg

    L’année suivante paraît Betty Wright Live. Elle y fait sa reine, mais une reine des seventies. Elle emmène son «Lovin’ Is Really My Game» à la bonne clameur, épaulée par un big band. L’intérêt de cet album live est le medley qu’on trouve en B, un medley qu’elle articule autour de son hit, «Clean Up Woman», bien staxé par l’orchestre. Elle rend une sacrée série d’hommages : Chaka Khan («Midnight At The Oasis»), Billy Paul («Me And Mrs Jones»), O Jays («You Are My Sunshine») et Al Green («Let’s Get Married Today»). Elle termine avec «Where Is The Love». Oui, elle demande où est passé le love qu’il a promis. Elle a raison de gueuler. Ce n’est pas la peine de faire des promesses qu’on ne peut pas tenir. Ah comme les gens sont inconsistants ! Betty est une finisseuse exceptionnelle.

    z9819circle.jpg

    Après avoir été la reine de Saba (Hard To Stop), puis la reine des seventies (Betty Wright Live), la voilà reine du futur pour Betty Travellin’ In The Wright Circle. Elle rentre dans la folie diskö comme Labelle, revêtue de son costume de super-diskette. Quand on écoute du rock, c’est un album qu’on approche pas, même avec des pincettes. Mais comme c’est Betty, on y va les yeux fermés. Bienvenue sur le TK Diskö Sound ! Elle met toute sa hargne dans «I’m Telling You Now». Betty n’est pas du genre à faire semblant. Elle passe au big slowah de night & day avec «My Love Is» - You think that people/ have enough/ Of silly love songs - Elle essaye de convaincre les convaincus d’avance. Avec l’«Open The Door To Your Heart» qui ouvre le bal de la B, elle se lance dans une cavalcade diskoïde, au sens propre du terme, ça fouette cocher au grand trot et Betty does it Wright. Elle ramène pour l’occasion tout le petit ouaf ouaf de sa chienne et termine avec un «Listen To The Music» où elle se prend pour Sly Stone, mais en plus patapouf.

    z9820betty.jpg

    En 1981, année de l’élection de François Miterrand, Betty quitte TK pour Epic et enregistre Betty Wright. Epic l’a bien maquillée et bien coiffée pour la pochette. Une vraie gravure de mode ! C’est encore un album diskö. On retiendra surtout «Dancin’ On The One», belle trempe de diskö Soul. Joli slowah aussi que cet «Indivisible». C’est là où Betty fait la différence. Elle se bat pied à pied avec son slowah. Elle déploie des trésors de ténacité. On la voit aussi faire la coquine avec «Body Slang». Le pire c’est que c’est excellent. On sent la Soul Sister à l’affût. En B, on trouve un autre heavy balladif, «One Bad Habit». C’est sa came. Elle les finit tous en force.

    z9821back.jpg

    Pour Wright Back At You, elle s’installe en Jamaïque et enregistre avec Marlon Jackson, le frère de Michael. Elle explique à Brown qu’à Miami, les gens connaissaient le reggae bien avant que ça ne soit devenu une mode - Je chantais déjà le reggae longtemps avant de rencontrer Bob (Marley) et j’ai fait ‘Tears On My Pillow’ avec Johnny Nash à 12 ans - Manque de pot, Wright Back At You sort en même temps que Thriller. Donc c’est cuit. Elle revient néanmoins à sa chère good time music avec «Be Your Friend» et rend hommage au reggae avec un «Reggae The Night Away» bourré d’énergie et de tous ces petits sons qui font la grandeur du reggae. C’est sûr, il y a du son sur cet album et Betty a du métier.

    z9822sevens.jpg

    La voilà sur la plage pour la pochette de Sevens paru en 1986. Elle y sonne très entre deux eaux, et ce n’est pas inintéressant. Mais ce n’est pas non plus la panacée. Son «Tropical Island» est extrêmement agréable à écouter. Comme l’indique son titre, c’est un slow groove et Betty reste l’artiste accomplie que l’on sait. On l’a vu depuis la grande époque TK, c’est dans le groove qu’elle donne le meilleur d’elle-même. Oh, mais il y a un hit sur cet album balnéaire : «Pain». Slowah painy et mélodique en diable, c’est la surprise.

    z9825passions.jpg

    Quand elle en a marre de se faire rembarrer par les labels, elle décide de créer le sien, Ms. B Records et sort trois albums à la suite, Mother Wit, 4U2NJOY et Passion And ComPassion. Ce sont des albums qui ont une double particularité. La première est que Betty pose comme un mannequin de mode sur les trois pochettes, avec chapeaux et bijoux assortis, et la deuxième c’est qu’on peut se passer de ces albums. Ils sont vraiment réservés aux inconditionnels. Comme Betty a encaissé des sacrés coups durs dans la vie, elle compose pas mal de chansons sur le thème de la douleur. Elle démarre son Mother Wit avec «After The Pain». Elle utilise le slow groove pour raconter sur histoire.

    z9824foryou.jpg

    Pareil sur 4U2NJOY : elle y chante une merveille intitulée «From Pain To Joy». Elle y redevient envoûtante. Elle arrache toujours aussi bien au chant, elle passe du guttural au chant des sirènes, comme par enchantement. On trouve d’autres grosses poissecailles sur Mother Wit, notamment la heavy diskö de «Ms Time» et un «Miami Groove» en B solidement percutionné du cocotier.

    z9824mother.jpg

    Puis on la voit encore se fâcher après un connard dans «Fakin’ Moves» : elle lui demande d’arrêter de faire semblant - Stop fakin’ move on me ! - Encore une fois, elle a raison de gueuler. Les mecs sont tous les mêmes. Il n’y en a pas un pour racheter l’autre.

    z9826attitudes.jpg

    Sur B-Attitudes paru en 1994, on trouve un duo de choc avec Marvin Gaye : «Distant Lover». Elle se prélasse avec Marvin sous les draps de satin jaune. Que peut-on espérer de plus sexuel qu’un duo avec Marvin sous les draps ? Qui est le plus come back baby des deux ? Sinon, elle se tape de belles tranches de heavy diskö funk. Viva Betty ! Des cuts comme «Love Is Too Deep» et «Feels Good» sont montés sur des big bassmatics qui sonnent comme des modèles du genre, d’autant que la prod les met en avant. Avec «Don’t Hurt Me», elle retrouve ses prérogatives de princesse. Elle chante sa Soul d’entre deux eaux et garde des traces de son âge d’or. Betty est une Soul Sister assez complète. Elle sait se fondre dans les méandres de la Soul. «Only You» est une merveille de slowah absolutiste, solide, bien foutu et bien chanté. Elle impose encore le plus grand respect avec «I Found Love». Elle se débrouille toujours pour fourbir un album solide. Tout repose sur la justesse et la puissance de sa voix. Elle n’a rien perdu de son éclat.

    z9827attitudes.jpg

    Retour inespéré en 2011 : elle enregistre un album avec the Roots qui s’appelle Betty Wright: The Movie. Attention, c’est un big album. Betty y flirte avec le hip hop et continue de labourer sa diskö. Il faut la laisser faire son truc. Elle adore ce son de heavy diskö qu’on entend dans «Surrender». Vas-y Betty ! Elle n’en finit de taper dans le groove de diskö-funk, elle sait de quoi elle parle avec «Grapes Of Vine», elle chante à la force du poignet. Et puis soudain, l’album s’éclaire avec «Look Around (Be A Man)». Elle y fait du Sly. Nous voilà au paradis, avec une chanteuse de rêve et le beat qui va avec. Puis on la voit rentrer dans le lard du groove avec «Hollywould». Fabuleuse shakeuse ! Elle multiplie les exploits et sur ce coup là, elle devient littéralement démoniaque. Retour en force au groove de charme avec «Whisper In The Wind». Betty est la gonzesse parfaite, elle sait tout faire. Sa good time music est l’une des plus parfaites de l’histoire de la Soul, car extrêmement chantée, avec des pointes de glotte. Cet album est une bombe, planquez-vous ! Elle chante son «Baby Come Back» comme on chantait un vieux hit de r’n’b, elle chante au cœur de l’atome et tout explose à nouveau avec un «So Long So Wrong» qu’elle chante jusqu’au bout du bout. Elle drive son cut à la perfection, groove parfait, franc du collier, elle est magnifique, il faut voir comme elle allume son So Long. Et voilà qu’elle fait son Aretha avec «The One». Elle réserve toujours des surprises épouvantables. Ses accents arethiens ne trompent pas. Elle ultra chante, it’s been good, elle sait si bien le dire. Fantastique Sistah.

    Signé : Cazengler, Bêta Wright

    Bettty Wright. Disparue le 10 mai 2020

    Betty Wright. My First Time Around. ATCO Records 1968

    Betty Wright. I Love The Way You Love. Alston Records 1972

    Betty Wright. Hard To Stop. Alston Records 1973

    Betty Wright. Danger. High Voltage. Alston Records 1974

    Betty Wright. Explosion. Alston Records 1976

    Betty Wright. This Time For Real. Alston Records 1977

    Betty Wright. Betty Wright Live. Alston Records 1978

    Betty Wright. Betty Travellin’ In The Wright Circle. Alston Records 1979

    Betty Wright. Betty Wright. Epic 1981

    Betty Wright. Wright Back At You. Epic 1983

    Betty Wright. Sevens. First String Records 1986

    Betty Wright. Mother Wit. Ms.B Records 1987

    Betty Wright. 4U2NJOY. Ms.B Records 1989

    Betty Wright. Passion And ComPassion. Ms.B Records 1990

    Betty Wright. B-Attitudes. Ms.B Records 1994

    Betty Wright & The Roots. The Movie. Ms.B Records 2011

    Geoff Brown. She’s The Boss. Mojo # 313 - December 2019

    Bert au grand pied

    z9811desinbobbert.gif

    Quand un mec comme Bob Bert publie ses mémoires, en règle générale on saute dessus. Bob Bert ne fut pas seulement le batteur de Sonic Youth, d’Action Swingers, de Bewitched, de Pussy Galore, des Chrome Cranks et des Knoxville Girls, il est aussi peintre, photographe et fanzinard. Son recueil de mémoires est plus un livre d’art qu’un pavé ventru et le voilà publié aux bons soins d’HoZac, le label underground new-yorkais qui nous régale aussi d’un sweet book signé Sal Maida et d’une monographie consacrée à Chris Bell, the real Big Star.

    rockabilly generation,betty wright,bob bert,tony marlow trio,alicia fiorucci

    Pour bien se positionner dans le domaine des livres d’art, Bob Bert opte pour un format élégant, ni trop carré ni trop rectangulaire, ni trop haut ni trop bas, et astucieusement agencé en séquences qui alternent de brillants portraits écrits et de flashants portraits photographiques. C’est une sorte de galerie de portraits à la Warhol, très vivante, très fraîche, très colorée, très gratinée au sens où on l’entend dans l’underground dauphinois. On croise par exemple des portraits de gens comme Lydia Lunch, Andy Warhol, Divine et son mentor John Waters, Howie Pyro, Richard Kern, Kim Shattuck (Muffs), Fred Cole (stupéfiant portrait flou de Cole avec le big Dead Moon tattoo sur la joue), Clem Burke, Elliott Smith, Kid Congo, Ian Svenonius, Steve Albini, Cynthia Plaster Caster, Vincent Gallo avec six pages pour le moins cathartiques, Michael Gira avec des pages autobiographiques absolument fascinantes, James Chance, Genesis P-Orridge (RIP) et ses litanies, Redd Kross, Hasil Adkins, James Sclavunos, quatre pages avec Suicide, et puis des accolades avec Kim Salmon, les Feshtones, Clem Burke, Mudhoney, King Buzzo des Melvins, puis avec Steven McDonald, Michael Gira et bien sûr pour finir, Lydia Lunch. C’est un ouvrage consistant, qui tient bien au corps et dans lequel on se plait à replonger encore et encore, car n’en finit-on jamais d’examiner les portraits de personnages consistants ?

    rockabilly generation,betty wright,bob bert,tony marlow trio,alicia fiorucci

    Quand il évoque l’année de sa naissance, en 1955, Bob cite dix événements qui ont marqué l’année en question, notamment l’arrestation de Rosa Parks qui avait osé s’asseoir dans la partie du bus réservée aux blancs. Bob se souvient d’avoir traversé la Floride avec ses parents en 1961 et d’avoir vu les familles noires devant leurs cabanes : «Ça m’a fortement impressionné à l’époque et si j’éprouve du racisme, c’est envers les blancs stupides. La seule fois où je suis retourné en Floride, c’était dans les années 90 avec les Chrome Cranks, in and out.»

    rockabilly generation,betty wright,bob bert,tony marlow trio,alicia fiorucci

    À part Rosas Parks, il cite aussi la sortie de «Maybellene», puis celle du film de Nicholas Ray, Rebel Without A Cause, la première apparition télé d’Elvis et il en profite pour raconter comment il convertit à une époque Jon Spencer au culte d’Elvis : Pussy Galore était en tournée et Bob avait amené une K7 d’Elvis. Jon Spencer commença par vouloir l’écouter encore et encore, puis il changea de coiffure et se laissa pousser des rouflaquettes, et pour finir, il se mit de plus en plus à chanter comme Elvis - You can hear the Elvis-isms creeping in on his vocals on the final Pussy Galore LP Historia De La Musica Rock where we do a cover of ‘Crawfish’. Ladies and Gentlemen The Blues Explosion, obviously Elvis-inspired (Vous pouvez entre ses accents à la Elvis dans la cover de ‘Crawfish» qui se trouve sur le dernier album de Pussy Galore, Historia De La Musica Rock) - Well done, Bob !

    rockabilly generation,betty wright,bob bert,tony marlow trio,alicia fiorucci

    Puis il raconte vite fait son adolescence à Clifton, une banlieue Ouest de New York et en 1975, il déboule avec un copain au CBGB pour découvrir Patti Smith et Television qui jouent devant vingt personnes - J’avais découvert le paradis et j’y retournais quatre fois par semaine pour voir tous ces nouveaux groupes démarrer - Bob voulait faire du Warhol aussi s’inscrivit-il au School of Visual Art de New York. Il travailla même dans l’atelier de sérigraphie d’Andy Warhol à l’époque où il jouait dans Sonic Youth et Pussy Galore. Visiblement, ça ne se passe pas très bien dans Sonic Youth puisqu’il est viré du groupe et remplacé par Jim Sclavunos, avant d’être rappelé quelques mois plus tard.

    rockabilly generation,betty wright,bob bert,tony marlow trio,alicia fiorucci

    Oh Bob ne s’étend pas trop sur cet épisode. Il renvoie plutôt à la lecture du book de Stevie Chick, The Psychic Confusion: The Sonic Youth Story. Plus glorieux est l’épisode consacré à Pussy Galore, qui fut réellement à l’avant-garde de la scène new-yorkaise - Pussy Galore was a perfect concoction of industrial noise blended with 60s garage rock and I fell in love instantly - Bob apprend vite à taper sur des vieux réservoirs d’essence pour amener un son outrageusement indus dans Pussy Galore.

    rockabilly generation,betty wright,bob bert,tony marlow trio,alicia fiorucci

    Il qualifie le son d’industrial garage rock racket. Pendant leur tournée japonaise, ils découvrent un groupe nommé Boredom qui les bluffe complètement - The hardest I ever had to follow. We were completely blown away - L’aventure Pussy Galore s’arrête brutalement quand Neil Hagerty et Jennifer Herrema quittent New York pour la Californie, sans avertir personne, ni Bob ni Jon. Sacré Neil !

    rockabilly generation,betty wright,bob bert,tony marlow trio,alicia fiorucci

    On monte encore d’un cran dans la légendarité des choses avec les Chrome Cranks. Et pourtant Bob hésite à rejoindre le groupe car les Cranks sonnent trop comme Pussy Galore, un épisode qui pour lui date déjà de dix ans. Mais Mark Arm lui dit que les Cranks sont énormes, car ils sonnent comme les Scientists. Ha bon ? Bob ne connaît pas les Scientists et donc c’est l’occasion pour lui de les découvrir.

    rockabilly generation,betty wright,bob bert,tony marlow trio,alicia fiorucci

    Puis il nous emmène dans un autre épisode à dimension mythique, les Knoxville Girls, ce gang monté autour de Kid Congo et Jerry Teel. Quand Larry Hardy entend parler du projet, il signe le groupe, sans même avoir entendu une seule démo. Bob s’émerveille de voir un ex-Cramps jouer dans le même groupe qu’un ex-Sonic Youth. Il nous raconte quelques souvenirs de tournées avec les Girls, notamment sur la côte Ouest, à San Diego, avec some poseur kids called The Dandy Warhols en première partie. Bob voit les Knoxville Girls comme a good party band mixing country with some noise. Ils se qualifiaient eux-mêmes de No Wave Country. Et quand Jerry Teel part s’installer à la Nouvelle Orleans, c’est à la fois la fin des Chrome Cranks et des Knoxville Girls. Amen.

    rockabilly generation,betty wright,bob bert,tony marlow trio,alicia fiorucci

    Encore un magnifique portrait, celui de cette teenage girl qui arrive de Rochester dans le milieu des années 70 et que Willy DeVille baptise Lydia Lunch. Elle inspire l’«I Need Lunch» des Dead Boys et démarre la No Wave avec Teenage Jesus & The Jerks. Bob parle de groundbreaking newness of raw head-ripping sound, d’autant plus que c’est produit par Robert Quine - I’ve been a Lunch addict ever since - Bob explique qu’elle fait un foin considérable, couvrant toute la gamme No Wave, Jazz Noir, Funk, Cock Rock, Southern Boogie, held together by the vision of Lunch. On ne compte plus les projets collaboratifs, Rowland S. Howard, Exene Cervenka, Henry Rollins, the list is endless, nous dit Bob, la discographie de Lydia Lunch donne en effet le vertige. Bob recommande chaudement de voir Retrovirus sur scène - We will be creepy-crawling into your town - et affirme un peu plus loin qu’elle a du génie : «Her mastery of stage control is super-genius.»

    rockabilly generation,betty wright,bob bert,tony marlow trio,alicia fiorucci

    Il rend aussi hommage à Steve Albini, non seulement pour avoir produit Nirvana, les Pixies, PJ Harvey, Cheap Trick, les Breeders, Page & Plant, mais aussi pour avoir envoyé promener l’industrie du disk et les gros labels pour se consacrer au monde du hard hitting Underground Music. L’interview de Vincent Gallo est tirée d’un numéro de BB Gun, le fanzine de Bob, et franchement, ça vaut le détour.

    rockabilly generation,betty wright,bob bert,tony marlow trio,alicia fiorucci

    Gallo a vraiment un style, il est la rock-movie star par excellence. Dans l’interview il descend par exemple Jim Jarmush - Jim doesn’t have soul - et lui préfère Richard Kern qui deale de la dope pour financer ses projets de films. Bob brosse également un portrait superbe de James Chance - the bastard son of free jazz, James Brown and Iggy in a sharkskin suit, pompadour and a saxophone - Bob rappelle qu’en plus James Chance allait dans le public pour giffler des gens, ce qui paraît-il augmentait encore son charisme. Pour Bob, James Chance fut le premier à shooter du jazz et du funk dans le punk rock world et l’album Off White reste l’un de ses albums favoris.

    rockabilly generation,betty wright,bob bert,tony marlow trio,alicia fiorucci

    Jeff McDonald accorde aussi une interview à Bob pour BB Gun. Quand Bob lui demande pourquoi ils portaient les cheveux longs alors que tout le monde les portait courts, Jeff répond que c’était par amour pour les Rolling Stones et les New York Dolls. On peut difficilement faire mieux en matière de références. Redd Kross fait d’ailleurs une fantastique cover de «Citadel» sur cet album devenu cultissime, Teen Babes From Monsanto. Bizarrement, Bob ne parle pas beaucoup de Cramps, ce sont donc les autres qui en parlent à sa place. Comme par exemple Jim Sclavunos que les Cramps embauchent à une époque. Mais Jim voit qu’ils n’ont pas trop confiance en lui, «parce que j’ai trop de vie sociale. Je ne suis pas non plus assez pâle. Ils avaient des exigences extraordinaires. Ils voulaient par exemple que je marche dans Los Angeles avec une ombrelle pour ne pas avoir la peau du visage halée. Ils n’aimaient pas le fait que je joue dans d’autres groupes. Ils voyaient d’un sale œil ma fréquentation de Lydia Lunch, de l’art rock et de tous ces trucs malsains. Et quand ils ont découvert que j’avais été journaliste, ce fut la fin des haricots. Je fus viré sur le champ.»

    Signé : Cazengler, Bob Berk

    Bob Bert. I’m Just The Drummer. HoZac Books 2019

     

    TONY MARLOW TRIO

    LE BACCHUS

    ( 19 – 06 – 2020 / CHÂTEAU THIERRY )

    rockabilly generation,betty wright,bob bert,tony marlow trio,alicia fiorucci

    ON THE ROAD AGAIN

    Après Courgivaud, vous quittez la terre de hommes. Disparus. N'en reste plus un seul. N'y a plus que moi et la teuf-teuf. Qui ronchonne. C'est quoi ce pays, même pas un piéton sur le bord de la route à écraser ! Excusez-la. Folle de joie à l'idée de repartir dévorer les grands espaces. Premier concert depuis trois mois. Du jour au lendemain, rayés de la carte du monde, l'on ne sait pas trop pourquoi. Aussi énigmatique que la subite extinction des dinosaures. Quoique dans ma tête je pense détenir l'hypothèse qui permettra de résoudre le mystère, n'ont pas dû survivre au premier confinement, privées de mouvements et de pâturages ces délicates bébêtes sont mortes d'ennui et de faim. N'étaient pas aussi terribles que le racontent les paléontologues puisque nous, race fragile des humains, avons survécu. Enfin pas partout. Dans le département de la Marne, ne reste plus que des champs de blés sans fin entrecoupés de vastes marnières.

    Une pancarte : '' Grand Morin''. L'a dû oublier de grandir, le pont qui l'enjambe mesure au moins deux mètres cinquante. Montmirail, des avenues vides, au fond d'une rue passe une voiture de survivants ! Sans haine nous entrons dans le département de l'Aisne. Nous voici dans Château Thierry. Non nous n'avons vu ni le château ni Thierry, par contre des groupes de jeunes qui discutent et se promènent. Tous connaissent l'emplacement exact du Bacchus.

    Comme quoi, rockers, les Dieux de l'antique Rome

    N'ont au très grand jamais abandonné les hommes.

    Admirez la rime des mes alexandrins foireux, nous sommes au pays de Jean de La Fontaine.

    GOIN' BACCHUS HOME

    rockabilly generation,betty wright,bob bert,tony marlow trio,alicia fiorucci

    L'est des lieux – de plus en plus rares – où l'on se sent mieux qu'ailleurs. Un bar d'où l'on ne se barre pas. D'abord vous avez les trois attributs magiques du bar qui se respecte. Au mieux de nos jours, rares sont les établissements qui en possèdent un seul, la plupart du temps relégué en un coin sombre.... mais ici on les exhibe fièrement. D'abord un billard américain avec son tapis vert aussi vaste que la toundra russe, vous ne pouvez pas ne pas le voir, sa pelouse verdoyante vous saute aux yeux dès l'entrée. Point d'inquiétude la pièce est spacieuse. Un flipper bien sûr, l'unique machine au monde qui exacerbe les passions dès qu'elle s'arrête sans prévenir. Tilt ! Un frisson de rage vous parcourt l'abdomen, c'est tellement bon que vous ne résistez pas à remettre une pièce. J'ai gardé le meilleur pour la fin, l'appareil-roi, le babyfoot, le meuble convivial par excellence. Il fut le premier réseau social. Limité certes, mais ô combien de passions tumultueuses déchaînées !

    Bien sûr vous pouvez boire. Et même manger. Les prix sont modérés. Longue salle à brasserie qui elle aussi a vue sur la scène. Car le Pub Bacchus est un bar rock. Se font de plus en plus rares par ces temps qui courent  de plus en plus lentement, de plus en plus pesamment. A croire que les autorités ne les aiment pas. L'on ne compte plus les groupes qui sont passés par là et qui repasseront par ici. Les affiches sur les murs en témoignent. Eclectique mais électrique. Le rock qui tache, qui hache, qui fâche. D'ailleurs les bars qui offrent des concerts en cette période de post-confinement se comptent sur les doigts de la main d'un manchot. Preuve qu'ils aiment ça !

    Est-ce tout ? Non, le Bacchus possède une âme. Magnifiquement incarnée. Se prénomme Sabine sous sa crinière mordorée de lionne, visage auréolé d'un beau sourire et des mains pleines de bagues. Vous régente son monde avec simplicité et intelligence.

    FIRST SET TO HEAVEN

    rockabilly generation,betty wright,bob bert,tony marlow trio,alicia fiorucci

    Il y a des soirs où vous êtes gâtés. Trio Tony Marlow après trois mois d'abstinence. Sont là en chair et en os. Avec leurs instruments. Envie de les tapoter discrètement pour s'assurer que ce ne sont pas des hologrammes. Amine Leroy inspecte une dernière fois sa big mama, Tony se charge de dire bonjour au micro. Fred Kolinski préside. Pour ceux qui ne connaissent pas, je précise qu'il trône derrière sa batterie, pause hiératique, ses yeux clairs fixés sur l'invisible, ses cheveux blancs qui retombent sur ses épaules lui donnent l'apparence du chef des druides des légendes bretonnes, indifférent à ses congénères, en conversation muette avec les puissances invisibles qui lui révèlent, par les mille bouches des feuilles des arbres agités par un vent léger, mille secrets interdits...

    Hélas nous n'en saurons rien, démarrent tous les trois brutalement, z'ont Rendez-vous au mythique Ace Cafe, se tirent la bourre, chacun essaie de distancer ses deux copains, accélèrent comme des fous, mais au final pilent juste devant la vitrine, tous les trois sur la même ligne. Genre d'instrumental que l'on adore, les virages ne sont pas négociés, et sur les lignes droites l'honneur vous interdit de ralentir. Pas plutôt arrivés que déjà repartis, Around and Around de Chuck Berry, une gymnastique hallucinante, un coup vous foncez dans le brouillard comme des fadurles et le temps d'après changement de rythmique, vous buvez une tasse de thé, le petit doigt en l'air pour séduire une gente damoiselle, et hop le brouillard vous happe une nouvelle fois. Ce vieux Chuck alterne le froid et le chaud. Un traquenard innommable. Souvent les groupes vous le font à l'auto-tamponneuse, un coup je rentre, un coup je recule, chacun à sa propre cadence, mais le TMT ils vous le font à la mécanique d'horlogerie suisse, jamais un temps en avance ou en retard. Pas question que les planètes se télescopent ou que les engrenages s'entremêlent les roues dentées.

    Question pionniers, dans les minutes qui suivent nous aurons Blue days, black nights, pas de mes titres préférés de Buddy Holly, un excellent exercice de surfilage et de doigté, mais qui manque de niaque à mon humble avis. Surtout qu'entre temps ils ont enfilé deux compos , en français de surcroît, Rockabilly Troubadour et Le garage, qu'ils ont merveilleusement interprétées à fond les gamelles, Tony impérial au vocal, l'impression à chaque fois de descendre une ruelle en pente sur le triptyque diabolique de la bande à Gaby dans Le cheval sans tête de Paul Berna. Faut écouter les textes de Tony, de véritables petits chefs-d'œuvre, des tranches de vie qui nous ressemblent. Et nous rassemblent. Autre classique, Hallelujah I love her so d'Eddie Cochran qui l'avait lui-même repris à Ray Charles. Là j'avoue que je sais plus quoi écouter. La voix de Tony, encore plus nette plus précise que d'habitude, et puis surtout l'impression d'ensemble, le combo comme formé d'un seul homme. Sont trois à jouer, ne se répondent plus, sont totalement enchevêtrés, imbriqués. Soudés comme jamais. Pas de croche-pied, pas de débordement. Pas de froideur jazzistique non plus. Un rentre-dedans époustouflant, un torrent qui vous emporte en un flot tempétueux. Les applaudissements crépitent à la fin des morceaux. Se transformeront en ovation lors des pépites qui suivent. Le meilleur est à venir. Debout ! Nouveau morceau. Le TMT a mis à profit le confinement. Z'ont composé, z'ont répété, z'ont enregistré, sont en train d'achever un nouveau disque, et nous ont offert de nouveaux titres. Ce Debout ! Bien dressé sur ses ergots de coq de combat. Victorieux. Un red rooster carabiné. Entre celui-ci et le suivant, un truc bien connu, Hey Joe, avec les lyrics de Johnny, oui mais à la guitare. Tony Marlow. Même pas une mini-box ou une pédale d'effets. Les cordes seules. Et le doigté. La Fender qui fend l'air. Une espèce de typhon qui fond sur vous, trois minutes, quand vous reprenez conscience, votre maison a disparu, tous les vôtres sont morts, vous êtes tout nu, mais vous exultez, l'expérience valait le coup. Mais vous n'avez encore rien entendu. Faudrait les dénoncer, vous prennent en traître. Après Jimi, vous sortent le slow de l'été, guitare sixties et pseudo-mélancolie pour ménagère de plus de quatre-vingt balais usés. Juste une autre chanson, c'est le titre, difficile de trouver plus tricard, le morceau de la soirée qui m'a scotché, comment dire, un truc qui sonne juste, qui transcende le temps et les époques. Un fragment d'éternité.

    rockabilly generation,betty wright,bob bert,tony marlow trio,alicia fiorucci

    Plouf ! Là-dessus un Matchbox de Carl Perkins. Dévastateur. Suis sûr que c'est la même boîte d'allumettes qui a servi l'été dernier à mettre le feu à l'Amazonie. Continuent dans l'apocalypse, Quand Cliff Galloppe, retenue et lacération, le tigre qui vous déchire de ses griffes, les a d'abord rétractées afin de les sortir d'autant plus violemment quand il les enfoncera dans votre chair. L'on attend Marlow le marlou sur ce titre, c'est Amine qui vient le trouver, tout contre, tout contrebasse, et l'on saute dans une superbe bagarre-ballet au cran d'arrêt des plus méritoires. C'est Fred Kolinski qui aura les trois mots de la fin, pim, pam, poum, vous frappe ces trois coups de gong fatidiques comme les curés vous expédiaient l'extrême-onction en 14 sur les cadavres entassés dans la tranchée que vous veniez de prendre à la baïonnette. Au cas hautement incertain où auriez survécu, vous ont réservé une sorte d'entonnoir, genre porte étroite qui vous expédie en enfer sous forme de chair à saucisse, un instrumental, je me contente de vous laisser méditer, mes très chers frères et mes encore plus chères sœurs, sur le titre : Boogie furieux. Peut-on exiger congruence plus parfaite entre le son d'une chose et la dénomination qui la nomme.

    rockabilly generation,betty wright,bob bert,tony marlow trio,alicia fiorucci

    Que vont-ils nous inventer pour la séquence suivante. Ils trichent. Prennent les spectateurs par les sentiments, Alicia F ! Deux morceaux à tout berzingue. I need a man qu'elle chante à vous couper le souffle. D'ailleurs dans la seconde qui suit, elle envoie Breathless de Johnny Kidd, qu'elle smashe breathfull. L'a pris nos cœurs à l'abordage, elle est déjà partie. Alicia F ! ne fait pas de prisonniers.

    L'on termine en beauté sur un Be Bop A Lula d'anthologie, repris en chœur par tout le monde. Même des dîneurs attardés se lèvent pour piquer la goualante.

    SECOND SET TO HEAVEN

    rockabilly generation,betty wright,bob bert,tony marlow trio,alicia fiorucci

    Fut à la hauteur du premier. Si vous me le permettez j'accorderai une moindre importance à la set-list. Sous les titres, ce sont les hommes qui les portent qu'il faut regarder. Une mention spéciale au Rock'n'roll Music de Chuck Berry, tout comme l'Around and Around du premier set. L'ont traité à l'ancienne. Je ne veux pas dire qu'ils ont imité Chuck Berry. Non, ils ont réussi à retrouver le son des tout premiers quarante-cinq tours de Chuck. L'on a tendance à jouer Chuck avec des guitares claironnantes, genre j'envoie le riff de Johnnie B. Goode et en avant la fanfare et la ferblanterie. Les premiers enregistrements de Chuck étaient beaucoup moins tape-à-l'œil, beaucoup plus terre-à-terre, moins clinquants, davantage low down pour jouer avec l'antithétique formule slow down. L'on touche à la boue du delta, la guitare s'en extrait, mais y retombe irrémédiablement. Même si Keith Richard peut être tenu pour responsable de la flashy manière de passer les riffs, il ne faut pas mésestimer ce que les Stones doivent à Berry, une certaine lourdeur qui leur a permis de mieux entendre le blues que les autres, de concocter cette épaisseur sonore, ce magma inextricable, qui les a classés bien au-dessus de tous leurs concurrents à leur époque.

    Avant de parler des mecs, anticipons le retour d'Alicia F, Le Diable en personne version française de Shakin' All Over, ah ! Cette partie de guitare de Joe Moretti, un des meilleurs guitaristes anglais que trop souvent l'on oublie de mentionner, et puis le classique de Bobby Fuller IV, ce I fought the law l'hymne des rebelles qui perdent la partie sur un rythme entraînant qui a l'art de transformer la défaite en victoire. Paroles reprises par toute la salle, ce qui n'empêche pas Alicia de s'éclipser aussi rapidement que précédemment. Aurait-elle compris que l'absence attise le désir plus qu'elle ne l'émousse !

    rockabilly generation,betty wright,bob bert,tony marlow trio,alicia fiorucci

    Marlow rides again. C'est le titre d'un de ses morceaux. Un instrumental. Mot magique. Horripilant lorsque vous regardez Marlow jouer. Cela semble si facile ! Les doigts et pas d'esbroufe. Un homme qui sait ce qu'il veut. Et qui se donne les moyens de l'obtenir. Marlow aime à galoper. L'a une prédilection pour le difficile, pour le défi, pour le lot de ficelles qui doivent se dérouler à toute vitesse, sans s'emmêler. Regardez ses doigts. Même sur les tempos les plus chaotiques qui passent du coq à l'âne, il les meut avec une certaine lenteur. Ne confond pas vitesse et précipitation et surtout pas célérité avec précision. Les traite toutes les deux à part. Dans son jeu aucune ne doit dépendre de l'autre. C'est sa tête qui décide. D'où il part. Où il s'arrêtera. Et surtout de toute la cartographie du chemin. Marlow ne cherche pas la note pour la note, mais pour sa musicalité. L'éclat et la brillance. Le foyer des pierres précieuses. A la manière des lampyres, ces verts luisants qui allument la verte intransigeance de leur émeraude pour que la nuit paraisse encore plus noire. L'on ne s'ennuie jamais à écouter le Marlou, construit davantage des lignes mélodiques que des riffs, mais il accorde à chacune une scintillance, une force, un climat qui n'appartient qu'à elles. Des espèces de leitmotivs wagnériens qui reviennent et disparaissent selon sa volonté. N'égrène pas des notes, ne sème pas à tous vents ni au hasard. Il compose et dispose. A sa guise. Un des meilleurs guitaristes.

    Amine Leroy. Les cheveux du même noir que sa contrebasse. Se ressemblent quelque peu, mais c'est lui le roi. La reine n'a pas trop son mot à dire. Lui dicte ses discours. La talonne de près. La surveille. Fais la note et tais-toi. Je ne veux pas t'entendre, juste ce que je te demande, Amine slappe comme le chat lape son lait. A coups précis et rapides. Le liquide n'a qu'à se laisser faire, c'est la langue du greffier qui vide la soucoupe. C'est Amine qui fouette le slap, la mama n'a que sa propre élasticité à offrir. Amine n'est pas un égoïste, donne beaucoup, apporte tout ce qu'il trouve en lui, sa virtuosité, sa force, ses inventions, ses désirs, ses émotions. L'est le peintre qui porte les couleurs sur la toile qui n'a que le mérite d'être-là. Les contrebassistes sont comme les sous-marins. Ils dégagent un son – on appelle cela une signature qui permet de les identifier - qui n'appartient qu'à eux. Celui d'Amine est sec, net, tranchant, peu protubérant mais empli de profondeur caverneuse. Entre parenthèses, idéal pour le rockabilly. Et ce soir Amine est animé d'une hargne joyeuse, il cherche le full-contact, il lève la jambe un peu à la Gene Vincent par-dessus un micro qui n'existe pas. Amine s'exalte et exulte. Il a le son, comme les gitans ont le duende, il le porte partout avec lui, il le matraque, il le maltraite, il en extrait de ces résonances qui toute la soirée firent notre délice.

    rockabilly generation,betty wright,bob bert,tony marlow trio,alicia fiorucci

    Nous avons commencé par lui, nous terminerons par lui. Fred Kolinski derrière ses tambours. Les batteurs sont des hypocrites, se mettent contre le mur, genre je suis le cancre au fond de la classe près du radiateur, ne m'en demandez pas trop. Fred Kolinski est de ce type-là. Et puis si vous le quittez de l'œil vous vous dites, bon ça va, il bosse. Mais si vous le regardez vous vous apercevez qu'il est partout à la fois. Bien sûr l'air de rien, avec sa posture royale de sage supérieur dédaigneux des contingences terrestres. En vérité l'est comme le matou couché sur le divan. Semble dormir profondément mais si au deuxième étage de la maison une souris sort de son trou, s'il parlait il pourrait vous spécifier qu'elle se trouve exactement à quinze centimètres au sud-sud-est du troisième pied de la commode. Bref Fred taffe à mort. Il est le véhicule d'intervention premier secours d'urgence et en même temps la voiture balai qui vient en aide aux éclopés du tour de France. C'est un plaisir de regarder Kolinski, l'est tour à tour le garçon de café qui vous apporte votre boisson préférée avant même que vous soyez aperçu que sans elle vous alliez mourir de soif dans la seconde qui vient, ou le chien d'avalanche salvateur avec son petit tonneau de rhum qui vous aide à remonter de la crevasse dans laquelle votre impéritie vous avait précipité. C'est aussi un jeu. Sont trois sur scène. Comme des acteurs qui s'amusent à rallonger ou à raccourcir une réplique pour jouir de l'a-propos de son collègue.

    Kolinski joue simple, c'est lui qui le dit. Mais de cette simplicité des joueurs de bonneteau qui sans se presser du même geste intervertissent trois timbales et s'approprient le billet de cent euros que vous aviez bêtement parié. L'est toujours là où il faut et là où il ne faut pas. L'assure sa partie et assume les dérives des deux autres. Se connaissent bien, et ce soir les écarts ne furent jamais monstrueux. Bref un superbe concert ! Un chaleureux public d'habitués, il aurait pu être un poil plus nombreux, les gens se plaignent mais laissent passer les occasions en or. Trois musiciens bourrés de talent, dispensateurs de rock'n'roll.

    Un vrai concert pas un ersatz je-joue-chez-moi-dans-ma-salle-de-bain-et-vous-m'admirez-sur-FB. Mais pour cela, il faut remercier Le Bacchus et Sabine qui n'a pas décommandé, qui n'a pas eu peur. C'est elle qui mérite la mention Attitude Rock'n'Roll !

    Damie Chad.

    ( Photos : FB Elvis Comica)

    *

    Il est des chanteurs de rock des années cinquante dont on ne possède que quatre ou cinq photos, certes leur carrière ne dura que quelques mois, un ou deux petits 45 tours et puis s'en vont, cependant pour les artistes connus de la même époque les documents iconographiques ne sont pas pléthoriques, il suffit d'être par exemple fan d'une idole qui eut son heure de gloire pour s'apercevoir que l'on retombe sempiternellement sur les deux cents à trois cents mêmes documents. Tous les rockers n'ont pas eu la chance d'Elvis Presley qui en son temps fut l'homme le plus photographié de son siècle.

    L'on en parle peu mais au début des années soixante en France les fans collectionnaient les photographies, type cartes postales, parfois en couleurs, souvent en noir et blanc, des groupes rock et yé-yés plus ou moins célèbres. Jusqu'au début des années quatre-vingt-dix l'on pouvait encore s'en procurer dans les brocantes, sur les marchés et les foires chez des vendeurs spécialisés dans ces catalogues d'une autre époque.

    Les temps ont changé. Le portable est arrivé et tout s'est arrangé. J'aimerais partager cet optimisme. Il est sûr que lors du concert d'une formation quasi-inconnue, mal annoncé, en un rade incertain, devant un public réduit à quinze personnes il n'est pas rare d'avoir dix aficionados qui d'office sortent leur téléphone et mitraillent sans discernement.

    L'iconographie des groupes d'aujourd'hui – je parle de ceux qui n'ont aucun accès aux media de masse - reposent en grande partie sur ces images, vite prises pas prises, ai-je envie de dire, car si certaines sont occasionnellement très fortes, elles n'offrent qu'un intérêt artistique limité, mais tout document n'est-il pas digne d'attention soutenue ? De plus il règne dans nos milieux rock une latente idéologie post-punk, post-dadartistique qui privilégie l'authenticité maladroite en opposition avec l'orthodoxie bien proprette sur elle attendue de tous que l'on retrouve dans les magazines sur papier glacé, avec les artistes souriant en rang d'oignons.

    Certains groupes ont la chance d'être amicalement suivis par des photographes pourvus d'un matos de pro et surtout d'une sensibilité rock qui leur fournissent de belles et alléchantes photographies mais qui avant tout cherchent davantage à traduire le force, voire la fragilité, de l'impact esthétique de leur prestation. Se veulent fidèles à la réalité de leurs impressions et en oublient du coup que le résultat de leur '' travail '' est aussi une production artistique qui devrait être formellement poursuivie en ce sens, ils négligent de l'entrevoir et de le présenter en tant que création à part entière.

    Toutes ces généralités préambulesques pour en venir à une série de photos d'Alicia Fiorucci prises par Antoine TK Pix Newel. Alicia Fiorucci a compris qu'il n'était pas suffisant d'être vue car c'était rester captive des représentations de l'autre. L'important est de se donner à voir en tant que soumission du regard de l'autre à sa propre volonté. Maîtresse du jeu.

    ALICIA F

    BREXIT, ROCK & SEXY BY TK PIX

    ( 06 / 07 / 2016 )

     

    Ici il ne s'agit pas de photos mais d'images. Evidemment que ce sont des photographies ! Mais il faut comprendre que la photographie est juste le support, que c'est l'image qui lui donne sens. L'image est toujours double, elle est autant engendrée par celui qui l'a objectivée que par celui qui a donné naissance à sa subjectivisation. Dans la plupart des cas qui retiennent notre attention les deux personnes se confondent. Ici la situation se corse – ce qui n'a rien d'étonnant quand on s'appelle Fiorucci – elles sont trois, le photographe, la commanditaire qui est aussi le modèle. Trois dimensions, serions-nous plus près de la sculpture que d'une forme mise à plat ? Evidemment que oui ! Mais une sculpture mentale, autant dire une œuvre réfléchie, qui réfléchit autant l'autre que l'une, autant l'autre que la même.

    La planche qui comporte les 15 photographies est précédée du rappel du thème de la séance : Rock, English and sexy obviously. Je ne vous ferai pas l'injure de vous traduire les quatre premiers mots. Le cinquième me semble davantage sujet à caution. Evidemment qu'obvoiusly signifie évidemment. Mais le vocabulaire anglais étant truffé de vocables français – merci Guillaume le Conquérant – il se doit d'être rapproché de notre verbe obvier, un terme au sens aussi glissant qu'un serpent à deux têtes qui signifie aussi bien s'opposer que faciliter ! L'ambiguïté faite adverbe est évidente.

    1

    Brexit !

    rockabilly generation,betty wright,bob bert,tony marlow trio,alicia fiorucci

    Que le rock soit anglais, Beatles, Rolling Stones et des centaines d'autres groupes l'ont démontré. Qu'il soit une musique à forte connotation sexuelle est indéniable. Nous surfons sur des évidences. Reste qu'évidemment cela doit être appliqué à Alicia Fiorucci, qui se veut décliner non en en Itsi, Bitsy, Petit Bikini, mais en Brexit, Rock and Sexy, by TK PIX. Et rien d'autre. Mettez-vous à la place d'Antoine Newel. Rien d'autre signifie rien d'autre qu'Alicia. Il a tenu la gageure. Fond blanc. Sauf sur la première image sur fond d'Union Jack. Depuis les Who rien de plus parlant que la pavillon britannique pour désigner l'Angleterre. Les Sex Pistols à la génération suivante n'ont fait que confirmer. Pistols, laissez tomber, Sex nous sommes en plein sujet. Sur le drapeau ce ne sera pas la reine bâillonnée mais Alicia la merveilleuse les seins nus pudiquement cachés sous la paume ( interdit de croquer ) de ses deux mains. En lot de consolation le mini-kilt que le vent retrousse. L'on montre et l'on cache. Sens obvié.

    2

    Leather belt stone tattoo

    rockabilly generation,betty wright,bob bert,tony marlow trio,alicia fiorucci

    Vous en mettre plein la vue. Gros plan. Hélas un peu trop haut, pas assez bas. Le tattoo stones qui vous tire la langue, salivez, des mains qui défendent et en même temps déclenchent le désir, futal de cuir au ceinturon clouté de cœurs, plan sexe oui, mais pas cul. Désir obvié. Alicia provoque, Elle convoque. N'est pas réciproque. Vous renvoie à la solitudede votre regard. Le fan de rock verra en cette photo tout ce que la pochette de Sticky Finger des Stones ne montre pas.

    3

    Little Bob Addict

    rockabilly generation,betty wright,bob bert,tony marlow trio,alicia fiorucci

    Presque une image de première communiante. Ne tient pas un cierge phallique entre ses mains mais se couvre chastement le buste avec l'histoire du petit Bob. En haut sourire de guingois. En bas reluquez, these boots, are made for walkin', and one of these days they are gonna walk all over you. Vous êtes prévenus. Elle de nu, elle n'offre que le bas des cuisses et le haut des genoux. Entre le pas assez et le nettement insuffisant Antoine Newel promène son obturateur. Il est parvenu à produire une représentation figurée du manque.

    4

    Don't look back ! Go ahead !

    rockabilly generation,betty wright,bob bert,tony marlow trio,alicia fiorucci

    Elle vous tourne le dos et en même temps vous regarde. Mépris et invite. Yeux verts en coin de triangle, l'arête du nez angulaire soulignée du trait des lèvres rouges. Allure vipérine, car pour avancer le serpent ondule, se courbe pour poursuivre son droit chemin. Juste la protubérance d'un sein dans l'alignement recouvert d'un voile blanc, étrangement le justaucorps noir laisse transparaître le rose épanoui de la peau, en accentue la crudité, vous intime l'ordre d'être hors de l'intime. Elle poursuit sa route, vous invite et vous évite sur le bord du chemin. Tranche de carnation qui vous retranche d'elle, car elle est pour elle seule. Plus qu'une image, un mot d'ordre qui est une sollicitation à votre seule solitude. Sur le précédent cliché Alicia se cachait, se protégeait, vous séparait d'elle d'un disque de rock, et la voici rapprochée, de la série des quinze, c'est l'artefact de la plus grande approche, de la plus belle accroche, Antoine Newel a bien saisi la personnalité de la miss – I miss you diraient les Stones – qui se tourne vers vous pour dans ce même mouvement affirmer sa suprême liberté à n'être que ce qu'elle veut être, entièrement elle, dans le seul but que votre regard suscite sa présence.

    5

    rockabilly generation,betty wright,bob bert,tony marlow trio,alicia fiorucci

    Mallarmé écrivait pour mettre de la fumée entre lui et le monde. Alicia a perverti ce modus vivendi. Elle se fait photographier pour exhaler et exalter la prégnance de son corps sur le monde. Assise en mode vamp, le visage oblitérée d'un brouillard de bouffée de cigarette rejetée, les yeux grand-ouverts, il est étrange de penser que cette photographie vous scrute davantage que vous ne la regardez. Une insolence qui vous oblige à porter vos regard sur ce corps comme ganté de noir, mais l'endroit des seins et du sexe arborés d'un tissu blanc, telle ces pages mallarméennes d'impuissance que leur blancheur défendait. Elle est ailleurs. Lointaine.

    6

    rockabilly generation,betty wright,bob bert,tony marlow trio,alicia fiorucci

    La belle n'est pas cruelle. Elle s'offre à vous, dévoilant la statue de son corps. La main brise la chaînette de son cou. Ses seins dévoilés sous la transparence de son soutien-gorge. Tour d'ivoire de sa chair. La très chère se fait désirer mais n'est pas entièrement nue et a gardé le fuselage montant de ses bottes. Sensualité à fleur de peau d'amazone guerrière prête à se donner mais qui ne se livre pas. Le plus beau reste encore ce regard satisfait – Antoine Newel a su le saisir sans l'exhiber - qu'elle porte sur elle-même, cette contemplation narcissique, cette fierté auto-satisfaite d'être ce qu'elle est. D'être l'incarnation d'être sa propre volonté à être devenue ce qu'elle est. Et cette main qui dégrafe le barbelé de sa jarretière.

    7

    rockabilly generation,betty wright,bob bert,tony marlow trio,alicia fiorucci

    Vous l'avez eue debout. La voici vindicative. L'image rouge de l'aspic désir qui se penche sur vous telle une menace de femelle qui s'apprête à se nourrir d'une chair qui n'est pas la sienne. Son corps s'est métamorphosé en langue de serpent et pire que cela il pointe vers sa proie tel le logo des Stones, licencieux et provocatif. Elle est ce chiffon d'amarante qui l'habille et qu'elle agite sous le mufle que vous êtes.

    8

    rockabilly generation,betty wright,bob bert,tony marlow trio,alicia fiorucci

    La voici couchée, aguichante princesse aux pieds dénudées dans une friandise de flots de fanfreluches noires, le regard vert aigu, la bouche souriante qui ne dit mot et consent à s'amuser mutine de son accoutrement de sorcière, la peau laiteuse et latescente, elle attend, grande dame souveraine sur le sofa.

    9

    rockabilly generation,betty wright,bob bert,tony marlow trio,alicia fiorucci

    Vous ne le saviez pas, cette neuvième symphonie pictogrammique n'est que le troisième volet du triptyque qu'elle forme avec les deux précédentes. D'où la nécessité de revenir à la pénultième, à la considérer en la représentation de ces vierge noires qui symboliquement selon l'iconographie christique représentent l'abîme sans fond de la tentation. Le lecteur lettré se imaginera y voir une contre-lecture d'Eloa d'Alfred de Vigny. Eloa aux boas. D'où la nécessité maintenant de voir les deux effigies rougeoyantes en tant que représentations des flammes dévorantes de l'enfer du désir, un peu comme les boutons rose-rouge du bout de deux seins absents, image métaphorique intérieure suscitée par leurs positions adjacentes. Autant le premier pourrait se nommer ''L'appel'' celui-ci devrait recevoir pour titre ''L'étonnement''. La face féminine du penseur de Rodin, la penseuse n'est pas perdue en son propre mystère, elle est comme surprise de la laideur du monde qu'elle a désiré. Antoine Newel s'est contenté de figer une expression. Ce biais de bras qui ferme le centre du monde, cette bouche entrouverte sur le constat définitif de la vacuité universelle, cet instant précis où l'individu se rend compte qu'il est la seule réalité dont il ne puisse douter de la vacuité. Newel a fixé et montré une pensée en actes.

    10

    rockabilly generation,betty wright,bob bert,tony marlow trio,alicia fiorucci

    Zou, au boulot ! Fuyons ces pensées destructrices. Revenons à la vie. Il faut que ça déménage. Reste que quand même que l'on peut s'interroger sur la signification de cette étrange lettre formée par les deux jambages, quel titre lui donner si ce n'est la fille et l'objet, ou pour être plus précis la fille qui se repose sur l'objet stepique de son propre désir, qu'elle manie et transforme en cet outil que les déménageurs et les ménagères appellent diable. Autant s'y appuyer dessus pour souffler un peu. Sur les braises de cette tenue noire d'un feu qui ne demande qu'à renaître.

    11

    rockabilly generation,betty wright,bob bert,tony marlow trio,alicia fiorucci

    A ce jeu, non pas de l'oie blanche mais du cygne noir, il convient de suivre la règle et de reculer de quelques cases. Souvent dans nos existences nous croyons avancer alors que nous stagnons dans le périmètre fallacieusement merveilleux de nos propres représentations. Il faut savoir se relever, se quitter, soi et ses rêves, pour être encore davantage soi et offrir au monde sous la noirceur du désir la transparence idéelle de sa beauté. Ce bras dans le prolongement de la tête, cette main arquée, Antoine Newel a supprimée les ombres, sur le fond blanc immaculée, la nacre de la chair éclate telle la morsure d'un serpent.

    12

    rockabilly generation,betty wright,bob bert,tony marlow trio,alicia fiorucci

    Chapeau melon et bottes de cuir. Sans rien d'autre dessus que l'immense drap du drapeau anglais. Comme quoi l'Angleterre a toujours quelque chose à cacher. Sur les bords, Antoine Newel a arrondi les angles. Presque une carte à jouer. Joker ou nouvelle reine ? Réponse à la case suivante.

    13

    rockabilly generation,betty wright,bob bert,tony marlow trio,alicia fiorucci

    Donc le pavillon britannique est juste une immense croix rouge dont on se sert pour barrer les chemins interdits. Comme quoi tout symbole peut être réduit à son utilité sociale. A sa futilité draconnienne. Pour cette arcane de la petite mort, le désir n'est plus suscité selon l'extérieur, mais exprimée de l'intérieur. Jeu de lèvres et de mains. Yeux clos, nudité des hanches. Juste la caresse des tattoos et le mime de la jouissance. Faussement surprise et effarouchée. Le désir n'est-il qu'un accessoire de la liberté. Au même titre qu'un chapeau rond.

    14

    rockabilly generation,betty wright,bob bert,tony marlow trio,alicia fiorucci

    Le voici dans sa crudité. En déshabillé lourd. Un doigt sur les lèvres de la bouche ouverte, et l'autre main refermée sur l'entaille des autres lèvres du bas. Le corps de bête affamée penchée en avant nous appelle, le geste d'un appel plus que suggestif. Qui nous rappelle qu'Alicia se joue de nous, qu'elle joue avec nos pulsions. I wanna be your dog.

    15

    rockabilly generation,betty wright,bob bert,tony marlow trio,alicia fiorucci

    La même en fausse innocence. Ces deux dernières icônes séparées sont à réunir, ne sont pas s'en évoquer ces tableaux de la Renaissance d'un Albretch Dürer ou d'un Lucas Cranach qui nous montrent le couple biblique Adam et Eve mais ici nous n'avons que deux auto-présentations, d'Alicia et d'Alicia, qui se suffit à elle seule. Elle ne tient pas la pomme, tire juste un peu sur l'affriolant serpentin de l'élastique de sa culotte. Geste mutin et d'innocence perverse. L'essence du rock'n'roll.

    16

    rockabilly generation,betty wright,bob bert,tony marlow trio,alicia fiorucci

    L'image qui ne fait pas partie de la série. Dessus devrait y avoir Antoine Newel. Mais il est hors-cadre, même si toutes ses photographies à l'exception d'une seule n'en possèdent pas. Car comment voudriez vous mettre une limite à la représentation de l'infini féminin. Evidemment, il est là, sur toutes les photos. S'est chargé de tout le boulot mais a été exclu de la représentation finale. Ce bas-monde est rempli d'injustices ! Reprenons notre sérieux. Ces photos font irrésistiblement penser à ces kits de mannequins miniatures de cartons que l'on offre aux petites filles pour qu'elles les habillent de diverses tenues. Ici le jeu consiste à en mettre le moins possible. Rester dans l'indécence des sens tout en exacerbant la paroxystique démesure de sa présence par son absence même. Antoine Newel a su créer un monde de marionnettes de carton à manipuler sans fin. Le jeu des perles de verres cher à Hermann Hesse, dont la silhouette d'Alicia Fiorucci jouerait le rôle des opales les plus transparentes, des nacres les plus limpides. Une approche souveraine, l'insaisissable fixation sur papier, l'incroyable appropriation par la science du photographe de l'auto-fiction du personnage fioruccien à représenter, la miraculeuse résolution de l'effulgence d'un désir mental.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 424 : KR'TNT ! 424 : CEDRIC BURNSIDE / LYDIA LUNCH / ANNIVERSAIRE TONTON ALBERT / RÂOULEX KING TRIO / LES JONES / TONY MARLOW TRIO / ALICIA FIORUCCI / LILIX & DIDI / PRINCE ALBERT / ROCKAMBOLESQUES /

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

     

     

    CEDRIC BURNSIDE / LYDIA LUNCH

    ANNIVERSAIRE DE TONTON ALBERT

    RÂOULEX KING TRIO

    THE JONES / TONY MARLOW TRIO / ALICIA FIORUCCI

    LILIX & DIDI / PRINCE ALBERT

    ROCKAMBOLESQUES : DOSSIER A

     

    Cedric a la trique - Part One

    Z7120DESSINCEDRICK.gif

    Pour faire honneur à son grand-père Rural Burnside, Cedric Brunside a repris le flambeau du North Mississippi Hill Country Blues. Tu veux de l’hypno, mon gars ? Tiens voilà de l’hypno ! - Le North Mississippi Hill Country Blues est de la dance music : lourde, dure, parfois plaisante et elle n’a rien à voir avec les autres styles de blues.

    z7144descendant.jpg

    Des gens essayent de le jouer, mais Cedric, Garry et Trenton sont nés avec - Voilà ce que dit Amos Harvey dans une courte présentation de l’album Descendants Of Hill Country paru en 2015. «Born With It» qui ouvre le bal enfonce le clou. Pure hypno, même pas le temps de prendre la température. Tu es tout de suite dans le groove infernal des vieux magiciens des collines. C’est effarant d’hypnotisme. On reste dans la fournaise avec «Hard Times». Le petit-fils de Rural sait rallumer les vieux brasiers. Voilà un cut à la fois violent et bon. Noyé de son. Décidé et jeté en avant. Ils passent au r’n’b de violence congénitale avec «Don’t You Shoot The Dice». On sent chez eux un penchant pour une nette évolution. C’est d’ailleurs ce qui fait la force et l’intérêt des gens de la nouvelle génération du blues, ils se diversifient et tapent dans tous les registres pour enrichir le son. Cedric Burnside en est le parfait exemple, de même que Gary Clark Jr. Sur ce disque, Cedric joue de la batterie (il accompagnait Rural, son oncle Garry jouait de la basse) et Trenton Ayers joue de la guitare (Trenton est le fils de Joe Ayers qui fut le bassman original de Rural - Tout ceci n’est qu’une histoire de famille). Trenton joue «You Just Wait And See» au blues d’arpèges plus aventureux. Ce mec est très fort, il est capable de créer des mondes. Il sort des clichés et monte son cirque à la sortie du village. Avec «Tell Me What I’m Gonna Do», ils tapent dans le heavy blues. Ça devient un disque énorme. Il faut donc l’écouter avec précaution. Ils jouent ça au heavy riff définitif. Comme Big Albert, Cedric et Trenton connaissent tous les secrets de la heavyness. Encore une énormité avec «That Changes Everything», un heavy blues terrible et déterminé. Ils cassent vraiment la baraque. Trenton démonte la gueule du rock à coups de solo liquide. C’est énorme et sans retour possible. Ils continuent d’exploser le blues du delta avec «Down In The Delta». Ils jouent ça à l’énergie transcendante. Cedric et Trenton y barbotent comme des canards dans la grand mare. Ils frisent la démesure.

    z7142theway.jpg

    On retrouve cette fraîcheur de ton incomparable sur le premier album du Cedric Burnside Project, The Way I Am. Pour la pochette, Cedric joue de la guitare assis et adossé à la pierre tombale de son grand-père. Magnifique entrée en matière avec «Holly Springs» qui sonne comme un classique de Rural Burnside. Doin’ it till death, voilà le mojo de Cedric. Il gratte à l’Africaine, il se fout des règles, il retrouve la veine sauvage, celle de la savane où on gratte ce qu’on veut, quand on veut, on est libre, sauf bien sûr si on tombe dans les pattes des Arabes esclavagistes, mais bon, dans le monde magique du blues de la savane, on est généralement libre. On tombe sur d’étonnants morceaux comme «Quicksand» orchestré au beat lourd et aux nappes d’orgue. Stunning ! dirait un Anglais. C’est en tous les cas très inspiré, voilà bien le groove moderne dont on rêve depuis la nuit en dormant. Il passe au funk-blues avec «That Girl Is Bad». Encore un cut qui sonne bien le tocsin. Oh l’extraordinaire génie du peuple noir des collines ! Ils shootent du rap dans le chant et bourrent le cul du cut de funk. S’ensuit un étrange «I Don’t Give A Damn» chanté à deux voix avec une poule nommée Eudora Evans. Cut fascinant car joué à la note insistante. Belle rasade de blues à l’ancienne avec «The World Don’t Owe You Nothing», oui, car c’est joué à la note qui persiste autant que ce vautour qu’on voit survoler le Mont Ararat. C’est très africain dans l’essence, chanté avec un feeling invraisemblable et gratté à la note désertique. Toujours aussi surprenant, voici «I’ll See Y’all Again», avec des notes en perdition, oui, une sorte de blues de notes perdues dans le bush. «Put It On Me» sonne comme une belle claque de North Mississippi Hill Country Blues. Et sur «Sweet Thang», Cedric gratte comme son grand-père, à l’échappée belle. Il sort du blues des profs et s’en va gratter ses notes en liberté. Il a bien compris l’esprit des chemins de traverse, fuck les douze mesures des universitaires barbus, je gratte mon truc comme j’ai envie de le gratter et ça devient merveilleux de fraîcheur tectonique. Fuck you all !

    z7143hearme.jpg

    Tiens, encore un album avec Trenton : Hear Me When I Say. Ils font un petit coup d’hypno avec «We Did It». Ça sonne comme un boogie têtu, hanté par l’harmo et joué à la violence primitive. La guitare et l’harmo se parlent. Encore un disque qui force bien l’admiration. Cedric retrouve les voies du seigneur impénétrables. Cet album compte lui aussi parmi les bons albums gorgés d’idées modernes. Il faut entendre Cedric chanter «Bloodstone» d’une voix décidée, un peu à la Muddy. «Mean Queen» va au blues comme d’autres vont aux putes, d’un pas décidé. Ils tapent plus loin dans un groove de Muddy blues avec «Wash My Hands». Cedric chante un peu comme un rapper de danger zone, il y va au talkin’ blues de walkin’ in the rain - I’ll do with that - On assiste là à un fantastique exercice de diction à la South motion - I’m throught with ya - Exceptionnel. Autre merveille : «Gettin’ Funky», attaqué à l’hendrixienne, nappé d’orgue, très agressif, pour ne pas dire viandoxé. Ils ont du monde derrière, car c’est très orchestré. Cedric ne manque pas de ressources, et le cut prend vite des proportions alarmantes. C’est beaucoup trop joué, on passe de break d’orgue en break de basse. De break en break, ainsi va la vie.

    z7141crew.jpg

    Avant de monter son Project, Cedric jouait avec un blanc nommé Lightnin’ Malcolm. Ils ont enregistré trois albums dont l’excellent 2 Man Wrecking Crew. Deux merveilles hypno s’y nichent, à commencer par «Fightin’», belle tranche de boogie blues à la North Mississippi Hill Country Blues, ils y vont franco de bord, sans peur et sans fard - Make to me ! - Fantastique ! Et «Time To Let It Go», cut charmeur de serpent - You broke my heart babe/ You broke my heart in two - Cedric démarre l’album avec un cut qu’il faut bien qualifier de mythique en hommage à son grand-père, «RL Burnside», hommage tonitruant et magnifique - Got me a drum set when I was sixteen years old - Et il ajoute - So I miss you big daddy/ So I wrote this song in memory/ So rest in peace big daddy - Quel hommage ! Ils prennent tous les deux «My Sweetheart» aux clap-hands. Quel son extraordinaire, à la fois plein et africain ! On appelle ça un coup de Jarnac de Tombouctou, ils chantent à l’ouverture du ciel. Voilà le blues des temps modernes. Encore de la ramasse de la savane dans «She’s Got Something On Me». «She Don’t Love Me No More» sonne magnifique et buté. C’est joué au beat de la victoire finale. Attention à cette énormité qu’est «Tryin’ Not To Pull My Gun», c’est tapé au heavy blues de Burnside royal. Le riff éclate de beauté et l’harmonie vocale vient le coiffer. Le mec essaye de ne pas armer son gun. Impossible d’ignorer un disque pareil. Trop de classe pour le neighbourhood.

    z7140duo.jpg

    L’autre joli coup du duo Cedric/Lightning s’appelle Juke Joint Duo. Vas-y mon coco ! Ils tapent «Till They Bury Me» au blues de juke. Ce mec gratte son bone of contention comme d’autres portent leur croix et leur bannière. C’est une façon de dire qu’il se bouffe l’os du genou en attendant mieux. C’est gratté si sec qu’on croit rêver. So sec ! Pire encore : «I Don’t Just Sing About The Blues» sonne comme un coup de génie, c’est drivé dans l’âme. Cedric reprend la main, il vibre la moindre particule de chant. Hey, cette musique appartient aux nègres, ne l’oublie pas, whitey. Cedric amène son truc avec aménité, au pur jus de woke up this morning, il sait taper dans le tas et faire exploser un blues avec deux fois rien. Ils sont tous les deux l’essence de l’excellence. Les cuts chantés par Malcolm sont bons, mais ça reste du blues-rock de petit blanc. Il joue parfois de la psychedelia de heavy blues de nowhere land. Il faut voir le numéro qu’ils font dans «Been So Rough», un cut joué à la dépouille. Cedric bat ça en désespoir de cause et chante à la glotte fêlée. Mais ça ne marche pas à tous les coups. Réveil en fanfare avec «That’s My Girl» tapé au pire heavy blues des collines. Cedric sings his ass off, c’est stompé dans l’œuf du serpent, magnifique de cathartic énergétique. Ils bouclent avec l’excellent «Chitalu». Cedric mène le bal à coups de baby please don’t go, c’est exceptionnel de bon esprit. Du coup, Malcolm reprend du sens. Dès que Cedric mène le bal, ça sonne comme le saint des saints. Malcolm percute ses solos dans un Chitalu de rêve éveillé. C’est franchement énorme. On assiste à une extraordinaire dérive des contingences.

    z7145benton.jpg

    Son nouvel album Benton County Relic est un smoking beast. On a du big bad raw dès «We Made It», joué à la sauvage du coin. Il n’existe aucun équivalent de ce son, de ce big heavy blues. Effarant ! Ces mecs pouettent le blues dans le cul du qu’en dira-t-on, c’est le nec plus ultra du raw, the real deal, tu as la guitare derrière et le groove devant. Encore plus raw, voici «Typical Day». Ça joue au heavy beat du Mississippi. Ce diable de Cedric pulse le heavy boogie de démolition, on n’avait encore jamais vu ça, un tel shake de groove swampé dans l’ass du beat. On ne peut pas faire plus raw to the bone. Avec «Don’t Leave Me Girl», Cedric passe directement au coup de génie avec une vieille dégelée de heavy sound. C’est battu à la diable, tout est là, l’Africain, le rock, le blues, Hendrix, c’est même de la pure hendrixité de don’t leave me girl shooté à la vie à la mort et le solo vire à la désaille apoplectique. Ça dégueule tellement de son qu’on n’y croit pas un seul instant. Mais si, pourtant. On retrouve l’excellence du son de Junior Kimbrough dans «Call On Me», encore une magnifique extension du domaine de la magnificence stagnante. C’est même excessivement beau. Trop beau pour être vrai. Retour au génie pur avec «I’m Hurtin’», cette fantastique débinade de rude awakening. Solide et violent, battu à la North Mississippi beat de rage, c’est extrêmement bien débarqué dans la gueule du beat, biff bang pow ! Cedric boucle ce disk épouvantable avec un heavy blues, «Ain’t Gonna Take No Mess». Ce mec dispose de toutes les licences pour bâtir l’empire des sens du blues, aw my Lawd. Quel fantastique slab de son ! On se régale aussi de «Get You Groove On», vieux groove efflanqué que Cedric matraque allègrement. C’est ultra directif et ça vaut pour une descente aux enfers du meilleur son. Que de véracité dans le hard du beat ! Cedric a vraiment la trique. Il revient à la violence du beat avec «Please Tell Me Baby», son I don’t know est celui de Jimi Hendrix, ce mec chante comme un dieu black. On a là l’un des meilleurs beats de la stratosphère. C’est une horreur. Cedric explose toute la Soul du groove, ça rampe au-delà de toute l’espérance du Cap de Bonne Espérance. Avec «Give It To You», il nous emmène dans les bas-fonds du meilleur heavy blues de l’univers. C’est du big deep blues cedriquien, il ramène tout son son pour l’occasion, et il a raison. C’est même toute la magie latente de Junior Kimbrough qui transparaît une fois de plus ici. Oui, le fameux blues du Mali d’Ali Farka Touré. Encore plus affreusement heavy, voilà «Death Bell Blues». On plonge ici dans ce blues des catacombes, même si les catacombes n’existent pas dans le delta. Cedric joue son blues au bras de fer, il vibrillonne le money people down by there. Une fois encore, on a là du vrai heavy blues de bastringue, Cedric nous le put down to the ground, il tape dans la turgescence du beat.

    Signé : Cazengler, Cedric la burne

    Cedric Burnside & Lightnin’ Malcolm. Juke Joint Duo. Soul Is Cheap 2007

    Cedric Burnside & Lightnin’ Malcolm. 2 Man Wrecking Crew. Delta Groove Music 2008

    Cedric Burnside Project. The Way I Am. 2011

    Cedric Burnside Project. Hear Me When I Say. 2013

    Cedric Burnside Project. Descendants Of Hill Country. 2015

    Cedric Burnside. Benton County Relic. Single Lock Records 2018

     

    Cedric a la trique - Part Two

     

    — Vous savez Professor, c’est assez inespéré de voir Cedric Burnside sur une scène normande. Pour vous donner une idée de l’inexpectitude, c’est un peu comme si Chopper Franklin venait sonner à la porte de votre ravissante demeure évreutine.

    — Vous allez réussir à me faire baver, Loser. Et à qui doit-on cet événement ?

    — Un alligator.

    — Vous êtes sûr que ce n’est pas un caïman ?

    — Vous vous mélangez les crayons, Professor. Rien à voir avec les caïmans de la taverne Saint-Rémy auxquels nous avions échappé de peu, c’est vrai. Celui-là est un alligator, un vrai, avec de la mousse sur les écailles et des dents qui brillent au clair de la lune.

    — Maintenant, les alligators organisent des concerts ? Allons bon ! Je vous vois venir Loser, je parie que les roadies de Cedric Burnside sont des pingouins.

    — Vous confondez encore une fois. Les gens du Penguin Cafe Orchestra ont en effet des pingouins comme roadies, pour une simple question de cohérence artistique. Les roadies de Cedric Burnside sont des panthères noires.

    — Les descendantes de Panther Burns ?

    — Bravo ! L’important est de pouvoir rester dans la même famille de pensée. Vous savez pour l’avoir fréquenté que Tav Falco soigne les moindres détails. Il ne pouvait faire plus beau cadeau à Cedric, en mémoire de Rural qu’il vénérait. En vrai dandy, Tav sait que ça ne coûte rien d’auréoler les choses d’une petite pincée de légende.

    z7131cedric+1.jpg

    Mais les choses se n’auréolent pas toujours comme on voudrait qu’elles s’auréolent. Cedric Burnside attaque son set avec une demi-heure de folk-blues acoustique, assis sur une chaise à côté d’un jeune barbu blanc qui ferme les yeux pour exprimer son feeling. Ils ne se rendent pas compte du temps qui passe. Ils tapent dans le blues de Sahel, très pur, comme perdu au milieu de nulle part, à plusieurs journées de marche du premier village, l’immense blues désertifié de Junior Kimbrough.

    — Bon c’est pas les Cramps, mais ça pourrait être pire, Professor !

    — Wanna Get In Your Pants en blues acoustique, ça serait marrant, non ?

    — À condition de rajouter un solo de sitar.

    Puis Cedric Burnside raconte une histoire. Son père lui dit :

    — Son, you’re 22 years old, now. Find a girl and get married !

    Cedric part à la chasse et ramène une petite gonzesse à la maison pour la présenter à ses parents. Son père le prend à part :

    — No no you can’t marry that girl cause she’s your sister, but your mama don’t know.

    Bon, tant pis. Cedric repart à la chasse. Il en trouve une autre, aussi bien roulée et la ramène à la maison. Son père grommelle et le prend encore une fois à part :

    — No no no ! You can’t marry that girl cause she’s ALSO your sister !

    Dur pour Cedric qui s’en va trouver sa mère à la cuisine pour lui raconter ses mésaventures. En entendant ça, sa mère éclate de rire :

    — Hee hee hee, mais si, mon garçon, tu peux te marier avec celle que tu veux, car ton père n’est pas ton père, hee hee hee !

    Et Cedric reprend :

    Well well well ! C’est une histoire de mon granddad Rural Burnside !

    En plus du blues hypno, le vieux cultivait une solide réputation de boute-en-train. Fin du set acou avec un «How To Stay Cool» qui sonne comme une belle déclaration d’intention.

    z7132cedricseul.jpg

    Puis le colosse de Rhodes se lève pour aller brancher une guitare électrique et son copain barbu va s’asseoir derrière la batterie. Boom ! Avec son gabarit de champion de boxe et son crâne rasé, Cedric Burnside rentre soudainement dans la gueule du blues. Ça devient très physique, il exacerbe ses notes, joue des gimmicks très basiques et travaille son blues au corps avec une rage épouvantable. C’est Cassius Clay avec une guitare. Son T-shirt noir et son futal kaki à poches en soufflets renforcent encore l’esprit sauvagement paramilitaire de l’épisode. Wham bam ! Big boss Burnside entre en force sur les terres du blues, les siennes, et laboure son one-chord jive plus qu’il ne le chante. Force est de patauger dans ce genre de terminologie car on voit cet homme forcer littéralement le destin.

    z7133+batteur.jpg

    Il chante du fond de son gut d’undergut et joue à la force du poignet - I want you home - Il ruisselle de sueur et bat le beat des enfers sur sa guitare. C’est James Brown avec cent kilos de plus qui met en route la transe hypno. La pauvre salle bascule dans une sorte de jusqu’au-boutisme échevelé. Du coup, c’est doublement inespéré de voir cet homme en chair et en os secouer la paillasse du Hill Country Blues, une paillasse qui en a pourtant déjà vu des vertes et des pas mûres. On comprend alors que ce son et cette façon tellement physique de jouer le blues sur un accord ait pu fasciner des becs fins comme Dickinson, Tav Falco et Jon Spencer. C’est l’antithèse exacte du Chicago blues et de son pénible pathos virtuose. Cedric Burnside tape dans le raw to the bone, dans l’âme du primitivisme le plus muddy, avec une rage qui en dit long sur sa vision du monde. Son blues sent le sexe, la danse et les rites d’avant la civilisation - Yes we made it - Well well well et il repart en mode Typical - And that’s a typical/ Day for me - espèce de clin d’œil au Muddy de l’époque Stovall. Il tape tout son fourbi au gimmick rudimentaire, ça sent bon la dépenaille, le bricolage africain.

    z7134guitars+batt.jpg

    Et quand il s’installe à la batterie, la température monte encore. Il retrousse sa jambe de pantalon au dessus du genou et met à battre comme on battait l’enclume au temps du dieu Gou, mais il fouette sa caisse claire à la main renversée, comme le fait Elvin Jones. Le voilà devenu locomotive à l’ancienne, avec sa tête ronde et hilare qui dodeline en rythme derrière les fûts. Ah t’as voulu voir Vesoul et t’as vu Cedric ! Dans cet instant précis, il devient un mélange extraordinaire d’Isaac Hayes, de Buddy Miles, de dieu africain, de well well well man, de Bullet, d’esclave révolté, de Joe Louis et de black Panther Burns - Ain’t gonna take no mess/ No no no !

    Signé : Cazengler, la burne

    Cedric Burnside. Le 106. Rouen (76). 20 février 2019

     

    Naked Lunch - Part One

    z7139dessinlydia.gif

    Si tu vas voir Lydia Lunch en concert, c’est pour te payer un petit shoot d’avant-garde. Un petit shoot d’avant-garde n’a jamais fait de mal à personne, bien au contraire. C’est même conseillé pour la santé. Cette fois, un mec nommé Marc Hurtado accompagne celle qu’on appelle la diva de la No Wave. Il l’accompagne façon indus, avec des machines. Ça tombe bien, car ils ont décidé de rendre hommage à Martin Rev et Alan Vega, c’est-à-dire Suicide. Pas de meilleure conjonction ici bas que celle de Suicide, de Lydia Lunch et des machines. On n’imagine pas à quel point cette conjonction peut sonner juste.

    z7135lydiamicro.jpg

    Personne n’est plus habilité qu’elle à rendre hommage aux parangons d’une scène dont elle fit partie dès l’origine. Personne d’autre qu’elle ne peut prétendre proposer un profil avant-gardiste aussi idéal dans le contexte précis de cette conjonction. Attention, l’avant-garde n’est pas à la portée de toutes les oreilles. En leur temps, Alan Vega et Martin Rev firent les frais de cette assertion. Et plus ils sentaient que les gens n’y comprenaient rien et plus ils devenaient agressifs. Il semble que le problème soit resté entier, car Lydia Lunch n’a pas l’intention d’être aimable. Ce n’est pas que ça fasse partie du jeu, mais c’est une simple question d’attitude. Elle n’est pas là pour faire risette, elle est là pour célébrer le génie avant-gardiste d’Alan Vega et de Martin Rev qui Dieu merci ne pondirent jamais de hits. Le côté âpre de la démarche avant-gardiste peut rebuter, mais aussi fasciner et Marc Hurtado veille bien à réveiller le génie noisy caché au fond de la lampe d’Aladin, tel que le conçut voici presque cinquante ans Martin Rev. C’est une énergie qui ne doit rien au rock traditionnel, rien au jazz classique, mais qui doit tout à la rue new-yorkaise, une énergie dont s’enivrait Martin Rev lorsqu’il se rendait à ses leçons de piano. Oh bien sûr, il se goinfrait de jazz moderne, mais sa vision du monde passait par le pouls de la ville, la plus grosse ville du monde, et c’est exactement ce pouls urbain qu’il interprète dans ce son que d’autres gens qualifieront d’indus, ce mix de chaos, d’énergie, de violence, de béton, de chaleur, de drogues, de misère, de voitures, de corps, de traves, de sax et de sex, ce pulsatif fantastique que Lou Reed a interprété autrement et que Martin Rev a su libérer via ses machines, car il sentait qu’il devait en passer par là, pour rester en cohérence avec l’osmose de la comatose maximaliste. Martin Rev ne jure que par les extrêmes. Et miraculeusement, Marc Hurtado restitue tout ce fourbi, oui, il faut bien parler de miracle.

    z7137lydia2micros.jpg

    Alors, pour Lydia Lunch, c’est du gâteau. Elle lit les textes d’Alan Vega à l’orgie d’urbi et d’orba d’orbite urbaine, elle lit, scande, impacte, déclame, elle pulse elle aussi et donne carte blanche à son corps de vieille dame pétrie d’avant-garde. Elle devient la gardienne du temple, elle arpente la petite scène et vend le poisson Vega à la criée, elle recrée les tensions originales, celles qu’on ne connaît pas puisqu’on a raté les épisodes du Max’s, alors on se rattrape et dans le répétitif de ce beat buté comme un âne se niche tout le merveilleux secret du New York Beat, c’est un son qui entre par toutes les ouvertures, qui roule sous la peau, c’est un mantra électronique de la pire espèce, un mantra dévoreur de cerveau, quelque chose qui dévore à la fois de l’intérieur et de l’extérieur. On s’en aperçoit d’autant plus facilement que la production des deux premiers albums de Suicide est catastrophique et là, on a l’impression de découvrir un continent. Ou si on veut raisonner à l’envers, le son que sortent aujourd’hui Marc Hurtado et Lydia Lunch est d’une modernité à toute épreuve : Suicide n’a pas pris une seule ride. Effarant ! Lydia Lunch veille au grain du punch, elle y met toute sa foi de pâté de foie, elle chante ça à la vie à la mort, dans un état permanent d’implication suicidaire. Elle s’en prend aux gens qui brandissent des smartphones pour la photographier, c’est pas l’heure ! Comme ils ne comprennent rien, elle leur fait un doigt new-yorkais et leur claque un fuck you bien lunchien.

    z7136lydiarêve.jpg

    Lydia et son lieutenant attaquent avec le mighty «Touch Me» tiré du deuxième album de Suicide, ils le tapent au bish bash bosh de tête contre les murs, cool as ice, et embrayent sans transition avec le «Sniper» qu’Hurtado enregistra avec Alan Vega, c’est comme dans Nougayork, on sent le souffle dès l’aéroport, ça boome dans la tirelire, derrière ses machines, Hurtado fait le show lui aussi, comme Martin Rev au temps béni de Suicide, tout en excentricité vestimentaire et en bombardement ionique intensif. Dans le foutoir de cet intense chaos sonique, on croise plus loin des bribes de «Harlem» et Mister Pip man/ He is the king, un blaster basé sur l’observation des mœurs du Bowery, et ses personnages qui entrent en scène comme au Théâtre de la Cruauté, Mister Junkie man/ He wants a hit, et elle scande, suck it like a shark, suck it like a shark, elle lit car trop de texte, ça logorrhe à Gomorrhe, Mister Apollo/ What you doin’ in that sewer, on l’a oublié, mais le beat de Suicide est aussi vital que le white heat du Velvet, et dans cette cabane toilée de bal populaire, le beat suicidaire prend une curieuse résonance.

    z7138lydiadebout.jpg

    Il faudra un jour consacrer un peu de temps à Lydia Lunch qui depuis 1980 fait des albums extrêmement intéressants en s’entourant de la crème de la crème du gratin dauphinois, à commencer par James Chance, dans Teenage Jesus & The Jerks. Ils tentèrent tous les deux de créer la sensation en jouant la carte vitupérante du minimalisme maximaliste. Elle collabora aussi avec ce démon de Michael Gira, avec l’Exene d’X, avec le sulfureux Genesis P-Orridge, avec Jimmy Johnston de Gallon Drunk, mais surtout avec Rowland S. Howard, notamment sur l’album Shotgun Wedding paru en 1991.

    z4146wedding.jpg

    C’est le grand album classique de Lydia Lunch, du Kill Bill avant la lettre. Quel album ! «Burning Skulls» fait partie des cuts qui ne devraient jamais s’arrêter. Sur un tempo bien heavy, Lydia écrase ses syllabes comme des mégots, avec une singulière insistance. Et ce diable de Rowland S. Howard joue à la clameur délétère. C’est à la fois superbe, gothique et plombé, embrasé aux alentours et monté sur un beat royal. Rowland vole le show. Il lancine admirablement et arrose le cut du meilleur acide disponible sur le marché. Avec «Endless Fall», ils font un duo historique. Ils sonnent comme une vraie bénédiction, Rowland crée des dynamiques à coups de renvois, people die, et ils relancent à deux. L’autre énormité de l’album s’appelle «Pigeon Town», riffé d’entrée de jeu. Rowland ne rigole pas avec la marchandise et cette garce de Lydia chante comme une vieille pute. Ah ils sont jolis ! Rowland n’en finit plus de jouer à l’alerte rouge et reste d’une incroyable théâtralité. Le son fait foi. Rowland joue ça jusqu’au trognon. Des mecs comme lui ne courent pas les rues. Tiens, voilà «Cisco Sunset», monté sur un groove de basse. Lydia s’y glisse humidement. C’est du grand Lunch. Elle chante à la racine du beat, Rowland concasse ses septièmes d’accords de jazz pendant qu’elle dérive dans le moonshine. Elle chante avec toute la maturité de chipie mal dégrossie dont elle est capable. Rowland joue «Black Juju» à la pire clameur de l’univers connu. Cette diablesse de Lydia tente de calmer le jeu, mais à quoi bon ? Les bites lui échappent des mains, c’est foutu d’avance. Quand elle chante «In My Time Of Dying», elle rivalise de nullité avec Wendy O Williams. Elle n’a aucune présence vocale. Elle bâtit sa réputation sur autre chose. Ils chauffent «Solar Hex» à blanc et tapent «What Is Money» au mood berlinois, avec de l’undergut de femme qui a vécu. Rowland gratte ses puces, il joue au circus géométrique de l’after-punk et Lydia se vautre dans la mélasse avec sa voix de vétérante de toutes les guerres. C’est encore du big heavy sound. On peut faire confiance à Rowland S. Howard pour ça.

    z7146honeymoon.jpg

    L’autre grand classique du duo Lydia Lunch/Rowland S. Howard s’appelle Honeymoon In Red. On y trouve une version délicieusement trash de «Some Velvet Morning». Elle fait un duo de dingos avec Rowland qui chante à la petite dégueulée. Aw my God, il se prend pour un Lee Hazlewood en difficulté et Lydia Lunch fait sa Nancy avec un ton atrocement faux de lullaby. Ils sont immondes. Ils enterrent vivant l’un des plus beaux classiques de la pop américaine. Il ne faut pas s’aventurer trop loin dans les parages de cette femme. Elle cultive une sorte de goût pour la dérive mal chantée et l’ancolie sadiste. Mais sur «Three Kings», elle vient se couler dans le groove de funk punkoïde orchestré par son amant Rowland. Ah comme ce mec est doué. Il fait aboyer sa guitare dans la nuit. Il joue le groove des squelettes dans une scène de George A. Romero, il joue au dénaturé implacable, il joue le jerk des catacombes. On a encore du Rowland pur et dur avec «Still Burning». Il chante encore plus mal qu’elle, c’est à la fois mauvais et comique. Quasi-caricatural. Aussi inutile qu’une brebis périmée. Lydia fait encore des siennes sur «Fields Of Fire». Diable, comme elle chante mal. Elle tartine plus qu’elle ne chante. On est tenté de plaindre cette pauvre fille. Mais on se régale de «Dead In The Head», balayé par l’infernale rythmique acide du grand Rowland S. Howard. Il chante derrière elle et gratte sa gratte avec une réelle appétence. C’est mortifère en diable. Son unique et incroyablement ferrailleux. Rowland frise régulièrement le génie.

    Signé : Cazengler, Lydia Louche

    Lydia Lunch. Rush Festival. Rouen (76). 25 mai 2019

    Roland S. Howard & Lydia Lunch. Shotgun Wedding. Triple X Records 1991

    Lydia Lunch. Honeymoon In Red. Widowspeak Productions 1997

    MONTREUIL / 09 - 06 - 2019

    LA COMEDIA

    L'ANNIVERSAIRE DE TONTON ALBERT

    RAOULEX TRIO + FRIENDS

    Salut à toi le dromadaire

    Salut à toi Tonton Albert

    z7074albert.jpg

    L'a son nom gravé dans le marbre de l'éternité, z'avez reconnu les paroles de l'hymne alterno-punk des Béruriers Noirs, ben ce soir, le grand Albert est convoqué à la Comedia, rien de grave, juste la troisième fête pour son anniversaire, l'est classe l'Albert dans son costume sombre à large cravate noire rayée de bleu qui tranche le blanc oriflamme de sa chemise impeccable, soixante dix balais au placard et l'est parti pour en rajouter le même nombre, plein de jolies filles à ses basques, les garçons qui viennent l'embrasser, les doigts remplis de verres de bière, l'est vrai qu'il est un héros, l'était-là aux temps originels, trésorier de l'association qui défendait envers et contre tout – municipalité, autorités - le punk squat légendaire de L'Usine, jusqu'à ce jour fatidique du 12 avril 1986 où deux cents punks se sont affrontés toute la nuit aux CRS, une page glorieuse du rock français et montreuillois. Ils ont perdu la bataille, mais la guerre pour une vie plus libre n'a jamais cessé. La mauvaise herbe repousse toujours entre les pavés.

    Alors ce soir, toute la mouvance Dyly – do your life yourself - s'est donnée rendez-vous, les anciens et les plus jeunes, les nostalgiques et les activistes, pas de discours, pas de remémorations d'anciens combattants, la joie d'être encore ensemble et pour infuser persévérance et énergie, de la musique. D'autrefois, d'aujourd'hui et de toujours.

    RAOULEX KING TRIO

    z7082raoul.jpg

    C'est comme un vieux parchemin enrâoulex sur lui-même, plus vous dérâoulexez plus la lecture devient passionnante. Vous raconte les nouveaux épisodes d'une vieille histoire, mais là pas besoin de s'abîmer les yeux à déchiffrer le grimoire, suffit de regarder et d'écouter, le King Trio vous conte la saga des temps heureux. José Calodat ose le culot de la batterie flegmatique, n'en fait jamais trop, use de la grosse caisse avec parcimonie, oui mais quand il tape il met les deux points sur les ï, précision à bon escient et jus de justesse survitaminée, l'est au rythme comme les poëtes sont à la rime, le coup d'éclat, la cymbale coquelicot sanglant et la caisse claire pétunia pétaradant, chemine de tournant en tournant, où vous l'attendez et il est là pile poil. Et puis quand il cogne de toute sa pogne, l'est en rogne, ne vous absout en rien de votre volition de vivre mais vous abasourdit de la clinquance chancelante du monde.

    Lo Azelo est à la basse intermittente. Un faux-jeton. L'a l'air du mauvais ouvrier qui fait le minimum. Celui qui stagne devant la machine à café et qui a toujours une clope en retard. Oui, mais quand il marne, l'eau déborde. Ce n'est plus une basse qu'il a dans les mains mais un de ces engins que Luigi Russolo appelait un bruiteur. Voulez quoi, le chac-chac-chac de la mitrailleuse, le voici, à longues rafales qui vous récatent les environs en trente secondes, vous préférez le bruit de la Gitane Testi le moteur surcompressé à fond dans une montée himalayenne, le voilà. L'a tout ce que vous désirez en magasin. Même le truc auquel vous n'avez jamais pensé. Par exemple, ces espèces de poinçonnages de machines à coudre devenues folles.

    Alexis Dupont n'arrête pas. L'est au four brûlant de la guitare et au moulin à paroles. Poésie populaire, HLM et canapé en skaï, pour le décor, vous conte les existences joyeusement dérisoires, les vies bringuebalantes du petit peuple, celui qui fait des grande choses sans s'en vanter, qui poursuit sa vie à cloche-pied et qui est le premier attrapé lorsqu'il saisit sa chance à plein bras. A la gratte donc, apparemment l'a simplifié le problème, ne joue qu'une corde sur deux. Oui mais ils débrouille pour choisir non pas la bonne mais la meilleure. Encore un traître. Au début, cahin-caha, claudique clopin-clopant. Un perfide. A chaque morceau, il accélère un petit peu sans trop, mais au final une véritable charge de cavalerie.

    Et les deux acolytes lui emboîtent le pas, sans tambour ni trompette, et c'est la galopade effrénée. Le King Trio, le programme annonce randonnée familiale avec pause pipi et arrêt pique-nique toutes les demi-heures, et vous êtes embarqué en sandalettes écologiques dans un marathon-commando-d'élite.

    Je vous aurai averti. Je vous dévoile leur truc, ne jouent ni en fa, ni en la, mais en ska. Au début ska n'a l'air de rien, ska tressaute gentiment d'une jambe sur l'autre, et puis ska skaccélère, c'est vous qui êtes les roulettes du skate, votre ska est désespéré et c'est sklà que se produit le miracle, alors que vous croyez exploser, vous êtes envahi par une ondée de bonne humeur virevoltante, ska alors ! Le public se déchaîne, pour le pas de danse, facile, c'est celui des Tromp-la-Mort, vous trouvez ska dans la bande-dessinée Le Cocombre Masquée de Mandryka, pardon de Mandryska.

    Cette fois ska-y-est vous dîtes vous, c'est alors que le Raoulex King Trio vous sort l'arme fatale, des renégats, finie la skamelote et hop ils plongent dans le rock'n'roll, du coup Alexis saute l'inter-set et case deux cordes à sa guitare, pas de panique l'en a une autre, et il en profite pour vous mettre une ambiance torride. Z'auraient pu continuer comme cela toute la nuit, mais non ils ne sont pas vaches, c'est l'heure de la traite. Celle des bœufs.

    Une prestation skadorable ! Atteinte de skarlatine aigüe. Ça se soigne, mais on ne veut pas guérir.

    *

    SUIVEZ LES BŒUFS

    z7077daobasse.jpg

    ( à la basse François Dao Chatelain )

    N'en donnerai que quelques aperçus, parce que je ne m'en rappelle plus, parce qu'il est difficile de fixer le tumulte, parce que les mots manquent pour traduire des moments qu'il faut vivre en leur fragilité tourbillonnante. Un grand merci à Baba Yaga pour l'organisation.

    LOOLIE & BORGO

    z7078loolie.jpg

    La moitié de Loolie and The Surfing Rogers sont sur scène. Est-ce la meilleure ? En tout cas c'est la plus belle. Loolie, épaules dénudées dans son polo de marin, susurre Funnel of Love, quelle séductrice, à ses côtés Borgo de sa guitare ouvre la mélodieuse boite à sucre fondant des sixties, Wanda Jackson sera à l'honneur dans ce petit set. Nous offrent quatre ou cinq – j'ai aimé, je n'ai pas compté - petits joyaux resplendissants, Borgo étourdissant de virtuosité maniériste, Loolie sublime de feinte simplicité, un régal. François Dao Chatelain s'est d' emparé de la basse et il fronce et brode à foison tandis que Patrick Lemarchand officie à la batterie.

    P'TIT LOUIS

    z7980louis.jpg

    Petit par le nom et grand par la légende montreuilloise. La fait partie entre autres des Rouquins et de Jim Marple Memorial, guitare et micro, nous transporte  in the french sixties, une belle version de Elle est terrible, et encore plus surprenant l'acclamation qui suit le Pas Cette Chanson – sur un des premiers 45 tours Phillips d'Hallyday – à l'époque ce genre de morceau étaient surnommés des slow-rocks, la tension du rock et la hargne des relations humaines, P'tit Louis nous restitue ces fragiles évanescences de jeunesse révolue...

    SALUT A TOI

    z7075albertscène.jpg

    Albert monte sur scène pour remercier de quelques mots, il souffle les bougies sur le gâteau et toute la salle entonne Salut à toi de bout en bout. Un grand moment de fierté et d'émotion collectives. Merci à Albert d'avoir par son action et sa présence suscité une telle ferveur.

    Damie Chad.

    ( Photos : FB : Thomas Ménil )

    ( 14 / 06 / 2019 )

    LE QUARTIER GENERAL OBERKAMPF

    LES JONES / TONY MARLOW

    ALICIA FIORUCCI

    z7127affichejones.jpg

    Un programme à rendre le Cat Zengler fou de jalousie, les Jones et Tony Marlow, ensemble, le même soir. Difficile de faire mieux. Oui mais comme en rock il n'est jamais rien d'impossible, en prime la petite merveille d'Alicia Fiorucci, un bijou rock'n'roll comme on n'en fait plus. Un seul bémol à la fête, le concert commence tard et je serai obligé de m'éclipser avant la fin. Ce qui sera peut-être une bonne chose, voir plus bas.

    THE JONES

    z7147jones tous.jpg

    Facile les Jones, un peu de blues, un peu de rhythm'n'blues, un peu de rock'n'roll, vous mélangez, vous touillez, et c'est prêt. La recette est d'une simplicité absolue, le problème c'est que personne n'arrive à la réaliser correctement, manque toujours le doigté et cette denrée rare qui ne se trouve nulle part en vente libre, l'esprit. Les Jones, eux ils savent. Des vieux de la vieille, se sont frottés aux meilleurs, s'en sont tirés avec les honneurs et cette réputation flatteuse qui les précède partout.

    z7150basse.jpg

    N'y a qu'à regarder Rudy Serairi, physique de chef mafioso qui mâche un imperturbable chewing gum, quand il sourit, rapidement, juste un éclair de satisfaction, on dirait qu'il vient d'apprendre que ses hommes viennent de vider un camion blindé de la Brink's, pas du genre à y aller doucement les basses, pas non plus brutalement, l'est comme les quatre autres, ne joue pas pour lui, joue avec les autres. Toute la différence est là. Aucun des Jones ne se sert en premier, sont au service du rock'n'roll, alors bonjour la machine de guerre. Ils pourraient se la faire perso car ils sont doués, mais non d'abord le groupe.

    z7149grégoire.jpg

    Question guitaristes, z'ont ce qu'il faut. Deux sur l'étagère. Grégoire Garrigues, tout de noir vêtu, pas le genre de gars à user de son instrument comme une kalachnikov folle, les solo interminables il les garde pour lui, sa spécialité ce sont les rafales courtes, sept, huit secondes, mais qui possèdent la saveur de l'éternité, les pose là où il faut, vous aimeriez chipoter, critiquer, vous donner de l'importance, mais non il intervient et vos n'avez plus qu'à vous incliner, the right riff at the right place, seuls les ricains savent faire cela, et les Jones aussi.

    Z7157THIERRY.jpg

    Thierry Jones, est du même calibre. Son truc à lui, c'est le détail insignifiant qui change tout. La statuette sur le guéridon au fond de la pièce qui vous illumine l'appartement, la fille que vous croisez en allant acheter votre pain et qui bouleverse votre vie, la fameuse tache brillante dans les tableaux d'Eltsir qui modifie l'univers, un tireur d'élite, deux notes par ci, deux notes par là, mais idéalement placées, et du coup le morceau respire et palpite.

    z7148batteur.jpg

    Ont intérêt à assurer parce derrière vous avez Gérald Coulondre qui vous cabosse la calandre. Style Héphaïstos énervé lorsqu'il retrouve sa femme Aphrodite dans les bras d'Arès, le Gérard l'a compris que le rock'n'roll c'est comme la philosophie nietzschéenne, à coups de marteaux, lui n'a que que des baguettes, moins de brutalité mais davantage de rapidité, vous la coule pas douce mais dur le Coulondre, si l'ensemble cordique devant doit être si opératif c'est que lui, il occupe tout l'espace sonore, ne laisse le temps à personne d'en placer une, oui mais les trois aigrefins ils connaissent la musique, se faufilent dans la moindre fissure, vous placent des accords à bon escient comme des bâtons de dynamite. Bref les Jones, ils strombolent sans répit.

    z7150guit+chant.jpg

    Pendant la balance – longue, un larsen à chasser aussi insaisissable que gentleman enquiquineur Lupin – j'avoue que Fred Moulin, planté devant son micro m'avait déçu. Faisait le minimum, dès qu'il s'est glissé sur l'estrade, genre serpent qui ondule dans le nid de crotales, s'est vite imposé comme l'Enchanteur. La même méthode que ses acolytes, ne s'impose jamais, s'expose toujours. Corps habité de pulsions voodoïques. Vous vous demandez dans le capharnaüm sonore des mousquetaires là où il va pouvoir poser sa voix. Se suffisent à eux-mêmes les boys. Un chanteur, pour quoi faire ? La différence, mes chers kr'tntreaders ! Avec le Fred avec sa voix doucement éraillée, une enseigne mobile d'une ancienne station à essence abandonnée depuis quarante ans sur la route 66, les Jones ne perdent jamais les faces, vous fabriquent des jolies choses aussi remuantes que des pierres roulantes, je ne prends qu'un exemple le Betty Jean de Chuck Berry, ils vous le riffent à mort, et en plus ils y rajoutent cette lourdeur balancée des Stones, celle avec laquelle ils rendaient visite à Carol et à Not Fade Away. Car c'est cela les Jones se sont introduits dans le rock des Rosbeefs qui rient Jones de jalousie quand ils les entendent. En plus ils ont des bijoux à eux, du fait maison, du cousu main en peau d'iguane, qu'ils exposent ostensiblement, parce que dans le rock, il y a cet aspect m'a-tout-vu qui plaît au gals et aux guys et dans la salle c'est l'extase remuante. Que voulez-vous un great shot of Rhythm and Blues n'a jamais tué personne et lorsque vous tombez sur un quintil de bons docteurs feelgoods qui vous en infusent sans faillir une bonne vingtaine en intra-veineuse, vous ne pouvez qu'être satisfaits.

    TONY MARLOW TRIO

    z7152tony+fred.jpg

    Pim, pam, poum, bim, bam, boum, Fred Kolinski trône derrière sa batterie, sa longue chevelure lui donne l'aspect majestueux du Roi des Aulnes, tel que vous l'imaginez lorsque vous récitez la balade de Goethe. Pour la balade faut l'avouer c'est un peu raté, l'a dû avaler un cuissot d'alligator avant de monter sur scène, car il a une frappe style morsure de caïman, pas besoin de répéter deux fois, vous happe la jambe d'un seul coup.

    z7153andras.jpg

    Sur notre droite Andras Mitchell. Yeux de velours miroitant et contrebasse blanche. Un tueur. Slappe comme vous respirez. Sans y penser, sans s'arrêter, le même geste, au même endroit, les doigts en haut qui trifouillent sans plus, l'a trouvé le point gamma de Theillard de Chardin, la big mama elle bourdonne comme s'il lui caressait le clitoris, avec cette classe du gars qui a trouvé le secret de l'univers et qui vous fait part de sa découverte, en passant, sans y attacher de grande importance. Grand seigneur.

    z7154tonyseul.jpg

    Et puis Tony. Le marlou fou. Je n'ai pas dit un épileptique à qui il faut passer la camisole de force pour avoir un peu de tranquillité. Non, s'occupe de sa guitare. Les longues soirées d'hiver vous regardez distraitement le feu de bois dans la cheminée, et vous vous dites que vous êtes heureux. Tony, il doit tricher, il a dû s'acheter un surmultiplicateur digital, une démonstration de guitare rock. Tout ce que vous voudriez savoir jouer et que vous ne réussirez jamais. Pas la peine d'essayer. Lui et les deux autres, ce sont des retors. L'aspect passe-partout d'un trio de rockabilly, et le problème c'est qu'ils passent le chiffon à dépoussiérage partout justement, enfin ils ont leur manie de faire le ménage, au plastic.

    z7155lestrois.jpg

    Un peu de surfin' – juste un harpon à épingler Moby Dick – la suite de l'aventure illico, génération suivante, vous connaissez Keith Richards et Brian Jones – vous avez les deux pour le prix d'un – et en plus ils vous prennent un malin plaisir à accélérer dans les deux ponts de dégagement, ensuite pire, Tony cherche la difficulté anapurnienne, vous appelle Hey Joe en français, comme Johnny, mais la guitare à la manière d'Hendrix, attention pas une copie, une interprétation, et un final des plus personnels. Idem pour le morceau suivant, dans lequel Tony nous offre ces glissandi fuzzy mêlés de tonitruance. Le moustique rockabilly à l'assaut des mastodontes, vous les pique à l'angel dust, n'ont plus à faire les fiers, piqûre mortelle. Il y a des gars qui sont bénis des Dieux, peuvent faire deux choses en même temps sans se prendre les pieds dans le tapis, Tony à d'autres cordes que celles de sa guitare. Des vocales. L'en fait ce qu'il en veut. Flexibles comme les lianes dont se sert Tarzan pour passer d'arbre en arbre. Tony il saute du français à l'anglais, sans a priori, in french language pour les petits froggies c'est plus goûteux car vous comprenez les paroles et vous suivez les intonations de la voix conjugue l'ironie nostalgique aux souvenances roboratives, l'est peu de monde dans le rock français qui a su rendre compte du milieu historial des générations dans lequel il a exercé ses ravages. Tony excelle dans cet art poétique populaire. N'est pas seulement un chanteur, mais aussi un conteur qui vous refile les reflets de la légende dorée. Un Fred royal, un Andras impérial, et un Tony intersidéral déconcertant d'aisance, de vitalité et de facilité, la première partie fut un éblouissement.

    ALICIA FIORUCCI

    N' y a pas que des mecs sur cette terre. Non, je n'évoque pas la gent féminine, parce que question filles, il n'y en a qu'une. N'y a qu'Alicia Fiorucci. Toutes les autres sont des essais, des tentatives, des approches, des ressemblances, mais Alicia Fiorucci, c'est le modèle unique. L'eidos platonicienne de la fille rock. L'arrive sur scène toute simple, s'installe devant le micro en souriant. Jusque là elle est à peu près comme tout le monde. D'accord j'exagère, peu de monde ne possède cette présence tranquille. Je pense au lecteur non averti et égaré qui serait tombé sur le blogue par hasard, et qui se demanderait : mais enfin le rock c'est quoi au juste ? L'a de la chance, le rock c'est facile à définir, suffit de regarder Alicia Fiorucci et à moins d'être congénitalement frappé d'une obscure tare de la comprenette, vous avez la révélation devant vous.

    Quelques mois que je n'avais pas vu Alicia Fiorucci, je me disais, super, ça va être bien. Mieux que ça, ce fut rock'n'roll. Trois morceaux, mais elle vous les a claqués à la manière de ce pavillon noir que les pirates hissaient à la corne du grand mât, pour vous avertir qu'il n'y aurait pas de quartier. Sinon de votre viande fraîche découpée au sabre d'abordage.

    N'a pas enfilé son pantalon léopard, t-shirt noir qui s'arrête à l'orée des seins et jupe courte d'un bleu ajusté à ses tatouages, ce soir c'est panthère noire. Pour la musique ne vous inquiétez pas, Tony, Fred et Andras, se chargent de tout. Alicia apporte le rock'n'roll. La voix et le sexe. Car le rock'n'roll sans sexe c'est comme le bœuf qui se prend pour un taureau. Le rock c'est d'abord et avant tout l'appel à la grande copulation généralisée. Les grandes idées c'est bien, les exemples concrets c'est mieux.

    Z7156ALICIA.jpg

    Alicia souffle la tempête entre Ramones et Bobby Fuller, l'a la voix qui mord et qui déchiquète, n'essayez pas de vous enfuir, il est trop tard, à la fureur rauque du rock'n'roll elle mêle le sentier subtil des perditions. Certes son corps ondule à chaque intonation appuyée, à la manière d'un serpent qui se courbe pour avancer, mais ce n'est pas là que réside le péril, elle le pointe d'un doigt impératif, là-haut, lorsqu'elle pose en perverse candeur sa jambe sur le retour, exactement là où s'arrête la noire résille du collant, plus haut que l'étroite bande de blancheur de la cuisse dénudée, là dans l'ombre de la culotte qui cèle et recèle le sexe pour mieux en dévoiler l'attrait vertigineux, et puis pour vous affoler davantage, elle glisse sa main dans le haut de la jupe, se caresse l'hypogastre, d'un geste érotique mais jamais obscène, c'est cela la beauté d'Alicia cette innocence édénique de petite fille reflétée dans la limpidité aigüe de ses yeux verts. Elle s'amuse et vous affole. Vous pousse au bord du gouffre du désir et vous vous apercevez dans ce miroir ardent. Et devant cette triste figure vous reculez. Ce n'est pas tous les jours que la souris rieuse se joue du chat. Mais avec Alicia c'est ainsi. Elémentaire mon cher Dodgson. Sur son prochain disque elle nous emmènera au pays des merveilles-rock.

    THE END

    Alicia se faufile hors de la scène comme si elle rentrait de l'école. Tony attaque la deuxième partie, m'enfuis la rage au cœur pour le dernier métro, une pluie diluvienne me rattrape sur la route, la teuf-teuf entre deux gerbes d'eau navigue tant bien que mal sur la chaussée inondée, part en aquaplanning, rocke un peu à gauche, rolle un peu à droite, mais en experte patentée elle garde la ligne droite, si j'étais parti une demi-heure plus tard, vu l'amoncellement des trombes d'eau aurais-je pu arriver chez moi...

    Damie Chad.

    ( Photos : Matthieu Worthwhat )

    MONTREUIL / 15 – 06 – 2019

    LA COMEDIA

    LILIX & DIDI / PRINCE ALBERT

    z7129affiche comedia.jpg

    Arrivé un peu en avance, par grand monde, mais je suis comme le grand Anubis, le dieu chacal qui présidait à la pesée du coeur. Suis pareil que lui, attentif à la balance. Se déroule sans problème, quand Personne s'en occupe, c'est souvent bon du premier coup. La salle s'est remplie. Des ados et des parents, plus un public plus habituel, tout cela coexiste sans problème.

    LILIX & DIDI

    z7158lilix.jpg

    ( Photo : Alain Hiot )

    Ne sont pas deux. En vérité un quatuor. En fait plutôt trois. Ce n'est pas que le quatrième à la guitare compte pour du beurre. Mais l'est un peu différent des autres. D'abord c'est un homme, il porte une queue de cheval ( plutôt d'onagre sauvage ) pour ne pas se faire remarquer, mais il appartient à la pire des espèces, puisqu'un adulte. Toutefois on lui pardonne. Il assure grave. Ouvre la voie. Normal, c'est le plus aguerri, vous pose la structure et la charpente, ne reste plus qu'à empiler l'équilibre des briques et les tuiles. En plus il est le professeur des trois misses. Car ce sont des filles, des jeunes filles de seize et dix-sept ans. Sweet Little Sixteen prophétisait Chuck Berry. Pas des riots grrrls encore, mais des young girls punk'n'roll, ce qui est déjà un beau début dans la vie.

    Lilix et Didi possèdent cette particularité d'alterner en cours de set, basse et drum... Lilix merveilleux prénom qui évoque autant le parfum printanier du muguet que le lointain effluve vénéneux de Lilith, la plus timide malgré son anneau à l'oreille, voici Didi, teinture verte sur les cheveux qui oscillent et scintillent entre reflets turquoises et clartés smaragdines, en toutes les occasion elle se charge du chant. Une voix fraîche et incisive, qui découpe à la perfection les syntagmes des lyrics anglo-saxons, des trois c'est la plus décidée. Zo reste sagement à la guitare. L'offre un look longiligne et androgyne avec ce reste d'enfance rêveuse que l'on se doit de tous garder au fond de nous pour que notre vie ait un sens.

    Un étrange répertoire entre Ramones et modernes angoisses de jeunes gens de nos jours qui recherchent leur identité disparate, comme cette chanson sur les bottes rouges que voudrait porter ce jeune garçon qui ne peut pas, car la couleur rouge est l'apanage des filles. On voit qu'elles n'ont jamais lu Joë Bousquet, pas mieux que ce poëte pour apprendre la symbolique du sang. Moi non plus, je ne l'avais pas lu à leur âge.

    N'aimerais pas être à leur place, public hyper attentif, mais non, ce sont des conquérantes, les guitares vrombissent, la basse bazarde son halètement contenu et à la batterie elles enchaînent les breaks comme pour une démonstration. L'ensemble sonne juste, le druming manque un peu de force dans les biscoteaux, n'ont pas des bras de camionneurs, mais cela s'affermira par la pratique, pas provocantes mais séduisantes, et les applaudissements pleuvent de plus en plus drus à la fin de chaque morceau. Certes il leur manque encore, la rage, et la révolte, mais cela viendra.

    PRINCE ALBERT

    z7159prince albert.jpg

    Pas le petit prince. Pas de renard philosophe à l'horizon. Virgile – Tytire tu patulae recubans sub tegmine fagi, excusez-moi pour cette réminiscence bucolique – l'on ne comprend pas trop avec la chaleur lourde et moite qui règne pourquoi il s'est affublé d'un cache-poussière style Sergio Leone - en intro, tout seul sur sa guitare, nous interprète un râga indien et tantrique. Question montée de l'adrénaline sexuelle dans l'assistance, pas de différence notable, par contre couleur Râmâyana c'est parfaitement réussi, agite faiblement deux cordes du bout des doigts et vous emporte dans un épanchement modal caractéristique. Oui mais ça ne dure pas. Olivier Arnold fracasse sa batterie en trois secondes, l'a des biscoteaux de camionneur lui, et vous donne l'impression de frapper à coups de démonte-pneu. Un insatiable, une fois qu'il est parti - le bouton se déclenche tout seul – c'est pesé, emballé, emporté et expédié par colissimo. Faudrait pas que les morceaux aient un début, ça lui ouvre l'appétit, et après il ne peut plus s'arrêter. Tape de tous les côtés, un fadurle, un madurle, il bourre à mort, il fourre à vif, l'en jette encore parce qu'il ne connaît pas le mot : trop. Ou alors il confond avec pas assez, le gars qui vous beurre la tartine des deux côtés, plus le listel, plus le bol, plus la table. De mauvaises manières de mal éduqué qui évidemment déteignent tristement sur ses comparses. Cyprien n'en rate pas une pour lui refiler des lignes de basse qui vous entortillent le paquet cadeau au fil de fer chauffé à blanc. De temps en temps il se tourne vers Olivier, genre gamins sur un parking qui font le concours du plus grand nombre de rétroviseurs cassés. Vous n'avez plus qu'un espoir, seul un prince pourrait arrêter ce barnum rock'n'roll, c'est raté, Cedrick Adava pense que le Prince Albert doit sa couronne au fait qu'il a trouvé le moyen de faire deux fois pire qu'eux tous réunis. Alors il tente de faire pareil : à la guitare d'abord. Il ne se débrouille pas mal du tout, ce qui a le don d'énerver Virgile, qui piqué par la tarentule fraternelle de l'émulation, au bout du quatrième morceau, se défait de son cache-poussière, mais ne s'arrête pas en si bon chemin, il l'arrache, non il lacère carrément sa chemise et la jette à terre pour la piétiner rageusement. Un mec pas soigneux. Je n'aimerais pas voir l'état de sa chambre. Par contre, question riff, l'est mortel, difficile de savoir comment il fait, mêmes les filles qui voudraient s'attarder sur son torse dénudé, ne peuvent détacher leur regards de sa main droite. L'agite si violemment, qu'elle vous obnubile le nombril. Vous avez peur pour lui, sa menotte mignonnette, elle a toutes les chances de se détacher et d'aller voler dans l'air avant de retomber dans une flaque de sang. Ben, non elle tient bien, l'est même devenue autonome, frappée par un parkinson démoniaque, une nouvelle maladie, la tremblante tumultueuse du mouton enragé ou l'épilepsie convulsive de la vache folle. Faudra qu'un vétérinaire se penche sur ce phénomène clinique. En tout cas, question rock c'est radical, ça vous allume le feu au plancher et au plafond en même temps. Ce Virgile là, son passage préféré c'est plutôt le saccage de Troie du chant VI de l'Enéide que la première églogue des Bucoliques. Rien de tel que la fureur sacrée de la poésie pour donner de l'énergie aux copains. Du coup Cedrick vous pète deux cordes en même temps, les princes se doivent d'être fastueux et dispendieux, pas de problème, l'a prévu l'a une seconde machine de guerre prête, toute noire comme vos ires perdues. Mais ce n'est pas tout, assume tous les attributs de sa charge, notamment du chant. En français pour que personne ne fasse semblant de ne pas avoir compris. L'a des paroles qui tuent et des mots qui trouent, vous les assène sans distinction un peu comme la vérole se jetait sur le bas-clergé au moyen-âge. Descend de la scène pour porter le message au peuple attroupé au bas de l'estrade, l'aime le contact, fusionnel, rebondit comme une balle de squash sur les uns et les autres et revient finalement nous avertir de l'imminence des mutations catastrophiques qui s'apprêtent à fondre sur nous. Mais les gens sont sottement imprévoyants, au lieu de fondre en larmes, ils s'esbaudissent de joie, trépignent, se bousculent, se perdent dans un immense tohu-bohu. Dernier morceau, ils arrêtent, mais la foule se mue en bête féroce, ce sera rappel ou révolution. On a eu le rappel, cette fois on a été sages, qu'ils s'en souviennent quand ils repasseront par la Comedia. Le peuple a faim de rock'n'roll. Et le Prince Albert se devra de continuer à nourrir les fauves.

     

    PROMESSE

    Très bonne soirée. Comme on les aime. Des jeunes pousses et de solides gaillards qui n'en sont pas à leurs premiers méfaits. La semaine prochaine, la kronic de leurs CDs. Je sais, l'on vous gâte. Profitez-en bientôt les vacances d'été, et vous serez privés de vos livraisons hebdromadaires. Cela vous apprendra à vivre.

    Damie Chad.

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    le service secret du rock'n'roll

    SAISON 2 : LE DOSSIER A

    z7820molossa.jpg

    Les gens s'imaginent que le SSR sauve le monde au moins deux fois par jour. Ne soyons pas faussement modestes, cela nous arrive quelquefois, mais parfois nous tombons sur des affaires des plus intrigantes qui échappent à toute logique humaine. Pour vous le prouver et satisfaire votre insatiable curiosité, voici spécialement déclassifiés pour les kr'tntreaders, les documents relatifs à une des plus mystérieuses énigmes qui s'offrit à nous. Voici donc, tiré des archives secrètes du SSR, le Dossier A. Retranscrit in extenso, est-il besoin de le préciser.

    UNE MATINEE DE RÊVE

    Nous avions ouvert les deux fenêtres du bureau en grand. Une douceur printanière avait envahi la pièce. Molossa lapait à petits coups de langues son bol matinal de jack, le Chef savourait un Coronado, aucune affaire en vue depuis trois jours, calme plat, je ne pus m'empêcher d'en faire la remarque au Chef perdu dans ses pensées :

    '' Agent Chad, il ne faut jurer de rien. Je suis d'accord avec vous la journée qui se profile semble promise à demeurer paisible, toutefois une chose m'inquiète, un presque rien, je ne dis pas un je ne sais quoi, parce que justement je sais. Pas grand-chose, mais il est des sensations qui ne sauraient tromper un fumeur de Coronado. Avez-vous remarqué que malgré le calme de la journée la fumée quand elle se sépare de son clair brasier de feu avant de monter droit vers le plafond exécute une espèce de légère demi-volte sur sa gauche, via sinistra auraient dit les Romains, et puis cette sensation accessible à un seul amateur distingué, le cigare semble, ô imperceptiblement, coller aux doigts, ce sont-là des signes inquiétants. J'ai remarqué que souvent, lors de telles coïncidences, les évènements tournent à l'aigre...''

    Sur ce le Chef ferma les yeux et replongea dans un rêve intérieur digne des grands félins asiatiques... Deux heures plus tard le téléphone sonnait. Je décrochai.

    '' Allo, ici le brigadier Dupont du Commissariat, l'on vous envoie une voiture avec cinq gaziers qui nous racontent une drôle d'histoire à dormir debout, on n'y comprend rien, en plus le temps nous manque, il est déjà dix heures et nous sommes en retard pour préparer l'anisette de midi, donc ils sont chez vous dans cinq minutes.

      • Mais enfin Brigadier nous sommes les Services Secrets du Rock'n'roll, nous ne traitons que des affaires ayant trait au rock'n'roll !

      • C'est bien ce que je disais, ces cinq jeunes ils ont formé un groupe de rock !

    UN DRÔLE DE RECIT

    Il nous fallut plus de cinq heures pour remettre les faits dans l'ordre. Les gamins n'arrêtaient pas de se couper et d'embrouiller la chronologie des faits. Nous l'avons difficilement remise en ordre :

    Baptiste : c'est à cause de Noémie que l'on a formé le groupe. J'avais emprunté son cahier de textes, la plus belle fille du collège, la plus bêcheuse aussi, elle ne nous adressait jamais la parole, j'ai compris pourquoi en ouvrant le cahier, à chaque page elle avait collé des photos de groupes de rock...

    Lionel : du coup on a décidé de former un groupe de rock !

    Hector : on a commencé petit, en rock on n'y connaissait rien, on n'avait même pas d'instrument, mais tous les matins à la récré de dix heures et demie, l'on a tenu une réunion secrète dans un coin reculé de la cour.

    Hugo : c'est le troisième matin que s'est radinée Alma. L'on aurait préféré Noémie mais enfin c'était une fille !

    Baptiste : peuh, une sixième, nous on était en troisième, petite malingre, pas très jolie, on l'aurait bien renvoyée...

    Gérard : mais au bout de dix minutes elle avait cité dix noms de groupes que l'on ne connaissait pas, et le soir quand on a vérifié l'a bien fallu reconnaître qu'elle en connaissait un max !

    Lionel : bref elle s'est accrochée, elle était à toutes nos réunions et lorsque l'on a trouvé un local de répète, elle n'a jamais sauté une répétition, toujours là et elle avait l'oreille.

    Hector : quand on est passé en seconde, elle est passée en cinquième mais le collège et le lycée étant le même établissement, l'on a continué à se voir aux récrés et aux répètes.

    Baptiste : ensuite Hugo est tombé amoureux d'elle !

    Hugo : n'importe quoi, c'est avec moi qu'est sortie Noémie, pas avec toi !

    Tous les autres : arrête ! Tu allais chercher Alma chez elle et tu la ramenais le soir !

    Hugo : justement, c'est là où les ennuis commencent !

    Tous les autres : n'importe quoi, tu es simplement vexé parce que tu ne la vois plus ! Et tu en fais un tel problème que tu nous as forcés à te suivre au Commissariat.

    Bref, ils commencèrent à se disputer, se traiter de tous les noms, s'insulter et pour finir ils décrétèrent  arrêter le groupe. Split en direct ! Et ils s'en furent chacun de leurs côtés, les yeux étincelants de colère.

    Ils sont jeunes, conclut le Chef. Nous n'y pensions plus mais trois jours plus tard Hugo sonnait à la porte du Service.

    PRECISIONS HUGOLIENNES

    '' Je suis venu pour vous dire que premièrement je ne suis pas amoureux d'Alma, deuxièmement que je suis inquiet. Elle a disparu. Depuis trois mois. Du jour au lendemain. Les autres s'en foutent mais moi je trouve ça étrange.

      • Tu peux nous donner son adresse ?

      • Oui 15 rue Lakanal, au douzième étage. Je l'ai raccompagnée plusieurs fois par semaine chez elle et de même j'allais la chercher pratiquement tous les matins durant trois ans. Je montais les escaliers, tapais à la porte du logement 121, la porte s'ouvrait aussitôt et elle sortait.

      • Et ses parents ne disaient rien !

      • Je ne les ai jamais vus, ni de près, ni de loin. Au retour c'était pareil, elle tapait, l'on débloquait le verrou de l'autre côté, et elle rentrait. Par l'embrasure je n'ai jamais vu quelqu'un.

      • Et alors ?

      • Un jour, j'ai frappé, personne n'est sorti, on ne l'a plus jamais revue, j'ai continué tous les jours, j'y vais encore de temps en temps. Le groupe a commencé à se désagréger...

      • A cause d'elle ?

      • Non, des divergences musicales... De toutes les manières mon père est muté dans le Sud, l'on part dans trois jours, mais je tenais à  signaler cette disparition... Les autres disent qu'elle a déménagé puisque sur la boîte à lettres 121 dans le Hall, l'inscription M. et Mme Leduc et leur fille Alma a disparu du jour au lendemain. Mais moi il y a un truc qui me gêne.''

    UNE ENQUÊTE SURPRENANTE

    Nous nous sommes partagés le travail avec le Chef. S'est rendu au Collège, l'a été reçu par le principal. L'en est revenu étonné. Aucune Alma Leduc n'a été scolarisée dans cet établissement. Il a eu accès à tous les fichiers informatiques. Il a interrogé les surveillants et les professeurs, et certains élèves. Personne n'a jamais entendu parler d'Alma Leduc. Rien aucun souvenir, aucune trace...

    Je suis monté au douzième étage du 15 rue Lakanal, j'ai frappé à la porte, rien, pas un bruit. Personne. Molossa n'a manifesté aucun intérêt. J'ai trouvé la société de location de l'immeuble. Le directeur m'a appris que l'appartement 121 avait été acheté par l'ambassade du Mali. J'ai obtenu un rendez-vous avec l'ambassadeur du Mali, lui et son chef de service m'ont appris que l'appartement était inoccupé depuis cinq ans. M'ont prêté les clefs de l'appart. Je l'ai visité. Bien défraîchi, une grosse couche de poussière sur le plancher. Molossa n'a même pas pris la peine de flairer partout. J'ai ramené les clefs et puis plus rien.

    Nous avons tourné et retourné le problème dans notre tête. Le Chef a contacté bien des services d'Etat. Tout cela n'a rien donné. Tous les membres du groupe ont été surveillés à leur insu. Rien d'anormal dans leur comportement. Les rapports se sont accumulés, tous aussi décevants les uns que les autres. Et puis nous sommes passés à autre chose. Nous avons oublié.

    Trois ans se sont écoulés. Je n'y pensais plus lorsque le hasard m'a fait passer par la rue Lakanal. Je ne sais pas ce qui m'a pris, j'ai garé la teuf-teuf et je suis monté jusqu'à l'appartement 121 du douzième étage. Molossa très intéressée s'est approchée de la porte et a remué la queue. J'ai frappé. J'ai entendu un déclic à l'intérieur, la porte s'est entrouverte et refermée, Alma était sur le palier. Un peu malingre, pas vraiment jolie, mais une réelle présence.

    Voilà, c'est tout. Enquête terminée.

    Damie Chad.

    Photo : agente Pat Grand )

  • CHRONIQUES DE POURPRE 379 : KR'TNT ! 399 : RACHID TAHA / MARTY BALIN / OVEREND WATTS / LEON RUSSEL / TONY MARLOW / ALICIA FIORUCCI / GREIL MARCUS / JOHN KINC

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 399

    A ROCKLIT PRODUCTIOn

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    27 / 12 / 2018

     

    RACHID TAHA / MARTY BALIN /

    OVEREND WATTS / LEON RUSSEL

    TONY MARLOW / ALICIA FIORUCCI

    GREIL MARCUS / JOHN KING

     

    Taha pas de pot, Balin pas de bol

    z5770rachid.gif

    On allait quand même pas finir l’année sans dire adieu à Rachid Taha, l’une des stars de ce qu’il faut bien appeler le rock méditerranéen. Il vient de partir au casse-pipe. Ce fantastique petit bonhomme aura su rocker bien des salles au cours de sa courte vie, et il n’était pas rare, au temps des grands shows de l’Élysée Montmartre, de le voir finir son set au sol, vidé, rincé, aussi lessivé qu’on peut l’être quand on a jeté tout son être dans la bataille. Rachid Taha était une bête de scène, au même titre qu’Iggy Pop ou Lux Interior et quand le bouzouki attaquait «Bent Sahra», alors tout explosait, les tambours du désert battaient la mesure, une houle soulevait le public, on vibrait tous au beat des tambours berbères, on s’offrait au vent du désert, ce souffle nous ramenait aux origines de la vie, aux origines du rock, car c’est bien de cela dont il s’agissait. Il n’existait rien de plus primitif, au sens sacré du terme et quand les filles chantaient par dessus le beat des tambours, alors Rachid et son groupe atteignaient les limbes du génie. Comme dans une espèce de grand raccourci, l’évidence flashait le lien direct entre l’état primitif et l’accomplissement du génie. C’est là où se situait Rachid Taha et il ne fallait surtout pas s’étonner de voir des sommités comme Steve Hillage et Eno l’accompagner sur scène. «Ya Rayah» sonnait aussi comme un chant de ralliement, sa prodigieuse beauté mélodique remontait à la nuit des temps, le groupe dégageait ces parfums d’Arabie qui firent jadis rêver les aventuriers, massive extase d’élan sublime, tu y aurais dansé jusqu’au bout de la nuit célinienne, cette musique dégageait quelque chose d’à la fois victorieux et de très humble, un mélange que tu ne trouveras évidemment pas dans le rock, car cette musicalité existait bien avant l’Occident. D’où sa grandeur séculaire. D’où les ondes tutélaires. Rachid Taha tirait toute sa force de l’Afrique, celle qui fit tant peur aux blancs, à cause de son animalité. Mais ce que les blancs colonialistes n’avaient pas compris, c’est que cette musique était joyeuse, bien au-delà de toute expectative. Cette musique était tout simplement à l’image de la vie, colorée, sexuelle, libre et sacrée. Rachid Taha dansait avec la vie plutôt que de danser avec les loups, il se comportait sur scène comme un amuseur de foire, du type de ceux qu’on croise sur le marché aux chameaux de Ouarzazate, et soudain, des clameurs antiques entraient dans ce tourbillon de vie. On croyait entendre sonner les trompettes des armées de l’antiquité, des clameurs d’écrasante supériorité jaillissaient au loin comme portées par l’écho du temps, cet expressionnisme musical semblait ouvrir une porte sur la démesure du désert. Diable, comme ces clameurs pouvaient être capiteuses. Elles foulaient les frontières dessinées par des géographes ignorants et repoussaient les colonnes infernales de l’envahisseur. Avec deux fois rien, c’est-à-dire des instruments berbères, Rachid Taha parvenait à fabriquer du Technicolor pour chasser les ombres. Il mêlait sa fabuleuse énergie aux chœurs de femmes et aux nappes de violons, son exotisme coupait le souffle par la seule vertu de sa beauté canonique. Rachid Taha chantait comme un prince mauresque, avec une grandeur sauvage qui échappait à la compréhension de l’occidental, il s’inspirait de la beauté des songes, il puisait dans l’entre-deux mondes scintillant d’une culture infiniment plus raffinée que la nôtre. Et tellement plus musicale que ne le fut jamais celle des autres coins du monde. Ces gens avaient le beat du désert et des montagnes dans le sang. L’origine de toute vie.

    En réinventant la grandeur du souffle des tribus, Rachid Taha atteignait à une sorte d’universalisme, le même que celui de Monk, le même que celui de Jimmy Webb, le même que celui d’Erik Satie. Avec seulement un tambour berbère et un bouzouki, il élevait l’art au degré supérieur. Il fallait voir à quel point il aimait la vie. Il en faisait une profession de foi. Dans ces beaux albums que sont Diwan et Tékitoi, des clameurs fantasmagoriques remontaient du passé. Certains cuts relevaient de la puissance fondamentale, de la vraie profondeur de ton. Rachid Taha nous parlait d’éternité féerique. Il tournoyait au son des instruments d’un dieu miséricordieux. Il nous emmenait sur les marchés, dans les villages pour y entendre cette musique qui fascina tant Paul Bowles et Brian Jones.

    z57t1balin.gif

    Quant à Marty Balin, c’est une autre histoire. Celle d’un loser complet. Il vient en plus de casser sa pipe en bois, quinze jours après Rachid Taha. Le Jefferson Airplane ? Oui, c’est son groupe, il composait et chantait en lead, mais ça n’a pas duré longtemps. Le temps de deux albums, Takes Off et Surrealistic Pillow.

    Takes Off décolle en 1966. Les morceaux sont pour la plupart un peu faiblards. Heureusement Jack Casady s’en vient fracasser «Run Around» au bassmatic. Le seul autre intérêt de l’album, c’est le jeu de batterie de Skip Spence qui allait quitter le groupe pour fonder Moby Grape. Avec la faiblesse des morceaux, l’autre gros défaut de l’album est le mix : la pauvre Jorma Kaukonen est mixé très loin derrière. Il fut vraiment gentil d’accepter un tel traitement. L’Airplane parvient à passer aux choses sérieuses avec «Chauffeur Blues». On a là un heavy boogie blues monté sur un beat assez dément. Pauvre Marty, le premier album de son groupe avait des faux airs de pétard mouillé.

    Surrealistic Pillow sort en 1967. Cet album est aujourd’hui encore considéré comme un classique du rock californien. Grace Slick vient tout juste d’arriver dans le groupe. Elle amène «Somebody To Love» qui sonne comme une embellie. La chose est travaillée à la planance latérale. Marty et Paul Kantner viennent épauler Grace dans les refrains. On sent chez elle la poigne d’une femme ferme. Elle ne lâche pas prise. Derrière, ça joue à la vie à la mort. Jack Casady bassmatique comme un démon dans le fond du studio. Son drive sonne comme un pouls. Avec l’excellent «3/5 Of A Mile In 10 Seconds» que compose Marty, l’Airplane passe au pur garage californien. Spencer Dryden qui a remplacé Skip Spence bat ça si sec. L’Airplane s’énerve. Ça lui va bien. Marty, Grace et Paul Kantner chantent à l’unisson du saucisson révolutionnaire. Ça nous donne ce Frisco sound, clair et limpide, qui va devenir leur marque. Avec «Embryonic Journey», Jorma tape dans le dur du blues. C’est à cette occasion que le monde découvre un virtuose hallucinant, l’un des plus grands guitaristes américains. Grace compose un autre hit, le fameux «White Rabbit» qui se veut psyché en diable. Elle monte en première ligne, redescend les marches de la cave puis remonte déployer ses ailes. On pourrait qualifier «White Rabbit» de garage psyché évolutif avec un faux-air de marche militaire. Sacrée Grace, elle peut monter toujours plus haut dans les altitudes. Elle restera pour beaucoup la passionaria du Frisco Sound. Puis Marty nous sort de sa manche l’ultra-classique «Plastic Fantastic Lover», the real deal, du pur jus de Frisco band, comme dirait Mike Wilhelm. C’est puissant car suivi au riff par Jorma et joué en sourdine par Jack.

    Mais la fête ne dure pas longtemps, car sur le troisième album, After Bathing At Baxter’s, Marty se met en retrait et ne co-écrit qu’un seul titre, l’ineffable «Young Girl Sunday Blues» monté sur un groove impeccable. Il ne composera plus rien pour l’Airplane et se limitera à chanter en chœur et à rester dans l’ombre. Grace Slick et Paul Kantner ont pris le pouvoir dans le groupe. D’ailleurs, Marty ne s’entendait pas très bien avec Grace Slick. Il régnait entre eux une sorte de tension. Dans ses mémoires parues en 1999 (Somebody To Love. A Rock’n’Roll Memoir), Grace Slick avoue avoir baisé tous les mecs de l’Airplane sauf Marty, un Marty qui disait-il n’aurait jamais accepté de dormir avec elle, même si elle avait insisté.

    L’autre épisode qui illustre bien la carrière de ce loser patenté est Monterey Pop, le film de DA Pennebaker : on y voit Grace Slick mimer les paroles de «Surrealistic Pillow». En réalité, c’est Marty qui chante, mais on ne le voit pas à l’écran - I was really hurt. I was young and was like awwwwwww - Marty vécut l’épisode très mal. Le pire est à venir avec Altamont, le concert gratuit organisé par les Stones en 1969 : c’est Marty qui prend un tas dans le gueule sur scène en voulant tenir tête aux Hells Angels chargés de la «sécurité». Bahhhm ! En pleine gueule. K.O direct. Au tapis. Des choses comme ça n’arrivent qu’à Marty. Ça ne serait jamais arrivé à Keef, par exemple. Le pire est que Marty s’appelait Buchenwald à l’état civil. Avec un blaze comme celui-là, c’était foutu d’avance. Mais «Plastic Fantastic Lover» va rester accroché au firmament du rock américain.

    Signé : Cazengler, complètement tahé et pas très balin

    Rachid Taha. Disparu le 12 septembre 2018

    Marty Balin. Disparu le 27 septembre 2018

     

    Overend is over - Part Three

     

    Même si vous prenez soin d’éviter les disques des charognards, dans le cas d’Overend Watts, vous allez être obligé de faire une exception. Angel Air sort un excellent album posthume intitulé He’s Real Gone, ce qui ne manque pas d’humour. On sent le répondant dès le morceau titre, mais c’est avec «The Dinosaw Market» que ça explose. Overend joue tous les instruments sur cet album, il programme, alors forcément, le son peut paraître spécial, mais il a autant d’idées qu’en 1972. Il chante son cut en cockney. C’est d’une classe pour le moins effarante. On souhaite ça à tous les débutants. Il profite de l’occasion pour s’y tailler un passage au solo trash. Voilà, c’est tout lui. Il tape un «He’d Be A Diamond» digne du Bevis Frond, il joue à la fantastique attaque de pop-rock, but he wants to let you know. Il joue ça à la régalade épouvantable, il pulse dans le giron du grand rock anglais. Il ramène les grosses guitares de proto-punk dans «Belle Of The Boot» - Every sunday morning - Superbe, violent, bien envoyé - She’s a belle of the boot - Overend sait composer des hits d’une rare puissance. Et il nous refait le coup du départ en solo trash. Puis il se déguise en géant de la power pop pour «Endless Night». Ce démon est parfaitement à l’aise, il nous sort l’un des meilleurs crus de power pop qui soit ici bas. Il le distille avec un art consommé. Overend reste frais et vivace comme une carpe. Il gratte son «Magic Garden» au banjo. Le héron et le king fisher sont ses seules compagnies. Étonnant mélange des genres. Il tape un vieux groove à l’Anglaise avec «Rise Up». Il l’allume au refrain, c’est de bonne guerre, après tout, et il libère un bouquet de chant et d’harmonies à la Beach Boys. Attention, ce disk est une œuvre d’art, car voilà qu’avec «Search», il fait du John Lennon. Avec «The Legend Of Redmire Pool», il s’inscrit dans la veine Cockney Rebels qu’il affectionnait tant au temps de Mott et des British Lions. Il évoque Mad Shadows et stompe joliment sa proggy motion. En fait, Pete Overend Watts est aussi passionnant que John Entwistle : leurs albums sont des mines d’or à ciel ouvert. Il tape «Prawn Fire On Uncle Sheep Funnel» à la slide de Camaret et en soi, c’est assez admirable. Il se lance dans la petite prog de basse terre, mais on lui donne l’absolution. Il file droit sur le couchant, le théâtral, le petit gothique de back street, comme sur le dernier album de Mott. Dans «Miss Kingston», il tape dans la nostalgie, avec autant de brio que Nikki Sudden dans «Green Shield Stamps» - I used to go shopping at the high street/ The prices were the best - Il chante la nostalgie du temps d’avant, comme jadis Mouloudji et d’autres poètes chantaient le Paris de leur jeunesse. Tout ce qu’Overend fait touche une corde sensible, notamment dans la région de l’affect. Et tous les fans d’Overend vont ADORER le petit cadeau d’Angel Air : la démo de «Born Late ‘58». Il s’agit là de l’un des hits fondamentaux du mythe Mott. Buffin le bat au drumbeat de démon et Watts le cisaille au riffing londonien. Il chante mieux que l’Hunter, il shoote son leader et son see her. Overend Watts est l’âme de Mott, de la même façon que Plonk Lane était l’âme des Small Faces, puis des Faces. Overend part en killer solo, une vraie expédition punitive ! Morgan pianote dans son coin. Ils font Mott à tous les trois. Voilà la morale de cette histoire. Quelle démo ! Elle sonne comme une preuve par 9. Overend Watts est le riffeur supremo de toute cette histoire. Que de jus, Jim !

    Signé : Cazengler, Overond comme une pelle

    Overend Watts. He’s Real Gone. Angel Air 2017

    z5772disc overerd.jpg

     

    Russell et poivre - Part Two

    z5768leonrussel.gif

    Comme dans le cas d’Overend Watts, on va faire exception à une règle voulant qu’on ne touche pas aux disks des charognards : cette fois, il s’agit de l’album posthume de Leon Russell, On A Distant Shore. Impossible d’ignorer une telle merveille. Comme dans les cas de David Crosby, de Johnny Cash ou de Ray Davies, ces vieux de la vieille s’améliorent à l’approche de la mort. Tonton Leon s’est fait la cerise, mais il avait eu le temps d’enregistrer cet ultime chef-d’œuvre. Et ça prend une ampleur irréelle dès le morceau titre, orchestré aux trompettes de la renommée. Tonton Leon groove comme un dieu. Pas la peine d’aller perdre ton temps à écouter les chanteurs à la mode, écoute le vieux ! Il connaît tous les secrets, comme Fred Neil et Jimmy Webb, il sait comment on décolle pour aller flotter dans l’azur prométhéen, il sait fabriquer de la magie. Cette chanson est le message d’un homme arrivé au paradis avant sa mort. Il a même l’air de nous dire qu’on ira tous au paradis. Il faut l’entendre crooner «Here Without You», il règne sur la terre comme au ciel. Voilà Tonton Leon dans toute sa splendeur magnanime. Il tape à la suite dans son vieux hit, «The Masquerade», il sort le Grand jeu daumalien, il fait dans l’océanique et s’étend à perte de vue, l’orchestration en dit long sur sa grandeur d’âme, c’est tout simplement à tomber de sa chaise. Il swingue le bien-être de profundis, à l’élégance d’Oscar Wilde. «Love This Way» vaut aussi le déplacement, Tonton Leon y va tranquillement, il tire les oreilles de ses mots, il reprend tout à zéro, comme s’il en avait encore le temps, mais la seule chose qui l’intéresse, au terme d’une vie si bien remplie, c’est le grand art, l’alchimie sonique, alors il swingue comme un vieux pirate et donne une belle leçon de maintien tardif. Une petite leçon de boogie ? Alors écoute «Black And Blue», Tonton Leon s’y remet sur son trente-et-un, il y sort son plus beau shuffle et chante au guttural. Un nommé Ray Goren y joue un solo d’antho à Toto. Plus Tonton Leon vieillit et plus il devient nègre et il reprend ses prérogatives de vieux desperado ookie avec «Just Leaves And Grass». Il chante de toutes ses forces à l’admirabilité des choses de la vie et de la mort. Il développe là toute sa puissance séculaire et devient spectaculaire, au moins autant que Johnny Cash dans The Man Comes Around. Pour l’occasion, Tonton Leon sort un son muddy et ultra orchestré. Il n’en finit plus d’étaler son règne comme du beurre sur la miche, puisqu’il enchaîne avec «On The Waterfront» qui sonne comme une mission divine. Oui, cette chanson relève de la beauté pure. Le problème est que tout est très beau sur cet album. Ce polisson de Tonton Leon passe au mambo de casino avec «Easy To Love». On sent que cet homme a toujours été là, dans l’ombre du rock américain. Sans doute est-ce à force de côtoyer les géants qu’il est lui-même devenu un géant, on est obligé de raisonner ainsi en l’écoutant. Il se situe au firmament d’un son, il se montre digne de Louis Armstrong et de Cole Porter. Il reste dans l’élégance suprême avec «Hummingbird» et va plus sur le music-hall. Les trompettes de la renommée sont de retour. On sent Tonton Leon intarissable, épris de beauté, haletant de jusqu’au-boutisme éthéré. On sent qu’il chante «Where Do You Come From» au dentier, mais ça sonne merveilleusement bien, sa façon de dire I just don’t know a quelque chose de profondément troublant. Il faut écouter «A Song For You» attentivement, car c’est sa dernière chanson. Après ça, tu n’auras plus que tes yeux pour pleurer. Tonton Leon aura définitivement disparu. Alors écoute-le bien temporiser ses effets, c’est Dieu qui chante comme un nègre. Avec sa barbe blanche et ses dents branlantes, il rétablit la justice sur cette terre, il recrache dans un ultime spasme gorgonien toutes les couleuvres avalées.

    Signé : Cazengler, Léon Recel

    Leon Russell. On A Distant Shore. Palmetto 2017

    z5772disrussel.jpg

    PARIS – 20 / 12 / 2018

    ATS BASTILLE

    SORTIE FULL PATCH

    TONY MARLOW / ALICIA FIORUCCI

    Z5803AFFICHE.jpg

    JEAN-WILLIAM THOURY

    Z5801FULLPATCH.jpg

    JEAN-WILLIAM THOURY

    Les kr'tntreaders vont dire : tiens, on prend les mêmes et on recommence. Certes l'on ne change pas une équipe qui gagne, mais ce n'est pas tout-à-fait la même chose. D'abord il n'y a pas les Crashbirds. Ensuite ce soir c'est Jean-William Thoury qui est à la fête. Et le monde des motards aussi. Sont venus par centaines. Le pauvre William n'a pas eu une seconde à lui. Une queue monstre devant lui. Non, demoiselles, ne vous méprenez pas. L'a dû user au moins deux stylos à dédicacer Full Patch, son dernier ouvrage. N'était pas seul, Filo Loco de Serious Publishing a passé la soirée à déchirer les enveloppes plastiques du bouquin. Je ne vous parlerai pas dans cette kronic, de Full Patch, La Bibliothèque du Motard Sauvage, il sera kroniqué dans la livraison 400 au début de janvier. Attention, 400 pages beau papier, illustrations couleur, plus de 300 livres minutieusement analysés, cinq ans de travail acharné, un monstre d'acier chromé et graisseux à vous faire offrir d'urgence, le complément indispensable à Bikers, que vous possédez déjà, sans quoi vous pouvez vous demander la raison de votre venue en cette vallée de larmes.

    Z5802WILLIAM.jpg

    Le local plein comme un œuf dur avec mayonnaise injectée à l'intérieur, pour une fois vous reconnaissez plein de monde à côté des Harley Davidson exposées... Très parisien aussi, rien à voir avec les clubs des fin-fonds perdus des campagnes briardes, dans lesquels nous vous emmenons parfois, moins de sophistication, davantage d'authenticité...

    SET ONE WITH GREGOIRE

    Quelques notes s'échappent de la guitare de Tony et Fred file de temps en temps un coup sur un tom, l'on n'attend pas Godot, mais Amine. Pris dans un embouteillage monstre à l'entrée de la capitale. Pas très grave, l'attention est focalisée sur les bières généreusement offertes et Jean-William Thoury, sans parler des discussions sur le large trottoir du boulevard. Mais le rock se sert chaud et brûlant, Grégoire des Jones est réquisitionné par Tony, pas de contrebasse pour ce premier set, mais une fender électrique.

    z5796trosgrégoire.jpg

    L'on démarre doucement par un blues promenade in the country, façon de se mettre à l'unisson. Et l'on plonge tout de suite dans deux classiques, rien de tel pour pousser la puissance des moteurs qu'un Say Mama – la foule qui s'égosille sans fin sur le oh-oh-oh – et un petit Sumertime Blues juste avant de plonger dans l'hiver. Tony hausse le vibrato et du doigt il vibrionne la corde du haut et vous voici empégué dans un des riffs les plus célèbres du rock, cela paraît si simple, mais le nectar d'or sonore qui en ressort demande une science propulsive des plus précises, faites confiance à Tony pour l'impact auditif.

    z5799gégoire+.jpg

    Pas de déboire avec Grégoire aussi à l'aise qu'un gilet Jones sur son giratoire, l'a la prestance rock, revêtu de la sobre élégance de la fausse simplicité du style anglais, l'est prêt à suivre Tony et Fred pour une course échevelée vers l'Ace Cafe, la guitare de Tony glisse sur des toboggans et Fred pousse la pression. L'impression que ça pulse plus vite et plus fort – même si la sage cohue devant le bureau de Jean-William assourdit un peu le son. Maintenant la voix de Tony enchaîne les titres, douce et mordante, incisive et fondante, elle sculpte le texte, l'arrondit et le brutalise, glisse un zeste d'ironie et une goutte d'arsenic, accroît à tout instant l'intelligence du propos, connaît toutes les arcanes du phrasé rock qui ajoute du son au mot et en démultiplie le sens. L'on ne s'en lasserait pas, mais en parfait gentleman Tony laisse la place à Alicia Fiorucci.

    z5797tony+fred.jpg

    ALICIA FIORUCCI

    z5805alicia.jpg

    Le retour de la diva. Froissé de cuir sur les épaules, pantalon rockabillynx, décolleté avec colombes au balcon, Alicia nous offre en sa version française un shoking all ovaire d'une sensualité affolante. Voix friponne et furibarde, c'est son corps qui chante, ses bras rampent sur sa chair comme les serpents du désir, sa main se referme sur son sein, pour que vous mieux pensiez – comme dans le poème de Mallarmé – à l'autre, de chair nacrée, et la voix langoureuse se love dans le ricanement diabolique de Tony au micro partagé comme le fruit du péché. Sur I need a Man les doigts désignent sans complexe le nid du sexe comme le ver s'immisce dans le gouffre génital de la pomme des framboiseries fructueuses. Il faudrait un clip, mais déjà elle s'éclipse, emmenant avec elle les feux follets de vos rêves.

    z5807main.jpg

    LES PISTOLEROS

    z5804guiony.jpg

    Les filles ce n'est pas mal du tout. Mais les mecs savent y faire aussi. Moins de grâce persuasive, Tony, Fred et Grégoire l'admettent, mais comme tous les gars ils sont OK pour une bonne bagarre dans le corral, et hop en hommage à Marc Zermati présent dans la salle, nous voici dans un Western démentiel, une interprétation à la Josey Wales Hors-la-Loi, à La Horde Sauvage, nos trois pistoleros nous enrôlent sans rémission à partager toutes les infâmes exactions de la colonne infernale de Quantrill... Ce n'est pas fini, nos trois gaziers font exploser le pipe-line avec un certain Jumpin Jack Flash, l'on se serait bien défenestrer rien que pour le plaisir, mais comme nous étions au rez-de-chaussée, l'on n'a pas pu. C'eût été un super gus !

    DEUXIEME SET

    z5795fred+fred+ami,e.jpg

    Petit entracte le temps de laisser Amine installer sa big mama. De dos elle est tatouée d'auto-collants multicolores, sur le flanc droit elle porte une espèce de peace-maker électrique d'où s'échappent de nombreux fils, et de face on dirait qu'elle est en service de réanimation avec des tuyaux qui sortent de partout. En tout cas la grand-mère pète la forme, et Amine vous la talonne de près comme s'il débourrait un cheval rétif, avec Fred qui vous avalanche à tout instant an another break in lhe walll of sound, vous êtes servi. Bikers oblige, Tony entonne l'hymne de naissance sauvage transnational, et tous trois glapissent comme le loup des steppes traqué par une meute de cosaques en furie. Trop bien au zoo. Après l'animal cher à Alfred de Vigny, nous avons droit aux chats-tigres de NY, Tony et ses sbires nous offrent une version bien plus dure et exacerbée que l'originale des créateurs. Une dénonciation à la SPA s'impose, les pauvres bêtes n'avaient pas été nourries depuis au moins quinze jours. Couraient et explosaient de partout. Que voulez-vous quand les maîtres sont là, la souris chante. Vous n'attendez qu'elle.

    ALICIA FIORUCCI

    z5806méchante.jpg

    Souvent femme varie, bien fol qui s'y fie. Vous avez eu la sulfurueuse, voici l'Amazone. La guerrière impitoyable. La voluptueuse s'est transformée en tueuse. Une prédatrice. Cet air méchant sur Breathless, une condamnation à mort, ses yeux verts lancent des éclairs de haine pure. Rock is fire. Cruel et dévastateur. Un tsunami qui s'avance sur vous et qui s'apprête à détruire le monde entier. Elle s'est débarrassée de sa fine pelure de cuir, la voici bras nus d'archère et tatoués, une combattante à mains nues, son gosier recrache les boom-boom d'Imelda et de Johnny, vous tombent dessus comme l'injustice sur l'innocence, et Amine vous sort le slap de sa vie afin de se maintenir à la hauteur de cette fureur dévastatrice. I Fougth the Law et Alicia vous dresse un doigt long comme un cierge de messe noire, un doigt d'honneur vers les cieux comme si elle défiait Dieu, et l'assistance emportée par une fureur barbare l'imite, et c'est un tournoiement infini, les phalanges digitales exhaussées vers le haut, secouées avec rage, telles des paratonnerres pris de folie qui s'agiteraient pour appeler la foudre. Et la petite fille se perd dans le public, emportant avec elle le mystère de la féminité.

     

    z5805béranger2.jpg

    FIN DE PARTY

    z5794marlowtijuana.jpg

    Ne restent plus que deux livres – un pour Alicia, un pour moi - sur la table de William, z'ont éclusé la moitié du stock. Il est temps de partir. Tony nous assure que bientôt nous ne pourrons encercler de nos bras musclés cette soirée qui ne sera plus qu'un souvenir aussi fantomatique que Johnny Thunders... avant de nous quitter le band revêt les masques du serpent à plumes cher à Lawrence et nous emprisonne une dernière fois dans la magie instrumentale des fêtes de la mort et de la vie. Viva el rock'n'roll !

    Damie Chad.

     

    ( Photos : noir et blanc : FB : PHILIPPE BERANGER

    Photos couleur : FB : COSTA DAVID )

     

    GREIL MARCUS

    THREE SONGS / THREE SINGERS / THREE NATIONS

    ( Editions Allia / 2018 )

    Z5751BOOKMARCUS.jpg

    Etrange bouquin. Rêverie phantasmatique sur le rock and roll. Titre énigmatique. Ni les trois songs, ni les trois singers ne posent problèmes, par contre pour les trois nations, vous vous léverez de bonne heure, tout au plus vous en dénicherez deux dans les notes, pour la troisième je donne ma langue au chat.

    Z5752DISCDYLAN.jpg

    Ballad of Hollis Brown, vous connaissez c’est de Dylan. Vous la trouverez facilement dans n’importe quelle Fnac ( exactement là où vous ne l'achèterez pas ), vous l’aimerez - je vous fais confiance - mais pas au point de Greil Marcus, l’en est tout chamboulé, totalement traumatisé. Mais c’est le lot de tous les rockers, un morceau qui vous tombe un jour plus au moins par hasard dans l’oreille et qui prend des proportions inimaginables dans votre imaginaires. Un virus qui s’installe en vous et vous devient congénitalement idiosyncrasique. Bonjour les dégâts. Le folk a toujours existé, l’est le terreau de la musique populaire américaine. N’appartient à personne, les mélodies initiales viennent d’Angleterre, pour les paroles l’on a méchamment brodé sur les originales qui d’ailleurs étaient loin d’être fixées. Ces morceaux sont passés de bouche en bouche, chacun les arrangeant à sa manière, vous en trouverez différentes versions, l’important c’est de retenir que cette musique vient du peuple, que le folk n’a jamais séduit les classes possédantes et que sous les années noires du maccarthisme, il suffisait de chanter ces hymnes contestataires pour être inscrit dans les listes noires, interdit de radio et de concert. Politiquement le folk était marqué à gauche, l’avait accompagné les grèves et les intellectuels du Parti Communiste Américain s’en prévalaient, lui a fallu faire le gros dos, s’est fait tout petit pour laisser passer l’orage, s’est calfeutré dans les bars fréquentés par la jeunesse estudiantine, jusqu’à ce qu’au début des années soixante il connût un renouveau explosif. Bob Dylan en cause très bien dans ses Chroniques. Ne fut pas le premier, ne fut qu’un maillon de la chaîne, pendant longtemps il ne fut qu’un continuateur, les témoins de ses premières années, bien avant que la gloire ne survienne, racontent qu’il connaissait plus de trois cents morceaux traditionnels. Les rockers qui ont souvent une dent contre les folkleux préciseront qu’il assista à l’avant-dernier concert de Buddy Holly et qu’il accompagna Bobby Vee sur scène. Et puis Dylan se mit à composer ses propres chansons et parmi les toutes premières la fameuse Ballad de Hollis Brown. Une histoire simple : acculé par la misère Hollis Brown règle le problème d’une manière des plus radicales, une balle dans la tête de ses cinq enfants, une autre dans celle de sa femme et la dernière pour lui. Pas très marrant. Maximum d’effets pour un minimum d’écriture. Dylan suggère plus qu’il ne raconte. Une dénonciation de la misère qui se moque des analyses politiques. Des faits, rien que des faits. Même s’ils sont inventés, même si les journaux ont relaté quelques évènements jusqu’au-boutistes similaires. Bien sûr en plus il y a le talent et la voix de Dylan.

    Z5753DISCHOLLYBROWN.jpg

    L’écriture de Dylan par ses mutismes, ses décrochages, et ses ellipses touchent à l’intemporel. N’en traduit pas moins le bouillonnement germinal de la formation de la nation américaine déjà à l’œuvre dans les Feuillets d’herbe de walt Whitman. Ce qui importe le plus à Greil Marcus c’est qu’avec ce morceau Dylan atteint la force des vieux morceaux du répertoire folk. Se lance dans une étude des plus poussées des lyrics. N’est pas pour rien un professeur d’université, cela sent un peu le cours de fac.

    z5757disgeeshee.jpg

    Mais ce n’est rien comparé à sa présentation de Last Kind Words Blues de Geeshie Wiley. Cette dernière nettement moins célèbre que Dylan. L’a repéré le morceau sur une compilation de 1994. Les deux demoiselles car elle est accompagnée à la guitare par Elvie Thomas ont disparu. Six faces enregistrées pour Paramount et puis bye-bye…

    Z5754GEESHE.jpg

    Les amateurs et les musicologues n’ont pas trouvé grand-chose, quelques dates et une photographie probable des jeunes femmes liées par des amours lesbiennes. Mais il reste ce morceau : Last Kind Words Blues, un titre étrange, difficile à saisir, certes les grésillements des trois exemplaires originaux retrouvés mais surtout cette façon noire de prononcer les words qui parfois peuvent être entendus de différentes manières. A tel point que l’histoire racontée est des plus incertaines. Ce qui est sûr c’est que la dame a tué son amant. S’adresse à lui, le rejoint-elle dans la mort, ou se contente-t-elle de le héler depuis l’autre rive, ce qui est certain c’est qu’il y a comme une indétermination que l’on pourrait qualifier de métaphysique entre les morts et les vivants.

    Z5755ELVIETHOMAS.jpg

     ( Elvie Thomas )

    Depuis sa réédition le morceau est régulièrement repris, mais le fantôme de Geeshie Wiley ne cesse de hanter Greil Marcus, met le morceau en relation avec Stagger Lee et Frankie and Johnny, deux traditionnels fondés sur des assassinats véridiques à la New Orléans à la fin du dix-neuvième siècle, et puis il se lâche, nous offre une biograpphie imaginaire de Geeshie lui faisant rencontrer Elvis Presley et Jimi Hendrix. Pas de quoi s’alarmer, le Woodoo blues nous a tous rendus un jour ou l’autre maboul.

    z5758lamar.jpg

    Dernier volet du triptyque : I Whish I was a Mole in the Ground un traditionnel enregistré en 1928 par Bascom Lamar Lunsford. Un chanteur dont l’historiographie' né en 1882, mort en 1973, peut vous révéler l’historialité de sa traçabilité en toute quiétude. Apparemment une scie, une chanson idiote, qui ressemble un peu à une comptine enfantine. Que ne feriez-vous pas si vous étiez une taupe ! Dans la chanson vous renverseriez une montagne, puis le sens se perd en une évocation grivoise et celle d’un cheminot brutal… que comprendre : qu’avec un peu plus d’argent dans votre poche votre petite amie n’aurait pas eu besoin de se prostituer à un cheminot pour acquérir le châle que vous vous n’avez pas pu lui offrir, ah si vous aviez pu être un lézard au printemps.

    z5759lamar.jpg

    La chanson n’a cessé d’être reprise. Les paroles se prêtent à toute forme d’adaptation, chacun s’en sert pour exprimer ses critiques ou ses attaques envers la société qui l’entoure, Marcus nous en cite quelques unes, mais préfère s’attarder sur les différentes interprétations données au cours du siècle dernier, l’arrive même à trouver un indice qui prove qu’elle date au moins du temps de la révolution ( américaine ), mais cette partie est moins réussie que les que les deux précédentes, le morceau ne possède pas la force évocatoire des deux précédents. L’ouvrage n’excède pas les cent cinquante pages, bourrées de références qui proposent autant de solution qu’elles multiplient les interrogations. A lire absolument pour tous les chercheurs et amoureux des origines et de l’histoire de la musique populaire américaine. La deuxième partie est une des plus belles méditations poétiques sur l’essence du blues que je n’ai jamais lue.

    z5760lamarvieux.JPG

    Damie Chad.

    P.S. : Vous reparlerai de Geeshie Wiley et d'Elvie Thomas d'ici peu.

     

    ENGLAND AWAY

    JOHN KING

    ( Au Diable Vauvert / 2016 )

    z5761bookfrench.jpg

    Une mission salutaire : enlever la merde qui vous encombre. Je ne parle point de celle qui s’empile à satiété dans votre intestin et qui se précipite quotidiennement toute seule vers votre sortie anale. Non mais celle que vous malaxez et tripatouillez à pleines mains dans vos méninges. Salutaire entreprise de salubrité publique dont se charge John King dans cet England Away.

    Troisième fois que nous chroniquons cet auteur dans Kr’tnt, et pourtant à part une dizaine de noms de groupes ( Oïl, Skin, Punk ) cités dans le bouquin la moisson rock and roll est des plus maigres. Pour ne pas dire inexistante. Disons une musique de fond, que l’on n’entend pas, car trop de bruit par-devant et par-dedans. Tout se passe à l’intérieur, mais attention les amateurs des analyses introspectives seront déçus. John King nous conte ce qui se passe dans la tête des hooligans britanniques. Des concepts d’une simplicité absolue, biture, baston, baise, ballfoot. Le dernier de ces quatre mousquetaires joue d’ailleurs un peu l’arlésienne, le football est le grand absent de cette partie carrée tumultueuse, le livre s’achève avant que la partie ne commence. L’important est ailleurs.

    z5762englishbook.jpg

    Un livre d’action, qui répond à une question essentielle : pourquoi les couches populaires sont-elles attirées par les valeurs politiques conservatrices ? Prenez le cas des hooligans, de prime abord l’on aurait tendance à classer ces jeunes prolétaires, qui n’hésitent pas à affronter les forces de l’ordre et qui cassent avec délectation les vitrines des commerces, un peu à droite des black blocks, mais pas très loin, ne leur manquerait qu’un peu de finesse politique qui leur permettrait de ne pas perdre leur temps et leur énergie à se cogner lors des rencontres sportives avec les supporters de l’équipe qui se mesure avec celle de leur club. Retour de la balle à l’envoyeur, l’extrême-gauche les considère avec commisération, les traite ( au mieux ) de crypto-fachistes, et s’en tient au vieux schéma marxiste qui opère une subtile mais efficiente division entre le prolétariat conscient de la lutte des classes et le lumpen-prolétariat colérique et infantile, manipulable à souhait…

    John King n’évoque même pas une seconde cette vue de l’esprit. Se livre à une radioscopie des cerveaux du hooligan moyen. Nous voici embarqués sur le ferry avec lequel nous traverserons la Manche. Nous sommes en partance, via les Pays-bas, vers Berlin, où doit se dérouler le match Angleterre-Allemagne. En compagnie d’un groupe de copains décidés à profiter un maximum de cette ballade sur le Continent. Ne sont pas seuls, deux à trois mille congénères convergent vers le lieu des festivités. L’heure est grave, l’honneur de l’Angleterre est en jeu, les dissensions et les vieilles haines entre les clubs n’existent plus, union ( jack ) sacrée. Ne partent pas pour applaudir sagement sur les gradins mais pour prouver à l’Europe entière que l’Angleterre ne s’en laissera pas conter, et que personne ne pourra entraver leur marche victorieuse vers le stade, ni la police, ni leurs homologues allemands, qui les attendent de pied ferme. Une question de fierté nationale.

    z5763bookengland.jpg

    Nationalisme, le grand mot est lâché. Une véritable boule puante, inutile de se voiler la face. Hitler s’est lui aussi réclamé de cette doctrine, et ce voyage en Allemagne est pour nos jeunes anglais, et encore plus pour John King, l’occasion de mettre les points sur le i, de clarifier les choses, de séparer le bon grain de l’ivraie. Nos héros ne sont pas des enfants de chœur, imbibés de bière à longueur de journée, guettant la moindre occasion de se vider les couilles pour pas cher, prêts à vous filer un coup de boule à la moindre embrouille, mais il ne faut jamais s’attarder aux apparences et se méfier de juger la vague de fond à l’écume bouillonnante que sa crête arbore.

    Ne s’agit pas de vider l’abcès mais d’en explorer les tréfonds. Ni de traiter les hooligans d’idiots utiles, voire de compagnons de route de tous les gouvernements conservateurs et libéraux du Royaume-Uni. Ne sont pas dupes, possèdent non pas tant une analyse mais plutôt une expérience qui vient de loin. L’existe plusieurs générations de hooligans. Par le jeu des fréquentation de pub nous remontons jusqu’au début du siècle. Jusqu’en 1914 s’il vous faut une date écrite au feutre rouge-sang pour mieux comprendre. L’horreur des tranchées ce ne sont pas les classes possédantes pénardos dans les états-majors qui se les sont fadées. Mais les ouvriers et les paysans qui se sont fait massacrer pour des enjeux qui ne les concernaient guère. Ne se sont pas défilés, z’ont fait le sale boulot, z’en ont pris plein la tronche pour pas un penny, et paix revenue z’ont encore morflé, les gosses sans père, qui se sont construits leurs modèles paternels de substitution, les oncles réchappés du massacre qui n‘en parlent pas, mais qui n’en portent pas moins des stigmates qui se transmettent intuitivement, liens de classe et de sang. English blood. N’en ont pas pour autant été gâtés, l’Histoire leur réserva le gros lot, les cinquante-cinq millions de morts de la deuxième guerre mondiale. Z’ont remis le couvert. Dunkerque, l’Angleterre seule face à l’Allemagne, la bataille d’Angleterre, Proud English Blood, le débarquement, la marche vers la Germanie, violence des combats, la mort, le sang, les blessures physiques et celles plus graves dans la tête, l’ennemi à qui l’on a explosé le crâne alors qu’on aurait dû le faire prisonnier, les classes possédantes s’adjugent la victoire et les anciens soldats aux pensions sans cesse diminuées gardent leurs traumatismes et leurs remords… Un seul réconfort, z’ont accompli le job, z’ont sauvé la nation… Pour la toute dernière génération c’est encore pire, en Afghanistan ils ont bombardé des villages, tué des centaines de gens, de loin, de haut, combat déloyal qui de retour à la maison se termine souvent par le suicide, la honte de ne pas avoir combattu l’ennemi à visage découvert, d’avoir été engagés dans un conflit qui ne les concernait en rien, et ces innocents écrasés sous les bombardements, rien à voir avec la lutte contre les affreux nazis et leurs camps de concentration où périrent des milliers de femmes et d’enfants… Une limite que le prolo anglais de base s’abstiendra toujours de franchir. L’on se tape allègrement, pour un oui, pour un non, entre mecs, mais l’on ne lève pas la main sur les vieux, ni sur les gosses, ni sur les meufs.

    z5764troslivres.jpg

    Ne sont pourtant pas des féministes convaincus. Sexistes, phallocrates, machistes, tout ce que vous voulez. Chacun à sa place. A chacun son dû. Quand les occases se font rares, l’on se rabat sur les prostituées. Sans états d’âme. Mais sans mépris. Dans la jungle pourrie de la société capitaliste exploitatrice les filles ne peuvent offrir que ce qu’elles ont. Pour beaucoup leur cul. Pas plus déshonorant que de bosser à l’usine. Une manière de survivre comme une autre. Certaines y trouvent leurs comptes, elles envoient du fric à la famille restée en Thaïlhande, ne se plaignent pas, à l’aune de leurs pays leur sort est enviable… Faut savoir serrer les dents sur la bite qui s’installe dans votre bouche. Tout est question de dignité.

    Enoncé comme cela, l’on en pleurerait. Dans la réalité ils sont les dindons de la farce à laquelle ils sont mangés. Votent pour le redressement moral tatchérien, et Maggie s’empresse d’offrir le pays aux gros capitalos. Tout est à vendre, prenez ce que vous voulez, le bas-peuple paiera l’addition. Se font avoir à tous les coups, la haine du communisme les empêche de réfléchir. N’aiment pas les nazis mais nos sympathiques héros se laissent embringuer par un groupe d‘extrême-droite pour casser du gaucho, du bolcho, et de l’anarcho dans Berlin-Est de l’Allemagne réunifiée. Abandonneront le coup foireux au dernier moment, en un ultime sursaut de lucidité…

    z5765hooligans.jpg

    Happy end, nos hooligans chéris viendront à bout de leurs homologues teutons et échapperont aux manœuvres de la police, tout est bien qui finit bien, le match peut commencer, ils ont déjà gagné la partie. Un livre empli de bruit et de fureur, d’alcool et de sexe - blood, sweat and no tears - John King n’a pas son pareil pour vous immiscer dans la tête de ses personnages, le livre passe sans arrêt de la troisième à la première personne, très berkeleyen, le monde n’existe pas en dehors de ma propre représentation, vous ingurgitez plus de bière que votre capacité stomacale vous le permet, vous dégueulez un peu partout dans les coins de pages, un peu d’air frais et un petit baston vous remettent sur pied et c’est reparti, comme en quatorze, pour des réflexions philosophico-sentimentalistes, l’expression d’une espèce de sagesse cynique et écœurée, l’énonciation souveraine d’un stoïcisme du pauvre, eux qui se prélassent dans leur révolte rentrée tels des pourceaux jouissifs d‘Epicure, autour d’une pinte de blonde bien fraîche ou d‘une ale bien raide, la belle vie quoi. Dès la première page vous êtes emporté en un tourbillon dantesque, John King vous dresse un portrait de la l’Angleterre contemporaine au vitriol. Tout juste s’il ne nous présente pas les hooligans britanniques comme les derniers chevaliers de l’Europe au bord de l’effondrement.

    Mais à y réfléchir nos preux de la dernière heure sont davantage les victimes que les pourfendeurs d’un système contre lequel ils s’arqueboutent en un dernier sursaut de fierté et d’orgueil mal dirigés… Essaient de survivre et d’éviter les têtes rampantes de l’hydre mais ne tentent rien pour trancher le monstre au ras du cou.

    Damie Chad.