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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 99

  • CHRONIQUES DE POURPRE 252 : KR'TNT ! 372 : CYRIL JORDAN / MAID OF ACE / ROSEDALE / RHINO'S REVENGE / MILES DAVIS

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 372

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    04 / 05 / 2018

    CYRIL JORDAN / MAID OF ACE /

    ROSEDALE / RHINO'S REVENGE

    MILES DAVIS

     Monsieur Jordan - Part Three

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    Back to 1971 avec l’ineffable Monsieur Jordan & the San Francisco Beat. C’est l’année où la radio américaine entre dans son déclin d’AM/FM et où les grands groupes américains entrent dans l’underground : le MC5 lâché par Atlantic, les Stooges par Elektra et les Groovies disent bye-bye à Kama-Sutra. C’est aussi l’année où Cyril Jordan engage un guitariste nommé James Farrell et un chanteur nommé Chris Wilson.

    Quand il apprend que Chris Wilson quitte Loose Gravel pour rentrer à Boston, Cyril l’interpelle :

    — Hey Chris, tu veux chanter dans les Groovies ?

    — Ooh yes Cyril !

    Et pouf, Chris s’installe chez Cyril, at mom’s house ! Aux yeux de Cyril, Chris was a natural-born rocker - Boy what a great time we had ! - Les nouveaux Groovies commencent à jouer en public, mais à cette époque dans la Bay Area, on préférait le rock psychédélique et on huait le vieux rock’n’roll. Cyril décide alors de changer le nom du groupe. Ce sera les Dogs - because we were treated like dogs ! - C’est là qu’ils pondent le fameux «Dog Meat». Puis ils reviennent à la raison et redeviennent les Groovies.

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    Ça tombe bien, car Andrew Lauder de United Artists London répond à la lettre que George Alexander lui a envoyée pour lui signaler que les Groovies étaient libres. Rendez-vous sur Sunset Boulevard avec un ponte nommé Marty Cerf. Mais Cyril peine à trouver une place pour garer sa VW dans le quartier et il arrive avec dix minutes de retard. Cerf le jette. Heureusement, Andrew Lauder vient à sa rescousse et décide de prendre les Groovies sous son aile, c’est-à-dire United Artists London. Shebam ! Cyril saute de joie et se dépêche de composer des hits avec Chris Wilson. Et pow, ils pondent «Shake Some Action». Cyril donne du sens à ses paroles - I will find a way/ To get to you some day - Il veut dire qu’il va trouver le moyen d’entrer à nouveau en contact avec les gens qui aiment le rock ! Grâce à Andrew Lauder, ça redevenait possible de really shaker some action.

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    Alors les Groovies débarquent à Londres en 1972. Ils achètent leur gear sur Denmark Street et vont au bout de King’s Road se fringuer chez Granny Takes A Trip. Cyril devient pote avec les deux Américains qui tiennent la boutique et il chope l’info : dans la cave se trouve un carton avec des pompes faites sur mesure pour Brian Jones. Wizzz ! Cyril fond sur le carton comme l’aigle sur la belette - The hippest gear ever made - Ha ! Il va aussi chez McLaren round the corner. Sa boutique s’appelle encore Let It Rock. Chez Granny, c’est pour les Mods et chez Mal, c’est pour les Teds. Bam-balam ! Cyril devient pote avec Mal et il adore son juke-box - Mal turned me on to some kool sounds like «Wouldn’t You Know» by the great Billy Lee Riley, «Take And Give» by Slim Rhodes, Rocking In The Graveyard» by Jackie Morningstar, «The Shape I’m In» by Johnny Restivo (who lost James Burton to Ricky Nelson).

    Bon les fringues, c’est bien gentil, mais maintenant, il faut enregistrer un disque ! Les Groovies passent donc aux choses sérieuses avec le trip à Monmouth, au Pays de Galles, là où se trouve le fameux studio Rockfield de Dave Edmunds. Ils descendent en train jusqu’à Newport. Kingsley Ward vient les chercher à la gare. Il conduit a fuckin’ little Hillman station wagon. Il faut quatre voyages pour trimballer tous les gros amplis Orange et le drum-kit achetés à Denmark Street. Avec Dave Edmunds, les Groovies enregistrent la crème de la crème du gratin dauphinois : «Shake Some Action», «You Tore Me Down» composé sur le pouce, «A Shot Of Rhythm & Blues» d’Arthur Alexander, «Tallahassie Lassie» et l’infernal «Married Woman» de Frankie Lee Sims. Cyril raconte que le blues authority Mike Leadbitter aurait déclaré que «Married Woman» était the best blues recording by a white group that he’s ever heard. Ils enregistrent et mixent cinq hits planétaires en huit heures. Ils rajoutent vite fait une version de «Slow Death» qu’ils n’avaient pas encore pu mettre en boîte. Ces enregistrements se trouvent sur les deux mythiques singles United Artists parus en 1972 : «Married Woman/Get A Shot Of Rhythm And Blues» et «Slow Death/Tallahassie Lassie». Mais la BBC interdit «Slow Death» qui est pourtant une chanson anti-drogue. Blop ! C’est cuit aux patates. Cyril voulait commencer par sortir «You Tore Me down», mais Andrew Lauder a préféré «Slow Death». Tout s’écroule. C’est aussi con que ça. Cyril dit que c’est la faute d’Andrew Lauder. Il découvrent aussi que les gens de United Artists ne pigent rien à rien - They didn’t know what the fuck they were doing - C’est d’autant plus tragique que Derek Taylor d’Apple Records voulait rencontrer les Groovies, mais Cyril se sentait moralement engagé avec Andrew Lauder et il ne pouvait donc pas entrer en contact avec un autre label. Chez lui, ça ne se fait pas.

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    Bon alors ? Andrew Lauder ne se formalise pas. Let’s keep going ! Et il envoie les Groovies tourner dans tout le Royaume-Uni et en France. Justement, ils tournent en France en 1972 avec les Gorillas de Jesse Hector - They were wild boys and had haicuts and muttonchops that made their heads look like heads of gorillas - Tout va bien jusqu’au fameux concert du Mans - The Gorillas were a loud band. Loud like the Frost from Ann Arbor, Michigan - Pow ! Le courant saute. Black-out total dans tout le quartier ! Les flics ! Riot in the riettes !

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    Pendant ce long séjour à Londres, Cyril rencontre dans la rue Vivian Prince, le batteur fou des Pretty Things. Il fait de lui un portrait très affectueux et note que Dick Taylor jouait sur une Harmony Meteor guitar, celle qu’avait Keith Richards en 64.

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    Cyril évoque aussi le concert du MC5 au Speakeasy, le club le plus branché de Londres. Cyril reconnaît George Harrison dans le public mais il est trop timide pour aller lui parler. Début du concert. Biff ! Bang ! Pow ! La salle est trop petite pour un groupe aussi puissant que le MC5 - They were too loud for the place - Une semaine plus tard, le MC5 débarque dans la maison où sont installés les Groovies, à Chingford. Et puis voilà qu’à 4 h du main, Rob Tyner demande à Cyril de lui appeler un taxi. Wiz ! Rob disparaît. Un quart d’heure plus tard, Wayne Kramer demande à Cyril s’il a vu Rob.

    — Oh Rob just left in a cab !

    — Ohhh nooo !

    That was that. Terminé pour le MC5 - The breakup of the MC5 had occured at four in the morning at our house in Chingford. What a terrible loss to American music !

    Le MC5 finit pourtant sa tournée anglaise sans Rob. Cyril les voit sur scène quelques jours plus tard et ils s’en sortent plutôt bien - Strange, Rob wasn’t really missed. They sounded that good - Alors si ça n’est pas un hommage, qu’est-ce donc Dick ?

    Cyril évoque aussi le souvenir d’un groupe nommé Mr Moses Scholl Band - A freaky union of souls, punks on the backline, and an ex-British Army sergeant with Victorian muttonchops as lead singer - le chanteur a vingt ans de plus que les autres - A fuckin’ weirdo this chap - Et puis Cyril finit par se dire qu’il en a marre de ses conneries et lui met du poil à gratter dans sa veste d’uniforme rouge. Pow ! Quelle rigolade !

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    Cyril rencontre aussi deux girls qui font partie d’un groupe nommé American Spring. Elles reprennent des vieux hits pop comme «Mama Said» des Shirelles, «Sheila» de Tommy Roe et «Peggy Sue». Cyril découvre que Marilyn n’est autre que Mrs Brian Wilson et Diane sa sister. Alors pas touche. What a flash ! À ce moment-là, les Beach Boys sont en Hollande pour enregistrer Holland avec Ricky Fataar et Blondie Chaplin que Cyril connaît bien, puisqu’il avait été les chercher à LAX, à la demande de Brian. Et c’est là que germe une idée géniale dans le cerveau bouillonnant de notre héros : enregistrer à Rockfield avec Brian Wilson et Dave Edmunds. Il en parle à Andrew Lauder qui trouve l’idée intéressante, mais pas à Dave Edmunds à qui il veut réserver la surprise.

    Mais tout cela ne débouche sur rien. Une année entière en Angleterre et seulement deux singles parus ! Ha ! What a no-gas !

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    En 1973, les Groovies rentrent au bercail - the Groovie were in a rut - Ils cherchent un batteur et un nouveau label - Don’t ask me why we kept going - Cyril avoue que ça devenait un style de vie. Il commence par recruter un nouveau batteur, David Wright et lui dit d’écouter la batterie sur trois albums : Meet The Beatles, le premier LP des Stones et le premier LP des Kinks. Puis il réussit à décrocher un rendez-vous chez Capitol. Avec Terry Rae des Hollywood Stars et George Alexander, il enregistre une nouvelle démo de «Shake Some Action».

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    Cyril est marrant quand il resitue le contexte historique d’une époque. Il se sert de la radio pour évoquer l’an 1973 : «The British radio charts were alive with groups like Slade, T. Rex, Gary Glitter, Dave Edmunds, David Bowie et Elton John. USA AM radio charts were dead with Tony Orlando, Roberta Flack, Carly Simon and let’s not forget Kiki Wyonna ! That’s a joke, son.» Il raconte que les groupes qui savaient jouer comme les Byrds had gone underground. Il va plus loin en affirmant qu’après la fin des Beatles, America stopped listening to English music.

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    En 1974, Cyril rencontre un autre dingue, Greg Shaw. Shebam ! Ils passent la nuit à écouter des 45 tours. Greg venait de démarrer son label et il voulait les Groovies. Les démos enregistrées chez Dave Edmunds le faisaient baver. Il décida de commencer par sortir «You Tore Me Down» puis d’enregistrer la fameuse cover de «Him Or Me» au Studio Alambic de San Francisco, là où fut enregistré Flamingo. Les Groovies n’avaient plus rien sorti depuis le single «Married Woman» édité par United Artists en 1972 - Thanks to Greg, this had now happened - Puis tout s’accéléra quand on proposa à Greg le poste de vice-président chez Sire, le label de Seymour Stein et Richard Gottehrer. Stein commença par flasher sur «Tore Me Down» et quand il entendit Shake, il tomba de sa chaise. Boum ! S’ensuivit une audition et comme Cyril n’avait pas de nouvelles chansons, il proposa de jouer «Please Please Me» des Beatles. Pif paf ! En plein dans le mille !

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    Cyril revient longuement sur l’empire de la médiocrité qui s’étend à la surface de la terre : « The new so-called artists and trends that they have shoved down our troats are pretty hard to swallow for those of us who aren’t flat head. But there seems to be enough of them around these days so most of this bilge floats to the surface like scum. The incompetence that passes for talent never ceases to amaze me.» (Si tous ces soit-disant artistes et tendances qu’on essaie de nous faire avaler ne passent pas, c’est parce qu’on n’est pas des beaufs. Mais il y en a de plus en plus, ils flottent à la surface comme des étrons. Ça m’épate de voir qu’on tente de faire passer toute cette médiocrité pour du talent).

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    C’est donc Seymour Stein qui en 1976 va relancer la carrière des Groovies avec l’album Shake Some Action. Cyril rend un flamin’ hommage à Stein qui à l’époque signe les Ramones, Richard Hell et les Pretenders - Excellence instead of incompetence - Cyril va loin puisqu’il affirme que Stein a sauvé le rock dans les années 70, et sans Stein, pas de Shake Some Action. Les Groovies s’installent à New York et comme tant d’autres, Cyril découvre les charmes du CBGB : la bonne odeur de bière et de dog shit. Le chien s’appelle Jonathan et il chie partout dans le club. Wouah ! Puis vient l’heure de retourner chez Dave Edmunds pour enregistrer Shake Some Action, l’album que le monde entier attend. Et pour aller jouer en Europe, Cyril propose à Stein d’emmener ses label mates, les Ramones.

    C’est donc grâce à Cyril que l’Angleterre passe au punk.

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    Signé : Cazengler, Flamine de rien du tout

     

    Ugly Things #41 - Spring 2016

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    Ugly Things #42 - Summer 2016

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    Ugly Things #43 - Winter 2016/2017

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    Ugly Things #44 - Spring 2017

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    13 / 04 / 2018CHÂTEAU-THIERRY

    LE BACCHUS

    MAID OF ACE

    Pour conjurer le sort du vendredi 13, quoi de mieux que d’aller à Château-Thierry dans l’antre où la divinité du vin délivre toutes ses saveurs ? Destination pub le Bacchus en territoire axonais. Mais pourquoi donc, me direz-vous ? Non pour aller voir Jason Vorhees se faire découper en morceaux mais pour s’en prendre plein les esgourdes grâce aux anglaises de Maid of Ace. Ce groupe composé uniquement de filles qui en ont s’est formé à Hastings en 2004 et a deux albums à son actif. Autant vous dire tout de suite qu’elles ne font pas dans la dentelle mais cisaillent l’environnement sonore tel Chuck Yeager à bord de son Bell X-1. Habituées à délivrer leurs brûlots punk rock hautement énervés d’un seul coup, elles doivent s’adapter au lieu en scindant leur show en deux parties. Qu’à cela ne tienne, ça ne remet pas en cause leur pouvoir à faire pogoter les personnes venues assister à cette messe dynamitée. Sur cette tournée, Dora Sandoval du groupe US, A Pretty Mess, remplace leur bassiste Amy. Ah...j’oubliais, les Maid Of Ace sont en fait la sororité Elliott composée d’Alison (chant/guitare), Abby (batterie) et Anna (guitare/choeurs). Eh oui, on fait du punk en famille du côté du pays de God Save the Queen. Elles passent en revue leurs compositions « Minimum Wage » , « Disaster Noise », « Stay  away » etc… le tout avec une hargne, une fougue que beaucoup de groupes mâles pourraient leurs envier! Elles dégainent les riffs tels des boulets de canons haute volée et ne sont pas sans rappeler les Runaways ou L7, le côté nerveux en plus. Ce n’est pas pour rien que les Maid of Ace font la première partie de The Exploited pour certaines dates durant cette tournée car une grosse louche hardcore est ajoutée à leur univers. Les dates s’échelonnent de Kingston au festival Punk & Disorderly à Berlin. Elles en veulent et le font savoir. Leurs chansons sont efficaces : c’est franc, direct, ça ne tergiverse pas trois plombes et c’est ça qui est bon. Pas de fioritures, on est dans le vrai, l’authentique, l’urgence et tout le packaging percutant. Elles maîtrisent bien leurs instruments, mention spéciale à la batteuse, et occupent la scène avec brio. En une heure la mission est accomplie de fort belle manière puisqu’à la fin du show, le public en sueur se presse au stand de merchandising. Si j’ai un conseil à vous donner, ressortez vos Doc Marten’s et suivez de près ce groupe car, à mon avis, on n’a pas fini d’en entendre parler !

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    Alicia FIORUCCI

     

    26 / 04 / 2018PARIS

    LA BOULE NOIRE

    ROSEDALE / RHINO' S REVENGE

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    En avril ne te découvre pas d’un fil ! Ce dicton fit choux blanc le jeudi 26 à la Boule Noire (Paris). En effet, le chauffage marchait bien pour le plateau Rosedale et Rhino’s Revenge. Démarrage de la soirée à 20h tapantes avec les français de Rosedale. D’emblée, nous voilà plongés dans l’univers rock blues à voix féminine. Cette formation n’est pas sans rappeler le duo Joe Bonamassa et Beth Hart . En effet, Amandyn Rose a une tessiture vocale proche de celle de la chanteuse US, dont elle est bien évidemment fan. Quant à Charlie Fabert il dispose d’une dextérité guitaristique semblable à celle du tenancier du manche du combo Black Country Communion. Ce quatuor à la solide section rythmique composée de Philippe Sissler à la basse et de Denis Palatin à la batterie nous emmène vers les sons chauds provenus d’Amérique, la patrie du blues. Charlie a gagné en assurance scénique depuis l’époque où il était le poulain de Fred Chapellier. D’ailleurs, il personnalise beaucoup plus son jeu qu’avant avec fougue donnant un vent de fraîcheur au genre. L’élève aurait-il dépassé le maître ? That is the question, vous avez 2 heures ! Enfin bref, retour sur les planches, les français passent en revue les titres de leur album «  Long Way to Go » sorti en 2017, mais aussi des reprises dont celle de Ike et Tina Turner « Nutbush City Limits » autant dire qu’Amandyn se défend très bien dans la peau de la Queen of Rock N Roll ! Denis Palatin à droit à son moment de défoulement grâce à un solo affûté avec une frappe sèche, directe et élaborée, nous voilà rhabillés pour l’hiver ! Après 45 minutes Rosedale laisse la place aux anglais de Rhino’s Revenge sous les applaudissements du public.

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    Changement de plateau, le temps d’aller au bar pour se prendre une pinte puis, sans crier gare, voilà sur scène ce power trio venu d’outre Manche nous assenant un son à décalquer les sonotones avec « One Note Blues ». Dès les premiers accords, nous voici collés au plafond et c’est ça qui est bon. Le rhinocéros a décidé de sortir l’artillerie lourde et on ne va pas s’en plaindre. Faut quand même que je vous dise que nous avons le bassiste de Status Quo devant nous, John Edwards, ce qui n’est pas rien. Il est accompagné par deux compères du feu de dieu, Craig Joiner (de Romeo’s Daughter) à la guitare et Richard Newman (fils du célèbre batteur Tony Newman) derrière les fûts. Le mammifère à corne ne va pas s’arrêter en si bon chemin, mieux, il ne fait que commencer sa course effrénée. En effet, aucun temps mort dans ce show d’une puissance sans faille. Rhino’s Revenge n’est pas du tout une pâle copie du Quo mais a vraiment son empreinte sonore. En effet, si vous vous attendiez à entendre« In the Army Now » c’est rapé puisqu’ils vont interpréter des compositions de leur cuvée comme « Secretary », « Busy Doing Nothing », « Jungle Love » etc.

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    Ça claque comme il se doit ! Ce qui fait vraiment plaisir à voir, c’est le pied qu’ils prennent à délivrer leurs missives auditives. On est dans l’authentique esprit du rock n roll voire pub rock/punk puisque par endroit leurs brûlots résonnent comme du Eddie & The Hot Rods ou Doctor Feelgood. C’est vraiment la classe ! De plus, sans en faire des tonnes, ils démontrent un savoir-faire et une maîtrise dont les anglais ont le secret. L’assemblée est conquise, saute, danse, s’extériorise corporellement, headbangue, même ceux qui ont perdu leurs cheveux se prennent au jeu…Après 1h40 de concert et une reprise d’enfer de « Born to be Wild », le rhinocéros finit sa course sous une ovation des plus chaleureuses. Le temps au trio d’essuyer sa sueur et hop, le voici derrière le stand de merchandising pour s’adonner aux joies des photos souvenir et des échanges avec les fans.

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    Petite précision et non des moindres, une partie de la recette va à l’association « Save the Rhino International » comme quoi, les rockeurs ont du coeur. En tout cas, une revanche de haute volée sur le monde impitoyable du rock !

    Alicia FIORUCCI

    ( Photos : Alicia Fiorucci / Bruno Quofrance )

     

    MILES L’AUTOBIOGRAPHIE

    ( avec Quincy Troupe )

    ( Presses de la Renaissance / 1990 )

     

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    C’est mon arme secrète de rocker. Quand je tombe sur un jazzeux qui commence à me prendre la tête sur ma musique primaire, j’ai ma botte de Nevers, la ressors au dernier moment quand il entreprend de mal parler de Vince Taylor, plouf entre les deux yeux, z’au moment où il ne s’y attend pas, tiens toi qui aimes le jazz, j’ai vu Miles Davis en concert, du coup le gars il me mangerait dans la main, mais je suis bon prince, devant ses yeux larmoyants et quémandeurs en attente de révélation, je donne les détails, et le gars reconnaissant à jamais me quitte comme s’il avait vu le porteur du Graal. Tout juste s’il ne me couche pas sur son testament. Jouait bien le Miles, mais pas beaucoup, c’était quelques années avant sa mort, un peu à bout de souffle, soufflait peu mais bien. Laissait l’orchestre faire le boulot, mais dès qu’il embouchait le clairon ça s’insinuait en vous comme la lèpre et le choléra. Juste pour vous dire combien c’était bon, une note bleue ravageuse.

    La même impression dès la première ligne du prologue. Nécessaire cette intro, parce que le Miles depuis tout petit il déroge à la lettre. N’est pas né pauvre et misérable, comme tout nègre qui se respecte, but a golden lovin’ spoonfull in the mouth, fils d’un dentiste, noir mais riche. Bourgeoisie noire. Consciente de ses racines. Et qui n’a rien oublié. Ni pardonné. Une mère qui descend de Nat Turner - le meneur de la première révolte noire armée - et un père doté d’une personnalité orgueilleuse. L’en héritera. Et surtout très compréhensif. Laissera son fils partir à New York, lui enverra du fric régulièrement, même lorsqu’il quittera l’école. Pour jouer en free lance. Tout en exigeant de lui qu’il ne soit pas un suiveur, un imitateur, mais pleinement lui-même.

    Le genre de doux diktat qui ne pouvait que plaire à Miles. Car le Miles n’est pas un adepte du doute. Ne croit qu’en une chose, en lui-même. Raconte son addiction à la trompette, comprend très vite qu’il lui reste un sacré boulot, qu’il est loin du compte, que le fossé à combler est un véritable gouffre, même pas peur le Miles, passe les étapes une par une, tout en remarquant qu’à chaque fois il s’en sort haut la main, l’élève a atteint le niveau du maître qu’il s’était donné et maintenant il faut qu’il s’en trouve d’autres qui aient quelques petites choses de plus difficiles à lui apprendre.

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    Vise haut. Dizzie Gillepsie et Charlie Parker, pas plus ( n’existe pas ), ni moins ( ne mange pas de ce pain-là ). Officiellement l’arrive à New York en septembre 1944 pour suivre les cours de la prestigieuse Julliard School, Dans sa tête un seul but : trouver le Bird. Plus difficile qu’il ne le croyait. Invisible dans les clubs, si par hasard il se pose sans préavis dans l’un d’entre eux, le lendemain soir quand il court à sa rencontre, l’insaisissable volatile s’est envolé. En attendant Miles est toujours prêt à remplacer la première trompette défaillante, à taper le bœuf dès qu’on le lui demande. Ne s’en tire pas mal, et même plutôt bien. L’apprend beaucoup, les accords un peu trop complexes il commence à les comprendre en les développant au piano. N’est pas un benêt bleu non plus, à Saint-Louis il a déjà joué dans l’orchestre d’Eddie Randle ce qui lui a permis de côtoyer le deuxième cercle du milieu jazzistique, l’a même eu une proposition ( ses parents refuseront ) de tournée avec Tiny Bradshaw - l’on retrouve son nom dans toutes les histoires qui s’intéressent aux origines du rock and roll - mais la grande claque sera la rencontre avec Charlie Parker.

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    Un Charlie difficile à vivre - sexe, dope, et jazz - partout et tout le temps. Se fait sucer par des putains blanches dans les taxis tout en mangeant du poulet et en discutant avec les copains, tout ce qu’il faut pour apprendre la vie à un jeune homme un peu idéaliste. Maqué et père de famille de surcroît ! Oui mais le Bird qui ne voit jamais plus loin que le fric de sa dose, sur scène l’est un brûlot incomparable, ceux qui l’accompagnent en oublient de jouer à leur tour, et le public en redemande. Si difficile à gérer que Dizzie s’en éloignera. Les nuits de Miles sont chaudes, et les journées à la Julliard deviennent pesantes. Ce n’est pas que les profs soient totalement nuls, c’est que blancs ils ne comprennent rien à l’âme noire, le Miles ne crache pas dessus, regarde avec intérêt les partitions des musiciens classiques, mais rien de ce qui est enseigné ne l’aide dans sa démarche personnelle, dans son rapport intime avec la musique. C’est que quand la veille vous avez reçu une standing ovation pour le chorus que Charlie Parker vous a laissé prendre, le cours théorique du lendemain matin paraît un peu fade… L’on peut juger du chemin parcouru en une seule année, c’est à l’automne 1945 que Parker demande à Miles de se joindre en tant que trompette à sa formation. Comme dirait Rimbaud la vraie vie commence.

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    Fait maintenant partie de l’orchestre de Charlie Parker avec Thelonious Monk, et Dizzie Gillepsie ils enregistrent un disque et filent en Californie. L’expérience se révèlera décevante, le Be Bop y est encore pratiquement inconnu, les clubs sont rares et peu accueillants. Le Bird ne fait rien pour arranger les choses, l’est vêtu comme un clochard, ne fait pas d’efforts particuliers sur scène, avale des bouteilles de whisky et de vin bon marché l’une après l’autre pour pallier l’héroïne dont il essaie de se désaliéner. Finit par être enfermé à l’asile où il subit des électrochocs Pendant ces mois d’inaction Miles matraque le bœuf avec tous ceux qu‘il rencontre, joue avec Coleman Hawkins et Charlie Mingus qu’il juge en avance sur son temps. Pour gagner de l’argent il travaille dans l’orchestre de Billy Ecskine qui tient à tout prix à le garder mais en 1947 il retourne à Saint Louis retrouver sa femme qui lui a donné un garçon qu’il n’a encore jamais vu. Ces deux années sont initiatiques, il touche à l’héroïne et la cocaïne qui lui refilent une super-énergie, accepte pour la première fois de l’argent d’une femme blanche et trompe sa régulière avec la chanteuse Ann Baker. Enfin détail non négligeable, il est conscient d’être à deux doigts de posséder un son bien à lui qui sera sa signature identificatrice dans l’histoire du jazz. Il n’a que vingt-et-un ans.

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    Retour à New York, les clubs les plus prestigieux s’alignent les uns à côté des autres dans la 52° Rue, au bout de quinze jours Miles quitte Dizzie pour le Bird de retour lui aussi, phénix renaissant, plus oiseau de feu que jamais. Miles parle davantage de Parker que de lui-même, de sa manière de se lancer dans des soli acrobatiquement arithmétiques, de retomber toujours sur la mesure au millième de quart de note précise, ne donne aucune indication, Max Roach à la batterie tente ( et réussit ) tout ce qu’il peut pour tomber juste et Miles comprend qu’il ne faut pas attendre mais réfléchir posément, Parker pose des énigmes, à vous de les résoudre avant d’être surpris par leur conclusion. Le jazz est une musique intellectuelle. L’on peut tout jouer, c’est très simple il suffit de trouver la solution. Elle existe obligatoirement. Bird n’explique pas. Il rayonne. Avec Bud Powell qui remplace Duke Jordan au piano, Bird enregistre Charlie Parker All Stars, sur lequel Miles place son premier thème Donna Lee. Miles est doublement satisfait, l’est convaincu qu’il a dépassé quelques anciennes influences et qu’il a atteint le même délié, la même fluidité que Lester Young… Miles enregistre enfin son premier disque sous son nom Miles Davis All Stars avec Parker et Roach…

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    1948 sera l’année des ruptures. Avec le Bird, de plus en plus cabochard, de moins en moins contrôlable, et qui garde tout le fric pour lui. Ne pense plus aux copains, fait le rigolo devant les blancs… excédés Max Roach et Miles finissent par le quitter. Les divergences sont peut-être plus profondes Miles fonde son nonnette pour enregistrer Birth of the Cool. Le titre est à lui-tout seul un oriflamme. Convoquez neuf musiciens il en est toujours deux ou trois qui ne répondent pas à l’appel. Beaucoup d’appelés et beaucoup d’élus, même des musiciens blancs… Ce qui plaira aux critiques blancs. Musique lente, plus fluide, qui se peut fredonner, très éloignée de l’aridité algébrique du Be Bop. Miles est convoité, même par Duke Ellington, mais il voyage en solitaire. Le voici pour quelques concerts à Paris, s’y sent bien, si bien que Kenny Clarkevenu avec lui refusera de rentrer au pays, Miles repart malgré l’amour qu’il porte à Juliette Gréco. Cet arrachement il le paiera très cher, par quatre ans d’addiction dure à l’héroïne.

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    Tout fout le camp. Tous les amis musiciens de Miles sont aussi vampirisés par l’héro. Miles se fait maquereau, se fait arrêter par les flics, perd ses engagements, se sépare de sa femme, vole ses amis, la dégringolade, une seule consolation durant ses deux premières années de galère, il accompagne durant quinze jours Billie Hollyday… ironie du sort, de nombreux jazzmen blancs se font des couilles en or avec cette nouvelle musique venue d’ailleurs; le cool jazz…

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    Essaiera de décrocher à plusieurs reprises avec l’aide de son père… enregistre quelques disques avec Sonny Rollins et le Bird, pour Prestige et Blue Note, chaque fois qu’il remonte la pente, l’est le premier à tout faire foirer, jusqu’au jour où il finit après huit jours d’abstinence totale, seul enfermé dans une chambre comme une dinde dans un frigidaire par se débarrasser de sa terrible accoutumance. L’était temps, il y avait ce Chet Baker qui était devenu le chouchou de la presse spécialisée. Certes il jouait bien - un jeu très inspiré d’un certain Miles Davis - un blanc, un suiveur, pas un créateur. Ce terme réservé aux noirs. Ce qui ne l’empêche pas de se lancer dans d’interminables disputes avec Charlie Mingus qui hait systématiquement tous les blancs…

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    Miles signe un contrat d’exclusivité avec Prestige. Il enregistre régulièrement, mais l’essentiel est ailleurs. Il se reconstruit dans sa tête. Avec des hauts et des bas. Un peu de dope encore, mais pas la submersion. Sugar Ray Robinson est devenu son modèle. Se met à la boxe, un art de haute précision qui n’est pas sans accointances avec le jazz. Miles se durcit, devient méfiant, se comporte comme un mac lorsque Juliette Gréco le retrouve à New York… musicalement il commence à entrevoir ce qu’il veut vraiment, retrouve sa maîtrise d’avant la drogue et subit l’influence d’Ahmad Jamal dont le jeu et la musique l’aident à éclaircir, à débroussailler son flow, à le laisser couler d’autant plus sereinement qu’il a éliminé ses propres obstacles… Passage de témoin, le Bird clamse, standing ovation pour Miles au Newport Festival de jazz de 1955. Les critiques blancs deviennent louangeurs. Donnent l’impression de le découvrir lui qui est dans le métier depuis dix ans… John Coltrane opère le bon choix, quitte Jimmy Smith et son orgue pour jouer aux côtés de Miles.

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    Super appart, belles copines, le succès est là, Miles dicte ses conditions aux patrons des boîtes, enregistre chez Columbia, l’est maintenant dans le plus fort du Maim Stream. L’a voulu, ne le regrette pas, garde la tête froide, refuse d’être dupe, Les salles sont pleines, l’argent coule, la dope aussi, Coltrane et Joe Phyllie le batteur sont au cœur de la tourmente. Miles plus que jamais rebel, hip and cool est obligé de les renvoyer mais Trane fait cold turkey et revient en grande forme. Nous sommes en 1958, le grand jeu peut commencer.

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    Ne s’agit plus de jouer du jazz, celui qui n’est que continuation de Louis Armstrong, Duke Ellington, Lester Young et Charlie Parker, s’agit de jouer autrement, en modal dit Miles, de retrouver quelque chose de plus lointain, de dépasser les racines du blues, de se laisser inspirer par l’Afrique originelle. C’est une gageure, en deux ans Miles et son sextette n’y parviennent que cinq ou six fois, mais la formation est au top, elle enregistre en direct et très souvent elle se contente de la première prise. Ce sera le cas pour Kind of Blue, aujourd’hui considéré avec A Love Supreme de Coltrane comme le plus haut sommet du jazz, reconnu comme un chef d’œuvre absolu dès sa sortie, duquel Miles avoue ne pas être satisfait. D’ailleurs il consacre davantage de pages à la confection du suivant Sketches of Spain qui repose avant tout sur un arrangement par Gil Evans du Concerto d’Aranjuez, l’enregistrement nécessite la participation de musiciens classiques qui n’arrivent pas à comprendre les directives de Miles de ne pas jouer les notes écrites mais de les considérer comme des départs pour figurer les espaces qui les séparent. Comme chez Mallarmé les blancs sont les lieux les plus importants. Tout en reconnaissant - et en connaissant - la force des compositeurs classiques Miles règle son compte avec les musiciens classiques qu’il qualifie de robots incapables d’improviser. Ce sont dans leur immense majorité des blancs… malmené et frappé par la police alors qu’il est en train d’attendre un taxi Miles tombe de haut, s’aperçoit que quoi qu’il fasse il sera toujours un nègre. Cette injuste mésaventure accroîtra sa méfiance, son amertume et son cynisme, alors qu’il pensait que les temps étaient en train de changer…

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    Tout va bien. Trop bien. Tournées à gogo. Gagne des milliers de dollars à chaque concert. Roule en Ferrari blanche. Possède un appartement de roi. Des douleurs dans les articulations et des plus graves dans la tête. Médicaments, coke, alcool, méchante limonade. Mort de son père. Mort de sa mère. Trop pris par lui-même pour être présent à leurs derniers moments. L’on sent la dépression larvée. L’ a des musiciens de rêve Tony Williams à la battterie, Herbie Hancock au piano. Mais le jazz se déplace. La new thing apparaît, Miles n’aime guère le free-jazz, des gens - Archie Shepp, Albert Ayler, Cecil Taylor - qui ne savent pas jouer, ou qui ne connaissent qu’une seule manière, une musique non structurée. Fin 1963 il parvient enfin à mettre la main sur Wayne Shorter qu’il guignait depuis longtemps.

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    Le public décroche du jazz dès l’apparition de la free thing en 1960, et se tourne vers Little Richard, Elvis Presley, Chuck Berry, Jerry Lee Lewis, Beatles, Bob Dylan, Stevie Wonder, Supremes, James Brown, le rock sous toutes ses formes se pose en sérieux outsider. Un peu paranoïaque, Miles pense que les critiques ont intentionnellement poussé en avant le free-jazz pour que les gens se détournent de la musique populaire noire pour favoriser la blanche… l’en profite même pour critiquer l’évolution de Coltrane… N’empêche que Wayne et Tony poussent Miles au cul, certes ils structurent sec mais d’un autre côté ils vous secouent salement le panier à salade, pas absolument free, mais vous ont scié pas mal de barreaux de la cage, et puis cette manière de jouer tous ensemble en se marchant dessus, sans s’en vouloir, en toute confiance. Finis les majestueux soli en solitaire, le combo n’est plus qu’une pulsation rythmique incessante et chacun se hâte d’alimenter le foyer. Le band enregistre six albums en quatre ans, mais le public réclame les vieux morceaux de Miles… Les années soixante s’embrasent, les évènements se bousculent, émeutes de Watts, apparition des Black Panthers, amitié avec James Baldwin, Miles écoute Muddy Waters et James Brown, le son de la guitare lui semble essentiel, dans sa tête règne un peu de folie, beaucoup de pression, coke, alcool, soirées très chaudes, sa femme Frances – celle qu'i aura le plus aimée - s’enfuit… l’est sûr que le monde change et qu’un musicien se doit d’accompagner le mouvement…

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    La mort de Coltrane en juillet 1967 affecte Miles. Lui fut-elle nécessaire pour réaliser que l’œuvre de Trane a bousculé le jazz, qu’elle est à l’origine d’une évolution du jazz, plus révolutionnaire que sa propre contribution, et qu’il est temps pour lui d’emprunter des sentiers sinon plus aventureux du moins davantage novateur ? Miles écoute Sly and the Family Stone et rencontre Jimmy Hendrix. Qui ne sait pas lire la musique mais le dialogue permet à tous deux de mieux comprendre la convergence de leurs chemins. Miles admet avoir été influencé par Jimi et réciproquement. Parle aussi de la proximité de Jimi avec le hillbilly. In a Silent Way fit beaucoup de bruit. Ce nouvel album paru en 1969 est aussi important dans l’histoire du jazz que l’enregistrement de Kind of Blue. Mais si Kind est un album de parousie clôturiale d’une certaine histoire du jazz le Silent Way est un point focal d’ouverture, il est l’origine propulsive du jazz-rock et de la fusion. L’a rassemblé une nouvelle équipe autour de lui, Joe Zawinul qui joue sur piano électrique, Keith Jarrett qui lui aussi électrise son piano, Chick Corea lui aussi au piano, Jack Déjointe à la batterie, et John McLaughlin à la guitare qui débuta dans la première génération rock and roll anglais… Miles accorde davantage d’importance à l’album suivant Bitches Brew qui lui semble d’une complexité mieux aboutie.

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    Miles gagne jusqu’à 400 000 dollars par an mais il remarque que ses concerts ne sont plus sold out, aussi franchit-il le pas et part-il à la rencontre du public rock, passe au Filmore East de San Francisco entre Steve Miller et Gratefull Dead, et en première partie de Santana, une nouvelle frange du public se rallie à lui… fait des efforts abandonne ses beaux costumes trois pièces pour des tenues plus libres, pas tout à fait le débraillé rock, change de coiffure, ne s’agit pas seulement d’un simple relookage, ça bouge aussi dans sa tête, sa compagne Betty Mabry n’est pas pour rien dans cette évolution, il se séparera d’elle au bout d’un an car son allure de rockeuse un peu trop sauvage jure un peu avec le milieu un tantinet compassé du jazz dont il reste tributaire…

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    S’ouvre une période des plus créatrices de Miles, les disques s’enchaînent et surprennent, Miles change sans arrêt de musiciens, Billy Cobham sera choisi pour sa frappe plus rock, Miles insiste beaucoup depuis toujours sur le rôle moteur du batteur dans ses différents combos, c’est sur son jeu que se calent les soli, même si maintenant il fait moins de solo, pour accompagner sa nouvelle manière de trumpet groove il adjoint un percussionniste à sa section rythmique… Miles participe au festival de l’île de Wight, Hendrix meurt alors que rendez-vous était pris pour un enregistrement commun… Miles se sert d’une pédale wha-wha sur sa trompette… se rend compte que les jeunes noirs ne connaissent pratiquement pas Hendrix trop près du rock blanc… Pour se rapprocher de ce public Miles tente d’infléchir la courbe trop free de sa formation vers un groove funk, ce qui n’est pas sans provoquer de nombreuses dissensions avec certains de ses musiciens qui s’accrochent aux patterns du jazz pur… Avec On the Corner, Miles concilie l’inconciliable Stockausen, Sly Stone, James Brown, Bach et Paul Buckmaster, passe aussi à l’électrique intégral pour avoir un son qui soit audible dans les grandes salles. Miles va mal, trop de sexe, trop de drogues, trop de tournées, une prothèse de hanche de plus en plus douloureuse, Columbia ne pousse pas son disque vers le jeune public noir friand de rhythm and blues et le public jazz traditionnel est incapable de comprendre cette nouvelle musique. Un accident de voiture lui brise les deux chevilles, Miles est la proie de ses vieux démons, Fin 1975, Miles arrête.

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    Restera enfermé quatre années chez lui, une longue nuit, entre dope et femmes, entre produits et sexe, vit ses phantasmes, ne sort que très rarement, ce qui est plus prudent vu ses crises de paranoïa et les flics obligés de le déposer à l’hôpital psychiatrique, Cicely une ancienne copine revient vers lui et l’aiguille vers une vie moins excessive, son jeune neveu Milburn fou de batterie lui téléphone souvent pour demander conseil, et Columbia insiste pour qu’il reprenne le combat et accepte qu‘il prenne George Butler, un noir, comme producteur.

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    La santé se détériore mais le succès est là dès les premières gigs. Touche quinze mille dollars par soirée pour un club de 425 places, embraye sur les tournées grassement payées en Europe et au Japon, les critiques sont plus que mitigés, ses deux derniers disques The Man with the Horn et Decoy sont jugés peu aventureux. Miles remarque simplement que le jazz se répète et qu’il faut devenir accessible à l’oreille du public façonnée par le rock blanc… L’a d’autres chats à fouetter, les alarmes des toubibs qui exigent qu’il arrête le tabac et l’alcool, le diabète est devant la porte mais une c’est une crise cardiaque qui frappe la première, lui paralysant les doigts, s’en remet mais fin 1983 la nécessité d’un repos se fait sentir… Détour par la case hôpital, hanche et pneumonie, cette dernière étant le lot ultime d’organismes fatigués, c’est elle qui a emporté Billie Hollyday et Coltrane.

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    En 1984 Miles quitte Columbia pour la Warner, reçoit récompenses et prix prestigieux mais il n’aime pas qu’on lui préfère dans la plupart des cas Wynton Marsalis musicien de jazz et de musique classique, une manière pour les blancs d’honorer un artiste noir formé dans la tradition européenne… Miles a soixante ans, les évènements se répètent, coma diabétique, violentes disputes avec Cicely, un musicien Darryl Jones qui le quitte pour aller jouer avec Sting qui propose davantage de blé, tournées, enregistrement de Tutu, - combat contre l’apartheid et emploi forcené de synthés - grands concerts avec U2, participation à un épisode de Miami Vice Miles, pub Honda, Miles est partout où il faut être et même là où il faudrait ne pas être… Au retour d’une réception organisée par Reagan pour rendre hommage à Ray Charles, Miles excédé par l’ignorance crasse de l’élite blanche casse avec Cicely Tyson qui l’avait embrigadé dans cette galère…

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    L’autobiographie se termine, fait un peu le tour de la question. Vous connaissez la réponse, elle s’appelle Miles. Revient sur le futur de la musique, Prince est le bon cheval, mais Miles ne dédaigne pas le rap et parle même du zouk. Pour lui la musique authentique est noire. Parle de ses rapports avec ses musiciens. Pas de blabla, un musicien respecte les musiciens mais ne parle de musique qu’avec son instrument. Parle de l’évolution de la musique, le monde change, la nature des instruments change, donc la musique change. Il est inutile de regretter le passé, aller de l’avant pour ne pas s’ossifier. Lui-même a évolué, ne serait-ce que par contraintes économiques, l’argent vous permet de rester libre. Avoue sans honte ni regret qu’il a su s’adapter pour survivre. Parle beaucoup des femmes, avec amour et tendresse, mais sans concession, ses préférences et ses choix. Certaines ne savent pas comment faire avec un homme, surtout si c’est un artiste. Le veulent pour elles, l’embêtent, l’agacent. Oui parfois il en a frappé, il le regrette mais c’est ainsi. Passe aux hommes, l’est moins disert, si vous êtes cool tout se passera bien. En vient à la différence entre les blancs et les noirs. Les blancs se croient habilités à être des donneurs de leçons mais les noirs sont les créateurs… Pensent aux morts qu’il a connus de son vivant, sont proches de lui, sent leurs esprits tout proches… Se sent investi de la puissance de la musique. L’est prêt à foncer droit devant dès le premier temps…

     

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    Miles termine son Autobiographie en 1988. Il mourra en 1991. Vous n’êtes pas obligé de tout gober. Vous donne l’impression qu’il force un peu sur les côtés déplaisants de sa personnalité. Ne mâche pas ses mots. Traite ses deux premiers fils de ratés. Se dépêche d’ajouter que c’est un peu de sa faute, mais maintenant qu’ils sont grands, c’est à eux de se prendre en charge. A l’intérieur de leur tête personne ne peut les aider. La vie ne fait pas de cadeau, Miles non plus. L’on décèle chez Miles une certaine coquetterie à se décrire plus noir qu’il n’était.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUE DE POURPRE 251 : KRTNT ! 371 : COMO MAMAS / CHARLIE GILLETT ROCK STORY

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 371

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    26 / 04 / 2018

    COMO MAMAS / CHARLIE GILLET ROCK STORY

     

    Pah Pah ooh Mamas

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    Quand on va voir un concert de gospel, il faut s’en remettre à Dieu. En règle générale, Dieu se montre miséricordieux avec le public attiré par le gospel. Ceux qui redoutent de s’ennuyer ou qui clament haut et fort leur anticléricalisme primaire finissent toujours par se faire avoir. Retournons le raisonnement à l’envers : qui peut aujourd’hui prétendre s’être ennuyé dans un concert de gospel ? Personne, évidemment. Pourquoi ? Parce que précisément Dieu ne le permettrait pas. Et si un cabochard se risquait à braver le raisonnement, alors la main de Dieu s’abattrait sur lui comme la tapette sur la mouche importune. La main de Dieu n’est pas une vue de l’esprit, mais un concept inventé jadis par un très bel écrivain, Isaac Bashevis Singer. N’oubliez pas que les écrivains polonais furent un temps les rois du petit monde littéraire, Gombrowicz en tête.

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    Pour ceux et celles qui s’interrogent encore sur les racines du rock, le gospel leur donne la réponse. Sister Rosetta Tharpe se situe à l’origine de TOUT. Au soir de sa vie, Rosetta eut pitié des pauvres blancs qui ne comprenaient pas grand-chose à la musique noire et elle fit un peu de pédagogie. Elle expliqua que le blues, c’était le nom théâtral du gospel et que le vrai gospel devait rester très lent, comme «Amazing Grace» : «Si vous commencez à claquer des mains, ça donne le gospel revival et si vous rendez ça encore un peu plus joyeux, ça donne le jazz... Puis ça devient éventuellement le rock’n’roll.» On trouve ça dans le livre que Gayle F. Wald consacra jadis à Sister Rosetta, Shout Sister Shout. Et puis tous ceux et celles qui ont suivi les Staple Singers à la trace, et ce depuis la période Riverside, savent qu’il n’existe pas beaucoup de groupes de rock capables de rivaliser avec Pops et ses filles. La grande force de Pops Staples fut d’avoir une éthique, en plus de son talent naturel. Aller vendre mon cul ? Hors de question ! En plus, Pops n’en finissait plus de dire qu’il ne craignait pas la mort, car il savait, comme le Dr King, son ami, que le paradis existait. On l’a oublié depuis ce jour de 1968 où il reçut une balle dans le cou, mais Martin Luther King fut le dernier prophète de l’histoire de l’humanité.

    La force de cette croyance en l’existence d’un monde meilleur vient précisément des racines de la civilisation américaine, c’est-à-dire l’esclavage, et son corollaire, l’enrichissement d’une race dégénérée, celle des colons blancs. Dans les atroces ténèbres de leur condition, les nègres ont réussi à bricoler une lumière, oh pas celle du Vatican, mais une vraie spiritualité, leur spiritualité, vieille comme le monde, celle qui se chante et qui repose sur une évidence fondamentale : la vie n’est qu’un court passage sur la terre, et si ce passage est douloureux, comme peut l’être la condition d’esclave, alors il existe forcément une vie meilleure.

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    Les Como Mamas ne font que ça : nous rappeler que tout ira beaucoup mieux après la vie terrestre : plus de racisme, plus de classes sociales, plus de misère, plus de factures à payer, plus d’élections, plus de prix qui augmentent, plus de réseaux sociaux ni de téléphones, rien que du rien, rien que cette notion d’absolu à laquelle il est bon de réfléchir, rien que du néant parfait, cette lumière blanche à laquelle font allusion tous ceux qui sont revenus de la mort.

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    Si on peut voir chanter ces trois femmes originaires de Como dans le Mississippi, c’est grâce au label new-yorkais Daptone, un label qui s’est spécialisé dans la promotion de grands artistes noirs inconnus du grand public. Les figures de proue du label furent Sharon Jones et Charles Bradley, emportés tous les deux au paradis par des cancers. Daptone survit, grâce à l’excellente Noami Shelton, au non moins excellent James Hunter et aux Como Mamas. Elles sont trois, et bien sûr, l’idéal est de les voir chanter le gospel batch sur scène. Attention, ce n’est pas un concert comme les autres. Elles ramènent avec elles toutes les racines du blues et du rock américain, simplement accompagnées par un batteur et un Télé-boy à casquette. Fuck it ! Laisse tomber les groupes garage. Il y a dix mille fois plus de punch dans les Como Mamas qu’il n’y a de particules dans toute ta discothèque, Horatio. Les Como Mamas feraient danser Hamlet sur les remparts d’Elseneur. Dans cette petite salle rouennaise, tout le monde dansait avec les Como Mamas. TOUT le monde ! Un truc qu’on ne voit jamais ailleurs.

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    Impossible de résister, c’est un son qui remonte par les jambes du pantalon et qui pulse au niveau des reins, oh Lord, c’est pire qu’un jerk au Palladium, et pouf, en plein «Move Upstairs», Angelia Taylor qu’on croyait impotente, calée dans sa chaise, se lève et se met à danser, son visage s’éclaire, cette femme se met à rayonner et une sorte de miracle s’accomplit, elle tire l’overdrive et le gospel fait une sorte de bond en avant pour filer dans la transe hypno. C’est autre chose que Can, et pourtant on aime bien Can, mais là, ça dépasse l’entendement, on comprend confusément que la notion de spiritualité n’est pas un gadget, cette femme qui doit peser deux ou trois cents kilos dégage quelque chose qui la dépasse et qui nous dépasse, elle est comme transportée par une énergie surnaturelle, ou simplement une énergie terriblement humaine, une sorte de force intérieure bâtie sur une authentique bonté d’âme. Cette bonté d’âme qui vaut tout l’or du monde.

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    Tiens, un autre coup de Jarnac. Elles démarrent leur set a capella, on l’aurait parié. Ester Mae Wilburn est au centre, et elle commence à bien ramoner le chant au guttural et soudain, on entend le batteur et le Télé-boy entrer dans le batch du gospel batch, alors c’est tout l’univers du rock et du blues qui sort de terre, comme par miracle, tout vient directement de là, de ce lent démarrage, de cette espèce de mise en route fantastique, c’est l’avènement de la puissance séculaire, la genèse du delta blues, tout Muddy et tout Wolf viennent directement de cette incroyable puissance lourde et lente. Il est certain qu’André Hardellet ne connaissait pas les Como Mamas, mais il se pourrait que Lourdes Lentes soit un hommage inconscient à ces fantastiques Mamas. Ester mène le bal, avec une prestance et une puissance inimaginables, il faut la voir marquer le rythme d’une main et bouger subtilement d’un pied sur l’autre, comme seules savent le faire les grandes Mamas black. Il suffit de voir Aretha danser dans le restau des Blues Brothers. Ester tape au même niveau, elle chante aussi bien qu’Aretha et aussi fort que Rosetta, elle charge la chaudière du batch avec une ferveur spectaculaire. Sur les pochettes des deux albums, elle semble gonflée, mais là sur scène, avec ses cheveux roux, elle swingue comme une reine. La troisième Mama s’appelle Della Daniels. Elle est la sœur d’Angelia. Des trois, Della est la plus communicante. Elle prend le lead sur «Count Your Blessings», elle chante d’une voix plus sucrée, et en fin de concert, elle raconte quelques anecdotes datant du temps où petite, on lui interdisait d’entrer dans les magasins des fucking rednecks. Pince sans rire, elle ajoute qu’aujourd’hui, la municipalité de Como est très fière de ses Como Mamas.

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    Elles font une reprise du «You Gotta Move» de Fred McDowell rendu célèbre par les Stones. Il faut savoir que Fred McDowell vivait lui aussi à Como, et qu’il avait passé toute sa vie à travailler comme métayer pour un patron blanc. Quand au soir de sa vie et donc au terme d’une très longue vie de travail, il constata qu’il ne possédait que quelques dollars, il alla trouver le patron blanc pour racheter ses dernières dettes avec ces quelques dollars (les métayers devaient tout payer, la location de la terre et de la cabane, les semences, les outils, les mules, leur nourriture, et donc ils passaient leur vie à s’endetter pour pouvoir travailler). Puis il prit un job de pompiste à la station service qui est à l’entrée de Como. C’est là nous dit Dickinson qu’on pouvait trouver le grand Fred McDowell. Les Stones roulaient en Rolls, pas le vieux Fred. You gotta move.

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    Dans l’album Move Upstairs, on retrouve tous les classiques que brassent les Como Mamas sur scène, à commencer par le morceau titre, pure dynamite, avec les Oh Yeah d’Ester et de Della qui marquent le tempo - We got to move upstairs - Angelia expédie ça d’une voix forte. Elle reprend le lead sur «He’s Mine», d’une voix encore plus grave - And I know/ I got Jesus and I know/ He’s mine - Elle chauffe tellement son gospel batch que ça sonne comme du rock. Fabuleuse Angelia qui se lève de sa chaise pour danser et là, le club se met à tanguer comme un baleinier surpris par un mauvais grain au Cap Horn, elle enfonce tout le batch dans la gorge du gospel, mais la version enregistrée est écourtée ! Les fuckers de Daptone l’ont raccourcie, alors qu’elle commençait à pendre de l’altitude. Jerry Wexler n’aurait jamais permis ça. Heureusement, sur scène, personne ne peut lui couper la chique, c’est toute la différence. Della prend le lead sur «I Know I’ve Been Changed» et ses copines lui font des chœurs de rêve. On retrouve sur le disque le fabuleux copinage des trois Mamas, et cette coquine de Della pend un malin plaisir à allumer des petits blancs dans le public. Elle chante avec des accents incertains, mais c’est justement le mélange des trois styles qui fait la richesse du son, ces femmes viennent de si loin, Lord, et Ester s’octroie la part du lion avec «Out In The Wilderness». Elle y ramone les soupapes du batch. À travers elle affluent les chants d’esclaves et toute la grandeur tragique du peuple noir. Elle transforme la misère d’une condition en art suprême. Ses copines la soutiennent, elles sont toutes les trois comme des anges du paradis. Animé par une pulsion organique, un cut comme «Count Your Blessings» relève du prodige. On peut même parler de génie insistant. Ester chante «He’s Calling Me» à la Tharpe, avec la même énergie d’every day in my life. Elle garde le cap sur le ciel et la lumière qu’elle y voit avec une invraisemblable puissance jesuistique. On la revoit chauffer la salle sans produire le moindre effort. Elles nous refont le coup du démarrage en côte avec «99 And A Half Won’t Do» : après l’intro a capella, le groove entre dans la danse. Elles sont magiques : Ester en lead démente, Della, sucrée et sexy et Angelia, obèse et vivante, mais si incroyablement vivante - Oh Jesus ! - Ester tisonne sa foi, la chaudière de sa foi, et les autres font won’t do, won’t do. C’est du très grand art. Par contre, «Almighty God Mighty God» ne passe pas : trop jazzy. La basse de Bosco Man vient ruiner leurs efforts. Pourquoi la ramène-t-il ? Les Mamas sont capables de se débrouiller toutes seules. Et puis il faut avoir entendu «Glory Glory Hallelujah» au moins une fois dans sa vie. Ester y swingue le gospel dans le néant de l’industrie musicale. Cette femme shake le shook du batch à sec. Elle parle de hauteur - Higher - Prenons-en de la graine. Elle est véritablement l’une des très grandes chanteuses des temps modernes. Qu’on se le dise.

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    Par contre, leur premier album intitulé Get An Understanding est beaucoup plus difficile d’accès. C’est enregistré en 2005 dans une église, sans backing-band. Appelons ça du gospel rootsy. Pas de prod, rien que des gueulantes dans une église qui résonne. On note cependant l’ampleur de la clameur. À trois, elles font plus de ramdam que Blue Cheer et Frost réunis. Avec «God Is Able», elles tapent dans l’hypno des âmes possédées. On retrouve la powerful raspy voice d’Ester Mae (qui s’appelle Smith sur cet album). Dans les notes de pochette, elle dit sa fierté d’avoir pu élever deux kids qui n’ont pas comme elle dû cueillir le coton de l’aube jusqu’au soir, porter des fringues faites avec des sacs à patates et crever de faim. Elles piquent une véritable crise de folie collective dans «Peace Of Mind». Angelia prend le lead et elle devient dingue, avec sa voix plus carillonnante et son énergie pharaonique. Difficile de tenir la distance sur un tel album. Mais il faut les entendre gueuler. Qui va aller écouter ça, aujourd’hui ? Même le fils d’Angelia le dit : il préfère the newer sounds, le rap des jeunes, la musique de l’avenir. Sur la pochette, Ester Mae ressemble à Muddy Waters, elle a cette beauté placide inscrite dans les traits de son visage.

    Signé : Cazengler, Comoche du coche

    Como Mamas. Le 106. Rouen (76). 20 mars 2018

    Como Mamas. Get An Understanding. Daptone Records 2013

    Como Mamas. Move Upstairs. Daptone Records 2017

     

    THE SOUND OF THE CITY

    HISTOIRE DU ROCK’N’ROLL

    CHARLIE GILLETT

    ( Rock & Folk - Albin Michel / 1986 )

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    Tome I / La Naissance

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    Première fois que les deux volumes me passent par les mains. Je ne suis pas le seul. Gérard, le bouquiniste aussi, jamais vu depuis plus de trente ans qu’il vide toutes sortes de bibliothèques. Pour la petite histoire l’a récupéré chez un historien local décédé qui ne s’est jamais fait remarquer pour son amour immodéré du rock. Vu l’état je suppose qu’il ne les a jamais ouverts. Remarquez qu’il faut être un peu mordu par l’alligator pour se plonger dans une telle lecture. Passionnante, mais pas vraiment affriolante. Histoire du rock and roll certes mais qui n’emprunte guère les sentes de la wild side. Pas idolâtre pour un centième de dollars. Un petit côté aussi rébarbatif qu’une étude sur la production du charbon en URSS ! Rock sans sexe et sans produits ajoutés. Ni glamour, ni scandale.

    Ne vous prend pas en traître, vous avertit dès l’intro. Se base sur des données statistiques. Les chiffres qui comptent. Passe à la loupe les trente premières places des ventes de disques à l’époque de leur sortie. Billboard, Cashbox et quelques hit-parades annexes. Pas le genre de gars à vous pondre des dithyrambes de quinze pages sur Waren Smith. Trois lignes suffiront. Combien de divisions demandait Staline ? La question qui tue. Pour Charlie Gillet à moins d’un million de disques vendus vous ne valez pas tripette. Idem si vous ne donnez pas dans la récidive, c’est simple n’ y a que pour Elvis qu’il reconnaît que les ventes resteront importantes, pour tous les autres, leur écrit has been, en gros dans le dos, au stabilo fluo.

    N’empêche que c’est bigrement intéressant. Un véritable jeu de stratégie. A quatre dimension. Les chanteurs, les publics, les petits labels et les majors, en interdépendance. Une partie carrée. Vicieux comme vous êtes, vous voulez tout de suite connaître ceux qui se font mettre. La réponse est simple : le rock and roll. Ne cherchez pas d’autres victimes.

    NAISSANCE DU MONSTRE

    ( 1954 - 1961 )

    C’est quoi le rock and roll au juste ? C’est le rhythm and blues des noirs repris par les blancs. Une question de marché. Tout un public de jeunes blancs commence au début des années cinquante à se brancher sur les radios noires qui passent des disques qui bougent un max et qui vous arrachent les oreilles. Une batterie qui cogne et des solos de sax qui vous écorchent la peau. En sus des lyrics des plus crus. Beaucoup de ces nouveaux aficionados écoutent en cachette car les parents sont formels : les gens bien élevés détestent la musique de nègres. Pas question de se vanter que vous écoutez, voire que vous chantez, du rhythm and blues ! Idée de génie du disc-jockey Alan Freed, non il ne présente pas dans ses spectacles de Cleveland ou ses programmes radio des artistes de rhythmn and blues mais des groupes de rock and roll !

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    L’honneur est sauf. Enfin presque. Chez les nègres ces trois mots signifient à peu près baise et braise, bref un truc plus ou moins paradisiaque ou plus ou moins infernal, selon l’amplitude de vos appétences puritanistes, rétrogrades et conservatrices.

    Le pire est à venir. L’adéquation rock and roll blanc = rhythm and blues noir se révèle vite une utopie. D’abord les blancs ne sont pas des noirs, ils ne prononcent pas les mots de la même manière, ils n’ont pas le même rapport ni au langage ni aux instruments. Et puis dans la dialectique du maître et de l'esclave Hegel vous expliquerait beaucoup de choses... La conséquence de ce différentiel culturel fera que le rock and roll se différenciera très vite du rhythm and blues. Ensuite ces maudits negroes ne manqueront pas d’ajouter leurs grains de sel dans cette nouvelle musique soi-disant blanche…

    La donne se complique pour une autre raison : la multiplicité des racines originelles du rock and roll qui ne naît pas en un seul endroit en un même temps. Charlie Gillet évalue à cinq le nombre des foyers infectieux.

    Bill Haley qui vient du nord, fortement influencé par la machinerie des big bands issus de Kansas City, produit une musique de danse enfiévrée joyeuse et syncopée, tout en gardant la prédominance des instruments à cordes des orchestres de country and western.

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    Pat Boone plus jeune ,plus beau, à la voix plus expressive que Bill Haley, que l’on a tendance à présenter comme un clone édulcoré d’Elvis se voit dès 1955, obligé par le label Dot de reprendre des morceaux de Fats Domino et de Little Richard. Le petit Richard a porté le rhythm and blues noir à son maximum d’incandescence et il deviendra une source d’influence numéro un pour tous les chanteurs de rock. Mais l’intrusion de Pat Boone dans la marche en avant du rock and roll est des plus symptomatiques et des plus symboliques de la trajectoire de la plupart des pionniers du rock qui se virent obligés, de gré ou de force, d’édulcorer très vite leurs tendances les plus fracassantes.

    Le boogie blues de la région de Memphis fut transcendé par Elvis et Sam Phillips. Le transformèrent en country rock. Les premiers succès régionaux d’Elvis attirèrent chez Sun toute une pléiade de jeunes artistes qui n’avaient pas subi avec un même impact les influences noires du jeune Presley, ils formèrent la première légion du mouvement rockabilly, un rock rapide qui exigeait de ces artistes et une pulsion énergique individuelle des plus torrides et en même temps cette espèce de laisser aller sauvage et toutefois désinvolte qui n’était pas sans présager leur rapide extinction.

    Du blues de Chicago naquirent Chuck Berry et Bo Diddley. Les noirs n’avaient aucune envie de laisser le flambeau du rock and roll aux blancs. Reprirent les guitares à leur compte et firent la démonstration qu’avec ou sans cuivres ils étaient les meilleurs…

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    Difficile de faire mieux. Lorsqu’il est impossible d’avancer le mieux est de reculer. L’on ne surpasse pas le piano de Little Richard ou la guitare de Chuck Berry. Si en prime l’on ne dispose pas du tonique organe voluptueux d’Elvis, une seule solution, un minimum instrumental et un maximum de vocal, Les groupes vocaux à la Frankie Lymon and the Teenagers et les Platters se lancèrent dans des roucoulades infinies. Un recul par rapport à la sauvagerie du rock and roll, mais tous ces dégradés de voix ne seront pas sans effet sur le futur du rock dans les années soixante…

    En attendant le rock brûle les étapes. Il explose en 1956 et le soufflet retombe en 1957. Un feu de paille. Reste à savoir pourquoi. Les majors ne répondirent pas à l’appel du rock and roll. Capitol se donna les moyens de tirer le bon numéro : Gene Vincent, toutes les autre à part Decca et ses filiales qui sut immobiliser Buddy Holly dans ses filets, l’on enregistra un peu n’importe qui. A la va-vite. Ce ne fut pas une conjuration anti-rock and roll proprement dite, l’on n’y croyait point trop mais surtout les ingénieurs du son étaient quelque peu déboussolés. Très vite l’on ne donna plus suite, l’était difficile d’établir un plan de carrière et d’investissements pour ces zozos d’une espèce nouvelle. Laissèrent le champ libre aux petits labels. N’y avait pas que des zozos chez Atlantic et Specialty, l’on avait des connaisseurs qui savaient très bien ce qu’ils faisaient. Ahmet Erthegun et Dave Bartholemew n’étaient pas des bleus, mais dans les années qui suivirent Atlantic se concentra davantage sur les métamorphoses du rhythm and blues initial, Specialty se spécialisa dans l’exploitation de son catalogue… L’on porte Sun au pinacle mais lorsque Jerry Lou signa chez Mercury en 1962 Sam Phillips laissa filer son label… King qui enregistrait autant de country que de rhythm and blues initia au travers de Honky Tonk de Bill Dogett les premiers groupes instrumentaux. Vee Jay dama quelque peu son pion à Chess avec Dee Clarck, les Dells, les Jerry Butler and the Impression, Jimmy Reed et John Lee Hooker. La maison fut aussi assez chanceuse pour distribuer les Beatles aux Etats-Unis… La réussite de King donna à Berry Gordy le désir de fonder Motown…

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    Aladdin n’eut jamais les reins assez solides pour promouvoir son catalogue RnB au niveau national. Modern connut les mêmes déboires malgré la présence d’Etta James. Imperial fut plus chanceuse avec Fats Domino qui sut acclimater son so cool rhythm and blues au rock et au twist. Imperial eut aussi la bonne idée de capitaliser sur la renommée cinématographique de Ricky Nelson, qui eut le flair de choisir James Burton comme guitariste. Meteor de Lester Bihari - son frère dirigeait Modern - signa Elmore James, Charlie Feathers, Junior Thompson et Wayne McGinnis, basée à Memphis comme Sun, son audience ne dépassa jamais celle de la région. Willie Mae Thornton enregistra Hound Dog en 1953, à Houston chez Duke / Peacock. En 1956 Liberty signa Eddie Cochran…

    , Como Mamas, Charlie Gillett Rock Story,

    Les majors instaurèrent une nouvelle politique éditoriale pour leurs chanteurs. Soit ils circonscrivaient leur carrière dans le domaine de la variété ( qui incluait la spécificité rock and roll ) soit ils décidaient de s’inscrire dans le genre country and western. Une partition qui interdisait tout cross over. L’on restait enfermé dans le genre choisi. Très rares furent les artistes comme les Everly Brothers qui chez Cadence parvinrent à truster les premières places dans les hit-parade variété et country.

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    Nous entrons dans les sixties avec les ballades romantiques de Roy Orbison, Ronnie Hawkins est qualifié du titre de dernier des pionniers, Robbie Roberston son guitariste, et son batteur Levon Helms le quitteront bientôt pour Bob Dylan…

    METAMORPHOSES DU BLUES

    ( 1945 - 1956 )

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    Un autre chemin pour arriver au même endroit. Une traversée de la sphère noire. Le blues originel qui très vite dès qu’il est joué à plusieurs se confond avec le jazz, celui-ci s’infléchissant peu à peu vers la recherche d’une virtuosité musicale personnelle et collective. Dans les années trente les orchestres de jazz de Kansas City ne résistent guère à la frénésie qui s’empare du public dès qu’ils abordent les morceaux les plus rythmés. Un pas est délibérément franchi lorsque les big bands prennent soin d’amalgamer des rythmiques de danse à leurs titres. Bye-bye le jazz, bonjour le rhythm and blues. Désormais l’on recherche l’efficacité, l’on simplifie les arrangements, le but n’est plus de produire de la musique de bonne qualité mais de susciter une transe émotionnelle chez les danseurs. Les barrissements du saxophone et l’exaltation vocale du chanteur sont primordiales. Généralement l’on possède deux chanteurs, l’un pour les ballades romantiques qui appellent aux rapprochements des corps pantelants de désir et un shouter pour remuer la viande, car hélas pas question de copuler sur la piste de danse, alors l’on transpose la frénésie de l’acte orgasmique en une tarentelle gesticulatoire, les hoquets et les cris du shouter mimant les miaulements de l’extase sexuelle. Joe Turner restera le prototype des grands blues shouters mais il sera en quelque sorte dépassé par Wyonnie Harris et Roy Brown. A ces deux-là ils ne manquent rien pour être qualifiés de chanteur de rock and roll. Ce n’est pas qu’ils n’en ont pas assez, c’est qu’ils en ont de trop. Possèdent une technique vocale bien supérieure aux chanteurs de rock and roll blancs. Hors-concours sans rémission. Souffrent d’un deuxième vice rédhibitoire. On fermerait bien les yeux sur leur âge, mais il sera difficile à un public de teen-agers blancs de s’identifier à leurs paroles. Sont trop matures. Point de fausse route, ce ne sont pas des intellos, mais des hommes aguerris revenus de toutes les expériences. N’abusent point de la litote, n’usent point de l’euphémisme, sont beaucoup plus portés sur la sexe cru que sur la rêverie sentimentale.

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    De fait, il n’y a plus besoin d’une quinzaine de musiciens pour chauffer une salle. Le Johnny Otis Show sera le dernier des big bands, comme par hasard on l’a longtemps retrouvé sur les 33 tours bon-marché des compilations rock. Mais une nouvelle génération de bluesmen beaucoup plus authentiques prennent la relève, Bobby Bland qui chante le blues avec une émotion empruntée au gospel, mais comme en sourdine, Little Richard, empruntant à la frénésie de Roy Brown, fera exploser la cocotte-minute en une folle frénésie. B.B. King sort de la même marmite mais il tempèrera la tempêtes brownienne par l’apport du blues du Delta. A la dextérité de Robert Johnson il alliera les sonorités de l’électrification de T-Bone Walker. C’est le temps des combo-blues, peu de musiciens mais une authenticité remarquable, Rice Miller Williamson et son harmonica apportera le blues en Angleterre au début des années 60, Howlin’Wolf débarque chez Sun qui le refile à Chess, un certain Ike Turner participe à la session Chess. En 1951, Ike Turner charge le saxophoniste ténor de son orchestre d’assurer le vocal sur Rockett 88, ce morceau de rhythm and blues que beaucoup présentent comme le premier morceau de rock and roll… Signalons qu’en 1952, le jeune bluesman Rosco Gordon de Memphis, cornaqué par Ike Turner enregistre No More Doggin’ en marquant le rythme à contretemps. Le disque imprté en Jamaïque le rendit populaire sur l’île et se révèlera être un des éléments déclencheurs du reggae…

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    Charlie Gillett ouvre la catégorie de blues de bar pour y ranger Little Walter, Son House, Charley Patton, Willie Brown, Robert Johnson et Muddy Waters… Un dernier chapitre est consacré aux groupes vocaux des teen-agers noirs. Tous montés sur la matrice première des Orioles, douceur et harmonies adolescentes. Nous sommes aux antipodes de la rudesse du delta. Toute une jeunesse citadine qui cherche à se rassurer. Charlie Gillett en retrace les origines qui remontent aux chants d’église. La religion conçue en tant que ferveur consolatrice… L’on y sent davantage un désir d’intégration qu’un sentiment de révolte. Certains de ses groupes n’hésitent pas à imiter la maladresse des formations blanches similaires qui reprennent leur répertoire. Etrange phénomène d’identification libératoire qui n’est pas sans rappeler le phénomène des black faces au doux temps de l’esclavage…

    EXPLOSION RHYTHM AND BLUES

    ( 1958 - 1971 )

    La suite de l’histoire mais l’on reprend pratiquement au début. Le scénario est plus complexe qu’il n’y paraît. Le rhythm and blues et le rock and roll sont deux fleuves séparés qui coulent dans le même lit. Un peu comme la lumière d’Einstein qui est en même temps corpuscules et onde. Mais en plus compliqué. Charlie Gillett est obligé de vous dresser un tableau de l’état des lieux pour vous faire comprendre. Très simple, plus on avance dans les années, entre 1955 et 1963, il y a de plus en plus d’artistes blancs qui squattent les charts des noirs et un phénomène comparable d’émigration noire en haut des hit-parades de variétés blanches.

    Alors que ça stagne quelque peu dans le country and western, une fois que vous avez gagnez la timbale votre carrière est lancée pour trente ans, chez les noirs la bataille fait rage, à tout instant il est important de proposer un truc nouveau qui vous démarque des copains. Suffit d’analyser les carrières de B. B. King et de Muddy Waters pour s’en apercevoir. Le King propose une large palette de styles qui lui permettent d‘accrocher différents publics, les eaux boueuses ne sortent pas des rives encaissées du torrent du blues colérique. Nous font à l’avance la terrible partition qui divise depuis plus d’un demi-siècle les partisans des Beatles et des Rolling Stones. Ces derniers réhabiliteront Muddy mais pour le moment B. B. Boy influence la nouvelle génération des Buddy Guy, Junior Wells, Magic Sam, Earl Hooker, James Cotton…

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    Mais il faut descendre bien plus bas que Chicago, Jimmy Reed relance le blues texan, grosse guitare et rythme rentre-dedans, toutefois une nouvelle donne est en train de naître, un chanteur c’est très bien, encore mieux s’il est très bon, mais cela ne suffit pas. D’autres genres de personnages sont en train de se révéler des techniciens hors-pairs qui n’hésitent pas à mette les mains dans le cambouis et les mannettes. Pour le public ce sont des hommes de l’ombre mais ils sont la partie immergée de l’iceberg. Les producteurs vous boosteraient un cheval cagneux en étalon sauvage. Un sorcier comme Huey Meaux ( voir les lignes hommagiales que le Cat Zengler lui a consacrées ) vous transforme en pépite la moindre paillette. N’est pas le seul, un Major Bill Smith vous a le truc pour vous pondre le grizzli qui vous scotche l’oreille à un morceau qui normalement n’aurait jamais dû retenir votre attention, écoutez Hey ! Baby par Bruce Channel pour vous en convaincre. Un peu trop sucré à votre goût, mais comme les fraises tagada, vous finissez par vider le paquet. Allen Toussaint s’occupe d’Aaron Neville et d’Irma Thomas et fait des miracles… L’article que le Cat Zengler ( encore lui ! ) sur la livraison 273 du 17 / 03 / 2016 est incontournable.

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    Y a un lézard, en touchant le public blanc le rhythm and blues perd de sa virulence, mais n’oubliez jamais que cet animal est aussi de la famille des dinosaures. Ben E King pleure sur des violons mais derrière lui se cachent les producteurs Leiber et Stoller, deux des paroliers les plus mirifiques du rock and roll. Ils connaissent la musique. Pétard aux yeux mouillés ou bombe atomique rythmique, z’ont tout ce que vous voulez dans leur arsenal. Z’ont aussi un un ingénieur du son qui n’en perd pas une miette. Partira avec un gros sac de savoir-faire et deux ou trois idées personnelles. L’a un nom destiné à devenir célèbre : Phil Spector. Se focalisera sur les groupes d’adolescentes noires qui reviennent à la mode. Arrêtez de jacasser les filles, vous ouvrirez la bouche quand on aura besoin de vous, pour le moment on règle les micros. Pendant cinq ans, Spector sera l’épicentre du rock and roll sound. Son chef d’œuvre - qui fera un flop inexpliqué aux States – River Deep and Mountains High révèlera Tina Turner. Vous devinez que son mari Ike Turner ne pouvait être absent de cet enregistrement historial du rock and roll. Les plus futés se précipiteront sur la monographie du Cat Zengler sobrement intitulée Ike, sur Kr'tnt ! 187 du 01 / 05 / 2014.

    , Como Mamas, Charlie Gillett Rock Story,

    Petit chapitre fourre-tout, les films, les émissions de télévision qui fit beaucoup pour la diffusion du rock and roll, notamment Bandstand qui passait le samedi à douze heures, l’éclosion du twist avec Chubby Checker zt la Peppermint Twist de Joye Dee and the Starlighters et pour finir le Locomotion de Little Eva qui n’est pas sans évoquer le travail de Berry Gordy sur Motown…

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    La première maison de disques entièrement noire. Miracles, Four Tops, Martha and the Vandellas, The Supremes, la liste serait trop longue à citer, Durant dix ans Gordy et ses poulains raflèrent le Top Ten, le maître des lieux imposa ses méthodes de travail, des équipes entières au chevet des vedettes, recherche de la perfection sonique, un rhythm and blues nourri au lait chaud du gospel, formater le Motown-sound c’était enrober l’auditeur d’une ambiance irrésistible, les chœurs comme à l’église, le lead singer admonestant son public tel un prédicateur en chaire, le tout à toute vitesse sous des rafales de tambourins. La fièvre du dimanche matin. Gordy déménagea de Detroit pour Los Angeles. Dans les autres grandes villes, l’on produisait du sous-Motown…

    UN SUPPLEMENT D’ÂME

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    Elvis domine ( et de loin ) le top dix du rhythm and blues. En bonne compagnie avec Little Richard, Chuck Berry, LaVern Baker mais nos rockers ne sont pas les seuls Ray Charles, Jackie Wilson, B. B. King, Clyde McPhatter, Sam Cooke, Little Willie John, Bobby Bland, James Brown se mêlent ou s’accrochent à ce peloton de tête. Il n’y a pas de hasard Ike et Tina Turner se retrouvent aussi aux avant-postes… Quant à cette voix rauque dégoulinante de fièvre aphteuse qui gémit sur I Found A Love, chez les Falcons, c’est déjà celle de Wilson Pickett, ce rhythm and blues s’inspire aussi du gospel, mais autant chez Gordy c’est le marchand de Bibles très propre sur lui qui s’en vient vous vendre sa pacotille, là vous avez l’impression que le Christ s’est désencloué de sa croix et qu’il marche en personne sur l’eau de votre baignoire. L’aventure Stax commence, elle se terminera mal, l’amitiè ( intéressée ) entretenue avec Jerry Vexler d’Atlantic se débouchant sur une grosse fâcherie qui ne fut pas sans mauvaises conséquences financières pour la firme de Memphis qui dut se résoudre à mettre la clef sous la porte en 1973. Otis Redding, Sam and Dave, Eddie Floyd, Joe Tex, Wilson Pickett furent les rois de la soul. L’évolution musicale de James Brown dépouille la soul de tous ses tours inutiles pour n’en garder qu’un inquiétant squelette cliquetant, réduction alchimique de la soul en funk.

    , Como Mamas, Charlie Gillett Rock Story,

    Notre lecteur qui se sera utilement reportés à nos nombreuses livraisons qui analysent en détail cette période ne manquera pas de lever un sourcil étonné. Certes notre résumé est des plus succincts, nous avons délibérément passé à la trappe bien des artistes, mais oui, ce premier volume de cette Histoire du Rock and Roll - près de trois cents pages en petits caractères - est exclusivement centré sur les USA, à peine si à trois endroits apparaît le nom des Rolling Stones ! Aspect encore plus étrange, il aurait mieux valu l’intituler Histoire du Rhythm and Blues, le rock and roll y est certes présent, mais un peu comme ce commensal que l’on invite au repas de communion pour ne pas se retrouver treize à table. On lui servira bien une louche de soupe mais en guise de hors d’œuvre, de plat de consistance, de viande et de dessert, qu’il se contente de boire de l’eau froide.

    Tome II / L’apogée

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    LE QUART D’HEURE ANGLAIS

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    Enfin l’Angleterre. Pas plus de quarante pages, il ne faut rien exagérer. Une introduction de généralités sociologiques un peu confuses pour un native du continent comme moi. Généralement les écrits consacrés à la naissance du rock anglais débutent avec Chris Barber, Gillett rase plus près et nous repousse en arrière d’une case, cite Ken Coyler dont l’orchestre lui semble rassembler tous les défauts du jazz ossifié, si ce n’est que Chris Barber s’en échappa pour voler de ses propres ailes. Les pionniers du rock anglais sont traité un peu par-dessus la jambe, seuls Cliff Richard et Johnny Kidd ont leur paragraphe attitré. Traite mieux Lonnie Donnegan qui faisait partie du combo de Chris Barber. Donnegan écume un le répertoire folk des USA. Leadbelly et Woody Guthrie, Barber fit œuvre de passeur en invitant à tourner avec lui Big Bill Broonzie, Rosetta Tharpe, Brownie McGhee, Louis Jordan et Muddy Waters trop électrique pour le public jazzeux, mais apprécié par un public moins classieux…

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    Des groupes de beat - traduisons ce vocable par le mot passe-partout de rythme - se forment dans toutes les villes de la perfide Albion, faudra attendre que Brian Epstein dégotte un contrat chez EMI pour les Beatles pour que le showbiz signe les groupes à tour de bras. Les Beatles sont présentés comme un groupe disparate, oscillant entre Esquerrita et Bruce Channel, mais sont intelligents, sont les parfaits représentants des sentiments diffus de liberté des adolescents anglais. Se perdront trop vite dans une musique alambiquée qui recheche davantage l’effet que l’impact… Les Rolling Stones seront les représentants de cette jeunesse avide de sensations plus fortes qui se retrouve tous les weekends dans les nombreux clubs de rhythm and blues. Parviendront à comprendre qu’il n’y aura point de salvation pour eux s’ils ne créent pas leurs propres compositions. Ce qu’Eric Burdon et les Animals ne parviendront à réaliser entièrement. L’importance novatrice des Yardbirds est remarquée mais le groupe se révèlera incapable de la capitaliser. Kinks, Spencer Davis Group, Who sont traités rapidement… Mais déjà tous ces groupes regardent du côté de l’Amérique.

    BACK IN THE USA

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    L’on s’accoutume à la méthode. Rebattages des cartes. Ce n’est pas vingt ans après mais vingt ans avant. Adieu le rock, bonjour le folk. Sur les routes de la contestation syndicale avec les hobos et Woody Guthrie. Fonde les Almanac Singers. Qui se sépareront en 1942. Se reformeront sous le nom de Weavers sous l’égide de Pete Seeger. Dix ans plus tard le groupe sera obligé de se dissoudre devant la chasse aux sorcières communistes menées par le sénateur fascisant Joe McCarthy… Ce qui n’empêcha pas les majors de se constituer des catalogues assez fournis de ces chanteurs, certes suspects, mais suivis par un public fidèle… En 1962, les folkleux possèdent des relais dans toutes les grandes villes et une fabuleuse caisse de résonnance avec le festival folk de Newport fondé en 1959. C’est en ces mêmes années que l’on redécouvre le folk blues et les premiers chanteurs de blues, pour être plus juste disons que toute une partie du public blanc des States découvre avec stupéfaction un trésor musical que l’Amérique blanche avait délibérément méprisé jusque-là. De Lightning Hopskins à Lonnie Johnson nombreux furent les vieux bluesmen qui se trouvèrent sous les feux d’une gloire naissante dont-ils furent les premiers surpris. C’était-là introduire le cheval de la modernité dans les murailles du puritanisme folk. Les bluesmen ne se contentaient pas de gratouiller leur guitare, ils en jouaient sinon d’une manière diabolique du moins avec une sagacité étonnante, et contrairement à leurs nouveaux admirateurs ils n’avaient rien contre le vrombissement des engins futuroformes de Bo Diddley. Bref posaient sans même la formuler la question du nœud gordien de l’électricité que Dylan osera trancher.

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    Mais le folk s’il dédaignait encore l’électrique avait déjà une dimension politique, prenait parti pour la lutte des droits civiques menée par les noirs et renâclait fortement devant les menées guerrières des USA en extrême-Orient… Peter, Paul and Mary, Ramblin’ Jack Elliott, Dave Van Rock, Joan Baez, chacun à sa manière aida au décollage de cet inconnu qu’était Bob Dylan. Doué pour l’écriture, encouragé par ses amis, Dylan explosa littéralement. L’on a souvent oublié que l’adolescence de Dylan fut rock and roll, son amour du folklore n’était qu’une deuxième floraison, d’emblée il acquit cette aura symbolique que seules des personnalités comme Elvis Presley et Jerry Lee Lewis avaient endossé sans complexe, naturellement. En tournée en Angleterre en 1964 Dylan fut subjuguée par la force de la version de The House of the Rising Sun des Animals. Dès 1965 Dylan passa le Rubicon de l’électricité. Plus que la naissance du folk-rock ce meurtre du père dylanien ouvrait la route à une nouvelle génération rock.

    L’on connaît la suite, Paul Simon & Gafunkel et John Sebastian offrirent un folk-rock davantage maniéré et donc plus accessible à un public de classe-moyenne tandis que le Butterfield Blues Band et Canned Heat s’adonnaient à un blues plus insidieux, et qu’à New York le Velvet Underground vous refilait des doses de produits particulièrement vénéneux…

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    S’intéresse ensuite au garage. Renvoie la mythologie à la casse. Le garage que plus tard l’on assimilera par une extension du domaine de la lutte au punk est sèchement remis à sa place. S’agit de groupes qui n’ont jamais atteint le statut national. Des groupes régionaux. De la troisième division. Enregistrent dans un de ses studios locaux que l’on trouve désormais un peu partout jusque dans les villes d moyenne importance. Des provinciaux dirait-on par chez nous, des Rastignac de seconde zone qui ne se mesureront jamais à Paris. Cite toute une flopée de groupes mais ne révère vraiment que Paul Revere and the Raiders à qui il tresse une véritable couronne de lauriers laudatives à l’instar de notre Cat Zengler dans Kr’tnt ! 229 du 02 / 04 / 2015.

    Ensuite l’on zigzague entre les deux bords de l’Amérique, l’on ne sait plu où donner de la tête, des Beach Boys au Byrds, de Janis Joplin au Gratefull Dead, de New York à Los Angeles, de Sonny and Cher à Creedence Clearwater Revival, de quoi attraper le tournis. Nous voici à San Francisco, times are changin’, les maisons de disques sortent leur chéquier et signent tout ce qui passe à portée de leurs stylos. Gillet n’est pas extrêmement laudatif dans son bilan, tous ces nouveaux groupes ne font que délayer les vieux plans de guitare du blues et du rhythm and blues. Rien de nouveau sous le soleil. Les quitte bientôt pour s’octroyer une halte à Nashville, le country refuse de mourir, se perpétue, présente quelques têtes nouvelles, Dolly Parton, Tammy Winette, George Jones, Merle Haggard, Chris Christopherson, et les vieux pots dans lesquels on cuisine la meilleure tambouille, Jerry Lou, et l’alliance Johnny Cash-Bob Dylan. Quelques lignes sont consacrées à Jerry Reed qui fournit àElvis Guitar Man et U. S. Male qui préfigurent le grand retour du King.

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    De Nashville à Memphis la distance équivaut à un saut de puce. Chips Moman s’occupe des nouvelles sessions d’Elvis et déjà les outlaws Waylong Jennings et Willie Nelson dégainent les colts aux détours des sentiers les plus lucrativement conservateurs du country. Une page bien venue sur Joe South dont personne ne parle qui fournit deux titres à Gene Vincent et qui participa à de nombreuses séances à Muscle Shoals avec Rick Hall, tint la guitare sur les séances new-yorkaises d’Aretha Franklin produites par Jerry Wexler, et que l’on retrouve derrière Bob Dylan et Simon and Garfunkel… son album Introspect est à rechercher.

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    L’on avait oublié que l’Angleterre existait. Nous y revoici ! La vieille England n’entend pas rester à la traîne. Opère une subtile différence entre pop et rock. En fait, ça part dans tous les sens. L’on passe de l’apparition du ska avec les Specials et Madness à Nice et aux Bee Gees pour revenir sur les Small Faces et Cream. L’on revient aux Who qui nous emmènent a Jimi Hendrix. Led Zeppelin, Fleetwood Mac, Traffic, Procol Harum, Jimmy Cliff, Bob Marley, Moody Blues, Move, David Bowie, Tyrannosaurus Rex, Free, Bad Company, Pink Floyd, les tournées américaines, l’on sent que Charlie Gillet est pressé de terminer son opus.

    GOODNIGHT, AMERICA

    Toujours au pas de course, le public rock, Woodstock, le travelling ralentit pour le Band mais la course, véritable générique de fin, reprend : Linda Ronstad, Bobbie Gentry, Ry Cooder, Little Feat, Neil Young - dans la série n’oublions personne - Alan Price, Joni Mitchell, James Taylor, Carole King, Don McLean et sonAmerican Pie en dernier cadeau… une conclusion en dix lignes, l’Amérique s’endort sur son gâteau. Ne la réveillez pas. Le volume s’achève par cent vingt pages de notes et index divers…

    VUE D’ENSEMBLE

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    Deux constats d’emblée, l’aurait dû appeler la bête, histoire du rock’roll américain, le premier volume qui s’arrête au début des années soixante est nettement plus abouti que le second trop rapide et qui part un peu dans tous les sens. L’on apprend beaucoup mais il manque la chair. Au départ l’ouvrage était une thèse universitaire, cela se ressent. Est absente la spécificité existentielle du rock and roll. Ce rapport mythologique que le fan entretient avec cette musique. Le bouquin est parfois exhaustif mais il manque la dimension particulière du vécu. L’on en ressort un peu fatigué, je doute que le néophyte poussé par une malsaine curiosité n’aille jusqu‘au bout, l’aurait vite l’impression de lire un livre d’érudition sur les dynasties assyriennes, d’interminables listes de noms et de dates qui n’éveilleraient rien en lui… Charlie Gillet a dû s’en rendre compte, dans la préface de sa seconde édition il avoue que son livre suivant Making Tracks qui relate l’odyssée de d’Atlantic Records accorde une plus grande place à ses impressions personnelles… N’est pas non plus resté inactif dans le monde du rock, l’a créé son label Oval Records qui managea la carrière et édita les disques de Kilburn and the High Roads de Ian Dury, rien que pour cela nous lui pardonnerons beaucoup.

    Par contre l'a eu la mauvaise idée de quitter notre monde en l'an de grâce 2010...

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    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 250 : KR'TNT ! 370 : MARK LANEGAN / CRYSTAL & RUNNIN' WILD / JACQUES HIGELIN / JOHNNY HALLYDAY

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 370

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    19 / 04 / 2018

     

    ATTENTION CETTE LIVRAISON 370 PARAÎT AVEC QUELQUES JOURS D'AVANCE / POUR VEILLER A L'HARMONIE DU MONDE ET NE PAS NUIRE A SON EQUILBRE PRECAIRE LA LIVRAISON 371 PARAÎTRA AVEC QUELQUES JOURS DE RETARD / SURTOUT NE FAITES PAS L'IMPASSE SUR LA LIVRAISON 369 / PLUS QU'UN CRIME CE SERAIT UN MANQUEMENT AU ROCK'N'ROLL !

     

    MARK LANEGAN / CRYSTAL & RUNNIN'WILD 

    JACQUES HIGELIN /JOHNNY HALLYDAY

     

    Lanegan à tous les coups - Part Two

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    Mark Lanegan vient de faire paraître un recueil de textes intitulé I Am The Wolf. Lyrics & Writings. Il y présente chacun de ses albums solo de façon très sommaire : une courte introduction suivie des paroles des chansons. Il suit le modèle de Go Tell The Mountain, recueil de textes et de paroles de chansons jadis édité par son ami et mentor Jeffrey Lee Pierce.

    De façon très elliptique, il situe le contexte dans lequel fut enregistré chacun de ses albums et d’une certaine façon, l’ouvrage le rapproche d’une élite, celle des grands écrivains de la rock culture : Dylan, Dickinson, Ray Davies ou encore Nick Kent.

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    Lanegan : «Ce livre est un recueil de paroles de chansons. Quand j’étais gosse, les livres, les disques et les films m’ont sauvé la peau, mais je ne pensais pas qu’un jour je jouerais de la musique ou j’écrirais. Dans ma vie, les choses se sont toujours présentées accidentellement et c’est en voulant les changer que je suis devenu créatif. La raison pour laquelle j’ai servi de l’essence à Texaco, j’ai nettoyé les chiottes, j’ai lavé la vaisselle et servi le breakfast dans des relais d’autoroutes, revendu de l’électro-ménager, fait des déménagements et repeint des maisons, vendu des drogues et pris des drogues, voulu travailler dans un cirque ou m’engager dans l’armée, bu régulièrement jusqu’au coma éthylique et cherché la bagarre dans des bars, vécu d’innombrables relations sentimentales foutues d’avance et volé des tas de choses pour les revendre, sauté sur toutes les occasions de baiser et adopté un comportement bizarre, que ce soit en public ou en privé, eh bien, quand je suis entré dans un groupe, c’était pour la même raison : l’occasion s’est présentée et j’ai dit oui. Et j’ai appris comme j’ai pu à devenir chanteur. Je ne suis pas plus doué qu’un autre. J’ai eu beaucoup de chance.»

    Fantastique self-portrait. On se plaignait de l’absence de littérature sur Lanegan et les Screaming Trees. Maintenant, nous avons ce qu’il faut.

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    Il fait une poignante présentation de The Winding Street, premier album solo paru en 1990. «Le titre de l’album sort de ce que disait Maya Angelou dans une émission de télé sur PBS et les chansons sont inspirées par ce que je vivais à l’époque : problèmes relationnels, pas de blé, alcool, dépression, came, et tout le reste. C’était parfois sérieux, parfois comique. Le climat pluvieux de Seattle n’arrangeait rien, je songeais aussi à la mort et à l’imminence de la fin du monde. Je tirais alors mes influences musicales d’un amour inconditionnel du blues et du style introspectif et poétique de gens comme Leonard Cohen, John Cale, Jeffrey Lee Pierce, Falling James Moreland, Ian Curtis, Nick Cave et de héros locaux de Portland, Oregon, Chris Newman et Greg Sage.» On trouve sur cet album une très belle reprise du fameux «Where Did You Sleep Last Night» de Leadbelly. L’autre grand pote de Lanegan, Kurt Cobain, y joue de la guitare. C’est une version trashy assez miraculeuse. Ils transforment ça en enfer sonique et Lanegan hurle sa foi en Lead. Quel coup de génie ! Tout aussi fascinant, voilà «Juarez» - Turn the TV on/ Give me another blowjob before I’m on the nod/ Say you’ll always love me/ And never do me no harm - C’est une ode à la désespérance (Allume la télé, taille-moi encore une pipe avant que je m’endorme, dis-moi que tu m’aimeras toujours et que tu ne me feras jamais de mal). Avec «Museum», Lanegan nous entraîne dans le néant de nowhereland, c’est de la pop des cavernes, mais dans son dénuement, cet homme extraordinaire conserve sa dignité de dandy. On retrouve des dynamiques de Screaming Trees dans «Down In The Dark», mais ça reste très succinct - Baby you’re gonna die someday - On sent que cet album refuse obstinément d’avouer sa défaite. Lanegan ne veut pas s’incliner devant la raison.

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    «J’écoutais Astral Weeks de Van Morrison du matin au soir et un jour j’eus une révélation : je voulais faite un album plus expansif que The Winding Sheet. Je voulais créer quelque chose de singulier, un monde à part entière. Au même moment, une amie me donna à lire Blood Meridian de Cormac McCarthy et son imagerie me frappa. McCarthy et Morrison furent donc les deux sources d’inspiration de Whiskey For The Holy Ghost. On trouve sur cet album un coup de génie intitulé «Borracho». Lanegan y descend sous le boisseau pour murmurer des choses terribles du genre trouble comes in slowly. Et il fait sa chute de couplet avec un I need some more room to breathe. C’est épais, tragique et grandiose à la fois - Here comes the devil prowling around - Le guitariste s’appelle Mike Johnson. Lanegan plonge dans les affres de la rédemption - L’m sorry for what I’ve done/ Lord it’s me that knows what it costs - Il n’existe rien d’aussi poussé dans l’âpre exercice de la véracité. On trouve d’autres merveilles sur cet album, comme par exemple «Riptide Nightingale», où il annonce qu’il va chialer - I’m gonna cry now - C’est l’expression du désespoir ultime, ou encore «El Sol», magnifique balladif visité par des relents de Mary Chain - Waiting for some warmth and coming down - Il va aussi chercher «Dead On You» au plus profond de son désespoir. Tout est irrémédiablement doomé sur cet album, ce qui fait sa grandeur.

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    Il choisit d’évoquer la fin d’une relation sentimentale pour présenter Scraps At Midnight, paru en 1998 : «Elle roula des yeux et dit : ‘Toujours un voile, jamais une lumière’, alors que je rentrais défoncé, et peu de temps après, une autre love story finissait à la poubelle.»

    Lanegan précise que «Last One In The World» ne concerne pas la mort de Kurt Cobain comme on l’a dit, mais celle de son ami Layne Staley. Cette chanson lui est dédiée. Et il ajoute : «Je les aimais tous les eux, Kurt comme un petit frère et Layne comme un jumeau.» On aimerait avoir Lanegan comme ami, car «Last One In The World» est d’une beauté mirifique. Ça sonne d’entrée comme un hit confraternel chaud et langoureux et pour ne rien arranger, c’est une authentique merveille mélodique - Goodbye my friend/ I hate to see you go - Il faut le voir poser sa prosologie sur la mélodie, avec tous ces petits décalages qui en font la saveur - I hear you cry/ But let’s not waste this night/ The last one in the world - C’est tellement beau qu’on y revient plusieurs fois de suite. Le guitariste Mike Johnson fait des miracles sur cet album, notamment sur «Stay». Il intervient sur le tard avec du phrasé enluminé et il finit «Hospital Rool Call» au psyché en sous-main. Le «Wheels» qui ouvre le bal de la B en épatera plus d’un. J. Mascis et Tad Doyle sont de la partie. Lanegan nous embarque dans un slow groove aussi fascinant que celui du «Cowboy Movie» de Croz - Go my love on your way/ To bigger and bright better days - On s’enivre de la musique des mots. Chez Lanegan, ça monte directement au cerveau - Just running round catching ‘em/ Whichever way they fall - Rien d’aussi musical. Il finit cet album somptueux (un de plus) avec un «Because Of This» digne des grandes heures des Trees. On a le même son et la même volonté de démesure orientaliste. Quel fantastique retour aux sources ! Ces mecs renouent avec la puissance du gros Conner.

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    I’ll Take Care Of You est un bel album de covers. Il démarre avec le «Carry Home» de Jeffrey Lee Pierce. Pas de meilleure introduction, le cut sonne comme un classique impérissable, hanté et hanteur à la fois, beau et comme en déclin, joliment claqué à coups d’acou. Il tape ensuite dans la belle Soul de Brook Benton avec «I’ll Take Care Of You», puis dans Tim Hardin avec «Shiloh Town». Lanegan a du goût, mais du goût américain. Il rend aussi hommage à Fred Neil avec «Badi-Da» et la magie opère. Voilà une merveille éraillée sortie du paradis perdu. Appelons ça l’extrême onction du génie incarné. Lanegan fend l’âme des contrechants d’ombilic. Et puis on tombe sur le pot aux roses : une version somptueuse de «Consider Me», vieux hit composé par Booker T. Jones et Eddie Floyd. Idéal pour un king of scum comme Lanegan. Il le chante à contre-courant au darling darling please consider me. C’est l’un de ses plus gros coups de Jarnac, il monte au yeah they’ll understand et il redescend au darling darling. Ce mec est un diable - So you gotta have a man - et il ajoute, déchirant - I don’t want to be left on the outside babe/ Please consider me - Pour ne pas rester seul, il descend dans des sous-couches inimaginables. Il termine cet album terrible avec le «Boogie Boogie» de Tim Rose. Il n’y a que les Américains pour aller taper dans les deux Tim, Rose et Hardin. C’est un autre monde et un autre beat.

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    Lanegan considère Field Songs comme l’un de ses meilleurs albums, and it contains some of my favorite songs. Il cite «Don’t Forget Me» qui effectivement marque la mémoire au fer rouge. C’est un heavy groove de génie chanté à l’énergie du désespoir, une espèce de mambo transversal chanté à l’aune de la voyoucratie. Lanegan dit avoir pompé une Israeli folk song et il ajoute que ses fans l’ont tout de suite vu. Lanegan en fait un fabuleux rumble de classe suburbaine. «One Way Street» fait aussi partie de ses chansons favorites. On a là un admirable balladif ravagé et fabuleusement mélodique qui entre sous la peau. Il règne dans cette latence un beau relent d’insistance. Avec Lanegan tout est cousu, c’est ça le drame. Il précise que «Kimono’s Dream House» fut un cadeau from my favourite singer, friend and mentor Jeffrey Lee Pierce. He gave me the music and half the lyrics and said ‘Finish it’. Avec cette merveille, Lanegan nous transporte dans un monde suspendu, ailleurs. Somewhere. Admirable. Ce beau diable transforme le cadeau de Jeffrey Lee en coup de génie harmonique. Il fait une approche ultra-fine de so many things. C’est d’une beauté moderne qui dépasse l’entendement. Tout est si beau sur cet album qu’il en devient surréaliste et suprêmement éloigné des contingences. Avec «Phill Hill Serenade», il crée une sorte d’événement, rien qu’au chant. Il prend sa Serenade en crabe, il chante à la pointe de feeling, c’est nappé d’orgue, comme suspendu. «Low» sonne comme un balladif biblique. Il y a là-dedans quelque chose d’élégiaque qui nous dépasse. Tout aussi beau, voilà «Blues For D», une sorte de blues des catacombes. Il va bien au-delà de toutes les expectatives. On reste dans la série des fabuleux balladifs avec «She Done Too Much». Il travaille la moelle de son balladif au baryton des morts vivants et c’est encore une fois d’une beauté qui force l’admiration. Il termine avec «Fix». S’il est un mec sur cette terre qui peu chanter le fix, c’est bien lui. Il est plus aléatoire que Lou Reed, mais il reste infiniment crédible. C’est du fix digne des Spacemen 3, bienvenue au club du heavy rush - Gonna drive that Terraplane across a frozen ocean.

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    Dans son livre, Lanegan raconte qu’il avait des ampoules au sang quand il est arrivé à Houston - I had come down to Houston at a time of intense heat and extremely high humidity, avec des bottes de biker trop grandes aux pieds et pas un rond pour en acheter d’autres - Lanegan raconte qu’au départ, il s’agissait de démos, mais c’est devenu un vrai album. C’est John Langford qui dessine la pochette de Houston Publishing Demos. Il faut absolument se jeter sur cet album, ne serait-ce que pour ce coup de génie intitulé «No Cross». Il s’agit là d’une extravaganza d’Americana de wild frontier, mais avec le groan du chercheur d’or - Play some rock & roll dead show - Pur génie de singalong. Dans «When It’s In You (Metemphetamine Blues)», Lanegan fait rimer blues avec lose. Belle rime de loser et bien sûr, c’est tartiné aux guitares psyché. On se régalera aussi du mighty «I’ll Go Where You Send Me», un balladif rebondi et somptueux, orchestré à la tension du désespoir et swingué au beurre. En B, on tombe sur «Blind», un heavy balladif sépulcral, typical Lanegan - Will there be another day - Et avec «Halcyon Daze», il n’en peut plus - I need somebody like you/ I’m on my own and tired/ It’s true - Encore une rime sublime, you and true. C’est avec «Nothing Much To Mention» qu’on voit à quel point Lanegan est d’abord un écrivain. On parle ici de littérature - They say that love can make you weep/ But make you very glad as well/ But all I think of love is sleep/ I’d say I’m sorry but what the hell/ You’ve heard it all too many times/ No long goodbyes (On dit que l’amour peut faire pleurer/ Mais aussi te rendre heureux/ Je pense que l’amour endort/ Désolé mais que veux-tu/ Tu as déjà entendu ça trop souvent/ Pas la peine d’en rajouter) - Il termine avec «Way To Tomorrow», sans doute le cut le plus désespéré de toute l’histoire du rock - a song I wrote and recorded my last night in town upon receiving the devastating news that Layne Staley had died.

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    Lanegan rassemble Here Comes That Weird Chill et Bubblegum dans un même chapitre. Attention, ce sont deux albums assez explosifs. Il raconte l’histoire de «Bombed» qui se trouve sur Bubblegum, une chanson spontanée qu’il venait d’écrire et d’enregistrer. Il mit Wendy Rae Fowler, my soon-to-be-ex-wife, devant un micro et la fit chanter. Il obtint un résultat qui lui rappelait Royal Trux, a band I liked. «Quand je lui ai dit que j’allais conserver la première prise, ça ne lui plaisait pas, mais ce n’était rien comparé à tout ce que je lui avais fait qui ne lui plaisait pas.» On vit Lanegan chanter ces cuts déments sur scène à Paris, en 2004, sous le lustre rococo du Nouveau Casino. Encadré de gens couverts de tatouages, Lanegan s’arrima à son pied de micro pour chanter dans une semi-obscurité soigneusement aménagée. Tous les musiciens étaient éclairés, sauf lui. On sentait l’homme sorti indemne d’un tourbillon de délinquance, de drogues et d’excès en tous genres. Il portait fièrement le poids de vingt ans de débauche et un T-shirt noir marqué «Carhartt». On voyait son buste dodeliner sur le beat et ses jambes extraordinairement massives rester campées au sol. On entendait l’immense growl sourdre des profondeurs de sa poitrine de superstar. À sa droite, le guitariste hellacoptérisé jouait avec ses longs doigts tatoués des arpèges maléfiques sur sa strato ivoire. En jouant «Sideways in Reverse», ils devenaient encore plus stoogiens que les Stooges. Avec ses cheveux mi-longs et sa barbe fournie, l’autre guitariste ressemblait étrangement à Charlie Manson. Il y avait aussi du Raspoutine en lui. Il prenait des solos effrayants de barbarie et jouait en se réaccordant. Ce barbu tétanisant était autant anti-frimeur que Lanegan était anti-superstar. Il alignait des balladifs somptueux comme «One Hundred Days» et «Morning Glory Wine» et duettait avec Sally Graham sur l’infernal «Hit the City». Il atteignait au génie avec «Wish You Well» et termina le set en apothéose avec «Methamphetamine Blues».

    On retrouve «Methamphetamine Blues» sur les deux albums, Weird Chill et Bubblegum. Monté sur le beat des squelettes, ou si vous préférez, le beat des forges primitives, ce cut incarne l’idéal du rock moderne, avec un son et une voix de rêve. Lanegan y sublime l’essence de la malédiction. L’autre coup de génie du mini-album Weird Chill est cette stupéfiante reprise du «Clear Spot» de Captain Beefheart, considéré à juste titre comme l’un des summums de l’intapable. Sauf par Lanegan. C’est le clin d’œil d’un géant à un autre géant, indubitable croc-en-jambes. Non seulement il faut savoir le jouer et le chanter, mais il faut surtout savoir le hanter. Avec «Message To Mine», Lanegan se met en position de perdition et se fond dans un heavy groove de type Screaming Trees. L’un de ses pouvoirs occultes consiste à tortiller les consonances. Il revient au groove des catacombes avec l’admirable «Skeletal History». C’est extraordinairement macabre. Et il revient à la beauté universelle avec «Wish You Well». Il semble parfois que ce démon ne chante que des chansons définitives. Il chante le limon du fleuve, le sel de la terre, l’aube du jour, il étend les bras et embrasse la création du monde, il veille sur le rock, son royaume, du haut des montagnes. S’il est un homme sur cette terre qui se rapproche de l’idée qu’on se faisait des dieux dans l’antiquité, c’est bien Lanegan.

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    Il raconte qu’il enregistra les morceaux des deux albums entre deux concerts avec les Queens Of The Stone Age, dont il était l’auxiliary singer. Il atteignait un nouveau pic dans ce qu’il appelle le out of my mind et pendant des mois, il essaya de compléter un album, but as usual, my own insanity would not allow it. Et donc, au bout de quelques mois, il se retrouva avec de quoi remplir deux albums. L’infernal «Hit The City» se trouve sur Bubblegum. La pauvre PJ Harvey vient duetter et malheureusement, elle sonne un peu creux. Josh Homme joue l’effarant drive de basse. Quand on croise un son intéressant, en général, Homme n’est pas loin. L’autre grand hit séculaire de Lanegan s’appelle «One Hundred Days». Beau et languide, il s’étend jusqu’à l’horizon chimérique. Dans le très stoogien «Sideways In Reverse», l’ex Burning Brides Dimitri Coats fait des siennes. Lanegan rend hommage à Litlle Willie John avec la poignant «Like Little Willie John» et il repasse au balladif de classe intercontinentale avec «Morning Glory Wine». On assiste là un à phénomène d’élongation radieuse. Tiens encore un hit, «Driving Death Valley Blues», véritable télescopage de violence sonique. Lanegan sait tremper sa frite, c’est complètement saturé de guitares congestionnées et monté au beat puissant d’une armé qui marche sur l’ennemi - Don’t let me go gold turkey.

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    Avec Blues Funeral, Lanegan semble entrer dans une période plus classique. «In the aftermath of a near death experience, music no longer had any effect on me.» Voilà comment il situe le contexte de cet album qui n’a de floral que la pochette. Puis il retrouve l’envie d’enregistrer. «If forced to choose one of my albums to play live, this would be it.» C’est d’ailleurs ce qu’il fait puisqu’on retrouve dans son set l’effarant «Gravedigger’s Song» - With piranha teeth/ I’ve been dreaming of you - un cut tendu à l’extrême et chargé d’haleine, avec quatre vers en français - Tout est noir mon amour/ Tout est blanc/ Je t’aime mon amour/Comme j’aime la nuit - Sa voix tremble d’horreur psychotique. Quel coup de so sweet ! Lanegan rappelle que le titre de l’album est un hommage au grand T.S. McPhee et aux Groundhogs et que son overall sound est le reflet de son krautrock listening habit. Il indique aussi que «Riot In My House» est inspiré par les Leather Nuns. Magnifique déflagration, c’est à la fois métallique et guerrier. On ne fera jamais mieux que ce coup de get up on the floor, d’autant qu’il a derrière lui les pires guitares du monde. Il rallume la chaudière à chaque couplet. Il faut avoir vu ça au moins une fois dans sa vie. Du vrai rock de squelettes ! Même son que «Methamphetamine Blues», c’est du stomp de clavicules rouillées dans lequel serpentent des guitares psyché - Chaos is blossoming/ Run and hide little mouse - Comme l’indique le titre, «Bleeding Muddy Water» bascule dans le funéraire - You are the bullet/ You are the gun - Et avec «Ode To Sad Disco», il enfante le diskö kraut, sur fond de révolution industrielle, c’est à la fois grandiloquent et sensible, heavy et divin, et des vents venus des Screaming Trees s’engouffrent dans les ouvertures - I get down on my knees - Il y atteint des sommets. Il bourre de chœurs son «Quiver Syndrome». Lanegan chante ça au pire des possibilités et une fantastique architecture de rock s’élève sur des accords fiables. Eh oui, ce sont bien les chœurs de «Sympathy For The Devil» qu’on entend. Sacré clin d’œil. Il monte encore d’un cran dans l’impossible avec «Harborview Hospital», la chanson de l’observance. Pop de rêve - They’re sinking, they’re sinking/ Into the ocean beautifull and still - Et il implore, il faut voir comme, oh sister of mercy. Il nous emmène dans la mythologie des pirates avec «Levianthan» - Skeleton high in the trees - et il tape «Deep Black Vanishing Train» au baryton ferroviaire. C’est un album très lourd de conséquences.

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    Nouvel album de reprises avec Imitations. On ne peut parler que d’album magique. Avec «She’s Gone», Lanegan transpose Josepk Kosma au pied des Appalaches. Le chant échappe aux ténèbres humides du baryton pour s’élever dans une aurore boréale digne des visions d’Edgar Burne-Jones. Puis il swingue «Deepest Shade», une compo de Greg Dulli, dans l’épaisse terreur urbaine. Il rend plus loin hommage à Nick Cave avec «Brompton Oratory». Envoûtement garanti. Une trompette s’épanche dans le crépuscule des dieux et de fantastiques ambiances se trament autour du vieux corbac. Lanegan revient inlassablement au rivage, comme la marée. En B, il tape dans le dur du mythe avec «Mack The Knife», l’un des classiques de Kurt Weil. Lanegan se met à swinguer l’Opera de 4’ Sous, c’est un exploit mythologique - Someone smoking round the corner/ Is that someone Mack the Knife ? - et l’«I’m Not The Loving Kind» de John Cale qu’il reprend à la suite pourrait très bien sortir de Paris 1919, tellement ça rayonne de beauté. Il termine avec un clin d’œil à Gérard Manset («Élégie Funèbre») et à Yves Montand avec «Autumn Leaves». Comme Iggy qui lui aussi a mis les doigts dans ce pot de confiture, il s’en sort avec tous les honneurs.

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    Pas grand chose à dire de Black Pudding qu’il enregistre avec Duke Garwood. On s’y ennuie un peu. La guitare de Garwood se perd dans le désert. On croirait entendre Ali Farka Touré. Lanegan parle de Jésus. On tombe plus loin sur un «Mescalito» tapé au beat machine. Lanegan y parle bien sûr de sorrow. Les chansons, comme l’album, sonnent comme des causes perdues. À force de dénuement, «Death Rides A White Horse» paraît beau et avec «Cold Molly», Lanegan se livre à un fantastique exercice de cold cold style. Il nous boppe son cold et avance en crabe sur une plage de sable noir.

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    Pour présenter Phantom Radio, Lanegan indique qu’il a beaucoup évolué et qu’au lieu de bâtir the bare bones of what I’m able to, I now make music that is much more in tune with what I myself like lisning to - Il nous met en phase avec ce qu’il aime écouter. Parmi ses influences, il re-cite le krautrock, les Leather Nuns et les groupes anglais sur Factory Records. Une belle énormité nommée «Seventh Day» se niche sur l’album. Il y renoue avec le beat des squelettes de Methamphetamine. C’est à la fois insidieux et sacrément inquiétant. Ça sent bon la gargouille adipeuse à la Jerome Bosh. Dans «Judgement Time», il indique que l’heure va bientôt sonner et son «Floor Of The Ocean» sonne comme du Richard Hawley. Mais on sent bien que Lanegan peine à retrouver le chemin du firmament. Son «Torn Red Heart» sonne comme du Mary Chain. Les influences se croisent dans le néant des catacombes. Il dit «Death Trip To Tulsa» influencé par les Leather Nuns. Voilà un cut chargé de tout le pathos habituel, lourd, beau et sans avenir, à l’image du corps humain lui aussi destiné à pourrir dans un trou.

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    Et pour présenter son dernier album, Gargoyle, il se limite à quelques lignes pour dire qu’il a pris du plaisir à écrire certains cuts plus légers et notamment «Old Swan» qui est complètement débarrassé de toute darkness, which might be a first for me - Queen of the world/ Take me in your arms/ Let me live again/ Clean - Poignant et très beau, mais aussi altéré et fané, mais si vivant sous la vieille peau du beat. Le hit de l’album s’appelle «Beehive», une powerhouse digne du temps des Screaming Trees. Wow, cette façon qu’il a de cracher - Honey just gets me stoned where I’m living - Il chante «Emperor» avec de faux accents de Bowie dans l’atmosphère cordiale d’une fête au village. Fantastique ouverture d’abîme que ce «Drunk On Destruction» - Death is my due - Il se sent partir dans un remugle d’arpèges et de la la la démoniaques. Et puis, voilà «Death Head Tattoo», cut d’ouverture du bal sur scène et sur disque, avec son ambiance de loaded gun et de golden sun. Lanegan y travaille ses visions de pendu - Man on the gallows swing - et de creatures walking through the weeds. Encore une sorte de hit avec «Nocturne», monté sur un heavy beat et theâtre d’une poésie macabre atrocement belle. Il nous plonge dans son univers avec une aisance désarmante. Et quand on tombe sur «Sister», on réalise que Lanegan est le seul rocker au monde à savoir twister ses râles d’agonie. Il en fait un art.

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    Ça devait se passer au Trabendo. Après le concert, Lanegan vendait ses bootlegs. Oh pas bien cher. Blues Funeral enregistré à Mexico City en 2012 devait coûter un billet de vingt. On y retrouve les versions live des cuts de l’album du même nom, tous les morceaux qu’on peut entendre encore aujourd’hui quand on le voit sur scène. Dès «Gravedigger’s Song» l’empire du mal qui fait du bien s’étend par delà les frontières du réel. Il existe dans cette musique une pression et une tension uniques au monde. Par son côté lancinant, «Bleeding Muddy Water» sonne vraiment comme un classique de Leadbelly et «Riot In My House» comme un hit planétaire, car c’est joué au psyché dévorant. «Ode To Sad Disco» est chargé de toute la démesure de la chute de l’Ange et résonne du beat des cavernes. Et quand en B, on tombe sur «Quiver Syndrome», on prend toute la démesure laneganienne en pleine gueule. C’est une véritable dégelée de psyché, ces cuts déjà très puissants prennent sur scène une autre allure, c’est littéralement chauffé à blanc et des chœurs couronnent le tout. «Harborview Hospital» sonne aussi comme un hit monstrueux, toute la mélancolie du monde semble s’y concentrer, c’est comme porté par la voix d’un ogre renfrogné. Il termine ce set faramineux avec «Tiny Grain of Truth», un heavy doom qui nous plonge aussitôt dans l’entonnoir d’Edgar Poe, c’est psyché dans l’essence de l’indécence, ça coule comme une lave dyslexique, une marée du siècle inversée, à l’image du gâchis mercurial des années de tempérance.

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    Un autre live vaut le détour. Intitulé Julia, il fut enregistré à Bruxelles en 2010. Les cuts qui sortent de Field Songs («One Way Street» et «No Easy Action») restent des grosses poissecailles, même si Lanegan qui est seul sur scène gratte quatre fois trop d’accords. Mais il chante si bien à l’agonie qu’on lui pardonne tout, surtout dans «Don’t Forget Me». Il gratte les accords de Gloria pour rejouer «Where The Twain Shall Meet». Joli son d’acou, du coup. Un blues macabre comme «Resurrection Blues» prend ici une dimension hors normes. C’est d’une beauté qui donne le frisson, du type de ceux qu’on éprouve la nuit au contact d’une pierre tombale. Il termine avec une histoire de pendu, «Hanging Tree» et un corps qui se balance, swinging in the breeze - c’est tendu à se rompre - in the summer sun.

    Signé : Cazengler, Lanegland

    Mark Lanegan. The Winding Street. Sub Pop 1990

    Mark Lanegan. Whiskey For The Holy Ghost. Sub Pop 1993

    Mark Lanegan. Scraps At Midnight. Sub Pop 1998

    Mark Lanegan. I’ll Take Care Of You. Sub Pop 1999

    Mark Lanegan. Field Songs. Sub Pop 2001

    Mark Lanegan. Houston (Publishing Demos 2002). Ipecac Recordings 2015

    Mark Lanegan Band. Here Comes That Weird Chill. Beggars Banquet 2004

    Mark Lanegan Band. Bubblegum. Beggars Banquet 2004

    Mark Lanegan Band. Blues Funeral. 4AD 2012

    Mark Lanegan Band. Play Blues Funeral, Mexico City, Plaza Condesa, 9/4/2012

    Mark Lanegan. Julia. Music Portrait LTD 2012

    Mark Lanegan. Imitations. Vagrant Records 2013

    Mark Lanegan & Duke Garwood. Black Pudding. Ipecac Recordings 2013

    Mark Lanegan Band. Phantom Radio. Heavenly 2014

    Mark Lanegan Band. Gargoyle. Heavenly 2017

    Mark Lanegan. I Am The Wolf. Lyrics & Writings. Da Capo Press 2017

    CRYSTAL & RUNNIN' WILD

    ALREADY DAMNED / DO YOU MISS ME LIKE I DO

    ( Rythm Bomb Records / RBR-45-27 )

    ( 2016 )

    Crystal Dawn : Vocal / Patrick Ouchene : Guitar / Johnny Trash : Drums & Vocal / Bart Crauwels : Upright Bass /

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    Faut que je fasse attention, un fusil à chevrotines à portée de la main, sans quoi Vince Rogers, amateurs des collections de poche fantastique sur lesquelles une super vamp essaie d'échapper à un monstre visqueux issu des profondeurs marines, ou à des créatures à carapaces tentaculaires venues de planètes inconnues, me subtilisera la pochette aussi sûr que deux + deux = quatre. Bon Vince, je t'aime bien, on partage, je te refile l'araignée géante et je garde la poupée terrifiée.

    Already Damned : évidemment ça ne pouvait que mal commencer, une guitare qui sonne comme des coups de feu dans une fête foraine, une batterie qui joue aux auto-scooters avec votre corps, et une contrebasse qui claque comme un micro assourdissant qui t'annonce que t'as gagné le gros lot. Pour une fois, c'est la vérité vraie, voici Crystal qui s'amuse à t'éclater la cervelle à coups de revolver. Elle en crie de bonheur et entre deux balles vocales de la belle tu pries le Seigneur pour qu'elle recommence. Do you miss me like I do : ouf ! l'on change de registre, mais ça remue tout autant qu'un bal perdu au fond des Appalaches. Ambiance country, retirons-nous, laissons les amoureux Johnny Trash et Crystal régler leur petit compte entre eux, ne vaut mieux pas s'en mêler, l'on risquerait d'être de trop, faisons semblant de nous intéresser au violoneux Patrick Ouchene qui maltraite sa guitare, car les deux autres sont emportés dans une gigue étourdissante.

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    Tu vois Vince, les filles c'est difficile à comprendre, qu'elles soient du genre humain ou animal, regarde maintenant, elles font joujou toutes les deux !

    Un 45 tours. Non, un collector.

    Damie Chad.

    CRYSTAL & RUNNIN' WILD

    ( Backline 007 )

    Crytal Dawn : Vocal / Patrick Ouchene : Guitar / Johnny Trash : Drums & Vocal )

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    Deadly dead : ah cette intro de guitare, pour un peu l'on n'écouterait qu'elle. Funeste erreur, car après c'est aussi bon, et même mieux, la voix d'airain de Crystal, un sortilège mélodramatique en soi, entrecoupé de ponts musicaux en orichalque le plus pur, l'on devrait voter une loi pour interdire à de telles merveilles de se terminer, splendide de bout en bout. I'm so lonely : c'est si beau que l'on souhaiterait qu'elle reste solitaire toute sa vie, le combo derrière fait tout ce qu'il faut pour que sa situation ne change pas, épouse les inflexions sinueuses de sa voix, ça swingue comme une Peggy Lee qui aurait mis un peu de southern country comfort dans sa voix, ce qui provoque deux poussées de fièvre non négligeables, c'est beau comme quand Yseult pleure sur le cadavre de Tristan. Rock boppin' baby : bon, entre nous elle s'est consolée assez vite la damoiselle, faut l'entendre susurrer comme elle est bien quand son baby s'occupe d'elle, plein de tendresse mutine et de câlins inquisiteurs, derrière les musicos balancent comme un grand orchestre de swing, pas de cuivre pour accompagner les caresses, juste des frottis de contrebasse et des explosions contenues de guitare. Inflexions vocales infectieuses. Free the demons : encore plus beau, les échos d'une guitare qui pleure dans le lointain, et la voix de Crystal comme un cactus solitaire dans le désert, Johnny Trash en contre-chant, une ballade pour les âmes perdues désolées d'avoir été exilées des fournaises de l'enfer. L'homme à la moto : et paf, un Piaf. Non pas un moineau maigriot qui n'a pas mangé un grain de blé depuis huit jours. La voix comme un aigle qui a quitté le dos du blouson pour s'envoler très haut dans le ciel et se jouer de la tempête comme l'albatros de Baudelaire. Les musicos pratiquement en sourdine, prêtez l'oreille pour voir la marchandise précieuse qu'il vous passent en douce sous le nez des douaniers. Mais Crystal souveraine monopolise votre attention. The good is gone : retour à la grande mélodie western, la chevauchée des instruments au galop, mais la voix devant sur l'encolure, parfum de vengeance future, nostalgie d'un passé révolu, mais la fureur du présent avant tout. Aussi beau et impitoyable qu'un John Ford.

    Ce n'est pas un disque, mais un condensé phantasmé d'Amérique. Un film en kinorama. Toute l'américana en six titres. Country + jazz = rock'n'roll. Encore faut-il avoir une voix qui soit capable de réaliser ce mélange explosif des plus instables. Certains n'y réussissent pas au bout d'une longue vie. Crystal vous en griffonne la formule les yeux fermés, ensuite elle vous montre comment l'on fait. Six titres lui suffisent pour sa démonstration. Eblouissante. N'essayez pas d'imiter, vous manquera l'essentiel. Platon qui a réfléchi à la question n'a pas trouvé la solution. S'en est tiré en affirmant que c'étaient les Dieux qui vous refilait le don. Comme c'est bête, ils ont pensé à Crystal Dawn mais pas à vous. J'avoue que c'est râlant. Mais quand on entend le résultat on se dit qu'ils ont fait le bon choix.

    Damie Chad.

    CRYSTAL & RUNNIN' WILD

    GOOD TASTE IN BAD FRIENDS

    ( 2014 / Rhythm Bomb Records / RBR 5810 )

    Crystal Dawn : lead vocal / Johnny Trash : drum, vocals / Patrick Ouchene : guitar, vocal / Lenn Dauphin : upright bass.

    Tom Beardslee : lap steel guitar, dobro, vocals / David Prince : trumpet / Michel Ange Montigny : fiddle / Antonio Pujante : guitar, jawharp.

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    Good taste to bad friends : rien de tel que de mauvais amis pour écrire de bons morceaux, guitare glauque, prise de son caverneuse, voix de fille perdue en elle-même attirée par les méandres de la solitude. L'est sûr qu'il vaut mieux être mal accompagnée que trop seule. Crystal vous en convainc facilement avec sa voix venimeuse. Mermaid blues : blues teintée de bulles pétillantes de jazz, une trompette tinte en catimini, mais c'est la voix qui explose les verres de cristal. Grande dame que l'on imagine armée d'un long porte-cigarette, de quoi marquer votre âme au fer rouge. Apaisantes brûlures. Did you ever : bonjour tristesse, la guitare pleure, le violon larmoie, Crystal vous fait le coup de la country pleurnicharde qui transperce votre cœur. Une façon de se moucher dans les rideaux de la variétoche. Tired of your lies : numérotez vos abattis, Madame fait la liste de tous vos défauts, z'avez intérêt à walker the line comme l'enseignait Johnny Cash, du coup le Johnny Trashy vous fait une contre-voix de croque-mort, mais ça plutôt l'air d'énerver la miss. Une scène de ménage qui déménage. I don't know : garde la même voix comminatoire et intransigeante qui lui va si bien, les musicos essaient bien de calmer le jeu de leur côté, mais l'on ne peut pas dire que ce soit une réussite de leur part, madame explose. What a way to die : en pleine forme, ça pulse de tous les côtés, il y a apparemment des façons bien agréables de mourir, même si vous n'y croyez pas, ils vous en persuadent avec fougue. Tellement que quand le morceau se termine vous regrettez d'être encore vivant. Vous ne devinerez jamais jusqu'où cette fille vous emmènera. Up above my head : c'est parti pour ne pas s'ennuyer, Johnny Trash se rue sur le vocal et hop un vocal kangourou bondissant. Le combo profite de l'occasion pour faire tout le bruit qu'il peut. C'est la fête, à n'en pas douter une seconde. Never get tired : jamais fatiguée, sûr de sûr, sautille comme si elle jouait à la corde dans la cour de récréation avec les boys autour qui font tout pour se faire remarquer. Pas de chance pour eux, on n'écoute que Crystal. Blood on the kitchen floor : western à grand spectacle, des cuivres mexicains qui claquent en introduction, des guitares apaches qui chevauchent, Johnny Trash en voix off , l'est sûr que l'héroïne a du sang sur les mains, mais l'a une voix si tendue et elle est si belle avec ses cheveux défaits que déjà vous en êtes tombé amoureux fou et que vous tuerez toute personne qui oserait se mettre en travers de son chemin. Bad boy : les mauvais garçons mettent les filles en joie, Crystal comme les autres, Johnny Trah a beau bêtifier et bégayer dans les choeurs, tout est parfait. Entre nous soit dit, le malheureux est tombé en plein dans le panneau. La mouche dans la toile de l'araignée futée. You gotta go : écartez-vous, la miss est en colère, inutile de vous enfermer dans le placard, vous l'entendrez crier de loin, d'ailleurs les musicos font tout ce qu'ils peuvent pour couvrir sa voix. Peine perdue. Mais qu'est-ce qu'elle belle en colère ! Oh my jingo : nettement plus accessible, voix ensoleillée, steel guitar dégoulinante de contentement, elle a la voix qui jive, et chacun y va de son petit solo. C'est fou comme le monde est beau dès qu'une fille sourit. Open bar ! Rainy night : combien triste la nuit qui a succédé au jour ! Pour les musicos pas question d'un gramme de drame, vous crincrinisent la musique la plus guillerette qui soit. Et Crystal se laisse prendre au jeu. Folie tsigane et champagne à la russe. Oh gee oh gosh : la fête continue, une espèce de ronde sixty-country qui virevolte dans tous les coins du monde. Plus on est de fous plus on rit. White trash Valentine : un vieux phono qui grésille, l'on s'enfonce dans les très-fonds des années vingt pour mieux retourner à l'insouciance country-fifty. Dans n'importe quelle décennie les filles vous ensorcèlent.

     

    Un rockabilly qui penche encore du côté country, tout ce qu'il faut de rythmique pour que Crystal puisse s'amuser à courir des cent mètres haies sur échasses et gagner toutes les courses. Une aisance déconcertante. Montez la hauteur des barres et rapprochez-les, rien n'y fait, elle bondit et se joue des obstacles. Un art insolent. Les guys lui tricotent de petites merveilles, la miss se mouche dans ces dentelles de soie la plus pure et les rejette de côté comme de vulgaire kleenex. Et puis ce détachement, cet art de la comédie, parfaitement incarnée avec ce sourire ironique et paradoxal. Z'ont dû s'amuser comme des fous à enregistrer la galette. Faire plus vrai que nature, faire aussi bien qu'à l'époque, avec en plus cette imperceptible touche stylée qui montre que l'on n'est pas dupe de ses propres prétentions de ses propres pièges. Chaque morceau est à visualiser comme une mise en scène théâtrale, un séquence de film. Une espèce d'art total pour l'imagination évocatoire de l'auditeur.

    Crystal Dawn. Sirène sur la pochette. Souveraine sur le disque.

    Damie Chad.

     HIGELIN

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    Mauvaise nouvelle. Higelin est mort. L'a bien mené sa barque le longiligne Jacques. Pas grand-chose à lui reprocher, et peut-être même rien. Les médias dans leur ensemble l'ont couvert d'éloges. Mérités. Un être libre qui n'en faisait qu'à sa tête. Personnage sympathique et généreux. L'on a manié l'hyperbole à pleins bols. On lui attribué toutes les qualités. Même celles qu'il avait. C'est vous dire que l'on n'en a pas oublié une seule.

    Et puis comme pour les grands morts de la patrie reconnaissante, l'on a aligné toutes les médailles sur son cercueil. Toutes attribuées. Même celle de pionnier du rock français. C'était peut-être aller un peu vite en besogne. L'est arrivé un peu après la bataille Higelin, le premier disque de Johnny est sorti en avril 1960 ( sans parler de tout ce qu'il y avait eu avant ) et le BBH 75 en décembre 74.

    Vous me direz qu'il n'y a pas de quoi en faire un fromage, l'exagération lyrique des journalistes n'est pas leur moindre défaut. Et sans doute n'aurais-je jamais entrepris cette modeste chronique si je n'avais pas un témoignage tout personnel à apporter. D'autant plus agréable que cela se passait aux temps fastueux de ma jeunesse toulousaine.

    J'étais en Lettres Modernes à l'UTM et planchais très dur sur mon mémoire de maîtrise : Défense et Illustration du Rock'n'roll Français. Un boulot non rémunéré qui m'obligeait à travailler de nuit. Des conditions inacceptables, dans l'épaisse fumée du Mexican Bar à l'atmosphère fortement alcoolisée. Avec la patience et la minutie d'un scribe égyptien je prenais note des interviewes de la bande du Rock'n'Roll Gang.

    Lorsque arriva la grande nouvelle d'un concert de Jacques Higelin au Palais des Sports. C'était la grande époque révolutionnaire des entrées en force. Facile vous vous regroupiez devant les portes et au signal donné, vous fonciez droit devant. Bref l'on était au chaud et l'on attendait le début du concert. L'on n'était pas les seuls, quelques milliers. Plus deux ou trois centaines de retardataires qui avaient raté le passage en force et qui se retrouvaient devant des portes solidement arrimées. Z'étaient pas contents. Faisaient un bruit de tous les diables. Devant l'injustice de leur sort. On les comprend. C'est là que Higelin a rajouté un point à son capital sympathie. L'est allé lui-même, en personne, exiger des gros bras de la sécurité de laisser rentrer gratis les fans éplorés.

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    Je ne vous raconte pas le concert. Très bon. Très long. Plus de trois heures. Une ambiance de fou. Survoltée. Me souviens particulièrement de sa version de un Œil sur la Bagarre ( très rock ) et de La Fille au Cœur d'acier ( très blues ), de son deuxième opus Irradié. C'est alors que surgit dans mon cerveau extravagant le projet de rajouter l'interview d'Higelin à ma maîtrise. Ce n'était qu'une idée mais Pollo, la figure charismatique du Rock'n'roll Gang, se chargea des modalités applicatives. Très simple, on lui demande et c'est tout. Pas difficile du tout. Ni une ni deux, l'on se glisse derrière la scène pour cueillir l'Higelin. L'on n'est pas là depuis trente secondes que le grand Jacques paraît une serviette sur les épaules. On lui propose le deal – non on n'a pas de magnétophone, ce qui n'a pas l'air de l'émouvoir - OK, les gars je prends une douche, je reviens dans vingt minutes.

    Une horloge suisse. Vingt minutes tapantes plus tard, le voici tout frais. Le Palais des Sports s'est vidé par magie. Plus un seul musicien, la scène débarrassée de tout le matos, nous sommes tous les trois tout seuls, le cul sur une marche de béton froid.

    J'en arrive évidemment à la question qui fâche. Jacques toi qui faisais dans la chanson contestataire, comment se fait-il que maintenant tu te mets à faire du rock ? Réponse immédiate. Oui j'ai commencé très loin du rock, mais pendant toutes ces années je m'emmerdais énormément. Tellement qu'au bout d'un moment j'en ai eu marre de tous ces trucs intellectuels, je n'y ai plus tenu et je suis venu au rock.

    Au bout d'une heure c'est le gardien qui est venu voir si c'était terminé, en rajoutant qu'il aimerait bien dormir et retourner chez lui. L'on s'est serré les poignes et à la sortie des artistes l'on est séparés... Jacques s'est éloigné seul dans une rue déserte. L'était très tard. Pas un chat...

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    Voilà, c'était ma modeste obole à l'appellation Higelin pionnier du rock français. L'ai revu deux fois à l'époque d'Alertez les Bébés. Dans une petite salle avec Bertignac à la guitare... Et puis Higelin s'est éloigné peu à peu du rock'n'roll, en en gardant toutefois quelque peu l'esprit, l'est retourné à ses premières amours de baladin funambulesque, ce qui était son droit le plus absolu.

    Comme disait le poëte Oscar Vladislas de Lubicz-Milosz, il se fait tard dans le jour du monde.

    Damie Chad.

    JOHNNY

    LES 100 JOURS

    OU TOUT A BASCULE

    CATHERINE RAMBERT / RENAUD REVEL

    ( First Editions / Avril 2010 )

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    Privé de mon bouquiniste du marché durant les mois d'hiver. Fait trop froid, trop de pluie, panne de camion. Toutes les excuses. Je lui pardonne parce que je l'aime bien, m'a tout de même avoué qu'il a aussi pris des vacances. En plus n'en a même pas profité pour renouveler son stock. Ou alors des horreurs absolues. Faute de quiche lorraine me suis rabattu sur cette tranche de saucisson à l'ail maigrelette. Une pitié, même pas cent soixante-dix pages. Heureusement qu'ils s'y sont mis à deux pour l'écrire. Quand j'imagine les douze volumes que Victor Hugo aurait ajoutés à La Légende des Siècles si Hallyday avait vécu à son époque ! L'aurait rédigé un octavo de huit cent feuillets, gros comme la cathédrale de Notre-Dame, pour chaque journée basculée de notre rocker national. C'est en ce genre d'occurrences que l'on se rend compte de l'effarante déperdition entropique du génie français depuis deux siècles.

    Catherine Rambert philosophe et rédactrice en chef de Télé Star. Je n'ai pas cherché l'erreur, je l'ai trouvée. C'est elle qui a écrit Petite Philosophie du matin 365 Pensées Positives pour être heureux tous les jours, un truc auquel même Aristote n'avait jamais pensé. Je rassure les couche-tard, existe aussi en couleur plus sombre : ça s'intitule 365 Pensées du Soir. Diantre me suis-je dit, pourquoi n'a-t-elle rien fait pour les après-midis.

    Renaud Revel serait-il lui aussi un poulain socratique. Hélas non ! L'a longtemps été directeur de la rubrique Médias de L'Express. Un journal d'avant-garde. L'a tout de même pensé à relever son pédigrée intellectuel en commettant un livre d'entretiens avec Eric Woerth qui n'est pas tout à fait un compagnon de route des zadistes de Notre-Dame des Landes. Preuve qu'en ce bas-monde nul n'est parfait. Même pas moi. Pour vous signifier l'ampleur du désastre civilisationnel.

    Z'ont pris des risques énormes. Z'ont écrit le livre avant de connaître la fin. Ce n'est pas tout à fait de leur faute. Johnny nous a fait le coup de Sarah Bernard. Elle avait un mal fou à sortir de scène. Alors au lieu de dégager du plateau lorsqu'elle avait débité ses répliques, elle se plantait juste devant les spectateurs et levait très haut les bras pour se faire applaudir. Tant pis pour les autres comédiens qui essayaient tant bien que mal de placer leurs réparties dans le brouhaha. Mais au bout de deux heures, la Divine quittait les tréteaux avec toute la troupe. Johnny, non. Elvis s'est bien conduit, l'est arrivé à peu près mort à l'hôpital, juste le temps que la foule se grouille et se masse devant l'édifice, et ploc l'a passé l'arme à gauche tout de suite sans insister, sans histoire à rallonges. L'a clamsé dignement, comme un roi. Pas le King pour rien.

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    Johnny l'avait très bien débuté, une opération délicate à Paris, une soirée un peu chaude à la maison, avec alcool et tabagie, un voyage destructeur vers les USA, un deuxième hôpital avec coma artificiel. Huit jours d'attente angoissée et haletante. La France qui pleure, qui chavire et qui s'attend au pire. Mais non ce n'était qu'une fausse sortie. Coucou Me revoilou. Pas très frais certes, mais le coco a du ressort. Faudra encore attendre huit ans pour qu'il consente à mettre pied à terre. N'est pas comme Catherine Rambert et Renaud Revel, notre rocker, lui il a ridiculisé Victor Hugo, davantage de monde à son enterrement avec en prime une escorte pétaradante de plusieurs centaines de bikers, le victorin avec son corbillard du pauvre ne lui est pas arrivé à la cheville.

    L'on parle peu de rock'n'roll dans le bouquin. Mais finances et économie. Le problème c'est que Johnny n'était pas un gars particulièrement économique. L'avait un principe, dépensait tout ce qu'il n'avait pas. C'était aux maisons de disques d'opérer les rallonges nécessaires. Le Christ marchait sur les eaux, encore ne l'a-t-il fait qu'une fois, Johnny lui se promenait rêveusement au-dessus d'un gouffre financier. Un aven sans fond. Un abyme, un escalier de service qui desservait directement l'enfer. Un trou de plusieurs millions d'euros. S'en foutait royalement. N'allait tout de même pas changer son style de vie pour si peu. Quand ses conseillers financiers lui conseillaient la modération, il en changeait immédiatement. M'est avis que si l'on agissait de même, si l'on virait les banques hors du territoire, l'on ne s'en porterait pas plus mal, mais ceci est une autre histoire.

    Johnny avait un rêve : se retirer avec un maximum de flouze, à être obligé de s'asseoir sur les valises bourrées de billets pour les fermer. Tout économiste vous le rappellera, si vous désirez de l'oseille, c'est très simple, suffit d'investir. Mais cette opération demande du blé. Pour Johnny ce n'était pas un problème, fallait donner dans le pharaonesque, dans le pyramidal, construire un truc que personne n'avait jamais encore vu. Pas un 66 petits tours et bye-bye les copains je me casse, non une 666 démoniac tournée, un pandémonium gigantesque dont on parlerait encore au millénaire suivant. Envisageait les choses en grand.

    Le problème c'est que Jean-Claude Camus son road-manager n'était pas sur la même longueur d'ondes, pas piqué pour un sou ( expression malheureuse ) par la tarentule de la démesure. Proposait un soft-drink, feux d'artifices, grands écrans, avancée de la scène dans le public. Du classique, du rebattu, du déjà vu. Un véritable Harpagon, ce Camus qui n'y voyait pas plus loin que le bout de son nez, un réaliste, pourquoi se donner tant de peine alors que les réservations étaient déjà pleines avant de commencer. Pour vous dire jusqu'où il poussa l'ignominie, même le spectacle de ces brêles de U2 était plus spectaculaire que celui de Johnny.

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    Par contre, n'avait pas tout à fait tort Camus. L'a fallu rajouter soixante dates à la tournée, tant la demande était forte. Colossal bénéfice mais pas final vertigineux. Et Johnny qui y a laissé ces dernières forces physiques. L'est arrivé à peu près la même chose à Elvis, mais le King s'était contenté de la simple salle de spectacle d'un hôtel. Sagesse du Colonel Parker qui pensait qu'il était inutile de se munir de miroirs aux alouettes dispendieux pour attraper l'oiseau du public déjà captif. Une cage de fer aux barreaux rouillés ferait tout aussi bien l'affaire.

    Vous connaissez la suite de l'histoire, Johnny épuisé obligé de subir une opération qui tournera mal... Le livre revient au début comme le chaton qui se mord la queue. Conte aussi les dégâts collatéraux, Camus congédié, le chirurgien azimuté, et les danses du ventre des compagnies d'assurance qui sont prêtes à tout pour ne pas payer les indemnités des annulations de concerts, quitte à planter un couteau, de prime empoisonné, dans le dos de son client. Une instructive leçon pour ceux qui croient que les entreprises souscrivent vraiment à l'idéologie héroïco-libérale du risque capitaliste...

    Une histoire amorale. Parfois le rock'n'roll se transforme en requin pas drôle du tout. Le fric est un grand corrupteur. Corrode tout. Vous donne la puissance méphistofélesque mais vous achète à crédit votre âme en oubliant de préciser que c'est vous qui paierez les mensualités. M'est avis que le rock'n'roll ne devrait pas sortir des cafés et des petites salles. Dans les marges, s'il veut encore signifier une certaine attitude. Remarquez, qui n'a pas son épi de folie des grandeurs de temps en temps !

    Damie Chad.