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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 99

  • CHRONIQUES DE POURPRE 383 : KR'TNT ! 403 : JOHN ENTWISTLE / REGGIE YOUNG / COUDASSE / GRANDMA' ASHES / ABSTRACT MINDED /PHIL COLLINS

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 403

    A ROCKLIT PRODUCTIOn

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    24 / 01 / 2019

     

    JOHN ENTWISTLE / REFGGIE YOUNG

    COUDASSE / GRANDMA' ASHES

    ABSTRACT MINDED / PHIL COLLINS

     

    L’Ox interior

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    Enfin un article sur John Entwistle, dit l’Ox. Nous avions des textes et même des bouquins sur Moony, sur Pete Townshend, sur Daltrey, mais que dalle sur l’Ox. Dans Classic Rock, Paul Rees répare enfin cette injustice. Il précise très vite qu’on surnommait John The Ox à cause de sa solide constitution. Pour jouer dans les Who, il valait mieux être solide, en effet. Pour bien le situer, Rees le décrit planté comme un piquet à droite de la scène, seul élément stable dans un groupe à tendance particulièrement volatile. Le seul truc qui bougeait dans l’Ox : ses mains, like demented spiders (comme des araignées devenues folles).

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    On tient l’Ox pour l’un des géants britanniques du bassmatic. Non seulement il joue fort, mais il joue vite. Très vite. Des milliards de notes. Quand on observe ses mains demented, on voit qu’il joue des huit doigts. Quatre et quatre. Pour tous les bassmen du monde, l’Ox est le modèle absolu et l’un des premiers trucs qu’on apprend à jouer sur une basse, c’est le solo en quatre phases demented qu’il place dans «My Generation». L’Ox ne cachait pas son goût pour le volume - I just wanted to be louder than anyone else - Et il ajoute qui si quelqu’un d’autre s’avisait de jouer plus fort que lui, ça le foutait en rogne. Et quand Daltrey lui ordonnait de baisser le volume, l’OX le fixait dans le blanc des yeux et augmentait le volume. Question style, l’Ox veillait à jouer steadfast but unpredictable, c’est-à-dire de manière ferme et imprévisible, ce qui est, nous dit Rees, une façon de le définir, en tant qu’homme.

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    L’Ox a en plus sur les autres l’avantage d’avoir reçu une formation classique. Son père Herbert jouait de la trompette et sa mère Queenie Maud du piano. À l’âge se sept ans, sa mère lui fait prendre des leçons de piano. Adulte, l’Ox joue de plusieurs instruments à vent et peut écrire des arrangements. Non seulement des arrangements, mais aussi des chansons. On en trouve une signée Entwistle sur tous les albums des Who. La plus connue est sans doute «Boris The Spider», c’est-à-dire Boris l’araignée - Encore une ! - L’idée vient d’une soirée de beuverie avec Bill Wyman. Ils parlaient d’araignées et s’interrogeaient de savoir pourquoi les gens en avaient peur. Mais la plus fameuse compo de l’Ox se trouve sur Who’s Next : «My Wife». Il fut aussi le premier à porter la veste Union Jack. Puis au fil des ans, on le vit toujours sapé à sa façon, c’est-à-dire tiré à quatre épingles. Il veillait à se distinguer des autres.

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    C’est à l’Acton County Grammar School que l’Ox rencontre Pete Townshend et son nez proéminent. Pete joue du banjo et ils montent tous les deux The Confederates. Ils se produisent en public à l’Acton Grammar School en 1958. C’est là qu’arrive le rock’n’roll et l’Ox passe à la guitare. Mais il a les doigts trop gros pour le manche d’une guitare. Alors il passe à la basse. Mais pas n’importe quelle basse : il doit en fabriquer une, vu qu’il n’a pas les sous pour l’acheter. Il récupère une grosse planche de contre-plaqué, trouve un menuisier pour y découper la forme d’un Fender et fixe lui même le manche sur le body. Puis il croise Daltrey dans la rue, Big bad Roger, un branleur qui a déjà une sale réputation, qui s’est fait jeter du lycée et qui bosse sur les chantiers. Daltrey a déjà un groupe, les Detours et il embauche l’Ox qui dans la foulée fait venir Townshend. Très vite, les Detours jouent tous les soirs. Soudain, un éclair frappe l’Angleterre : le premier single des Beatles, «Love Me Do», en 1962. L’Angleterre passe alors du noir et blanc à la couleur. C’est l’époque où Jim Marshall commence à travailler sur des amplis et l’Ox devient l’un de ses premiers clients. Ça ne plait pas à Townshend : «John already very loud was now too loud.» Alors Townshend s’achète une deuxième enceinte et une tête d’ampli Fender. Évidemment, l’Ox rajoute une enceinte à la sienne. Townshend rajoute une deuxième tête d’ampli et c’est comme ça que les Who sont devenus les Who. The loudest band on earth. On se souvient du set des Who à la fête de l’Huma, en 71 ou 72 : ils attaquent «Baba O Riley» et jouent si fort que tout le monde recule d’au moins cent mètres. Intenable !

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    Comme un autre groupe s’appelle aussi les Detours, un pote à eux nommé Richard Barnes suggère les Who. Jusqu’au moment où Peter Maeden entre en scène. Ce pill-popping music-biz operator qui a déjà bossé pour les Stones devient leur manager. Il leur conseille de devenir des Mods, il les envoie se faire couper les cheveux et s’acheter des fringues à la mode pour devenir des Mod faces. Il les rebaptise the High Numbers et leur fait enregistrer leur premier single, «Zoot Suit» sur Fontana. Avec Meaden, les choses ne traînent pas. Mais comme le single n’entre pas dans les charts, les High Numbers reprennent leur liberté et redeviennent les Who. Puis c’est la rencontre avec Moony qui monte un soir sur scène avec eux pour jouer «Road Runner». C’est la naissance d’une section rythmique légendaire, avec l’étalon fou d’un côté et l’Ox solide comme un roc de l’autre. Ils allaient rendre tous les cuts des Who élastiques, indomptables. L’Ox est émerveillé de voir Moony chercher à frapper tous ses drums en même temps. Et il ajoute que pour jouer avec un mec comme lui, il faut jouer all over the place, toutes les notes en même temps. Moony et l’Ox deviennent très proches, et leurs épouses Alison et Kim s’entendent bien. C’est là que Kit Lambert et Chris Stamp entrent en scène. Ils deviennent les managers du groupe et font appel à Shel Talmy, un producteur américain installé à Londres qui a commencé à casser la baraque en produisant les Kinks. Et pouf, c’est parti avec «Can’t Explain», le premier d’une série de hits explosifs. Jimmy Page joue de la rythmique mais il est dégagé par le freight-train rumble de l’Ox. S’ensuit «Anyway Anyhow Anywhere» puis l’un des classiques les plus magistraux de l’histoire du rock anglais, «My Generation», véritable slab d’amphetmine rush. L’Ox joue son bassmatic sur une Danelectro. Mais l’atmosphère dans le groupe est explosive - It was like going to war every day - Ils ont tous les caractères très différents, voire opposés. Ça saute à la moindre étincelle. Mais cette explosivité devient leur fonds de commerce. Ils foutent la trouille à tout le monde. On parlait de l’incontrôlabilité des Dolls. Mais en comparaison des Who, les Dolls sont des enfants de chœur.

    Quand Jeff Beck et Jimmy page envisagent de passer à la vitesse supérieure en 1966, ils tentent de récupérer Moony et l’Ox. Lors d’une répète, Moony propose de baptiser le groupe Lead Zeppelin. Mais nos deux héros reviennent à la raison et décident de continuer avec les Who.

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    Puis les Who traversent l’Atlantique pour la première fois. Ils jouent dix jours à New York et vont partager l’affiche du Monterey Pop Festival avec Otis, Jimi, Janis et tous les autres. C’est aussi à cette occasion qu’ils font leur première télé américaine en direct : The Smothers Brothers Comedy Hour. À la fin de «My Generation», Moony fait sauter son drumkit à la dynamite. Des éclats de cymbales se plantent dans son bras. Pour ramener le calme, Tommy Smothers attrape sa guitare acoustique et commence à chanter devant la caméra. Townshend lui arrache la guitare des mains et la jette au sol et la crève d’un coup de talon. Mais celui qui tire le mieux les marrons du feu, c’est l’Ox, qui reste impassible dans un coin, affichant même un air d’ennui léger. Dans ce chaos total, le fait de paraître normal le rend unique.

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    Alors que Townshend travaille d’arrache pied sur la suite de Tommy, l’Ox enregistre son premier album solo. Le guitariste qui joue sur Smash Your Head Against The Wall s’appelle Dave Langston, inconnu au bataillon. Jerry Shirley bat le beurre. Avec l’Ox, ils forment tous les trois un redoutable power trio. Ils proposent un rock-pop seventies très solide. Dès «What Are You Doing There», on voit que l’Ox sait tailler la matière pop d’une mélodie. Il peut se montrer très ambitieux. Sa formation classique reprend le dessus. On l’admire pour son côté quiet. Fascinant personnage. Encore un joli slab de pop de rock dynamique avec «What Kind Of People Are They». L’Ox pose des questions et apporte de sacrées réponses. Il sait se montrer intéressant de bout en bout et d’une grande modernité. C’est Dave Langston qui embarque «Heaven And Hell» au développé de guitare. On a là une incroyable épopée d’approche prolifique, remplie de clameurs. L’Ox se lance à la découverte de nouveaux horizons, comme jadis Vasco de Gama. Il se montre placide et déterminé à la fois. Dave Langston produit une sorte de drone velouté sur sa guitare. C’est en B que culmine l’art de l’Ox avec bien sûr «N°29 (Eternal Youth)». Toute la bande de luminaries vient jouer des percus là-dessus : Moony, Viv Stanshall et Neil Innes. Ça donne une extraordinaire pièce pantelante digne de Who’s Next, noyée sous des trombes de trombone. L’Ox mène son bal. Ce pur jus de Pretties à la «Baron’s Saturday» tourne au mythe et l’Ox ravage la contrée au bassmatic. Hey ! Oh ! On nage là dans la légende du London rock de l’âge d’or. Toute la B est bonne, tiens, par exemple «Red End», très beatlemaniaque dans l’esprit, salué aux trompettes de la renommée. Le grand art de l’Ox. Sa pop mélancolique enterre les préjugés. L’Ox a des réflexes dignes de ceux des Beatles. Rest in peace ! «You’re Mine» pourrait aussi très bien figurer sur Who’s Next. C’est travaillé à l’os de l’Ox. Cette pop marque le visage de l’Angleterre au fer rouge. Les chœurs explosent et dans tout ce ramdam, l’Ox exulte puisque son bassmatic atteint des sommets. Il termine avec «I Believe In Everything», un extraordinaire shoot de présence pop. L’Ox s’ébroue dans la Beatlemania, le meilleur cru de tous les temps. Et ça se termine en chanson de pub. Admirable.

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    C’est à son retour dans les Who qu’il propose «My Wife» - I’ve been home since Friday night/ And now my wife is coming after me/ Gimme police protection - L’Ox manie l’humour à sa façon, à l’Anglaise. Quand Who’s Next paraît, l’argent coule à flots. L’Ox s’achète une belle baraque à Ealing et commence à collectionner les bagnoles, même s’il n’a pas le permis. Alison Entwistle s’inquiète un peu : «Nous n’avions pas d’argent et soudain, on en avait trop. C’est monté à la tête de John. Il dépensait sans compter. Il allait s’acheter une paire de chaussures et il en achetait douze.» Et elle ajoute : «On l’appelait the Quiet One, mais il pouvait être pire que Keith, ça dépendait de ce qu’il avait bu.»

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    Sa nouvelle maison lui donne des idées de cuts pour son nouvel album solo, Whistle Rymes qui paraît en 1972. Comme par exemple «Apron Strings». L’Ox est un homme qui chante énormément. Il bassmatique encore plus énormément. Il adore aussi jouer avec l’idée de la mort, comme on le constate à l’écoute de «Thinking It Over» Démarrer une nouvelle vie ? Prendre la bagnole et la moitié des meubles ? Non, ça n’a pas de sens - I decided to take my own life - Plutôt se foutre en l’air. Puis il revient sur sa décision - It’s too high a price to pay/ For an unfaithfull wife - Et dans «Who Care», on le voit faire un festival de bas de manche, avec tout le feu sacré des ‘Hoooo. La B laisse un peu sur sa faim. On sauve «Wonder», fantastique groove oxien. Il y donne même des coups de trompette. L’Ox remercie Mother Nature de faire les choses comme elle les fait, car il ne veut ni d’une mer rouge, ni d’une nuit blanche.

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    Excellent album que ce macabre Rigor Mortis Sets In. Oh, il n’a de macabre que le cercueil qui orne la pochette. On a là un album plein de vie, illuminé en B par la présence de «My Wife», le hit de Who’s Next. S’il faut une preuve de la grandeur de l’Ox, elle est là, dans ce hit de rock de pop et dans la façon qu’a l’Ox de claquer l’étendard de la pop anglaise dans l’azur immaculé. L’Ox règne sans partage sur son album et c’est pour ça qu’on l’admire. «My Wife» vaut pour un coup de génie pop. On pourrait presque dire la même chose de «Made In Japan» qui referme la marche de l’A. C’est de l’excellente pop whoish, digne de Who’s Next. Cette pop distinguée est certainement le genre qui convient le mieux à l’Ox. On trouve pas mal de rock’n’roll sur cet album, des reprises plus ou moins dispensables («Hound Dog» et «Lucille») et l’Ox se fend d’une bassline de rêve sur «Do The Dangle». Mais c’est dans «Peg Leg Peggy» qu’il donne la mesure de son talent d’Oxer, il bombarde son cut de notes de basse. On se régalera aussi de «Roller Skate Kate», pastiche superbe. L’Ox va faire un tour de skate sur le motorway et évidemment, ça se termine mal, une bagnole arrive, boom, she died in the ambulance et Kate finit in the sky. Brillant et drôle. Il termine ce brillant Rigor Mortis avec un «Big Black Cadillac» monté sur un solide bassmatic, c’est une sorte de promenade dominicale offerte par un roi du doigté.

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    Quoiqu’il fasse, John Entwistle réussit toujours à se rendre intéressant. Il suffit d’écouter Mad Dog paru en 1975. Il frise à nouveau le génie avec le morceau titre qui ouvre le bal de la B. Quel souffle ! Cette façon qu’il a d’écrire une histoire nous tient véritablement en haleine - He’s at the edge of town/ And he’s got a gun/ Better get out fast - Quelle fantastique aisance compositale - Cos he’s a mad dog/ Don’t get into a fight/ He’s a mad dog/ Better shoot on sight/ Before he tries to bite - C’est du niveau de «My Wife», impérieux et conquérant. Dans «Cell Number Seven», il raconte qu’il est réveillé un matin par six flicards et il se retrouve in cell number seven avec Moony. Tout ça est farci de private jokes. On peut savourer l’humour de l’Ox dans «You Can Be So Mean». Il parle d’une femme bien sûr et elle lui claque la porte sur les doigts - You slammed my fingers in the door - Et puis elle embarque les enfants, la voiture, la maison and left me a broken heart/ Baby you can be so mean. Avec «I’m So Scared», il tape dans l’un de ses prés carrés : le rock’n’roll saxé de frais - I ain’t never bin scared of dying/ Everybody has to go sometime - Mais il a peur d’elle et de son voodoo. Il termine avec «Drowning», un cut dégoulinant de kitsch et d’auto-dérision - This is my first love song/ And this is my last - et il ajoute - I’m geting too chocked up inside/ Better finish it fast.

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    Quand Daltrey demande un audit des comptes, il découvre que Kit Lambert et Chris Stamp se sont bien goinfrés. Virés. Bill Curbishley reprend les rênes et Townshend demande un coup de main à l’Ox pour écrire les horn parts de Quadrophenia. En 1978, l’Ox achète Quarwood, une bâtisse gothique de 55 pièces, entourée d’un parc de 16 hectares, dans ce qu’on appelle les Costwolds, à la gauche de Londres sur la carte et un peu au-dessus de Bristol. Il y installe des armures dans les couloirs, un squelette dans un fauteuil Régence, des perroquets dans la cuisine et un Quasimodo empaillé accroché à une cloche dans le grand hall. Puis un soir de 1978, Moony se met 32 pilules dans le cornet, va se coucher et ne se réveille pas. Fin du team de choc. L’Ox ne s’en remettra jamais. Dans la foulée, son mariage avec Alison coule à pic. L’Ox a rencontré une poule en Amérique.

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    Sur Too Late The Hero paru en 1981, il joue en trio avec Joe Walsh et Joe Vitale. Jolie mise en bouche avec «Try Me», car Joe Walsh fait des miracles sur sa bonne guitare. L’Ox se montre honnête avec les femmes : «I don’t promise to teach you to fly.» Puis avec «Talk Dirty», il passe à la cloche de bois et gratte sa basse à cornes. Pour lui, les gros mots du talk dirty sont heavy metal, too loud, top twenty et who cares. Chez l’Ox, tout est très écrit. Il ne mégote jamais sur la marchandise. Il boucle l’A avec un «I’m Coming Back» massif et conquérant. L’Ox adore le grand rock américain, I gotta warn ya, I’m coming back oui, il revient. Il chante ça à pleine voix et laboure ses terres à outrance. Quel fabuleux rocker ! Puis il se prête en B à un petit exercice de style, le funk métallique de «Dancin’ Master». L’Ox syncope comme un beau diable et Joe Walsh en profite pour noyer le poisson - Disco here/ Disco there/ Dance ! - Ce démon d’Ox swingue le diskö-funk. Et quand dans «Fallen Angel», il chante «Nobody cares but everyone stares/ As you stagger to the bar», on se doute bien qu’il pense au pauvre Moony.

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    Resté inédit pendant dix ans, The Rock finit par paraître en 1996. Le chanteur s’appelle Henry Small et Zak, le fils de Ringo, bat le beurre. Le hot cut de l’album s’appelle «Hurricane», belle compo du compère, joli boogie de classe supérieure. On sent l’Ox à l’aise dans ses compos, et ce dès «Stranger In A Strange Land». Il entre dans son cut comme chez lui. Bon, Henry Small dit qu’il se sent étranger dans ce monde, mais il dit avec appétit. L’Ox brode avec brio, il fout un peu le souk dans sa médina, mais n’oublions pas que son propos n’est pas de réinventer la poudre. Il réinstalle l’extraordinaire prévalence du rock anglais avec «Love Don’t Last». L’Ox joue sa carte compositale à la claquemure - But no school can teach you that game - L’Ox est un homme déterminé - You’re yourself/ To your heart - Le guitariste s’appelle Steve Block et on l’entend faire du bon boulot sur «Suzie». Il fourbit bien l’écot et Henry Small fait son Plant, mais c’est là où l’héroïsme devient inutile, puisqu’il chante comme un petit Plant de pacotille. On va retrouver le petit Plant dans d’autres cuts, mais tout cela n’apporte rien au moulin d’Alphonse Daudet. L’originalité de ton a disparu. C’est avec «Last Song» que l’Ox revient aux affaires. Voilà un rock épique, extrêmement bien foutu, this is the last song, qui laissera le souvenir d’un moment admirable et vibrant.

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    Boris The Spider est un album live. Aucune information sur les musiciens. Débrouille-toi, et si t’es pas content, c’est la même chose. Cet album présente un certain intérêt : on y entend l’Ox ramoner son bassmatic, et ce dès le morceau titre. Il joue au gras. L’Ox ne mégote pas sur la marchandise. On voit l’Ox s’élever de cut en cut dans les nues du rock anglais. Il est tout de même l’un des grands acteurs de cette scène musicale qui a changé le monde. Il faut voir la purée qu’il envoie dans «My Size». Son bassmatic rougeoie dans le brouet sonique. Il revient au chant avec toute la niaque du skeletton suit. Il atteint l’Oxmose avec «Who Cares», il travaille son cut au bassmatic de combat, on y retrouve le drive des Who. Il chante du nez. l’Ox bat la campagne sur sa basse. C’est stupéfiant, on se croirait dans les tranchées en 1916, l’Ox joue au saucissonnage extrémiste, il taille sa route à la manière d’une colonne de termites, il y va, c’est dingoïde, il fait du big Ox dévorant, il démolit tout sur son passage, il descend jusqu’au bas du manche pour provoquer les dieux, c’est un virtuose du baston d’Ox, ses descentes font frémir, ah il faut avoir entendu ça au moins une fois dans sa vie. Il revient tout démolir avec «Not Fade Away», joué au pire british beat d’exacerbation. L’Ox ne rigole plus. Il veut de la sauvagerie et la voilà, il embarque ça au pataquès de surchauffe, il aménage des zones de bassmatic uniques dans l’histoire du rock, on le voit jaillir du courant avec ardeur et replonger dans l’écume des jours. Évidemment, c’est avec «My Wife» qu’il révèle son génie oxien, d’autant que le groupe joue ça ventre à terre. Il tricote du bassmatic à n’en plus finir. Dans un monde en mal de légende, l’Ox tombe à pic. Il aura passé sa vie à chasser les fantasmes du rock sur les terres du Docteur Moreau.

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    En l’an 2000 paraît Music For Van-Pires du John Entwistle’s Band. What an album ! Cette fois, on trouve les noms des musiciens sur la pochette : Steve Luongo bat le beurre et Geoffrey Townsend joue du synthé et de la guitare. Attention, l’album démarre en mode proggy et peut dérouter le badaud. Mais l’Ox of a man redresse vite sa pop contre vents et marées. Son «Sometimes» plein comme un œuf n’est pas facile d’accès, comme le sont les Anglais en général et soudain tout s’éclaire avec un «God & Evil» chanté au hard de metal core de heavvy sludge des enfers et arrosé de voix juvéniles. Quelle extraordinaire mélange ! L’Ox donne sa version de l’enfer et du paradis, c’est admirablement bien vu, les filles fascinent et par son côté mélodique, le brouet s’impose massivement. L’Ox foutrait presque la trouille avec «When You See The Light», tellement il chante dans l’ombre, mais avec «Back On The Road», il se prend pour Ronnie Lane, rien de moins ! Il claque ce balladif à la basse harmonique, ça donne une belle pop d’Ox. Il adore les good vibes, tout l’album en est rempli, il relance tout au gimmick de bassmatic. Il s’étale encore dans le pop biz avec «When The Sun Comes Up». Ça lui sied à ravir. Il se lance dans l’indolence, il y excelle. Sa manière de traiter la pop épate. Il dispose même d’une certaine facilité à sonner comme les Beatles. Il pétarade son «Rebel Without A Car» au bassmatic. Quel album ! On comprend que Boz le vende si cher sur Discogs ! L’Ox revient au heavy sludge avec «Don’t Be A Sucker». Il peut de fâcher et devenir tout rouge. Il peut mettre en œuvre l’Heavy Ox Sound System et te le shooter en intraveineuse. Wow, il s’énerve tout seul ! C’est joué à la meilleure heavyness d’Angleterre, l’Ox peut réveiller tous les bas instincts. Encore un solide shoot d’Ox avec «Endless Vacation», c’est le funk du château aux armures. L’Ox bat toujours le fer pendant qu’il est chaud. Mais là, c’est Luongo qui se tape la part du lion, au beurre. Le festin se poursuit avec un «I’ll Try Again Today» emmené ventre à terre, à la conquête de l’Asie mineure. L’Ox trimballe avec lui des guitares espagnoles et des trompettes mariachi. C’est absolument somptueux, digne du Salammbô de Flaubert. Il termine cet album spectaculaire avec un «Face The Fear» bien énervé, joué au meilleur beat rebondi d’Ox.

    Signé : Cazengler, Oxymoron

    John Entwistle. Smash Your Head Against The Wall. Track Record 1971

    John Entwistle. Whistle Rymes. Track Record 1972

    John Entwistle. Rigor Mortis Sets In. Track Record 1973

    John Entwistle’Ox. Mad Dog. Decca 1975

    John Entwistle. Too Late The Hero. Atco Records 1981

    John Entwistle. The Rock. Whistle Rhymes Ltd. 1996

    John Entwistle. Boris The Spider. Disky 2001

    John Entwistle’s Band. Music For Van-Pires. Pulsar Records 2000

    Paul Rees : The not so quiet one. Classic Rock #243 - December 2017

    Ci gît Reggie - Part One

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    Après un demi-siècle de bons et loyaux services, Reggie Young casse sa pipe en bois. Reggie Young ? Mais oui, tout le monde le connaît. C’est le mec qui joue de la guitare sur «The Letter» des Box Tops, sur «Suspicious Mind» d’Elvis et sur plus d’une centaine de hits inter-galactiques. Il est aussi légendaire que James Burton, Steve Cropper ou Jimmy Johnson. Mais son destin reste lié à celui de Chips Moman et d’American, le studio de Memphis qui vit défiler une énorme ribambelle de stars, de Dionne Warwick à Dusty chérie, en passant par Elvis et B.J. Thomas.

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    Tout ce qu’on souhaite savoir de Reggie Young se trouve dans Memphis Boys, l’ouvrage de Roben Jones qui, à Memphis, est le pendant de Robert Gordon. Plutôt devrait-on dire la pendante, car Roben Jones est une dame qui déborde d’énergie : elle nous trousse un Memphis Boys de 400 pages sur deux colonnes, et elle ne faiblit pas en cours de route. Elle nous raconte dans l’extrême détail, session par session, l’histoire de Chips Moman’s American Studios, endroit aussi mythique que le Sam Phillips Recording Service ou encore le studio Stax sur McLemore. Heureusement l’histoire ne dure que huit ans, de 1964 à 1972. Quelques années de plus et Roben Jones allait pouvoir rivaliser avec le pavé de mille pages que Peter Guralnick consacre à Sam Phillips.

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    Dans l’histoire de la littérature rock, c’est probablement l’un des ouvrages les plus poussés au niveau évocatif. Roben Jones donne la parole à TOUS les acteurs de cette saga, c’est-à-dire les musiciens (Tommy Cogbill, Spooner Oldham, Reggie Young, etc.), et à des personnages aussi iconiques que Chips Moman et Dan Penn. On ne s’ennuie pas un seul instant. Il faut simplement savoir donner du temps au temps pour venir à bout de cette bête de somme. Ce n’est pas tant que ce livre est gros que nous le lisons, c’est parce que nous le lisons qu’il devient gros. Autrement dit, on en a pour son argent.

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    Si on voulait résumer cette saga en quelques mots, on pourrait dire que le personnage clé s’appelle Chips Moman. Originaire de Georgie, il débarque à Memphis dans les early sixties et démarre Stax avec Jim Stewart. Jusqu’au moment où une shoote éclate entre eux et Chips doit dégager - I had twenty per cent I thought. They owed me my share of a million dollars they’d made that year, 61, 62 (Je devais avoir 20% dans la boîte. Ils me devaient donc 20% du million de dollars qu’ils avaient fait en 61 et 62) - Chips n’aime pas qu’on lui roule la gueule et Jim Stewart le met au défi de le prouver : «If I fucked you, prove it !» Furieux, Chips se barre en claquant la porte, grimpe dans sa TR-6 et vroom ! Adios amigos ! Chips est d’autant plus furieux qu’il s’est énormément investi dans le démarrage de Stax, mais Roben Jones indique qu’il y aurait eu incompatibilité de caractères entre Chips et Steve Cropper. Et bien sûr, Jim Stewart prend le parti de Steve Cropper. C’est là que Chips monte American. Il participe en outre à la fameuse première session d’Aretha à Muscle Shoals et devient l’un des chouchous de Jerry Wexler qui du coup va lui envoyer des gros clients et faire décoller American. Et quand plus tard Wexler installe son nouveau QG au Criteria de Miami, American doit se mettre à vivre d’expédients et Chips n’y trouve plus son compte, artistiquement parlant. C’est là qu’il prend la décision de fermer le studio de Memphis et de redémarrer à Atlanta.

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    Mais ça ne marche pas à Atlanta et six mois plus tard, il réinstalle American à Nashville. Il redémarre avec des country stars du calibre de Waylon Jennings et Willie Nelson, mais c’est une autre histoire. Roben Jones ne s’intéresse qu’à l’American de Memphis.

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    Le gros intérêt de cette somme est qu’on y côtoie Chips Moman de bout en bout. Oh rien de très profond, mais de témoignage en témoignage, on finit par bien choper Chips. Sandy Posey le résume un peu en disant qu’il ne cherchait ni un hit de r’n’b, ni un hit country, ni un hit pop, mais plutôt a great song. Oui, la religion de Chips est la grande chanson. D’où la qualité des artistes qu’il reçoit dans son studio, de B.J. Thomas à Dionne Warwick, en passant par Elvis. Chips : «Songs are the most important things, and then you have people who can interpret them.» (Le plus important, c’est la chanson. Après il faut trouver la personne capable de l’interpréter). C’est pendant la période Stax que Jerry Wexler chope Chips. Il aime tellement son style de guitare qu’il l’impose à Rick Hall pour les sessions de Wilson Pickett et d’Aretha qu’il organise à Muscle Shoals. Chips débarque donc chez FAME au volant d’une Jaguar XKE. David Hood : «He comes driving up one time in a XKE. He was a gambler, he played cards and stuff. He seemed like a real slick, sharp guy.» Oui, Chips est ce qu’on appelle un wild guy. On le surnomme the fifties rebel. Il est toujours armé, c’est un joueur professionnel, il collectionne les voitures de sport et les Harleys. C’est une sorte de Luke la Main Froide.

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    Et un vétéran de toutes les guerres : ce guitariste rockab dans l’âme a accompagné Johnny Horton, les frères Burnette et bien sûr Gene Vincent, des références qui plairont infiniment à notre ami Damie Chad.

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    Pour démarrer American, il a un plan : monter le meilleur house-band de Memphis et le rendre disponible 24h/24, sept jours sur sept. Il engage Tommy Cogbill (bass), Reggie Young (guitar), Gene Christman (drums), et d’autres musiciens moins connus comme Bobby Emmons et Bobby Wood. Puis Chips va rencontrer Dan Penn et là on entre dans la période magique d’American, car Chips et Dan composent pour des géants comme Aretha et James Carr. Quinton Claunch : «Chips was a great engineer for that kinda stuff. Man, he just smiled all over himself when that big voice came out of the speakers singing his song. He said : ‘We got one. We got the right man to sing this one’.» (Chips savait enregistrer un artiste. Quand il entendait la voix de James Carr dans les enceintes, il souriait. ‘Mec, on a trouvé le chanteur idéal pour cette chanson). Papa Don Schroeder qui amenait des artistes enregistrer chez Chips ne tarit pas d’éloges : «Chips was the best at what he wanted to do. Whooo ! Chips Moman, are you kidding ? Chips Moman... one of the greatest record men who ever lived. But he’s crazy, like all of us.» (Chips était le meilleur dans tout ce qu’il faisait. C’est l’un des meilleurs producteurs qui ait jamais existé, mais il est cinglé, comme nous tous). Chips aime tellement travailler en studio qu’il ne lésine pas sur le nombre de prises. Dan Penn dit que les sessions pouvaient durer jusqu’à 62 heures - That gang of boys right there, they wanted to make better records than Stax. They had an affinity with Chips. They fit him, he fit them. He was in with ‘em real thick and he never got ‘em mad. It was all a big party (Ces musiciens voulaient être meilleurs que ceux de Stax. Ils avaient des affinités avec Chips, ils se comprenaient et se complétaient parfaitement. Chips savait les pousser sans jamais les faire craquer. Les sessions étaient une fête) - C’est important ce que Dan dit là, car Chips fait la différence avec un Rick Hall qui avait un style beaucoup plus despotique. Chips veillait au côté buddy but serious, ce qui est le B-A-Ba du secret de polichinelle. Il respectait ses amis musiciens et attendait d’eux qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes. Ce type de comportement professionnel s’appelle l’intelligence artistique. Mais en même temps, il faut que le travail en studio reste fun - When eveything began to morph into a professionaly-run studio and sessions, that was when it stopped being fun for Chips (Lorsque le studio est devenu trop sérieux à cause du business, ça n’amusait plus Chips) - Chips est si bon dans sa manière de diriger un house-band que Roben Jones le compare à Duke Ellington - His productions captured the mood of the contemporary South in the same way Ellington’s music described 1920s and 1930s Harlem, or that of Strauss described nineteenth-century Vienna (Chips a su matérialiser le son du Sud comme l’avait fait Duke Ellington avec le son du Harlem des années 20 et 30, et Strauss encore avant avec le son de la Vienne du XIXe siècle).

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    ( Wilson Pickett + Jerry Wexler )

    Grâce à Jerry Wexler, American devient une institution, Wexler y débarque accompagné d’Arif Mardin, de Tom Dowd et de King Curtis, et fait savoir au monde entier que c’est à Memphis que les choses se passent. C’est the new Southern base, aussitôt après Stax et avant Muscle Shoals. Chez Chips, Stax était l’ennemi ainsi que Nashville. Dan Penn : «They (in Nashville) cut in all that ol’ stupid thin country music. No funk, I always liked a little funk.» (À Nashville, ils enregistrent cette country inepte et vieillotte. Pas de funk. J’aime bien qu’il y ait un peu de funk). Il existait une rivalité entre Stax et American. La presse se focalisait sur Stax et ça ennuyait énormément Chips et ses amis. Dan Penn : «In Memphis all you heard was always Stax, Stax, Stax.» Les gens avaient plus de mal à situer American, qui était à cheval sur la Soul et la pop, alors qu’évidemment Stax ne l’était pas. Et la grande différence entre les mecs d’American et ceux de Muscle Shoals était que les premiers jouaient à l’intuition alors qu’à Shoals ils analysaient. Et selon Roben Jones, la grande différence tient dans la nature des caractères : ceux des mecs d’American étaient plus sombres, à l’image de Chips, alors qu’à Shoals, les gens étaient moins réservés. Mais il leur arrivait souvent de jouer ensemble et ils partageaient le même goût pour le relaxed sound.

    Avec des clients comme Joe Simon et Joe Tex, la clientèle d’American devient plus distinguée, et Atlantic leur envoie des nouveaux clients comme Ben E. King et Brook Benton. Ils tournent rapidement au rythme de quatre sessions par jour, alors qu’avant la moyenne à Memphis était plutôt de deux sessions par mois.

    Le grand tournant de l’histoire du Southern Sound, c’est bien sûr le killing de Martin Luther King en avril 1968. Partout aux États-Unis, les émeutes éclatent. Les blancs de Memphis ont peur. Chips et Tommy Cogbill se retranchent dans le studio avec des armes. Mais aucun black de touche ni à Stax, ni au studio de Chips. L’atmosphère devient si atroce à Memphis que Dan Penn quitte la ville et rentre chez lui en Alabama. Après cette tragédie, les choses ne seront plus jamais les mêmes.

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    C’est grâce à Marty Lacker qu’Elvis vient enregistrer chez Chips - One of the reasons I wanted Elvis to record there was so he could work his magic and the only way Chips works his magic is by being Chips (Je voulais qu’Elvis renoue avec la magie et le seul qui pouvait l’aider était Chips) - Et quand en studio Elvis se vautre, Chips n’hésite pas à l’interpeller sèchement : «Hey, this ain’t no fuckin’ movie soundtrack. You need to sing that song !» Hey, t’es pas là pour enregistrer une fucking BO ! On te demande de chanter ! Parle-t-on comme ça à un roi ? Oui, Chips est même le seul qui ose.

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    Pas d’American sans Dan Penn. Un Dan Penn dont la conversation mixe Southern inflections and good-ol’-boy aphorisms with sudden flashes of poetic elegance. (Un Dan Penn dont la conversation mêle le patois du Deep South et des aphorismes zébrés d’éclairs poétiques). Un Dan Penn qui admire Ray Charles - Ray Charles was the one who took all us white boys into the blues - Bobby Blue Bland est son autre héros - He was second in line behind Ray Charles and he’s awful close to it - Ce qui le conduit tout droit à son principe de base : l’affinité avec les blackos, via le r’n’b - I used to have an affinity for the black race, I really did - Dan Penn passe toute sa vie en quête de funk - My heroes all come from the funky side of the tracks, there wasn’t too much country music that seeped into my soul - Oui, Dan avoue ses affinités avec le peuple noir, sa passion pour Ray Charles et Bobby Blue Bland et redit son manque d’intérêt pour la country. À vingt ans, il est déjà membre actif de la Muscle Shoals recording scene. Il y reste six ans et il compose. Conway Twitty enregistre son «Is A Bluebird Blue». Dan ne cherche pas à se faire connaître. Il préfère rester en retrait - That’s what I’m gonna be, I’m gonna be a studio cat - Puis le studio cat rencontre Chips et c’est le coup de foudre. Reggie Young : «Dan and Chips were so much alike they could be twin brothers, they both have that little snarl, they could seat in a room for two hours, look at each other and never say a word.» (Dan et Chips sont comme deux frères jumeaux. Ils ont la même façon de ricaner et peuvent rester des heures entières face à face sans dire un seul mot).

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    Dan et Spooner composent «Cheater Man» pour Esther Phillips qui est la première artiste envoyée chez American par Atlantic. Dan sait que Chips veut l’aider : «Really what he was doin’ was tryin’ to get me started. I think he had me around because he liked me.» Chips admire Dan et c’est réciproque. Dan apprécie énormément le style de Chips qui est tellement différent du style directif de Rick Hall - He hardly ever told the musicians what to do - Chips ne donne quasiment pas d’indications aux musiciens. Pour situer l’équipe d’American, Dan parle d’un gang of boys. Il faut l’entendre définir le Memphis way, c’est quelque chose : «I call it the Memphis way, leave the band alone and have some great expectations. Stax, they were more kin (proches) to Alabama. They wouldn’t just sit and cut till the walls caved in. Stax was also the Memphis way, but it wasn’t my memphis way.» (J’appelle ça the Memphis way, laisse faire les musiciens et tu verras le résultat. Chez Stax, ils jouent comme à Muscle Shoals. Ils jouent jusqu’à ce que ça soit parfait. Stax est aussi the Memphis way, mais ce n’est pas mon Memphis way).

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    Dan vient en studio en bermuda, avec son paquet de clopes roulé dans la manche du T-shirt. Il prend aussi pas mal d’amphètes et Robert Gordon raconte qu’un jour Dan et Wayne Carson se lancèrent dans une session d’écriture jusqu’au-boutiste, assis face à face sur des chaises. Épuisé, Carson finit par s’écrouler et Dan le remit sur sa chaise, l’attacha avec sa ceinture et le força à continuer - You’re not quittin’ on me now ! - Les conséquences du killing de Martin Luther King eurent sur Dan d’énormes conséquences : il se mit à fumer de la marijuana pour alléger son profond désespoir et fut incapable de composer pendant deux ans, de 68 à 70 - It took me a pretty long time to get my feet back under me (il m’a fallu un sacré bout de temps pour retomber sur mes pieds) - Puis c’est la rupture avec Chips. Dan veut une part du gâteau - a piece of the company - et Chips lui dit : «If you want a piece of the company, start your own.» (Tu n’a qu’à monter ta boîte). C’est ce qu’il va faire. Dan veut travailler à sa façon et il commence à traîner avec Dickinson, qui était the center of Memphis bohemian life - In many ways, Dickinson had replaced Chips Moman and Spooner Oldham as the closest person to him - Dan s’acoquine avec Dickinson qui est au centre de la bohème de Memphis. Au plan social, Dan n’aime pas les hippies, ni leur musique ni leur accoutrement - As far as I’m concerned they are the ruin of this country - Et quand il côtoie Elvis lors des sessions d’American, il ne lui adresse pas trop la parole, car il estime qu’on doit lui foutre la paix. Et puis au fond, il n’aime pas trop les stars. Il est un peu comme Mark E. Smith, il préfère les gens normaux, the regular people. Et en fin de parcours, Roben Jones rend hommage à Dan & Spooner en les traitant de living relics of the long-forgotten era of soul music (légendes vivantes de cette vieille scène Soul que tout le monde a oublié). Joli, n’est-ce pas ?

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    L’histoire d’American commence aussi avec Reggie Young et le Bill Black Combo dont il était le guitariste. Le Combo se retrouve booké sur la première tournée américaine des Beatles en 1964. Reggie Young en prend plein la vue. D’autant que George Harrison demande : «Which one is the guitar player for Bill Black ?» George voulait savoir d’où Reggie tirait son son - I had this little tube Standell amp - C’est aussi lors de cette tournée que Reggie a une petite aventure sentimentale avec Jackie DeShannon qu’il reverra des années plus tard comme cliente d’American.

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    C’est lors d’une session Wilson Pickett à Muscle Shoals que Chips et Tommy Cogbill rencontrent Bobby Womack. Sa façon de jouer impressionne tant Chips qu’il lui propose de venir s’installer à Memphis. Les Memphis boys se mettent à l’adorer - He had a hollow-body electric, that old guitar was handmade in New York (Bobby jouait sur une demi-caisse électrique fabriquée par un luthier new-yorkais) - Après avoir vécu à Los Angeles, Bobby se sent beaucoup mieux à Memphis. Chips le salarie en tant que compositeur et second guitariste. Bobby retourne ensuite s’installer à LA, mais revient à Memphis enregistrer son premier album, Fly Me To The Moon. Ed Kollis le trouve changé. Eh oui, Bobby s’est mis à la coke, ce qui n’est pas du tout le genre de la maison American. Chips ne veut ni drogues ni alcool lors des sessions.

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    Si Dewey Lincoln Oldham Jr. s’appelle Spooner, c’est dû à un incident : enfant, il s’arracha un œil avec une cuillère, spoon en Anglais. D’où Spooner. Il rencontre Dan à Muscle Shoals et leur complémentarité fait merveille : Spooner’s contemplative temperament matched Dan’s sharper-edged one. C’est Sponner qui accompagne Percy Sledge à l’orgue sur «When A Man Loves A Woman», paru en 1966. C’est d’ailleurs ce hit qui va mettre Jerry Wexler sur la piste de Muscle Shoals. Spooner allait aussi devenir l’un des musiciens les plus respectés du circuit, pas seulement pour sa façon de jouer du piano, mais surtout pour ses qualités humaines. Mike Leech : «Spooner is one of the sweetest, non-assuming guys you will ever meet. I never heard him raise his voice or get angry.» (Spooner est l’un des mecs les plus doux qu’on puisse rencontrer. Je ne l’ai jamais vu élever la voix ou se mettre en colère).

    C’est Papa Don Schroeder qui amène James & Bobby Purify chez American, pour l’une des sessions les plus mémorables, «Shake A Tail Feather». Mais ce qui rend Papa Don encore plus mémorable, c’est sa botte secrète : il va finir tous ses enregistrements à New York - because I have Melba Moore, Doris Troy and Ellie Greenwich, they sing backups on all my records.

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    Parmi ses grands clients noirs, Chips eut le privilège d’avoir James Carr, puis le fils spirituel de Lloyd Price, Wilson Pickett, qui tapait du pied en chantant. Puis King Curtis qui impressionna fortement Reggie Young : «I had never worked with a musician who was as quick as he was.» (Je n’avais jamais travaillé avec un musicien aussi rapide que lui). On monte encore d’un cran avec les Sweet Inspirations que Tom Dowd amena à Memphis en 1967 pour enregistrer leur premier album. Ce trio de surdouées (Cissy Houston, Dee Dee Warwick et Judy Clay) remplaça les Cookies chez Atlantic comme backup singers. Les Cookies parties accompagner Ray Charles devinrent les Realettes. Chips disait de Cissy qu’elle avait l’une des plus belles voix du monde. Et pour Chips, B.J. Thomas était LE chanteur d’American - the man who embodied the integrity, craftmanship, versality, originality and refusal to be categorized that typified the American group. (L’homme qui incarnait l’intégrité, le savoir-faire, la versatilité, l’originalité et le refus d’entrer dans une catégorie qui caractérisaient si bien l’esprit des musiciens d’American).

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    Autre pierre blanche de la saga American, c’est bien sûr les Box Tops. Pas de Box Tops sans American et pas d’American sans Box Tops. Alex s’entend bien avec Dan et accepte que ce soient les gens d’American qui l’accompagnent, et non les membres de son groupe. C’est Dan qui fabrique Alex. On recroise dans l’ouvrage la fameuse anecdote concernant «Cry Like A Baby» : Dan et Spooner ont passé la nuit entière à chercher des idées de compos : chou blanc. En désespoir de cause, ils vont prendre leur petit déjeuner au Ranch House voisin et Spooner dit : «I’m so discouraged I could just lay my head on this table and cry like a baby.» Cry like a baby ? Wow ! C’est ça ! Dan saute en l’air. Ils retournent au studio en courant et pondent le hit que l’on sait en une demi-heure. Quand Alex veut reprendre «Wang Dang Doodle» de Big Dix, Dan s’y oppose : «Oh no, you can’t cut that, that’s about razor totin’ and carryin’ guns.» (Pas question de reprendre une chanson où on trimballe un rasoir et un calibre). Dan considère que les chansons doivent détendre les gens, pas les énerver. Le business des Box Tops ne va durer qu’un temps, car Alex n’aime ni les tournées ni les pratiques de Larry Uttal, le boss de Bell : il doit 100.000 $ aux Box Tops, mais il annonce qu’il ne les versera qu’en échange d’un prochain album. Ça ne plait pas non plus à Dan Penn qui se retire après le troisième album des Box Tops. Chips accepte de produire le dernier album pour rendre service à Alex et récupérer les royalties. Entre aussi en scène à une époque Joe South, recruté par Jerry Wexler pour accompagner Aretha. C’est lui qui joue l’intro de «Chain Of Fools», sur Lady Soul. Joe joue sur une orange cut-away Chet Atkins Gretsch model. Côté admirations, Dan en pince pour Eddie Hinton et Chips pour Joe Tex, l’un des grands clients d’American. Débarquent aussi un jour à Memphis Paul Revere, Mark Lindsay et Freddy Weller. Il y enregistrent le fameux Goin’ To Memphis avec les Memphis Boys. On ne chôme pas, chez Chips. Ils reçoivent alors la crème de la crème du gratin dauphinois.

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    L’âme du house-band d’American c’est bien sûr Tommy Cogbill, surnommé Cog, qu’on entend sur les cuts d’Aretha, de Dusty chérie et de Clarence Carter. Cog fut le modèle de David Hood : celui-ci aimait tellement le style de Cog qu’il abandonna le trombone pour se mettre à la basse. La bassline que joue Cog sur le «Preacher Man» de Dusty In Memphis est devenu une référence pour tous les bassmen, au même titre que les drives de James Jamerson chez Motown. David Hood : «At that time, the bass became a more busy instrument.» Hood rappelle aussi que Cog trempait ses doigts dans la vaseline pour avoir un son plus smooth.

    Neil Diamond fait aussi partie des gros clients d’American, mais selon Wayne Carson, ça coinçait un peu avec lui : «Neil Diamond never fit into that Memphis groove. He wanted to but he never could.» (Neil ne collait pas avec le Memphis groove. Il a essayé, sans résultat). Et Chips ne trouvait pas ses chansons très convaincantes. Par contre, il se mit en quatre quand il apprit qu’Elvis voulait enregistrer chez lui. Wayne Carson affirme que Chips réussit à obtenir le meilleur d’Elvis, et ça n’était plus arrivé depuis le temps de Sun avec Sam.

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    Lorsqu’Al Bell instaure le black power chez Stax, Steve Cropper, Carla Thomas et Booker T. s’en vont. Carla et Booker T. viennent traîner chez Chips qui les accueille à bras ouverts, en vieux Staxman qui se respecte. D’après Roben Jones, l’une des sessions de Chips les plus réputées est celle de Carla Thomas, en juin 1970. Arthur Alexander vient aussi enregistrer son deuxième album chez American, soutenu moralement par son vieil ami Donnie Fritts. Cog le produit. C’est sur cet album que se trouve l’immense «Rainbow Road» co-écrit par Donnie Fritts et Dan Penn. Donnie précise qu’il écrivit Rainbow spécialement pour Arthur, tellement il admirait sa voix. L’album ne devint légendaire que grâce au bouche à oreille. Par contre, Chips eut quelques problèmes avec le premier album de Billy Burnette fraîchement débarqué de Los Angeles pour se ressourcer à Memphis. Chips ne trouvait pas les chansons du petit Billy assez bonnes. Et Billy Lee Riley fut le tout dernier client d’American à Memphis. Hélas, mille fois hélas, Chips ne s’entendait pas avec Billy. Le gros des sessions est resté coincé au fond d’un placard. Ça finira par sortir un jour, comme tout le reste.

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    C’est semble-t-il avec les dames que Chips s’entend le mieux. Et quelles dames ! Dusty chérie, Dionne la lionne et Jackie DeShannon. Dusty in Memphis est considéré comme l’un des sommets d’American. Warren Zane a même consacré un ouvrage à cet album mythologique. Rappelons pour la petite histoire que Dusty chérie et les Sweet Inspirations enregistrèrent les vocaux à New York, sur les cuts qu’avait enregistré le house-band d’American à Memphis. On trouve aussi sur cet album le fameux «Breakfast In Bed» co-écrit par Eddie Hinton et Donnie Fritts qui avait la fritte à l’époque. Mais à Memphis, Dusty chérie ne se sentait pas bien. Savoir qu’avant elle, Joe Tex et Wilson Pickett avaient chanté au même endroit, ça lui coupait tout simplement la chique. Atlantic était descendu au grand complet : Arif Mardin, Tom Dowd et Jerry Wexler produisaient. Chips resta en dehors. Le fin mot de l’histoire est que Dusty chérie préférait travailler à sa façon : seule en studio et chanter avec la musique dans le casque. C’est ainsi que s’acheva l’épisode Dusty In Memphis. Par contre, ça se passa beaucoup mieux avec Dionne. Elle décida de venir enregistrer à Memphis parce qu’Aretha l’accusait de n’être pas assez soulful. Pas assez soulful ? Ah tu vas voir, ma vieille ! Elle enregistra justement Soulful, l’un de ses albums les plus dévastateurs. Comme il lui fallait des cuts, Chips lui proposa d’enregistrer «You’ve Lost That Loving Feeling» et évidemment, Dionne l’explosa. Pif ! Bang ! Pow ! Cog y fit un carnage à la basse.

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    Les cuts enregistrés à Memphis qui ne figurent pas sur Soulful se trouvent sur From Within, un double album paru aussi sur Scepter. Dionne fut tellement ravie de son séjour parmi les Memphis boys qu’elle leur fit envoyer à chacun des montres avec leurs noms gravés (comme l’avait fait Aretha avant elle) et elle demanda à Florence, la boss de Scepter, de payer une Rolls à Chips ! Sacré veinard ! Chips l’utilisa comme voiture de fonction pour American, lorsqu’il fallait aller cueillir des clients à l’aéroport. En fait il préférait piloter sa TR-6 ou sa Harley. Et puis Capitol envoya Jackie DeShannon enregistrer chez Chips. Roben Jones affirme que ces sessions comptent parmi les plus réussies de Chips. Mais les enregistrements ne plurent pas à Capitol et cet album jamais sorti finit par acquérir le statut de great lost album. Il vient tout juste de reparaître sous le titre Stone Cold Soul. Une pure merveille. On retrouve deux ou trois cuts tirés de cet album ré-enregistrés chez Capitol sur Songs, paru en 1971, mais ce n’est pas le son de Chips. Et voilà le travail.

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    Et comme dans toute grande aventure collective, on voit les défections se succéder : Dan Penn, Bobby Womack, Spooner Oldham, Ed Kollis et Glen Spreen quittent l’équipe d’American. D’autres comme Billy Burnette arrivent. Puis c’est au tour de Tommy Cogbill, Gene Chrisman et Bobby Wood de quitter American pour Nashville. Le problème est que Chips ne vient plus au studio et les musiciens tournent en rond. Et quand aux Memphis Music Awards, aucun musicien d’American n’est nominé, Chips prend ça comme une insulte - That’s what made me want to get the hell out of there (C’est là qu’il prend la décision de se barrer) - Dan Penn confirme que le manque de reconnaissance affecta profondément Chips et ses amis : «In America and Europe and all over the world, nobody ever gave these guys credit.» (Personne ne connaissait les noms des musiciens qui avaient joué sur autant de hits). C’est là que Chips quitte tout, même sa ferme de Raleigh et ses chevaux. Il ne met même pas le local d’American en location. Le bâtiment sera détruit en 1989. Même destin tragique que celui de Stax sur McLemore. Même genre de naufrage collectif et affectif. Memphis qui avait tout n’a plus rien.

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    S’il en est une à qui on peut serrer la pince, c’est bien Roben Jones. Chips, Reggie et les autres lui doivent une fière chandelle.

    Signé : Cazengler, Reggie Old

    Reggie Young. Disparu le 17 janvier 2019

    Roben Jones. Memphis Boys. The Story Of American Studios. University Press Of Mississippi 2010

    MONTREUIL / 18 – 01 – 2019

    LA COMEDIA

    COUDASSE / GRANDMA'ASHES

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    C'est comme l'inexorable montée des eaux due à l'extinction de la banquise, en huit jours la fresque s'est encore emparée d'un pan de mur. Le pire est désormais envisageable, le coup de la bobine, à chaque tour d'embobinage vous emmagasinez davantage de fil, une surmulltiplication exponentielle, si on laisse faire, dans deux ans la ville de Montreuil sera entièrement recouverte, des ramages lysergiques s'étendront sur toute les façades de la ville, les habitants chassés de chez eux, relogés dans des camps de réfugiés, et la ville livrée à l'invasion de centaines de milliers de touristes venus du monde entier se prendre en selfie devant les murs chatoyants de la nouvelle Pompéi moderne pendant que de doctes professeurs d'universités réunis en colloques internationaux se mettront d'accord pour décréter que cette prolifération sauvage aura été rendue possible par les émanations soniques délétères dont la bâtisse située au croisement maudit des rues Michelet et Edmond Vaillant se sera rendue coupable durant des années, et les gouvernements réunis en conclave se hâteront de statuer sur l'interdiction planétaire du rock'n'roll.

    Un véritable cauchemar, un seul remède pour endiguer cette catastrophe annoncée, combattons le mal par le mal, écoutons un peu de rock'n'roll.

    COUDASSE

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    Nous prennent par surprise, en traître, l'en manque un qui vaque à l'on ne sait quoi, l'on ne sait où, le guitariste à genoux devant ses delays a l'air de s'accorder, et le batteur de promener ses baguettes sur ses peaux en attendant que cela commence, le bassiste caresse une corde d'un air distrait. Et bien non ! Nous ont fait le coup du train qui démarre alors que le nôtre reste immobile alors qu'en vrai c'est notre tortillard qui met les bouts et le voisin qui reste immobile sur ses rails, c'est parti, sans tambour ni trompette, et il faudra trois minutes avant de s'apercevoir que l'on prend de la vitesse. Le coup de la coudasse. Z'avez l'impression qu'ils vous tendent la main pour vous emmener vous promener sur un sentier tout mignonitou dans une douce campagne ensoleillée, erreur funeste, la montée est si progressive en ses débuts que vous n'y faites pas gaffe, et brutalement tout s'accélère et vous voici projeté à toute vitesse vers l'horizon de cimes glacées qui recule sans cesse, et le public devient fou, se jette les uns sur les autres, s'entremêle en un tourbillon tapageur sans fin. Quand enfin le sommet est atteint, vous n'êtes qu'au début de vos ennuis, les guitares vous entraînent sur des pentes verglacées, vous glissez à une vitesse folle vers votre dernière heure. Mais ce n'est pas fini, car une fois que vous êtes morts, ils vous raniment illico et hop oï oï vous avez droit à un nouveau tour de montagne russe, encore plus hautes encore plus vertigineuses. Âmes sensibles s'abstenir. Coudasse décline toute responsabilité. A vos risques et périls.

    La Comedia doit être remplie de casse-cous et de risque-tout qui adorent les émotions fortes et les situations exaltantes. Coudasse se plaît à rajouter du sel de braise rouge sur les plaies et du poivre noir sur les bosses. Vocalisent à tour de rôle. Pas de vedettariat. Des voix de grêle graisseuse et de colère. Et puis la musique reprend son rôle prédominant de grande meneuse de revue de vos abattis réduits en charpie. Son bruit de cordes frottées soutenues par une batterie omniprésente et haletante aspire votre attention à la manière d'une ventouse qui débouche les WC de votre esprit pour vous libérer de toutes les données excrémentielles sociétales. Le grand nettoyage, par le vide.

    Coudasse si vous voulez, mais au lieu de votre nez tuméfié par un coup de coude intempestif, imaginez plutôt votre visage sanguinolent défiguré par une profonde griffure d'un ours polaire en colère. Sortent de scène sous une pluie d'applaudissements admiratifs et respectueux. De la Coudasse, encore de la Coudasse, toujours de la Coudasse et le rock'n'roll sera sauvé.

    GRANDMA' ASHES

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    ( Photo : Victor Wilhelm )

    Goût de cendres dans la bouche. Pas celui des cookies dans lesquels, selon un rite barbare d'appropriation des forces obscures de votre ascendance, vous avez mêlé à la farine les cendres de votre grand-mère, celles de l'anneau de feu et de fièvre des folles chevauchées des walkyries. Ne sont que trois à monter sur scène, en short et bas résille, trois ballerines de l'extrême. Filles de la foudre de Zeus, et de la Nuit hideuse. Qui réconcilient le tonnerre et le stoner. Mais déchiffrons le grimoire de ces Moires. L'on n'échappe pas à son destin, aussi commencerons-nous par Edith-Atropos, l'Inévitable, tapie derrière sa batterie, longs cheveux noirs qui parfois voilent sa face car l'on ne regarde pas le feu de son visage péremptoire sans danger, c'est elle qui d'un geste coupe le fil, vous détache du cordon ombilical de la vie, en un dernier spasme tragique. A sa gauche, Myriam-Larkésis, l'ensorceleuse, est à la guitare, fine silhouette rehaussée d'une couronne astrale de cheveux d'ébène, elle dévide les riffs et les images de votre existence aux épisodes multiples, heureux et malheureux, miraculeux et marasmiques, se chevauchent à une vitesse folle. Enfin, Eva-Clotho, l'Originelle, qui donne naissance, vous arrache de sa basse de la base indistincte des éléments primordiaux, et sa voix est un chant de sirène qui ruisselle sous la rouille de sa crinière qui retombe sur son corps blanc et pulpeux de naïade.

    Trois filles et le furet sanguinaire du rock'n'roll qui court sans fin dans le cercle fatidique de leur ronde à seule fin de planter ses dents aigües dans vos veines et d'aspirer votre sang tumultueux et votre énergie vitale. Un set de toute éblouissance. Trois furies. Lancées à toute allure. Pas une once de repos, pas une seconde de temps mort. Edith mène la sarabande. Une frappe en accélération constante. Pas vraiment de break, des séquences qui se suivent en une rapidité inventive qui mêle netteté de la frappe et efficacité magistrale. Des coups de fouets sur la croupe d'un attelage qui a pris le mors aux dents et vous emporte en une course diabolique. Des rafales folles, exemptes de toute fanfaronnade, Edith mène le jeu, ne joue pas pour épater le public mais pour satisfaire à une espèce de mathématique intérieure destinée à réaliser l'équation de ce qu'elle tient pour une approche des plus aguerries de l'idée qu'elle se fait en elle-même de la perfection. Encore une solitaire, à ses côtés. Décidément, ces filles n'obéissent qu'à leurs pulsions intimes. Elles ne courent pas après la musique, la laissent sourdre d'elles telle la source qui sort de terre. Myriam a le riff incoercible, surgit du dedans et s'empare de sa guitare, ce sont des vagues qui déferlent sur vous, elle les émet comme des ondes vibratoires dont la force destructrice vous submerge sans rémission. Rêvez d'Eva à la voix envoûtante et incantatoire, par-dessous les soubassements de sa basse, non pas de longs meuglements monotones infinis, mais un kaos créatif de swing désordonné et culminatif, cratère de fusion volcanique et coulées de lave irradiantes. Parfois elle s'agite comme soulevée par une ondée de joie créatrice sans égale et dans l'échancrure de son T-shirt ses seins blancs palpitent comme ceux de la Louve Palatine qui transmit aux jumeaux sacrés la fureur resplendissante des Dieux afin que l'un d'eux fonde la Ville maudite destinée à asservir le monde.

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    Ces trois filles sont en train de forger l'orichalque interdit du rock'n'roll et le public averti n'en perd pas une miette. Elles nous emportent en un déluge de feu. Nous délivrent un stoner-rock qui remplit toutes les attentes. Elles atteignent d'emblée à l'élégance inné de ce style qui ne supporte ni redite ni ennui. Telles que je les ai décrites une par une, je crains de n'avoir pas insisté sur la cohésion du groupe, ces fillettes se connaissent sur le bout des doigts, sont unies par une longue complicité. Peuvent paraître, lors d'un regard primesautier, bosser chacune dans un des angles du triangle sans se soucier des sœurettes, mais les oreilles exercées ne s'y trompent guère. Le groupe fait preuve d'une grande cohérence harmonique qui permet à chacune de développer son espace de liberté. Elles ont acquis ce niveau d'automatisme qui sécrète une sûreté et une sécurité de base, une espèce de filet de protection invisible et inamovible, sans lequel toute prestation est une perpétuelle au mise au point de l'anxieuse recherche d'un équilibre des plus précaires. Une heure leur a suffi pour conquérir l'assistance – fortement et mystérieusement féminisée dès qu'elles eurent pris pied sur la scène – les applaudissements ne cessent de pleuvoir. On y décerne cet enthousiasme, cette émotion, et cette déférence qui fait toute la différence. Les filles sont-elles l'avenir du rock'n'roll ? Ce qui est sûr c'est que Grandma'Ashes a réduit nos coeurs en cendres. Tous nos suffrages dans cette urne cinéraire. La seule digne de leur rock incendiaire.

    Damie Chad.

    SEVEN

    ABSTRACT MINDED

    EP quatre titres, hélas pas encore artefacté, faute de moyens financiers, ce qui n'empêche pas quAbstract Minded soit un des groupes qui ait produit sur moi une des plus grandes impressions lors des deux passages live auxquels j'ai eu la chance d'assister. Une musique des plus violentes mais marquée d'une pure intellection. Du métal sauvage qui a abandonné la quincaillerie pour aborder la rive de sa propre abstraction.

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    Seven : Clip de Marlene Reichman : l'écoute restera indissociable de la vidéo qui l'accompagne. Seven comme les sept âges de la vie résumés en leurs deux extrémités, à condition que l'on considère comme des bornes infranchissables ces moments où l'on n'est pas encore et ceux-là où l'on n'est plus. Sans doute passe-t-on sa vie à chercher le point focal de son existence. Celui où nous sommes nous, où notre plus grande jeunesse rejoint notre plus grand âge, lorsque la promesse de ce que l'on n'est pas se confronte à ce que nous avons déserté de nous. Ce voyage intérieur le Clip le métaphorise en cette rencontre improbable de nous-même avec nous-même, de la petite fille et de la vieille dame sur le chemin de la vie qui conduit à la baudruche du néant. Ce ne sont que des images entrecoupées du groupe en action. Des vibrions de matière qui s'efforcent de réaliser l'impossible fusion du passé aboli avec le futur inaccompli. Le métal de cet alliage incertain est l'or du Rhin mythique de la musique d'Abstract Minded. Une voix qui hurle, des cymbales qui étincellent comme des gouttes d'or et le reste de l'orchestration qui n'est que magma dune noirceur inaccoutumée. Realease ! : cris de victoire émancipatrice sur le refrain, n'empêche que le chemin vers la libération de soi-même en devenant soi-même n'est guère facile. La voix creuse son terrier, et le chemin s'allonge démesurément. Guitares éruptives et basses continues, déglutis vocal lorsque la musique semble au bout d'elle-même, la batterie remet le couvert aux couteaux sanglants, ceux qu'il a fallu s'arracher de soi. Et le son devient moteur d'avion qui perd de l'altitude, la fin semble plus proche que jamais, mais en un dernier effort le combat contre les monstres incapacitants reprend, chacun se doit de retrouver la fureur totémique de la bête qui gît en soi, les dernières notes s'égrènent comme ces fleurs de pissenlits emportées par le vent...

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    Vishaal : grognements de loup. La bête est enfermée en moi-même et les autres sont les murs de ma prison. Nulle issue hormis moi-même et cette terrible solitude qui me mure en moi-même. L'échappée belle n'a été qu'un mirage, la rage m'habite et me brûle, musique cataclysmique, portes de plomb qui se referment sur moi. Requiem apocalyptique, le vocal cisaille le néant des apparences. Toute vision se referme sur le globe de l'œil crevé par les draperies funèbres du spectacle du monde. L'on ne va jamais plus loin que soi-même. Toute prison est un mantra de haine. Masochisme chamanique. Transcendez la nature, l'instinct de mort dominera. Les requins affamés se nourrissent de leurs propres entrailles. Greed : lâchez le monstre, je suis festin carnivore, j'avale la viande humaine des désirs et des rêves. Je suis une force qui détruit, rien ne saurait me résister, le ne suis qu'un gouffre vide, qu'une gousse de néant avide, je bouffe et je bâfre, rien ne saurait me résister, le chant devient proclamation excitée, grande menace, et les chœurs entonnent les dithyrambes d'adoration de la destruction. Le crime est le seul principe de regénération. Méfiez-vous, ma route croisera la vôtre comme elle a croisé la mienne. Tourbillon de gloutonnerie métaphysique. Behind the wall : ( Nous rajoutons en bonus la kronic de ce cinquième morceau datée du 28 / 09 / 2017, voir 341 ° livraison ). Un unique morceau construit sur le schéma des tétralogies grecques. Commence par un bourdonnement grondeur de voix qui buterait sur elle-même, une tétraplégique reptation de gorge issue des galeries les plus obscures d'une mine charbonnière, musique qui moutonne noir impassible, un fleuve de cendre volcanique qui progresse et arase les doux paysages des âmes choisies, coup de cymbales comme gong de bronze qui résonne dans les temples désertés par les dieux, colère vocale crispatique, et la marche processionnaire reprend, impassible, mais les mots s'écrasent plus longuement tels ces mouchoirs de papier emplis de morve, de sang et de sperme que vous jetez derrière vous afin de désobstruer vos méningiques cloisons fissurées, lézardes de rage sur le métal stridal, la voix qui bazooke les portes blindées de la sortie du labyrinthe, cris de triomphe afin de fêter l'issue catacombère, long soli lyriques de guitares explosives, émissions spharynxgicoïdales chantent victoire, arrêt brutal. Nous ne sommes qu'à l'orée du chemin de glaise noire. Le plus difficile c'est d'en sortir. Que vous soyez mort – sachez que cela vous arrive plus souvent que vous ne le pensez – étendu en votre léthargie ou simplement retenu en vous- même. Bref, faut s'extraire. Pas facile. Vous n'avez pas la bonne clef dans votre poche. Sinon vous seriez déjà dehors. Une seule solution : enfoncer la porte. Oui, ça fait du bruit. Vous ne croyiez tout de même pas que ça se passerait dans le silence absolu. Et puis il y a le gardien du seuil. La solution décisive serait de l'abattre. Ce n'est pas l'envie qui vous en manque. C'est qu'il vous ressemble tellement que vous vous apercevez qu'il n'est autre que vous-même. La partie s'avère plus compliquée que prévue. Remarquez c'est une histoire connue et rebattue. Le scénario remonte à l'antiquité. C'est expliqué dans les textes des gnostiques. L'avaient pompé sur les vers dorés de l'orphisme. Suffit de transformer le cercueil de votre chair, lui insuffler l'énergie alchimique de la vie. Parce que vous n'êtes que rarement vivant quand vous y réfléchissez. Voilà vous avez le fil de l'action. Un peu compliqué, je le concède. Abstrait, dites-vous ? Emission gutturale de la lettre A. L'aleph prodigieux du point d'inexistence qui contient l'univers.

    Alexis Godefroy : bass / Joey Baudier : lead vocal / Louis Guffond : guitar / Zivan Rasolofo : guitar / Jimmy Lavogiez : drums.

    Damie Chad.

    NOT DEAD YET

    PHIL COLLINS

    ( Michel Lafon / 2016 )

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      • Oh, les gars vous faites quoi cet aprum ? Passez à la maison, j'ai un super disque de rock à vous faire écouter !

      • Toi, tu écoutes du rock, jeune hippie !

      • Vous serez surpris, c'est une nouveauté, venez vous ne le regretterez pas.

    On n'aurait pas dû, mais à quatorze heures pile l'on tapait à la porte, et la copine exhibait triomphalement The Lamb Lies Down On Broadway, de la grosse pile posée à côté de l'électrophone.

      • Tu nous as fait venir pour Genesis, tu es totalement frappée !

      • Taisez-vous et écoutez, c'est le dernier, rien à voir avec ce qu'ils faisaient avant !

    Bref on s'est presque tu, et on s'est tapé la première galette de quand elle a voulu mettre la seconde on s'est éclipsé ( pas du tout discrètement ) en lui disant que le grand méchant loup des steppes du rock'n'roll réduirait de ses grosses dents pointues et cruelles en lambeaux cette misérable bestiole bêlante d'agneau new-yorkais sans regret ni remords.

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    Deux mauvaises nouvelles : 1 : depuis la copine n'a pas changé, elle écoute toujours de la mauvaise musique. Mais ce n'est pas le plus grave. 2 : la teuf-teuf immobilisée pour une heure et demie au garage, c'est alors que se pose la question léniniste par excellence : Que faire ? J'avise le fouillada voisin, farfouille dans toutes les étagères pour finalement ressortir avec le bouquin grand-format( tout neuf, tout beau, tout brillant, pour deux euros ) car vous savez en rock, faute de loup on bouffe de l'agneau.

    Au cas où vous auriez manqué à tous vos devoirs et omis la semaine dernière de lire la kro du Cat Zengler sur Ginger Baker, surtout ne réparez pas cette funeste erreur au plus vite, lisez d'abord celle-ci, car la vie de Collins risquerait de vous paraître un peu fade après celle de Ginger le rocker fou. Je résume : d'abord le purgatoire avec Phil, ensuite les enfers paradisiaques avec Baker.

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    Commence mal le Collins, pleure un torrent de larmes, s'est marié trois fois et a divorcé trois fois. A le croire, abondance de biens nuit gravement à la santé, a laissé ses épouses toute seules à la maison pendant qu'il vagabondait aux quatre coins de la planète et crime inexpiable il ne s'est pas occupé de ses enfants comme il aurait dû. Nous rassure toutefois, aujourd'hui ( 2016 ) tout va bien, s'entend à merveille avec ses quatre gaminettes et gaminos qui ont grandi, s'est remis avec la dernière des génitrices, et coule une vie de famille des plus sereines... Certes il n'est pas chrétien mais l'ensemble sonne ( le tocsin ) born again... Ensuite il nous raconte son histoire en suivant l'ordre chronologique, mais cette contrition préliminaire reste le leitmotive principal du bouquin.

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    Une mère artiste et un père un peu bourrin. Le résulta final n'est pas mauvais : une grande sœur danseuse de niveau international, un frère dessinateur renommé, la famille Collins n'a pas engendré que des tocards. Sa maman il la gardera très longtemps, elle mourra quasi-centenaire, mais c'est la figure paternelle qui le marquera le plus par le fait même de son absence. Elle reste en même temps une monstrueuse énigme et un parfait exemple comportemental, uniquement par ses mauvais côtés. Car des bons, aux yeux de l'enfant et du jeune homme qu'il sera au moment où il décèdera, il n'en avait pas. Un homme secret qui entretenait une maîtresse – irrémédiable lézarde dans la cellule familiale - et qui n'a jamais su témoigner le minimum de tendresse nécessaire à son fils dont il jugera les entreprises musicales peu digne d'intérêt. L'aurait préféré qu'il prenne comme lui un boulot convenable dans la Cité. Le beauf au boulot tous les jours avec sa fierté de bœuf sous le joug. Le fils finira par se reconnaître en cette figure peu souriante : s'il est devenu un artiste bourreau de travail qui accepte avec joie pléthore de propositions qui l'accaparent et l'éloignent de ses enfants, c'est pour faire comme son père – ce héros - qui tous les matins se levaient pour, à chaque fin de mois, ramener à la maison la paye nourricière. Toutes les excuses sont bonnes, le livre déborde ainsi d'une hypocrite naïveté confondante et auto-déculpabilisante, ne m'accusez pas, ce n'est pas de ma faute...

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    Depuis l'âge de cinq ans, le petit Philip tape sur tout se présente à lui, mais la musique n'est point sa ligne de mire. Voudrait être comédien, faire du théâtre, tourner des films... sa mère l'inscrit dans une école adéquate, l'ado est aux anges, l'est entouré de filles. Des projets pleins la tête mais peu de concrétisation, parvient à décrocher le premier rôle dans une comédie musicale, mais sa voix se brise lors d'une représentation, la mue tord en quelques minutes sa jolie voix de petit chanteur à la croix de bois... L'a de la chance, pas le temps de pleurer sur son sort, de grands bouleversements submergent Londres, les Beatles passent à la télévision et c'est la grande révélation. Collins est emporté par la vague. Assiste aux concerts des Yardbirds, des Rolling Stones et même à la première apparition de Led Zeppelin... Fonde un groupe avec des copains, puis un second, tient la batterie, se démène comme un diable pour percer, à dix-neuf ans la chance de sa vie. C'est ainsi qu'elle lui apparaît. L'est convoqué pour jouer des congas pour un titre de ce qui deviendra le premier album All Thing Must Past Past de George Harrisson. Séance avec Phil Spector dans la cabine. La déception de son existence, la piste ne sera pas retenue, et il n'est pas crédité sur la pochette. Lui faudra attendre trente ans la réédition pour que George fasse mention de sa présence...

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    Ce n'est que partie remise. Auditionne pour Genesis – déjà deux albums au compteur – s'en tire à son avantage. Nous abordons la partie la plus intéressante du livre, les rapports de hiérarchie dans un groupe. Les britishs pratiquent la guerre de classe feutrée. Les trois musiciens de Genesis qui l'accueillent font partie de l'upper-class, cottage campagnard plantureux avec piscine chauffée, politesse exquise, humour britannique, ambiance bourgeoise, suffit de lire pour comprendre que la musique de Genesis qui louche vers la transcendance classique n'est pas engendrée par des rock'n'rollers... Collins ne la ramène guère, se contente de sa place de batteur, lui faudra du temps pour apporter quelques idées à l'écriture des morceaux. Ce qui est un peu comique, c'est l'importance que prendra Peter Gabriel au fur et à mesure que la notoriété du groupe s'étend. Devient sans partage l'attraction scénique numéro 1 du groupe, une forte personnalité qui s'implique énormément ( et même autocratiquement ) dans l'écriture des lyrics. Collins affirme que tous deux seront complices mais il n'en est pas ainsi avec Tony Banks et Mike Rutherford. Certes on lui passe tout, ses costumes extravagants et ses postures scéniques sont incomparables attirent les foules, mais l'on sent une incompréhension quasi-métaphysique chez les autres. Cette débauche d'effets visuels, leur inconscient l'assimile à une espèce de déclassement de l'Artiste en Saltimbanque. Rien n'est dit, le combo sans arrêt sur la route pour capitaliser sur le succès enchaîne les disques emportés dans un tourbillon, The Lamb Lies Down On Broadway enregistré un peu trop à la va-vite, même s'il est un succès phénoménal, précipitera le départ de Peter Gabriel qui sent sa puissance créatrice bridée par ses compagnons.

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    L'absence de Peter Gabriel sera la preuve de l'adage nietzschéen selon lequel ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort. Genesis vient de perdre son image de marque, on ne remplace pas un showman de cet acabit au pied levé. Les auditions ne donnent rien. Ce sera la chance de Collins, puisqu'il n' y a rien de mieux sur les étalages marché, on se contentera des légumes de la maison. Phil Collins n'a pas une mauvaise voix, n'est-ce pas lui qui remplace Peter – en attendant de trouver la perle rare – lors des répétitions du prochain 33 tours ? C'est ainsi que l'acier fut fondu et que Collins deviendra le chanteur attitré de Genesis. Du coup il devra quitter la batterie et venir se planter devant le micro. L'anti-Peter Gabriel par excellence, n'ose pas bouger, lui faudra plusieurs mois pour esquisser quelques gestes, le micro en main. Genesis compensera l'absence de l'impact visuel de Gabriel grâce à un magnifique ligth-show. S'instaurera une course à l'échalotte entre les super-groupes poussés aussi à la surenchère par la nécessité de contenter un public si nombreux que l'on accueille désormais dans des stades. La course à la surmultiplication grandiose est lancée. Les groupes punk reviendront à des prestations nettement plus spartiates...

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    Phil Collins se sent pousser des ailes. Genesis n'a jamais eu autant de succès. Les fans de la première heure pensent peut-être tout bas qu'il a aussi perdu son unicité, mais les minorités silencieuses ne sont guère agissantes. Collins compose, ne refuse jamais un coup de main ou de batterie pour un copain, et en 1981, il franchit le cap, enregistre son propre album. Face Value sera un succès planétaire, In The Air Tonight lance la carrière internationale de Phil Collins. Désormais il n'a plus une minute à lui. Tant pis pour Andrea sa femme et ses deux enfants. Il en sera de même dans les années suivantes avec Jill et Orianne, l'a beau nous dire que tout est de sa faute, qu'il culpabilise à mort, qu'il regrette, qu'ils ne le fera plus, il est sans arrêt par monts et par vaux. Enchaîne des tournées de trois mois sur tous les continents. Vend des disques par millions et ses chansonnettes encombrent les ondes des rares radio FM que l'on peut capter sur Provins. Jugez de mon malheur.

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    L'est courtisé de partout. Devient un des chouchous des galas de bienfaisance de la famille royale. La liste des ses participations à divers enregistrements est aussi longue qu'un porte-avions. Tout le gratin du rock y passe. Eric Clapton – entre parenthèses vous en apprendrez plus sur la personnalité de Clapton que sur le bouquin de Margotin chroniqué dans la livraison 401 – et Robert Plant, pour n'en citer que deux. C'est Plant qui vient le chercher pour qu'il soit à la batterie sur son album Picture At Eleven en 1982. Collins Nous présente les deux aspects de Robert Plant, un type gentil, agréable, sympathique, tout ce que vous voulez. Oui, mais aussi un des membres de Led Zeppelin, et lorsque Collins assiste lors du Live Aid à la réunion avec Jimmy Page et John Paul Jones, la donne change, Robert est comme happé par l'influence maléfique de l'ancien Dirigeable, certes écrasé au sol depuis longtemps, mais dont les restes irradient d'une sourde énergie malfaisante. Don't panic, dear Phil, it's just rock'n'roll. Du coup la prestation de Collins sera honteuse. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est lui, même s'il rejette la faute sur les autres.

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    Lorsque Orianne s'en va, Phil Collins accuse le coup. Physiquement et moralement. Le corps ne suit plus, ne s'est pas ménagé durant quarante longues années, l'a un pied en compote, le dos en capilotade, une oreille intermittente et une épaule qui l'empêche de jouer de la batterie. Pas de quoi réjouir un médecin. Au début du siècle nouveau, le succès n'est plus le même, pas d'inquiétude financière à avoir, l'a vendu deux cents millions de disques, mais l'âge, la solitude, la sensation de ne plus être à la pointe de l'actualité musicale ça vous ronge un homme aussi facilement qu'une souris un morceau de gruyère. Phil n'est pas à bout de ressources. Trouve son remède miracle. Tout seul comme un grand. N'a besoin de personne. L'alcool est son meilleur ami. Quatre années d'enfer. Ne cache rien. Raconte tout. Lui n'a jamais bu devient un trou sans fin. Vous ingurgiterait la mer en entier si par bonheur elle était alcoolisée. Certes une dépression à la base. Même s'il n'en parle pas. L'inactivité lui pèse. Lui c'est à son entourage qu'il pèse. Ses essais de désintoxication font chou blanc. Faudra un jour qu'un toubib ( or not to be ) l'avertisse qu'il est plus près de la mort qu'il ne le pense pour qu'il prenne la bonne résolution.

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    Orianne est revenue, les enfants lui sont restés fidèles, l'âge de la retraite active peut commencer. Travaille avec Disney, pour une comédie musicale à Broadway qui n'a pas le succès escompté, mais ce n'est pas grave, l'a trouvé son point d'équilibre. Le livre s'arrête en 2016. Suis allé enquêter sur son site officiel. L'a entamé une nouvelle tournée, pas aussi marathonienne que celles de sa jeunesse, mais un bon dix mille mètres. Des dates de concert prévues jusqu'en juin 2019. Not Dead Yet, nous sommes prévenus.

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    N'en aime pas davantage Phil Collins, mais le bonhomme se révèle attachant. Un exemple parfait de candide bonne foi. Sa face sombre il ne la dévoile pas plus que l'astre lunaire. L'est comme nous, ne montre que ses bons aspects. Personne n'est dupe, mais l'on ne lui jettera pas la première pierre, il nous ressemble trop. Z'avons tous des scénarios tout préparés pour raconter nos pires turpitudes – nos grandes et belles actions aussi, mais elles sont infiniment plus rares – et les rendre croquignolesques. Ne donne pas cette impression d'insatisfaction comme Pete Twonshend dans ses mémoires de courir après lui-même, pour la petite histoire il regrette de ne pas avoir pu remplacer Keith Moon, ce qui me laisse rêveur, sa frappe que je qualifierais de fragmentée ne me semble guère appropriée à la bourrasque des Who. A la lecture du livre, vous apprécierez davantage l'homme que le musicien. Un gros de défaut tout de même, impardonnable, ne possède pas une âme de rocker.

    Damie Chad.

    P. S. : si vous zieutez ce post-scriptum c'est que vous n'êtes pas en train de lire la kro de Ginger Baker du Cat Zengler. Vous manquez à tous vos devoirs. De rocker.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 382 : KR'TNT ! 402 : STEVE WYNN / GINGER BAKER / BROKEN GLASS / BLACK PRINTS / AU DREY /RAW DOG / DOUCHE FROIDE / ROCK CRITIC

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 402

    A ROCKLIT PRODUCTIOn

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    17 / 01 / 2019

     

    STEVE WYNN / GINGER BAKER

    BROKEN GLASS / RAWDOG / BLACK PRINTS + AU DREY

    DOUCHE FROIDE / ROCK CRITIC

     

    Syndicate d’initiatives -
Part Three

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    Après la fin du Syndicat, Steve Wynn entreprend une carrière solo au moins aussi fructueuse que celle de Frank Black après la fin des Pixies. Visiblement, ces gens-là ne savent faire qu’une seule chose dans la vie : écrire des chansons. Et des bonnes.

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    Wynn gagne à tous les coups. La preuve ? Kerosene Man, premier album solo paru en 1990. Deux belles énormités guettent leur proie, c’est-à-dire l’oreille imprudente : «Younger» et «Killing Time». Steve Wynn renoue avec la violence du riffing et la belle niaque pantelante. Il connaît son affaire. Dans «Younger», on retrouve le même son de basse que dans le fatidique «Death Party» du Gun Club. Tout aussi joliment claqué, voici «Killing Time». C’est même claqué en dégringolé d’accords. Ce sacré Steve adore la classe. Il sait enchaîner les effets de Ricken et créer des horizons. Ça marche à tous les coups. Sa power-pop est celle dont on rêve quand on est jeune et encore vert. Steve Wynn tortille ça en vieux briscard. C’est même trop beau pour être vrai. Son «Under The Weather» sonne comme de la petite pop de boulevard populaire, café de Belleville au clair de lune. Il claque aussi de l’accord clairvoyant dans «Something To Remember Me By». Voilà sa marque de fabrique artisanale, un peu limite du rock FM, mais ça passe. Et avec «Anthem», il prend l’habitude des finir ses albums avec un cut explosif - Play the anthem one more time - C’est tout simplement effarant de son. Le fan est gâté.

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    Deux ans plus tard paraît Dazzling Display. Steve Wynn y tape une cover de «Bonnie & Clyde». Coup de génie puisqu’il en fait une horreur garage. Cover de rêve. Steve Wynn a bien compris qui était Gainsbarre. Josette Napolitano vient faire la conne. Steve Wynn lâche ses ouragans d’accords, c’est à la fois intense et respectueux de l’environnement. Tout aussi énorme, voilà «405» joué au heavy rock - I rest my mind on the place and time - C’est explosé au solo congestionné. Quelle débauche d’énergie sonique ! Ce mec ne s’arrête jamais. Avec «Tuesday», il propose un extraordinaire shoot de power-pop émancipée. Wynn n’en finit plus de gagner à tous les coups. Il va sur la pop-rock avec une sorte de plaisir gourmand. Le morceau titre semble violenté dans l’azur pyrénéen. À moins qu’il ne s’agisse de la zone de Pythagore. Steve Wynn revient à sa légendaire férocité sonique et aux déliquescences d’interactions psychédéliques - Fell down to attention/ Not a very honorable mention/ What a perfect way/ To watch a dazzling display - En plus, c’est extrêmement bien écrit et digne des meilleures drug songs. Il passe à la vitesse supérieure avec «Dandy In Disguise». Drumbeat on the beat ! Il nous rocke ça dès l’intro, en vétéran de toutes les guerres. Ça sploushe et ça splashe dans le lagon vert. Admirable ! Il termine avec l’excellent «Close Your Eyes», vieille pop alimentée au bon vent d’Ouest. Steve Wynn se veut résolument allègre et optimiste.

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    On ne trouve pas vraiment de hit sur Fluorescent paru l’année suivante. On a du balladif de bonne guerre avec «Follow Me». On sent toujours la présence d’une vraie voix. On le sait, la voix fait toute la différence. Prenez Lou Reed. Eh bien, Steve Wynn, c’est la même chose. Profondeur et présence, voilà ses deux mamelles. Il excelle dans l’exercice de la présence vocale de bon ton. Par contre, son «Collision Course» sonne comme du Lloyd Cole. Mais Steve Wynn sauve son cut grâce à des fuites de guitares éperdues. Encore un fantastique balladif d’espérance du Cap de Bonne Espérance avec «Carry A Torch». Quand on a la voix qu’il a, une bonne guitare et des idées, ça paraît logique d’enregistrer des albums solo. Ce «Carry A Torch» sonnerait presque comme un hit. Avec un mec comme lui, il faut savoir donner du temps au temps et voir les choses se développer. C’est toujours intéressant. Il a toujours un gros son. «Open The Door» ne déroge pas à cette règle. On sent l’homme d’âge mur, sûr de son art. Même si «Wedding Bells» sonne trop romantico, on sent bien l’énergie. «The Sun Rises In The West» sonne comme un heavy balladif d’envergure. On adore ce mec pour ses capacités à créer de la bonne pop électrique, l’une des meilleures d’Amérique. Par contre, son «Look Both Ways» se danse d’un pied sur l’autre dans les Appalaches.

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    Pas de hits non plus sur Take Your Flunky And Dangle, mais pas mal de bonnes chansons, à commencer par «How’s My Little Girl», joli coup d’electric pop. C’est là où Wynn brille. C’est son univers, sa distance, son pré carré. Il est parfait dans son rôle de power-popper qui chante à la mâle assurance pendant que les guitares dessinent le décor de rêve. Avec «Closer», il reprend son bâton de pèlerin charmeur et se montre très communicatif avec «The Woodshed Blue». Il y sonne comme Dylan. Avec «AA», il sonne comme les Supremes, mais country. C’est assez tordu comme vision. Il termine en tapant «Only Comes Out At Night» au dylanex, mais parfois, on se dit qu’il vaut mieux écouter Dylan.

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    Sur Melting In The Dark, Thalia Zadek chante et joue avec Steve Wynn. Que de son ! C’est en tous les cas ce qu’on s’exclame dès le «Why» d’ouverture. Steve Wynn pousse de vrais oh yeah ! Quelle dégelée ! Il semble enfin de réveiller - There’s no answer, yeah ! - Et avec «What We Call Love», il revient à son vieux son de mid-tempo aventureux de bonne aventure. C’est littéralement bardé de guitares. Il redéclenche la furia del sol avec «The Angels». Il s’y fait violent prévaricateur - And the angels won’t talk to me anymore - C’est même visité par l’esprit des guitares, un véritable essaim. Encore un fantastique slab de heavy pop avec «State It Down». C’est cisaillé aux meilleures guitares de stomp. Steve Wynn chante ça sale et descend à la cave. Quel retournement de situation ! Avec «Smooth», il file sous le vent du boisseau. Effrayant ! Il se montre indispensable au rock. Son Smooth est de très haut niveau. Ils nous smoothent ça comme des diables. Quelle débandade de chœurs et de guitares ! Avec un titre comme «The Way You Punish Me», on tombe forcément dans la heavyness. Et tout ça se termine avec le morceau titre claqué au rendez-vous des malfrats - MacArthur Park is melting in the dark - Steve Wynn visite ça au sonic hell et bascule dans la mad psyché. C’est soloté à outrance et totalement inespéré.

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    Le génie électrique de Steve Wynn éclate de plus belle avec Sweetness And Light paru en 1997. Toutes les pochettes sont des tue-l’amour, mais le son est là. Cet album est passionnant, à commencer par «Silver Lining» monté sur un tatapoum de tous les diables signé Linda Pitmon. Elle tape comme une sourde. Notre Wynner favori ne ménage ni la chèvre ni le chou. Il veille a conserver ce fin tissu de guitares acidulées. On note l’extraordinaire santé de son songwriting. On s’en épate même à fond la caisse. Tiens, encore une solide attaque en règle avec «Black Magic» - Underneath the highway/ That’s where you’ll find me - Ah quel admirable rocker ! Son rock se pose comme un vaisseau sur la planète Uranus, c’est-à-dire avec une grande prestance technologique. Il tape une cover de Ray Davies, «This Strange Effect» et l’explose aux guitares. Il passe au big atmosphérix avec «This Deadly Game». On se croirait chez les Only Ones, dans une belle ambiance crépusculaire. Encore un extraordinaire slab de power-pop avec «How’s My Little Girl». Sa véritable force, c’est l’éclat du timbre. Il s’en va chatouiller les cuisses de sa muse. Elle jouira toujours, avec un mec comme lui. Ce cut un modèle du genre, Steve Wynn semble gratter des milliers de guitares acidulées, c’est à la fois un bonheur impénitent et d’une rare puissance fruitée, ça dégouline de jus étincelant. Ce mec est capable de fulgurances. On reste dans le big atmosphérix avec «Ghosts». Il semble traverser les strates à coups de solos voyageurs. Ça dure six minutes mais c’est une aubaine pour l’oreille du lapin blanc. Steve Wynn allumera ses lampions jusqu’au bout de la nuit. Encore un fantastique jerk de balance informelle avec «Blood From A Stone». Il joue toujours son rôle de franc-tireur à la perfection. Il est l’un des mecs les plus intéressants du rock américain. Il sait pousser des aw de fins de couplets. Pur génie que ce Wynner de tous les diables. Il est aussi capable de sortir du vieux rock violent, comme on le voit avec «In Love With Everyone». C’est ultra-joué au open your eyes et bardé de son. C’est bien plus effarant que l’arrivée des Vikings sur la plage. S’ensuit une dérive apostolique intitulée «The Great Divide». Steve Wynn s’en va se noyer dans un océan de notes de xylo extensif. Il tape ensuite dans Barrett/Strong avec une cover de «That’s The Way Love Is». Il ne se contente pas de jouer son r’n’b, il le vrille en queue de cochon d’apothéose et nous le ramone au solo savoyard.

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    Si on écoute My Midnight, on trouvera un joli duo d’enfer intitulé «We’ve Been Hanging Out». Il rappelle «The Murder Mystery» du Velvet. Steve Wynn y duette avec Linda Pitmon. C’est fabuleusement nappé d’orgue. Attention, c’est un double album et on risque l’indigestion si on écoute tout. Il chante «Nothing But The Shell» à la voix de son maître. On sent que cet homme ne vit que pour les chansons. Il prend sa meilleure voix de timbre fêlé pour honorer «My Favorite Game». «Cats & Dogs» sonne comme de la power-pop jouée sous le boisseau. Elle est bonne et chaude comme le pain du matin, à la boulangerie de la rue Saint-Jean. On se régalera aussi d’«In Your Prime», visité par des guitares supersoniques. Le monde de Steve Wynn reste incroyablement suburbain. Il chante tout au timbre présent. Il chante même des fois trop sérieusement et pourrait faire un peu peur. Que de son et quel bouquet de guitares ! Ah il faut entendre ce «Out Of This World» claqué aux pires accords intraveineux. Il joue sur tous les tableaux. Il semble sauter dans la pop comme un gosse dans le bac à sable. C’est l’un des cuts les plus percutants de l’album, avec ses retours de you do something to me. Il boucle le disk 1 avec «500 Girls Mornings», un blast de heavy rock écœurant de nonchalance. Le disk 2 est un live saturé de son, et donc chaudement recommandé aux amateurs d’électricité. Il démarre avec sa fabuleuse reprise des Kinks, «This Strange Effect» et enchaîne avec un «What We Call Love» chanté à la petite menace. Linda Pitman bat ça si sec ! Il faut dire que live, le son de Steve Wynn éclate encore plus. Rien d’aussi dément que la version live de «That’s What You Always Say». On y entend un pur solo de sonic trash, c’est noyé d’effervescence ultra-sonique. Steve Wynn joue tout ça à l’abattage. Le «Why» qui suit est aussi incroyablement musclé. Avec «Tears Won’t Help», il passe au freakout de la démesure. Il ressort «Bonnie & Clyde» et «Halloween» des archives pour les barder de son. Ce sont des versions dingoïdes qui basculent vite fait dans la mad psyché. Les descentes sont proprement spectaculaires. Tout l’album est en feu. Il termine avec l’enchaînement fatal : «Melting In The Dark» et «The Days Of Wine And Roses». Ils jouent tout cela à la note fumante, Steve Wynn gère ça au violent claqué d’accords, ça éclaire la nuit du rock et laisse dans la bouche le goût d’un panache indescriptible.

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    Pas mal de très belles choses sur le Pick of The Litter paru en 1999, notamment ce «James River Incident» qu’on prend tout d’abord pour une protest-song ethno-sociologique à la Dylan, mais qui est en réalité un prétexte à ramener du son, et quel son, les amis ! Du très grand son. Steve Wynn est homme à savoir faire claquer un accord de guitare. On a là du très gros Wynner. Il nous gratte son riff dans l’épaisseur du doom. Ce mec sait vraiment créer les conditions. Textuellement parlant, il reste dans l’ellipse, yeah, et il part en vrille syndicale, comme au temps béni du Dream - All that’s left is legend and stories to be told - et il ajoute en exergue qu’il y a des secrets entre the river and me. C’est tellement bardé de guitares que ça frise la stoogerie. Tony Maimone de Pere Ubu joue sur «Ladies & Gentlemen», un joli cut mélodique monté sur des arpèges. Superbe. On l’a sans doute déjà dit, Steve Wynn est aussi prolifiquement bon que Robert Pollard et Frank Black. Il nous claque ensuite «Smoke From A Distant Flame» au banjo des familles. Ça n’a l’air de rien, comme ça, mais il faut savoir le faire. Ce mec a du génie, n’ayons pas peur des grands mots. Sa compo tient fabuleusement la route. Il chante par dessus le banjo avec un sacré aplomb. On reste dans l’énormité présentielle avec «Halfway To The After Life». Steve Wynn wynne à tous les coups. Il joue la carte du son bienvenu. C’est bardé, absolument bardé de guitares. Le rôle de démon lui va à merveille. Il explose toutes les conceptions envisageables. Dans une vie antérieure, il devait être forcément pharaon. Il fait encore un numéro de cirque avec «The Air That I Breathe». Il chante au plus profond et tente de faire du Lanegan, mais c’est impossible. Alors il explose tout avec des coups de guitare. Voilà le Wynn qu’on admire, le sorcier du son. Il tape «The Impossible» au pire beat wynnique de l’univers. Il faut se méfier de ce mec, il est capable du pire. Il termine avec un «Why Does Love Got To Be So Sad» bardé de son. Ça entre par les deux oreilles comme dans un moulin. Et qui retrouve-t-on à la guitare ? Rich Gilbert, le diable des Catholics, ce groupe de surdoués qui jadis accompagnait Frank Black sur scène. Du coup ça prend des proportions extraordinaires. Rich Gilbert joue à la vie à la mort.

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    Crossing Dragon Bridge est un album qui vaut aussi le détour, ne serait-ce que pour «Believe In Yourself», pur jus de Dylan strut. Steve Wynn fait du dylanex en plein - It’s okay/ If you talk/ You stumble/ You get up/ That’s all - Comme Dylan, Steve Wynn a un don. «Manhattan Fault Line» sonne comme du typical Wynn. On a là un mélopif solide et plein de son, avec une réelle profondeur de ton et de champ. On ne peut parler que de prestance ou d’étonnant dérivatif d’enchantement presbytérien. Ses balladifs restent imparables. Comme beaucoup d’autre hits, il claque «Love Me Anyway» à la bonne entente cordiale. Ça reste du mid-tempo hautement élémentaire. Ce mec n’en finit plus d’écrire des chansons. Il berce «She Came» de langueurs monotones. On tombe aussi sur un «When We Talk About Forever» sacrément versé dans l’esprit de seltz. Tout aussi admirable de vitalité, voici «Annie & Me» - We just never slow down - Ça joue au beat serré dans les virages, pur jus de grand Wynner. Voilà une sacrée virée country. Mais il a aussi pas mal de cuts plus conventionnels qui ne marchent pas, comme ce «God Doesn’t Like It». Il faut dire que le coup d’harmo est somptueux : il évoque Charles Bronson.

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    Et puis voilà qu’en 2001, il monte les Miracle 3 et commence à enregistrer une série d’albums éblouissants, à commencer par Here Come The Miracles. Steve Wynn wins dès le morceau titre d’ouverture du bal, un heavy romp démoniaque, singulier mélange de pop et de heavyness définitive - What can I believe in the face of such a disease/ When the forces of evil are free to do as they please - Et c’est parti pour ne nouvelle ribambelle de gros cuts, comme cet effarant «Sustain». Steve Wynn travaille comme un ébéniste, il produit chaque jour des crafts sur son établi, alors ça finit par compter. Au rythme d’un craft par jour, ça fait 365 crafts par an, alors forcément, les disques finissent par pulluler. En tous les cas, son «Sustain» est ultra joué. Tout est incroyablement bon sur cet album. On a du renvoi d’estomac sonique dans «Butterscotch» et Linda Pitmon nous bat «Southern California Line» à la dure - Hey hey are you ready to be saved - Voilà encore de la belle heavyness visitée par des guitares souterraines, c’est du grand art battu sévère et explosé aux arpèges allégoriques. Même ce balladif intitulé «Morningside Heighs» est ridiculement bon. Il revient au boogie d’accent tranchant avec «Let’s Leave It Like That» et son «Crawling Misanthropic Blues» est une véritable horreur, complètement explosée d’entrée de jeu. Steve Wynn se prend ici pour Jeffrey Lee Pierce. Même jus - Oh wow wow nobody’s perfect/ I know that it’s true - Voilà du punk de Wynner serti d’un killer solo. Steve Wynn n’en finit plus de multiplier les exercices de style. Il finit le disk 1 avec «Death Valley Pain», un fabuleux groove psychédélique - The moon it shines - Il ramène tout le gros fretin. Puis il attaque le disk 2 avec «Strange New World», tapé au heavy garage - Once I was down in New Orleans/ Mixing scotch with gasoline - Ce sont les accords de «No Fun» - The King of Swing/ The Duke of Earl - Quelle étonnante tripotée d’accords ! Chez lui, les guitares sont toujours assez révolutionnaires. Encore du vieux groove Wynny avec «Topanga Canyon Freaks». Il vise clairement le boogaloo, il frise un peu le Tom Waits en lâchant des vieux ah ah ah de graveyard, mais on note la présence de jolies guitares dans le paysage. Nouvelle merveille avec un «Watch Your Step» violemment cisaillé au riff émancipé. Voilà certainement le meilleur garage californien - I’m not the one who’s gonna take it to the other side - Il nous prévient. Que de son ! Comme dans le cochon, tout est bon dans le Wynn. Il crée des merveilles en tous genres et peut même s’amuser à chanter comme un crocodile. Encore plus bardé de guitares, voilà «Smash Myself To Bits», un truc exceptionnel visité par l’esprit du harp, c’est-à-dire le dieu du vent. Démence pure. Steve Wynn entre au chant sur le tard et s’amuse à faire le roi des tempêtes. C’est saturé d’énergie de son. Il faut bien avouer que ce mec a du génie. Ce cut est une véritable horreur saturée d’aventures. On a même l’impression de voir se lever une tempête de sable. C’est d’une rare violence psychédélique et ça monte à saturation avec un harmo démentoïde. C’est là très précisément que s’exprime le génie sonique de Steve Wynn. Il termine avec «There Will Come A Day», pur jus dylanesque joué à l’orgue. On voit qu’il adore son maître Bob - And in a fit of desperation/ I found myself on my kness - C’est à la fois beau et puissant. Il est dessus - There will come a day Lord/ Thre will come a day - Somptueux ! Une vraie révélation, et ça se termine dans un éblouissant final de gospel batch. On a là l’un des très grands disques de rock américain.

    Steve Wynn continue d’enregistrer des albums sporadiques ici et là. Le conseil qu’on pourrait donner serait de les écouter, car forcément, ça reste du très grand art.

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    Tiens par exemple, cette compile intitulée Up There Home Recordings 2000 To 2008. Eh bien on y trouve un cut génial, «Bruises», taillé dans l’épaisseur d’un bazar sonique. À lui seul, ce cut balaie toute la Brit-pop. Steve Wynn démolit tout, il fracasse les années lumières, il ramène du son, rien que du son. Il joue son truc aux notes d’alerte rouge. Il propose pas mal de tributes dans cette compile : à Gene Clark, avec «Tomorrow Is A Long Ways Away», ou encore à Nick Lowe avec «The Truth Drug», cut hyper ventilé et stompé par Linda Pitman qui bat ça si sec. Elle fait d’ailleurs partie des meilleures batteuses du monde. Il indique plus loin que «Still Messed Up» est l’une de ses chansons préférées. Il nous joue ça au meilleur groove de la stratosphère. Steve Wynn est d’une fiabilité à toute épreuve, un mec parfaitement incapable se sortir un mauvais disque. Il rend aussi hommage à la Nouvelle Orleans avec «The Good Old Days» et tape «Hold Your Mud» aux guitares ultra-insidieuses. Les deux cuts d’ouverture sont aussi des passages obligés : «Second Best» (balladif dylanesque truffé de coups d’harmo) et «Incantation (Raise The Roof)», dont il dit que c’est about the power of sound. Ah pour ça, on peut lui faire confiance. On se croirait au temps du Dream. Back to the big Sound avec «Lungs». Oui, il ramène tout le son possible. Il y gratte des trucs à l’infini. Et il rend hommage à Neil Young avec «SleepsWith Angels». Il se joue des règles et les lois, il larde son son encore et encore.

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    Et la roue continue de tourner avec cet énorme album solo qu’est Sketches In Spain. On comprend dès l’«I’m Not Ready» d’ouverture que Steve Wynn va rester imbattable jusqu’à la fin des temps. Il est tout simplement parfait, on l’a sûrement déjà dit, mais dans un cas comme celui-là, c’est plutôt bien de radoter. Il réussit à monter l’incroyable allure d’un cut sur un simple jeu de bassmatic, rien d’autre. On tombe très vite sur un hit : «Super 8», une power pop d’horizon que chante Linda Pitmon. Admirable ! Et voilà l’immense «My Cross To Bear», claqué aux immenses accords. Steve Wynn sait ouvrir la Mer Rouge, il peut s’asseoir sur le buisson ardent sans se brûler le cul. Cet homme règne sans partage sur le heavy rock, qu’on se le dise. Avec «My Cross To Bear», il propose un cut assez spectaculaire, une vraie avancée. Il fait claquer sa guitare comme une cornemuse au nadir du combat. Impossible de faire l’impasse sur un tel Wynner - I don’t care - C’est énorme, de bout en bout. Il tape ensuite «Kickstart My Jacknife» au chant voilé, mais avec une belle persévérance. Il s’appuie sur la plus belle des sauces. Même si on n’écoute ça qu’une seule fois dans sa vie, ça vaut le détour. Steve Wynn n’en finit plus de pulser du son et ça gicle dans la console. Chaque cut sonne comme une aventure extraordinaire. Il n’en finit plus de réinventer la poudre. Il joue la carte du boogie wynnie avec «Snack Dab» et repart plus loin en mode power pop avec «Suddenly». Il ne baissera jamais sa garde. Il chante de l’intérieur du menton et son génie éclaire la nuit. Encore un fantastique coup de power-pop avec «The King Of Riverside Dark». Il y frise une nouvelle fois le génie avec un solo d’accordéon. C’est tout simplement affolant de son, de présence, de classe et de chant. Diable, comme ce mec peut être bon - And nothing can break me down/ I’m the king of Riverside Dark - Il enchaîne avec ce balladif extraordinaire de qualité intrinsèque qu’est «The Last One Standing». Il peut chanter en profondeur with nothing at all et faire mousser sa glotte dans un abîme de grandiloquence mélodique. Steve Wynn a le son de l’espace et le goût de l’universalité des choses. Encore une belle pièce d’anticipation rockalama avec «Underneath The Radar». Il y claque un claquos coulant dans l’écho du temps. «Oth» sonne comme un exercice de style, ça sort en effet de nulle part, ce cut joué au banjo et chanté au speed des enchères à l’Américaine désarmerait un régiment. On pourrait qualifier ça de cut out de cuttard invétéré. Il nous emmène à la Nouvelle Orléans pour «Black Is Black». Nous voilà en effet dans un enterrement avec du pouet pouet de rue joyeuse. La mort est une délivrance, si on y réfléchit bien. Steve Wynn est capable d’orchestrer un balladif au tuba. Il nous emmène à la fête foraine avec «Claro Que Si». Il y gratte des accords de pur Tex Mex qui feraient baver Doug Sahm en personne. C’est absolument indécent de grandeur. Et il boucle ce brillant album avec «Sometime Before I Die». Ouf, il est temps que ça s’arrête. Ce genre de disk épuise la cervelle. On finit en ahanant. Ce diable de Steve Wynn nous propose là un salad bowl de power pop et de celtic sludge. Il touille ça avec sa grosse cuillère en bois et chante d’une voix exagérément graissée. C’est un diable. On soupçonnait Jason d’être un démon, mais non, quelle méprise, le démon c’est lui, Steve Wynn. Quel mystificateur ! Il ramène tout le celtic de l’hémisphère Nord dans son délire outrancier et purificateur. Son solo coule comme le miel dans la vallée des plaisirs. Il finit en beauté, à la manière d’un Victor Hugo contemplant l’océan du temps qui se fond dans l’horizon.

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    Il existe trois raison d’écouter Solo Electric (vol 1) paru en 2015 sur un label d’éditions numérotées : 1, «Transparency», 2, Hesitation» et 3, «Thanksgiving Day». Il fallait bien se douter que le 1 allait être bardé de son, c’est même ultra-gorgé de gorjo et chanté à la petite menace wynnique. Extraordinaire présence ! Quel débineur ! Il gratte le 2 au groove wynny. Il monte tout seul, pas besoin d’une montgolfière. Il a des ressources extraordinaires. Ses montées se veulent pures et racées. Il peut jouer le Velvet à lui tout sel. Son 3 sonne comme «Like A Rolling Stone». Il tombe dans les bras de son idole Bob. Il est en plein dedans - Thank you for the good times/ Can I stay here/ On that/ Thanks/ Giving/ Day - Pur jus de Dylanex. D’autres merveilles guettent l’amateur, comme cette reprise du «James River Incident» (tiré de Pick Of The Litter). Steve Wynn y croasse délicieusement et son heavy rock de solo-man impressionne au plus haut point. Il claque tout à l’excès guitaristique. Il garde sa spécificité d’allumeur de lampions. Il peut créer son monde tout seul. Il n’a besoin de personne en Harley Davidson. Il joue «Something To Remember Me By» à la sourde oreille et ça devient fascinant. Il a tellement de talent qu’il fascine sans forcer. Il faut voir cet incroyable claqué d’accords. Et quand il tape «You Can’t Forget», on voit qu’il a de l’attaque à revendre. Il tient bien son chant par la barbichette.

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    Pour bien faire, il faudrait encore écouter deux albums, Wynn Plays Dylan, paru en 2011 et Benedikt’s Blues, paru quatre plus tard. Car ce sont eux aussi des albums magnifiques et indispensable à tout fan de Steve Wynn. C’est malheureux à dire, mais avec Wynn Plays Dylan, Steve Wynn se fait plus royaliste que le roi. On trouve sur cet album deux versions stupéfiantes : «Just Like A Woman» et «Outlaw Blues». Il réussit à shooter du Like A Rolling Stone dans «Just Like A Woman», et il en fait la plus belle version de tous les temps. Même chose avec «Outlaw Blues» qu’il nasille et qu’il électrise à outrance, tout le rock&roll est déjà là chez Dylan et ce diable de Wynner nous restitue ça au mieux des possibilités. De toute façon, tout est énorme sur ce disk, comme cette fabuleuse version de «Rainy Day Woman 12&35», on est en plein phénomène de mimétisme car Steve Wynn chante exactement comme son idole Bob. Beaucoup de son, et Linda bat ça si sec, comme d’usage. Steve Wynn ramène encore du sonic trash dans «Gotta Serve Somebody», il réussit l’exploit de trasher le summum, c’est chanté à pleine voix et bourré de son. Encore plus troublante, la version de «The Groom’s Still Waiting At The Altar» qui ouvre le bal de la B : oui, on croit entendre Bob Dylan en personne. C’est-y Dieu possible ? Il nous barde ça du meilleur son qui se puisse imaginer, ultra-électrique, balancé à la diable, frelaté de frais et foisonnant comme une rivière à saumons au printemps. Avec «All Along The Watchtower», il s’élance sur les traces de Jimi Hendrix, and there’s so much confusion, mais il revient à la raison et opte pour le violon et va bon train.

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    Bel album que ce Benedikt’s Blues, notamment le morceau titre qui sonne comme le «Pale Blue Eyes» du Velvet. Même attaque sensible et nouveau coup de mimétisme. Avec «On The Mend», il revient à Dylan. Il tape ses couplets avec la niaque du Dylan de 66. Incroyable coup d’élégance wynnique ! Avant d’aller faire un tour en B, n’oubliez pas de savourer les délices hendrixiens de «Cinnamon Tweed», un cut expérimental joué à l’unisson du saucisson, intéressant mais pas intéressé. En B, on trouve un «Dead Roses» un peu triste, légèrement saumoné et pas vraiment éveillé et soudain, Steve Wynn remet les pendules à l’heure avec «All The Squares Go Home», c’est le jerk du Palladium, admirablement fouetté au beat nappé d’orgue à la Sam The Sham et chanté à la petite canaillerie. Ce mec a du talent, on le savait, mais on n’en finit plus d’évider les évidences avides et le contrecarrer les carences caractérielles. Il passe avec «Simpler Than The Rain» au balladif magique, dont il s’est fait une spécialité au fil du temps. Il n’en finit plus de tartiner sa ravissante pop au long d’une belle tranche de miche au blé noir.

    Signé : Cazengler, Steve wine (cubi)

    Steve Wynn. Kerosene Man. Dureco 1990

    Steve Wynn. Dazzling Display. R.N.A. Rhino New Artist 1992

    Steve Wynn. Fluorescent. Brake Out Records 1993

    Steve Wynn. Take Your Flunky And Dangle. Return To Sender 1994

    Steve Wynn. Melting In The Dark. Offworld 1995

    Steve Wynn. Sweetness And Light. Blue Rose Records 1997

    Steve Wynn. My Midnight. Blue Rose Records 1999

    Steve Wynn. Pick Of The Litter. Glitterhouse Records 1999

    Steve Wynn. Here Come The Miracles. Blue Rose Records 2001

    Steve Wynn. Crossing Dragon Bridge. Blue Rose Records 2008

    Steve Wynn. Wynn Plays Dylan. Inerbang Records 2011

    Steve Wynn. Up There Home Recordings 2000 To 2008. Shirt Run 2013

    Steve Wynn. Sketches In Spain. Omnivore Recordings 2014

    Steve Wynn. Solo Electric (vol 1). Blue Rose Records 2015

    Steve Wynn. Benedikt’s Blues. Kinkverk 2015

     

    Stup Baker

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    Les Stones ont inventé au temps du swinging London un concept entièrement nouveau : the rock aristocracy. Avec leurs gueules de stars, leur dandysme inné, leurs fringues flashy, leurs comptes en banque, leurs bagnoles de sport et leurs belles gonzesses, la fréquentation de quelques princes, leur goût prononcé pour les stupéfiants et la pincée d’inclinations sexuelles qui font le charme de cette condition, ils fascinaient le petit peuple. Grosse cerise sur le gâteau : il enregistraient des tubes magiques du style «Jumping Jack Flash». Les gens du petit peuple n’essayaient même pas de devenir des Stones, de la même façon qu’en l’An Mil, personne ne songeait à devenir roi, sachant que ce n’était pas possible, puisque le trône était de droit divin. Les gens des villes et des campagnes s’inclinaient sur le passage des rois. Les mêmes gens des villes et des campagnes s’inclineront plus tard sur le passage des Stones.

    Puisqu’ils ne pouvaient pas devenir des Stones, les gens du petit peuple voulurent tous devenir des Velvet. Pourquoi ? Tout simplement parce que le Velvet appartenaient à une autre forme d’aristocratie, celle de l’underground, c’est-à-dire celle qui compte pour du beurre.

    Brian Jones, Keith Richards, John Lennon, Ray Davies, Ronnie Lane, Mick Farren, Phil May ou encore Syd Barrett sont restés jusqu’à ce jour inégalables à tous égards. Look, talent, impact, modernité, intelligence, ils sont restés intouchables. Oh on a vu fleurir ici et là quelques pâles imitations (tous ces garagistes américains qui se coiffaient comme Brian Jones mais qui n’avaient pas inventé les Stones, des luminaries comme Patti Smith, Joan Jett ou Dave Kusworth qui se voulaient plus royalistes que le roi, quant à Lennon, Barrett ou Ray Davies, personne n’a jamais essayé de les imiter, car ce n’était tout simplement pas imaginable).

    Et puis bien sûr Ginger Baker, the wild one, the real deal. Avec ses cheveux rouges, ses yeux clairs et son insatiable soif d’excès, il honore le blason de cette fameuse rock aristocracy britannique. Mais il semble encore plus vivant que ses congénères, comme si les instincts barbares des seigneurs de l’An Mil bouillonnaient en lui. Comme si les notions de loi et de limite lui étaient intolérables. Ginger Baker joue de la batterie comme on prenait un château d’assaut, autrefois, pour se livrer à l’ivresse du pillage. Ginger Baker règle ses problèmes à coups de poings, comme on les réglait autrefois à coups de sabre. Il monte un groupe comme on montait une armée de conquête, il suit chaque fois une vision, comme le faisaient autrefois les conquérants. Il a réussi ce prodige dans l’univers étriqué de la société civile britannique : exister sans foi ni loi. Cette volonté d’exister comme on l’entend, c’est ce qu’on appelait autrefois les privilèges : les aristocrates avaient tous les droits, de vie, de mort et de cuissage, et la foi avait bon dos puisqu’elle leur servait de passe-droit. Comme il ne pouvait pas aller piller des châteaux, Ginger Baker s’est contenté de battre le beurre en Angleterre ou au Nigeria. Il a su canaliser ses instincts barbares dans le jazz qui est en réalité sa religion. Quand il cite ses dieux, il sort les noms d’Elvin Jones, de Max Roach, d’Art Blakey et de Phil Seaman, le batteur londonien qui l’initia à l’héro et à la musique africaine.

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    Comme Doctor John, Ginger Baker a passé sa vie sous héro. Il en parle extrêmement bien dans son autobio, l’excellent Hellraiser, paru voici quelques années. Il y décrit dans le détail la première soirée qu’il passe chez Phil Seaman. Seaman lui fait écouter les Watusi drummers et se prépare un vieux shoot devant lui - When I tell yer pull this - Seaman lui demande de défaire le garrot aussitôt après le shoot. Mais il recommande toutefois à Ginger qu’il appelle Pete de ne pas approcher cette came - Nah Pete I gotta tell you this, this fucking stuff is bad fucking news. Don’t you ever, ever try it - Trop tard ! Ginger sniffe déjà du smack et il trouve ça fantastique pour jouer - All the barriers went down and I was just playing - Quand Seaman l’apprend, il se résigne et le met en contact avec Doctor Feelgood. Ginger commence à prendre ce que beaucoup de gens prennent alors en Angleterre, les fameuses prescription drugs : on va voir un médecin qui signe une ordonnance - The consulting fee was £5 - et le pharmacien donne les doses d’héro prescrites. C’est aussi simple que ça, légal, safe et donc pas d’ennuis avec les stups. Hellraiser est littéralement truffé de souvenirs de shoots tous plus spectaculaires les uns que les autres. Ginger Baker prend un malin plaisir à expliquer qu’il frise régulièrement l’overdose et qu’il se rétablit avec des doses de morphine, là où n’importe quel autre candidat au casse-pipe aurait cassé sa pipe en bois. Alors bien sûr, il règne sur ces pages un délicieux parfum d’immoralité, mais Ginger Baker ne fait rien de plus que de raconter la vraie vie. Il vit ce que vit la grande majorité des musiciens de jazz. Et la crudité de certaines pages rend cette notion d’aristocratie encore plus plausible. La grandeur d’un musicien comme Ginger Baker pourrait tout simplement se mesurer par la grandeur de ses excès, plus que par la grandeur de ses solos de batterie qui nous ont toujours fait bâiller d’ennui. Et son plus bel exploit est certainement d’avoir su rester vivant, comme l’ont fait Keith Richards et Doctor John. Fantastique pied de nez à la morale. C’est d’ailleurs la raison d’être de la rock culture : défier l’ordre moral. Ou à défaut, se positionner au-delà de toute forme de jugement.

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    À ce titre, Ginger Baker est l’homme idéal. Il fait en son temps plus de ravages que n’en firent en leur temps les théoriciens de l’anarchie. Il érige son goût pour le chaos en style de vie, et pour parvenir à ce résultat, il faut une sacrée carrure. Et une certaine forme d’intelligence. Mais au fond, tout cela est tellement britannique. On n’imagine pas un seul instant un Ginger Baker français. Et encore moins un Ginger Baker américain. C’est probablement la raison pour laquelle le film de Jay Bulger, Beware Of Mr Baker, est tellement maladroit. Tout le monde sait que Ginger Baker lui a mis un coup de canne en pleine gueule, et c’est justement ça qui pose problème, car non seulement le film débute sur cette scène, mais on la revoit encore une fois à la fin. Et pourquoi Ginger Baker fout-il sa canne dans la gueule du réalisateur américain ? Parce qu’il apprend que des gens qu’il a virés vont apparaître dans son film, et il ne l’accepte pas. Bing ! Prends ça dans ta gueule ! C’est un procédé très américain : récupérer un incident. Ça fait vendre. Le danger, c’est que les gens qui verront le film ne retiendront que ça, le coup de canne. Alors que le film est censé raconter l’histoire d’un personnage hors normes.

    Dommage, car l’équipe de Bulger débarque chez Ginger Baker, en Afrique du Sud. On entre de plain pied dans l’univers de cet homme qui vieillit bien et qui possède encore des chevaux, sa passion numéro deux après le jazz et les batteurs africains. Installé dans un transat en cuir noir, il raconte sa vie, son enfance pendant la guerre, les bombardements - Great ! J’adore les catastrophes ! - et les bancs vides à l’école le lendemain. Puis il raconte sa rencontre au Flamingo avec God, c’est-à-dire Phil Seaman et passe naturellement à l’évocation de sa muse, l’héro - It was just wonderful - Puis il attaque les gros chapitres, Blues Incorporated, avec Alexis Korner et bien sûr, le Graham Bond ORGANization - et là, Bulger nous sort un fabuleux clip de Graham Bond : on voit des punks en lunettes noires, et je vous prie de croire que ces quatre mecs jouent avec une énergie de tous les diables («Harmonica», en ligne sur Daily Motion) - Bond looked like a white version of Cannonball Adderley. Most of the jazzers didn’t like this as he ignored all the intricate changes on a 12-bar blues by just playing over the three basic chords, but he swung like a demon - On a là un merveilleux portrait d’un autre héros de la scène anglaise que Ginger eut le privilège d’accompagner. C’est Graham qui débauche Ginger et Jack Bruce des Blues Incorporated pour monter sa propre formation - Graham was stoned out of his mind and was raving insanely as he drove back down the M1 - Mais Graham est encore plus dingue que Ginger. Un jour, il va chez EMI et en ressort avec un contrat. Puis il va aussitôt chez Decca. Pareil. Puis chez Phonogram. Même chose. Trois contrats, ce qui est parfaitement illégal - Running the band however turned out to be an increasingly difficult task because Graham was crazy - Sur scène, Graham joue de l’orgue avec une main, de l’alto avec l’autre et la basse au pied - He had begun to look like a pop star and was talking acid with his grass, but nevertheless continued to play his arse off - Il passe naturellement à l’héro, et comme il a du mal à trouver ses veines, il demande à Ginger de lui faire les shoots.

    Bizarrement, dans le film, Ginger ne s’étend pas trop sur son vieux compagnon Jack Bruce. Leurs altercations sont entrées dans la légende. Ginger a viré Jack du Graham Bond ORGANization, mais Clapton l’a fait revenir dans Cream. En gros, Ginger reprochait à Jack de se croire supérieur et ça lui était insupportable. Dans son livre, Ginger raconte le dernier concert de la reformation de Cream, au Madison Square Garden de New York : «Il jouait encore plus fort qu’avant et gueulait dans le micro. On jouait ‘We’re Going Wrong’, un cut basé sur mon jeu de batterie et soudain, Jack se tourna vers moi et gueula devant tout le monde : ‘Non, mec, tu joues trop fort !’ C’était comme au bon vieux temps, il me faisait déjà le coup quand on jouait avec Graham Bond, il le faisait au temps de Cream et si le concert du Royal Albert Hall nous avait ramené aux glory days de 1966, celui de New York nous ramenait aux mauvais jours de 1968. Je fus humilié devant 20 000 personnes et ce ne fut pas une expérience très agréable. Jack jouait de plus en plus fort à mesure qu’on avançait dans le concert et ça devenait insupportable. Alors qu’on sortait de scène, il me dit : ‘J’aurais bien aimé que tu tapes moins fort quand j’essaye de jouer.’»

    Et puis le film aborde l’épisode Cream, un groupe né dans l’imagination de Ginger. Mais comme il le dit si justement dans la séquence, ce n’est pas lui qui va en tirer les marrons du feu, mais Jack et Pete Brown, qui composent les chansons. Ginger n’a pas un rond, alors que les deux autres sont devenus rentiers grâce aux droits. Cream c’est l’époque où Ginger se montre le plus fulgurant, cheveux rouges, voitures de sports, trois groupies à la fois - We were the cream of the cream - Il redit son attachement à Clapton, mais interviewé, Clapton tient une sorte de discours à pincettes pas très clair, disant en gros qu’il faut avoir les reins solides pour fréquenter un mec aussi incontrôlable que Ginger Baker. C’est tout Clapton. Ginger est infiniment plus charitable - Eric and I became close friends - Ils vont ensemble s’acheter des tuniques d’officiers chez I Was Lord Kitchener’s Valet et dans une autre boutique, Ginger trouve cette toque en fourrure d’officier SS du front russe - complete with skull and crossbones - qu’il porte sur la pochette du premier album, Fresh Cream. Et puis Cream s’arrête en pleine tournée parce que Jack joue trop fort. Après un concert, Clapton vient trouver Ginger pour lui dire qu’il en a marre. Ça tombe bien, Ginger en a marre lui aussi. Il vont trouver Robert Stigwood pour lui dire qu’ils arrêtent le groupe. Stigwood ne les croit pas. Et Jack n’est pas au courant ! Fin de la poule aux œufs d’or.

    Ginger vénère les batteurs de jazz, mais il n’a aucune pitié pour les batteurs de rock : «Bonham swinguait comme un bag of shit !». Dans son livre, il revient d’ailleurs sur la mort de Bonham : «En septembre tomba la mauvaise nouvelle de la mort de John Bonham. On a dit qu’il avait trop bu lors d’une party, mais j’ai une autre théorie. On traînait avec la bande de Chelsea et en matière d’héro, John n’était qu’un amateur. Byron venait de trouver une héro extra-strong et quand j’en ai pris, j’étais si stoned que j’ai laissé ma bagnole à Chelsea : je suis parti à pieds jusqu’à Acton, je suis revenu à Chelsea, et comme là je me sentais capable de conduire, je repris ma bagnole. C’est cette nuit-là qu’eut lieu la party où John cassa sa pipe. J’étais assez accro pour pouvoir encaisser l’extra-strong, mais John ne l’était pas du tout.»

    Dans le film, on voit Charlie Watts se moquer gentiment de Ginger : tous les groupes qu’il monte ne durent pas longtemps : Cream, Blind Faith, Airforce. Remarque d’autant plus ironique que les Stones existent encore et que Ginger remplaça Charlie dans the Blues Incorporated. Ginger indique aussi que sur scène, Brian Jones se roulait par terre avec sa guitare. Après un concert des pré-Stones, Brian vient trouver Ginger :

    — What you fink ?

    —Yeah Brian it’s okay, but the drummer is fucking awful. Why don’t you get Charlie Watts ?

    À la suite de l’épisode Cream (et donc de l’accès à la gloire), la vie de Ginger Baker va devenir une suite de faillites et de tentatives de redémarrage, aussi bien au plan musical que sentimental. Épisode africain avec Fela - On partageait tout, les drogues, la musique, les femmes, tout ! - Il monte un studio à Lagos, the place to be à cette époque, on y fait la fête en permanence et c’est là qu’il découvre le polo qui va devenir une obsession. Tout va bien jusqu’au moment où Fela défie le pouvoir. Un beau matin, 1000 soldats attaquent la république de Fela. Et suite à la visite de trois militaires un peu trop louches, Ginger doit fuir le Nigéria sous les balles, au volant de son Land Rover. Il y laisse tout ce qu’il possède. Mais ça ne sera pas la dernière fois. Il rentre à Londres pour se refaire une santé économique avec les frères Gurvitz et pouf il s’achète 30 poneys argentins. Il tombe amoureux d’une gamine de 18 ans, Sarah. Elle pourrait être sa fille. Il quitte sa femme et ses trois gosses. Comme il a des ennuis avec le fisc britannique, il va se planquer en Toscane, dans une ferme coupée du monde, jusqu’au jour où Sarah rencontre un mec de son âge et se fait la cerise. Ginger part alors faire du cinéma à la mormoille en Californie et il rencontre sa troisième femme, Karen. On la voit dans le film. Mais Ginger ne veut pas qu’on parle d’elle. Il essaye de redémarrer sa carrière de rocker, mais personne ne veut jouer de musique avec lui - Too much trouble - Quelqu’un va même jusqu’à insinuer qu’avec Ginger, les choses finissent toujours par mal tourner. Ce n’est paraît-il qu’une question de temps. Ginger leur fait un bras d’honneur et il déclare à la radio que les USA peuvent venir le sucer. Alors bien sûr, il est expulsé et il reperd ses biens. Il envoie paître son fils et Karen le quitte. On voit Ginger tout seul à l’aéroport avec sa valise à roulettes. C’est là qu’il opte pour l’Afrique du Sud - it is very rich musicly - Il dévoile son nouveau concept : polo & jazz. Pour cela, il faut remonter une écurie. Quand il accepte les 5 millions de dollars pour la reformation de Cream, il rachète 24 chevaux anglais, ceux qu’on voit dans le film. Il dépense tout. On le voit avec sa quatrième femme, une petite black. Il se dit ruiné et annonce qu’il va vendre sa propriété. On le voit aussi inhaler de la morphine. Il dit souffrir d’arthrose. Jay Bulger se croit malin en lui demandant :

    — Tu te prends pour un héros tragique ?

    — Go on with your interview. Stop to be an intellectual dickhead.

    Signé : Cazengler, Ginger barquette

    Ginger Baker. Hellraiser. John Blake 2010

    Jay Bulger. Beware Of Mr Baker. DVD 2012

    11 /01 / 2018 / MONTREUIL

    LA COMEDIA

    BROKEN GLASS / RAW DOG

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    La Comedia se remplit, slowly but surely, le temps de contempler la fresque, a work in progress, qui étend ses ramifications – l'est pour le moment en train de grignoter l'étroit espace entre deux protubérances murales - Martin Peronard manie son feutre avec une habileté diabolique, j'en profite pour regarder les affiches des prochaines annonces de concert, vous en parlerai plus longuement un de ces jours, en attendant zieutez celle ci-dessus. Tiens Natasha qui tient le bar a changé de look, différente et totalement elle, l'est des filles qui ont du chien, qui ne perdent jamais leur personnalité, par-delà toutes les métamorphoses. Project Reject n'a pas pu venir ce soir, la soirée sera un peu spéciale, seulement deux groupes, deux binômes, deux formules identiques, guitare-batterie dans les deux cas, nous ne demandons qu'à écouter.

    BROKEN GLASS

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    Premier concert. Brisent la glace dès les premières notes. Indubitable, sont salement rock. Cela transperce de tous côtés. D'abord Thomas Raineaud. Tourné vers sa batterie. Cela peut sembler évident, mais non, quelque chose d'indéfinissable dans la posture qui trahit un comportement particulier. Comme s'il avait un compte à régler avec elle, du genre je te dois une raclée et prépare-toi à la recevoir, maintenant, tout de suite, sans traîner, et d'urgence. Ne va plus la lâcher d'une seconde. Une grêle de coups s'abattent sur les malheureuses peaux, joue sec, serré, sans emphase, au plus pressé, l'on ne peut pas dire qu'il fait monter la pression, la maintiendra au plus haut niveau durant tout le set. A toute vitesse. Ne la laisse pas respirer, sans répit, sans temps mort, heureusement que de l'autre côté José César est en train de jouer, montre ainsi qu'il résout en toute simplicité le problème théorique qu'un tel drummin' suscite, mais quel espace reste-t-il à la guitare dans cette charge sans fin ! Fausse question. Tout est question d'énergie.

    Et de feeling. José ne donne pas dans le piège de la surenchère sonique. Rien ne sert de pousser le volume à fond ou de s'enquérir des Delays les plus tonitruants du marché. L'on n'est pas dans un concours. L'on sent une complicité entre ces deux zigotos, même s'ils n'échangent que de rares regards. Ne s'agit pas de produire du bruit, mais du rock'n'roll, ce qui est différent. De fait la batterie pousse le temps, le décale en avant et c'est dans cette avancée que s'insinue la guitare. Ne vise pas à la submersion phonique, mais une fois investie dans cet étroit couloir, elle ne lâche plus le morceau. Naviguent tous deux de conserve. Sont deux à faire la course en tête, l'on ne sait où ils vont mais on s'accroche et l'on suit. Les titres le proclament bien fort : Come Away With Me et Don't Wait Too Much.

    Mais un verre - quoique brisé – se doit d'être plein de cette écume qui selon Stéphane Mallarmé incite par-delà l'ivresse du tangage au grand désastre – alors José se hâte de verser cette pincée de sel vocal sans laquelle la mer la plus mouvementée tourne en flaque pisseuse. L'aligne les lyrics, les crache - Kill Your Love et Take It Away – juste ce qu'il faut, anneaux de feu et morsures de serpent.

    Huit titres et ils s'arrêtent. Paraissent décontenancés par les applaudissements. Et embarrassés par le rappel. C'est tout ce que l'on a, s'excusent-ils, mais vous savez les enfants gâtés pourris au rock'n'roll, vous leur offrez un gâteau et ils exigent toute la boîte. Alors ils s'excusent et nous promettent d'essayer un truc de répète. Un must. J'aurais jamais cru que ça puisse sonner de cette manière. Vous connaissez le Sweet Dream, des Eurythmics, nous le servent en version ultra-pressé, une batterie affolée, une guitare paniquée, et un vocal crotale, un incendie, trois minutes de bonheur extrême.

    Et puis ils quittent la scène. Une grosse impression. Un groupe à ne pas perdre de vue.

    Damie Chad.

    P. S. :Toutefois il n'y a pas de hasard dans la vie. Au zinc, à Nickopol Coco – qui oeuvre à la programmation de la Comedia et qui vante les mérites du son des vinyles, José évoque ses longues écoutes des album de Jerry Lee Lewis...

    RAW DOG

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    Deuxième bige. La formule ne se révèlera pas du tout répétitive. Les deux groupes ont joué sur les mêmes fûts et utilisé le même ampli, et nous avons eu droit à deux univers différents. Deux planètes issues de deux systèmes solaires situés aux antipodes de la galaxie.

    Fille / Garçon. Le gars à la guitare et la fillette à la batterie. Manière de parler, pleinement femme, Yädre Drum dégage une impression de puissance sereine qui ne va pas tarder à se manifester. Mike Rawdog se place en face d'elle, la symphonie peut commencer. Le son de la guitare déferle sur vous, Yädre tient ses deux bras suspendus en l'air, à la manière des pétrels qui s'apprêtent à prendre leur envol dans la tempête. Attitude shakespearienne. My kingdom for a raw dog ! Un sacré molosse. Un aboyeur de l'enfer. Des muscles et une mâchoire de mastodonte. Un teigneux. Qui ne lâche jamais la barbaque. Et qui revient toujours vous redonner un petit coup de canine sanguinolente pour s'assurer que le travail a été bien fait. Mike the dog, vous jappe les morceaux de toute sa rage. La moitié d'entre eux sont éjaculés en français – L'Occasion Manquée, Les Brutes, File-moi ton Flingue - afin que le message soit plus clair. Critique sociétale et dénonciation de tous les comportements qui ne respectent pas les autres et qui traduisent des égos stupidement démesurés. Parfois en prime Mike les agrémente d'un très bref commentaire des plus explicites.

    Yädre drume dur et fort. Y a de la musicienne en elle, et de l'actrice militante, z'avez l'impression que chaque fois qu'elle assène un coup elle vous signifie quelque chose, qu'elle vous transmet une espèce de message subliminal, une exigence de générosité. Une frappe beethovinienne qui ne recule pas devant l'éloquence et qui brusquement se transforme en une sauvage aversz de grésil, et puis le rythme s'accélère et vous entendez le long halètement spasmodique du chien cru qui court sous la pluie diluvienne afin de parfaire une vengeance qui lui brûle les entrailles, et au piétinement répété de ses pattes sur l'asphalte, vous comprenez qu'il se rapproche de vous, et qu'il est porteur d'une immense colère à l'encontre du monde entier.

    Mike a la guitare vacarmeuse et speedée. N'a pas le temps de contempler les petits oiseaux, un convaincu qui a besoin de dénoncer, d'expliciter, et de montrer la voie de la non-compromission active – Fake Genius, Mental Distress, Nord-Sud – pousse le son, et propulse l'onde de choc. Mike est à l'attaque et Yädre le soutient et le pousse de sa puissance. Se tourne souvent vers elle comme pour se raturer, Antée ne reprenait-il pas des forces lorsqu'il était projeté à terre ? Raw Dog se veut phare et tempête. Cherche à exprimer la chose et sa négativité. Il y réussit parfaitement.

    Un véritable duo. Une prestation sans faille. Nous ont convaincus que le chien cru est le meilleur ami de l'homme.

    Damie Chad.

    ( Photos : FB des artistes, ne correspondent pas au concert )

    12 / 01 2018 / LAGNY-SUR-MARNE

    LOCAL DES LONERS

    BLACK PRINTS

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    L'ampleur de la tâche, Blake et Mortimer étaient deux pour traquer La Marque Jaune, et moi, ce soir, tout seul pour marcher sur les traces de l'Empreinte Noire. Sous la lumière glauque du lampadaire la teuf-teuf m'attend. Route glissante et pare-brise noyé de crachin, mon instinct infaillible de rocker me guide plein nord au travers du labyrinthe improbable de la zone industrielle de Lagny-sur-Marne vers l'antre maudit des Loners. Ce soir la mort sera ma seule compagne.

    J'arrête mon cinéma. Les Loners portent mal leur nom, ce n'est ni le lieu de la désespérance baudelairienne ni l'endroit des solitudes meurtrières. Un club de bikers qui respire l'amitié et la fraternité, et la terrible Empreinte Noire n'est qu'un des meilleurs groupes de rockabilly français actuels, The Black Prints. Je ne dois pas être le seul à le penser, car la salle est pleine pour ce premier concert de l'année, bikers de tous les environs, teds et rockers se croisent, tout heureux de se retrouver dans le local agrandi et refait à neuf.

    INTRO

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    Un groupe improbable. Sur le papier, les Black Prints, un assemblage hétéroclite qui ne devrait jamais marcher. A peine ont-ils touché leurs instruments que vous êtes convaincu que vous êtes en face de la plus redoutable des machines de guerre. Une tuerie. Jean-François est à la basse, Olivier au chant et à la guitare. Jusque-là tout va bien. Thierry avec son wash-board en main, vous paraît être la caution d'authenticité incontestable. Vous vous dites que dès qu'il va commencer à tapoter son engin les alligators sortiront de leur mangrove. Patatras, vous n'auriez jamais dû regarder derrière. Yann est à la batterie. Le pire est à prévoir. Certes ces épaisses mèches bouclées qui retombent en grappe sur son visage ne sont pas sans évoquer certaines photographies de Jerry Lee Lewis jeune. Mais ce collier de barbe foisonnante et cette lèpre de poils qui enserrent sa gorge ressemble à s'y méprendre à cette mousse insidieuse qui envahissait le banc de bois sur lequel le héros de L'Amoureuse Initiation d'Oscar Vladimir de Lubicsz- Milosz rencontra le Diable... Mauvais présage. A la seconde concrétisé. Une cataracte déchire le ciel. Une frappe lourde, d'une violence monstrueuse, une avalanche à vous détruire ad vitam aeternam les saintes lois de la rythmique rockabilly. Tout est perdu. Le monde est foutu.

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    Et le miracle d'équilibre se produit. En six secondes vous êtes sur le petit nuage du parfait bonheur, accrochez-vous tout de même, car le vent le pousse méchamment. D'abord Jean-François. Jamais vous n'avez entendu une basse Fender si moelleuse, un tel swing d'une onctuosité sourde et profonde. Peut abattre tous les chênes qu'il veut pour le bûcher d'Hercule sur sa batterie Yann, Jean-Francois vous amortit ces coups fatidiques dans l'ouate de son toucher, vous crée une épaisseur phonique ondulatoire qui englobe la puissance de la frappe yannique sans l'amoindrir, l'un produit la pierre de foudre et l'autre la propulse en la faisant tournoyer, comme avec une fronde.

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    Olivier, longue silhouette de noir vêtue, Gretsch orange et pierre turquoise talismanique au ras du cou. Le grand ordonnateur. Si Jean-François et Yann sont la machinerie de l'horloge du rock'n'roll, Olivier indique l'heure. Manie les deux aiguilles du cadran, celle du chant et celle du son. Un orfèvre, d'une précision absolue. Un phrasé d'une justesse étonnante, d'une flexibilité déroutante, l'on peut dire de lui qu'il ne chante pas pour passer le temps mais pour égrener la signifiance du rockabilly. Les syllabes sont agencées selon une économie vertigineuse. Déploie la richesse intonative du rockab, à tout instant rien de trop, rien de moins que la morsure du mamba, une diction parfaite digne des agencements les plus subtils des prosodies poétiques. Idem pour le jeu de guitare, fait retentir la vibration particulière de chaque corde, donne tout son sens à l'adage de Paul Valéry selon lequel ce qui est précis est précieux, avant d'enfanter le son qui tue, l'archer bande l'arc, et la flèche vole vers votre cœur.

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    Il semblerait qu'avec son tambourin, sa washboard et ses maracas Thierry en soit réduit à jouer les utilités. Broderies country, chapeau de cowboy et grand sourire, s'insinue dans votre oreille et ne la quitte plus. L'est la trotteuse de la montre, celle que l'on regarde en premier, la fascinante qui attire votre regard, qui tourne sans fin, et qui grignote une par une le décompte de votre vie qui vous est impartie depuis votre naissance. Le tapotement du temps qui passe, la fosse qui se creuse, et le tourbillon de la vie, le rock'n'roll qui emporte tout.

    PREMIER SET

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    Avant d'ouvrir le coffre aux merveilles, de plonger dans le répertoire rockab les Black Prints nous avertissent d'une sage décision, d'abord une bonne dizaine de leurs propres compositions qui n'ont pas à rougir de celles de leur aînés. De véritables classiques, There's Rock'n'roll on the Radio, Two Tones Shoes, percutants à souhait, qui tout de suite mettent le public en joie et engendre sur scène une complicité stimulante. Quatuor avec cordes et percussions.

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    Jean-François danse une étrange danse du scalp comme s'il était lui-même attaché au poteau de torture. Ce sont les contorsions de son corps qui bougent ses doigts, de l'autre côté de la scène Thierry pratiquement immobile donne la réplique aux tambours de guerre de Yann. Tient le rythme à l'identique, comme en sourdine insistante, chasse une mouche tandis que Yann écrase un éléphant. Basse et guitare se liguent contre cette tonitruance explosive, s'amusent comme des fous, les rochers de Yann déboulent comme une charge de cavalerie lourde et hop, guitare et basse, prennent la tête de cette charge héroïque et en prolongent les effets dévastateurs, la mènent encore plus loin qu'elle ne serait allée toute seule. Impassible, Thierry régule le tout de son trot régulier mais inextinguible. Ce soir le rock'n'roll est de sortie et rien ne l'arrêtera.

    PHILOU

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    L'est sûr que cette soirée roule trop bien et que l'on va s'amuser. Olivier demande à Philou de monter sur scène. Tout de suite plébiscité par le public. Et Phil, l'ancien – toujours actuel dans nos cœurs - batteur de Ghost Highway, hisse sa haute carcasse sur le podium, l'a cette allure du gars embarrassé qui n'ose pas opposer un refus à cette douce violence collective. S'assoit d'un air ennuyé sur le tabouret de Yann qui lui a laissé la place. Tant pis pour lui, tout juste le temps de se saisir des baguettes qu'Olivier lance sans préavis une intro fracassante, métamorphose subite, le géant débonnaire prend le relai comme si de rien n'était, une machine à rythme, instantanément adaptable, à croire qu'ils ont répété toute la semaine, mais non c'est de l'impro impromptue telle que peuvent se le permettre des musiciens qui ont le rockab chevillé à l'âme depuis la prime adolescence. L'a le break rythmique Phil, là où Yann explose, lui il glisse et fuit, une course en avant qui évite tous les obstacles, le voleur futé qui se faufile entre les gendarmes dans les cours de récréation. Et les Black Prints s'agglutinent comme le moule autour de la statue à cette frappe si différente, une escadrille d'avions de combats qui au cours de l'attaque adaptent instinctivement leur formation à toutes les situations. Trois titres défilent à une vitesse prodigieuse, c'est déjà fini, Phil se lève, tout content, mais avec cette mine du type modeste qui a peur de vous avoir ennuyé, et rejoint le public sous les acclamations.

    FIN DU SET

    N'ayez crainte, c'est loin d'être fini, les Black Prints tapent maintenant dans le répertoire illimité du rockab. C'est loin d'être le plus facile, le public connaît, et l'on vous attend au tournant. A part que les avis divergent sur la dangerosité du virage maléfique, personne ne le situe au même endroit, et pire que cela chacun, possède sa propre référence interprétative qu'il juge historiale et indépassable. Chasse-trappe généralisée et terrain miné. Autant dire que le combo a intérêt à enlever d'assaut le morceau à la baïonnette, sans coup férir. Par contre si vous avez le brio et le style l'on vous pardonnera tous vos choix esthétiques, vous emmènerez tout le monde avec vous, tel Bonaparte sous la mitraille du Pont d'Arcole.

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    A ce jeu-là les Black Prints sont d'une maestria impériale et impérieuse, vous emportent jusqu'au bout de la Voie Lactée, avec aisance et élégance, la répartie facile vis-à-vis du public égayé de se retrouver en pays de cocagne rockab conquis, et cette générosité animalement humaine sans laquelle le plus grand des virtuoses ne produit que bâillements et ennui. Les Black Prints, c'est d'abord cette rythmique infernale du beat ted, intraitable et insatiable, le dragon de feu qui avance imperturbablement, une espèce d'ossature mouvante qui se colle à vous, tel le lierre qui s'enroule autour de l'arbre. Et Yann réussit de sa frappe baroque, de sa frappe barocke, le prodige de produire cette étincelle de vie primordiale, le pouls irréversible du rock qui s'en vient cogner aux portes des corps en transe. Se permet en sus des fantaisies irrémédiables, comme de temps en temps au milieu de la tourmente ce coup solitaire et incongru sur sa cloche de vache, et aussitôt se déploie dans votre imaginaire l'image mentale de la Noiraude ramenant son troupeau à l'étable à l'heure de la traite, racine country du rock'n'roll qui pousse sa corne agreste dans la démence rock. De la quinzaine de titres qui se succèderont à vitesse grand V, j'élirai ce Baby Let's Play House, une incandescence absolue, un trait de feu qui vous marque l'âme au fer rouge, et le morceau final, le Sweetie Pie d'Eddie Cochran, Olivier au vocal transcendantal, tous les sous-entendus de la coquinerie du rockak, vous avez la mousse du gâteau érotique, l'ambroisie charnelle qui se colle à votre palais...

    SECOND SET

    Non ce ne sont plus les Black Prints. Sont toujours là, je vous rassure, mais au second plan. Totalement éclipsés par Audrey.

    AU DREY 

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    Au micro. Toute simple. Toute seule dans sa marinière. Venue d'une autre planète. Même pas le temps de l'admirer que les Black Prints déploient les premières notes de ce chant de guerre qu'est Great Balls of Fire. Et c'est-là qu'Au Drey subjugue. Elle frappe en plein cœur. Et pourtant l'on est si loin d'une interprétation dynamite. Se contente de poser les mots, tout doux, tout simplement, mais à l'endroit adéquat, les enchâsse comme les pierres précieuses dans une parure de diamant. Le coup de foudre tranquille. La foule calcinée en un instant. Et celui-ci, qui n'y tient plus, qui par trois fois dans le silence approbatif et bourdonnant qui s'est installé par magie, s'écrie, traduisant l'impression générale, '' Je suis amoureux'', l'est sûr qu'elle est superbement mignonne avec ses yeux clairs, ses pieds de princesse, et sa coupe de cheveux moderne, mais irrésistible et révolutionnaire par ce vocal péremptoirement doucereux qui vous transperce à chaque mot d'un trait mortel. Suit un Fever renversant. A vous faire exploser le thermomètre. L'a une manière tellement à elle de murmurer le mot Fever à votre oreille que vous frissonnez, ne vous promet pas l'extase, elle vous la donne, vous l'offre de toute sa gracilité envoûtante. Un dernier morceau, un Bang Bang mirifiquement interprété à la sauce rockabilly par les Black Prints, et toujours cet art de ciseler les syllabes, de les faire resplendir comme jamais, Bang Bang, Au Drey vous susurre, du bout de ses lèvres roses, des coups de revolver à bout portant, et vous aimez cela. Elle s'enfuit pratiquement de scène, émotionnée par l'ovation du public. Un instant de grâce. Et de rêve.

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    SUITE ET FIN

    Reprenons nos esprits. Nous avons eu la vision du paradis, il est temps pour les pécheurs endurcis que nous sommes de retourner dans l'enfer du rock'n'roll. Les Black Prints sortent le grand jeu. Débutent par un Restless de toute beauté. Je ne l'ai jamais entendu si magnifiquement et si finement interprété. La guitare d'Olivier réussit le prodige de donner l'illusion qu'elle pleure tout en se livrant à une cavalcade infinie. Continuent sur cette lancée. Z'ont le feu sacré, déferlent coup sur coup Runaway Boys – lyrique et exacerbé en diable, immédiatement suivi de Dance To The Bop – la voix d'Olivier se fait caresse et ressuscite le fantôme de Gene Vincent, les doigts de Jean-François ne touchent pas les cordes, s'enfoncent dans une motte de beurre, Thierry balbutie la douceur du monde et, à l'instant idoine que toute la salle guette, Yann vous lance l'exocet du bop sous la ligne de flottaison, et c'est parti pour le grand tangage... Shakin'All Over, la guitare d'Olivier flambe, la flamme du désir embrase la salle, les Prints nous envoûtent. Un My Babe, torturé et kaotique, ponctue cette séquence fabuleuse.

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    Ne vais pas tout vous raconter. Vous en crèveriez de dépit. La liste est longue. Tout de même ce Ready Teddy et ce Brand New Cadillac, sortis tout droit de la grande fabuloserie. Uns séquence special Ted, plébiscitée par le public de fans, un Old Black Joe chanté en chœur, un Dixie hymnique suivie d'une dernière séquence blues, l'autre face, l'empreinte noire, du vieux Sud, Jean-François à l'harmonica vous déchire les tympans et Audrey s'en vient poser la rosée apaisante de quelques mots bleus, et c'est fini. Enfin presque, trois rappels supplémentaires pour avoir le droit de terminer le concert.

    Un concert comme on en voit peu. Comme on n'en voit plus.

    Damie Chad.

    P.S. : L'on se bouscule dans les coulisses, pour s'arracher les rares exemplaires restants de leur dernier album. Le prochain est prévu pour bientôt. Avec Emilie Crédaro à la guitare. Absente ce soir. Une bonne excuse pour les revoir au plus vite. Et Au Drey aussi.

    ( Photos : FB / Rockin' Lolo )

    DOUCHE FROIDE

    FRED CALONE

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    L'envie d'en voir plus. Vous avez vu ces photos dans la livraison de KR'TNT ! 400, m'en étais servi pour rehausser la kronic sur le concert de System-syS et de Punish Yourself, au Chaudron le 21 / 12 / 2018 au Mée-sur-Seine. Suis allé sur son Flick ( tapez Douche Froide ), me balader un peu. J'ai tout zieuté. Plus de 300 photos. N'ai pas perdu mon temps. Des photographes dans les concerts de rock, il y a en plein. Quelques uns ont un truc : un regard qui n'appartient qu'à eux. Fred Calone est de ceux-là.

    Un premier étonnement : la série consacrée à Punish Yourself est la seule qui soit en couleurs. Sinon Fred Calone ne nous présente que du noir et blanc, ce qui correspond à merveille à son blaze Douche Froide. Je précise, Fred Calone photographie surtout en noir. Comme d'autres écrivent des romans noirs. Pas parce qu'ils aiment les flics, mais parce l'être humain possède l'âme la plus noire de tout le règne animal. Fred Calone, c'est toutefois un peu différent, il cherche le détail, qui fasse miroiter la beauté insoupçonnée et perdue du monde dans les endroits de grande noirceur.

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    Commence souvent par les pieds. Même pas nus. Gainés de cuir. Des chaussures. Rodin présentait des statues sans tête, Calone montre des pieds sans corps. Ça n'a l'air de rien un pied posé sur la scène d'un concert. C'est pourtant l'assise de l'être humain. C'est ici qu'il repose. En attendant le cimetière. Gros-plan sur le lieu exact de son implantation. Même pas l'espace volumique. Juste l'endroit du décor où quelque chose se passe. C'est trivial un pied, c'est bête, mais peut-être veut-il nous signifier qu'il y a des coups de pied dans les yeux qui se perdent.

    Photos de concerts. Si vous voulez des renseignements sur le spectacle, cherchez ailleurs. Fred Calone n'édite pas des dépliants touristiques. Ne donne pas dans le reportage universel. Il capte l'universel. N'ayez pas peur des grands mots. L'universel n'a rien à voir avec des photos de groupes. Fussent-ils de rock ! L'universel c'est aussi bien un pied de micro qu'un câble électrique enroulé sur le plancher. Le détail. Qui ne signifie rien que lui-même. Ces objets qui traînent autour de nous, dont nous ne faisons pas cas. Fred Calone nous rassure, il est inutile de regretter notre manque d'attention, ces pauvres artefacts ne s'intéressent pas à nous. Se contentent d'être seuls dans leur solitude. Nous aussi. Mais nous, nous essayons de le cacher.

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    Alors Fred Calone nous montre ce que nous ne voudrions pas voir. C'est fort le rock, ça bouge dans tous les sens, ça tohu-bohute; ça tumulte à fond. C'est la vie, la joie et la rage de vivre. Pas tout à fait. C'est maintenant que Calone tire la chasse de sa douche froide. Bye-bye les artistes. Bonjour les monuments funéraires. Des statues grises. Des vivants morts. Des fantômes détachés de leur existence. Son objectif saisit des corps. Comme au temps des grandes glaciations ces mammouths figés en un seul instant, la gueule encore emplie de fourrage. Transforme les humains en statue de sel. Des gangues de cadavres qui ressemblent à ces gisants de Pompéi surpris en leut quotidienneté.

    Mais Fred Calone ne mitraille pas à tout-vat et à bout portant. Son œil n'est pas le rayon de la mort qui balaie la scène du monde au hasard. Il ne ratisse pas large. Tout au contraire. Il cherche le geste significatif, l'acte symbolique. C'est sa manière à lui d'abolir le hasard. Il ne met pas en scène. Il cherche le hors-scène, cette seconde fatidique où le guitariste n'est plus guitariste, où le chanteur n'est plus chanteur. L'impression qu'il pousse ses sujets hors d'eux-mêmes et de la scène. Il les entoure d'une camisole de solitude excédentaire qui fait froid dans le dos. Il les détache de leur statut de star, les plante au milieu de monde, à eux de se débrouiller comme ils peuvent. Et ils ne peuvent rien. Sont tétanisés, titanisés de pierre grise et d'immobilité – incapables d'esquisser le moindre geste qui serait preuve de leur liberté. Fred Calone nous le crie violemment à l'oreille, nous sommes prisonniers de nous-mêmes, murés dans la banquise de l'être pour toujours. Le monde est une glu dont on ne s'échappe point.

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    Beaucoup de photos de scènes. Mais elles cherchent l'obscène. Ces moments où ne sommes pas nous, où ne sommes que notre nudité dévoilée. Pas celle du corps, celle intérieure, quand nous ne sommes que poses et fanfaronnades, quand nous ne sommes que la trahison de nos travers, de nos fuites, quand nous exprimons cette sensation du néant qui nous traverse et nous sert d'ossature. Nous sommes des châteaux de cartes, en équilibre précaire, un souffle nous détruirait, un clic d'appareil photographique y parvient facilement. Encore est-il nécessaire que l'œil du photographe agisse tel un scalpel. Qu'il déchire la belle image de surface derrière laquelle nous nous réfugions, qu'il la traverse tel un rayon X, afin de révéler cette pourriture néantifère dont nous sommes constitués.

    Fred Calonne n'affiche pas que les mannequins que nous sommes. Il descend dans les Catacombes. Aux anciens morts du cimetière des Innocents, les mains vides. Os et têtes de morts. Mais aucune piraterie romantique. Des entassements d'ossements. L'anonymat parfait. Ses grandes orbites creuses et vides qui nous regardent sans nous voir. Un constat glacial de l'inanité du rien. Alors Fred Calone s'amuse. Il change la donne. Au blanc du néant et au noir de la nuit, il substitue la douce couleur mordorée des rayons de couleurs automnaux. Ici vous auriez envie de psalmodier à l'instar des poëtes qu'en ce lieu tout est calme, luxe et volupté, mais non ce ne sont que bout d'os et occiputs troués, ni plus ni moins. La couleur n'ouvre pas l'horizon, elle le ferme tout autant que le blanc et le noir.

    Trop de noir, alors regardez la série Expo Jérôme Zonder. C'est la page blanche de Fred Calone. Ni plus ni moins qu'un livre. Un Lieu à Soi de Virginia Woolf, mais étalé en grand sur les murs d'une galerie, un texte que Zonder a agrémenté de dessins de femmes. Des nudités sauvages et militantes. Des désespérées, prêtes à se déchirer sur les barbelés du vaste camp de concentration d'une société machiste et objectale. Encore faut-il savoir lire, débusquer la cruauté du vide pour y ajouter la carcéralité du vivant phantasmatique. Calone ne feuillette pas le bouquin, il en arrache les pages, nous montre combien le papier est glacé, et que ce froid absolu n'est que la pointe de l'iceberg qui émerge et affleure nos représentations. Nos volontés impuissantes, aussi.

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    Regardez aussi les deux séries sur Les Tétines Noires. Ni tétons ni tétins. Hormis le groupe en pleine action, seul un homme nu. Sexe au repos de toute présence humaine. Déchaînement autour. L'homme transformé en poupée gonflable des désirs morts. La dernière photo est machiavélique, Fred Calone vous donne envie de tirer sur la sonnette d'alarme d'un train immobile qui ne s'arrêtera jamais.

    J'arrêterai sur la série Machinalis Tarantulae, setlist posée à terre sur fond noir, et à côté, sur la gauche, cette croix rouge de sparadrap pour désigner le lieu, le point exact, où il ne se passe rien. Et votre regard qui reste aussi immobile que le Corbeau d'Edgar Poe, à fixer le rien. Nul essor.

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    Certes Fred Calone offre une vision du rock peu chatoyante. Un étiqueteur parlerait d'indus et de post-noise apocalyptique. Mais Fred Calone n'aime pas les mots ronflants et définitifs. Il dépasse les oripeaux. Son rock, et surtout ses photos, atteignent à une tragédie métaphysique inégalée jusqu'à ce jour.

    Damie Chad.

    P.S. : les photos sont prises sur son FB : Douche Froide Photographie ce qui explique le l'american prude logo censured sur certaines parties anatomiques, voyez plutôt sur Flick.

    ROCK CRITIC N° 11

    Décembre / Janvier / Février 2018

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    Tout beau mais pas tout neuf. C'est un peu la danseuse de Ben Hito et de Géant Vert. Le fanzine de la zone libre. Sur papier glacé, en couleur et distribué gratuitement dans une vingtaine de villes en France. Si vous n'aimez pas lire, ce n'est pas grave. Rock Critic, d'abord ça se regarde. Question graphisme vos yeux oscilleront entre hyper-réalisme et soviétik propaganda. Esthétique de l'impact visuel. Un peu daté, mais très beau. C'est comme la profession de rock-critique, fut un temps où ils étaient aussi célèbres que les rock-stars, z'apportaient la bonne parole à un peuple d'affamés, mais c'est fini. Aujourd'hui sur internet tout le monde y va de sa petite bafouille. Certains le regrettent. D'autres citent Platon qui fustigeait la démocratie qui permet à n'importe qui de prétendre à des postes de responsabilité, politique, économique et morale. Un discours un peu rétrograde.

    Rock Critic, eux se réclamerait plutôt du Do It Yourself. Sont connotés punk. D'ailleurs le numéro débute par une interview de Glen Matlock. Ne dit pas que des stupidités. A part quelques méchancetés ( méritées ? ) sur Johnny Rotten, ne tient que des propos estampillés au marbre de la sagesse. Les chiens fous ne devraient jamais vieillir. James Dean avait raison, mieux vaut vivre vite et faire un beau cadavre. Remarquez que je suis le premier à ne pas avoir suivi le deuxième commandement... A la page suivante ce n'est guère mieux, Dead Can Dance a eu du mal a finir son disque, l'est des moments où la santé vacille, la vieillesse est un naufrage... L'Ombre Verte raconte son voyage au Vietnam. Pas la joie. Apparemment ailleurs l'herbe asiatique n'est pas plus verte que par chez nous. Un truc à démoraliser les trotskystes engrangés dans les Comités Vietnam en 1968... Z'ensuite les chroniques disques ( une consacrée à Odetta, chose rare ) et Bande Dessinée...

    J'ai récupéré ce numéro à la Comédia. Croyais que c'était le tout nouveau. Mais non il date de l'année précédente. Le dernier en date. Peut-être pas l'ultime. Z'ont tenté une cagnotte en 2017, pour augmenter le tirage, voulaient frôler les 20 000, et équilibrer le budget avec des placards ( filtrés ) publicitaires. Une stratégie qui se défend. Perso, je ne condamne pas, je préfère la gratuité sans appel à la participation financière du peuple ami. C'est pour cela que KR'TNT qui était sur papier en ses débuts historiques est très vite passé sur le net. Suffira un jour que des esprits mal-intentionnés appuient sur un clic pour que subissions l'extinction des dinosaures. Nous bâtissons des châteaux de sable.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 381 : KR'TNT ! 401 : MICK RONSON / HAPPY ACCIDENTS / THETRUEFAITH / KURT BAKER COMBO / FULL PATCH / ERIC CLAPTON / IGNEUS

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 401

    A ROCKLIT PRODUCTIOn

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    10 / 01 / 2019

     

    MICK RONSON / HAPPY ACCIDENTS / THETRUEFAITH

    KURT BAKER COMBO / FULL PATCH /

    ERIC CLAPTON / IGNEUS

     

    Ronson toujours deux fois - Part One

     

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    En 2009, Weird and Gilli (Ziggy played guitar, jamming good with Weird and Gilly) proposaient une bio de Mick Ronson intitulée The Spider With Platinum Hair. Cet ouvrage manque cruellement de teneur. Dommage. Les auteurs ont un petit côté oies blanches qui dérange. Ils s’attardent par exemple trop longuement sur l’épisode du concert mémorial organisé après la disparition de Ronno, en 1993.

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    Weird and Gilli parviennent toutefois à mettre l’accent sur le caractère bien trempé de Ronno. Il s’agit en effet d’un chti gars du Nord, élevé à l’ancienne par un père rigide. Quand pour des raisons médiatico-stratégiques, Bowie lui demande de déclarer à la presse qu’il est gay, Ronno l’envoie sur les roses : «No fuckin’ way’ !» Et quand Bowie lui demande de porter le costume doré, Ronno fait sa valise et file à la gare pour rentrer chez lui. Bowie envoie Woody Woodmansey le récupérer. Ronno est indispensable. Pas de Ronno, pas de Ziggy. Mick Rock : «Without Ronno, Ziggy would never have braved the heat of the attention he inspired.» Bien sûr, Ronno finit par porter le costume doré. En 1975, il revenait dans Circus sur l’image bisexuelle de Bowie : «J’ai pris ça au sérieux, car il ne plaisantait pas. Je n’ai pas aimé ça au début, mais on finit par s’habituer à tout. Des tas de gens autour de nous sont bisexuels et on finit par trouver ça normal. Mais au début, j’étais choqué. Je me demandais ce que les gens allaient dire !»

    Autre point capital : Ronno est fan de Jeff Beck. Chrissie Hynde surenchérit, et elle a raison. Non seulement elle trouve que Ronno est l’un des mecs les plus distingués qu’elle ait rencontré, mais il était aussi capable de jouer comme le meilleur de tous, Jeff Beck : «Mick was one of the nicest men I’ve ever met. Certainly one of the best-looking and one of the great guitar players. It was a pretty devastating combination (...) Mick was the only player that I think could actually sound like Jeff Beck who was also unrivalled technically, stylistically and everything.» Alors, si ça n’est pas un hommage suprême, qu’est-ce donc ?

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    Ronno adorait tout particulièrement l’album Truth du Jeff Beck Group. Il en apprit tous les guitar licks, sauf un, celui de Beck’s Boogie, qu’il n’arrivait pas à reproduire et ça l’énervait. En 1968, Ronno coinça Jeff Beck au Cat Ballou à Grantham et lui demanda de lui montrer le riff d’intro. Et Ronno apprit le riff.

    Dans les dernières pages du livre de Weird and Gilli sont rassemblés des extraits d’interviews de Ronno (Mick Ronson in his own words). C’est classé par thèmes. À la rubrique «Mick’s Spiders From Mars equipment», Ronno donne tout le détail et indique de quelle façon il travaille : «Le conseil que je peux donner à ceux qui veulent jouer de la lead guitar, c’est de faire comme je fis à mes débuts : écouter soigneusement ses guitaristes préférés, aussi bien sur scène que sur les disques. J’allais voir jouer Jefff Beck, Jimi Hendrix, Keith Richards et George Harrsion et je regardais où ils mettaient leurs doigts et comment ils obtenaient leur son. Je rentrais à la maison et m’entraînais jusqu’à ce que j’obtienne le même résultat.»

    Le nom de Ronno reste à jamais lié à celui de Ziggy. Ils firent ensemble six albums qui figurent parmi la crème de la crème du gratin dauphinois d’Angleterre. À part les Stones, les Kinks et les Pretties, on ne voit personne qui ait su proposer une suite d’albums aussi magistraux : The Man Who Sold The World, Hunky Dory, The Rise And Fall Of Ziggy Stardust And The Spiders From Mars, Aladdin Sane et Pin Ups. Tout ça en deux ans, de 1972 à 1973 ! Non seulement ces disques ne prennent pas une ride, mais ils restent d’une brûlante actualité. Ziggy régnera à jamais sur l’empire du glam.

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    The Man Who Sold The World fit un flop. Tony Visconti : «It was just too early. It was just two freaky.» Il se peut que la photo de pochette (Bowie en robe se prélassant dans un sofa) ait choqué les gens. Et pourtant, quel album ! Et quel son ! Ronno donne le ton dès «The Width Of A Circle», il riffe du gras à la grosse cocote et bâtit l’archétype du glam britannique. Tony Visconti fait ronfler sa basse. Lui et Ronno jouent en solo, chacun dans son coin, c’est d’une brûlante actualité déliquescente et complètement ravagé par les contreforts. Nous voilà plongés dans le mythe Bowie : puissance et beauté, luxe, calme et volupté, grandeur et décadence. Ronno recharge sans répit. Avec «All The Madmen», on reste dans la heavyness mirifique - Don’t set me free/ I’m heavy as I can be - et il revient toujours caus’ I’d rather stay with all the madmen, Ronno enveloppe tout ceci d’un son divin, zane zane zane, ouvre le chien. «Black Country Rock» s’inscrit dans la même lignée. Ronno invente un son qui n’existait pas, le glam-rock, il y met du souffle et une attitude de Jack the Lad. En B, «Saviour Machine» nous fait entrer dans l’extrême tension bénéfique, un monde chargé de tout le psychodrame shakespearien de la vieille Angleterre. Bowie semble laisser filer ses vers au fil des siècles et Ronno aménage quelques descentes vertigineuses. Nouveau chef-d’œuvre avec «She Shook Me Cold» - Mother she blew my brain - Et Ronno revient à contre-courant du drive de basse. Pure démence de la latence !

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    The Mayor of the Sunset Strip Rodney Bingenheimer assistait aux sessions d’enregistrement d’Hunky Dory, l’un des grands albums classiques du rock anglais. Il flasha sur Ronno et lui conseilla d’aller aux États-Unis - I kept telling him he should come to America and he should be a star. He laughed and said ‘oh yeah sure !’ - Rodney avait en effet de quoi flasher, car il faut entendre Ronno jouer de l’acou royale sur «Andy Warhol». Il y déploie une somptueuse espagnolade galvanique. Les hits pullulent sur cet album magique, à commencer par «Life On Mars». C’est là que s’étend l’empire du glam spatial, un glam lumineux et infini. Avec ça, Bowie invente un monde et Ronno entre dans la danse avec une élégance à peine concevable. C’est aussi beau et pur que «Strawberry Fields Forever» ou «Waterloo Sunset». Bowie s’y élève dans les airs. «Changes» reste l’une des plus belles pop-songs de l’histoire du rock et avec «Oh You Pretty Thing», Bowie donne au glam ses lettres de noblesse. «Kooks» et «Quicksand» figurent aussi parmi les grands classiques de la pop anglaise, dans ce qu’elle peut présenter de plus subtil et suave, toxique et éternel. Ronno entre dans le lard de «Queen Bitch» à sa façon, en claquant des beignets d’allers et retours. Il fait un travail d’orfèvre avec du petit solotage en sous-main. Bowie avait alors le son, et donc le pouvoir de régner sans partage. Il termine cet album historique avec «The Bewlay Brothers», une ode au néant qui luit comme un fanal dans la brume. Pour l’éternité.

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    Et là, Bowie et Ronno accèdent à la gloire. C’est le Rise de Ziggy et la parution du troisième album classique, The Rise And Fall Of Ziggy Stardust And The Spiders From Mars. Tout est bon sur cet album, rien à jeter. Si on n’écoute que Ronno, on se substante largement. C’est fou ce qu’il joue juste dans «Soul Love». Il se montre persuasif dans le ton et virulent dans l’insistance. C’est dans «Moonage Daydream» que Bowie se dit alligator et c’est aussi là que Ronno prend l’un de ses solos les plus spectaculaires. «Starman» et «It Ain’t Easy» restent des hits imparables. Ronno revient riffer «Hang On To Yourself» et on le voit partir en balade sur la bassline de Trev. Dans «Ziggy Stardust», on assiste aux épousailles du gras double de Ronno. Et s’il est une cocote qui compte sur cette terre, c’est bien celle de Ronno dans «Suffragette City» - Hey man/ She’s a total blam blam !

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    Rien ne pouvait plus arrêter les Spiders et Ziggy. Bowie composa les chansons d’Aladdin Sane pendant la première tournée américaine. Il subissait alors une pression terrifiante et pour tenir, il n’eut qu’une solution, la coke. Cet album est certainement le sacre du tandem Bowie/Ronno, car ça grouille de hits et de son. Ronno sort le grand jeu dès «Watch That Man», superbe slab de glam d’époque. Ronno y joue un solo en apesanteur. Bowie et Ronno étaient alors les rois du rock anglais, et donc les rois du monde. C’est Mike Garson qui fait le show dans le morceau titre, il y pianote des chopinades dignes de Debussy, des contre-temps charmants et délicats, des rivières de perles de lumière, oooh who’ll love a lad insane - On a tous vénéré cette chute à l’époque. Ronno ramène sa grosse cocote pour «Panic In Detroit». Il y donne le meilleur de lui-même, du bon gras de Les Paul. Il joue ses phrasés de biais, il est l’archange du saindoux sonique. En B, il ramène du glam joyeux dans «The Prettiest Star». Avec cet cut charmant, Bowie et Ronno sont au pinacle de l’âge d’or, dans un genre qu’ils sont inventé. Ronno ne semble vivre que pour un absolu de pureté. Ils font une belle cover de «Let’s Spend The Night Together» et Ronno emmène «The Jean Genie» au paradis - New York a gogo and everything tastes nice.

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    Fin de l’aventure avec Pin Ups. Cet album de reprises est enregistré au Château d’Hérouville, sans Woods qui vient de se faire virer comme un chien par Defries. Pour Ronno, c’est l’occasion de se frotter à ses idoles, comme par exemple les Yardbirds et «Wish You Well». Joli choix aussi que «See Emily Play», et même idéal pour un magicien de la pop comme Bowie. Ils en font une version encore plus psychédélique, comme si c’était possible. Ils tapent «I Can’t Explain» à la heavyness et Ronno s’en donne à cœur joie, car on l’a vu, c’est un spécialiste. On ne le savait pas, mais «Friday On My Mind» sonne comme un cut de glam pur. La pop suprême des Easybeats se fond dans l’excellence du glam de Ziggy. Et Ronno se jette à corps perdu dans l’aventure. Il tire aussi de jolies notes dans la version de «Don’t Bring Me Down» et Bowie devient héroïque dans «Shapes Of Things». On voit Ziggy renouer avec la baravado des Who dans «Anyway Anywhere Anywho» et Ronno écrase bien ses power-chords dans «Where Have All The Good Times Gone». Il y ramène tout le gras-double du monde. Quel fabuleux cocoteur ! Derrière Bowie, il fait des miracles.

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    Même si on connaît par chœur chacun de ces cinq albums et qu’on croit avoir fait le tour du phénomène, il est impossible de faire l’impasse sur le fameux Live Santa Monica ‘72 paru en 2008. Il s’agit là d’une sorte de preuve par neuf du génie des Spiders. Et dès «Hang On To Yourself», Ronno est dessus ! Il mouline sa moutarde et démultiplie les petites vrilles à l’infini. Trevor Bolder fait des ravages sur sa basse. Force est d’admettre qu’il fait tout le boulot ! Attention, non seulement ce live est un best of, mais le son vaut celui des meilleurs albums live de l’histoire du rock. Ronno y sculpte son son dans le dos de Bowie, mais Bolder sculpte aussi, il joue en mélodie et boufferait presque Ronno tout cru, un Ronno qui claque des accords de cristal et qui les égrène à Grenelle. On se demande ce que les Californiens pouvaient comprendre au glam. Oui, car le glam de Ziggy est si pur qu’il semble incongru sous le soleil de Californie. Mais Ziggy fonce et attaque «Changes», un pur hit de la légende des siècles. Il chante comme un dieu, ça on le savait, mais l’I’m much too fast to take that taste sonne si bien sur scène ! Et Bowie plonge la Californie dans une sorte de fascination. Peu de performers pouvaient prétendre à une telle aura. Ronno taille «Life On Mars» sur mesure. Il faut l’entendre profiler le filet. Et Bowie chante «Five Years» à l’excès de génie. Il faut bien dire que sur ce coup-là, Ronno n’a que très peu de valeur ajoutée. On entre ensuite dans un «Space Oddity» sacrement ambiancier et gratté à coups d’acou. Bowie appelle Grand Control et il n’y a plus rien à ajouter : Bowie crée son monde et se dirige vers le néant. Fantastique artiste ! Coup de chapeau à Warhol avec l’«Andy Warhol» tiré d’Hunky Dory et back to the heavyness avec «The Width Of A Circle», au cœur de l’empire de Ronno qui nous fout aussi sec le souk dans la médina : il part en vrille de gras double et a semble-t-il un mal fou à se calmer pour attaquer «Queen Bitch» qu’il riffe à la Lou Reed et pouf, il repart dans un nouveau numéro de cirque. Avec «Moonage Daydream», on entre dans le glam céleste et ça continue dans l’irréalité des choses avec «John I’m Only Dancing», Ronno gratte ses dernières notes au bord d’un précipice, tout sur ce disque pue la démesure. Ils s’embarquent dans une version dévastatrice de «Waiting For The Man» - And that’s Mick Ronson on the guitaaahh - Fabuleuse version, Ronno la joue au clair de la lune et ça embraye sur l’apothéose de «The Jean Genie», rock’n’roll Ronno blaste sa petite affaire - New York a gogo hoo hoo - Fantastique et mortelle randonnée et ça monte encore d’un cran comme on peut l’imaginer avec «Suffagette City», Hey man, oui, oui, avec Ronno qui riffe et qui raffe comme un démon, Wahm bam thank you man, Ronno fait gicler toute sa purée, you can’t afford a ticket, no no. On donne sa langue au chat. Et ça se termine comme ça doit se terminer, par une version mirobolante de «Rock’n’Roll Suicide». Fin d’une époque magique. Tous ceux qui ont vécu ça en direct ne s’en sont jamais remis.

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    C’est la raison pour laquelle il faut voir le film de DA Pennebaker, Ziggy Stardust And The Spiders From Mars : on y assiste en direct au dernier concert de Ziggy, filmé le 3 juillet 1973 à l’Hammersmith Odeon. Pennebaker filme Bowie dans la loge et il réussit l’exploit d’en faire un monstre. Il le cadre serré et le vaste regard glaçant de Bowie fout un peu la trouille. Mais sur scène, c’est une autre histoire. Ronno attaque «Hang On To Yourself» au riffing sur sa Les Paul en or. Il est ce soir là le roi du rock et il le sait. Ziggy revient en kimono pour chanter Ziggy played guitar/ With Weird and Gilli et il exhibe ses très belles cuisses, aw yeahh ! Puis Ronno joue la loco dans «Watch That Man». Dans la fosse, les kids deviennent dingues ! Mais le pire est encore à venir. Ronno se tape une fantastique échappée belle dans «Moonage Daydream», et après un changement de costume, Ziggy revient chanter l’énorme «Changes». Il gratte sa douze, il faut le voir swinguer son mid-tempo, c’est là qu’on réalise à quel point ce mec est une star. Il n’est que grâce et élégance suprêmes, mais cela, tout le monde le sait. Il enchaîne avec le grand control de Major Tom, le croon du néant et les gamines pleurent dans la fosse. L’émotion est à son comble. Ils tapent aussi une fantastique version de «Cracked Actor», mais Bowie est faux à l’harmo. Ronno tente de cacher la misère et ils embrayent sur un autre monster hit, «The Width Of A Circle». Trev joue aussi en solo. Pour Ronno, c’est la quart d’heure de vérité. Dommage qu’il fasse autant de grimaces. Et elles ne sont pas belles. Trev joue comme un diable dans les strobes et ce bon Woods shuffle ses cymbales. Puis ils enchaînent des stormers, à commencer par un version up-tempo de «Let’s Spend Together» («This is for Mick», grommelle Ziggy), et avec Suffragette, ils rockent littéralement le monde. Au micro, Ronno fait d’admirables chœurs d’Hull - Hey maaaaan - et c’est la fin du set. Pour le rappel, Ziggy passe un haut transparent noir et claque un coup de «WhiteLight/White Heat». On sait comment ça se termine : le suicide de Ziggy et «Rock’n’Roll Suicide». Just perfect.

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    On note aussi qu’en 1973, Bowie et Ronno sont allés jouer deux cuts sur l’excellent album de Dana Gillespie, Weren’t Born A Man : une reprise d’«Andy Warhol» et «Mother Don’t Be Frightened». On entend Ronno rôder dans cette merveille qu’est «Andy Wharhol Superstar», il joue en sous-main, à la soudoyarde. Terrific ! Sur Mother, il change de son devient plus ambiancier, et même trop moyenâgeux - But there’s nothing you can do - On profite de la parenthèse pour conseiller l’écoute de cet album. D’autant qu’elle démarre sur une cover extrêmement intéressante de Third World War, «Stardom Road Parts I & II». Elle fait le Part One en mode gothique, c’est assez fascinant, d’une féminité profonde et sombre, puis elle tape le Part Two en mode no highway code on stardom road, et là, on est content d’avoir croisé son chemin. Avec «Dizzy Heights», elle propose une jolie pièce de rockalama. Elle se rapproche du son de Delaney & Bonnie, un son fouillé bardé de chœurs de folles, c’est admirable. On retrouve ce son en B dans «All Cut Up On You». Wow ! On se croirait à Muscle Shoals. Elle chante du haut de son registre avec une autorité qui fait foi. Tenue impeccable et très haut niveau productiviste. Elle va même groover «Weren’t Born A Man» à la Bobbie Gentry. C’est saxé de frais et ambiancier à souhait.

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    Dans l’article qu’il écrit pour Classic Rock (The Rise And Fall Of Mick Ronson) Max Bell va dix mille fois plus loin que Weird And Gilli. Bell explique que les Spiders finissaient par ennuyer Bowie terriblement - Hurt my ears - mais avec le temps, il admet qu’avec Ronno, ils touchaient au but - As a rock duo, I thought we were as good as Mick and Keith - Bell rappelle aussi que Ronno était avant toute chose un homme galant et doux. Angie Bowie : «He was a sweet-talking Romeo (...) he was handsome and so divine.» Il était toujours le premier à offrir un verre à une dame.

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    Le fan de Ronno devrait aller aussi mettre le nez dans Bowie At The Beeb, car on y entend ses tout premiers pas dans le monde du rock. En 1968, ce sont des gens comme John McLaughin et Herbie Flowers qui accompagnent un Bowie prometteur. Le jeune Dave adorait les guitares opiniâtres et le pathos d’«Amsterdam». Bowie joue relentless, il gratte son acou à l’infini. Ronno joue pour la toute première fois sur «The Width Of A Circle». Il entre dans la danse à sa manière, louvoyante et vénéneuse. Tony Visconti bat le nave sur la basse. Tout est très joué. On est à Londres en 1968 et ces mecs ne plaisantent pas. Dans l’ouvrage de Weird and Gilli, Mick déclare qu’il rencontra Bowie pour la première fois dans le studio et qu’il ne connaissait pas les morceaux : «I just sat and watched David’s fingers. I didn’t know what I was doing but I suppose it came across well.» Dans Bowie At The Beeb, on entend aussi une session de The Hype, ce super-groupe qui fit un bide. Bowie cherchait alors à percer. Il chantait déjà comme un dieu ce «Wild Eyed Boy From Freecloud». Pour «Bombers», Peely introduit la bite de Dave dans la cuisse de Jupiter. Ronno se fourvoie dans des salives. Ça fructifie et ça déborde de coulures. Ronno joue la carte du gras double sur «Looking For A Friend» et Trevor Bolder fait des miracles sur la reprise du «Almost Grown» de Chuck. Et puis évidemment, ça monte en puissance alors qu’on remonte dans le temps, car voilà les Spiders avec les hits classiques, Hang On, Ziggy Stardust, tout de suite les grands moyens, avec un Bolder devant dans le mix et un Ronno qui joue comme l’archange Gabriel. Ils deviennent des surdoués avec «Queen Bitch» et explosent une fois encore le pauvre «Waiting For The Man» qui ne demandait rien à personne. La version de «White Light White Heat» enregistrée pour la BBC sent bon les puissances des ténèbres. Ronno y suture des fréquences pendant que Bolder se promène dans la pampa. Ronno hante ce chef-d’œuvre comme une ombre. Ce ne sont plus que hits intemporels et virulences plénières. Bowie et ses Spiders deviennent trop gros pour la BBC. Il faut se souvenir qu’à l’époque, Bowie était aussi gros, en termes d’aura, de génie, de chiffre d’affaires et de popularité, qu’Elvis et les Beatles. Par son seul génie visionnaire, Bowie aura autant marqué l’Angleterre que les Beatles.

    Pour la petite histoire, Trev et Woods tentèrent de redémarrer les Spiders avec le chanteur Pete McDonald et le guitariste Dave Black. Ils n’enregistrèrent qu’un album sur Pye en 1976. Ronno fit partie de l’aventure et enregistra des bricoles qui, comme beaucoup d’autres choses, sont restées inédites. L’album rouge des Spiders disparut sans laisser de traces. Les fans de glam n’y retrouvèrent pas leur compte, puisque les Spiders ne proposaient en tout et pour tout qu’un seul cut glam, le «Sad Eyes» d’ouverture de bal. On y entendait Dave Black faire de belles vrilles. Mais Pete McDonald emmenait le groupe dans une autre direction, celle d’une pop groovy, pas vilaine, certes, mais embarrassante, dès lors qu’on s’appelle les Spiders et qu’on sort d’une aventure faramineuse. On entendait par exemple en B un cut intitulé «(I Don’t Wanna Do No) Limbo» très pop et digne des grandes heures de Love Affair. «Stranger To My Door» sonnait comme de la pop trop sensible et en composant «Good Day America», Woods espérait revenir vers quelque chose de plus rock’n’roll. Avec son côté good time music enchantée, «Rainbow» avait une allure de cut sauveur d’album, d’autant que Woods le battait sec et doux. Mais bon, des disques comme celui-là, il en existe des millions.

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    On en rêvait, et Ronno le fit : l’album solo. Mais bizarrement Slaughter On 10th Avenue nous laissa sur notre faim. Ce n’est pas que l’album fut mauvais, non, mais il n’était pas au niveau de ceux qu’il avait enregistrés avec Bowie. La reprise de «Love Me Tender» n’accrochait pas. Difficile de moderniser un tel monument de kitsch. Il fallait attendre «Only After Dark» co-écrit avec Scott Richardson de SRC pour retrouver le grand Ronno, le plantureux riff-master. On avait là un hit glam ponctué à a cloche de bois et bardé de chœurs décadents, de ahh hah ahh énamourés, le pur glam de Hull, the hell of it all, la perfection, la suite de Ziggy, la magie du son anglais. Il reprenait aussi «I’m The One» d’Anette Peacock, mais le tarabiscotage provoquait une sorte de désenchantement. Et puis on allait de cut en cut, à travers la morne plaine, jusqu’au morceau titre, composé par Richard Rogers. Ce cut redorait le blason de Ronno. Il jouait en effet le thème mélodique au gras double de guitare. On avait là un cut profondément inspiré et puis, comme un gosse qui casse ses jouets, il partait à l’aventure et ruinait tout.

    En travaillant avec Scott Richardson, Ronno eut l’idée de monter avec lui, Trevor et Aynsley Dunbar les Fallen Angels. Ils enregistrèrent des choses restées coincées dans les archives.

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    Paru l’année suivante, son deuxième album solo s’appelait Play Don’t Worry. On y trouvait une fastueuse reprise de «White Light/White Heat» amenée au piano jazz. Ronno s’y prenait pour Lou Reed. Il y allait de bon cœur. Il entrait dans le clan des cover-boys de bon aloi. Et pour l’occasion, il pulvérisait son jeu de guitare - Euh euh white heat ! - Le spectacle de ces Anglais qui essayent de sonner comme des Américains paraissait pour le moins grandiose. Ronno passait en prime un solo trash. Que pouvait-on dire du reste ? Ronno tentait de chanter comme Bowie sur «Billy Porter», une sorte de petit glam cocasse à la Cockney Rebel joué au pouet pouet de tuba. Mais Ronno n’est pas Bowie. Hélas. Il enchaînait avec un slowah ridicule intitulé «Angel No 9». Il allait en fait accumuler ce genre d’erreurs, avec notamment ce morceau titre qui sonnait comme de la mauvaise pop. On ne comprend pas qu’à l’époque des gens aient pu accepter d’orchestrer une horreur telle que «Empty Bed». Et ça empirait encore avec «Woman».

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    Paru en 1994, soit un an après sa mort, Heaven And Hull avait plus d’allure, et ce pour quatre raisons principales. Un, le «Don’t Look Back» d’ouverture de bal, un cut dévasté du bigorneau, avec un Ronno qui saute à pieds joints dans la soupe. Il redevient le guitariste incisif qu’on adore, il joue de belles lampées chromatiques et nous gibsonise bien les oreilles. Il ouvre des portes sur l’infini et crée son monde. Voilà ce qu’on attend des artistes : qu’ils créent leur monde. Il enchaîne avec une très belle cover de «Like A Rolling Stone». Bowie chante, c’est admirable car géré à l’up-tempo. Ça vire au céleste. Bowie chante à l’excédée, tel un seigneur de l’An Mil importuné par des barons. Version monstrueuse ! Ronno gratte comme un beau diable. C’est à la fois échevelé, grandiose et anglicisé. Les Lords avalent Dylan! Troisième raison : «Trouble With Me» avec une Chrissie Hynde qui entre dans la danse et ça tourne au duo d’enfer. Ah quel régal ! - You can be so strong if you need to - Voilà un groove impliqué. Et quatre, la version live d’«All The Young Dudes» avec Ian Hunter et Bowie. L’Hunter fait le cake. On se demande comment Bowie a pu supporter un m’as-tu-vu comme l’Hunter. Les chœurs sont un chef-d’œuvre de fondue bourguignonne. Et le reste ? John Mellecamp vient faire le zouave sur «Life’s A River». Ronno y claque de sacrés paquets d’accords, mais il lâche une mayo trop liquide. Même s’il joue comme un beau diable. Quant à «Colour Me», ça sonne un peu trop rock FM. Il faut se méfier, Ronno pourrait montrer des tendances à la putasserie, il faut le surveiller, d’autant qu’il a pris la sale habitude de tortiller du cul. Ça ne plaisait pas à Trevor Boulder qui détestait les tantes. Bon, c’est battu sec, mais ça flirte avec le rock FM. Ronno nous chante ça en loucedé.

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    Puisqu’on est dans les albums posthumes, on peut encore en citer trois, et pas des moindres : Just Like This et Showtime (parus en 1999), puis la BO du film Indian Summer parue un an plus tard. «Just Like This» est un vieux standard de T. Bone Walker que Ronno tape au Diddley beat revanchard. On a là du grand Ronno pop avec toute l’énormité de son à laquelle il nous habitue depuis le début. On note même la présence de vieux relents de «Jean Genie». On trouve d’autres merveilles sur Just Like This, notamment «Is That Anyway», pur jus de glammy power surge. Quand il claque, il claque , il ne fait pas semblant. Il renoue avec son extraordinaire savoir-faire d’artisan de glam d’Hull. Il rentre dans le gras du glam comme personne. Tiens, encore une merveille avec «Roll Like A River». Il joue son heavy blues au gras double. Big Ronno game. C’est même assez affolant. On peut même aller jusqu’à qualifier son son de terriblement distinctif. Il joue à la dégoulinade de notes. C’est d’une véracité à toute épreuve. Il fait exploser sa niaque de son et il part sans prévenir en mode boogie blast. On retrouve aussi sur cet album le fameux «April No 9» de Pure Prairie League, un groupe qui l’avait sollicité à une époque. Ronno adore les échappées belles vers la frontière. Il se répand. Comme il se sait particulièrement doué, il s’accorde le droit de faire ce qu’il veut, alors il explose le pauvre cut. Ça va même très loin, car il crée les conditions d’un monde pur. Si on aime la grande électricité, c’est lui qu’il faut écouter. «Taking A Train» vaut aussi le détour. Avec ses amis de Bearsville, il crée de l’enchantement. Il va chercher les meilleurs climats guitaristiques. Il va à l’exaction comme d’autres vont aux putes, c’est aussi simple que cela. Encore un extraordinaire shoot de pop glammy avec «Hard Life». C’est d’un niveau si haut qu’on en chope le torticolis. Il faut se rappeler que Ronno est un génie de l’impulse sonique. Il ne joue pas ses notes, il les suspend, comme on suspendait les jardins à Babylone. Il joue en prime tous les accords intermédiaires. Dans le move, il claque des gimmicks de Ziggy. Il tape «Craey Love» à la note tropicana. Voilà un fabuleux shoot de pop atmosphérique - Crazy love/ Is haunting me - Ronno n’en finit plus e bâtir l’empire du son épique. C’est lui et nul autre au monde qui définit les règles. Tiens, voilà une reprise du fameux «Hey Grandma» de Moby Grape. Le gang de Ronno fonctionne comme une horloge. Quelle fabuleuse énergie ! Ronno transforme tout en brasero. Même le boogie ultra cousu d’«Hard Headed Woman» passe comme une lettre à la poste. Pur Ronno drive. Il nous barde ça de couenne de son. Avec Ronno, pas de problème, on a tout ce qu’il faut.

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    On reste au même niveau avec Showtime qui est en fait le titre de l’album enregistré avec Mott et jamais sorti. On a là du live, et même du gros live américain. Le Ronno band se compose de Mick Barakan (guitar), Jay Davis (bass), Bobby Chen (drums). Ils jouent tous les hits de l’album précédent, à commencer par «Just Like This», véritable assaut riffé à la vie à la mort - Gonna rock my baby/ Just like this - Ronne déborde de jus, il rocke son rock à coups de power-chords, c’est bardé de son à l’extrême. Belle version d’«Hey Grandma» pulsative à souhait. Quelle santé interprétative ! Ils courent comme des furets à travers l’immense pétaudière. Ronno dynamite tout ce qu’il touche. On retrouve aussi le heavy blues de «Taking A Train». Ronno taraude son son à la clé de sol entreprenante. Il darde de mille feux. Il est certainement l’un des guitaristes les plus expansifs du siècle passé. Avec «Junkie», il propose une extraordinaire pantalonnade d’accords décortiqués - Baby I can’t let you down/ I’m just a junkie about your love - Sur sa basse, Jay Davis fait un véritable festival. L’un des péchés mignons de Ronno est le romantico-mélodico : bel exemple avec «I’d Give Anything To See You». Là, il déploie ses ailes. Il s’élève dans le ciel et passe un solo élégiaque, il va chercher des féeries de notes au bas du manche. Quel Guitar Lord ! Puis il enchaîne avec un «Hard Life» poppy joué à la force du poignet sonique. Ronno nous noie tout ça dans le meilleur son, comme on peut bien l’imaginer. Il fait autorité dans tous les domaines. Quel seigneur des annales ! Il tape aussi une version solide de «White Light Whit Heat». C’est la pétaudière d’office. De toute manière, avec ce genre de cut, il est difficile de faire autrement. Impossible d’échapper au mode dévastateur. Ronno joue le pur sonic trash. Et ça se termine avec le brillant «Slaughter On 10th Avenue», l’hymne ronnique par excellence.

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    Ultime contribution de Ronno au monde du rock, la BO composée pour un film jamais sorti, Indian Summer. On s’en doute, le morceau titre renoue avec la veine élégiaque et montée du collet. Ronno joue ça au panoramique. Il faut attendre «Get On With It» pour trouver un peu de viande. On a là un fabuleux shake de rockalama joué au claqué d’accords secs. Tout est très carré, très gorgé de son. «Blue Velvet Skirt» sonne comme un slowah enragé, comme figé dans le sucre glace, mais au fond assez imparable. Une sorte de perfection se dégage en permanence de Ronno. On sent qu’il ne fait jamais rien au hasard. Il ouvrage le western spaghetti de «Satellite 1» comme un orfèvre et la blue velvet skirt fait son retour, mais cette fois pour tomber au sol. Il termine en grattant «I’d Give Anything To See You» en solitaire. C’est un vétéran du you’re not alone, ne l’oublions pas. Il sait tortiller ses coups de Jarnac d’electric mud. Quel fantastique artiste ! De toute évidence, Ziggy n’aurait jamais pu exister sans lui. Même chose pour Ian Hunter.

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    La période Hunter est aussi consistante que la période Spiders. Même quand on n’aime pas trop l’Hunter, force est de reconnaître que ses albums s’imposent, notamment son premier album solo sobrement intitulé Ian Hunter, et paru en 1975. Il attaque avec l’un des hits les plus fantasmatiques de l’époque, «Once Bitten Twice Shy», pure zone d’émerveillement latéral. Ronno y gratte sa bonne cocote. Avec ça, on se retrouve dans le giron du meilleur rock anglais, celui du son à guitares des seventies. Il faut le voir, ce diable de Ronno, partir en vrille de solo flash académique. On est en plein dans le Mott Sound System. Ronno et l’Hunter enchaînent avec un extraordinaire brouet de glam intitulé «Who Do You Love», claqué au son de la perfection, cousu de fil d’or par un Ronno ultra-présent, hyper-actif et gracieux. C’est dingue comme l’Hunter pouvait singer Bowie. Il a cette puissance corporelle qui lui permet d’arquer au grand large, et Ronno aménage le meilleur sonic round-about d’Angleterre. Toute la magie du glam est là. Et ça continue avec «Lounge Lizard», un cut prévu pour Mott, trop beau pour être vrai, bardé de son, c’mon c’mon, c’est trop dense, trop riche. Ronno y tourbillonne à l’infini. Avec «Boy» ils tapent en plein dans le ziggy mille. L’Hunter singe à bras raccourcis, mais il fait quelque chose de stunning - You’re the guy/ You’re the number one - Quelle aventure ! Voilà un cut poignant et furieusement inspiré. L’Hunter sait glammer son monde et donner du volume. Il peut monter en puissance. Il sait worker son mojo. En B, Ronno ramène une belle louche d’heavyness dans «The Truth The Whole Truth», Free-cum-Zep Lennon’s style transmuté par un Ronno virulent. Il fait le show, il tire ses notes comme Jeff Beck et revient à contre-courant du move. En fait, ce cut n’a aucun intérêt, si ce n’est le travail de sape de Ronno. Il pique encore une crise avec «I Get So Excited». Pour l’Hunter, c’est facile, avec un cisailleur de Les Paul comme Ronno dans les parages qui fait tout le boulot. Mais on retiendra de cet album qu’il est entièrement calqué sur ceux de Bowie. Le tandem Hunter/Ronno fonctionne aussi bien que le tandem Bowie/Ronno. Bowie n’aurait jamais dû se séparer d’un type aussi brillant que Ronno. Il faut dire que l’Hunter charge bien sa barque. C’est un prodigieux outsider. Il sait balayer les obstacles, oui, il a cette puissance de caractère. Il mord dans le rock à pleines dents. Guy Stevens l’avait bien compris lorsqu’il le recruta pour prendre le leadership de Mott.

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    Paru quatre ans plus tard, You’re Never Alone With A Schizophrenic est nettement moins bon. L’Hunter campe dans le Mott Sound avec «Just Another Night». C’est chanté à la force du poignet, et avec «Wild East», l’Hunter replonge dans Bowie. Retour à Mott avec «Cleveland Rocks», c’est toujours le même son. L’Hunter-médiaire n’est jamais sortie de son système. Il continue de faire du Mott sans Mott. Quand s’ouvre la B avec «Life Afeter Death», on croit entendre Bowie. Sans Bowie, l’Hunter est paumé. Et Ronno veille au grain : il bâtit des ponts merveilleux. Il faut dire que les balladifs de l’Hunter finissent toujours pas fonctionner, c’est en tous les cas ce que prouve une fois de plus «Standing In The Light». Ronno gratte bien le groove de «Bastard», on l’entend cocoter de bout en bout, mais pour une fois, il ne part pas à l’aventure.

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    Welcome To The Club est sans doute l’un des grands albums live de l’histoire du rock. Si on affectionne les grand doubles live (Doors, Steppenwolf, Humble Pie, Hawkwind), celui-ci relève aussi du passage obligé. On pourrait appeler ça un best of qui ne vous lâche plus la grappe. Et ce dès «Once Bitten Twice Shy» qui sur scène prend une dimension irréelle. Après deux couplets à sec, la machine se met en route et Ronno joue la carte du gros graillon d’accords. L’Hunter, pourtant si peu sexy, y développe sa puissance. C’est l’un des hits du siècle. Ronno fait sa crème au beurre et le cut explose à l’infini. Voilà un live qui s’annonce drapé d’or. Ces démons enchaînent avec une version altière et bardée de bon son d’«Angeline». Ronno est un précieux allié. L’Hunter savait ce qu’il faisait en s’acoquinant avec ce silver boy, ce golden God of rock guitar, cet archange sonique. Qui dira la santé de son son ? On se sent soudain installé au cœur du mythe. Ronno joue des ortolans de son, il produit des jardins suspendus. L’Hunter annonce an old song from Sonny Bono, «Laugh At Me» et que fait Ronno ? Il le joue serré, à la candeur de l’ampleur, c’est un son ronnique des temps anciens, oui, ça vient d’un temps où le monde du rock semblait si beau, si pur. Tout bascule dans l’incommensurable avec «All The Way From Memphis». Ronno joue comme un dingue et l’Hunter fait son Bowie, il stoppe les troupes dans leur élan pour mieux les relancer à l’assaut du ciel. Ronno fait un véritable carnage, la défraye la gueule de la chronique, il troue le cul du ciel, creuse sa route des Indes. Il est à son pinacle d’intelligence guitaristique. Il attaque la B avec le vieux «I Wish I Was Your Mother» qu’il mythifie vivant. Ronno adore les petites conneries romantiques, ah pour ça on peut lui faire confiance. Il fait sonner sa gratte comme une mandoline. Et en bonne bête de somme, l’Hunter entre dans le cut sans ménagement, comme s’il enfonçait son pieu noueux dans le vagin délicat d’une petite princesse pudibonde et tremblante. L’Hunter ne fait pas dans la dentelle. C’est un soudard. Il abuse de ses vieux accents glam pour chanter «Irene Wilde». Il donne vie au rêve working-class. C’est atrocement beau. Voilà un balladif taillé sur mesure pour l’Hunter. Back to the heavy motion avec «Just Anoteher Night». Ronno sait claquer de l’accord anglais. Il explose tous les encarts, il travaille sous terre, il sape le moral, il manigance des petites montées de fièvre, et quand ça s’emballe, il écrase ses propres riffs. C’est le vieux boogie-rock à l’Anglaise jadis initié par les Stones. On reste dans les pires excès avec «Cleveland Rocks». Ces mecs-là étaient beaucoup trop puissants pour leur temps. Ah les gens en avaient pour leur pognon ! Tout cet album est visité par la grâce de Ronno. Un Ronno qui se montre tout simplement admirable de bout en bout. Le disk 2 vaut lui aussi tout l’or du monde, d’autant qu’on y retrouve «Walking With A Mountain/Rock’n’Roll Queen», un énorme slab de Stonesy. Pour Ronno, c’est du gâteau. Il joue comme un dieu du stade à la peau dorée d’ange d’Hull. Il joue clair derrière le chant et multiplie les intrusions organiques. Il faut l’entendre claquer ses petits riffs au débotté et couler un bronze éclair, avant de partir en vrille de Red Baron. Il construit une cathédrale de son haletante. Le public attend les Young Dudes au virage, et l’Hunter fait «louder !» Merci David ! Ronno réussit à placer son petit «Slaughter On 10th Avenue», si mélodiquement attirant et il s’amuse à l’exploser au firmament. On assiste là à un phénomène musicologique palpitant. Back to the hot glam avec «One Of The Boys» qui prend ici des proportions spectaculaires. Ronno n’en finit plus de claquer sa Stonesy et de filocher des zigouigouis qui collent et qui chuintent, il joue les grandes manœuvres et secoue d’immenses carcasses d’accords. Il génère une monstrueuse pétaudière et file au vent mauvais vers la gueule béante des enfers. On trouve aussi en D une version superbe de «Man O War». Ronno et l’Hunter tapent encore dans la Stonesy et soudain, l’Hunter part en chasse, ils sont dans ce move, sans peur et sans reproche. Ils rendent hommage à Keef et joue leur Stonesy dans les règles de l’art. C’est là où le glam épouse la Stonesy. On est au cœur du rock anglais le plus précieux.

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    L’Hunter s’est fait couper les cheveux, d’où le titre de l’album Short Back ‘n’ Sides, qui paraît l’année de l’élection de François Miterrand. Ronno et Mick Jones se partagent la prod. Dès «Central Park West», on sent la pop, mais avec une certaine profondeur de champ, c’est déjà ça. Mais les choses empirent assez rapidement avec «Lisa Likes Rock’n’Roll», un cut poppy et putassier infesté de relents de reggae. C’est très années quatre-vingt. Heureusement, Todd Rungren vient sauver l’album en jouant de la basse sur «I Need Your Love». C’est poppy et bien soutenu aux chœurs et on entend même un solo de sax. On assiste à une incroyable conjonction d’esprits supérieurs. L’Hunter fait du Bowie-funk dans «Noises», et en B, «Rain» passe bien, car monté comme «Walk On The Wild Side». Mais le reste de l’album bascule dans l’horreur putassière. Ronno joue du reggae et se discrédite.

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    On retrouve Ronno sur un autre album de l’Hunter, All The Good Ones Are Taken. Ronno ne joue que sur «Death ‘n’ Glory Boys» qui sonne comme un cut de Ziggy. Ronno tisse sa toile et ça devient vite épique, voire grandiose. Pour le reste, l’Hunter fait du Bowie dans «Fun» et du Mott avec «That Girl Is Rock’n’Roll» - She dresses in leather/ She isn’t too together - et plus loin il ajoute qu’elle adore mouiller - She likes to get wet - ce qui en dit long sur le personnage.

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    Avec YUI Orta (the Three Stooges catch-phrase) Ronno existe enfin. C’est un album Hunter/Ronson, alors qu’auparavant, l’Hunter paradait tout seul sur les pochettes. Ils opèrent un retour à l’énormité avec «The Loner» que Ronno traite aux heavy chords de bonne aubaine - Ouh ouh I’m a loner - Derrière, la basse titube. Autre coup de génie avec «Beg A Little Love». On voit bien que l’Hunter utilise Ronno pour pallier à son manque de véracité et effectivement Ronno développe une tangible évanescence de génie impromptu. On a là un hot hit monté aux chœurs de filles et un Ronno qui encore une fois joue comme un beau diable. C’est battu au beat énervé et Ronno overwhelme son cut qui sort des nomes. Il l’enflamme littéralement ! Une fois de plus, l’Hunter s’impose avec ses balladifs, à commencer par «American Music», terriblement mélodique et imparable. L’Hunter n’invente jamais la poudre. Il campe sur ses positions et avec «Women Intuition», il tape dans son vieux boogie rock à la Mott. Il adore rouler dans ses vieilles ornières. Et Ronno n’a aucun scrupule à taper dans les riffs de Marc Bolan pour «Tell It Like It Is». Retour au Bowie Sound avec «Livin’ In A Heart», mais l’Hunter ensorcelle. Avec «Cool», Ronno wah-wahte à l’Hendrixienne, mais ça tourne au ridicule et l’Hunter se prend pour Queen. Ah il faut le voir pour le croire. En fait, ce disk présente un gros défaut : l’Hunter bouffe à tous les râteliers. Il va taper dans la new wave et le groove à la mormoille. «Sons ’N’ Lovers» et «Pain» frisent le calamiteux. Ronno surgit comme Zorro pour sauver «How Much More Can I Take». Il s’y conduit en super-productiviste, directement du producteur au consommateur et il boucle avec «Sweet Dreamer», l’un de ces instros ultra-mélodiques et comme suspendus dans le temps dont il a le secret.

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    Pour clore l’épisode Hunter/Ronson, il est chaudement recommandé de voir le concert filmé au Rockpalast en avril 1980. Il est en ligne. Autant Ronno passe bien, autant l’Hunter-minable passe mal : trop confiance en lui, trop de cheveux, trop de bigger than life. En prime, il porte un costard, une cravate et des boots blanches. Trop c’est trop. Il gratte ses accords rock’n’roll avec une belle arrogance, c’est sûr. Sur scène, Ronno et l’Hunter de Milan sont bien entourés. Ronno fait moins de grimaces qu’à l’époque des Spiders. Il semble plus stoïque, plus appliqué et il joue avec une fluidité exceptionnelle. Sous le micro de l’Hunter-continental, on voit une série de médiators qui pendouillent comme autant des paires de couilles, collés à un bande de gaffeur. L’Hunter sort son harmo pour «Angeline» et n’en finit plus d’assurer comme une bête. On ne peut que constater l’imparabilité de sa présence scénique. C’est un bonheur que de voir Ronno partir en solo. Il s’y montre expansivement intangible. L’Hunter-communal annonce «Laught At Me» - A song written in 1965 by a guy called Sonny Bono - Puis Ronno joue de la mandoline sur «I Wish I Was Your Mother». Fantastiquement cousu et pourtant, ça marche à tous les coups. Mais l’Hunter accapare trop le lead. Ce n’est pas lui qu’on vient voir, mais Ronno. Avec «All The Way From Memphis», on reste dans du grand Mott puis Ronno sculpte la matière dans Dudes. Il y grave son gras dans le marbre du glam et Ronno boucle le set avec son magic Slaughter.

    Signé : Cazengler, Mick Ronron

    David Bowie. The Man Who Sold The World. RCA Victor 1972

    David Bowie. Hunky Dory. RCA Victor 1971

    David Bowie. The Rise And Fall Of Ziggy Stardust And The Spiders From Mars. RCA Victor 1972

    David Bowie. Aladdin Sane. RCA Victor 1973

    David Bowie. Pin Ups. RCA Victor 1973

    David Bowie. Live Santa Monica ‘72. EMI 2008

    Mick Ronson. Slaughter On 10th Avenue. RCA Victor 1974

    Mick Ronson. Play Don’t Worry. RCA Victor 1975

    Dana Gillespie. Weren’t Born A Man. RCA 1973

    Ian Hunter. Ian Hunter. CBS 1975

    Ian Hunter. You’re Never Alone With A Schizophrenic. Chrysalis 1979

    Ian Hunter. Welcome To The Club. Chrysalis 1979

    Ian Hunter. Short Back ‘n’ Sides. Chrysalis 1981

    Ian Hunter. All The Good Ones Are Taken. CBS 1983

    Ian Hunter/Mick Ronson. YUI Orta. Mercury 1989

    Mick Ronson. Heaven And Hull. Epic 1994

    Mick Ronson. Just Like This. New Millenium Communications 1999

    Mick Ronson. Showtime. New Millenium Communications 1999

    Mick Ronson. Indian Summer. Burning Airlines 2000

    David Bowie. Bowie At The Beeb. Parlophone 2016

    Weird And Gilli. Mick Ronson - The Spider With Platinum Hair. Independant Music Press 2009

    Max Bell. The Rise And Fall of Mick Ronson. Classic Rock #236 - June 2017

    D.A. Pennebacker. Ziggy Stardust And The Spiders From Mars. DVD 2007

    Ian Hunter Band Feat. Mick Ronson. Live At Rockpalast. DVD 2011

    08 / 01 / 2019 / PARIS

    SUPERSONIC

    HAPPY ACCIDENTS / THETRUEFAITH

    KURT BAKER COMBO

     

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    Premier concert de l'année, un peu à l'arrache, déniche l'info de Kurt Baker Combo par hasard en trente secondes, inconnu au bataillon, j'y cours, j'y vole à l'aveuglette. Il ne sera pas dit que cette 401° livraison n'aura pas été auréolée de son concert. Surprise en arrivant, n'y a pas que le baker qui pétrira son pain ce soir, deux autres marmiton les précèderont au fournil, quel merveilleux hasard, que dis-je quel heureux accident. !

    HAPPY ACCIDENTS

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    Quatre grands gaillards sur scène. Au troisième morceau, Metal Dance, il faut se faire une raison, groupe musical, pas de chanteur. Je vous interdis tout fourvoiement : ce n'est ni du metal ( dommage ! ), ni de la dance ( ouf ! ). Difficile à caractériser. Au début ça ressemble un groupe de surfin qui aurait oublié toutes ses racines rock'n'roll, drôle d'oiseau sans ailes. Ce qui est sûr c'est que les deux guitares et la basse tirent la loco. Rascal à la batterie joue le rôle du tender qui procure la pression. Une frappe sans interstice, rapide, sans temps mort, une galopade serrée et interminable, autant dire que les deux guitaristes devant ils n'ont aucune seconde de libre, aucun break pour articuler leurs émissions, à eux de se débrouiller pour occuper tout l'espace. Ils ne s'en privent pas, et vous devez changer le fusil d'épaule, l'ensemble est beaucoup plus complexe qu'il n'y paraîtrait au premier abord. Vous font de ces friselis cordiques qui s'entremêlent joliment. Et bruyamment. Drone Attack le confirme, nous filons vers une modernité beaucoup plus immédiate, nous revoyons notre blind-test, nous disions surfin, cette fois-ci nous cocherons the progressive case. Le public adhère, les applaudissements sont de plus en plus nourris à chaque fin de morceau, vous y percevez cette satisfaction respectueuse qui s'empare des esprits lorsque l'on se rend compte que le conférencier compte sur l'intelligence des auditeurs pour comprendre de quoi il s'agit. Belle musique, ronflante et chamarrée, mais qui étrangement n'est pas sans évoquer le vide de notre époque, friches intellectuelles en berne et pauvretés économiques en érection. Ruiner, I Dreamed and I Died, pas besoin de beaucoup de mots pour effectuer des constats définitifs, les titres suffisent. Surprise, ils chantent aussi. Si l'on peut appeler cela chanter ! Disons qu'un gosier émet du son. El cantaor gêné par sa planche à pédales à effets multiples, se voûte sur le micro, l'a la colonne d'air aussi penchée que la tour de Pise les jours de grand vent. Ce n'est pas gênant, vu le propos, personne ne s'attendait à ce qu'il récite un poème. Sans doute n'y a t-il plus rien à dire en ce bas-monde. Les paroles du dernier morceau sont prophétiquement symboliques, se résument à trois mots-clefs La-La-La, que vaticiner de plus, les guitares vrombissent et vous sculptent votre malheur. A croire que l'accident final ne sera pas heureux. En tout cas, ce qui est certain, c'est durant trois quarts-d'heure nous n'avons pas été malheureux. Essayez de faire mieux.

     

    Les groupes se suivent et ne se ressemblent pas. Après un quatuor expérimental qui aimerait bien s'éloigner des racines sacrées du rock'n'roll mais qui n'ose pas non plus plonger dans de savants dodécaphonismes noisiquement aventureux, voici la vieille garde du rock'n'roll, celle que l'on engage dans les moments critiques, lorsque tout semble perdu.

    THETRUEFAITH

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    Ne sont plus très jeunes. Mais ils portent beau. La classe et le style. En quinze secondes, ils vous redressent la situation, un seul étendard, le rock'n'roll. Z'ont admis un petit jeune dans le groupe des grognards, l'est chargé de la batterie, un bon choix, n'arrête pas de décharger un fricot de fracassées abrasives. Une frappe lourde, multiple, ample et sans repos. Devant les guitares balancent. Normalement ce devrait être au drummer de balancer, mais là ce sont les guitaros. Car le drummer, je le rappelle aux esprits distraits, il cascade la casse sur ses caisses. Question guitares, pas du genre à tailler la mortadelle congelée en tranches superfines de Prisunic. Au fond du grabuge vous avez le vieux son des Stones, mais revu et corrigé par les Ricains, ne se sont pas fatigués les amerloques, ont repris les mêmes plans, mais en plus rapides, la même impression mortelle que mon chien et moi lorsque nous avons été pris dans un essaim de milliers d'abeilles en transhumance, un bourdonnement de partout qui fuse de nulle part et de tous côtés. Un danger grisant. En plus Thetruefaith ils ont un chanteur. Un vrai. Pas au four et au moulin. Au micro. Une belle voix, et plus le set avancera, elle se chargera de mille lampées de beuverie au fond de bouge sordides au bord des bayous infestés d'alligators. Un régal. En prime les poses qu'ose le torero devant les cornes, et les mimiques en coin de figure qui déchirent. Et puis les guitares, elles glissent, du pur jus de cambouis, vous passent les riffs comme les bandes de mitrailleuse dans Le Jour le Plus Long. Vous font de ces loopings de rêves et de ces toboggans d'enfer à courir allumer un cierge à sainte-Thérèse pour les remercier. Vaut quand même mieux rester sagement – en fait le public commence à tanguer et à se réchauffer – à les écouter car ils procurent Fire et Methadone à volonté. Brûlant et en concentré. Nos chouchous ont le show chaud. Z'appliquent la vieille recette de l'ébullition constante en augmentation obligatoire. Un truc qui défie les lois de la physique mais pas celle du rock'n'roll. Last Chance Googbye, Now It's Time, You'll Never Die – remarquez comme ces trois titres résument à eux seuls le mode outrancier de vie rock'n'roll - sont des bijoux brûlants, des diamants gros comme le Ritz aurait dit Scott Fitzgerald, l'épure et l'essence du rock'n'roll, inusable, immortel, la seule drogue à accoutumance éternelle. Merci Thetruefaith de nous l'avoir rappelé. Même si nous le savions déjà.

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    KURT BAKER COMBO

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    European tour 2019. Ce soir à Paris, demain en Allemagne. Kurt Baker provient de Portland mais s'est installé depuis plusieurs années en Espagne. Ne vous étonnez pas si ça sonne américain. Un drôle de mélange tout de même. De l'afterpunk mais beaucoup plus after que punk. De ce dernier ils on gardé l'énergie mais ont expulsé la méchanceté. After et même Before. Des racines lointaines qui remontent jusqu'aux Beach Boys. Dans la grande partition, ils ont choisi le côté Beatles, et non la blue darkness stonienne. Pas gentillets certes, mais tout de même un côté festif. Le public a adoré. Moi aussi. Surtout la musique. Plus réservé au niveau de la voix, trop coulée dans le foisonnement des guitares. Je ne sais si à la sono cela aurait pu vraiment être amélioré, au finish je pense que cela relève d'un choix esthétique.

    Un hurlement d'asile aliéné pour lancer le set. Provient du batteur, à croire qu'un utahraptor s'est introduit dans la salle. On ne l'entendra plus de tout le set. Du moins au micro, car question drummin il effectue un travail de dingue, tâte un max, pas qu'il tâtonnerait, non une frappe puissante et d'une rapidité inouïe, always on the break, un continuum de brisures effrénées, le gars ne vous laisse jamais l'oreille en repos, doit avoir un cœur d'engoulevent capable de rester plusieurs mois en l'air sans se poser. Si les sbires de Diapason l'avait entendu, ils n'auraient jamais osé décerner un Diapason d'or aux Percussions de Strasbourgs.

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    Ce qu'il y a de miraculeusement terrible c'est qu'on ne l'entend pratiquement pas, pour être plus juste on ne le discerne pas plus que cela dans la profusion de l'ensemble. Un mur de lave qui descend d'un cône volcanique charrie bien de débris et de scories mais vous ne voyez qu'une immense langue de feu qui dévaste irrémédiablement la contrée. N'ont pas recruté un manchot à la guitare, certes Kurt à la rythmique l'aide bien mais Jorge est un bretteur imparable. Donne l'impression d'une foultitude de rubans d'or qui s'échappent de son appareil à combustion. Un laminoir à langue de tamanoir. Le son s'infiltre partout, vous submerge sans que vous en preniez conscience. S'amusent comme des petits fous. Les départs et les fins de morceaux sont de véritables films d'animations. Jettent un riff pratiquement au hasard et à chacun de se dépatouiller comme il peut, attention il faut que ça se termine ou que ça commence avec l'ampleur d'une ouverture ou d'un finale de symphonie à la Beethoven. Trapèze volant sans filets et je te pousse en plein déséquilibre, le bassiste particulièrement fort pour louer à la voiture balai en ces ultimes moments. J'en ai eu les oreilles toute batifolantes durant une heure en regagnant la teuf-teuf à l'autre bout de Paris. Rien à dire, flair infaillible de rocker, ce soir fallait être au SuperSonic. Ëtre ou ne pas être. That is the question ! Super Sonique !

    Damie Chad.

    FULL PATCH

    LA BIBLIOTHEQUE DU MOTARD SAUVAGE

    JEAN-WILLIAM THOURY

    ( Serious Publishing / 4° trim. 2018 )

     

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    Une ultime gorgée de café et dans cinq minutes je serai en train de kroniquer le dernier ouvrage de Jean-William Thoury. J'ai failli m'étrangler. L'on cause de Harley-Davidson aux infos. L'on situe l'endroit. Le point géodésique exact, in Paris, où la semaine dernière Jean-William Thoury dédicaçait son livre, je rappelle aux lecteurs à courte mémoire la kro 399 du 27 /12 / 2018, qu'en compagnie d' Alicia Fiorucci, Tony Marlow y faisait son show... Inimaginable nouvelle ! Le monde est en train de changer de base ! D'ici peu sera commercialisée la nouvelle Harley. Electrique ! Preuve à l'appui, le reporter nous fait entendre le ronronnement du nouvel appareil. Ressemble à s'y méprendre au bruit de l'engin à double balayettes qui nettoie les caniveaux devant mon domicile. Pour ceux qui n'ont jamais eu la chance d'ouïr le besogneux engin municipal provinois, il leur suffira de brancher leur robotique râpe à carottes pour en reproduire l'équivalent. Bye-bye les motards sauvages. Au siècle suivant l'on affirmera que le book de Jean-William Thoury aura été écrit juste avant l'extinction des dinosaures mécaniques.

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    Laissons-là ces lendemains qui déchantent. Un coffre à merveilles de quatre cents pages, papier glacé nous attend. Jean-William Thoury a lu plus de trois cents bouquins – genre de sport pratiqué par les érudits de la Renaissance - consacrés aux clubs de bikers. Nous les présente un par un. Production francographe et de langue anglaise. Une aubaine car parfois la langue de Shakespeare s'avère aussi incompréhensible aux natifs de douce France que l'écriture cunéiforme. Thoury s'est chargé du bruit et de la fureur, Serious Publishing de l'esthétique. Repros couleurs à chaque page. Une véritable exposition de tableaux. Il se pourrait qu'une majorité d'esthètes jugeassent ces couvertures cheap and kitch. Mais tous ceux qui adorent les bielles mécaniques et les pulpeuses créatures apprécieront ces rutilances phantasmatiques. Pour ma part j'oserai le concept de d'héraldique romantique. Toutefois ne cédez point aux miracles de l'imagerie, certes les pleines-pages photograpphiques abondent, mais le texte n'est point maigrelet. Policé en petits caractères extrêmement lisibles. Des heures de lecture. Jean-William Thoury n'a pas boudé le travail. Une Bible, mais cette fois vue du côté des anges de l'enfer. Les livres sont présentés dans l'ordre chronologique de leur parution. Si les années soixante occupent cent cinquante pages, la fin du siècle et le début du nôtre accaparent le restant de l'espace, cette inflation témoigne à elle seule de l'importance acquise par le phénomène biker en quatre-vingt ans, les sociologues ne manqueront pas de brandir le concept des minorités actives.

    Full Patch oscille sempiternellement entre objectivité et subjectivité, ce qui est la meilleure manière de bafouer la lâche neutralité des universitaires. Jean-William Thoury résume le contenu des ouvrages qu'il présente. Pour les ouvrages d'imagination à suspense il se garde bien de nous révéler la toute fin de l'intrigue selon l'adage que l'incitation au désir procure davantage de jouissance que la satisfaction du plaisir. Le lecteur alléché n'hésitera pas à se reporter au bouquin idoine ou à se livrer à mille délices hypothétiquement imaginatives.

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    Full Patch possède ses parti-pris assumés. J.-W. Thoury est sensible à la force talismanique des mots. N'oublions pas qu'il lima en d'autres temps les chatoyances verbales du groupe Bijou. Ainsi il ne culbute jamais devant une longue liste de Motors-Clubs pas plus qu'il ne résiste à égrener les noms des principaux membres d'un club. Ces interminables nomenclatures évoquent des vocables aussi éclatants que les rimes flamboyantes des alexandrins d'Edmond Rostand. Ces mots portent en eux la force des présences qu'ils poétisent. Ils ne sont ni verbiage, ni remplissage, ils sont verbe agissant qui scandent le texte en lui permettant d'atteindre, grâce à une espèce de transe rythmique, à une profonde exaltation hypnagogique à l'instar de mantras matriciels. Leur nomenclature forme un arbre généalogique aux innombrables ramures. Vous croiriez facilement que vous êtes en train d'éplucher l'ancien armorial de la noblesse européenne... Un labyrinthe sans fin dans lequel vous seriez perdus si J.-W. Thoury ne nous venait en aide. Prend le rôle de Virgile qui guide complaisamment Dante dans les sept cercles infernaux de la Divine Comédie, encore que nous soyons carrément dans la Diabolique Tragédie dont le parcours, comme toute initiation, nécessite épreuves et persévérance.

    Même si le premier Motor-Club date de 1903, l'histoire mythique des Bikers débute en 1947 avec les troubles d'Hollister popularisés en Europe par L'Equipée Sauvage en 1953. Incidemment, questions films, le lecteur se rapportera à Bikers, Les Motards Sauvages de Jean-William Thoury paru en 2013.

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    Jean-William Thoury en pince ( à vélo, excusez-moi ) pour les Hells Angels. N'en oublie pas pour autant les autres grandes confédérations, Bandidos, Pagan's, Outlaws, mais les Hells Angels remportent la palme. Ce sont eux qui ont en quelque sorte clarifié les tables de la loi. Il est aussi difficile d'évoquer les bikers sans faire référence aux Hells Angels que de parler de chevalerie sans faire allusion aux chevaliers du Graal. Reste que dans l'imaginaire populaire les Hells Angels n'ont pas une réputation d'agneaux innocents. Sont souvent présentés comme de sombres brutes mal dégrossies prêtes à vous trucider si vous vous approchez d'un peu trop près de leur moto.

    Pour sa part la police n'y va pas de main morte. Elle assimile les Motor-Clubs à des gangs, autrement dit à de simples organisations criminelles coupables de toutes les exactions : viols, crimes, trafic divers : drogues, armes, prostitution... Jean-William Thoury remet les pendules à l'heure. Les M. C. ne sont pas responsables des actes commis par ses membres, à leurs initiatives personnelles, entrepris hors des activités du club programmées dans son statut. Ainsi le club de tennis que vous fréquentez n'est pas plus responsable des exactions diverses qu'à titre individuel vous exercez à vos risques et périls dans le restant de votre existence... Reste que toute institution légale peut aussi servir de paravent...

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    Qu'est-ce qu'un biker sauvage ? Outre le fait qu'il chevauche une moto ( de préférence une Harley customisée ), il est avant tout un être libre. Qui refuse de mener une vie d'esclave. A choisi une existence qui ne soit pas asservie par des horaires par trop contraignants, et à la merci de petits chefs emplis de suffisance et de médiocrité. Notons que de tels principes peuvent déboucher aussi bien sur une vision seigneuriale des plus éthiquement aristocratiques que donner lieu à des idéologies les plus troubles. Le biker est un anarchiste individualiste qui ne reconnaît qu'une seule association, celle de son moto-club...

    Par la force des choses le biker conséquent avec ses principes se doit d'assumer sa propre subsistance. Il compte sur l'entraide de ses pairs, mais pas sur la charité des copains. Se débrouille. Se livre à de petits trafics : ce n'est pas tout à fait la même chose de de vendre cinquante grammes d'héroïne qu'un kilogramme. Nombreux sont ceux qui montent de petites entreprises : bars, tatouages, garage-motos...

    Documentaires, romans, biographies et autobiographies sont les quatre types genres d'écrits que J. W. Thoury passe au crible de sa lecture. Ne sont pas tous de valeur égale. Trop de romans écrits à la chaîne regorgent de scènes de sexe et de violence, les auteurs ( et les éditeurs ) caressent les appétits les plus bas de leur lecteurs... C'est de bonne guerre. L'on ne lit que les livres que l'on mérite. Les documentaires se répètent souvent, quand ils deviennent intéressants et mettent la focale sur tel ou tel personnage l'on s'aperçoit qu'ils reprennent des éléments donnés dans les bios et les autobios des acteurs qui en ont été les principaux instigateurs.

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    L'histoire des M. C. n'est pas de tout repos. Ils se livrent à de terribles luttes d'influence tant au niveau local que régional, national et même international. Parfois l'on brûle l'étape du baston pour sortir les fusils. Le Canada et l'Australie furent le théâtre de véritables guerres. Problème récurrent de toute organisation qui acquiert trop de puissance qui dès lors se concrétise sous forme de visées hégémoniques. Parallèlement à cette situation partagée par l'immense majorité des groupes humains, surgit la problématique des individualités. Désir de domination, jalousie, et ressentiment sont les moteurs ( non-exclusifs ) du comportement humain. L'on a un peu l'impression de lire des études du zoologiste Konrad Lorenz sur l'agressivité des oies cendrées.

    Nous l'avons vu : en tant que personne morale le M. C. se refuse à toute violence et à tout trafic, mais il n'en est pas de même pour les individus qui le composent. Les trafics individuels génèrent argent, richesse et pouvoir. Autant de motifs de guerres intestines – la vie d'un M. C. n'est pas obligatoirement un long fleuve tranquille – et inter-claniques. De nombreux bikers finissent en prison. Les gouvernements n'aiment guère que des groupes auto-gérés échappent à son contrôle et instituent des zones de vie autonomes. L'Etat se défend : la police est chargée de surveiller et de réprimer ces ferments anarchiques. Les M. C. sont des structures fermées. Il est difficile à un policier de les infiltrer. Mais la parade fut facilement trouvée par le FBI. A un biker menacé de passer plusieurs années en prison il est facile de proposer de changer de camp, de rentrer dans un M. C. et de pousser certains de ses membres à quelques actions ou trafics illicites. Ce petit jeu peut durer plusieurs années, jusqu'à ce que l'on ait collationné un nombre suffisant de preuves, et lorsque le fruit semble prêt à tomber, le jour J, à l'heure H, sur différents points du territoire, parfois très éloignés, un ballet de perquisitions généralisées est déclenché... La récolte peut être juteuse, comme très maigre.

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    Mais le jeu est dangereux. Ne parlons pas maintenant des traîtres – nous les laissons avec leur conscience – mais de véritables et volontaires agents de l'Etat immergés durant des mois et des mois à l'intérieur d'un M. C. Des liens, sinon d'amitié, du moins d'estime, se nouent... Certains policiers infiltrés en arrivent à d'étonnantes conclusions : les gredins qu'ils espionnent leur paraissent plus honnêtes que leurs supérieurs hiérarchiques et politiques. Ils sont les premiers à dénoncer l'incompétence de leurs propres services... Hommage de la vertu au vice !

    L'ensemble de l'ouvrage se donne à lire comme un roman historial. De volume en volume, Jean-Willam Thoury peint une épopée tumultueuse. Palpitante, car elle ne remonte pas aux temps anciens. Ses héros de chair et de sang bouillonnants sont nos contemporains. Ils ont choisi de vivre en marge d'une société dont nous-mêmes subissons toutes les coercitions et toutes les avanies. Ils ne sont pas meilleurs que nous, mais font preuve d'un peu plus de courage... Encore que... les temps changent... les anciens bikers d'âge respectables sont les premiers à dénoncer les changements survenus dans les M. C. victimes d'une certaine institutionnalisation. Les conditions de vie et les mentalités se sont modifiées. Les temps ne sont plus les mêmes. Le M. C. n'est pas encore un loisir de Monsieur tout le monde mais même les policiers ont leurs motos-clubs... Est-ce la rage originaire des laissés-pour-compte qui s'émousse, ou le Système qui parvient à récupérer tout ce qui s'oppose à lui … Il existe toujours et encore des motards, mais le biker sauvage est une denrée plus rare... Jean-William Thoury nous rassure, les vieux rêves sont comme les couteaux usés, ils ont besoin d'être aiguisés, et Full Patch est une merveilleuse pierre à fusil.

    Damie Chad.

    ERIC CLAPTON

    PHILIPPE MARGOTIN

    ( Chroniques Editions / Novembre 2015 )

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    Je ne suis pas fan d'Eric Clapton, même si je dois reconnaître qu'il joue mieux de la guitare que moi. Quoique si je possédais sa dextérité j'en userais bien plus sauvagement rock'n'roll ! Comme il n'y avait rien d'autre sur l'étalage du camion Gibus, et qu'il est de bonne guerre de supporter son bouquiniste local qui se débrouille toujours pour offrir quelques vinyles à pochettes affriolantes, je m'en suis emparé, un peu dépité. Car je n'aime guère non plus, ces albums à grand format mis sur les étalages des grandes surfaces aux mois brumeux de novembre, afin de déclencher chez vos proches le réflexe pavlovien du cadeau de Noël... Me suis fait avoir parce que j'ai jeté un coup d'œil sur les premières pages. La préhistoire du british blues est aussi attirante et mystérieuse que la disparition de l'empire Hittite au douzième siècle avant le petit Jésus. Heureusement que je n'ai pas ouvert au milieu du bouquin. Clapton et moi c'est une histoire à éclipses, après 1974, j'ai laissé un peu tomber, de temps en temps un coup d'oreille, un peu comme quand vous présentez vos vœux à une antique copine...

    Ne s'est pas trop fatigué Margotin, et les éditions Chroniques ne nous en fait pas voir de toutes les couleurs. Du blanc, du noir et des fonds de page mordorés. Des repros de pochettes de disques pas plus gros que deux timbres-postes sous lesquelles se trouve un commentaire des plus succincts, titres, musiciens + quelques phrases rapides pour situer le le style, et puis basta ! Les photos artistiquement découpées sont présentées comme ces vastes assiettes de hors-d'œuvres de la Nouvelle Cuisine en lesquelles se perd une asperge unique entourée de fines de lamelles de radis... Si vous êtes adeptes des révélations fracassantes, achetez de préférence l'autobiographie de Clapton, je ne l'ai pas lue, mais les seuls propos intéressants du livre y ont été empruntés par un Margotin visiblement en panne d'inspiration... questions réflexions personnelles et analyses pertinentes, Margotin ne s'est point moultement pressé le cérébral citron.

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    Un petit effort toutefois pour le début de la carrière de maître Eric. Un peu de grain à moudre pour le public actuel de Clapton qui n'aurait jamais entendu parler de Blind Faith, de Cream, des Yarbirds, des Blusbreakers et de toute l'antique panoplie, Margotin s'est fendu de quelques explications agrémentées d'encarts plus ou moins étendus pour les seconds couteaux de la légende, même si Alexis Corner, John Mayall, Peter Green, et Stevie Winwood ne méritent pas cette qualification infamante. Mais le margoulin en dit si peu sur Clapton que cela vous a un air de remplissage décevant...

    La deuxième moitié du bouquin est franchement plus désagréable. Margotin se contente de noter les disques enregistrés par Dieu, chichement suivis de quelques commentaires sur la tournée promotionnelle qui suit. L'est vrai que Clapton ne l'aide en rien. Se contente de peu. Le mec gentil et serviable prêt à pousser un solo de guitare sur une des pistes de n'importe quel artiste qui l'invite. C'est simple, l'a joué avec tout le monde, sur scud comme sur scène. Les lecteurs pressés se reporteront en fin de volume aux quatre pages de la discographie. Bien présentée, claire, nette, précise, d'une lecture aisée.

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    Et Clapton ? On le capte peu. Pas un mot sur sa personnalité. Margotin est le mec discret par excellence. L'évocation des amours d'Eric avec Pattie Harrison ne donnent lieu à aucune surenchère érotique. L'addiction à l'héroïne et plus tard à l'alcool est notée sans insistance, pas question de s'interroger par quels manques ou par quels déséquilibres ils sont causés... L'est vrai qu'il est un peu distant notre guitariste, quand la Reine le décore il déclare que plus jeune, dans sa période rebelle, il aurait refusé, mais là à soixante balais ( il y en a des coups qui se perdent ) il a réfléchi, l'ajoute même '' que c'est une chose importante que de pouvoir être un exemple''. Sans doute pour la jeunesse dégénérée qui écoute du rock'n'roll !

    Passons au plus important : la musique. Avis aux amateurs de guitare, rien ne vous sera dévoilé. Je n'ose pas dire que je résume, j'enlève à peine quelques mots : en ses débuts Clapton jouait du blues. L'était même un puriste du country-blues. Après l'a mis de l'eau dans son vin bleu, pardon du rock'n'roll dans son blues - les Rolling Stones aussi – ensuite ce l'est joué laid-back. C'est à dire virtuose, surfin. Habileté maximale... qui coule comme de l'eau de source lustrale. C'est beau mais pas aussi fort qu'une rasade de moonshine au venin de crotale. Une nuit au camping idéale, sans moustiques, pour les adeptes du naturisme. N'empêche que l'on aurait apprécié quelques aperçus sur l'influence de Duane Allman et de J. J. Cale sur son style.

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    Le livre n'a pas que des mauvais côtés. Chacun rencontrera une figure mythique qu'il affectionne particulièrement – pour moi, par exemple Jim Cappaldi – mais la fidélité de Clapton au blues est patente. Quel plaisir de voir défiler tous les noms légendaires du Delta et du Chicago électrique, Clapton se débrouille toujours pour en caser au minimum un ou deux titres - classique ou exhumés de l'oubli, il s'y connaît le bougre - sur chacun de ses albums. Un néophyte tant soit peu curieux trouvera facilement dans ce livre bien des portes qui lui permettront d'entrer de plain-pied dans le territoire de la musique du Diable.

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    Quant à Clapton rescapé de l'explosion rock, auto-transformé en mercenaire de la guitare, j'avoue ne pas trop comprendre. Peut-être qu'un jour Dieu m'aidera. En attendant je cours me repasser Disraeli Gears et Layla pour dissiper mes idées noires et mes incertitudes bleues.

    Damie Chad.

    IGNEUS

    PATRICK S. VAST

    ( Editions Fleur Sauvage / Novembre 2015 )

     

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    Jamais entendu parler de Patrick S. Vast ni des éditions Fleur Sauvage. Marcel Proust aurait dû y penser, A L'Ombre des Jeunes Filles en Fleurs Sauvages, ce n'est pas mal non plus. La couverture orange et surtout ce microsillon en flammes ont attiré mon regard. Rock'n'roll et satanisme au dos de la couverture, une petite lecture avant la nuit me procurera peut-être de splendides cauchemars ai-je pensé. Ben, non j'ai dormi comme un loir du Loir-et-Cher. Par contre une agréable lecture. Rock'n'roll, yes un peu. Période Led Zeppelin et Deep Purple. Et metal actuel. Ce qui nous vaut quelques scènes de répétitions en cave enfumée bien venues. Ce n'est pas le principal sujet du livre. Avant de l'aborder je vous délivre le Diable de sa fosse, z'oui un peu de satanisme, juste ce qu'il faut, comme quand vous vous préparez un kilo de piments habanero pour accompagner la cuisson d'un petit pois. Soyez un peu plus finauds, ce n'est pas parce que l'on ajoute un piment rouge devant vous qu'il faut foncer droit dessus. Non ce n'est pas ce qui doit aiguillonner votre désirs, peu de taureaux survivent dans l'arène. Les lecteurs de Kr'tnt auront toutefois cœur à réparer la description un peu trop caricaturale d'Anton LaVey.

    Avant tout un roman policier. Avec un bon début et une meilleure fin. Patrick S. Vast vous fait le coup de ces groupes de rock qui terminent leur set en vous souhaitant un bon retour. Et qui cinq minutes plus tard reviennent pour un rappel que vous n'attendiez pas, qui se révèle plus surprenant que le set en lui-même. Et vous refont le même coup, avec un second rappel encore plus éblouissant. L'ultime baisser de rideau de Monsieur Vast est spécialement dévastateur. Tel est pris qui croyait prendre. Et le dindon de la farce c'est vous. Tant mieux pour vous.

    Incidemment, mais il est des incidents qui soulèvent plus de questions que les énigmes que l'on vous offre pour détourner votre attention, Igneus jette ( à peine ) quelques pâles lueurs sur le sujet des combustions spontanées. Je sens que vous brûlez d'en savoir plus, alors je vous promets qu'une de ces livraisons je vous chroniquerais le roman de Jean-Pierre Roques sur ces consummations cendriques.

    Igneus est avant tout, me semble-t-il, un livre sur le pouvoir. Politique, cela va sans dire, car c'est le seul pouvoir qui compte. Ses ramifications occultes, nécessairement, car pour agir en toute impunité, il est impératif de vivre secrètement. De quoi exercer vos vigilances citoyennes. Avant de courir aux armes. Ainsi que le propose la bonne chanson.

    Damie Chad.